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Revue Int. 1980 - 20 à 23

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Revue Internationale no 20 - 1e trimestre 1980

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Années 80 : les années de vérité

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L'histoire ne se plie pas aux chiffres des calendriers. Cependant les décennies sont souvent associées dans la tête des hommes à des périodes spécifiques de l'histoire. Ainsi, si  on parle des années 30 on pense immédiatement à la grande crise qui a frappé le capitalisme il y a 50 ans; si on évoque les années 40, c'est à la guerre que l'on pense, à cette guerre qui  a anéanti  l'équivalent d'un pays comme l'Italie ou la France. A l'aube des années 80, quelle image peut-on associer à la décennie qui se termine, quel sera le phénomène saillant de celle qui commence ?

La crise ? On peut dire qu'elle a marqué de son empreinte les années  70, mais elle marquera encore plus les années 80. Entre les années 60 et les années 70,  il y eut effectivement une différence dans la situation économique du monde. Les premières furent les années de la fin de la reconstruction, celles où brillèrent les derniers feux d'une "prospérité" factice, basée sur des mécanismes on ne peut plus éphémères puisqu'associés à la reconstitution du potentiel industriel et commercial de l'Europe et du Japon détruit par la guerre. Ce potentiel  reconstitué, le capitalisme s'est de nouveau trouvé confronté à son impasse mortelle : la saturation des marchés. C'est pour cela que, sur le plan économique, la décennie qui  se termine n'a pas ressemblé à la précédente : "prospérité" pour l'une, marasme pour l'autre. Par contre, il n'y aura pas de différence de cette nature entre les années 70 et les années 80, sinon que, durant les secondes, la crise sera pire encore.

La misère humaine et les massacres ? Les années qui viennent s'annoncent particulièrement "riches" dans ce domaine : jamais il  n'y a eu autant de famines et autant d'exterminations de populations de par le monde : à force de "libérer" des peuples, à force de leur apporter leur aide (qui en général, se réduit à l'envoi d'engins de mort), les grandes puissances les auront bientôt rayés de la carte du monde. Cette apocalypse n'est pas nouvelle. Dans la prochaine décennie, avec l'aggravation de la crise, on verra, malgré toutes les pétitions et toutes les campagnes humanitaires, se multiplier les Cambodge. Mais ce ne sera là, certes à un degré de plus en plus terrifiant, que la poursuite de calamités qui n'ont pratiquement pas cessé depuis la seconde guerre mondiale, qui ont fait de la société humaine un véritable enfer pour la majorité de ses membres. En ce sens, même s'ils sont appelés à se multiplier, on ne pourra qualifier la décennie qui vient comme celle des génocides, car en cela on ne saurait la distinguer de celles qui l'ont précédée.

Cependant,, les événements qui  se sont produits ces derniers temps attestent que des changements très importants dans la vie de la société mûrissent en ses entrailles et qui concernent bien moins son infrastructure économique ou le degré de misère de ses membres que la façon d'être et d'agir des principales classes qui  la composent  : bourgeoisie et prolétariat.

D'une certaine façon, les années 70 furent les années d'illusion. Même dans les grandes métropoles du capitalisme, bourgeoisie et prolétariat ont été confrontés à la réalité de la crise, et même souvent de façon très crue. Mais en même temps, et notamment dans les pays les plus développés, ceux où se décide l'enjeu de la vie du monde, ces deux classes ont eu longtemps tendance à se voiler les yeux devant cette réalité : la première parce qu'il lui est insupportable de regarder en face le tableau de sa faillite historique, la seconde parce qu'elle a subi en partie les illusions véhiculées par la classe dominante mais aussi  parce qu'il ne lui est jamais facile d'assumer d'emblée la formidable responsabilité historique qui pèse sur ses seules épaules et qu'une conscience claire de la signification de la crise lui aurait rappelée. Face à la crise qui se développait, la bourgeoisie s'est cramponnée pendant des années à l'espoir qu'il y avait des solutions. Certes, depuis 67, les récessions se sont succédé de façon régulière (67, 70-71,  74-75) en même temps que l'inflation devenait un mal chronique. Mais, à l'issue de chacune de ces récessions, il y avait une "reprise"; celle de 1972-73 faisant d'ailleurs connaître aux pays occidentaux (notamment les USA) des taux d'expansion parmi les plus élevés depuis la guerre. De même, il y avait de fortes poussées d'inflation galopante, mais certains plans de stabilisation n'échouaient pas complètement et on pouvait même voir certains pays "faire" moins de 5% par an: il suffisait de suivre leur trace. Evidemment, la bourgeoisie s'était rendu compte que les plans de "relance" relançaient...1'inflation et que les plans de "stabilisation" provoquaient...une nouvelle récession, mais elle s'était faite à l'idée que, même si les choses n'étaient plus comme "avant", on pourrait quand même continuer à marcher à ce rythme à condition  "d'assainir" et de "couper les branches mortes", en d'autres termes d'imposer l'austérité et de licencier.

Aujourd'hui  la bourgeoisie déchante.  De façon sourde mais lancinante elle découvre qu'il  n'y a pas de solution à la crise, à la suite, comme nous le voyons dans l'article "L'accélération de la crise", de l'échec de tous les remèdes qu'elle a administrés à son économie et qui ont fini par l'empoisonner encore plus. Réalisant qu'elle est dans une impasse, il ne lui reste plus que la fuite en avant. Et pour elle, la fuite en avant, c'est la marche vers la guerre.

Cette marche vers la guerre n'est pas nouvelle ; en fait, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le capitalisme n'a jamais désarmé comme il l'avait fait partiellement à l'issue de la première.  Et depuis qu'il  a connu une nouvelle aggravation de sa situation économique à la fin des années 60, les tensions impérialistes n'ont cessé de s'accentuer, les armements de croître de manière phénoménale : aujourd'hui, c'est un million de dollars qui sont engouffrés chaque minute en moyens destinés à semer la mort et la destruction. Mais jusqu'à présent, c'était de façon encore semi-inconsciente que la bourgeoisie s'acheminait vers une nouvelle guerre mondiale: elle y était poussée par les nécessités objectives de son économie mais en même temps elle ne se rendait pas vraiment compte que c'était la seule perspective que son système offrait à l'humanité. De même, la bourgeoisie n'avait pas vraiment conscience que son incapacité présente de mobiliser le prolétariat pour la guerre constituait l'obstacle le plus sérieux sur le chemin d'une telle issue.

Aujourd'hui, avec le constat de la faillite totale de son économie, la bourgeoisie est en train de prendre une conscience plus claire de la situation et elle agit en conséquence. D'une part, elle renforce encore ses armements.  Partout les budgets militaires connaissent des hausses vertigineuses. Partout, on remplace des armes déjà terrifiantes par des armes encore plus "efficaces" ("Backfire", Pershing 2, bombe à neutrons, etc..). Mais elle n'agit pas seulement sur le terrain des armements. Comme nous le signalons dans notre prise de position sur la crise Iran/USA, elle a également entrepris de créer une psychose de guerre afin de préparer l'opinion à ses projets de plus en plus bellicistes. "Puisqu'à la guerre il  faut aller et puisque les masses ne sont pas préparées à cette perspective, il faut utiliser tous les prétextes pour créer ce "sursaut national", cette "union sacrée", et les guider sur le bon chemin, celui qui  s'écarte des sordides conflits d'intérêts (lire les conflits de classe) et mène à la "défense de la patrie et de la civilisation" contre ces forces de la barbarie qui les menacent, qu'elles aient nom fanatisme islamique, cupidité arabe, totalitarisme ou impérialisme". Tel est le discours que se tient de plus en plus la classe dominante partout dans le monde.

Face à la classe ouvrière, le langage de la bourgeoisie est donc en train de changer: tant que pouvait subsister l'apparence qu'il y avait des solutions à la crise, elle a bercé les exploités de promesses illusoires : acceptez l'austérité aujour­d'hui et ça ira mieux demain. La gauche avait fait merveille dans ce style de mensonges : le crise n'était pas le résultat des contradictions insurmontables du mode de production capitaliste, mais celui d'une "mauvaise gestion" ou de la "cupidité des monopoles" et autres "multinationales" : qu'on vote pour elle et tout allait changer! Aujourd'hui ce langage ne prend plus, la gauche au gouvernement, là où elle y était parvenue, n'a pas fait mieux que la droite et, du point de vue des intérêts de la classe ouvrière, elle a même souvent fait pire. Puisque promettre des "lendemains qui chantent" ne trompe plus personne, la classe dominante a changé de registre. C'est le contraire que l'on commence à promettre maintenant en disant bien fort que le pire est devant nous mais qu'on n'y est pour rien, que "c'est la faute des autres", qu'il n'y a pas d'autre issue, et en espérant réaliser cette unité nationale que Churchill, en d'autres temps, avait obtenu de la population anglaise en lui promettant "du sang et des larmes".

Ainsi , de plus en plus, la bourgeoisie, en même temps qu'elle perd ses propres illusions, est obligée de parler clair à la classe ouvrière quant à l'avenir qu'elle lui  réserve. Si celle-ci était résignée, démoralisée comme au cours des années 30, ce langage pourrait être efficace : "Puisque, de toutes façons, il n'y a pas d'autre issue, puis qu’il faut sauver quand même ce qui peut être sauvé : "la démocratie", la "terre de mes ancêtres", mon "espace vital", va pour la guerre et ses sacrifices !" Tel est l'écho que la classe dominante aimerait rencontrer à ses discours. Malheureusement pour elle, les nouvelles générations ouvrières n'ont pas la résignation de leurs aînées. Dès les premières atteinte de la crise, avant même que celle-ci ne soit reconnue comme telle par quiconque, à l'exception de quelques toutes petites minorités révolutionnaires qui n'avaient pas oublié les enseignements du marxisme, la classe ouvrière a engagé la lutte. Ses combats, au tournant des années 60 et 70, par leur extension et par leur détermination, signifiaient que c'en était fini de la terrible contre-révolution qui avait pesé sur la société à la suite de l'écrasement de la vague révolutionnaire du premier après-guerre.  Il  n'était plus "minuit dans le siècle", le capitalisme devait de nouveau compter avec ce géant qu'il croyait définitivement endormi : le prolétariat. Mais même si celui-ci  débordait de nouveau de vitalité, il manquait d'expérience, et il  s'est laissé en bonne partie piéger par les chausse-trappes que le capitalisme, une fois revenu de sa surprise, a disposé sur son chemin. S'appuyant sur le fait que la crise de son économie avançait à un rythme beaucoup plus lent que dans les années 30, la bourgeoisie a réussi à communiquer au prolétariat ses propres illusions sur la possibilité d'une "solution" à la crise. Pendant un certain nombre d'années, celui-ci a cru dans les bobards de "l'alternative de gauche", qu'elle ait nom "gouvernement travailliste", "pouvoir populaire", "programme commun", "pacte de la Moncloa",  "compromis historique", etc.. Abandonnant pour un temps la lutte ouverte, il  s'est laissé promener dans les impasses électorales et démocratiques, il a encaissé sans presque réagir une austérité et un chômage à doses de plus en plus massives. Mais ce que sa première vague de luttes débutée en 68 révélait déjà, est en train maintenant de se confirmer: les mystifications bourgeoises d'aujourd'hui  n'ont pas la force de celles du passé. A force de servir, les discours sur la "défense de la patrie", de la "civilisation",  de la "démocratie", de la "patrie socialiste", s'usent. Et ceux sur "l'intérêt national", la  "menace terroriste" et autres  "gadgets" n'arrivent pas à les remplacer. Comme le fait ressortir notre article : "Notre intervention et ses censeurs", le prolétariat a repris maintenant le chemin de la lutte au point de contraindre la gauche, là où elle était au gouvernement, à poursuivre dans l'opposition sa tâche capitaliste et, partout, à radicaliser son verbe.

Avec une crise qui  fait peser chaque jour plus sur elle ses terribles effets, avec une expérience d'une première vague de luttes et de l'arsenal de pièges que peut lui tendre la bourgeoisie pour les asphyxier, avec enfin la réapparition encore timide mais qui ne cesse de se confirmer de ses minorités révolutionnaires, la classe ouvrière revient donc affirmer sa puissance et son énorme potentiel de combativité. Si la bourgeoisie n'a d'autre avenir à proposer à l'humanité que la guerre généralisée, les combats qui  se développent aujourd'hui démontrent que le prolétariat n'est pas prêt à lui laisser les mains libres et que lui a un autre avenir à proposer, un avenir où il n'y aura plus de guerre ni d'exploitation : le communisme.

Dans la décennie qui commence, c'est donc cette alternative historique qui va se décider : ou bien le prolétariat poursuit son offensive, continue de paralyser le bras meurtrier du capitalisme aux abois et ramasse ses forces pour son renversement, ou bien il  se laisse piéger, fatiguer et démoraliser par ses discours et sa répression et, alors, la voie est ouverte à un nouveau holocauste qui  risque d'anéantir la société humaine.

Si les années 70 furent tant pour la bourgeoisie que pour le prolétariat les années d'illusion, parce que la réalité du monde actuel s'y révélera dans toute sa nudité, et parce que s'y décidera pour bonne part l'avenir de l'humanité, les années 80 seront les années de la vérité.

Questions théoriques: 

  • Décadence [1]
  • Le cours historique [2]

L'accélération de la crise

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Les soi-disant "explications économiques" dont les classes dominantes abreuvent la population à travers la presse, la radio, la télévision ont presque toujours un objectif clair et déclaré : justifier au nom d'une prétendue "science économique" les nouveaux "sacrifices" que le capital exige de ses exploités.

Les "experts" ne prennent la parole et ne citent leurs statistiques que pour "expliquer" pourquoi il faut accepter l'augmentation du chômage, la baisse des salaires réels, pourquoi il faut cependant travailler plus, pourquoi les impôts augmentent, pourquoi il faut expulser les travailleurs immigrés, bref pourquoi il faut rester soumis aux lois du capitalisme alors que celles-ci conduisent l'humanité à la ruine et au désespoir.

Refuser et combattre la domination de ces lois, c'est aussi rejeter les justifications "économiques" avec lesquelles les gouvernements imposent leur système d'exploitation. Mais il ne suffit pas de se dire : "De toutes façons tout ce qu'ils racontent est faux". Il faut encore comprendre en quoi et pourquoi c'est faux, si on veut être capable de construire quelque chose de réellement différent demain.

La révolution prolétarienne est une révolution CONSCIENTE. Le prolétariat ne pourra pas débarrasser l'humanité des entraves qui  la paralysent sous le capitalisme sans savoir quelles sont ces entraves.

La compréhension de la situation économique du capitalisme est indispensable pour agir consciemment au niveau global  de la société, car jusqu'à présent les hommes restent soumis à leurs besoins économiques.

Dans le capitalisme, comme dans toutes les sociétés passées, comprendre le monde c'est d'abord comprendre sa vie économique. Comprendre comment le détruire, c'est aussi  comprendre comment il s'affaiblit : c'est comprendre ses crises.

L'article qui suit s'inscrit dans cet effort. Son objet est de faire le point sur le développement actuel de la crise et d'en dégager les perspectives.  Il  s'attache à démontrer que l'actuelle aggravation de la crise annonce pour le début des années 80 une récession de l'économie mondiale sans précédent depuis la guerre.

L'article comporte beaucoup de chiffres, mais il faut passer par ce terrain aride pour tenter de mesurer où en est la crise du capitalisme et où elle va. Nous nous sommes servis de chiffres  "officiels" en sachant ce qu'ils valent. Les statistiques économiques subissent des distorsions d'ordre aussi bien idéologique que technique. Du fait même que la soi-disant "science économique" fait partie intégrante de l'idéologie et de la propagande de la classe dominante, ses statistiques subissent toujours toutes les déformations utiles pour justifier, la survie et la défense du système. Les "experts" de la bourgeoisie ne le font pas toujours avec des visions machiavéliques : ils sont eux-mêmes victimes du poison idéologique qu'ils sécrètent. Mais leurs statistiques ne subissent pas uniquement des déformations idéologiques. Elles sont aussi victimes d'incapacités techniques qui tiennent au délabrement même du système économique. En effet, l'instrument de mesure de la plupart des statistiques économiques c'est la monnaie, que ce soit le dollar ou autre.

Or l'inflation et les soubresauts de plus en plus fréquents et violents des taux de change des monnaies internationales, rendent les monnaies de moins en moins capables de mesurer l'activité économique réelle. Cela est particulièrement vrai pour la mesure des agrégats économiques en termes de "volume", (le volume du produit national brut, par exemple) c'est à dire en termes de "monnaie constante", une monnaie théorique qui n'aurait pas été dévaluée par l'inflation.

Mais, quels que soient les défauts, connus, des statistiques économiques existantes, elles sont les seules disponibles. Et si elles manquent de précision, elles n'en rendent pas moins compte d'une façon ou d'une autre, du SENS des principaux mouvements économiques.

De toute façon, tenter de démontrer la faillite du capitalisme et la possibilité de le détruire en se servant des statistiques des capitalistes eux-mêmes, n'affaiblit pas la force de la démonstration ; cela tendrait plutôt à la renforcer.

L'économie mondiale entre dans les affinées 80 en s'enfonçant dans une nouvelle récession. La quatrième depuis 1967.

Dans les pays de l'Est, la croissance de la production est tombée au niveau le plus bas depuis la 2ème guerre mondiale (4% de croissance en 1978). Le secrétariat de l'OCDE, l'organisation qui  regroupe les 24 pays les plus industrialisés du bloc occidental, annonce pour l'ensemble de sa zone 3% de croissance en 1979 et prévoit une chute de cette croissance à 1,5% en 1980. 1,5%, c'est la quasi-stagnation de l'activité économique. Ce sont les Etats-Unis et le Royaume Uni qui s'enfoncent les premiers dans la nouvelle récession. La première et la cinquième puissance du bloc -qui réalisent à elles seules plus de 40% de la production des pays de l'OCDE- connaîtront en 1980 des taux de croissance de leur production négatifs, c'est à dire que la masse de production réalisée chaque jour va non seulement cesser de croître, mais va diminuer de façon absolue.

Quelle sera l'ampleur de cette récession ? Combien de pays va t'elle toucher ? Combien de temps peut-elle durer ? Quelle sera sa profondeur ? Elle s'annonce la plus étendue géographiquement depuis la 2ème guerre : pour la première fois, toutes les zones de la planète vont être simultanément touchées.

Elle risque d'être la plus longue par la durée. Elle devrait être aussi  la plus profonde en termes de recul de la croissance de la production et donc d'aggravation du chômage.

En d'autres termes, les travailleurs du monde entier vont connaître la plus violente dégradation de leurs conditions d'existence depuis la seconde guerre mondiale.  Des nouveaux millions de travailleurs vont être licenciés dans tous les pays, même dans ceux qui  semblaient garder la tête hors de l'eau. Quant aux salaires réels, ils vont connaître de violentes réductions par l'action combinée des politiques de blocage de salaires et de l'aggravation de l'inflation. Des nouveaux millions de travailleurs vont être licenciés dans tous les pays, même dans ceux qui  semblaient garder la tête hors de l'eau. Quant aux salaires réels, ils vont connaître de violentes réductions par l'action combinée des politiques de blocage des salaires et de l'aggravation de l'inflation.

Les dernières miettes accordées par le capitalisme pendant les années de relative prospérité de la reconstruction sont reprises par le capital...et il ne parle pas de les rendre de si tôt. Les différents Etats du monde se préparent à connaître un nouveau regain de convulsions économiques et sociales.

Mais qu'est-ce qui permet d'affirmer que la réces­sion dans laquelle s'enfonce actuellement le capitalisme sera la plus large, la plus longue et la plus profonde depuis la guerre ?

Trois types de facteurs   :

-    Premièrement, l'ampleur de la dégradation que connaît dans 1'immédiat 1’économie mondiale

-    Deuxièmement l'inefficacité croissante des moyens dont se sert le capital  pour relancer la croissance économique.

-    Troisièmement 1'impossibilité grandissante pour les Etats de continuer à recourir aux moyens de relance.

Ce qu'on peut exprimer en d'autres termes : la maladie mortelle du capitalisme connaît actuellement une aggravation majeure ; or, non seulement les remèdes que les Etats lui administrent depuis des années font de moins en moins d'effet, mais en outre, l'abus du recours à ces remèdes a fini  par empoisonner le malade. Tels ces médecins qui s'acharnaient à maintenir en vie un Franco plus que moribond, la bourgeoisie pratique aujourd'hui envers son économie un acharnement thérapeutique pourtant dénoncé par la science.

Reprenons chacun de ces trois points : l'aggravation de la crise actuelle d'une part, l'inefficacité des moyens de relance et l'impossibilité d'y recourir davantage sans aggraver davantage la crise d'autre part.

L’AGGRAVATION ACTUELLE DE LA CRISE

Pour le moment, parmi les grands pays industrialisés du bloc occidental, les pays les plus frappés sont les Etats-Unis et la Grande Bretagne. C'est dans ces deux pays que la croissance de la production s'est le plus ralentie au cours de l'année 1979 comme le montre le tableau suivant :

 

Cependant,  personne ne se fait d'illusions sur la possibilité pour les autres pays du bloc de maintenir longtemps les rythmes de croissance actuels avec l'entrée des Etats-Unis en récession dans la mesure où les économies du Japon et de l'Europe sont totalement liées à celle de leur chef de file économique et militaire.

Cette dépendance qui  repose tout d'abord sur la suprématie absolue du leader du bloc au sein de sa zone (elle est la même dans le bloc russe), n'a fait que se renforcer depuis le début des années 70. En ralentissant la croissance de leur production, les Etats-Unis cherchent à réduire la masse de leurs importations. Mais, en réduisant leurs achats sur le marché mondial, ils rétrécissent directement ou indirectement les débouchés pour la production européenne et japonaise.

Contrairement à ce qu'ont affirmé certains économistes, l'actuelle croissance en Europe et au Japon ne pourra pas se maintenir pour compenser l'effondrement des Etats-Unis. Au contraire, comme en 1969, la chute de la croissance aux Etats-Unis annonce celle des autres pays industriels.

Le rapport annuel  de la Commission du Marché Commun, qui  a publié en octobre ses prévisions pour l'année 80, annonce déjà un ralentissement de la croissance pour la CEE de 3,1% en 1979 à 2% en 1980 ; une accélération de l'inflation et une augmentation du taux de chômage (de 5,6% à 6,2%), "la plus forte augmentation prévue depuis que la Commission a commencé à établir des statistiques en 1973"  ("Le Soir", Bruxelles).

Dans tous les pays occidentaux, les annonces de licenciements se sont multipliées à la fin de 1979. Mais la spécificité de ces annonces, c'est qu'elles concernent non seulement des secteurs déjà en difficulté, mais également des secteurs qui avaient été jugés jusqu'ici  relativement épargnés par la crise. Les licenciements continuent de se multiplier dans les secteurs déjà frappés : le premier producteur d'acier des Etats-Unis -US Steel- annonce la fermeture de 10 usines et le licenciement 13000 travailleurs en Grande-Bretagne ; la British Steel Corporation entend réduire sa force de travail de 50000 travailleurs.

Mais désormais, c'est aussi  l'automobile et l'électronique, ces secteurs que Ton disait être des "locomotives de l'économie", qui  sont fortement touchés. Aux Etats-Unis,  la production automobile a diminué de 25% entre décembre 78 et décembre 79. "Cent mille salariés de l'automobile (soit 1 sur 7) sont d'ores et déjà au chômage pour une durée indéterminée et 40000 ouvriers sont en chômage temporaire à la suite de fermetures d'usines d'une ou deux semaines dans plusieurs Etats" ("Le Monde"). En Allemagne, le pays dont l'économie reste enviée par les gouvernements du monde entier, la production automobile a diminué de 4% en un an. OPEL a du mettre au chômage partiel 16000 ouvriers pendant 2 semaines et Ford-Allemagne 12000 pendant 25 jours. Quant au secteur de pointe qu'est 1'électronique, il  vient d'être frappé par l'effondrement de la compagnie allemande AEG-Telefunken qui  prévoit près de 13000 licenciements,

Dans les pays sous-développés, la crise économique qui plonge depuis longtemps la quasi-totalité d'entres eux dans un marasme total, est venue frapper violemment les quelques pays que l'on disait "miraculés". Que ce soit les pays qui avaient connu un relatif développement industriel au cours des dernières années (la Corée du sud ou le Brésil par exemple) ou que ce soit les pays producteurs de pétrole (l'Iran ou le Venezuela par exemple), ils connaissent tous une violente dégradation de leur situation économique et avec elle l'écroulement de tous les mythes sur leur éventuel "décollage industriel".

Quant aux pays de l'Est,  ils connaissent actuellement une puissante aggravation de leurs difficultés économiques. Malgré leur politique destinée à réduire leur endettement à l'égard de l'occident, celui-ci s'est encore accru. Selon la Commission Economique pour l'Europe ces Nations Unies, cet endettement a augmenté de plus de 17% en 1978 par rapport à l'année précédente. Quant à la situation interne, l'examen de la situation économique auquel ont procédé les dirigeants de l'URSS à l'occasion délia session d'automne 79 du Soviet Suprême, fait état d'un bilan particulièrement défavorable dans des domaines aussi  fondamentaux que les transports^, la production agricole et pétrolière. Dans les pays satellites, tels que la Pologne, les gouvernements commencent à parler officiellement de chômage et partout d'inflation ; cette maladie que le dogme stalinien prétend réservée aux pays occidentaux, connaît une accélération sans précédent.

Voilà pour la situation immédiate. A elle seule, par 'étendue et la rapidité de la dégradation économique, elle permettrait de prévoir qu'elle ne constitue que le début d'une nouvelle récession dont le plus fort est encore à venir.

LES MOYENS DE "RELANCE"

I. L'INEFFICACITE CROISSANTE DES MOYENS DE  "RELANCE"

Une des caractéristiques majeures de l'évolution économique mondiale, et plus particulièrement en occident depuis la récession de 1974-75, c'est que, contrairement à ce qui s'était produit au lendemain des récessions de 1967 ou de 1970, les politiques de "relance", malgré les efforts considérables de la part des gouvernements, se sont soldés par des résultats de plus en plus médiocres, sinon nuls.

Avec l'arrêt définitif de tous les mécanismes de la reconstruction au milieu des années 60, le capitalisme en occident a commencé à vivre suivant des oscillations de plus en plus amples et violentes. Comme une bête enragée qui  se cogne la tête contre les murs de sa cage, le capitalisme occidental s'est heurté de plus en plus violemment à deux écueils : d'une part des récessions de plus en plus profondes, d'au­tre part des relances de moins en moins efficaces et de plus en plus inflationnistes.

Le graphique ci-dessous qui trace l'évolution de la croissance de la production pour l'ensemble constitué par les  "sept grands" du bloc occidental (Etats-Unis, Japon, Allemagne de l'ouest, France, Grande-Bretagne, Italie et Canada), montre comment ces oscillations se sont faites de plus en plus brutales pour aboutir de 1976 à 1979 à un retentissant fiasco des politiques de "relance".

On peut brièvement résumer les principales phases de la crise dans l'économie occidentale depuis 1967 de la façon suivante :

-    en 1967, ralentissement de la croissance   ;

-    en 1968, relance ;

-    de 1969 à 1971, nouvelle récession plus profonde que celle de 1967 ;

-    de 1972 au milieu de l'année 1973, deuxième relance faisant craquer le système monétaire international avec la dévaluation du dollar en 1971 et la mise en flottement des principales parités monétaires ; les gouvernements financent une relance générale avec des tonnes de  "monnaie de singe" ;

-    au début de 1973, les "sept grands" connaissent le taux de croissance le plus élevé depuis  18 ans (8 1/3 en base annuelle au 1er semestre 1973) ;

-    fin 1973 à fin 1975, nouvelle récession ; la troisième mais aussi la plus longue et la plus profonde ; au second semestre 1973, la production n'augmente plus qu'au rythme de 2% annuel ; plus d'un an plus tard, au début de 1975, elle recule de façon absolue au rythme de 4,3% par an ;

-    1976-1979, troisième relance ; mais cette fois-ci malgré le recours à la politique keynésienne de relance par la création de déficits des budgets des Etats, malgré le nouveau marché constitué par les pays de l'OPEP qui  grâce à la hausse du prix du pétrole ont représenté une forte demande pour les produits manufacturés des pays industrialisés([1] [3]) malgré enfin l'énorme déficit de la balance commerciale des Etats-Unis qui,  grâce au rôle international du dollar, ont créé et entretenu un marché artificiel en important beaucoup plus qu'ils n'exportaient, malgré tous ces moyens mis en œuvre par les gouvernements,  la croissance économique, après une brève reprise en 1976, ne cesse de s'effriter, lentement mais systématiquement.

Pourtant les doses de remèdes employées par les gouvernements ont été particulièrement importantes.

Déficits budgétaires : les principaux pays industrialisés ont eu recours depuis 1975 et sans interruption à une augmentation des dépenses de l'Etat supérieure à celle de ses recettes afin de créer une demande susceptible de faire redémarrer la croissance. Cela s'est traduit par des déficits budgétaires permanents qui ont atteint des niveaux équivalents à plus de 5% de la production nationale dans certains cas (5,8% pour l'Allemagne en 1975, 5,4% pour le Japon en 1979) et dépassé 10% pour des pays faibles tels l'Italie (11,7% en 1975, 11,5% en 1979). La moyenne de ces déficits budgétaires pour les 5 années qui vont de 1975 à 1979 est à elle seule éloquente.

Le financement de la croissance du bloc par le déficit extérieur des Etats-Unis : en achetant à l'étranger beaucoup plus qu'ils ne parvenaient à vendre, les Etats-Unis ont, de 1976 à 1979, constitué un facteur de croissance pour l'économie de leur bloc. En réalité, c'est depuis la fin de la reconstruction de l'Europe et du Japon à la fin des années 60, et avec la guerre du Vietnam que la croissance du bloc occidental  est en partie financée artificiellement par le déficit extérieur des Etats-Unis. Le dollar américain étant la monnaie d'échange et de réserve, dans  le marché mondial, les autres pays sont contraints d'accepter la monnaie de singe des Etats-Unis comme moyen de paiement.

C'est ainsi que déjà la relance au lendemain de la récession de 1970 fut "stimulée" par deux années de déficit particulièrement important des Etats-Unis. Mais depuis la récession de 1974-75, les Etats-Unis ont eu recours à la même politique avec une ampleur et une persistance sans précédent. Au cours des trois dernières années, les Etats-Unis ont augmenté leurs importations plus rapidement que les autres puissances de leur bloc, comme le montrent les chiffres ci-dessous.

Cette politique s'est traduite par un développement vertigineux du déficit de la balance commerciale des Etats-Unis. Un déficit qui  a momentanément permis aux autres puissances de connaître pendant ces mêmes années des balances commerciales positives.

Comme on le voit, que ce soit le remède "déficits budgétaires" ou que ce soit le remède "déficit extérieur des Etats-Unis" ("injection de dollars"), tous les deux ont été administrés en doses massives à l'économie au cours des dernières années. La médiocrité des résultats«qu'ils ont obtenus ne prouve qu'une chose : leur efficacité ne cesse de se réduire. Et c'est là la deuxième raison qui  permet de prévoir l'ampleur exceptionnelle de la récession qui commence avec le début des années 80.

Mais il y a encore plus grave. A force d'avoir eu recours à ces stimulants artificiels avec des doses de plus en plus massives, les gouvernements ont fini par empoisonner totalement le corps de leur économie.

II. L'IMPOSSIBILITE DE CONTINUER A RECOURIR AUX MEMES REMEDES

L'année 1979 a été marquée, entre autres soubresauts sur le plan économique, par la plus spectaculaire alerte monétaire que le système ait connu depuis la guerre. Au moment même où le capitalisme fêtait les 50 ans du krach de 1929, le prix de l'or s'enflammait et atteignait des sommets sans précédent. En quelques semaines de hausse, le cours de l'or a dépassé 400 dollars l'once ! Cette alerte ne traduisait pas un simple accident spéculatif. Au début des années 70, le cours officiel de l'or était de 38 dollars l'once après la première dévaluation du dollar en 1971). 9 ans plus tard, il faut dix fois plus de billets verts pour acquérir la même quantité d'or ! Mais le cours de l'or n'a pas augmenté seulement en dollars. C'est dans toutes les monnaies qu'il  a flambé. C'est à-dire que c'est le pouvoir d'achat réel de toutes les monnaies qui  a brusquement baissé.

Ce qu'a exprimé la récente crise de l'or n'est rien d'autre que la menace d'un écroulement définitif du système monétaire international, c'est-à-dire la menace de la disparition de l'outil  qui  conditionne toutes les opérations économiques dans le capitalisme, depuis l'achat de savonnettes jusqu'au financement par plusieurs puissances d'un barrage hydroélectrique dans un pays du tiers-monde.

La crise monétaire sanctionne en fait l'impossibilité de continuer à faire marcher l'économie avec des manipulations monétaires, nationales ou internationales, et plus largement, l'impossibilité pour le capitalisme de continuer à survivre dans une incessante fuite en avant à travers l'inflation et le recours aux crédits monétaires tous azimuts. L'endettement de l'ensemble de l'économie mondiale a atteint des niveaux critiques dans tous les domaines : l'endettement des pays du tiers-monde qui, pendant des années, ont acheté des usines à crédit mais qui ne disposent pas de débouchés pour les faire fonctionner, l'endettement des pays de l'Est qui n'a cessé de se développer sans que l'on entrevoie avec quoi ces pays pourraient payer, l'endettement enfin des Etats-Unis qui ont inondé le monde de dollars (Eurodollars ou Pétrodollars) et qui ont connu dans les dernières années une accélération sauvage de leur endettement interne.

D'après l'hebdomadaire  "Business Week", un des porte paroles les plus conséquents du grand patronat américain : "Depuis la fin de 1975, les Etats-Unis ont relancé l'économie d'endettement et provoqué une explosion du crédit si effrénée qu'elle laisse loin derrière elle la fièvre qui avait marqué le début des années 1970" (16 octobre 1978). D'après le même article, de 1975 à 1978, l'endettement de l'Etat (emprunts) a augmenté de 47% atteignant 825 milliard:' de dollars en 1978, soit plus du tiers du Produit National Brut du pays ; quant à l'endettement de l'ensemble des agents économiques  (entreprises, particuliers, Etat, etc.), il a atteint cette même année 3900 milliards de dollars, soit à peu près le double de ce même P.N.B. !

Confronté à l'impossibilité croissante de vendre ce qu'il est capable de produire, le capitalisme a vécu de plus en plus en s'endettant pour l'avenir. Le crédit sous toutes ses formes a permis de repousser en partie les problèmes de fond. Mais ce faisant, il ne l'a pas résolu, au contraire, il n'a fait que l'aggraver. A force de reculer les échéances à coup de stimulants artificiels, l'économie capitaliste mondiale est parvenue à un degré de fragilité et d'instabilité extrêmes comme vient de le démontrer la chai de "alerte de l'or" de l'automne 1979.

Au début des années 80, le capitalisme se trouve placé devant l'alternative suivante : ou bien continuer des politiques de "relance" et c'est la culbute monétaire définitive ; ou bien cesser de recourir aux  remèdes artificiels et c'est la récession.

Le gouvernement américain a déjà été contraint de choisir la seconde "issue"... et ce faisant, il a choisi pour le monde.

UNE FAUSSE ALTERNATIVE POUR LES TRAVAILLEURS

Devant cette situation, les gouvernements dans chaque pays prétendent convaincre les travailleurs qu'i doivent accepter les baisses de salaires et les licenciements pour que "ça aille mieux demain". Ce serait la condition de "la reprise" : "restructurons notre économie nationale et on s'en sortira".

Il est certain que l'insuffisance des marchés contraint les capitaux nationaux à être le plus compétitifs possible (et cela implique licenciements et baisses des salaires). Les quelques marchés existants iront à ceux des capitalistes qui  parviennent à vendre au meilleur prix. Mais mourir les derniers ne veut pas dire échapper à la mort. C'est tous les pays qui doivent faire face à la pénurie des débouchés. Le rétrécissement du marché est mondial. Et quel que soit l'ordre dans lequel les entreprises et les pays s'effondrent, ils s'effondrent tous.

La restructuration de l'appareil  productif aujour­d'hui n'est pas une préparation à une nouvelle renaissance, mais une préparation à la mort ; ce n'est pas une crise de jeunesse que subit le capitalisme mais une convulsion d'agonie.

Pour les travailleurs, accepter les sacrifices aujourd’hui  ne résoudra en rien leurs problèmes de demain. La seule chose qu'ils auraient à y gagner serait de subir sans réaction la plus violente attaque du capital. Et se soumettre au capitalisme lorsque celui-ci est aux abois, c'est se préparer à se faire conduire à la seule solution que le capitalisme a pu trouver à ses crises depuis 60 ans : la guerre.

Par contre, résister à cette attaque c'est forger la volonté et la force pour détruire le vieux monde en déclin et bâtir un nouveau.

R.V.


[1] [4] D’après le rapport annuel du GATT sur le commerce international en 1978-79, en 1978, les pays sous-développés ont absorbé, grâce surtout aux revenus des pays de l’OPEP, 20% des produits manufacturés exportés par l’Europe occidentale et 46% de ceux exportés par le Japon.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [5]

Questions théoriques: 

  • Décadence [1]

Derrière la crise Iran-USA, les campagnes idéologiques

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Dix mois après une "révolution" qui  avait accompli l'exploit de mettre en place un régime encore plus anachronique que le précédent, la situation en Iran est revenue avec force au centre de l'actualité mondiale, provoquant un raz-de-marée d'imprécations contre la  "barbarie" des  Iraniens et des musulmans, ainsi  que des prévisions alarmistes sur les  risques de guerre ou de catastrophe économique. Au milieu de ce bruit et de cette fureur complaisamment amplifiés par les mass-médias, il est nécessaire aux révolutionnaires d'y voir clair et notamment de répondre aux questions suivantes   :

1°) Que traduit la prise des otages de l'ambassade américaine concernant la situation interne de l'Iran ?

2°) Quel  impact cette opération et cette situation ont-elles sur la situation mondiale et notamment :

-    quel est le jeu des grandes puissances ?

-    y a-t'il  réellement une menace d'un conflit armé ?

3°) Quels enseignements faut-il en tirer quant aux perspectives générales qui se présentent à la société dans la prochaine décennie ?

1) La prise en otage du personnel  diplomatique par un gouvernement légal constitue une sorte de "première" dans le monde pourtant agité du capitalisme contemporain. Les prises d'otages en elles-mêmes sont chose courante dans les convulsions qui  assaillent le capitalisme en décadence : dans tous les affrontements inter-impérialistes, ce sont des populations entières qui en sont les victimes sans que cela émeuve particulièrement la communauté internationale des brigands impérialistes. La particularité et le caractère "scandaleux" de celle de Téhéran réside dans le fait qu'elle bafoue les règles élémentaires de convivialité établies entre ces brigands : de même que le silence par rapport à la police est la règle d'or entre gangsters du milieu, le respect des diplomates est celle des gangsters de l'impérialisme. Le fait que les dirigeants de l'Iran se soient laissé aller  à adopter ou à cautionner un comportement qui, en général, est réservé aux "terroristes" en dit long sur le degré de décomposition de la vie politique de ce pays.

En effet, depuis le départ du Shah, la classe dominante de l'Iran s'est révélée incapable d'assurer la plus élémentaire stabilité politique. La presqu'unanimité qui s'était faite contre la dictature sanglante et corrompue du Shah s'est rapidement désagrégée, de par    :

- le caractère hétéroclite des forces sociales qui avaient combattu l'ancien régime, le caractère complètement anachronique du nouveau régime, s'appuyant sur des thèmes idéologiques de type médiéval,

-l'incapacité de ce régime d'apporter une quelconque satisfaction aux revendications économiques des couches les plus pauvres, et notamment la classe ouvrière,

-l'affaiblissement important subi par les forces armées en partie décapitées après la chute du Shah, où la démoralisation et la désertion gagnaient de  plus en plus.

             En quelques mois, les oppositions contre le gouvernement se sont développées au point de compromettre totalement la cohésion et les bases économiques de l'édifice social :

- opposition des secteurs  "libéraux" et modernes de la bourgeoisie,

- menace de sécession des provinces kurdes,

- reprise des luttes prolétariennes qui menacent de plus en plus la source quasi unique de riches ses du pays : la production et le raffinage de pétrole.

Face à cette décomposition générale de la société, les dirigeants de la "République Islamique" se sont rabattus sur le thème qui avait réussi, 10 mois avant, à réaliser une unité éphémère : la haine du Shah et de la puissance qui l'avait soutenu jusqu’a son renversement et qui  l'héberge en ce moment. Que l'occupation de l'ambassade américaine ait été "spontanée" ou voulue par les dirigeants iraniens "durs" (Khomeiny, Ghotbzadeh) ne change rien au fait que la mise en avant de 1'épouvantail du Shah, utilisé, comme en d'autres circonstances, d1épouvantail fasciste, a permis de façon momentanée de reconstituer une certaine "unité nationale":

-cesser le feu des nationalistes kurdes,

-interdiction des grèves par le "Conseil de la Révolution"

Mais, à terme, le remède choisi  par Khomeiny et compagnie est pire que le mal et exprime bien toute l'impasse dans laquelle se trouve cette équipe dirigeante : en choisissant de s'affronter politiquement et économiquement à la première puissance mondiale, elle n'a fait que plonger dans une fuite en avant qui ne pourra qu'aggraver la situation intérieure et en premier lieu sur le plan économique.

2) Les convulsions qui agitent aujourd'hui  l'Iran constituent une nouvelle illustration :

a) de la gravité de la crise actuelle du capitalisme mondial, qui s'exprime dans les pays avancés par des crises politiques de plus en plus fréquentes et profondes et qui, dans les pays arriérés, se répercute sous la forme extrême d'une décomposition presque totale du corps social.

b) de l'incapacité d'une réelle indépendance nationale de la part des pays sous-développés : soit ceux-ci se rangent docilement derrière un bloc ou Vautre, soit ils sont plongés dans une instabilité et une déroute économique telles qu'ils sont, en fin de compte, obligés d'en venir à un tel ralliement : là où la France de De Gaulle et la Chine de Mao ont échoué, on ne voit pas comment l'Iran de l'imam Khomeiny pourrait réussir.

3)  Face aux convulsions que connaît en ce moment l'Iran, il n'existe pas, contrairement à toute une série de rumeurs alarmistes, de danger immédiat d'affrontement militaire majeur dans la région. La raison essentielle en est que, malgré toute la campagne anti-américaine menée par Khomeiny, il n'y a pas actuellement de possibilité de basculement de l'Iran dans le camp russe. Comme l'ont déjà montré plusieurs exemples du passé, notamment l'affaire de Chypre en 74, si  les difficultés et l'instabilité qui  peuvent surgir dans un pays du bloc américain, dans le sens où elles peuvent affaiblir ce bloc, sont en général un élément favorable pour l'autre, elles ne signifient pas nécessairement que ce dernier soit en mesure de les orienter directement à son profit. A l'heure actuelle, l'URSS, qui éprouve déjà les plus grandes difficultés avec les guérillas musulmanes en Afghanistan et qui doit compter avec une menace possible d'agitation nationaliste parmi ses populations musulmanes, n'est pas en mesure de mettre la main sur un pays en ce moment submergé par une vague islamique et d'en conserver le contrôle, et cela d'autant plus qu'il n'existe pas en Iran de force politique apte à prendre en charge un tel basculement (PC faible et officiers de l'armée bien contrôlés parle bloc US)

4) Pendant un certain nombre de mois, la situation en Iran a échappé au contrôle des USA. En partie à cause de l'absence d'une équipe de rechange crédible, cette puissance avait commis l'erreur de soutenir trop longtemps un régime complètement déconsidéré, y compris dans les rangs de la classe dominante. C'est ce retard dans la politique américaine qui a été le principal responsable de l'échec des tentatives de dernière heure visant, en la personne de Bakhtiar, à une transition sans heurts vers un régime plus "démocratique", apte à calmer le mécontentements populaire.  Face au processus de désagrégation de l’armée qui s'était instauré début février 79, c'est donc "à chaud" que s'était opérée cette transition et en faveur de la force politique momentanément la plus "populaire" mais à terme la moins appropriée à une direction un tant soit peu lucide et efficace du capital iranien. A l'heure actuelle, nous assistons à une étape de la reprise en main de la situation iranienne par le bloc US, qui, après l'échec d'une solution progressive tentée avec Bazargan, vise à laisser pourrir la situation locale. Semblable à la déclaration de guerre du dictateur vénézuélien Gomez aux USA et aux puissances européennes dans les années 30, la décision iranienne de déclarer, outre la "guerre sainte", la guerre économique aux USA, équivaut à un véritable suicide : l’interruption des échanges commerciaux entre l'Iran et les Etats-Unis, si elle ne peut provoquer que des perturbations mineures pour ces derniers, condamne l'Iran à l'asphyxie économique. La politique américaine consiste donc à laisser le régime actuel s'enferrer dans l'impasse où il s'est mis, le laisser s'isoler face aux différents secteurs de la société, afin de cueillir le fruit quand il sera mûr, en remplaçant l'équipe Khomeiny par une autre formule gouvernementale ([1] [6]) qui  devra avoir les caractéristiques suivantes:

-    être plus conciliante à l'égard du bloc US,

-    être plus apte à contrôler la situation,

-    avoir l'appui de Tannée (si ce n'est pas l'armée elle-même), dans la mesure où cette institution, comme dans tout pays du Tiers-Monde, est primordiale dans la vie politique.

Il est probable que nous aurons en  Iran,  toutes proportions gardées, un processus similaire à celui du Portugal où l'instabilité politique et la prépondérance d'un parti hostile aux USA (le PCP), résultant du caractère tardif et brutal  de la transition hors d’une dictature complètement déconsidérée, avaient été éliminées à la suite d'une pression massive du bloc US sur le plan diplomatique et économique.

5)   L'épreuve de force entre l'Iran et les USA, loin de marquer un affaiblissement du bloc dominé par cette puissance, a toutes les raisons au contraire de le renforcer. Outre qu'elle va aboutir tôt ou tard à une reprise en main de la situation au Moyen-Orient, elle permet un raffermissement de l'allégeance; des puissances occidentales (Europe, Japon) à l'égard du pays leader. Cette allégeance avait été perturbée ces derniers temps   par le" fait que ces puissances    étaient (outre les pays arriérés non producteurs) les principales victimes des hausses pétrolières encouragées en sous-main par les USA (cf. Revue Internationale n°19). La crise actuelle met en évidence la dépendance bien plus grande de ces puissances à l'égard du pétrole iranien que celle des USA et leur commande de resserrer les liens autour de leur chef de file pour collaborer à la stabilisation de la situation dans cette région du monde. La relative modération de certaines de ces puissances  (notamment la France) dans leur condamnation des agissements de Khomeiny ne doit pas faire illusion : si elles ne se lient pas d'emblée complètement les mains, c'est afin de mieux pouvoir apporter leur concours, notamment sur le plan diplomatique, au processus de reprise en main de la situation au profit du bloc US : comme on a déjà pu le constater au Zaïre, par exemple, une des forces de ce bloc réside dans sa capacité à faire intervenir ses éléments les moins "compromis" là où la puissance de tutelle ne peut pas agir par elle-même.

6)   Si  un des objectifs des USA dans la crise actuelle est le renforcement de son bloc sur le plan de la cohésion internationale, un autre objectif bien plus important encore réside dans la mise en place d'une psychose de guerre. Jamais les malheurs de 50 citoyens américains n'avaient provoqué une telle sollicitude de la part des mass-médias, de la totalité des hommes politiques ainsi que des églises. Depuis longtemps on n'avait vu se déverser un tel torrent d'hystérie guerrière au point que le gouvernement, qui  pourtant orchestre la campagne, fait figure de modéré. Auprès d'une population traditionnellement peu favorable à l'idée d'une intervention extérieure, à qui  il  avait fallu l'attaque de Pearl  Harbour en 1941 pour la mobiliser dans la 2ème guerre mondiale, qui depuis la guerre du Vietnam était échaudée de ce genre d'aventure, les agissements "barbares" de la  "République Islamique" sont un thème excellent pour les campagnes bellicistes de la bourgeoisie américaine. Si  Khomeiny a trouvé dans le Shah un épouvantai1 efficace pour ressouder l'unité nationale menacée, Carter„qu'il  ait voulu délibérément la crise actuelle en laissant entrer le Shah comme il semblerait, ou qu'il  l'ait seulement utilisée, a trouvé dans Khomeiny un épouvantail  similaire pour renforcer sa propre unité nationale et préparer la population américaine à l'idée d'une intervention extérieure même si elle ne se réalise pas en Iran. La seule différence existant cependant entre les deux manœuvres réside dans le fait que la première est désespérée et va se retourner rapidement contre ses promoteurs alors que la deuxième s'inscrit dans un plan plus lucide du capital  américain.

Les USA ne sont pas le seul  pays à utiliser la crise présente pour mobiliser l'opinion en vue des préparatifs pour la guerre impérialiste, En Europe occidentale également, avec des thèmes adaptés à la situation locale, tout le battage présent sur le "péril  arabe" ou "islamique" (semblable au "péril jaune" d'autrefois)censé être responsable de la crise, s'inscrit dans le même type de préparatifs, dans la création de la même psychose de guerre.

Quant à l'URSS, même si elle ne tente pas d'exploiter la situation à l'extérieur pour les raisons qu'on a vues, elle essaye de faire chez elle corps à la campagne occidentale sur les  "droits de l'homme" en dénonçant les menées impérialistes des USA et en se solidarisant des "sentiments anti-américains des masses iraniennes".

7) Même si elle prend dans ce pays, comme dans l'ensemble des pays sous-développés une forme caricaturale, la décomposition interne de l'Iran n'exprime nullement un phénomène strictement local. Au contraire, la virulence des campagnes idéologiques actuelles des grandes puissances indique que partout la bourgeoisie a le dos au mur, que de plus en plus elle se réfugie dans la fuite en avant vers un nouvel affrontement inter-impérialiste et qu'elle ressent le manque de mobilisation des masses autour de ses objectifs bellicistes  comme l'entrave majeure vers une telle issue.

Il  revient donc une nouvelle fois aux révolutionnaires :

-     de dénoncer toutes ces campagnes idéologiques d'où qu'elles viennent, quelles que soient leurs feuilles de vigne (droits de l'homme, anti-impérialisme, menace arabe, etc.) et quelles que soient leurs promoteurs^ de droite ou de gauche, de l'Est ou de l’Ouest ;

-     d'insister sur la seule sortie qui  puisse se présenter à l'humanité pour lui éviter un nouvel holocauste ou même la destruction : la poursuite de l'offensive prolétarienne et le renversement du capitalisme

CCI 28 novembre 1979


[1] [7] La façon précise dont va s'opérer ce remplacement est encore difficile à prévoir : capitulation de l'actuelle équipe, scission en son sein, coup d'Etat militaire, intervention armée d'un pays arabe  ; l'hypothèse la moins probable étant celle d'une intervention militaire directe.

Géographique: 

  • Etats-Unis [8]
  • Moyen Orient [9]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [10]

Combat ouvrier et manœuvres syndicales au Venezuela

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CORRESPONDANCE

L'agitation et la combativité qui se sont manifestées durant la négociation de la dernière convention dans l'industrie textile n'ont pas disparu. A la suite d'une convocation du syndicat des textiles (SUTISS), une assemblée nomme un "comité de conflit" au niveau régional en vue d'organiser une riposte ouvrière. Que ce comité soit dominé par des syndicalistes du parti AD ([1] [11]), n'enlève rien au fait important que même confusément, s'exprime la nécessité d'une organisation de lutte distincte de l'appareil  syndical.

C'est quelque chose d'analogue qui  s'est produit avec les ingénieurs qui ont exigé l'incorporation à la table des négociations d'un délégué élu en Assemblée Générale. Ce "comité de conflit" lance l'idée d'une grève régionale pour le 17 octobre 1979. Au début, la Fédération syndicale se montre réticente mais finalement cède devant le comité (elle lui prête même ses locaux) et après bien des pourparlers tendant à obtenir l'agrément de la centrale syndicale CTV ([2] [12]), on rend public l'appel  à la grève pour le mercredi  17 octobre. La CTV commence alors à parler de l'organisation d'une grève nationale pour le 25. Ce qui allait se produire en Aragua était vu comme un test qui déterminerait le cours ultérieur des événements.

"SUIVEZ L'EXEMPLE QU'ARAGUA A DONNE !" ([3] [13])

Le 17, Maracay ([4] [14]) se réveille paralysée; dans quelques zones périphériques le trafic est interrompu par une multitude d'objets divers déversés sur la chaussée. Les ouvriers arrivent à leurs usines et de là se dirigent vers la place Girardot dans le centre de la ville. Les syndicats avaient diffusé Tordre de grève mais étaient volontairement restés silencieux sur l'heure et le lieu de rassemblement. La direction syndicale était intéressée au succès numérique de la grève mais elle tenait tout autant à conserver le contrôle des masses. Cela explique la diffusion de l'appel à la grève et le maintien du monopole de l'information concernant les actions prévues. Néanmoins, les ouvriers ne voulaient pas perdre l'occasion de manifester leur mécontentement et ont accepté ces conditions dans leur désir de pouvoir s'unir dans la rue avec leurs frères de classe.

A 10 heures du matin, la place est pleine de monde. Dans leur immense majorité, il  s'agit d'ouvriers   : on note une multitude de pancartes faites précipitamment indiquant la présence de leur usine respective, exigeant des augmentations de salaires ou simplement affirmant une vision de classe (exemple : "Eux ils ont le pouvoir parce qu'ils en ont la volonté"). Commencent alors les éternels discours dont les axes sont : l'augmentation des prix, le besoin d'un ajustement salarial, la mauvaise administration gouvernementale, la lutte contre les Chambres de Commerce et d'Industrie et la préparation de la grève nationale.

Dans la foule, on sent que les ouvriers interprètent aussi bien le rassemblement que la grève comme le début d'un affrontement avec la bourgeoisie et son Etat. Visiblement, la masse ouvrière ne se contente pas d'écouter passivement mais désire s'exprimer comme un corps collectif et cela ne peut se réaliser qu'en défilant dans les rues. La pression dans ce sens est tellement forte que, malgré ce qui  a été prévu (uniquement un rassemblement), les dirigeants syndicaux finissent par appeler à défiler dans l'avenue Bolivar jusqu'au Parlement provincial. Auparavant des groupes de jeunes ouvriers s'étaient chargés de parcourir les rues du centre faisant fermer les magasins (excepté les pharmacies) avec une attitude décidée de faire respecter la grève, mais sans aucune tentative de violence individuelle ou d'agression envers des personnes.  De même, ils interceptent les autobus et les taxis, font descendre les passagers et laissent ensuite les véhicules s'éloigner sans le moindre inconvénient.

LA MANIFESTATION DEVIENT INCONTROLABLE

La classe ouvrière prend pratiquement possession des rues du centre de la ville, empêche le trafic, ferme les magasins, fait éclater sa colère, impose son pou­voir. A partir de là les événements vont prendre leur propre dynamique. Les 10 à 15000 manifestants (la presse parle de 30000, probablement en raison de la grande peur que la journée lui a causée - infarc­tus de E.Mendoza ([5] [15]), commencent à lancer des consi gnes improvisées, insistant particulièrement sur cel­les qui expriment leur sentiment de classe ("l'ou­vrier mécontent exige son droit" et "en chaussures ou en espadrilles, la classe ouvrière ça se respecte" entre autres).  Impossible de reprendre le ton qué­mandeur de l'appui explicite à la loi salariale in­troduite par la CTV. Le seul  chiffre avancé est 50% d'augmentation, mais en général  les manifestants ne formulent pas de "demandes" précises  ; ils expriment leur rage et leur volonté de lutte. Souvent on entend des commentaires qui parlent de la totale inutilité de la fameuse loi, du début de la guerre des  "pauvres contre les riches". Aux alentours du Palais du Parle­ment apparaît brusquement un petit détachement des "forces de Tordre". La tête de la manifestation se jette sur lui et les policiers doivent courir se ré­fugier dans le dit palace où ils se sentent plus à l'abri.  Immédiatement, la foule se concentre en face de l'entrée évidemment fermée. La manifestation n'a pas été préparée et ne se décide pas à tenter d'y pénétrer mais elle sent toute la différence entre le "peuple" dans la rue et ses  "représentants" retran­chés dans le palais. Comme il était à prévoir, la bureaucratie syndicale consacre tout son effort pour pacifier les manifestants et pour détourner l'atten­tion en appelant à retourner place Girardot pour clo­re la journée. Après quelques hésitations, le cortè­ge se met à nouveau en marche mais au lieu de se di­riger vers la place Girardot, il  préfère auparavant faire le tour des quatre côtés du "Palais législatif" Ainsi, la classe ouvrière désigne les lieux que de­main elle devra occuper. Montés sur des voitures, des orateurs spontanés se succèdent et les manifes­tants savourent le fait d'être les maîtres de la rue, en contraste avec les vexations et les impuissances auxquelles ils sont soumis quotidiennement.

Place Girardot les attendent autant de nouveaux dis­cours syndicaux avec pour but de mettre un point fi­nal   "à cela". Mais une partie de la manifestation, une fois arrivée à la place, poursuit son chemin jusqu'à l'immeuble de l'Inspection du Travail.  Il est, bien sûr,fermé.  Ils retournent donc à la place. Là, des milliers d'ouvriers déjà fatigués sont assis sur la chaussée et les trottoirs.  Ils ne savent pas très bien que faire, mais personne ne semble avoir envie de retourner chez soi et retrouver la monoto­ne et insupportable vie quotidienne.  Déjà, les chefs sont partis et les militants syndicalistes plient leurs banderolles. Apparemment, c'est la fin.

MAIS, ÇA CONTINUE  ...

A midi, apparaît soudain une petite manifestation d'ouvriers du textile. L'animation reprend de nou­veau et cette fois sans direction syndicale on entre­prend un parcours démentiel à travers toute la ville. En un premier temps, on décide ensemble de marcher vers la Municipalité où, après avoir monté et rempli les marches des quatre étages, on exige une confron­tation avec les Conseillers Municipaux. Ceux-ci n'ont pas l'air d'apprécier l'insistance avec laquelle un ouvrier déjà d'un certain âge frappe à la porte armé de sa canne. Puis l'idée est lancée de se diriger vers les locaux de la Chambre de Commerce et d'In­dustrie où, curieusement, il n'y a personne sauf quelques caisses de bouteilles d'eau qui  sont prestement utilisées pour calmer la soif collective.  De là les travailleurs prennent la décision d'aller jusqu'à la station terminus des transports. En chemin, ils interrompent un chantier de construction et cherchent le contremaître pour lui donner quelques "conseils". Ils se partagent, avec un sens social et démocrati­que élevé, les poulets et les accompagnements d'un magasin de volailles qui a eu la malencontreuse idée de rester ouvert.

Il était plus de 2 heures de l'après-midi et la ma­ nifestation avait parcouru quelque 10 kilomètres. La faim, la chaleur et la fatigue avaient considéra­ blement réduit le nombre de manifestants.  Il était temps de mettre fin à l'ivresse collective et de les faire revenir à la triste réalité. Etant donné que la direction syndicale avait échoué, cette tâche revenait à d'autres organismes. A coups de matraques et autres moyens  "persuasifs" ([6] [16]), les forces de l'ordre démontrent pour la nième fois que les rues n'ap­ partiennent pas encore au peuple mais à la police. A 3 heures de l'après-midi  l'ordre régnait à Mara­cay.         

La journée avait été extrêmement riche en expériences.  Instinctivement, la classe ouvrière avait identifié quelques points névralgiques du pouvoir  :  le Parlement,  le Conseil Municipal, le Ministère du Travail, les syndicats et le terminus des passagers, ce"  dernier   comme pivot pour étendre la lutte en dehors de Maracay. Ce fut comme une sorte de mission de reconnaissance du terrain qui  servira pour des luttes ultérieures. Durant la nuit, il  semble qu'il y ait eu des manifestations dans certains quartiers. Ce fut un jour de fête prolétarienne.

LA C.T.V. : TROUBLE-FETE

Si certains ouvriers avaient pu entretenir l'illusion qu'il s'agissait d'un premier pas dans un cours de luttes apparemment triomphantes grâce à l'appui  des appareils syndicaux, la presse du lendemain s'est chargée de leur rappeler leur condition de classe exploitée et manipulée. En effet, d'un côté la CTV, comme par magie,  transformait la grève nationa­le en une mobilisation générale...  pour 4 heures de l'après-midi  le 25 octobre. Visiblement, la CTV ne voulait pas que se reproduise à l'échelle nationale le débordement par l'initiative des masses. Que les ouvriers travaillent d'abord toute la journée et s'il  leur reste encore quelques envies, qu'ils ail­lent manifester ! La nuit se chargera de calmer les exaltations. Pour les syndicats, il  s'agissait main­tenant de tenter la formidable manifestation mais sans grève, formule qui  leur permettrait de mainte­nir simultanément l'apparence de luttes et le con­trôle social. Par ailleurs, quelques industries d'Aragua profitant du caractère juridiquement illé­gal  de la grève du 17, procédèrent au licenciement massif d'ouvriers (spécialement à La Victoria ([7] [17]) où on a compté quelques 500 cas de licenciements). Avec cela, elles mettent en pratique des projets prévus de "réduction de personnel", de "déplacement des industries", d'"aménagements administratifs". Il  s'agit d'affronter au moindre coût la situation financière particulièrement critique des petites et moyennes entreprises. Cette manoeuvre crée une si­tuation particulièrement tendue à La Victoria avec des marches et des protestations ouvrant la perspec­tive de nouvelles luttes dans les semaines à venir, mais maintenant sans le simulacre de l'appui  de la CTV. Les ouvriers de La Victoria devront apprendre à se battre par eux-mêmes ou seront obligés d'accepter les conditions de la dictature du capital.

LA COLERE ECLATE MALGRE TOUT

La journée de "mobilisation nationale" du 25 octobre a donné lieu à de nouvelles manifestations de comba­tivité ouvrière malgré son caractère signalé plus haut. Dans l'Etat du Carabobo et en Guyana ([8] [18]) eurent lieu des grèves régionales avec des marches regrou­pant beaucoup de monde très enthousiaste. A Caracas, la capitale, où il était nécessaire pour le prestige syndical  que la manifestation soit nombreuse, la CTV s'est même chargée d'amener par cars des contingents ouvriers qui, pour leur    part,ont profité de l'occa­sion qu'on leur offrait pour la première fois depuis des années pour exprimer leur haine de classe. Le gouvernement conscient, après les événements du 17, du danger de débordement ouvrier, ne pouvait pas per­mettre que la manifestation envahisse toutes les rues du centre de la capitale comme c'était arrivé à Maracay. Aussi, les  "forces de l'ordre" avaient-elles décidé d'affronter la gigantesque masse ou­vrière pratiquement dès le début.  Il  ne s'agit donc pas d'un excès ou d'une erreur, il  s'agit simplement d'une fonction de classe accomplie vaillamment par les forces de police. L'affrontement a eu lieu. Les gens ne couraient pas paniques comme d'habitude mais ont opposés une dure résistance durant plusieurs heu­res   ; ils ont détruit des symboles de l'opulence bourgeoise des alentours et il  s'en est suivi  un cli­mat de violence qui s'est prolongé pendant plusieurs jours dans les quartiers ouvriers et en particulier au "23 de enero" ([9] [19]), avec pour solde plusieurs morts.

Pendant ce temps à Maracay, la masse ouvrière qui avait déjà savouré les événements du 17 n'était pas gagnée à participer à ce qui  paraissait être pour tout le monde une pâle répétition. Très peu d'ou­vriers se sont dérangés pour aller à ce rassemblement. En contre-partie, la fausse rumeur qu'un étudiant avait été assassiné à Valencia ([10] [20])  (en réalité, il y eut effectivement un mort à Valencia  : un ouvrier) avait lancé quelques 2000 étudiants dans la rue. C'est typique des étudiants de se scandaliser pour la mort d'un étudiant tué par la police et rester aveugles aux peu spectaculaires destructions jour­nalières de la classe ouvrière    dans les usines  : 250 accidents mortels par an et plus d'un million de blessés et malades pour raison professionnelle révèlent à satiété la violence capitaliste. La manifestation était de type estudiantin ; le caractère ouvrier du 17 avait disparu, le tout était noyé dans une mer de consignes universitaires, juvéniles et autres. Malgré cela, on pouvait noter l'absence des organismes estudiantins traditionnels ainsi que la participation de beaucoup d'étudiants"indépendants" qui  pourront dans le futur converger avec la révolte ouvrière naissante. Seul  un groupe de professeurs -ils étaient en grève- a maintenu un certain carac­tère de classe.

Il était démontré que la classe ouvrière est disposée à manifester son profond mécontentement dès que l'occasion se présente    mais qu'elle n'était pas et n'est pas actuellement en condition de chercher à créer par initiative propre, de façon autonome, cette possibilité.

DE LA RUE AU PARLEMENT

Sans perdre de temps, la CTV en conclut qu'il  s'agit d'empêcher à tout prix qu'une telle occasion ne se présente. Dans les faits, nous sommes en train d'assister à une relative pacification momentanée, situation qui  pourrait bien être bouleversée à l'occasion des primes de fin d'année, étant donné les difficultés financières de certaines entreprises. On parle de moins en moins de mobilisations et de plus en plus des négociations parlementaires qui  devraient faire promulguer la fameuse loi  proposée par la CTV; mais cette fois-ci il  n'est plus question de créer une capacité de pression au niveau de la rue. Le 29 octobre, le conseil consultatif de la CTV concrétise les résultats des négociations entre sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens et décide que la centrale devra désormais être préalablement consultée à l'occasion de tout mouvement de grève décidé par les fédérations locales ou professionnelles. Il s'agit de maintenir le contrôle de toute situation potentiellement dangereuse. Et une fois ce point acquis, les grèves ministérielles sont déclarées illégales. C'est ainsi que la centrale agit avec ses propres fédérations; on peut imaginer ce que sera son attitude face à un mouvement ouvrier agissant de façon autonome par rapport aux syndicats.

Tout cela jette une claire lumière sur la prétendue alternative qui caractériserait les syndicats : être des agences de réclamations ou bien être des instruments de lutte. Dans la réalité, les syndicats sont des agences de réclamations pendant les périodes de calme social et des organes de sabotage des luttes dès que le prolétariat surgit.

LA VIEILLE TAUPE MONTRE SON NEZ ET LES LEADERS CONTEMPLENT LE FIRMAMENT.

La situation actuelle est celle du resurgissement de la classe ouvrière sur la scène nationale. C'est un phénomène analogue à celui qui s'est produit au début des années 60 et pendant les années 69-72. Ce resurgissement a été le produit de la fin de la période de la manne pétrolière et des rêves de grandeur de la bourgeoisie nationale. Aujourd'hui il  faut régler l'addition, ce qui en deux mots veut dire rationalisation de la production entraînant la faillite des petites et moyennes entreprises  (dont le maintien des profits constitue un des motifs de préoccupation de nos  "socialistes".. .Ah que le capitalisme était beau lorsqu'il  n'y avait pas de monopoles!), et l'intensification de l'exploitation de la classe ouvrière.

La libération des prix n'est en fait qu'un des instruments de la politique de restructuration de l'appareil  productif du pays, restructuration qui ne peut être faite qu'à travers le seul chemin qui reste aux capitalistes : la crise, la récession. Contrairement à ce qu'affirment d'éminents professeurs d'université, il  ne s'agit pas d'une politique erronée, mais d'une politique inévitable dans le cadre du système capitaliste. Lutter contre cette politique sans s'attaquer aux fondements mêmes du système capitaliste (comme le prétendent ceux qui  demandent la révocation du cabinet économique, soi-disant "mal  informé" ou trop "ignorant"), c'est faire preuve d'une myopie sociopolitique qui confine au rejet de la lutte révolutionnaire.

Face aux problèmes qu'impose aux masses le développement capitaliste, ce qu'il  faut mettre en avant c'est l'impérative nécessité de dépasser les rapports de production marchands et monétaires par la prise en main de la production et de la distribution par les producteurs librement associés. On cherche à détourner l'attention en l'orientant vers une loi  des salaires qui, par la crainte même des syndicats à mobiliser les masses, se trouve réduite à sa plus simple expression. En fait cette loi  vise à peine à compenser l'inflation telle qu'elle est mesurée et reconnue par la Banque Centrale du Venezuela depuis la libération des prix. Les plus "radicaux" prétendent l'être en demandant des pourcentages plus élevés, voire même le nec-plus-ultra d'une échelle mobile des salaires  (ce qui équivaut, dans le meilleur des cas, à lier définitivement le revenu des ouvriers aux oscillations de l'économie bourgeoise). A ce propos, il est intéressant de signaler que les ouvriers brésiliens viennent de s'opposer à une loi analogue parce que, d'après eux, elle diminue leur capacité de lutte au niveau des usines en vue d'obtenir des augmentations nettement supérieures à celles de l'inflation, comme cela s'est effectivement produit au début de 1'année.

Il  ne s'agit pas d'un problème de pourcentages, d’augmentation. Ce dont il  s'agit c'est d'impulser toutes les luttes qui  tendent à mettre en évidence 1'autonomie des intérêts ouvriers face à la société bourgeoise, toutes les luttes qui  tendent à se généraliser, s'unifiant et s'étendant par-dessus les étroitesses professionnelles à tous les secteurs en lutte, toutes celles qui  tendent à s'attaquer à l'existence même du travail  salarié. Ce ne sont pas tant les motifs particuliers de chaque lutte qui  importent, mais les expériences organisationnelles acquises pendant leur déroulement. On peut remarquer par ailleurs qu'il  s'est produit une rupture dans le comportement du prolétariat lorsqu'on constate que depuis 1976 le nombre de grèves n'a cessé d'augmenter alors qu'il  n'en a pas été de même pour les dépôts légaux de cahiers de revendications. Ce fait semble indiquer que la classe ouvrière se sent de moins en moins concernée par la légalité bourgeoise et tend de plus en plus à agir en fonction directe de ses intérêts.

Face à la libération des prix, les travailleurs devront imposer une libération de fait des salaires; tout comme ils devront mettre en pièces les délais stipulés dans les conventions collectives. Il leur faudra se préparer à une lutte quotidienne et permanente sur lieurs lieux de travail  et dans la rue.

LES TRAVAILLEURS  DU VENEZUELA NE SONT PAS SEULS

Ce qui se passe actuellement au Venezuela n'est pas unique dans le monde; au contraire, nous ne faisons que nous incorporer dans un phénomène qui a des dimensions universelles. Nulle part le capitalisme n'a réussi, et nulle part il  ne réussira à satisfaire de façon stable les besoins de l'humanité. Le chômage en Europe et en Chine, l'inflation aux USA et en Pologne,  l'insécurité d'ordre alimentaire ou d'ordre atomique qui sévissent dans le monde, tout comme les luttes sociales qu'elles engendrent, en sont le témoignage.

Le cri  de guerre de la 1ère Internationale reste à 1'ordre du jour:

"L’émancipation de  la classe ouvrière sera l'œuvre de  la classe ouvrière elle même*"

Venezuela, Novembre 1979



[1] [21] Parti Accion Democratica (Social-démocrate) passé à l'opposition aux dernières élections présidentielles portant au pouvoir les Démocrates-chrétiens.

[2] [22] CTV  : Confédération des Travailleurs Vénézuéliens, inféodée au Parti AD.

[3] [23] Un des Etats du Venezuela (industrie textile). L'hymne national  vénézuélien dit : "Suivez l'exemple que Caracas a donné !".

[4] [24] Capitale de l'Etat d'Aragua.

[5] [25] Grand représentant du patronat vénézuélien.

[6] [26] Au Venezuela, la police a l'habitude de frapper les manifestants avec le plat de longues machettes.

[7] [27] Ville industrielle d'Aragua

[8] [28] Deux zones où existent des concentrations industrielles (métallurgie et sidérurgie)

[9] [29] Quartier à grande concentration ouvrière très combattive.

[10] [30] Capitale de l'Etat de Carabobo.

 

Géographique: 

  • Vénézuela [31]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [32]

Sur l'intervention des révolutionnaires : réponse à nos censeurs

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INTRODUCTION

Le renouveau de la combativité ouvrière depuis plus d'un an oblige les organisations révolutionnaires à développer leur intervention. Plus que jamais, il faut savoir comprendre rapidement l'enjeu d'une situation et intervenir en mettant en avant "les buts généraux du mouvement" de façon concrète et compréhensible.

L'intervention concrète dans les luttes est un test, la mesure de la solidité théorico-politique et organisationnelle d'un groupe révolutionnaire. Dans ce sens, des ambigüités, voire des tergiversations sur le plan programmatique se traduisent inévitablement par des interventions fausses, floues, éparpillées, ou même par une paralysie face à la réalité d'un mouvement de montée des luttes. Par exemple, dans les luttes actuelles et à venir, la compréhension du rôle des syndicats est une question-clé pour le développement de l'autonomie du prolétariat sur son terrain de classe. Si un groupe révolutionnaire n'a pas compris que les syndicats ne sont plus des organes de la classe ouvrière et sont devenus à tout jamais et sans aucun chemin de retour des armes de l'État capitaliste en milieu ouvrier, ce groupe ne peut pas contribuer à l'évolution de la conscience de classe.

L'action même de la classe exige des réponses nettes sur l'ensemble des fondements théoriques d'un programme de classe : que ce soit à propos de la crise économique, ou que ce soit à propos des luttes de libération nationale ou des diverses expressions de la décomposition du monde bourgeois en général. C'est pour cette raison que la discussion et la réflexion dans les groupes révolutionnaires aujourd'hui et entre les groupes sur le terrain international se donne comme but de clarifier, de critiquer, de compléter et d'actualiser l'héritage des positions politiques du marxisme et surtout de la dernière grande organisation ouvrière internationale, l'Internationale Communiste.

Mais l'intervention concrète au cours des affrontements de classe ne mesure pas seulement les capacités "théoriques", "programmatiques", d'une organisation, elle est aussi une mesure des capacités organisationnelles d'un groupe politique prolétarien. Pendant les dix années qui nous séparent de la vague de luttes de 1968, le milieu révolutionnaire a travaillé longuement et péniblement pour prendre conscience de la nécessité d'un travail organisé internationalement ; pour entretenir et développer une presse révolutionnaire, pour créer des organisations dignes de ce nom. Dans la période actuelle de resurgissement des luttes, un groupe qui n'est pas capable de se mobiliser, de marquer sa présence politique, d'intervenir énergiquement quand les événements se précipitent est voué à l'échec, à l'impuissance. Aussi justes puissent être ses positions politiques elles se trouvent réduites à un pur verbalisme, à des phrases creuses. Pour une organisation prolétarienne, l'efficacité de son intervention dépend des principes programmatiques ainsi que de la capacité de se donner un cadre organisationnel conforme à ces principes. Mais si ce sont là des conditions nécessaires, ce ne sont pas pour autant des conditions suffisantes. De même que la capacité de créer une organisation politique appropriée ne découle pas automatiquement d'une compréhension théorique des principes communistes, mais nécessite en plus une prise de conscience spécifique de la question d'organisation des révolutionnaires (appréhender et savoir adapter les enseignements du passé aux spécificités de la période actuelle), de la même façon, l'intervention efficace dans les luttes actuelles n'est pas le résultat automatique d'une compréhension théorique ou organisationnelle. La réflexion et l'action forment un tout cohérent, la praxis, mais chaque aspect de la totalité apporte sa contribution à l'ensemble et exige des capacités spécifiques.

Sur le plan théorique, il faut savoir analyser les rapports de forces entre les classes mais sur un laps de temps assez long, à l'échelle des phases historiques. Les positions de classe, le programme communiste, évoluent et s'enrichissent lentement au fur et à mesure de l'expérience historique, fournissant à ceux qui se penchent sur ces problèmes le temps de les assimiler. De plus, l'étude théorique permet, sinon de façon intégrale du moins de façon adéquate, de comprendre le matérialisme historique, le fonctionnement du système capitaliste et ses lois fondamentales.

De même, en ce qui concerne la question de la pratique organisationnelle, si une connaissance théorique ne remplace pas une continuité organique brisée par les convulsions du 20ème siècle, un effort de volonté et l'expérience limitée mais réelle de notre génération peuvent apporter des éclaircissements. Il en est tout autrement en ce qui concerne l'intervention ponctuelle dans le feu des événements. Ici, il s'agit d'analyser une conjoncture non pas sur une échelle de 20 ans, ni même 5, mais de pouvoir saisir l'enjeu à court terme, quelques mois, des semaines, même parfois des jours. Lors d'une épreuve de force entre les classes, on assiste à des fluctuations importantes et rapides face auxquelles il faut savoir s'orienter, guidé par les principes et les analyses sans se noyer. Il faut être dans le flot du mouvement, sachant comment concrétiser des "buts généraux" pour répondre aux préoccupations réelles d'une lutte, pour pouvoir appuyer et stimuler les tendances positives qui se font jour. Ici une connaissance théorique ne peut plus remplacer l'expérience. Même des expériences limitées auxquelles la classe ouvrière et les révolutionnaires ont pu participer depuis 1968 ne sont pas suffisantes pour acquérir un jugement sur.

Le CCI, pas plus que la classe ouvrière ne "découvre" l'intervention tout à coup aujourd'hui. Mais nous voulons contribuer à une prise de conscience de l'envergure que peuvent prendre les luttes dans les années à venir qui n'auront pas de commune mesure avec le passé immédiat. Les explosions actuelles et encore plus à venir mettront les révolutionnaires devant de grandes responsabilités et l'ensemble du milieu ouvrier devrait profiter des expériences des uns et des autres pour mieux corriger nos faiblesses, pour mieux se préparer. C'est pour cela que nous revenons ici sur les luttes en France de l'hiver dernier et l'intervention dg CCI depuis l'attaque du commissariat de police de Longwy en février 1979 par les ouvriers de la sidérurgie jusqu'à la Marche sur Paris du 23 mars 1979. Depuis lors, il y a eu d'autres expériences importantes d'intervention notamment dans la grève des dockers de Rotterdam en automne 1979 (voir Internationalisme, journal de la section du CCI en Belgique). Mais nous consacrons cet article aux événements autour du 23 mars parce que nous avons reçu un certain nombre de critiques de la part de groupes politiques; des critiques parfois "d'en haut" (généralement par ceux qui ne sont pas intervenus du tout) par des groupes qui apparemment veulent nous faire la leçon.

Le CCI n'a jamais prétendu avoir la science infuse ni le programme achevé. Nous commettons des erreurs inévitablement et nous nous efforçons de les reconnaître pour mieux les corriger. En même temps, nous voulons répondre à "nos censeurs", espérant ainsi clarifier une expérience pour tous et non pas encourager un tournoi stérile entre les groupes politiques

SIGNIFICATION DE LA "MARCHE SUR PARIS"

Si on prend la manifestation du 23 mars 1979 à part, comme un événement isolé, on ne comprend pas pourquoi cela devait susciter tant de discussions et de polémiques. Une manifestation à Paris, conduite par la CGT n'est pas chose nouvelle. L'énorme foule défilant durant des heures n'a rien en soi de quoi exciter l'imagination. Même la mobilisation exceptionnelle des forces de police et l'affrontement violent de milliers de manifestants aux forces de l'ordre n'est absolument pas chose nouvelle. On a vu cela autrefois. Mais la vision change radicalement et prend une tout autre signification dès qu'on se dégage d'une optique événementielle et qu'on situe le 23 mars dans un contexte plus général. Ce contexte indique un changement profond intervenu dans l'évolution de la lutte du prolétariat. Ce n'est pas le 23 mars qui ouvre le changement, mais c'est le changement intervenu qui explique le 23 mars qui n'est somme toute qu'une de ses manifestations.

En quoi consiste cette nouvelle situation ? La réponse est : l'annonce d'une nouvelle vague de luttes dures et violentes de la classe ouvrière contre l'aggravation de la crise et les mesures draconiennes d'austérité que le capital impose au prolétariat: licenciements, chômage, inflation, baisse du niveau de vie, etc.

Durant quatre ou cinq années, de 1973 à 1978, le capitalisme est parvenu en Europe à enrayer le mécontentement des ouvriers en faisant miroiter la perspective du "changement". "La gauche au pouvoir" était la principale arme pour mystifier la classe ouvrière et permit de canaliser le mécontentement dans l'impasse électoraliste. La gauche s'employait de toutes ses forces et durant des années, à minimiser la portée historique et mondiale de la crise, ramenant et réduisant celle-ci à une simple "mauvaise gestion" des partis de droite. La crise cessant d'être une crise générale du capitalisme devenait une crise propre à chaque pays et donc trouvait sa source dans les gouvernements de droite. Il en découlait que la solution devait également se trouver dans le cadre national, dans le remplacement de la droite par la gauche au gouvernement. Ce thème mystificateur a été grandement efficace dans la démobilisation de la classe ouvrière dans tous les pays d'Europe occidentale. Durant des années, l'espoir illusoire d'une amélioration possible de leurs conditions de vie par la venue de la gauche au pouvoir, a endormi la combativité de la première vague des luttes ouvrières. C'est ainsi que la gauche a pu mettre en pratique le "Contrat Social" en Grande-Bretagne, le "Compromis Historique" en Italie, le "Pacte de la Moncloa" en Espagne et le "Programme Commun" en France, etc.

Mais comme l'écrivait Marx, "il ne s'agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier se représente momentanément comme but. Il s'agit de ce que le prolétariat est et de ce qu'il sera historiquement contraint de faire conformément à son être". Le poids de l'idéologie et des mystifications bourgeoises peuvent momentanément avoir raison du mécontentement ouvrier mais elles ne peuvent pas arrêter indéfiniment le cours de la lutte de classe. Dans les conditions historiques actuelles, les illusions de la "gauche au pouvoir" ne pouvaient tenir trop longtemps devant l'aggravation de la crise, et cela aussi tien dans les pays où la gauche était déjà arrivée au gouvernement que dans ceux où elle était encore sur ses marches. Le barrage de la "gauche au pouvoir" s'usait et cédait lentement devant, l'accumulation d'un mécontentement chaque jour plus perceptible et moins convenable.

Ce sont les syndicats, les plus directement présents au sein de la classe, sur les lieux de travail, dans les usines qui enregistrent le mieux et les premiers ce changement qui est en train de se produire dans la classe et les dangers d'une explosion de la lutte. Ils sont conscients que, de la place qu'ils occupent, c'est-à-dire le soutien de la "gauche au pouvoir", ils ne sauraient contrôler de telles luttes. Ce sont eux qui font pression sur les partis politiques de gauche, dont ils sont le prolongement, et font valoir la nécessité du passage urgent dans l'opposition -la place la plus adéquate- pour faire plus sûrement dérailler le train de la nouvelle reprise des luttes ouvrières.

Ne pouvant plus comme auparavant, s'opposer et empêcher l'éclatement des luttes et des grèves, les partis de gauche et avant tout, les syndicats, doivent faire semblant de les soutenir et radicaliser leur langage afin de mieux les torpiller au cours de leur déroulement.

Les groupes révolutionnaires ont tardé et tardent encore à saisir pleinement cette nouvelle situation, caractérisée par la gauche dans l'opposition et tout ce qu'elle implique. En se contenant dans des généralités, sans tenir compte des changements intervenus dans la réalité concrète, leurs interventions restent forcément abstraites et leurs tirs marquent inévitablement les buts.

Le 23 mars n'est pas un événement isolé mais fait partie du cours général de reprise des luttes. Il est précédé par une série de grèves, un peu partout en France, et plus particulièrement à Paris : des grèves dures avec une haute combativité. Il est surtout le produit direct des luttes des ouvriers de la sidérurgie de Longwy et de Denain accompagnées d'affrontements violents contre les forces armées de l'État. Ce sont les ouvriers de Longwy et de Denain, en lutte contre la menace des licenciements massifs qui ont émis l'idée de la marche sur Paris. Les révolutionnaires devaient-ils soutenir cette initiative et participer à cette action ? Toute hésitation à ce sujet est absolument inadmissible. Le fait que la CGT, après avoir, en accord avec les autres centrales syndicales, tout fait pour faire échouer ce projet et le retarder, se soit décidé à y participer en prenant sur elle la tâche "d'organiser" cette marche ne pouvait nullement justifier l'abstention de la part des révolutionnaires. Il serait de la plus grande stupidité de leur part d'attendre des luttes "pures" et que la classe ouvrière soit déjà parvenue à se débarrasser complètement de la présence des syndicats pour daigner y participer. Si telle devait être la condition, les révolutionnaires ne participeraient jamais aux luttes menées par la classe ouvrière, jusqu'à et y compris la révolution. En même temps, on aura prouvé la parfaite inutilité de l'existence même des groupes révolutionnaires.

En prenant l'initiative FORMELLE de la marche du 23 mars, la CGT a démontré, non pas l'inanité de la manifestation mais sa capacité extrême de s'adapter à la situation, une capacité énorme de manœuvre et de récupération afin de mieux pouvoir saboter et dévoyer les actions du prolétariat. Cette capacité des syndicats de saboter les luttes ouvrières de l'intérieur même des luttes est le plus grand danger qu'aura à affronter dans les prochains mois et pour longtemps la classe ouvrière, et c'est aussi le combat le plus difficile que les révolutionnaires auront à livrer contre ces pires agents de la bourgeoisie. C'est de l'intérieur des luttes, et non en restant sur les bords que les révolutionnaires devront apprendre à combattre ces organes. Et c'est non pas par des généralités -abstraites, mais dans la pratique, par des exemples concrets au cours de la conduite de la lutte, compréhensibles et convaincants pour chaque ouvrier, que les révolutionnaires parviendront à démasquer les syndicats et dénoncer leur rôle anti-ouvrier.

NOS CENSEURS

Toute autre est la démarche de nos éminents censeurs. Ne parlons pas des modernistes, qui sont encore et toujours à se demander : qui est le prolétariat ? Ceux-là sont toujours à chercher et à découvrir les forces subversives capables de transformer la société. Perte de temps que d'essayer de les convaincre. Nous les retrouverons, peut-être, après la révolution, si toutefois ils survivent jusqu'alors ! Il en est d'autres, les intellectuels, trop occupés à écrire leurs grandes œuvres. Ils n'ont pas de temps à perdre dans des bagatelles comme le 23 mars. Il y aussi les "vieux combattants" par nature sceptiques et qui regardent les luttes actuelles avec des haussements d'épaules. Lassés et désabusés, par les luttes passées auxquelles ils avaient participé autrefois s’ils n'accordent plus grande foi aux luttes présentes» Ils préfèrent écrire leurs mémoires et il serait inhumain de les déranger de leur triste retraite. Il y a aussi les spectateurs de bonne volonté, qui, s'ils souffrent parfois du mal d'écriture, sont toutefois des "anti-militants" forcenés. Ils ne demandent pas mieux que de se laisser convaincre mais pour cela ils ... attendent les évènements. Ils attendent... et ne comprennent pas que d'autres s'y engagent.

Mais il y a aussi des groupes politiques pour qui l'intervention militante est la raison de leur existence et qui trouvent cependant à critiquer notre intervention du 23 mars.

Le FOR, par exemple. Activiste et volontariste au-delà du commun, ce groupe se refuse à participer à la manifestation, probablement pour la raison que celle-ci avait pour axe la lutte contre les licenciements. Le FOR qui ne reconnaît qu'une "crise de civilisation" nie qu'il y ait crise économique du système capitaliste. Licenciements, chômage, austérité, ne sont pour lui que des apparences ou des phénomènes secondaires qui ne peuvent servir de terrain de mobilisation pour des luttes ouvrières. Pourtant le FOR s'est bien souvent livré à l'élaboration des revendications économiques comme la hausse massive des salaires, le refus des heures supplémentaires, et notamment en 68, émettait la revendication de la semaine de 35 h. A croire que c'était uniquement par un goût prononcé de la surenchère et du radicalisme verbal. La présence de la CGT et sa direction de la manifestation complétaient la raison de la dénonciation de celle-ci.

Un autre exemple, le PIC. Ce groupe qui avait fait de l'intervention à toute vapeur son cheval de bataille s'est distingué par son absence précisément dans ces mois tourmentés de luttes du début de 1979. Ayant pris en 74 -dans le moment de stagnation et de recul des luttes- un départ à plein gaz (prétendant "intervenir" dans chaque petite grève localisée, se proposant de multiplier des feuilles de boites, etc....) le PIC à la façon d'un mauvais sportif, arrive épuisé et essoufflé au moment où il faut sauter. Évidemment, il ne vient pas à l'idée du PIC de se demander si la raison des échecs répétés de ses "campagnes" artificielles (rassemblement pour le soutien des ouvriers portugais, conférence des groupes pour l'autonomie ouvrière, bloc anti-électoral, rencontres internationales, etc.) ne résiderait pas dans son incompréhension de ce que peut et doit être une intervention, dans son ignorance voulue du rapport existant nécessairement entre l'intervention communiste et l'état de la lutte de classe. L'intervention pour le PIC est un pur acte de volonté, et de même qu'il ne comprend pas la nécessité de nager sur les côtés quand on veut remonter la rivière, il ne comprend pas davantage pourquoi on doit nager au milieu quand on veut aller dans le sens de la rivière. Tout ce raisonnement reste de l'hébreu pour le PIC qui préfère inventer d'autres explications pour justifier son absence et pour -comme il se doit- la théoriser. Ainsi, les interventions bidon, l'illusion de l'intervention se transforment aujourd'hui en non intervention effective.

C'est juste au moment où se manifeste une nouvelle irruption de la classe et sa volonté combative de faire face aux attaques du capitalisme et de sa politique d'austérité et de licenciements que le PIC "découvre" que ces luttes, comme les luttes pour les revendications économiques en général relèvent du réformisme. A ces luttes de résistance, il oppo­se "l'abolition du salariat" pour laquelle il se propose de lancer une nouvelle campagne.

Nous savons par expérience ce qu'il y a derrière ces "campagnes" épisodiques du PIC : des bulles de savon qui apparaissent et disparaissent aussitôt dans le vide. Ce qui est plus intéressant, c'est la redécouverte que le PIC fait du langage des modernistes et la récupération pour lui de cette "phraséologie révolutionnaire" typique de feu Union Ouvrière dont il entend peut-être occuper la place vide. Mais revenons à la définition du réformisme que le PIC identifie à tort avec la résistance ouvrière aux attaques immédiates de la bourgeoisie[1]. Le réformisme dans le mouvement ouvrier d'avant 1914 ne consistait nullement dans le fait de la défense des intérêts immédiats de la classe ouvrière mais dans la séparation opérée par lui entre cette défense des intérêts immédiats et le but final historique du prolétariat : le communisme, ne peut être atteint que par la révolution[2].

Les idéologues de la petite bourgeoisie radicale, les restes du mouvement étudiant, les continuateurs anarchisants de l'école proudhonienne opposent au réformisme l'haleine brûlante de leur phraséologie pseudo-révolutionnaire, mais partagent avec lui la séparation artificielle entre luttes immédiates et but final, entre revendications économiques et luttes politiques. Le "mouvement est tout, le but n'est rien" (Bernstein) du réformisme et le "but est tout le mouvement n'est rien" des phraséologues modernistes ne s'opposent qu'en apparence mais sont en réalité l'endroit et l'envers d'une même démarche.

Les marxistes révolutionnaires ont de tout temps combattu les uns et les autres. Ils se sont toujours élevés énergiquement contre toute tentative d'opérer ce genre de séparation. Ils ont de tout temps montré l'unité indivisible du prolétariat, à la fois classe exploitée et classe révolutionnaire, et l'unité indivisible de sa lutte, à la fois pour la défense de ses intérêts immédiats et pour son but historique. De même que dans la période ascendante du capitalisme -avec la possibilité d'obtenir des améliorations durables l'abandon du but historique révolutionnaire équivalait à une trahison du prolétariat, de même dans la période de décadence l'impossibilité des améliorations ne saurait servir de justification pour la renonciation à la lutte de la résistance ouvrière et l'abandon de ses luttes pour la défense de ses intérêts immédiats. Une telle démarche quel que soit le radicalisme de la phraséologie qui la recouvre, signifie purement et simplement la désertion et l'abandon de la classe ouvrière.

