VERS LA RECESSION DE L'ECONOMIE MONDIALE
L'année 1985 va connaître une nouvelle accélération de la crise économique mondiale. Après la réélection de Reagan à la présidence des Etats-Unis à l'automne 1984, l'ampleur de la crise, qui était cachée par la "reprise américaine", réapparaît dans toute sa brutalité. La dissipation des effets des mesures employées pour cette "relance", qui n'ont eu d'impact que sur quelques indicateurs de l'économie capitaliste, essentiellement aux Etats-Unis, confirme les caractéristiques de la récession inéluctable des années 80, années que nous avons appelées, dès janvier 1980, les "années de vérité". "Mais qu'est-ce qui permet d'affirmer que la récession dans laquelle s'enfonce actuellement le capitalisme, sera la plus large, la plus longue et la plus profonde depuis la guerre ? Trois types de facteurs :
1) L'ampleur de la dégradation que connaît l'économie mondiale ;
2) L'inefficacité croissante des moyens dont se sert le capital pour relancer la croissance économique ;
3) L'impossibilité grandissante pour les Etats de continuer à recourir aux moyens de relance." ([1] [1])
LA FIN DE LA "REPRISE AMERICAINE"
Et en effet, la récession de 1980-82 a été la plus large, la plus longue et la plus profonde depuis la 2ème guerre mondiale, et la reprise de l'économie américaine de 1983-84, la moins efficace depuis l'ouverture de la crise mondiale, à la fin des années 60.
Aujourd'hui, les prévisions, qui étaient optimistes, sont révisées à la baisse : "Le département du commerce vient de faire connaître le chiffre relatif à la croissance du PIB au 3ème trimestre : 1,9 % contre les 2,7 % annoncés précédemment. C'est le taux le plus faible depuis le 4ème tri mestre 1982, date qui avait marqué la fin de la récession." (Libération, 22 nov. 84). La menace d'effondrement du système bancaire international, avec la faillite de la Continental Illinois (10ème banque américaine) et de 43 autres au cours des six premiers mois de 1984, a montré que, plus encore que par le passé, les artifices monétaires (endettement, fixation arbitraire du cours du dollar) n'ont aucune contrepartie dans le domaine de la production. Les "experts" remarquaient d'ail leurs dès le début, 1'"originalité" de cette "reprise" : l'absence de croissance significative des investissements productifs. Comme nous l'avions prévu : "Le mécanisme actuel de la 'reprise' aux Etats-Unis annonce un avenir catastrophique pour l'économie mondiale." ([2] [2]). Contrairement à la propagande de Reagan, le ralentissement de l'inflation n'a pas été le fruit des mesures "monétaristes", mais la conséquence de la récession, de l'engorgement du marché mondial. Ce dernier pousse chaque entreprise à baisser les prix sous peine d'élimination par la concurrence. Et aujourd'hui, à nouveau, la bombe à retardement de l'endettement énorme du monde capitaliste (dettes du Tiers-Monde et des pays industrialisés, déficits budgétaires) amène le retour du spectre de l'inflation, inflation qui est restée la règle dans les pays plus périphériques (1000 % en Israël par exemple). Aujourd'hui, la dette publique s'élève à 1500 mil liards de dollars aux Etats-Unis, 42 % du PNB, contre 25 % en 1979. 40 % des dollars ne sont que du papier, ce qui est pudiquement avoué par les "experts" comme une "surévaluation du dollar de 40 %". Le déficit budgétaire de l'Etat américain dépasse les 200 milliards de dollars
Le capitalisme essaie de tricher avec la loi de la valeur ; il ne fait que reporter chaque fois, à un niveau supérieur et plus explosif, les contradictions du système.
LA PAUPERISATION ABSOLUE DE LA CLASSE OUVRIERE
Un des éléments de la "reprise" économique a été l'attaque massive contre les salaires, justifiée au nom de la "sauvegarde de l'entreprise", "le maintien de l'emploi", la "solidarité nationale". En fait, freinage et blocage des salaires, limitations et suppressions du "salaire social" (santé, retraites, éducation, logement, allocations-chômage, etc.), ont accéléré brutalement, sans que le chômage ne diminue de manière significative, sauf aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Dans des pays comme la Belgique et la Hollande où l'attaque contre les salaires dans le secteur public a provoqué les premières grandes grèves de la remontée des luttes ouvrières à l'automne 1983, le taux de chômage s'est maintenu à plus de 15 %. Dans un pays comme la France, des chômeurs de plus en plus nombreux comme les jeunes ou les chômeurs "de longue durée", disparaissent purement et simplement des statistiques. Aux Etats-Unis, le chômage a diminué momentanément, mais la classe ouvrière a subi une des plus fortes baisses des salaires de son histoire, jusqu'à plus de 15 % comme aux automobiles Chrysler par exemple.
Les prévisions de licenciements comptent en dizaines de milliers les ouvriers jetés à la rue avec de moins en moins de ressources, dans les mines, la sidérurgie, les travaux publics, les chantiers navals, l'automobile, etc., et ceci de plus en plus simultanément dans différents pays. Dans des régions entières, qui dépendent d'une industrie dominante, ce sont toutes les activités qui sont menacées : en Espagne, en France, en Grande-Bretagne. Les "avantages", primes, congés, allocations diverses, sont supprimés, rognés, soumis à des conditions d'obtention plus restrictives. Les "soupes populaires", disparues depuis la 2ème guerre mondiale, font leur réapparition, dans des pays "riches" comme la France. Ce n'est pas seulement une paupérisation relative, c'est une paupérisation absolue qui s'abat sur la classe ouvrière dans tous les domaines de ses conditions de vie.
La "découverte" par la bourgeoisie, sa presse, ses organismes de "charité", du "quart-monde" ou des "nouveaux pauvres", dans les pays industrialisés, n'exprime pas des réticences morales ou humanitaires, mais l'inquiétude face aux réactions que risque de susciter l'aggravation de la misère. La paupérisation de la classe ouvrière et le chômage massif n'ont pas les mêmes conséquences que dans les pays sous-développés. En effet, les couches pauvres et marginalisées du Tiers-Monde constituent une masse énorme qui n'a pas été intégrée au rapport social capitaliste et au sein de laquelle le prolétariat n'est qu'une petite minorité. La conscience de la classe ne peut s'y développer en dehors de mouvements très puissants du prolétariat ; les mouvements sociaux y prennent la forme d'émeutes de la faim et de la misère, sans possibilité de dégager les buts et les moyens de lutte contre le capitalisme. Dans les pays développés, c'est directement le prolétariat qui est touché. C'est 10, 15, 20 % des ouvriers qui forment le prolétariat constitué, qui sont éjectés de tout moyen de subsistance. Ce sont les familles qui comptent un, puis deux, puis trois chômeurs. C'est le prolétariat comme un tout qui subit l'attaque.
Le chômage massif constitue, avec le développement de la combativité et de la conscience de la classe, un élément décisif de dépassement du cadre sectoriel et corporatiste, favorisant l'extension, la capacité du prolétariat à assumer le caractère social et non catégoriel de son combat. La réelle inquiétude de la bourgeoisie sur les "nouveaux pauvres", c'est le développement de la lutte de classe, et elle utilise ce thème pour renforcer une idéologie des "privilèges" et faire passer les appels à 1'"effort" et les taxes de "solidarité nationale".
Contre la montée du mécontentement ouvrier et les luttes, la bourgeoisie va poursuivre sa politique : austérité, multiplication des campagnes idéologiques de diversion, utilisation de plus en plus systématique de la répression ; et surtout, renforcement de ses fractions de gauche dans les rangs ouvriers, dans leur rôle d'"opposition", pour tenter de contenir et de dévoyer la colère que suscitent les mesures de crise.
L'INTENSIFICATION DES TENSIONS IMPERIALISTES
La seule "issue" que le capitalisme peut donner à sa crise, c'est la fuite en avant vers une tentative de repartage violent du marché mondial, dans la guerre entre les blocs impérialistes. C'est ce que traduit l'effort permanent d'armement auquel se livrent tous les pays, alors que les dépenses militaires constituent pourtant un facteur accélérateur de la crise ([3] [3]). C'est ce que manifeste la tension constante et accrue de l'affrontement Est-Ouest, en particulier dans les zones du monde qui servent de "théâtres d'opérations" : Moyen-Orient, Extrême-Orient. L'offensive américaine contre le bloc russe va se poursuivre. Le battage belliciste de l'administration Reagan, n'a été atténué que pour des raisons intérieures aux Etats-Unis : ne pas faire peur pour assurer la réélection des Républicains. Les manoeuvres diplomatico-militaires visent à dépouiller le bloc russe de tous les restes de son influence en dehors de son "glacis". Elles passent par une reprise en mains de l'Iran et des mises au pas au sein du bloc occidental.
Ces manoeuvres sont réapparues au premier plan de la "tension internationale" dès la fin 1984 : pression sur la France pour régler la situation Tchad-Lybie et voyage de Mitterrand en Syrie ; nouvelle orientation de "paix" d'Arafat, marquant la soumission accrue de l'OLP aux visées occidentales; assassinat d'I. Gandhi, qui est tombé à pic pour ancrer plus fermement l'Inde dans le bloc de l'Ouest.
Nous ne développons pas cette question dans le cadre de cet article. Tant que la bourgeoisie garde l'initiative historique, les tensions inter impérialistes vont s'exacerber. Si la guerre mondiale ne peut pas se généraliser, c'est pour une seule raison : la bourgeoisie n'est toujours pas parvenue à déboussoler la classe ouvrière, au point de la plier aux impératifs de défense de l'économie nationale dans chaque pays, à la discipline et à l'embrigadement idéologique qu'exige la menée de la guerre généralisée, qui si elle s'étendait, signerait la destruction de l'humanité.
L'ACCELERATION DE LA LUTTE DE CLASSE
Les perspectives que nous avions tracées dès le début des années 80 restent valables : la classe ouvrière a ouvert une période de l'histoire qui va mener à des affrontements, des luttes de classes décisives pour l'avenir de l'humanité. Ou le prolétariat est capable internationalement "de paralyser le bras meurtrier du capitalisme aux abois et ramasse ses forces pour son renversement, ou bien il se laisse piéger, fatiguer, démoraliser par ses discours et sa répression, et alors, la voie est ouverte à un nouvel holocauste qui risque d'anéantir la société humaine." ([4] [4]). Depuis 1980, la bourgeoisie a infligé une défaite partielle à la vague de luttes du prolétariat mondial de 1978-81. Elle a annihilé la résistance ouvrière en Europe occidentale par le passage de la gauche capitaliste dans l'opposition, dans la plupart des pays hautement industrialisés. Cette défaite a été sanctionnée par l'isolement du prolétariat en Pologne et l'instauration de l'"Etat de guerre" en décembre 1981. Après cette défaite, la question posée était donc celle de la capacité du prolétariat mondial de poursuivre, dans les pays industrialisés occidentaux, ce que la classe ouvrière n'avait pas pu atteindre en Pologne -."Les ouvriers polonais ne pouvaient que poser objectivement le problème de la généralisation internationale. Seul, le prolétariat des autres pays industrialisés, en particulier en Europe occidentale, pourra y apporter une réponse pratique." ([5] [5]). C'est cette réponse qui a commencé a se manifester dans la situation présente, avec le regain depuis moins de deux ans, des luttes ouvrières dans les pays de l'Ouest, après un repli en 1982-83.
Depuis l'automne 1983, grèves et mouvements de la classe ouvrière se sont multipliés dans le monde entier : des Etats-Unis à l'Inde, du Pérou à l'Afrique du Sud. Nous ne rappellerons ici que les mouvements les plus significatifs contre les licenciements et l'attaque des salaires en Europe de l'Ouest : Belgique, Hollande, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Espagne. Les grèves ont touché des secteurs vitaux de l'industrie : respectivement, en ne citant également que les plus importants : en Belgique, le secteur public, les mines; en Hollande, le secteur public, les docks de Rotterdam (le plus grand port du monde) ; en Allemagne, les chantiers navals, l'imprimerie, la métallurgie ; en Grande-Bretagne, les mines, les docks, l'automobile ; en France, contre la gauche au gouvernement, l'automobile, la sidérurgie, les mines; et en Espagne, la sidérurgie, les chantiers navals. Ces grèves, auxquelles s'ajoutent une kyrielle de grèves et de manifestations, dans ces mêmes pays, dans d'autres pays et dans d'autres secteurs industriels, se poursuivent et vont s'accélérer ([6] [6]). Elles constituent le début d'une troisième vague internationale de luttes ouvrières, après celles de 1968-75 et 1978-81. La période est ouverte au cours de laquelle va se poser la question de la capacité du prolétariat à passer de la résistance contre l'austérité, à la généralisation internationale de son combat contre le capitalisme.
La reprise des luttes a surgi d'une maturation de la conscience de la classe. Elle manifeste la perte des illusions sur la possibilité de sortir de la crise, et la prise de conscience de la nécessité d'engager la lutte ouverte contre les attaques du capitalisme : les luttes reprennent malgré le battage sur la "reprise économique" et les appels à la "solidarité pour l'économie nationale". Dans cette remontée des luttes se manifeste un dégagement lent et tâtonnant de l'emprise des manoeuvres de la gauche, et de ses appendices syndicalistes et gauchistes : après deux années de reflux jusqu'à des niveaux les plus bas, jamais atteints depuis des décennies parfois (Grande-Bretagne en 1982), ces manoeuvres ne suffisent plus à empêcher l'éclatement des grèves. Les fractions de gauche doivent encore plus directement tenter de contenir le mécontentement sur le terrain de la classe ouvrière. Cette orientation accentuée a été illustrée en particulier par le retour du PC dans l'opposition en France et les soins apportés à la réélection de Reagan. Tout a été mis en oeuvre pour éviter tout accident électoral aux Etats-Unis, d'une part pour assurer aux Etats-Unis mêmes la présence du Parti Démocrate, et donc des syndicats dans l'opposition, et d'autre part et surtout, parce qu'en tant que chef de file du bloc, la politique américaine doit impulser et donner l'exemple pour tous les pays, et donc en particulier dans l'orientation des manoeuvres sur le terrain social, contre la classe ouvrière.
LA SIMULTANEITE INTERNATIONALE DES LUTTES OUVRIERES, PREMIER PAS DE LA GENERALISATION
La simultanéité grandissante des grèves constitue un premier pas montrant l'étendue de la riposte internationale du prolétariat. C'est une situation de simultanéité d'ores et déjà la plus importante qu'à tout autre moment de l'histoire du mouvement ouvrier, même si on la compare aux années 1917-23 de la vague révolutionnaire. Elle contribue à mettre au grand jour l'unité profonde des nécessités et des besoins de la lutte de classe, malgré les efforts de black-out, les campagnes de diversion, le travestissement des événements sous des "particularités nationales" ("problème basque" en Espagne face aux mouvements des chantiers navals) ou "sectorielles" ("problème des mines"1 en Grande-Bretagne). Elle est un creuset où, au cours d'une même période, avec de moins en moins de décalage dans le temps, des dizaines de milliers d'ouvriers font des expériences analogues, se confrontent à des obstacles similaires, accélérant les possibilités de dégager des lignes d'action générales pour toute la classe ouvrière.
La force de la classe ouvrière réside dès à présent dans le fait, qu'en multipliant les grèves, elle fait obstacle à la planification et la concertation internationales de la bourgeoisie, dans des moments de lutte ouverte de plus en plus fréquents, imposant des reports et aménagements des mesures de licenciements, contre la "logique" des nécessités capitalistes. Dans la sidérurgie européenne, par exemple, ce sont dès 1982 plus de 100000 licenciements qui sont nécessaires à 1'"assainissement" de l'appareil productif ; si la bourgeoisie n'est pas encore parvenue pleinement à ses fins, c'est à cause du danger que représentent des mouvements prévisibles dans les unités rapprochées de la sidérurgie en France, en Belgique, en Hollande, en Allemagne, des secteurs qui ont plusieurs fois montré leur "indiscipline". Et lors des grèves en Belgique, les ouvriers parlaient d'aller à Longwy en France.
La simultanéité des grèves ébauche la réponse politique internationale du prolétariat. Celui-ci, dans la période de décadence du capitalisme et en particulier avec la crise ouverte, se trouve face à " une unité et une solidarité bien plus grande qu'auparavant entre les capitalistes. Ceux-ci ont créé des organisations spécifiques afin de ne plus affronter individuellement la classe ouvrière"([7] [7]). Le déroulement de grèves et de mouvements de la classe ouvrière, d'un secteur à l'autre, d'un pays à l'autre, entrave les velléités de la bourgeoisie de la démobiliser et de la défaire paquet par paquet, usine après usine, secteur après secteur. La simultanéité des grèves ouvrières, au milieu de ces années 80 que nous avons appelées les "années de vérité", exprime une prise de conscience de la classe de ses intérêts et constitue un pas vers la capacité d'unfier son combat internationalement.
Cette "analyse est optimiste", "le CCI voit la révolution partout", "le CCI surestime la lutte de classe" disent beaucoup de groupes et organisations politiques. Le scepticisme règne encore dans le milieu révolutionnaire ([8] [8]). Ce scepticisme sur l'évaluation de la lutte de classe part du constat des faiblesses de la vague actuelle de luttes, et se base sur les faits suivants, pris ensemble ou séparément :
- les luttes ouvrières restent encadrées par les appareils politiques de gauche et les syndicats ;
- elles restent sur des revendications économiques sans se dégager significativement du corporatisme; il n'y a pas de "saut qualitatif" dans l'évolution des grèves ;
- la classe ouvrière n'a pas constitué ses propres organisations autonomes (comités de grève, comités de coordination, etc.) ;
- il n'y a pas de parti, d'organisation politique influençant et orientant le mouvement des luttes dans un sens révolutionnaire.
Si ces faiblesses sont toutes bien réelles, en rester à ce simple constat est pourtant faux. C'est prendre le début d'un mouvement pour son plein essor, c'est oublier le contexte international du développement de la lutte de classe, sa dimension historique qui requiert la prise de conscience de l'ensemble de la classe ouvrière et sa capacité à forger un véritable parti révolutionnaire mondial. Vouloir la révolution ou même la grève de masse tout de suite, c'est faire preuve d'une vision immédiatiste et étriquée, typique de l'impatience de la petite bourgeoisie "radicale", c'est dédaigner et s'interdire de reconnaître les véritables avancées et potentialités de la situation présente. "En prenant chaque lutte en soi, en 1'examinant de manière statique, photographique, on s'ôte toute possibilité d'appréhender la signification des luttes, et, en particulier, de la reprise actuelle de la lutte de classe." ([9] [9]). C'est ce qui se manifeste dans les critiques de notre "optimisme", notre "surestimation" des luttes, ou de 1'"abstraction" de notre intervention qui, dès à présent, défend l'extension de la lutte. C'était souvent un même scepticisme, mais à l'époque dans l'autre sens, qui régnait face aux positions du CCI sur le recul de la lutte de classe de 1982-83. Le CCI était alors taxé de "défaitisme", d'avoir une conception d'une bourgeoisie "toute-puissante", parce que nous défendions que le prolétariat avait été déboussolé par la capacité de la bourgeoisie de manoeuvrer internationalement contre la lutte de classe. C'est avec retard que les minorités révolutionnaires ont compris le recul, c'est avec retard qu'elles commencent timidement à reconnaître la vague actuelle de la lutte après plus d'un an de grèves dans toute l'Europe. Le prolétariat est sorti d'une période de déboussolement, mais les groupes révolutionnaires montrent une difficulté profonde à comprendre "ce qui se déroule sous nos yeux", où en est la lutte et où elle va.
Le prolétariat est aujourd'hui encore loin de la révolution ; il n'est pas encore passé à l'offensive qui suppose la généralisation internationale des luttes. Les grèves sont des luttes de défense contre les attaques du capitalisme. Mais, par les conditions historiques objectives et subjectives de notre époque, les caractéristiques des luttes actuelles marquent le début d'un processus qui aura une énorme portée historique.
"Dans les pays avancés d'Europe de l'Ouest, le prolétariat ne pourra déployer pleinement la grève de masse qu'à l'issue de toute une série de combats, d'explosions violentes, d’avancées et de reculs, au cours desquels il démasquera progressivement tous les mensonges de la gauche dans 1'opposition, du syndicalisme, et du syndicalisme de base." ([10] [10]). C'est dans cette "série de combats" qu'est engagée la classe ouvrière. En reprenant la lutte, elle étend et approfondit la conscience de l'unité des problèmes auxquels elle est confrontée et de la force qu'elle constitue dans la société. Quelle solidarité ? Comment lutter ? Quelles actions entreprendre et qu'opposer aux "actions" stériles des syndicats ? Que répondre aux discours sur la "défense de l'entreprise" ? Comment affronter la répression ? Toutes ces questions, posées en pratique dans toutes les luttes présentes, affaiblissent le carcan des "spécificités" qui cache l'unité, renforcent la conscience déjà présente que le capitalisme n'a rien à offrir que la misère et la mitraille, que seule la lutte peut entraver puis mettre fin à l'exploitation. C'est sa conscience communiste que la classe ouvrière se réapproprie et étend en poursuivant ses luttes.
Le pas que constitue la reprise ouvrière ne se situe pas dans la forme de chaque lutte, dans une grève "exemplaire" ici ou là, mais dans son contenu politique sous-jacent qui va au delà d'un constat événementiel de l'encadrement qui pèse sur la classe ouvrière. Ce contenu politique, c'est la simultanéité internationale des grèves qui en est l'expression actuelle la plus avancée.
Que le prolétariat parvienne à démystifier la "démocratie" de l'Ouest, et c'est tout un pan de la domination idéologique de la bourgeoisie qui s'écroulera pour toute la classe ouvrière mondiale. C'est cette voie dans laquelle sont engagées les luttes actuelles. Simultanément, la "démocratie" jette son masque et montre son vrai visage, aussi bien dans la "jeune" démocratie espagnole, où les affrontements avec les forces de l'ordre sont quotidiens dans la grève des chantiers navals, que dans la plus "vieille" démocratie, la Grande-Bretagne, où les ouvriers se battent avec la "police la plus démocratique du monde".
La reprise actuelle trace les contours, forge la pré condition indispensable, de la généralisation internationale des luttes ouvrières. Ce qui va de plus en plus être le catalyseur de la simultanéité vers une généralisation, est déjà contenu dans les luttes actuelles : la tendance à l'extension au delà des secteurs et des barrières catégorielles. Au cours de l'année 1984, c'est la situation de la lutte de classe en Grande-Bretagne qui a illustré le plus clairement cette tendance.
SOLIDARITE ET EXTENSION, UN EXEMPLE : LES GREVES EN GRANDE-BRETAGNE
C'est en Grande-Bretagne que la classe ouvrière est allée le plus loin depuis le mouvement de Pologne en 1980-81. Dans ses forces et dans ses faiblesses, ce mouvement y confirme plusieurs caractéristiques de la période actuelle.
La durée d'une grève, dans un secteur, comme l'a montré la grève des mineurs, n'est pas la force principale pour la lutte, dans des conditions de relatif isolement géographique (bassins miniers) et économique (le charbon est "un secteur en déclin). L'effort pour faire durer la grève, expression au départ de la détermination des mineurs, a été utilisé par l'encadrement syndical pour maintenir l'isolement et le corporatisme, entre autres par les aspects "administratifs" d'une telle grève (paiements et collectes), pour entretenir l'esprit de métier. La bourgeoisie a déployé une pression idéologique contre laquelle ce n'est pas la durée dans l'isolement qui peuvent résister, d'autant plus dans un secteur "sacrifié" : déclarations sur les "services rendus" par les mineurs pendant la 2ème guerre mondiale à la patrie ; image entretenue par le NUM, syndicat des mineurs, d'une sorte de bataillon "héroïque" et "jusqu'auboutisme", etc.
La force de la grève vient de la situation générale d'ébullition de la classe ouvrière dans beaucoup d'autres secteurs et internationalement, et des poussées vers la solidarité et l'extension dans cette situation générale.
La grève des mineurs a ouvert une voie en montrant la détermination à rejeter la logique économique capitaliste des "secteurs non rentables". Elle a contribué à faire tomber le mythe du "pacifisme" et du "fair-play" dans les conflits sociaux "à la britannique". Mais c'est surtout dans les tendances à l'extension que les événements en Grande-Bretagne sont un exemple pour toute la classe ouvrière. Ce sont plus les syndicats que les ouvriers qui ont poussé à la durée, pour écarter ce danger.
Dès le début de la grève des mineurs, la question de la solidarité s'est posée, vis-à-vis des sidérurgistes. Les syndicats ont insisté sur l’"erreur commise" par les mineurs lors de la grève des sidérurgistes en 1980, pour faire renonce à cette idée, 1'"erreur" étant qu'en 1980 les mineurs ne s'étaient pas solidarisés avec les sidérurgistes. Ils ont alors fixé l'attention uniquement sur l'extension dans le même secteur, comme condition première à toute extension, mettant tout en oeuvre pour qu'elle n'ait pas lieu avec l'aide des barrages de police entre grévistes et non grévistes, pour éviter les contacts directs.
La grève a été isolée. C'est le surgissement spontané des grèves des dockers, une première fois en juillet 84, une deuxième fois en septembre, montrant une solidarité explicite avec les mineurs, qui a reposé la question de l'extension. Que les dockers se joignent aux mineurs n'a pas été possible, mais la tendance s'est clairement exprimée et elle a ainsi commencé à briser l'idéologie de "la" grève des mineurs, en ouvrant un second front de résistance, ce qui a constitué un encouragement à la poursuite des luttes. La bourgeoisie a dénoncé la grève. Droite et gauche se sont partagé le travail, la droite dénonçant le caractère "politique" de la grève, la gauche s'en défendant de toutes ses forces pour maintenir les préoccupations des ouvriers sur le terrain corporatiste de l'économie capitaliste. C'est une illustration classique du rôle de la gauche dans l'opposition : la droite parle clair et dit la vérité, la gauche dit le contraire. Le prolétariat qui a des illusions sur le caractère "ouvrier" de la gauche se laisse prendre à ce jeu, et cela exprime une des faiblesses majeures actuelles : la difficulté pour le prolétariat à assumer le caractère politique de sa lutte, la compréhension que c'est l'Etat capitaliste tout entier qui doit être combattu. Tout comme dans les mines, le poids du corporatisme dans les docks, qui est également un vieux secteur, l'a emporté momentanément. La poussée de solidarité a été enrayée, malgré plus de difficultés pour la .bourgeoisie : après la deuxième grève, des mouvements se sont poursuivis dans le docks, à Londres, à Southampton, montrant que le découragement ne l'a pas emporté.
Les grèves dans l'industrie automobile, début novembre 1984, ont porté la situation à un niveau plus large pour le prolétariat et plus dangereux pour la bourgeoisie.
"Si les luttes dans le secteur automobile en Grande-Bretagne, simultanément avec les mineurs et d'autres luttes, n'ont pas soulevé, de manière explicite, la question de la solidarité au sein de la classe dans son ensemble, elles ont néanmoins représenté une accélération plus forte dans l'évolution de la lutte comme un tout, parce que :
- elles ont impliqué des ouvriers au coeur du capital national : un ouvrier sur dix en Grande-Bretagne est employé dans l'automobile ou des secteurs qui en dépendent ;
- elles ont impliqué des ouvriers qui se trouvent physiquement dans ou près des grandes villes, en contact régulier avec les ouvriers des autres secteurs, ni géographiquement ou physiquement isolés comme les mineurs ;
- elles ont eu à surmonter toute une gamme de manipulations pour lancer la lutte, et à faire face à toute la chaîne des mystifications syndicalistes de base, au contraire des mineurs qui, contrairement à la règle, ont fait face à l'appareil syndical dont la rhétorique la plus radicale est généralement venue du "sommet" ;
- elles ont du dépasser une multiplicité de divisions rigides (au moins dix syndicats encadrent les ouvriers à Austin-Rover par exemple), alors que les mineurs, en général, appartiennent tous à un même syndicat ;
- elles ont démontré une solidarité, non pas embrouillée par les mystifications syndicales (telles que les boycotts des transports, etc.), mais de la nécessité de lutter, de faire grève contre les attaques actuelles, pour tenter de renverser le rapport de forces avec la bourgeoisie ;
- elles ont démontré que la lutte pour maintenir le niveau de vie sur le plan des salaires et la lutte contre les licenciements (mineurs), sont une même lutte, face au même ennemi de classe, ses syndicats et sa police ;
- elles ont démontré, comme la lutte des mineurs l'a montré, les limites d'une lutte défensive au travers de l'échec à parvenir à leurs fins, posant ainsi la question d'un niveau plus haut, plus unifié de lutte.
Dans ce sens, les luttes dans l'industrie automobile, luttes explosives courtes, impliquant des secteurs-clés de la classe en grand nombre, contre l'appareil syndical expérimenté, simultanément avec des luttes dans d'autres industries et d'autres pays, sont typiques des luttes dans cette période de capitalisme décadent." (Communiqué de World Révolution, 30 nov.84).
Face à la grève dans l'automobile, la bourgeoisie a immédiatement cédé quelques miettes dans certaines usines (Jaguar par exemple) pour casser l'unité ; elle a redoublé de battage sur la "reprise du travail" dans les mines ; elle a renforcé la répression (plus de 2000 arrestations, plusieurs centaines de blessés, 3 morts, depuis le début de la grève des mineurs). Elle a monté une campagne avec l'attentat de l'IRA à Brighton où un ministre a été blessé, pour faire le parallèle entre la violence des ouvriers et le terrorisme manipulé, pour appeler à la défense de la "démocratie". Elle a multiplié les "révélations" sur les liens Khadafi-Scargill (leader du NUM) et sur les liens URSS-NUM, pour faire passer la classe ouvrière pour une masse "manipulée par l'étranger", etc.
Si les luttes ne convainquent pas certains "révolutionnaires", la bourgeoisie est convaincue du danger que représente pour elle la solidarité active des ouvriers qui se profile dans les tendances à l'extension et la simultanéité des luttes, et ceci internationalement, et même par delà les antagonismes entre les blocs : "La lutte des mineurs en Grande-Bretagne a gagné la sympathie et la solidarité des ouvriers du ronde entier. La bourgeoisie essaie de répondre en torpillant la conscience :
- en France, l'idée que les ouvriers doivent montrer la solidarité par le biais des collectes syndicales et l'envoi de denrées ;
- en Belgique, les tournées de bureaucrates syndicaux qui veulent réduire la solidarité à une attente passive des réunions syndicales, dont le point culminant est... les collectes ;
- en URSS, l'organisation par l'Etat de vacances payées pour les mineurs anglais, et qu'il utilise pour sa propagande." (Ibid.).
1984 ne restera pas dans l'histoire comme le cauchemar imaginé par le romancier britannique Orwell, qui voyait le monde soumis à un "Big Brother" tout puissant. Au contraire, le prolétariat en Europe, en Grande-Bretagne et en Espagne surtout à la fin 1984et dans les autres pays, a accéléré sa réponse, en se dégageant de l'emprise du totalitarisme démocratique, qui partout licencie et réprime, sous la pression de la crise qui ne fait que s'intensifier. Le "bras de fer" des mineurs avec la "dame de fer" laisse la place à un "bras de fer" beaucoup plus général de la classe ouvrière contre le capital. En Europe, c'est dans les grandes villes qui n'ont pas encore été au coeur des luttes, que va se poursuivre, s'étendre et s'approfondir le mouvement du prolétariat.
MG. 6/12/84.
[1] [11] Revue Internationale n.20, 1er trimestre 1975, "Années 80 : l'accélération de la crise".
[2] [12] Revue Internationale n.37, 2ème trimestre 1984, "Le mythe de la reprise économique".
[3] [13] Lire "Le poids des dépenses militaires", Revue Internationale n.36, 1er trimestre 1984.
[4] [14] Revue Internationale n.20, 1er trimestre 1980, "Années 80, années de vérité".
[5] [15] Revue Internationale n.33, 2ème trimestre 1983, "Vers la fin du repli de 1'après-Pologne".
[6] [16] Nous ne pouvons pas donner, dans le cadre de cet article, un compte-rendu détaillé des événements. Le lecteur peut se reporter aux articles parus dans les numéros 37, 38 et 39 de la Revue Internationale et également à la presse territoriale qui essaie, autant que possible, contre le black-out de la bourgeoisie, de rendre compte des luttes. Les lecteurs sont également invités à nous faire parvenir des informations sur les luttes.
[7] [17] Revue Internationale n.23, 4ème trim. 1980, "La lutte prolétarienne dans la décadence du capitalisme".
[8] [18] Nous ne parlons pas ici des groupes gauchistes et syndicalistes dont la problématique, quel que soit le langage "ouvrier" employé, vise à 1'encadrement du prolétariat et ne se situe pas dans le camp ouvrier.
[9] [19] Revue Internationale n.39, 4ème trim. 1984, "Quelle méthode pour comprendre la reprise des luttes ouvrières".
[10] [20] Revue Internationale n.35, 4ème trim.1983, "Résolution sur la situation internationale au 5ème Congrès du CCI".
Le Courant Communiste International a dix ans. C'est en effet en janvier 1975 que s'est constituée formellement notre organisation internationale. Cette expérience d'une décennie d' existence appartient à la classe ouvrière mondiale dont le CCI, comme toutes les organisations révolutionnaires, est une partie, un facteur actif en son sein dans sa lutte historique vers son émancipation. C'est en ce sens qu'à l'occasion du 10ième anniversaire de la fondation de notre organisation nous nous proposons de tirer, pour l'ensemble de notre classe, un certain nombre d'enseignements de notre expérience parmi ceux qui nous paraissent les plus importants et notamment ceux qui apportent des réponses à la question : comment construire une organisation révolutionnaire, comment préparer la constitution du parti communiste mondial de demain qui sera un instrument indispensable de la révolution prolétarienne ?
Mais avant que de pouvoir répondre à ces questions, il est nécessaire de faire un très court historique de notre organisation et notamment de la période qui précède sa constitution formelle dans la mesure où c'est au cours de cette période qu'ont été jetées les bases de ce qui allait être 1'ensemble de notre activité.
UNE COURTE HISTOIRE DE NOTRE COURANT.
La première expression organisée de notre courant a surgi au Venezuela en 1964. Elle consistait en un petit noyau d'éléments très jeunes qui ont commencé à évoluer vers des positions de classe à travers des discussions avec un camarade plus âgé ayant derrière lui toute une expérience militante au sein de l'Internationale Communiste, dans les fractions de gauche qui en avaient été exclues à la fin des années 20, et notamment dans la Fraction de gauche du Parti Communiste d'Italie ([1] [23]), et qui avait fait partie de la "Gauche Communiste de France" jusqu'à sa dissolution en 1952. D'emblée donc, ce petit groupe du Venezuela - qui, entre 1964 et 1968, a publié une dizaine de numéros de la revue Internacionalismo - s'est situé en continuité politique avec les positions qui avaient été celles de la Gauche Communiste et notamment de la GCF. Cela s'est particulièrement exprimé par un rejet très net de toute politique de soutien aux prétendues "luttes de libération nationale" dont le mythe, dans ce pays d'Amérique latine, pesait très lourdement sur les éléments qui essayaient de s'approcher vers les positions de classe. Cela s'est exprimé également par une attitude d'ouverture et de contact vers les autres groupes communistes, attitude qui avait déjà caractérisé la Gauche Communiste Internationale avant la 2de Guerre Mondiale et la GCF après celle-ci.
C'est ainsi que le groupe "Internacionalismo" a établi ou tenté d'établir des contacts et des discussions avec le groupe américain "News and Letters" ([2] [24]) (au congrès duquel, en 1965, il envoie trois représentants et soumet des thèses sur la "libération nationale") et, en Europe, avec toute une série de groupes se situant sur des positions de classe comme le "Fomento Obrero Révolueionario" (Espagne), le "Partito Comunista Internazionalis-ta"-"Battaglia Comunista", le PCI-"Programma Comunista", le "Groupe de liaison pour l'Action des Travailleurs", "Informations et Correspondances Ouvrières", "Pouvoir Ouvrier" (France) ainsi qu'avec des éléments de la gauche hollandaise au Pays-Bas.
Avec le départ de plusieurs de ses éléments vers la France en 67 et 68, ce groupe a interrompu pendant plusieurs années sa publication avant de reprendre Internacionalismo (Nouvelle Série) en 74 et d'être une partie constitutive du CCI en 75. La deuxième expression organisée de notre courant est apparue en France sur la lancée de la grève générale de mai 68 qui marque le ressurgissement historique du prolétariat mondial après plus de 40 ans de contre-révolution. Un petit noyau se forme à Toulouse autour d'un militant d'"Internacionalismo", noyau qui participe activement dans les discussions animées du printemps 68, adopte une "déclaration de principes" ([3] [25]) en juin et publie le premier numéro de la revue Révolution Internationale à la fin de la même année. Immédiatement, ce groupe reprend la politique d'"Internacionalismo" de recherche des contacts et discussions avec les autres groupes du milieu prolétarien tant au niveau national qu'international. Il participe ainsi aux conférences nationales organisées par ICO en 1969 et 70 ainsi qu'à la conférence internationale organisée à Bruxelles en 1969. A partir de 70, il établira des liens plus étroits avec deux groupes qui surnagent au milieu de la décomposition générale du courant conseilliste qui a suivi mai 68 : 1'"Organisation Conseilliste de Clermont-Ferrand" et les "Cahiers du Communisme de Conseils" (Marseille) après une tentative de discussion avec le GLAT qui avait fait apparaître que ce groupe s'éloignait de plus en plus du marxisme. La discussion avec les deux groupes précédents s'avérera par contre beaucoup plus fructueuse et, après toute une série de rencontres où ont été examinées de façon systématique les positions de base de la gauche communiste, aboutira à une unification en 72 de R.I, l'O.C de Clermont et des C.C.C autour d'une plateforme ([4] [26]) qui reprend de façon plus précise et détaillée la déclaration de principes de R.I. de 68. Ce nouveau groupe va publier la revue Révolution Internationale (Nouvelle Série) ainsi qu'un Bulletin d'Etude et de Discussion et va constituer l'animateur du travail de contacts et discussions internationales en Europe jusqu'à la fondation du CCI deux ans et demi plus tard.
Sur le continent américain, les discussions engagées par "Internacionalismo" avec "News and Letters" ont laissé des traces aux Etats-Unis et, en 70, se constitue à New York un groupe (dont font partie d'anciens militants de "News and Letters" auxquels cette organisation n'avait opposé que le dénigrement et des mesures disciplinaires et non un débat sérieux lorsqu'ils avaient tenté de soulever des questions sur ses confusions politiques) autour d'un texte d'orientation ([5] [27]) reprenant les mêmes positions fondamentales que "Internacionalismo" et "R.I.". Ce groupe commence la publication de la revue Internationalism et s'engage dans la même orientation que ses prédécesseurs d'établissement de discussions avec les autres groupes communistes. C'est ainsi qu'il maintient des contacts et discussions avec "Root and Branch" de Boston (qui est inspiré par les positions conseillistes de Paul Mattick), mais qui se révèlent infructueux, ce groupe évoluant de plus en plus vers un cénacle de marxologie. C'est ainsi surtout qu'en 72, "Internationalism" envoie à une vingtaine de groupes une proposition de correspondance internationale dans les termes suivants ([6] [28]) :
"Pendant les cinq dernières années, nous avons vu une remontée de la combativité de la classe ouvrière d'une manière inconnue depuis la seconde guerre mondiale. Ces luttes ont très souvent pris la forme de grèves sauvages et illégales avec la création de comités de base.
Ces luttes ont atteint une intensité particulière et, grâce à l'ampleur de la crise mondiale du capitalisme, elles ont pris un caractère international.
Avec le réveil de la classe ouvrière, il y a eu un développement considérable des groupes révolutionnaires qui se revendiquent d'une perspective communiste internationaliste. Cependant les contacts et la correspondance entre groupes ont été malheureusement négligés et laissés au hasard. C'est pourquoi "Internationalism" propose, en vue d'une régularisation et d'un élargissement de ces contacts, une correspondance suivie entre groupes se réclamant d'une perspective communiste internationaliste.
Evidemment, le choix des groupes appelés à participer à cette correspondance internationale est déterminé par des critères politiques. Les groupes nommés, quoiqu'ils divergent sur certains points fondamentaux, en général :
- reconnaissent la nature contre-révolutionnaire de la Russie, des pays de 1'Est et de la Chine ;
- s'opposent à toutes les formes de réformisme, de frontisme et de collaboration de classe (fronts nationaux, fronts populaires et anti-fascistes) ;
- ont une théorie et une pratique critiques au sujet de la 3ème Internationale ;
- ont de même la conviction que seul le prolétariat est le sujet historique de la révolution ;
- ont la conviction que la destruction du capitalisme nécessite 1'abolition du salariat ;
- ont une perspective internationaliste„"
Dans sa réponse positive "R.I." précise : "Comme vous, nous sentons la nécessité de ce que les activités et la vie de nos groupes aient un caractère aussi international que les luttes actuelles de la classe ouvrière. C'est pour cette raison que nous avons entrepris des contacts épistolaires ou directs avec un certain nombre de groupes européens auxquels a été envoyée votre proposition. Il s'agit des groupes "Workers' Voice" et "Solidarity" pour la Grande-Bretagne, "Sociale Révolution" et "Révolution Kampf" pour 1 'Allemagne, "Spartacus" pour les Pays-Bas, "Lutte de classe" et "Bilan" pour la Belgique
Nous pensons que votre initiative permettra d'élargir le champ de ces contacts et, tout au moins, de mieux connaître et faire connaître nos positions respectives.
Nous pensons également que la perspective d'une éventuelle conférence internationale est la suite logique de l'établissement de cette correspondance sans toutefois penser qu'il faille trop en hâter la venue. Une telle conférence devrait pouvoir se tenir après une période de correspondance politique suivie permettant une pleine connaissance des positions des autres groupes ainsi qu'une décantation des points d'accord et de divergence."
Par sa réponse, R.I. soulignait donc la nécessité de s'acheminer vers la tenue de conférences internationales de groupes de la gauche communiste. Cette proposition se trouvait en continuité des propositions répétées (en 68, 69 et 71) qui avaient été faites au "Partito Communista Internazionalista" ("Battaglia") d'appeler à de telles conférences dans la mesure où cette organisation était à l'époque en Europe la plus importante et sérieuse dans le camp de la gauche communiste (à côté du PCI-Programma Comunista qui, lui, se confortait dans son "splendide isolement". Mais ces propositions, en dépit de l'attitude ouverte et fraternelle de "Battaglia", avaient été à chaque fois repoussées (voir notre article "La constitution du BIPR : un bluff opportuniste" dans ce numéro de la Revue).
En fin de compte, l'initiative d1"Internationalism" et la proposition de "R.I." devaient aboutir à la tenue en 73 et 74 d'une série de conférences et rencontres ([7] [29]) en Angleterre et en France au cours desquelles s'est opérée une clarification et une décantation qui se sont traduites notamment par une évolution vers les positions de "R.I-Internationalism" du groupe anglais "World Révolution" (issu d'une scission de "Solidarity-London") qui allait publier le premier numéro de sa revue en mai 74. Cette clarification et cette décantation avaient également, et surtout, créé les bases qui allaient permettre la constitution du CCI en janvier 75.
Pendant cette même période, en effet, R.I. avait poursuivi son travail de contacts et discussions au niveau international, non seulement avec des groupes organisés mais également avec des éléments isolés lecteurs de sa presse et sympathisant avec ses positions. Ce travail avait conduit à la constitution de petits noyaux en Espagne et en Italie autour de ces mêmes positions et qui, en 74, ont commencé la publication de Acciôn Proletaria et Rivoluzione Internazionale.
Ainsi, a la conférence de janvier 75 étaient présents "Internacionalismo", "Révolution Internationale", "Internationalism", "World Révolution", "Acciôn Proletaria" et "Rivoluzione Internazionale" partageant les orientations politiques développées à partir de 64 par "Internacionalismo". Etaient également présents "Revolutionary Perspectives" (qui avait participé aux conférences de 73-74), le "Revolutionary Workers Group" de Chicago (avec qui "R.I-Internationalism" avaient engagé des discussions en 74) et "Pour une Intervention Communiste" (qui publiait la revue "Jeune Taupe" et était constitué autour de camarades ayant quitté "R.I" en 73 parce qu'ils estimaient que ce groupe "n'intervenait pas assez dans les luttes ouvrières"). Quant au groupe "Workers'Voice" qui avait participé activement aux conférences des années précédentes, il avait rejeté l'invitation à cette conférence car il estimait désormais que "R.I", "World Révolution" etc. étaient des groupes bourgeois (!) à cause de la position de la majorité de leurs militants (mais qui n'allait être adoptée officiellement par le CCI que quatre ans et demi plus tard) sur la question de l'Etat dans la période de transition du capitalisme au communisme ([8] [30]).
Cette question figurait d'ailleurs à l'ordre du jour de la conférence de janvier 75 et de nombreuses contributions avaient été préparées à cet effet (comme on peut le constater dans le n°1 de la Revue Internationale). Cependant, elle n'y fut pas discutée, la conférence préférant consacrer un maximum de temps et d'attention à des questions beaucoup plus cruciales à ce moment-là : l'analyse de la situation internationale,
- les tâches des révolutionnaires dans celle-ci,
- l'organisation dans le courant international. Finalement, les six groupes dont les plateformes étaient basées sur les mêmes orientations décidaient de s'unifier en une organisation unique dotée d'un organe central international et publiant une revue trimestrielle ([9] [31]) en trois langues
- anglais, français" et espagnol - (la publication de recueils de cette revue en italien, néerlandais et allemand sera entreprise par la suite) qui prenait la relève du Bulletin d'Etude et de Discussion de "R.I.". Le CCI était fondé. Comme l'écrivait la présentation du n°1 de la Revue Internationale : "Un grand pas vient d'être fait." En effet, la fondation du CCI constituait l'aboutisse ment d'un travail considérable de contacts, de discussions, de confrontations entre les différents groupes que la reprise historique des combats de classe avait faits surgir. Elle témoignait de la réalité de cette reprise que beaucoup de groupes communistes contestaient encore à l'époque. Mais surtout, elle jetait les bases pour un travail bien plus considérable encore.
Ce travail, les lecteurs de la Revue Internationale (ainsi que de notre presse territoriale) ont pu le constater depuis dix ans et vient confirmer ce que nous écrivions dans la présentation du n°1 de la Revue :
"D'aucuns pensent que c'est là (la constitution du CCI et la publication de la Revue) une action précipitée. Rien de tel ! On nous connaît assez pour savoir que nous n'avons rien de ces braillards activistes dont 1'activité ne repose que sur un volontarisme autant effréné qu'éphémère." On peut se faire une petite idée de ce travail en constatant que, depuis sa fondation il y a dix ans, le CCI a publié (sans compter-les brochures) plus de 600 numéros de ses différentes publications régulières (alors que pendant les dix années précédentes, les six groupes fondateurs n'avaient publié qu'une cinquantaine de numéros). Evidemment cela n'est rien si on le compare à la presse du mouvement ouvrier du passé avant la première guerre mondiale et dans les années de l'Internationale Communiste. Par contre, la comparaison avec ce qu'ont pu publier les différents groupes de la gauche communiste depuis les années 30 jusqu'à la fin des années 60 témoigne de la vitalité de notre organisation.
Mais les publications du CCI ne sont qu'un aspect de ses activités. Depuis sa fondation, le CCI a été partie prenante des luttes de la classe ouvrière, de ses efforts vers sa prise de conscience. Cela s'est traduit par une intervention aussi large que lui permettaient ses faibles forces dans les différents combats de classe (diffusion de la presse, de tracts, prises de parole dans des assemblées, des meetings, à la porte des usines...) mais également par une participation active à l'effort international de discussion et de regroupement des révolutionnaires et, comme condition de l'ensemble des autres activités, par la poursuite du travail de réappropriation et de développement des acquis de la gauche communiste, du travail de renforcement politique de l'organisation.
QUEL BILAN ?
Tout au long de ses dix années d'existence, le CCI a évidemment rencontré de nombreuses difficultés, a dû surmonter de nombreuses faiblesses dont la plupart étaient liées à la rupture d'une continuité organique avec les organisations communistes du passé, à la disparition ou à la sclérose des fractions de gauche qui s'étaient détachées de l'Internationale Communiste lors de sa dégénérescence. Il a également dû combattre l'influence délétère de la décomposition et de la révolte des couches de la petite-bourgeoisie intellectuelle, influence particulièrement sensible après 68 à la suite des mouvements estudiantins. Ces difficultés et faiblesses se sont par exemple traduites par plusieurs scissions - dont nous avons rendu compte dans notre presse - et par des soubresauts importants en 1981, en même temps que l'ensemble du milieu révolutionnaire ([10] [32]), et qui ont notamment abouti à la perte de la moitié de notre section en Grande-Bretagne. Face à ses difficultés de 81, le CCI a même été conduit à organiser une Conférence extraordinaire en janvier 1982 en vue de réaffirmer et de préciser ses bases programmatiques, en particulier sur la fonction et la structure de l'organisation révolutionnaire ([11] [33]). De même, certains des objectifs que s'était fixés le CCI n'ont pu être atteints. C'est ainsi que la diffusion de notre presse est restée en deçà de nos espérances, ce qui nous a conduits à ralentir le rythme de parution de la Revue Internationale en langue espagnole et de suspendre sa parution en langue néerlandaise (vide en partie comblé par la revue Wereld Revolutie).
Cependant, s'il nous faut faire un bilan global de ces dix années, il faut affirmer qu'il est nettement positif. Il est particulièrement positif si on le compare à celui des autres organisations communistes qui existaient au lendemain de 1968. Ainsi, les groupes du courant conseilliste, même ceux qui avaient fait un effort pour s'ouvrir au travail international comme ICO, ont soit disparu, soit sombré dans la léthargie : le GLAT, ICO, l'Internationale Situationniste, le Spartacusbond, "Root and Branch", le PIC, les groupes conseillistes du milieu Scandinave, la liste est longue (et non exhaustive)... Quant aux organisations se rattachant à la gauche italienne et qui, toutes, s'auto-proclamaient LE PARTI, soit elles ne sont pas sorties de leur provincialisme, soit elles se sont disloquées ou ont dégénéré en groupes gauchistes tel "Programme Communiste", soit elles en sont aujourd'hui encore à imiter ce que le CCI a réalisé il y a dix ans, et ceci de façon poussive et dans la confusion comme c'est le cas de "Battaglia Comunista" et du CWO (voir notre article dans ce n° de la Revue). Aujourd'hui, après l'effondrement comme un château de cartes du (prétendu) Parti Communiste International, après les échecs du FOR (Fomento Obrero Révolutionario) aux USA (Focus), le CCI reste la seule organisation communiste vraiment implantée au niveau international. Depuis sa fondation en 75, le CCI non seulement a renforcé ses sections territoriales d'origine mais il s'est implanté dans d'autres pays. La poursuite du travail de contacts et de discussions à l'échelle internationale, l'effort de regroupement des révolutionnaires a permis l'établissement de nouvelles sections du CCI :
- 1975 : constitution de la section en Belgique qui publie en deux langues (français et néerlandais) la revue, puis le journal Internationalisme et qui comble le vide laissé par la disparition, au lendemain de la 2ème guerre, de la fraction belge de la Gauche Communiste Internationale.
- 1977 : constitution du noyau au Pays-Bas qui entreprend la publication de la revue Wereld Revolutie ; c'est un événement de premier plan dans ce pays qui fut la terre d'élection du conseillisme.
- 1978 : constitution de la section en Allemagne qui commence la publication de la Revue Interna-tionale en langue allemande et, l'année suivante, de la revue territoriale Welt Revolution. La présence d'une organisation communiste en Allemagne est évidemment de la plus haute importance compte tenu de la place prise par le prolétariat de ce pays dans le passé et qu'il prendra dans 1'avenir.
- 1980 : constitution de la section en Suède qui publie la revue Internationell Révolution.
A l'heure actuelle, le CCI a donc dix sections territoriales implantées dans des pays où habitent plus d'un demi-milliard d'êtres humains et eu travaillent plus de 100 millions d'ouvriers. Il publie sa presse en sept langues qui sont parlées -par près d'un quart de l'humanité. Mais, plus important encore, le CCI est présent dans les plus grandes concentrations ouvrières du monde (Europe occidentale, Etats-Unis) qui joueront un rôle décisif au moment de la révolution. Et même si nos forces dans ces différents pays sont encore très faibles, elles sont une première pierre, un point d'appui pour une présence beaucoup plus large et influente dans la lutte de classe lorsque celle-ci se développera avec l'aggravation inévitable de la crise du capitalisme.
Si nous donnons ces éléments, si nous tirons un bilan positif du travail du CCI en constatant la faillite des autres organisations communistes ce n'est nullement pour nous décerner des auto félicitations satisfaites. En réalité, nous ne sommes nullement satisfaits de la faiblesse actuelle de l'ensemble du milieu communiste. Nous avons toujours affirmé que toute disparition, toute dégénérescence ou tout échec des groupes communistes constitue un affaiblissement pour l'ensemble de la classe ouvrière dont ils sont une partie, un gaspillage et une dispersion d'énergies militantes qui cessent d'agir pour l'émancipation du prolétariat. C'est pour cela que notre objectif principal dans nos débats avec les autres groupes communistes n'a jamais été de les affaiblir, encore moins de les détruire pour "récupérer" leurs militants, mais bien de les pousser à surmonter ce que nous considérions être leurs faiblesses et leurs confusions afin qu'ils puissent pleinement assumer leurs responsabilités dans la classe. Si nous soulignons le contraste entre la relative réussite de l'activité de notre Courant et l'échec des autres organisations, c'est parce que cela met en évidence la validité des orientations qui furent les nôtres depuis 20 ans dans le travail de regroupement des révolutionnaires, de construction d'une organisation communiste, orientations qu'il est de notre responsabilité de dégager pour l'ensemble du milieu communiste.
LES ORIENTATIONS INDISPENSABLES POUR UN REGROUPEMENT COMMUNISTE.
Les bases sur lesquelles s'est appuyé, dès avant sa constitution formelle, notre Courant dans son travail de regroupement ne sont pas nouvelles. Elles ont toujours par le passé constitué les piliers de ce type de travail. On peut les résumer ainsi :
- la nécessité de rattacher l'activité révolutionnaire aux acquis passés de la classe, à l'expérience des organisations communistes qui ont précédé, de concevoir l'organisation présente comme un maillon de toute une chaîne d'organismes passés et futurs de la classe ;
- la nécessité de concevoir les positions et analyses communistes non comme un dogme mort mais comme un programme vivant, en constant enrichissement et approfondissement ;
- la nécessité d'être armé d'une conception claire et solide sur l'organisation révolutionnaire, sur sa structure et sa fonction au sein de la classe.
1- Se rattacher aux acquis du passé.
"Le CCI se revendique des apports successifs de la Ligue des Communistes, des 1ère, 2ème et 3ème Internationales, des Fractions de gauche gui se sont dégagées de cette dernière, en particulier des Gauche allemande, hollandaise et italienne. Ce sont ces apports essentiels, permettant d'intégrer 1'ensemble des frontières de classe' dans une vision cohérente et générale, qui sont présentés dans la présente plateforme." (Plateforme du CCI, Préambule)
Ainsi, dans sa plateforme adoptée lors de son 1er Congrès en 1976, le CCI réaffirmait ce qui était déjà un acquis lors de la constitution de "Internacionalismo" en 1964. Alors que dans 1'après 68, comme cela avait déjà été le cas auparavant lors de la dégénérescence de l'I.C. (notamment de la part de la Gauche hollandaise), il existait une forte tendance à "jeter le bébé avec l'eau du bain", à remettre en cause non seulement les organisations dégénérées ayant basculé dans le camp bourgeois, non seulement les positions erronées des organisations révolutionnaires du passé mais également les acquis essentiels de ces organisations. De même que le courant conseilliste des années 30 avait abouti à ranger le parti bolchevik, et donc toute l'Internationale Communiste, dans la bourgeoisie dès leur constitution, le courant "moderniste" - dont "Invariance" et "le Mouvement Communiste" furent les mentors - s'est attelé à "faire du neuf", à rejeter d'un revers de main et avec la suffisance propre aux ignorants, les organisations passées du prolétariat d'où ils tenaient justement le peu qu'ils savaient des positions de classe. L'incapacité à reconnaître les apports de ces organisations, notamment de l'Internationale Communiste, incapacité qui a touché également tout le courant qui venait de "Socialisme ou barbarie" tel "Pouvoir Ouvrier" ainsi que les groupes de la mouvance conseilliste (depuis "Spar-tacusbond" jusqu'au PIC) fut directement à l'origine de la disparition de ces organisations. Se refusant tout passé, ces organisations ne pouvaient avoir aucun avenir.
Il n'existe pas de "nouveau" mouvement ouvrier qu'il faudrait opposer au "vieux" mouvement ouvrier. Le mouvement ouvrier est un tout comme la classe ouvrière elle-même qui constitue un même être historique depuis son apparition il y a bien plus d'un siècle jusqu'à sa disparition dans la société communiste. Toute organisation qui ne comprend pas cette chose élémentaire, qui rejette les acquis des organisations du passé, qui refuse de se concevoir en continuité avec celles-ci, aboutit à se mettre en dehors du mouvement historique de la classe, en dehors de la classe elle-même. En particulier dans la mesure où :
"Le marxisme est 1'acquis théorique fondamental de la lutte prolétarienne. C'est sur sa base que 1'ensemble des acquis du prolétariat s'intègre dans un tout cohérent" (Plateforme du CCI, point 1) toute activité révolutionnaire aujourd'hui est nécessairement basée sur des positions et analyses marxistes. Tout rejet du marxisme explicite (comme ce fut le cas de "Socialisme ou Barbarie", et à sa suite de "Solidarity") ou implicite (comme pour le GLAT et "Pouvoir Ouvrier" qui venaient du même "Socialisme ou Barbarie") condamne un groupe,lorsqu'il se maintient,à être un véhicule d'idéologies étrangères au prolétariat, notamment l'idéologie petite-bourgeoise.
2- Un programme vivant, non un dogme mort,
"..bien qu'il ne soit pas un système ni un corps de doctrine fermé, mais au contraire une théorie en élaboration constante, en liaison directe et vivante avec la lutte de classe, et bien qu'il ait bénéficié des manifestations théoriques de la vie de la classe qui l'ont précédé, il (le marxisme) constitue, depuis le moment où ses bases ont été jetées, le seul cadre à partir et au sein duquel la théorie révolutionnaire peut se développer." (Plateforme du CCI, point 1)
Si la réappropriation des acquis du mouvement ouvrier et notamment de la théorie marxiste constitue donc le point de départ indispensable de toute activité révolutionnaire aujourd'hui, encore faut-il comprendre ce qu'est le marxisme, encore faut-il savoir que ce n'est pas un dogme immuable, "invariant", comme diraient les bordiguistes, mais bien l'arme de combat d'une classe révolutionnaire pour qui "l'auto-critique impitoyable n'est pas seule ment un droit vital" mais "aussi le devoir suprême" (Rosa Luxemburg). La fidélité au marxisme qui caractérise les grands révolutionnaires comme Rosa Luxemburg ou Lénine n'a jamais été une fidélité "à la lettre" mais une fidélité à l'esprit, à la démarche. C'est ainsi que Rosa, dans L'accumulation du Capital critique certains des écrits de Marx (dans le Livre II du Capital) en employant la démarche du marxisme, démarche qu'elle avait employée dans Grève de masse, parti et syndicat pour combattre les dirigeants syndicaux qui prenaient à la lettre Marx et Engels afin de rejeter la grève de masse, démarche qu'elle emploiera lors de la fondation du Parti Communiste d'Allemagne pour critiquer les illusions parlementaristes de Engels (dans sa préface de 1895 à Les luttes de classes en France). C'est ainsi que Lénine, pour démontrer la possibilité et la nécessité de la révolution prolétarienne en Russie doit combattre le "marxisme orthodoxe" des mencheviks et de Kautsky pour qui seule une révolution bourgeoise est possible dans ce pays.
C'est ainsi que "Bilan", dans son n°1 (novembre 1933), recommande une "connaissance profonde des causes et des défaites" laquelle "ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme". Toute la démarche de "Bilan" sera déterminée par ces deux préoccupations :
- partir des acquis de la 3ème Internationale, s'appuyer fermement dessus ;
- soumettre les positions de celle-ci à la critique de l'expérience historique, avancer avec prudence mais de façon résolue dans cette critique.
C'est la démarche de "Bilan" qui lui a permis d'apporter une contribution fondamentale aux positions révolutionnaires, de jeter, par sa critique des positions erronées de l'I.C. (en bonne partie responsables de sa dégénérescence), les bases du programme révolutionnaire d'aujourd'hui.
C'est en particulier parce qu'il a tourné le dos à cette démarche de "Bilan" que le courant bordiguiste, en voulant rester attaché à l'intégralité des positions du 2ème Congrès de l'I.C. (comme les trotskystes se réclamaient des quatre premiers congrès) a régressé en réalité bien en deçà des erreurs de l'I.C. Une même erreur sur une position n'a pas la même valeur à quarante ans d'intervalle. Ce qui peut être une erreur de jeunesse, une immaturité, se transforme, à la suite de toute une expérience de la classe, en une mystification bourgeoise. Une organisation qui aujourd'hui veut reprendre à la lettre les positions du 2ème Congrès de l'I.C. sur la question nationale, le "parlementarisme révolutionnaire", les syndicats, se condamne soit à rejoindre à terme le gauchisme, soit à se disloquer : deux choses qui sont arrivées au courant bordiguiste.
Par contre, c'est la démarche de "Bilan", puis de la Gauche Communiste de France qui a toujours animé notre Courant. C'est parce que le CCI conçoit le marxisme comme une théorie vivante qu'il a à coeur de creuser et approfondir les enseignements du passé. Cela s'est notamment manifesté par la mise à l'ordre du jour de chacun de ses cinq Congrès - à côté de l'examen de la situation internationale et des activités - de questions à approfondir :
- 1er Congrès (janvier 1976) : discussion approfondie de l'ensemble de nos positions en vue de l'adoption d'une plateforme, de statuts et d'un manifeste (voir Revue Internationale n°5) ;
- 2ème Congrès (juillet 1977) : discussion sur la question de l'Etat dans la période de transition, adoption d'une résolution sur les groupes prolétariens permettant de mieux s'orienter face au milieu politique (voir Revue Internationale n°11);
- 3ème Congrès (juillet 1979) : adoption d'une résolution sur l'Etat dans la période de transition et d'un rapport sur le cours historique (voir Revue Internationale n°18) ;
- 4ème Congrès (juin 1981) : rapport sur "les conditions historiques de la généralisation de la lutte historique de la classe ouvrière" qui précise pourquoi les conditions les plus favorables pour la révolution ne sont pas données par la guerre impérialiste (comme en 1917-18) mais par une crise économique mondiale comme c'est le cas aujourd'hui (voir Revue Internationale n°26) ;
- 5ème Congrès (juillet 1983) : rapport "sur le Parti et ses rapports avec la classe" qui, sans apporter d'élément vraiment nouveau sur la question, fait une synthèse de nos acquis (voir Revue Internationale n°35).
Les textes d'approfondissement et de développement de nos positions n'ont pas seulement été préparés et discutés pour les Congrès. Il en fut ainsi des textes sur "la lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme" (voir Revue Internationale n°23) et sur la "critique de la théorie du maillon faible" (voir Revue Internationale n°31 ) qui précisaient et approfondissaient notre analyse sur les conditions présentes et futures de la lutte prolétarienne vers la révolution.
De même, il est nécessaire de souligner les approfondissements que constituent nos différentes brochures sur Les syndicats contre la classe ouvrière, La décadence du capitalisme, Nation ou classe, Organisations communistes et conscience de classe, La période de transition du capitalisme au communisme.
Enfin, c'est la capacité de notre Courant à ne pas être enfermé dans les schémas du passé qui lui a permis de comprendre, dès avant 1968, les enjeux et la perspective de la situation mondiale présente. En effet, alors que la Gauche Communiste de France ne voyait de possibilité de surgissement du prolétariat que dans et au cours d'une 3ème guerre mondiale ([12] [34]), "Internacionalismo" était conduit à réviser cette vision et à ébaucher notre analyse du cours historique vers les affrontements de classe surgissant de la crise économique et empêchant la bourgeoisie d'apporter sa propre réponse à ses contradictions insolubles : la guerre généralisée. C'est pour cela que "Internacionalismo" pouvait écrire dès janvier 1968 (c'est-à-dire avant le surgissement de mai 68 et alors que pratiquement personne n'évoquait la possibilité de la crise) :
"L'année 67 nous a laissé la chute de la livre sterling et 68 nous apporte les mesures de Johnson. . . voici que se dévoile la décomposition du système capitaliste qui, durant quelques années, était restée cachée derrière 1'ivresse du 'progrès ' qui avait succédé à la 2ème guerre mondiale. . .
Au milieu de cette situation, lentement et par à coups, la classe ouvrière se fraie un chemin dans un mouvement souterrain qui, par moments, paraît inexistant, explose ici, jette une lumière aveuglante pour s’éteindre subitement et se rallumer plus loin : c'est le réveil de la classe ouvrière, du combat ouvert. .
Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas deviner quand et de quelle façon vont se dérouler les événements futurs. Mais ce dont nous sommes effectivement sûrs et conscients, concernant le processus dans lequel est plongé actuellement le capitalisme, c'est qu'il n'est pas possible de 1'arrêter. . et qu'il mène directement à la crise. Et nous sommes sûrs également que le processus inverse de développement de la combativité de la classe, qu'on vit actuellement de façon générale, va conduire la classe ouvrière à une lutte sanglante et directe pour la destruction de l'Etat bourgeois." (Internacionalismo n°8 , "1968: une nouvelle convulsion du capitalisme commence")
Ainsi, tout l'effort de notre Courant en direction du regroupement des révolutionnaires s'appuyait sur une base de granit (et non sur du sable comme pour "Battaglia Comunista" pour qui les révolutionnaires devaient organiser des conférences à cause de la "social-démocratisation" des PC).
Cette base de granit c'est la reconnaissance de la fin de la période de contre-révolution, d'un nouvel essor historique de la lutte prolétarienne qui impose aux révolutionnaires d'orienter leur travail vers la reconstitution du parti mondial.
Mais pour que les révolutionnaires puissent oeuvrer efficacement dans ce sens il faut encore qu'ils aient les idées claires sur leur fonction dans la classe et leur mode d'organisation.
3- Etre armé d'une conception claire et solide sur l'organisation révolutionnaire.
La première nécessité pour une organisation révolutionnaire c'est de comprendre quelle est sa fonction dans la classe. Cela suppose qu'elle soit consciente qu'elle a une fonction. De ce fait, la disparition à peu près complète des groupes du courant conseilliste telle qu'on l'a constatée depuis 1968 était logique et prévisible : lorsqu'on théorise sa non existence on a de fortes chances de cesser d'exister.
Mais reconnaître qu'on a une fonction dans la classe, un rôle fondamental à jouer dans la révolution, ne veut pas dire qu'on doit se concevoir ni comme "l'organisateur de la classe", ni comme son "état major" ni son "représentant" dans la prise du pouvoir. De telles conceptions héritées de la 3ème Internationale et reprises en forme de caricature par le courant bordiguiste ne peuvent aboutir qu'à :
- sous-estimer ou même nier toute lutte de classe sur laquelle on n'a pas d'influence directe (ce n'est pas un hasard si le courant bordiguiste et même "Battaglia Comunista" ont traité par le mépris la reprise historique de mai 68) ;
- tenter d'avoir à tout prix une influence immédiate dans la classe, à "se faire reconnaître" comme "direction" par celle-ci : c'est la porte ouverte à l'opportunisme qui a emporté et disloqué le "Parti Communiste International" (Programme) ;
- en fin de compte, discréditer l'idée même de parti révolutionnaire, en faire un repoussoir favorisant les thèses conseillistes.
Une conception claire de la fonction de l'organisation suppose qu'on la conçoive comme partie prenante de la lutte de classe : c'est en ce sens que depuis "Internacionalismo" jusqu'au CCI d'aujourd'hui la nécessité d'une intervention politique dans la classe a toujours été affirmée contre toutes les tendances voulant transformer l'organisation en cénacle de marxologie, en "groupe de travail" ou de "réflexion". C'est également pour cela que le CCI a toujours combattu pour que les trois Conférences Internationales tenues entre 1977 et 1980 ne soient pas "muettes", qu'elles prennent position comme telles sur les enjeux de la période présente.
Intervenir dans la classe ne veut absolument pas dire négliger le travail de clarification et d'approfondissement politique-théorique. Bien au contraire. La fonction essentielle des organisations communistes, contribuer activement au processus de prise de conscience de la classe, suppose qu'elles se dotent des positions les plus claires et cohérentes possibles. C'est en ce sens que les différents groupes qui allaient constituer le CCI se sont tous dotés d'une plateforme, que le CCI en a fait de même à son 1er Congrès. C'est pourquoi nous avons toujours combattu contre tout "recrutement" d'éléments confus, contre tout regroupement dans la précipitation et la confusion et pour la plus grande clarté dans les débats. C'est aussi pourquoi nous avons défendu dès le début, et notamment dans l'appel d'"Internationa-lism" de 72 comme dans notre réponse à l'initiative de "Battaglia Comunista" en 76 (voir l'article sur "la constitution du BIPR" dans ce n° de la Revue), la nécessité de critères politiques pour la tenue de conférences internationales.
Nous n'avons pas la prétention mégalomane d'être les seuls à défendre des positions communistes : ceux qui nous accusent de sectarisme ne savent pas de quoi ils parlent comme le démontre toute notre histoire. Par contre, nous avons toujours affirmé que le regroupement des révolutionnaires, la création du futur parti, ne peuvent se faire que dans la plus grande clarté, la plus grande cohérence programmatiques. C'est pourquoi en 75 nous avons refusé que"Revolutionary Perspectives" s'intègre au CCI comme "minorité" comme ce groupe le proposait avant de s'unifier de façon éphémère avec "Wor-kers' Voice" pour constituer le CWO. C'est pourquoi nous n'avons pas conçu les conférences de 1977 à 1980 comme devant aboutir à un regroupement immédiat contrairement à la vision défendue par "Battaglia Comunista" aujourd'hui (cf. article cité) même si nous n'avons jamais été opposés à une unification entre certains participants de ces conférences dès lors qu'ils se trouvaient sur les mêmes positions politiques. C'est enfin pourquoi nous considérons que la tentative présente de "Battaglia" et du CWO de constituer une organisation internationale bâtarde, à mi-chemin entre une organisation politique centralisée et une fédération de groupes autonomes à la mode anarchiste, a les plus grandes chances de constituer non un pôle de clarté politiques mais un pôle de confusion. En effet, une des conditions essentielles pour qu'une organisation communiste soit en mesure d'assumer sa fonction, c'est la clarté sur sa structure. Depuis ses débuts, notre Courant a défendu la nécessité d'une organisation internationale et centralisée. Ce n'était nullement une conception "nouvelle". Elle se basait sur la nature même de la classe ouvrière qui doit assumer et prendre en charge son unité à l'échelle internationale pour être en mesure d'accomplir la révolution. Elle s'appuyait sur toute l'expérience des organisations prolétariennes depuis la Ligue des Communistes et l'AIT jusqu'à l'Internationale Communiste et la Gauche Communiste Internationale. Cette nécessité était affirmée très clairement à la Conférence constitutive du CCI en 75 (voir le rapport "sur la question de l'organisation de notre courant international" dans la Revue Internationale n°1) mais elle était dès le début à la base de toute notre attitude en faveur des contacts et discussions au niveau international telle qu'elle s'est illustrée tout au long de notre histoire. De même, nous avons affirmé cette nécessité dans tout notre travail de participation aux cycles de Conférences Internationales dont nous avons été partie prenante : 1973-74, 1977-80, Conférences du milieu Scandinave à la fin des années 70 (où nous avons insisté pour que soient invités les groupes se réclamant de la Gauche italienne comme "Battaglia"). Dans ces Conférences, nous avons donc combattu la conception d'une organisation internationale basée sur une sorte de fédération de groupes nationaux avec chacun sa propre plateforme telle qu'elle était défendue par "Battaglia Comunista" en 77 et qu'elle reprend aujourd'hui à son compte dans la pratique avec la constitution du BIPR.
Un autre enseignement qu'il faut dégager de l'expérience du CCI c'est qu'une organisation de combat, comme l'est l'organisation communiste, se construit par le combat. Cet enseignement n'est pas nouveau lui non plus. Ainsi, le parti bolchevik ne put parvenir à jouer son rôle dans la révolution d'octobre 17 et la fondation de l'I.C. que parce qu'il avait été trempé par une série de combats successifs contre le populisme et le socialisme agraire, contre le "marxisme légal", contre le terrorisme, contre l'économisme ouvriériste, contre l'intellectualisme rejetant la notion d'engagement militant, contre le menchévisme, contre les liquidateurs, contre la défense nationale et le pacifisme, contre tout soutien au gouvernement provisoire de 17. De même, notre organisation s'est fondée et trempée par une série de combats contre toutes sortes de déviations, y compris en son sein :
- combat de "Internacionalismo" contre l'ouvriérisme conseilliste de "Proletario" (cf. Bulletin d'étude et de discussion de R.I. n°10) ;
- combat de "R.I" contre le conseillisme d'ICO (1969-70), contre 1'accadémisme des tendances "Parti de classe" (1971) et Bérard (1974), contre l'activisme de la tendance qui allait former le PIC (1973) ;
- combat du CCI contre l'activisme et la vision substitutionniste de la tendance qui allait former le "Groupe Communiste Internationaliste" (1978) ;
- combat du CCI contre 1'immédiatisme, la dilution des principes et pour la défense de l'organisation face à la "tendance Chénier" (1981).
Le dernier enseignement qu'il faut tirer de notre expérience c'est qu'on ne peut pas sérieusement s'acheminer vers la constitution du futur parti si on ne sait pas à quels moments de l'histoire il peut surgir : lors des périodes de développement historique de la lutte de classe. C'est la vision que défendit la Gauche Communiste d'Italie contre la constitution de la "4ème Internationale" trotskyste, que défendit le GCF contre la fondation du PCI en Italie après la guerre. Les organisations qui aujourd'hui s'auto-proclament "Parti" ne sont pas des partis, elles ne peuvent en assumer la fonction mais, ce faisant, elles n'assument pas non plus la fonction qui leur revient à l'heure présente et que "Bilan" assignait aux fractions : préparer les bases programmatiques et organisationnelles du futur parti mondial.
Voilà quelques enseignements "classiques" du mouvement ouvrier que 10 années d'expérience du CCI sont venues reconfirmer et qui sont des conditions indispensables pour contribuer réellement à la constitution du parti révolutionnaire et à la révolution communiste elle-même.
FM.
[1] [35] Sur l'histoire de la "Gauche italienne" voir notre brochure : La Gauche communiste d'Italie.
[2] [36] "News and Letters" : groupe venant du trotskysme, animé par une ancienne secrétaire de Trotsky et qui, mal gré beaucoup de confusions sur les "luttes de libération nationale", sur le problème noir, sur le féminisme, etc. défendait des positions de classe sur la question essentielle de la nature capitaliste et impérialiste de 1'URSS
[3] [37] Voir "R.I" n°2 (Ancienne Série).
[4] [38] Voir "R.I." n°1 (Nouvelle série)
[5] [39] Voir "R.I" n°2 et "Internationalism" n°4."
[6] [40] Voir "R.I" n°2 et"Internationalism " n°4.
[7] [41] Voir "R.I" n°4 et 7, "Bulletin d'Etude et de Discussion" n°5 et 9, "Internationalism" n°4.
[8] [42] Voir les articles "Sectarisme Illimité" dans WR n °3 et "Réponse à Workers' Voice" dans la Revue Internationale n°2
[9] [43] Le fait que nous en soyons aujourd'hui au n°40 de Revue Internationale démontre donc que sa régularité a été maintenue sans défaillance.
[10] [44] Voir 1'article "Convulsions actuelles du milieu révolutionnaire" dans la Revue Internationale n°28.
[11] [45] Voir les rapports à cette conférence publiés dans la Revue Internationale n°29 et 33
[12] [46] Voir l'article dans le n°46 d'Internationalisme (été 1952): "L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective" reproduit dans le Bulletin d’étude et de discussion n°8.
Cet article a pour fonction d'exprimer la position du CCI sur le danger du conseillisme. Il porte vers l'extérieur le fruit de discussions internes pour la clarification du milieu révolutionnaire.
Le CCI a toujours eu comme principe de porter à l'extérieur ses propres débats internes, dès le moment où la clarification était suffisante pour que s'exprime le point de vue de l'ensemble de l'organisation. Tout débat théorique et politique n'est pas réservé à usage interne, pas plus qu'il ne vise à la réflexion pour la réflexion. Une organisation révolutionnaire digne de ce nom rejette aussi bien le monolithisme' qui enferme et étouffe les débats que l'esprit de cercle qui débouche sur la logomachie. Organisation militante du prolétariat, l'organisation révolutionnaire se conçoit comme un corps politique sécrété par la classe, où celle-ci n'est pas seulement intéressée mais directement impliquée dans la lutte théorique et politique des organisations qu'elle a fait surgir. Les débats d'une organisation révolutionnaire ne peuvent être secrets pour la classe, car une organisation révolutionnaire n'a pas de secrets à dissimuler au prolétariat. La politique du secret pouvait être le propre des sectes bakouninistes au 19ème siècle, mais jamais celui des organisations marxistes. Le caractère "secret" de ces sectes débouchait inévitablement sur la politique de manoeuvres. L'organisation secrète de l'Alliance de la démocratie socialiste de Bakounine dans la 1ère Internationale ne faisait que manifester une attitude d'extériorité au prolétariat.
Les organisations marxistes ont toujours reflété dans leurs publications les divergences existantes afin de travailler dans le sens d'une prise de conscience toujours plus aigue du prolétariat de son combat pour son émancipation. Les bolcheviks, avant l'interdiction des fractions au sein de leur organisation en 1921, le KAPD et la gauche communiste italienne ont toujours eu cet objectif. Non point pour donner - à la façon des "conseillistes" dégénérés - des "points de vue" dont le prolétariat n'aurait qu'à prendre passivement connaissance, mais pour orienter et trancher de façon ferme les débats afin que la pratique de la classe soit libérée de toute erreur ou hésitation.
Ce mode de fonctionnement de l'organisation marxiste découle tout naturellement de sa fonction dans la classe : être un facteur actif dans la praxis du prolétariat. Le CCI rejette aussi bien les groupes d'opinion des conseillistes dont l'aboutissement est l'éclectisme et la dissolution de l'organisation dans la passivité que les organisations monolithiques du "bordiguisme" dont la vie interne est étouffée et figée par l'interdiction de toute position minoritaire. Dans les deux cas, cette incompréhension de la fonction de l'organisation ne peut mener qu'à la désagrégation. La disparition des principales organisations conseillistes, puis l'éclatement du PCI, est finalement la sanction de cette incompréhension.
LE CCI N'EST PAS CONSEILLISTE.
Le CCI - contrairement aux affirmations gratuites de "Battaglia Comunista", puis du CWO qui, depuis peu, rejette aux orties les acquis du KAPD et se découvre des "sympathies" bordiguistes après avoir été tiré à grand peine par le CCI du marais "conseilliste libertaire" de "Solidarity" - ne vient pas du "conseillisme". Il s'est formé contre lui. L'existence d'Internacionalismo au Venezuela a été possible et s'est consolidée dès la fin des années 60 par une lutte théorique et politique contre la tendance conseilliste de "Proletario" ([1] [50]). La naissance de R.I. en France s'est effectuée en montrant, face au milieu conseillo-libertaire particulièrement présent à l'époque, la nécessité d'une organisation révolutionnaire militante et donc d'un regroupement des révolutionnaires. Après quelques hésitations à reconnaître la nécessité d'un parti révolutionnaire ([2] [51]) R.I n'a cessé de montrer l'importance d'un regroupement sans lequel ne pouvaient être posées les bases du parti. Le regroupement de 1972 entre R.I., l'organisation conseilliste de Clermont Ferrand et les "Cahiers du Communisme des Conseils" n'a pas été un regroupement "conseilliste" mais un regroupement sur la base marxiste de la reconnaissance du rôle irremplaçable de l'organisation dans la classe. Il a été possible après de longues discussions grâce auxquelles ont été levées les confusions conseillistes des groupes de Clermont et Marseille. A l'époque, faute d'une continuité organique avec la gauche communiste allemande et italienne, il était inévitable que les groupes surgissant du bouillonnement de 1'après 68 soient des groupes en recherche des principaux acquis de la gauche. Face au stalinisme et au gauchisme, et sous l'influence du milieu contestataire "anti-autoritaire", ils subissent pleinement les effets de l’idéologie conseilliste anti-organisation et anti-bolchevik. Vis-à-vis de ces groupes en France, Puis en"Grande Bretagne et aux USA, R.I. (puis le CCI après 1975) a mené un patient travail contre cette idéologie qui pénétrait les groupes de discussion en recherche et qui, en réaction au stalinisme, rejetait finalement toute l'histoire du mouvement ouvrier. C'est en reconnaissant la nature prolétarienne de" la révolution russe, en janvier 74, que le groupe "World Révolution" rompt avec le conseillisme. Le même cas se présente pour " Internationalism" aux USA, après discussions avec R.I. et "Internacionalismo".
Certes ; le CCI a eu à combattre jusqu'en son sein les idées bordiguistes sur la conception de l'organisation, sur le rôle du parti et ses rapports avec 1' Etat surgi de la révolution ([3] [52]). Depuis le groupe "Parti de classe" en 1972 jusqu'à la tendance qui allait donner le jour au GCI en 79 le CCI a montré que sa lutte contre les fausses conceptions de l'organisation n'était pas plus une régression vers le conseillisme que vers un "néobordiguisme" façon "Battaglia Comunista" et actuellement CWO. Si le combat politique et théorique dans sa presse s'est surtout essentiellement dirigé contre le bordiguisme et le néo-bordiguisme c'est surtout parce que la disparition du milieu conseilliste - par nature anti-organisation -laissait le champ libre au courant du PCI, qui se développait en raison directe de ses capitulations opportunistes. En quelque sorte, le développement du "bordiguisme" était la rançon que devait payer le milieu révolutionnaire à la disparition progressive des groupes d'orientation conseilliste disparus dans la tourbe de la confusion. Mais d'autre part aussi, le "bordiguisme", avec le PCI, constituait un véritable repoussoir pour les éléments nouveaux et groupes de discussion pouvant surgir. Ses conceptions d'un parti monolithique ("compact et puissant" suivant sa terminologie) devant exercer dans la révolution sa dictature et la "terreur rouge" ont eu pour effet de déconsidérer idée de parti. Incapable de faire, comme 1'avait fait "Bilan", le bilan de la contre-révolution et d'en tirer les implications sur la fonction et le fonctionnement de l'organisation, préférant dialoguer "avec les morts" et "avec Staline" ([4] [53]), le PCI et les sous-produits du bordiguisme n'ont fait qu'apporter de l'eau au moulin du conseillisme anti-organisation. Le bordiguisme, comme courant, véhicule les vieilles conceptions substitutionnistes qui avaient cours dans le mouvement révolutionnaire du passé. Ces conceptions, le CCI les a toujours combattues et les combattra encore demain. Parce que le conseillisme, sur un plan théorique du moins à défaut de le faire politiquement de façon organisée, combat le "substitutionnisme", cela ne signifie nullement que le CCI se trouve aux côtés du conseillisme.
Le CCI, en effet, a eu bien l'occasion de combattre les erreurs et aberrations conseillistes, jusque dans son sein. Face à des conceptions activistes-ouvriéristes, s'exprimant en particulier dans sa section en Grande-Bretagne, le CCI a été contraint de convoquer une conférence extraordinaire de toute l'organisation en janvier 82, afin de rappeler, et non d'établir, quelle était la conception du CCI de la fonction et du fonctionnement d'une organisation révolutionnaire.
Malheureusement les idées conseillistes continuent à s'exprimer de façon indirecte - et cela est d'autant plus dangereux - jusque dans notre organisation. En effet, au début de l'année 84, s'est ouvert un débat sur le rôle de la conscience de classe en dehors des luttes ouvertes. Des hésitations se manifestaient pour reconnaître alors la fin du recul de 1'après Pologne (1981-82), avec la reprise de la lutte de classe en automne 83. Cette reprise montrait de façon évidente une maturation de la conscience dans la classe, qui s'accomplissait de façon souterraine en dehors des périodes visibles de lutte de classe. ([5] [54])
Bien que la question ne soit pas nouvelle pour le CCI, un débat s'est ouvert dans notre organisation sur la conscience de classe. Il prolonge de façon militante le travail déjà accompli dans la brochure "Organisations communistes et conscience de classe". Reprenant la distinction classique du marxisme ([6] [55]), le CCI distingue les deux dimensions de la conscience : sa profondeur et son étendue. De cette façon, le CCI veut souligner plusieurs points fondamentaux :
- la continuité et le développement de la conscience dans la classe en étendue et en profondeur qui se manifeste par une maturation souterraine et s'explique par l'existence d'une conscience collective ;
- la conscience de classe a nécessairement une forme (organisations politiques et unitaires) et un contenu (programme et théorie) ; elle trouve son expression la plus élaborée, à défaut d'être achevée, dans les organisations révolutionnaires sécrétées par la classe ;
- cette conscience ne se développe pas chez les ouvriers pris comme entités individuelles mais collectivement ; elle ne se manifeste pas de façon immédiatiste mais historiquement ;
- contrairement aux assertions mégalomaniaques des bordiguistes, la conscience de classe n'est pas la propriété exclusive du parti ; elle existe nécessairement dans la classe, existence sans laquelle il n'existerait pas d'organisation révolutionnaire ;
- contrairement à la démagogie "ultra-démocratiste" du conseillisme, le CCI affirme que l'expression la plus haute de la conscience n'est pas les conseils ouvriers - où elle se développe de façon heurtée et à travers bien des erreurs - mais l'organisation politique révolutionnaire, lieu privilégié où se cristallise tout le trésor de l'expérience historique du prolétariat. Elle est la forme la plus élaborée, découlant de sa fonction, de concentrer la mémoire collective du prolétariat, qui n'existe qu'à l'état diffus dans la classe avant la période révolutionnaire, moment où la classe se la réapproprie avec le plus d'acuité.
Au cours de ce débat, le CCI a eu à combattre des positions qui soit rejetaient l'idée d'une maturation souterraine, soit (tout en reconnaissant ce processus) sous-estimaient le rôle indispensable des organisations révolutionnaires, en rejetant les dimensions de la conscience de classe ([7] [56]).
Réaffirmant que sans parti il ne peut y avoir de révolution, car la révolution engendre nécessairement des partis révolutionnaires, la majorité du CCI réaffirme que ces partis ne sont pas à la queue des conseils ouvriers mais son avant-garde la plus consciente. Etre une avant-garde ne leur donne aucun droit mais le devoir d'être à la hauteur de leur responsabilité, en raison de leur conscience théorique et programmatique plus élevées.
A la suite de ce débat - qui n'est pas terminé - le CCI a pu relever une tendance chez les camarades "minoritaires"à la conciliation avec le conseillisme (oscillations "centristes" par rapport aux idées conseillistes) . Bien que ceux-ci prétendent le contraire, nous pensons que le conseillisme constitue le plus grand danger pour le milieu révolutionnaire dès aujourd'hui, et bien plus que le " substitutionnisme, il deviendra un très grand péril pour l'intervention du parti dans les luttes révolutionnaires futures.
LE SUBSTITUTIONNISME EST-IL LE PLUS GRAND DANGER DE DEMAIN ?
A- Les bases objectives du substitutionnisme.
Lorsque nous parlons de substitutionnisme, nous entendons par là la pratique de groupes révolutionnaires qui prétendent diriger la classe et prendre le pouvoir en son nom. Dans ce sens, les gauchistes ne sont pas des organisations substitutionnistes : leur activité ne vise pas à se substituer à l'action de la classe, mais à la détruire de l'intérieur pour perpétuer la domination de la classe capitaliste. En tant que telles, elles ne commettent pas d1"erreurs" substitutionistes mais visent à prendre la direction de la lutte de classe pour la dévoyer et la soumettre à l'ordre bourgeois (parlementarisme, syndicalisme). Le substitutionnisme est en fait une mortelle erreur qui s'est développée dans le camp ouvrier, avant 1914, puis après 1920 au sein de l'Internationale Communiste. De la prétention à diriger de façon militaire la classe (cf. la discipline confinant "à la discipline militaire" affichée au 2ème Congrès) il n'y avait qu'un pas à la conception d'une dictature d'un parti unique vidant les conseils ouvriers de leur propre substance. Mais ce pas qui mène progressivement à la contre-révolution ne put être franchi que dans des conditions historiques déterminées. Les ignorer et oublier que de telles conceptions existaient jusque dans la gauche allemande, c'est ne pas comprendre les racines du substitutionnisme comme phénomène unique.
a) L'héritage de la conception social-démocrate du parti, unique porteur de la conscience qui devait être injectée de l'extérieur par des "intellectuels bourgeois" (cf. Kautsky et le "Que faire?" de Lénine) à 1'"armée disciplinée" des prolétaires, a lourdement pesé sur le mouvement révolutionnaire. Il a pesé d'autant plus lourdement qu'il trouvait un terrain fertile dans les pays sous-développés - comme en Russie et en Italie - où le parti était conçu comme un "état-major" représentant les intérêts de la classe et donc amené à prendre le pouvoir en son nom ;
b) de telles erreurs ont pu prendre pied dans une période de croissance numérique du prolétariat, où ce dernier - à peine sorti des illusions petites-bourgeoises rurales et artisanales - était éduqué politiquement par l'action des organisations politiques du prolétariat. Faute d'une riche expérience révolutionnaire capable de le mûrir politiquement et de lui donner une véritable culture politique, les tâches d'organisation et d'éducation des partis avant 1914 prenaient une place considérable. La conception que le parti est " l'état-major" de la classe et apporte aux ouvriers la conscience politique trouva un écho essentiellement dans les pays où le mouvement révolutionnaire manquait encore de maturité, et d'autant plus que son action se déroulait dans la plus stricte clandestinité, avec la centralisation et la discipline la plus stricte.
c) Les idées substitutionnistes, avant 1914, étaient encore une erreur au sein du mouvement révolutionnaire. Déjà les événements de 1905, où se manifestaient de façon incroyablement rapide la spontanéité créative du prolétariat, par la grève de masse, montraient la fausseté de telles conceptions. Lénine, lui-même, n'allait pas tarder à abandonner les thèses qu'il avait défendues dans "Que faire?". La révolution de 1905 entraîna dans la gauche communiste en Europe, et particulière ment chez Pannekoek, une remise en question de la conception kautskyste ; il montrait l'importance décisive de l'auto-organisation du prolétariat, que nul plan d'état major social-démocrate ou syndical ne pouvait susciter. Le change ment de tactique noté par Pannekoek dans les tactiques parlementaire et syndicale, qui passait désormais au second plan, montrait un changement profond dans la fonction de l'organisation révolutionnaire.
d) Il est faux de voir dans Lénine et les bolcheviks les théoriciens du substitutionnisme avant 1917, et même avant 1920. Les bolcheviks en 17 sont portés au pouvoir - avec les socialistes révolutionnaires de gauche - par les conseils ouvriers. L'insurrection, à laquelle participent de nombreux anarchistes dans la Garde Rouge, se fait sous la direction et le contrôle des conseils ouvriers. C'est beaucoup plus tard, avec l'isolement de la révolution russe et le début de la guerre civile, que commence à être théorisée - sous la forme de "léninisme" - la théorie d'une dictature de parti. Le substitutionnisme en Russie, où les conseils se vident de toute vie à mesure qu'ils sont vampirisés par le parti unique, est moins le résultat d'une volonté préexistante des bolcheviks que du tragique isolement de la révolution russe de la révolution en Europe occidentale.
e) Le courant de la gauche communiste italienne -contrairement aux assertions des conseillistes qui amalgament "léninisme" et "bordiguisme" (le "bordigo-léninisme") - a toujours rejeté en 1920 avec Bordiga la conception d'une conscience importée de l'extérieur dans le prolétariat par des "intellectuels bourgeois". Pour Bordiga, le parti est d'abord une partie de la classe ; le parti est le résultat d'une croissance organique issue de lai classe où fusionnent en une même totalité le programme et une volonté militante. Dans les années! 30, "Bilan" a toujours rejeté la conception défendue au 2ème congrès de l'I.C. d'une dictature d'un parti. Il a fallu la profonde régression de la gauche italienne après 1945, sous l'influence de Bordiga lui-même, pour que s'opère un retour à la théorie du substitutionnisme, codifiée après 1923 sous le vocable de "léninisme". C'est justement le rejet de la conception d'une "dictature de parti" qui a été en automne 1952 l'une des raisons de la scission qui donna le jour au groupe actuel "Battaglia Comunista".
B- Un danger moindre.
Aujourd'hui, les conceptions substitutionnistes présentent un moindre danger que par le passé, en raison :
- de la profonde réflexion théorique au sein des gauches communistes allemande, italienne et hollandaise dans les années 30, même si cela s'est fait partiellement au sein de chaque gauche, réflexion issue du bilan de la révolution russe et qui a permis de comprendre les racines de la contre-révolution y
- de la contre-révolution stalinienne qui a développé au sein du prolétariat, dans les pays développés en particulier, un sens plus aigu de la critique à l'égard des organisations politiques surgies de son sein et qui peuvent être amenées à le trahir. Le prolétariat, fort de son expérience historique, n'accordera plus désormais aveuglément et"naïvement sa confiance aux organisations qui se réclament de lui;
- de l'impossibilité d'une révolution dans les pays arriérés, tant que l'épicentre de la révolution mondiale ne se sera pas manifesté au cœur des pays industrialisés d'Europe occidentale. Le schéma d'une révolution isolée surgissant de la guerre impérialiste dans un pays où la bourgeoisie se trouve dans un état de faiblesse comme en Russie en 1917 ne se reproduira plus. C'est à l'issue d'une crise économique touchant tous les pays – et non plus les pays vaincus- là où le prolétariat est le plus concentré et le plus éduqué politiquement que surgira de façon beaucoup plus consciente la révolution communiste. Le prolétariat ne pourra s'organiser qu'internationalement et ne se reconnaîtra dans ses partis que dans la mesure où ils seront une partie des conseils ouvriers internationaux surgis non d'une révolution "française", "allemande", etc., mais véritablement internationale. L'isolement géographique de la révolution dans un seul pays, facteur objectif du substitutionnisme, n'est plus possible. Le danger véritable serait l'isolement sur un seul continent. Mais même dans ce cas, il ne pourrait y avoir prédominance d'un parti national comme en Russie : l'internationale (parti communiste mondial) se développera pleinement au sein des conseils ouvriers internationaux.
