Résolution sur la situation internationale 1983

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1.    A l'aube des années 80, nous avons analysé la décennie qui commençait comme "les années de vé­rité", les années où les convulsions et la failli­te ouverte du mode de production capitaliste al­ laient dévoiler dans toute sa clarté l'alternati­ve historique : révolution communiste ou guerre impérialiste généralisée. A la fin du premier tiers de cette période, on peut constater que cet­ te analyse s'est pleinement confirmée : jamais, depuis les années 30, l'impasse totale dans laquel­le se trouve l'économie capitaliste ne s'était ré­vélée avec une telle évidence ; jamais, depuis la dernière guerre mondiale, la bourgeoisie n'avait déployé de tels arsenaux militaires, n'avait mobi­lisé de tels efforts en vue de la production de moyens de destruction ; jamais, depuis les années 20, le prolétariat n'avait mené des combats de l'ampleur de ceux qui ont secoué la Pologne et l'ensemble de la classe régnante en 1980-81. Ce­ pendant, ce n'est là qu'un début. En particulier, si aujourd'hui les dirigeants bourgeois semblent se consoler en bavardant sur la "reprise économique", ils ont du mal à masquer que le plus fort de la crise est devant nous. De même, le recul mondial des luttes ouvrières qui a suivi les formidables combats de Pologne ne constitue qu'une pause avant les énormes affrontements de classe qui mettront en mouvement les détachements déci­sif s du prolétariat mondial, celui des grandes mé­tropoles industrielles et notamment d'Europe oc­cidentale. C'est ce que la présente résolution es­saie de montrer.

2.    La récession qui a marqué le début des années 80 s'est confirmée comme "la plus longue et la plus profonde" de l'après-guerre (comme nous le prévoyions au 3ème congrès du CCI en 1979)  Dans les principaux pays avancés, le coeur du capita­lisme mondial, cette récession se caractérise par:

-     une chute brutale de la production industrielle (-4,5% pour les 7 pays les plus importants de l'OCDE en 1982 après une stagnation en 1981) ;

-     une sous-utilisation massive des forces productives, tant du potentiel industriel (près d'un tiers non utilisé au Canada et aux USA en 82) que de la force de travail (32 millions de chômeurs dans les pays de l'OCDE, soit plus de 10% de la population active) ;

-     un recul très net des investissements productifs (-14% en 82 aux USA par exemple) ;

-     une régression du commerce mondial (-1% en 81, -2% en 82).

Tous ces éléments mettent en évidence que la cri­se dont souffre le capitalisme trouve ses racines dans la saturation des marchés à l'échelle mondia­le, dans la surproduction de marchandises eue égard à la demande solvable.

Cette incapacité d'écouler les marchandises pro­duites se répercute directement sur ce qui consti­tue l'objet de la production capitaliste : le pro­fit. C'est ainsi que dans la principale puissance mondiale, le montant annuel des profits industriels (avant impôts) a chuté de 90 milliards de dollars (-35%) entre 80 et 82, alors que de nombreux sec­teurs de base, comme l'acier et l'automobile, tra­vaillent à perte. Ainsi se trouve confirmée une des thèses classiques du marxisme : de tendanciel­le, la baisse du taux de profit devient effective dès lors que les marchés sont saturés.

3. La crise du capitalisme trouve ses sources dans les métropoles industrielles. Cependant, et pour cette même raison, elle est mondiale, aucun pays n'y échappe. Ceux de la périphérie, en particulier, en subissent la rigueur sous ses formes les plus extrêmes. Alors que la décadence du mode de production capitaliste a placé ces pays dans l'incapaci­té de connaître un réel développement industriel et de rejoindre les nations les plus avancées, la cri­se aiguë de ce mode de production les a mis au pre­mier rang de ses victimes. En fait, les économies les plus puissantes ont, dans un premier temps, re­porté vers les plus faibles une part importante des effets de la crise.