C'est un abus éhonté que d'utiliser "l'abolition du salariat" à l'encontre de la lutte violente que livre la classe ouvrière contre les licenciements dont elle est victime aujourd'hui. Citer à tort et à travers en la séparant de son contexte cette formule célèbre extraite du fameux exposé fait par Marx dans le "Conseil général" de TAIT en 1865 contre l'oweniste J.Weston, et connue sous le nom de "Salaire, prix et profit", revient à commettre une grossière déformation de la lettre et de l'esprit de son auteur. Cette déformation qui a pour racine un "radicalisme faux et superficiel" (Marx. "Salaire, prix et profit". Ed. Sociales, p. 117) repose entièrement sur la séparation et l'opposition faites entre la défense des conditions de vie de la classe ouvrière et l'abolition du salariat. Dans cet exposé remarquable, Marx s'acharne à démontrer la possibilité et la nécessité pour la classe ouvrière de mener une lutte quotidienne pour la défense de ses intérêts économiques, non seulement parce que tel est son intérêt immédiat mais surtout parce que cette lutte est une des conditions majeures de sa lutte historique contre le capital. Il énonce cet avertissement : «S'il (le prolétariat) se contentait d'admettre la volonté, l'ukase du capitaliste comme une loi économique constante, il partagerait toute la misère de l'esclave sans jouir de sa situation assurée" (idem. p. 135). Et plus loin, après avoir démontré que la "tendance générale de la production capitaliste n'est pas d'élever les salaires moyens, mais de les abaisser", Marx tire cette première conclusion :

  • " Mais telle étant la tendance des choses dans ce régime, est-ce à dire que la classe ouvrière doive renoncer à sa résistance contre les empiétements du capital et abandonner ses efforts pour arracher dans les occasions qui se présentent tout ce qui peut apporter quelques améliorations à sa situation ? Si elle le faisait, elle se ravalerait à n'être plus qu'une masse informe écrasée, d'êtres faméliques auxquels on ne pourrait plus du tout venir en aide"»

Et revenant sur le même point, il poursuit plus loin :

  • " Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait elle-même de la possibilité d'entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande ouverture"'. (idem. p.141)

Il n'est jamais venu à Marx l'idée saugrenue d'opposer le mot d'ordre de l'abolition du salariat à la lutte immédiate, considérée et rejetée comme réformiste, comme veulent le faire croire tous les fanfarons qui se gargarisent avec la phraséologie 'révolutionnaire". Non, c'est textuellement contre 'illusion et le mensonge d'une harmonie possible entre le prolétariat et le capital, basée sur une fausse notion abstraite de justice et d'équité qu'il oppose son mot d'ordre :

  • " Au lieu du mot d'ordre conservateur "un salaire équitable pour une journée de travail équitable ils (les ouvriers) devraient inscrire sur leur drapeau le mot d''ordre révolutionnaire "abolition du salariat".

Devons-nous rappeler encore la lutte de Rosa Luxemburg contre la séparation entre programme minimum et programme maximum, revendiquant dans son discours au "congrès de la Fondation du Parti Communiste" fin 1918, l'unité du programme, de la lutte économique et immédiate et de la lutte politique du but final, comme deux aspects d'une seule lutte historique du prolétariat. C'est aussi dans le même sens que Lénine, tant abhorré par le PIC, pouvait affirmer que "derrière chaque grève se profile le spectre de la révolution".

Pour le PIC, au contraire, la lutte contre les licenciements équivaut à revendiquer... le salariat, tout comme pour Proudhon l'association des ouvriers et les grèves signifiaient la reconnaissance du capital. Voilà comment nos sévères censeurs ont compris et interprètent et déforment la pensée marxiste !

Le PCI bordiguiste, quant à lui, n'est pas en reste quand il s'agit de minimiser l'importance de la manifestation du 23 mars ou même d'en faire tout autre chose que ce qu'elle représentait réellement. Alors que dans "Le Prolétaire" nr288, on couvre la plus grande partie de la première page par un article sur le 1er mai bien que cette journée ne soit plus depuis longtemps qu'une célébration de la "fête du travail", qu'une sinistre mascarade orchestrée par ces pires ennemis de la classe ouvrière que sont les partis de gauche et les syndicats , on ne consacre, avant et après le 23 mars, que quelques commentaires furtifs, tendant à faire de cette manifestation exactement la même chose que n'importe quelle "journée d'action". Ainsi, avant le 23 mars, on peut lire dans "Le Prolétaire " nc285 (p.2) : "Dès lors que les forces ont été contenues, il n'y a plus qu’à donner le change par une "vaste action" de type journée nationale qui en donnant l'illusion de la solidarité, détruit son tranchant de classe et ne lui laisse d'autre issue qu'une intervention sur le terrain parlementaire ..."

Après le 23 mars, le PCI revient sur cette journée pour n'y voir autre chose que : "Un gaspillage prévisible d’énergies ouvrières, une entreprise de division et de démoralisation, une journée de bourrage de crâne à coups de beuglements chauvins, de pacifisme social et de crétinisme électoral." (Le Prolétaire n°287 : "Quelques enseignements de la marche sur Paris").

Ainsi, enfermé dans ses schémas du passé, le PCI est passé en bonne partie à côté de la réalité des affrontements de classe de l'hiver dernier. Ceci ne l'a pas empêché de dénoncer (Le Prolétaire n°285) "les nouvelles formes plus "romantiques" d'opportunisme qui ne manqueront pas de fleurir en réaction au sabotage réformiste et centriste, à savoir les formes de syndicalisme, de conseillisme, d'autonomisme, de terrorisme, etc." Sans faire de persécution, nous pouvons nous sentir visés par cette référence aux "conseillistes" quand on sait que le PCI qualifie toujours ainsi notre organisation et que ses militants ne se sont pas privés lors de diverses réunions publiques d'attaquer notre "opportunisme" et notre "suivisme" par rapport aux luttes du début 79 en France. À croire qu'il ne se regarde jamais dans un miroir! Ne sait-il donc pas qu'on ne doit jamais parier de corde dans la maison d'un pendu !

Nous le reprocher, c'est le comble de la part d'un "Parti" (sic) qui défend toujours la "nature prolétarienne des syndicats, parce qu'ils rassemblent des ouvriers", argument aussi spécieux que la défense trotskyste de la nature "toujours prolétarienne" de l'État russe. Il n'y a pas si longtemps que le PCI faisait encore valoir les titres de noblesse de la CGT, dues à ses origines prolétariennes et qui la distingueraient des autres confédérations syndicales, aux origines plus douteuses. Et que penser du cahier de revendications immédiates élaboré par le PCI où, entre autres, on réclame pour les chômeurs le droit... de rester membres des syndicats ? On se souviendra aussi de la réclamation équitable, du droit de vote... pour les ouvriers immigrés. On n'a pas oublié le zèle particulier avec lequel les membres du PCI, dans le service d’ordre de la manifestation des Foyers Sonacotra interdisaient, sous prétexte d'apolitisme, la vente des journaux révolutionnaires. Et comment doit-on apprécier ce soutien apporté par le PCI au Comité de Coordination des Foyers Sonacotra, en se chargeant de la diffusion (lors de la réunion publique de la "Gauche Internationaliste") d'un tract appelant à un meeting à Saint-Denis, contresigné par des sections syndicales et l'union locale CFDT, et en plus portant cette précision : "Meeting soutenu par "Parti Socialiste Saint-Denis"? Le PCI se reconnaîtrait-il donc en lisant dans ce tract : "Aujourd'hui, tous les démocrates de ce pays doivent prendre position."

Ces terribles pourfendeurs de l'opportunisme qui sont encore à préconiser la tactique, oh combien "révolutionnaire" (!) du Front Unique syndical, tactique quotidiennement appliquée par la CGT et la CFDT pour mieux encadrer et immobiliser les ouvriers en lutte, sont vraiment mal placés pour donner des leçons à qui que ce soit. En identifiant syndicats EN GENERAL et réformisme, ils entretiennent la plus grande confusion parmi les ouvriers. En effet, les révolutionnaires pouvaient et devaient participer au mouvement syndical dans la période ascendante du capitalisme, malgré le fait que l'orientation et la majorité était réformiste. Il n'en n'est pas de même aujourd'hui, dans la période de décadence quand les syndicats devaient nécessairement devenir et sont effectivement devenus des organes de l'État capitaliste dans tous les pays. Il n'y a aucune place pour la défense de classe et donc pour les révolutionnaires dans de telles organisations.

En ne tenant pas compte de cette différence fondamentale entre les syndicats d'aujourd'hui et le réformisme, en les identifiant, et en qualifiant ces syndicats de réformistes le PCI rend le plus grand service à la bourgeoisie, en l'aidant à faire croire aux ouvriers que c'est leur organisation. D'autre part, il lui fait gratuitement un cadeau -sa caution révolutionnaire- très appréciable, un cache sexe, avec lequel les syndicats cachent leur nudité, leur nature et leur fonction anti-ouvrière. Quand le PCI aura compris cette différence, il sau­ra alors peut-être, mieux juger ce qu'est une intervention révolutionnaire et ce qu'est opportunisme et suivisme.

LA CWO ET NOTRE INTERVENTION

Pour terminer d'une façon plus détaillée, examinons le n°15 de "Revolutionary Perspectives" dans lequel la Communist Workers Organisation de Grande-Bretagne se livre à une dissection professorale de ce qu’il fallait faire, de ce qui aurait dû être fait, de ce qu'on pouvait faire, de ce qu'on aurait pu faire le 23 mars dernier, le tout avec un minimum d'informations et un maximum de remarques outrancières à l'égard du CCI... pour les besoins de la cause polémique:

  • " Étant donné la vision de ce groupe (le CCI), dominé par le spontanéisme et l'économisme, son intervention n'était qu'une série d'efforts incohérents et confusionnistes. Bien que le CCI soit intervenu très tôt dans les villes de la sidérurgie en dénonçant les syndicats et en appelant les ouvriers à s'organiser et à étendre la lutte3 il a rejeté pour lui tout rôle d'avant-garde fidèle à ses tendances conseillistes. Le CCI s'est refusé de canaliser l'aspiration des ouvriers en faveur d'une marche sur Paris vers un aboutissement pratique, préférant dire aux ouvriers de s'organiser "eux-mêmes". À certaines occasions, le CCI a pu surmonter cette hésitation comme par exemple à Dunkerque où les militants du CCI ont aidé les ouvriers à transformer une réunion syndicale en assemblée de masse. Mais ceci a été fait empiriquement sans dépasser réellement ses conceptions spontanéistes et conseillistes. Le CCI dans son "tournant pratique" va finir dans l'opportunisme et non pas dans une pratique cohérente d'intervention puisqu'il lui manque toute compréhension de la conscience et du rôle de l'avant-garde communiste... ".

Le CWO, par contre, qui comprend parfaitement les chemins de la conscience et du parti dirigeant a tout compris du 23 mars : "Par rapport au 23 mars il est clair que seule une action d'arrière-garde était alors possible"'. Voilà une clarté magnifique qui vient, 6 mois après les événements nous dire que ce n'était pas la peine de se casser la tête !

Quelle analyse approfondie de la CWO lui a-t-elle permis d'avoir cette clarté lumineuse ? Que dit la CWO sur la situation politique et sociale en France ? Dans le n°10 de Revolutionary Perspecti­ves, au moment des élections en France, nous avions lu que la CWO constatait (avec le monde entier) que "l'initiative reste du côté de la classe dominante" et qu'il y a eu une relative paix sociale en France depuis 5 ans. Dans le n°15, en octobre 79, la CWO récite ce passage en ajoutant : "Depuis lors, nous sommes heureux de vous informer que la situation a changé". Merci pour la nouvelle! Constater une réalité quand elle crève les yeux n'est guère une base pour l'intervention. L'intervention ne se prépare pas en s'agitant après coup pour se donner de l'importance mais en affinant à temps ses analyses politiques. Ce n'est pas chose facile, surtout en comité restreint comme pour la CWO mais également pour toute organisation révolutionnaire. Cependant, malgré la difficulté de saisir toutes les nuances d'une réalité mouvante, dès avant les élections de mars 1978, le CCI (dans la RINT n°13) a attiré l'attention sur le fait que les conditions du reflux commençaient à s'épuiser et que des soubresauts de la combativité ouvrière longtemps contenue se préparaient (ce qui allait se révéler juste à travers les grèves du printemps 1978 en Allemagne, aux USA, en Italie et en France). De cette perspective tracée par le CCI qui nous a permis de rester vigilants et de reconnaître l'importance des premiers signes de lutte et d'y être présents, de cette analyse qui ensuite nous a permis de mettre en garde la classe ouvrière contre le danger de la gauche dans l'opposition, la CWO ne parle pas et pour cause : petite polémique oblige. Se contenter de constater une situation, c'est quand même mieux que l'attitude d'autres groupes révolutionnaires qui refusent de reconnaître la montée des luttes mais ce n'est pas suffisant pour s'orienter rapidement face à des surgissements brusques.

Si la CWO ne peut pas nous reprocher de n'avoir pas su armer l'organisation pour affronter la lutte de classe, il nous reproche par contre de ne pas avoir su "être l'avant-garde" d'un mouvement "voué à être une action d'arrière-garde". On dirait, avec cette notion "d'avant-garde de l'arrière-garde" que la CWO donne l'impression d'avoir le cul par-dessus tête, ou, tout au moins d'être amateur de contorsions.

Mais sur quelle analyse géniale se base la CWO pour pouvoir dire du haut de sa chaire que le 23 mars était d'avance voué à l'échec ? Quelle était réellement la situation ?

La combativité ouvrière a explosé à Longwy avec la mobilisation générale des ouvriers sidérurgistes contre les licenciements, l'attaque du commissariat de police, la destruction des dossiers au siège patronal, une situation de lutte ouverte échappant au contrôle des syndicats et dénoncée par ces derniers. L'agitation s'étend à Denain et à toute la sidérurgie. De plus, à Paris, plusieurs grèves éclatent contre les licenciements, contre l'austérité et les conditions de travail : à la Télévision française (SFP), dans les banques, les assurances, aux PTT. Dans cette situation pleine de potentialités dans le contexte de la crise, que faire ? Se contenter de parler dans le vague de la nécessité de généraliser la grève, de sortir de la région et de la catégorie ? Les ouvriers, eux, ont pensé à concrétiser cette idée de l'extension de la lutte et Ils ont commencé à parler d'une marche sur Paris, Paris où à travers toute l'histoire du mouvement ouvrier en France, le détonateur social a toujours été le plus efficace. Comment ne pas soutenir ce besoin exprimé et revendiqué par les ouvriers des zones en lutte de se centrer à Paris ? Pourquoi pendant plus d'un mois, les syndicats ont-ils fait face à ce projet ouvrier en repoussant de jour en jour sa réalisation ? N'est-ce pas qu'ils espéraient l'annuler complètement ou du moins de le désamorcer ?

Mais avant même d'avoir fixé la date de fin mars (suffisamment tard pour permettre un matraquage des ouvriers) les syndicats faisaient déjà inlassablement leur travail de sape. Ils utilisaient la tactique de la division syndicale pour rompre toute tendance à l'unité parmi les ouvriers : la CGT (syndicat PC) prenait sur elle "l'organisation" de la marche pour mieux la saboter de l'intérieur alors que la CFDT criait bien haut qu'elle refusait les "journées nationales étouffoirs". Au début, personne ne pouvait se prononcer avec certitude sur l'ampleur que pourrait prendre la manifestation du 23 mars. Toute la question repose dans les potentialités des luttes qui se déroulaient à ce moment-là. Dix jours avant la manifestation, il était encore possible que cette marche devienne le catalyseur concret de la volonté d'élargir les luttes et faire l'unité entre les sidérurgistes et les ouvriers en grève à Paris, de faire de cette marche un débordement syndical. Mais si les révolutionnaires ont senti cette potentialité, (c'est à dire ceux qui ne croient pas que tout est voué à l'échec d'avance), la bourgeoisie et son armée syndicale l'ont senti aussi. Les syndicats se sont mis à la besogne et quelques jours avant le 23 mars, ils ont précipité la rentrée de tous les grévistes de la région de Paris. Une à une les luttes se sont éteintes sur une pression syndicale hors du commun. De toute façon, il est clair que la date tardive de la manifestation avait été choisie par les syndicats en vue de l'application de cette tactique.

Nous avions distribué des tracts aux grévistes en les appelants à la marche, à l'unité dans la lutte, au débordement syndical. Mais la pression de la bourgeoisie a eu raison de cette première tentative d'expression de la combativité ouvrière. Déjà, dans les villes du nord, les ouvriers se méfiaient et avec raison de la CGT qui avait tout encadré. Tout en disant qu'il ne fallait pas laisser venir des délégations syndicales, que les ouvriers devaient venir en masse, ce qui constituait la seule possibilité de sauver la marche, nous nous sommes rendus compte que la délégation de Denain, par exemple, serait beaucoup plus restreinte qu'on ne pouvait le penser.

Que faire ? Continuer sur la lancée comme si rien n'était ? Bien sûr que non ! Les jours précédant le 23 mars, le CCI a préparé un tract pour la manifestation qui disait que seul le débordement syndical pouvait donner à la marche le véritable contenu qu'avaient espéré les ouvriers. Au passage, la CWO accuse le CCI d'avoir diffusé un tract désignant la manifestation comme un "pas en avant". Il est facile d'extraire un mot d'une phrase pour lui faire dire son contraire, or il est dit dans ce tract : "Pour que la journée du 23 mars soit un pas en avant pour notre lutte à tous." et le contenu du tract ne laisse pas planer le doute sur la nécessité de rompre le cordon syndical. Les syndicats l'ont d'ailleurs si bien compris que leurs S.0.déchiraient le tract et agressaient nos militants qui vendaient le journal RI n°59, lequel titrait: "Pas d'extension des luttes sans débordement syndical" et "Salut aux ouvriers de Longwy".

Mais attention ! La CWO, elle, aurait fait autrement. Elle nous donne la leçon : d'abord on aurait dû "canaliser la marche vers un aboutissement pratique" au lieu de "dire aux ouvriers de s'organiser eux-mêmes". Que signifie exactement "canaliser la marche nous-mêmes" ? "... Avant la manifestation, le CCI aurait dû intervenir pour dénoncer la manifestation comme une manœuvre pour tuer la lutte..." Ceci, dès le début en février, ou seulement après que la CGT ait pris le train en marche et fait rentrer les ouvriers de Paris ? La CWO ne daigne pas éclaircir ces petits détails. Il ne semble pas comprendre qu'un mouvement de classe va vite et des rapports de force entre les classes sont à saisir sur le terrain au fur et à mesure. Mais "le CCI aurait dû appeler à une autre alternative pour la marche : aller aux usines de Paris et appeler aux grèves de solidarité". Nous avons appelé à la solidarité dans les entreprises à Paris, Mais pour la CWO, si nous avons bien compris, la manifestation était vouée à l'échec d'avance. Fallait-il la dénoncer et en proposer une autre? (Où ? à la télé ? en tirant un lapin du chapeau ?) et au cours de celle-ci marcher sur les usines (lesquelles ? aucune n'était alors en grève). La CWO devrait se mettre d'accord : soit une manifestation est vouée à l'échec d'avance et alors on la dénonce à la rigueur mais on ne se fait pas d'idées sur le "détournement", soit une manifestation a une potentialité importante et alors on ne la dénonce pas. Quant à une manifestation "alternative", cette idée est aussi absurde que celle d'une poignée d'ouvriers de Longwy qui nous a demandé de les loger à Paris s' ils descendent à 3000. Supposer que nous aurions pu offrir cette alternative aujourd'hui, c'est planer dans les nuages de la rhétorique, c'est se croire en période quasi-insurrectionnelle. La question n'était pas d'imaginer l'impossible sur le papier, mais de réaliser tout ce qui était possible dans la pratique.

La CWO pense qu'il était possible à une minorité révolutionnaire de détourner cette manifestation. Il néglige encore une fois de préciser comment et dans quelle circonstance. Curieuse conception de la CWO, qui, en gros, verrait la révolution à chaque coin de rue, du moment que le parti infaillible donne les bonnes directives, et cela quel que soit le degré de maturité de la classe.

Cependant, malgré le sabotage le plus raffiné, le plus systématique, malgré un service d'ordre de 3000 "gros bras" du PC pour encadrer les ouvriers, malgré l'éparpillement des ouvriers les plus combatifs dès leur arrivée dans la banlieue parisienne, malgré la dispersion manu-militari dans les rues avoisinantes de l'Opéra, le 23 mars n'était pas une manifestation promenade à l'image des sinistres 1er mai. Le 23 Mars, la combativité ouvrière ne pouvant pas trouver une brèche par où s'exprimer, a explosé dans une bagarre où des centaines d'ouvriers ont affronté le service d'ordre syndical. Mais là aussi, la CWO a une version à elle de la vérité : "aller suivre ces ouvriers sans réfléchir en un combat futile avec les CRS/CGT était un acte désespéré".

La CWO invente à présent que notre intervention "irréfléchie" s'est réduite à aller combattre les flics aux côtés des ouvriers dans un combat "futile" Venant d'une autre publication, cette "accusation" nous laisserait songeurs! Avons-nous vraiment besoin de préciser que nos camarades n'ont pas cherché la bagarre mais se défendaient contre les charges de CRS comme les autres ouvriers et avec eux. Ils ont reculé avec les manifestants jusqu'à la dispersion complète du rassemblement tout en continuant à diffuser et à discuter. Le CCI n'a jamais exalté la violence en soi, ni aujourd'hui, ni demain, au contraire, comme en témoignent les textes publiés sur la période de transition. La CWO nous reproche maintenant d'avoir été obligés de nous défendre contre la police tandis que dans le n°13 de RP, on peut lire : "Le CCI est sous l'influence grandissante des illusions libérales et pacifistes"(p.6). La CWO devrait se décider : les membres du CCI sont des "rêveurs", des "utopistes", parce qu'ils sont contre la violence au sein de la classe pendant la révolution (tandis que la CWO, telle l'instituteur de la révolution, se frotte déjà les mains en préparant la bonne leçon de plomb destinée aux ouvriers qui ne marcheront pas droit) ; par contre, quand le CCI s'affronte avec la police dans une manifestation, alors la CWO trouve cela "irréfléchi". S'affronter avec la police est "futile" mais s'entretuer, voilà une "tactique" vraiment révolutionnaire !

Nous avons dit que la marche sur Paris offrait une occasion de concrétiser la nécessité et la possibilité de la généralisation des luttes, une occasion pour montrer la force réelle de la classe ouvrière. Que cette potentialité n'ait pas pu se réaliser n'est pas de notre fait. Bien que nous ayons tenté de lancer l'idée d'un meeting par une prise de parole, la rapidité de la charge de la police en conjonction avec la dispersion organisée tambour battant par les syndicats n'a pas permis aux milliers de prolétaires qui "ne se dispersaient pas" de tenir un meeting.

Le fait que la manifestation du 23 mars n'ait rien donné d'autre que ce que voulaient en faire les syndicats ne signifie cependant nullement qu'elle n'ait eu aucune potentialité. Malgré tout le sabotage préalable, malgré le report de sa date après la fin des grèves de la région parisienne, elle aurait pu également tourner autrement comme l'a démontré quelques jours plus tard le débordement de la manifestation de Dunkerque où le meeting syndical qui devait la clore s'était transformé en assemblée ouvrière où un nombre important de travailleurs avait dénoncé les syndicats. Avec la logique de la CWO, les révolutionnaires n'auraient pas dû participer à cette manifestation puisque encore plus encadrée et d'une certaine façon bien plus "artificielle" que celle du 23 mars; ils se seraient alors privés d'une intervention importante et relativement efficace comme s'en est privé le PCI qui avait une analyse similaire à celle de la CWO.

Après la marche, le CCI a diffusé à toutes les usines où se font les interventions régulières un tract-bilan analysant la réussite du sabotage syndical. Il y était dit que l'enseignement essentiel de cette lutte où les syndicats se sont dévoilés comme défenseurs de la police contre la colère des ouvriers réside dans le fait qu'il n'y a pas d'autre issue pour la classe ouvrière que le débordement syndical.

Dans l'intervention de l'organisation lors de toute la période mouvementée des luttes des ouvriers de la sidérurgie en France, la CWO ne voit que la "culmination d'une longue série de capitulations politiques du CCI". Ce groupe ne sait pas mesurer ses mots. Outre le fait que ses remarques sur comment une "véritable (!) intervention révolutionnaire" aurait pu se faire ne tiennent pas debout, il n'y a rien dans ce qui a été fait par le CCI qui justifierait l'accusation de "capitulation politique". Le CCI a été fidèle à ses principes et une orientation cohérente. L'agitation est une arme difficile à manier et elle s'apprend sur le terrain. Nous ne prétendons pas que chacun des 7 tracts diffusés en 6 semaines soit un chef d'œuvre, mais il n'y a rigoureusement rien dans toutes les critiques de la CWO qui pourrait prouver un quelconque écart à nos principes. Que Messieurs les futurs aspirants à la "direction" de la classe ouvrière de demain reconnaissent que l'intervention du CCI n'est pas du style substitutioniste, nous nous en félicitons, mais dans la pratique, ils n'ont rien de précis à apporter comme contribution et leurs paroles ne sont en fin de compte autre chose que du vent.

La CWO conclut son assaut de mauvaise foi contre le CCI en disant que sur les questions vitales du mouvement ouvrier d'aujourd'hui, telles que "doit-on aider à la constitution de groupes d'ouvriers chômeurs? Doit-on aider des noyaux ouvriers ? Doit-on assister à des réunions internationales d'ouvriers même s'il y a encore une influence syndicale ?", le CCI ne fait que laisser ses membres dans le noir et les destine à tomber dans l'opportunisme. Là, il dépasse la mesure. La CWO a pourtant assisté au 3ème Congrès du CCI où ces questions ont été soulevées : mais il est devenu amnésique à moins qu'il n'ait fait la sourde oreille. Il faut dire que lorsqu'on n'est pas habitué comme c'est le cas de la CWO à l'élaboration des positions politiques dans une organisation internationale et quand on croit au monolithisme à l'intérieur de son armoire, on a du mal à s'orienter dans un Congrès où il y a forcément différentes propositions, une confrontation d'idées. Mais si la CWO se noie déjà aujourd'hui dans un verre d'eau, que fera-t-il dans la tourmente de la lutte de classe le jour où tous les ouvriers se mettront à réfléchir.

Nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses, pas plus que la CWO d'ailleurs qui, dans un sursaut de réalisme, avoue qu'il n'a "pas encore une totale clarté sur ces question". Mais sur les questions posées plus haut, le CCI a déjà répondu oui dans la pratique (cf. le comité de chômeurs d'Angers, la grève de Rotterdam, la réunion internationale des dockers à Barcelone). Tout en appuyant toute tendance vers l'auto organisation de la classe ouvrière, nous devons savoir comment l'orienter, quels dangers éviter, comment contribuer à cet effort ? Et pour cela, on ne peut compter que sur les principes et l'apport de l'expérience.

C'est dans ce sens que nous affirmons la nécessité de donner notre soutien à toutes les luttes du prolétariat sur un terrain de classe. Nous appuyons les revendications décidées par les ouvriers eux-mêmes à condition que celles-ci soient conformes aux intérêts de la classe ouvrière. Nous refusons le jeu de la surenchère gauchiste (les syndicats et la gauche demandent 20 centimes, alors les gauchistes proposent 25 centimes !) ainsi que l'idée absurde du PCI de faire des "cahiers de revendications" à la place des ouvriers.

Le plus grand obstacle devant les luttes ouvrières aujourd'hui est constitué par les syndicats. Nous nous efforçons dans une période de montée des luttes de dénoncer les syndicats non seulement de façon générale abstraite mais surtout concrètement, dans la lutte, de démontrer dans le quotidien leur sabotage de la combativité ouvrière.

L'essentiel de toute lutte ouvrière aujourd'hui c'est la poussée vers l'extension : au-delà des catégories, des régions et même des nations, l'unité de la lutte ouvrière contre la décomposition du système capitaliste en crise. Une lutte qui se laisse isoler va vers la défaite. Il n'y a qu'une seule chose qui fait reculer le capital, l'unité et la généralisation des luttes. En cela, la situation présente se distingue de celle du siècle dernier où la durée d'une lutte était un facteur essentiel de sa réussite : en face d'un patronat beaucoup plus dispersé qu'aujourd'hui, le fait d'arrêter la production pendant une longue période pouvait créer des pertes économiques catastrophiques pour l'entreprise et constituait donc un moyen efficace de pression. A l'heure actuelle, par contre, il existe une solidarité d'ensemble du capital national, prise en charge notamment par l’État, qui permet à une entreprise de tenir bien plus longtemps (surtout dans un moment de surproduction et d'excédent des stocks). De ce fait, une lutte qui s'éternise a toutes les chances d'être perdue de par les difficultés économiques qu'elle provoque pour les grévistes et la lassitude qui s'installe à la longue. C'est pour cela que les syndicats ne sont pas trop gênés pour jouer à peu de frais les "va-t-en-guerre" en déclarant "nous tiendrons le temps qu'il faudra": ils savent, qu'à la longue, la lutte sera brisée. Par contre, ce n'est pas par hasard qu'ils sabotent tout effort de généralisation : ce que craint par dessous tout la bourgeoisie, c'est d'avoir à affronter un mouvement touchant non telle ou telle catégorie de la classe ouvrière, mais tendant à se généraliser à son ensemble mettant en présence deux classes antagoniques et non pas un groupe d'ouvriers à un patron. Alors elle risque d'être paralysée tant économiquement que politiquement et c'est pour cela qu'une des armes de la lutte c'est la tendance à son élargissement même s'il ne se réalise pas d'emblée. La bourgeoisie a bien plus peur des grévistes qui vont d'usine en usine pour tenter de convaincre leurs camarades d'entrer en lutte, que de grévistes qui s'enferment dans leur usine même avec la volonté de tenir deux mois.

C'est pour cela et parce qu'elle préfigure les combats révolutionnaires de demain qui embraseront toute la classe que la généralisation des luttes est le leitmotiv de l'intervention des révolutionnaires aujourd'hui.

Pour pouvoir mener la lutte en dehors et contre les syndicats, la classe ouvrière s'organise de façon hésitante au début mais en laissant entrevoir déjà les premiers signes de la tendance vers l'auto-organisation du prolétariat (voir la grève de Rotterdam en septembre 1979). Nous appuyons de toutes nos forces les expériences qui enrichissent la conscience de classe sur ce point capital.

Quant aux ouvriers les plus combatifs, nous poussons à ce qu'ils se groupent non pas pour constituer de nouveaux syndicats, ni même pour qu'ils se perdent dans un apolitisme stérile issu d'un manque de confiance en soi, mais en groupes ouvriers, comités d'actions, collectifs, coordinations, etc., lieux de rencontres entre ouvriers, ouverts à tous les ouvriers pour discuter les questions fondamentales devant la classe. Sans s'enthousiasmer plus qu'il ne faut et sans bluffer, nous affirmons que le bouillonnement dans la classe ouvrière s'annonce déjà par des minorités combatives contribuant au développement de la conscience de classe non pas tant par les individus directement concernés à un moment donné mais par le fil historique que la classe reprend en ouvrant la discussion et la confrontation en son sein.

Sur ces questions comme sur la manifestation du 23 mars, on doit affirmer qu'il n'y a pas de recettes toutes faites valables de tout temps. Demain de multiples autres manifestations de la combativité ouvrière concentreront notre attention parce que révélatrices de la force du prolétariat. Comme l'ensemble de la classe, les révolutionnaires ont devant eux des tâches de la plus grande importance : définir des perspectives en tenant compte d'une situation précise, savoir quand il faut passer de la dénonciation générale à la dénonciation concrète fournie par les faits, quand il faut aller à un rythme supérieur, apprécier le niveau réel de la lutte, définir à chaque étape les buts immédiats par rapport à la perspective révolutionnaire.

Nous ne sommes dans le monde qu'une poignée de militants révolutionnaires ; il ne faut pas se faire d'illusions sur l'influence directe des révolutionnaires aujourd'hui, ni sur la difficulté qu'aura la classe ouvrière à se réapproprier le marxisme. Dans le tourbillon des explosions de lutte, dans cette œuvre "de la conscience, de la volonté, de la passion, de l'imagination qu'est la lutte prolétarienne'', les révolutionnaires ne pourront jouer un rôle que "s'ils n'ont pas désappris d'apprendre".

JA/MC/JL/CG


[1] En effet, dans "Jeune Taupe" n°27, le PIC ait suivre un tract d'un groupe d'ouvriers d'Ericsson qu'il reproduit, d'une critique dans laquelle il lui reproche de s'opposer aux licenciements en arguant que : "Il ne semble pas que l'on puisse à la fois "maintenir l'emploi" et "en finir avec le capitalisme et le salariat".

[2] Il faut se garder de confondre le réformisme avec les syndicats d'aujourd'hui. Le réformisme fondait sa politique de négation de la nécessité de la révolution, en lui opposant la défense des intérêts immédiats des ouvriers, sur des illusions émanant d'un capitalisme en pleine expansion. Tandis que les syndicats dans la période de décadence ne nourrissent aucunes illusions, et s'ils sont toujours contre la révolution, ils ont en plus abandonné également la défense des intérêts immédiats des ouvriers, se convertissant en organes directs de l' État capitaliste.

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [33]
  • L'organisation révolutionnaire [34]

Gauche mexicaine 1938

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INTRODUCTION

Dans le n°10 de la Revue Internationale (juin-août 1977) nous avons commencé la publication de textes de la gauche communiste mexicaine. Comme nous l'avons proposé, nous avons continué ce travail, il est vrai avec retard, mais indépendamment de notre seule volonté, en publiant dans le dernier numéro (19)  le texte sur "Les nationalisations". Texte dans lequel  la gauche mexicaine dénonçait vigoureusement cette mystification, largement utilisée par les partis soi-disant ouvriers pour tromper sans vergogne la classe ouvrière et mieux la rattacher à la défense du capital  national. Aujour­d'hui comme hier, les nationalisations continuent à être la plate-forme de ces partis, et l'accélération de cette évolution vers le capitalisme d'Etat est toujours présentée par eux comme l'alternative ouvrière à la crise du capitalisme. Et tout comme hier, les trotskystes et autres gauchistes continuent sur cette question comme sur tant d'autres à leur emboîter le pas et leur servir d'auxiliaires très dévoués.

Les deux textes que nous publions aujourd'hui sont à notre connaissance les derniers que ce groupe a publiés dans leur revue "Comunismo" n°2    (octobre-décembre 1938). La violente hostilité de toutes les forces de la bourgeoisie, de droite et de gauche,  la campagne de dénonciation publique dans le style stalinien par la section mexicaine de la 4ème Internationale contre les militants et le groupe comme étant des  "provocateurs, agents de Hitler et de Staline", la répression (voir leur "Appel" publié dans le n° 10 de la Revue Internationale) du gouvernement de gauche, et surtout la bourrasque de la guerre s'approchant à pas accélérés ont eu raison des faibles forces de la gauche mexicaine, qui  vu son extrême jeunesse n'a pas su résister longtemps à une telle coalition des forces ennemies. Le "Groupe des travailleurs marxistes" de Mexico disparaît dans la tourmente de l'année 1939. Mais dans ce court laps de temps  (2 ans) de son existence, le    groupe communiste de gauche du Mexique a su apporter une contribution effective dans la défense des positions communistes fondamentales. Sa place et sa contribution dans les heures .les plus sombres du mouvement révolutionnaire international  ne devraient pas rester méconnues des nouvelles générations.

Le premier texte que nous publions dans cette revue est un exemple vivant de comment les révolutionnaires défendent dans un pays sous-développé les positions de classe et dénoncent tous  les mensonges d'une bourgeoisie "progressive". Bon exemple, non seulement contre les trotskystes et leur soutien à Cardenas, mais également contre les bordiguistes d'aujourd'hui  qui  ne trouvaient rien de mieux que de critiquer ( !)  "les faiblesses" du gouvernement de gauche d'Allende au Chili  face à Pinochet, de lui  reprocher ses hésitations (!) et de lui donner post festum des conseils édifiants sur la "violence révolutionnaire".

On se souvient de l'apologie faite par les bordi­guistes de la "terreur révolutionnaire" exemplaire les khmers rouges au Cambodge. C'est aussi à eux lue s'adresse  la conclusion de l'article de la gauche mexicaine, quand dénonçant les mensonges de "révolution sociale" dont s'affublait le parti national  révolutionnaire (parti  gouvernemental) elle s'écrie :

"Quelle vision sociale si magnifique : établir dans le pays la paix de cimetière et décréter qu’elle est  "la société sans classe"....  comme l’entendent les généraux."

Le deuxième texte est une étude analytique des thèses du 2ème congrès de l'Internationale Communiste sur la question nationale et coloniale.  Il est absolument inévitable pour tout groupe communiste, se dégageant du long cours de la dégénérescence et de la trahison finale de la 3ème Internationale de dénoncer non seulement la contre-révolution stalinienne mais encore de soumettre à une critique minutieuse les travaux de l'Internationale Communiste depuis ses premières années au temps glorieux de Lénine. Tout comme les fractions italiennes et belge de la gauche communiste internationale, la gauche mexicaine ne pouvait se contenter d'emboucher simplement les clairons de la plus plate apologie de tout ce qui  venait de Lénine, comme le faisaient les trotskystes ou comme le font aujourd'hui  les bordiguistes. La gauche mexicaine aurait le plus grand mal à reconnaître dans ces derniers les continuateurs de  "Bilan" tant ils ont régressé sur bien des questions pour apparaître comme une variante du trotskysme. Comme les révolutionnaires,  lors de l'éclatement de la première guerre mondiale, ne pouvaient se contenter d'un simple constat de la trahison de la 2ème Internationale mais devaient soumettre à un examen critique toute l'involution au cours de son histoire, la gauche communiste ne pouvait et ne devait pas se contenter de  stigmatiser le triomphe de la contre-révolution stalinienne mais devait chercher à mettre à nu ses racines dont, non la moindre, se trouve dans l'immaturité de la pensée et l'organisation du mouvement communiste lui-même. Le stalinisme ne tombe pas du ciel et ne surgit pas du néant.  Et s'il est absurde de jeter l'enfant avec l'eau sale de la baignoire, de condamner l'Internationale Communiste parce qu'en son sein a pu se développer et triompher le stalinisme (voir par exemple "les modernes" tard venus, et sévères  "juges de paix provinciaux" comme le PIC et la Gauche Internationaliste"), il n'est pas moins absurde de prétendre que l'eau de la baignoire a toujours été absolument pure et parfaitement limpide, de présenter l'histoire de "L'Internationale Communiste" divisée en deux périodes bien tranchées, dont l'une, la première serait du cristal pur, révolutionnaire, sans la moindre tâche, sans défaillance aucune et brusquement interrompue par l'explosion de la contre-révolution. Ces imageries d'un paradis bienheureux et d'un horrible enfer sans aucun lien entre eux, n'a rien à voir avec un mouvement réel, telle l'histoire du mouvement communiste où la continuité se fait au travers de profondes ruptures, et où les futures ruptures ont leurs germes dans le processus de la continuité.

Seul l'examen critique inexorable, l'autocritique constante permet au mouvement révolutionnaire de la classe de surmonter ses faiblesses, son immaturité d'hier et de corriger ses erreurs du passé et lui donner la possibilité de se hisser à la hauteur de ses tâches historiques, de mieux ajuster ses positions au travers de l'expérience. Il  n'est pas surprenant que la gauche mexicaine ait porté l'examen de la question nationale au centre de ses préoccupations.  A côté des questions de la période historique de la décadence et ses implications -la question syndicale, électorale, fascisme et antifascisme,  fronts uniques- la question nationale est une de celles qui a laissé le plus d'ambiguïtés permettant des interprétations opportunistes et entrouvrant la porte à ces courants.

Dans la première partie de ce texte, la gauche mexicaine, en rappelant le premier et le deuxième paragraphe de la deuxième thèse du second congres de l'IC, s'efforce de démontrer comment les trotskys-tes et autres  "anti-impérialistes" dénaturent sans vergogne la position de principe énoncée dans les thèses du second congrès.  Elle revendique ses prin­cipes internationalistes comme un acquis du mouve­ment communiste et dénonce toute altération comme une régression vers des positions nationalistes bourgeoises.  C'est par la suite, que la gauche mexicaine se proposait de faire la critique des insuffisances, des ambiguïtés que contenaient en­core ces thèses, notamment le troisième paragraphe. Autant les deux premiers paragraphes    mettent clai­rement l'accent sur la séparation nécessaire entre les intérêts de classe des exploités et le concept trompeur bourgeois d'un soi-disant intérêt natio­nal commun à toutes    les classes, le troisième paragraphe, lui, reste dans le vague, dans la sim­ple description de l'exploitation à outrance de la majorité des pays sous-développés par une minorité de pays où le capital   est hautement développé sans tirer d'autre conclusion que le constat que telle est "la situation propre à l'époque du capital  fi­nancier impérialiste".

Que découlait-il  de ce constat ? Pour la majorité centriste de l'Internationale autour de Lénine et le parti bolchevique, il s'en suivait que dans certaines circonstances et plus particulièrement dans une période révolutionnaire, le prolétariat concentré dans les pays de haut développement ca­pitaliste pouvait trouver dans son assaut contre le monde capitaliste un appui  dans les pays sous-développés en butte à 1'oppression des grandes puissances. L'erreur d'une telle conclusion réside dans le fait de faire découler mécaniquement d'un constat d'antagonismes existants entre pays dominants et pays dominés une affirmation qui  fait de cet antagonisme une opposition historique irrécon­ciliable contre l'ordre existant. La société bour-geoise n'est pas une société harmonieuse mais fon­dée sur beaucoup d'antagonismes entre pays à capi­tal  hautement développé et pays sous-développés, entre des pays développés eux-mêmes, entre un bloc de pays contre un autre bloc, pour la domination du monde. Ce qui aboutit dans la période impérialiste à des guerres généralisées. La question est de savoir si ces antagonismes mettent en question 1'ordre bourgeois, tendent à donner une solution aux contradictions qui  déchirent la société, la mènent à des catastrophes, ou bien ces antagonismes ne sont que les manifestations de l'ordre existant, son mode d'existence ?

Pour les marxistes, seul l'antagonisme de classe du prolétariat contre la bourgeoisie présente une dynamique révolutionnaire, non pas seulement parce que c'est la lutte des opprimés contre l'oppression, mais uniquement parce que le prolétariat porte en lui  la solution à tous les antagonismes et contradictions dans lesquels la société s'est embourbée et cette solution est l'instauration d'un nouvel ordre social : une société sans classes et sans divisions nationales : le communisme. L'ambiguïté de la position plaçait l'Internationale Communiste sur une pente dangereuse. Les démentis fracassants et les échecs successifs auxquels cette politique a conduit (voir le soutien à Kemal  Pacha en Turquie, ou à Tchang Kaï chek en Chine) n'a fait que savonner plus la pente et accélérer la dégénérescence de l'Internationale.  D'une "possibilité occasionnelle", la position devenait une règle constante et la possibilité pour le prolétariat de trouver un appui  problématique dans les luttes nationales des pays coloniaux s'est transformée en un soutien inconditionnel  du prolétariat aux luttes nationales et nationalistes. C'est ainsi que les trotskystes ont fini par participer à la guerre impérialiste et à la défense nationale au nom de 1'antifascisme allemand et que les bordiguistes, tournant le dos à la conception d'une révolution internationale ont construit une théorie d'aires géographiques où dans les unes, (une minorité) serait à Tordre du jour la révolution prolétarienne et dans les autres  (groupant l'immense majorité des pays et de la population mondiale)  serait à l'ordre du jour "la révolution démocratique bourgeoise anti-impérialiste".

La disparition de sa revue en 1939 a empêché la gauche mexicaine de poursuivre sa critique implacable des positions ambiguës de la 3ème Internationale. Mais déjà cette première partie de leur étude constitue une contribution très importante à ce travail.

Il  appartient aux révolutionnaires aujourd'hui de le reprendre et de le continuer.

LE PARTI DE LA REVOLUTION MEXICAINE «RECONNAIT LA LUTTE DE CLASSE» POUR COMBATTRE LA REVOLUTION PROLETARIENNE

Un des traits les plus caractéristiques  de la vie politique de nos jours est le fait que la bourgeoisie, pour dévoyer l'attaque des masses affamées et désespérées ,se présente, hypocritement et démagogiquement, comme l'opposé de ce qu'elle est en réalité, c'est à dire, elle se fait passer pour le défenseur des masses contre la bourgeoisie elle-même. Bien entendu, pour réussir un mensonge aussi éhonté et absurde, la bourgeoisie doit se diviser en deux secteurs : l'un "oppresseur" et l'autre "protecteur" et ces deux secteurs, les  "mauvais" capitalistes et les  "bons" doivent être "en lutte". Dans le cas des pays à dictature masquée qui se dénomment "démocratiques", ce sont les "bons" capitalistes qui  détiennent le pouvoir ; dans le cas des pays à dictature ouverte, ce sont les "mauvais". Dans le second cas, les  "bons" capitalistes, les "protecteurs des masses" se trouvent en situation "d'opposition irréconciliable" selon leurs propres ternies. Mais dans un cas comme dans l'autre, c'est un secteur capitaliste qui "défend" les masses contre un autre secteur capitaliste. Les ouvriers et les paysans pauvres, pour se libérer du joug capitaliste n'ont plus qu'à offrir leur destinée aux capitalistes eux-mêmes  -bien entendu aux "bons", ceux qui  se déguisent ennemis". Cet abandon total  à l'ennemi  de classe qui, naturellement, exige d'énormes sacrifices économiques et politiques et jusqu'à la vie même (comme c'est le cas aujourd'hui en Espagne et en Chine), pour "protéger" les prolétaires et les paysans contre les autres capitalistes, les "réactionnaires", "fascistes", ou "impérialistes", cet abandon de la lutte, donc, se nomme, ironiquement "lutte". Au Mexique, devenu aujourd'hui  le jardin tropical  de l'exubérance démagogique, cela s'appelle même "lutte de classe"!

Lorsqu'on lit les phrases ci-après de la déclaration du "nouveau" P.R.M., "Parti  de la Révolution Mexicaine et authentique représentant des travailleurs", et l'éditorial  intitulé "Sur le patriotisme" dans  "El  Nacional" du 21 avril   1938, on se croirait facilement dans un asile de fous.

"La lutte de classe est reconnue -par le Parti de  la Révolution mexicaine et par le consensus de  l'opinion ouvrière du pays, comme une réalité insurmontable étant donné que c'est un phénomène inhérent au système de production capitaliste. On ne pourra espérer la paix sociale que  lorsque ce régime sera substitué. Nous; les révolutionnaires,  concevons la société structurée en deux couches superposées par la force d'une loi économique que le capitalisme impose comme valable, ne fut-ce que de façon transitoire. Le paysan maya est plus frère du pêcheur finlandais,  brumeux dans ses eaux polaires,  que du propriétaire blanc, maître de  la même  langue,  fils du même sol et protégé par des institutions identiques, qui n'emploie ce qu'il a en commun avec son serf que pour mieux le spolier."

Et qui est-ce qui  parle ainsi ? L'authentique représentant de la bourgeoisie, l'authentique représentant du système capitaliste, l'authentique représentant des propriétaires blancs, l'ennemi irréconciliable des [paysans mayas et des pécheurs finlandais,  le parti  de la soi-disant "révolution mexicaine"!

LES OPPRESSEURS VEULENT DIRIGER LA LUTTE  DES OPPRIMES.

Les capitalistes et propriétaires fonciers mexicains  "reconnaissent" ainsi  la lutte de classe, mais, naturellement, ils ne se réfèrent.pas à la lutte de classe entre eux et les masses opprimées, mais à la lutte entre les opprimés et les exploités et les autres propriétaires fonciers et capitalistes, les  "mauvais", les  "fascistes". Contre ces derniers, la "bonne" bourgeoisie mexicaine, dirigée par les généraux "démocratiques" lutte à côté des ouvriers et de paysans, et-non seulement elle participe à cette lutte, mais encore elle la dirige! Il est clair qu'une telle "lutte de classe", dirigée par un secteur de la bourgeoisie elle-même, ne signifie pas lutte des opprimés contre les oppresseurs, mais, au contraire, une lutte de ceux-ci contre les opprimés. C'est la lutte de classe de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers, "bons" et "mauvais" ensemble, contre les prolétaires et les paysans.

La bourgeoisie mexicaine "reconnaît"  la lutte de classe dans le but de dénaturer la lutte des exploités contre les exploiteurs et d'utiliser la combativité aux fins de la lutte des exploiteurs contre les exploités. Voilà la clé de la confusion qui règne aujourd'hui  parmi  le prolétariat et la paysannerie du pays et l'explication de leurs innombrables défaites.

IL MANQUE UN PARTI  DE LA REVOLUTION PROLETARIENNE !

Le triomphe de la démagogie "classiste" de la bourgeoisie mexicaine s'explique par l'absence d'un parti classiste du prolétariat du Mexique. Il n'existe,  en dehors de notre organisation, aucun autre groupe, aussi  petit soit-i1, qui essaie de combattre à partir des positions du marxisme, le mensonge de la bourgeoisie "révolutionnaire" du pays. Ainsi, la démagogie du P.R.M. et de tous les grands "ouvriéristes" au gouvernement trouve la voie libre et atteint des limites inconnues dans d'autres pays.

"Celui qui accepte seulement la lutte de classe n'est pas encore marxiste et peut rester dans le cadre de  la pensée et de  la politique bourgeoises.. .  Est marxiste seulement celui qui "étend la reconnaissance de  la lutte de classes " jusqu'à la DICTATURE DU PROLETARIAT". (Lénine dans l’Etat et la révolution)

Combattre la bourgeoisie et la détruire complètement au moyen de la dictature du prolétariat, c'est cela pour les marxistes, pour les communistes, le seul chemin pour "substituer" au régime actuel  un autre qui  instaurera enfin la "paix sociale"  (pour reprendre les termes de la déclaration du P.R.M.).

Les généraux du P.R.M. et leurs rusés conseillers "ouvriéristes" ont, bien entendu, une conception entièrement différente.  D'après eux, SUBSTITUER un régime à un autre, cela signifie simplement CHANGER SON ETIQUETTE, et cela naturellement, ils peuvent et doivent le faire EUX-MEMES. En d'autres termes, il ne s'agit pas seulement d'une soi-disant "lutte de classes", mais d'une  "révolution sociale"... sous la direction des généraux !

Quelle magnifique vision  "sociale" : établir dans le pays la paix des cimetières et décréter que c'est là la "société sans classes"...  telle que l'entendent les généraux !

UNE ANALYSE DES THESES DU 2eme CONGRES DE L INTERNATIONALE COMMUNISTE 1920 (1ière  partie).

Sur les questions nationale et coloniale

"Abolissez l’exploitation de  l'homme par l'homme et vous aurez aboli  l'exploitation d'une nation par une autre".

Le paragraphe 2 des Thèses   du Second Congrès de l'Internationale Communiste, sur les questions nationale et coloniale, dit textuellement :

"Conformément à son but essentiel - la lutte contre  la démocratie bourgeoise,  dont il s'agit de démasquer l'hypocrisie - le Parti Communiste-  interprète conscient du prolétariat en lutte contre le joug de la bourgeoisie, doit considérer comme formant la clef de voûte de  la question nationale,  non des principes abstraits et formels, mais : 1° une notion claire des circonstances historiques et économiques ; 2° la. dissociation précise des intérêts des classes opprimées, des travailleurs,  des exploités, par rapport à  la conception générale des soi-disant intérêts nationaux, qui signifient en réalité ceux des classes dominantes ; 3° la division tout aussi nette et précise des nations opprimées, dépendantes,  protégées, et oppressives et exploiteuses, jouissant de tous les droits, contrairement à l'hypocrisie bourgeoise et démocratique qui dissimule, avec soin, l'asservissement (propre à l'époque du capital financier de l'impérialisme) par la puissance financière et colonisatrice, de l'immense majorité des populations du globe à une minorité de riches pays capitalistes."

Nous allons analyser ce paragraphe avec soin, point par point.

LA LUTTE CONTRE LA DEMOCRATIE.

Le plus significatif dans ce paragraphe est sans aucun doute son début : l’affirmation claire, sans équivoque que la tâche essentielle du Parti Communiste Mondial  n'est pas la fameuse "défense de la démocratie" dont nous parlent tant aujourd'hui les prétendus "communistes", mais au contraire la lutte contre elle  !

Cette affirmation répétée tant de fois dans d'autres thèses de l'Internationale de l'époque de Lénine, quoiqu'aujourd'hui niée catégoriquement par l'institution qui  porte encore ce nom, servait à Lénine et à ses camarades de point de départ précisément pour l'étude des questions nationale et coloniale. Et il n'y a pas d'autre point de départ !  Ceux qui  n'acceptent pas la lutte contre la démocratie bourgeoise comme la tâche principale des communistes, ne peuvent jamais donner une solution marxiste à ces questions.

LE MENSONGE  DE L'EGALITE  DANS LE SYSTEME DANS LE SYSTEME CAPITALISTE.

Le premier paragraphe des thèses explique plus en détail quels sont ces "principes abstraits et formalistes" que le Parti  de la Révolution Prolétarienne doit rejeter comme base de sa tactique dans les questions nationale et coloniale.

"La position abstraite et formelle de  la question de  l'égalité,  y compris de  l'égalité des nations,  est propre à  la démocratie bourgeoise sous la forme de  l'égalité des personnes en général. La démocratie bourgeoise proclame l'égalité formelle ou juridique du prolétaire,  de  l'exploiteur et de  l'exploité,  induisant ainsi les classes opprimées dans la plus profonde erreur. L'idée d'égalité%  qui n'était que  le reflet des rapports créés par la production pour le négoce, devient,   entre  les mains de  la bourgeoisie,  une arme contre  l'abolition des classes combattue  désormais au nom de l'égalité absolue des personnalités humaines."

La lutte pour l'abolition des classes serait évidemment superflue si, comme l'affirme la bourgeoisie, l'égalité était réellement possible au sein de la société actuelle malgré sa division en classes. La vérité est que non seulement il  n'y a pas d'égalité au sein de la société actuelle, mais qu'il ne peut pas y en avoir. Les thèses ajoutent, à la fin du paragraphe cité :

"Quant à la signification véritable de la revendication égalitaire,  elle ne réside que dans la volonté d'abolir les classes".

Et encore une fois, au paragraphe 4, on parle de :

"Car ce rapprochement est la seule garantie de notre victoire sur le capitalisme,  sans laquelle ne peuvent être abolies ni les oppressions nationales,  ni  l'inégalité"'.

En d'autres termes : l'affirmation de l'existence de l'égalité ou, au moins dans la société actuelle, de la possibilité de son existence, a comme but de préserver l'exploitation et l'oppression de classes et de nations. La revendication de l'égalité, sur la base de l'abolition des classes poursuit le but opposé : la destruction de la société actuelle et la construction d'une nouvelle société sans classe .  La première est l'arme préférée de tous les réformistes au service de la contre-révolution. La deuxième est une revendication du prolétariat conscient de ses intérêts de classe, l'exigence du Parti  de la Révolution Prolétarienne Mondiale.

LES PROLETAIRES N'ONT PAS D’INTERETS NATIONAUX".

D'après le second point des thèses citées, le Parti Communiste Mondial  doit rejeter le "concept général  des soi-disant intérêts nationaux" parce que ces intérêts n'existent pas et ne peuvent pas exister puisque toutes les nations sont divisées en classes aux intérêts opposés et irréconciliables, de sorte que ceux qui  parlent d'"intérêts nationaux", consciemment   ou inconsciemment, défendent les intérêts des classes dominantes. L'affirmation selon laquelle il  pourrait exister des  "intérêts nationaux", c'est-à-dire des intérêts communs à tous les membres d'une nation, se fonde justement sur la soi-disant "égalité formelle et juridique de l'exploiteur et de l'exploité" proclamée hypocritement par les classes possédantes et exploiteuses elles-mêmes. Sur les traces de Marx et Engels, nous devons combattre le mensonge qui  dit par exemple que "tous les mexicains" seraient égaux et que nous aurions des intérêts communs et donc une "patrie" commune à défendre. La patrie est à eux. Les travailleurs, comme l'a déjà affirmé avec une absolue clarté le Manifeste Communiste il y a presque cent ans, n'ont pas de patrie. Notre futur ne connaîtra pas des patries différentes au nom desquelles les classes possédantes pourront envoyer les dépossédés sur les champs de bataille, mais une seule patrie : l'humanité laborieuse.

LE BON VOISIN DE LA BOURGEOISIE MEXICAINE

Pour combattre efficacement la bourgeoisie et détruire sa société, nous devons rejeter non seulement le mensonge de l'égalité des hommes au sein des nations, mais aussi  celui  de l'égalité des nations. Nous devons démontrer, comme nous le montre le deuxième point des thèses citées, que "1'asservissement par la puissance financière et colonisatrice de l'immense majorité des populations du globe à une minorité de riches pays capitalistes" (Etats Unis, Angleterre, France, Allemagne, Italie, Japon) est une situation propre à l’époque du capital financier et Impérialiste" et que cet asservissement, par conséquent, ne peut disparaître avec quelques déclarations mensongères contre l'impérialisme pour une soi-disant politique du "bon voisin", mais seulement avec la disparition du capitalisme lui-même, avec sa destruction violente par le prolétariat mondial.

Nous ne devons pas nous lasser de répéter cette vérité fondamentale, non pas sous une forme abstraite, générale mais sous une forme qui démasque concrètement chaque jour l'hypocrisie démocratique dont parlent les thèses.  Dans le cas du Mexique, il est nécessaire de démasquer le mensonge selon lequel  un pays capitaliste avancé et, par conséquent, impérialiste comme les Etats-Unis, pourrait être le "bon voisin" d'un pays capitaliste arriéré comme le Mexique.  Il  faut détruire le mensonge selon lequel l'amitié qui se noue en ce moment entre les exploiteurs d'Amérique du Nord et les serviles exploiteurs mexicains équivaudrait à une "amitié entre les peuples d'Amérique du Nord et du Mexique", comme les exploiteurs des deux pays veulent nous faire croire.  Il  faut au contraire insister sur le fait que nos seuls bons voisins sont les prolétaires et tous les opprimés des Etats Unis et du monde entier, avec lesquels de vrais intérêts communs nous unissent contre les exploiteurs et leurs  "patries" respectives.

LE PATRIOTISME CONTRE-REVOLUTIONNAIRE DES  STALINIENS ET DES TROTSKYSTES.

Tout cela est admis "théoriquement" par les soi-disant "communistes" de souche stalinienne et trotskyste, mais,  dans la pratique, ils font le contraire. Les staliniens du Mexique et des Etats-Unis sont aujourd'hui au premier rang de ceux qui font l'éloge de la  "nouvelle politique" de l'impérialisme nord-américain. Les trotskystes ne le font pas aussi ouvertement ; ils utilisent la méthode indirecte qui  consiste à n'attaquer que les "mauvais voisins" de la bourgeoisie mexicaine : l'impérialisme anglais, allemand, japonais.

Mais leur lutte contre les positions fondamentales de l'Internationale Communiste du temps de Lénine va plus loin. Utilisant un tour de passe-passe propre aux renégats, les staliniens et les trotskystes  "oublient" le point des thèses citées qui parle de "la dissociation précise des intérêts des classes opprimées, des travailleurs,  des exploités, par rapport à  la conception générale des soi-disant intérêts nationaux, qui signifient en réalité ceux des classes dominantes" et s'accrochent exclusivement à l'autre point qui parle de  "la division tout aussi nette et précise des nations opprimées,   dépendantes,  protégées et des nations oppressives et exploiteuses".

C'est ce que fait par exemple Léon Trotski dans ses attaques    contre notre position sur la guerre chinoise (voir le bulletin interne de la Ligue Communiste Internationaliste du Mexique n°1). Avec cette méthode, il arrive exactement à la même position que les staliniens : au lieu de démontrer aux prolétaires chinois que leurs intérêts de classe sont irréconciliables avec les soi-disant "intérêts nationaux" (en réalité les intérêts des exploiteurs chinois) et que, par conséquent, ils doivent lutter autant contre leurs ennemis "compatriotes" que contre l'ennemi envahisseur, au moyen de la fraternisation avec les soldats japonais et du défaitisme révolutionnaire. Au lieu de cela, Trotski s'efforce de convaincre les exploités de Chine que leurs intérêts de classes: coïncident dans une certain mesure, c'est-à-dire sur le point de la défense de la soi-disant "patrie", avec "les intérêts nationaux" de leurs exploiteurs !

Pour Trotski, les prolétaires "en général" n'ont pas de patrie. Il reste par là "théoriquement" fidèle au marxisme. Mais dans le cas concret des prolétaires de Chine, du Mexique, de tous les pays opprimés et dépendants, c'est-à-dire dans le cas de la majorité écrasante des pays du monde, cette règle fondamentale du marxisme n'a pour lui aucune application. "Le patriotisme chinois est légitime et progressif" affirme ce renégat ! Bien entendu, pour lui et ses semblables, il en va de même pour le patriotisme mexicain, guatémaltèque, argentin, cubain, etc.

LES TRAVAILLEURS N'ONT PAS DE PATRIE MEME DANS LES PAYS  OPPRIMES !

Pour un marxiste, cela ne fait pas de doute que le plus important des points cités dans les thèses du Second Congrès de TIC est justement le deuxième point, celui qui insiste sur la non-existence d' "intérêts nationaux" et que la distinction qui est faite au troisième point, entre "nations opprimées" et "nations oppressives", doit se comprendre dans ce sens. En d'autres termes, même dans les nations opprimées, il n'existe pas d'autre "intérêt national" que celui des classes dominantes. La conclusion pratique de cette position théorique est que les règles fondamentales de la politique communiste doivent être appliquées à tous les pays, impérialistes, semi-coloniaux et coloniaux. La lutté contre le patriotisme et la fraternisation avec lés opprimés de tous les pays, y compris les prolétaires et paysans en uniforme des armées dés pays impérialistes, est une des règles dé la politique communiste qui n'admet pas d'exception"!

"Il résulte de ce qui précède que la pierre angulaire de la politique de l'Internationale Communiste, dans les questions coloniale et nationale, doit être le rapprochement des prolétaires et des travailleurs de toutes les nations et de tous les pays pour la lutte commune contre les possédants et la bourgeoisie. Car ce rapprochement est la seule garantie de notre victoire sur le capitalisme, sans laquelle ne peuvent être abolies ni les oppressions nationales, ni l'inégalité."

L'application de cette "pierre angulaire" aux situations concrètes exclut clairement tout cas de "patriotisme légitime" et de "'défense nationale". Dans le cas de la guerre en Chine par exemple, quelle autre application peut avoir la règle générale de la "lutte commune des prolétaires et travailleurs de toutes les nations et de tous les pays contre les possesseurs et la bourgeoisie" que celle de la fraternisation entre les soldats chinois et japonais pour la lutte commune contre les possesseurs et les capitalistes chinois et japonais, c'est-à-dire le défaitisme révolutionnaire des deux côtés ? Comment peut-on faire entrer dans cette règle générale, la politique de Trotski de participation dans la lutte militaire sous les ordres de Tchang-Kai-Chek ?

CHANGEMENT DE TACTIQUE, PAS DE PRINCIPE !

Pour nous répondre, Trotski cite le cas de Marx et Engels qui ont soutenu la guerre des Irlandais contre la Grande Bretagne et celle des Polonais contre le Tsar, même si, dans ces deux guerres nationales, les chefs étaient dans la majorité bourgeois et parfois même féodaux. Le problème est que Trotski, malgré ses grandes connaissances, n'a pas compris l'importance primordiale du premier point que les thèses du Second Congrès de TIC qualifient de "clé de voûte de la question nationale" : "une notion claire des circonstances historiques et économiques".

Notre grand historien ex-marxiste ne se souvient-il pas que la tactique communiste ne peut pas être la même dans la phase ascendante du capitalisme (dont il nous cite deux exemples de guerres progressives) et dans sa phase de décomposition, la phase impérialiste, celle que nous vivons actuellement ? Les circonstances historiques et économiques ont changé à un tel point depuis l'époque où Marx et Engels ont soutenu la guerre des Irlandais et des Polonais, que ce serait un suicide pour le prolétariat de suivre aujourd'hui la même tactique qu'à cette époque.

Il est clair que les changements tactiques ne doivent jamais sortir du cadre des principes communistes déjà établis et dont la validité a été vérifiée mille fois par les événements. Loin de sortir de ce cadre, chaque réajustement tactique doit être une application plus correcte, plus rigide de ces principes, parce que ce ne sont pas seulement de nouvelles situations qui nous obligent à effectuer de tels changements mais aussi l'expérience historique c'est-à-dire l'étude de nos erreurs du passé. Ce n'est que comme ça que l'on peut maintenir la continuité de la lutte communiste à travers la décomposition des anciens organismes ouvriers et la création de nouveaux.

LE RENEGAT TROTSKY REVISE LE MANIFESTE COMMUNISTE ET LES THESES DU SECOND CONGRES DE L’IC.

Un des principes fondamentaux qui doit guider toute notre tactique   sur la question nationale est l’antipatriotisme. "Les travailleurs n'ont pas" de patrie". Quiconque propose une nouvelle tactique qui aille à rencontre de ce principe abandonne les rangs du marxisme et passe au service de 1'ennemi.

Or, ce qui est intéressant est que le même Trotski qui insiste sur le fait que le prolétariat doit aujourd'hui suivre la même tactique qu'à l'époque de Marx et Engels, abandonne ouvertement le principe déjà affirmé par ces deux hommes dans le Manifeste Communiste !  Dans sa préface à la nouvelle édition du Manifeste Communiste publiée récemment sn Afrique du Sud, ce renégat déclare sans honte : "...Il est bien évident que la "patrie nationale" qui, dans les pays avancés, est devenue le pire "frein historique, reste encore un facteur relativement progressif dans les pays arriérés, ceux qui sont obligés de lutter pour leur existence indépendante".

Ainsi le renégat veut régler sa montré 100 ans en retard ! (Texte inachevé)

Géographique: 

  • Mexique [35]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [36]

Revue Internationale no 21 - 2e trimestre 1980

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Révolution ou guerre.

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Dans le précédent numéro de la "Revue Internationale", nous soulignions l'importance de la décennie qui s'ouvrait et que nous appelions "Les années de vérité". Nous mettions notamment en avant le pas qualitatif que la bourgeoisie était en train d'accomplir dans ses préparatifs vers une nouvelle guerre mondiale :

"D'une certaine façon, les années 70 furent des années d'illusion. Face à la crise qui se développait, la bourgeoisie s'est cramponnée pendant des années à l'espoir qu'il y avait des solutions  Aujourd'hui, la bourgeoisie déchante. De façon sourde mais lancinante, elle découvre qu'il n'y a pas de solution à la crise... Réalisant qu'elle est dans une impasse, il ne lui reste plus que la fuite en avant. Et, pour elle, la fuite en avant, c'est la marche vers la guerre...

Aujourd'hui, avec le constat de la faillite totale de son économie, la bourgeoisie est en train de prendre une conscience plus claire de la situation et agit en conséquence. D'une part, elle renforce encore ses armements... Mais, elle n'agit pas seulement sur le terrain des armements, elle a également entrepris de créer une psychose de guerre afin de préparer l'opinion à ses projets de plus en plus bellicistes".

("Années 80, les années de vérité")

A la suite du battage provoqué autour de la prise d'otages de Téhéran, nous mettions en particulier en évidence l'intensification de la campagne idéologique du bloc occidental et notamment des USA :

"Si un des objectifs des USA dans la crise actuelle est le renforcement de son bloc sur le plan de la cohésion internationale, un autre objectif bien plus important encore réside dans la mise en place d'une psychose de guerre... Depuis longtemps, on n'avait vu se développer un tel torrent d'hystérie guerrière... Auprès d'une population rationnellement peu favorable d l'idée d'une intervention extérieure,... qui, depuis la guerre du Vietnam était échaudée de ce genre d'aventure, les agissements "barbares" de la "République islamique" sont un thème excellent pour les campagnes bellicistes de la bourgeoisie américaine. Si Khomeiny a trouvé dans le Shah un épouvantail efficace pour ressouder l'unité nationale menacée, Carter, qu'il ait voulu délibérément la crise actuelle en laissant entrer le Shah comme il semblerait, ou qu'il l'ait seulement utilisé, a trouvé

C'est en ce sens qu'on ne peut considérer cette intervention comme une simple opération de politique intérieure de l'URSS, uniquement destinée, comme l'ont prétendu certains, à remettre de l'ordre au sein de son bloc ou même au sein de ses frontières face aux désordres provoqués par l'agitation islamique. L'enjeu réel est bien plus important et motivait le prix à payer d'une résistance meurtrière de la part des guérilleros afghans. En réalité, la "pacification des rebelles féodaux" était surtout un prétexte permettant à l'URSS d'améliorer une position militaire et stratégique qui n'avait cessé de se dégrader ces dernières années : profitant de la décomposition de la situation politique en Iran qui, en d'autres temps, avait reçu du bloc US la "mission" de faire le gendarme dans la région, l'URSS a pris le risque d'une crise internationale grave afin de transformer l'Afghanistan en base militaire. C'est pour cela que le battage fait par le bloc occidental, et en premier lieu les USA autour de l'Afghanistan, n'est pas comme c'est le cas pour celui organisé autour des otages de Téhéran, du simple "vent-. Même s'il fait partie, lui aussi, de la campagne idéologique qui avait déjà débuté auparavant, il recouvre une réelle préoccupation du bloc US face à l'avancée russe et traduit donc une réelle aggravation des tensions inter-impérialistes, un pas de plus vers une nouvelle guerre mondiale.

LA CAMPAGNE BELLICISTE DES USA ET DU BLOC OCCIDENTAL

Cependant, malgré la gravité pour le bloc US de l’installation massive des troupes russes en Afghanistan, celui-ci n'a pu rien faire pour l'empêcher. Aujour­d'hui, il essaye de compenser et d'utiliser ce recul partiel de sa puissance par une intensification étourdissante de la campagne belliciste afin que, lorsque ce sera nécessaire, il puisse envoyer ses corps expéditionnaires sans craindre les remous intérieurs. Les décisions officielles de Carter de constituer une force d'intervention de 110 000 hommes et de recenser les jeunes en vue d'une éventuelle mobilisation -décisions prises au moment où la campagne était à son paroxysme- sont une expression claire de cette politique de la bourgeoisie. De fait, l'enchaînement des évènements d'Iran et d'Afghanistan permet de faire la constation suivante : tout s'est passé comme si les USA prévoyant l'intervention russe en Afghanistan (les satellites d'observation et les "experts" servent à quelque chose !) avaient sciemment provoqué la prise d'otages de Téhéran en laissant entrer le Shah alors qu'ils avaient été prévenus des réactions que cela pouvait provoquer. Cela leur permettait de laisser pourrir un peu plus la situation en Iran afin d'isoler les éléments extrémistes et d'obliger les "modérés" à reprendre les choses en main en faveur du bloc US (la tournure "antirusse" des évènements étant une garantie par l'intervention de l'URSS contre un pays "frère" en islam). C'est à cela que Bani Sadr s'emploie aujourd'hui.

Mais de plus, les évènements d'Iran permettaient de mettre sur les rails une campagne en deux temps :

-    d'abord, on "chauffe" l'hystérie guerrière au nom de la défense de citoyens américains menacés ou de la riposte aux "affronts" infligés à l'honneur de la nation";

-    ensuite, au moment où l'URSS entre en action, on relance de plus belle une campagne qui commençait à s'essouffler en désignant cette fois le véritable 'ennemi" : l'URSS (la bourgeoisie US n'avait que faire d'un Khomeiny sinon de l'utiliser comme épouvantail pour la mise en branle de sa campagne).

Même s'il faut se garder d'un trop grand machiavélisme me dans l'analyse des situations politiques, la bourgeoisie étant toujours à la merci d'éléments impondérables, même si l'ensemble de l'opération n'a pas été planifiée avec autant de précisions, il est important de mettre en évidence l'ampleur de la campagne idéologique actuelle qui n'a nullement été improvisée et qui était en préparation depuis plusieurs mois, notamment depuis la "découverte" soudaine et tapageuse à la mi-79 de troupes russes à Cuba qui s'y trouvaient depuis... des années.

Et tout montre que les bourgeoisies des USA et de son bloc ne sont pas prêtes à abandonner cette campagne, qu'elles sont décidées à utiliser au maximum la situation actuelle pour développer la plus grande emprise idéologique possible sur les populations afin de s'assurer de la précieuse "solidarité nationale" nécessaire à toutes les guerres.

C’est ainsi que l'embargo sur les céréales et le boycott des Jeux Olympiques ont une fonction non pas (ou très peu) de pression directe sur l'URSS (qui a acheté ailleurs ce qui lui manquait et qui peut se passer des Jeux Olympiques) mais bien d'entretien de la tension belliciste et de mobilisation  des esprits au sein du bloc US. Même si le rôle des révolutionnaires n'est pas de , faire un choix entre les blocs impérialistes, même s'il ne leur appartient pas, comme l'ont fait à une époque Bordiga et ses fidèles, de juger "plus dangereux" l'un que l'autre et "d'estimer préférable la défaite du plus fort" (sic !), il leur revient par contre de dénoncer les mensonges et les dangers des campagnes idéologiques de la bourgeoisie et d'insister plus particulièrement sur les thèmes les plus mystificateurs comme ils l'ont fait notamment entre les deux guerres à propos de l'"anti-fascisme".

Aujourd'hui un des chevaux de bataille du bloc US est sa prétendue "faiblesse" militaire face à une URSS de plus en plus "armée, agressive". En réalité, la "supériorité" militaire du bloc russe est un pur mensonge destiné à la propagande : le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), dont les travaux font autorité et qu'on ne peut soupçonner de sympathies pro-russes, parle à ce sujet dans son rapport pour 1979, "d'exercice de propagande particulièrement réussi" de la part des médias des pays occidentaux. C'est vrai que, ces dernières années, les dépenses d'armements de l'URSS et de son bloc n'ont cessé d'augmenter : en 1958, celles de la Russie représentaient 20,3% des dépenses mondiales, en 1978 : 25,5%. Mais, même à cette dernière date, elles étaient encore (très faiblement) inférieures à celles des USA : 25,6%. Par contre, les dépenses totales de l'OTAN représentaient n 1978 42,8% des dépenses mondiales contre 28,6% pour le Pacte de Varsovie soit la moitié plus (chiffres du SIPRI).

Bien que significatives, ces données doivent être complétées par les faits suivants :

1.          Elles ne rendent pas compte de l'accumulation d'armements au cours de la période précédente bien plus considérable pour l'OTAN que pour le Pacte de Varsovie (en 1968, les dépenses de l'OTAN représentent 56,2% du total mondial contre 25,3% pour celles du Pacte de Varsovie).

2.          Elles ne concernent que les deux alliances militaires officielles et excluent donc des pays comme la Chine (laquelle à elle seule dépense 10,5% du total mondial) qui appartiennent sans conteste au bloc américain, alors que le seul pays important du bloc russe à n'être pas affilié au Pacte de Varsovie est le Vietnam.

3.  Elles ne disent rien de la qualité des armements eux-mêmes ni de leur nombre ; or, l'énorme retard technologique de l'URSS sur les USA fait que ses armes sont beaucoup moins perfectionnées, efficaces et fiables, qu'elles coûtent à qualité égale beaucoup plus cher pour être fabriquées et qu'elles demandent à 'puissance égale un nombre bien plus grand d'hommes dans leur mise en œuvre. C'est ainsi que :

- pour un nombre de missiles (terrestres et sous-marins) moins élevé (1700 contre 2400), les USA peuvent lancer entre 2 et 3 fois plus de têtes nucléaires (7700 contre 3100) que l'URSS (une fusée américaine peut emporter jusqu'à 14 charges atomiques) ;

-                  les 415 bombardiers "stratégiques" américains peuvent larguer 5400 bombes atomiques alors que les 180 bombardiers russes ne peuvent en larguer que 1900 ;

-                  sur les 12000 ogives nucléaires américaines, 10400 sont sur support mobile (sous-marins et avions) donc pratiquement invulnérables, alors que sur les 5000 ogives russes moins de 3000 sont dans le même cas ;

-                  pour servir ces arsenaux nucléaires il faut 75000 militaires américains contre presque 400000 militaires russes alors que, contrairement à la légende, l'OTAN a toujours eu plus d'hommes sous les armes que le Pacte de Varsovie, même si l'URSS a plus de soldats que les USA.

Cette énorme supériorité du bloc américain se retrouve également dans le domaine des armements classiques : est-ce un hasard si, avec des armes américaines, Israël a toujours gagné ses guerres contre les pays arabes armés par l'URSS, si, en 1973, ce pays a stoppé au bout de 10 km les 2000 chars syriens lancés sur Haiffa, ces mêmes chars qui équipent le Pacte de Varsovie et dont on agite tellement "la menace contre l'Europe occidentale" ? Ou bien faut-il croire que Jehova est plus fort qu'Allah ?

En réalité, l'écrasante supériorité militaire du camp occidental n'est nullement d'origine mystérieuse. Comme le signalait déjà Engels, la supériorité militaire traduit toujours la supériorité économique. Et celle du bloc de l'Ouest est également écrasante. Qu'on en juge :

- Total pour 1978 des PNB des pays du Pacte de Varsovie : 1 365 milliards de dollars ;

- Total pour les pays de l'Alliance Atlantique : 4 265 milliards de dollars.

Et si on inclut le PNB des autres pays importants (plus de 20 milliards de dollars) du bloc de l'Ouest, on arrive à 6 200 milliards de dollars, alors que le bloc de l'Est se résume au Pacte de Varsovie (faut-il compter les 8,9 milliards de dollars du PNB du Vietnam ou les 3,6 de celui de l'Ethiopie ?).

Encore une donnée : parmi les douze pays économiquement les plus puissants du monde, il n'y en a que deux du bloc de l'Est : l'URSS (3ème rang) et la Pologne (12ème rang) alors que tous les autres sont entièrement intégrés dans le bloc de l'Ouest

Et c'est bien à cause de cette énorme faiblesse économique que l'URSS apparaît comme la puissance "agressive" dans la plupart des conflits locaux. Comme ce fut le cas de l'Allemagne en 1914 et

en 1939, c'est le pays qui a été le plus mal servi dans le partage d'un gâteau impérialiste déjà. trop restreint qui a tendance à vouloir remettre en cause ce partage.

C'est là une constante de la période de décadence du capitalisme qui traduit à la fois le caractère inéluctable de la guerre impérialiste et son absurdité du simple point de vue économique bourgeois (sans parler de son absurdité pour l'humanité).

En effet au siècle dernier, au moment du capitalisme ascendant, les guerres pouvaient avoir une réelle rationalité et notamment les guerres coloniales. Certains pays pouvaient se lancer dans des opérations guerrières en ayant la garantie que cela rapporterait sur le plan économique (nouveaux marchés, matières premières, etc.). Par contre, les guerres du 20ème siècle traduisent l'impasse dans laquelle se trouve le capitalisme. Le monde étant entièrement partagé entre grandes puissances impérialistes, les guerres ne peuvent signifier la conquête de nouveaux marchés, donc d'un nouveau champ d'expansion pour le capitalisme. Elles aboutissent à un simple repartage des marchés existant qui ne s'accompagne nullement d'une possibilité plus grande de développement des forces productives mais au contraire d'une destruction massive de celles-ci dans la mesure où :

- elles mettent aux prises non des pays avancés et des pays arriérés, mais les grandes puissances entre elles, ce qui suppose un niveau d'armement et de destruction bien plus élevé ;

- elles ne peuvent par ce fait être et rester localisées mais débouchent sur des boucheries et des destructions à l'échelle planétaire.

Ainsi, les guerres impérialistes apparaissent comme une pure aberration pour l'ensemble du capitalisme et ce caractère absurde se manifeste entre autres dans le fait que c'est le bloc qui, parce que le plus faible économiquement, est condamné à "perdre" la guerre (si tant est qu'il y ait un "gagnant"), qui pousse le plus vers la guerre. Cette conduite "suicidaire" du futur vaincu ne traduit, quant à elle, nullement une "folie" de ses dirigeants mais bien le caractère inévitable de la guerre impérialiste dans le capitalisme décadent, l'engrenage inéluctable qui échappe à tout contrôle de la part des classes dominantes et des gouvernements. La course au suicide des puissances dites "agressives" ne fait que résumer la course au suicide de l'ensemble du capitalisme.

Le fait que ce soit l'impérialisme le plus "belliqueux" qui, en général, soit vaincu permet, après les guerres, de donner un semblant de crédibilité aux mascarades sur les "réparations" et les procès de "criminels de guerre" et de "responsables" de l'holocauste (comme si tous les gouvernements, tous les partis bourgeois, tous les militaires n’étaient pas criminels, n'avaient pas de responsabilité dans les orgies de meurtres, dans les massacres industriels des guerres impérialistes), alors que par ces mascarades, l'impérialisme vainqueur dissimule en réalité sa tentative de "rentabiliser" ses propres dépenses militaires de même que sa tentative de mettre en place a la tête des pays vaincus un personnel politique qui soit favorable à ses intérêts.

Tout est bon pour la propagande bourgeoise : les morts d'Auschwitz servent à justifier ceux de Dresde et d'Hiroshima, ceux du Vietnam font accepter ceux de l'Afghanistan, les massacres passés servent à préparer les futurs massacres. De même, les dépenses d'armement (réelles ou exagérées) et les menées impérialistes du bloc "ennemi" servent à faire avaler, avec l'austérité qui en résulte, les dépenses de "son" propre bloc, ses menées impérialistes et à préparer la "solidarité nationale" nécessaire à un nouvel holocauste.

Autant les révolutionnaires se doivent de dénoncer (comme nous l'avons toujours fait dans nos publications) les mystifications accompagnant la politique impérialiste du bloc de l'Est, notamment le mythe des "libérations nationales", autant il leur appartient donc de démasquer l'hypocrisie des campagnes idéologiques du bloc de l'Ouest.

LE PARTAGE DES TACHES ENTRE SECTEURS DE LA BOURGEOISIE

Nous avons amplement mis en évidence dans la Revue Internationale (n°20) des facettes essentielles de' l'offensive idéologique présente des bourgeoisies du bloc américain en vue de la guerre impérialiste la création d'une psychose de guerre destinée à démoraliser les populations, à leur faire accepter avec fatalisme et résignation la perspective d'une nouvelles guerre mondiale. De même, nous venons d'examiner une autre facette de cette offensive : le développement d'un sentiment "antirusse" pour lequel les mensonges sur les niveaux d'armement se combinent aux campagnes sur les "droits de l'homme" et autre boycott des Jeux Olympiques. Ce n'est encore là qu'un tableau incomplet des moyens que met en œuvre la bourgeoisie des pays occidentaux pour préparer les populations et notamment les classes exploitées au "sacrifice suprême". Il faut y ajouter une campagne moins tapageuse mais cependant plus insidieuse et dangereuse : celle qui vise plus spécifiquement la classe ouvrière.

Derrière le premier type de campagnes de la bourgeoise, on trouve essentiellement les partis de droite et du centre dont le langage consiste à en appeler l'ensemble des citoyens "pour qu'ils réalisent "l'unité nationale" en vue des dangers qui "menacent la patrie" ou "la civilisation". Derrière la création d'une phobie "antirusse" qui complète le premier type de campagnes, on trouve les mêmes partis auxquels viennent se joindre les partis sociaux-démocrates aux arguments plus nuancés et moins hystériques mais qui ne perdent pas une occasion de dénoncer le stalinisme et les violations des droits de l'homme en Europe de l'Est. Bien entendis les partis "communistes", quant à eux, ne participent pas, directement à ce volet de la campagne idéologique malgré les con damnations de certains agissements de l'URSS qu'ils sont obligés de faire pour se dédouaner auprès de la bourgeoisie et de "l'opinion" de leurs pays respectifs.

Par contre, il est un aspect de l'offensive idéologique de la bourgeoisie qui met côte à côte les partis dont la fonction spécifique est l'encadrement de la classe ouvrière : les PC et les PS. Le langage tenu par la gauche du capital se présente comme l'opposé de celui tenu par la droite et en constitue en fait le-complément. Ce langage consiste à dénoncer les campagnes alarmistes de la droite et à affirmer qu'il n'y a pas de véritable danger de guerre dans la période actuelle. On peut même voir dans certains pays (comme la France) la gauche unanime dire clairement que la campagne alarmiste de la droite a pour fonction de détourner l'attention des travailleurs et imposer un surcroît d'austérité.

Ce langage des partis de gauche est évidemment lié au fait que, à l'heure actuelle, ils sont conduits à assumer dans l'opposition leur fonction capita-   liste afin de mieux pouvoir saboter de l'intérieur les luttes ouvrières qui tendent à se développer. N'ayant pas ou plus de responsabilités gouvernementales, ils n'ont plus la charge de créer "l'unité nationale" autour des dirigeants du pays ([1] [37]) mais bien de radicaliser leur langage afin de tenter de gagner la confiance des prolétaires pour être en mesure de les orienter vers des impasses et épuiser leur combativité.

Cependant ce n'est pas seulement pour cette seule raison que les partis de gauche tiennent aujour­d'hui des discours apaisants. En réalité, ce langage a pour fonction de combler les lacunes contenues dans la campagne idéologique de la droite. Celle-ci, en effet, tente d'asséner avec beaucoup de force une vérité partielle : la guerre est inévitable (sans préciser évidemment que c'est dans le cadre du capitalisme qu'existe une telle fatalité) dans le but de démoraliser et pousser à la résignation l'ensemble de la population, de lui faire accepter les sacrifices présents au nom de la préparation des sacrifices encore plus durs qui s'imposeront dans le futur. Mais cette demi-vérité comporte l'inconvénient de reconnaître avec clarté l'impasse totale dans laquelle se trouve aujour­d'hui la société capitaliste. Dans certaines parties de la population, et notamment le prolétariat, classe naturellement la plus portée à remettre en cause le système, cette propagande risque de contribuer à un but contraire à celui qu'elle se fixe : la compréhension de la nécessité d'affronter massivement le capitalisme pour arrêter sa main criminelle et le détruire. La campagne d'apaisement promue par la gauche a pour fonction de permettre au capitalisme de couvrir tout le champ de la mystification, de ne pas laisser de failles dans lesquelles pourrait s'engouffrer la prise de conscience de la classe ouvrière.

Déjà la gauche et la droite s'étaient ainsi partagé le travail à propos de la crise économique : la droite affirmant qu'elle était de nature internationale, qu'il n'y avait rien à faire et qu'il fallait se résoudre à l'austérité, la gauche rétorquant qu'elle était le résultat d'une mauvaise politique, des menées cupides des monopoles et des multinationales et qu'il y avait moyen de la résoudre en mettant en place une autre politique réellement conforme à "l'intérêt national et des travailleurs". Ainsi, la droite appelait déjà à la résignation, à l'acceptation sans résistance de l'austérité alors que la gauche se donnait comme tâche de dévoyer le mécontentement ouvrier vers les impasses électorales de "l'alternative de gauche" (gouvernement travailliste en Grande-Bretagne, gouvernement d'Union de la gauche en France, compromis historique en Italie, etc.).

Cette division du travail entre droite et gauche en  vue de soumettre l'ensemble de la société, et en premier lieu la classe ouvrière aux exigences du capitalisme n'est pas nouvelle. Elle a été appliquée dès avant la première guerre mondiale dans la campagne de préparation idéologique de celle-ci. Alors que la droite du capital agitait le plus fort le grelot du "patriotisme" et appelait ouvertement à la guerre contre "l'ennemi héréditaire", les secteurs opportunistes et réformistes des partis de la 2ème Internationale qui impulsaient leur passage dans le camp du capitalisme, n'avaient de cesse, tout en dénonçant les campagnes d'hystérie chauvine, de minimiser les dangers de guerre. Alors que la gauche de l'Internationale (notamment Lénine et Rosa Luxemburg) insistait sur le caractère inévitable de la guerre impérialiste dans la logique même du capitalisme, sur la nécessité d'une mobilisation massive des ouvriers pour ne pas lui laisser les mains libres et pour préparer sa destruction, les secteurs de droite, dont l'influence allait grandissante, développaient des théories sur la possibilité d'un capitalisme "pacifique", qui serait capable de résoudre les conflits entre nations par "l'arbitrage". Tant que la classe ouvrière s'est mobilisée, notamment sous la forme de manifestations de masse lors des divers conflits qui ont éclaté au début du siècle (heurts franco-allemands à propos du Maroc, conflits dans les Balkans, invasion de la Tripolitaine par l'Italie, etc...), tant que l'influence de la gauche de L'Internationale a été déterminante en son sein (motions spéciales contre la guerre aux Congrès de 1907 et 1910, Congrès Extraordinaire en 1912 sur cette même question), la bourgeoisie n'a pas pu laisser dégénérer ces conflits en guerre généralisée. Ce n'est qu'au moment où la classe ouvrière, endormie par les discours des opportunistes, cesse de se mobiliser face à la menace de guerre (entre 1912 et 1914) que le capitalisme peut déchaîner la guerre impérialiste à partir d'un incident (l'attentat de Sarajevo) en apparence bénin par rapport aux précédents.

Ainsi la préparation idéologique à la guerre mondiale n'est pas seulement le fait du développement de l'hystérie chauvine et belliciste. Elle comporte également des discours pacifistes et lénifiants plus spécifiquement tenus par les forces politiques qui ont le plus d'impact au sein de la classe ouvrière afin de démobiliser celle-ci, de lui faire perdre de vue le véritable enjeu de la situation, de la livrer pieds et poings liés, impuissante, aux gouvernements bourgeois et à cette hystérie belliciste, en bref, de l'empêcher de jouer son rôle de seule force en mesure d'empêcher la guerre mondiale. La mobilisation pour la guerre impérialiste passe par la démobilisation du prolétariat de son terrain de classe.

QUELLE PERSPECTIVE : GUERRE OU REVOLUTION ?

On peut donc constater que l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS et ses prolongements expriment et accentuent l'accélération de la marche vers la guerre impérialiste généralisée, seule réponse que le capital puisse donner à sa crise. Faut-il déduire de cette constatation la nécessité de remettre en cause l'analyse que le CCI depuis sa constitution a développée sur le cours historique, sur le fait que la perspective présente n'est pas celle d'un affrontement impérialiste généralisé mais celle d'affrontements massifs entre classe ouvrière et bourgeoisie ?

La réponse est non. En fait, la détermination avec la- quelle la bourgeoisie s'est attelée à la préparation idéologique en vue de la guerre mondiale indique à elle seule qu'aujourd'hui, les conditions subjectives d'un tel aboutissement de la crise capitaliste ne sont pas réunies. Pour certains, si la guerre mondiale n'a pas encore eu lieu, c'est que les conditions objectives -situation économique, préparatifs militaires, etc - n'existeraient pas encore. Telle est la thèse défendue, par exemple, par le Parti communiste International (Programme Communiste). En réalité, si on compare la situation présente, à celle existant en 1939 ou en 1914, on peut constater que, tant du point de vue de la gravité de la crise, que du niveau des armements, que du renforcement des alliances militaires au sein de chaque bloc, les conditions sont aujourd'hui beaucoup plus mûres pour une nouvelle guerre mondiale. La seule donnée manquante, mais décisive est l'adhésion de la classe ouvrière aux idéaux bourgeois, sa discipline à l'égard du capital national, sa soumission aux intérêts de celui-ci. Ce sont cette adhésion, cette discipline, cette soumission qui existent en 1939 à la suite de la plus terrible défaite subie par sa classe ouvrière au cours de l'histoire; défaite d'autant plus terrible que jamais comme à la fin de la première guerre mondiale, le prolétariat ne s'était élevé aussi haut; défaite à la fois physique et idéologique avec son cortège de massacres mais aussi de mystifications, notamment sur la nature soi-disant socialiste de la Russie, son cortège de défaites présentées comme des victoires. Ce sont des conditions similaires qui existent en 1914 bien que la défaite de la classe soit moins profonde qu'en 1939, ce qui permet le resurgissement de 1917-18. Cette défaite est essentiellement idéologique. Elle se manifeste par la gangrène opportuniste qui gagne peu à peu la 2ème Internationale jusqu'à aboutir, en 1914 à la trahison de la plupart des partis qui la composent. En passant à l'ennemi, ces partis, ainsi que les organisations syndicales, parce qu'ils ont encore l'oreille et le cœur du prolétariat, jettent celui-ci pieds et poings liés en pâture aux appétits impérialistes de la bourgeoisie, l'entraînant dans la "défense nationale" et la "défense de la civilisation". Et cet embrigadement du prolétariat derrière son capital national est d'autant plus facile que ne se développent pas avant 1914 (à l'exception de la Russie) des luttes de classe importantes, du fait que la crise économique aiguë n'a pas le temps de s'approfondir vraiment avant son issue guerrière.