Cela ne signifie pas, bien entendu, que le danger de substitutionnisme a disparu à jamais. Dans les phases descendantes du cours révolutionnaire - qui sera étendu dans le temps, comme le montre l'exemple de la révolution allemande -, les hésitations inévitables et même l'épuisement momentané du prolétariat au cours d'une guerre civile longue et dévastatrice, peuvent être le terrain fertile où germe la plante empoisonnée du substitutionnisme ou du putschisme, bien proche de la conception substitutionniste blanquiste. D'autre part, la maturité du milieu révolutionnaire, où se sera opérée préalablement une décantation impitoyable des organisations prétendant être le "cerveau" ou l'"état major" de la classe sera un facteur décisif pour lutter énergiquement contre ce danger.
CONDITIONS D'APPARITION ET CARACTERISTIQUES DU CONSEILLISME.
Mais si le substitutionnisme constitue un danger surtout en période de recul dans la vague révolutionnaire, le conseillisme est un danger bien plus redoutable, surtout dans la période de montée de la vague révolutionnaire et encore plus à son point culminant où le prolétariat a besoin d'agir rapidement et avec la plus grande décision. Cette rapidité dans sa réaction et son sens aigu de la décision culminent dans la confiance qu'il manifeste aux programmes et mots d'ordre de ses partis. C'est pourquoi l'esprit d'indécision et le suivisme des conseillistes qui se trouvent flatter la moindre action des ouvriers sont particulièrement dangereux dans cette période. Les tendances conseillistes qui se manifestèrent entre 1919 et 1921 au sein du prolétariat allemand ne sont pas une expression de force du prolétariat. Si elles ne sont pas responsables de la défaite, elles traduisent une grande faiblesse au sein de la classe. Faire de ces faiblesses une vertu, comme le font les conseillistes, est la voie la plus sûre pour mener demain la révolution à la défaite. Il importe donc de comprendre les réactions de type conseilliste au sein du prolétariat allemand au cours de ces années pour éviter la répétition de ces faiblesses.
Contrairement aux apparences, le conseillisme n'apparaît pas d'abord comme une variété d'anarchisme, lequel trouva son terrain d'élection d'abord dans les pays sous-développés où le prolétariat était à peine sorti d'un état campagnard et artisanal. Il surgit au sein d'un prolétariat de longue souche, déjà aguerri par la lutte de classe et fortement politisé, agissant collectivement et débarrassé de l'individualisme petit- bourgeois.
Les tendances conseillistes surgirent d'abord dans le KPD (Spartakus) puis dans le KAPD, lorsqu'il se forma en avril 1920. Bien que Rühle (ex-IKD) fut le porte-parole de ces tendances, finalement assez isolé dans le KAPD, en dehors de la Saxe, l'écho des idées conseillistes se répercuta finalement dans l'ensemble du prolétariat radical allemand de toutes les régions. L'exclusion de Rühle et de ses partisans saxons par le XAP en décembre 1920 n'empêcha pas un rapide développement des thèses conseillistes qui devinrent celles des Unions unitaires (AAU-E), regroupant à un moment donné quelques centaines de milliers d'ouvriers.
Les caractéristiques du conseillisme allemand qu'on retrouve aujourd'hui d'ailleurs en grande part, sont :
- le rejet de tout parti politique du prolétariat comme "bourgeois". Selon Rühle : "le parti est d'essence bourgeoise. Il représente 1'organisation classique pour la représentation d'intérêts de la bourgeoisie. Sa naissance se fait à l'époque où la classe bourgeoise venait au pouvoir. Il naquit justement avec le parlementarisme..."
("Von der bürgerlichen zur prolatarischen révolution", 1924). Ici, Rühle exprime la haine légitime du prolétariat contre le parlementarisme, sans comprendre que la fonction du parti révolutionnaire change dans la décadence, ce que comprend par contre parfaitement le KAPD;
- le rejet du centralisme comme expression de la dictature d'une classe : "L'essence bourgeoise est organisativement représentée par le centralisme." (Otto Rühle, op. cit.)
Les conseillistes ici s'attaquent aux formes en soi, croyant pouvoir éviter par ce moyen 1'apparition" d'une "caste de chefs". En préconisant la décentralisation et en cultivant "l’anti-autorité" ils ne font que favoriser l'absence de contrôle effectif des ouvriers des organisations qu'ils mettent en place. L'anti-centralisme affiché par les "unitaires" partisans de Rühle, n'empêcha pas que l'AAU-E tombe sous la poigne des intellectuels et artistes de "Die Aktion" (Franz Pfempfert en particulier), qui constituèrent véritablement des chefs auto-proclamés;
- le localisme, corollaire de 1'anti-centralisme, débouché nécessairement sur l'usinisme ouvriériste. L'usine devient l'univers borné des unionistes (AAU proche du KAP, comme l'AAU-E) qui y voient une forteresse contre l'influence des partis. Le culte de l'ouvrier dans son entreprise s'accompagne d'un anti-intellectualisme, les non-ouvriers "intellectuels" militants dans le KAPD étant soupçonnés d'aspirer au rôle de "chefs" en se substituant a l'initiative spontanée des ouvriers;
- la confusion entre conseils ouvriers et organisations politiques ramène plusieurs décennies en arrière le mouvement ouvrier lorsque dans l'AIT on trouvait syndicats, partis, coopératives, etc. Ainsi, les Unions ont un programme révolutionnaire inspiré d'ailleurs de celui du KAP, mais sont mi-chèvres mi-chou, mi-politiques et mi-syndicales. Une telle confusion mena inévitablement à un néosyndicalisme révolutionnaire. Ce n'est pas par hasard si l'AAU-E - proche de Rühle et de Pfemfert -collabora rapidement avec les anarcho-syndicalistes de la FAUD
- finalement, le conseillisme politique glisse fatalement vers un semi-anarchisme, dans sa pire forme, l'individualisme. Rühle lui-même glissa progressivement vers un anti-marxisme anarchisant, pour ne voir dans Marx qu'un bilieux impénitent face à Bakounine. Son culte de l'individualisme débouche sur la "pédagogie" de l'ouvrier individuel, dont l'esprit est celui de "la cheminée d'usine", pour reprendre l'ironique expression du KAP définissant l'individualisme saxon.
DANGER "CONSEILLISTE" DANS LA REVOLUTION.
Le conseillisme ne fait qu'exprimer les faiblesses de la classe ouvrière. Il est d'abord une réaction négative, alors que la classe passe d'un état de confiance aveugle dans ses anciennes organisations - gagnées progressivement par l'opportunisme pour sombrer finalement dans la contre-révolution - à un état de défiance à l'égard de toute organisation politique. Les tendances conseillistes en Allemagne, pendant la révolution, furent directement proportionnelles à la naïve confiance qu'accordèrent en novembre-décembre 1918 les ouvriers allemands organisés en conseils à la social-démocratie, qui devait les massacrer pendant 3 années durant. Face à ce que les ouvriers croyaient n'être qu'une trahison des "chefs", chaque organisation sécrétant le "poison" des chefs, se développèrent des tendances anti-parti et "anti-autoritaires" (anti-"bonzes"). Le repliement des ouvriers d'industrie dans des organisations d'entreprise locales (Betriebsorganisation des unions) et des unions corporatives (union des mineurs, union des marins en 1919) n'était pas l'expression d'une force croissante d'une classe se ressaisissant après le massacre de janvier 1919,[mais le produit d'une faiblesse énorme, sous le coup d'un terrible déboussolement.
Parce qu'elle se déroule dans un pays hautement industrialisé, clef de la révolution mondiale, la lutte de classe en Allemagne est beaucoup plus caractéristique de la révolution communiste de demain que celle qui se déroula en Russie. Les réactions de type conseilliste où le prolétariat dans les conseils manifestera la plus grande méfiance pour toute organisation révolutionnaire sont des réactions qu'un parti révolutionnaire devra affronter avec la plus grand fermeté
Ces réactions seront d'autant plus puissantes que la contre-révolution stalinienne et l'image du parti unique dans les pays de l'Est - à côté d'une certaine méfiance des ouvriers pour les partis politiques de gauche - ont rendu la classe viscéralement méfiante à l'égard de toute organisation révolutionnaire. De telles réactions expliquent - conjuguées avec le totalitarisme de l'Etat qui rend impossible toute organisation révolutionnaire de masse - le manque d'engagement politique militant dans la classe. Malgré l'écho grandissant de leurs positions et de leurs interventions, les militants révolutionnaires inévitablement se heurteront à des préjugés tels : "la révolution avec des partis, même révolutionnaires, mène à la dictature". Il est vrai que le bordiguisme, avec sa conception d'un parti unique exerçant la "dictature rouge" par la violence dans la classe, avec son soutien odieux du massacre des ouvriers et marins de Kronstadt, ne peut que renforcer les réflexes conseillistes au sein ae la classe. On peut même dire que le bordiguisme et le néo-bordiguisme sont les meilleurs sergents recruteurs du conseillisme.
Les organisations révolutionnaires, et le CCI en particulier, doivent être conscientes que leur action organisée dans les conseils de demain ne sera pas facile. Elles seront le plus souvent au début interdites de parole, car organisées en partis. La bourgeoisie d'ailleurs, à travers ses agents les plus dangereux que sont les syndicalistes de base, ne manquera pas d'attiser les sentiments anti-organisation des ouvriers, voire leurs réflexes ouvriéristes, en présentant les organisations révolutionnaires comme des organisations d'"intellectuels" voulant "diriger" la classe pour prendre le pouvoir. Comme Rosa Luxemburg en 1918, les militants non ouvriers du parti pourront être exclus de toute prise de parole dans les conseils, sous prétexte qu'ils ne sont pas ouvriers.
Le danger de conseillisme dans les événements révolutionnaires ne doit donc pas être sous-estime, Il peut même être mortel. Dans la mesure où les idées anti-organisation prédominent, le prolétariat peut être en proie aux provocations les plus délibérées de la bourgeoisie. Le culte des minorités agissantes "anti-autoritaires" peut mener au putschisme le plus dévastateur pour la classe. La méfiance pour le programme et la théorie révolutionnaires, censés violer la conscience de l'ouvrier individuel, ne peut que favoriser l'emprise de l'idéologie petite-bourgeoise individualiste véhiculée par la troupe innombrable des petits bourgeois prolétarisés par la crise et le chômages Pire, cette méfiance favorise l'emprise de l'idéologie bourgeoise qui est l'idéologie dominante.
UN DANGER REEL DES AUJOURD'HUI, DANS LE MILIEU REVOLUTIONNAIRE.
le danger du conseillisme - bien qu'il se manifeste pleinement dans les événements révolutionnaires - est un danger dès aujourd'hui. Il guette essentiellement le faible milieu révolutionnaire, faute d’une continuité organique avec les organisations révolutionnaires du passé (Gauches communistes). Il se présente sous des formes diverses, toutes aussi négatives :
- l'activisme immédiatisme qui mène fatalement au marais libertaire, sinon gauchiste. ICO en France, "Arbetarmakt" en Suède ont disparu finalement pour leur activisme ouvriériste proche du gauchisme. Un groupe comme "Arbetarmakt" finissait par tomber sous la pression de l'idéologie petite-bourgeoise, puis bourgeoise, en glissant dans un néo-syndicalisme de base ;
- la conception des groupes de travail et d'études mène à une remise en cause du rôle militant des révolutionnaires ; cénacles d'où l'on observe de haut la lutte de classe. Ces groupes mettent en cause finalement le rôle révolutionnaire du prolétariat et tombent très facilement dans le pessimisme ou le modernisme. Les avatars issus du cercle de Barrot ("le mouvement communiste") en témoignent. De tels cercles n'ont rien à voir avec le milieu révolutionnaire ; ils ne font que patauger dans la confusion distillée par une petite-bourgeoisie en pleine décomposition ;
- l'idéologie "anti-bolchévik" - où tout le passé révolutionnaire des bolcheviks est volontairement nié - ne peut que mener à une remise en cause de] toute l'histoire du mouvement ouvrier et même à une remise en cause du marxisme. L'évolution dur groupe "Pour une Intervention Communiste" en France (P.I.C.) est symptômatique. De l'activisme primitif, il y a glissement vers l'esprit de cercle d'étude académique. Bientôt - à l'exception de la "Gauche polonaise"([8] [57]), dada de certains militants du P.I.C. - l'ensemble du mouvement révolutionnaire est considéré comme marqué par l'esprit de parti. Marx lui-même devient le grand responsable de tous les malheurs du mouvement ouvrier en "inventant" le concept (sic!) de parti. Pire encore, toute cette réaction "anti-bolchévik" ne peut mener qu'à des compromissions avec le socialisme de gauche (cf. la dissolution finale des membres du P.I.C. dans les "cahiers Spartacus", éditeurs de brochures de socialistes de gauche les plus divers) ;
- la sous-estimation du rôle de l'organisation, et ne voyant plus que la conscience des ouvriers pris comme autant d'entités aussi - sinon plus - conscientes que l'organisation, mène à sa propre négation, comme partie militante de la classe. Cette sous-estimation est un véritable suicide pour les militants qui défendent dans des organisations ou cercles des positions conseillistes. C'est ce danger qui menace les groupes se réclamant du "Communisme des Conseils".
Même si aujourd'hui le conseillisme s'est désagrégé, principalement en Europe occidentale, étant un rassemblement hétéroclite de cercles aux positions floues et viscéralement anti-organisation, son idéologie subsiste. Les groupes de discussion qui ont surgi ces dernières années en Scandinavie (Danemark) et au Mexique sont particulièrement vulnérables à ces conceptions. Il est évident que le CCI n'a pas à ignorer de tels groupes et à les laisser s'enfoncer dans leur confusion. Il est conscient que la rupture organique avec les organisations de la Gauche communiste fera de plus en plus surgir des groupes très confus se réclamant du communisme des conseils, et marqués en fait par une idéologie conseilliste individualiste petite-bourgeoise. Le CCI a une responsabilité énorme - en étant devenu avec l'éclatement du PCI le seul véritable pôle révolutionnaire au niveau international - qui pèse sur ses épaules pour faire évoluer de tels cercles vers une conception marxiste militante. De tels cercles, qui bien souvent sortent de la petite-bourgeoisie avec ses préjugés et ses préoccupations académiques, dans le milieu estudiantin, sont particulièrement vulnérables à l'idéologie conseilliste. Le CCI ne pourra amener de tels éléments, comme il a pu le faire en Suède et en Hollande, à une conception révolutionnaire prolétarienne que s'il reste intransigeant dans sa conception d'une organisation centralisée et militante et s'il combat avec la plus grande énergie, sans la moindre hésitation ou oscillation, les concept ions conseillistes.
Ce danger conseilliste ne guette pas seulement les groupes confus ou les cercles de discussion ; il peut se manifester jusque dans les rangs des groupes se revendiquant de la Gauche communiste italienne, tels "Battaglia Comunista" et maintenant l'anguille politique nommée CWO. Leur conception d'une double organisation politique avec le "parti" (mégalomanie oblige) et les groupes d'usine" (groupes fantômes) n'est pas sans rappeler celle du KAPD avec ses organisations d'usine, avec le bluff en plus, et toutes proportions gardées puisqu'il est difficile de comparer des nains avec le géant que fut le KAPD. Demain, la logique du bluff des "groupes d'usine" pourrait les pousser à dissoudre, par pur suivisme, leur organisation politique en en faisant un simple appendice de ces groupes, pour peu qu'ils rencontrent un écho dans la classe. Bien qu'hostiles par principe - par ignorance ou opportunisme, ce qui vaut dans le premier cas pour "Battaglia Comunista" et dans le second pour la CWO champion tous azimuth des tournants politiques - au KAPD, ces deux petits groupes qui se gonflent d'importance feraient bien de modestement étudier l'histoire du KAPD. A force de prêcher la double organisation, le KAPD allait finalement commencer à se désagréger en 1929, la plus grande partie s'organisant en une Union activiste (la KAU), tandis que les restes du KAPD maintenu - hostiles désormais à toute double organisation - ne constituaient plus qu'un tout petit groupe. Le suivisme avéré de "Battaglia Comunista" et du CWO pour des organisations iraniennes nationalistes du type "Komala" ou "parti communiste d'Iran" n'augure rien de bon sur la capacité de ces organisations à maintenir fermement un cadre programmatique et organisationnel intransigeant.
Le danger du conseillisme ne se trouve donc pas seulement chez les négateurs de parti ; il peut menacer même une organisation révolutionnaire aussi armée que le CCI. Il est d'autant plus dangereux que bien souvent le conseillisme n'ose dire\son nom et se cache derrière une reconnaissance formelle du cadre programmatique et organisationnel centralisé.
Le CCI demeure plus que jamais vigilant pour remplir sa fonction militante dans la classe. Il est convaincu que sa fonction est irremplaçable et qu'il explique de la façon la plus 'élevée la conscience de classe. Son fonctionnement centralisé est décisif pour maintenir son cadre programmatique légué par les gauches communistes.
Le CCI, comme le KAPD et "Bilan", est convaincu du rôle décisif du parti dans la révolution. Sans parti révolutionnaire, fruit d'un long travail de regroupement et de bataille politique, il ne peut y avoir de révolution prolétarienne victorieuse. Aujourd'hui, toute sous-estimation du rôle de l'organisation, toute négation de la nécessité d'un parti dans la révolution, ne peut que contribuer à la désagrégation d'un milieu révolutionnaire déjà particulièrement faible.
Le danger conseilliste est un danger face auquel le CCI doit être particulièrement armé, jusque dans son sein. En soulignant le danger des oscillations conseillistes, qui n'osent dire leur nom, le CCI ne tombe pas ou ne régresse pas vers une sorte de "bordiguisme" ou de "léninisme".
L'existence du CCI est le fruit de toutes les fractions communistes du passé. Il défendra leurs acquis positifs - à la fois contre les groupes de tendance conseilliste et les groupes bordiguistes, sans en reprendre les côtés négatifs : substitutionnisme dans la gauche russe, négation du parti dans la gauche hollandaise, double organisation dans la gauche allemande. Le CCI n'est pas une organisation passéiste. Le CCI n'est ni "conseilliste" ni "bordiguiste", il est le produit actuel de la longue histoire de la gauche communiste internationale. C'est par une lutte politique sans concessions contre toute hésitation touchant sa fonction et sa place dans la lutte de classe que le CCI pourra être à la hauteur de ses prédécesseurs et même les dépasser dans le feu du combat.
Chardin.
[1] [58] cf. " Bulletin d'études et de discussions" 1974.
[2] [59] Le 1er numéro de R.I. manifestait des tendances conseillistes. Mais en 1969, fut présenté à la conférence nationale d'ICO, un texte très clair sur la nécessité d'un parti (cf. R.I. ancienne série n°3).
[3] [60] Cf la brochure organisations communistes et conscience de classe,
[4] [61] "Dialogue avec les morts" et "Dialogue avec Staline" (sic!) sont les titres de brochures de Bordiga
[5] [62] Résolution du CCI en janvier 1984 : "Il existe entre les moments de lutte ouverte, une maturation souterraine de la conscience (la "vieille taupe" chère à Marx), laquelle peut s'exprimer tant par l'approfondissement et la clarification des positions politiques des organisations révolutionnaires, que par une réflexion et une décantation dans 1'ensemble de la classe, un dégagement des mystifications bourgeoises.
[6] [63] cf. Marx, "Idéologie Allemande" (La Pléiade, p. 1122) : Marx parle de la "conscience de la nécessité d'une révolution en profondeur". Cette conscience communiste est produite "massivement" par une transformation" qui touche la masse des hommes, laquelle ne peut s'opérer que dans un mouvement pratique, dans un révolution". (p. 1123).
[7] [64] Nous donnons ici des extraits de la résolution adoptée en janvier 84 (et qui a provoqué des "réserves" et désaccords de la part de certains camarades) : "Même si elles font partie d'une même unité et agissent l'une sur l'autre, il est faux d'identifier la conscience de classe avec la conscience de la classe ou dans la classe, c 'est à dire son étendue à un moment donné... Il est nécessaire de distinguer ce qui relève d'une continuité dans le mouvement historique du prolétariat : 1'élaboration progressive de ses positions politiques et de son programme, de ce qui est lié aux facteurs circonstanciels : 1'étendue de leur assimilation et de leur impact dans la classe."
[8] [65] Ces militants font la preuve qu'ils ne connaissent pas grand chose à l'histoire ; le parti bolchevik auquel ils reprochent d'être trop centralisé, l'était bien moins encore que cette Gauche Polonaise, la SDKPiL
Avec la publication du premier numéro, (avril 1984) en anglais et en français de la "Revue Communiste", le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire récemment formé par le PC Internationaliste (BC) d’Italie et la CWO de Grande-Bretagne, a enfin trouvé une voix. L'événement est d'autant plus important que l'effondrement du PC International (Programme Communiste) avait privé les organisations issues de la tradition "bordiguiste" du PC Int fondé en 1943 de toute expression sur le plan international. Le regroupement de BC et de la CWO est l'aboutissement d'un processus annoncé par la CWO (RP n°18) après la 3ème Conférence Internationale. Le milieu prolétarien aurait été en droit d'attendre un compte rendu des discussions qui avaient permis aux deux groupes de surmonter leurs divergences programmatiques au point de fonder une organisation commune. La formation du BIPR est dans la droite lignée des manoeuvres qui ont saboté les Conférences Internationales ; elle est faite d'un bluff et d'un opportunisme politique qui ne peut que déconsidérer l'importance des organisations révolutionnaires et du rôle qu'elles ont à jouer dans la lutte de classe.
Incapables de comprendre leurs origines de façon scientifique, historique, les peuples primitifs ont inventé des explications mythiques de la création du monde et de l'humanité. BC et CWO qui ne comprennent guère mieux les origines et les fonctions de l'organisation révolutionnaire, ont inventé une histoire mythique des Conférences Internationales afin d'expliquer la création du BIPR. Si nous ne nous donnons pas le but ici de défendre notre conception des conférences (voir article dans ce numéro), une mise au point historique est néanmoins nécessaire.
D'après ce mythe de la création, c'est grâce à la clarté de BC que les Conférences ont vu le jour :
"Face à la nécessité de serrer les rangs et de relancer de façon systématique et organisative le travail politique des révolutionnaires au sein du prolétariat mondial, une pluralité de groupes et d'organisations non reliés entre eux se présentaient divisés par des divergences politiques et théoriques dont ils ignoraient 1'existence et la nature.
Concentrés dans un travail local ou de pure abstraction théorique ils étaient incapables de se comporter de façon à jouer un rôle dans les événements qui se préparaient alors et qui se préparent encore aujourd'hui...cette situation devait être bousculée, il fallait faire tout ce qui était possible pour la modifier..(..)..A cette nécessité le PC Int. répondait en convoquant une première Conférence internationale entre les groupes qui se reconnaissaient dans les critères suivants ;
Bravo Battaglia ! Mais pourquoi, en 1976, était-il devenu nécessaire de "serrer les rangs" ? Qu'est-ce qui avait changé depuis 1968, quand le petit noyau qui allait devenir RI vous a demandé de lancer une conférence afin de faire face à la nouvelle situation créée par les grèves de 68 ? Qu'est-ce qui avait changé depuis novembre 1972, quand nos camarades d'Internationalism (qui allait devenir notre section aux USA) ont lancé un appel à une "correspondance internationale" dans la perspective d'une conférence internationale ? A l'époque vous avez répondu :
En plus "à la suite des expériences que notre parti a fait dans les temps passés, nous ne croyons pas au sérieux et à la continuité de liens internationaux établis uniquement sur de simples bases cognitives (correspondance, contacts personnels et débats entre groupes sur des problèmes théoriques et de praxis politique) "
(Lettre de BC à Internationalism, 5/12/72 : citée dans la lettre du CCI à BC du 9/6/80. Voir compte-rendu de la 3ème Conférence Internationale). Qu'est-ce qui avait changé en 1976 ? La lutte de classe ? Les tensions entre puissances impérialistes ? C'est en vain qu'on cherche une réponse dans les textes du BIPR.
Par contre, si on relit le texte de convocation de la 1ère Conférence, on se rend compte que la nouvelle situation qui a poussé BC à son appel n'est ni le développement de la lutte de classe (puisque la vague de luttes qui va de 1968 à 74 est vue par BC comme une simple affaire d'étudiants et de couches petites-bourgeoises) ni le développement des tensions inter-impérialistes mais ...la "social-démocratisation des partis Communistes". Depuis ce fameux "Euro-communisme" s'est révélé purement conjoncturel, lié à la période de la gauche au pouvoir face à la lutte de classe. BC, par contre, ne s'est toujours pas révélée capable de comprendre la signification de La rupture avec la contre-révolution constituée par les luttes de 1968-74.
Quant aux critères d'adhésion à la Conférence, On n'en trouvera pas trace dans les textes de BC. Au contraire, c'est le CCI qui répond à BC : "Pour que cette initiative soit une réussite, pour qu'elle soit un véritable pas vers le rapprochement des révolutionnaires, il est vital d'établir clairement les critères politiques fondamentaux qui doivent servir de base et de cadre, pour que la discussion et l'affrontement des idées soient fructueux et constructifs..(..)..Les critères politiques pour la participation dans une telle conférence doivent être strictement délimités par :
(2ème lettre du CCI au PC Int le 15/7/76, compte-rendu de la 1ère Conférence)
Ce sait les critères que nous avons proposés et défendus dès avant les conférences. Mais BC peut au moins se vanter d'une originalité : la proposition d'un critère supplémentaire, celui de la reconnaissance des conférences comme faisant partie du "processus qui doit conduire à la constitution du parti international du prolétariat, organe politique indispensable à la direction politique du mouvement , révolutionnaire de la classe et du pouvoir prolétarien lui-même." (Revue Communiste n°l) Ce critère est introduit dans le but, on ne peut plus "sérieux", d'exclure le CCI des Conférences et donc d'ouvrir la voie "à la constitution du parti international". "La conclusion de la 3ème Conférence est la prise d'acte nécessaire d'une situation en phase de dégénérescence, c'est la fin d'une phase de travail des Conférences ; c'est la réalisation de la première sérieuse sélection des forces.. .Nous avons assumé la responsabilité qu'on est en droit d'attendre d'une force sérieuse dirigeante". (Réponse de BC à notre "Adresse au milieu").
On ne juge pas un individu d'après l'idée qu'il a de lui-même mais par ce qu'il fait ; de la même façon, une position politique abstraite et platonique ne vaut rien : l'important c'est son application dans la pratique. Il n'est donc pas sans intérêt d'examiner le compte rendu de la 4ème "Conférence Internationale", dont l'ouverture annonce déjà : "maintenant il existe le fondement du début du processus de clarification sur les véritables tâches du parti.. (..)..Bien qu'aujourd'hui nous n’ayons moins de participants qu'aux 2ème et 3ème Conférences, nous commençons sur une base plus claire et plus sérieuse" (c-r 4ème Conférence).
Déjà on peut juger le grand "sérieux" de cette Conférence par le fait :
Mais ce serait mesquin de notre part de nous attacher à de tels détails "pratiques" sans importance. Passons donc en revue les "forces" que BC et CWO ont "sérieusement sélectionnées" pour "commencer le processus de clarification des tâches du parti" :
Tous les anciens mythes de la création mettent sur scène trois éléments : le Bien, le Mal et les simples mortels. Dans la mythologie de BC-CWO il y avait aux Conférences, le Bien (BC-CWO), le Mal (le CCI) et de simples mortels constitués par "Divers groupes (qui) se présentaient non seulement désarmés sur le plan théorique et politique, mais de plus, par leur nature même, ils ne pouvaient tirer aucun élément positif de la polémique en cours pour favoriser leur propre croissance politique et la maturation." (Revue Communiste)
Ici, comme dans la Bible, on "arrange" un peu l’histoire; pour les besoins du mythe. Ainsi on "oublie" que pendant les Conférences, et en partie grâce à elles le groupe For Konmunismen a su "favoriser sa propre croissance et: maturation" en devenant la section du CCI en Suède.
Quant au Mal, il est évidemment incarné par le CCI, "faiseurs de résolutions" (CWO), qui "veulent faire passer les divergences pour des problèmes de formulations" (BC : c-r de la 2ème Conférence Internationale). C'est le CCI qui "voulait que les Conférences imitent, sur une échelle plus large, sa propre méthode pour résoudre les divergences politiques –c’est à dire les minimiser- afin de maintenir l'unité de l'organisation" (RP n°18). C'est le CCI, dont "la motivation (en rejetant l'opposition à la libération nationale en tant que critère de participation aux Conférences Internationales) était marxiste dans sa forme, nais opportuniste dans son contenu, puisque le but était de faire accepter l'adhésion aux réunions futures de leurs sbires Nucleo Ccmunista, un groupe bordiguiste avec lequel le CCI a manoeuvré de façon opportuniste contre le PC Int" (RP n°21). C'est le CCI qui "a fait de son mieux pour saboter tout débat significatif à la 3ème Conférence en refusant une résolution parfaitement franche sur le rôle fondamental du parti révolutionnaire proposée par BC. Dans la réalité, le CCI est toujours le premier pour saboter la discussion dans un nuage de verbosité". (WV n°16)
Loin de nous de plaider pour Satan. En tant que marxistes révolutionnaires, ce qui nous intéresse, c'est la réalité historique du prolétariat et de ses organisations politiques. Ainsi, nous rappelons à BC/CWO que ce n'est certainement pas le CCI qui veut faire passer les divergences politiques pour des problèmes de formulation ; même avant la 1ère Conférence, c'est BC qui propose, pour l'ordre du jour, "les moyens de discuter et dépasser les divergences techniques et pratiques entre les groupes (telles que le parti et les syndicats, le parti et les conseils, l'impérialisme et les guerres coloniales et semi-coloniales). " (3ème lettre circulaire du PC Int, c-r 1ère Conférence)
A quoi nous répondions : "Nous devons nous garder de précipiter les choses et escamoter nos divergences, tout en maintenant un engagement solide et conscient envers la clarification et le regroupement des révolutionnaires. Ainsi, bien qu'un accord avec l'ordre du jour proposé, nous ne comprenons pas pourquoi des questions telles que "parti et syndicat, parti et conseils, impérialisme et guerres coloniales ou semi-coloniales" sont vues comme "divergences techniques et pratiques" (c-r 1ère Conférence). Quant aux résolutions que nous avons proposées aux conférences, il suffit de lire la première (c-r 1ère Conférence) pour se rendre compte que son but est de mettre en avant avec le maximum de clarté possible, ce qui réunit le PC Int et le CCI et ce qui les distingue, comme base de discussion et de clarification.
Le BIPR est d'ailleurs fort mal placé pour parler, de "minimisation de divergences" - nous le verrons plus loin.
Pour ce qui est de nos "sbires", si notre but au sein des Conférences était de manoeuvrer, de les "contrôler", de façon opportuniste nous n'avions nullement besoin de "sbires". Il nous suffisait d'accepter l'invitation initiale de BC, adressée non pas au CCI en tant que tel, mais à nos diverses sections territoriales ; le calcul arithmétique est simple : neuf sections territoriales égalent neuf votes dans les Conférences, largement suffisant pour que nous puissions "contrôler" les Conférences du début jusqu'à la fin, voter toutes les résolutions qu'il nous plaisait, faire que les Conférences prennent position autant que nous l'aurions voulu. Au lieu de cela, nous avons répondu : "puisque nous ne sommes pas une fédération de groupes nationaux, mais un Courant international avec des expressions locales, notre réponse ici est celle de tout le Courant". En réalité, la critique principale qu'on peut adresser au CCI lors des Conférences n'est pas celle de l'opportunisme, mais celle de la naïveté. Notre conception de l'action révolutionnaire exclut les majorités de façade, les magouilles, les manoeuvres dignes du crétinisme parlementaire, et nous étions suffisamment naïfs pour penser qu'il en était de même pour BC, pour la CWO ; qu'ils se rassurent nous ne nous tremperons pas une deuxième fois.
Quant à nos "manoeuvres opportunistes", on ne peut que remarquer que la CWO est incapable de donner le moindre exemple concret, et encore moins documenté - et ce n'est pourtant pas l'envie qui leur fait défaut. Après tout ce n'est pas le CCI mais BC et la CWO qui tenaient des réunions intergroupes clandestines dans les coulisses de la 3ème Conférence. Ce n'est pas le CCI mais BC qui, après avoir nié tout désir d'exclure le CCI jusqu'à la veille de la 3ème Conférence, a lancé leur critère d'exclusion à la fin de cette même conférence. Pourquoi ? Pour pouvoir faire voter leur manoeuvre après le départ de la délégation du NCI, dont les interventions avaient soutenu notre rejet de ce critère, (voir le compte rendu de la 3ème Conférence et la lettre du CCI au PC Int suite à leur opération de sabotage). Ce genre de manoeuvre, bien connu dans le parlement américain sous le non de "filibuster", est digne de démocrates bourgeois, pas de révolutionnaires prolétariens.
C'est avec ces méthodes de parlementaires bourgeois que BC/CWO ont l'intention de construire le Parti de Classe qui défendra les principes du communisme au sein du mouvement prolétarien.
Apparemment pour BC/CWO, la fin justifie les moyens ; et la fin, au moins provisoirement, c'est le fameux BIPR. Le Bureau est un animal véritablement bizarre, qui nous fait penser à cette créature mythique, le Griffon qui est constitué à partir de plusieurs animaux réels : la tête et les ailes d'un aigle, les pattes de devant d'un lion et la queue d'un dauphin. Afin de déterminer la véritable nature du Bureau, il nous semble nécessaire de procéder par élimination, et décider d'abord ce que le Bureau n'est pas.
D'abord, le Bureau n'est pas un simple comité de liaison, canne par exemple l'ancien Comité Technique des Conférences Internationales. La fonction du CT était de coordonner un travail entrepris en commun par plusieurs organisations séparées, sans que cela implique un quelconque regroupement, ni identité de positions politiques. Le CT exécutait des tâches à la fois "techniques" (édition de bulletins etc.) et "politiques" (décisions sur l'ordre du jour des Conférences, sur les groupes devant y participer, etc.) ; tout ceci dans le cadre des critères d'adhésion aux Conférences acceptés par ses participants. Par contre, le Bureau qui se définit comme "produit d'une première sélection et d'un processus d'homogénéisation dans le cadre des quatre premières Conférences Internationales" (Statuts, Revue Communiste n°1) ressemble plus à une véritable organisation politique où l'adhésion est basée sur une plateforme de positions politiques, et dont le fonctionnement est déterminé par des Statuts. On considère apparemment que la plateforme constitue une homogénéité politique, puisque : "Sauf cas exceptionnel et pour une période transitoire, il ne peut exister qu'une organisation adhérente dans un même pays" (Statuts) .Dès le départ le Bureau est infecté par une forte dose de fédéralisme : les organisations adhérentes dans différents pays gardent leur identité distincte, et "le Bureau entretiendra des rapports seulement avec les comités dirigeants de celles-ci" (Statuts). Encore un signe du désir, si cher au petit-bourgeois, de rester "maître chez soi".
Cependant, le BIPR n'est pas non plus une organisation politique, au moins pas dans le sens où nous l'entendons. Le CCI est une seule organisation internationale, basée sur une seule plateforme ([1] [68]), des statuts communs et dont les sections dans chaque pays ne sont que les expressions locales de l'ensemble. Fidèle au principe communiste de la centralisation, le CCI dans son ensemble est représenté par son Bureau International, élu au Congrès International ; les positions du BI sont toujours minoritaires à tous les niveaux de l'organisation, tout comme l'ensemble prime sur la partie.
Le BIPR, par contre, n'est pas une seule organisation ; il doit "organiser et coordonner le travail d'intervention (des organisations affiliées) et favoriser leur homogénéisation politique dans la perspective de leur centralisation organisative" (Statuts). Il n'a pas non plus une seule plateforme, mais trois : celle du Bureau, de BC, de La CWO (sans compter les plateformes "des groupes d'usines", "groupes de chômeurs", etc., un véritable embarras de richesses). En regardant le contenu de la plateforme du BIPR, nous sommes en droit de demander à BC/CWO quelle est leur "méthode pour résoudre les divergences politiques., afin de maintenir l'unité de l'organisation" sinon les "minimiser" ; quelle position, par exemple, doivent défendre les malheureux "camarades français","considérés comme militants du Bureau" (Statuts), sur le parlementarisme révolutionnaire, quand on sait que BC est pour, la CWO plutôt contre, tandis que la plateforme du BIPR, n'en parle pas du tout. Effectivement, nous ne pouvons pas accuser BC et la CWO de "minimiser" leurs divergences : ils les font carrément disparaître !
"Le Bureau n'est pas le Parti, il est pour le Parti" (Revue Communiste). Mais "pour" quel type de Parti est-il ?
Ici n'est pas le lieu pour revenir sur nos conceptions de base sur la constitution et la fonction du Parti de classe : nous renvoyons le lecteur à nos textes, notamment celui "Sur le Parti" du 5ème Congrès du CCI. Cependant, il faut, insister que la notion de Parti ne peut pas inclure tout et n'importe quoi, et un aspect essentiel de cette notion est le lien étroit entre l'existence du Parti et le développement de la lutte de classe. Le Parti est nécessairement une organisation politique avec une large influence au sein de la classe ouvrière, qui la reconnaît comme une de ses expressions.
Cette influence ne saurait être réduite à une simple question d'action mécanique du Parti où les "idées révolutionnaires" gagnent une "audience" de plus en plus grande dans la classe. Ceci, en fin de compte, revient à la vision idéaliste pour qui les "idées" du Parti deviennent la force motrice de la "masse" inerte du prolétariat. Dans la réalité il s'agit d'un rapport dialectique entre parti et classe, où l'influence croissante du Parti dépend de la capacité organisationnelle du prolétariat dans les assemblées et les soviets de faire sien et de mettre en action les orientations politiques du parti. Le programme révolutionnaire n'est pas simplement une question "d'idées" mais une "critique pratique" pour reprendre le terme de Marx. Seulement à travers l'action révolutionnaire de la classe ouvrière les positions du Parti peuvent trouver une vérification concrète : "la question de savoir si le penser humain peut prétendre à la vérité objective n'est pas une question de théorie, mais une question pratique." (Thèses sur Feuerbach)
On ne peut donc parler de Parti, en période de décadence/ en dehors de périodes révolutionnaires où pré-révolutionnaires, ce qui évidemment ne veut pas dire que le Parti se crée du jour au lendemain, à l'image d'Athéna qui est née adulte de la tête de Jupiter. Il sera le fruit d'un long effort de clarification et d'organisation préalable parmi les minorités révolutionnaires, ou il ne sera pas.
Notre conception du Parti est donc radicalement opposée à celle du bordiguisme "pur" de "Programme Communiste", pour qui c'est le parti qui définit la classe. BC et la CWO, par contre, occupent une position centriste entre les aberrations du bordiguisme et la position marxiste.
La définition du parti donnée par les bordiguistes de Proqramma a au moins la vertu de la simplicité : il existe un Parti Communiste International unique, fondé sur un programme qui est non seulement unique, mais invariant depuis 1848. Pour le BIPR également, l'existence du parti n'a rien à voir avec son "influence" dans la classe, mais dépend du programme, bien que le contenu du programme évolue dans l'histoire :
"La résolution théorique et politique des problèmes liés au repli de la grande expérience bolchevique sur le terrain du capitalisme d'Etat a permis, en pleine seconde guerre impérialiste, la réorganisation, autour de la doctrine et du programme communistes, de petites minorités érigées en parti, en ce sens qu'elles s'opposaient sur le plan théorique, sur le plan politique et sur le plan organisationnel à tous les autres partis bourgeois agissant aussi bien à l'extérieur qu'à 1'intérieur de la classe ouvrière" (Plateforme du BIPR)
Le BIPR reconnaît également que les conditions objectives de l'existence prolétarienne font que le même programme est valable pour tous les pays ; pour lui donc, "l'organe de direction politique pour l'assaut révolutionnaire ne peut être que centralisé et international" (Plateforme).
Un seul programme international donc, défendu par un Parti unique au niveau international. Mais alors à quoi sert le BIPR ? Si BC et la CWO sont vraiment convaincus que "les problèmes liés au repli de la grande expérience bolchevique" ont été "résolus" de façon à permettre "l'érection" d'un parti - c'est à dire le PC Int de 1942 (ou 1945 ? 1952 ?) - alors pourquoi un Bureau pour en créer un autre ? Pourquoi la CWO n'est pas devenue la section du PC Int en Grande-Bretagne ? A en croire le BIPR, il y a encore une étape à franchir :
"La fondation du Parti International du Prolétariat interviendra au travers de la dissolution des diverses organisations qui, à l'échelle nationale auront travaillé à la définition de sa plateforme et de son programme d'action et les auront mis en pratique". (Plateforme)
Voilà le Parti International qui sera fondé à partir d'organisations nationales dont certaines, au moins, sont déjà des partis, sur la base d'une plateforme qui reste à définir malgré la "résolution théorique et politique des problèmes liés à la grande expérience bolchevique". Malheureusement, nous devons faire preuve de la plus grande patience révolutionnaire, puisqu'il n'y a pas la moindre indication dans les textes de BC/CWO de ce qui reste "à définir" dans leurs plateformes.
Au moins nous n'aurons pas à attendre longtemps. "Où est-ce que la conscience communiste réside aujourd'hui au début du processus révolutionnaire ?" nous demande la CWO ("Consciousness and the rôle of revolutionaries, WV 16) ; et elle répond : "Elle réside dans le parti de classe. Le parti est dans la lutte quotidienne de la classe, jouant un rôle d'avant-garde à chaque instant afin de renvoyer à la masse prolétarienne d'aujourd'hui (nous soulignons) les leçons politiques de ses luttes d'hier" (WV 16). Formidable ! Le parti de classe existe déjà ! La conscience communiste "réside dans le parti de classe. Elle réside chez ceux qui débattent, définissent et promeuvent les buts basés sur les derniers 150 ans d'expérience de la lutte prolétarienne" (WV 16). Avec une définition pareille, même le CCI pourrait être le Parti !
Eh bien non, tout n'est pas si simple, parce que quelques paragraphes plus loin dans le même article de WV, nous lisons : "C'est pourquoi nous affirmons le besoin d'un parti qui est constamment actif au sein de la classe ouvrière jusqu'aux limites de ses forces et qui s'unit internationalement afin de coordonner le mouvement de classe à travers les frontières nationales. La naissance d'un tel parti à l'échelle internationale dépend à la fois d'une croissance de la conscience de classe chez les ouvriers et de l'activité croissante des minorités communistes dans la lutte quotidienne" (WV 16, nous soulignons).
Voilà donc la situation : le Parti existe et intervient aujourd'hui, c'est lui qui détient la conscience de classe ; mais le parti de demain reste à construire, grâce à la "croissance de la conscience chez les ouvriers". C'est pour cette raison que la CWO et le Parti Communiste Internationaliste ont crée un Bureau "pour le Parti".
Quant à ce que va faire ce Parti, là aussi nous regrettons la clarté bordiguiste, qui affirme sans détours que le Parti gouverne pour la classe et que la dictature du prolétariat est la dictature du parti. La plateforme de Battaglia, par contre, est. moins nette : d'un côté, "Le prolétariat ne cesse à aucun moment et pour aucune raison d'exercer sa fonction antagonique ; il ne délègue pas à d'autres sa mission historique ni ne délivre de procurations générales, même pas à son parti politique " (Plateforme de BC) ; mais de l'autre côté, le Parti doit "diriger politiquement la dictature prolétarienne", tant que "l'Etat ouvrier (est) maintenu sur la voie de la révolution par les cadres du Parti, qui ne devront en aucun cas se confondre avec lui ou s'y intégrer" (Plateforme de BC).
La CWO n'est pas meilleure : d'un côté, "Le communisme a besoin de la participation active de la masse des travailleurs qui doivent être tout à fait conscients des objectifs révolutionnaires propres au prolétariat, et celui-ci, dans son ensemble, participe à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la politique communiste par l'intermédiaire de ses organes de masse dont il contrôle les délégués" ([2] [69]) mais d'un autre côté, comme la CWO l'a plusieurs fois affirmé, c'est le Parti qui prend le pouvoir, et "C'est le parti communiste, avant-garde de la classe, qui organise et dirige le soulèvement révolutionnaire et toutes les actions importantes du prolétariat au cours de la période de transition, et le parti n'abandonnera pas ce rôle tant qu'il faudra un programme politique". (CWO, "La Période de Transition")
Nous attendons avec impatience que les camarades de BC/CWO, qui aiment tant le "concret", nous expliquent "concrètement" comment le Parti va "prendre" le pouvoir que la classe ouvrière "ne délègue pas". En tout cas ce n'est pas chez le BIPR qu'on doit chercher une réponse, puisque sa plateforme n'en souffle mot.
Le BIPR, en fin de compte, n'est ni un simple comité de liaison, ni une véritable organisation politique révolutionnaire. Il n'est pas le Parti, il est "pour" le Parti, mais il ne sait pas vraiment "pour" quel parti il est. C'est un animal encore plus monstrueux que le Griffon et, il faut bien le dire, encore moins viable.
S'il ne s'agissait là que de simples bouffons de music-hall, on pourrait en rire. Mais BC et la CWO font partie des maigres forces révolutionnaires dont la responsabilité est de défendre les positions de classe au sein de la lutte prolétarienne ; leurs défaillances, leurs concessions à l'idéologie bourgeoise dans la défense des principes, affaiblissent le milieu révolutionnaire et la classe dans son ensemble.
Parce qu'elle est une classe exploitée, le développement de la conscience de la classe ouvrière passe à travers une lutte permanente et acharnée. La moindre faille théorique devient une brèche par laquelle l'ennemi de classe peut introduire son poison mortel. C'est pourquoi le marxisme est une véritable arme de combat, indispensable à la lutte ; ceci explique aussi pourquoi les révolutionnaires marxistes ont toujours accordé tant de 1’importance aux questions théoriques générales qui peuvent sembler à première vue très éloignées des problèmes pratiques de la lutte de classe. Tout comme un défaut dans les fondations d'un immeuble affecte la stabilité de toute la structure, un défaut dans les conceptions de base d'une organisation révolutionnaire amène immanquablement l'affaiblissement de l'ensemble de son activité.
Les positions de BC/CWO sur la question syndicale sont une démonstration éclatante de ce principe.
Les premières déclarations générales de BC/CWO semblent être d'une clarté irréprochable :
"Le Parti affirme catégoriquement que dans la phase actuelle de la domination totalitaire de 1'impérialisme, les organisations syndicales sont indispensables à 1'exercice de cette domination dans la mesure même où elles poursuivent des buts qui correspondent aux exigences de conservation et de guerre de la classe bourgeoise. En conséquence, le parti estime fausse et rejette la perspective selon laquelle ces organisations pourraient, dans 1'avenir, "avoir à remplir une fonction prolétarienne et selon laquelle le parti devrait opérer un virage et adopter la position de conquérir par l'intérieur leurs postes de direction", (plateforme de BC)
"Au même titre que la social-démocratie, les syndicats montrèrent qu'ils étaient passés dans le camp du capitalisme en 1914 par leur soutien à la guerre impérialiste et leur appui à 1'intérêt national(...)...L'activité syndicale a toujours comme but de contrôler et dévoyer la lutte de classe" (Plateforme de la CWO).
Mais, l'explication du pourquoi de cette situation est fondamentalement erronée. Pour BC/CWO, les syndicats, aussi bien dans le capitalisme ascendant que dans le capitalisme décadent, ont été et sont les "médiateurs" entre le capital et le travail. Leur "fonction historique (est celle) de médiateurs avec le capital" ; ils sont les "médiateurs avec le patronat afin de négocier les termes de vente de la force de travail des ouvriers" (Marxism and the TU Question, RP 20). Il est impossible pour le "capitalisme de réaliser les objectifs de la transformation monopoliste de son économie sans la collaboration des syndicats avec une politique salariale qui concilie les exigences des ouvriers avec celles de la grande industrie" (BC, "Plateforme des Groupes Syndicaux Communistes Internationalistes. -Nous soulignons-)
"Le syndicat est l'organe de médiation entre le travail et le capital" (Plateforme du BIPR). Et la CWO finit même par affirmer qu'au début de la décadence "c'était le capitalisme qui a changé, non pas les syndicats" (TU's and Workers Struggles, WV n°16).
Au contraire, le passage du capitalisme au stade décadent, impérialiste, a modifié la nature des syndicats de fond en comble en les transformant en partie intégrante de l'Etat bourgeois. Evidemment, cette transformation n'a pas été réalisée du jour au lendemain : les syndicats anglais, par exemple, étaient déjà associés aux premières mesures de sécurité sociale dès 1911. Le processus n'était pas non plus immédiatement perçu par les révolutionnaires, comme en témoignent les positions souvent contradictoires de l'IC sur la question syndicale ; mais ceci dit, nous rejetons absolument toute idée de "médiation" qui, en introduisant une vision parfaitement interclassiste du syndicalisme, cache la réalité que, d'organes de la lutte ouvrière contre le capital, les syndicats sont devenus des rouages dans l'appareil policier de l'Etat capitaliste. BC et la CWO n'ont toujours pas compris cette réalité, parce qu'ils n'ont pas compris que le capitalisme d'Etat n'est pas une simple question de gestion d'une économie décadente mais aussi -et même surtout- une question d'un encadrement sans faille de toute la société civile.
Nous ne sommes donc pas surpris de voir la notion de syndicats "appartenant" aux ouvriers, que BC/CWO viennent d'éjecter par la porte, revenir par la fenêtre :
"La nature objective, irrémédiablement contre-révolutionnaire et anti-ouvrière des syndicats dans la période impérialiste ne modifie ni leur composition ouvrière, ni le fait que ce sont des organisations au sein desquelles le prolétariat agit collectivement pour s'auto-défendre au niveau immédiat". (Thèses du 5ème Congrès du PC Int (1982), traduit dans WV 16)
Immanquablement, les défaillances théoriques ont amené des concessions au syndicalisme dans la pratique. Déjà en 1952, BC était loin d'être aussi clair que la CWO aime le prétendre. Malgré la dénonciation de la nature bourgeoise des syndicats, "le parti estime que ses militants doivent participer, dans l’intérêt général du prolétariat, à toutes les manifestations intérieures de la vie syndicale, en critiquant et en dénonçant la politique des dirigeants syndicaux ...(...)...le parti ne sous-estime pas l'importance d'être présent, là où les rapports de force le permettent, aux élections des organes représentatifs du syndicat ou de l'usine" (BC, Plateforme de 1952).
L'ambiguïté est encore plus marquée dans un texte intitulé "Formation et devoirs des groupes d'usines": "A la vie du "groupe d'usine " participent autant les inscrits que les non-inscrits au syndicat ; le devoir du groupe est avant tout celui de conduire la lutte contre l'usage et l'abus de la délégation imposée par la direction syndicale qui limite et empêche la libre participation au syndicat adoptant envers les travailleurs une discrimination policière visant à écarter tous ceux qui sont suspects d'être porteurs d'une ligne syndicale en opposition avec la ligne dominante" (nous soulignons) . En somme c'est la lutte pour la démocratie syndicale...
La plateforme de BC adoptée en 1982 n'est pas plus claire mais elle est plus pudique : on ne parle plus des élections syndicales mais seulement de "l'activité du Parti (qui) sera conduite à l'intérieur ou à l'extérieur des organisations syndicales, suivant les conditions matérielles dans lesquelles les communistes se trouvent."
Par contre, la CWO dans ses derniers textes, est en train d'abandonner la clarté (très relative) de sa propre plateforme. D'après la plateforme (adoptée en 1982) :
"A ceux qui disent que les révolutionnaires doivent travailler à 1'intérieur du cadre syndical (par exemple : dans les comités d'atelier, dans les comités de base, dans les réunions de section) afin d'accroître leur influence dans la classe, nous rétorquons qu'une telle activité ne peut que répandre des illusions sur la nature de classe des syndicats et sur la possibilité de les transformer ...la seule façon dont la classe peut commencer à lutter pour ses propres intérêts c'est en sortant du cadre syndical...". Neuf mois plus tard, (dans RP 20) nous lisons : "Si le fait d'être membre des syndicats donne aux communistes un accès aux assemblées générales, aux comités de grève, aux réunions de section (bien que la présence à ces dernières serait inutile actuellement en Grande-Bretagne) (nous soulignons) afin de dénoncer les manoeuvres des syndicats envers la majorité des ouvriers et de mettre en avant une alternative pratique révolutionnaire, nous ne nous abstiendrons pas". Un an plus tard, c'est le vieux refrain gauchiste : "Souvent ceux qui restent dans les syndicats sont parmi les plus militants...Le fait d'être membres ordinaires des syndicats peut permettre aux révolutionnaires de combattre les manoeuvres syndicales plus efficacement". (WV 16)
BC/CWO nous ont accusé de "saboter la discussion". Comment pouvons nous discuter sérieusement avec des gens qui changent de position sur les principes de base, les lignes de classe, d'un mois à l'autre et sans un mot d'explication ?
Le pire c'est que le flou et l'équivoque de BC/CWO sur le travail syndical à la base sont devenus doublement dangereux dans la période actuelle. La CWO déclare ne rien comprendre à notre analyse de "la gauche dans l'opposition" parce qu'elle n'aurait pas d'impact sur notre intervention. Ce que vous n'avez pas compris, camarades, c'est que son but n'est pas tant de modifier notre intervention que de la maintenir face aux tactiques de la gauche bourgeoise. Cette analyse donne un cadre théorique à un processus que tous ceux avec une expérience minime de la lutte quotidienne ont déjà pu constater : face au dégoût croissant pour les partis de gauche, c'est de plus en plus les syndicats qui doivent encadrer les ouvriers, et face à l'abandon progressif des syndicats, c'est de plus en plus le syndicalisme de base qui doit ramener les ouvriers "sur le bon chemin". C'est à partir de ce cadre que nous pouvons comprendre l'implication croissante des gauchistes dans les syndicats, l'apparition de syndicats "autonomes" (France) ou du "syndicalisme de combat" (Italie), la radicalisation et la politisation du syndicalisme de base en général.
Et parce qu'ils n'ont rien compris à cette période, ni au développement de la conscience de classe qu'elle implique, ni à la nature de l'attaque bourgeoise, BC et la CWO sont en train de foncer tête baissée dans les pratiques d'un syndicalisme de base radical.
Dans la grève des mineurs en Grande-Bretagne, toute l'intervention de la CWO tourne autour du slogan "victoire aux mineurs". La dénonciation effrénée des "jaunes", l'insistance sur la nécessité d'empêcher le transport de charbon revient simplement à faire une politique syndicale radicale. Les dizaines de milliers de mineurs qui ont refusé de suivre la ligne syndicale, les dockers qui ont fait de même lors des dernières grèves, ne sont certes pas une expression claire d'une conscience anti-syndicale ; mais la réaction débile de la CWO, qui ne trouve rien de mieux que de surpasser le syndicat dans ses attaques contre les "jaunes" ignore totalement le développement ces dernières années d'une énorme méfiance chez les ouvriers envers tout ce qui est syndical. La bourgeoisie, elle, en est consciente ; elle est prête à tout pour empêcher la jonction de ces deux masses de combativité et de méfiance, de peur qu'elles ne deviennent une masse critique.
Nous nous souvenons des revendications "pratiques" de la CWO dans le passé : celles-ci allaient d’un aventurisme ridicule (l'appel à la "révolution maintenant" en Pologne 1980) à un gauchisme banal (les slogans contre les hausses de salaire en pourcentage et pour les hausses égales pour tous). Evidemment ces glissements dans le gauchisme ne lui ont rien appris, puisque aujourd’hui encore la CWO appelle les mineurs anglais à établir des "revendications précises" (sans toutefois préciser lesquelles). Voir "Miners'Strike Must be Won, WV 16) Une telle attitude envers la lutte met l'intervention des communistes sur sa tête. Dans la réalité, toute lutte importante a sa propre dynamique qui tend à dépasser très rapidement les "revendications spécifiques" avec lesquelles elle a démarré. L'exemple de la Pologne 1980 est frappant à cet égard : la revendication initiale des ouvriers des chantiers navals Lénine pour la réintégration d'un camarade licencié, est devenue parfaitement secondaire quand la lutte s'est étendue aux autres secteurs. La grève des mineurs montre la même tendance : partie sur la question des licenciements, elle a soulevé depuis des revendications pour la réduction des heures de travail, l'augmentation des salaires etc. -
Ceux, par contre, qui se font les spécialistes des "revendications spécifiques", ce sont les syndicats et les syndicalistes de base. Pour les syndicats, les "revendications spécifiques" sont une arme précieuse afin de freiner la lutte, de la figer sur son point de départ, de la dévoyer vers des perspectives bourgeoises, de 1'isoler dans sa spécificité au lieu de la généraliser vers le reste de la classe. Là encore, la Pologne 1980 et la Grande-Bretagne 1984 fournissent des exemples frappants. Ce n'est pas un accident si l'existence du syndicat Solidarnosc est fondée sur les accords de Gdansk. Quant à la grève des mineurs, tout le jeu des soi-disant "négociations" entre le NUM et le patronat sur la définition exacte d'un puits "non rentable" ne sert qu'à cacher la profonde identité de la grève des mineurs avec la lutte du prolétariat dans son ensemble contre une attaque générale de la bourgeoisie.
De la même façon, au niveau de l'extension de la lutte, la CWO reste prisonnière des "précisions". Dans l'article sur la grève des mineurs que nous venons de citer, la solidarité ouvrière est vue simplement en termes de lutte des mineurs et de la nécessité d'empêcher le mouvement du charbon. Mis à part le fait que ce genre d'action est très facilement récupérable (on se rappelle des campagnes nationalistes de la CGT contre le "minerai allemand" lors des dernières luttes en Lorraine), cette perspective "économiste" de la lutte ignore le réel développement politique de la lutte ; surtout, elle passe complètement à côté de ce que doit être l'intervention spécifique d'une organisation communiste : dissiper les nuages de fumée sur le charbon anglais, l'économie nationale, la politique de la droite etc., pour faire apparaître en pleine lumière la nécessité de la solidarité ouvrière et comment la construire. Pour en donner un exemple, la participation des mineurs dans l'occupation des chantiers navals de Camnell Laird n'avait rien à voir avec le mouvement du charbon ; elle avait tout à voir avec la conscience grandissante au sein du prolétariat que sa lutte est une lutte générale et politique contre le capital. C'est cette conscience que les communistes ont le devoir de pousser, de développer en s'attaquant inlassablement à tout ce qui risque de l'empêtrer dans les "spécificités", les "précisions" de chaque lutte.
Là où la CWO est en train de tomber dans les pratiques du syndicalisme de base, BC ne s'en est jamais vraiment sorti. Un article de"Battaglia Comunista" traduit dans WV 16 ("Communist Intervention in Italy") nous montre ce dont les "groupes d'usine" sont réellement capables, et nous ne pouvons que regretter que cet article significatif soit aussi limité dans le détail. Après le nouveau "Décret sur les salaires" du gouvernement Craxi, "Nos camarades (c'est à dire les militants du PC Int, NDLR) avaient du pain sur la planche, rien que pour faire démarrer la première assemblée à la gare de Milan Farini. Ils n'ont réussi qu'en récoltant avec les délégués combatifs (dont un seulement était membre du PC italien), les signatures de tous les ouvriers du secteur marchandises".
L'article ne précise pas d'où venaient ces "délégués combatifs" - des syndicats ? Des "comités de lutte"? On ne nous explique pas non plus pourquoi il est nécessaire de "récolter des signatures" pour démarrer une PG - à moins qu'il ne s'agisse d'une assemblée appelée selon les règles syndicales. En tout cas, le résultat de l'AG est - une grève de 24 heures. Là encore, on ne précise pas quelle était l'attitude de BC envers cette proposition, qui est parfaitement typique des artifices du syndicalisme de base destinés à laisser "échapper la vapeur".
Mieux encore "L'assemblée., décida de ne pas fixer le jour de la grève tout de suite, puisqu'il y avait des nouvelles que des assemblées devaient être appelées dans d'autres ateliers et parmi les ouvriers de Milan Central". Ici, une fois de plus, nous n'avons aucune indication de la position de BC sur cette manoeuvre classique du syndicalisme de base : sous le couvert de la "solidarité" on fait poiroter les ouvriers dans une attente débilitante afin de casser la dynamique vers l'extension et la radicalisation de la lutte.
Et la conclusion que tirent BC et la CWD de cet épisode lamentable ?
"Il reste pour nos camarades la tâche difficile d'organisation et de clarification de l'avant-garde combative qui a émergé pendant cette lutte, dans le but d'empêcher sa réabsorption dans les forces du PC italien et de la majorité (?) de la CGIL" (nous soulignons). Là au moins, BC va "assumer la responsabilité qu'on est en droit d'attendre d'une force sérieuse dirigeante". BC ferait mieux de se demander à quoi correspond une activité qui consiste :
Avant de conclure sur la question syndicale, il convient de relever une dernière "tactique" particulièrement répugnante que la CWO a puisée dans l'arsenal du syndicalisme de base : le dénigrement des organisations révolutionnaires. Effectivement, dans WV 16 ("Miners Strike and Communist Intervention") nous lisons que le CCI "défend les jaunes et contribue à la démoralisation", qu’il "sème le défaitisme et l'aventurisme", qu'il "sape les tentatives de la classe de frapper le patronat en bloquant le transport de charbon" ; en conclusion, le CCI "défend avec Thatcher et la police, le droit de faire le jaune". Surtout depuis ces derniers mois, nos militants sont systématiquement dénoncés à la police, ou menacés physiquement par les syndicalistes. A plusieurs reprises, ils s'en sont tirés, sous le nez des syndicats, uniquement grâce à la protection des ouvriers. Les syndicats nous accusent de "briser l'unité des ouvriers" d'être des "casseurs" ou des "provocateurs", d'être "à la solde des fascistes" ou de la CIA. Nous avons l'habitude de ce genre d'injure de la part des syndicats et des gauchistes. La CWO vient de nous apprendre que nous devons également nous habituer à l'entendre de la part de révolutionnaires. Pour notre part, nous continuerons d'insister au sein du prolétariat Pour que ses assemblées, réunions, comités de grève soient ouverts à tout ouvrier et à toute organisation révolutionnaire. C'est le seul chemin pour le développement de la conscience politique de la classe prolétarienne.
Dans un prochain article, nous analyserons les glissements de CWO-BC sur le parlementarisme et les luttes de libération nationale.
Arnold
[1] [70] Jusqu'en 1976 plusieurs sections territoriales avaient leur propre plateforme ; mais à l'encontre du BIPR il s'agissait là de simples survivances historiques de la même façon que l'appendice chez l'homme est une survivance de nos origines herbivores. L'élimination de ces survivances a été aussi banale qu’une appendicectomie.
[2] [71] La CWO a depuis (RP n°21) taxé cette position "d'éclectisme". Les camarades devraient nous donner une indication détaillée des positions de leur plateforme auxquelles nous pouvons faire confiance.
Les positions politiques d'un groupe révolutionnaire constituent un élément crucial pour comprendre sa réalité. Mais cela ne suffit pas.
Il faut aussi envisager la pratique du groupe et la dynamique globale de son évolution : d'où vient-il, vers où peut-il aller ? Une même erreur politique, par exemple, aura une signification très différente suivant qu'elle est le fait d'un jeune groupe qui tâtonne à la recherche d'une cohérence politique de classe, ou qu'elle soit commise par une "vieille" organisation sur la pente d'une dégénérescence ou sclérose irréversible.
'Les thèses du collectif Alptraum que nous publions ici sont par elles-mêmes un document intéressant du point de vue de classe. Mais leur valeur apparaît plus importante si on les envisage dans leur contexte et leur dynamique.
Dans un pays comme le Mexique, le rejet ferme et explicite de toute démarche nationaliste, la dénonciation - d'un point de vue prolétarien - du capitalisme d'Etat cubain ou nicaraguayen ainsi que des luttes de libération nationale, ont d'autant plus de valeur et d'importance que le prolétariat y est abreuvé du matin au soir par toutes les organisations politiques d'une pernicieuse et omniprésente propagande nationaliste reposant sur l'idéologie de 1'"anti-yankee". Dans ces conditions, une voix qui affirme clairement et fortement le caractère international du combat prolétarien et 1'irréconciliabilité totale de celui-ci avec toute idéologie nationaliste, constitue un souffle d'air et de lumière inestimable
Par ailleurs, ces thèses sont le produit d'une évolution qui, depuis plus de deux ans, ont conduit les éléments du collectif Alptraum à rompre avec leur organisation d ' origine, le PMP (Parti Mexicain du Prolétariat), où des positions politiques authentiquement de classe flottaient dans une totale inconsistance et à s'orienter avec une assurance toujours plus grande vers une cohérence politique réelle.
Ces thèses peuvent ainsi constituer une étape importante vers le développement au Mexique d'une expression communiste véritablement consistante et agissante, et elles doivent être saluées comme telles. Cela ne nous empêche pas, au contraire, de signaler ce qui nous semble y traduire des faiblesses qui doivent être surmontées si les camarades d'Alpatraum veulent mener à bien leur présente dynamique. C'est ce que nous chercherons à faire dans les commentaires qui suivent ces thèses.
THESES :
"La vie de l’industrie se convertit en une suite de périodes d'activité moyenne, de prospérité et de stagnation" Karl Marx, Le Capital.
1- La crise capitaliste actuelle possède une dimension internationale et doit être conçue corme une crise classique de suraccumulation, dans laquelle se vérifie le cycle industriel dont la séquence contient nécessairement les moments de prospérité, de crise et de stagnation.
La nature et le mouvement contradictoire du capitalisme apparaissent clairement dans le déroulement du cycle périodique qui parcourt l'industrie et dans le mouvement final de celui-ci : la crise générale.
Carme crise de suraccumulation, elle explose d’abord dans le domaine de la spéculation pour atteindre plus tard la production, le commerce et le marché financier. La spéculation ne fait que fournir des issues momentanées à la suraccumulation capitaliste. La désorganisation de la production qui suit la spéculation existe nécessairement carme résultat de l'exubérance de la période précédente de prospérité.
Le scénario de la crise est universel, tant par l'extension mondiale du capitalisme, que par l'intensification de son emprise sur la totalité des branches de la production qui constituent l'économie mondiale.
La crise a une dimension mondiale, puisque dans son développement, elle a décrit une orbite qui s'étend, une spirale qui, partant des pays capitalistes développés (avec une composition organique du capital plus grande), a inclus le reste des pays qui constituent avec les nations développées, le système capitaliste mondial. Ses effets se font sentir de manière intense dans l'ensemble de l'économie capitaliste.
La crise que nous vivons est le résultat du choc entre le développement énorme atteint par les forces productives, c'est-à-dire par la richesse existante, et les rapports capitalistes de production qui imposent l'appropriation privée de celle-ci. De cette façon, nous observons comment le développement des forces productives se transforme en obstacle pour le capital. De ce fait, le rapport capitaliste de production se transforme en une barrière pour le développement du travail en tant que force productive.
La crise exprime dans son développement la nature contradictoire de la réalité capitaliste et le caractère historiquement limité de ses rapports de production qui ne peuvent contenir, en leur sein, le développement progressif des forces productives sociales. Les moments de crise sont ceux dans lesquels le capitalisme doit nécessairement détruire une masse croissante de forces productives, mettant en évidence de cette manière sa nature décadente.
Le capitalisme dans cette logique impose alors la destruction violente et périodique d'une masse croissante de forces productives sociales parmi lesquelles se trouve le prolétariat. De cette tendance interne surgit la nécessité des guerres pour prolonger son existence comme un tout. Historiquement, on a vu qu1 après chaque guerre apparaît une période de reconstruction.
2- Avec 1'exacerbation de la crise, le système capitaliste établit les conditions de la possibilité de sa subversion.
La crise, avec son approfondissement croissant, fournit les conditions pour le développement de la conscience prolétarienne et de son auto organisation. En conséquence, le capital tente de détruire le germe de cette conscience en intégrant le prolétariat de chaque pays à ses schémas idéologiques ; en renforçant de cette manière 1'i-déologie nationaliste et les idéologies marginales comme : le féminisme, 1fécologisme, la lutte pour la paix, le mouvement homosexuel, etc, afin de fragmenter et disperser la conscience prolétarienne qui d1 elle-même est internationale et totale.
Le capital sait que l'unique issue à la crise de surproduction est la guerre et pour y arriver, en premier lieu, il doit détruire tout vestige de conscience prolétarienne.
Hier, le fascisme et 1'antifascisme ont été des moyens efficaces pour intégrer la prolétariat à l'idéologie bourgeoise ; aujourd'hui c'est le mythe du"bloc socialiste" contre le "monde occidental démocratique". La défense du capitalisme d'Etat à Cuba, au Nicaragua, et des mouvements de libération nationale au Guatemala, au Salvador, etc, a une intention claire, enrôler le prolétariat mondial pour la cause d'un des deux blocs capitalistes qui s'affrontent, et le conduire à une troisième guerre mondiale.
3- À partir années 60, s'est produit le resurgissement, au niveau mondial, de l'activité révolutionnaire du prolétariat.
Un mouvement international se développe sous la forme de vagues successives d'offensive de recul dans lequel les diverses fractions nationales du prolétariat se lancent contre le pouvoir bourgeois mondial.
Le cours historique de la lutte de classe actuelle est déterminé par les rapports de force entre le capital et le prolétariat en Europe occidentale, étant donné que c'est de cette corrélation que dépend l'ampleur de l'affrontement de la lutte de classes dans le reste des pays qui forment le capitalisme dans son unité mondiale.
A partir de la défaite du mouvement prolétarien polonais, due, fondamentalement aux actions médiatrices du syndicat Solidarnosc, s'est ouverte une période de reflux qui a été dépassée rapidement par le développement des grèves en Hollande et en Belgique, en 1983, et les mobilisations récentes en France, en Angleterre et en Allemagne.
Nous vivons une période qui se caractérise par le réveil du prolétariat dans son unité et sa continuité historique comme sujet. De ce fait le surgissement de groupes communistes constitue un moment du développement de son auto-conscience.
4- Les organisations qui ne reconnaissent pas le rôle révolutionnaire du prolétariat ne pourront pas assumer les tâches que leur impose le mouvement historique de la classe. Les organisations communistes devront se transformer en ponts théorico-politiques qui transmettent et assimilent les expériences et héritages révolutionnaires du mouvement prolétarien dans le sens de son histoire.
Le programme de ces organisations développera et synthétisera l'expérience et l'héritage historique du prolétariat en tant qu'unité. De cette manière, les principes de classe prolétariens exprimeront la dimension historique du mouvement prolétarien et synthétiseront son expérience théorico-politique.
5- Nous reconnaissons l'existence d'un milieu marxiste révolutionnaire international constitué par des organisations révolutionnaires (CCI, OO, PCI (Battaglia Ccmunista) , etc.) qui, malgré leurs multiples faiblesses, soutiennent et défendent les principes politiques essentiels de la lutte prolétarienne.
Les communistes ne sont pas extérieurs à la classe prolétarienne, ils constituent les éléments les plus lucides de celle-ci. Leur rôle ne réside pas seulement à pousser l'organisation du prolétariat comme moment nécessaire de sa propre organisation, mais à développer son activité pour développer l'auto-conscience du prolétariat. Les communistes incarnent la continuité de la lutte historique de classe dans ses moments les plus hauts comme la Commune de Paris, la Révolution Russe, la Révolution Allemande, etc.
Les points centraux qui de notre point de vue vont les différencier du camp bourgeois sont :
- la reconnaissance de la décadence du système capitaliste ;
- la reconnaissance de la classe ouvrière comme sujet de la Révolution ;
- le rejet des syndicats (en se maintenant en dehors d'eux) ;
- le rejet du parlementarisme et de toute opposition électorale ;
- le rejet de tout type d'alliance avec un quelconque secteur de la bourgeoisie ;
- le rejet des fronts populaires et des mouvements de libération nationale ;
- la reconnaissance que dans les pays dits "socialistes" domine le mode de production capitaliste dans sa forme spécifique du capitalisme d'Etat ;
- la reconnaissance que la Révolution Communiste aura un caractère éminemment international ;
- la reconnaissance que le socialisme ne réussira que par l'abolition des rapports capitalistes (Je production, et spécifiquement, avec l'abolition du travail salarié ;
- la reconnaissance de la nécessité de forger le parti du prolétariat, qui aura une dimension internationale.
De notre point de vue, avec l'accélération de la lutte de classes, la discussion entre révolutionnaires et leur intervention organisée à l'échelle internationale sont nécessaires et inévitables.
6- Nous considérons que le capitalisme se trouve en décadence. Décadence qui implique le déclin du mode de production spécifiquement capitaliste, dans lequel domine le capital industriel, comme rapport social de production.
La décadence du système implique l'accentuation de la concurrence et de l'anarchie de la production spécifiquement capitaliste, et en général, 1'exacerbation et l'approfondissement de toutes ses contradictions, parce que le capitalisme a atteint ses limites historiques, celles que lui imposent son propre développement et sa nature contradictoire. Ceci s'exprime dans le choc périodique et chaque fois plus violent entre les forces productives et les rapports de production.
La loi qui nous explique le développement du système capitaliste de production est aussi la base adéquate pour comprendre sa nature décadente. De notre point de vue, aussi bien le développement que le déclin du système reposent sur deux déterminations essentielles, à savoir, une qui se manifeste par la baisse tendancielle du taux de profit et l'autre qui constitue son contenu et s'exprime dans la subordination formelle et réelle du travail au capital.
Dans la baisse tendancielle du taux de profit s'exprime la nature décadente du système capitaliste. Ce système a pour objet la formation ininterrompue et croissante de capital. Cela implique une expansion croissante du capital et l'augmentation concomitante de la productivité sociale du travail qui se traduit à son tour par un développement accéléré des forces productives.
A mesure que s'effectue cet accroissement du capital sa composition organique change, augmente ; il se produit ainsi une augmentation du volume des moyens de production et de la production même par rapport à la composition de la valeur du capital. Ceci aboutit à la baisse graduelle du taux de profit, puisque la partie variable du capital, celle qui produit la plus-value, diminue.
C'est à ce moment qu'apparaît la crise capitaliste, quand le capital accumulé est supérieur par rapport au taux de profit qu'il est capable de fournir ou bien quand la composition organique croissante ne correspond pas à une augmentation équivalente de valeur.
De cette manière, la suraccumulation de capital _ par rapport à la capacité d'exploiter le travail conduit le système capitaliste à la crise, laquelle peut-être contrecarrée par l'accumulation même de capital, au travers de diverses mesures inhérentes au processus même de l'accumulation. L'une d'elles est l'augmentation de la masse de plus-value obtenue par l'augmentation de la masse totale de capital qui emploie un_ plus grand nombre de travailleurs ; ou bien, elle peut être contrecarrée aussi au moyen de la productivité croissante du travail qui implique une augmentation du taux d'exploitation, laquelle s'obtient au moyen de l'extraction de plus-value absolue et relative. Mais ces actions pour contrecarrer la baisse ne peuvent être utilisées indéfiniment, car il arrive un moment où le nombre de travailleurs ne peut plus être augmenté, où le temps de travail ne peut plus être prolongé et où le travail socialement nécessaire ne peut être réduit, du fait des limites naturelles et sociales qui existent. Le développement des forces productives mène ainsi à une contradiction ouverte avec les rapports de production capitalistes, qui portée à ses limites absolues signifierait un manque de plus-value par rapport à la masse du capital accru et à ses exigences d'expansion. C'est à ces limites qu'arrive le capitalisme, qui mené par sa propre nature contradictoire entrave en son sein le développement progressif des forces productives.
Nous reconnaissons corme seul sujet révolutionnaire le prolétariat. A ce marient de la décadence irréversible du système capitaliste (voir thèse 6 ) le prolétariat doit rompre avec toute entente idéologico-politique avec le capital (que ce soit le capital avancé ou privé) .
Nous considérons que toute perspective qui part du cadre national se trouve d'avance aliénée au capital qui fonde son existence dans l'humus de la nation. La lutte prolétarienne se propose d'emblée de rompre avec tout type de barrières nationales.
Toutes les tendances et partis bourgeois (de la droite à la gauche) se trouvent sur des positions inter-classistes (féminisme, fronts populaires, etc.) pour lutter contre le prolétariat.
Le prolétariat s'affronte au capital dans sa totalité, en marge de ses fractions ou secteurs, et même si sa lutte s'effectue de manière formelle dans le cadre national, elle est par son contenu internationale.
8- Nous considérons que le parlement et le syndicalisme ne constituent pas un moyen de lutte pour le prolétariat dans ce pays ou dans n'importe quel autre, puisque ces formes sont utilisées par la bourgeoisie pour médiatiser les luttes prolétariennes et les intégrer. Le parlement et le Syndicalisme constituent une mystification de plus du capital, qui renforce son schéma de domination sur la classe ouvrière, aliénant son activité révolutionnaire.
9- Nous considérons qu'il n'existe aucune fraction bourgeoise progressiste, et que la stratégie du prolétariat ne doit comporter aucune alliance avec un secteur quelconque de la bourgeoisie, pour aissi "progressiste" qu'elle paraisse. La lutte de la classe ouvrière doit être l'oeuvre de la classe ouvrière elle-même.
10- Nous considérons que la notion de capital monopoliste d'Etat ne parvient pas à rendre compte du développement du capitalisme dans ses déterminations essentielles, mais constitue un subterfuge idéologique de plus sur l'interprétation de la réalité capitaliste, qui sert de base à la gauche du capital pour justifier ses alliances avec les secteurs privés de la bourgeoisie. L'intervention croissante de l'Etat dans l'économie obéit uniquement à l'anarchie même de la production capitaliste, et sa présence exprime 1 ' exacerbation des contradictions du système capitaliste.
11- Nous considérons que toute nationalisation.» ou étatisation des moyens de production, loin de nous préparer au communisme, renforce la domination du capital social sur le travail salarié.
Dans le cas de l'étatisation bancaire, et spécifiquement celle qui s'est effectuée il y a deux ans au Mexique, le capital financier en tant que rapport de production spécifique n'a pas été éliminé, puisque le rôle de celui-ci au sein du processus de reproduction du capital continue d'être en vigueur.
Le capital social n'est pas non plus éliminé comme tel, puisque qu'avec l'étatisation, seule est modifiée la propriété juridique sur un mécanisme qui organise la circulation du capital, au sein du cadre des rapports capitalistes de production.
De cette manière, l'Etat se transforme en propriétaire juridique du capital, en une de ses expressions reproductives : le capital qui donne ses intérêts.
Ce qui résulte de ce mouvement, c'est la dépersonnalisation de la fonction qu'accomplit le capital financier, au sein des rapports capitalistes de production et de sa logique reproductive, la préservant à un niveau supérieur de développement.
De cette manière, nous observons que les rapports capitalistes de production adoptent un caractère plus abstrait et impersonnel, rendant ainsi plus évident le fétichisme inhérent à ceux-ci. L'Etat, en tant que capitaliste collectif réel intégrant le personnel bancaire et salarié en général à un schéma de domination plus abstrait et aliénant. L'Etatisation est un moyen pour garantir la logique reproductive du capitalisme national et international, indépendamment et par dessus toute fraction bourgeoise.
Dans ce sens, nous pouvons affirmer que la mesure prise par l'Etat mexicain a, comme but principal celui de préserver la configuration sociale capitaliste.
NOS COMMENTAIRES ET CRITIQUES
Le CCA (Collectif Communiste Alptraum) a réalisé depuis les temps où ses membres faisaient encore partie du PMP, une évolution - déterminée en grande partie par ses contacts avec le CCI - qui les a conduits à rompre avec le flou et l'inconsistance du PMP et à se définir politiquement dans le camp prolétarien. Leurs "thèses" constituent effectivement un cadre politique qui le situe au sein du cadre défini à travers l'histoire par l'expérience théorico-politique du mouvement révolutionnaire prolétarien.
Les thèses se prononcent sur l'ensemble des questions qui ont été au centre des préoccupations du mouvement ouvrier depuis la dernière grande vague de luttes internationales (1917-23) et la 3ème Internationale qui en fut la principale manifestation politique.
En réaffirmant la nature décadente du capitalisme dans sa phase historique actuelle, ainsi que l'ensemble des conséquences de cette réalité sur les formes et le contenu de la lutte ouvrière dans cette époque : impossibilité de la lutte pour des réformes durables au sein du système capitaliste, rejet du syndicalisme, du parlementarisme, des luttes de libération nationale, des politiques de front unique ; en reconnaissant la nature capitaliste des pays dits "communistes" et le caractère universel de la tendance au capitalisme d'Etat ; en réaffirmant la nature internationale de la lutte prolétarienne ainsi que son organisation politique et la nécessité de son intervention, le CCA a su, à travers ses thèses, se définir politiquement en sachant se situer dans la réalité historique du combat de classe.
Les thèses tracent aussi une analyse du cours historique de la lutte de classe et savent reconnaître 1'ampleur et 1'importance des combats prolétariens présents ainsi que la situation centrale du prolétariat d'Europe occidentale.
Tout cela exprime une véritable lucidité de classe qui sait dégager de l'histoire des moyens de comprendre le présent.
Nous avons signalé des qualités importantes de ce texte. Penchons-nous maintenant plutôt sur ce qui nous semble y traduire des manques. Deux faiblesses principales : la première au niveau de l'analyse du rôle des organisations révolutionnaires ; la deuxième au niveau de l'analyse économique, qui tient dans ces thèses tant de place.
Les organisations révolutionnaires.
Les thèses d'Alptraum affirment clairement l'appartenance des organisations communistes au prolétariat et ce qu'elles représentent du point de vue de la clarté de vue et de la continuité du combat historique de leur classe. Mais elles disent peu, trop peu, sur le rôle actif de celles-ci au sein des combats prolétariens et le caractère crucial de leur intervention à l'époque présente.
Alptraum reprend bien cette idée du célèbre extrait du Manifeste Communiste de 1848 suivant laquelle "du point de vue théorique, (les communiste ) ont sur le reste de la masse prolétarienne 1'avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier."
C'est ainsi que les thèses disent : "Les communistes ne sont pas extérieurs à la classe prolétarienne, ils constituent les éléments les plus lucides de celle-ci. (...) Les communistes incarnent la continuité de la lutte historique de classe dans ses moments les plus hauts comme la Commune de Paris, la révolution russe, la révolution allemande, etc. . " (Thèse 5)
Tout cela est vrai et important à comprendre.
Mais la plus grande "lucidité", les plus grandes "synthèses de l'expérience historique" ne seraient rien si elles n'étaient que moyens "d'interpréter le monde". Les organisations communistes sont un instrument du prolétariat pour s'autotransformateur et pour transformer le monde.
Tournant le dos à tout esprit académiste, les communistes n'analysent pas la réalité pour le goût de l'analyse en soi mais pour mieux participer et orienter le combat réel concret ~di leur classe, c'est-à-dire pour intervenir dans celui-ci.
Sur cet aspect de l'activité des communistes, les thèses se contentent d'affirmer, en passant :
"De notre point de vue, avec 1'accélération de la lutte de classes, la discussion entre révolutionnaires et leur intervention organisée à l'échelle internationale sont nécessaires et inévitables. "
Au moins, au niveau de 1'insistance il manque aux thèses de mieux souligner la place pratique des organisations dans leur classe, leur caractère d'avant-garde la plus résolue au sein des combats.
Il manque cet autre partie de l'extrait déjà cité du Manifeste et qui dit : "Pratiquement, les communistes sont donc la partie la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui va toujours de l'avant."
Ce n'est pas dans un avenir plus ou moins lointain que l'intervention des organisations révolutionnaires sera "nécessaire" et "inévitable". C'est dès à présent, dans les combats actuels, que cette intervention est indispensable.
Dans ses thèses Alptraum rend bien compte de la gravité de la situation historique actuelle :
"Nous vivons une période qui se caractérise par le réveil du prolétariat dans son unité et sa continuité historique comme sujet."
Et de façon plus précise :
"A partir de la défaite du mouvement prolétarien polonais, due fondamentalement aux actions médiatrices du syndicat Solidarnosc, s'est ouverte une période de reflux qui a été dépassée rapidement par le développement des grèves en Hollande et en Belgique en 1983, et les mobilisations en France, Angleterre et Allemagne." (Thèse 3)
On est en droit d'être surpris qu'aucun accent ne soit mis sur l'importance actuelle de l'intervention des organisations communistes dans ces grèves.
Certes, Alptraum n'est encore qu'un "collectif", une sorte de "cercle". Mais, premièrement, cela ne change rien à l'importance de 1'intervention pour définir en termes généraux le rôle des organisations révolutionnaires, et deuxièmement, Alptraum possède déjà un cadre politique qui lui permet et exige de lui d'envisager l'intervention organisée systématique continue dans la classe comme tâche urgente.
L'histoire s'accélère et les révolutionnaires doivent savoir adapter en conséquence leur rythme d'existence.
L'analyse économique.
Il y a peut-être un lien entre cette sorte de "lenteur" ou d'"attentisme" politique et certains aspects de l'analyse économique exposée dans les thèses.
Ainsi, la thèse n°1 dit : "La crise capitaliste actuelle (...) doit être conçue comme une crise classique de suraccumulation." Une crise "classique" de suraccumulation ? Alptraum semble assimiler la crise actuelle à ces crises de croissance que connaissait périodiquement le capitalisme au 19ème siècle.
Il est vrai qu'il y a des mécanismes et des contradictions analogues dans toutes les crises du capitalisme. Mais, alors que dans la phase d'expansion du capital au monde entier ces crises constituaient comme les battements de coeur d'un corps en plein développement, les crises du capitalisme décadent, celui des guerres mondiales et du militarisme universalisé, apparaissent comme les râles d'un corps agonisant. Au 19ème siècle, le capital avait le monde entier à conquérir : il dépassait ses crises par l'ouverture de nouveaux marchés dans le monde. Au 20ème siècle, ses crises le conduisent à la guerre mondiale et totale... et aujourd'hui à la menace d'anéantissement de l'humanité.
Alptraum reconnaît l'entrée du capitalisme dans sa phase de déclin et implicitement parle du cycle crise-guerre-reconstruction suivant lequel le capitalisme vit depuis la 1ère guerre mondiale. Mais au moment d'analyser les fondements, les "déterminations essentielles" qui conduisent le capitalisme aux crises et au déclin, les thèses ne se réfèrent qu'à des éléments insuffisants.
Ignorant ou rejetant l'analyse de Rosa Luxemburg - en réalité de Marx - suivant laquelle la contradiction fondamentale du capitalisme réside dans son incapacité à créer indéfiniment les marchés nécessaires à son expansion, Alptraum écrit :
"De notre point de vue, aussi bien le développement que le déclin du système reposent sur deux déterminations essentielles, à savoir : une qui exprime sa forme dans la loi générale de la baisse tendancielle du taux de profit, l'autre qui constitue son contenu et s'exprime dans la subordination formelle et réelle du procès de travail au capital" (Thèse 6)
Or, ni la distinction entre "domination formelle et domination réelle" du capital, ni la loi de la baisse tendancielle du taux de profit ne suffisent à expliquer pourquoi le capitalisme connaît depuis plus d'un demi siècle un irréversible déclin historique ni pourquoi la crise économique actuelle n'a rien à voir avec les crises de croissance du siècle passé.
La distinction faite par Marx entre "domination formelle" et "domination réelle" du travail par le capital, traduit la différence entre l'époque où les prolétaires étaient encore principalement des artisans "salariés" (les Canuts de Lyon) qui, tout en étant commercialement soumis au capital, continuaient de produire avec pratiquement les mêmes moyens et gestes que leurs ancêtres du féodalisme, et l'époque de la révolution industrielle où les gestes et l'organisation artisanale du travail laissent la place à la grande industrie et ses prolétaires façonnés suivant les nécessités de la grande usine ([1] [74]).
Pour intéressante qu'elle soit, cette distinction ne nous dit en rien pourquoi à un stade donné les rapports de production capitalistes cessent d'être un stimulant du développement des forces productives pour se transformer en entrave chronique et croissante de celui-ci.
Il en est de même de la loi de la baisse tendancielle eu taux de profit. Celle-ci, pour exacte et importante qu'elle soit comme manifestation d'une contradiction du processus de production capitaliste, n'est qu'une loi "tendancielle", c'est-à-dire une tendance constamment contrecarrée. Pour comprendre à quel moment, dans quelles circonstances historiques cette tendance devient effective et se traduit par un effondrement effectif des profits, c'est au niveau des facteurs qui contrecarrent la tendance générale que l'on trouvera une réponse. Depuis Marx, nous savons que c'est par l'augmentation de la masse de plus-value et par l'intensification de l'exploitation (augmentation de la productivité) que le capital ralentit et compense, contrecarre la baisse tendancielle du taux de profit. Or, aussi bien l'un que l'autre de ces moyens dépend essentiellement de la capacité du capital à élargir son champ de production, ce qui, à son tour, dépend de l'existence de marchés solvables - extérieurs à sa sphère de production -Si, comme le fait Alptraum, on ignore la contradiction au coeur du système capitaliste entre d'une part sa nécessité de produire toujours plus pour exister et, d'autre part, son incapacité à créer des marchés solvables suffisants, il faut conclure que le capitalisme, loin d'être à la fin de son existence étouffé par ses propres contradictions, a encore devant lui un bel avenir. Car tant que le capitalisme ne connaît pas de limites à l'expansion de ses débouchés commerciaux, il peut surmonter, compenser toutes ses autres contradictions. C'est le marché qui fait vivre le capital et c'est lui qui en constitue sa dernière limite.
Si, pour que le capitalisme entre en phase de déclin, il fallait attendre - comme semble le dire la thèse 6 - qu'il "arrive un moment où le nombre de travailleurs ne peut plus être augmenté, où le temps de travail ne peut plus être prolongé et où le travail socialement nécessaire ne peut être réduit du fait des limites naturelles (sic !) et sociales qui existent", nous devrions nous résigner à attendre des siècles... voire l'éternité. Jamais le capital n'atteindra des "limites naturelles" qui l'empêcheraient d'augmenter le nombre de travailleurs, d'intégrer tous les chômeurs et marginalités de la terre. Depuis que le capitalisme est en décadence, le nombre de travailleurs non intégrés, de laissés pour compte essentiellement dans les pays sous-développés, ne se réduit pas (approchant de supposées limites naturelles) mais au contraire augmente de façon exponentielle.
Nous ne pouvons ni ne voulons ici développer une polémique détaillée sur l'analyse des contradictions fondamentales du capitalisme ([2] [75]). Ce qui nous importe c'est de signaler :
1°) que 1'analyse présentée par les thèses est insuffisante..sinon erronée ;
2°) qu'elle peut servir de base à la théorisation d'une attitude plus ou moins attentiste qui - en contradiction avec tout ce qui est par ailleurs affirmé dans les thèses - ne comprendrait pas l'importance et l'urgence de l'intervention pratique des communistes aujourd'hui sous prétexte que le capitalisme est encore loin d'avoir attein1; ses "limites naturelles".
Conclusion.
"Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire", disait avec raison Lénine. Les thèses du CCA traduisent sans aucun doute un effort théorique réel et une compréhension de l'importance de cet effort pour le prolétariat. Mais elles montrent aussi que cet effort doit être poursuivi et pour ce faire le CCA doit se situer plus directement, plus activement sur le terrain de l'intervention politique au sein du mouvement présent du prolétariat ([3] [76]).
L'intervention des révolutionnaires est nourrie et soutenue par la théorie révolutionnaire ; mais la théorie révolutionnaire ne peut vivre et se développer qu'en vue de cette intervention, et cela d'autant plus dans la période historique présente.
Lorsqu'ils étaient encore membres du PMP les éléments qui aujourd'hui constituent le CCA étaient parmi les plus actifs sur le plan de l'intervention dans la ville de Mexico. C'est avec eux que le CCI tint dans cette ville, pendant l'été 82, une réunion publique sur les luttes ouvrières en Pologne.
Il ne faudrait pas que la période de réflexion, de rupture et de clarification politique qu'ils ont depuis traversée ne leur fasse oublier le souci primordial, comme parfois les thèses peuvent le laisser penser.
R.V.
[1] [77] Avec la publication en français, au début des années 70, du "chapitre inédit du Capital" - où Marx développe plus particulièrement cette distinction - les courants tel le groupe qui publiait "Invariance", et à sa suite certains "modernistes", ont cru trouver dans cette analyse un élément fondamental, "nouveau", pour la compréhension du capitalisme au 20ème siècle. Goût de 1'innovation pour 1'innovation oblige. Mais en réalité les éléments qui constituent cette distinction (transformation concrète du procès de travail et surtout prédominance de la plus-value relative par rapport à la plus-value absolue) caractérisent essentiellement des étapes au sein de 1 'ascendance du capitalisme et non le passage dans la phase décadente. Ainsi, par exemple, le capitalisme se développe en Russie, à la fin du 19ème siècle, en prenant d'emblée les formes les plus modernes de la domination réelle.
[2] [78]cf. "Théorie des crises" (critique de Boukharine), in Revue Internationale n°29 et 30 (2eme et 3éme trimestre 82) ; "Les théories des crises de Marx à l'Internationale Communiste", in Revue Internationale n°22 (3ème trimestre 80) ; "Les théories des crises de la gauche hollandaise", in Revue Internationale n°16, 17, 21 ; "Sur 1'impérialisme", in Revue Internationale n°19(4ème trimestre 79); "Théories économiques et lutte pour le socialisme", in Revue Internationale n°16 (1er trimestre 79) décadence du capitalisme".
[3] [79] Le langage obscur, souvent inutilement abstrait des thèses exprime non seulement un manque de clarté dans la pensée mais aussi 1'absence du souci d'être compréhensible en dehors d'un milieu intellectuel restreint.
Depuis plus d'un an et demi, le prolétariat mondial - et notamment celui d'Europe occidentale - a repris le chemin des affrontements de classe qu'il avait momentanément abandonné en 1981 lors de la défaite concrétisée par l'état de guerre en Pologne. Cette reprise est maintenant reconnue par la plupart des groupes politiques du milieu révolutionnaire, mais cette reconnaissance a souvent été tardive. En effet, il a fallu l'accumulation de toute une série de mouvements en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne notamment, pour que des groupes comme "Battaglia Comunista" ([1] [82]) ou la "Communi'st Workers' Organisation" ([2] [83]) reconnaissent enfin un nouveau surgissement des combats de classe après le repli des années 1981-82. Quant à certains groupes comme "L'association pour la Communauté Humaine Mondiale" ([3] [84]) (anciennement "Groupe Volonté Communiste") qui avaient éprouvé les plus grandes difficultés à reconnaître le recul et la défaite de 1981, ils sont tout aussi incapables de reconnaître aujourd'hui la reprise des luttes. Pour sa part le CCI a été parmi les premiers à mettre en évidence cette reprise, de même qu'il avait été capable en 1981 de rendre compte du recul. Ce constat n'a pas pour but de vanter les mérites de notre organisation en faisant ressortir les faiblesses des autres organisations du milieu communiste. Nous avons, à de nombreuses reprises, fait la preuve que nous ne concevons pas nos rapports avec celles-ci en termes de "fottenti" et "fottuti" ([4] [85]) suivant les termes de 1'ex-"Programma Comunista" c'est-à-dire en termes de concurrence et de rivalité. Ce qui nous intéresse au premier chef, c'est la plus grande clarté parmi les groupes révolutionnaires afin que l'influence qu'ils exercent et exerceront dans 1'ensemble du prolétariat soit la plus positive possible, qu'elle corresponde pleinement aux tâches pour lesquelles celui-ci les a fait surgir en son sein : être un facteur actif dans le développement de sa prise de conscience. Le but de cet article est donc de poursuivre le travail que nous avions entrepris dans le n.39 de la Revue Internationale ("Quelle méthode pour comprendre la reprise des luttes ouvrières ?") : mettre en évidence le cadre qui seul permet de rendre compte de 1'évolution présente des combats de classe et d'en tracer les perspectives. En d'autres termes, dégager une série d'éléments d'analyse indispensables aux organisations communistes pour être à la hauteur de leurs responsabilités dans la classe, éléments que beaucoup d'organisations repoussent avec obstination ou n'acceptent que du bout des lèvres.
