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Révolution Internationale n° 328 - Novembre 2002

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Le terrorisme est un pur produit du capitalisme

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Le 12 octobre, des touristes en flammes tentent de fuir l'incendie de la discothèque de Bali prise pour cible par un attentat à l'explosif. Un peu plus d'un an auparavant, des victimes de l'attentat du World Trade Center se jetaient dans le vide pour échapper à l'atrocité de la mort sous les décombres incandescents des tours en train de s'effondrer. A Bali, le terrorisme a fait plus de 187 morts et 300 blessés, dont 90 grièvement. On est loin des milliers de morts de l'attentat du 11 septembre à New York dont Bush avait dit qu'il constitue un acte de guerre. Néanmoins, ces deux attentats sont des actes barbares, des actes de la guerre impérialiste dont est responsable le capitalisme. Le plus souvent, ce sont des populations civiles qui sont victimes des attentats terroristes, arme de plus en plus utilisée dans la guerre que se livrent les fractions rivales de la bourgeoisie.

L'empreinte de la décomposition du capitalisme dans les tensions entre Etats

Nous avions déjà mis en évidence, à l'occasion des attentats terroristes qui s'étaient produit à Paris en 1986 que ceux-ci constituaient une des manifestations de l'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase de sa décadence, celle de sa décomposition. Depuis, l'ensemble des convulsions qui ont secoué la planète, notamment l'effondrement du bloc impérialiste russe à la fin des années 1980, sont venus illustrer abondamment cet enfoncement de la société capitaliste dans la décomposition et le pourrissement sur pied (cf. notre texte "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme" in Revue Internationale n° 62, 1990, republié dans le n° 107). Le développement du terrorisme, des prises d'otages comme moyen de la guerre entre Etats, au détriment des "lois" que le capitalisme s'était données par le passé pour "réglementer" les conflits entre fractions de la classe dominante est la marque de cette décomposition sur les rivalités entre Etats.

En tant qu'arme utilisée dans la guerre entre Etats, le terrorisme n'est pas une nouveauté. Ce qui en est une, c'est l'ampleur qu'a pris le phénomène ces dernières années. Ainsi, rien que dans les quelques mois ayant précédé l'attentat à Bali, d'autres attentats ont eu lieu visant différents intérêts : celui contre des techniciens français de l'armement à Karachi (Pakistan) en mai et, tout récemment, contre le pétrolier français Limbourg, dans le golfe d'Aden, par exemple. Les grands Etats, et dans leur sillage les plus petits, ont multiplié les rapports avec toutes sortes de groupes mafieux ou terroristes, ou les deux à la fois, tant pour contrôler les multiples trafics illégaux qui rapportent de juteux profits que pour les utiliser comme moyens de pression sur des Etats rivaux. L'utilisation de l'IRA par les Etats-Unis pour faire pression sur la Grande-Bretagne, celle de l'ETA par la France pour faire pression sur l'Espagne en sont deux exemples significatifs.

L'enquête en cours par les autorités indonésiennes pour tenter de déterminer l'origine de l'attentat à Bali a mis sur le devant de la scène différents types de regroupements tout à fait typiques de ce que la société actuelle est capable de produire et où se recrutent, entre autres, les exécutants des actes terroristes. Ainsi, nous trouvons à la fois : une "police religieuse", composée de vandales, que la police a longtemps laissé opérer (cf. Le Monde des 20 et 21 octobre) et dont le chef, Jafar Umar Thalib, vient d'être mis sous les verrous ; une milice armée qui fait la chasse aux chrétiens et aux Célèbes, dirigée par Abou Bakar Bashir, lequel vient d'accepter, à la demande de ses commanditaires (d'anciens généraux), de dissoudre son mouvement (ibid) : la Jeemah Islamiyah, réseau régional lié à Al-Qaida. On ne sera donc pas surpris de trouver, parmi les groupements opérant en Indonésie des représentants de l'intégrisme islamique qui révèle, dans toute une série de pays musulmans, la décomposition du système et dont la contrepartie, dans les pays avancés, peut être trouvée dans la montée de la violence urbaine, de la drogue et des sectes. Quant à la connexion de l'islamisme avec les services secrets, elle est de notoriété publique. Avant de se retourner contre leur parrain américain, Ben Laden et ses fidèles fondamentalistes islamistes avaient été recrutés par la CIA pour mener la guerre sainte, la djihad, contre l'occupant russe en Afghanistan.

Ainsi, l'existence de groupes fanatisés ayant tout à fait le profil pour commettre des attentats, ne dégage en rien les grandes puissances d'aucune responsabilité dans la barbarie actuelle. Tout au contraire, celles-ci en constituent l'épicentre. Nous seulement, comme on vient de le voir avec la guerre en Afghanistan, les attentats terroristes contre les tours jumelles ont constitué le prétexte que cherchait la bourgeoisie américaine pour une intervention partout dans le monde où elle le jugerait nécessaire pour la défense de ses intérêts impérialistes, sous prétexte de lutte contre le terrorisme mondial. Mais de façon plus cynique et machiavélique encore, comme le mettent en évidence des sources même de la bourgeoisie, il apparaît aujourd'hui clairement que la bourgeoisie américaine a délibérément laissé se dérouler les préparatifs d'une attaque terroriste sur son propre territoire par Al Qaïda[1] [1]. Ces sources ne vont pas jusqu'à en donner la raison qu'elles connaissent pourtant, susciter dans la population américaine la révolte contre une horreur inique et insoutenable pour la canaliser dans l'adhésion à une politique qui sera nécessairement de plus en plus belliciste. Les éléments dont on dispose aujourd'hui ne permettent pas encore de mettre en évidence à qui le crime profite et donc qui avait tout intérêt à ce que l'attentat de Bali soit commis. Il en est de même concernant deux autres attentats qui viennent de se produire aux Philippines : le 17 octobre, une explosion dans un supermarché de la ville de Zamboanga faisant 7 morts et plus de 160 blessés ; le 18 octobre, une bombe dans un autobus de Manille faisant au moins 3 morts et 22 blessés.

Les risques de déstabilisation de la région

En tout cas, ces attentats sont vraisemblablement à mettre en lien avec l'existence de facteurs de déstabilisation dans une région aujourd'hui globalement sous influence américaine mais fragilisée par les difficultés que connaissent certains pays du fait de la désagrégation de la société ou par les aspirations séparatistes de la part de fortes minorités locales existant en particulier en Indonésie, Thaïlande, Birmanie et Malaisie. C'est justement une telle menace qui permet d'expliquer les massacres que les milices au service de l'armée indonésienne avaient perpétrés au Timor Oriental en 1999. Au lendemain d'un référendum patronné par l'ONU ayant donné un vote massif en faveur de l'indépendance vis à vis de l'Indonésie, ces hordes recrutées parmi les voyous timorais s'étaient livrées à l'extermination systématique de populations civiles sur la base de leur appartenance ethnique, ce qui n'est pas sans rappeler le génocide, opéré avec la bénédiction de la France, des Tutsis au Rwanda en 1994 et le massacre des populations kosovares en 1998. La non intervention de l'ONU pendant toute une période avait alors été justifiée par les Etats-Unis par la nécessité que ce soit l'Indonésie elle-même qui reprenne le contrôle des différentes factions au sein de la population. Il s'agissait en fait de laisser le temps à la saignée de s'opérer, de manière à ce qu'elle serve d'exemple à quiconque serait tenté par des velléités indépendantistes, à commencer par les populations de Sumatra du Nord, des Célèbes ou des Moluques traversées par des mouvements nationalistes. Les Etats de la région ne pouvaient eux aussi que partager cet objectif de la bourgeoisie indonésienne, de même la bourgeoisie américaine qui s'inquiétait de la déstabilisation de cette région du monde qui viendrait s'ajouter à celle de toute une série d'autres régions (cf. notre article "Timor, Tchétchénie, Le capitalisme, synonyme de chaos et de barbarie" dans la Revue Internationale n° 99). Dans l'opération de "retour à l'ordre" du Timor oriental qui a finalement eu lieu, les Etats-Unis ont délégué le travail à l'Australie, ce qui représentait pour eux l'avantage de pousser en avant leur plus fidèle et solide allié dans cette région. Ce fut réciproquement une bonne occasion pour l'Australie de concrétiser ses projets de renforcement de ses positions impérialistes dans la région (même au prix d'une brouille temporaire avec l'Indonésie). Pour la première puissance mondiale, il était fondamental, et cela le demeure aujourd'hui, de maintenir une forte présence, par alliés interposés, dans cette partie du monde sachant que le développement général des tensions impérialistes contenues dans la situation historique actuelle porte avec lui la menace d'une avancée de l'influence des deux autres grandes puissances qui peuvent jouer un rôle dans la région, le Japon et la Chine.

Fk (21 octobre)

[1] [2] Un article du journal Le Monde du 5 octobre fait le compte-rendu d'un article de l'hebdomadaire allemand Die Zeit qui "dresse la liste tragique des coupables négligences qui ont jalonné le travail d'enquête des services spéciaux américains sur Al-Qaida. Beaucoup d'éléments sont troublants" (présentation du Monde). Le Monde cite l'hebdomadaire : "Les enquêteurs américains savaient que des attaques terroristes étaient en préparation, mais ils ont laissé agir les suspects" et écrit que "l'hebdomadaire allemand assure que la CIA et le FBI auraient pu tout empêcher".

Géographique: 

  • Asie [3]
  • Australasie [4]

Récent et en cours: 

  • Attentats [5]

Projet de loi sur la "sécurité intérieure"

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Alors que la crise économique se déchaîne avec son cortège de licenciements et d'austérité accrue pour la classe ouvrière, poussant sans vergogne, les plus vulnérables des prolétaires, vers la mendicité, la prostitution, la paupérisation absolue comme disait Marx, le capitalisme révèle tous les jours un peu plus sa faillite. C'est l'image d'un monde baignant dans la violence, sans avenir, un monde au bord du gouffre qui tend à s'imposer à toute la société. Aux guerres meurtrières qui se propagent sur tous les continents, répond en écho la nécessité pour la bourgeoisie d'encadrer et de réprimer ce qui fait désordre sur le plan social. En effet, chaque pays, du fait de l'impasse économique, est confronté à la dislocation du corps social qui gangrène toute la société et plus particulièrement ses couches les plus défavorisées. C'est pour cela que les gouvernements de droite comme de gauche n'ont de cesse ces dernières années de brandir la question de "l'insécurité" pour justifier des mesures de plus en plus répressives. Après la loi d'orientation sur la justice votée au mois d'août, qui s'est traduite par une augmentation considérable des effectifs policiers (cf. RI n°326), le pitbull Sarkozy récidive avec son projet de "sécurité intérieure", avec l'aval de Daniel Vaillant, l'ancien ministre de l'intérieur de Jospin qui déclare à propos de Sarkozy, que son successeur réalise "des choses que j'aurais sans doute faites si j'étais resté aux responsabilités. On est dans une continuité" (Le Monde du 7 octobre).

N'ayons aucune illusion à ce propos, quand il s'agit de défendre l'état bourgeois, et l'ordre républicain, ils sont tous complices !