Toute autre est la situation présente où les mystifications qui ont permis la 2ème guerre mondiale, notamment l'antifascisme et le mythe du socialisme en URSS ont fait long feu, où la croyance en un progrès incessant de la "civilisation" et de la "démocratie" telle qu'elle existait en 1914 à fait place, après plus d'un demi-siècle de décadence du système à un dégoût généralisé, où les partis de gauche, pour avoir trahi depuis trop longtemps, n'ont plus sur la classe ouvrière l'impact qui était le leur en 1914 ou dans les années 30, où l'enfoncement progressif du capitalisme dans la crise à partir du milieu des années 60 a provoqué une reprise historique des luttes de classe. Ainsi, au lieu d'annoncer au sont faits", que, quoi qu'il fasse le déclenchement d'un nouvel holocauste, il importe que les révolutionnaires lui indique clairement que la situation historique est encore entre ses mains que de lui dépend, et de ses luttes que l’humanité soit écrasée ou non sous un déluge de bombes thermonucléaires ou même qu'elle périsse.

Cependant, il n'existe pas de situation acquise de façon définitive. Si aujourd'hui, la voie n'est pas libre pour la réponse bourgeoise à la crise, il ne faudrait pas croire que rien ne peut remettre en cause une telle situation, que le cours historique ne peut pas être renversé. En réalité, le cours qu'on pourrait appeler "normal" de la société capitaliste est vers la guerre. La résistance de la classe ouvrière qui peut éventuellement remettre en cause ce cours apparaît comme une sorte "d'anomalie", comme allant à "contre-courant" d'un processus organique du monde capitaliste. C'est pour cela, que, si on examine les 8 décennies de notre siècle, on en trouvera à peine un peu plus de deux, au cours desquelles le rapport de forces aura été suffisamment en faveur du prolétariat, pour qu'il puisse barrer le chemin à la guerre impérialiste (1905-12, 1917-23, 1968-80).

Pour l'heure, le potentiel de combativité de la classe, qui s'est révélé à partir de 1968, n'a pas été détruit. Mais il est nécessaire d'être vigilant (et les évènements d'Afghanistan nous rappellent cette nécessité) car :

-                plus la réponse du prolétariat sera lente face à la crise et moins il sera expérimenté et préparé au moment des affrontements décisifs avec le capitalisme

-                alors que le chemin de la victoire est unique pour le prolétariat : l'affrontement armé et généralisé contre la bourgeoisie, celle-ci dispose de divers moyens pour défaire son ennemi : soit en épuisant la combativité dans des impasses (c'est la tactique présente de la gauche), soit en l'écrasant paquet par paquet (comme en Allemagne entre 1918 et 1923), soit en l'écrasant physiquement lors d'un choc frontal (qui est toutefois le type d'affrontement le plus favorable au prolétariat).

Cette vigilance que la classe ouvrière doit conserver et auxquels les révolutionnaires doivent contribuer de leur mieux, passe par la compréhension la plus claire possible du véritable enjeu de la situation présente, des luttes qu'elle mène aujourd'hui. Cette contribution ne saurait donc consister, ni dans l'affirmation qu'il n'y a rien à faire face à la menace de guerre impérialiste (les révolutionnaires se faisant alors les auxiliaires de la campagne - de démoralisation menée par la droite), ni qu'il n'y a aucun danger réel de guerre impérialiste, de renversement du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat (leur "contribution" apportant alors de l'eau au moulin de la gauche). Si les révolutionnaires se doivent donc de dénoncer aussi bien les campagnes de la droite que celles de la gauche, ce n'est donc nullement pour prendre leur simple contrepied mais bien pour retourner les divers arguments contre leurs promoteurs :

-      c'est vrai qu'il n'y a pas d'issue à la crise et que la guerre menace comme dit la droite...

-                c'est vrai, comme dit la gauche que la campagne alarmiste est utilisée pour imposer plus d'austérité... dans un cas comme dans l'autre, c'est une bonne raison, non pour s'y résigner, mais au contraire pour engager le combat de résistance contre l'austérité, prélude à la lutte pour la destruction de ce système. Dans les combats à venir de la classe ouvrière, une compréhension claire de leur enjeu véritable, du fait qu'ils ne constituent pas une simple résistance au coup par coup contre les agressions croissantes du capital mais qu'ils sont le seul rempart contre la menace de guerre impérialiste, qu'ils sont les préparatifs indispensables en vue de la seule issue pour l'humanité : la révolution communiste, une telle compréhension de l'enjeu sera la condition tant de leur efficacité immédiate que de leur aptitude à servir réellement de préparatifs pour les affrontements décisifs.

Par contre, toute lutte qui se cantonne sur le terrain strictement économique, défensif contre l'austérité sera plus facilement défaite, tant au niveau immédiat que comme partie d'une lutte beaucoup plus vaste. En effet, elle se sera privée du ressort de cette arme, aujourd'hui si importante pour les travailleurs qu'est la généralisation et qui s'appuie sur la conscience du caractère social et non pas professionnel du combat de la classe. De même, par manque de perspectives, les défaites immédiates seront surtout un facteur de démoralisation au lieu d'agir comme éléments d'une expérience et d'une prise de conscience.

Pour que la nouvelle vague de luttes qui s'annonce aujourd'hui ne soit pas épuisée par les manœuvres de la gauche et des syndicats -ce qui laisserait le champ libre à l'issue" guerrière de la crise- mais, au contraire, constitue une étape vers l'assaut révolutionnaire pour le renversement du capitalisme, elle devra comporter les trois caractéristiques suivantes absolument liées entre elles :

-                un rejet du carcan syndical et une prise en main directe par la classe de ses intérêts et de son combat

-                l'utilisation de façon croissante de l'arme de la généralisation, de l'extension au delà des catégories, des entreprises, des branches industrielles, des villes et des régions, et finalement, au delà des frontières nationales

-                une prise de conscience des liens indissolubles qui existent entre les luttes contre les mesures d'austérité, la lutte contre la menace de guerre et la lutte pour la destruction de cette société moribonde et barbare en vue de l'instauration de la société communiste.

F.M



[1] [38] Là où la gauche est encore au gouvernement, son attitude n'est évidemment pas aussi claire. On peut même voir en Belgique le ministre socialiste des Affaires étrangères tenir un langage alarmiste alors que son collègue, également socialiste, des affaires Sociales tient le langage contraire.

 

Questions théoriques: 

  • Décadence [1]
  • Le cours historique [2]

Le gauchisme en France depuis 10 ans

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Depuis mai 68, en France, le mouvement gauchiste a subi de nombreuses transformations. Si 1969 a été l'année de pointe de son renforcement, les années qui vont suivre vont voir un relatif recul de l'influence de certains groupes gauchistes et le développement d'une certaine crise qui va se manifester de façon différente suivant les courants.

LE MOUVEMENT MAOISTE (DIT MARXISTE LENINISTE)

Contrairement au courant trotskyste qui est issu d'une tradition prolétarienne passée dans le camp bourgeois lors de la seconde guerre mondiale, le courant maoïste est directement un avorton de la con­tre-révolution. Issu du PCF au milieu des années 60, sur la base de la détérioration des rapports entre le capitalisme russe et le capitalisme chinois, le mouvement "pro-chinois" n'a jamais rompu avec une seule des positions contre-révolutionnaires du PCF; il prôna même un retour aux enseignements de Staline et un alignement derrière l'Etat bourgeois de Mao.

En 1969, deux groupes maoïstes principaux existaient : la Gauche Prolétarienne qui se dissoudra trois ans plus tard et le P.C.M.L.F. (Parti Communiste marxiste léniniste de France). Depuis une dizaine de ruptures ont ponctué la vie du mouvement maoïste en France et aujourd'hui (début 80), quatre groupes importants existent encore : le P.C.M.L. (Parti Communiste Marxiste Léniniste), le P.C.R. ml (Parti Communiste Révolutionnaire marxiste léniniste), l'UCFML. (Union Communiste de France marxiste léniniste) et l'O.C.F.ml (Organisation Communiste de France marxiste léniniste. Drapeau Rouge). Il faut ajouter à ces groupes une dizaine de petits cercles locaux dont certains "pro-albanais" comme le P.C.O.F. (Parti Communiste des Ouvriers de France) qui publie le jour­nal "la Forge". Mais, en fait le courant maoïste a subi depuis dix ans un important déclin numérique et une crise quasi-permanente qui sont le produit d'un certain nombre de contradictions politiques propres à un courant bourgeois sans grande expérience et lié à l'évolution de la politique de l'Etat chinois. Cette crise a été le produit de la réduction croissante du champ d'intervention et de mystification des groupes maoïstes coincés entre un fort mouvement trotskyste, un puissant parti stalinien et une Social-Démocratie en pleine expansion depuis l'après-mai 68.

Plus précisément, les facteurs d'affaiblissement des groupes maoïstes relevant de l'évolution de la lutte de classe et de la situation internationale ont été :

1. Le développement de la mystification du "Programme Commun du PC et du PS" que les maoïstes n'ont pas soutenu. Ils conciliaient ouvertement avec la droite et même l'extrême droite sur les questions de la défense nationale (propagande antirusse, soutien à la force de frappe atomique, dénonciation du mouvement antimilitariste, soutien de l'impérialisme français). On pouvait ainsi lire dans "L'Humanité Rouge" (journal du P.C.M.L.F.) :

"Le gouvernement actuel, tout en maintenant le principe de la défense nationale est incapable de mobiliser les masses populaires en raison du caractère oppresseur et réactionnaire de sa politique intérieure.

Quant au "Programme Commun" qui représente la tendance montante de la bourgeoisie, il est extrêmement dangereux car tout en prétendant renforcer la défense nationale, il passe complètement sous silence le danger soviétique". (Humanité Rouge n°240, sept.74).

Et aussi :

"Quant d nous aujourd'hui plus que jamais, nous appelons les travailleurs, la jeunesse d agir pour le renforcement de la défense nationale..."  (Humanité Rouge n°309, juil.75)

Le maoïsme sapa ainsi les bases de son influence en se dévoilant trop rapidement et trop ouvertement comme une officine nationaliste directement au service de la bourgeoisie et du bloc américain.

2.L'abandon d'un anti-syndicalisme verbal par la plupart des groupes maoïstes va contribuer à effacer complètement le mythe maoïste : en effet, le verbiage antisyndical a été un des principaux facteurs de l'influence des groupes maoïstes. En mai 68 et puis après, de nombreux ouvriers conscients du sabotage syndical se sont ainsi tournés vers des groupes comme la GP qui appelait à "pendre les bureaucrates syndicaux", ou comme le P.C.M.L.F. qui appelait à la constitution de "syndicats de base" et dénonçait la C.G.T. comme "social-fasciste". Cette démagogie utile pour dévoyer les ouvriers dans une période de lutte devenait inutile au moment du reflux des luttes à partir du début des années 70. Les maoïstes n'avaient alors pas de politique de rechange.

3.L'intégration de plus en plus ouverte de la Chine dans le bloc américain (rappelons que les groupes maoïstes en France ont surgi essentiellement sur la base du soutien au Vietnam contre les USA et d'une critique des capitulations de la Russie face aux USA).

4.Les remaniements politiques au sein de l'Etat chinois survenus notamment après la mort de Mao. (liquidation de la "Bande des quatre", ré émergence de Teng Hsiao Ping que tous les groupes maoïstes avaient traîné dans la boue).

Tous ces facteurs ont ainsi contribué à une dispersion des maoïstes dans des voies aussi diverses qu'impénétrables : de l'abandon du militantisme pour entrer dans la voie du marginalisme mais aussi _du journalisme (Libération), de la philosophie( la "nouvelle philosophie", aujourd'hui ouvertement de droite), du semi-terrorisme (NAPAP), de l'autonomie spontanéiste ("Camarades") et même de quelques tentatives de rejoindre le terrain prolétarien comme l'a exprimé la constitution de l'Organisation Communiste "Le Bolchevik" qui donnera naissance à L'Eveil Internationaliste et à la Gauche Internationaliste à travers une série de ruptures.

Depuis l'échec du "Programme Commun" et la reprise de la lutte prolétarienne, les principaux groupes maoïstes (P.C.M.L.F. et P.C.R.ml.) ont accéléré le changement de cap qu'ils avaient opéré dans le milieu des années 70 en abandonnant les aspects un peu trop "radicaux" de leurs interventions. Ils ont maintenant opté pour une attitude plus conciliante avec les syndicats et les partis de gauche. Ces derniers ont assoupli eux aussi leur attitude à l'égard des gauchistes en général.

Ce tournant du courant maoïste a été clairement exprimé au début de 1978 par le P.C.M.L.F. à l'occasion du 40ème Congrès de. la C.G.T. dont "l'ouverture démocratique" fut saluée. Par ailleurs la décision du P.C.M.L.F. et du P.C.R.ml de présenter une liste commune aux élections de mars 78 fut une façon de revaloriser un électoralisme qu'ils n'avaient cessé de dénoncer auparavant chez les partis de gauche et les trotskystes. Enfin, au lendemain de ces élections le P.C.M.L.F, développait la perspective d'un travail d'"explication en direction des électeurs, des militants de base, ouvriers, employés, petits paysans du P.S. et du P.C.F. en liaison avec, une poursuite des indispensables luttes de classe pour la défense des revendications les plus immédiates" (HR n°851,mars 78).

Fin 1978, le P.C.M.L.F. opèrera même une autocritique de ses positions trop chauvines de soutien à l'impérialisme français notamment leur soutien à l'intervention française au Zaïre.

Par rapport à la montée des luttes ouvrières il n'est pas inintéressant de relever dans la presse maoïste le renforcement d'une perspective d'unité à la base" dans les luttes sur le terrain de l'encadrement syndical. Cette perspective confirme le rapprochement de plus en plus prononcé des groupes maoïstes vers les vieilles tactiques trotskystes de sabotage des luttes. Sous le titre "Qu'est-ce donc que l'unité à la base ?", le P.C.M.L.F. expliquait fin 1979 : "la réalisation de l'unité à la base exige des compromis...aussi en .tant qu'individu ou représentant d'une force politique organisée ou d'une section syndicale, chaque contractant doit renoncer d agir unilatéralement. Dans l'action unie, il ne doit pas populariser ses seules idées, le seul programme de son seul parti ou de son seul syndicat... De la même façon, je n'accepte pas que des militants d'autres forces politiques 'récupèrent' notre action commune en essayant de la dévier sur leur propre programme de parti..." (HR n°1133). On ne peut être plus explicite. Au même titre que les staliniens du P.C.F. et que les trotskystes, les maoïstes se préparent ouvertement à briser toute tentative d'organisation autonome de la classe dans les luttes.

Plus précisément, les groupes maoïstes, à part le petit groupe de l'U.C.F.M.L., ont réintégré pleinement les appareils syndicaux et notamment la C.F.D.T. Pourtant, aujourd'hui que la gauche divisée assume un rôle d'opposition plus marqué, une hésitation semble traverser le mouvement maoïste dont la logique consiste à se retrouver avec la Social-Démocratie contre le P.C.F., et plus particulièrement derrière le tandem Maire-Rocard (le dirigeant de la C.F.D.T. et le "nouvel homme" de la Social-Démocratie). C'est cette perspective qu'énonce très clairement le petit groupe O.C.F.ml.: "En vérité, l'échec politique et économique de la droite, mais surtout la faillite profonde en quelque sorte idéologique aussi bien des partis de la vieille droite que des partis de la fausse gauche exigent une alternative neuve et nette : une force révolutionnaire antitotalitaire. Les prémisses de l'émergence de cette force apparaissent aussi bien dans les conditions même de la bonne tenue de la C.F.D.T. lors des élections prudhommales que dans le succès d'estime de Michel Rocard dans l'opinion" (Drapeau Rouge n°72, déc.79). Dans le même journal, l'O.C.F.ml. dans un article intitulé "Les gauchistes rejoindront-ils le P.C.F. ?" exprime ses craintes de voir les gauchistes se mettre à la remorque d'un P.C.F. qui se lance aujourd'hui dans une activité "radicale" liée à la nécessité de contrôler et d'encadrer la remontée des luttes ouvrières ; elle cite en exemple un extrait d'une lettre d'un militant syndical publiée dans l'Humanité Rouge et qui explique : "il y a même des camarades, qui pensent que le P.C.F. est mieux que notre parti (le P.C.M.L.F.) et qui nous quittent sur cette base. Faute d'analyse sérieuse, j'ai bien peur que le parti se cantonne à être simplement une force d'appoint au service de la ligne actuelle P.C.F./C.G.T.".

Et l'O.C.F.ml. de rappeler à cette occasion l'alignement du P.C.F. derrière le bloc russe et la nécessité de renforcer le camp du "socialisme démocratique", en clair le camp Social-Démocrate et l'alignement derrière le bloc américain.

Sur le plan international en effet, la plupart des groupes maoïstes tente de suivre de façon plus ou moins cohérente l'évolution de la Chine et de se mettre au diapason de la propagande antirusse du bloc occidental. A plusieurs reprises, les groupes maoïstes français ont soutenu ouvertement les manœuvres du bloc américain. Pour eux, l'impérialisme russe est l'ennemi principal et cela explique leur propagande belliciste. Ainsi, le n°65 de Drapeau Rouge de 'septembre 79 reproduisait une publicité du journal Le Monde sur le livre du Général Hackett "La Troisième Guerre Mondiale" et expliquait dans un article intitulé "Défense : armer le peuple" : "En Europe et en France, la conscience des périls et des réalités semble mieux perçue (qu'aux USA) dans les cercles bourgeois, et même si le doute et l'indécision y règnent, il s'y manifeste également la volonté de faire face et de s'opposer au danger de guerre russe". Quelques moïs auparavant, ce même groupe reprochait au bloc américain sa faiblesse lors du conflit sino-vietnamien : "Carter en arrive même à céder à cette pression militaire et politique. Il vient de déclarer à un moment où tout le monde parle des préparatifs de guerre de l'URSS contre la Chine : "il n'y a pas de doute dans mon esprit que les soviétiques veulent la paix'" (DR n°54, mars 79). Dans ce même article, l'O.C.F.ml. soutenait en ces termes l'attaque de la Chine contre le Vietnam :

"La Chine est dans son bon droit ! Elle vient simplement de rappeler qu'elle ne cède pas aux menaces du petit hégémonisme soutenu par l'URSS. Munich en 1938 a défia prouvé que toute politique de faiblesse était en fait un encouragement à l'agression".

D'une façon plus large, lorsque les groupes ne soutiennent pas explicitement l'impérialisme occidental, le soutien implicite aux options européennes bénies par Washington montre clairement l'optique pro-occidentale de tous les groupes maoïstes. L’U.C.F.M.L., petit groupe "marginal", n'a pas soutenu l'agression chinoise au Vietnam : "L'entrée, des troupes chinoises sur le territoire vietnamien n'est justifiée ni par les provocations vietnamiennes à la frontière, ni par l'invasion du Cambodge par les Vietnamiens, ni par l'inféodation du Vietnam au social-impérialisme russe". Ce groupe a consacré dans le n°36 de son journal (Le Marxiste-Léniniste) un long article défendant l'idée d'une Europe réunifiée Est-Ouest, contre les deux "superpuissances", une "Europe des peuples". Très vite, le groupe admet que l'alliance Chine-USA est "inévitable" et il expliquait fin 78 à propos des menaces de guerre impérialiste : "Sur la question de la guerre, le prolétariat ne peut se contenter d'une attitude passive. En la matière, le pacifisme est la garantie du désastre. Quand le P.C.F. au tout début de la guerre de 39-45 a refusé de prendre la tète de la résistance d l'envahisseur nazi, il a commis une faute dramatique, chèrement payée par la suite, malgré l'héroïsme des F.T.P. Laisser à De Gaulle le soin d'incarner la résistance, c'était laisser une chance à la bourgeoisie, massivement capitularde, de se reconstituer" (Le Marxiste-Léniniste n°31).

C'est de la même tradition patriotarde que se réclame le groupe "pro-albanais" P.C.O.F.. Il dénonce les préparatifs de guerre en renvoyant dos à dos le P.S. et le P.C.F., "complices de la fascisation du régime". Cette pseudo-dénonciation s’inscrit dans la logique "antifasciste" et le P.C.O.F. en fait tente à son échelle minuscule de ressortir les vieux mythes qui servirent au P.C.F. pour préparer et embrigader le prolétariat dans la 2e Guerre Mondiale. En assimilant guerre et fascisme, le P.C.O.F. complète à sa façon la panoplie mensongère du maoïsme. Ainsi, c'est de A à Z, avec une constance imperturbable, que le maoïsme défend les positions bourgeoises.

Mais faute d'une réelle influence dans la classe ouvrière, le courant maoïste a peu de perspectives propres d'un nouveau développement par rapport au courant trotskyste qui reste le "fer de lance" du gauchisme en France.

LE MOUVEMENT TROTSKYSTE

Il est la force centrale de l'extrême-gauche du capital en France. La LIGUE COMMUNISTE REVOLUTIONNAIRE (LCR), LUTTE OUVRIERE (LO) et l'ORGANISATION COMMU­NISTE INTERNATIONALISTE (OCI) se partagent depuis mai 68 la plus grande part du travail mystificateur réservé au gauchisme.

Les groupes trotskystes, contrairement aux maoïstes, ont été moins affectés par les crises et les scissions dans la période de recul de la lutte prolétarienne. Il y a pourtant eu un net phénomène de crise larvée qui s'est traduit par une "crise" de militantisme dans un groupe comme la LCR, par un net recul organisationnel de l'OCI et par un affaiblissement de la phraséologie politique de LO qui avait fait figure à une époque de groupe "pur" et "radical". En fait, la cause profonde de ces phénomènes a été l'alignement de ces trois groupes derrière l'Union de la Gauche (PC, PS, Radicaux de Gauche) et leur intégration rapide dans le jeu électoral.

Cette orientation du mouvement trotskyste va provoquer une série de petites scissions "de gauche" qui vont réagir contre une politique trop suiviste et trop ouvertement anti-prolétarienne. Ainsi, le petit groupe de la LIRQUI (aujourd'hui Ligue Ouvrière Révolutionnaire - LOR), après avoir scissionné de l'OCI expliquait lors des élections du printemps 74 : "Le récent ralliement 'sans ambigüité pour la victoire de Mitterrand de la part de l'OCI est l'un des faite politiques les plus importants actuellement. Ce ralliement signifie un reniement complet de toute la lutte passée de la 4ème Internationale en France. Parce que c'est ni plus ni moins dans les faits que le ralliement au Front Populaire. Il s'agit là d'une capitulation éhontée et sans conditions" (Bulletin n°4). Quant à la Ligue Trotskyste de France (LTF), issue d'un groupe exclu de la LCR, elle avançait la même accusation : "L'accusation majeure que la LTF porte contre les pseudo-trotskystes est leur incapacité à tracer la ligne de classe face au Front Populaire-Union de la Gauche, tant dans leur intervention générale que dans leur travail syndical. L'axe stratégique d'intervention des trotskystes est celui de l'indépendance de la classe ouvrière par rapport à la bourgeoisie, indépendance oblitérée quand les partis ouvriers et les syndicats entrent dans le front populaire. L'axe central de tout travail syndical pour des révolutionnaires conséquents devrait porter sur le problème du front populaire de trahison et la nécessité de la rupture des syndicats d'avec le front populaire. Les pseudo-trotskystes ont, soit appelé l'arrivée au pouvoir du front populaire (LCR et LO), soit appelé à voter Mitterrand contre...le front populaire (OCI) !" (Bulletin en français de la  Spartacist League n°10, octobre 75).

Enfin, Combat Communiste, petit groupe dit "capitaliste d'Etat" pour la reconnaissance de la nature capitaliste de l'URSS, exclu de LO après la scission d'un autre groupe (Union Ouvrière), tapait lui aussi sur le même clou : "LO soutint donc la coalition camouflée entre la bourgeoisie et les leaders ouvriers contre-révolutionnaires sans même qu'ils se soient engagés sur quoi que ce soit de positif pour la classe ouvrière" (Critique du Programme de Transition, Brochure de CC).

Tous ces groupes, y compris Combat Communiste, conservaient la logique du trotskysme sur la question du soutien à la gauche capitaliste. Ils divergeaient seulement sur l'opportunité d'un tel soutien dans une période "non révolutionnaire". Ainsi Combat Communiste, dénonçant l'application caricaturale du mot d'ordre de gouvernement ouvrier par les grands groupes trotskystes ajoutait : "Nous venons de voir que le mot d'ordre de 'gouvernement ouvrier' n'a de sens que dans une période prérévolutionnaire. Dans une situation où par exemple - à l'image de ce qui s'est passé dans la révolution russe - des dirigeant bourgeois de la classe ouvrière seraient majoritaire dans les conseils ouvriers, on ne peut exclure la possibilité de les inviter à prendre le pouvoir" (idem). Cette position que CC n'a jamais critiquée publiquement depuis, permet de comprendre la difficulté voire l'impossibilité pour un tel groupe de rompre avec la contre-révolution malgré la reconnaissance de la nature capitaliste de l'URSS.

Quant à la LTF, section sympathisante de la Tendance Spartakiste Internationale qui préconise le retour aux sources du trotskysme, elle n'exprimait pas plus une rupture de classe avec le trotskysme officiel. Le radicalisme d'un tel groupe n'est qu'artifice et verbiage autour d'une défense des mêmes positions contre-révolutionnaires que les autres trotskystes : le frontisme, la défense du démocratisme bourgeois, du syndicalisme et du bloc impérialiste russe (encore que ce dernier point est la source d'un certain nombre de contradictions dans le mouvement trotskyste actuel comme, nous allons le voir plus loin). En fait ces scissions n'ont eu quasiment aucun impact sur les trois grands groupes trotskystes français.

Dans le redéveloppement de la lutte prolétarienne de l'hiver 79, ces groupes n'ont pas été capables de suppléer aux difficultés du mouvement trotskyste à redéfinir une politique nouvelle après l'échec électoral de l'Union de la Gauche. La volonté de maintenir un trotskysme "pur" ne peut que se heurter à la réalité même de la lutte de classe : en ce sens, des groupes comme la LTF, la LOR ou même CC (qui ne semble pas capable d'être conséquent dans sa volonté de rupture avec le trotskysme) n'ont guère de perspectives propres en France.

Un autre aspect du mouvement trotskyste français consiste en son poids relatif au niveau international. La LCR, rattachée au Secrétariat Unifié (SU) de la 4ème Internationale (plus ou moins dirigé par E.Mandel), et l'OCI qui a créé le Comité d'Organisation pour la Reconstruction de la Quatrième Internationale (CORQUI) rivalisent d'habileté dans leurs manœuvres pour constituer un organisme international capable de faire illusion, susceptible d'être confondu avec une véritable organisation prolétarienne internationale. Depuis que le trotskysme est passé dans le camp bourgeois lors de la 2ème Guerre Mondiale en soutenant l'impérialisme russe et l'alliance avec le bloc impérialiste des alliés contre le bloc impérialiste fasciste, il n'a cessé de maintenir le mythe de l'existence d'une 4ème Internationale véritablement révolutionnaire. Il serait trop long de faire l'historique des scissions et des regroupements éphémères, qui se sont succédés depuis les années 50, mais dans tous ces paniers de crabes concurrents, il n'y a rien qui se rapproche de près ou, de loin d'un véritable travail internationaliste prolétarien.

En ce qui concerne l'OCI, ce groupe a vu s'effondrer le Comité International pour la Reconstruction de la 4ème Internationale auquel il participait, en 1971 d'abord par la rupture du groupe anglais de Healy, la S.L.L. (aujourd'hui W.R.P.), puis en 1973 par le départ de la LIRQUI de Varga, dénoncé pour la circonstance d'agent double au service de la C.I.A. et de la Guepeou ! Depuis, l'OCI a tenté, non sans un certain succès de débaucher le S.W.P. américain qui appartient au SU et qui est l'organisation rivale de la LCR...

En fait, derrière toutes ces manœuvres sordides, il y a une crise du mouvement trotskiste liée en partie à la période qui voit le renforcement des blocs impérialistes et le resurgissement de la lutte prolétarienne. Cette crise s'exprime par une recomposition de toute une partie du mouvement trotskyste de plus en plus tenté par un alignement derrière la Social-Démocratie. Déjà lors des évènements au Portugal en 1974, on avait vu au sein du SU un écartèlement entre une tendance "classique" encore attachée à la défense des intérêts russes et par là même plus liée au parti stalinien, et une tendance "pro-Social-Démocrate" de plus en plus déterminée par les besoins du bloc américain. L'OCI a été dans ce sens le précurseur de cette tendance et à cette époque elle rejoignait la vision du SWP américain en soutenant quasiment ouvertement le P.S. Portugais:

"Constater que la radicalisation des masses utilise le canal du Parti Socialiste ne signifie pas adopter le programme ou la politique de la direction. du PS portugais. Mais aveugle serait celui qui refuserait de voir que sur les problèmes brûlants de la révolution, aujourd'hui, le PS portugais a engagé un combat qui rejoint les intérêts fondamentaux du prolétariat (démocratie ouvrière dans les syndicats, élections municipales, respect de la Constituante, liberté de la presse, etc.)" (Informations Ouvrières n°717, septembre 75).

Sur d'autres points et notamment sur celui du soutien aux "dissidents" des pays de l'Est, l'OCI s'est alignée derrière le bloc occidental et bien plus a contribué à donner un vernis "révolutionnaire" aux cliques nationalistes et démocratiques qui agissent dans les Etats capitalistes de l'Est et qui seront des mystificateurs dangereux pour le prolétariat en lutte : "Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est aujourd'hui un puissant levier entre les mains du prolétariat qui lutte contre l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin il disloque l'ordre contre-révolutionnaire européen que l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin ont imposé, après accords d Yalta et d Postdam„ aux peuples et aux prolétariats d'Europe, et qu'ils veulent maintenir ; il donne toute leur puissance aux contradictions sociales ; il participe de la lutte pour la révolution politique en Europe de l'Est et de la lutte pour la révolution sociale à l'Ouest" (La Vérité n°565, janvier 75). Comme quoi les trotskystes seront encore au premier rang pour châtrer le mouvement prolétarien dans les pays de l'Est en le dévoyant sur l'utopique "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" qui ne sert que les intérêts impérialistes et dans le cas présent l'impérialisme occidental.

Face à l'approfondissement des contradictions inter-impérialistes dont l'Europe sera de plus en plus le centre, une partie du mouvement trotskyste tend à s'adapter de plus en plus aux besoins de la Social-Démocratie. Cette dernière a d'ailleurs habilement orchestré en France une campagne de réhabilitation de Trotski lui-même comme homme politique opposant à Staline. Plus concrètement, à l'occasion de la prise du pouvoir au Nicaragua par le Front Sandiniste, cette convergence entre une partie du mouvement trotskyste et le Parti Socialiste s'est encore confirmée notamment à l'occasion de campagnes de soutien au "nouveau" Nicaragua. Cet abandon plus ou moins rapide d'une défense intransigeante du bloc russe ne va pas sans frictions étant donné le caractère particulièrement pourrissant du milieu trotskyste rongé par les rivalités et les querelles de personnes. Par ailleurs il ne peut manquer d'y avoir une exacerbation des contradictions entre les groupes trotskystes qui ont concentré leurs énergies en direction des partis staliniens, comme LO notamment et même la LCR dans une moindre mesure, et ceux qui suivent la Social-Démocratie comme l'OCI, ou qui occupent déjà une place de petit parti Social-Démocrate comme le SWP américain. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la rupture de la Ligue Communiste Internationaliste qui a été quasiment exclue de la LCR lors de son dernier Congrès à cause de ses liens avec l'OCI, alors qu'au même moment se déroulaient des négociations officiel les entre OCI et LCR !

            Dans toutes ces péripéties se joue en fait la question du rôle de mystification des groupes trotskystes au sein de la lutte prolétarienne. Si, dans un premier temps, l'ensemble des groupes trotskystes français a soutenu l'illusion électoraliste de l'Union de la Gauche, aujourd'hui que cette gauche se redivise dans l'opposition pour mieux jouer son rôle de sabotage des luttes, le mouvement trotskyste se. retrouve ébranlé et momentanément incapable de déterminer une politique cohérente, ce qui explique l'absence d'une forte intervention des trotskystes lors de la grève des sidérurgistes du début 79. Ainsi à propos de la marche du 23 mars 79, la LTF est amenée à sermonner ses "grands frères" pour leur carence militante : "La CGT et le PC ont tous deux saboté leur propre marche, mortellement effrayés qu'elle puisse échapper à leur contrôle. Face à cette situation potentiellement explosive, les pseudo-trotskystes de tous bords se sont montrés lamentablement incapables d'avancer une perspective de lutte pour les travailleurs" (Le Bolchevik n°13, octobre 79).

Si les révolutionnaires ne peuvent que se réjouir de ces moments d'impuissance du trotskysme, il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Si le suivisme vis-à-vis de la Social-Démocra­tie d'une partie du mouvement trotskyste est incontestablement en France un affaiblissement de ses capacités mystificatrices liées à son soutien au bloc russe, soutien qui lui permettait de développer un "anti-impérialisme", un internationalisme de façade et surtout une influence auprès des militants staliniens, un groupe comme LO sera plus difficilement entrainé dans cette voie. Ainsi, à l'époque de l'Union de la Gauche, ce groupe traçait nettement une divergence avec les autres trotskystes : "Pourtant, s'il y a dans les partis qui composent l'union de la gauche un parti dont les révolutionnaires doivent se préoccuper, ce n'est pas le Parti Socialiste, mais le Parti Communiste Français. Parce que le PCF a gardé, lui, une base ouvrière, et qu'il organise encore dans ses rangs nombre de militants dévoués à la classe ouvrière, et aspirant vraiment à changer le monde, au socialisme... C'est donc au sein de ce qui se passe au sein  du PCF, de ce que pensent les militants de ce parti, de leurs aspirations, de leurs espoirs, et de leurs doutes, que nous devons nous préoccuper." (Lutte de Classe n°22, oct.74).

On voit qu'aujourd'hui un groupe comme LO est un auxiliaire précieux pour le PCF qui dans les faits est le seul parti de gauche à pouvoir véritablement casser la pression prolétarienne, briser, grâce à son contrôle sur la CGT, la combativité et la tendance à l'autonomie chez les prolétaires. En revalorisant les tâches des staliniens et leur travail militant, LO rend évidemment des services plus "radicaux" à la contre-révolution que l'OCI qui de son côté tente de revaloriser Bergeron, le dirigeant du syndicat Force Ouvrière, ou que la LCR qui tendrait plutôt à encenser la CFDT.

Mais finalement, qu'ils soient plutôt "pro-staliniens" ou plutôt "pro-Sociaux-démocrates", plutôt "prorusses" ou tendanciellement "pro-occidentaux", les groupes trotskystes accomplissent fondamentalement la même tâche de chiens de garde du capital, la même tâche de dévoiement de la conscience de classe et de sabotage des luttes ouvrières. Les exemples ne manquent pas au niveau international dé ce travail de sape des premiers combats de classe accompli par le trotskysme. Même si en France, les groupes trotskystes n'ont pas encore eu l'occasion d'avoir un strapontin gouvernemental comme le groupe trotskyste ceylanais (LSSP) ou bien de soutenir un coup d'Etat militaire comme les trotskystes argentins du PST qui, après avoir soutenu le retour de Perón en 1973 ont applaudi la prise du pouvoir du Général Videla début 76, ils ont tous soutenu à un moment ou à un autre au niveau international la mise en œuvre des défaites ouvrières.

Ainsi, à propos du Chili gouverné par Allende, la LCF soutint ouvertement le gouvernement d'Unité Populaire, le présentant comme autre chose qu'un gouvernement bourgeois, et présentant le Chili comme autre chose qu'un Etat capitaliste. Face aux menaces de l'armée, la LCR appela la classe ouvrière à défendre une fraction de la bourgeoisie contre une autre :

"Les révolutionnaires, chiliens du MIR ont clairement analysé cette situation : ils appellent à la constitution de comités pour le socialisme soutenant Allende tant qu'il se situe sur une ligne de classe et prêts à passer à l'action dès qu'il s'en éloignera" (Rouge n°86, nov.7 ). Rappelons que le MIR avait constitué une garde personnelle pour Allende et n'a cessé d'être une force d'appoint à la gauche bourgeoise au pouvoir.

Nous avons déjà mentionné plus haut le soutien de l'OCI au PS portugais. LO prétendait pour sa part que le Mouvement des Forces Armées (MFA), c'est-à-dire la clique militaire chargée de la répression des grèves pouvait aller dans le sens des aspirations des masses travailleuses : "Dans une période où de larges masses faisaient confiance au MFA, précisément parce que celui-ci se proposait de réaliser des objectifs correspondant à leurs aspirations, cela aurait été se couper des masses que de s'opposer en bloc à la politique du MFA. il fallait au contraire soutenir ceux des objectifs du MFA qui étaient justes : la réforme agraire par exemple. Il fallait au contraire, affirmer hautement que, chaque fois que le MFA fait un pas en avant dans le sens de la satisfaction des revendications démocratiques, il a le soutien des travailleurs contre la réaction" (Lutte de Classe n°31, oct.75).

Quant aux conflits inter-impérialistes, ils ont été l'occasion des positions les plus cyniques notamment de la part des groupes trotskystes apparemment les plus "radicaux" : "Les révolutionnaires sont pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Même si dans certains cas, soutenir le droit de certains peuples à disposer d'eux-mêmes, c'est soutenir les intérêts de l'impérialisme" (Lutte de Classe n°34, fév.76). Dans le même article, LO se garde bien de dire un mot sur le rôle de l'URSS dans les dites luttes de libération nationale. Quant à la Spartacist Tendency, elle est moins hypocrite et se détermine crument en fonction des intérêts militaires russes. Lors de la guerre en Angola, ce groupe avançait cette position : "Alors que les staliniens de tout poil chantent les louanges de leurs mouvements nationalistes préférés, la Tendance Spartakiste appelle, depuis début novembre, au soutien militaire pour le MPLA contre la coalition impérialiste...Nous avons toujours refusé de donner un soutien politique à ces forces qui se proposent de construire un Angola capitaliste" (Spartacist n°11). Ce groupe pense certainement se dédouaner en distinguant subtilement entre soutien militaire et soutien politique, ce qui est le comble de la duperie chauviniste qui consiste à être internationaliste sur le papier et à être farouchement nationaliste sur le terrain, les armes à la main. Dans le cas de la Tendance Spartaciste, c'est d'autant plus ignoble que ce groupe se garde bien de mettre en pratique ses idées tout en demandant simplement aux prolétaires africains ou asiatiques d'aller se faire trouer la peau pour le capital russe avec la bénédiction du trotskysme et du tiers-mondisme international. C'est ce qu'il a fait une nouvelle fois avec l'Afghanistan. La LTF, qui défend en France les positions de la Tendance Spartaciste, n'est pas en reste et a montré à propos de la situation en Iran ce que cachait son "intransigeance" face aux trotskystes qui ont soutenu Khomeiny : dans une polémique contre Combat Communiste, la LTF accuse CC de voir dans les luttes en Iran une situation plus importante pour le prolétariat que "les guérillas paysannes et nationalistes" car cela signifierait préférer Khomeiny à Ho Chi Minh et finalement nier les "acquis ouvriers" du Vietnam. Il n'est pas étonnant que la LTF préfère les stigmates de la barbarie capitaliste des zones dominées par l'impérialisme russe aux premiers pas du prolétariat iranien. Dénoncer Khomeiny pour la LTF n'est en rien une défense des positions de classe, mais simplement un appel aux forces pro-russes en Iran pour liquider la clique islamique. C'est dans cette perspective que la LTF continue à développer une défense des perspectives "démocratiques" et de "droit à l'autodétermination" qui sont justement les impasses sanglantes dont doit se débarrasser le prolétariat iranien.

En conclusion, le mouvement trotskyste en France a confirmé au cours de ces dernières années sa nature bourgeoise, notamment par une présence dans le jeu électoral de plus en plus marquée et massive (aux élections législatives de 1978, LO a présenté plus de 500 candidats I), par une présence dans les trois centrales syndicales les plus importantes (CGT, CFDT et F0) et même par le contrôle du syndicat étudiant UNEF-Unité Syndicale par l'OCI et les Etudiants Socialistes, concurrençant ainsi l'UNEF-Renouveau contrôlé par les staliniens. On peut noter aussi le rôle de plus en plus "responsable" des services d'ordre trotskystes lors des manifestations qui n'hésitent pas à attaquer les groupes "autonomes" qualifiés de "provocateurs" pour la circonstance. Enfin, dans les luttes ouvrières, soit en luttant pour l'unité syndicale, soit en défendant le frontisme et le démocratisme à l'égard des staliniens et des sociaux-démocrates, le mouvement trotskyste assume son rôle anti-prolétarien avec constance et abnégation.

C'est aussi à un autre niveau que le courant trotskyste joue pleinement son rôle anti-prolétarien : en caricaturant, en défigurant ce que doit être le fonctionnement et le rôle d'une véritable organisation prolétarienne internationaliste, en faisant passer leurs querelles de cliques bureaucratiques pour un débat politique prolétarien, les divers groupes trotskystes contribuent, largement à écœurer de nombreux travailleurs voulant renouer avec la tradition communiste révolutionnaire. Devant ce spectacle misérable qu'offre le courant trotskyste, nombreux sont ceux qui tendent à rejeter toute forme d'organisation révolutionnaire, tout militantisme, et sombrent dans l'anarchisme, le modernisme et l'individualisme qui sont souvent des écueils fatals.

Mais bien plus, le trotskysme exerce une pression sur le milieu révolutionnaire lui-même. Le Parti Communiste International (PCI) bordiguiste par exemple, pour des mobiles tactiques douteux et par incompréhension politique a largement liquidé le travail accompli par la Gauche Italienne regroupée autour de la revue "Bilan" avant-guerre dans la critique des erreurs de Trotski (sur l'analyse de la période, sur la question des tactiques frontistes et entristes, sur la question nationale, etc.). Aujourd’hui, le PCI est tombé dans des polémiques superficielles où la nature de classe du trotskysme est soigneusement cachée, où celui-ci est dénoncé comme "centriste" ou "opportuniste", jamais comme bourgeois. De plus, pour mener ses critiques, le PCI utilise l'œuvre de Trotski lui-même pour s'en revendiquer contre les "renégats" d'aujourd'hui, reniant la tradition de la Gauche Communiste qui dénonça unanimement les capitulations de Trotski face au stalinisme qui menèrent le trotskysme dans le camp bourgeois lors de la 2ème Guerre Mondiale.

Pour toutes ces raisons il est nécessaire de comprendre et d'insister sur le rôle et la nature contre-révolutionnaires des groupes trotskystes actuels.

Loin d'être une expression de la petite-bourgeoisie ou bien un courant prolétarien "activiste", "centriste ou "opportuniste", ou autre, le mouvement gauchiste actuel a bien sa place dans le front de la gauche du capital. Ni le trotskysme, ni le maoïsme n'ont quelque chose de prolétarien et de révolutionnaire. Par contre avec les orientations sociale-démocrates ou staliniennes, ils n'ont que des terrains d'entente même s'ils divergent sur des points secondaires ou tactiques. Ainsi, en ce qui concerne la question de la révolution "armée" et la dictature du prolétariat qui semblerait placer "quand même" le gauchisme dans le camp révolutionnaire, l'ensemble des courants gauchistes, non seulement présente cette alternative comme une tactique parmi d'autres mais en plus il présente les prises de pouvoir des Castro, Mao, Ho Chi Minh comme des modèles pour les prolétaires.

Ce que le gauchisme tente de préparer, c'est la défaite de la classe ouvrière, ce qu'il met en œuvre ce sont des méthodes politiques pour battre le prolétariat. Le courant gauchiste ne fait que préparer le terrain de la contre-révolution étatique déjà expérimentée par le stalinisme qui consiste à faire passer le capitalisme d'Etat ou l'autogestion pour du socialisme ou même du communisme.

Chénier

Liste des sigles :

Groupes maoistes :

PCMLF : Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France (aujourd'hui PCML), "L'Humanité Rouge".

PCRml : Parti Communiste Révolutionnaire marxiste-léniniste, "Quotidien du Peuple"

OCFml : Organisation Communiste de France marxiste-léniniste, "Drapeau Rouge".

UCFML: Union des Communistes de France Marxistes-Léninistes, "Le Marxiste-Léniniste".

PCOF : Parti Communiste des Ouvriers de France, "La Forge".

Groupes trotskystes et apparentés :

OCI : Organisation Communiste Internationaliste, "Informations ouvrières", "La Vérité".

LCR : Ligue Communiste Révolutionnaire, "Rouge", "Inprecor".

LO : Lutte Ouvrière, "Lutte Ouvrière", "Lutte de Classe".

LCI : Ligue Communiste Internationaliste, "Tribune Ouvrière".

LTF : Ligue Trotskyste de France, "Le Bolchevik". LOR : Ligue Ouvrière Révolutionnaire, "La Vérité des Travailleurs".

CC : Combat Communiste, "Combat Communiste", "Contre le Courant".

Courants politiques: 

  • Gauchisme [39]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Les soi-disant partis "ouvriers" [40]

L’organisation du prolétariat en dehors des périodes de luttes ouvertes (groupes, noyaux, cercles. etc.)

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TEXTE D ORIENTATION

Ce texte a été proposé pour le Congrès d'Internationalisme (janvier 1980).

"Que faire en dehors des luttes ouvertes? Comment s'organiser lorsque la grève est terminée? Comment préparer la lutte à venir?"

Voilà quelques unes des questions auxquelles la maturation actuelle de la lutte de classe impose de répondre.

Face à cette question, face aux problèmes que posent les comités, cercles, groupes, noyaux, etc., regroupant de petites minorités d'ouvriers, nous n'avons aucune recette à fournir. Entre les leçons morales ("organisez vous comme ceci ou cela", "dissolvez-vous", rejoignez-nous") et les flatteries démagogiques, nous n'avons pas à choisir. Notre souci est bien plutôt celui-ci : comprendre ces expressions minoritaires du prolétariat comme une partie d'un tout. Les insérer dans le mouvement général de la lutte de classes, de cette manière nous pourrons comprendre à quelles nécessités générales ces organes répondent. De cette manière nous pourrons également, en ne restant ni dans le flou politique ni emprisonnés dans des schémas rigides, cerner les aspects positifs de ces démarches et souligner les dangers qui les guettent.

CARACTERISTIQUES DE LA LUTTE OUVRIERE DANS LE CAPITALISME DECADENT

Notre première préoccupation dans l'appréhension de ce problème doit être de rappeler le contexte historique général dans lequel nous nous trouvons. Nous devons nous remettre en mémoire la nature de cette période historique (l'ère des révolutions sociales) et les caractéristiques de la  lutte de classe en période décadence. Cette analyse est fondamentale car elle nous permet de comprendre le type d'organisation de classe qui peut exister dans une telle période.

Sans entrer dans les détails, rappelons simplement que le prolétariat au 19ème siècle existe comme un une force organisée de manière permanente. Le prolétariat s'unifie comme classe au travers d'une lutte économique et politique pour des réformes.

Le caractère progressif du système capitaliste permet au prolétariat de faire pression sur la bourgeoisie pour obtenir des réformes et pour ce faire regrouper de larges masses d'ouvriers au sein des syndicats et des partis.

Dans la période de sénilité du capitalisme les caractères et les formes d'organisation de la lutte changent. Une mobilisation quasi permanente du prolétariat sur des intérêts immédiats et politiques n'est plus possible ni viable. Les organes  unitaires permanents de la classe ne peuvent plus  désormais exister qu'au cours de la lutte elle-même. La fonction de ces organes ne se limite plus désormais à simplement "négocier" une amélioration des conditions de vie du prolétariat (car cette amélioration n'est plus possible à long terme et parce que la seule issue réaliste est celle de la révolution) mais à se préparer, à mesure que les luttes de développent, à la prise du pouvoir.

Ces organes unitaires de la dictature du prolétariat ce sont les conseils ouvriers. Ces organes possèdent un certain nombre de caractéristiques que nous devons mettre en évidence si nous voulons bien cerner tout le processus qui mène à l'auto-organisation du prolétariat.

Ainsi nous devons mettre en évidence que les conseils sont une expression directe de la lutte ouvrière. Ils surgissent de manière spontanée (mais non mécanique) de cette lutte. C'est pourquoi ils sont intimement liés au développement et à la maturité de cette lutte, ils puisent en elle leur substance et leur vitalité. Ils ne constituent donc pas une simple "délégation" des pouvoirs, une parodie de Parlement, mais bien l'expression organisée de l'ensemble du prolétariat et de son pouvoir. Leur tâche n'est pas d'organiser une représentativité proportionnelle des groupes sociaux ou des partis politiques mais de permettre à la volonté du prolétariat de se réaliser pratiquement. C'est à travers eux que se prennent toutes les décisions. C'est pour cette raison que les ouvriers doivent constamment en garder le contrôle (révocabilité des délégués) par le biais des Assemblées Générales.

Seuls les conseils ouvriers sont capables de réaliser l'identification vivante entre la lutte immédiate et le but final des luttes. Par cette liaison entre la lutte pour des intérêts immédiats et la lutte pour le pouvoir politique, les conseils posent la base objective et subjective de la révolution. Ils constituent le creuset par excellence de la conscience de classe. La constitution du prolétariat en conseils n'est pas une simple question de forme d'organisation mais bien le produit d'un développement de la lutte elle-même et de la conscience de classe. Le surgissement des conseils  n'est pas le fruit de recettes organisationnelles, de structures préfabriquées, d'organes intermédiaires.

L'extension et la centralisation de plus en plus consciente des luttes, au delà des usines et des frontières, ne peut 'être un fait artificiel et volontariste. Pour se convaincre de cette idée, il suffit de se rappeler l'expérience des ANU ([1] [41]) et cette tentative artificielle de relier et de centraliser les "organisations d'usines" dans une période où la lutte refluait.

Les conseils ne peuvent subsister que tant que subsiste une lutte permanente, ouverte, signifiant la participation d'un nombre toujours plus important d'ouvriers dans le combat. Leur surgissement est essentiellement fonction d'un développement de la lutte elle-même et de la conscience de classe.

TENTER DE COMBLER UN VIDE

Mais nous ne nous trouvons pas encore dans une période de lutte permanente, dans un contexte révolutionnaire qui permettrait au prolétariat de s'organiser en conseils ouvriers. La constitution du prolétariat en conseils est fonction de conditions objectives (degré de la crise, cours historique) et subjectives (maturité de la lutte et de la conscience). Elle est le résultat de tout un apprentissage, de toute une maturation tant organisationnelle que politique.

Nous devons être conscients que cette maturation, cette fermentation politique ne se déroule pas suivant une ligne bien dessinée et bien droite. Elle s'exprime bien plutôt à travers un processus bouillonnant et confus, à travers un mouvement heurté et saccadé. Elle exige en outre une participation active de minorités révolutionnaires. Incapable d'agir mécaniquement selon des principes abstraits, selon des plans préconçus, selon un volontarisme détaché de la réalité, le prolétariat mûrit son unité et sa conscience au cours d'un apprentissage douloureux. Incapable de regrouper toutes ses forces à un jour "J", il concentre ses rangs au cours de la bataille elle-même, son "armée", il la forme dans le conflit lui-même. Mais au cours de la lutte, il forme dans ses rangs des éléments plus combatifs, des avant-gardes plus décidées. Celles-ci ne se regroupent pas forcément au sein d'une organisation de révolutionnaires (car celle-ci dans certaines périodes est peu connue). L'apparition de ces minorités combatives au sein du prolétariat, que ce soit avant, après ou pendant les luttes ouvertes, n'est pas un phénomène incompréhensible ou nouveau. Elle exprime bien ce caractère irrégulier de la lutte, ce développement inégal et hétérogène de la conscience de classe. Ainsi depuis la fin des années 60 nous assistons à la fois à un développement de la lutte dans le sens d'une plus grande auto-organisation, à un renforcement des minorités révolutionnaires, à l'apparition de comités, noyaux, cercles, etc. où tente de se regrouper une avant-garde ouvrière. Le développement d'un pôle politique cohérent, la tendance du prolétariat à s'organiser en dehors des syndicats, procèdent d'une même maturation de la lutte.

L'apparition de ces comités cercles etc, répond donc bien à une nécessité de la lutte elle-même. Si des éléments combatifs sentent la nécessité de rester groupés après qu'ils aient lutté ensemble, c'est à la fois dans le but de continuer à "agir ensemble" (éventuellement préparer une nouvelle grève) et à la fois dans le but de tirer des le­çons de la lutte (à travers une discussion politique). Le problème qui se pose à ces ouvriers est autant celui de leur regroupement en vue d'une action future que celui de leur regroupement en vue  d'éclaircir les questions posées par la lutte  passée et à venir. Cette attitude est compréhensible dans la mesure où l'absence de luttes permanentes, la "faillite" des syndicats et une très grande faiblesse des organisations révolutionnaires créent un vide tant organisationnel que politique. La classe ouvrière lorsqu’elle reprend le chemin de son combat historique a horreur du vide. Elle cherche donc à répondre à un besoin posé par ce vide organisationnel et politique. Ces comités, noyaux, ces minorités d'ouvriers qui ne comprennent pas encore clairement leur fonction répondent à ce besoin. Ils sont à la fois une expression de la faiblesse générale de la lutte de classe actuelle et l'expression d'une maturation de l'organisation et  de la conscience de classe. Ils cristallisent tout un travail souterrain qui s'opère au sein du prolétariat.

LE REFLUX DE 1973-77

C'est pour cette raison que nous devons faire attention à ne pas enfermer ces organes dans des tiroirs hermétiques, dans des classifications rigides. Nous ne pouvons pas prévoir l'apparition et le développement de ceux-ci de manière tout à fait précise. De plus nous devons être attentifs à ne pas séparer artificiellement différents moments dans la vie de ces comités et ne pas poser a un faux dilemme dans le style :"l'action ou la discussion."

Ceci dit cela ne doit pas nous empêcher d'avoir une intervention par rapport à ces organes. Nous devons également être capables d'apprécier l'évolution de ces organes en fonction de la période, suivant que nous nous trouvons dans une  période de reprise des luttes ou de reflux. En effet, dans la mesure où ils sont un produit immédiat et spontané des luttes, qu'ils surgissent plus sur la base de problèmes conjoncturels (à la différence de l'organisation des révolutionnaires qui surgit sur la base des nécessités historiques du prolétariat), ces organes restent très fortement dépendants du milieu ambiant de la lutte de classe. Ils restent plus fortement prisonniers des faiblesses générales du mouvement et ont tendance à suivre les hauts et les bas de la lutte.

C'est ainsi que nous devons opérer une distinction dans le développement de ces comités etc. au moment du reflux de la lutte entre 1973 et 77, et dans la période actuelle de reprise internationale des luttes.

Tout en soulignant les dangers qui restent identiques pour ces deux périodes, nous devons être capables de cerner les différences d'évolution.

C'est ainsi qu'avec la fin de la première vague de luttes à la fin des années 60 nous avons pu assister à l'apparition de toute une série de confusions au sein de la classe ouvrière. Ces confusions nous pouvons les mesurer surtout en fonction de l'attitude des quelques éléments combatifs de la classe qui tentent de rester groupés.

Nous voyons ainsi se développer :

- L'illusion du syndicalisme de combat  et la méfiance de tout ce qui-est politique (OHK, AAH, Komiteewerking ([2] [42]). Dans la plupart des cas, les comités issus des luttes se transforment carrément en para-syndicats. C'est le cas des Commissions Ouvrières en Espagne et des "Conseils d'Usines" en Italie. Plus souvent encore, ils disparaissent carrément.

- Un très fort corporatisme (ce qui constitue la base même du syndicalisme "de combat").

- Lorsque des tentatives sont faites pour dépasser le cadre de l'usine, une confusion et un éclectisme politique très grand.

- Une très grande confusion politique ce qui rend ces organes très fragiles aux menées des gauchistes et les font tomber aussi dans des illusions du style de celles entretenues par le PIC (voir le "bluff" des groupes ouvriers. ([3] [43])

C'est également au cours de cette période que se développe l'idéologie de "l'autonomie ouvrière" avec tout ce qu'elle comporte comme apologie de l'immédiatise, de l'usinisme et de l'économisme.

Toutes ces faiblesses sont essentiellement fonction des faiblesses de la première vague de luttes de la fin des années 60. C'est ainsi que ces mouvements se caractérisent par une disproportion entre la force et l'extension des grèves et une faiblesse dans le contenu des revendications. Ce qui marque surtout cette disproportion c'est une absence de perspectives politiques claires dans le mouvement. Le repli ouvrier de 73-77 est le produit de cette faiblesse utilisée par la bourgeoisie pour opérer un travail de démobilisation et d'encadrement idéologique des luttes. Chacun des points faibles de la première vague de grèves est "récupéré" par la bourgeoisie à son profit :

"Ainsi l'idée d'une organisation permanente de la classe à la fois politique et économique s'est transformée ensuite en celle des "nouveaux syndicats" pour finalement en revenir aux syndicats classiques. La vision de l'A.G. comme une forme indépendante du contenu a aboutie - via les légendes sur la démocratie directe et le pouvoir populaire- au rétablissement de la confiance dans la démocratie bourgeoise classique. Les idées d'autogestion et de contrôle ouvrier de la production, confusions explicables dans un premier temps, furent théorisées par le mythe de "l'autogestion généralisée", les "Îlots du communisme" ou la "nationalisation sous contrôle ouvrier". Tout ceci a préparé les ouvriers à faire confiance au plan de restructuration "qui évite les licenciements" ou aux pactes de solidarité nationale pour "sortir de la crise".

(Rapport sur la lutte de classe présenté au 3ème Congrès international du CCI)

LA REPRISE DES LUTTES DEPUIS 1977

Avec la reprise des luttes depuis 1977, nous voyons se dessiner d'autres tendances. Le prolétariat a mûri par la "défaite", il a tiré même très confusément les leçons de ce reflux et même si les dangers restent toujours présents de "syndicalisme de combat", de corporatisme, etc, ils s'inscrivent dans une évolution générale différente.

C'est ainsi que depuis 77 nous voyons se développer timidement :

Une volonté plus ou moins marquée de développer  une discussion politique de la part d'une avant-garde combative des ouvriers (rappelons l'AG des coordinamenti à Turin, le débat mené à Anvers avec des ouvriers de Rotterdam, d'Anvers, etc., la conférence des dockers à Barcelone,...([4] [44]).

La volonté d'élargir le champ de la lutte, de dépasser le ghetto de l'usinisme, de donner un cadre politique plus global à la lutte. Cette volonté s'exprime par l'apparition de "coordinamenti" et plus spécifiquement dans le manifeste politique d'un des coordinamenti du nord de l'Italie. Ce manifeste réclame une unification de l'avant-garde combative des usines, la nécessité d'une lutte politique indépendante des ouvriers et insiste sur la nécessité de dépasser le cadre de l'usine pour lutter;

Le souci d'établir une liaison entre l'aspect immédiat de la lutte et le but final. Ce souci s'exprime particulièrement dans des groupes de travailleur: en Italie (FIAT) et en Espagne FEYCU, FORD). Les premiers sont intervenus par voie de tract pour dénoncer les menaces de licenciements faits au nom de "l'anti-terrorisme", les seconds pour dénoncer l'illusion du parlementarisme;

-Le souci de mieux préparer et organiser les luttes à venir (cf.. action des "porte-parole" de Rotterdam appelant à la formation d'AG).

Bien entendu, répétons le, les dangers de corporatisme, de syndicalisme de combat, d'enfermement de la lutte sur un terrain strictement économique subsistent même au cours de cette période,

Mais ce dont nous devons tenir compte c'est l'influence importante de la période sur l'évolution de comités, noyaux, etc. surgissant avant ou après les luttes ouvertes. Lorsque la période est à la combativité et à la remontée des luttes, l'intervention de telles minorités ouvrières prend un autre sens et notre attitude également. C'est ainsi que dans une période de recul généralisé des luttes, nous insisterons plus sur les dangers pour de tels organes de se transformer en para-syndicats, de tomber dans les bras des gauchistes et des illusions du terrorisme, etc. Dans une période de remontée, nous insisterons plus sur les dangers du volontarisme et de l'activisme (cf. les illusions exprimées à cet égard dans le manifeste du coordina­mento de Sesto Seovanni), sur les illusions que pourraient avoir ces ouvriers combatifs de former les embryons des comités de grève futurs, etc. Dans une période de reprise des luttes, nous serons également plus ouverts face à l'apparition de minorités combatives se regroupant en vue d'appeler à la lutte et à la formation de comités de grève, d' d'A.G., etc.

LES POSSIBILITES DE CES ORGANES

Ce souci de replacer ces comités, noyaux, etc. dans le bain de la lutte de classe, de les comprendre en fonction de la période dans laquelle ils se meuvent, n'implique pas pourtant que nous changions nos analyses du tout au tout, suivant ces différentes étapes de la lutte de classe.

Quel que soit le moment où naissent ces comités ou noyaux, nous savons qu'ils ne constituent qu'UNE ETAPE D'UN-PROCESSUS DYNAMIQUE GENERAL, un moment dans la maturation de l'organisation et de la conscience de classe. Ils ne peuvent avoir un rôle po­sitif que s'ils se donnent un cadre large et souple pour ne pas figer ce processus. C'est pourquoi ils doivent être vigilante et ne pas tomber dans les pièges suivants :

-                      s'imaginer constituer la structure qui prépare le surgissement des comités de grève ou des conseils.

-                      s'imaginer être investis d'une sorte de "potentialité" en vue de développer la lutte future (ce ne sont pas des minorités qui créent artificiellement une grève ou font surgir une A.G. ou un comité même si elles ont une intervention active dans ce processus).

-                      se doter d'Une plate-forme ou de statuts ou de tout élément risquant de figer leur évolution et les condamnant à la confusion politique.

-                      se présenter comme des organes intermédiaires entre la classe et une organisation politique, comme une organisation à la fois unitaire et politique.

C'est pourquoi, quelle que soit la période dans laquelle nous nous trouvons, notre attitude envers ces organes minoritaires, si elle reste, ouverte, vise cependant à influencer l'évolution de la réflexion politique en leur sein. Nous devons essayer de faire en sorte que ces comités, noyaux, ne se figent ni dans un sens (une structure qui s'imagine préfigurer les conseils), ni dans l'autre (fixation politique). Ce qui doit nous guider avant tout, ce ne sont pas les intérêts et les préoccupations conjoncturelles de ces organes (car nous ne pouvons pas leur suggérer une recette organisationnelle et une réponse toute faite), mais les intérêts généraux de l'ensemble de la classe. Notre souci est de toujours homogénéiser et développer la conscience de classe de telle sorte que le développement de la lutte se fasse avec une participation toujours plus massive des ouvriers à celle-ci et une prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes et non par une minorité, quelle qu'elle soit. C'est pour cette raison que nous insistons tant sur la dynamique du mouvement et que nous mettons les éléments combatifs du prolétariat en garde contre les tentatives de substitutionnisme ou contre tout ce qui risque de bloquer le développement ultérieur de la lutte et de la conscience. En orientant l'évolution de ces organes dans une direction (réflexion et discussions politiques), plutôt que dans une autre, nous répondons à ce souci de favoriser la dynamique du mouvement. Bien entendu, cela ne signifie pas que nous condamnions toute forme d'Intervention" ou d'action" ponctuelle de la part de ces organes. Il est évident que dès l'instant où un groupe d'ouvriers combatifs comprend que sa tâche n'est pas d'agir en vue de se constituer en para-syndicats mais plutôt en vue de tirer des leçons politiques des luttes passées, cela n'implique pas le fait que cette réflexion politique se fasse dans le vide éthéré, dans l'abstrait et sans aucune conséquence pratique. La clarification politique menée par ces ouvriers combatifs va également les pousser à agir ensemble à l'intérieur de leur usine (et dans des cas plus positifs même au delà de l'usine). Ils vont sentir la nécessité de donner une expression politique matérielle à leur réflexion politique (tracts, journaux, etc.), ils vont sentir la nécessité de prendre position par rapport à des faits concrets qui touchent la classe ouvrière. En vue de diffuser cette prise de position et de la défendre, ils vont donc avoir une intervention concrète. Dans certaines circonstances ils vont proposer des moyens d'action concrets (formation d'A.G., de comités de grève,...) en vue de riposter ou de lutter. Au cours de la lutte elle-même, ils ressentent la nécessité de se concerter pour développer une certaine orientation de la lutte, pour appuyer des revendications permettant d'élargir la lutte, pour insister sur l'élargissement de celle-ci, etc.

Mais, par rapport à cela, même si nous restons attentifs à ne pas plaquer des schémas rigides, il est clair que nous continuons à insister sur le fait que ce qui compte avant tout, c'est la participation active de tous les ouvriers à la lutte, et qu'en aucun cas ces éléments combatifs ne doivent se substituer à cette participation et mener l'organisation et la coordination de la grève à la place de leurs camarades. De plus, il est également clair que plus l'organisation des révolutionnaires augmentera son influence au sein des luttes, plus ces éléments combatifs se tourneront vers elle. Ceci, non pas parce que l'organisation aura mené une politique de recrutement forcé envers ces éléments, mais tout simplement parce que ces éléments prendront conscience qu'une intervention politique réellement active et efficace ne peut se faire que dans le cadre d'une telle organisation internationale.

L'INTERVENTION DES REVOLUTIONNAIRES

Tout ce qui brille n'est pas or. Mettre en évidence que la classe ouvrière fait surgir dans sa lutte des minorités plus combatives ne signifie pas affirmer que l'impact de ces minorités est décisif pour le déroulement ultérieur de la conscience de classe. Nous ne devons pas faire une identification absolue entre expression d'une maturation de la conscience et facteur actif dans le développement de celle-ci.

En réalité, l'influence que peuvent avoir ces comités, cercles, etc. dans le déroulement ultérieur de la lutte est très limitée. Elle est entièrement fonction de la combativité générale du prolétariat et de la capacité de ces comités ou cercles à poursuivre sans cesse un travail de clarification politique. Or, à long terme, ce travail ne peut se poursuivre que dans le cadre d'une organisation révolutionnaire.

Mais là encore aucun mécanisme ne peut avoir cours. Ce n'est pas d'une manière artificielle que l'organisation révolutionnaire gagnera ces éléments. Contrairement à des organisations comme Battaglia

Comunista ou le PIC, le CCI ne cherche pas à combler d'une manière artificielle et volontariste un "fossé" qui existerait entre le parti et la classe. Notre compréhension de la classe ouvrière comme force historique et de notre rôle nous empêche de vouloir figer ces comités dans des structures intermédiaires ou de chercher à créer des "groupes d'usine", courroies de transmission entre la classe et le parti.

Se pose alors la question de savoir quelle est notre attitude par rapport à de tels comités, cercles etc. Tout en leur reconnaissant une influente limitée, des faiblesses, nous restons ouverts et attentifs au surgissement de tels organes. Nous leur proposons avant tout une très grande ouverture dans la discussion et nous n'adoptons en aucun cas une attitude de mépris, de condamnation sous prétexte de l'impureté" politique de ces organes. Ceci est une chose. Une autre chose serait de flatter ces organes ou même de concentrer notre énergie uniquement sur eux. Nous n'avons pas à faire une psychose des "groupes ouvriers", comme nous n'avons pas à les ignorer. Tout en reconnaissant le processus " de maturation de la lutte et de la conscience de classe et ses tentatives à se "hisser" vers le terrain politique, tout en ayant conscience que le prolétariat dans ce processus fait surgir en son sein des minorités plus combatives qui ne s'organisent pas nécessairement en organisation politique, nous devons faire attention à ne pas identifier ce processus de maturation avec celui qui caractérisait le développement de la lutte au siècle dernier. Cette compréhension est très importante car elle nous permet d'apprécier en quoi ces comités, cercles, etc. sont véritablement des expressions de la maturation de la conscience de classe, mais des expressions avant tout temporaires et éphémères  et non pas des jalons fixes et structurés, des échelons organisationnels dans le développement de la lutte de classe. Car la lutte de classe en période' de décadence se fait par explosions, par surgissements brusques qui surprennent même les éléments les plus combatifs d'une lutte précédente et peuvent les dépasser tout à fait en conscience et en maturité. Le prolétariat ne peut s'organiser réellement au niveau unitaire qu'au sein de la lutte elle-même et au fur et à mesure que la lutte devient permanente il grossit et renforce ses organisations unitaires.

C'est cette compréhension qui nous permet de mieux cerner en quoi, même si dans certaines circonstances il peut être très positif de mener une discussion suivie et systématique avec ces cercles et de participer à leurs réunions, nous n'avons pas de politique spécifique, de "tactique" spéciale à l'égard de ces comités ouvriers. Nous reconnaissons la possibilité et une plus grande facilité de discuter avec ces éléments combatifs (particulièrement quand la lutte n'est pas encore ouverte) ; nous avons conscience que certains de ces éléments peuvent nous rejoindre, mais nous ne focalisons pas toute notre attention à leur égard. Car ce qui reste avant tout essentiel pour nous, c'est la dynamique générale de la lutte à l'intérieur de la laquelle nous n'opérons aucune classification rigide, aucune hiérarchisation. Nous nous adressons avant tout à la classe ouvrière dans son ensemble. Contrairement aux autres groupes politiques qui essaient de combler l'absence d'influence de minorités révolutionnaires par des procédés artificiels en s'illusionnant sur ces "groupes ouvriers': le CCI reconnaît son peu d'impact dans la période présente. Nous ne cherchons pas à développer, pour augmenter cette influence, une confiance artificielle des ouvriers à notre égard. Nous ne sommes pas ouvriéristes, comme nous ne sommes pas des mégalomanes. L'influence que nous développerons progressivement au sein des luttes, viendra essentiellement de notre PRATIQUE POLITIQUE en leur sein, et non d'un quelconque rôle de "porteurs d'eau" ou d'une politique de flagorneries. De plus, cette intervention politique, nous l'adressons aux ouvriers dans leur ensemble, au prolétariat pris comme un tout et comme une classe. Nous existons non pas pour nous satisfaire de la "confiance" que nous accorderaient deux, trois ouvriers aux mains calleuses, mais pour homogénéiser accélérer l'épanouissement de la conscience de classe. Et soyons conscients que ce n'est qu'au cours du processus révolutionnaire lui-même que le prolétariat nous accordera sa "confiance" politique, dans la mesure où il reconnaîtra alors que le parti révolutionnaire fait réellement PARTIE de son combat historique.



[1] [45] AAU, Allgemeine Arbeiter Union : Union Générale des Travailleurs. Les 'unions" ont été des tentatives de créer des formes d'organisation permanentes regroupant l'ensemble des ouvriers en dehors des syndicats et contre eux, en Allemagne, dans les années qui suivirent l'écrasement de l'insurrection de Berlin en 1919. Elles exprimaient un une nostalgie des conseils ouvriers, mais ne parvinrent jamais à en remplir la fonction.

[2] [46] Groupes d'ouvriers en Belgique.

[3] [47] Le groupe français PIC (Pour une Intervention Communiste) vécut pendant quelques mois convaincu et cherchant à convaincre tout le monde, qu'il participait au développement d'un réseau de "groupes ouvriers", qui constitueraient une puissante avant garde du mouvement révolutionnaire. Il fondait et entretenait cette illusion sur la réalité squelettique de deux ou trois groupes constitués pour l'essentiel d'éléments "ex-gauchistes". Il ne reste plus grand chose de tout ce bluff.

[4] [48] Il s'agit de rencontres organisées regroupant des délégations de différents groupes, collectifs, comités ouvriers...

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [32]

Questions théoriques: 

  • Décadence [1]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [33]

L’évolution du capitalisme et la nouvelle perspective - 1952 INTERNATIONALISME

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Le texte que nous reproduisons ci-dessous est paru, dans le n°46 d'Internationalisme  en été 1952. Ce fut le dernier numéro de cette revue, et à ce titre, ce texte constitue en quelque sorte un résumé condensé des positions et de l'orientation politique de ce groupe. L'intérêt qu'il présente est donc certain.

Ce qui devrait être tout particulièrement mis en évidence, est la différence de la perspective telle qu'elle se dégage du texte et telle que nous la percevons aujour­d'hui. Internationalisme avait raison d'analyser la période qui a suivi la 2ème guerre mondiale comme une continuation de la période de réaction et de reflux de la lutte de classe du prolétariat, et en conséquence, de condamner comme artificielle et aventuriste la proclamation bordiguiste de la constitution du Parti. elle avait encore raison d'affirmer qu'avec la fin de la guerre le capitalisme ne sort pas de sa période de décadence, que toutes les contradictions qui ont amené le capitalisme à la guerre subsistaient et poussaient inexorablement le monde vers de nouvelles guerres. Mais Internationalisme n'a pas perçu ou pas suffisamment mis en évidence la phase de reconstruction possible dans le cycle : crise-guerre-reconstruction-crise.

C'est pour cette raison et dans le contexte de la lourde atmosphère de la guerre froide USA-URSS de l'époque qu'Internationalisme ne voyait la possibilité d'un resurgissement du prolétariat que dans et à la suite d'une 3ème guerre. On doit noter qu'aujourd'hui encore il y a des militants révolutionnaires qui partagent cette vision. Cependant, la crise qui a suivi nécessairement la phase de reconstruction, durant laquelle se sont en partie épuisées bien des mystifications, a permis une reprise de la lutte de la classe ouvrière et obligé le capitalisme mondial, malgré l'aggravation de ses antagonismes internes, à faire face d'abord son ennemi de classe.

Si la perspective d'inévitabilité de la 3ème guerre peut se comprendre dans le contexte des années 50, car elle reposait sur une possibilité réelle, nous n'avons aucune raison de la maintenir aujourd'hui. Le capitalisme peut trouver dans des guerres localisées un exutoire momentané à ses contradictions et antagonismes, mais il ne peut aller à la guerre généralisée tant qu'il n'a pas réussi à immobiliser le prolétariat. Cette immobilisation, il ne peut l'obtenir que par l'affrontement ouvert et l'écrasement par la force du prolétariat. C'est cet affrontement qui est notre perspective aujourd'hui et auquel nous devons nous préparer. Rien ne nous autorise à présager une issue défavorable à cet affrontement. De toutes leurs forces, les révolutionnaires ne peuvent que miser et espérer la victoire de leur classe  (extraits de l'introduction à la republication du texte parue dans le Bulletin d'études et de discussion t  n°8, de Révolution Internationale, juillet 1974)

Nous publions ici une série d'exposés, faits au cours de réunions communes avec des camarades de l'Union Ouvrière Internationaliste. Afin d'en permettre, au plus rapidement, la discussion, nous les donnons sous la forme de compte-rendu analytique. Il s'ensuit que le lecteur n'y trouvera pas les nécessaires-indications statistiques ni certains développements importants. Ce sont des schémas d'un travail de fond, plutôt que ce travail de fond. Le camarade M. qui portait la responsabilité de ces exposés, se réserve de les élargir et de leur adjoindre la documentation utile.

Nous souhaitons vivement qu'une discussion la plus large possible, s'engage cependant à leur propos. Il est superflu d'insister sur la nécessité d'une telle discussion et de la publication de tous documents s'y rapportant. Il va sans dire que nous sommes prêts à assumer ces publications.

L'ÉVOLUTION DU CAPITALISME ET LA NOUVELLE PERSPECTIVE

Avant de dégager les caractères généraux du capitalisme à son présent stade du capitalisme d'Etat, il est nécessaire de rappeler et préciser les caractères fondamentaux du capitalisme en tant que système.

Tout système économique, au sein de la société divisée en classes, a pour but l'extraction de surtravail aux classes  laborieuses et au profit des classes exploiteuses. Ce qui distingue, entre eux, ces différents systèmes et partant ces différentes sociétés, c'est le mode d'appropriation du surtravail par les exploiteurs, de son évolution à laquelle le développement des forces productives confère un caractère de nécessité.

L'on se bornera ici à rappeler les caractères essentiels de l'exploitation capitaliste de la force de travail.

SEPARATION DES MOYENS DE PRODUCTION D'AVEC LES PRODUCTEURS

Le travail passé et accumulé-le travail mort- domine et exploite le travail présent -le travail vivant-. C'est en tant que contrôlant le travail mort, c'est à dire les moyens de production, que les capitalistes -non pris individuellement mais comme classe sociale exploitent le travail des ouvriers.

La vie économique est toute entière suspendue à cet objectif de recherche du profit par le capitaliste. Ce profit lui-même est en partie consommé par le capitaliste, et en partie, la plus grande, destiné à la reproduction et à l'élargissement du capital.

LA PRODUCTION COMME PRODUCTION DE MARCHANDISES

Les rapports entre les membres de la société prennent la forme de rapports entre marchandises. La force de travail est elle-même une marchandise qui est payée à sa valeur : celle des produits nécessaires à sa reproduction totale se mesure par la valeur de la force de travail comparée à la valeur du produit.  Ainsi, l'accroissement de la productivité du travail, en faisant baisser la valeur des marchandises consommées par la classe salariée, et partant la valeur de la force de travail, aboutit à la diminution du salaire par rapport à la plus-value. Plus la production augmente, et plus baisse la part des ouvriers dans cette production, plus baisse le salaire relatif à cette production 'accrue.

(L'échange des marchandises s'opère sur la base de la loi de la valeur. Cet échange est mesuré par la quantité de travail social nécessaire dépensé dans la production des marchandises.

Les caractères, que l'on vient de dire, se retrouvent à tous les stades de l'évolution du capitalisme. Cette évolution les modifie, sans doute; mais ces modifications, qui s'effectuent à l'intérieur du système, demeurent secondaires, elles n'altèrent pas fondamentalement la nature du système.

LE MODE DE L'APPROPRIATION

On ne peut analyser le capitalisme qu'en le saisissant dans son essence qui est le rapport capital-travail; il faut examiner le capital dans ses rapports avec le travail, et non ceux du capitaliste et de l'ouvrier.

Dans les sociétés antérieures au capitalisme, la propriété des moyens de production était fondée sur le travail personnel, l'usage de la force étant considérée comme une expression de ce travail personnel. La propriété était réellement propriété privée des moyens de production, étant considéré que l'esclave, par exemple, était lui-même moyen de production. Le propriétaire était souverain, cette souveraineté n'étant limitée que par des biens d'allégeance au plus fort (tribut, vassalité,  etc...).

Avec le capitalisme, la propriété se fonde sur le travail social. Le capitaliste est assujetti aux lois du marché. Sa liberté est limitée aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur de son entreprise..: il ne peut produire "à perte", en enfreignant la loi du marché. En ce dernier cas, la sanction serait immédiate : ce serait la faillite: cependant, il faut noter que cette faillite est celle du capitaliste, mais non celle de la classe capitaliste. Tout se passe comme si la classe capitaliste était le propriétaire collectif, social, des moyens de production. La situation du capitaliste est instable, chaque instant le remet en question. Ainsi Marx pouvait-il affirmer que "le système d'appropriation découlant du mode de production capitaliste et, par suite, la propriété capitaliste constituent la première négation de la propriété privée individuelle fondée sur le travail personnel." Car cette propriété capitaliste est essentiellement celle de la classe comme telle. Et c'est très justement que Marx peut désigner, dans la préface à sa "Contribution à la critique de l'économie politique", les rapports de propriété comme "l'expression juridique des rapports de production".

La propriété du capitaliste, la propriété de son entreprise privée, correspond aux stades du capitalisme où elle est rendue nécessaire par le faible niveau des forces productives et par le fait que le champ d'expansion du système est encore vaste et n'oblige pas à recourir à un mode supérieur de concentration de la propriété. Dans ces conditions, l'intervention de l'Etat dans l'économie demeure accidentelle, l'Etat demeure un organisme politique, chargé d'administrer la société en fonction des intérêts des capitalistes.

Toutefois, si le faible niveau de développement des forces productives entrainait l'existence d'une propriété privée capitaliste sur une fraction du capital social global (... celle constituée par son entreprise), il ne suit pas de là que le haut niveau atteint par ces forces exigent le recours au capitalisme d'Etat, Le haut niveau provoque certes une concentration de la propriété ainsi qu'on le vit avec la société anonyme ou le monopole, mais il ne suffit pas de l'invoquer pour expliquer le recours à la concentration-de la propriété dans les mains de l'Etat. En effet, sur le plan strict de la propriété, la concentration aurait pu s'effectuer et s'effectue en partie selon la modalité différente d'une concentration monopoliste de la propriété à l'échelle internationale-(cartels par exemple) et non pas à l'échelle nationale qu'implique toute forme étatique de la propriété.

LE CAPITALISME COMME ETAPE HISTORIQUE NECESSAIRE A L'INSTAURATION DU SOCIALISME

L'un des fondements essentiels de l'exploitation de l'homme par l'homme tient en ce que l'ensemble de la production ne parvient pas à satisfaire l'ensemble des besoins sociaux humains. Il y a lutte pour répartir les biens, en d'autres termes pour exploiter le travail. Aussi la possibilité historique d'une émancipation des travailleurs ne peut-elle surgir qu'à partir d'un certain degré d'expansion des forces productives et suffisant à couvrir l'ensemble des besoins sociaux.

Le socialisme, comme société sans classe ne peut se concevoir qu'à partir de ce degré atteint, le­quel permet de liquider les anciennes contradictions de classe. Le capitalisme, le développement de la production qu'il a su provoquer, apparait  ainsi comme la condition nécessaire du socialisme.

Ce n'est que sur son acquis que peut s'instaurer le socialisme.

On ne peut donc soutenir, comme le font les anarchistes par exemple, qu'une perspective socialiste resterait ouverte quand bien même les forces productives seraient en régression, en écartant toute considération relative à leur niveau. Le capitalisme représente une étape indispensable et nécessaire à l'instauration du socialisme dans la mesure où il parvient à en développer suffisamment les conditions objectives. Mais, de même qu'au stade actuel, -et c'est l'objet de la présente étude-, Il devient un frein par rapport au développement des forces productives, de même la prolongation du capitalisme, au-delà de ce stade, doit entraîner la disparition des conditions du socialisme. C'est en ce sens que se pose aujourd'hui l'alternative historique : le socialisme ou la barbarie.

LES THÉORIES DE L'EVOLUTION DU CAPITALISME

Si Marx analyse les conditions de développement de la production capitaliste, il ne put cependant, pour d'évidentes raisons de chronologie, examiner dans lé concret les formes suprêmes de son évolution. Cette tâche devait incomber à ses continuateurs. Aussi, différentes théories ont-elles surgi dans le mouvement marxiste, lesquelles prétendaient mettre à jour la théorie de l'évolution du capital. Nous nous proposons, pour la clarté de l'exposition de rappeler très cursivement trois axes essentiels de ces  théories.

LA THEORIE DE LA CONCENTRATION

Proposée par Hilferding, puis reprise par Lénine,

- cette théorie est plutôt une description qu'une interprétation de l'évolution du capitalisme. Elle part de la constatation générale que le haut degré de concentration de la production et de centralisation du capital donne aux monopoles le rôle directeur dans l'économie. La tendance de ces monopoles à s'aménager des superprofits géants les conduit au partage impérialiste du monde.

Cette théorie peut s'appliquer au passage du capitalisme concurrentiel à celui des monopoles, elle ne saurait s'appliquer au capitalisme d'Etat, lequel apparaît comme une négation du monopole international. Une concentration plus poussée n'implique pas nécessairement le recours à des formes étatiques de concentration. La concentration capitaliste résulte de la concurrence entre capitalistes au travers de laquelle le moins bien placé techniquement finit par être absorbé par le plus gros. Suit de là un élargissement du capitaliste victorieux. Ce développement continu de quelques 'entreprises tend à interdire l'apparition de nouvelles entreprises du fait de l'importance des capitaux nécessaires aux investissements en capitaux fixes et circulants. Si ce procès explique la formation de trusts monopolistiques à capitaux hautement centralisés, rien ne prouve que, du point de vue du montant des capitaux à investir, le monopole était incapable de faire face aux exigences d'une concentration supérieure à celle déjà atteinte. L'étatisation ne représente nullement une concentration supérieure à celle déjà atteinte par le monopole. Bien plus, certaines ententes monopolistiques internationales représentaient une tendance vers une concentration supérieure, en tout état de cause, à celle qui s'opérerait à l'intérieur d'un seul Etat.

D'autre part, en reprenant le point de vue réformiste d'Hilferding, Lénine en arrivait à cette conclusion, au moins logique et implicite, que le capitalisme n'avait pas de terme à son développement. Aussi la barbarie ne représentait pas pour lui une éventualité historique, mais une image : expression de la stagnation des forces productives et du caractère "parasitaire" du capitalisme dans ces conditions. Pour Lénine, comme pour les sociaux-démocrates -mais selon, des voies et moyens différents et opposés-, la question des conditions objectives de la révolution ne se posait plus en termes de progression ou de régression des forces productives-il n'importait- mais uniquement en fonction de la nécessité historique pour le prolétariat de faire culminer la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne. Ce dernier aspect sera touché plus loin.

LA THEORIE DE LA BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT

Cette théorie fut présentée par Henryk Grossman. Partant d'une formulation nouvelle des schémas marxiens de la reproduction élargie, Grossman insista sur ce que la hausse continue de la composition organique du capital amenait une chute de la valorisation de ce capital (baisse du taux de profit entraînant celle de la masse de ce profit) : l'insuffisance relative de la plus-value s'oppose aux besoins de l'accumulation. Pour y remédier, les capitalistes s'essaient à diminuer le coût de production du capital et des transports, le niveau des salaires, etc... Le développement technique suit un rythme accéléré, tandis que la lutte de classe se poursuit avec une vigueur accrue par la surexploitation du travail.

Cette théorie assigne nettement une fin objective au développement de l'accumulation capitaliste : son effondrement. Les capitaux ne trouvent plus à s'employer dans des conditions de rentabilité suffisante. C'est une série de guerres -entraînant le maintien provisoire de la rentabilité- et au delà l'effondrement du capitalisme. Le point de vue de Grossman , cependant, ne paraît guère convaincant en ce qu'il établit un lien absolu entre la baisse du taux et la diminution relative de la masse du profit.

Dans son "Anticritique" Rosa Luxembourg eut l'occasion de noter :

"On dit que le capitalisme s'écroulera par suite de la baisse du taux de profit. Cet espoir sera malheureusement réduit en fumée par une seule thèse de Marx, là où il montre que, pour de grands capitaux, la chute du taux de profit est compensée par la masse de ce profit. Si on attend de la chute du taux de profit l'écroulement du capitalisme, on pourrait attendre aussi bien jusqu'à ce que le soleil s'éteigne."

Comment le capitalisme réagit-il à la baisse du taux de profit ? Marx a déjà montré que face à la tendance à la baisse du taux, le capitalisme a certains moyens de réagir et de rendre rentable l'exploitation du travail additionnel. L'accentuation de l'exploitation de la force de travail est un de ces moyens. Un autre est l'élargissement de la production, bien que dans chaque produit la-baisse du taux entraîne une diminution de la part du profit, la somme totale du profit augmente par la somme supérieure de produits ainsi obtenus. Enfin le capitalisme réagit par l'élimination d'éléments "parasitaires" émargeant antérieurement sur la totalité du profit. Ainsi le passage du capitalisme concurrentiel à celui du monopole entraîna l'élimination partielle de petits producteurs retardataires. Rien ne permet d'affirmer que le passage au capitalisme d'Etat s'accompagne de ce processus. Bien au contraire, peut-on soutenir, avec plus de motifs, que la concentration étatique fait surgir une couche sociale -improductive de valeurs et donc parasitaire- qui est la bureaucratie.

Pour que cette théorie puisse passer pour interprétative de la crise du système, il faudrait qu'elle démontrât que l'augmentation de la masse de profit ne parvient plus à compenser la baisse du taux ou, en d'autres termes, que la somme du profit social global diminue malgré une augmentation de la production.

            Le théorème que la théorie de Grossman devrait démontrer serait alors le suivant : à la fin du nouveau cycle de production, le profit global (entant que    produit d'une masse augmentée de la production multipliée par un taux inférieur) est inférieur au profit social global issu du cycle antécédent (en tant que, produit d'une masse inférieure de la production multipliée par un taux de profit supérieur antérieur à la baisse). Une telle démonstration peut être donnée dans l'infini de des schémas, elle ne se retrouve pas dans les conditions réelles de la production. Il faut donc conclure que la solution véritable est ailleurs. L'impossibilité d'élargir la production vient aujourd’hui, non de la non-rentabilité de cette production élargie, mais uniquement de l'impossibilité de son écoulement.

LA THEORIE DE L'ACCUMULATION DE ROSA LUXEMBOURG

Pas plus que pour les précédentes théories nous ne donnerons ici qu'un résumé, un tant soit peu complet ([1] [49]), de la thèse de Rosa Luxembourg. On sait que Rosa, après une étude approfondie des schémas marxiens de la reproduction élargie, concluait à l'incapacité pour les capitalistes de réaliser toute leur plus-value sur leur propre marché. Afin de poursuivre l'accumulation, les capitalistes sont contraints d'écouler une partie de leurs marchandises dans des milieux extra-capitalistes : producteurs possédant en propre leurs moyens de production (artisans, paysans, colonies ou semi-colonies). C'est l'existence de ces milieux extra-capitalistes qui conditionne le rythme de l'accumulation capitaliste. Cette frange extra-capitaliste vient-elle à se rétrécir et le capitalisme est plongé dans la crise. Les luttes se développent entre les différents secteurs du capitalisme mondial afin de se réserver l'exploitation de ces pays extra-capitalistes.

La disparition des marchés extra-capitalistes entraîne donc une crise permanente du capitalisme. Rosa Luxemburg démontre par ailleurs que le point d'ouverture de cette crise s'amorce bien avant que cette disparition soit devenue absolue. Afin de pallier à cette disparition, le capitalisme développe une production parasitaire, improductive de par sa nature : celle des moyens de destruction. Le caractère décadent du capitalisme s'affirme par cela qu'il devient incapable de maintenir la production dés valeurs sociales (objets de consommation). La guerre devient le mode de vie du capitalisme : guerres entre Etats ou coalition d'Etats où chacun tente de se survivre par le pillage ou l'assujettissement du vaincu. Alors qu'aux stades antérieurs, la guerre provoquait une expansion de la production chez l'un ou l'autre des antagonistes, elle amène aujourd'hui la ruine, à des degrés divers, de l'un et de l'autre. Cette ruine se traduit aussi bien par la baisse du niveau de vie de la population que par le caractère toujours plus improductif de valeurs que prend la production. L'aggravation des luttes entre Etats et leur caractère décadent depuis 1914, mène chaque Etat à vivre sur lui-même, en cycle fermé, et à recourir à la concentration étatique. Nous n'insisterons pas plus ici, ce sera l'objet des développements suivants que d'ajuster la théorie à la réalité historique.

