Tensions imperialistes : la montee de l'imperialisme allemand

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Aucun événement récent n'illustre de façon plus significative l'exacerbation des tensions impérialistes que l'arri­vée de 3 000 soldats allemands en Bosnie. Sous prétexte de participer au « maintien de la paix » imposée par les Etats-Unis à Dayton, des troupes allemandes, rejoignant celles des rivaux français, anglais ou améri­cains, ont été envoyées dans la zone de crise pour défendre les intérêts impérialistes de leur bourgeoisie na­tionale.

Aucun autre événement ne confirme plus clairement la montée de l'impé­rialisme de l'Allemagne depuis sa ré­unification nationale. Pour la pre­mière fois depuis la deuxième guerre mondiale, la bourgeoisie allemande envoie ses forces armées à l'extérieur avec pour mandat de faire la guerre. Pendant un demi-siècle, la bourgeoi­sie des deux Etats allemands créés après 1945 n'avait pas eu le droit d'intervenir militairement à l'étranger pour défendre ses intérêts impérialis­tes. Toute exception à cette règle gé­nérale, imposée par l'OTAN pour l'Ouest et par le Pacte de Varsovie pour l'Est, devait être décidée non à Bonn ou à Berlin Est mais à Washington ou à Moscou. En réalité, la seule implication de troupes alle­mandes dans des actions militaires à l'extérieur, pendant toute la période d'après 1945, a été celle des troupes de l'Allemagne de l'Est, au sein de celles du Pacte de Varsovie, dans l'occupation de la Tchécoslovaquie en 1968.

Aujourd'hui, l'Allemagne est unifiée et s'af­firme comme la puissance dominante en Europe. Les blocs de l'ouest et de l'est n'exis­tent plus. Dans un monde déchiré, non seu­lement par les tensions militaires mais par le chaos global et la lutte de chacun contre tous, l'impérialisme allemand n'a plus besoin de permission pour soutenir sa politique étrangère par la force des armes. Aujourd'hui, le gouvernement allemand est capable d'imposer sa présence militaire dans les Balkans, que cela plaise ou non aux au­tres grandes puissances. Cette capacité croissante fait surtout ressortir le déclin de l'hégémonie de la seule superpuissance qui reste dans le monde, les Etats-Unis. La ca­pacité de cette dernière à imposer sa loi au gouvernement de Bonn, qui était la clé de voûte de sa domination sur les deux tiers du globe après la deuxième guerre mondiale, est largement remise en cause et la présence même de la Bundeswehr en Bosnie, aujour­d'hui, démontre au monde entier à quel point cette domination américaine a été sapée.