Aujourd'hui, la crise mondiale provoque dans les pays du tiers-monde une aggravation tragique des maux endémiques dont souffrent ces pays : multi­tude de sans-travail entassés dans les bidonvilles, développement des famines et des épidémies. Parmi ces pays, ceux pour lesquels on parlait de "mira­cle", tels le Brésil ou le Mexique, administrent la preuve qu'il n'y a pas d'exception à la règle: leur tentative de se doter d'un appareil indus­triel moderne dans un monde où même les plus forts subissent maintenant de plein fouet les ri­gueur de la crise, les a conduit à la banqueroute, à une accumulation astronomique de dettes dont chacun sait qu'ils ne pourront pas s'acquitter et qui les contraint, sous la houlette du FMI, à des politiques d'austérité draconiennes qui vont en­foncer encore plus leurs populations dans la misè­re totale.

Dans le peloton des pays insolvables, ils sont rejoints par ceux qui se prétendent "socialistes". L'économie arriérée et fragile de ces derniers su­bit maintenant de plein fouet la crise mondiale par une incapacité permanente et croissante à at­teindre des objectifs du plan pourtant de moins en moins ambitieux, ainsi que par le développement de pénuries de plus en plus catastrophiques qui règlent leur compte tant aux mensonges staliniens et trotskystes sur leur nature "socialiste" qu'aux élucubrations échafaudées au sein de courants pro­létariens sur leur aptitude à "échapper à la loi de la valeur".

4. Les convulsions récentes de l'économie mondia­le, notamment les menaces qui se profilent à inter­valles réguliers d'une explosion de l'édifice fi­nancier international, ont conduit nombre d'écono­mistes à rapprocher la situation présente de cel­le de 1929 et des années 30, pour conclure d'ail­leurs la plupart du temps que la crise actuelle était moins grave que celle d'il y a 50 ans. Il appartient aux révolutionnaires, aux marxistes, de mettre en évidence tant les points communs que les différences entre ces deux crises afin de situer la gravité réelle de celle que nous vivons et ses perspectives.

Ces deux crises ont pour point commun de consti­tuer la phase aiguë de la crise historique du mo­de de production capitaliste entré dans sa pério­de de décadence depuis la 1ère guerre mondiale. Elles résultent de l'épuisement du stimulant qu'a constitué la reconstruction à la suite de chacune des deux guerres impérialistes généralisées. Elles sont la manifestation brutale de la saturation mondiale des marchés résultant de l'absorption ou de la destruction par le capitalisme, pratique­ment achevée au début de ce siècle, des secteurs extra capitalistes qui avaient constitué son sol nourricier depuis son apparition.

Cependant, si le fond de ces deux crises est le même, elles diffèrent quant à la forme et au ryth­me du fait des caractéristiques différentes du capitalisme d'aujourd'hui et de celui d'il y a un demi-siècle.

La crise de 1929 touche un capitalisme qui, par bien des aspects, continue de vivre suivant des rè­gles qu'il a héritées de sa période de pleine pros­périté du 19ème siècle. En particulier, l'étatisa­tion de l'économie qui avait été menée tambour bat­tant lors de la première guerre mondiale a en bon­ne partie cédé la place au vieux "laisser-faire". De même, les blocs impérialistes qui s'étaient cons­titués lors de cette guerre ont relâché sensiblement leur emprise, notamment avec le développe­ment de l'illusion que celle-ci était la "der des der". De ce fait, à peine la reconstruction ter­minée, la réémergence des contradictions du capi­talisme provoque un effondrement brutal de celui-ci. Les banques, les entreprises réagissent en or­dre dispersé, ce qui ne fait qu'aggraver l'effet "château de cartes" du krach financier. Et lors­que les Etats interviennent, c'est encore en or­dre dispersé qu'ils le font sur la scène interna­tionale sous forme de fermeture quasi totale des frontières et de dévaluations sauvages.

Le capitalisme d'aujourd'hui est bien différent de celui de 1929. Le capitalisme d'Etat qui con­naît son grand essor au cours des années 30 sous les formes du stalinisme, du fascisme et en par­ticulier des politiques keynésiennes, n’a cessé depuis d'étendre et de renforcer son emprise sur l'économie et la société. De plus, si les blocs impérialistes se recomposent à la fin de la secon­de guerre mondiale, leur existence et leur force ne sont nullement remises en cause. Au contraire: si leur ciment de base est l'alliance militaire autour de chacune des deux nations dominantes, ils étendent de plus en plus leurs prérogatives à la sphère économique (COMECON à l'Est ; FMI, OCDE, etc., à l'Ouest).