Bien avant la formation du CCI en 1975, les groupes qui allaient le constituer ont basé leur plateforme et leur analyse générale de la période historique actuelle sur deux éléments essentiels (outre, évidemment, la revendication d'une série d'acquis programmatiques qui étaient le patrimoine commun de la gauche communiste issue de la 3ème Internationale dégénérescente) ([5] [86]) :
- la reconnaissance du caractère décadent depuis la 1ère guerre mondiale du mode de production capitaliste;
- la reconnaissance du cours historique ouvert par l'entrée du capitalisme dans une nouvelle crise aiguë à la fin des années 60, non comme un cours à la guerre généralisée semblable à celui des années 30, mais comme un cours aux affrontements de classe généralisés.
Depuis sa constitution, le CCI -comme il revient de le faire à toute organisation révolutionnaire vivante- a poursuivi l'élaboration de ses analyses et a notamment mis en évidence les trois éléments suivants :
- le fait que la révolution prolétarienne ne pouvant, à l'image des révolutions bourgeoises, se dérouler à des moments différents entre les divers pays, serait le résultat d'un processus de généralisation mondiale des luttes ouvrières, processus pour lequel les conditions présentes de développement d'une crise générale et irrémédiable de l'économie capitaliste étaient bien plus favorables que celles - données par la guerre impérialiste- qui avaient présidé au surgissement de la vague révolutionnaire de 1917-23. ([6] [87])
- l'importance décisive des pays centraux du capitalisme, et particulièrement ceux d'Europe occidentale, dans ce processus de généralisation mondiale des combats de classe ([7] [88]).
- l'utilisation dès la fin des années 70 par la bourgeoisie des pays avancés de la carte de la "gauche dans l'opposition" destinée, à travers un langage "radical", à saboter de l'intérieur les combats de classe que l'aggravation inexorable de la crise fait et fera de plus en plus surgir. ([8] [89])
Pour le CCI, l'élaboration de ces analyses n'est nullement un "luxe", une façon "d'être incapable d'affronter la raison d'être de son existence et de son activité, d'être forcé de développer une vie irréelle tournant autour de débats 'nominalistes ' [?] et scholastiques... de rationaliser son inertie" carme le prétend le CWO dans "Workers' Voice" n°17. Au contraire, c'est ce qui a permis à notre organisation d'évaluer correctement le rapport de forces entre les classes - condition élémentaire d'une intervention correcte au sein du prolétariat - comme nous allons le mettre en évidence.
L'ANALYSE DE LA DECADENCE DU CAPITALISME
Tout comme le CCI, les différents groupes évoqués ("Battaglia", CWO et "Volonté Communiste") se réclament de cette analyse (contrairement au courant bordiguiste "pur" qui, pour sa part, rejette ce qui constituait pourtant une position essentielle de l'Internationale Communiste). Cependant, il ne suffit pas d'admettre que depuis la première guerre mondiale le capitalisme est entré dans sa phase de décadence pour en dégager automatiquement toutes les implications. Celles-ci sont nombreuses et ont été examinées à de multiples reprises par notre organisation, notamment dans l'article de la Revue Internationale n°23 : "La lutte du prolétariat dans li décadence du capitalisme". Nous n’évoquerons ici que les plus utiles pour comprendre l'évolution du rapport de forces entre les classes ces cinq dernières années :
- les cours en dents de scie des luttes ouvrières ;
- l'utilisation de la répression par la bourgeoisie ;
- le rôle du syndicalisme ;
a- Le cours en dents de scie des luttes ouvrières.
Depuis qu'il a été magistralement décrit par Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, ce cours en dents de scie de la lutte du prolétariat a souvent été mis en évidence par les révolutionnaires, notamment par Rosa Luxemburg dans son dernier article ("L'ordre règne à Berlin ! "). Il "est lié au fait que, contrairement aux autres classes révolutionnaires du passé, la classe ouvrière ne dispose d'aucune assise économique dans la société Ses seules forces étant sa conscience et son organisation constamment menacées par la pression de la société bourgeoise, chacun de ses faux pas ne se traduit pas par un simple coup d'arrêt de son mouvement mais par un reflux qui vient terrasser 1'une et 1'autre et la plonge dans la démoralisation et 1'atomisation.
Ce phénomène est encore accentué par 1'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence dans laquelle la classe ouvrière ne peut plus se donner d'organisation permanente basée sur la défense de ses intérêts comme classe exploitée comme pouvaient 1'être les syndicats au siècle dernier." (Revue Internationale n°8, décembre 1976, "La situation politique internationale", point 25).
C'est armé de cette vision que le CCI a pu rendre compte du surgissement historique du prolétariat à la fin des années 60 après plus de 40 ans de contre-révolution. Il n'a pas considéré que cette reprise devait s'exprimer par un développement continu des luttes ouvrières mais par une succession de vagues de luttes (1968-74, 1978-80, 1983-?) atteignant chacune un point plus élevé mais entrecoupées par des périodes de recul. Chaque fois que s'annonçait une nouvelle vague de combats ouvriers le CCI (ou, avant sa formation, les groupes qui allaient le constituer) l'a reconnue rapidement : -"Internationalismo" (seul groupe existant à l'époque) des; Janvier 68 (cf. l'article du n°8 cité dans la Revue Internationale n°40,"10 ans du CCI")
- la "Revue Internationale" n°17 (2ème trimestre 1979), "Longwy, Denain : nous montrent le chemin" où l'on peut lire : "On commettrait une lourde erreur si on voyait dans ces affrontements simultanés fin 78 en RFA, début 79 en Grande-Bretagne, Espagne, Brésil] de simples escarmouches prolongeant la vague de luttes de 1968-73. Nous devons savoir reconnaître dans cette simultanéité et cet te combativité les premiers signes d'un mouvement plus vaste, en train de mûrir... Cette reprise de la lutte de classe, ces symptômes d'une nouvelle vague de combats, nous la voyons se dérouler sous nos yeux."
- la "Revue Internationale" n°36 (1er trimestre 84), "Conflits inter-impérialistes, lutte de classe : l'histoire s'accélère", qui écrit : "... après un creux réel au lendemain de la défaite en Pologne, les grèves qui se déroulent depuis quelques mois en Europe sont significatives d'une reprise des combats de classe ; elles viennent confirmer que le prolétariat, loin d'être vaincu, garde intact son potentiel de combativité et qu'il est prêt à s'exprimer avec ampleur." (article écrit en décembre 83).
De la même façon, lorsque se précisait un recul de la lutte de classe, notre organisation n'a pas eu peur de le relever tant à la suite de la première vague qu'à la suite de la deuxième.
Ainsi, dès le 1er Congrès du CCI en janvier 76, il était constaté que "Une accalmie s'est momentanément installée sur le champ de bataille de classe pendant laquelle le prolétariat assimile les leçons de sa lutte récente..." ("Rapport sur la situation internationale", Revue Internationale n°5, p.27), idée qui était précisée quelques mois après en ces termes : "... si contrairement aux années 30 la perspective générale n'est pas guerre impérialiste mais guerre de classe, il faut constater que la situation présente se distingue par 1'existence d'un grand décalage entre le niveau de la crise économique et politique et le niveau de la lutte de classe... Ce n'est donc pas seulement de stagnation de la lutte de classe dont il faut parler mais bien d'un repli de celle-ci..." (Revue Internationale n°8, "La situation politique internationale", point 23).
De même en 1981, alors que se poursuivaient en Pologne les affrontements de classe, le CCI relevait déjà le rétablissement par le capitalisme polonais d'une "situation longtemps compromise. Non sur le plan économique : la situation est pire que jamais. . . mais sur le plan politique. Sur le plan de son aptitude à imposer aux prolétaires des conditions de misère bien pires qu'en août 80 sans que ceux-ci soient capables d'y opposer une riposte à la hauteur des grèves de cette époque.
Cette reconstitution des forces de la bourgeoisie n'a pu se faire que par un recul progressif de la classe ouvrière. Ce recul était normal et prévisible. Il ne pouvait en être autrement après le haut niveau des luttes du mois d'août 80 et en l'absence d'un développement significatif de la lutte de classe dans les autres pays." (Révolution Internationale n°89, "Pologne : la nécessité de la lutte dans les autres pays", 30/8/81).
Cette analyse allait être explicitée après le coup de force de décembre 81 dans les termes suivants : "Avec l'instauration de l'état de guerre en Pologne, le prolétariat a subi une défaite ; il serait illusoire et même dangereux de se le cacher. Seuls des aveugles ou des inconscients peuvent prétendre le contraire. . .
C'est... fondamentalement une défaite parce que ce coup de force atteint le prolétariat de tous les pays sous forme de démoralisation et surtout d'une réelle désorientât ion, d'un déboussolement certain face aux campagnes déchaînées par la bourgeoisie depuis le 13 décembre 81 et prenant le relais de celles d'avant cette date.
Cette défaite, le prolétariat mondial 1 'a subie dès lors que le capitalisme, d'une façon concertée, est parvenu à isoler le prolétariat de Pologne du reste du prolétariat mondial, à l'enfermer idéologiquement dans le cadre de ses frontières de bloc (...) et nationales (...) ; dès lors qu'il est parvenu, grâce à tous les moyens dont il dispose, à faire des ouvriers des autres pays des SPECTATEURS, inquiets, certes, mais PASSIFS, à les détourner de la seule forme que peut avoir la solidarité de classe : la généralisation de leurs luttes dans tous les pays. . ." (Revue Internationale n°29, "Après la répression en Pologne, perspectives des luttes de classe mondiales"/ 12/3/82).
Parce que le CCI avait fait sien un des enseignements classiques du marxisme, enseignement qu'il avait complété à la lumière des conditions créées par la décadence du capitalisme, il a pu s'éviter l'aveuglement qui a frappé d'autres groupes révolutionnaires. Il a pu comprendre notamment que les combats de Pologne n'étaient qu'un des engagements parmi le grand nombre qui sera encore nécessaire à la classe ouvrière avant qu'elle ne livre l'assaut décisif contre la forteresse capitaliste. C'est ce que n'avait pas compris par exemple le CWO qui, durant 1'été 81, alors que le mouvement reculait (comme le CCI l'avait constaté) a appelé en 1ère page de son journal Workers ' Voice (n°4) les ouvriers de Pologne à "la Révolution maintenant ! ". Heureusement que les ouvriers polonais ne lisaient pas Workers ' Voice : ils n'auraient certes pas été assez fous pour suivre le CWO mais, par contre, ils auraient pensé avoir à faire à des provocateurs de la police.
Moins aberrante et ridicule, mais tout aussi grave, a été l'erreur commise par un groupe comme "Volonté Communiste" qui, un an après le coup de force du 13 décembre 81, pouvait écrire :
"Le coup de Jaruzelski est la conséquence directe de la radicalisation des luttes à partir de 1'été 1981, et aussi de 1'incapacité de Solidarnosc à se structurer en véritable syndicat de branche."
"Aujourd'hui, non seulement Jaruzelski , et 'son état de siège' n'ont pas résolu la question de la crise économique, mais on assiste à une radicalisation du mouvement."
"Au lieu du pourrissement tant attendu, c'est la dynamique de lutte qui a continué. A la pointe du combat, les travailleurs polonais sont engagés dans ce qui n'est qu'un moment du 'bras de fer entre prolétariat et bourgeoisie'." (Révolution Sociale ! n°14, décembre 82).
De façon évidente, un tel aveuglement devant une réalité qui était devenue de plus en plus criante ne peut s'expliquer que par un refus délibéré d'admettre que la classe ouvrière pouvait subir une défaite. Pour un marxiste, aussi dramatique que soit, une telle constatation (surtout quand il s'agit de défaites comme celles des années 20 qui plongent la classe dans une effroyable contre-révolution), elle doit s'imposer à chaque fois que le prolétariat subit un revers parce qu'il sait bien que "la révolution est la seule forme de guerre' - c'est encore une des lois de son développement - où la victoire finale ne saurait être obtenue que par une série de 'défaites '". (Rosa Luxemburg, "L'ordre règne à Berlin !", 14 janvier 1919).
Par contre, quand on manque de confiance dans la classe ouvrière, comme c'est le cas lorsqu'on est imbibé d'idéologie petite-bourgeoise à l'image du "Groupe Volonté Communiste", on craint d'admettre que le prolétariat puisse être défait, même de façon partielle, car on s'imagine qu'il ne pourra pas s'en relever. Ainsi une surestimation du niveau des luttes à un moment donné n'est nullement contradictoire avec une sous-estimation de la force réelle de la classe ouvrière, c'en est même le complément inévitable. C'est ce qu'ont démontré les éléments de "Volonté Communiste" qui, dans nos réunions publiques (leur publication qui était parue de façon mensuelle durant la période de recul ayant cessé de paraître quelques mois avant la reprise des luttes) affichent le plus noir scepticisme sur les potentialités des luttes présentes ([9] [90]) . C'est ce qu'a démontré également le CWO qui, après ses accès , d'enthousiasme d'août 82, a eu plusieurs trains de retard en compagnie de son organisation soeur "Battaglia Comunista" avant de reconnaître la reprise.
Mais il convient de relever une autre idée contenue dans l'article de Révolution Sociale : "Le coup de Jaruzelski est la conséquence directe de la radicalisation des luttes à partir de 1'été 81". Elle fait la preuve que ce groupe (comme divers autres) n'a pas compris la question de la répression dans la période historique actuelle.
b- L'utilisation de la répression par la bourgeoisie.
Tirant les enseignements de la défaite de 1981 nous écrivions : "Le coup du 13 décembre, sa préparation et ses suites sont une victoire de la bourgeoisie. . . Cet exemple illustre une fois de plus que, dans la décadence du capitalisme, la bourgeoisie n'affronte pas le prolétariat de la même façon qu'au siècle dernier. A cette époque les défaites infligées au prolétariat, les répressions sanglantes, ne lui laissaient pas d’ambiguïté sur qui étaient ses amis et ses ennemis : ce fut notamment le cas lors de la Commune de Paris et même de la Révolution de 1905 qui, tout en annonçant déjà les combats de ce siècle (la grève de masse et les conseils ouvriers) comportait encore des caractéristiques propres au siècle dernier (notamment quant aux méthodes de la bourgeoisie). Aujourd'hui par contre, la bourgeoisie ne déchaîne la répression ouverte qu'à la suite de toute une préparation idéologique- dans laquelle la gauche et les syndicats jouent un rôle décisif, et qui est destiné tant à affaiblir les capacités de défense du prolétariat qu'à 1 'empêcher de tirer tous les enseignements nécessaires de la répression". (Revue Internationale n°29, "Après la répression en Pologne...").
Ce n'était là nullement une "découverte tardive" après coup, puisqu'en mars 81, on pouvait lire dans un tract du CCI en langue polonaise :
"Il serait catastrophique pour les ouvriers de Pologne de croire que la passivité peut leur éviter la répression. Si 1'Etat a été contraint de reculer, il n'a nullement renoncé à imposer de nouveau à la société sa chape de plomb. S'il s'abstient aujourd'hui d'user de la répression violente, comme il le fit par le passé, c'est qu'il craint une mobilisation ouvrière immédiate. Mais si la classe ouvrière renonce à lutter chaque fois que 1'Etat tente de porter une nouvelle atteinte à ses intérêts, alors la voie sera ouverte à la démobilisation et à la répression "
Il importe donc que les révolutionnaires soient clairs sur les armes qu'emploie la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Si leur rôle n'est jamais d'appeler à l'aventure dans des affrontements prématurés, ils doivent insister sur l'importance de la mobilisation de classe, de l'extension des luttes, comme meilleure prévention contre le danger d'une répression brutale. C'est ce que n'avaient pas compris ni le CWO ni "Volonté Communiste", et qui explique notamment que ce dernier groupe n'ait reconnu la défaite ouvrière qu'avec deux ans de retard, s'imaginant que si la répression s'était déchaînée en Pologne c'est parce que Solidarnosc était complètement débordé. Cela montre aussi qu'il importe d'avoir les idées claires sur le rôle et la façon de faire du syndicalisme dans la période actuelle.
c- Le rôle du syndicalisme.
Dans la période de décadence du capitalisme, les syndicats sont devenus un des instruments essentiels de la bourgeoisie pour encadrer le prolétariat et étouffer ses luttes. Cela, tous les groupes qui se situent sur un terrain de classe l'ont compris. Mais encore faut-il avoir pleinement assimilé ce que cela signifie. En particulier, l'analyse insuffisante faite par le courant bordiguiste de la question syndicale est en bonne partie responsable de son incapacité à reconnaître 1'importance des mouvements comme celui de Pologne en Août 80. En effet, alors que dans la période de décadence du capitalisme : "L'impossibilité d'améliorations durables pour la classe ouvrière lui interdit la constitution d'une organisation spécifique, permanente, basée sur la défense de ses intérêts économiques.
La lutte prolétarienne tend à dépasser le cadre strictement économique pour devenir sociale, s'affrontant directement à l'Etat, se politisant et exigeant la participation massive de la classe. . .
Un tel type de lutte, propre à la période de décadence, ne peut se préparer d'avance sur le plan organisationnel. Les luttes explosent spontanément et tendent à se généraliser." (Revue Internationale n°23, 4ème trimestre 80, "La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme").
Ce courant ne pouvait se faire à l'idée d'un tel surgissement spontané des luttes. Pour que celles-ci aient une certaine ampleur, il fallait qu'existe au préalable une organisation de la classe, que se manifeste d'abord un "associationnisme ouvrier" (suivant ses propres termes). De même qu'en 1968 en France, ce courant avait complètement sous-estimé le mouvement (avant d'appeler les 10 millions d'ouvriers en grève à se ranger derrière son drapeau !), il n'a su reconnaître l'importance des combats de Pologne qu'avec un retard considérable.
Ce manque de clarté sur la question syndicale se retrouve chez "Volonté Communiste" lorsque ce groupe écrit : "Dans le système capitaliste démocratique, le syndicat est un intermédiaire opérant entre les travailleurs et l'Etat. Dans un système capitaliste d'Etat, quand se pose d'emblée l'affrontement entre les prolétaires et l'Etat, le syndicat est une forme inopérante et donc un obstacle immédiat à la lutte contre le pouvoir capitaliste." (Révolution Sociale!" n°14).
Il est clair qu'avec une telle vision du syndicat, tant dans les pays de l'ouest ("intermédiaire entre les travailleurs et l'Etat" et non organe de l'Etat dédié à l'encadrement des travailleurs) que dans les pays de l'Est ("forme inopérante" alors qu'on a pu constater l'extraordinaire efficacité de Solidarnosc contre la lutte de classe), un tel groupe ne pouvait comprendre :
- que le renforcement de Solidarnosc en 1981 en Pologne signifiait un affaiblissement de la classe ;
- que toute l'offensive syndicale en occident de cette même période (radicalisation dès la fin des années 70, campagnes menées autour de la Pologne) allait peser sur le prolétariat de cette partie du monde ;
- que l'affaiblissement continu, ces dernières années, de l'influence des syndicats, le phénomène de désyndicalisation général dans les pays occidentaux, était une des prémisses de la reprise actuelle des luttes.
L'incompréhension des implications de la décadence du capitalisme (quand ce n'est pas le rejet de cette analyse) sur les conditions de la lutte de classe, peut avoir un effet catastrophique sur les positions programmatiques (questions nationale, parlementaire, syndicale, du frontisme) menaçant la survie-même d'une organisation comme instrument de la classe ouvrière (cas de la dégénérescence opportuniste de l'Internationale Communiste, plus récemment décomposition de "Programma Comunista" et évolution vers le gauchisme de son héritier "Combat"). '
Cela situe toute 1'importance de développer l'analyse la plus claire possible sur cette question comme le CCI s'y est toujours attaché depuis ses origines (notamment dans sa plateforme et avec sa brochure sur La décadence du capitalisme). Mais la clarté sur l'autre point qui était à la base de la constitution du CCI, l'analyse du cours historique, revêt également une importance considérable.
L'ANALYSE DU COURS HISTORIQUE
Nous avons suffisamment consacré d'articles de cette revue à cette question (notamment un rapport au 3ème Congrès de CCI dans la Revue (ï^TB^et une polémique avec les thèses du 5ème congrès de "Battaglia Comunista" dans la revue n°36) pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir longuement ici, sinon pour signaler l'incroyable légèreté avec laquelle certains groupes traitent de cette question. C'est ainsi qu'on peut lire dans Workers'Voice n°17 en réponse à nos analyses : "Le CWO a démontré que le cours historique ne peut être appréhendé que dialectiquement (souligné par le CWO) comme menant à la fois vers la guerre et vers la révolution". La dialectique a vraiment bon dos ! Après l'utilisation magistrale qu'en a fait Marx dans toute son oeuvre pour rendre compte de la nature contradictoire des processus sociaux (et en premier lieu pour constater que "L'histoire est 1 'histoire de la lutte de classe" ), ses épigones au petit pied et à l'esprit un peu faible en ont fait un cache-sexe pour tenter de dissimuler les contradictions et 1'incohérence de leur pensée.
L'organisation soeur de CWO,"Battaglia Comunista", ne fait pas preuve de la même stupide prétention pour énoncer la même idée :"on ne peut pas se prononcer sur le cours historique". Elle témoigne même d'une rare humilité dans les thèses de son 5ème Congrès (Prometeo n°7, juin 1983) : "L'effondrement général de 1'économie se traduit de façon immédiate par 1'alternative : guerre ou révolution. Mais la guerre elle-même en marquant un virage en soi catastrophique dans la crise du capitalisme et un brusque bouleversement dans les échafaudages superstructurels du système, ouvre les possibilités de l'effondrement de ceux-ci et donc 1'ouverture, au sein même de la guerre, d'une situation révolutionnaire et de la possibilité d'affirmation du parti communiste. Les facteurs qui déterminent 1'éclatement social, au sein duquel le parti trouvera les conditions de sa croissance rapide et de son affirmation, que ce soit dans la période qui précède le conflit, pendant le conflit, ou immédiatement après celui-ci, ne sont pas quantifiables. On ne peut donc pas déterminer a priori à quel moment un tel éclatement aura lieu (exemple polonais)".
Quelle avant-garde qui ne sait même pas dire à sa classe si nous allons vers la guerre mondiale ou vers la révolution ! En tout cas, la Gauche italienne dont se réclament le CWO et "Battaglia" aurait eu bonne mine si, face aux événements d'Espagne en 36, elle avait dit : "Il faut appréhender la situation de façon 'dialectique' : comme les facteurs de la situation ne sont pas 'quantifiables', nous disons tout net aux ouvriers : nous allons soit vers la guerre mondiale, soit vers la révolution, soit vers les deux en même temps !". Avec une telle démarche, c'est la fraction toute entière, et non seulement sa minorité, qui se serait laissée enrôler dans les brigades anti-fascistes ([10] [91]).
Nous laissons de côté ici la question de la possibilité d'un surgissement de la révolution dans ou à la suite d'une 3ème guerre mondiale qui est de nouveau traitée dans l'article "La guerre dans le capitalisme"de ce même n°. Par contre, on peut dire qu'avec une vision qui ne permet pas de voir que nous allons vers des affrontements de classe généralisés avant qu'éventuellement -si le prolétariat y est défait- le capitalisme puisse déchaîner une guerre mondiale, une vision qui considère qu'aujourd'hui "le prolétariat est fatigué et déçu" (Prometeo n°7), il n'est pas surprenant que "Battaglia Comunista" n'ait constaté la reprise actuelle des luttes qu'avec huit mois de retard,en avril 84 (Battaglia Comunista n°6), et encore sous forme d'interrogation : "La paix sociale se rompt-elle ?".
En effet, pour interpréter les luttes de l'automne 83 comme les premières d'une reprise générale, il fallait avoir compris que, dans le cours historique actuel aux affrontements de classe, l'accélération de l'histoire provoquée par l'aggravation considérable de la crise dans les années '80 -les "années de vérité"- allait se traduire par une durée de plus en plus courte des moments de ^recul.
De même, il faut constater que la "dialectique" à la sauce CWO n'est certainement pas étrangère à la bourde énorme commise en été 81 à propos de la Pologne. Bourde qui s'explique également par l'incompréhension totale de deux questions analysées* par le CCI.
LA GENERALISATION MONDIALE DES LUTTES ET LE ROLE DU PROLETARIAT D'EUROPE OCCIDENTALE
En effet, si nous avons pu comprendre le recul qui s'était opéré en Pologne, c'est -comme nous l'avons vu plus haut- que le rapport de forces entre les classes dans ce pays était très largement déterminé par le rapport de forces à l'échelle internationale et notamment dans les métropoles industrielles d'occident. L'idée que la révolution fut possible en Pologne alors que dans ces concentrations le prolétariat restait passif, indique qu'on avait perdu de vue des enseignements du marxisme vieux de plus d'un siècle :
"La Révolution communiste... ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés, c'est-à-dire tout au moins en Angleterre, en Amérique, en France et en Allemagne".(Engels, "Principes du communisme", 1847).
C'est sur cette base que le CCI, suite aux combats de Pologne, a développé son analyse sur "la généralisation mondiale de la lutte de classe" (Revue Internationale n°26) et sur "le prolétariat d'Europe occidentale au coeur de la généralisation de la lutte de classe, critique de la théorie du 'maillon le plus faible'" (R.Int.n°31) suivant laquelle : "Tant que les mouvements importants de la classe ne toucheront que des pays de la périphérie du capitalisme (comme ce fut le cas en Pologne) et même si la bourgeoisie locale est complètement débordée, la Sainte-Alliance de toutes les bourgeoisies du monde, avec à leur tête les plus puissantes, sera en mesure d'établir un cordon sanitaire tant économique que politique, idéologique et même militaire, autour des secteurs prolétariens concernés. Ce n'est qu'au moment où la lutte prolétarienne touchera le coeur économique et politique du dispositif capitaliste... que cette lutte donnera le signal de 1'embrasement révolutionnaire mondial... Ce coeur et ce cerveau du monde capitaliste, 1'histoire 1'a situé depuis des siècles en Europe occidentale... 1'épicentre du séisme révolutionnaire à venir se trouve placé dans le coeur industriel de 1'Europe occidentale où sont réunies les conditions optimales de la prise de conscience et de la capacité de combat révolutionnaire de la classe, ce qui confère au prolétariat de cette zone un rôle d'avant-garde du prolétariat mondial".
Evidemment, le CWO avec sa dialectique de café du commerce n'a que mépris pour une telle perspective : "Le CWO a aussi démontré que, bien que les révolutions prolétariennes ne puissent réussir dans n'importe quel pays isolément, les premiers surgissements de la classe ouvrière peuvent venir des pays sous-développés tout comme des pays avancés, et que les communistes doivent être prêts pour les deux possibilités". Workers'Voice n°17). En 1981, le CWO était prêt à toutes les possibilités, même à la révolution en Pologne. Ce qu'il a donc "démontré" de façon convaincante, c'est l'inadéquation de son cadre d'analyse. Cette vision du CCI, si elle lui avait permis de comprendre le recul des luttes et la défaite du prolétariat en 81, lui a également permis de relativiser l'importance de la défaite subie par le prolétariat en Pologne et donc du recul qui allait la suivre : "Pour cruelle qu'elle soit, la défaite subie par le prolétariat à la suite de ses combats en Pologne n'est que partielle. Par contre le il gros des troupes, celui qui est basé dans les énormes concentrations industrielles d'occident, et notamment en Allemagne, n'est pas encore entré dans la bataille:" (Revue Internationale n°29, "Après la répression en Pologne...").
De même, parmi les éléments qui nous ont fait reconnaître toute 1'importance de la grève du secteur public en Belgique de septembre 83 comme annonciatrice de la reprise des combats et comme "le mouvement de lutte ouvrière le plus important depuis les combats de Pologne 80", nous avons signalé notamment (Revue Internationale n°36) :
"- le fait que ce mouvement a touché un des pays les plus industrialisés du monde, de plus vieux capitalisme, situé en plein coeur des énormes concentrations prolétariennes d'Europe occidentale ;
- la dynamique qui s'est exprimée au démarrage du mouvement : surgissement spontané des luttes qui a pris de court et a débordé les syndicats ; tendance à 1'extension ; dépassement des clivages communautaires et linguistiques ;
- le fait que ce mouvement prend place dans un contexte international de surgissement sporadique mais significatif de la combativité ouvrière"
Mais cette présentation des analyses indispensables à la compréhension de la période présente, serait incomplète si on ne parlait pas d'une des questions essentielles à laquelle est confronté aujourd'hui le prolétariat.
LA STRATEGIE BOURGEOISE DE LA GAUCHE DANS L'OPPOSITION
Pour le CWO, notre analyse sur cette question "est pure scholastique comme toutes les autres, donnant 1'illusion d'une clarification et détour nant 1 'organisation des vraies questions de la politique révolutionnaire" (ibid.).
Pour sa part, "Volonté Communiste" se hérisse à l'idée que la bourgeoisie pourrait avoir une stratégie contre la classe ouvrière : "Se vautrant dans le sang, la bourgeoisie fait de plus en plus preuve de cécité historique et ne peut qu 'essayer de colmater des brèches ouvertes dans son système par le développement de contradictions devenues insurmontables depuis 1'entrée en décadence impuissante et instable, elle se débat désormais, a la différence du 19ème siècle, dans des convulsions permanentes : d'où, au delà des pesanteurs institutionnelles de tel ou tel Etat, le seul mode de gouvernement réel est la fuite en avant, l'empirisme le plus total à tous les niveaux" (Révolution Sociale 1 n°16, "Critique du CCI").
Mais si ces deux groupes et beaucoup d'autres avaient compris cette question, ils auraient su :
- comprendre l'efficacité de cette nouvelle carte jouée par la bourgeoisie à la fin des années 70 et qui porte une très grande responsabilité dans le déboussolement du prolétariat au début des années 80, tant, d'ailleurs, en occident qu'en Pologne ; cela leur aurait permis de s'éviter de dire pas mal de bêtises sur les potentialités des luttes en 81-82 ;
- prévoir, qu'une fois passé l'effet de surprise provoqué par la nouveauté de cette carte, son efficacité allait commencer à s'émousser, ce qui allait permettre la reprise des luttes à la mi-83, reprise qu'ils n'ont pas su voir, sinon avec pas mal de retard ;- ne pas se laisser aveugler par l'omniprésence des syndicats dans les luttes actuelles (qui leur font sous-estimer leur importance) qui sont une composante majeure de la carte de la "gauche dans l'opposition" puisque : "Dans les pays avancés d'occident et notamment en Europe de l'ouest, le prolétariat ne pourra déployer pleinement la grève de masse qu'à l'issue de toute une série de combats, d'explosions violentes, d'avancées et de reculs au cours desquels il démasquera progressivement tous les mensonges de la gauche dans 1'opposition, du syndicat et du syndicalisme de base"-("Résolution sur la situation internationale" du 5ème Congrès du CCI, Revue Internationale n°35).
Comme l'écrivait Marx : "C'est dans la pratique que l'homme prouve la vérité, c'est-à-dire la réalité et la puissance de sa pensée". ("Thèses sur Feuerbach").
Malheureusement, c'est bien souvent complètement à l'envers que les groupes révolutionnaires comprennent cette phrase. Lorsque la réalité s'obstine à contredire leurs analyses, ils ne se sentent pas concernés et continuent, comme si de rien n'était à maintenir leur erreurs et leurs confusions en essayant, à grand renfort de "dialectique", de faire rentrer de force les faits dans un cadre où ils n'ont pas de place.
Par contre, quand cela les arrange, ils donnent à la phrase de Marx un sens que celui-ci aurait rejeté avec vigueur et mépris : la glorification de l'empirisme. Car derrière toutes les phrases du CWO contre les "débats scholastiques" ou les hypo thèses multiples de "Battaglia", ce n'est pas autre chose que l'empirisme que nous trouvons, cet empirisme que Lénine - dont se réclament à cors et à cris ces organisations- raillait chez les économistes du début du siècle : "En effet, quelle attitude prétentieuse et quelle exagération de 1'élément conscient : résoudre théoriquement les questions par avance, afin de convaincre ensuite du bien-fondé de cette solution, 1 'organisation, le parti et la masse".("Que Faire ?").
Le CWO et "Battaglia" ne cessent de répéter qu'ils constituent l'avant-garde, le guide du prolétariat. C'est dans la pratique et non en paroles qu'ils le démontreront. Mais pour cela, ils auront besoin de troquer leur empirisme contre la méthode marxiste ; sinon, ne sachant pas apprécier le rapport de forces entre les classes, identifier les armes de l'ennemi, ils ne pourront "guider" le prolétariat que vers la défaite.
F.M. 3/3/85
[1] [92] "Battaglia Comunista", CasellaPostale 1753, 20100 MILANO, ITALIE
[2] [93] CWO, PO Box 145, Head Post Office, Glasgow, GRANDE-BRETAGNE
[3] [94] BP 30316, 75767 PARIS CEDEX 16,FRANCE
[4] [95] Revue Internationale n. 16 :"2ème Conférence Internationale des Groupes de la Gauche Communiste".
[5] [96] Revue Internationale n.40 : "10 ans du CCI : quelques enseignements".
[6] [97] Revue Internationale n.26 : "Les conditions historiques de la généralisation de la lutte de la classe ouvrière".
[7] [98] Revue internationale n.31"Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe"
[8] [99] Revue internationale n.31"Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe"
[9] [100] Ces mêmes éléments avaient évidemment crié au défaitisme lorsque nous avions mis en évidence le recul des luttes en 81 et 82.
[10] [101] Voir sur cette question les articles de la Revue Internationale n°4, n°6 et n°7 et notre brochure "La Gauche Communiste d'Italie".
A l'époque de l'informatique, des communications par satellites, l'information circule à la vitesse de là lumière autour du globe et les échanges font de même. Quelques coups de téléphone et ce sont des milliards de dollars qui s'échangent, ce sont des fortunes qui se font et se défont en quelques minutes. Le dollar poursuit sa sarabande effrénée autour de la planète dans un mouvement incessant : de New York à Chicago, de Chicago à Tokyo, de Tokyo à Hong-Kong, à Zurich, Paris, Londres chaque place financière prend le relais de l'autre pour maintenir le mouvement incessant des capitaux.
LA MONTEE DE LA SPECULATION
Le dollar est la monnaie mondiale par excellence ; plus de 80 % des échanges mondiaux se font en dollars. La variation des cours du dollar affecte l'ensemble de l'économie mondiale. Et le cours du dollar est tout sauf stable : durant les mois de janvier et février 1985, le dollar a poursuivi son ascension fulgurante, grimpant par rapport au franc français de 10 centimes par semaine d'abord, et accélérant son mouvement de 10 centimes par jour ensuite. Le 27 février, après les déclarations alarmistes de Volcker, président de la Banque Fédérale américaine, et l'intervention des grandes banques centrales, c'est la dégringolade. En quelques minutes le dollar passe par rapport au franc français de 10,61 F à 10,10 pour remonter à 10,20 F : 40 centimes de perdus vis-à-vis du franc, 5 % de dévalorisation vis-à-vis du Deutsch Mark. C'est ainsi plus de 10 milliards de dollars qui se sont envolés en fumée sur le marché mondial. Déjà en septembre 1984, le dollar avait en une journée perdu 40 centimes, mais cela ne l'avait pas empêché de reprendre son ascension par la suite sous la pression de la spéculation internationale.
POURQUOI LE DOLLAR GRIMPE-T-IL ?
Les économistes y perdent leur latin. Ainsi, Otto Piehl, gouverneur de la Banque Centrale de R.F.A., lors d'un symposium qui réunissait le gratin de la finance internationale, ironise : "Le dollar est miraculeux et sur ce point notre vision est confuse, mais après la discussion nous serons confus à un niveau supérieur."Voilà qui n'est guère rassurant pour l'économie mondiale.
Qu'y a-t-il donc de si miraculeux dans la "santé" actuelle du dollar par rapport aux autres monnaies ? Simplement que la montée actuelle du cours du dollar ne correspond absolument pas à la réalité économique de la compétitivité du capital américain par rapport à ses concurrents. Le dollar est énormément surévalué.
Dans ce cas, pourquoi une telle spéculation effrénée sur le dollar sur toutes les places financières du monde ? A cela deux raisons essentielles :
1) La politique américaine de déficit budgétaire et commercial crée un énorme besoin de l'économie américaine en dollars pour le combler. Le déficit budgétaire a ainsi atteint 195 milliards de dollars en 1983 et 184 milliards de dollars en 1984 (voir tableau No 3), et le déficit commercial a été de 123,3 milliards de dollars en 1984. Et ce déficit ne se réduit pas comme le montre le tableau No 1 ci-dessous.
Et ce ne sont pas les timides propositions de réduction du déficit budgétaire annoncées par Washington depuis décembre 1984 qui freineront la tendance. Au contraire, cela ne peut que rassurer les spéculateurs et pousser encore plus à la hausse du dollar. Ce qui s'est effectivement produit.
2) Les USA sont la première puissance économique et mondiale. La forteresse du capital international. Devant le ralentissement de la reprise et les risques de la récession qui pointent à l'horizon, les capitaux du monde entier viennent se placer aux USA pour tenter de se préserver du mouvement de reflux qui s'annonce. Le mouvement de spéculation actuel est le signe de 1 ' inquiétude de la finance internationale.
L' ENDETTEMENT : UNE BOMBE A RETARDEMENT PLACEE AU COEUR DE L'ECONOMIE MONDIALE
Pour combler ces déficits, les USA s'endettent. Les USA ne peuvent trop faire marcher la planche à billets de peur de relancer un processus inflationniste incontrôlable ; ils font appel aux capitaux étrangers. Mais comme le dit Volcker, "Les Etats-Unis ne pourront vivre indéfiniment au-dessus de leurs moyens grâce aux capitaux étrangers". En effet, l'endettement actuel est pharamineux.
La dette totale des USA est de 6 000 milliards de dollars. De tels chiffres perdent leur sens, un 6 suivi de 12 zéros, de quoi donner le vertige. Cela représente deux ans de production des USA, six du Japon, dix de l'Allemagne !
La dette publique, avec ses 1 500 milliards de dollars, à elle seule, implique le paiement de près de 100 milliards de dollars d'intérêts en 1984 et ce service de la dette passera à 214 milliards en 1989. A ce rythme les USA vont devenir débiteurs du reste du monde en 1985.
Pour n'importe quel pays sous-développé, une telle situation serait catastrophique. Le FMI interviendrait de toute urgence pour imposer un plan d'austérité draconien. Cela montre à l'évidence que la force actuelle du dollar est une tricherie gigantesque par rapport aux lois économiques. Les USA profitent de leur position de force économique et militaire pour imposer au travers du dollar, leur monnaie nationale mais aussi principale monnaie d'échange internationale, leur loi au monde.
Les lois économiques ne jouent-elles plus leur rôle ? Le dollar échappe-t-il à toutes les règles? Son ascension est-elle inéluctable et inévitable ? Certainement pas. Les politiques de capitalisme d'Etat peuvent repousser l'échéance de la crise par des artifices monétaires, mais cela ne fait que reporter les contradictions à un niveau plus élevé, plus explosif.
Les déclarations de Volcker qui ont provoqué la chute des cours le 27 février sont sans ambiguïté sur ce point. Lui qui, il y a un an, déclarait que l'endettement extérieur était "un pistolet braqué sur le coeur des Etats-Unis", a récidivé en disant que "du fait de la taille du déficit budgétaire, le gonflement des emprunts américains à 1'étranger contient les germes de sa propre destruction" et de préciser à propos de la chute du cours du dollar " Je ne peux prédire quand, mais le scénario est en place".
LA RECESSION SE PROFILE A L'HORIZON
La croissance de l'économie américaine, très soutenue au printemps 1984 s'est ralentie ces derniers mois. Les commandes passées à l'industrie se sont ralenties : août : - 1,7 %, septembre : - 4,3 %, octobre : - 4,1 %, décembre : - 2,1 %. La croissance du P.N.B. qui avait atteint 7,1 % au printemps n'était plus que de 1,9 % au troisième trimestre 1984.
Le déficit américain n'est plus suffisant, malgré son importance, pour maintenir la min ireprise mondiale dont les effets ont d'ailleurs surtout été marquants aux USA alors que l'Europe stagnait. Le spectre de la récession pointe à l'horizon et cette perspective ne peut que remplir les financiers capitalistes d'effroi.
Toutes les grandes banques américaines ont énornément prêté, prêts de dix fois leurs avoirs réels. Comme exemple, prenons simplement l'engagement des principales banques américaines vis-à-vis de cinq pays d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Venezuela, Maxique, Chili) : Citicorp 174 % de l'avoir des actionnaires, Bank of America 158 %, Chase Manhattan 154 %, Manufacturers Hanover 262 %, Continental Illinois 107 %, etc. Il y a ainsi environ 14 500 banques américaines qui sont dans le même cas ([1] [104]).
La récession, cela signifie des millions d'ouvriers réduits au chômage, des milliers d'entreprises en faillite, des dizaines de pays en situation de cessation de paiement. Autant de secteurs qui ne pourront ainsi rembourser leurs dettes, jettent à leur tour les banques dans la faillite. La faillite de la Continental Illinois n'a pu être comblée que par l'injection de 8 milliards de dollars frais grâce à l'aide des autres banques et de l'Etat américain, mais ce qui se profile à l'horizon ne pourra être résorbé aussi facilement. Ce qui se prépare c'est la banqueroute du système financier international, avec au coeur de cette banqueroute, le dollar.
Une brève récession de six mois seulement ferait passer le déficit fédéral de 200 à 500 milliards de dollars selon une étude de la Chase Econometrics. Devant une telle situation, les USA n'auraient d'autre recours que de combler ce déficit par le recours massif à la planche à billets car les capitaux du monde entier ne suffiraient pas, relançant ainsi la spirale inflationniste galopante que Reagan se targue tant d'avoir vaincue. Une telle situation ne peut que provoquer une panique sur les marchés financiers, amenant un retour de tendance où la spéculation jouerait cette fois contre le dollar, plongeant l'économie mondiale dans les affres d'une récession comme elle n'en a jamais connue et qui se conjuguera avec une hyperinflation.
Voilà le "scénario" dont parle Volcker. C'est un scénario catastrophe. Le gouvernement américain essaie d'utiliser tous les artifices pour reculer cette échéance : suppression des retenues à la source, internationalisation du Yen, appels de Reagan aux Européens afin que ceux-ci s'endettent encore plus pour soutenir l'effort américain et maintenir l'activité économique. Mais tous ces expédients sont insuffisants et la fuite en avant actuelle ne fait que montrer l'impasse du capitalisme mondial et annoncer la catastrophe future.
QUELLES CONSEQUENCES POUR LA CLASSE OUVRIERE ?
La reprise reaganienne s'est essentiellement limitée aux USA où le taux de chômage a diminué de 2,45 %. En 1984, par contre, pour 1'ensemble des pays sous-développés, elle a signifié une plongée dans une misère insondable, une situation de famine comme en Ethiopie, comme au Brési1, tandis qu'en Europe, le relatif maintien de l'économie n'a pas empêché une progression du chômage : 2,25 % en 1984 dans la CEE. Avec le ralentissement de la reprise, ces derniers mois ont vu une relance du chômage : 600 000 chômeurs de plus pour la CEE en janvier 1984, 300 000 pour la seule RFA qui, avec cette progression, bat son record de 1953 avec 2,62 millions de chômeurs. La perspective de la récession implique une explosion du chômage et une plongée dans la misère tiers-mondiste au coeur du capitalisme industriel. La chute complète de l'illusion sur la possible reprise économique va montrer l'impasse du capitalisme à l'ensemble du prolétariat mondial. Posant toujours plus la nécessité de la mise en avant d'une perspective révolutionnaire' comme seul moyen de survie de l'humanité, alors que le capitalisme la mène à sa destruction.
Le capitalisme mondial est dans l'impasse économique, au bord du vide, et la bourgeoisie elle-même commence à s'en rendre compte. Elle est de plus en plus poussée du terrain économique vers le plan militaire dans sa fuite en avant devant la catastrophe économique.
L'essentiel du déficit budgétaire américain sert à financer son effort de guerre où des capitaux gigantesques sont engouffrés et stérilisés (voir tableau 3 page précédente).
En janvier 1985 les commandes de biens durables ont augmenté de 3,8 % aux USA. Mais si on supprime les commandes militaires, c'est en fait à une chute de - 11,5 % des commandes à laquelle on assiste. Derrière la plongée accélérée dans la crise économique ce qui se profile c'est l'exacerbât ion et l'accélération des tensions inter-impérialistes, la fuite en avant de la bourgeoisie vers la guerre.
Le capitalisme n'a plus d'avenir à offrir à l'humanité. Les dernières illusions sur sa capacité de s'en sortir, sur une hypothétique révolution technologique, vont se fracasser contre la réalité de la banqueroute.
Le président Reagan ne restera certainement pas dans l'histoire comme le matamore qui a vaincu la crise, mais comme le président de la plus grande crise économique qu'ait connue le capital.
Le compte à rebours est commencé, la récession est inéluctable. Cette récession va signifier une nouvelle accélération des tensions, un approfondissement des antagonismes de classe. De la capacité du prolétariat à développer ses luttes, à mettre en avant dans celles-ci une perspective révolutionnaire, dépend l'avenir de l'humanité face à la destruction qui la menace. Car le capitalisme va vers la banqueroute et c'est toute l'humanité qu'il risque d'entraîner dans sa propre perte dans un nouvel holocauste mondial.
Le dollar est encore le dollar-roi qui domine toute l'économie mondiale. Mais le roi est nu et cette évidence va bientôt percer tous les rideaux de fumée de la propagande capitaliste.
J.J. ,2/3/85
[1] [105] Institut d’économie internationale de Washington, 1983.
La guerre dans le capitalisme décadent est radicalement différente de toutes les guerres du passé. Le caractère totalement irrationnel qu'elle y possède n'est que le reflet de l'absurdité d'un système social mondial devenu historiquement obsolète et barbare. Contrairement à ce qu'affirment très superficiellement certains courants révolutionnaires, une 3ème guerre mondiale - qui menacerait la survie même de l'humanité - ne créerait pas les conditions d'une révolution prolétarienne mondiale triomphante, au contraire.
"Historiquement, le dilemme devant lequel se trouve 1'humanité d'aujourd'hui se pose de la façon suivante : chute dans la barbarie ou salut par le socialisme. Il est impossible que la guerre mondiale procure aux classes dirigeantes une nouvelle issue, car il n'en existe plus sur le terrain de la domination de classe du capitalisme. Le socialisme est devenu une nécessité non seulement parce que le prolétariat ne veut plus vivre dans les conditions matérielles que lui préparent les classes capitalistes, mais aussi parce que, si le prolétariat ne remplit pas son devoir de classe en réalisant le socialisme, l'abîme nous attend tous, tant que nous sommes." R. Luxembourg, Discours sur le Programme, 1919
Enoncée il y a soixante cinq ans, cette mise en garde a connu et connaît encore aujourd'hui une réalité et une actualité brûlantes. Pourtant, la justesse de ce point de vue, le seul qui réponde à la situation historique que nous vivons, malgré la terrible expérience de ces 65 années qui nous séparent du moment où ces lignes ont été écrites, ne représente pas la pensée la plus répandue, loin s'en faut.
De conflagrations internationales en conflits localisés, de conflits localisés en préparations de nouvelles conflagrations internationales, les générations actuelles et celles qui les ont enfantées ont tellement été imprégnées de cette atmosphère et de cette situation de guerre mondiale permanente depuis le début de ce siècle qu'elles ont le plus grand mal à en saisir la portée, la signification et les perspectives.
UNE IDEOLOGIE AMBIANTE
Phénomène historique, la guerre mondiale, de par son caractère omniprésent et permanent, finit par hanter les esprits et à devenir dans la représentation collective un phénomène naturel, inhérent à la nature humaine. Inutile de dire que cette représentation mythique dans le vrai sens du terme est largement entretenue, suscitée et diffusée par les tenants de 1'idéologie dominante qui sont les maîtres d'oeuvre de cette situation de guerre et de préparation à la guerre mondiale permanente. L'idéologie pacifiste est elle-même le complément indispensable de cette pensée par les sentiments d'impuissance qu'elle entretient vis-à-vis de tout préparatif ou situation de guerre.
Au moment où les tensions mondiales s'exacerbent encore et encore, où les moyens de destruction s'accumulent à un rythme difficile à suivre tellement il est rapide, alors que la crise économique mondiale dans laquelle la guerre mondiale trouve ses sources, plonge dans des abîmes sans fond, ce vieux discours réapparaît en force.
"Devant 1'efficacité malgré tout spectaculaire du système militaro-industriel américain, il peut paraître étonnant qu'un consensus ne s 'établisse pas aux USA autour de l'idée que la guerre, ou sa préparation, engendre la prospérité...
Tandis qu'aux périodes de paix ont toujours correspondu de désolantes (sic!) phases de dépression économique, les grandes pointes de la conjoncture économique depuis 4 siècles (à grands traits, il y en a eu huit vues d 'Europe) ont toujours été les périodes de conflit : la guerre de Trente Ans, les guerres de religion (et leur reconstruction) les guerres européennes de 1720, la guerre de succession d'Autriche et la guerre de Sept Ans, avec un sommet de prospérité en 1775, puis - comme après chaque dépression pacifique - les guerres de la Révolution et de 1'Empire français , en attendant celles de la fin du siècle au moment du Second Empire, puis la Première et la Seconde guerre mondiale." J.Grapin, Forteresse America (Ed.Grasset, p.85).
Cette citation résume le fond de la pensée dominante et décadente de notre époque. Habillé des attraits du bon sens et de l'objectivité, son but est de justifier la guerre par une pseudo prospérité; sa méthode est la confusion et l'amalgame historique, sa philosophie se ramène à la plate morale de l'homme belliqueux par nature. Il n'est d'ailleurs pour surprendre personne qu'en exergue du chapitre duquel a été extrait le passage ci-dessus cité, on puisse lire:
"Il semble que l'homme soit organiquement incapable de répondre à la question : "si on ne fait pas la guerre, qu' est-ce qu'on fait ?".
Nous rejetons totalement cette pensée a-historique et métaphysique qui trace un trait d'égalité entre toutes les guerres, du Moyen-Age aux deux dernières guerres mondiales.
Un amalgame entre toutes les guerres pour la période qui va du Moyen Age jusqu'à aujourd'hui est une abstraction et une aberration historique totale. Tant dans leurs déroulements et implications que dans fleurs causes, les guerres du Moyen Age sont différentes des guerres napoléoniennes et des guerres du 18ème siècle autant que les deux guerres mondiales le sont de toutes celles-ci.
En affirmant de telles absurdités, les théoriciens de la bourgeoisie contemporaine sont loin en deçà des théoriciens bourgeois du siècle passé. Par exemple du général Von Clausewitz qui déclarait :
"Tartares à demi incultes, républiques de l'ancien monde, seigneurs et villes marchandes du Moyen Age, rois du 18ème siècle, princes et peuples enfin du 19ème siècle : tous font la guerre à leur manière, la font de différentes façons, avec d'autres moyens et pour un but 'différent " Général Von Clausewitz, De la guerre.
Que les idéologues, conseillers, chercheurs, parlementaires, militaires et hommes politiques, traduisent et défendent - et ils sont appointés pour cela - cette vision du monde où la guerre est présentée comme une force motrice de l'histoire, cela n'a rien d'étonnant. Par contre, cela devient vraiment désolant lorsqu'on retrouve cette même approche chez ceux qui se veulent être une force révolutionnaire. Dépouillée de ses attributs moraux et autres considérations fumeuses sur la nature humaine, c'est, cette fois, auréolée d'une prétendue démarche matérialiste et marxiste que certains groupes en arrivent aux mêmes conclusions sur la guerre considérée comme une force motrice de l'histoire. Que ce soit derrière l'idée que la guerre est une condition objective favorable à une révolution mondiale, que ce soit l'appréhension du militarisme comme débouché à la surproduction, que ce soit encore la vision des guerres - et il s'agit ici des guerres mondiales, propres à notre siècle - comme mode d'expression et solution aux contradictions du capitalisme. Nous ne voulons pas dire ici que ces éléments partagent les préoccupations de la bourgeoisie et de ses conseillers, cela serait gratuit et sans fondement. Nous ne remettons pas en cause leur conviction, mais leurs analyse, démarche et méthode.
Celles-ci, en rayant d'un trait de plume toute l'expérience de ce siècle et de ses deux guerres mondiales, minimisent l'importance actuelle et de premier plan, vitale pour l'action, de l'alternative : révolution ou guerre mondiale, transformation radicale des moyens et des buts de la production, destruction du pouvoir politique et des Etats bourgeois ou destruction tout aussi radicale de la société humaine.
Dans la période de l'entre-deux-guerres, les révolutionnaires voyaient dans la perspective de la seconde guerre mondiale progressant à grands pas chaque année, le futur avenir d'un processus révolutionnaire. Ainsi envisageaient-ils cet avenir non comme une perspective catastrophique mais comme une perspective ouverte, grosse d'un avenir révolutionnaire à l'image des années 1917-18. Le déroulement de la seconde guerre mondiale allait cruellement détruire à jamais cette illusion, la force de ces camarades résida justement, non pas dans cet entêtement aveugle incapable de toute remise en question d'une vision fausse démentie par" la réalité historique mais au contraire dans la capacité à tirer l'enseignement de la réalité historique, permettant ainsi à la théorie révolutionnaire de faire un bond en avant
L'EVOLUTION HISTORIQUE DE LA QUESTION DE LA GUERRE.
Le capitalisme est né dans la boue et le^ sang et son expansion mondiale fut ponctuée au 19ème siècle par une multitude de guerres : les guerres napoléoniennes qui devaient secouer les structures féodales dans lesquelles étouffait l'Europe, les guerres coloniales sur les continents africain et asiatique, les guerres d'indépendance comme aux Amériques, les guerres d'annexions comme celle de 1870 entre la France et l'Allemagne, et une kyrielle d'autres.
Chacune de ces guerres représentait à la fois le point d'aboutissement d'un développement du capitalisme dans sa marche conquérante à travers le monde ou bouleversait les anciennes structures-politiques agraires et féodales en Europe. En d'autres termes, à travers ces guerres, le capital unifiait le marché mondial tout en divisant le monde en nations irréductiblement concurrentes.
Mais tout a une fin et l'ascension vertigineuse du capitalisme dans sa conquête du monde connaît cette fin elle aussi dans les limites du marché mondial. Dès la fin du siècle passé, le monde est partagé en propriétés coloniales et zones d'influence entre les différentes nations capitalistes développées. Dès lors, la guerre et le militarisme commencent à connaître une autre dynamique : 1'impérialisme, la lutte à mort entre les différentes nations pour le partage d'un monde dont l'étendue limitée n'arrive plus à assouvir les appétits expansionnistes de chacun. Appétits devenus immenses de par leur développement antérieur. Pour décrire cette situation, nous ne pouvons pas mieux faire que Rosa Luxemburg qui dresse le tableau suivant :
"Déjà, depuis les années 80, on assistait à une nouvelle ruée particulièrement violente vers les conquêtes coloniales. L'Angleterre s'empare de 1'Egypte et se crée un empire colonial puissant en Afrique du Sud ; en Afrique du Nord, la France occupe Tunis et en Asie Orientale, elle occupe le Tonkin ; l'Italie s’implante en Abyssinie, la Russie achève ses conquêtes en Asie Centrale et pénétre en Mandchourie, l'Allemagne acquiert ses premières colonies en Afrique et dans le Pacifique et finalement les Etats Unis entrent également dans la danse en acquerrant avec les Philippines des "intérêts" en Asie Orientale qui, à partir de la guerre sino-japonaise de 1895, déroule une chaîne presque ininterrompue de guerres sanglantes, culmine dans la grande campagne de Chine et s'achève avec la guerre russo-japonaise de 1904.
Ces événements, qui se succédèrent coup sur coup-, créèrent de nouveaux antagonismes en dehors de 1'Europe : entre 1'Italie et la France en Afrique du Nord, entre la France et 1'Angleterre en Egypte, entre l'Angleterre et la Russie en Asie Centrale, entre le Japon et 1'Angleterre en Chine, entre les Etats Unis et le Japon dans 1'Océan Pacifique.
(...) Cette guerre de tous les Etats capitalistes les uns contre les autres sur le dos des peuples d'Asie et d'Afrique, guerre qui restait étouffée mais qui couvait sourdement, devait Conduire tôt ou tard à un règlement de comptes général ... le vent semé en Afrique et en Asie devait un jour s'abattre en retour sur l'Europe sous la forme d'une terrible tempête, d'autant plus que ce qui se passait en Asie et en Afrique avait comme contre-coup une intensification de la course aux armements en Europe.
(...) la guerre mondiale (devait éclater) aussitôt que les oppositions partielles et changeantes entre les Etats impérialistes trouveraient un axe central, une opposition forte et prépondérante autour de laquelle ils puissent se condenser temporairement. Cette situation se produisit lorsque l'impérialisme allemand fit son apparition." Rosa Luxemburg, La Brochure de Junius.
Avec la première guerre mondiale, la guerre change ainsi radicalement de nature, de forme, de contenu et d'implications historiques.
Comme son nom 1' indique, elle devient mondiale, et elle imprègne de façon
permanente toute la vie de la société. Le monde capitaliste dans son ensemble ne rétablit un semblant de paix que soit pour écraser un sursaut révolutionnaire comme en 1917-18-19, soit sous la poussée irrésistible de contradictions qu'il ne maîtrise pas pour
préparer un conflit à une échelle supérieure.
Ce fut le cas entre les deux guerres mondiales. Et depuis la seconde guerre mondiale, le monde n'a pas connu un seul instant de paix véritable. Dès la fin de celle-ci, l'axe d'une future guerre mondiale était posé, axe autour duquel s'articule aujourd'hui encore l'antagonisme entre le bloc russe et le bloc américain. De même était établie, par les bombardements atomiques de Nagasaki et Hiroshima, la dimension qu'elle devrait prendre.
Alors qu'au siècle passé, le militarisme restait une composante périphérique de la production industrielle et que les affrontements guerriers eux aussi avaient pour théâtre d'opération la périphérie des centres industriels développés, à notre époque, la production d'armements se gonfle démesurément par rapport à l'ensemble de la production et tend à s'approprier pour son propre compte l'ensemble des énergies et forces vitales de la société. Les centres industriels deviennent enjeux et théâtres d'opérations militaires.
C'est ce processus où le militaire supplante et s'assujettit l'économique pour ses propres besoins auquel nous assistons depuis le début du siècle. Processus qui connaît aujourd'hui une accélération foudroyante.
C'est dans la crise généralisée de l'économie capitaliste que la guerre mondiale plonge profondément ses racines. Cette crise est son sol nourricier. Dans cette mesure, la guerre mondiale, expression la plus haute de la crise historique du capitalisme, résume et concentre dans sa nature propre toutes les caractéristiques qui ne sont autres que l'autodestruction.
"Dans ces crises, une grande partie, non seulement des produits déjà créés, mais encore des forces productives existantes est livrée à la destruction. Une épidémie sociale éclate qui, à toute autre époque, eut semblé absurde : 1'épidémie de la surproduction. (...). Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de vivres, trop d'industrie, trop de commerce." Le Manifeste Communiste
A partir du moment où cette crise ne peut trouver d'issue temporaire dans une expansion du marché mondial, la guerre mondiale de notre siècle exprime et traduit ce phénomène d'autodestruction d'un système qui, par lui-même, ne peut dépasser ses contradictions historiques.
LE MILITARISME COMME INVESTISSEMENT : GUERRE ET PROSPERITE.
- Le militarisme et l'économie.
La pire des erreurs concernant la question de la guerre est de considérer le militarisme comme un "champ d'accumulation", un investissement en quelque sorte qui serait rentabilisé dans les phases de guerre et la guerre en elle-même comme un mode, sinon "le mode" d'expansion du capitalisme.
Cette conception, quand elle n'est pas une simple justification du militarisme comme chez les idéologues de la bourgeoisie déjà cités et chez les révolutionnaires ayant une vision schématique, provient le plus souvent d'une mauvaise interprétation des guerres du siècle passé.
La place exacte du militarisme dans l'ensemble du procès productif pouvait encore faire illusion dans la phase d'expansion mondiale et la réalisation du marché mondial. Par contre, la situation historique qui s'ouvre avec la première guerre mondiale, en situant la guerre sur un tout autre plan qu'au siècle précédent, enlève toute ambiguïté quant à 1'"investissement militaire". Au siècle dernier, où les guerres restaient locales et ponctuelles, le militarisme n'a pas représenté un investissement productif dans le vrai sens du terme, mais toujours des faux frais. Dans tous les cas, la source de profit ne se trouvait pas dans l'exploitation de la force de travail en uniforme et mobilisée sous le drapeau national, dans les forces productives immobilisées, dans les forces de destruction que sont les armes, mais seulement dans l'élargissement de l'empire colonial, du marché mondial, dans les sources de matières premières exploitables à une grande échelle et à des coûts salariaux presque nuls, dans les structures politiques nouvellement créées permettant une exploitation capitaliste de la force de travail. En période de décadence, hormis les producteurs d'armements, le capital considéré globalement ne tire aucun profit de la production d'armements et du maintien sur pied d'une armée. Au contraire, tous les frais engendrés par le militarisme sont pertes sèches.
Tout ce qui passe dans la production industrielle d'armements pour y être transformé en moyens de destruction ne peut être réintroduit dans le processus de production dans le but de produire de nouvelles valeurs et marchandises. La seule chose que peut engendrer l'armement est la destruction et la mort, un point c'est tout.
Cette argumentation d'un "investissement militaire" et guerrier, s'appuyant sur l'expérience des guerres du siècle passé, n'est pas nouvelle. On la retrouve textuellement défendue par la Social- démocratie lors de la guerre de 14-18. Ecoutons encore Rosa Luxemburg :
"D'après la version officielle reprise telle quelle par les leaders de la social-démocratie, la victoire représente pour 1'Allemagne la perspective d'un essor économique illimité et sans obstacle et la défaite, au contraire, la menace d'une ruine économique. Cette conception s'appuie à peu près sur le schéma de la guerre de 1870. Or, la prospérité que connut 1'Allemagne après la guerre de 1870 ne résultait pas de la guerre, mais bien de 1'unification politique, même si celle-ci n'avait que la forme rabougrie de 1'Empire allemand créé par Bismarck. L'essor économique découla de l'unification politique malgré la guerre et malgré les nombreux obstacles réactionnaires qu'elle entraîna. L'effet propre de la guerre victorieuse, ce fut de consolider la monarchie militaire de 1'Allemagne et le régime des junkers prussiens, alors que la défaite de la France avait contribué à liquider l'Empire et à instaurer la République. Mais aujourd'hui il en va autrement dans tous les Etats impliqués. Aujourd'hui, la guerre ne fonctionne plus comme une méthode dynamique susceptible de procurer au jeune capitalisme naissant les conditions politiques indispensables de son épanouissement 'national'." Rosa Luxemburg (Ibid. opus cité).
D'autre part, cette citation offre un double intérêt, par son contenu, bien sûr, mais aussi parce qu'elle émane de Rosa Luxemburg. En effet, beaucoup de militants révolutionnaires qui défendent l'idée suivant laquelle le militarisme peut constituer un "champ d'accumulation" pour le capital, tirent argumentation d'un texte de la même Rosa Luxemburg, texte écrit bien avant la guerre de 14-18 (L'accumulation du Capital) et qui contient un chapitre ou justement elle défend l'idée erronée suivant laquelle le militarisme constituerait un "champ d'accumulation".
On voit ici comment l'expérience de la première guerre mondiale l'a fait radicalement revenir sur sa position (puissent nos camarades suivre cet exemple!).
- La guerre et la prospérité.
L'autre facette de ce mythe du militarisme comme investissement peut être exprimée de la façon suivante : le domaine militaire grèverait peut-être dans un premier temps les finances publiques, provoquant d'énormes déficits, s'emparant d'une grande partie du salaire social, accaparant une partie importante et essentielle de l'appareil productif qui ne peut plus par lui-même être employé à la production de moyens de consommation ; mais, après les guerres, tous ces "investissements" se retrouveraient justifiés par une nouvelle phase de prospérité. Conclusion : l'investissement militaire ne serait pas productif immédiatement, à court terme, mais il le serait à long terme prétendue "prospérité" qui a suivi la première guerre mondiale a été on ne peut plus relative et limitée. En fait jusqu'en 1924, l'Europe vit dans le marasme économique (notamment en Allemagne où ce marasme prend des allures de cataclysme) de telle sorte qu'en 1929, son niveau de production a rattrapé à peine celui de 1913. Le seul pays où ce terme ait eu un semblant de réalité ce fut les Etats-Unis (d'où ce mot de "prospérité" est parti) pays dont la contribution à la guerre fut des plus limitées en durée et en destructions (aucune sur son sol).
Quant à la période de reconstruction consécutive à la seconde guerre mondiale, si elle a connu l'ampleur que l'on sait entre 1950 et la fin des années 60, c'est fondamentalement parce que l'appareil productif de la première économie mondiale, loin devant les autres, les USA, n'a pas été détruit par la guerre. Avec une production représentant 40% de la production mondiale totale, les USA ont pu permettre à l'Europe et au Japon de se reconstruire malgré les terribles destructions de la seconde guerre mondiale.
Venue tardivement au monde, bénéficiant des immenses ressources que représentait le vaste continent américain tant en matières premières qu'en marchés extra-capitalistes, le capitalisme américain vit jusqu'au milieu des années 20 dans une dynamique quelque peu spécifique tout en devenant la principale économie mondiale alors que la vieille Europe plonge dans la crise (les USA ne participeront d'ailleurs à la première guerre mondiale que de façon minime). Ce n'est que vers 1929 que, ayant épuisé toutes les ressources de sa dynamique propre, le capital US commence à plonger dans la crise, une crise à la dimension de l'économie américaine.
C'est alors que la bourgeoisie américaine, à l'occasion de la seconde guerre mondiale, va tourner toute son énergie - militairement, bien sûr - sur le reste du monde tout en restant à l'abri des destructions de la guerre sur son propre sol.
C'est de cette situation dont une des manifestations est la constitution du bloc russe que vont naître dès la fin. de la seconde guerre mondiale les conditions d'un nouvel affrontement mondial, dont la préparation est aujourd'hui accélérée. En vingt ans le capitalisme mondial a ratissé tous les fonds de tiroirs, exploitant jusqu'à la moindre parcelle du globe toute possibilité d'extension du marché mondial dont une des expressions est la décolonisation qui, en fait a livré directement à la concurrence du marché mondial ces nations pseudo-autonomes, c'est-à-dire à la lutte d'influence entre les deux grands blocs impérialistes. Ce qui a d'ailleurs eu pour résultat d'attiser les conflits locaux qui, d'Asie jusqu'en Afrique, n'ont pas cessé depuis comme moments des affrontements entre les deux grands blocs impérialistes. On peut appeler cela "prospérité" ; nous, nous l'appelons par son nom : boucherie, barbarie et décadence.
LA GUERRE COMME PROCESSUS CONTROLABLE.
Nous avons énoncé plus haut que la caractéristique de la nature de la crise de surproduction, l'autodestruction, trouvait sa plus haute expression dans la guerre mondiale.
Il en est de même de la capacité du capitalisme à contrôler la spirale militariste et l'engrenage de la guerre. De la même manière que la bourgeoisie est incapable de maîtriser le processus qui plonge l'économie dans une crise chronique dont les secousses sont toujours plus fortes, elle n'est pas capable de maîtriser l'engrenage militaire de plus en plus meurtrier qui menace l'existence même de l'humanité.
Mieux encore, comme pour la crise économique, chaque mesure que prend la bourgeoisie pour se mettre à l'abri se retourne contre elle. Que face à la surproduction on décide une politique générale d'endettement et voilà que cette politique de fuite en avant projette la crise de surproduction vers des sommets jamais atteints... et rendant impossible tout retour en arrière. Que face à la menace militaire de l'adversaire, la bourgeoisie décide de mettre en oeuvre un armement d'une puissance décuplée et ne voilà-t-il pas que l'adversaire finit par faire de même et la surenchère ne s'arrête jamais.
Les caractéristiques de l'armement nucléaire éclairent particulièrement cette situation. A la fin de la seconde guerre mondiale, celui-ci devait être une force dissuasive ; l'URSS ne prendrait jamais le risque d'une guerre mondiale sous la menace du parapluie atomique du bloc US. Pourtant, dès la fin des années 50, l'URSS se dotait d'un armement de nature similaire. Pour la première fois de leur histoire les USA se trouvaient menacés sur leur propre territoire.
A ce moment encore, les discours se voulaient rassurants. L'armement nucléaire devait rester une "force dissuasive". Un fossé immense séparait l'armement classique de l'armement nucléaire et ce dernier avait, paraît-il, pour vocation de cantonner les deux grandes puissances mondiales en dehors de toute velléité d'affrontement direct.
L'histoire de ces 15 dernières années, de la fin de la reconstruction à aujourd'hui, est venue balayer ce joli rêve. Au cours de ces 15 années, nous avons pu assister, d'abord lentement puis de manière accélérée, à un processus de modernisation des armements de toutes natures, classique et nucléaire. L'armement nucléaire s'est miniaturisé et s'est diversifié. Aux vecteurs à longue portée d'une puissance de feu massive (missiles intercontinentaux) se sont ajoutés les vecteurs à moyenne portée à la puissance de feu sélective (les fameux SS 20 et Pershing qui poussent comme champignons actuellement en Europe de l'Ouest et de l'Est) qui, dès lors, rendaient possible un affrontement nucléaire géographiquement limité.
D'autre part, aux parades nucléaires qui n'étaient constituées jusqu'alors que de la riposte, s'est ajouté le développement de systèmes de défense, c'est-à-dire de destruction en vol antimissiles, systèmes qui vont culminer dans ce que l'on appelle "la guerre des étoiles" par l'emploi de satellites.
D'un autre côté, l'armement classique, dans son processus d'accumulation et de modernisation, allait lui même intégrer le nucléaire dans sa puissance de feu. Développement qui trouve son apogée contemporaine dans la bombe à neutrons, arme nucléaire dite "de terrain", c'est-à-dire utilisable dans un affrontement classique. Joli tableau et belle réussite !
L'alibi du bombardement de Nagasaki et Hiroshima a été, aussi stupide qu'il peut paraître aujourd'hui, "la paix". De même pour le déploiement de l'arsenal thermonucléaire. Dans la réalité, la crise historique du capitalisme et la course aux armements qui en découle, n'a réussi que le tour de force de combler le vide qui existait entre l'armement classique et l'armement nucléaire, se donnant ainsi les moyens matériels d'une escalade des conflits au niveau classique le plus bas à la destruction massive la plus haute.
En conclusion nous pouvons dire que pas plus que la bourgeoisie n'a été capable de contrôler le développement de l'armement jusqu'à aujourd'hui, elle ne saurait, en cas de conflit mondial, contrôler une escalade ahurissante vers la destruction généralisée.
D'un certain point de vue, le mot d'ordre "socialisme ou barbarie" est aujourd'hui dépassé. Le développement de la décadence du capitalisme fait qu'aujourd'hui celui-ci devrait plutôt s'énoncer : socialisme ou continuation de la barbarie, socialisme ou destruction de l'humanité et de toute forme de vie sur la terre.
Nous en sommes arrivés aujourd'hui à un point fatidique de l'histoire de l'humanité où celle-ci possède -avec les fantastiques moyens matériels et scientifiques dont elle s'est dotée- les moyens ou de s'autodétruire ou de se libérer totalement du joug des sociétés de classe et de la pénurie.
Nous avons déjà largement écrit sur l'argument que la guerre serait une condition favorable à une initiative révolutionnaire ([1] [107]). Nous ne retiendrons donc ici que quelques aspects.
Ceux qui affirment que la guerre mondiale est une condition favorable, voire nécessaire, pour engager un processus révolutionnaire, appuient cette assertion extrêmement dangereuse sur 1'"expérience historique" : histoire de la Commune de Paris se développant après le siège de Paris de la guerre de 1870, et plus encore, l'expérience de la révolution russe.
Notre façon de voir l'histoire nous enseigne exactement le contraire. L'expérience de la première vague révolutionnaire qui fut un sursaut fantastique où la classe ouvrière réussit à se sortir du bourbier et des charniers de quatre années de guerre et à affirmer son internationalisme révolutionnaire, ne se reproduira plus.
Considérée de plus près,la situation du début de ce siècle nous montre que celle-ci était une situation originale qui ne nous permet plus d'en extrapoler les caractéristiques de notre siècle, si ce n'est en négatif.
En tout état de cause, il faut d'ailleurs bien voir que la première vague révolutionnaire, amorcée en Russie 17, ne parvient pas à s'étendre aux principaux pays vainqueurs : ni en Angleterre, ni en France, encore moins aux USA, la classe ouvrière ne réussit à reprendre le flambeau révolutionnaire allumé en Russie et en Allemagne. Nous n'inventons rien en tirant comme bilan que la guerre est la pire des situations pour que s'amorce un processus révolutionnaire. Dès le début de ce siècle, en Allemagne par exemple, les révolutionnaires tirent le même enseignement.
"C'était la révolution, revenant après quatre ans de guerre, après les quatre ans pendant lesquels le prolétariat allemand, grâce à 1'éducation que lui ont fait subir la social-démocratie et les syndicats, a fait preuve d'une telle mesure de faiblesse et de reniement de ses tâches socialistes. . .
En se plaçant sur le terrain du développement historique, il était certes impossible d'attendre beaucoup de cette Allemagne qui a offert l'image épouvantable de ce 4 août et des quatre années suivantes. On ne pouvait voir tout à coup le 9 novembre 1918, une révolution de classe grandiose, consciente de ses buts ; ce que nous a fait vivre le 9 novembre 1918, c'était pour les trois quarts l'effondrement de 1'impérialisme existant plutôt que la victoire d'un principe nouveau." Rosa Luxemburg, Discours sur le Programme
La seconde guerre mondiale, bien plus dévastatrice et meurtrière, plus longue et colossale, portant à un niveau supérieur le caractère mondial de celle-ci, n'a pas provoqué la moindre amorce de situation révolutionnaire nulle part dans le monde. En particulier, ce qui avait permis les fraternisations sur le front durant la première guerre mondiale : la prolongation des combats de tranchées où les soldats des deux camps se trouvaient en contact direct, n'a pu se répéter lors de la deuxième guerre avec son emploi massif des blindés et de l'aviation. Non seulement la 2ème guerre n'a pas constitué un terrain fertile pour que se dégage une alternative révolutionnaire, mais encore ses conséquences désastreuses se sont prolongées bien au-delà de la guerre elle-même. Après celle-ci, il aura fallu que s'écoulent encore deux décennies avant que le ressort de la lutte, de la combativité et les étincelles de la conscience du prolétariat ne rejaillissent dans le monde à la fin des années 60.
Par deux fois, la guerre mondiale a sonné minuit dans le siècle. La seconde fois, le raz de marée de barbarie qui a déferlé sur l'humanité a été incomparablement plus puissant et destructeur que la première fois. Aujourd'hui, si une telle catastrophe devait à nouveau advenir, c'est dans son existence même que l'humanité serait irrémédiablement menacée. Au delà de la peste idéologique qui, en situation de guerre, infeste la conscience des millions d'ouvriers impliqués, dressant une barrière d'acier devant toute tentative de transformation révolutionnaire, c'est dans la situation objective d'un monde transformé en ruines que cette possibilité serait balayée.
Dans l'éventualité d'une troisième guerre mondiale, non seulement serait balayée toute possibilité d'un dépassement historique du capitalisme, mais, de plus, nous pouvons avoir la quasi certitude que l'humanité elle-même n'y survivrait pas. Cela situe toute 1'importance des combats présents du prolétariat comme seul obstacle au déferlement d'un tel cataclysme.
M. Prénat
[1] [108] Voir nos articles dans la Revue Internationale °18 ("Le cours historique") et 30 ("Pourquoi l'alternative guerre ou révolution?").
PRESENTATION
Les Thèses sur le Parti du K.A.P.D. ont été écrites en juillet 1921 pour être discutées non seulement dans le parti mais au sein de l'Internationale Communiste (I.C.) à laquelle il adhérait depuis décembre 1920 à titre sympathisant.
Le souci qui animait les rédacteurs des Thèses était double :
- d'une part, se démarquer de la section officielle de l'I.C, le K.P.D., qui était devenu un parti typiquement centriste, après l'expulsion de la Gauche en octobre 1919. Né dans l'action, en avril 1920, au milieu des combats armés entre ouvriers de la Ruhr et la Reichswehr, le KAPD traduisait une orientation révolutionnaire face au KPD qui, par la bouche de son chef Levi, proclamait son "opposition loyale" au gouvernement social-démocrate. Le KAPD, comme le PC d'Italie de Bordiga plus tard, était le prototype du parti révolutionnaire né dans la période de décadence : un parti-noyau "étroit" à l'opposé des partis de masses préconisés par l'I.C, et dont le VKPD allait être le modèle après la fusion avec les Indépendants en décembre 1920.
- d'autre part, face aux tendances "conseillistes" anti-parti, incarnées par Ruhle et l'A.A.U.D-E., affirmer le rôle indispensable du parti dans la révolution, comme corps unitaire centralisé et discipliné dans son programme comme dans l'action.
Les Thèses du KAPD -dont nous donnons ici une traduction d'Invariance (No. 8, octobre-décembre 1969) revue et corrigée par nos soins- sont particulièrement actuelles, en dépit de leurs faiblesses. Une lecture attentive démolit la légende d'un KAPD "infantile" et "anti-parti", légende colportée par les courants "bordiguistes". Au contraire, à la différence de la tendance Ruhle évoluant vers l'anarchisme, le KAPD est une partie intégrante de l'ensemble de la Gauche communiste internationale qui s'opposa à la dégénérescence de l'I.C.
C'est donc un non-sens et une contradiction absolue lorsque aujourd’hui des éléments ou des groupes conseillistes se réclament du KAPD. les Thèses du KAPD sont, sans ambiguïté aucune, une condamnation des idées conseillistes.
a) La nature de la révolution prolétarienne
- Contrairement aux éléments anarchisants de la Gauche allemande, le KAPD affirme que la question du pouvoir politique du prolétariat se pose non localement, dans l'usine considérée comme un "bastion de la révolution", mais à l'échelle mondiale. Elle passe par la destruction de l'Etat, laquelle implique une violence concentrée du prolétariat.
- Contre l'usinisme de Ruhle et de l'AAUD-E, qui font de la révolution prolétarienne une simple question économique de gestion des usines, le KAPD souligne l'aspect unitaire de la révolution prolétarienne, comme processus politique (prise du pouvoir) et économique (prise en main de la production).
b) Le rôle et la fonction du parti
Il est frappant de voir, comme chez Bordiga, la même définition du parti : un corps programmatique (conscience) et une volonté d'action. De même, le parti n'est pas identique à la classe ; il en est une partie sélectionnée, la plus consciente. Le parti n'est pas au service de la classe, puisqu'il peut être amené pour la défense des intérêts globaux de la classe révolutionnaire, à entrer dans une "contradiction apparente" avec elle. Le parti n'est pas à la queue mais à l'avant-garde de la classe ouvrière.
Cette insistance sur le rôle politique du parti combat en fait les tendances "conseillistes" qui se développaient dans le prolétariat allemand après la défaite de 1919 et entraînaient un certain apolitisme de type syndicaliste-révolutionnaire dans le mouvement des Unions qui rassemblaient alors des centaines de milliers d'ouvriers. A ce repliement dans l'usine, voire la branche professionnelle, le KAPD oppose la nécessité d'un combat politique intransigeant. Cette vision du parti n'a rien à voir avec celle de Pannekoek, dans les années 30, qui considérait qu'un "parti" ne peut être qu'un groupe d'études ou de travail. Pour le KAPD, comme pour le CCI aujourd'hui, le parti est une organisation militante de la classe ouvrière. Elle est un facteur actif -un "parti de l'action"- dans la lutte de classe dont la fonction est de développer la conscience de classe du prolétariat qui passe par des phases d'hésitations et d'oscillations.
Cette lutte contre les oscillations et les hésitations est un combat politique constant, autant au sein du parti que dans la classe:
- dans le parti, contre les tendances centristes de conciliation avec la bourgeoisie ou avec l'anarchisme petit-bourgeois. C'est ainsi que le KAPD dut exclure la tendance "national-bolchéviste" de Hambourg groupée autour de Wollfheim et de Laufenberg qui préconisait, soutenue par des nationalistes allemands pro-URSS, la "guerre révolutionnaire" contre les pays de l'Entente. De même fut exclue la tendance Ruhle en Saxe qui niait toute nécessité d'un parti politique du prolétariat.
- dans la classe, le parti se trouve à la tête des luttes en maintenant fermement la boussole de son programme, guidé par une volonté d'action révolutionnaire. Si le parti est incapable de juger clairement d'une situation révolutionnaire et de l'orienter par la clarté de ses mots d'ordre, au moment où la classe se trouve dans un état de flottement, il risque de connaître le sort du Spartakusbund en janvier 1919, à Berlin, incapable de proposer une perspective claire aux ouvriers. Au moment décisif, le parti joue un rôle fondamental, soit pour pousser à l'offensive, lorsque la situation est mûre, soit pour appeler au repli (comme le parti bolchevik en juillet 1917), même au prix d'une "contradiction apparente" avec les fractions les plus avancées de la classe, lorsqu'elles sont isolées du reste de la masse prolétarienne.
Pour être la "tête et l'arme de la révolution", aux moments cruciaux de la lutte révolutionnaire, le KAPD a compris les changements profonds qui s'opéraient dans la structure du parti dans la période de décadence du capitalisme.
c) Structure et fonctionnement du parti
En soulignant la nécessité d'un "noyau communiste solide", le KAPD comprend clairement l'impossibilité de partis de masses révolutionnaires. Dans la période historique "des guerres et des révolutions" (suivant les termes de l'I.C), le parti ne peut rassembler qu'une petite minorité de la classe, la plus décidée et la plus consciente de la nécessité de la révolution. Il n'est plus, comme au XIXe siècle, un parti de réformes rassemblant de larges masses ouvrières et les organisant, mais un parti forgé dans le feu de la révolution. Les conditions de la décadence (totalitarisme et illégalité) imposent une sélection rigoureuse des militants communistes. Pour cette raison, mais aussi par le fait que le parti se développe très rapidement sur le plan numérique dans les périodes révolutionnaires, en attirant à lui des masses qui la veille étaient non politisées ou dans la mouvance des partis de la gauche capitaliste (stalinisme, gauchisme, etc.), il est vital qu'il n'accroisse pas "l'effectif de ses membres plus rapidement que ne le permet la force d'absorption du solide noyau communiste" (thèse No 9).
Cette vision du parti est très proche de celle de Bordiga en 1921. De même l'affirmation d'une discipline de parti détruit la légende entretenue naguère par le PCI (Programme Communiste) d'un KAPD anti-centraliste et "anarchisant". La thèse 7 affirme que le parti communiste est "une volonté unitaire, organisée et disciplinée".
d) L'intervention dans les luttes économiques
La question de l'intervention est posée claire ment par le KAPD. La réponse est à l'opposé de celle d'"Invariance" -et par la suite du milieu moderniste- qui dans sa traduction fait un contre sens tout à fait révélateur. En effet, "Invariance" ajoute une négation (ne pas) là où le KAPD affirme que le "parti doit... se lier aux mouvements des masses ouvrières engendrés par la misère économique". Certes, par la suite, en 1922, Gorter et Schrôder (dirigeant du KAPD) feront scission en préconisant la non-participation aux luttes économiques de la classe, sinon "à titre individuel" (sic). Il va de soi que tout parti révolutionnaire participe politiquement aux luttes revendicatives. Ce qui le distingue des "modernistes" c'est l'affirmation que le prolétariat se soude comme classe à travers les luttes partiel les, comme condition de la marche vers la lutte globale politique pour le pouvoir. Ce qui le distingue, en second lieu, des tendances "conseillistes" qui ne voient que la lutte économique (et jouent les vierges effarouchées lorsque la lutte se politise et va dans le sens des mots d'ordre du parti révolutionnaire), c'est son activité politique. Aller dans le sens inverse de la politisation de la lutte, comme le font les "conseillistes", ne peut mener qu'à "renforcer l'esprit de l'opportunisme" (thèse 11), en séparant luttes revendicatives et luttes révolutionnaires. Ce qui le distingue, en troisième lieu, des tendances "bordiguistes", c'est qu'il ne s'érige pas en organisateur et directeur matériel de la lutte : "il doit essayer de clarifier spirituellement de tels mouvements afin de les pousser aux luttes effectives, les élargir et accélérer leur mouvement par l'appel à la solidarité, afin qu'ils prennent des formes révolutionnaires et, si possible politiques". Même si les termes employés ici ne peuvent être les nôtres par une confusion de langage, où "spirituelle" a une résonance idéaliste et où la lutte révolutionnaire semble précéder la lutte politique, le souci profond d'être un facteur actif de la lutte apparaît clairement dans les thèses. Le parti est un facteur de volonté et de conscience.
Cet esprit le CCI le fait sien. Le parti qui surgira demain ne pourra être ni un cercle de phraseurs timorés ni une direction autoproclamée de la classe. Pour être facteur actif, le parti doit d'abord être le produit de la conscience de classe, qui se cristallise alors par une volonté de minorités significatives de la classe.
En republiant ces thèses, nous ne pouvons passer sous silence les faiblesses et les manques qui transparaissent ici et là et font que nous nous réapproprions le programme du KAPD de façon critique. Ces faiblesses ne sont pas seulement dues au caractère hâtif de la rédaction des thèses en vue du Ille congrès de l'I.C, ce qui les rend parfois obscures. Elles découlent de confusions présentes dans le KAPD et qui finalement expliquent pour une grande part sa disparition comme courant.
QUELQUES FAIBLESSES DES THESES DU KAPD
a) La double organisation
Le fait que les Unions (AAUD) aient surgi avant que se créât le KAPD et sur des positions politiques voisines explique que le KAPD se conçoive à la fois comme un produit et comme la "direction spirituelle" des AAU. Il apparaît dans les thèses une conception pyramidale où le parti crée et dirige les Unions, lesquelles créent les conseils ouvriers. Cette conception substitutiste coexiste de façon confuse avec une théorie "éducationniste" ("travail d'éducation" de la classe).
Dans la confusion qui naît d'une série de défaites décisive du prolétariat allemand, le KAPD assimile en fait organisations d'usine révolutionnaires, qui constituent les débris des conseils ouvriers, et Unions. Les comités d'usine ne peuvent devenir permanents que dans une vague de montée révolutionnaire et, soit disparaissent avec sa défaite, soit constituent l'élément moteur des conseils avec son triomphe.
En maintenant ces comités, après la vague révolutionnaire, de façon permanente sous forme de base de masse reconnaissant les thèses du parti ; (dictature du prolétariat, antiparlementarisme, I destruction des syndicats), le KAPD finit par être absorbé par les AAU, amenant la décomposition du parti en 1929.
L'erreur de la double organisation se retrouve jusque dans le fonctionnement du KAPD, puisqu'à ; côté de lui se fonda, en 1921, une organisation de jeunesse (KAJ) autonome par rapport au parti. !
b) Fraction et opposition ;
A la différence de la Fraction italienne, plus tard, le KAPD se concevait comme une "opposition" dans l'Internationale et non comme un corps organisé ayant une continuité organique avec l'ancien parti. Son expulsion du Komintern en septembre 1921 ne lui permit pas de se rattacher avec les gauches les plus significatives, comme celle de Bordiga. L'existence de groupes en Hollande, Bulgarie et Grande-Bretagne sur les positions du KAPD, donna l'illusion à une minorité, et sous l'influence de Gorter, de pouvoir proclamer artificiellement l'existence d'une Internationale communiste ouvrière (KAI), ce qui entraîna une scission dans le KAPD en mars 1922, qui se solda par la désagrégation numérique du parti. Désormais, le KAPD maintenu (tendance de Berlin opposée à celle d'Essen, qui suivait Gorter) devait se survivre jusqu'en 1933. Face à Gorter, il montrait que la nouvelle Internationale ne surgirait que lorsque les conditions objectives et subjectives seraient mûres. Mais les apports sur les questions de la fraction, de l'Internationale, furent ceux de la Gauche italienne après 1933.
Ces faiblesses et manques dans les thèses du KAPD ne doivent pas nous faire perdre de vue ses apports, qui, avec ceux de la Gauche italienne et, en partie, ceux de la Gauche hollandaise,sont ceux dont nous nous revendiquons.
Face au danger conseilliste dans la classe demain et face aux oscillations centristes, ces thèses montrent la nécessité du parti pour remplir sa fonction indispensable afin que triomphe la révolution mondiale. Il doit être clair que son triomphe dépendra de la maturité des minorités communistes et de leur capacité à ne pas être en retard par rapport aux mouvements révolutionnaires. L'histoire du KAPD montre a contrario que l'issue de la révolution dépend en grande partie de la capacité des révolutionnaires à former au niveau international le parti, non pas pendant, mais avant l'éclatement de la révolution. Les années 80 sont des années de vérité pour le mi1ieu révolutionnaire, particulièrement pour le CCI qui doit rester vigilant contre toute sous-estimation conseilliste de la nécessité d'un parti et être l'élément le plus actif pour poser les bases de sa constitution future.
Chardin
THESES ("Proletarier" No 7, juillet 1921)
1- La tâche historique de la révolution prolétarienne est de mettre dans les mains des masses travailleuses les trésors de la terre, d'abolir la propriété des moyens de production, ce qui rend impossible l'existence d'une classe possédante, exploiteuse et dirigeante basée sur la possession des biens privés. Le but est la libération de l'économie sociale de toutes les entraves du pouvoir politique à l'échelle mondiale.
2- L'abolition effective du mode de production capitaliste, l'appropriation de toute la production et sa distribution dans les mains des classes laborieuses, la suppression des antagonismes de classe, le dépérissement des institutions politiques et la construction de la société communiste sont un procès historique dont les moments particuliers peuvent être prévus exactement. En ce qui concerne la question du rôle de la violence politique au sein de ce procès, quelques points peuvent être fixés.
3- La révolution prolétarienne est en même temps procès économique et politique. Elle ne peut ni en temps que procès économique, ni en temps que procès politique, trouver une conclusion dans le cadre national ; bien plus, l'établissement d'une commune mondiale est son but vital, nécessaire. Il découle que, jusqu'à la défaite définitive, â l'échelle mondiale, du pouvoir du capital, les futures fractions triomphantes du prolétariat, ont aussi besoin d'une violence politique pour se préserver et, si possible, pour attaquer la violence politique de la contre-révolution.
4- Aux motifs de politique extérieure qui rendent nécessaire pour les fractions triomphantes du prolétariat la persistance d'une violence politique (dans sa propre sphère de domination aussi) s'ajoutent des motifs d'évolution interne. Considérée en tant que procès politique, la révolution présente un moment décisif : celui de la prise du pouvoir politique. Considérée en tant que procès économique, elle ne présente pas un tel moment décisif parce que la prise en charge concrète de l'économie de la part du prolétariat et la refonte de l'économie de profit en économie de consommation réclame un travail de longue haleine. Il va de soi que la bourgeoisie durant tout ce procès ne négligera rien pour défendre le profit et, dans ce but, pour ravir à nouveau, pour elle, le pouvoir politique. A cette fin, elle tentera, dans les pays ayant une idéologie démocratique évoluée - pays depuis longtemps industrialisés - d'utiliser les mots d'ordre de la tromperie démocratique afin de mystifier les prolétaires. De ce fait, la violence politique forte et impitoyable des ouvriers révolutionnaires est le minimum nécessaire requis, jusqu'à ce que s'accomplisse complète ment la prise en mains de l'économie de la part du prolétariat et, de ce fait, la privation pour la bourgeoisie de tout fondement économique de son existence. C'est cela la dictature du prolétariat.
5- La nécessité d'une violence de domination politique du prolétariat révolutionnaire même après la victoire politique de la révolution fonde, en même temps, la nécessité d'une organisation politique du prolétariat révolutionnaire aussi bien après qu'avant la prise du pouvoir politique.
6- Les conseils ouvriers politiques (soviets) sent la forme large d'organisation historique pour la domination et l'administration prolétarienne ; ils émergent chaque fois que la lutte de classe se radical i se et devient une lutte pour la totalité du pouvoir.
7- La forme historique convenable pour le rassemblement des combattants prolétariens les plus conscients, les plus éclairés, les plus disposés à l'action, est le parti. Comme le but de la révolution prolétarienne est le communisme, le parti ne peut exister qu'en tant que parti où programme et esprit sont communistes. Le parti doit être une totalité élaborée programmatiquement, fondue en une volonté unitaire, organisée et disciplinée à partir de la base. Il doit être la tête et l'arme de la révolution.
8- La première tâche du parti communiste, aussi bien avant qu'après la prise du pouvoir, est - parmi les confusions et les oscillations de la révolution prolétarienne - de maintenir clairement et sans se laisser déconcerter, la seule boussole sûre : le communisme. Le parti communiste doit dans toutes les situations, inlassablement et sans aucune hésitation, montrer aux masses prolétariennes, le but et le chemin, non seulement par des mots mais par des actes. Il doit dans toutes les questions de la lutte politique avant la prise du pouvoir pousser avec l'acuité la plus totale, à la séparation entre réformisme et révolution. Il doit flétrir toute solution réformiste en tant que rafistolage, en tant que prolongation de vie du vieux système d'exploitation, que trahison de la révolution, trahison des intérêts de la classe ouvrière toute entière. De même qu'il ne peut exister la moindre communauté d'intérêts entre exploiteurs et exploités, de même il ne peut exister le moindre lien politique entre révolution et réformisme ; le réformisme social-démocrate, sous quelque masque qu'il puisse se cacher, est aujourd'hui le plus dur obstacle pour la révolution et le dernier espoir de la bourgeoisie.
9- Le parti communiste doit donc tout d'abord, de façon absolument tranchante, tenir à l'écart de lui tout réformisme et tout opportunisme ; il en est de même pour son programme, sa tactique, sa presse, ses mots d'ordre particuliers et ses actions. En particulier, il ne devra jamais accroître l'effectif de ses membres plus rapidement que ne le permet la force d'absorption du noyau communiste solide.
