Des villes entièrement dévastées, des hôpitaux en plein naufrage, une foule de civils errant sous les bombes, sans eau, sans nourriture ni électricité, des familles pleurant partout leurs morts, des gosses hagards à la recherche de leur maman, d’autres impitoyablement déchiquetés, des innocents exécutés de sang-froid sous les yeux de leur famille… Ce terrifiant paysage d’apocalypse n’est pas celui de Varsovie ou d’Hiroshima après six ans de guerre mondiale, ni celui de Sarajevo après quatre ans de siège. Ce paysage, c’est celui du « capitalisme du XXIe siècle », celui des rues de Gaza, de Rafah et de Khan Yunis après seulement trois mois de conflit.
Trois mois ! Il n’aura fallu que quelques semaines pour raser Gaza, emporter des dizaines de milliers de vies et jeter des millions d’autres sur des routes qui ne mènent nulle part ! Et pas par n’importe qui ! Par « la seule démocratie du Proche et du Moyen-Orient », par l’État d’Israël, allié des grandes « démocraties » occidentales, qui se prétend le dépositaire unique de la mémoire de l’Holocauste.
Depuis des décennies, les révolutionnaires s’époumonent : « le capitalisme enfonce peu à peu l’humanité dans la barbarie et le chaos ! » Nous y voilà… Bas les masques ! Le capitalisme montre son vrai visage et l’avenir qu’il réserve à toute l’humanité !
Ce qui se passe aujourd’hui au Proche-Orient n’est pas qu’un nouvel épisode dans la longue série des poussées de violence qui émaillent tragiquement le conflit israélo-palestinien depuis des décennies. Le conflit actuel n’a même rien à voir avec la vieille « logique » de confrontation entre l’URSS et les États-Unis. Comme l’Ukraine avant elle, cette guerre est une étape supplémentaire dans la dynamique du capitalisme mondial vers le chaos, la prolifération de convulsions incontrôlables et la généralisation de conflits toujours plus nombreux.
Le niveau de barbarie, à l’échelle de Gaza, est peut-être pire encore que l’extraordinaire violence du conflit ukrainien. Toutes les guerres de la décadence ont entraîné des massacres de masse et des destructions gigantesques. Mais même les plus grands meurtriers du XXe siècle, les Hitler, les Staline, les Churchill, les Eisenhower, ne s’étaient engagés dans les pires horreurs qu’après plusieurs années de guerre, multipliant les « justifications » pour transformer des villes entières en tas de cendre. Or, il est frappant de constater à quel point les rues de Gaza ressemblent déjà à s’y méprendre aux paysages en ruines de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les mêmes paysages de destruction qu’après quelques semaines de conflit en Ukraine. Toute cette clique de barbares est ainsi emportée par la logique de terre brûlée qui prédomine désormais les conflits impérialistes.
Quel avantage stratégique pouvait bien tirer le Hamas en envoyant un millier d’assassins massacrer des civils, si ce n’est mettre le feu aux poudres et s’exposer à sa propre destruction ? Qu’espèrent donc l’Iran ou Israël, si ce n’est semer le chaos chez leurs rivaux, un chaos qui reviendra nécessairement les frapper comme un boomerang ? Aucun État n’a rien à gagner dans ce conflit sans issue. La société israélienne pourrait sortir profondément déstabilisée par la guerre, menacée pour des décennies par une génération de Palestiniens ivres de vengeance. Quant à l’Iran, si ce pays est celui qui tire le plus avantage de la situation, c’est, pour elle, une victoire à la Pyrrhus ! Car si les États-Unis ne parviennent pas à restreindre le déchaînement aveugle de la barbarie militaire, l’Iran s’expose à des représailles très dures contre ses positions au Liban et en Syrie, voire à des attaques destructrices sur son territoire. Et tout cela au risque de déstabiliser des régions toujours plus étendues de la planète, avec des pénuries, des famines, des millions de déplacés, des risques accrus d’attentats, de confrontations communautaires…
Même si les États-Unis tentent d’empêcher que la situation n’échappe à tout contrôle, le risque d’un embrasement généralisé du Moyen-Orient n’est clairement pas négligeable. Car, loin de la discipline de bloc qui avait prévalu jusqu’à l’effondrement de l’URSS, tous les acteurs locaux sont prêts à appuyer sur la gâchette.
La première chose qui saute aux yeux est qu’Israël a agi en cavalier seul, suscitant la colère et des critiques ouvertes de l’administration Biden. Netanyahou a, en effet, profité de l’affaiblissement du leadership américain pour tenter d’écraser la bourgeoisie palestinienne et détruire les alliés de l’Iran, s’opposant ainsi à la « solution à deux États » promue par les États-Unis. L’indiscipline d’Israël, davantage préoccupé par ses propres intérêts immédiats, est un énorme coup porté aux efforts de Washington pour empêcher la déstabilisation de la région.
Après trois mois d’atrocités, il est de plus en plus évident que la guerre entre Israël et le Hamas aura des conséquences mondiales dramatiques : sur le plan économique avec la quasi-fermeture du détroit Bab-el-Mandeb, nœud commercial mondial pilonné par les milices houthistes, ou sur le plan humanitaire avec plusieurs millions de personnes qui se retrouvent désormais sur les routes de l’exil.
Surtout, les récentes échauffourées entre Israël et le Hezbollah, comme les bombardements américains au Yémen, font déjà craindre le pire avec le risque accru de voir s’ouvrir un nouveau front face à l’Iran et ses alliés. Une telle extension du conflit représenterait un pas supplémentaire dans la perte de contrôle de Washington sur la situation mondiale : contraint de soutenir son allié israélien, ce serait un énorme coup porté à sa politique d’endiguement de la Chine et de soutien à l’Ukraine, avec tous les risques d’embrasement que cela fait peser sur ces régions.
La guerre à Gaza comme celle en Ukraine montrent que la bourgeoisie n’a pas de solution à la guerre. Elle est devenue totalement impuissante à contrôler la spirale de chaos et de barbarie dans laquelle le capitalisme entraîne toute l’humanité.
Le prolétariat à Gaza est aujourd’hui écrasé. Celui en Israël, sidéré par l’attaque du Hamas, s’est laissé embarquer par la propagande nationaliste et guerrière. Dans les principaux bastions du prolétariat, particulièrement en Europe, si la classe ouvrière n’est pas prête à se sacrifier directement dans les tranchées, elle est encore incapable de se dresser directement contre la guerre impérialiste, sur le terrain de l’internationalisme prolétarien.
Alors, tout est perdu ?… Non ! La bourgeoisie a exigé des sacrifices énormes pour alimenter la machine de guerre en Ukraine. Face à la crise et en dépit de la propagande, le prolétariat s’est dressé contre les conséquences économiques de ce conflit, contre l’inflation et l’austérité. Certes, la classe ouvrière a encore des difficultés pour faire le lien entre le militarisme et la crise économique, mais elle a bel et bien refusé les sacrifices : au Royaume-Uni avec une année de mobilisations, en France contre la réforme des retraites, aux États-Unis contre l’inflation et la précarité…
Alors que le conflit ukrainien s’enlise, que la guerre israélo-palestinienne fait rage, que la bourgeoisie redouble d’efforts pour bourrer le crâne des exploités avec son ignoble propagande nationaliste, la classe ouvrière est toujours en lutte ! Récemment, le Canada a connu un mouvement de lutte historique. Des luttes inédites, avec des expressions de solidarité, ont lieu dans les pays scandinaves. La classe ouvrière n’est pas morte !
À travers ses luttes, le prolétariat se confronte aussi à ce qu’est la solidarité de classe. Or, face à la guerre, la solidarité des ouvriers ne va ni aux Palestiniens, ni aux Israéliens. Elle va aux ouvriers de Palestine et d’Israël, comme elle va aux ouvriers du monde entier. La solidarité avec les victimes des massacres, ce n’est certainement pas entretenir les mystifications nationalistes qui ont conduit des ouvriers à se placer derrière un fusil et une clique bourgeoise. La solidarité ouvrière passe avant tout par le développement du combat contre le système capitaliste responsable de toutes les guerres.
La lutte révolutionnaire ne peut surgir d’un claquement de doigts. Elle ne peut, aujourd’hui, que passer par le développement des luttes ouvrières, contre les attaques économiques de plus en plus dures que lui assène la bourgeoisie. Les luttes d’aujourd’hui préparent la révolution de demain !
EG, 8 janvier 2024
Face au déchaînement de barbarie à Gaza, les belligérants et leurs supporters de par le monde se rejettent la responsabilité des crimes.
Pour les uns, Israël mènerait une « sale guerre » (comme s’il en existait des propres…) que même l’ONU et son très circonspect secrétaire général ont dû dénoncer, allant jusqu’à parler de « grave risque de génocide ». Une partie de la gauche du capital n’hésite même pas à soutenir les ignobles exactions du Hamas repeintes en « acte de résistance » face au « colonialisme israélien », prétendu unique responsable du conflit.
De son côté, le gouvernement israélien justifie le carnage à Gaza en affirmant venger les victimes du 7 octobre et empêcher les terroristes du Hamas d’attenter à nouveau à la « sécurité de l’État hébreu ». Tant pis pour les milliers de victimes innocentes ! Tant pis pour les « boucliers humains » de 6 ans ! Tant pis pour les hôpitaux, les écoles et les habitations en ruine ! La sécurité d’Israël vaut bien un massacre !
Partout, on entend les sirènes du nationalisme défendre un État prétendument victime de l’autre. Mais quel esprit délitant peut bien s’imaginer que la bourgeoisie gazaouie, cette bande de fous furieux assoiffés de fric et de sang, vaut mieux que la clique d’illuminés et de corrompus de Netanyahou ?
« Nous ne défendons pas le Hamas, nous défendons le droit du “peuple palestinien” à disposer de lui-même », entonnent en cœur toute la coterie gauchiste à la tête des manifestations pro-palestiniennes, espérant sans doute, par cette pirouette de demi-habiles, faire oublier que « le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même » n’est qu’une formule destinée à dissimuler la défense de ce qu’il faut bien appeler l’État de Gaza ! Les intérêts des prolétaires en Palestine, en Israël ou dans n’importe quel autre pays du monde ne se confondent en rien avec ceux de leur bourgeoisie et leur État. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler comment le Hamas a réprimé dans le sang les manifestations de 2019 contre la misère. La « patrie palestinienne » ne sera jamais qu’un État bourgeois au service des exploiteurs ! Une bande de Gaza « libérée » ne signifierait rien d’autre que consolider l’odieux régime du Hamas ou de toute autre faction de la bourgeoisie gazaouie.
« Mais la lutte d’un pays colonisé pour sa libération porte atteinte à l’impérialisme des États colonisateurs », contre-attaquent, sans rire, une partie des trotskistes et ce qui reste de staliniens. Quel grossier mensonge ! L’attaque du Hamas s’inscrit dans une logique impérialiste qui dépasse largement ses seuls intérêts. L’Iran a contribué à mettre le feu aux poudres en armant le Hamas. Elle tente de répandre le chaos chez ses rivaux, en particulier Israël, en multipliant les provocations et les incidents dans la région : le Hezbollah au Liban, les rebelles houthistes au Yémen, les milices chiites en Syrie et en Irak… « toutes les parties de la région ont les mains sur la gâchette », comme l’affirmait, fin octobre, le ministre des Affaires étrangères iranien. Aussi faible soit-il face à la puissance de Tsahal, le Hamas, comme toute bourgeoisie nationale depuis l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, ne peut nullement, comme par magie, se soustraire aux rapports impérialistes qui régissent toutes les relations internationales. Soutenir l’État palestinien, c’est se ranger derrière les intérêts impérialistes de Khamenei, de Nasrallah et même de Poutine qui se frotte bien les mains.
Mais voilà qu’entrent en scène les inénarrables pacifistes pour parachever le carcan nationaliste dans lequel la bourgeoisie cherche à enfermer la classe ouvrière : « Nous ne soutenons aucun camp ! Nous réclamons un cessez-le-feu immédiat ! » Les plus naïfs s’imaginent sans doute que l’enfoncement accéléré du capitalisme dans la barbarie vient du manque de « bonne volonté » des assassins à la tête des États, voire d’une « démocratie défaillante ». Les plus malins savent parfaitement quels sordides intérêts ils défendent. Il en est ainsi, par exemple, du Président Biden : fournisseur de missiles à sous-munitions en Ukraine, horrifié par les « bombardements aveugles » à Gaza. Il faut dire qu’Israël a pris de court l’Oncle Sam, ouvrant sans concertation un nouveau front potentiellement explosif dont les États-Unis se seraient bien passés. Car si Biden a haussé le ton face à Netanyahou, ce n’est pas pour « préserver la paix dans le monde », c’est pour mieux concentrer ses efforts et ses forces militaires en direction de son rival chinois dans le Pacifique, comme face à l’encombrant allié russe de Pékin en Ukraine. Il n’y a donc rien à espérer de la « paix » sous la férule du capitalisme, pas plus qu’après la victoire de tel ou tel camp. La bourgeoisie n’a pas de solution à la guerre !
EG, 16 décembre 2023
La Scandinavie est témoin d’une vague de grèves d’une ampleur jamais vue depuis la fin des années 1970. Fin octobre, le constructeur automobile américain Tesla (l’entreprise de voitures électriques d’Elon Musk) a refusé de signer des conventions collectives avec le syndicat suédois IF Metall, garantissant un salaire minimum. Une grève a été déclarée dans les dix ateliers de réparation de l’entreprise. Elle a été suivie par des manifestations de solidarité de la part des postiers, qui ont bloqué tout le courrier à destination des ateliers de Tesla, des dockers de quatre ports suédois, qui se sont joints à la grève le 6 novembre et des électriciens qui ont refusé d’effectuer des travaux de maintenance sur les bornes de recharge électrique. Début novembre, face au risque de grève pour des augmentations de salaires à la banque Karna, les syndicats et les patrons ont rapidement conclu un accord.
Le conflit avec Tesla a aussi rapidement pris une dimension internationale, avec d’autres actions de solidarité dans les ports près des ateliers de réparation de l’entreprise au Danemark et en Norvège, ainsi que dans les usines Tesla en Allemagne.
Il y avait déjà eu des signes annonciateurs de cette irruption de combativité ouvrière. En avril 2023, une grève sauvage a éclaté parmi les travailleurs des transports publics de Stockholm, qui a duré quatre jours. Il s’agit de la première grève sauvage depuis des décennies en Suède. Les travailleurs ont fait grève contre la détérioration des conditions de travail et bien que la grève se soit limitée à une partie des transports publics, aux conducteurs de train, des assemblées ont été ouvertes aux autres travailleurs. Les travailleurs ont également été soutenus par des collectes de fonds et des soutiens sur les réseaux sociaux. Contrairement à la grève actuelle de Tesla, cette grève n’a pas été médiatisée, sauf pour dénoncer le « désordre » créé.
À l’exception de la grève sauvage des transports en avril, toutes ces grèves depuis octobre ont été étroitement contrôlées par les syndicats. Mais cela ne change rien au fait que ce mouvement ne peut être compris que comme faisant partie d’une reprise mondiale de la lutte des classes en réaction à la grave crise économique du capitalisme, et surtout aux pressions inflationnistes derrière la « crise du coût de la vie ». Cette situation touche désormais aussi les travailleurs des pays scandinaves, réputés pour leur « qualité de vie » et leurs « généreux » services sociaux. Les syndicats scandinaves ont été alertés à de nombreuses reprises face à la recrudescence des luttes dans d’autres pays (Grande-Bretagne, France, États-Unis et maintenant Canada), et leurs mobilisations et « actions de solidarité » font partie d’une politique visant à faire dérailler une véritable maturation des consciences dans la classe ouvrière. Ce qui préoccupe les patrons comme les syndicats, c’est le retour d’un véritable sentiment de solidarité au sein et entre les secteurs de la classe, même au-delà des frontières nationales, et donc le début d’un rétablissement de l’identité de classe, la prise de conscience que les travailleurs de tous les secteurs et de tous les pays font partie d’une même classe exploitée par le capital et confrontée à des attaques similaires contre ses conditions d’existence.
Tout aussi significatif est le fait que des luttes éclatent même en Suède, pays sur le point d’adhérer à l’OTAN, qui contribue de manière substantielle à l’armement de l’Ukraine, où la propagande autour de la guerre avec la Russie est pratiquement incessante. En janvier, deux hauts responsables de la défense ont averti que les Suédois devaient se préparer à l’éventualité d’une guerre : « Le ministre de la Défense civile Carl-Oskar Bohlin a déclaré lors d’une conférence sur la défense qu’il pourrait y avoir une guerre en Suède. Son message a ensuite été soutenu par le commandant en chef militaire, le général Micael Byden, qui a déclaré que tous les Suédois devraient se préparer mentalement à cette éventualité ».
Pourtant, malgré les tentatives de la bourgeoisie d’attiser la fièvre guerrière, les travailleurs ont donné la priorité à leurs conditions de vie. Cela ne signifie pas que les travailleurs réagissent directement à la menace de guerre, mais la volonté de lutter sur leur propre terrain contre l’impact de la crise économique est la base d’un futur développement de la conscience sur le lien qui existe entre la crise économique et la guerre. Et donc la nécessité de se confronter au capitalisme, un système global de pillage et de destruction.
Il n’en reste pas moins que ces avancées de la conscience de classe sont très fragiles et, comme toujours, les syndicats sont là pour les entraver et les dénaturer. Le principal slogan des syndicats a été celui de la « défense du modèle suédois » et ses accords collectifs entre syndicats et patrons.
Depuis plus de cinq ans, IF Metall réclame des conventions collectives pour les travailleurs des ateliers Tesla présents en Suède. Tesla a catégoriquement refusé, ce qui n’a laissé à IF Metall d’autre choix que d’appeler à la grève, le 27 octobre. Le conflit a été dès le départ hautement coordonné par les syndicats suédois. Le 7 novembre, le Syndicat des travailleurs des transports et le Syndicat des travailleurs portuaires se sont joints au conflit et ont bloqué tous les ports de Suède où les voitures Tesla sont chargées et déchargées. Au cours du mois de novembre, plusieurs syndicats officiels ont annoncé des actions de solidarité, notamment le Syndicat des électriciens, celui des peintres, l’Association des employés du gouvernement. Des clients importants de Tesla, comme Stockholm Taxi, ont annoncé qu’ils n’achèteraient plus leurs voitures à moins que Tesla ne signe une convention collective, vu que « le modèle suédois de conventions collectives est un principe important qui doit être défendu ».
Les nouvelles de ce blocus étaient publiées quotidiennement dans les médias suédois, ainsi que des mises à jour continues du conflit. Tandis que la grève se poursuivait, l’intérêt médiatique ne se limitait pas à la Suède, puisque des publications bourgeoises prestigieuses comme The Economist, Financial Times et The Guardian la suivaient de près, ainsi que des représentants de l’UE, qui défendaient le « modèle suédois » de « l’Europe sociale » contre la « politique antisyndicale américaine ». Tout au long des événements, l’accent mis sur la personnalité d’Elon Musk en tant que milliardaire exceptionnellement impitoyable a été utilisé pour détourner l’attention de la réalité : tous les capitalistes doivent intensifier leurs attaques contre les salaires et les conditions de travail des travailleurs. Mieux encore, le fait que cette attaque particulière soit menée par une entreprise américaine permettait d’attiser le sentiment nationaliste.
L’autre face de l’idéologie de la « convention collective » est la promotion des divisions entre travailleurs syndiqués et non syndiqués. Lors de la grève de Tesla, les travailleurs non syndiqués ont continué à travailler, ce qui a conduit IF Metall à établir des piquets de grève devant les ateliers, accusant ces travailleurs non syndiqués d’être des « jaunes ».
Aujourd’hui, la grève se poursuit, sans aucune perspective d’issue, puisqu’Elon Musk et Tesla refusent de négocier. Certains travailleurs syndiqués ont repris le travail, risquant d’être exclus d’IF Metall, et sont également qualifiés de « jaunes » dans la presse de gauche. Depuis le début du mois de décembre, aucune nouvelle n’est parue concernant la grève. Présentée à l’origine comme une lutte entre David et Goliath, l’intérêt médiatique semble s’être évanoui.
Aujourd’hui, les dirigeants d’IF Metall n’ont pas l’intention d’appeler à la solidarité les autres travailleurs du même secteur. Les travailleurs de Tesla sont enfermés dans une dynamique de défaite, dont témoignent les campagnes actuelles contre les « jaunes ».
Face aux sacrifices qui leur seront de plus en plus demandés au nom de l’économie nationale et de la défense du pays, les travailleurs doivent défendre leurs propres revendications, se rassembler et prendre des décisions dans des assemblées générales souveraines, hors du contrôle syndical, étendre leurs luttes à d’autres entreprises et secteurs, syndiqués ou non, et ne pas se laisser piéger par l’idéologie du prétendu modèle suédois.
Eriksson et Amos, 10 janvier 2024
L’expression « le modèle scandinave » a souvent été utilisée pour décrire l’État-providence suédois. Mais à l’origine, elle signifiait une réglementation très stricte des conflits sur le marché du travail.
Dans les années 1930, les grèves étaient monnaie courante en Suède et le gouvernement social-démocrate, arrivé au pouvoir en 1932, ne voulait pas intervenir, se tournant vers LO (l’appareil syndical central suédois, comme le TUC en Grande-Bretagne) pour y mettre un terme. En 1938, LO a signé un accord historique avec la fédération patronale, la SAF, dans lequel il était stipulé que des négociations centrales devaient avoir lieu, syndicat par syndicat, aucun syndicat particulier ne devant en profiter afin de respecter une limite salariale maximale. De cette manière, l’État était assuré d’une économie stable sans avoir besoin d’intervenir pour maintenir les salaires à un faible niveau (très pratique pour l’appareil d’État social-démocrate). Dans cet accord, il était stipulé qu’aucune action revendicative n’était autorisée pendant la période d’accord.
En fait, il s’agissait d’une interdiction des grèves qui était effectivement en vigueur jusqu’à ce que les grèves sauvages commencent à apparaître à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Le modèle scandinave signifie en réalité « la paix sur le marché du travail » et l’interdiction des grèves, ce que les syndicats et la bourgeoisie en général soutient !
Avoir une convention collective sur un lieu de travail signifie que les travailleurs se voient garantir des horaires de travail limités, des congés et le paiement des heures supplémentaires ainsi que des assurances et des allocations chômage (réglementées en Suède par les syndicats). Elles font donc partie du système général de protection sociale.
L’absence de convention collective signifie que dans le cas de Tesla, à l’exception des avantages sociaux et des assurances générales, l’entreprise décide de votre salaire via son propre système de primes et vous devez signer un contrat de confidentialité avant de commencer à travailler (un travailleur a été licencié parce que sa femme avait posté sur X/Twitter un message sur les conditions de travail de l’entreprise).
Bien sûr, ces conditions sont épouvantables, mais c’est une profonde illusion de penser que la légalité des syndicats et les « conventions collectives » peuvent réellement protéger les travailleurs des assauts d’une classe capitaliste poussée au pied du mur par une crise économique mondiale croissante du fait du poids de l’économie de guerre.
De plus, les syndicats comme composante de l’appareil étatique signifie qu’ils sont eux-mêmes agents de ces assauts. IF Metall, le syndicat le plus fort et le plus influent de Suède, est depuis longtemps un rouage de l’appareil d’État social-démocrate. Stefan Löfvén, l’ancien Premier ministre suédois, a montré ses capacités de leadership en tant que président d’IF Metall lorsqu’il a réussi à réduire les revendications salariales de l’accord central juste après la crise financière de 2008, déclarant que les travailleurs doivent être « responsables » face de la crise.