L'Allemagne sape les accords de Dayton et défie les Etats-Unis

La participation de Bonn aux missions de l'IFOR 2 de l'OTAN en Bosnie, où elle con­trôle une des trois zones d'application avec la France, n'est pas qu'un défi aux Etats-Unis et aux puissances européennes au niveau global et historique. C'est aussi une initia­tive indispensable à la défense concrète des intérêts cruciaux de l'impérialisme allemand dans la région même. L'enjeu est l'acquisi­tion, à long terme, de bases navales en Méditerranée à travers les ports de son allié historique, la Croatie. C'est le gouvernement Kohl qui a déclenché le processus qui a me­né à l'explosion de la Yougoslavie avec son lot de conflits sanglants en poussant de fa­çon agressive à l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie au début des années 1990. Bien que Bonn, grâce à des fournitures massives d'armes à la Croatie, ait réussi à développer sa politique, un tiers du territoire de ses alliés croates est resté occupé par les forces serbes, coupant pratiquement le nord du pays des ports stratégiques de la Dalmatie dans le sud. Au début de la guerre des Balkans, l'Allemagne pouvait encore faire de grandes avancées, par un soutien logistique à la Croatie, sans avoir à engager ses propres troupes. Mais quand la guerre a éclaté dans la Bosnie voisine, les principaux rivaux européens de l'Allemagne (l'Angleterre et la France en particulier sous le couvert des Nations Unies et surtout les Etats-Unis sous le parapluie de l'OTAN) ont commencé à défendre leurs intérêts par une présence militaire directe. Cette présence pouvait être d'autant plus efficace que l'Allemagne elle-même n'était prête ni mili­tairement ni politiquement à suivre. Mais c'est par dessus tout l'engagement militaire des Etats-Unis qui a entamé, ces deux der­nières années, la position de l'Allemagne. Les victoires militaires de la Croatie contre les serbes pro-français et pro-anglais en Krajina et en Bosnie, qui ont mis fin à la division de ce pays en reliant les ports dal­mates à la capitale Zagreb, ont été acquises grâce au soutien non pas de l'Allemagne mais des Etats-Unis. Les accords de Dayton, imposés par les Etats-Unis dans le sillage de ses attaques militaires en Bosnie, ont en­suite confirmé la nécessité impérieuse pour l'Allemagne de défendre à son tour ses inté­rêts dans la région avec ses propres forces armées. Le stationnement de forces sani­taires et logistiques en Bosnie l'année dernière, hors de la zone de bataille et sans mandat de combattre, a été un premier pas vers la force actuelle de « maintien de la paix » en Bosnie même. A leur arrivée en Bosnie, ces unités allemandes, fortement armées et équipées, avec cette fois-ci un mandat leur permettant de combattre, ont été ouvertement accueillies comme des al­liées par les croates de Bosnie qui ont im­médiatement adopté une attitude plus agressive vis-à-vis des musulmans, rendant la vie difficile aux troupes françaises et es­pagnoles dans la ville divisée de Mostar. Le gouvernement croate a récompensé Bonn de l'arrivée de la Bundeswehr en décidant de remplacer les vieux Boeings de sa flotte aé­rienne par des avions Airbus construits en grande partie en Allemagne. Le ministre croate des affaires étrangères, en justifiant cette décision, déclarait : « Nous devons no­tre indépendance nationale à l'Amérique mais notre avenir réside en Europe, sur la base de notre amitié avec les gouvernements allemands et bavarois. »

En réalité, la bourgeoisie croate attendait depuis longtemps et avec impatience l'arri­vée des troupes allemandes pour pouvoir se dégager du leadership des Etats-Unis. Washington a, en effet, fait payer cher son soutien à la Croatie. Ce sont les Etats-Unis qui, au dernier moment de la guerre en Bosnie avant Dayton, ont empêché les forces bosniaques et surtout croates de s'emparer de Banja Luca, et donc de chasser les serbes de l'est de la Bosnie. Par dessus tout, ce sont les Etats-Unis qui ont obligé les croates bosniaques à s'allier aux musulmans, en con­tradiction complète avec tous leurs objectifs guerriers en Bosnie. Pour la bourgeoisie croate, son principal ennemi en Bosnie n'est pas serbe mais musulman; son but est le par­tage de ce territoire avec les serbes aux dé­pens de la bourgeoisie musulmane. Les inté­rêts de la Croatie en Bosnie coïncident par­faitement avec ceux de l'Allemagne dans le sens de s'assurer l'accès aux ports dalmates.

Malgré sa collaboration tactique avec les Etats-Unis contre les serbes ces deux derniè­res années, Zagreb a des intérêts communs avec Bonn qui s'opposent non seulement à ceux des puissances de l'Europe de l'ouest et de la Russie pro-serbes mais aussi à ceux des Etats-Unis.

L'offensive allemande dans les Balkans

Nous assistons actuellement à une contre-of­fensive de l'Allemagne dans l'ex-Yougoslavie et les Balkans visant à compen­ser son recul dû aux accords de Dayton. Elle cherche à profiter des difficultés américaines au Moyen-Orient pour étendre son influence en Europe du sud-est et en Asie centrale. L'arrivée de troupes allemandes en Bosnie, loin d'être un événement isolé de « maintien de la paix », fait partie d'une poussée impé­rialiste extrêmement agressive vers la Méditerranée, le Moyen-Orient et le Caucase. Le pivot central de cette politique est la collaboration avec la Turquie. La dé­faite de l'impérialisme russe en Tchétchénie, l'affaiblissement de ses positions dans l'en­semble du Caucase, n'est rien de moins que le fruit de cette collaboration turco-alle­mande. Aujourd'hui, l'Allemagne soutient vigoureusement la politique de rapproche­ment du gouvernement Erbakan à Ankara avec l'Iran, un autre allié traditionnel de l'Allemagne. Celle-ci a clairement pris le parti de la Turquie dans son conflit avec la Grèce. Le ministre des affaires étrangères, Kinkel, a dit à la presse le 7 décembre 1996 à Bonn : « La Turquie est pour l'Allemagne un pays clé dans nos relations avec le monde islamique. Comment peut-on blâmer la Turquie de pencher plus fortement du côté de ses voisins islamiques, quand la Turquie n'a même pas gagné un sou dans l'union douanière avec l'Union Européenne du fait de la politique de blocage de la Grèce ? » C'est pour répondre à cette en­tente germano-turque que la Russie a promis de livrer des roquettes aux chypriotes grecs, sans rencontrer de désapprobation sérieuse de la part de Washington. Dans cette zone située entre l'Europe et l'Asie, il y a une ac­cumulation massive d'armes et une montée des tensions guerrières.