10- Au cours de la révolution, les masses ouvrières passeront par d'inévitables oscillations. La révolution est un processus dialectique non seulement dans sa totalité mais aussi dans ses phases particulières. Le parti communiste en tant qu'organisation des éléments conscients doit de ce fait essayer de ne pas succomber lui-même à ces oscillations et les surmonter ; il doit aider les masses par la clarté et la pureté de ses mots d'ordre, l'accord entre ses mots d'ordre et ses actions, sa position en tête de la lutte, la rectitude de ses prévisions, à surmonter rapidement et à la racine de telles hésitations. Le parti communiste doit donc, par toute son attitude, développer la conscience de classe du prolétariat même au prix d'une contradiction extérieure apparente avec les larges masses. C'est ainsi seulement que le parti communiste gagnera au cours de la lutte révolutionnaire la confiance des masses et conduira un travail d'éducation sur une vaste échelle.
11- Le parti communiste ne doit naturellement pas se détacher des masses : c'est-à-dire qu'il doit - en dehors du travail qui va de soi d'une propagande inlassable - se lier aux mouvements des masses ouvrières engendrés par la misère économique, les revendications partielles, il doit essayer de clarifier spirituellement de tels mouvements afin de les pousser aux luttes effectives, les élargir et accélérer leurs mouvements par l'appel à la solidarité active, afin qu'ils prennent des formes révolutionnaires et, si possible, politiques. Mais la tâche du parti communiste ne peut être de se poser plus bête qu'il n'est, c'est-à-dire que sa tâche ne peut pas être de renforcer l'esprit de l'opportunisme en développant, sous la responsabilité du parti, des revendications partielles réformistes.
12- Mais le travail pratique le plus important des communistes pour la lutte économique des travailleurs réside dans l'organisation de l'arme de la lutte qui est, dans les époques révolutionnaires, dans les pays hautement développés, la seule arme utilisable pour de telles luttes ; c'est-à-dire les communistes doivent veiller à ce que les ouvriers révolutionnaires (pas seulement les membres du parti communiste) se regroupent dans les entreprises et que les organisations d'entreprises se fondent en Unions pour donner forme à 1'instrument adapté à la prise en charge de la production par la classe ouvrière.
13- Les organisations d'entreprise révolutionnaire (les Unions) constituent l'humus d'où surgiront, dans la lutte, des comités d'action, les cadres pour les revendications économiques partielles et finalement pour la production des travailleurs luttant eux-mêmes, la préparation et l'infrastructure apte à sous-tendre les conseils ouvriers révolutionnaires.
14- En créant ainsi la vaste organisation de classe du prolétariat révolutionnaire, les communistes, outre qu'ils conservent en tant que parti la force d'un corps unitaire programmatique fermé et qu'ils mettent en valeur, dans l'Union comme partout, la pensée communiste en tant que loi suprême, assurent la victoire de la révolution prolétarienne et celle plus éloignée de la société communiste.
15- Le rôle du parti après la victoire politique de la révolution dépend des rapports internationaux et du développement de la conscience de classe des ouvriers. Tant que la dictature du prolétariat (la violence politique de la classe ouvrière victorieuse) est nécessaire, le parti communiste doit tout faire pour sauvegarder le développement dans une direction communiste. Dans ce but, il est indispensable que, dans tous les pays industriels développés, les prolétaires révolutionnaires eux-mêmes, sous la direction spirituelle des communistes, prennent part, de la manière la plus ample, à la prise en charge et à la refonte de la production. L'organisation selon les entreprises et en Unions, l'apprentissage dans les perpétuels conflits partiels, la création de comités d'actions, constituent la préparation qui sera entreprise, au cours de la lutte révolutionnaire, par l'avant-garde des ouvriers eux-mêmes.
16- Dans la mesure où l'Union, en tant qu'organisation de classe du prolétariat, se renforce après la victoire de la révolution et devient capable de consolider les fondements économiques de la dictature sous la forme du système des conseils, elle gagnera en importance vis-à-vis du parti. Dans la mesure où, ultérieurement, la dictature du prolétariat sera assurée grâce à son ancrage dans la conscience des larges masses, le parti perdra de sa signification au profit des conseils ouvriers. Finalement, dans la mesure où la consolidation de la révolution au moyen de la violence politique devient superflue, la dictature se transformant en société communiste, le parti disparaît.
Proletarier, juillet 1921, n°7. (traduction d'Invariance n°8 , oct-déc. 69, revue).
Dans la première partie de cet article, nous avons voulu démontrer que la formation du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire par le PCInt (Battaglia Comunista) et la Communist Workers' Organisation, n'avait rien de positif pour le mouvement ouvrier. Ceci, non parce que nous nous amusons à jouer les détracteurs, mais pour deux raisons :
- parce que la pratique organisationnelle du BIPR n a aucun fondement solide, comme nous 1'avons vu lors des Conférences Internationales,
- parce que BC/CWO sont loin d'être clairs sur les positions de base du programme communiste - sur la question syndicale en particulier.
Dans cette deuxième partie, nous revenons sur les mêmes thèmes. Sur la question parlementaire, nous verrons que le BIPR a "résolu" les divergences entre BC et la CWO en les "oubliant". Sur la question nationale, nous verrons comment les confusions de BC/CWO ont entraîné une politique de conciliation envers le gauchisme nationaliste de l'UCM iranien ([1] [113])
La question du parlementarisme
De même que sur la question syndicale, la plateforme de BC de 1982 ne représente ni un changement, ni une clarification sur la question parlementaire par rapport à celle de 1952 : BC a simplement rayé les parties les plus compromettantes. En 1982, comme en 1952, BC écrit : " Depuis le Congrès de Livourne jusqu'à aujourd'hui, le Parti n'a jamais fait sien l'abstentionnisme face aux campagnes électorales comme principe d'orientation de sa propre politique, comme il n'a jamais accepté, ni n'acceptera aujourd'hui, le participationniste systématique et indifférencié. Conformément à sa tradition de classe, le Parti décidera chaque fois du problème de sa participation suivant l'intérêt politique de la lutte révolutionnaire". (Plateforme de BC, 1952 et 1982).
Mais là où en 1952 BC parlait de "la tactique du Parti (participation à la seule campagne électorale avec propagande écrite et orale ; présentation de candidatures ; intervention au sein de l'assemblée)" (Plateforme de 1952), aujourd'hui, "étant donné la ligne de développement de la domination capitaliste, le Parti reconnaît que la tendance est vers des occasions de plus en plus rares pour que les communistes puissent utiliser le parlement en tant que tribune révolutionnaire" (Plateforme de 1982). Au fond, cette argumentation est aussi profonde que celle de n'importe quel parti bourgeois, qui renonce à briguer un siège par peur de perdre sa caution financière.
Pour une fois, la CWO n'est pas d'accord avec son "organisation soeur" :
" Le parlement est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature de la bourgeoisie. Les véritables organes du pouvoir se trouvent en fait hors du parlement... si bien que le parlement n'est même plus le conseil exécutif de la classe dominante, mais simplement un piège à dupes sophistiqué...(...)... Le concept de choix électoral est aujourd'hui la plus grande fumisterie qui soit." (Plateforme de la CWO) ([2] [114])
Que la CWO prenne BC pour des dupes, soit. Mais qu'ils ne fassent pas de même avec le reste du milieu révolutionnaire, ni avec la classe ouvrière en général. Voici le BIPR, le summum auto-proclamé de clarté programmatique et de volonté militante, qui contient en son sein deux positions non seulement différentes, mais parfaitement incompatibles, voire antagoniques. Et pourtant, nous n'avons jamais vu même l'ombre d'une confrontation entre ces positions.
Comme nous l'avons déjà remarqué ([3] [115]), la plateforme du BIPR résout la question, non pas en la "minimisant", mais en ... 1'"oubliant". C'est peut-être ça, la "responsabilité" que nous sommes "en droit d'attendre d'une force sérieuse dirigeante".
On pourrait nous répondre que le parlementarisme est une question secondaire. Il est effectivement vrai, que nous n'aurons probablement jamais le plaisir d'écouter les discours parlementaires d'un "honorable member" de BC ou de la CWO. Mais accepter ce genre d'argument serait escamoter une question de fond. Le principe abstentionniste était une des positions centrales qui distinguait l'aile gauche du Parti socialiste italien autour de Bordiga (laquelle s'intitulait justement "Fraction abstentionniste"), des réformistes et opportunistes en tout genre. BC aujourd'hui ne défend même pas cette position initiale de Bordiga, mais celle qu'il a adoptée au sein de l'IC, "par discipline" (c.a.d., l'abstentionnisme par tactique et non par principe).
Quant à la CWO, la légèreté avec laquelle elle renie sa propre déclaration qu’"aucun aspect théorique ne doit rester dans 1'ombre aussi bien dans une même organisation qu'entre organisations" (Plateforme de la CWO) ne fait que confirmer que sa position sur la question parlementaire (comme sur tant d'autres) est née de simples observations empiriques.
La position anti-parlementaire doit surgir d'une compréhension profonde de la décadence du capitalisme et de ses implications sur le mode d'organisation de l'Etat bourgeois - le capitalisme d'Etat. Ne pas comprendre la question parlementaire, c'est se rendre incapable de comprendre les manoeuvres politiques des différentes fractions de la bourgeoisie. Pour celles-ci, le pouvoir parlementaire est devenu un problème parfaitement secondaire, par rapport aux besoins de mystification et contrôle social. Pas étonnant donc, que la CWO s'est toujours avouée "incapable de comprendre" nos analyses sur la "gauche dans l'opposition". ([4] [116])
Mais la non compréhension des implications de la décadence capitaliste, et donc des bases matérielles de ses propres positions, n'excuse pas la pratique de la CWO sur la question parlementaire. Dans un article paru dans Workers Voice n°19 en novembre 1984 ("Capitalist Elections and Communism") la CWO réussit le tour de force extraordinaire de publier un long article sur le parlementarisme, en citant les positions de la Fraction abstentionniste (c.a.d. la gauche révolutionnaire organisée autour de Bordiga) du Parti socialiste italien, sans dire un mot des positions de "l'organisation soeur", Battaglia Comunista. Cette pratique, qui consiste à"oublier", ou cacher des divergences de principe dans l'intérêt d'une unité de façade, a un non dans le mouvement ouvrier : c'est l'opportunisme.
La question nationale
et la conciliation avec le gauchisme
Nous avons déjà vu que, pour le BIPR, la différence entre "stratégie" et "tactique" est la même que celle entre la porte fermée et la fenêtre ouverte. La plateforme du BIPR commence par fermer la porte aux mouvements de libération nationale : "L'ère des libérations nationales, en tant qu'événements progressifs de 1'histoire, par rapport au monde du capitalisme, est depuis longtemps définitivement terminée. Il faut donc rejeter sans équivoque toutes les thèses qui, considérant que le problème national se pose encore dans certaines régions du monde, subordonnent les principes, la stratégie et la tactique du prolétariat à une politique d'alliance avec la bourgeoisie nationale, ou pire avec des blocs impérialistes rivaux" (Revue Communiste n°1, p.7.avril 1984). Aussitôt elle ouvre la fenêtre à la conciliation dans la pratique avec le gauchisme : "Indépendamment de la possible prise en charge de la revendication de certaines libertés élémentaires dans 1'agitation politique révolutionnaire, la tactique du parti communiste sera tournée vers la destruction de l'Etat pour l'instauration de la dictature du prolétariat" (ibid, p.8, nous soulignons).
Cette ambiguïté ne nous surprend pas, puisque BC en particulier n'a jamais été capable de mener sa critique de la position de l'IC sur la question nationale jusqu'au bout. Dans ses interventions à la 2ème Conférence Internationale (novembre 1978), BC parle "de la nécessité de dénoncer le caractère des soi -disant luttes de libération nationale, comme supports à une politique impérialiste", mais enchaîne tout de suite : " si le mouvement national ne se pose pas le problème de la révolution communiste , il est nécessairement et inévitablement victime de la domination impérialiste" (2ème Conférence,vol. 2, p. 62). Avec ce petit "si", BC s'arrête à mi-chemin. Ce "si" traduit l'incapacité de BC de comprendre que le "mouvement national" ne peut jamais se poser "le problème de la révolution communiste". Seule la lutte prolétarienne indépendante, sur le terrain de la défense des intérêts de classe, peut se poser ce problème. Tant que le prolétariat lutte sur le terrain national, il est voué à l'échec, puisque,dans la période du capitalisme décadent, toutes les fractions de la bourgeoisie sont unies contre la classe ouvrière, y inclus les fractions soi -disant "anti-impérialistes". Et dès que le prolétariat lutte sur son terrain, il se heurte au nationalisme de la bourgeoisie.
Ce n'est que sur son terrain, de la lutte de classe internationale, et donc anti-national que le prolétariat peut donner une direction aux luttes des masses pauvres des pays sous-développés. Et si l'issue de la lutte de la classe ouvrière dans ces pays sera effectivement déterminée par celle dans le coeur industriel du capital, ceci n'enlève rien de sa responsabilité en tant que fraction du prolétariat mondial, et donc des révolutionnaires au sein de cette fraction. Parce que BC ne l'a pas compris, parce qu'elle est restée incapable de pousser sa critique des positions de l'IC jusqu'au bout, elle finit par affirmer qu'il faut "dresser les mouvements de libération nationale en révolution prolétarienne" (2ème Conférence, vol 2, p.62.novenbre 78), qu'il faut "travailler dans le sens de la rupture de classe dans le mouvement et non en le jugeant du dehors. Cette rupture, maintenant, signifie la création d'un pôle de référence en lien avec le mouvement" (ibid, p. 63, nous soulignons). Pas étonnant que quand l'UCM affirme : "Nous rejetons l'idée que les mouvements (de libération, nationale, NDLR) sont incapables de s'attaquer au capitalisme de façon révolutionnaire. Nous disons que ces mouvements ont failli parce que la bourgeoisie en avait la direction... il est possible pour les communistes d'en prendre la direction" (4ème Conférence, septembre 1982, p.19), ils ajoutent : "Nous sommes d'accord avec la manière de BC de poser la question".
C'est sans doute le désir de "créer un pôle de référence en lien avec le mouvement" qui a amené BC et la CWO à inviter l'UCM à la même Conférence de la Gauche Communiste. Quant à la nature de l'UCM, nous n'aurions que peu de chose à ajouter à la dénonciation du PC d'Iran (formé par l'UCM et Komala) dans la Revue Communiste n°1. Cet article, nous montre, "que le PC d'Iran a les mêmes conceptions capitalistes d'Etat que la gauche européenne" et qu'il "n'a de communiste que le nom". Mais que le BIPR écrive ces mots en 1984 nous fait penser à l'amant qui se rend compte que sa bien-aimée est religieuse.... quand elle se sauve avec le curé. Le BIPR veut nous faire croire que ce Programme date de 1983, et n'existait pas "quand nous polémiquions avec eux (l'UCM) ; c.a.d. avant que l'UCM n'accepte le Programme du PC d'Iran (ibid). Rien n'est moins vrai. Le Programme a été publié en anglais en mai 1982, et une "note" rajoutée par Komala montre que les deux organisations ont tenu des discussions de fusion à partir de 1981. Cinq mois plus tard, l'UCM, qui se revendique explicitement du "Programme du PC d'Iran" est "sérieusement sélectionné" pour "commencer le processus de clarification des tâches du parti" (4ème Conférence). . En plus, avec quelle gentillesse, quelle circonspection, quelle "compréhension" BC et la CVO répondent-ils à l'UCM !
"Nous sommes globalement en accord avec 1'intervention du SUCM (sur les "révolutions bourgeoises démocratiques", NDLR)" (BC). "Le programme de l'UCM semble être celui dé la dictature prolétarienne" (encore BC). " Le terme "révolution démocratique" prête à confusion" (CWO) ; "Nous pensons que c'est une idée (la "révolution ininterrompue") qui a été dépassée"(BC). Même en 1984, le BIPR n'est pas encore prêt à dénoncer le PC d'Iran pour ce qu'il est - une fraction ultra-radicale de la bourgeoisie nationaliste. Non, pour le BIPR, "le PC d'Iran et les éléments qui gravitent dans son orbite" sont encore des "interlocuteurs", tandis que la participation à la guerre impérialiste n'est que "les graves erreurs pratiques auxquelles peut conduire une ligne politique manquant de cohérence sur le plan historique" (Revue Communiste n°2) .
BC et la CWO feraient mieux de se réapproprier dans la pratique, et non pas de façon platonique contre à présent, les mots de Lénine : "celui qui parle aujourd'hui de "dictature révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie" n'est plus dans le coup et, par voie de conséquence,il est de fait dans le camp de la petite bourgeoisie, contre la lutte de classe prolétarienne" ("Thèses d'Avril") ; "On ne jure plus à notre époque que par 1'internationalisme. Jusqu'aux chauvins jusqu'au-boutistes, jusqu'à MM. Plékhanov et Potressov, jusqu'à Kerenski, qui se disent internationalistes. Le parti du prolétariat a le devoir d'autant plus impérieux d'opposer avec une clarté, une précision, une netteté absolues, l'internationalisme en actions à 1'internationalisme en paroles" (Lénine : "Les tâches du prolétariat dans Notre Révolution" ).
Voilà où mène le désir de BC et la CWO d'être "en lien avec le mouvement" : faire des "Conférences" avec une organisation bourgeoise qui participe à la guerre impérialiste. Eh lien avec le mouvement d'accord - mais quel mouvement ?
L'attitude, le comportement pratique, de la CWO et BC, et maintenant du BIPR, ne sont pas nouveaux dans le mouvement ouvrier. C'est celui du "centre" qui hésite entre les social-chauvins et les véritables internationalistes.. .Le "centre" est pour "l'unité", le centre est l'adversaire de la "scission" (ce que la CWO "deuxième série" ([5] [117]) appelle aujourd'hui notre "sectarisme" envers l'UCM) ; "Le "centre", c'est le règne de la phrase petite-bourgeoise bornée de bonnes intentions (et à résonance "ultra-marxiste" ! NDLR), de l'internationalisme en paroles, de l'opportunisme pusillanime et de la complaisance pour les social-chauvins en fait" (Lénine, op. cit). Si aujourd'hui, le gauchisme en tout genre, la bouche pleine d'internationalisme "en paroles", a pris la place du social-chauvinisme ouvert, le comportement centriste dénoncé par Lénine reste le même.
L'émergence des forces communistes
Si BC et la CWO ont tant de mal à "opposer 1'internationalisme en actions à 1'internationalisme en paroles", c'est aussi parce qu'ils sont sérieusement affaiblis par leur vision invraisemblable du surgissement des groupes révolutionnaires, en particulier dans les pays sous-développés. Ainsi, dans RP 21, 1984 ("The Situation in Iran and the tasks of Communists"), la CWO nous explique qu'il n'y a que trois possibilités pour "le développement d'une clarification politique" :
"1) La formation d'une avant-garde communiste est sans importance dans ces régions puisque leurs prolétaires sont sans importance pour la révolution. Nous rejetons cette conception comme frisant le chauvinisme. ..(...)...
2) ...un parti communiste émergera spontanément de la lutte de classe dans ces régions. C'est à dire, sans contact organique avec la gauche communiste... le prolétariat créera une avant-garde directement qui formulera une vision globale du communisme à partir de sa propre existence. Une telle vision est une folie spontanéiste...
3)...certains courants et individus commencent à mettre en question les bases du gauchisme et se mettent à critiquer leurs propres positions...".
La première "possibilité" est soi -disant la position du CCI, ce qui permet à la CWO de nous dénoncer pour "euro-chauvinisme". Encore une fois, la CWO est passée maître dans la polémique de la calomnie voilée: aucun de nos textes n'est cité pour soutenir cette accusation ridicule, et les soi-disant propos d'un de nos militants (cités dans le même article) ont dû être recueillis un jour où la CWO avait oublié de se laver les oreilles. Il nous suffit ici de rappeler, que si nous menons depuis dix ans, un travail de contact et de discussion en Amérique latine, en Australie, en Inde, au Japon, dans les pays de l'Est...ce n'est certainement pas parce que nous estimons "les prolétaires de ces pays" comme "sans importance pour la révolution".
La deuxième position est également censée être la nôtre. Disons d'abord que cette vision du parti qui surgit sur une base nationale, et non pas internationale dès le départ, n'est pas celle du CCI mais de BC (la contradiction n'a jamais gêné la CWO !). Mais en plus, il est évident que le surgissement de groupes basés sur les positions de classe ne peut qu'être le fruit d'une lutte acharnée contre l'idéologie dominante, d'autant plus dans les pays sous-développés où les militants doivent affronter tout le poids du nationalisme ambiant, et de la situation très minoritaire du prolétariat. La survie de ces groupes dépend donc de leur capacité à porter les leçons de la lutte des ouvriers contre "leur" bourgeoisie soi-disant "anti-impérialiste" au niveau théorique et militant, en nouant des liens avec les organisations politiques les plus avancées du prolétariat mondial, au coeur du monde capitaliste en Europe.
La troisième position - celle du BIPR - revient à ceci : chercher le surgissement de groupes prolétariens au sein même de la classe ennemie, parmi les organisations gauchistes dont la fonction est précisément de dévoyer, trompé, et massacrer la classe ouvrière, au nom même du "socialisme". Le BIPR montre ainsi qu'il ne comprend rien au mouvement dialectique des groupes politiques. Si les organisations prolétariennes subissent constamment l'influence de l'idéologie dominante - ce qui peut éventuellement les corrompre à un tel point qu'elles passent au camp de la bourgeoisie – l’inverse n'est pas vrai. Les organisations bourgeoises, du fait même qu'elles appartiennent à la classe dominante ne subissent aucune "pression idéologique" du prolétariat et on n'a jamais vu une organisation gauchiste passer en tant que telle du côté de la classe ouvrière.
De plus les perspectives du BIPR sont fondées sur une supposition fausse : que ces groupes (tel l'UCM) dans la mouvance maoïste surgissent de façon isolée, chacun dans son propre pays. La réalité est tout autre, et démontre la naïveté du BIPR. Dans les faits, ces groupes vivent autant dans les pays d'émigration que dans leur pays "d'origine", surtout dans les milieux d'exilés très fortement infiltrés par le gauchisme "européen" classique. Une lecture rapide de leur presse nous révèle, par exemple, "Bolshevik Message" (de l'UCM) qui publie une lettre de salutations de la part de l'ancien "El Oumami" ([6] [118]) ou le groupe maoïste "Proletarian Enancipation" (de l'Inde) qui publie - sans un mot de critique - le "Programme du PC d'Iran". Le combat que nous menons contre ces organisations est le même que celui que nous menons contre le gauchisme des pays développés et...tant pis pour "l'euro-chauvinisme".
Il est certain que les organisations surgies de la classe ouvrière en Europe, là où la classe est la plus expérimentée organisationnellement et politiquement ont une responsabilité énorme envers les groupes prolétariens des pays sous-développés, qui se battent souvent dans des conditions pénibles de répression physique et de pression de l'idéologie nationaliste ambiante. Mais ce n'est pas en escamotant la séparation de classe entre le gauchisme et le communisme qu'elles la rempliront; un exemple éclatant de ce genre d'escamotage nous est fourni par la publication côte à côte (dans "Proletarian Emancipation") d'un article de la CWO sur la conscience de classe, et du "Programme du PC d'Iran".
Conclusion
Nous ne sommes pas contre le regroupement des révolutionnaires : le travail que nous menons depuis la naissance du CCI est là pour le prouver. Mais nous sommes opposés aux regroupements superficiels qui passent par l'opportunisme envers leurs propres désaccords, et par le centrisme et la conciliation envers les positions bourgeoises. L'histoire de "Programma Communista" a montré que de tels regroupements finissent inévitablement par perdre, et non pas gagner, des forces au camp prolétarien. C'est pourquoi nous appelons BC et la CWO à passer au crible d'une critique sans merci leurs positions et leur pratique actuelles afin qu'ils puissent véritablement contribuer au travail qui doit mener au Parti mondial du prolétariat.
Arnold
[1] [119] Ce n'est pas le but de cet article de démontrer en détail la nature bourgeoise du "Unity of Communist Militants" ou de ses groupes de sympathisants à l'étranger (SUCM). (Voir nos articles dans WR n°57 et 60. Il suffit de dire que le programme initial de 1'UCM est essentiellement le même que celui du PC d'Iran (qui "n'a de communiste que le nom" selon le BIPR), et que Komala -avec qui l'UCM a publié le programme du PC d'Iran en mai 1982 - est une organisation maoiste, alliée militaire du Parti Démocrate Kurde, et dont les camps d'entraînement se situent en Irak. L'UCM et Komala sont donc des participants directs à la guerre impérialiste Iran/Irak.
[2] [120] Soit dit en passant, nous partageons entièrement cette vision du parlement "démocratique" bourgeois
[3] [121] Voir l'article dans la Revue Internationale n°40 (1er trimestre 1985).
[4] [122] Sans entrer dans le détail, notre analyse de " La gauche dans l'opposition" se base :
- sur le fait que, dans le capitalisme décadent, il n'existe plus de "fraction progressiste" de la bourgeoisie - quelles que soient ses querelles internes, toute la classe dominante est unie contre la classe ouvrière (voir Revue Internationale n° 31 et 39);
- sur le fait que, au sein de l'appareil capitaliste d'Etat, 1a fonction essentielle de ses fractions de gauche est de dévoyer la lutte prolétarienne.
Sur cette base, nous considérons que la bourgeoisie, depuis 1'ouverture de la deuxième vague de lutte de classe en 1978, a sciemment adopté la politique du maintien dans l'opposition de ses partis de gauche, afin d'éviter qu'ils soient discrédités aux yeux des ouvriers par l'austérité qu'ils seraient obligés d'appliquer au gouvernement (voir aussi Revue Internationale n°18).
[5] [123] Dans "Revolutionary Perspectives"n°20, la CWO est si gonflée par sa"méthode plus dialectique... qui voit les événements dans leur contexte historique, en tant que processus plein de contradictions, et non pas de façon abstraite, formelle", qu'ils ont décidé d'appeler la revue "Revolutionary Perspective". Second Séries . Avec RP 21, la mention "Second Séries" a déjà disparu de la revue, apparemment, la dialectique a fait long feu chez la CWO.
[6] [124] "El-Oumami", anciennement un organe de Programme Communiste, fut fondé sur des positions franchement nationalistes arabes après une scission du PCI en France.
A PROPOS DES LIVRES : "AU-DELA DU PARTI" (Collectif JUNIUS, 1982) "DE L'USAGE DE MARX EN TEMPS DE CRISE" (Les Amis de Spartacus, 1984)
"... Toute cette salade nous la devons surtout à Liebknecht et à sa manie de favoriser les écrivassiers de merde cultivés et les personnages occupant des positions bourgeoises, grâce à quoi on peut faire l'important vis-à-vis du philistin. Il est incapable de résister à un littérateur et à un marchand qui font les yeux doux au socialisme. Or ce sont là précisément en Allemagne les gens les plus dangereux, et depuis 1845, Marx et moi nous n'avons cessé de les combattre. () leur point de vue petit-bourgeois entre à tout moment en conflit avec le radicalisme des masses prolétariennes ou parce qu'ils veulent falsifier les positions de classe."
ENGELS à BEBEL 22 juin 1885.
Les produits des Editions Spartacus en France n'ont pas pour habitude de déroger à une idée fixe : la déformation des acquis principiels du mouvement ouvrier. L'éclectisme des divers ouvrages publiés possède même un point de rencontre primordial : 1'assimilation du bolchevisme au stalinisme et au jacobinisme avec pour objectif la négation de toute activité de parti pour le prolétariat. C'est la référence de base/ le nec plus ultra des deux "cahiers" : Au-delà du parti du collectif Junius ( 1982) et De l'usage de Marx en temps de crise par les "amis de Spartacus" (1984). Ces cahiers ont été réalisés par d'anciens militants du PIC ([1] [125]) et par toute une série d'éléments anarchisants et de notoriétés conseillistes. Les Editions Spartacus ont une diffusion plutôt confidentielle, mais suffisante tout de même pour influencer des éléments de la classe en recherche au niveau international, et pour rendre confuse, voire détruire toute sérieuse réappropriation de 1 'histoire passée du mouvement ouvrier et de son legs théorique aujourd'hui ; c'est pour cela que nous avons pour but de dénoncer ici ce qu'il ne faut pas prendre pour argent comptant en dépit des citations extirpées des textes mêmes de Marx.
1- LA PRETENTION DE REJETER LA NECESSITE DU PARTI
a) La question de l'organisation en parti est-elle étrangère à la lutte de classe prolétarienne ?
Le sous-titre de Au-delà du parti assure qu'il va traiter de "l'évolution du concept de parti depuis Marx". D'emblée l'introduction précise :
"La critique du concept de parti, y compris par les conseillistes et par les diverses variantes de modernistes (situationnistes, associationnistes, autonomes de tous poils...) évite de situer clairement les origines du caractère erroné de ce concept dans les thèses de Marx lui-même. Pire, elle croit pouvoir opposer la théorie du parti prolétarien chez celui-ci à toutes celles qui, à partir de la Social-Démocratie et du léninisme, ont assimilé le Parti à la représentation du prolétariat, à1' incarnation de sa conscience de classe" Dès le départ l'entreprise des anciens du PIC trahit sa démarche intellectuelle: on ne se situe pas du point de vue des intérêts du mouvement prolétarien dans son ensemble, mais du point de vue abstrait d'un "concept". Toute autre est la démarche marxiste :
". On ne peut étudier et comprendre l'histoire de cet organisme, le Parti, qu'en le situant dans le contexte général des différentes étapes que parcourt le mouvement de la classe, des problèmes qui se posent à elle, de 1 'effort de sa prise de conscience, de sa capacité à un moment donné de répondre de façon adéquate à ses problèmes, de tirer les leçons de son expérience et d'en faire un nouveau tremplin pour ses luttes à venir. " ("Le Parti et ses rapports avec la classe" Revue Internationale n°35).
Mais examinons si ce collectif Junius fait mieux que les modernistes. C'est en effet à partir de l'époque de Marx que le "collectif" va faire remonter ses critiques aux conceptions défendues par les Internationales successives, puis par les fractions qui ont résisté à la dégénérescence d'octobre 1917 et par le CCI. Chemin faisant, en remontant l'histoire, on s'aperçoit qu'il est déjà plus facile de l'interpréter et de la "refaire" à son goût :
". .. . Ainsi, pour Marx, le dépassement de la lutte purement économique (formation de syndicats ) en lutte politique se traduit avant tout par la constitution d'un Parti du prolétariat, distinct et indépendant des autres partis formés par les classes possédantes. Les tâches politiques de ce parti visent à aménager le système capitaliste dans un sens favorable aux intérêts des ouvriers puis à 'conquérir le pouvoir'. Ce parti correspond donc au jeu politique du 19ème siècle qui est favorable à une certaine extension du processus démocratique propre au capital dans sa phase ascendante. . . Ce qui est faux dans la conception de Marx se révèle donc être son assimilation du mouvement politique de la classe ouvrière à la formation et à 1 'action d'un parti prolétarien... Son concept de 'Parti prolétarien' est le produit de sa séparation entre phase politique et but social" (p.10) ([2] [126]). Voici donc la notion de parti prolétarien taxée de vieillerie du 19ème siècle (air connu !). Mais essayons toujours de comprendre pourquoi le collectif Junius estime que Marx sépare en deux la lutte de classe :
".. Pour Marx, il n'y avait pas de rupture entre la démocratie bourgeoise et la réalisation du communisme mais une certaine continuité : la phase politique représentait en quelque sorte la charnière entre les deux car une fois le pouvoir conquis, la garantie de la transformation sociale ultérieure était l'existence d'une fraction communiste dans le parti prolétarien." (p.11).
Tout cela est bien alambiqué, mais constatons que c'est l'enfance de l'art que de juger un moment de la trajectoire de Marx avec de l'a peu près et en figeant chaque étape. Ce que révèle ce galimatias, c'est une profonde incompréhension des conditions de la période ascendante du capitalisme qui permettait au prolétariat - tout en posant au long terme la question de la révolution - d'obtenir de véritables réformes. En réalité, c'est jusqu'au tout début du 20ème siècle - au terme du processus d'ascendance du capitalisme - que devait être mené en complémentarité le combat pour les libertés politiques et la lutte syndicale pour la réduction massive de la journée de travail, une même dynamique pour la constitution du prolétariat en classe consciente d'elle-même et en force politique autonome. Ce combat pour les réformes ne s'opposait pas au but social final puisque, ainsi que les citent malgré eux les auteurs, Marx et Engels précisaient toujours :
". il ne saurait être question de masquer les antagonismes de classe, mais de supprimer les classes ; non pas d'améliorer la société existante mais d'en fonder une nouvelle." (1850)([3] [127]).
Paradoxalement le collectif Junius se permet de se moquer de Marx et Engels parce qu'à certains moments ils ont cru à une révolution européenne, mais il omet de citer la réévaluation faite par Engels en 1895, dans une introduction aux Luttes de classe en France, où celui-ci admet que l'histoire leur a donne tort quant à leurs prévisions : " Elle a montré clairement que l'état du développement sur le continent était alors bien loin d'être mûr pour la suppression de la production capitaliste."
Bien qu'esquivant la vraie problématique fondamentale des partis prolétariens au 19ème siècle, le collectif Junius s'efforce en long et en large de prétendre que Marx n'a fait que modeler la forme du parti prolétarien sur le modèle des partis bourgeois. L'idée n'est pas nouvelle, elle est re prise de Karl Korsch ([4] [128]). Il est vrai que Marx a souvent évoqué la révolution de 1789 d'autant plus qu'il la considérait comme la plus exemplaire des révolutions bourgeoises. A chaque époque, les révolutionnaires sont marqués par le modèle des révolutions antérieures, et ils s'efforcent de les étudier minutieusement pour être à même de dépasser les conceptions anciennes. Et ce n'est pas simplement Marx qui était passionné par la révolution française, mais pratiquement tous les révolutionnaires de son époque, tout autant les anarchistes que les blanquistes. Marx est le premier, cependant, à avoir insisté, après Babeuf, sur les limites de cette révolution bourgeoise - voir comment il tire à boulets rouges sur les hypocrites "droits de l'homme" (in la Question Juive) - et surtout le premier à montrer lai nécessité de la révolution prolétarienne pour l'émancipation réelle de l'humanité (cf. le "caractère universel du prolétariat" in L'Idéologie Allemande).
La phase ascendante du capitalisme ne pouvait pas permettre à Marx et à ses compagnons de lutte de comprendre toutes les fonctions- du parti prolétarien qui diffèrent de celles du parti bourgeois classique : il n'a pas pour fonction la prise du pouvoir politique à la place du prolétariat, il n'a pas à encadrer la classe ouvrière ni à appliquer la terreur, ni à étendre la révolution par une "guerre révolutionnaire" (toutes leçons qui seront tirées à travers les expériences de la Commune de Paris et d'Octobre 1917). Cependant, le mouvement-même de la classe à leur époque -surtout les révolutions de 1848 et 1871 - permit non seulement à Marx et Engels de dépasser le modèle de 1789, mais aussi de tirer des enseignements pour l'ensemble du prolétariat que ne tirèrent pas les quaranthuitards ni les communards eux-mêmes : ces leçons étaient par excellence une activité indispensable en tant que militant d'une organisation révolutionnaire - et non d'historien- qui a fait date dans le mouvement révolutionnaire puisque lorsque l'on y parle de 1848 ou 1871, on ne fait pas référence à l'événementiel mais aux leçons politiques de Marx et d'Engels ! D'ailleurs plutôt que de souligner ces leçons politiques et îa capacité de Marx à remettre en question ses analyses antérieures lorsque la lutte de classe apportait des enrichissements in vivo ([5] [129]), le collectif Junius préfère clamer que la Commune a donné tort à Marx, se gardant bien de rappeler qu'il n'y a pas eu foule pour soutenir l'insurrection parisienne ni pour plaider sa cause après la répression sanglante, alors que Marx l'a soutenue pleinement même si elle n'entrait pas dans ses prévisions ; nous pouvons même ajouter que si la postérité s'est tant intéressée à la Commune c'est en bonne partie grâce à Marx. Le collectif a beau assurer :
"... l'insurrection des ouvriers... allait donner tort aux analyses précédentes de Marx et Engels sur la priorité absolue du processus démocratique" (p.14), ceci pour dénigrer une nouvelle fois toute activité de parti prolétarien, il n'en reste pas moins que la faiblesse des mesures prises pendant la Commune, le manque de coordination, le faible nombre de représentants de l'AIT, ont révélé d'autant plus pour l'avenir la nécessité de la présence d'une minorité révolutionnaire au sein de la classe, dotée d'un programme cohérent et influençant fermement la lutte. Mais, malgré tout, la Commune ne pouvait être, de par son caractère prématuré, qu'un gigantesque éclair annonciateur de la confrontation sociale qui allait pouvoir se produire moins d'un demi siècle plus tard, non pas à l'échelle d'une ville, mais au niveau international du fait de l'entrée en décadence du capitalisme. De la même façon que la Commune ne niait pas l'importance d'un parti prolétarien qui soit à la hauteur des tâches de sa période, de la même façon elle donnait raison à Marx sur la nécessité d'une phase transitoire du fait de la nécessaire réorganisation de la société. Pas question de période de transition, disent par contre nos auteurs, en substance :
"... C'est la théorisation d'une séparation entre la phase politique et le but social encore !), donc de la continuité de certaines fonctions de la société de classes et du capitalisme à travers la phase politique (l'Etat)"(p.15).
Il s'agit du même raisonnement que celui de Proudhon. Vingt ans plus tôt, dans la fameuse lettre à Weydemeyer, Marx avait anticipé le contenu transitoire concrétisé par la Commune : ". . . la lutte de classe mène nécessairement à la dictature du prolétariat.(qui) elle-même ne représente qu'une transition vers 1'abolition de toutes les classes et vers une société sans classe" (1852). La Commune est restée un exemple des prémisses transitoires de." ia lutte pour le communisme ; il faut bien constater que les mesures politiques prises y ont été plus importantes que les timides mesures économiques. A la différence de la classe bourgeoise, le prolétariat ne peut s'appuyer sur l'économie pour garantir ses chances de succès ; il bouleversera, certes, constamment l'économie pendant toute la phase future de transition, mais dans la mesure où il s'affirmera politiquement. De ce point de vue, Marx est resté intraitable face au réformisme qui fut longtemps surtout le fait de ceux qui rejetaient l'action politique et la fonction du parti politique de classe, les différentes variétés de syndicalistes ou d'anarchistes, qui auraient approuvé l'argumentation de nos modernes conseillistes. Enfin, et surtout, en cherchant à nous faire avaler que Marx avait tort face à la Commune de Paris à propos du "processus démocratique", le collectif Junius veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, il cache sous la table la principale leçon de la Commune : LA NECESSITE DE LA DESTRUCTION DE L'ETAT BOURGEOIS, que l'opportunisme dans la 2ème Internationale a longtemps également mise sous le boisseau. Or, de ce point de vue, Marx avait parfaitement raison dès 1852, et il l'affirme à plusieurs reprises dans le 18 Brumaire, comme ceci :
"... Toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considérèrent la conquête de cet immense édifice d'Etat comme la principale proie du vainqueur."
Le collectif Junius qui n'en est pas à un oubli (de taille) près, reproche surtout, d'une façon générale, à Marx de s'être inspiré du "siècle des lumières". Comme on peut le constater par ce qui précède, il apporte plutôt beaucoup d'ombre aux thèses de Marx lui-même, il colporte pas mal de vieilleries utilisées déjà au siècle dernier, comme cet idéaliste de Bauer que Marx qualifiait de "lumineux" ([6] [130]) sarcastiquement. Marx, au bout du compte, ne s'est pas contenté de copier tel quel l'exemple de la bourgeoisie révolutionnaire - nos doctes historiens ont l'air d'oublier que la bourgeoisie a été aussi une classe progressiste-, il a pris pour point de départ le renversement critique révolutionnaire des principes hégéliens, il a ainsi élaboré une méthode matérialiste traitant des idées et des alternatives de société en connexion avec l'époque historique déterminée et avec la forme spécifique de société propre à ladite époque. Le collectif Junius se soucie fort peu de la méthode marxiste, le matérialisme, historique n'existe pas pour lui : son point de vue étroit d'aujourd'hui lui sert de grille à la compréhension des différentes périodes du passé !
Les partis du prolétariat - nous ne parlons pas ici des partis bourgeois qui prétendent parler et décider en son nom - sont sécrétés par lui, ils lui sont aussi utiles que l'oxygène à l'air. Et c'est le matérialisme historique qui nous permet d'affirmer :
"La formation de 'forces politiques exprimant et défendant des intérêts de classe n'est pas propre au prolétariat. Elle est le fait de toutes les classes de l'histoire* Le degré de développement, de définition et de structuration de ces forces est à 1'image des classes desquelles elles émanent. Cependant, s'il existe des points communs incontestables entre les partis du prolétariat et ceux des autres classes - et notamment de la bourgeoisie - les différences qui les opposent sont également considérables... l'objectif de la bourgeoisie, en établissant son pouvoir sur la société, n'était pas d'abolir 1'exploitation mais de la perpétuer sous d'autres formes, n'était pas de supprimer la division de la société en classes, mais d 'instaurer une nouvelle société de classes, n'était pas de détruire l'Etat mais au contraire de le perfectionner .. Par contre... les partis du prolétariat n'ont pas pour vocation la prise et 1'exercice du pouvoir d'Etat, leur but étant au contraire la disparition de l'Etat et des classes" ("Sur le Parti et ses rapports avec la classe", in la Revue Internationale n°35). Il est logique, cependant, que Marx, même après l'expérience de la Commune de Paris, soit resté marqué par son époque et qu'il ait persisté à soutenir que le parti prolétarien devait prendre le pouvoir, mais l'histoire a tranché depuis, a contrario des bolcheviks sur ce point, que ce n'est pas la fonction du parti. Mais à comparer pour comparer, que dire des contemporains de Marx, des diverses sectes bakouninistes ou blanquistes avec leurs sociétés secrètes et leurs dérisoires projets de coups d'Etat ! Qui peut être placé à côté de la formidable cohérence et lucidité de Marx dont la méthode reste une arme de combat ? Qui, excepté le collectif Junius et sa machine à rebrousser chemin !
b) Conscience de classe et formation des partis
Le collectif Junius qui constate :
" .. une nouvelle fois le poids négatif de la révolution française sur la conscience de Marx-Engels.. La séparation phase politique/phase sociale (cela devient une obsession !) fera apparaître complètement la conception et la mise en pratique du Parti Communiste Jacobin, un parti de spécialistes de la politique, de révolutionnaires professionnels, de théoriciens du prolétariat. Pour la social-démocratie et le bolchevisme, le Parti construit préalablement au mouvement révolutionnaire deviendra l'introducteur d'une conscience idéologique dans le prolétariat considéré uniquement comme trade-unioniste"
Ou encore, puisqu'il faut jeter aux poubelles de la bourgeoisie toute l'histoire de la lutte de classe prolétarienne, après Marx on jette la 2ème Internationale, puis la 3ème, etc.:"Lénine allait appliquer dans la pratique jusqu'à leurs ultimes conséquences, les aspects négatifs de Marx sur la conception organisationnelle que la Social-Démocratie allemande avait déjà amplifiée."
Tout y passe, tout est objet de l'insulte anarchiste : parti élitiste, vision politicienne, manipulation. Il serait fastidieux de répondre à toutes les arguties de cette compilation d'écoliers, que le lecteur soucieux d'une bonne recherche historique se reporte plutôt aux textes de Marx, de Lénine ou aux quelques ouvrages historiques sérieux et aux documents des Internationales. Rappelons simplement ici ce passage toujours valable du Manifeste Communiste :
"(les communistes) n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat." Rappelons simplement que Marx rétorquait à tous les conspirateurs de son temps que la lutte de classe a besoin de clarté comme le jour de la lumière. Quant à l'idée de "conscience introduite de l'extérieur du prolétariat" que ressasse aussi le collectif Junius, elle n'existe pas chez Marx, ni non plus dans les congrès des 2ème et 3ème Internationales. Que Kautsky et Lénine aient tordu la barre dans les débats contre les économistes et les syndicalistes apolitiques est une chose, mais cette idée n'a jamais figuré dans aucun programme des partis ouvriers avant 1914 ; Lénine a publiquement rejeté cette idée en 1907. Il est de bon ton dans certains milieux soixanthuitards de chanter le leitmotiv du "renégat Kautsky et son disciple Lénine", c'est là une vieille mode reprise aux notoriétés de la Gauche hollandaise dégénérée. H est vrai que les erreurs de Kautsky ([7] [131]) et Lénine ont été exploitées par le stalinisme et le trotskysme contre le mouvement ouvrier ; néanmoins, c'est sur la base du combat mené par les Kautsky, Rosa Luxemburg et Lénine contre le révisionnisme, contre les économistes, que la fonction du parti politique de classe a pu être affirmée et précisée. Les débats de leur époque ont constitué un enrichissement indispensable pour le marxisme, pour le développement de la conscience de classe.
Or, pour ce qui est de la conscience de classe, après toute leur entreprise de démolition tout azimut, on se demande où nos vaillants écrivains en herbe vont la chercher, puisqu'il n'y a que le moment spontané qui compte à leurs yeux : le moment des grèves, l'instant des révolutions. Entre temps, le prolétariat a-t-il disparu ? En fait, leur vision est simple : la conscience de classe n'est que le simple reflet des luttes ouvrières, jamais un facteur dynamique. Tout travail d'élaboration théorique, de prise de position, est forcément élitiste, manipulateur, politicien, donc le fait de partis bourgeois. Il n'existe pas pour eux deux dimensions dans le même mouvement prolétarien, celle de ses organisations politiques et celle de l'ensemble de la classe qui réagissent dialectiquement l'une sur l'autre. Dans leur vision, quand la lutte cesse, la classe ouvrière disparaît ([8] [132]) pour renaître de ses cendres six mois ou dix ans plus tard, comme après un coma total, sans que le moindre travail de "taupe" n'ait pu s'effectuer au niveau de la conscience de classe, ni la moindre dynamique de réflexion et de recherche théorique! Tout cela rappelle bien plutôt l'esprit obtus et anti-scientifique des doctes partisans de la génération spontanée combattant Pasteur. De toute façon, l'idée du collectif Junius n'est autre que très scolastique : dépeindre une sorte de parti à travers les âges conçu par le sorcier Marx qui est accusé, une fois de créer le parti avant la révolution et une autre fois de se contredire en disant :
"(le Parti) naît spontanément de la société moderne" (1860).
Tellement obnubilé par l'immédiat et l'événementiel, notre collectif Junius confirme son inaptitude à comprendre le marxisme. Pour Marx, le parti est un produit naturel de la lutte de classe, nullement volontariste ni auto-proclamé ; il n'est pas ce corps statique et omnipotent qu'imaginent nos auteurs, sorte d'invention démoniaque de Marx et Lénine pour saboter la révolution à travers les siècles, c'est un élément dynamique et dialectique :
"…. L'histoire réelle et non fantaisiste nous montre que 1'existence du parti de la classe parcourt un mouvement cyclique de surgissement, de développement et de dépérissement, dépérissement qui se manifeste par sa dégénérescence interne, par son passage dans le camp de 1'ennemi ou encore par sa disparition pure et simple et qui laisse des intervalles plus ou moins longs jusqu'à ce que, de nouveau, se présentent les conditions nécessaires pour son resurgis sèment. S'il existe un lien évident de continuité. . . il n'existe par contre aucune stabilité, aucune fixité de cet organisme appelé parti"
("Sur le Parti et ses rapports avec la classe", Revue Internationale n°35).
Ajoutons que les partis dans le prolétariat sont encore plus indispensables a celui-ci que les partis bourgeois ne l'étaient à l'enfantement de la société bourgeoise ; la tâche est plus immense pour le prolétariat, l'élaboration théorique plus universelle, il doit abolir toutes les divisions de classe et toute société d'exploitation. Le problème de la conscience est donc considérable comparé à la phase du capitalisme progressiste qui, lui, s'est développé "dans la boue et le sang".
c) L'ouvriérisme conseilliste
A rebours dé l'histoire, il y a toute la gauche du capital pour tenter de faire croire que la conscience serait apportée de l'extérieur, mais il y a aussi cette catégorie de révolutionnaires pour qui "les conseils ouvriers" sont une incantation permanente comme pour d'autres la révélation, et dont la logique absurde conduit tout autant à la négation du prolétariat. A force de dire que les partis sont extérieurs au prolétariat, ils finissent toujours par estimer que c'est la lutte de classe qui est extérieure au prolétariat ! Heureusement que le collectif Junius prend la défense du prolétariat contre cet "illuminé" de Marx : "... Les conditions, la marche, les fins... tout est tracé, ce "reste du prolétariat" qui n'a pas ‘l'avantage d'une intelligence claire' n'a donc aucun apport théorique, du moins fondamental ! C'est en quelque sorte un aveugle qui doit se laisser guider par ceux, les communistes, qui possèdent le programme de A à Z." (p.21). Les grandes lignes du Manifeste de 1848 sont, somme toute, "élitistes", concluent nos pourfendeurs de parti. Déduisez : les combats, les sacrifices, les polémiques et les directives des partis prolétariens ont toujours eu pour but de nuire aux ouvriers, ainsi que nous l'explique notre collectif "défenseurs du prolétariat" contre l'odieux Marx :
"... (à propos de la non publication de rectifications au Programme de Gotha)... Même secondaires, ces raisons témoignent de la vision politicienne et donc bourgeoise qu'entretenait Engels sur le mouvement ouvrier : les travailleurs sont incapables d'avoir une conscience claire des choses, le parti peut donc les manipuler à son aise " (p.41). Ici l'outrance passe la mesure, l'invective anarchiste remplace l'argumentation. La démagogie d'épicier couvre à nouveau la négation idéaliste de l'étape réformiste, et surtout des programmes minimum et maximum. Cette défense échevelée de l'ouvrier moyen évoque plutôt ce patron qui s'exclame : "en parlant de grève et d'insurrection aux ouvriers vous leur portez préjudice". Rosa Luxemburg même est accusée de concevoir un parti de chefs avec son "credo" le programme communiste, auquel le collectif Junius (pseudonyme de Rosa pendant la guerre) renvoie son propre credo : "c'est la philosophie des lumières qui continue à faire ses ravages." (p.103)
Une chose est certaine pour le collectif Junius : la classe ouvrière est une classe homogène où ne comptent pas les années d'expérience, où l'ouvrier qui se met en grève pour la première fois de sa vie en sait tout à coup autant que celui qui s'est battu pendant vingt ans ; dix mille ouvriers en grève pendant une journée comptent plus pour ces gens-là du point de vue de l'expérience historique qu'une minorité révolutionnaire qui a combattu pendant quinze ans ! On prétend combattre le mouvement ouvrier "bourgeois" mais en réalité on rend service à la plus plate, à la plus crasse idéologie syndicaliste capitaliste - celle qui favorise par excellence la manipulation - : l'ouvriérisme, et on évacue d'un revers de manche l'existence d'un programme historique du prolétariat I
d) L'ignorance du phénomène de l'opportunisme
Ce qui est frappant, au total, dans cette brochure anti-parti, décousue et indigeste, c'est, non seulement la surdité face à l'évolution de la compréhension du rôle du parti (1848-1871-1905-1917 1921), mais - découlant fondamentalement du reste- l'aveuglement quant à la notion d'opportunisme. Sans traduire la moindre honte de compréhension, le terme est utilisé à plusieurs reprises. Sont évoquées les critiques de l'opportunisme par Pannekoek, Gorter, Rosa, Lénine. Il est même fourni une belle citation de Rosa :
".. il est impossible de se prémunir à l'avance contre la possibilité d'oscillations opportunistes" (p.94).
Se situant hors de la problématique du mouvement ouvrier, il est impossible au collectif Junius de saisir ce qu'il cite de valable. Par contre, il s'identifie très bien à la gauche germano-hollandaise dégénérée, à ce Pannekoek qui a inauguré la formule très moderniste de "nouveau mouvement ouvrier" vers la fin des années 30, et qui est cité avec plaisir :
"... un parti, quel qu'il soit, est petit à l'origine (quelle sagacité !) - mais parce que de nos jours un parti ne peut être qu'une organisation visant à diriger et à dominer le prolétariat"(page 124). CQFD ! Il n'est jamais possible dans ces conditions d'appréhender le phénomène de dégénérescence des partis du prolétariat passés à l'ennemi puisque tout s'explique par : la bourgeoisie, la séparation phase politique/but social, le siècle des lumières. Les apports du mouvement ouvrier sont traités par le collectif Junius comme les étudiants manient les pensées des philosophes : par l'interprétation systématique. La Gauche germano-hollandaise, à ses débuts, ne trouve pourtant pas grâce aux yeux de notre collectif : " « La conception de Gorter sur le parti considéré comme regroupement des 'purs' face à l'opportunisme était encore largement entachée d'une vision inspirée par le processus des révolutions bourgeoises (philosophie des lumières), cela peut expliquer son attitude de 'recherche de la discussion' avec Lénine et les bolcheviks" (p.117). En vérité, c'est le collectif Junius qui se veut "pur", idéalement pur, ou tout au moins en quête de pureté. Il n'est donc pas en mesure de saisir le complexe processus de dégagement de l'idéologie dominante par le prolétariat et ses organisations. Il est si épris de pureté qu'il confond la bourgeoisie avec ses victimes, puisqu'il ne voit pas qu'il s'agit d'un combat. Il est tel un magistrat au-dessus de la mêlée sociale.
L'opportunisme, de façon générale, est une manifestation de la pénétration de l'idéologie bourgeoise dans les organisations prolétariennes et la classe ouvrière ; il conduit au rejet des principes révolutionnaires et du cadre général de l'analyse marxiste. Il menace donc de façon permanente la classe et les organisations ou partis qui en font partie, au mieux il peut être corrigé de la part d'éléments sincères, au pire il entraîne des faiblesses ou des erreurs impardonnables. De ce point de vue, Marx, Lénine et bien d'autres ont commis plus d'une fois des erreurs opportunistes, mais ils n'étaient pas bourgeois pour autant ! Des concessions partielles ou secondaires suivant l'époque et l'expérience générale, ne remettent pas en cause la méthode commune et la fonction des partis pour lesquels ils ont tant combattu, car il n'y a pas eu répétition dans le mouvement révolutionnaire, on s'est efforcé d'affiner progressivement "l'évolution du concept de parti" (si nous reprenons la terminologie universitaire du collectif Junius).
Lorsqu'il s'en tient à rejeter systématiquement les apports successifs des différents partis du prolétariat, lorsqu'il évoque indistinctement la classe ouvrière, lorsqu'il rejette férocement la forme et la fonction du parti, le cahier signé collectif Junius est typiquement conseilliste. Mais l'incantation de "la classe elle-même" ou des "conseils ouvriers" comme panacée, est une forme moderne particulièrement pernicieuse de l'opportunisme, plus répandue que chez les simples lecteurs des publications Spartacus. C'est une idéologie qui, ainsi que le révèle sa forme théorisée par le collectif Junius, fait le plus de concessions auîT idées dominantes de la période de décadence du capitalisme contemporain. Nous l'affirmons fermement : le rejet de l'organisation en parti politique est dangereux. De la thèse "tous les partis sont bourgeois", à 1'anti-thèse "seuls les conseils ouvriers sont révolutionnaires", on aboutit au mépris de la lutte de classe et à la démoralisation, on laisse champ libre à la bourgeoisie. Mais plus fondamentalement, à force de nier deux programmes distincts, maximum et minimum, pour notre époque - ce qui est vrai - on aboutit à nier le programme maximum qui reste seul valable parce qu'on rejette tout rôle et toute fonction de parti révolutionnaire.
Dans l'avertissement au lecteur, la présentation de ce cahier Spartacus précisait qu'il s'agissait de la première partie d'un projet "inachevé", or il s'agit bien de quelque chose qui restera inachevé et insaisissable par définition, car issu d'un groupuscule... dissous dans l'incohérence petite-bourgeoise : le défunt PIC. La suite parle d'elle-même, elle n'existe pas. Le grand néant ! A force de vouloir faire table rase du passé, comme dit la chanson de Pottier si ingénument chantée par les fractions de gauche de la bourgeoisie, on fait table rase de l'avenir de la lutte de classe.
2- LES CHRYSANTHEMES DE LA PETITE-BOURGEOISIE
"Ces messieurs font tous du marxisme, mais de la sorte que vous avez connue en France il y a dix ans et dont Marx disait : 'Tout ce que je sais c'est que je ne suis pas marxiste, moi !' Et probablement il dirait de ces messieurs ce que Heine disait de ses imitateurs : j'ai semé des dragons et j'ai récolté des puces". Engels à Lafargue (27/8/1890)
Nous ne nous étendrons pas autant sur le second cahier Spartacus qui dans l'ensemble n'est pas pire que le précédent ; il précise un peu plus que chez les divers collaborateurs "amis de Spartacus", le plus court chemin pour nier la classe ouvrière est de commencer par nier l'apport du militant Marx. Ce cahier avait, lui, fait l'objet d'un appel d'offre publique, et nous leur avions répondu ceci :
"(cette) démarche... et (ce) projet s'inscrivent comme une suite de toute la campagne de singes savants des universités de la bourgeoisie se livrant, à 1'occasion du centenaire de la mort de Marx, à un dénigrement, à une défiguration systématique du marxisme, en identifiant celui-ci avec le régime stalinien des pays du bloc de l'Est. Merci pour votre invitation, "amis de Spartacus, mais très peu pour nous !... Vous, vous vous placez en juges du mouvement, nous, nous sommes des militants révolutionnaires du mouvement" (Révolution Internationale n°112, 1983). Nous ne nous étions pas trompés en répondant ainsi à cette énième cérémonie funèbre du marxisme. L'introduction de l'hommage rendu soi-disant à Marx par les "amis de Spartacus" est claire et résume bien l'éclectisme des textes présentés : "... Les différentes contributions réunies dans ce cahier sont sur ce point convergentes. Quel que soit l'angle d'attaque [sic !] choisi par les auteurs, tous en sont convaincus : les limites de 1'oeuvre de Marx sont aussi bien les limites de son époque que les limites de sa relation à son époque" (p.9).
Ce bouquet de fleurs fanées résume bien à lui tout seul 120 pages de rejet de l'apport - pourtant toujours actuel - de Marx, et sa réduction à une "oeuvre" d'écrivain. Signalons évidemment toute une série de dénigrements de la même teneur et même repris du cahier précédent : trait d'égalité entre jacobinisme et marxisme (1'"apport" de Korsch est ouvertement revendiqué), trait d'égalité entre Octobre 1917 et le stalinisme, et obsessionnellement "Marx copieur de 1789" ou du "siècle des lumières". Marx est aussi considéré comme marqué par une vision "ontologique" et de s'être inspiré de 1'"hypertrophie du politique de Hegel" (rien que ça !).
Tous ces gens-là défilent devant la tombe de Marx l'air si contrit, qu'on ne peut que se les représenter autrement que comme une procession de vieilles bigottes du vieux monde. Choisissons, par exemple, un nommé Janover qui, après avoir évoqué lui aussi l'influence délétère de 1789, tient à montrer combien il est ignare quant à comprendre toute notion d'opportunisme :
"Le marxisme politique est donc tout à la fois le produit de ce détournement (?) et le résultat d'un accommodement. Sa structure était à l'image de 1'organisation social-démocrate, partie prolétarienne, partie bourgeoise, mais la tendance bourgeoise dominante passera vite au premier plan, avant même que le marxisme-léninisme ne propose ses recettes d'accumulation 'socialiste' aux élites des pays encore au stade pré-capitaliste". Plus actuel, un nommé St James n'en finit pas de tracer des hypothèses et de s'essayer à être plus flou que les autres :
"... Bien entendu, on ne peut pas non plus éliminer 1'hypothèse que la situation actuelle évolue vers une crise franche et ouverte. . . On ne peut m d'ailleurs pas plus éliminer le retour à une nouvelle prospérité. Bien sûr, certains pourront objecter d'abord que nous ne déduisons aucune conclusion certaine de cette analyse. Il est clair qu'une théorie que l'on peut éventuellement plier , à rendre compte de phénomènes opposés ne peut guère être considérée comme scientifique". Et ces gens-là osent se réclamer des enseignements de Marx ! En vérité, ils ont tous un pape, l'intellectuel conseilliste notoire Rubel qui, plus que Marx, est l'inspirateur de toutes leurs stupidités.
A peu près tous rejettent, comme Rubel, le Marx militant, ils le placent à leur niveau de puces intellectuelles. Ils croient comme Rubel que Marx s'est trop contenté d'incertitudes dans son travail scientifique (bien qu'ils abhorrent la méthode scientifique) mais, hélas, sans jamais renier "le combat politique quasi quotidien dans le cadre d'une organisation ou en militant isolé" (Rubel dixit). Deux fois hélas, c'est pourquoi Rubel - incapable comme tous les petits-bourgeois de connaître la passion révolutionnaire de la lutte -s'est spécialisé dans la recherche dans les écrits intimes et les poubelles de Marx de tout ce qui peut corroborer ses propres doutes :
" Même s'il s'est refusé à livrer à la postérité des confessions de caractère introspectif. Mieux que de telles confidences, la masse des inédits, des écrits inachevés et des cahiers d'études témoigne des hésitations et des doutes qu'il devait éprouver en se sachant désarmé devant les triomphes répétés de la contre-révolution.". En fait, puisque le militant Marx dérange, on va lui imaginer ses propres doutes de petit-bourgeois, on va rayer d'un trait de plume son implication dans le mouvement collectif du prolétariat pour n'en extraire que "la poésie" (Rubel). Rubel qui prête ses propres doutes en vain à Marx, affirme pourtant ses certitudes : ". Nous sommes obligés de reconnaître que si le capital est partout, c'est parce que le prolétariat n'est rien et nulle part" (p.43). Ce philistin nous confirma par là que le conseillisme n'est pas seulement un danger opportuniste pour le prolétariat mais que son aboutissement réside dans la négation de la classe ouvrière : le modernisme. Dans sa conclusion, Rubel, après avoir abandonné le prolétariat, rejoint les grands impuissants de l'histoire, les philosophes : "..Nous, les vivants, nous pouvons et devons agir dès maintenant pour mettre en oeuvre un projet de modification visant les forces aliénantes, produit du génie inventif de 1'homme tout autant que ses inventions créatrices".
Les autres philistins n'ont qu'à marquer le pas derrière le grand maître à penser es conseillisme devenu es modernisme. Le représentant du cercle moderniste "Guerre Sociale" peut se lamenter comme le collectif Junius :
"L'oeuvre de Marx exprime les circonstances historiques dans lesquelles elle s'est créée, prolonge les tendances bourgeoises dont elle est issue et qu'elle cherchait à dépasser" (p.90). Un enterrement est toujours une circonstance pénible quand on pense aux "vivants" ; aussi l'anarchiste Pengam chuchote-t-il en inclinant la tête : "... la classe ouvrière vise, par l'intermédiaire des 'partis ouvriers' à se faire reconnaître dans l'Etat en fonction de la place qu'elle occupe dans les rapports de production" (p.103). Enfin, même un vieux routier du milieu révolutionnaire comme Sabatier a mis le crêpe noir, et vient donner le coup de goupillon anti-bolchevik de rigueur pour la cérémonie des "amis de Spartacus": ".., La contre-révolution et ses idéologies mystificatrices triomphèrent en prenant appui sur les médiations introduites par Marx et en noyant toute méthode critique sous les flots d'un langage de bois" (p.83).
Les intellectuels petits-bourgeois finissent toujours par se retrouver en abandonnant le terrain de la défense des principes de classe - d'accord avec la bourgeoisie qui s'est efforcée, elle, consciemment, pendant cinquante ans, de déformer les véritables raisons de la dégénérescence d'Octobre 1917 et de l'échec de la vague révolutionnaire des années 20. C'est contre les arguments de ces philistins que le prolétariat doit lutter dès aujourd'hui s'il' ne veut pas compromettre son combat pour la destruction de l'ordre capitaliste établi.
Gieller.
[1] [133]Le groupe "Pour une Intervention Communiste" (Jeune Taupe) s'est constitué en 1974 autour d'éléments ayant quitté "Révolution Internationale" parce qu'ils estimaient que ce groupe n ' intervenait pas assez ; ce groupe s'est brisé il y a quelques années contre les écueils de 1'activisme, du conseillisme et du modernisme ; son héritier "Révolution Sociale" n'a tiré pratiquement aucune leçon de cette trajectoire désastreuse (cf. sa brochure intitulée pompeusement "Bilan et Perspectives").
[2] [134] Affirmation inconséquente puisque, juste à la page précédente, les auteurs ont repris la célèbre phrase du pamphlet contre Proudhon : "Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique, Il n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même temps." Ajoutons ce que Marx affirmai) déjà en 1844 : "Toute révolution dissout 1 'ancienne société ; en ce sens elle est sociale. Toute révolution renverse l'ancien pouvoir ; en ce sens elle est politique" (Gloses critiques, in La Pléiade, annoté par Rubel).
[3] [135] Remarque qu'on retrouve dans maints autres textes depuis le Manifeste. Mais Lénine souligne justement en quoi c'est une question de méthode : "...A quel point Marx s'en tient strictement aux données de l'expérience historique, on le voit par le fait qu'en 1852, il ne pose pas encore la question concrète de savoir par quoi remplacer cette machine d'Etat qui doit être détruite. L'expérience n'avait pas encore fourni à l'époque, les matériaux nécessaires pour répondre à cette question, que l'histoire mettra à l'ordre du jour plus tard, en 1871." (L'Etat et la Révolution).
[4] [136] Karl Korsch, ancien membre du parti communiste allemand (KPD) dont il est exclu en-1926 ; abandonnant la méthode marxiste, il a théorisé l'idée que le jacobinisme était la source fondamentale de Marx certaines de ces idées ont été reprises par Mattick aux USA. Son principal traducteur en France a été le conseilliste Bricianer.
[5] [137] Voir notre article pour le centenaire de la mort de Marx, Revue Internationale n°33 : "Marx toujours actuel".
[6] [138] "Bataille critique contre la révolution français, Marx (La Pléiade, p.557).
[7] [139] Nous parlons ici évidemment du Kautsky d'avant 1910, celui qui, avant de devenir un centriste puis un renégat, était un authentique militant révolutionnaire, le chef de file avec Rosa Luxemburg de l'aile gauche de la Social-Démocratie dans sa lutte contre 1'opportunisme.
[8] [140]Signalons la vision symétriquement inverse de certains bordiguistes, mais finalement identique selon lesquels lorsque le parti disparaît la classe ouvrière n'existe plus !
Dans le n°40 de cette Revue, nous avons publié un article, "Le danger du conseillisme", qui défend la position du CCI, fruit d'un débat interne ouvert depuis plus d'un an. Dans ce débat, d'une part le CCI a réaffirmé que les perspectives de la lutte du prolétariat exigent un ferme rejet des conceptions erronées du "substitutionnisme" (conception que le parti est l'unique porteur de la conscience, menant à la conception de la dictature du parti) et du "conseillisme" (conception de la conscience vue comme simple reflet des luttes immédiates, menant à la minimisation de la fonction et à la négation de la nécessité du parti). D'autre part, le CCI a été amené à repréciser pourquoi, dans les conditions de notre époque, les faiblesses et les erreurs de type "conseilliste" constituent un obstacle plu important du "plus grand danger", que les erreurs et conceptions "substitutionnistes". Le CCI n'a pas hésité à systématiser et préciser ses positions sur la conscience, le centrisme, le conseillisme, l'intervention, etc., en les libérant de toutes les imprécisions, et interprétations confuses. Mais là où le CCI voit dans cette orientation ses positions placées sur un terrain plus profondément rattaché aux bases du marxisme et, en même temps, plus capables de faire face aux questions posées par 1'accélération de 1'histoire, 1'article que nous publions ci-dessous voit une "nouvelle orientation", une adoption d'une théorie du "moindre mal". Il exprime la position de camarades minoritaires qui se sont constitués en tendance au sein du CCI. Nous ne pouvons que regretter que l'article aborde beaucoup de questions, sans souci, selon nous, de répondre à 1'argumentation de 1'article critiqué. De notre point de vue, il exprime une tendance centriste par rapport au conseillisme car, tout en réaffirmant platoniquement le danger du "conseillisme" il s'attache surtout à en atténue la portée, et offre, en fin de compte, comme "perspective" que .toute erreur est dangereuse pour le prolétariat. Nous répondrons aux différents points abordés dans cet article dans le prochain n°.
CCI
Dans la Revue Internationale (R.Int,) No 40 se trouve un article intitulé "Le danger du conseillisme" qui défend la nouvelle orientation du CCI selon laquelle le conseillisme représente aujourd'hui et représentera demain le plus grand danger pour la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires, un danger plus grand que celui du substitutionnisme. Nous voulons par le présent article porter vers l'extérieur la position d'une minorité de camarades au sein du CCI qui n'est pas d'accord avec cette nouvelle orientation.
Il ne s'agit pas de nier le danger des positions conseillistes ou de penser que cette déviation n'a pas eu de poids dans le passé ou n'en aura pas dans l'avenir. Le conseillisme, c'est-à-dire le rejet de la nécessité de l'organisation des révolutionnaires et du parti et de son rôle militant; actif et décisif dans la prise de conscience de la classe ouvrière, représente comme nous l'avons toujours analysé dans le CCI, un danger, surtout pour le milieu révolutionnaire y compris le CCI dans la mesure où sa théorisation a pour conséquence de couper la classe de son outil indispensable .
La divergence ne porte pas sur le danger du conseillisme mais :
a) sur la nouvelle théorie unilatérale du conseillisme le plus grand danger :
- parce qu'elle s'accompagne d'un rabaissement du substitutionnisme au niveau du "moins grand danger" ;
- parce qu'elle détourne l'attention du véritable danger essentiel pour le prolétariat que présente l'Etat capitaliste et ses prolongements au sein de la classe ouvrière (les partis de gauche, les gauchistes, le syndicalisme de base et tout le mécanisme de la récupération capitaliste à l'époque du capitalisme d'Etat) pour se focaliser sur de prétendues tares conseillistes du "prolétariat des pays avancés" ;
- parce qu'elle mène à des régressions sur les leçons tirées de la première vague révolutionnaire et du mouvement ouvrier dans la décadence,
b) sur les implications de cette théorie au niveau de la compréhension du développement de la conscience de classe, tendant à réduire la conscience de classe à "théorie et programme" (R.Int. No 40) et le rôle de la classe à l'assimilation du programme.
c) sur la théorie du "centrisme/opportunisme" qui, en considérant la "vacillation" et "l'hésitation" comme le mal permanent du mouvement ouvrier, aboutit à remettre dans le prolétariat des éléments et partis politiques qui l'ont définitivement trahi.
Nous allons aborder ici surtout le premier point : la théorie du conseillisme le plus grand danger. La discussion continuera sur le centrisme et la conscience de classe dans d'autres articles à paraître bientôt dans notre presse.
LE CONSEILLISME, LE PLUS GRAND DANGER ?
L'article de la R.Int.40 développe l'argumentation suivante : le danger du substitutionnisme existe surtout dans les périodes de reflux des luttes révolutionnaires; par contre, "le conseillisme est un danger bien plus redoutable surtout dans la période de montée d'une vague révolutionnaire" ; le substitutionnisme trouverait un terrain fertile dans les pays sous-développés ; les réactions du type conseilliste sont plus caractéristiques des classes ouvrières des pays hautement industrialisés comme les ouvriers d'Allemagne dans la première vague révolutionnaire ; le substitutionnisme est une "erreur" prolétarienne, un "phénomène unique...de l'isolement géographique de la révolution dans un seul pays, facteur objectif du substitionnisme qui n'est plus passible". (R.Int, No 40)
En quoi consisteraient ces "réflexes conseillistes" de la montée de la lutte de classe, comment on les reconnaît ? Selon l'article, ils sont l'ouvriérisme, le localisme, le suivisme, le modernisme, l'apolitisme des ouvriers, la petite-bourgeoisie, 1'immédiatisme, l'activisme et l'indécision. En somme, tous les maux de la terre ! Si chaque fois que la classe hésite, ou que des révolutionnaires tombant dans 1'immédiatisme, si chaque fois qu'on discerne du suivisme ou que les révolutionnaires ne comprennent pas le processus de la formation du parti, c'est une manifestation du "conseillisme", le conseillisme serait à lui tout seul le mal permanent du mouvement ouvrier.
Puisque toutes les faiblesses subjectives de la classe ouvrière deviennent par ce jeu de définitions "des réflexes conseillistes'' le remède est le parti. En d'autres termes, le CCI, le milieu politique prolétarien et la classe ouvrière toute entière se protégeront contre 1'immédiatisme, la petite-bourgeoisie, l'hésitation, etc. en reconnaissant dès à présent le danger No 1 de "sous-estimer", "minimiser" le parti.
Toute la problématique de choisir entre "sous" et "sur"-estimer le parti, toute la politique du moindre mal que le CCI a toujours rejetée au niveau théorique, il l'introduit aujourd'hui au niveau pratique sous couvert de vouloir donner une perspective "concrète" à la classe : il faut dire au prolétariat que le danger conseilliste est plus grand que celui du substitutionnisme, sinon le prolétariat n'aurait pas une "perspective" !
Choisissez, camarades ! Si vous pensez que le substitutionnisme est le plus grand danger, vous êtes vous-mêmes des conseillistes. Si vous refusez de choisir votre camp, vous êtes porteurs des "oscillations centristes par rapport au conseillisme", des"conseillistes qui n'osent pas dire leur nom" (R.Int. No 40).
On prétend que "l'histoire a prouvé" cette théorie du conseillisme le plus grand danger, mais quelle histoire ? Le CCI a toujours reconnu et critiqué dans la révolution allemande les erreurs de Luxembourg et les Spartakistes, les positions de la tendance d'Essen, de la tendance anti-parti de Ruhle expulsée du KAPD en 1920 et la scission de l'AAUD(E), les conséquences désastreuses des hésitations du prolétariat et le manque de confiance parmi les révolutionnaires dans leur rôle. Mais on n'a jamais cherché les causes dans un conseillisme latent du prolétariat des pays avancés. Nous n'avons jamais cité "l'histoire" pour démontrer une théorie cyclique du danger conseilliste plus grand dans la révolution et du substitutionnisme dans le recul.
Outre de simples affirmations, la seule "preuve" donnée dans l'article de la R.Int. pour justifier cette nouvelle théorie, c'est que "comme Luxembourg en 1918, les militants non-ouvriers du parti pourront être exclus de toute prise de parole dans les conseils". (R.Int, No 40) Et aussi dans World Révolution (publication du CCI en Grande-Bretagne); "Le danger devant la classe n'est pas qu'elle fera "trop confiance" aux minorités révolutionnaires mais qu'elle les empêchera tout simplement de parler". Voilà le "conseillisme" du prolétariat allemand contre Luxembourg !
Tout ceci est une déformation grossière de l'histoire. En décembre 1918, au congrès national des conseils ouvriers en Allemagne, l'ensemble de la Ligue Spartacus n'a pas pu défendre ses positions non pas parce que "les ouvriers" l'en ont empêchée mais parce que Spartacus n'était qu'une fraction au sein de l'USPD. "Pour comprendre le destin de ce congrès, il faut d'abord comprendre le rapport entre la Ligue Spartacus et les Indépendants. Vous savez que nous étions là mais qu'est-ce qui s'est passé, où étions-nous passés effectivement ? Si vous avez écouté les discours, vous serez en droit de vous demander quelles étaient les différences fondamentales entre le groupe Spartacus et les Indépendants ?...Nous étions pieds et poings liés par les Indépendants qui ont contrôlé la liste des inscrits et paralysé notre activité à chaque moment." (Leviné ,"Rapport sur le Premier Congrès des Conseils ouvriers").
Les positions révolutionnaires de Spartacus (à savoir que les conseils se déclarent l'organe suprême du pays, qu'ils lancent un appel au prolétariat international, qu'ils soutiennent les soviets en Russie et que Luxembourg et Liebkneeht viennent parler) ont été présentées et défendues par l'USPD qui, lui, voulait dissoudre les conseils dans la Constituante ! Spartacus (comme la majorité de l'Internationale Communiste plus tard) voulait "influencer les masses" en récupérant l'USPD "en voyant ce dernier comme l'aile droite du mouvement ouvrier et non comme une fraction de la bourgeoisie."(R.Int. No 2). Mais le CCI aujourd’hui, selon sa théorie du "centrisme", voit l'USPD, ce parti de Kautsky, Bernstein, Haase et Hilferding comme prolétarien au lieu de le comprendre, avec 70 ans de recul, pour ce qu'il était : l'expression de la radicalisation de l'appareil politique de la bourgeoisie, une première expression du phénomène du gauchisme, cette barrière extrême de l'Etat capitaliste contre la montée révolutionnaire. Déjà à l'époque, c'était Spartacus qui s'était fait récupérer sur ce terrain parce qu'en reproduisant le schéma du passé social démocrate avec sa droite, centre, gauche, il voyait son rôle comme celui d'une opposition révolutionnaire au sein de l'"aile gauche" de la social-démocratie. Refuser de tirer cette leçon du passé, c'est la porte ouverte aux compromissions de demain.
Tout ceci n'a rien à voir avec ce mythe selon lequel les ouvriers auraient refusé d'écouter les révolutionnaires à cause de "réflexes conseillistes".
Les erreurs des révolutionnaires dans la montée de la lutte de classe en Allemagne ne s'expliquent pas par la "sous-estimation du rôle du parti". Les révolutionnaires allemands n'étaient pas trop peu "actifs", ou trop peu présents dans la lutte. La volonté d'assumer leur rôle au sein de la classe était réelle mais ce qui a pesé de façon dramatique c'était de savoir quoi faire, comment le faire et avec qui, c'est-à-dire, de comprendre ce que la nouvelle période impliquait pour le programme communiste.
Le retard des révolutionnaires allemands n'est pas attribuable à un conseillisme du prolétariat allemand ou de son avant-garde même si ces tendances ont effectivement existé, mais essentiellement à la difficulté générale dans tous les pays de se dégager de la social-démocratie, de la conception du parti de masse et du substitutionnisme à cette époque charnière. Au moment de la révolution, la conception prédominant parmi les révolutionnaires et dans l'ensemble du prolétariat en Allemagne n'était pas que les conseils ouvriers allaient tout résoudre par eux-mêmes mais qu'un parti devrait assurer le pouvoir délégué par les conseils. Dans les faits, les conseils ont été amenés à remettre leur pouvoir à la social-démocratie.
Comment nier cette évidence ?
Pour les défenseurs du substitutionnisme c'est facile : quand la classe ouvrière remet son pouvoir à la social-démocratie elle a tort ; quand elle le remet aux Bolcheviks, elle a raison. Le tout est que la classe "fasse confiance" au "bon" parti. Le CCI n'en est pas là. Mais pour lui, maintenant, remettre le pouvoir à la social-démocratie ne montre pas le poids des conceptions substitutionnistes dans la montée de la lutte de classe. Comme dit l'article, c'était simplement de la "naïveté" des ouvriers. Toujours selon l'article, le substitutionnisme ne peut pas s'appliquer aux gauchistes et ceux de la bourgeoisie "qui veulent dévier la lutte". La définition du substitutionnisme serait réservée à ceux qui ne veulent pas dévier la lutte mais se trompent. Ah voila... ainsi, le substitutionnisme est une "erreur" si on a de bonnes intentions ; si on ne les a pas, c'est une position bourgeoise et on ne l'appelle plus substitutionnisme !
LA MINIMISATION DU SUBSTITUTIONNISME
En réalité, contrairement à la position sur les syndicats et 1'électoralisme dans la période ascendante, le substitutionnisme a toujours été une position bourgeoise, appliquant le modèle de la révolution bourgeoise à celle du prolétariat. Puisque la révolution prolétarienne n'était pas encore à l'ordre du jour, les révolutionnaires ne se sont pas rendus compte de toutes les implications de cette position. Au fur et à mesure que la révolution prolétarienne venait à l'ordre du jour, ils ont commencé à sentir la nécessité d'une clarification du programme sans avoir le temps d'aller jusqu'au bout. La première vague révolutionnaire révélera au grand jour la position subs-titutionniste sur le parti et tout ce qu'elle implique sur le rapport parti/classe pour ce qu'elle est : une position bourgeoise, quelles que soient les bonnes intentions subjectives de ceux qui la défendent.
Mais pour la théorie du conseillisme le plus grand danger dans la montée, le substitutionnisme n'est un danger que quand le recul de la lutte donne des forces à la contre-révolution. En d'autres termes, la contre-révolution est le plus danger quand on y est en plein dedans. Voir ses germes, aller à la racine des choses n'est pas nécessaire. Parons au plus pressé i D'abord, contrer le "conseillisme" ; après, on verra bien ce que le prolétariat vô> faire des partis.
Ainsi, la définition de substitutionnisme est encore rétrécie. En parlant de la révolution russe^ T'article de la Revue Internationale n°40 maintient explicitement qu'avant 1920, le substitutionnisme ne pèse pas dans la dégénérescence de la révolution russe.
"C'est seulement dans l'isolement et la dégénérescence de la révolution que le substitutionnisme bolchevik devient un facteur actif dans la défaite de la classe" (World Révolution, décembre 1984). "De la prétention à diriger de façon militaire la classe (cf. la discipline confinant "à la discipline militaire" affichée au 2ème Congrès) il n'y avait qu'un pas à la conception d'une dictature d'un parti unique vidant les conseils ouvriers de leur propre substance" (Revue Internationale n°40)
Mais les conseils ouvriers en Russie ne commencent pas à se vider de vie prolétarienne en 1920 ; c'est en 1920 le moment des derniers soubresauts de la classe contre un étouffement qui a ses racines dès le lendemain de la prise du pouvoir par les conseils. Cela a toujours été la position du CCI :
"Dès après la prise du pouvoir, le parti bolchevik rentre en conflit avec les organes unitaires de la classe et se présente comme un parti du gouvernement" (cf. brochure "Organisation Communiste et conscience de classe) et nous 1'avons démontré dans maints articles depuis le début du CCI tout en affirmant le caractère prolétarien de la révolution russe.
Dire que les conceptions des bolcheviks étaient La cause de la dégénérescence est absolument faux, mais affirmer, comme fait apparemment le CCI aujourd'hui, que les positions des bolcheviks ne jouaient pas un rôle de facteur actif (aussi bien quand ils se sont trompés que quand ils ont en raison) est impossible pour des marxistes conséquents.
En réduisant le substitutionnisme, expression idéologique de la division du travail dans les sociétés de classes, à une quantité négligeable, la nouvelle théorie arrive à une minimisation du danger de l'Etat capitaliste, son appareil politique et le mécanisme de son fonctionnement idéologique.
Il ne faut pas prendre l'exemple de 1905, ou même de 1917 en Russie pour voir comment la bourgeoisie des pays avancés se protégera contre la montée révolutionnaire. La bourgeoisie allemande, plus avertie après la révolution russe; avec un arsenal politique plus sophistiqué, a su pénétrer directement les conseils non seulement à travers les industriels qui "négociaient" avec les conseils mais surtout à travers la social-démocratie qui les sabotait de l'intérieur. La social-démocratie (et les Indépendants^ loin d'"interdire les partis", les acceptait tous et exigeait la représentation proportionnelle des partis au gouvernement ; elle allait jusqu'à demander à Spartacus de se joindre au gouvernement SPD/USPD. Pour récupérer le mouvement, le SPD joue sur tous les tableaux (n'en déplaise aux "définitions" insaisissables de la nouvelle théorie) : dans certaines régions, seuls les ouvriers peuvent voter ; dans d'autres, c'est la "population" ; dans d'autres, seuls les ouvriers syndiqués, ou plutôt les petites usines ; pour ou contre la représentation des soldats. Et le tout, la reconnaissance des conseils, l'ouvriérisme, le démocratisme, la phraséologie de la révolution russe, pour mieux détourner le prolétariat de l'assaut contre l'Etat tout en organisant les provocations et le massacre. Les Spartakistes faisaient eux-mêmes récupérer pour ne pas avoir compris la radicalisation de la bourgeoisie. Aucune voix, pas même celle de la gauche plus claire que les Spartakistes, ne s'est élevée au début pour dénoncer cette vision bourgeoise du rapport parti/conseils.
La bourgeoisie, demain, jouera sur tous les tableaux. Croyons-nous sérieusement que la bourgeoisie n'arrivera pas à pénétrer les conseils ? Ou qu'elle va compter sur les prétendus "réflexes conseillistes" des ouvriers pour défendre son système ? Ou sur des "organisations conseillistes", des "individus petits-bourgeois", comme dit la Revue internationale ? Soi disant les conseils, dans un soubresaut "anti-partidaire", vont interdire tous les partis et la bourgeoisie dirait : "ah bon, au moins, il n'y aura pas le parti prolétarien" ? Du bout des lèvres, la Revue Internationale n°40 semble admettre la présence des "syndicalistes de base" dans des conseils, mais comment? Comme individus ? La bourgeoisie va compter sur de vagues individus ? Et d'ailleurs, qui est derrière les syndicalistes de base sinon les gauchistes, staliniens et d'autres expressions politiques organisées ? La lutte ne se fera pas fondamentalement autour de savoir si nous sommes un parti ou non mais autour du programme et la nécessité de l'assaut révolutionnaire.
Cette théorie détourne l'attention du véritable danger essentiel pour la classe ouvrière - l'Etat capitaliste et ses prolongements
au sein de la classe ouvrière - et ne fait qu'émousser dans la confusion notre critique du substitutionnisme présenté comme le "moindre mal".
AUJOURD'HUI ET DEMAIN
Un ne peut pas oeuvrer vers la dictature du prolétariat, accélérer le développement de la prise de conscience au sein du prolétariat, en présentant le substitutionnisme et 1'anti-partitisme comme des notions en soi dont on doit comprendre l'une mais où il ne serait pas grave que l'on ne comprenne pas l'autre. La seule façon de contribuer est en comprenant que la véritable critique de ces deux notions ne peut se faire que par une critique de leur fondement commun et par la compréhension du véritable rapport parti/conseils dans l'assaut contre l'Etat.. .
De plus, ce n'est pas comme si la classe n'avait jamais trouvé la voie vers le dépassement de la contradiction substitutionnisme/anti-partitisme. Même au cours de la première vague révolutionnaire, le prolétariat a su donner naissance à des positions politiques du KAPD qui, tout en rejetant le substitutionnisme, réaffirme la nécessité d'un parti avec une esquisse de son véritable rôle. Même à bout de forces, le prolétariat de ce temps-là a laissé un héritage de la résolution de ce problème et, étant le point le plus haut de la dernière vague, sera une base pour la renaissance du mouvement ouvrier de demain.
Une des grandes faiblesses des révolutionnaires a toujours été de vouloir expliquer le développement lent, heurté, difficile de la conscience de classe au travers de toute l'histoire du mouvement ouvrier, par des tares dans le prolétariat lui-même (son "trade-unionisme", son "anarchisme", son "conseillisme", son "intéqration au capitalisme", etc.) .Cette nouvelle théorie ne fait que traduire un découragement face aux difficultés qu'a la classe à entrer dans une lutte générale, à affirmer ses propres perspectives de société et d'organisation. Cette difficulté générale ne disparaîtra qu'au cours du développement des luttes, avec l'expérience acquise au cours de ces luttes, qui lui permettra de redécouvrir toutes ses potentialités historiques. Et ces potentialités, ce n'est pas seulement le parti, mais aussi les conseils et le communisme lui-même. Aller chercher le danger de conseillisme dans la difficulté de la classe à s'affirmer en tant que telle, c'est créer une mystification.
La classe ouvrière n'est pas plus fondamentalement minée par le conseillisme que par le léninisme ou le bordiguisme mais doit péniblement se débarrasser de tout le poids de la contre-révolution.
La preuve que la contre-révolution est en train de se désagréger des deux côtés, c'est la décantation de ces derniers 15 ans dans le milieu politique du prolétariat. Les idées bourgeoises sur le substitutionnisme et 1'"anti-partitisme" trouvent leurs principaux défenseurs dans les rangs de l'appareil politique de la classe ennemie (le gauchisme, les libertaires etc..) mais à cause de la confusion de la contre-révolution, des courants prolétariens sclérosés ont continué à défendre ces positions sous différentes formes. C'est justement la réapparition des luttes prolétariennes qui donne la possibilité de balayer ces positions vestiges du passé, soit par la clarification de ces groupes, soit par la disparition des groupes sclérosés. Ce n'est pas encore une situation révolutionnaire où des organisations défendant des positions bourgeoises passent directement dans le camp ennemi mais la pression de l'accélération de l'histoire, à défaut de la clarification (cf. les conférences internationales) produit (comme le processus de perte des illusions dans la classe) une décantation dans son milieu politique.
Après 15 ans de décantation, aussi bien la tradition de la Gauche hollandaise que celle de la Gauche italienne est tombée dans une décomposition politique et organisationnelle : les conseillistes et le PCI (Programme Communiste). La période de la contre-révolution a vu le développement du conseillisme et du bordiguisme mais le nouveau cours historique de nos jours voit l'inadéquation et la dégénérescence des deux pôles.
Sur la question clef de notre époque, le chemin de la politisation des luttes ouvrières, les deux pôles du passé montrent leur inadéquation historique par une sous-estimation, une incompréhension de la reprise actuelle et tout ce qu'elle contient dans son devenir. Ni le conseillisme, ni le bordiguisme ne peuvent comprendre par quel chemin viendra la révolution de demain, ne peuvent comprendre le cours historique.
Le refus de la discussion de Programme Communiste, le sectarisme et le sabotage des conférences internationales par "Battaglia Comunista" et le CWO ont, autant que la stérilisation des énergies révolutionnaires par le conseillisme, empêché le processus de clarification et de regroupement des révolutionnaires.
L'article de la Revue Internationale n°40 ne donne aucune explication de cette décantation historique dans le milieu prolétarien parce que la nouvelle théorie du "conseillisme, le plus grand danger" ne peut pas l'expliquer.
Où est le conseillisme, le plus grand danger, dans le milieu prolétarien aujourd'hui? Le CCI semble vouloir polémiquer avec des fantômes. Dans la Revue Internationale n°40, c'est "Battaglia" et le CWO qui sont des "conseillistes" parce que leurs groupes d'usines seraient un exemple des erreurs du KAPD sur les "unions". Ainsi, la bonne vieille idée des "courroies de transmission" et des "gruppi sindicali" est devenue aussi la- preuve du "conseillisme" ?
L'article de la Revue Internationale, en cherchant désespérément le "plus grand danger" aujourd'hui, se fixe sur l'idéologie petite-bourgeoise individualiste qui représenterait un danger mortel dans les conseils alors que déjà aujourd'hui, la situation démontre qu'il n'y a plus de possibilité de s'en sortir individuellement, que le temps de la "démerde" est dépassé avec 63 il y a longtemps, qu'il n'y a plus que la lutte collective qui puisse faire face, on ne peut pas sérieusement maintenir que "le plus grand danger" sera "l'individualisme petit-bourgeois" dans la révolution.
L'évolution future du milieu politique ne sera pas la répétition de mai 68. Croire que le poids de la petite-bourgeoisie ne se traduit que par la défense des idées "conseillistes" est un leurre.
Le milieu politique prolétarien de demain se formera sur les leçons de la décantation de ces 15 dernières années. Le conseillisme ne sera pas plus le plus grand danger de demain qu'il ne l'était par le passé.
LES ORIGINES DU DEBAT
Quand une organisation introduit le raisonnement du moindre mal, elle ne dit jamais explicitement qu'il faut tordre les principes. C'est plutôt une logique d'engrenage.
Ainsi, comme dit l'article de la Revue Internationale n°40, une confusion a surgi dans l'organisation à propos de la "maturation souterraine de la conscience de classe" : d'une part, un rejet de la possibilité de développement de la conscience de classe en dehors des luttes ouvertes (et l'idée que la conscience de classe n'est qu'un reflet de la réalité sans la reconnaître comme un facteur actif) et d'autre part, une théorisation selon laquelle les difficultés qu'éprouve le prolétariat à dépasser l'encadrement syndical nécessiteront un saut qualitatif dans la conscience qui s'effectuera à travers une pure "maturation souterraine" pendant un "long recul" après la défaite en Pologne. Outre cette idée d'un long recul qui a été vite démentie par le ressurgissement de la lutte de classe, ce débat a posé (sans la résoudre entièrement) la difficulté de comprendre concrètement - et pas seulement en théorie - le chemin de la politisation des luttes ouvrières à partir des résistances à une crise économique et le cadre général que donne la décadence pour la maturation des conditions subjectives de la révolution.
L'existence d'une maturation souterraine de la conscience de classe, le développement d'une conscience révolutionnaire latente dans la classe ouvrière à travers toute son expérience face à la crise et par l'intervention des minorités communistes en son sein, est un élément fondamental de toute la conception du CCI, la négation à la fois du conseillisme et du bordiguisme. Il était donc nécessaire de réagir contre ces confusions et de clarifier en profondeur. Bien que la maturation souterraine soit rejetée à la fois explicitement par "BattagliaVCWO par exemple (cf. Revolutionary Perspectives n°21), ce rejet étant parfaitement conséquent avec la théorie "léniniste" de la conscience "trade-unioniste" de la classe (que Lénine a défendu à diverses reprises mais pas toujours); à la fois par les théorisations du conseillisme dégénère (mais pas par toute la Gauche hollandaise du temps des communistes des conseils avant la 2ème guerre), l'organisation a décidé que le rejet de la maturation souterraine était en lui-même uniquement le fruit du conseillisme latent en nos rangs. L'apparition dans les débats à un moment donné d'une vision non-marxiste qui a réduit la conscience à un simple épiphénomène, bien que cette vision nie aussi bien le rôle de la conscience révolutionnaire hétérogène mais inhérente à la classe dans son ensemble que le rôle actif des minorités révolutionnaires, a été interprétée aussi unilatéralement comme une négation du parti. Par conséquent, dans une résolution qui voulait résumer ce que nous avons appris de ce débat se trouve la formulation citée dans la Revue Internationale n°40 :
"Même si elles font partie d'une même unité et agissent l'une sur l'autre, il est faux d'identifier la conscience de classe avec la conscience de la classe ou dans la classe, c'est-à-dire son étendue à un moment donné... Il est nécessaire de distinguer ce qui relève d'une continuité dans le mouvement historique du prolétariat : 1'élaboration progressive de ses positions politiques et de son programme, de ce qui est lié aux facteurs circonstanciels : l'étendue de leur assimilation et de leur impact dans la classe."
C'est au moment des "réserves" sur cette formulation que s'est introduite dans l'organisation la nouvelle orientation du "conseillisme, le plus grand danger", du "centrisme par rapport au conseillisme" et da centrisme appliqué à l'histoire du mouvement ouvrier dans la période de décadences-La minorité actuelle qui se constitue en tendance se situe contre 1'ensemble de cette nouvelle orientation, considérant qu'elle pose le danger d'une régression dans notre armement théorique.