Pour justifier ce nouveau tour de vis sécuritaire, la clique à Raffarin bénéficie en plus de la couverture médiatique des faits divers les plus sordides dont les médias aux ordres, n'ont de cesse de nous abreuver jusqu'à la nausée : de la mort tragique d'une adolescente brûlée vive à Vitry au meurtre raciste de Dunkerque ; des multiples reportages sur les réseaux d'exploitation de la mendicité de la population roumaine aux mafias de la prostitution de jeunes femmes des pays de l'Est. A chaque fois, les images effrayantes, les commentaires nauséabonds et les multiples débats de société stériles, ont pour but de nous renvoyer un sentiment d'impuissance, d'empêcher notre réflexion sur la faillite de ce système, de nous faire accepter les mesures répressives de l'État, qui dit vouloir "protéger" les bons citoyens des mauvais.

La criminalisation par l'Etat des prolétaires les plus défavorisés

Les ouvriers ne doivent pas se laisser abuser par cette intoxication idéologique. Accepter aujourd'hui que l'État s'en prenne aux plus défavorisés d'entre nous, c'est lui donner les moyens de faire passer de nouvelles mesures qui sont en préparation et qui n'ont comme seul objectif que d'empêcher que la classe ouvrière ne développe sa lutte en réponse aux attaques économiques, seule réponse possible à l'agonie moribonde du capitalisme.

Jospin avait promis durant la campagne électorale qu'il n'y aurait plus de SDF d'ici 2004, Sarkozy le met en oeuvre. Dorénavant l'exploitation de la mendicité " agressive " devient passible de 3 à 5 ans de prison, et les "mendiants", premières victimes, sont passibles de 6 mois de prison et 7500 euros d'amende, quel que soit le type de mendicité. La prostitution, dans laquelle les notables se sont largement vautrés du temps des maisons closes, devient un délit puni de 6 mois de prison. Le gouvernement souhaite également protéger "le droit à la propriété", ce qui est l'essence même du capitalisme. Tout rassemblement dans les halls d'immeubles sont dorénavant interdits quel qu'en soit le motif. Les gens du voyage, les squatters et les sans-logis, occupant des terrains privés, y compris ceux qui n'ont comme seule habitation de fortune que leur voiture, sont passibles de 6 mois de prison. Dans le dernier cas, le véhicule sera saisi et le permis de conduire suspendu pour une période de 3 ans.
Toute insulte ou injure à agent de l'autorité ou de la force publique sera sanctionnée d'une peine d'emprisonnement.
Quant aux étrangers, en séjour temporaire de 3 mois dont le comportement est fauteur de trouble, ils feront l'objet d'une reconduite à la frontière. Ainsi les ouvriers sans papiers ou en précarité sont particulièrement visés, puisque la loi leur interdit de participer à quelque manifestation que ce soit, sous peine d'être expulsés.

Comme Ceaucescu qui déclarait honteusement que le sida n'existait pas en Roumanie, ou les staliniens qui niaient l'existence du chômage dans les pays de l'Est avant l'effondrement du mur de Berlin, la clique à Raffarin a décidé que désormais il n'y aurait plus de pauvreté.
Mais la chasse aux pauvres ne s'arrête pas là. Certaines familles dont les enfants sont malheureusement tombés dans la délinquance, se voient déjà refuser la prolongation de leur bail locatif dans certaines cités HLM de la région parisienne. Un groupe de travail de l'éducation nationale est chargé de faire des propositions pour lutter contre l'absentéisme scolaire, et l'on parle déjà d'une amende de 2000 euros pour les parents d'élèves absentéistes.

L'extension et le renforcement les mesures répressives et sécuritaires contre la classe ouvrière

Si l'addition est déjà lourde, la partie la plus significative du renforcement policier est en préparation et celle-ci concerne plus particulièrement les ouvriers qui ne vont pas manquer de faire entendre leur colère face aux attaques massives dont ils sont déjà l'objet et les militants révolutionnaires qui seront à leur côté dans le combat de classe.

Dès 2003, le ministre de la justice présentera, sous couvert de lutte contre la criminalité, une loi qui supprimera la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, et allongera la durée de cette garde à vue. La police aura accès à tous les fichiers nominatifs détenus par des organismes publics ou privés, et le fichier des empreintes génétiques sera étendu au delà des crimes sexuels, notamment pour les personnes dont la mise en examen pour crimes ou délits serait passible d'une peine d'au moins 3 ans d'emprisonnement. Le projet de loi pérennise le dispositif sur la sécurité quotidienne votée par la gauche en novembre 2001 qui permet aux forces de police de perquisitionner sans le consentement de la personne, y compris de nuit. Il élargit aussi le droit de fouiller des voitures, qu'elles soient à l'arrêt ou en stationnement pour les affaires de vol, terrorisme et trafic de stupéfiants.

N'ayons aucune illusion, le grand banditisme et le terrorisme sont les alibis tous désignés pour permettre aux forces de répression de faire comme bon leur semble. Rappelons nous les écoutes téléphoniques tous azimuts sous le gouvernement Mitterrand.
C'est bien parce que le système capitaliste est dans une impasse sur le plan économique, que son lent processus de décomposition génère autant de violence, de misère, de barbarie, que la seule solution qu'il soit capable de mettre en oeuvre est l'imposition d'un corset de fer, d'un renforcement permanent du blindage policier. Si l'insécurité est un pur produit de la crise et de la décomposition capitaliste, elle ne disparaîtra pas en raisonnant en tant que "citoyen responsable" qui fait confiance à cet État qui en est le géniteur. Seul le développement le plus large possible de nos luttes en réponse aux attaques de la bourgeoisie peut nous permettre d'affirmer en tant que prolétaires, que nous refusons le fatalisme de l'insécurité, le nihilisme et la violence que nous fait vivre le capitalisme. Le prolétariat est la seule classe capable de pouvoir transformer le monde ; c'est cette perspective que les mesures sécuritaires voudraient bien faire avorter.

Donald (16 octobre)

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [6]

La contestation ouverte du leadership américain

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Depuis la Seconde Guerre mondiale, jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est la presque totalité des conflits dont la planète a été la théâtre ont résulté de la rivalité entre le deux blocs ennemis se faisant face, le bloc russe et le bloc américain. Avec la dissolution du bloc de l'Ouest, les enjeux des conflits ont changé. Dans ceux-ci, ce qui s'exprime c'est une tendance au chacun pour soi où chaque pays, en dehors des Etats-Unis, délié de toute contrainte de discipline de bloc, cherche à défendre ses intérêts impérialistes au jour le jour (ce qui est à relativiser pour l'Allemagne candidate à la tête d'un bloc impérialiste rival des Etats-Unis), au gré d'alliances changeantes. Seuls les Etats-Unis suivent une ligne totalement cohérente sur l'arène impérialiste : maintenir leur leadership mondial à travers une politique offensive sur le plan diplomatique mais surtout sur le plan militaire en mettant à profit l'énorme supériorité qu'ils ont dans ce domaine par rapport à n'importe quel autre pays. En fait, les démonstrations de force américaines de la dernière décennie, Guerre du Golfe, interventions en Somalie, en Bosnie, au Kosovo et dernièrement en Afghanistan s'adressaient fondamentalement à leurs anciens alliés du bloc de l'Ouest, les principales puissances occidentales qui, n'ayant plus à redouter la menace du bloc de l'Est, n'étaient de ce fait plus disposées à se soumettre à l'autorité des Etats-Unis qu'elles ont d'ailleurs contestée de plus en plus fortement. Et si les Etats-Unis ont dû enchaîner les démonstration de force, c'est parce que tout relâchement de la pression qu'il exercent sur le monde est immédiatement mis à profit par leur rivaux pour remettre en question leur leadership.
Ce faisant, les Etats-Unis sont entraînés, et le monde avec eux, dans une spirale guerrière qui n'a pas de solution dans le capitalisme sinon la ruine de l'humanité. Chaque nouvelle démonstration de force qu'ils effectuent, si elle parvient effectivement à remettre leurs rivaux à leur place rend en retour de plus en plus insupportable, pour beaucoup de pays, l'hégémonie américaine et en favorise la remise en question. Et cela d'autant plus que chaque croisade des Etats-Unis est l'occasion pour eux d'exercer une présence directe sur des positions stratégiques : en Europe même (au Kosovo et en Bosnie) ; en Asie centrale (Afghanistan, Ouzbékistan et Tadjikistan) permettant d'exercer une pression sur la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan mais surtout d'encercler l'Europe. Avec l'occupation de l'Irak, enjeu de la prochaine guerre programmée, les Etats-Unis escomptent exercer une pression renforcée sur l'Europe et le Moyen- Orient.

Les enjeux de la guerre

Les opérations de police du gendarme mondial ne s'improvisent pas. Il faut créer un prétexte, leur fabriquer une légitimation idéologique. C'est ainsi que l'opération Tempête du Désert en 1991 a été réalisée au nom de la défense du droit international pour bouter Saddam Hussein hors du Koweït qu'il venait d'envahir (avec l'autorisation tacite des Etats-Unis qui lui ont ainsi tendu un piège). L'intervention au Kosovo s'est abritée derrière l'alibi humanitaire, contre l'épuration ethnique des Kosovars qui, jusque là, ne dérangeait pas outre mesure les Etats-Unis et qui s'est considérablement aggravée avec la guerre. De même, c'est l'attentat contre les Twin Towers (dont la préparation par les terroristes a bénéficié d'un bienveillant laisser faire de la part des services secrets américains) qui a légitimé la guerre déclarée au terrorisme international par les Etats-Unis, leur servant de prétexte pour frapper en tout point de la planète supposé abriter des terroristes ou tout Etat soupçonné de les soutenir. Ainsi, dans tous ces conflits, et contrairement à ce que la réalité immédiate peut laisser apparaître, l'antagonisme de fond ne réside pas entre un dictateur local ou un leader islamiste fanatisé, d'une part, et les grandes puissances démocratiques, d'autre part. Il oppose les Etats-Unis à tout ou partie de ces puissances démocratiques. Et c'est bien un tel antagonisme qui s'affiche aujourd'hui de façon à peine masquée sur la scène internationale. Les Etats-Unis avaient réussi à imposer que l'intervention dans le Golfe en 1991 soit conduite sous les auspices de l'ONU. Ils avaient par contre subi un revers en 1998 lorsque, sous le l'impulsion de la France et de la Russie, cet organisme avait mis en échec les plans de Clinton prévoyant une nouvelle intervention en Irak sous prétexte du non respect par Saddam Hussein des résolutions de l'ONU (lequel s'était alors judicieusement empressé d'écouter les bons conseils pour qu'il accepte la venue des enquêteurs de l'ONU). Cette institution leur étant devenue trop difficilement utilisable à leur gré ils semblaient désormais décidés à s'en passer.

C'est la raison pour laquelle, afin de déclencher la guerre au Kosovo, ils ont fait fi, de façon tout à fait illégale du point de vue du droit bourgeois international, de l'organisation internationale et placé leur entreprise sous le patronage de l'OTAN, un organisme militaire sur lequel ils ont un plus grand contrôle. Quant à l'opération en Afghanistan c'est de façon tout à fait unilatérale qu'elle a été décidée et dirigée par les Etats-Unis.