En même temps, les grandes puissances, no­tamment l'Allemagne, déstabilisent les poli­tiques intérieures de tous les pays des Balkans. En Turquie, Bonn soutient le pre­mier ministre « islamiste » Erbakan dans sa lutte acharnée pour le pouvoir contre l'aile pro-américaine de l'armée malgré le danger d'un putsch militaire ou d'une guerre civile. Récemment, un tribunal allemand a officiel­lement accusé la famille de la rivale d'Erbakan, le ministre des affaires étrangè­res Ciller, de jouer un rôle clé dans le mar­ché international des stupéfiants. Si en Serbie l'Allemagne a soutenu, aux côtés des américains, l'opposition « démocratique », y compris les Draskovic et Djinjic qui sont violemment anti-allemands, c'est unique­ment dans le but de déstabiliser le régime de Milosevic. En Bulgarie, Macédoine et Albanie, l'Allemagne et les autres grandes puissances sont impliquées dans les luttes pour le pouvoir qui sont souvent sanglantes. Mais l'exemple le plus spectaculaire de cette politique de déstabilisation est donné par l'Autriche qui se baptisait elle même, jusqu'à il y a peu, « l'île de la tranquillité ». Ce pays a été le seul à reconnaître l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie en même temps que Bonn. La plupart des fractions de la bourgeoisie autrichienne sont plus ou moins pro-allemandes. Mais cela ne suffit pas à l'impérialisme allemand. Comme l'Autriche est la porte des Balkans, Bonn essaie de faire de ce pays une quasi-colonie alle­mande, achetant ses banques et son indus­trie, poussant l'armée autrichienne à acheter des armes allemandes et soutenant ouverte­ment le ministre autrichien des affaires étrangères, le chrétien-démocrate Schüssel, qui consulte fidèlement Kohl avant de pren­dre toute décision sérieuse. Cette situation a d'ailleurs provoqué plusieurs crises dans la coalition au pouvoir à Vienne, notamment à travers une « résistance » de la social démo­cratie, le parti classique de la bourgeoisie autrichienne qui a obtenu le remplacement de Vranitsky le « conciliateur » par un nou­veau premier ministre, Viktor Klima, un op­posant plus déclaré à la « prise de posses­sion » de l'Allemagne.

Les enjeux stratégiques de ces conflits

Avec l'effondrement du bloc de l'Est en 1989, les « vieux » enjeux stratégiques, qui ont divisé les puissances occidentales et qui ont débouché sur les deux guerres mondiales de ce siècle, sont de retour. Les ambitions « historiques », qui se réveillent chez l'im­périalisme allemand moderne, incluent la domination de l'Autriche et de la Hongrie en tant qu'ouvertures vers les Balkans, de la Turquie en tant que porte vers l'Asie et le Moyen-Orient, mais aussi le démantèlement de la Yougoslavie et le soutien à la Croatie pour un accès à la Méditerranée. Déjà avant et pendant la première guerre mondiale, les fameux géostratèges du « pangermanisme » avaient élaboré les grands principes de la politique étrangère ; aujourd'hui, avec l'ef­fondrement de l'ordre mondial issu de Yalta, ces principes orientent de nouveau la politi­que étrangère de l'Allemagne. Ernst Jaeckh a écrit en 1916 : « l'Allemagne est encerclée par des peuples déjà établis et de plus en plus hostiles. A l'Ouest, la France qui con­serve son inimitié revancharde ; la Russie qui s'oppose à nous à l'Est ; au Nord, l'Angleterre opposée au monde entier. Il n'y a qu'au sud-ouest, derrière nos alliés autri­chiens et hongrois, que Bismarck a déjà ga­gnés contre la Russie, qu'il y a une route ou­verte vers des peuples qui n'ont pas achevé leur formation en Etat et qui ne nous sont pas encore hostiles dans les régions du monde voisines de l'Europe centrale vers la Méditerranée et l'Océan Indien. La voie ter­restre via la "Mitteleuropa" [l'Europe cen­trale] devient donc notre détour pour accé­der aux mers extérieures ». Jaeckh ajoutait que « l'Allemagne et la Turquie sont la pierre angulaire d'un édifice réunissant l'Autriche, la Hongrie et la Bulgarie. »