L'ENJEU DU DEBAT ACTUEL
Cet article devait se donner pour tâche essentielle de répondre à la théorisation du "conseillisme, le plus grand danger" dans la R.Int No 40. Mais même si ces débats n'ont eu qu'une faible répercussion dans notre presse jusqu'à présent, la façon dont World Révolution (W.R., déc. 84) a exposé 1'ensemble de la nouvelle théorisation fait ressortir beaucoup plus clairement les enjeux. Pour ne citer que notre presse extérieure :
- Dans W.R., la conception kautskyste de la conscience de classe est caractérisée comme un "bug-bear" ("un épouvantail fait de vains fantômes") ; le danger de substitutionnisme n'est qu'une simple diversion introduite par des "conseillistes qui n'osent pas dire leur nom" (R.Int. No 40). On escamote de plus en plus le fait que donner un rôle bourgeois au parti ne défend pas mieux son rôle indispensable que de rejeter toute notion de parti. Les deux conceptions, aussi bien l'une que l'autre, nient la fonction réelle du parti.
- "Le CCI, comme le KAPD et BILAN, est convaincu du rôle décisif du parti dans la révolution. " (R.Int. No 40) Mais le KAPD et BILAN n'ont pas la même conception du rôle et fonction du parti pourquoi escamoter cela ? Il est vrai que la Gauche italienne a subi une régression après BILAN mais elle a toujours fondamentalement adhéré aux conceptions de Bordiga sur le parti pendant toute son histoire. BILAN a commencé à faire une critique très importante notamment sur le parti en tant qu'appareil étatique, mais il republie comme siens les textes de Bordiga sur le rapport parti-classe avec le même manque de compréhension du rôle des conseils (vu unilatéralement sous l'angle de la lutte anti-Gramsci ) et le développement de la conscience et la théorie de la médiation. De plus, les conceptions d ' INTERNATIONALISME des années 40 sur le parti et son rôle ne sont pas identiques à celles de BILAN. Et il y a toute une évolution encore entre les positions d ' INTERNATIONALISME sur le développement de la conscience et celles du CCI.
- Dans Révolution Internationale du mois d'octobre 1984 (N° 125), les éléments chauvins Frossard et Cachin sont rebaptisés "centristes" et "opportunistes", donc prolétariens selon la définition, tandis qu'en réalité ce sont des éléments contre-révolutionnaires. Les appeler "centristes" sur le modèle des tendances au sein du mouvement ouvrier dans l'ascendance n'a servi dans le passé qu'à fournir une couverture idéologique à la politique désastreuse suivie par l'I.C, contre la Gauche, dans la formation des partis communistes en occident (y compris la fusion du KPD avec l'USPD). Mais le grave danger que l'utilisation du concept du "centrisme" dans la décadence représente pour toute organisation révolutionnaire se voit deux mois après dans Révolution Internationale de décembre 1984 (No 127) dans un article qui considère que le PCF était "centriste", c'est-à-dire, dans 1''erreur mais sur le terrain prolétarien, jusqu'en 1934 ! Et ceci en contradiction avec le Manifeste de la fondation du CCI : "1924-1926 : le début de la théorie du "socialisme dans un seul pays" ;cet abandon de l'internationalisme a signifié la mort de l'Internationale Communiste et le passage de ses partis dans le camp de la bourgeoisie". (R.Int. No 5)
Il est largement temps, quelles que soient les confusions sur l'utilisation des termes centrisme-opportunisme dans le passé et même dans notre organisation, de se rendre compte aujourd'hui que la conciliation avec la position de la classe ennemie dans l'époque du capitalisme d'Etat se manifeste par la capitulation directe à l'idéologie capitaliste et son acceptation et non plus - comme à la fin de la période ascendante- par l'existence de positions "intermédiaires", des positions ni marxistes ni capitalistes. Et il faut s'en rendre compte avant que par cette brèche ne se gangrènent tous nos principes de base.
Les débats actuels surgis à la suite d'une accélération de l'histoire, sont le prix que paie le CCI pour l'insuffisance de son approfondissement théorique et historique au cours des années passées.
Toute tentative d'appliquer de façon cohérente les notions de "conseillisme le plus grand danger" ne peut qu'aboutir à une remise en cause des positions du CCI sur la conscience de classe, pierre de touche d'une compréhension correcte de la lutte de classe et du rôle du futur parti en son sein ; sur les leçons de la première vague révolutionnaire ; sur le capitalisme d'Etat et sur les frontières de classe entre bourgeoisie et prolétariat.
De la capacité du CCI à dépasser ses faiblesses actuelles et à mener à bien les débats actuels dépendra en grande partie notre capacité à être à la hauteur des combats de classe futurs.
J.A.
De la Grande Bretagne à 1'Espagne, du Danemark au Brésil et à l'Afrique du Sud, les luttes ouvertes de la classe ouvrière ne se ralentissent dans une pays que pour exploser plus violemment dans un autre la défaite des mineurs britanniques ne fut pas, comme celle des travailleurs polonais, suivie d'une période de reflux au niveau international.
C'est tout le sous-sol de l'ordre social capitaliste qui continue d'être lentement, mais systématiquement sapé et retourné par l'affirmation d'un mouvement de fond prolétarien. Un mouvement qui comme le montre les récentes grandes luttes ouvrières, tend de plus en plus à toucher les grands centres industriels de chaque pays (souvent encore relativement préservés). Un mouvement qui à travers des heurts de plus en plus répétés avec les appareils syndicaux, leurs stratégies de démobilisation et de démoralisation et avec leurs formes "radicales", "de base", se fraie un chemin en poussant de plus en plus ces combats vers l'extension et 1'auto-organisation.
PERSPECTIVES DE LA TROISIEME VAGUE DE LUTTE DE CLASSE
Nombre d'ouvriers, nombre de groupes révolutionnaires ont cru que la défaite de la grève des mineurs en Grande-Bretagne marquait la fin de l'actuelle vague internationale de lutte, vague que nous vivons depuis septembre 1983, depuis la grève du secteur public qui avait paralyse la Belgique pendant deux semaines. Ils ne voyaient pas de différence entre la défaite subie en Pologne en 1981 et la défaite dans la grève des mineurs en Grande-Bretagne. Il y a défaite et défaite. Le 13 décembre 1981 marquait le début d'une période de recul international de la lutte. Aujourd'hui, il n'en est rien. En plus, cette grève des mineurs dans le plus vieux pays capitaliste a porté un sérieux coup aux illusions colportées par le syndicalisme sur le corporatisme. Dans notre tract distribué dans dix pays sur les leçons de la grève des mineurs, nous soulignons que " la longueur de la lutte n’est pas sa force réelle. Face aux grèves longues, la bourgeoisie sait s’organiser : elle vient de le prouver. La véritable solidarité, la véritable force des ouvriers, c’est l’extension des luttes. " (C.C .I., le 8 mars 1985). Les mouvements de grève au Danemark et en Suède nous enseignent que le prolétariat est en train de tirer immédiatement les leçons.
Ces ouvriers et ces révolutionnaires étaient ainsi les victimes à la fois du silence presque complet des médias sur l'existence de mouvements et de grèves dans le monde entier, et à la fois de la propagande délibérée de l'ensemble des bourgeoisies nationales sur la prétendue absence de combativité ouvrière aujourd'hui.
Cette propagande est mensongère. Nous renvoyons le lecteur à toutes nos Revues Internationales de 1984, ainsi qu'aux différents journaux et revues territoriaux du CCI. Même s'il faut reconnaître que dans certains pays comme l'Italie et la France, le mécontentement ouvrier ne s'est pas vraiment exprimé depuis le printemps 1984. Nous y reviendrons.
Comme nous l'avons souvent déjà dénonce, la censure, le silence, le "black-out" de la presse bourgeoise sont presque totaux sur les grèves ouvrières. De plus en plus une des tâches des organisations révolutionnaires va être de fournir dans leur presse ces informations indispensables. Pour cela, il faut que ces mêmes organisations sachent reconnaître l'existence de cette troisième vague de lutte et obtenir des informations. Ces questions sont politiques. Pour la première, nous renvoyons le lecteur à l'article paru dans le dernier numéro de cette revue, sur la méthode. La seconde dépend de la capacité politique des groupes révolutionnaires à être de réelles organisations centralisées et internationales (Revue Internationale No 40, "10 ans du CCI.")
Jamais dans l'histoire du prolétariat, une telle simultanéité internationale de lutte n'a existe. Jamais. Pas même durant la vague révolutionnaire des années 1917-23. En l'espace d'un an, c'est tous les pays d'Europe occidentale (sauf peut-être la Suisse) qui ont vécu des luttes défensives ouvrières contre l'attaque généralisée du capitalisme. Ces luttes ouvrières ont lieu en même temps. A plusieurs reprises dans les mêmes pays, voire les mêmes secteurs. Elles ont les mêmes causes et les mêmes revendications. Elles se confrontent aux mêmes obstacles que leur opposent les différentes bourgeoisies : l'isolement et la division.
Cette similitude et cette simultanéité internationales des luttes ouvrières dégagent la perspective de la généralisation consciente de ces dernières dans les principaux pays européens. Perspective qui avait été si cruellement absente en 1980-81 et avait laissé la classe ouvrière isolée en Pologne. De la capacité du prolétariat à généraliser son combat dépend sa capacité future à passer à l'offensive contre les différents Etats capitalistes afin de les détruire et d'imposer sa dictature de classe et le communisme.
Nous n'en sommes pas là. Bien loin encore. Cependant, Si peu d'ouvriers en sont conscients, le chemin est déjà entrepris. Non pas dans la généralisation internationale même, mais dans les différentes tentatives encore timides d'extension et d'auto-organisation. Ou plutôt, dans l'effort d'organiser l'extension des différentes luttes, dans l'effort de rompre l'isolement et la division maintenus par les syndicats entre usines, corporations, villes, régions, entre jeunes et vieux, ouvriers avec encore du travail et ouvriers au chômage. Et c'est là que se trouve l'inévitable et nécessaire Chemin vers la généralisation internationale consciente des luttes ouvrières.
Dans la Revue Internationale No 37, nous avons su reconnaître la reprise de la lutte de classe qui venait d'avoir lieu. Nous en avons dégagé la signification par rapport à la défaite subie par le prolétariat en Pologne en 1981 et le recul international des luttes qui s'en est suivi. Nous en avions aussi relevé les caractéristiques qui se sont amplement vérifiées. Dans ces derniers mois et particulièrement en avril :
1) la tendance au surgissement de mouvements spontanés ne s'est pas démentie. En Espagne, à Valence (Ford), dans les postes à Barcelone, à Madrid, se sont déclenchés des mouvements qui ont surpris les syndicats. Dans les postes toujours, dans les mines encore, et dans d'autres secteurs, se sont déroulées des grèves sauvages, "illégales" contre l'avis des syndicats en Grande-Bretagne.
Mais c'est surtout la grève de 300 000 ouvriers au "petit" Danemark de 3 millions d'habitants, qui a le plus clairement exprimé cette tendance au surgissement de mouvements spontanés. Après l'appel du syndicat L.O. à reprendre le travail, 200 000 travailleurs restent en grève presque jusqu'à la mi-avril.
Autre confirmation de cette caractéristique, les surgissements spontanés de manifestations de chômeurs à Barcelone, et de comités de chômeurs en France. Ils sont encore isolés et peu nombreux, mais nous savons qu'ils vont se multiplier.
C'est toujours contre ou malgré les syndicats que surgissent ces mouvements spontanés. Et cela, malgré leur attention et leur "prévoyance", un an et demi après la reprise des luttes. Et cela, malgré la volonté syndicale d'occuper le terrain à coups de "journées d'action".. C'est dire la conscience croissante parmi les ouvriers de la nécessité de prendre l'initiative dès le début des grèves et des luttes, de ne pas la laisser dans les mains des syndicats.
2) la tendance à des mouvements de grande ampleur frappant tous les secteurs est elle aussi toujours présente. Evidemment, la meilleure illustration en est la grève au Danemark qui a paralysé tous les secteurs de la production. Au même moment, en Espagne, c'est dans l'automobile (Ford et Talbot), dans les chemins de fer, les chantiers navals, dans les postes, parmi les ouvriers agricoles, etc.
En Suède, en mai, ce sont 20 000 travailleurs de la fonction publique qui se mettent en grève. Un mois après le Danemark. 80 000 sont lock-outés. Une grande partie du pays est paralysée. Au même moment, de petits mouvements éclatent dans les usines automobiles, vite étouffés.
Au Brésil, 400 000 travailleurs ont pris part au mois de mars, d'avril et de mai, aux mouvements de grèves dans les usines d'automobiles et métallurgiques de Sao Paolo, dans les services publics et les transports.
Ces quelques exemples récents s'ajoutent aux précédents en Belgique, en France l'an dernier, à la Grande-Bretagne l'été passe, etc.
Au moment d'écrire cet article, depuis plusieurs jours, se poursuit aux Pays-Bas, une grève de quelques 150.000 travailleurs de la Construction, tandis que l'aéroport de Schipol-Amsterdam est bloqué par les aiguilleurs et les travailleurs au sol qui sont en grève. Le trafic est détourné sur Bruxelles-Zaventem où des menaces de grève se font aussi sentir. De plus en plus, la question qui se pose au prolétariat dans chaque pays est d'organiser et de coordonner ces luttes massives qui tendent à dépasser tout corporatisme et toute division.
3) la tendance à l'auto organisation et à l'extension s'affirme chaque fois davantage.
En Espagne, les ouvriers des postes à Barcelone et les ouvriers agricoles de Sagunto furent capables de produire des assemblées générales souveraines ouvertes à tous et en particulier aux groupes révolutionnaires. Mais dans la mesure où la principale fonction de ces assemblées -l'extension de la lutte- n'a pu se réaliser, celles-ci furent vidées de leur sang, de leur raison d'être, de leur caractère de classe, d'organe de lutte par les syndicats. Ce sont la C.N.T. (le syndicat anarchiste) et les Comisiones Obreras -CCOO- (syndicat du P.C.) qui finirent par prendre en main le comité de grève de Barcelone. Ce sont eux qui réussirent finalement à exclure le CCI. de l'assemblée générale alors que nous défendions la nécessité d'étendre la grève. Ce sont eux qui sabotèrent la grève en l'étouffant dans l'isolement.
C'est le même problème que n'avaient pas su résoudre les ouvriers des mines et des docks lors de la grève de ces derniers en solidarité avec celle des mineurs en Grande-Bretagne. C'était les syndicats qui avaient gardé le contrôle des assemblées et de l'"organisation" des grèves. Désorganisation plutôt.
Sans extension, l'auto organisation perd son sens et sa principale fonction aujourd'hui, et les assemblées sont vidées de leur contenu par les syndicats.
Par contre, au Danemark, c'est le problème inverse auquel s'est confronté le prolétariat. L'extension fut réalisée parfois par des meetings tenus par les ouvriers de différentes usines. Déjà, dès le 17 mars, juste avant l'éclatement de la grève à tous les secteurs, la section du CCI en Suède écrivait sur l'accélération des événements au Danemark "faisant face à une attaque terrible de leurs conditions de vie, la baisse des salaires et le chômage croissant (environ 14 %, mais beaucoup plus dans la région de Copenhague), les ouvriers du Danemark sont prêts à lutter. Le fait que les dockers, tout comme les conducteurs d 'autobus, victimes des manoeuvres de la bourgeoisie avec la social-démocratie dans 1'opposition lors des grèves de 193.2-84, ne soient pas défaits, mais bien au contraire aux premières lignes de la situation actuelle, confirme notre analyse de la présente période et, plus important encore dans la situation actuel le, le potentiel d'extension exprimé dans les différentes grèves de ces dernières semaines, et même dans le fait que la bourgeoisie se prépare à appeler a une grève générale de manière à s'opposer à la conscience de plus en plus généralisée au sein de la classe de la nécessité de lutter et d'étendre ses luttes." (17 mars 1983) Difficile de mieux prévoir !
Contrairement à l'Espagne, au Danemark l'extension et l'unification se sont dans un premier temps réalisées. Les ouvriers se sont alors heurtés à la difficulté de coordonner leur lutte, de la contrôler, de l'organiser au moyen d'assemblées générales, de comités de grève. Ils laissèrent les mains libres à la bourgeoisie, particulièrement au syndicalisme de base, aux fameux "tillidsmen" tenus par le P.C. ("hommes de confiance", équivalent des "shop-stewards" en Grande-Bretagne) pour désorganiser le mouvement, le dévier, remplacer les revendications initiales sur les salaires par "les 35 heures" et la "démission du gouvernement Schuter", de droite, jusqu'à freiner, puis détruire le début prometteur d'unification de la lutte.
C'est pour cela que le tract que le CCI a distribué le 8 avril à la grande manifestation à Copenhague appelait les ouvriers à"prendre 1'initiative afin de repousser la bourgeoisie qui veut briser l'unité grandissante des luttes ouvrières
Le seul moyen d'y parvenir est d'organiser la lutte eux-mêmes :
- en appelant à des assemblées massives dans les lieux de travail qui élisent des comités de grève responsables uniquement devant 1'assemblée et révocables s'ils n'appliquent pas les décisions de 1'assemblée;
- en envoyant des dé légat ions aux autres lieux de travail pour demander aux autres ouvriers de se joindre à la grève en prenant l'initiative de discussions communes sur les revendications et les besoins de la lutte."
Sans contrôle de l'ensemble des ouvriers en lutte sur leurs organes de combat dont ils se dotent, assemblées, piquets de grève, délégations, comités, pour regrouper et unifier l'ensemble des ouvriers, la bourgeoisie et ses syndicats reprennent pied, occupent le terrain et vident et les organes de lutte et les buts de la lutte et les revendications de leur contenu prolétarien, de leur contenu unificateur. Sans auto organisation, il ne peut y avoir de réelle et durable ex-tension, de réelle unification du combat prolétarien.
4) Nous avons déjà souligné l'existence et l'importance de la simultanéité des luttes d'aujourd'hui : Entre janvier et mai 198 5, c'est la Grande-Bretagne, l'Espagne, les Pays-Bas, où des dizaines de luttes contre les licenciements se déroulent, plus de 200 000 grévistes en Grèce, au Portugal ; 500 000 au Danemark et jusqu'à la Norvège et la Suède, après l'Islande en octobre où toute l'île fut paralysée durant plusieurs semaines par une grève générale de tout le secteur public.
Nous ne pouvons citer tous les pays européens où eurent lieu des mouvements significatifs et où la tension et la combativité sont grandes. Mais malgré le silence de la bourgeoisie, n'oublions pas les grèves ouvrières qui ont eu lieu en Afrique du Sud, au Chili, au Brésil.
La liste pourrait être encore plus longue, surtout si nous la reprenions depuis septembre 1983. Dans cette simultanéité internationale, le prolétariat répond au problème posé en 1981 par l'isolement du prolétariat en Pologne. "Comme en Pologne, la bourgeoisie va essayer d'isoler la lutte des ouvriers au Danemark." (tract du CCI au Danemark, le 8 avril 1983). La simultanéité des grèves ouvrières"exprime une prise de conscience de la classe de ses intérêts et constitue un pas vers la capacité d'unifier son combat internationalement."(Revue Internationale No 40). Avec la simultanéité nationale et internationale des luttes, l'extension et son organisation sont directement et concrètement réalisables. C'est pour cela que la bourgeoisie avec ses partis de gauche dans l'opposition et ses syndicats tente d'occuper le terrain social afin de tuer dans l'oeuf la moindre volonté d'unification des ouvriers en lutte. Ce combat contre les syndicats et la gauche, pour l'extension et l'unification des luttes ouvrières, va déterminer le développement de la perspective de généralisation internationale de ces luttes. Avec la simultanéité, cette généralisation trouve un terrain éminemment favorable.
5) Parmi les caractéristiques de la troisième vague que nous venons de voir, certaines se sont précisées. En particulier :
- de plus en plus, les grèves ont lieu dans les secteurs clé de l'industrie ; de plus en plus, dans les grandes concentrations ouvrières et dans les grandes villes ;
- les revendications tendent à devenir plus globales. Elles portent essentiellement sur les salaires et sur tout sur le chômage. Comme le notait notre section aux Pays-Bas dans un communiqué sur la lutte de classe dans ce pays,"la question du chômage est l'élément essentiel, crucial pour le développement des combats ouvriers. Tous les licenciements annoncés presque sans cesse poussent en permanence les ouvriers à se mettre en lutte."
6) Enfin la dernière caractéristique que nous avions mise en évidence s'est largement confirmée elle aussi: le rythme lent du développement des luttes.
Les ouvriers en Europe se trouvent être au centre de cette troisième vague de lutte ; même si les luttes du prolétariat des autres continents sont importantes, tant dans l'immédiat que pour le futur, même si ces luttes sur les autres continents s'intègrent tout à t'ait dans cette vague. Mais ce sont les ouvriers d'Europe occidentale qui l'ont déclenchée ; c'est eux qui en déterminent le rythme. Ils sont confrontés à l'éventail complet des mystifications bourgeoises et en particulier à la démocratique et à la parlementaire. C'est dans ces vieux pays d'Europe que la bourgeoisie a su le mieux se préparer à attaquer le prolétariat. Pour cela, elle a disposé ses principales forces de gauche (PS, PC, rejoignent les trotskystes et autres gauchistes) dans l'opposition sans responsabilité gouvernementale, leur permettant ainsi de dévoyer et de saboter les luttes de l'intérieur en se présentant comme les défenseurs des ouvriers (cf. Revue Internationale n°26).
Dans cette mesure, il ne fallait pas, et il ne faut toujours pas s'attendre à de brusques surgissements spontanés de la grève de niasse comme c'était arrivé en Pologne en 1980. Non. C'est au contraire à l'issue d'un processus long et difficile d'affrontement à la gauche dans l'opposition et aux syndicats, que le prolétariat sera capable de développer des grèves de masse et la généralisation internationale de son combat.
C'est donc à un rythme lent que se développent les luttes dans^ cette troisième vague. Mais il ne faut pas s'en inquiéter. Bien au contraire, si le rythme est lent, la profondeur de la réflexion, de la maturation de la conscience, de l'affrontement n'en est que plus certaine. A travers cette confrontation au cours des luttes contre la gauche et le syndicalisme, la classe ouvrière cherche la voie de son combat contre le capitalisme, elle commence à reconnaître ses ennemis et surtout ses faux amis, elle apprend à lutter et use les mystifications démocratiques et syndicales pour l'ensemble du prolétariat international. Sa conscience de classe s'étend et s'approfondit.
LE SYNDICALISME : LE FER DE LANCE DE L'ATTAQUE DU CAPITALISME CONTRE LA CLASSE OUVRIERE
1) Une stratégie de démobilisation
Une des principales armes qu'emploient les syndicats est l'arme des "journées d'action". Oh, non pas pour mobiliser les ouvriers sur des mystifications syndicales comme ils le faisaient dans les années 70. Non, ça ne marche plus d'ailleurs. Il s'agit pour la bourgeoisie d'occuper le terrain par ses syndicats, d'ôter toute initiative aux ouvriers, les déboussoler et les démoraliser en essayant de leur faire rentrer dans la tête que décidemment "la lutte ne paie pas".
Et pour cela, les journées d'action par secteur, par usine, ou par ville ou région - quand elles ne sont pas de grosses concentrations ouvrières- sont utilisées au maximum : un mécontentement, une menace de licenciement, une tension régnant quelque part, immédiatement les syndicats proposent pour "mobiliser", "préparer" et "étendre la lutte" une journée d'action à une date lointaine car "il faut se préparer sérieusement" ; et ils prévoient même parfois une manifestation, voire une marche sur la capitale, mais là aussi, à une date indéterminée et une fois précisée... repoussée une, deux fois, etc.. Ils convoquent à la "journée" sur des revendications catégorielles, ou ils appellent à la manifestation, et surtout aux "marches" sur les capitales en prenant bien soin de ne pas indiquer, ou seulement au dernier moment, l'heure et le lieu ! Ils s'assurent ainsi qu'aucun groupe d'ouvriers d'autres secteurs ne viendra rejoindre la manifestation. Ils s'assurent ainsi contre tout danger de regroupement ouvrier, d'unification et d'extension des luttes et des manifestations. Ils immobilisent ainsi, dans un premier temps, la classe ouvrière pour, dans un deuxième temps, faire croire que ce sont les ouvriers qui sont apathiques, qui ne sont pas combatifs. Ils tentent par cette stratégie d'entretenir dans la classe ouvrière un manque de confiance dans ses propres forces, une passivité qui permette de faire passer les attaques des conditions de vie. Et lorsque la lutte s'enclenche néanmoins ils préviennent le mouvement de masse par une"grève générale", ou une "journée d'action" qui parodient l'extension et sanctionnent la démobilisation des ouvriers.
Des exemples ?
En Espagne, lors des grèves dans les chantiers navals, dans les postes. Les CCOO du P.C. sont très efficaces dans cette tactique de démobilisation. En France, lors de la manifestation des ouvriers de Renault menacés de licenciements le 10 mai dernier.
Parfois ça ne marche pas : comme au Danemark où, après avoir "promis une grève générale" dont l'appel fut repoussé à plusieurs reprises, le syndicat L.O. appela à la grève une fois celle-ci inévitable, vu la combativité. Cette arme, étroitement liée à la tactique de la gauche dans l'opposition, est particulièrement efficace en France jusqu'à présent. Les syndicats réussissent ainsi à déboussoler et à démoraliser les ouvriers; ils renforcent leur apathie et leur passivité en pariant sur la méfiance croissante des ouvriers à l'égard de la gauche et des syndicats. Le PC et son syndicat la C.G.T. en France. Cette tactique réussit à paralyser momentanément le prolétariat dans ce pays malgré un mécontentement croissant et lourd de menaces pour la bourgeoisie de ce pays.
En Italie, c'est encore plus subtil. La bourgeoisie immobilise l'attention sur l'organisation par les syndicats, le PC et les gauchistes, d'un référendum sur l'échelle mobile des salaires. Il faut donc réunir d'abord les signatures nécessaires pour que le référendum ait lieu. Première campagne de déboussolement. Ensuite sur le vote au référendum proprement dit. Deuxième campagne !
Seuls le Parti Communiste Internationaliste ("Battaglia Comunista"), "Il Partito" de Florence et le CCI ont su dénoncer cette manoeuvre contre la classe ouvrière. Mais celle-là ne pourra éternellement détourner l'attention des ouvriers face à l'accentuation de la crise et face à l'existence et au développement des luttes dans tous les pays.
2) Nous avons déjà à maintes reprises dénoncé le danger du syndicalisme de base pour la classe ouvrière.
C'est avec un langage radical, "opposé" aux dirigeants "modérés" du T.U.C., le syndicat britannique, que Scargill, le chef du syndicat des mineurs (N.U.M.) a pu maintenir la grève dans la corporation, ce qui l'a menée à son échec. Et pour cela, il n'a pas hésité à employer la "violence" des piquets de grève contre les bobbies anglais, du moment que ces piquets ne cherchaient pas à rompre l'isolement dont souffrait la grève. II a même été jusqu'à se faire matraquer, pas trop quand même, et se faire arrêter, pas très longtemps non plus.
Ce sont les "tillidsmen", les délégués à la base, qui ont réussi à ramener et à éteindre la grève au Danemark sur le terrain syndicaliste et bourgeois. C'est la C.N.T. anarchiste qui a saboté l'extension de la grève des postes à Barcelone.
Grâce à son langage radical, gauchiste, parfois violent, grâce à son contrôle sur les organes de lutte dont se dotent les ouvriers, un des dangers du syndicalisme de base pour le prolétariat est de pouvoir accomplir une des priorités de la bourgeoisie aujourd'hui: empêcher par tous les moyens la politisation des luttes, interdire aux organisations révolutionnaires ainsi qu'aux ouvriers les plus combatifs, d'intervenir dans les luttes.
C'est ainsi que les syndicats se sont violemment opposés à ce que le CCI prenne la parole à l'usine d'automobiles Jaguar en Grande-Bretagne. C'est ainsi que le PC danois, contrôlant les "tillidsmen" tentait de répandre le bruit que les militants du CCI étaient des agents de la CI.A. C'est ainsi que la C.N.T. et les CCOO ont fini, au bout de plusieurs jours d'efforts, par nous expulser de l'assemblée générale lors de la grève des postes à Barcelone.
C'est ainsi que les trotskystes de la IVe Internationale ont fini par interdire l'accès au CCI du comité de chômeurs à Pau en France en nous menaçant, entre autres, d'appeler la police !
Enfin, le dernier aspect du sale boulot que jouent le syndicalisme de base et les gauchistes est la tentative d'encadrer les chômeurs en renforçant le rôle des syndicats de chômeurs là où ils existent déjà, en les créant là où ils n'existent pas : en Belgique, où le chômage est depuis longtemps particulièrement important ils agissent au sein des organismes syndicaux destinés aux chômeurs (ceux de la FGTB et d'autres syndicats); en France ce sont principalement les gauchistes, le P.C., qui essaient aujourd'hui de "noyauter" les comités de chômeurs qui commencent à surgir afin d'empêcher qu'ils deviennent des, comités ouverts à tous les ouvriers en lutte ; afin d'éviter qu'ils deviennent des lieux de regroupement ouvrier et de discussion politique ; afin surtout de saboter toute tentative d'unification et de centralisation de ces différents comités ; afin d'isoler les sans-travail du reste de leur classe et les rendre impuissants dans leur combat quotidien à travers leurs revendications pour simplement manger et survivre.
QUE FAIRE ?
Malgré tous ces obstacles, la "gauche dans l'opposition" et le syndicalisme, le prolétariat trouve un "allié" dans l'approfondissement catastrophique de la crise économique du capitalisme. Celui-ci n'a plus rien à offrir à l'humanité, sinon plus de misère, plus de famine, plus de répression et pour fin une troisième guerre mondiale.
Le prolétariat n'est pas battu. L'actualité de cette troisième vague de lutte, sa dynamique, nous le prouvent amplement. Face à la terrible attaque qu'il subit, le prolétariat se doit de développer une réponse qui fasse peur à la bourgeoisie, une réponse qui inverse le rapport de force qui lui est aujourd'hui défavorable, une réponse qui lui permette de s'opposer réellement à l'appauvrissement universel et absolu que lui impose le capitalisme, une réponse qui lui ouvre la perspective de la généralisation internationale de sa lutte. C'est pour cela qu'il se doit de bien reconnaître qui sont ses ennemis, comment il doit les combattre et vers où le mène son combat. C'est tout le sens de la "politisation" de ses luttes.
Le prolétariat ne doit pas laisser l'initiative à la bourgeoisie, à ses partis de gauche et aux syndicats qui vont organiser l'isolement et la défaite. C'est aux ouvriers de prendre l'initiative. "Mais pour accomplir une action politique de masse, il faut d'abord que le prolétariat se rassemble en masse ; pour cela, il faut qu'il sorte des usines et des ateliers, des mines et des hauts-fourneaux et qu'il surmonte cette dispersion et cet éparpillement auquel le condamne le joug capitaliste."(Rosa Luxemburg, "Grève de masse, parti et syndicats"). C'est aux ouvriers à prendre l'initiative de la grève, des assemblées, des délégations aux autres usines, des comités de chômeurs, de leur union, des manifestations et des meetings ouvriers pour étendre et unifier les luttes. La bourgeoisie ne laissant pas le terrain libre, comme nous l'avons vu, c'est un combat qui va devenir de plus en plus permanent et quotidien. Cette bataille se déroule déjà sous nos yeux.
C'est aux éléments les plus combatifs, les plus conscients qui commencent à surgir un peu dans tous les pays, à prendre en main et à proposer l'initiative du combat prolétarien à l'ensemble de leur classe.
C'est aux organisations révolutionnaires qu'échoit "le devoir comme toujours de devancer le cours des choses, de chercher à le précipiter" disait Rosa Luxemburg, car elles sont appelées à en prendre de plus en plus la "direction politique". C'est pour cela que les ouvriers les plus combatifs, les groupes communistes doivent mener cette bataille politique quotidienne dans les usines, dans les assemblées, dans les comités, dans les manifestations. C'est pour cela qu'ils doivent s'imposer contre les manoeuvres des syndicats. C'est pour cela qu'ils doivent mettre en avant et défendre les revendications et les propositions de marche concrètes et immédiates qui vont dans le sens de l'extension, du regroupement et de l'unification des luttes.
De l'issue de cette bataille dépend la capacité du prolétariat à "accomplir une action politique de masse" qui fasse reculer momentanément la' bourgeoisie dans son attaque contre le prolétariat, et surtout, qui ouvre, grâce à la généralisation internationale de son combat, la perspective de l'assaut révolutionnaire du prolétariat contre le capitalisme, de sa destruction et de l'avènement du communisme. Pas moins.
26.3.83 R.L.
L'année 1984 s'est terminée en fanfare pour la capitalisme américain avec la réélection de Reagan à la présidence des Etats-Unis. Pendant toute sa campagne électorale, celui-ci a pu se targuer d'avoir vaincu la crise économique, d'avoir vaincu l'inflation revenue à 3,2 % en 1984, d'avoir résorbé le chômage en le ramenant de 9,6 % en 83 à 7,3 % en 84, d'avoir revitalisé la production avec un taux de croissance record de 6,8 % toujours en 84, et enfin d'avoir restauré la suprématie du roi-dollar dont le cours a culminé a clés sommets jamais atteints. On a ainsi vu s'orchestrer une grande messe à la gloire du capitalisme américain, à sa puissance, à sa santé, pour faire croire qu'enfin, après des années d'échec, la politique économique du matamore Reagan, les fameuses "Reaganomics" étaient la solution enfin trouvée à la crise économique mondiale qui, depuis deux décennies, fait de plus en plus gravement sentir ses effets sur l'économie planétaire.
Le capitalisme américain est puissant, nul ne peut le nier : pas simplement par la puissance de ses armes, mais surtout par la puissance de son économie qui contrôle la plus grande partie de l'économie mondiale. Les USA sont le premier producteur qui fournit 20 à 23 % du total de la production mondiale ; ils sont aussi le premier marché, la principale puissance financière dont la monnaie s'est imposée aux capitalistes du monde entier et avec laquelle se font 80 % des échanges mondiaux, et qui en 1982 constituait 11% des réserves de devises des grandes banques centrales des pays industrialisés. L'ensemble de l'économie mondiale dépend de la bonne santé du capitalisme américain, et si le capitalisme américain est puissant, par contre il est en mauvaise santé, et l'économie mondiale avec lui.
L'euphorie électorale passée, plus question de taux de croissance record du PNB pour 1983. Le ton a changé à Washington, le nouveau mot d'ordre de l'administration Reagan est : "il faut que l'économie américaine atterrisse en douceur." Dans la mesure où un "atterrissage" de l'économie américaine signifie un "atterrissage" de l'économie mondiale, et que nous sommes tous les passagers de cet avion là, on ne peut que se demander ce que signifie cette annonce du pilote.
Si l'économie américaine se porte si bien que l'a prétendu Reagan, pourquoi faut-il qu'elle atterrisse maintenant ? Les effets de la reprise américaine se sont à peine fait sentir sur l'économie européenne (Voir Tableau 1), alors que les pays sous-développés ont continué à voir leur économie s'effondrer systématiquement.
La reprise américaine n'a pas été une reprise mondiale, elle aura été brève ; c'est en fait une reprise avortée.
Cette situation montre, par rapport aux années 70, une très forte dégradation de l'économie mondiale. Les USA sont aujourd'hui incapables de répéter ce qu'ils avaient pu faire dans le passé : relancer provisoirement l'économie mondiale, jouer le rôle de locomotive. Aucune politique économique ne peut aujourd'hui permettre au capitalisme de masquer longtemps ses contradictions. La reprise américaine n'a pu se faire que par un endettement pharamineux des USA dont la dette publique dépasse aujourd'hui les 1500 milliards de dollars, et la dette cumulée de l'Etat, des entreprises et des ménages, le chiffre astronomique de 6000 milliards de dollars (2 fois le PNB annuel des USA), tandis qu'en 1985 les investissements étrangers aux USA deviennent supérieurs aux avoirs américains à l'étranger, les USA devenant ainsi débiteurs vis-à-vis du reste du monde. (Voir Revue Internationale n°41, "Dollar : le roi est nu"). Mais même les déficits budgétaires et commerciaux gigantesques accumulés par les USA ne sont pas suffisants pour résorber le trop-plein de surproduction de l'économie mondiale. Et cette politique, les USA ne peuvent continuer à la mener sans risquer rapidement une crise monétaire catastrophique autour du dollar. Il faut atterrir d'urgence, les USA ne peuvent maintenir leur taux de croissance, ils ne peuvent continuer à s'autoriser de tels déficits budgétaires et commerciaux. L'avion n'a plus beaucoup de carburant et ses moteurs fonctionnent mal.
UN SEUL TERRAIN D'ATTERRISSAGE : LA RECESSION MONDIALE
Dans la situation de marasme dans laquelle se trouve l'économie mondiale, une chute ou un arrêt de la croissance aux USA ne peut signifier qu'une plongée dans une récession mondiale profonde et durable : les pays sous-développés se sont toutes ces années enfoncés dans la récession sans issue pour en sortir. L'Europe et le Japon n'ont pu maintenir une croissance tout à fait relative que par l'ouverture du marché américain ; si celui-ci se contracte, ils seront les premiers touchés et menacés de voir leurs exportations, et donc leur production s'effondrer.
L'atterrissage dont nous parle le pilote va se faire sur un terrain en pente, sur la pente de la récession. Lors de la précédente récession, la production américaine avait chuté de 11 % entre1981et 1982. Mais le pilote se veut rassurant, il nous annonce un "atterrissage en douceur".
"Tout va bien" nous dit-on, mais les passagers commencent à être inquiets. Ces derniers mois ont vu le dollar jouer au yoyo, varier de plus de 10 % en quelques mois ; les faillites bancaires aux USA se sont multipliées et, comme en 1929, les épargnants paniques ont fait la queue devant les guichets fermés. Le temps est à la tourmente, l'avion est secoué. Pour le premier trimestre 85, les économistes de Washington prévoyaient un taux de croissance en baisse à 3 %. Après de constantes évaluations en baisse - 2,8 %, 2,1 %, 1,6 % - le gouvernement américain a du annoncer en mai un taux de croissance de 0,7 % pour le 1er trimestre 85, en rythme annuel. Le pilote navigue à vue, il ne sait trop où il va.
De plus, on ne peut qu'avoir quelques doutes sur sa capacité à piloter. L'échec de la reprise à la Reagan marque l'impuissance de la bourgeoisie face à la crise économique mondiale de surproduction. Les recettes de Reagan, malgré toute sa propagande, ne sont pas nouvelles, ce sont celles du capitalisme d'Etat : réduction des impôts pour relancer la consommation intérieure, grands programmes d'armement pour relancer l'industrie (195 milliards de dollars en 83, 184 en 84). Pour atténuer les secousses de la crise économique, pour empêcher l'effondrement de pans entiers de la production, l'Etat présidé par Reagan est obligé, comme tous les autres, d'intervenir de plus en plus fréquemment et de contrôler de plus en plus étroitement les processus économiques (Voir Tableau 2). Contrairement à tous ses discours, Reagan a quasi nationalisé la Continental Illinois en faillite, et subventionné l'agriculture américaine avec un budget de 2 milliards de dollars. Mais ces recettes éprouvées depuis 40 ans ne suffisent plus pour éviter la récession, l'effondrement de l'économie mondiale.
Reagan veut un "atterrissage en douceur", mais cette "douceur" signifie pour le prolétariat 5u monde entier encore plus de misère, encore plus de chômage. Dans la situation de combativité de la classe ouvrière aujourd'hui, avec l'aggravation de la situation économique, la situation sociale va devenir explosive. On comprend dans ces conditions que la bourgeoisie freine le plus possible cette plongée dans la récession, qu'elle veuille cet "atterrissage en douceur". Mais comment y parvenir ? La question qui se pose aux économistes du monde entier, ce n'est plus : comment sortir de la crise ; mais : comment y plonger le plus doucement possible.
Aujourd'hui, Reagan fait appel à ses alliés européens et japonais pour qu'ils relancent leur économie afin de contrebalancer les effets de la baisse de croissance américaine sur l'économie mondiale. Mais cette mesure ne peut être qu'un palliatif provisoire de plus, car c'est tout ce qui reste au capitalisme mondial ; freiner de toutes ses forces l'arrivée de l'inéluctable, la plongée accélérée dans une récession comme l'humanité n'en a pas encore connue.
Freiner la récession revient pour tous les Etats à s'endetter encore plus. Une telle politique, conjuguée avec la récession qui jette les ouvriers au chômage, plonge les entreprises dans la faillite, met les Etats en cessation de paiement, ne peut mener qu'à une explosion de l'inflation. Aujourd'hui, cette inflation continue à faire des ravages à la périphérie du capitalisme, dans les pays les moins développés, et ces derniers mois ont vu dans les pays les plus développés, qui croyaient l'avoir jugulé, son taux remonter : ainsi aux USA, si en 1984 l'inflation a été de 3,2 %, d'avril 84 à avril 85, elle a été de 3,7 %.
L"'atterrissage" dans la récession ne peut qu'avoir lieu, mais ils ne se fera pas "en douceur". Nul économiste de la bourgeoisie n'ose prévoir les conséquences de la fin de la reprise aux USA. Elles sont catastrophiques : chômage, misère, faillites, inflation. Mais si elles sont catastrophiques pour l'économie capitaliste, c'est d'abord sur le plan politique : l'aggravation des conditions de vie qui en découle pour la classe ouvrière ne peut que signifier une accentuation de la reprise de la lutte de classe qui se développe depuis l'automne 83. Avec l'effondrement de l'économie capitaliste, c'est, vu la combativité actuelle du prolétariat, la perspective révolutionnaire qui s'annonce comme seule alternative réelle.
JJ. 9/6/85.
Impitoyablement, le chômage fauche aujourd'hui des millions d'existences et s'impose comme le phénomène le plus important et marquant de la vie sociale dans tous les pays. Les mois et années à venir ne verront que se confirmer cette hémorragie.
Les grandes vagues de licenciements alimentent cette progression du chômage dont il y a quelques années, dans les pays industrialisés, l'arrivée sur un marché du travail bouché des jeunes générations était encore la principale source. Ces grandes vagues de licenciements n'épargnent aucune couche de la population ouvrière. Ouvriers d'industrie et employés, techniciens ou main d'oeuvre non qualifiée, jeunes ou adultes, hommes ou femmes, immigrés ou non. Le chômage pénètre ainsi toute la vie sociale et lui impose sa marque de fer rouge. Des millions de personnes se retrouvent directement sous sa coupe, des millions d'autres en vivent quotidiennement la menace, tous en subissent la pression.
Cette situation de chômage massif qui, loin de régresser dans les mois et années qui viennent, va se développer à un rythme soutenu, conduit irrésistiblement à une paupérisation absolue de toute la classe ouvrière. Ce chômage massif est la manifestation la plus aiguë et directe de la crise historique du capitalisme. Il en exprime de façon nette et tranchée la nature et les causes, crise de surproduction, en l'occurrence, surproduction de force de travail, crise où le rapport capitaliste du travail salarié se révèle trop étroit pour contenir toutes les richesses produites par le travail des générations passées et présentes,et qu'il promet ainsi à la destruction y compris la "force de travail", source de toutes les richesses.
Manifestation la plus criante de la crise historique du capitalisme, ce chômage massif et chronique qui gangrène en largeur et profondeur toute la vie sociale n'est pas une "première" historique. Avant d'être "résorbé" par la mort de plusieurs dizaines de millions de personnes dans la seconde guerre mondiale, il a aussi profondément marqué toute la période des années 20 jusqu'à la fin des années 30 .
Contrairement à toutes les idées reçues et curieusement entretenues par l'idéologie dominante, la profonde démoralisation, démobilisation et finalement soumission de la classe ouvrière à tous les embrigadements fascistes, staliniens ou démocratiques, n'est pas à mettre sur le compte des chômeurs "toujours prêts à se jeter dans les bras de la première dictature venue", mais sur celui de la profonde contre-révolution et de la trahison des organisations politiques du prolétariat qui a accompagné cette puissante contre-révolution. Même durant ces années, le chômage a, malgré tout, déterminé de grandes luttes, en France et aux USA,par exemple. Mais l'époque n'étant plus à la révolution, mais à la guerre, ces luttes ont finalement été dévoyées grâce aux organisations politiques staliniennes et social-démocrates, dévoiement grandement facilité par un développement gigantesque du capitalisme d'Etat avec les politiques de grands travaux et de réarmement massif.
Aujourd'hui, le chômage massif fait sa réapparition, mais dans un contexte totalement différent, et dans cette situation radicalement différente- des années 30 où le joug de la contre-révolution n'écrase plus la classe ouvrière, la lutte des chômeurs qui commence à poindre, menace de contribuer grandement au bouleversement gigantesque de tout l'ordre social établi. Et ce n'est sûrement pas la maladresse avec laquelle s'expriment les premiers mots d'ordre et les premières revendications de cette lutte qui nous amèneront à penser le contraire, car comme le disait K.Marx, en tirant le bilan des révolutions de 1848 :
"Dans le premier projet de constitution rédigé avant les journées de juin, se trouvait encore le droit au travail, première formule maladroite où se résument les exigences révolutionnaires du prolétariat On le transforma en droit à l'assistance Or, quel est l'Etat moderne qui, d'une manière ou d'une autre, ne nourrit pas ses indigents ! Le droit au travail est au sens bourgeois un contresens, un désir vain, pitoyable; mars derrière le droit au travail, il y a le pouvoir sur le capital; derrière le pouvoir sur le capital, l'appropriation des moyens de production, leur subordination à la classe ouvrière associée, c'est à dire la suppression du salariat, du capital et de leurs rapports réciproques. Derrière le droit au travail, il y avait l'insurrection de juin" (K. Marx. "Les luttes de classe en France", Ed. Sociales, p.81)
L'IMPACT DU CHOMACE
Le chômage est un signe particulièrement distinctif du mode de production capitaliste, et d'une manière ou d'une autre, à chaque stade de son évolution historique, il s'est imposé comme un situation inhérente à la condition ouvrière. Lors de l'apparition du capitalisme, au sortir du mode de production féodal, lors de son développement ultérieur avec la réalisation du marché mondial, durant toute la période de décadence, époque des grandes crises, guerres mondiales et révolutions, que nous vivons.
Mais, si le chômage est inhérent à la condition ouvrière où le travail prend la forme de marchandise "force de travail" qui s'achète et se vend en échange d'un salaire selon les conditions du marché, on ne peut tirer de cette vérité générale, que de tout temps, le chômage a toujours eu la même signification, le même impact et les mêmes déterminations sur la classe ouvrière, sa conscience et sa lutte.
Le chômage des centaines de milliers de sans-travail dans toute l'Europe de la fin du féodalisme, où serfs, paysans, artisans étaient arrachés à leurs conditions, moyens de travail, de subsistances, avec lesquels ils faisaient corps, par l'avènement et le développement du machinisme et de la manufacture, n'a déjà pas la même signification et le même impact que le chômage qui s'impose lors de la marche en avant du machinisme et de la grande industrie. Dans cette période historique qui s'étend grossièrement de 1830 à 1900, on assiste à un chômage permanent certes, toujours- alimenté par la paupérisation de paysans et d'artisans, mais à une échelle bien plus limitée qu'au début du 19ème siècle, ainsi qu'à un chômage limité à certaines corporations ou branches d'industrie, dû aux crises passagères et ponctuelles limitées à ces branches d'industrie.
Avec la première guerre mondiale, la crise généralisée et permanente de l'ensemble du mode de production capitaliste, qui n'épargne aucun pays, aucune corporation et branche d'industrie détermine un chômage d'u ne autre signification et d'une autre sorte au sein de la population ouvrière. Ce chômage dont les caractéristiques sont propres à notre période de décadence est bien plus différent des autres formes antérieures du chômage que celles-ci ne le sont entre elles.
Le chômage enfanté par les secousses de la crise mondiale du capital tend premièrement à devenir permanent. Mis à part les périodes de guerre où les ouvriers, comme le reste de la population, sont occupés soit à s'entretuer ou à produire les armes nécessaires aux massacres, le chômage massif domine la condition ouvrière : de 1920 à 1940, 20 ans de chômage généralisé dans tous les pays industrialisés. L'immense boucherie de la seconde guerre mondiale avec ses 50 millions de morts et plus, et l'occupation des bras qui restaient valides après la guerre pendant la reconstruction d'un monde ravagé par les destructions, ne permettra de repousser la question du chômage que pour une dizaine d'années, ou guère plus. Dès la fin des années 60, le chômage, comme problème de fond,fait sa réapparition et il ne sera contenu et cantonné à la jeunesse pendant les années 70 que par le faux fuyant économique des politiques inflationnistes d'endettement généralisé des années d'illusions. Aujourd'hui, la crise reprend tous ses droits, s'impose, et le chômage à nouveau, explose littéralement.
C'est dans ces conditions que la question du chômage acquiert ne signification différente pour le développement de la conscience de classe et la lutte de classe, signification très différente de celle qui dominait au siècle dernier.
Au siècle passé, la conscience que pouvait déterminer le chômage au sein de la classe ouvrière ne pouvait qu'être très limitée. Jamais, à cette époque, le chômage n'apparaît comme une situation irréversible. Le chômage est extrêmement cruel pour la classe ouvrière lorsqu'elle est atteinte, mais l'époque, est, elle, totalement différente. Le capitalisme bouleverse constamment les conditions de la production; dans chaque crise, il tire une énergie nouvelle, en sort renforcé pour continuer sa marche triomphale à travers le monde. Une grande partie des chômeurs, ou anciens paysans sont aspirés dans le sillage de cette marche triomphale. C'est l'époque de la colonisation où des centaines de millions de personnes émigrent vers des continents gigantesques : Amérique, Afrique, Asie... A côté de l'émigration massive de populations d'Europe, l'origine sociale des chômeurs, serfs, paysans, ou artisans permet aussi souvent à la bourgeoisie de se servir de cette masse de chômeurs pour faire une pression générale sur l'ensemble de la classe ouvrière, ses conditions de travail et d'existence et ses salaires, voire les employer comme "jaunes" et briseurs de grèves. Même s'il s'agissait du chômage produit par une crise dans une branche d'industrie déterminée, le cloisonnement, sinon l'opposition qui régnait entre les différentes branches d'industrie, rendait l'impact du chômage sur toute la classe ouvrière et sa conscience très limité. De même, quand il s'agissait du "volant de chômage" ou "armée de réserve industrielle", la pression sur les salaires qui en résultait, ne permettait pas plus à cette forme de jouer un rôle particulièrement positif dans l'unification et le développement de la conscience de classe de la classe ouvrière. Mis à part la grande crise de 1847 qui n'épargna aucune catégorie ou secteur ouvrier, et le mouvement ludiste durant les tous premiers développements du machinisme, les chômeurs et le chômage en général, ne furent pas amenés à jouer un rôle particulier dans l'avancée de la lutte de classe du siècle dernier.
Cette situation change radicalement avec l'ouverture et la course effrénée de la décadence du capitalisme. Les chômeurs, dans leur immense majorité, ne sont plus des anciens paysans ou artisans, mais des ouvriers ou employés, qui, depuis des générations étaient insérés dans la production industrielle. Ce n'est plus une catégorie ou une corporation particulière, où les ouvriers sont victimes du chômage, mais toutes, comme c'est le cas pour toutes les villes, régions, pays. Ce chômage n'est plus conjoncturel, mais irréversible, sans avenir. Ce chômage qui concentre toutes les caractéristiques de la décadence du capitalisme et est une de ses principales manifestations ne peut déterminer dans la classe ouvrière que des réactions qualitativement différentes de celles du siècle dernier.
Ainsi, dès l'après première guerre mondiale, ce sera en Allemagne par exemple, les chômeurs qui souvent seront à l'avant-garde du mouvement révolutionnaire. Alors que les syndicats du siècle dernier ne regroupaient pas de chômeurs dans leurs rangs, toujours en Allemagne, où, avec la Russie, la classe ouvrière était l'avancée de la révolution internationale, on trouve dans les organisations révolutionnaires une forte proportion de chômeurs.
En pénétrant profondément et indistinctement toutes les couches de la classe ouvrière, le chômage détermine dans l'ensemble de la population ouvrière, une situation commune où toutes les barrières catégorielles, corporatistes, usinistes, locales, régionales, nationales, disparaissent pour ne laisser apparaître que ce que la classe ouvrière dans son ensemble a de commun -situation, condition, intérêts - effaçant ou mettant de côté toute spécificité face aux conditions et perspectives qu'impose la crise du capitalisme, situation où la classe ouvrière prend conscience "qu'on ne lui a pas fait un tort particulier, mais tous les torts". C'est ainsi que même en dehors de toute période de luttes ouvertes, le chômage généralisé qui se développe, en emportant comme des têtus de paille toutes les petites mesures par lesquelles la bourgeoisie et les Etats essaient de l'entraver, de le ralentir sans oser même espérer le stopper, tend à dissoudre rapidement tout esprit corporatiste inculqué et entretenu par les syndicats depuis des années.
Non seulement, le chômage tend à dissoudre tout esprit corporatiste, mais dans le même mouvement, il place l'ensemble de la classe ouvrière face à un problème de fond, qui réclame de manière on ne peut plus pressante, des solutions de fond impliquant toute la classe ouvrière.
Pour que la révolution sociale soit possible, Rosa Luxemburg déclarait déjà au début de ce siècle : ".il faut que le terrain social soit labouré de fond en comble, que ce qui est en bas apparaisse à la surface, que ce qui est en haut soit enfoui profondément..."
(Grève de masse, parti et syndicats. Editions Maspéro, page 1 13).
Et bien, ce travail là, nous pouvons constater que le chômage massif, généralisé, chronique et sans avenir, est en train de particulièrement contribuer à le réaliser. Et il n'y a rien de plus fort aujourd'hui que le développement du chômage pour enfouir profondément toutes les illusions passées, les séparations qui les ont couvées et faire remonter à la surface tout ce qui unit la classe ouvrière face à la crise généralisée du capitalisme.
LE CHOMAGE ET L'ILLUSION DU CAPITALISME D'ETAT
Nous avons ici défendu qu'à notre époque, le développement du chômage avait joué et jouera un rôle extrêmement important dans le développement de la conscience de classe et dans la lutte de classe en général. Dans l'introduction de cet article, nous disions aussi que, même dans une des plus noires périodes du mouvement ouvrier, les années 30, un des* derniers sursauts de la classe ouvrière/ avant d'être embrigadée dans la seconde guerre mondiale, avait eu pour base la lutte contre le chômage. Il faut constater qu'à cette époque, l'écrasement de toute perspective révolutionnaire avec la grande vague de contre-révolution et le travail d'embrigadement des partis qui avaient trahi la classe prolétarienne, ne pouvaient permettre à la classe ouvrière de dégager une perspective révolutionnaire, vouant ainsi toutes ses luttes à l'échec Ceci est le fond de la question.
Mais pour mieux cerner ce qui distingue notre époque au sein même de cette période de décadence, et en particulier, la différence avec les années 30, il faut prendre en considération l'immense développement du capitalisme d'Etat qui est venu accompagner et faciliter cet embrigadement de la classe ouvrière dans la guerre.
Pendant ces années qui précèdent la seconde guerre mondiale, les différents Etats nationaux engagent toutes les réserves économiques, s'endettent sans compter pour financer, sous l'égide de l'Etat tout puissant, grands travaux et armement massif, qui, à la veille de la guerre épongent en grande partie le chômage. Ainsi, aux USA par exemple :
"L'écart qui séparait à ce moment la production de la consommation fut attaqué de 3 côtés à la fois : 1° Contractant une masse de dettes sans cesse accrue, 1 'Etat exécute une série de vastes travaux publics (. . .)
2° L'Etat augmenta le- pouvoir d'achat des masses laborieuses ;
a) en introduisant le principe d'accords collectifs garantissant des salaires minimum et édictant des limitations de la durée du travail, tout en renforçant la position générale des organisations ouvrières et notamment du syndicalisme
b) en créant un système d'assurance contre le chômage et par d'autres mesures sociales destinées à empêcher une nouvel le réduction du niveau de vie des masses
3° De plus, l'Etat tenta, par une série de mesures telles que des limitations imposées à la production agricole et des subventions destinées à soutenir les prix agricoles, d'augmenter le revenu de la population rurale de façon à permettre à la majorité des exploitants de rejoindre le niveau de vie des classes moyennes urbaines" (F.Sternberg. "Le conflit du siècle", p.389).
Il ne faut d'autre part pas oublier que cette intervention des Etats s'accompagne en même temps d'un quadrillage et d'un encadrement de la population extrêmement poussé. Pour continuer avec l'exemple des USA, nous pouvons citer :
"Du fait des modifications décisives qui s'étaient opérées sous 1'égide du New-Deal dans la structure sociale américaine, la situation du syndicalisme changea du tout au tout. Le New-Deal encouragea en effet le mouvement syndical par tous les moyens ('...). Au cours d'un bref espace de temps qui va de 1933 à 1939, le nombre de syndiqués a fait plus que tripler. A la veille de la deuxième guerre mondiale, il y a plus de deux fois plus de cotisants qu'aux meilleurs moments d'avant la crise, bien plus que dans toute 1'histoire des USA" (Idem).
LA PERSPECTIVE DU CHOMAGE MASSIF
L'on ne peut saisir l'impact décisif du chômage sur la situation sociale des pays industrialisés si l'on n'a pas clairement pris conscience que celui-ci, loin d'être conjoncturel, est irréversible, pas plus d'ailleurs, si l'on ne comprend pas que celui-ci, loin d'être à son apogée, n'en est encore qu'à ses débuts. Avant de répondre à la question : est-ce que le chômage va continuer à se développer, et si oui, comment ? on peut déjà essayer de considérer quelles conditions devraient être réunies pour qu'il soit simplement maintenu à son niveau actuel. Même en comptant sur une reprise de l'économie mondiale qui aujourd'hui a fait long feu, l'OCDE, qui pourtant n'est jamais avare d'affirmations optimistes établissait dès 1983 dans son rapport sur les perspectives économiques :
"Pour maintenir le chômage à son' niveau actuel, en fonction de 1 'augmentation prévisible de la population active, il faudrait créer de 18 à 20 millions d'emplois d'ici la fin de la décennie De plus, il faudrait encore 15 millions d 'emplois supplémentaires si l'on voulait revenir au niveau de chômage de 1979, soit 19 mi liions de personnes sans travail
Cela reviendrait à créer 20 000 emplois par jour entre 1984 et 1989, alors qu 'après le premier choc pétrolier, entre 1975 et 1980, _les 24 pays membres n'en avaient dégagés que 11 500 respectivement" (Rapport OCDE 1983)
D'ores et déjà, tout retour en arrière se révèle donc impossible et si l'on fait le point sur la situation actuelle, on peut établir que :
"Ce sont déjà plus de 2,5 millions de chômeurs que recensent en France les statistiques officiel les, 2,7 en Espagne, 3,2 mi 11 ions en Grande-Bretagne, 2,5 millions en RFA, et dans- la première puissance économique du monde, les USA, 8,8 millions.C'est déjà 17,1% de la population active qui est au chômage aux Pays-Bas, 19,3% en Belgique, 25% au Portugal , suivant ces mêmes chiffres officiels' ("Manifeste sur le problème du chômage". R.I., mai 83).
Le résultat est donc là, simple, net et terriblement tangible. Le chômage représente à l'heure actuelle 10 à 12% en moyenne de la population active des pays industrialisés. Il est irréversible, et plus grave encore, la nouvelle récession qui s'annonce menace d'emporter avec elle, dans les mois et les prochaines années qui viennent, une masse encore plus considérable de personnes dans le tourbillon du chômage. Dans le dernier numéro de cette revue, nous notions déjà cette accélération :
"Avec le ralentissement de la reprise, ces derniers mois ont vu une relance du chômage : 600.000 chômeurs de plus pour la CEE en janvier, 300. 000 pour la seule RFA qui, avec cette progression, bat son record de 1953 avec 2,62 millions de chômeurs".
(Revue Internationale n°1. "Dollar, le roi est nu", p.7).
L'évolution du chômage est d'autant plus rapide, ses conséquences plus graves et profondes, qu'elle est de plus en plus alimentée directement par les licenciements. Quand le chômage se manifestait encore principalement par la difficulté de nouvelles générations à trouver un emploi, son évolution n'avait pas forcément pour corollaire une baisse du nombre de salariés en activité. Aujourd'hui, oui.
Cette augmentation croissante de la masse des chômeurs et son corollaire, la diminution de la population salariée, a pour conséquence directe la quasi-faillite de toutes les caisses d'assurance chômage. Un nombre plus grand d'allocations à verser et de moins en moins de cotisants rend tout système d'assurance ou de couverture sociale impossible. Les systèmes d'assurance chômage, dans la mesure où ils existent - ce qui n'est le cas que pour un petit nombre de pays- n'ont jamais été un cadeau de l'Etat, "une oeuvre sociale"; les allocations versées comme indemnités aux chômeurs temporaires sont une ponction sur les caisses alimentées par des cotisations obligatoires retirées directement aux salaires. Dans des situations où les taux de chômage sont peu élevés et les périodes d'inemploi courtes, un tel système peut même financièrement s'avérer "juteux" pour l'Etat qui le gère comme tout système d'assurance, mais il devient carrément impossible dans une situation de crise et de chômage massif. Forcément, dans de telles situations comme aujourd'hui, les cotisations augmentent sans cesse, les allocations sont réduites à peau de chagrin pour des périodes de plus en plus courtes, et les caisses sont constamment déficitaires avec un déficit croissant.
En conclusion de ce survol rapide sur les perspectives du chômage, nous pouvons affirmer :
- le chômage sera dans les mois et les années qui viennent de plus en plus massif, les chômeurs devenant la catégorie la plus importante et de loin de la population. La grande période de chômage qui s'ouvre devant nous et qui a commencé depuis longtemps par ce que l'on appelle le chômage des jeunes n'a rien de conjoncturel; elle est irrémédiable. Elle est la manifestation la plus directe et criante de la crise historique du capital, du salariat et de leurs rapports réciproques;
- tous les systèmes d'assurance, de couvertures diverses ne sont pas devant nous, mais derrière. Le capitalisme ne pouvant digérer un chômage massif, les chômeurs n'ont pas à attendre que l'Etat leur fasse de cadeau, ils n'auront que ce qu'ils gagneront. En effet, si le capital, même avec le concours, l'assistance et l'intervention massive de l'Etat, ne parvient plus dans le cadre de ses lois juridiques, économiques et sociales à assurer un lien entre les forces et moyens de production, les marchandises produites et les besoins de la société, face à ces besoins, ces moyens de production et de subsistance n'en continuent pas moins à exister, et par leur lutte, les chômeurs doivent et peuvent continuellement essayer de les arracher aux mains du capitalisme.
Au sein de la lutte générale du travail contre le capital, la lutte des chômeurs contre la situation qu'on leur impose exprime de façon limpide le fond, la nature et la perspective de la lutte ouvrière : l'assujettissement de toutes les richesses à la satisfaction des besoins de l'humanité, et cela, même si comme le disait K.Marx : " ces exigences révolutionnaires sont exprimées dans des formules maladroites". Cela n'a rien d'étonnant dans la mesure où dans le chômage se trouve condensée et résumée toute la condition ouvrière. Situation où la classe ouvrière touche le fond de sa condition face à un monde dont l'anachronisme des lois éclate au grand jour avec cette immense surproduction qui n'engendre que misère, dégénérescence et mort alors qu'elle pourrait soulager et libérer l'humanité d'un immense fardeau.
C'est dans un tel contexte que les propagandes humanitaristes dans la bouche desquelles le mot "solidarité" prend le sens de "mendicité", où le geste prend les allures de l'assistance, révèlent leurs caractères caricaturalement réactionnaires.
LEUR SOLIDARITE ET LA NOTRE
L'exploitation de la notion de "solidarité" a des fins qui n'ont rien à voir ni avec les besoins des luttes ouvrières, et encore moins, avec la perspective d'émancipation de la classe ouvrière, n'est pas nouvelle. On l'a vu à l'oeuvre ces dernières années, dans le travail de cloisonnement corporatiste réalisé par les divers syndicats, et en particulier, dans la grève des mineurs, en Angleterre. Avec le développement du chômage, -ce dévoiement prend une forme caricaturale, ce qui a au moins l'avantage d'en éclairer toute la tartufferie et l'inefficacité.
Depuis que les systèmes d'assurance sociale manifestent leur faillite et leur incapacité à faire face ou tout au moins à cacher les aspects les plus criants de la condition de chômage, les appels à la solidarité "contre le fléau social" ne cessent plus. L'Etat, pour commencer, instaure de nouvelles cotisations sociales à prélever sur les salaires au nom bien sûr de "la solidarité", les organisations charitables en appellent au don, les syndicats, nouveaux ou anciens -quand ils ne se cantonnent pas aux slogans nationalistes du style "produisons allemand, français, etc..."-en appellent au "partage du travail".
Pour commencer, les nouvelles cotisations sociales ou l'augmentation des anciennes ne résoudront rien et ne peuvent avoir qu'un impact très limité sur la condition des chômeurs. Avec l'augmentation constante du chômage, l'augmentation de ces cotisations deviendrait une spirale sans fin, grevant d'autant les salaires sur lesquels vivent déjà souvent plusieurs personnes. De fait, ce ne sont plus des "cotisations", encore moins un "geste de solidarité", mais un impôt sur la crise du capitalisme qu'on prélève sur une population ouvrière qui en subit déjà largement les conséquences et assume la plus grande partie de la charge des chômeurs, car les chômeurs ne sont pas sur la planète Mars, mais dans les familles d'ouvriers ou d'employés. Quand ils sont seuls, alors leur situation devient rapidement invivable.
Quant aux dons et autres "gestes charitables", leur inefficacité par rapport à l'immensité du problème et des. besoins parle d'elle-même. Cette histoire de "solidarité" par la "charité" nous ramène plusieurs années en arrière, dans les années 30 :
"La société était engagée à résoudre ses problèmes locaux par un accroissement de leur travail de charité Aussi tardivement qu'en 1931, le président Hoover était d'avis que le maintien d'un esprit de mutuelle assistance par le don volontaire est d'une importance infinie pour l'avenir de 1'Amérique Aucune action gouvernementale, aucune doctrine économique ni projet ne peut remplacer cette responsabilité imposée par Dieu, de l'homme individuel ou de la femme envers leurs prochains'. (Adress on unemployement relief, 18 octobre 193 1 ).
Cependant, moins d'une année plus tard, 'la responsabilité imposée par Dieu' fut reconnue impotente. Les fonds de 1'Etat et de 1'aide locale étaient épuisés. La radicalisation des travailleurs tout autant que des masses progressaient rapidement : marche de la faim, manifestations spontanées de toutes sortes, et même des pillages devenaient de plus en plus fréquents". (Living Marxism. N°4, août 1938).
De toutes ces démarches qui en appellent à la solidarité pour faire face à la question du chômage, il nous reste à- considérer celle prônée plus spécifiquement par les syndicats, le fameux "Partage du travail". Cela fait d'ailleurs un sacré bout de temps que les syndicats, en particulier, ceux d'obédience social-démocrate, tentent de polariser l'attention de la classe ouvrière sur "la lutte pour les 35h". Au fond de l'idéologie syndicale qui prône ce "partage du travail", c'est une certaine vision de la crise actuelle que l'on retrouve. Dans leur travail idéologique, ces syndicats défendent le point de vue selon lequel la crise actuelle qui enfante un chômage massif n'est qu'une crise conjoncturelle, période charnière qui aboutirait à une nouvelle expansion de l'économie mondiale où les nouvelles technologies seraient peines. C'est dans cette perspective "rose" qu'ils demandent à la classe ouvrière d'accepter ce bouleversement et la préparation d'un avenir mythique.
Ces mots d'ordre de "partage du travail" ne sont pas si nouveaux que ça : dans les années 30 déjà, les IWW ([1] [142]) mettaient en avant des orientations d'action semblables :
"Les syndicats de chômeurs de 1'IWW avaient pour opinion que les secours ne pouvaient pas résoudre la question du chômage, et c'est pourquoi, il était nécessaire de renvoyer les sans-travail au travail, en raccourcissant la journée de travail pour tous les travailleurs à 4 heures. Leur politique était de faire le 'piquet de grève des industries' pour impressionner les ouvriers au travail" (Idem).
Autant dire tout de suite que de telles actions n'ont jamais abouti, même de manière insignifiante aux résultats recherchés. Au contraire, pour opposer une partie de la classe ouvrière à une autre, on ne peut rêver mieux. Et de fait, derrière toutes ces mascarades de solidarité, c'est fondamentalement, le seul but recherché. Toute la bourgeoisie et les différentes boutiques qui, par leurs idéologies et leurs actions s'y rattachent veulent bien considérer le problème des chômeurs dans la mesure où ceux-ci veulent bien être considérés comme des indigents et des assistés. Elles veulent bien prendre en compte une "nécessaire solidarité" dans la mesure où c'est la classe ouvrière qui paye.
Tous ces mots d'ordre sont d'ailleurs peu mobilisateurs et ne suscitent que méfiance quand ce n'est pas carrément le dégoût, et on le comprend aisément. Mais cet échec à mobiliser aujourd'hui la masse des chômeurs qui sont pourtant dans une situation dramatique est d'une certaine manière leur victoire. Une victoire sans éclat et panache peut-être, mais une victoire tout de même. Dans la situation actuelle, il vaut mieux pour l'Etat et les syndicats remporter de petites victoires en travaillant à la démobilisation générale que de tenter de grandes victoires dans de grands rassemblements, car les risques et les enjeux sont immenses. Avec les chômeurs, ces risques sont décuplés, car en dehors des usines et des bureaux, ils sont difficilement encadrables dans les structures syndicales traditionnelles et, face à la pression des besoins, la mollesse et les revendications syndicales traditionnelles peu adaptées.
Il est arrivé une fois dans l'histoire, où la bourgeoisie a fait l'erreur de rassembler la masse des chômeurs en croyant créer une armée facilement manipulable contre le reste de la classe ouvrière. Elle s'en est vite mordue les doigts et n'est pas prête de recommencer la même erreur. C'était en 1848 où comme le rapporte K.Marx :
"A côté de la garde mobile, le gouvernement décida de rassembler encore autour de lui une armée d'ouvriers industriels. Des centaines de mille d'ouvriers, jetés sur le pavé de la' crise et de la révolution, furent enrôlés par le ministre Marie dans les prétendus ateliers nationaux. Sous ce nom pompeux, se dissimulait seulement 1'occupation des ouvriers à des travaux de terrassement fastidieux, monotones et improductifs, pour un salaire de 23 sous Des workhouses anglais en plein air, voilà ce qu'étaient ces ateliers nationaux et rien de plus Le gouvernement provisoire croyait avoir formé avec ces ateliers une seconde armée prolétarienne contre les ouvriers eux-mêmes. Pour cette fois, la bourgeoisie se trompa au sujet des ateliers nationaux, comme les ouvriers se trompaient au sujet de la garde mobile Elle avait créé une armée pour 1'émeute" ("Lutte de classe en France. Ed.Sociales, p.81).
C'est ainsi que tout rassemblement des chômeurs dans des manifestai ions ou dans des comités est une force qui les contient toutes. Rassemblés massivement, les chômeurs sont directement amenés à prendre conscience de l'immensité du problème qu'ils représentent et de l'inanité de tous les discours syndicaux. Non seulement, les chômeurs en se mobilisant, prennent conscience de leur force, mais aussi des liens qui les unissent à toute la classe ouvrière dont ils ne forment pas une entité séparée.
De ce point de vue, il ne saurait y avoir plusieurs luttes différentes de la classe ouvrière. Depuis des années d'ailleurs, l'ensemble de la lutte de classe est essentiellement dominée par la lutte contre les licenciements. Depuis des années, la question du chômage est ainsi particulièrement présente comme détermination du combat. La seule différence aujourd'hui, c'est que les chômeurs menacent de rompre leur isolement et de ne pas accepter leur sort; cela veut-il dire qu'ils doivent mener un combat séparé de celui de l'ensemble de la classe ouvrière ? Sûrement pas. Si l'on se fonde sur l'expérience des luttes passées, on peut justement constater que les causes des défaites résidaient justement dans l'isolement corporatiste, régional, catégoriel dont les syndicats se sont faits les champions. Aujourd'hui, alors que la lutte ouvrière montre tous les signes d'un élargissement de son front social avec l'apparition de la lutte des chômeurs, alors que cet élargissement peut et doit contribuer à briser toutes les séparations qui jusqu'ici se sont révélées si néfastes pour l'ensemble de la classe ouvrière, nous devons combattre de toutes nos forces les nouvelles séparations, voire oppositions. Celles-là même utilisées par les syndicats pour mener à la défaite des luttes contre les licenciements hier, et qu'ils essaient encore d'introduire dans la lutte générale contre le chômage.
Si les chômeurs dans leurs luttes ne pouvaient compter sur la solidarité active des ouvriers encore au travail, alors ils seraient incapables de faire plier la bourgeoisie et l'Etat sur quoi que ce soit. Il en serait de même si les chômeurs d'une manière ou d'une autre, n'apportaient pas leur solidarité aux ouvriers actifs en lutte.
Cette extension de la lutte de classe qui est encore en germe, non seulement contient la possibilité de créer au sein de la société un rapport de force qui soit favorable à la classe ouvrière pour la défense de ses intérêts immédiats, mais de plus, de cette extension et unification de la classe ouvrière, dépend la possibilité de dégager une perspective qui déchire enfin l'horizon bouché de la crise historique du capitalisme.
Prénat[1] [143] "Industrial Workers of the World", organisation syndicaliste révolutionnaire"au début de ce siècle.
Dans de précédents articles, nous avons examiné les débats qui se sont menés parmi les communistes au sujet des rapports entre la révolution prolétarienne et la question nationale :
Dans ce troisième et dernier article, nous voulons examiner le moment qui a constitué le test le plus crucial pour le mouvement révolutionnaire : les événements historiques qui se sont déroulés à partir de la prise du pouvoir par le prolétariat russe en 1917 jusqu'au second congrès de l'Internationale Communiste en 1920 ; depuis les premiers pas optimistes dans le sens de la destruction du capitalisme jusqu'aux premiers signes de défaite des luttes prolétariennes et à la dégénérescence du mouvement en Russie.
C'est durant ces années que les erreurs des Bolcheviks sur la question de l'autodétermination des peuples furent pour la première fois mises en pratique et qu'à la recherche d'alliés, la nouvelle Internationale Communiste (I.C.) s'est engagée dans un cours opportuniste de soutien aux luttes de libération nationale dans les colonies. Si l'I.C. était encore une force révolutionnaire à cette époque, elle avait déjà fait les premiers pas fatals vers sa capitulation à la contre-révolution bourgeoise. Ceci met en relief la nécessité de faire aujourd'hui la critique de cette expérience prolétarienne afin d'éviter que de telles erreurs ne se répètent -question que bien peu arrivent à comprendre dans le milieu révolutionnaire actuel (voir l'article sur le "Bureau International pour le Parti Révolutionnaire" -B.I.P.R.-, dans la Revue Internationale No 41).
L'établissement de la dictature du prolétariat en Russie en 1917 a posé concrètement la question : quelle classe dirige ? Face à la menace d'une extension à l'échelle mondiale du pouvoir des soviets, la bourgeoisie, quelles que fussent ses aspirations nationales, était confrontée à la nécessité de lutter pour sa survie en tant que classe. Même dans les recoins les plus arriérés du vieil empire tsariste, la question que posait l'Histoire était non pas la lutte pour des "droits démocratiques" ou l'achèvement de la révolution bourgeoise mais la confrontation des classes. Les mouvements nationalistes étaient devenus le jouet des puissances impérialistes dans leur lutte contre la menace prolétarienne.
Au milieu de cette guerre de classe, les Bolcheviks furent vite forcés d'accepter que derrière la reconnaissance du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" se trouvait la contre-révolution : dès 1917, l'Ukraine n'avait usé de son indépendance que pour s'allier à l'impérialisme français et se retourner contre le prolétariat. Comme nous l'avons déjà vu, il y avait dans le parti bolchevik, face à cette politique, une forte opposition menée par Boukharine et Piatakov ainsi que Dzerjinski, Lunacharsky et d'autres. En 1917, Piatakov avait presque porté le débat dans le parti en mettant en avant le slogan : "A bas toutes les frontières". Sous l'influence de Lénine, on était arrivé à un compromis ; l'autodétermination pour la classe ouvrière dans chaque pays. Mais ceci laissait telles quelles toutes les contradictions de cette politique. |
Le groupe autour de Piatakov qui était majoritaire dans le parti en Ukraine, s'opposa à ce compromis et appela au contraire à la centralisation de toutes les forces prolétariennes dans l'Internationale Communiste comme seule voie pour maintenir l'unité de la classe ouvrière contre la fragmentation nationale. À l'époque, Lénine ridiculisa les arguments des Bolcheviks de gauche ; mais après avoir vu la dégénérescence ultérieure de la révolution russe, leur insistance apparaît doublement valable. Quand Lénine dénonçait leur position comme étant du "chauvinisme Grand Russe", il révélait une vision nationale du rôle des révolutionnaires, alors que ceux-ci se placent du point de vue des intérêts de la révolution mondiale.
C'est dans les parties les plus développées de l'empire tsariste que les résultats désastreux de la politique des Bolcheviks ont été les plus clairs, et c'est là-dessus que Rosa Luxemburg a concentré ses attaques contre la mise en pratique du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" (écrits qui furent publiés après sa mort). En Pologne comme en Finlande, il y avait une bourgeoisie nationaliste développée, effrayée de toute révolution prolétarienne. Les deux pays ne se virent concéder l'indépendance que pour trouver un appui à leur existence auprès des deux puissances impérialistes. C'est sous le mot d'ordre du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" que la bourgeoisie de ces pays massacra ouvriers et communistes, dissolut les soviets et permit qu'une partie de son territoire serve de tremplin aux armées de l'impérialisme et de la réaction des Blancs.
Rosa Luxemburg y a vu une amère confirmation de ses polémiques d'avant-guerre contre Lénine :
La mise en pratique du "droit des nations à l'autodétermination" après 1917 a mis en lumière la contradiction entre les intentions originelles de Lénine -l'affaiblissement de l'impérialisme- et les résultats, qui ont été la constitution de remparts contre la révolution prolétarienne vers lesquels la bourgeoisie a canalisé les luttes de la classe ouvrière à travers des guerres nationales et des massacres. Par conséquent, le bilan de cette expérience est strictement négatif.
La troisième Internationale (I.C.), dans l'invitation à son premier congrès en 1919, proclamait l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence... "une époque de désintégration et d'effondrement de tout le système capitaliste mondial". L'I.C. mettait en avant une claire perspective internationale pour la classe ouvrière : le système capitaliste dans son ensemble n'était plus progressif et devait être détruit par l'action de masse des ouvriers organisés en conseils ouvriers ou en soviets. La révolution mondiale qui avait commencé avec la prise du pouvoir politique par les soviets en Russie, montrait concrètement que la destruction de l'État capitaliste était immédiatement à l'ordre du jour.
Dans la première année de son existence, l'I.C. n'a pas fait spécifiquement référence au soutien aux luttes de libération nationale ni au "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Au contraire, elle posait clairement la nécessité de la lutte de classe internationale. L'I.C. était née au sommet de la vague révolutionnaire qui avait forcé la guerre impérialiste à s'arrêter et la bourgeoisie en guerre à s'unir contre la menace prolétarienne. La lutte de classe au coeur du capitalisme -en Allemagne, en France, en Italie, en Grande-Bretagne, et en Amérique- a donné une énorme impulsion à l'Internationale dans la clarification des besoins de la révolution mondiale qui semblait alors au bord de la victoire, et pour cette raison, les principaux textes du premier congrès représentent sous bien des angles le zénith de la clarté de l'Internationale.
Le Manifeste de l'Internationale (adressé aux) prolétaires du monde entier donne une perspective très large, historique, a la question nationale, puisqu'il commence par la reconnaissance que "l'État national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l'expansion des forces productives". ("Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux de l'Internationale Communiste," 1919-1923 - Fac-similé François Maspéro- p. 31)
Dans cette perspective, deux questions sont traitées :
Le message de l'I.C. est clair. La libération des masses à travers le monde ne pourra avoir lieu qu'avec la victoire de la révolution prolétarienne dont la clé est entre les mains des ouvriers des pays centraux du capitalisme, grâce aux luttes des concentrations ouvrières les plus fortes et les plus expérimentées. Le chemin pour les masses des pays sous-développés se trouve dans l'union "sous le drapeau des soviets ouvriers, de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir et la dictature du prolétariat, sous le drapeau de la troisième Internationale..." (Ibid, p. 34).
Ces brefs points, basés sur la reconnaissance de la décadence du capitalisme, brillent encore aujourd'hui comme des phares de clarté. Mais ils ne présentent guère de stratégie cohérente à suivre par le prolétariat et son parti dans une période révolutionnaire. Il était encore nécessaire de clarifier la question vitale de la nature de classe des luttes de libération nationale ainsi que de définir l'attitude de la classe ouvrière vis-à-vis des masses opprimées et des couches non-exploiteuses des pays sous-développés que le prolétariat devait mettre de son côté dans la lutte contre la bourgeoisie mondiale.
Ces questions furent traitées par le second congrès de l'I.C. en 1920. Mais si ce congrès, avec une plus grande participation et un débat plus profond, fit des avancées dans la concrétisation des leçons de la révolution russe et la nécessité d'une organisation centralisée et disciplinée des révolutionnaires, y apparurent également les premiers signes d'une régression par rapport à la clarté du premier congrès -les prémisses des tendances à l'opportunisme et au centrisme dans la jeune Internationale Communiste. Tout effort pour faire un bilan des travaux du second congrès doit commencer avec ces faiblesses qui se sont révélées fatales quand la vague révolutionnaire a reflué.
L'opportunisme a pu prendre racine dans les conditions d'isolement et d'épuisement du bastion russe. Déjà au moment du 1er congrès, la révolution en Allemagne avait reçu un sérieux coup avec le meurtre de Liebknecht, Luxemburg et de plus de 20 000 ouvriers. Mais l'Europe était embrasée par les luttes révolutionnaires qui menaçaient encore de renverser la bourgeoisie. Au moment où les délégués se rassemblaient pour le second congrès, le rapport de forces avait déjà commencé à pencher substantiellement en faveur de la bourgeoisie et les bolcheviks en Russie étaient obligés de penser en termes d'un long siège se prolongeant plutôt qu'à une défaite rapide du capitalisme mondial. Aussi, alors qu'au premier congrès on mettait l'accent sur l'imminence de la révolution en Europe de l'ouest et sur les énergies spontanées de la classe ouvrière, le second congrès soulignait :
Minés par les terribles exigences de la famine et de la guerre civile, les bolcheviks se mirent à faire des compromis avec la clarté d'origine de l'I.C. en faveur d'alliances avec des éléments douteux, ou même tout à fait bourgeois parmi les débris de la seconde Internationale en faillite, afin de construire des "partis de masse" en Europe qui apporteraient un maximum d'aide au bastion russe. La recherche d'un soutien possible au sein des mouvements de luttes de libération nationale dans les pays sous-développés doit être considérée dans la même optique.
La couverture de ce cours opportuniste était la guerre contre l'aile gauche de l'Internationale, annoncée par Lénine dans sa fameuse brochure "La maladie infantile du communisme : le gauchisme". En fait, dans son discours d'ouverture du second congrès, Lénine soulignait toujours que "l'opportunisme est notre principal ennemi...En comparaison avec cette tâche, la correction des erreurs de la tendance 'de gauche' du communisme sera facile" (second congrès).
Cependant, dans une situation de reflux de la lutte de classe, cette tactique ne pouvait que laisser la porte plus grande ouverte à l'opportunisme tout en affaiblissant ses adversaires les plus intransigeants, l'aile gauche. Comme Pannekoek l'écrivit plus tard à l'anarchiste Muhsam : "Nous considérons que le congrès est coupable de s'être montré non pas intolérant mais bien trop tolérant. Nous ne reprochons pas aux chefs de la 3e Internationale de nous exclure ; nous les critiquons de chercher à inclure autant d'opportunistes que possible. Dans notre critique, nous ne sommes pas préoccupés par nous-mêmes, mais par les tactiques du communisme ; nous ne critiquons pas le fait secondaire que nous-mêmes soyons exclus de la communauté des communistes, mais bien le fait essentiel que la 3e Internationale suit en Europe occidentale une tactique à la fois erronée et désastreuse pour le prolétariat". ( « Die Aktion », 19 mars 1921)
Ceci s'est avéré également correct en ce qui concerne la position de l'I.C. sur les luttes de libération nationale.
Les Thèses sur la question nationale et coloniale adoptées au second congrès révèlent avant tout une tentative peu aisée de concilier une position internationaliste de principe et de dénonciation de la bourgeoisie, avec un soutien direct à ce qui est appelé des mouvements "révolutionnaires nationaux" dans les pays arriérés et les colonies :
Cette thèse établit la primauté de la lutte contre la démocratie bourgeoise pour le Parti communiste, point réitéré dans bien d'autres textes de l'I.C. et c'était crucial pour une approche marxiste. Le second point d'importance est le rejet de l'"intérêt national" qui n'appartient qu'à la bourgeoisie. Comme le Manifeste Communiste l'avait proclamé avec la plus grande clarté 70 ans auparavant, les ouvriers n'ont pas de patrie à défendre. L'antagonisme fondamental dans la société capitaliste est la lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat qui seul peut offrir une dynamique révolutionnaire de destruction du capitalisme et pour la construction du communisme, et toute tentative pour voiler cette opposition d'intérêts historiques, qu'elle soit consciente ou non, défend les intérêts de la classe dominante.
C'est dans ce sens que l'on doit comprendre le troisième point dans cette deuxième thèse qui est bien plus vague et en reste à une simple description de la situation de l'impérialisme mondial dans lequel la majorité des pays sous-développés était l'objet d'un impitoyable pillage par une minorité de pays hautement développés. Même dans les "nations opprimées", il n'y avait pas d'"intérêt national" à défendre pour le prolétariat. La lutte contre le patriotisme était un principe fondamental du mouvement prolétarien qui ne pouvait être mis en causé et, plus loin, les thèses insistent sur l'importance primordiale de la lutte de classe : "il résulte de ce qui précède que la pierre angulaire de la politique de l'Internationale Communiste dans les questions coloniale et nationale, doit être le rapprochement des prolétaires et des travailleurs de toutes les nations et de tous les pays pour la lutte commune contre les possédants et la bourgeoisie." (Ibid. p.57)
Cependant, il y avait une ambiguïté dans cette insistance sur la division entre nations oppressives et opprimées, une ambiguïté qui a été exploitée par la suite pour tenter de justifier une politique du prolétariat apportant son soutien direct aux luttes de libération nationale des pays sous-développés dans le but d'"affaiblir" l'impérialisme. Ainsi, tandis qu'il était nécessaire pour les partis communistes de "démontrer sans cesse que le gouvernement des soviets seul peut réaliser l'égalité des nationalités en unissant les prolétaires d'abord, l'ensemble des travailleurs ensuite, dans la lutte contre la bourgeoisie."
Sur la même lancée, il était établi qu'il était nécessaire d'assurer "un concours direct par l'intermédiaire du Parti communiste, à tous les mouvements révolutionnaires des pays dépendants ou lésés dans leurs droits." (Ibid, 9ème thèse, p. 58)
Il y a une ambiguïté introduite ici. Quelle est exactement la nature de classe de ces "mouvements révolutionnaires"? Ce n'est pas une référence au milieu politique du prolétariat embryonnaire des pays sous-développés. Le même malaise dans les termes traverse toutes les thèses qui parfois parlent de mouvements "révolutionnaires de libération", parfois de mouvements de "libération nationale". En plus, la forme concrète que devait prendre ce soutien direct, était laissée aux décisions de chaque Parti communiste là où ils existaient.
Il y a au moins la reconnaissance dans la même thèse des dangers potentiels d'un tel soutien car elle avertit que : "Il est nécessaire de combattre énergiquement les tentatives faites par des mouvements émancipateurs qui ne sont en réalité ni communistes, ni révolutionnaires pour arborer les couleurs communistes. L'Internationale Communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, qu'à la condition que les éléments des futurs partis communistes soient groupés et instruits de leurs tâches particulières , c'est-à-dire, de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique. L'I.C. doit entrer en relations temporaires et former aussi des alliances avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés sans toutefois jamais fusionner avec eux et en conservant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire." (Ibid, thèse 11, p.58)
Ici concrètement la question est de savoir si les luttes de libération nationale dans les colonies avaient encore un caractère progressif. Il n'y avait pas encore une clarté sans équivoque sur le fait que l'époque des révolutions démocratiques bourgeoises s'était définitivement close pour toute l'Afrique, l'Asie et l'Orient. Même les communistes qui en Europe occidentale s'étaient opposés durant la guerre au slogan de "auto-détermination", faisaient une exception pour les colonies. L'expérience du prolétariat n'avait pas encore clairement établi que même dans les coins les plus reculés du globe, la période d'ascendance du capital avait pris fin, et que même dans les colonies, la bourgeoisie ne pouvait plus survivre qu'en se tournant contre "son" prolétariat.
Mais la plus sérieuse faiblesse du second congrès fut de ne pas débattre ouvertement de la question, en particulier quand l’orientation de beaucoup de contributions de communistes des pays sous-développés tendait à rejeter tout soutien à la bourgeoisie, même dans les colonies.
Dans la Commission sur la question nationale et coloniale, il y eut un débat autour des "thèses supplémentaires" développées par le communiste des Indes, M.N. Roy qui, tout en partageant beaucoup de points de vue avec Lénine et la majorité de l'I.C, mettait en lumière la contradiction croissante entre les mouvements bourgeois nationalistes qui poursuivaient une politique d'indépendance tout en préservant l'ordre capitaliste, et les intérêts des petits paysans. Roy voyait comme la plus importante tâche de l'I.C. : "la formation de partis communistes qui organisent les ouvriers et les paysans et les conduisent à la révolution et à l'établissement de la République soviétiste.(...) Ainsi, les masses des pays arriérés, conduites par le prolétariat conscient des pays capitalistes développés, arriveront au communisme sans passer par les différents stades du développement capitaliste". (Thèses supplémentaires sur la question nationale et coloniale, thèses 7 et 9, p.60)
Ceci impliquait une lutte contre la domination des mouvements bourgeois nationalistes. Pour soutenir ses thèses, Roy soulignait l'industrialisation rapide de colonies comme l'Inde, l'Égypte, les Indes occidentales néerlandaises et la Chine et la croissance conséquente du prolétariat ; en Inde il y avait eu d'énormes vagues de grèves et le développement d'un mouvement parmi les masses exploitées en dehors du contrôle des nationalistes.
Le débat dans la commission portait sur le principe pour l'I.C. de soutenir des mouvements nationalistes bourgeois dans les pays arriérés. Il y eut une tentative vers la compréhension que la bourgeoisie impérialiste encourageait activement de tels mouvements pour ses propres buts réactionnaires, comme Lénine le reconnaît dans son discours d'introduction du congrès : "Une certaine compréhension mutuelle est apparue entre la bourgeoisie des pays exploiteurs et celle des colonies, de sorte que très souvent, peut-être même dans la plupart des cas, la bourgeoisie des pays opprimés tout en soutenant les mouvements nationaux, combat néanmoins tous les mouvements révolutionnaires et les classes révolutionnaires, en accord à un certain niveau avec la bourgeoisie impérialiste, c'est-à-dire avec elle." (Le second congrès -souligné par nous)
Mais la "solution" à la divergence dans la Commission avec laquelle Roy fut d'accord, fut d'adopter les deux types de thèses et de remplacer "bourgeois démocratique" par "national-révolutionnaire" : "La question à ce sujet, c'est qu'en tant que communistes nous ne soutiendrons les mouvements bourgeois de libération dans les pays coloniaux que s'ils sont réellement révolutionnaires et si leurs représentants ne s'opposent pas à entraîner et organiser la paysannerie de façon révolutionnaire. Si ce n'est pas le cas, alors les communistes ont le devoir de lutter contre la bourgeoisie réformiste" (Ibid. souligné par nous).
Étant donné le grand malaise dans l'I.C. pour apporter son soutien à des mouvements nationalistes, c'était une façon claire d'esquiver le problème ; c'est à dire du centrisme. Le changement des mots n'avait en réalité aucun contenu et ne faisait qu'obscurcir l'alternative historique posée par l'entrée du capitalisme dans son époque de décadence : soit la lutte de classe internationale contre l'intérêt national de la bourgeoisie, soit la subordination de la lutte de classe à la bourgeoisie et à ses mouvements nationalistes contre-révolutionnaires. L'acceptation de la possibilité d'un soutien aux luttes de libération 'nationale dans les pays sous-développés par la majorité centriste de l'I.C. a ouvert le chemin vers des formes d'opportunisme plus ouvertes.
Cette tendance opportuniste se renforça après le 2nd congrès. Immédiatement après, un congrès des Peuples d'Orient se tenait à Bakou où les chefs de l'I.C. réaffirmèrent leur soutien aux mouvements bourgeois nationalistes et défendirent même un appel à une "guerre sainte" contre l'impérialisme britannique.
Les politiques défendues par le parti mondial du prolétariat étaient de plus en plus dictées par les besoins contingents de la défense de la République Soviétique plutôt que les intérêts de la révolution mondiale. Le second congrès avait établi cela comme axe central de l'I.C. Le congrès de Bakou suivit cet axe, s'adressant en particulier aux minorités nationales des pays voisins de la République Soviétique assiégée où l'impérialisme britannique menaçait de renforcer son influence et donc de servir de tremplin à une intervention armée contre le bastion russe.
Les beaux discours du congrès ainsi que les déclarations de solidarité entre le prolétariat européen et les paysans de l'Orient malgré beaucoup de choses correctes sur la nécessité des soviets et de la révolution, ne suffisaient pas à cacher le cours opportuniste vers un soutien sans discrimination aux mouvements nationalistes : "Nous faisons appel, camarades, aux sentiments guerriers qui animèrent les peuples d'Orient dans le passé, quand ces peuples, conduits par leurs grands conquérants, avancèrent sur l'Europe. Nous savons, camarades, que nos ennemis vont dire que nous appelons à la mémoire de Genghis Khan et à celle des grands califes conquérants de l'Islam. Mais nous sommes convaincus qu'hier (dans le congrès -NdlR) vous avez sorti couteaux et revolvers non dans un but de conquête, non pour transformer l'Europe en cimetière. Vous les avez brandis, avec les ouvriers du monde entier, dans le but de créer une civilisation nouvelle, celle de l'ouvrier libre." (Radek, cité dans Le Congrès des Peuples d'orient).
Le Manifeste adopté par le congrès concluait sur une injonction aux peuples de l'Est à se joindre "à la première réelle guerre sainte, sous la bannière rouge de l'Internationale Communiste" ; plus spécifiquement, une croisade contre "l'ennemi commun, l'impérialisme britannique."