C'est selon les mêmes modalités qu'en Afghanistan, une partie de la bourgeoisie américaine avait décidé l'intervention consistant à renverser Saddam Hussein. Aujourd'hui, même si ce n'est pas de façon définitive, cette option est écartée du fait de l'isolement international auquel elle risque de conduire les Etats-Unis.

Les difficultés des Etats-Unis

Il est évident que les Etats-Unis seraient largement en mesure d'assumer seuls militairement une opération destinée à renverser Saddam Hussein. Par contre, une telle opération pose un autre problème bien plus difficile qui est celui de la gestion de l'après Saddam Hussein dans un contexte de possible déstabilisation totale de la région, les Etats-Unis risquant de devoir prendre en charge, seuls ou presque, l'administration du pays dans un environnement hostile. Peu de pays ont intérêt à rallier une nouvelle entreprise guerrière américaine en Irak et ils se laisseront d'autant moins imposer une bienveillante neutralité que la justification idéologique américaine sera faible. Or c'est aujourd'hui manifestement le cas comme le traduisent ces propos tenus par l'ambassadeur d'Afrique du Sud (qui dirige le groupe des 77) lors de la séance du 15 octobre à la tribune de l'ONU : "Voilà un pays, l'Irak, qui dit : 'je veux me soumettre aux résolutions du conseil de sécurité'. Et on ne saisirait pas cette occasion ? Si elle fait cela, l'ONU entre dans un territoire inconnu". Le même orateur dénonce sans détour la tentative des Etats-Unis d'utiliser l'ONU pour leurs objectifs propres en Irak : "Tout se passe comme si les Nations Unies étaient invitées à déclarer la guerre à l'Irak".

Et pourtant, malgré l'hostilité que suscite la position américaine dans l'institution internationale, en dépit du fait que le congrès américain a donné son autorisation le 11 octobre au président Bush pour déclarer une guerre contre l'Irak sans l'aval des Nations Unies, la bourgeoisie américaine s'obstine à tenter de faire parrainer son projet par cette institution. Cela est révélateur du point auquel elle estime difficile la voie du cavalier seul ou en compagnie de la Grande-Bretagne. L'obstacle que rencontrent les Etats-Unis à l'ONU n'est pas tant représenté par les déclarations tonitruantes que nous venons de citer, émanant de pays du "tiers monde", mais bien par l'attitude de la France, et aussi de la Russie, deux membres permanents du conseil de sécurité qui font obstacle à l'adoption d'une résolution qui permettrait aux Etats-Unis de s'emparer du moindre faux pas de Saddam Hussein pour attaquer l'Irak. De même, les prises de position récentes en défaveur des Etats-Unis, comme celle de l'Allemagne, ne peuvent pas être ignorées par le Etats-Unis.Si c'est aujourd'hui la tribune de l'ONU qui constitue l'arène principale de la contestation du leadership américain, elle n'en est cependant pas le seul théâtre. Chirac dans sa visite en Egypte du 20 octobre plaçait quelques peaux de banane sous les pas de l'oncle Sam en déclarant : "Cette région n'a pas besoin d'une guerre supplémentaire". Jusqu'aux Emirats Arabes Unis qui expriment une timide réprobation à la politique américaine à laquelle ils seraient néanmoins contraints de se plier si elle s'imposait. C'est ce qu'illustrent ces paroles du ministre des affaires étrangères s'adressant le 7 octobre à son homologue irakien : "Les Emirats sont pour le retour de inspecteurs et ne voient pas la nécessité d'une nouvelle résolution." (référence à la résolution demandée par les Etats-Unis permettant des représailles automatiques contre l'Irak en cas de non respect des modalités décidées pour le travail des inspecteurs de l'ONU).

Dans une autre région du monde où l'hégémonie des Etats-Unis est aussi contestée, le Japon prend ses marques : le récent processus de normalisation des relations avec la Corée du Nord est accléléré, ce qui constitue un défi aux Etats-Unis qui placent ce pays au banc de la communauté internationale. Parallèlement à cela, le Japon est actuellement le théâtre d'une vague d'antiaméricanisme, à gauche comme à droite. Un porte parole, le gouverneur de Tokyo, déclarait : "Les Etats-Unis sont en train de devenir un autre empire mongol dont l'ambition est moins de gouverner le monde que de le dominer par la force."Loin de constituer un rééquilibrage à l'échelle du monde porteur de paix, le développement tous azimuts de la contestation du leadership américain, de même que la reprise en main de la situation par ces derniers qui suivra, sont l'expression de l'aggravation inexorable des tensions impérialistes dans la situation mondiale héritée de l'effondrement du bloc de l'Est. Seul le renversement du capitalisme peut mettre un terme au chaos croissant qui en résulte, menaçant de plus en plus la survie même de l'humanité.

F (22 octobre)

Géographique: 

  • Etats-Unis [7]

Récent et en cours: 

  • 11 septembre 2001 [8]

Défense de l'organisation - Le PCI (Le Prolétaire) à la remorque de la "fraction" interne du CCI

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A propos d'un article publié dans Le Prolétaire n° 463

 

Dans son numéro 463 (août-septembre 2002), le journal Le Prolétaire, organe du Parti communiste international (PCI)[1] [9] publie un article intitulé : "A propos de la crise dans le CCI" qui mérite un certain nombre de rectifications.
En premier lieu, l'article affirme que l'un des membres de la soi-disant "fraction interne" qui s'était constituée dans le CCI[2] [10] est "dénoncé dans RI comme un probable 'agent provocateur'". Voici ce que nous écrivions dans Révolution Internationale n° 321 [11] concernant l'exclusion de Jonas (auquel se réfère implicitement Le Prolétaire) :
"Un des aspects les plus intolérables et répugnants de son comportement est la véritable campagne qu'il a promue et menée contre un membre de l'organisation (...) l'accusant dans les couloirs et même devant des personnes extérieures au CCI de manipuler son entourage et les organes centraux pour le compte de la police (...) Aujourd'hui, Jonas est devenu un ennemi acharné du CCI et il a adopté des comportements dignes de ceux d'un agent provocateur. Nous ne savons pas quelles sont ses motivations profondes, mais ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'il représente un danger pour le milieu politique prolétarien."

Il est clair que les comportements du citoyen Jonas sont plus que troublants et tous les militants du CCI sont convaincus que ses agissements visaient à détruire notre organisation ou tout au moins à provoquer en son sein le plus de dégâts possibles comme aurait pu le faire un agent provocateur[3] [12]. Cela dit, tout lecteur aura pu lire que "nous ne savons pas quelles sont ses motivations profondes" et pourra donc constater que, jusqu'à présent, nous n'avons jamais dit que Jonas est un "probable agent provocateur". Une telle accusation, même sous la forme d'hypothèse, est extrêmement grave et même si les organisations révolutionnaires peuvent être amenées à la porter contre un de leurs anciens membres, ce ne peut être qu'à la suite d'une enquête très approfondie. C'est pour cela d'ailleurs que notre Conférence extraordinaire qui s'est tenue au printemps dernier a mandaté une Commission spéciale pour poursuivre les investigations sur le compte de Jonas. Quant au PCI, nous pensons qu'il aurait mieux fait de s'appuyer strictement sur ce que nous avons réellement écrit jusqu'à présent plutôt que de se livrer à des extrapolations qui aboutissent à une falsification de nos affirmations.
Par ailleurs, le PCI nous dit que : "Il est évidemment exclu que, comme on nous l'a demandé, nous prenions position pour l'un ou l'autre camp - que ce soit pour les dissidents au nom de la démocratie, ou pour la majorité au nom de la 'défense des organisations du milieu prolétarien'..."

Cette phrase appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, telle qu'elle est formulée, elle laisse penser (même si ce n'est pas dit explicitement) que le CCI comme la "FICCI" aurait demandé au PCI de prendre parti pour son camp. Rien n'est plus faux. La "FICCI" a effectivement demandé au PCI, dans une lettre qu'elle lui a adressée le 27 janvier 2002, en même temps qu'à d'autres groupes de la Gauche communiste, de prendre position en sa faveur contre le CCI :
"Aujourd'hui nous ne voyons plus qu'une seule solution : nous adresser à vous pour que vous demandiez à notre organisation d'ouvrir les yeux et de retrouver le sens de ses responsabilités. (...) Parce que nous sommes en désaccord, aujourd'hui le CCI fait tout pour nous marginaliser et nous démolir moralement et politiquement." [4] [13]

Pour ce qui nous concerne, nous avons effectivement envoyé le 6 février 2002 un courrier au PCI, comme à d'autres organisations de la Gauche communiste (BIPR[5] [14], PCI-Il Programma Comunista, PCI-Il Parti-to) concernant la "FICCI". Mais contrairement à celle de la prétendue "fraction", notre lettre ne demande nullement aux groupes destinataires de prendre position pour un camp contre l'autre ; son objectif est de rectifier un certain nombre de mensonges et de calomnies à l'encontre de notre organisation qui étaient contenus dans la lettre de la "fraction" du 27 janvier.

Cela dit, la principale remarque que l'on doit faire concernant l'affirmation du PCI suivant laquelle "il est évidemment exclu" qu'il prenne "position pour l'un ou l'autre camp", c'est qu'elle est contredite tout de suite après. En effet, on peut lire quelques lignes plus loin :
"Cela ne nous empêche pas cependant de relever que les méthodes employées par le CCI face à ses dissidents actuels, et qui ne datent sans doute pas d'hier, sont malheureusement trop connues : 'criminaliser' les opposants par des accusations infamantes afin de les isoler complètement, parer à tout doute éventuel ou à toute demande d'explication politique de la part des militants par la création d'un climat de 'forteresse assiégée' qui permet de les mobiliser 'en défense de l'organisation' contre les opposants qui finissent par être dépeints comme étant au service de la bourgeoisie. Ces procédés de sinistre mémoire n'ont jamais été employés ni par Marx ni par Lénine ; ils sont en fait caractéristiques d'organisations gangrenées par l'opportunisme et/ou travaillées par les graves contradictions qui existent entre leurs analyses et la réalité. Ils seraient mortels dans un parti révolutionnaire parce qu'ils détruisent inévitablement l'homogénéité politique qui en constitue le ciment, en croyant l'assurer au moyen d'un caporalisme bureaucratiquement réglementé : étouffant la vie politique interne, ce dernier tend à empêcher d'affronter et de résoudre les problèmes politiques que ne peuvent pas ne pas se poser les militants révolutionnaires et à transformer ceux-ci en simples perroquets. Les interrogations politiques refoulées continuent cependant inévitablement à agir souterrainement et elles finissent tôt ou tard par réapparaître avec d'autant plus de virulence, sous la forme de crises organisationnelles destructrices."

En fait, le PCI qui dit avoir lu "le matériel publié par les deux parties", épouse presque à la lettre les thèses calomnieuses répandues par la "FICCI" et prend donc bien position en faveur de celle-ci contre le CCI.

Le régime intérieur des organisations communistes

Il faut saluer le fait qu'aujourd'hui le PCI condamne "l'étouffement de la vie politique interne par un caporalisme bureaucratiquement réglementé empêchant d'affronter et de résoudre les problèmes politiques que ne peuvent pas ne pas se poser les militants révolutionnaires".