« Cela suffit ! » « Trop, c’est trop ! » Le même sentiment de révolte, de colère et de ras-le-bol traverse les rangs des prolétaires de la Grande-Bretagne aux États-Unis en passant par la France et les pays scandinaves. Les attaques contre nos conditions de vie et de travail, l’attitude brutale, arrogante et cynique tant des gouvernements que des patrons privés n’ont fait que renforcer la combativité et la détermination à lutter. Ce sentiment domine aussi au Québec alors que la grève a mobilisé massivement les 565 000 fonctionnaires du secteur public de la province fédérale (soit 15 % de sa population active) face à la hausse des prix et à la dégradation générale des conditions d’exploitation. Une partie de plus en plus importante des prolétaires dans les pays les plus puissants du capitalisme se trouve ainsi, comme aux États-Unis par exemple, précipitée dans une paupérisation absolue.
Les grèves qui se sont déroulées dans le secteur public pendant plus d’un mois au Canada constituent une pleine confirmation de la reprise internationale des luttes de la classe ouvrière. Ces grèves ont pris une ampleur qui ne s’était pas manifestée depuis plus de cinquante ans quand, le 11 avril 1972, une grève avec occupation d’usines et de mines avait paralysé le territoire du Québec.
Cela constitue aussi un prolongement de la vague de luttes aux États-Unis, notamment dans le secteur automobile où le syndicat UAW a finalement signé successivement avec Ford, Stellantis et GM, entre le 25 et le 30 octobre, un accord présenté comme une « victoire » et qui a mis fin à plus d’un mois de conflit social.
À un niveau plus large, elles confirment la rupture avec trente ans de recul et de désorientation que nous mettions en avant dans le « Rapport et la résolution du 25e congrès du CCI » dans lequel nous soulignions que la reprise de la combativité ouvrière dans un certain nombre de pays qui constituent les centres économiques vitaux du capitalisme, était un événement historique majeur.
Un souffle très puissant de rage, de détermination et d’indignation s’est manifesté pendant plus d’un mois dans la vague de grèves qui a mobilisé massivement le secteur public au Québec, démontrant la très forte combativité des prolétaires face à l’attitude provocatrice et arrogante du gouvernement fédéral. Les attaques ont pris pour cible aussi bien les enseignants que le personnel du secteur de la Santé, et visent à durcir et précariser davantage encore leurs conditions de travail devenues de plus en plus intolérables. Le nombre d’enseignants qui ont démissionné a doublé en quatre ans (plus de 4 000 !), alors que la pénurie de profs est criante dans les écoles publiques québécoises où les classes ont été fermées depuis un mois pour un million d’élèves. Cette mobilisation massive a touché tous les niveaux du corps enseignant (primaire, secondaire, supérieur) mais aussi les transports scolaires, les crèches et garderies, de même que le personnel administratif.
La même explosion de ras-le-bol s’exprime dans les rangs des services de santé comme dans les services sociaux avec la menace d’une « vaste réforme du système de santé ». La bourgeoisie se prépare, là aussi, à accroître drastiquement la détérioration des conditions de vie et de travail. Le gouvernement fédéral promet d’aller encore plus loin avec des centres de gestion de la santé encore plus autonomes et concurrentiels, misant sur une mobilité et une flexibilité accrue du personnel, les déplacements volontaires en fonction des besoins des services, impliquant une pénurie encore plus forte de postes et une surcharge accrue de tâches individuelles déjà épuisantes, des heures de travail supplémentaires non rémunérées. Une technicienne de labo déclarait par exemple : « On travaille déjà comme des chiens les fins de semaine, les jours fériés et les nuits. Et on nous dit : ça ne suffit pas ».
Dans ce contexte, le gouvernement a affiché son intransigeance et son mépris avec le plus grand cynisme et ne propose des hausses salariales négociables qu’en « échange » et au prix d’une « flexibilité » plus forte et étendue, misant délibérément sur un pourrissement de la grève. Cela, tant à travers les déclarations de « fermeté » du Premier ministre Legault que de la Présidente du Conseil chargée des Finances publiques, Sonia Le Bel.
Mais la colère et la mobilisation massive sont déjà ainsi parvenues à provoquer une rupture avec la tendance au repli individuel comme avec le climat de profonde démoralisation qui pesait auparavant.
Ce bras-de-fer a suscité et stimulé en même temps une vague d’entraide et de solidarité. Par exemple, pour les enseignants, un groupe d’entraide, notamment pour fournir de la nourriture ou des vêtements en soutien aux grévistes non payés a été créé sur les réseaux sociaux et sur les piquets de grève. Le mouvement, y compris dans le privé, bénéficie encore de la sympathie ou du soutien de 70 % de la population. Le nombre, la fréquence, la massivité des mobilisations ont démontré la grande détermination des grévistes et la combativité du mouvement.
Déjà, les syndicats avaient consciemment pris les devants pour canaliser la colère et encadrer le mouvement en orchestrant la mobilisation en ordre dispersé pour mieux le diviser. On a ainsi pu voir la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) appeler ses 66 000 adhérents à se lancer dans une grève illimitée à partir du 13 novembre alors que les quatre principales confédérations syndicales qui composent le « Front commun » du secteur public, représentant 420 000 salariés, ont seulement appelé à la grève de manière sporadique, du 21 au 23 novembre puis du 8 au 14 décembre. De son côté, la Fédération interprofessionnelle de la santé a appelé ses 80 000 membres à cesser le travail les 6, 8, 9, 23 et 24 novembre, puis du 11 au 14 décembre. Les uns et les autres avaient d’ailleurs promis de se lancer dans une grève plus dure si les négociations avec le gouvernement n’aboutissaient pas, tout en gagnant du temps et en repoussant cette éventualité… après les fêtes de fin d’année !
Le gouvernement a également sorti de sa manche un atout qu’il n’a pas manqué d’exploiter à fond dans sa manœuvre pour tenter de désamorcer la combativité et instaurer un climat de division et de concurrence : il a entrepris de négocier à la fois par secteur d’activité et de façon séparée avec telle ou telle centrale syndicale et a pu pleinement s’appuyer sur le travail de sape, de division et d’encadrement des luttes par les différents syndicats.
Ainsi, dès le 20 décembre, dans l’enseignement, une partie du « Front commun » a commencé à se fissurer, la FSE-FSQ a manifesté sa volonté de conclure un accord séparé avec le gouvernement et le Conseil du Trésor. Tandis que, parallèlement, la fraction la plus « radicale » des grévistes derrière la FAE en grève illimitée multipliait les « actions commandos » minoritaires comme le blocage de l’accès aux ports de Montréal et de Québec avant de conclure finalement un accord de son côté mettant ainsi fin à la grève des enseignants le 28 décembre.
Ainsi, les syndicats et l’État de Québec sont parvenus à trouver une porte de sortie à travers certaines mesures spécifiques de revalorisation au cas par cas sur les salaires et les retraites comme sur une limitation de la surcharge des effectifs par classe. En revanche, aucun accord n’a apparemment encore été trouvé dans le secteur des infirmiers, ce qui semble montrer une tentative de division en poussant un secteur particulièrement combatif à continuer la grève de façon isolée.
Cela n’exclut toutefois pas que de nouvelles grèves pourraient prochainement éclater dans d’autres secteurs tant le mécontentement est profond.
Malgré ses limites et l’avertissement qu’elle contient déjà sur les dangers mortels pour le développement des luttes futures de se laisser enfermer dans les manœuvres de la bourgeoisie et les pièges de l’encadrement syndical, la grève du secteur public au Québec est avant tout révélatrice de la reprise internationale de la combativité et de la détermination ouvrières, dans un contexte global de fermentation des luttes et de maturation de la conscience ouvrière. Elle réaffirme avant tout la pleine capacité du prolétariat à développer ses combats de classe sous les coups de boutoirs de la crise mondiale et des attaques tous azimuts de la bourgeoisie et de tous ses gouvernements, qu’ils soient de gauche comme de droite. Ces luttes sont une étape majeure indispensable pour le prolétariat sur le chemin qui le conduit vers la réappropriation de son identité et de sa conscience de classe.
Face à toute la propagande et au tombereau de mensonges sur la prétendue faillite ou mort du communisme déversés depuis 1989, elles démontrent que le prolétariat demeure et constitue plus que jamais la seule classe porteuse d’une perspective révolutionnaire de renversement du capitalisme et d’un avenir pour l’humanité, à l’opposé de l’enfoncement inexorable de la société capitaliste dans un océan de misère, de chaos, de guerre généralisée et de barbarie.
GD, 4 janvier 2024
Le gouvernement israélien a proclamé que le but de sa campagne dévastatrice contre Gaza est la destruction du Hamas et ne vise pas les civils, mais les infrastructures et centres de commandement du Hamas. Cependant, tuer « collatéralement » des milliers de civils au point d’atteindre un massacre de masse, des femmes et des enfants en grand nombre, est certainement le moyen le plus sûr de recruter de plus en plus de convertis à la soi-disant « résistance palestinienne », même si elle doit changer de nom, animés par une soif de vengeance toujours plus grande.
Un porte-parole du gouvernement israélien, Avi Dichter a apporté le meilleur éclairage sur les buts réels de l’assaut israélien : « Nous menons maintenant la Nakba [exode palestinien de 1948] de Gaza. D’un point de vue opérationnel, il n’est pas possible de mener une guerre, comme les forces armées israéliennes cherchent à le faire à Gaza, avec des masses de civils au milieu des blindés et des soldats ». (1)
Au cours de la Nakba, en 1948, plus de 700 000 réfugiés palestiniens ont fui le territoire d’Israël, « motivés » à partir par les atrocités perpétrées par les milices sionistes (la plus célèbre étant le massacre de Deir Yassin commis par le gang Stern) et encouragées par la proclamation triomphaliste des pays arabes, lesquels promettaient que les réfugiés pourraient retourner chez eux dès leur imminente victoire militaire. Les armées arabes ont été vaincues et les réfugiés n’ont jamais pu retrouver leurs foyers. Des centaines de milliers d’entre eux sont restés depuis dans les conditions de vie misérables des camps de réfugiés. Pour résumer, la Nakba a été l’épuration ethnique d’Israël, et la « Nakba de Gaza » pourrait se solder par l’expulsion d’une grande majorité de ses habitants, fuyant la mort, les destructions et le blocus permanent.
Une telle « solution » ne reflète que l’absence totale de lucidité et de perspective à long terme de l’actuel gouvernement israélien, du fait qu’elle ne peut qu’être le prélude d’une future instabilité et de nouvelles guerres. L’atroce politique du gouvernement Netanyahou ne fait que refléter une réalité plus profonde : le fait que la classe dominante, dans tous les pays, gardienne d’un ordre capitaliste agonisant, n’a aucune perspective à offrir à l’humanité et se trouve de plus en plus aspirée dans une spirale destructrice, irrationnelle et suicidaire. La tentative de l’OTAN de saigner la Russie à blanc dans la guerre en Ukraine, et les efforts désespérés de la bourgeoisie russe pour annexer les confins orientaux de ce pays, sont la preuve que cette spirale n’épargne pas les plus puissants pays de la planète.
Des centaines de milliers de manifestants ont pris part à travers le monde aux manifestations dénonçant la destruction de Gaza et appelant à un cessez-le-feu. Il ne fait aucun doute que beaucoup d’entre eux étaient motivés par une légitime indignation contre ces impitoyables bombardements, qui auraient fait autour de 20 000 victimes et laissés derrière eux bien plus de blessés et de sans-abris. Malgré cela, la vérité est qu’ils prennent part à des manifestations en faveur de la guerre, dont le principal slogan, « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », ne peut devenir réalité que par la destruction militaire d’Israël, le massacre de masse et l’expulsion des Juifs israéliens, une Nakba à l’envers. Et sur ces ruines, une Palestine islamique sur le modèle de l’Iran ? (2) Le massacre indiscriminé perpétré par le Hamas le 7 octobre, pratiquement jamais condamné et même parfois célébré dans ces manifestations, a clairement montré les véritables méthodes et buts de cette « résistance ».
L’impossibilité d’une « Palestine libre » n’est que le reflet d’une réalité plus profonde qui montre à nouveau la décadence avancée de ce système : l’impossibilité de toute soi-disant lutte de « libération nationale » et de tout mouvement nationaliste à être autre chose qu’une pièce supplémentaire dans la rivalité sanglante des puissances impérialistes, petites et grandes. L’humanité ne sera libre que lorsque la prison capitaliste qu’est l’État national aura été détruite et qu’il existera une véritable communauté mondiale, sans exploitation ni frontières nationales.
Bien sûr, il existe ceux qui condamnent à la fois la déstruction de Gaza et les atrocités du Hamas. Certains sont engagés dans le dialogue entre Israéliens et Palestiniens malgré le mur de haine toujours plus épais créé par cette guerre. Ils placent leurs espoirs dans une « solution politique » dans laquelle puissances locales et globales s’assiéraient et négocieraient un arrangement en faveur d’une coexistence pacifique entre Israël et un État palestinien nouvellement créé.
Mais faire appel à la « bonne volonté » des États impérialistes n’a jamais arrêté les guerres et ni un Israël plus « libéral », ni un futur État palestinien ne pourraient éviter la tendance à la guerre et à l’impérialisme.
« L’histoire a montré que la seule force qui peut mettre fin à la guerre capitaliste, c’est la classe exploitée, le prolétariat, l’ennemi direct de la classe bourgeoise. Ce fut le cas lorsque les ouvriers de Russie renversèrent l’État bourgeois en octobre 1917 et que les ouvriers et les soldats d’Allemagne se révoltèrent en novembre 1918 : ces grands mouvements de lutte du prolétariat ont contraint les gouvernements à signer l’armistice. C’est cela qui a mis fin à la Première Guerre mondiale, la force du prolétariat révolutionnaire ! La paix réelle et définitive, partout, la classe ouvrière devra la conquérir en renversant le capitalisme à l’échelle mondiale ». (3)
Quelles que soient leurs bonnes intentions, tous ceux qui diffusent les slogans pacifistes propagent des illusions sur la nature intrinsèquement violente du système capitaliste. La voie vers une communauté humaine mondiale repose sur la lutte de classe dans tous les pays, et cette lutte implique obligatoirement de développer les moyens de nous défendre nous-mêmes contre les assauts de la classe dominante, laquelle se battra jusqu’à la mort pour ses privilèges. Les illusions pacifistes désarment idéologiquement et matériellement la classe ouvrière.
Face à la cacophonie de désillusions et de faux slogans que toute guerre capitaliste génère, le principe de l’internationalisme prolétarien, la solidarité des exploités partout sur terre demeurent notre seule défense, la seule base pour comprendre comment répondre.
Amos, décembre 2023
1 Cette déclaration, qui constitue probablement une critique de la politique officielle, a au moins le mérite de « faire sortir la vérité du placard » en ce qui concerne les buts de guerre du gouvernement israélien.
2 Un autre slogan a émergé de ces manifestations : « Israël est un État terroriste ». Et c’est indubitablement vrai ! Mais trouvez-nous dans le monde capitaliste un État qui n’utilise pas la terreur, aussi bien pour écraser toute dissidence intérieure que pour mener ses guerres. Le principal soutien du Hamas, l’Iran, en est un excellent exemple : au cours de la répression sauvage des manifestations « Femmes, vie, liberté » dans ses propres villes, il a exécuté 127 personnes depuis le début de la guerre entre Israël et la Palestine, dont beaucoup avaient pris part à ces manifestations.
3 Voir notre tract international : « Massacres et guerres en Israël, à Gaza, en Ukraine, en Azerbaïdjan… Le capitalisme sème la mort ! Comment l’en empêcher ? », disponible sur le site web du CCI (7 novembre 2023).
La guerre actuelle au Moyen-Orient est une catastrophe pour les travailleurs et la population en général : le déchaînement de barbarie guerrière a fait plus de mille morts en Israël, des dizaines de milliers à Gaza et des centaines en Cisjordanie, terrorisé des populations entières, jeté des millions de personnes à la rue, sans eau, ni nourriture. Ce conflit a accentué des divisions presque insurmontables entre les travailleurs de ces territoires, où chacun est tenu de choisir un camp impérialiste, entre la barbarie du Hamas ou celle de l’État d’Israël, tandis que les intenses campagnes de propagande exercent une énorme pression sur les travailleurs de tous les pays pour qu’ils soutiennent Israël au nom de la lutte contre l’antisémitisme ou se joignent aux manifestations pro-palestiniennes « pour la paix » contre les massacres perpétrés par l’armée israélienne.
Globalement, les groupes anarchistes ont bien évidemment défendu sans vergogne la « résistance palestinienne » ou entretenu un silence complice. Rien de plus normal pour des groupes bourgeois et les idéologies de la petite-bourgeoisie radicale que d’apporter leur contribution aux discours bellicistes afin d’affaiblir la conscience de classe du prolétariat et le pousser dans le piège du nationalisme.
Seules quelques minorités internationalistes qui se revendiquent de l’anarchisme ont refusé de choisir en faveur de l’une des parties belligérantes, souvent avec d’importantes ambiguïtés. La CNT à Paris et le KRAS à Moscou ont ainsi publié un article intitulé : « Halte à la barbarie », qui n’appelle effectivement pas à la défense des intérêts nationaux de la Palestine ou d’Israël, mais qui ne défend toutefois pas clairement des positions internationalistes. L’article n’affirme pas explicitement que les travailleurs n’ont pas de patrie et que la réponse à la guerre se trouve dans le combat des exploités de tous les pays. En fait, il ne parle tout simplement pas de la classe ouvrière.
Heureusement, le KRAS a aussi publié une traduction d’un autre article intitulé « Contre le nationalisme israélien et palestinien ». Cet article est plus clair que celui de la CNT. Comme l’admet la préface : « Le texte publié exprime bien une position internationaliste, anti-nationaliste, anti-ethnique et de classe ».
D’autres groupes anarchistes ont défendu une position internationaliste plus claire, comme l’ont fait des organisations de la Gauche communiste. Nous avons déjà fait référence à ces déclarations dans un article disponible sur notre site web : « Positions internationalistes contre la guerre ». Parmi eux cependant, il y a l’Anarchist Communist Group (ACG) qui, tout en défendant une position internationaliste dans un premier article, (1) fait d’importantes concessions au nationalisme bourgeois dans un second article, intitulé : « The situation in Gaza ».
Ce second article de l’ACG présente la guerre en Israël comme une confrontation entre une nation coloniale et une nation colonisée dans laquelle Israël serait « l’agresseur dominant, en raison de son statut d’État colonisateur ». Quelles sont les conséquences d’une telle analyse selon l’ACG ?
– Qu’il s’agisse d’une nation colonisatrice ou d’une nation colonisée, « les deux sont des entités qui, en fin de compte, font obstacle à la libération de la classe ouvrière palestinienne et à l’unité de classe de tous les travailleurs de la région ». Par conséquent, l’ACG s’oppose à l’État israélien ainsi qu’au régime du Hamas.
– L’Organisation de libération de la Palestine dans le passé, et le Hamas aujourd’hui, ne peuvent apporter la liberté aux Palestiniens. Aussi, cette libération doit venir de la classe ouvrière palestinienne, « la partie la plus opprimée de la classe ouvrière », dotée d’une « forte conscience politique » et dont la lutte est « une condition préalable à un mouvement révolutionnaire dans la région ».
– Mais la classe ouvrière palestinienne ne peut y parvenir seule, « le peuple palestinien, comme tout peuple,… ne peut être libéré que par une lutte de classe internationaliste ». L’ACG appelle donc « la classe ouvrière internationale à s’organiser pour soutenir et défendre ses homologues palestiniens ».
En soi, nous pourrions être d’accord avec certaines affirmations de cet article, en particulier avec l’appel à la « lutte de classe internationaliste ». Mais, il s’agit de l’arbre qui cache la forêt, car derrière tous ces mots radicaux (« lutte de classe internationaliste », « solidarité internationale », « lutte révolutionnaire »…) se cachent des concessions au nationalisme.
Pourquoi ? Selon l’article, Israël occupe une nation, la Palestine. Dès lors, il préconise que les travailleurs palestiniens combattent l’État israélien et organisent une autodéfense armée. Il affirme donc « le droit et la nécessité pour la classe ouvrière palestinienne de résister à l’État israélien ». La lutte contre l’occupation israélienne vise donc à éjecter Israël de la Palestine. Mais qu’est-ce d’autre qu’une lutte de libération nationale qui ne serait pas dirigée par la bourgeoisie mais par une partie de la classe ouvrière ? L’ACG dit « nous rejetons l’idée d’une libération sous une bannière nationale », mais dans l’article, il a déjà complètement ouvert la fenêtre à cette même idée.
En outre, l’article ne dit rien sur la nécessité pour la classe ouvrière en Palestine de lutter contre sa propre bourgeoisie. L’article ne mentionne pas l’existence d’un État palestinien ou d’une nation palestinienne. C’est une manière d’occulter le vrai enjeu. C’est la porte ouverte à l’idée que les travailleurs de Palestine ne devraient pas lutter contre la bourgeoisie palestinienne. Il ne s’agit que de résister à « l’État israélien, y compris par la méthode de la lutte révolutionnaire », lutte qui pourait « se distinguer des forces nationalistes ». Mais sur un tel terrain, la classe ouvrière en Palestine ne peut en aucun cas mener une véritable lutte de classe autonome et ne pourra pas se distinguer des forces nationalistes palestiniennes.
L’article ne se contente pas d’appeler les travailleurs palestiniens à se libérer de l’occupation israélienne, il lance même un appel aux travailleurs du monde entier pour qu’ils soutiennent cette lutte de « libération ». Abstraction faite de la question de savoir si le prolétariat en Palestine est actuellement capable de se battre sur son propre terrain de classe, ce dont on peut fortement douter, il n’appartient pas à la classe ouvrière mondiale de soutenir un certain secteur de la classe ouvrière pour se débarrasser du joug d’une domination coloniale.
Même s’il est vrai que les travailleurs en Palestine sont généralement plus pauvres que leurs frères de classe en Israël, et que leurs conditions de vie sont bien pires, cela ne change rien au fait que toute idée de « libération » d’une nation particulière n’est rien d’autre qu’un produit de la logique de l’impérialisme mondial, et ne peut donc avoir lieu que sur un terrain bourgeois. (2)
L’article suggère que la libération de cette domination coloniale entraînera également la libération des travailleurs palestiniens en tant que classe. Mais rien n’est plus faux ! La libération de la classe ouvrière dans n’importe quel pays ne peut se produire que par la destruction du capitalisme à l’échelle mondiale. Si l’article souligne que le capitalisme est la base de l’idéologie coloniale, il ne dit rien sur la nécessité de détruire le capitalisme pour abolir tous les États-nations.
En réalité, la position défendue par l’ACG dans cet article est très pernicieuse car, à première vue, elle semble effectivement défendre l’internationalisme prolétarien. Mais ce n’est qu’une apparence. Car si on le lit attentivement, c’est le contraire qui se révèle. L’article ne défend pas directement et ouvertement le nationalisme palestinien, mais sa logique, tout son raisonnement, va dans ce sens. Il s’agit, en vérité, d’un exposé très sophistiqué de l’idéologie de la libération nationale.