Pour ces raisons, ce ne sont pas des entrepri­ses privées qui affrontent individuellement l'ag­gravation des contradictions économiques qui mar­que la fin de la reconstruction du 2ème après-guerre au milieu des années 60. Ce sont les Etats. Et ces derniers mènent leur politique non en ordre dispersé mais en accord avec les orientations dé­finies à l'échelle de chacun des blocs. Cela ne veut nullement dire que les rivalités commercia­les entre les différentes nations d'un bloc ont disparu. Bien au contraire : la saturation crois­sante des marchés ne fait que les attiser et les tendances protectionnistes, pour être exploitées dans les campagnes nationalistes, n'en sont pas moins réelles. Cependant, la situation commande à chacun des blocs de ne pas laisser libre cours à ces rivalités et à ces tendances protectionnis­tes sous peine d'un effondrement immédiat de tou­te l'économie mondiale.

5. Le développement du capitalisme d'Etat et la prise en charge des politiques économiques au ni­veau des blocs impérialistes rendent de même très improbable un krach financier comme celui de 29. Si l'enfoncement dans la crise depuis le milieu des années 60 connaît de brusques accélérations (67, 70-71, 74-75, 80-82), le capitalisme a toute­fois appris, depuis les années 30 à en ralentir et contrôler le rythme global, à s'épargner les collapsus brutaux. Cela ne veut pas dire cepen­dant que la situation présente du capitalisme soit moins grave que celle qu'il connaissait en 1929. Bien au contraire : elle est en réalité beaucoup plus grave. En effet, les mesures qui avaient per­mis un certain rétablissement de l'économie mon­diale au milieu des années 30 ont été employées déjà massivement depuis la fin de la deuxième guer­re et se sont renforcées encore au cours des an­nées 70.

Les dépenses massives d'armements, les politi­ques keynésiennes de grands travaux, de "soutien à la demande" par les déficits budgétaires et l'en­dettement des Etats qui étaient momentanément possibles après 1929 alors qu'on sortait d'une pério­de de déflation et que les caisses des Etats n'étaient pas encore vides, sont devenues complè­tement incapables de procurer un quelconque répit après des décennies d'inflation résultant d'efforts d'armement intensifs et de l'abus des drogues néo-keynésiennes. Ces drogues, auxquelles on doit le montant astronomique des dettes sur lequel repose aujourd'hui l'économie mondiale (les 750 milliards de dettes du tiers-monde ne doivent pas masquer les 5000 milliards de dettes de la seule économie américaine, sans compter celles des autres pays avancés), ne pouvaient aboutir qu'à la mort du ma­lade par un emballement apocalyptique de la spi­rale inflationniste et l'explosion du système fi­nancier international. En particulier, le dévelop­pement des dépenses militaires qui, dans les an­nées 30, avait momentanément contribué à la re­prise, apparaît   clairement aujourd'hui corme un facteur aggravant de l'acuité de la crise.

Les politiques "monétaristes" orchestrées par Reagan et suivies par la totalité des dirigeants des pays avancés rendent compte de cette faillite des politiques néo-keynésiennes en laissant émer­ger la cause profonde de la crise du capitalisme, la surproduction généralisée et ses conséquences inéluctables : la chute de la production, l'élimi­nation du capital excédentaire, la mise au chôma­ge de millions d'ouvriers, la dégradation massive du niveau de vie de l'ensemble du prolétariat.

En ce sens, la prétendue "reprise" dont on a pu faire grand cas il y a quelques mois ne fera pas long feu. La timidité avec laquelle elle se mani­feste et le nombre réduit des pays qui en bénéfi­cient (USA et Grande Bretagne) traduisent bien le fait qu'il est aujourd'hui hors de question pour le capitalisme de rééditer l'opération de 76-78 où les prêts massifs aux pays du tiers-monde avaient permis une certaine relance de la produc­tion des pays avancés. Un des indices de l'aggra­vation continue de la crise consiste dans le fait que les mouvements de récession sont de plus en plus longs et profonds alors que les mouvements de reprise sont de plus en plus courts et insigni­fiants.