La même année, Friedrich Naumann, un au­tre théoricien fameux de l'impérialisme al­lemand écrivait : « L'Allemagne doit mettre tout son poids pour s'assurer cette voie dont dépendent ses liens avec la Turquie. Nous avons fait l'expérience pendant la guerre des dégâts qui peuvent être causés quand les Serbes ont acquis une partie de cette route. Ce fut la raison pour laquelle l'armée de Mackensen a traversé le Danube. Tout ce qui se trouve sur la ligne ferroviaire de Bagdad, se trouve sur la route Hambourg-Suez qu'on ne doit permettre à personne de bloquer. A quoi bon les chemins de fer de Bagdad ou anatoliens si nous ne pouvons les utiliser sans la permission de l'Angleterre ? »

Dans le même sens, Paul Rohrbach, dont Rosa Luxemburg disait qu'il est « un porte-parole semi-officiel très ouvert et honnête de l'impérialisme allemand », parlait constam­ment de « la nécessité d'éliminer le verrou serbe qui sépare l'Europe centrale de l'Orient. » ([1])

Si les Balkans ont été le point de départ de la première guerre mondiale et un des prin­cipaux champs de bataille du second conflit mondial, cette région est aujourd'hui encore plongée dans la barbarie par la montée de l'impérialisme allemand et des efforts de ses grands rivaux pour la contrecarrer.

La rivalité germano-américaine en Europe de l'Est

Bien que les Etats-Unis et l'Allemagne, par pions bosniaques et croates interposés en Yougoslavie, aient récemment fait une al­liance tactique pour repousser les serbes et bien qu'ils aient travaillé ensemble pour li­miter le développement du chaos en Russie, ils sont devenus les principaux rivaux dans la lutte pour la domination de l'Europe de l'Est. Depuis l'effondrement de l'URSS, l'im­périalisme russe a rapidement perdu jus­qu'aux derniers restes de son influence an­térieure sur les pays du Pacte de Varsovie. Quoique l'extension vers l'est de l'OTAN et de l'Union Européenne soit justifiée par les medias bourgeois occidentaux par le besoin de protéger l'Europe de l'Est d'une possible agression russe, cela fait en réalité partie de la course de vitesse qui existe aujourd'hui entre l'Allemagne, à travers l'Union Européenne, et les Etats-Unis à travers l'OTAN, pour prendre la place de Moscou. Pendant la première moitié des années 1990, l'Allemagne a eu la capacité d'acquérir une influence plus ou moins importante dans tous les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, ex­cepté dans la République tchèque. Au centre de cette expansion de l'Allemagne, il y a eu son alliance avec la Pologne qui représente une composante militaire forte. En fait, sous prétexte d'aider à fermer la frontière orien­tale de la Pologne aux immigrants illégaux en route pour l'Allemagne, Bonn a commen­cé à équiper et même à financer des parties importantes de l'appareil militaire polonais. Le gouvernement polonais a d'ailleurs cha­leureusement accueilli le déploiement des troupes allemandes en Bosnie et a promis de participer avec la Bundeswehr aux futures opérations à l'extérieur. Le fait qu'un pays comme la Pologne s'allie avec le géant éco­nomique allemand plutôt qu'avec la super­puissance militaire américaine en dit long sur le peu de crainte qu'a Varsovie d'une in­vasion militaire russe. En réalité, la bour­geoisie polonaise, loin d'être sur la défen­sive, compte tirer profit de l'expansion alle­mande vers l'est aux dépens de la Russie. C'est précisément parce que les Etats-Unis ont perdu beaucoup de terrain en Europe de l'est au profit de l'Allemagne ces dernières années qu'ils font maintenant pression, avec une certaine impatience, pour étendre l'OTAN à l'est. Mais en faisant cela, ils met­tent en péril leurs relations privilégiées avec la Russie, relations qui sont tellement im­portantes pour Washington justement parce que l'ours russe même épuisé, est le seul au­tre pays qui possède un arsenal nucléaire gi­gantesque. Actuellement, la diplomatie al­lemande fait tout ce qu'elle peut pour élargir la brèche entre russes et américains en fai­sant une série de concessions à Moscou. Une de ces concessions est que les troupes de l'OTAN (c'est-à-dire les Etats-Unis) ou les armes nucléaires ne puissent pas être sta­tionnées dans les pays de la nouvelle OTAN. Le ministre allemand de la défense, Rühe, a même proposé d'inclure le territoire de l'ex-Allemagne de l'Est dans cette catégorie. Cela reviendrait à créer, pour la première fois depuis 1945, une aire interdite aux troupes américaines dans la République Fédérale Allemande : un premier pas possi­ble vers le retrait de l'ensemble des forces nord-américaines. On comprend la rage de l'appareil politique à Washington qui a commencé à faire publier des rapports sur les droits de l'homme qui mettent l'Allemagne au même niveau que l'Iran ou la Corée du Nord à cause de la manière dont elle traite la secte de L'Eglise de Scientologie américaine.