Dans les conditions de décadence du capitalisme, toute lutte pour la « libération nationale » est par définition une impasse, ne menant qu’à une chaîne ininterrompue d’affrontements militaires, à l’issue desquels ce n’est pas la classe ouvrière qui prend le pouvoir, mais une nouvelle faction bourgeoise. Dans l’histoire du capitalisme, il n’y a jamais eu de lutte de libération nationale dans laquelle la classe ouvrière ait pu se libérer de manière autonome de l’occupation et de la répression par des factions bourgeoises. Au contraire, toute tentative de se « libérer » d’une occupation étrangère dépend du positionnement d’autres puissances impérialistes qui l’exploiteront dans leur propre intérêt. Les intérêts de la population qui cherche à se « libérer » sont complètement subordonnés aux appétits impérialistes de ces puissances.
Comme nous le rappelions dans un récent article, « l’anarchisme a toujours été divisé en toute une série de tendances, allant de ceux qui sont devenus une partie de l’aile gauche du capital (comme ceux qui ont rejoint le gouvernement républicain pendant la guerre de 1936-39 en Espagne), à ceux qui ont clairement défendu des positions internationalistes contre la guerre impérialiste, comme Emma Goldman pendant la Première Guerre mondiale ». (3) L’internationalisme des anarchistes qui cherchent sincèrement à défendre ce principe ne se fonde toutefois pas sur les conditions imposées au prolétariat par le capitalisme au niveau mondial, c’est-à-dire l’exploitation de sa force de travail dans tous les pays et sur tous les continents.
L’internationalisme prolétarien a, en effet, comme point de départ les conditions pour l’émancipation du prolétariat : par-delà les frontières et les fronts militaires, les races et les cultures, le prolétariat trouve son unité dans la lutte commune contre ses conditions d’exploitation et sa communauté d’intérêt dans l’abolition du salariat, dans le communisme. C’est ce qui fonde sa nature de classe. C’est précisément l’absence d’un fondement pour l’internationalisme de ces anarchistes dans le combat ouvrier contre l’exploitation capitaliste qui explique que l’ACG ait publié cet article. La raison en est que la dénonciation internationaliste de la guerre par l’anarchisme « fait plus partie de ces “principes” abstraits dans lesquels il recueille son inspiration générale et éternelle, comme l’anti-autoritarisme, la liberté, le rejet de tout pouvoir, l’anti-étatisme, etc., plutôt que d’une conception claire et établie que cet internationalisme constitue une frontière de classe inaltérable qui délimite le camp du capital et du prolétariat ». (4)
Une des conséquences est qu’au sein d’une même fédération anarchiste, les positions nationalistes et internationalistes peuvent facilement coexister sans poser de problèmes et sans provoquer de débats houleux. Cette absence de positionnement internationaliste cohérent est également illustrée par la référence, à la fin de l’article de l’ACG, à Palestine Action, un groupe gauchiste totalement pro-palestinien, qui s’en prend aux fournisseurs d’armes à Israël. Lors de la récente Radical Bookfair à Londres, ils ont refusé de discuter de l’argumentation du CCI qui soulignait le contexte impérialiste de la guerre, la qualifiant carrément d’analyse « infantile », reprenant ainsi la rhétorique du stalinisme contre la Gauche communiste.
L’échec de l’anarchisme organisé à combattre la guerre impérialiste sur une base prolétarienne a été clairement démontré en Espagne en 1936, ce qui n’est pas reconnu aujourd’hui par des groupes comme l’ACG ou les minorités internationalistes au sein de la CNT. Tous deux parlent toujours de la « révolution espagnole » au lieu de la guerre impérialiste en Espagne, une répétition générale pour la Seconde Guerre mondiale. Mais tirer les leçons de l’échec et des inconséquences de l’anarchisme face à la guerre n’est possible qu’en rompant avec son approche abstraite, en remettant en cause l’absence de fondement solide et matérialiste à ses proclamations « internationalistes ».
Face à la guerre impérialiste, une seule position rejette toute identification à l’un des camps en présence et trace en même temps une perspective pour mettre fin à toutes les guerres, c’est l’internationalisme prolétarien. Cela signifie que le capitalisme ne peut être renversé qu’à l’échelle mondiale, lorsque la classe ouvrière sera unie au-delà des frontières nationales. Ce point de vue représente la seule perspective qui puisse mettre fin à l’exploitation capitaliste, à la barbarie de la guerre qui menace de plus en plus l’existence même de l’humanité.
Dennis, 15 décembre 2023
1 « Neither Israel nor Hamas ! », sur le site web de l’ACG (11 octobre 2023).
2 L’article accuse même les travailleurs israéliens de complicité dans l’exploitation des travailleurs palestiniens : « la classe ouvrière juive israélienne est honteusement complice de l’oppression du prolétariat palestinien », mais il appelle néanmoins les travailleurs israéliens à exprimer leur solidarité avec les travailleurs palestiniens.
3 « Les anarchistes et la guerre : Entre internationalisme et “défense de la nation” », Révolution internationale n° 494 (2022).
4 « Les anarchistes et la guerre (1er partie) », Révolution internationale n° 402 (2009).
La 28e conférence annuelle des Nations Unies sur le climat, qui s’est tenue, cette année, à Dubaï, s’est achevée sur un nouvel accord qui incite prétendument les nations à abandonner (très) progressivement les combustibles fossiles, à accélérer les « actions en cours » afin d’atteindre un « bilan carbone neutre ». Et tout cela d’une manière « juste, ordonnée et équitable »… d’ici 2050. Le président de la COP 28, Sultan el-Jaber, qui est Ministre de l’Industrie des Émirats arabes unis et PDG de la compagnie pétrolière Adnoc, a loué l’accord, qui a été approuvé par près de 200 pays : « Pour la première fois, notre accord fait référence aux combustibles fossiles ». À l’en croire, il s’agit d’un accord « historique » et d’un « plan solide » pour maintenir à portée de main l’objectif de limiter les températures mondiales à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels.
Quelle sinistre farce ! Les experts expriment déjà des commentaires pour le moins critiques. La résolution contient, en effet, des lacunes très accommodantes qui offrent à l’industrie pétrolière de nombreuses échappatoires en s’appuyant sur des technologies non éprouvées et peu sûres. Mais bien naïf est celui qui s’attendait à autre chose de la part des organisateurs de ce sommet. Les dirigeants de cette région, connue comme l’Eldorado de toutes les mafias et du blanchiment massif de l’argent de la drogue, des armes et de tout ce qu’on voudra, sont rompus, comme leurs homologues du monde entier, aux petits arrangements et l’exploitation des « failles juridiques ». Alors qu’ils se présentent aujourd’hui comme les promoteurs de la transition énergétique, préoccupés par le climat, ils vivent le reste de l’année des énergies fossiles et ne manquent évidemment pas de les promouvoir.
L’évaluation des progrès de chaque État dans la réduction des émissions imposée depuis la COP 21 de Paris de 2015, prétendument contraignante, pour limiter l’augmentation de la température mondiale d’ici 2030, se heurte à la triste réalité du système capitaliste. Aujourd’hui, les combustibles fossiles (charbon, gaz et pétrole) représentent toujours 82 % de l’approvisionnement énergétique ! Au lieu de diminuer, les émissions mondiales ne cessent d’augmenter : de 6 % en 2021 et de 0,9 % en 2022.
Cela démontre une fois de plus que ces sommets internationaux sont incapables d’avoir le moindre impact sur le réchauffement climatique et les conséquences catastrophiques que cela entraîne pour l’humanité, et qu’ils ne sont en fait rien d’autre que des salons de discussion destinés à rassurer sur le fait que la bourgeoisie « agit » et qu’il n’y a plus d’autre choix que de « s’adapter ». L’année 2023 illustre cela de manière dramatique avec de violentes tempêtes et des inondations de grande ampleur sur tous les continents, des incendies de forêt dévastateurs en Amérique du Nord, dans le sud de l’Europe et à Hawaï, la sécheresse dans de vastes zones de la planète.
La crainte grandit que la planète s’approche d’une série de points de basculement où les dommages environnementaux deviendraient incontrôlables et conduiraient à de nouveaux niveaux de destruction. Le réchauffement de la planète, conjugué à des manifestations plus immédiatement palpables de la destruction de l’environnement, telles que la déforestation et la pollution des terres et de la mer par les déchets chimiques, plastiques ou autres, menacent déjà d’extinction un nombre incalculable d’espèces animales et végétales.
La même bourgeoisie qui prétend, lors de ses conférences, chercher des « solutions globales à des problèmes globaux » est elle-même impliquée dans la compétition économique impitoyable qui est le premier obstacle majeur à toute coopération internationale réelle contre le changement climatique. Et, dans la phase actuelle de décomposition du capitalisme, la concurrence nationale prend de plus en plus la forme de rivalités et d’affrontements militaires chaotiques, destructeurs et hyper-polluants. La crise écologique n’approche donc pas seulement d’une série de points de basculement qui en exacerberont et en accéléreront les conséquences, mais elle fait partie d’une série de phénomènes destructeurs qui conduisent l’humanité toujours plus rapidement vers l’abîme.
Sauver la planète ne viendra pas d’une bourgeoisie qui, par nature, est prisonnière d’une logique qui exclut toute remise en cause de l’accumulation capitaliste, de sa soif de profit et de sa dynamique apocalyptique. Car c’est bien le capitalisme qui est responsable de ces dérèglements, ce sont ses lois qui obligent chaque capitaliste à produire toujours plus et à moindre coût. Pour le capitalisme il faut « vendre ». Et c’est tout ! Une démarche anarchique et à court terme, une démarche suicidaire même !
Louis, 29 décembre 2023
Le 20 décembre dernier, le gouvernement français faisait voter au Parlement une loi dite « immigration » dont le contenu est clairement une attaque contre les conditions de vie des prolétaires immigrés en France.
La durée de résidence minimale en France pour que les étrangers non européens en situation régulière touchent des prestations sociales, qui était de six mois, est portée à trente mois à condition de travailler, et à cinq ans pour ceux qui ne peuvent justifier d’un travail.
L’aide personnalisée au logement (APL), que l’on pouvait auparavant toucher immédiatement, demande maintenant un délai de carence de trois mois.
Le regroupement familial des immigrés en situation régulière était possible sans autre condition à partir de 18 mois de présence en France, il l’est maintenant à partir de 24 mois sous condition de ressources financières régulières. Il est également suspendu à l’obtention d’un examen de langue française pour les proches désireux de venir.
Le délit de séjour irrégulier en France, aboli en 2010, est rétabli, avec amende de 3750 € et une interdiction de territoire de trois ans à la clé.
Il n’est plus possible, pour un jeune d’obtenir automatiquement la nationalité française à ses 18 ans quand il est né en France.
Les étudiants étrangers désireux d’étudier en France sont maintenant astreints à déposer une caution, récupérable éventuellement à la fin des études.
La loi fait maintenant la distinction entre les immigrés travaillant dans les métiers dits « à tension », qui peuvent obtenir plus facilement un titre de séjour, et les autres.
Les infractions permettant l’expulsion d’immigrés délinquants sont plus nombreuses.
Il est clair que ces nouvelles dispositions légales ne menacent ni les bourgeois étrangers arrivant en France, ni les étudiants qui ont les moyens de se passer des prestations sociales. Ce n’est évidemment pas le cas du plus grand nombre des immigrés qui arrivent en général sans un sou (après avoir été rackettés par diverses mafias pendant leur voyage) et qui auraient besoin d’une aide financière dès le début de leur séjour. Quant aux étudiants étrangers pauvres, le gouvernement leur signifie clairement qu’il ne veut plus d’eux.
Non seulement la loi inscrit une discrimination et une division entre prolétaires français et étrangers immigrés, mais elle rend la régularisation encore plus compliquée. Sans couverture sociale, isolés et incapables de se défendre, les sans-papiers subissent toutes les avanies du capitalisme : salaires et heures supplémentaires non payés, rémunération en dessous des minimums légaux, horaires de travail à rallonge, absence de prestations sociales, difficultés à se soigner, à se loger, travaux dangereux… Le gouvernement a clairement mis en place une machine pour que cette situation perdure. La main-d’œuvre immigrée clandestine et sans-papiers représente une grande masse de « bouches inutiles » pour le capital, mais elle peut aussi constituer une source de profit indéniable, vu le flux constant de réfugiés qui cherchent à rentrer dans la « forteresse Europe ».
Ceci dit, la mise en place de cette loi par le gouvernement a amené plusieurs secteurs de la bourgeoisie à questionner ce choix, indiquant d’abord qu’un certain nombre de dispositions étaient inconstitutionnelles. Le fait qu’une partie des députés du parti présidentiel a refusé de voter ce texte et que plusieurs ministres ont menacé de démissionner s’il était ratifié montre les dissensions importantes dans la bourgeoisie à son sujet.
De fait, pour obtenir le soutien de la droite « dure » autour des Républicains (LR), et pour empêcher le Rassemblement national (RN) de rester seuls sur le créneau du « contrôle de l’immigration », Macron et Borne n’ont pas hésité à fracturer leur propre majorité et à jouer une partition purement électoraliste, cherchant à limiter les déconvenues trop fortes lors des prochaines élections. La volonté affichée par Macron de réduire l’influence électorale du RN se heurte à la réalité politique d’une absence de majorité claire à l’Assemblée et de la nécessité de s’appuyer sur LR, un parti de plus en plus fracturé et gangrené par le populisme et prêt à toutes les manœuvres pour sauver sa peau. Nous voyons là les effets du chacun-pour-soi et la perte de vue par les fractions pourtant parmi les plus lucides de la bourgeoisie française de toute perspective à long terme.
De fait, Macron et sa fraction au pouvoir ont, à travers cette loi, légitimé les thèmes à coloration populiste et d’extrême-droite : la « lutte » contre l’immigré et le choix de la « préférence nationale ».
En même temps, à l’autre bout de l’échiquier politique, se développait un autre discours, celui de la gauche et des gauchistes : « Le texte est le fascisme en marche », selon Elisa Martin, députée de La France insoumise (LFI). « Ce soir vous avez un choix : la Collaboration, ou la République », a-t-elle même lancé aux parlementaires de la majorité.
Toute la mouvance gauchiste s’est mise en mouvement, du Monde Libertaire à l’Union Communiste Libertaire, de la CNT-f à ATTAC, de Lutte Ouvrière à Révolution Permanente et au NPA, et tout ce beau monde rivalise de volonté de « faire barrage au Rassemblement national » et à « la montée des idées réactionnaires et fasciste ».
Pour cela, comme l’exprime clairement Révolution Permanente, « le mouvement ouvrier a un rôle central à jouer, aux côtés des organisations du mouvement social, notamment anti-racistes et antifascistes, pour structurer une réponse par en bas qui permette d’imposer un autre agenda, de mettre en déroute l’extrême-droite et de faire le lien entre la bataille contre les lois antisociales et xénophobes, nos salaires et la situation à Gaza ».
Ces mots ne servent qu’à masquer que « les organisations du mouvement social », c’est-à-dire les partis de gauche et les syndicats, sont les principaux outils de la bourgeoisie pour détourner le prolétariat de ses véritables luttes. Ces discours ne font que désarmer la classe ouvrière en masquant que la bourgeoisie, c’est autant la gauche que la droite, et qu’en matière d’attaques anti-ouvrières, et notamment contre les immigrés, il n’y a jamais eu la moindre différence.
Le PCF a ainsi mené nombre de campagnes xénophobes dans les années 1980, alors même qu’entre 1981 et 1984 il avait des ministres au gouvernement ! Il suffit de se souvenir du bulldozer envoyé en décembre 1980 par la municipalité stalinienne de Vitry contre un foyer SONACOTRA occupé par des immigrés maliens, ou de la déclaration de Georges Marchais, premier secrétaire du PCF, qui en 1983 disait que « notre position, depuis qu’il y a le chômage, est simple : il faut arrêter la venue des travailleurs immigrés en France ».
Le racisme et la xénophobie ne sont pas une particularité de l’extrême-droite. Ils sont le produit de la division du monde en nations, en classes sociales, de la concurrence entre nations, ils sont les enfants du nationalisme, qui est l’idéologie que toute la bourgeoisie partage, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche : une idéologie du capitalisme !
« L’exode massif de leurs terres d’origine de centaines de milliers d’êtres humains fuyant la famine et la misère n’est pas un phénomène nouveau. Il n’est pas non plus un fléau spécifique aux pays sous-développés. L’immigration appartient au système capitaliste lui-même et remonte aux origines de ce mode de production fondé sur l’exploitation du travail salarié ». (1) La classe ouvrière a toujours été une classe d’immigrés depuis les paysans affamés arrachés à leur campagne, par l’exode de la révolution industrielle.
Les guerres plus ou moins étendues ont elles aussi entraîné des déplacements de population parfois colossaux : Allemands chassés d’Europe centrale en 1945, Juifs rescapés des camps de la mort expédiés en Palestine, Espagnols fuyant la guerre entre 1936 et 1939… Partout la classe ouvrière a fait les frais des soubresauts du développement du capitalisme, avec ses corollaires : guerres, famines, misère, recherche à tout prix d’un moyen de subsistance, sans parler des déportations organisées.
La bourgeoisie cherche aujourd’hui, comme elle l’a toujours fait, à reporter sur les « étrangers » les problèmes générés par son propre système. Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » loi sur l’immigration. Partout, toujours, la concurrence et la xénophobie qui en découle poussera la bourgeoisie à criminaliser les migrants. Et plus le pourrissement sur pied du système capitaliste poussera de miséreux sur les routes pour aller chercher ailleurs de quoi survivre, comme on le voit déjà massivement en Afrique et en Amérique Latine, plus ces politiques xénophobes, racistes, anti-immigrés proliféreront.
La seule issue et véritable perspective ne pourra venir que du développement des luttes ouvrières basées sur la solidarité entre frères de classe qui amènera les migrants les plus récents à s’intégrer aux luttes prolétariennes. La bourgeoisie aura beau chercher à diviser les ouvriers entre immigrés et « autochtones », elle ne pourra pas empêcher la crise historique de son système, ni les attaques toujours plus féroces sur les conditions de vie de tous les prolétaires, quelles que soient leurs origines et leur culture, les forçant même à combattre dans l’unité pour défendre leurs conditions d’existence. Alors le mot d’ordre lancé par le Manifeste du Parti communiste sera à nouveau le point de ralliement de tous les ouvriers : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
HG, 10 janvier 2024
1 « Le prolétariat : une classe d’immigrés ! », Révolution internationale n° 206 (1991).
Avec plus de cinquante ans d’existence et son numéro 500, notre publication Révolution internationale poursuit son combat révolutionnaire de façon déterminée. Ce chiffre rond, marquant une longévité remarquable, pourrait paraître au premier abord celui d’un anniversaire transformé en vulgaire marronnier, le sujet d’un simple prétexte à écriture ritualisée. En réalité, ce numéro est pour nous la marque symbolique d’une trajectoire de lutte, d’un effort constant de construction et d’engagement militant. Ceci est d’autant plus important à souligner que ce numéro, un peu particulier par le temps et la durée de travail qu’il célèbre, s’inscrit dans un contexte international totalement inédit et imprévisible, d’une extrême gravité.
D’un côté le capitalisme en décomposition menace de manière accélérée l’humanité de destruction. De l’autre, le renouveau de la lutte de la classe ouvrière permet d’entrevoir à terme la perspective révolutionnaire. Jamais les enjeux n’auront été aussi cruciaux pour les organisations prolétariennes et pour la presse révolutionnaire que ceux du temps présent.
Pour notre presse et notre journal RI, une telle situation constitue un véritable défi, tant sur le plan théorique que pour assurer une intervention régulière. Nous sommes donc, avec la classe ouvrière, un peu à la croisée des chemins. Plus que jamais, il est important de savoir d’où vient notre presse et vers quoi elle s’oriente.
À ses débuts, dans le feu de la vague internationale des luttes de Mai 68, Révolution Internationale allait faire ses premiers pas en avançant à tâtons et sans expérience, sans lien organique avec les organisations du passé. Le seul fil qui nous permettait d’établir une continuité avec ce passé était assuré par la solide expérience de notre camarade Marc Chirik et par ses efforts patients pour transmettre une méthode de travail et un esprit militant.
Notre publication était au départ une revue ronéotée presque « artisanale », tirée à la main, vendue en librairie, dans les marchés, les manifs et devant les usines. Elle était l’expression du groupe « Révolution Internationale » qui deviendra plus tard la section en France du CCI.
Ce qui allait faire sa force, comme pour tout notre Courant, c’était bel et bien d’inscrire son activité sur le long terme, dans les pas de nos prédécesseurs et de leurs publications héroïques, avec le souci de réappropriation et d’examen critique, avec une ferme volonté d’ancrer notre combat dans toute la tradition du mouvement ouvrier. Notre source d’inspiration fut naturellement celle des bolcheviks, mais aussi et surtout, l’expérience essentielle de Marc Chirik et son legs inestimable puisé dans le combat de la Gauche communiste dans les années 1930.
Avec le développement des luttes ouvrières, notre travail d’écriture et de publication s’est peu à peu intensifié. De 1968 à 1972, notre publication « ancienne série » s’établissait à sept numéros. Fort de cette première expérience et de ces premiers pas, nous nous sommes engagés dans un travail de plus grande ampleur. En 1973, d’un pas plus assuré, « nous lançâmes la seconde série, toujours sous la forme revue, de notre organe. Cela était également le résultat d’un effort de regroupement des forces révolutionnaires, puisque cette nouvelle série devenait l’instrument d’une organisation française élargie par fusion de trois groupes. De 1973 aux derniers mois de 1975, les quelques quinze numéros de RI qui sortirent en moins de trois années, traduisent indubitablement, par rapport à l’époque précédente, l’accélération de notre solidification organisationnelle. La régularité de l’effort, test imparable pour des groupes révolutionnaires prétendant tenir leur rôle dans la classe ouvrière, étant acquise, nous passâmes d’un rythme bimestriel de notre revue à une fréquence mensuelle. Cette adaptation annonçait une mutation plus importante encore, la transformation de la revue en journal. Un journal en effet suppose une plus profonde implication politique par rapport à la marche de la lutte des classes. Cette mutation intervint en février 1976, elle sanctionnait chez nous une prise de conscience des tâches révolutionnaires à notre époque ». (1) Ces progrès allaient s’accompagner d’une mise à l’épreuve durant les trois vagues de luttes internationales au cours des années 1980. Notre journal était alors notre principal outil d’intervention, indispensable pour développer toute une analyse et propagande révolutionnaire au sein même des lieux de combats ouvriers, accompagnant à l’occasion toute agitation militante : dans les manifestations, les AG, les comités de lutte et les cercles de discussions qui avaient émergé de cette dynamique ouverte après 1968. Partout où cela était possible et selon ses forces, le CCI se donnait les moyens d’être présent avec le journal RI pour diffuser et combattre.
À l’aube des années 1990, suite au piétinement des luttes et à l’effondrement du bloc de l’Est, un nouveau défi se présentait à notre organisation : résister dans la durée au recul de la conscience et de la lutte dans la classe et à l’immense battage médiatique, celui d’une prétendue « mort du communisme ». Face à ce rouleau compresseur idéologique, contre vents et marées, notre journal a défendu le combat ouvrier, la perspective révolutionnaire en poursuivant le combat à contre-courant. Ce combat pour le communisme permettait à d’infimes minorités de la classe de résister face à un véritable bourrage de crâne planétaire, au plus grand mensonge de l’histoire consistant également à tirer un trait d’égalité entre stalinisme et communisme. C’est au cours de ces années difficiles que notre journal a su résister et que notre site web est passé au premier plan de notre travail de publication. Par la suite, RI est ainsi passé à un rythme bimestriel (fin 2012) puis trimestriel (printemps 2022), mais cela ne nous a pas empêché de continuer à intervenir dans les luttes avec le journal et nos tracts comme outils d’intervention.
