Au printemps dernier, le CCI a tenu son 25econgrès international. Véritable assemblée générale, le congrès est un moment privilégié de la vie de notre organisation ; il est la plus haute expression du caractère centralisé et international du CCI. Le congrès permet à l’ensemble de notre organisation, comme un tout, de débattre, clarifier et s’orienter. Il constitue notre organe souverain. Comme tel il a pour tâches :
Or, les organisations révolutionnaires n'existent pas pour elles-mêmes. Elles sont à la fois l’expression du combat historique du prolétariat et la partie la plus déterminée de ce même combat. C’est la classe ouvrière qui confie ses organisations aux révolutionnaires, pour qu’elles puissent jouer leur rôle : être un facteur actif dans le développement de la conscience et du combat prolétarien vers la révolution.
Il appartient ainsi aux révolutionnaires de rendre compte de leurs travaux à l'ensemble de la classe. En publiant une large partie des documents adoptés à notre dernier congrès, telle est la mission que se donne ce numéro de notre Revue Internationale.
La première tâche de ce congrès était de prendre la mesure de la gravité de la situation historique.
Comme l’indique le rapport sur la Lutte de classe, avec le Covid 19, le conflit en Ukraine et l’accroissement de l’économie de guerre partout, la crise économique et son inflation ravageuse, avec le réchauffement climatique et la dévastation de la nature, avec la montée du chacun pour soi, de l’irrationnel et de l’obscurantisme, la décomposition de tout le tissu social, les années 2020 ne voient pas seulement s’additionner les fléaux meurtriers ; tous ces fléaux convergent, se combinent et s’alimentent en une sorte "d’effet tourbillon". Cette dynamique catastrophique du capitalisme mondial signifie ainsi bien plus qu’une aggravation de la situation internationale. Elle met en jeu la survie même de l’Humanité.
Le 25e congrès international a adopté comme premier rapport une "Actualisation des thèses sur la décomposition".
Le CCI avait adopté en mai 1990 des thèses intitulées "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste" qui présentaient notre analyse globale de la situation du monde au moment et à la suite de l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est, fin 1989. L'idée centrale de ces thèses était que la décadence du mode de production capitaliste, qui avait débuté lors de la Première Guerre mondiale, était entrée dans une nouvelle phase de son évolution, celle dominée par la décomposition générale de la société. 27 ans plus tard, lors de son 22e congrès, en 2017, notre organisation avait estimé nécessaire de procéder à une première actualisation de ces thèses par l'adoption d'un texte intitulé "Rapport sur la décomposition aujourd’hui (Mai 2017)". Ce texte mettait en évidence que non seulement l'analyse adoptée en 1990 avait amplement été vérifiée par l'évolution de la situation, mais aussi que certains aspects avaient pris une importance nouvelle : l'explosion des flux de réfugiés fuyant les guerres, la famine, les persécutions, la montée du populisme xénophobe venant impacter de façon croissante la vie politique de la classe dominante…
Aujourd’hui, seulement 6 ans après, le CCI a estimé nécessaire de procéder à une nouvelle actualisation des textes de 1990 et de 2017. Pourquoi si vite ? Parce que nous assistons à une amplification spectaculaire des manifestations de cette décomposition générale de la société capitaliste.
Face à l’évidence des faits, la bourgeoisie elle-même est obligée de reconnaître cette plongée vertigineuse du capitalisme dans le chaos et le pourrissement. Notre rapport cite ainsi largement des textes destinés aux dirigeants politiques et économiques de la planète, tel le "Global Risks Report" (GRR) basé sur les analyses d'une multitude d'"experts" et qui, chaque année, est présenté au forum de Davos (World Economic Forum -WEF). Le CCI reprend ici à son compte une méthode du mouvement ouvrier consistant à s'appuyer sur les travaux des experts de la bourgeoisie pour faire ressortir les statistiques et les faits qui révèlent la réalité du monde capitaliste. On retrouve la même méthode dans des classiques du marxisme, comme La classe laborieuse en Angleterre de Engels ou Le Capital de Marx. Dans le GRR, on peut ainsi lire :"Les premières années de cette décennie ont annoncé une période particulièrement perturbée de l'histoire humaine. … COVID-19…guerre en Ukraine… crises alimentaires et énergétiques… inflation… affrontements géopolitiques et spectre de la guerre nucléaire… niveaux d'endettement insoutenables… déclin du développement humain… tous ces éléments convergent pour façonner une décennie unique, incertaine et troublée."
Les experts de la bourgeoisie mettent ici le doigt sur une dynamique qu'ils ne peuvent fondamentalement pas comprendre. Oui, en effet, "Tous ces éléments convergent pour façonner une décennie unique, incertaine et troublée." Mais ils ne peuvent que s’arrêter à ce constat. Ils qualifient d’ailleurs cette dynamique de "polycrises", comme s’il s’agissait de crises différentes qui ne font que s’additionner. En réalité, et seule notre théorie de la décomposition permet de le comprendre, derrière cette explosion des pires fléaux du capitalisme se cache une seule et même dynamique : le pourrissement sur pied de ce système décadent. Le mode de production capitaliste n’a plus aucune perspective à offrir, et compte-tenu de l’incapacité du prolétariat jusqu’à aujourd’hui développer son projet révolutionnaire, c’est toute l’humanité qui plonge dans le no futur et ses conséquences : irrationalité, repli sur soi, atomisation… C’est donc dans cette absence de perspective que se trouve enfouie la racine la plus profonde de la putréfaction de la société, sous tous ses plans.
Même dans le camp prolétarien, il y a une tendance à avancer une cause spécifique et isolée face à chacune des manifestations catastrophiques de l'histoire présente ; à ne pas voir la cohérence de l’ensemble du processus en cours. Le danger est alors grand de :
Il nous faut nous attarder un peu sur ce risque de sous-estimer le danger de la situation historique de décomposition. À première vue, en hurlant à l’éclatement de la troisième guerre mondiale, on se dit qu’on prévoit le pire. En réalité, et la guerre en Ukraine le confirme à nouveau, le processus réel qui peut mener à la barbarie généralisée, voire à la destruction de l’humanité, est une combinaison de facteurs : la guerre qui se répand à travers une multiplication des conflits (Moyen-Orient, Proche-Orient, les Balkans, l’Est de l’Europe, etc.) de plus en plus imprévisibles et irrationnels, le climat qui se réchauffe avec son lot de catastrophes, le gangstérisme et le no futur qui gangrènent des partie de plus en plus larges de la population mondiale,… ce processus de pourrissement est d’autant plus dangereux qu’il est comme insaisissable, sournois, qu’il s’insinue progressivement dans tous les pores de la société.
Et parmi les différents facteurs qui alimentent la plongée dans la décomposition, la guerre (et le développement généralisé du militarisme) en constitue le facteur central, en tant qu'acte voulu et délibéré de la classe dominante.
C’est pourquoi la situation impérialiste a constitué le second rapport débattu à notre congrès : "La phase de décomposition accentue en particulier un des aspects les plus pernicieux de la guerre en décadence : son irrationalité. Dès lors, les effets du militarisme deviennent toujours plus imprédictibles et désastreux. Nos matérialistes vulgaires ne comprennent pas cet aspect et nous objectent que les guerres ont toujours une motivation économique, et donc une rationalité. Ils ne voient pas que les guerres actuelles ont fondamentalement des motivations non pas économiques mais géostratégiques, et même que ces dernières n’atteignent plus leurs objectifs de départ, mais aboutissent à un résultat opposé. (…) La guerre en Ukraine en est une confirmation exemplaire : quels que soient les objectifs géostratégiques des impérialismes russes ou américains, le résultat sera un pays en ruine (l’Ukraine), un pays ruiné économiquement et militairement (la Russie), une situation impérialiste encore plus tendue et chaotique de l’Europe à l’Asie centrale et enfin des millions de réfugiés en Europe."
Dans l’organisation, quelques camarades ont un désaccord très important avec cette analyse de la dynamique impérialiste actuelle. Pour eux, la guerre en Ukraine ne concrétise pas seulement une tendance à la bipolarisation du monde. Autour de la Chine d’un côté et des États-Unis de l’autre, seraient en train de se dessiner deux camps de plus en plus clairement définis, deux camps qui, à terme, pourraient se constituer en blocs et s’affronter dans une troisième guerre mondiale.
Le congrès a constitué une nouvelle occasion de leur répondre : "Les conséquences du conflit en Ukraine ne mènent nullement à une "rationalisation" des tensions à travers un alignement "bipolaire" des impérialismes derrière deux "parrains" dominants, mais au contraire à l’explosion d’une multiplicité d’ambitions impérialistes, qui ne se limitent pas à celles des impérialismes majeurs, ou à l’Europe de l’Est et l’Asie Centrale, ce qui accentue le caractère chaotique et irrationnel des confrontations."
Pour être à la hauteur de leurs responsabilités et identifier l’ensemble des dangers qui planent au-dessus de l’humanité, et tout particulièrement de la classe ouvrière, les révolutionnaires doivent comprendre la cohérence de l’ensemble de la situation et sa réelle gravité. Notre rapport montre que seule la méthode marxiste et son matérialisme permettent une telle compréhension, mais un matérialisme qui n’est pas vulgaire, un matérialisme dialectique et historique capable d'embrasser l’ensemble des facteurs dans leur relation et leur mouvement, un matérialisme qui intègre la force de la pensée dans sa relation et son influence à l’ensemble du monde matériel parce que la pensée est l'une des forces motrices de l’Histoire. Notre rapport fait ressortir quatre points centraux qui appartiennent à cette méthode :
Appliquée à la situation historique ouverte en 1989/90, elle se traduit de la sorte : des manifestations de décomposition pouvaient exister dans la décadence du capitalisme mais, aujourd'hui, l'accumulation de ces manifestations fait la preuve d'une transformation-rupture dans la vie de la société, signant l'entrée dans une nouvelle époque de la décadence capitaliste où la décomposition devient l'élément déterminant.
C'est un des phénomènes majeurs de la situation présente. Les différentes manifestations de la décomposition qui, au début, pouvaient sembler indépendantes mais dont l'accumulation indiquait déjà que nous étions entrés dans une nouvelle époque de la décadence capitaliste, se répercutent maintenant de façon croissante les unes sur les autres dans une sorte de "réaction en chaîne qui s'amplifie de plus en plus", de "tourbillon" qui imprime à l'histoire l'accélération dont nous sommes les témoins. Ces effets cumulés dépassent ainsi désormais de très loin leur simple addition.
Dans cette approche historique, il s'agit de rendre compte du fait que les réalités qu'on examine ne sont pas des choses statiques, intangibles, ayant existé de tout temps mais correspondent à des processus en constante évolution avec des éléments de continuité mais aussi, et surtout, de transformation et même de rupture.
La dialectique marxiste attribue au futur une place fondamentale dans l'évolution et le mouvement de la société. Des trois moments d'un processus historique, le passé, le présent, le futur, c'est ce dernier qui constitue le facteur fondamental de sa dynamique. Et c'est justement parce que la société actuelle est privée de cet élément fondamental, le futur, la perspective (ce qui est ressenti par de plus en plus de monde, notamment dans la jeunesse), une perspective que seul le prolétariat peut lui offrir, qu'elle s'enfonce dans le désespoir et qu'elle pourrit sur pieds.
C’est cette méthode qui permet à notre résolution sur la situation internationale d’élever notre analyse de l’abstrait au concret : "…nous assistons aujourd'hui à cet "effet tourbillon" où toutes les différentes expressions d'une société en décomposition interagissent entre elles et accélèrent la descente vers la barbarie. Ainsi, la crise économique a été de façon manifeste aggravée par la pandémie et les lock-downs, la guerre en Ukraine, et le coût croissant des désastres écologiques ; pendant ce temps, la guerre en Ukraine aura de graves implications au niveau écologique et dans le monde entier ; la compétition pour des ressources naturelles qui s'amenuisent exacerbera encore plus les rivalités militaires et les révoltes sociales."
De l’autre côté de ce pôle de destruction se trouve le pôle de la perspective révolutionnaire du prolétariat.
Les derniers mois qui se sont écoulés montrent que le prolétariat non seulement n’est pas vaincu mais qu’il commence même à redresser la tête, à retrouver le chemin de la lutte. Dès l’été 2022, le CCI a su reconnaitre dans les grèves au Royaume-Uni un changement dans la situation de la classe ouvrière. Dans notre tract international publié le 31 août, "La bourgeoisie impose de nouveaux sacrifices, la classe ouvrière répond par la lutte", nous écrivions ainsi : ""Enoughisenough", "trop c'est trop". Voilà le cri qui s’est propagé d’écho en écho, de grève en grève, ces dernières semaines au Royaume-Uni. Ce mouvement massif baptisé "L’été de la colère" (…) implique chaque jour des travailleurs dans plus en plus de secteurs (…). Il faut remonter aux immenses grèves de 1979 pour trouver un mouvement plus important et massif. Un mouvement d'une telle ampleur dans un pays aussi important que le Royaume-Uni n'est pas un événement "local". C'est un événement de portée internationale, un message aux exploités de tous les pays. (…) le retour des grèves massives au Royaume-Uni marque le retour de la combativité du prolétariat mondial".
Théoriquement armé pour comprendre les grèves et les manifestations qui ont émergé dans de nombreux pays, le CCI a pu intervenir, à la hauteur de ses forces, en diffusant huit tracts différents, afin de suivre l’évolution du mouvement et de la réflexion de la classe ouvrière. Tous ces tracts ont en commun de souligner :
Là aussi, comme pour la guerre en Ukraine, un désaccord et un débat existe au sein de l’organisation. Les mêmes camarades qui croient voir dans la guerre en Ukraine un pas vers la constitution des blocs et la troisième guerre mondiale, avancent l’idée que les luttes et la combativité ouvrières actuelles ne constituent pas de rupture dans une dynamique négative depuis les années 1980s avec une longue série de défaites qui ne sont pas définitives mais ont conduit à une faiblesse particulièrement grave surtout au niveau de la conscience. Dans cette vision, "dans un monde capitaliste qui, plus que jamais depuis 1989, s'achemine de façon chaotique et "naturelle" vers la guerre, la réponse du prolétariat au niveau politique reste très en deçà de ce que la situation exige de lui" (un des amendements des camarades, rejeté par le congrès, à la résolution sur la situation internationale). Pour eux, la situation actuelle, sans être identique (cf. cours historique), rappelle celle des années 1930, avec un prolétariat combatif dans beaucoup de pays centraux mais quand même incapable d’éviter la guerre. "(…), pour l'instant, le développement nécessaire d'assemblées de masse et d'une véritable culture du débat n'a pas encore eu lieu. Pas plus que l'émergence d'une nouvelle génération de militants prolétariens politisés." (ibid.) Un autre argument est avancé pour expliquer l’ampleur des mouvements sociaux et la prolifération des grèves dans de très nombreux pays : le manque de main d’œuvre dans beaucoup de secteurs et le besoin de faire tourner à plein l’économie de guerre rendent la situation favorable pour la classe ouvrière pour réclamer une hausse des salaires. Pour le congrès, la réalité qui se développe sous nos yeux, à savoir la vague de paupérisation en cours, avec des prix qui flambent tandis que les salaires stagnent et que les attaques gouvernementales pleuvent, apporte un démenti à cette théorie.
Pour les camarades, les tracts qu’a diffusé le CCI, environ 150 000, dans les différents mouvements sociaux ces derniers mois, ne correspondent pas aux besoins de la situation. En cohérence avec leur analyse d’un prolétariat presque vaincu et d’une dynamique vers la constitution de deux blocs et la guerre mondiale, la première tâche des révolutionnaires n’est pas l’intervention mais l’implication dans l'approfondissement théorique.
Le congrès tire au contraire un bilan très positif de l'intervention internationale de l’organisation dans les luttes. Le CCI savait qu'il n'influencerait pas l’ensemble de la classe et du mouvement, les organisations révolutionnaires ne peuvent avoir un tel impact dans la période historique actuelle ; ce rôle d’orienter les masses n’est possible seulement quand la classe a développé sa conscience et son combat historique à un niveau bien supérieur. Cette intervention s’adressait à une partie de la classe ouvrière, la minorité qui est aujourd’hui en recherche des positions de classe. Le nombre significatif de discussions que la distribution de ces tracts dans les cortèges a provoquées, les courriers reçus, les nouvelles venues à nos différentes réunions publiques montrent que notre intervention a joué son rôle : stimuler la réflexion d'une partie des minorités, provoquer le débat et inciter au regroupement des forces révolutionnaires.
Derrière la reconnaissance immédiate de la signification historique du retour de la lutte de classe au Royaume-Uni et de ses implications pour notre intervention dans la lutte, il y a la même méthode qui nous a permis d’appréhender la nouveauté dans l’accélération actuelle de la décomposition, avec son "effet tourbillon" : la transformation de la quantité en qualité, l’approche historique… mais l’une des facettes de cette méthode a ici une importance toute particulière : l’approche de l’événement par sa dimension internationale.
C’est déjà cette prise en compte de la dimension forcément internationale de la lutte de classe qui, en 1968, avait permis à ceux qui allaient fonder le CCI d’appréhender immédiatement le sens réel et profond des événements de Mai. Alors que tout le milieu politique prolétarien d’alors n’y voyait qu’une révolte estudiantine, et prétendait qu’il n’y avait "rien de nouveau sous le soleil", notre camarade Marc Chirik et les militants qui commençaient à s’agréger ont vu que ce mouvement annonçait la fin de la contre-révolution et l’ouverture d’une nouvelle période de lutte de classe à l’échelle internationale.
Voilà pourquoi le point 8 de la résolution internationale que nous avons adoptée, explicitement nommé "La rupture avec 30 ans de recul et de désorientation", affirme : "La reprise de la combativité ouvrière dans un certain nombre de pays est un événement historique majeur qui ne résulte pas seulement de circonstances locales et ne peut s'expliquer par des conditions purement nationales.(…) Le fait que les luttes actuelles aient été initiées par une fraction du prolétariat qui a le plus souffert du recul général de la lutte de classe depuis la fin des années 80 est profondément significatif : de même que la défaite en Grande-Bretagne en 1985 annonçait le recul général de la fin des années 80, le retour des grèves et de la combativité ouvrière en Grande-Bretagne révèle l'existence d'un courant profond au sein du prolétariat du monde entier."
En réalité, nous nous étions préparés à cette éventualité dès le début de l’année 2022 ! En janvier, nous avons publié un tract international qui annonçait "Vers une dégradation brutale des conditions de vie et de travail". En nous appuyant sur les indices de développement de la lutte qui commençait à poindre, nous annoncions la possibilité d’une riposte de notre classe. Le retour de l’inflation constituait en effet un terreau fertile à la combativité ouvrière.
Un mois après, l’éclatement de la guerre en Ukraine aggravait encore considérablement les effets de la crise économique, en faisant exploser les prix de l’énergie et de l’alimentation.
Conscient des difficultés profondes de notre classe, mais aussi connaissant l’histoire des luttes, le CCI savait qu’il n’y aurait pas de réaction directe et d’ampleur de notre classe face à la barbarie guerrière, mais qu’il y avait par contre la possibilité d’une réaction vis-à-vis des effets de la guerre à "l’arrière", en Europe et aux Etats-Unis[1] : des grèves face aux sacrifices demandés au nom de l’économie de guerre. Et c’est ce qui s’est effectivement produit.
Sur ces fondements théoriques et historiques, le CCI ne s’est pas illusionné quant à la possibilité d’une réaction de la classe face à la guerre, il n’a pas cru voir partout des comités internationalistes fleurir, il a encore moins cherché à en créer artificiellement. Notre réponse a, avant tout, été d’essayer de défendre le plus fermement possible la tradition internationaliste de la Gauche Communiste en appelant toutes les forces du milieu politique prolétarien à se regrouper autour d’une déclaration commune. Si une grande partie du milieu a ignoré ou même rejeté[2] notre appel, trois groupes (Internationalist Voice, Istituo Onorato Damen et Internationalist Communist Perspective) ont répondu présent pour maintenir vivante la méthode de lutte et de regroupement des forces internationales qu’avaient initiée les conférences de Zimmerwald et de Kienthal, en septembre 1915 et avril 1916 face à la Première guerre mondiale[3].
Les villages de Zimmerwald et de Kienthal, en Suisse, sont devenus célèbres en tant que lieux de rencontre des socialistes des deux camps lors de la Première Guerre mondiale, afin d’entamer une lutte internationale pour mettre fin à la boucherie et dénoncer les dirigeants patriotes des partis sociaux-démocrates. C’est lors de ces réunions que les bolcheviks, soutenus par la Gauche de Brême et la Gauche Hollandaise, ont mis en avant les principes essentiels de l’internationalisme contre la guerre impérialiste qui sont toujours valables aujourd’hui : aucun soutien à l’un ou l’autre des camps impérialistes, le rejet de toutes les illusions pacifistes, et la reconnaissance que seules la classe ouvrière et sa lutte révolutionnaire peuvent mettre fin au système qui est basé sur l’exploitation de la force de travail et qui en permanence produit la guerre impérialiste. Aujourd’hui, face à l’accélération du conflit impérialiste en Europe, il est du devoir des organisations politiques basées sur l’héritage de la Gauche Communiste de continuer à brandir la bannière d’un internationalisme prolétarien cohérent et de fournir un point de référence à ceux qui défendent les principes de la classe ouvrière. Tel est, du moins, le choix des organisations et groupes de la Gauche Communiste qui ont décidé de publier cette déclaration commune afin de diffuser le plus largement possible les principes internationalistes qui ont été forgés contre la barbarie de la guerre mondiale.
Cette façon de regrouper les forces révolutionnaires autour des principes fondamentaux de la gauche communiste est une leçon historique pour l’avenir. Zimmerwald hier, la déclaration commune aujourd’hui sont des petites pierres blanches qui indiqueront le chemin à suivre demain.
Les débats préparatoires et le congrès lui-même ont eu à cœur de se pencher sur la question essentielle de la construction de l’organisation. S’il s’agit, à l’évidence, de la dimension centrale des activités du CCI, cette préoccupation pour l’avenir dépasse largement notre seule organisation.
"Face à l'affrontement croissant des deux pôles de l'alternative - destruction de l'humanité ou révolution communiste - les organisations révolutionnaires de la gauche communiste, et le CCI en particulier, ont un rôle irremplaçable à jouer dans le développement de la conscience de classe, et doivent consacrer leur énergie au travail permanent d'approfondissement théorique, à proposer une analyse claire de la situation mondiale, et à intervenir dans les luttes de notre classe pour défendre la nécessité de l'autonomie, de l'auto-organisation et de l'unification de la classe, et du développement de la perspective révolutionnaire. Ce travail ne peut être réalisé que sur la base d'un patient travail de construction de l'organisation, jetant les bases du parti mondial de demain. Toutes ces tâches exigent une lutte militante contre toutes les influences de l'idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise dans le milieu de la gauche communiste et du CCI lui-même. Dans la conjoncture actuelle, les groupes de la gauche communiste sont confrontés au danger d'une véritable crise : à quelques exceptions près, ils ont été incapables de s'unir pour défendre l'internationalisme face à la guerre impérialiste en Ukraine et sont de plus en plus ouverts à la pénétration de l'opportunisme et du parasitisme. Une adhésion rigoureuse à la méthode marxiste et aux principes prolétariens constitue la seule réponse à ces dangers." (point 9 de la résolution sur la situation internationale).
Pour qu’à terme la révolution soit possible, le prolétariat devra avoir entre les mains l’arme du Parti. C’est cette construction future du Parti qu’il s’agit dès aujourd’hui de préparer. Autrement dit, une minorité de révolutionnaires organisés porte sur ses épaules la responsabilité de faire vivre les organisations actuelles, de faire vivre les principes historiques du mouvement ouvrier et particulièrement de la Gauche Communiste, de transmettre ces principes et ces positions à la nouvelle génération qui va peu à peu rejoindre le camp révolutionnaire.
Tout esprit de concurrence, tout opportunisme, toute concession à l’idéologie bourgeoise et au parasitisme au sein du milieu politique prolétarien sont autant de coups de poignards plantés dans le dos de la révolution. Dans le contexte très difficile de l’accélération de la décomposition, qui déboussole, qui pousse au chacun pour soi, qui mine la confiance dans la capacité de la classe et ses minorités à s’organiser et à s’unir, il est de la responsabilité des révolutionnaires de ne pas céder et de continuer à porter haut l’étendard des principes de la Gauche Communiste.
Les organisations révolutionnaires doivent relever un défi immense : être capables de transmettre l’expérience accumulée par la génération qui a émergé de la vague de Mai 68.
Depuis la fin des années 1960, soit durant presque soixante ans, le capitalisme mondial décadent s’est enfoncé lentement dans une crise économique sans fin et une barbarie croissante. Si de 1968 au milieu des années 1980, le prolétariat a mené toute une série de luttes et accumulé une grande expérience, notamment dans sa confrontation au syndicat, la lutte de classe a fortement reculé à partir de 1985/1986 et s’est presque éteinte jusqu’à aujourd’hui. Dans ce contexte très difficile, très peu de forces militantes ont rejoint les organisations révolutionnaires. C’est toute une génération qui, sous le coup de la propagande mensongère de "la mort du communisme" en 1989/1990, a été perdue. Depuis, avec le développement de la décomposition qui attaque de façon sournoise la conviction militante en favorisant le no futur, l’individualisme, la perte de confiance dans le collectif organisé et dans le combat historique de la classe ouvrière, de nombreuses forces militantes ont peu à peu abandonné le combat et disparu.
Alors oui, aujourd’hui l’avenir de l’humanité repose sur un nombre d’épaules très restreint et éparpillé à travers le monde. Oui, l’état désastreux du milieu politique prolétarien, gangréné par l’esprit de concurrence et l’opportunisme, rend les chances de réussites de la révolution encore plus faibles. Et oui, justement, le rôle des organisations révolutionnaires en général, et du CCI en particulier, est encore plus vitale. Transmettre, aux nouvelles générations de militants révolutionnaires qui commencent tout doucement à arriver, les leçons de notre histoire et des organisations pleines du souffle révolutionnaire des générations militantes du passé est la clef de l’avenir.
CCI, le 11 juin 2023
[1]Notre rapport sur la lutte de classe et le débat au congrès ont une nouvelle fois rappelé le rôle crucial du prolétariat des pays occidentaux qui, par son histoire et son expérience, aura la responsabilité de montrer au prolétariat mondial la voie vers la révolution. Notre rapport rappel d’ailleurs amplement notre position sur "la critique du maillon faible". C’est aussi cette approche qui nous a permis d’être conscients de l’hétérogénéité du prolétariat selon les aires de la planète, de l’immense faiblesse du prolétariat des pays de l’Est et d’anticiper la possibilité de conflits dans la région des Balkans. Ainsi, dès ce printemps, notre rapport parvenait à tirer les leçons de la guerre en Ukraine et prévoir que : "L’incapacité de la classe ouvrière de ce pays à s’opposer à la guerre et à son embrigadement, incapacité qui a ouvert la possibilité de cette boucherie impérialiste, indique à quel point la barbarie et la pourriture capitalistes gagnent du terrain sur des parties de plus en plus larges du globe. Après l’Afrique, le Proche-Orient et l’Asie centrale, c’est autour d’une partie de l’Europe centrale d’être menacée par le risque de plonger à terme dans le chaos impérialiste ; l’Ukraine a montré qu’il y a là, dans certains pays satellites de l’ex-URSS, en Biélorussie, en Moldavie, en ex-Yougoslavie, un prolétariat très affaibli par des décennies d’exploitation forcenée par le stalinisme au nom du Communisme, le poids des illusions démocratiques et gangrené par le nationalisme pour que la guerre puisse faire rage. Au Kosovo, en Serbie et au Monténégro, les tensions montent effectivement."
[2] La TCI a ainsi préféré se compromettre dans l’aventure des No war but the class war. Lire notre article "Un comité qui entraîne les participants dans l’impasse [2]"
[3] Le texte se trouve ici : "Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukraine [3]" .
Le texte du CCI sur les perspectives qui s'ouvrent dans les années 2020[1] affirme que les multiples contradictions et crises du système capitaliste mondial -économiques, sanitaires, militaires, écologiques, sociales- se rejoignent de plus en plus, interagissent, pour créer une sorte d'"effet tourbillon" qui fait de la destruction de l'humanité une issue de plus en plus probable. Cette conclusion est devenue tellement évidente que des parties importantes de la classe dirigeante dressent un tableau similaire. Le rapport 2021-22 de l'ONU sur le développement humain avait déjà tiré la sonnette d'alarme, mais le rapport "Global Risk" du Forum économique mondial (WEF), publié en janvier 2023, est encore plus explicite, puisqu'il parle de la "polycrise" à laquelle la civilisation humaine est confrontée : "En ce début d'année 2023, le monde est confronté à un ensemble de risques qui semblent à la fois totalement nouveaux et étrangement familiers. Nous avons assisté à un retour des "anciens" risques - inflation, crises du coût de la vie, guerres commerciales, sorties de capitaux des marchés émergents, troubles sociaux généralisés, affrontements géopolitiques et spectre de la guerre nucléaire - que peu de chefs d'entreprise et de décideurs publics de cette génération ont connus. Ces phénomènes sont amplifiés par des évolutions relativement nouvelles dans le paysage mondial des risques, notamment des niveaux d'endettement insoutenables, une nouvelle ère de faible croissance, de faibles investissements mondiaux et de démondialisation, un déclin du développement humain après des décennies de progrès, le développement rapide et sans contrainte de technologies à double usage (civil et militaire), et la pression croissante des impacts et des ambitions du changement climatique dans une fenêtre de transition de plus en plus étroite vers un monde à 1,5°C. Tous ces éléments convergent pour façonner une décennie à venir unique, incertaine et turbulente".
Voilà la bourgeoisie qui se parle honnêtement à elle-même au sujet de la situation mondiale actuelle, même si elle ne peut que s'illusionner sur la possibilité de trouver des solutions dans le cadre du système existant. Et elle continuera à vendre ces illusions à la population mondiale, aidée et soutenue par de nombreux partis politiques et campagnes de protestation qui proposent des programmes à consonance radicale qui ne remettent jamais en question les relations sociales capitalistes qui ont donné naissance à la catastrophe imminente.
Pour nous, communistes, il ne peut y avoir de solution sans l'abolition des rapports capitalistes et la mise en place d'une société communiste à l'échelle de la planète. Et, ce que le WEF désigne comme un autre "risque" dans la période à venir - "l'agitation sociale généralisée" - constitue, si l'on démêle ce terme de tous les divers mouvements bourgeois ou interclassistes qu'il range dans cette catégorie, l'alternative opposée à laquelle l'humanité est confrontée : la lutte de classe internationale, qui seule peut conduire au renversement du capital et à l'instauration du communisme.
La bourgeoisie n'est pas capable de situer la "polycrise" dans les contradictions économiques insolubles qui découlent des rapports sociaux antagonistes existants, mais en voit la cause dans l'abstraction de "l'activité humaine" ; elle ne peut pas non plus les situer dans un cadre historique cohérent. Pour les communistes, au contraire, la trajectoire catastrophique du capitalisme mondial est le résultat de plus d'un siècle de décadence de ce mode de production.
La guerre de 1914-18, et la vague révolutionnaire qu'elle a provoquée, ont conduit le premier congrès de l'Internationale communiste à proclamer que le capitalisme avait atteint son époque de "désintégration intérieure", de "guerres et révolutions", offrant le choix entre le socialisme et la descente dans la barbarie et le chaos. La défaite des premières tentatives révolutionnaires du prolétariat ont signifié que les événements de la fin des années 20, puis des années 30 et 40 (la plus grande dépression économique de l'histoire du capitalisme, une guerre mondiale encore plus dévastatrice, des génocides systématiques, etc.), ont fait pencher la balance vers la barbarie, et après la Seconde Guerre mondiale, le conflit entre les blocs américain et russe a confirmé que le capitalisme décadent avait désormais la capacité de détruire l'humanité. Mais la décadence du capitalisme s'est poursuivie à travers une série de phases : le boom économique de l'après-guerre, le retour de la crise ouverte à la fin des années 1960, la résurgence de la classe ouvrière internationale après 1968. Cette dernière a mis fin à la domination de la contre-révolution, entravant la marche vers une nouvelle guerre mondiale et ouvrant une nouvelle voie historique vers les confrontations de classes, qui contenait le potentiel pour la renaissance de la perspective communiste. Mais l'incapacité de la classe ouvrière dans son ensemble à développer cette perspective a conduit à une impasse entre les classes qui est devenue de plus en plus évidente dans les années 1980. L'effondrement de l'ancien ordre mondial impérialiste après 1989 a confirmé et accéléré l'ouverture d'une phase qualitativement nouvelle et terminale de l'époque de la décadence, que nous appelons la décomposition du capitalisme. Le fait que cette phase soit caractérisée par une tendance croissante au chaos dans les relations internationales, a ajouté un obstacle supplémentaire à une trajectoire vers la guerre mondiale, mais cela n'a en aucun cas rendu l'avenir de la société humaine plus sûr. Dans nos Thèses sur la décomposition [6], publiées en 1990, nous avions prédit que la décomposition de la société bourgeoise pourrait conduire à la destruction de l'humanité sans guerre mondiale entre blocs impérialistes organisés, par une combinaison de guerres régionales, de destruction écologique, de pandémies et d'effondrement social. Nous avions également prédit que le cycle de luttes ouvrières des années 1968-89 touchait à sa fin et que les conditions de la nouvelle phase entraîneraient des difficultés majeures pour la classe ouvrière.
La situation actuelle du capitalisme mondial apporte une confirmation éclatante de ce pronostic. Les années 2020 se sont ouvertes sur la pandémie de Covid, suivie en 2022 par la guerre en Ukraine. Dans le même temps, nous avons assisté à de nombreuses confirmations de la crise écologique planétaire (canicules, inondations, fonte des calottes polaires, pollution massive de l'air et des océans, etc.). Depuis 2019, nous vivons également une nouvelle plongée dans la crise économique, les "remèdes" à la crise dite financière de 2008 révélant toutes leurs limites. Mais alors que dans les décennies précédentes, la classe dirigeante des grands pays avait réussi dans une certaine mesure à préserver l'économie de l'impact de la décomposition, nous assistons aujourd'hui à cet "effet tourbillon" où toutes les différentes expressions d'une société en décomposition interagissent entre elles et accélèrent la descente vers la barbarie. Ainsi, la crise économique a été de façon manifeste aggravée par la pandémie et les lock-downs, la guerre en Ukraine, et le coût croissant des désastres écologiques ; pendant ce temps, la guerre en Ukraine aura de graves implications au niveau écologique et dans le monde entier ; la compétition pour des ressources naturelles qui s'amenuisent exacerbera encore plus les rivalités militaires et les révoltes sociales. Dans cette concaténation d'effets, la guerre impérialiste, résultat de choix délibérés de la classe dirigeante, a joué un rôle central, mais même l'impact d'une catastrophe "naturelle" comme le terrible tremblement de terre en Turquie et en Syrie a été considérablement aggravé par le fait qu'il s'est produit dans une région déjà paralysée par la guerre. On peut également pointer du doigt la corruption endémique des politiciens et des entrepreneurs, qui est une autre caractéristique du délabrement social : en Turquie, la recherche inconsidérée du profit dans l'industrie locale de la construction a conduit à ignorer les normes de sécurité qui auraient pu réduire considérablement le nombre de victimes du tremblement de terre. Cette accélération et cette interaction des phénomènes de décomposition marquent une nouvelle transformation de la quantité en qualité dans cette phase terminale de décadence, rendant plus clair que jamais que la poursuite du capitalisme est devenue une menace tangible pour la survie de l'humanité.
La guerre en Ukraine a également une longue "préhistoire". Elle est le point culminant des développements les plus importants des tensions impérialistes au cours des trois dernières décennies, en particulier :
Dans l'ombre de ces rivalités impérialistes mondiales, on assiste à une extension et à une intensification d'autres types de conflit qui sont également liés à la lutte entre les principales puissances, mais d'une manière encore plus chaotique. De nombreuses puissances régionales jouent de plus en plus leur propre jeu, tant en ce qui concerne la guerre en Ukraine que les conflits dans leur propre région. Ainsi, la Turquie, membre de l'OTAN, agit comme un "intermédiaire" pour le compte de la Russie de Poutine sur la question de l'approvisionnement en céréales, tout en fournissant à l'Ukraine des drones militaires et en s'opposant à la Russie dans la "guerre civile" libyenne ; l'Arabie saoudite a défié les États-Unis en refusant d'augmenter ses livraisons de pétrole et donc de faire baisser les prix mondiaux du pétrole ; l'Inde a refusé de se conformer aux sanctions économiques dirigées par les États-Unis contre la Russie. Pendant ce temps, la guerre en Syrie, dont les grands médias n'ont pratiquement pas parlé depuis l'invasion de l'Ukraine, a continué à faire des ravages, la Turquie, l'Iran et Israël étant plus ou moins directement impliqués dans le massacre. Le Yémen a été un champ de bataille sanglant entre l'Iran et l'Arabie saoudite ; l'accession d'un gouvernement d'extrême droite en Israël jette de l'huile sur le feu du conflit avec l'OLP, le Hamas et l'Iran. À la suite d'un nouveau sommet USA-Afrique, Washington a annoncé une série de mesures économiques visant explicitement à contrer l'implication croissante de la Russie et de la Chine sur le continent, qui continue de souffrir de l'impact de la guerre en Ukraine sur les approvisionnements alimentaires et de toute une mosaïque de guerres et de tensions régionales (Ethiopie-Tigré, Soudan, Libye, Rwanda-Congo, etc.) qui offrent des ouvertures à tous les vautours impérialistes régionaux et mondiaux. En Extrême-Orient, la Corée du Nord, qui est l'un des rares pays à fournir directement des armes à la Russie, agite son sabre face à la Corée du Sud (notamment par de nouveaux tirs de missiles, qui sont aussi une provocation à l'égard du Japon). Et derrière la Corée du Nord se trouve la Chine, qui réagit à l'encerclement croissant des États-Unis.
Un autre objectif de guerre des États-Unis en Ukraine, en nette rupture avec les efforts de Trump pour saper l'alliance de l'OTAN, a été de freiner les ambitions indépendantes de leurs "alliés" européens, en les forçant à se conformer aux sanctions américaines contre la Russie et à continuer d'armer l'Ukraine. Cette politique de rapprochement de l'alliance de l'OTAN a connu un certain succès, la Grande-Bretagne étant le soutien le plus enthousiaste de l'effort de guerre de l'Ukraine. Cependant, la reconstitution d'un véritable bloc contrôlé par les États-Unis est encore très éloignée. La France et l'Allemagne - cette dernière ayant le plus à perdre de l'abandon de son "Ostpolitik" traditionnelle, étant donné sa dépendance à l'égard des approvisionnements énergétiques russes - restent incohérentes concernant la livraison des armes demandées par Kiev et ont persisté dans leurs propres "initiatives" diplomatiques à l'égard de la Russie et de la Chine. De son côté, la Chine a adopté une attitude très prudente à l'égard de la guerre en Ukraine, dévoilant récemment son propre "plan de paix" et s'abstenant de fournir à Moscou "l'aide létale" dont elle a si désespérément besoin.
L'ensemble des faits - même en laissant de côté la question de la mobilisation du prolétariat dans les pays centraux que cela exigerait - confirme donc le point de vue selon lequel nous ne nous dirigeons pas vers la formation de blocs impérialistes stables. Mais cela ne diminue en rien le danger d'escalades militaires incontrôlées, y compris le recours aux armes nucléaires. Depuis que George Bush père a annoncé l'avènement d'un "nouvel ordre mondial" après la disparition de l'URSS, les tentatives des États-Unis d'imposer cet "ordre" en ont fait la force la plus puissante pour accroître le désordre et l'instabilité dans le monde. Cette dynamique a été clairement illustrée par le chaos cauchemardesque qui continue de régner en Afghanistan et en Irak à la suite des invasions américaines de ces pays, mais le même processus est également à l'œuvre dans le conflit ukrainien. Acculer la Russie contre le mur comporte donc le risque d'une réaction désespérée du régime de Moscou, y compris le recours à l'arme nucléaire ; à l'inverse, si le régime s'effondre, cela pourrait déclencher la désintégration de la Russie elle-même, créant ainsi une nouvelle zone de chaos aux conséquences les plus imprévisibles. L'irrationalité de la guerre dans la décadence du capitalisme se mesure non seulement à ses coûts économiques gigantesques, qui dépassent de loin toutes les possibilités de profits ou de reconstructions à court terme, mais aussi à l'effondrement brutal des objectifs militaro-stratégiques qui, dans la période de décadence capitaliste, ont de plus en plus supplanté la rationalité économique de la guerre.