6. L'aggravation inexorable de la crise confirme bien que nous sommes entrés dans les "années de vérité", celles où se dévoilera dans toute son évidence la véritable nature des contradictions du mode de production capitaliste. Années de vérité qui s'illustreront non seulement au plan économique mais également et surtout au plan des enjeux historiques essentiels de la société avec l'émer­gence de l'alternative déjà annoncée par l'Inter­nationale Communiste : Guerre ou Révolution ; ou bien la réponse prolétarienne à la crise : le déve­loppement des luttes de classe menant à la révolu­tion, ou bien son aboutissement bourgeois : l'ho­locauste impérialiste généralisé.

Pour sa part, la bourgeoisie poursuit et pour­suivra ses préparatifs militaires tant que sa do­mination de classe ne sera pas directement menacée. Mais il importe de mettre en évidence ce qui au­jourd'hui et dans la période qui vient détermine fondamentalement la politique bourgeoise : ces préparatifs de guerre ou bien les préparatifs à un affrontement décisif avec la classe ouvrière. En ce sens il est important de distinguer,y compris au plan des gesticulations bellicistes des gouvernements, ce qui participe directement de l'aggra­vation des conflits impérialistes de ce qui relève avant tout d'une politique globale contre le pro­létariat .

7.    Dans la dernière période, l'aggravation des ten­sions impérialistes s'est manifestée en premier lieu par une nouvelle avancée du bloc américain dans une des zones essentielles en conflit : celle du Moyen-Orient. L'opération "Paix en Galilée" me­ née par Israël, la mise au pas de l'OLP et l'expul­sion de ses troupes du Liban, l'installation des corps expéditionnaires occidentaux dans ce pays, constituent une nouvelle étape vers la liquidation complète de la présence dans cette partie du monde, de l'URSS. C'est ce qui explique la tentative dé­sespérée de cette puissance d'y conserver un der­ nier point d'appui par l'armement intensif de la Syrie.

La poursuite de l'instauration de la "pax americana" au Moyen-Orient trouve par ailleurs un com­plément dans la mise au pas progressive de l'Iran et le renforcement de l'intégration de l'Irak dans le bloc de l'Ouest, dans la mesure même où les li­vraisons d'armement à ces deux pays pour alimenter la guerre du Golfe les rendent plus dépendants du monde occidental. La liquidation du parti stali­nien en Iran (Toudeh) illustre que ces manoeuvres réduisent progressivement les espoirs de l'URSS d'accéder un jour aux "mers chaudes", que l'inva­sion de l'Afghanistan avait pu lui procurer.

L'autre volet de l'aggravation des tensions im­périalistes consiste dans le nouveau pas franchi par l'ensemble des principaux pays et notamment des USA dans le renforcement des armements et par­ticulièrement le déploiement en Europe -théâtre et enjeu essentiels d'une éventuelle 3ème guerre mon­diale- des Pershing II et des missiles de croisiè­re. Cette dernière opération confirme bien, s'il en était encore besoin, l'indéfectible fidélité des pays d'Europe occidentale à l'alliance américaine.

8.    Autre est la signification qu'il faut attribuer aux bruits de bottes qui se sont fait entendre ces derniers temps aux Malouines et en Amérique centra­le. Dans le premier cas, il s'agissait d'une opéra­tion interne au bloc occidental destinée avant tout, à travers une campagne idéologique assourdissante, à déboussoler la classe ouvrière des pays avancés (comme on a pu le voir notamment en Grande Breta­gne) et accessoirement à servir de test en réel des armements les plus modernes. Dans le deuxième cas, la présence de conseillers cubains et d'arme­ments russes au Nicaragua comme le soutien de ce pays à la guérilla salvadorienne n'impliquent nul­lement une menace pour les USA de l'apparition d'un nouveau Cuba à leurs frontières. Les campa­gnes de Reagan sur cette question, auxquelles s'opposent les secteurs "pacifistes" ou "colombes" de la bourgeoisie américaine participent fondamen­talement d'une politique concertée de tous les secteurs de la classe dominante en occident en vue de détourner le prolétariat de ses combats et de ses intérêts de classe.