Aujourd’hui, alors que le prolétariat reprend le chemin du combat au niveau international après plusieurs décennies d’atonie, dans un contexte de plus en plus imprévisible, dangereux et menaçant, notre journal papier reste plus que jamais une boussole essentielle, un outil d’intervention irremplaçable, comme il l’a été, par exemple, lors des grandes manifestations en France contre la réforme des retraites en 2023 où nous l’avons diffusé systématiquement.
Ce journal matérialise et incarne bel et bien le caractère vivant de notre organisation, preuve en elle-même de ce qui la distingue nettement de tous les bavards et autres blogueurs. Mais bien au-delà des luttes immédiates, RI reste un véritable outil de réflexion pour les éléments en recherche des positions de classe et de clarté politique révolutionnaire, de même que pour l’ensemble du milieu politique prolétarien.
Naturellement, notre journal ne serait pas totalement ce qu’il est sans nos lecteurs. Nous tenons au passage à les saluer chaleureusement et à les encourager tant pour leur soutien politique et financier que pour le sens critique dont ils ont su faire preuve à différentes occasions. Même si dans nos articles nous pouvons parfois commettre des erreurs, notre état d’esprit est de compter sur leurs critiques fraternelles comme de celles de tous les groupes politiques ouvriers sérieux. Certains de nos sympathisants ou contacts n’ont d’ailleurs pas hésité à s’adresser à nous par courrier pour émettre des critiques ou pour contribuer par des analyses. À chaque fois que possible, nous avons répondu, en alimentant quand nous le jugions opportun notre rubrique « courrier des lecteurs » ou par des polémiques avec les autres organisations révolutionnaires. Certains sympathisants ont également participé à la rédaction et traduction d’articles. Nous les remercions et les encourageons à poursuivre.
Aujourd’hui, RI lutte avec détermination, en complémentarité avec nos autres publications et notre site web. Notre journal poursuit son œuvre, participe à tout l’effort que nous souhaitons développer pour alimenter un véritable débat international. À l’instar des mots de Lénine, il reste « une arme de combat » que nous devons soutenir et défendre.
CCI, 10 janvier 2024
1 Voir Révolution internationale n° 100 (août 1982).
Avec un discours d’ultra-droite, Milei est devenu président de l’Argentine, alors qu’il était inconnu il y a deux ans, tout comme son parti politique. C’est un exemple de plus de la montée du populisme comme résultat de la décomposition accélérée du capitalisme, caractérisée par la perte croissante de contrôle du jeu politique de la bourgeoisie, principalement dans les pays les plus développés, comme l’illustrent des exemples récents en Europe tels que le populisme agraire autour de Caroline van der Plas aux Pays-Bas, ou Kristian Thulesen Dahl, au Danemark, leader du Parti populaire danois, qui est rejeté par l’Union européenne. Ce phénomène, qui touche et se diffuse à partir des pays centraux, touche également les pays périphériques depuis des années. Pour la classe ouvrière, le populisme apparaît comme une mystification et un obstacle supplémentaire à sa prise de conscience.
« Il n’y a pas d’alternative », « ils ne nous ont pas laissé le choix » sont les phrases utilisées par Milei dans son discours de prise de fonction, avec lesquelles il a annoncé la série d’attaques qu’il a préparée contre les exploités. L’avancée de la crise économique et la longue chaîne de gouvernements de droite et de gauche qui, tout en prétendant assainir l’économie argentine, l’ont encore aggravée, ont fait que les partis traditionnels de la bourgeoisie ont fini par perdre beaucoup de leur prestige. Ni les péronistes, qu’ils se présentent de gauche comme de droite, ni les radicaux, ni la stratégie de fusion dans des alliances électorales, n’ont été en mesure de redonner confiance envers les partis politiques d’État traditionnels et institutionnalisés. Cette situation a permis l’émergence d’un leader messianique comme Milei, issu de la droite populiste, qui, bien que chaperonné par certains secteurs de la bourgeoisie, n’était pas dans la situation de pouvoir compter sur un soutien de l’ensemble de la bourgeoisie ou prétendre exercer un contrôle total sur l’État.
Au début de sa campagne électorale, certains secteurs de la bourgeoisie l’ont effectivement poussé en avant, cherchant à tirer profit de sa personnalité déséquilibrée, de ses emportements et de ses mesures économiques basées sur la sanctification du marché et la défense fanatique de la propriété privée. Mais de larges fractions de la classe dirigeante elle-même se sont inquiétées et ont tenté de freiner son ascension. La tendance dominante dans la phase actuelle de décomposition s’est vérifiée : la perte de contrôle de la bourgeoisie sur sa propre stratégie politique, permettant à un personnage comme Milei de se « faufiler » à la tête du gouvernement, avec une équipe « immature et sans expérience ni envergure, sans moyens réels, facilement manipulable », de sorte que, surtout après le premier tour, ils ont essayé de « l’adoucir » en l’accompagnant et l’encadrant avec des membres expérimentés de « l’élite » politique traditionnelle qu’il prétendait rejeter…
C’est ainsi qu’arrive en Argentine un gouvernement populiste qui se révèle être un problème pour la bourgeoisie, mais qu’elle utilise néanmoins pour attaquer les travailleurs. Car la fameuse tronçonneuse de Milei a pour principale victime la classe ouvrière.
Surfant sur la vague populiste, Milei a mis en difficulté le jeu électoral qui s’était formé entre deux coalitions, l’aile centre-gauche des péronistes animée par le couple Kirchner et la fraction péroniste de centre-droit menée par Mauricio Macri. Cette concurrence entre deux factions bourgeoises, qui remonte à 2015, a tenté de redonner de l’air frais au bipartisme rassis qui gravitait autour du péronisme et de l’anti-péronisme. Mais l’usure des partis traditionnels et de leurs coalitions était bien avancée, car au moment où ce schéma se renouvelait, la bourgeoisie a réussi à remplacer un cycle péroniste de centre-gauche de douze ans par un gouvernement de centre-droit, avec Macri à sa tête, qui, face à son échec dans le domaine économique, a été à nouveau remplacé par la coalition péroniste de centre-gauche.
C’est ce qui a conduit des secteurs de la bourgeoisie à promouvoir Milei, qui s’est dressé avec véhémence contre ce cadre politique déjà usé et discrédité et qu’il a décrit comme une « caste politique » qui, de plus, est impliquée depuis des années dans des scandales de corruption, les mêmes dans les gouvernements du couple Kirchner et de Macri. C’est pourquoi, afin de limiter l’incertitude politique qui en découle, ils ont imposé des personnages issus des rangs de la « caste de privilégiés » que Milei dit mépriser, en le forçant à leur octroyer les postes-clés essentiels parmi les portefeuilles gouvernementaux : Patricia Bullrich au ministère de l’Intérieur et Luis Caputo au ministère de l’Économie.
Un autre aspect qui a renforcé les différences au sein de la bourgeoisie argentine et contribué à fracturer le jeu des partis traditionnels a été l’aggravation de la crise économique. Les mesures appliquées par les gouvernements kirchneristes ou par le gouvernement de droite de Macri, dans leur tentative d’assainir l’environnement du capital, avaient fortement accéléré la progression de l’inflation. Les dépenses publiques et le crédit, qui ont été les instruments favoris avec lesquels ils pensaient oxygéner l’économie, ont fini par être un fardeau et bien que la bourgeoisie et son État aient déjà transféré l’essentiel des répercussions de l’accélération de la crise sur le dos des travailleurs, cela n’a pas empêché le mécontentement de se manifester au sein de la bourgeoisie elle-même.
Mais la bourgeoisie n’est pas la seule à s’indigner de ces projets, des fractions du prolétariat aussi ont pu se laisser piéger par les discours radicaux d’un populisme de droite qui, en critiquant le bilan des gouvernements précédents, ont fait miroiter les illusions sur des améliorations miraculeuses et, surtout, en utilisant le désespoir et le nihilisme qui ont pu se répandre dans la population, semant ainsi de faux espoirs parmi les exploités.
L’aggravation du processus d’appauvrissement de la population argentine, qui voit ses salaires se dégrader chaque jour en raison de l’inflation, a conduit au désespoir une grande masse d’exploités (surtout les jeunes), qui, ayant perdu leur identité de classe, ont fini par se laisser piéger par les promesses de Milei.
Mais quelques semaines à peine se sont écoulées depuis l’arrivée au pouvoir de Milei et les coups économiques comme les menaces lancées envers eux montrent déjà clairement aux travailleurs que la bourgeoisie, quel que soit le parti à la tête du gouvernement, et quel que soit le caractère outrancier de son discours, n’a aucune solution à proposer face à la crise capitaliste. La seule chose qu’elle peut leur offrir, c’est plus d’exploitation, plus de misère et plus de répression.
Une plus grande intervention de l’État dans l’économie ou la libéralisation du marché sont de vieux arguments utilisés par la bourgeoisie dans son discours lorsqu’elle définit l’orientation de ses politiques économiques, mais il s’agit d’une pure mystification car que ce soit avec une part plus importante de propriété étatique ou à travers la privatisation des capitaux, la bourgeoisie recherche toujours les conditions qui lui permettent de poursuivre de la manière la plus rentable possible son exploitation. Pour un travailleur, il est indifférent que son exploitation soit gérée par le capital privé ou par l’État.
Engels expliquait déjà que « les forces productives ne perdent pas leur statut de capital, qu’elles deviennent la propriété de sociétés anonymes et de trusts ou qu’elles soient la propriété de l’État. En ce qui concerne les sociétés par actions et les trusts, c’est tout à fait clair. L’État moderne, quant à lui, n’est lui aussi qu’une organisation créée par la société bourgeoise […]. L’État moderne, quelle que soit sa forme, est essentiellement une machine capitaliste, c’est l’État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal ». (1) Le danger que représente Milei ne réside donc pas, comme le répète la gauche du capital, dans la menace de privatisation ou la perte de « souveraineté nationale » par l’adoption du dollar comme monnaie nationale. La tronçonneuse de Milei avance en écrasant les travailleurs en lançant contre eux des mesures qui lui permettront d’atteindre son véritable objectif : défendre les profits et les intérêts du capital national, en lançant les attaques les plus brutales contre les conditions de vie des travailleurs.
Pour réduire le déficit et éliminer la banque centrale, dollariser la monnaie et laisser fonctionner à plein régime la libre concurrence sur le marché, il a besoin d’une profonde austérité, qui va paralyser immédiatement la production, ce qui, avec la hausse des prix et des tarifs, va fortement accélérer l’inflation. Cela va frapper aussi directement les salaires en éliminant les primes de Noël et en baissant les pensions. Tout cela, au nom de la défense de l’économie nationale.
Le populisme, comme phénomène général de la société, « comporte un élément commun à la plupart des pays avancés : la perte de confiance profonde dans les “élites” […] en raison de leur incapacité à rétablir la santé de l’économie et à endiguer la montée continue du chômage ou de la pauvreté. Cette révolte contre les dirigeants politiques […] ne peut en aucun cas déboucher sur une perspective alternative au capitalisme ». (2)
En ce sens, elle affecte directement la classe ouvrière, car les campagnes populistes de haine et de ressentiment contre « l’establishment » cherchent un bouc émissaire pour tenter d’expliquer ce qui « ne marche pas », masquant le fait que c’est le système capitaliste dans son ensemble qui est responsable et non telle ou telle personnalité ou parti politique. Pour les travailleurs, il n’y a rien à célébrer dans cette effervescence démocratique de la bourgeoisie, qui s’apprête à commémorer le 40e anniversaire des élections démocratiques dans le pays après la fin de la dictature militaire (1983), avec un « outsider » au gouvernement depuis le 10 décembre 2023, grâce au « vote de sanction » massif dont les partis traditionnels ont fait l’objet, principalement de la part de la jeunesse. L’alternance des partis au pouvoir dans la démocratie électorale est certes un piège pour les travailleurs destiné à leur faire croire que leur vote décide des changements de gouvernement et de politiques publiques, mais le « vote sanction » n’est rien d’autre que la « vengeance » qui lui est offerte pour continuer à les lier à l’idéologie de la démocratie bourgeoise.
S’il n’y a pas de différence entre les kirchneristes et les partisans de Macri quand il s’agit de défendre le capital national et de frapper les travailleurs, il y a déjà des signes évidents montrant que Milei s’est emparé du gouvernement précisément pour continuer cette défense. Cela ne peut se faire qu’en s’attaquant aux conditions de travail et de vie de la classe exploitée, qu’il a d’ailleurs stigmatisée en désignant les bénéficiaires des aides sociales de l’État comme étant les complices de la crise, c’est-à-dire des boucs émissaires, qualifiés de paresseux, de profiteurs et de voleurs.
En somme, si les phénomènes de décomposition comme le populisme affectent son jeu politique, la bourgeoisie a encore les moyens d’en retourner les effets contre la classe ouvrière, par exemple en renforçant le mythe de la démocratie, de l’alternance politique, de la valeur du vote, etc.
Toute la campagne électorale de Milei était basée sur la candidature d’un « libertaire », critique des élites politiques traditionnelles, qui a réussi à effrayer la « caste », et donc porteur d’une alternative. Mais dès son entrée en fonction, il a commencé à attaquer frontalement les travailleurs, rappelant les « plans de choc » des régimes dictatoriaux largement utilisés en Amérique latine dans les années 1980.
Le vieille recette bourgeoise d’alternance de la carotte et du bâton comprend également des mesures qui prétendent être destinées à « l’amélioration des prestations sociales ». Ainsi, il est annoncé une augmentation de 50 % des montants accordés par des programmes tels que le « revenu universel par enfant » et la « carte d’alimentation » qui sont en fait des miettes qu’il saupoudre, pour essayer d’apparaître « bienveillant », et qu'il utilise en réalité comme un instrument de contrôle, car il menace de les retirer à tous ceux qui manifestent dans les rues.
Cette mesure, présentée comme un « protocole anti-piquets de grève » est un complément au plan de répression sauvage des manifestations, présenté par la ministre de l’intérieur Patricia Bullrich, qui prévoit que les personnes participant aux grèves et manifestations devront payer les frais de l’opération policière ! Mais en plus, des amendes seront appliquées aux parents qui accompagnent leurs enfants mineurs aux manifestations. Quelle arrogance et quel mépris de la bourgeoisie pour la classe exploitée et opprimée !
Pour notre part, nous sommes persuadés que les travailleurs argentins ont une tradition historique de lutte et qu’ils seront poussés à se battre. Un aperçu de la réponse dont les travailleurs sont capables s’est déjà manifesté dans la nuit du 20 décembre. Après avoir terminé la présentation télévisée du « décret de nécessité et d’urgence », qui, entre autres aspects, énonçait « la déréglementation de l’économie » et l’interdiction des grèves, dans de nombreux endroits dans Buenos Aires comme en province, des masses d’exploités se sont rassemblées spontanément dans les rues en frappant sur des casseroles et des cuivres, et des centaines d’entre eux ont défilé jusqu’au parlement afin de protester.
Ces réactions, même si elles sont encore bien faibles, sont importantes car elles révèlent le mécontentement et l’effort qui existe chez les travailleurs pour briser les chaînes de leurs illusions dans les promesses du gouvernement. Elles montrent aussi qu’ils ne sont pas prêts à se sacrifier et à accepter docilement leur misère.
Le prolétariat en Argentine doit tirer profit de l’expérience des récentes mobilisations de ses frères de classe en Europe et aux États-Unis : ces mobilisations massives montrent que la classe ouvrière « en luttant contre les effets de la crise économique, contre les attaques orchestrées par les États, contre les sacrifices imposés par le développement de l’économie de guerre, le prolétariat se dresse, non comme citoyens réclamant des “droits” et la “justice”, mais comme exploités contre ses exploiteurs et, à terme, en tant que classe contre le système lui-même. C’est pourquoi, la dynamique internationale de la lutte de la classe ouvrière porte en elle le germe d’une remise en cause fondamentale de tout le capitalisme ». (3)
JRT, 7 janvier 2024
1 Du socialisme utopique au socialisme scientifique (1880).
2 « Rapport sur l’impact de la décomposition sur la vie politique de la bourgeoisie », Revue internatonale n° 164 (2020).
3 « Rapport sur l’impact de la décomposition sur la vie politique de la bourgeoisie », Revue internatonale n° 164 (2020).
Face au danger croissant que représente l’opportunisme au sein du camp prolétarien, le CCI est intervenu à de nombreuses reprises dans sa presse (1) et a organisé plusieurs discussions avec ses contacts et sympathisants proches. Si ce combat peut sembler, à première vue, anecdotique ou secondaire, l’histoire du mouvement ouvrier, depuis les combats déterminés de Marx et Engels (déjà qualifiés de « querelles de clochers » à l’époque), a amplement démontré qu’il n’en est rien. Il suffit, d’ailleurs, pour s’en convaincre de voir comment la Tendance communiste internationaliste (TCI), une organisation de la Gauche communiste, peut se vautrer dans la recherche illusoire d’une influence à tout prix dans la classe ouvrière : la TCI préfère renoncer à la défense des principes politiques fondamentaux du mouvement ouvrier (en particulier, la défense sérieuse de l’internationalisme) et mettre en péril la perspective révolutionnaire, pour espérer se gagner une poignée de militants.
Le CCI n’a pas non plus hésité à défendre becs et ongles le camp révolutionnaire face à la complaisance et la porosité d’organisations de la Gauche communiste vis-à-vis des petites officines de mouchards (comme le GIGC) ou des groupuscules et individus parasitaires. Le parasitisme, tout comme la complaisance des révolutionnaires à son égard, ont toujours été un fléau dans l’histoire du mouvement ouvrier, comme en témoignaient déjà le combat de la Première Internationale face aux manœuvres de Bakounine. La raison d’être de la mouvance parasitaire, pleine de demi-savants à l’égo surdimensionné, est d’entraver le combat et la clarification entre les véritables organisations révolutionnaires.
C’est pourquoi nous saluons fortement le courrier ci-contre rédigé par un de nos contacts en soutien à ce combat.
CCI, 29 novembre 2023
Chers camarades,
Dans la continuité de mes critiques et de mon rejet, à travers mes précédentes déclarations, des différentes formes de parasitisme qui minent le camp politique prolétarien depuis des années, j’exprime également aujourd’hui ma plus large condamnation du parasitisme et ma pleine solidarité avec le CCI.
Mais, parallèlement à cette déclaration, je veux lancer un avertissement aux organisations qui font encore partie du camp politique prolétarien : attention à l’opportunisme, autre fléau irrépressible du mouvement ouvrier et en particulier de ses avant-gardes. Car il ouvre insidieusement la porte non seulement à certains renoncements aux principes prolétariens qui caractérisent ce même camp (jusqu’à le conduire à la trahison, voir par exemple le cas de la social-démocratie allemande à la veille de la Première Guerre mondiale), mais aussi à l’aventurisme, et pire encore, comme le dit justement le rapport du CCI, au dédouanement du parasitisme en lui donnant une reconnaissance communiste de gauche. Cela peut conduire à une véritable contagion pernicieuse du camp politique prolétarien, mettant en péril sa survie, sans laquelle il n’y aura pas de parti demain, organe indispensable pour mener la révolution prolétarienne à la victoire.
Et à cet égard, je veux dénoncer les parasites et les espions du GIGC qui, en tant que menteurs éhontés, en plus d’autres accusations infondées dûment démenties par le CCI – documents en main – à travers sa presse et dans des réunions publiques, se permettent d’attaquer ce dernier en lui attribuant des faiblesses conseillistes inexistantes, précisément sur la conception du parti, faisant ainsi un clin d’œil aux autres formations du camp politique prolétarien. Or, il peut y avoir et il y a des différences sur la conception du parti entre, par exemple, le CCI et la TCI ou les groupes bordiguistes, et celles-ci peuvent et doivent être discutés fraternellement et publiquement avec les différents groupes, précisément dans la continuité de la tradition que la gauche communiste nous a léguée. Au lieu de cela, nous trouvons les camarades de la TCI en train de collaborer, voire même d’accepter dans leurs rangs des éléments indignes et dangereux comme ceux du GIGC. C’est donner un mauvais exemple au milieu, en particulier concernant l’importance et la nécessité de son existence pour des éléments qui évoluent vers des positions de classe (voir la réunion du comité du NWBCW à Paris). Malheureusement, je crains que l’opportunisme de la TCI ne l’entraîne dans une dérive dangereuse, qui menace à la fois sa survie en tant que groupe appartenant au camp politique prolétarien et celle de ce même camp dans son ensemble.
Je suis donc tout à fait d’accord avec votre présentation et lutte sans relâche contre l’opportunisme, l’aventurisme et le parasitisme.
Osvaldo, 15 novembre 2023
1 Lire à ce sujet : « Réunions publiques de la TCI : une véritable faillite politique ! » et « Congrès de la Haye : comment la TCI nie les leçons du marxisme sur la lutte contre le parasitisme politique ». Ces deux articles sont disponibles sur le site web du CCI.
L’attentat sanglant du City Hall à Moscou, le 22 mars, le cynisme froid de Poutine en Ukraine, le jusqu’au-boutisme criminel du gouvernement Netanyahou massacrant en masse et affamant les civils… tout cela confirme que le système capitaliste est en faillite, que la société bourgeoise est bel et bien aspirée dans un tourbillon de destructions et de chaos généralisé. Et ce processus ne peut que s’accélérer, à l’image du délitement effrayant du Moyen-Orient où le risque d’une confrontation catastrophique directe entre deux puissances régionales, Israël et l’Iran, est immense.
Le CCI a de nombreuses fois souligné la dynamique historique de chaos qui règne sur la société capitaliste depuis la disparition des blocs et l’affaiblissement inéluctable du leadership américain sur la planète. Désormais, la discipline entre « alliés » tend à disparaître, les sordides intérêts impérialistes, des grandes comme des petites puissances, se déchaînent. Même un allié des États-Unis comme Israël, qui dépend entièrement de la protection américaine, se permet de n’en faire qu’à sa tête, de multiplier les provocations, comme l’attaque de la représentation iranienne à Damas, et de déchaîner un chaos dans la région que Washington tente tant bien que mal de freiner. Quant à l’Iran, il jette de l’huile sur le feu depuis le début de la guerre à Gaza (par Hamas, Hezbollah et Houthis interposés) et vient de franchir un nouveau pas dans l’affrontement en lançant une attaque aérienne massive directement contre Israël. Malgré les tentatives désespérées des États-Unis de circonscrire l’incendie, l’évolution de la situation au Moyen-Orient confirme le déclin continu de sa puissance sur le monde et risque d’entraîner la région vers un embrasement généralisé.
La bourgeoisie ne peut rien face à la dynamique mortifère de son système. La crise économique chronique, les désastres écologiques et les guerres expriment le visage hideux de la décomposition du capitalisme, le pourrissement sur pied de la société issue d’un mode de production obsolète, façonné par l’exploitation de la force de travail, la concurrence de tous contre tous et la guerre, et qui n’a plus rien à offrir que terreur, souffrances et mort. De plus en plus de régions du monde deviennent invivables pour les populations, comme Haïti en proie au chaos, livré aux bandes criminelles, ou comme pour bon nombre d’États en Afrique et en Amérique Latine, exposés à la corruption généralisée, aux seigneurs de guerre, aux mafias et autres narcotrafiquants.
L’épicentre de cette spirale infernale se situe au cœur même du capitalisme, en premier lieu au niveau de la première puissance mondiale, les États-Unis. Après avoir amplifié le chaos ces dernières décennies en tentant d’imposer leur rôle de gendarme du monde (en Irak et en Afghanistan, particulièrement), les États-Unis cherchent par tous les moyens à contrer leur déclin irréversible et n’hésitent pas à piétiner sans ménagement leurs anciens « alliés » devenu rivaux.