Au lendemain de la première guerre du Golfe, dans notre texte d'orientation "Militarisme et décomposition [7]" (Revue Internationale 64, premier trimestre 1991), nous avions prédit le scénario suivant pour les relations impérialistes dans la phase de décomposition :
Comme l'a montré la suite des invasions de l'Afghanistan et de l'Irak au début des années 2000, le recours croissant des États-Unis à leur puissance militaire a clairement montré que, loin de réaliser ce minimum d'ordre, "la politique impérialiste des États-Unis est devenue un des principaux facteurs de l'instabilité du monde" (Résolution sur la situation internationale [8], 17e Congrès du CCI, (Revue Internationale 130, troisième trimestre 2007), et les résultats de l'offensive des États-Unis contre la Russie ont rendu encore plus évident le fait que le "gendarme du monde" est devenu le principal facteur d'intensification du chaos à l'échelle de la planète.
La guerre en Ukraine est un nouveau coup porté à une économie capitaliste déjà affaiblie et minée par ses contradictions internes et par les convulsions résultant de sa décomposition. L'économie capitaliste était alors déjà en plein ralentissement, marqué par le développement de l'inflation, des pressions croissantes sur les monnaies des grandes puissances et une instabilité financière grandissante (reflétée par l'éclatement des bulles immobilières en Chine ainsi que des cryptomonnaies et de la tech). La guerre aggrave désormais puissamment la crise économique à tous les niveaux.
La guerre signifie l'anéantissement économique de l'Ukraine, l'affaiblissement sévère de l'économie russe par le coût immense de la guerre et les effets des sanctions imposées par les puissances occidentales. Ses ondes de choc se font sentir dans le monde entier, alimentant la crise alimentaire et les famines par la flambée des prix des produits de première nécessité et par les pénuries de céréales.
La conséquence la plus tangible de la guerre à travers le monde est l'explosion des dépenses militaires, qui ont dépassé les 2000 milliards de dollars. Tous les États du monde sont pris dans la spirale du réarmement. Plus que jamais, les économies sont soumises aux besoins de la guerre, augmentant la part de la richesse nationale consacrée à la production d'instruments de destruction. Le cancer du militarisme signifie la stérilisation du capital et constitue une charge écrasante pour les échanges commerciaux et l'économie nationale, conduisant à l'exigence de sacrifices de plus en plus grands de la part des exploités.
Dans le même temps, les convulsions financières les plus graves depuis la crise de 2008, nées d'une série de faillites bancaires aux États-Unis (dont celle de la 16e banque américaine) puis du Crédit suisse (2e banque du pays), se propagent à l'échelle internationale, tandis que l'intervention massive des banques centrales américaine et suisse n'a pas réussi à écarter le risque de contagion à d'autres pays d'Europe et à d'autres secteurs à risque, ni à empêcher que ces faillites ne se transforment en une crise "systémique" du crédit.
Contrairement à 2008, où la faillite des grandes banques avait été causée par leur exposition aux prêts hypothécaires à risque, cette fois-ci, les banques sont surtout fragilisées par leurs investissements à long terme dans des obligations d'État qui, avec la hausse soudaine des taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation, perdent de leur valeur. L'instabilité financière actuelle, même si elle n'est pas (encore) aussi dramatique qu'en 2008, s'approche du cœur du système financier, car le recours à la dette publique - et en particulier au Trésor américain, au centre de ce système - a toujours été considéré comme le refuge le plus sûr.
En tout état de cause, les crises financières, quelles que soient leurs dynamiques internes et leurs causes immédiates, sont toujours, en dernière analyse, une manifestation de la crise de surproduction qui a resurgi en 1967 et qui a été encore aggravée par des facteurs liés à la décomposition du capitalisme.
La guerre révèle surtout le triomphe du chacun pour soi et l'échec, voire la fin, de toute "gouvernance mondiale" au niveau de la coordination des économies, de la réponse aux problèmes climatiques, etc. Cette tendance au chacun pour soi dans les relations entre États s'est progressivement accentuée depuis la crise de 2008, et la guerre en Ukraine a mis fin à de nombreuses tendances économiques, décrites sous le terme de "globalisation", qui se poursuivaient depuis les années 1990.
Non seulement la capacité des principales puissances capitalistes à coopérer pour contenir l'impact de la crise économique a plus ou moins disparu, mais face à la détérioration de leur économie et à l'aggravation de la crise mondiale, et afin de préserver leur position de première puissance mondiale, les États-Unis visent de plus en plus délibérément à affaiblir leurs concurrents. Il s'agit là d'une rupture ouverte avec une grande partie des règles adoptées par les États depuis la crise de 1929. Elle ouvre la voie à une terra incognita de plus en plus dominée par le chaos et l'imprévisible.
Les États-Unis, convaincus que la préservation de leur leadership face à la montée en puissance de la Chine dépend en grande partie de la puissance de leur économie, que la guerre a placée en position de force sur le plan politique et militaire, sont également à l'offensive contre leurs rivaux sur le plan économique. Cette offensive s'opère dans plusieurs directions. Les États-Unis sont les grands gagnants de la "guerre du gaz" lancée contre la Russie au détriment des États européens qui ont été contraints de mettre fin aux importations de gaz russe. Ayant atteint l'autosuffisance en pétrole et en gaz grâce à une politique énergétique de long terme initiée sous Obama, cette guerre a confirmé la suprématie américaine dans la sphère stratégique de l'énergie. Elle a mis ses rivaux sur la défensive à ce niveau : L'Europe a dû accepter sa dépendance au gaz naturel liquéfié américain ; la Chine, très dépendante des importations d'hydrocarbures, a été fragilisée par le fait que les États-Unis sont désormais en mesure de contrôler les routes d'approvisionnement de la Chine. Les États-Unis disposent désormais d'une capacité de pression sans précédent sur le reste du monde à ce niveau.
Profitant du rôle central du dollar dans l'économie mondiale, du fait d'être la première puissance économique mondiale, les différentes initiatives monétaires, financières et industrielles (des plans de relance économique de Trump aux subventions massives de Biden aux produits "made in USA", en passant par l'Inflation Reduction Act, etc.) ont augmenté la "résilience" de l'économie américaine, ce qui attire l'investissement de capitaux et les relocalisations industrielles vers le territoire américain. Les États-Unis limitent l'impact du ralentissement mondial actuel sur leur économie et repoussent les pires effets de l'inflation et de la récession sur le reste du monde.
Par ailleurs, afin de garantir leur avantage technologique décisif, les États-Unis visent également à assurer la relocalisation aux États-Unis ou le contrôle international de technologies stratégiques (semi-conducteurs) dont ils entendent exclure la Chine, tout en menaçant de sanctions tout rival à leur monopole.
La volonté des États-Unis de préserver leur puissance économique a pour conséquence d'affaiblir le système capitaliste dans son ensemble. L'exclusion de la Russie du commerce international, l'offensive contre la Chine et le découplage de leurs deux économies, bref la volonté affichée des États-Unis de reconfigurer les relations économiques mondiales à leur avantage, marque un tournant : les États-Unis se révèlent être un facteur de déstabilisation du capitalisme mondial et d'extension du chaos sur le plan économique.
L'Europe a été particulièrement touchée par la guerre qui l'a privée de sa principale force : sa stabilité. Les capitales européennes souffrent d'une déstabilisation sans précédent de leur "modèle économique" et courent un risque réel de désindustrialisation et de délocalisation vers les zones américaines ou asiatiques sous les coups de boutoir de la "guerre du gaz" et du protectionnisme américain.
L'Allemagne en particulier est un concentré explosif de toutes les contradictions de cette situation inédite. La fin des approvisionnements en gaz russe place l'Allemagne dans une situation de fragilité économique et stratégique, menaçant sa compétitivité et l'ensemble de son industrie. La fin du multilatéralisme, dont le capital allemand bénéficiait plus que toute autre nation (lui épargnant aussi le poids des dépenses militaires), affecte plus directement sa puissance économique, dépendante des exportations. Elle risque également de devenir dépendante des États-Unis pour son approvisionnement énergétique, alors que ces derniers poussent leurs "alliés" à se joindre à la guerre économique/stratégique contre la Chine et à renoncer à leurs marchés chinois. Parce qu'il s'agit d'un débouché vital pour les capitaux allemands, l'Allemagne se trouve confrontée à un énorme dilemme, partagé par d'autres puissances européennes, à un moment où l'UE est elle-même menacée par la tendance de ses États membres à faire passer leurs intérêts nationaux avant ceux de l'Union.
Quant à la Chine, alors qu'elle était présentée il y a deux ans comme la grande gagnante de la crise Covid, elle est l'une des expressions les plus caractéristiques de l'effet "tourbillon". Déjà victime d'un ralentissement économique, elle est aujourd'hui confrontée à de fortes turbulences.
Depuis la fin de l'année 2019, la pandémie, les lock-down à répétition et le tsunami d'infections qui ont suivi l'abandon de la politique du "Zéro Covid" continuent de paralyser l'économie chinoise.
La Chine est prise dans la dynamique mondiale de la crise, avec son système financier menacé par l'éclatement de la bulle immobilière. Le déclin de son partenaire russe et la rupture des "routes de la soie" vers l'Europe par des conflits armés ou le chaos ambiant causent des dommages considérables. La puissante pression des États-Unis accroît encore ses difficultés économiques. Et face à ses problèmes économiques, sanitaires, écologiques et sociaux, la faiblesse congénitale de sa structure étatique stalinienne constitue un handicap majeur.
Loin de pouvoir jouer le rôle de locomotive de l'économie mondiale, la Chine est une bombe à retardement dont la déstabilisation aurait des conséquences imprévisibles pour le capitalisme mondial.
Les principales zones de l'économie mondiale sont déjà en récession ou sur le point de s'y enfoncer. Cependant, la gravité de "la crise qui se développe depuis des décennies et qui est appelée à devenir la plus grave de toute la période de décadence, dont l'importance historique dépassera même la plus grande crise de cette époque, celle qui a commencé en 1929"[2] ne se limite pas à l'ampleur de cette récession. La gravité historique de la crise actuelle marque un point avancé dans le processus de "désintégration interne" du capitalisme mondial, annoncé par l'Internationale communiste en 1919, et qui découle du contexte général de la phase terminale de la décadence, dont les principales tendances sont :
Nous assistons à la coïncidence des différentes expressions de la crise économique, et surtout à leur interaction dans la dynamique de son développement : ainsi, l'inflation élevée nécessite la hausse des taux d'intérêt ; celle-ci provoque à son tour la récession, elle-même source de la crise financière, qui conduit à de nouvelles injections de liquidités, donc à encore plus d'endettement, déjà astronomique, et qui est un facteur supplémentaire d'inflation..... Tout cela démontre la faillite de ce système et son incapacité à offrir une perspective à l'humanité.
L'économie mondiale se dirige vers la stagflation, une situation marquée par l'impact de la surproduction et le déclenchement de l'inflation du fait de la croissance des dépenses improductives (principalement les dépenses d'armement mais aussi le coût exorbitant des ravages de la décomposition) et du recours à la planche à billets qui alimente encore plus la dette. Dans un contexte de chaos croissant et d'accélérations imprévues, la bourgeoisie ne fait pas que révéler son impuissance : tout ce qu'elle fait tend à aggraver la situation.
Pour le prolétariat, la poussée de l'inflation et le refus de la bourgeoisie d'aggraver la "spirale salaires-prix" réduisent drastiquement le pouvoir d'achat. À cela s'ajoutent les licenciements massifs, les coupes sombres dans les budgets sociaux, les attaques contre les retraites, qui augurent d'un avenir de pauvreté, comme c'est déjà le cas dans les pays de la périphérie. Pour des couches de plus en plus larges du prolétariat des pays centraux, il sera de plus en plus difficile de se loger, de se chauffer, de se nourrir ou de bénéficier de l'aide sociale.
La bourgeoisie est confrontée à une pénurie massive de main-d'œuvre dans un certain nombre de secteurs. Ce phénomène, dont l'ampleur et l'impact sur la production sont inédits, apparaît comme la cristallisation d'un ensemble de facteurs qui conjuguent les contradictions internes du capitalisme et les effets de sa décomposition. Il est à la fois le produit de l'anarchie du capitalisme qui génère à la fois des surcapacités - le chômage - et des pénuries de main d'œuvre. Les autres facteurs de ce phénomène sont la mondialisation et la fragmentation croissante du marché mondial qui entravent la disponibilité internationale de la force de travail ; les facteurs démographiques tels que la baisse des taux de natalité et le vieillissement des populations qui limitent le nombre de travailleurs disponibles pour l'exploitation, l'absence relative d'une main d'œuvre suffisamment qualifiée, malgré les politiques d'immigration sélective mises en œuvre par de nombreux États. À cela s'ajoute la fuite des salariés des secteurs où les conditions de travail sont devenues insupportables.
La guerre en Ukraine est aussi une démonstration éclatante de la façon dont la guerre peut accélérer encore la crise écologique qui s'est accumulée tout au long de la période de décadence, mais qui avait déjà atteint de nouveaux niveaux dans les premières décennies de la phase terminale du capitalisme. La dévastation des bâtiments, des infrastructures, des technologies et d'autres ressources constitue un énorme gaspillage d'énergie et leur reconstruction générera encore plus d'émissions de carbone. L'utilisation inconsidérée d'armes hautement destructrices entraîne la pollution du sol, de l'eau et de l'air, avec la menace toujours présente que toute la région puisse redevenir une source de radiations atomiques, que ce soit à la suite du bombardement de centrales nucléaires ou de l'utilisation délibérée d'armes nucléaires. Mais la guerre a également un impact écologique au niveau mondial, car elle a rendu encore plus difficile la réalisation des objectifs mondiaux de limitation des émissions, chaque pays se préoccupant davantage de sa "sécurité énergétique", ce qui signifie généralement une dépendance accrue à l'égard des combustibles fossiles.
De même que la crise écologique est un facteur de "l'effet tourbillon", elle génère aussi ses propres "boucles de rétroaction" qui accélèrent déjà le processus de réchauffement de la planète. Ainsi, la fonte des calottes polaires ne contient pas seulement les dangers inhérents à l'élévation du niveau des mers, mais devient elle-même un facteur d'augmentation de la température globale puisque la perte de glace implique une capacité réduite à renvoyer l'énergie solaire dans l'atmosphère. De même, la fonte du permafrost en Sibérie libérera une énorme réserve de méthane, un puissant gaz à effet de serre. L'aggravation et la combinaison des effets du réchauffement climatique (inondations, incendies, sécheresse, érosion des sols, etc.) rendent déjà inhabitables de plus en plus de régions de la planète, exacerbant encore le problème mondial des réfugiés déjà alimenté par la persistance et l'extension des conflits impérialistes.
Comme l'ont expliqué Marx et Luxemburg, la quête incessante de marchés et de matières premières a poussé le capitalisme à envahir et à occuper la planète entière, en détruisant les zones "sauvages" restantes ou en les soumettant à la loi du profit. Ce processus est inséparable de la génération de maladies zoonotiques telles que le Covid et jette ainsi les bases de futures pandémies.
La classe dirigeante est de plus en plus consciente des dangers que représente la crise écologique, d'autant plus que tout cela a un coût économique énorme, mais les récentes conférences sur l'environnement ont confirmé l'incapacité fondamentale de la classe dirigeante à faire face à la situation, étant donné que le capitalisme ne peut exister sans la concurrence entre les États-nations et du fait des exigences de la "croissance". Une partie de la bourgeoisie, comme une aile importante du Parti républicain aux États-Unis, dont l'idéologie est alimentée par la profonde irrationalité typique de la phase finale du capitalisme, persiste à nier la science du climat, mais comme le montrent les rapports du WEF et de l'ONU, les factions les plus intelligentes sont bien conscientes de la gravité de la situation. Mais les solutions qu'elles proposent ne peuvent jamais aller à la racine de la question et reposent en fait sur des solutions techniques qui sont tout aussi toxiques que la technologie existante (comme dans le cas des véhicules électriques "propres" dont les batteries au lithium sont basées sur de vastes projets miniers très polluants) ou impliquent de nouvelles attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Ainsi, l'idée d'une économie "post-croissance" dans laquelle un État "bienveillant" et "réellement démocratique" préside à tous les rapports fondamentaux du capitalisme (travail salarié, production généralisée de marchandises) est non seulement une absurdité logique - puisque ce sont ces mêmes rapports qui sous-tendent la nécessité d'une accumulation sans fin - mais impliquerait également des mesures d'austérité féroces, justifiées par le slogan "consommez moins". Et tandis que l'aile la plus radicale des mouvements "verts" (Fridays for Future, Extinction Rebellion, etc.) critique de plus en plus le "bla-bla" des conférences gouvernementales sur l'environnement, leurs appels à l'action directe des "citoyens" concernés ne peuvent qu'occulter la nécessité pour les travailleurs de combattre ce système sur leur propre terrain de classe et de reconnaître qu'un véritable "changement de système" ne peut survenir que par le biais de la révolution prolétarienne. Alors que les catastrophes écologiques se succèdent de plus en plus rapidement, la bourgeoisie ne manquera pas d'utiliser les formes de protestation comme de fausses alternatives à la lutte des classes, qui seule peut développer la perspective d'une relation radicalement nouvelle entre l'humanité et son environnement naturel.
En 1990, les Thèses sur la décomposition soulignaient la tendance croissante de la classe dirigeante à perdre le contrôle de son jeu politique. La montée du populisme, huilée par l'absence totale de perspective offerte par le capitalisme et le développement du chacun pour soi au niveau international, est probablement l'expression la plus claire de cette perte de contrôle, et cette tendance s'est poursuivie malgré les contre-mouvements d'autres factions plus "responsables" de la bourgeoisie (par exemple le remplacement de Trump, et la mise au rancart rapide de Truss au Royaume-Uni). Aux États-Unis, Trump prépare toujours une nouvelle candidature présidentielle qui, en cas de succès, compromettrait sérieusement les orientations actuelles du gouvernement américain en matière de politique étrangère ; en Grande-Bretagne, le pays classique du gouvernement parlementaire stable, nous avons assisté à un train de quatre premiers ministres conservateurs successifs, exprimant de profondes divisions au sein du parti conservateur dans son ensemble, et encore une fois principalement poussés par les forces populistes qui ont poussé le pays dans le fiasco du Brexit ; loin des centres historiques du système, des démagogues nationalistes comme Erdogan et Modi continuent d'agir comme des francs-tireurs empêchant la formation d'une alliance solide derrière les États-Unis dans leur conflit avec la Russie. En Israël, Netanyahou s'est également relevé de ce qui semblait être sa tombe politique, soutenu par des forces ultrareligieuses et ouvertement annexionnistes, et ses efforts pour subordonner la Cour suprême à son gouvernement ont provoqué un vaste mouvement de protestation, entièrement dominé par des appels à la défense de la "démocratie".
L'assaut du Capitole par les partisans de Trump, le 6 janvier, a mis en évidence le fait que les divisions au sein de la classe dirigeante, même dans le pays le plus puissant de la planète, sont de plus en plus profondes et risquent de dégénérer en affrontements violents, voire en guerres civiles. L'élection de Lula au Brésil a vu les forces bolsonaristes tenter leur propre version du 6 janvier, et en Russie, l'opposition à Poutine au sein de la classe dirigeante est de plus en plus évidente, notamment de la part de groupes ultranationalistes qui ne sont pas satisfaits du déroulement de l'actuelle "opération militaire spéciale" en Ukraine. Les rumeurs de coups d'État militaires abondent ; et bien que Poutine lui-même s'adapte actuellement à la pression de la droite en menaçant constamment d'intensifier la "guerre avec l'Occident", le remplacement de Poutine par une bande rivale serait tout sauf un processus pacifique. Enfin, en Chine, les divisions au sein de la bourgeoisie deviennent également plus manifestes, notamment entre la faction autour de Xi Jinping, partisane d'un renforcement du contrôle de l'État central sur l'ensemble de l'économie, et des rivaux plus attachés aux possibilités de développement du capital privé et des investissements étrangers. Alors que le règne de la faction Xi semblait inattaquable lors du Congrès du Parti d'octobre 2022, sa gestion désastreuse de la crise du Covid, l'aggravation de la crise économique et les graves dilemmes créés par la guerre en Ukraine ont révélé les faiblesses réelles de la classe dirigeante chinoise, alourdies par un appareil stalinien rigide qui n'a pas les moyens de s'adapter aux grands problèmes sociaux et économiques.
Cependant, ces divisions ne mettent pas fin à la capacité de la classe dirigeante de retourner les effets de la décomposition contre la classe ouvrière, ou, face à la montée de la lutte des classes, de mettre temporairement de côté ses divisions pour affronter son ennemi mortel. Et même lorsque la bourgeoisie est incapable de contrôler ses divisions internes, la classe ouvrière est en permanence menacée par le danger d'être mobilisée derrière les factions rivales de son ennemi de classe.
La reprise de la combativité ouvrière dans un certain nombre de pays est un événement historique majeur qui ne résulte pas seulement de circonstances locales et ne peut s'expliquer par des conditions purement nationales.
À l'origine de cette résurgence, les luttes qui se déroulent en Grande-Bretagne depuis l'été 2022 ont une signification qui dépasse le seul contexte britannique ; la réaction des travailleurs en Grande-Bretagne éclaire celles qui se déroulent ailleurs et leur confère une signification nouvelle et particulière dans la situation. Le fait que les luttes actuelles aient été initiées par une fraction du prolétariat qui a le plus souffert du recul général de la lutte de classe depuis la fin des années 80 est profondément significatif : de même que la défaite en Grande-Bretagne en 1985 annonçait le recul général de la fin des années 80, le retour des grèves et de la combativité ouvrière en Grande-Bretagne révèle l'existence d'un courant profond au sein du prolétariat du monde entier. Face à l'aggravation de la crise économique mondiale, la classe ouvrière commence à développer sa réponse à la détérioration inexorable des conditions de vie et de travail dans un même mouvement international. Et cette analyse est valable aussi pour ce qui concerne les mobilisations massives pendant trois mois de la classe ouvrière en France face à l'attaque du gouvernement contre les retraites. Depuis plusieurs décennies, les travailleurs de ce pays ont été parmi les plus combatifs au monde mais leurs mobilisations du début 2023 ne constituent pas une simple continuation des importantes luttes de la période précédente ; l'ampleur de ces mobilisations s'explique aussi, et fondamentalement, par le fait qu'elles sont partie prenante d'une combativité qui anime le prolétariat de nombreux pays.
Les luttes ouvrières actuelles en Europe confirment que la classe ouvrière n'a pas été vaincue et conserve son potentiel. Le fait que les syndicats contrôlent ces mouvements sans être contestés ne doit pas minimiser ou relativiser leur importance. Au contraire, l'attitude de la classe dirigeante, qui s'est préparée depuis longtemps à la perspective d'un renouveau des luttes ouvrières, témoigne de leur potentiel : les syndicats ont été prêts à l'avance à adopter une position "combative" et à se mettre à la tête du mouvement pour jouer pleinement leur rôle de gardiens de l'ordre capitaliste.
Portés par une nouvelle génération de travailleurs, l'ampleur et la simultanéité de ces mouvements témoignent d'un véritable changement d'état d'esprit dans la classe et rompent avec la passivité et la désorientation qui ont prévalu de la fin des années 80 jusqu'à aujourd'hui.
Face à l'épreuve de la guerre, il n'était pas possible d'attendre une réponse directe de la classe ouvrière. L'histoire montre que la classe ouvrière ne se mobilise pas directement contre la guerre mais contre ses effets sur la vie à l'arrière. La rareté des mobilisations pacifistes organisées par la bourgeoisie ne signifie pas que le prolétariat adhère à la guerre, mais elle montre l'efficacité de la campagne pour "la défense de l'Ukraine contre l'agresseur russe". Cependant, il ne s'agit pas seulement d'une non-adhésion passive. Non seulement, la classe ouvrière des pays centraux n'est toujours pas prête à accepter le sacrifice suprême de la mort, mais rejette également le sacrifice des conditions de vie et de travail exigé par la guerre.
Les luttes actuelles sont précisément la réponse des travailleurs à ce niveau ; elles sont la seule réponse possible et contiennent les prémisses de l'avenir, mais en même temps elles montrent que la classe ouvrière n'est pas encore capable de faire le lien entre la guerre et la dégradation de ses conditions.
Le CCI a toujours insisté sur le fait que, malgré les coups portés à la conscience de classe, malgré son reflux au cours des dernières décennies :
Jusqu'à présent, les expressions de combativité qui sont apparues semblent avoir eu "très peu d'écho dans le reste de la classe : le phénomène des luttes dans un pays "répondant" à des mouvements ailleurs semble être presque inexistant. Pour la classe en général, la nature fragmentée et sans lien des luttes ne fait pas grand-chose, du moins en apparence, pour renforcer ou plutôt restaurer la confiance en soi du prolétariat, sa conscience d'être une force distincte dans la société, une classe internationale ayant le potentiel de défier l'ordre existant"[3].
Aujourd'hui, la combinaison d'un retour de la combativité ouvrière et de l'aggravation de la crise économique mondiale (par rapport à 1968 ou 2008) qui n'épargnera aucune partie du prolétariat et les frappera toutes simultanément, change objectivement les bases de la lutte des classes
L'approfondissement de la crise et l'intensification de l'économie de guerre ne peuvent que se poursuivre à l'échelle mondiale et partout cela ne peut que générer une combativité croissante. L'inflation jouera un rôle particulier dans ce développement de la combativité et de la conscience. En frappant tous les pays, toute la classe ouvrière, l'inflation pousse le prolétariat à la lutte. N'étant pas une attaque que la bourgeoisie peut préparer et éventuellement retirer, mais un produit du capitalisme, elle implique une lutte et une réflexion plus profonde.
La reprise des luttes confirme la position du CCI selon laquelle la crise reste en effet le meilleur allié du prolétariat :
"l'aggravation inexorable de la crise capitaliste constitue le stimulant essentiel de la lutte de classe et du développement de la conscience, la condition préalable à sa capacité de résister au poison distillé par la pourriture sociale. Car si les luttes partielles contre les effets de la décomposition n'ont pas de base pour l'unification de la classe, sa lutte contre les effets directs de la crise constitue néanmoins la base du développement de sa force et de son unité de classe". (Thèses sur la décomposition [6], Revue Internationale 107). Ce développement des luttes n'est pas un feu de paille mais possède un avenir. Il indique un processus de renaissance de la classe après des années de reflux, et contient le potentiel de récupération de l'identité de classe, de la classe reprenant conscience de ce qu'elle est, de la puissance qu'elle a quand elle entre en lutte.
Tout indique que ce mouvement de classe, né en Europe, peut durer longtemps et se répétera dans d'autres parties du monde. Une situation nouvelle s'ouvre pour la lutte des classes.
Face au danger de destruction contenu dans la décomposition du capitalisme, ces luttes montrent que la perspective historique reste totalement ouverte : "Ces premiers pas seront souvent hésitants et pleins de faiblesses, mais ils sont indispensables pour que la classe ouvrière puisse réaffirmer sa capacité historique à imposer sa perspective communiste. Ainsi, les deux pôles alternatifs de la perspective s'affronteront globalement : la destruction de l'humanité ou la révolution communiste, même si cette dernière alternative est encore très éloignée et se heurte à d'énormes obstacles".[4]
Bien que le contexte même de la décomposition représente un obstacle au développement des luttes et à la reprise de confiance du prolétariat, bien que la décomposition ait fait des progrès effrayants, bien que le temps ne soit plus de son côté, la classe a réussi à reprendre la lutte. La période récente a confirmé de manière frappante notre prédiction dans la Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès international :
La lutte elle-même est la première victoire du prolétariat, révélatrice en particulier :
C'est la perte progressive de l'identité de classe qui a permis à la bourgeoisie de stériliser ou de récupérer les deux plus grands moments de lutte prolétarienne depuis les années 1980 (le mouvement contre le Contrat Première Embauche en France en 2006, et les Indignados en Espagne en 2011), parce que les protagonistes étaient privés de cette base cruciale pour le développement plus général de la conscience. Aujourd'hui, la tendance à la récupération de l'identité de classe et l'évolution de la maturation souterraine expriment le changement le plus important au niveau subjectif, révélant le potentiel pour le développement futur de la lutte prolétarienne. Parce qu'elle signifie la conscience de former une classe unie par des intérêts communs, opposés à ceux de la bourgeoisie, parce qu'elle signifie la "constitution du prolétariat en tant que classe" (Manifeste), l'identité de classe est une partie inséparable de la conscience de classe, pour l'affirmation de l'être révolutionnaire conscient du prolétariat. Sans elle, il n'y a pas de possibilité pour la classe de se rattacher à son histoire pour tirer les leçons des combats passés et s'engager ainsi dans ses luttes présentes et futures. L'identité et la conscience de classe ne peuvent être renforcées que par le développement de la lutte autonome de la classe sur son propre terrain.
Le réveil de la combativité de classe et la maturation souterraine de la conscience exigent que les syndicats, ces organes étatiques spécialisés dans l'encadrement des luttes ouvrières, et les organisations politiques gauchistes, faux amis bourgeois de la classe ouvrière, se placent en première ligne face à la lutte de classe.
L'efficacité actuelle du contrôle syndical repose sur les faiblesses qui découlent de la décomposition, faiblesses exploitées politiquement par la bourgeoisie, et du recul des consciences qui dure depuis quelques décennies et qui s'est traduit par le "retour en force des syndicats" et le renforcement de "l'idéologie réformiste sur les luttes de la période à venir, facilitant grandement le travail des syndicats" (Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est [9]).
En particulier, le poids de l'atomisation, le manque de perspective, la faiblesse de l'identité de classe, la perte des acquis et des leçons des confrontations avec les syndicats dans le passé sont à l'origine de l'influence extrêmement importante du corporatisme. Cette faiblesse permet aux syndicats de maintenir une influence puissante sur la classe.
Bien qu'ils ne soient pas encore menacés par une remise en cause de ce contrôle de la lutte, les syndicats ont été obligés de s'adapter aux luttes actuelles, pour mieux faire leur travail habituel de division, en utilisant un langage plus "combatif", plus "ouvrier", en se présentant comme les artisans de l'unité de la classe, pour mieux la saboter.
Parallèlement, les différentes organisations gauchistes (et la gauche en général) travaillent à l'intérieur et à l'extérieur des syndicats et leur apportent un soutien puissant. Défenseurs des mystifications anti-ouvrières les plus sophistiquées dans un habillage radical, ils ont aussi pour fonction de capter les minorités en quête de positions de classe.
La défense constante de la "démocratie" et des intérêts du "peuple" vise à dissimuler l'existence des antagonismes de classe, à alimenter le mensonge de l'État protecteur et à attaquer l'identité de la classe prolétarienne, en réduisant la classe ouvrière à une masse de citoyens ou à des "secteurs" d'activité séparés par des intérêts particuliers.
Face aux mouvements des classes non-exploiteuses ou de la petite bourgeoisie pulvérisée par la crise économique, le prolétariat doit se méfier des révoltes "populaires" ou des luttes interclassistes qui noient ses propres intérêts dans la somme indifférenciée des intérêts du "peuple". Il doit se placer résolument sur le terrain de la défense de ses propres revendications et de son autonomie de classe, condition du développement de sa force et de son combat.
Il doit également rejeter les pièges tendus par la bourgeoisie autour de luttes parcellaires (pour sauver l'environnement, contre l'oppression raciale, le féminisme, etc.) qui le détournent de son propre terrain de classe. L'une des armes les plus efficaces de la classe dominante est sa capacité à retourner les effets de la décomposition contre elle et à encourager les idéologies décomposées de la petite bourgeoisie. Sur le terrain de la décomposition, de l'irrationalité, du nihilisme et du "no-future", toutes sortes de courants idéologiques prolifèrent. Leur rôle central est de faire de chaque aspect répugnant du système capitaliste décadent un motif de lutte spécifique, pris en charge par différentes catégories de la population ou parfois par le "peuple", mais toujours séparé d'une véritable remise en cause du système dans son ensemble.
Toutes ces idéologies (écologistes, "wokisme", racialistes etc.) qui nient la lutte des classes, ou qui, comme celles qui prônent l'"intersectionnalité", mettent la lutte des classes sur le même plan que la lutte contre le racisme ou le machisme, représentent un danger pour la classe, en particulier pour la jeune génération de travailleurs sans expérience mais profondément révoltés par l'état de la société. À ce niveau, ces idéologies sont complétées par la panoplie des gauchistes et des modernistes ("communisateurs") dont le rôle est de stériliser les efforts du prolétariat pour développer la conscience de classe et d'éloigner les travailleurs de la lutte de classe.
Si la lutte des classes est par nature internationale, la classe ouvrière est en même temps une classe hétérogène qui doit forger son unité à travers sa lutte. Dans ce processus, c'est le prolétariat des pays centraux qui a la responsabilité d'ouvrir la porte de la révolution au prolétariat mondial.
Dans les pays comme la Chine, l'Inde, etc., même si la classe ouvrière s'est montrée très combative et malgré son importance sur le plan quantitatif, ces fractions du prolétariat, en raison de leur manque d'expérience historique, sont particulièrement vulnérables aux pièges idéologiques et aux mystifications de la classe dirigeante. Leurs luttes sont facilement réduites à l'impuissance ou détournées dans des impasses bourgeoises (appels à plus de démocratie, de liberté, d'égalité, etc.) ou encore complètement diluées dans des mouvements interclassistes dominés par d'autres couches sociales. Comme l'a montré le printemps arabe de 2011 : la lutte très réelle des travailleurs en Égypte a été rapidement diluée dans le "peuple", puis entraînée derrière les factions de la classe dirigeante sur le terrain bourgeois de "plus de démocratie". Ou encore, l'immense mouvement de contestation en Iran, où, en l'absence d'une perspective révolutionnaire claire défendue par les fractions les plus expérimentées du prolétariat mondial d'Europe occidentale, les nombreuses luttes ouvrières du pays ne peuvent qu'être noyées dans le mouvement populaire et détournées de leur terrain de classe derrière le slogan du droits des femmes.
Aux États-Unis, bien que marqué par des faiblesses liées au fait que la classe de ce pays n'a pas été directement confrontée à la contre-révolution et qu'elle ne possède pas une profonde tradition révolutionnaire, le prolétariat de la première puissance mondiale, malgré de nombreux obstacles générés par la décomposition dont les États-Unis sont devenus l'épicentre (le poids des divisions raciales et du populisme, toute l'atmosphère de quasi-guerre civile entre populistes et démocrates, l'impasse des mouvements travaillant sur un terrain bourgeois comme Black Lives Matter) montre la capacité à développer ses luttes (pendant la pandémie, lors du "Striketober" en 2021) sur son terrain de classe. Le prolétariat américain montre, dans une situation politique très difficile, qu'il commence à répondre aux effets de la crise économique.
La clé de l'avenir révolutionnaire du prolétariat reste entre les mains de sa fraction dans les pays centraux du capitalisme. Seul le prolétariat des vieux centres industriels d'Europe occidentale constitue le point de départ de la future révolution mondiale :
Face à l'affrontement croissant des deux pôles de l'alternative - destruction de l'humanité ou révolution communiste - les organisations révolutionnaires de la gauche communiste, et le CCI en particulier, ont un rôle irremplaçable à jouer dans le développement de la conscience de classe, et doivent consacrer leur énergie au travail permanent d'approfondissement théorique, à proposer une analyse claire de la situation mondiale, et à intervenir dans les luttes de notre classe pour défendre la nécessité de l'autonomie, de l'auto-organisation et de l'unification de la classe, et du développement de la perspective révolutionnaire.
Ce travail ne peut être réalisé que sur la base d'un patient travail de construction de l'organisation, jetant les bases du parti mondial de demain. Toutes ces tâches exigent une lutte militante contre toutes les influences de l'idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise dans le milieu de la gauche communiste et du CCI lui-même. Dans la conjoncture actuelle, les groupes de la gauche communiste sont confrontés au danger d'une véritable crise : à quelques exceptions près, ils ont été incapables de s'unir pour défendre l'internationalisme face à la guerre impérialiste en Ukraine et sont de plus en plus ouverts à la pénétration de l'opportunisme et du parasitisme. Une adhésion rigoureuse à la méthode marxiste et aux principes prolétariens constitue la seule réponse à ces dangers.
Mai 2023
[1] L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité [10]
[3] Le concept de cours historique dans le mouvement révolutionnaire [12]? Revue Internationale no 107 - 4e trimestre 2001
[4] L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité [10]
[6] Réponse à la CWO : sur la maturation souterraine de la conscience de classe [13] ; Revue Internationale 43
Le CCI a adopté en mai 1990 des thèses intitulées "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste" qui présentaient notre analyse globale de la situation du monde au moment et à la suite de l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est, fin 1989. L'idée centrale de ces thèses était, comme l'indique leur titre, que la décadence du mode de production capitaliste, qui avait débuté lors de la Première Guerre mondiale, était entrée dans une nouvelle phase de son évolution, celle dominée par la décomposition générale de la société. Lors de son 22e congrès, en 2017, par l'adoption d'un texte intitulé "Rapport sur la décomposition aujourd’hui (Mai 2017)", notre organisation avait estimé nécessaire de procéder à une actualisation du document de 1990, de "confronter les points essentiels des thèses avec la situation présente : dans quelle mesure les aspects mis en avant se sont vérifiés, voire amplifiés, ou bien ont été démentis ou bien doivent être complétés". Ce deuxième document, rédigé 27 ans après le premier, mettait en évidence que l'analyse adoptée en 1990 s'était amplement vérifiée. En même temps, ce texte de 2017 avait abordé des aspects de la situation mondiale qui ne figuraient pas dans celui de 1990 mais qui venaient compléter le tableau que celui-ci avait présenté et qui avaient pris une importance majeure : l'explosion des flux de réfugiés fuyant les guerres, la famine, les persécutions et aussi la montée du populisme xénophobe venant impacter de façon croissantes la vie politique de la classe dominante.
Aujourd'hui, le CCI estime nécessaire de procéder à une nouvelle actualisation des textes de 1990 et de 2017, non pas un quart de siècle après ce dernier, mais seulement 6 ans après et cela parce que, au cours de la dernière période, nous avons assisté à une accélération et une amplification spectaculaires des manifestations de cette décomposition générale de la société capitaliste.
Cette évolution catastrophique et accélérée de l'état du monde n'a évidemment pas échappé aux principaux dirigeants politiques et économiques de la planète. Dans le "Global Risks Report" (GRR) basé sur les analyses d'une multitude d'"experts" (1200 en 2022) et qui chaque année est présenté au forum de Davos (World Economic Forum - WEF), lequel réunit ces dirigeants, on peut lire :
"Les premières années de cette décennie ont annoncé une période particulièrement perturbée de l'histoire humaine. Le retour à une "nouvelle normalité" après la pandémie de COVID-19 a été rapidement affecté par l'éclatement de la guerre en Ukraine, inaugurant une nouvelle série de crises alimentaires et énergétiques - déclenchant des problèmes que des décennies de progrès avaient tenté de résoudre.