De même, les grandes campagnes pacifistes qui touchent -avec un certain succès- la plupart des pays occidentaux n'ont pas la mené vocation que cel­les des années 30 qui préparaient directement la 2ème guerre mondiale. Là encore, l'objectif majeur de ces campagnes, qui s'appuient sur une réelle inquiétude suscitée, par les préparatifs guer­riers, est de constituer un facteur de déboussolement de la classe ouvrière en vue de limiter et d'éparpiller son inévitable riposte de classe à l'aggravation inexorable de la crise et de ses conditions de vie. Ces campagnes s'intègrent dans le partage des tâches qui s'opère de plus en plus clairement à l'échelle mondiale entre les secteurs "de droite" de la bourgeoisie, chargés d'appli­quer au gouvernement des politiques d'austérité de plus en plus dures à l'égard de la classe ou­vrière et les secteurs "de gauche" chargés de sa­boter ses luttes.

9.    Ce partage des tâches entre secteurs de la  bourgeoisie, la mise en place de la carte de la "gauche dans l'opposition" que le CCI avait si­gnalé dès 1979, s'est encore confirmé ces der­niers mois avec l'arrivée des chrétiens-démocra­tes au gouvernement en' Allemagne et la récente victoire éclatante des Tories en Grande-Bretagne au détriment d'un parti travailliste qui s'était "suicidé" au plan électoral par son "extrémis­me" et son "pacifisme" aux dires mêmes des ob­servateurs bourgeois, dans le but de renforcer son contrôle sur la classe ouvrière. Cette pers­pective de "la gauche dans l'opposition" n'est nullement démentie par l'arrivée des forces de gauche ces derniers temps dans des pays couine la France, la Suède, la Grèce, l'Espagne et le Portugal. Dans l'ensemble de ces cas, il ne s'agit nullement d'une manifestation de force de la bourgeoisie, mais au contraire d'éléments de fai­blesse. Dans le cas des trois derniers pays, c'est fondamentalement l'expression des diffi­cultés de la classe dominante à constituer de solides forces de droite au sortir d'une longue période de régime militaire ou fasciste. Dans le cas de la Suède, c'est le résultat de la très longue hégémonie de la social-démocratie qui n'avait pas permis aux forces de droite de s'aguerrir à l'exercice du pouvoir. Quant au cas de la France, c'est une illustration a contrario très probante de la perspective de "la gauche dans l'opposition". Alors que dans les autres pays, la nécessaire arrivée de la gauche au pou­ voir aura été consciemment assumée par la bour­geoisie, la victoire de Mitterrand en 81 avait constitué un"accident", ce qui se confirme de jour en jour par les difficultés de son gouver­nement à mener une politique cohérente et par les préparatifs du PC et de la gauche du PS à un prochain passage dans l'opposition. Si, dans la majorité des pays les plus avancés d'occident (USA, RFA, GB, Belgique, Pays-Bas, Italie) la venue ou le maintien au pouvoir des forces de droite laisse les mains libres à la gauche et aux syndicats pour saboter de l'intérieur les luttes ouvrières, notamment grâce à une radicalisation de leur lan­gage, la présence "forcée" de la gauche au gou­vernement en France (c'est-à-dire la 2ème puis­sance d'Europe occidentale) qui dévoile claire­ ment la nature bourgeoise des partis soi-disant "ouvriers", constitue un facteur de faiblesse pour la bourgeoisie, non seulement dans ce pays, mais aussi à l'échelle mondiale.