C'est une idée que notre courant ne cesse de répéter notamment contre les conceptions du PCI. En effet, voici ce qu'écrivaient déjà, en 1947, nos camarades de la Gauche communiste de France (ancêtre politique du CCI) à propos des conceptions organisationnelles du PCI :
" Sur cette base commune [les critères de classe et le programme révolutionnaire] et tendant au même but, bien des divergences surgissent immanquablement en cours de route. Ces divergences expriment toujours, soit l'absence de tous les éléments de la réponse, soit des difficultés réelles de la lutte, soit l'immaturité de la pensée. Elles ne peuvent être ni escamotées ni interdites mais au contraire doivent être résolues par l'expérience de la lutte elle-même et par la libre confrontation des idées. Le régime de l'organisation consiste donc, non à étouffer les divergences mais à déterminer les conditions de leur solution. C'est-à-dire, en ce qui concerne l'organisation, de favoriser, de susciter leur manifestation au grand jour au lieu de les laisser cheminer clandestinement. Rien n'empoisonne plus l'atmosphère de l'organisation que les divergences restées dans l'ombre. Non seulement l'organisation se prive ainsi de toute possibilité de les résoudre, mais elles minent lentement ses fondations. A la première difficulté, au premier revers sérieux, l'édifice qu'on croyait en apparence solide comme un roc, craque et s'effondre, laissant derrière lui un amas de pierres. Ce qui n'était qu'une tempête se transforme en catastrophe décisive. " (Internationalisme n° 25, "La discipline… force principale…", republié dans la Revue internationale n° 34)

Au début 1983, nous ne tenions pas un langage différent face à la crise que venait de connaître le PCI :
"Où est donc le fameux parti 'bloc monolithique' ? Sans failles ? Ce 'monolithisme', revendiqué par le PCI, n'a jamais été qu'une invention stalinienne. Il n'y a jamais eu d'organisation 'monolithique' dans l'histoire du mouvement ouvrier. La discussion constante et la confrontation politique organisées dans un cadre unitaire et collectif sont la condition d'une véritable solidité, homogénéité et centralisation d'une organisation politique prolétarienne. En étouffant tout débat, en cachant les divergences derrière le mot de 'discipline', le PCI n'a fait que comprimer les contradictions jusqu'à l'éclatement. Pire, en empêchant la clarification à l'extérieur comme à l'intérieur de l'organisation, il a endormi la vigilance de ses militants. La sécurisation bordiguiste de la vérité pyramidale, la direction des chefs a laissé les militants dépourvus d'armes théoriques et organisationnelles devant les scissions et les démissions. C'est ce que le PCI semble reconnaître lorsqu'il écrit : 'Nous entendons traiter [ces questions] de façon plus ample dans notre presse, en mettant nos lecteurs devant les problèmes qui se posent à l'activité du parti'" ("Le Parti Communiste International à un tournant de son histoire", Revue internationale n° 32)".

Lorsque nous défendions ces idées, le PCI n'avait pas de mots assez méprisants pour stigmatiser notre "démocratisme"[6] [15] mais en comparant ce que nous écrivions il y a plus de 50 ans et il y a 20 ans avec ce que nous dit maintenant le PCI on ne peut qu'être frappé par la ressemblance des idées. En vérité, c'est presque une copie conforme. On peut au moins en déduire une chose : les camarades du PCI, malgré leurs grands discours sur "l'Invariance", ont été capables d'entendre nos arguments. Qu'ils se rassurent, nous ne leurs demanderons pas des droits d'auteur. Cela dit, nous pensons que plus que nos propres arguments, c'est la dure réalité des faits, et particulièrement l'effondrement dramatique du PCI en 1982, qui a été l'élément décisif ayant permis à une poignée de militants se réclamant des positions de Bordiga de comprendre l'absurdité de certains dogmes "invariants" sur le prétendu "monolithisme" du parti dont ils se réclamaient[7] [16].

Pour ce qui nous concerne, nous maintenons aujourd'hui ce que nous disions il y a 20 ou 50 ans et nous rejetons catégoriquement les accusations du PCI à propos de nos prétendues "méthodes face à nos dissidents actuels". Aujourd'hui comme hier, nous considérons que les désaccords politiques qui surgissent dans l'organisation doivent être réglés par le débat le plus large en son sein et non par des mesures administratives ou "bureaucratiques". Comme il y a 20 ans, nous faisons nôtres et nous appliquons les règles suivantes face aux divergences qui peuvent surgir dans notre organisation :

  • "réunions régulières des sections locales et mise à l'ordre du jour de celles-ci des principales questions débattues dans l'ensemble de l'organisation : d'aucune façon le débat ne saurait être étouffé ;
  • circulation la plus ample possible des différentes contributions au sein de l'organisation au moyen des instruments prévus à cet effet (les bulletins internes) ;
  • rejet de toute mesure disciplinaire ou administrative de la part de l'organisation à l'égard de ses membres qui soulèvent des désaccords..." (Rapport sur la structure et le fonctionnement de l'organisation des révolutionnaires adopté par la Conférence internationale extraordinaire de janvier 1982, publié dans la Revue Internationale n° 33)

Cela dit, comme il y a 20 ans, nous estimons indispensable le respect des règles suivantes :

  • "rejet... des correspondances secrètes et bilatérales qui, loin de favoriser la clarté du débat, ne peuvent que l'obscurcir en favorisant les malentendus, la méfiance et la tendance à la constitution d'une organisation dans l'organisation ;
  • respect par la minorité de l'indispensable discipline organisationnelle... Si l'organisation doit s'interdire l'usage de tout moyen administratif ou disciplinaire face à des désaccords, cela ne veut pas dire qu'elle doit se priver de ces moyens en toutes circonstances. Il est au contraire nécessaire qu'elle recoure à de tels moyens, comme la suspension temporaire ou l'exclusion définitive, lorsqu'elle est confrontée à des attitudes, comportements ou agissements qui sont de nature à constituer un danger pour son existence, sa sécurité ou son aptitude à accomplir ses tâches... Par ailleurs, il convient que l'organisation prenne toute disposition nécessaire à sa protection face à des tentatives d'infiltration ou de destruction de la part des organes d'État capitalistes ou de la part d'éléments qui, sans être directement manipulés par ces organes, ont des comportements de nature à favoriser leur travail. Lorsque de tels comportements sont mis en évidence, il est du devoir de l'organisation de prendre des mesures non seulement en faveur de sa propre sécurité, mais également en faveur de la sécurité des autres organisations communistes." (Ibid.)

L'exclusion de Jonas et les sanctions contre des membres de la "fraction"

C'est donc en stricte application de ces principes, et non pour "criminaliser les opposants par des accusations infamantes afin de les isoler complètement" que le CCI a procédé au début 2002 à l'exclusion de l'élément Jonas et à la publication d'un communiqué dans sa presse à ce propos. C'est exactement de la même façon que nous avions agi en 1981 à propos de l'individu Chénier qui était entré dans notre organisation quelques années auparavant. Quelques mois à peine après son exclusion, Chénier a commencé une carrière officielle dans un syndicat et dans le parti socialiste (c'est-à-dire le parti qui dirigeait le gouvernement de cette époque) pour le compte de qui il travaillait probablement depuis longtemps en secret. Il est clair que le communiqué que nous avions publié dans la presse à son propos lui interdisait désormais toute possibilité de poursuivre le travail de destruction qu'il avait mené pendant plusieurs années au sein du CCI et des autres organisations par où il était passé auparavant, notamment le PCI. Si ce dernier s'était donné la peine de rendre publique sa propre décision d'exclure Chénier et les raisons de celle-ci (que nous n'avons apprises par un militant du PCI qu'après l'exclusion de Chénier du CCI) il est évident que nous n'aurions jamais laissé un tel élément entrer dans notre organisation. C'est bien pour cette raison que nous mettons en garde nos lecteurs contre Jonas "dont nous sommes sûrs... qu'il représente un danger pour le milieu politique prolétarien" tout comme Chénier en son temps, même si c'est peut-être pour d'autres motivations.

De même, les mesures disciplinaires que nous avons adoptées à l'encontre des autres membres de la "FICCI" n'ont rien à voir avec une "volonté d'étouffer le débat". C'est bien le contraire qui est vrai : c'est parce que ces militants se sont depuis le début refusé à mener le débat (parce qu'ils savaient qu'ils n'avaient pas d'argument sérieux pour convaincre les militants du CCI) qu'ils ont systématiquement violé les statuts de l'organisation : les mesures disciplinaires que celle-ci ne pouvait pas ne pas prendre leur ont alors servi de prétexte pour faire des scandales et crier à tue tête que "le CCI fait tout pour [les] marginaliser et [les] démolir moralement et politiquement".

Que le PCI nous dise si c'est faire preuve de "caporalisme bureaucratiquement réglementé" que de prendre des mesures disciplinaires lorsque des militants (parmi beaucoup d'autres infractions) :

  • refusent d'être présents à des réunions auxquelles ils ont la responsabilité de participer ;
  • violent les décisions adoptées unanimement par l'organisation (y compris par eux-mêmes) ;
  • organisent des correspondances et des réunions secrètes avec le but, reconnu explicitement entre eux, de comploter contre l'organisation et de mener des campagnes de calomnies contre certains de ses militants ;
  • refusent de payer l'intégralité du montant de leur cotisation ;
  • volent le fichier d'adresses de nos abonnés, les notes des organes centraux (en vue de les utiliser de façon frauduleuse), ainsi que l'argent de l'organisation.

Ce n'est pas parce qu'une "direction liquidatrice" (suivant les termes de la "FICCI") a créé "un climat de 'forteresse assiégée' qui permet de mobiliser les militants 'en défense de l'organisation' contre les opposants", comme l'écrit le PCI, que notre Conférence extraordinaire a ratifié unanimement les sanctions contre Jonas et les autres membres de la soi-disant "fraction" ; c'est tout simplement parce que TOUS les militants du CCI, autres que les membres de cette "fraction", ont été convaincus de la nécessité de telles sanctions face à l'évidence et l'accumulation des agissements volontairement destructeurs de ces éléments. Les militants du CCI ne sont ni des "perroquets" ni des zombies. Si quelques uns d'entre eux ont décidé de piétiner les principes qu'ils avaient défendus jusqu'à présent en suivant aveuglément un individu particulier, en l'occurrence Jonas (pour des raisons de liens affinitaires, d'orgueil blessé, de frustrations, de règlements de compte personnels ou de perte de leurs convictions), tous les autres rejettent un tel comportement et sont capables de se faire une opinion par eux-mêmes sans qu'il ait fallu leur forcer la main.