En ce début d'année 2023, le monde est confronté à une série de risques à la fois totalement nouveaux et sinistrement familiers. Nous avons assisté au retour des risques "anciens" - inflation, crises du coût de la vie, guerres commerciales, sorties de capitaux des marchés émergents, troubles sociaux généralisés, affrontements géopolitiques et spectre de la guerre nucléaire - que peu de chefs d'entreprise et de décideurs publics de cette génération ont connus. Ces phénomènes sont amplifiés par des évolutions relativement nouvelles dans le paysage mondial des risques, notamment des niveaux d'endettement insoutenables, une nouvelle ère de faible croissance, d'investissements mondiaux réduits et de démondialisation, un déclin du développement humain après des décennies de progrès, le développement rapide et sans contrainte de technologies à double usage (civil et militaire), et la pression croissante des impacts et des ambitions liés au changement climatique dans une fenêtre de transition vers un monde à +1,5°C qui ne cesse de se rétrécir. Tous ces éléments convergent pour façonner une décennie unique, incertaine et troublée." (Principales conclusions : quelques extraits)
En général, que ce soit dans les déclarations des gouvernements ou dans les grands médias, la classe dominante essaie d'atténuer les constats sur l'extrême gravité de la situation mondiale. Mais lorsqu'elle réunit les principaux dirigeants du monde, où elle se parle à elle-même, comme lors du Forum annuel de Davos, elle ne peut faire l'économie d'une certaine lucidité. Il est d'ailleurs significatif que les constats alarmants contenus dans ce rapport n'aient eu que très peu d'écho dans les grands médias dont la vocation fondamentale n'est pas d'informer honnêtement la population, et particulièrement les exploités, mais d'agir comme des agences de propagande destinées à leur faire accepter une situation qui devient de plus en plus catastrophique, de leur cacher la faillite historique complète du mode de production capitaliste.
En fait, les constats qui sont contenus dans le rapport présenté au Forum de Davos de janvier 2023 rejoignent en grande partie le texte adopté par le CCI en octobre 2022 intitulé "L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité". En réalité, ce n'est pas de quelques mois que l'analyse du CCI a précédé celle des "experts" les plus avisés de la classe dominante mais de plusieurs décennies puisque les constats qui sont établis dans notre document d'octobre 2022 ne sont qu'une confirmation saisissante des prévisions que nous avions déjà mises en avant à la fin des années 1980, notamment dans nos "thèses sur la décomposition". Que les communistes aient une certaine avance, et même une avance certaine, sur les "experts" bourgeois dans la prévision des grandes tendances catastrophiques qui travaillent le monde capitaliste n'est pas surprenant : la classe dominante ne peut, en règle générale, que masquer à elle-même et à la classe qu'elle exploite et qui seule peut apporter une solution aux contradictions qui minent la société, le prolétariat, une réalité fondamentale : pas plus que les modes de production qui l'ont précédé, le mode de production capitaliste n'est éternel. Comme les modes de production du passé, il est destiné à être remplacé, s'il ne détruit pas avant l'humanité, par un autre mode de production supérieur correspondant au développement des forces productives qu'il a permis à un moment de son histoire. Un mode de production qui abolira les rapports marchands qui sont au cœur de la crise historique du capitalisme, où il n'y aura plus de place pour une classe privilégiée vivant de l'exploitation des producteurs. C'est justement parce qu'elle ne peut envisager sa propre disparition que la classe bourgeoise est incapable, en règle générale, de porter un regard lucide sur les contradictions qui conduisent à sa perte la société qu'elle dirige.
Dans la postface de la 2e édition du Capital en allemand, Marx écrivait : "Le mouvement contradictoire de la société capitaliste se fait sentir au bourgeois pratique de la façon la plus frappante, par les vicissitudes de l'industrie moderne à travers son cycle périodique, dont le point culminant est la crise générale. Déjà nous apercevons le retour de ses prodromes; elle approche de nouveau; par l'universalité de son champ d'action et l'intensité de ses effets, elle va faire entrer la dialectique dans la tête même aux tripoteurs qui ont poussé comme champignons dans le nouveau Saint-Empire prusso-allemand."
Au moment-même où le CCI adoptait les thèses sur la décomposition annonçant l'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase, la phase ultime, de sa décadence, marquée par une aggravation qualitative des contradictions de ce système et une décomposition générale de la société, le "bourgeois pratique", notamment en la personne du Président Bush senior, s'extasiait devant la nouvelle perspective glorieuse qu'inaugurait à ses yeux l'effondrement des régimes staliniens et du bloc "soviétique", une ère de "paix" et de "prospérité". Aujourd'hui, confronté au "mouvement contradictoire de la société capitaliste", sous la forme non d'une crise cyclique comme celles du 19e siècle mais d'une crise permanente et insoluble de son économie engendrant un dérèglement et un chaos croissant de la société, ce même "bourgeois pratique" est bien obligé de laisser entrer un peu de "dialectique" dans sa tête.
C'est pour cette raison que l'actualisation des thèses sur la décomposition va se baser amplement sur les analyses et les prévisions contenues dans le "Global Risks Report" de 2023 en même temps que sur notre texte d'octobre 2022 dont il constitue, à bien des égards, une confirmation. Une confirmation apportée par les instances les plus lucides de la classe dominante, en réalité un véritable aveu de la faillite historique de son système. L'utilisation des données et analyses fournies par la classe ennemie n'est pas une "innovation" du CCI. En fait, les révolutionnaires ne disposent pas, en général, des moyens pour collecter les données et statistiques que l'appareil étatique et administratif de la bourgeoisie récolte pour ses propres besoins de direction de la société. C'est en se basant en partie, évidemment avec un regard critique, sur ce type de données qu'Engels a donné de la chair à son étude sur "La Situation de la classe laborieuse en Angleterre". Et Marx, notamment dans le Capital, utilise souvent les "notes bleues" des enquêtes parlementaires britanniques. Concernant les analyses et prévisions produites par les "experts" de la bourgeoisie, il est nécessaire d'être encore plus critique que sur les données factuelles, surtout lorsqu'elles correspondent à une propagande destinée à "démontrer" que le capitalisme est le meilleur ou le seul système capable d'assurer aux humains progrès et bien-être. Cependant, lorsque ces analyses et prévisions soulignent l'impasse catastrophique dans laquelle se trouve ce système, ce qui ne peut correspondre évidemment pas à son apologie, il est utile et important de s'appuyer dessus pour étayer et renforcer nos propres analyses et prévisions.
Dans le texte adopté en octobre 2022, on peut lire :
"Les années 20 du XXIe siècle s’annoncent comme une des périodes parmi les plus convulsives de l’histoire et accumulent déjà des catastrophes et des souffrances indescriptibles. Elles ont commencé par la pandémie du Covid-19 (qui se poursuit encore) et une guerre au cœur de l’Europe, qui dure déjà depuis plus de 9 mois et dont personne ne peut prévoir l’issue. Le capitalisme est entré dans une phase de graves troubles sur tous les plans. Derrière cette accumulation et imbrication de convulsions se profile la menace de destruction de l’humanité. (…)
Avec l’irruption foudroyante de la pandémie de Covid, nous avons mis en évidence l’existence de quatre caractéristiques propres à la phase de décomposition :
L’année 2022 a été une illustration éclatante de ces quatre caractéristiques, à travers :
Or, l’agrégation et l’interaction de phénomènes destructeurs débouche sur un "effet tourbillon" qui concentre, catalyse et multiplie chacun de ses effets partiels en provoquant des ravages encore plus destructeurs. (…) cet "effet tourbillon" constitue un changement qualitatif dont les conséquences seront de plus en plus manifestes dans la période qui vient.
Dans ce cadre, il faut souligner le rôle moteur de la guerre en tant qu’action voulue et planifiée par les États capitalistes, devenant le facteur le plus puissant et grave de chaos et de destruction. En fait, la guerre en Ukraine a eu un effet multiplicateur des facteurs de barbarie et de destruction (…)
Dans ce contexte, il faut comprendre dans toute sa gravité l’expansion de la crise environnementale qui se hisse à des niveaux jamais vus auparavant :
Les constats effectués par les "experts" du WEF ne sont pas différents :
"La prochaine décennie sera caractérisée par des crises environnementales et sociétales, alimentées par des tendances géopolitiques et économiques sous-jacentes. La "crise du coût de la vie" est classée comme le risque mondial le plus grave pour les deux prochaines années, avec un pic à court terme. La "perte de biodiversité et l'effondrement des écosystèmes" est considérée comme l'un des risques mondiaux qui se détérioreront le plus rapidement au cours de la prochaine décennie, et les six risques environnementaux figurent parmi les dix principaux risques pour les dix prochaines années. Neuf risques figurent dans le classement des dix principaux risques à court et à long terme, notamment la "confrontation géoéconomique" et l'"érosion de la cohésion sociale et la polarisation sociétale", ainsi que deux nouveaux venus dans le classement : "Cybercriminalité et cyberinsécurité généralisées" et "Migration involontaire à grande échelle".
Les gouvernements et les banques centrales pourraient être confrontés à des pressions inflationnistes tenaces au cours des deux prochaines années, notamment en raison de la possibilité d'une guerre prolongée en Ukraine, de goulets d'étranglement persistants dus à une pandémie persistante et d'une guerre économique entraînant un découplage des chaînes d'approvisionnement. Les risques de dégradation des perspectives économiques sont également importants. Un déséquilibre entre les politiques monétaires et budgétaires augmentera la probabilité de chocs de liquidité, signalant un ralentissement économique plus prolongé et un surendettement à l'échelle mondiale. La poursuite d'une inflation induite par l'offre pourrait conduire à une stagflation, dont les conséquences socio-économiques pourraient être graves, compte tenu d'une interaction sans précédent avec des niveaux de dette publique historiquement élevés. La fragmentation de l'économie mondiale, les tensions géopolitiques et les restructurations plus difficiles pourraient contribuer à un surendettement généralisé au cours des dix prochaines années. (…)
La guerre économique devient la norme, avec des affrontements croissants entre les puissances mondiales et l'intervention des États sur les marchés au cours des deux prochaines années. Les politiques économiques seront utilisées de manière défensive, pour renforcer l'autosuffisance et la souveraineté face aux puissances rivales, mais elles seront aussi de plus en plus déployées de manière offensive pour limiter l'essor des autres. La militarisation géoéconomique intensive mettra en évidence les vulnérabilités sécuritaires posées par l'interdépendance commerciale, financière et technologique entre les économies mondialement intégrées, risquant ainsi d'entraîner une escalade du cycle de méfiance et de découplage.
Les répondants du GRPS s'attendent à ce que les confrontations interétatiques restent largement de nature économique au cours des 10 prochaines années. Cependant, la récente augmentation des dépenses militaires et la prolifération des nouvelles technologies à un plus grand nombre d'acteurs pourraient entraîner une course mondiale aux armements dans les technologies émergentes. Le paysage mondial des risques à plus long terme pourrait être défini par des conflits multi-domaines et des guerres asymétriques, avec le déploiement ciblé d'armes de nouvelle technologie à une échelle potentiellement plus destructrice que celle observée au cours des dernières décennies.
L'imbrication toujours plus grande des technologies dans le fonctionnement critique des sociétés expose les populations à des menaces intérieures directes, y compris celles qui cherchent à briser le fonctionnement de la société. Parallèlement à l'augmentation de la cybercriminalité, les tentatives visant à perturber les ressources et services technologiques essentiels deviendront plus courantes, avec des attaques prévues contre l'agriculture et l'eau, les systèmes financiers, la sécurité publique, les transports, l'énergie et les infrastructures de communication nationales, spatiales et sous-marines.
La destruction de la nature et le changement climatique sont intrinsèquement liés - une faillite dans un domaine se répercutera en cascade sur l'autre. En l'absence de changements politiques ou d'investissements significatifs, l'interaction entre les effets du changement climatique, la perte de biodiversité, la sécurité alimentaire et la consommation de ressources naturelles accélérera l'effondrement des écosystèmes, menacera les approvisionnements alimentaires et les moyens de subsistance dans les économies vulnérables au climat, amplifiera les effets des catastrophes naturelles et limitera les progrès en matière d'atténuation du changement climatique.
Les crises aggravées élargissent leur impact sur les sociétés, frappent les moyens de subsistance d'une partie beaucoup plus large de la population et déstabilisent davantage d'économies dans le monde que les communautés traditionnellement vulnérables et les États fragiles. S'appuyant sur les risques les plus graves attendus en 2023 - notamment la "crise de l'approvisionnement énergétique", la "hausse de l'inflation" et la "crise de l'approvisionnement alimentaire" - une crise mondiale du coût de la vie se fait déjà sentir. (…)
Les troubles sociaux et l'instabilité politique qui en découlent ne seront pas limités aux marchés émergents, car les pressions économiques continuent de vider la tranche des revenus moyens. La frustration croissante des citoyens face aux pertes en matière de développement humain et au déclin de la mobilité sociale, ainsi que le fossé grandissant en matière de valeurs et d'égalité, constituent un défi existentiel pour les systèmes politiques du monde entier. L'élection de dirigeants moins centristes ainsi que la polarisation politique entre les superpuissances économiques au cours des deux prochaines années pourraient également réduire davantage l'espace pour la résolution collective des problèmes, fracturant les alliances et conduisant à une dynamique plus volatile.
Compte tenu de la réduction du financement du secteur public et des préoccupations sécuritaires concurrentes, notre capacité à absorber le prochain choc mondial s'amenuise. Au cours des dix prochaines années, moins de pays disposeront de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour investir dans la croissance future, les technologies vertes, l'éducation, les soins et les systèmes de santé.
Les chocs concomitants, les risques profondément interconnectés et l'érosion de la résilience font naître le risque de polycrises - où des crises disparates interagissent de telle sorte que l'impact global dépasse de loin la somme de chaque partie. L'érosion de la coopération géopolitique aura des effets en chaîne sur le paysage mondial des risques à moyen terme, notamment en contribuant à une polycrise potentielle de risques environnementaux, géopolitiques et socio-économiques interdépendants liés à l'offre et à la demande de ressources naturelles. Le rapport décrit quatre futurs potentiels centrés sur les pénuries de nourriture, d'eau, de métaux et de minéraux, qui pourraient tous déclencher une crise humanitaire et écologique, allant des guerres de l'eau et des famines à la surexploitation continue des ressources écologiques et au ralentissement de l'atténuation et de l'adaptation au changement climatique." (Principales conclusions : quelques extraits)
"La "nouvelle normalité" mondiale est un retour aux fondamentaux - alimentation, énergie, sécurité - des problèmes que notre monde globalisé était censé être en mesure de résoudre. Ces risques sont amplifiés par le risque sanitaire et économique persistant d'une pandémie mondiale, par une guerre en Europe et des sanctions qui ont un impact sur une économie mondialement intégrée, ainsi que par l'escalade de la course à l'armement technologique soutenue par la concurrence industrielle et l'intervention renforcée des États. Les changements structurels à plus long terme de la dynamique géopolitique (…) coïncident avec une évolution plus rapide du paysage économique, ouvrant la voie à une ère de faible croissance, de faible investissement et de faible coopération et à un déclin potentiel du développement humain après des décennies de progrès." (1.1. Les crises actuelles, p.13)]
"La combinaison d'événements climatiques extrêmes et d'un approvisionnement limité pourrait transformer la crise actuelle du coût de la vie en un scénario catastrophique de faim et de détresse pour des millions de personnes dans les pays dépendants des importations ou transformer la crise énergétique en une crise humanitaire dans les marchés émergents les plus pauvres.
Selon les estimations, plus de 800 000 hectares de terres agricoles ont été détruits par les inondations au Pakistan,... Les sécheresses et les pénuries d'eau prévues pourraient entraîner une baisse des récoltes et la mort du bétail en Afrique de l'Est, en Afrique du Nord et en Afrique australe, exacerbant ainsi l'insécurité alimentaire.
Les "chocs graves ou la volatilité des prix des produits de base" constituent l'un des cinq risques les plus importants pour les deux prochaines années dans 47 pays interrogés dans le cadre de l'enquête d'opinion auprès des dirigeants (EOS) du Forum, tandis que les "crises graves d'approvisionnement en produits de base" constituent un risque plus localisé, en tant que préoccupation majeure dans 34 pays, notamment en Suisse, en Corée du Sud, à Singapour, au Chili et en Turquie. Les effets catastrophiques de la famine et des pertes de vies humaines peuvent également avoir des répercussions plus lointaines, puisque le risque de violence généralisée augmente et que les migrations involontaires se multiplient." (Crise du coût de la vie, p.15)
"Certains pays ne seront pas en mesure de contenir les chocs futurs, d'investir dans la croissance future et les technologies vertes ou de renforcer la résilience future de l'éducation, des soins de santé et des systèmes écologiques, les impacts étant exacerbés par les plus puissants et supportés de manière disproportionnée par les plus vulnérables." (Ralentissement économique, p.17)
"Face aux vulnérabilités mises en évidence par la pandémie puis la guerre, la politique économique, notamment dans les économies avancées, est de plus en plus orientée vers des objectifs géopolitiques. Les pays cherchent à construire une "autosuffisance", soutenue par des aides publiques, et à obtenir une "souveraineté" vis-à-vis des puissances rivales, (…)
Cela pourrait provoquer des résultats contraires à l'objectif visé, entraînant une baisse de la résilience et de la croissance de la productivité et marquant la fin d'une ère économique caractérisée par des capitaux, une main-d'œuvre, des matières premières et des biens moins chers et mondialisés.
Cette situation continuera probablement à affaiblir les alliances existantes, les nations se repliant sur elles-mêmes." (Confrontation géoéconomique, p.19)
"Aujourd'hui, les niveaux atmosphériques de dioxyde de carbone, de méthane et d'oxyde nitreux ont tous atteint des sommets. Les trajectoires d'émissions rendent très improbable la réalisation des ambitions mondiales visant à limiter le réchauffement à 1,5°C.
Les événements récents ont mis en évidence une divergence entre ce qui est scientifiquement nécessaire et ce qui est politiquement opportun.
Pourtant, les tensions géopolitiques et les pressions économiques ont déjà limité - et dans certains cas inversé - les progrès en matière d'atténuation du changement climatique, du moins à court terme. Par exemple, l'UE a dépensé au moins 50 milliards d'euros pour la création et l'extension d'infrastructures et d'approvisionnements en combustibles fossiles, et certains pays ont redémarré des centrales électriques au charbon.
La dure réalité de 600 millions de personnes en Afrique qui n'ont pas accès à l'électricité illustre l'incapacité à apporter le changement à ceux qui en ont besoin et l'attrait continu pour les solutions rapides basées sur les combustibles fossiles, malgré les risques que cela comporte.
Le changement climatique deviendra aussi de plus en plus un facteur clé de migration et certains indices montrent qu'il a déjà contribué à l'émergence de groupes terroristes et de conflits en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique." (Le hiatus de l'action climatique, p. 21)
On retrouve dans ce constat de l'état du monde d'aujourd'hui tous les éléments qui ont été cités dans notre texte d'octobre 2022, et souvent de façon plus détaillée. En particulier les quatre caractéristiques majeures de la situation présente :
sont bien présents dans le document du WEF, même si avec des mots et des articulations un peu différents et si l'impact politique de la décomposition sur les pays les plus avancés est abordé en des termes quelque peu "timides" : il ne faut pas fâcher les gouvernements et les forces politiques de ces pays en évoquant leurs politiques de plus en plus irrationnelles et chaotiques.
En particulier, le rapport du WEF souligne l'interaction croissante des effets de la décomposition que nous qualifions "d'effet tourbillon". Pour ce faire, il introduit le terme de "polycrise" employé déjà dans les années 1990 par Edgar Morin, un "philosophe" français ami de Castoriadis, le mentor du groupe Socialisme ou Barbarie. Les définitions de ce terme que reprend le rapport du WEF sont les suivantes :
"Un problème devient une crise lorsqu'il remet en cause notre capacité à faire face et menace ainsi notre identité. Dans la polycrise, les chocs sont disparates, mais ils interagissent de sorte que le tout est encore plus écrasant que la somme des parties.
Une autre explication de la polycrise serait la suivante : lorsque des crises multiples dans des systèmes mondiaux multiples s'enchevêtrent de manière causale de façon à dégrader considérablement les perspectives de l'humanité."
Cette "dégradation considérable des perspectives de l'humanité", on la trouve dans le rapport du WEF dans le chapitre intitulé "Global Risks 2033: Tomorrow’s Catastrophes" ["Risques mondiaux 2033 : les catastrophes de demain"], un titre qui est déjà significatif de la tonalité de ces perspectives. Certains des sous-titres sont également significatifs : "Écosystèmes naturels : le point de non-retour est dépassé", "Santé humaine : perma-pandémies et défis chroniques en matière de capacités", "Sécurité humaine : nouvelles armes, nouveaux conflits".
Plus concrètement, voici quelques exemples de la façon dont le rapport du WEF décline ces thèmes :
"La biodiversité au sein des écosystèmes et entre eux décline déjà plus rapidement qu'à tout autre moment de l'histoire de l'humanité.
Les interventions humaines ont eu un impact négatif sur un écosystème naturel mondial complexe et délicatement équilibré, déclenchant une chaîne de réactions. Au cours des dix prochaines années, l'interaction entre la perte de biodiversité, la pollution, la consommation de ressources naturelles, le changement climatique et les facteurs socio-économiques constituera un mélange dangereux. Étant donné que l'on estime que plus de la moitié de la production économique mondiale dépend modérément ou fortement de la nature, l'effondrement des écosystèmes aura des conséquences économiques et sociétales considérables. Parmi celles-ci, citons l'augmentation de l'apparition de maladies zoonotiques, la baisse du rendement et de la valeur nutritionnelle des récoltes, le stress hydrique croissant exacerbant des conflits potentiellement violents, la perte des moyens de subsistance dépendant des systèmes alimentaires et des services naturels tels que la pollinisation, ainsi que des inondations, une élévation du niveau de la mer et une érosion toujours plus dramatiques dues à la dégradation des systèmes naturels de protection contre les inondations tels que les prairies aquatiques et les mangroves côtières.
La destruction de la nature et le changement climatique sont intrinsèquement liés - un échec dans une sphère se répercutera en cascade dans l'autre, et l'atteinte du zéro net nécessitera des mesures d'atténuation pour les deux leviers. Si nous ne parvenons pas à limiter le réchauffement à +1,5°C, voire 2°C, l'impact continu des catastrophes naturelles et des changements de température et de précipitations deviendra la principale cause de perte de biodiversité, en termes de composition et de fonction.
Les dommages continus causés aux puits de carbone par la déforestation et le dégel du permafrost, par exemple, et le déclin de la productivité du stockage du carbone (sols et océan) pourraient transformer ces écosystèmes en sources "naturelles" d'émissions de carbone et de méthane. L'effondrement imminent des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique occidental pourrait contribuer à l'élévation du niveau de la mer et aux inondations côtières, tandis que le "dépérissement" des récifs coralliens des basses latitudes, qui sont les pépinières de la vie marine, aura certainement des répercussions sur l'approvisionnement en nourriture et sur les écosystèmes marins au sens large.
La pression sur la biodiversité sera probablement encore amplifiée par la poursuite de la déforestation à des fins agricoles, avec une demande associée de terres cultivées supplémentaires, en particulier dans les zones subtropicales et tropicales à la biodiversité dense, comme l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud-Est.
Il faut toutefois tenir compte d'un mécanisme de rétroaction plus existentiel : la biodiversité contribue à la santé et à la résilience des sols, des plantes et des animaux, et son déclin met en péril les rendements de la production alimentaire et sa valeur nutritionnelle. Cela pourrait alors alimenter la déforestation, augmenter les prix des aliments, menacer les moyens de subsistance locaux et contribuer aux maladies et à la mortalité liées à l'alimentation. Elle peut également entraîner des migrations involontaires à grande échelle.
Il est clair que l'ampleur et le rythme nécessaires à la transition vers une économie verte exigent de nouvelles technologies. Cependant, certaines de ces technologies risquent d'avoir un impact nouveau sur les écosystèmes naturels, et les possibilités de "tester les résultats sur le terrain" sont limitées." (Écosystèmes naturels : le point de non-retour est dépassé, p.31)
"La santé publique mondiale est soumise à une pression croissante et les systèmes de santé du monde entier risquent de devenir inadaptés.
Compte tenu des crises actuelles, la santé mentale peut également être exacerbée par des facteurs de stress croissants tels que la violence, la pauvreté et la solitude.
Les systèmes de santé sont confrontés à l'épuisement des travailleurs et à des pénuries persistantes à un moment où l'assainissement budgétaire risque de détourner l'attention et les ressources ailleurs. Au cours de la prochaine décennie, des épidémies de maladies infectieuses plus fréquentes et plus étendues, dans un contexte de maladies chroniques, risquent de pousser les systèmes de santé épuisés au bord de la faillite dans le monde entier. (…)
Le changement climatique devrait également exacerber la malnutrition en raison de l'augmentation de l'insécurité alimentaire. L'augmentation des niveaux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère peut entraîner des carences en nutriments chez les plantes, voire une accélération de l'absorption de minéraux lourds, qui ont été associés au cancer, au diabète, aux maladies cardiaques et aux troubles de la croissance." (Santé humaine : perma-pandémies et défis chroniques en matière de capacités, p.35)
"Un renversement de la tendance à la démilitarisation augmentera le risque de conflit, à une échelle potentiellement plus destructrice. La méfiance et la suspicion croissantes entre les puissances mondiales et régionales ont déjà entraîné une redéfinition des priorités en matière de dépenses militaires et une stagnation des mécanismes de non-prolifération. La diffusion de la puissance économique, technologique et, par conséquent, militaire à de multiples pays et acteurs est à l'origine de la dernière itération d'une course mondiale aux armements.
La prolifération d'armes militaires plus destructrices et de nouvelle technologie peut permettre de nouvelles formes de guerre asymétrique, permettant aux petites puissances et aux individus d'avoir un plus grand impact au niveau national et mondial." (Sécurité humaine : nouvelles armes, nouveaux conflits, p.38)
"L'ensemble des préoccupations émergentes en matière d'offre et de demande de ressources naturelles devient déjà un sujet d'inquiétude croissant. Les personnes interrogées dans le cadre de l'enquête GRPS [Global Risks Perception Survey] ont identifié des relations fortes et des liens réciproques entre les "crises des ressources naturelles" et les autres risques identifiés dans les chapitres précédents.
Le rapport décrit quatre avenirs potentiels centrés sur les pénuries de nourriture, d'eau, de métaux et de minéraux, qui pourraient tous déclencher une crise humanitaire et écologique - des guerres de l'eau et des famines à la surexploitation continue des ressources écologiques et au ralentissement de l'atténuation et de l'adaptation du climat." (Rivalités en matière de ressources : Quatre avenirs émergents, p.57)]
La conclusion du rapport nous donne un tableau synthétique de ce que sera le monde en 2030 :
"La pauvreté mondiale, les crises liées aux moyens de subsistance sensibles au climat, la malnutrition et les maladies liées à l'alimentation, l'instabilité des États et les migrations involontaires ont tous augmenté, ce qui prolonge et étend l'instabilité et les crises humanitaires. (…)
L'insécurité alimentaire, énergétique et hydrique devient un facteur de polarisation sociale, de troubles civils et d'instabilité politique.
La surexploitation et la pollution - la tragédie des biens communs mondiaux - se sont étendues. La famine est revenue à une échelle jamais vue au siècle dernier. L'ampleur des crises humanitaires et environnementales met en évidence la paralysie et l'inefficacité des principaux mécanismes multilatéraux face aux crises auxquelles l'ordre mondial est confronté, qui se transforment en une spirale de polycrises qui se perpétuent et s'aggravent."]
Le rapport essaie à certains moments de ne pas trop désespérer ses lecteurs en disant, par exemple :
"Certains des risques décrits dans le rapport de cette année sont proches d'un point de basculement. C'est le moment d'agir collectivement, de manière décisive et dans une perspective à long terme, afin de tracer la voie vers un monde plus positif, plus inclusif et plus stable." Mais, dans l'ensemble, il démontre que les moyens "d'agir collectivement, de manière décisive" sont inexistants dans le système actuel.
Dans le texte de 1990 nous avons basé le développement de notre analyse à partir du constat de l'émergence ou l'aggravation au niveau mondial de toute une série de manifestations mortifères ou chaotiques de la vie sociale. On peut les rappeler ici pour constater à quel point la situation actuelle, telle qu'elle est présentée plus haut, a accentué et amplifié ces manifestations :
Le phénomène de la corruption n'est pas traité dans le rapport du WEF (ne pas fâcher les corrompus !). Malgré tous les programmes "vertueux", ce fléau ne fait que prospérer, particulièrement dans les pays du Tiers Monde, évidemment : par exemple, la victoire des Talibans en Afghanistan et l'avancée des groupes djihadistes au Sahel doivent beaucoup à la corruption débridée des régimes qui étaient ou sont à leur tête. Dans les pays issus de l'ancienne Union soviétique, à commencer par la Russie et l'Ukraine, ce sont des États mafieux qui gouvernent. Mais ce phénomène n'épargne pas les pays les plus développés avec toutes les magouilles (qui ne sont que la pointe de l'iceberg) révélées par les "Panama papers" et autres instances. De même, les "pétrodollars" coulent à flot en direction des pays avancés, particulièrement européens, pour acheter des complaisances de la part de "décideurs de ces pays" des décisions absurdes et nocives comme l'attribution du mondial de football au Qatar ou (incroyable mais vrai) l'attribution des Jeux asiatiques d'hiver à l'Arabie saoudite ! Mais un des sommets a été atteint quand la vice-présidente du Parlement européen, institution supposée, entre autres, combattre la corruption, a été surprises avec des valises de billets de banque provenant du Qatar.
Enfin, il est clair que le terrible bilan humain du tremblement de terre qui a frappé la Turquie et la Syrie début février résulte pour l'essentiel de la corruption qui a permis aux promoteurs de s'abstraire des règles officielles antisismiques afin d'accroitre leurs profits.
"Tendance générale à la perte de contrôle par la bourgeoisie de la conduite de sa politique" :
Comme on l'a vu, cette question est traitée de façon très prudente dans le rapport du WEF, notamment lorsqu'il évoque "un défi existentiel pour les systèmes politiques du monde entier" et "l'élection de dirigeants moins centristes".
Enfin, des manifestations de la décomposition identifiées en 1990 ne sont directement évoquées dans le rapport du WEF (pour des raisons souvent "diplomatiques") ni dans notre texte d'octobre 2022 parce qu'elles étaient secondaires par rapport à l'idée centrale de ce texte : le pas considérable franchi par la décomposition avec l'entrée dans les années 2020..
"Accroissement permanent de la criminalité et de l'insécurité, de la violence urbaine, auxquelles sont mêlés de façon grandissante les enfants" :
On peut citer deux exemples (parmi beaucoup d'autres) : la poursuite des tueries de masse aux États-Unis et les meurtres récents de plusieurs adolescents par d'autres adolescents en France.
"Développement du nihilisme, du 'no future' de la haine et de la xénophobie" :
La montée de la haine raciste (souvent au nom de la religion) qui est le terreau sur lequel prospèrent les populismes d'extrême droite (Nigel Farrage au Royaume Uni, Trump et ses "fans" aux États-Unis, Le Pen en France, Meloni en Italie, etc.)
"Raz-de-marée de la drogue touchant plus particulièrement la jeunesse" :
Pas de recul de ce fléau illustré par la puissance des gangs de narcotrafiquants comme au Mexique.
"Profusion des sectes, regain de l'esprit religieux, y compris dans certains pays avancés" :
Les exemples sont aujourd'hui nombreux de l'aggravation de ce phénomène avec la montée :
Évidemment, le rapport du WEF évite soigneusement d'évoquer ces phénomènes : il faut être poli à l'égard des participants du Forum de Davos qui représentent des gouvernements dont la religion et le fanatisme religieux constituent un instrument politique majeur de leur pouvoir.
"Rejet d'une pensée rationnelle, cohérente, construite, y inclus de la part de certains milieux 'scientifiques'" :
Développement récent du complotisme, notamment au moment de la pandémie du Covid, souvent associé à une idéologie d'extrême droite. Avec une contrepartie, à l'autre côté de l'échiquier politique : le succès croissant du "wokisme", un courant issu des universités américaines, dont la radicalité" consiste à se regrouper en petites chapelles "militantes" autour de thèmes totalement bourgeois qui prétendent "combattre le système".
"'Chacun pour soi', atomisation des individus" :
Un exemple dramatique, celui de l'isolement des personnes âgées lors de la pandémie avant l'utilisation des vaccins, notamment dans les maisons de retraite. Et aussi de la détresse des familles des défunts.
Tous les passages entre guillemets sont tirés des thèses de 1990. Ils rendent compte des caractéristiques déjà présentes dans le monde à cette époque et qui nous avaient permis de fonder notre analyse. Cette accumulation simultanée de toutes ces manifestations catastrophiques, leur quantité, indiquaient que s'ouvrait une période qualitativement nouvelle dans l'histoire de la décadence du capitalisme. Dans les Thèses, l'interaction entre un certain nombre de ces manifestations était déjà présente. Cependant, à cette époque, nous avions surtout mis en évidence l'origine commune de ces manifestations qui, d'une certaine façon, semblaient se développer de façon parallèle sans interagir les unes sur les autres. En particulier, nous avions constaté que si, fondamentalement, la crise économique du capitalisme était à l'origine du phénomène de décomposition de la société, elle n'était pas réellement affectée par les différentes manifestations de cette décomposition.
Ainsi, avec son entrée dans les années 2020, et particulièrement en 2022, on assiste à une accélération de l'histoire, à une nouvelle aggravation dramatique de la décomposition qui conduit la société humaine, voire l'espèce humaine, et c'est perçu par un nombre croissant de personnes, à sa destruction.
Cette intensification des différentes convulsions que connaît la planète, leur interaction croissante, constituent une confirmation non seulement de notre analyse mais aussi de la méthode marxiste sur laquelle elle s'appuie, une méthode qu'ont tendance à "oublier" les autres groupes du milieu politique prolétarien lorsqu'ils rejettent notre analyse de la décomposition.
Cette partie du rapport que nous publions ci-dessous a été augmentée d'un ensemble de développements faisant partie de la méthode d'appréhension de la réalité par le Marxisme. Ils n'étaient pas explicitement présents dans la version soumise au congrès mais la sous-tendent. Le but d'un tel ajout est d'alimenter le débat public en défense de la conception marxiste du matérialisme contre la conception vulgaire de celui-ci défendue par la plupart des composantes du Milieu politique prolétarien, notamment les daménistes et les bordiguistes.
L'histoire est l'histoire de la lutte de classe
Dans l'ensemble, les groupes du MPP ont très peu compris ce que nous voulons dire dans notre analyse sur la décomposition. Celui qui s'est donné la peine d'aller le plus loin dans la réfutation de cette analyse est le groupe bordiguiste qui publie Le Prolétaire en France. Il a consacré deux articles à notre analyse de la montée du populisme dans divers pays et son lien avec l'analyse sur la décomposition (qu'il qualifie de "fameuse et fumeuse") dont voici quelques extraits :
"Révolution Internationale nous explique les racines de cette soi-disant «décomposition»: «l’incapacité actuelle des deux classes fondamentales et antagonistes, que sont la bourgeoisie et le prolétariat, à mettre en avant leur propre perspective (guerre mondiale ou révolution) a engendré une situation de “blocage momentané” et de pourrissement sur pied de la société». Les prolétaires qui au quotidien voient leurs conditions d’exploitation s’aggraver et leurs conditions de vie se dégrader, seront heureux d’apprendre que leur classe est capable de bloquer la bourgeoisie et de l’empêcher de mettre en avant ses «perspectives»..." (LP 523)
"Nous nions donc que la bourgeoisie ait «perdu le contrôle de son système» politique et que les politiques menées par les gouvernements de Grande Bretagne ou des États-Unis soient dues à une mystérieuse maladie nommée «populisme» causée par «l’enlisement de la société dans la barbarie».
Pour le dire de manière très générale, ces tournants (auxquels on pourrait joindre les progrès de l’extrême droite en Suède ou en Allemagne, avec l’appui d’une partie du personnel politique bourgeois) ont pour fonction de répondre à un besoin de la domination bourgeoise, que ce soit sur le plan intérieur ou extérieur, dans une situation d’accumulation des risques économiques et politiques au niveau international – et non pas quelque chose qui «trouble le jeu politique avec pour conséquence une perte de contrôle croissante de l’appareil politique bourgeois sur le terrain électoral»." (LP 530)
Quant à l'idée que le populisme correspondrait à une véritable politique "réaliste" de la bourgeoisie et maîtrisée par celle-ci, ce qui s'est passé au Royaume-Uni ces dernières années devrait faire réfléchir ce groupe.
Comme on peut le voir, Le Prolétaire se donne la peine d'aller au cœur de notre analyse : la situation de blocage entre les classes survenue à la suite de la reprise historique du prolétariat mondial en 1968 (qu'il n'a pas reconnue comme l'ensemble du MPP). En fait, derrière cette méconnaissance, il y a l'incompréhension et le rejet de la notion de cours historique qui renvoie à un désaccord que nous avons avec les groupes issus du Partito de 1945.
Nier l'existence de la période de décomposition signifie pour ces bordigistes la négation du rôle historique fondamental joué par la lutte entre les classes dans le développement de la situation mondiale. En d'autres termes, une entorse majeure à la méthode marxiste. Ne reconnaître le facteur décisif de la lutte des classes que dans les moments exceptionnels où le prolétariat se manifeste ouvertement sur la scène mondiale, c'est-à-dire lorsque les capacités de la classe ouvrière sont évidentes pour tout le monde, est une indication du déclin des épigones de la Gauche italienne.
Le fait que la bourgeoisie ait toujours, à toutes les époques, que ce soit dans les périodes de défaite ou de repli ou dans les périodes de révolution, appris à prendre en compte les dispositions de la classe ouvrière a été connu du marxisme après 1848, après l'écrasement sanglant de l'insurrection du prolétariat français en juin de cette année-là. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Marx, qu'Engels a toujours présenté comme l'exemple par excellence de l'application de la méthode du matérialisme historique aux événements mondiaux, montre qu'après les événements de 1848, la bourgeoisie a été obligée de reconnaître néanmoins la classe ouvrière même vaincue comme son adversaire historique. Cette reconnaissance a été un facteur important dans l'alignement de la classe dirigeante derrière le coup d'État de Louis Bonaparte de 1852 et la répression de la faction républicaine de la bourgeoisie.[1]
Autre successeur du Partito de 1945, la Tendance Communiste Internationaliste (TCI, ex-Bureau International pour le Parti Révolutionnaire) a également renoncé à l'ABC du matérialisme historique selon lequel "l'histoire est l'histoire de la lutte des classes" et elle affiche fièrement son ignorance de la période actuelle de décomposition du capitalisme mondial et de ses causes sous-jacentes qui résident dans l'état des antagonismes de classe.
La TCI tente également de présenter notre analyse comme non marxiste et idéaliste : :
"Après l'effondrement de l'URSS, le CCI a soudainement déclaré que cet effondrement avait créé une nouvelle situation dans laquelle le capitalisme avait atteint un nouveau stade, qu'il a appelé "décomposition". Dans son incompréhension du fonctionnement du capitalisme, pour le CCI, presque tout ce qui est mauvais - du fondamentalisme religieux aux nombreuses guerres qui ont éclaté depuis l'effondrement du bloc de l'Est - n'est que l'expression du Chaos et de la Décomposition. Nous pensons que cela équivaut à l'abandon complet du terrain du marxisme, car ces guerres, tout comme les guerres antérieures de la phase décadente du capitalisme, sont le résultat de cet ordre impérialiste lui-même. (...) La surproduction de capital et de marchandises, provoquée cycliquement par la baisse tendancielle des taux de profit, conduit à des crises économiques et à des contradictions qui, à leur tour, engendrent des guerres impérialistes. Dès que suffisamment de capital est dévalorisé et que les moyens de production sont détruits (par la guerre), un nouveau cycle de production peut commencer. Depuis 1973, nous sommes dans la phase finale d'une telle crise, et un nouveau cycle d'accumulation n'a pas encore commencé". (Marxisme ou idéalisme - Nos divergences avec le CCI)
On peut se demander si les camarades de la TCI (qui pensent que c'est à la suite de l'effondrement du bloc de l'Est en 1989 que nous avons soudainement sorti de notre chapeau notre analyse sur la décomposition) se sont donné la peine de lire notre texte de base de 1990. Dans son introduction, nous sommes très clairs : "Avant même que ne se produisent les évènements de l'Est, le CCI avait déjà mis en évidence ce phénomène historique (voir notamment la Revue internationale, n"57)". C'est également faire preuve d'une superficialité navrante que de nous attribuer l'idée que "presque tout ce qui est mauvais (...) n'est que l'expression du Chaos et de la Décomposition". Et ils nous assènent une idée fondamentale à laquelle ils estiment que nous n'avions pas pensé : "ces guerres, tout comme les guerres antérieures de la phase décadente du capitalisme, sont le résultat de cet ordre impérialiste lui-même". Quelle découverte ! Nous n'avons jamais dit autre chose mais la question qui est posée, et qu'ils ne se posent pas, c'est dans quel contexte historique général s'insère aujourd'hui l'ordre impérialiste. Pour les militants de la TCI, il suffit qu'on détruise suffisamment de capital constant pour que puisse s'amorcer un nouveau cycle d'accumulation. De ce point de vue, les destructions qui se produisent aujourd'hui en Ukraine sont un bienfait pour la santé de l'économie mondiale. Il faudra passer le message aux dirigeants économiques de la bourgeoisie qui lors du récent Forum de Davos s'alarment, comme on l'a vu, de la perspective du monde capitaliste et notamment de l'impact négatif de la guerre en Ukraine sur l'économie mondiale. En fait, ceux qui nous attribuent une rupture avec la démarche marxiste feraient bien de relire (ou de lire) les textes fondamentaux de Marx et Engels et d'essayer de comprendre la méthode qu'ils emploient. Si les faits eux-mêmes, l'évolution de la situation mondiale, confirment, jour après jour, la validité de notre analyse, c'est en grande partie parce qu'elle s'appuie fermement sur la méthode dialectique du marxisme (même s'il n'y a pas dans les thèses de 1990 de référence explicite à cette méthode ni de citations de Marx ou Engels).