QUELQUES CARACTERES FONDAMENTAUX DU CAPITALISME D’ETAT

Le capitalisme d'Etat n'est pas une tentative de résoudre les contradictions essentielles du capitalisme en tant que système d'exploitation de la force de travail, mais la manifestation de ces contradictions. Chaque groupe d'intérêts capitalistes essaie de rejeter les effets de la crise du système sur un groupe voisin, concurrent, en se l'appropriant comme marché et champ d'exploitation. Le capitalisme d'Etat est né de la nécessité pour ce groupe d'opérer sa concentration et de mettre sous sa coupe les marchés extérieurs à lui. L'économie se transforme donc en une économie de guerre.

LE PROBLÈME DE LA PRODUCTION ET DE L'ECHANGE

Dans les stades Capitalistes antérieurs au capitalisme d'Etat, l'échange précédait la production : la production suit le marché. Lorsque l'indice de la production approche l'indice du volume du commerce mondial, la crise s'ouvre. Cette crise manifeste la saturation du marché. A la sortie de la crise, la reprise de l'expansion économique s'effectue d'abord dans la sphère de l'échange et non dans celui de la production, lequel suit la demande.

A partir de 1914, le phénomène se renverse : la production précède l'échange. Il apparût, tout d'abord, que ce phénomène était imputable aux destructions causées par la guerre. Mais en 1929, l'indice de l'échange rejoint celui de la production et c'est la crise. Les stocks s'accumulent, le capitaliste est dans l'incapacité de réaliser la plus-value sur le marché.

Auparavant les crises se résorbaient par l'ouverture de nouveaux débouchés, laquelle entraînait une reprise du commerce mondial et, à sa suite, celle de la production. Entre 29 et 35, la crise ne peut trouver d'exutoire dans un élargissement des marchés dont les limites tendancielles sont atteintes. La crise fait déboucher le capitalisme sur une économie de guerre.

Le monde capitaliste est entré dans sa crise permanente : il ne peut plus élargir sa production. On verra là l'éclatante confirmation de la théorie de Rosa.: le rétrécissement des marchés extra-capitalistes entraîne une saturation du marché proprement capitaliste.

LE PROBLEME DES CRISES

Le caractère essentiel des crises depuis 1929 est qu'elles sont plus profondes que les précédentes. Il ne s'agit plus de crises cycliques, mais d'une crise permanente. La crise cyclique, celle que connut le capitalisme classique, affectait l'ensemble des pays capitalistes. La reprise s'effectuait, elle aussi, de façon globale. La crise permanente, celle que nous connaissons aujourd'hui, se caractérise par la chute continue des échanges et de la production dans l'ensemble des pays capitalistes (ainsi des années 1929 à 1934). Mais on n'assiste plus à une reprise généralisée. Cette reprise ne se manifeste que dans un compartiment de la production et dans ce secteur aux dépens des autres. De plus, la crise se déplace d'un pays à l'autre, maintenant en permanence l'économie mondiale en état de crise.

Devant l'impossibilité de s'ouvrir de nouveaux marchés, chaque pays se ferme et tend désormais à vivre sur lui-même. L'universalisation de l'économie capitaliste, atteinte au travers du marché mondial, se rompt : c'est l'autarcie. Chaque pays tente de se suffire à lui-même; on y crée un secteur non rentable de production, lequel a pour objet de pallier aux conséquences de la rupture du marché. Ce palliatif même aggrave encore la dislocation du marché mondial.

La rentabilité, par la médiation du marché, constituait avant 1914 l'étalon, mesure et stimulant, de la production capitaliste. La période actuelle enfreint cette loi de la rentabilité : celle-ci s'effectue désormais non plus au niveau de l'entreprise mais à celui, global, de l'Etat. La péréquation se fait sur un plan comptable, à l'échelle nationale; non plus par l'entremise du marché mondial Ou bien, l'Etat subventionne la partie déficitaire de l'économie, ou bien, l'Etat prend en mains l'ensemble de l'économie.

De ce qui précède, on ne peut conclure à une "négation" de la loi de la valeur. Ce à quoi nous assistons tient en ce que la production d'une unité de la production semble détachée de la loi de la valeur cette production s'effectuant sans considération apparente de sa rentabilité.

Le surprofit monopolistique se réalisait au travers de prix "artificiels", cependant sur le plan global de la production, celle-ci demeurait liée à la loi de la valeur. La somme des prix, pour l'ensemble des produits n'exprimait rien d'autre que la globale valeur des produits. Seule la répartition des profits entre divers groupes capitalistes se trouvait transformée : les monopoles s'arrogeaient un surprofit aux dépens des capitalistes moins bien armés. De même peut-on dire que la loi de la valeur joue au niveau de la production nationale. La loi de la valeur n'agit plus sur un produit pris individuellement, mais sur l'ensemble des produits. On assiste à une restriction du champ d'application de la loi de la valeur. La masse totale du profit tend à diminuer du fait de la charge que fait peser l'entretien des branches déficitaires sur les autres branches de l'économie.

LE CHAMP D'APPLICATION DE LA LOI DE LA VALEUR

1)                                   Le capital

De ce qui précède, ressort que si le rigoureux mécanisme de la loi de la valeur ne joue plus toujours à l'échelon de l'entreprise, d'une branche entière de l'économie, la loi se manifeste au ni veau de l'échange. Ainsi qu'aux stades antérieurs le marché reste, en dernière instance, le souverain régulateur de la valeur capitaliste des marchandises ou, si l'on préfère, des produits.- La loi de la valeur semble niée dans ces pays où plusieurs secteurs industriels cohabitent à l'intérieur même du secteur étatique. Cependant en cas d'échange avec les autres secteurs, cet échange s'opère sur la loi de la valeur.

En Russie, la disparition de la propriété privée a entraîné une très grande restriction dans le mode capitaliste d'application de la loi de la valeur. Cette loi peut ne pas jouer dans les échanges entre deux secteurs étatisés -de même qu'elle ne joue pas à l'intérieur de l'usine, entre ses divers ateliers- mais elle joue dés lors qu'il s'agit d'échanger un produit fini contre un autre produit. C'est toujours le temps de travail socialement nécessaire à sa production qui fixe le prix du produit, et non l'omnipotent caprice d'un "bureaucrate". Les produits s'échangent, se déplacent d'après les besoins de la production et si "dirigés" soient-ils, selon ceux aussi du marché. Les prix demeurent l'expression marchande de la loi de la valeur.

2)                                   La force de travail

Mais l'échange fondamental dans l'économie capitaliste est celui qui se fait entre les produits et  la force de travail....En Russie comme ailleurs, l'achat de la force de travail se fait à sa valeur capitaliste. Le prix payé est celui nécessaire à sa reproduction.

La plus ou moins grande valorisation de la force de travail, la plus ou moins grande hauteur du niveau des salaires ne change rien à la question. La valeur de la force de travail est fixée en partie par la façon dont les ouvriers réagissent 'à leur exploitation. Leur lutte, ou leur absence de lutte, peut augmenter ou diminuer ainsi la part de la production qui leur échoit sous forme de salaire. Les ouvriers cependant ne peuvent agir, au sein même du capitalisme, que sur la grandeur du volume des produits qui leur sont attribués en échange de leur force de travail et non sur le sens capitaliste -ce qu'il implique- de cette répartition.

La présence, en Russie ou ailleurs, d'une force de travail "concentrationnaire" ne change rien à ces observations. Non seulement, elle ne représente qu'une fraction minime de la force de travail dépensée sur l'ensemble du territoire, mais encore ce phénomène demeure dans le cadre des caractéristiques fondamentales des rapports entre la force de travail et le capital.

La signification de ce phénomène doit être recherchée dans la nécessité pour un pays capitaliste arriéré de maintenir un bas niveau de salaires. C'est une pression exercée, dans le cadre de l'accumulation, afin d'agir sur la grandeur de la valeur sociale globale des produits affectés à la reproduction de la force de travail, telle l'armée industrielle de réserve, des chômeurs du capitalisme classique. Le caractère passager de ce phénomène s'affirme plus encore si l'on considère que, le plus généralement, la main d'œuvre "concentrationnaire" est dirigée vers des travaux de colonisation intérieure. Il s'agit de travaux qui ne sont rentables qu'à une échéance lointaine exécutés par une main d'œuvre bon-marché et non spécialisée et qu'il serait impossible dans les conditions générales d'un état arriéré de l'économie, de compter les salaires de cette main-d’œuvre à leur valeur capitaliste. Il faut ajouter qu'à cet investissement de force de travail s'ajoute, en Russie, la nécessité pour le capitalisme de se créer un efficace moyen de coercition politique.

D'aucuns s'efforcent à voir dans cette forme d'exploitation du travail l'amorce d'un retour à l'esclavagisme. Il faudrait, pour persuader, démontrer auparavant la disparition absolue de la loi capitaliste de la valeur. Signalons encore que l'esclave antique pénalisé était soumis à une punition corporelle (verges, marque au fer, jeux du cirque). Pour l'ouvrier russe "saboteur", la punition est une pénalité de valeur. Cet ouvrier sera contraint de fournir un certain nombre d'heures de travail supplémentaires et non-payées. En revanche, le "bon" ouvrier stakhanoviste jouira davantage de salaires et surtout de logement et de loisirs. Politiquement ce système a pour mission de diviser 1a classe des exploités (formation d'une aristocratie ouvrière dévouée au régime).

D'une façon générale, l'on doit reconnaitre que, pour pallier la baisse du taux moyen et de la masse du profit, on doit utiliser au maximum la force de travail disponible. Le nombre des ouvriers est accru : la prolétarisation des masses paysannes ou petites bourgeoises s'accentue; les mutilés de guerre, les fous sont soignés et récupérés dans le cycle de production; la procréation et l'éducation des enfants est encouragée et soutenue. L'intensité du travail est accrue : les temps sont sévèrement contrôlés, on revient au travail aux pièces sous la forme du "boni" et autres primes, etc... Les crapuleux théoriciens de l'accroissement de la productivité ou du plein emploi ne font que rationaliser cette tendance à l'exploitation maximum du travail humain.

LA DESTINATION DE LA PRODUCTION.

La production se développe alors que le commerce diminue. Où donc va cette production que l'absence de possibilité d'échanges condamne à demeurer sans emploi social ? Elle est orientée vers la production de moyens de destruction. Si le capitalisme d'état accroit la production industrielle, il ne crée pas pour autant de valeurs nouvelles, mais des bombes ou des uniformes.

Le financement de cette production s'opère essentiellement de trois façons :

1)     - Dans un cycle de production donné, une partie de plus en plus grande de cette production va dans les produits qui ne se retrouvent plus au cycle suivant. Le produit quitte la sphère de la production et n'y revient plus. Un tracteur revient à la production sous forme de gerbes de blé, un tank non.

Le temps de travail social incorporé dans cette production lui confère une valeur. Mais ce temps de travail est dépensé sans contrepartie sociale: ni consommé, ni réinvesti, il ne servira pas à la reproduction. Il demeure rentable sur un plan privé, par rapport au capitaliste, mais non sur un plan global.

La production s'élargit en volume, non en valeur sociale réelle. Ainsi une première part de la production des moyens de destruction est prélevée sur la production courante.

2)     - Une deuxième part est payée par le drainage des capitaux improductifs (rentiers, boutiquiers, et paysannerie du bas de laine) et par celui aussi des capitaux accumulés productifs, mais non indispensables au fonctionnement d'une production qui n'est plus orientée vers la consommation productive. L'épargne finit par disparaître. Certainement contestables, les indications suivantes donnent cependant une idée de la tendance dans un pays comme la France où l'évolution est typique à cet égard : "Evalué en pouvoir d'achat, le capital de 1950, soit 19 500 milliards en chiffre rond, ne représente plus que 144 milliards de 1911 (contre 286), ce qui lui retire la moitié de sa valeur. Mais cette vue serait incomplète si l'on ne prenait en considération la masse des apports de l'épargne. Au rythme de 1910-1914 (4 milliards) elle eût -toutes choses égales- ajouté 144 milliards-or aux 300 milliards de cette époque. Pour avoir été moindre sous l'effet des deux guerres, cette épargne annuelle n'en a pas moins existé. Or il n'en reste aucune trace". ([2] [50])

Les bénéfices commerciaux sont amputés par un prélèvement étatique énorme. Enfin l'inflation devient permanente et la dégradation du pouvoir d'achat de la monnaie atteint des proportions considérables.

3)     - Une troisième part, enfin, est directement prélevée sur les ouvriers : diminution du niveau de vie et intensification de l'exploitation du travail. Alors qu'en France, par exemple, l'indice de la production se situe, au début de 1952, à 153 par rapport au niveau de 1938, la baisse du niveau de vie ouvrier par rapport à l'avant-guerre, atteint plus de 30% et plus même encore si l'on examine relativement à l'augmentation de la production. Ce paradoxe apparent d'une production en progression continue qu'accompagne une consommation des ouvriers en régression continue, ainsi que la fonte du capital social accumulé est une manifestation de la décadence du capitalisme.

STRUCTURE SOCIALE DE LA CLASSE CAPITALISTE

De telles transformations économiques entraînent de profondes modifications sociales. La concentration du pouvoir économique entre les mains de l'Etat -et parfois même l'élimination physique du bourgeois en tant que capitaliste individuel- précipite une évolution déjà sensible aux stades antérieurs du capitalisme. Nombre de théories ont fleuri –particulièrement sur le terrain trotskiste- qui prétendaient interpréter cette évolution en lui assignant pour dynamique la lutte d'une nouvelle classe contre la bourgeoisie classiques. Ces théoriciens arguaient de la destruction physique du bourgeois, de la propriété privée dans l'Est européen et de sa mise au pas dans les pays fascistes, travaillistes, ou "issus de la Résistance". Ces exemples cependant n'autorisent pas cette conclusion. Bâtir une théorie sur une série de faits dont les témoignages les plus typiques sont empruntés à une économie relativement arriérée, et sur des faits plus apparents que réels (le capitaliste n'est pas une personne physique, mais une fonction sociale), revient à bâtir sur le sable.

Seule reste fondamentale, au regard d'une saine analyse, l'observation du monde capitaliste hautement développé. La situation y est caractérisée par un amalgame, une imbrication d'éléments capitalistes traditionnels et d'éléments issus de 1 appareil étatique. Un tel amalgame ne s'opère pas, sans doute, sans frictions vives, ni éclopés. Le "fascisme" ou la "résistance" furent, en ce sens, des tentatives qui échouèrent.

La conclusion, que tirent nos théoriciens, d'une guerre civile entre la nouvelle classe "bureaucratique" et le capitalisme classique-mène à nier l'évidence de la crise permanente du capitalisme. A cette crise, dont les effets se répercutent au sein même des couches exploiteuses, on substitue une lutte prétendument progressive (le trotskysme officiel) ou non (SCHACHTMAN), entre deux classes "historiques". L'absence du prolétariat sur la scène historique est ainsi rationnalisée. A l'alternative que posent l'Histoire et les révolutionnaires : le Socialisme ou la Barbarie, un troisième terme est offert qui permet à nos théoriciens de s'intégrer à l'un ou l’autre bloc. Cette présupposition de l'existence, au sein du capitalisme, d'une nouvelle classe exploiteuse, apportant avec elle une solution historique aux contradictions du capitalisme, mène à l'abandon de l'idéologie révolutionnaire et le passage à celle du capitalisme.

SITUATION DES CAPITALISTES.

Le bénéfice du bourgeois de la propriété privée prenait la forme d'une rétribution proportionnée à la grandeur de l'entreprise gérée. Le caractère salarié du capitaliste, par rapport au capital, demeurait caché : il apparaissait être le propriétaire de son entreprise. Dans sa dernière forme, le capitaliste continue de vivre sur la plus-value extirpée aux ouvriers, mais perçoit son profit sous forme de salaire direct : c'est un fonctionnaire. Les profits ne sont plus distribués d'après les titres juridiques de propriété, mais d'après la fonction sociale du capitaliste. Aussi ce capitaliste se sent-il profondément solidaire, en tout temps, de l'ensemble de la production nationale, et non plus intéressé au seul profit de son entreprise. Il tend à traiter l'ouvrier d'égal à égal, à l'associer à la production, aux soucis qu'elle entraine.

Le prolétariat voit nettement que le capitalisme peut subsister sans la propriété privée des moyens de production. Cependant, l'évolution de la "salarisation" du capital abolit, en apparence, les frontières économiques entre les classes. Le prolétariat se sait exploité, mais il parvient avec difficulté à reconnaître l'exploiteur sous le veston du "boss" syndical ou la chemise du savant progressiste.

LE PROBLEME COLONIAL

On croyait autrefois, dans le mouvement ouvrier, que les colonies ne pourraient parvenir à leur émancipation nationale que dans le cadre de la révolution socialiste. Certes, leur caractère "du maillon le plus faible dans la chaîne de l'impérialisme" du fait de l'exacerbation de l'exploitation et de la répression capitaliste, les rendaient-elles particulièrement vulnérables à des mouvements sociaux. Toutefois leur accès à l'indépendance demeurait lié au sort de la révolution dans les métropoles capitalistes.

Ces dernières années ont vu, cependant, la plupart des colonies accéder à l'indépendance : les bourgeoisies coloniales se sont émancipées peu ou prou des métropolitaines. Ce phénomène, si limité soit

-il en réalité, ne peut se comprendre dans le cadre de l'ancienne théorie qui faisait du capitaliste colonial le pur et simple laquais de l'impérialisme, un courtier.

En fait, les colonies ont cessé de représenter un marché extra-capitaliste pour la métropole, elles sont devenues de nouveaux pays capitalistes. Elles perdent donc leur caractère de débouchés, ce qui rend moins énergique la résistance des vieux impérialismes aux revendications des bourgeoisies coloniales. A ceci s'ajoute le fait que les difficultés propres à ces impérialismes ont favorisé l'expansion économique -au cours des deux guerres mondiales- des colonies. Le capital constant s'amenuisait en Europe, tandis que la capacité de production des colonies ou semi-colonies augmentait, amenant une explosion du nationalisme indigène (Afrique du Sud, Argentine, Inde, etc...). Il est significatif de constater que ces nouveaux pays capitalistes passent, dès leur création, en tant que nations indépendantes, au stade de capitalisme d'Etat présentant ces mêmes aspects d'une économie tournée vers la guerre que l'on décèle par ailleurs.

La théorie de Lénine et de Trotski s'effondre: Les colonies s'intègrent au monde capitaliste et, par là même, le renforcent d'autant. Il n'y a plus de "maillon le plus faibles : la domination du capital est également répartie sur la surface entière du globe.

INCORPORATION DE LA LUTTE DU PROLETARIAT ET DE LA SOCIETE CIVILE DANS L'ETAT

La vie réelle, au stade classique du capitalisme, se déroulait dans la Société Civile, en dehors de l'Etat. Cet Etat n'était que l'instrument des intérêts dominants dans la Société Civile et cela seul : agent d'exécution et non organe de direction effective de l'économie et de la politique. Les éléments de l'Etat, cependant, appelés à maintenir l'ordre -c'est à dire administrer les hommes- tendait à se libérer du contrôle de la société, tendait à se muer en classe autonome, axant tant ses intérêts propres. Cette dissociation et lutte entre l'Etat et la Société Civile ne pouvait aboutir à la domination absolue de l'Etat tant que cet Etat ne contrôlait pas les moyens de production. La période des monopoles vit s'opérer le début d'un amalgame de l'Etat et de l'Oligarchie, toutefois cet amalgame demeurait instable : l'Etat restait extérieur à la Société Civile essentiellement fondée sur la propriété privée. La phase actuelle voit s'unifier dans les mêmes mains, l'administration des choses et le Gouvernement des hommes. Le capital décadent nie les antagonismes entre les deux classes économiques exploiteuses : les Capitalistes et les propriétaires fonciers (par la disparition des seconds). Il nie également les contradictions entre les divers groupes capitalistes dont les contrastes formaient auparavant l'un des moteurs d'une production qui, du point de vue de la production réelle de valeur, est sur le déclin.

A son tour, la classe économique exploitée est intégrée à l'Etat. Cette intégration s'effectue d'autant plus aisément, sur le plan de la mystification que les ouvriers ne trouvent plus en face d'eux que le capital en tant que tel, comme représentant du patrimoine de la nation, comme cette nation même dont les ouvriers formeraient une part.

Nous avons vu que le capitalisme d'Etat se trouve dans l'obligation de réduire la grandeur des biens destinés à alimenter le capital variable, à exploiter sauvagement le travail des ouvriers. Hier, les revendications économiques des ouvriers pouvaient être satisfaites, au moins partiellement, par l'expansion de la production : le prolétariat pouvait prétendre à une amélioration effective de sa condition. Ce temps est passé. Le capital a perdu ce volant de sécurité que représentait pour lui une augmentation réelle des salaires. La baisse de la production entraîne l'impossibilité, pour le capitalisme, d'une revalorisation même du salaire. Les luttes économiques des ouvriers ne peuvent plus amener que des échecs -au mieux le maintien habile de conditions de vie d'ores et déjà dégradées. Elles lient le prolétariat aux exploiteurs en l'amenant à se considérer solidaire du système en échange d'une assiette de soupe supplémentaire (et qu'il n'obtiendra, en fin de compte qu'en améliorant sa "productivité").

L'Etat maintient les formes d'organisation des ouvriers (syndicats) pour mieux les encaserner et mystifier. Le syndicat devient un rouage de l'Etat et comme tel intéressé à développer la productivité -c'est à dire accroitre l'exploitation du travail. Le syndicat fut l'organe de défense des ouvriers tant que la lutte économique eut un sens historique. Vidé de ce contenu ancien, le syndicat devient sans changer de forme, un instrument de répression idéologique du capitalisme d'Etat et de contrôle sur la force de travail.

LA REFORME AGRAIRE ET L'ORGANISATION DE LA DISTRIBUTION : LES COOPERATIVES.

Afin d'assurer un rendement maximum du travail, et aux conditions les meilleures, le capitalisme d'Etat se doit d'organiser et centraliser la production agricole ainsi que de limiter le parasitisme dans le secteur de la distribution. Il en va de même pour les branches artisanales. Ces différentes branches sont groupées en coopératives dont l'objet est d'éliminer le capital commercial, de réduire la distance de la production à la consommation et d'intégrer la production agricole à l'Etat.

LA SECURITE SOCIALE.

Le salaire même est intégré à l'Etat. La fixation, à sa valeur capitaliste, en est dévolue à des organismes étatiques. Une part du salaire est enlevée à l'ouvrier et est administrée directement par l'Etat. Ainsi l'Etat "prend en charge" la vie de l'ouvrier, il contrôle sa santé (lutte contre l'absentéisme), dirige ses loisirs (répression idéologique). A la limite l'ouvrier n'a plus de vie privée, chaque instant en appartient, directement ou non, à l'Etat. L'ouvrier est conçu comme la cellule active d'un corps vivant qui le dépasse, sa personnalité disparait (ce qui ne va pas sans provoquer de nombreuses névroses : l'aliénation mentale sous toutes ses formes est à notre époque ce que les grandes épidémies furent au Moyen-âge). II va sans dire que ce qui est le sort des ouvriers est aussi mutatis mutandis, celui des autres catégories économiques dans la société.

Il n'est pas besoin de souligner que si la société socialiste défend l'individu contre la maladie ou les risques de l'existence, ses objectifs ne sont pas ceux de la Sécurité Sociale capitaliste. Celle. ci n'a de sens que dans le cadre de l'exploitation du travail humain et en fonction de ce cadre. Elle n'est qu'un appendice du système.

LA PERSPECTIVE REVOLUTIONNAIRE,

Nous avons vu que la lutte économique, les revendications immédiates ne peuvent plus émanciper en rien les ouvriers. Il en va de même pour leur lutta politique menée à l'intérieur et pour la réforme du système capitaliste.

Quand la Société Civile vivait séparée de l'Etat, la lutte entre les différentes couches sociales qu' la composaient, amenait un bouleversement continu des conditions politiques dans la société. La théorie de la Révolution en permanence correspondait à cette modification perpétuelle des rapports de for. ce à l'intérieur de la société. Ces transformations permettaient au prolétariat de mener sa propre lutte politique en débordant les luttes ouvertes au sein de la bourgeoisie. La société créait ainsi les conditions sociales et le climat idéologique nécessaires à sa propre subversion. Flux et reflux révolutionnaires se succédaient à un rythme chaque foi plus approfondi. Chacune de ces crises permettait au prolétariat de manifester une conscience de classe historique toujours plus nette. Les dates de 1791, 1848, 1871 et 1917 sont les plus significatives d'une bien longue liste.

Le capitalisme d'Etat ne connaît plus de luttes politiques profondes naissant des perturbations entra différents groupes d'intérêts. A la multiplication de ces intérêts correspondait, dans le capitalisme classique, la multiplication des partis, condition d'exercice de la démocratie parlementaire. Avec le capitalisme d'Etat la société s'unifie, la tendance s'affirme au parti unique : la répartition de la plus-value sur le plan de la fonction entraine un intérêt global pour la classe spoliatrice, une unification dans les conditions d'extraction et de distribution de la plus-value. Le parti unique est l'expression de ces conditions nouvelles. Il signifie la fin de la démocratie bourgeoise classique : le délit politique devient un crime. Les luttes, qui trouvaient leur expression traditionnelle au Parlement, ou même dans la rue, se déroulent aujou­rd'hui au sein même de l'appareil d'Etat ou bien, avec quelques variantes, au sein même de la coalition généralisée des intérêts capitaliste d'une nation et, dans les conditions actuelles, d'un bloc de nations.

SITUATION PRESENTE DU PROLETARIAT

Le prolétariat n'a pu di su prendre conscience de cette transformation de l'économie. Plus même, il se trouve intégré à l'Etat. Le capitalisme eût pu, avant d'accéder à sa forme étatique, être renversé. L'ère des révolutions était ouverte. La lutte politique, révolutionnaire, des ouvriers se traduisait par un échec et un recul absolu de la classe, tel que l'Histoire contemporaine n'en a pas connu. Cet échec et ce recul ont permis au capitalisme d'opérer sa transformation.

Il semble exclu qu'au cours de ce procès, le prolétariat, en tant que classe historique, puisse se  ressaisir. Ce qui donna la possibilité à la classe de s'affirmer, c'était qu'au travers de ses crises cycliques, la société rompait ses cadres et éjectait le prolétariat du cycle de production. Rejetés de la société, les ouvriers prenaient une conscience révolutionnaire et de leur condition et des moyens de la transformer.

Avant la guerre d'Espagne, et le début de la mystification "antifasciste", où se traduit pour la première fois l'unification relative de la classe exploiteuse, puis au cours de la deuxième guerre mondiale et par après, le capitalisme tend à faire disparaître les crises cycliques et leurs séquelles, il s'installe dans la crise permanente. Le prolétariat se trouve associé à sa propre exploitation. Il se trouve ainsi intégré mentalement et politiquement au capitalisme. Le capitalisme d'Etat enchaîne plus fortement que jamais le prolétariat avec sa propre tradition de lutte. Car les capitalistes, comme classe, ont tiré les leçons de l'expérience, et compris que l'arme essentielle du maintien de leur domination est moins la police que la répression idéologique directe. Le parti politique des ouvriers est devenu celui des capitalistes. Ce qui se passe avec le syndicat, vidé de son ancien contenu et absorbé dans l'Etat, se passe pour ce qui fut le parti ouvrier. Ce parti peut devenir, tout en gardant une phraséologie prolétarienne, l'expression d'une classe d'exploiteurs, adaptant ses intérêts et son vocabulaire aux réalités nouvelles. L'un des fondements de cette mystification sont les mots d'ordre de lutte contre la propriété privée. Cette lutte trouvait un sens révolutionnaire à l'époque où le capitalisme s'identifiait à la propriété privée, elle venait mettre en cause l'exploitation sous sa forme la plus apparente. La transformation des conditions du capital a rendu cette lutte des ouvriers contre la propriété privée historiquement caduque. Elle est devenue le cheval de bataille des fractions du capital les plus avancées dans la décadence. Elle leur allie les ouvriers.

L'attachement affectif des ouvriers à leur tradition de lutte, aux mythes et à toute une imagerie dépassée est utilisé aux mêmes fins de leur intégration à l'Etat. Ainsi du Premier Mai, qui signalait naguère des grèves parfois violentes, et qui gardait toujours un caractère de lutte, devenu un jour férié du capitalisme : le Noël des ouvriers. L'Internationale est chantée par des généraux, et des curés font dans l'anticléricalisme.

Tout cela sert le capitalisme pour cette raison que l'objectif de lutte, attaché à une période écoulée, a disparu, alors que les formes de cette lutte survivent sans leur ancien contenu.

LES ELEMENTS D'UNE PERSPECTIVE REVOLUTIONNAIRE

Le procès de prise de conscience révolutionnaire, par le prolétariat, est directement lié au retour des conditions objectives à l'intérieur desquelles peut s'effectuer cette prise de conscience. Ces conditions peuvent se ramener à une seule, la plus générale, que le prolétariat soit éjecté de la société, que le capitalisme ne parvienne plus à lui assurer ses conditions matérielles d'existence.

C'est au point culminant de la crise que cette condition peut être donnée. Et ce peint culminant de la crise, au stade du capitalisme d'Etat se situe dans la guerre.

Jusqu'à ce point, le prolétariat ne peut se manifester en tant que classe historique, ayant sa propre mission. Il ne peut s'exprimer, bien au contraire, qu'en tant que catégorie économique du capital.

Dans les conditions actuelles du capital, la guerre généralisée est inévitable. Mais ceci ne veut pas dire que la révolution soit inéluctable, et moins encore son triomphe. La révolution ne représente qu'une des branches de l'alternative que son développement historique impose aujourd'hui à l'humanité. Si le prolétariat ne parvient pas à une conscience socialiste, c'est l'ouverture d'un cours de barbarie dont, aujourd'hui, on peut mesurer quelques aspects.

MAI 1952 - M.



[1] [51] On sait que ce résumé a été fait par Lucien Laurat (l'Accumulation du Capitale d'après Rosa Luxemburg; Paris 1930). Voir aussi J. Suret, le marxisme et les crises, Paris 1933. Léon Sar­bre, la Théorie marxiste des crises 1934 - et c'est toute la bibliographie française sur ce sujet.

[2] [52] René Papin dans Problèmes économiques n°159 16-1651

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [36]

Questions théoriques: 

  • Décadence [1]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [53]

Les théories des crises dans la gauche hollandaise

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Dans cette troisième partie, noue traitons un des aspects les plus importants des fondements théoriques de la gauche hollandaise. Dès le début de son existence à l'aube de ce siècle, la gauche hollandaise a donné une interprétation du matérialisme historique qui allait devenir une caractéristique marquante de l'Ecole marxiste hollandaise"(A.Pannekoek, H.Gorter, H.Roland-Holst). Cette interprétation de la méthode marxiste est souvent appelée le "spontanéisme". Nous montrerons dans cet, article que ce terme n'est pas approprié. La position de Gorter et Pannekoek sur le reflet de la spontanéité a permis à la gauche hollandaise de comprendre les changements imposés à la lutte ouvrière avec l'ouverture de la période de décadence du capitalisme. Nous verrons en même temps certaines faiblesses chez Pannekoek qui sont poussées à leurs conséquences les plus absurdes par les "conseillistes" d'aujourd’hui..

Le marxisme a été un apport décisif pour la théorie socialiste dans la mesure où, contrairement aux socialistes utopiques, il ne partait pas de présupposés arbitraires ou dogmatiques. La théorie marxiste en effet part "des individus réels, de leur action et des conditions matérielles d'existence dans lesquelles ils vivent, conditions matérielles qu'ils ont trouvées toutes prêtes et qu'ils ont crées par leur propre action" ([1] [54]). Qu'on se rappelle de la formulation sur le matérialisme historique dans la "Préface à la contribution à la critique de l'économie politique" de Marx :

"Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des honnies qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression, juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel - qu'on. peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse- des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi; il faut au contraire, expliquer cette conscience par les contra dictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et lei rapports de production. Une formation sociale ne disparait jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société.

C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre; car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de le devenir. A grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production social« contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui nait des conditions d'existence sociale des individus : cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achève donc la préhistoire de la société humaine. "

(Contribution à la Critique de l'Economie Politique. Ed. Sociales 1966. Préface. p.4,5)

LA CONTRIBUTION DE LA GAUCHE HOLLANDAISE AU MATERIALISME HISTORIQUE

On peut mettre en relief deux aspects fondamen1 taux du matérialisme historique en fait indissolublement liés :

1.              Qu'il existe un rapport entre l'être et la conscience ou en d'autres termes entre l'infrastructure et la superstructure;

2.                              Qu'il y a une relation nécessaire entre le développement des forces productives et les rapports de production.

De l'antagonisme entre les forces productives et les rapports de production, nous pouvons déduire la nécessité objective d'une société communiste. La théorie marxiste pour qui l'être détermine la conscience permet de comprendre aussi comment les ouvriers agissent subjectivement dans le processus de la révolution. L'"Ecole marxiste hollandaise" a toujours mis l'accent sur ce facteur subjectif, sur le rapport entre l'être et la conscience, sur le rapport entre l'infrastructure et la superstructure. Rosa Luxemburg s'est également attachée à clarifier la question du développement de la conscience de classe. En 1904, elle s'opposa à Lénine qui défendait la position de Kautsky selon laquelle la conscience est apportée de l'extérieur dans la lutte de classe et non un produit de la lutte elle-même. Pour Rosa Luxemburg, cette question était capitale face â la bureaucratisation de la Social-Démocratie allemande. En s'appuyant sur l'histoire du mouvement ouvrier en Russie, elle montra que seule l'initiative créatrice des larges masses prolétariennes peut mener à la victoire :

"Dans ses grandes lignes, la tactique de lutte de la Social-Démocratie n'est en général pas à "inventer"; elle est le résultat d'une série ininterrompue de grands actes créateurs de la lutte de classe souvent spontanés, qui cherche son chemin. L'inconscient précède le conscient et la logique du processus historique objectif précède la logique subjective de ses protagonistes".

Rosa Luxemburg. "Questions d'organisation dans la Social-Democratie russe". Article paru en 1904 dans l'"Iskra" et dans la "Neue Zeit" Marxisme contre  Dictature, Ed. Spartacus 1946 p.24

Rosa Luxemburg et la gauche hollandaise défendaient cette position sur le rôle de la spontanéité des masses qui n'a rien à voir avec la position spontanéiste des conseillistes d'aujourd'hui. Le "spontanéisme" néglige complètement la tâche des éléments les plus conscients dans la classe : que la conscience une fois surgie de l'expérience de la lutte devienne le point de départ pour les luttes futures. Les spontanéistes et les conseillistes se réclament de l'expérience prolétarienne pour la rejeter ensuite.

Au contraire l'"Ecole marxiste hollandaise" a approfondi les positions défendues par Rosa Luxemburg sur le rôle de la spontanéité dans la développement de la conscience de classe. Gorter, Pannekoek et Roland-Holst ont trouvé dans le travail de Joseph Dietzgen (un Social-Démocrate de la première génération) un développement de la pensée marxiste selon laquelle l'être détermine la conscience. Ils ont écrit beaucoup d'articles sur les positions de Dietzgen et Gorter a traduit son œuvre la plus importante : "L'essence du travail intellectuel humain" ([2] [55]) en hollandais.

La gauche hollandaise pensait qu'il était nécessai­re de souligner les aspects subjectifs du matérialisme historique parce que :

"Les grandes révolutions dans les modes de production (du féodalisme au capitalisme, du capitalisme au socialisme) se produisent parce que de nouvelles nécessités transforment l'esprit de l'homme et produisent une volonté; quand cette volonté se traduit en actes, l'homme change la société pour répondre aux nouveaux besoins".

PANNEKOEK ("Le marxisme comme action" dans "Lichtstrahlen" n°6. 1915)

Ces lignes furent écrites au moment où les forces productives sont entrées clairement en contradiction avec les rapports de production capitalistes; la première guerre mondiale a démontré de la façon la plus horrible la décadence du capitalisme.

La Social-Democratie, d'où sa trahison, s'est montrée incapable de s'adapter aux besoins du prolétariat dans la période de décadence, à l'époque des guerres et des révolutions sociales.

"L'heure a donc sonné aujourd'hui pour souligner l'autre aspect négligé jusqu'alors du marxisme par­ce que le mouvement ouvrier doit se réorienter, doit se libérer de l'étroitesse et de la passivité de la période révolue pour surmonter sa crise".

(ibidem)

Cependant, en soulignant l'aspect subjectif du marxisme, Pannekoek a négligé l'aspect objectif du matérialisme historique. Les contradictions qui se manifestent dans l'infrastructure de la société pendant la période de décadence du capitalisme sont négligées, niées, repoussées dans l'avenir (nous verrons plus loin la critique de Pannekoek des différentes théories des crises et les effets de sa critique sur les épigones conseillistes d'aujour­d'hui). Pannekoek craignait que certaines théories des crises puissent amener la classe ouvrière à attendre passivement un effondrement "automatique" du système capitaliste. Dans l'article cité ci-dessus de 1915, Pannekoek souligne que le marxisme a deux aspects : "l'homme est le produit de circonstances, mais à son tour il transforme les circonstances". Selon Pannekoek, ces deux aspects sont "également justes et importants; c'est seulement par leur liaison étroite qu'ils forment une théorie cohérente. Mais bien entendu dans des situations différentes l'un ou l'autre de ces deux aspect prévaut". (Idem).

Ainsi, dans la période difficile des lois anti-socialistes de 1878 à1890, quand Bismarck mit hors la loi la Social-Démocratie, l'idée était de laisser mûrir les circonstances. Le cours fortement fataliste qu'avait pris le matérialisme historique pendant ces années a été, selon Pannekoek délibérément entretenu jusque pendant les années précédant la première guerre mondiale. Kautsky disait qu'un vrai marxiste était celui qui laissait mûrir les circonstances. Le besoin de nouvelles méthodes de lutte menaçait les habitudes routinières des dirigeants du parti. Pannekoek avait raison lorsqu'il soulignait la nécessité de mettre l'accent sur l'élément subjectif dans le matérialisme historique, mais, ce faisant, il sous-estimait l'évolution objective du capitalisme. Le prolétariat devait agir consciemment, poser de nouveaux problèmes, les soulever et les résoudre dans l'expérience de la lutte. Bien sûr, mais pourquoi ? Quels sont ces nouveaux problèmes ? Pourquoi sont-ils soulevés ? Pourquoi le besoin d'une nouvelle société, du communisme ? Le capitalisme peut-il encore se développer ? Qu'a-t-il à offrir à l'humanité ?

Chez Pannekoek, nous ne trouvons en général pas de réponse, ou quand elles existent elles sont insuffisantes, ou même fausses. Il n'avait pas vu clairement que le changement objectif dans le capitalisme, la décadence posait la nécessité de l'activité de masse du prolétariat. Alors que le développement progressif des luttes pour des réformes menées par les syndicats et les parlementaires socialistes, était adéquat dans la période précédente, il n'est plus approprié dans la période de décadence.

THEORIE DES CRISES

Les réponses aux questions posées ci-dessus se trouvent dans les théories marxistes des crises. En cherchant à déterminer les lois objectives du développement du capitalisme, ces théories essaient d'évaluer si les crises qui se produisent sont des crises de croissance d'un mode de production dans une période ascendante et prospère ou, au contraire, si ces crises sont des expressions d'un système en déclin qui doit être remplacé consciemment par une nouvelle classe révolutionnaire.

En partant des théories des crises, nous pouvons déduire certaines conséquences programmatiques importantes, même s'il est vrai que la conscience de la nécessité d'accélérer l'évolution historique du capitalisme par la lutte n'est jamais le produit d'arguments "purement économiques" Les théories des crises clarifient le processus de la lutte de classe. Mais en même temps, cette clarification est un besoin important de la lutte. Une théorie des crises donne aux révolutionnaires des arguments précieux contre l'idéologie bourgeoise, dans leur tâche de stimulation de la conscience de classe qui se développe par et dans la lutte. Avec la théorie des crises, la classe ouvrière a pu comprendre, par exemple, que les idées proudhoniennes sur l'autogestion n'abolissent pas en fait l'esclavage salarial. La théorie marxiste des crises a combattu les illusions réformistes en montrant que les réformes ne signifiaient rien d'autre qu'une relative amélioration de la situation de la classe ouvrière, et, en même temps, poussaient le développement capitaliste vers sa décadence finale. Aujourd'hui, la théorie des crises montre à la classe ouvrière que la lutte pour défendre son niveau de vie ne peut plus être une lutte pour des réformes puisque le capitalisme ne peut plus offrir d'améliorations durables.

Cette unité fondamentale des deux aspects objectif et subjectif du matérialisme historique apparaît très clairement dans l'œuvre de Rosa Luxemburg. Elle ne met pas simplement l'accent sur le rôle de la spontanéité des masses dans le développement des nouvelles méthodes de lutte, elle dit aussi pourquoi ces nouvelles tactiques sont nécessaires. Dans un cours donné à l'Ecole centrale du Parti en 1907, elle souligne que "les syndicats les plus forts sont complètement impuissants" contre les conséquences du progrès technique sur le salaire :

"La lutte contre la chute du salaire relatif n'est plus une lutte sur le terrain de l'économie marchande mais devient un assaut révolutionnaire contre l'existence même de cette économie; c'est le mouvement socialiste du prolétariat. D'où les sympathies de la classe capitaliste pour les syndicat -qu'elle avait d'abord combattus furieusement- dès que la lutte socialiste commence et dans la mesure où les syndicats se sont retournés contre le socialisme.

ROSA LUXEMBURG.("Introduction à l'économie polit. que Ed. Antropos. 197U, p.. Z48

Dans l'"Accumulation du capital", Rosa Luxemburg trace les 1imites historiques de la production capitaliste dans la maturation croissante du marché mondial. Déjà dans le "Manifeste Communiste", nous trouvons l'idée que les crises cycliques qui, aux yeux de Marx et Engels étaient une manifestation de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production, ne peuvent être surmontées que par la conquête de nouveaux marchés, par la création du marché mondial. Dans 1"Idéologie allemande", ils appellent cette création du marché mondial "une interdépendance universelle, cette première forme naturelle de coopération mondiale historique des individus", une pré condition de la révolution mondiale qui mènera au "contrôle et à la gestion consciente de ces forces nées de l'interaction des hommes, les ont éblouis et dominés jusqu'à nos jours".

Dans "Le Capital", Marx dit explicitement :

"En exposant ainsi la réification des rapports de production et comment ils deviennent autonomes vis a vis  des agents de la production, nous ne montrons pas dans le détail comment les interférences du marché mondial, ses conjonctures, les mouvements des prix de marché, les périodes du crédit, les cycles de l’industrie et du commerce, les alternances de prospérité et de crise, apparaissent à ces agents comme des lois naturelles toutes puissantes, expression d'une domination fatale, et qui se manifestent à eux sous l’aspect d'une nécessité aveugle. Nous ne le montrerons pas parce que le mouvement réel de la concurrence se situe en dehors de notre plan et que nous n'avons à étudier ici que l'organisation interne du mode de production capitaliste, en quelque sorte dans sa moyenne idéale".

Marx.("Le Capital". Tome III. Ed. Sociales. p.208)

Ce projet de décrire seulement l'organisation interne du capitalisme était complètement justifié dans  la mesure où le capitalisme après les années révolutionnaires troublées de 1848-1849 était entré dans une longue période de prospérité. Marx et Engels ont conclu : "Une nouvelle révolution n'est possible que comme résultat d'une nouvelle crise. Mais elle est aussi sûre que la crise elle-même". Marx semblait se rendre compte que la période de révolution sociale n'était pas encore commencée et que le capitalisme était encore dans sa phase de développe ment progressif. "Le Capital" est une démystification de l'idéologie bourgeoise de son époque qui tentait de masquer les divisions en classes de la société et présentait le capitalisme comme un système éternellement progressif.

Il est évident que Rosa Luxemburg ne pouvait pas se contenter du plan de Marx. Elle voyait dans les mouvements de masse et dans l'impérialisme la manifestation de l'épuisement de l'ère progressive du capitalisme. Son étude de l'"Accumulation du capital" lui a permis d'écrire dans le programme du parti communiste d'Allemagne après la première guerre mondiale et dans le feu de la révolution allemande :

"la guerre mondiale a placé la société devant l’alternative : ou bien continuation du capitalisme avec comme perspectives prochaines une nouvelle guerre et la chute dans le chaos, ou bien le renversement des exploiteurs capitalistes. Par la guerre, la domination bourgeoise a fourni- la preuve négative de son droit d l'existence; elle n'est plus en état de tirer la société du terrible effondrement économique que l'orgie impérialiste a laissé derrière elle... Seule, la révolution mondiale du prolétariat peut introduire l'harmonie dans ce chaos..."

ROSA LUXEMBURG.("Que veut Spartakus ?". 1918. Collection Spartacus)

Au début de la période de décadence, tous les révolutionnaires ont senti le besoin de développer la "théorie des crises pour montrer les conséquences de la décadence sur les luttes ouvrières : Lénine, Boukharine, Luxemburg, etc., et Gorter (cf. sa brochure intitulée "L'impérialisme, la guerre mondiale et la Social-Démocratie". 1915, citée dans la première partie de cette série d'articles). Panne­koek qui a saisi les implications politiques du changement dans le capitalisme plus que d'autres est resté fermement opposé aux théories économiques qui cherchaient à déduire des causes objectives les Changements dans les méthodes de lutte prolétarienne. Comme nous allons le voir, sa critique des théories des crises a contribué malheureusement très peu au développement de la conscience de classe.

LA CRITIQUE DE PANNEKOEK A LA THEORIE DE LA CRISE MORTELLE DU CAPITALISME

Avec le reflux de la lutte révolutionnaire, le KAPD tourna son attention vers le développement d'une théorie de la "crise mortelle du capitalisme", et revint au déterminisme économique de la direction du parti Social-démocrate avant 1914.

Après des années de silence quasi-total, Pannekoek entra à nouveau dans la discussion dans la gauche communiste. En 1927, il publia un article sous le pseudonyme de Karl Horner dans "Proletarier" de la tendance de Berlin du KAPD sous le titre "Principe et tactique" (juillet-août 1927).

Réfutant la théorie de la "crise mortelle du capitalisme", voici comment Pannekoek définit la question de la crise d'une nouvelle manière :

"Quelles sont les conséquences pour le développement révolutionnaire ? Une fois de plus, la question de la crise mortelle' vient au premier plan, posée maintenant clairement : sommes nous en face d'une dépression économique qui durera assez longtemps pour que la réaction du prolétariat, conséquence de celle-ci devenue permanente mène à la révolution ?

Il est certain que la position selon laquelle le capitalisme ne peut plus revenir à une phase de prospérité et a atteint une crise finale qu'il ne peut plus surmonter est partagée par le KAPD. Parce que cette question est très importante pour la tactique du KAPD, elle requiert une observation plus approfondie".

Pannekoek fit remarquer justement que la théorie de "la crise mortelle du capitalisme" renvoie à "L'Accumulation du capital" de Rosa Luxemburg, mais dit aussi que cette théorie mène à des conclusions qui ne sont pas tirées dans "L'Accumulation du capital" parce que "le livre a été publié quelques années avant la guerre" (sic!). Ensuite Pannekoek revient à sa critique de "L'Accumulation du capital", critique publiée en 1913 et republiée dans un des numéros de "Proletarier". Dans ces critiques, Panne­koek entre dans les détails des schémas de la reproduction du capital à son niveau le plus haut tels qu'ils se trouvent dans "Le Capital", Tome: II. Nous n'entrerons pas dans le débat sur la façon dont Rosa Luxemburg et d'autres ont interprété le plan de Marx. La question essentielle est que le plan devait être corrigé, comme nous l'avons dit plus haut, question jamais abordée par Pannekoek. Celui-ci a voulu mettre en garde contre la position selon laquelle le capitalisme est parvenu à une crise finale, ce qui conduirait selon lui à l'adoption d'une tactique à court terme. Pannekoek pensait qu'une nouvelle période de prospérité n'était pas à exclure.

Pour argumenter cette position, il montra la possibilité de nouvelles découvertes d'or qui pourraient stimuler à nouveau la demande et insista sur l'apparition de l'Asie Orientale comme un facteur indépendant dans la production capitaliste. Dans la mesure où Pannekoek illustra la question de l'or et de l'A­sie Orientale en se référant au capitalisme au 19ème siècle, il ne défendit pas seulement la possibilité d'une reprise économique (dans le sens où la théorie de la crise mortelle posait le problème); mais nia même que le capitalisme entrait dans une nouvelle phase différente de la phase d'ascendance et de prospérité dont le 19ème siècle faisait partie. La reprise de la production capitaliste qui eut lieu effectivement au milieu des années 30 ne fut pas le résultat de découvertes d'or ([3] [56]) mais d'une découverte qui aboutit au même résultat .

Ce ne fut pas la découverte de nouvelles ressources d'or qui remit en mouvement le flux économique, mais la découverte du rôle stimulateur de l'Etat dans l'économie, notamment à travers l'inflation. Celle-ci de 1933 à la guerre ne stimula guère la demande en moyens de production et de consommation comme le prétend l'idéologie keynésienne de l'intervention de l'Etat, mais principalement en moyens de destruction : le matériel de guerre, belle prospérité!

Dans le même sens, l'apparition de l'Asie Orientale comme un facteur "indépendant" dans la production capitaliste, prit la forme de l'impérialisme japonais et de l'axe Berlin-Rome-Tokyo. La "nouvelle période de prospérité économique du capitalisme" prédite par Pannekoek, ne peut pas être comparée aux mouvements conjoncturels de prospérité et aux crises commerciales du 19ème siècle. La prétendue "prospérité" par l'économie de guerre au milieu des années 30 n'était qu'un moment essentiel du cycle de crise-guerre-reconstruction-crise, etc., caractéristique de la période historique de décadence du capitalisme. Mais/néanmoins, Panne­koek touche du doigt la question lorsqu'il dit que toute éventuelle prospérité doit conduire à une crise plus violente, qui provoquera à nouveau la révolution.

DECADENCE ? "CRISE FINALE"? LES CONSEQUENCES POLITI­QUES DE LA CRISE SELON LE KAPD ET LE GIC

Dans la deuxième partie de cet article, nous avons déjà vu que Pannekoek a montré depuis le début que les "Unions" n'étaient pas une organisation unitaire et qu'il était préférable d'abandonner les "unions" pour le parti. Aussi, la question de savoir si les "unions" doivent organiser ou soutenir les luttes salariales n'était pas la bonne question à ses yeux. Plus intéressante était pour lui la question de savoir si oui ou non les révolutionnaires devaient intervenir dans les luttes salariales et, dans ce cas, comment. Malgré toutes les confusions sur les taches des 'unions", nous trouvons dans un texte de la Tendance Essen du KAPD/AAUD sur la 'crise mortelle du capitalisme" des arguments très valables sur la nécessité impérieuse de transformer les luttes salariales en luttes pour la destruction du capitalisme :

"Là où l'offensive de la bourgeoisie pour réduire les salaires et les conditions de vie des ouvriers amène à une lutte économique pure de groupe d'ouvriers touchés, ceci se termine presque sans exception par une victoire pour les patrons et une défaite des ouvriers. Cette défaite des ouvriers dans de telles luttes, malgré des grèves tenaces et puissantes, trouve sa cause une fois de plus dans la réalité de la crise mortelle du capitalisme lui-même (...). Le résultat de ces luttes de défense sur les salaires dans la période de crise mortelle du capitalisme est une preuve amère mais irréversible que la lutte pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions dans le capitalisme à l'heure de sa crise mortelle sont une pure utopie et que, par conséquent, les syndicats, dont la seule tache historique est de s'occuper de la vente de la force de travail à la bourgeoisie, avec tous leurs buts, leurs moyens de lutte et leur forme d'organisation, sont devenus complètement anachroniques du 'fait du processus historique et sont par conséquent des formations contre-révolutionnaires. Les syndicats savent que leur rôle vital comme vendeurs de la force de travail prolétarienne sera dépassé dès que les bases de cet échange, le système économique capitaliste s'effondrera. Par conséquent, ils essaient de conserver les conditions de vie du capitalisme, qui sont en même temps leurs propres conditions de vie, en bradant la force de travail prolétarienne au plus bas prix".

("Proletarier,"1922)

Pannekoek prêta attention attentivement à cet argument économique. L'article de Pannekoek "Principe et tactique" eut un tel succès dans les organisations de la gauche communiste allemande et hollandaise de la fin des années 20 que certaines tendances commencèrent à voir une contradiction entre discuter la théorie des crises et discuter de la conscience de classe. Certaines tendances ignorèrent complètement tout besoin d'élaboration théorique sur les crises. Mais tous arrivèrent à la position sur "la crise du capitalisme", "la décadence du capitalisme", formulée dans le programme de 1920 du KAPD d'où tous venaient. Ce fut aussi le cas avec le groupe des Communistes Internationalistes (GIC) auquel Pannekoek contribua régulièrement à partir de 1926. Dans ces prises de positions, le GIC écrit :

"Le développement du capitalisme mène à des crises toujours plus violentes qui s'expriment elles-mêmes dans un chômage toujours croissant et une dislocation toujours plus forte de l'appareil de production, de sorte que des millions d'ouvriers se retrouvent hors de la production et en proie d la famine. L'appauvrissement croissant et l'incertitude toujours croissante de l'existence contraint la classe ouvrière d commencer la lutte pour le mode de production communiste..."

Lorsque P. Mattick fit adopter par les IWW (Indus-trial Workers of the World) la théorie de Grossman de la baisse tendancielle du taux de profit dans leur programme après 1929 (voir "La crise mortelle du capitalisme", Chicago. 1933), Pannekoek étendit sa critique de Rosa Luxemburg à la théorie de Mat­tick de la crise à travers un exposé qu'il fit au GIC et qui fut publié. Il mettait à nouveau en garde sur le fait que l'effondrement final, dont parlait Mattick pouvait arriver plus tard que prévu et que, fondamentalement, seule la classe ouvrière pouvait mettre fin au capitalisme. Le GIC fut d'accord avec les conséquences politiques de la critique de Pannekoek, conséquences avec lesquelles nous pensons aujourd'hui que les groupes et les éléments révolutionnaires peuvent être globalement d'accord. Dans une brochure de 1933 sur "les mouvements de l'économie capitaliste", le GIC s'engage dans une discussion style "l'oeuf ou la poule" qui continue encore aujourd'hui entre ceux qui défendent la théorie de la crise à travers la saturation des marchés (Rosa Luxemburg) et ceux qui défendent la théorie de la crise à travers la baisse tendancielle du taux de profit (Boukharine/Lénine, Grossman/Mattick). Dans cette brochure, le GIC se présente lui-même comme un avocat de l'explication par la baisse tendancielle du taux de profit mais en même temps insiste sur un fait souligné par l'autre théorie de la saturation des marchés :

"Le monde entier a été relié en un immense atelier. Ceci signifie que les crises au niveau actuel de spécialisation, ont un caractère international".

Nous pouvons dire que dans ses grandes lignes, le GIC suit la théorie économique de P. Mattick. Mais, en même temps, le GIC fait la même mise en garde que Pannekoek :

"Particulièrement à l'époque actuelle où nous entendons parler beaucoup de "crise mortelle" du capitalisme, de la "crise finale" dans laquelle nous nous trouvons, il est important d'être attentif à la caractéristique essentielle de la crise actuelle. Celui qui ne l'est pas subira toutes sortes de désillusions et de surprises tant vis à vis des mesures par lesquelles les classes dominantes essaient de subsister que du développement futur du système capitaliste. Un effondrement "absolu" est attendu, sans se rendre compte de ce que cela signifie. Il faut dire que le capitalisme est plus fort que prévu parce que l'effondrement "absolu" n'est pas venu, parce qu'une grande partie de la vie économique continue à fonctionner. La transition du capitalisme au communisme n'est pas par conséquent un processus automatique mais sera toujours reliée au degré développement de la conscience de la classe ouvrière.

C'est la raison précise pour laquelle la propagande des principes est nécessaire".

("De bewegingen van het kapitalistische  bedrijfsleven" - Permaterial GIC, 6.Jg n°5)

Dans ce sens, le GIC, dans les années suivantes s'est attaché à analyser les mesures de la bourgeoisie qui menaient au développement de l'économie guerre. Il a montré que la "planification" économique abaissait le niveau de vie de la classe ouvrière sans réellement surmonter la crise. Voici la conclusion d'un article sur "la'planification' économique en Hollande" :

"Il est clair que les rapports de propriété sont entrés en conflit avec les forces productives. Et en même temps, ceci montre clairement que le problème ne peut être résolu sur la base de la production capitaliste. Le problème ne peut être résolu qu'à partir d'une 'économie' mondiale basée sur la division internationale du travail, sur des fondements communistes"

("Radencommunisme", mai 1936)

Un deuxième article sur cette question démystifia les "plans de travail" sociaux-démocrates qui s'inscrivaient dans la tendance à l'étatisation, suivant en cela l'exemple de l'organisation fasciste ­du capital. Le GIC a montré que les Sociaux démocrates dans le gouvernement avec plein pouvoir stimulèrent la défense nationale alors qu'en même temps, l'économie de guerre créait de nouvelles conditions de lutte pour les ouvriers : les luttes purement économiques devenaient inutiles contre la politique organisée des prix; les luttes pour la conservation du système légal bourgeois-démocratique agonisant devenaient inutiles. Les articles du GIC sur l'Allemagne montrèrent comment la Social-Démocratie et la politique étrangère de l'URSS durant la période de la République de Weimar amenèrent la "planification" économique et la défaite des luttes ouvrières et conservèrent la puissance militaire de l'Allemagne qui pouvait être perfectionnée par les Nazis en une machine de guerre fonctionnant pleinement.

PANNEKOEK AUX EPIGONES CONSEILLISTES

Revenons au "dédain" de Pannekoek pour les théories économiques de la crise. Dans "Les conseils ouvriers" écrit pendant la 2ème guerre mondiale, il traite de façon cohérente et globale la question des limites du développement capitaliste. Partant de l'idée développée dans "Le Manifeste Communiste", l'expansion du capitalisme à l'échelle mondiale, Panne­koek arrive à la conclusion que la fin du capitalisme approche :

"Lorsque les centaines de millions de gens qui vivent dans les plaines fertiles de l'Asie de l'Est et du Sud seront poussés dans le cercle du capitalisme, la tâche principale du capitalisme sera remplie".

(P. Aartsz: "Les Conseils ouvriers", ch..II par. 6)

Il est intéressant de voir que Marx posait la même question dans une lettre à Engels du 8 octobre 1858 :

"La véritable mission de la société bourgeoise est de créer le marché mondial, du moins dans ses grandes lignes et de développer la production sur cette base. Comme le monde est rond, cette mission semble être achevée avec la colonisation de la Californie et de l'Australie et l'ouverture du Japon et de la Chine. La question difficile pour nous est la suivante : sur le continent, la révolution est imminente et adoptera immédiatement un caractère socialiste. Ne sera-t-elle pas nécessairement étouffée dans ce petit coin, puisqu'a une échelle beaucoup plus grande, le mouvement de la société bourgeoise est encore dans sa phase d'ascension ?"

("Textes sur le collectivisme", Ed.Moscou, p.343)

Mais dans ses articles sur la Chine de ces mêmes années, publiés dans le "New York Daily Tribune: Marx répond à cette question par la négative.

Aujourd'hui, 120 ans plus tard, les épigones de Pan­nekoek continuent à défendre l'idée que le capitalisme a encore une grande tâche à remplir en Asie ([4] [57]).

Alors que Marx montrait dans les années 1850 que l'attente américano-britannique concernant le développement du commerce avec l'ouverture de la Chine était grandement exagérée, à l'heure actuelle, la bourgeoisie du bloc américain est déjà parvenue à cette conclusion concernant la réouverture récente de la Chine au bloc occidental : la bourgeoisie occidentale ne fournit qu'équipements militaires en préparation d'une troisième guerre mondiale et voit même ses échanges diminuer vu l'étroitesse du marché chinois. Aujourd'hui, la crise est là. Personne de sensé n'oserait prétendre qu'elle n'existe pas.

Les conseillistes actuels, comme "Daad en Gedacht" laissent partout entendre que le capitalisme est libéré des crises, sinon en paroles, du moins par leur silence sur la crise actuelle. Exagération de notre part ? C'est ce que prétend Cajo Brendel (cf. Wereld Revolutie) en réponse à nos critiques :

"Je pense que je connais les positions de"Daad en Gedacht" d'une certaine façon. Je voudrais savoir où "Daad en Gedacht" n'a jamais écrit quelque chose qui puisse justifier cette position. Autant que je sache, "Daad en Gedacht" prend exactement la position opposée en disant qu'il ne peut y avoir de capitalisme libéré des crises (...). C'est une chose de dire qu'il ne peut y avoir de capitalisme sans crises et tout à fait une autre de parler de "crise permanente" ou "crise mortelle" du capitalisme ou quelque chose comme ça. Déjà, dans les années 30, le GIC non seulement présumait mais aussi prouvait avec des arguments que la crise permanente n'existe pas. Je suis toujours d'accord avec ceci, mais quiconque 'traduit' cela en la croyance à un capitalisme sans crises montre à mon avis qu'il n'a rien compris d cette position..."

Nous pensons aussi connaître un peu les positions de "Daad en Gedacht" pour autant qu'on les trouve dans des publications ! Peut-être ne lisons-nous pas très bien, mais nulle part, nous ne trouvons qu'il ne peut y avoir de capitalisme sans crises. A part la brochure "Beschouwingen over geld en goud" (une répétition de la théorie marxiste de la valeur-travail et des fonctions de la monnaie et de l'or), nous n'avons trouvé un seul article sur les sujets économiques durant ces dix dernières années. Ce silence sur la crise semble être un des principes de ce groupe !

Qu'entendons-nous donc par "crise permanente" et "crise mortelle", termes qui furent développés par la gauche allemande ? Défendrions-nous l'idée que l'effondrement, la mort du capitalisme serait aussi certain qu'un phénomène physique dans un laboratoire? Telle n'est pas notre pensée.

Si le terme de "crise permanente" signifie quelque chose, c'est parce qu'il se réfère à toute une période du. capitalisme, la période de décadence, dans laquelle le cycle crise-guerre-reconstruction-crise... a remplacé le cycle périodique et conjoncturel de crises commerciales et de prospérité dans la période ascendante du capitalisme. Il n'y a pas, bien sûr, de "crise mortelle" au sens d'un effondrement automatique du capitalisme; le capitalisme ne saurait trouver d'issue que dans la guerre mondiale, si le prolétariat n'agit pas dans un sens révolutionnaire.

Le capitalisme pourrait sortir de la crise s'il était encore dans une période de développement, parce qu'il pourrait encore pénétrer de nouvelles aires géographiques, possibilité que suggère Cajo Brendel dans son livre sur l'Espagne et la Chine. Mais Cajo Brendel et Daad en Gedacht ne sont pas intéressés à cette question. Leur étude de multiples préten­dues "révolutions bourgeoises" (Espagne 36, Chine) part d'un cadre national et non de l'internationalisme qui était déterminant pour Marx et Pannekoek (cf. "Les Conseils Ouvriers"), même si Pannekoek fit une réponse différente à cette question.

C'est de cet internationalisme dont nous nous revendiquons, celui de Pannekoek, de la gauche communiste internationale dont la gauche hollandaise fut une partie avant de dégénérer lentement.

A l'heure où la crise ouverte du capitalisme mondial est une réalité criante, il est important d'approfondir les apports de la gauche hollandaise. Si elle est restée tâtonnante, multiple et diverse dans son élaboration de la théorie de la crise capitaliste, elle a du moins exposé les problèmes et contribué à l'enrichissement de la théorie marxiste même si elle ne les a pas résolus. Elle a surtout maintenu l'essentiel : sa fidélité de classe à la révolution communiste, à l'internationalisme, aux principes prolétariens.

F.K



[1] [58] Marx-Engels: Idéologie Allemande - Ed. Soc. p45

[2] [59] Traduction "Champ Libre", 1973, avec une préface de Pannekoek.

[3] [60] 'Parce que l'or est le seul de s produits du travail à avoir le pouvoir spécifique d'acheter sans avoir d'abord été vendu, il peut ainsi être le point de départ du cycle et le mettre en mouve­ment". (Karl Horner: "Principe et Tactique"- Proletarier  1927)

[4] [61] Voir la critique du CCI sur les "Thèses sur la révolution chinoise" de Cajo Brendel dans "Les épigones - du conseillisme"(II), Revue Internationale n°2)

 

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [62]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [5]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [53]

Revue Internationale no 22 - 3e trimestre 1980

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La signification du raid américain sur l'Iran

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Dans les moments de crise de la société, l'histoire semble s'accélérer. En quelques semaines, des événements qui avaient, au moment où ils se sont produits, secoué les esprits, apparaissent comme de petites péripéties lointaines. Après deux mois, le raid américain du 24 avril sur l'Iran sombre déjà dans le quasi-oubli. Cependant, les problèmes qu'il a mis en évidence ou qu'il a rappelés demeurent avec toute leur importance :

-                            le rôle déterminant de l'Iran dans le dispositif stratégique du bloc américain,

-                            le chaos qui continue de régner dans ce pays dont l'incapacité des autorités légales à régler le problème des otages n'est qu'un des aspects, chaos qui ne fait qu'exprimer le chaos général dans lequel s'enfonce le monde actuel,

-                            l'accentuation des préparatifs de guerre de la part des blocs impérialistes et notamment des U.S.A. dont le raid sur l'Iran avait une résonance qui allait bien au delà des événements qui secouent ce pays : mise en garde au bloc adverse, resserrement des liens des pays du bloc autour de leur chef de file, poursuite et intensification du bourrage de crâne de la population.

C'est dans la mesure où elle tente d'éclairer ces différents problèmes que cette prise de position du C.C.I. à la suite du raid américain, malgré le côté "daté" de certains événements (notamment ceux d'Iran), demeure d'actualité.

Une nouvelle fois, avec le raid américain du 24 avril en Iran, ce pays, ainsi que la menace d'une guerre mondiale, viennent d'être placés au centre du jeu politique international. Au delà de toutes les campagnes de brouillage mises en œuvre par la bourgeoisie et ses mass-médias, autour du "fiasco" des U.S.A., il importe que les révolutionnaires et la classe ouvrière aient une idée claire

-            des véritables objectifs de la bourgeoisie américaine,

-            de la situation, tant en Iran que sur la scène internationale, que traduit cet événement.

A - L'opération américaine en Iran n'est pas un fiasco.

C'est au contraire une réussite. On pourrait parler de fiasco si les objectifs qui étaient visés n'avaient pas été atteints, or, ils l'ont été. Ces objectifs étaient les suivants :

1)  signifier à la bourgeoisie iranienne que les USA n'étaient pas disposés à supporter plus longtemps l'anarchie qui règne dans son pays,

2)    signifier aux autres pays du bloc qu'on attendait d'eux une solidarité active non pas seulement face à la question de l'Iran mais à l'ensemble des problèmes auxquels les USA et son bloc sont confrontés sur la scène internationale,

3)    signifier à l'URSS la détermination des USA face à toute tentative de ce pays de mettre à profit quelque situation que ce soit pour élargir sa zone d'influence : les USA ne toléreront pas un nouveau Kaboul,

4)  relancer sur le plan interne le mouvement de "solidarité nationale" déjà mis sur rails au moment de la "découverte" des troupes russes à Cuba et considérablement amplifié au moment de la prise des otages de Téhéran et de l'invasion de l'Afghanistan.

Il est clair que si l'objectif des USA avait été de délivrer les otages de Téhéran on pourrait alors parler de fiasco. Par contre, si ces objectifs sont bien ceux énumérés ci-dessus, c'est bien de réussite qu'il faut parler :

-            la bourgeoisie iranienne n'a aucunement profité du raid pour renforcer sa campagne anti-américaine; au contraire, la modération de sa réponse, mis à part les bavures imputables aux éléments les plus fanatiques et stupides du clergé, a indiqué qu'elle avait bien reçu le message,

-            les gouvernements de tous les principaux pays du bloc U.S. ont apporté un soutien sans faille à Carter après l'opération américaine : il est même intéressant de constater que c'est le seul point où il y a eu accord lors du récent sommet des pays de la C.E.E., à Luxembourg,

-                        l'URSS a fait preuve, elle. aussi, d'une grande modération dans sa condamnation des "menées" américaines, se contentant de dénoncer "l'irresponsabilité" de Carter : elle indiquait par là qu'elle avait bien compris la mise en garde qui lui était adressée,

-            une majorité de la population américaine et l'ensemble de l'appareil politique des USA ont apporté leur appui à Carter malgré l'échec officiel de l'opération.-

B - Pour quelles raisons faut-il considérer que ce sont bien là les principaux objectifs de la bourgeoisie américaine ?                                                                                   

1) L'Iran constitue une pièce essentielle du dispositif stratégique du bloc américain. En premier lieu, son importance comme producteur de pétrole, c'est-à-dire un des nerfs de la guerre moderne, n'est pas à démontrer. Mais là n'est pas la raison essentielle de son importance, le bloc US dis posant avec le Mexique, le Venezuela, l'Arabie Saoudite, les Emirats et l'Irak de stocks considérables (sans compter que les gisements iraniens pourraient être, si nécessaire, conservés à l'occident par l'Irak interposé). En fait, c'est bien la position géographique de ce pays :

- qui contrôle le détroit d'Ormuz, point de passage des pétroliers       

- qui a une frontière de plusieurs milliers de kilomètres avec l'URSS,

- qui constitue un obstacle dans la progression de l'URSS vers les "mers chaudes" dont la mainmise sur l'Afghanistan a constitué un pas important, qui lui confère cette importance exceptionnelle pour le bloc US et qui a motivé le fait que celui-ci l'équipe, du temps du Shah, d'une des armées les plus puissantes du monde.

Les secteurs les plus importants de la bourgeoisie iranienne ont depuis longtemps été conscients de ce fait et de l'intérêt qu'ils avaient de monnayer l'importance de leur pays au sein du bloc US plutôt que de le laisser devenir un satellite de l'URSS. Même aux moments de plus fort anti-américanisme de ces derniers mois, il ne s'est dégagé de force politique importante en faveur du bloc russe. C'est pour cela que les événements d'Iran, le conflit entre ce pays et les USA n'ont constitué à aucun moment une expression du conflit entre les grands blocs, mais une affaire interne du bloc US. C'est notamment pour cette raison que les USA ne sont pas intervenus militairement jusqu'à présent ; préférant faire un maximum d'efforts pour reprendre les choses en main de façon progressive et donc plus efficace.

Cependant, l'Iran ne peut assumer son rôle de pion essentiel du jeu américain que s'il dispose d’un minimum de stabilité interne et d'un pouvoir fort : son incapacité à jouer son rôle de gendarme de la région n'est certainement pas étrangère à la décision de l'URSS d'envahir l'Afghanistan.

Or, depuis la chute du Shah, il y a plus d'un an, l'Iran n'est pas sorti de l'anarchie ; depuis date, il ne s'est dégagé dans ce pays de force politique en mesure de reprendre en main la situation, de constituer un réel pouvoir. C'est d'ailleurs bien parce qu'ils prévoyaient une telle situation et non par aveuglement que les Etats-Unis ont soutenu pratiquement jusqu'au dernier moment un régime qui pourtant faisait l'unanimité contre lui. Successivement Baktiar et Bazargan ont échoué dans tentative de remettre de l'ordre dans le pays pour le compte du capital national et du bloc US. En fait, l'affaiblissement considérable, à cause de     ses liens trop étroits avec le régime du Shah, de la seule force qui soit en général en mesure dans les pays sous-développés d'exercer le pouvoir, l'armée, a pratiquement privé le capital iranien de carte politique de rechange : l'Eglise a très bien joué son rôle en tant que force de mystification mais n'a, comme nulle part ailleurs, de quelconque compétence pour assumer le pouvoir politique. La prise des otages de Téhéran :

- en refaisant dans un premier temps une unité nationale fortement menacée par les soulèvements nationalistes et les luttes ouvrières,

- en pouvant permettre dans un deuxième temps de mettre en évidence l'impasse dans laquelle les secteurs les plus arriérés et fanatiques de la classe dominante entraînaient le pays et d'isoler ces secteurs, aurait pu marquer le début d'une reprise en main de la situation au bénéfice des Etats-Unis. Bani Sadr, représentant, après Bakhtiar et Bazargan, les secteurs les plus modernes et lucides de la bourgeoisie nationale, mais jouissant d'une audience "populaire" plus grande que ses prédécesseurs, a pu porter les espoirs américains d'une telle reprise en main. Son élection à la présidence de la république constituait une première étape d'un tel processus mais il est rapidement apparu qu'il était incapable d'exercer une réelle autorité sur l'ensemble de la classe dirigeante et notamment sur le secteur ecclésiastique. Pour le moment, il n'existe pas de pouvoir réel en Iran : l'appareil étatique légal est paralysé tant par ses dissensions internes que par l'action de multiples forces sociales et politiques qui n'acceptent pas son autorité :

- classe ouvrière

- minorités nationales

- église

- forces paramilitaires "islamiques" (les "gardiens de la révolution") ou "de gauche" (les "moudjahidin").

La classe ouvrière a joué un rôle déterminant dans le renversement du régime du Shah : à l'automne 78 ce sont ses grèves qui, en paralysant l'appareil économique du pays, ont donné le signal du "lâchage" du Shah par les dernières forces qui le soutenaient encore, notamment les USA. Depuis, les différents gouvernements qui se sont succédés à la tête de la "république islamique" n'ont pas réussi à la mettre réellement au pas.

De même les minorités nationales, Baloutches, Arabes et surtout Kurdes, ont mis à profit les bouleversements de Téhéran pour entrer en sécession, sécession que les efforts successifs de l'armée et des "pasdars" (ou "gardiens de la révolution") n'ont pas réussi à liquider malgré des massacres répétés.

Face à ces deux forces de désagrégation du pays, le capital iranien a trouve un soutien actif de la part de l'église chiite et des "gardiens de la révolution" qui se sont illustrés dans la répression. Mais, en même temps, ces forces n'ont cessé de mettre à profit leur place dans cette répression pour agir pour leur propre compte par dessus le pouvoir légal dont l'armée semble constituer, malgré sa désorganisation et ses tensions internes, le seul pilier. Ces divisions entre les différents secteurs de l'appareil politique, idéologique militaire du pays n'ont pu, en fin de compte, qu'encourager les soulèvements des minorités nationales et la lutte ouvrière. Une remise en ordre du pays pour le compte du capital national et du bloc US passe donc par une remise en ordre préalable au sein de cet appareil, remise en ordre qui ne peut, en fin de compte, se faire qu'autour de l'armée et de la bourgeoisie industrielle.

Le message que les USA, à travers leur opération, ont envoyé à la bourgeoisie iranienne est donc clair : "remettez de l'ordre dans votre maison, sinon nous viendrons nous-mêmes le faire". Et il semble que ce message commence à être compris, notamment par Khomeiny qui vient d'autoriser Bani Sadr à nommer un premier ministre et à prendre le commandement suprême de toutes les "forces de l'ordre" ainsi que le contrôle de l'ensemble des moyens d'information (même si, en même temps, il continue à lui mettre des bâtons dans les roues en appelant à "voter islamique") ([1] [63]).Apparemment affaibli par le raid américain, Bani-Sadr s'en révèle en fait un des bénéficiaires : c'était bien un des objectifs des U.S.A.

2) Globalement, depuis le début de l'aggravation des contradictions économiques du capitalisme à la fin des années 60 et des tensions inter-impérialistes qui en ont résulté, le bloc US a fait preuve d'une bonne cohésion tendant à se renforcer au fur et à mesure que ces tensions devenaient plus vives et non à "s'effriter" comme l'ont pensé certains groupes comme le P.I.C. ("Pour une Intervention Communiste"). S'il s'est maintenu en son sein des orientations diplomatiques ou militaires apparemment différentes, cela résultait du fait :

-            que l'existence de blocs n'élimine nullement les antagonismes d'intérêts, notamment commerciaux, entre les pays qui les constituent,

-            qu'il est souvent plus facile pour le bloc de faire exécuter certaines tâches par des pays apparemment "indépendants" (par exemple les interventions militaires et diplomatiques de la France en Afrique et au Moyen Orient).

Cependant, même limitée et relative, cette "souplesse" du bloc US est de moins en moins de mise au fur et à mesure que s'exacerbent les tensions inter-impérialistes. Avec une telle exacerbation :

-            les intérêts nationaux doivent céder de plus en plus le pas aux intérêts généraux du bloc qui, pour une bonne part, s'identifient avec les intérêts nationaux du pays leader. Par exemple, la "mauvaise humeur" manifestée par certains alliés des U.S.A., en constatant que ce pays favorisait en sous-main les hausses pétrolières, devait faire place à une plus grande « discipline » ;

-        l'utilité pour le bloc d'une apparente "indépendance" de certains de ses composants -surtout efficace sur le plan diplomatique- s'amoindrit pour tendre à se convertir en handicap quand s'impose le langage des armes dans la mesure où une telle "indépendance" risque, sur le plan international, d'être comprise comme un manque de cohésion et une faiblesse du bloc et ne favorise pas, sur le plan interne, les campagnes de mobilisation idéologique.

Ce besoin d'une plus grande cohésion du bloc autour du chef de file, rendu nécessaire par les nouvelles données de la situation internationale, mais qui n'avait pas été suffisamment perçu, au gré des USA par tous les alliés, notamment par ceux qui se faisaient tirer l'oreille pour s'associer aux restrictions commerciales envers l'URSS et au boycott des jeux olympiques; ce besoin a été affirmé avec fracas par le raid américain du 24 avril. Cette opération venait souligner et concrétiser la détermination des USA de s'assurer une plus grande solidarité de la part de ses alliés, détermination qui s'était exprimée par les déclarations de Carter à quatre chaînes de télévision européennes le 13 avril et qui avaient été accueillies avec des réticences par certains pays européens. L'opération du 24 avril, en contradiction avec l'assurance de ne pas intervenir militairement avant la mi-mai donnée aux alliés, mettait ceux-ci au pied du mur : le 28 avril, au sommet de Luxembourg, les neuf "réaffirment leur solidarité avec le gouvernement et le peuple des Etats-Unis". Le deuxième objectif du raid américain est atteint.

3) Si l'URSS a envahi l'Afghanistan, c'est qu'elle avait la certitude qu'elle n'allait pas se heurter de front aux forces armées du bloc occidental, certitude qui s'appuyait notamment sur le fait que le gendarme local de ce bloc, l'Iran, était paralysé par des convulsions internes. Les USA ont été obligés d'inscrire l'Afghanistan à la colonne "pertes" de leur bilan mais il était très important pour eux et pour leur bloc que cette mésaventure rie se renouvelle pas. Il leur importait donc de signaler très clairement à l'URSS qu'eux aussi étaient capables de mener des actions militaires en dehors de leurs frontières, chose qu'ils n'avaient pas faite depuis la guerre du Vietnam. En particulier, ils se devaient d'avertir très clairement l'URSS qu'ils n'accepteraient pas qu'elle sorte de la prudence qu'elle avait manifestée jusqu'à présent à l'égard de l'Iran, qu'elle utilise l'instabilité de ce pays pour y avancer ses propres pions. Et un tel avertissement avait besoin, pour être pris pleinement au sérieux, d'être ponctué par une manifestation concrète de la détermination américaine : l'intervention en Iran remplissait également cet office. Lorsque le 9 mai, Carter a rappelé ses paroles du 23 janvier : "Toute tentative extérieure pour prendre le contrôle de la région du Golfe serait considérée comme étant une attaque contre les intérêts vitaux des Etats-Unis et serait repoussée par tous les moyens, y compris par les armes", il était mieux en mesure de signifier que sa détermination n'était pas uniquement verbale, qu'il ne s'agissait nullement de velléités mais bien d'un choix politique et militaire délibéré et décidé

4) Depuis novembre 79, la population américaine subit un bourrage de crâne quotidien destiné à la préparer aux impératifs militaires de sa bourgeoisie et, en particulier, à l'idée d'une intervention extérieure, idée qui, depuis la guerre du Vietnam était fort peu populaire. Dans l'ensemble, cette opération a donné ses fruits mais on a pu noter quelques "couacs" dans l'exécution de la partition composée par le maestro Carter :

-         réactions contre le recensement en vue de la mobilisation,

-         persistance de grèves ouvrières.

En réalité, le battage intensif mis en œuvre par l'ensemble des médias ne peut conserver à la longue son efficacité, de même qu'il ne peut faire oublier de façon permanente les dures conséquences de la crise qui frappent la classe ouvrière, que s'il est relancé à intervalles réguliers par quelque événement spectaculaire. Après l'affaire des otages, la bourgeoisie américaine a exploité au maximum l'invasion de l'Afghanistan (même si l'importance de l'enjeu de ce dernier événement va de très loin au delà d'une simple campagne idéologique) et a cultivé avec application le sentiment antirusse notamment à travers le battage sur les jeux olympiques, mais il était utile de donner plus de corps aux campagnes bellicistes en ajoutant "des actes à la parole". Le raid américain en Iran présentait le triple avantage :

-         de donner satisfaction aux secteurs de la population qui demandaient que "quelque chose soit tentée" pour libérer les otages,

-         de tester le degré d'adhésion de la population à l'idée d'une intervention extérieure,

-         de préparer par la pratique et non seulement par les mots cette population à des interventions futures bien plus importantes.

Bien que l'opération se présente comme un fiasco piteux, il ne faut pas se cacher que son principe a reçu, de façon majoritaire, l'approbation de la population américaine. Par ailleurs, cette opération a été l'occasion de mettre en évidence et de renforcer encore l'unité qui existe au sein de la bourgeoisie sur les problèmes de politique extérieure. Par exemple, aucun des concurrents de Carter pour l'élection présidentielle n'a tenté de tirer profit du "fiasco" pour l'attaquer sur ce terrain. Au contraire, c'est une belle unanimité qui s'est manifestée. A cet égard, il serait erroné de considérer la démission de Cyrus Vance comme une manifestation de crise politique. En réalité elle correspond à l'infléchissement de la politique extérieure des USA vers une orientation de plus en plus belliciste et militaire qui n'est remise en cause par aucun secteur important de la bourgeoisie mais que Vance, qui est l'homme d'un certain type de politique, plus basé sur la composante diplomatique, ne pouvait pas personnellement mettre en œuvre.

C - Par rapport à des objectifs qui se révèlent essentiels pour les USA et leur bloc, le raid américain du 24 avril apparaît donc comme une réussite remarquable. Cependant cette opération est présentée presqu'unanimement comme un "fiasco" dans la mesure où :

1°) elle n'a pas atteint son objectif officiel : la libération des otages,

2°) elle affiche une faiblesse de l'armée américaine tant sur le plan de son équipement que de son personnel, ce qui altère la crédibilité de la puissance militaire des USA dans le monde,

3°) elle renforce l'image de marque de Carter corme "l'homme des échecs" ce qui risque, d'après certains, de lui coûter sa réélection.

La bourgeoisie américaine, est-il besoin de le dire, se moque totalement du sort des cinquante otages. Jusqu'à présent, au contraire, cette prise d'otages a servi remarquablement ses desseins (cf. Revue Internationale n° 20 et 21). Pour elle la question de la restitution des otages, si elle s'y intéresse, a uniquement valeur d'indicateur de la capacité du gouvernement officiel iranien à reprendre le contrôle de la situation et de ses dispositions à l'égard des USA : le jour où les otages seront restitués, cela voudra dire que cette puissance pourra de nouveau compter sur l'Iran comme pièce de son jeu militaire. En ce sens, la libération par la force des otages, outre qu'elle aurait privé la campagne idéologique d'un de ses thèmes les plus utilisés, aurait également privé le gouvernement US de cet indicateur. De plus, si l'expédition était arrivée à Téhéran, elle n'aurait très probablement pu délivrer les otages (au cas où ils auraient été encore en vie) qu'au prix de combats assez meurtriers en particulier pour les iraniens (voir la récente opération à l'ambassade d'Iran â Londres), ce qui n'aurait pas facilité un règlement rapide du contentieux entre USA et Iran. D'ailleurs, Carter, dans sa déclaration spectaculaire annonçant "l'échec" de l'opération s'est bien empressé de dire que le sang iranien n'avait pas été versé et que cette opération se voulait "uniquement humanitaire" et non belliqueuse à l'égard de l'Iran : la porte restait ainsi ouverte à une issue à l'amiable du conflit. Ainsi, "l'échec" du raid américain se révèle plus payant à l'égard d'une reprise en main de l'Iran par le bloc US que son éventuelle réussite.

Sur le plan de la campagne idéologique actuelle du bloc américain, "l'échec" du raid est un élément très positif ; il vient renforcer l'argument totalement mensonger qui veut que ce bloc soit en état de faiblesse face au bloc russe. Pour alimenter un mythe il faut un semblant de réalité : de ce point de vue, également, le "fiasco" américain est une belle réussite. Quant à l'idée que peuvent se faire les gouvernements des principaux pays du monde (tant alliés qu'ennemis) sur la puissance réelle des USA, elle est basée sur des éléments bien plus sérieux que cet événement.

Ainsi, même là où elle apparaît comme un échec, l'opération montée par le gouvernement américain se révèle une réussite : même s'il faut se méfier d'une interprétation trop machiavélique des faits et gestes de la bourgeoisie, on peut quand-même affirmer que toute l'opération y compris "l'échec" ressemble fortement à une énorme mise en scène, ce qui est corroboré par :

-         le caractère peu vraisemblable des explications techniques de "l'échec" quand on connaît le degré de perfectionnement de l'armement américain,

-         le côté spectaculaire et dramatique de l'annonce de cet "échec".

Quant à l'argument de "l'image de marque de Car­ter" contre une telle interprétation des faits, il n'a pas la moindre consistance d'une part, cette image ne semble pas réellement avoir été affectée par ce "fiasco" de même que ses chances de réélection, d'autre par, un tel argument fait la part belle à l'illusion que la politique de la bourgeoisie serait encore influencée par le suffrage universel : lorsque la bourgeoisie US a décidé de se retirer du Vietnam, elle a sacrifié allégrement la réélection de Johnson en 1968.

En réalité, la bourgeoisie américaine est déjà familière de ce genre de "catastrophes" qui se transforment en réussites. De même qu'il a été établi que la destruction de la flotte américaine du Pacifique en 1941 avait été voulue par Roosevelt afin d'entraîner la population et les secteurs réticents de la bourgeoisie dans la guerre contre le Japon, peut-être apprendra-t-on un jour que le "Pearl Harbour" en petit de Jimmy Carter était cousu de fil blanc.

 

D - Quel que soit le degré d'authenticité de l'opération américaine en Iran, il est important de souligner qu'elle révèle, sur la présente situation internationale, les faits suivants :

- une nouvelle accentuation très nette de l'orientation belliciste de la politique américaine : si avec ses "prêches" et ses "droits de l'homme" Carter s'était révélé depuis le début comme l'homme des préparatifs de guerre, il confirme aujour­d'hui amplement cette orientation ; désormais l'URSS n'aura plus le quasi monopole des expéditions militaires, après s'être essentiellement appuyé sur sa puissance économique, l'impérialisme US s'appuiera de plus en plus sur sa puissance militaire ;

- une nouvelle aggravation des tensions inter-impérialistes (même si l'Iran n'est pas aujourd'hui un enjeu direct).

Plus que jamais, il revient aux révolutionnaires de mettre en évidence et de dénoncer ces préparatifs de guerre et d'en faire un élément de propagande dans leur tâche de participation au développement de la conscience de la classe ouvrière.

C.C.I. le 10.05.80


[1] [64] La récente libération par les "S.A.S." anglais des diplomates iraniens pris en otage dans leur ambassade de Londres, qui a valu au gouvernement britannique les remerciements de Bani Sadr, constitue la face "positive" de ce message, l'expression de la "bonne volonté" du bloc occidental.

Géographique: 

  • Moyen Orient [9]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [10]

Le sectarisme, un héritage de la contre- révolution à dépassé.

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La troisième Conférence des Groupes de la Gauche Communiste a abouti à une dislocation. Deux des principaux groupes qui l'animaient ([1] [65]) (Partito Comunista Internazionalista -Italie- et Communist Workers Organisation - Grande-Bretagne) ont posé comme condition à la poursuite de leur participation, la fermeture du débat sur la question du rôle du parti révolutionnaire. Le C.C.I. a rejeté une telle condition.

La situation présente de l'effort mené depuis près de quatre ans par un certain nombre de groupes révolutionnaires en vue de créer un cadre facilitant le regroupement des organisations politiques du prolétariat peut se résumer en deux phrases

-                     il n'y aura certainement plus de conférences comme les trois qui viennent d'avoir lieu ;

-                     les nouvelles conférences devront, pour être viables,

1°) se débarrasser des restes de sectarisme qui pèsent encore lourdement sur certains groupes, 2°) être politiquement responsables.

Les lecteurs intéressés par les détails du déroulement de la Conférence elle-même, pourront lire le compte-rendu des débats que nous publierons prochainement.

Ce que nous voulons ici, c'est tirer les leçons de l'expérience qu'ont constitué ces trois conférences.

Ces quatre années d'effort pour "le regroupement des révolutionnaires" ont constitué la tentative la plus sérieuse depuis 1968 pour briser l'isolement et la division des groupes révolutionnaires. Quelles qu'aient été ses gigantesques faiblesses, c'est seulement en tirant toutes les leçons que le travail général de regroupement des révolutionnaires pourra être poursuivi.

Il faut, pour aller de l'avant, comprendre les raisons qui ont conduit à la dislocation de la 3ème conférence et définir ce qu'il faut en déduire pour le déroulement des prochaines conférences.

POIDS DU SECTARISME

Au cours de la deuxième conférence, il y eut un débat entre le P.C.Int. ("Battaglia Comunista", selon le nom de son journal) et le C.C.I. à propos du sectarisme. Le C.C.I. avait proposé une résolution condamnant l'attitude sectaire des groupes révolutionnaires qui avaient refusé l'invitation à participer aux conférences internationales. Le P.C.Int rejette la résolution affirmant, entre autres, que le refus des groupes n'était pas une question de sectarisme mais de divergences politiques. Et d'affirmer que nous chassions des fantômes de sectarisme au lieu de nous occuper des divergences politiques. Le PCInt ne parvenait pas à localiser le cheval du sectarisme parce que c'était celui qu'il était en train d'enfourcher. Le sectarisme existe. Nous l'avons rencontré. Tout au long des travaux de ces conférences.

Qu'appelle-t-on sectarisme ?

Le sectarisme c'est l'esprit de secte, l'esprit de petite église. Dans le monde de la religion, la question de savoir qu'est-ce-qui est vrai et qu'est ce-qui ne l'est pas apparaît comme une question d'affrontement d'idées dans le monde éthéré de la pensée abstraite.

Puisqu'à aucun moment la réalité, la pratique matérielle des mortels ne peut être supérieure aux textes sacrés et à leurs interprétations divines, puisque la réalité ne peut trancher les débats, chaque secte en divergence avec d'autres n'a que deux possibilités : ou bien renoncer à ses divergences et disparaître, ou bien vivre éternellement isolée et en opposition avec les sectes "rivales".

Puisque la pratique sociale et matérielle ne peut pas permettre de déterminer où est la vérité, les sectes qui survivent le font inévitablement isolées les unes par rapport aux autres, cultivant amoureusement dans leur mini-monastère "leur vérité" à elles.

Engels disait, parlant des sectes dans le mouvement ouvrier, que l'essentiel de leur vie se résumait à mettre toujours en avant ce qui -les différencie du reste du mouvement.

Et c'est certainement là la manifestation majeure de cette maladie qui isole ses victimes de la réalité

Face à tout problème posé, les sectes n'ont qu'une préoccupation : affirmer ce qui les distingue, ignorer ou condamner ce qui tend à les confondre avec le reste du mouvement.

Cette crainte de reconnaître ouvertement ce qu'on peut avoir de commun avec l'ensemble du mouvement, de peur de disparaître, cette manifestation caricaturale du sectarisme, a toujours entravé les travaux des trois conférences des groupes de la gauche communiste et a finalement conduit à la dislocation de la troisième.