La prétendue "intimidation" d'un militant du PCI

Croyant sur parole ce que raconte la "FICCI" à propos des "méthodes staliniennes du CCI" (et ayant apparemment oublié la phrase de Lénine "Celui qui croit sur parole est un indécrottable idiot"), le PCI enchaîne sur ce thème :
"Il est inévitable que le climat qui s'est créé dans le CCI se répercute à l'extérieur. C'est ainsi qu'un de nos camarades qui avait eu le malheur de critiquer dans une réunion publique de cette organisation de telles méthodes (tout en réaffirmant qu'il ne défendait aucunement la Fraction), s'est vu en conséquence signifier la 'rupture de tout lien politique' avec lui. La signification de cette curieuse déclaration est apparue quelques jours plus tard, lorsqu'il s'est fait injurier et bousculer lors d'une vente par un militant du CCI. Nous ne voulons pas accorder une importance démesurée à cet incident, qui est peut-être dû à la surexcitation de militants locaux. Mais il doit être clair que nous n'entendons pas nous laisser dicter les limites de notre critique par quiconque, et par quelques mesures d'intimidation, y compris physiques, que ce soit.
A bon entendeur, salut.
"

De même que le PCI aurait dû mieux se renseigner avant que d'emboucher les mêmes trompettes que la "fraction", il aurait mieux fait de ne pas croire sur parole ce qu'a pu lui raconter son militant de Toulouse, W., à propos des incidents qui se sont produits entre lui et nos militants.

Une première chose : nous avons toujours et en tous lieux manifesté une attitude fraternelle envers les militants du PCI. Et cela pour la bonne raison que nous considérons que cette organisation, malgré ses erreurs programmatiques, appartient au camp de la classe ouvrière. La réciproque n'a pas toujours été vraie. Ainsi, en 1979, alors que les militants du PCI étaient impliqués dans le soutien du mouvement des résidents des foyers d'immigrés SONACOTRA, il leur est arrivé à plusieurs reprises, dans des rassemblements et des manifestations de rue, de constituer une sorte de "front unique" avec des militants maoïstes de l'UCFML (avec qui ils participaient aux service d'ordre) afin d'empêcher, y compris par la menace physique, les militants du CCI de prendre la parole et de diffuser la presse. C'est vrai qu'à cette époque, le PCI était dominé, notamment en France, par un courant gauchiste et tiers-mondiste qui allait faire scission quelques années plus tard en emportant la caisse et les moyens matériels. Les militants actuels du PCI ont fait la critique de cette tendance tiers-mondiste, mais à notre connaissance ils n'ont jamais condamné le comportement des membres du PCI de l'époque qui avaient empêché, à la grande satisfaction des staliniens de l'UCFML, que s'expriment les positions internationalistes au sein d'une lutte de la classe ouvrière.

Concernant W., membre du PCI à Toulouse et que nous connaissions depuis longtemps, nous avons manifesté à son égard la même attitude fraternelle qu'aux autres membres du PCI lorsqu'il est revenu dans cette ville après plusieurs années d'absence. Nous lui avons proposé d'exposer la presse du PCI dans nos réunions publiques et nous l'avons toujours invité à y prendre la parole. De même, nous avons incité les membres d'un cercle de discussion auquel nous participons d'inviter également le PCI, c'est-à-dire W., pour qu'il puisse y présenter ses positions. Pendant toute une période, d'ailleurs, sa propre attitude à l'égard de nos militants était également cordiale et il était toujours volontaire pour engager avec eux de longues discussions.

C'est depuis le début de cette année que l'attitude de W. a changé complètement :

  • à la réunion du 12 janvier 2002 du cercle de discussion, il a traité nos deux militants présents d'antisémites[8] [17];
  • quelques jours après, alors qu'un de nos militants était allé lui demander des explications lors d'une vente de la presse sur un marché, il a réitéré les mêmes accusations, plus particulièrement envers un de nos camarades en donnant comme seul "argument" qu'il "savait de quoi il parlait puisqu'il le connaît depuis longtemps" (effectivement ils étaient au lycée ensemble) ; au cours de cette discussion il a également accusé les militants du PCI-Programma Comunista d'être des gens peu recommandables ;
  • à la réunion du 16 février, les membres du cercle de discussion lui ont de nouveau demandé des explications sur ses accusations et il a alors quitté la réunion après avoir de nouveau proféré des insultes en affirmant que nous étions "tous à mettre dans le même sac" ;
  • juste avant notre réunion publique du 1er juin qui devait se dérouler dans l'arrière salle d'un café, il a commencé par faire un esclandre dans la salle principale en prétendant que nous lui devions de l'argent, cela devant les consommateurs et au risque de nous faire interdire de réunion par le patron du café ;
  • pendant la réunion publique elle-même il a lu une déclaration qu'il se proposait de faire circuler également auprès des autres groupes de la Gauche communiste ainsi qu'auprès du groupe trotskiste Lutte Ouvrière (!), déclaration dans laquelle il accusait le CCI de "stalinisme" pour avoir exclu "comme d'habitude" des "camarades expérimentés" ; il faisait référence à la "FICCI" et aussi à la brochure "Que ne pas faire ?", un recueil de calomnies contre notre organisation publié à la fin des années 90 par le "cercle de Paris", un regroupement parasitaire d'anciens militants du CCI dont aucun n'a été exclu mais dont l'anarchisme organisationnel leur avait rendu "insupportable" la présence dans une organisation communiste centralisée ;
  • à la fin de cette réunion, il a fait un nouvel esclandre en accusant une de nos sympathisantes d'avoir "volé une brochure du PCI" (!) ;
  • le 9 juin, une délégation de notre organisation est allé le trouver pour lui dire que, compte tenu de l'attitude qu'il avait eue dans la salle de café au risque de nous priver de notre lieu de réunion[9] [18] et des insultes qu'il ne cessait de proférer à l'égard de nos militants, nous ne voulions plus avoir de relations avec lui ;
  • le 7 juillet, alors que nos camarades sortaient les publications afin de commencer une vente sur un marché, il est venu les insulter en les traitant de "staliniens" et de "fascistes" ; un de nos camarades lui a demandé de se taire mais il s'est mis alors à vociférer de plus en plus fort ses insultes provoquant évidemment un attroupement ; notre camarade lui a demandé alors de partir sur un ton très ferme mais sans le "bousculer" comme le prétend l'article du Prolétaire ;
  • à notre réunion publique du 14 septembre, un sympathisant du PCI nous a demandé s'il pouvait exposer la presse de cette organisation dans la salle de réunion ; nous lui avons répondu que non seulement il pouvait le faire mais que nous l'y encouragions ; c'est bien la preuve que notre attitude de fermeté envers W. résulte uniquement de ses comportements inacceptables et nullement d'une hostilité envers le PCI comme tel ;
  • le 13 octobre, sur le marché où il vendait la presse du PCI, W. a insulté deux de nos sympathisantes en les traitant de "connasses" au moment où elles passaient devant lui.

Malgré la politique d'ouverture que nous menons envers les autres groupes de la Gauche communiste il peut arriver que tel ou tel de nos militants perde son sang froid et commette un dérapage[10] [19]. Cependant, dans ce cas précis, il n'y a pas eu de la part de nos militants ni dérapage, ni "surexcitation" et si quelqu'un a dérapé, et même à de nombreuses reprises, c'est bien le militant du PCI. Nous ne savons pas à quoi il faut attribuer son attitude au cours de la dernière année : est-elle le résultat de la tonalité des discussions au sein du PCI ou plutôt d'une certaine "surexcitation" (suivant les termes du Prolétaire) propre à W. ? [11] [20]

De même, nous considérons comme vraisemblable que W. a donné à son organisation une version des faits différente de celle que nous venons d'exposer. C'est donc la parole de nos militants (et de nos sympathisants) contre celle du militant du PCI. Cependant, nous sommes sûrs de ce que nous avançons et nous pouvons le prouver car la plupart des agissements de W. que nous avons relatés ont eu lieu en présence de plusieurs personnes extérieures au CCI qui pourront témoigner. Nous souhaitons qu'il y ait une confrontation devant les autres militants du PCI entre leur militant W. et nos camarades ainsi que les personnes extérieures au CCI qui ont été témoins des incidents que nous avons évoqués. Nous sommes disposés, si nécessaire, à appeler à la constitution d'une commission spéciale de militants de la Gauche communiste chargée de faire la lumière sur ces faits.

Nous sommes particulièrement déterminés à ce que la vérité soit faite sur cette question car notre organisation est aujourd'hui la cible d'une campagne sans précédent de calomnies de la part d'un petit groupe d'anciens militants, ceux qui constituent la "FICCI", animés par un élément aux comportements troubles et dangereux pour les groupes de la Gauche communiste. Et le plus lamentable, dans cette affaire, c'est qu'un groupe comme le PCI apporte sa contribution, malgré sa volonté affichée de "ne pas prendre parti", à ce type de campagne, notamment en évoquant des incidents dont il est clair qu'il a une connaissance erronée.

L'utilisation de l'article du PCI par la "fraction"

D'ailleurs, les effets de l'article du PCI ne se sont pas fait attendre puisque, immédiatement après sa publication, il a été repris sur le site Internet de la FICCI accompagné d'une prise de position où l'on peut lire ce qui suit :
"D'abord nous condamnons l'attitude du CCI actuel et tenons à nous démarquer totalement de ses méthodes présentes. Nous nous solidarisons avec le militant du PCI victime de cette agression. Indépendamment de la réaction de soutien politique que nous apportons aux camarades du PCI, nous ressentons un choc douloureux face à ce nouvel épisode : il en dit long en effet, sur l'état de désarroi et de déboussolement des membres du CCI ; il est significatif de la profondeur de la dérive sectaire qui s'empare aussi rapidement du CCI. (...)
On aurait tort de banaliser cet incident ou de l'analyser comme un malheureux dérapage d'un militant. En effet, il n'est que la dernière illustration d'une dynamique opportuniste et sectaire qui s'est ouvertement développée d'abord au sein du CCI dès le lendemain de son 14e congrès (mai 2001) et de l'explosion ouverte de sa crise organisationnelle, puis publiquement toujours vis-à-vis des membres du CCI qui s'opposaient à cette nouvelle politique, et aujourd'hui vis-à-vis de tout le milieu politique vu comme un ennemi de classe.
(...) nous saluons cet article qui dénonce les mesures bureaucratiques et d'intimidations qui se sont instaurées à l'intérieur du CCI. Ça n'a jamais été l'attitude et les pratiques de Marx ni de Lénine, ni d'aucune organisation prolétarienne
."

Nous ne ferons pas de commentaires supplémentaires sur la prose de la FICCI qui est dans la lignée de ses écrits précédents. Nous voudrions juste relever l'insondable hypocrisie de la phrase "nous ressentons un choc douloureux face à ce nouvel épisode". En réalité, l'attitude des membres de la "FICCI" que nous avons croisés quelques jours après la publication de l'article du Prolétaire parle d'elle-même : ce n'est pas la "douleur" qu'on pouvait lire sur leur visage, mais une jubilation ostensible.

Si c'est de façon sincère que les militants du PCI ne souhaitaient pas "prendre parti", on peut donc constater qu'ils ont singulièrement manqué leur coup.