Dans son rejet de l'analyse de la décomposition du capitalisme mondial, la TCI se distingue, et se met dans l'embarras, en portant également sa hache polémique, bien qu'émoussée, à un autre pilier de la méthode marxiste du matérialisme historique qui est résumé dans la préface de Marx à la "Contribution à la critique de l'économie politique" de 1859 (et repris dans le premier point de la plate-forme du CCI). Les rapports de production dans chaque formation sociale de l'histoire humaine - rapports qui déterminent les intérêts et les actions des classes opposées qui en sont issues - se transforment toujours de facteurs de développement des forces productives dans une phase ascendante, en entraves négatives de ces mêmes forces dans une autre phase, créant la nécessité d'une révolution sociale. Mais la période de décomposition, point culminant d'un siècle de décadence du capitalisme en tant que mode de production, n'existe tout simplement pas pour la TCI.
Bien que la TCI utilise l'expression "phase de décadence du capitalisme", elle n'a pas compris ce que cette phase signifie pour le développement de la crise économique du capitalisme ou des guerres impérialistes qui en découlent.
À l'époque de l'ascension du capitalisme, les cycles de production - communément appelés booms et effondrements - étaient les battements de cœur d'un système en expansion progressive. Les guerres limitées de cette époque pouvaient soit accélérer cette progression par la consolidation nationale - comme la guerre franco-prussienne de 1871 l'a fait pour l'Allemagne - soit gagner de nouveaux marchés par la conquête coloniale. La dévastation des deux guerres mondiales, les destructions impérialistes de la période décadente et leurs conséquences expriment par contraste la ruine du système capitaliste et son impasse en tant que mode de production.
Pour la TCI, cependant, la saine dynamique d'accumulation capitaliste du 19e siècle est éternelle : pour cette organisation, les cycles de production n'ont fait qu'augmenter en taille. Et cela les conduit à l'absurdité qu'un nouveau cycle de production capitaliste pourrait être fertilisé dans les cendres d'une troisième guerre mondiale.[2] Même la bourgeoisie n'est pas aussi stupidement optimiste quant aux perspectives de son système et a une meilleure compréhension de l'ère des catastrophes à laquelle elle est confrontée.
La TCI est peut-être "économiquement matérialiste", mais pas dans le sens marxiste de l'analyse du développement des rapports de production dans des conditions historiques qui ont changé fondamentalement.
Dans 3 ouvrages fondamentaux du mouvement ouvrier, Le Capital de Marx, l'Accumulation du capital de Rosa Luxemburg et L'État et la Révolution de Lénine on trouve une approche historique des questions étudiées. Marx consacre de nombreuses pages pour expliquer comment le mode de production capitaliste, qui déjà domine pleinement la société de son temps, s'est développé au cours de l'histoire. Rosa Luxemburg examine comment la question de l'accumulation a été posée par différents auteurs plus anciens et Lénine fait de même sur la question de l'État. Dans cette approche historique, il s'agit de rendre compte du fait que les réalités qu'on examine ne sont pas des choses statiques, intangibles, ayant existé de tout temps mais correspondent à des processus en constante évolution avec des éléments de continuité mais aussi, et surtout, de transformation et même de rupture. Les thèses de 1990 essaient de s'inspirer de cette démarche en présentant la situation historique actuelle dans l'histoire générale de la société, celle du capitalisme et plus particulièrement l'histoire de la décadence de ce système. Plus concrètement, elles relèvent les similitudes entre la décadence des sociétés précapitalistes et celle de la société capitaliste mais aussi, et surtout, les différences entre elles, question qui est au cœur de la survenue de la phase de décomposition au sein de celle-ci : "alors que, dans les sociétés du passé, les nouveaux rapports de production appelés à succéder aux rapports de production devenus caducs pouvaient se développer à leur côté, au sein même de la société -ce qui pouvait, d'une certaine façon, limiter les effets et l'ampleur de sa décadence-, la société communiste, seule capable de succéder au capitalisme, ne peut en aucune façon se développer au sein de celui-ci; il n'existe donc nulle possibilité d'une quelconque régénérescence de la société en l'absence du renversement violent du pouvoir de la classe bourgeoise et de l'extirpation des rapports de production capitalistes." (Thèse 1)
En revanche, le matérialisme anhistorique de la TCI peut expliquer tous les événements, toutes les guerres, à toutes les époques en appliquant de façon incantatoire la même formule : "cycles d'accumulation". Ce matérialisme oraculaire, parce qu'il explique tout, n'explique rien et c'est pourquoi il ne peut pas exorciser le danger de l'idéalisme. Au contraire, les lacunes créées par le matérialisme vulgaire doivent être comblées par un ciment idéaliste. Lorsque les conditions réelles de la lutte révolutionnaire du prolétariat ne peuvent être comprises ou expliquées, un deus ex-machina idéaliste est nécessaire pour résoudre le problème : "le parti révolutionnaire". Mais il ne s'agit pas du parti communiste qui émerge et se construit dans des conditions historiques spécifiques, mais d'un parti mythique qui peut être gonflé à n'importe quelle période par de l'air chaud opportuniste.
La composante dialectique du matérialisme historique
Les épigones de la gauche italienne[3], en décriant l'existence d'une période de décomposition du capitalisme mondial, ont donc dû essayer de supprimer deux piliers majeurs de la méthode marxiste du matérialisme historique. En premier lieu, le fait que l'histoire du capitalisme, comme toute histoire antérieure, est l'histoire de la lutte des classes, et, en second lieu, le fait que le rôle déterminant des lois économiques évolue avec l'évolution historique d'un mode de production.
Il y a une troisième exigence oubliée, implicite dans les deux autres aspects de la méthode marxiste : la reconnaissance de l'évolution dialectique de tous les phénomènes, y compris le développement des sociétés humaines, selon l'unité des contraires, que Lénine décrit comme l'essence de la dialectique dans son travail sur la question pendant la première guerre mondiale. Alors que les épigones ne voient le développement qu'en termes de répétition et d'augmentation ou de diminution, le marxisme comprend que la nécessité historique -le déterminisme matérialiste- s'exprime de manière contradictoire et interactive, de sorte que la cause et l'effet peuvent changer de place et que la nécessité se révèle à travers un chemin tortueux.
Pour le marxisme, la superstructure des formations sociales, c'est-à-dire leur organisation politique, juridique et idéologique, naît sur la base de l'infrastructure économique et est déterminée par cette dernière. C'est ce qu'ont compris les épigones. Cependant, le fait que cette superstructure puisse agir comme cause -si ce n'est comme principe- aussi bien que comme effet, leur échappe. Engels, vers la fin de sa vie, a dû insister sur ce point précis dans une série de lettres adressées dans les années 1890 au matérialisme vulgaire des épigones de l'époque. Sa correspondance est une lecture absolument essentielle pour ceux qui nient aujourd'hui que la décomposition de la superstructure capitaliste puisse avoir un effet catastrophique sur les fondements économiques du système.
"Le développement politique, juridique, philosophique, religieux, littéraire, artistique, etc., repose sur le développement économique. Ils réagissent tous les uns sur les autres et sur la base économique. Il n'est pas vrai que la situation économique est la seule cause active et que tout le reste n'qu'un effet passif. Mais il y a une action réciproque sur la base de la nécessité économique qui finit toujours par l'emporter en dernière instance." (Engels à Borgius, 25 janvier 1894)
Dans la phase finale du déclin capitaliste, sa période de décomposition, l'effet rétroactif de la superstructure en décomposition sur l'infrastructure économique est de plus en plus accentué, comme l'ont prouvé de manière frappante les effets économiques négatifs de la pandémie de Covid, du changement climatique et de la guerre impérialiste en Europe -sauf pour les disciples aveugles de Bordiga et Damen.[4]
Marx n'a pas eu la possibilité d'exposer, comme il en avait formulé le projet, sa méthode, celle qu'il emploie notamment dans le Capital. Il évoque seulement cette méthode, très brièvement, dans la postface de la 2e édition allemande de son livre. Pour notre part, notamment face aux accusations, souvent stupides, du MPP (et encore plus des parasites) suivant lesquelles notre analyse "n'est pas marxiste", qu'elle est "idéaliste", il nous appartient de mettre en évidence la fidélité de la démarche des thèses de 1990 à l'égard de la méthode dialectique du marxisme dont on peut rappeler quelques éléments supplémentaires :
La transformation de la quantité en qualité :
C'est une idée qui revient souvent dans le texte de 1990. Des manifestations de décomposition pouvaient exister dans la décadence du capitalisme mais, aujourd'hui, l'accumulation de ces manifestations fait la preuve d'une transformation-rupture dans la vie de la société, signant l'entrée dans une nouvelle époque de la décadence capitaliste où la décomposition devient l'élément déterminant. Cette composante de la dialectique marxiste ne se limite pas aux faits sociaux. Comme le souligne Engels, notamment dans l'Anti Dühring et La dialectique de la nature, c'est un phénomène qu'on retrouve dans tous les domaines et qui, d'ailleurs, a été appréhendé par d'autres penseurs. Ainsi, dans l'Anti Dühring, Engels cite une phrase de Napoléon Bonaparte qui dit (en résumé) " Deux Mameluks étaient absolument supérieurs à trois Français; (…) 1.000 Français culbutaient toujours 1.500 Mameluks" du fait de la discipline qui devient efficace lorsqu'elle concerne un grand nombre de combattants. Engels insiste aussi beaucoup sur le fait que cette loi s'applique pleinement dans le domaine des sciences. Pour ce qui concerne la situation historique présente et la multiplication de toute une série de faits catastrophiques, c'est tourner le dos à la dialectique marxiste (ce qui est normal de la part de l'idéologie bourgeoise et de la majorité des "spécialistes" universitaires) que de ne pas s'appuyer sur cette loi de la transformation de la quantité en qualité, ce qui est pourtant le cas pour l'ensemble du MPP qui essaie d'appliquer une cause spécifique et isolée à chacune des manifestations catastrophiques de l'histoire présente.
Le tout n'est pas la simple somme des parties :
Les différentes composantes de la vie de la société, si elles ont chacune une spécificité, si elles peuvent même acquérir dans certaines circonstances une autonomie relative, s'entre-déterminent au sein d'une totalité gouvernée, "en dernière instance" (mais seulement en dernière instance, comme le dit Engels dans la célèbre lettre à J. Bloch du 21 septembre 1890), par le mode et les rapports de production et leur évolution. C'est un des phénomènes majeurs de la situation présente. Les différentes manifestations de la décomposition qui, au début, pouvaient sembler indépendantes mais dont l'accumulation indiquait déjà que nous étions entrés dans une nouvelle époque de la décadence capitaliste, se répercutent maintenant de façon croissante les unes sur les autres dans une sorte de "réaction en chaîne", de "tourbillon" qui imprime à l'histoire l'accélération dont nous sommes les témoins (y compris les "experts" de Davos).
Le rôle décisif du futur
Enfin, l'emprunt à la dialectique marxiste de l'approche historique, de cet aspect essentiel que constitue le mouvement, la transformation, se situe au cœur de l'idée centrale de notre analyse sur la décomposition : "aucun mode de production ne peut vivre, se développer, se maintenir sur des bases viables, assurer la cohésion sociale, s'il n'est pas capable de présenter une perspective à l'ensemble de la société qu'il domine. Et c'est particulièrement vrai pour le capitalisme en tant que mode de production le plus dynamique de l'histoire." (Thèse 5) Et justement, aujourd'hui, aucune des deux classes fondamentales, la bourgeoisie et le prolétariat, ne peut, pour le moment, offrir une telle perspective à la société.
Pour ceux qui nous traitent "d'idéalistes", c'est un véritable scandale que d'affirmer qu'un facteur d'ordre idéologique, l'absence d'un projet dans la société, puisse impacter de façon majeure la vie de celle-ci. En réalité, ils font la preuve que le matérialisme dont ils se revendiquent n'est autre qu'un matérialisme vulgaire déjà critiqué en son temps par Marx, notamment dans les Thèses sur Feuerbach. Dans leur vision, les forces productives se développent de manière autonome. Et le développement des forces productives est seul à dicter les changements dans les rapports de production et les rapports entre les classes.
Selon eux, les institutions et les idéologies, c'est-à-dire la superstructure, restent en place tant qu'elles légitiment, conservent les rapports de production existants. Et donc des éléments tels que les idées, la morale humaine, ou encore l'intervention politique dans le processus historique sont exclus.
Le matérialisme historique contient, en plus des facteurs économiques, d'autres facteurs comme les richesses naturelles et les facteurs contextuels. Les forces productives contiennent beaucoup plus que les machines ou la technologie. Elles contiennent des connaissances, le savoir-faire, l'expérience. En fait tout ce qui rend possible le processus de travail ou qui l’entrave. La forme de la coopération, l'association sont elles-mêmes des forces productives et constituent également un élément important de la transformation et du développement économiques.
Ceux qu'on pourrait appeler les "anti-dialecticiens"[5] nient la distinction entre les conditions objectives et les conditions subjectives de la lutte révolutionnaire. Ils font découler la capacité de la classe à la simple défense de ses intérêts économiques immédiats. Ils considèrent que les intérêts de classe du prolétariat créeront la capacité de celui-ci à réaliser et à défendre ces intérêts. Ils nient les forces à l'œuvre pour désorganiser systématiquement la classe ouvrière, annihiler ses capacités, la diviser et obscurcir le caractère de classe de sa lutte.
Comme Lénine l'a remarqué, nous devons faire des analyses concrètes de la situation concrète. Et dans la société capitaliste la plus développée, un rôle très important est dévolu à l'idéologie, à un appareil qui doit défendre, justifier les intérêts bourgeois et donner une stabilité au système capitaliste. C'est pour cela que Marx a mis en avant que pour que la révolution communiste puisse avoir lieu, il fallait que soient réunies ses conditions objectives et ses conditions subjectives. La première condition est la capacité de l'économie de produire en abondance suffisante pour la population mondiale. La seconde condition, un niveau suffisant de développement de la conscience de classe. Cela nous ramène à notre analyse sur la question du "maillon faible" et de l'expérience historique nécessaire qui s'exprime dans la conscience.
Les "déterministes" retirent le développement des forces productives de leur contexte social. Ils tendent à nier TOUTE signification de la superstructure idéologique, même s'ils s'en défendent. Les luttes ouvrières tendent à apparaître comme une pure question de réflexes. C'est une vision fondamentalement fataliste qui est bien exprimée dans l'idée de Bordiga que "la révolution est aussi certaine que si elle avait déjà eu lieu". Une telle vision conduit à une soumission passive, une soumission qui attend les effets automatiques du développement économique. En fin de compte, elle ne laisse aucune place à la lutte de classe comme condition fondamentale à tout changement, en contradiction avec la première phrase du Manifeste Communiste : "L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes."
La troisième thèse sur Feuerbach nous donne une bonne appréhension du matérialisme historique et rejette tout déterminisme strict :
"La doctrine matérialiste qui veut que les hommes soient des produits des circonstances et de l'éducation, que, par conséquent, des hommes transformés soient des produits d'autres circonstances et d'une éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment les circonstances et que l'éducateur a lui-même besoin d'être éduqué. C'est pourquoi elle tend inévitablement à diviser la société en deux parties dont l'une est au-dessus de la société (par exemple chez Robert Owen).
La coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou auto-changement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu'en tant que pratique révolutionnaire."
Il est probable que nos détracteurs y verront une vision idéaliste mais nous maintenons que la dialectique marxiste attribue au futur une place fondamentale dans l'évolution et le mouvement de la société. Des trois moments d'un processus historique, le passé, le présent, le futur, c'est ce dernier qui constitue le facteur fondamental dans sa dynamique
Le rôle du futur est fondamental dans l'histoire de l'humanité. Les premiers humains partis d'Afrique à la conquête du monde, les aborigènes partis d'Australie à la conquête du Pacifique cherchaient, pour le futur, de nouveaux moyens de subsistance. C'est la préoccupation du futur qui anime le désir de procréation aussi bien que la plupart des religions. Et puisqu'il faut à nos détracteurs des exemples "bien économiques", on peut en citer deux dans le fonctionnement du capitalisme. Quand un capitaliste investit, ce n'est pas les yeux tournés vers le passé, c'est pour obtenir un profit futur. De même, le crédit, qui joue un rôle si fondamental dans les mécanismes du capitalisme, n'est pas autre chose qu'une traite sur l'avenir.
Le rôle du futur est omniprésent dans les textes de Marx et plus généralement du marxisme. Ce rôle est bien mis en évidence dans ce passage bien connu du Capital :
"Notre point de départ c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté."
Évidemment, ce rôle essentiel du futur dans la société est encore plus fondamental pour le mouvement ouvrier dont les combats du présent ne prennent de sens réel que dans la perspective de la révolution communiste du futur.
"La révolution sociale du XIX° siècle [la révolution prolétarienne] ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l'avenir." (Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte)
"Les trade-unions agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital. Elles manquent en partie leur but dès qu'elles font un emploi peu judicieux de leur puissance. Elles manquent entièrement leur but dès qu'elles se bornent à une guerre d'escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d'un levier pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l'abolition définitive du salariat." (Marx, Salaire, prix et profit)
“'Le but final, quel qu’il soit, n’est rien, le mouvement est tout'. [d'après Bernstein] Or, le but final du socialisme est le seul élément décisif distinguant le mouvement socialiste de la démocratie bourgeoise et du radicalisme bourgeois, le seul élément qui, plutôt que de donner au mouvement ouvrier la vaine tâche de replâtrer le régime capitaliste pour le sauver, en fait une lutte de classe contre ce régime, pour l’abolition de ce régime…" (Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou Révolution ?)
"Que faire ?", "Par où commencer ?" (Lénine)
Et c'est justement parce que la société actuelle est privée de cet élément fondamental, le futur, la perspective (ce qui est ressenti par de plus en plus de monde, notamment dans la jeunesse), une perspective que seul le prolétariat peut lui offrir, qu'elle s'enfonce dans le désespoir et qu'elle pourrit sur pieds.
Le rapport du WEF 2023 nous alerte de façon très convaincante sur l'extrême gravité de la situation actuelle du monde laquelle sera bien pire encore à l'horizon des années 2030 "en l'absence de changements politiques ou d'investissements significatifs" En même temps, il "met en évidence la paralysie et l'inefficacité des principaux mécanismes multilatéraux face aux crises auxquelles l'ordre mondial est confronté" et relève la "divergence entre ce qui est scientifiquement nécessaire et ce qui est politiquement opportun". En d'autres mots, la situation est désespérée et la société actuelle est définitivement incapable de renverser le cours à sa destruction ce qui confirme le titre de notre texte d'octobre 2022 : "L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité" de même qu'il confirme pleinement le pronostic déjà contenu dans nos thèses de 1990.
En même temps, ce rapport évoque à plusieurs reprises la perspective de "troubles sociaux généralisés" lesquels "ne seront pas limités aux marchés émergents" (ce qui signifie qu'ils affecteront également les pays les plus développés) et qu'ils "constituent un défi existentiel pour les systèmes politiques du monde entier". Rien de moins ! Pour le WEF, et la bourgeoisie en général, ces troubles sociaux sont rangés dans la catégorie négative des "risques" et des menaces pour "l'ordre mondial". Mais les prévisions du WEF apportent de façon timide et involontaire de l'eau au moulin de notre propre analyse en signalant que le prolétariat continue de représenter une menace pour l'ordre bourgeois. Comme l'ensemble de la bourgeoisie, le WEF ne fait pas de distinction entre les différents troubles sociaux : tout cela est facteur de "désordre" et de "chaos". Et c'est vrai que certains mouvements sont à ranger dans cette catégorie, comme ce fut le cas du "Printemps Arabe" par exemple. Mais en réalité, ce qui effraie le plus la bourgeoisie, sans qu'elle le dise ouvertement ou qu'elle en soit pleinement consciente, c'est que, parmi ces "troubles sociaux", il en est certains qui préfigurent le renversement de son pouvoir sur la société et du système capitaliste : les luttes du prolétariat.
Ainsi, même sous cet aspect, le WEF vient illustrer nos thèses de 1990 et notre texte d'octobre 2022. Celui-ci reprend l'idée que, malgré toutes les difficultés qu'il a rencontrées, le prolétariat n'a pas perdu la partie, que "la perspective historique reste totalement ouverte" (thèse 17). Et il rappelle que " Malgré le coup porté par l'effondrement du bloc de l'Est à la prise de conscience du prolétariat, celui-ci n'a subi aucune défaite majeure sur le terrain de sa lutte ; en ce sens, sa combativité reste pratiquement intacte. Mais en outre, et c'est là l'élément qui détermine en dernier ressort l'évolution de la situation mondiale, le même facteur qui se trouve à l'origine du développement de la décomposition, l'aggravation inexorable de la crise du capitalisme, constitue le stimulant essentiel de la lutte et de la prise de conscience de la classe, la condition même de sa capacité à résister au poison idéologique du pourrissement de la société. En effet, autant le prolétariat ne peut trouver un terrain de rassemblement de classe dans des luttes partielles contre les effets de la décomposition, autant sa lutte contre les effets directs de la crise elle-même constitue la base du développement de sa force et de son unité de classe." (Ibid.).
De plus :
"la crise économique, contrairement à la décomposition sociale qui concerne essentiellement les superstructures, est un phénomène qui affecte directement l'infrastructure de la société sur laquelle reposent ces superstructures ; en ce sens, elle met à nu les causes ultimes de l'ensemble de la barbarie qui s'abat sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement de système, et non de tenter d'en améliorer certains aspects." (Ibid.).
Et en fait nous pouvons aujourd'hui constater que, malgré le poids de la décomposition (notamment de l'effondrement du stalinisme) et la longue torpeur qui l'a affectée, la classe ouvrière est toujours présente sur la scène de l'histoire et a la capacité de reprendre son combat comme le démontrent notamment les luttes au Royaume-Uni et en France (les deux prolétariats qui furent à l'origine de la fondation de l'AIT en 1864 : c'est un clin d'œil de l'histoire !)
Effectivement, le chemin que doit accomplir le prolétariat est extrêmement long et difficile. D'une part, il devra affronter tous les pièges que la bourgeoisie mettra sur son chemin, et cela dans une ambiance idéologique empoisonnée par la décomposition de la société capitaliste qui vient en permanence entraver le combat et la conscience du prolétariat :
Les thèses de 1990 insistent sur ces difficultés. Elles soulignent en particulier qu'il "est (…) fondamental de comprendre que plus le prolétariat tardera à renverser le capitalisme, plus importants seront les dangers et les effets nocifs de la décomposition." (Thèse 15)
"En fait, il convient de mettre en évidence qu'aujourd'hui, contrairement à la situation existante dans les années 1970, le temps ne joue plus en faveur de la classe ouvrière. Tant que la menace de destruction de la société était représentée uniquement par la guerre impérialiste, le simple fait que les luttes du prolétariat soient en mesure de se maintenir comme obstacle décisif à un tel aboutissement suffisait à barrer la route à cette destruction. En revanche, contrairement à la guerre impérialiste qui, pour pouvoir se déchaîner, requiert l'adhésion du prolétariat aux idéaux de la bourgeoisie, la décomposition n'a nul besoin de l'embrigadement de la classe ouvrière pour détruire l’humanité. En effet, de même qu'elles ne peuvent s'opposer à l'effondrement économique, les luttes du prolétariat dans ce système ne sont pas non plus en mesure de constituer un frein à la décomposition. Dans ces conditions, même si la menace que représente la décomposition pour la vie de la société apparaît comme à plus long terme que celle qui pourrait provenir d'une guerre mondiale (si les conditions de celle-ci étaient présentes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui), elle est par contre beaucoup plus insidieuse. Pour mettre fin à la menace que constitue la décomposition, les luttes ouvrières de résistance aux effets de la crise ne suffisent plus : seule la révolution communiste peut venir à bout d'une telle menace." (Thèse 16)
La brutale accélération de la décomposition à laquelle nous assistons aujourd'hui et qui rend toujours plus menaçante, même aux yeux des secteurs les plus lucides de la bourgeoisie, la perspective d'une destruction de l'humanité, constitue bien une confirmation de cette analyse. Et puisque seule la révolution communiste pourra mettre fin à la dynamique destructrice de la décomposition et à ses effets de plus en plus délétères, cela peut donner une idée de la difficulté du chemin qui conduit au renversement du capitalisme. Un chemin au cours duquel les tâches que doit accomplir le prolétariat sont considérables. Il lui faudra en particulier se réapproprier pleinement son identité de classe fortement affectée par la contre-révolution et les différentes manifestations de la décomposition, notamment l'effondrement des régimes soi-disant "socialistes". Il lui faudra aussi, et c'est également fondamental, se réapproprier son expérience passée, ce qui est une tâche immense tant cette expérience a été oubliée par les prolétaires. C'est là une responsabilité fondamentale de l'avant-garde communiste : apporter une contribution décisive à cette réappropriation par l'ensemble de la classe des leçons de plus d'un siècle et demi du combat prolétarien.
Les difficultés que devra affronter le prolétariat ne vont pas disparaître avec le renversement de l'État capitaliste dans tous les pays. à la suite de Marx, nous avons souvent insisté sur l'immensité de la tâche qui attend la classe ouvrière durant la période de transition du capitalisme au communisme, une tâche sans commune mesure avec toutes les révolutions du passé puisqu'il s'agit de passer du "règne de la nécessité au règne de la liberté". Et il est clair que plus la révolution tardera à être accomplie, plus immense sera la tâche : jour après jour le capitalisme détruit un peu plus la planète et, partant, les conditions matérielles du communisme. De plus, la prise du pouvoir par le prolétariat fera suite à une terrible guerre civile augmentant les ravages de tous ordres déjà provoqués par le mode de production capitaliste avant même la période révolutionnaire. En ce sens, la tâche de reconstruction de la société que devra accomplir le prolétariat sera incomparablement plus gigantesque que celle qu'il aurait dû réaliser s'il avait pris le pouvoir lors de la vague révolutionnaire du premier après-guerre. De même, si les destructions de la Seconde Guerre mondiale furent déjà considérables, elles n'ont affecté que les pays concernés par les combats ce qui a permis une reconstruction de l'économie mondiale, d'autant plus que la principale puissance industrielle, les États-Unis, avait été épargnée par ces destructions. Mais aujourd'hui c'est toute la planète qui est concernée par les destructions croissantes et de tous ordres provoqués par le capitalisme agonisant. En conséquence, il faut être clair sur le fait que la prise du pouvoir par la classe ouvrière à l'échelle mondiale ne constituera pas en soi la garantie qu'elle sera en mesure d'accomplir sa tâche historique, l'instauration du communisme. Le capitalisme, en permettant un formidable développement des forces productives, a créé les conditions matérielles du communisme mais la décadence de ce système, et sa décomposition, pourraient saper ces conditions en léguant au prolétariat une planète complètement dévastée, irrécupérable.
Il est donc de la responsabilité des révolutionnaires de souligner les difficultés que le prolétariat devra affronter sur le chemin du communisme. Leur rôle n'est pas de fournir des consolations afin de ne pas désespérer la classe ouvrière. La vérité est révolutionnaire, comme disait Marx, aussi terrible soit-elle.
Cela-dit, s'il parvient à prendre le pouvoir, le prolétariat disposera d'un certain nombre d'atouts pour accomplir sa tâche de reconstruction de la société.
D'une part, il pourra mettre à son service les formidables progrès accomplis par la science et la technologie au cours du 20e siècle et les deux décennies du 21e siècle. Le rapport du WEF évoque ces progrès en précisant qu'ils concernent des "technologies à double usage (civil et militaire)". Lorsque le prolétariat aura pris le pouvoir, l'usage militaire n'aura plus lieu d'être ce qui représente une avancée considérable puisqu’il est clair qu'aujourd'hui la sphère militaire se taille la part du lion (à côté de nombreuses autres dépenses improductives) dans les bénéfices apportés par les progrès technologiques.
Plus globalement, la prise du pouvoir par le prolétariat devra permettre une libération sans précédent des forces productives emprisonnées par les lois du capitalisme. Non seulement l'énorme fardeau des dépenses militaires et improductives sera éliminé, mais aussi le gaspillage monstrueux que représentent la concurrence entre les divers secteurs économiques et nationaux de la société bourgeoise ainsi qu'une sous-utilisation phénoménale des forces productives (obsolescence programmée, chômage de masse, absence ou déficience des systèmes d'éducation, etc.).
Mais le principal atout du prolétariat dans cette période de transition-reconstruction ne sera pas d'ordre technologique ou strictement économique. Il sera fondamentalement d'ordre politique. Si le prolétariat réussit à prendre le pouvoir, cela voudra dire qu'il est parvenu au cours de la période d'affrontement avec l'État capitaliste, de la guerre civile contre la bourgeoisie, à un très haut niveau de conscience, d'organisation et de solidarité. Et ce sont des acquis qui seront précieux pour affronter les défis immenses qui se présenteront à lui. Surtout, le prolétariat pourra s'appuyer sur le futur, cet élément fondamental dans la vie de la société, ce futur dont l'absence dans la société actuelle est au cœur de son pourrissement sur pieds.
Dans son Rapport sur le développement humain de 2021-22 [2021/2022 Human Development Report] publié en octobre dernier et intitulé "Des temps incertains, des vies instables" :
"De nouvelles couches d'incertitudes interagissent pour créer de nouveaux types d'incertitudes - un nouveau complexe d'incertitudes - jamais vu dans l'histoire de l'humanité. En plus de l'incertitude quotidienne à laquelle les gens sont confrontés depuis des temps immémoriaux, nous naviguons maintenant dans des eaux inconnues, pris dans trois courants croisés volatils :
Les crises mondiales se sont accumulées : la crise financière mondiale, la crise climatique mondiale en cours et la pandémie de Covid-19, une crise alimentaire mondiale imminente. Nous avons le sentiment tenace que le contrôle que nous avons sur nos vies nous échappe, que les normes et les institutions sur lesquelles nous avions l'habitude de compter pour assurer la stabilité et la prospérité ne sont pas à la hauteur du complexe d'incertitude d'aujourd'hui."]
Comme on peut le constater, ce rapport de l'ONU va dans le même sens que celui du WEF. Il va même plus loin d'une certaine façon puisqu'il considère que la terre est entrée dans une nouvelle période géologique du fait de l'action des humains, qui commence au 17e siècle et qu'il appelle Anthropocène et que nous appelons le capitalisme. Surtout, il souligne le profond désespoir, le "no future" qui imprègne de plus en plus la société (qu'il baptise "complexe d'incertitude").
Justement, le fait que la révolution prolétarienne redonne à la société humaine un futur qu'elle a perdu va constituer un puissant facteur dans la capacité de la classe ouvrière d'atteindre enfin la "terre promise" du communisme après, non pas 40 ans, mais bien plus d'un siècle de "traversée du Désert".
[1] "Leur instinct leur disait que si la République rend plus complète leur domination politique, elle en mine en même temps les bases sociales en les opposant aux classes opprimées de la société et en les obligeant à lutter contre elles sans intermédiaire, sans le couvert de la couronne, sans pouvoir détourner l'intérêt de la nation au moyen de leurs luttes subalternes entre eux et contre la royauté. C'était le sentiment de leur faiblesse qui les faisait trembler devant les conditions pures de leur propre domination de classe et regretter les formes moins achevées, moins développées et, par conséquent, moins dangereuses de leur domination." (Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, 3e Partie)
[2] Ce changement qualitatif (et pas seulement quantitatif) fondamental dans la vie du capitalisme est clairement mis en évidence par le Manifeste de l'Internationale communiste (mars 1919) : "Si l'absolue sujétion du pouvoir politique au capital financier a conduit l'humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier non seulement de militariser jusqu'au bout l'Etat, mais de se militariser lui-même, de sorte qu'il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et par le sang. (...) L'étatisation de la vie économique, contre laquelle protestait tant le libéralisme capitaliste, est un fait accompli. Revenir, non point à la libre concurrence, mais seulement à la domination des trusts, syndicats et autres pieuvres capitalistes, est désormais impossible." Mais, de toute évidence, les camarades de la TCI ne connaissent pas ce document ; à moins qu'ils ne soient pas d'accord avec cette position fondamentale de l'IC ce qu'ils devraient dire clairement.
[3] Nous nous autorisons à utiliser ce terme car les descendants du Partito de 1945 ont tourné le dos au travail théorique révolutionnaire de Bilan, la Gauche italienne en exil, dans les années 1930.
[4] Une autre lettre d'Engels au sujet de la méthode marxiste semble parfaitement adaptée à ces disciples : "Ce qui manque à tous ces messieurs, c’est la dialectique. Ils ne voient toujours ici que la cause, là que l’effet. Que c’est une abstraction vide, que dans le monde réel pareils antagonismes polaires métaphysiques n’existent que dans les crises, mais que tout le grand cours des choses se produit sous la forme d’action et de réaction de forces, sans doute, très inégales, — dont le mouvement économique est de beaucoup la force la plus puissante, la plus initiale, la plus décisive, qu’il n’y a rien ici d’absolu et que tout est relatif, tout cela, que voulez-vous, ils ne le voient pas ; pour eux Hegel n’a pas existé…" (Engels à Conrad Schmidt, 27 octobre 1890)
[5] Il convient de distinguer la dialectique marxiste, objective, de la dialectique vide et subjective des divers courants de l'anarchisme et du modernisme, qui en restent de façon confuse au niveau de trouver des contradictions partout. Ils peuvent bien reconnaître certains des phénomènes de la décomposition, mais ils refusent de manière caractéristique de voir la cause ultime et la logique de la période de décomposition dans la faillite économique du système capitaliste. Pour eux, la dialectique historique objective est un anathème, car elle les priverait de leur principale préoccupation, à savoir la préservation dogmatique de leur liberté d'opinion individuelle. Si le facteur économique est traité comme un facteur parmi d'autres d'égale importance, leur dialectique reste subjective, anhistorique et, comme les épigones de la gauche italienne, incapable de saisir la trajectoire des événements.
En débutant par une effroyable pandémie, les années 2020 ont rappelé concrètement la seule alternative qui existe : révolution prolétarienne ou destruction de l’humanité. Avec le Covid 19, le conflit en Ukraine et l’accroissement de l’économie de guerre partout, la crise économique et son inflation ravageuse, avec le réchauffement climatique et la dévastation de la nature qui menacent de plus en plus jusqu’à la vie même, avec la montée du chacun pour soi, de l’irrationnel et de l’obscurantisme, la décomposition de tout le tissu social, les années 2020 ne voient pas seulement s’additionner les fléaux meurtriers ; tous ces fléaux convergent, combinent et s’alimentent. Les années 2020 vont être une concaténation de tous les pires maux du capitalisme décadent et pourrissant. Le capitalisme est entré dans une phase de graves extrêmes convulsions, dont la plus menaçante et sanglante est le risque de multiplication des conflits guerriers.
La décadence du capitalisme a une histoire, elle a ainsi connu depuis 1914 plusieurs étapes. Celle qui s’est ouverte en 1989 est "une phase spécifique -la phase ultime- de son histoire, celle où la décomposition devient un facteur, sinon le facteur, décisif de l'évolution de la société"[1]. La caractéristique principale de cette phase de décomposition, ses racines les plus profondes, ce qui mine toute la société et engendre le pourrissement, c’est l’absence de perspective. Ces années 2020 le prouvent une nouvelle fois, la bourgeoisie ne peut offrir à l’humanité que plus de misère, de guerre et de chaos, dans un désordre grandissant et de plus en plus irrationnel. Mais qu’en est-il de la classe ouvrière ? Qu’en est-il de sa perspective révolutionnaire, le communisme ? Il est évident que le prolétariat est plongé depuis des décennies dans d’immenses difficultés ; ses luttes sont rares et peu massives, sa capacité à s’organiser est encore extrêmement limitée et, surtout, il ne sait plus qu’il existe en tant que classe, en tant que force sociale capable de mener un projet révolutionnaire. Or, le temps ne joue pas en faveur de la classe ouvrière.
Néanmoins, si ce danger d’une lente et finalement irréversible érosion des bases mêmes du communisme existe, il n’y a aucune fatalité à cette fin dans la barbarie totale ; au contraire la perspective historique reste totalement ouverte. En effet, "malgré le coup porté par l'effondrement du bloc de l'Est à la prise de conscience du prolétariat, celui-ci n'a subi aucune défaite majeure sur le terrain de sa lutte en ce sens, sa combativité reste pratiquement intacte. Mais en outre, et c'est là l'élément qui détermine en dernier ressort l'évolution de la situation mondiale, le même facteur qui se trouve à l'origine du développement de la décomposition, l'aggravation inexorable de la crise du capitalisme, constitue le stimulant essentiel de la lutte et de la prise de conscience de la classe, la condition même de sa capacité à résister au poison idéologique du pourrissement de la société. Sa lutte contre les effets directs de la crise elle-même constitue la base du développement de sa force et de son unité de classe"[2].
Or justement, aujourd’hui, avec la terrible aggravation de la crise économique mondiale et le retour de l’inflation, la classe ouvrière commence à réagir et à retrouver le chemin de sa lutte. Toutes ses difficultés historiques persistent, sa capacité à organiser ses propres luttes et plus encore à la prise de conscience de son projet révolutionnaires sont encore très loin, mais la combativité grandissante face aux coups brutaux portés par la bourgeoisie aux conditions de vie et de travail est le terrain fertile sur lequel le prolétariat peut retrouver son identité de classe, prendre conscience à nouveau de ce qu’il est, de sa force quand il lutte, se solidarise, puis développe son unité. Il s’agit d’un processus, d’un combat qui reprend après des années d’atonie, d’un potentiel que laissent entrevoir les grèves actuelles. Le signe le plus fort de cette possible dynamique est le retour de la grève au Royaume-Uni. Il s’agit là d’un événement d’une portée historique.
Le retour de la combativité ouvrière en réponse à la crise économique peut devenir un foyer de prise de conscience. Jusqu’à maintenant, chaque accélération de la décomposition a porté un coup d’arrêt aux efforts embryonnaires de combativité des ouvriers : le mouvement en France 2019 a souffert de l’éclatement de la pandémie ; les luttes de l’hiver 2021 se sont arrêtées face à la guerre en Ukraine, etc. Cela signifie une difficulté additionnelle non négligeable au développement des luttes et de la confiance du prolétariat en lui-même. Cependant, il n’y a pas d’autre chemin que la lutte : la lutte est en elle-même la première victoire. Le prolétariat mondial, dans un processus très tourmenté, avec beaucoup de défaites amères, peut progressivement commencer à récupérer son identité de classe et se lancer, à terme, vers une offensive internationale contre ce système moribond. Autrement dit, les années à venir vont être décisives quant à l’avenir de l’humanité.