"PAS DE DECLARATIONS COMMUNES" ?

On sait que la 3ème conférence, mai 1980, s'est ouverte dans une situation dominée au niveau de l'actualité par la menace d'une troisième guerre mondiale. Les contributions des groupes pour la préparation de la conférence ont toutes souligné la gravité de la situation et affirmé des positions de classe face à cette menace : une telle guerre serait de même nature que les deux guerres mondiales précédentes : impérialiste. La classe ouvrière mondiale n'a d'intérêts à défendre dans aucun bloc. La seule lutte efficace contre la guerre est celle du prolétariat contre le capitalisme mondial.

Le C.C.I. demanda que la conférence prît position sur cette question et proposa une résolution, à discuter et amender si nécessaire, pour affirmer ensemble la position des révolutionnaires face à la guerre.

Le P.C.Int. refusa et, à sa suite, la C.W.O. et l'"Eveil Internationaliste". Et la conférence resta muette.

Du fait même des critères de participation à la conférence, tous les groupes présents partageaient inévitablement la même position de fond sur l'attitude qui doit être celle du prolétariat en cas de conflit mondial et face à sa menace. "Mais, attention!", nous disent les groupes partisans du silence, "C'est que nous, on ne signe pas avec n'importe qui! Nous ne sommes pas des opportunistes!" Et nous leur répondons : l'opportunisme c'est trahir des principes à la première opportunité. Ce que nous proposions ce n'était pas de trahir un principe, mais de l'affirmer avec le maximum de nos forces.

Le principe internationaliste est un des plus hauts et des plus importants pour la lutte prolétarienne. Quelles que soient les divergences qui séparent les groupes internationalistes par ailleurs, peu d'organisations politiques au monde le défendent de façon conséquente. Leur conférence devait parler sur la guerre et parler le plus fort possible.

Au lieu de cela, elle se tut..."parce qu'on a des divergences sur ce que sera le rôle du parti révolutionnaire de demain !".

Le contenu de ce brillant raisonnement "non opportuniste" est le suivant : puisque les organisations révolutionnaires ne sont pas parvenues à se mettre d'accord sur toutes les questions, elles ne doivent pas parler de celles sur lesquelles elles sont d'accord depuis longtemps.

Les spécificités de chaque groupe priment par principe sur ce qu'il y a de commun à tous. C'est cela le sectarisme.

Le silence des trois conférences (dans les trois le P.C.Int puis le CWO ont refusé toute déclaration commune malgré l'insistance du CCI ([2] [66]) est la plus nette démonstration de l'impuissance a laquelle conduit le sectarisme.

LES CONFERENCES NE SONT PAS UN RING

Sélection ! Sélection ! Telle est la seule fonction que le P.C.Int et le CWO voient aux conférences.

Comment expliquer à une secte qu'elle doit apprendre à envisager l'idée que...peut-être... elle se trompe ? Comment faire comprendre à des sectaires que dans les conditions actuelles, parler d'une conférence qui sélectionne quels sont les groupes qui construiront le parti de demain c'est une absurdité.

Il est certain que dans le processus révolutionnaire il y a des sélections qui se produisent entre les organisations qui se réclament du mouvement ouvrier. Mais ces sélections c'est la pratique de la classe ou les grandes guerres mondiales qui les font et non quelques conciliabules entre organisations. Même des ruptures aussi importantes que celle des bolcheviks et mencheviks ne se sont réellement concrétisées qu'au fur et à mesure de la guerre de 1914 et des luttes de 1917.

C'est pourquoi, en premier lieu, il ne faut pas surestimer la capacité "d'auto-sélection" au niveau du simple débat, des conférences. En deuxième lieu, dans les conditions actuelles, les débats entre révolutionnaires sont loin d'en être au point de pouvoir être tranchés en commun. Pour le moment on en est à peine à tenter de créer un cadre dans lequel un débat puisse commencer à avoir lieu de façon efficace et utile à la classe ouvrière. La sélection, on en parlera en temps voulu.

CONCLURE UN DEBAT QUI N'A PAS EU LIEU ?

Le P.C.Int et le CWO, par impatience... ou par peur, ont refusé de continuer le débat jusqu'à ses conclusions sur le problème du parti. Cette question est une des plus graves et des plus importantes à laquelle sont confrontés les groupes révolutionnaires actuels, en particulier eu égard à l'appréciation que l'on a de la pratique du parti bolchévik pendant la révolution russe (répression des conseils de Kronstadt -des milliers de morts commandée par le parti bolchevik à la tête de l'Etat et de l'armée, par exemple). Le débat sur cette question n'a jamais encore été sérieusement abordé.

Cela n'a pas empêché le P.C.Int et C.W.O. de décider un beau jour, on ne sait pourquoi, de déclarer la question close et de disloquer la conférence, découvrant soudain qu'ils ne sont pas d'accord avec "les spontanéistes du C.C.I.".

Indépendamment du fait que ni le P.C.Int. ni le C.W.O. ne savent ce que veut dire "spontanéiste"  (sinon que c'est quelque chose de différent de ce que EUX ils pensent), il est pour le moins inconséquent de déclarer un débat qui n'a pas eu lieu...CLOS, alors que par ailleurs on le considère de la plus haute importance... au point de servir doivent pas parler de celles sur lesquelles elles  sont d'accord depuis longtemps.de justification au fait de se taire sur la menace de guerre mondiale. La gravité de la question ne rend que plus importante la nécessité de la traiter.

LA NECESSITE DU DEBAT ORGANISE ENTRE REVOLUTIONNAIRES

Ce débat doit avoir lieu. Peut-être que nous ne parviendrons pas à le résoudre avant qu'une nouvelle vague révolutionnaire de l'ampleur de celle de 1917-1923 ne vienne trancher dans la pratique la question. Mais au moins nous arriverons aux combats décisifs avec les problèmes correctement posés, débarrassés des incompréhensions et des esprits de chapelle.

La période de luttes de 1917-23 a posé, du point de vue de la question du rôle des avant-gardes, plus de questions qu'elle n'en a résolues.

De l'impuissance du nouveau-né Parti Communiste allemand en janvier 1919 à la répression sanglante de Kronstadt par les bolcheviks en 1921, l'expérience de ces années de soulèvements échoués nous ont plus montre ce qu'il ne faut pas faire que ce qu'il  faut faire. Mais encore faut-il savoir quoi et qu'est-ce-qu'on en déduit. Ce débat n'est pas nouveau, il existe, sous ses premières formulations, depuis les années des premiers congrès de l'Internationale Communiste.

Mais c'est inévitablement ce débat que les révolutionnaires devront reprendre aujourd'hui, ouvertement, sérieusement, de façon conséquente, responsable, face à la classe et à l'ensemble des nouvelles forces révolutionnaires qui se développent  et vont se développer partout dans le monde. Considérer ce débat clos, terminé aujourd'hui, c'est non seulement ignorer ce que "débat" veut dire, mais c'est surtout fuir sa responsabilité historique (même si ce mot peut sembler un peu grand pour certaines chapelles).

Refuser de le mener dans le cadre d'une conférence de groupes révolutionnaires, c'est refuser de le mener dans le seul cadre sérieux où il puisse avancer ([3] [67]).

Ceux qui fuient ce débat, fuient les nécessités du mouvement révolutionnaire présent, tel qu'il existe actuellement, pour se réfugier dans leurs certitudes livresques.

Dans les luttes futures, ce débat aura lieu dans la classe, à la lumière des problèmes qu'elle rencontrera dans sa lutte, que les révolutionnaires actuels l'aient préparé ou non. Mais ceux qui refusent de l'éclaircir aujourd'hui dans un cadre organisé, que ce soit les super-partitistes de "Programme Communiste" ("Parti Communiste International") ou que ce soit les "anti-constructeurs de parti" du P.I.C. ("Pour une intervention communiste"), ou encore les "non opportunistes" du P.C.Int ou du C.W.O., auront tout fait pour qu'il soit abordé dans les pires conditions.

EXPRIMER LA TENDANCE A L'UNITE DE LA CLASSE

La tendance à l'unification est le propre du prolétariat. La tendance à l'unification des organisations révolutionnaires en est une manifestation. Comme la classe dont elles ont épousé la cause, ces organisations ne sont pas divisées entre elles par des intérêts matériels. Contrairement aux organisations politiques bourgeoises qui incarnent et reflètent les intérêts matériels de certaines fractions de la classe exploiteuse, les organisations révolutionnaires expriment toutes en premier lieu la nécessité de l'unification consciente de la classe. Les révolutionnaires débattent et divergent souvent sur les moyens de cette unité, mais tous leurs efforts sont tendus vers elle.

Etre à la hauteur de leur classe c'est d'abord, pour des révolutionnaires, être capable d'exprimer cette tendance prolétarienne à l'unité, tendance qui fait de cette classe la porteuse de la réalisation de ce que Marx appelait "la Communauté humaine".

UN DIALOGUE DE SOURDS ?

Dans l'esprit de secte, le dialogue avec d'autres ne sert évidemment à rien. "On n'est pas d'accord ! On n'est pas d'accord ! On ne va pas se convaincre !"

Et pourquoi des organisations révolutionnaires

ne convaincraient pas d'autres organisations à travers le débat ? Seules les sectes refusent de remettre en question leurs certitudes ([4] [68]).

Comment se sont donc faits tous les regroupements  de révolutionnaires dans le passé si ce n'est en parvenant à travers le débat à "se convaincre" ? Pour la secte, "être convaincu par une autre organisation" ce n'est jamais parvenir à une nouvelle  clarté. Pour "les programmistes" c'est être "fottuto" -foutu (d'après un article publié dans "Pro­gramma Comunista"). Pour le C.W.O. ou le G.C.I. (Groupe Communiste Internationaliste), c'est tomber sous l'impérialisme d'un autre groupe. Dans les deux cas, c'est le pire malheur qui leur puisse arriver ([5] [69]). Cela peut et doit arriver aux autres, mais pas à eux.

C'est ça l'esprit de secte.

Il est certain que le débat est difficile. Il est très possible, comme nous l'avons déjà dit, que les révolutionnaires ne parviennent pas à trancher ces débats en l'absence de grands mouvements des masses ouvrières, mais :

1°) la difficulté de la tâche n'est pas un argument en soi ;

2°) depuis 1968, une nouvelle pratique de classe a repris dans le monde entier : des U.S.A. à la Corée, de Gdansk et Togliattigrad à Sao Paolo, créant les bases d'une nouvelle réflexion et mettant les minorités révolutionnaires devant leurs responsabilités.

Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Souhaitons que les révolutionnaires n’attendent pas trop longtemps encore pour entendre la puissance des grondements des bouleversements historiques qui se préparent.

CE QUE DEVRONT ETRE LES PROCHAINES CONFERENCES

Un pôle de référence

Les années 80 connaîtront un développement sans précédents de la lutte des classes sous la pression de la crise économique. L'évidence de la faillite du capitalisme, de l'impasse meurtrière dans laquelle il conduit l'humanité si celle-ci ne réagit pas, fait et fera apparaître le projet révolutionnaire prolétarien de moins en moins comme un rêve utopique et chimérique et de plus en plus comme la seule façon de répondre à l'holocauste planétaire que développe la survie du système d'exploitation.

Le développement des luttes prolétariennes s'accompagne et s'accompagnera de plus en plus du surgissement de nouveaux éléments, cercles, organisations révolutionnaires.

Ces nouvelles forces, en cherchant à devenir des facteurs actifs et efficaces dans la lutte internationale du prolétariat, sont et seront rapidement confrontées à la nécessité de se réapproprier les leçons de l'expérience des luttes passées du prolétariat mondial. Tant bien que mal, ce sont les groupes révolutionnaires dont l'existence a précédé le surgissement de ces forces qui ont cherché à définir ces leçons et à reprendre les enseignements du mouvement ouvrier international du passé. Aussi, est-ce inévitablement vers ces organisations que tôt ou tard tendront à se tourner les nouveaux éléments surgis du mouvement, pour tenter de s'armer des acquis fondamentaux du passé. Une des fonctions les plus importantes des Conférences Internationales est celle de permettre à ces nouvelles forces DE TROUVER UN CADRE OU CETTE TACHE PUISSE COMMENCER A ETRE REALISEE DANS LES MEILLEURES CONDITIONS POS­SIBLES. Ce cadre c'est celui de la confrontation OUVERTE, RESPONSABLE, et LIEE AUX LUTTES EN COURS entre organisations se situant sur un terrain révolutionnaire.

L'écho rencontré par les trois conférences des groupes de la gauche communiste, l'intérêt soulevé par cette expérience des Etats-Unis à l'Algérie, de l'Italie à la Colombie, démontre, par delà les énormes insuffisances des Conférences elles-mêmes, que ce type de travail REPOND A UNE NECESSITE RE­ELLE dans le mouvement révolutionnaire.

C'est pourquoi la poursuite de ce type de travail constitue aujourd'hui une des responsabilités de premier ordre dans l'intervention des groupes révolutionnaires.

DES CRITERES DE PARTICIPATION SERIEUX

Pour pouvoir remplir cette fonction, les conférences doivent posséder des critères de participation précis, qui permettent le mieux possible de délimiter un terrain de classe. Ces critères ne peuvent pas être le résultat de "coups de tête" de quelques organisations. Contrairement à l'idée initiale du P.C.Int., qui, lors de la préparation de la 1ère Conférence refusait l'établissement de critères de participation, le C.C.I. a toujours défendu

1) la nécessité de ces critères,

2) le fait que ceux-ci doivent reprendre d'une part les principaux acquis de la dernière grande organisation internationale du prolétariat, expression de la dernière vague de lutte révolutionnaire prolétarienne internationale (1917-23) : les deux premiers Congrès de la IIIe Internationale. D'autre part, les principaux enseignements de l'expérience de la 2ème guerre mondiale : nature capitaliste de l'URSS et de tous les Etats soi-disant 'socialistes" ou "en voie de le devenir" ainsi que de toutes les organisations qui, des P.C. aux P.S. en passant par les trotskystes, les "défendent".

Les critères de participation définis par les trois Conférences, constituent en ce sens -avec quelque reformulation mineure telle le remplacement du terme "science du prolétariat" en parlant du marxisme, par celui de "théorie du prolétariat"- une base solide ([6] [70]).

Depuis la IIIe Internationale, les importants débats qui avaient commencé à se dérouler en son sein, en particulier entre les bolcheviks et les "gauches" d'Europe occidentale ont été éclairés par plus de soixante ans d'expérience critique.

Des questions telles que celle du Parti révolutionnaire et de son rôle, la nature des syndicats dans le capitalisme après la 1ère guerre mondiale, la nature des "luttes de libération nationale", les questions du "parlementarisme révolutionnaire" et des tactiques de "fronts uniques", etc. n'ont pas perdu de leur importance depuis lors, au contraire. Ce n'est pas par hasard si ce sont elles qui divisent encore aujourd'hui les groupes révolutionnaires.

Mais leur importance, leur gravité, loin de constituer une entrave à la confrontation organisée entre révolutionnaires, comme le prétendent le CWO et le P.C.Int -devenu soudain un féroce partisan de "nouveaux critères de sélection"- ne rend que plus urgente et inévitable cette confrontation. En ce sens, fermer les conférences en fonction de ces questions, constituerait, dans l'état actuel du mouvement, une condamnation à l'impuissance. Cela transformerait très vite ces conférences en "de nouvelles chapelles".

Les Conférences ne sont pas le regroupement lui-même. Elles sont un cadre, un instrument dans le processus plus global et général du regroupement des révolutionnaires. C'est en les considérant comme telles qu’elles pourront remplir leur fonction et non en cherchant précipitamment à les transformer en une nouvelle organisation politique définie ([7] [71]).

Cependant, l'expérience a démontré, surtout lors de la IIIe Conférence, que les critères politiques généraux de principe, ne suffisent pas à eux seuls.

Les prochaines conférences devront exiger de leurs participants une conviction réelle de l'utilité et du sérieux avec lequel doivent être menées ces conférences. Des groupes qui, tels le G.C.I. (Groupe Communiste Internationaliste) n'assistent (à la IIIe Conférence) que pour "dénoncer" les conférences et faire de la "pêche à la ligne" n'y ont pas leur place.

La première condition évidente pour l'efficacité d'un travail collectif c'est que ceux qui le réalisent soient convaincus de son utilité. Cela devrait aller de soi, mais lors des prochaines conférences, il faudra en tenir compte explicitement.

Se taire, c'est pour des révolutionnaires, nier leur existence. Les communistes n'ont rien à cacher à leur classe. Face à elle, dont ils se veulent l'avant-garde, ils assument de façon responsable leurs actes et leurs convictions.

Pour cela, les prochaines conférences devront rompre avec les habitudes "silencieuses" des trois conférences précédentes.

Elles devront savoir affirmer et assumer CLAIRE­1ENT, explicitement, dans des textes et des résolutions courtes et précises, et non dans les centaines de pages des procès-verbaux, les résultats de leurs travaux, qu'il s'agisse de l'éclaircissement des DIVERGENCES et de ce sur quoi elles portent, ou qu'il s'agisse des positions COMMUNES partagées par l'ensemble des groupes.

L'incapacité des conférences passées à mettre noir sur blanc le contenu réel des divergences a été une manifestation de leur faiblesse.

Le silence jaloux de la Ille Conférence sur la question de la guerre est une honte.

Les prochaines conférences devront savoir assumer leurs responsabilités, si elles veulent être viables.

CONCLUSION

Le regroupement des révolutionnaires est une nécessité et une possibilité qui va de pair avec le mouvement vers l'unification de la classe ouvrière mondiale.

Ceux qui, à l'heure actuelle, prisonniers de l'esprit de secte imposé par des années de contre-révolution et d'atomisation du prolétariat, ignorent cette tâche des révolutionnaires, ceux dont le crédo révolutionnaire commence par "NOUS SOMMES LES SEULS !" seront impitoyablement jugés par l'histoire comme des sectes irresponsables et égocentriques.

Pour notre part, nous restons convaincus de la validité et de l'URGENCE du travail de regroupement des révolutionnaires, aussi long, pénible et difficile soit-il.

Et c'est en ce sens que nous continuerons d'agir.

R. Victo

 

 
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[1] [72] Organisations qui ont participé à la conférence : le "Partito Comunista Internazionalista" (P.C.Int. qui publie "Battaglia Comunista"), le"Courant Communiste International"(C.C.I.),"I Nuclei Leninisti"(fusion de l'ex-Nucleo Comunista Internazionalista et ex-Il Leninista), la "Communist Workers Organisation", le "Groupe Communiste Internationaliste", l'"Eveil Internationaliste". L'"Organisation Communiste Révolutionnaire Internationaliste d'Algérie" (OCRIA qui publie "Travailleurs Immigrés en Lutte") envoya des contributions écrites. Le groupe américain "Marxist Workers Group" s'y associa et devait envoyer un délégué qui fut empêché à la dernière minute.

[2] [73] Lors de la 1ère conférence, le P.C.Int refusa même une déclaration tentant de résumer les divergences.

[3] [74] Rien ne remplace le débat oral organisé et en prise avec les problèmes de la lutte de classe présente.

[4] [75] Ce n'est pas par simple esprit de boutade que Marx disait que sa devise personnelle était :"Doute de tout". C'est quelqu'un qui n'a cessé toute sa vie de combattre l'esprit de secte dans le mouvement ouvrier

[5] [76] Est-ce-que pour ces groupes, les fractions de gauche de la deuxième Internationale convaincues par les arguments de Rosa, de Lénine, de Pannekoek, de Trotsky, de mener la lutte la plus intransigeante contre la guerre et contre la social-démocratie pourrissante, étaient des "VICTIMES" ?

[6] [77]  Critères de participation aux conférences internationales définis lors de la 2ème Conférence :

-         Reconnaissance de la Révolution d'Octobre comme révolution prolétarienne

-         Reconnaissance de la rupture avec la social-démocratie effectuée par le 1er et le 2ème Congrès de l'Internationale Communiste

-            Rejet sans réserve du capitalisme d'Etat et de l'autogestion

-         Rejet de tous les partis communistes et socialistes en tant que partis bourgeois

-         Orientation vers une organisation de révolutionnaires qui se réfère à la doctrine et à la méthodologie marxiste comme science du prolétariat

Reconnaissance du refus de l'encadrement du prolétariat derrière, et sous une forme quelconque, les bannières de la bourgeoisie

[7] [78] Le déroulement des conférences, leur élargissement à d'autres groupes n'a pas empêché qu'entre temps des regroupements aient lieu parmi les participants. Ainsi, depuis les premières conférences, le "Nucleo Comunista Internazionalista" et "Il Leninista" se sont unifiés en une seule organisation. De même, l'essentiel des éléments qui constituaient le groupe "For Komunismen" de Suède, présent à la IIe Conférence, a constitué depuis le section en Suède du C.C.I.

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [36]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [34]

Les théories des crises, de Marx à l'Internationale Communiste.

  • 5801 lectures

Dans la période qui précéda la 1ère Guerre Mondiale, puis au cours de la guerre elle-même, les révolutionnaires marxistes se sont efforcés non seulement de dénoncer la nature impérialiste de la guerre, mais aussi d’en démontrer le caractère inévitable tant que le capitalisme resterait le mode de production mondialement dominant.

Contre les pacifistes qui appelaient de leurs vœux un capitalisme sans guerres, les révolutionnaires mettaient en avant l'impossibilité d'empêcher les guerres impérialistes sans détruire en même temps le capitalisme lui-même. L'Accumulation du Capital ou la Brochure de Junius de Rosa Luxemburg, tout comme L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme de Lénine, furent écrits essentiellement avec cet objectif. Les moyens de l'analyse dans ces travaux, tout comme certaines conclusions, y sont différents, mais la préoccupation qui traverse ces ouvrages de bout en bout est la même : celle de l'action révolutionnaire du prolétariat international face à la barbarie capitaliste.

Aujourd'hui, lorsqu'une nouvelle crise  ouverte du capitalisme vient de nouveau faire peser la menace d'une guerre impérialiste mondiale, et crée des conditions pour une nouvelle attaque révolutionnaire du prolétariat contre le capital à l'échelle de la planète, il revient aux révolutionnaires de poursuivre ce travail d'analyse de la société capitaliste dans ce même esprit d'INTERVENTION MILITANTE.

Contrairement à ce que peuvent penser les professeurs de marxisme en université, le marxisme ne fait pas partie de l'économie politique : il en est la critique révolutionnaire. Pour les révolutionnaires, l'analyse de la crise actuelle du capitalisme ne saurait être une spéculation académique flottant dans le monde éthéré de l'analyse économique. Elle n'est qu'un moment dans leur intervention globale en vue de préparer les armes de la révolution prolétarienne. Elle n'est pas une pure interprétation du monde capitaliste, mais une arme pour le détruire.

II

Face aux convulsions économiques croissantes  que Connaît actuellement le capitalisme, il s'agit donc pour les révolutionnaires de mettre en évidence la vérification  des perspectives révolutionnaires marxistes en démontrant :

  • que la crise actuelle n'est pas une difficulté passagère du capitalisme, mais une nouvelle convulsion mortelle après plus d’un demi-siècle de décadence
  • que, comme en 1914 et en 1939, la seule "solution"  que peut offrir le capitalisme décadent à sa crise, c'est une nouvelle guerre mondiale qui risque, cette fois-ci, de mettre en question l'existence même de l'humanité ;
  • que la seule issue pour l'humanité face à cette impasse apocalyptique, c'est l'abandon et la destruction de l'ensemble des rapports de production qui constituent le capitalisme, et l'instauration d'une société d'où auront disparues les causes qui ont conduit à cette situation : une société sans marchandise ni échange, sans profit ni salariat, sans nations ni Etat, la société communiste ;
  • que la seule force sociale capable de prendre l'initiative d'un tel bouleversement, c'est la principal classe productive elle-même : la classe ouvrière mondiale.

III

Pour s'acquitter de cette tâche, les révolutionnaires doivent être capables de traduire en termes clair largement vérifiables par la réalité de la crise telle que la vit l'ensemble de la société et en particulier la classe ouvrière, les fondements principaux de l'analyse marxiste des contradictions internes du capitalisme. Défendre l'idée de la nécessité et de la possibilité de détruire le capitalisme sans être capables clairement et simplement les origines de la crise de ce système, c'est se condamner à passer soit pour des professeurs d'économie universitaire, soit pour des illuminés utopistes ([1] [79]). Et cette nécessité est d'autant plus algue aujourd'hui que tout indique, contrairement aux mouvements révolutionnaires de 1871, de 1905 ou de 1917-23, la prochaine vague révolutionnaire prolétarienne éclatera non pas à la suite d'une guerre, mais d'une crise économique. De plus en plus le débat sur les causes de la crise du capitalisme se déroulera non plus dans les revues théoriques de quelques groupes révolutionnaires exigus, mais dans les assemblées de chômeurs, les assemblées d'usine, au cœur même de la classe ouvrière en lutte contre les attaques croissantes du capitalisme aux abois. La tâche des communistes dans ce domaine est de savoir se préparer à y être des facteurs efficaces de clarté.

IV

Paradoxalement, la question des fondements de la du capitalisme, pierre de touche du socialisme scientifique, a été l'objet, surtout depuis les débats sur l'impérialisme, de nombreux désaccords entre marxistes.

Tous les courants communistes partagent en général la conception fondamentale suivant laquelle l'instauration d'une société communiste constitue une nécessité et une possibilité à l'ordre du jour de l'histoire à partir du moment où les rapports de production capitalistes cessent de constituer des facteurs indispensables au développement des forces productives pour se transformer en entraves, ou, pour reprendre.la formule du Manifeste Communiste, lorsque "les institutions bourgeoises sont devenues trop étroites pour contenir la richesse qu'elles ont créée".

Les désaccords surgissent lorsqu'il s'agit de préciser la façon dont se concrétise cette contradiction générale, lorsqu'il s'agit de définir les caractéristiques et le moment du phénomène économique qui transforme ces institutions, le salariat, le profit, la nation, etc., en entraves définitives du développement précipitant le capitalisme dans la crise, la  faillite et le déclin.

Ces désaccords subsistent aujourd'hui, recouvrant souvent les mêmes divergences qui opposèrent les révolutionnaires au début du siècle ([2] [80]). Cependant, l'extraordinaire affaiblissement des forces révolutionnaires, sous les coups de 50 ans de contre-révolution triomphante, la rupture organique quasi-totale avec les organisations du passé, ainsi que l'isolement extrême dans lequel ont vécu les groupes communistes pendant des décennies, ont rendu presque inexistant le débat entre révolutionnaires sur cette question.

Avec la reprise des luttes prolétariennes et le surgissement de nouveaux groupes révolutionnaires depuis dix ans, la discussion a eu une certaine tendance à reprendre, aiguillonnée par la nécessité de comprendre les difficultés économiques croissantes que connaît le capitalisme mondial. Le débat reprend trop souvent cependant sur des bases qui en réduisent la portée et les chances de le faire aboutir à des résultats conséquents pour l'enrichissement de l'analyse.

C'est tout naturellement que le débat a repris autour des discussions laissées en suspens par les théoriciens marxistes du début du siècle et reprises depuis, entre autres, par des groupes comme Bilan, Internationalisme, ou la revue Living Marxism. Au centre du débat, la confrontation entre les analyses de Rosa Luxemburg et celles de ceux qui, rejetant celles-ci, se sont attachés à défendre l'analyse de la baisse tendancielle du taux de profit comme explication fondamentale des contradictions du capitalisme. Mais, malheureusement, ce débat a eu jusqu'à présent une trop forte tendance à se cantonner dans un débat d'exégèses des écrits de Marx, les uns s'efforçant de démontrer que les thèses de Rosa Luxemburg sont "totalement étrangères au marxisme", ou du moins une très mauvaise interprétation des travaux du fondateur du socialisme scientifique, les autres s'attachant à mettre en relief la continuité marxiste des thèses de L'Accumulation du Capital.

Aussi importante puisse être la question de replacer toute analyse "marxiste" par rapport aux travaux de Marx, le débat serait condamné à une impasse totale s'il se cantonnait à cette seule préoccupation. C'est dans la CONFRONTATION AVEC LA REALITE qu'elle prétend  expliquer qu'une théorie trouve sa confirmation ou son infirmation  C'est seulement au crible de la critique des évènements qu'une pensée peut se développer positivement et trouver les moyens de devenir une force matérielle.

Pour pouvoir se développer avec des perspectives  constructives, l'actuel débat sur les fondements de la crise du capitalisme doit donc :

  • savoir considérer les analyses des marxistes par le passé, y compris Marx, non pas comme des livres saints dont il suffirait de faire l'exégèse pour qu'ils nous fournissent l'explication de tous les phénomènes économiques du capitalisme présent, mais comme des efforts théoriques qui doivent, pour être compris et repris, être replacés dans le contexte  des conditions historiques dans lesquelles ils ont été élaborés ;
  • s'attacher à "l'analyse concrète de la réalité concrète" de l'évolution du capitalisme, en confrontant avec cette réalité les différentes théories  qui  se réclame  du marxiste.

C'est alors, et seulement alors, que nous pourrons commencer à déterminer véritablement qui de Luxemburg ou de Grossmann-Mattick par exemple, a fourni des instruments valables de la compréhension du prolétariat des conditions objectives de son action historique. C’est ainsi que nous pourrons véritablement contribuer à l'effort de la classe ouvrière pour s'élever à la conscience des conditions générales de sa mission révolutionnaire.

Il nous apparaît donc fondamental de :

  1. Replacer de façon générale les principaux travaux des marxistes par le passé dans leur contexte historique afin de mieux en cerner la portée pour la période historique actuelle ;
  2. Confronter ces résultats à la seule chose qui puisse permettre de trancher et d'avancer dans le débat, à savoir, la réalité du capitalisme, aussi bien dans son évolution depuis la 1ère Guerre Mondiale que dans son actuelle crise.

MARX

C'est au cœur de la crise économique de 1847-48 et en vue d'intervenir dans le mouvement des luttes ouvrières engendré par elle, que Marx expose dans des conférences à l'Association des Ouvriers Allemands de Bruxelles (Travail Salarié et Capital) puis dans le Manifeste Communiste, les fondements de l'explication des crises du capitalisme. En quelques formules simples mais précises, Marx dégage la spécificité majeure de la crise économique capitaliste par rapport aux crises économiques des sociétés passées : contrairement à ce qui se produisait dans les sociétés précapitalistes où la production avait toujours pour objectif immédiat la consommation, dans le capitalisme, où l'objectif du capitaliste est la vente et l'accumulation du capital, la consommation n'étant qu'un pis-aller, la crise économique ne se traduit pas par une pénurie de biens, mais par la SURPRODUCTION : les biens nécessaires à la subsistance ou les conditions matérielles pour les produire existent, mais la masse des producteurs' qui ne reçoit des maîtres que le coût de sa force de travail, est privée des moyens et de l'argent nécessaire pour les acheter. Qui plus est, en même temps que la crise précipite les producteurs dans la misère et le chômage, les capitalistes détruisent les moyens de production qui permettraient de pallier à cette misère.

En même temps, Marx ébauche la raison profonde de ces crises : vivant dans la concurrence permanente entre eux, les capitalistes ne peuvent vivre qu'en développant leur capital et ils ne peuvent développer leur capital sans disposer de nouveaux débouchés. C'est ainsi que la bourgeoisie est contrainte d'envahir toute la surface du globe à la recherche de nouveaux marchés. Mais en même temps qu'elle se livre à cette expansion qui seule lui permet de dépasser et surmonter ses crises, elle rétrécit le marché mondial et crée par là même les conditions de nouvelles crises plus puissantes.

En résumé : par la nature même du salariat et du profit capitaliste, le capital ne peut fournir à ses salariés les moyens d'acheter tout ce qu'il produit. Les acheteurs de ce qu'elle ne peut vendre à ses exploités, la bourgeoisie les trouve dans les secteurs et les nations où ne domine pas le capitalisme. Mais en vendant sa production à ces secteurs, elle les oblige à adopter le mode de production bourgeois, ce qui les élimine comme débouchés et engendre à son tour le besoin de nouveaux débouchés.

"Depuis plusieurs décennies, -écrit Marx dans le Manifeste  de 1848- l'histoire de l'industrie et du commerce n'est que l'histoire de la révolte des forces productives contre les rapports de production modernes, contre le système de propriété qui est la condition d'existence de la bourgeoisie et de son régime. Il suffit de rappeler les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l'existence de la société bourgeoise. Dans ces crises, une grande partie, non seulement des produits déjà créés, mais encore des forces productives existantes est livrée à la destruction. Une épidémie sociale éclate, qui, dans toute autre époque, eut semblé absurde : l'épidémie de la surproduction. Brusquement, la société se voit rejetée un état de barbarie momentanée : on dirait qu'une famine, une guerre de destruction universelle qui ont coupé les vivres ; l'industrie, le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de vivres, trop d'industrie, trop de commerce...".

"... Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D'une part en imposant la destruction d'une masse de forces productives ; d'autre part en s'emparant de marchés nouveaux et en exploitant mieux les anciens. Qu’est--ce à dire ? Elle prépare des crises plus générales et plus profondes, tout en réduisant les moyens de les prévenir." (Souligné par nous).

Qu'entendent Marx et Engels par "s'emparer de marchés nouveaux" ? Le Manifeste répond :

"Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe. Partout elle doit s'incruster, partout il lui faut bâtir, partout elle établit des relations... Le bas prix de ses marchandises est la grosse artillerie avec laquelle elle démolit toutes les murailles de Chine et obtient la capitulation des barbares les plus opiniâtrement xénophobes. Elle contraint toutes les nations, sous peine de courir à leur perte, d'adopter le mode de production bourgeois ; elle les contraint d’importer chez elles ce qui s'appelle la civilisation, autrement dit : elle fait des nations de bourgeois. En un mot, elle crée un monde à son image... De même qu'elle a subordonné la campagne à la ville, elle a assujetti les pays barbares et demi-barbares aux pays civilisés, les nations paysannes aux nations bourgeoises, l'Orient à l'Occident.".

Comment cette conquête du monde constitue le moyen pour la bourgeoisie de surmonter ses crises et en même temps sa condamnation à des "crises plus générales et plus profondes" ? Dans Travail Salarié et Capital  Marx répond :

"C'est que la masse des produits et donc le besoin de débouchés s'accroît, alors que le marché  mondial se rétrécit ; c'est que chaque crise soumet au monde commercial un marché non encore conquis ou peu exploité et restreint ainsi les débouchés." .

Ces formules constituent certainement un raccourci magistral de la théorie marxiste des crises. Ce n'est pas par hasard que Marx et Engels les formulent dans des documents qu'ils ont rédigés dans l'objectif de présenter à la classe ouvrière la quintessence des analyses des communistes. Ni Marx, ni Engels n'ont par la suite remis en question ces formulations, au contraire. Cependant, on ne trouve pas, dans la suite des travaux économiques de Marx un exposé systématique et achevé de ces thèses. Il y a à cela deux raisons majeures :

  • La première tient à la façon mime dont Marx avait conçu l'organisation de son étude sur l'économie. La partie consacrée au marché mondial et aux crises mondiales, il l'a toujours envisagée comme devant être la dernière. Or, comme on le sait, il est mort avant de pouvoir mener à leur terme ses travaux sur l'économie.
  • La deuxième raison, qui en fait explique en partie la première, tient aux conditions historiques qui ont caractérisé la période vécue par Marx.

En effet, la période historique du 19ème siècle est celle qui voit l'apogée du mouvement de constitution du marché mondial. "La bourgeoisie envahit toute la surface du globe... et crée un monde à son image" constate Marx. Mais le mouvement de constitution du marché mondial n'est pas encore réellement achevé. Le mouvement décrit par Marx suivant lequel le capital "soumet au monde commercial un marché mondial non encore conquis ou peu exploité et restreint ainsi les débouchés", ce mouvement au travers duquel "le marché mondial se rétrécit", ce mouvement historique qui fait que la bourgeoisie "prépare des crises plus générales et plus profondes tout en réduisant les moyens de les prévenir", ce mouvement donc n'est pas encore parvenu au point critique où le marché mondial est tellement rétréci, que la bourgeoisie ne dispose plus de moyens pour prévenir et surmonter ses crises. Le rétrécissement du marché mondial, la restriction des débouchés, n'a pas encore atteint un niveau qui rend la crise du capitalisme un phénomène permanent.

Les crises du 19ème siècle que Marx décrit sont encore des crises de croissance, des crises dont le capitalisme sort à chaque fois renforcé. Les crises commerciales dont parle Marx "qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l'existence de la société bourgeoise", ne sont pas encore des râles d'agonie -comme Marx le reconnaîtra d'ailleurs lui-même quelques années plus tard dans la préface de : Les luttes de classes en France- mais des crises de développement. Au 19ème siècle, comme le dit encore Marx, "la bourgeoisie surmonte ses crises en s'emparant de nouveaux marchés et en exploitant mieux les anciens". Cela lui est possible parce que le marché mondial est encore en constitution. Après chaque crise, il y a encore des débouchés nouveaux à conquérir par les pays capitalistes.

Ainsi, par exemple, de 1860 à 1900, l'Angleterre colonise encore près de 7 millions de milles carrés de territoires, peuplés par 164 millions de personnes (ce qui triple la surface et double la population de son empire) et la France accroit son empire de 3,5 millions de milles carrés et de 53 millions d'habitants (ce qui multiplie par 18 l'étendue et par 16 la population de ses colonies).

Marx assiste au mouvement de développement des contradictions du capitalisme et il définit la contradiction fondamentale qui d'une part IMPULSE ce mouvement et d'autre part le CONDAMNE à une impasse, Marx décèle dans le capitalisme à l'apogée de sa puissance historique, la maladie qui le condamnera à mort. Mais cette maladie ne présentait pas encore à ce stade de développement un caractère mortel. Et de ce fait, Marx ne parvint pas à en étudier tous les aspects.

De même que pour mesurer la résistance d'un matériau, il faut le solliciter jusqu'au point de rupture, de même que pour comprendre toutes les fonctions d'une substance nutritive sur un être vivant il faut en priver celui-ci jusqu'au point où le manque se fait sentir dans toutes ses conséquences, de même il fallait que le marché mondial se soit rétréci au point de bloquer de façon définitive l'épanouissement du capitalisme pour que puisse être analysée dans toute sa complexité sa contradiction fondamentale.

Il faudra attendre le début du 20ème siècle et l'exacerbation des antagonismes entre pays capitalistes pour la conquête de nouveaux débouchés au point de conduire à la préparation de la guerre mondiale, pour que l'analyse du problème franchisse une nouvelle étape et atteigne un niveau plus élevé de compréhension. C'est ce qui sera fait dans les débats sur l'impérialisme.

Marx n'avait pas pour autant cessé toute analyse des contradictions internes du capitalisme après le Manifeste. Dans Le Capital, on retrouve à plusieurs reprises des études détaillées des conditions des crises capitalistes. Mais dans presque toutes ces études, il fait explicitement abstraction du marché mondial  renvoyant le lecteur à une étude ultérieure qu'il devait entreprendre sur la question. Plutôt qu'une vision totale du monde capitaliste, qui ne pouvait être autre que celle du marché mondial, il analyse des mécanismes internes au "processus d'ensemble du capital", abstraction faite de tous ces secteurs de l'économie mondiale qu'il nommait dans le Manifeste "les débouchés nouveaux".

Il en est ainsi, en particulier, de la fameuse LOI DE LA BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT". Cette loi, qu'il a découverte, met en évidence les mécanismes à travers lesquels, en l'absence d'un certain nombre de facteurs contraires, l'élévation de la composition organique du capital (c'est-à-dire l'accroissement de la productivité du travail par l'introduction dans le processus de production d'une proportion croissante de travail mort -machine en particulier- par rapport au travail vivant), conduit le taux de profit du capitaliste à la baisse. Elle décrit les mécanismes économiques qui traduisent au niveau du taux de profit du capital, la contradiction entre, d'une part le fait que le profit capitaliste ne peut être tiré que du travail vivant contenue dans chaque marchandise capitaliste diminue en permanence au profit de celle du travail mort. Dans un monde sans ouvriers où seules les machines produiraient, le profit capitaliste serait un non-sens. La loi de la baisse tendancielle du taux de profit décrit comment, en mécanisant et automatisant de plus en plus la production, le capitaliste doit recourir à une série de mesures pour empêcher la tendance à la baisse de devenir effective.

Marx a ébauché l'étude de ces mesures destinées à enrayer cette baisse et qui font de la loi une loi tendancielle et non absolue. Or, les principaux facteurs qui contrecarrent cette loi sont eux-mêmes dépendants de la capacité du capital à étendre l'échelle de sa production, et donc de sa capacité à se procurer des débouchés nouveaux.

Qu'il s'agisse des facteurs qui compensent la baisse du taux de profit par l'augmentation de la masse du profit, ou qu'il s'agisse des facteurs qui empêchent cette baisse par l'accroissement du degré d'exploitation de l'ouvrier (élévation du taux de plus-value) grâce à l'élévation de la productivité sociale (baisse des salaires réels, extraction croissante de plus-value relative), ces deux types de facteurs fondamentaux ne peuvent jouer que si le capitaliste trouve en permanence de nouveaux débouchés lui permettant d'accroître l'échelle de sa production et donc :

  1. augmenter la masse des profits ;
  2. accroître l'extraction de plus-value relative.

C'est pourquoi Marx insiste tant sur le caractère tendanciel  et non absolu de cette loi. C'est pourquoi aussi au cours de son exposé de la loi et des facteurs qui la contrecarrent. Il renvois à plusieurs reprises le lecteur à des travaux ultérieurs.

La loi de la baisse tendancielle du taux de profit décrit en réalité la course entre deux mouvements parallèles dans la vie du capitalisme : le mouvement vers la mécanisation et l'automatisation croissante du processus de production d'une part, et le mouvement du capitalisme vers une intensification toujours plus grande de l'exploitation du prolétariat d'autre part ([3] [81]). Si la mécanisation de la production capitaliste se développe plus rapidement que la capacité du capital à intensifier l'exploitation du prolétariat, le taux de profit baisse. Si, par contre, l'intensification de l'exploitation se développe plus vite que le rythme de mécanisation de la production, le taux de profit tend à augmenter.

En décrivant cette course contradictoire, la loi de la baisse tendancielle du taux de profit met en lumière un phénomène réel. Mais elle ne décrit pas par elle-même tous les éléments de la réalité de ce phénomène, ses causes et ses freins. Aux questions fondamentales : qu'est-ce qui détermine la vitesse de chacun de ces mouvements ? Qu’est-ce qui engendre et entretient la course à la modernisation du processus de production ? Qu’est-ce qui provoque en permanence le mouvement d'intensification de l'exploitation ? A ces questions, la loi de la baisse tendancielle du taux de profit ne répond pas et ne prétend d'ailleurs pas répondre. La réponse se trouve dans la spécificité historique fondamentale du capitalisme, à savoir, son caractère de système marchand et universel.

Le capitalisme n'est pas le premier mode de production dans l'histoire à connaître l'échange marchand et l'argent. Dans le mode de production esclavagiste, tout comme dans le féodalisme, l'échange marchand existait, mais il ne régissait alors que certains aspects, toujours limités, de la vie productive sociale. Ce qui est spécifique au système capitaliste, c'est sa tendance à universaliser cet échange, non seulement à toute la planète, mais aussi et surtout à tous les domaines de la production sociale, et tout particulièrement à la force de travail. Ni l'esclave, ni le serf ne vendaient leur force de travail. La part qui leur revenait dans la production sociale dépendait d'une part de la production réalisée, d'autre part des règles en usage pour cette répartition.

Dans le capitalisme, l'ouvrier vend sa force de travail. La part qui lui revient dans la production sociale est déterminée par la loi du salaire, c'est-à-dire par la valeur de sa force de travail transformée par le capital en marchandise. Sa "part" n'est que l'équivalent du coût de sa force de travail pour le capitaliste, et encore à condition qu'il ne soit pas au chômage (ce qui ne se posait ni pour le serf, ni pour l'esclave). C'est pourquoi le capitaliste peut connaître cette situation, inconnue auparavant dans l'histoire, d'être en SURPRODUCTION, c'est-à-dire dans une situation où les exploiteurs se retrouvent avec "TROP" de produits, "TROP" de richesses entre les mains, qu'ils ne parviennent pas à réintroduire dans le processus de production.

Ce problème ne se pose pas au capital tant qu'il dispose de marchés autres que ceux constitués par ses propres salariés. Mais de ce fait même, la vie de chaque capitaliste se confond avec une course permanente aux marchés. La CONCURRENCE entre capitalistes, cette caractéristique essentielle de la vie du capital, n'est pas une concurrence pour des honneurs ou des idéaux, mais pour des MARCHES. Un capitaliste sans marchés est un capitaliste mort. Même un capitaliste qui parviendrait le miracle biologique de faire travailler ses ouvriers gratuitement (réalisant alors un taux d'exploitation infiniment grand et donc un taux de profit aussi énorme, ferait faillite du moment qu'il ne parviendrait pas à écouler les marchandises créées par ses exploités. C'est pourquoi la vie du capital est constamment confrontée au choix : conquérir des marchés ou mourir.

Telle est la concurrence capitaliste à laquelle aucun capital ne peut échapper. C'est cette concurrence pour des marchés (ceux qui existent déjà comme ceux à conquérir) qui contraint impitoyablement chaque capitaliste à chercher à produire à des coûts toujours plus bas. Le bas prix des marchandises est non seulement "la grosse artillerie" avec laquelle le capital "démolit toutes les murailles de Chine", qui encerclent les secteurs extra-capitalistes, mais aussi l'arme économique essentielle de la concurrence entre capitalistes.

C’est cette lutte pour baisser les prix de leurs marchandises afin de maintenir ou conquérir des marchés, qui constitue le moteur des deux mouvements dont la vitesse détermine le taux de profit. Les deux moyens principaux dont dispose le capital pour baisser ses couts de production sont en effet :

  1. la plus grande mécanisation de son appareil productif ;
  2. la diminution de ses coûts de main d’œuvre, c'est-à-dire une intensification de l'exploitation.

Un capitaliste ne modernise pas ses usines par goût d'un idéal de modernisme quelconque, mais parce qu'il y est contraint, sous peine de mort, par la concurrence sur les marchés. Il en est de même pour la contrainte d'intensifier l'exploitation de la classe ouvrière.

Qu'on envisage donc la baisse tendancielle du taux de profit du point de vue des forces qui la provoquent, ou qu'on l'envisage du point de vue des facteurs qui la modèrent et la contrarient, on a toujours affaire à un phénomène dépendant de la lutte du capital pour de nouveaux marchés.

La contradiction économique exprimée par cette loi, comme toutes les autres contradictions économiques du système, se résolvent toujours dans la contradiction fondamentale entre d'une part la nécessité pour le capital d'élargir toujours plus la production, et d'autre part le fait qu'il ne peut jamais créer en son propre sein, en donnant à ses salariés le pouvoir d'achat nécessaire, les débouchés indispensables à cet élargissement.

C'est pourquoi, après avoir exposé la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, Marx écrit (deux sections plus loin, dans le même 3ème Livre du Capital) :

"Le pouvoir de consommation des travailleurs est limité en partie par les lois du salaire, en partie par le fait qu'ils ne sont employés qu'aussi longtemps que leur emploi est profitable pour la classe capitaliste. La raison unique de toutes les crises réelles, c'est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses, face à la tendance de l'économe capitaliste à développer les forces productives comme si elles n'avaient pour limite que le pouvoir de consommation absolu de la société." ([4] [82])

Comme on l'a déjà dit, et pour les raisons que nous avons exposé (la mort de Marx avant d'avoir mené à bout son étude sur l'économie, les limites de la période historique qu'il vivait), Marx n'a pas pu développer et systématiser l'analyse de "la raison ultime de toutes les crises réelles" du capitalisme. Mais du Manifeste au 3ème Livre du Capital, son énoncé reste le même.

Une théorie sous-consommationniste ?

Afin de mieux préciser le contenu de ce que Marx a effectivement formulé -et au risque de faire encore des concessions aux débats d'exégètes- il nous faut ici répondre à un des derniers arguments développés par un des défenseurs les plus connus de l'idée suivant laquelle la baisse tendancielle du taux de profit constituerait la seule théorie des crises de Marx. D'après Paul -Mattick, dans son livre Crise et théories des crises, les formulations de Marx se référant aux problèmes des marchés provoqués par la consommation inévitablement restreinte des travailleurs, seraient, soit des "fautes de plume", soit des concessions aux théories sous-consommationnistes en particulier de Sismondi.

Marx a critiqué la théorie sous-consommationniste de Sismondi., Mais ce qu'il a rejeté dans cette théorie, ce n'est pas l'idée suivant laquelle le capitalisme est confronté à des problèmes de marché du fait même qu'en élargissant son champ d'action, il restreint toujours en permanence la capacité d'achat et la consommation des travailleurs ; ce que Marx rejette des théories sous-consommationnistes c'est :

  1. le fait qu'elles envisagent la "sous-consommation" ouvrière comme quelque chose qui pourrait être évité dans le cadre du capitalisme, par des augmentations de-salaires ; montre comment, dans la réalité, c'est exactement l'inverse qui se produit : plus les capitalistes sont confrontés à la surproduction et au manque de marchés, et plus ils réduisent les salaires des ouvriers ; pour que le capitalisme puisse résoudre ses crises par des augmentations de salaires, il faudrait que la concurrence qui le contraint à réduire toujours plus ses coûts salariaux disparais se, bref il faudrait que le capitalisme ne soit pas le capitalisme ;
  2. Sismondi était en fait l'expression au 19ème siècle de la petite bourgeoisie condamnée par le capitalisme à la prolétarisation ; au bout de sa théorie, il y avait la revendication d'un capitalisme qui ne 'détruise pas la petite bourgeoisie; la théorie sous-­consommationniste de Sismondi' cherchait à démontrer non pas la nécessité pour l'humanité de se libérer de l'échange marchand et donc du salariat pour permettre un épanouissement libre des forces productives dans une société communiste, mais a préconiser un retour en arrière dans l'histoire en freinant la croissance capitaliste qui balaie sur son passage tous les secteurs précapitalistes de la petite bourgeoisie ; si le capitalisme parvenait à contrôler cette soif de croissance aveugle, dit Sismondi, le problème de trouver en permanence des débouchés nouveaux ne se poserait pas... et la petite bourgeoisie agricole, artisanale et commerciale pourrait survivre ; c'est cette vision utopique et réactionnaire que Marx rejette en démontrant qu'elle aboutit ici encore, à nier la réalité et à rêver d'un capitalisme qui ne peut exister.

En résumant le fond de la critique de Marx aux sous-consommationnistes, on peut dire que celui-ci ne rejette pas le problème économique qu'ils posent mais :

  1. la façon dont ils le posent,
  2. les réponses qu'ils lui donnent.

La théorie des crises de Marx place au centre de son analyse le problème de l'incapacité pour le capitalisme de créer tous les débouchés nécessaires à son expansion et donc celui de la consommation restreinte des masses de travailleurs. Mais elle n'est pas pour autant une théorie "sous-consommationniste".

DE MARX AUX DÉBATS SUR L'IMPERIALISME

Le dernier quart du 19ème siècle constitua sans aucun doute l'apogée historique du capitalisme. Le colonialisme capitaliste domine presque entièrement la planète. Le capitalisme se développe à des rythmes sans précédent aussi bien en extension qu'en productivité interne. Les luttes syndicales et parlementaires du mouvement ouvrier parviennent à arracher de véritables réformes durables au capitalisme. Les conditions d'existence du prolétariat connaissent dans les pays les plus développés des améliorations certaines en même temps que l'expansion foudroyante du capital mondial semble avoir relégué aux souvenirs du passé les grandes crises économiques.

Dans le mouvement ouvrier se développe alors le "révisionnisme", c'est-à-dire des tendances remettant en question l'idée de Marx du capitalisme condamné à des crises mortelles et mettant en avant la possibilité de passer au socialisme graduellement, pacifiquement par des réformes sociales progressives. Le mot de Bernstein "Le mouvement est tout, le but n'est rien" en résume le contenu.

En 1901, un des principaux "marxistes" révisionnistes, le professeur russe Tougan-Baranovsky, publie un livre soutenant l'idée que les crises du capitalisme découlaient non pas d'un défaut de consommation solvable par rapport à la capacité d'extension de la production capitaliste, mais d'une simple dis-proportionnalité entre les différents secteurs, dis-proportionnalité qui pouvait être évitée au moyen des interventions adéquates des gouvernements. Il s'agissait en fait d'une reprise d'une des thèses fondamentales de l'économie bourgeoise, formulée par J.B.Say, selon laquelle le capitalisme ne peut jamais connaître de véritables problèmes de marchés.

Ces thèses donnèrent lieu à un débat qui porta la Social-Démocratie à se pencher à nouveau sur la cause des crises. Il revint à Kautsky, qui était encore alors le porte-parole le plus reconnu dans tout le mouvement ouvrier des théories de Marx, de répondre à Tougan-Baranovsky. Nous citons ici un extrait de l'article de réponse de Kautsky qui met en évidence comment à cette époque encore il ne faisait aucun doute dans le mouvement ouvrier que la cause des crises du capitalisme résidait bien dans son incapacité à créer les débouchés nécessaires à son expansion.

"Les capitalistes et les ouvriers qu'ils exploitent constituent un marché pour les moyens de consommation produits par l'industrie, marché qui s'agrandit avec l'accroissement de la richesse des premiers et le nombre des seconds, moins vite cependant que l'accumulation du capital et que la productivité du travail, et qui ne suffit pas d lui seul pour absorber les moyens de consommation produits par la grande industrie capitaliste. L'industrie doit chercher des débouchés supplémentaires d l'extérieur de sa sphère dans les professions et les nations qui ne produisent pas encore selon le mode capitaliste. Elle les trouve et les élargit sans cesse, mais trop lentement. Car ces débouchés supplémentaires ne possèdent pas, et de loin, l'élasticité et la capacité d'extension de la production capitaliste.

Depuis le moment où la production capitaliste s'est développée en grande industrie, comme c'était le cas en Angleterre au 19ème siècle, elle possède la faculté d'avancer par grands bonds, si bien qu'elle dépasse en peu de temps l'extension du marché. Ainsi chaque période de prospérité qui suit une extension brusque du marché est condamnée d une vie brève, la crise y met un terme inévitable. Telle est en quelques mots la théorie des crises adoptée généralement, pour autant que nous le sachions, par  les "marxistes orthodoxes" et fondée par Marx." ([5] [83]).

Kautsky donne la dimension politique du débat en écrivant dans le même article de 1902 :

"Ce n'est pas par hasard que le révisionnisme a attaqué avec une violence particulière la théorie des crises de Marx."(Le révisionnisme veut faire du parti prolétarien) un parti démocratique où l'aile gauche du parti démocratique des réformes sociales."

Cependant, pour autant que cette théorie résumée "en quelques mots" par Kautsky fut "généralement adoptée" dans le mouvement ouvrier marxiste, personne n'avait entrepris de la développer de façon plus systématique comme se l'était proposé Marx.

C'est ce que tenta de faire Rosa Luxemburg dans les débats sur la nature de l'impérialisme à l'époque de l'explosion de la 1ère Guerre Mondiale.

LES DEBATS SUR L'IMPERIALISME

Le début du 20ème siècle voit l'achèvement des tendances contradictoires décelées par Marx. Le capital a effectivement étendu sa domination au monde entier. Il n'est pour ainsi dire plus un kilomètre carré de territoire sur la planète qui ne soit sous les griffes de l'une ou l'autre des métropoles impérialistes. Le processus de constitution du marché mondial, c'est-à-dire l'intégration de toutes les économies du monde dans un même circuit de production et d'échange, a atteint un degré tel que la lutte pour les derniers territoires non capitalistes devient une question de vie ou de mort pour tous les pays.

De nouvelles puissances, telles l'Allemagne, le Japon, les Etats-Unis, sont devenues capables de concurrencer la toute-puissante Angleterre sur le plan industriel, et cependant, dans le partage colonial du monde, elles sont quasiment inexistantes. Aux quatre coins de la planète, les antagonismes entre toutes les puissances s'exacerbent. De 1905 à 1913, à cinq reprises les antagonismes éclatent en incidents où la marche à la guerre généralisée apparaît de plus en plus comme la seule solution que peut trouver le capitalisme pour se partager le marché mondial. Enfin, l'explosion de la 1ère Guerre Mondiale vint marquer par le plus grand holocauste que l'humanité n'avait jamais connu dans son histoire, l'impossibilité pour le capitalisme de continuer à vivre comme il l'avait fait jusqu'alors. Les nations capitalistes ne peuvent plus se développer parallèlement les unes aux autres, laissant le libre échange et les courses d'explorateurs régler l'étendue de leur domination. Le monde est devenu trop restreint pour trop d'appétits capitalistes. Le libre échange doit laisser la place à la guerre et les explorateurs aux canons. Le développement d'une nation capitaliste ne pourra se faire qu'aux dépens d'une ou plusieurs autres. Il n'y a plus de véritable possibilité d'élargir le marché mondial. Celui-ci ne pourra plus être que repartagé de façons différentes. Le capitalisme ne pourra donc plus vivre que par des guerres et des préparations de guerres pour ces partages et repartages.

"Pour la première fois, le monde se trouve entièrement partagé, si bien qu'à l'avenir il pourra uniquement être question de nouveaux partages c'est-à-dire du passage d'un "possesseur" à à un autre, et non de la "prise de possession" de territoires sans martre".

(Lénine - L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme)

Sans destruction du capitalisme mondial, l'humanité est condamnée à vivre dans une situation de guerre quasi permanente. "Socialisme ou Barbarie" devient le mot d'ordre de tous les révolutionnaires.

La troisième Internationale se constitue en 1919 sur la base de la reconnaissance et de la compréhension de ce changement, cette rupture historique de caractère qualitatif. Ainsi, le premier point de la Plateforme de l'Internationale Communiste déclare :

"Les contradictions du système mondial, auparavant cachées en son sein, se sont révélées avec une force inouïe en une formidable explosion : la grande guerre impérialiste mondiale. ... UNE NOUVELLE EPOQUE EST NEE. EPOQUE DE DESA­GREGATION DU CAPITALISME, DE SON EFFONDREMENT INTERIEUR. EPOQUE DE LA REVOLUTION COMMUNISTE DU PROLETARIAT".

Par ces formules, l'I.C. réaffirmait sa rupture avec les tendances réformistes et patriotardes qui s'étaient développées au sein de la IIe Internationale et qui venaient de conduire le prolétariat à la boucherie inter-impérialiste au nom de la possibilité d'un développement continu des forces productives qui permettrait un passage pacifique du capitalisme au socialisme.

L'I.C. affirmait clairement :

  1. que la guerre mondiale n'était pas un choix que le capitalisme aurait pu éviter mais la conséquence inévitable, la révélation violente de ses contradictions internes, "auparavant cachées en son sein";
  2. que cette guerre n'avait pas été une guerre comme les guerres capitalistes précédentes. Elle marquait la fin d'une ère et l'ouverture d'une nouvelle époque, "l'époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur";
  3. l'I.C. affirmait enfin que l'entrée du capitalisme dans cette époque de déclin, correspond historiquement à la mise à l'ordre du jour de la révolution prolétarienne, à l'ouverture de l'"époque de la révolution communiste du prolétariat":

Toute l'Internationale Communiste reconnaissait donc dans la Première Guerre Mondiale la manifestation du fait que le développement des contradictions internes du capitalisme avait atteint un point de non retour historique.

Cependant si tous les révolutionnaires marxistes partageaient ces conclusions, il n'en était pas de même des analyses qui devaient rendre compte de la nature précise de ces contradictions et de leur développement.

Au sein de ce qui avait constitué la Gauche de la IIIe Internationale, avaient été développées deux théories principales concernant l'analyse de l'impérialisme et des contradictions économiques du capitalisme qui l'engendrent. L'une, celle de Rosa Luxemburg , développée dans L'Accumulation du  Capital (1912) puis dans La crise de la social-démocratie allemande, écrit en prison pendant la guerre ; l'autre, celle de Lénine dans L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916).

Pour les deux théories, l'analyse de l'impérialisme et celle des contradictions fondamentales du capitalisme n'étaient que deux aspects d'une même question. Leurs travaux visent les conceptions sociale-démocrates patriotardes qui défendent un pacifisme de parade derrière l'illusion de la possibilité d'empêcher la guerre impérialiste et l'impérialisme lui-même par des luttes légales parlementaires susceptibles d'influencer la politique du gouvernement. Pour Rosa Luxembourg comme pour Lénine, il est impossible d'empêcher la guerre autrement qu'en détruisant le capitalisme, car l'impérialisme n'est que la conséquence des contradictions internes du capitalisme. Répondre à la question : qu'est-ce-que l'impérialisme ? Impliquait donc répondre à cette autre question : quelle est la contradiction fondamentale que le capitalisme cherche à pallier par sa politique impérialiste ?

LA REPONSE DE ROSA LUXEMBURG

La réponse de Rosa Luxemburg se veut -et nous pensons qu'elle le constitue- une poursuite des travaux de Marx sur le développement du capitalisme en le considérant non plus sous la forme abstraite et simplifiée d'un système pur, fonctionnant dans un monde où il n'y aurait 'que des ouvriers et des capitalistes, mais sous sa forme historiquement concrète, c'est-à-dire comme cœur et partie du marché mondial. Sa réponse constitue un développement systématique de l'analyse des crises de Marx, à peine ébauchée du Manifeste au Capital. Dans L'Accumulation du Capital, elle entreprend une analyse de la question de la croissance capitaliste en rapport avec le reste du monde, non capitaliste, en passant au crible d'une méthode marxiste parfaitement maîtrisée, les grandes étapes historiques de cette croissance, puis les différentes approches théoriques du problème.

Sa réponse à la question de l'impérialisme est la simple actualisation des analyses du Manifeste Communiste, soixante ans plus tard. Le capitalisme ne peut pas  créer lui-même, en son propre sein, les débouchés nécessaires à son expansion. Les ouvriers, les capitalistes et leurs serviteurs directs, ne peuvent acheter qu'une partie de la production réalisée. La partie de la production qu'ils ne consomment pas, c'est-à-dire, cette partie du profit qui doit être réinvestie dans la production, le capital doit la vendre à quelqu'un en dehors des agents qu'il soumet à sa domination directe et qu'il paie de ses propres deniers. Ces acheteurs il ne peut les trouver que dans les secteurs qui produisent encore suivant des modes de production précapitalistes.

Le capital s'est développé en vendant le surplus du produit de leurs manufactures d'abord aux seigneurs féodaux, puis aux secteurs artisanaux et agricoles arriérés, enfin aux nations "sauvages", précapitalistes, qu'il a colonisées.

Ce faisant, le capital a éliminé les seigneurs, transformé les artisans et les paysans en prolétaires ; dans les nations précapitalistes il a prolétarisé une partie de la population et réduit le reste à l'indigence en détruisant avec le bas prix de ses marchandises les anciennes économies de subsistance.

Pour Rosa Luxemburg, l'impérialisme est essentiellement la forme de vie que prend le capitalisme lorsque les marchés extra-capitalistes devenant trop restreints pour les besoins d'expansion d'un nombre croissant de puissances toujours plus développées, celles-ci sont contraintes à des affrontements permanents et de plus en plus violents pour trouver une place dans le partage du marché mondial.

"L'impérialisme actuel... est la dernière étape du processus historique (du capitalisme) : la période de concurrence mondiale accentuée et généralisée des Etats capitalistes autour des derniers restes de territoires non capitalistes du globe".

(R. Luxemburg - Critique des critiques, ed. Maspé­ro, p. 229).

La contradiction fondamentale du capitalisme, c'est-à-dire CELLE QUI EN DERNIERE INSTANCE DETER­MINE LES LIGNES DE FORCE DE L'ACTION ET LA VIE DU CAPITALISME, est celle entre d'une part, le besoin permanent d'expansion du capital de chaque nation sous la contrainte de la concurrence et d'autre part le fait qu'en se développant, en généralisant l'instauration du salariat, il restreint les débouchés indispensables à cette expansion.

"Par ce processus, le capital prépare doublement son propre effondrement : d'une part en s'étendant aux dépens des formes de production non capitalistes, il fait avancer le moment où l'humanité toute entière ne se composera plus effectivement que de capitalistes et de prolétaires et où l'expansion ultérieure, donc l'accumulation, deviendront impossibles. D'autre part, à mesure qu'il avance, il exaspère les antagonismes de classe et l'anarchie économique et politique internationale d tel point qu'il provoquera contre sa domination la rébellion du prolétariat international BIEN AVANT QUE L'EVO­LUTION ECONOMIQUE AIT ABOUTI A SA DERNIERE CONSE­QUENCE : la domination absolue et exclusive de la production capitaliste dans le monde". (Rosa Luxemburg - Critique des critiques, p.152).

Le terme final de cette contradiction théorique ne sera jamais atteint, précise Rosa Luxembourg, car "l'accumulation du capital n'est pas seulement un processus économique mais un processus politique".

"L'impérialisme est d la fois une méthode historique pour prolonger les jours du capital et le moyen le plus sûr et le plus rapide d'y mettre objectivement un terme. Cela ne signifie pas que le point final ait besoin à la lettre d'être atteint. La seule tendance vers ce but de l'évolution capitaliste se manifeste déjà par des phénomènes qui font de la phase ultime du capitalisme une période de catastrophes". (Rosa Luxemburg - L'accumulation du capital, ed. Maspéro, p. 364).

L'exacerbation des antagonismes inter-impérialistes pour la conquête de colonies à la fin du XIXe siècle et début du XXe, avait contraint Rosa Luxemburg, plus que Marx, à se pencher sur l'analyse de l'importance des secteurs non capitalistes pour la croissance du capitalisme. Le recul de l'histoire et les spécificités de la période historique qui la séparait de Marx ont fondé sa conviction de poursuivre par ses travaux l'analyse du maître.

Cependant, en développant son analyse, Rosa Luxemburg a été conduite à faire la critique des travaux de Marx sur la reproduction élargie (en particulier les schémas mathématiques) dans le IIe livre du Capital. Cette critique consistait surtout à montrer d'une part le caractère inachevé de ces travaux que l'on avait trop tendance à présenter comme définitifs et achevés ; d'autre part, à mettre en évidence que le postulat théorique sur lequel ils pétaient fondés -étudier les conditions de l'élargissement de la reproduction capitaliste en faisant abstraction du milieu non capitaliste qui l'entoure, c'est-à-dire en considérant le monde comme un monde purement capitaliste- ne permettait pas de comprendre le problème dans sa totalité.

La publication des travaux de Rosa Luxemburg à la veille de la guerre mondiale provoqua au sein de l'appareil officiel de la Social-Démocratie allemande une réaction extrêmement violente et énergique souvent sous prétexte de "sauvegarder" l’œuvre de Marx : Rosa aurait inventé un problème là où il n'y en avait pas ; le problème des marchés serait un faux problème ; Marx l'aurait "démontré" par ses fameux schémas sur fa reproduction élargie, etc. et au bout de toutes ces critiques "officielles", la thèse des futurs patriotes : l'impérialisme n'est pas inévitable dans le capitalisme.

LA REPONSE DE LENINE

L'analyse de Lénine dans L'Impérialisme, stade  suprême du capitalisme, écrit en 1916, ne se réfère pas aux travaux de Rosa Luxemburg et ne traite la question des marchés que de façon accessoire. Pour démontrer le caractère inévitable de l'impérialisme dans le capitalisme "en putréfaction", Lénine met l'accent sur le phénomène de concentration accélérée du capital au cours des décennies qui ont précédé la guerre. En cela son analyse reprend la thèse de Hilferding, Le Capital financier (1910), suivant laquelle ce phénomène de concentration constitue l'élément essentiel de l'évolution du capitalisme à cette époque.

"Si l'on devait définir l'impérialisme aussi brièvement que possible, écrit Lénine, il faudrait dire qu'il est le stade monopoliste du capitalisme."

Lénine définit cinq caractères fondamentaux de l'impérialisme : "Aussi, sans oublier ce qu'il y a de conventionnel et de relatif dans toutes les définitions en général, qui ne peuvent jamais embrasser les liens multiples d'un phénomène dans l'intégralité de son développement, devons-nous donner de l'impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants : 1) concentration de la production et du capital parvenu à un degré de développement si élevé qu'elle a créé les monopoles, dont le râle est décisif dans la vie économique ; 2) fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création sur la base de ce "capital financier" d'une oligarchie financière ; 3) l'exportation de capitaux, d la différence de l'exportation de marchandises, prend une importance toute particulière ; 4) formations d'unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde, et ; 5) fin du partage territorial du globe entre les grandes puissances capitalistes." (chap.VII).

De ces cinq "caractères fondamentaux", trois ont trait à la concentration croissante du capitalisme au niveau national et international. Pour Lénine, la contradiction fondamentale du capitalisme, celle qui le conduit au stade de l'impérialisme et de la "putréfaction", est celle entre sa tendance au "mo­nopolisme" qui fait devenir la production capitaliste toujours plus sociale, et les conditions générales du capitalisme propriété privée, production marchande, concurrence) qui les contredisent.

"Le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production ; il entraîne en quelque sorte les capitalistes, en dépit de leur volonté et sans qu'ils en aient conscience, vers un nouvel ordre social, intermédiaire entre l'entière liberté de la concurrence et la socialisation intégrale. La production devient sociale, mais l'appropriation reste privée. Les moyens de production sociaux restent la propriété privée d'un petit nombre d'individus. Le cadre général de la libre concurrence nominalement reconnue subsiste, et le joug exercé par une poignée de monopolistes sur le reste de la population devient cent fois plus lourd, plus tangible, plus intolérable." (chap. I)

Puis, dans le chapitre sur "Le parasitisme et la putréfaction du capitalisme" : "...la principale base de l'impérialisme est le monopole. Ce monopole est capitaliste, c'est-à-dire- né du capitalisme ; et, dans les conditions générales du capitalisme, de la production marchande, de la concurrence, il est EN CONTRADICTION PERMANENTE ET SANS ISSUE avec ces conditions générales."

Cette contradiction entre le caractère de plus en plus "social" que prend la production capitaliste au fur et à mesure qu'elle s'étend et se concentre, et d'autre part la subsistance de l'appropriation privée capitaliste, est une contradiction réelle du capitalisme, mise en évidence par Marx à plusieurs reprises. Mais par elle-même, elle est loin de rendre compte réellement ni de l'impérialisme ni des effondrements du capitalisme.

La tendance vers le "monopolisme" n'explique pas pourquoi à partir d'un certain degré de développement les pays capitalistes sont contraints à une guerre à mort pour les colonies. C'est au contraire la nécessité de mener une guerre de plus en plus âpre pour les colonies qui explique la tendance dans chaque nation capitaliste à l'unification et la concentration de tout le capital national. Les puissances capitalistes qui connaissent les concentrations les plus rapides et étendues ne sont justement pas celles qui possèdent les plus grands empires (Angleterre, France), mais celles qui doivent se faire une place dans le marché mondial (Allemagne, Japon).

En négligeant le problème des marchés pour le capitalisme, Lénine est conduit à prendre pour cause, de l'impérialisme ce qui en réalité n'est qu'une conséquence -tout comme l'impérialisme lui-même - de la lutte des capitalistes pour de nouveaux débouchés. De même il est amené à voir dans l'exportation de capitaux un phénomène fondamental de l'impérialisme ("à la différence de l'exportation de marchandises") alors que dans la réalité l'exportation de capitaux n'était qu'une des armes de la lutte entre puissances pour les marchés où placer leurs marchandises (Lénine le reconnaît d'ailleurs lui-même dans son ouvrage :

"L'exportation de capitaux devient ainsi un moyen d'encourager l'exportation de marchandises" chap.IV).

En prenant comme point de départ de son analyse les travaux de Hilferding sur le monopolisme, Lénine pouvait difficilement parvenir à des conclusions cohérentes avec ses prémisses. Hilferding était un des théoriciens de l'aile réformiste de la 2ème Internationale ; derrière l'importance démesurée qu'il donnait au phénomène de concentration du capital dans le capital financier, il y avait la volonté de démontrer la possibilité du passage au socialisme par des voies pacifiques et progressives. (D'après Hilferding, la concentration croissante imposée par le monopolis­me permettrait de réaliser au sein du capitalisme une série de mesures qui progressivement jetteraient les bases du socialisme : élimination de la concurrence, élimination de l'argent, élimination des nations...jusqu'au communisme). Tout l'effort théorique de Hilferding était tendu vers la démonstration de la fausseté de la voie révolutionnaire au communisme. Tout l'effort de Lénine visait l'inverse. En empruntant à Hilferding les bases de sa théorie sur l'impérialisme, Lénine ne pouvait aboutir à des conclusions révolutionnaires qu'en faisant subir à la théorie des contorsions contradictoires.

LA POSITION DE L'INTERNATIONALE COMMUNISTE

Dans sa plateforme, l'IC ne se prononce pas réellement sur le fond du débat. Cependant, l'explication esquissée de l'évolution du capitalisme vers son "effondrement intérieur" se réfère explicitement au mo­nopolisme et à l'anarchie du capitalisme, alors que la question des marchés n'est que signalée pour expliquer partiellement l'impérialisme.

"Le capitalisme a tenté de surmonter sa propre anarchie par l'organisation de la production. Au lieu de nombreuses entreprises concurrentes, se sont organisées de vastes associations capitalistes (syndicats, cartels, trust, le capital bancaire s'est uni au capital industriel, toute la vie économique est tombée sous le pouvoir d'une oligarchie financière capitaliste qui, par une organisation basée sur ce pouvoir, acquit une maîtrise exclusive. Le monopole supplante la libre-concurrence. Le capitaliste isolé se transforme en membre d'une association capitaliste. L'organisation remplace l’anarchie insensée.

Mais dans la mesure môme où, dans les Etats pris séparément, les procédés anarchiques de la production capitaliste étaient remplacés par l'organisation capitaliste, les contradictions, la concurrence, l'anarchie, atteignaient dans l'économie mondiale une plus grande acuité. La lutte entre les plus grands Etats conquérants conduisait, avec une inflexible nécessité, d’une monstrueuse guerre impérialiste. La soif  de bénéfices poussait le capitalisme mondial à la lutte pour la conquête de nouveaux marchés, de nouvelles sources de matières brutes, de la main  d’œuvre  bon marché des esclaves coloniaux. Les Etats impérialistes qui se sont partagés le monde entier, qui ont transformé des millions de prolétaires et de paysans d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, d'Australie en bêtes de somme, devaient révéler tôt ou tard dans un gigantesque conflit la nature anarchique du capital. Ainsi, se produisit le plus grand des crimes. La guerre du banditisme mondial."

Il serait difficile de dégager de ces formulations une idée vraiment claire sur les questions de l'impérialisme et des contradictions fondamentales du capitalisme. A la question des contradictions internes du système, l'IC répond, à la suite de Lénine et donc suivant l'influence de Hilferding, par l'évolution du système vers des monopoles. Et tout comme Lénine, elle affirme immédiatement l'impossibilité d'une évolution continue jusqu'à l'élimination des nations par des concentrations internationales successives. La concentration au niveau national conduit à ce que "les contradictions, la concurrence, l'anarchie, atteignent dans l'économie mondiale une plus grande acuité", laissant entendre encore comme Lénine, que cette tendance à la concentration est cause et non conséquence de l'exacerbation des "contradictions, concurrences et anarchie" internationales.

Quant aux politiques impérialistes de conquêtes, l'IC se contente de parler de "soif de bénéfices" qui "poussait le capitalisme mondial à la lutte pour la conquête de nouveaux marchés, de nouvelles sources de matières brutes, de la main d’œuvre à bon marché des esclaves coloniaux". Ce qui est juste, au niveau de la dénonciation des idéologies qui parlaient de l'impérialisme comme un moyen de porter "la civilisation", mais reste au niveau économique une pure description qui ne permet pas de comprendre en quoi l'impérialisme est lié à la contradiction fondamentale du capitalisme.

Enfin, quant à l'explication de la 1ère Guerre Mondiale, et des raisons de son explosion, l'IC se réfère tout comme Lénine et Rosa au fait que "les Etats impérialistes se sont partagés le monde entier" mais sans dire pourquoi le fait que ce partage soit achevé conduit inévitablement à la guerre, pourquoi ce partage ne pouvait pas s'accompagner d'une évolution parallèle des différentes puissances.

Quant à la question des crises de surproduction, du marché mondial, de son rétrécissement, etc. dont parlait le Manifeste, l'IC n'en dit mot.

L'Internationale Communiste ne parvient pas dans son ensemble à se mettre d'accord sur cette question. Les partis communistes en 191.9 avaient d'ailleurs d'autres problèmes bien plus urgents et importants à discuter : le prolétariat détenait le pouvoir en Russie, l'explosion de la révolution allemande avait été une confirmation de la vision des communistes d'après laquelle la guerre engendrerait un mouvement révolutionnaire international. Mais la défaite immédiate de ce premier assaut révolutionnaire en Allemagne posait la question de la force réelle de ce mouvement international. Dans une telle situation, la question de savoir les raisons théoriques de l'explosion de la guerre mondiale passaient au second plan. L'histoire s'était chargée de balayer dans la barbarie de la guerre et le feu de la révolution toutes les théories qui parlaient de développement continu du bien-être dans le capitalisme et du pas sage pacifique au socialisme.

La guerre, la plus violente forme de la misère humaine était là. Elle avait engendré un mouvement révolutionnaire international, et c'était inévitablement les questions concernant directement la lutte révolutionnaire qui passaient au premier plan.

Mais cela n'est pas la seule raison qui explique le fait que l'IC ne soit pas parvenue à un accord sur les, fondements des crises économiques du capitalisme. La 1ère Guerre Mondiale prend la forme d'une guerre totale, c'est-à-dire la forme d'une guerre qui, pour la première fois, exige la participation active non seulement des soldats sur le front, mais aussi de toute la population civile encadrée par un appareil d'Etat devenu l'omniprésent organisateur de la marche au massacre et de la production industrielle d'instruments de mort.

La monstrueuse réalité de la guerre se construisait avec des usines qui "tournaient à plein rendement", des dépenses de vies humaines, en uniformes ou non, qui faisaient "disparaitre le chômage". La réalité du premier holocauste qui coûta 24 millions de morts à l'humanité cachait, sous le vrombissement des usines produisant la destruction, le fait que le capitalisme n'était plus capable de produire. La sous-production d'armements cachait la surproduction de marchandises... Les ventes aux Etats pour la guerre cachaient le fait que les capitalistes ne pouvaient plus rien vendre d'autre. Ils devaient vendre pour détruire parce qu'ils ne pouvaient plus produire pour vendre.

Telle est certainement la raison majeure du fait surprenant de voir la plateforme de l'IC ne plus reprendre une virgule des formulations du Manifeste  sur la question soixante ans plus tôt à propos des crises de surproduction et du rétrécissement du marché mondial.

En conclusion, on peut dire que la nécessité d'expliquer l'impérialisme permit de poursuivre la compréhension développée par Marx. Mais les conditions mêmes de cette crise (mouvements prolétariens révolutionnaires qui font passer au second plan les préoccupations d'ordre théorico-économique, le caractère récent de la rupture communiste avec la 2ème Internationale et le poids de l'influence sur l'analyse des révolutionnaires des théoriciens social-démocrates réformistes, enfin le fait que la guerre dissimule des spécificités fondamentales de la crise du capitalisme, en particulier la surproduction) entravaient l'aboutissement à un accord sur le fond sur l'analyse des causes de la crise entre les révolutionnaires dans l'Internationale Communiste

 

R.V.


[1] [84] Ce n'est pas par prétention académique que le livre de Lénine L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme porte comme sous-titre : Essai de vulgarisation.

[2] [85] Sur cette question, lire les articles Marxisme et théories des crises, Théories économiques et  lutte pour le socialisme, Sur l'impérialisme (Marx,  Lénine, Boukharine, Luxemburg), Les théories des  crises dans la Gauche Hollandaise, dans la REVUE INTERNATIONALE, respectivement N° 13, 16, 19, 21.

[3] [86] En utilisant les notations de Marx, le taux de profit, c'est-à-dire le rapport entre le profit obtenu et le capital total dépensé, s'écrit : pl/c+v où pl représente la plus-value, le profit, c le capital constant dépensé, c'est-à-dire le coût pour le capitaliste des machines et des matières premières, v le capital variable, c'est-à-dire les coûts salariaux. En divisant le numérateur et le dénominateur de cette expression par y, le taux de profit devient :


 

C’est-à-dire le rapport du taux de plus-value ou taux d'exploitation (pl/v, ou travail non payé divisé par le travail payé v) sur la composition organique du capital (c/v, ou dépense du capitaliste en travail mort sur dépense en travail vivant, expression en valeur de la composition technique du capital dans le processus de production).

[4] [87] Le Capital, Livre III, Cinquième Section, p.1206 Editions La Pléiade.

[5] [88] NEUE ZEIT, 1902, N°5 (31), p.140, cité par Rosa Luxemburg dans la "critique des critiques".

Questions théoriques: 

  • L'économie [89]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [90]

Économie de guerre et crise en Allemagne de l'Est

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Nous avons choisi d'étudier ici le développement de la crise en Allemagne de l'Est pour les raisons suivantes :

- l'Allemagne de l'Est, étant le capital national le plus développé du bloc de l'Est, la crise est supposée y être "introuvable" ;

-           l'économie d'Allemagne de l'Est, comme celle de la Tchécoslovaquie, est une pièce maîtresse de l'économie de guerre russe ; par conséquent, le développement de la crise dans ce pays revêt une importance particulière ;

-           la possibilité de la lutte de classe à l'Est de freiner la marche vers la guerre en bouleversant l'économie de guerre, dépend du développement de la crise et de la résistance ouvrière en Allemagne de l'Est (et en Tchécoslovaquie), car c'est dans ces pays que la classe ouvrière est le plus concentrée dans le bloc de l'Est. En plus, la situation géographique de ces deux pays, qui ont frontière commune avec l'Europe occidentale, pose la possibilité de l'extension de la lutte par delà le "rideau de fer".

Pour les révolutionnaires d'aujourd’hui, il ne suffit plus de savoir qu'il y a la crise du capitalisme dans les pays de l'Est. Il faut encore comprendre :

-                       comment la crise économique s'approfondit

-                       le niveau que la crise a atteint dans le bloc russe et dans chacun de ses capitaux nationaux - la perspective pour l'avenir

-                       l'effet que produit la crise économique sur :

1)     la crise politique de la bourgeoisie

2)     le développement de la lutte du prolétariat

3)     le comportement des autres couches sociales et en particulier des grandes masses paysannes.

L'APRES-GUERRE

La 2ème guerre mondiale a décimé le territoire qui allait devenir la République Démocratique Allemande (R.D.A.). A la fin de 1945, le ravitaillement des villes, l'industrie et les moyens de transport étaient pratiquement inexistants. Dans leur zone d'occupation, les "libérateurs" russes avaient enlevé des usines entières pour les transporter en Russie ; ils se sont emparés des positions-clé de l'économie d'Allemagne de l'Est à travers des holdings soviétiques. Ce n'est qu'au début des années 50 que l'URSS a un peu relâché sa poigne de fer sur l'économie d'Allemagne de l'Est. Pendant la guerre et l'occupation, la capacité industrielle de la zone d'occupation soviétique était tombée à moins de la moitié du niveau de 1939.

Cependant, la reconstruction d'après-guerre a suivi, à un rythme inégal. Vers 1959, la R.D.A. était le neuvième producteur industriel au niveau mondial. En 1969, avec ses 17 millions d'habitants, la R.D.A. avait atteint un niveau de production industriel plus élevé que celui du Reich allemand de 1936 qui avait une population de 60 millions d'habitants. De même que le "miracle économique" de l'Allemagne de l'Ouest et d'autres pays occidentaux après la guerre a servi de base aux mythes sur un "capitalisme qui ne connaîtrait plus de crises" et sur la "société de consommation", de même la reconstruction en-R.D.A. et dans d'autres pays de l'Est est devenue "la preuve" de la nature socialiste -ou non capitaliste- de ces économies. Mais, pour les marxistes, la capacité d'accumuler rapidement du capital n'a jamais été une preuve de socialisme ; au contraire. Aujourd'hui, la crise économique mondiale du capitalisme prouve, sinon aux staliniens et aux trotskystes, au moins à la classe ouvrière, la nature capitaliste des pays du bloc de l'Est.

LE DEVELOPPEMENT DE LA CRISE

La crise mondiale du capitalisme qui se manifeste aujourd'hui en R.D.A. met en danger non seulement la stabilité politique de la bourgeoisie locale mais aussi la machine de guerre russe. La R.D.A. n'est pas seulement le principal fournisseur d'industrie lourde de la Russie ; elle est aussi le gendarme de Moscou sur la frontière occidentale du bloc.

On admet maintenant à Berlin-Est que la R.D.A., de même que n'importe quel autre capital national aujourd'hui, souffre des effets d'un ralentissement da son taux de croissance économique. Les taux d'expansion élevés des années 50 et 60 appartiennent au passé. Cette stagnation signifie que la phase de reconstruction qui a suivi la 2ème guerre mondiale a laissé la place à une crise générale et ouverte. Le tournant s'est accompli avec les années de crise 1969 et 1970 pendant lesquelles la production a été sérieusement freinée par des coupes sombres dans l'économie. Grâce à une intervention de l'Etat encore plus énergique qu'auparavant dans le développement conjoncturel et grâce à une relance des exportations, il a été possible de surmonter les goulots d'étranglement et les déséquilibres de ces deux années et d'atteindre un taux de croissance du revenu national d'environ 5,5 % en moyenne pour les années suivantes. Malgré cette reprise, tous les signes dénotaient que le taux de croissance général était en train ' de ralentir, de sorte que le plan quinquennal de 1976-80 escomptait depuis le départ un ralentissement de l'expansion économique. Déjà en 1971, et pour la première fois, on avait planifié moins  d'investissements.

Ce qui est certain est que le taux de croissance du revenu national n'a pas cessé de décroître au '.cours de ce plan quinquennal :

"Déjà avant que les effets de la seconde crise du pétrole ne soient ressentis (les taux de croissance) avaient atteint un niveau tel que le "Neues -Deutschland" ne voulait plus en publier les chiffres"

(Miner Stadt-Anzeiger, 21-22 juillet 1979).

L'Institut Allemand de Recherche Economique estime que la réduction annuelle réelle de la productivité . du capital industriel en R.D.A. est de 1 % "ce qui correspond presque exactement aux chiffres de la ; R.F.A." (Voir D.D.R. Wirtschaft, DIW). Les dirigeants staliniens blâment les directeurs d'usine de la R.D.A. pour la sous utilisation des capacités productives. Ce n'est pas le manque de demande qui en est la cause, mais le chaos économique général : les machines qui commencent à être usées ne peuvent pas être modernisées ou remplacées par manque de capitaux ; les services de dépannage ' laissent à désirer. Il y a en particulier pénurie de pièces de rechange. Cette pénurie de capital  est exacerbée par la nécessite d'investir autant, de plus-value que possible dans l'industrie lourde ; or, ceci déséquilibre toute l'économie de , façon dramatique en désorganisant les autres secteurs de production : produits manufacturés défectueux ou inutilisables, diminution des exportations... Nous avons bien à faire ici à l'anarchie de la production capitaliste, à la crise capitaliste.

Cette stagnation de l'économie se reflète dans les résultats des plans quinquennaux. Les chiffres visant à l'expansion sont de plus en plus modestes ou bien ils n'arrivent pas à être tenus. On a reconnu il y a quelque temps déjà l'échec du plan quinquennal qui prend fin cette année. Le gigantesque appareil de contrôle de "l'économie planifiée" arrive de moins en moins à maîtriser le chaos. Pendant l'année 1978, de hauts fonctionnaires du Parti Socialiste Unifié d'Allemagne (de l'Est - "S.E.D") y compris Honecker et Stoph, ont fait allusion à ces problèmes lors de discours sur la situation économique. Il a été admis que le plan quinquennal actuel, par exemple, n'arrive pas à atteindre son but à cause d'un manque d'investissements de l'ordre de milliards de marks. Par ailleurs, on durcit la lutte contre le marché noir qui devient de plus en plus important, non seulement pour les biens de consommation et les devises (le mark d'Allemagne de l'Ouest est actuellement pratiquement la seconde monnaie de la R.D.A -certains disent même la première), mais aussi en matières premières et en énergie : les grandes compagnies étatisées se livrent à une concurrence acharnée entre elles pour la possession de ces marchandises si estimées et échangent fiévreusement (achètent ou vendent) des matières premières et des pièces de rechange pour pouvoir remplir leur plan. Cela s'accompagne d'investissements massifs en dehors du plan dont l'ampleur est en train de devenir un vrai casse-tête pour les "planificateurs".

BALANCES COMMERCIALES NEGATIVES A L'EST ET A L'OUEST

La R.D.A a toujours été connue pour être un grand exportateur au sein du Comecon et, entre 1960 et 1973 elle a eu une balance commerciale excédentaire de l'ordre de 3 % .Durant cette période, la R.D.A a connu un excédent commercial de 9 % par rapport aux pays du Comecon et de 23 % par rapport aux "pays en voie de développement", mais un déficit commercial de 20 % par rapport au bloc de l'Ouest. Ce beau bilan n'a pas survécu longtemps aux coups que lui a portés la crise mondiale. Afin de défendre sa propre économie et face à l'endettement croissant du Comecon vis-à-vis du bloc occidental (plus de 50 milliards de dollars), l'URSS s'est vue obligée à reporter le poids de la crise sur les épaules plus étroites de ses alliés ; en 1973 elle a augmenté le prix à l'exportation de toute une série de matières premières et de sources d'énergie. Ces mesures ont frappé particulièrement fort la R.D.A qui dispose de très peu de matières premières sur son sol. L'excédent commercial de 5,7 milliards de marks-devises que la R.D.A avait accumulé pendant la période de 1960-73 a cédé la place, dans les  deux années suivantes -1974-75- à un déficit commercial de 7,3 milliards de marks. Les prix à l'exportation de la R.D.A. ont augmenté de 1972 à 1975 d'environ un quart. Jusqu'à la fin de 1979 la R.D.A devait, rien qu'à l'Allemagne de l'Ouest 2,6 milliards de marks-devises, ce qui n'est qu'une partie de sa dette de 16 milliards au bloc de l'Ouest. "Der Spiegel" note que la R.D.A. a encore plus de dettes vis-à-vis de l'Ouest que la Grande-Bretagne      (Der Spiegel du 16.01.78).

A cause de cet endettement envers l'Ouest, la proportion du commerce extérieur de la R.D.A. avec les autres pays du Comecon est passée à 73,5 %. Le commerce entre la R.D.A. et l'URSS a augmenté particulièrement. Ce développement est un facteur essentiel pour le renforcement du bloc russe contre le bloc occidental. Alors que le commerce entre l'URSS et les pays industriels occidentaux a connu une lente expansion, le commerce entre l'Ouest et les autres pays du Comecon a eu tendance à stagner ou même à décroître. Les satellites d'Europe de l'Est, et en particulier l'Allemagne de l'Est, resserrent les rangs autour de l'URSS.

La balance commerciale de Berlin-Est par rapport à la Russie est aussi source de préoccupations. Le "Frankfurter Allgemeine Zeitung" observe : "En 1977 la balance commerciale par rapport à l'URSS a été déficitaire de 3 milliards de marks-devises. C’est le déficit commercial le plus élevé en chiffres relatifs et absolus qu'un pays de l'Est ait connu par rapport à l’U.R.S.S. "                                  (F.A.Z. du 5.07.78). La concurrence provenant des pays industrialisés occidentaux -en particulier la R.D.A.-sur le marché russe vient s'ajouter aux difficultés de la R.D.A. Pour relever ce défi, Berlin-Est, par exemple, a été obligé d'acheter de l'acier et des produits semi-manufacturés à l'Ouest afin de pouvoir remplir ses contrats avec l'URSS dans les temps et avec une qualité compétitive.

QU'EST-IL ARRIVE AU "MIRACLE ECONOMIQUE" ?