Déjà à l'époque, il y eut des réactions à ces tentatives éhontées de réconcilier le nationalisme réactionnaire avec l'internationalisme prolétarien. Lénine lui-même mettait en garde contre le fait de "peindre le nationalisme en rouge". De façon significative, Roy critiqua le congrès avant qu'il se tînt et refusa d'assister à ce qu'il qualifiait de "cirque de Zinoviev", tandis que John Reed, le communiste de gauche américain, faisait également des objections amères à "cette démagogie et cette parade".
Cependant, de telles réponses ne s'adressaient pas aux racines du cours opportuniste qui était suivi, mais restaient au contraire sur un terrain centriste de conciliation avec des expressions plus ouvertes d'opportunisme, se cachant derrière les thèses du second congrès ce qui, c'est le moins qu'on puisse dire, a couvert une multitude de manquements dans le mouvement révolutionnaire.
Déjà en 1920, ce cours opportuniste avait pour implication un soutien direct au mouvement nationaliste bourgeois de Pasha Kemal en Turquie bien qu'à cette époque Kemal ait apporté son soutien au pouvoir religieux du sultan. Il était loin de la politique de l'Internationale, comme le notait Zinoviev, mais "en même temps nous disons que nous sommes prêts à aider toute lutte révolutionnaire contre le gouvernement britannique" (Congrès des Peuples d'Orient).
L'année suivante, le leader de cette "lutte révolutionnaire" fit exécuter les chefs du parti communiste de Turquie. Malgré cela, les Bolcheviks et l'I.C. continuèrent à voir des "potentialités révolutionnaires" dans ce mouvement nationaliste jusqu'à ce que Kemal fasse alliance avec l'Entente en 1923, choisissant d'ignorer le massacre des ouvriers et des communistes afin de s'allier un pays stratégiquement important, aux frontières de la Russie.
Les politiques de l'I.C. en Perse et en Extrême-Orient eurent les mêmes résultats désastreux, montrant que Kemal n'était pas un "accident", mais simplement l'expression de la nouvelle époque de décadence du capitalisme dans laquelle le nationalisme et la révolution prolétarienne sont tout à fait irréconciliables.
Les résultats de tout cet opportunisme furent fatals pour le mouvement ouvrier. Avec la révolution mondiale qui s'enfonçait dans une défaite de plus en plus profonde et le prolétariat en Russie épuisé et décimé par la famine et la guerre civile, l'I.C. devint de plus en plus l'instrument de la politique extérieure des bolcheviks qui se trouvaient eux-mêmes dans le rôle d'administrateurs du capital russe. D'erreur très sérieuse dans le mouvement ouvrier, la politique de soutien aux luttes de libération nationale s'était transformée à la fin des années 20 en stratégie impérialiste d'une puissance capitaliste.
Un moment décisif dans le processus d'involution fut la politique de l'I.C. de soutien aux nationalistes violemment anti-ouvriers du Kuomingtang en Chine qui mena, en 1927, à la trahison et au massacre de l'insurrection des ouvriers de Shanghai. De tels actes de trahison ouverte démontrèrent que la fraction stalinienne qui avait entre-temps acquis une domination presque complète de l'I.C. et de ses partis, n'était plus un courant opportuniste dans le mouvement ouvrier mais une expression directe de la contre-révolution capitaliste.
Mais c'est néanmoins un fait que les racines de cette politique résident dans des erreurs et des faiblesses au sein du mouvement ouvrier et que c'est le devoir des communistes d'exposer ces racines aujourd'hui afin de mieux s'armer contre le processus de dégénérescence, parce que :"Le stalinisme ne tombe pas du ciel et ne surgit pas du néant. Et s'il est absurde de jeter l'enfant avec l'eau sale de la baignoire, de condamner l'Internationale Communiste parce qu'en son sein a pu se développer et triompher le stalinisme (...) il n'est pas moins absurde de prétendre que l'eau de la baignoire a toujours été absolument pure et parfaitement limpide, de présenter l'histoire de 1' 'Internationale Communiste' divisée en deux périodes, dont l'une, la première, serait du cristal pur, révolutionnaire, sans la moindre tâche, sans défaillance aucune et brusquement - interrompue par l'explosion de la contre-révolution. Ces imageries d'un paradis bienheureux et d'un horrible enfer sans aucun lien entre eux, n'a rien à voir avec un mouvement réel, telle l'histoire du mouvement communiste où la continuité se fait au travers de profondes ruptures et où les futures ruptures ont leurs germes dans le processus de la continuité." ("Introduction aux textes de la Gauche mexicaine, sur la question nationale" -Revue Internationale N°20, p.24, 25).
Le second congrès a mis en lumière les dangers pour le mouvement ouvrier de l'opportunisme et du centrisme dans ses propres rangs; et si l'opportunisme ne réussit finalement à triompher que dans des conditions de profond reflux de la lutte de classe internationale et d'isolement du bastion russe, c'est d'abord dans toutes les vacillations et les hésitations du mouvement révolutionnaire qu'il a pris racine, mettant à profit tous les efforts pleins de "bonnes intentions", pour aplanir les différences avec des mots bien tournés plutôt que l'honnêteté dans la confrontation de sérieuses divergences.
Ce sont ces caractéristiques typiques du centrisme qui animent clairement le communiste de gauche hollandais Sneevliet (Maring) dans le second congrès où apparemment, c'est lui qui a résolu le problème des divergences entre les thèses de Lénine et celles de Roy en proposant, en tant que secrétaire de la commission sur la question nationale et coloniale que le congrès adopte les deux. En fait Sneevliet était d'accord avec Lénine sur la nécessité de faire des alliances temporaires avec des mouvements nationalistes bourgeois. Dans la pratique, c'est ce point de vue qui a dominé la politique de l'I.C. et non le rejet préconisé par Roy, de telles alliances.
Sneevliet fut désigné par le Comité Exécutif de l'I.C. pour aller en Chine en 1921 comme représentant de l'Extrême-Orient. Il y fut convaincu que le Kuoming-tang nationaliste chinois avait un "potentiel révolutionnaire" et écrivit dans l'organe officiel de l'I.C. : "Si nous, communistes, qui tentons d'établir des liens avec les ouvriers du Nord de la Chine, voulons réussir, nous devons prendre soin de maintenir des rapports fraternels avec les nationalistes. Les thèses du second congrès doivent être appliquées à la Chine par l'offre de notre soutien actif aux éléments nationalistes du sud (c'est-à-dire le Kuominqtanq). Notre tâche est de maintenir les éléments nationalistes révolutionnaires à nos côtés et d'entraîner tout le mouvement à gauche." (Kommunistische Internationale, 13 septembre 1922)
Cinq ans après, ces mêmes "éléments révolutionnaires" décapitaient ouvriers et communistes dans les rues de Shangaï dans une orgie de massacres.
Il est important de souligner que Sneevliet n'était qu'une expression individuelle du danger de centrisme et d'opportunisme auquel le mouvement révolutionnaire était confronté. Son point de vue est partagé par la majorité de l'I.C.
Il était partagé également, dans une mesure plus ou moins grande, même par les communistes de gauche qui ne réussirent pas à défendre clairement leurs positions. Ceux qui, comme Boukharine et Radek, s'étaient opposés au slogan du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" semblaient maintenant accepter les vues de la majorité, tandis que la gauche italienne autour de Bordiga et de la Fraction Communiste Abstentionniste, bien qu'opposée à la tactique opportuniste du "parlementarisme révolutionnaire", soutenait pleinement les thèses de Lénine. La gauche allemande, basant sa position sur celle de Rosa Luxemburg, était dans la meilleure position dans l'I.C. parmi toutes les fractions, pour faire une intervention de principe déterminée contre le soutien aux luttes de libération nationale, mais les délégués du K.A.P.D., dont Rühle, ne participèrent pas au débat, et c'était dû, en partie du moins, à leurs préjugés conseillistes. Les acquis théoriques des Gauches d'Europe occidentale issus des débats dans la Gauche de Zimmerwald pendant la guerre, ne furent pas concrétisés dans le second congrès. C'est seulement avec la défaite de la vague révolutionnaire à la fin des années 20 que les quelques fractions de gauche ayant survécu, en particulier la Gauche italienne autour de la revue Bilan, furent capables de conclure que le prolétariat ne pouvait apporter aucun soutien aux mouvements nationalistes, même dans les colonies. Pour Bilan le massacre de Chine 1927 prouvait que "Les thèses de Lénine au second congrès doivent être complétées en changeant radicalement leur contenu... le prolétariat indigène ne peut devenir le protagoniste d'une lutte anti-impérialiste qu'en se rattachant au prolétariat international " (Bilan N°16, février 1935). Ce sont la Gauche italienne et, plus tard, les Gauches du Mexique et de France qui furent finalement capables de faire une synthèse supérieure des travaux de Rosa Luxemburg sur l'impérialisme et de l'expérience de la vague révolutionnaire de 1917-23.
Ces erreurs de l'I.C. ne peuvent absolument pas servir d'excuse pour les révolutionnaires d'aujourd'hui. Il y a longtemps que les staliniens sont passés dans le camp de la contre-révolution, y emportant l'I.C. avec eux. Pour les trotskystes la "possibilité" de soutien aux luttes nationalistes dans les colonies se transforma en soutien inconditionnel, et sur ce chemin ils finirent par participer à la seconde guerre impérialiste mondiale.
Dans le camp prolétarien, les bordiguistes de la Gauche italienne dégénérescente ont inventé la théorie des aires géographiques selon laquelle, pour la vaste majorité de la population mondiale dans les pays sous-développés, la "révolution démocratique-bourgeoise anti-impérialiste" était encore « à l'ordre du jour». Les bordiguistes, en figeant chaque point et chaque virgule des thèses du second congrès, ont pris la relève de l'opportunisme et du centrisme de l'I.C. La preuve des dangers contenus dans les tentatives d'appliquer des politiques impossibles dans la décadence du capitalisme, c'est la désintégration à laquelle arriva le Parti communiste international (Programma comunista)[1] en 1981 après avoir été complètement ronge par l'opportunisme vis-à-vis des divers mouvements nationalistes (voir Revue Internationale No 32) ce qui nous amène finalement aux "bordiguistes embarrassés" du Parti communiste internationaliste (Battaglia Comunista)[2], maintenant partiellement regroupes avec la Communist Workers Organisation[3] -voir l'article sur le B.I.P.R.[4], Revue Internationale N°40 et 41). En tant que groupe du milieu politique, Battaglia défend une position contre les luttes de libération nationale dans la décadence, mais il montre une singulière difficulté à rompre définitivement avec l'opportunisme et le centrisme de l'I.C. sur cette question et d'autres questions vitales. Par exemple, dans son texte préparatoire à la deuxième conférence des groupes de la Gauche communiste en 1978, B.C. n'a pas réussi à faire une quelconque critique des positions de la 2e Internationale, ou de la pratique de l'I.C, préférant par contre défendre sa position en citant Lénine en 1916 dans sa polémique contre Rosa Luxemburg ! La vision de B.C. d'un futur parti "transformant des mouvements de libération nationale en révolution prolétarienne" réintroduit le danger de l'opportunisme par la fenêtre et l'a déjà amené, avec la C.W.O., à un flirt avec le groupe nationaliste iranien, l'U.C.M. (maintenant "Parti Communiste d'Iran" -un groupe maoïste). Ces rapports ont été justifiés par la nécessité d'"aider de nouveaux militants à s'orienter", venant d'un pays "qui n'a aucune tradition, ni histoire communiste, un pays sous-développé" (Document présenté par B.C. à une réunion publique à Naples en juillet 1983).
Cette attitude paternaliste n'est pas seulement une excuse pour la pire forme d'opportunisme, c'est une insulte au mouvement communiste dans les pays sous-développés, un mouvement qui, malgré les timides excuses de Battaglia, a une histoire riche et fière d'opposition de principe aux luttes nationalistes bourgeoises. C'est une insulte au militant du Parti communiste perse qui, au second congrès de l'I.C., avertissait que : "Si l'on doit tenter de procéder conformément aux thèses dans des pays qui ont déjà dix années d'expérience ou plus, ou dans ceux où le mouvement a déjà eu le pouvoir, cela voudrait dire jeter les masses dans les bras de la contre-révolution. La tâche est de créer et de maintenir un mouvement purement bourgeois-démocratique." (Sultan Zadeh, cité dans Le second congrès de l'I.C.)
C'est une insulte à la position du communiste indien Roy (qui était en réalité délégué du Parti Communiste mexicain). C'est une insulte à ceux du jeune Parti communiste chinois comme Chang Kuo Tao qui s'est opposé à la politique officielle de l'I.C. d'entrisme dans le Kuomingtang nationaliste.
Gorter parla une fois du programme communiste qui devait être "dur comme l'acier, clair comme la glace". Avec les prises de position opaques et malléables à l'infini de Battaglia Comunista, nous revenons sur le terrain du second congrès de l'I.C. cinquante ans après : le terrain de l'opportunisme et du centrisme avec une touche de chauvinisme paternaliste en plus. C'est un terrain que les révolutionnaires doivent combattre et éviter constamment aujourd'hui. Telle est la leçon la plus durable des débats passés des communistes sur la question nationale.
S. RAY
Le 4 mai 1985, la dernière grande figure de l'Internationale Communiste, JAN APPEL, s'est éteinte à l'âge de 95 ans Le prolétariat n'oubliera jamais cette vie, une vie de lutte pour la libération de l'humanité
La vague révolutionnaire du début de ce siècle a échoué Des milliers de révolutionnaires marxistes furent tués en Russie et en Allemagne, certains même se suicidèrent Mais, malgré cette longue nuit de contre-révolution, Jan Appel resta fidèle aux marxisme, il resta fidèle à la classe ouvrière, convaincu que la révolution prolétarienne devait venir
Jan Appel fut formé et trempé dans le mouvement révolutionnaire d'Allemagne et de Hollande au début de ce siècle. Il combattit côte à côte avec Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Lénine, Trotsky, Gorter, Pannekoek. Il combattit dans la révolution en Allemagne, en 1919. Il fut de ceux qui ne trahirent jamais la cause du prolétariat. Il fut un représentant digne de cette masse anonyme des générations mortes du prolétariat. Leur lutte historique a toujours renoncé à la glorification des personnes ou à la recherche de titres de gloire. Tout comme Marx, Engels, Jan Appel n'avait pas de comptes à rendre à la presse à sensation capitaliste
Mais il était aussi plus que cette masse anonyme de militants révolutionnaires courageux qui fut produite par la vague révolutionnaire du mouvement ouvrier du début de notre siècle. Il a laissé des traces qui permettent aux révolutionnaires d'aujourd'hui de reprendre le flambeau Jan Appel était capable de reconnaître ceux qui, tout aussi anonymes et pour le moment encore réduits à une petite minorité, continueront le combat communiste. Avec fierté, nous avions ainsi accueilli Jan Appel au Congrès de fondation du Courant Communiste International en 1976 à Paris. Les sigles utilisés dans cet article sont expliqués p.18.
Né en 1890 dans le Mecklenburg en Allemagne, Jan Appel a commencé très jeune à travailler dans les chantiers navals de Hambourg. Dès 1908, il est un membre actif du SPD. Dans les années tourmentées de la guerre, il participe aux discussions sur les questions nouvelles qui se posent à la classe ouvrière : l'attitude face à la guerre impérialiste et face à la révolution russe. C'est ce qui le conduisit, fin 1917, début 1918, à se joindre aux radicaux de gauche de Hambourg qui prirent une position claire contre la guerre pour la révolution. Il donna ainsi suite à l'appel de juillet 1917 des IKD de Hambourg demandant à tous les ouvriers révolutionnaires d'oeuvrer pour la constitution d'un ISPD en opposition à la politique réformiste-opportuniste de la majorité du SPD. Poussé par les combats ouvriers de fin 1918, il adhérera aussi au Spartakusbund de Rosa Luxemburg et prendra, après l'unification dans le KPD(S) une position responsable dans le groupe du district de Hambourg.
1918 fut surtout l'année des grandes grèves à Hambourg et dans toute l'Allemagne après novembre, dans lesquelles Appel se trouva au premier plan. Les ouvriers des chantiers navals furent en effet longtemps les combattants de pointe qui, dès le début, adoptèrent une attitude révolutionnaire, et poussés par les IKD et le KPD(S), furent le fer de lance dans les combats contre les orientations du SPD réactionnaire, de l'USPD centriste et des syndicats réformistes. Ce fut en leur sein que les hommes de confiance révolutionnaires, et après les AAU, virent le jour. Citons Appel lui-même : "En janvier de l'année 1918, les travailleurs de l'armement et des chantiers navals (sous contrôle militaire) en arrivèrent partout à se révolter contre la camisole de force de la guerre, contre la faim, le dénuement, la misère. Et ceci par la grève générale. Au début, la classe ouvrière, les prolétaires sous 1'uniforme, ne comprirent pas ces travailleurs (...) La nouvelle de ce mouvement, de ce combat de la classe ouvrière, pénétra jusque dans le dernier recoin. Et lorsque le rapport de forces eut assez mûri, lorsqu'il n'y eut plus rien à sauver de l'économie militaire et du soi-disant Empire allemand, alors, la classe ouvrière et les soldats firent ce que leur avaient appris les pionniers de janvier 1918" (Hempel, pseudonyme de Jan Appel, au 3ème Congrès de l'Internationale Communiste, juillet 1921). Et sur les grèves de novembre à Hambourg, Appel raconta : "Quand, en novembre 1918, les marins se révoltèrent et les ouvriers des chantiers à Kiel arrêtèrent le travail, nous apprîmes au chantier militaire de Vulkan, par des ouvriers de Kiel, ce qui s'était passé. Il s'en suivit alors une assemblée secrète sur le chantier, 1'usine étant sous occupation militaire. Le travail s'arrêta, mais les ouvriers restèrent ensemble, dans l'entreprise. Une délégation de 17 volontaires fut envoyée à la centrale des syndicats, pour exiger la déclaration d'une grève générale. Nous avons exigé une assemblée. Mais il s'en suivit alors une attitude opposée au mouvement de la part des dirigeants connus du SPD et des syndicats. Pendant des heures se déroulèrent des discussions acerbes. Pendant ce temps, sur le chantier Bloom und Vos, où travaillaient 17 000 ouvriers, une révolte spontanée éclata. Alors, tous les ouvriers quittèrent les usines, au chantier Vulkan également (où travaillait Appel), et se dirigèrent vers la maison des syndicats. C'est à ce moment que les dirigeants disparurent. La révolution avait commencé." (Appel, 1966, discussion avec H.M.Bock).
Ce furent alors surtout les hommes de confiance révolutionnaires élus à ce moment-là qui organisèrent les ouvriers dans des conseils d'entreprise, indépendamment des syndicats. Jan Appel fut élu pour son rôle actif et prépondérant dans les événements, président des hommes de confiance révolutionnaires. Ce fut également lui qui, avec Ernst Thâlmann, fut désigné comme homme de confiance révolutionnaire de l'USPD pendant une assemblée de masse après l'assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, pour organiser la nuit suivante une marche sur la caserne de Barenfeld, afin d'armer les ouvriers. Le manque de centralisation des Conseils, surtout avec Berlin, l'effritement et surtout la faiblesse du KPD(S) qui venait de se former, ne permirent pas au mouvement de se développer, et deux semaines plus tard, le mouvement se tassa. Ce fut alors la période où toute l'attention fut orientée vers le renforcement de l'organisation.
Pour les ouvriers en lutte, les syndicats étaient des organes morts. Début 1919, les syndicats locaux, de Hambourg entre autres, furent dissous, les contributions et les caisses réparties parmi les chômeurs. En août, la Conférence du district du nord du KPD (S), avec Hambourg comme fer de lance, obligea ses membres à quitter les syndicats. Selon Appel : "A ce moment là, nous arrivâmes à la conclusion que les syndicats n'étaient pas utilisables pour la lutte révolutionnaire, et cela amena dans une assemblée des hommes de confiance révolutionnaires à la propagande pour la constitution d'organisations d'entreprise révolutionnaires, comme base pour les Conseils. A partir de Hambourg, cette propagande pour la formation d'organisations d'entreprise se répandit et cela amena aux 'Allgemeine Arbeiter Unionen' (aau)." (Ibid.). Le 15 août, les hommes de confiance révolutionnaires se réunirent à Essen avec l'approbation de la centrale du KPD(S) pour fonder les AAU. Dans le journal KAZ apparurent à cette époque différents articles expliquant le fondement de cette décision et pourquoi les syndicats n'avaient plus de raison d'être pour la classe ouvrière dans la période de décadence, et donc révolutionnaire, du système capitaliste.
Jan Appel, comme président des hommes de confiance révolutionnaires, et organisateur actif, fut alors aussi élu comme président du KPD(S) de Hambourg. Dans les mois qui suivirent, les tensions et conflits entre la centrale de Paul Levi et surtout la section du nord du KPD(S) se multiplièrent autour de la question des syndicats, des AAU et du parti de masse. Lorsque eut lieu le 2ème Congrès du KPD en octobre 1919 à Heidelberg, où les questions de l'utilisation du parlementarisme et des syndicats furent discutées et votées, Appel, comme président et délégué du district de Hambourg, prit clairement position contre les thèses opportunistes qui allaient à 1'encontre du développement révolutionnaire. L'opposition, pourtant majoritaire, fut exclue du parti. Au Congrès même, 25 participants furent immédiatement exclus. Le groupe de Hambourg dans sa quasi-totalité se déclara en accord avec l'opposition, suivi par d'autres sections. Après différentes tentatives de l'opposition au sein du KPD(S), finalement, en février 1920, toutes les sections en accord avec l'opposition furent exclues. Mais ce n'est qu'en mars que toute tentative pour redresser le KPD (S) de l'intérieur cessa. Mars 1920 fut en effet la période du putsch de Kapp, pendant laquelle la centrale du KPD(S) lança un appel à la grève générale, tout en préconisant une "opposition loyale", négociant pour éviter toute révolte armée révolutionnaire. Aux yeux de l'opposition, cette attitude trancha et fut le signe clair de l'abandon de toute politique révolutionnaire.
Lorsqu'en avril 1920 le groupe de Berlin quitta le KPD, les bases furent jetées pour la construction du KAPD, et 40000 membres, parmi eux Jan Appel, quittèrent le KPD.
Dans les combats insurrectionnels de la Ruhr de mars 1920, de nouveau Jan Appel se trouva au premier plan, dans les unions, dans les assemblées, dans les luttes. Sur la base de sa participation active dans les combats depuis 1918 et de ses talents organisationnels, les participants au Congrès de fondation du KAPD désignèrent Appel et Franz Jung pour les représenter à Moscou auprès de l'Internationale Communiste. Ils devaient discuter et négocier sur l'adhésion à la 3ème Internationale et sur l'attitude traîtresse de la centrale du KPD pendant l'insurrection de la Ruhr. Pour parvenir à Moscou, ils durent détourner un navire. Une fois sur place, ils eurent des discussions avec Zinoviev, président de l'Internationale Communiste, et avec Lénine. Sur la base du manuscrit de Lénine "Le gauchisme, maladie infantile du communisme", ils discutèrent longuement, réfutant entre autres les fausses accusations de syndicalisme (c'est-à-dire le rejet du rôle du parti) et de nationalisme. Ainsi, Appel, dans ses articles, "Informations de Moscou" et "Où veut en venir Ruhle", dans la KAZ, défendit la position que Laufehberg et Wolffheim devaient être exclus "parce qu'on doit avoir plus de confiance dans les communistes russes que dans les nationalistes allemands qui ont quitté le terrain de la lutte de classe". Appel déclara aussi qu'il avait "jugé que Ruhle aussi ne se trouvait plus sur le terrain du programme du Parti ; si cette vision s'avère être fausse, alors 1'exclusion de Ruhle ne se pose pas. Mais les délégués avaient le droit et le devoir à Moscou de défendre le programme du Parti."
Il fallut encore plusieurs voyages à Moscou pour que le KAPD fût admis comme organisation sympathisante de la 3ème Internationale et pût ainsi participer au 3ème Congrès en 1921.
Appel travailla entre temps, sous le faux nom de Jan Arndt, un peu partout en Allemagne, et fut actif là où le KAPD ou l'AAUD l'envoyèrent. Ainsi, il devint responsable de l'hebdomadaire "Der Klassenkampf" de l'AAU dans la Ruhr où il resta jusqu'en novembre 1923.
Au 3ème Congrès de l'Internationale Communiste, en 1921, de nouveau Appel, avec Meyer, Schwab et Reichenbach, furent les délégués pour mener les négociations ultimes au nom du KAPD, contre l'opportunisme grandissant au sein de l'IC. Ils tentèrent vainement, avec des délégués de Bulgarie, Hongrie, Luxembourg, du Mexique, de l'Espagne, de la Grande-Bretagne, de Belgique et des Etats-Unis, de former une opposition de gauche. Fermement, en ignorant les sarcasmes des délégués bolcheviks ou du KPD, Jan Appel, sous le pseudonyme de Hempel, souligna à la fin du 3ème Congrès quelques questions fondamentales pour la révolution mondiale d'aujourd'hui.. Souvenons-nous de ses paroles : ".Il manque aux camarades russes une compréhension des choses telles qu'elles se passent en Europe occidentale. Les camarades russes comptent avec une population telle que celle qu'ils ont en Russie. Les russes ont vécu une longue domination tsariste, ils sont durs et solides, tandis que chez nous le prolétariat est pénétré par le parlementarisme et en est complètement infesté. En Europe, il s'agit de faire quelque chose d'autre. Il s'agit de barrer la route à 1'opportunisme et 1'opportunisme chez nous, c'est 1'utilisation des institutions bourgeoises dans le domaine économique. Les camarades russes ne sont pas non plus des surhommes, et ils ont besoin d'un contrepoids, et ce contrepoids ce doit être une troisième internationale liquidant toute tactique de compromis, parlementarisme et vieux syndicats. "
Appel fut arrêté en novembre 1923, à cause du détournement du navire avec lequel la délégation s'était rendue à Moscou en 1920. En prison, il prépara une étude sur le mouvement ouvrier et en particulier sur la période de transition vers le communisme, à la lumière des leçons des événements de Russie.
Il fut libéré fin 1925, mais l'Allemagne était devenue dangereuse pour lui et il obtint un travail dans un chantier naval en Hollande. Ainsi, à partir d'avril 1926, commença sa période d'activité politique en Hollande. Il prit contact immédiatement avec Canne Meyer, qu'il ne connaissait pas personnellement, afin de pouvoir s'intégrer dans la situation aux Pays-Bas. A partir de ce contact, des ex-membres du CPH et/ou ex-KAPH se regroupèrent lentement, et à partir de 1927 se fonda le GIC qui publiera une revue, PIC, ainsi qu'une édition en allemand. Ils suivirent de près l'évolution du KAPD en Allemagne et s'orientèrent plus vers les thèses du KAP Berlin, en opposition au groupe autour de Gorter. Pendant 4 ans, le GIC étudia et discuta l'étude qu'Appel avait faite en prison, et le livre "Les fondements de la production et de la distribution communistes" fut publié en 1930 avec les AAU de Berlin, livre qui fut discuté et critiqué par des révolutionnaires dans le monde entier jusqu'à aujourd'hui.
Appel fit encore plusieurs contributions importantes pendant les années difficiles de la contre-révolution, jusqu'à la seconde guerre mondiale, contre les positions des PC dégénérés et devenus bourgeois. Le GIC travailla en contact avec d'autres petites organisations révolutionnaires dans différents pays (comme la Ligue des Communistes Internationalistes en Belgique, le groupe autour de Bilan, "Union Communiste" en France, le groupe autour de P.Mattick aux Etats-Unis, etc.), et fut un des courants les plus importants de cette période à maintenir en vie l'internationalisme. A partir de 1933, Appel dut se tenir en retrait, vu que l'Etat hollandais en ami de l'Allemagne hitlérienne l'avait expulsé. Jusqu'en 1948, Appel vécut dans la clandestinité sous le nom de Jan Vos.
Pendant et après la seconde guerre mondiale cependant, Appel et d'autres membres du GIC se regroupèrent avec le "Spartacusbond", issu du "Marx-Lenin-Luxemburg Front", seule organisation internationaliste en Hollande jusqu'en 1942. Les membres du GIC qui s'attendaient, tout comme d'autres organisations révolutionnaires de cette période, à des mouvements de classe importants après la guerre, jugèrent important de se regrouper, même s'il existait encore des divergences entre eux, pour préparer une organisation révolutionnaire plus importante, plus forte, afin de jouer un rôle plus prépondérant dans les mouvements. Mais les mouvements ne se développèrent pas, et de nombreuses discussions eurent lieu dans le groupe sur le rôle et les taches de l'organisation politique. Appel resta dans le "Spartacusbond" et défendit des positions contre les positions conseillistes qui se renforçaient au sein du groupe. Les membres du GIC quittèrent presque tous le groupe en 1947 pour se perdre très vite dans le néant. En témoigne une lettre de Pannekoek, devenu lui aussi conseilliste, de septembre 1947 : "...Et maintenant que le mouvement de masse fort n'est pas venu, ni l'afflux de jeunes ouvriers (on avait compté là-dessus, que ça devait se produire après la guerre, et c'était sûrement le motif fondamental du GIC pour se regrouper avec le "Spartacusbond" dans la dernière année de guerre), c'est en fait logique pour le GIC de reprendre son ancien rôle, de ne pas empêcher le "Spartacusbond" de reprendre son ancien rôle du RSP. Selon mes informations, on discute pour le moment dans le GIC sur quelles formes de propagande choisir. Il est dommage que Jan (Appel) soit resté avec les gens du "Spartacus bond". Déjà dans le passé, j'avais remarqué comment son esprit et ses conceptions sont déterminés par ses expériences dans le grand mouvement allemand qui était le point culminant de sa vie; c'est là qu'il avait formé sa compréhension des techniques de 1'organisation des conseils. Mais il était trop un homme d'action pour se contenter de simple propagande. Mais vouloir être homme d'action dans une période où le mouvement de masse n'existe pas encore mène facilement à des formulations de formes d'actions impures et mystificatrices pour 1'avenir. Peut-être c'est quand même positif que dans le "Spartacusbond" ils gardent -un élément fort."
Par accident, Appel fut redécouvert par la police hollandaise en 1948. Après de multiples difficultés, on lui permit de rester aux Pays-Bas mais en lui interdisant toute activité politique. Appel dut ainsi quitter formellement le "Spartacusbond" et la vie politique organisée.
Après 1948, Appel resta néanmoins en contact avec ses vieux camarades, tant aux Pays-Bas qu'ailleurs, entre autres avec "Internationalisme" (prédécesseur du CCI) dans la fin des années 40 et dans les années 50. C'est pourquoi Jan Appel fut à nouveau présent lorsqu'à la fin des années 60 fut fondé "Révolution Internationale", future section en France du CCI, résultat des luttes massives du prolétariat en 1968. Puis, avec de nombreuses visites de camarades et sympathisants du CCI, nous vîmes Jan Appel contribuer à la formation de la nouvelle génération de révolutionnaires, participer à la constitution formelle du CCI en 1976, une dernière fois, passant ainsi le flambeau et les enseignements d'une génération révolutionnaire à celle d'aujourd'hui.
Jusqu'à la fin, Jan Appel fut convaincu que "seule la lutte de classe est importante". Nous poursuivons son combat.
Pour le CCI, A.Bai
Bibliographie dans la Revue Internationale :
"Le danger 'conseilliste' " (40);
"Le Communisten-bond Spartacus et le courant conseilliste"(39, 38);
"La faillite du conseillisme", "Les conceptions de l'organisation dans la gauche germano-hollandaise" (37);
"Critique de 'Lénine philosophe' de Pannekoek" (30,28,27,25);
"Réponse au 'communisme de conseil', Danemark" (25);
"La gauche hollandaise" (21,16,17);
"Rupture avec Spartacusbond"(9);
"Les épigones du conseillisme à 1'oeuvre : Spartacusbond, Daad en Gedachte" (2).
LISTE DES SIGLES UTILISES DANS L'ARTICLE :
GIC : Groupe des Communistes Internationaux.
KAZ : Journal Communiste Ouvrier.
USPD : Parti Social-démocrate Indépendant d'Allemagne.
RSP: Parti Socialiste Révolutionnaire, scission du CPH (1925-35), d'où sort le RSAP (Sneevliet), qui se transforme en "Marx-Lenin-Luxemburg Front"(MLL Front) en 1940.
KPD(S) : Parti Communiste d'Allemagne (Spartacus).
KAPD : Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne.
CPH : Parti Communiste de Hollande.
KAPH : Parti Communiste Ouvrier de Hollande (de Gorter).
PIC : Matériel de presse des Communistes Internationaux.
PRESENTATION
L'effort de prise de conscience du prolétariat s'exprime nécessairement par l'émergence constante de groupes, de minorités qui s'organisent pour participer au développement de cet effort dans l'ensemble de la classe. Plus la lutte de classe se développe, plus la prise de conscience mûrit dans les entrailles de la société, plus nombreux sont les éléments et groupes qui surgissent. L'apparition d'un nouveau groupement en Inde, dans le cadre des principes fondamentaux de la lutte du prolétariat à notre époque, constitue une expression de cette tendance permanente du prolétariat à la prise de conscience de son être révolutionnaire et de la présente maturation de la conscience de la classe.
Ce groupe s'est baptisé "Communist Internationalist" ([1] [148]) et vient de publier le premier numéro d'un bulletin qui :se donne pour tâche de participer à "la clarification et au regroupement des éléments et individus à la recherche d'une clarté révolutionnaire". Nous publions ci-dessous les principes de base à travers lesquels ils se définissent pour le moment.
Le fait que ce groupe surgisse en Inde constitue une démonstration éclatante du caractère unitaire du prolétariat comme classe mondiale, qui défend les mêmes intérêts et mène le même combat, quelle que soit la diversité des conditions dans lesquelles il. se trouve. Même si le prolétariat des pays sous-développés vit dans des conditions d'isolement national et international telles qu'il peut difficilement ouvrir la dynamique de la révolution mondiale ([2] [149]), il n'en est pas moins une partie totalement intégrante de la classe ouvrière mondiale. C'est l'être historique et mondial de la classe qui produit des minorités révolutionnaires. C'est pourquoi, les minorités révolutionnaires du prolétariat ne sont pas immédiatement dépendantes de l'expérience du prolétariat là où elles se trouvent, et peuvent surgir dans des pays sous-développés. Le CCI lui-même en est une expression : sa plus ancienne section est née au Venezuela.
Comme le lecteur pourra s'en rendre compte, les positions du CCI ont été un facteur crucial dans la clarification du groupe en Inde. Elles lui ont notamment permis de se rattacher à l'expérience historique de la classe, celle des Internationales et des Gauches communistes. Sans un rattachement et une compréhension critique de l'expérience historique de sa classe, aucun groupement révolutionnaire ne saurait s'enraciner.
LA RUPTURE AVEC LE GAUCHISME
Les positions du CCI ont servi de pôle de clarification pour les éléments de ce groupe qui, depuis 1982, avaient engagé un processus plus ou moins confus de rupture avec un groupe maoïste ([3] [150]). Elles les ont aides à mener à bien ce processus et à accomplir pleinement cette rupture qui est la condition sine qua non d'une évolution positive vers des positions communistes. Beaucoup d'analyses du CCI les ont aidés, mais nous voudrions souligner ce qui a constitué la pierre de touche de cette réelle rupture : la question nationale.
Dans les pays sous-développés, la mystification la plus importante de la bourgeoisie, celle qui trouve un écho dans la situation de misère de la population et du prolétariat, est le nationalisme, sous toutes ses formes, contre "l'impérialisme". C'est derrière ce slogan que les bourgeoisies nationales des pays sous-développés, spoliées par les plus grandes puissances, tentent de faire l'unité des mécontentements. Si nous regardons la Pologne où se sont déroulés à plusieurs reprises de formidables combats du prolétariat, nous devons nous rappeler la force du nationalisme anti-russe. Dans les pays d'Amérique Latine, "l'impérialisme yankee" a été dans les années 70 le grand thème de dévoiement de la part des gauchistes, défenseurs des "luttes de libération nationale". En Inde, l'idée de "nation opprimée" avec toutes les divisions nationales qui traversent cet Etat constitué tardivement, pèse très fortement. Le mythe de la "nation indienne", "indépendante" des grandes puissances impérialistes, est le fer de lance des mystifications de la bourgeoisie, masquant ainsi les caractéristiques de notre époque, à savoir l'impossibilité de tout développement et indépendance nationaux, et le réel ennemi du prolétariat : la bourgeoisie mondiale et nationale.
La "question nationale" n'est pas nouvelle : elle a posé beaucoup de problèmes et fait commettre bien des erreurs au mouvement ouvrier ([4] [151]). La compréhension que le terrain prolétarien contient la rupture avec toute forme de nationalisme par le groupe "Communist Internationalist" est l'un des critères majeurs qui nous permet de saluer aujourd'hui son émergence comme expression du prolétariat, comme groupement communiste.
Malheureusement, des groupes du milieu révolutionnaire, Battaglia Comunista (BC) et Communist Workers Organisation (CWO), n'ont pas la clarté des nouvelles énergies qui se dégagent aujourd'hui de la lutte de classe. D'Inde, ils rapportent dans les pages de leur presse, les nouvelles d'un groupe, le Revolutionary Proletarian Party (RPP), dont les camarades de "Communist Internationalist" nous disent :
"Nous pensons que leurs efforts (du RPP) pour rompre avec le gauchisme ne se sont pas bloqués ; en fait, ils n'ont jamais commencé d'efforts dans ce sens (...) ; sur la question nationale, ils n'ont même pas essayé de rompre avec le nationalisme fanatique de leur organisation-mère Le moindre internationalisme pour eux est aberrant Développant leur attaque hystérique contre les positions du CCI, dans leur publication en hindi, ils mettent en avant les idées de "socialisme (bien sûr comme 'première étape') 'en un seul pays', de 'nationalisme prolétarien', et d'autres positions tout à fait gauchistes ( .) L'enthousiasme de la CWO et ses relations avec le RPP et 1 'UCM ne font que montrer la confusion de la CWO " (Lettre du 1/4/85).
Sur cette question, BC et la CWO justifient leurs concessions aux "mouvements nationaux" par les spécificités... "nationales" des pays sous-développés ([5] [152]), et ne voient pas que, ce faisant, ils font le jeu d'une des mystifications les plus pernicieuses dans les pays sous-développés, le nationalisme. Et en fin de compte ils en sont eux-mêmes le jouet. Mais BC et la CWO ne veulent pas nous croire. Le CCI, disent-ils, est indifférentiste, voudrait un prolétariat pur, il est hors du réel...
Voila la force du nouveau groupe "Communist Interna-tionalist". Il est un argument concret, éminemment réel, contre les justifications de BC-CWO à leur opportunisme envers le gauchisme des RPP et autre UCM. L'arrivée de nouvelles forces aux positions communistes est un renforcement de tout le milieu prolétarien, pas seulement en forces numériques, mais aussi en argumentation concrète, pratique.
LES PERSPECTIVES
Comme nous l'avons dit plus haut, la clarté politique pour des éléments qui se sont détachés du gauchisme
et ont traversé tout un processus d'évolution à partir de celui-ci, passe par une claire rupture avec leur passé, et notamment la compréhension du caractère bourgeois du gauchisme. Dans les pays capitalistes avancés, c'est surtout la question du parlementarisme et, de plus en plus, du syndicalisme, qui sont la principale mystification que l'on doit démasquer dans le gauchisme. Dans les pays sous-développés, c'est avant tout le nationalisme.
Le groupe "Communist Internationalist" a 'accompli cette rupture, et adopté les positions fondamentales du prolétariat dans la période de décadence. Les perspectives de discussion pour la clarification des positions communistes qu'ils se donnent dans leur déclaration, le but de regroupement des éléments révolutionnaires qui surgissent et l'orientation vers l'intervention dans la lutte de classe qu'ils affirment et qu'ils ont déjà réalisée en publiant deux tracts lors d'événements en Inde (l'assassinat d'Indira Gandhi, puis les élections), sont des traits caractéristiques d'une expression authentiquement prolétarienne. Ces camarades ont encore du chemin à parcourir, comme ils le disent eux-mêmes, pour développer une pleine cohérence. Mais leur émergence constitue une nouvelle contribution à la lutte historique du prolétariat, un pas vers la formation de son parti mondial dans les perspectives d'affrontements de classe à venir. Pour notre part, nous contribuerons de toutes nos forces, comme c'est notre orientation depuis le début de notre existence, à la clarification et au regroupement des forces révolutionnaires qui se dégagent. Salut au groupe "Communist Internationalist".
CCI
Ce que nous sommes
Après des décennies d'une longue contre-révolution, la reprise mondiale du prolétariat a commencé dans les années 60 avec la réapparition de la crise ouverte du capitalisme décadent. Depuis, d'un côté le capital s'est enfoncé dans l'abîme de la crise s'approfondissant ; de l'autre, les luttes de la classe ouvrière ont été de plus en plus fières et conscientes.
Dans une perspective qui s'ouvre vers la révolution prolétarienne mondiale, des expressions politiques de la classe, ses minorités révolutionnaires, ont surgi et surgissent encore. Et si ces groupes sont le produit des efforts de prise de conscience de la classe, ceci a été vrai à un niveau encore plus rudimentaire en ce qui concerne nos propres efforts.
Bien qu'il y ait ici (en Inde) une longue tradition de luttes héroïques de la classe, ce sont les traits de la reprise mondiale de la classe qui ont commencé à arracher le masque du stalinisme et à faire succomber le mythe d'un socialisme russe et chinois. C'est sous la pression de ces luttes et sous l'influence directe et puissante de leur impact que certains éléments ici dont nous-mêmes, avons tenté de nous dégager du gauchisme, du stalinisme et du maoïsme (Naxalbari) et de faire de premiers pas vers des positions communistes. Contrairement à l'Europe où les nouveaux éléments et groupes révolutionnaires qui surgissaient, avaient à leur disposition le trésor que constituent les analyses de la gauche communiste, et pouvaient s'appuyer dessus, nos efforts initiaux ont été le résultat de purs instincts prolétariens.
Mais un simple instinct de classe ne suffit pas. Pour développer ces premiers efforts, il était essentiel qu'ils soient fermement basés sur le terrain solide de la longue expérience historique de la classe et de sa synthèse -le marxisme. Les analyses du CCI. ont été d'une grande aide pour nous dans cette direction.
Ces efforts nous ont convaincus qu'une position communiste ne peut que partir d'un ferme rejet de courants capitalistes tels que le stalinisme, le trotskysme et le maoïsme, et en se reliant au riche héritage des première, deuxième et troisième Internationales.
Mais ceci n'était pas encore suffisant. Nous vivons dans une époque, celle de la décadence du capitalisme, qui n'a commencé que récemment, en 1917-18. Toutes ses implications pour la tactique prolétarienne n'étaient pas clairement comprises alors. Mais aujourd'hui, après soixante-dix ans d'expérience, on ne peut passer à côté de cela sans abandonner les positions de classe.
En 1914 le système capitaliste est entré dans sa phase de décadence à cause de la saturation du marché mondial. La tendance au capitalisme d'Etat s'est développée dans tous les pays pour maintenir en vie le capitalisme décadent. L'Etat a commencé à se développer sous une forme monstrueuse, absorbant et intégrant toutes les sphères de la vie en son sein. Au cours de ce processus, le monstrueux Etat capitaliste a intégré toutes les anciennes organisations réformistes de la classe en son sein et les a transformées en ses propres appendices. Toutes les vieilles tactiques concernant les syndicats, les parlements, les fronts et les libérations nationales ont perdu leur ancien caractère prolétarien.
Les positions des fractions de gauche de la 3e Internationale ont représenté de premiers efforts pour rejeter les vieilles tactiques à la lumière du changement des conditions, et pour en adopter de nouvelles à la place. Ensuite, avec la dégénérescence de la révolution russe et du Comintern, les fractions de gauche ont non seulement lutté contre la contre-révolution stalinienne et, plus tard, ses supporters trotskystes, mais ont approfondi leur compréhension du caractère contre-révolutionnaire des syndicats, de l'activité parlementaire, du frontisme, des luttes de libération nationale et de toutes les sortes de nationalisme, à travers une profonde analyse de la décadence du capitalisme en fonction de laquelle elles ont développé leur tactique.
Nous pensons que l'expérience des dernières décennies a démontré maintes et maintes fois que ces positions étaient correctes. C'est notre ferme conviction que garder en vue ces positions, les comprendre et les assimiler, est essentiel pour toute intervention fructueuse dans les luttes de la classe.
C'est dans ce but que nous avons orienté nos efforts tous ces derniers temps. Nous avons essayé de comprendre l'expérience de la classe entre la première grande vague révolutionnaire et la reprise dans les années 60 et d'en assimiler les leçons. Nous avons aussi trouvé pour cet effort une aide valable avec le CCI.
Mais ceci n'est pas un effort valable une fois pour toutes. C'est un processus long et continu. Ce bulletin a pour but de permettre à ce processus de se poursuivre et de le pousser plus loin à une échelle supérieure et plus large. Nous aimerions donc avoir un débat sur la longue expérience historique de la classe avec les éléments qui surgissent et voudront que des leçons soient tracées à partir de l'expérience des luttes actuelles de la classe. Nous nous engageons à ouvrir les pages de ce bulletin à des éléments et groupes qui adoptent les positions communistes et sont intéressés à mener un débat honnête.
Mais ce travail de compréhension de l'expérience de la classe et d'apprentissage de ses leçons n'est pas notre but en soi. Comme révolutionnaires, notre but est d'enrichir notre compréhension des positions communistes afin de baser la défense de ces positions sur un terrain ferme et nos interventions dans la classe sur ces positions. En fait, le plus important pour^ nous, c'est cette intervention, la rendre fructueuse et,à travers elle, se réapproprier toutes les leçons de l'expérience passée de la classe. Ainsi, en les assimilant, la classe pourra réaliser toutes les possibilités latentes existant dans ses luttes présentes et à venir.
Tout cela nécessite un effort systématique et organisé. Etant donné le rôle décisif des révolutionnaires dans les luttes de la classe, il est essentiel que les débats du bulletin soient dirigés pour aider les éléments et individus à la recherche d'une clarté révolutionnaire et pour développer un pôle de regroupement. Le bulletin devra garder constamment en vue ce but extrêmement important.
Nous avons mentionné l'importante contribution du CCI dans notre développement vers des positions communistes. Même si nos positions sont le résultat de nos efforts pour comprendre et assimiler les analyses du CCI, nous pensons qu'il est nécessaire de clarifier la forme de nos relations actuelles avec le CCI.
BIEN QU'IL SYMPATHISE AVEC LE CCI, LE BULLETIN N'EST, EN AUCUN CAS, UNE PUBLICATION DU CCI, NI PARTIE DE SON CADRE ORGANI-SATIONNEL.
C'EST LE BULLETIN SEUL QUI PORTE LA RESPONSABILITE POLITIQUE DES IDEES EXPRIMEES DANS SES PAGES.
Communist Internationalist
[1] [153] Adresse : Post Box n°25 - N.I.T FARIDABAD 121001 - HARYANA STATE - INDE
[2] [154] Voir l'article "Le prolétariat d'Europe occidentale.", Revue Internationale n°3 1.
[3] [155] Nous publierons ultérieurement un article sur 1'évolution et les leçons de 1'expérience de ces camarades
[4] [156] Voir dans ce n° "Les communistes et la question nationale, III" ainsi que les Revues Internationales n°34 et 36.
[5] [157] Voir "La formation du BIPR : le bluff d'un regroupement", Revues Internationales n°40 et 4 7
Dans le précédent numéro de la Revue Internationale est paru un article de discussion signé JA et intitulé "Le CCI et la politique du moindre mal", exprimant les positions d'un certain nombre de camarades qui se sont récemment constitués en "tendance". Faute de temps (1'article nous étant parvenu quelques jours seulement avant la publication de la Revue), nous n'avions pas apporté de réponse à cet article lors de sa parution : nous nous proposons donc de le faire dans le présent numéro. Cependant, cette réponse ne sera pas exhaustive dans la mesure où le texte de la camarade JA aborde une multitude de questions diverses qu'on ne saurait traiter de façon sérieuse dans un seul article. Le fait que nous n'apportions pas de réponse à la totalité des arguments et questions contenus dans le texte ne signifie donc nullement que nous désirions esquiver ces questions (sur lesquelles nous serons amenés à revenir), mais tout simplement que nous préférons permettre au lecteur de se faire une idée claire et précise des positions de 1'organisation, plutôt que semer la confusion en mélangeant tous les sujets comme le fait malheureusement la camarade JA dans son article.
Le texte de JA a en effet pour caractéristique d'apporter bien plus de confusion que de clarté sur la véritable teneur des questions en débat : le lecteur non informé de ce débat risque de s'y perdre complètement. En fait ce texte ne fait qu’exprimer de façon particulièrement significative (on pourrait dire presque caricaturale) la confusion dans laquelle se débattent eux-mêmes à l1heure actuelle les camarades qui ont décidé de constituer une "tendance". C'est pour cela, qu'avant même de pouvoir répondre directement à l'article de la camarade JA, il est nécessaire -et de notre responsabilité- que nous présentions au lecteur un certain nombre d'éléments sur la façon dont le débat est apparu et s'est développé dans notre organisation, ne serait-ce que pour rectifier et éclaircir ce que dit là-dessus cet article.
L'ORIGINE DU DEBAT
Les difficultés du CCI en 1981
Comme pour l'ensemble des organisations communistes, les années 80, "années de vérité" ([1] [159]), ont été un test pour le CCI. L'aggravation considérable de la crise du capitalisme durant ces années, l'intensification des tensions entre blocs impérialistes, l'ampleur croissante des enjeux et de la portée des luttes ouvrières, ont mis à l'épreuve la capacité des groupes révolutionnaires de se hisser à la hauteur de leurs responsabilités. Cette épreuve s'est traduite, au sein du milieu prolétarien, par des convulsions importantes allant jusqu'à la désagrégation de certaines organisations comme "Programme Communiste" (accompagnée par une évolution de ses débris vers le gauchisme), la disparition complète d'autres groupes comme "Pour une Intervention Communiste", la fuite en avant dans des pratiques parfaitement opportunistes (flirt du tandem "Battaglia Comunista"-"Communist Workers Organisation" avec des groupes nationalistes kurdes-iraniens, participation des "Nuclei Leninisti Internazionalisti" à toutes sortes de"collectifs"avec les gauchistes et au référendum en Italie) ([2] [160]). Pour sa part, le CCI n'a pas été épargné puisque :
"Depuis son 4ème Congrès (1981), le CCI a connu la crise la plus grave de son existence. Une crise qui a secoué profondément 1'organisation, lui a fait frôler 1'éclatement, a provoqué directement ou indirectement le départ d'une quarantaine de ses membres, a réduit de moitié les effectifs de sa deuxième section territoriale. Une crise qui s'est traduite par tout un aveuglement, une désorientation comme le CCI n'en avait pas connus depuis sa création. Une crise qui a nécessité, pour être dépassée, la mobilisation de moyens exceptionnels : la tenue d'une Conférence Internationale extraordinaire, la discussion et 1 'adoption de textes d'orientation de base sur la fonction et le fonctionnement de 1'organisation révolutionnaire, 1'adoption de nouveaux statuts." (Revue Internationale n°35, Présentation du 5ème Congrès du CCI).
Un redressement effectif, mais incomplet : les déviations conseillistes
Avec la Conférence extraordinaire de janvier 82, le 5ème Congrès du CCI (juillet 83) devait représenter un moment important du ressaisissement de notre organisation après les difficultés rencontrées en 1981. Cependant, malgré l'adoption de rapports et résolutions (voir Revue Internationale n°35) tout à fait corrects et qui ont conservé leur validité, ce congrès devait révéler, par ses débats, l'existence au sein de l'organisation d'un certain nombre de faiblesses sur trois questions essentielles :
- l'évolution des conflits impérialistes dans la période actuelle ;
- les perspectives du développement de la lutte de classe ;
- le processus de prise de conscience du prolétariat.
Sur le premier point, on pouvait constater une certaine tendance à la sous-estimation de l'ampleur de ces conflits, à considérer que, puisque le cours historique est à l'heure actuelle aux affrontements de classe généralisés (et non à la guerre mondiale comme dans les années 30) ([3] [161]), nous allions assister à une atténuation progressive des tensions entre blocs impérialistes.
Sur le deuxième point, il s'était développé dans les débats du Congrès la thèse suivant laquelle le recul des luttes ouvrières constaté par le CCI dès 1981 serait de "longue durée" et qu'il faudrait un "pas qualitatif" dans la conscience et les luttes du prolétariat pour qu'on puisse assister à une nouvelle vague de combats de classe. Quelques mois après le Congrès, cette thèse -qui pourtant ne figurait ni dans le rapport, ni dans la résolution sur la situation internationale- devait révéler son caractère pernicieux et dangereux en empêchant de nombreux camarades et plusieurs sections du CCI de reconnaître l'importance des luttes dans le secteur public en Belgique et aux Pays-Bas de l'automne 83 comme les premières manifestations d'une reprise générale des combats ouvriers.
Sur le troisième point, il avait été exposé tant au Congrès que dans les textes internes et sans que cela provoque de réfutation sensible de la part de l'organisation, une analyse nettement conseilliste du processus de prise de conscience du prolétariat dont on peut se faire une idée par les extraits qui suivent :
"...la formule 'maturation souterraine de la conscience est à rejeter. D'abord parce que le seul et unique creuset de la conscience de classe c'est sa lutte massive et ouverte. D'autre part, les moments de recul dans la lutte marquent une régression de la conscience. La formule maturation souterraine de la conscience exprime une confusion entre deux processus qui, même s'ils sont étroitement liés, sont différents : le développement des conditions objectives et la prise de conscience.
Placés au centre du processus historique capitaliste, la classe ouvrière et surtout ses fractions centrales peuvent comprendre et traduire dans le fait de la prise de conscience la maturation des conditions objectives, mais cela elles ne peuvent le faire seulement que dans la lutte, c'est-à-dire dans l'affrontement avec le capitalisme (...).
La conscience de classe n'avance pas comme dans un cours scolaire... Phénomène global, il implique nécessairement une vision d'emblée globale et d'ensemble et pour cela son seul creuset c'est la lutte massive et ouvrière (...).
Cette formule ("maturation souterraine de la conscience") sous-estime un phénomène qui se produit dans les moments de recul : la régression qui s'opère dans la classe, une régression de la conscience. Et cela il ne faut pas avoir peur de le reconnaître parce que de la même façon que la lutte ouvrière se déroule en dents de scie, la conscience ne se développe pas de manière linéaire mais au contraire fait des avancées et des reculs. (...)Ce sont deux facteurs qui déterminent le niveau et le développement de la prise de conscience: la maturation de la crise historique du capitalisme et le rapport de forces entre les classes. Ces deux facteurs posés à 1 'échelle mondiale déterminent dans chaque période de la lutte de classe la clarté sur ses buts historiques, les confusions, les illusions,les concessions mêmes à 1'ennemi (...) cela se fait en donnant une réponse aux problèmes posés dans les luttes précédentes par les nouvelles luttes."
Les camarades qui s'identifiaient avec cette analyse pensaient être en accord avec les conceptions classiques du marxisme (et donc du CCI) sur le problème de la conscience de classe. En particulier, ils ne rejetaient nullement de façon explicite la nécessité d'une organisation des révolutionnaires dans le développement de celle-ci. Mais en fait, ils avaient été conduits à faire leur une vision conseilliste :
- en faisant de la conscience un élément uniquement déterminé et jamais déterminant de la lutte de classe ;
- en considérant que "le seul et unique creuset de la conscience de classe, c'est la lutte massive et ouverte", ce qui ne laissait aucune place aux organisations révolutionnaires ;
- en niant toute possibilité pour celles-ci de poursuivre un travail de développement et d'approfondissement de la conscience de classe dans les moments de recul de la lutte,
La seule différence majeure entre cette vision et le conseillisme, c'est que ce dernier va jusqu'au bout de sa démarche en rejetant explicitement la nécessité des organisations communistes, alors que nos camarades n'allaient pas jusque là.
La résolution de janvier 1984
Face aux différentes faiblesses qui s'étaient manifestées au sein du CCI, son organe central devait adopter en janvier 1984 une résolution en trois volets (conflits impérialistes, perspectives des luttes de classe, développement de la conscience) dont nous reproduisons ici le dernier (points 7 et 8).
7. Ce sont donc 1'aggravation de la crise et les attaques économiques contre la classe ouvrière qui constituent le moteur essentiel du développement des luttes et de la conscience de la classe. C'est notamment pour cela qu'à l'heure actuelle, et pour un bon moment encore, c'est la riposte aux agressions contre le niveau de vie des ouvriers, et non aux menaces de guerre, qui sera le facteur de leur mobilisation, même si les luttes économiques constituent en fait un obstacle à ces menaces. Cependant il ne faut pas donner à cette constatation matérialiste élémentaire, au rejet de la vision idéaliste critiquée plus haut, une interprétation restrictive et unilatérale étrangère au marxisme. Il faut se garder en particulier de la thèse qui ne voit la maturation de la conscience de classe que comme résultat ou reflet de la maturation des conditions objectives', qui considère que les luttes provoquées par cette 'maturation des conditions objectives' sont le 'seul creuset' où se forge la conscience, laquelle 'régresserait' à chaque recul des luttes. A une telle vision, il est nécessaire d'opposer les points suivants :
a) Le marxisme est une démarche matérialiste et dialectique : la pratique de la classe est praxis, c'est-à-dire qu'elle intègre comme facteur actif la conscience de la classe. La conscience n'est pas seulement déterminée par les conditions objectives et par la lutte, elle est également déterminante dans la lutte. Ce n'est pas un simple résultat statique de la lutte mais elle a sa propre dynamique et devient à son tour 'force matérielle ' (Marx).
b) Même si elles font partie d'une même unité et agissent l'une sur l'autre, il est faux d'identifier la conscience de classe avec la conscience de la classe ou dans la classe, c'est-à-dire son étendue à un moment donné. Autant cette dernière relève d'un grand nombre de facteurs, aussi bien généraux-historiques que contingents-immédiats -notamment le développement des luttes- autant la première est connaissance de soi, non seulement dans1'existence immédiate de la classe, dans son présent, mais également dans son devenir. La condition de la prise de conscience est donnée par 1 'existence historique de la classe capable d'appréhender son avenir, et non pas les luttes contingentes-immédiates. Celles-ci, 1'expérience, apportent de nouveaux éléments à son enrichissement, notamment dans les moments d'intense activité du prolétariat. Mais elles ne sont pas les seules : la conscience surgissant avec 1'existence a également sa propre dynamique : la réflexion, la recherche théorique, qui sont autant d'éléments nécessaires à son développement.
c) Les périodes de recul de la lutte ne déterminent pas une régression ni même un arrêt dans le développement de la conscience de classe : 1'ensemble de 1 'expérience historique, depuis 1'approfondissement de la théorie après la défaite de la révolution de 1848 jusqu'au travail des gauches en pleine contre-révolution atteste du contraire. Là encore, il est nécessaire de distinguer ce qui relève d'une continuité dans le mouvement historique du prolétariat : 1 élaboration progressive de ses positions politiques et de son programme, de ce qui est lié aux facteurs circonstanciels : 1'éten due de leur assimilation et de leur impact dans 1 'ensemble de la classe.
d) Ce n'est pas uniquement dans et au cours des luttes futures que se donnée la réponse aux questions et problèmes posés dans les luttes passées. En effet, non seulement les organisations révolutionnaires contribuent largement dans les après- luttes, et avant que ne surgissent des luttes nouvelles, à tirer les leçons des expériences vécues par la classe et à les propager en son sein, mais il se fait dans la tête de 1'ensemble des ouvriers tout un travail de réflexion qui va se manifester dans ses luttes nouvelles. Il existe une mémoire collective de la classe, et cette mémoire contribue également au développement de la prise de conscience et à son extension dans la classe, comme on a pu le constater une nouvelle fois en Pologne où les luttes de 80 révélaient 1'assimilation de l'expérience de celles de 70 et 76. Sur ce plan, il importe de souligner la différence existant entre une période de recul historique du prolétariat -le triomphe de la contre-révolution- où les leçons de ses expériences sont momentanément perdues pour sa très grande majorité, des périodes comme aujourd'hui, où ce sont les mêmes générations ouvrières qui participent aux vagues successives de combats contre le capitalisme et qui intègrent progressivement dans leur conscience les enseignements de ces différentes vagues.
Les luttes massives et ouvertes sont effectivement un riche creuset du développement de la conscience et surtout de la rapidité de son extension dans la classe. Cependant, elles ne sont pas le seul. L'organisation des révolutionnaires constitue un autre creuset de la prise de conscience et de son développement, un outil indispensable à la classe pour sa lutte immédiate et historique.
Pour cet ensemble de raisons, il existe, entre les moments de lutte ouverte, une 'maturation souterraine' de la conscience (la 'vieille taupe' chère à Marx), laquelle peut s'exprimer tant par l'approfondissement et la clarification des positions politiques des révolutionnaires que par une réflexion et une décantation dans 1'ensemble de la classe, un dégagement des mystifications bourgeoises.
8. En fin de compte, toute conception qui fait découler la conscience uniquement des conditions objectives et des luttes que celles-ci provoquent est incapable de rendre compte de 1'existence d'un cours historique. Si, depuis 1968, le CCI a mis en évidence que le cours historique présent est différent de celui des années 30, que 1'aggravation de la crise économique ne débouche pas vers la guerre impérialiste mondiale mais vers des affrontements de classe généralisés, c'est justement parce qu'il a été en mesure de comprendre que la classe ouvrière d'aujourd'hui n'est plus, et de loin, aussi perméable aux mystifications bourgeoises -notamment le mythe de 1'URSS et 1'antifascisme- qui avaient permis de dévoyer son mécontentement, d'épuiser sa combativité et de 1'embrigader sous les drapeaux bourgeois.
Avant même que ne s'engage la reprise historique des luttes à la fin des années 60, la conscience du prolétariat était donc déjà la clé de toute la perspective de la vie de la société en cette fin de siècle."
LE DEVELOPPEMENT DU DEBAT ET LA CONSTITUTION D'UNE "TENDANCE"
Les "réserves" sur le point 7 de la résolution et leur caractérisation par le CCI
Lorsque cette résolution fut adoptée, les camarades du CCI qui avaient auparavant développé la thèse de la "non-maturation souterraine" avec toutes ses implications conseillistes s'étaient rendu compte de leur erreur. Aussi se prononcèrent-ils fermement en faveur de cette résolution et notamment son point 7 qui avait comme fonction spécifique de rejeter les analyses qu'ils avaient élaborées auparavant. Par contre, on vit surgir de la part d'autres camarades des désaccords sur ce point 7 qui les conduisirent soit à le rejeter en bloc, soit à le voter "avec réserves" en rejetant certaines de ses formulations. On voyait donc apparaître dans l'organisation une démarche qui, sans soutenir ouvertement les thèses conseillistes, que la résolution condamnait, consistait à servir de bouclier, de parapluie à ces thèses en se refusant à une telle condamnation ou en atténuant la portée de celle-ci. Face à cette démarche, l'organe central du CCI était amené à adopter en mars 84 une résolution rappelant les caractéristiques :
"- de 1'opportunisme en tant que manifestation de la pénétration de 1'idéologie bourgeoise dans les organisations prolétariennes et qui s'exprime notamment par :
. un rejet ou une occultation des principes révolutionnaires et du cadre général des analyses marxistes ;
. un manque de fermeté dans la défense de ces principes ;
- du centrisme en tant que forme particulière de l'opportunisme caractérisée par :
. une phobie à 1'égard des positions franches, tranchantes, intransigeantes, allant jusqu'au bout de leurs implications ;
. 1'adoption systématique de positions médianes entre les positions antagoniques ;
. un goût de la conciliation entre ces positions;
. la recherche d'un rôle d'arbitre entre celles-ci ;
. la recherche de l'unité de 1'organisation à tout prix y compris celui de la confusion, des concessions sur les principes, du manque de rigueur, de cohérence et de continuité dans les analyses. "
Ensuite, la résolution "souligne le fait que, au même titre que toutes les autres organisations révolutionnaires de 1 'histoire du mouvement ouvrier, le CCI doit se défendre de façon permanente contre la pression constante et le danger d'infiltration en son sein de 1'idéologie bourgeoise." Elle considère que, "comme pour toutes les autres organisations, la tendance au centrisme constitue une des faiblesses importantes du CCI et parmi les plus dangereuses". Elle "estime que cette faiblesse s'est manifestée en de multiples occasions dans notre organisation et notamment (...) :
- lors du développement d'une démarche conseilliste au nom du rejet de la notion de 'maturation souterraine de la conscience par une réticence très nette à rejeter vigoureusement cette démarche;
- (en janvier 84) par une difficulté à se prononcer clairement, par des hésitations et des 'réserves' non ou peu explicitées (...), à l'égard de la résolution sur la situation internationale."
Puis la résolution "met fermement en garde 1'ensemble du CCI contre le danger de centrisme". Elle "appelle toute 1'organisation à prendre pleinement conscience de ce danger afin de le combattre avec détermination chaque fois qu'il se manifestera."
Enfin, la résolution estime "qu'une des menaces importantes à 1'heure actuelle est constituée par les dérapages vers le conseillisme -dérapages dont l'analyse rejetant la 'maturation souterraine' constitue une illustration- et qui, dans la période qui vient de luttes massives du prolétariat dans les pays centraux du capitalisme, constituera pour 1 'ensemble de la classe et ses minorités révolutionnaires, un réel danger, plus important, quant à son influence néfaste, que le danger d'entraînement vers des conceptions substitutionnistes." Et la résolution conclut "qu'il existe à 1 'heure actuelle au sein du CCI, une tendance au centrisme - c'est-à-dire à la conciliation et au manque de fermeté - à 1'égard du conseillisme."
La tendance au centrisme à l'égard du conseillisme
Cette tendance au "centrisme à l'égard du conseillisme" devait s'illustrer dans les "explications de votes" qui avaient été demandées aux camarades ayant voté "avec réserves" le point 7 de la résolution ou l'ayant rejeté. Si certains camarades reconnaissaient leurs propres doutes et manque de clarté, d'autres attribuaient à la résolution elle-même ce manque de clarté en l'accusant:
- "de frôler de trop près des conceptions qui voient dans la lutte révolutionnaire deux consciences" (comme la conscience socialiste et la conscience trade-unioniste telles qu'elles sont distinguées par Kautsky et Lénine) ;
- d'utiliser des formulations "qui laissent la porte ouverte à des interprétations de type 'Kautsky-léninistes' du processus de prise de conscience de la classe ouvrière" OU ayant "une résonance toute hégélienne" ou encore ne disant "rien d'autre que ce que disent, par exemple, les bordiguistes" de "flirter avec des conceptions léninistes", de "constituer une régression" par rapport au "dépassement du léninisme" opéré antérieurement par le CCI ;
-de "s'enfermer dans une démarche qui ferait croire que la conscience de classe est une donnée achevée" qui "est dans les mains d'une minorité et que la contribution de la classe ouvrière dans son ensemble historiquement ne serait que de l'accepter, 1'assimiler."
Une des caractéristiques des "réserves" était donc d'attribuer à la résolution des idées qui ne s'y trouvaient pas et qu'elle rejetait même explicitement (comme on peut s'en rendre compte en la relisant). On y voyait en particulier des conceptions "bordiguistes" ou "léninistes", ce qui est l'accusation classique des conseillistes à l'égard des positions du CCI (tout comme les groupes "léninistes" ou "bordiguistes" considèrent ces positions comme "conseillistes"). Les concessions au conseillisme étaient encore plus flagrantes lorsque telle "réserve" tendait à renvoyer dos à dos les analyses conseillistes apparues auparavant et leur critique par le point 7 de la résolution, en considérant que si les premières "pour démontrer une idée fausse étaient amenées à citer une idée juste", la seconde "pour rappeler des idées justes est maladroitement conduite à combattre ce qui était correct" dans ces analyses. Ces concessions s'exprimaient également dans telle autre "réserve" qui considérait que ces analyses "viennent plus d'une exagération abusive dans le débat sur la maturation souterraine... que d'un conseillisme sournois et délibéré". C'était là de belles illustrations de la "démarche centriste à l'égard du conseillisme" telle qu'elle avait été identifiée par le CCI, puisque ces réserves : se posaient en arbitre entre les positions qui s'affrontaient ; venaient au secours de la position conseilliste en se refusant de l'appeler par son nom ; créaient des rideaux de fumée (par exemple, l'introduction des épithètes "sournois" et "délibéré" qui n'étaient jamais apparues dans le débat) afin de faire obstacle à la clarté du débat.
Cette démarche, nous la retrouvons dans le texte de la camarade JA (Revue n°41, p.32) lorsqu'il essaie de présenter "les origines du débat" :
"Bien que la maturation souterraine soit rejetée à la fois explicitement par "Battaglia-CWO" par exemple (...), ce rejet étant parfaitement conséquent avec la théorie 'léniniste ' de la conscience 'trade-unioniste' de la classe, et à la fois par des théorisations du conseillisme dégénéré (...), l'organisation a décidé que le rejet de la maturation était en lui-même uniquement le fruit du conseillisme latent en nos rangs".
Il suffit de relire les extraits cités plus haut des analyses apparues dans le CCI rejetant la notion de "maturation souterraine de la conscience" pour se rendre compte que la démarche employée pour opérer un tel rejet est bien de nature conseilliste (même si d'autres que les conseillistes, et avec d'autres arguments, rejettent également cette notion). Encore faut-il, pour être en mesure de faire ce constat, ne pas être soi-même victime d'une vision conseilliste. Les camarades qui ont critiqué le point 7 se sont focalisés sur cette question de la "maturation souterraine" sans voir qu'elle s'appuyait sur une démarche conseilliste, parce qu'ils sont en fin de compte d'accord avec une telle dé marche même s'ils ne vont pas jusqu'au bout de toutes ses implications (autre caractéristique du centrisme) .C'est pour cela d'ailleurs que le point 7 de la résolution ne traite de la "maturation souterraine "que dans son 6ème et dernier paragraphe après avoir réfuté l'ensemble des maillons du raisonnement qui conduit au rejet de cette notion. Pour le CCI, comme pour le marxisme en général, il importe d'attaquer les conceptions qu'il combat à. la racine sans se contenter de faire un sort à telle ou telle brindille. C'est la différence entre une critique de fond propre au marxisme et une critique superficielle affectionnée par toutes les visions étrangères au marxisme, notamment le conseillisme .
L'escamotage des problèmes par les camarades "réservistes"
Cette incapacité des camarades "réservistes" à réfuter véritablement les conceptions conseillistes qui s'étaient introduites dans l'organisation, s'est illustrée dans le fait qu'ils n'ont jamais proposé une autre formulation du point 7 malqré les demandes répétées du CCI, et bien qu'ils se soient engagés à le faire en avril 84. Il n'y a là rien de bien mystérieux : lorsqu'on est soi-même d'une vision conseillisante, on est bien mal armé pour condamner le conseillisme. C'est d'ailleurs ce qu'ont compris certains de ces camarades: ayant échoué dans leur effort de reformuler ce point, ils ont pris conscience de leurs erreurs conseillistes et ont finalement apporté à ce point un soutien sans réserve comme l'avaient fait dès janvier 84 les camarades qui avaient élaboré l'analyse conseilliste de la "non-maturation souterraine". Les autres camarades, par contre, ont préféré escamoter le problème : pour tenter de masquer leur incapacité à condamner clairement le conseillisme, ils ont commencé à soulever toute une série d'autres questions étrangères au débat initial. C'est ainsi, qu'entre autres objections (nous ferons grâce au lecteur d'une liste exhaustive), il a été soulevé :
1°. que "rien n'autorise à décider unilatéralement, sans preuves, que le CCI se trouve dans ce débat en présence d'une tendance conseilliste ou de conciliation vis-à-vis du conseillisme", qu'on avait à faire avec "une campagne donquichottesque contre des moulins à vent conseillistes et centristes" ;
2°. que la résolution de mars 84 donne une "définition psychologisante et comportementale du centrisme", "une définition purement subjective du centrisme en termes de comportement et non plus en termes politiques" ;
3°. qu'on ne peut pas de toute façon parler de centrisme dans le CCI, puisque le centrisme, comme l'opportunisme en général, sont des phénomènes spécifiques de la période ascendante du capitalisme, idée qu'on retrouve dans le texte de JA.
4°. que, de ce fait, on ne pouvait en aucune façon considérer que l'USPD, donné dans le débat comme exemple de parti centriste, appartenait à la classe ouvrière ; que c'était dès l'origine "l'expression de la radicalisation de 1'appareil politique de la bourgeoisie, une première expression du phénomène du gauchisme, cette barrière extrême de 1'Etat capitaliste contre la montée révolutionnaire" (article de JA).
Nous n'entrerons pas dans cet article dans une réfutation de ces objections, irais il importe à leur sujet de préciser quelques points.
1°. On comprend tout à fait que les camarades qui sont eux-mêmes prisonniers d'une démarche centriste envers le conseillisme considèrent que le combat engagé par le CCI contre cette démarche n'est pas autre chose qu'une "campagne donquichottesque contre des moulins à vent conseillistes et centristes" : tout le monde connaît l'histoire du cavalier qui ne retrouve pas le cheval sur lequel il est assis. Cependant, la myopie et la distraction -de même que l'ignorance (comme disait Marx contre Weitling)- ne sont pas des arguments.
2°. Leur tentative d'opposer dans la définition du centrisme les "termes politiques" aux "termes de comportement" démontre qu'ils n'ont pas compris une des bases du marxisme : dans le combat de classe, le comportement est une question éminemment politique. Les hésitations, les vacillations, l'indécision, l'esprit de conciliation, le manque de fermeté dont peut faire preuve dans ce combat la classe ouvrière ou son organisation révolutionnaire, ne sont nullement réductibles à de la "psychologie", mais sont des données politiques qui témoignent de capitulations ou de faiblesses face à la pression de l'idéologie bourgeoise et face à l'ampleur, sans précédent dans l'histoire, des taches qui attendent le prolétariat. Les marxistes ont toujours posé le problème en ces termes. C'est ainsi que Rosa Luxemburg, dans sa polémique contre l'opportunisme, pouvait écrire : "Le petit jeu politique de 1'équilibre qui se traduit par les formules : 'd'une part, d'autre part', 'oui, mais', cher à la bourgeoisie d'aujourd'hui, tout cela trouve son reflet fidèle dans le mode de pensée de Bernstein, et le mode de pensée de Bernstein est le symptôme le plus sensible et le plus sûr de son idéologie bourgeoise". (Réforme ou Révolution).
De même lorsqu'elle se proposait d'expliquer la capitulation honteuse de la social-démocratie le 4 août 1914, elle invoquait, à côté des "causes objectives", "la faiblesse de notre volonté de lutte, de notre courage, de notre conviction" (La crise de la Social-Démocratie).
C'est pour cela également que Bordiga définissait le parti révolutionnaire comme "un programme et une volonté d'action" et que la plateforme du CCI caractérise les révolutionnaires comme "les éléments les plus déterminés et combatifs dans les luttes de la classe" (point 17b.).
3°. L'idée que l'opportunisme et le centrisme sont des menaces constantes pour les organisations révolutionnaires, et non spécifiques de la période ascendante du capitalisme, n'est nullement une "nouvelle orientation" du CCI comme l'écrit la camarade JA dans son article. C'était au contraire un acquis de l'organisation qu'on retrouve non seulement dans de nombreux articles de notre presse, mais également dans des prises de position officielles du CCI telles que la Résolution adoptée par le CCI à son 2ème Congrès sur "les groupes politiques prolétariens" où l'on peut lire : "toute erreur ou précipitation en ce domaine (les critères définissant la nature de classe d'une organisation)... porte en germe des déviations de caractère soit opportuniste, soit sectaire qui seraient des menaces pour la vie même du courant" de même que "(les fractions communistes qui peuvent apparaître comme réaction à un processus de dégénérescence des organisations prolétariennes) se basent non sur une rupture, mais sur une continuité du programme révolutionnaire précisément menacé par le cours opportuniste de 1'organisation". (Revue Internationale n°ll).
Ces notions étaient également des acquis pour la camarade JA elle-même lorsqu'elle écrivait dans la Revue Internationale n°36 (à propos de la démarche de "Battaglia Comunista") : "Au début des années 20, la majorité centriste de l'Internationale Communiste, les Bolcheviks en tête, préfère éliminer la Gauche pour s'allier à la Droite (Indépendants en Allemagne, etc...). Si 1'histoire se répète en farce, 1'opportunisme reste, lui, toujours le même". (Réponse aux réponses). On ne saurait être plus clair. Il faut donc constater qu'en plus d'être myopes et un peu distraits les camarades de la minorité ont aussi la mémoire courte…. et pas mal de culot.
4°. Toute l'insistance des camarades de la minorité sur la question de la nature de classe de l'USPD (insistance qu'on retrouve dans l'article de JA alors que ce n'est pas son sujet) n'est en fait qu'une diversion. Même si on considérait que l'USPD était une organisation bourgeoise (comme cela a été écrit à tort il y a dix ans dans la Revue Internationale, ce que la camarade JA se plaît à rappeler) cela ne remettrait nullement en cause l'idée que l'opportunisme et le centrisme sont aujourd'hui encore des dangers pour les organisations prolétariennes, sont "toujours les mêmes" comme le disait si bien JA il y a un an et demi.
L'hétérogénéité des critiques aux orientations du CCI
Outre les remarques qui précèdent, il faut signaler que les différentes objections soulevées contre les orientations du CCI ne provenaient pas des mêmes camarades, lesquels pendant près d'une année ont défendu dans l'organisation des positions divergentes.
C'est ainsi que, parmi les camarades de la minorité, certains ont voté contre le point 7 de la résolution de janvier 84, d'autres ont voté pour avec réserves et d'autres pour sans réserves tout en rejetant explicitement les arguments des "réservistes". De même, la thèse de l'inexistence des phénomènes de l'opportunisme et du centrisme dans la période de décadence du capitalisme n'a été défendue pendant longtemps que par certains camarades minoritaires (en fait, ceux qui, par ailleurs, étaient d'accord avec le point 7), alors que les autres considéraient que l'opportunisme et le centrisme :
- soit n'ont jamais été des maladies des organisations prolétariennes mais des expressions directes de la bourgeoisie (à l'image des bordiguistes qui qualifient "d'opportunistes" des organisations bourgeoises comme les PS et les PC) ;
- soit ils peuvent exister (et se sont déjà manifestés) dans le CCI, mais pas à l'égard du conseillisme.
Encore faut-il préciser que ces différentes positions n'étaient pas forcément défendues par des camarades différents, certains les défendant successivement même simultanément (!). Enfin, la position sur le danger de conseillisme telle qu'elle est exprimée dans le texte de JA n'était pas non plus celle de la totalité des camarades minoritaires pendant très longtemps.
Une "tendance" sans bases cohérentes
Jusqu'à la fin de l'année 84, cette hétérogénéité entre les positions des différents camarades minoritaires s'est exprimée dans le débat et était d'ailleurs reconnue par ces camarades eux-mêmes. Aussi, la constitution d'une "tendance" au début 85 par ces mêmes camarades fut-elle une surprise pour le CCI. Aujourd'hui, ces camarades affirment partager une même analyse sur les trois questions principales ayant provoqué des désaccords depuis janvier 84 :
- le point 7 de la résolution;
- le danger de conseillisme;
- la menace de l'opportunisme et du centrisme dans les organisations prolétariennes,
Ce que la camarade JA exprime en ces termes :
" C'est au moment des "réserves" sur cette formulation du point 7 que s'est introduite dans l'organisation la nouvelle orientation du "conseillisme, le plus grand danger", du "centrisme par rapport au conseillisme" et du centrisme appliqué à 1'histoire du mouvement ouvrier dans la période de décadence. La minorité actuelle qui se constitue en tendance se situe contre 1'ensemble de cette nouvelle orientation, considérant qu'elle pose le danger d'une régression dans notre armement théorique".
Pour sa part, le CCI considère qu'il ne s'agit pas là d'une véritable tendance présentant une orientation alternative positive à celle de l'organisation, mais d'un rassemblement de camarades dont le véritable ciment n'est ni la cohérence de leurs positions, ni une profonde conviction de ces positions, mais une démarche contre les orientations du CCI dans son combat contre le conseillisme comme cela transparaît d'ailleurs dans le passage du texte de J.A qui précède.
Cependant, si le CCI estime que la constitution de la "tendance" n'est pas autre chose que la poursuite de la politique d'escamotage dans laquelle se sont laissé entraîner depuis un an les camarades en désaccord, il ne leur accorde pas moins les droits d'une tendance - qui sont reconnus par nos principes d'organisation tels qu'ils sont énoncés, par exemple, dans le "Rapport sur la structure et le fonctionnement de l'organisation des révolutionnaires" (Revue Internationale N° 33). Les camarades minoritaires pensent qu'ils sont une tendance ; le CCI pense le contraire mais préfère convaincre ces camarades de leur erreur plutôt que de les empêcher de fonctionner comme une tendance. Par contre, il est de la responsabilité du CCI de dire claire-, ment, comme il est fait dans cet article, ce qu'il pense de la démarche de ces camarades de même que de l'article de J.A qui constitue une illustration de cette démarche.
L'ARTICLE DE LA CAMARADE J.A : UNE ILLUSTRATION DE LA DEMARCHE DES CAMARADES MINORITAIRES
Nous avons vu que les glissements centristes vers le conseillisme des camarades en désaccord s'étaient traduits tout au long du débat par une tendance de la part de ces camarades à escamoter les véritables problèmes en discussion. C'est encore cette démarche qu'emploie le texte de la camarade J.A lorsqu'il se propose de répondre à l'article de la Revue Internationale N° 40 et à l'analyse du CCI sur le "danger du conseillisme". Nous ne pouvons citer ici tous les exemples de cette démarche : cela risquerait d'être fastidieux. Nous nous contenterons d'en signaler un certain nombre parmi les plus significatifs.
La prétendue "politique du moindre mal" du CCI
Le titre, ainsi que divers passages de l'article de J.A suggèrent ou même affirment nettement que l'analyse du CCI relèverait d'une "politique du moindre mal" :
" Toute la problématique de choisir entre "sous" et "sur"-estimer la parti, toute la politique du moindre mal que le CCI a toujours rejetée au niveau théorique, il l'introduit aujourd'hui au niveau pratique sous couvert de vouloir donner une perspective "concrète" à la classe : il faut dire au prolétariat que le danger conseilliste est plus grand que celui du substitutionisme, sinon le prolétariat n'aurait pas une 'perspective'!". (Revue Internationale N° 41, page 29).
Nous sommes obligés de dire que soit la camarade J.A ne sait pas de quoi elle parle, soit elle falsifie de façon délibérée et proprement inadmissible nos positions.
La "politique du moindre mal" consiste, comme son nom l'indique, à choisir un mal contre un autre. Elle s'est particulièrement illustrée dans les années 30, de la part du trotskysme notamment, par un choix entre deux maux capitalistes, la démocratie bourgeoise et le fascisme, au bénéfice de cette première. Elle conduisait à appeler les ouvriers à privilégier la lutte contre le fascisme au détriment des autres aspects de la lutte contre l'Etat capitaliste. Elle emboutissait à soutenir (quand ce n'était pas à y participer directement) l'embrigadement des ouvriers dans un camp de la guerre impérialiste. En politique les mots ont le sens que leur a conféré l'histoire : l'essence de la "politique du moindre mal" telle qu'elle s'est illustrée dans l'histoire, c'est la soumission des intérêts du prolétariat aux intérêts d'un secteur capitaliste et donc à l'ensemble du capitalisme. Utiliser cette notion à propos des positions du CCI, c'est suggérer que le CCI est engagé sur le même chemin que celui qui a conduit, par exemple, le trotskysme dans le camp bourgeois. Nous osons espérer que c'est plus par ignorance que de propos délibéré que la camarade J.A s'est laissée aller à substituer à l'argument polémique la simple insulte gratuite, bien qu'on puisse penser le contraire lorsqu'elle écrit que "quand une organisation introduit le raisonnement du moindre mal, elle ne dit jamais explicitement qu'il faut tordre les principes. C'est plutôt une logique d'engrenage". Mais même si c'est par ignorance, celle-ci n'est pas plus "un argument"aujourd'hui que du temps de Marx.
Pour ce qui est de la façon dont le CCI pose le problème, il est clair qu'en aucune façon il n'appelle à choisir entre le mal conseilliste et le mal substitutionniste : l'un et l'autre constituent, s'ils ne sont pas dépassés par le prolétariat, des dangers mortels pour la révolution.
La question qui est posée par le CCI n'est donc pas : "lequel est préférable à l'autre ?", mais bien "lequel exercera le plus d'influence dans la période à venir ?" de façon à ce que l'organisation et l'ensemble de la classe soient les mieux armés possible face aux embûches qui vont se présenter. Lorsqu'on se promène, on peut par exemple être mordu par un serpent venimeux ou écrasé par une voiture. Les deux dangers sont mortels et doivent être évités avec une égale méfiance. Cependant, tout être sensé cheminant dans un sentier de forêt portera son attention sur le premier danger sans que cela veuille dire qu'il "préfère" être écrasé par une voiture. Cette image, déjà employée dans le débat interne a du paraître trop"simpliste" à la camarade JA. Elle préfère attribuer au CCI des positions qui ne sont pas les siennes : c'est évidemment plus facile pour les combattre mais cela ne fait pas avancer d'un pouce le débat, sinon en mettant en évidence l'indigence des arguments des camarades de la "tendance" et leur propension à escamoter les vraies questions.
"Le plus grand danger, c'est la bourgeoisie".
"La divergence ne porte pas sur le danger du conseillisme mais... sur la nouvelle théorie unilatérale du conseillisme le plus grand danger parce qu'elle s'accompagne d'un rabaissement du substitutionnisme au niveau du "moins grand danger"; parce qu'elle détourne 1'attention du véritable danger essentiel pour le prolétariat que représente 1'Etat capitaliste et ses prolongements au sein de la classe ouvrière (les partis de gauche, les gauchistes, le syndicalisme de base et tout le mécanisme de la récupération capitaliste à l'époque du capitalisme d'Etat) pour se focaliser sur de prétendues tares conseillistes du "prolétariat des pays avancés" (Idem, p.28) "Cette théorie détourne 1'attention du véritable danger essentiel pour la classe ouvrière -1'Etat capitaliste et ses prolongements au sein de la classe ouvrière- et ne fait qu'émousser dans la confusion notre critique du substitutionnisme présenté comme le 'moindre mal'".
Comme on peut le voir, la question du "moindre mal" n'est pas la seule à faire l'objet d'une falsification des positions du CCI. La camarade JA fait également dire au CCI que le conseillisme serait le plus grand danger menaçant la classe ouvrière. Elle fait ainsi la preuve soit de sa mauvaise foi, soit de son incompréhension de la différence entre un superlatif et un comparatif ce qui est pourtant du programme de l'école primaire. Dire que le conseillisme est dans la période actuelle et à venir un plus grand danger pour la classe ouvrière que le substitutionnisme est toute autre chose que dire que le conseillisme est le plus grand danger, dans l'absolu. D'ailleurs, avec le même manque élémentaire de rigueur, JA nous fait "rabaisser le substitutionnisme au niveau du 'moins grand danger'". Vaut-il la peine d'expliquer à la camarade JA que si, dans un groupe on constate que "Pierre est le plus grand" ou que "Pierre est plus grand que Paul", cela ne veut pas dire nécessairement que Paul soit le plus petit, à moins que le groupe soit réduit à ces deux éléments ce qui, dans la question débattue voudrait dire que le CCI ne voit pour la classe ouvrière que deux dangers : celui de conseillisme et celui de substitutionnisme. La camarade JA ne va pas jusqu'à affirmer une telle absurdité mais c'est pourtant l'accusation implicite qui est contenue dans sa lourde insistance sur le "véritable danger essentiel pour le prolétariat: 1'Etat capitaliste et ses prolongements au sein de la classe ouvrière". Franchement, si c'était pour nous apprendre que le plus grand danger qui menace le prolétariat vient de la classe ennemie et de son Etat, ce n'était pas la peine que la camarade JA se donne la peine d'écrire son article : nous le savions déjà. Et là encore le débat n'a pas beaucoup avancé sinon en faisant apparaître qu'en plus de la falsification des positions du CCI, il existe un autre moyen d'escamoter les vrais problèmes : enfoncer des portes ouvertes.
La caricature comme moyen de ne pas débattre sur le fond
Pour escamoter les vraies questions, il n'est pas toujours nécessaire d'enfoncer des portes ouvertes ou de falsifier les positions qu'on prétend combattre, on peut également se contenter de les caricaturer. La camarade JA ne s'en prive pas. Ainsi, l'article de la Revue n°40 sur "le danger du conseillisme" décrit dans sa partie sur "conditions d'apparition et caractéristiques du conseillisme", comment le conseillisme a gangrené la gauche allemande en la faisant glisser vers le rejet du centralisme, le localisme, un néo-syndicalisme révolutionnaire, l'usinisme, l'ouvriérisme, l'individualisme. Il montre que si ce ne sont pas des caractéristiques spécifiques du conseillisme, celui-ci est amené à tomber dans ce genre de pièges à travers tout un processus, un enchaînement logique, qui part de la négation ou de la sous-estimation du rôle du parti révolutionnaire. De même, il essaye de mettre en évidence comment dans la période qui suit 1968, le poids du conseillisme a conduit beaucoup de groupes à sombrer dans le modernisme, 1'immédiatisme et l'activisme, notamment comme expression de la pression de l'idéologie de la petite bourgeoisie révoltée.
Lorsque la camarade JA se propose de nous dire ce qu'elle a compris de cette argumentation, elle nous démontre soit qu'elle ne l'a pas compris, soit qu'elle ne s'est pas donné la peine de la comprendre. Qu'on en juge :
"En quoi consisteraient ces 'réflexes conseillistes' de la montée de la lutte de classe, comment on les reconnaît ? Selon 1'article, ils sont l'ouvriérisme, le localisme, le suivisme, le modernisme, l'apolitisme des ouvriers, la petite-bourgeoisie, 1'immédiatisme, l'activisme et l'indécision. En somme, tous les maux de la terre le conseillisme serait à lui tout seul le mal permanent du mouvement ouvrier !
Puisque toutes les faiblesses subjectives de la classe ouvrière deviennent, par ce jeu de définitions, 'des réflexes conseillistes', le remède est... le parti. En d'autres termes, le CCI, le milieu politique prolétarien et la classe ouvrière toute entière se protégeront contre 1'immédiatisme, la petite bourgeoisie, 1'hésitation, etc... En reconnaissant dès à présent le danger n°l de 'sous-estimer', 'minimiser' le parti".
Il suffira au lecteur de relire l'article de la Revue n°40 pour constater que ce qui y est décrit comme un processus dont on met en évidence le lien de causalité qui enchaîne les différentes étapes n'a rien à voir avec la photographie chaotique présentée par la camarade JA. Cette façon de caricaturer les positions du CCI est peut-être efficace pour convaincre celui qui est déjà convaincu ou celui pour qui une pensée rigoureuse est un carcan intolérable. Elle n'est pas par contre très efficace pour clarifier le véritable débat.
Pour conclure cette partie, on peut préciser à l'intention de la camarade JA et de l'ensemble des camarades de la "tendance" que la brochure du CCI "Organisations communistes et conscience de classe", dont ces camarades ne cessent de se réclamer, mérite les mêmes reproches que fait l'article de JA à l'article sur "le danger du conseillisme", notamment lorsqu'elle affirme (p.54) :
"Il est logique que cette conception immédiatiste de la conscience de classe conduise les conseillistes à verser dans 1'ouvriérisme et le localisme…."
"Mais poussée à ses ultimes conséquences, 1'apologie que les conseillistes font de la lutte strictement économique du prolétariat aboutit à 1 'autodissolution pure et simple de toute organisation révolutionnaire".
Les non réponses de la camarade JA
Les différentes techniques d'escamotage du débat qu'on vient de voir (et qui sont beaucoup plus amplement utilisées dans l'article de JA que ce que nous en signalons ici) sont complétées par la technique la plus simple qui soit : on ignore purement et simplement les arguments les plus importants de l'analyse qu'on prétend combattre. C'est ainsi que les arguments suivants du texte sur "le danger du conseillisme" ne trouvent pas le début d'une réponse dans l'article de JA :
- le poids du substitutionnisme par le passé était lié à l'héritage de la conception social-démocrate du parti comme "éducateur" et "représentant ou état-major de la classe" ;
- ces conceptions ont pu prendre pied dans une période de croissance du prolétariat et donc d'immaturité de celui-ci (ce qui est particulièrement net dans les pays plus arriérés avec un prolétariat jeune et faible) ;
- ces conceptions auront beaucoup moins de poids sur le prolétariat après l'expérience de la contre-révolution stalinienne et toute la réflexion théorique de la gauche communiste sur celle-ci et sur le rôle du parti dans la révolution ;
- le fait que la prochaine vague révolutionnaire partira nécessairement des pays avancés, avec le prolétariat le plus ancien et le plus expérimenté affaiblira d'autant le poids du substitutionnisme dans l'ensemble de la classe ouvrière : en ce sens, l'expérience de la révolution en Allemagne entre 1918 et 1923 -avec le poids non du substitutionnisme mais du conseillisme sur les éléments les plus avancés de la classe- est beaucoup plus significatif pour la révolution à venir que l'expérience de la révolution en Russie où le substitutionnisme joua le rôle négatif que l'on sait
- ce poids du conseillisme sera d'autant plus renforcé dans cette révolution qu'elle se fera contre les partis staliniens et socio-démocrates dont la méfiance qu'ils inspirent aux ouvriers se répercutera, et se répercute déjà sous forme d'une méfiance à l'égard de toute organisation politique ;
- y compris celle des révolutionnaires prétendant lutter pour la défense des intérêts prolétariens ;
- la contre-révolution de près d'un demi-siècle subie par la classe ouvrière et la rupture organique qu'elle a provoquée dans ses organisations communistes non seulement conduit un grand nombre d'ouvriers parmi les plus combatifs à ne pas comprendre la nécessité de s'engager dans ces organisations mais est responsable chez les militants de celles-ci d'une énorme difficulté à comprendre toute l'importance de leur rôle, le caractère absolument indispensable du parti révolutionnaire et des organisations qui le préparent, l'énorme responsabilité qui pèse sur leurs épaules, toutes, manifestations de déviations conseillistes.
Le fait que la camarade JA escamote la réponse à cette argumentation (dont seule la trame est ici reproduite) qui est justement centrale dans la défense de l'analyse du CCI est significatif de l'incapacité de la "tendance" à opposer des arguments serieux à cette analyse. Le plus ironique de l'affaire est certainement le fait qu'un des rares arguments sérieux contenus dans le texte de JA, probablement le plus important dans la défense de la position de la "tendance" reste pratiquement inexploité, comme si la camarade JA préférait attaquer une forteresse au lance pierre alors qu'elle dispose quand même d'un canon (même s'il est de calibre insuffisant).