Durant les années 1980, le monde allait clairement soit vers la guerre, soit vers de grands affrontements de classe. L’issue de cette décennie a été aussi inattendue qu’inédite : d’un côté l’impossibilité pour la bourgeoisie d’aller vers la guerre mondiale, empêchée par le refus de la classe ouvrière d’accepter les sacrifices, et de l’autre cette même classe ouvrière incapable de politiser ses luttes et d’offrir une perspective révolutionnaire a engendré une sorte de blocage, plongeant toute la société dans une situation sans avenir et engendrant donc le pourrissement généralisé. "Les années de vérité" de la décennie 1980[3] ont ainsi débouché sur la Décomposition. Aujourd’hui, la situation se pose dans des conditions historiques plus intenses et dramatiques :
Les deux pôles de la perspective vont se poser et s’entrechoquer. Durant cette décennie, il va y avoir en même temps une aggravation toujours plus dramatique des effets de la Décomposition et des réactions ouvrières porteuses d’un autre avenir. La seule alternative, destruction de l’Humanité ou révolution prolétarienne, va rejaillir et devenir de plus en plus palpable. Il s’agit donc d’un combat, d’une lutte, de la lutte de classe. Et pour que l’issue soit favorable, le rôle des organisations révolutionnaires sera vital. Qu’il s’agisse du développement de la conscience et de l’organisation de la classe dans la lutte ou de la claire compréhension des enjeux et de la perspective par les minorités, notre intervention sera décisive. Il nous faut donc nous-mêmes avoir la conscience la plus claire et lucide de la dynamique en cours, de son potentiel, des forces et des faiblesses de notre classe, comme des attaques idéologiques et pièges tendus sur le chemin devant nous par la situation historique de la décomposition et par la bourgeoisie, la classe dominante la plus intelligente et machiavélique de l’Histoire.
La guerre est toujours un moment décisif pour le prolétariat mondial. Avec la guerre, la classe ouvrière mondiale subit le massacre d'une partie d'elle-même, mais aussi une gifle monumentale assenée par la classe dominante. De tous les points de vue, la guerre est l’exact opposé de ce qu’est la classe ouvrière, de sa nature internationale symbolisée par son cri de ralliement : "Les travailleurs n'ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !".
L’éclatement du conflit en Ukraine met ainsi à l’épreuve le prolétariat mondial. La réaction face à cette barbarie est un marqueur primordial pour comprendre où en est notre classe, où en est le rapport de force avec la bourgeoisie. Et il n’y a ici pas d’homogénéité. Au contraire, il y a de très grandes différences entre les pays, entre la périphérie et les régions centrales du capitalisme.
En Ukraine, la classe ouvrière est écrasée physiquement et idéologiquement. Largement embrigadés dans la défense de la patrie, conte "l’envahisseur russe", contre "la brute et le truand Poutine", pour la défense de "la culture et des libertés ukrainiennes", pour la démocratie, les ouvriers adhérent à la mobilisation dans les usines comme dans les tranchées. Cette situation est évidemment le fruit de la faiblesse du mouvement ouvrier international mais aussi de l’histoire du prolétariat en Ukraine. S’il s’agit d’un prolétariat concentré et éduqué, avec une longue expérience, ce prolétariat a aussi et surtout subi de plein fouet les conséquences de la contre-révolution et du stalinisme. La famine organisée dans les années 1930 par le pouvoir soviétique, l’Holomodor, dans laquelle 5 millions de personnes ont laissé la vie, forme le socle d’une haine contre le voisin russe et d’un sentiment patriotique puissant. Plus récemment, au début des années 2010, toute une partie de la bourgeoisie ukrainienne a choisi de s’émanciper de la tutelle russe et de s’allier à l’Occident. En réalité, cette évolution témoignait d’une pression de plus en plus forte des États-Unis dans toute la région. "La révolution orange"[4] de 2004, puis le Maïdan (ou "Révolution de la dignité") de 2014 ont montré à quel point une très large partie de la population adhérait à la défense de la "démocratie" et de l’indépendance ukrainienne contre l’influence russe. Depuis, la propagande nationaliste n’a fait que s’amplifier jusqu’au dénouement de février 2022.
L’incapacité de la classe ouvrière de ce pays à s’opposer à la guerre et à son embrigadement, incapacité qui a ouvert la possibilité de cette boucherie impérialiste, indique à quel point la barbarie et la pourriture capitalistes gagnent du terrain sur des parties de plus en plus larges du globe. Après l’Afrique, le Proche-Orient et l’Asie centrale, c’est au tour d’une partie de l’Europe centrale d’être menacée par le risque de plonger à terme dans le chaos impérialiste ; l’Ukraine a montré qu’il y a là, dans certains pays satellites de l’ex-URSS, en Biélorussie, en Moldavie, en ex-Yougoslavie, un prolétariat très affaibli par des décennies d’exploitation forcenée par le stalinisme au nom du Communisme, le poids des illusions démocratiques et gangrené par le nationalisme pour que la guerre puisse faire rage. Au Kosovo, en Serbie et au Monténégro, les tensions montent effectivement.
Par contre, en Russie, le prolétariat n’est pas prêt à accepter de sacrifier massivement sa vie. Certes la classe ouvrière de Russie n’est pas capable de s’opposer à l’aventure guerrière de sa propre bourgeoisie, certes elle accepte sans réagir cette barbarie et ses 100.000 morts, certes la réaction des appelés pour ne pas aller au front est la désertion ou l’automutilation, autant d’actes individuels désespérés reflets de l’absence de réaction de classe, il n’en reste pas moins que la bourgeoisie russe ne peut pas déclarer la mobilisation générale. Parce que les ouvriers russes n’adhérent pas suffisamment à l’idée de se faire trouer la peau en masse au nom de la Patrie.
Il en est très probablement de même en Asie : ce serait ainsi une erreur de déduire trop rapidement de la faiblesse du prolétariat en Ukraine que la voix est également libre au déchaînement du feu militaire entre la Chine et Taïwan ou entre les deux Corées. En Chine, en Corée du Sud et à Taiwan la classe ouvrière a une concentration, une éducation et une conscience supérieures à celle vivant en Ukraine, supérieure à celle vivant en Russie. Le refus d’être transformé en chair à canon est aujourd’hui encore la situation la plus plausible dans ces pays. Ainsi, au-delà du rapport de force entre les puissances impérialistes impliquées dans cette région du monde, en premier lieu la Chine et les États-Unis, la présence d’une très forte concentration ouvrière éduquée représente le premier frein à la dynamique guerrière.
Quant aux pays centraux, contrairement à 1990 ou 2003, les grandes puissances démocratiques ne sont pas directement engagées dans le conflit ukrainien, elles n’envoient pas leurs troupes de soldats professionnels. Il ne peut s’agir actuellement que de soutenir politiquement et militairement l’Ukraine contre l’invasion russe, de défendre la liberté démocratique du peuple d’Ukraine contre le dictateur Poutine, par l’envoie d’armes, toutes labélisées "armes défensives".
En 2003 et plus encore en 1991, les effets de la guerre s’étaient traduits par une relative paralysie de la combativité mais aussi par une réflexion inquiète et profonde sur les enjeux historiques. Cette situation au sein de la classe avait alors nécessité de la part des forces de la gauche de la bourgeoisie l’organisation de manifestations pacifistes qui avaient fleuri un peu partout contre "l’impérialisme US et ses alliés." Ces grandes mobilisations contre les interventions des pays occidentaux, n'étaient pas le fait de la classe ouvrière ; en disant "nous sommes contre la politique de notre gouvernement qui participe à la guerre", elles ont eu un impact sur la classe ouvrière pour mener dans l’impasse et stériliser tout effort de prise de conscience. Rien de tel aujourd’hui, il n’y a pas eu de mobilisations pacifistes de ce genre. Ceux qui critiquent la politique des pays occidentaux et leur soutien à l'Ukraine sont principalement les forces d'extrême-droite liées à Poutine. Aux États-Unis, ce sont les Trumpistes ou les Républicains qui "hésitent".
Cette absence de mobilisation pacifiste aujourd’hui ne signifie pas une indifférence et encore moins une adhésion du prolétariat à la guerre. Oui, la campagne de défense de la démocratie et de la liberté de l’Ukraine contre l’agresseur russe a démontré sur ce plan sa pleine efficacité : la classe ouvrière est prise au piège par la puissance de la propagande pro-démocratique. Mais, contrairement à 1991, le revers de la médaille est qu'elle n'a pas d'impact sur la combativité des travailleurs. On est loin d’une simple non-adhésion passive. Non seulement la classe ouvrière dans les pays centraux n’est toujours pas prête à accepter les morts (même des soldats professionnels), mais elle refuse aussi les sacrifices qu’impliquent la guerre, la dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Ainsi en Grande-Bretagne, le pays européen qui est à la fois celui qui est matériellement et politiquement le plus impliqué dans la guerre, le plus déterminé à soutenir l'Ukraine, est en même temps celui où s’exprime le plus fortement la combativité ouvrière pour le moment. Les grèves au Royaume-Uni sont la partie la plus en avant de la réaction internationale, du refus par la classe ouvrière des sacrifices (de la surexploitation, de la baisse des effectifs, de l’augmentation des cadences, de la hausse des prix, etc.) que la bourgeoisie impose au prolétariat, et que le militarisme lui commande d’imposer toujours plus.
L’une des limites actuelles de l’effort de notre classe est son incapacité à faire le lien entre la dégradation de ses conditions de vie et la guerre. Les luttes ouvrières qui se produisent et se développent sont une riposte des travailleurs à la condition qui leur est faite ; elles forment la seule réponse possible et porteuse d’avenir à la politique de la bourgeoisie mais, en même temps, elles ne se montrent pas, pour le moment, capables de reprendre à leur compte et d’intégrer la question de la guerre. Il nous faut néanmoins rester très attentif à l’évolution possible. Par exemple, en France, il y a eu le jeudi 19 janvier une manifestation extrêmement massive après l’annonce d’une réforme des retraites au nom de l’équilibre budgétaire et de la justice sociale ; le lendemain, le vendredi 20 janvier, le Président Macron officialisait en grandes pompes un budget militaire record de 400 milliards d’euros. La concomitance entre les sacrifices demandés et les dépenses guerrières va nécessairement faire, à terme, son chemin dans les têtes ouvrières.
L’intensification de l’économie de guerre implique directement une aggravation de la crise économique ; la classe ouvrière ne fait pas encore réellement le lien, elle ne se mobilise pas, globalement, contre l’économie de guerre, mais elle se dresse contre ses effets, contre la crise économique, en tout premier lieu contre les salaires trop bas face à l’inflation.
Ce n’est pas là une surprise. L’histoire montre que la classe ouvrière ne se mobilise pas directement contre la guerre au front mais contre ses effets sur la vie quotidienne à l’arrière. Déjà, en 1982, dans un article de notre revue qui posait en titre la question "La guerre est-elle une condition favorable pour la révolution communiste ?", nous répondions par la négative et nous affirmions que c’est avant tout la crise économique qui constitue le terreau le plus fertile au développement des luttes et de la conscience, ajoutant fort justement que "l’approfondissement de la crise économique brise ces barrières dans la conscience d’un nombre grandissant de prolétaires à travers les faits qui montrent qu’il s’agit d’une même lutte de classe".
La réaction de la classe ouvrière face à la guerre, si elle est très hétérogène dans le monde, montre que là où se trouve la clef de l’avenir, là où il y a une expérience historique accumulée, dans les pays centraux, le prolétariat n’a pas subi de défaite majeure, qu’il n’est pas prêt à se laisser embrigader et à sacrifier sa vie. Plus encore, sa réaction face aux effets de la crise économique indique une dynamique vers la reprise de la combativité ouvrière dans ces pays.
En retrouvant le chemin de la grève, les ouvriers britanniques ont ainsi envoyé un signal clair aux travailleurs du monde entier : "Nous devons nous battre. Enough is enough (trop, c’est trop)". Une partie de la presse de gauche a même titré parfois : "Au Royaume-Uni : le grand retour de la lutte des classes". L’entrée en lutte du prolétariat britannique constitue ainsi un événement de signification historique.
Cette vague de grève a été menée par la fraction du prolétariat européen qui a le plus souffert du recul général de la lutte de classe depuis la fin des années 1980. Si dans les années 1970, bien qu’avec un certain retard par rapport à d’autres pays comme la France, l’Italie ou la Pologne, les travailleurs britanniques avaient développé des luttes très importantes culminant dans la vague de grèves de 1979 ("l’hiver de la colère" / "the winter of discontent"), durant les années 1980, la classe ouvrière britannique a subi une contre-offensive efficace de la bourgeoisie qui a culminé dans la défaite de la grève des mineurs de 1985 face à Margaret Thatcher. Cette défaite et le recul du prolétariat britannique annonçaient en quelque sorte le recul historique du prolétariat mondial, en révélant avant l’heure le résultat de l’incapacité à politiser les luttes et le poids de la faiblesse du corporatisme. Durant les décennies 1990 et 2000, la Grande-Bretagne a été particulièrement touchée par la désindustrialisation et le transfert d’industries vers la Chine, l’Inde ou l’Europe de l’Est. Au cours de ces dernières années, les travailleurs britanniques ont subi la déferlante de mouvements populistes et surtout la campagne assourdissante du Brexit, stimulant la division en leur sein entre "remainers" et "leavers", et ensuite la crise du Covid qui a lourdement pesé sur la classe ouvrière. Enfin, plus récemment encore, elle a été confrontée à l’appel aux nécessaires sacrifices de l’effort de guerre, sacrifices "bien infimes" par rapport à ceux du "peuple ukrainien héroïque" qui résiste sous les bombes. Pourtant, malgré l’ensemble de ces difficultés et de ces entraves, une génération de prolétaires apparaît aujourd’hui sur la scène sociale, qui n’est plus affectée, comme l’avaient été leurs aînés, par le poids des défaites de la "génération Thatcher", une nouvelle génération qui relève la tête en montrant que la classe ouvrière est capable de riposter aux attaques par la lutte. Toute proportion gardée, nous constatons un phénomène assez comparable (mais non identique) à celui qui a vu la classe ouvrière française surgir en 1968 : l’arrivée d’une jeune génération moins affectée que ses aînés par le poids de la contre-révolution. Ainsi, comme la défaite de 1985 au Royaume-Uni annonçait le recul général de la fin des années 1980, le retour de la combativité ouvrière et de la grève sur l’île britannique indique une dynamique profonde dans les entrailles du prolétariat mondial. "L’été de la colère" (qui a continué en automne, en l’hiver… bientôt au printemps) ne peut que constituer un encouragement pour l’ensemble des travailleurs de la planète et cela pour plusieurs raisons : il s’agit de la classe ouvrière de la cinquième puissance économique mondiale, et d’un prolétariat anglophone, dont l’impact des luttes ne peut être qu’important dans des pays comme les États-Unis, le Canada ou encore dans d’autres régions du monde, comme en Inde ou encore en Afrique du Sud. L’anglais étant, par ailleurs, la langue de communication mondiale, l’influence de ces mouvements surpasse nécessairement celle que pourrait avoir des luttes en France ou en Allemagne, par exemple. Dans ce sens, le prolétariat britannique montre le chemin non seulement aux travailleurs européens, qui devront être à l’avant-garde de la montée de la lutte de classe, mais aussi au prolétariat mondial, et en particulier au prolétariat américain. Dans la perspective des luttes futures, la classe ouvrière britannique pourra ainsi servir de trait d’union entre le prolétariat d’Europe occidentale et le prolétariat américain. Aux États-Unis, les grèves dans de très nombreuses usines de ces dernières années le montrent, il y a une combativité grandissante de la classe et le mouvement Occupy avait révélé toute la réflexion qui travaille ses entrailles ; il ne faut pas oublier que le prolétariat a une grande histoire et expérience de ce côté de l’Atlantique. Mais ses faiblesses sont aussi très grandes : poids de l’irrationnel, du populisme et de l’arriération ; poids de l’isolement continental ; poids de l’idéologie petite-bourgeoise et bourgeoise au sujet des libertés, des races, etc. Le lien avec l’Europe, ce trait d’union permis par le Royaume-Uni, en est d’autant plus crucial.
Pour comprendre en quoi le retour de la grève au Royaume-Uni est le signe de la possibilité d’un développement à venir de la lutte et de la conscience prolétariennes, il nous faut revenir à ce que nous disions dans notre Résolution sur la situation internationale adoptée lors de notre congrès international en 2021 : "En 2003, sur la base de nouvelles luttes en France, en Autriche et ailleurs, le CCI a prédit un renouveau des luttes par une nouvelle génération de prolétaires qui avait été moins influencée par les campagnes anticommunistes et serait confrontée à un avenir de plus en plus incertain. Dans une large mesure, ces prédictions ont été confirmées par les événements de 2006-2007, notamment la lutte contre le CPE en France, et de 2010-2011, en particulier le mouvement des Indignés en Espagne. Ces mouvements ont montré des avancées importantes au niveau de la solidarité entre les générations, de l'auto-organisation par le biais d'assemblées, de la culture du débat, des préoccupations réelles quant à l'avenir qui attend la classe ouvrière et l'humanité dans son ensemble. En ce sens, ils ont montré le potentiel d'une unification des dimensions économiques et politiques de la lutte de classe. Cependant, il nous a fallu beaucoup de temps pour comprendre les immenses difficultés auxquelles était confrontée cette nouvelle génération, "élevée" dans les conditions de la décomposition, difficultés qui empêcheraient le prolétariat d'inverser le recul post-89 au cours de cette période."[5]. L’élément clé de ces difficultés a été l'érosion continue de l'identité de classe. C’est ce qui explique principalement que le mouvement du CPE de 2006 n’a laissé aucune trace visible : à sa suite, il n’y a pas eu de cercles de discussions, d’apparition de petits groupes, ni même de livres, recueils de témoignages etc. au point d’être aujourd’hui totalement inconnu dans les rangs de la jeunesse. Les étudiants précaires de l’époque avaient usé des méthodes de lutte du prolétariat (les assemblées générales) et de la nature de son combat (la solidarité) sans même le savoir, ce qui a rendu impossible la prise de conscience de la nature, de la force et des buts historiques de leur propre mouvement. C’est la même faiblesse qui a entravé le développement du mouvement des Indignés en 2010-2011 et qui a empêché que les fruits et les leçons soient tirés. En effet, "malgré les avancées importantes réalisées au niveau de la conscience et de l'organisation, la majorité des Indignés se voyait comme des "citoyens" plutôt que comme des membres d'une classe, ce qui la rendait vulnérable aux illusions démocratiques colportées par des groupes comme Democratia real Ya ! (le futur Podemos), et plus tard au poison du nationalisme catalan et espagnol."[6]. Par manque d’ancrage, le mouvement est parti à la dérive. Parce qu’elle est la reconnaissance d’un intérêt commun de classe, opposé à celui de la bourgeoisie, parce qu’elle est la "constitution du prolétariat en classe", comme le dit le Manifeste communiste, l’identité de classe est inséparable du développement de la conscience de classe. Par exemple, sans identité de classe, impossible de se rattacher consciemment à l’histoire de la classe, à ses combats, à ses leçons.
Les deux plus grands moments pour le mouvement du prolétariat depuis les années 1980, le mouvement contre le CPE et les Indignés, ont été soit stérilisés, soit récupérés avant tout à cause de cette absence de socle au développement plus général de la conscience, à cause de cette perte d’identité de classe. C’est cette faiblesse considérable que le retour de la grève au Royaume-Uni porte comme possible dépassement. Historiquement, le prolétariat au Royaume-Uni est marqué par d’importantes faiblesses (le contrôle syndical et le corporatisme, le réformisme)[7], mais le mot ouvrier, "worker", y a été moins effacé qu’ailleurs ; au Royaume-Uni le mot n’est pas honteux ; et cette grève peut commencer à le remettre "au goût du jour" au niveau international. Les workers du Royaume-Uni n’indiquent pas le chemin sur tous les plans, parce que leurs méthodes de luttes sont par trop marquées par leurs faiblesses, cela ce sera le rôle du prolétariat d’ailleurs, mais ils adressent le message primordial aujourd’hui : nous luttons non en tant que citoyens ou étudiants mais comme ouvriers. Et ce pas en avant est possible grâce à ce début de réaction ouvrière face à la crise économique.
La réalité de cette dynamique se mesure à la réaction inquiète de la bourgeoisie, en particulier en Europe occidentale, par rapport aux dangers que recèle l’extension de la "dégradation de la situation sociale". C’est en particulier le cas en France, en Belgique, en Espagne ou en Allemagne, où la bourgeoisie, contrairement à l’attitude de la bourgeoisie britannique, a pris des mesures pour plafonner les hausses de pétrole, de gaz et d’électricité ou bien pour compenser au moyen de subventions ou de baisses d’impôts l’impact de l’inflation et de la hausse des prix et clame haut et fort qu’elle veut protéger le "pouvoir d’achat" des travailleurs. En Allemagne, en octobre et novembre 2022, des "grèves d’avertissement" ont immédiatement entrainé l’annonce de "primes inflation" (3000 euros dans la métallurgie, 7000 dans l’automobile) et des promesses de hausses de salaire.
Mais avec la réalité de l’aggravation de la crise économique mondiale, les bourgeoisies nationales sont malgré tout obligées d’attaquer leur prolétariat au nom de la compétitivité et de l’équilibre budgétaire ; leurs mesures de "protection" et autres "boucliers" sont amenés peu à peu à diminuer. En Italie, la "loi de finance 2023" réduit ainsi une grande partie des "aides spéciales" et constitue une nouvelle attaque frontale aux conditions de vie et de travail. En France, le gouvernement Macron a dû annoncer sa grande réforme des retraites début janvier 2023, après des mois de recul et de préparation. Résultat : des manifestations massives, dépassant même les anticipations syndicales. Au-delà du million de personnes dans la rue, c’est l’atmosphère et la nature des discussions dans ces cortèges en France qui révèlent le mieux ce qui se trame aux tréfonds de notre classe :
Evidemment, cette dynamique positive ne va pas encore jusqu’à l’auto-organisation. La confrontation ouverte aux syndicats est pour l’instant inexistante. Notre classe n’en est pas encore là. La simple question ne se pose pas encore. Et quand les ouvriers commenceront à se confronter à cette question, il s’agira d’un très long processus avec la reconquête des assemblés générales et des comités, avec les pièges des différentes formes du syndicalisme (les centrales, les coordinations, la base, etc.). Mais le fait que les syndicats, pour coller aux préoccupations de la classe et garder la tête du mouvement, doivent organiser de grandes manifestations apparemment unitaires alors qu’ils ont tout fait pour l’éviter durant des mois, montre que les ouvriers ont tendance à vouloir se solidariser pour lutter.
Il est d’ailleurs intéressant de surveiller comment la situation au Royaume-Uni va évoluer sur ce plan. Après 9 mois de grèves à répétition, la colère et la combativité ne semblent pas vouloir redescendre. Au début du mois de janvier, c’est au tour des ambulanciers et des enseignants de rejoindre la ronde des grèves. Et ici aussi, l’idée de lutter ensemble germe. C’est ainsi que le discours syndical a dû s’adapter, en laissant une part de plus en plus grande aux mots "unity", "solidarity"… et des promesses de "demonstrations" (manifestations) sont tenues. Pour la première fois, des secteurs sont en grève le même jour, par exemple les infirmiers et les ambulanciers.
Cette simultanéité des luttes dans plusieurs pays n’a pas été vue depuis les années 1980 ! L’influence de la combativité du prolétariat du Royaume-Uni sur le prolétariat de France est à surveiller de près, comme l’influence de la tradition des manifestations de rue en France sur la situation au Royaume-Uni. Il y a presque 160 ans, le 28 septembre 1864, naissait l’Association Internationale des Travailleurs, principalement à l’initiative des prolétariats britannique et français. Il s’agit là plus que d’un simple clin d’œil à l’Histoire. Cela révèle la profondeur de ce qui est en train de se passer : les parties les plus expérimentées du prolétariat mondial se remettent en mouvement et ouvrent à nouveau la voix. Il manque encore celui d’Allemagne, toujours profondément marqué par sa défaite des années 1920, son écrasement physique et idéologique, mais la dureté de la crise économique qui commence à le frapper pourrait le pousser à réagir à son tour.
Car l’approfondissement de la crise et les conséquences de la guerre vont aller crescendo, en engendrant partout la hausse de la colère et de la combativité. Et il est très important que l’aggravation de la crise économique mondiale prenne aujourd’hui la forme de l’inflation parce que :
Les périodes d’inflation dans l’histoire ont ainsi régulièrement poussé le prolétariat dans la rue. Toute la fin du 19ème siècle est marquée au niveau international par la hausse des prix, et parallèlement un processus de grève de masse se développe depuis la Belgique à partir de 1892 jusqu’en Russie 1905. Pologne 1980 puise ses racines dans l’envolée des prix de la viande. L’exemple contraire est l’Allemagne des années 1930 : si l’inflation galopante a bien entrainé à ce moment aussi une immense colère, elle a participé à la peur, au repli et à la désorientation de la classe ; mais ce moment se situe dans une période historique très différente, celle de la contre-révolution, et c’est justement en Allemagne que le prolétariat avait été préalablement le plus écrasé idéologiquement et physiquement.
Aujourd’hui, l’Allemagne (de l’Ouest) est touchée par la crise économique mondiale comme elle ne l’avait plus été depuis ces années 1930, mais cette dégradation des conditions de vie et de travail, cette réapparition de l’inflation intervient dans le contexte de reprise internationale de la combativité ouvrière. L’évolution de la situation sociale dans ce pays, après des décennies de relatif sommeil, est donc à suivre tout particulièrement.
Ainsi, malgré la tendance de la décomposition à agir sur la crise économique, cette dernière reste bien "la meilleure alliée du prolétariat". C’est une nouvelle confirmation de nos Thèses sur la décomposition : "l'aggravation inexorable de la crise du capitalisme, constitue le stimulant essentiel de la lutte et de la prise de conscience de la classe, la condition même de sa capacité à résister au poison idéologique du pourrissement de la société. En effet, autant le prolétariat ne peut trouver un terrain de rassemblement de classe dans des luttes partielles contre les effets de la décomposition, autant sa lutte contre les effets directs de la crise elle-même constitue la base du développement de sa force et de son unité de classe." Nous avions donc vu juste quand, dans notre dernière résolution sur la situation internationale, nous affirmions : "nous devons rejeter toute tendance à minimiser l'importance des luttes économiques "défensives" de la classe, ce qui est une expression typique de la conception moderniste qui ne voit la classe que comme une catégorie exploitée et non également comme une force historique, révolutionnaire." Nous défendions déjà cette position cardinale dans un de nos articles appartenant à notre patrimoine, "La Lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme" : "La lutte prolétarienne tend à dépasser le cadre strictement économique pour devenir sociale, s'affrontant directement à l'État, se politisant et exigeant la participation massive de la classe"[8]. C'est la même idée qui est contenue dans la formule de Lénine : "Derrière chaque grève se profile le spectre de la révolution".(Cf. annexe).
Le mouvement de 2006 contre le CPE (Contrat Premier Emploi) était une réaction face à une attaque économique qui a immédiatement posé de profondes questions politiques générales, en particulier celle de l’organisation en assemblées mais aussi celle de la solidarité entre les générations. Mais, comme nous l’avons vu plus haut, la perte d’identité de classe a stérilisé tout ce questionnement sous-jacent. Dans les grèves à venir, au niveau international, face à l’enfoncement dans la crise économique, il y a la possibilité que les ouvriers, même avec toutes leurs faiblesses et illusions, commencent à se voir, se reconnaitre, à comprendre la force qu’ils représentent dans le collectif, et donc comme classe, et alors tous ces questionnements en suspens depuis le début des années 2000 sur la perspective ("Un autre monde est possible"), sur les méthodes de lutte (les assemblées et le dépassement des divisions corporatistes), le sentiment de "tous dans le même bateau", les élans de solidarité deviendront le terreau de l’unité, etc. s’éclaireront d’un nouveau jour. Ils pourront enfin commencer à être consciemment vus et débattus. C’est ainsi que s’entremêleront la dimension économique et la dimension politique.
L’intensification de l’économie de guerre et l’aggravation de la crise économique en étant mondiales créent une montée de la colère et de la combativité elle-aussi au niveau mondial. Et, comme face à la guerre, l’hétérogénéité du prolétariat selon les pays engendre une hétérogénéité des ripostes et du potentiel de chaque mouvement. Il y a tout un panel de luttes selon les situations, l’histoire du prolétariat et son expérience.
De nombreux pays se rapprochent de la situation européenne, avec une concentration ouvrière importante et des gouvernements "démocratiques" au pouvoir. Il en est ainsi de l’Amérique du Sud. La grève des médecins et des infirmières fin novembre ou la grève "générale" de fin décembre en Argentine, confirme cette relative similitude, cette dynamique en partie commune. Mais dans ces pays, le prolétariat n’a pas accumulé la même expérience qu’en Europe et qu’en Amérique du Nord. Le poids des couches intermédiaires et donc le danger du piège interclassiste y sont beaucoup plus grands ; le mouvement des Piqueteros des années 1990 en Argentine est toujours le modèle de lutte dominant. Surtout, les affres de la décomposition pourrissent tout le tissu social ; la violence et le narcotrafic dominent la société au nord du Mexique, en Colombie, au Venezuela, commencent à gangréner le Pérou, le Chili… Ces faiblesses expliquent par exemple pourquoi cette dernière décennie, le Venezuela a sombré dans une crise économique dévastatrice sans que le prolétariat ne puisse réagir, alors qu’il est un prolétariat industriel hautement éduqué possédant une forte tradition de lutte.
Cette réalité confirme à nouveau la responsabilité première du prolétariat en Europe. Sur ses épaules pèse le devoir d’indiquer le chemin en développant des luttes qui mettent en son cœur les méthodes du prolétariat : les assemblées générales ouvrières, les revendications unificatrices, la solidarité entre les secteurs et les générations… et la défense de l’autonomie ouvrière, leçon qui date de luttes de classe en France de 1848 !
Il nous faut tout particulièrement suivre l’évolution de la lutte de classe en Chine. Ce pays concentre 770 millions de travailleurs salariés et semble connaitre une augmentation importante du nombre de grèves face à une crise économique qui prend là-bas la forme d’immenses vagues de licenciements. Certains analystes avancent l’idée que la nouvelle génération de travailleurs n’est pas prête à accepter les mêmes conditions d’exploitation que leurs parents, parce qu’avec la crise économique qui se développe la promesse d’un avenir meilleur en échange des sacrifices actuels ne tient plus. La main de fer de l’État chinois dont l’autorité repose avant tout sur la répression peut participer à attiser la colère et pousser à la lutte massive. Cela dit, la terrible histoire du prolétariat en Chine fait que le poison des illusions démocratiques sera très puissant ; il est inévitable que la colère et les revendications soient détournées sur le terrain bourgeois : contre le joug "communiste", pour les droits et les libertés, etc. C’est en tout cas ce qui s’est passé lorsque la colère a éclaté contre les restrictions invivables de la politique anti-Covid chinoise fin 2022.
Dans toute une partie du globe, le prolétariat est marqué par une très grande faiblesse historique et ses luttes ne peuvent qu’être réduites à l’impuissance ou/et s’enfoncer dans des impasses bourgeoises (appel à plus de démocratie, de liberté, d’égalité, etc.) ou/et se diluer dans des mouvements interclassistes. C’est la leçon principale du Printemps arabe de 2010 : même si la mobilisation ouvrière a été réelle, elle a été diluée dans le "peuple" et, surtout, les revendications se sont dirigées sur le terrain bourgeois du changement de dirigeant ("Moubarak dehors", etc.) et de l’appel à plus de démocratie. L’immense mouvement de contestation qui touche l’Iran en est une parfaite nouvelle illustration. La colère massive de la population se tourne vers des revendications sur le droit des femmes (le slogan central et maintenant mondialement connu est 'femme, vie, liberté') ; ainsi, bien que de nombreuses luttes ouvrières aient encore lieu dans le pays, elles ne peuvent que finir par être noyées dans le mouvement populaire. Ces dernières années, le langage très radical de ces mouvements sociaux a laissé croire à une certaine forme d’auto-organisation ouvrière : critique des syndicats, appels aux soviets, etc. En réalité, cette terminologie marxiste est un vernis étalé par la gauche radicale qui ne correspond pas à la réalité des actes de la classe ouvrière en Iran[9]. Nombreux ont été les militants gauchistes d’Iran formés en Europe dans les années 1970/80, ils en ont retiré ce vocabulaire dont ils se servent pour défendre leurs intérêts propres, c'est-à-dire ceux de l’aile gauche du Capital en Iran.
D’ailleurs, les États démocratiques utilisent ces mouvements, en Chine comme en Iran :
Apparaît ici que la faiblesse politique du prolétariat dans un pays est instrumentalisée par la bourgeoisie contre tout le prolétariat mondial ; et inversement, l’expérience accumulée par le prolétariat des pays centraux peut montrer le chemin à tous.
De telles confusions actuelles sur les mouvements sociaux qui ébranlent les pays de la périphérie nous obligent à rappeler ici notre critique de la théorie du maillon faible, critique qui appartient à notre patrimoine. Dans notre résolution de janvier 1983, nous écrivions : "L'autre enseignement majeur de ces combats (en Pologne 80-81) et de leur défaite est que cette généralisation mondiale des luttes ne pourra partir que des pays qui constituent le cœur économique du capitalisme : les pays avancés d'Occident et parmi eux, ceux où la classe ouvrière a acquis 1'expérience la plus ancienne et la plus complète : l' "Europe occidentale"[10]. Et, pour être plus précis encore, nous détaillions dans notre résolution de juillet 1983 : "Ni les pays du tiers-monde, ni les pays de l'Est, ni l'Amérique du Nord, ni le Japon, ne peuvent être le point de départ du processus menant à la révolution :
Si, en dehors des pays centraux, il peut y avoir des luttes massives qui démontrent la colère, le courage et la combativité des travailleurs de ces régions du monde, ces mouvements ne peuvent avoir de perspective. Cette impossibilité souligne la responsabilité historique du prolétariat en Europe qui a le devoir de s'appuyer sur son expérience pour déjouer les pièges les plus sophistiqués de la bourgeoisie, à commencer par la démocratie et les "syndicats libres", et montrer ainsi la voie à suivre.
Ce que nous constatons dans les grèves et manifestations actuelles, le développement de la solidarité, du sentiment qu’il faut lutter ensemble, d’être tous dans le même bateau, indique une certaine maturation souterraine de la conscience. Comme l’écrivait Mc[12] dans son texte "Sur la maturation souterraine" (Bulletin interne1983) : "Le travail de réflexion se poursuit dans la tête des travailleurs et se manifestera par la recrudescence de nouvelles luttes. Il existe une mémoire collective de la classe, et cette mémoire contribue aussi au développement de la prise de conscience et à son extension dans la classe". Mais nous devons être plus précis. La maturation souterraine s’exprime de façon différente selon qu'il s'agit de la classe dans son ensemble, de ses secteurs combatifs, ou dans les minorités en recherche. Comme nous le détaillions dans notre Revue Internationale 43 :
Alors, où en est la maturation souterraine dans les différents niveaux de notre classe ?
Examiner la politique de la bourgeoisie est toujours absolument primordial, à la fois pour évaluer au mieux où en est notre propre classe et pour repérer les pièges qui se préparent. Ainsi, l’énergie que la bourgeoisie déploie dans les pays centraux, principalement par le biais de ses syndicats, pour saucissonner les luttes, isoler les grèves les unes des autres, éviter toute manifestation unitaire massive prouve qu’elle ne veut pas que les ouvriers se rassemblent ensemble pour manifester pour des hausses de salaires car elle sait qu’il s’agit là du terreau le plus fertile pour la reconquête de l’identité de classe.
Jusqu’à maintenant, cette stratégie a fonctionné, mais la bourgeoisie sait que l’idée de devoir lutter "tous ensemble" va continuer de germer dans les têtes ouvrières, au fur et à mesure que la crise s’aggrave partout ; d’ailleurs, il y a déjà une petite partie de la classe qui se pose ce genre de questions. C’est pourquoi, à la fois pour préparer l’avenir, à la fois pour capter et stériliser la réflexion des minorités actuelles, une partie des syndicats affichent de plus en plus une façade radicale, en mettant en avant un syndicalisme de classe et de combat.
Il est marquant aussi de voir dans les manifestations à quel point les organisations d’extrême-gauche attirent une partie de plus en plus importante de la jeunesse. Une partie des groupes trotskistes se réclament ainsi de plus en plus du combat de la classe ouvrière révolutionnaire pour le communisme quand dans les années 1990, au contraire, ils se tournaient vers la défense de la démocratie, des fronts de gauche, etc. Cette nette différence est le fruit de l’adaptation de la bourgeoisie par rapport à ce qu’elle ressent dans la classe : non seulement le retour de la combativité ouvrière mais aussi une certaine maturation de la conscience.
D’ailleurs, cette radicalité croissante d’une partie des forces de gauche et syndicales est aussi visible à propos de la question de la guerre. Des syndicats de "combat", des partis se réclamant de l’anarchisme, du trotskisme, du maoïsme sont très nombreux à avoir produit des déclarations "internationalistes", c'est-à-dire dénonçant en apparence les deux camps en présence en Ukraine, Russie et États-Unis , et appelant en apparence à la lutte unie de la classe ouvrière. Là aussi, cette activité de la gauche du capital a une double signification : capter les petites minorités en recherche des positions de classe qui se développent et, sur le plus long terme, répondre aux préoccupations qui travaillent la classe dans la profondeur de ses entrailles.
Pour autant, il ne faut pas sous-estimer l’impact ni de la propagande impérialiste ni de la guerre elle-même sur la conscience ouvrière. Si la "défense de la démocratie" ne peut suffire aujourd’hui pour mobiliser, il n’en reste pas moins qu’elle pollue les têtes, qu’elle entretient les illusions et le mensonge de l’État protecteur. Le discours permanent sur le "peuple" participe à attaquer encore un peu plus l’identité de classe, à faire oublier que la société est divisée en classes antagoniques irréconciliables, puisque le "peuple" serait une communauté d’intérêt regroupée par la nation. The last but not least, la guerre elle-même amplifie toutes les peurs et le repli et l’irrationalité : l’aspect incompréhensible de cette guerre, le désordre et le chaos grandissant, l’incapacité à pouvoir prévoir l’évolution du conflit, la menace de l’extension, la crainte d’une troisième guerre mondiale ou de l’usage de l’arme nucléaire.
De façon plus générale, ces deux dernières années, l’irrationalité a fait un bond dans la population en même temps que la décomposition s’est profondément aggravée : la pandémie, la guerre et la destruction de la nature ont considérablement renforcé le no-futur. En fait, tout ce que nous écrivions en 2019 dans notre "Rapport sur la lutte de classe pour le 23e Congrès international du CCI" s’est vérifié et amplifié : "Le monde capitaliste en décomposition engendre nécessairement un climat d’apocalypse. Il n’a aucun futur à proposer à l’humanité et son potentiel de destruction défiant l'imagination devient toujours plus évident pour une grande partie de la population mondiale. (…) Le nihilisme et le désespoir sont issus d’un sentiment d’impuissance, d’une perte de conviction qu’il existe une alternative au scénario de cauchemar que nous prépare le capitalisme. Ils tendent à paralyser la réflexion et la volonté d’action. Et si la seule force sociale qui peut poser cette alternative est virtuellement inconsciente de sa propre existence, cela signifie-t-il que les jeux sont faits, que le point de non-retour a déjà été dépassé ? Nous reconnaissons tout-à-fait que plus le capitalisme met de temps à sombrer dans la décomposition, plus il sape les bases d’une société plus humaine. Ceci est à nouveau illustré le plus clairement par la destruction de l’environnement, lequel atteint le point où il peut accélérer la tendance vers un complet effondrement de la société, une condition qui ne favorise aucunement l’auto-organisation et la confiance dans le futur requis pour mener une révolution."[14]
Cette gangrène, la bourgeoisie l’utilise sans vergogne contre la classe ouvrière, en favorisant les idéologies petite-bourgeoises décomposées. Aux États-Unis, toute une partie du prolétariat est touchée par les pires effets de la décomposition, comme la montée de la xénophobie et la haine raciale. En Europe, la classe ouvrière démontre une résistance plus grande à ces manifestations ultra-nauséabondes, par contre le complotisme et le rejet de toute pensée rationnelle (le courant "anti-vaccin" par exemple) ont commencé à se répandre aussi dans ce cœur historique. Et surtout, dans tous les pays centraux, le prolétariat est de plus en plus pollué par l’écologisme et le wokisme.