10.      La carte de "la gauche dans l'opposition" jouée globalement par la bourgeoisie en Occident ne limite pas son champ d'application à cette seule partie du monde. Elle a été jouée et con­tinue d'être jouée dans le bloc de l'Est, en Po­logne, avec l'action anti-ouvrière du syndicat "indépendant" Solidarnosc. Bien que la fragilité et la rigidité congénitales des pays staliniens n'aient pas permis que se mette en place dans ce pays un jeu"démocratique" à l'occidentale ni mê­me de conserver l'existence légale de Solidarnosc plus longtemps que ne l'exigeait strictement le degré de combativité de la classe ouvrière, les mécanismes de base et l'efficacité de "la gauche dans l'opposition" s'y sont révélés tout à fait comparables à ceux d'Occident non seulement avant le 13 décembre 81, mais également après. Si, avant cette date, grâce à son apparente opposition in­transigeante aux autorités, "Solidarnosc" a cons­titué, avec le soutien de la bourgeoisie occiden­tale et dans le cadre d'une offensive d'ensemble de celle-ci, un instrument essentiel de sabota­ge des luttes ouvrant la porte à la répression militaire et policière, sa fonction n'a pas dis­paru avec sa mise hors-la-loi. En fait, les persécutions dont sont victimes les dirigeants de cette organisation facilitent, en lui conférant l'auréole du martyr, la poursuite de son action de déboussolement de la classe ouvrière, tout comme les attaques de Thatcher contre les syn­dicats en G.B ne font que renforcer leur effi­cacité anti ouvrière. En fin de compte, "la gau­che dans la clandestinité" apparaît comme une des formes extrêmes de "la gauche dans l'oppo­sition".

11. C'est donc à la redoutable efficacité, tant à l'Est qu'à l'Ouest, de la politique de "gauche dans l'opposition" qu'il faut principalement at­tribuer la défaite du prolétariat mondial en Pologne et son recul général en 81-82 qui a per­mis cette défaite. Ce recul est indiscutable. Alors que les années 78-79-80 avaient été mar­quées par une reprise mondiale des luttes ou­vrières (grève des mineurs américains, des doc­kers de Rotterdam, des ouvriers de la sidérur­gie en G.B, des ouvriers de la métallurgie en Allemagne et au Brésil, affrontements de Longwy-Denain en France, grèves de masse en Pologne) , les années 81 et 82 se sont distinguées par un net reflux de ces luttes; ce phénomène étant particulièrement évident dans le plus "classique" des pays capitalistes, la Grande-Bretagne, où l'année 81 connaissait le nombre le plus faible de grèves depuis la 2ème guerre mondiale alors qu'en 79 celles-ci avaient at­teint leur niveau quantitatif le plus élevé de l'histoire avec 29 millions de jours d'arrêt de travail. Ainsi, l'instauration de l'état de guerre en Pologne et la violente répression qui s'est abattue sur les ouvriers de ce pays n'ar­rivaient pas comme un éclair dans un ciel bleu. Point le plus marquant de la défaite ouvrière après les formidables combats de l'été 80, le coup de force de décembre 81 participait d'une défaite de tout le prolétariat.

Cette défaite, le prolétariat l'a subie dès lors que le capitalisme, d'une façon concertée et grâce notamment à ses forces de gauche, est parvenu à isoler les ouvriers de Pologne du res­te de leur classe, à les enfermer idéologiquement dans le cadre de ses frontières de bloc (pays "socialistes" de l'Est) et nationales  ("la Pologne est l’affaire des polonais") ; dès lors qu'il est parvenu à faire des ouvriers des autres pays des spectateurs, inquiets certes, mais passifs, à les détourner de la seule forme que peut prendre la solidarité de classe : la généra­lisation de leurs luttes dans tous les pays, en mettant en avant une caricature de solidarité : les manifestations sentimentales, les pétitions humanistes et la charité chrétienne avec ses en­vois de colis pour Noël. Dans la mesure où elle n'apporte pas de réponse adéquate aux exigences de la période, la non généralisation des luttes est en soi une défaite.

12. Ainsi, comme nous le signalions déjà en 81, un des enseignements essentiels des affrontements de classe en Pologne est la nécessité pour le prolétariat, face à la sainte alliance de la bourgeoi­sie de tous les pays et en vue de son assaut ré­volutionnaire contre le capitalisme, de générali­ser ses luttes à l'échelle mondiale.