La mise en place de cette politique exacerbe aussi les tensions au sein de la bourgeoisie américaine elle-même, comme en témoigne les affrontements qui marquent dès à présent la campagne électorale pour les présidentielles de novembre prochain. Ces tensions attisent la déstabilisation de l’appareil politique américain, de plus en plus fragmenté et polarisé, non seulement par les clivages entre Républicains et Démocrates, mais aussi et surtout par les déchirements croissants au sein de chacun des deux camps rivaux. Le populiste Trump s’impose pour le moment comme le favori malgré toutes les tentatives de le mettre hors d’état de nuire par les fractions les plus responsables de la bourgeoisie américaine. De fait, la lame de fond du populisme reste profondément ancrée dans la vie politique américaine comme elle se manifeste nettement aussi dans plusieurs pays européens.
Une telle situation plonge la bourgeoisie américaine mais aussi les chancelleries du monde entier dans l’incertitude, en ne pouvant déterminer à l’avance quel sera le positionnement de Washington sur les dossiers brûlants affectant la géopolitique mondiale. Ces affrontements entre fractions au sein de la bourgeoisie américaine (des déclarations incendiaires de Trump aux blocages politiques au Congrès concernant le soutien militaire à l’Ukraine) constituent un accélérateur majeur de déstabilisation impérialiste.
La pagaille intérieure fragilise la crédibilité et l’autorité même des États-Unis, qui sont par ailleurs de plus en plus mises à mal par une situation internationale chaotique. Cette instabilité enhardit plus encore les grands rivaux de même que les puissances d’ordre secondaire : elle conforte dans leur logique mortifère tant Poutine que Zelensky, elle stimule l’ivresse guerrière de Netanyahou, de l’Iran et des groupes terroristes affidés.
Et si la Chine évite de répondre immédiatement aux provocations et aux pressions de Washington, elle accentue la pression sur Taïwan et les Philippines et envisage plus ouvertement la possibilité à plus long terme de pouvoir renforcer son statut de challenger de l’Oncle Sam.
L’agressivité croissante des requins impérialistes, petits ou grands, qui tentent d’exploiter les affrontements entre cliques bourgeoises aux États-Unis, ne signifie nullement que ceux-ci seraient épargnés par les tensions internes : Poutine est coincé entre la boucherie dans le Donbass et la « guerre contre le terrorisme » de l’État islamique, dont les commandos s’infiltrent à partir des anciennes républiques « soviétiques » d’Asie centrale, une menace que le clan au pouvoir et ses services secrets n’ont pas su neutraliser malgré les avertissements de divers services secrets étrangers. En Chine, Xi est confronté à la stagnation de l’économie, à la déstabilisation des « routes de la soie » à cause du chaos ambiant et aux tensions internes au sein de l’appareil du PCC. Quant à la fuite en avant d’Israël, elle est le produit d’affrontements féroces entre les cliques nationalistes extrémistes au pouvoir et d’autres factions de la bourgeoisie, de même que de la lutte pour la survie politique d’un Netanyahou, poursuivi par la justice.
L’instabilité actuelle de la politique américaine inquiète également les chancelleries européennes et tend à accentuer les clivages au sein même de l’UE vis-à-vis de la politique à adopter face aux pressions de l’OTAN et face aux États-Unis. Ainsi, les querelles au sein du « couple franco-allemand », déjà contraint au « mariage forcé », s’intensifient fortement.
Face à l’enfoncement de la société dans la barbarie, le prolétariat n’a rien à attendre des futures élections présidentielles en Amérique, comme d’ailleurs de toutes les autres à venir. Quel que soit le résultat des élections de novembre prochain aux États-Unis, elles n’inverseront aucunement la tendance au chaos, à la guerre et à la fragmentation du monde et la classe ouvrière subira plus que jamais les conséquences de l’exploitation capitaliste.
L’échéance électorale n’a d’importance que pour diffuser l’illusion parmi la classe ouvrière que celle-ci peut par un « juste choix » influer sur le cours des choses, alors que le cirque électoral n’exprime que le déchirement des cliques bourgeoises qui s’affrontent de plus en plus brutalement pour le pouvoir. Contrairement aux mensonges véhiculés par les démocrates, et notamment par les groupes gauchistes, opposant un camp « progressiste » ou du « moindre mal » de Biden au « mal absolu » de Trump, le prolétariat devra contrer le discours « démocratique », refuser le piège des urnes et mener son combat de classe autonome.
Quant aux fractions bourgeoises, elles s’affrontent uniquement sur la stratégie la plus efficace et la moins coûteuse pour pérenniser la suprématie américaine qu’elles s’accordent à vouloir maintenir par tous les moyens, quelles que soient les conséquences pour l’humanité et la planète. Attaquer militairement l’Iran ou l’affaiblir par un blocus économique ? Accentuer la pression sur la Russie au risque de la faire imploser ou « geler » la guerre de position ? Formuler un véritable chantage à la sécurité envers les « alliés » européens ?… Quelles que soient les réponses, elles s’inscriront toujours dans la logique de guerre et son financement exigera toujours de nouveaux « sacrifices » aux travailleurs. Bref, quelle que soit la faction qui remportera les élections, le résultat sera une déstabilisation accrue, de nouveaux massacres, une politique de la « terre brûlée ».
Face à cette barbarie innommable, face aux promesses de chaos généralisé, le prolétariat représente la seule alternative possible pour sauver l’espèce humaine d’une destruction programmée par la logique meurtrière d’un système capitaliste complètement obsolète. La classe ouvrière a repris le chemin de son combat et son potentiel révolutionnaire reste intact pour affirmer, à terme, sa perspective et son projet communiste.
C’est pour ce combat que nous devons nous battre comme classe, en refusant dès maintenant toute logique planifiée de guerre et de « sacrifice ». Les discours bourgeois présentant la guerre comme une « nécessité », au nom de la préservation de la paix, sont d’ignobles mensonges ! Le véritable responsable, c’est le système capitaliste !
EKA, 18 avril 2024
L’État fait pleuvoir les coupes budgétaires et les attaques contre les travailleurs, les chômeurs, les minima sociaux, les retraités… Les licenciements massifs se multiplient. Dans le public comme dans le privé, les moyens manquent partout. Les services publics sont totalement défaillants. Les pénuries de médicaments, voire de denrées alimentaires, sont devenues monnaie courante. Des millions de familles, même parmi celles qui ont encore la « chance » d’occuper des emplois stables, n’arrivent plus à boucler les fins de mois. Les prix de la nourriture, du chauffage, des logements et du carburant s’envolent. Les factures de gaz et d’électricité explosent. À la moindre distribution alimentaire, les queues s’allongent dramatiquement. Les plus pauvres en sont même réduits à sauter des repas… Quelle image plus terrifiante et plus explicite que celle de gosses crevant de froid dans les rues des grandes capitales européennes, au cœur des plus puissantes économies de la planète ? En quatre ans, les événements dramatiques se sont succédé à un rythme effréné : Covid, guerre en Ukraine, massacre en Israël et à Gaza, catastrophes climatiques… Ce tourbillon de catastrophes n’a fait qu’aggraver la crise et alimenter davantage le chaos mondial. (1) L’avenir que nous réserve le capitalisme est on ne peut plus clair : le développement de la crise économique accélère considérablement les menaces qui pèsent sur l’humanité et qui pourraient aboutir à la destruction de l’humanité. Mais la crise est aussi le creuset du combat de la classe ouvrière !
Face à de tels enjeux et à l’inexorable et terrifiant enlisement de la société bourgeoise, la classe ouvrière ne s’est pas résignée à accepter la misère. Depuis deux ans bientôt, malgré les guerres et le matraquage va-t-en-guerre, la classe ouvrière lutte partout et massivement. Dans de nombreux pays, les luttes sont souvent qualifiées d’« historiques » par le nombre de grévistes et de manifestants mais aussi par la détermination des ouvriers à se battre pour leur dignité et leurs conditions d’existence. C’est une véritable rupture après des décennies de résignation. (2)
Dès l’été 2022, le prolétariat en Grande-Bretagne s’est dressé contre la crise. Mois après mois, les travailleurs ont fait grève et manifesté dans les rues, réclamant de meilleurs salaires et des conditions de travail plus dignes. Du jamais vu depuis plus de trois décennies ! Début 2023, alors que les grèves se multipliaient un peu partout dans le monde, le prolétariat en France s’est à son tour mobilisé massivement contre la réforme des retraites. Des millions de personnes enthousiastes ont manifesté dans la rue avec la ferme volonté de se battre tous ensemble, tous secteurs et toutes générations confondus. Puis, à la rentrée, les ouvriers aux États-Unis ont engagé l’une des plus massives grèves de l’histoire de ce pays, notamment dans le secteur automobile, suivi par un mouvement du secteur public également décrit comme historique au Québec.
Récemment encore, dans un pays présenté comme un « modèle social », les ouvriers des usines Tesla en Suède se sont mis en grève, suivis par des manifestations de solidarité des postiers qui ont bloqué tout le courrier à destination des ateliers de l’entreprise du bouffon milliardaire, Elon Musk. Les dockers ont à leur tour bloqué quatre ports et les électriciens ont refusé d’effectuer les travaux de maintenance sur les bornes de recharge des véhicules électriques.
En Irlande du Nord, au mois de janvier, la plus grande grève ouvrière de l’histoire de cette région a également rassemblé des centaines de milliers de travailleurs, notamment du secteur public. Ils réclamaient le paiement de leur salaire.
Encore aujourd’hui, alors que la guerre fait toujours rage en Ukraine et à Gaza, les grèves et les manifestations ouvrières se multiplient dans le monde entier, particulièrement en Europe.
En Allemagne, première économie européenne, les cheminots ont lancé, fin janvier, une grève massive « record » d’une semaine. C’est la dernière d’une longue série de grèves contre l’augmentation des heures de travail et pour la revalorisation des salaires. Dans les mois à venir, le réseau ferroviaire pourrait être touché par des grèves illimitées. Dans le pays du « dialogue social », les grèves se multiplient depuis des mois dans de nombreux secteurs : grèves dans la sidérurgie, la fonction publique, les transports, la santé, le ramassage des ordures… Le 30 janvier, un rassemblement national de 5 000 médecins s’est déroulé à Hanovre. Le 1er février, onze aéroports du pays étaient touchés par une grève du personnel de sécurité, tandis que 90 000 conducteurs de bus, de tramways et de métros cessaient le travail. 10 000 ouvriers de la grande distribution étaient également en grève mi-février. Le personnel au sol de la Lufthansa était appelé à la grève le 20 février…
Ce mouvement de grève, par son ampleur, sa massivité et sa durée, est lui aussi inédit dans un pays réputé pour les énormes entraves administratives dressées devant chaque mouvement social et le corset de fer syndical qui a longtemps permis à la bourgeoisie d’accumuler plans de rigueur et « réformes » sans que la classe ouvrière ne réagisse réellement. Malgré les difficultés à sortir du carcan corporatiste et à se mobiliser « tous ensemble », les luttes en Allemagne sont d’une immense importance et d’une forte portée symbolique. Elles s’expriment en effet au cœur d’un grand poumon industriel, dans le pays qui a été l’épicentre de la vague révolutionnaire des années 1917-23 et d’une longue période de contre-révolution. Le mouvement actuel s’inscrit clairement dans le cadre de la reprise internationale de la lutte de classe.
Mais la combativité ouvrière ne se limite pas à l’Allemagne. En Finlande, dans un pays peu coutumier des mobilisations, une « grève historique » s’est déroulée pendant 48 heures début février. Encore récemment, les dockers ont paralysé durant quatre jours l’activité portuaire dans ce pays entre le 18 et le 21 février. Elle a rassemblé jusqu’à 300 000 grévistes contre la réforme du droit du travail. En Turquie, des dizaines de milliers d’ouvriers métallurgistes se sont mobilisés pendant des mois pour réclamer des augmentations de salaires alors que les prix explosent. En Belgique, c’est le secteur « non-marchand » qui part en grève et manifeste à Bruxelles le 31 janvier. En Espagne, au Royaume-Uni, en France, en Grèce… les grèves se multiplient dans de nombreux secteurs. La bourgeoisie entretient un black-out médiatique assourdissant autour de ces luttes, car elle est bien consciente du mécontentement croissant des travailleurs et du danger que représente de telles mobilisations.
Mais la rupture à laquelle nous assistons n’est pas uniquement liée à la massivité et à la simultanéité des mobilisations.
Le prolétariat recommence, en effet, de façon encore approximative et balbutiante, à se reconnaître comme une force sociale, à retrouver son identité. Malgré toutes les illusions et les confusions, on a pu voir s’exprimer partout, sur les pancartes et dans les discussions, le fait que « nous sommes des ouvriers ! », « nous sommes tous dans le même bateau ! ».… Il ne s’agit nullement de mots creux ! Car derrière ces paroles, la solidarité est bien réelle : solidarité entre les générations, d’abord, comme on a pu le voir très clairement en France alors que des retraités descendaient massivement dans la rue pour soutenir « les jeunes » ; entre les secteurs, ensuite, comme aux États-Unis avec les concerts de klaxons devant les usines en grève ou en Scandinavie pour la défense des ouvriers de Tesla.
Des expressions embryonnaires de solidarité internationale ont même surgi. Le Mobilier national en France s’est ainsi mis en grève par solidarité avec les travailleurs de la culture en lutte en Grande-Bretagne. Des raffineries en Belgique ont débrayé pour soutenir la mobilisation en France, pendant que de petites manifestations se multipliaient dans le monde pour dénoncer la répression féroce de l’État français. En Italie, alors que de nombreux secteurs se mobilisent depuis plusieurs mois, les conducteurs de bus, de tramways et de métros se sont mis en grève le 24 janvier : dans le sillage du mouvement contre la réforme des retraites en France, les ouvriers ont affirmé vouloir mener des mobilisations « comme en France », témoignant par là des liens que les ouvriers commencent à reconnaître par-delà les frontières et de la volonté de tirer les leçons des mouvements précédents.
Le prolétariat recommence aussi à s’approprier son expérience des luttes. En Grande-Bretagne, le dénommé « été de la colère » renvoyait explicitement aux importantes grèves de « l’hiver du mécontentement » en 1978-1979. Dans les manifestations en France, les références à Mai 68 et à la lutte contre le CPE en 2006 ont fleuri sur les pancartes en même temps qu’un début de réflexion sur ces mouvements. Et tout ceci alors que l’État impose des restrictions et continue de mener tout un battage pour justifier la guerre.
Bien sûr, nous sommes encore loin d’un retour massif et profond de la conscience de classe. Bien sûr, toutes ces expressions de solidarité et de réflexion sont pétries de confusions et d’illusions, facilement dévoyées par toutes les structures d’encadrement de la bourgeoisie que sont les syndicats et les partis de gauche. Mais les révolutionnaires qui regardent tout cela du balcon en se pinçant le nez (3) mesurent-ils l’inflexion qui est en train de se produire par rapport aux décennies précédentes, des décennies de silence, de résignation, de rejet de l’idée même de classe ouvrière et d’oubli de son expérience ?
Si ces luttes démontrent de façon éclatante que la classe ouvrière n’est pas vaincue et qu’elle demeure la seule force sociale en mesure d’affronter la bourgeoisie, son combat est loin d’être terminé. Pèsent encore sur elle des faiblesses et des illusions immenses que les mouvements en cours illustrent cruellement. Jusqu’à présent, les syndicats ont réussi à encadrer l’ensemble des luttes, à les maintenir dans un cadre très corporatiste, comme on peut le voir aujourd’hui en France ou en Allemagne, tout en privilégiant, quand cela a été nécessaire, un semblant d’unité et de radicalité à l’exemple du « Front commun » des syndicats canadiens ou du mouvement en Finlande.
Lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, beaucoup d’ouvriers, circonspects face aux sempiternelles journées de mobilisation syndicales, ont commencé à se poser des questions sur comment lutter, comment s’unir, comment faire reculer le gouvernement… mais nulle part la classe n’a pu disputer la direction des luttes aux syndicats à travers des assemblées générales souveraines, comme elle n’a pu rompre avec la logique corporatiste imposée par les syndicats.
La bourgeoisie déploie, par ailleurs, tout son arsenal idéologique pour dévoyer la conscience qui commence à mûrir dans la tête des ouvriers. Alors qu’elle garde le silence sur les grèves massives de la classe ouvrière, elle a bien entendu fait un tintamarre assourdissant autour du mouvement des agriculteurs. En Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Belgique, en Pologne, en Espagne… la bourgeoisie a une nouvelle fois pu compter sur ses partis de gauche pour vanter les mérites de méthodes de lutte aux antipodes de celles du prolétariat et expliquer que « le mouvement ouvrier doit profiter de la brèche ». (4) Alors que le prolétariat commence timidement à retrouver son identité de classe, la bourgeoisie exploite idéologiquement le combat des agriculteurs par une offensive médiatique visant à pourrir le processus de réflexion en cours et à masquer les nombreuses grèves ouvrières.
Elle ne ménage pas non plus ses efforts pour attacher la classe ouvrière au chariot de la démocratie bourgeoise. En Europe comme en Amérique, alors que la pourriture de son système engendre des aberrations politiques à l’image de Trump aux États-Unis, de Milei en Argentine, du Rassemblement national en France, de Alternative für Deutschland, de Fratelli d’Italia et consorts, la bourgeoisie, du moins ses fractions les moins pourries par la décomposition de la société, tout en cherchant à limiter l’influence des partis d’extrême droite, s’empresse d’instrumentaliser leurs succès contre la classe ouvrière. En Allemagne, particulièrement, où plus d’un million de personnes sont descendues dans les rues de différentes villes, à l’appel des partis de gauche et de droite, pour protester contre l’extrême droite. Il s’agit, là encore, d’entretenir les illusions démocratiques et d’empêcher le prolétariat de défendre son combat historique contre l’État bourgeois.
Une chose est sûre, cependant, c’est dans le feu des luttes, en cours et à venir, que la classe ouvrière trouvera peu à peu les armes politiques pour se défendre face aux pièges tendus par la bourgeoisie et trouvera la voie, à terme, vers la révolution communiste.
EG, 20 février 2024
1) « Révolution communiste ou destruction de l’humanité : la responsabilité cruciale des organisations révolutionnaires », Revue internationale n° 170 (2023).
2) « Après la rupture dans la lutte de classe, la nécessité de la politisation des luttes », Revue internationale n° 171 (2023).
3) « Les ambiguïtés de la TCI sur la signification historique de la vague de grèves au Royaume-Uni », Révolution internationale n° 497 (2023).
4) « Colère des agricultures : Un cri de désespoir instrumentalisé contre la conscience ouvrière ! », publié sur le site web du CCI (2024).
Bruno Le Maire nous avertit cyniquement : « le gouvernement n’est pas une pompe à fric ». Il nous rappelle que c’est bel et bien la fin « du quoi qu’il en coûte ». En réalité, les prolétaires n’ont jamais goûté de prétendues « largesses » et ne s’attendent pas aujourd’hui plus qu’hier à des « cadeaux de l’État ». Cela, alors qu’il plonge dans la misère une partie croissante de la population et particulièrement les ouvriers. Le nouveau plan d’attaque contre les chômeurs s’inscrit à la suite des différents plans d’austérité successifs, accentuant le flicage et la misère, notamment depuis la réforme du chômage de 2019 remaniée en pis en 2021. Ces précédentes attaques avaient déjà fortement durci les conditions d’accès à l’ouverture des droits : avoir travaillé 6 mois sur 24 au lieu de 4 sur 28 auparavant. Les résultats ont été rapidement visibles au niveau des statistiques : baisse de 17 % du nombre total d’inscrits, et notamment - 24 % pour les moins de 25 ans, - 25 % à la fin d’un CCD et même - 35 % à la fin d’un contrat d’intérim. Mais pour le gouvernement Attal, comme pour tous les politiciens et patrons bourgeois, les chiffres se substituent aux souffrances et aux vies broyées dont ils se fichent comme d’une guigne. Le traitement de choc ne sera jamais suffisant à leurs yeux pour pressurer les travailleurs. Le gouvernement Attal nous a donc promis lors d’un entretien au 20 h de TF1 le 27 mars « qu’ une vraie réforme globale de l’assurance chômage serait élaborée d’ici l’été pour qu’elle puisse entrer en vigueur à l’automne ». Entendons qu’il s’agit d’attaques plus sévères encore afin de réduire une nouvelle fois comme peau de chagrin l’indemnisation des chômeurs.
Rappelons que, depuis 2018, les règles en matière de droits au chômage ont été changées pour passer à un système géré directement par le ministère du travail. Sans accord des « partenaires sociaux », le texte est exclusivement géré par le gouvernement afin de durcir plus rapidement et drastiquement la situation des chômeurs. C’est habile : les syndicats refusent de signer un projet immonde et passent la main au gouvernement. De fait, l’État nous refait la même duperie que pour la réforme des retraites avec un subtil partage du travail permettant, en partie, de dédouaner les syndicats qui peuvent ainsi mieux assumer leur fonction, occuper le terrain social comme opposants au projet alors qu’ils en sont les promoteurs cachés, encadrant et stérilisant par avance toute forme de contestation sociale sur le sujet. Une démarche et un dispositif qui sont révélateurs de l’ampleur de l’attaque brutale portée contre les chômeurs.
Face à la crise économique, à l’endettement massif et à l’inflation, la hausse du chômage ne pouvait qu’obliger le gouvernement à forcer les prolétaires sans emploi à accepter des conditions de travail totalement indignes. Il est clair que les énormes dépenses militaires engagées pour moderniser l’armement (413,3 milliards d’euros d’ici à 2030) le seront aux dépens de toute la société : que ce soit la santé, l’éducation, les travailleurs et surtout ceux que les bourgeois taxent de « bouches inutiles » : les retraités et naturellement les chômeurs.
Paradoxalement, il existe bien une pénurie de main d’œuvre dans bon nombre de secteurs, en particulier pour les travaux pénibles, dangereux et très mal rémunérés. L’objectif du gouvernement est de poursuivre la politique d’attaques engagées bien avant, depuis l’ère Sarkozy et Hollande, pour littéralement affamer les chômeurs afin de les contraindre à accepter avec servilité n’importe quel poste. Comme nous l’évoquions déjà il y a plus d’une quinzaine d’années, « le chômeur n’a pas de véritable choix : ou il accepte des travaux pénibles, peu rémunérés et il sombre davantage dans la précarité ; ou alors il refuse ces mêmes travaux proposés et il plonge sans aucune ressource dans l’exclusion totale. Cette pression terrifiante permet de mettre en concurrence sauvage les chômeurs afin de faire baisser partout les salaires bloqués depuis des années et rognés de toutes parts maintenant par le retour de l’inflation ».
Depuis le 1er janvier 2024, la sinistre machine étatique (Pôle emploi) contre les chômeurs est devenue une arme de guerre plus offensive, rebaptisée pour cela « France Travail » ! Tout un symbole. Désormais, la politique du chiffre déjà institutionnalisée depuis des décennies s’accompagne d’un durcissement des sanctions, avec la suppression pure et simple de l’allocation prévue dès le premier manquement à une obligation (excepté théoriquement pour le cas d’un rendez-vous manqué) au lieu de sa seule suspension.
Ajoutons à cette panoplie d’attaques la grande réforme complémentaire en direction des vieux travailleurs mise en chantier depuis des années qui doit permettre à ces derniers de travailler et d’être exploités jusqu’à la moelle avant la retraite : « le contrat de valorisation de l’expérience » ou « le nouveau pacte de la vie au travail », qui n’est autre qu’une funeste mise au pas au service d’une exploitation accrue.