On voit là un processus général : chaque aspect en effet révoltant de ce capitalisme décadent et décomposé est isolé, séparé de la question du système et de ses racines, pour en faire une lutte parcellaire dans laquelle doit s’inscrire soit une catégorie de la population (noir, femme, etc.) soit tout le monde en tant que "peuple". L’ensemble de ces mouvements constituent un danger pour les travailleurs qui risquent ainsi d’être entraînés dans des luttes interclassistes ou carrément bourgeoises dans lesquelles ils sont noyés dans la masse des "citoyens". Les travailleurs des secteurs classiques et expérimentés de la classe semblent moins influencés par ces idéologies et ces formes de "luttes". Mais la jeune génération, qui est à la fois coupée de la tradition de la lutte de classe et particulièrement révoltée face aux injustices criantes et inquiète face à l’avenir sombre, se perd largement dans ces mouvements "non-mixtes" (réunions exclusivement réservées aux noirs, ou aux femmes, etc.), contre le "genre" (théorie de l’absence de distinction biologique entre les sexes), etc. Au lieu que la lutte contre l’exploitation, qui est la racine du système capitaliste, permette un mouvement de plus en plus large d’émancipation (la question des femmes, des minorités etc.) comme ce fut le cas en 1917, les idéologies écologistes, wokistes, racialistes, zadistes… balaient la lutte de classe, la nient ou même la jugent coupable de l’état actuel de la société. Selon les racialistes, la lutte de classe est un truc de blancs qui maintient l’oppression des noirs ; selon le wokisme, la lutte de classe est un truc du passé marqué par le paternalisme et la domination machistes ou alors, selon la théorie de l’intersectionnalité, la lutte des travailleurs serait une lutte égale aux autres : féminisme, antiracisme, "classisme", etc. seraient toutes des luttes particulières contre l’oppression qui pourraient parfois se retrouver côte à côté, "converger". Le résultat est catastrophique : rejet de la classe ouvrière et ses méthodes de lutte, division par catégories qui n’est autre qu’une forme de chacun pour soi, critique superficielle du capitalisme qui aboutit à demander des réformes, une "prise de conscience" des puissants, de nouvelles "lois", etc. La bourgeoisie ne se prive donc pas, chaque fois que possible, de donner le maximum d’échos à tous ces mouvements. Tous les États démocratiques ont ainsi pris fait et cause pour le slogan "femme, vie, liberté" devenu le symbole de la contestation sociale en Iran.
Et comme ces mouvements sont manifestement impuissants, une partie de cette jeunesse, la plus radicale et révoltée, se voit proposer de s’engager dans des actions plus "fortes", des actions coup de poing, de sabotage, etc. Ces derniers mois on voit ainsi se développer "l’écologie radicale". La plus à "gauche" de ces idéologies est "l’intersectionnalité" : elle se réclame de la révolution et de la lutte de classe, mais elle met à égalité, sur le même plan la lutte contre l’exploitation et les luttes contre le racisme, le machisme, etc. pour en réalité mieux diluer le combat ouvrier et le diriger sournoisement vers l’interclassisme.
Encore autrement dit, toutes ces idéologies décomposées couvrent l’ensemble du spectre de la réflexion qui germe au sein de notre classe, tout particulièrement sa jeunesse, et sont ainsi très efficace pour stériliser l’effort du prolétariat qui cherche comment lutter, comment faire face à ce monde qui plonge dans l’horreur de la barbarie et la destruction.
Toute une partie des partis et organisations de la gauche et de l’extrême-gauche évidemment promeut ces idéologies. Il est marquant de voir comment toute une partie du trotskisme met de plus en plus en avant le "peuple" ; et les rejetons du modernisme (communisateurs et autres)[15] ont ici pour rôle de s’occuper spécifiquement, d’attirer à eux la jeunesse qui cherche clairement à détruire le capitalisme, pour toujours faire ce sale boulot d’éloigner du combat de classe et d’entraver toute reconquête de l’identité de classe.
Dans les années à venir, il va donc y avoir à la fois un développement de la lutte du prolétariat face à l’aggravation de la crise économique (grèves, journées d’action, manifestations, mouvements sociaux) et à la fois un enfoncement de toute la société dans la décomposition avec tous les dangers que cela représente pour notre classe (luttes parcellaires, mouvements interclassistes et même revendications bourgeoises). Il va y avoir en même temps la possibilité d’une reconquête progressive de l’identité de classe et l’influence croissante des idéologies décomposées.
Vis-à-vis de l’ensemble de la classe, il nous faudra intervenir par notre presse, dans les manifestations, dans les éventuelles réunions politiques et assemblées générales pour :
Vis-à-vis de toute une partie de la classe qui s’interroge sur l’état de la société et la perspective, il va nous falloir continuer de développer ce que nous avons commencé à faire par notre texte sur les années 2020, à savoir exprimer au mieux la cohérence de notre analyse, seule capable de relier les différents aspects de la situation historique et d’en faire ressortir la réalité de la dynamique du moment historique.
Vis-à-vis plus spécifiquement de toute cette jeunesse qui veut lutter mais qui est happée par les idéologies décomposées, il va nous falloir développer notre critique du wokisme, de l'écologisme, etc. et de rappeler l’expérience du mouvement ouvrier sur toutes ces questions (la question de la femme, de la nature, etc.). Tout comme il est absolument nécessaire de répondre à toutes les interrogations que le trotskisme sait capter (la répartition des richesses, le capitalisme d’État, le communisme…). Ici, la question de la perspective et du communisme, point faible de notre intervention, prend toute son importance.
Enfin, vis-à-vis des minorités en recherche, la dénonciation concrète des différentes forces d’extrême-gauche qui se développent pour détruire ce potentiel, comme la lutte contre tous les rejetons du modernisme apparaissent absolument primordiales, il en est de notre responsabilité pour l’avenir et la construction de l’organisation. Et c’est ici que notre appel aux organisations de la Gauche communiste à se réunir autour d’une déclaration internationaliste face à la guerre en Ukraine prend tout son sens, celui de reprendre la méthode de nos prédécesseurs, ceux de Zimmerwald, pour que les minorités actuelles puissent s’ancrer dans l’histoire du mouvement ouvrier et résister aux vents contraires soufflés par la bourgeoisie et ses idéologies d’extrême-gauche.
Sur le lien économie et politique dans le développement de la lutte et de la conscience
"… si nous considérons non plus cette variété mineure que représente la grève de démonstration, mais la grève de lutte telle qu'aujourd'hui en Russie elle constitue le support réel de l'action prolétarienne, on est frappé du fait que l'élément économique et l'élément politique y sont indissolublement liés. Ici encore la réalité s'écarte du schéma théorique; la conception pédante, qui fait dériver logiquement la grève de masse politique pure de la grève générale économique comme en étant le stade le plus mûr et le plus élevé et qui distingue soigneusement les deux formes l’une de l'autre, est démentie par l'expérience de la révolution russe. Ceci n'est pas seulement démontré historiquement par le fait que les grèves de masse -depuis la première grande grève revendicative des ouvriers du textile à Saint-Pétersbourg en 1896-97 jusqu'à la dernière grande grève de décembre 1905 sont passées insensiblement du domaine des revendications économiques à celui de la politique, si bien qu'il est presque impossible de tracer des frontières entre les unes et les autres. Mais chacune des grandes grèves de masse retrace, pour ainsi dire en miniature, l'histoire générale des grèves en Russie, commençant par un conflit syndical purement revendicatif ou du moins partiel, parcourant ensuite tous les degrés jusqu'à la manifestation politique. La tempête qui ébranla le sud de la Russie en 1902 et 1903 commença à Bakou, nous l'avons vu, par une protestation contre la mise à pied de chômeurs; à Rostov par des revendications salariales; à Tiflis par une lutte des employés de commerce pour obtenir une diminution de la journée de travail; à Odessa par une revendication de salaires dans une petite usine isolée. La grève de masse de janvier 1905 a débuté par un conflit à l'intérieur des usines Poutilov, la grève d'octobre par les revendications des cheminots pour leur caisse de retraite ; la grève de décembre enfin par la lutte des employés des postes et du télégraphe pour obtenir le droit de coalition. Le progrès du mouvement ne se manifeste pas par le fait que l'élément économique disparaît, mais plutôt par la rapidité avec laquelle on parcourt toutes les étapes jusqu'à la manifestation politique, et par la position plus ou moins extrême du point final atteint par la grève de masse.
Cependant le mouvement dans son ensemble ne s'oriente pas uniquement dans le sens d'un passage de l'économique au politique, mais aussi dans le sens inverse. Chacune des grandes actions de masse politiques se transforme, après avoir atteint son apogée, en une foule de grèves économiques. Ceci ne vaut pas seulement pour chacune des grandes grèves, mais aussi pour la révolution dans son ensemble. Lorsque la lutte politique s'étend, se clarifie et s'intensifie, non seulement la lutte revendicative ne disparaît pas mais elle s'étend, s'organise, et s'intensifie parallèlement. Il y a interaction complète entre les deux.
Chaque nouvel élan et chaque nouvelle victoire de la lutte politique donnent une impulsion puissante à la lutte économique en élargissant ses possibilités d'action extérieure et en donnant aux ouvriers une nouvelle impulsion pour améliorer leur situation en augmentant leur combativité. Chaque vague d'action politique laisse derrière elle un limon fertile d'où surgissent aussitôt mille pousses nouvelles les revendications économiques. Et inversement, la guerre économique incessante que les ouvriers livrent au capital tient en éveil l'énergie combative même aux heures d'accalmie politique; elle constitue en quelque sorte un réservoir permanent d'énergie d'où la lutte politique tire toujours des forces fraîches; en même temps le travail infatigable de grignotage revendicatif déclenche tantôt ici, tantôt là des conflits aigus d'où éclatent brusquement des batailles politiques.
En un mot la lutte économique présente une continuité, elle est le fil qui relie les différents nœuds politiques; la lutte politique est une fécondation périodique préparant le sol aux luttes économiques. La cause et l'effet se succèdent et alternent sans cesse, et ainsi le facteur économique et le facteur politique, bien loin de se distinguer complètement ou même de s'exclure réciproquement, comme le prétend le schéma pédant, constituent dans une période de grève de masse deux aspects complémentaires de la lutte de classe prolétarienne en Russie. C'est précisément la grève de masse qui constitue leur unité. La théorie subtile dissèque artificiellement, à l'aide de la logique, la grève de masse pour obtenir une "grève politique pure"; or une telle dissection -comme toutes les dissections- ne nous permet pas de voir le phénomène vivant, elle nous livre un cadavre."
[2] Ibid.
[3] Années 80 : les années de vérité [16] ; Revue internationale 20
[4] La "révolution orange" appartient au mouvement des "révolutions de couleur" ou "révolutions des fleurs", série de soulèvements "populaires", "pacifiques" et pro-occidentaux, dont certains ont entraîné des changements de gouvernement entre 2003 et 2006 en Eurasie [17] et au Moyen-Orient : la "révolution des Roses" en Géorgie en 2003, la "révolution des Tulipes" au Kirghizistan, la "révolution en jean" en Biélorussie et la "révolution du Cèdre" au Liban en 2005.
[5] Résolution sur la situation internationale (2021) – Point 25 ; Revue Internationale 167.
[6] Ibid. Point 26.
[7] "Il faut reconnaître que le prolétariat allemand est le théoricien du prolétariat européen, tout comme le prolétariat anglais en est l’économiste, et le prolétariat français le politique" (Marx, in Vorwärts, 1844).
[8] La Lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme [18] ; Revue internationale 23
[9] Certains camarades pensent au contraire que ce langage radical des gauchistes et des comités de base correspond au besoin de récupérer les formes embryonnaires d’auto-organisation et de solidarité que l’on voit dans la classe ouvrière en Iran depuis 2018. Il faut donc en débattre.
[10] Résolution sur la situation internationale 1983 [19] ; Revue Internationale 35
[11] Débat : à propos de la critique de la théorie du "maillon le plus faible" [20] ; Revue internationale 37
[12] Pour en savoir davantage sur notre camarade Marc, lire les articles "MARC : De la révolution d'octobre 1917 à la deuxième guerre mondiale [21]" et " MARC : II - De la deuxième guerre mondiale à la période actuelle [22]".
[13] Réponse à la CWO : sur la maturation souterraine de la conscience de classe [13] ; Revue Internationale 43.
[14] Rapport sur la lutte de classe pour le 23e Congrès international du CCI ; Revue Internationale 164
[15] Cf. notre série en cours sur les communisateurs.
Le CCI vient de tenir son 25e congrès international, au cours duquel il a adopté un certain nombre de rapports sur la situation mondiale. Nous commençons par le rapport sur les tensions inter-impérialistes
Avoir une analyse précise de la situation historique et des perspectives qui en découlent est une des responsabilités majeures des organisations révolutionnaires afin de fournir un cadre solide à leur intervention dans la classe et de proposer à cette dernière des orientations précises pour appréhender la dynamique du capitalisme ou les actions et manœuvres de la bourgeoisie. Malheureusement, les groupes du milieu politique prolétarien dans leur ensemble restent largement en deçà de cette nécessité : soit parce qu’ils restent coincés dans des schémas du passé appliqués mécaniquement, sans les soumettre à la critique et même s’ils ne collent plus à la réalité historique (les groupes bordiguistes) ; soit parce que leur opportunisme les amène à privilégier une approche immédiatiste et empiriste visant un illusoire succès immédiat, plutôt qu’à faire l’effort de vérifier la solidité et la pertinence de leurs analyses (la Tendance Communiste Internationaliste – TCI).[1]
Pour sa part, le CCI, fidèle à la tradition du mouvement ouvrier et à la méthode marxiste, a toujours soumis à une vérification critique ses cadres d’analyse pour voir s’ils restent valides ou si, au contraire, ils demandent à être amendés, voire révisés. Dans la continuité de cette approche, ce rapport prend comme point de départ la Résolution sur la situation internationale du 24 [11]e [11] congrès du CCI [11].[2] Celle-ci mettait en évidence l’accélération sensible de la décomposition qui se manifestait alors à travers les ravages de la pandémie et l’impact de celle-ci sur la base économique du système, concrétisant ainsi l’alternative "socialisme ou barbarie", mise en avant par la IIIe Internationale. Mais, "contrairement à une situation dans laquelle la bourgeoisie est capable de mobiliser la société pour la guerre, comme dans les années 1930, le moment final de la marche, le rythme et les formes de la dynamique du capitalisme en décomposition vers la destruction de l’humanité sont plus difficiles à prévoir car ils sont le produit d’une convergence de différents facteurs, dont certains peuvent être partiellement cachés" (point 10). Différents constats soulignaient cette accélération de la décomposition sur le plan des confrontations impérialistes :
– Une intensification du développement du militarisme, qui était déjà devenu le mode de vie du capitalisme dans sa phase de décadence. Ainsi, les "massacres d’innombrables petites guerres" plongent le capitalisme "dans un chacun pour soi impérialiste de plus en plus irrationnel" (point 11), tandis que, dans le même temps, nous assistons à un durcissement des conflits entre les puissances mondiales. "Dans ce tableau chaotique, il ne fait aucun doute que la confrontation croissante entre les États-Unis et la Chine tend à occuper le devant de la scène" (point 12). Tandis que la rivalité entre les États-Unis et la Chine tend à s’exacerber, la nouvelle administration Biden a annoncé qu’elle ne "se laisserait plus rouler" par la Russie (point 11).
– La politique agressive des États-Unis qui, face à leur hégémonie déclinante, n’hésitent pas à utiliser "leur capacité d’agir seuls pour défendre leurs intérêts". Cependant, "la poursuite du chacun pour soi va rendre toujours plus difficile, voire impossible, aux États-Unis d’imposer leur leadership, illustration du tous contre tous dans l’accélération de la décomposition" (point 11).
– "La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de décomposition […]. Le contrôle totalitaire sur l’ensemble du corps social, le durcissement répressif auxquels se livre la fraction stalinienne de Xi Jinping ne représentent pas une expression de force mais au contraire une manifestation de faiblesse de l’État" (point 9).
– L’accroissement des tensions "ne signifie pas que nous nous dirigeons vers la formation de blocs stables et une guerre mondiale généralisée" (point 12). Pour autant, nous ne vivons pas "dans une ère de plus grande sécurité qu’à l’époque de la guerre froide […]. Au contraire, si la phase de décomposition est marquée par une perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie, cela s’applique également aux vastes moyens de destruction (nucléaires, conventionnels, biologiques et chimiques) qui ont été accumulés par la classe dirigeante […]" (point 13).
L’éclatement de la guerre en Ukraine et l’aiguisement des tensions impérialistes qui en a découlé, s’inscrivent pleinement dans le cadre de référence adopté par le 24e congrès international. Cependant, ils représentent incontestablement un développement qualitatif dans le glissement de la société vers la barbarie en mettant en évidence le rôle moteur du militarisme dans l’interrelation des diverses crises (sanitaire, économique, politique, écologique…) qui frappent aujourd’hui le capitalisme.
Après deux années de pandémie, le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 a constitué un pas qualitatif dans l’enfoncement de la société dans la barbarie. Depuis 1989, les États-Unis avaient certes recherché la confrontation à diverses reprises (avec l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord ou l’Afghanistan) mais ces affrontements n’avaient jamais impliqué une autre puissance impérialiste majeure et eu un impact sur l’ensemble de la planète. Il en va tout autrement de cette guerre-ci :
"– elle est la première confrontation militaire de cette ampleur entre États qui se déroule aux portes de l’Europe depuis 1940-45 […], de sorte que le cœur de l’Europe devient aujourd’hui le théâtre central des confrontations impérialistes ;
– cette guerre implique directement les deux pays les plus vastes d’Europe, dont l’un est doté d’armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive et l’autre est soutenu financièrement et militairement par l’OTAN. Cette opposition Russie-OTAN tend à raviver le souvenir de l’opposition entre les blocs des années 1950 aux années 1980 et la terreur nucléaire qui en découlait […] ;
– l’ampleur des combats, les dizaines de milliers de morts, la destruction systématique de villes entières, l’exécution de civils, le bombardement irresponsable de centrales atomiques, les conséquences économiques considérables pour l’ensemble de la planète soulignent à la fois la barbarie et l’irrationalité croissante des conflits pouvant déboucher sur une catastrophe pour l’humanité".[3]
Quinze mois après le déclenchement de la guerre, il est important d’établir les leçons principales du conflit sur le plan des rapports impérialistes mais aussi pour ce qui concerne le cadre de référence mis en avant par le CCI.
Le bilan matériel et humain d’un an de guerre est effroyable : les pertes humaines et les destructions matérielles sont gigantesques, les populations déplacées se chiffrent en millions. Des dizaines de milliards ont été engloutis des deux côtés (en 2022, 45 milliards d’euro par les États-Unis, 52 milliards par l’UE, 77 milliards par la Russie, soit 25 % de son PIB). La Russie engage aujourd’hui environ 50 % du budget de l’État dans la guerre, tandis que l’hypothétique reconstruction de l’Ukraine demanderait plus de 700 milliards de dollars. Cette guerre a par ailleurs un impact considérable sur l’intensification des tensions impérialistes.
Confrontés au déclin de leur hégémonie, Les États-Unis mènent depuis les années 1990 une politique agressive visant à défendre leurs intérêts, et ceci est plus spécifiquement vrai envers l’ancien leader du bloc concurrent, la Russie. Malgré l’engagement pris après la désagrégation de l’URSS de ne pas élargir l’OTAN, les Américains ont intégré dans cette alliance tous les pays de l’ex-Pacte de Varsovie, y compris des pays, comme les pays Baltes, qui faisaient partie de l’ex-URSS même, et envisageaient de faire de même pour la Géorgie et de l’Ukraine en 2008. La "révolution orange" en Ukraine en 2014, avait remplacé le régime pro-russe par un gouvernement pro-occidental et de larges protestations en Biélorussie menaçaient le régime pro-russe de Loukachenko. Confronté à cette stratégie d’encerclement, le régime de Poutine a tenté de réagir en employant sa force militaire, le reliquat de son passé de tête de bloc (Géorgie en 2008, Crimée et Donbass en 2014, etc.). Face aux soubresauts impérialistes de la Russie, les États-Unis ont commencé à armer l’Ukraine et à entraîner son armée à l’utilisation d’armes plus sophistiquées. Lorsque la Russie a déployé son armée en Biélorussie et à l’est de l’Ukraine, ils ont resserré le piège en affirmant que Poutine allait envahir l’Ukraine tout en assurant qu’eux-mêmes n’interviendraient pas sur le terrain.
Bref, si la guerre a bien été initiée par la Russie, elle est la conséquence de la stratégie d’encerclement et d’étouffement de cette-ci par les États-Unis. De cette manière, ces derniers ont réussi un coup de maître dans l’intensification de leur politique agressive qui a un objectif bien plus ambitieux qu’un simple coup d’arrêt signifié aux ambitions de la Russie :
1.2. La défaite cinglante de l’impérialisme russe
L’objectif initial de la Russie était d’abord d’atteindre rapidement Kiev au moyen d’une opération combinée audacieuse de ses troupes d’élite afin d’éliminer la fraction Zelensky et d’installer un gouvernement pro-russe et d’autre part de couper l’accès à la Mer Noire en prenant Odessa. De par une sous-estimation de la capacité de résistance de l’armée ukrainienne, soutenue financièrement et militairement par les États-Unis, mais aussi une surestimation de ses propres capacités militaires, elle a subi une défaite cuisante. Ensuite, l’objectif plus modeste était l’occupation du Nord-Est du pays, mais l’armée russe a une fois de plus subi de lourdes pertes et a dû reculer à Kharkiv et abandonner Kherson. Les programmes de mobilisation de nouvelles recrues ont vu des centaines de milliers de jeunes russes fuir vers l’étranger et l’armée russe obligée de s’en remettre aux mercenaires du groupe Wagner, recrutant massivement des détenus de droit commun, pour tenir le front. Elle tente aujourd’hui par tous les moyens de tenir le territoire qui relie le Donbass à la Crimée. Pour ce faire, elle bombarde massivement toutes les villes, les centrales électriques, les ponts, pour faire payer cher la victoire à l'Ukraine et contraindre Zelensky à accepter les conditions russes. En outre, on ne peut exclure, vu sa situation militaire précaire, que la Russie en arrive à utiliser des armes nucléaires tactiques.
Quelle que soit l’issue finale, il est déjà évident que la Russie ressort lourdement affaiblie de cette aventure guerrière. Elle est saignée à blanc du point de vue militaire, ayant perdu une centaine de milliers de soldats, en particulier parmi ses unités d’élite les plus expérimentées, une grande quantité de chars, avions, hélicoptères parmi les plus modernes et efficaces ; elle est fortement affaiblie du point de vue économique à cause des coûts énormes de la guerre (25 % de son PIB cette année), ainsi que par l’effondrement de l’économie causé par l’effort de guerre et les sanctions des pays occidentaux. Enfin, son image de puissance impérialiste a fort souffert des événements, qui ont démontré les limites militaires et économiques de sa puissance.
Les bourgeoisies européennes, surtout la France et l’Allemagne, avaient instamment tenté de convaincre Poutine de ne pas déclencher cette guerre, voire d’engager une attaque limitée en ampleur et en temps. Des indiscrétions de Boris Johnson ont révélé que l’Allemagne envisageait même d’entériner dans les faits un "blitzkrieg" russe de quelques jours pour éliminer le régime en place. Cependant, face à l’échec des forces russes et à la résistance inattendue de l’armée ukrainienne, Macron et Scholz ont dû rejoindre tout penauds la position de l’OTAN, dictée par les États-Unis. Cependant, ils restent en retrait par rapport à l’engagement militaire aux côtés de l’Ukraine et ont traîné des pieds pour couper tout lien économique avec la Russie. Par ailleurs, ils ont fortement augmenté leur budget militaire visant au réarmement massif de leurs forces armées (un doublement même pour l’Allemagne, soit 107 milliards d’euros). Les récentes visites du chancelier Scholz et du président Macron à Pékin ont confirmé la volonté de l’Allemagne et de la France de ne pas se plier aux visées des États-Unis, et de maintenir des rapports économiques importants avec la Chine.
Quant à la Chine, face aux difficultés de son "alliée" russe et aux menaces indirectes mais insistantes des États-Unis à son égard, elle s’est positionnée avec une grande prudence par rapport au conflit Ukrainien : elle a appelé à l’arrêt des hostilités et, si elle n’a pas formellement adhéré aux sanctions envers la Russie, elle n’a fourni ni armes ni équipements militaires à celle-ci. Face à Poutine, Xi a même ouvertement exprimé son inquiétude et a invité la Russie à chercher la négociation. Pour la bourgeoisie chinoise, la leçon est amère : la guerre en Ukraine a démontré que toute ambitions impérialiste mondiale est illusoire en l’absence d’une puissance militaire et économique capable de concurrencer la superpuissance américaine. Or aujourd’hui, la Chine n’a ni des forces armées à la hauteur, ni une structure économique capable de soutenir de telles ambitions impérialistes globales. Toute son expansion économique et commerciale est vulnérable face au chaos guerrier et aux pressions de la puissance américaine. Certes, la Chine ne renonce pas à ses ambitions impérialistes, en particulier à la reconquête de Taïwan, comme l’a rappelé Xi Jinping lors du congrès du PCC, mais elle ne peut progresser que dans la durée, en évitant de céder à la provocation américaine.
À un niveau plus général, le conflit en Ukraine a non seulement représenté un approfondissement qualitatif extrêmement important du militarisme, mais il constitue aussi le moteur de l’intensification, et cela à un niveau planétaire, des difficultés économiques (inflation et récession), des problèmes sanitaires (des rebonds du Covid), de l’afflux de réfugiés et de l’incapacité du système à faire face à la crise écologique (l’exploitation intensive du gaz de schiste, la remise en activité des centrales nucléaires et même au charbon), qui caractérisent l’actuelle plongée dans la décomposition.
La négation initiale par le CCI de l’imminence d’une invasion massive de l’Ukraine par la Russie, malgré les avertissements explicites des États-Unis, n’exprimait nullement une inadéquation de notre cadre d’analyse, mais était plutôt la manifestation du manque de maîtrise de ce dernier et plus spécifiquement un "oubli" des orientations avancées dans le texte "Militarisme et décomposition [7]" (1990). Aussi, le CCI a adopté un document complémentaire actualisant le texte d’octobre 1990 ("Militarisme et décomposition, mai 2022 [25]".[4] Celui-ci pointe en particulier les acquis suivants, pleinement mis en évidence par une année de guerre en Ukraine :
La question de méthode est cruciale dans l’appréhension des événements marquant l’actualité : faut-il concevoir le matérialisme dialectique comme un simple déterminisme économique ou plutôt, comme le rappelait déjà en 1890 Engels dans une lettre à Bloch, une méthode dialectique qui tient compte des interactions entre les différents aspects de la réalité, notamment la relation entre base économique et superstructure, même si "le facteur déterminant dans l’histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle".[5] Cette approche contredit toutes les analyses matérialistes vulgaires, largement majoritaires dans le milieu politique prolétarien, qui expliquent chaque guerre seulement sur la base d’un intérêt économique immédiat, sans différencier les situations dans les différentes phases du capitalisme. Or, comme l’appréhende lumineusement la Gauche communiste de France, "la décadence de la société capitaliste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue du développement économique (période ascendante), l’activité économique se restreint essentiellement en vue de la guerre (période décadente). Cela ne signifie pas que la guerre soit devenue le but de la production capitaliste, le but restant toujours pour le capitalisme la production de la plus-value, mais cela signifie que la guerre, prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent".[6]
La phase de décomposition accentue en particulier un des aspects les plus pernicieux de la guerre en décadence : son irrationalité. Dès lors, les effets du militarisme deviennent toujours plus imprédictibles et désastreux. Nos matérialistes vulgaires ne comprennent pas cet aspect et nous objectent que les guerres ont toujours une motivation économique, et donc une rationalité. Ils ne voient pas que les guerres actuelles ont fondamentalement des motivations non pas économiques mais géostratégiques, et même que ces dernières n’atteignent plus leurs objectifs de départ, mais aboutissent à un résultat opposé :
– Les États-Unis ont mené les deux guerres du Golfe, comme la guerre en Afghanistan, pour maintenir leur leadership sur la planète, mais autant en Irak qu’en Afghanistan, le résultat est une explosion du chaos et d’instabilité, provoquant une vague de réfugiés qui frappent aux portes des pays industrialisés.
– Quels qu’aient pu être les objectifs des nombreux vautours impérialistes (russes, turcs, iraniens, israéliens, américains ou européens) qui sont intervenus dans les horribles guerres civiles syrienne ou libyenne, ils ont hérité d’un pays en ruine, morcelé et divisé en clans, avec des millions de réfugiés submergeant les pays voisins ou fuyant vers les pays industrialisés.
La guerre en Ukraine en est une confirmation exemplaire : quels que soient les objectifs géostratégiques des impérialismes russe ou américain, le résultat sera un pays en ruine (l’Ukraine), un pays ruiné économiquement et militairement (la Russie), une situation impérialiste encore plus tendue et chaotique de l’Europe à l’Asie centrale et enfin des millions de réfugiés en Europe.
L’accentuation du militarisme et de l’irrationalité de la guerre implique une expansion terrifiante de la barbarie guerrière. Cependant, elle ne mène pas au regroupement d’impérialismes en blocs et donc à une guerre généralisée sur l’ensemble de la planète. Divers éléments confortent cette analyse :
La formation de blocs ne doit pas être confondue avec des alliances conjoncturelles, constituées pour des objectifs particuliers. Ainsi, la Turquie, membre de l’OTAN, adopte une politique de neutralité envers la Russie en Ukraine en espérant en profiter pour s’allier avec elle en Syrie contre les milices kurdes appuyées par les États-Unis. En même temps, elle affronte la Russie en Libye ou en Asie centrale, où elle soutient militairement l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, membre de l’alliance dirigée par la Russie.
Si depuis la moitié de la seconde décennie du XXIe siècle, une polarisation des tensions impérialistes s’est de plus en plus nettement manifestée entre les États-Unis et la Chine, celle-ci ne doit nullement être appréhendée comme l’amorce d’une dynamique vers la constitution de blocs. Contrairement à cette dernière, elle n’est pas le produit d’une pression du challenger (l’Allemagne, l’URSS dans le passé) mais bien au contraire d’une politique systématique menée par la puissance impérialiste dominante, les États-Unis, pour tenter d’enrayer le déclin irréversible de son leadership. Dans un premier temps, elle s’est centrée sur la neutralisation des aspirations des anciens alliés du bloc occidental, en particulier l’Allemagne. Ensuite, elle a visé une polarisation envers "l’axe du mal" (Irak, Iran, Corée du Nord) pour tenter de rallier les autres impérialismes derrière le gendarme planétaire. Plus récemment, son but est précisément d’empêcher toute émergence de challengers.
Trente années d’une telle politique par les États-Unis n’ont nullement amené plus de discipline et d’ordre dans les rapports impérialistes mais ont au contraire exacerbé le chacun pour soi, le chaos et la barbarie. Les États-Unis sont aujourd’hui un vecteur majeur de l’expansion terrifiante des confrontations guerrières.
Certes, sur un plan général, la guerre en Ukraine démontre la faillite de ce système (surtout parce qu’elle est à l’évidence un produit volontaire de la classe dominante) et peut dans ce sens constituer une source de prise de conscience de cette faillite, encore que cela se limite aujourd’hui à des minorités de la classe. Fondamentalement cependant, elle confirme l’analyse du CCI que la guerre et les sentiments d’impuissance et d’horreur qu’elle suscite, ne favorisent pas le développement de la lutte de la classe ouvrière. Par contre, elle provoque une aggravation sensible de la crise économique et des attaques contre les travailleurs, poussant ces derniers à s’y opposer pour défendre leurs conditions de vie.[7]
Dans la période actuelle, la guerre en Ukraine ne peut être perçue comme un phénomène isolé. L’entrée dans les années 2020 du XXIe siècle est d’abord marquée par une accumulation et une interaction entre différents types de crises (crise sanitaire, crise économique, crise climatique et alimentaire, tensions entre impérialismes) mais, surtout, celles-ci sont toutes impactées par les effets de ce conflit qui constitue un véritable multiplicateur et intensificateur de barbarie et de chaos destructeur. Cette guerre est le facteur central qui détermine l’intensification des autres aspects : "À propos de cette agrégation de phénomènes destructeurs et de son “effet tourbillon”, il faut souligner le rôle moteur de la guerre en tant qu’action voulue et planifiée par les États capitalistes, devenant le facteur le plus puissant et grave de chaos et destruction. En fait, la guerre en Ukraine a eu un effet multiplicateur des facteurs de barbarie et destruction, impliquant :
Bref, quel que soit le scénario des prochains mois, les répercussions mondiales du conflit en Ukraine se manifesteront à travers :
Les conséquences du conflit en Ukraine ne mènent nullement à une "rationalisation" des tensions à travers un alignement "bipolaire" des impérialismes derrière deux "parrains" dominants, mais au contraire à l’explosion d’une multiplicité d’ambitions impérialistes, qui ne se limitent pas à celles des impérialismes majeurs, examinées dans la section suivante, ou à l’Europe de l’Est et l’Asie Centrale, ce qui accentue le caractère chaotique et irrationnel des confrontations.
L’accentuation du poids de la décomposition tend aussi à accentuer la perte de contrôle de l’appareil politique bourgeois, à renforcer la lutte entre fractions et la pression de tendances populistes.[10] Cette instabilité politique accrue aura un impact croissant sur l’imprévisibilité des positionnements impérialistes, comme la présidence de Trump l’a illustré.
Les pays européens, qui subissent une forte pression américaine et de fortes tensions au sein de l’UE, sont confrontés à des mouvances populistes et des luttes entre fractions de la bourgeoisie, qui déstabilisent fortement l’appareil politique de la bourgeoisie et peuvent entrainer des modifications dans les orientations impérialistes. C’est déjà le cas non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi en Italie avec plusieurs gouvernements à composante populiste. Cette déstabilisation croissante tend également à se renforcer en France où "Les Républicains" de Ciotti sont disposés à gouverner avec les populistes, et même en Allemagne.11]
Les turbulences impérialistes peuvent aussi exacerber les tensions au sein des bourgeoisies, comme c’est le cas en Russie et en Chine, et mener éventuellement à des réorientations impérialistes. Ainsi en Iran, les confrontations entre factions au sein de la bourgeoisie iranienne, attisées par certaines ingérences étrangères et exploitant les révoltes et les expressions de désespoir de la population, peuvent modifier les orientations impérialistes.[12]
Enfin, dans de nombreux États d’Afrique (Soudan, Éthiopie), d’Asie (Pakistan, Afghanistan) ou d’Amérique latine (Pérou, Équateur, Bolivie, Chili), la multiplication de révoltes populaires ou de massacres interethniques marquent la déstabilisation de la structure de l’État et ces diverses situations accentueront l’instabilité des rapports impérialistes et l’imprédictibilité des conflits.
Un an de guerre a provoqué des turbulences importantes concernant les orientations des impérialismes majeurs impliqués, mais aussi au niveau des tensions au sein des différentes bourgeoisies de ces pays.
2.1.1. Le succès initial de l’actuelle offensive américaine est fondé sur une caractéristique déjà mise en évidence dans le Texte d’orientation : "Militarisme et décomposition [7]" (1990), la surpuissance économique et surtout militaire des États-Unis qui dépasse la somme des puissances potentiellement concurrentes. Les États-Unis exploitent à fond cet avantage dans leur politique de polarisation. Celle-ci n’a jamais amené plus d’ordre et de discipline dans les rapports impérialistes mais a au contraire multiplié les confrontations guerrières, exacerbé le chacun pour soi, semé la barbarie et le chaos dans de nombreuses régions (Moyen-Orient, Afghanistan…), intensifié le terrorisme, provoqué d’énormes vagues de réfugiés et exacerbé tous azimuts les ambitions des petits et des grands requins.
La question qui se pose aujourd’hui aux États-Unis en Ukraine est la suivante : faut-il offrir une porte de sortie à la Russie, qui ne peut de toute façon plus prétendre après cette guerre à un rôle impérialiste mondial prépondérant, ou faut-il plutôt viser une humiliation totale, qui pourrait provoquer une réaction désespérée et incontrôlée de la bourgeoisie russe et impliquer par ailleurs le risque d’une désintégration de la Russie, pire qu’en 1990, et donc une déstabilisation de toute cette partie de la planète ? Les fractions dominantes de la bourgeoisie américaine (en particulier les démocrates) sont sans doute conscientes de ces dangers, même si elles tiennent à parachever leurs objectifs, déjà largement atteints, au niveau de l’affaiblissement définitif de la Russie, et surtout de l’accentuation de la pression sur la Chine afin de l’endiguer pour bloquer son expansion. En conséquence, les États-Unis dosent soigneusement les capacités militaires de l’armée ukrainienne, ils font pression sur Zelensky pour que celui-ci augmente son contrôle sur son administration et son armée et indiquent que "d’une manière ou d’une autre cette guerre devra se terminer autour d’une table de négociation" (M. Milley, chef d’état-major des États-Unis). Cependant, cette orientation peut être contrecarrée par :
Quoi qu’il en soit et quel que soit l’aboutissement du conflit, l’actuelle politique de confrontation de l’administration Biden, loin de produire une accalmie dans les tensions ou d’imposer une discipline entre les vautours impérialistes,
Contrairement au discours de ses dirigeants, la politique offensive et brutale des États-Unis est donc à la pointe de la barbarie guerrière et des destructions de la décomposition.
2.1.2. La stratégie des États-Unis pour contrer leur déclin a également révélé des dissensions au sein de la bourgeoisie américaine. S’il y a un consensus clair concernant la politique envers la Chine, ces dissensions concernent aujourd’hui la manière de "neutraliser" la Russie dans un contexte de focalisation sur "l’ennemi principal", la Chine. La faction Trump tendait plutôt à envisager une alliance avec la Russie contre la Chine, mais cette orientation s’est heurtée à l’opposition de larges parties de la bourgeoisie américaine et à une résistance de la plupart des structures de l’État. La stratégie des fractions dominantes de la bourgeoisie américaine, représentées aujourd’hui par l’administration Biden, vise au contraire à porter des coups décisifs à la Russie, de sorte qu’elle ne puisse plus constituer une menace potentielle pour les États-Unis : "Nous voulons affaiblir la Russie de telle manière qu’elle ne puisse plus faire des choses comme envahir l’Ukraine",[13] tout en lançant un clair avertissement à la Chine.
Les élections de mi-mandat ont confirmé que les fractures sont toujours aussi profondes et exacerbées entre démocrates et républicains, de même que les déchirements à l’intérieur de chacun des deux camps,[14] alors même que le poids du populisme et des idéologies les plus rétrogrades, marquées par le rejet d’une pensée rationnelle et cohérente, loin d’être enrayé par les campagnes visant la mise à l’écart de Trump,[15] n’a fait que peser de plus en plus profondément et durablement sur la société américaine. Ces tensions au sein de la bourgeoisie américaine (qu’on ne peut simplement ramener à l’irrationalité de l’individu Trump), accentuées par le basculement de la chambre des représentants vers les Républicains et la nouvelle candidature présidentielle de Trump, toujours plébiscité par plus de 30 % des Américains (soit près des 2/3 des électeurs républicains), pour les élections de 2024, font peser une dose d’incertitude sur la politique américaine de soutien massif à l’Ukraine et n’engagent pas d’autres pays à prendre pour argent comptant les promesses des États-Unis.
Cette imprédictibilité de la politique américaine est elle-même en soi (en plus de sa politique de polarisation) un facteur d’intensification du chaos dans le futur.
2.2.1. L’intervention ratée en Ukraine, déjà catastrophique aujourd’hui, aura des conséquences encore plus lourdes dans les mois à venir. L’armée russe a démontré son inefficacité et a perdu une grande partie de ses soldats d’élite et de son matériel le plus moderne. Son économie subit des coups très durs, surtout dans les secteurs technologiques de pointe à cause de l’absence de matière première de par le boycott et la fuite de larges parties des élites technologiques (1 million de personnes auraient fui vers l’étranger). Malgré un effort financier gigantesque (50 % du budget de l’État est consacré aujourd’hui à l’effort de guerre), le secteur de l’industrie militaire, capital pour engager un effort de guerre de longue durée, n’arrive pas à soutenir le rythme et il est caractéristique que la Russie doive appeler à l’aide la Corée du Nord (munitions) et l’Iran (drones) pour suppléer les lacunes de sa propre économie de guerre.