L'autre enseignement majeur de ces combats et de leur défaite est que cette généralisation mon­diale des luttes ne pourra partir que des pays qui constituent le coeur économique du capitalis­me : les pays avancés d'occident et, parmi eux, ceux où la classe ouvrière a acquis l'expérience la plus ancienne et la plus complète : l'Europe occidentale. La bourgeoisie mondiale a pu établir un "cordon sanitaire" autour du prolétariat de Po­logne parce que ce pays appartient à un bloc arrié­ré, où pèse avec le plus de dureté la contre-révo­lution, où le prolétariat n'a pas été confronté directement pendant des décennies aux mystifica­tions démocratiques et syndicales. Ces conditions expliquent que, d'emblée, le prolétariat y ait em­ployé son arme fondamentale de la grève de masse. Elles expliquent également qu'il ait pu, par la suite, être enfermé dans les impasses syndicalistes, démocratiques et nationalistes. Dans les pays avan­cés d'occident, et notamment en Europe de l'Ouest, le prolétariat ne pourra déployer pleinement la grève de masse qu'à l'issue de toute une série de combats/ d'explosions violentes, d'avancées et de reculs, au cours desquels il démasquera progressi­vement tous les mensonges de la gauche dans l'op­position, du syndicalisme et du syndicalisme de ba­se. Mais alors,   sa lutte pourra réellement mon­trer le chemin aux ouvriers de tous les pays, frapper les trois coups de la généralisation mondiale des combats de classe ouvrant la voie à l'affron­tement révolutionnaire contre la domination bour­geoise.

Si l'acte décisif de la révolution se jouera lors­que la classe ouvrière aura terrassé les deux mons­tres militaires de l'Est et de l'Ouest, son premier acte se jouera nécessairement au coeur historique du capitalisme et du prolétariat : l'Europe occi­dentale.

13. Un autre enseignement des événements de Polo­gne est que la classe ouvrière restera à la merci des défaites, de défaites souvent tragiques tant qu'elle n'aura pas abattu le capitalisme. Si, com­me l'écrit Rosa Luxemburg : "la révolution est la seule forme de 'guerre'... où la victoire finale ne peut être préparée que par une série de défaites V le prolétariat -et notamment ses organisations ré­volutionnaires- doit se garder qu'une série de dé­faites partielles n'aboutisse à une défaite complète, à la contre-révolution. Certains éléments communistes ont affirmé que c'était déjà le cas avec la défaite du prolétariat en Pologne et au vu de la stagnation présente de ses luttes au ni­veau mondial. Pour notre part, nous affirmons le contraire. Depuis le ressurgissement prolétarien de 1968, nous avons dit que le cours historique n'était pas à la guerre impérialiste généralisée mais à l'affrontement de classes. Cela ne veut pas dire que ce cours ne puisse être renversé.

L'existence d'un cours vers la guerre, comme dans les années 30, signifie que le prolétariat a subi une défaite décisive qui l'empêche désor­mais de s'opposer à l'aboutissement bourgeois de la crise.

L'existence d'un cours à"l'affrontement de clas­ses" signifie que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour déchaîner une nouvelle boucherie mon­diale; auparavant, elle devra affronter et battre la classe ouvrière. Mais cela ne préjuge pas de l'issue de cet affrontement, ni dans un sens, ni dans l'autre. C'est pour cela qu'il est préféra­ble d'utiliser ce terme plutôt que celui de "cours à la révolution".

Quelle que soit la gravité de la défaite enre­gistrée ces dernières années par la classe ouvriè­re, elle ne remet pas en cause le cours histori­que dans la mesure où :

-     ce ne sont pas les bataillons décisifs du pro­létariat mondial qui se sont trouvés en première ligne de l'affrontement,

-     la crise qui maintenant atteint de plein fouet les métropoles du capitalisme obligera le proléta­riat de ces métropoles à exprimer ses réserves de combativité qui n'ont pas été jusqu'à présent en­tamées de façon décisive.

Ainsi, en provoquant une dégradation de plus en plus brutale, simultanée et universelle des condi­tions de vie du prolétariat, en particulier par l'intensification massive du chômage dans les grands centres industriels, la crise se révèle la meilleure alliée du prolétariat mondial. Elle déve­loppe de façon jamais égalée dans l'histoire les conditions objectives et subjectives de l'interna­tionalisation des luttes, d'une prise de conscien­ce révolutionnaire. Parce qu'aujourd'hui il n'exis­te aucune perspective de rétablissement, même mo­mentané, de l'économie capitaliste (contrairement aux années 30 où la reprise avait permis à la bour­geoisie de parachever la défaite d'un prolétariat déjà battu) la perspective historique reste aux affrontements de classe.

Les plus grands combats de la classe ouvrière sont encore à venir.

2/7/83

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