Les attaques permanentes et violentes contre les chômeurs annoncent les autres attaques plus brutales contre toute la classe ouvrière. Les chômeurs sont des travailleurs comme les autres et appartiennent à la classe ouvrière à ce détail près qu’ils sont plus isolés que leurs compagnons de galère au travail. C’est donc toute la classe ouvrière qui doit se battre de manière solidaire en refusant les mesures favorisant l’indigence, l’asservissement et l’exploitation.
R, 17 avril 2024
L’inscription de « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » dans la Constitution a fait grand bruit dans les médias. Dans un contexte de crise politique, d’attaques réduisant tous les budgets sociaux et d’une crise économique rognant fortement les revenus, Macron et son gouvernement tentent à nouveau de polariser l’attention en cherchant à donner l’illusion d’un possible progrès dans la société capitaliste pourrissante. Cette prétendue liberté n’est pas, loin de là, une garantie, la loi n’étant d’ailleurs nullement contraignante en la matière. En réalité, ce nouveau « droit » offert par l’État français ne change absolument rien à la condition des femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse. Il n’y a là qu’une opération d’enfumage destinée à enfoncer dans les crânes de la classe ouvrière que l’État est le garant des « libertés individuelles » et qu’il est capable d’améliorer le sort des exploités.
Cette campagne idéologique est aussi une tentative pour Macron de contrer la montée du RN tout en obtenant les bonnes grâces de l’électorat de gauche et du centre. Toute cette campagne autour de la Constitution française n’est donc qu’une pure fumisterie, largement teintée de cynisme, qui plus est. Les casseroles de certains ministres et députés accusés d’agressions sexuelles, tout comme la façon dont Macron a réagi quand ont éclaté les scandales et les propos ignobles de l’acteur Depardieu, suffisent à mesurer les hautes préoccupations de l’Exécutif envers les femmes…
Derrière tout le rideau de fumée médiatique et les gesticulations du gouvernement, la réalité reste celle d’une inévitable continuité de l’oppression de la femme qui relève fondamentalement de l’oppression du capital. Des « libertés », le capitalisme en offre à qui en veut ! Mais la liberté dans le capitalisme, c’est d’abord celle de répondre aux besoins du capital et de l’exploitation des travailleurs. Quelles sont les conditions de travail des ouvrières ? Dans les hôpitaux exsangues et en sous-effectifs ? Dans des écoles manquant de moyens ? Dans les usines aux cadences infernales ?
La démarche des révolutionnaires en Russie était bien différente lorsqu’ils furent les premiers à légaliser l’avortement en 1920. Après la Première Guerre mondiale, alors que la main d’œuvre manquait cruellement, aucune bourgeoisie au monde ne voulait entendre parler d’avortement. Aujourd’hui, là ou le prolétariat est le plus concentré et expérimenté, c’est l’inverse ! Dans un contexte où le prolétariat international reprend le chemin de la lutte et exprime de nouveau sa combativité, la bourgeoisie cherche à tout prix à empêcher la possibilité d’une lutte autonome et solidaire. En cela, les luttes parcellaires, comme celle du féminisme, sont un moyen de canaliser la colère et de diviser le prolétariat en cherchant à le détourner de son véritable combat de classe.
Les partis de gauche ne sont pas en reste pour en rajouter une couche, que ce soit Lutte Ouvrière appelant à combattre pour obtenir des moyens en faveur de l’IVG ou le NPA qui crie victoire en s’octroyant la réussite d’un combat pour le droit des femmes. Ce faisant, ils participent à enfermer les prolétaires dans ces combats parcellaires et inoffensifs pour le capital. La condition des femmes est indigne oui, mais comme l’écrivait Bebel en 1879 : « Quelle place doit prendre la femme dans notre organisme social afin de devenir dans la société humaine un membre complet, ayant les droits de tous, pouvant donner l’entière mesure de son activité, ayant la faculté de développer pleinement et dans toutes les directions ses forces et ses aptitudes ? C’est là une question qui se confond avec celle de savoir quelle forme, quelle organisation essentielle devra recevoir la société humaine pour substituer à l’oppression, à l’exploitation, au besoin et à la misère sous leurs milliers de formes, une humanité libre, une société en pleine santé tant au point de vue physique qu’au point de vue social. Ce que l’on nomme la question des femmes ne constitue donc qu’un côté de la question sociale générale ».
Une société qui repose sur la concurrence de tous contre tous dans la recherche de toujours plus de profit ne laisse qu’une seule liberté, celle de servir le capital ou de mourir. Pour le capital, une femme enceinte, quand elle appartient à la classe ouvrière, ne sert qu’à produire de la chair à usine ou de la chair à canon. L’enfant à naître devra au cours de sa vie être l’un ou l’autre. Aujourd’hui Macron se désespère de voir la natalité chuter en France mais faut-il s’en étonner ? Avoir un enfant n’est pas non plus une liberté quand, pour l’élever, il faudra lui garantir un toit, à manger, une éducation, des soins, une présence, de l’affection, un avenir… tout ce que la société capitaliste n’est plus en mesure d’offrir, bien au contraire.
Les libertés du capitalisme sont un leurre. Pour se libérer des chaînes du capital, et libérer l’humanité aujourd’hui menacée par l’irrationalité capitaliste, il appartient à la classe ouvrière de se lever et lutter pour scier les barreaux derrière lesquels le capital l’enferme.
GD, 15 mars 2024
Depuis le déchaînement barbare du conflit en Ukraine et son pourrissement dans une terrible guerre de position, les massacres en Israël et à Gaza, et les menaces d’embrasement au Moyen-Orient à travers un conflit direct entre Israël et l’Iran, les tensions autour de Taïwan, les incontrôlables appétits des nations conduisent les politiciens bourgeois à faire mine de « découvrir » que le vieux monde capitaliste est un sinistre panier de crabes. Au début du conflit en Ukraine, les discours cherchaient aussitôt à nous convaincre qu’il fallait rompre avec « l’angélisme » et accepter de se préparer à la « guerre de haute intensité » : faire des sacrifices pour alimenter de nouveaux meurtres de masse et planifier des destructions ! Bien sûr, au nom de la « paix » et de la « défense de la démocratie »…
Dans un contexte d’accélération des tensions impérialistes où le chacun pour soi est la règle, les bourgeoisies occidentales, en Europe comme aux États-Unis, redoublent d’efforts pour propager dans les médias les pires campagnes bellicistes. Ainsi, de manière totalement cavalière, le Président Macron s’est trouvé en pointe, soutenu par les chefs d’État de sept pays en Europe, pour affirmer qu’envisager l’envoi de soldats occidentaux en Ukraine « ne doit pas être exclu ». En Grande-Bretagne, le Général Patrick Sanders préconise de « doubler les effectifs de l’armée britannique » et appelle à préparer les citoyens ordinaires à une « mobilisation civique ». Il a été rejoint par le chef du comité militaire de l’OTAN, l’amiral Rob Bauer, qui a déclaré dans un discours : « La responsabilité de la liberté ne repose pas uniquement sur les épaules de ceux qui portent l’uniforme. […] Nous avons besoin que les acteurs publics et privés changent de mentalité par rapport à une époque où tout était planifiable, prévisible, contrôlable, axé sur l’efficacité… à une époque où tout peut arriver à tout moment ». En clair, ils souhaitent pouvoir mobiliser la population pour « l’effort de guerre » et préparer des troupes au combat.
Si de tels propos se multiplient et font polémique, ils sont aussitôt contredits du fait même des divisions et des tensions entre les différentes fractions bourgeoises. Mais toutes s’accordent cependant sur une chose : nous pousser à soutenir un camp parmi les belligérants dans la guerre, en l’occurrence celui de l’Ukraine. Tous les discours affirment de manière unanime que « l’Ukraine se bat pour nous » et « qu’en cas de défaite l’armée russe sera à nos portes ». C’est d’ailleurs dans ce contexte que l’anniversaire des soixante-quinze ans de l’OTAN a pris un relief particulier, fêté en grandes pompes tout en soulignant que l’enlisement de Poutine ne le rendait pas moins dangereux. Et si le secrétaire général Jens Stoltenberg a bien précisé qu’il n’était « pas prévu d’envoyer des troupes de l’OTAN sur le terrain ukrainien », il a tenu à préciser que « les alliés de l’OTAN apportent un soutien sans précédent à l’Ukraine ».
Il s’agit bel et bien de préparer les esprits à accepter le principe de la guerre et ses sacrifices. Ceci est d’autant plus important que, comme le soulignait Rosa Luxemburg au moment du premier conflit mondial, « la guerre est un meurtre méthodique, organisé, gigantesque. En vue d’un meurtre systématique, chez des hommes normalement constitués, il faut […] produire une ivresse appropriée. C’est depuis toujours la méthode habituelle des belligérants. La bestialité des pensées et des sentiments doit correspondre à la bestialité de la pratique, elle doit la préparer et l’accompagner ». (1)
Naturellement, dans cette optique, tous les discours bellicistes aujourd’hui ont d’abord pour objectif premier de justifier partout la hausse vertigineuse des budgets militaires. À cet égard, les augmentations impressionnantes des dépenses d’armement dans les pays scandinaves (par exemple de 20 % en Norvège) et dans les pays baltes sont hautement symboliques de cette nouvelle course frénétique aux armements. En fait, tous les pays en Europe font de gros efforts. On le voit, par exemple, avec la Pologne qui vise une part record de 4 % de son PIB (le plus fort taux au sein de l’OTAN), avec l’Allemagne qui, avec le budget de cette année (68 milliards d’euros), atteindra 2,1 % de son PIB pour la première fois depuis plus de trente ans, ou avec la France qui prévoit de dépenser la coquette somme de 413,3 milliards d’euros sur sept ans.
Aujourd’hui, l’implication et les efforts à fournir en dépenses d’armement prennent une qualité nouvelle. Pourtant, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la « paix » n’a été en réalité qu’une mystification tant les cadavres se sont accumulés. Après l’effondrement du bloc de l’Est, le nouveau « monde multipolaire » n’a fait qu’engendrer un chaos impliquant de manière croissante les armées des grandes puissances impérialistes dans des conflits coûteux, au premier rang desquels celle des États-Unis. Mais les sommes gigantesques programmées aujourd’hui le sont cette fois dans un contexte d’accélération de la décomposition et d’approfondissement dramatique de la crise économique qui a suivi le choc brutal occasionné par l’épidémie de Covid.
La situation actuelle est marquée par une stagnation de la croissance industrielle, voire par des signes de récession, alors que les dettes ne font que se creuser et que l’inflation rogne toujours les salaires. C’est dans ce contexte fortement dégradé que la bourgeoisie se doit d’attaquer encore davantage les ouvriers afin de renforcer de manière consistante ses moyens militaires. En clair, la bourgeoisie n’a pas d’autre choix, du fait de la spirale dans laquelle l’entraîne la faillite de son système, le capitalisme, que de planifier froidement des attaques en vue de préparer la guerre, d’imposer l’austérité pour nous entraîner davantage dans sa logique de destruction.
Une telle folie et les nouvelles attaques économiques qu’elle induit ne peuvent que favoriser les conditions pour une poursuite de la lutte de classe. En réalité, les campagnes idéologiques sur la guerre révèlent de manière paradoxale que la bourgeoisie marche sur des œufs pour tenter d’imposer l’austérité. Toutes ses inquiétudes sont d’ailleurs confirmées par la reprise des luttes ouvrières au niveau international, particulièrement en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord. De telles résistances, malgré leurs grandes faiblesses, témoignent du fait que la classe ouvrière de ces pays n’est pas prête à « mourir pour la patrie ».
WH, 10 avril 2024
1) Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie (1915).
Mi-janvier, la bourgeoisie allemande a lancé une intelligente campagne visant à soutenir la démocratie. Cette campagne a montré tout le caractère sournois de la bourgeoisie allemande et comment elle essaie d’exploiter particulièrement contre la classe ouvrière les répugnants effets de la décadence de son système, et ce avec un certain succès.
En novembre 2023, diverses fractions de l’AfD, des extrémistes de droite, des membres de la CDU qui en faisaient toujours partie à ce moment-là, se sont réunis « en secret » à Potsdam pour discuter de mesures radicales à prendre contre les étrangers et tous les immigrés. Dans leurs plans complètement irrationnels, sur fond de haine et de nationalisme et dont les conséquences s’opposent souvent aux intérêts du capital allemand, ils envisageaient apparemment des déportations massives de millions de personnes. La réunion a été suivie par des journalistes de Correctiv (et probablement aussi par l’Office fédéral de protection de la constitution). L’événement a été rendu public à la mi-janvier, et peu de temps après a été lancée la plus grande mobilisation d’État contre la droite et en particulier contre l’AfD pour la « défense de la démocratie » (entre autres slogans) depuis des années.
Tout cela intervient juste au moment où les partis bourgeois ont mené un intense lobbying contre le « trop-plein de réfugiés » et en faveur d’« expulsions massives », et après que, « enfin », des « mesures coercitives » plus générales (la « réforme du droit d’asile ») ont été décidées au niveau européen, c’est-à-dire des déportations, etc., menées non par des groupes de droite fanatisés, haineux et xénophobes, mais sanctifiées démocratiquement, prises en main par l’État lui-même et avec des mesures policières appropriées. Les politiciens de la CDU, à l’instar du gouvernement anglais (dirigé par les Conservateurs), souhaitent eux aussi expulser les clandestins vers le Rwanda.
Il serait naïf de croire que cette rencontre n’était qu’une aubaine pour la classe dirigeante. Il est trop évident que de telles rencontres et les fantasmes de déportation de la droite et de l’AfD font le jeu de l’État, car l’une des plus grandes campagnes a maintenant eu lieu (sous l’impulsion des plus hautes instances) soi-disant pour la protection des personnes concernées et surtout pour la défense de la démocratie.
Il s’agit de détourner l’attention de la politique menée depuis des années par la Forteresse Europe et qui chaque année fait d’innombrables victimes qui laissent la vie dans leurs tentatives désespérées de rejoindre l’Europe, ou une fois arrivées se retrouvent dans des camps de réfugiés ou n’importe où dans la rue. Mais il ne s’agit pas seulement de l’hypocrisie de ceux qui sont au pouvoir, lesquels veulent dissimuler la violence quotidienne et bien plus large de leurs propres mesures en mettant en lumière les projets de déportation de la droite. En réalité, les dirigeants endossent là toute une démarche politique. À la demande des plus hauts niveaux du gouvernement, à travers les syndicats et toutes les initiatives de la « société civile », des centaines de milliers de personnes se rassemblent désormais, principalement le week-end, dans presque toutes les villes pour protester contre la droite et défendre la démocratie. L’État et les forces qui travaillent pour lui n’auraient pas pu rêver mieux pour rallier la population à eux. Le piège de la démocratie était désormais tendu !
La classe dirigeante, partout dans le monde, a effectivement un énorme problème avec la perte de crédibilité de tous ses partis parlementaires et l’abstention croissante aux élections. De plus en plus de personnes doutent des promesses et des engagements des dirigeants et sont profondément préoccupées par l’avenir de la planète et la spirale destructrice déclenchée par le capitalisme, avec toutes les guerres et l’aggravation de la crise économique. Mais comme en même temps elles ne voient pas de solution, beaucoup ont été poussées dans les bras des partis protestataires. En outre, le nombre de membres des partis établis diminue et il y a de plus en plus de petits « groupes dissidents », tant à droite qu’à gauche.
Comme dans nombre d’autres pays, cette éclosion massive de partis populistes et de droite pose un gros problème aux partis bourgeois traditionnels, car elle mine la stabilité des gouvernements et la cohésion de la société. Mais la classe dominante ne serait pas la classe dirigeante si elle ne tentait pas d’exploiter à son profit cette décomposition des fondements de la société capitaliste.
D’où le stratagème visant à exploiter les aspirations réelles des populistes et de la droite (y compris l’envie de mener des pogroms) à travers une campagne visant à défendre la démocratie et à entraîner la population derrière le char de l’État. Ledit État vient tout juste d’appeler la population à s’unir derrière lui pour en renforcer tous les aspects militaristes. C’est pourquoi cet appel à la défense de la démocratie est aussi un leurre pour lier la population à l’État.
Dans le même temps, on a vu ces dernières semaines d’importantes manifestations d’agriculteurs, de transporteurs routiers et d’artisans contre les réductions de subventions que l’État a entreprises, ainsi que des protestations contre la vague de plans d’austérité que le gouvernement a dû adopter en partie à cause de la guerre en Ukraine. Ces manifestations, menées par des agriculteurs et d’autres travailleurs indépendants, sont une conséquence de l’aggravation mondiale de la crise économique et de la guerre. Mais à cause des blocages de la circulation, ces manifestations attirent beaucoup l’attention ou sont mises en lumière sans pour autant gêner la classe dominante. On voit colportée l’idée que les blocus isolés et radicaux constitueraient un moyen central de résistance. Mais de tels barrages routiers n’offrent en tant que tels aucune perspective d’unité contre l’État et sa politique de guerre.
Si derrière ces manifestations se profile réellement la colère de tous ceux qui sont touchés par la dégradation de leur condition suite aux effets de la crise, elles servent en même temps d’écran de fumée à une confusion idéologique. Elles ne sont pas l’expression de la contradiction entre les deux principales classes du capitalisme, la bourgeoisie et le prolétariat, mais expriment plutôt la peur et la colère de couches intermédiaires, de travailleurs indépendants et de dirigeants d’entreprises agricoles, qui n’expriment aucune perspective en-dehors et contre l’exploitation capitaliste. Ce n’est pas un hasard si la première attaque frontale, à savoir les attaques sociales baptisées « austérité », a été dirigée contre ces couches intermédiaires. Ces manifestations de colère sans perspective sont instrumentalisées pour contenir les luttes de la classe ouvrière sur un faux terrain, essayer de les mener dans le piège des luttes interclassistes.
Un autre objectif important de l’État, dans l’organisation de la campagne pour la défense de la démocratie et l’alliance la plus large possible autour de lui, est d’affaiblir la combativité croissante de la classe ouvrière par le biais de l’anesthésiant qu’est la démocratie.
À l’automne dernier, les syndicats et notamment Ver.di, le syndicat des services publics où l’État est l’employeur, ont dû mener plusieurs grèves d’avertissement afin de canaliser la pression des salariés. Du fait de l’inflation, encore exacerbée par la guerre et la détérioration des conditions de travail au fil des années (intensification du travail, suppression d’effectifs, etc.), Ver.di a été contraint de revendiquer des hausses de salaires, en particulier pour les plus basses tranches. Toutes ces négociations salariales se sont finalement conclues à l’automne 2023, avant que le syndicat des conducteurs de trains GdL ne présente cet hiver ses revendications. Bien entendu, le GdL a attendu que son concurrent le syndicat EVG, ainsi que les autres travailleurs des transports, aient leurs conventions collectives en poche.
Après que la grève des conducteurs de train du 24 au 29 janvier ait été annoncée puis terminée le 28 janvier, c’était au tour des travailleurs de la santé le mardi 30 janvier, puis des travailleurs des aéroports le jeudi 1er février et ceux des ÖPVN (travailleurs des transports en commun urbains) le vendredi 2 janvier d’être appelés à mener une grève d’avertissement et des manifestations dans de nombreuses villes. Tous ces mouvements ont été strictement séparés les uns des autres, afin que personne n’ait l’idée qu’il existe des intérêts communs entre les salariés et qu’il n’y ait aucun sentiment de solidarité, ni même de nécessité et de possibilité de se rassembler pour lutter ensemble.
Dans le même temps, on a privé de toute possibilité de manifestation de grande ampleur les salariés qui auraient bien sûr été contrôlés et encadrés par les syndicats, mais dont au moins les revendications auraient été portées contre leur employeur à tous (souvent l’État). Cela signifie qu’en une semaine, on a vu dans pratiquement tous les Länder une résistance et des manifestations ouvrières contre la dégradation de leur condition, mais divisées et séparées les unes des autres ! Les syndicats ont ainsi réussi à maintenir la division grâce à leur calendrier de grèves d’avertissement bien isolées.
Dans ce contexte, depuis janvier, le tambour n’a cessé de battre le rassemblement des citoyens, des personnes assez courageuses pour défendre la démocratie, etc. Même s’il n’y a pas actuellement de risque d’explosion de la lutte de classe, les manifestations organisées par l’État pour défendre la démocratie ont d’abord et avant tout servi à masquer le fossé de classe entre les intérêts de la classe ouvrière et ceux de l’État, lequel protège les intérêts du Capital.
Alors que la classe dominante cherche à instrumentaliser la décomposition de sa propre société contre la classe ouvrière et à créer une unité nationale derrière l'État par des campagnes sophistiquées pour défendre la démocratie, la classe ouvrière ne doit pas se laisser duper par ces campagnes idéologiques. Un véritable combat de classe ne peut se déployer qu’en se débarrassant des entraves syndicales et en comprenant que les intérêts entre Capital et Travail sont opposés, que ce système nous mène dans une impasse.
Wg, 5 février 2024
Les violences organisées qui secouent le Moyen-Orient ont suscité une profonde indignation dans le monde entier. Tout d’abord en raison de l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre, qui a fait 1 200 morts et 2 700 blessés parmi la population israélienne, et ensuite à cause du massacre incessant et massif de la population vivant dans la bande de Gaza, perpétré par les forces de défense israéliennes (FDI). Les organisations révolutionnaires ont le devoir de dénoncer cette barbarie impérialiste comme elles l’ont fait tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier, et ce depuis le manifeste « aux ouvriers de toutes les nations » des membres parisiens de l’Internationale : « La guerre pour une question de prépondérance ou de dynastie ne peut être, aux yeux des travailleurs, qu’une criminelle folie ». (1)
Ainsi, au regard de cette responsabilité, des groupes comme la Tendance communiste internationaliste (TCI) Internationalist voice ou Internationalist communist perspective (Corée) ont répondu à ce devoir fondamental en défendant dans leurs articles une position internationaliste claire sur la guerre au Moyen-Orient.
– « La classe ouvrière doit refuser d’être enrôlée dans les guerres de la classe dominante et lutter contre les exploiteurs des deux pays. Il n’y a qu’une seule voie pour la classe ouvrière israélienne et palestinienne […] : la lutte au-delà des nations et des frontières pour les intérêts communs de la classe ouvrière. Seule une lutte de classe internationale pour renverser le système capitaliste peut mettre fin au carnage et aux guerres ». (2)
– « Seule la lutte de classe des travailleurs peut offrir une alternative à la brutalité du capitalisme, car le prolétariat n’a pas de patrie à défendre, son combat doit franchir les frontières nationales et se développer à l’échelle internationale ». (3)
– « Toutes les bourgeoisies sont également les ennemis mortels du prolétariat, qui ne doit pas verser la moindre goutte de sang pour ses exploiteurs et pour ses objectifs nationaux-impérialistes. […] L’indication fondamentale de l’unité de classe de tous les secteurs du prolétariat (contre la bourgeoisie, ses États, ses alignements impérialistes) indépendamment de l’origine “nationale”, aura encore plus de valeur, si jamais cela était possible ». (4)
Dans le cas des différents groupes bordiguistes, la situation est plus nuancée. En tant que composants du milieu révolutionnaire, leur position est fondamentalement internationaliste dans la mesure où ils dénoncent le massacre impérialiste et rejettent tout soutien à l’un ou l’autre des camps opposés. Cependant, malgré les grands discours sur leur engagement internationaliste, leur défense concrète de l’internationalisme n’est pas sans équivoque. En soutenant pour les uns la lutte contre « l’oppression nationale » des prolétaires et des masses palestiniennes, pour les autres l’idée que ces massacres vont générer un développement des luttes ouvrières dans la région et dans le monde, ces groupes révèlent de dangereuses ambiguïtés sur la manière de promouvoir et de défendre l’internationalisme prolétarien dans la période actuelle de décomposition du capitalisme.