Dans notre communiqué sur l'exclusion de Jonas, nous écrivions, comme on l'a déjà vu plus haut : "ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'il (Jonas) représente un danger pour le milieu politique prolétarien". Cette affirmation s'est pleinement confirmée avec la politique manœuvrière que Jonas et sa "fraction" ont menée en direction des groupes de la Gauche communiste. Après avoir refusé de se défendre en faisant appel devant un Jury d'honneur, Jonas s'est servi de sa "fraction" pour tenter de "mouiller" le BIPR et le pousser à participer à la campagne de calomnies contre le CCI. Comme nous l'écrivions dans RI n° 324, la "manœuvre consistant à rendre publique la discussion que la 'fraction' a eue avec le BIPR ne peut que contribuer à discréditer ce dernier au sein du milieu politique prolétarien. Et c'est bien l'objectif que visait Monsieur Jonas : piéger le BIPR et le discréditer tout en semant la zizanie entre les groupes du courant de la Gauche communiste."

Aujourd'hui, c'est au tour du PCI de se laisser enrôler dans la guerre de la "fraction" de Monsieur Jonas contre le CCI. En entraînant les groupes de la Gauche communiste dans ses campagnes contre le CCI, Jonas, avec le soutien de ses fidèles, ne fait que poursuivre à l'extérieur la politique ignoble - une politique parfaitement consciente, délibérée et planifiée -qu'il avait menée à l'intérieur du CCI lorsqu'il avait tenté de semer la suspicion entre les militants pour les monter les uns contre les autres[12] [21].

Pourquoi le PCI fait-il le jeu de la "fraction" ?

Les questions restent posées : pourquoi le PCI a-t-il fait preuve d'une telle complaisance envers la prétendue "fraction" ? Pourquoi s'est-il précipité pour publier un article prenant fait et cause pour la "fraction" et portant de graves accusations contre le CCI, sans nous avoir demandé plus de précisions comme nous lui en faisions la proposition dans notre lettre du 6 février 2002 qui se terminait ainsi : "Nous sommes évidemment à votre disposition pour vous donner plus d'éléments sur cette affaire si vous le souhaitez." ? Pourquoi a-t-il cru sur parole son militant de Toulouse et a-t-il fait état publiquement de ses dires sans même nous demander des explications ?

On comprend que la "FICCI", dès qu'elle a pris connaissance de l'article du Prolétaire et sans savoir de quoi il s'agissait, se soit précipitée comme une nuée de vautours pour "se solidariser avec le militant du PCI victime de cette agression" et pour conclure que cet incident était "la dernière illustration d'une dynamique opportuniste et sectaire qui s'est ouvertement développée d'abord au sein du CCI… et aujourd'hui vis-à-vis de tout le milieu politique vu comme un ennemi de classe." Pour Jonas et ses acolytes, tout ce qui peut jeter la boue sur le CCI est bon à prendre.

Mais qu'en est-il pour le PCI ?
Faut-il penser que cette organisation a été sensible aux campagnes de séduction que la "FICCI" a lancées en direction des groupes de la Gauche communiste afin de "se les mettre dans la poche" contre le CCI ?

De ce type de campagne, plusieurs militants du PCI ont pu être témoins lors de la réunion de lecteurs tenue par cette organisation le 28 septembre à Paris. Dans cette réunion consacrée à la question palestinienne, un militant du PCI a commencé par présenter la position classique de son organisation (qu'on peut retrouver dans un long article du Prolétaire n° 463, "Aux prolétaires israéliens, Aux prolétaires palestiniens, Aux prolétaires d'Europe et d'Amérique"). Les militants du CCI présents ont à leur tour présenté leur propre position critiquant celle du PCI. Et c'est justement au cours d'une intervention d'un de nos camarades, que la représentante de la "FICCI", Sarah, lui a coupé la parole à deux reprises pour dire en substance "mais ce n'est pas ce que dit le PCI", à quoi notre camarade a répondu, à deux reprises, que le PCI était assez grand pour rectifier lui-même si c'était nécessaire. En revanche, elle n'a à aucun moment pris la parole pour défendre la position du CCI sur la question nationale et coloniale (dont pourtant la "FICCI" continue de se réclamer). Ce n'est qu'à la fin de la réunion, et après un coup de chapeau à la présentation faite par le PCI sur la question palestinienne (même si elle admettait du bout des lèvres qu'il y ait des désaccords), que Sarah a fait une intervention, mais sur un sujet qui n'était pas directement à l'ordre du jour : la situation en Argentine. Et cette intervention était consacrée à dénoncer avec véhémence "l'indifférentisme" du CCI à propos des mouvements qui s'étaient produits dans ce pays à la fin 2001. Il faut d'ailleurs noter qu'elle n'a pas dit un mot de critique sur l'article publié dans Le Prolétaire n° 460 ("Les cacerolazos ont pu renverser les présidents, Pour combattre le capitalisme, il faut la lutte ouvrière") qui présente pourtant une analyse très proche de la nôtre (voir "Argentine, Une manifestation de la faillite du capitalisme", RI n° 319). La référence à "l'indifférentisme" du CCI était évidemment une grosse ficelle puisque c'est ainsi que le PCI qualifie souvent notre position sur la question nationale.

Sincèrement, les manœuvres de séduction de la part de Sarah étaient si grossières et empreintes d'une telle démagogie que nous avons peine à croire qu'elles aient pu avoir un impact sur les militants du PCI. Un militant communiste sérieux n'est pas comme le Corbeau sur son arbre et lorsqu'on vient le flatter comme l'a fait, tel le Renard de la fable, la représentante de la "FICCI", sa réaction normale doit être plutôt le scepticisme et la prudence pour ne pas lâcher son fromage au premier parasite venu !

C'est pour cela qu'il existe sûrement d'autres causes à la bienveillance manifestée par le PCI envers la "FICCI". Une de ces causes est peut-être que les militants du PCI, traumatisés par le régime interne qui existait par le passé dans l'organisation bordiguiste où le "monolithisme" était la règle officielle, ont tendance à prendre spontanément le parti de ceux qui se présentent comme "opprimés par les méthodes staliniennes du CCI", sans chercher à en savoir plus. En fait, leur réaction serait un peu sur le même modèle que celle des conseillistes qui, parce que les partis communistes sont devenus à un moment donné des ennemis du prolétariat, en déduisent que tout parti est destiné à trahir celui-ci et qu'il faut donc rejeter par principe toute tentative de constituer un parti révolutionnaire.

Mais il existe probablement une autre raison, plus fondamentale, à la démarche du PCI. Celui-ci, comme tous les autres PCI (Programma et Il Partito) considère qu'il est LE Parti, tous les autres groupes du courant de la Gauche communiste n'étant que des usurpateurs. La conception bordiguiste, contrairement à celle du CCI et de la Gauche italienne de la période de Bilan, considère qu'il ne peut exister qu'une seule organisation révolutionnaire au monde. La conséquence logique de cette vision est de renvoyer dos à dos le CCI et la "fraction" qui officiellement défendent la même position. C'est d'ailleurs ce que prétend faire le PCI dans son article. Mais s'il prend en réalité parti pour la "fraction", comme on l'a vu, c'est que la conception du "PCI seul au monde" conduit à la vision que les seuls rapports pouvant exister entre deux organisations se réclament de la Gauche communiste sont des rapports de rivalité et de concurrence. De ce fait, on aboutit à l'idée que tout ce qui peut discréditer les autres organisations est positif puisque cela "fait de la place" pour sa propre organisation. Si la "FICCI" peut créer des ennuis au CCI, considéré par le PCI comme un concurrent, et le discréditer, c'est bon à prendre. Telle est probablement la logique, même si elle n'est pas totalement consciente, qui explique l'accès spontané de sympathie qu'à provoqué la "FICCI" auprès des militants du PCI.

En 1978, lorsque le PCI avait été invité à participer à la deuxième conférence des groupes de la Gauche communiste, il avait annoncé son refus par un article publié dans Programma Comunista[13] [22] sous le titre élégant de "La lutte entre Fottenti et Fottuti" (littéralement, entre "enculeurs et "enculés"). Pour le PCI, cette conférence n'avait d'autre signification que de permettre à chacun des groupes d'essayer de "baiser" les autres. Voilà la vision qu'avait cette organisation des rapports entre groupes de la Gauche communiste.

Le PCI d'aujourd'hui ne tient plus ce même langage et il a fait la critique de certaines de ses erreurs passées. Cependant, nous pensons qu'il lui reste encore un effort à faire pour se dégager totalement de la logique des "fottenti" et "fottuti" sachant que, jusqu'à présent, il n'a jamais fait la moindre critique de cette conception exprimée par le peu glorieux article de Programma Comunista.

En tout cas, même si le PCI n'avait pas l'intention d'être le "fottento" du CCI, ce qui est sûr c'est qu'il est bien parti pour être le "fottuto" de Jonas et de sa "fraction" !

CCI (21 octobre 2002)

 


[1] [23] Il s'agit du PCI qui publie en Italie Il Comunista à ne pas confondre avec le PCI qui publie dans ce pays Il Programma Comunista et les Cahiers internationalistes en France ni avec le PCI qui publie Il Partito Comunista et La Gauche Communiste, chacun de ces trois PCI se désignant comme le véritable représentant du courant de la Gauche communiste d'Italie animé par Amadeo Bordiga après la seconde guerre mondiale.

[2] [24] Voir à ce propos nos articles "Le combat pour la défense des principes de fonctionnement de l'organisation", "Le combat pour la défense des principes du mouvement ouvrier" et "Un groupe parasitaire qui sert admirablement la bourgeoisie" respectivement dans Révolution internationale n° 323 [25], 324 [26] et 326 [27] ainsi que "Le combat pour la défense des principes organisationnels [28]" dans la Revue internationale n° 110.

[3] [29] Voir à ce sujet notre article "Le combat des organisations révolutionnaires contre la provocation et la calomnie" dans RI n° 321 [30].

[4] [31] Malgré cette lettre, la FICCI a le culot d'écrire dans son Bulletin n°13 : "nous voulons affirmer que pour notre part, nous n'avons jamais demandé à personne de prendre parti entre le CCI et la Fraction". C'est un nouveau mensonge éhonté de la "FICCI" bien dans la tradition de ce regroupement qui semble avoir fait sienne la devise de Goebbels, chef de la propagande nazie : "Un mensonge mille fois répété devient une vérité".

[5] [32] BIPR (Bureau International pour le Parti Révolutionnaire - www.ibrp.org [33]) : groupe se revendiquant de la Gauche communiste italienne constitué par le Partito Comunista Internazionalista en Italie et la Communist Workers' Organisation en Angleterre.

[6] [34] Il faut noter que ces attaques étaient portées essentiellement de façon verbale par les militants du PCI et qu'on en trouve très peu d'exemples dans ses publications. En effet, à cette époque, alors que le PCI représentait à l'échelle internationale l'organisation la plus importante se réclamant de la Gauche communiste et qu'il affichait un dédain transcendantal à l'égard du CCI, sa presse ne daignait pas polémiquer avec la nôtre, sinon de façon exceptionnelle. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, ce qu'évidemment nous saluons, sauf lorsque cette polémique se base sur des rumeurs infondées et non sur des réalités.