Le "boom" d'après-guerre -baptisé "socialiste"- a en fait été rendu possible par la destruction qu’ont causée la 2ème guerre mondiale et le démantèlement de l'industrie qui a suivi. Il a fallu faire fonctionner l'infrastructure développée de la R.D.A. et mettre au travail sa classe ouvrière, très spécialisée et disciplinée, pour renforcer le bloc russe. On a installé en R.D.A. des moyens de production nouveaux et plus modernes, provenant en particulier de la Tchécoslovaquie qui avait une capacité industrielle avancée en encore intacte ; on les a payés avec une exploitation inimaginable du prolétariat d'Allemagne de l'Est, en état de défaite et de prostration. C'est comme cela que la R.D.A. est devenue le bastion industriel le plus moderne du bloc, mû par une classe ouvrière qui, jusqu'en 1953 n'a pas eu la force de résister à la terreur capitaliste.

C'est la faiblesse économique du bloc russe dans son ensemble qui a donné lieu aux nationalisations par delà les frontières et à une administration étatique à tous les niveaux de l'économie. Ce contrôle brutal exercé par le capitalisme d'Etat a pu permettre pendant un temps de forcer le pas de la reconstruction, sans pour autant résoudre les contradictions inhérentes au système.

L'impérialisme mondial, avec ses chambres à gaz et ses bombardements massifs a rendu au capitalisme allemand, autant de l'Est que de l'Ouest, un service inoubliable en massacrant les chômeurs et en liquidant une large fraction de la petite-bourgeoise; débarrassé de ces fardeaux qui ponctionnent l'économie, il n'est pas étonnant que le capitalisme en Allemagne ait connu une rapide expansion.

Afin de favoriser le développement économique de l'après-guerre, l'Etat de la R.D.A. s'est attaqué aux petits fermiers et petits producteurs qui restaient encore. Déjà, la "Réforme agraire" de septembre 1945 avait exproprié tous les propriétaires qui possédaient plus de 100 hectares de terre. La terre a été divisée parmi les paysans pauvres, en des parcelles si minuscules et si peu rentables que les paysans ont été obligés, depuis le début, d'aller rejoindre les coopératives agricoles étatiques. En 1960, il ne restait plus aucun fermier indépendant ; la croisade contre la petite bourgeoisie a servi non seulement à baisser les prix de la production agricole en la rationalisant (grandes exploitations dans les coopératives étatiques au lieu de petits lopins non rentables), mais également à baisser le coût des produits industriels (puisqu'en baissant les prix des produits agricoles, les salaires des ouvriers ont pu être réduits d'autant). Elle a également permis de faire face au problème de pénurie de main-d’œuvre dans l'industrie lourde, puisqu'une partie de ces paysans n'a plus eu qu'à aller vendre leur force de travail dans ce secteur de l'industrie.

Même dans la période de reconstruction, l'Etat a eu à lutter contre les effets de la crise capitaliste qui, avec la décadence du système, prend un caractère permanent. Les plans quinquennaux, par exemple, n'ont été que des tentatives brutales de faire face à la crise. L'aspect essentiel des plans est que la production de biens de consommation et que l'expansion de la consommation privée doit rester au plus bas de l'échelle de croissance. Les augmentations de salaires du premier plan quinquennal de 1951 ont été annulées par la pénurie chronique de biens de consommation - situation qui a ouvert la voie aux soulèvements ouvriers de 1953. Le plan septennal qui a suivi, de 1959 à 1965, fut reconnu comme un échec dès 1962 et abandonné. Au lieu d'augmenter, le taux de croissance de l'économie a baissé (DIW, DDR Wirtschaft, p.26). Le plan de 1965-70 était supposé surmonter ces problèmes en forçant sur les exportations. Mais qu'est-il réellement arrivé ? Les importations ont augmenté plus vite que les exportations. Autant pour la "planification socialiste de la R.D.A''

LES MESURES DE LA BOURGEOISIE

Quelles mesures prend la bourgeoisie aujourd'hui pour ralentir le développement de la crise ouverte ?

- En particulier depuis la fin des années 60, on essaie de stimuler la croissance en augmentant la concentration (en particulier en formant des combinaisons industrielles). La part des entreprises nationalisées dans la production industrielle a augmenté de 82 % en 1971 à 99 % en 1972: Pendant les années 70, des secteurs entiers de l'économie, tels que la machinerie agricole, l'industrie automobile, la science et la technologie, ont été transformés en combinaisons géantes. Cependant, une grande part de cet effort de concentration de l'industrie n'existe que sur du papier et n'arrive pas à couvrir la très réelle faiblesse et incohérence de l'économie.

- On essaie de favoriser de nouveaux secteurs d'exportation mais nous avons vu plus haut le "succès" de ces efforts.

- Les mesures mentionnées ci-dessus s'avérant impuissantes, il devient d'autant plus nécessaire d'attaquer de front le niveau de vie de la classe ouvrière. Et cette attaque elle-même ne peut être qu'un prélude à la "solution" capitaliste à la crise : une troisième guerre mondiale.

LA R.D.A. ET L'ECONOMIE DE GUERRE RUSSE

Par elle-même, la R.D.A, malgré sa capacité économique, ne dispose pas d'une industrie de guerre significative. L'A.N.P. (Armée nationale du Peuple -sic) est équipée avec des armes russes. En outre, la R.D.A. n'investit que 22 millions de marks par an dans l'"aide au développement militaire" des pays du tiers-monde, contrairement à l'Allemagne de l'Ouest qui en investit 82 milliards ("Der Spie­gel", 30.07.78). Mais l'industrie est-allemande participe pour une grande part au développement de la machine de guerre russe. En fait, l'industrie de la R.D.A. produit essentiellement pour l'économie de guerre russe. C'est-à-dire qu'elle produit directement ou indirectement pour les forces armées du Pacte de Varsovie. L'économie de guerre russe n'absorbe pas seulement la part du lion de la plus-value extraite en Russie-même ; elle s'accapare aussi une part importante de la richesse produite dans les pays de l'Est. Si elle ne le faisait pas, elle n'aurait pas la moindre chance de rivaliser avec le développement militaire des U.S.A.

Le commerce extérieur entre la R.D.A. et l'URSS s'est multiplié par cinq depuis le début des années 50. Représentant 16 % du commerce extérieur russe, la R.D.A. est le partenaire commercial le plus important de l'URSS ; elle est aussi son principal fournisseur de biens-capitaux (ou biens de production). Un bon quart des importations russes en machinerie et en pièces détachées proviennent de la R.D.A. Alors que les autres pays du Comecon fournissent essentiellement à l'URSS des matières premières et des produits semi-finis, seules la R.D.A et la Tchécoslovaquie sont en mesure de fournir des moyens de production, qui sont utilisés en Russie pour la construction de chemins de fer, le développement de sources d'énergie ou directement pour la production de chars de guerre, de camions, de bateaux de guerre, etc. Il existe aussi, bien entendu une coopération directe dans le domaine de la production militaire entre l'URSS et ses alliés, comme par exemple, la coopération entre l'URSS et la fameuse entreprise "Skoda" de Tchécoslovaquie pour la production d'armes, de camions et de réacteurs nucléaires. Mais jusqu'à présent la R.D.A n'a pas été associée à ce type de coopération à grande échelle.

Les économies des pays d'Europe de l'Est sont constamment sous la pression (futile) de vouloir arriver à se doter d'une industrie lourde comparable à celle du bloc américain. La capacité guerrière des blocs ne doit pas se mesurer seulement en fonction de la capacité actuelle à produire des chars ou autre chose, mais aussi dans leur capacité à doubler ou tripler cette production dans un laps de temps déterminé. Indépendamment de l'efficacité de sa production, le bloc russe n'arriverait jamais à produire autant d'armements que le bloc américain. La nécessité de survivre en tant que bloc impérialiste distinct a obligé le Pacte de Varsovie à mobiliser toutes ses ressources disponibles pour l'économie de guerre, de façon à rester compétitif par rapport à l'Ouest au moins à ce niveau. Ainsi, alors que nous avons d'un côté tous les signes d'une surproduction massive dans les pays industrialisés du bloc de l'Ouest (trop d'ouvriers, trop d'industrie, etc.), la crise à l'Est prend  la forme d'une sous-production, parce qu'il n'y a pas assez de capital et de travail disponible pour satisfaire les nécessités de l'économie de guerre. Alors que la crise de surproduction dans le bloc de l'Ouest entraîne une réduction de la production dans tous les secteurs de l'économie sauf dans le militaire, on peut voir que ce développement exclusif du secteur militaire existe  dans le bloc de l'Est depuis des années.

Ce phénomène de sous-production à l'Est est l'expression de la division du globe en deux blocs militaires rivaux ; il est le résultat de la pénurie mondiale de marchés. C'est la preuve que les entraves du marché mondial bloquent le développement des forces productives. Le marché mondial est trop restreint pour permettre la réalisation de tout le capital qui a été accumulé. Après la 2ème guerre mondiale, les pays avancés du bloc américain qui avaient à leur disposition la majeure partie du marché mondial ont pu (pour une série de raisons que nous ne pouvons pas examiner ici) connaître un certain développement des forces productives aux dépens de l'appauvrissement du reste du monde. Quant au bloc russe, qui n'a presque rien retiré de la re divisions impérialiste du monde à la suite de la 2ème guerre mondiale, il n'a pu réaliser qu'une économie de guerre. Cette nécessité de développer l'économie de guerre à partir d'une position de faiblesse économique et stratégique, entraîne une profonde modification dans le fonctionnement de la loi de la valeur à l'intérieur du bloc russe, de sorte que la crise capitaliste y prend des formes différentes qu'à l'Ouest. Ces différences sont utilisées *par les staliniens et les trotskystes pour "prouver" la nature non capitaliste du bloc de l'Est. Mais aucun de ces mensonges ne peut cacher les effets dévastateurs de la crise capitaliste sur les conditions de vie du prolétariat d'Europe de l'Est, de la Russie ou de la Chine.

Afin de développer l'industrie lourde (base de l'économie de guerre), la bourgeoisie d'Europe de l'Est doit négliger toutes les autres branches de l'économie. Ce simple fait produit crise après crise. Par exemple, en R.D.A, seulement 36 % des investissements reviennent au secteur tertiaire et à l'infrastructure, contre environ 58 % en R.F.A. Une telle orientation des investissements, en entraînant inévitablement un rétrécissement du secteur des biens de consommation et des services, entraîne un rétrécissement encore plus fort des marchés, une baisse du taux de profit et une stagnation dramatique de l'économie. Comme le secteur militaire ne produit ni des biens de production ni des biens de consommation mais ne fait qu'avaler de la plus-value sans contribuer au renouvellement du cycle d'accumulation, la stagnation risque de se transformer en paralysie.

Les choix qui s'offrent à l'Allemagne de l'Est ou à la bourgeoisie russe ne sont pas la "planification" stalinienne ou une "économie de marché". En fait, les seules alternatives, dans l'abstrait, sont : soit une économie de guerre désespérément renforcée et dirigée par l'Etat avec ses industries de base -ce qui ne peut conduire qu'à une stagnation plus poussée et au chaos-, soit un ralentissement des taux de croissance dans ces industries de façon à niveler le développement général de tous les secteurs de l'économie -ce qui conduirait à uns stagnation globale, en quelque sorte "plus douce". Mais en réalité, elles ne peuvent pas choisir la seconde alternative parce que cela voudrait dire perdre la bataille la plus importante avec le bloc américain : la course aux armements. Les dirigeants staliniens n'ont donc d'autre alternative que de suivre le cours précédent. Il ne leur reste qu'à préparer et tenter de gagner une nouvelle guerre mondiale, afin de tirer profit du programme d'investissements massifs dans l'économie d'armements.

LA SITUATION DE LA CLASSE OUVRIERE DANS L'ECONOMIE DE GUERRE

L'Allemagne de l'Est a actuellement le taux le plus élevé du monde de population active

(53,3 % de la population). Alors qu'entre 1950 et 1969 le nombre d'Allemands de l'Est en âge de travailler abaissé de 1,9 million, le nombre réel de travailleurs a augmenté de 700.000 -soit, environ 10 % Cette augmentation a été possible grâce à l'intégration de plus de femmes, mais aussi de retraités, à la vie économique. Par ailleurs, l'Allemagne de l'Est n'a pu attirer qu'un nombre relativement faible d'ouvriers immigrés de Pologne, des Balkans, etc.

Cette pénurie croissante de main-d’œuvre est un résultat direct de l'économie de guerre. L'Etat est obligé de baisser le prix de la marchandise force de travail en dessous du niveau nécessaire pour en assurer la rénovation et l'expansion. Ce niveau nécessaire, comme l'explique Marx, n'est pas un absolu qui se situerait en dehors de l'histoire, mais évolue avec le développement de la société. Dans une société industrielle moderne comme la R.D.A, où les ouvriers travaillent sous un régime d'exploitation brutal, automatisé et scientifiquement dirigé, ce niveau de vie nécessaire à la reproduction et l'élargissement de la force de travail n'est pas garanti : dans les familles ouvrières, la plupart du temps, les deux parents travaillent et doivent faire des heures ou des brigades de travail supplémentaires ; en plus, il faut faire des heures de queue dans les magasins ou aller marchander dans le marché noir illégal pour obtenir les biens de première nécessité ; les ouvriers doivent vivre dans des appartements minuscules, souvent à huit ou dix sous le même toit parce que la tante, la grand-mère et les deux fils mariés ne peuvent pas obtenir d'appartement pour eux-mêmes ; dans les grandes villes et les banlieues industrielles, les ouvriers habitent dans des logements provisoires, à des kilomètres de distance de leur lieu de travail et de n'importe quel centre ; ils doivent attendre des années sur des listes d'attente avant de pouvoir obtenir un moyen de transport décent. Il n'est pas étonnant que les gens aient essayé de s'échapper à l'Ouest, tant que le "boom" de l'après-guerre y existait encore, ou que si peu d'ouvriers étrangers veuillent aller travailler en R.D.A. ; il n'est pas étonnant non plus que les familles d'Allemagne de l'Est ne puissent se permettre d'avoir que peu de membres malgré toute la propagande de l'Etat sur les "booms" à la natalité. Les ouvriers de la RDA ne connaissent que le besoin parce qu'ils doivent porter sur leurs épaules tout le poids de l'économie de guerre.

Le prix de la marchandise force de travail, comme pour n'importe quelle autre marchandise, est déterminé par son coût moyen de production, ainsi que par la loi de l'offre et la demande. Ici aussi, l'Etat stalinien intervient pour maintenir ce prix aussi bas que possible. Cette intervention dans les lois de l'économie revêt un caractère militaire. La loi du marché      a dicté que les ouvriers iront là où ils peuvent vendre leur force de travail au plus haut prix. Mais la bourgeoisie est-allemande a résolu le problème. Elle a construit un mur le long de la frontière occidentale et l'a habillé de fil barbelé, parsemé de mines et de miradors, parce que les salaires en R.F.A. sont plus élevés qu'en R.D.A.

Un autre exemple : là où il y a pénurie de main d’œuvre, les salaires tendent à augmenter ; il existe un marché de l'emploi. Pour éliminer cela, l'Etat a rendu extrêmement difficiles le changement de travail ou de lieu de résidence.

LES ATTAQUES CONTRE LA CLASSE OUVRIERE

L'approfondissement de la crise attaque le niveau de vie de la classe ouvrière de tous côtés :

-    par une augmentation de l'exploitation

-    par une réduction des salaires réels, ce qui s'opère de l'une des manières suivantes :

.            la quantité de marchandises qui sont difficiles ou impossibles à trouver augmente rapidement ; cela va du café et du beurre, au logement et même à l'électricité qui est régulièrement coupée dans beaucoup d'endroits du pays ;

.            la qualité des marchandises disponibles se détériore ;

.            l'inflation passe sous la forme d'augmentations

.            de prix déclarées ou déguisées et par la disparition des subventions de l'Etat ;

.                 les services sociaux, l'assistance médicale, etc., sont réduits, abaissant ainsi le salaire social ;

.                 des interruptions continuelles dans le procès de production causent des chutes catastrophiques dans les salaires des ouvriers payés à la pièce ;

.                 le "Nouveau Système Salarial", introduit en 1978, transforme une augmentation de salaire avant impôts en une baisse de salaire après impôts, par l'augmentation de ceux-ci. Le Parti Socialiste Unifié d'Allemagne, cynique comme toujours, a fait appel aux ouvriers pour qu'ils compensent les "possibles" pertes de salaire en augmentant les heures supplémentaires ;

.                 l'augmentation du travail supplémentaire et l'introduction de brigades de travail supplémentaires, c'est-à-dire l'augmentation de la durée de la journée de travail est une autre caractéristique des attaques actuelles contre la classe ouvrière. Ici encore, nous n'avons pas de statistiques dans ce domaine.

On assiste à un développement lent mais sûr du chômage. Un des paradoxes du système capitaliste est que les pays qui souffrent de pénurie de main-d’œuvre souffrent aussi du chômage. Nous savons, par exemple, qu'en Chine (un pays où la production est à un niveau si primitif qu'il souffre de pénurie de main-d’œuvre malgré ses milliards d'habitants), il y a environ 20 % de chômeurs dans les villes. Nous n'avons pas de chiffres exacts pour la R.D.A. bien qu'il semble que l'on puisse affirmer que le nombre de chômeurs est considérablement moindre qu'en URSS ou en Pologne (600.000). Même si les chômeurs en R.D.A. n'ont plus à craindre de se retrouver en camps de concentration, ils sont néanmoins criminalisés par l'Etat. Ils reçoivent de 1,20 à 2 marks par jour, plus 35 centimes pour chaque personne à charge, tout cela payé par l'"Etat ouvrier". Le chômage à l'Est est dû à la pénurie de capital et la chute de la production qui s'ensuit. Mais le développement énorme d'un chômage masqué dans le bloc de l'Est est beaucoup plus significatif que le développement du chômage déclaré. Les goulots d'étranglement qui se forment régulièrement dans le procès de production rendent inutilisable une proportion importante des capacités productives. Ce chaos entraîne un excès permanent de main-d’œuvre au niveau des lieux de travail dans toute l'économie. Ce chômage masqué pèse sur l'économie du bloc de l'Est autant que le chômage déclaré pèse à l'Ouest. Et tant à l'Est qu'à l'Ouest, la cause réelle du chômage réside dans l'incapacité du capitalisme à développer réellement les forces productives.

PERSPECTIVES POUR LA LUTTE DE CLASSE

Nous n'avons pas l'intention ici d'essayer de tracer dans le détail des perspectives pour le cours ultérieur de la crise et de la lutte de classe. Ce que nous voulons c'est simplement mentionner quelques unes des implications d'importance dé notre analyse sur la crise et notre estimation du stade que la crise a atteint actuellement dans es pays du bloc de l'Est. Nous attirons l'attention sur les points suivants :

-              La méthode qui consiste à essayer de mesurer la profondeur de la crise seulement à travers les critères classiques tels que la comparaison des taux d'inflation et du nombre de chômeurs -ce qui, en fait, tendrait à indiquer que la crise est "plus jeune", moins avancée dans les pays du bloc de l'Est- s'avère en fait une méthode inutile lorsqu'il s'agit de comparer le niveau de la crise à l'Est et à l'Ouest.

-             La crise -et nous parlons ici de la crise historique du capitalisme décadent telle qu'elle s'est développée tout au long de ce siècle- est en réalité plus aiguë, à l'heure actuelle, dans les pays du bloc de l'Est que dans les pays industriellement avancés du bloc de l'Ouest.

-             Cela prouve à son tour que même la militarisation totale de l'économie et la soumission totale de la vie économique et de la société civile au contrôle direct, dictatorial, du capitalisme d'Etat, ne résous aucune des contradictions du capitalisme décadent. Ces mesures entraîneront une modification des formes sous lesquelles la crise se fait jour et, à la rigueur, permettront un ralentissement du rythme de la crise. Mais l'Etat ne peut pas arrêter la dégénérescence du capitalisme.

La crise à l'Ouest apparaît comme une vaste surproduction de marchandises, qui entraîne des coupures drastiques dans la production. A l'Est, l'incapacité du bloc russe d'être concurrentiel sur le marché mondial, accentue la chute du taux de profit à un point tel que l'Etat doit absorber du capital de tous les autres secteurs de façon à assurer un minimum d'expansion à l'industrie lourde et à l'industrie de guerre en général. Ceci conduit à son tour à un étranglement de la production à tous les niveaux et, par conséquent, à une CHUTE MASSIVE DE LA PRODUCTION, d'abord dans le domaine de la consommation et de l'infrastructure (comme par exemple la baisse actuelle dans la production agricole en URSS, consécutive à la stagnation marquée de ce secteur que l'on constate depuis longtemps) et qui sera suivie par une chute de la production dans les secteurs-clé de l'industrie également (en 1979 Brejnev lui-même devait annoncer une productivité stagnante, voire même décroissante dans le secteur de l'énergie en URSS).

-                Pour la classe ouvrière, cela signifiera -et dans des pays comme la Pologne, l'URSS et la Roumanie c'est déjà une réalité- une chute des plus brutales du niveau de vie, à mesure que la bourgeoisie se voit forcée à délaisser de plus en plus l'infrastructure, le secteur de biens de consommation, des services, le secteur agricole, etc. Cela impliquera aussi la nécessité pour la bourgeoisie de mettre en œuvre une militarisation totale de la classe ouvrière. Cela voudra dire créer une "armée" de millions d'ouvriers qui pourront être envoyés d'un secteur à un autre de la production, en fonction du secteur qui est en train de fonctionner à un moment donné et en fonction des secteurs où les goulots d'étranglement doivent ' être éliminés. La militarisation de la main-d’œuvre permettra une certaine diminution du poids effroyable du chômage "masqué"-pour autant que les ouvriers le permettent, bien entendu ! Le chômage "masqué" deviendra alors ouvertement une armée de chômeurs, vivant bien en-dessous du minimum vital.

Ces perspectives ne sont pas de simples spéculations sur le futur. En fait, elles sont la projection des tendances qui se font jour sous nos yeux. Ainsi, par exemple, les opposants polonais autour du "KOR" ont rapporté qu'un tiers de l'équipement industriel en Pologne n'est actuellement pas utilisé. Il en résulte, évidemment, une pénurie chronique de produits alimentaires, des coupures régulières d'électricité dans les foyers et même dans les usines, la disparition d'une grande partie des transports en commun et dans d'autres services, etc. En Roumanie, en Bulgarie, même en Hongrie, c'est la même histoire à peu de chose près ; en R.D.A. aussi, bien que ce ne soit pas si poussé. Dans tous ces pays, on est en train de mobiliser les ouvriers pour faire du travail et des brigades supplémentaires, mais aussi pour travailler dans des brigades mobiles qui pourront être utilisées pour construire des pipelines à l'Ouest de la Russie aujourd'hui et pour extraire du lignite en Allemagne de l'Est demain. C'est là le début de la militarisation que nous avons mentionnée. Les sursauts de lutte de classe en Europe de l'Est, en réponse à la crise depuis la fin des années 60 (Pologne 70 et 76, Tchécoslovaquie 68, Roumanie 77, ont été les exemples les plus notables) ont été très puissants mais ont eu tendance à rester sporadiques et isolés ; ils n'ont pas évolué vers un niveau plus élevé de politisation. Cela se comprend vu le manque d'expérience des ouvriers concernés, le poids de cinquante ans de contre-révolution, la sévérité de la répression étatique, pour ne mentionner que ces quelques facteurs. Ces luttes n'ont pas réellement dépassé le niveau de luttes défensives contre la chute des salaires réels et l'augmentation de l'exploitation. Mais la lutte de classe des années 80 devra aller au-delà de ce niveau, parce que ce que nous avons en face maintenant -et on peut le voir particulièrement clairement en Europe de l'Est-est la destruction de la société humaine sous le poids des rapports économiques et sociaux capitalistes. Le capitalisme ne peut même plus garantir l'assouvissement des besoins les plus vitaux pour la survie de la société humaine sous quelque forme que ce soit. La pénurie de produits alimentaires et de logements d'Europe de l'Est -nous en voyons de plus en plus en Europe occidentale aussi!- rend cela parfaitement clair. La classe ouvrière sera forcée de poser le problème du pouvoir afin de sauver société de la destruction totale, de la sauver du capitalisme. L'approfondissement de la crise est donc en train de créer les conditions nécessaires à l'unification et la politisation de la lutte de classe contre la crise capitaliste et la militarisation de la société. La profondeur de la crise et la réponse des ouvriers à cette crise, permettront au prolétariat d'entraîner les vastes masses paysannes et les couches non exploiteuses derrière lui, corme le fit le prolétariat russe en 1917.

Il n'est pas certain que cette lutte triomphera. Cela dépend de la capacité du prolétariat dans ces pays à se réapproprier les leçons du passé et, en coordonnant ses luttes avec celles des ouvriers à Ouest, à ouvrir ses rangs à 1 influence politique et à la solidarité du mouvement révolutionnaire qui est actuellement en formation en occident.

Krespel,  Novembre 1979

Géographique: 

  • Allemagne [91]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [5]

Sur la publication des textes de «l'Internationale» sur la guerre d'Espagne

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Le milieu révolutionnaire en France des années 30 constituait un véritable microcosme des courants révolutionnaires existants. Alors que le trotskysme allait perdre son caractère prolétarien pour devenir une authentique force contre-révolutionnaire, quelques rares groupes se maintenaient dans cette période sur des positions de classe. La gauche communiste italienne fut l'expression la plus authentique d'une cohérence et fermeté révolutionnaires.

La confusion ambiante, à laquelle céda le groupe "UNION COMMUNISTE", n'allait malheureusement pas lui permettre de passer positivement le test des événements d'Espagne. Né dans la confusion, il disparut en 1939 dans la confusion, sans avoir donné un apport substantiel au prolétariat.

L'un de ses fondateurs (Chazé), plus de quarante ans après, a réédité avec une préface, un recueil de textes de son organe "L'Internationale". Malheureusement, en restant souvent fixés sur des positions qui ont fait faillite (conseillisme, anarchisme), en soufflant parfois pessimisme et amertume, de vieux militants prolétariens illustrent de façon tragique la coupure entre les anciennes générations révolutionnaires usées et démoralisées par la contre-révolution et les nouvelles générations qui souffrent d'une difficulté à se réapproprier les expériences passées. Que le bilan critique du passé fasse grandir la flamme nouvelle des prolétaires qui n'ont pas connu l'ambiance étouffante de la contre-révolution.

La guerre en Espagne (1936-1939) a suscité de nombreuses études depuis quelques années, souvent malheureusement sous forme universitaire ou de "mémoires" de caractère équivoque. C'est bien souvent la voix "Frente Popular", "POUMiste", trotskyste, anarchiste qui se faisait entendre. Toutes ces "voix", ces "visions" multiples se confondaient en un chœur pour chanter qui les mérites du "Frente Popular", qui la vertu des collectivisations, qui le courage des "combattants antifascistes".

La voix des révolutionnaires, par contre, ne pouvait que faiblement se faire entendre. La publication dans la REVUE INTERNATIONALE du CCI puis dans une édition de poche française de texte de Bilan ([1] [92]) consacrés à cette période est venue combler faire résonner -faiblement certes- la voix des révolutionnaires internationalistes. Cet intérêt pour les positions de classe, exprimées dans le plus total isolement, est un signe positif ; peu à peu, et trop lentement encore, se desserre et se fissure l'étau de fer idéologique que la bourgeoisie mondiale a fixé sur le prolétariat pour annihiler sa capacité théorique et organisationnelle à surgir sur son seul terrain, où s'exprime sa véritable nature : la révolution prolétarienne mondiale.

C'est donc avec un grand intérêt que le petit milieu révolutionnaire internationaliste a vu paraître en français Chroniques de la révolution espagnole, recueil de textes de l'Union Communiste parus de 1933 à 1939, et dont H.Chazé qui les republie aujourd’hui était un des principaux rédacteurs.

ORIGINES ET ITINERAIRE POLITIQUE DE L'"UNION COMMUNISTE"

L'Union Communiste était née en 1933. Sous le nom de Gauche Communiste, elle avait regroupé en avril de cette année les anciennes Oppositions du 15ème rayon de Courbevoie, de Bagnolet ([2] [93]), ainsi que le groupe de Treint (ancien dirigeant du Parti Communiste Français, avant son exclusion) qui avait scissionné de la Ligue communiste trotskiste de Frank et Molinier. En décembre, 35 exclus de la Ligue, presque tous issus du "Groupe juif" se fondaient dans la Gauche Communiste pour fonder l'Union Communiste.

Ce groupe se prononçait contre la fondation d'une 4ème Internationale, contre le "socialisme en un seul pays". Groupe révolutionnaire, l'Union Communiste (UC) gardait d'un héritage trotskyste beaucoup de confusions. Non seulement elle se prononçait pour la "défense de l'URSS", mais ses positions se démarquaient mal de l'antifascisme ambiant. En février 1934, elle demandera des milices ouvrières, reprochant au PCF et à la SFIO (socialistes) de ne pas vouloir constituer un "Front unique" pour battre le "fascisme". En avril 1934, elle verra avec satisfaction la "Gauche socialiste" de Marceau Pivert "prendre une attitude révolutionnaire", poussée "à poser le problème de la conquête révolutionnaire du pouvoir" (L'Internationale n°5, organe de l'UC). En 1935, elle prendra contact avec la "Révolution prolétarienne" ([3] [94]), des pacifistes, des trotskystes, tous "antifascistes", pour préconiser un rassemblement de ces organisations. En 1936, elle participera à titre consultatif à la Création du nouveau parti trotskyste (Parti Ouvrier Internationaliste).

C'est dire les difficultés énormes qu'eut l'UC à se définir comme une organisation prolétarienne.

Dans la confusion ambiante qui traduisait le poids  de la contre-révolution, les militants révolutionnaires se réduisaient à peu, et leur marche vers une  clarification des positions de classe se heurtait à e, mille obstacles. Dans l'introduction à Chroniques de la révolution espagnole, H.Chazé le reconnaît et jette un œil critique sur le passé :

"Sur la nature et le rôle contre-révolutionnaire de l'URSS, nous avions au moins dix ans de retard par rapport à nos camarades hollandais (communistes de conseils) et à ceux de la gauche allemande."

Il ajoute que ce retard allait amener des membres de l'UC à abandonner :

...les uns pour chercher des auditoires chez Doriot en 34-35, d'autres parce que dans l'UC ils ne pouvaient jouer au "number one", d'autres encore tout simplement parce que notre évolution rapide les effrayait. Départs sur la pointe des pieds ou après discussion, courte et amicale. Quelques années après, presque tous ces camarades étaient ou dans la Gauche socialiste de Marceau Pivert ou chez les "staliniens de gauche" du groupe qui éditait 'Que Faire ?". ([4] [95]).

L'UC s'était donc constituée dans la plus grande hétérogénéité politique. Néanmoins elle fut capable, et c'est là son mérite, de se rattacher progressivement aux positions de classe, en rejetant la "défense de l'URSS" et le Front Populaire défini à très juste titre comme "front national".

        Cette clarification s'était-elle vraiment opérée totalement ? Les évènements d'Espagne, si déterminants par le  massacre du prolétariat espagnol la guerre du prolétariat impérialiste espagnole allaient-ils amener l'UC à rompre définitivement avec les confusions du passé et en faire une aide sûre de la conscience révolutionnaire ?

C'est ce qu'affirme H.Chazé dans sa préface :

"Après quarante années de franquisme, les travailleurs espagnols ont commencé à affronter les pièges de la démocratie bourgeoise dans un contexte de crise économique et sociale mondiale.(...) la lutte de classe ne se laisse pas piéger durablement...à condition toutefois que les travailleurs tiennent compte des enseignements des luttes passées. C'est pour les aider à briser la camisole de force de l'encadrement que nous publions cette chronique de la révolution de 1936-37.".

De quelle "aide" s'agit-il ?

LES "ENSEIGNEMENTS" DE LA "REVOLUTION ESPAGNOLE" : "L'INTERNATIONALE" EN 1936-37

A la lecture des textes de L'Internationale, force est de constater que les positions exprimées n'aident pas à briser la camisole de force de 1`'encadrement. L'Internationale croit, tout comme les trotskystes, que la révolution a commencé en Espagne. Elle affirme en octobre 1936, après l'insurrection du 18 juillet des ouvriers de Barcelone, puis celle de Madrid : "l'armée, la police, la bureaucratie étatique se sont coupées et l'intervention directe du prolétariat a pulvérisé les morceaux républicains. Le prolétariat a créé de toutes pièces et en quelques jours ses milices, sa police, ses tribunaux, et il a jeté les bases d'un nouvel édifice économique et social" (N°23). L'UC voit surtout dans les collectivisations et la fondation des milices la base de la "Révolution espagnole".

Pour soutenir cette "révolution", l'UC fonde à la fin de l'année 1936 un "Comité pour la révolution espagnole" auquel participent trotskystes et syndicalistes. Comme le rappelle H.Chazé, ce soutien était aussi militaire bien que l'UC n'ait pas participé formellement aux milices espagnoles : "Quelques camarades techniciens spécialisés dans les fabrications d'armements, membres de la Fédération des ingénieurs et techniciens m'avaient demandé de m'informer auprès des responsables de la CNT pour savoir s'ils pouvaient être utiles. Ils étaient prêts à quitter leur emploi en France pour travailler en Catalogne."

Dans cette voie, l'UC fait chorus avec les trotskystes et le PCF qui demandent des armes pour l'Espagne. L'Internationale proclame : "la non-intervention (du Front Populaire, NDLR), c'est le blocus de la Révolution espagnole". Enfin, l'UC voit dans la CNT et le POUM des organisations ouvrières d'avant-garde. Le POUM surtout, malgré "ses grossières erreurs", lui paraissait "appelé à jouer un rôle important dans le regroupement international des révolutionnaires", à condition de rejeter la "défense de l'URSS". L'Internationale, jusqu'à sa disparition, se faisait le conseiller du  POUM puis de son aile "gauche" ; elle voyait dans les jeunesses anarchistes un ferment révolutionnaire et se félicitait de voir sa revue lue en Espagne par les jeunes POUMistes et anarchistes.

Toutes ces positions, sur lesquelles nous reviendrons, étaient d'ailleurs très confuses. Dans le même article cité, on peut lire un paragraphe plus loin que l'Etat républicain qui était "pulvérisé" existait bel et bien : "il reste beaucoup à démolir, car la bourgeoisie démocratique se cramponne aux derniers morceaux du pouvoir bourgeois qui subsistent." A côté d'un appel pour l'"intervention" en Espagne, on peut lire plus loin : "la lutte pour le soutien effectif de nos camarades d'Espagne se ramène en réalité à la lutte révolutionnaire contre notre propre bourgeoisie."

L'enthousiasme pour la "Révolution espagnole" devait tomber au fil des jours. En décembre 1936, on pouvait lire dans le N°24 de L'Internationale :

"La révolution espagnole recule...La guerre impérialiste menace.(...) la faillite de l'anarchisme devant le problème de l'Etat (...) le POUM se trouve engagé dans une voie qui peut le mener rapidement à la trahison de la révolution, s'il ne modifie pas radicalement sa politique."

Le massacre des ouvriers de Barcelone en mai 1937 amènera L'Internationale à dénoncer la trahison des dirigeants anarchistes Elle soulignera que la contre-révolution a triomphé. Elle continuera cependant à voir des potentialités révolutionnaires dans l'aile "gauche" du POUM et chez "Les Amis de Durruti".

Deux ans après, à l'éclatement de la guerre, l'UC se dissolvait.

LA CONTRE-REVOLUTION EN ESPAGNE

De quelle révolution s'agissait-il donc ? H.Chazé ne cite que les collectivisations anarchistes et les "comités" de Front Populaire en 1936. S'attaquant à Révolution Internationale, organe du CCI en France, il affirme que nous parlons de contre-révolution en "niant qu'il y ait eu au moins un foyer révolutionnaire provoquant cette 'contre-révolution'", et il ajoute : "Ils affirment que le prolétariat espagnol ne s'était pas organisé en 'conseils'. Mais qu'étaient donc ces comités de toute sorte nés au lendemain du 19 juillet ? Le mot 'conseil' est le plus souvent, en France, utilisé par la bourgeoisie pour désigner les instances directoriales, juridiques et politiques.".

S'il est vrai que le 19 juillet 1936 a exprimé des potentialités révolutionnaires du prolétariat espagnol, celles-ci se sont rapidement épuisées. Ce furent justement ces comités, fondés à l'initiative bien souvent des anarchistes et POUMistes qui allaient ranger le prolétariat derrière la défense de l'Etat républicain. Très rapidement, ces comités allaient enrôler les ouvriers dans des milices qui les éloignèrent des villes pour les transporter sur le front militaire. Ainsi, la bourgeoisie républicaine conservait quasiment intact son appareil d'Etat, et en premier lieu son gouvernement, qui n'allaient pas tarder à interdire les grèves, les manifestations, au nom de "l'unité nationale" pour "la défense de la révolution". Ce rôle ouvertement contre-révolutionnaire du Front Populaire allait être pleinement soutenu par la CNT et le POUM, dans lesquels H.Chazé voit encore 40 ans après des vertus révolutionnaires.

"Des révolutionnaires existaient, nous le savions, et ils se manifestèrent notamment au cours des journées de mai 37." affirme-t-il dans sa préface. Mais que des individus soient restés révolutionnaires, qu'ils aient lutté les armes à la main contre le gouvernement républicain en mai 37, ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. La leçon ineffaçable de ces évènements, c'est qu'anarchistes et POUMistes ont mené par leur politique le prolétariat au massacre. Ce sont eux qui mirent fin en juillet 36 à la grève générale ; ce sont eux qui poussèrent les ouvriers hors des villes ; ce sont eux qui soutinrent la "Généralité de Catalogne" ; ce sont eux qui firent de ces "comités" des instruments contraignant les ouvriers à produire d'abord, revendiquer ensuite.

Voila le triste bilan de cette politique "révolutionnaire" où les "comités" furent un instrument aux mains du capitalisme. Rien à voir avec les "conseils ouvriers", véritables organes de pouvoir qui surgissent d'une révolution. Ce n'est pas une question de mot !

Mais le plus grave dans la position de l'Union Communiste, toujours défendue par H.Chazé aujourd'hui, ces son appel aux armes pour l'Espagne, la sous-estimation sinon la négation du caractère impérialiste de la guerre en Espagne. H.Chazé est encore tout fier de rappeler que son organisation se mit à la disposition de la CNT pour l'aider à fabriquer des armes. Ignore-t-il que ces armes servirent à jeter dans le carnage les ouvriers ? Il se plaint que le gouvernement Blum n'ait pas donné des armes. L'URSS en a donné. A quoi ont-elles servi, sinon ² en mai 37 ? De cela, H.Chazé ne pipe mot. Il préfère cacher la nature contre-révolutionnaire de cette politique en la définissant comme une "solidarité de classe avec les travailleurs espagnols en lutte".

On ne peut qu'être peiné de voir un vieux militant comme H.Chazé conserver la même confusion que L'Internationale en 1936-39. En affirmant encore aujourd'hui que la position de défaitisme révolutionnaire dans la guerre en Espagne était "insensée", il nie le caractère impérialiste de cette "guerre civile". "Cette guerre est bien une guerre de classe" affirmait L'Internationale en octobre 36. H.Chazé le réaffirme aujourd'hui. Ces mêmes articles de L'Internationale montrent pourtant clairement le caractère impérialiste de la guerre : "D'un côté Rosenberg, ambassadeur soviétique à Madrid est l'éminence grise de Caballero ; de l'autre côté, Hitler et Mussolini prennent la direction des opérations...Dans le ciel de Madrid, les avions et aviateurs russes combattent les avions et aviateurs allemands et italiens" (N°24, 5 décembre 1936). Ce passage pourtant très clair ne suffit pas à éclairer l'UC (et H.Chazé aujour­d'hui)qui se demande : "La guerre civile d'Espagne se transformera-t-elle en guerre impérialiste ?". H.Chazé ne voit la transformation en guerre impérialiste qu'après mai 37, comme si ce massacre n'était pas la conséquence du carnage impérialiste commencé en juillet 36 !

"MENSONGE", "FALSIFICATION", "AMALGAME" ?

La préface de H.Chazé aux Chroniques de la révolution espagnole est l'occasion pour lui de se livrer à un règlement de comptes contre Bilan et Communisme, organes respectifs à l'époque des fractions italienne et belge de la gauche communiste, dite "bordiguiste". Il affirme : "une poignée de jeunes bordiguistes belges, dès 1935 et donc avant de publier Communisme, pratiquaient allègrement le mensonge, la falsification de textes et l'amalgame... Ils continuèrent à propos de l'Espagne dans Communisme et furent épaulés par la direction de l'organisation italienne des bordiguistes qui publiait Bilan, et bien souvent en utilisant les mêmes procédés indignes de militants révolutionnaires". Et il conclut : "la position 'a priori' de la direction bordiguiste la conduisit à un monstrueux refus de la solidarité de classe avec les travailleurs espagnols en lutte".(Préface, p.8).

On chercherait en vain des arguments étayant des accusations aussi graves. Ce qui est sûr, c'est que Bilan et Communisme, lors de la guerre en Espagne, ont défendu sans concession aucune au courant ambiant, "interventionniste", les positions internationalistes. Ils ont refusé de soutenir un camp impérialiste ou un autre, et affirmé inlassablement que seule la lutte sur les "fronts de classe" contre toutes les fractions bourgeoises, anarchistes et POUMistes inclus, pourrait mettre fin au massacre sur les "fronts militaires" impérialistes. Au refrain classique de tous les traîtres au prolétariat "faire la guerre d'abord, la révolution ensuite", le courant "bordiguiste" opposait le seul mot d'ordre interna­tionaliste "faire la révolution pour transformer la guerre impérialiste en guerre civile". Cette position sans concession, seule la Gauche italienne et belge avec le Groupe des Travailleurs Marxistes du Mexique ([5] [96]) l'a défendue avec fermeté contre le courant de démission et de trahison gagnant même les petits groupes communistes de gauche, à gauche du trotskysme Une telle position ne pouvait que laisser isolée la Gauche communiste italienne et belge. Ce choix, elle l'a fait délibérément, pour ne pas trahir le prolétariat international.

Ce qui se cache derrière les mots "falsification", "mensonge", "amalgame", c'est une intransigeance politique que le groupe Union Communiste n'a pas su adopter. L'UC se situait-ans un marais indéfini où elle essayait de concilier tant bien que mal des positions de classe et des positions bourgeoises. Ce fut la raison de la rupture définitive entre la Gauche italienne et l'UC, qui jusqu'alors conservaient quelques liens. Le courant "bordiguiste" pensait même que l'UC avait passé la barricade lors du massacre en Espagne ([6] [97]).

La guerre en Espagne, parce que, dès le début, elle préparait le second grand massacre impérialiste, a été un test décisif pour toutes les organisations prolétariennes. Si l'UC n'est pas passée dans le camp ennemi en 1939, comme les trotskystes, par ses confusions, son manque de cohérence politique, elle a été condamnée à disparaître sans avoir pu donner de véritables contributions au prolétariat.

H.Chazé croit sans doute beaucoup nous blesser en nous présentant comme les héritiers des "falsificateurs" "...nos censeurs de 36 ont des héritiers qui sévissent dans leur journal Révolution Internationale". Passons sur la réduction du CCI à RI, procédé habituel employé pour nier la réalité internationale de notre courant. Loin de nous sentir atteints nous ne pouvons qu'être flattés d'être présentés comme les "héritiers" des "censeurs" de l'UC. L'héritage de la Gauche communiste italienne et belge, que H.Chazé présente comme "monstrueux", est un très riche héritage de fidélité et de fermeté révolutionnaires, qui lui a permis pendant la 2ème Guerre Mondiale de se perpétuer comme courant prolétarien. Ce que Bilan, Communisme ont dénoncé, c'est précisément le mensonge d'une guerre impérialiste présentée aux ouvriers espagnols comme une "guerre de classe". Ce qu'ils ont dénoncé, c'est la plus gigantesque falsification historique qui a travesti le massacre d'ouvriers sur les fronts militaires, en mai 37, comme une "révolution ouvrière". Le pire amalgame, c'était, et c'est toujours aujourd'hui, de confondre terrain capitaliste et terrain prolétarien, là où ils s'excluent, le terrain prolétarien étant la destruction de l'Etat capitaliste, le terrain capitaliste, celui de l'embrigadement du prolétariat derrière la cause ennemie, au nom de la "révolution".

Les leçons de la Gauche communiste ne sont pas un héritage mort. Demain, comme hier, les prolétaires peuvent parfaitement être entraînés en dehors de leur terrain de classe et être appelés à mourir pour la cause ennemie. Dans une situation aussi difficile que celle de l'Espagne 36, il est décisif de comprendre -quelles que soient les difficultés rencontrées par le prolétariat sur un terrain militaire où s'avancent les armées capitalistes- que les fronts militaires ne peuvent être abattus que si le prolétariat y oppose fermement et résolument son front de classe. Un tel front ne peut s'affermir que s'il se dresse contre l'Etat capitaliste et ses partis "ouvriers". Le prolétariat n'a pas d'"alliances" momentanées et "tactiques" à nouer avec eux : il doit, seul, par ses propres forces, se battre contre ses prétendus "alliés" qui l'immobilisent pour le massacre et le condamnent à un nouveau mai 37. Le prolétariat d'un pays donné n'a d'alliés que dans sa classe qui est mondiale.

LA VOIE DU DEFAITISME OU LA VOIE DE LA REVOLUTION ?

H.Chazé explique qu'il a voulu republier les textes de L'Internationale pour aider à "briser la camisole de force de l'encadrement". Sa tentative va malheureusement dans le sens opposé. Non seulement il ne bouge pas d'un iota par rapport aux positions de l'UC et montre une incapacité à faire un bilan sérieux des évènements de l'époque, mais qui plus est, tout au long de la préface aux Chroniques de  la révolution espagnole, il se dégage ici et là un ton nettement défaitiste. Alors qu'aujourd'hui, l'activité et l'organisation des révolutionnaires est une donnée fondamentale à comprendre pour la lutte du prolétariat, un instrument qui sera décisif dans la maturation de la conscience de classe, H.Chazé préconise la voie du "communisme (ou socialisme) libertaire" qui précisément a fait lamentablement faillite en Espagne. Il rejette toute possibilité et nécessité d'une organisation prolétarienne de révolutionnaires en affirmant : "la notion du parti (groupe ou groupuscule), seul porteur de la 'vérité' révolutionnaire, contient en germe le totalitarisme". Quant à la période actuelle, H.Chazé nourrit le plus noir pessimisme en affirmant n'avoir "pas trop d'illusions sur le contexte international, guère différent de ce qu'il était en 1936, malgré le nombre de grèves sauvages, dures, longues, contre la politique d’"austérité à sens unique du patronat des pays industrialisés." (...) "les forces contre-révolutionnaires se sont accrues partout dans le monde". Si nous sommes encore dans une période de contre-révolution, à quoi bon serviront les "leçons" que H.Chazé veut donner à ses lecteurs ? H.Chazé fait partie de ces vieux militants dont l'immense mérite a été de résister au courant contre-révolutionnaire. Mais comme beaucoup qui ont traversé la période la plus noire de l'histoire du mouvement ouvrier, tragiquement impuissants, il en a gardé une immense amertume, un désabusement sur la possibilité d'une révolution prolétarienne. Non, les leçons que H.Chazé veut donner, son pessimisme, ne sont pas nôtres([7] [98]).Aujourd'hui, depuis plus de dix ans, s'est close la longue nuit de la contre-révolution. Le prolétariat a ressurgi sur le terrain de la lutte de classe. Face à un capitalisme en crise qui voudrait le mener, comme dans les années 30, à une boucherie impérialiste, il garde une combativité intacte, il n'est pas battu. Malgré le poids des illusions qui pèsent sur lui, que souligne d'ailleurs à juste raison H.Chazé, il est une force immense qui attend son heure pour se dresser et proclamer à la face du monde capitaliste "J'étais, je suis, je serai.".

Roux/Ch.



[1] [99] Voir Revue Internationale n° 4, 6 et 7.

"La contre-révolution en Espagne", UGE 1979, avec une préface de Barrot dont nous critiquons le contenu dans ce numéro. Les éditions "Etcetera" à Barcelone ont publié en 1978 la traduction de certains textes de Bilan  sur l'Espagne: "Textos sobre la revolucion espanola, 1936-39".

[2] [100] Rayon : organisation de base du PCF. Courbevoie, Bagnolet: banlieues ouvrières de Paris.

[3] [101] "La révolution prolétarienne" : revue syndicaliste révolutionnaire.

[4] [102] "Que Faire ?", dirigée par Ferrat, était une scission du PCF, partisane du "Front Unique" avec la SFIO socialiste. Après la guerre, Ferrat intégra le parti de Léon Blum.

[5] [103] Voir les textes publiés dans les Revues Internationales n° 10, 19 et 20.

[6] [104] La question espagnole entraîna la rupture entre Bilan et la Ligue des Communistes Internationalistes  de Belgique en 1937. De cette dernière sortit la Fraction belge qui publia jusqu'à la guerre la revue Communisme. L'attitude face à la guerre d'Espagne fut à l’origine de la scission. Sur le fond, la LCI avait les mêmes positions que l'Union Communiste de H.Chazé et Lastérade.

[7] [105] Le recueil de textes de L’Internationale préfacé par H.Chazé a trouvé des admirateurs

Géographique: 

  • Espagne [106]

Evènements historiques: 

  • Espagne 1936 [107]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [36]

Sur la publication des textes de «Bilan» sur la guerre d'Espagne

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La reparution des textes de "BILAN" consacrés aux événements d'Espagne de 1936 à 1938, dans une collection de poche, est un événement important. Longtemps refoulées par la puissance de la vague contre-révolutionnaire, les positions internationalistes ré émergent peu à peu dans la mémoire, prolétarienne. Depuis quelques années, un intérêt croissant se manifeste pour la gauche communiste en général, pour la véritable gauche italienne, incarnée par "BILAN" en particulier.

On ne sera pas surpris que de prétendus "héritiers" de la gauche italienne - le courant bordi­guiste - n'aient pas jugé bon de publier les textes de BILAN. Leur politique du silence n'est pas fortuite. La gauche italienne des années 30 est un "ancêtre" gênant qu'ils auraient bien voulu ensevelir dans un oubli définitif.

En réalité, les "bordiguistes" d'aujourd'hui n'ont qu'un rapport très lointain avec BILAN et ne peuvent sous aucun titre se revendiquer d'une filiation de lui.

Nous nous proposons, d'ici quelques mois, de publier une histoire de la gauche communiste italienne de 1926 à 1945, sous forme de livre, afin que son apport reste bien vivant pour les nouvelles générations révolutionnaires.

Au mois de juin 1979, c'est avec beaucoup d'intérêt et de satisfaction que nous avons vu la publication d'un choix de textes de Bilan sur la guerre' d'Espagne, sous l'égide de 3: Barrot. Ce travail de réimpression avait déjà été fait en partie par le CCI dans sa Revue Internationale (n° 4, 6 et 7), et concernant notre analyse de l'importance du travail effectué par la Fraction Italienne de la Gauche Communiste, nous renvoyons le lecteur aux introductions écrites à cette occasion.

Avec la volonté de situer Bilan dans l'histoire des fractions de gauche qui ont lutté contre la dégénérescence de la IIIème Internationale, Barrot a écrit une longue introduction où, bien qu'il affirme et rappelle des positions révolutionnaires, l'auteur finit certainement par égarer le lecteur profane en mêlant les genres : considérations personnelles mêlées à celles de Bilan, comparaisons historiques avec la période actuelle,  définition de concepts, histoires d'autres groupes, polémiques contre le CCI et Bilan. Si beaucoup d'annotations sont justes, et nous ne nions pas qu'il ne faille pas porter des critiques sur Bilan, qui était le produit comme tout groupe d’une période donnée, il faut constater malheureusement que Barrot se situe en juge de l'histoire et que ses conceptions propres viennent jeter la confusion sur les positions fondamentales pour l'émancipation de la classe ouvrière, sur la vie de celle-ci et sur son rôle historique.

  1. MESURES CONCRETES ET PERSPECTIVE REVOLUTIONNAIRE

L'expérience espagnole, la réaction spontanée des prolétaires se dotant de milices contre l'attaque franquiste en dépit des tentatives de conciliation du Front Populaire, puis ces mêmes prolétaires se soumettant à l'encadrement de la gauche bourgeoise, montre la nature des barrières politiques dressées contre le prolétariat et l'échec auquel il est voué s'il ne les franchit pas.

Saluant les positions claires de Bilan à ce propos, et ne pouvant faire autrement car là il n'invente rien, J. Barrot se pose cependant en contempteur du haut de sa chaire à propos de ces évènements d'Espagne en 36-37 :

"Bilan a tendance à ne voir qu'un étouffement des prolétaires (ce qui est vrai), et non l'apparition d'un mouvement social susceptible dans d'autres conditions d'avoir un effet révolutionnaire." "Dénoncer la contre-révolution sans en énoncer aussi les mesures positives et leur enracinement dans chaque situation, c'est agir de façon purement négative. Le parti (ou la 'fraction') n'est pas un sécateur." (page 88)

Si J. Barrot entend par mouvement social, le bouleversement inévitable des institutions bourgeoises en temps de crise, tel que grèves et occupations des terres, c'est un fait que Bilan ne nie pas. Ce que dit Bilan, c'est qu'un tel bouleversement est insuffisant sans le renversement de l'Etat bourgeois !

Quand Bordiga disait qu'il faut détruire le monde capitaliste avant de prétendre construire la société communiste, ce n'était pas pour énoncer un adage de plus, c'était surtout pour montrer comme le faisait Rosa Luxembourg que les révolutionnaires ne disposent que de quelques poteaux indicateurs pour la voie du communisme. Mais J. Barrot a sans doute la prétention, comme les utopistes, de définir dans les détails la marche et la constitution d'une société que bâtiront des millions de prolétaires et sur laquelle nous savons peu, sinon, à grands traits, qu'elle verra le dépérissement de l'Etat, l'abolition du salariat et la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme ([1] [108]).

J. Barrot semble avoir oublié la part fondamentale de la dénonciation de la société bourgeoise quand il reprend à son compte, avec d'autres mots, l'accusation traditionnelle du bourgeois, selon laquelle les révolutionnaires (la Fraction Bilan en l'occurrence) seraient purement nihiliste.

Alors oui, et qui plus est, à propos du massacre des travailleurs en Espagne, le rôle de la Fraction était et ne pouvait être que sécateur entre les idées bourgeoises et prolétariennes, et, sans aucun nihilisme, de dresser la perspective de lutte autonome de la classe -qui en tant que telle n'a rien à voir avec la lutte syndicale basée sur les revendications de la gauche- d'affirmer la nécessité de s'opposer à tout envoi d'armes pour l'un ou pour l'autre camp impérialiste, de mettre en avant la nécessaire fraternisation des prolétaires, sans quoi (ce qu'il advint) ils seraient tués dans la guerre locale d'abord, puis dans l'holocauste mondial. Telles étaient les mesures concrètes politiques à mettre en avant, et Bilan les a défendues!

2. CRISE DU PROLETARIAT OU NECESSAIRE RECONSTITUTION DE SON INDEPENDANCE DE CLASSE ?

Oubliant un demi-siècle de contre-révolution et dénaturant l'affirmation de l'autonomie de classe par Bilan, J. Barrot semble rabaisser cette indépendance de l'action du prolétariat au niveau du danger que la lutte économique reste sur le terrain économique (et plus loin d'ailleurs il nie la primauté du politique quand l'action de la classe englobe nécessairement le politique et l'économique):

"...Dans ces conditions, insister sur "l'autonomie" des actions ouvrières ne suffit pas. L'autonomie n'est pas plus un principe révolutionnaire que le "dirigisme" par une minorité: la révolution ne se revendique pas plus de la démocratie que de la dictature."

Bien qu'il rappelle l'importance du contenu pour l'autonomie, on se demande quel contenu met Barrot dans la dictature du prolétariat, dans la démocratie prolétarienne, dans les organes de masse du prolétariat ?

On comprend que pour cet auteur, l'autonomie ne soit pas un principe car ainsi il rejette l'affirmation du prolétariat comme classe distincte des autres classes et qui forge son expérience à travers ses multiples luttes même sous la domination du capital. C'est lui qui fait la séparation entre la lutte économique et politique, alors que ni Bilan ni le CCI, qu'il met en cause, n'ont jamais fait précéder l'un ou l'autre de façon mécanique; Rosa et Lénine ont assez souvent démontré en quoi les phases de luttes économiques et politiques se succèdent en s'interpénétrant au point qu'elles se confondent, parce qu'elles sont des moments d'une même lutte de la classe ouvrière contre le capital.

Les révolutionnaires ont toujours mis en avant que les ouvriers sont amenés à dépasser le stade strictement revendicatif, faute de quoi les luttes sont vouées à l'échec. Pour autant, les échecs de nombreuses luttes ces dernières années sont le ferment de la lutte décisive à l'avenir, mais J. Barrot y voit une contradiction :

"...contradiction (qui) engendre une véritable crise  du prolétariat, reflétée entre autres par la crise des quelques groupements révolutionnaires. Seule une révolution pourrait dépasser pratiquement cette contradiction."

Pour résoudre ce qu'il comprend de cette apparente contradiction, Barrot secoue le mot révolution comme le curé prodigue l'encens pour chasser le diable.

Il est de peu d'intérêt ici de retenir toutes les jongleries contradictoires de Barrot, mais si par exemple, d'un côté il reconnaît que "l'expérience prolétarienne s'enracine toujours dans les conflits immédiats", comment peut-il soutenir l'idée selon laquelle: "c'est l'activité réformiste des salariés eux-mêmes qui les enchaîne au capital" ?

Que vient faire là le réformisme, alors que les prolétaires se battent contre l'aggravation de leurs conditions de vie ? A moins que Barrot -comme tout gauchiste moyen- identifie la classe aux partis contre-révolutionnaires qui prétendent la représenter et qui passent pour être "réformistes" ?

Si les prolétaires s'enchaînent par eux- mêmes au capital, autant dire que les partis de gauche en Espagne (et ailleurs !) n'ont aucune responsabilité dans la guerre impérialiste et que les idées bourgeoises ne sont plus des forces matérielles ! Alors, le prolétariat n'existe plus comme classe révolutionnaire et la société communiste n'aura été qu'une utopie de plus !

Mais Barrot risque encore de dire que nous dénaturons les questions qu'il pose - certes, ce serait de la mauvaise foi - si seulement Barrot ne confirmait pas la nature de ses questions par ses réponses modernistes et ses jugements a-historiques !

Nous avons appris successivement que l'autonomie de classe n'était pas un principe, que les prolétaires s'enchaînaient au capital. Nous apprenons ensuite que le CCI sait "à peu près ce que la révolution doit détruire, mais non ce qu'elle doit faire pour pouvoir le détruire" (page 87); ceci nous renvoie aux "mesures concrètes„ telles qu'elles entrent dans le schéma barrotien, et on verra que c'est Barrot qui fait l'ignorant.

3. AUCUNE MODIFICATION TANGIBLE DE LA STRUCTURE SOCIALE N'EST VIABLE SANS DESTRUCTION DE L'ETAT BOURGEOIS 1

Nous avons déjà noté l'insuffisance de certains bouleversements sociaux ; que la classe ouvrière tende à remettre en route la production et que les paysans sans terre exproprient les propriétaires fonciers n'a pas un effet révolutionnaire en soi, mais est au contraire un des moments du processus de tâtonnement de la classe, qui, en lui-même n'est pas émancipateur si ce contrôle de la production devient "l'autogestion" et si les prolétaires, comme en Espagne sont soumis à une fraction de la bourgeoisie au nom de "l'antifascisme". Barrot reconnaît les limites de tels bouleversements, mais tout de même en les présentant comme "une immense poussée révolutionnaire".

Tout en reconnaissant partiellement que l'Etat bourgeois républicain "répugnait" (évidemment) à l'emploi de méthodes de lutte sociale pour envoyer en fin de compte les prolétaires au front impérialiste, Barrot pense que :

"La non-destruction de l'Etat empêche aux socialisations et collectivisations d'organiser une 'économie anti-mercantile' à l'échelle de toute la société."

Ce qui est vrai en un sens, mais pour cet auteur, socialisations et collectivisations sont forcément "la tendance potentielle" au communisme. Pour nous, si tendance potentielle au communisme il y a, elle s'exprime dans la capacité de la classe ouvrière à généraliser ses luttes, à centraliser et coordonner son organisation, à faire la démarcation avec les partis bourgeois, à s'armer pour mettre fin à la domination capitaliste, comme condition première de la transformation sociale, plutôt qu'un contrôle de la production visant à atténuer la faillite de la bourgeoisie, ou pire, prétendant, avant la destruction de l'Etat, instituer des rapports de production nouveaux !

En octobre 17 en Russie, ce type d'expérience d'autocontrôle des usines tourne vite court. Ce qui se dégage d'abord et avant tout, c'est la centralisation de la lutte, une centralisation qui, soit n'existe pas en Espagne, soit...est prise en charge par l'Etat bourgeois. Les prolétaires en Russie, après la destruction de l'Etat bourgeois, ont pu croire un court moment organiser une économie anti mercantile avec toutes les difficultés que l'on sait : ce qui s'est confirmé, c'est une impossibilité de la faire dans un cadre national, même après la destruction de l'Etat bourgeois.

Il est évident que les prolétaires, dès avant l'assaut contre l'Etat, dans la période de maturation, bouleversent la bonne marche de l'exploitation, mettent en avant une réduction du temps de travail (les 8 heures), imposent des décrets sur la terre et sur la paix, mais ces mesures ne sont pas en soi communistes. Leur application n'est que la satisfaction de revendications que le capitalisme n'est même plus capable de satisfaire. Et même si le capital cède avant sur certaines de ces mesures, le degré de conscience atteint par les prolétaires au cours du processus de la lutte ne peut leur faire négliger la nécessité de l'insurrection politique.

Après l'insurrection, les prolétaires d'une aire géographique donnée continuent à subir le joug de la loi de la valeur. Si on ne le reconnaît pas, il faut alors nier que le capitalisme impose sa loi à l'ensemble de la planète tant qu'il existe, c'est la porte ouverte à la thèse stalinienne du "socialisme dans un seul pays". Tout ce que nous savons, c'est que le prolétariat ne se trouvera pas avec un mode de production fixe, mais qu'il lui faudra constamment le bouleverser dans un sens anti-mercantile

Pour ce qui est d'établir aujourd'hui de façon précise le quand et le comment sera effectuée la distribution des richesses sociales selon les besoins à long terme (hormis la satisfaction des revendications les plus immédiates, la nourriture, le logement, la suppression de la hiérarchie des salaires, etc.), cela relève de la spéculation hasardeuse ou du bricolage politique. A ce niveau, nous nous trouvons dans la société en transition du capitalisme au communisme, étape inévitable comme l'a toujours affirmé le marxisme.

4. DE LA LUTTE DE CLASSE SOUS LA DOMINATION DU CAPITAL A L'AFFIRMATION DU PROLETARIAT

Il est facile à tous les novateurs en théorie sociologique de théoriser les faiblesses du mouvement ouvrier, de voir les ouvriers récupérés par la "société de consommation" ou intégrés au capital. La prétention de ces fabricants d'idées n'est au vrai qu'une tentative de plus pour liquider le marxisme en tant que méthode et instrument de combat d'une lutte de classe qui tend à détruire l'infrastructure de leur classe d'appartenance, la bourgeoisie. Tel est le chemin sur lequel Barrot risque fort de s'embourber.

Malheureux prolétariat d'Espagne 1936 qui n'obéit pas aux considérations d'un grand observateur au dessus de l'histoire. Au début, il y a un "comportement communiste bien rapporté par Orwell" et ensuite "il ne s'organise pas de façon communiste parce qu'il n'agit pas de façon communiste." Comprenne qui pourra ! En réalité, Barrot met la charrue avant les bœufs :

"Le mouvement communiste ne peut vaincre que si les prolétaires dépassent le simple soulèvement (mine armé) qui ne s'en prend pas au salariat lui-merle. Les salariés ne peuvent mener la lutte armée qu'en se détruisant comme salariés."

Barrot s'engage à la légère pour tirer une leçon des évènements en Espagne, nonobstant le fait qu'il ne s'agit pas alors (en juillet 36) d'un soulèvement armé contre l'Etat. Après avoir été incapable de nous expliquer comment les ouvriers atomisés en individualités peuvent devenir le prolétariat s'affirmant pour le renversement de l'ordre établi, autrement que par des formules du genre "éclatement de la théorie du prolétariat" (!), il veut nous faire croire à la simultanéité absolue de l'abolition du salariat et du renversement de l'Etat bourgeois. Autant rêver encore une fois de la constitution immédiate du communisme !

Effectivement, les prolétaires insurgés ne sont plus à proprement parler des salariés, mais cesseront-ils pour autant de produire dans les usines - même avec un fusil en bandoulière - ? Travailleront-ils gratuitement pour des millions de sans-travail ? Est-il possible au sein du secteur sous contrôle prolétarien de supprimer toute rétribution dans l'anarchie léguée par le capitalisme international, qui dans sa tentative matérielle pour écraser la révolution, imposera par exemple une plus grande production d'armes ou de matériaux de première nécessité? Et de toute façon, qui peut décider du mode de rétribution et de la meilleure façon d'aller au plus vite à l'abolition du salariat dans la division du travail encore existante : Marx et ses bons du travail évoqués dans la Critique du Programme de Gotha ? Barrot ? Le Parti ? Ou plutôt l'expérience même de la classe.

Ce qui distingue aujourd'hui les révolutionnaires de tous les élucubrateurs du communisme en imagination, c'est l'affirmation que toutes les mesures économiques ou de transformation sociale, seront assumées sous la dictature du prolétariat, sous le contrôle politique de cette classe et qu'il n'y aura pas de mesures économiques acquises définitivement, garantissant l'avance vers le communisme ou dont on soit sûr qu'elles ne se retournent pas contre le prolétariat, tant que la politique bourgeoise ne sera pas définitivement vaincue.

Barrot n'a même pas encore levé un coin du voile de la société en transition vers le communisme, qu'il définit déjà la révolution comme "la réappropriation des conditions de la vie et de la production des rapports nouveaux" en traitant par dessus la jambe la période insurrectionnelle décisive. On comprend qu'il reproche, comme tous les modernistes, à la Gauche italienne "un formalisme ouvrier voire un économisme" (!), même s'il est lui-même obligé de reconnaître un rôle-clé aux ouvriers. Par le manque de clarté de toutes ces formulations, n'est-on pas fondé de croire que la démonstration implique le rejet de l'affirmation du prolétariat comme classe sujet de la révolution ?

Tous ceux qui dissolvent déjà le prolétariat en voulant faire croire qu'il est en crise parce qu'il n'arriverait pas à dépasser ses triviales luttes immédiates qui l'enchaîneraient au capital, tous ceux qui envisagent la disparition de la classe ouvrière avant l'assaut révolutionnaire, avant le communisme, sont inutiles au prolétariat parce qu'ils gomment d'un trait toutes les difficultés du passage au communisme. Leurs théories fumeuses 'sur papier glacé finiront à la corbeille à papier de l'histoire.

Loin d'aider à une juste appréciation du rôle des fractions de gauche et de leurs apports à l'usage de notre génération, Barrot les déforme en accusant la Gauche Italienne d'hypertrophier le politique, d'en rester à une conception successive de la révolution (politique puis économique); et qui plus est, bien que Bilan ait tracé les caractères généraux de la révolution communiste future, en l'accusant d'avoir "opposé" le but au mouvement".

Ce genre de commentaires confine au charlatanisme. A l'encontre de ce que tente de démontrer Barrot il suffit de lire le choix des textes publiés, pour voir le soin que Bilan met dans l'analyse du rapport des forces, à rappeler les percées prolétariennes et les sacrifices de la classe, pour montrer en quoi la classe vit et lutte, même handicapée par le poids de l'anarchisme en Espagne, même déviée de la perspective communiste, en quoi les expériences de luttes en 36 constituent une part irremplaçable de l'expérience de la classe dans sa recherche du but final.

La guerre d'Espagne n'a aucunement bloqué le développement théorique de la Gauche Italienne, elle a au contraire vérifié les analyses de Bilan, confirmé qu'il ne fallait pas abandonner d'un pouce la politique prolétarienne. Quant au mouvement "potentiel" dont parle Barrot pour les besoins de sa théorie, les mesures concrètes telles que les "socialisations et collectivisations", elles ont été exagérées dans leur importance et utilisées par la bourgeoisie comme exutoire au problème politique fondamental : l'attaque contre l'Etat bourgeois. Pour Barrot, le communisme est pour tout de suite ou pour jamais. Il clame à qui veut l'entendre : "le communisme théorique ne peut plus exister que comme affirmation positive de la révolution" (souligné par nous). Dans ces conditions, le lecteur de la préface aux textes de Bilan aura pu se demander de quoi se revendique la révolution barrotien­ne, si elle n'est pas quelque chose qui mène nulle par pour aller n'importe où.

Le lecteur attentif a compris que la révolution viendrait toute seule un beau jour pour résoudre la "crise du prolétariat" par la négation pure et simple de cette classe, qu'elle se passerait de ces petits groupes révolutionnaires émiettés qui "ressemblent plus à des maisons d'édition" ou de groupes comme le CCI qui ne savent pas "ce que la révolution doit faire". La force du trait de plume de Barrot élimine les acquis programmatiques du mouvement révolutionnaire, le débat sur la période de transition, rejette la conscience de classe et l'importance de l'activité des révolutionnaires et fait un grand saut dans le vide intersidéral ! Barrot a un grand mérite : c'est d'avoir fait publier des textes de Bilan sur la guerre d'Espagne.

J.L.



[1] [109] Sur la période de transition, consulter les travaux de Bilan et différents textes dans la Revue Internationale du CCI.

Géographique: 

  • Espagne [106]

Evènements historiques: 

  • Espagne 1936 [107]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [36]

Revue Internationale no 23 - 4e trimestre 1980

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Grève de masse en Pologne 1980: une nouvelle brèche s'est ouverte

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  • "La grève de masse n'est ni fabriquée artificiellement, ni décidée et propagée dans un éther immatériel. Elle est un phénomène historique résultant, à un certain moment, d'une situation sociale à partir d'une nécessité historique".
    R. Luxemburg. (Grève de masse, Parti et syndicats)

Une brèche s'est ouverte dans l'histoire qui ne se refermera plus : sous les yeux du monde entier, la classe ouvrière en Pologne a ouvert le glacis de l'Est pour rejoindre la lutte de classe de tous les ouvriers. Comme en 1905 en Russie, ce mouvement est sorti des profondeurs du prolétariat; son caractère de classe est sans équivoque. La grève de masse en Pologne par son ampleur, par sa dimension historique, par sa voix résolument ouvrière marque l'évènement le plus important depuis le réveil de la lutte de classes en 1967-68.

La portée de cet évènement dépasse de loin les jalons encore hésitants de mai 68 en France. A l'époque de ce grand coup de tonnerre marquant la fin de la période de la contre-révolution et le début d'une nouvelle période de bouleversements-sociaux, le potentiel du mouvement ouvrier restait encore flou. D'autres parlaient à la place de la classe ouvrière, comme les étudiants par exemple, qui sentaient viscéralement l'écroulement de toutes les valeurs d'une société encaissant sourdement les premières secousses de la crise mais qui ne pouvaient apporter de solutions. A l'Est, la Tchécoslovaquie de 68 était à l'image de l'époque : un mouvement où la classe ouvrière n'a pas tenu directement la scène, un mouvement nationaliste dominé par une fraction du Parti au pouvoir, un "Printemps de Prague" de "revendications démocratiques" sans lendemain. Bien que le mouvement de Pologne en 70 ait fait preuve d'une plus grande maturité du prolétariat, il est resté peu connu et limité.

Aujourd'hui, par contre, la crise économique du système est une réalité quotidienne ressentie dans la chair des ouvriers, donnant ainsi aux évènements de Pologne 80 une toute autre dimension : c'est un pays entier embrasé par le feu d'une grève de masse, par l'auto organisation généralisée des ouvriers. C'est la classe ouvrière qui a tenu le devant de la scène, débordant le cadre de la défense économique pour se poser, malgré des faiblesses, sur le terrain social .En réagissant aux effets de la crise économique, les ouvriers en Pologne viennent de faire l'éclatante démonstration du fait que le monde est un -tous les gouvernements du monde quelle que soit leur couverture idéologique, pataugent dans la crise, demandent des sacrifices aux exploités. La lutte de Pologne 80 est la meilleure preuve que le monde n'est pas divisé en deux systèmes différents, mais que le capitalisme sous une forme ou une autre règne partout à travers l'exploitation des travailleurs. Les grèves en Pologne donnent un immense coup, qui se révélera irréversible, à la crédibilité devant la classe de la mystification stalinienne et pro-stalinienne sur les "Etats ouvriers" et le "socialisme" à l'Est. Chaque fois que les ouvriers en lutte se heurteront n'importe où dans le monde aux chaînes idéologiques et physiques du stalinisme, on se souviendra de la voix ouvrière de Gdansk. Et la brèche ne fera que s'élargir. Les évènements de Pologne ne peuvent être compris que dans le cadre de la crise du capitalisme (cf. dans ce numéro l'article sur "La crise dans les pays de l'Est") et comme partie intégrante d'une reprise internationale des luttes ouvrières.

A l'Ouest, depuis plusieurs années, la lutte de classes a surgi avec plus de vigueur, confirmant la combativité intacte de la classe ouvrière : la grève de la sidérurgie en Grande-Bretagne, la lutte des dockers à Rotterdam, Longwy-Denain en France, les combats au Brésil en sont les exemples les plus frappants.
A l'Est, les évènements récents font partie de toute une agitation ouvrière qui se développe depuis plusieurs mois, notamment la grève générale qui a paralysé la ville de Lublin en Pologne en juillet 1980 et les récentes grèves en URSS (celle des conducteurs d'autobus à Togliattigrad qui a reçu l'appui des ouvriers des usines automobiles). Ces éléments apportent un démenti catégorique à tous ceux qui propageaient le mythe que la classe ouvrière est à jamais écrasée à l'Est et que toute lutte de classes y est impossible.
Nous voyons aujourd'hui des signes incontestables d'une réaction généralisée de plus en plus vive aux manifestations de la crise mondiale. Dans ce sens, les grèves en Pologne marquent un pas immense pour la reprise internationale de la lutte prolétarienne, pour la démonstration de cette unité fondamentale de la condition et de la solution ouvrière.

C'EST LA NAISSANCE DE NOTRE FORCE.
LE PROLETARIAT ET LES ANTAGONISMES INTER-IMPERIALISTES

Que la reprise internationale des luttes de la classe ouvrière trouve son point culminant dans un pays de l'Est, a une signification toute particulière pour le prolétariat. Celui-ci vient de vivre toute une période de battage intense de la part de la bourgeoisie occidentale sur le danger de guerre qui viendrait du bloc de l'Est, seul "belliciste" face à un bloc de l'Ouest "pacifique". A ce niveau, la leçon est énorme et apporte un démenti cinglant aux mensonges d'un bloc guerrier, homogène et uni, contre lequel il serait nécessaire de se mobiliser, toutes classes confondues, pour éviter d'autres Afghanistan. En se soulevant, le prolétariat polonais est venu jeter le trouble dans ce choix monstrueux que la bourgeoisie s'ingénue à présenter comme le seul choix possible, celui d'un camp impérialiste contre un autre. Les ouvriers en Pologne ont remis au premier plan le seul véritable choix par-delà les frontières nationales: OUVRIERS CONTRE PATRONS, PROLETARIAT CONTRE CAPITAL.

La bourgeoisie de tous les pays a senti cette menace ouvrière; face à la lutte de classes qui tend à rompre le cadre de la société capitaliste, en mettant à nu l'antagonisme prolétariat-bourgeoisie, la classe capitaliste -au plus chaud des évènements- a fait preuve d'une espèce de solidarité internationale qui étonne les non-avertis. Contrairement à la Hongrie 56 ou même à la Tchécoslovaquie 68 où la bourgeoisie du bloc de l'Ouest a profité de la situation pour tenter de gagner un nouveau point d'appui, on a vu cette fois-ci l'édifiant spectacle de tous les gouvernements du monde -à l'Est comme à l'Ouest- apportant chacun leur "seau d'eau" pour éteindre le feu ouvrier. Les crédits que l'occident offre à la Pologne à travers la pression faite sur les banques allemandes et le Fond Monétaire International et l'argent envoyé par les syndicats occidentaux, les crédits accordés par la Russie. Les voilà tous autour de la "mère malade" essayant de faire en sorte que l'endettement colossal de la Pologne n'empêche pas celle-ci d'accorder des miettes à la classe ouvrière pour pouvoir calmer le mouvement. Tous n'ont qu'un seul but : maintenir le statuquo face au danger prolétarien et sa tendance à faire tache d'huile... On ne peut pas connaître tous les détails de la diplomatie secrète mais les lettres "personnelles" de Giscard et Schmidt à Gierek, de Président à Président, les coups de téléphone, les consultations Carter-Brejnev, montrent la préoccupation commune que les ouvriers en Pologne ont suscité chez l'ennemi de classe.

Dans ce sens, les évènements de Pologne ne font que confirmer une loi historique fondamentale de ce monde divisé en classes antagoniques. Quand les mutineries des marins en Allemagne 1918, suite à l'exemple de la révolution russe, ont fait peur à la bourgeoisie des deux côtés des tranchées, celle-ci a dû arrêter la guerre pour ne pas risquer l'effondrement de tout son système. De même, la lutte décidée et organisée des ouvriers en Pologne contre l'austérité, même si elle n'a pas été insurrectionnelle, a repoussé provisoirement la question des conflits inter-impérialistes à l'arrière-plan en mettant la question sociale au premier plan. Ces facteurs inter-impérialistes ne disparaissent pas et ne sont mis à l'écart que provisoirement puisque la pression de la classe ouvrière est encore sporadique et pas suffisamment mûrie pour permettre un affrontement décisif. Mais ces évènements constituent la preuve la plus nette que le potentiel de résistance de la classe ouvrière représente aujourd'hui le seul frein efficace à la guerre. Contrairement à ce que clament la gauche et autres sur la prétendue nécessité de battre d'abord le camp impérialiste qui se trouve en face ("l'ennemi n°1") pour ensuite engager la lutte sociale (souvenons-nous du battage autour de la guerre du Vietnam dans les années 60), les évènements de Pologne montrent que seule la solidarité prolétarienne dans la lutte peut faire reculer les menaces de guerre.

LA BOURGEOISIE CEDE

Un acquis de ce mouvement qui ne s'effacera pas est le fait que la lutte ouvrière peut faire reculer la bourgeoisie à l'échelle internationale et nationale et établir un rapport de forces en sa faveur. La classe ouvrière n'est pas démunie devant la force répressive de son exploiteur, elle peut paralyser la main de la répression par la généralisation rapide du mouvement.

Il est clair que les ouvriers en Pologne ont tiré beaucoup d'enseignements de leurs expériences précédentes de 1956, 70 et 76. Mais, contrairement à ces luttes et notamment à celles de Gdansk, Gdynia et Szczecin en 1970 où les émeutes dans la rue ont constitué l'aspect le plus marquant, la lutte de 1980 des ouvriers en Pologne a consciemment évité les affrontements prématurés. Ils n'ont pas laissé de morts. Ils ont senti que leurs forces résident avant tout dans la généralisation de la lutte, dans l'organisation de la solidarité.

Il ne s'agit pas d'opposer "la rue" à "l'usine" car elles font partie toutes deux de la lutte de la classe ouvrière mais il faut comprendre que "la rue" (sue ce soient des manifestations ou des bagarres) et "l'occupation de l'usine" comme lieu de repère et non de "prison" ne sont des moyens efficaces pour la lutte que si la classe prend le combat en ses propres mains en généralisant la lutte au-delà des divisions des catégories du travail et en s'organisant de façon décidée. C'est en cela que réside notre force et non pas en une exaltation morbide de la violence en soi. Contrairement aux légendes des situationnistes à propos de "brûler et piller les supermarchés" ou des bordiguistes sur "la terreur rouge" de Nosferatu, la lutte a franchi aujour­d'hui une étape en dépassant le stade des explosions de colère. Et ceci, non pas parce que les ouvriers en Pologne seraient devenus sous la pression du KOR pacifistes. A Gdansk, Szczecin et ailleurs, les ouvriers ont organisé immédiatement des groupes de défense contre toute répression éventuelle. Ils ont su juger quelles étaient les armes adéquates à leur lutte dans le moment présent. Il n'y a évidemment pas de recette valable en toute circonstance, mais la preuve est faite que c'est l'extension rapide du mouvement qui a paralysé l'Etat. On a beaucoup parlé du danger "des chars russes".

En réalité, les armées russes ne sont jamais intervenues directement en Pologne, que ce soit à Poznań en 1956 ou pendant les mouvements de 70 et 76. Ceci ne veut pas dire que l'Etat russe n'enverra pas en dernière instance l'équivalent "des marines" américains si le régime risque de sombrer.

Mais aujourd'hui, nous ne sommes pas dans la période de la "guerre froide" (comme en Allemagne de l'Est en 1953) où la bourgeoisie avait les mains libres face à un soulèvement isolé. Ce n'est pas non plus une insurrection historiquement prématurée et noyée (comme ce fut le cas pour la Hongrie 1956) ni un mouvement nationaliste tendant à s'ouvrir vers le bloc rival (Tchécoslovaquie 1968). La lutte des ouvriers en Pologne 1980 se situe dans une époque de potentialité du mouvement ouvrier dans tous les pays, à l'Est comme à l'Ouest. Et malgré la situation militaire et stratégique de la Pologne, l'Etat russe doit faire très attention. Il n'était pas possible de faire face à la lutte dès le départ par un massacre des ouvriers. D'autant plus qu'en 1970, en Pologne, c'est la réponse aux premières répressions brutales qui avait déclenché la généralisation immédiate des luttes. Face à un mouvement ouvrier de la taille de 1980, la bourgeoisie a cédé; la classe ouvrière a senti sa force, prenant confiance en elle-même.

POLOGNE 1980 NOUS MONTRE LE CHEMIN

Partant des mêmes causes qui provoquent les mouvements de grèves ouvrières -la révolte contre les conditions de vie- les ouvriers en Pologne,  mobilisés au début contre la pénurie et la hausse des prix des produits alimentaires, notamment la viande, ont étendu le mouvement par des grèves de solidarité, refusant les injonctions du gouvernement pour négocier usine par usine, secteur par secteur et déjouant ainsi le piège auquel se heurte de façon répétée la lutte ouvrière dans tous les pays depuis quelques années. Car au-delà des septicités des attaques du capitalisme contre la classe ouvrière (ici, licenciements massifs, inflation; là, rationnement des biens de consommation, également inflation), ce sont les mêmes problèmes fondamentaux qui sont posés à l'ensemble du prolétariat, quelles que soient les modalités de l'austérité, quelle que soit la bourgeoisie nationale qu'il trouve en face de lui. Et la lutte des ouvriers en Pologne ne peut servir véritablement à ses frères de classe que si tous ses enseignements, peu à peu sont assimilés.

En 1979, en France, les ouvriers de la sidérurgie se sont mobilisés spontanément et violemment contre l'Etat capitaliste qui venait de décréter une vague de licenciements. Il a fallu deux mois aux syndicats pour parvenir à enrayer les possibilités d'extension du mouvement -en faisant cesser notamment les grèves dans la région parisienne- et faire rentrer les ouvriers dans le cadre capitaliste et légaliste de la négociation des licenciements. L'organisation de la lutte laissée aux mains des organes de base des syndicats, l'extension limitée au seul secteur de la sidérurgie, la violence ouvrière dévoyée en opérations "coups de poing" nationalistes, tels ont été les obstacles rencontrés par la classe ouvrière et qui ont permis à la bourgeoisie de démobiliser la combativité ouvrière et de mettre en œuvre, finalement, ses plans.

En 1980, en Grande-Bretagne, sous la poussée générale des ouvriers, les syndicats de base -les shop-stewards- prennent l'initiative des comités de grève. Alors que des licenciements massifs (plus de 40.000) se profilent, les revendications sont limitées à des augmentations de salaire; alors que d'autres secteurs de la classe ouvrière sont prêts à bouger, la "généralisation" est noyée vers la seule sidérurgie privée, moins combative. Il faudra néanmoins trois mois pour parvenir à démobiliser les ouvriers... les trois mois de stocks à écouler prévus par la bourgeoisie.

Dans ces grèves, la classe ouvrière fait l'expérience à la fois de sa force, mais aussi des impasses du corporatisme et de la spécialisation de ses revendications par secteur ou par usine, de la stérilité de "l'organisation" syndicale. Le mouvement en Pologne, par son caractère massif, par sa rapidité, son extension au-delà des catégories et des régions, confirme non seulement la nécessité mais la possibilité d'une généralisation et d'une auto-organisation de la lutte allant au-delà des expériences précédentes de la classe ouvrière, apportant une réponse à celles-ci.

Les syndicalistes de tous bords nous disent : "Sans syndicats, il n'y a pas de lutte possible, sans syndicats, la classe ouvrière est atomisée". Voilà que les ouvriers en Pologne apportent un démenti retentissant à ce mensonge. Les ouvriers en Pologne n'ont jamais été aussi forts, parce qu'ils possédaient leurs propres organisations nées de la lutte, avec des délégués élus et révocables à tout instant .C'est seulement lorsqu'ils se sont tournés vers les chimères des syndicats libres qu'ils ont été amenés à se remettre dans le carcan de l'ordre capitaliste en reconnaissant le rôle suprême de l'Etat, du parti communiste dans l'Etat et le Pacte de Varsovie (Protocol de Gdansk). Les évènements de Pologne nous montrent le potentiel contenu dans toutes les luttes actuelles et qui jaillirait s'il n’y avait pas des amortisseurs sociaux, les syndicats et les partis de la "démocratie" bourgeoise pour le contenir et le désamorcer.

LES EVENEMENTS

  • "La grève de masse est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants... Tantôt, elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux, tantôt, elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt, elle se perd dans la terre".
    R. Luxemburg. (Grève de masse, Parti et syndicats)

La faiblesse économique du capitalisme à l'Est oblige celui-ci à mener une politique d'austérité brutale contre la classe ouvrière. N'ayant pas la capacité d'échelonner les effets de la crise mondiale en s'attaquant à la classe ouvrière graduellement, jour après jour, paquet par paquet, industrie par industrie comme l'a fait jusqu'à présent la bourgeoisie à l'Ouest, la bourgeoisie de l'Est, ne pouvant tricher à l'infini avec la loi de la valeur, a soulevé contre elle, par sa politique dirigiste, le mécontentement accumulé des ouvriers. La rigidité du capitalisme d'Etat à l'Est  pousse l'Etat à fixer les prix alimentaires; en les augmentant brutalement, faisant baisser d'un seul coup le niveau de vie de la classe ouvrière, l'Etat polonais a suscité contre lui (et ce malgré les différences de salaire pratiquées par le régime selon les secteurs professionnels) une réponse ouvrière homogène. Cette unité de la bourgeoisie derrière son Etat à l'Est est aussi une réalité économique et politique à l'Ouest qui est masquée par une myriade de patrons privés dans des secteurs apparemment séparés. En fait, tout ce que la rigidité du système stalinien rend plus évident et plus facile à comprendre le sera aussi à l'Ouest à la suite des dures expériences de la classe ouvrière. Les évènements de Pologne participent de cette expérience. Le vrai visage de la décadence du système capitaliste sera partout dénué de son masque "démocratique" et libéral".

Le 1er juillet 1980, à la suite de fortes augmentations sur le prix de la viande, des grèves éclatent à Ursus (banlieue de Varsovie) dans l'usine de tracteurs qui s'est trouvée au cœur de la confrontation avec le pouvoir en juin 1976, ainsi qu'à Tczew dans la région de Gdansk. A Ursus, les ouvriers s'organisent en assemblées générales, rédigent un cahier de revendications, élisent un comité de grève. Ils résistent aux menaces de licenciements et de répression et vont débrayer à de nombreuses reprises pour soutenir le mouvement.
Entre le 3 et le 10 juillet, l'agitation se poursuit à Varsovie (usines de matériel électrique, imprimerie), à l'usine d'aviation de Swidnick, à l'usine d'automobiles de Zeran, à Lodz, à Gdansk. Un peu partout, les ouvriers forment des comités de grève. Leurs revendications portent sur des augmentations de salaires et l'annulation de la hausse des prix. Le gouvernement promet des augmentations: 10 % d'augmentation en moyenne (souvent : 20 %) accordées généralement plus aux grévistes qu'aux non-grévistes afin de calmer ( !) le mouvement.
A la mi-juillet, la grève gagne Lublin. Les cheminots, les transports puis l'ensemble des industries de cette ville arrêtent le travail. Leurs revendications : élections libres aux syndicats, sécurité garantie aux grévistes, maintien de la police hors des usines, et des augmentations de salaires.

Le travail reprend dans certaines régions mais des grèves éclatent ailleurs. Krasnik, l'aciérie Skolawa Wola, la ville de Chelm (près de la frontière russe), Wroclaw sont touchées durant le mois de juillet par la grève; le département K1 du chantier naval de Gdansk à débrayé, également le complexe sidérurgique de Huta-Varsovie. Partout les autorités cèdent en accordant des augmentations de salaires. Selon le "Financial Times", le gouvernement a établi au cours du mois de juillet un fond de quatre milliards de zlotys pour payer ces augmentations. Des agences officielles sont priées de rendre disponible immédiatement de la "bonne" viande pour les usines qui débrayent. Vers la fin juillet, le mouvement semble refluer; le gouvernement pense avoir stoppé le mouvement en négociant au coup par coup, usine par usine. Il se trompe.
L'explosion ne fait que couver comme le montre début août la grève des éboueurs de Varsovie (qui a duré une semaine). Le 14 août, le renvoi d'une militante des Syndicats libres provoque l'explosion d'une grève au chantier Lénine à Gdansk. L'assemblée générale dresse une liste de 11 revendications; les propositions sont écoutées, discutées, votées. L'assemblée décide l'élection d'un comité de grève mandaté sur les revendications : y figurent la réintégration des militants, l'augmentation des allocations sociales, l'augmentation des salaires de 2000 zlotys (salaire moyen : 3000 à 4500 zlotys), la dissolution des syndicats officiels, la suppression des privilèges de la police et des bureaucrates, la construction d'un monument en l'honneur des ouvriers tués par la milice en 1970, la publication immédiate des informations exactes sur la grève ! La direction cède sur la réintégration de Anna Walentynowisz et de Lech Walesa, ainsi que sur la proposition de faire construire un monument. Le comité de grève rend compte de son mandat devant les ouvriers l'après-midi et les informe sur les réponses de la direction. L'assemblée décide la formation d'une milice ouvrière; l'alcool est saisi. Une seconde négociation avec la direction reprend. Les ouvriers installent un système de sonorisation pour que toutes les discussions puissent être entendues. Mais bientôt on installe un système qui permet aux ouvriers réunis en assemblée de se faire entendre dans la salle des négociations. Des ouvriers saisissent le micro pour préciser leurs volontés. Pendant la plus grande partie de la grève, et ce jusqu'au dernier jour avant la signature du compromis, des milliers d'ouvriers interviennent du dehors pour exhorter, approuver ou renier les discussions du comité de grève. Tous les ouvriers licenciés du chantier naval depuis 1970 peuvent revenir à leurs postes. La direction cède sur les augmentations de salaire et garantit la sécurité aux grévistes.