Le Parti communiste international (PCI – Le Prolétaire), derrière sa déclaration de solidarité vis-à-vis des prolétaires palestiniens, appelle en réalité à lutter contre l’oppression nationale des Palestiniens : « Palestine : un prolétariat et un peuple condamnés à être massacrés. Israël : un État né de l’oppression du peuple palestinien et un prolétariat juif prisonnier des avantages immédiats et complice de cette oppression ». (5) Ainsi, alors que les révolutionnaires internationalistes devraient dénoncer la spirale des affrontements impérialistes entre bourgeoisies dans laquelle sont entraînées les différentes fractions du prolétariat du Moyen-Orient, promouvoir auprès des ouvriers le rejet de tout mouvement de « libération nationale » car « les prolétaires n’ont pas de patrie », Le Prolétaire appelle, tout d’abord, à une lutte pour mettre fin à « l’oppression par Israël des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie », ce qui exclut, par la suite, toute solidarité avec la classe ouvrière d’Israël qui est « prisonnière des avantages immédiats et complice de cette oppression ».
Un autre groupe, le PCI (Il partito comunista), semble défendre des positions internationalistes convaincantes lorsqu’il écrit : « Nous devons appeler les prolétaires palestiniens et israéliens à ne pas se laisser berner par leur bourgeoisie […], à ne pas s’immoler comme chair à canon dans des guerres contraires à leurs intérêts ». Mais dans la phrase suivante, il ajoute : « Nous devons appeler les prolétaires Juifs israéliens à saboter l’effort de guerre de leur bourgeoisie impérialiste et génocidaire et à lutter contre leur bourgeoisie et contre l’oppression nationale de leurs frères de classe palestiniens ». (6) Il n’appelle donc pas ici à la solidarité internationale de tous les prolétaires contre la guerre impérialiste, mais exhorte les prolétaires israéliens à soutenir la lutte des travailleurs palestiniens contre cette oppression nationale.
Enfin, le PCI (Cahiers internationalistes) constate l’épuisement des mouvements « révolutionnaires nationaux » anticoloniaux et avance ainsi la perspective que « dans cette situation terrible, le prolétariat moyen-oriental pourra trouver la force d’échapper aux rets de l’opportunisme qui l’emprisonnent. Nous souhaitons que, comme dans les grandes batailles du passé, il sache aligner les meilleurs combattants de sa cause, qu’il sache faire de la défaite hélas inévitable d’aujourd’hui le point de départ d’un avenir riche en victoires ». (7) En d’autres termes, ils propagent la perspective fallacieuse selon laquelle le prolétariat au Moyen-Orient, seul, mobilisé comme il l’est derrière des mystifications religieuses et nationalistes et écrasé par les massacres impérialistes, pourra tirer les leçons de ces défaites et être à la base de la résurgence des luttes qui renouent « avec les grandes batailles du passé » (on se demande lesquelles… peut-être les soi-disant « mouvements nationaux-révolutionnaires » des années 1960 et 1970 où la classe ouvrière du Moyen-Orient était mobilisée derrière diverses factions bourgeoises nationales ?).
Même si ces organisations ne soutiennent pas ouvertement un camp impérialiste (ni la bourgeoisie palestinienne de Cisjordanie, ni celle de la bande de Gaza), elles laissent la porte ouverte à un soutien à la lutte des « masses » et du « peuple » palestiniens contre leur « oppression nationale », ce qui ne peut qu’exacerber le fossé entre la classe ouvrière d’Israël et celle des pays arabes… Ces dérives vers des perspectives dites « nationales-révolutionnaires » constituent une menace pour le positionnement internationaliste de ces organisations.
L’internationalisme prolétarien est une frontière de classe qui, face à la guerre impérialiste, sépare la classe ouvrière de la bourgeoisie. C’est un principe que nous devons défendre bec et ongles à chaque instant : dans nos interventions dans les luttes ouvrières, dans nos réunions publiques, dans nos rapports et dans notre presse. En ce sens, nous faisons nôtres les paroles de Lénine selon lesquelles « Il n’est qu’un, et un seul internationalisme véritable : il consiste à travailler avec abnégation au développement du mouvement révolutionnaire et de la lutte révolutionnaire dans son propre pays, à soutenir (par la propagande, la sympathie, une aide matérielle) cette même lutte, cette même ligne, et elle seule, dans tous les pays sans exception. Tout le reste n’est que mensonge et optimisme béat ». (8) Les bolcheviks ont souvent fait cavalier seul dans leur critique des positions opportunistes sur la question de la guerre, mais il s’agissait là d’une partie indispensable de leur travail de construction du parti mondial. Ce combat théorique était et reste essentiel pour approfondir toutes les conséquences d’une position internationaliste et pour distinguer les révolutionnaires des ennemis de la classe ouvrière, en particulier des social-chauvins.
Dans la période de décadence du capitalisme, période où les rapports de production établis par le mode de production capitaliste se sont transformés en un obstacle de plus en plus grand au développement des forces productives, la bourgeoisie n’a plus de rôle progressiste à jouer dans le développement de la société. Aujourd’hui, la création d’une nouvelle nation, la constitution juridique d’un nouveau pays, ne permet aucune avancée réelle dans le cadre d’un développement que les pays les plus anciens et les plus puissants sont eux-mêmes incapables d’assumer. Dans un monde dominé par les affrontements impérialistes, toute lutte de « libération nationale », loin de constituer une dynamique progressiste, ne constitue en réalité qu’un épisode d’affrontements impérialistes auxquels les prolétaires et les paysans enrôlés, de gré ou de force, ne participent que comme chair à canon.
Les mouvements de « libération nationale », qui ont marqué les années 1960 et 1970 en particulier, ont clairement démontré que le remplacement des colonisateurs par une bourgeoisie nationale ne représentait en rien un progrès pour le prolétariat, mais l’entraînait au contraire dans d’innombrables conflits d’intérêts impérialistes, dans lesquels ouvriers et paysans étaient massacrés. Mais le cadre théorique obsolète des groupes bordiguistes les empêche de comprendre les enjeux réels auxquels le prolétariat international, et ses éléments en Israël/Palestine, est confronté dans le brasier impérialiste de Gaza.
Le Prolétaire continue d’analyser la question palestinienne dans le cadre de « l’esprit et la poussée “nationale-révolutionnaire” indépendantiste qui caractérisaient les luttes contre l’oppression nationale en Algérie, au Congo et, plus tard, en Angola et au Mozambique et qui avaient longtemps caractérisé la révolte spontanée du prolétariat palestinien ». (9) Le drame et le défi du « mouvement de libération » palestinien est, pour Le Prolétaire que « le gigantesque potentiel de classe représenté par le prolétariat et les masses prolétarisées palestiniennes, tout en se manifestant à travers leur lutte armée et indomptable en Palestine, au Liban, en Syrie et en Jordanie, n’exprimait pas un programme politique autonome, de classe, capable de guider le mouvement national ». Ainsi, ce groupe appelle toujours à un « mouvement de libération » palestinien, alors que les révolutionnaires doivent au contraire défendre la position qu’aujourd’hui tous les États, toutes les bourgeoisies sont impérialistes et que les prolétaires ne doivent en aucun cas soutenir les mouvements contre l’oppression nationale.
Il partito comunista partage fondamentalement le même cadre, puisqu’il formule la critique selon laquelle cette guerre n’est pas une véritable « lutte de libération nationale » menée par les Palestiniens, parce qu’une telle lutte « n’aurait pas exposé avec un tel cynisme la population de Gaza à l’épouvantable vengeance d’Israël ». (10) Alors que les révolutionnaires doivent appeler au rejet de tout soutien à des objectifs nationalistes, ce groupe insiste pour gagner le soutien de la classe ouvrière israélienne à la lutte contre l’oppression nationale et regrette cyniquement que le massacre perpétré par le Hamas l’ait rendu impossible : « En outre, la lutte contre l’odieuse oppression nationale imposée aux Palestiniens aurait pu gagner le soutien même des Israéliens, principalement de la classe ouvrière, si elle n’avait pas été placée sur le plan du massacre de civils, conformément au programme délibéré de tuer les Juifs où qu’ils se trouvent, mis en œuvre par l’obscurantiste Hamas ».
Pour sa part, Cahiers internationalistes fait le constat de l’épuisement des mouvements anticoloniaux depuis le milieu des années 1970 et souligne que « les “questions nationales” non résolues au milieu des années 70, c’est-à-dire au moment où les potentialités des mouvements anti-coloniaux se sont transformées en gangrènes contre-révolutionnaires ». (11) Cependant, en raison de l’impossibilité de mouvements révolutionnaires nationaux contemporains, ce groupe affirme que ce contexte de destruction impérialiste totale et de chaos barbare constitue un terrain fertile pour le développement d’un vaste mouvement prolétarien : « Ce qui alarmera le plus les gouvernements, si le bain de sang continue, ce seront les témoignages massifs de solidarité en provenance des capitales arabes […] et des nombreuses métropoles capitalistes (où réside depuis des années le prolétariat arabe immigré, en particulier palestinien) ».
Certes, la bourgeoisie locale, en alliance avec les divers chefs religieux et nationalistes, exploitera les divisions religieuses et nationalistes « pour éviter la contagion de classe. Les gouvernements bourgeois feront tout pour rompre le lien instinctif avec les lointains prolétaires massacrés par des forces aussi puissantes : ce lien a aussi un rôle matériel à jouer dans la lutte, alors que la tempête de “plomb fondu” s’abat sur les habitations et sur les corps ». En bref, comme le titre de leur article le suggère déjà, leur perspective est que la réaction prolétarienne partira des bains de sang des confrontations impérialistes et des parties mêmes du prolétariat mondial qui sont piégées dans les « gangrènes contre-révolutionnaires » de la libération nationale et massacrées par les différents impérialismes au Moyen-Orient. Mais contrairement à ce qui s’est passé lors de la Première guerre mondiale, dans la période actuelle de décomposition du capitalisme, c’est l’extension de la lutte du prolétariat mondial contre les attaques provoquées par la crise économique et l’expansion du militarisme qui offrira une perspective aux prolétaires du Moyen-Orient.
En aucun cas, depuis la Première guerre mondiale, une lutte « nationale-révolutionnaire » n’a constitué une perspective pour la lutte révolutionnaire du prolétariat susceptible de former le point de départ d’une véritable réaction prolétarienne. Le cadre obsolète de ces groupes bordiguistes les empêche de comprendre les enjeux actuels au Moyen-Orient et les conduit à développer des positions ambiguës, ouvrant la porte à des dérives opportunistes.
La guerre à Gaza n’est pas, comme l’affirme Cahiers internationalistes, « la énième vague de massacres », supposément suivie d’une nouvelle période de stabilité et de paix. Au contraire, cette guerre représente une nouvelle étape significative dans l’accélération du chaos dans la région et même au-delà. « L’ampleur des tueries dénote en elle-même que la barbarie a franchi un nouveau cap. […] Les deux camps se vautrent dans la fureur meurtrière la plus effroyable et la plus irrationnelle ! ». (12) Nous sommes face à l’expression la plus aboutie de la barbarie, un combat sanglant jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des ruines dans une région devenue totalement inhabitable. La guerre en Ukraine était déjà une nouvelle étape dans l’aggravation des affrontements impérialistes. La guerre à Gaza franchit une étape supplémentaire.
Même si cela ne conduit pas au déclenchement d’une guerre mondiale, le cumul et les effets combinés de toutes ces guerres peuvent avoir des conséquences similaires, voire pires, pour la vie sur la planète. Mais les groupes bordiguistes expriment une forte tendance à sous-estimer les enjeux de la situation actuelle, ce qui conduit à des conclusions et des orientations erronées. Leur incapacité à comprendre les dangers réels de la situation actuelle est clairement démontrée par le fait que ces organisations banalisent la gravité historique et l’impact de la guerre à Gaza. (13) D’une part, les positions du Prolétaire soutiennent que les conditions actuelles permettent encore au prolétariat palestinien de lutter pour ses propres intérêts contre les bourgeoisies israélienne et palestinienne. En revanche, Il partito comunista penche pour la guerre mondiale, qui est « une nécessité économique inéluctable », car le capitalisme « ne peut survivre qu’en détruisant. C’est pourquoi il a besoin de la guerre générale ». (14)
Ce que nous avons vu au cours des quatre dernières années n’est pas une montée en puissance vers une guerre mondiale, mais une situation qui s’est accélérée au niveau mondial à travers une accumulation de crises : pandémie, crise écologique, crise alimentaire, crise des réfugiés et crise économique. Même si certains de ces groupes ont identifié cette accumulation de crises, aucun d’entre eux ne comprend que ces crises ne sont pas isolées les unes des autres, mais qu’elles font partie d’un même processus de décomposition du monde capitaliste, chacune d’entre elles renforçant les effets de l’autre. Dans ce processus de décomposition, la guerre est devenue le facteur central, le véritable catalyseur, celui qui aggrave toutes les autres crises. Elle aggrave la crise économique mondiale, plonge des pans entiers de la population mondiale dans la barbarie ; elle entraîne le chômage et la misère sociale dans les pays capitalistes les plus puissants, et accroît les effets destructeurs du péril écologique. Il est donc erroné de considérer la guerre actuelle à Gaza comme un énième massacre au Moyen-Orient qui pourrait être suivi d’une période de calme ou de reconstruction, quelle qu’en soit la forme. (15)
Face à cette guerre, les différents groupes bordiguistes montrent leur totale incapacité à comprendre les enjeux des confrontations impérialistes actuelles. L’absence d’un cadre adéquat, celui de la décadence et de la décomposition du capitalisme, conduit toutes les organisations bordiguistes à s’accrocher à un concept dépassé, incapable d’expliquer toute la dynamique de la situation actuelle et ouvrant la porte à de graves dérives opportunistes.
D&R, 22 Février 2024
1) Le Réveil du 12 juillet 1870 (cité par Marx dans La Guerre civile en France [43]).
2) « Against the carnage in the Middle East, beyond nationalism to class war against the ruling class [44]! », Internationalist communist perspective (Corée, 2023).
3) « The Propaganda War, The War of Propaganda [45] », Internationalist voice (2023).
4) « La dernière boucherie au Moyen-Orient fait partie de la marche vers la guerre généralisée [46] », Tendance communiste internationaliste (2023)
5) « Ce ne sont pas les actions terroristes du Hamas mais la lutte de classe indépendante et la solidarité prolétarienne de tous les pays qui pourront mettre fin à l’oppression des Palestiniens [47]! », Le Prolétaire n° 551 (décembre 2023 – janvier 2024)
6) « Guerre à Gaza [48] », publié sur le site du PCI-Il partito comunista en français (13 octobre 2023).
7) « Israël et Palestine : Terrorisme d’État et défaitisme prolétarien [49] », Cahiers internationalistes (2023).
8) Lénine, Les tâches du prolétariat dans notre révolution [50] (1917).
9) « Les actions terroristes du Hamas aujourd’hui comme hier celles du Fatah ou des autres organisations guérilléristes ne pourront mettre fin à l’oppression israélienne des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. L’avenir du prolétariat palestinien, comme celui des prolétaires de tout le Moyen-Orient, d’Europe et du monde, réside dans la lutte de classe indépendante et la solidarité de classe prolétarienne de tous les pays ! », article publié sur le site du PCI-Le Prolétaire [51] dans la rubrique « Prise de position [51] » (4 janvier 2024).
10) « The Gazan Proletariat Crushed in a war between world imperialisms [52] », The communist party n° 56 (2024).
11) « Israël et Palestine : Terrorisme d’État et défaitisme prolétarien [49] », Cahiers internationalistes (2023).
12) « Ni Israël, ni Palestine ! Les ouvriers n’ont pas de patrie [53]! », Révolution internationale n° 499 (2023).
13) Cahiers internationalistes a republié un article sur la guerre à Gaza en 2009, un choix que ce groupe a justifié en disant que « rien n’a pratiquement changé, si ce n’est l’augmentation exponentielle de la puissance de feu [israélienne] qui s’est déchaînée dans la Bande de Gaza ».
14) « Un 1er Mai contre la guerre », tract d’Il partito comunista.
15) Cette sous-estimation s’exprime aussi, par exemple, par le peu d’activités publiques de ces groupes au début de cette guerre : Le Prolétaire n’a publié que deux articles, Il partito comunista deux articles et organisé une réunion publique, Cahiers internationalistes deux articles et une réunion publique.
Dans de nombreux pays déjà, les partis populistes sont présents et, dans certains d’entre eux, ils sont même parvenus au gouvernement. Les partis populistes ont un poids important dans au moins une douzaine de Parlements de pays européens, mais l’événement le plus déterminant a été l’arrivée de Trump à la présidence des États-Unis, sans oublier le Brexit adopté par le Royaume-Uni. Il ne faut cependant pas négliger l’extension de cette tendance en Amérique Latine, avec le gouvernement de Bolsonaro au Brésil ou celui actuellement en place en Argentine dirigé par Javier Milei.
L’arrivée à la tête de l’État de l’actuel gouvernement argentin a, en effet, ses racines dans une vague populiste internationale, un pur produit de la crise économique et de la décomposition qui pèse sur la société capitaliste en déclin. Les gouvernements, de gauche comme de droite, après avoir promis d’améliorer la situation, n’ont fait qu’attaquer davantage les prolétaires en généralisant la misère et la pauvreté. Les groupes bourgeois qui se présentent fallacieusement comme des critiques des politiques traditionnelles ne font que reprendre et accentuer les mêmes politiques anti-ouvrières. Lors de son investiture, Milei a d’ailleurs déclaré qu’il ouvrait « une nouvelle ère en Argentine, une ère de paix et de prospérité, une ère de croissance et de développement, une ère de liberté et de progrès… ». Mais il a suffi de quelques semaines seulement pour montrer que derrière ces promesses se cachait une dégradation encore plus terrible des conditions de vie : salaires en baisse, licenciements et répression.
Pour tenter d’atténuer l’impact de la crise économique, la bourgeoisie ne peut qu’accroître l’exploitation et la misère des travailleurs. Ce constat a été corroboré de manière particulièrement dramatique dans le cas du prolétariat argentin. Le « plan de choc » anti-inflationniste, appliqué par Milei en moins de cent jours, a déclenché une véritable famine et un réel désespoir parmi les travailleurs. Au cours des deux premiers mois de ce gouvernement, les salaires se sont tellement dégradés qu’ils ne suffisent plus à acquérir les biens essentiels à la subsistance. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 66 % et ceux des médicaments de 65 %. Mais ce n’est pas la seule chose qui devient inaccessible : le prix des transports publics a augmenté de 56 %, le carburant de 125 %, l’électricité de 130 %… et à tout cela, il faut ajouter les licenciements massifs, qui ont déjà atteint un chiffre qui se situe entre 50 et 60 000 personnes. On s’attend à ce que durant l’année 2024, il y ait 200 000 licenciements.
Les chiffres officiels pour évaluer les conditions de vie de la population indiquent une augmentation accélérée de la pauvreté. Les chiffres de décembre 2023 montrent que 44,7 % de la population est en dessous du « seuil de pauvreté ». Et en janvier 2024, ce taux est déjà passé à 57,4 % ! Les attaques ne s’arrêtent pas : les salaires de base des enseignants ont été réduits, un « ajustement » des départs à la retraite et une plus grande « flexibilité du travail » se préparent, ce qui signifie des licenciements sans indemnités, la suppression de la rémunération des heures supplémentaires et, bien sûr, l’interdiction des grèves. La faim et les pertes d’emploi sont les principales raisons qui ont poussé les travailleurs à manifester dans les rues. Ces mobilisations, bien que naissantes, ont exprimé une grande combativité.
Les travailleurs argentins ne sont pas seulement confrontés aux attaques directes du gouvernement, ils sont également confrontés aux pièges que les syndicats et les partis d’opposition préparent pour encadrer le mécontentement. Les partis de gauche du capital se sont réorganisés, détournant le mécontentement vers la défense de l’économie nationale, comme l’a fait la CGT lors de la grève du 24 janvier, avec le slogan « le pays n’est pas à vendre », ou comme le font les gouverneurs « en révolte », en essayant de réduire le problème à « la défense constitutionnelle des ressources des provinces », ou comme les députés péronistes qui cherchent à détourner le mécontentement vers l’appel à la destitution de Milei. L’opposition détourne les luttes ouvrières sur le terrain nationaliste, essayant de faire en sorte que les revendications concernant l’emploi et l’augmentation des salaires, qui étaient présentes dans les manifestations, soient noyées dans la défense de l’économie nationale et que toute la combativité soit enfermée dans le faux dilemme entre les politiques de « plus État » proposées par le péronisme, et celles « néolibérales » ou « libertariennes » de Milei.
Dans cet enchevêtrement de faux choix, se distinguent les manœuvres du péronisme qui, après s’être discrédité pendant des décennies au sein du gouvernement en organisant lui-même l’austérité, est maintenant déterminé à effacer son discrédit en assumant à nouveau le rôle d’opposition au gouvernement, dans le cadre de la répartition des tâches que tous les partis accomplissent dans le jeu de la soi-disant « alternance démocratique ». Face au « plan de choc », Sergio Massa (ancien candidat à la présidentielle) et des gouverneurs péronistes s’unissent pour « tenir tête » au gouvernement. Surtout, il y a Cristina Kirchner (ancienne vice-présidente du précédent gouvernement), avec sa lettre « L’Argentine dans sa troisième crise de la dette », et le gouverneur de Buenos Aires Axel Kicillof (ancien ministre de l’Économie du gouvernement de Cristina Kirchner), avec son rapport d’ouverture du congrès en mars, qui ont donné le ton aux forces d’opposition bourgeoises. Leurs discours « enflammés » critiquant les plans de Milei mettent uniquement l’accent sur les différences de « méthode » dans l’adoption des mesures économiques, c’est-à-dire utiliser la tronçonneuse avec modération et discrétion pour renforcer l’économie nationale.
Ces attaques brutales contre les travailleurs en Argentine ne peuvent être menées qu’avec un encadrement syndical et politique fort et, pour ce faire, la bourgeoisie peut compter non seulement sur des organisations péronistes comme la CGT et la CTA, qui jouent un rôle important en se présentant comme « l’expression organisée du mouvement ouvrier », mais aussi avec des « alternatives » plus « radicales » ou « critiques » comme l’appareil de gauche regroupé au sein du Front de l’unité de gauche (FIT-U). Le FIT-U accuse les dirigeants de ces centrales d’être des « traîtres bureaucrates », propageant ainsi l’illusion que la CGT, par exemple, pourrait être « sauvée » en la forçant à assumer la direction des mobilisations, rôle que devrait, bien sûr, jouer la plus grande centrale syndicale du pays… Bien entendu, dans ces manœuvres, nous devons inclure d’autres organisations prétendument « de base » qui, comme l’Union des travailleurs de l’économie populaire (UTEP) et l’Unité Piquetera, ont appelé à la manifestation de fin février pour demander plus de budget pour les cantines populaires, comme si la solution à l’exploitation salariale était la gestion de la misère et l’adaptation à la famine !
Dans la lutte contre les assauts brutaux menés par la bourgeoisie, ni les syndicats, ni les péronistes, ni le FIT-U, ni les organisations « de base » et « indépendantes » ne sont du côté des travailleurs, tous sont des instruments que la bourgeoisie utilise pour contrôler la mobilisation et stériliser le mécontentement.