[7] [35] Néanmoins, les camarades du PCI semblent toujours se revendiquer de ce "monolithisme" conduisant à exclure les "dissidents". C'est bien ce dont témoigne ce passage de l'article que Le Prolétaire a publié récemment, "En mémoire de Suzanne Voute" :
"Marginalisée dans le Parti, Suzanne cessa dès lors sa participation à la presse et aux organes centraux. De plus en plus réticente à l'activité qui était menée, elle bascula dans l'opposition ouverte à la fin des années soixante dix, quand commencèrent à se manifester les premiers signes d'une nouvelle crise politique, en accusant le Parti d'être tombé dans l'activisme et la direction de se faire l'agent d'influences opportunistes. Les divergences étaient telles qu'elles poussèrent Suzanne et les camarades qui la suivaient à constituer une sorte de groupe fractionniste à l'intérieur du Parti. L'impossibilité du travail en commun et la volonté de sa part et des militants qui partageaient ses orientations de ne pas quitter l'organisation en dépit de la rupture politique advenue dans les faits, conduisirent à la décision de les exclure en 1981." (Le Prolétaire n° 461, mars-avril 2002). Nous voulons relever ici que, aux dires même du Prolétaire, l'exclusion de Suzanne Voute était basée sur le fait qu'elle exprimait des désaccords avec l'orientation du PCI à cette époque et non sur ses comportements au sein de l'organisation. Le Prolétaire pourrait d'ailleurs nous dire si Suzanne, par exemple, racontait dans les couloirs ou à l'extérieur que tel militant du PCI était un "flic", etc. Pour ce qui concerne le CCI, les seules exclusions qu'il ait prononcées faisaient suite à la mise en évidence de "comportements indignes d'un militant communiste" (Chénier en 1981, Simon en 1995, Jonas au début 2002). Pour ce qui concerne l'exclusion de Jonas, la seule que nous ayons prononcée dernièrement (puisque, contrairement à ce qu'ils racontent, les autres membres de la "fraction" n'ont pas été exclus), le critère retenu n'avait rien à voir avec des "divergences politiques" qu'il n'a d'ailleurs jamais exprimées, mais sur le fait, comme c'est dit plus haut, qu'il avait "adopté des comportements dignes de ceux d'un agent provocateur".

[8] [36] Il faut mesurer la gravité d'une telle accusation contre des militants communistes, surtout après les campagnes orchestrées par la bourgeoisie assimilant la Gauche communiste qui a refusé de marcher dans l'antifascisme au cours de la seconde guerre mondiale aux écoles "révisionnistes" qui remettent en cause l'extermination des juifs par les nazis et alimentent la propagande de l'extrême droite. Lorsque le PCI avait subi, il y a quelques années, une attaque sur ce thème (du fait qu'il avait publié l'excellente brochure "Auschwitz ou le grand alibi"), nous lui avions apporté, évidemment, notre pleine solidarité.

[9] [37] A Toulouse, depuis l'explosion de l'AZF l'an dernier, il est extrêmement difficile de trouver des salles de réunion.

[10] [38] Ainsi, lors de la fête de Lutte Ouvrière du printemps 2000, un de nos militants, Juan, aujourd'hui membre éminent de la "fraction", s'était montré très agressif (et de plus publiquement sous les yeux des militants de LO qui assistaient au "spectacle"), envers un vieux camarade qui voulait quitter notre organisation avec la perspective d'intégrer le BIPR. Nous lui avions demandé de se calmer et par la suite nous avons fait la critique de son comportement inadmissible. En même temps, nous avions fait nos excuses au camarade qui avait été rudoyé et qui estimait que le comportement agressif de Juan traduisait un certain "sectarisme" de notre part envers le BIPR. C'est d'ailleurs le même Juan qui s'est jeté rageusement sur l'un de nos camarades et lui a donné un coup de pied lorsqu'une délégation du CCI s'est présentée chez un membre de la "fraction" pour faire l'inventaire des documents appartenant au CCI qui étaient entreposés chez lui. Cette agression physique envers notre militant a fait suite à une provocation de Jonas. En effet, alors qu'il n'avait pas à participer à cet inventaire, Jonas était présent (à notre grande surprise !) et prenait ostensiblement des notes de la discussion entre nos camarades et les membres de la FICCI. C'est après que l'un de nos camarades ait pris des mains de Jonas (sans même effleurer celui-ci) le bout de papier sur lequel il écrivait que Juan s'est violemment jeté sur notre militant.

[11] [39] A l'appui de cette hypothèse, il y a notamment son obsession, sans le début d'une preuve, sur le prétendu "antisémitisme" de certains de nos militants et les insultes grossières qu'il adresse à nos militants et sympathisants.

[12] [40] D'ailleurs, comme par hasard, c'est après la publication de cet article du Prolétaire, que Jonas est enfin sorti de l'ombre, comme en témoigne le fait qu'il a trouvé l'audace de signer une "contribution" (sur les élections en Allemagne) publiée sur le site Internet de la FICCI (alors que pendant les trois décennies qu'il a passées dans le CCI, il n'a JAMAIS fait la moindre contribution écrite aux débats). Convaincu qu'il a maintenant des "alliés" parmi les groupes de la Gauche communiste, l'éminence grise de la FICCI peut désormais se donner une respectabilité en faisant sa première apparition "publique" à travers cet article (même s'il reste confortablement installé dans ses pantoufles et préfère envoyer ses amis de la FICCI aux permanences du PCI). Pour notre part, nous continuons à exiger que Jonas fasse appel à un Jury d'honneur. Tant qu'un tel jury n'aura pas statué sur son cas, nous estimons que cet individu n'a aucun droit de cité dans le milieu politique prolétarien.

[13] [41] Qui était son journal en Italie avant la scission entre Il Comunista et Programma.

 

Vie du CCI: 

  • Défense de l'organisation [42]

Courants politiques: 

  • Bordiguisme [43]

Crise économique - Le troc est-il un remède à la misère capitaliste ?

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La presse s'est récemment fait l'écho de prétendus bouleversements du système de l'échange, en particulier en Argentine où pendant des mois il n'était plus possible de retirer des pesos et plus généralement de l'argent dans les banques."En Argentine, le troc est devenu un moyen de survie face à la crise économique. Ils sont plus de 6 millions, près du quart de la population à s'y adonner et à participer ainsi à une véritable économie parallèle. Un essor exceptionnel qui accompagne celui du chômage et de la pauvreté." (Libération du 22 août 2002) D'après cet article,"il existe à présent 8 000 clubs (de troc) dans le pays. Le premier d'entre eux est né en 1995, dans la banlieue de Buenos Aires, à l'initiative d'une dizaine de personnes (...) La vitesse avec laquelle (cette expérience) se développe en Argentine est sans précédent." En quoi consiste ce "troc" ? "Pour faciliter les échanges, les membres peuvent échanger des biens contre des creditos, une monnaie officieuse qui se présente sous forme de coupons d'une à cinquante unités. On peut s'en servir pour acheter des biens ou se procurer des services, s'offrir des leçons d'anglais, des consultations de médecins ou d'avocats."
 

Le phénomène actuel n'est pas le véritable troc

Que signifie ce "retour au troc" ? Le troc direct peut-il exister dans la société actuelle ? Non, car le troc véritable ne correspond qu'à une forme ancestrale, à une forme primitive de la production et de l'échange. Marx soulignait que "le troc direct qui est la forme primitive de l'échange représente plutôt le début de la transformation des valeurs d'usage en marchandises que celle des marchandises en argent. C'est seulement lorsqu'elles dépassent la quantité exigée pour la consommation que les valeurs d'usage deviennent des moyens d'échange(...) ; l'extension progressive du troc, la multiplication des échanges et la diversification des marchandises échangées font évoluer la marchandise vers la valeur d'échange, poussent à la création de la monnaie et exercent par-là une action dissolvante sur le troc direct." (Critique de l'Economie politique, Editions La Pléiade, Œuvres économiques, vol 1, p.302)
Ces temps définitivement révolus correspondent historiquement à la première manifestation de la nécessité vitale pour les sociétés humaines de surmonter leur état de dépendance envers les forces de la nature, la pénurie conditionnant leur soumission aux lois de l'économie. Cette première étape vers la division du travail et vers l'apparition des sociétés de classes constituait déjà le début de la privation, de l'aliénation des produits du travail social. Marx écrivait :"L'échange ou le troc est l'acte social, l'acte générique, la communauté, le commerce social et l'intégration des hommes au sein de la propriété privée. C'est un rapport aliéné. C'est pourquoi il apparaît comme troc et il est à la vérité le contraire du rapport social." (Manuscrits de 1844, Economie et philosophie, Œuvres, Editions La Pléiade vol. 2, p. 25). Marx établit qu'il s'agit d'une première ébauche de la dépossession de l'homme de ses outils et de sa production matérielle :"de même que l'échange des produits de l'activité humaine apparaît comme troc ou trafic, de même l'intégration réciproque et l'échange de l'activité humaine apparaissent comme division du travail qui change l'homme en un être abstrait, en une machine-outil pour le réduire en un monstre physique et intellectuel." (Manuscrits de 1844, p. 27) C'est pourquoi il n'y a aucun idyllisme à avoir par rapport à cette phase nécessairement transitoire, produit d'un certain stade de la division du travail, qu'ont pu exprimer à un moment historiquement déterminé et irrémédiablement dépassé les communautés primitives.

La presse bourgeoise est d'ailleurs contrainte de reconnaître une telle partie de la réalité qui crève les yeux : "le mot 'troc' souvent employé, séduit par son côté archaïque évoquant l'achat direct d'une tranche de jambon contre une coupe de cheveu. (…) Mais il ne faut pas s'y tromper : le crédito, destiné à organiser ce troc à grande échelle est avant tout une monnaie, tout comme l'euro ou le dollar.(...) Plus de 200 millions de coupures de 'creditos' du réseau sont en circulation, soit 80 % des monnaies existant en Argentine (…) Monnaie privée, parallèle, alternative, l'image d'expériences de plus en plus nombreuses menées partout dans le monde depuis une quinzaine d'années, de Toulouse à l'Australie, en passant par l'Angleterre (…) Ainsi, en Angleterre, les LETS (local exchange trading systeme) se sont fortement développés dans les quartiers pauvres de Manchester ou Liverpool. (…) A chaque fois, le principe est le même : une communauté, plus ou moins étendue géographiquement, crée sa propre unité de compte pour échanger hors du circuit marchand classique, avec sa banque centrale, ses impôts et sa circulation monétaire. L'exemple le plus connu est celui des SEL (systèmes d'échange local), un modèle né à Vancouver, au Canada en 1983. En France, le premier est apparu en 1994. Aujourd'hui, le site Internet Selidaire en recense plus de 300 avec 25.000 membres."

Cependant, il n'en fallait pas plus pour qu'un certain nombre d'adeptes de la "lutte contre la mondialisation" se jettent sur ce "nouveau phénomène de société"en prônant cette forme d'échange qui permet "une certaine redistribution des richesses pour les plus démunis", semant ainsi un certain nombre de vieilles illusions sur la possibilité de transformer la répartition des richesses en agissant sur la monnaie. Ainsi, au Forum social mondial qui s'est tenu précisément à Buenos Aires le 22 août dernier (inspiré par les forums de Porto Alegre) et qui a accueilli plus de 400 ONG (dont Médecins du Monde, Greenpeace, Amnesty International) et 500 délégations étrangères issues du "mouvement citoyen" dont Attac, ce système a été présenté comme "un moyen de contester le système économique libéral", "un défi à la globalisation" et une "alternative possible au capitalisme". On nage là en pleine idéologie mensongère et mystificatrice.