Le 15 août, la grève générale paralyse la région de Gdansk. Les chantiers navals "La commune de Paris" à Gdynia débrayent. Les ouvriers occupent les lieux et obtiennent 2100 zlotys d'augmentation immédiatement. Ils refusent cependant de reprendre le travail car "Gdansk doit gagner aussi". Le mouvement à Gdansk a eu un moment de flottement : des délégués d'atelier hésitent à aller plus loin et veulent accepter les propositions de la direction des ouvriers venus d'autres usines de Gdansk et de Gdynia les convainquent de maintenir la solidarité. On demande l'élection de nouveaux délégués plus à même d'exprimer le sentiment général. Les ouvriers venus de partout forment à Gdansk un comité inter-entreprises dans la nuit du 15 août et élaborent un cahier de revendications (21).
Le comité de grève compte 400 membres, 2 représentants par usine; ce nombre atteindra 800 à 1000 quelques jours plus tard. Des délégations font le va et vient entre leurs entreprises et le comité de grève central, utilisant parfois des cassettes pour rendre compte de la-discussion. Les comités de grève dans chaque usine se chargent de revendications spécifiques, l'ensemble se coordonne. Le comité d'usine des chantiers Lénine comporte 12 ouvriers, un par atelier, élus à main levée après débat. Deux sont envoyés au comité de grève central inter-entreprise et rendent compte de tout ce qui se passe 2 fois par jour.

Le 16 août, toutes les communications téléphoniques avec Gdansk sont coupées par le gouvernement. Le comité de grève nomme un Présidium où prédominent des partisans des syndicats libres et des oppositionnels. Les 21 revendications diffusées le 16 août commencent avec un appel pour la reconnaissance des syndicats libres et indépendants et du droit de grève. Et ce qui était le point 2 des 21 revendications est passé à la 7ème place : 2000 zlotys pour tous.

Le 18 août dans la région de Gdansk-Gdynia-Sopot, 75 entreprises sont palysées.I1 y a environ 100.000 grévistes; on signale des mouvements à Szczecin et à Tarnow à 80 km au sud de Cracovie. Le comité de grève organise le ravitaillement : des entreprises d'électricité et d'alimentation travaillent à la demande du comité de grève. Les négociations piétinent, le gouvernement se refuse à parler avec le comité inter-entreprise. Les jours suivants, viennent des nouvelles de grèves à Elblag, à Tczew, à Kołobrzeg et dans d'autres villes. On estime que 300.000 ouvriers sont en grève le 20 août. Le bulletin du comité de grève du chantier Lénine "Solidarité" est quotidien; des ouvriers de l'imprimerie aident à publier des tracts et les publications.

Le 26 août, les ouvriers réagissent avec prudence aux promesses du gouvernement, restent indifférents aux discours de Gierek. Ils refusent de négocier tant que les lignes téléphoniques sont coupées à Gdansk.

Le 27 août, des laissez-passer" pour Gdansk venant du gouvernement à Varsovie sont donnés aux dissidents pour se rendre auprès des grévistes en tant "qu'experts", pour calmer ce monde à l'envers. Le gouvernement accepte de négocier avec le Présidium du comité de grève central et reconnaît le droit de grève. Des négociations parallèles ont lieu à Szczecin à la frontière de la RDA. Le cardinal Wyszynski lance un appel à l'arrêt de la grève; des extraits passent à la télévision. Les grévistes envoient des délégations à l'intérieur du pays pour chercher la solidarité.

Le 28 août, les grèves s'étendent, elles touchent les usines de cuivre et de charbon en Silésie dont les ouvriers ont le niveau de vie le plus élevé du pays. Les mineurs, avant même de discuter de la grève et d'établir des revendications précises déclarent qu'ils quitteront le travail immédiatement "si on touche à Gdansk". Ils se mettent en grève "pour les revendications de Gdansk". Trente usines sont en grève à Wroclaw, à Poznań (les usines qui ont commencé le mouvement en 1956), aux aciéries de Nowa-Huta et à Rzeszois, la grève se développe. Des comités interentreprises se forment par région. Ursus envoie des délégués à Gdansk. Au moment de l'apogée de la généralisation, Walesa déclare : "Nous ne voulons pas que les grèves s'étendent parce qu'elles pousseraient le pays au bord de l'effondrement. Nous avons besoin du calme pour conduire les négociations". Les négociations entre le Présidium et le gouvernement deviennent privées; la sonorisation est de plus en plus "en panne" aux chantiers. Le 29 août, les discussions techniques entre le gouvernement et le Présidium aboutissent à un compromis : les ouvriers auront des syndi­cats libres à condition qu'ils acceptent :

  • 1)        le rôle suprême du parti dirigeant ;
    2)        la nécessité de soutenir l'appartenance de l'Etat polonais au bloc de l'Est ;
    3)        que les syndicats libres ne jouent pas un rôle politique.

L'accord est signé le 31 août à Szczecin et à Gdansk. Le gouvernement reconnaît de syndicats "autogérés" comme dit son porte- parole : "la nation et l'Etat ont besoin d'une classe ouvrière bien organisée et consciente". Deux jours après, les 15 membres du Présidium donnent leurs démissions aux entreprises où ils travaillent et deviennent des permanents des nouveaux syndicats. Ensuite, ils seront obligés de nuancer leurs positions, des salaires de 8000 zlotys ayant été annoncés pour eux; cette information a été démentie par la suite face au mécontentement des ouvriers.
Il avait fallu plusieurs jours pour que ces accords puissent être signés. Des déclarations d'ouvriers de Gdansk les montrent moroses, méfiants, déçus. Certains, en apprenant que l'accord ne leur apporte que la moitié des augmentations déjà obtenues le 16 août crient : "Walesa, tu nous a vendus". Beaucoup d'ouvriers ne sont pas d'accord avec le point reconnaissant le rôle du parti et de l'Etat.

La grève des mines de charbon de la Haute Silésie et des mines de cuivre durent jusqu'au 3 septembre pour que les accords de Gdansk s'étendent à tout le pays. Pendant le mois de septembre, les grèves continuent : à Kielce, à Bialystok parmi les ouvrières de la filature de coton, dans le textile, dans les mines de sel en Silésie, dans les transports à Katowice. Un mouvement de la taille de l'été 80 ne s'arrête pas d'un seul coup. Les ouvriers essaient de généraliser les acquis qu'ils croient discerner, de résister à la retombée de la lutte. On sait que Kania va visiter les chantiers de Gdynia avant même ceux de Gdansk parce que les ouvriers de ces chantiers semblent avoir été les plus radicaux. Mais de leurs discussions, comme de celles dans des centaines d'autres endroits, on n'a que le silence de la presse qui s'est focalisée uniquement sur Gdansk. Il faut attendre avant de pouvoir mesurer toute la richesse réelle qui va bien au-delà de ces quelques points de chronologie assez succincts.

Dans cette marche difficile et douloureuse vers l'émancipation de la classe ouvrière, s'inscrivent la grève de masse en Pologne, la créativité de millions de travailleurs, la réflexion et la conscience devenues concrètes, la solidarité. Pour nous tous, ces ouvriers ont pu, du moins pendant un grand moment, respirer l'air de l'émancipation, vivre la solidarité, sentir le souffle de l'histoire. Cette classe ouvrière si méprisée et humiliée a montré la voie à tous ceux qui espèrent confusément briser la prison du monde bourgeois en les ralliant à ce qui seul vit dans cette société moribonde : la force des ouvriers conscients. A ceux qui croient corriger l'erreur de Lénine e "Que faire ?" suivant laquelle la conscience lente du dehors de la classe, en disant, comme le PCI -bordiguiste- que la classe n'existe pas sans le parti, les ouvriers en Pologne donnent un nouveau démenti.

En Pologne, comme partout ailleurs, et plus encore qu'ailleurs, la classe ouvrière doit bouillonner de discussions; en son sein doivent se cristalliser des cercles politiques qui donneront naissance aux organisations des révolutionnaires. Au fur et à mesure qu'elle se développe, la lutte pose à la classe avec de plus en plus d'acuité les questions essentielles de son combat historique et pour la réponse desquelles elle• engendre ses organisations politiques. La grève des ouvriers en Pologne illustre une fois de plus que celles-ci ne sont pas une condition des luttes mais qu'elles ne se développent vraiment que comme expression de la classe qui existe et agit avant elles si besoin.

Comment s'organiser ? Comment lutter ? Quelles revendications mettre en avant ? Quelle négociation faut-il mener ? A toutes ces questions qui se posent dans toutes les luttes ouvrières, l'expérience et le courage des ouvriers en Pologne sont d'une énorme richesse pour tout le mouvement de la classe.

LES FAIBLESSES

  • "La tradition des générations mortes pèse: d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes..."
    K. Marx. (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Chap.1, P.14. Ed. Sociales)

Dans les premières grèves de masse en 1905, les ouvriers avaient du mal à trouver leur terrain propre. C'est derrière le Père Gapone et les icônes de l'église "conservatrice des opprimés" et non à l'appel des sociaux-démocrates que les ouvriers sont descendus dans la rue. Mais en 6 mois, les icônes se sont transformées en drapeaux rouges. On ne connait pas le rythme du mûrissement des conditions de la lutte aujourd'hui, mais on sait que le processus est entamé. Lorsque les ouvriers de Silésie se prosternent devant Sainte-Barbe, quand ceux de Gdansk revendiquent le droit à la messe, ils subissent d'une part le poids des traditions antérieures et d'autre part, ils expriment un relent de résistance à la désolation de la vie moderne, une nostalgie déplacée parce qu'ils "reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts" (K. Marx, "Le 18 Brumaire. Ch.1). Mais cette enveloppe erronée de leurs aspirations, l'église, n'est pas une enveloppe neutre. Elle est un support formidable du nationalisme comme on a pu voir au Brésil aussi bien qu'en Pologne. L'église s'est déjà dévoilée devant les ouvriers les plus combatifs en utilisant sa première prise de parole publique depuis 30 ans pour appeler "à l'ordre" et au "retour au travail". Néanmoins ce piège reste à détruire.

Certains, à la courte vue, ne verront dans la Pologne que des ouvriers à genoux, ou chantant l'hymne national. Mais l'histoire ne se juge pas avec une photographie. Les sceptiques ne voient pas la dynamique du mouvement qui va aller plus loin. Les ouvriers se débarrasseront des chiffons nationaux et des icônes. Il ne faut pas recommencer comme le PCI (Programme) ou Battaglia Commu­nista ou d'autres qui ne voyaient en mai 68 qu'un jeu d'étudiants. Si les révolutionnaires sont incapables de dire la réalité sans que celle-ci soit écrite en toutes lettres et en pleine lumière, alors ils ne seront jamais à la hauteur de l’œuvre de Marx qui, dans le tout jeune prolétariat de 1844 voyait déjà le géant de l'histoire.

Il est indiscutable qu'en Pologne, l'action des dissidents a eu depuis 1976 une influence dans le mouvement ouvrier, surtout dans la Baltique. Il est difficile d'évaluer exactement son poids, mais il semblerait que le journal "Robotnik" soit diffusé à 20.000 exemplaires, créant tout un milieu ouvrier autour de lui; souvent des, ouvriers combatifs sont happés dans le mouvement des syndicats libres pour protester contre la répression sur les lieux de travail. L'opposition catholique comme les réformateurs et les intellectuels patriotes sont tolérés par le régime depuis que celui-ci se rend compte de la nécessité de désamorcer les poussées ouvrières de ces dernières années. Mais le KOR (Comité d'autodéfense sociale) est clair sur ses buts : "L'économie du pays est en décomposition. Seul un immense effort de tous accompagné d'une profonde réforme peut la sauver. L'assainissement social de mandera des sacrifices. S'élever contre la hausse des prix porterait un coup au fonctionnement de l'économie... Notre tâche comme opposition consiste d transformer les revendications économiques en revendications politiques" (Kuron).
Bien sûr, la dimension politique est absolument indispensable aux luttes ouvrières. Les grèves de masse traduisent dans les faits cette unité des aspects économiques et politiques de la lutte. Le KOR joue sur l'aspiration des ouvriers à politiser les combats, mais en parlant de la "politique", les Kuron et Cie et tous les "experts" venus aider les négociations à Gdansk ne font que vider la lutte de son contenu de classe pour se poser en opposition loyale dans la patrie polonaise. Peur sauver l'économie de la patrie, les ouvriers de Gdansk ont perdu plus de la moitié de leurs revendications économiques. C'est ainsi que l'opposition représente une aile de la bourgeoisie polonaise qui veut créer des structures plus adéquates pour "avoir l'assentiment des travailleurs aux sacrifices; pour faire apparaître des interlocuteurs valables". Mais la bourgeoisie polonaise ainsi que la Russie sont dans leur ensemble loin d'accepter entièrement cette thèse et l'évolution de la situation reste ouverte, surtout si les nouveaux syndicats ne s'intègrent pas rapidement à l'appareil.

Cinquante ans de contre-révolution ont tellement désorienté la classe ouvrière qu'eue n'arrive pas à rester entièrement sur un terrain de classe. En Pologne, la classe ouvrière a ouvert une brèche formidable dans la structure stalinienne mais elle endosse des "vêtements" du passé avec la revendication des syndicats libres, des vrais et durs comme ceux du 19ème siècle. Dans l'esprit des ouvriers, ces syndicats doivent représenter le droit de s'auto-organiser, de se défendre_ Mais ces "vêtements" sont pourris, ils sont un piège et se retourneront contre la classe ouvrière.
Pour obtenir le droit de s'organiser dans des syndicats libres, il a fallu que les 21 revendications de Gdansk reconnaissent l'Etat polonais, la domination du Parti et le Pacte de Varsovie. Et ce n'est pas pour rien !
A notre époque du déclin du capitalisme, les syndicats font partie intégrante des rouages de l'Etat, qu'ils surgissent, aujourd'hui comme des mort-nés en Pologne, ou qu'ils jouissent d'une "tradition" du passé. Déjà toutes les forces de la bourgeoisie se regroupent autour des syndicats libres : certains membres du comité de grève deviennent des permanents; avec les "règles" de fonctionnement, c'est un nouveau carcan qui se met en place; les accords de Gdansk parlent de l'engagement d'accroitre la productivité. En offrant l'aide de l'AFL-CIO[1], la bourgeoisie internationale apporte sa pierre à l'effort de ligoter ce géant prolétarien.
La situation en Pologne n'est pas encore revenue au calme et l'ébullition de la classe ouvrière ralentit considérablement la mise en place de ces rouages. Mais les illusions se paieront cher.

Les syndicats libres ne sont pas un tremplin pour aller plus loin mais un obstacle que la combativité ouvrière doit dépasser. C'est un guet-apens. Les ouvriers les plus combatifs l'ont déjà senti quand ils ont hué les accords à Gdansk. Mais, ce n'est pas encore eux que le mouvement met en avant, ce sont plutôt les moins clairs, les plus catholiques, les plus confus. Walesa est une expression et le symbole de ce stade, et il sera obligé de se plier ou il sera éliminer.

Au 20ème siècle, seule la vigilance, la mobilisation ouvrière peuvent faire avancer les intérêts de la classe ouvrière. C'est une vérité amère et difficile que de réaliser que tout organe permanent sera inévitablement happé dans l'engrenage de l'Etat, à l'Est comme à l'Ouest (comme les comités ouvriers en Italie en 1969, par exemple, intégrés dans la constitution syndicale maintenant; comme toutes les tentatives du "syndicalisme de base").
Au 20ème siècle, il n'y a que stabilité capitaliste ou pouvoir prolétarien. C'est seulement dans une période de lutte prérévolutionnaire que peuvent se constituer des organes permanents du pouvoir prolétarien, les conseils ouvriers, parce qu'ils défendent les intérêts immédiats de la classe ouvrière en intégrant ces derniers dans la question du pouvoir. En dehors de la formation de conseils, il ne peut exister d'organisation permanente des luttes.

Aujourd'hui, le pourrissement du système capitaliste est plus avancé, la classe ouvrière bénéficie de toutes ses expériences de lutte et du mûrissement des conditions de la révolte. Contrairement à 1905, elle n'a pas en face d'elle le régime pourri et sénile du tsarisme; elle affronte le capitalisme d'Etat partout dans le monde, un ennemi plus subtil et plus sanguinaire.

La bourgeoisie va essayer de tirer les leçons des avènements de Pologne à sa façon, elle ne peut pas laisser la réalité parler par elle-même. L'idéologie bourgeoise doit tenter de récupérer les mouvements de classe en donnant une "explication officielle", une version déformée destinée à détourner l'attention des autres ouvriers. Elle utilise et utilisera les évènements de Pologne jusqu'à la corde : à l'Est, pour montrer qu'il faut se plier "raisonnablement" aux exigences de l'austérité dans le COMECON; à l'Ouest pour prouver que le mouvement ouvrier ne veut que des "libertés démocratiques" qui, en occident, font tout le bonheur des ouvriers !

Les évènements de Pologne ne sont pas la révolution ni une révolution manquée; sa dynamique propre tout en établissant un rapport de forces favorable au prolétariat n'est pas allé jusqu'au stade insurrectionnel, ce qui d'ailleurs serait prématuré dans la situation actuelle du prolétariat mondial. Toute une période de maturation de l'internationalisation des luttes est nécessaire au prolétariat avant que la révolution soit immédiatement à l'ordre du jour.
Mais c'est aux révolutionnaires de dénoncer les cauchemars du passé, les guet-apens qui risquent d'immobiliser la lutte. Tandis qu'on voit tous les agents du capital, les PC, les trotskistes, la gauche et gauchistes, les "droits de l'homme" applaudir les obstacles à la conscience, c'est aux révolutionnaires de les dénoncer avec la dernière énergie et de montrer le chemin du dépassement.

Les luttes en Pologne 1980 sont une ébauche pour l'avenir, elles en contiennent toutes les promesses. Contre tous les sceptiques pour qui mai 68 n’était rien, pour qui toute lutte est sans lendemain; pour les dénigreurs professionnels même au sein du milieu révolutionnaire, le souffle de la Pologne va peut-être les réveiller. L'histoire va vers des affrontements de classes, la contre-révolution est finie et ce n'est qu'avec le courage et l'espoir des ouvriers en Pologne qu'on lutte efficacement.

C'est en comprenant et tirant tous les enseignements de cette lutte historique: le capitalisme d'Etat et la crise économique mondiale à l'Est comme à l'Ouest; l'ignominie "démocratique" et la mascarade électoraliste; l'intégration des syndicats à l'Etat; la créativité et l'auto-organisation de la classe dans l'extension de sa lutte, que les combattants de la classe ouvrière pourront dire quand ils iront plus loin demain : Nous sommes tous des ouvriers de Gdansk.

J.A., le 22 septembre 1980


[1] La principale centrale syndicale américaine.

Géographique: 

  • Pologne [110]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [33]

La crise capitaliste dans les pays de l'est

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LE TEXTE QUE NOUS PUBLIONS ICI EST LE RAPPORT PRESENTE AU IVEME CONGRES DE REVOLUTION INTERNA­TIONALE : CE RAPPORT SE FIXAIT POUR TACHE, NON PAS TANT DE FAIRE LE POINT SUR LA SITUATION ACTUELLE DE LA CRISE ECONOMIQUE DANS LE BLOC DE L'EST, MAIS DE CONTRIBUER A APPROFONDIR LA QUESTION SUIVAN­TE : COMMENT LA CRISE DANS LE BLOC DE L'EST EST LA MEME CRISE CAPITALISTE QUI TOUCHE TOUS LES PAYS DU MONDE ; EN QUOI ET POUR QUELLES RAISONS LES MANIFESTATIONS DE CETTE CRISE DIFFERENT DES FORMES QU'ELLE PREND DANS LES PAYS DEVELOPPES DU BLOC OCCIDENTAL ?

LA DEUXIEME PARTIE DU RAPPORT ABORDE L'ANGLE HISTORIQUE DE CETTE QUESTION, EN CE QUI CONCERNE PLUS PARTICULIEREMENT L'U.R.S.S. ; ELLE S'ATTACHE A MONTRER,A PARTIR DES CONDITIONS MEMES DE L'APPARITION TARDIVE DU CAPITAL RUSSE SUR L'ARENE MONDIALE ET AU TRAVERS DES MOYENS PAR LESQUELS IL A ASSURE SA PUISSANCE IMPERIALISTE DANS LE CADRE DE LA DECADENCE CAPITALISTE, EN QUOI LES MANIFESTATIONS DE LA CRISE EN U.R.S.S. SONT LA TRADUCTION LA PLUS CARICATURALE DES CONTRADICTIONS DU CAPITALISME.

C'EST DANS CE SENS QUE, DANS UNE PREMIERE PARTIE DU RAPPORT, EST ABORDEE LA QUESTION DE LA PENURIE  DE CAPITAL, EN TANT QU'ILLUSTRATION PARTICULIERE, QUE MANIFESTATION, DANS CERTAINS PAYS A LA FOIS LES PLUS-FAIBLES ET LES PLUS MILITARISES DU GLOBE -EN PARTICULIER LES PAYS DU BLOC RUSSE-, DE LA CRISE GENERALE DE SURPRODUCTION DU CAPITALISME MONDIAL.

EN PUBLIANT CE RAPPORT, NOUS PRESENTONS A NOS LECTEURS L'ETAT ACTUEL DU DEBAT AU SEIN DE NOTRE OR­GANISATION AUTOUR DES CARACTERISTIQUES GENERALES DE LA DECADENCE CAPITALISTE A L'EST ET DE SES MANI­FESTATIONS DANS LA CRISE OUVERTE.

Surproduction et pénurie de capital

"Le simple rapport entre travailleur salarié et capitaliste implique :

1-            que la majeure partie des producteurs (les ouvriers) ne sont pas consommateurs (pas acheteurs) d'une très grande portion de leur produit : les moyens et la matière de travail;

2-            que la majeure partie des producteurs, les ouvriers, ne peuvent consommer un équivalent pour leur produit, qu'aussi longtemps qu'ils produisent plus que cet équivalent -qu'ils produisent de la plus-value ou du surproduit. Il leur faut constamment être des SURPRODUCTEURS, produire au delà de leurs besoins pour pouvoir être consommateurs ou acheteurs, à l'intérieur des limites de leurs besoins."

(Marx : Théories sur la plus-value-XVIIème chapitre - Editions Sociales p.619)

Confronté à cette contradiction, inhérente au fonctionnement de l'exploitation capitaliste, le capital ne peut trouver son salut que dans la vente aux secteurs extra-capitalistes, afin de réaliser

la plus-value contenue dans ses marchandises et de perpétuer son accumulation et poursuivre ainsi son développement sur une base élargie.

Dés les origines du capitalisme industriel, les cries sont des crises de surproduction localisées à l'échelle des marchés existants, qui ne trouvent leur solution que dans un élargissement du marché par la pénétration de nouveaux marchés précapitalistes (comptoirs, colonisation).

Mais le développement du marché, c'est à dire l'écoulement du surproduit capitaliste, a une limite absolue : la limitation du marché mondial. A la fin du 19ème siècle, quand les impérialismes dominants finissent de se partager la planète, les marchés précapitalistes qui subsistent encore sont contrôlés et protégés par un impérialisme ou un autre. Il n'est plus possible de découvrir de nouveaux marchés qui pourraient permettre d'écouler le surproduit et de pallier ainsi à la crise. Le capitalisme rentre en crise permanente de surproduction. Par le jeu de la concurrence, cette surproduction tend à se généraliser à toutes les marchandises, mais aussi partout où dominent les rapports capitalistes de production, c'est à dire partout dans le monde une fois que le marché mondial est créé.

Le capitalisme est entré dans sa phase de décadence.

LA PENURIE DE CAPITAL : CONSEQUENCE DE LA SURPRODUCTION GENERALISEEI

Les premières fractions de la bourgeoisie qui sont parvenues tôt à faire leur révolution nationale, à créer un cadre national propice à développer l'accumulation (Angleterre, France, Etats-Unis d'Amérique, etc...) se sont emparés de l'essentiel du marché mondial et ont pu, grâce à ces marchés en extension permanente dans la période ascendante, réaliser une accumulation de capital leur permettant de développer leur industrialisation, d'élever le taux de composition organique de leur capital, afin d'obtenir une productivité toujours plus forte.

Lorsque le marché mondial est créé, il se pose comme saturé, il y a surproduction mondiale de capital, la concurrence entre les différents capitaux va se faire de plus en plus acharnée. Ceux qui sont arrivés trop tard, qui n'ont pu sauvegarder leur indépendance nationale, qui ne disposent pas de marché extérieur, qui n'ont donc pu accumuler suffisamment de capital dans la période ascendante, dans la période de décadence du capitalisme sont condamnés, non seulement à ne jamais rattraper le retard pris, mais de plus à voir ce retard s'accroître. En effet, au moment où la concurrence se fait exacerbée, où la course à la productivité de-' vient effrénée, ils ne possèdent pas suffisamment de capital pour pouvoir concurrencer efficacement les grandes puissances capitalistes bien mieux loties qu'eux. Ils sont confrontés à une situation de pénurie de capital, condamnés au "sous-développement". Ils ne peuvent survivre qu'en se mettant sous la protection d'un capitalisme plus puissant, qui va les utiliser uniquement comme réservoir de matière première industrielle ou agricole ou comme réservoir de main-d’œuvre, sans permettre un réel développement des forces productives qui feraient d'eux des concurrents supplémentaires sur le marché mondial déjà encombré.

Cette situation de pénurie de capital dans laquelle se trouvent ces pays est relative par rapport aux capitaux les plus développés, elle est une des manifestations du fait que l'écart entre les pays "riches" et les pays "pauvres" ne cesse de s'accroître.

Du point de vue économique, dans la période de décadence, avec la concurrence qui se fait de plus en plus forte, c'est le pôle d'accumulation le plus puissant qui tend à réduire les autres au "sous-développement", à la pénurie de capital; le capital national le plus puissant tend à aspirer vers lui le capital, parce qu'il tend à être le plus productif, le plus capable d'innover. (Par exemple, aujourd’hui, les pays producteurs de pétrole préfèrent investir dans les grandes métropoles impérialistes plutôt que de développer leur propre production nationale).

La situation de saturation du marché mondial tend à condamner à péricliter ceux qui ne peuvent mettre en place des investissements suffisants pour se maintenir au niveau de compétitivité nécessitée par le marché. Si, au 19ème siècle, la Grande-Bretagne représentait l'avenir du développement capitaliste, aujourd'hui c'est exactement l'inverse, c'est la situation dans les pays sous-développés qui indique l'avenir du capital. Ainsi les pays européens et le Japon ont perdu leur autonomie nationale pour se retrouver de plus en plus dépendants des USA dans le cadre du bloc occidental; confrontés avec les destructions de la seconde guerre mondiale, ils ont du faire appel aux capitaux américains pour reconstruire.

Du point de vue économique, le développement du capital tend à une inégalité croissante entre le pôle d'accumulation le plus puissant et l'ensemble de la planète, qui se retrouve dans une misère croissante où la majorité de la population subit une paupérisation absolue, une misère totale. Dans la crise, à un pôle on ne sait où investir car les marchés sont bouchés et on n'arrive pas à rentabiliser les investissements, à l'autre, de toutes façons, on n'a pas de capital à investir.

ACCUMULATION ET DESTRUCTION DE CAPITAL

Nous l'avons vu, par définition "les ouvriers ne consomment jamais l'équivalent de leur production .., ils doivent toujours être surproducteurs. Mais pour le capitaliste, il faut réaliser ce surproduit sur le marché pour poursuivre le cycle de son accumulation. Avec la décadence du capitalisme, les marchés extra-capitalistes ont été réduits à leur plus simple expression, c'est à dire quasiment au néant, soit par la prolétarisation, soit par la paupérisation. La plus-value ne peut se réaliser que dans l'échange avec d'autres sphères capitalistes, c'est-à-dire aux dépens d'autres capitalistes. Les plus avantagés, sont donc les capitalistes les plus puissants qui peuvent vendre à un moindre coût, car ils sont les plus productifs. La concurrence devient intense.

Cette situation devient une entrave au processus de l'accumulation; la nécessité pour chaque capital de maintenir le processus de l'accumulation va pousser le capital global vers des contradictions de plus en plus grandes qui culminent dans la cri- se et se traduit dans les faits par une destruction de capital, une désaccumulation :

- Par la concurrence qui, dans la crise, culmine dans une dévalorisation massive des marchandises mises sur le marché. En effet, le capitaliste qui a produit un produit trop cher est obligé de vendre à perte pour réaliser, malgré tout, une partie de son investissement initial.

L'incapacité d'investir dans un marché déjà sursaturé pousse vers des spéculations massives dans lesquelles le capital se trouve stérilisé, tandis que, d'autre part, la tentation de créer des marchés artificiels pousse vers une inflation galopante qui traduit une dévalorisation constante du capital.

- Par la production militaire. En effet, la seule solution pour protéger ses marchés ou s'en ouvrir d'autres, c'est le recours à l'armée, à la force militaire. Dans la décadence, l'économie est soumise aux nécessités militaires. L'économie de guerre s'impose car la guerre devient le mode de survie du capital. La concurrence se trouve déplacée du terrain économique au terrain de la capacité guerrière. Mais au niveau du capital global, la production d'armes est une destruction du capital car, contrairement aux biens de production ou aux biens de consommation, elle ne permet pas de reproduire le capital.

- Par le recours au système étatique tentaculaire et improductif. En effet, le capital soumis à des contradictions de plus en plus violentes ne peut maintenir l'unité de son processus productif qu'au travers des palliatifs administratifs totalement improductifs qui consomment du capital sans le reproduire.

D'autre part, les contradictions sociales de plus en plus explosives imposent le fonctionnement d'un secteur répressif de plus en plus important et totalement parasitaire (police, justice, syndicats, etc..).

Ainsi, dans la période de décadence du capitalisme, si quelques capitaux nationaux parviennent à poursuivre avec de plus en plus de difficultés leur accumulation, c'est aux dépens du capital global qui subit de plus en plus une destruction de capital qui culmine dans la crise et dans la guerre impérialiste.

Cette situation se traduit par un fonctionnement de plus en plus totalitaire du capital, dont le corollaire est une misère toujours plus grande de l'humanité, un gaspillage toujours plus important des forces productives.

C'est en détruisant le rapport capital-travail à l'origine de toutes les misères, de toutes les inégalités, que le prolétariat pourra mettre fin au règne de la barbarie et libérer ainsi les forces productives qui portent en elles la promesse de l'abondance communiste, la fin de la pénurie capitaliste.

LE CAPITALISME DECADENT EN U.R.S.S.

A la fin du 19ème siècle, l'empire russe est le bastion des forces féodales, frein objectif au développement progressiste du capital. Si la bourgeoisie russe est parvenue à mettre en place un appareil productif moderne, elle n'a, malgré tout, pas été assez forte pour imposer totalement son pouvoir politique et balayer les entraves féodales qui paralysaient son développement.

Dans ces conditions, le capital russe se développe trop tardivement et trop faiblement pour concurrencer ses rivaux européens, qui sont en train de se partager le monde. Il est trop tard, les places sont déjà prises et le principal atout du capitalisme russe, c'est le gigantesque marché intérieur hérité de l'empire féodal tsariste. Cependant, dès le début du 20 ème siècle, avec le rétrécissement des crises précapitalistes, la concurrence se faisant plus âpre, les capitalistes européens et japonais lorgnent avec rapacité cet empire féodal à l'état de friche pour le capital et commencent à le grignoter (guerre russo-japonaise en 1905).

Avec la création du marché mondial, une nouvelle époque s'ouvre, marquée par l'éclatement de la guerre de 1914-1918 et la révolution prolétarienne en 1917. La bourgeoisie russe est secouée par la guerre et balayée par la révolution.

L'année 1928 voit l'achèvement de la contre-révolution stalinienne, marquée par l'adoption du "socialisme en un seul pays" et la mise en place du premier plan de production. Mais, pour la bourgeoisie russe, il est de toutes façons trop tard, marquée par ses difficultés de jeunesse, elle a loupé le coche de la période ascendante du capital et n'a pas accumulé suffisamment de capital pour concurrencer les impérialismes rivaux sur le plan économique : elle est confrontée à la pénurie de capital qui entrave à jamais son développement capitaliste, elle est condamnée au sous-développement      vis à vis des capitalismes dominants (U.S.A., Grande-Bretagne, Japon, etc...).

Cependant si l'U.R.S.S. aujourd'hui a pu s'imposer comme le capital dominant d'un bloc impérialiste qui fait face au bloc occidental, dans un monde partagé en deux par la rivalité USA - URSS, c'est parce que l'URSS possédait certains atouts pour survivre dans la période de décadence.

LES ATOUTS DE L'URSS DANS LA PERIODE DE DECADENOE

La bourgeoisie stalinienne hérite en fait d'acquis pour lesquels elle n'a pas contribué

1- Un important marché intérieur hérité de l'empire tsariste. Même si au lendemain de la première guerre mondiale, l'URSS se trouve amputée de la Pologne, des pays baltes, de la Finlande, de la Corée, de la Bessarabie, ce qui reste n'est pas négligeable et constitue un gigantesque marché extra-capitaliste composé de millions de paysans et d'artisans. L’U.R.S.S. reste le plus grand pays du monde par sa superficie, garante de ses richesses minières.

2-              Une indépendance nationale maintenue par l'empire du Tzar, puis des frontières défendues par le prolétariat comme son bastion. Si bien que la contre-révolution stalinienne hérite d'un cadre national indépendant qui a été protégé de la rapacité" dés grands impérialisme.

3-              Avant 1914, la Russie est, malgré tout, la cinquième puissance mondiale. Cependant, son importance tient plus à son immensité et au chiffre élevé de sa population, ainsi, en 1913, son revenu national n'est que de un cinquième de celui des Etats-Unis, et elle produit moins de charbon, de fer ou d'acier que la France. C'est le plus fort des pays sous-développés.

Cependant, ces atouts n'ont pu être mis à profit que parce que l'U.R.S.S. de Staline a utilisé le  plus tôt les "recettes" les plus aptes à permettre la survie de son capital en période de décadence. Cela pour deux raisons essentielles : d'une part les spécificités de son histoire, d'autre part la faiblesse de son économie.

Ces "recettes" sont celles qui ont déjà été largement éprouvées par les puissances belligérantes de la première guerre mondiale, mais que celles-ci ont eu tendance à oublier avec les illusions de la reconstruction qui s'en est suivie. Elles sont constituées de deux volets indissociables : le capitalisme d'Etat et l'économie de guerre.

LE CAPITALISME D'ETAT

Déjà faible avant 1917, la bourgeoisie privée russe n'a plus de rôle économique important au lendemain de la révolution. Alors que la contre-révolution s'est imposée au travers de l'Etat, c'est tout naturellement celui-ci qui est amené à assumer la responsabilité du capital russe.

Déjà profondément marqué par l'Etat tsariste (expression de la faiblesse de la bourgeoisie privée russe, le capital industriel russe avec la contre-révolution se retrouve totalement entre les mains de l'Etat stalinien. Le capitalisme d'Etat à la russe est le produit direct de la contre-révolution.  L'Etat est la seule structure à même de gérer les intérêts économiques et militaires de l'U.R.S.S. face aux impérialismes rivaux.

L'ECONOMIE DE GUERRE

A peine la bourgeoisie stalinienne parvient-elle à s'imposer définitivement (1928), que la crise qui commence en 1929 vient secouer le capitalisme mondial et vient balayer les illusions sur des possibilités d'échanges économiques entre l'URSS et Te reste du monde. Le capitalisme russe est trop faible pour défendre économiquement ses intérêts sur la scène mondiale.

Face aux tensions impérialistes de plus en plus fortes qui opposent les grandes puissances impérialistes à la recherche de nouveaux débouchés, face au péril militaire que constituent l'Allemagne et le Japon, l'URSS ne peut préserver son indépendance que par un recours massif à l'économie de guerre, qi devient sa seule garantie de survie en tant que capital, qu'impérialisme indépendant. Devant la faiblesse de son économie, c'est là sa seule issue pour se tailler une place sur le marché mondial : la guerre impérialiste.

Devant la faiblesse de son économie, c'est dans la guerre impérialiste que se trouve sa seule issue pour se tailler une place sur le marché mondial et, dès la fin des années 30, elle s'y prépare activement, subordonnant toute son activité économique à cet impératif.

Ces mesures, si elles permettent à l'URSS de se maintenir sur la scène mondiale, ne sont pas pour autant des solutions à la crise inhérente au capitalisme confronté à la saturation du marché mondial, elles ne font que répercuter la contradiction à un niveau plus élevé, plus explosif. Elles sont les stigmates du capitalisme décadent partout dans le monde. Cependant, dans le cas spécifique de la Russie, par leur précocité, par leur importance, par leur brutalité, elles vont permettre à l'URSS de s'imposer comme le second impérialisme du globe, aux dépens de ceux qui n'ont pas pu s'adapter aussi bien, ni aussi vite, aux conditions nouvelles qui s'ouvrent avec la première guerre mondiale.

LE DEVELOPPEMENT DU CAPITALISME RUSSE DANS LA PERIODE DE DECADENCE

Durant les années 30, le capital russe n'échappe pas à la tourmente de la crise mondiale, il n'assure sa survie que par un protectionnisme total et un développement en quasi-autarcie. Comment ce développement est-il possible ? En effet, même selon les estimations les plus pessimistes, l'URSS triple sa production de 1929 à 1940.

Tout d'abord, on peut noter qu'à partir de pas grand-chose, il est plus facile de doubler ou de tripler sa production, mais surtout l'URSS va profiter de l'importance de son marché intérieur extra-capitaliste et de la quantité de main-d’œuvre disponible.

Cependant, étant donné la faiblesse du capitalisme russe, l'accumulation ne va pas se réaliser au travers d'un échange économique classique, mais au travers du pillage le plus brutal des secteurs extra-capitalistes et de l'exploitation féroce de la force de travail, le tout garanti par la terreur imposée par l'Etat. Des millions de paysans vont être déportés dans les camps de travail, fournissant ainsi à la fois par la spoliation brutale le capital nécessaire aux investissements industriels, et une main-d’œuvre quasi gratuite. Le prolétariat va être exploité de manière absolue, le stakhanovisme imposé par la terreur. De camp retranché, la Russie va se transformer en gigantesque camp de concentration.

Toute la production est orientée vers la production de biens de production (86% des investissements dans le Premier Plan), puis, à partir de 1937, vers la production en vue de la guerre. Le fameux "modèle' de développement à la russe est en fait un modèle de sous-développement (et c'est d'ailleurs pour cela que ce sont essentiellement les pays sous-développés qui vont l'adopter), il correspond à l'incapacité à réaliser dans l'échange la plus-value qui permettrait une accumulation de capital. Le capital russe, trop faible, est obligé de court-circuiter ce processus, ce n'est pas sa force économique qui garantit son développement, mais sa force policière.

Malgré ce développement dans les années 30, qui va trouver sa concrétisation dans l'économie de guerre, la Russie reste un pays économiquement faible et c'est plus le jeu des alliances et sa richesse en chair à canon qui vont lui permettre de tirer ses marrons du feu dans la seconde guerre mondiale.

En 1945, l'URSS sort de la guerre avec une économie ravagée (20 millions de morts, 31 850 usines détruites, etc.), mais avec des acquis non négligeables que sont la main mise sur les pays d'Europe de l'Est et plus tard sur la Chine (1949).

Mais, alors que l'impérialisme russe, à la tête du nouveau bloc ainsi formé est le plus puissant, il ne représente pas pour autant le capital le plus développé, la RDA, la Tchécoslovaquie, ou même la Pologne, sont plus compétitifs que lui. Là encore ce n'est pas par l'échange classique que l'URSS peut attirer à elle les capitaux nécessaires à sa reconstruction, mais par le pillage encore une fois (démontage d'usines, déportation de main d’œuvre, annexions pures et simples). Même si cette politique va être adoucie après la mort de Staline, devant la nécessité de renforcer l'ensemble du bloc et face à la pression des évènements sociaux (RDA en 1953, Pologne et Hongrie en 1956), l'échange qui s'installe au sein du COMECON est un échange forcé : l'URSS impose ses produits de mauvaise qualité à ses partenaires, les paye en roubles (monnaie non convertible sur le marché mondial) et se fait payer en devises occidentales, se fait octroyer par ses vassaux des crédits qu'elle ne rembourse pas et qui servent à développer son économie (9,3 milliards de roubles de 1971 à 1980).

On le voit, ce n'est pas par sa puissance économique que l'URSS contrôle son bloc, mais par sa puissance militaire, elle profite ainsi pleinement de la réalité du capitalisme décadent qui, partout dans le monde, tend à déplacer la concurrence économique sur le plan militaire. La seule garantie de survie de l'URSS est sa puissance coercitive militaire et policière. Cela détermine toute l'orientation de son économie vers l'économie de guerre. Mais une telle tricherie avec la loi de la valeur, si elle est la condition de la survie du capital russe, pousse celui-ci dans des contradictions insurmontables qu'un appareil d'Etat, lourd et totalitaire, nécessaire au maintien d'un processus d'accumulation de plus en plus difficile, ne parvient plus à masquer. Le développement même de l'Etat russe est l'expression de ces contradictions déchirantes.

LA CRISE EN URSS AUJOURD'HUI

Parvenue trop tard sur la scène mondiale, l'URSS du point de vue économique est un pays faible qui souffre d'une pénurie chronique de capital. C'est un colosse militaire à l'économie d'argile. Sa puissance économique est plus quantitative que .qualitative, en 1977 l'URSS se situe au 26ème rang mondial (sans compter les pays de l'OPEP) pour le PNB par habitant, juste devant la Grèce (France: PNB = 35.000F/h; URSS: PNB = 14.000F/h), devancée au sein de son bloc par la RDA (21.700 F/h), la Tchécoslovaquie (15.500 F/h) et la Pologne (15.100) (15.100 F/h). En une heure, un ouvrier russe produit une valeur ajoutée de 3 dollars, un ouvrier français de 8 dollars, et un ouvrier américain de 10 dollars.

LE COMMERCE EXTÉRIEUR

Dans ces conditions, on comprend que la balance commerciale de l'URSS avec les pays occidentaux soit constamment déficitaire et se traduise par un endettement vis à vis de l'Occident de 16,3 milliards de dollars à la fin de 1977. Mais, même avec les pays du COMECON, l'URSS voit sa position se dégrader constamment, la reconstruction des économies de ces pays, après la seconde guerre mondiale, se traduit pour l'URSS par un déficit qui commence à être perceptible dès la fin des années 50. De 1971 à 1974, le solde a été nettement négatif pour l'URSS vis à vis de ces pays, la situation a été redressée artificiellement par la hausse des matières premières (pétrole), mais aujourd'hui la situation se dégrade de nouveau.

Mais la faiblesse économique de l'URSS n'apparait pas seulement dans le solde de sa balance commerciale, mais aussi dans la structure de ses échanges. Ils sont typiques de ceux d'un pays sous-développé. L'URSS est essentiellement importatrice de produits manufacturés et exportateur de matières premières : avec le COMECON, les matières premières constituent 38,7% des exportations, tandis que les produits manufacturés représentent 74% des importations; avec l'occident, c'est encore plus clair, les matières premières représentent 76% des exportations, les produits manufacturés 70% des importations. Il n'y a guère qu'avec les pays sous-développés que l'URSS a des échanges de pays développé, mais en ce cas 50% de ses exportations sont constituées de matériel militaire.

L'ECONOMIE LE GUERRE

Tous ces éléments mettent en évidence la faiblesse du capital russe, ses caractères sous-développés. Face à une telle situation, qui traduit une crise chronique, le seul recours pour maintenir sa place sur le marché mondial est donc l'économie de guerre, le développement du potentiel militaire. Ce qui maintient l'unité du bloc de l'Est, c'est la puissance de l'armée rouge. Le potentiel économique est mobilisé prioritairement vers les besoins militaires, par l'économie de guerre.

Ce n'est pas au niveau économique, mais au niveau militaire que se concrétise la rivalité entré les deux blocs. Sur le plan économique, l'URSS est battue d'avance. Sur le plan militaire, elle ne peut concurrencer l'occident qu'en mobilisant l'essentiel de son économie pour l'armée. Si les USA consacrent 6% de leur budget à l'armée, pour essayer d'être militairement crédible dans la course aux armements, l'URSS consacre officiellement 12% de son budget (en fait, à ce niveau les chiffres sont un mensonge permanent et, pour l'URSS, 20% serait une estimation encore très prudente). Il est impossible de dissocier les secteurs industriels civils et militaires (par exemple, les usines de tracteurs produisent aussi des chars). Une absolue priorité est donnée à la production militaire : approvisionnement, mobilisation des usines et de la main d'œuvre, transports, entretien, etc .... L'économie russe est une économie entièrement militarisée.

Un tel effort militaire ne peut se faire qu'aux dépens de l'économie elle-même. En effet, la production militaire a ceci de particulier qu'elle ne permet aucun développement ultérieur des forces productives. C'est du capital qui est détruit (lorsqu'on sait que les importations de viande du Tiers-Monde, en 1977, représentent 82% du prix d'un seul sous-marin nucléaire et que l'URSS en possède des dizaines, on peut mesurer l'ampleur du gaspillage). Pourtant cet immense gaspillage est la seule garantie de survie de l'URSS, qui lui permet d'imposer par la terreur des sacrifices draconiens au prolétariat et, par la force, de faire rentrer le capital nécessaire à la poursuite du processus d'accumulation en taxant ses vassaux européens.

Cependant, avec l'intensification de la crise dans les années 60, la pression économique et militaire de l'occident s'est intensifiée. Cette pression s'est traduite par le changement de bloc de la Chine, de l'Egypte, de l'Irak, etc., et par des velléités d'indépendance vite réduites au silence par l'armée rouge de la Tchécoslovaquie. Vu la faible part des échanges de l'URSS avec l'occident (3% de son revenu national), on ne peut pas dire que l'URSS a importé la crise. Pour l'URSS, la concurrence est d'abord au niveau militaire. Face à la pression occidentale avivée par la crise, la nécessité de renforcer encore plus son potentiel militaire, de détruire donc encore plus de capital, pousse l'URSS dans ses contradictions capitalistes, à des distorsions encore plus fortes par rapport à la loi de la valeur. Cette situation tend à se traduire par une désaccumulation de capital qui ne peut plus être compensée par les revenus de l'impérialisme. C'est pour cela que la crise qui apparaît en occident, au milieu des années 60, se traduit immédiatement par une aggravation dramatique de la crise déjà permanente du capital russe.

Confrontée à la pénurie de capital, l'URSS tout au long de son histoire a du faire des choix draconiens, toujours en faveur de son potentiel militaire, mais qui se sont traduits par un affaiblissement de son économie, confirmant ainsi le cercle vicieux de la pénurie de capital dont l'URSS ne peut sortir. Ainsi, les choix stratégiques en faveur de l'industrie aérospatiale et nucléaire, nécessaires à la mise en place d'une force de frappe nucléaire, n'ont pu se faire qu'aux dépens d'autres secteurs vitaux de l'économie. Cela se traduit aujourd'hui par un retard grandissant de l'URSS dans des domaines de pointe, tels que l'informatique, la biologie, ou la métallurgie des métaux et alliages nouveaux. Dans la concurrence internationale, il y a un affaiblissement de l'économie russe comme le montre le fait que le Japon vient de la rattraper comme deuxième puissance économique mondiale. Cette situation a forcément un contrecoup sur la puissance militaire et impose à l'URSS des sacrifices toujours plus grands pour maintenir sa crédibilité guerrière.

La priorité accordée à l'économie de guerre, ne peut se faire qu'aux dépens des investissements pour la modernisation des secteurs non liés à la production d'armements. Dans tous ces secteurs, il y aura donc une très faible mécanisation, cette pénurie de capital constant se traduit par un recours à une main d'œuvre abondante. Ainsi, dans l'agriculture travaille 20% de la population active (France : 10%, USA : 2,6%), le manque de matériel moderne (tracteurs, silos, engrais, etc.) se traduit régulièrement par une pénurie agricole et oblige donc à des achats sur le marché mondial, ce qui aggrave encore les difficultés de l'économie russe.

LA PENURIE DE MAIN D'OEUVRE

En URSS, les bras ont remplacé les machines inexistantes, comme dans tous les pays sous-développés du monde. Cependant, et c'est là qu'est la différence, sa situation d'hégémonie sur son bloc va lui permettre -et les nécessités imposées par les rivalités impérialistes lui imposer- le développement d'industries lourdes et d'industries de pointe nécessaires à sa puissance militaire. Ce qui crée une situation de déséquilibre profond entre les divers secteurs économiques, entre ceux liés à l'armée et les autres. Mais une économie capitaliste est un tout, pour faire de l'acier, il faut non seulement extraire du minerai de fer, mais aussi du charbon, il faut ensuite transporter cet acier, le travailler, etc..., il faut nourrir les travailleurs, pour cela il faut fournir des produits agricoles... Malheureusement pour elle, la bourgeoisie russe ne pouvait investir partout à la fois. Pour pallier à la déficience de capitaux dans ces secteurs, un seul recours: user et abuser de la force de travail, sous peine de voir l'économie se paralyser totalement. Dans les mines, dans les champs, sur les chantiers, les hommes vont remplacer les machines. Ainsi, dans l'agriculture et le bâtiment, sont employés en Russie 36% de la population active contre 19% en France et 10% aux Etats-Unis. Cela se traduit par une faible productivité de l'industrie russe et, étant donnés les gros besoins liés à la forme même de son développement économique, par une pénurie de main d'œuvre.

Phénomène encore plus renforcé par le fait que les déséquilibres internes de l'économie russe se traduisent par une tendance brutale au capitalisme d'Etat (seul capable de maintenir un minimum de cohésion au sein de ces contradictions explosives), qui se caractérisent par une inertie bureaucratique terrible, par un approvisionnement chaotique des usines en matières premières et pièces de rechange.

Ces deux aspects conduisent le chef d'entreprise à employer des travailleurs en surnombre, de peur de ne pouvoir réaliser le plan et pour pallier au fait que les chaînes fonctionnent souvent au ralenti par manque d'approvisionnement, ou sont paralysées par le manque de pièces de rechange, pour avoir une réserve de main-d’œuvre pour rattraper les objectifs de production lorsque les approvisionnements arrivent, en faisant travailler à fond la chaîne et en ayant des services d'entretien pléthoriques, afin de refaire les pièces dans la mesure où elles manquent. Ainsi, l'ensemble des secteurs "auxiliaires" dans l'entreprise, en 1975, utilisaient 49% des effectifs de l'industrie.

Cette situation pousse la bourgeoisie russe à utiliser de manière extensive la force de travail par l'institutionnalisation de la double journée de travail (heures supplémentaires, travail au noir), par le recours à des jours de travail gratuits, par un recours au travail des femmes (93% travaillent) et des retraités ( en 1975 : 4,4 millions cumulaient leur retraite avec un salaire).

La pénurie de main d'œuvre se traduit donc par son corollaire, le plein emploi. Cependant, ce plein emploi ne peut masquer le sous-emploi réel de la force de travail, qui se traduit dans le faible taux de productivité de l'économie russe. Le plein emploi, en Russie, exprime la même chose que le chômage dans les pays occidentaux : le sous-emploi de la force de travail, c'est à dire l'incapacité du capitalisme décadent d'utiliser les ressources du travail vivant.

LA PENURIE SUR LE MARCHE INTÉRIEUR

La nécessité de faire baisser les coûts de production va conduire la bourgeoisie russe à mener une attaque constante contre la force productive la plus malléable et la plus importante : la force de travail. Un seul but, faire baisser coûte que coûte les salaires réels.

Confronté à la pénurie de main d’œuvre, qui implique une pression constante au niveau de la masse salariale, la bourgeoisie dans l'incapacité à dégager un volant de chômage ne peut avoir recours qu'à des méthodes draconiennes pour abaisser ses coûts :

-         le rationnement typique de l'économie de guerre;

-         la baisse ou la stabilité des prix imposés artificiellement et autoritairement par l'Etat, au prix d'une vente à des prix inférieurs aux coûts de production sur le marché intérieur.

Ce système permet d'obtenir une main d’œuvre bon marché, mais se traduit par :

-        un niveau de vie très bas de la population,

-             une pénurie d'approvisionnement dans les magasins. La demande solvable (distribuée sous forme de salaires et subventions) étant supérieure à la valeur officielle des produits de consommation mis sur le marché, conduit aux longues queues devant les magasins et à un profond mécontentement de la population, à une épargne forcée qui ne sert à rien et à une pression inflationniste très forte.

-       la création d'un marché noir très important et une tendance au troc.

La pénurie dans les magasins est encore accentuée par le mauvais fonctionnement général de l'économie russe :

-                  15% de la production invendable ou défectueuse

-       une distribution anarchique et une mauvaise adaptation des produits aux besoins du marché, ce qui donne, dans un cadre de pénurie générale, des stocks d'invendus inutilisables,

-       une agriculture chroniquement déficitaire.

De cette situation découle une épargne importante (qu'il ne faut pas cependant surestimer, elle équivaut en grande partie à l'absence de crédits à la consommation), qui n'a fait qu'augmenter depuis 1965, montrant ainsi l'austérité croissante au travers des rationnements.

Cette situation est le produit de la priorité accordée au développement des biens de production dans l'industrie, aux dépens des biens de consommation (87% des investissements industriels contre 13%). Cependant, à cause de l'arriération et du déséquilibre du capitalisme russe, la pénurie de marchandises se fait aussi bien sentir dans la production de biens de production, au niveau de l'approvisionnement déficient en matières premières et en pièces de rechange.

Cependant, la pression du marché mondial et du marché intérieur tendent à briser le carcan que constitue la tricherie par rapport à la loi de la valeur, à la base du fonctionnement du modèle rus-. se. Ainsi, la saturation du marché mondial induit en Russie l'apparition de stocks importants dans l'industrie et la pression de la demande sur le marché intérieur pousse au développement du marché noir, qui a énormément progressé ces, dernières années, sur lequel la loi de la valeur joue à plein, provoquant ainsi une baisse de la croissance de l'épargne depuis 1975 et une pression inflationniste croissante.

L'INFLATION EN URSS

Les indices officiels des prix en URSS sont remarquables par leur stabilité (indice 100 en 1965, 99,3 en 1976). L'inflation n'existerait-elle pas dans ce pays ? Là encore, le fonctionnement même du marché intérieur tend à masquer l'inflation telle qu'on la conçoit en occident (surtout dans sa manifestation classique : augmentation des prix). En effet, cette inflation prend des formes différentes sur le marché officiel :

- augmentation des subventions aux produits de consommation, afin de maintenir leurs prix artificiels,

- rationnement accentué, qui se traduit par l'allongement des files d'attente devant les magasins, monnaie en excédent, stérilisée par l'épargne (133 milliards de roubles).

Les facteurs inflationnistes en Russie sont :

-       Excédent de la demande solvable sur l'offre, qui pousse a la constitution du marché noir qui reflète l'inflation réelle (le rouble y est côté à un quart de sa valeur officielle).

-       Investissements mal rentabilisés (85% du montant global placé dans des chantiers inachevés).

-       Poids énorme ces secteurs improductifs, notamment de l'armement (12% du PNB).

-       Pression du marché mondial au travers du commerce extérieur.

Cette pression inflationniste est tellement forte qu'aujourd'hui la bourgeoisie russe ne peut même plus la masquer; les augmentations en cascades se succèdent à vitesse accélérée : taxis 100%, soieries 40%, vaisselle 80%, confection 15%, bijoux 110%, automobiles 50% pour les modèles les plus recherchés, telles sont quelques augmentations décidées par l'Etat le 1er Janvier 1977, sans compter les hausses déguisées, telle que le retrait d'un produit peu cher et la mise en circulation d'un équivalant plus onéreux, ni les hausses brutales sur le marché kolkhozien et le marché noir.

Contrairement à ce que peuvent prétendre les staliniens et les trotskystes, lorsqu'ils déclarent que l'inflation en URSS est due uniquement à la crise des pays occidentaux qui pénètre la Russie par son commerce extérieur, c'est essentiellement les contradictions internes qui poussent son processus inflationniste, vu que le commerce avec l'occident ne représente que 3% du revenu national.

Dans les conditions particulières de la Russie, l'inflation exprime l'excédent de la demande sur l'offre, alors que c'est l'inverse sur le marché mondial. Est-ce contradictoire ? Non, car la situation particulière de la Russie est précisément due au fait que, pour elle, étant donné son manque de compétitivité, le marché mondial est toujours apparu comme saturé. La situation en Russie est le produit même de la crise économique mondiale qui se manifeste sur le marché mondial.

Dans ces conditions, le marché intérieur russe, non saturé, représente t'il un débouché possible pour son économie ? Pas vraiment, dans la mesure où les prix pratiqués y sont des prix inférieurs aux coûts (déficit qui ne peut être équilibré que par l'extorsion de capitaux aux pays d'Europe de l'Est). Pour que le marché intérieur puisse constituer un débouché réel, il faudrait d'abord mettre ses prix au niveau des prix du marché mondial, c'est cette tentative qui exprime la vague de hausse des prix. Mais cela signifie un pas en avant dans une spirale inflationniste, par une pression accrue sur la masse salariale et un risque d'explosion sociale grandissant. En fait, la part plus importante accordée aux biens de production dans le Xème plan exprime plus la crise que subit le secteur I des biens de production par rapport à la saturation du marché mondial.

L'URSS n'échappe pas à la crise mondiale du capitalisme. Elle exprime, au contraire, pleinement la réalité du capitalisme décadent.

-   incapacité d'un réel développement des forces productives,

-         tendance brutale au capitalisme d'Etat,

-         économie de guerre.

En fait, tous ces traits expriment la crise permanente du capitalisme. Les caractères spécifiques de la crise en URSS, loin de signifier l'absence de crise dans ce pays, expriment, au contraire, son importance et sa permanence, ils sont la preuve des contradictions explosives qui secouent l'économie russe.

Pour maintenir son existence indépendante, le capital russe ne peut que s'enfoncer dans une tricherie de plus en plus forte par rapport à la loi de la valeur et la loi de l'échange. Mais une tel­le tricherie ne peut durablement masquer la réalité du capital et ses contradictions, la loi de la valeur tend de plus en plus à faire éclater le cadre formel qui la distord.

Face à une telle menace, l'URSS est poussée de plus en plus à chercher de nouveaux marchés à piller pour poursuivre son propre renforcement. Comme solution à la crise, elle est de plus en plus poussée vers la guerre.

Mais ces contradictions, si elles apparaissent plus brutales, ne sont pas pour autant différentes de celles qui secouent le capitalisme sur l'ensemble de la planète, où partout la loi de la valeur est à l’œuvre, où partout le capital se trouve confronté à la limite de ses débouchés.

Par bien des aspects, l'URSS montre le chemin que suit le capital partout dans le monde : contrôle de plus en plus ouvertement totalitaire de l'Etat, gaspillage insensé dans l'économie de guerre, etc.

A l'Est comme à l'Ouest, la crise économique sape les bases de la production capitaliste et crée les conditions de la crise sociale qui, en faisant exploser la contradiction entre le capital et le travail, crée les conditions de la révolution communiste.

JUIN 1980.

 

"LE TRAVAIL QUI N'EST PAS EXPLOITE EST AUTANT DIRE DE LA PRODUCTION PERDUE. DES MATIERES PREMIERES QUI RESTENT INEMPTAYEES NE SONT PAS DU CAPITAL. DES DATIMENTS QU'ON N'OCCUPE PAS (TOUT COMME DES MA­CHINES NOUVELLEMENT CONSTRUITES) OU QUI RESTENT INACHEVES, DES MARCHANDISES QUI POURISSENT DANS LES ENTREPOTS,- TOUT CELA C'EST DE LA DESTRUCTION DE CAPITAL."

(Marx :"Théories sur la plus-value", XVIIème chapitre, Editions sociales page 591.)

Géographique: 

  • Pologne [110]
  • Russie, Caucase, Asie Centrale [111]

Questions théoriques: 

  • L'économie [89]

Lutte de classes internationale

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PRESENTE AU 4EME CONGRES DE REVOLUTION INTERNATIONALE, SECTION DU C.C.I. EN FRANCE, LE RAPPORT QUE NOUS PUBLIONS ICI TENTE DE CERNER LES PREMIERS PAS DU PROLETARIAT DANS LA REPRISE INTERNATIONALE DES LUTTES OUVRIERES.

CE RAPPORT EST CONCU EN TROIS PARTIES :

LA PREMIERE TRAITE DU DEVELOPPEMENT DES CONDITIONS GENERALES, ECONOMIQUES, POLITIQUES ET SOCIA, LES DANS LESQUELLES SE DEROULE LA LUTTE DE CLASSE ET QUI LA CONDITIONNENT.

DANS LA DEUXIEME SONT EVOQUEES RAPIDEMENT LES CARACTERISTIQUES GENERALES DE LA LUTTE DE CLASSES A NOTRE EPOQUE.

LA TROISIEME PARTIE S'ATTACHE A DEGAGER QUELQUES PROBLEMES AUXQUELS SONT CONFRONTEES LES DERNIE­RES LUTTES OUVRIERES.

SI CE RAPPORT A ETE CONCU DE CETTE MANIERE, C'EST QU'IL NOUS SEMBLAIT QU'ELLE PERMETTAIT UNE AP­PROCHE A LA FOIS GLOBALE ET DYNAMIQUE DE LA LUTTE DE CLASSES ET DES PROBLEMES QU'ELLE SOULEVE.

LE DEVELOPPEMENT DES LUTTES OUVRIERES EN POLOGNE SEMBLE CONFIRMER CETTE METHODE D'ANALYSE ET LE CONTENU DU RAPPORT. EN EFFET :

-            LE DEVELOPPEMENT DES CONDITIONS GENERALES, A L'ECHELLE INTERNATIONALE, CONFERE AUX LUTTES EN POLOGNE UN IMPACT ET UNE IMPORTANCE BIEN PLUS GRANDS QUE NE POUVAIENT EN AVOIR LES LUTTES DE 70-71 ET DE 76 ;

-            D'AUTRE PART, CES LUTTES DEMONTRENT UNE FOIS DE PLUS A QUEL POINT LA LUTTE DE CLASSES SE DEVELOP­PE PAR DE BRUSQUES BONDS EN AVANT DANS LA PERIODE ACTUELLE, ET NON DE FACON PROGRESSIVE, OBEISSANT A UNE DYNAMIQUE DIFFERENTE DE CELLE OU SIECLE PASSE ;

-            ENFIN, CES LUTTES MONTRENT L'UNITE DES PROBLEMES ET DES QUESTIONS QUE RENCONTRE LA CLASSE OUVRIERE DANS SA LUTTE, DANS QUELQUE PAYS QUE CE SOIT. MAIS CE QUI CARACTERISE LES LUTTES EN POLOGNE PAR RAPPORT A CELLES QUI les ONT PRECEDEES, CE QUI FAIT QU'ELLES REALISENT UN BOND EN AVANT DU MOUVEMENT OUVRIER INTERNATIONAL, C'EST QUE LES OUVRIERS EN POLOGNE ONT COMMENCE A REPON­DRE DANS LA PRATIQUE A CES PROBLEMES ET A CES QUESTIONS; que CE SOIT L'EXTENSION, L'UNIFICATION DE LA LUTTE, L'AUTONOMIE, L'AUTO-ORGANISATION ET LA SOLIDARITE DE LA CLASSE.

AVANT DE LAISSER LE LECTEUR JUGER PAR LUI-MEME, IL FAUT ENCORE PRECISER QUE CE RAPPORT S'EST SURTOUT DONNE POUR TACHE DE METTRE EN AVANT L'ASPECT DYNAMIQUE ET POSITIF DE LA REPRISE A L'HEURE ACTUELLE, SANS S'ATTACHER A ANALYSER LA MANIERE DONT LA BOURGEOISIE TENTE DE S'Y OPPOSER (EN PARTI­CULIER AVEC L'ATTITUDE OPPOSITIONNELLE DE LA GAUCHE).

L'évolution de la lutte de classes, dans ses formes et dans son contenu, est toujours l'expression des changements et de l'évolution des conditions dans lesquelles elle se déroule. Chaque évènement qui met aux prises le monde du travail contre le capital peut révéler, selon la situation, tel ou tel aspect prometteur d'un mouvement souterrain qui mûrit, ou, au contraire, les derniers soubresauts d'un mouvement qui s'épuise. Aussi ne peut-on traiter de la lutte de classes et de son évolution sans considérer les conditions qui y président.

Pour ces raisons, il est nécessaire d'examiner, dans un premier temps, l'évolution des conditions sociales générales par rapport à la lutte de classes avant de se pencher, dans une seconde partie, sur les aspects marquants de son évolution, et de sa dynamique depuis deux ans et des perspectives qu'elle ouvre.

L’EVOLUTION DES CONDITIONS DE LA LUTTE DE CLASSE A L'HEURE ACTUELLE

Il nous faut considérer les déterminations sociales de la situation; aujourd'hui sous ses différents angles : économique, politique, et de l'ensemble de la société.

AU NIVEAU ECONOMIQUE

L'accentuation et la généralisation de la crise économique développe les conditions de la lutte de classes aujourd'hui. La tendance à l'égalisation dans la descente et la stagnation qui caractérise le sort des nations bourgeoises dans la période de décadence s'exacerbe dans cette période de crise aiguë. Par rapport à il y a dix ans, tous les pays sont frappés par la crise et les "modèles de développement" allemand, japonais, américain pour les pays développés, coréen, iranien, brésilien pour les pays sous développés/sont ramenés au rang des autres.

Au sein de chaque économie nationale également, il y a de moins en moins de secteurs industriels "locomotives". Les espoirs que la bourgeoisie pouvait mettre dans le développement des uns au détriment des autres trop anachroniques et peu rentables, s'effondrent. Tous les secteurs de la production tendent à être touchés.

Tous les ouvriers aussi. Le spectre des licenciements et du chômage, la baisse du niveau de vie, la perspective de l'aggravation de conditions d'existence de plus en plus intolérables ne soit plus l'apanage de certains secteurs. Les difficultés des uns deviennent les difficultés de tous. CETTE TENDANCE A L'UNIFICATION, PAR LA CRISE, DES CONDITIONS D'EXISTENCE DU PROLETARIAT DEVELOPPE LE LES CONDITIONS POUR LA GENERALISATION DE SES LUTTES.

L'approfondissement et la généralisation de la crise économique constituent un aspect fondamental des conditions nécessaires à la généralisation des luttes dans la période actuelle.

Mais un autre aspect de cette réalité, non moins fondamental pour le développement de ces conditions, réside dans le fait que la crise économique se présente aujourd'hui SANS PERSPECTIVES, sans autre issue que la guerre, à la conscience des différentes classes.

Au langage de "restructuration", de "participation", d'"auto-gestion" que nous a tenu depuis dix ans la bourgeoisie, a fait place un langage d'austérité. On ne parle plus du "bout du tunnel". Le bout du tunnel pour la bourgeoisie aujourd'hui, c'est la guerre et elle le dit.

Aussi nous tient-elle un "langage de vérité". Mais la vérité bourgeoise n'est pas toujours bonne à dire, surtout aux exploités.

QUE LA BOURGEOISIE INDIQUE OUVERTEMENT QUE SON SYSTEME EST EN FAILLITE, QU'ELLE N'A RIEN D'AUTRE A PROPOSER QUE LA BOUCHERIE IMPERIALISTE, CONTRI­BUE A CREER LES CONDITIONS POUR QUE LE PROLETARIAT TROUVE LE CHEMIN DE SON ALTERNATIVE HISTORI­QUE AU SYSTEME CAPITALISTE. AU NIVEAU POLITIQUE

Toutes les perspectives illusoires mises en avant depuis dix ans, et que la bourgeoisie croyait elle-même être des solutions, tendent à s'évanouir.

Ainsi, la situation économique catastrophique du capitalisme, la conscience qu'en ont les différentes classes et les réactions qu'elle détermine dans la classe ouvrière se retrouvent et se traduisent sur le plan politique, non seulement au niveau de la lutte entre les différentes fractions de la bourgeoisie (crise politique), mais surtout PAR L'ABSENCE D'ALTERNATIVE HISTORIQUE FACE A LA LUTTE DE CLASSE.

L'usure de la "gauche au pouvoir", qui avait dominé la perspective sociale pendant les années précédentes, est un élément déterminant de cette absence d'alternative. C'est pourquoi on a assisté à la réorientation de la gauche dans l'opposition, dans les principaux pays européens, face et contre le développement de la lutte de classe.

Cependant, sur le plan politique, la gauche ne peut pas présenter à l'heure actuelle de perspective propre. Sa fonction consiste surtout à minimiser les enjeux de la situation. Face au langage de "vérité" des gouvernements en place, elle brouille les cartes. Elle dit que cette vérité -la perspective de guerre- est un mensonge, mais elle a peu de mensonges à proposer en guise de vérité. Aussi, ce n'est pas tant sur le terrain de la perspective politique que la gauche va remplir actuellement sa fonction anti-ouvrière mais directement sur le terrain de la lutte de classe.

ESSENTIELLEMENT ET FONDAMENTALEMENT, CETTE ABSENCE D'ALTERNATIVE POLITIQUE SE TROUVE AUJOUR­D'HUI AU COEUR DE LA CRISE POLITIQUE DE LA BOUR­GEOISIE; DE CE POINT DE VUE, LA POSITION DE LA GAUCHE DANS L'OPPOSITION TRADUIT UNE POSITION ET UNE SITUATION DE FAIBLESSE POUR ELLE-MEME ET POUR L'ENSEMBLE DE LA BOURGEOISIE.

AU NIVEAU SOCIAL

Sur le plan social, le développement des conditions dans lesquelles se déroule la lutte de classes S'EXPRIME ET SE TROUVE RESUME DANS LA POSITION DE L'ETAT DANS ET FACE A LA SOCIETE. Et cela d'autant plus que l'Etat tend, dans la période de décadence, à régir l'ensemble de la vie sociale et à établir son emprise sur toutes ses expressions.

Si l'on examine rapidement la situation de l'Etat aujourd'hui, on s'aperçoit (lut les effets de la crise et les différents plans économiques de ces dernières années pour y faire face ont eu des conséquences très graves sur l'état de ses finances dont les déficits atteignent des proportions de plus en plus importantes et sont d'ailleurs une des sources principales d'inflation. Il n'y a guère que le budget de l'armée et de la police qui soient augmentés ; pour le reste, ce que la bourgeoisie appelle les "budgets sociaux" et qui sont en réalité une partie des salaires dont l'Etat a la charge, ils ont tous été fortement diminués en même temps qu'augmentaient les charges sociales.

Au moment même où il est obligé de développer la répression et la militarisation de la vie sociale, l'ébranlement économique de l'Etat affaiblit son emprise idéologique et l'apparence "sociale" de l'Etat du capitalisme d'Etat tend à disparaître pour laisser de plus en plus au grand jour sa réalité de gardien de l'ordre capitaliste.

La position dans laquelle se retrouve aujour­d'hui l'Etat laisse la porte ouverte à l'expression des contradictions qui rongent la société, celles qui divisent les classes sociales et s'expriment dans la désobéissance à l'Etat, la révolte et la lutte du prolétariat.

Face à ce processus, l'Etat tend à renforcer de plus en plus son caractère répressif pour empêcher les contradictions d'éclater au grand jour. Sans parler des pays sous développés où la réponse de l'Etat à ces contradictions se traduit par des massacres de plus en plus grands des populations, ouvriers, paysans (massacre des ouvriers aux Indes, massacres en Iran, meurtres à répétition en Turquie, en Tunisie, en Equateur, etc...), dans les pays développés et jusqu'ici au visage "démocratique", l'Etat est de plus en plus acculé à ne proposer que sa police et sa "justice" de classe comme réponse à toute expression sociale.

Les lois que nous concoctent tous les gouvernements d'Europe à l'heure actuelle, "anti-terroristes" en Italie, "anti-autonomes", "anticasseurs" en France, les pratiques judiciaires des "flagrants délits", les morts dans les affrontements comme en Corse, à Jussieu, à Miami, les blessés à Bristol, à Plogoff, les blindés dans les rues d'Amsterdam contre les "squatters", voilà la réponse des Etats "démocratiques" aux contradictions dans la société.

Dans cette situation, les illusions qui avaient subsisté sur la possibilité de changement dans le  cadre des institutions existantes et dans la "légalité" tendent à disparaître elles-aussi.

Mais  le renforcement de la répression étatique  n'est pas une expression de la force de l'Etat mais  un renforcement formel. En l'absence de perspectives économiques et politiques, en l'absence d'un embrigadement idéologique des populations derrière les buts de l'Etat, l'exacerbation de sa répression exprime sa faiblesse.

D'autre part, la faillite du système non seulement empire les conditions de vie de la classe ouvrière, mais encore accélère le développement des milliers de sans-travail exclus de la vie économique, jette sur le pavé des milliers de paysans, appauvrit toutes les couches et classes sociales intermédiaires et détermine une révolte grandissante des couches non-exploiteuses contre l'ordre social existant. On a vu se développer, de façon accélérée depuis les derniers deux ans, des révoltes de populations entières (Iran, Nicaragua, Salvador), des mouvements des paysans, des émeutes dans les pays développés (Bristol, Miami, Plogoff), des révoltes des étudiants (Jussieu en France, Corée, Afrique du Sud).

Le développement du mécontentement social et de la révolte dans la société est l'une des conditions dans lesquelles se développe la lutte de la classe ouvrière, une condition de la révolution prolétarienne. En effet, les mouvements contre l'ordre social existant participent d'une part au processus  d'isolement de l'Etat et constituent, d'autre part, le contexte social au sein et vis à vis duquel le  prolétariat se dégage et trouve sa voie propre comme seule force capable de présenter une alternative.

Ce n'est pas seulement contre la bourgeoisie que le prolétariat fait la révolution, mais c'est face à l'ensemble de la société qu'il peut ouvrir un chemin nouveau et c'est face à elle qu'il développe sa prise de conscience.

Ainsi, avec le développement de ces facteurs :

1)   approfondissement important de la crise économique qui ne présente d'autre perspective que la guerre;

2)   absence de perspective politique immédiate et de grands thèmes idéologiques qui canalisent, sinon "l'espoir", du moins la révolte ;

3)     affaiblissement de la position et de l'emprise des Etats qui tendent à être de plus en plus isolés face à la révolte des couches et classes sociales non exploiteuses dans l'ensemble du monde ; se développent les conditions pour que le prolétariat trouve le chemin d'un processus révolutionnaire international.

Mais au sein des conditions générales, le passage de la gauche dans l'opposition répond au besoin pour la bourgeoisie d'empêcher qu'un tel processus ne s'enclenche. Avant même que la reprise des luttes ne se soient clairement dessinée, la bourgeoisie armée de ses thermomètres syndicaux et de ses "experts du travail" a compris la situation. En ce sens, et contrairement à la période précédente de luttes où le prolétariat avait surpris le monde par son resurgissement sur la scène historique, la bourgeoisie connaît aujourd'hui le danger de la lutte de classes et s'y est préparée.

Du point de vue de la bourgeoisie, le passage de la gauche dans l'opposition ne correspond pas à un plan machiavélique et prévu d'avance. L'emprise et l'audience des partis de gauche et surtout des syndicats s'affaiblissant dangereusement tout au long de cette période de course au pouvoir ou de "responsabilité" vis à vis des pouvoirs établis (désyndicalisation, perte d'influence et hémorragie des militants sont les signes révélateurs de cet affaiblissement), ceux-ci ont été contraints d'adopter une autre position pour ne pas perdre ce qui est le fondement de leur réalité et de leur force, le contrôle de la classe ouvrière.

Même s'ils font tout et ils vont tout faire pour "redorer leur blason" dans l'opposition en prenant la "tête" des luttes, ils s'usent également dans l'opposition car la lutte de classes n'est pas leur terrain véritable. C'est pourquoi nous disions plus haut que la position d'opposition de la gauche était une position de faiblesse; c'est la poussée de la lutte de classes qui détermine sa position actuelle d'opposition et de "radicalisation verbal".

Dans notre travail au sein de la lutte du prolétariat et donc en butte au problème de la gauche dans l'opposition, nous devons garder à l'esprit ce double aspect que revêt la position de la gauche dans l'opposition. D'un côté entrave au développement de la lutte de classes, et de l'autre, position de faiblesse due elle-même à la faiblesse de l'encadrement idéologique de la bourgeoisie. Da toutes façons, la gauche devra, elle, vivre et travailler au sabotage de la lutte de classes avec cette contradiction qui se développera nécessairement avec le développement des luttes et qui l'usera d'une manière plus radicale que la course au pouvoir.

Après avoir examiné les conditions objectives de la lutte de classe à l'heure actuelle, il faut chercher à évaluer le contenu des luttes qu'on a vu se développer. Mais il est encore nécessaire de rappeler rapidement les caractéristiques générales des luttes dans la période de décadence, la dynamique qui les anime et que l'expérience du prolétariat nous a enseignée.

LE PROCESSUS DE LA LUTTE DE CLASSES

1-            Contrairement au 19ème siècle, le prolétariat ne peut plus se constituer en force face à la société sans remettre directement en cause la société elle-même. Alors qu'à l'époque, le prolétariat pouvait développer ses luttes de façon limitée et faire céder le capital sans ébranler toute la société, le caractère obsolescent et décadent du capitalisme et l'exacerbation de ses contradictions dans les périodes de crise aiguë ne peuvent plus supporter la constitution d'une force antagonique en son sein. Les luttes du prolétariat ne peuvent qu'accentuer la crise de la société et poser la question de la société elle-même.

Les buts du mouvement, de remise en cause des conditions d'existence s'étendent à la remise en cause de cette existence elle-même ; les formes de lutte, de résistance partielle et localisée de fractions de la classe ouvrière, s'étendent à la classe ouvrière dans son ensemble. Le développement  de la lutte nécessite la participation massive de  la classe ouvrière.

2-            Contrairement au mouvement ouvrier du siècle dernier qui, malgré le caractère toujours heurté de la lutte de classes, pouvait se développer de façon progressive au sein de la société, où chaque lutte partielle de la classe venait renforcer la prise de conscience et l'union grandissante des travailleurs dans leurs organisations de masse, les luttes d'aujourd'hui ont un caractère explosif, préparé et imprévu.

Malgré son caractère heurté et explosif, le développement de mouvements de masse est un processus et obéit à une logique qui constitue la dynamique de la lutte de classes, qui se développe au travers de plusieurs moments de lutte, même si ceux-ci ne se relient pas forcément entre eux, de façon apparente, par un lien évident.

"Il est absolument faux d'imaginer la grève de masse coffre une action unique. La grève de masse est bien plutôt un terme qui désigne collectivement toute une période de lutte de classes s'étendant sur plusieurs années, parfois sur des décennies." (R. Luxembourg. Grèves de masses, parti et syndicats, p.128. Ed Maspero 1969).

C'est dans un tel cadre, en gardant â l'esprit les lois générales et les caractéristiques du mouvement révolutionnaire à l'heure actuelle, que nous pouvons et devons nous pencher sur les éléments que nous a apportés la pratique de la classe dans ses  derniers combats.

Aujourd'hui, nous sommes au tout début d'un processus qui va mener vers le développement des grèves de masses; un processus durant lequel la classe va trouver le chemin pour constituer une force qui régénérera la société en la débarrassant de ses entraves capitalistes.

C'est pourquoi, c'est avec beaucoup d'attention  que nous devons chercher à voir, dès maintenant, dans les luttes, les éléments dynamiques, porteurs  de possibilités immédiates, pour participer de toutes nos forces et capacités à la marche historique  du prolétariat vers l'avenir.

CERTAINS ASPECTS DE LA LUTTE DE CLASSES AUJOURD' HUI

Au cours de ces dernières luttes, aussi embryonnaires soient-elles, l'activité de la classe ouvrière a déjà soulevé beaucoup de problèmes, beaucoup plus qu'elle n'en a résolus et ne peut en résoudre dans l'immédiat. Mais le .fait qu'ils aient été posés dans la pratique constitue déjà un pas en avant du mouvement. On peut en énumérer en vrac un certain nombre qui, s'ils sont tous liés dans et par le processus d'affirmation révolutionnaire de la classe, apparaissent encore connes des éléments isolés, sans dégager nécessairement une orientation claire, se présentant ponctuellement dans les luttes à l'heure actuelle :

- les affrontements avec l'Etat ont eu lieu dans toutes les luttes principales en Europe (Longwy, De­nain, Paris, Grande-Bretagne, mineurs du Limbourg, Rotterdam ...);

- l'auto-organisation (comité de coordination de la Sonacotra, comité de grève de Rotterdam);

- la solidarité active (Grande-Bretagne, France); - l'occupation de l'usine (Denain, Longwy) ;

- l'information et ses moyens de diffusion par la presse, la radio, la TV (Espagne, France) ;

- la répression et la lutte contre la répression (emprisonnés de Denain, de Longwy, du 23 mars).

Dans toutes ces questions, les ouvriers ont rencontré les manigances syndicales, sous ses multiples formes, de la base au sommet, et avec l'esprit syndicaliste qui pèse encore lourdement sur leur conscience ; ils ont dû les déborder, les contourner, les affronter, et bien souvent s'y sont laissés prendre.

Si tous ces aspects, ces questions, surgis de la lutte, trouveront leur réponse dans la lutte elle-même, on ne peut se contenter de généralités en attendant leur résolution. Contrairement à "Pour une  Intervention Communiste" qui , à Longwy et Denain, demandait à la classe ouvrière d'inscrire l'"abolition du salariat" sur son drapeau ; contrairement au "Groupe Communiste Internationaliste" pour qui la question de l'heure (et à toute heure!) à laquelle les luttes doivent se consacrer est "l'affrontement" ; contrairement au "Ferment Ouvrier Révolutionnaire" qui préconise "l'insurrection", et à la "Communist Workers Organisation" qui "attend" que les masses rompent avec les syndicats (et rejoignent le parti ?) pour s'y intéresser , nous devons examiner concrètement les nécessités et les possibilités de la lutte actuelle, comme les dangers actuels qui les guettent, si nous voulons participer activement à leur développement. A la veille de l'insurrection, les problèmes cruciaux immédiats ne seront pas les mêmes qu'aujourd'hui. Mais aujourd'hui, au tout début d'un processus fragile, nous devons nous pencher avec attention sur les différents aspects des luttes, si faibles et si petits soient-ils, pour comprendre à chaque moment où en est le processus, comment il se développe, où réside l'avenir immédiat du mouvement, quelles sont ses potentialités, et y apporter notre contribution.

Nous nous limiterons à étudier certains points parmi ceux mentionnés ci-dessus, qui nous semblent dominants à l'heure actuelle.

LES MOYENS ET L'EXTENSION DES LUTTES

Une des premières questions que pose la lutte, c'est celle de son efficacité immédiate par rapport à la bourgeoisie et à son Etat. Si l'on prend l'exemple de trois situations différentes dans lesquelles se trouvent Tes ouvriers dans la production on voit qu'ils sont tous confrontés à ce problème.

- En Grande-Bretagne, la grève de trois mois qu'ont menée les sidérurgistes et qu'ils ont étendue en partie à la sidérurgie privée, n'a eu quasiment aucun effet sur la vie économique du pays. En Hollande, malgré un mois de grève des dockers, 80% de l'activité du port de Rotterdam a été assurée.

- D'autre part, un grand nombre de luttes a été engagé contre les licenciements. Dans ce cas, encore plus que dans les autres, la pression économique que les ouvriers voudraient exercer sur la bourgeoisie est rendue impossible de fait.

- D'autre part encore, dans des secteurs vitaux pour le fonctionnement de l'économie et celui de l'Etat (secteurs de pointe, mais surtout énergie, armement, transports, etc.), les ouvriers ont été

et sont soumis, dès qu'ils veulent entrer en lutte, à une pression très forte de l'Etat et à des diktats de plus en plus totalitaires. En France, par exemple, on a pu assister tout au long de ces derniers mois, à une campagne de la bourgeoisie contre les grèves dans les secteurs publics, et tout dernièrement la bourgeoisie cherche à imposer des mesures antigrèves dans la production d'électricité.

Aussi, dans les mouvements que la classe ouvrière a menés ces derniers mois, elle a à nouveau fait l'expérience de la difficulté à imposer une pression économique qui rende sa lutte efficace. La quantité de stocks dont dispose la bourgeoisie, la haute technicité du capital et son corollaire, une main d’œuvre limitée, l'organisation mondiale du capital, le contrôle et la centralisation économique par l'Etat, bref la puissance du capital par rapport au travail sur le terrain économique, font que les grèves dans une usine, ou même dans une branche d'industrie ont un effet des plus limités.

Tout cela n'est pas nouveau et est l'expression du capitalisme d'Etat et de la militarisation de la vie économique qu'impose la décadence du système et que renforce la crise aiguë actuelle. Mais ce qui est "nouveau" par contre, dans les luttes de ces derniers mois, c'est que la prise de conscience de cette situation a été l'aiguillon, la force principale qui a poussé les ouvriers à chercher d'autres voies, à étendre leurs luttes.

En Grande-Bretagne, les ouvriers ont vite réalisé que le blocage du trafic de l'acier dans les ports, les lieux de stockage etc., était pratiquement impossible à réaliser et qu'il fallait trouver une autre voie pour s'imposer. C'est alors  qu'ils ont cherché à orienter leur mouvement vers  la recherche de la solidarité active des autres  ouvriers.

En France, la lutte des ouvriers de la sidérurgie avait lieu contre les licenciements. Dans ce cas, encore plus que dans les autres, la pression économique ne pouvait avoir de poids sur la bourgeoisie, et les ouvriers s'en sont rendu compte dès le début. A aucun moment ils ne se sont mis en grève et c'est dans la rue qu'ils ont engagé la lutte. Lorsque la CGT, à Denain, a proposé l'occupation de l'usine, elle s'est fait huer par les ouvriers.

A Rotterdam, le problème de l'extension du mouvement s'est posé dès le début de la grève. Les ouvriers se sont orientés dans différentes tentatives d'extension (appeler les autres dockers à la grève) et lorsqu'au bout de trois semaines de grève, ils ont voulu aller chercher les autres ouvriers du port, c'est alors que l'Etat a envoyé sa police, exprimant ainsi clairement que c'est là  que résidait pour lui le danger de cette lutte.

Dans ces luttes, la classe ouvrière a commencé à se rendre compte de la limitation objective du terrain catégoriel et strictement économique, terrain où le rapport de forces ne peut qu'être favorable à la bourgeoisie. Si le prolétariat ne fait que commencer à entrevoir la question, l'accentuation de la crise économique et avec elle, d'un côté, l'augmentation des licenciements, et de l'autre l'effort de rentabilisation et de militarisation des secteurs-clés de l'économie, vont pousser de plus en plus la classe ouvrière à trouver de nouvelles voies, et , en attaquant la force du capital de tous côtés, à la transformer en faiblesse.

LA QUESTION DU CHOMAGE ET LES LICENCIDENTS DU LES LUTTES ACTUELLES

Dans la résolution que le CCI avait adopté sur les questions du chômage et de la lutte de classe, nous mettions en avant que "si les chômeurs avaient perdu le terrain de l'usine, ils gagnaient du même coup celui de la rue". Les luttes de l'an dernier contre les licenciements dans la sidérurgie sont venues confirmer cette thèse.

Ces luttes nous ont montré que la lutte contre les licenciements sur le "terrain de la rue" constituait un TERRAIN TRES PROPICE AU DEVELOPPEMENT GENERAL DE LA LUTTE, A SON EXTENSION ET A SON UNIFICATION, et cela en particulier parce que le terrain de la rue déborde le cadre de l'usine et de la corporation, terrain privilégié du travail syndical.

Cette expérience doit aujourd'hui nous servir de guide et d'illustration sur la place que peut occuper demain la lutte des chômeurs. En effet, dans une situation générale de développement des luttes, la lutte des chômeurs, parce qu'elle est de fait débarrassée des entraves corporatives et sectorielles, et ne peut se dérouler que sur le "terrain de la rue", jouera nécessairement un rôle important dans l'extension et l'unification de la lutte ouvrière et sera bien plus difficile à contrôler et à encadrer par les syndicats.

Depuis que nous avons eu nos discussions sur les questions du chômage et de la lutte de classe, le développement lent de la crise ne nous a pas donné l'occasion de voir une lutte de chômeurs se développer, à part en Iran. Malgré le peu d'informations auxquelles nous pourrions nous référer nous pouvons tout de même avancer que la question du chômage a été premièrement une question centrale dans la lutte des ouvriers en Iran et deuxièmement qu'elle en a été une force motrice et unificatrice.

Pour toutes ces raisons, nous devons donc dans la situation actuelle de développement extrêmement grave de la crise et du chômage qui va en résulter, ne pas relâcher notre attention sur cette question. Au contraire:, nous devons accorder une attention particulière à son développement, aux réactions qu'il provoque dans la classe ouvrière et à la manière dont la gauche et Les syndicats tentent et tenteront de désamorcer la bombé so­ciale qu'il constitue.

EXTENSION ET SOLIDARITE.

Dès que la classe ouvrière entre en lutte, dans un secteur ou dans un autre, se pose la question de la solidarité, comme besoin et nécessité de la lutte.

En France, dans les premières attaques des ouvriers à Longwy et Denain, contre les préfectures, les caisses d'impôts, les banques, les chambres patronales, et surtout dans les premières attaques de commissariats en réponse aux actes de répression de la police, UNE SOLIDARITE DIRECTE ET SPON­TANÉE DES AUTRES OUVRIERS, DES CHOMEURS ET MEME DE LA POPULATION S'EST REALISEE DANS L'ACTION.

En Grande-Bretagne, malgré le cadre strict imposé au départ par les syndicats à la grève et aux formes de la lutte des sidérurgistes (piquets de grève pour bloquer le trafic de l'acier), les ouvriers ont exprimé leur combativité et leur orientation propres dans les tentatives qu'ils ont faites pour orienter la lutte vers les autres ouvriers, pour aller chercher leur solidarité active. Même si et bien que les syndicats aient réussi à garder le contrôle de l'extension en la limitant au cadre corporatiste qu'ils dominent, c'est sous la pression ouvrière à la recherche de son chemin propre qu'ils l'ont fait, contre l'opposition au départ des bureaucraties syndicales, et C'EST LA QU'ONT RESIDE LE POIDS ET LA FORCE DU MOUVEMENT EN GRANDE-BRETAGNE, en dépit de tous les pièges que lui avait soigneusement tendus la bourgeoisie.

Dans les deux luttes qui se sont dotées d'une organisation propre, en dehors des syndicats, à Rotterdam et à la Sonacotra en France, le problème de la solidarité a été constamment posé. Dés le début, comme on l'a dit plus haut, le comité de grève de Rotterdam était préoccupé de l'extension du mouvement et de la solidarité des autres ouvriers, qui s'est posée, de façon embryonnaire, à Amsterdam. Durant toute la lutte de la Sonacotra, la question de la solidarité des ouvriers français était au cœur des préoccupations du comité de coordination. Les slogans dominants de toutes les manifestations d'immigrés étaient : "français, immigrés, mêmes patrons, même combat ! ; "ouvriers français, immigrés : solidarité!"

Cet effort de la recherche de la solidarité par la classe ouvrière est une manifestation très positive des luttes à l'heure actuelle et des pas qu'elle commence à faire dans la prise de conscience de sa nature fondamentalement unie par les mêmes intérêts.

Mais cet effort encore fragile rencontre face à lui beaucoup d'entraves. La première est bien sûr le niveau général de la lutte de classes. Bien que la solidarité soit un acte volontaire, conscient, elle n'en nécessite pas moins un développement général de la combativité et des luttes ouvrières. Les travailleurs immigrés, en France, en ont d'ailleurs fait l'amère expérience durant toute la période du reflux de la lutte de classe. Cela dit, une autre entrave au développement de la solidarité ouvrière est une conception confuse de la solidarité, conception qui pèse d'autant plus sur la conscience du prolétariat qu'elle se réfère à la "solidarité ouvrière" telle qu'elle pouvait se réaliser dans les luttes du siècle passé.