Dans ce contexte, il existe deux dangers importants pour les travailleurs argentins :
– les mobilisations inter-classistes où les revendications prolétariennes se diluent et se mélangent avec les revendications d’autres couches sociales, notamment la petite-bourgeoisie, qui n’ont pas les mêmes intérêts, comme cela s’est produit avec les « gilets jaunes » en France (2018). En Argentine, ces expressions ont été expérimentées, par exemple, lors des révoltes populaires de 2001, au cours desquelles les travailleurs ont quitté le terrain de classe de la défense de leurs conditions de travail et de vie en général.
– les mobilisations bourgeoises, comme les manifestations pour la démocratie à Hong Kong (2019), ou celles réclamant à la bourgeoisie l’égalité raciale comme lors des manifestations Black Lives Matter (2013), ou encore les marches récurrentes de jeunes pour le climat (Young For Climate), etc. Les conflits sur les ressources des provinces, par exemple, vont dans ce sens.
Il faut se garder du piège de la polarisation autour des pro-Milei ou anti-Milei et plus spécifiquement entre populistes et anti-populistes, car c’est un terrain totalement miné pour détourner le mécontentement et la combativité du vrai problème de la défense des intérêts prolétariens contre le capital.
Comme nous l’avons dénoncé dès les débuts de ce gouvernement, « la bourgeoisie sait que l’unité du prolétariat est la seule force qui peut arrêter la tronçonneuse de Milei, c’est pourquoi elle a besoin, pour faire passer ses coups, de l’appareil de gauche et de la structure syndicale. Ces organisations sont des rouages de l’État au service des intérêts de la bourgeoisie et ils se préparent déjà à empêcher que se dessinent l’unité et la solidarité ouvrière. Par exemple, les syndicats ont déjà commencé à présenter des discours “radicaux” contre l’austérité, pour gagner les sympathies des travailleurs et pour les entraîner [...], dans des impasses ». (1)
Les mobilisations qui ont eu lieu, comme nous l’avons dit, bien qu’encore embryonnaires et contrôlées par l’appareil syndical et politique, doivent être saluées pour la détermination des exploités à défendre leurs conditions de vie et de travail car, en effet, les attaques ne peuvent être stoppées qu’avec les travailleurs en lutte. Ces nouvelles mobilisations s’inscrivent dans le sillage de celles qui se sont développées en Europe depuis 2022, notamment en Grande-Bretagne et en France, mais aussi dans le reste de l’Europe, se poursuivant aux États-Unis et dans bien d’autres pays.
La prochaine étape doit nécessairement être de considérer que la lutte n’a d’avenir qu’en dehors de l’appel et du contrôle des syndicats et des partis d’opposition de la bourgeoisie. Cela signifie que les travailleurs doivent prendre le contrôle de leurs combats dès le premier instant de la lutte en définissant leurs revendications et en prenant eux-mêmes leurs propres décisions. « Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Espagne, en Grèce, en Australie et dans tous les pays, pour arrêter cette division organisée, pour être réellement unis, [...] étendre notre mouvement, nous devons arracher le contrôle des luttes des mains des syndicats. Ce sont nos luttes, celles de toute la classe ouvrière ! ». (2)
T/RR, 29 mars 2024
1) « La motosierra de Milei contra los trabajadores argentinos », publié sur le site web du CCI (2024).
2) « Grèves et manifestations aux États-Unis, en Espagne, en Grèce, en France… Comment développer et unir nos luttes ? », tract disponible sur le site web du CCI.
Au cours des dernières décennies, il est devenu évident que le capitalisme fait peser une grave menace sur les conditions naturelles qui constituent la base de l’existence humaine. Les principales fractions de la classe dominante sont désormais contraintes de reconnaître la gravité de la crise environnementale, et même son lien avec les autres expressions d’une société capitaliste en déclin, surtout la fuite en avant dans le militarisme et la guerre(1). Cette « compréhension » récemment acquise n’empêche nullement d’autres parties de la classe dirigeante de se retrancher dans une négation ouvertement irrationnelle et suicidaire du danger que représente le changement climatique et la pollution de l’air, du sol et de l’eau. Mais ni la reconnaissance ni le déni ne peuvent masquer le fait que la bourgeoisie est incapable de ralentir, et encore moins d’arrêter, le rouleau compresseur de la destruction environnementale. On peut notamment citer l’échec patent et répété des spectaculaires Conférences sur les changements climatiques (COP).
La mise en évidence de l’impuissance de la bourgeoisie a suscité le besoin de véritables campagnes idéologiques, notamment de la part de l’aile gauche de la bourgeoisie. D’où la montée d’une sorte de « keynésianisme vert » et de la notion de « New Deal vert » dans lequel l’État, en pénalisant les pires pollueurs et en investissant dans des technologies « durables », serait non seulement capable d’empêcher le changement climatique d’échapper à tout contrôle, mais aussi de créer des emplois verts et une croissance verte. En bref, un capitalisme vert et en bonne santé.
Mais il y a aussi des voix plus radicales qui n’hésitent pas à pointer du doigt les défauts de ce prétendu capitalisme vert. Au premier rang de ces voix figurent les partisans de la « décroissance ». Des auteurs comme Jason Hickel(2) démontrent aisément que le capitalisme est mû par le besoin constant de s’étendre, d’accumuler de la valeur et qu’il ne peut que traiter la nature comme un « don gratuit » à exploiter au maximum alors qu’il cherche à soumettre chaque région de la planète aux lois du marché. Hickel parle donc de la nécessité d’une transition vers une économie post-capitaliste.(3) D’autres, comme John Bellamy Foster, vont plus loin et font plus explicitement référence à l’intérêt croissant de Karl Marx pour les questions écologiques à la fin de sa vie, à ce qu’ils appellent l’«éco-socialisme» de Marx.(4) Mais plus récemment, les livres de l’écrivain japonais Kohei Saito, qui connaît très bien les derniers écrits de Marx grâce à son implication dans la nouvelle édition des œuvres complètes de Marx et Engels (le projet MEGA), ont suscité un énorme intérêt et des ventes considérables, en particulier son ouvrage le plus récent intitulé Slow Down : How Degrowth Communism Can Save the Earth (2024). Alors que les précédents livres de Saito étaient rédigés dans un style plutôt académique, il s’agit ici d’un travail de vulgarisation qui présente non seulement son argument clé selon lequel Marx lui-même est devenu un « communiste de la décroissance », mais qui décrit également les étapes qui pourraient conduire à l’adoption du communisme de la décroissance, aujourd’hui. Et en effet, à première vue, il semble bien parler du communisme tel qu’il est compris par le mouvement communiste historique : une société de producteurs librement associés, où le travail salarié n’existe plus. Le fait qu’il cherche à dépasser le terme d’«éco-socialisme» (qui implique qu’il peut y avoir et qu’il y a eu des formes de socialisme qui n’étaient pas écologiques, qui n’étaient pas moins écologiquement destructrices que le capitalisme) et qu’il parle maintenant de communisme, est une réponse à la recherche croissante de solutions qui vont aux racines mêmes de la crise d’aujourd’hui. Mais un examen plus approfondi et plus critique de l’argumentation de Saito montre qu’il s’agit d’une réponse mystificatrice qui ne peut conduire qu’à de fausses solutions.
Comme nous l’avons dit, Saito n’est pas le premier à souligner que le « Marx de la maturité » a développé un fort intérêt à la fois pour les questions écologiques et pour les formes sociales communautaires qui ont précédé l’émergence de la société de classes et qui ont continué à laisser des traces même après l’essor du capital. Ce qui est spécifique à Saito, c’est l’idée que l’étude de ces questions a conduit Marx à une «rupture épistémologique»(5), avec ce qu’il appelle la « vision linéaire et progressiste » de l’histoire, marquée par le « productivisme » et l’« euro-centrisme », et vers une nouvelle vision du communisme. En somme, Marx aurait abandonné le matérialisme historique au profit d’un « communisme de décroissance ».
En réalité, Marx n’a jamais adhéré à une « vision linéaire et progressiste » de l’histoire. Sa conception était plutôt dialectique : les différents modes de production ont connu des périodes d’ascension où leurs rapports sociaux respectifs permettaient un réel développement de la production et de la culture, mais aussi des périodes de stagnation, de déclin, voire de régression, qui pouvaient conduire soit à leur disparition pure et simple, soit à une période de révolution sociale susceptible d’inaugurer un mode de production supérieur. Par extension, si l’on peut discerner un mouvement globalement progressif dans ce processus historique, tout progrès a eu jusqu’ici un coût : d’où, par exemple, l’idée exprimée par Marx et Engels que le remplacement du communisme primitif par la société de classes et l’État était à la fois une chute et un progrès, et que le communisme de l’avenir serait une sorte de « retour à un niveau plus élevé » à la forme sociale archaïque.
En ce qui concerne le capitalisme, le Manifeste communiste de Marx et Engels a souligné l’énorme développement des forces productives rendu possible par l’essor de la société bourgeoise. Là encore, ces progrès se sont faits au prix d’une exploitation impitoyable du prolétariat, mais la lutte de ce dernier contre cette exploitation a jeté les bases d’une révolution communiste qui pourrait mettre les nouvelles forces productives au service de l’ensemble de l’humanité.
Et même à ce stade précoce de la vie du capital, Marx était impatient de voir une telle révolution, identifiant les crises de surproduction comme des signes que les rapports de production capitalistes étaient déjà devenus trop étroits pour les forces de production qu’ils avaient libérés. La défaite de la vague de révolutions de 1848 l’a amené à revoir ce point de vue et à reconnaître que le capitalisme avait encore une longue carrière devant lui avant qu’une révolution prolétarienne ne devienne possible.
Mais cela ne signifiait pas que tous les pays et toutes les régions du monde étaient condamnés à connaître exactement le même processus de développement. Ainsi, lorsque la populiste russe Véra Zassoulitch lui écrit en 1881 pour demander son avis sur la possibilité que le mir russe ou la commune agricole puissent jouer un rôle dans la transition vers le communisme, Marx pose le problème en ces termes : alors que le capitalisme en est encore à ses débuts dans une grande partie du monde, « le système capitaliste a dépassé son âge d’or en Occident, il approche du moment où il ne sera plus qu’un régime social régressif ». Cela signifie que les conditions objectives d’une révolution prolétarienne mûrissent rapidement dans les centres du système capitaliste et que, si la révolution se produit, « la propriété foncière communale russe actuelle peut servir de point de départ à un développement communiste ».(6)
Cette hypothèse n’impliquait pas l’abandon du matérialisme historique. Au contraire, il s’agissait d’une tentative d’appliquer cette méthode dans une période contradictoire où le capitalisme montrait simultanément des signes de déclin historique tout en disposant d’un « arrière-pays » très important dont le développement pouvait temporairement atténuer ses contradictions internes croissantes. Et, loin de préconiser ou de soutenir cette évolution, qui s’exprimait déjà dans la poussée impérialiste des grandes puissances, Marx considérait que plus tôt la révolution prolétarienne éclaterait dans les centres industrialisés, moins la douleur et la misère seraient infligées à la périphérie du système. Marx n’a pas vécu assez longtemps pour voir toutes les conséquences de la conquête de la planète par l’impérialisme, mais d’autres qui ont repris sa méthode, comme Lénine et Luxemburg, ont pu reconnaître, dans les premières années du XXe siècle, que le capitalisme dans son ensemble entrait dans son ère de déclin, posant ainsi la possibilité et la nécessité d’une révolution prolétarienne à l’échelle mondiale.
C’est cette même préoccupation qui a nourri l’intérêt naissant du Marx « de la maturité » pour la question écologique. Stimulé par ses lectures de scientifiques tels que Liebig et Fraas, qui avaient pris conscience du côté destructeur de l’agriculture capitaliste (Liebig l’appelait « agriculture de rapine »), qui, dans sa soif de profit immédiat, épuisait la fertilité du sol et détruisait sans raison les forêts (ce qui, Marx l’avait déjà noté, avait un effet délétère sur le climat), le Marx « de la maturité » s’intéressait de plus en plus à la question écologique. Si le développement du capitalisme sapait déjà les bases naturelles de la production des biens nécessaires à la vie humaine, sa « mission progressiste » touchait peut-être à sa fin. Mais cela n’invalidait pas la méthode qui avait su reconnaître le rôle positif joué par la bourgeoisie dans le dépassement des barrières du féodalisme. Par ailleurs (et Saito le sait bien pour l’avoir montré dans ses travaux antérieurs), la préoccupation de Marx pour l’impact du capitalisme sur le rapport entre l’homme et la nature ne vient pas de nulle part : elle trouve ses racines dans la notion d’aliénation de l’homme par rapport à son « corps inorganique » dans les Manuscrits économiques et philosophiques de 1844, notion approfondie dans les Grundrisse et Le Capital, notamment dans l’idée de la « faille métabolique » dans ce dernier ouvrage. De même, la reconnaissance du fait que la société communiste devrait surmonter la séparation rigide entre la ville et la campagne se trouve à la fois dans les premiers écrits de Marx et d’Engels et dans la période où Marx s’est penché sur la science agricole, lorsqu’elle était considérée comme une condition préalable à la restauration de la fertilité naturelle du sol. Élaboration, développement, critique des idées dépassées, mais pas de « rupture épistémologique ».
Nous pourrions en dire beaucoup plus sur la vision du communisme de Saito. En particulier, elle s’appuie fortement sur la notion de « biens communs », impliquant que les formes communautaires précapitalistes ont encore une existence substantielle dans le capitalisme actuel, et pourraient même servir de noyau pour la transformation communiste. En fait, il était déjà évident à l’époque de Lénine que le capital impérialiste achevait rapidement le travail effectué pendant la période d’« accumulation primitive », à savoir la destruction des liens communautaires et la séparation du producteur et de la terre. Un siècle plus tard, c’est encore plus évident. Les vastes bidonvilles qui entourent les mégapoles dans les périphéries du système témoignent à la fois de la dévastation des anciennes formes communautaires et de l’incapacité du capitalisme décadent à intégrer un grand nombre de dépossédés dans le réseau « moderne » de production.
Cette idée que la nouvelle société pourrait être construite dans la coquille de l’ancienne révèle ce qui est peut-être la distorsion la plus fondamentale du marxisme dans le livre de Saito. Saito critique le « Green New Deal » à la fois parce qu’il s’appuie sur des mesures « descendantes » imposées par l’État et parce qu’il n’aborde pas le problème du besoin de croissance sans fin du capitalisme, qui est incompatible avec le maintien d’un environnement naturel sain. Mais Saito insiste aussi sur le fait que la nouvelle société ne peut naître que d’un mouvement social « d’en bas ». Pour Marx, le communisme était le mouvement réel de la classe ouvrière, partant de la défense de ses intérêts de classe et conduisant au renversement de l’ordre existant. Pour Saito, le mouvement social est un conglomérat de différentes forces : à côté des tentatives de mise en place « d’espaces communs » dans les quartiers des villes d’aujourd’hui, comme Détroit, il fait référence à des protestations interclassistes comme les gilets jaunes en France, à des groupes de protestation qui dès le départ se situent sur un terrain bourgeois, comme Extinction Rebellion, à un saupoudrage de grèves ouvrières, aux « assemblées citoyennes » mises en place sous l’égide de Macron en réponse aux protestations des gilets jaunes... Bref, pas la lutte de classe, pas la lutte des exploités pour s’affranchir des organes capitalistes qui les tiennent sous contrôle (comme les syndicats et les partis de gauche), pas l’émergence d’une conscience communiste qui s’exprime dans la formation de minorités révolutionnaires.
L’une des preuves les plus claires que Saito ne parle pas de la lutte de classe comme levier du communisme est son attitude à l’égard du mouvement des Indignados apparu en Espagne en 2011. Il s’agissait d’un mouvement basé sur une forme d’organisation prolétarienne (les assemblées de masse) même si la majorité de ses protagonistes se considéraient comme des « citoyens » plutôt que comme des prolétaires. Au sein des assemblées, il y avait une bataille entre les organisations comme Democracia Real Ya qui voulaient que les assemblées revitalisent le système « démocratique » déjà existant, et une aile prolétarienne qui défendait l’autonomie des assemblées par rapport à toutes les expressions de l’État, y compris ses tentacules locaux et municipaux. Saito fait l’éloge du « Mouvement des places » mais se prononce en même temps en faveur de la canalisation des assemblées vers la formation d’un parti politique municipal, Barcelona en Comú, et l’élection d’un maire radical, Ada Colau, dont l’administration a proposé une série de mesures « démocratisantes » et écologistes. Par ailleurs, l’expérience barcelonaise a donné naissance au mouvement Fearless Cities, qui vise à appliquer le même modèle dans plusieurs autres villes du monde.
Il ne s’agit pas de l’extension internationale de la lutte des travailleurs (une condition préalable à la révolution communiste) mais d’une structure de récupération d’un authentique combat de classe.
Et elle repose sur le rejet d’un autre élément fondamental du projet communiste : la leçon que Marx, Engels, Pannekoek et Lénine ont tirée de l’expérience de la Commune de Paris de 1871 : la tâche du prolétariat, la première étape de sa révolution, est de démanteler la machine étatique existante, non seulement ses armées, sa police et son appareil gouvernemental central, mais aussi ses conseils municipaux et d’autres formes de contrôle localisé. Pour Saito, en revanche, « il serait stupide de rejeter l’État comme moyen de faire avancer les choses, comme la création d’infrastructures ou la transformation de la production ».
Ce n’est pas le lieu d’aborder les immenses défis auxquels la classe ouvrière sera confrontée une fois qu’elle aura pris le pouvoir et entamé la transition vers le communisme. Il est clair que la question écologique sera au centre de ses préoccupations, ce qui nécessitera une série de mesures visant à supprimer le besoin d’accumulation capitaliste et à le remplacer par la production pour l’usage non seulement à l’échelle locale, mais sur l’ensemble de la planète. Il faudra également démanteler le gigantesque appareil de production de déchets qui alimente le désastre climatique : l’industrie de l’armement, la publicité, la finance, etc.
Comme nous l’avons montré dans un précédent article,(7) les marxistes, de Bebel à Bordiga, ont également parlé de surmonter la course folle alimentée par le processus d’accumulation, de ralentir le rythme effréné de la vie sous le capital. Mais nous ne parlons pas de « décroissance » pour deux raisons : premièrement, parce que le communisme est la base d’un véritable « développement des forces productives » d’une qualité entièrement nouvelle, compatible avec les besoins réels de l’humanité et son lien avec la nature. Ensuite, parce que parler de décroissance dans le cadre du système existant (et le prétendu « communisme » de Saito n’y échappe pas) peut facilement servir de justification à l’austérité administrée par l’État bourgeois, deux raisons pour la classe ouvrière de cesser ses luttes « égoïstes » contre les réductions de salaires ou d’emplois et de s’habituer à réduire encore plus drastiquement sa consommation.
Amos, avril 2024
1) Voir notre « Rapport sur la décomposition [57] », Revue internationale n° 170 (2023).
2) Moins, c’est plus : Comment la décroissance sauvera le monde (2020).
3) Cependant, la critique de Hickel sur le New Deal vert ne va pas très loin. Pour lui, le New Deal des années 1930 encourageait la croissance « afin d’améliorer les moyens de subsistance des gens et d’obtenir des résultats sociaux progressistes […] les premiers gouvernements progressistes ont traité la croissance comme une valeur d’usage ». En réalité, l’objectif du New Deal était de sauver l’économie capitaliste et de préparer la guerre.
4) Par exemple, L’écologie de Marx : Matérialisme et nature (2000).
5) Saito emprunte ce terme à Althusser, un apologiste très sophistiqué du stalinisme, qui l’a appliqué à ce qu’il considérait comme le passage du Marx jeune et idéaliste des Manuscrits de 1844 au scientifique pur et dur du Capital. Nous avons critiqué cette idée dans l’article suivant : « L’étude du Capital et les fondements du communisme [58] », Revue internationale n° 75. Si rupture il y a eu, elle a eu lieu lorsque Marx a rompu avec la démocratie radicale et s’est identifié au prolétariat en tant que porteur du communisme, vers 1843-1844.
6) Voir « Marx de la maturité : communisme du passé, communisme de l’avenir [59] », Revue internationale n° 81.
7) Voir « Le programme communiste dans la phase de décomposition du capitalisme : Bordiga et la grande ville [60] », Revue internationale n° 166 (2022).
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-500_bat.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient
[3] https://fr.internationalism.org/tag/5/57/israel
[4] https://fr.internationalism.org/tag/5/58/palestine
[5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/conflit-israelo-palestinien
[6] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/biden
[7] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/netanyahou
[8] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/internationalisme
[9] https://fr.internationalism.org/tag/5/47/suede
[10] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lutte-classe-monde-2022-2023
[11] https://fr.internationalism.org/tag/5/51/canada
[12] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/lanarchisme-internationaliste
[13] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anarchisme-officiel
[14] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/environnement
[15] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/cop
[16] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[17] https://fr.internationalism.org/tag/30/526/emmanuel-macron
[18] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/immigration
[19] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/presse-revolutionnaire
[20] https://fr.internationalism.org/tag/5/55/argentine
[21] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/javier-milei
[22] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/defense-lorganisation
[23] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[24] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/defense-gauche-communiste
[25] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[26] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-501_bat.pdf
[27] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[28] https://fr.internationalism.org/tag/5/399/ukraine
[29] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/iran
[30] https://fr.internationalism.org/tag/5/513/russie
[31] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-ukraine
[32] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/elections-aux-etats-unis
[33] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reprise-internationale-lutte-classe
[34] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/gabriel-attal
[35] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/chomage
[36] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/avortement
[37] https://fr.internationalism.org/tag/5/62/chine
[38] https://fr.internationalism.org/tag/5/35/europe
[39] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/otan
[40] https://fr.internationalism.org/tag/5/38/allemagne
[41] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/mobilisation-des-agriculteurs-europe
[42] https://fr.internationalism.org/tag/7/536/populisme
[43] https://www.marxists.org/francais/ait/1870/07/km18700723.htm
[44] http://communistleft.jinbo.net/xe/index.php?mid=cl_bd_03&document_srl=344069
[45] https://en.internationalistvoice.org/the-propaganda-war-the-war-of-propaganda/
[46] https://www.leftcom.org/fr/articles/2023-10-11/la-derni
[47] https://www.pcint.org/03_LP/551/551_02_hamas.htm
[48] https://www.international-communist-party.org/Francais/Actualit/2023/Gaza.htm
[49] https://www.internationalcommunistparty.org/index.php/fr/3450-israel-et-palestine-terrorisme-detat-et-defaitisme-proletarien
[50] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/05/vil19170528j.htm
[51] https://www.pcint.org/
[52] https://www.international-communist-party.org/English/TheCPart/TCP_056.htm
[53] https://fr.internationalism.org/content/11184/ouvriers-nont-pas-patrie
[54] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme
[55] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/pci-proletaire
[56] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/javier-milei
[57] https://fr.internationalism.org/content/11034/rapport-decomposition
[58] https://fr.internationalism.org/rinte75/communisme.htm
[59] https://fr.internationalism.org/rinte81/comm.htm
[60] https://fr.internationalism.org/content/10172/programme-communiste-phase-decomposition-du-capitalisme-bordiga-et-grande-ville
[61] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/koheisaito
[62] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/jasonhickel
[63] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/johnbellamyfoster
[64] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/marx
[65] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/engels
[66] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/verazassoulitch
[67] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/pannekoek
[68] https://fr.internationalism.org/tag/30/528/lenine
[69] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/luxemburg
[70] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/liebig
[71] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/fraas
[72] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/adacolau
[73] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/bebel
[74] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/bordiga
[75] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/ecologie
[76] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/decroissance