La dénonciation marxiste des illusions sur la circulation monétaire et la distribution

Ainsi, dans une interview au journal Libération, un zélé propagandiste du modèle argentin du troc se targue d'avoir contribué à créer "une monnaie qui serve exclusivement à échanger et non pas à spéculer". Ces vantardises ne sont que des élucubrations qui ont été dénoncées et balayées il y a près d'un siècle et demi par Marx dès qu'il a amorcé l'étude du capital et la critique de l'économie politique.

Pour démontrer l'inanité de tels propos, il faut d'abord comprendre de quel processus est issue la monnaie en revenant à la démarche et à la méthode de Marx lui-même. “Un produit est d'abord le produit d'une activité humaine, d'un travail humain. Dès qu'il se présente sous la forme d'une marchandise à échanger contre une autre, il revêt une valeur d'échange. Et la valeur d'échange de cette marchandise est déterminée par la quantité de travail nécessaire pour la produire. Sa valeur est liée au temps de travail matérialisé, cristallisé en elle (y compris dans la fabrication de l'outil ou de la machine nécessaire à sa production). Marx ajoute que "la valeur d'échange de la marchandise, forme d'existence autonome à côté de la marchandise, c'est la monnaie (...) forme à laquelle se réduisent toutes les marchandises et se dissolvent : l'équivalent général"(Fondements de la Critique de l'Economie politique "Grundrisse", vol 1, p.129, Ed 10/18). Il est donc fondamental de rappeler que "le rapport selon lequel telle marchandise s'échange contre de l'argent, autrement dit, la somme d'argent nécessaire à l'échange d'une certaine quantité de marchandise, est déterminé par le temps de travail matérialisé en elle" (Ibid , p. 157). La monnaie représente ainsi deux choses : d'une part, elle est une marchandise comme une autre, d'autre part elle sert d'équivalent général dans l'échange, c'est-à-dire que la monnaie sert d'équivalent à la valeur du temps de travail contenu dans toute marchandise. De ce fait, la monnaie acquiert une valeur particulière, indépendante mais en même temps elle est étroitement liée aux autres marchandises et au temps de travail qu'elle matérialise. La monnaie constitue ainsi une base essentielle et indispensable du développement de l’échange, de l'achat, de la vente des biens et des services, bref du commerce marchand. Parce qu'elle a cette double dimension contradictoire, qu'elle est à la fois une marchandise qui peut être stockée et thésaurisée pour elle-même comme une autre marchandise et parce qu'elle constitue en même temps la mesure de l'échange, la monnaie devient rapidement un objet autonome de commerce (développement des prêts, de l'usure, des banques, du capital financier en général). La monnaie se trouve au cœur de l'échange : avoir plus de monnaie, c'est pouvoir acquérir davantage de marchandises, mais c'est aussi la base de l'accumulation du profit et de la réalisation de la plus-value à travers l'exploitation de la force de travail et le salariat. C'est pourquoi la monnaie est par excellence objet de spéculation.

Par conséquent, le projet d'une monnaie qui serve à échanger et non pas à spéculer est une pure fumisterie idéologique, de la vulgaire poudre aux yeux.

Une des conclusions et des conséquences de cette analyse marxiste, c'est que, du fait que "la valeur d'échange du produit crée donc l'argent à côté du produit, il est impossible d'abolir les implications et les contradictions résultant de l'existence de l'argent à côté des marchandises particulières, en modifiant simplement la forme de l'argent." (Grundrisse, p. 135)

Comme Marx écrivait dans les Grundrisse que "l'anatomie de l'homme donne la clé de l'anatomie du singe" (p. 67), on pourrait dire que la généralisation de la monnaie de singe, caractéristique des délires du marché capitaliste actuel en crise permanente (développement effréné des actions, de la Bourse, de la "nouvelle économie" et de ce qu'on peut appeler une "économie de casino") donne la clé du rôle spéculatif de la monnaie.

A l'époque Marx raillait impitoyablement un certain Darrimon et les proudhoniens qui imaginaient qu'il suffisait de prendre un autre équivalent général que l'or ou l'argent dans l'échange pour réguler le marché financier ou pour redistribuer les richesses[1] [44] : "Nous touchons ici à la question fondamentale : (...) en termes généraux, elle se pose ainsi : est-il possible de révolutionner les rapports de production et de distribution existants en transformant l'instrument et l'organisation de la circulation ? En outre, est-il possible de réaliser une telle transformation de la circulation sans toucher aux conditions de production établis et aux rapports sociaux qui en découlent ?" (Grundrisse p. 95). Et Marx établit qu'à partir du moment où l'homme est devenu marchandise en étant contraint de vendre sa force de travail, c'est-à-dire ce qui constitue la spécificité universelle de la société capitaliste entièrement vouée au profit, il existe "la possibilité d'échanger n'importe quel produit, activité et rapport contre autre chose qui peut s'échanger à son tour contre n'importe quoi, sans distinction aucune ; autrement dit, le développement de la valeur d'échange et des rapports monétaires correspond à une vénalité et une corruption générales. La prostitution générale -ou si l'on veut s'exprimer plus poliment : le principe général d'utilité- est une phase nécessaire de l'évolution générale des dispositions, facultés et capacités humaines" (Grundrisse, p. 164).
Marx démontrait alors que "tant qu'elle reste une forme de l'argent et tant que l'argent reste un rapport essentiel de la production, aucune de ces formes ne peut abolir les contradictions inhérentes au rapport monétaire lui-même : elle ne peut que les reproduire sous une forme ou sous une autre." (Grundrisse p. 56)

Non seulement, il n'est pas possible d'échapper aux lois générales du marché : "du fait que le produit du travail et le travail lui-même sont soumis à l'échange, (...) comme la monnaie s'introduit dans l'échange, je suis obligé d'échanger mon produit contre la valeur d'échange générale ou contre l'objet dont l'échangibilité est universelle, ainsi mon produit tombe sous la dépendance du commerce général et se trouve arraché à ses limites locales" (Grundrisse Trad. La Pléiade, vol. 2, p. 202) mais il est illusoire de croire qu'il suffit d'agir sur la monnaie, ou bien sa circulation ou encore qu'il suffit de changer d'équivalent général permettant l'échange, qu'on remette en cause l'or, l'argent, le dollar ou le peso, pour abolir ou réformer les rapports marchands, comme pour redistribuer les richesses sociales.

Une telle vision ne saurait être que totalement idéaliste parce que "pas plus que l'Etat, la monnaie n'est le fruit d'une convention, car elle surgit spontanément de l'échange dont elle est le produit" (Grundrisse, 10/18, p. 168). Et cette illusion rejoint la vision idéologique bourgeoise des économistes à laquelle Marx s'en prend dès son Introduction aux Grundrisse : "Les économistes prétendent que la production, par rapport à la distribution est soumise à des lois éternelles de la nature indépendantes de l'histoire : bonne occasion pour insinuer que les rapports bourgeois sont des lois naturelles et indestructibles de la société conçue in abstracto.Dans la distribution en revanche les hommes pourraient se permettre toutes sortes de fantaisies. C'est introduire une coupure brutale entre la production et la distribution et leur rapport réel (...) or, un produit ne devient réellement produit que dans la consommation qui crée à son tour, anime la production parce qu'elle crée le besoin d'une production nouvelle et que sans besoin, nulle production. C'est ainsi que la consommation représente un élément de la production."(p. 37)

En fait Marx explique que "la circulation proprement dite, ce n'est qu'un moment déterminé de l'échange, ou bien, c'est l'échange considéré dans son ensemble (...) mais il n'y a pas d'échange sans division du travail, l'échange privé implique la production privée et l'intensité comme l'extension de l'échange et sa structure sont déterminées par le développement et l'organisation de la production. La production englobe et détermine directement l'échange sous toutes ses formes."

La mystification idéologique actuelle

Aujourd'hui, le pseudo-troc qui nous est présenté comme un modèle par certains n'est que la caricature parfaitement réactionnaire d'un prétendu retour aux temps précapitalistes, cette "forme" est de fait parfaitement intégrée aux rapports capitalistes actuels avec l'illusion anarchisante de petites communautés fédéralistes fonctionnant en autarcie. D'ailleurs, les médias bourgeois sont bien obligés de reconnaître d'emblée que "ces monnaies ne sont pas à l'abri des faux-monnayeurs, comme c'est déjà le cas en Argentine, des détournements de fonds par les gestionnaires de l'unité de compte ou autres dérapages. "Dès que ce simili troc s'affirme, il se fond dans les lois du marché mondial qui signifie une adaptation résignée à une pauvreté généralisée."(En Argentine), des 'créditos' falsifiés se répandent dans les pays. Parfaitement imités, ils sont couramment acceptés dans les clubs. La confiance, clé du système, est ébranlée." Et la loi du profit capitaliste comme l'ensemble de ses mécanismes s'y illustrent de manière éclatante. Dans certains clubs de Buenos Aires, les prix flambent. D'un endroit à l'autre, le prix du litre d'huile peut varier de 15 à 1000 'creditos'.

De fait, la prétendue "nouvelle économie parallèle" n'est qu'une forme particulière du vulgaire "marché noir" qui prospère particulièrement en temps de guerre ou aux plus beaux jours des régimes staliniens, mais qui est un phénomène général, indissociable du capitalisme d'Etat, forme de domination universelle du capitalisme décadent. Aujourd'hui elle est un produit d'un système en crise permanente qui signifie que le développement des forces productives est en contradiction ouverte et permanente avec les rapports de production capitalistes depuis près d'un siècle. C'est non seulement une belle mystification mais un vrai révélateur de la faillite du capitalisme et de l'impossibilité de le réformer ou de l'aménager. Face à cette faillite, pour abolir la pauvreté et le chômage auxquels le capitalisme réduit une partie croissante de l'humanité, il est nécessaire de détruire de fond en comble ce système d'exploitation et d'anéantir le salariat et ses rapports de production. La classe ouvrière est la seule classe ayant la responsabilité historique et la capacité d'affirmer comme de réaliser cette perspective permettant la libération des forces productives accumulées au cours des siècles du carcan dans lequel les enferme le capitalisme décadent. De son émancipation dépendent le sort et l'émancipation de toute l'humanité. Son programme ne peut être que l'édification d'un nouveau type de société, le communisme, basé non sur le profit et l'exploitation mais sur la satisfaction des besoins de chacun au sein de la collectivité et permettant le plein épanouissement des ressources et des activités humaines.

Wim (23 octobre)

[1] [45] Si l'or a longtemps servi d'équivalent général de référence du fait de sa valeur comme métal, il est significatif que les Etats-Unis aient pu imposer le dollar comme valeur monétaire d'échange sur le commerce mondialisé lors des accords de Brettons Wood en 1972, concrétisant ainsi leur domination économique mais aussi impérialiste. De même, la reconnaissance générale du papier-monnaie, puis des chèques et aujourd'hui des cartes de crédit démontre que la forme de l'argent est tout à fait secondaire et ne change rien aux rapports de production capitalistes.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [46]

Questions théoriques: 

  • L'économie [47]

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