Mais c’est surtout au niveau des rapports impérialistes que Moscou subira de plus en plus nettement le contrecoup de sa défaite. La Russie est isolée et même des pays "amis" comme la Chine ou le Kazakhstan prennent ouvertement leur distance. Par ailleurs, en Asie Centrale, les différents pays, ex-membres de l’URSS, ont refusé que leurs citoyens résidant en Russie soient mobilisés et se montrent de plus en plus critiques vis-à-vis de la Russie : le Kazakhstan a accueilli 200.000 russes fuyant l’ordre de mobilisation, désapprouve expressément l’invasion russe et fournit une aide matérielle à l’Ukraine. La Kirghizie et le Tadjikistan reprochent ouvertement à la Russie d’être incapable d’intercéder dans leur conflit interne. L’Arménie est furieuse que la Russie n’ait pas respecté le pacte d’assistance qui les liait lors de la guerre avec l’Azerbaïdjan. Même Loukachenko, le tyran de Biélorussie, essaie désespérément d’éviter de trop s’engager aux côtés de Poutine. L’effondrement de l’influence russe en Europe de l’Est et en Asie Centrale va attiser les tensions entre les différentes bourgeoisies de ces régions et aiguiser les appétits des grands vautours, donc accentuer leur déstabilisation. Et pour couronner le tout, la Russie devra accepter une Ukraine puissamment armée par les États-Unis à 500 km de Moscou.
2.2.2. Sur le plan intérieur, les tensions deviennent de plus en plus fortes et visibles entre différentes factions au sein de la bourgeoisie russe. Plusieurs tendances apparaissent :
Apparemment, ces divisions traversent aussi bien l’armée que les services de sécurité, que l’entourage de Poutine. De la survie politique de Poutine à celle de la Fédération de Russie et au statut impérialiste de cette dernière, les enjeux découlant de la défaite en Ukraine sont lourds de conséquences : au fur et à mesure que la Russie s’enfonce dans les problèmes, des règlements de compte risquent de se produire, voire des affrontements sanglants entre factions rivales. Ainsi, des "seigneurs de guerre", comme Kadyrov ou Prigojine (fondateur du groupe Wagner), émergent et s’opposent de plus en plus à l’état-major, allant même jusqu’à critiquer Poutine. De même, une large partie des soldats tués provient plus spécifiquement de certaines républiques autonomes pauvres, ce qui engendre de nombreuses manifestations et sabotages dans ces régions et pourrait mener à la fragmentation de la Fédération de Russie. Ces contradictions laissent prévoir une période de grande instabilité au niveau de l’État le plus grand du monde et l’un des plus armés, avec un risque de perte de contrôle et des conséquences imprévisibles pour le monde entier.
Si certains, sur la base d’une approche empiriste, pouvaient s’imaginer il y a deux ans que la Chine était la grande gagnante de la crise du Covid, les données récentes confirment sur tous les plans aujourd’hui qu’elle est au contraire confrontée à une déstabilisation multiple et à la perspective de turbulences majeures.
Face au piège tendu à "l’allié" russe en Ukraine et à la défaite cinglante subie par celui-ci, la Chine tente de calmer le jeu avec les États-Unis, dont la politique de polarisation vise fondamentalement, derrière la Russie, la Chine, comme le montrent les tensions permanentes autour de Taïwan. Cependant, la stratégie de la Chine diffère fondamentalement de celle de la Russie. Alors que le seul atout de cette dernière était sa puissance militaire en tant qu’ex-chef de bloc, la bourgeoisie chinoise comprend que le développement de sa force est lié à une montée en puissance économique dont la finalisation exige encore du temps.
Ce temps lui sera-t-il accordé ? Mise sous pression par le développement du chaos guerrier et de la polarisation impérialiste, la Chine est confrontée au même moment à une déstabilisation sanitaire, économique et sociale, qui place la bourgeoisie chinoise dans une situation particulièrement inconfortable.
2.3.1. La Chine est fortement déstabilisée sur plusieurs plans :
La croissance du PIB ne devrait pas dépasser les 3 % en 2022, soit la plus faible croissance depuis 1976 (en dehors de "l’année Covid" 2020). Les jeunes subissent particulièrement la détérioration de la situation, avec un taux de chômage estimé à 20 % parmi les étudiants universitaires à la recherche d’un emploi.
2.3.2. Les convulsions d’un modèle néo-stalinien dépassé.[16]
Face aux difficultés économiques puis sanitaires, la politique de Xi Jinping dès le début de son deuxième mandat (2017) avait été de revenir aux recettes classiques du stalinisme :
Mais, comme le point précédent le démontre, cette politique des autorités chinoises les a menées tout droit dans le mur. De fait, confronté à une contestation sociale explosive, le régime s’est vu obligé de reculer dans la plus grande précipitation à tous les niveaux et d’abandonner en quelques jours sa politique qu’il maintenait depuis des années contre vents et marées.
Cette politique en zigzag révèle l’impasse d’un régime de type stalinien où "la grande rigidité des institutions ne laisse pratiquement aucune place pour une possibilité de surgissement de forces politiques bourgeoises d’opposition capables de jouer le rôle de tampons".[18] Si le capitalisme d’État chinois a su profiter des opportunités présentées par son changement de bloc dans les années 1970, par l’implosion du bloc soviétique et la mondialisation de l’économie prônée par les États-Unis et les principales puissances du bloc de l’Ouest, les faiblesses congénitales de sa structure étatique de type stalinien constituent aujourd’hui un handicap majeur face aux problèmes économiques, sanitaires et sociaux. Les soubresauts désespérés du régime révèlent la faillite de la politique de Xi Jinping, réélu pour un troisième mandat après des tractations en coulisse entre fractions au sein du PCC, et préfigurent des conflits entre factions au sein d’un appareil d’État dont l’inaptitude à surmonter la rigidité politique révèle le lourd héritage du maoïsme stalinien.[19]
2.3.3. Une politique impérialiste sous pression
Confrontée à l’offensive économico-militaire des États-Unis, de Taïwan à l’Ukraine, la bourgeoisie chinoise semble en avoir tiré les leçons sur le plan impérialiste et oriente pour le moment sa politique vers une stratégie d’évitement de l’engrenage des provocations, militaires ou autres :
Cependant, l’agressivité économique mais aussi militaire des États-Unis s’intensifie à travers un armement massif de Taïwan mais également par un accroissement de la pression sur des "partenaires" de la Chine comme l’Iran ou le Pakistan. Avec la montée en puissance du militarisme nippon tout comme les ambitions de plus en plus affirmées de l’Inde, cette pression impérialiste accentuée au Moyen-Orient et dans la zone du Pacifique peut provoquer des dérapages imprévus. D’autre part, le "tourbillon" de bouleversements et de déstabilisations qui frappe la bourgeoisie chinoise produit aussi une lourde pression sur sa politique impérialiste et instille un haut degré d’imprévisibilité dans celle-ci. Et il doit être clair qu’une déstabilisation du capitalisme chinois entraînerait des conséquences imprévisibles pour le capitalisme mondial.
L’Allemagne est également confrontée à une série de signaux non ambigus : son statut de nain militaire l’a obligée à rentrer dans le rang en tant que membre de l’OTAN, le blocus imposé aux Européens par les États-Unis concernant le pétrole et le gaz russe la plonge dans de grandes difficultés économiques, d’autant plus que les "Inflation Reduction Act" et "Chips in USA Act" constituent également une attaque directe visant les importations européennes et donc en particulier allemandes.
2.4.1. Lors de l’implosion du bloc soviétique, le CCI mettait en évidence que si, dans un avenir proche, "il n’existe aucun pays en mesure, dans un avenir proche, d’opposer à celui des États- Unis un potentiel militaire lui permettant de prétendre au poste de chef d’un bloc pouvant rivaliser avec celui qui serait dirigé par cette puissance",[20] la seule puissance impérialiste potentiellement apte à une échéance plus lointaine à devenir le noyau central d’un bloc concurrençant les États-Unis était alors, selon notre analyse, l’Allemagne : "Quant à l’Allemagne, le seul pays qui pourrait éventuellement un jour tenir un rôle qui a déjà été le sien par le passé, sa puissance militaire actuelle (elle ne dispose même pas de l’arme atomique, rien que cela !) ne lui permet pas d’envisager rivaliser avec les États-Unis sur ce terrain avant longtemps. Et cela d’autant plus qu’à mesure que le capitalisme s’enfonce dans sa décadence, il est toujours plus indispensable à une tête de bloc de disposer d’une supériorité militaire écrasante sur ses vassaux pour être en mesure de tenir son rang".[21]
De fait, l’Allemagne se trouvait à ce moment dans une situation particulièrement complexe : elle était confrontée au défi économique, politique et social gigantesque d’intégrer l’ex-RDA dans son tissu industriel, tandis que des troupes étrangères (américaines mais aussi d’autres pays de l’OTAN) étaient stationnées sur son territoire. Ce gigantesque effort financier pour "unifier" le pays divisé avait rendu impossible l’investissement conséquent nécessaire pour remettre au niveau requis ses forces militaires, la division du pays et le démantèlement de sa force militaire étant bien sûr la conséquence de la défaite de 1945.[22] Dans ce contexte, la bourgeoisie allemande a développé depuis vingt ans une politique d’expansion économique et impérialiste résolument tournée vers l’Est, transformant de nombreux pays de l’Est en sous-traitants pour son industrie tout en garantissant son approvisionnement énergétique stable et bon marché à travers des accords gazier et pétrolier avec la Russie, ce qui lui a aussi permis de profiter pleinement de la mondialisation de l’économie. Par la même occasion, en intégrant les États d’Europe de l’Est dans l’UE, elle s’assurait aussi d’une prééminence politique au sein de l’UE.
2.4.2. L’espoir illusoire de pouvoir développer sa puissance impérialiste sans un déploiement du militarisme et la construction d’une force militaire conséquente a volé en éclats avec l’embrasement guerrier en Ukraine. La bourgeoisie allemande a pourtant tout entrepris pour maintenir le partenariat avec la Russie malgré le conflit :
La guerre intensive, financée et entretenue au moyen de livraisons massives d’armements par les États-Unis, fait subir à Berlin une pression particulièrement intolérable, mais qui se situe dans le prolongement de l’hostilité déjà nette de l’administration Trump envers la politique autonome de l’impérialisme allemand, en mettant en évidence sa position de "nain" militaire et en plaçant sous contrôle ses sources d’approvisionnement en énergie.
2.4.3. Face à cela, la bourgeoisie allemande, prise au piège, entreprend des actions tous azimuts pour renforcer sa position militaire, rechercher de nouveaux partenariats économiques et maintenir sa présence impérialiste en Europe de l’Est :
2.4.4. Ces réactions de la bourgeoisie allemande face à l’offensive américaine exacerbent non seulement les tensions et le chacun pour soi envers les États-Unis mais aussi en Europe même. Ainsi, les décisions allemandes de commander des avions de chasse… aux États-Unis et de mettre en place un bouclier anti-missile s’appuyant sur la technologie allemande et… israélienne en gelant les programmes d’armement sophistiqués (avions et chars) programmés avec la France ont provoqué des dissensions importantes entre la France et l’Allemagne, l’épine dorsale de l’UE.
L’impérialisme français a décidé le report d’un conseil Franco-allemand et a exprimé son refus de construire un gazoduc reliant l’Espagne et l’Allemagne pour acheminer le gaz en provenance d’Afrique. Le dernier conseil commun franco-allemand de janvier 2023 n’a pas changé la donne, malgré des déclarations communes ronflantes : "Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont fait assaut de symboles, dimanche, à Paris, pour les 60 ans du traité de l’Élysée, mais n’ont formulé aucune proposition forte sur le soutien à l’Ukraine, l’Europe de la défense ou la crise énergétique".[24] Cependant, l’Allemagne n’a pas intérêt à se détacher trop de la France, qui représente la première puissance militaire d’Europe et constitue un pilier central pour maintenir une UE regroupée autour de l’Allemagne.
Le chacun pour soi du gouvernement allemand concernant les mesures économiques, les relations avec la Chine ou le futur de l’Ukraine accroît plus globalement les tensions avec d’autres pays au sein de l’UE, en particulier avec certains en Europe de l’Est, comme les Pays Baltes ou la Pologne, qui appuient fortement la politique américaine.
Cette politique de Scholz suscite aussi des divisions au sein de la Bourgeoisie allemande (une partie des Verts au gouvernement était contre le voyage de Scholtz en Chine par exemple) et, contrairement au SPD, les autres partis du gouvernement (FDP et les Verts) sont plutôt en faveur de la politique américaine envers la Russie. Ces divergences au sein des fractions de la bourgeoisie allemande risquent de s’approfondir avec l’aggravation de la crise économique, avec la pression exercée sur l’économie allemande et la position impérialiste du pays, ce qui annonce une instabilité politique croissante, avec le danger d’un impact plus fort de mouvements populistes[25] face à la dégradation de la situation sociale.
L’explosion du militarisme est l’illustration par excellence de l’approfondissement qualitatif de la période de décomposition tout en étant annonciatrice d’une accentuation inéluctable du chaos et le chacun pour soi.
Nous avons souligné que "l’agrégation et l’interaction de phénomènes destructeurs débouchent sur un “effet tourbillon” qui concentre, catalyse et multiplie chacun de ses effets partiels en provoquant des ravages encore plus destructeurs".[28] Dans ce cadre, si la crise économique est, en dernière instance, la cause de fond de la tendance à la guerre, celle-ci provoque à son tour une aggravation de la crise économique. En effet, loin de constituer un stimulant pour l’économie, la guerre, et le militarisme, constituent une aggravation de la crise. Cette explosion des dépenses comme conséquence du conflit ukrainien vont aggraver les dettes des États, qui, elles aussi, constituent un autre poids sur l’économie. Elles produiront une accélération de la croissance de l’inflation qui est une autre menace pour la croissance économique, qui, pour être combattue, demande une contraction du crédit qui ne peut que conduire à une récession ouverte, ce qui signifie aussi une aggravation de la crise économique. Enfin, la guerre en Ukraine a provoqué une augmentation énorme des coûts de l’énergie, qui pèse sur l’ensemble de la production industrielle, tout comme une pénurie de produits agricoles et un ralentissement du commerce mondial.
Bref, "Les années 20 du XXIe siècle vont donc, dans ce contexte, avoir une importance considérable sur l’évolution historique",[29] dans la mesure où l’alternative "socialisme ou barbarie", mise en avant par l’Internationale Communiste en 1919, se concrétise toujours plus par "socialisme ou destruction de l’humanité".
Avril 2023
[1] Ainsi, la TCI utilise parfois la notion de la décadence, mais sans expliquer et préciser les implications, ou encore, elle renonce à reconsidérer la notion de défaitisme révolutionnaire en prenant en considération les caractéristiques du contexte actuel. Lire à ce propos notre critique des comités No War But the Class War : "Sur l’histoire des groupes "No [26]War but the Class War [26]", Révolution internationale n° 494 et "Un comité qui entraîne les participants dans l’impasse [2]", Révolution internationale n° 496.
[2] Revue internationale n° 167.
[3] "Signification et impact de la guerre en Ukraine [27]", Revue internationale n° 168 (2022).
[4] Revue internationale n° 168.
[5] Cité dans "Militarisme et décomposition, mai 2022 [25]", Revue internationale n° 168.
[6] "Rapport à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France".
[7] Lire à ce propos le Rapport sur la lutte de classe du 25e congrès du CCI.
[8] "Années 20 du XXIᵉ siècle [10]. L’accélération de la décomposition pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité [10]", Revue internationale n° 169 (2022).
[9] Cf. les plans pour sa reconstruction.
[10] Cf. les élections récentes au Brésil.
[11] Cf. le complot des "Reichsburger" impliquant des parties non négligeables des services de sécurité.
[12] Cf. le rapprochement avec la Russie.
[13] Déclaration du Secrétaire d’État à la défense, Lloyd Austin, lors de sa visite à Kiev le 25 février 2022. La fraction Biden voulait aussi "faire payer" à la Russie son ingérence dans les affaires internes américaines, par exemple leurs tentatives de manipuler les dernières élections présidentielles.
[14] Cf. l’élection compliquée du "speaker" Républicain à la chambre des représentants.
[15] Cf. les menaces de différents procès.
[16] "La caractéristique la plus évidente, la plus connue des pays de l’Est, sur laquelle repose le mythe de leur "nature socialiste", réside dans le degré extrême d’étatisation de leur économie… Le capitalisme d’État n’est pas un phénomène propre à ces pays… Si la tendance au capitalisme d’État est un fait historique universel, elle n’affecte cependant pas tous les pays de la même manière […]. Dans les pays avancés, où il existe une vieille bourgeoisie industrielle et financière, cette tendance prend généralement la forme d’une superposition progressive des secteurs “privé” et étatique […]. Cette tendance au capitalisme d’État "prend ses formes les plus extrêmes là où le capitalisme connaît ses contradictions les plus brutales, là où la bourgeoisie classique est la plus faible". En ce sens, le fait que l’État prenne le contrôle direct de la plupart des moyens de production, caractéristique des pays de l’Est et, dans une large mesure, du tiers monde, est la forme la plus extrême dans laquelle le capitalisme connaît ses contradictions les plus brutales, où la bourgeoisie classique est la plus faible" ("Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l’Est [28]", Revue internationale n° 60.
[17] Foreign Affairs, cité dans Courrier International n° 1674.
[18] "Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l’Est, 1990 [28]", Revue internationale n° 60.
[19] "Un capital national développé, détenu de façon “privée” par différents secteurs de la bourgeoisie, trouve dans la “démocratie” parlementaire son appareil politique le plus approprié ; à l’étatisation presque complète des moyens de production correspond le pouvoir totalitaire d’un parti unique" (Ibid.)
[20] "Texte d’orientation : militarisme et décomposition [7]", Revue internationale n° 64 (1991).
[21] Idem.
[22] La réduction significative des coûts improductifs durant les années 1950 et 1960 est toutefois aussi à la base du redéveloppement impressionnant de l’économie allemande.
[23] "Olaf Scholz en solo à Pékin", Asialyst (5 novembre 2022).
[24] "Entre la France et l’Allemagne, un rapprochement en trompe-l’œil", Le Monde (23 janvier 2023).
[25] Cf. le complot des "Reichsburger".
[26] Wilfred Wan, Directeur du programme Armes de destruction massive du SIPRI, Rapport du SIPRI (5 décembre 2022).
[27] Amiral R. Bauer, chef du comité militaire de l’OTAN, dans Defense One.
[28] "L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité [10]", Revue internationale n° 169 (2022).
[29] Idem.
Elle affirmait que : "L'ampleur et l'importance de l'impact de la pandémie, produit de l'agonie d'un système en pleine décomposition et devenu complètement obsolète, illustrent le fait sans précédent que le phénomène de la décomposition capitaliste affecte aussi désormais, massivement et à l'échelle mondiale l'ensemble de l'économie capitaliste. Cette irruption des effets de la décomposition dans la sphère économique affecte directement l'évolution de la nouvelle phase de crise ouverte, inaugurant une situation totalement inédite dans l'histoire du capitalisme. Les effets de la décomposition, en altérant profondément les mécanismes du capitalisme d'État mis en place jusqu'à présent pour "accompagner" et limiter l'impact de la crise, introduisent dans la situation un facteur d'instabilité et de fragilité, d'incertitude croissante." (point 14)
Elle reconnaissait également le rôle prédominant du chacun pour soi dans les relations entre nations et la "ruée des factions bourgeoises les plus "responsables" vers une gestion de plus en plus irrationnelle et chaotique du système, et surtout l'avancée sans précédent de la tendance au chacun pour soi, [qui] révèlent une perte croissante de contrôle de son propre système par la classe dominante." (point 15) Ce chacun pour soi "En provoquant un chaos croissant au sein de l'économie mondiale (avec la tendance à la fragmentation des chaînes de production et la fragmentation du marché mondial en zones régionales, au renforcement du protectionnisme et à la multiplication des mesures unilatérales), ce mouvement totalement irrationnel de chaque nation à sauver son économie au détriment de toutes les autres est contre-productif pour chaque capital national et un désastre au niveau mondial, un facteur décisif de détérioration de l'ensemble de l'économie mondiale." (point 15)
Elle soulignait que "Les conséquences de la destruction effrénée de l'environnement par un capitalisme en décomposition, les phénomènes résultant du dérèglement climatique et de la destruction de la biodiversité,(…) affectent de plus en plus toutes les économies, les pays développés en tête, (…) perturbent le fonctionnement de l'appareil de production industriel et affaiblissent également la capacité productive de l'agriculture. La crise climatique mondiale et la désorganisation croissante du marché mondial des produits agricoles qui en résulte menacent la sécurité alimentaire de nombreux États." (Point 17)
Par contre, si la résolution n'envisageait pas l'éclatement d'une guerre entre des nations, elle stipulait néanmoins que "nous ne pouvons pas exclure le danger de flambées militaires unilatérales ou même d'accidents épouvantables qui marqueraient une nouvelle accélération du glissement vers la barbarie." (point 13)
Et elle pouvait mettre en avant que : "La crise qui se déroule déjà depuis des décennies va devenir la plus grave de toute la période de décadence, et sa portée historique dépassera même la première crise de cette époque, celle qui a commencé en 1929. Après plus de 100 ans de décadence capitaliste, avec une économie ravagée par le secteur militaire, affaiblie par l'impact de la destruction de l'environnement, profondément altérée dans ses mécanismes de reproduction par la dette et la manipulation étatique, en proie à la pandémie, souffrant de plus en plus de tous les autres effets de la décomposition, il est illusoire de penser que dans ces conditions qu'il y aura une reprise quelque peu durable de l'économie mondiale."[1]
Ainsi :
constituent les principaux indicateurs de la gravité historique de la crise actuelle et illustrent le processus de "désintégration interne" du capitalisme mondial, annoncée par l'IC en 1919.
Comme le résume à sa manière un grand industriel en France : "Ce qui est exceptionnel depuis deux ans, c'est que les crises démarrent mais ne s'arrêtent pas. Il y a un véritable effet d'accumulation. La crise du covid a commencé en 2020 mais elle est toujours là ! Depuis nous sommes confrontés à des tensions extrêmes et des ruptures sur les chaines d'approvisionnement, à un rapport au travail qui a profondément changé, à une guerre aux frontières de l'Europe, à la crise de l'énergie et au retour de l'inflation et enfin à la prise de conscience du changement climatique (…) Les chocs s'additionnent. Ils sont rapides à émerger et violents." (Les Échos 21-22/10). Dans une situation historique où se combinent, s'interpénètrent et interagissent les différents effets de la décomposition en un effet tourbillon dévastateur, le réchauffement climatique et la crise écologique, le chacun pour soi dans les rapports entre états, et, de façon générale, les contradictions fondamentales du capitalisme, la guerre et ses répercussions constituent le facteur d'aggravation central de la crise économique :
En visant à "saigner à "blanc" la 8° économie mondiale, les sanctions occidentales contre la Russie ont ouvert un véritable "trou noir" dans l'économie mondiale aux conséquences encore inconnues. Même si l'économie russe ne s'est pas effondrée ni n'a été divisée par deux (comme Biden l'avait promis), prise au piège de la guerre qui dure et étranglée par les mesures de rétorsions imposées par les États-Unis, l'économie russe est asphyxiée et poussée à la ruine. Avec une chute de 11% du PIB et une inflation à 22% les sanctions économiques affaiblissent l'effort de guerre russe[6] et provoquent des pénuries paralysantes dans l'industrie. De plus, l'embargo sur les semi-conducteurs limite la production des missiles de précision et de tanks[7].
Le secteur de l'automobile s'est, depuis le retrait des constructeurs étrangers, effondré presque complètement (de 97 %). Ceux de la construction aéronautique (stratégique) et du transport aérien (central pour un pays aussi vaste), totalement dépendants des technologies occidentales, sont fortement impactés.
Avec la fuite à l'étranger de centaines de milliers de Russes l'économie russe subit une perte massive de main-d'œuvre, notamment dans le secteur informatique avec le départ de 100.000 informaticiens.
L'alternative offerte par la Chine et les réfractaires aux sanctions occidentales (Inde, Turquie – acheteurs de l'énergie russe) a pu offrir un répit temporaire mais ne compense pas, loin de là, la disparition des marchés occidentaux. L'entrée en vigueur début décembre 2022 de l'embargo européen sur le pétrole russe va réduire considérablement ce "bol d'air".
Si les importations chinoises en provenance de Russie ont augmenté, les exportations vers la Russie ont diminué dans des proportions comparables à celles des pays occidentaux (en raison de la prudente application par la Chine de la plupart des sanctions occidentales[8]). La résistance de la valeur du rouble et même sa progression vis-à-vis du dollar, qui reflètent ce déséquilibre massif entre le volume élevé des exportations de pétrole et de gaz et l'effondrement parallèle des importations consécutif aux sanctions, "ne constitue en rien un signe de force. Les sanctions financières et le gel de 40 à 50% des réserves russes et le bannissement du système SWIFT affectent de plus en plus la capacité de paiement à l'étranger ainsi que la crédibilité de la solvabilité de l'état russe.
Malgré son apparente résilience, les sanctions forment une redoutable arme de guerre et ont un impact important à moyen terme sur l'économie russe : du fait de leur effet à "retardement" le prolongement de la guerre sera le moyen aux mains des États-Unis" pour remplir l'objectif de "détruire" l'économie russe.
Le séisme de la guerre représente un important "changement d'époque", pas seulement uniquement en ce qui concerne la situation de chaque nation, surtout les pays européens, mais aussi sur le plan international.
La guerre est un gouffre au coût économique exorbitant "(de mars à août) l'Ukraine a reçu 84 milliards d'euros de la part de 40 États partenaires et institutions de l'UE – les alliés les plus importants étant les ÉTATS-UNIS, les institutions de l'UE, le RU, l'Allemagne, le Canada, la Pologne, la France, la Norvège, le Japon et l'Italie." "L'Ukraine pourrait recevoir jusqu'à 30 milliards de dollars entre septembre et décembre 2022." L'UE joue un rôle central "afin de maintenir la stabilité macro-financière de l'Ukraine." (en lui fournissant 10 milliards d'euros entre mars et septembre 2022).[9] L'onde de choc économique de la guerre dans le monde n'impacte pas de la même manière, immédiatement et à moyen terme, les principales zones de la planète. Les capitaux européens en subissent l'effet le plus brutal. Pour eux, c'est une déstabilisation sans précédent de leur "modèle "économique".
En raison des sanctions économiques imposées par les États-Unis à la Russie, les firmes européennes plus impliquées en Russie que les américaines sont plus directement affectées par la rupture des relations économiques avec la Russie.
L'embargo sur le gaz russe provoque un choc énorme aux effets en cascade en Europe : "Les bombes, les vraies, tombent en Ukraine, mais c'est un peu comme si les infrastructures industrielles de l'UE avaient, elles aussi, subi des destructions. Le continent va connaitre une violente crise industrielle. Cela va être un choc terrible pour les finances publiques ainsi que pour les classes moyennes et pauvres des pays d'Europe."[10] Comme l'a déclaré J. Borrell : "Les États-Unis s'occupaient de notre sécurité. La Chine et la Russie fournissaient les bases de notre prospérité. Ce monde n'existe plus (…) Notre prospérité reposait sur une énergie venue de Russie, son gaz, réputé pas cher, stable et sans risque. Tout cela était faux (…) Cela va engendrer une profonde restructuration de notre économie." Chaque capital est placé devant des contradictions et dilemmes presqu'insolubles, des choix drastiques, au plan économique comme stratégique, à opérer dans l'urgence et touchant leur souveraineté nationale et la sauvegarde de leur rang mondial.
L'ébranlement du capital allemand : C'est l'Allemagne particulièrement qui concentre de façon explosive toutes les contradictions de cette situation inédite. La fin de l'approvisionnement en gaz russe place le capital allemand dans une situation de fragilité stratégique et économique sans précédent : c'est la compétitivité de toute son industrie qui est en jeu.[12] Le Capital allemand (et l'Europe) court le risque de devoir passer de la dépendance au gaz russe à celle du GNL américain, que les États-Unis ambitionnent d'imposer au continent européen, en se substituant au rôle que remplissait jusqu'alors la Russie. La fin du multilatéralisme dont le capital allemand a, plus que toute autre nation, largement profité, (en s'épargnant également une partie du fardeau des dépenses militaires des ""dividendes de la paix"" depuis 1989) affecte plus directement sa puissance économique qui repose sur les exportations. Enfin la pression qu'exercent les États-Unis pour contraindre leurs "alliés" à s'engager dans la guerre économique/stratégique qui les opposent à la Chine, et à renoncer à des marchés en Chine, place l'Allemagne devant un énorme dilemme, tant l'importance du marché chinois lui est vitale. En raison de sa place de premier plan dans l'UE, le vacillement de la puissance allemande a des répercussions sur l'Europe toute entière, marquée, à divers degrés, des mêmes contradictions et dilemmes.
La Chine et les Routes de la Soie sont directement affectées. Un des buts de guerre et de l'affaiblissement de la Russie vise la Chine. La guerre contrarie l'objectif majeur des Routes de la Soie de faire de l'Ukraine un hub vers le marché européen ; le chaos isole la Chine de l'un de ses principaux marchés. Cet objectif doit trouver une alternative via le Moyen-Orient.
Bien que les grandes puissances reconnaissent que "le changement climatique s'installe comme étant une force de déstabilisation, voire de disruption économique" la COP27 de Sharm El Sheikh s'est déchirée sur la question "Qui doit payer?" Au-delà de l'incapacité congénitale du capitalisme de freiner la destruction de la nature, ce qui sonne le glas de l'engagement des grandes puissances pour réduire la production de gaz à effet de serre, c'est le retour et la préparation par tous les États de la guerre de "haute intensité". En effet : "Pas de guerre sans pétrole. Sans pétrole, il est impossible de faire la guerre (…) Renoncer à la possibilité de s'approvisionner en pétrole abondant et pas trop cher revient tout simplement à se désarmer. Les technologies de transport [qui n'ont pas besoin de pétrole, hydrogène et électricité] sont totalement inadaptées aux armées. Des chars électriques à batterie posent tellement de problèmes techniques et logistiques qu'il faut les considérer comme impossibles, tout comme tout ce qui roule sur terre (véhicules blindés, artillerie, engins de génie, véhicules légers tout-terrain, camions) Le moteur à combustion interne et son carburant sont tellement efficaces et souples qu'il serait suicidaire de les remplacer." [13]
Le capitalisme est condamné à en subir de plus en plus les effets (incendies gigantesques, inondations, canicules, sécheresses, violents phénomènes météorologiques…) qui affectent de façon de plus en plus significative et pénalisent de plus en plus lourdement l'économie capitaliste : le facteur climatique (déjà un facteur de l'implosion des pays arabes dans la décennie 2010) constitue à lui seul une cause d'effondrement de pays particulièrement vulnérables de la périphérie du capitalisme. Le "carnage climatique d'une ampleur jamais vue" (A. Guterres ONU) au Pakistan a fait des dégâts évalués à deux fois ½ son PIB – une catastrophe impossible à surmonter économiquement.[14] Désormais, l'ampleur du choc climatique impacte directement les pays centraux du capitalisme et l'ensemble de leur activité économique sur tous les plans :
Les effets "de plus en plus rapides et intenses" de la hausse des eaux océaniques placent les états devant des défis colossaux. La salinisation des sols stérilise les terres arables (comme au Bangladesh). Ils menacent tant les mégalopoles littorales (comme aux États-Unis sur la côte Est, Ouest ou de nombreuses villes en Chine) que les industries côtières (celle du pétrole autour du Golfe du Mexique ; dans la région de Shenzhen, au cœur de la production électronique chinoise, où "les autorités urbaines chinoises commencent déjà à évacuer des centaines de milliers de personnes".
Ces deux dernières années, les différents effets de la décomposition qui avaient déjà commencé à impacter l'économie capitaliste, ont pris une qualité nouvelle, inédite par leur interaction à une échelle encore inconnue jusqu'alors et qui n'a fait que se renforcer dans une sorte de "tourbillon" infernal où chaque catastrophe alimente la virulence des autres : la pandémie a désorganisé l'économie mondiale ; celle-ci a, à son tour, aggravé la barbarie guerrière et la crise environnementale. La guerre et la crise environnementale continueront à avoir un impact considérable en frappant désormais le cœur des principales puissances et en aggravant considérablement la crise économique, qui forme la toile de fond de cette évolution catastrophique.
C'est un système capitaliste déjà fragilisé dans son ensemble par les convulsions résultant de ses contradictions et de sa décomposition, que les effets la guerre percutent.
L'onde de choc de la guerre frappe une économie fragilisée avec certains secteurs très affaiblis depuis la pandémie : "en 2022, la production automobile mondiale sera encore inférieure à celle de 2019. En Chine elle progresse certes de 7%, mais en Europe elle reste inférieure de 25%, aux États-Unis de 11%. L'industrie a perdu des volumes, elle voit ses coûts augmenter…"[15].
"Les causes fondamentales de l'inflation sont à rechercher dans les conditions spécifiques du fonctionnement du mode de production capitaliste dans sa phase de décadence. En effet, l'observation empirique nous permet de constater que l'inflation est fondamentalement un phénomène de cette époque du capitalisme ainsi que de constater qu'elle se manifeste avec le plus d'acuité pendant les périodes de guerre (1914-18, 1939-45, la guerre de Corée, 1957-58 en France pendant la guerre d'Algérie...). ...), c'est-à-dire celles où les dépenses improductives sont les plus élevées. Il est donc logique de considérer que c'est à partir de cette caractéristique spécifique de la décadence, la part considérable des armements et plus généralement des dépenses improductives dans l'économie, qu'on doit tenter d'expliquer le phénomène de l'inflation."[16]
Déchainée par l'accroissement du poids des dépenses improductives, par l'endettement tous azimuts déployés par les états dans ses différents plans de sauvetage face à la pandémie puis pour assumer la politique de développement de l'économie de guerre et de réarmement général des nations capitalistes, l'inflation[17] ne peut qu'augmenter toujours plus en raison des nécessités pour chaque capital national de colossales dépenses improductives, avec :
L'inflation à un niveau élevé et durable, que le capitalisme ne parvient plus à maitriser comme jusqu'alors (La bourgeoisie renonce à un retour à 2%, jugé irréaliste) marque également une étape dans l'aggravation de la crise. Celle-ci va affecter de plus en plus négativement l'économie en déstabilisant le commerce mondial ainsi que la production qu'elle prive de la visibilité dont elle a besoin, tandis qu'elle formera un vecteur essentiel de l'instabilité monétaire et financière.
La fragilité du système capitaliste s'illustre par "des risques grandissants [qui] pèsent sur la stabilité financière sur certains segments-clés des marchés financiers ou encore la dette souveraine." (K. Georgieva (FMI) et par de nouveaux craquements.
Bien que la masse de l'endettement (260% du PIB mondial) fragilise déjà l'ensemble de son système[19], malgré que l'évolution de la nature de l'endettement est de moins en moins basée sur de la plus-value déjà réalisée, et est alimentée par la planche à billets et la dette souveraine des États, la poursuite de la politique d'endettement reste une obligation à laquelle sont soumis tous les capitaux nationaux, en dépit des effets délétères sur la stabilité de plus en plus aléatoire du système capitaliste. Tous les États sans exception s'y engagent toujours plus pour faire face aux contradictions générées par le système capitaliste. C'est ce que montre la suspension du Pacte de stabilité de l'UE, qui ne sera rétabli début 2023 qu'après avoir été fortement modifié avec un assouplissement de ses règles d'application, et sans doute pour permettre à la BCE de jouer le rôle de prêteur en dernier recours.
L'irresponsabilité et l'incurie de la classe dominante qui se sont manifestées dans la crise sanitaire comme dans celle de l'énergie, ou face aux phénomènes climatiques, constituent un puissant facteur d'aggravation de la crise.
S'ajoutent à ces facteurs le chaos politique et l'influence du populisme au sein de la classe dominante. Ceux-ci, au sein de la plus ancienne bourgeoisie du monde, ont des effets catastrophiques sur l'économie du Royaume Uni. Le Brexit illustre l'irrationalité du chacun pour soi économique ; "Au lieu de la prospérité, de la souveraineté et du rayonnement international, que [les conservateurs] prétendaient apporter en rompant avec leurs voisins, ils n'ont récolté que le ralentissement de leurs exportations, la dépréciation de la livre sterling, les pires prévisions de croissance des pays développés hormis la Russie, et l'isolement diplomatique.[20]" (Le Monde 18-19/12) Ce sont l'incompétence et le clientélisme électoral du gouvernement de Lizz Truss, succédant à Johnson en un passage éclair au pouvoir qui expliquent ses décisions irresponsables, condamnées par le reste de la classe dominante : l'annonce de baisses d'impôts de 45 milliards non financées au profit des plus aisés a conduit à accélérer la chute de la Livre, et à faire craindre son effondrement et une crise de la dette !
En Italie, les gages de respect des règles européennes donnés par Meloni (première arrivée au pouvoir d'un gouvernement d'extrême droite dans un des pays fondateurs de l'UE) ont momentanément calmé les craintes sur l'avenir du plan de relance italien financé par le fond européen créé par un endettement commun aux pays membres, mais n'augurent aucune stabilité à venir.[21]
Enfin, les divisions au sein de la classe dominante ne peuvent que s'aggraver en raison des choix et des priorités à adopter dans la défense des intérêts de chaque capital national dans un contexte plus qu'incertain et contradictoire.
Dans le rapport de 2020, le CCI se demandait si le développement du chacun pour soi, trouvant son origine dans l'impasse de la surproduction et la difficulté croissante du capital à réaliser l'accumulation élargie du capital tout comme dans les effets même de la décomposition, était irréversible. Entre la crise de 2008 (qu'on peut considérer comme celle de la mondialisation) et aujourd'hui, le chacun pour soi dans les relations entre puissances a connu progressivement un changement qualitatif pour désormais triompher complètement. D'après le FMI la guerre va "modifier fondamentalement l'ordre économique et géopolitique mondial." Le conflit en Ukraine clôt la période "d'entre deux" ouverte après 2008 et marque la fin de la mondialisation :
Les États-Unis sortent grands gagnants de la guerre y compris sur le terrain de l'économie. Dans les conditions historiques de la décomposition, à la faveur de la guerre, expression ultime de la guerre de tous contre tous, la puissance militaire – comme unique moyen réel à la disposition des États-Unis pour défendre leur leadership mondial – les États-Unis obtiennent le renforcement momentané de leur économie nationale au détriment du reste du monde au prix de la dislocation globale et de l'affaiblissement convulsif de l'ensemble du système capitaliste[24]. Ce renforcement économique des États-Unis est le produit direct du chacun pour soi ; il n'est pas contradictoire avec l'enfoncement de l'ensemble du système dans la spirale de sa décomposition (il en est une manifestation et ne représente en aucun cas une stabilisation, mais au contraire témoigne de l'aggravation de cet enfoncement) puisqu'il a pour corolaire et condition le développement phénoménal du chaos et l'affaiblissement du système capitaliste dans son ensemble. "Le soutien sans faille de Washington à l'Ukraine a fait des États-Unis le grand gagnant de la séquence au plan mondial sans qu'un seul GI n'ait eu besoin de fouler le sol ukrainien. Des gains géostratégiques, militaires et politiques indéniables. (…) Sur fond de protectionnisme et de nationalisme économique décomplexés, l'Amérique de Biden peut désormais se consacrer tout entière à la guerre technologique contre son seul grand rival, la Chine. L'Europe, elle qui avait réussi à jouer solidaire pendant le covid, sort affaiblie, divisée, avec un tandem franco-allemand en lambeaux."[25] Dans cette descente aux enfers du capitalisme mondial, la guerre change la donne pour tous les capitaux et elle bouleverse l'ensemble des relations économiques mondiales :
L'Europe en est quasiment réduite à passer de la dépendance au gaz russe à celle du GNL américain. Pour échapper à cette mortelle strangulation les Européens recherchent frénétiquement à diversifier leurs fournisseurs.
La Chine largement dépendante des importations d'hydrocarbures sort désavantagée et fragilisée face aux États-Unis désormais en mesure de contrôler – de couper – les routes terrestres et maritimes de l'approvisionnement chinois.