Alors qu'au 19ème siècle, la solidarité de la classe ouvrière pouvait s'exprimer dans le soutien matériel et financier des grèves, au travers des caisses de grève organisées par les syndicats et qui permettaient aux ouvriers de tenir jusqu’a ce que le patronat cède, aujourd'hui, comme on l'a vu plus haut, la pression économique de la classe ne peut plus s'exercer dans le cadre d'une usine ou même d'une branche d'industrie. Les ouvriers sont nombreux aujourd'hui à avoir fait l'expérience de longues grèves qui, malgré le soutien matériel et la "popularisation" organisée par les syndicats, non seulement n'ont pas fait céder la bourgeoisie, mais encore ont abouti à la démoralisation dans l'isolement.

Alors que fondamentalement, la recherche de la solidarité par la classe ouvrière en lutte aujour­d'hui s'impose à travers la nécessité de BRISER L'ISOLEMENT, la bourgeoisie essaie de dévoyer cette orientation, lorsque la lutte contient trop de dangers, de potentialités à l'égard de son pouvoir, en utilisant le besoin de solidarité à son profit. C'est ainsi qu'au Brésil, les ouvriers ont payé le prix du "soutien" que leur ont apporté les bourgeois et les curés qui ont réussi, au nom de ce soutien, à les enfermer dans leurs églises, et à dévoyer le mouvement sur leur propre terrain, celui de la "démocratie" (syndicalisme libre) et de la nation. De même en France, rares sont les grèves qui ont connu un "soutien" aussi massif et aussi "large" de tous les pouvoirs établis, depuis Chirac jusqu'à la presse, comme celle des nettoyeurs du métro : tout le monde y a mis du sien pour aboutir au nom de la solidarité à l'isolement complet des ouvriers.

La conception bourgeoise de la solidarité, c'est la solidarité DES classes, l'union de tous les citoyens derrière un seul drapeau, une "cause" au nom de laquelle on sacrifie un moment ses intérêts particuliers et divergents. La solidarité de la classe ouvrière, elle, est une solidarité DE classe : ce sont leurs intérêts communs que les ouvriers réalisent dans toute action de solidarité. Pour la bourgeoisie, la solidarité est une notion morale; pour la classe ouvrière, elle est sa pratique.

De par les caractéristiques de la lutte de classe dans la période de décadence, LA SOLIDARI­TE DE LA CLASSE OUVRIERE AUJOURD'HUI, LA SEULE VOIE PAR LAQUELLE ELLE PEUT ARRIVER A S'EXPRIMER, C'EST A TRAVERS LA SOLIDARITE ACTIVE qui veut dire, essentiellement, la participation des autres secteurs à la lutte, L'EXTENSION DE LA LUTTE. La solidarité est à la fois un agent et un produit de l'unification des luttes.

LA QUESTION SYNDICALE

La question syndicale est la pierre de touche de l'avenir de la lutte de classe aujourd'hui. Plus que la répression directe et brutale, c'est dans la mystification et le dévoiement syndicaux que résidera l'offensive bourgeoise contre la classe ouvrière, préparatoire à la répression ultérieure. C'est sur tous les fronts que gauche et syndicats vont attaquer la lutte de classe : isolement, dévoiement, provocation, etc.

Le dégagement du carcan syndical est loin, pour le moment, de s'être exprimé clairement, surtout dans les pays où ils ont une longue tradition historique, comme en Grande-Bretagne. Si en France, le mouvement de Longwy et Denain a commencé par des débordements syndicaux, si, en Italie, la CGIL, par toutes ses actions ouvertement anti ouvrières est particulièrement déconsidérée et les mouvements, comme celui des hospitaliers ont eu lieu directement contre elle, la clarification de la question syndicale dans la conscience ouvrière nécessite un développement plus poussé des luttes.

Il est fondamentalement juste de dire que la question syndicale est une question cruciale, le bras armé de la bourgeoisie dans les rangs du prolétariat et que tant que les syndicats organisent les luttes et les maintiennent dans leur giron, ils constituent l'entrave la plus puissante à tout développement ultérieur.

Cette vérité générale est indispensable à reconnaître pour pouvoir vraiment contribuer au développement de la lutte de classe et à la prise de conscience du prolétariat, et en ce sens, les résistances de nombres de groupes révolutionnaires pour reconnaître cette question est une entrave à l'accomplissement de leur fonction.

Mais cette reconnaissance générale ne suffit pas. Les ouvriers ne répondront pas à la question syndicale en suivant un raisonnement théorique, général, mais en s'y confrontant dans la pratique. Et c'est dans cette pratique qu'il nous faut examiner comment elle se pose et comment nous pouvons contribuer à son éclaircissement véritable. Répéter, comme le font le CWO, le FOR et le PIC que les syndicats sont anti-ouvriers et que ceux-ci doivent s'en débarrasser, ne nous éclaire pas tellement sur la façon concrète par laquelle la classe ouvrière va y aboutir. On peut toujours magnifier l'avenir et exorciser les syndicats en imagination, cela ne nous explique pas le présent, et le chemin qui mène du présent à cet avenir.

La présence des syndicats dans une lutte ne signifie pas que cette lutte est fichue d'avance. Contrairement à ce que peuvent penser le FOR, le PIC ou le CWO, derrière la marche sur Paris appelée par la CGT, dans les mouvements de grève en Grande-Bretagne et malgré le contrôle syndical sur le mouvement, la classe ouvrière a pu exercer une poussée réelle de classe et la lutte contenir des potentialités sans avoir ENCORE rompu avec le cadre syndical. Mais cette poussée s'exprime, de façon positive, AILLEURS, et c'est ça qu'il faut savoir reconnaître.

La rupture avec le terrain syndical est une condition constante d'un réel développement de la lutte, mais elle n'est pas un "but" de la lutte. Son but, c'est son renforcement qui obéit à ses propres nécessités :

1) que la classe ouvrière prenne ses luttes en main (cela veut dire assemblées générales et discussions, auto-organisation)

2) que le combat s'élargisse (l'extension de la lutte).

Et c'est justement lorsqu'elle cherche à répondre à ces nécessités propres que la lutte peut réellement poser la question de la rupture syndicale.

Au cœur de la dynamique de la lutte de classe, la question de l'extension du mouvement à toutes les couches du prolétariat par delà les catégories et les corporations, ainsi que la question de l'autonomie et de l'auto-organisation sont indissolublement liées.

Qu'une classe exploitée, dominée économiquement et idéologiquement, brimée et humiliée quotidiennement, prenne sa lutte en main, l'organise et la dirige collectivement constitue justement le premier acte révolutionnaire, mais celui-ci est irréalisable sans l'unité de la classe par delà les divisions que détermine le capitalisme.

Des premiers surgissements qui annonçaient la période révolutionnaire de 1905, Rosa Luxembourg mettait en avant les caractéristiques de masse de ces mouvements et tirait la conclusion que "ce n'est pas la grève de masse qui produit la révolution, mais la révolution qui produit la grève de masse." Lénine, lui, tirait l'autre facette des enseignements de cette période en disant des Conseils Ouvriers, surgis de ces mouvements, qu'ils étaient "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat."

En nous basant sur l'expérience passée, nous devons, nous, mettre en avant dans les luttes actuelles l'unité de ces deux aspects que constituent l'auto-organisation et l'extension des luttes. Dans la mesure où les syndicats peuvent et pourront de moins en moins s'opposer ouvertement aux luttes ouvrières dans tous leurs aspects, et même pourront de moins en moins garder l'initiative et la tête de toutes luttes qui vont surgir brusquement, l'un des aspects essentiels de leur travail de sabotage sera de s'attaquer et de CONTRE­CARRER LA CLASSE OUVRIERE SUR LES ASPECTS LES PLUS FAIBLES DES MOUVEMENTS. Ainsi, dans un cas, ce sera tout faire pour empêcher l'extension et l'unification des luttes ; dans un autre, pour empêcher l'auto-organisation, le pouvoir souverain des assemblées générales, et cela car seule L'UNITE de ces deux aspects de la lutte permettra à la classe ouvrière de plonger des racines profondes dans le terrain de sa pratique révolutionnaire.

Dans ce travail de sabotage, le "syndicalisme de base" va être l'arme des syndicats dans les luttes à venir. Et cette arme est d'autant, plus pernicieuse qu'elle semble s'adapter, à chaque moment, aux besoins du mouvement, répondre à ses initiatives, et, en fin de compte, exprimer le mouvement lui-même. Sa souplesse, sa capacité d'adaptation peuvent lui faire prendre des formes nouvelles auxquelles on ne s'attendait pas, et dans lesquelles ne sera pas inscrit le mot "syndicat".

Le danger du syndicalisme ne réside pas seulement dans la forme syndicale, mais également dans son esprit. L'ESPRIT SYNDICAL pèse sur la conscience ouvrière, à la fois comme poids du passé et comme mystification actuelle. Aussi doit-on être particulièrement vigilant par • rapport à ce danger et déceler comment, sous des formes d'apparence ouvrière, il s'exprime. Les conférences des dockers extra-syndicaux ou les tentatives du comité de grève de Rotterdam d'appel à la solidarité financière nous ont montré comment l'esprit, les conceptions syndicales peuvent peser sur des expressions vivantes des luttes actuelles.

LA GAUCHE ET LES SYNDICATS DANS L'OPPOSITION

Le "vide social" laissé par la fin de la perspective électorale et de la "gauche au pouvoir", face au mécontentement profond de la classe ouvrière, exacerbé par l'application des plans d'austérité, explique en grande partie que de toutes les luttes que nous avons vu se dérouler, durant ces deux dernières années, les luttes de Longwy et Denain sont celles qui sont allé le plus loin et ont le mieux POSE les problèmes de la lutte.

La radicalité de ces luttes a à la fois été le produit de la fin de la perspective électorale et a, en réaction, accéléré le passage de la gauche et des syndicats dans l'opposition.

Depuis lors et dans différents pays, nous nous sommes rendus compte du frein et du poids que représentent pour le développement de la lutte (et d'ailleurs pour notre intervention aussi) la gauche et les syndicats dans l'opposition.

Mais la situation actuelle que semblent en apparence bien contrôler la gauche et les syndicats ne doit pas nous amener, malgré' les difficultés que rencontrent les ouvriers dans leurs luttes, à assimiler la période actuelle à la période de recul des années passées. Nous sommes à l'heure actuelle dans une phase où, après avoir repris le chemin de la lutte, la classe ouvrière digère, en quelque sorte, et fait l'expérience de la gauche dans l'opposition.

CONCLUSION

La lutte de classe a repris à l'échelle mondiale ; de l'Iran à l'Amérique, du Brésil à la Corée, de la Suède aux Indes, de l'Espagne à la Turquie, les luttes du prolétariat se sont multipliées depuis les deux dernières années.

Dans les pays sous-développés, avec l'approfondissement terrible de la crise, l'embrigadement de la "libération nationale" tend à diminuer. A peine la Rhodésie (Zimbabwe) accédait-elle à son "indépendance" et à son "auto-détermination noire" que des grèves éclataient pour des augmentations de salaires. Aux yeux de toute l'Amérique Latine, le mythe de "l'homme nouveau de Cuba" vient de subir un dernier coup mortel avec l'exode des populations. Les illusions sur la libération nationale qui ont fait les beaux jours des gauchistes et mobilisé la révolte de la jeunesse des années 60 dans les pays avancés aux cris de "Castro, Ho Chi Min et Che Guevara" sont terminées.

Dans les pays sous-développés on a vu se développer des mouvements qui contiennent la rupture avec l'idéologie nationaliste de la guerre. En Iran, l'énorme mouvement qui a amené à la chute du Shah et au sein duquel le prolétariat a pris une place déterminante, n'a pas été embrigadé derrière l'étendard nationaliste de Khomeiny et de Bani Sadr. Les manifestations où les slogans disaient : "Gardiens de la révolution Savak" en sont une expression très claire. En Corée, ce verrou inter-impérialiste entre les deux blocs, les mouvements des étudiants et surtout des ouvriers tournent le dos à "l'intérêt national" qu'on veut leur imposer.

Le non-embrigadement du prolétariat derrière le char de la nation et de la guerre s'exprime dans des zones où justement la guerre n'a pas cessé depuis trente ans.

Dans un tel contexte mondial, et en l'absence de fractions de la bourgeoisie dans les pays développés qui mobilisent la population et obtiennent un consensus' national, le battage des gouvernements sur la troisième guerre mondiale peut se tourner en son contraire.

En effet, la bourgeoisie dans le, passé n'a pas mobilisé le prolétariat pour la guerre en lui annonçant simplement la guerre. Au contraire, la social-démocratie, avant la première guerre mondiale l'a désarmée derrière les bannières du pacifisme. Avant la seconde, le consensus national s'est fait autour de l'antifascisme, et la classe ouvrière n'était pas consciente que la guerre d’Ethiopie, puis celle d'Espagne étaient des moments préparatoires à la guerre mondiale.

Aujourd'hui, la bourgeoisie qui n'a rien d'autre à proposer, cherche à présenter la guerre comme un fait inéluctable, inscrit dans l'histoire de l'humanité, espérant la faire accepter en habituant les populations à cette idée. Tout le monde sait que l'Afghanistan est un pas en avant vers une troisième guerre mondiale.

Le niveau et le développement de la lutte de classes s'expriment dans les luttes elles-mêmes, et également dans les groupes qui surgissent et manifestent l'effort de prise de conscience de la classe.

Aujourd'hui, la reprise est encore lente et difficile. Contrairement à la première vague de luttes, il y a dix ans, qui a fait revivre l'idée de la révolution dans la société, cette perspective est, aujourd'hui, encore sous-jacente et ne s'exprime pas aussi ouvertement qu'à l'époque, où l'on avait vu surgir une multitude de groupes qui défendaient une orientation révolutionnaire. Mais le mouvement révolutionnaire était alors fortement marqué par les inférences petite-bourgeoises de la révolte estudiantine, ce qui s'est exprimé dans toutes les variations d'activisme, d'ouvriérisme, de modernisme, qu'on a connu et qui avaient en commun une conception facile de la révolution.

De telles influences et illusions ont de moins en moins de place aujourd'hui dans le mouvement prolétarien qui se dessine. La réflexion qui commence à se faire dans la classe ouvrière s'exprime en partie dans les groupes et cercles qu'on tonnait déjà en Italie et qui vont se développer des profondeurs de la classe ouvrière elle-même.

Le processus de développement d'un milieu révolutionnaire sera plus lent et plus dur qu'il y a dix ans, à l'image du mouvement lui-même, mais il sera également plus profond et plus enraciné dans la pratique de la classe ouvrière. C'est pourquoi une de nos orientations essentielles est d'être attentifs et ouverts à ses premières manifestations, quelles que soient leurs confusions.

JUIN 1980.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [112]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [32]

La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme

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"La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes..."

(Karl Marx. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte

Dans la période présente de reprise historique des luttes du prolétariat, celui-ci se heurte, non seulement à tout le poids de l'idéologie secrétée directement et souvent délibérément par la classe bourgeoise, mais également à tout le poids des traditions de ses propres expériences passées. La classe ouvrière, pour parvenir à son émancipation, a absolument besoin d'assimiler ces expériences; c'est uniquement à travers elles qu'elle forge ses armes en vue de l'affrontement décisif qui mettra fin au capitalisme. Cependant, le danger existe pour elle de confondre enseignements de l'expérience et tradition morte, de ne savoir distinguer ce qui,' dans les luttes du passé, dans leurs méthodes et leurs moyens, reste encore vivant, avait un caractère permanent et universel, de ce qui appartient de façon définitive à ce passé, n'était que circonstanciel et temporaire.

Comme Marx l'a souvent souligné, ce danger n'a pas épargné la classe ouvrière de son temps, celle du siècle dernier. Dans une société en évolution rapide, le prolétariat a traîné longtemps avec lui le boulet des vieilles traditions de ses origines, les vestiges des sociétés de compagnonnage, ceux de l'épopée babouviste ou de ses combats aux cotés de la bourgeoisie contre le féodalisme. C'est ainsi que la tradition sectaire, conspirative ou républicaine d'avant 1848 continue à peser dans la Première Internationale fondée en 1864. Cependant, malgré ses mutations rapides, cette époque se situe dans une même phase de la vie de la société : celle de la période ascendante du mode de production capitaliste. L'ensemble de cette période détermine4 pour les luttes de la classe ouvrière des conditions bien spécifiques : la possibilité d'arracher des améliorations réelles et durables de ses conditions de vie à un capitalisme prospère, mais l'impossibilité de détruire ce système justement à cause de sa prospérité.

L'unité de ce cadre donne aux différentes étapes du mouvement ouvrier du 19ème siècle un caractère continu : c'est progressivement que s'élaborent et se perfectionnent les méthodes et les instruments du combat de classe, en particulier l'organisation syndicale. A chacune de ces étapes, les ressemblances avec l'étape antérieure l'emportent sur les différences. Dans ces conditions, le boulet de la tradition ne pèse pas trop lourd pour les ouvriers de ce temps : pour une bonne part, le passé montre la voie à suivre.

Mais cette situation change radicalement à l'aube du 20ème siècle, la plupart des instruments que s'est forgée la classe durant des décennies ne lui servent plus à rien, pire, ils se retournent contre elle et deviennent des armes du capital. Il en est ainsi des syndicats, des grands partis de masse, de la participation aux élections et au Parlement. Et cela, parce que le capitalisme est entré dans une phase complètement différente de son évolution celle de sa décadence. Le cadre du combat prolétarien en est complètement bouleversé : désormais la lutte pour des améliorations progressives et durables au sein de la société perd sa signification. Non seulement le capitaliste aux abois ne peut plus rien accorder, mais ses convulsions remettent en cause nombre des conquêtes prolétarienne du passé face a un système moribond, la seule véritable conquête que le prolétariat puisse obtenir est de le détruire.

C'est la première guerre mondiale qui signe cette coupure entre les deux périodes de vie du capitalisme. Les révolutionnaires, et c'est ce qui les fait révolutionnaires, prennent conscience de l'entrée du système dans sa phase de déclin.

"Une nouvelle époque est née. L'époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat"  proclame en 1919 l'Internationale Communiste dans sa plate-forme. Cependant, dans leur majorité, les révolutionnaires restent marqués par les traditions du passé.  Malgré son immense contribution, la Troisième Internationale est incapable de pousser jusqu'au bout les implications de son analyse.. Face a la trahison des syndicats, elle ne propose pas de les détruire mais de les reconstruire. Constatant "que les réformes parlementaires ont perdu toute importance pratique pour les classes laborieuses" et que "le centre de gravité de la vie politique est complètement et définitivement sorti du Parlement" (Thèses du 2ème congrès), l'Internationale Communiste n'en continue pas moins de prôner la participation à cette institution. Ainsi, la constatation faite par Marx en 1852, se confirme magistralement. Mais également tragiquement. Après avoir provoqué en 1914.1a débandade du prolétariat face à la guerre impérialiste, le poids du passé est le principal responsable de l'échec de la vague révolutionnaire commencée en 1917 et de la terrible contre-révolution qui l'a suivie pendant un demi-siècle.

Si elle était déjà un handicap pour les luttes du passé, la "tradition de toutes les générations mortes" est un ennemi encore bien plus redoutable des luttes de notre époque. Comme condition de sa victoire, il appartient au prolétariat de s'arracher les vieux oripeaux qui lui collent à la peau afin qu'il puisse revêtir la tenue appropriée aux nécessités que la "nouvelle époque" du capitalisme impose à son combat. Il lui appartient de bien comprendre les différences qui séparent la période ascendante de la société capitaliste et sa période de décadence, tant du point de vue de la vie du capital que des méthodes et des buts de sa propre lutte.

Le texte qui suit se veut une contribution à cette compréhension. Sa présentation, bien qu'un peu inhabituelle, nous a cependant paru la plus apte à mettre en évidence tant l'unité qui existe au sein de chacune des deux périodes entre les diverses expressions de la vie de la société que la différence souvent considérable qui sépare ces expressions d'une époque à l'autre.

LA NATION

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                         

Une des caractéristiques du 19ème siècle est la constitution de nouvelles nations (Allemagne, Italie,...) ou la lutte acharnée pour celles-ci (Pologne, Hongrie,...). Ce n'est nullement un fait fortuit, mais correspond à la poussée exercée par l'économie capitaliste en plein essor qui trouve dans  la nation le cadre le plus approprié à son développement. A cette époque, l'indépendance nationale a, un sens véritable : elle s'inscrit dans le sens du développement des forces productives et dans celui  de la destruction  des empires féodaux (Russie, Autriche) qui sont les bastions de la réaction.

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

Au 20ème siècle, la nation est devenue un cadre trop étroit pour contenir les forces productives. Au même titre que les rapports de production capitalistes, elle devient un véritable carcan qui entrave le développement de celles-ci. Par ailleurs, l'indépendance nationale devient un leurre dès lors que l'intérêt bien compris de chaque capital national lui commande de s'intégrer dans un des deux grands blocs impérialistes et donc de renoncer à cette indépendance. Les prétendues "indépendances nationales" du 20ème siècle se résument au passage des pays d'une zone d'influence à une autre.

LE DEVELOPPEMENT DE NOUVELLES UNITES CAPITALISTES

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Un des phénomènes typiques de la phase ascendante du capitalisme est son développement inégal suivant les pays et les conditions historiques particulières rencontrées par chacun d'entre eux. Les pays les plus développés montrent la voie aux autres pays dont le retard ne constitue pas nécessairement un handicap insurmontable. Au contraire,  la possibilité existe pour ces derniers de rattraper ou même de dépasser les premiers. C’est même là une règle quasi générale :

"Dans le cadre général de cette ascension prodigieuse, l'augmentation de la production industrielle prit dans les divers pays intéressés des proportions extrêmement variables. C'est dans les Etats industriels européens les plus avancés avant 1860 que l'on observe durant la période suivante l'accroissement le moins rapide. La production anglaise tripla "seulement", la production française quadrupla, alors que la production allemande passa du simple au septuple et qu'en Amérique, la production de 1913 fut plus de douze fois supérieure à celle de 1860. Ces différences de cadences provoquent le bouleversement total de la hiérarchie des puissances industrielles entre 1860 et 1913.

Vers 1880, l'Angleterre perd au profit des Etats unis la première place dans la production mondiale. Au même moment, l'Allemagne surclasse la France. Vers 1890, l'Angleterre, dépassée par l'Allemagne, rétrograde au troisième rang".

Fritz Sternberg. (Le conflit du siècle. Ed. du Seuil. p 1314)

A la même période, un autre pays se hisse au rang de puissance industrielle moderne : le Japon, alors que la Russie connaît un processus d'industrialisation très rapide mais qui sera étouffé par l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence.

Cette aptitude pour des pays arriérés de rattraper leur retard résulte des raisons suivantes :

1) leurs marchés intérieurs offrent de larges possibilités de débouchés et partant de développement pour le capital industriel. L'existence de larges secteurs de production pré capitalistes (artisanale et surtout agricole) relativement prospères y constituent ce sol nourricier indispensable à la croissance du capitalisme.

2) Leur utilisation du protectionnisme contre les marchandises moins chères des pays plus développés leur permet momentanément de préserver, à l'intérieur de leurs frontières, un marché pour leur propre production nationale.

3) A l’échelle mondiale, il existe un vaste marché extra-capitaliste, en particulier dans les territoires coloniaux en cours de conquête, dans lequel se déverse le "trop plein" des marchandises manufacturées des pays industriels.

 4) La loi de l'offre et de la demande joue en faveur d'une  possibilité réelle des pays les moins développés. En effet, dans la mesure où, globalement, pendant cette période, la demande dépasse l'offre, le prix des marchandises sont déterminées par les coûts de production les plus élevés et qui sont ceux des pays les moins développés, ce qui permet au capital de ces pays de réaliser un profit permettant une accumulation réelle (alors que les pays les plus développés encaissent des surprofits).

5) Les dépenses militaires, pendant la période ascendante du capitalisme sont des frais généraux relativement limités et qui sont facilement compensés et même rentabilisés par les pays industriels développés sous forme, notamment, de conquêtes coloniales.

6) Au 19ème siècle, le niveau de la technologie, même s'il représente un progrès considérable par rapport à la période antérieure, n'exige pas l'investissement de masses considérables de capital.

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

La période de décadence du capitalisme se caractérise par l'impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées. Les pays qui n'ont pas réussi leur "décollage" industriel avant la 1ère guerre mondiale sont, par la suite, condamnés à stagner dans le sous-développement total, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui "tiennent le haut du pavé".  Il en est ainsi,-de grandes nations comme l'Inde ou la Chine dont "l'indépendance nationale" ou même la prétendue "révolution" (lire l'instauration d'un capitalisme d'Etat draconien) ne permettent pas la sortie du sous-développement et du dénuement. Même l’URSS n'échappe pas à la règle, les terribles sacrifices imposés à la paysannerie et surtout à la classe ouvrière de ce pays, l'utilisation massive d'un travail ,pratiquement gratuit dans les camps de concentration, la planification et le monopole du commerce extérieur présentés ,par les trotskistes  comme  de "grands acquis ouvriers" et le signe de "l'abolition du capitalisme", le pillage économique systématique des pays de son glacis d'Europe centrale, toutes ces mesures n'ont pas suffi à l'URSS pour accéder au peloton des pays pleinement industrialisés, pour faire disparaître a l'intérieur de ses frontières des marques tenaces de sous-développement et d'arriération (cf. l'article sur "La crise capitaliste dans les pays de l'Est").

Cette incapacité de surgissement de nouvelles grandes unités capitalistes s'exprime entre autres dans le fait que les six plus grandes puissances industrielles d'aujourd'hui (USA, Japon, Russie, Allemagne, France, Angleterre) l'étaient déjà (bien que dans un ordre différent) à la veille de la 1ère guerre mondiale.

Cette incapacité des pays sous-développés à se hisser au niveau des pays les plus avancés s'explique par les faits suivants :

1) Les marchés représentés par les secteurs extra-capitalistes des pays industrialisés sont totalement épuises par la capitalisation de l'agriculture et la ruine presque complète de l'artisanat.

2) Les politiques protectionnistes connaissent au 20ème siècle une faillite totale. Loin de constituer une possibilité de respiration pour les économies moins développées, elles conduisent à l'asphyxie de l'économie nationale.

3) Les marchés extra-capitalistes sont saturés au niveau mondial. Malgré les immenses besoins et le dénuement total du tiers-monde, les économies qui n'ont pu accéder à l'industrialisation capitaliste ne constituent pas un marché solvable parce que complètement ruinées.

4) La loi de l'offre et de la demande joue contre  tout développement de nouveaux pays. Dans un monde ou les marchés sont saturés,  l’offre dépasse la demande et les prix son détermines par les coûts de production les plus bas. De ce fait, les pays ayant les coûts de production les plus élevés sont contraints de vendre leurs marchandises avec des profits réduits quand ce n'est pas à perte. Cela ramène leur taux d'accumulation à un niveau extrêmement bas et, même avec une main d’œuvre très bon marché, ils ne parviennent pas à réaliser les investissements nécessaires à l'acquisition massive d'une technologie moderne, ce qui a pour résultat de creuser encore plus le fossé qui sépare ces pays des grandes puissances industrielles.

5) Les dépenses militaires deviennent, dans un monde plus en plus livré à la guerre permanente, un poids très lourd, y compris pour les pays les plus développés. Elles conduisent à la faillite économique complète des pays sous-développés.

 6) Aujourd'hui, la production industrielle moderne fait appel à une technologie incomparablement plus sophistiquée qu'au siècle dernier et donc à des investissements considérables que seuls les pays déjà développés sont en mesure d'assumer. Ainsi, des facteurs d'ordre technique viennent encore aggraver les facteurs strictement économiques.

LES RAPPORTS ENTRE L'ETAT ET LA SOCIETE CIVILE

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Dans la période ascendante du capitalisme, il existe une séparation très nette entre la politique -domaine réserve aux spécialistes de la fonction étatique- et l’économique qui reste le domaine du capital et des capitalistes privés.  A cette époque, l'Etat, tout en cherchant déjà à se hisser au-dessus de la société, est encore largement dominé par des groupes d'intérêts et des fractions du capital qui s'expriment pour une bonne part au niveau du législatif. Celui-ci domine encore nettement l'exécutif : le système parlementaire, la démocratie représentative est une réalité, un terrain où s'affrontent les divers groupes d'intérêt.

L'Etat, ayant pour charge de maintenir l'ordre social au bénéfice du système capitaliste dans son ensemble et à long terme, il en découle certaines réformes en faveur de la main d’œuvre, contre les excès barbares de l'exploitation ouvrière dont sont responsables les appétits immédiats, insatiables des capitalistes privés (cf. "Bill des 10 heures" en Grande-Bretagne, ainsi que les lois limitant le travail des enfants, etc.).

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

La période de décadence du capitalisme se caractérise par une absorption de la société civile par l'Etat. De ce fait, le législatif, dont la fonction initiale est de représenter la société, perd tout son poids devant l'exécutif qui est le sommet de la pyramide étatique.

Cette période connaît une unification du politique et de l'économique, l'Etat devenant la principale force dans l'économie nationale et sa véritable direction.

Que ce soit par une intégration graduelle (économie mixte) ou par un bouleversement brusque (économie entièrement étatisée), l'Etat cesse d'être un organe de délégation des capitalistes et des groupes pour devenir le capitaliste collectif soumettant à sa férule tous les groupes d’intérêts particuliers.

L'Etat, en tant qu'unité réalisée du capital national, défend les intérêts de celui-ci aussi bien à l'intérieur du bloc d'appartenance que contre le bloc antagoniste. De même, il prend directement à sa charge d'assurer l'exploitation et la soumission de la classe ouvrière.

LA GUERRE

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Au 19ème siècle, la guerre a, en général, la fonc­tion d'assurer à chaque nation capitaliste une unité et une extension territoriale nécessaires à son, développement.  En ce sens, malgré les calamités qu'elle entraîne, elle est un moment de la  nature progressive du capital.

Les guerres sont donc, par nature, limitées à 2 ou 3 pays généralement limitrophes et comportent les caractéristiques suivantes :

- elles sont de courte durée

- elles provoquent peu de destructions

- elles déterminent, tant pour les vaincus que pour les vainqueurs un nouvel essor.

Ainsi se présentent, par exemple, les guerres franco-allemandes, austro-italienne, austro-prussienne ou de Crimée.

La guerre franco-allemande est un exemple typique de ce genre de guerre :

- elle constitue une étape décisive dans la formation de la nation allemande, c'est à dire la création des bases pour un formidable développement des forces productives et la constitution du secteur le plus important du prolétariat industriel d'Europe (et même du monde si on considère son rôle politique)

- en même temps, cette guerre dure moins d'un an, n'est pas très meurtrière et ne constitue pas, pour le pays vaincu, un réel handicap : après 1871, la France poursuit son développement industriel sur la lancée du Second Empire et conquiert l'essentiel de son empire colonial.

Quant aux guerres coloniales, elles ont pour but la conquête de nouveaux marchés et de réserves de matières premières. Elles relèvent d'une course entre pays capitalistes dans leurs besoins d'expansion pour le partage de nouvelles zones du monde. Elles s'inscrivent donc dans le cadre de l'expansion de l'ensemble du capitalisme et du développement des forces productives mondiales.

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

Dans une période où il ne peut plus être question de formation d'unités nationales viables, où l'indépendance formelle de nouveaux pays résulte essentiellement des rapports entre les grandes puissances impérialistes, les guerres ne relèvent plus des nécessités économiques du développement des forces productives de la société mais essentiellement de causes politiques : le rapport de forces entre les blocs. Elles ont cessé d'être "nationales" comme au 19ème siècle pour devenir impérialistes. Elles ne sont plus des moments de l'expansion du mode de production capitaliste, mais l'expression de l’impossibilité de son expansion.

Elles ne consistent pas dans un partage du monde, mais dans un repartage de celui-ci, dans une situation où, désormais un bloc de pays ne peut développer mais simplement maintenir la valorisation de son capital que directement aux dépens des pays du bloc adverse, avec, comme résultat final, la dégradation de la globalité du capital mondial.

Les guerres sont des guerres généralisées à l'ensemble du monde et ont pour résultat d'énormes destructions de l'ensemble de l'économie mondiale menant à la barbarie généralisée.

Comme celle de 1870, les guerres de 1914 et de 1939 opposent la France et l'Allemagne, mais d'emblée les différences sautent aux yeux et ce sont justement ces différences qui sont à la mesure de l'opposition existant entre la nature des guerres du 19ème siècle et celle des guerres du 20ème :

- d'emblée, la  guerre touche l'ensemble de l'Europe pour se généraliser au monde entier,

- c'est une guerre totale qui mobilise pendant des années la totalité de la population et de la machine économique des pays belligérants, qui réduit à néant des décennies de travail humain, qui fauche des dizaines de millions de prolétaires, qui jette dans la famine des centaines de millions d'êtres humains.

Nullement des "cures de jouvence" (comme le prétendent certains), les guerres du 20ème siècle ne sont rien d'autre que les convulsions de l'agonie d'un système moribond.

LES CRISES

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Dans un monde au développement inégal, avec des marchés internes inégaux, les crises sont marquées par le développement inégal des forces productives dans les différents pays et les différentes branches de production.

Elles sont la manifestation que le marché antérieur se trouve saturé et nécessite un nouvel élargissement. Elles sont donc périodiques (tous les 7 à 10 ans -temps approximatif de l'amortissement du capital fixe-) et trouvent leur solution dans l'ouverture de nouveaux marchés.

Il en découle pour elles les caractéristiques suivantes :

1)   Elles éclatent brusquement, en général à la suite d'un krach boursier.

2)       Leur durée est courte (de 1 an à 3 ans pour les plus longues).

3)       Elles ne sont pas généralisées à tous les pays. C'est ainsi que :

- la crise de 1825 est surtout britannique et épargne la France et l'Allemagne,

 - la crise de 1830 est surtout américaine, la France et l'Allemagne y échappent encore,

- la crise de 1847 épargne les USA, et affecte faiblement l'Allemagne,

- la crise de 1866 affecte peu l'Allemagne et celle de 1873 épargne la France.

Par la suite, les cycles industriels tendent à se généraliser à tous les pays développés mais on constate que les USA échappent encore à la récession de 1900-1903 et la France à celle de 1907.

Par contre, la crise de 1913, qui va déboucher sur la première guerre mondiale touche, elle, pratiquement tous les pays.

4) elles ne sont pas généralisées à toutes les branches. Ainsi :

- c'est essentiellement l'industrie du coton qui souffre des crises de 1825 et 1836,

- par la suite, si les textiles souffrent encore des crises, c'est la métallurgie et les chemins de fer qui tendent à être les secteurs les plus affectés (en particulier en 1873).

De même, il n'est pas rare de voir certaines branches connaître un boom important, alors que la récession touche d'autres branches.

5)       Elles débouchent sur un nouvel essor industriel (les chiffres de croissance donnés plus haut par Sternberg sont significatifs à cet égard).

6)       Elles ne posent pas les conditions pour une crise politique du système, et, encore moins, pour l'explosion d'une révolution prolétarienne.

Sur ce dernier point, il est nécessaire de constater l'erreur commise par Marx, à la suite de l'expérience de 1847-48, quand il écrit en 1850 : "Une nouvelle révolution ne sera possible qu'a la suite d'une nouvelle crise. Mais elle est aussi sûre que celle-ci". (Neue Rheinische Zeitung). Son erreur ne réside pas dans la reconnaissance de la nécessité d'une crise du capitalisme pour que la révolution soit possible, ni dans le fait d'annoncer qu'une nouvelle crise allait survenir (celle de 1857 est bien plus violente encore que celle de 1847) mais dans l'idée que les crises de cette époque étaient déjà des crises mortelles du système.

Par la suite, Marx a évidemment rectifié cette erreur, et c'est justement parce qu'il sait que les conditions objectives de la révolution ne sont pas mûres qu'il se heurte dans l'AIT aux anarchistes qui veulent brûler les étapes, et qu'il met en garde le 9 septembre 1870 les ouvriers parisiens contre "toute tentative de renverser le nouveau gouvernement... (qui) serait une folie désespérée" (Seconde Adresse du Conseil général de l'AIT sur la guerre Franco-allemande).

Aujourd'hui, il faut être anarchiste ou bordi­guiste pour s'imaginer que "la révolution est possible à tout moment" ou que ses conditions matérielles existaient déjà en 1848 ou en 1871.

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

Depuis le début du 20ème siècle, le marché est désormais international et unifié. Les marchés intérieurs ont perdu de leur importance (notamment du fait de l'élimination des secteurs précapitalistes). Dans ces conditions, les crises sont la manifestation, non pas de marchés provisoirement trop étroits, mais de l'absence de toute possibilité de leur élargissement mondial. D'ou leur caractère de crises généralisées et permanentes.

Les conjonctures ne sont pas déterminées par le rapport entre la capacité de production et la taille du marché existant à un moment donné, mais par des causes essentiellement politiques : le cycle de guerre-destruction-reconstruction-crise. Dans ce cadre, ce ne sont nullement des problèmes d'amortissement du capital qui déterminent la durée des phases du développement économique mais en grande partie, l'ampleur des destructions subies au cours de la guerre précédente. C'est ainsi qu'on peut comprendre que la durée de l'expansion liée à la reconstruction soit deux fois plus longue (17 ans) après la seconde guerre mondiale qu'après la première (7 ans).

Contrairement au siècle dernier caractérisé par le "laisser faire", l'ampleur des récessions au 20ème siècle est limitée par des mesures artificielles mises en place par les Etats et leurs institutions de recherche pour retarder la crise générale. Il en est ainsi des guerres localisées, du développement des armements et de l'économie de guerre, de l'utilisation systématique de la planche à billets et de la vente à crédit, de l'endettement généralisé, de tout un éventail de mesures politiques qui tendent à rompre avec le strict fonctionnement économique du capitalisme.

Dans ce cadre, les crises du 20ème siècle ont les caractéristiques suivantes :

1)                 Elles n'éclatent Pas brusquement mais se développent progressivement dans le temps. En ce sens, la crise de 1929 comporte encore à ses débuts certaines caractéristiques des crises du siècle passé (brusque effondrement faisant suite à un krach boursier) qui relèvent, non pas tellement du maintien de conditions économiques similaires à celles d'avant, mais d'un retard des institutions politiques du capital par rapport à la modification de ces conditions. Mais, par la suite, l'intervention massive de l'Etat (New Deal aux USA, production de guerre en Allemagne....,) étale ses effets sur une décennie.

2)                 Une fois qu'elles ont débuté, elles se caractérisent par leur longue durée. Ainsi, alors que le rapport récession/prospérité était d'environ 1 à 4 au 19ème siècle (2 années de crise sur un cycle de 10 ans), le rapport entre la durée du marasme et celle de la reprise passe à 2 au 20ème siècle. En effet, entre 1914 et 1980, on compte 10 années de guerre généralisée (sans compter les guerres locales permanentes), 32 années de dépression (1918-22, 192939, 1945­50, 1967-80), soit au total 42 années de guerre et de crise, contre seulement 24 années de reconstruction (1922-29 et 1950-67). Et le cycle de la crise n'est pas encore terminé !...

Alors qu'au 19ème siècle, la machine économique était relancée par ses propres forces à l'issue de chaque crise, les crises du 20ème siècle n'ont du point de vue capitaliste d'autre issue que la guerre généralisée.

Râles d'un système moribond, elles posent pour le prolétariat la nécessité et la possibilité de la révolution communiste.

Le 20ème siècle est bien "l'ère des guerres et des révolutions" comme l'indiquait, à sa fondation l'Internationale Communiste.

LA LUTTE de CLASSE

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

Les formes que prend la lutte de classe au 19ème siècle est déterminée à la fois par les caractéristiques du capital de cette époque et par celles de la classe ouvrière elle-même :

1) Le capital du 19ème siècle est encore très éparpillé entre de nombreux capitaux : rares sont les usines qui dépassent 100 ouvriers, beaucoup plus fréquentes sont les entreprises à caractère semi artisanal. Ce n'est que dans la seconde partie du 19ème siècle qu'on voit, avec l'essor des chemins de fer, l'introduction massive du machinisme, la multiplication des mines, se développer la prédominance de la grande industrie telle qu'on peut la connaître aujourd'hui.

2) Dans ces conditions, la concurrence s'exerce entre un grand nombre de capitalistes.

3) Par ailleurs, la technologie est encore peu développée. La main-d’œuvre peu qualifiée, se recrutant largement à la campagne, est en général de première génération. La plus qualifiée se trouve dans l'artisanat.

4) L’exploitation est basée sur l’extraction de plus value absolue : longue journée de travail, salaire très bas.

5)     Chaque patron, ou chaque usine, affronte directement et isolément les ouvriers qu'il exploite;

Il n'y a pas d'unité patronale organisée : ce n'est que dans le troisième tiers du siècle que se développent des syndicats patronaux. Dans ces conflits séparés, il n'est pas rare de voir des capitalistes spéculer sur les difficultés d'une usine concurrente en conflit, en profiter pour s'approprier sa clientèle.

6)     L'Etat en général, se tient en  dehors de ces conflits. Il n’intervient qu'en dernier ressort, lorsque le conflit risque de troubler "l'ordre public".

Du côté de la classe ouvrière, on peut observer les caractéristiques suivantes :

1)     Comme le capital, elle est très dispersée. C'est une classe en cours de formation. Ses secteurs les plus combatifs sont très liés à l'artisanat et sont donc très marqués par le corporatisme.

2)     Sur le marché du travail, la loi de l'offre et la demande joue à fond et directement. Ce n'est que dans les moments de haute conjoncture, d'expansion rapide de la production qui provoque un manque d'ouvriers, que ces derniers peuvent opposer une résistance efficace aux empiètements du capital et même arracher des avantages substantiels sur les salaires et les conditions de travail.

Dans les moments de basse conjoncture, ils perdent de leur force, se démoralisent et se laissent reprendre une partie des avantages acquis.

Expression de ce phénomène, la fondation de la Première Internationale comme celle de la Seconde Internationale, qui expriment un point élevé de la combativité ouvrière, prennent place en pleine prospérité économique (1864 pour l'AIT, 3 ans avant l'éclatement de la crise de 1867, 1889 pour l'Internationale Socialiste, à la veille de la crise de 1890-93).

3)     Au 19ème siècle, l'émigration constitue un exutoire pour le chômage et la terrible misère qui s’abattent périodiquement sur le prolétariat à l'occasion des crises cycliques. La possibilité pour des secteurs importants de la classe de fuir vers le nouveau monde quand les conditions de vie  deviennent trop insupportables dans les métropoles capitalistes d'Europe est un élément qui permet d'éviter que des crises ne provoquent des situations explosives comme celle de juin 1848. Ainsi, au 19ème siècle, a travers le phénomène de l'émigration lui aussi, les capacités d'expansion du capitalisme sont un garant de la stabilité d'ensemble du système.

4)     Ces conditions particulières, tant du point de du capital que de la classe ouvrière, conditionnent la nécessité d'organisations de résistance économique pour les ouvriers : les syndicats qui ne peuvent prendre que la forme locale, professionnelle d'une minorité ouvrière dont la lutte -la grève- est particularisée, longtemps préparée a l’avance, attend en général une situation  de haute conjoncture pour affronter telle ou telle branche du capital ou même une seule usine. Malgré toutes ces limitations, les syndicats n'en sont pas moins d'authentiques organes de la classe ouvrière, indispensables dans 1a lutte économique contre le capital, mais également comme foyers de vie de la classe, comme écoles de la solidarité où les ouvriers comprennent leur appartenance à une même communauté, comme "écoles du communisme", suivant l'expression de Marx, propices à la propagande révolutionnaire.

5)            Au 19ème siècle, les grèves sont en général  de longue durée; c'est là une des  conditions, de leur efficacité elles mettent les ouvriers à l'épreuve de la famine, d'où la nécessité de préparer d'avance des fonds de soutien, des "caisses de résistance" et d'avoir recours à la solidarité financière des autres ouvriers dont le maintien au travail peut être un élément positif pour l'efficacité de la lutte des ouvriers en grève (en menaçant les marchés du capitaliste en conflit par exemple).

6)            Dans ces conditions, la question de l'organisation préalable, matérielle, financière du prolétariat devient la question primordiale pour pouvoir mener les luttes et bien souvent prime sur le contenu, sur les gains réels qu'elle permet d'obtenir, pour devenir un objectif en soi  (comme le constatait Marx en répondant aux bourgeois qui ne comprenaient pas que les ouvriers puissent dépenser plus d'argent pour leur organisation que celle-ci ne leur permettait d'arracher au capital).

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

La lutte de classes, dans le capitalisme décadent, est déterminée, du point de vue du capital par les caractéristiques suivantes :

1)                 Le capital a atteint un haut niveau de concentration et de centralisation.

2)                 La concurrence est plus réduite qu'au 19ème siècle du point de vue du nombre mais elle est plus âpre.

3)                 La technologie est hautement développée. La main d’œuvre est de plus en plus qualifiée, les tâches les plus simples tendant à être exécutées par des machines. Il y a génération continue de la classe ouvrière : celle-ci ne se recrute plus que très faiblement la campagne mais essentiellement parmi les enfants d'ouvriers.

4)                 La base dominante de l'exploitation est l'extraction de plus-value relative (augmentation des cadences et de la productivité).

5)                 Il existe, face à la classe ouvrière, une unité et une solidarité bien plus grandes qu'auparavant entre les capitalistes. Ceux-ci ont créé des organisations spécifiques afin de ne plus affronter individuellement la classe ouvrière.

6)                 L'Etat intervient directement dans les conflits sociaux soit, comme capitaliste lui-même, soit comme "médiateur", c'est à dire élément de contrôle, tant sur le plan politique qu'économique de l'affrontement afin de maintenir celui-ci dans les limites de "l'acceptable", soit, tout simplement, comme agent de la répression.

Du côté ouvrier, on peut relever les traits suivants :

1) La classe ouvrière est unifiée et qualifiée, d'un niveau intellectuel élevé. Elle n'a plus que des liens très lointains avec l'artisanat. Le centre de la combativité se trouve donc dans les grandes usines modernes et la tendance générale des luttes est au dépassement du corporatisme.

2)                 Contrairement à la période précédente, c'est dans les moments de crise de la société que les grandes luttes décisives éclatent et se développent (les révolutions de 1905 et 1917 en Russie font suite à cette forme aiguë de la crise qu'est la guerre, la grande vague internationale de luttes de 1917 à 1923 prend place à l'intérieur d'une période de convulsions -guerre puis crise économique- pour s'épuiser avec la reprise liée à la reconstruction).

C'est pour cela, que, contrairement aux deux précédentes, la Troisième Internationale est fondée en 1919 au plus profond de la crise de la société à laquelle correspond le moment de plus forte combativité prolétarienne.

3)                 Les phénomènes d'émigration économique auxquels on assiste au 20ème siècle, notamment dans la seconde après guerre, ne sont, tant dans leur origine que dans leurs implications, nullement comparables aux grands courants du siècle précédent. Exprimant, non l'expansion historique du capital vers de nouveaux territoires, mais au contraire l'incapacité du développement économique des anciennes,/ colonies dont les ouvriers et paysans fuient la misère vers les métropoles que les ouvriers quittaient par le passé, ils n’offrent aucune possibilité d’exutoire au moment de la crise aiguë  du système. La reconstruction terminée, l'émigration n'offre plus aucune possibilité de surmonter le chômage qui s'étend aux pays développés comme il touchait antérieurement les pays sous-développés. La crise met la classe ouvrière au pied du mur sans lui laisser la moindre échappatoire.

4)            L'impossibilité d'améliorations durables pour la classe ouvrière lui interdit la constitution d'une organisation spécifique, permanente, basée sur la défense de ses intérêts économiques. Les syndicats perdent la fonction pour laquelle ils avaient surgi : ne pouvant plus être des organes de la classe, et encore moins des "écoles du communisme", ils sont récupérés par le capital et intégrés à l'Etat, phénomène qui est facilité par la tendance générale de cet organe à absorber la société civile.

5)                 La lutte prolétarienne tend à dépasser le cadre strictement économique pour devenir sociale, s'affrontant directement à l'Etat, se politisant et exigeant la participation massive de la classe C'est ce que relève dès 1906 Rosa Luxemburg, a la suite de la première révolution russe, dans "Grèves de masse, parti et syndicats". C'est la même idée qui est contenue dans la formule de Lénine : "Derrière chaque grève se profile le spectre de la révolution".

6)            Un tel type de lutte, propre à la période de décadence, ne peut se préparer d'avance sur le plan organisationnel. Les luttes explosent spontanément et tendent à se généraliser. Elles se situent plus sur un plan local ou territorial que sur un plan professionnel, leur processus est plus horizontal que vertical : ce sont là des caractéristiques qui préfigurent l'affrontement révolutionnaire où ce ne sont pas des catégories professionnelles ou les ouvriers de telle ou telle entreprise qui agissent, mais la classe ouvrière comme un tout à l'échelle d'une unité géopolitique (province, pays).

De même, la classe ouvrière, en vue de ses luttes, ne saurait se doter d'avance de moyens matériels Compte-tenu de la façon dont est organisé le capitalisme, la longueur d'une grève n’est en général pas une arme efficace (l'ensemble des capitalistes pouvant venir en aide à celui des leurs qui est affecté). En ce sens, le succès des grèves ne dépend pas des fonds financiers recueillis par les ouvriers mais bien fondamentalement de leur capacité d'élargissement, élargissement qui seul peut créer une menace pour l'ensemble du capital national.

Dans la période actuelle, la solidarité à l'égard des travailleurs en lutte ne réside plus dans le soutien financier de la part d'autres secteurs ouvriers (il s'agit là d'un ersatz de solidarité qui peut être mis en avant par les syndicats pour détourner les travailleurs des véritables méthodes de lutte) mais par l'entrée en lutte de ces autres secteurs.

7)  De même que l'organisation ne précède  pas la lutte mais se crée au cours de la lutte elle-même, l'auto-défense du prolétariat, son armement, ne se préparent pas d'avance, en entassant quelques fusils dans des caves comme le pensent des groupes comme le GCI. Ce sont des étapes dans un processus qu'on ne peut atteindre sans être passé par les précédents.

LE ROLE DE L'ORGANISATION REVOLUTIONNAIRE

PERIODE  ASCENDANTE  DU  CAPITALISME                                        

L'organisation des révolutionnaires, produit de la classe et de sa lutte, est une organisation-minoritaire constituée sur la base d'un programme. Sa fonction comporte :

1)       l'élaboration théorique de la critique du' monde capitaliste,

2)       l'élaboration du programme de la finalité historique de la lutte de classes,

3)       la diffusion de ce programme dans la classe,

4)       la participation active à tous les moments de la lutte immédiate de la classe et sa défense con tre l'exploitation capitaliste.

A ce dernier titre, elle acquiert, au 19ème siècle une fonction d'initiation et d'organisation. active des organes unitaires, économiques, de la classe à partir d'un certain degré de développement des organismes embryonnaires produits parla lutte antérieure.

De par cette fonction, et étant donné le contexte de la période -la possibilité de réformes et la tendance à la propagation des illusions réformistes au sein de la classe- l'organisation des révolutionnaires (les partis de la Seconde Internationale) est, elle-même, entachée du réformisme qui finit par brader le but final révolutionnaire pour des réformes immédiates. Elle en est conduite à faire du maintien et du développement des organisations économiques (les syndicats) leur tache pratiquement unique (l'économisme).

Seule, une minorité, au sein de l'organisation des révolutionnaires résistera à cette évolution et défendra l'intégrité du programme historique de la révolution socialiste. Mais, en même temps, une partie de cette minorité, par réaction contre l'évolution réformiste, tend à développer une conception étrangère au prolétariat et selon laquelle le parti est l'unique siège de la conscience, le détenteur d'un programme achevé dont la fonction serait, suivant le schéma qui prévaut pour la bourgeoisie et ses partis de "représenter" la classe, d'être, de droit, appelé à constituer l'organe de décision de celle-ci, notamment pour la prise du pouvoir. Cette conception, le substitutionnisme, si elle imprègne une majorité parmi les éléments de la gauche révolutionnaire de la Seconde Internationale, trouve son principal théoricien avec Lénine (Que faire?, Un pas en avant, deux  pas en arrière).

PERIODE DE DECADENCE DU CAPITALISME

Dans la période de décadence du capitalisme, l'organisation des révolutionnaires conserve les caractéristiques générales de la période précédente avec cette donnée nouvelle que la défense des intérêts immédiats ne peut plus être séparée du but final désormais mis à l'ordre du jour de l'histoire.

Par contre, en accord avec ce dernier fait, elle perd la fonction d'organiser la classe, ce qui ne peut-être que l’œuvre de la classe elle-même en lutte aboutissant à un type d'organisation nouvelle, à la fois économique de résistance et de défense immédiate- et politique, s'orientant vers la prise du pouvoir : les conseils ouvriers.

Reprenant à son compte la vieille devise du mouvement ouvrier : "l'émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes", elle ne peut que combattre toute conception substitutionniste comme conception se rattachant à une vision bourgeoise de la révolution. En tant qu'organisation, la minorité révolutionnaire n'a pas à charge d'élaborer préalablement 'une plate-forme de revendications immédiates pour mobiliser la classe. Elle a, par contre, la possibilité de se montrer un participantes plus résolus aux luttes, de propager une orientation générale en dénonçant les agents et les idéologues de la bourgeoisie au sein de la classe. Dans la lutte, elle met l'accent sur la nécessité de la généralisation, seule voie qui mène à son aboutissement inéluctable : la révolution. Elle n'est ni un spectateur ni un porteur d'eau.

L'organisation des révolutionnaires a pour but de stimuler toute apparition de cercles ou de groupes ouvriers et de travailler en leur sein. Pour ce faire, elle doit les reconnaître comme des formes éphémères et immatures répondant, en l'absence de toute possibilité de création de syndicats, à une nécessité réelle de regroupement et de discussion existant dans la classe dans l'attente de pouvoir se donner l'organisation unitaire achevée : les conseils.

En accord avec la nature de tels cercles, l'organisation des révolutionnaires doit combattre toute tentative de les créer de façon artificielle, toute prétention d'en faire des courroies de transmission des partis, toute conception tendant à en faire des embryons de conseils ou autres organismes politico-économiques qui ne peuvent que paralyser le développement d'un processus de maturation de la conscience et de l'organisation unitaire de la classe. Ces cercles n'ont de valeur et n'accompliront leur fonction, importante mais transitoire, que dans la mesure où ils éviteront de s'enfermer sur eux-mêmes en se donnant des plates-formes bancales, afin de rester un milieu de rencontre ouvert à tous les ouvriers intéressés aux problèmes de leur classe.

Enfin, dans la situation d'extrême dispersion des révolutionnaires, suite à la période de contre-révolution qui a pesé pendant un demi-siècle sur le prolétariat, l'organisation des révolutionnaires a pour tâche d’œuvrer activement au développement d'un milieu politique sur le plan international, d'établir des débats et des confrontations ouvrant le processus vers la constitution du parti politique international de la classe.
 

La plus profonde contre-révolution de l'histoire du mouvement ouvrier a constitué une épreuve terrible pour l'organisation des révolutionnaires elle-même. N'ont pu survivre que les courants qui, contre vents et marées ont su préserver les principes fondamentaux du programme communiste. Cependant, cette attitude indispensable en soi, la méfiance à l'égard de toutes les "conceptions nouvelles" qui, en général, étaient le véhicule de l'abandon du terrain de la classe sous la poussée de l'idéologie bourgeoise triomphante, ont souvent eu pour effet d'empêcher  les révolutionnaires de comprendre dans toute leur étendue les changements qui étaient intervenus dans la vie du capitalisme et la lutte de la classe ouvrière. La forme la plus caricaturale de ce phénomène se trouvant dans la conception qui considère comme "invariante" les positions de classe, pour qui le programme communiste "surgi d'un bloc en 1848, n'a plus besoin d'être modifié d'une virgule".

Si elle doit constamment se garder des conceptions modernistes qui, souvent, ne font que proposer des vieilles marchandises avec un nouvel emballage, l'organisation des révolutionnaires doit, pour être à la hauteur des tâches pour lesquelles elle a surgi dans la classe, se montrer capable de comprendre ces changements dans la vie de la société et les implications qu'ils ont pour l'activité de la classe et de son avant-garde communiste.

Face au caractère manifestement réactionnaire de toutes les nations, celle-ci doit combattre tout soutien aux mouvements dits "d'indépendance nationale". Face au caractère impérialiste de toutes les guerres, elle doit dénoncer toute participation à celles-ci sous quelque prétexte que ce soit. Face à l'absorption par l'Etat de la société civile, à l'impossibilité de réformes réelles du capitalisme, elle doit combattre toute participation aux parlements et aux mascarades électorales.

Face aux conditions économiques, sociales et politiques nouvelles dans lesquelles se situe la lutte d de classe aujourd'hui, l'organisation des révolutionnaires doit combattre toute illusion dans la classe de redonner vie à des organisations qui ne peuvent être que des obstacles à sa lutte -les syndicats- et mettre en avant les méthodes et mode d'organisation des luttes déjà expérimentés par la classe lors de la première vague révolutionnaire de ce siècle : la grève de masse, les assemblées générales, l'unité du politique et de l'économique, les conseils ouvriers.

Enfin, pour être en mesure d'accomplir pleinement son rôle de stimulation des luttes, d'orientation vers leur issue révolutionnaire, l'organisation de des communistes doit renoncer aux taches qui ne sont plus les siennes "d'organiser" ou de "représenter" la classe.

Les révolutionnaires qui prétendent que "rien n'a changé depuis le siècle dernier" tendent à vouloir donner au prolétariat le comportement de Babine, ce personnage d'un conte de Tolstoï qui répétait face à toute nouvelle rencontre ce qu'on lui avait dit qu'il aurait dû dire face à sa rencontre précédente, ce qui lui valait à chaque fois de se faire rosser copieusement. Aux fidèles d'une église, il adressait les paroles qu'il aurait dû prononcer devant le Diable, à l'ours il parlait comme on doit le faire à un ermite. Mais le malheureux Babine paie sa sottise de sa vie.

Une telle "mise à jour" des positions et du rôle des révolutionnaires ne constitue nullement un "abandon" ou une "révision" du marxisme mais au con traire une réelle fidélité à ce qui fait son essence. C'est cette capacité de comprendre, contre les mencheviks, les conditions nouvelles de la lutte et les exigences qui en découlent pour le programme qui a permis à Lénine et aux bolcheviks de contribuer activement et de façon décisive à la révolution d'octobre 1917.

De même, Rosa Luxemburg se place sur ce même point de vue révolutionnaire lorsqu'elle écrit en 1906 contre les "orthodoxes" de son parti :

"S’il est vrai que la révolution russe oblige à réviser fondamentalement l'ancien point de vue marxiste à l'égard de la grève de masse, pourtant, seul le marxisme, ses méthodes et ses points de vue généraux remportent à cet égard la victoire sous une nouvelle forme".

(Grève de masse, parti et syndicats. Ch.1.)

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [53]
  • La lutte Proletarienne [33]

Le parti défiguré : la conception bordiguiste

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La Troisième Conférence Internationale des groupes de la Gauche Communiste s'est échouée sur un banc de sable. Formellement c'était la question du parti qui en était la cause.

Il ne fait de doute pour personne que ce n'était là qu'un prétexte. La vérité est que Battaglia Comunista et la Communist Workers Organi­sation se sentaient mal à l'aise depuis la deuxième Conférence, et plus soucieux des intérêts immé­diats de leur groupe -caractéristique de l'esprit de secte- que de l'importance que peuvent présen­ter dans la période présente de montée de la lut­te de classe, des Conférences Internationales de groupes communistes. Ils ont tout fait pour les faire échouer.

Voilà qui fera grand plaisir aux bordiguistes du "P.C.International" qui ont depuis toujours prétendu qu'il n'y a rien de bon à attendre des Conférences entre groupes communistes, et d'autant moins que le Parti International Unique existe depuis 1943, c'est à dire leur petit groupe. Logiques avec eux-mêmes, les bordiguistes considèrent qu'ils sont le seul groupe communiste du monde. Toujours "logiques" avec leur postulat suivant lequel le Programme de la révolution communiste a été défini en 1848 par Marx et que depuis il ne peut varier d'un iota, ils affirment en outre que le parti est unique (comme Dieu) et monolithique (comme le parti de Staline) ([1] [113]), les bordiguistes refusent toute discussion, avec qui que ce soit, exigeant l'adhésion individuelle pure et simple à leur parti de tous ceux qui entendent militer pour le communisme.

Battaglia Comunista semble plus ouvert à la discussion. Mais c'est là plus apparence que réalité. La discussion, pour BC, n'est pas une confrontation de positions, mais l'exigence de le reconnaître comme le VRAI parti, seul habilité à parler au nom de la Gauche Italienne. Pas plus que Program­ma, il ne comprend le processus de regroupement des groupes communistes, dispersés par la pression de 50 ans de contre-révolution, ce processus qui s'ouvre avec la montée de la lutte de classe du prolétariat, et qui se déroule sur la base d'un réexamen critique des positions énoncées au cours de la dernière vague révolutionnaire et l'expérience qui s'en est suivie, permettant le dépassement des immaturités et des erreurs d'autrefois, et déterminant une plus grande cohérence théorico-politique rendant possible une plus grande cohésion et unité d'un futur parti communiste international.

Cet article n'a pas pour objectif de revenir sur les incompréhensions des nombreux "héritiers" de ce que fut le courant de la Gauche Communiste en ce qui concerne le processus inévitable de regroupement des forces communistes et la place qu'occupent dans ce processus les conférences internationales. Nous avons traité ce sujet dans de nombreux textes parus dans notre presse, et notamment dans le dernier numéro de la revue internationale. Nous nous bornerons ici à une question particulière, mais de la plus haute importance : la question du parti, sa fonction, la place qu'il occupe dans le développement de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie et le système capitaliste.

LE CONSEILLISME ET LE PARTI : DIVERGENCES REELLES ET DIVERGENCES FACTICES

Pour pouvoir avancer dans la discussion sur le parti, il faut avant tout savoir et vouloir établir correctement le cadre du débat. La plus improductive méthode de mener le débat consiste dans la malhonnête façon d'effacer les cadres distinctifs qui délimitent ce qu'on appelle le conseillisme d'avec les partisans convaincus de la nécessité du parti. En brandissant à tort et à travers l'épouvantail du conseillisme contre tous ceux qui ne partagent pas la conception bolchevik du parti, et surtout sa caricature outrée des bor­diguistes, on ne fait qu'entretenir et développer la confusion aussi bien sur ce qu'est le conseillisme que sur la notion du parti.

Le mouvement conseilliste surgit dans les années tourmentées de la première vague révolutionnaire qui a suivi la première guerre mondiale. Il partage avec la Gauche Communiste (sauf celle d'Italie) l'idée fondamentale que non seulement le mouvement syndical tel qu'il existe a cessé d'être une organisation de défense de la classe ouvrière, mais que la structure même de l'organisation syndicale ne correspond plus aux nécessités de la lutte du prolétariat dans la nouvelle période historique ouverte avec la guerre et posant à l'ordre du jour la révolution communiste. Les taches quo se posent à la classe ouvrière dans cette période nouvelle exigent un nouveau type d'organisation qui ne soit pas fondée sur des critère particuliers, professionnels, corporatistes et strictement de défense économique, mais qui soit réellement unitaire, ouverte à l'activité dynamique de toute la classe, ne séparant pas la défense des intérêts économiques immédiats de son but historique : émancipation de la classe ouvrière et destruction du capitalisme. Une telle organisation ne peut être autre que les Conseils d'usine coordonnés et centralisés.

Ce qui a séparé les conseillistes de la Gauche Communiste, c'est que les premiers, non seulement nient toute utilité à l'existence d'un parti politique, mais qu'ils ont considéré toute existence de parti comme nuisible à la lutte de classe. Les .conseillistes préconisaient la dissolution des partis au sein de l'organisation unitaire : les conseils. C'est ce point qui les a séparés de la Gauche Communiste et les a conduit à rompre avec le KAPD.

Comme tel, le conseillisme représente une réactualisation de l'anarcho-syndicalisme d'avant-guerre. Et tout comme l'anarcho-syndicalisme, qui était une réaction épidermique contre l'électoralisme et l'opportunisme de la social-démocratie, le conseillisme est une réaction contre les tendances ultra-partidistes dans l'organisation communiste qui commentait par identifier et confondre la dictature du prolétariat avec celle du parti, et finit par substituer purement et simplement l'une à l'autre.

Les ultra-partidistes ou néo-bolcheviks se plaisent à esquiver la critique de leurs conceptions ultra-léninistes, en insistant lourdement sur le fait que le courant conseilliste provient d'une scission de la Gauche Communiste - en Allemagne en particulier. Cette constatation qui entacherait à jamais la Gauche Communiste en dehors d'Italie du péché originel de conseillisme leur sert d'ultime argument.

Cet argument a autant de valeur que de reprocher à la gauche révolutionnaire d'avoir milité dans les rangs de la deuxième Internationale avant la guerre. Il n'est pas moins stupide que de condamner les bolcheviks pour avoir "engendré" le stalinisme.

La Gauche Communiste n'est pas -quoiqu'en pensent et disent les ultra-partidistes- le sein maternel du conseillisme, car ce dont le conseillisme se nourrit, ce sont les conceptions erronées, l'image que certains révolutionnaires donnent du parti, et de son rapport avec la classe. Les aberrations des uns nourrissent et renforcent les aberrations des autres et réciproquement.

Quand pour les besoins de leur cause, les bor­diguistes nous taxent de conseillistes, c'est une mauvaise polémique et non une réponse à notre critique de leurs aberrations. Au lieu de se donner la peine de répondre à des arguments, il est certes plus facile de recourir à la méthode "qui veut tuer son chien l'accuse de la rage". Cette méthode, qui consiste à inventer n'importe quoi et à l'attribuer à l'adversaire est peut-être payante sur le moment, mais s'avère complètement inefficace et négative à la longue. Elle ne fait qu'embrouiller le débat au lieu de clarifier et mettre en lumière les positions des uns et des autres.

Quand Battaglia, par exemple, critique le conseillisme à une conférence de groupes communistes, il ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes. Mais quand il l'attribue au CCI pour justifier son sabotage de la Conférence on peut se demander : que penser d'un groupe comme Battaglia à qui il a fallu pas moins de 10 ans pour s'apercevoir qu'il discutait avec un groupe ... conseilliste, et encore, après avoir pendant 4 ans organisé avec lui des Conférences Internationales, sans s'en apercevoir? Comme perspicacité organisée et flair politique, ça laisse beaucoup à désirer. Plutôt que de convaincre qui que ce soit de la fable du conseillisme du CCI, Battaglia ne fait que se discréditer elle-même comme groupe politique sérieux et responsable.

Nous n'avons pas l'intention ici de nous laver de l'accusation de conseillisme. C'est à nos contradicteurs de le démontrer. Il suffit de connaître un tant soit peu la presse des groupes du CCI et notamment la plateforme, pour savoir que nous avons toujours rejeté et combattu les aberrations du conseillisme.

Mais n'est-il pas drôle d'entendre le même reproche de conseillisme de la part du CWO avec qui il nous a fallu de longs mois de discussion pour les faire revenir de leur analyse de la révolution d'octobre comme révolution bourgeoise et du parti bolchevik taxé par eux de parti bourgeois, lorsqu'il fallait les tirer par les oreilles pour les faire sortir du bourbier moderniste de Solidarity? Après l'ultra-anti-partidisme, le CWO s'est jeté maintenant dans l'ultra-partidisme et le combat des conceptions du parti du CCI.

Laissons donc là toutes les sottes fabulations sur le conseillisme du CCI ([2] [114]) et voyons les divergences réelles qui nous séparent sur la conception du parti.

LA NATURE DU PARTI

Bien des groupes ont du mal à se dégager clairement de la thèse de Kautsky, reprise et défendue par Lénine dans "Que faire?" Cette thèse énonce que la lutte de classe du prolétariat et la conscience socialiste émane de deux prémices absolument différentes. Selon cette thèse, la classe ouvrière ne peut élaborer qu'une conscience "trade unioniste", c'est à dire limitée à la lutte pour ses revendications économiques immédiates dans le capitalisme. La conscience socialiste, celle de l'émancipation historique de la classe, n'est que l’œuvre des intellectuels se penchant sur les questions sociales. D'où il résulte logiquement que le parti est l'organisation de ces intellectuels radicaux qui se donnent pour tache d'"IMPORTER CETTE CONSCIENCE DANS LA CLASSE OUVRIERE". Ainsi nous avons non seulement un être séparé de sa conscience, un corps séparé de son esprit, mais encore un esprit sans corps existant en soi. C'est là une vision idéaliste du monde, reprise aux néo hégéliens que Marx et Engels ont si implacablement fustigé dans la "Sainte Famille" et "l'idéologie allemande".

Avec Trotsky du "Rapport de la délégation sibérien ne", Rosa Luxemburg et tant d'autre  révolutionnaires, le CCI rejette catégoriquement une telle théorie qui n'a rien à faire avec le marxisme et qui lui tourne carrément le dos. Lénine lui-même a reconnu publiquement dix ans après, d'avoir sur ce point par trop "tordu la barre", entraîné qu'il était dans sa polémique contre l'économisme. Toutes les contorsions du PCI (Programma) et toutes les galipettes "dialectiques" du PCI (Battaglia) pour justifier cette théorie de Kautsky (pour marquer leur "fidélité" à Lénine) ne font que les amener à s'emmêler chaque fois plus dans des affirmations de plus en plus contradictoires. Aucun anathème contre le spontanéisme ni l'exorcisme contre le "conseillisme" ne sauraient les sauver de l'obligation de se prononcer une fois pour toutes sur ce point fondamental. Il ne s'agit pas ici d'un différend entre léninisme et conseillisme, mais entre marxisme et kautskysme. ([3] [115])

Plus graves encore que les aspects philosophiques et méthodologiques de la question, sont les implications politiques auxquelles mène cette théorie. Elle réduit le prolétariat à une pure catégorie économique alors que Marx y reconnaît une classe historique qui porte en elle la solution de toutes les contradictions dans lesquelles s'est empêtrée l'humanité à travers la succession de sociétés divisées en classes. C'est précisément cette classe qui porte avec son émancipation l'émancipation de toute l'humanité qu'on rabaisse au point de lui nier la capacité de prendre conscience dans sa lutte de soi-même et de son rôle dans l'histoire. On ne voit dans cette classe que ses côtés encore hétérogènes et on ne voit pas qu'elle est la plus homogène, la plus "socialisée", la plus concentrée et la plus nombreuse dans l'histoire. On ignore le fait qu'elle est la moins aliénée par les intérêts de propriété privée et que sa misère est plus que sa misère propre mais la misère accumulée de toute l'humanité. On ne comprend pas qu'elle constitue la première classe dans l'histoire capable d'une conscience véritablement globale et non aliénée. Et c'est du haut de cet amoncellement d'ignorance et d'incompréhension sur la nature de la classe ouvrière qu'on prétend lui "injecter la conscience"... Une telle théorie ne peut-être le produit que de petits cerveaux mégalomanes et de l'Intelligentsia petite-bourgeoise.

Et le Parti ? Et le Programme Communiste ? Contrairement à Kautsky, Lénine et n'en déplaise à tous les bordiguistes de toutes nuances et de toutes variantes, ils ne sont pour nous aucune révélation mystérieuse, mais très simplement le produit de l'existence, de la vie et de l'activité de la classe. Et nous partageons, sans crainte de spontanéisme la critique de Rosa opposant à la formulation de Lénine "le parti au service du prolétariat" celle "du parti de la classe". En d'autres termes, un organisme secrété par la classe pour ses besoins. Le parti n'est pas ce Messie délégué par l'histoire auprès du prolétariat pour le sauver, mais un organe que la classe se donne dans sa lutte historique contre l'ordre capitaliste.

La discussion ne porte pas sur la question de savoir si le parti est ou non un facteur de la prise de conscience. Un tel débat a sa place uniquement face aux anarchistes ou conseillistes mais non pas entre des groupes qui se réclament de la gauche communiste. Mais si Battaglia insiste tant pour ramener le débat sur ce plan, c'est uniquement pour esquiver de répondre à la question de la  nature du  parti : à savoir de quoi et de qui il est le produit. La répétition obstinée de Battaglia sur le "parti-facteur apparaît pour ce qu'elle est : un faux-fuyant pour ne pas reconnaître qu'avant tout, le parti est un produit de la classe et que son existence comme son évolution relèvent de l'existence et de l'évolution de la classe ouvrière.

Les bordiguistes "orthodoxes" de Programme n'ont même pas besoin de recourir aux sophismes (dits "dialectiques") de Battaglia, et proclament carrément que la classe n'existe que par la grâce du parti. A les entendre, c'est l'existence du parti qui détermine l'existence de la classe. Le parti existe pour eux depuis "Le Manifeste Communiste", avant cette date, il n'y avait ni parti et donc pas de prolétariat. Admettons. Mais ce parti aurait du même coup la vertu miraculeuse de rendre son existence invisible, car selon eux, il n'a jamais cessé d'exister depuis 1848. Si on regarde l'histoire, on constate que cela ne colle pas très bien avec les faits. La Ligue des Communistes a existé... 4 ans; la Première Internationale 10 ans; la Seconde Internationale 15 ans et la Troisième Internationale 8 ans (en comptant large !), soit au total 37 ans sur 132. Que s'est-il donc passé avec le par­ti pendant près d'un siècle ? Cette question ne peut embarrasser nos bordiguistes -qui ont inventé une théorie du "Parti réel" et du "Parti formel". D'après cette "théorie", c'est l'habit, formel, extérieur donc matériel, visible qui peut disparaître, mais le parti réel, pur esprit, lui, demeure, on ne sait trop où, invisible. Une telle aventure est arrivée au parti bordiguiste lui-même, qui, en comptant large, aurait disparu de 1927 à 1945 (juste le temps pendant lequel Bordiga dormait !). Et c'est ce galimatias éhonté qu'on présente comme la quintessence du marxisme restauré ! Quant au "Programme achevé et invariant", et le "parti historique réel", ils se trouvent aujourd'hui incarnés dans ... quatre partis (!) tous P.C.I. et se réclamant tous du monolithisme ! Tous, grands, pourfendeurs et chasseurs émérites du... conseillisme ! Difficile, très difficile de discuter sérieusement avec des partis de cet acabit.

Les bordiguistes croient pouvoir appuyer leur conception du parti sur des citations de Marx et Engels arbitrairement extraites de leurs contextes. Ce faisant, ils ne font que commettre les pires abus contre le fond et l'esprit qu'animent l'œuvre de ces grands penseurs et fondateurs du socialisme scientifique ([4] [116]). Il en est ainsi de cette fameuse phrase du Manifeste : "l'organisation du prolétariat en classe, donc en parti politique". Sans vouloir faire de l'exégèse sur la validité littéraire de la traduction ([5] [117]), il suffit de relire tout le chapitre d'où cette phrase est extraite pour se convaincre que, cela n'a rien à faire avec l'interprétation que lui donnent les bordiguistes en faisant du petit mot "donc" une condition préalable à l'existence de la classe, là où pour Marx, elle signifie un résultat du processus de la lutte de la classe ouvrière.

 Ce qui préoccupe Marx et Engels dans Le Manifeste, est la nécessité inéluctable pour la classe de s'organiser, et non précisément l'organisation du parti. L'organisation d'un parti précis reste très floue dans le Manifeste. C'est ainsi qu'ils peuvent aller jusqu'à proclamer que "les communistes ne constituent pas un parti distinct des autres partis ouvriers" et terminer le manifeste par l'appel, non pas à la constitution d'un parti communiste, mais "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous".

On peut citer des centaines de pages où Marx et Engels envisagent l'organisation sous l'angle de l'organisation générale, de la classe à qui ils attribuent la fonction, non seulement de la défense des intérêts immédiats, économiques mais également l'accomplissement du but historique du prolétariat: la destruction du capitalisme et l'instauration d'une société sans classe.

Citons seulement le passage suivant d'une lettre de Marx à Bolte du 23/2/1871 :

"Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour but final la conquête du pouvoir politique, et il faut naturellement pour cela une organisation de la classe ouvrière ayant un certain degré de développement préalable et qui se forme et grandisse dans les luttes économiques mêmes. Mais d'autre part, chaque mouvement dans lequel la classe ouvrière s'oppose en tant que classe aux classes dominantes et cherche à les faire plier par une pression de l'extérieur est un mouvement politique. Par exemple, tenter d'arracher à des capitalistes individuels dans une seule fabrique ou une seule branche d'industrie, par le moyen de grèves, etc., une réduction du temps de travail est un mouvement purement économique; par contre, le mouvement visant à arracher la loi de 8 heures, etc... est un mouvement politique. Et c'est de cette façon que de tous les mouvements économiques isolés des ouvriers surgit partout un mouvement de la classe pour faire triompher ses intérêts sous une forme générale, sous une forme ayant force de contrainte sociale générale".

Et Marx d'ajouter :

"Si ces mouvements supposent une certaine organisation préalable, ils sont tout autant de leur coté, des moyens de développer cette organisation".

(Idem)

Tout ce mouvement se déroule ici sans la baguette magique détenue par le Parti. En parlant de l'organisation, Marx envisage ici l'Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale) dans laquelle les partis proprement politiques, comme celui de Bebel et Liebknecht en Allemagne ne sont qu'une partie parmi d'autres. C'est toujours cette Internationale, organisation générale de tous les ouvriers, que Marx considère comme la : "constitution du prolétariat en parti politique indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale  et de son but final- l'abolition des classes".

C'est si évident que le texte continu en ses termes : "qu'il faut que l'union des forces de la classe ouvrière qui a déjà été réalisée par les luttes économiques serve également de levier pour la masse de la classe dans sa lutte contre la puissance de ses exploiteurs". Résolution de la Conférence de Londres de l'A.I.T. Septembre 1871 "qui rappelle aux membres de l'Internationale que, dans l'état de luttes de la classe ouvrière, son activité économique et son activité politique sont inséparablement liées".

Comparons à ces textes de Marx ces autres affirmations des bordiguistes et Cie : "Tant qu'existent des classes, il sera impossible aussi bien aux classes qu'aux individus d'obtenir consciemment un résultat. Seul le parti le peut". (Travail du groupe n°3. Mars-Avril 1957 p.38) Mais d'où vient cette vertu au "parti seul" Et pourquoi à lui exclusivement ?

"Or le prolétariat n'est classe que dans la mesure où il se groupe derrière un programme, c'est à  dire, un ensemble de règles d'action déterminées par une explication générale et définitive du problème propre à  la classe et du but d atteindre pour le résoudre. Sans ce programme.... son expérience ne dépasse pas l'aspect le plus étroit de la misère que lui impose sa condition". (Travail du groupe n°4. Mai-Juin 1957 p.10) ([6] [118])

Mais d'où sortent donc ces "règles d'action" qui constituent "le programme" D'après les bordiguis­tes, ce programme ne peut absolument pas venir de l'expérience de la lutte de la classe ouvrière pour la simple raison que cette "expérience ne dépasse pas l'aspect le plus étroit de la misère que lui impose sa condition". Mais alors, d'où lui vient, ou peut lui venir -au prolétariat- la conscience de son être ? Les néo-bolchéviks répondent : "par une explication générale et définitive du problème propre à  la classe". Les bordiguistes affirment, non seulement que de par "sa condition" la classe est dans l'incapacité absolue de "dépasser l'aspect le plus étroit de la misère" mais plus catégorique­ment encore, ils prétendent que l'être même, le prolétariat n'est pas classe, et ne peut avoir d'existence comme telle, sans la condition première qu' il existe au préalable un Programme.... "une explication générale et définitive" derrière laquelle il peut se grouper pour devenir une classe.

Qu'il y a t-il de commun entre cette vision, et celle de Marx pour qui :

"Les conditions économiques avaient d'abord transformé la masse du pays en travailleurs. La domination du capital a crée à cette masse une situation commune, des intérêts communs. Ainsi, cette masse est déjà une classe vis a  vis du capital, mais pas encore pour elle-même. Dans la lutte dont nous n'avons signalé que quelques phases, cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle même. Les intérêts qu'elle défend deviennent des intérêts de classe. Mais la lutte de classe à classe est une lutte politique", et cela après avoir affirmé plus haut : Dans cette lutte -véritable guerre civile- se réunissent et se développent tous les éléments nécessaires à une bataille à  venir. Une fois arrivée à  ce point là, l'association prend un caractère politique".

(Misère de la philosophie. Chap I, "Grèves et coalitions". Ed. La Pléiade)

Là où avec Proudhon, les bordiguistes ne voient dans la condition de la classe que "la misère", nous voyons avec Marx une classe en mouvement qui passe de la résistance à la coalition, de la coalition à l'association, et de la lutte d'abord économique à la lutte politique pour l'abolition de la société de classe. De même, nous pouvons souscrire et prendre pleinement à notre compte cette autre pensée de Marx :

"On a fait bien des recherches pour retracer les différentes phases historiques que la bourgeoisie a parcourue... Mais quand il s'agit de se rendre compte exactement des grèves, des coalitions et des autres formes dans lesquelles les prolétaires effectuent devant nos yeux leur organisation comme classe, les uns sont saisis d'une crainte réelle, les autres affichent un dédain transcendantal". (Ibidem)

Ce qui caractérise tous les "néo" et "ultras" qui se disent "lénininistes", c'est leur profond dédain pour la classe, pour son mouvement réel et ses potentialités. C'est leur manque de confiance profonde dans la classe, dans ses capacités qui les amène à chercher une position de sécurisation, un nouveau Messie, qui ne serait autre qu'eux-mêmes. Ainsi transforment-ils leur propre sentiment d'insécurité en un complexe de supériorité, frisant la mégalomanie.

ROLE ET FONCTION DU PARTI DANS LA CLASSE

Si le parti est un organe produit par le corps de la classe, il est nécessairement aussi un facteur actif dans la vie de la classe. S'il est la manifestation du processus de la prise de conscience de la lutte de la classe, il a pour fonction fondamentale de contribuer à ce processus de prise de conscience et d'être le creuset indispensable de l'élaboration théorique et programmatique, fonction pour laquelle la classe l'a engendré. Dans la mesure où la classe ne peut échapper dans la société capitaliste où elle vit, ni à la pression, ni aux entraves qui empêchent son homogénéisation, le parti est le moyen de son homogénéisation; dans la mesure où l'idéologie bourgeoise dominante pèse et entrave la prise de conscience de la classe, le parti est l'organe chargé de détruire ces entraves, l'antidote à l'idéologie de la classe ennemie qui empoisonne sans cesse le cerveau du prolétariat. La portée de sa fonction évolue nécessairement avec les changements qui se produisent dans la société et dans le rapport de forces changeant entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ainsi, par exemple, si au début de l'existence de la classe il est un facteur décisif et direct dans l'organisation de la classe, cette tâche diminue pour le parti dans la mesure où la classe s'est développée, a acquis une longue expérience et a atteint une maturité plus grande. Si les partis ont joué un rôle prépondérant pour la naissance et le développement des organisations syndicales, il n'en a pas été de même pour l'organisation des Conseils, qui s'est faite avant que le parti ne comprenne ce phénomène, et en partie contre la volonté explicite du parti.

Le parti ne vit donc pas indépendamment de la classe; il grandit et se développe avec le développement de la classe. Il subit également -comme la classe- la pression et la pénétration en son sein des influences de la classe ennemie. Et, en cas de grave défaite de la classe, peut dégénérer et passer à l'ennemi, ou disparaître momentanément. Ce qui reste une constante, c'est le besoin qu'éprouve la classe de cet organe qui lui est indispensable. Et, tout comme l'araignée dont on a détruit la toile, la classe continue à secréter les éléments pour reconstituer cet organe qui lui reste nécessaire. C'est cela le processus de formation continue du parti.

Le parti n'est pas l'unique siège de la conscience de la classe, comme le prétendent, avec outrance, tous les épigones qui s'intitulent léninistes. Il n'est ni infaillible, ni invulnérable. Toute l'histoire du mouvement ouvrier est là pour en témoigner. Et l'histoire est aussi là pour montrer que la classe dans son ensemble accumule des expériences et les assimile directement. Le récent mouvement formidable de la classe ouvrière en Pologne témoigne de sa capacité remarquable à accumuler et assimiler ses expériences de 70 et 76 et à les dépasser, et cela malgré l'absence, qui se fait cruellement sentir, d'un parti. La Commune de Paris est un autre exemple des immenses capacités de conscience de la classe. Cela ne diminue en rien le rôle du parti, dont l'activité efficace est une des conditions majeures de la victoire finale du prolétariat. Une condition majeure, mais pas unique. Le parti est le siège principal de l'élaboration de la théorie (et non l'unique), mais encore ne faut-il pas le voir comme un corps indépendant, extérieur à la classe. Il est un organe, la partie d'un tout, qu'est la classe.

Comme tout organe chargé d'une fonction spécifique dans un tout, le parti peut accomplir bien ou mal cette fonction. Parce qu'il fait partie d'un corps total vivant qu'est la classe, et est donc lui-même un organe vivant, il est sujet à des défaillances dues soit à des causes extérieures, soit à son propre mauvais fonctionnement. Ce n'est pas un corps immobile, assis sur un programme achevé une fois pour toutes et invariant. Il a constamment besoin de veiller et travailler sur lui-même, de chercher à se donner les meilleurs moyens pour son entretien et son développement. Au lieu d'exalter en lui le restaurateur et le conservateur de musée, comme le font les néo-bolcheviks, nous devons être vigilants contre une maladie particulière qui le guette (et contre laquelle, Rosa, dans sa lutte contre le "marxisme orthodoxe" d'avant 1914, Lénine, dans sa lutte contre les "vieux bolcheviks" à son retour de Russie en 1917, et Trotsky dans "les leçons d'Octobre", ont mis en garde les révolutionnaires), sa tendance au conservatisme. Il n'y a pas de garantie ni de recette à priori. Raison de plus pour être attentif. Le symptôme de cette maladie se manifeste par une stricte fidélité à la lettre plutôt qu'à la méthode vivante du marxisme.

Le parti accuse des défaillances, non seulement par le poids du passé et sa tendance au conservatisme, mais aussi parce qu'il est confronté à des situations nouvelles, à des problèmes nouveaux. Or rien ne permet d'affirmer qu'il peut, face à des situations jamais vues auparavant dans l'histoire, donner toujours et tout de suite une réponse juste. L'histoire le démontre amplement : le parti peut se tromper. Qui plus est, les conséquences de ses erreurs peuvent être très lourdes et altérer gravement le rapport existant entre lui et la classe. Le Parti Bolchevik au pouvoir en a commis pas mal, l'Internationale Communiste pas moins. C'est pourquoi le parti ne peut prétendre être toujours dans la vérité et chercher à imposer à la classe, par tous les moyens (y compris la violence), sa direction et ses décisions. Il n'est pas un "dirigeant de droit divin".

Le parti n'est pas ce pur esprit, cette conscience absolue et infaillible, devant lequel la classe ne peut et ne doit que s'incliner. Il est un corps politique, une force matérielle, agissant dans la classe, qui reste responsable devant elle, et à qui il doit toujours rendre des comptes.

Le C.W.O. ironise sur notre "frayeur" devant le "mythe" (sic) du danger du substitutionnisme. Le parti étant la partie la plus consciente de la classe, cette dernière ne peut que lui faire confiance et c'est donc lui qui prend tout naturellement et d'office le pouvoir. Ce qu'il fallait démontrer ! On pourrait se demander pourquoi Marx a écrit "la guerre civile en France", où il mettait l'accent sur les mesures prises par la Commune de Paris pour pouvoir garder toujours le contrôle sur ceux qu'elle déléguait à des fonctions publiques, et dont la plus importante était la possibilité de révocabilité à tout moment ? Marx et Engels auraient-ils été des conseillistes avant la lettre?

Le C.W.O. ne se rend lui-même pas compte de la différence qui existe encore entre un délégué élu et révocable, et la délégation de tout le pouvoir à un parti, et qui n'est rien d'autre que la différence qui sépare le fonctionnement du prolétariat des structures bourgeoises. Dans un cas, il s'agit d'une personne chargée de l'exécution d'une tâche et responsable à chaque moment devant ceux qui l'ont élu, et donc révocable ; dans l'autre cas, il s'agit de déléguer le pouvoir, tout le pouvoir, à un corps politique sur lequel on n'a aucun contrôle : ses membres, eux, sont responsables devant leur parti, et leur parti uniquement. Le C.W.O. voit dans notre souci du danger du substitutionis­me un simple formalisme, alors que ce serait tomber dans le pire formalisme, c'est à dire la pire tromperie, que de faire croire qu'on a changé quelque chose en changeant simplement le nom du comité central du parti en comité exécutif des conseils ! C'est directement que la classe exerce son contrôle sur chacun de ses délégués, et non en abandonnant ce contrôle à quelqu'un d'autre, serait-ce son parti de classe.

Le parti prolétarien n'est pas comme les partis bourgeois, candidat au pouvoir de l'Etat, un parti étatique. Sa fonction ne peut être celle de gérer l'Etat, ce qui risque d'altérer son rapport avec la classe -qui consiste à l'orienter politiquement- en un rapport de forces. En devenant un gérant de l'Etat, le parti changera imperceptiblement son rôle, pour devenir le parti des fonctionnaires; avec tout ce que cela comporte comme tendances à la bureaucratisation. L'exemple bolchevik est à ce sujet très édifiant.

Mais ce point relève d'une toute autre recherche, celle du rapport entre le parti et l'Etat dans la période de transition. Ici nous avons voulu nous limiter à démontrer, comment sous prétexte de chasse au conseillisme, on arrive à l'erreur de survaloriser de manière outrancière le rôle et la fonction du parti. On arrive tout simplement à une caricature faisant du parti une élite de droit divin.

M.C.



[1] [119] L'histoire du mouvement ouvrier ne connaît aucun exemple d'un tel parti monolithique.

[2] [120] Rappelons, pour en finir avec ces "critiques" inventées de toutes pièces, que dans l'exigence des critères politiques pour la participation aux conférences que nous avons proposés dès le début, figure la reconnaissance de la nécessité du parti. Ainsi, dans la lettre que nous avons adressée au P.C.I. en préparation de la Ière Conférence le 15/7/76, nous écrivions : "Les critères politiques de participation à une telle rencontre doivent être strictement délimités par: …..6- affirmation que 1"émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre de la classe elle-même" et que cela implique la nécessité de l'existence de l'organisation des révolutionnaires au sein de la classe." De même, dans le "Projet de résolution sur les taches des communistes" que nous avons présenté à la deuxième Conférence le 11/11/1978, nous écrivions:

"L'organisation des révolutionnaires constitue un organe essentiel de la lutte du prolétariat, tant avant qu'après l'insurrection et la prise du pouvoir ; sans elle, sans le parti prolétarien et parce que cela exprimerait une immaturité de sa prise de conscience, la classe ouvrière ne peut réaliser sa tache historique: détruire le système capitaliste et édifier le communisme:"

Et, si la deuxième Conférence a montré qu'il existait des divergences sur le rôle et la fonction du parti, elle a accepté à l'unanimité la "reconnaissance de la nécessité historique du parti" comme critère d'adhésion et de participation aux futures conférences internationales.

[3] [121] Il est largement temps de bannir de notre vocabulaire cette terminologie de "léninisme" et "anti léninisme", derrière laquelle se cache n'importe quoi et qui ne veut rien dire. Lénine était une très grande figure du mouvement ouvrier et son apport est énorme. N'empêche qu'il n'était pas infaillible et que ses erreurs ont pesé très lourdement dans le camp du prolétariat. On ne peut accepter le Lénine de Kronstadt parce qu'il y avait un Lénine d'Octobre, et vice versa.

[4] [122] C'est à dire d'une méthode scientifique et non, selon la formulation de Battaglia, d'une science  marxiste qui n'existe pas.

[5] [123] Dans l'édition en français de "La Pléiade", M. Rubel traduit ce passage de la façon suivante: "cette organisation des prolétaires en une classe et, par suite, en un parti politique", traduction certainement plus fidèle à la pensée réelle développée dans tout ce chapitre du Manifeste.

[6] [124] Revue bordiguiste du PCI(Programma)

Courants politiques: 

  • Bordiguisme [125]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [90]
  • L'organisation révolutionnaire [34]

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