Un argument sérieux
On a l'impression que c'est presque par mégarde que la phrase suivante se trouve dans le texte de JA :
"En réduisant le substitutionnisme, expression idéologique de la division du travail dans les sociétés de classes, à une quantité négligeable, la nouvelle théorie arrive à une minimisation du danger de 1'Etat capitaliste, son appareil politique et le mécanisme de son fonctionnement idéologique".
Laissons de côté la façon cavalière (affectionnée par JA) dont est évoquée la "quantité négligeable" que serait pour le CCI le substitutionnisme. Ce n'est évidemment pas une position du CCI. Le fait est que le substitutionnisme est incontestablement une "expression idéologique de la division du travail dans les sociétés de classe". En ce sens, on peut être amené à en conclure que puisque des millénaires de société de classe imprègnent toute la société y compris la classe révolutionnaire, celle-ci aura les plus grandes difficultés à se débarrasser du poids idéologique lié à la division hiérarchique du travail qui a prévalu depuis ces millénaires et notamment sous la forme du substitutionnisme. En fait, cela a été particulièrement valable dans le passé où le substitutionnisme qui s'exprimait notamment dans les sectes babouvistes ou blanquistes résultait directement de l'influence du schéma de la révolution bourgeoise où c'est nécessairement un parti qui prend le pouvoir (par exemple, les jacobins) pour le compte de l'ensemble de sa classe. Ce modèle de la révolution bourgeoise a continué d'exercer une influence très forte dans la classe ouvrière -qui tendait à y voir le seul modèle possible de la révolution- tant qu'elle ne s'est pas engagée elle-même dans des combats massifs contre le capitalisme et dans des tentatives révolutionnaires. Mais l'accumulation de ces expériences positives et négatives (comme la dégénérescence de la révolution d'une part et d'autre part l'éloignement dans le temps des révolutions bourgeoises en Russie) ont permis au prolétariat de se dégager progressivement de ce poids du passé. Cela veut-il dire que le substitutionnisme ne peut plus menacer la classe ouvrière ou ses organisations politiques ? Il est évident que non et le CCI, comme on peut le constater dans l'article de la Revue n°40, a toujours été clair là-dessus. La question posée est plutôt : suivant quelles modalités, avec quel impact ce poids continuera-t-il à peser ? En ce sens, dans "Le 18 Brumaire", Marx nous donne une clé lorsqu'il montre que si les révolutions bourgeoises s'habillaient nécessairement des oripeaux du passé, "ce poids des générations mortes qui pèse sur le cerveau des vivants" tendra à s'amenuiser avec la révolution prolétarienne "qui tire sa poésie de 1'avenir". La révolution prolétarienne ne pourra avoir lieu que sur la base d'une rupture radicale avec des siècles de domination de l'exploitation capitaliste, des millénaires de division de la société en classes et en ayant en vue la société communiste ("la poésie de l'avenir") ce qui comporte en particulier la nécessaire rupture avec le substitutionnisme. Par contre un élément pèsera très longtemps sur le prolétariat, comme il a déjà pesé considérablement dans le passé, un élément qui, s'il est exploité et activé en permanence par l'idéologie bourgeoise résulte d'une caractéristique propre de la classe ouvrière qu'elle ne partage avec aucune des autres classes révolutionnaires du passé. C'est le fait que le prolétariat est la seule classe de l'histoire qui soit à la fois, classe révolutionnaire et classe exploitée. Cet élément a pesé sous forme d'une difficulté très grande pour la classe -et pour sa minorité révolutionnaire- à faire la relation entre ces deux aspects de son être, une relation qui ne soit ni une identité ni non plus une séparation. Ce qu'exprime en bonne partie le conseillisme par son rejet du rôle des organisations communistes, c'est une difficulté à concevoir le prolétariat comme classe au devenir révolutionnaire -dont l'existence de ces organisations est justement une des manifestations. C'est pour cela que le conseillisme en arrive à rejoindre l'anarcho-syndicalisme chez qui les organes de lutte du prolétariat comme classe exploitée- les syndicats- devaient être les organes de gestion de la future société. C'est pour cela que le conseillisme sombre inéluctablement dans l'économisme ou l'usinisme qui expriment cette incapacité de concevoir la lutte du prolétariat comme autre chose qu'une lutte tristement limitée aux lieux de travail où les ouvriers sont exploités et qui tournent le dos à une vision générale, sociale, mondiale, politique du processus révolutionnaire.
Ainsi, lorsqu'on essaie d'examiner les difficultés auxquelles sera confrontée la classe ouvrière dans son chemin vers la révolution, il importe de prendre en compte 1'ensemble et non seulement certains des éléments historiques qui déterminent et détermineront ces difficultés. Sinon, la perspective que l'on dégage est faussée et de bien piètre utilité pour les combats qui attendent le prolétariat. Encore, faut-il évidemment estimer qu'une telle perspective présente une utilité pour ces combats et ne pas tomber dans la vision de C.W.O (Battaglia Comunista) pour qui l'analyse du cours historique (vers la guerre mondiale ou vers des affrontements de classe généralisés) n'est d'aucun intérêt. C'est ce que semble contester la camarade JA lorsqu'elle ironise : "il faut dire au prolétariat que le danger conseilliste est plus grand que celui du substitutionnisme, sinon le prolétariat n'aurait pas une perspective". Ce qu'elle propose en somme, c'est : pas de perspective !
LE FOND DE LA DEMARCHE DE J.A. : LES GLISSEMENTS CONSEILLISTES
En réalité, de façon contradictoire (puisque vers la fin de son texte elle semble dire que ni le substitutionnisme ni le conseillisme ne seront un danger suite à la faillite après 1968 des courants se réclamant de la gauche italienne et de la gauche allemande) ce qui ressort au fond de l'argumentation de JA, c'est que le substitutionnisme est un bien plus grand danger que le conseillisme.
C'est pour cela qu'elle s'applique longuement dans son texte à identifier substitutionnisme et gauchisme, substitutionnisme et contre-révolution alors que l'article de la Revue n°40 montrait justement que le substitutionnisme est une "erreur mortelle" certes, mais concerne le rapport entre la classe et ses propres organisations et non celle de la bourgeoisie.
C'est pour cela qu'elle écrit : "on escamote de plus en plus le fait que donner un rôle bourgeois au Parti ne défend pas mieux son rôle indispensable que de rejeter toute notion de parti : les deux conceptions, aussi bien 1'une que 1'autre, nient la fonction réelle du parti". Alors qu'en réalité, le débat sur le rôle du parti se situait depuis le siècle dernier au sein du marxisme qui a toujours défendu la nécessité d'un parti révolutionnaire alors que le rejet de tout parti est extérieur au marxisme et trouve ses premiers défenseurs chez les anarchistes. Pour être en mesure de dire que le rôle du parti n'est pas de prendre le pouvoir, il faut d'abord reconnaître qu'il a un rôle.
En fin de compte, ce qu'aspire à démontrer la thèse de la "tendance" défendue par JA dans son article, même si elle ne le dit pas ouvertement, c'est qu'il n'existe aucune menace de conseillisme notamment dans les organisations révolutionnaires, et plus particulièrement dans le CCI. Comme cela, les camarades de la "tendance" peuvent être tranquilles : ils ne peuvent en aucune façon être victimes de glissements vers le conseillisme et le CCI ne fait que combattre des "moulins à vent".
Pour la "tendance", il n'y a pas de réel danger de conseillisme. Pour le CCI, ce danger est une menace réelle. La preuve : la démarche de la "tendance".
F.M.
Après nous avoir conviés, pendant plusieurs semaines, à un battage sur la famine en Ethiopie avec ses milliers de morts, c'est sur les événements d'Afrique du Sud que les médias ont braqué leurs phares : manifestations des populations noire et métis réprimées dans le sang, images du quadrillage de quartiers entiers par l'armée, déportation dans les "bantoustans" de noirs 'jetés à coups de crosse dans des camions, séparation des familles, images d'ouvriers noirs parqués dans des ghettos, reprenant le travail le fusil dans le dos et sous les coups de fouet. Quotidiennement, télévision, radio, presse des pays occidentaux ont multiplié images et commentaires sur les conditions de misère et de répression sous le régime de l'"Apartheid". Et dans cette gigantesque campagne "contre l'Apartheid", toutes les fractions de la bourgeoisie occidentale, de la gauche à la droite, du pape aux organisations nationalistes sud-africaines, de Mitterrand à Reagan, sont unies en un choeur unanime pour dénoncer les "violations des droits de l'homme", et s'indigner" du caractère raciste, inhumain et inacceptable du régime sud-africain.
En réalité, la situation de misère et de répression de la population pauvre ne constitue pas une spécificité de l'Afrique du sud. Dans les pays de la périphérie, où la crise économique frappe de façon plus sauvage encore qu'en son centre, où de vastes parties de la population n'ont jamais été intégrées à la production, la barbarie du capitalisme mondial s'exprime de façon extrême, tant sur le plan économique -épidémies, sous-alimentation, famines font de plus en plus de ravages-, que sur le plan idéologique où la bourgeoisie utilise moins de subtiles mystifications mais affiche ouvertement le peu de cas qu'elle fait des êtres humains : ghettos, ségrégation, répression. La situation en Afrique du sud n'est qu'une caricature de ce qu'est l'exploitation capitaliste partout dans le monde, de ce qu'est la véritable nature de la domination capitaliste sur les classes exploitées.
La bourgeoisie occidentale veut faire croire qu'elle a "découvert" un nouvel enfer. Mais les Reagan et les Mitterrand qui jouent les indignés aujourd'hui, travaillent la main dans la main avec le gouvernement de Pretoria, et la forme raciste de domination et d'exploitation de la classe ouvrière et de la population ne les a guère gênés dans leurs bonnes relations économiques et militaires. Ce pays est un partenaire de choix : il est l'un des principaux fournisseurs mondiaux de matières premières. Depuis longtemps lui a échu le rôle de gendarme du bloc occidental en Afrique australe, ce dont témoigne tout dernièrement le raid que l'armée a effectué en Angola, visant à réintégrer ce pays dans le bloc de l'ouest comme ce fut le case pour le Mozambique.
L'aggravation de la crise provoque, comme partout ailleurs, des grèves et des manifestations de plus en plus fréquentes qui sont facteur d'instabilité. La seule répression ne suffit pas à endiguer les révoltes croissantes, et l'une des armes essentielles de la bourgeoisie pour tenter d'endiguer une telle situation, est d'appuyer la répression par des forces d'encadrement suffisamment efficaces. C'est le cas en Amérique Latine, où les Etats-Unis favorisent la "démocratisation", c'est-à-dire la reconnaissance plus ou moins officielle d'"oppositions" religieuse, syndicale, etc. qui se chargent de contenir la révolte contre l'ordre capitaliste pour la dévoyer dans des impasses. Un tel processus est engagé depuis longtemps en Afrique du sud, et la bourgeoisie y renforce comme ailleurs le partage du travail entre "oppositions" et gouvernement face au mécontentement social. Pour ce faire, pour discuter avec Botha et ses "opposants" des nécessités de la situation, point n'est besoin d'une campagne internationale dans tous les pays d'Europe occidentale. Alors pourquoi tout ce battage sinon que la touchante unanimité "anti-Apartheid" orchestrée par les médias poursuit un autre objectif.
LA CAMPAGNE "CONTRE L'APARTHEID" UNE DIVERSION CONTRE LA CLASSE OUVRIERE
La bourgeoisie nous a depuis longtemps habitués à des campagnes désignant des "enfers" et des boucs émissaires pour mieux faire accepter la situation dans laquelle on se trouve. Elle se délecte, derrière des propos soi-disant "humanistes1', à présenter des scènes d'horreur : des "boat people" du Vietnam à la famine en Ethiopie ; des massacres du Cambodge aux ghettos de l'Apartheid ; des cadavres qui s'amoncèlent au Liban à ceux du dernier tremblement de terre de Mexico, etc. ce sont des monceaux de misère, de ruine et de mort qui entrent tous les jours dans les foyers sur les écrans de télévision, sur les ondes de radio, dans les pages des journaux.
Si, de tout temps, la bourgeoisie a cherché à cacher la réalité de son système d'exploitation et de ses intérêts derrière des discours idéologiques, aujourd'hui, les thèmes sont les mêmes, mille fois ressassés. Aucune campagne ne dure très longtemps. Un thème vient en chasser un autre. Qui se souvient de la campagne sur la guerre des Malouines ? Qui parle de l'Ethiopie trois mois plus tard ? Un jour, c'est le régime de Pinochet au Chili, le lendemain, c'est le Nicaragua ; un jour les accidents d'avion, l'autre le virus du Sida ; un jour les "attentats" et l'"anti-terrorisme", l'Etat fort, le lendemain les "hooligans" ; etc. C'est un battage permanent qui vise un but précis : tenter d'empêcher de cerner les vrais problèmes, tenter d'abrutir, de déboussoler la classe ouvrière, la seule classe sociale capable de mettre fin à la barbarie du capitalisme.
Les vrais problèmes du capitalisme, ce ne sont pas les massacres : plus les campagnes "humanistes" sont intenses, plus les cadavres s'amoncèlent ; les vrais problèmes, ce ne sont pas les "dictatures", ce ne sont pas les "injustices", car le capitalisme est la cause fondamentale de la misère et des massacres, des dictatures et des injustices. Les vrais problèmes pour la bourgeoisie, sur lesquels les médias ne font pas de campagnes, mais qui sont tus dans un silence à la mesure des craintes de la classe dominante, ce sont les luttes du prolétariat, son ennemi mortel. La bourgeoisie matraque des campagnes sur n'importe quelle question, mais c'est par contre un immense consensus international pour le black-out des informations sur les luttes ouvrières : rien ou très peu sur la vague massive de grèves qui a embrasé le "paisible" Danemark au printemps 83 ; rien sur les mouvements qui ont agité toute l'Espagne ou sur les grèves qui se sont multipliées en Scandinavie pendant la première moitié de la même année, pour ne citer que ces exemples ([1] [165]). Et si nous apprenons force détail sur certains aspects de la situation en Afrique du sud, d'autres, sur les réelles forces en présence dans ce pays, les classes sociales, sont passés sous silence : pas un mot sur la grève de 20 000 mineurs blancs au printemps 85 sur des revendications de salaires.
Faire oublier a misère dans les pays avancés
A travers ses campagnes, la bourgeoisie veut faire oublier la dégradation générale des conditions d'existence du prolétariat des pays centraux, pour tenter de l'immobiliser et de détourner la prise de conscience naissante que c'est le capitalisme mondial qui est le seul responsable de la misère qui s'abat sur les classes exploitées de tous les pays. Ce n'est pas seulement dans le Tiers-monde qu'on meurt de faim, mais aussi dans les pays industrialisés où misère, chômage, soupes populaires s'accélèrent comme jamais depuis la 2ème guerre mondiale.
Dans les discours, les émeutes et la répression en Afrique du Sud sont présentées comme le seul fait du racisme de l'Apartheid. Mais c'est aussi par le racisme que la bourgeoisie "explique" les émeutes de Birmingham, dans la très "démocratique" Angleterre, cachant par là les véritables causes des révoltes : la crise et le chômage. C'est face aux prolétaires des pays "riches", qui sont les plus aptes à prendre conscience que les problèmes se posent en termes de classe, que la bourgeoisie cherche à faire passer une propagande de fausse division raciale pour brouiller le chemin de l'unité de la classe ouvrière.
En Afrique du sud, la lutte de classe des mineurs est présentée comme un combat "pour l'égalité des races" pour dévoyer la lutte sur le terrain bourgeois des revendications démocratiques et nationalistes, tout comme la lutte des ouvriers de Pologne en 80-81 a été présentée comme une lutte "nationale", "religieuse", "anti-totalitaire".
Alors que les Etats "démocratiques" dévoilent chaque jour un peu plus leur vrai visage dictatorial (des milliers de mineurs sont allés en prison durant la grève en Grande-Bretagne, et des centaines y sont encore), la campagne sur l'Apatheid vient à point pour désigner à l'autre bout du monde une situation qui est "pire", pour masquer aux yeux des prolétaires que ce que la bourgeoisie leur prépare, ce sont les licenciements massifs et la répression.
Redorer le blason terni du syndicalisme
Si le premier volet de la propagande de la bourgeoisie vise à briser l'unité internationale d'un combat de classe contre la misère capitaliste, le second volet vise a identifier lutte ouvrière et syndicalisme : lamentations de syndicalistes sud-africains sur le "non-respect" des droits syndicaux et comment les ouvriers (noirs) sont traités sans aucune dignité en l'absence d'une reconnaissance plus large du syndicat, etc. Nous connaissons déjà cette chanson. La campagne sur "Solidarnosc" en Pologne a eu le même thème depuis les grèves de 80-81. Ceci vise à mener les ouvriers à la défaite, en immobilisant le prolétariat international dans les filets "syndicalistes" et "démocratiques". Au moment où de plus en plus les ouvriers contestent les "actions" syndicales, où une désyndicalisation générale manifeste la prise de conscience croissante que le syndicalisme est une impasse, la campagne sur l'Afrique du sud vient leur rappeler leur "chance" d'avoir "leurs" syndicats. Au moment où la classe ouvrière des pays centraux d'Europe devient chaque jour pus consciente du mensonge de la démocratie bourgeoise, des fausses divisions de races, de nationalités, de corporations, les événements d'Afrique du sud sont utilisés pour tenter de la maintenir passive face à l'austérité draconienne qui s'abat sur elle, dans le cadre des institutions capitalistes, ses partis et ses syndicats.
LES CAMPAGNES SUR LA LUTTE DE CLASSE EN EUROPE
En Europe occidentale, le prolétariat est le plus nombreux et le plus concentré. Depuis des décennies, il a fait l'expérience de la démocratie bourgeoise et du syndicalisme. Aussi, c'est lui qui peut le mieux répondre aux faux problèmes mis en avant par la bourgeoisie : les mystifications raciales, démocratiques et syndicales car il est confronté concrètement à la réalité qui se cache derrière : l'enfer capitaliste se trouve aussi dans les pays "libres" et "riches", et toutes les belles paroles cachent au fond la même répression avec les mêmes fusils que ceux de la police de l'Apartheid. Le prolétariat fourbit ses armes contre le capitalisme au coeur même de celui-ci, et la bourgeoisie se prépare à la confrontation. En même temps qu'elle cherche à l'étourdir par ses campagnes incessantes, qu'elle tente de l'immobiliser par un subtil partage du travail entre ses différentes fractions, qu'elle augmente dans tous les pays les budgets de police (témoin très clair de ses intentions), elle cherche à mettre en avant un autre thème : la classe ouvrière ne lutte pas, la classe ouvrière est "en crise". Les mystifications se basent toujours sur certaines réalités. Il est vrai qu'en France et en Italie par exemple, les statistiques de grèves pour les deux dernières années sont les plus basses depuis longtemps. Il est vrai que dans la situation de crise d'aujourd'hui on ne fait plus grève aussi facilement qu'il y a dix ans. La bourgeoisie joue sur cela pour démoraliser le prolétariat, lui dire qu'il ne lutte pas, lui faire perdre confiance en lui-même, tenter de le faire sortir de la scène sociale. Mais ce qui se cache derrière cette apparence, c'est d'abord le fait qu'il n'y a jamais eu dans l'histoire une telle simultanéité internationale des luttes, touchant même des pays comme la Suède, l'Allemagne, le Danemark, pourtant réputés pour leur "paix sociale", des secteurs comme les fonctionnaires en Hollande qui n'avaient pas fait grève depuis des décennies. Ce qui se cache derrière cette apparente "faiblesse" des luttes ouvrières, en particulier dans des pays traditionnellement combatifs, c'est qu'après de nombreux combats dévoyés dans des impasses, la classe ouvrière se méfie et hésite à suivre les mots d'ordre d'actions syndicales. Et la bourgeoisie cherche à se servir de cette réalité -la méfiance des ouvriers vis à vis des syndicats et la désyndicalisation qui s'en suit- : faire passer la "crise du syndicalisme" pour une crise du mouvement ouvrier. C'est pourquoi en Grande-Bretagne, c'est au spectacle "désolant" du Congrès du TUC que les médias nous ont conviés avec tous les détails des "divisions" syndicales étalées, le syndicalisme "en crise", dans le "plus vieux pays démocratique du monde". Après que le syndicat des mineurs, le NUM, ait mené la grève à la défaite, la bourgeoisie nous présente la "défaite du NUM" alors que c'est là sa victoire contre les ouvriers. En France la CGT s'est radicalisée dans l'"opposition" pour prévenir la .mobilisation ouvrière tout en fanant grand tapage sur les "journées d'action", les "actions-commandos", pour se montrer "combative" face à des ouvriers "passifs". En Allemagne, la DGB annonce de grandes journées d'action pour septembre 85 pour limiter ensuite ses appels à quelques démonstrations isolées.
Les syndicats ne cherchent pas à mobiliser. Ils craignent que tout rassemblement ne les déborde comme cela s'est produit à Hambourg le 1er mai 85, où les chômeurs se sont affrontés à la police, à Lille dans le nord de la France en juillet, où les ouvriers ont fait de même. Les syndicats cherchent à montrer une image de la lutte contestée, minoritaire, divisée, impopulaire, tout en développant un discours de plus en plus "radical". Il s'agit pour la bourgeoisie de faire passer l'idée que la classe ouvrière n'a plus de réalité afin de saboter toute confiance de celle-ci en elle-même.
Dans les années 60 s'était développé le même genre d'idéologie sur la "crise" du prolétariat et son "intégration" au capitalisme. La reprise des luttes de la classe ouvrière en 1968, au tout début de la crise ouverte dans laquelle la société s'enfonce de plus en plus profondément, était venue jeter à bas ce mensonge. Marx disait que si l'histoire se répète deux fois, la première c'est en tragédie et la deuxième en farce. Le "remake" de cette idéologie au milieu des années 80 que tente d'utiliser la bourgeoisie, relève du deuxième genre.
Cependant, dans le milieu politique du prolétariat, nombre sont ceux qui expriment les mêmes doutes sur les capacités de la classe ouvrière à développer ses luttes et à dégager des perspectives. Pris dans le piège de l'apparence des phénomènes et des mystifications matraquées par toutes les forces de la bourgeoisie, ils ne voient ni l'usure de ces mystifications, ni les potentialités que la situation recèle. Ils ne voient "dans la misère que la misère", et c'est bien cela le but poursuivi par la bourgeoisie. Ce faisant, ils sont les victimes des campagnes de la bourgeoisie pour tenter de faire perdre toute confiance en elle-même à la classe ouvrière, et ils en deviennent finalement les acteurs. C'est ce que souhaite la bourgeoisie : faire croire au prolétariat qu'il est impuissant, qu'il n'est pas capable de se constituer en force unie contre la décadence du système capitaliste condamné.
PERSPECTIVES : L'EXTENSION ET L'AUTO-ORGANISATION DES LUTTES DE LA CLASSE OUVRIERE
La lutte de classe se développe ; la tension et le mécontentement s'accumulent dans la société. Si la reprise des luttes ouvrières est lente et difficile, c'est que le prolétariat se confronte, en Europe de l'Ouest, à la bourgeoisie la plus expérimentée du monde, consciente que le prolétariat est au coeur de la situation et qui déploie tout son savoir-faire pour tenter de le mystifier et de l'encadrer, pour le maintenir démobilisé.
Face à la reprise des luttes, la bourgeoisie a été contrainte de déployer tout un arsenal idéologique comme les campagnes de propagande visant à faire peur et à déboussoler, comme le partage du travail entre la droite et la gauche, avec la gauche dans l'"opposition", la réadaptation de syndicats aux expressions multiformes de la lutte de classe. La création d'un "syndicat de chômeurs" en France, la radicalisation de fractions de syndicats en Grande-Bretagne, le développement d'un syndicalisme "de base" ou "de combat" dans la plupart des pays, la création d'une "fédération internationale des mineurs", entre autres, sont les moyens de contrôle dont la bourgeoisie se dote pour parer la montée des luttes ouvrières et essayer d'anticiper sur les problèmes que vont de plus en plus lui poser cette montée.
Les leçons accumulées par le prolétariat sur les conséquences inéluctables de la crise économique et les perspectives de son accélération dans des pays considérés jusqu'ici comme des havres de paix sociale et des modèles de capitalisme (pays Scandinaves, Allemagne), les leçons sur le travail de dévoiement syndical que la classe ouvrière de ces pays commence à tirer, les leçons acquises par la classe ouvrière en France sur la véritable nature de la gauche telle qu'elle l'a révélée par sa présence au gouvernement, les expériences faites par les ouvriers en Espagne et en Italie sur les multiples formes du syndicalisme de base, toutes ces expériences, par leur accumulation vont devenir un facteur important de l'accélération des luttes.
Dans toutes les luttes s'est posé le problème de leur extension à d'autres secteurs, le problème de la nécessité de lutter massivement. Les luttes contre le chômage et les luttes de chômeurs ont soulevé la question de l'unité du prolétariat par delà toutes les divisions. Chaque fois, les syndicats ont été, par leurs manoeuvres multiples, facteur du dévoiement des luttes pour les mener dans des impasses. Et c'est dans l'accumulation des expériences du sabotage syndical que va de plus en plus clairement se poser pour la classe la question de l'auto organisation.
Si aujourd'hui on constate dans certains pays une "accalmie" des luttes ouvrières, "accalmie" qui est bruyamment exploitée par l'ensemble de la bourgeoisie pour démoraliser les ouvriers, cela ne signifie nullement que la classe ouvrière ait été mise au pas. Il s'agit en fait du calme qui précède la tempête, où le prolétariat rassemble ses forces pour de nouveaux assauts où il sera amené à répondre de façon de plus en plus claire aux problèmes posés dans les luttes passées : l'extension, l'auto organisation, l'unification des luttes, leur généralisation internationale. Et c'est aussi dans ses luttes que le prolétariat va développer la prise de conscience de la nature révolutionnaire de son combat.
Dans cette situation, les organisations révolutionnaires doivent contribuer activement à accélérer la prise de conscience de la classe de la nécessité, des buts et des moyens de la lutte : en dénonçant les pièges tendus par la bourgeoisie, en aidant la classe à les déjouer, en la poussant à prendre en main elle-même son combat, à affirmer son unité, A PRENDRE CONSCIENCE DE SA FORCE COMME SEULE CLASSE CAPABLE DE DONNER UN AVENIR A L'HUMANITE.
C.N.
[1] [166] Sur la reprise des luttes ouvrières depuis l’automne 83, voir Revue Internationale n°37 et 42.
Plus que tous les chiffres et les savantes analyses, la lutte des ouvriers en Pologne face aux augmentations des produits de consommation que l'Etat a voulu imposer en 1980, est venue démontrer non seulement que les pays de l'Est n'avaient rien de socialiste, que l'exploitation sauvage de la classe ouvrière y est la règle, mais de plus que face à l'approfondissement de la crise économique en Europe de l'est, ce sont, comme partout ailleurs, les mêmes vieilles solutions bourgeoises qui sont employées, c'est-à-dire d'abord une attaque draconienne contre les conditions de vie de la classe ouvrière.
Les années 80 sont les années de vérité, et même si les mythes ont la vie dure, l'illusion du socialisme régnant à l'est s'effondre sous les coups de boutoir d'une crise qui fait des ravages, qui va en s'accélérant à l'est comme à l'ouest. La crise mondiale du capitalisme, par son existence même dans ces pays, trahit la nature réelle du système d'exploitation qui existe en URSS et dans les pays sous sa domination impérialiste.
LA FAIBLESSE DU BLOC RUSSE FACE A SON RIVAL OCCIDENTAL
Nous sommes aujourd'hui bien loin des rodomontades de Kroutchev qui, à la fin des années 50, dans une crise d'optimisme démesuré - au service de la propagande russe - croyait pouvoir annoncer que l'URSS allait rattraper bientôt les USA sur le plan économique, prouvant par là la supériorité du prétendu "socialisme" sur son rival "capitaliste" occidental. C'est le contraire qui s'est produit, c'est le Japon qui a rejoint l'URSS au rang de 2ème puissance économique de la planète. C'est le bloc de l'est qui s'est affaibli relativement à ses concurrents : les pays du CAEM (URSS, Pologne, RDA, Bulgarie, Roumanie, Tchécoslovaquie, Hongrie) ne représentent aujourd'hui que 15,7% de la production mondiale, alors que les USA à eux seuls font 27,2 % et que l'ensemble des pays de l'OCDE atteignent le chiffre écrasant de 65,1 % (chiffres de 1982).
Les chiffres montrent à l'évidence que ce n'est pas sur le plan économique que le bloc de l'est peut rivaliser avec l'ouest, la supériorité de ce dernier est sur ce plan écrasante. L'URSS ne peut maintenir sa place et celle de son bloc sur la scène mondiale qu'au travers de sa puissance militaire et pour cela il doit sacrifier sur l'autel de sa politique d'armement, sa compétitivité économique et celle de son bloc. Ainsi, alors que le budget du Pentagone représente 7 % du PNB des USA, pour l'URSS, les estimations varient de 10 à 20 % du PNB consacrés à l'effort militaire.
Dans ces conditions, alors que l'armée rouge prend sa ponction sur l'ensemble de l'économie du bloc, que les meilleurs produits, les meilleurs cerveaux sont utilisés dans la production d'armement, le reste de l'économie perd toute compétitivité vis-à-vis de la concurrence sur le marché mondial. Dans ces conditions, ce ne sont pas seulement les anciens traits de sous-développement qui perdurent de manière chronique, mais en plus l'ensemble du bloc qui sombre dans ce sous-développement, étouffé par le poids des secteurs improductifs, notamment militaire.
L'ACCELERATION DE LA CRISE DANS LES ANNEES 80
Les taux de croissance de l'économie des pays de l'est des années 70 sont aujourd'hui révolus. Ainsi, si l'URSS a pu maintenir une croissance relative au début des années 80, c'est grâce à sa position de leader du bloc, et à sa capacité de répercuter les effets de la crise sur ses alliés plus faibles; cependant cette croissance reste malgré tout en régression nette par rapport aux taux auxquels l'URSS avait pu nous habituer par le passé.
Taux de croissance de l’URSS :
1981 82 83 84
3,5 3,5 3 2,6
Quant aux autres pays du bloc, c'est à une véritable récession à laquelle nous avons assisté en ce début des années 80. Ainsi, la Pologne : si en 83, la croissance a été de 4,5 %, c'est après 3 ans de chute :
Croissance du PNB de la Pologne :
1980 81 82 83
-6 -12 -5,5 4,5
(Bulletin annuel pour l’Europe de l’Est)
Bien sûr le développement de la grève de masse en Pologne en 1980-81 a été un facteur important de cette chute de la production, mais ce n'est certainement pas le cas de la Tchécoslovaquie ni de la Hongrie qui ont connu une quasi stagnation.
Taux de croissance PNB
1981 82 83
Tchécoslovaquie -0,4 0 1,5
Hongrie 2,5 2,8 0,8
(F.M.I.)
Cette récession du bloc de l'est a exactement les mêmes causes que celle qui a frappé en même temps au début des années 80 le bloc occidental ; elle fait partie d'un même mouvement de récession mondial.
La chiite des exportations de produits manufacturés à l'extérieur du bloc a atteint de plein fouet les économies est-européennes. Alors que les échanges avec l'ouest représentent 57 % des exportations de la Roumanie, 35 % de celles de la Pologne, 50 % de celles de la Hongrie, la situation de saturation du marché mondial, et la concurrence exacerbée qui en découle, ont anéanti les espoirs des économies de l'est de rentabiliser les lourds investissements consentis dans les années 70. Le vieillissement de l'appareil productif, la mauvaise qualité des marchandises produites, le retard technologique qui s'aggrave, réduisent à néant tout espoir de redresser la situation, et la part des produits manufacturés tend à se réduire dans les exportations vers l'ouest, aux dépens des matières premières. Ainsi, en Pologne, les exportations industrielles ont baissé en 1981, 82 et 83, alors que les exportations charbonnières progressaient. Aujourd'hui, la structure des exportations de la Pologne vis-à-vis du monde occidental revient à ce qu'elle fût dans les années 50, c'est-à-dire que ce sont 30 ans de développement qui sont anéantis.
Cette chute de la croissance du bloc de l'est a été encore accentuée par l'austérité imposée par l'URSS qui contrôle les vannes d'approvisionnement énergétique et les livraisons en matières premières nécessaires à l'industrie des pays d'Europe de l'est. Plus qu'une grande puissance industrielle, l'URSS est avant tout une grande puissance minière, cela est explicite dans ses échanges avec l'ouest, représentés pour plus de 80 % d'exportations par des matières premières. Cela traduit le sous-développement relatif de l'URSS, même par rapport à d'autres pays de son bloc. Ainsi, en Tchécoslovaquie l'industrie manufacturière constitue 62 % du PNB contre 23 % seulement pour l'URSS. Pour maintenir le niveau de ses échanges avec l'ouest et récupérer ainsi les devises nécessaires à l'achat des produits technologiques qui lui font tant défaut, l'URSS a du augmenter ses ventes de pétrole dont le cours déclinait. Cela n'a pu se faire qu'aux dépens des livraisons à ses alliés. Ainsi, en 1982, la réduction des livraisons de pétrole à la RDA et à la Tchécoslovaquie de plus de 10 % a provoqué de sérieux problèmes à l'industrie, tandis qu'en 1985 le retard de livraison de pétrole et de charbon à la Bulgarie s'est traduit par une grave pénurie d'électricité devant la vague de froid du début de l'année.
L'EXEMPLE DE L'AGRICULTURE : SYMBOLE DE LA FAIBLESSE ECONOMIQUE DE L'URSS
En 1983, l'URSS a accumulé le plus fort déficit agricole mondial de tous les temps, plus de 16 milliards de dollars. Pourtant, l'URSS est la première puissance agricole du monde : 1er producteur de blé, d'avoine, de froment, de seigle, d'orge, de betterave, de tournesol, de coton et de lait, rien de moins, et pourtant l'agriculture est le talon d'Achille du bloc de l'est qui le met sous la menace de la famine. Sur ce plan, sa dépendance vis-à-vis de l'ouest s'accentue. La faillite du secteur agricole en URSS est tout à fait significative des maux dont souffre l'économie russe en général. Quand on apprend que la production de chars de combat est répercutée dans la comptabilité russe sous la catégorie de production de matériel agricole, on peut mesurer le gigantesque détournement qui se fait au profit de l'armée et aux dépens de la modernisation du secteur agricole.
Les rendements extrêmement bas traduisent l'archaïsme de l'agriculture des pays de l'est : en URSS, le rendement céréalier est de 1464 Kg à l'hectare, contre 4765 pour la France. En Roumanie, une vache laitière produit 1753 litres de lait par an, contre près du double en France, 3613 litres par an. Mais cette faible productivité voit ses conséquences considérablement aggravées par le manque d'équipement et par la lourdeur de l'appareil bureaucratique qui entrave le fonctionnement de l'économie. Ainsi, les récoltes de céréales pourrissent souvent sur pied faute de machines pour les moissonner, et quand elles sont moissonnées, il y a pénurie de silos pour les conserver. Et même quand cela est réalisé, d'autres obstacles apparaissent encore : les moyens de transport sont insuffisants, la paralysie bureaucratique pèse de tout son poids si bien qu'une part importante de la production de blé est gaspillée, souvent dans l'alimentation animale pour laquelle elle n'est pas le plus adaptée alors que le rationnement alimentaire sévit dans les villes. L'agriculture russe est un exemple du gigantesque gaspillage des forces productives qui sévit dans toute l'économie russe et montre clairement comment le développement de l'économie de guerre se fait aux dépens de l'ensemble de l'économie. Il y a de plus en plus de canons et de moins en moins de beurre. Mais ce gigantesque gaspillage pousse le capitalisme russe, comme son homologue occidental de manière encore plus nette dans des contradictions insurmontables.
UNE ATTAQUE REDOUBLEE CONTRE LES CONDITIONS DE VIE DU PROLETARIAT
La crise comme en occident s'est traduite au sein du bloc de l'est par la mise en place de programmes d'austérité draconiens, par une attaque sans précédent depuis les années 50 contre le niveau de vie de la classe ouvrière.
La suppression des subventions de l'Etat qui avaient permis jusqu'à la fin des années 70 de masquer l'inflation, s'est traduite par des hausses en cascades. En Pologne, les hausses de plus de 100 % sur les produits alimentaires ont provoqué l'explosion de luttes de classe qui a marqué pour les pays de l'est l'entrée dans les années 80, tout en montrant la réalité de l'inflation dans les pays de l'est. En Pologne, cette inflation a été de :
1980 1981 1982 1983 1984
10 % 21 % 100 % 25 % 10 %
Elle a été de 16,9 % en 1982 pour la Roumanie, tandis qu'en Hongrie les augmentations des produits alimentaires ont atteint 20 %, celles du charbon, du gaz et de l'essence 25 %, celles des transports de 50 à 100 %. Des économistes occidentaux estiment que chaque tranche de 10 % d'inflation par an équivaut à une baisse de 3 % du pouvoir d'achat. On peut apprécier dans cette mesure l'attaque qu'a subie le prolétariat d'Europe de l'est qui sur ce plan devient comparable à celle qu'ont subie les prolétaires d'Amérique Latine.
Le ralentissement actuel de l'inflation dans les pays de l'est ne signifie pour autant certainement pas un ralentissement de l'attaque contre les conditions de vie de la classe ouvrière, au contraire. L'extension de la durée de travail hebdomadaire à 6 jours en Pologne et en Roumanie, le développement, au nom de la lutte pour la productivité, de campagnes contre "l'absentéisme", "l'alcoolisme", le "hooliganisme", par Andropov et Gorbatchev sont venus justifier une répression et un contrôle accrus sur les lieux de travail. L'augmentation des cadences dans les mines en Pologne s'est traduite par un doublement des accidents du travail en 1982.
En URSS, la "patrie" des travailleurs, de 1965 à 1982, la durée moyenne de vie est passée pour les femmes de 74,1 ans à 73,5, et pour les hommes de 66,2 à 61,9 selon une étude de l'Office Mondial de la Santé (Genève); l'URSS quant à elle ne publie plus depuis longtemps ce genre de statistiques.
QUELLES PERSPECTIVES ?
La plongée de l'économie mondiale dans une nouvelle phase de récession qui s'annonce avec le ralentissement de la reprise américaine n'augure rien de bon pour l'économie des pays de l'est qui auront de plus en plus de mal à exporter.
De plus, la chute constante des investissements depuis le début des années 80, alors que 84 % des chantiers planifiés à la fin des années 70 restent inachevés en URSS, montre que l'avenir est sombre. Le bloc de l'est doit parer au plus pressé pour éviter la banqueroute : 27 % des investissements prévus dans son plan par l'URSS sont consacrés à l'agriculture déficitaire, tandis qu'en Pologne, les investissements consacrés aux machines et aux biens d'équipement sont passés de 46 à 30 %. La crise se traduit par un mouvement de désindustrialisation, de sous-développement, d'appauvrissement du bloc de l'est, qui ira encore en s'accélérant dans le futur.
Les années qui viennent vont voir d'autre part une difficulté de plus en plus grande de l'URSS à équilibrer sa balance commerciale, dans la mesure où le pétrole, qui constitue sa principale exportation, va se tarir dans sa partie européenne, sans que le relais des gisements sibériens puisse être assuré faute des capitaux nécessaires et de la technologie indispensable. Ce qui est en perspective, c'est une réduction des échanges avec l'ouest et un repli du bloc de l'est sur lui-même dans une fuite en avant dans l'économie de guerre.
Quant aux ouvriers, Gorbatchev annonce la couleur de ce qui les attend lorsqu'il déclare : "les traditions du mouvement stakhanoviste ne sont pas révolues (...) mais correspondent aux exigences de notre temps". Comme Staline, Gorbatchev remplace le capital qui lui manque pour investir et moderniser l'industrie, par le "capital humain", en n'ayant d'autre recours pour élever la productivité que d'intensifier et d'augmenter l'exploitation sous ses formes les plus brutales. Les bras des ouvriers remplacent les machines absentes. Mais une telle politique et l'aggravation du niveau de vie qu'elle implique est grosse de révolte et de luttes du prolétariat dans le chemin tracé par les ouvriers de Pologne en 1980.
Dans les pays de l'est, comme dans le reste du monde l'alternative est posée : socialisme ou barbarie.
JJ. 23/9/85
Il y a 80 ans, le prolétariat engageait en Russie le premier mouvement révolutionnaire de ce siècle, la répétition générale de la révolution victorieuse de 1917 et la vague révolutionnaire mondiale qui l'a suivie jusqu'en 1923.
Ce mouvement qui éclate spontanément en janvier 1905, au départ d'un événement tout à fait fortuit, secondaire -le renvoi de deux ouvriers de l'usine de Poutilov - va se transformer au cours de l'année en un gigantesque soulèvement général du prolétariat où les grèves économiques et politiques vont fusionner, se développer à travers des avancées et des reculs, se coordonner à tous les secteurs de la production, se généraliser dans tout l'empire russe et finir par culminer en décembre avec l'insurrection de Moscou.
Mais ce qui fait la spécificité de 1905 ce n'est pas le caractère massif du mouvement, bien que la grève de masse ait été utilisée à cette occasion pour la première fois avec une telle ampleur ([1] [170]) Cette arme redoutable, le prolétariat l'avait déjà utilisée dans les années précédant 1905, notamment en Russie (1896) de même qu'en Belgique (1902). Ce qui fait de 1905 une expérience jusqu'alors inédite dans 1'histoire, c'est essentiellement le surgissement spontané -dans la lutte et pour la lutte- des conseils ouvriers, organes regroupant 1'ensemble de la classe avec des délégués élus, responsables devant celle-ci et révocables à tout moment.
Le surgissement des premiers conseils ouvriers dès 1905 marque 1'ouverture d'une période où la question qui va être posée historiquement pour la classe ouvrière est celle de la révolution prolétarienne.
Plus d'un demi-siècle de décadence du système capitaliste n'a fait que confirmer la validité toujours présente de cet enseignement fondamental pour le mouvement ouvrier : les conseils ouvriers s'imposent comme instruments du renversement de l'Etat bourgeois et pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Ils sont, comme le disait Lénine, "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" En ce sens, il importe que les révolutionnaires soient capables de tirer toutes les leçons de cette première expérience révolutionnaire du prolétariat s'ils veulent être à même de remplir, dès à présent et dans les affrontements de classe à venir, la fonction pour laquelle la classe les a fait surgir
Lorsqu'à éclaté la révolution de 1905, une des questions essentielles qui s'est posée aux révolutionnaires, comme à l'ensemble de la classe, était celle-ci : quelle est la signification de cette brusque irruption du prolétariat russe sur la scène de l'histoire ? Cette révolution était-elle une réponse aux conditions spécifiques de la Russie tsariste dans un pays où le développement de la grande industrie n'avait pas encore complètement balayé les derniers vestiges de la féodalité ? Ou bien était-elle le produit d'une étape nouvelle dans le développement des contradictions du capitalisme, étape qui prévalait sur l'ensemble de la planète ?
Face à cette question, Rosa Luxemburg est alors la première à percevoir la signification générale de ce mouvement lorsqu'elle affirme que la révolution de 1905 "arrive à un point historique qui a déjà passé le sommet, qui est de l'autre côté du point culminant de la société capitaliste."("Grève de masse, parti et syndicats" ([2] [171]). Ainsi, dès 1906, Rosa Luxemburg comprend que le soulèvement prolétarien de 1905 avait signé la fin de l'apogée du capitalisme comme système mondial et que s'ouvrait désormais une ère où le prolétariat devait assumer dans la pratique son être historique en tant que classe révolutionnaire. En entrant dans sa phase de décadence, le capitalisme devait révéler ainsi les premiers symptômes d'une crise chronique et sans issue : son incapacité à améliorer de façon durable les conditions d'existence du prolétariat, son enfoncement inexorable dans la barbarie avec notamment le développement de guerres impérialistes.
Ce n'est donc pas en réponse aux "spécificités", à l'arriération de la Russie tsariste qu'éclate la révolution de 1905, mais bien en réponse aux convulsions de la fin de la période ascendante du capitalisme qui, dans ce pays, prend en particulier la forme de la guerre russo-japonaise et de ses terribles conséquences pour le prolétariat.
Cependant, bien que R. Luxemburg ait été la première à saisir la signification historique de 1905 comme "forme universelle de la lutte de classe prolétarienne résultant de 1'étape actuelle du développement capitaliste et de ses rapports de production" ("Grève de masse."), sa compréhension de la période reste encore incomplète puisque, à l'instar des fractions de gauche de la IIe internationale, elle ne comprend pas clairement la nature de cette révolution. En effet, elle voit dans les événements de 1905 en Russie une révolution "démocratique bourgeoise" dont le prolétariat est le principal protagoniste, ne saisissant pas toutes les implications dictées par la fin de l'apogée du capitalisme: l'impossibilité pour le prolétariat de réaliser des tâches bourgeoises dans la mesure où ce qui est à l'ordre du jour ce n'est plus la révolution bourgeoise mais la révolution prolétarienne. Cette confusion dans l'ensemble du mouvement ouvrier du début du siècle trouve ses racines essentiellement dans le fait que 1905 surgit à un tournant, à une période charnière où, en vivant ses dernières années de prospérité, l'économie capitaliste manifestait déjà des signes d'essoufflement sans que pour autant ses contradictions insurmontables n'aient encore éclaté au grand jour dans les centres vitaux du capitalisme mondial. Et ce n'est que dans les années précédant la première guerre mondiale, lorsque, avec le développement à outrance du militarisme, la bourgeoisie des principales puissances européennes va accélérer ses préparatifs guerriers, que les gauches de la IIe Internationale comprendront réellement le changement de période posant l'alternative : révolution prolétarienne ou enfoncement de l'humanité dans la barbarie.
Néanmoins, bien que les révolutionnaires n'aient saisi immédiatement ni le changement de période, ni la nature de 1905, ce qui les distingue des tendances réformistes et opportunistes (tels que les Mencheviks, par exemple) au sein du mouvement ouvrier de l'époque, c'est essentiellement leur compréhension du rôle du prolétariat, de son action autonome en tant que classe historique et non comme force d'appoint au service des intérêts bourgeois. Et parmi ceux-là, il revient aux Bolcheviks d'avoir su appréhender dès 1905 (R. Luxemburg ne le verra qu'en 1918) le rôle spécifique des soviets comme instruments du pouvoir révolutionnaire. Ce n'est donc nullement par hasard que ces mêmes bolcheviks seront en 1917 à l'avant-garde de la révolution, non seulement en Russie, mais à l'échelle mondiale.
NATURE ET ROLE DES SOVIETS
Ce qui distingue le mouvement de 1905 de celui des années précédentes où les explosions ouvrières massives en Russie avaient constitué les prémisses de 1905, c'est la capacité du prolétariat à s'organiser en classe autonome avec le surgissement spontané dans la lutte et pour la lutte des premiers conseils ouvriers, résultant directement d'une période révolutionnaire.
En effet, la forme d'organisation dont se dote le prolétariat pour assumer sa lutte dans une telle période ne se construit pas à l'avance, suivant le schéma de l'organisation que se donnait la classe au siècle dernier : le syndicat.
Dans la phase ascendante du capitalisme, l'organisation préalable de la classe en syndicats était une condition indispensable pour mener des luttes de résistance économique qui se développaient sur une longue période.
Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, l'impossibilité pour la classe d'obtenir des améliorations durables de ses conditions d'existence a fait de l'organisation permanente en syndicats un moyen de lutte désormais caduc et que le capital va progressivement intégrer à l'Etat dans les premières années du siècle. De ce fait, la lutte du prolétariat posant historiquement la question de la destruction du capitalisme va tendre à dépasser le cadre strictement économique pour se transformer en une lutte sociale, politique, s'affrontant de plus en plus directement à l'Etat. Cette forme de lutte spécifique de la décadence capitaliste ne peut se planifier à l'avance. Dans la période où la révolution prolétarienne est historiquement à l'ordre du jour, les luttes explosent spontanément et tendent à se généraliser à tous les secteurs de la production. Ainsi, le caractère spontané du surgissement des conseils ouvriers résulte directement du caractère explosif et non programmé de la lutte révolutionnaire.
De même, conformément aux objectifs de la lutte prolétarienne au siècle dernier, le syndicat ne pouvait que regrouper les ouvriers à une échelle locale et par branches d'industrie ayant -outre des revendications générales, par exemple : la journée de 8 heures, des revendications spécifiques. Par contre, lorsque la lutte du prolétariat pose la question du bouleversement de l'ordre capitaliste exigeant la participation massive de l'ensemble de la classe, lorsqu'elle tend à se développer non plus sur un plan vertical (métiers, branches d'industrie) mais sur un plan horizontal (géographique) en unifiant tous ses aspects -économiques et politiques, localisés et généralisés-, la forme d'organisation qu'elle engendre ne peut avoir pour fonction que d'unifier le prolétariat par delà les secteurs professionnels.
C'est ce qu'a illustré de façon grandiose l'expérience de 1905 en Russie lorsqu'en octobre, à l'issue de l'extension de la grève des typographes aux chemins de fer et aux télégraphes, les ouvriers, réunis en assemblée générale, prennent, à Petersbourg, l'initiative de fonder le premier soviet qui va regrouper les représentants de toutes les usines et constituer ainsi le centre névralgique de la lutte et de la révolution. C'est ce qu'exprime Trotsky (président du soviet de Petersbourg) lorsqu'il écrit " Qu'est-ce que le soviet? Le conseil des députés ouvriers fut formé pour répondre à un besoin pratique suscité par les conjonctures d'alors : il fallait avoir une organisation jouissant d'une autorité indiscutable libre d toute tradition,qui grouperait du premier coup les multitudes disséminées et dépourvues de liaison ; cette organisation (...) devait être capable d'initiative et se contrôler elle-même d'une manière automatique : 1'essentiel, enfin, c'était de pouvoir la faire surgir dans les vingt-quatre heures (...) pour avoir de l'autorité sur les masses, le lendemain même de sa formation, elle devait être instituée sur la base d'une très large représentation. Quel principe devait-on adopter? La réponse venait toute seule. Comme le seul lien qui existât entre les masses prolétaires, dépourvues d'organisation, était le processus de la production, il ne restait qu'à attribuer le droit de représentation aux entreprises et aux usines " (Trotsky, "1905")
C'est cette même différence dans le contenu et la forme de la lutte entre la période ascendante et la période de décadence qui détermine la distinction entre le mode de fonctionnement des conseils ouvriers et celui des syndicats. La structure permanente de l'organisation de la classe en syndicat se reflétait par la mise en place de moyens permanents (caisses de grèves, fonctionnaires syndicaux...) en vue de l'action revendicative quotidienne et de la préparation des luttes. Par contre, avec le surgissement des conseils ouvriers, la lutte révolutionnaire du prolétariat met un terme à ce type de fonctionnement statique pour donner naissance, au coeur de la lutte elle-même, à une nouvelle forme d'organisation dont le caractère éminemment dynamique -à l'image du bouillonnement que représente la révolution- se manifeste par la révocabilité de ses délégués élus et responsables devant l'ensemble de la classe. Parce que ce mode de fonctionnement traduit et renforce la mobilisation permanente de toute la classe, les conseils ouvriers sont le terrain privilégié où s'exprime la véritable démocratie ouvrière, de même qu'ils sont le lieu où se reflète le niveau réel de conscience dans la classe. Cela se manifeste notamment dans le fait que les forces politiques qui dominent dans les conseils ouvriers à certains moments de leur évolution sont celles qui ont le plus d'influence au sein de la classe. De plus, les conseils ouvriers sont le lieu où le processus de prise de conscience dans la classe se développe de façon constante et accélérée. C'est cette dynamique d'accélération, résultant de la radicalisation des masses qui va devenir un facteur décisif dans la lutte. Ainsi, alors qu'à l'issue de la révolution de février 17, les soviets avaient accordé leur confiance au gouvernement provisoire démocrate-constitutionnel, leur adhésion à une orientation révolutionnaire après les événements de l'été (journées insurrectionnelles de juillet, offensive de Kornilov), était le résultat d'une maturation, d'une extension de la conscience dans la classe, condition indispensable à la prise du pouvoir en octobre 1917.
Il apparaît ainsi que les conseils ouvriers sont l'expression même de la vie de la classe dans la période révolutionnaire. De ce fait, l'expérience de 1903 apporte une réponse définitive à une question que le mouvement ouvrier depuis ses origines n'avait pu trancher : quelle forme doit revêtir la dictature du prolétariat ? Bien que l'expérience de la Commune de Paris ait mis en évidence l'impossibilité pour le prolétariat d'utiliser l'appareil d'Etat légué par le capitalisme - et donc la nécessité de le détruire -, elle n'a cependant pas apporté de réponse positive à une telle question. Et près d'un demi-siècle plus tard, cette question ne sera pas encore nettement tranchée pour une grande majorité de révolutionnaires, dont Rosa Luxemburg elle-même lorsqu'en 1918, dans sa brochure sur "La révolution russe", elle reprochera aux bolcheviks d'avoir dissous la Constituante, instrument qu'elle pensait être celui du pouvoir prolétarien. Il revient ainsi aux bolcheviks d'avoir été les premiers à tirer de la façon la plus claire les principaux enseignements de 1903 :
"Ce serait la plus grande absurdité d'accepter que la plus grande révolution dans 1'histoire de 1'humanité, la première fois que le pouvoir passe des mains de la minorité des exploiteurs aux mains de la majorité des exploités, puisse s'accomplir dans le cadre de la vieille démocratie parlementaire et bourgeoise sans les plus grands bouleversements, sans la création de formes nouvelles de démocratie, d'institutions nouvelles et de conditions nouvelles de son application.
(...) La dictature du prolétariat doit entraîner non seulement le changement des formes et institutions démocratiques en général, mais encore une extension sans précédent de la démocratie réelle pour la classe ouvrière assujettie par le capitalisme. Et à la vérité, la forme de la dictature du prolétariat déjà élaborée en fait, c'est-à-dire le pouvoir des soviets en Russie, le système des Conseils ouvriers en Allemagne (...) signifient et réalisent précisément pour les classes laborieuses, c'est-à-dire pour l'énorme majorité de la population, une possibilité effective de jouir des droits et libertés démocratiques, comme il n'en a jamais existé, même approximativement, dans les meilleures républiques démocratiques bourgeoises." (Lénine, "Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat", 1er Congrès de l'Internationale Communiste, mars 1919).
LE ROLE DES REVOLUTIONNAIRES DANS LES CONSEILS OUVRIERS
Dans la mesure où c'est l'ensemble du prolétariat qui doit entreprendre la transformation révolutionnaire de la société pour abolir toute division de la société en classes, sa dictature ne peut que revêtir une forme radicalement opposée .à celle de la bourgeoisie. Ainsi, contre la vision du courant bordiguiste suivant laquelle la forme d'organisation de la classe importe peu pourvu qu'elle permette au parti de prendre le pouvoir, il faut affirmer que sans l'existence des conseils ouvriers, il ne saurait y avoir de révolution prolétarienne. Pour les bordiguistes, le prolétariat ne peut exister comme classe qu'à travers le parti. Ce faisant, eux qui se réclament des conceptions de Lénine sur le rôle du parti révolutionnaire, ne font en réalité que donner une vision complètement caricaturale de ces conceptions. Au lieu de se réapproprier les apports essentiels de Lénine et des bolcheviks à la théorie révolutionnaire, ils ne font que reprendre leurs erreurs en les poussant jusqu'à leurs implications les plus extrêmes et les plus absurdes. Il en est ainsi de l'idée défendue par Lénine et exprimée dans les Thèses du 2ème Congrès de l'IC (mais qui est aussi celle de la majorité des révolutionnaires à cette époque) suivant laquelle le parti révolutionnaire a pour fonction de prendre le pouvoir au nom de la classe. Cette idée, l'histoire nous a enseigné qu'il fallait la rejeter. Du fait que c'est l'ensemble de la classe, organisée en conseils ouvriers, qui est le sujet de la révolution, toute délégation de son pouvoir à un parti, même révolutionnaire, ne peut que conduire à la défaite. C'est ce qu'a illustré de façon tragique la dégénérescence interne de la révolution russe à partir de 1918 dès lors que les soviets se sont vidés de leur pouvoir au profit du parti-Etat. Une telle vision du parti se substituant à la classe est héritée, en fait, du schéma des révolutions bourgeoises où l'exercice du pouvoir par une fraction de la classe dominante ne faisait qu'exprimer la dictature d'une classe minoritaire, exploiteuse, sur la majorité de la société.
Cette conception erronée défendue par le courant bordiguiste suivant laquelle le parti, seul détenteur de la conscience, serait une sorte d'"Etat-major" de la classe, a été souvent justifiée au nom de l'absence d'homogénéité de la conscience dans la classe. Ce type d'arguments ne fait que traduire une incompréhension du phénomène de développement de la conscience de classe en tant que processus historique inhérent à la lutte -même du prolétariat - classe exploitée sous le joug permanent de l'idéologie bourgeoise -vers son émancipation. C'est précisément le surgissement spontané des conseils ouvriers issu de la pratique révolutionnaire du prolétariat qui exprime cette maturation générale de la conscience dans la classe. En ce sens, cette arme dont se dote la classe pour le renversement de l'Etat bourgeois est l'instrument par lequel les masses ouvrières tendent à se dégager, au coeur de la lutte, de l'emprise des idées bourgeoises et à se hisser à une compréhension claire de la perspective révolutionnaire.
Est-ce à dire que les organisations révolutionnaires n'ont pas un rôle à jouer dans les conseils ouvriers, comme le prétend le courant conseilliste pour lequel tout parti ne peut que "violer" la classe ([3] [172]) ? Sous prétexte de défendre l'autonomie du prolétariat, l'aversion que les conseillistes éprouvent envers toute forme organisée des révolutionnaires n'est, en fait, que le corollaire de la vision bordiguiste : hanté par le spectre de la dégénérescence de la révolution russe le courant conseilliste s'avère incapable d'attribuer au parti une autre fonction que celle de prendre le pouvoir au nom et à la place de la classe. Ce que révèle en réalité, cette prétendue défense de l'autonomie du prolétariat, c'est la vision d'un rapport de force, de domination du parti sur la classe.
Ainsi, la vision conseilliste - tout comme celle des bordiguistes - non seulement est étrangère au marxisme pour lequel "les communistes n'ont pas d'intérêts qui les séparent du prolétariat dans son ensemble" (Manifeste Communiste), mais de plus elle ne peut que désarmer le prolétariat dans son affrontement avec les forces de la contre-révolution.
En effet, si les conseils ouvriers sont l'instrument indispensable à la prise du pouvoir prolétarien, leur existence seule n'offre cependant aucune garantie de victoire. Dans la mesure où la bourgeoisie défendra bec et ongles sa domination de classe, elle tentera par tous les moyens de s'infiltrer au sein des conseils ouvriers pour les pousser au suicide. C'est ce qu'a illustré la défaite sanglante du prolétariat en Allemagne 18 lorsqu'en décembre la remise du pouvoir des conseils ouvriers entre les mains d'un parti bourgeois - la Social-démocratie - a signé leur arrêt de mort.
Par ailleurs, la pression de l'idéologie dominante peut se manifester par l'existence au sein des conseils ouvriers non seulement de partis bourgeois mais également par celle de courants ouvriers opportunistes dont le manque de clarté, les hésitations, la tendance à la conciliation avec l'ennemi de classe, constituent une menace permanente pour la révolution. Ce tut notamment le cas des soviets en Russie 17 lorsqu'au lendemain de la révolution de février, le Comité Exécutif des soviets, dominé par des formations opportunistes (mencheviks et socialistes-révolutionnaires) avait délégué son pouvoir au gouvernement Kerenski. Cependant, si le prolétariat en Russie a pu prendre le pouvoir, c'est essentiellement grâce au ressaisissement des soviets après l'été 17 - et c'est là toute la différence avec l'Allemagne 18 - lorsque la majorité des conseils ouvriers est gagnée aux positions des bolcheviks, c'est-à-dire à celles du courant révolutionnaire le plus clair et le plus déterminé.
Ainsi, si dans toute lutte du prolétariat la fonction des révolutionnaires consiste à intervenir au sein de la classe pour défendre ses intérêts généraux, son but final et les moyens qui y mènent, à accélérer le processus d'homogénéisation de la conscience dans la classe, cela est encore plus vrai dans une période où c'est le sort de la révolution qui est en jeu. Même si dans une période révolutionnaire le prolétariat organisé en conseils ouvriers est "capable de faire des miracles" comme le disait Lénine, il faut encore que les partis révolutionnaires "sachent à ce moment-là formuler ses tâches avec le plus d'ampleur et de hardiesse ; il faut que leurs mots d'ordre devancent toujours 1'initiative révolutionnaire des masses, leur servant de phare (...), leur indiquant le chemin le plus court et le plus direct vers une victoire complète, absolue, décisive." (Lénine,"Deux tactiques de la social-démocratie", 1903)
Dans une telle période, le parti a pour tâche, entre autres, de lutter au sein des soviets pour la défense de l'autonomie du prolétariat, non pas au sens que lui accordent les conseillistes - l'autonomie par rapport aux organisations révolutionnaires - mais pour son indépendance par rapport aux autres classes de la société, et en tout premier lieu, à la bourgeoisie. Une des tâches essentielles du parti dans les conseils ouvriers consiste donc à démasquer aux yeux du prolétariat tout parti bourgeois qui tentera de s'infiltrer au sein des conseils pour les vider de leur substance révolutionnaire.
De même que le rôle des minorités révolutionnaires dans les conseils ouvriers traduit encore l'existence de différents niveaux de conscience et de pénétration de l'idéologie bourgeoise, cette hétérogénéité au sein de la classe se manifeste également par l'existence de plusieurs courants et partis. Contrairement à la vision bordiguiste suivant laquelle le processus d'homogénéisation de la conscience dans la classe ne se développe qu'à travers l'existence d'un parti unique, ce n'est pas par des mesures coercitives, d'exclusion de toute autre formation politique prolétarienne que l'avant-garde de la classe peut accélérer un tel processus. Au contraire, l'organisation unitaire de la classe, conformément à sa nature même, ne peut être que le théâtre d'un inévitable affrontement politique entre les positions véhiculées par les diverses tendances existant au sein du prolétariat. Ce n'est en effet que par la confrontation pratique des différents points de vue que la classe pourra se frayer un chemin vers la plus grande clarté, vers une "intelligence nette des conditions de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. " (Manifeste Communiste).
Cela ne signifie pas que l'avant-garde la plus déterminée, la plus clairvoyante du prolétariat doive pour autant passer des compromis, trouver des positions intermédiaires avec les courants politiques les plus hésitants. Son rôle consiste à défendre avec la plus grande intransigeance son orientation propre, à impulser le processus de clarification, à amener les masses momentanément soumises aux idées centristes vers des positions révolutionnaires, en les poussant à se démarquer de toutes les déviations réactionnaires dont elles peuvent être victimes.
Ainsi la vision conseilliste qui veut interdire aux révolutionnaires de s'organiser et intervenir dans la vie des conseils constitue une capitulation devant l'infiltration en leur sein de l'idéologie bourgeoise, une désertion face à l'opportunisme et à l'ennemi de classe qui, eux, mènent le combat de façon organisée. A moins que les conseillistes ne préconisent l'interdiction de force par les conseils de toute autre forme d'organisation en dehors d'eux-mêmes. Dans ce cas, non seulement ils ne feraient que rejoindre, d'une certaine façon, la vision coercitive des bordiguistes sur les rapports qui s'établissent au sein de la classe, mais de plus ils exhorteraient les conseils à adopter une politique digne des formes les plus totalitaires de l'Etat capitaliste (ce qui serait le comble de la part de ces défenseurs "acharnés" de la "démocratie ouvrière" !).
Telles sont les déviations que dès 1905 les révolutionnaires ont été capables de combattre au sein des conseils ouvriers afin de se hisser à la hauteur des tâches pour lesquelles la classe les a fait surgir :
"Il me semble que le camarade Radine a tort lorsqu'il pose cette question : 'le soviet des députés ouvriers ou le parti ?' Je pense qu'on ne saurait poser ainsi la question ; qu'il faut aboutir absolument à cette solution : et le soviet des députés ouvriers et le parti (...). Pour diriger la lutte politique le soviet comme le parti sont tous deux absolument nécessaires à l'heure actuelle. (...) Il me semble que le soviet aurait tort de se joindre sans réserve à un parti quelconque. Le soviet (...) est né de la grève générale, à l'occasion de la grève générale. Qui a conduit et fait aboutir la grève ? Tout le prolétariat au sein duquel il existe aussi, heureusement en minorité, de non social-démocrates. Faut-il que ce combat soit livré par les seuls social-démocrates ou uniquement sous le drapeau de la social-démocratie ? Il me semble que non (...). Le soviet des députés ouvriers doit tendre à s'incorporer les députés de tous les ouvriers (...) Quant à nous, social-démocrates , nous tâcherons de lutter en commun avec les camarades prolétaires, sans distinction d'opinion, pour développer une propagande inlassable, opiniâtre de la conception seule conséquente, seule réellement prolétarienne du marxisme. (...) Il ne peut, certes, être question de fusion entre social-démocrates et socialistes-révolutionnaires, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. (...) Les ouvriers qui partagent le point de vue des SR et qui combattent dans les rangs du prolétariat, nous en sommes profondément convaincus, font preuve d'inconséquence, car tout en accomplissant une oeuvre véritablement prolétarienne, ils conservent des conceptions non prolétariennes. (. . . ) Nous tenons comme par le passé les conceptions des SR pour des conceptions non socialistes. Mais dans le combat (...) nous aurons vite fait d'avoir raison de leur inconséquence puisque 1 'histoire elle-même milite en faveur de nos conceptions, de même que la réalité le fait à chaque pas. S'ils n'ont pas appris le social-démocratisme dans nos écrits, c'est notre révolution qui le leur apprendra." (Lénine, "Nos tâches et le Soviet des Députés Ouvriers", novembre 1905).
Pour les révolutionnaires, comme pour l'ensemble de la classe, l'histoire n'est pas une chose morte. Elle est un instrument indispensable pour les combats présents et à venir, à condition qu'ils soient capables d'en tirer tous les enseignements.
Tout comme la Commune de Paris, la révolution de 1905 s'est terminée sur une défaite. Mais cette défaite préparait déjà le terrain pour la victoire d'octobre 1917, de même que par la suite, la défaite de la première vague révolutionnaire des années 17-23 n'était qu'une étape dans le long et douloureux processus qui doit conduire le prolétariat jusqu'à la victoire finale. C'est cette continuité dans la lutte historique du prolétariat qu'affirmait ainsi Lénine lors de la révolution de février 17 :
"Si le prolétariat russe n'avait pas pendant 3 ans de 1905 à 1907, livré de grandes batailles de classe et déployé son énergie révolutionnaire, la 2ème révolution [celle de février 17] n'aurait pu être aussi rapide, en ce sens que son étape initiale n'eût pas été achevée en quelques jours. La 1ère révolution [1905] a profondément ameubli le terrain, déraciné des préjugés séculaires, éveillé à la vie politique et à la lutte politique des millions d'ouvriers et de paysans, révélé les unes aux autres et au monde entier toutes les classes (et les principaux partis) de la société russe quant à leur nature réelle, quant aux rapports réels de leurs intérêts, de leurs forces, de leurs moyens d'action, de leurs buts immédiats et lointains."(Lénine, "Lettres de loin", mars 1917).
La révolution de 1905, puis celle de 1917, devaient donc apporter des enseignements considérables à la classe ouvrière. Elles lui ont permis en particulier de comprendre quels étaient ses organes de combat pour la prise du pouvoir politique, de même qu'elles ont permis d'affirmer le caractère indispensable des minorités révolutionnaires dans la révolution. Cependant, ces premières expériences révolutionnaires du prolétariat ne lui ont pas permis de trancher définitivement la question du rapport entre le parti et les conseils ouvriers. De ce fait, les divergences existant dans le camp des révolutionnaires de l'époque (et notamment au sein des fractions de gauche qui se sont dégagées de la 3ème Internationale) ont constitué un facteur de dispersion de leurs forces dès lors que la 1ère vague révolutionnaire a commencé à décliner, et plus encore dans les années de contre-révolution. Plus d'un demi-siècle d'expérience du prolétariat et de réflexion des courants révolutionnaires qui ont survécu à celle-ci a permis de trancher de façon beaucoup plus claire cette question. Du fait de cette plus grande clarté, les conditions politiques pour un regroupement des révolutionnaires en vue de la formation du futur parti - regroupement rendu indispensable par la reprise historique de la lutte de classe à la fin des années 60 - sont beaucoup plus favorables que par le passé. C'est de la capacité des révolutionnaires à tirer complètement les enseignements de l'expérience passée sur les rapports entre le parti et la classe que dépend leur capacité à préparer dès aujourd'hui les conditions de la victoire future du prolétariat.
Avril
[1] [173] Sur les caractéristiques de la grève de masse, voir Revue Internationale N° 27 : "Notes sur la grève de masse".
[2] [174] En fait, c'est bien avant 1905 que Rosa Luxemburg entrevoit que le capitalisme entre dans un tour nant de son évolution lorsqu 'elle écrit, en 1898, dans sa brochure "Réforme sociale ou Révolution" : "La législation de protection ouvrière (...) sert autant l'intérêt immédiat de classe des capitalistes que ceux de la société en général. Mais cette harmonie cesse à un certain stade du développement capitaliste. Quand ce développement a atteint un certain niveau, les intérêts de classe de la bourgeoisie et ceux du progrès économique commencent à se séparer, même à 1'intérieur du système de l'économie capitaliste. Nous estimons que cette phase a déjà commencé ; en témoignent deux phénomènes importants de la vie sociale actuelle :la politique douanière d'une part, et le militarisme de 1 'autre."
[3] [175] C'est une ironie de constater que c'est précisément chez Lénine et les bolcheviks qu'un courant aussi "anti-léniniste" que le conseillisme a compris toute l'importance des conseils ouvriers et qu'il a emprunté le mot d'ordre "Tout le pouvoir aux conseils".
"Les idées révolutionnaires ne sont la propriété d'aucune organisation, et les problèmes de chaque composante du camp prolétarien sont 1'affaire de tous. Tout en réservant notre droit de critique, nous devons saluer sans réserve tout mouvement, dans les autres organisations, qui nous paraît exprimer une dynamique positive. Les questions soulevées par le congrès de World Révolution sont trop importantes pour rester les affaires privées d'une quelconque organisation, elles sont, et doivent devenir visiblement le problème de tout le milieu prolétarien." (WORKERS'VOICE N° 20).
Ainsi écrivait la Communist Workers'Organisation (CWO) dans son article sur le 6ème congrès de la section en Grande-Bretagne du CCI., un congrès animé par le débat sur la conscience de classe, le conseillisme et le centrisme, et que le CCI a mené pendant près de deux ans. On ne peut être que d'accord avec le jugement ci-dessus, et nous incitons les autres organisations révolutionnaires à suivre l'exemple de la CWO : jusqu'à maintenant la CWO est le seul groupe à avoir commenté sérieusement le débat dans le CCI.
Depuis l'article de WORKERS'VOICE (WV) N° 20 (janvier-février 1985) nous n'avons rien entendu de plus de la part de la CWO sur cette question bien que, à en juger sur des remarques faites dans la presse, elle ne semble pas s'être fait une opinion, soit que le CCI montre réellement une "dynamique positive", soit qu'il essaie simplement de "brouiller les pistes" (cf. WV N° 22 : "La conscience de classe et le rôle du parti"). Mais dans la mesure où nous restons persuadés de l'importance cruciale des questions soulevées dans ce débat, nous souhaitons revenir sur quelques-uns des thèmes principaux de façon plus étendue qu'il n'a été possible dans notre réponse initiale à la CWO (dans WORLD REVOLUTION N° 81 : "La menace conseilliste : la CWO manque la cible").
Dans l'article de WR n°81, nous saluions cette intervention dans le débat, ainsi que sa volonté de marquer son accord avec nous sur certaines questions centrales, "dans la mesure où, dans le passé, en particulier lors des Conférences Internationales de la Gauche Communiste- la CWO a taxé le CCI d'opportunisme quand il défendait l'idée que les groupes révolutionnaires devaient déclare ce qu'ils avaient en commun aussi bien que ce qui les divisait." En même temps, l'article signalait un certain nombre de distorsions et incompréhensions dans la présentation du débat par la CWO ; par exemple:
- l'article dans WV N° 20 faisait apparaître que ce débat était limité à la section du CCI en Grande-Bretagne, alors que, comme toute discussion importante dans le CCI, il avait d'abord et essentiellement un caractère international
- la CWO donne l'impression que ce débat n'est venu à la surface qu'au congrès de W.R. (novembre 1984), mais en fait ses origines remontent au moins au 3ème congrès du CCI en juillet 1983 (sur l'histoire de ce débat voir "Les glissements centristes vers le conseillisme", dans la REVUE INTERNATIONALE N° 42).
- la CWO suggère que le CCI a soudain adopte de "nouvelles" positions sur des questions telles que la conscience de classe et l'opportunisme ; en réalité ce débat nous a permis d'approfondir et de clarifier des positions qui ont toujours été centrales dans la politique du CCI. L'idée selon laquelle le CCI abandonne une ancienne cohérence est une idée que la CWO, à partir d'un point de départ différent, partage avec la "tendance" qui s'est constituée dans le CCI en opposition aux principales orientations dégagées dans ce débat. L'article de la REVUE INTERNATIONALE N°42 répond à cette accusation de' la tendance, en particulier sur la question de l'opportunisme. De même, l'article de WR N° 81 répond à l'insinuation de la CWO selon laquelle, jusqu'ici, le CCI a conçu l'organisation des révolutionnaires comme produit des luttes immédiates de la classe. Contre cette fausse représentation, citons un texte de base sur le parti, adopté en 1979 :
". ..si le parti communiste est un produit de la classe, il faut aussi comprendre... qu'il n'est pas le produit de la classe dans son aspect immédiat, telle qu'elle apparaît en tant que simple objet de 1'exploitation capitaliste, ou un produit simplement de la lutte défensive au jour le jour contre cette exploitation ; il est le produit de la classe dans sa totalité historique L'incapacité à voir, le prolétariat comme une réalité historique et pas seulement contingente, est à la base de toutes les déviations, qu'elles soient de nature économiste, spontanéiste (1'organisation révolutionnaire comme produit passif de la lutte quotidienne) ou de nature élitiste substitutio-niste (1'organisation révolutionnaire vue comme "extérieure à" ou "au-dessus de" la classe)" ("Parti, classe et révolution", W.R. N° 23).
Tout en corrigeant les fausses représentations de la CWO, ce passage nous mène au coeur des critiques que le CCI fait à la fois au conseillisme et au substitutionnisme, à l'égard duquel la CWO a une position centriste, puisqu'elle ne l'embrasse pas franchement. Les récents débats dans le CCI sont nés de divergences sur la question de la "maturation souterraine de la conscience" ; et c'est précisément leur commun "échec à voir le prolétariat comme une réalité historique et pas seulement contingente" qui conduit à la fois le conseillisme et le substitutionnisme à rejeter cette formulation.
CONVERGENCES ET DIVERGENCES
Avant d'en venir à la défense de la notion de "maturation souterraine", il serait utile de s'arrêter sur un point que nous avons en commun avec la CWO sur la question de la conscience de classe : le rejet du conseillisme. Dans son long article "Class consciousness in the marxist perspective" dans REVOLUTIONARY PERSPECTIVES (RP) N° 21, la CWO fait une critique parfaitement correcte de l'idéologie conseilliste qui tend à réduire la conscience de classe (et donc, les organisations révolutionnaires qui l'expriment le plus clairement) à un produit automatique et mécanique des luttes immédiates de la classe. Elle dégage que les Thèses sur Feuerbach de Marx (qui contiennent certaines des plus riches et plus denses affirmations de Marx sur le problème de la conscience) ont pour origine première le rejet de cette vision "automatique" qui prive la conscience de son aspect actif, dynamique, et qui est caractéristique du matérialisme vulgaire de la bourgeoisie. Ce fut précisément l'apparition de cette déviation au sein du CCI ainsi que de conciliations centristes à son égard, qui nous ont obligés à intensifier le combat contre l'idéologie conseilliste, réaffirmant, dans la résolution de janvier 1984 : "La condition de la prise de conscience est donnée par 1'existence historique de la classe capable d'appréhender son avenir, et non pas les luttes contingentes immédiates. Celles-ci, 1'expérience, apportent de nouveaux éléments à son enrichissement, notamment dans les moments d'intense activité du prolétariat. Mais elles ne sont pas les seules : la conscience surgissant avec 1'existence a également sa propre dynamique : la réflexion, la recherche théorique, qui sont autant d'éléments nécessaires à son développement." Et en conséquence :
"Même si elles font partie d'une même unité et agissent l'une sur l'autre, il est faux d'identifier la conscience de_ classe avec la conscience de la ou dans la classe, c'est-à-dire son étendue à un moment donné."(cf. REVUE INTERNATIONALE N° 42 "Les glissements centristes vers le conseillisme" p. 26).
Maintenant, dans WV N° 20, la CWO affirme explicitement qu'elle admet cette distinction entre la conscience de classe dans sa dimension historique, profonde, et l'étendue immédiate de la conscience dans la classe. Mais le CCI a été amené à souligner cette distinction afin de défendre l'idée de la maturation souterraine de la conscience contre la vision conseilliste qui ne peut pas concevoir la conscience de classe existant en dehors de luttes ouvertes. Et c'est là que nos convergences avec la CWO prennent fin, parce que, dans le même article, la CWO rejette la "maturation souterraine" comme une "panacée conseilliste", vision déjà exposée dans RP N° 21.
Ironiquement, la position de la CWO sur cette question est le reflet renversé de la position de notre tendance. Parce que, tandis que la CWO "accepte" la distinction entre profondeur et étendue mais "rejette" la notion de maturation souterraine, notre tendance accepte la notion de maturation souterraine mais "rejette" la distinction entre profondeur et étendue -c'est-à-dire l'argument théorique sur lequel notre organisation appuie la défense de la maturation souterraine de la conscience ! Pour notre tendance, cette distinction est un peu trop "léniniste", mais pour la CWO elle ne l'est pas assez, dans la mesure où, comme elle le dit dans WV N° 20,"nous aurions souhaité une affirmation plus explicite que c'est une différence plus de qualité que de quantité". La tendance voit dans profondeur et extension -qui sont deux dimensions d'une seule conscience de classe- deux sortes de conscience, comme dans la thèse de "Kautsky-Lénine" dans "Que Faire ?". La CWO qui défend réellement cette thèse, regrette de ne pas la retrouver vraiment dans la définition du CCI...
Nous reviendrons là-dessus brièvement. Mais avant d'examiner les contradictions de la CWO, nous voudrions qu'il soit clair que la notion de maturation souterraine, comme beaucoup d'autres formules marxistes (par exemple la baisse du taux de profit...) peut être utilisée et détournée à la mode conseilliste. Dans le CCI, la position "anti-maturation souterraine" est née d'une fausse réponse à une autre fausse position : l'idée, défendue au 3e congrès du CCI, selon laquelle le reflux d'après Pologne 80 durerait un long moment et ne pourrait, en fait, prendre fin que par un "saut qualitatif" préparé presque exclusivement par un processus de maturation souterraine, c'est-à-dire, en dehors de la lutte ouverte. Cette thèse a été balayée par deux souffles puissants : l'un était la résurgence de luttes en septembre 1983, l'autre est né du CCI lui-même. Ainsi, le point 6 de la résolution de janvier 84 sur la situation internationale, déjà citée, attaque cette thèse:
"Erroné était également 1'argument appuyant cette thèse et qui posait comme nécessaire le franchissement d'un "pas qualitatif" dans la lutte (notamment la remise en cause des syndicats) pour que soit mis fin au recul de l'après Pologne. Une telle conception implique que la conscience de classe mûrisse entièrement en dehors des luttes, et que celles-ci ne soient plus que des concrétisations de la clarification opérée préalablement. Poussée à bout, elle rejoint le modernisme, qui attend de la lutte de classe des ruptures avec le passé, la naissance d'une conscience révolutionnaire en opposition avec la fausse conscience "revendicative". Ce qu'elle oublie et occulte, c'est que le déploiement de la conscience de la classe n'est pas un processus purement intellectuel se déroulant dans la tête de chaque ouvrier, mais un processus pratique qui s 'exprime avant tout dans la lutte et qui se nourrit de celle-ci."
Cette vision quasi-moderniste, partage avec le conseillisme une profonde sous-estimation du rôle de l'organisation des révolutionnaires ; parce que si "la conscience mûrit complètement en dehors de la lutte" l'intervention des révolutionnaires dans les luttes quotidiennes de la classe est particulièrement peu utile. Et, bien que les expressions les plus patentes de cette vision aient été abandonnées, le CCI devait confronter dans ses propres rangs, des versions édulcorées de celle-ci. Par exemple, une certaine tendance à présenter l'hostilité passive des ouvriers à l'égard des syndicats, leur réticence à participer aux "actions" -enterrement des syndicats, comme des choses positives en elles-mêmes, alors qu'une telle passivité peut être facilement utilisée pour atomiser encore plus les ouvriers, s'ils ne traduisent pas leur méfiance à l'égard des syndicats en activité collective de classe.
Mais rien de tout cela n'est un argument contre la notion de maturation souterraine, pas plus que les marxistes rejettent la théorie de la baisse du taux de profit simplement parce que les conseillâtes (parmi d'autres) l'appliquent de façon rudimentaire et mécanique. Ainsi, les points 7 et 8 de la résolution de janvier 1984, revenant aux racines de la théorie marxiste sur la conscience, démontrent pourquoi la notion de maturation souterraine est un aspect intégral et irremplaçable de cette théorie (ces points sont cités intégralement dans l'article déjà cité de la REVUE INERNATIONALE N° 42).
LA MATURATION SOUTERRAINE DANS LA PERSPECTIVE MARXISTE
La CWO se considère comme très "marxiste" en rejetant la notion de maturation souterraine. Mais à quelle version du marxisme se réfère-t-elle ? Certainement pas au marxisme de Marx qui n'était pas sourd au creusement souterrain de la "vieille taupe". Certainement pas au marxisme de Rosa Luxemburg dont la perspicacité inestimable à propos des luttes ouvrières de la décadence est rejetée par la CWO comme étant la source ultime du non-sens conseilliste à propos de la maturation souterraine. Dans R.P. N° 21, la CWO décrit Luxemburg comme une "jungienne politique", attribuant à la classe "un inconscient historique collectif où se déroule une lente fermentation vers la compréhension de classe". S'il faut aller par là, Trotsky aussi était un "jungien", un conseilliste, un non-marxiste, quand il écrivait : "Dans une révolution, nous regardons en premier lieu 1'interférence des masses dans le destin de la société. Nous cherchons à découvrir derrière les événements des changements dans la conscience collective. Cela ne peut paraître mystérieux qu'à celui qui considère 1'insurrection des masses comme "spontanée" c'est-à-dire, comme la révolte d'un troupeau utilisée artificiellement par des leaders. En réalité, la simple privation ne suffit pas pour provoquer une insurrection; si cela était, les masses seraient toujours en révolte. Les causes immédiates des événements d'une révolution sont des changements dans l'état d'esprit de classes en conflit.Les changements dans la conscience collective ont naturellement un caractère à moitié invisible. Ce n'est que lorsqu'ils ont atteint un certain degré d'intensité que le nouvel état d'esprit et les nouvelles idées percent la surface sous la forme d'activités de masses." (Histoire de la révolution russe).
Donc, de quelle autorité marxiste la CWO se revendique-t-elle contre la maturation souterraine? Du Lénine de "Que faire ?" adapté à un usage moderne. D'après la CWO, dans RP N° 21, tout ce que la classe peut atteindre à travers ses luttes est une chose appelée "instinct de classe" ou "identité de classe" (Lénine l'appelait "conscience trade-unioniste"), "qui reste une forme de conscience bourgeoise". La conscience de classe elle-même se développe "en dehors de l'existence de l'ensemble du prolétariat", à travers ceux qui possèdent le capital intellectuel nécessaire : l'intelligentsia petite-bourgeoise. Et si, dans les luttes ouvertes elle ne peut atteindre que ce stade d'identité de classe, les choses sont encore pires quand les luttes cessent : "En dehors des périodes de luttes ouvertes la conscience du prolétariat reflue, et la classe est atomisée. Et ce parce que, pour la classe, la conscience est collective, et elle ne fait l'expérience de cette collectivité que dans la lutte. Quand elle est atomisée et individualisée dans la défaite, sa conscience retourne à celle de l'individualisme petit-bourgeois, le réservoir se tarit. "
Dans cette vision, la lutte de classe du prolétariat est un processus purement cyclique, et seule l'intervention divine du parti peut apporter la lumière à cet effort aveugle, animal, qui sans cela resterait condamné à l'éternel retour à la vie instinctive.
A propos du Lénine de "Que Faire", nous avons déjà dit à plusieurs reprises que dans ce livre Lénine a essentiellement raison dans la critique des "conseillistes" de l'époque, les économistes, qui voulaient réduire la conscience de classe d'un phénomène actif, historique et politique, à un banal reflet de la lutte quotidienne au niveau de l'atelier. Mais cet accord fondamental avec Lénine ne nous empêche pas de dégager que, en combattant le matérialisme vulgaire des économistes, Lénine a "trop tordu la barre" et est tombé dans la déviation idéaliste qui sépare la conscience de l'être (de même que, dans son "Matérialisme et Empiriocriticisme", en combattant l'idéalisme de Bogdanov et Cie, il tombait dans le matérialisme vulgaire qui présente la conscience comme un pur reflet de l'être).
Nous ne pouvons pas nous attarder ici à argumenter contre les thèses de Lénine et la version que la CWO s'en fait (nous l'avons déjà fait en longueur ailleurs : dans la brochure Organisations communistes et conscience de classe, et les articles sur, la vision de la CWO de la conscience de classe, dans WR N° 69 et 70). Mais nous ferons les remarques suivantes :
- La théorie de Lénine d'une "conscience venue de l'extérieur" était une aberration qui n'a jamais été intégrée dans le programme d'aucun parti révolutionnaire de l'époque, et qui a été rejetée, par la suite, par Lénine lui-même. La CWO, dans RP N° 21, nie cela. Mais elle devrait d'abord appeler Trotsky à la barre des témoins, parce qu'il a écrit :"L'auteur (de "Que Faire ?") lui-même, reconnut ultérieurement la nature tendancieuse et donc erronée de cette théorie qu'il avait utilisée comme une arme parmi d'autres dans la lutte contre 1'"économisme" et dans sa déférence envers la nature élémentaire du mouvement ouvrier." ("Staline").
Ou bien, si la parole de Trotsky n'est pas assez bonne pour elle, la CWO peut réexaminer Lénine lui-même qui, à l'époque de la révolution de 1903, fut amené à polémiquer contre ces bolcheviks dont l'adhésion rigide à la lettre de "Que Faire ?" les avait conduits à ne pas intervenir concrètement dans le mouvement des Soviets, et qui écrivait :"A chaque étape les ouvriers se trouvent confrontés à leur ennemi principal la class capitaliste. Dans le combat contre cet ennemi, 1'ouvrier devient socialiste, en vient à réaliser la nécessité d'une complète restructuration de toute la société, 1'abolition totale de toute pauvreté et de toute oppression." ("Les leçons de a révolution" -Oeuvres complètes, vol. 16).
- La thèse de Lénine (empruntée à Kautsky) va à l'encontre de toutes les affirmations les plus cruciales de Marx sur la conscience Contre les "Thèses sur Feuerbach" où Marx attaque le matérialisme contemplatif de la bourgeoisie qui considère le mouvement de la réalité comme un objet extérieur seulement et non "subjectivement", c'est-à-dire, elle ne voit pas la conscience et la pratique consciente comme partie intégrante et élément actif au sein du mouvement. La pénétration de ce point de vue dans les rangs du prolétariat donne naissance à l'erreur substitutionniste (dans les "Thèses" Marx désigne Owen comme une expression de cela) qui implique la "division de la société en deux parties dont l'une est supérieure à la société" et oublie que "l'éducateur lui-même a besoin d'être éduqué". Surtout, la thèse de Lénine va à rencontre de la position défendue dans "L'idéologie allemande", d'après laquelle c'est l'être social qui détermine la conscience et donc, elle va également à rencontre d'une des affirmations les plus explicites sur la conscience de classe de ce même ouvrage : "La conception de 1'histoire que nous venons de développer nous donne encore finalement les résultats suivants : dans le développement des forces productives, il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation qui ne peuvent être que néfastes dans le cadre des rapports existants et ne sont plus des forces productives, mais des forces destructrices (le machinisme et 1'argent ), et, fait lié au précédent, il naît une classe qui supporte toutes les charges de la société sans jouir de ses avantages, qui est expulsée de la société et se trouve, de force, dans 1'opposition la plus ouverte avec toutes les autres classes, une classe que forme la majorité des membres de la société et d'où surgit la conscience de la nécessité d'une révolution radicale, conscience qui est la conscience communiste et peut se former aussi, bien entendu, dans les autres classes quand on voit la situation de cette classe. " ("L'idéologie allemande", souligné par nous).
Notons que Marx renverse complètement la façon dont Lénine pose le problème : la conscience communiste "émane" du prolétariat et à cause de cela des éléments d'autres classes peuvent atteindre la conscience communiste, quoique, comme le dit le Manifeste Communiste, en rejoignant le prolétariat, en rompant avec l'héritage idéologique de leur classe. Nulle part ici nous ne trouvons trace d'une conscience communiste "émanant" des intellectuels pour être ensuite "injectée" dans le prolétariat.
Nul doute que la CWO ait ravivé cette aberration avec la louable intention de continuer le combat de Lénine contre le spontanéisme. Mais, dans la pratique, les "importateurs" de conscience finissent souvent sur le même terrain que les spontanéistes. Dans WR nous avons longuement écrit (spécialement dans les Nos 71 et 75) sur le fait que l'intervention de la CWO dans la grève des mineurs montrait la même tendance à capituler devant la conscience immédiate des ouvriers que celle du groupe conseilliste Wildcat. Cette conjonction n'est pas un hasard mais a des racines théoriques profondes comme le démontre justement la question de la maturation souterraine de la conscience. Ainsi, pour reprendre les termes de Trotsky, autant les conseillistes que les substitutionnistes tendent à voir "l'insurrection des masses comme 'spontanée', c'est-à-dire comme la révolte d'un troupeau utilisée artificiellement par des leaders", la seule différence étant que les conseillistes veulent que les ouvriers soient un troupeau sans chef alors que les substitutionnistes se voient comme les gardiens du troupeau. Aucun ne réussit à faire le lien entre les explosions de masses et les préliminaires "changements dans l'état d'esprit des classes en conflit". Parce que ces changements ont un "caractère à demi caché", les empiristes de ces deux ailes du camp prolétarien, paralysés par l'apparence immédiate de la classe, ne parviennent pas à les voir du tout. Ainsi, quand la CWO écrivait "en dehors des périodes de lutte ouverte, la conscience du prolétariat reflue", elle coïncidait dans le temps et dans le con tenu avec l'émergence dans le CCI d'une vision conseilliste qui insistait, non moins fermement, sur le fait que"les moments de recul dans la lutte marquent une régression de la conscience (...). Le seul et unique creuset de la conscience de classe, c'est sa lutte massive et ouverte". (Revue Internationale n°42, p.23).
POURQUOI UNE "MATURATION SOUTERRAINE" ?
"En tant que marxistes, le point de départ de toute discussion sur la conscience de classe est la prise de position sans ambiguïté de Marx dans 1'"Idéologie allemande", selon laquelle 'les idées de la- classe dominante sont dans toutes les époques les idées dominantes'. . . "
Ainsi parlait la CWO dans "Class conscioussness and councilist confusions" dans R.P. N° 17. Excusez-nous, camarades, mais vous marchez encore sur la tête. En tant que marxistes, le point de départ de toute discussion sur la conscience de classe est la prise de position sans ambiguïté de Marx, dans l'"Idéologie allemande", selon laquelle "1'existence d'idées révolutionnaires dans une période particulière présuppose l'existence d'une classe révolutionnaire "
La CWO ne voit qu'un aspect du prolétariat : son aspect de classe exploitée. Mais le marxisme se distingue par son insistance sur le fait que le prolétariat I est la première classe exploitée dans l'histoire, qui est en même temps classe révolutionnaire ; qu'il porte en lui la conscience de l'avenir de l'espèce humaine ; qu'il est l'incarnation du communisme.
Pour la CWO c'est de l'hégélianisme, de l'hérésie, du charabia mystique. Quoi ? Le futur serait déjà en action dans le présent ? "On se frotte les yeux ; serions-nous en train de rêver ?" bredouillent les gardiens de la Raison outragée dans R.P. N° 21. Pour nous, la nature du prolétariat comme classe communiste ne fait aucun doute. Pas plus qu'elle ne faisait de doute pour Marx dans "L'idéologie allemande" quand il définissait le communisme comme n'étant rien d'autre que l'activité du prolétariat et donc comme "le mouvement réel qui abolit 1'état actuel "
Non, pour nous la question est plutôt : comment le prolétariat, cette classe exploitée et dominée, prend-il conscience de sa nature révolutionnaire, de son destin historique, étant donné qu'il vit effectivement dans un monde où les idées dominantes sont celles de la classe dominante ? Et en cernant cette question nous voyons comment le mouvement du prolétariat vers la connaissance de lui-même passe nécessairement, inévitablement, par des phases de maturation souterraine.
DE L'INCONSCIENCE A LA CONSCIENCE
Dans R.P. N° 21, la CWO cite, comme une évidence du "suivisme" de Rosa Luxemburg, sa prise de position dans "Marxisme contre dictature" :"L'inconscient précède le conscient et la logique du processus historique objectif précède la logique subjective de ses protagonistes':Et la CWO pointe alors son doigt moqueur sur la pauvre Rosa :"Mais pour le parti il ne peut en être ainsi. Il doit être en avance sur la logique des événements.".
Mais la CWO est "inconsciente" de ce que Rosa vise là. Le passage ci-dessus est simplement une réaffirmation du postulat marxiste de base selon lequel l'être détermine la conscience et donc, une réaffirmation du fait que, dans la préhistoire de notre espèce, quand l'homme est dominé par des forces naturelles et sociales, qu'il ne peut contrôler, l'activité consciente tend à être subordonnée à des motivations et des processus inconscients. Mais cette réalité n'invalide pas ce postulat marxiste tout aussi fondamental selon lequel, ce qui distingue l'espèce humaine (et pas seulement le parti communiste) du reste du règne animal, c'est précisément sa capacité à prévoir, à être consciemment en avance sur ses actions concrètes. Et, une des conséquences de cet apparent paradoxe est que, jusqu'ici, toute pensée, y compris le travail mental le plus rigoureusement scientifique, a été amené à passer par des phases de maturation inconsciente et semi-consciente, de creuser le sous-sol avant de s'élever au soleil brillant de l'avenir.