Clairement, les États-Unis n'hésitent pas à prendre le risque d'impulser la récession, de ralentir le commerce international et de provoquer des crises financières dans les États les plus faibles pourvu que leur économie en tire profit et en soit la bénéficiaire au nom de la nécessité du sauvetage de leur propre économie et de leur place de 1ère puissance mondiale.
Plus généralement, l'ensemble des mesures prises aux États-Unis au plan économique, monétaire, financier et industriel jouent comme un aspirateur à investissements et un aimant à délocalisations vers le territoire américain. "L'eldorado" des prix bas de l'énergie et des subventions détourne vers les États-Unis capitaux et grandes entreprises étrangères, au détriment de l'Europe particulièrement. Ainsi, plus d'une soixantaine d'entreprises allemandes (Lufthansa, Siemens…) envisagent d'investir aux États-Unis. VW a annoncé vouloir augmenter sa production de véhicules électriques aux États-Unis et projette 7 milliards d'investissements dans ses sites US. BMW investit 1,7 milliard dans son usine de Caroline du Nord et est tenté de produire les batteries sur place plutôt que dans le cadre des projets européens. La France estime ses pertes potentielles à "10 milliards d'euros d'investissements" et à "10.000 créations potentielles d'emplois" perdues.
A cette "bascule" des États-Unis "du mauvais côté" du protectionnisme" (dixit l'UE),[30] répond la menace d'un "Buy European Act" ; et "France et Allemagne ont formalisé une proposition de contre-offensive… et demandé à Bruxelles d'assouplir les règles qui régissent les subventions publiques aux entreprises ainsi que des subventions ciblées et des crédits d'impôts pour les secteurs stratégiques."[31]
Afin de garantir leur avance technologique décisive sur la Chine, les États-Unis organisent la relocalisation[35] sur leur sol de la production des semi-conducteurs de dernière génération ainsi qu'un contrôle international sur l'ensemble de la filière dont ils entendent exclure la Chine, tout en menaçant de sanctions tout rival entretenant avec cette dernière des relations commerciales susceptible de violer ce "monopole".
Le vaste programme d'investissements de 600 milliards de dollars d'ici à 2027 à destination de ces pays en développement du Partenariat mondial pour les infrastructures, vise quant à lui à contrecarrer prioritairement en Afrique subsaharienne mais aussi en Amérique centrale et en Asie, les immenses chantiers financés par la Chine dans le cadre des Routes de la Soie.
La mise en place du Cadre économique pour l'Indopacifique[36] devant "écrire les nouvelles règles pour l'économie du 21ème siècle" (Biden) et "mettre en place des chaînes d'approvisionnement qui soient solides et résilientes" sous le contrôle de Washington a aussitôt été dénoncée par la Chine comme la "formation de cliques destinées à la contenir".
L'UE en proie au chacun pour soi ? Profondément divisée, marquée par le cavalier seul de l'Allemagne qui a débloqué unilatéralement un plan de 200 milliards de soutien à son économie (qualifié de "doigt d'honneur au reste de l'Europe") et par la dispute entre France et Allemagne pour le leadership, l'Union est traversée par d'importants tiraillements. "Certains pays, comme l'Allemagne, ont les moyens de subventionner massivement leur industrie. D'autres comme l'Italie, beaucoup moins. La Péninsule, la Grèce, l'Espagne mais aussi la France s'en inquiètent et demandent des mesures de solidarité européennes pour corriger ces différences. "L'IRA [l'Inflation Reduction Act] américain, c'est 2 points de PIB, il faut faire un effort comparable" a précisé E. Macron. À l'inverse, Allemagne, Pays-Bas et Suède restent opposés à un nouvel instrument financier européen."[37] Les deux puissances européennes ne sont pas sur la même longueur d'onde concernant la Chine : "Les rondeurs diplomatiques ne suffisent plus à cacher le fossé qui sépare Washington – qui considère Pékin comme son principal rival – et le gouvernement allemand, dont les intérêts le pousse à maintenir une bonne relation commerciale avec la Chine.(…) Sans être alignée sur les États-Unis, la France est plus proche de Washington que de Berlin. La Chine n'est que le 5ème partenaire commercial de la France (…) Lorsque Macron a rencontré Xi en marge du sommet du G20, sa position était plus proche de celle de Biden que de celle de Scholz.[38]" Ainsi au voyage en solo de Scholz en Chine a répondu celui de Macron aux États-Unis.
Si ces tensions devaient, sous le poids des intérêts nationaux contradictoires qui la traversent et leur aiguisement attisé par le rival américain, s'exacerber au point de menacer l'UE d'éclatement, cela constituerait un facteur d'aggravation de grande magnitude de la crise et une déstabilisation de l'ensemble du système capitaliste.
La réaction de la Chine : La guerre en Ukraine montre à quel point le découplage des économies américaine et chinoise engagé à l'initiative des États-Unis rend la Chine vulnérable :
Quelles conséquences ?
L'exclusion par les États-Unis de la Russie du commerce international, l'offensive contre la Chine, leur volonté affichée de reconfigurer les rapports économiques mondiaux à leur avantage marquent un tournant dans la vision du libre-échange tel qu'il a guidé la politique américaine depuis près de trente ans. Cela aura pour conséquence une fragmentation plus grande du marché mondial dans la multiplication d'accords régionaux comme celui entre les États-Unis, le Canada et le Mexique signé en 2020[42].
De tels accords entre signataires partageant prétendument "davantage d'intérêts communs", de même que le commerce entre États et entreprises privilégiant les partenaires de "même sensibilité, pour ne plus commercer avec n'importe qui", n'augurent aucune stabilité ni la formation de relations économiques exclusives sous l'égide de grands parrains. Tout au contraire. Parce qu'ils ont tendance à épouser les multiples lignes de fracture des tensions entre puissances, ils n'auront comme résultat que la fragmentation accrue du marché mondial à l'échelle globale et le renforcement du chacun pour soi, de la guerre commerciale, du repliement sur soi national et la recherche de la préservation de la souveraineté nationale sur tous les plans. Cela ne fera qu'aiguiser, comme question de survie, la volonté du contrôle de chaines de production stratégiques indispensable à la survie nationale et de se mettre en position de forces vis-à-vis des autres puissances soumises au chantage ou au contraire de s'y soustraire. [43]
Désormais, non seulement la capacité de coopération des principales nations capitalistes pour retarder et amoindrir l'impact de la crise économique sur l'ensemble du système capitaliste et sur elles-mêmes, a progressivement disparu (sans qu'il soit perceptible d'en prévoir le retour) mais il s'esquisse de plus en plus clairement une politique, en particulier impulsée par la première des grandes puissances, les États-Unis, de sauvegarder son propre rang dans l'arène mondiale au détriment direct des autres puissances de même type (et du reste du monde) en s'attaquant à leurs intérêts et en provoquant délibérément leur affaiblissement.
Cette situation rompt ouvertement avec une bonne partie des règles que les États s'étaient donné depuis la crise de 1929 et ouvre une période de terra incognita, où le chaos va prendre, y compris dans et parmi les pays centraux, une dimension nouvelle, inconnue, aux répercussions encore difficilement "imaginables" frappant le cœur du système capitaliste dans une spirale d'enfoncement encore plus grand dans la crise.
La crise irréversible du capitalisme représente la toile de fond d'une accélération du chaos et de la barbarie. C'est plus particulièrement 50 ans de crise économique, accélérée depuis 2018, qui se manifeste ouvertement aujourd'hui par une inflation galopante avec ses séquelles de misère, de faim et de paupérisation généralisée.
Contrairement aux années 30, il y a aujourd'hui davantage de facteurs aggravant la crise. La pandémie et la guerre en Ukraine marquent une nouvelle qualité dans la situation. La concaténation des facteurs de décomposition est à la base d'une spirale de dégradation et d'aggravation de la situation économique mondiale. "Cette crise s'annonce plus longue et plus profonde que celle de 1929. Tout d'abord, parce que les effets de la décomposition dans l'économie tendent à perturber le fonctionnement de la production, provoquant des goulots d'étranglement et des blocages constants dans une situation de chômage croissant, associé, paradoxalement, à une pénurie de main-d'œuvre. Elle s'exprime surtout par une inflation galopante, que les différents plans de sauvetage successifs, montés à la hâte par les États face aux pandémies et aux guerres, n'ont fait qu'alimenter par un endettement précipité. Les banques centrales augmentent les taux d'intérêt pour tenter de juguler l'inflation. Ce faisant, elles risquent de précipiter une récession très violente, étranglant à la fois les États et les entreprises. Un tsunami de misère, une paupérisation brutale du prolétariat dans les pays centraux est déjà en cours."[45] Le spectre de la "stagflation" plane sur le monde. Alors que c'est un concept des économistes bourgeois des années 1970 caractérisant un état de forte inflation avec une stagnation économique, aujourd'hui ce danger devient évident et l'inflation non maîtrisée actuelle et le ralentissement de l'économie conduiront à des faillites en chaîne, voire de pays entiers (Pakistan, Sri Lanka, etc.) ainsi qu'à des turbulences financières et des difficultés encore plus grandes dans les pays émergents.
"La croissance des économies avancées devrait fortement décélérer, passant de 5,1 % en 202,1 à 2,6 % en 2022 (1,2 point de pourcentage de moins que les projections de janvier). La croissance devrait encore se modérer pour atteindre 2,2 % en 2023, reflétant en grande partie le retrait du soutien de la politique monétaire et budgétaire fourni pendant la pandémie."[46]. La bourgeoisie n'a pas d'autre alternative que de continuer à augmenter les taux d'intérêt, comme l'a fait la FED en novembre dernier, tous les états sont impliqués dans cette dynamique et cela va provoquer des contractions sur les marchés, des fermetures d'entreprises avec des licenciements massifs comme on peut le voir dans les entreprises technologiques aux États-Unis (GAFAM). La délocalisation d'entreprises de la Chine vers l'Amérique (Nearshoring) va aggraver la situation du chômage dans certaines régions du monde.
Contrairement aux années 30, les niveaux d'endettement actuels sont sans précédent. La Chine, deuxième puissance mondiale, doit 2,5 fois son PIB ! Dans le même temps, elle est devenue un bailleur de fonds, d'abord pour soutenir sa route de la soie et assurer son influence en Afrique et Amérique latine. Les États-Unis dont la dette totale dépasse désormais les 31 trillions (millions de millions) ont imprimé 5 milliards de dollars tandis que l'UE, avec 750 millions d'euros, a imprimé 20 % de plus que les États-Unis. Les perspectives pour les années à venir seront pleines de convulsions et de difficultés pour le capitalisme.
i.- L'économie chinoise a subi un fort ralentissement dû aux blocages répétés, puis au tsunami d'infections qui a provoqué le chaos dans le système de santé, à la bulle immobilière et au blocage de plusieurs routes de la "route de la soie" en raison de conflits armés (Ukraine) ou du chaos ambiant (Éthiopie). La croissance au cours du premier semestre de cette année a été de 2,5 %, ce qui rend l'objectif de 5 % fixé pour cette année inatteignable. Pour la première fois en 30 ans, la croissance économique de la Chine sera inférieure à celle des autres pays asiatiques (Vietnam). Les grandes entreprises technologiques et commerciales telles qu'Alibaba, Tencent, JD.com et iQiyi ont licencié 10 à 30 % de leurs effectifs. Les jeunes sont particulièrement sensibles à la détérioration de la situation, avec un taux de chômage estimé à 20% parmi les étudiants universitaires à la recherche d'un emploi. Les projets d'expansion de la "nouvelle route de la soie" sont également en difficulté en raison de l'aggravation de la crise économique : près de 60 % de la dette envers la Chine est désormais due par des pays en difficulté financière, contre 5 % en 2010. En outre, la pression économique des États-Unis s'intensifie, notamment avec la loi sur la réduction de l'inflation et la loi sur les puces aux États-Unis, qui visent directement les exportations de technologies de plusieurs entreprises technologiques chinoises (par exemple Huawei) vers les États-Unis.
Plus pénible encore pour la bourgeoisie chinoise, les problèmes économiques, couplés à la crise sanitaire, ont donné lieu à d'importants mouvements de protestation sociale.
ii.- L'échec du modèle néo-stalinien de la bourgeoisie chinoise. Face aux difficultés économiques et sanitaires, la politique de Xi Jinping a été de revenir aux recettes classiques du stalinisme :
- Sur le plan économique, depuis Deng Xiao Ping, la bourgeoisie chinoise avait créé un mécanisme fragile et complexe pour maintenir un cadre de parti unique tout-puissant cohabitant avec une bourgeoisie privée directement stimulée par l'État. "Fin 2021, l'ère de la réforme et de l'ouverture de Deng Xiaoping est clairement terminée, remplacée par une nouvelle orthodoxie économique étatiste".[47] La faction dominante derrière Xi Jinping réoriente l'économie chinoise vers un contrôle étatique absolu de type stalinien ;
- Sur le front social, avec la politique du "Covid zéro", Xi n'assurait pas seulement un contrôle impitoyable de l'État sur la population, mais imposait également ce contrôle aux autorités régionales et locales, qui s'étaient révélées peu fiables et inefficaces au début de la pandémie. Dès l'automne, il a envoyé des unités de la police centrale d'État à Shanghai pour rappeler à l'ordre les autorités locales qui libéralisaient les mesures de contrôle.
"Un capital national développé, propriété "privée" de différentes sections de la bourgeoisie, trouve dans la "démocratie" parlementaire son appareil politique le plus approprié ; au contrôle étatique presque complet des moyens de production répond le pouvoir totalitaire d'un parti unique".[48]
La faillite de la politique du "Covid zéro" a eu comme répercussion la réélection pour un troisième mandat de l'homme qui l'a imposée, Xi Jinping, au prix de compromis complexes entre les factions du PCC. La bourgeoisie chinoise démontre ainsi plus que jamais son incapacité congénitale à surmonter la rigidité politique de son appareil d'État, lourd héritage du maoïsme stalinien.
iii.- Une crise qui s'étend inexorablement La deuxième plus grande puissance du monde est prise dans la même dynamique que ses pairs. Cette catastrophe est encore à venir.
En conclusion, il semble aujourd'hui que si le capitalisme d'État chinois a su profiter des opportunités offertes par le changement de bloc, l'implosion du bloc soviétique et la mondialisation de l'économie prônée par les États-Unis et les principales puissances du bloc occidental, sa faiblesse congénitale dans sa structure étatique de type stalinien constitue désormais un handicap majeur face aux problèmes économiques, sanitaires et sociaux. La situation annonce l'instabilité et un possible bouleversement, même pour la position de Xi et de ses partisans au sein du PCC. Une déstabilisation du capitalisme chinois aurait des conséquences imprévisibles sur le capitalisme mondial.
L'année 2021 a vu une explosion accélérée des dépenses militaires. Les États-Unis ont augmenté leurs dépenses de 38% (880 millions de dollars), la Chine de 14% (243 millions de dollars) et la Russie de 3% (65 millions de dollars). La supériorité militaire de l'Amérique se reflète dans son budget. Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), la même année, "le monde a dépensé 2 000 milliards de dollars" dans le domaine militaire.
L'ensemble de la région indopacifique a vu ses dépenses militaires augmenter de peur d'être victime de l'impérialisme chinois : le Japon a également doublé son budget militaire et signé un accord de "transfert de défense" avec le Vietnam, la Thaïlande investit 125 millions de dollars dans 50 navires de guerre pour protéger ses mers, l'Indonésie augmente de 200% ses investissements militaires en mer de Chine et les Philippines viennent de recevoir 64 millions de dollars supplémentaires des États-Unis pour renforcer ses bases militaires afin de contenir les menaces chinoises. Mais cette région n'est pas la seule à être prise dans cette dynamique, personne n'est épargné.
Le monde se dirige vers une explosion des dépenses militaires comme jamais auparavant dans l'histoire. Toutes ces dépenses improductives seront chargées sur le dos des travailleurs.
Non seulement la mise en œuvre d’énergies propres et renouvelables, est impossible sous le capitalisme, mais la guerre de l'énergie continuera de marquer l'avenir de ce système. Le contrôle des sources d'énergie, en particulier du gaz et surtout du pétrole, restera une question de "sécurité nationale" pour chaque capital. Le fonctionnement des entreprises en dépend, et au niveau impérialiste, l'armée fonctionne au pétrole. Les États-Unis ont actuellement le contrôle de ces ressources et le fait qu'ils soient aujourd'hui les principaux fournisseurs de l'Europe devient une source de chantage et de pression future sur les pays de l'UE. Le voyage de Xi en Arabie saoudite et le récent accord énergétique avec la Russie le confirment.
Il faut souligner l'accélération historique de l'influence de la guerre sur l'économie, qui s'est manifestée de manière tragique avec la guerre en Ukraine. En faisant une comparaison historique avec la guerre du Vietnam, si la charge militaire pesait alors sur l'économie, aujourd'hui, l'impact du militarisme sur l'économie est encore plus important.
Le capitalisme est le seul système de l'histoire capable de dévaster la nature à grande échelle, en éliminant des écosystèmes entiers et en accélérant l'extinction d'espèces, ce qui modifie l'ordre naturel tout entier. Ce phénomène est cumulatif et s'accélère, entraînant une dévastation rapide de la planète. L'actuelle "transition vers les énergies propres" n'est que l'expression de la lutte entre les capitalistes et de leur compétition à mort. Il s'agit de voir qui arrivera le premier sur le marché et enlèvera des clients à l'adversaire. Tous les discours sur leurs "préoccupations" pour l'environnement sont de la démagogie. L'aggravation de la "crise écologique" s'accélère et provoque des ravages inacceptables. Les États-Unis dont l'ancien président Trump a nié l'existence du "changement climatique" sont confrontés aux effets de cette crise écologique et la première puissance mondiale est loin d'être "épargnée" par les "catastrophes naturelles" et détient même le sinistre record mondial de destruction de la biodiversité. En fait, le capitalisme ne peut pas à la fois être un système concurrentiel et être "écologique", car :
D'autre part, le retour au charbon, même si les entreprises paient une taxe supplémentaire pour couvrir les dommages causés à l'environnement - ce qui n'est qu'un paravent - n'élimine pas l'énorme échec du capitalisme à éliminer les émissions de carbone. Si les Européens avaient décidé d'abandonner l'énergie nucléaire, ils tentent maintenant de la réintroduire pour compenser leur dépendance vis-à-vis de la Russie et des États-Unis. C'est un nouvel exemple des échecs du capitalisme qui nous pousse à faire revivre les vieilles gloires, même si elles sont polluantes. Chaque pays n'agit que dans ses propres intérêts et les autres en pâtissent !
Une transition vers des "énergies vertes" sous le capitalisme équivaut à l'illusion d'un capitalisme sans guerres.
Les dépenses improductives du capital ne cesseront pas, le militarisme et le maintien de l'État feront des ravages dans la classe ouvrière. Ce phénomène de paupérisation de la classe ouvrière dans les pays centraux a son histoire, mais depuis la pandémie et la guerre en Ukraine, il s'est accéléré. L'inflation réduit considérablement le pouvoir d'achat des travailleurs et contrairement aux années 70, la bourgeoisie ne recourt pas aujourd'hui à l'indexation des salaires. Ainsi, la bourgeoisie au Royaume-Uni adopte une position dure sur les demandes d'augmentation des salaires pour compenser l'inflation ; le Premier ministre britannique a déclaré : "aucune négociation n'est possible".
C'est la crise et sa perspective de récession mondiale qui créent les conditions pour que les travailleurs commencent à élever leurs luttes sur leur terrain. "La crise économique, contrairement à la décomposition sociale qui concerne essentiellement les superstructures, est un phénomène qui affecte directement l'infrastructure de la société sur laquelle reposent les superstructures ; la crise met donc à nu les causes profondes de toute la barbarie qui pèse sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement le système et de ne plus prétendre en améliorer certains aspects" (La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [6], Revue internationale 107)
Janvier 2023
[1] Résolution sur la situation internationale [11] (2021) ; Revue internationale n° 167.
[2] Le Monde 17/12
[3] La faim a progressé d'environ 18 % durant la pandémie et touche aujourd'hui 720 à 811 millions de personnes. La réduction des aides alimentaires, leur réorientation vers l'accueil des seuls réfugiés ukrainiens ou la réaffectation de leur montant en faveur des dépenses militaires en hausse ont fait que, pour l'Afghanistan où la famine menace 23 millions d'habitants, la Somalie où une partie de la population est en "danger de mort imminente " les fonds nécessaires n'ont pas pu être réunis.
[4] En Europe la réduction considérable de la production d'engrais (fortement consommatrice de gaz naturel) en raison des prix élevés de l'énergie entraine une diminution de la consommation d'engrais partout dans le monde, du Brésil aux États-Unis, qui menace le volume des prochaines récoltes. Ainsi par exemple : "Le Brésil, premier producteur mondial de soja, achète près de la moitié de ses engrais phosphatés à la Russie et à la Biélorussie. Il ne lui reste plus que trois mois de stock. L'association brésilienne des producteurs de soja (Aprosoja) a demandé à ses membres d'utiliser moins de fertilisants cette année, voire aucun. La récolte de soja du Brésil, déjà diminuée par une sévère sécheresse, risque par conséquent d'être encore plus maigre. Le Brésil vend son soja principalement à la Chine, qui en utilise une grande partie pour l'alimentation animale. Un soja moins abondant et plus cher pourrait obliger les éleveurs chinois à réduire les rations qu'ils donnent à leurs animaux. Résultat : des vaches, des porcs et des poulets plus petits – et une viande plus chère."
[5] Toutes les citations du passage proviennent de Courrier International
[6] "La raréfaction des recettes publiques du fait de l'embargo occidental sur les achats d'or, charbon et métaux, la paye n'arrive plus qu'épisodiquement auprès de certains régiments. Ce qui contribuerait à des refus de combattre, voire des redditions." (Les Echos 17/09/2022)
[7] "Nombre d'usines du complexe militaro-industriel ont dû réduire leur production, voire se mettre à l'arrêt, comme celle de missiles anti-aériens d'Ulyanovsk, de missiles air-air Vympel, ou de chars d'Uralvagonzavod, principal site de production du pays" (Les Echos 17/09/2022).
[8] "En effet, bien que Pékin refuse de publiquement désavouer son grand partenaire stratégique, les autorités chinoises se sont largement conformées aux sanctions imposées par les Occidentaux à l'encontre de la Russie. Les entreprises chinoises ont bien suivi des compagnies occidentales dans leur exode du marché russe : les géants de la tech chinois — Lenovo, TikTok et Huawei — ont bloqué toutes leurs opérations en Russie, alors que les constructeurs chinois des modules arctiques pour le mégaprojet gazier russe Arctic-LNG2 ont décidé de mettre un terme à leur coopération avec Novatek. Finalement, malgré les assurances de la propagande officielle du Kremlin, UnionPay, l'un des grands processeurs de paiement mondiaux sous contrôle de l'État chinois, a mis sur pause fin avril ses projets de collaboration avec les banques russes, coupant court leur espoir de trouver une alternative aux géants américains de paiement Visa et Mastercard. Ce pas de deux complexe devrait, aux yeux de Pékin, protéger les intérêts chinois et minimiser l'impact de la guerre sur l'économie chinoise… "Chine : 2022, l’année de tous les périls ? [29] DIPLOMATIE)
[9] Diplomatie 118, p33 ; "Si on ajoute [aux dépenses purement militaires] l'aide humanitaire, économique d'urgence et l'assistance aux réfugiés, l'UE et les États membres ont fourni une aide supérieure à celle des États-Unis, selon l'institut de Kiel, à 52 milliards de dollars contre 48 milliards pour Washington. " (Les Echos, 3-4/02)
[10] IFRI, Le Point Géopolitique, Les guerres de l'énergie, p.6
[11] L'exemple de l'Afrique du sud montre le caractère général du problème : les effets de la sécheresse et les pénuries d'eau que connait le pays cet automne sont augmentés par une crise de l'énergie d'une ampleur inédite eu raison de la vétusté et des pannes des vieilles centrales à charbon enchainant des coupures d'électricité incessantes qui empêchent le pompage de l'eau dans les montagnes du Drakensberg et son acheminement vers Johannesburg et Pretoria, rationnées, tandis que 40 % disparait dans les fuites sur le réseau. Mais pour réparer toutes ses infrastructures, il faudrait 3,4 milliards d'euros, que la Régie de l'eau ne possède pas.
[12] Par ex. Dans la chimie (première consommatrice de gaz) la production est drastiquement réduite ; 70 % du secteur enregistre des pertes ; pour BASF des parties entières de son activité ne sont plus rentables ni compétitives ce qui entraine une plongée de 30% de ses résultats. Toute l'Europe (qui absorbe 60% des exportations de ce secteur) est touchée !
[13] Conflits n°42
[14] Les inondations ont presque entièrement détruit les récoltes de ce 5° producteur mondial de coton. C'est une perte colossale pour l'industrie du textile qui représente 10% du PIB ; l'agriculture dans le Sind a été détruite, le cheptel décimé ; le reste livré aux épizooties "la sécurité alimentaire des 220 millions d'habitants est en péril " (Le Monde 14/09) S'ajoutent les fléaux du paludisme, de la dengue, du choléra et de la typhoïde. Quatrième producteur de riz et fournisseur de la Chine et l'Afrique subsaharienne, "toute baisse des exportations ne fera qu'ajouter à l'insécurité alimentaire mondiale nourrie par la baisse des exportations de blé de l'Ukraine. " (Le Monde 14/09)
[15] Les Echos, 23-24/12
[16] Révolution Internationale, ancienne série n°6
[17] "L'inflation ne doit pas être confondue avec un autre phénomène de la vie du capitalisme se traduisant par l'évolution à la hausse du prix de certaines marchandises sous l'effet d'une offre insuffisante. Ce dernier phénomène a pris récemment une ampleur particulière du fait de la guerre en Ukraine qui a affecté la fourniture d'un volume significatif de différents produits agricoles dont la privation est d'ores et déjà un facteur d'aggravation de la misère et la faim dans le monde. Elle est une donnée permanente de la période de décadence du capitalisme qui impacte lourdement l'économie. Elle se traduit, comme l'insuffisance de l'offre, par l'augmentation des prix, mais elle est la conséquence du poids des dépenses improductives dans la société, dont le coût est répercuté sur celui des marchandises produites. Enfin un autre facteur d'inflation est la conséquence de la dévalorisation des monnaies résultant de l'utilisation de la planche à billets qui accompagne l'augmentation incontrôlée de la dette mondiale, laquelle approche actuellement les 260 % du PIB mondial. "
[18]Marianne n°1341
[19] De "…nombreux défauts de paiements se profilent à l'horizon. Le FMI estime que les 2/3 des pays à bas revenu et le quart des pays émergents sont confrontés à des difficultés sévères, liées à leurs dettes. " (Le Monde 24/09)
[20] Le Brexit a conduit à un décrochage de l'économie britannique : "Le RU est le seul pays avancé dont les exportations ont baissé l'an passé et restent inférieures à leur niveau d'avant covid (…) l'investissement des entreprises restait inférieure de 10% à son niveau de mi-2016. " (Les Echos 24/09) "Avec le Brexit, le passeport financier européen qui permettait de vendre des produits dans toute l'UE a été perdu. Une dizaine de milliers de banquiers ont quitté la place financière de Londres pour s'installer à Dublin, Francfort, Paris Luxembourg ou Amsterdam. (…) un autre phénomène : depuis fin 2019 le nombre d'emplois dans le secteur financier britannique a baissé de 76000 (sur un total actuel de 1,06 million) … le Brexit a joué un rôle significatif dans le recul de la City en lien avec la dizaine de milliers d'emplois délocalisés, mais surtout indirectement, parce que les grandes institutions financières internationales ont choisi d'investir ailleurs. " (Le Monde 19/11)
[21] 'Cet alignement sur la Commission Européenne et sa doctrine de la rigueur ne sera pas sans poser problème pour une partie importante de l'électorat de Mme Meloni. " (Le Monde Diplomatique, 12/22)
[22] "Depuis le début des années 1980 sous Reagan, les États-Unis avaient le rêve de couper l'Europe du gaz russe. Ils ont fait d'énormes pressions. Ils ont fait d'énormes pressions pour que le gazoduc Nord Stream 1 ne voit jamais le jour et ont recommencé des années plus tard avec Nord Stream 2, allant jusqu'à menacer de sanctions les entreprises qui participeraient au projet. La guerre en Ukraine est pour eux un cadeau du ciel."
[23] "Une histoire a défrayé la chronique au printemps dernier : un méthanier est parti le 21 mars de Freeport, au Texas, à destination de l'Asie. Mais au bout de dix jours de voyage, il a brusquement modifié son cap, en plein milieu de l'Océan Pacifique pour se détourner vers l'Europe. (…) les fortes primes offertes sur le Vieux Continent pour cette précieuse cargaison de GNL ont convaincu BP, la compagnie qui affrétait le navire, de changer ses plans." (Le Point Géopolitique, Les guerres de l'énergie, p.36) "Début novembre, une trentaine de navires gaziers gorgés de GNL pour une valeur de 2 milliards de dollars faisaient des ronds dans l'eau au large des côtes espagnoles et des terminaux nord-européens. Quand déchargeront-ils ? "Les courtiers qui contrôlent les tankers attendent que les prix montent quand la température chutera pendant l'hiver", explique le FT (4/11/2022) " (Le Monde Diplomatique, décembre 22)
[24] L'impact de la crise sur l'économie américaine, l'érosion relative du poids de l'économie US dans le monde, les effets de la décomposition sur leur appareil politique ainsi que la tendance historique de perte de leur leadership ne doivent pas conduire à sous-estimer la réalité de la puissance des États-Unis et leur capacité à la défendre sur tous les plans : "Les États-Unis exploitent un système panoptique unique qui leur permet de contrôler la plupart des nœuds névralgiques de la mondialisation. "Global" reste l'adjectif définissant le mieux leur puissance et leur stratégie de moyens. Elles reposent sur un système de surveillance et sur la maitrise simultanées des "espaces communs" : mer, air, espace et numérique. Les 3 premiers correspondant à des milieux physiques distincts innervés par le quatrième. Grâce au dollar et au droit, garantis par leur supériorité militaire écrasante, les États-Unis conservent un redoutable pouvoir de structuration, et donc de déstructuration." T. Gomart, "Guerres invisibles", 2021, p. 251
[25] l'Express n°3725
[26] "Depuis 2020, ses exportations dépassent ses importations et son principal fournisseur est un pays avec lequel il devrait conserver de bons rapports dans les années à venir, puisqu'il s'agit du Canada (51% du pétrole importé provenait de son voisin du Nord). Une assurance énergétique qui lui permet de mener une diplomatie offensive en Ukraine." (Le Point Géopolitique, Les guerres de l'énergie, p.7)
[27] "Sur le premier semestre 2022, les exportations de GNL (tous pays confondus ont progressé de 20% et quasiment les deux-tiers ont pris le chemin de l'Europe. L'Amérique a un potentiel considérable. D'abord parce qu'il y a un consensus politique pour aller plus loin dans le gaz de schiste. Ensuite parce qu'ils ont le réseau de gazoducs le plus étendu de tous les pays. Enfin parce qu'ils investissent énormément dans des terminaux de liquéfaction. (…) Tout autour du Golfe du Mexique, au sud de la Louisiane, du Texas à la Floride, une révolution du GNL est en train de s'écrire. L'Amérique ne compte actuellement que 8 terminaux de liquéfaction. Mais 5 sont encore en construction, 12 autres d'ores et déjà approuvés sont dans l'attente des permis, et 8 permis sont en train d'être instruits." l'Express n°3725
[28] "La plupart des pays européens ont passé commande. En premier chef l'Allemagne, qui a annoncé son souhait d'acheter jusqu'à 35 avions de combat F35 du constructeur Lockheed Martin. La Royal Navy va, elle investir 300 millions d'euros pour accroître les capacités de ses missiles Tomahawk. Les Pays Bas ont mis un milliard sur la table pour des systèmes de défense antimissile de moyenne portée Patriot. L'Estonie a commandé cet été six systèmes Himars et un missile balistique pouvant atteindre une cible située à près de 300 km. Quant à la Bulgarie, elle a décidé en septembre de gonfler encore sa commande d'avions de combat F16 pour un montant de 1,3 milliard de dollars. " l'Express n°3725
[29] "Les capitaux désertent les marchés émergents, en affaiblissant au passage, leurs devises. " (Monnaie ghanéenne -41%, dollar taïwanais -13%, tugrik mongol -16%,) (…) Onze pays émergents risquent une crise de la balance des paiements à cause du resserrement monétaire international (Chili, Pakistan, Hongrie, Kenya, Tunisie)" (Le Monde 13/10)
[30] Autre frein au commerce international, les droits de douane ont été relevés par de nombreux pays, dont les États-Unis. Depuis 2010, la valeur des échanges mondiaux soumis à des droits de douane et autres barrières est passée de 126 milliards de dollars à 1 500 milliards de dollars, selon l'OMC.
[31] Face à "la fin d'une ère libérale de mondialisation" (Lemaire) le patronat français a lui aussi changé de doctrine… et milite pour un "protectionnisme intelligent". Les Echos 23-24/12.
[32] Près du quart des épis consommés sur le continent sont cultivés hors des frontières de l'UE et notamment en Ukraine qui est devenue au fil du temps notre premier fournisseur. Alors que les combats ont perturbé les semis, la production du pays pourrait être amputée de 10 à 15 millions de tonnes cette année.
[33] L'Express n°3725
[34] "Pour Washington, l'Europe ne peut considérer la Chine à la fois comme un partenaire, un concurrent et un rival. " Bloomberg, 21/11
[35] "Joe Biden a signé en août dernier le Chips and Science Act qui prévoit d'injecter des milliards de dollars dans cette filière, dont 57 milliards de prêts, de subventions et d'autres mesures fiscales dans le but d'encourager les producteurs américains de semi-conducteurs à renforcer leurs capacités." (Asyalist)
[36] Les États membres de ce pacte sont : l'Australie, Brunei, l'Inde, l'Indonésie, le Japon, la Corée du sud, la Malaisie, la Nouvelle Zélande, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. Avec les États-Unis, ils représentent 40% du PIB mondial.
[37] Le Monde 17/12
[38] Bloomberg, 21/11
[39] "Selon une étude du Conseil d'État chinois réalisée en avril dernier et dont le texte a fuité au Japon, ces sanctions auraient un effet "dramatique pour la Chine" qui "retournerait à une économie planifiée coupée du monde. Il y aurait alors un sérieux risque de crise alimentaire ", du fait des dégâts que causeraient ces sanctions avec l'interruption des importations de produits alimentaires essentiels. L'arrêt des importations de soja en particulier engendrerait une crise pour les chaînes alimentaires chinoises très dépendantes du soja, tandis que la réduction ou l'arrêt des exportations entraîneraient des conséquences graves en termes de recettes financières, poursuit ce document de Pékin. La Chine importe 30% des besoins en soja des États-Unis. La production chinoise en soja représente moins de 20% des besoins du pays, selon le journal. Le soja est essentiel pour la production d'huiles alimentaires ainsi que pour l'alimentation des porcs qui représentent 60% des viandes consommées par les Chinois."
[40] Conflits N° 41, sept-oct 2022
[41] T. Gomart, "Guerres invisibles", 2021, p. 242
[42] C'est ce dont attestent les récents propos de Janet Yellen, secrétaire d'État au Trésor : "Au cours de l'année 2022, l'administration Biden a promu un plan économique visant à renforcer la résilience des États-Unis face aux perturbations d'approvisionnement, en atténuant les goulets d'étranglements dans les ports, en investissant massivement dans les infrastructures physiques et en développant les capacités nationales de fabrication dans les secteurs-clés du XXI° S, tels les semi-conducteurs et les énergies renouvelables. (…) À travers une approche dite de "friend-shoring" (le "commerce entre pays amis") l'administration Biden entend maintenir l'efficacité du commerce tout en promouvant la résilience économique des États-Unis et de leurs partenaires. (…) L'approche de "friend-shoring" a pour objectif d'approfondir notre intégration économique avec un grand nombre de partenaires commerciaux de confiance sur lesquels nous pouvons compter. (…) À travers le Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis, nous travaillons ensemble à la création de chaines d'approvisionnements sûres dans les secteurs du solaire, des semi-conducteurs et des aimants aux terres rares. Les États-Unis nouent des partenariats similaires à travers le Cadre économique Indopacifique (IPEF) ainsi qu'en Amérique Latine grâce au Partenariat des Amériques pour la prospérité économique. Les pays concernés par l'IPEF, qui représentent 40% du PIB mondial, se sont engagés à coordonner leurs efforts de diversification des chaines d'approvisionnement. (…) le "friend-shoring" sera mis en œuvre progressivement. Déjà de nouvelles chaines d'approvisionnements se développent. L'UE travaille avec Intel pour faciliter un investissement d'environ 90 milliards de dollars dans la création d'une filière de semi-conducteurs. Les États-Unis travaillent avec ses partenaires de confiance au développement d'un écosystème complet de semi-conducteurs sur leur territoire. Nous travaillons également avec l'Australie pour bâtir des installations d'extraction et de traitement de terres rares dans nos deux pays." (Le Monde 1-2/01/2023)
[43] "La guerre commerciale est un des théâtres sur lequel se joue la rivalité stratégique sino-américaine avec une conséquence majeure pour l'ensemble des acteurs : la transformation des interdépendances en leviers de puissance. (…) En renonçant au système multilatéral qu'ils avaient eux-mêmes bâti, [les États-Unis] ont déstabilisé volontairement leurs alliés traditionnels, tout en indiquant leur volonté de continuer à exercer leur pouvoir de structuration. Même si elle y mettra les formes, l'administration Biden continuera à le faire pour contenir, autant que possible la montée en puissance de la Chine." T. Gomart, "Guerres invisibles", 2021, p. 112
[44] Troisième manifeste du CCI. Le capitalisme conduit à la destruction de l'humanité ; seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin
[45] Les vingt ans du XXIe siècle : L'accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l'humanité
[46] Banque mondiale, juin 2022
[47] Foreign Affairs, in Courrier International 1674
[48] Thèses sur la crise économique et politique des pays de l'Est
[49] Nom officieux donné aux mesures économiques prises en Argentine lors de la crise économique en 2001 limitant les retraits d'argent et interdisant tout envoi de fonds à l'extérieur, pour mettre fin à la course aux liquidités et lutter contre la fuite des capitaux.
[50] Pays où les usines bénéficient d'exonérations des droits de douane pour pouvoir produire à un moindre coût des marchandises
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/fr_170_v_final.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/content/10907/comite-qui-entraine-participants-limpasse
[3] https://fr.internationalism.org/content/10735/declaration-commune-groupes-gauche-communiste-internationale-guerre-ukraine
[4] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[5] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/polemique
[6] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[7] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm
[8] https://fr.internationalism.org/rint130/17_congr%C3%A8s_du_cci_resolution_sur_la_situation_internationale.html
[9] https://fr.internationalism.org/en/brochure/effondt_stal_annexe1
[10] https://fr.internationalism.org/content/10876/lacceleration-decomposition-capitaliste-pose-ouvertement-question-destruction
[11] https://fr.internationalism.org/content/10545/resolution-situation-internationale-2021
[12] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_cours_historique.html
[13] https://fr.internationalism.org/rinte43/polemique.htm
[14] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/resolutions-congres
[15] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decomposition
[16] https://fr.internationalism.org/rinte20/edito.htm
[17] https://fr.wikipedia.org/wiki/Eurasie
[18] https://fr.internationalism.org/rinte23/proletariat.htm
[19] https://fr.internationalism.org/rinte35/reso.htm
[20] https://fr.internationalism.org/rinte37/debat.htm
[21] https://fr.internationalism.org/rinte65/marc.htm
[22] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm
[23] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/rapports-congres
[24] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lutte-classe-monde-2022-2023
[25] https://fr.internationalism.org/content/10785/militarisme-et-decomposition-mai-2022
[26] https://fr.internationalism.org/content/10793/lhistoire-des-groupes-no-war-but-the-class-war
[27] https://fr.internationalism.org/content/10771/signification-et-impact-guerre-ukraine
[28] https://fr.internationalism.org/brochure/effondt_stal_annexe1
[29] https://www.areion24.news/2022/09/11/chine-2022-lannee-de-tous-les-perils/