Nous ne pouvons pas continuer là-dessus ici. Mais il suffit de dire que dans le prolétariat, ce paradoxe est poussé à son extrême limite : d'un côté, c'est la plus opprimée, la plus dominée et la plus aliénée de toutes les classes exploitées, portant sur ses épaules le fardeau et les souffrances de toute l'humanité ; de l'autre, c'est la "classe de la conscience", la classe dont la mission historique est de libérer la conscience humaine de la subordination à l'inconscience, et donc de réaliser vraiment la capacité humaine à prévoir et modeler sa propre destinée. Plus encore que pour toutes les classes historiques précédentes, le mouvement par lequel cette classe, la plus asservie de toutes, devient l'avant-garde de la conscience de l'humanité, ce mouvement doit, en très grande partie, être un mouvement souterrain, "à demi-caché".
LE CHEMIN DE LA CONSCIENCE PROLETARIENNE
Comme classe exploitée, le prolétariat n'a pas de base économique pour garantir un progrès automatique de sa lutte. En conséquence, comme Marx le disait dans "Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte", les révolutions prolétariennes "se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, (...) reculent constamment à nouveau devant 1'immensité infinie de leurs propres buts". Mais, contrairement à la vision de la CWO, l'inévitable mouvement de la lutte de classe avec ses hauts et des bas, ses avancées et ses reculs, n'est pas un cercle vicieux : au niveau historique le plus fondamental, c'est le mouvement à travers lequel la classe prolétarienne mûrit et avance vers sa propre conscience. Et contre la représentation de la CWO et des conseillistes, d'une classe sombrant dans une atomisation totale quand la lutte ouverte prend fin, nous ne pouvons que répéter ce qui est dit dans la résolution de janvier 84 : "La condition de la prise de conscience est donnée par 1'existence historique de la classe capable d'appréhender son avenir, et non par les luttes contingentes immédiates. " En d'autres termes, l'être historique de la classe ne se dissout pas quand la lutte immédiate s'éteint. Même en dehors des périodes de lutte ouverte, la classe reste une force vivante, collective ; aussi, a conscience peut continuer et continue de fait à se développer dans de telles périodes. Il est vrai, néanmoins, que le rapport de forces contingent entre les classes influence la façon dont ce développement s'opère. De façon générale, nous pouvons donc dire que : - dans une période de défaite et de contre-révolution, la conscience de classe est sérieusement réduite en étendue, dans la mesure où la majorité de la classe est piégée par les mystifications de la bourgeoisie, mais cette conscience peut malgré tout connaître de profondes avancées en profondeur, comme en témoigne la rédaction du "Capital" après la défaite de 1848, et plus particulièrement le travail de "Bilan" dans les jours sombres des années 30 ;
- dans les périodes de montée générale de la lutte de classe, comme aujourd'hui, le processus de maturation souterraine tend à mêler les deux dimensions -profondeur et étendue. En d'autres termes, toute la classe est impliquée dans un mouvement d'avancée de la conscience, même si cela s'exprime encore à des degrés très divers :
- au niveau de conscience le plus bas, ainsi que dans les plus larges couches de la classe, cela prend la forme d'une contradiction croissante entre l'être historique, les besoins réels de la classe, et l'adhésion superficielle des ouvriers aux idées bourgeoises. Ce heurt peut rester longtemps en grande partie non-reconnu, enfoui ou réprimé, ou bien il peut commencer à émerger sous la forme de désillusion et de désengagement vis-à-vis des thèmes principaux de l'idéologie bourgeoise ;
- dans un secteur plus restreint de la classe, parmi les ouvriers qui restent fondamentalement sur le terrain prolétarien, cela prend la forme d'une réflexion sur les luttes passées; de discussions plus ou moins formelles sur les luttes à venir, l'émergence de noyaux combatifs dans les usines et parmi les chômeurs. Récemment, la manifestation la plus spectaculaire de cet aspect du phénomène de maturation souterraine a été donnée par les grèves de masse en Pologne en 1980, dans lesquelles les méthodes de lutte utilisées par les ouvriers ont montré qu'il y avait eu une réelle assimilation de nombreuses leçons des luttes de 1956, 70 et 76 (pour une analyse plus complète de la façon dont les événements de Pologne démontrent l'existence d'une mémoire collective de classe, voir l'article sur la Pologne et le rôle des révolutionnaires dans la Revue Internationale N° 24) ; dans une fraction de la classe, qui est encore plus limitée en taille, mais destinée à croître avec l'avancée de la lutte, cela prend la forme d'une défense explicite du programme communiste, et donc de regroupement en avant-garde marxiste organisée. L'émergence d'organisations communistes, loin d'être lune réfutation de la notion de maturation souterraine, est à la fois un produit et un facteur actif de celle-ci. Elles sont "produit" en ce sens que, contrairement à la théorie idéaliste défendue par la CWO, la minorité communiste ne vient pas du ciel mais de la terre ; elle est le fruit de la maturation historique du prolétariat, du devenir historique de la classe, qui est nécessairement "cachée" pour les méthodes de perception immédiatistes, empiriques, instillées par l'idéologie bourgeoise. Un facteur actif parce que -spécialement dans la période de décadence où le prolétariat est privé de ses organisations de masse permanentes et que l'Etat bourgeois utilise tous les moyens dont il dispose pour enfouir aussi profondément qu'il le peut ces mouvements de la conscience de classe, les fractions communistes sont en grande partie réduites à des minorités si ténues qu'elles tendent à faire un travail "souterrain" dont l'influence sur la lutte prend la forme d'un processus de contagion moléculaire et non visible. A un moment où la troisième vague de luttes depuis 1968 n'est encore qu'à ses débuts, la capacité des révolutionnaires d'avoir un impact réel sur la lutte (impact qui s'exprimera plus complètement dans l'intervention du parti) commence aujourd'hui seulement à être évident. Mais cela ne signifie pas que tout le travail des révolutionnaires ces quinze dernières années a disparu dans le vide. Au contraire : les graines qu'ils ont semées commencent maintenant à germer.
La reconnaissance par les révolutionnaires du fait qu'ils sont un produit de la maturation souterraine de la conscience n'implique aucunement une attitude passive vis-à-vis de leurs tâches, une sous-estimation de leur rôle indispensable. Au contraire : reconnaître que seuls les communistes, dans le cours "normal" de la société capitaliste, sont explicitement conscients du processus sous-jacent se déroulant dans la classe, ne peut qu'augmenter l'urgence d'appliquer toute l'organisation et la détermination nécessaires à la tâche de transformer cette minorité en majorité. Comme nous l'avons déjà souligné, il n'y a pas de lien automatique entre l'être historique de la classe et la conscience de cet être. Si la transformation de la minorité en majorité n'a pas lieu, si la conscience de la classe ne devient pas conscience de classe dans le sens le plus fort du terme, le prolétariat sera incapable de remplir sa mission historique et toute l'humanité en subira les conséquences.
D'autre part, le rejet de la notion de maturation souterraine conduit, dans la pratique, à l'incapacité d'être "en avance sur la logique des événements", de donner à la classe ouvrière une perspective à ses luttes. Comme le dit la résolution de 84 dans sa conclusion : "toute conception qui fait découler la conscience uniquement des conditions objectives et des luttes que celles-ci provoquent est incapable de rendre compte de 1'existence d'un cours historique."
Incapable de voir la maturation réelle du prolétariat, de mesurer la force sociale qu'il représente même quand il ne lutte pas ouvertement, la CWO s'est révélée incapable de comprendre pourquoi la classe est aujourd'hui une barrière à la marche de la bourgeoisie vers la guerre : elle tend ainsi à tomber dans le pessimisme ou le déboussolement complet quand elle doit se prononcer sur la direction générale que prend la société. Incapable de comprendre l'existence d'un cours aux affrontements de classe, elle a aussi été incapable de refléter l'évolution progressive du réveil prolétarien depuis 1968, comme le démontrent le fait qu'elle n'ait pas su prévoir la reprise des luttes de 1983, sa reconnaissance tardive du fait qu'elle existe quand même et ses hésitations persistantes sur où va le cours (à un moment elle a même exprimé la crainte qu'une défaite de la grève des mineurs de Grande-Bretagne ne mette fin à la reprise des luttes dans toute l'Europe). Ce ne sont là que quelques exemples qui illustrent une règle générale : si on ne voit pas le mouvement réel de la classe en premier lieu, on est incapable d'indiquer vers où il va aller dans le futur et donc incapable d'être un élément actif dans la construction de ce futur. Et on sera incapable de saisir le mouvement si l'on ne parvient pas à gratter la couche superficielle de la "réalité" qui, d'après la philosophie empiriste de la bourgeoisie, est "tout ce qui existe".
MU
Dans les numéros 40, 41 et 42 de la Revue Internationale nous avons publié des articles portant sur un débat qui s'est mené dans le CCI depuis plus de deux ans. Dans le premier de ces articles, "Le danger du conseillisme" (n°40), nous expliquions toute l'importance que revêt la publication vers l'extérieur des discussions politiques qui se déroulent au sein des organisations révolutionnaires dans la mesure où celles-ci ne sont pas des cénacles où l'on "discute pour discuter", mais débattent de questions qui intéressent l'ensemble de la classe ouvrière, puisque leur raison d'être est de participer activement au processus de prise de conscience de celle-ci en vue de ses tâches révolutionnaires. Dans cet article, ainsi que dans celui publié dans le n°42, "Les glissements centristes vers le conseillisme", nous donnions des éléments sur la façon dont s'est déroulé le débat (y compris en citant de longs extraits des textes du débat interne). Nous n'y reviendrons pas sinon pour rappeler que les principales questions qui opposent la minorité (constituée en "tendance" depuis janvier 1985) aux orientations du CCI sont :
Les trois premiers articles traitaient principalement de la question du danger du conseillisme :
Dans le présent numéro est traitée la question de l'opportunisme et du centrisme sous forme d'un article représentant les positions de la "tendance" ("Le concept de 'centrisme' : le chemin de l'abandon des positions de classe") et d'un article de réponse défendant les positions du CCI.
Cet article se donne comme tâche de présenter les positions de la "Tendance" qui s'est constituée dans le CCI en janvier 1985, sur la question du centrisme. Face à l'utilisation du terme "centrisme" par la majorité du CCI pour caractériser le processus de pénétration de l'idéologie bourgeoise dans les organisations révolutionnaires du prolétariat, nous voulons dans cet article:
La "définition" du centrisme donnée par la majorité du CCI se limite à l'énumération de toute une série d'attitudes et de comportements (la conciliation, l'hésitation, la vacillation, le fait "de ne pas aller jusqu'au bout"). Si ces attitudes et comportements sont indiscutablement politiques de nature, caractéristiques des tendances centristes qui existaient autrefois dans l'histoire (cf. Rosa Luxemburg sur le caractère "visqueux" de Kautsky), ils sont nettement insuffisants comme définition d'un courant politique. Le centrisme a toujours eu un programme politique précis et une base matérielle spécifique. Les révolutionnaires marxistes (Luxemburg, Pannekoek, Bordiga, Lénine) qui combattaient le danger centriste responsable de la corruption et la dégénérescence de la IIe Internationale, ont toujours cherché la base réelle de la conciliation et la vacillation du centrisme dans ses positions politiques et dans la base matérielle de cette maladie du mouvement ouvrier avant 1914.
S'il y avait plusieurs variétés de centrisme dans la IIe Internationale : le menchevisme en Russie, les maximalistes en Italie, l'austro-marxisme dans l'empire des Habsbourg, l'exemple classique du centrisme est le kautskysme en Allemagne. Un bref examen des positions politiques du centre kautskyste montrera que la lutte entre les marxistes révolutionnaires et les centristes ne peut pas se réduire à un conflit entre "les durs" et "les mous". C'est une lutte entre deux programmes politiques complètement différents.
La base théorique et méthodologique du kautskysme est un matérialisme mécaniste, un déterminisme économique vulgaire menant à un fatalisme par rapport au processus historique. Prenant son point de départ non pas dans Marx, mais dans ce qu'il croyait être la révolution darwinienne de la science, Kautsky fait un amalgame entre la société et la nature et construit une théorie basée sur des lois universelles de la nature qui se réaliseraient de façon inéluctable à travers l'histoire.
Pour Kautsky, la conscience -devenue un simple épiphénomène- doit être apportée "de l'extérieur" par les intellectuels, le prolétariat étant une armée "disciplinée" par son état-major : la direction du parti. Kautsky rejette sans équivoque toute idée que l'action des masses constitue un creuset pour le développement de la conscience de classe, tout comme il insiste sur le fait que les seules formes d'organisation prolétarienne sont le parti de masse social-démocrate et les syndicats, chacun dirigé par un appareil bureaucratique professionnel.
Le but de la lutte prolétarienne est, selon Kautsky : "...la conquête du pouvoir étatique à travers la conquête d'une majorité au parlement et l'élévation du parlement à un poste de commandement dans l'État, certainement pas la destruction du pouvoir étatique". ("Die neue Taktik", 1911-12). Prendre l'appareil étatique existant mais pas le détruire, faire une transition pacifique au socialisme à travers le suffrage universel, utiliser le parlement comme instrument de la transformation sociale -voilà le programme politique du centrisme kautskyste. En opposition à une politique de lutte jusqu'au bout qui veut des batailles décisives avec l'ennemi de classe, Kautsky, dans sa polémique avec Rosa Luxemburg, à propos de la grève de masse, préconise une stratégie d'usure basée sur "le droit de vote, le droit d'assemblée, la liberté de la presse, la liberté d'association" accordés au prolétariat occidental ("Was nun?", 1909-10). Dans le cadre de cette stratégie d'usure, Kautsky donne un rôle extrêmement limité et subordonné à l'action des masses : le but des actions de masse "ne peut pas être de détruire le pouvoir d'État mais seulement d'obliger le gouvernement à céder sur une position particulière, ou de remplacer un gouvernement hostile au prolétariat par un gouvernement favorable à lui". (Die neue Taktik). De plus, selon Kautsky, le socialisme lui-même nécessite "des spécialistes entraînés" pour diriger l'appareil étatique : "le gouvernement pour le peuple et par le peuple dans le sens où des affaires publiques seraient gérées non pas par des fonctionnaires mais par les masses populaires travaillant sans salaires dans leur temps libre est une utopie, une utopie réactionnaire et anti-démocratique"("Die Agrarfrage" - 1899).
Un examen du menchevisme ou de l'austro-marxisme révélerait la même chose, c'est-à-dire, que le centrisme -comme toute tendance politique dans le mouvement ouvrier- doit être défini en premier lieu par ses positions politiques et son programme. Ici il est important de souligner la distinction marxiste fondamentale entre l'apparence et l'essence dans la réalité objective, la première étant aussi "réelle" que la seconde[1]. L'apparence du centrisme est, en effet, l'hésitation, la vacillation, etc. Mais l'essence du centrisme -politiquement- est son attachement constant et sans faille au légalisme, au gradualisme, au parlementarisme et à la "démocratie" dans la lutte pour le socialisme. Il n'a jamais oscillé d'un centimètre dans cette orientation.
La base matérielle du centrisme dans les sociétés capitalistes avancées d'Europe était la machine électorale des partis de masse social-démocrates (et surtout ses fonctionnaires salariés, ses bureaucrates professionnels et ses représentants parlementaires) ainsi que l'appareil syndical grandissant. C'est dans ces couches, qui ont sapé l'élan révolutionnaire des partis ouvriers, et pas dans une soi-disant "aristocratie ouvrière" créée, comme croyait Lénine, dans les masses prolétariennes par les miettes des superprofits capitalistes, que nous trouvons la base matérielle du centrisme. Mais, que l'on cherche du côté de la machine électorale social-démocrate et l'appareil syndical ou du côté d'une aristocratie ouvrière fictive, il est évident que les marxistes révolutionnaires ont toujours cherché à comprendre la réalité du centrisme par rapport à une base matérielle spécifique. De plus, il est essentiel de se rappeler que ces couches et ces institutions du mouvement ouvrier donnant au centrisme une base sociale -la machine électorale et l'appareil syndical- étaient justement en train d'être happées dans l'engrenage de l'appareil de l'État capitaliste, bien que cette intégration n'atteigne son point culminant que dans la première guerre mondiale.
Toute définition qui ignore que le centrisme implique toujours des positions politiques spécifiques et qu'il a toujours eu une base matérielle déterminée, toute définition qui se limite à des attitudes et des comportements (comme la définition de la majorité actuelle du CCI) est totalement incapable de comprendre un phénomène aussi complexe et historiquement spécifique que le centrisme et ne peut pas prétendre se réclamer de la méthode marxiste.
C'est maintenant la spécificité historique du centrisme que nous voulons aborder. Avant de savoir si le centrisme comme tendance au sein du mouvement ouvrier peut encore exister à l'époque de la décadence du capitalisme, il faut d'abord comprendre comment les frontières politiques du mouvement ouvrier ont été façonnées et transformées au cours de l'histoire. Ce qui constitue les frontières politiques à une époque donnée est déterminé par la nature de la période du développement du capitalisme, par les tâches objectives face au prolétariat et par l'organisation du capital et son État. Depuis le début du mouvement prolétarien, il y a un processus de décantation historique qui a progressivement rétréci et délimité les paramètres du terrain politique de la classe ouvrière.
À l'époque de la 1e Internationale, le développement du capitalisme, même au cœur de l'Europe, est encore caractérisé par l'introduction de la production industrielle à grande échelle et la formation d'un véritable prolétariat à partir de l'artisanat déclinant et la paysannerie dépossédée. Parmi les tâches historiques objectives face au jeune mouvement prolétarien à cette époque se trouvent le triomphe de la révolution démocratique anti-féodale et l'aboutissement du processus d'unification nationale dans les pays tels que l'Italie et l'Allemagne. Par conséquent, les frontières du mouvement ouvrier pouvaient regrouper les bakouninistes et les proudhoniens caractérisés par des programmes politiques ancrés dans le passé petit-bourgeois artisanal et paysan ; les blanquistes avec leur base dans l'intelligentsia jacobine et même les mazziniens avec leur programme de nationalisme et républicanisme radical ainsi que les marxistes, l'expression spécifique du prolétariat comme la classe ayant "des chaînes radicales".
À l'époque de la IIe Internationale, le développement du capitalisme obligea le prolétariat à se constituer en parti politique distinct, en opposition à tous les courants bourgeois et petits-bourgeois. La tâche de la classe ouvrière était aussi bien la préparation organisationnelle et idéologique de la révolution socialiste que la lutte pour des réformes durables dans le cadre du capitalisme ascendant ; c'est l'époque où le prolétariat avait un programme "minimum" et "maximum". La fin de la période des révolutions nationales, antiféodales, et la fin de l'enfance du prolétariat industriel comme classe avaient considérablement rétréci la délimitation du mouvement ouvrier. Mais la tension constante entre le programme maximum et minimum, entre la lutte pour le socialisme et celle pour les réformes, signifiait que des tendances aussi différentes que le marxisme révolutionnaire, l'anarcho-syndicalisme, le centrisme et le "révisionnisme" pouvaient exister sur le terrain politique de la classe ouvrière.
À l'époque de la décadence du capitalisme, à l'ère du capitalisme d'État, avec l'intégration des partis politiques de masse et des syndicats dans les rouages de l'État totalitaire du capital, une époque ouverte par la première guerre mondiale, la révolution prolétarienne internationale devient le seule tâche objective de la classe ouvrière. La fin de toute distinction entre programme maximum et minimum, l'impossibilité des réformes à l'époque de la crise permanente, signifient que le terrain politique de la classe ouvrière et le marxisme révolutionnaire deviennent identiques. Les différentes tendances centristes avec leur programme politique du parlementarisme et du légalisme, avec leur stratégie d'usure, avec leur base matérielle dans les partis de masse parlementaires et les syndicats social-démocrates sont passées irrémédiablement dans le camp du capitalisme. Il faut être absolument clair sur les implications du changement fondamental dans la nature de la période, dans les tâches face à la classe ouvrière et dans l'organisation du capital : l'espace politique autrefois occupé par le centrisme est aujourd'hui définitivement occupé par l'État capitaliste et son appareil politique de gauche.
Les camarades de la majorité du CCI diront que si les positions politiques classiques du centrisme sont aujourd'hui celles de l'ennemi capitaliste (ce que personne ne nie dans le CCI), il existerait d'autres positions politiques qui caractérisent le centrisme à l'époque de la décadence. Outre le fait que cette façon de poser le problème ignore le fondement et la spécificité historique du centrisme, la vraie question reste toujours posée : qu'on nous dise quelles sont précisément ces positions "centristes" new-look ? Est ce qu'il y a une position "centriste" sur les syndicats ou sur l'électoralisme, par exemple ? Est-ce que la défense du syndicalisme de base ou du "parlementarisme révolutionnaire" devient maintenant "centriste" et non pas -comme nous avons toujours dit- contre-révolutionnaire ? Aucun camarade de la majorité ne s'est donné la peine de définir cette fausse version moderne du centrisme en positions politiques précises. Ces camarades se contentent de répéter que le centrisme est "conciliation", "vacillation", etc. Une telle "définition" est non seulement politiquement imprécise par rapport aux classes[2], mais, comme nous allons voir plus loin, ce n'est qu'avec Trotsky et l'Opposition de Gauche déjà dégénérescente des années 30 qu'un marxiste osera mettre en avant une définition du centrisme basée sur des attitudes et des comportements.
Nous allons voir comment le concept du centrisme a été utilisé par des révolutionnaires dans la période de décadence du capitalisme, comment cette notion à toujours fini par effacer les frontières de classe et comment elle devient un symptôme majeur de corruption idéologique et politique de la part des marxistes qui l'ont employée.
Dans la 3e Internationale pendant la formation des partis communistes nationaux en Europe occidentale et centrale (1919- 1922) et avec Trotsky et l'Opposition de Gauche avant son passage définitif dans le camp ennemi pendant la deuxième guerre mondiale, nous voyons deux tentatives de reporter le concept du centrisme employé par Luxemburg, Lénine et d'autres dans la période avant 1914 ("centrisme" pour désigner des tendances politiques corrompues mais encore sur le terrain de classe du prolétariat) à l'époque de la décadence, l'époque des guerres et révolutions ouverte par la première guerre mondiale.
Le processus de la formation des partis communistes en Europe occidentale et centrale après 1919 n'a pas du tout suivi le chemin des Bolcheviks en Russie, c'est-à-dire, le chemin d'une lutte théorique et politique intransigeante menée par une fraction marxiste révolutionnaire pour arriver à une clarté programmatique. Cet avis se trouve déjà dans les pages de "Bilan", clairement mis en avant par les camarades de la fraction italienne de la Gauche Communiste des années 30. La stratégie et la tactique de l'I.C. sont, au contraire, animées par l'idée de la nécessité de la formation immédiate des partis de masse, étant donné l'imminence de la révolution mondiale. Cela amène l'I.C. à une politique de compromissions avec des tendances corrompues et mêmes ouvertement contre-révolutionnaires intégrées dans les PC de l'Europe occidentale et centrale. L'influence de ces tendances aurait dû être contrecarrée par une situation prérévolutionnaire poussant la majorité du prolétariat à gauche. De plus, à l'avis de l'I.C, le danger de telles compromissions se trouvait minimisé par le fait que les nouveaux PC seraient soumis à la direction du parti bolchevik en Russie, idéologiquement plus avancé et plus clair du point de vue programmatique. En réalité, ni la situation prérévolutionnaire tant espérée, ni la direction du parti bolchevik ne pouvaient contrecarrer les conséquences désastreuses de la politique de l'I.C, les concessions et les compromissions avec des tendances qui ont participé à la guerre impérialiste. En fait, la politique non principielle de l'I.C dans la formation des PC en Europe devient en elle-même un facteur supplémentaire menant à la défaite du prolétariat. Si le parti bolchevik n'avait pas de théorie adéquate ni sur le rapport parti/classe, ni sur le développement de la conscience de classe, c'était le prix à payer pour des années de sclérose de la théorie et la méthode marxiste au sein de la Ile Internationale, mais cela s'explique aussi par le fait que beaucoup d'aspects de ces questions décisives ne pouvaient trouver un début de réponse que dans le creuset de la pratique révolutionnaire du prolétariat. Mais la politique de la 3ème Internationale en Europe occidentale menait à l'abandon de la clarté révolutionnaire et des principes déjà acquis par les Bolcheviks au cours de leur longue lutte théorique et politique au sein de la social-démocratie russe, dans le combat pour l'internationalisme prolétarien pendant la guerre impérialiste et dans la révolution en Russie. Le cas le plus criant de cet abandon des principes révolutionnaires par l'I.C est la formation du PC tchèque, basée sur des éléments ouvertement contre-révolutionnaires. Le PC tchèque se forme uniquement autour de la tendance Smeral qui soutenait fidèlement pendant toute la guerre impérialiste la monarchie Habsbourg !
Dans le parti socialiste français (la S.F.I.O.), outre une petite tendance internationaliste de gauche, le "comité pour la IIIe Internationale" qui voulait une adhésion sans conditions à l'I.C[3], deux tendances politiques s'affrontaient en 1920 à la veille du congrès de Tours où l'adhésion à l'I.C. allait être à l'ordre du jour. En premier lieu, le "comité de résistance socialiste à l'adhésion à la IIIe Internationale", la droite, autour de Léon Blum, Renaudel et Albert Thomas. Ensuite, le "comité pour la reconstruction de l'Internationale", les "reconstructeurs" ou le centre, autour de Longuet, Faure, Cachin et Frossard. Cette tendance "centriste" voulait adhérer à l'I.C. mais avec des conditions très strictes pour pouvoir sauvegarder l'autonomie, le programme et les traditions du "socialisme" français. L'avis que donne A. Bordiga sur ces deux tendances dans son livre "Storia délia Sinistra Comunista" est particulièrement juste : "Sur les questions de fond, en tous les cas, les deux ailes ne se distinguent que par de simples nuances. Elles sont, en réalité, les deux faces d'une même médaille."
Les Longuetistes ont participé à l'union sacrée jusqu'à ce que le mécontentement grandissant des masses et la nécessité pour le capitalisme de l'encadrer et le dérailler les ont amenés à demander une paix "sans vainqueurs ni vaincus". Pour comprendre toute la complicité des Longuetistes dans la boucherie impérialiste, il suffit de citer le discours de Longuet du 2 août 1914 préparant le terrain pour l'union sacrée : "Mais si demain la France est envahie, comment les socialistes ne seraient-ils pas les premiers à défendre la France de la révolution et de la démocratie, la France de 1'Encyclopédie, de 1789, de juin 1848 (...)". Quand l'I.C, contre l'avis de Zinoviev, refusait l'adhésion du chauvin notoire Longuet, Cachin et Frossard se sont séparés de leur ancien chef, créant ainsi la base d'une majorité à Tours qui allait adhérer -avec conditions- à l'I.C. Mais ils continuaient à défendre et à justifier leur soutien à la guerre impérialiste. Ainsi Cachin insistait sur le fait que "La responsabilité de la guerre n'était pas seulement celle de notre bourgeoisie mais celle de1'impérialisme allemand ; donc notre politique de défense nationale trouve en ce qui concerne le passé, sa pleine justification". Les implications de cette déclaration pour l'avenir se voient dans l'insistance sur le fait qu'il faut distinguer" la défense nationale honnête" de la défense nationale soi-disant fausse de la bourgeoisie.
La scission dans la S.F.I.O. à Tours et la formation du P.C.F. ont suivi les directives de l'I.C. et signifiaient que le PCF dans sa vaste majorité ainsi qu'à sa direction, serait composé de la fraction contre-révolutionnaire longuetiste et que les 21 conditions -insuffisantes en elles-mêmes- seraient interprétées de façon à inclure des éléments ouvertement chauvins. Comment était-il possible de constituer le PCF avec une majorité dirigée par Cachin-Frossard, une majorité essentiellement longuetiste ?[4] Cette capitulation, ce couteau plongé dans le cœur du prolétariat, cette graine de pourriture qui allait donner le Front Populaire et l'Union Sacrée, était dissimulé et rendu possible par ... le concept du centrisme ! En baptisant les longuetistes "centristes", cette tendance était lavée de ses péchés mortels, enlevée du terrain politique du capitalisme où sa pratique l'avait mise, pour être replacée sur le terrain politique du prolétariat (quoique un peu tachée idéologiquement).
En Allemagne, où le K.P.D. (Parti communiste allemand) avait déjà exclu ses tendances de gauche (contre l'esprit et la lettre de ses propres statuts), ces mêmes tendances de gauche qui ont pris une position de classe sans équivoque contre la guerre impérialiste et qui avaient la vision la plus claire sur la nature de la nouvelle période, l'I.C. donne l'ordre au KPD de fusionner avec l'U.S.P.D. pour créer une base de masse. L'USPD, avec Bernstein, Hilferding et Kautsky à sa tête, avec son manifeste de fondation écrit par le renégat Kautsky en personne, est né de l'exclusion du groupe parlementaire de l'opposition, l'Arbeitsgemeinschaft, du SPD en 1917. La position de l'Arbeitsgemeinschaft face à la guerre impérialiste[5] (et qui est devenue la position de l'USPD) était de demander une paix sans annexions -une position quasi-identique à celle d'un partisan aussi féroce du nationalisme allemand que Max Weber et d'autres porte-parole du capital financier allemand confronté au danger -principalement social- d'une longue guerre que l'Allemagne ne pouvait gagner. Dans la tourmente de la révolution allemande de novembre 1918, l'USPD participe au gouvernement de coalition, mis sur pied pour arrêter la montée révolutionnaire, aux côtés des social-démocrates "purs et durs", le SPD de Noske et Scheidemann. Quand, face au massacre de noël, la radicalisation des masses menace de dépasser l'USPD laissant les représentants du capital allemand sans influence sur les masses, l'USPD se met "dans l'opposition". De cette opposition, l'USPD travaille pour intégrer les conseils ouvriers -où elle a des majorités- dans la constitution de Weimar, c'est-à-dire, dans l'édifice institutionnel par lequel le capitalisme allemand cherchait à reconstituer son pouvoir. Au moment du 2ème congrès de l'I.C., quand la fusion du KPD et de l'USPD est l'objet d'un débat acharné, Winjkoop pour le PC hollandais déclare :"Mon parti est de l'avis qu'il ne faut absolument pas négocier avec l'USPD, avec un parti qui aujourd'hui même siège au présidium du Reichstag, avec un parti du gouvernement."
Pour comprendre jusqu'au bout la nature contre-révolutionnaire de l'USPD, il faut aller au-delà des déclarations publiques -pleines d'éloges du légalisme, du parlementarisme et de la "démocratie"- pour se pencher sur ce que ses dirigeants ont dit, plus librement, en privé. À cet égard, la lettre de Kautsky du 7 août 1916 à l'austro-marxiste Victor Adler expliquant les vraies raisons de la formation de l'Arbeitsgemeinschaft, l'embryon de l'USPD, est un document de la plus grande importance : "Le danger du groupe Spartakus est grand. Son radicalisme correspond aux besoins immédiats des grandes masses indisciplinées. Liebknecht est aujourd'hui l'homme le plus populaire dans les tranchées. Si on n'avait pas formé l'Arbeitsgemeinschaft, Berlin serait aux mains des "spartakistes" et en dehors du parti. Mais si on avait constitué le groupe parlementaire de gauche quand je voulais, il y a un an, le groupe Spartacus n'aurait acquis aucun poids." Est-il vraiment nécessaire, après cette mise au point de Kautsky, de dire explicitement que la fonction -objective et même consciente- de l'Arbeitsgemeinschaft et son successeur, l'USPD, était d'empêcher la radicalisation des masses et de préserver l'ordre capitaliste.
Pour que la décision de l'I.C. de fusionner le KPD et l'USPD soit prise et acceptée -une erreur monumentale avec des conséquences désastreuses pour la révolution en Allemagne-, il fallait d'abord commencer par désigner l'USPD un parti "centriste" (poussé à gauche par les événements...) transformant mais uniquement en paroles sa nature de classe capitaliste en nature prolétarienne.
Ce qui nous intéresse ici ce n'est pas de revenir sur tout le raisonnement qui amène l'I.C. à tourner le dos aux principes révolutionnaires dans la formation des PC européens, mais d'insister sur le fait que le concept du centrisme a. fourni la couverture idéologique pour envelopper une politique de compromission avec des éléments contre-révolutionnaires.
En concomitance et en lien avec la politique désastreuse de l'IC dans la formation du PCF, du VKPD, etc., se produisait le début du retour à la méthode et la philosophie du matérialisme mécaniste de la 2ème Internationale, ce qui donnera la base au "DIAMAT", la vision stalinienne (capitaliste) du monde, institutionnalisée dans le "Komintern" des années 30. L'abandon des principes prolétariens révolutionnaires va toujours de pair avec l'incohérence méthodologique et théorique.
Dans le cas de Trotsky et l'Opposition de Gauche, c'est par l'alliance avec la social-démocratie (le front unique, le front populaire, l'anti-fascisme) et la défense de l'"État ouvrier" en Russie que ce courant trahit définitivement le prolétariat pour passer dans le camp du capitalisme pendant la deuxième guerre mondiale. Ses positions sont indissolublement liées à l'utilisation du concept du centrisme par Trotsky pour caractériser la dynamique de la social-démocratie et pour analyser la nature du stalinisme. En effet, la théorie des "groupes centristes cristallisant à partir de la social-démocratie" l'incapacité de tracer la frontière de classe qui pour Trotsky est complètement obscurcie par cette notion du centrisme, fournit la base du "tournant français" en 1934 où Trotsky donne l'ordre aux sections de l'Opposition de Gauche internationale de faire de l'entrisme dans les partis social-démocrates contre-révolutionnaires.
La différence du centrisme en termes d'attitudes et de comportement, le portrait d'un centriste (incohérent, vacillant, conciliant, etc.) sur lequel la majorité du CCI fonde sa conception du centrisme aujourd'hui, voit le jour pour la première fois dans le mouvement ouvrier pendant les années 30 dans les rangs de l'Opposition trotskyste, qui abandonnait déjà à l'époque position de classe sur position de classe dans sa chute vers le camp de la contre-révolution. Dans "Le Centrisme et la IVe Internationale" paru dans "The Militant" du 17 mars 1934 ou tout semblant de définition du centrisme en termes de positions politiques est abandonné, Trotsky peint le portrait verbal d'un centriste qui se retrouve presque mot pour mot dans les textes de la majorité du CCI aujourd'hui[6].
Au crépuscule du capitalisme ascendant, le centrisme, en tant que tendance politique au sein de la IIe Internationale a mené à la corruption et la dégénérescence conduisant à la trahison de 1914. Dans le capitalisme décadent, c'est le concept du centrisme -encore utilisé par des révolutionnaires incapables de se débarrasser du poids mort du passé -qui à chaque fois ouvre la porte aux compromissions et à la soumission à l'idéologie du capitalisme au sein du mouvement ouvrier.
La majorité du CCI dit souvent que les révolutionnaires ne doivent pas rejeter un outil politique -en l'occurrence le concept du centrisme- simplement parce qu'il a été mal utilisé. À cela, nous voulons répondre. Premièrement, les camarades de la majorité utilisent le concept de centrisme aujourd'hui pour rejeter les mêmes erreurs commises par l'I.C. dans les années 20. Ainsi la majorité considère que l'USPD, malgré ses lettres de créance social-démocrates impeccables et malgré son rôle dans la défaite de la révolution en Allemagne, était encore sur le terrain prolétarien, un parti "centriste". Dans les pages de Révolution Internationale, les chauvins Cachin et Frossard deviennent des "centristes" ' et "opportunistes" dans un article donnant la version CCI de la constitution du PCF. Deuxièmement, il faut souligner le fait qu'il n'y a aucun exemple où l'utilisation du concept du centrisme par des révolutionnaires dans la période de décadence n'est pas en elle-même devenue l'instrument des compromissions et la conciliation avec l'idéologie de l'ennemi de classe capitaliste, d'un effacement des frontières de classe et enfin d'un recul des positions de classe. Troisièmement, le concept du centrisme dans les mains des révolutionnaires de l'époque actuelle est fondamentalement lié à une incompréhension profonde de la nature de notre époque historique, une incapacité à comprendre la vraie signification et les implications profondes de la tendance universelle vers le capitalisme d'État.
Jusqu'à présent, nous parlons des révolutionnaires qui ont employé le terme centrisme pour caractériser un phénomène qui se trouve, selon eux, toujours sur le terrain politique de la classe ouvrière. C'est précisément ainsi que la majorité actuelle du CCI utilise ce terme. Mais d'autres révolutionnaires avec plus de clarté programmatique que l'I.C. des années 20 ou Trotsky des années 30, ont utilisé le "centrisme" pour caractériser des tendances politiques qui sont actives dans les rangs de la classe ouvrière, mais qui sont en réalité contre-révolutionnaires, de l'autre côté de la frontière de classe. Par exemple, Goldenberg, un délégué français au 2ème congrès de l'I.C, parlant au nom de la gauche internationaliste, a dit : "Les thèses proposées par le camarade Zinoviev donnent toute une série de conditions permettant aux partis socialistes, les soi-disant "centristes", de rentrer dans l'I.C. Je ne peux pas être d'accord avec cette procédure. Ces dirigeants du PSF utilisent une phraséologie révolutionnaire pour tromper les masses. Le parti socialiste français est un parti pourri de petits-bourgeois réformistes. Son adhésion à l'I.C. aurait comme conséquence d'installer cette pourriture au sein de l'I.C. Je veux simplement déclarer que des gens qui malgré leur verbiage révolutionnaire, se sont montrés des contre-révolutionnaires décidés, ne peuvent pas se transformer en communistes en quelques semaines".
Goldenberg, la fraction abstentionniste de Bordiga du PSI et les autres représentants de la gauche au 2ème congrès, comprennent d'un côté la nature contre-révolutionnaire de Cachin, Frossard, Daumig, Dittman, etc., de ceux qui demandaient l'intégration dans l'I.C. au nom des tendances qu'ils dirigeaient pour mieux encadrer et détourner le prolétariat. Mais de l'autre côté, la gauche continue à employer la terminologie de "réformistes", "centristes", etc. pour caractériser les éléments qui se sont mis au service du capitalisme. Si la gauche dans l'I.C. est claire sur la nature contre-révolutionnaire du "centrisme", le fait qu'elle persiste à utiliser ce terme montre une confusion et une incohérence réelle face au phénomène nouveau du capitalisme d'État que la guerre impérialiste et la crise permanente ont produit. C'était une confusion sur le fait que ces tendances "centristes" ont non seulement définitivement trahi le prolétariat sans retour possible, mais qu'elles sont devenues en fait une partie intégrante de l'appareil étatique du capitalisme sans aucune différence de classe avec les partis bourgeois traditionnels bien qu'elles assument une fonction capitaliste particulière auprès de la classe ouvrière. Dans ce sens, la Gauche était très sérieusement handicapée dans sa lutte contre la dégénérescence de l'I.C.
La coexistence des termes "centriste", "social-patriote" et "contre-révolutionnaire" pour caractériser des éléments comme Cachin et Frossard, l'utilisation du concept du centrisme par lequel elle cherchait à comprendre le stalinisme, ont désarmé la fraction italienne de la Gauche Communiste dans les années 30 quand elle analysait la dégénérescence de l'I.C. et la contre-révolution stalinienne triomphante. Bien que la fraction italienne, contrairement à Trotsky, soit claire sur la nature contre-révolutionnaire du stalinisme et son alignement sur le terrain du capitalisme mondial, son analyse du stalinisme en termes de "centrisme"[7] était une source de confusion constante. Une conséquence de cette confusion était sa politique incohérente par rapport au PC italien ; la fraction ne s'est coupée formellement du PC italien totalement stalinisé qu'en 1933. Le fait que des camarades des fractions italienne et belge de la Gauche Communistes aient pu parler de la Russie en tant qu'"État ouvrier" jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, et malgré leur position que la Russie s'est alignée sur le terrain impérialiste du capitalisme mondial, témoigne de l'incohérence politique qui découle de l'utilisation du concept du centrisme dans la phase du capitalisme d'État.
Après la deuxième guerre mondiale, le PCI bordiguiste a également employé le concept du centrisme pour désigner les traîtres socialistes qui radicalisent leur langage pour mieux encadrer la classe ouvrière dans les intérêts du capital et pour caractériser les partis staliniens clairement reconnus comme contre-révolutionnaires par ailleurs[8]. Par exemple, en parlant de la tendance longuetiste de la SFIO qui allait constituer la majorité du PCF, les bordiguistes affirment avec raison que "la contre-révolution n'a pas eu besoin de briser le parti (le PCF) mais s'est au contraire appuyée sur lui". Mais, plus loin, par rapport à Cachin/Frossard : "Pour empêcher le prolétariat de se constituer en parti révolutionnaire, comme la situation objective 1'y poussait irrésistiblement, pour dévier son énergie vers les élections ou vers des mots d'ordre syndicaux compatibles avec le capitalisme (...) le 'centrisme' a dû adopter 'un langage plus radical'" Programme Communiste n°55, p.82 et 91). Ici, les bordiguistes comprennent le rôle joué objectivement par ces tendances contre-révolutionnaires mais retombent dans la confusion en les caractérisant comme "centristes".
Dans le cas de la Fraction italienne et encore plus gravement dans le cas des bordiguistes aujourd'hui (plus grave à cause des quarante années de plus pendant lesquelles ils ont continué à se cramponner à cette notion de centrisme et, en plus de leur ossification et stérilité politiques) l'utilisation du concept du centrisme est le prix payé pour l'incapacité de comprendre la réalité du capitalisme d'État et donc d'une des caractéristiques fondamentales de l'époque actuelle.
Il est incroyable que le concept de centrisme utilisé par la majorité du CCI aujourd'hui (un phénomène qu'elle considère encore sur le terrain prolétarien) soit en deçà des confusions de la gauche de l'IC, de la fraction italienne et, par rapport à l'histoire des débuts de l'I.C. et les combats dans lesquels Bordiga a participé, même en deçà des bordiguistes ! Le recours au concept de centrisme de la part du CCI est extrêmement dangereux pour l'organisation, dans la mesure où il met en question des acquis de la Gauche Communiste et tourne le dos à des leçons fondamentales du combat de la gauche au sein de l'I.C. Ce n'est pas que ces acquis suffisent actuellement pour arriver à la clarté programmatique nécessaire pour la classe ouvrière aujourd'hui et pour la formation du parti mondial de demain. Mais en abandonnant ces leçons et en tombant en deçà de la clarté théorique du passé, même la possibilité d'aller en avant dans le développement du programme communiste (ce qui dans la situation présente est absolument nécessaire) se trouve sérieusement compromise.
C'est pour ces raisons que la tendance qui s'est constituée au sein du CCI en janvier 1983, sur la base d'une "Déclaration", rejette le concept de centrisme et met en garde le CCI contre les graves dangers que sa politique actuelle représente pour la théorie et la pratique de l'organisation.
Pour la tendance : Mc Intosh
L'article de "Mac Intosh pour la tendance" publié dans ce numéro de la Revue Internationale présente un grand avantage par rapport au précèdent article de la minorité, "Le CCI et la politique du moindre mal" par JA, publié dans le n°41 : il traite d'une question précise et s'y tient jusqu'à la fin alors que l'autre, à côté du danger conseilliste, parle un peu de tout, ...et notamment de la question du centrisme. Cependant, si l'éclectisme qui tendait à embrouiller le lecteur était un défaut de l'article de JA (un défaut du point de vue de la clarté du débat, mais peut-être est-ce une qualité du point de vue de la démarche confusionniste de la "tendance"), on peut considérer que l'unité thématique de l'article de Mac Intosh, tout en permettant de mieux s'y retrouver sur les positions de la tendance, n'est pas uniquement un facteur de clarté. L'article de Mac Intosh est bien construit, se base sur un plan simple et logique et présente une apparence de rigueur et de souci d'étayer les arguments sur des exemples historiques précis, toutes caractéristiques qui en font à ce jour le document le plus solide de la tendance et qui peuvent impressionner si on le lit de façon superficielle. Cependant, l'article de Mac Intosh n'échappe pas au défaut que nous avons déjà signalé dans la Revue n°42 à propos de l'article de JA (et qui est une des caractéristiques majeures de la démarche de la tendance) : l'escamotage des véritables questions en débat, des véritables problèmes qui se posent au prolétariat. La différence entre les deux articles tient surtout au degré de maîtrise de cette technique d'escamotage.
Ainsi, alors que JA a besoin de faire beaucoup de bruit, de parler un peu à tort et à travers, de produire plusieurs écrans de fumée pour accomplir ses tours de passe-passe, c'est avec beaucoup plus de sobriété que Mac Intosh réalise les siens. Cette sobriété même est un élément de l'efficacité de sa technique. En ne traitant dans son article que du problème du centrisme en général et dans l'histoire du mouvement ouvrier sans se référer à aucun moment à la façon dont la question s'est posée dans le CCI, il évite de porter à la connaissance du lecteur le fait que cette découverte (dont il est l'auteur) de la non-existence du centrisme dans la période de décadence, était la bienvenue pour les camarades "réservistes" (qui s'étaient abstenus ou avaient émis des "réserves" lors du vote de la résolution de janvier 84). La thèse de Mac Intosh, à laquelle ils se sont ralliés lors de la constitution de la tendance, leur permettait de retrouver des forces contre l'analyse du CCI sur les glissements centristes envers le conseillisme dont ils étaient victimes et qu'ils s'étaient épuisés à combattre en essayant vainement de montrer (tour à tour ou simultanément) que "le centrisme c'est la bourgeoisie", "il existe un danger de centrisme dans les organisations révolutionnaires mais pas dans le CCI", "le danger centriste existe dans le CCI mais pas à l'égard du conseillisme". Les camarades "réservistes" faisaient ainsi la preuve qu'au moins ils connaissaient l'adage "qui peut le plus peut le moins". De même, dans son article, Mac Intosh se montre connaisseur du bon sens populaire qui veut qu'"on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu".
En résumé, si on peut se permettre une image, on pourrait illustrer ainsi la différence entre les techniques employées par JA et Mac Intosh dans leurs articles respectifs :
Pour notre part, c'est en nous appuyant sur le marxisme et les leçons de l'expérience historique que nous essaierons de mettre en évidence les "trucs" qui permettent à Mac Intosh et à la tendance de dissimuler leurs différents tours de passe-passe[9] . Mais en premier lieu il importe de rappeler comment le marxisme révolutionnaire a toujours caractérisé le centrisme.
Le camarade Mac Intosh nous dit : "la 'définition' du centrisme donnée par la majorité du CCI se limite à l'énumération de toute une série d'attitudes et de comportements (la conciliation, l'hésitation, la vacillation, le fait de 'ne pas aller jusqu'au bout d'une position'). Si ces attitudes et comportements sont indiscutablement de nature politique, caractéristiques des tendances centristes qui existaient autrefois dans l'histoire (cf. R. Luxemburg sur le caractère 'visqueux' de Kautsky), ils sont nettement insuffisants comme définition d'un courant politique."
Pour que le lecteur puisse se faire une idée plus précise sur la validité du reproche adressé par Me Intosh aux positions du CCI, nous allons donner un certain nombre d'extraits de textes de discussion interne exprimant ces positions.
L'opportunisme ne se caractérise pas seulement par ce qu'il dit, mais encore, et peut-être encore davantage par ce qu'il ne dit pas, par ce qu'il dira demain, par ce qu'il tait aujourd'hui pour pouvoir mieux le dire demain quand les circonstances lui paraîtront plus favorables, plus propices. L'opportunité qu'il scrute lui dicte souvent de garder le silence aujourd'hui. Et s'il agit ainsi, ce n'est pas tellement par volonté consciente, par esprit machiavélique, mais parce qu'un tel comportement est inscrit dans sa nature, mieux, il constitue le fond même de sa nature.
L'opportunisme, disait Lénine, est difficilement saisissable par ce qu'il dit, mais on le voit clairement par ce qu'il fait. C'est pourquoi il n'aime pas décliner son identité. Rien ne lui est plus désagréable que d'entendre être appelé par son nom. Il déteste se montrer à visage nu, en pleine lumière. La pénombre lui sied à merveille. Les positions franches, tranchantes, intransigeantes, qui vont au bout de leur raisonnement, lui donnent le vertige. Trop 'bien élevé', il supporte très mal la polémique. Trop 'gentleman' il n'aime que le langage châtié et voudrait que, s'inspirant du modèle du Parlement anglais, les protagonistes des positions radicalement antagoniques commencent, en s'affrontant à leurs adversaires, par les appeler 'honorable sir', ou 'mon honorable collègue'. Avec leur goût de l''exquis', du tact et de la mesure, de la politesse et du 'fair-play', ceux qui penchent vers l'opportunisme perdent complètement de vue que l'arène tragique et vivante de la lutte de classe et de la lutte des révolutionnaires ne ressemble en rien à cette vieille bâtisse poussiéreuse et morte qu'est 'l'honorable chambre des députés'.
Le centrisme est un des nombreux aspects par lequel se manifeste l'opportunisme, une de ses facettes, (appellations). Il exprime ce trait caractéristique de l'opportunisme de se situer toujours au centre, c'est-à-dire entre les forces et les positions antagoniques qui s'opposent et s'affrontent, entre les forces sociales franchement réactionnaires et les forces radicales qui combattent l'ordre de chose existant pour changer les fondements de la société présente.
C'est dans la mesure où il abhorre tout changement tout bouleversement radical, que le 'centrisme' est amené à se trouver forcément et ouvertement du côté de la réaction, c'est-à-dire du côté du capital, quand la lutte de classe atteint le point d'un affrontement décisif et qui ne laisse plus de place à aucune tergiversation comme c'est le cas au moment du saut révolutionnaire du prolétariat…
Le centrisme en quelque sorte est un 'pacifisme' à sa manière. Il a horreur de tout extrémisme. Les révolutionnaires conséquents au sein du prolétariat lui paraissent, par définition, toujours trop 'extrémistes'. Il leur fait la morale, les conjure contre tout ce qui paraît excessif et toute intransigeance lui paraît être une agressivité inutile.
Le centrisme n'est pas une méthode, c'est l'absence de méthode. Il n'aime guère l'idée d'un cadre... Ce qu'il préfère et où il se sent pleinement à l'aise, c'est le rond, là où on peut tourner et tourner sans fin, dire et se contredire à volonté, aller de droite à gauche et de gauche à droite sans jamais être gêné par les coins, où on peut évoluer avec d'autant plus de légèreté qu'on n'a pas à porter le poids ni à subir la contrainte de la mémoire, de la continuité, des acquis et de la cohérence, toutes choses qui entravent sa 'liberté'.
La maladie congénitale du centrisme est son goût, sincère ou non, de la réconciliation. Rien ne le dérange plus que le combat franc des idées. L'affrontement des positions lui paraît toujours comme trop exagéré. Toute discussion lui paraît de la polémique inutile. On comprend et on respecte le souci des uns et des autres pour ne froisser personne, car la priorité, des priorités, la raison première c'est sauver l'unité et garder l'ordre. Pour cela il est toujours prêt à vendre le droit d'aînesse pour un plat de lentilles.
Les révolutionnaires, à l'instar de la classe, aspirent également à la plus grande unité et à l'action la mieux ordonnée, mais jamais au prix de la confusion, de concessions sur les principes, d'obscurcissement du programme et des positions, du relâchement de la fermeté dans leur défense. Le programme révolutionnaire du prolétariat est à leurs yeux non négociable. C'est pourquoi, ils apparaissent, pour le centrisme, comme des trouble-fête, des extrémistes, des gens impossibles, incorrigibles et éternels trouble-ordre... "Y a-t-il une tendance centriste dans l'organisation ? Une tendance formellement organisée, non. Mais on ne peut nier qu'il y a chez nous des tendances au glissement vers le centrisme qui se manifestent chaque fois qu'apparaissent des situations de crise ou des divergences sur des questions de fond... Le centrisme, au fond, est une faiblesse chronique, toujours présente d'une façon patente ou latente dans le mouvement ouvrier, se manifestant différemment selon les circonstances. Ce qui le caractérise le plus, c'est de se situer non pas seulement au milieu, entre les extrémités, mais de vouloir les concilier en une unité dont il serait le centre conciliateur, en prenant un peu de l'un et un peu de l'autre. (...)
Aujourd'hui, ce centrisme se situe parmi nous entre la démarche du conseillisme et celle du CCI. Ce qui nous intéresse en tant que groupe politique, c'est d'étudier le phénomène politique de l'existence et de l'apparition des tendances vers le centrisme, la raison et le fondement de ce phénomène. Aussi, la tendance ou glissement vers le centrisme doit être étudié indépendamment des personnalités qui la composent à un moment donné." (...) (Extraits d'un texte du 17/2/84).
"Le centrisme est une démarche erronée mais il ne se situe pas hors du prolétariat, mais au sein du mouvement ouvrier et exprime, la plupart du temps, l'influence d'une démarche politique venant de la petite-bourgeoisie. Autrement on ne comprend pas comment les révolutionnaires ont pu cohabiter tout au long de l'histoire avec des tendances centristes dans les mêmes partis et internationales du prolétariat...
Le centrisme ne se présente pas avec un programme nettement défini ; ce qui le caractérise, c'est justement le flou, le vague, et c'est pour cela qu'il est d'autant plus dangereux, comme une maladie pernicieuse, menaçant toujours, de l'intérieur, l'être révolutionnaire du prolétariat." (Extraits d'un texte de mai 84).
"Mais quelles sont les sources de l'opportunisme et du centrisme dans la classe ouvrière ? Pour les marxistes révolutionnaires, elles se ramènent essentiellement à deux :
1) La pénétration dans le prolétariat de l'idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise dominante dans la société et qui enveloppe le prolétariat (en tenant compte de plus du processus de prolétarisation qui s'opère dans la société faisant tomber sans cesse dans le prolétariat des couches provenant de la petite-bourgeoisie, de la paysannerie et même de la bourgeoisie, et qui emmènent avec elles des idées petites-bourgeoises). (...)" (Extraits d'un texte du 24/11/84).
Nous aurions pu donner encore beaucoup d'autres extraits illustrant l'effort de réflexion mené par le CCI sur la question du centrisme, mais nous n'en avons pas ici la place. Toutefois, ces citations, même incomplètes, permettent de faire justice de l'accusation affirmant que : "La 'définition' du centrisme donnée par la majorité du CCI se limite à l'énumération de toute une série d'attitudes et de comportements".
Cette suite de citations a également pour mérite de mettre en évidence un des tours de passe-passe majeurs opérés par Mac Intosh : l'identification entre "centrisme" et "opportunisme". En effet, son texte réussit le rare exploit de ne pas parler une seule fois du phénomène de l'opportunisme alors que la définition du centrisme s'appuie nécessairement sur celle de l'opportunisme dont il constitue une variété, une manifestation, situées et oscillant entre l'opportunisme ouvert et franc et les positions révolutionnaires.
La ficelle de Mac Intosh est à la fois très grosse et assez subtile. Il sait pertinemment que nous avons à de nombreuses reprises employé dans nos colonnes (y compris dans des résolutions de Congrès comme cela est rappelé dans la Revue n°42, p.29) le terme d'opportunisme appliqué à la période de décadence du capitalisme. En ce sens, affirmer aujourd'hui de but en blanc que la notion d'opportunisme n'est plus valable dans cette période conduirait à se demander pourquoi c'est justement maintenant que Mac Intosh découvre que ce qu'il avait voté (avec tous les membres de la "tendance") en 1978 (au 2ème Congrès du CCI) est faux. Dans la mesure où la notion de centrisme -qui pourtant est inséparable de celle d'opportunisme- a été bien moins utilisée jusqu'à présent par le CCI (et n'a pas fait l'objet d'un vote de congrès) on donne moins l'impression de se déjuger en affirmant aujourd'hui qu'elle n'est pas valable dans la période actuelle.
En escamotant la notion d'opportunisme pour ne plus parler que du centrisme, les camarades de la "tendance" essayent d'escamoter le fait que ce sont eux qui ont fait volte-face sur cette question et non le CCI comme ils se plaisent à le répéter.
Ce n'est évidemment pas de cette façon que la "tendance" pose le problème puisque, pour elle, il ne peut exister de centrisme dans la période de décadence. Par contre, par la plume de Mac Intosh, elle accuse le CCI de compromissions avec le trotskysme, de "tomber dans des positions trotskytes", ce qu'elle appuie par l'argument suivant :
Ici, Mac Intosh opère une de ses voltes faces dont il a le secret. Après avoir au début du texte admis la "nature politique" des questions de comportement, leur validité (bien qu'il les estime "insuffisantes") pour participer à la caractérisation d'un courant politique, voilà qu'il charge ce type de caractérisation de tous les maux de la création.
Mais là n'est pas la faute la plus grave de ce passage. Le plus grave, c'est qu'il falsifie complètement la réalité. Les formulations de l'article de Trotsky[10] frappent en effet par leur ressemblance avec celles du texte du 17/2/84 cité plus haut (alors que le camarade qui a rédigé ce texte n'avait jamais lu cet article particulier de Trotsky). Par contre, c'est un mensonge (délibéré ou par ignorance ?) que d'affirmer que ce type de caractérisation du centrisme a été inventé par Trotsky en 1934.
Voyons ce qu'écrivait ce même Trotsky dès 1903 à propos de l'opportunisme (à une époque où le terme centrisme n'était pas encore employé dans le mouvement ouvrier) :
"Impatience", "prévenance", "rage du tact", "manie de la prudence" : pourquoi diable Trotsky ne s'est-il pas cassé la main le jour où il a écrit cet article, pourquoi n'a-t-il pas eu la bonne idée d'attendre 30 ans pour le publier ? Cela aurait bien arrangé les affaires de l'argumentation de la "tendance".
Quant à Lénine, lui qui, dans ses écrits, a probablement employé le terme centrisme plus que tous les autres grands révolutionnaires de son temps, pourquoi n'a-t-il pas consulté l'avis de Mac Intosh avant d'écrire :
"Les gens de la nouvelle Iskra (les mencheviks) trahissent-ils la cause du prolétariat ? Non, mais ils en sont des défenseurs inconséquents, irrésolus, opportunistes (et sur le terrain des principes d'organisation et de tactique qui éclairent cette cause)". (Oeuvres, T8, p.221).
"Trois tendances se sont dessinées dans tous les pays, au sein du mouvement socialiste et international, depuis plus de deux ans que dure la guerre... Ces trois tendances sont les suivantes :
On pourrait encore citer de multiples autres extraits de textes de Lénine sur le centrisme où reviennent les termes "inconséquent", "irrésolu", "opportunisme camouflé, hésitant, hypocrite, doucereux", "flottement", "indécision" et qui prouvent à quel point est fausse l'affirmation de Mac Intosh.
En prétendant que "ce n'est qu'avec Trotsky et l'Opposition de Gauche déjà dégénérescente des années 30 qu'un marxiste osera mettre en avant une définition du centrisme basée sur des attitudes et des comportements", Mac Intosh ne prouve nullement la non validité des analyses du CCI. Il ne prouve qu'une chose : qu'il ne connaît pas l'histoire du mouvement ouvrier. L'assurance avec laquelle il se réfère à celle-ci, les faits précis qu'il évoque, les citations qu'il donne, n'ont pas d'autre fonction que de masquer les libertés qu'il prend avec l'histoire réelle pour lui opposer celle qui existe dans son imagination.
Le camarade Mac Intosh se propose, au nom de la "tendance" de "donner une définition claire, marxiste, du centrisme comme courant ou tendance politique qui existait autrefois au sein du mouvement ouvrier". Pour ce faire il en appelle à la méthode marxiste et il écrit avec raison que "... il est important de souligner la distinction marxiste fondamentale entre l'apparence et l'essence dans la réalité objective, ... la tâche de la méthode marxiste [étant] de pénétrer au-delà des apparences d'un phénomène pour saisir son essence."
Le problème de Mac Intosh c'est que son adhésion à la méthode marxiste n'est que formelle et qu'il est incapable de la mettre en application (tout au moins sur la question du centrisme). On pourrait dire que Mac Intosh ne voit que "l'apparence" de la méthode marxiste sans être capable de "saisir son essence". C'est ainsi qu'il affirme que "les révolutionnaires marxistes ... ont toujours cherché la base réelle de la conciliation et la vacillation du centrisme dans ses positions politiques..."
Le problème c'est qu'une des caractéristiques essentielles du centrisme c'est justement (comme nous l'avons vu plus haut) de ne pas avoir de position politique précise, définie, qui lui appartienne en propre. Voyons donc quel serait ce "programme politique précis" que "le centrisme a toujours eu" aux dires de Mac Intosh. Pour le définir, l'illusionniste Mac Intosh commence par utiliser quelques-uns des trucs qu'il affectionne :
Après avoir d'emblée faussé de cette façon les choses, Mac Intosh est prêt à nous entraîner dans la quête du Graal "positions spécifiques du centrisme". "La base théorique et méthodologique du kautskysme est le matérialisme mécaniste, un déterminisme vulgaire menant à un fatalisme par rapport au processus historique".
Il doit être clair que c'est le dernier de nos soucis que de prendre la défense de Kautsky ni comme courant ni comme personne. Ce qui nous intéresse est de voir la façon d'argumenter de Mac Intosh et de la "tendance". Pour le moment, ce qu'il nous sert ce n'est pas un argument démontré mais une simple affirmation. Chose curieuse, comment comprendre que personne dans la 2ème Internationale ne se soit aperçu de ce qu'affirme Mac Intosh ? Il y avait pourtant quelques marxistes dans cette Internationale et même des théoriciens renommés et de gauche tels que A. Labriola, Plekhanov, Parvus, Lénine, Luxemburg, Pannekoek (pour ne citer que ceux-là). Étaient-ils tous aveuglés à ce point par la personnalité de Kautsky pour oublier la différence qui existe entre le marxisme et le "matérialisme mécaniste... un déterminisme économique vulgaire... un fatalisme...", etc. ? Rappelons encore que cette même critique, de glissement vers un matérialisme mécaniste, a été portée, avec raison, contre Lénine par Pannekoek (voir "Lénine philosophe"[11]). Quand donc le matérialisme mécaniste, etc., est-il devenu le programme du centrisme en général et de Kautsky en particulier ? Quand Kautsky combat le révisionnisme de Bernstein ou quand il défend aux côtés de Rosa la grève de masse en 19051907, ou bien en 1914, ou en 1919 ??? Quand, en 1910, Rosa engage sa fameuse et violente polémique contre Kautsky, à propos de la grève de masse, ce n'est pas un "programme précis" basé sur le "matérialisme mécaniste" qu'elle dénonce, mais le fait que Kautsky reprend les arguments des révisionnistes, le fait que par ses tergiversations se réclamant d'un marxisme "radical", Kautsky ne fait que couvrir la politique opportuniste et électoraliste de la direction de la social-démocratie (rappelons en passant qu'à part Parvus et Pannekoek, tous les grands noms de la gauche radicale désapprouvaient la critique de Rosa à cette époque).
Continuant sur sa lancée à la recherche du "programme précis" du centrisme, Mac Intosh découvre que "Pour Kautsky, la conscience doit être apportée aux ouvriers ‘de l'extérieur’ par les intellectuels". Voilà encore une banalité "redécouverte" par lui en guise de démonstration de l'existence d'un "programme précis" du centrisme. La fausseté de cette dénonciation, écrite par Kautsky en même temps qu'il combattait le révisionnisme, n'a rien à voir avec un "programme précis" et d'ailleurs n'a jamais été inscrite dans aucun programme socialiste. Et si cette idée a été reprise par Lénine dans "Que faire ?", elle n'a jamais figuré dans le programme des bolcheviks, et a été publiquement répudiée par Lénine lui-même dès 1907. Si une telle idée a pu être énoncée dans la littérature du mouvement marxiste cela ne prouve pas l'existence d'un "programme précis" du centrisme mais montre à quel point le mouvement révolutionnaire n'est pas imperméable à toutes sortes d'aberrations provenant de l'idéologie bourgeoise.
Il en est de même quand Mac Intosh, dans sa recherche obstinée d'articles du "programme centriste précis", écrit : "... il [Kautsky] insiste sur le fait que les seules formes d'organisations prolétariennes sont le parti de masse social-démocrates et les syndicats". Cela n'est en rien propre à Kautsky mais est l'opinion courante de toute la social-démocratie d'avant la première guerre mondiale y compris Pannekoek et Rosa. C'est un fait facile à vérifier que, en dehors de Lénine et de Trotsky, bien peu dans la gauche marxiste, avaient compris la signification de l'apparition des soviets dans la révolution de 1905 en Russie. C'est ainsi que Rosa Luxemburg ignore totalement les soviets dans son livre sur cette révolution dont le titre (et cela n'est pas le moins significatif) est justement "Grèves de masse, Partis et Syndicats". Enfin, quand Mac Intosh découvre le passage de Kautsky "… La conquête du pouvoir étatique à travers la conquête d'une majorité au parlement..." il s'écrit triomphalement : "Voilà le programme politique du centrisme kautskyste". Eurêka ! Mais pourquoi oublier de dire que c'est là un "emprunt" (en partie à Engels) que Kautsky fait au programme du révisionnisme de Bernstein ?
Mac Intosh a donc découvert, "au-delà des apparences", "l'essence politique du centrisme" : c'est son attachement constant et sans faille au légalisme, au gradualisme, au parlementarisme et à la 'démocratie' dans la lutte pour le socialisme. Il n'a jamais oscillé d'un centimètre dans cette orientation". Malheureusement pour lui, Mac Intosh ne se rend pas compte que ce qu'il vient de définir dans son "essence", ce n'est pas le centrisme ni même l'opportunisme, mais le réformisme. On en vient à se demander pourquoi les révolutionnaires ont éprouvé le besoin d'utiliser des termes distincts si, en fin de compte, le réformisme, le centrisme et l'opportunisme sont une seule et même chose. En réalité, notre expert en "méthode marxiste" est soudainement victime d'un trou de mémoire. Il vient d'oublier la distinction que Marx et le marxisme établissent entre "unité" et "identité". Dans l'histoire du mouvement ouvrier d'avant la première guerre mondiale, l'opportunisme (beaucoup plus que le centrisme d'ailleurs) a fréquemment pris la forme du réformisme (c'est particulièrement le cas chez Bernstein). Il y avait alors unité entre les deux. Mais cela ne signifie nullement que le réformisme recouvrait tout l'opportunisme (ou le centrisme), qu'il y avait identité entre eux. Sinon on ne comprendrait pas pourquoi Lénine a tant guerroyé à partir de 1903 contre l'opportunisme des mencheviks alors que bolcheviks et mencheviks venaient d'adopter (contre les éléments réformistes de la social-démocratie russe) le même programme[12] au 2ème congrès du POSDR et qu'ils avaient par conséquent les mêmes positions sur le "légalisme", le "gradualisme", le "parlementarisme" et la démocratie. Faut-il rappeler à Mac Intosh que la séparation entre bolcheviks et mencheviks s'est faite autour du point 1 des statuts du parti et que l'opportunisme des mencheviks (comme Martov et Trotsky), contre lequel Lénine engage le combat, concerne les questions d'organisation (ce n'est qu'en 1905, à propos de la place que le prolétariat doit occuper dans la révolution, que le clivage entre bolcheviks et mencheviks s'étend à d'autres questions).
On peut également demander à Mac Intosh et à la "tendance", s'ils pensent sérieusement que c'est parce que Trotsky était un "légaliste", un "gradualiste", un "crétin parlementaire", un "démocrate", que Lénine le range parmi les "centristes" dans les premières années de la guerre mondiale.
En réalité, ce que nous prouve une nouvelle fois Mac Intosh c'est que derrière l'"apparence" de rigueur et de connaissance de l'histoire qu'il affiche, réside l'"essence" de la démarche de la "tendance" : l'absence de rigueur, une ignorance affligeante de l'histoire réelle du mouvement ouvrier. C'est ce qu'illustre également la recherche par Mac Intosh des "bases matérielles et sociales" du centrisme.
Après la recherche de l'introuvable Graal des "positions politiques précises" du centrisme, le chevalier Mc Intosh nous entraîne dans la recherche défenses bases sociales et matérielles". Là, nous pouvons tout de suite le rassurer : elles existent. Elles résident (tant pour le centrisme que pour l'opportunisme dont il constitue une des expressions) dans la place particulière qu'occupe le prolétariat dans l'histoire en tant que classe exploitée et classe révolutionnaire (et c'est, la première -et dernière- fois qu'il en est ainsi). En tant que classe exploitée, privée de toute emprise sur les moyens de production (qui constituent justement la base matérielle de la société), le prolétariat doit subir en permanence la pression de l'idéologie de la classe qui les possède et contrôle, la bourgeoisie, de même d'ailleurs que les appendices de cette idéologie émanant des couches sociales petites bourgeoises. Cette pression se traduit par des infiltrations constantes de ces idéologies avec les différentes formes et démarches de pensée qu'elles comportent au sein de la classe et de ses organisations. Cette pénétration est notamment facilitée par la prolétarisation constante d'éléments de la petite bourgeoisie qui emportent au sein de la classe les idées et préjugés de leurs couches d'origine.
Ce premier élément explique déjà la difficulté avec laquelle la classe développe la prise de conscience de ses propres intérêts tant immédiats qu'historiques, les entraves qu'elle rencontre en permanence face à cet effort. Mais il n'est pas le seul. Il faut également prendre en considération que sa lutte comme classe exploitée, la défense de ses intérêts matériels quotidiens n'est pas identique à sa lutte comme classe révolutionnaire. L'une et l'autre sont liées, de même que si le prolétariat est la classe révolutionnaire c'est justement parce qu'il est la classe exploitée spécifique du système capitaliste. C'est en grande partie à travers ses luttes comme classe exploitée que le prolétariat prend conscience de la nécessité de mener le combat révolutionnaire, de même que ces luttes ne prennent leur véritable ampleur, n'expriment toutes leurs potentialités si elles ne sont pas fécondées par la perspective de la lutte révolutionnaire. Mais, encore une fois, cette unité (que ne voyait pas Proudhon, lui qui rejetait l'arme de la grève, et qu'aujourd'hui ne comprennent pas les "modernistes") n'est pas identité. La lutte révolutionnaire ne découle pas automatiquement des luttes pour la préservation des conditions d'existence, la conscience communiste ne surgit pas mécaniquement de chacun des combats menés par le prolétariat face aux attaques capitalistes. De même, la compréhension du but communiste ne détermine pas nécessairement et immédiatement la compréhension du chemin qui y conduit, des moyens pour l'atteindre.
C'est dans cette difficulté pour une classe exploitée de parvenir à la conscience des buts et des moyens de la tâche historique de loin la plus considérable qu'une classe sociale ait eu à accomplir, dans le "scepticisme", les "hésitations", les "craintes" qu'éprouve le prolétariat "devant l'immensité infinie de [son] propre but" si bien mis en évidence par Marx dans "Le 18 Brumaire", dans le problème que pose à la classe et aux révolutionnaires la prise en charge de l'unité dialectique entre ses luttes immédiates et ses luttes ultimes, c'est dans cet ensemble de difficultés, expression de l'immaturité du prolétariat, que l'opportunisme et le centrisme font en permanence leur nid.
Voilà où résident les bases "matérielles", "sociales" et on pourrait ajouter historiques de l'opportunisme et du centrisme. Rosa Luxemburg ne dit pas autre chose dans son texte le plus important contre l'opportunisme :
"La doctrine marxiste est non seulement capable de le réfuter théoriquement mais encore elle est seule en mesure d'expliquer ce phénomène historique qu'est l'opportunisme à 1'intérieur de 1'évolution du parti. La progression historique du prolétariat jusqu'à la victoire n'est effectivement pas une chose si simple. L'originalité de ce mouvement réside en ceci : pour la première fois dans 1'histoire, les masses populaires décident de réaliser elles-mêmes leur volonté en s'opposant à toutes les classes dominantes ; par ailleurs, la réalisation de cette volonté, elles la situent au-delà de la société actuelle, dans un dépassement de cette société. L'éducation de cette volonté ne peut se faire que dans la lutte permanente contre 1'ordre établi et à 1'intérieur de cet ordre. Rassembler la grande masse populaire autour d'objectifs situés au-delà de l'ordre établi ; allier la lutte quotidienne avec le projet grandiose d'une réforme du monde, tel est le problème posé au mouvement socialiste" ("Réforme ou Révolution ?").
Tout cela Mc Intosh le savait pour l'avoir appris dans le CCI et la lecture des classiques du marxisme. Mais apparemment, il est devenu amnésique : désormais, pour lui, la société bourgeoise et son idéologie, les conditions qui sont données historiquement au prolétariat pour l'accomplissement de sa révolution, tout cela n'est plus "matériel" et devient "l'esprit" voguant dans le tohubohu de l'univers dont nous parle la Bible.
De même que Karl Grün était un "socialiste vrai" (raillé par le manifeste Communiste), Mac Intosh est un "matérialiste vrai". Aux prétendus "idéalisme" et "subjectivisme" dont serait victime le CCI (suivant les termes souvent employés par la "tendance dans le débat interne") il oppose la "vraie" base matérielle du centrisme : "[c'était] dans les sociétés capitalistes avancées d'Europe la machine électorale des partis de masse social-démocrates (et surtout ses fonctionnaires salariés, ses bureaucrates professionnels et ses représentants parlementaires) ainsi que l'appareil syndical grandissant".
Mac Intosh fait bien de préciser que cela concerne les "sociétés capitalistes avancées d'Europe" parce qu'on aurait eu bien du mal à trouver dans un pays comme la Russie tsariste, où pourtant l'opportunisme a fleuri de la même façon qu'ailleurs, des "machines électorales" et des "appareils syndicaux". Quelle était alors la "base matérielle du centrisme" dans ce pays : les permanents ? Est-il nécessaire de rappeler à Mac Intosh qu'il y avait au moins autant de permanents et de "révolutionnaires professionnels" dans le parti bolchevik que chez les mencheviks ou les socialistes révolutionnaires ? Par quel miracle l'opportunisme qui a englouti ces deux dernières organisations a-t-il épargné les bolcheviks ? Voilà ce que ne nous explique pas la thèse de Mac Intosh.
Mais ce n'est pas là sa plus grande faiblesse. En réalité, cette thèse n'est qu'un avatar d'une approche qui, si elle est nouvelle dans le CCI, était déjà bien connue auparavant. Cette approche qui explique la dégénérescence des organisations prolétariennes par l'existence d'un "appareil", de "chefs" et de "dirigeants" est le bien commun des anarchistes d'autrefois, des libertaires et du conseillisme dégénéré d'aujourd'hui. Elle tend à rejoindre la vision de "Socialisme ou Barbarie" des années 30, qui "théorisait" la division de la société entre "dirigeants" et "dirigés" en lieu et place de la division en classes. Œuvres, tome 24, p. 69).
C'est vrai que la bureaucratie des appareils, de même que les fractions parlementaires, ont fréquemment servi d'appui à des directions opportunistes et centristes, députés au Parlement et les "permanents" des organisations prolétariennes ont souvent constitué un "terrain" de choix pour la pénétration du virus opportuniste. Mais expliquer l'opportunisme et le centrisme à partir de cette bureaucratie n'est pas autre chose qu'une stupidité simpliste relevant d'un déterminisme des plus vulgaires. C'est avec raison que Mac Intosh rejette la conception de Lénine basant l'opportunisme sur l'"aristocratie ouvrière". Mais au lieu de voir que cette conception avait le tort de fonder les divisions politiques au sein de la classe ouvrière sur des différences économiques (à l'image de la bourgeoisie où les divisions politiques reposent sur les différences entre groupes d'intérêt économiques) alors que l'intérêt "économique" est fondamentalement le même pour toute la classe, Mac Intosh régresse bien plus loin encore que Lénine. C'est des "appareils" et des "permanents" que proviendrait un problème qui affecte l'ensemble de la classe ouvrière. C'est de la même eau que la thèse trotskyste suivant laquelle "si les syndicats ne défendent pas les intérêts des ouvriers c'est à cause des mauvais dirigeants" sans jamais se demander pourquoi ils ont toujours eu, depuis plus de 70 ans, de tels dirigeants.
En réalité, si Lénine était allé chercher sa thèse de l'aristocratie ouvrière comme base de l'opportunisme dans une analyse erronée, non marxiste et réductionniste d'Engels, ce n'est même pas dans le "matérialisme mécaniste" et le "déterminisme économique vulgaire" dont il accuse Kautsky, que Mac Intosh est allé chercher la sienne, c'est dans la sociologie universitaire qui ne connaît pas les classes sociales mais seulement une multitude de catégories "socio-professionnelles".
Voilà ce qui s'appelle "pénétrer au-delà des apparences d'un phénomène pour saisir son essence" !
Et quand Mac Intosh veut couvrir ses prouesses de l'autorité des marxistes révolutionnaires en écrivant :
De même que la thèse sur l'aristocratie ouvrière, on peut contester la limitation du phénomène du centrisme à une expression de la transition entre les deux phases du mouvement ouvrier et de la vie du capitalisme telle qu'elle apparaît dans cette citation. Mais celle-ci a le mérite d'infliger un cuisant démenti à l'affirmation péremptoire de Mac Intosh sur les "marxistes révolutionnaires [qui] ont toujours" etc.
Mac Intosh a voulu jongler avec des morceaux d'histoire, avec opportunisme et centrisme, mais le tout lui retombe sur la tête et il se retrouve avec un œil au beurre noir.
Décidément, Mac Intosh et la "tendance" n'ont pas de chance avec l'histoire. Ils se proposent de démontrer que le "centrisme ne peut pas exister dans la période de décadence du capitalisme et ils ne se rendent pas compte que, le terme "centrisme" n'a été employé comme tel et de façon systématique qu'après le début de la première guerre mondiale, c'est-à-dire, après l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence. Certes, le phénomène du centrisme s'était déjà manifesté auparavant à de nombreuses reprises dans le mouvement ouvrier où il avait, par exemple, été qualifié de "marais". Mais ce n'est qu'avec le début de la décadence que ce phénomène, non seulement ne disparaît pas, mais au contraire, prend toute son ampleur et c'est pour cela que c'est à ce moment-là que les révolutionnaire l'identifient de façon claire, qu'ils en analysent l'ensemble des caractéristiques et en dégagent les spécificités. C'est bien pour cette raison aussi qu'ils lui donnent un nom spécifique.
C'est vrai qu'il arrive aux révolutionnaires d'être en retard sur la réalité, que "la conscience peut être en retard sur l'existence". Mais de là à croire que Lénine, qui ne commence à utiliser le terme centrisme qu'en 1914, était à ce point un retardataire, qu'il écrit des dizaines et des dizaines de pages sur un phénomène qui a cessé d'exister, ce n'est pas seulement faire injure à ce grand révolutionnaire, c'est se moquer du monde. C'est en particulier faire fi du fait que durant toute cette période de la guerre mondiale, Lénine et les bolcheviks étaient, comme on peut le voir par exemple à Zimmerwald, à l'extrême avant-garde du mouvement ouvrier. Que dire alors du retard de R. Luxemburg, de Trotsky (que Lénine considérait tous les deux comme centristes à cette époque) et autres grands noms du marxisme ? Que penser de ces courants communistes de gauche issus de la IIIe Internationale qui continuent à utiliser pendant des décennies les termes d'opportunisme et de centrisme ? De quel aveuglement n'ont-ils pas fait preuve ? Quel retard de leur conscience sur l'existence ! Heureusement que Mac Intosh et la "tendance" sont arrivés pour rattraper ce retard, pour découvrir, soixante-dix ans après, que tous ces révolutionnaires marxistes s'étaient trompés sur toute la ligne ! Et cela justement au moment où le CCI identifie dans ses rangs des glissements centristes vers le conseillisme dont les camarades de la "tendance" (mais pas les seuls) sont plus particulièrement les victimes.
Nous n'examinerons pas dans le cadre de cet article déjà très long, la façon dont s'est manifesté le phénomène du centrisme dans la classe ouvrière durant la période de décadence. Nous y reviendrons dans un autre article. Mais nous relèverons seulement le fait que l'article de Mac Intosh est construit comme un syllogisme :
Voilà qui semble imparable. On peut même ajouter que Mac Intosh n'avait même pas besoin de faire intervenir sa thèse idiote sur les "bases matérielles" du centrisme. L'ennui, avec la logique aristotélicienne, c'est que lorsqu'une prémisse est fausse, en l'occurrence la première, comme nous l'avons démontré, la conclusion n'a plus aucune valeur. Il ne reste plus au camarade Mac Intosh et à la "tendance" qu'à recommencer leur démonstration (et à s'informer un peu plus sur l'histoire réelle du mouvement ouvrier). Quant à leur mise au défi : "qu'on nous dise quelles sont précisément ces positions 'centristes' newlook ?" Nous leur répondrons qu'il existe effectivement une position "centriste" sur les syndicats (et même plusieurs), celle par exemple qui consiste à les identifier comme des organes de l'État capitaliste et à préconiser un travail en leur sein, de même qu'il existe une position centriste sur l'électoralisme : celle de Battaglia Comunista énoncée dans sa plateforme : "Conformément à sa tradition de classe, le parti décidera chaque fois du problème de sa participation suivant 1'intérêt politique de la lutte révolutionnaire" (Cf. Revue Internationale N°41, p.17).
Mac Intosh et la "tendance" iront-ils, eux qui sont si "logiques", jusqu'à prétendre que Battaglia Comunista est un groupe bourgeois, que, hors le CCI, il n'existe dans le monde aucune autre organisation révolutionnaire, aucun autre courant sur un terrain de classe ? À quand l'affirmation, .propre aux bordiguistes, que dans la révolution il ne peut y avoir qu'un parti unique et monolithique ? Sans s'en rendre compte, les camarades de la "tendance" sont en train de remettre complètement en cause la résolution adoptée (y compris par eux) lors du 2ème congrès du CCI sur "les groupes politiques prolétariens" (Revue Internationale N°11) qui montrait clairement l'absurdité de telles thèses.
C'est en montrant tous les dangers que représentait le centrisme pour la classe ouvrière que Lénine a mené durant la première guerre mondiale, le combat pour un internationalisme conséquent, qu'il a, avec les bolcheviks, préparé la victoire d'octobre 17. C'est en mettant en avant le danger d'opportunisme que les gauches communistes ont engagé la lutte contre l'orientation centriste de l'Internationale Communiste qui refusait de voir ou minimisait ce danger :
Pour la "tendance" qui accomplit l'exploit remarquable de réussir là où ces gauches avaient échoué : éliminer le centrisme et l'opportunisme du sein de l’IC), c'est par contre l'utilisation de la notion de centrisme qui a "toujours fini par effacer les frontières de classe" et "devient un symptôme majeur de corruption idéologique et politique de la part de marxistes qui l'ont employée".
Il ne sert à rien, comme le fait Mac Intosh, de décrire à longueur de pages les erreurs fatales de l'IC dans la constitution des partis communistes. Le CCI a toujours défendu, et continue de défendre, la position de la gauche communiste d'Italie, considérant que les mailles du filet de protection (les 21 conditions) dont s'est entourée l'IC contre l'entrée des courants opportunistes et centristes étaient trop larges. Par contre, c'est une falsification pure et simple de l'histoire que d'affirmer que l'IC a baptisé du nom de "centriste" les longuettistes et l'USPD afin de pouvoir les intégrer en son sein, alors que c'est de cette façon que Lénine a caractérisé ces courants depuis le début de la guerre. D'ailleurs Mac Intosh, dans cette partie de son article, fait une nouvelle preuve de son ignorance en affirmant que Longuet et Frossard avaient été, au même titre que Cachin, des "social-chauvins" lors de la guerre, nous lui conseillons de lire ce que disait Lénine là-dessus (notamment dans sa "Lettre ouverte à Boris Souvarine" Œuvres, tome 23, p. 215216)[13]
En fait, la "tendance" adopte une démarche de pure superstition : de même que certains paysans attardés n'osent pas prononcer le nom des calamités qui les menacent de peur de les provoquer, elle voit le danger pour les organisations révolutionnaires non là où il est vraiment -le centrisme- mais dans l'utilisation du terme qui permet justement d'identifier ce danger pour pouvoir le combattre.
Faut-il faire remarquer à ces camarades que c'est en bonne partie pour avoir nié ou n'avoir pas suffisamment compris le danger de l'opportunisme (si justement souligné par la gauche) que la direction de l'IC (Lénine et Trotsky en tête) a ouvert les portes à l'opportunisme qui allait engloutir cette organisation. Pour escamoter leurs propres glissements centristes vers le conseillisme, ces camarades adoptent à leur tour cette politique de l'autruche : "il n'y a pas de danger centriste", "le danger c'est l'utilisation de cette notion qui conduit à la complaisance envers le reniement des positions de classe". C'est tout le contraire qui est vrai. Si nous mettons en évidence le danger permanent du centrisme dans la classe et ses organisations ce n'est nullement pour lui tresser des couronnes, c'est au contraire pour pouvoir le combattre énergiquement, chaque fois qu'il se présente et, avec lui, tout l'abandon des positions de classe qu'il implique. C'est au contraire en niant ce danger qu'on désarme l'organisation et qu'on entrouvre la porte à ces reniements.
Faut-il également faire remarquer à ces camarades que le centrisme n'a pas épargné les plus grands révolutionnaires comme Marx (lorsqu'en 1872, après la Commune, il préconise pour certains pays la conquête du pouvoir par le parlement), Engels (lorsqu'en 1894 il tombe dans le "crétinisme parlementaire" qu'il avait si vigoureusement combattu auparavant), Lénine (lorsqu'à la tête de l'IC il combat plus énergiquement la gauche intransigeante que la droite opportuniste), Trotsky (lorsqu'il se fait le porte-parole du "centre" à Zimmerwald). Mais ce qui fait la force des grands révolutionnaires c'est justement leur capacité à redresser leurs erreurs y compris centristes. Et ce n'est qu'en étant capables d'identifier le danger qui les menace qu'ils y parviennent. C'est ce que nous souhaitons aux camarades de la "tendance" de comprendre avant qu'ils ne soient broyés par les engrenages de la démarche centriste qu'ils ont adoptée et dont le texte de Mac Intosh, avec ses libertés par rapport à l'histoire et à une pensée rigoureuse, avec ses faux-fuyants et ses tours de passe de prestidigitateur, constitue une illustration.
F.M.
[1] La tâche de la méthode marxiste est de pénétrer au-delà des apparences d'un phénomène pour saisir son essence.
[2] Une telle définition est floue et imprécise en termes de classe parce qu'elle n'est pas spécifique au prolétariat et pour la majorité du CCI le centrisme ne peut exister qu'au sein du prolétariat. Par contre, la conciliation, la vacillation, etc. sont aussi caractéristiques de la bourgeoisie à certaines époques où les tâches de la révolution bourgeoise démocratique n'ont pas encore été accomplies : Marx l'a souligné par rapport à la bourgeoisie allemande en 1848 et Lénine à propos de la bourgeoisie russe en 1905
[3] Une tendance elle-même divisée entre marxistes, anarcho-syndicalistes et libertaires.
[4] À Tours, Cachin et Frossard ont fait appel à leur ancien chef pour qu'il reste avec eux dans le nouveau parti.
[5] Ses futurs membres justifiaient leur vote aux crédits de guerre pendant deux ans par le fait que le Kultur allemand était menacé par les hordes slaves
[6] C'est dans ce sens que la tendance actuelle dans le CCI dit que la majorité de l'organisation tombe dans des positions trotskystes. Ceci ne veut pas dire que d'un seul coup l'organisation a adopté toutes les positions de Trotsky sur la défense de l'URSS, les questions syndicale et nationale, l'électoralisme, etc.
[7] Souvent les termes "centriste" et "contre-révolutionnaire" se trouvent dans la même phrase pour caractériser le stalinisme dans les pages de Bilan.
[8] Le PCI continue aujourd'hui à utiliser cette terminologie grotesque par rapport au stalinisme.
[9] Nous n'affirmons pas que c'est de façon délibérée et consciente que les camarades de la "tendance" exécutent ces tours de passe-passe et escamotent les vraies questions. Mais qu'ils soient sincères ou de mauvaise foi, qu'ils soient ou non eux-mêmes trompés par leurs propres contorsions intellectuelles importe peu. Ce qui importe c'est qu'ils trompent et mystifient leurs lecteurs et partant, la classe ouvrière. C'est à ce titre que nous dénonçons leurs contorsions.
[10] Que nous ne pouvons reproduire ici faute de place mais que nous encourageons nos lecteurs à lire
[11] Il est intéressant de noter que dans ce livre -et comme il a été relevé dans les colonnes de notre revue par la réponse faite par "Internationalisme" à ce livre (Revue Internationale n° 25 à 30) Pannekoek prend lui-même de curieuses libertés avec le marxisme en faisant des conceptions philosophiques de Lénine un indice majeur de la nature bourgeoise capitaliste d'État du parti bolchevik et de la révolution russe d'Octobre 17. Est-il étonnant que des camarades qui aujourd'hui glissent vers le conseillisme reprennent le même type d'arguments que le principal théoricien de ce courant ?
[12] Un programme qui sera commun aux deux fractions jusqu'à la révolution de 1917.
[13] Nous reviendrons également dans un autre article sur le problème de la nature de classe de l'USPD et de la formation des partis communistes.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn1
[2] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn2
[3] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn3
[4] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn4
[5] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn5
[6] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn6
[7] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn7
[8] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn8
[9] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn9
[10] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn10
[11] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref1
[12] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref2
[13] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref3
[14] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref4
[15] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref5
[16] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref6
[17] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref7
[18] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref8
[19] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref9
[20] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftnref10
[21] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[22] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[23] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn1
[24] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn2
[25] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn3
[26] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn4
[27] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn5
[28] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn6
[29] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn7
[30] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn8
[31] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn9
[32] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn10
[33] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn11
[34] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftn12
[35] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref1
[36] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref2
[37] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref3
[38] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref4
[39] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref5
[40] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref6
[41] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref7
[42] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref8
[43] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref9
[44] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref10
[45] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref11
[46] https://fr.internationalism.org/rinte40/cci.htm#_ftnref12
[47] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[48] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[49] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire
[50] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftn1
[51] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftn2
[52] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftn3
[53] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftn4
[54] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftn5
[55] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftn6
[56] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftn7
[57] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftn8
[58] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftnref1
[59] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftnref2
[60] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftnref3
[61] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftnref4
[62] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftnref5
[63] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftnref6
[64] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftnref7
[65] https://fr.internationalism.org/rinte40/conseil.htm#_ftnref8
[66] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/gauche-germano-hollandaise
[67] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/communisme-conseil
[68] https://fr.internationalism.org/rinte40/regroup.htm#_ftn1
[69] https://fr.internationalism.org/rinte40/regroup.htm#_ftn2
[70] https://fr.internationalism.org/rinte40/regroup.htm#_ftnref1
[71] https://fr.internationalism.org/rinte40/regroup.htm#_ftnref2
[72] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/tci-bipr
[73] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/polemique-milieu-politique-regroupement
[74] https://fr.internationalism.org/rinte40/alptraum.htm#_ftn1
[75] https://fr.internationalism.org/rinte40/alptraum.htm#_ftn2
[76] https://fr.internationalism.org/rinte40/alptraum.htm#_ftn3
[77] https://fr.internationalism.org/rinte40/alptraum.htm#_ftnref1
[78] https://fr.internationalism.org/rinte40/alptraum.htm#_ftnref2
[79] https://fr.internationalism.org/rinte40/alptraum.htm#_ftnref3
[80] https://fr.internationalism.org/tag/5/53/mexique
[81] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste
[82] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn1
[83] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn2
[84] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn3
[85] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn4
[86] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn5
[87] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn6
[88] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn7
[89] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn8
[90] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn9
[91] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftn10
[92] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref1
[93] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref2
[94] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref3
[95] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref4
[96] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref5
[97] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref6
[98] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref7
[99] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref8
[100] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref9
[101] https://fr.internationalism.org/rinte41/edito.htm#_ftnref10
[102] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution
[103] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[104] https://fr.internationalism.org/rinte41/crise.htm#_ftn1
[105] https://fr.internationalism.org/rinte41/crise.htm#_ftnref1
[106] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[107] https://fr.internationalism.org/rinte41/guerre.htm#_ftn1
[108] https://fr.internationalism.org/rinte41/guerre.htm#_ftnref1
[109] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre
[110] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/imperialisme
[111] https://fr.internationalism.org/tag/5/38/allemagne
[112] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-allemande
[113] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftn1
[114] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftn2
[115] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftn3
[116] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftn4
[117] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftn5
[118] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftn6
[119] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftnref1
[120] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftnref2
[121] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftnref3
[122] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftnref4
[123] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftnref5
[124] https://fr.internationalism.org/rinte41/regroup.htm#_ftnref6
[125] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftn1
[126] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftn2
[127] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftn3
[128] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftn4
[129] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftn5
[130] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftn6
[131] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftn7
[132] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftn8
[133] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftnref1
[134] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftnref2
[135] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftnref3
[136] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftnref4
[137] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftnref5
[138] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftnref6
[139] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftnref7
[140] https://fr.internationalism.org/rinte41/conseil.htm#_ftnref8
[141] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/question-syndicale
[142] https://fr.internationalism.org/rinte42/chomage.htm#_ftn1
[143] https://fr.internationalism.org/rinte42/chomage.htm#_ftnref1
[144] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/leconomie
[145] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decadence
[146] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/question-nationale
[147] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/question-nationale
[148] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftn1
[149] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftn2
[150] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftn3
[151] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftn4
[152] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftn5
[153] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftnref1
[154] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftnref2
[155] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftnref3
[156] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftnref4
[157] https://fr.internationalism.org/rinte42/ci.htm#_ftnref5
[158] https://fr.internationalism.org/tag/5/61/inde
[159] https://fr.internationalism.org/rinte42/debat.htm#_ftn1
[160] https://fr.internationalism.org/rinte42/debat.htm#_ftn2
[161] https://fr.internationalism.org/rinte42/debat.htm#_ftn3
[162] https://fr.internationalism.org/rinte42/debat.htm#_ftnref1
[163] https://fr.internationalism.org/rinte42/debat.htm#_ftnref2
[164] https://fr.internationalism.org/rinte42/debat.htm#_ftnref3
[165] https://fr.internationalism.org/rinte43/edito.htm#_ftn1
[166] https://fr.internationalism.org/rinte43/edito.htm#_ftnref1
[167] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/afrique
[168] https://fr.internationalism.org/tag/5/60/russie-caucase-asie-centrale
[169] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/stalinisme-bloc-lest
[170] https://fr.internationalism.org/rinte43/1905.htm#_ftn1
[171] https://fr.internationalism.org/rinte43/1905.htm#_ftn2
[172] https://fr.internationalism.org/rinte43/1905.htm#_ftn3
[173] https://fr.internationalism.org/rinte43/1905.htm#_ftnref1
[174] https://fr.internationalism.org/rinte43/1905.htm#_ftnref2
[175] https://fr.internationalism.org/rinte43/1905.htm#_ftnref3
[176] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/dictature-du-proletariat
[177] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/communist-workers-organisation
[178] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/debat
[179] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/opportunisme-centrisme
[180] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/conscience-classe