La montée de l'Allemagne et la crise de la politique européenne de la France

La montée de l'Allemagne en tant que nou­velle puissance dominante en l'Europe n'en est qu'à ses débuts. Mais aujourd'hui déjà, l'impérialisme allemand bénéficie de la re­mise en question générale du leadership américain. Quoique l'Allemagne soit encore bien trop faible, par rapport aux Etats-Unis, pour être à même de constituer son propre bloc impérialiste, sa montée menace déjà sérieusement les intérêts de ses principaux rivaux européens, y compris la France. Après l'effondrement du bloc de l'Est, la France a d'abord recherché une alliance avec l'Allemagne contre les Etats-Unis. Cependant, le renforcement de son voisin de l'est, et surtout la marche de Bonn vers la Méditerranée dans les guerres yougoslaves, ont conduit la France à s'en éloigner et à se rapprocher de la Grande-Bretagne, d'autant plus que cette dernière était engagée dans une rupture de son alliance de toujours avec les Etats-Unis.([2]) Ces derniers mois, Bonn et Paris se sont à nouveau rapprochés. L'exemple le plus frappant est donné par leur collaboration militaire en Bosnie. Est-ce une renaissance de l'alliance franco-alle­mande ?

Plusieurs raisons expliquent le relâchement récent des relations entre Paris et Londres. Il y a d'abord la menace de représailles de la part des Etats-Unis, surtout contre Londres. Il y a ensuite, du point de vue des intérêts français, le fait que l'alliance avec la Grande-Bretagne a échoué par rapport à un de ses objectifs les plus importants : empê­cher l'avancée de l'Allemagne. Les troupes allemandes dans les Balkans, l'entente alle­mande avec la Pologne, traditionnellement alliée de la France, en sont les meilleures preuves. Il y a enfin la pression exercée sur la France par l'Allemagne qui ne voit pas d'un bon oeil le rapprochement de ses prin­cipaux rivaux européens. En réaction, Paris ne se réaligne pas pour autant sur la politi­que de Bonn mais change en fait de tactique pour la combattre. Cette nouvelle tactique, celle d'étreindre son ennemi pour l'empêcher de bouger, se vérifie en Bosnie où les forces allemandes, si elles ne peuvent en être ex­clues, sont au moins sous direction fran­çaise. Cette tactique peut marcher un temps car l'Allemagne n'est pas encore prête à jouer un rôle militaire plus indépendant. Mais, à long terme, elle est aussi vouée à l'échec.

L'exacerbation des tensions militaires

Tout ce que l'on vient de développer révèle la logique sanglante du militarisme dans ce siècle, dans la phase décadente du capita­lisme. Avec la chute du bloc de l'est, l'Allemagne, grâce à sa force économique et politique et à sa situation géographique, est devenue la puissance dominante de l'Europe quasiment en une nuit. Mais même une telle puissance ne peut défendre efficacement ses intérêts que si elle est capable de les défen­dre militairement. Comme le capitalisme ne peut plus conquérir des marchés suffisants pour réellement étendre son système, toute puissance impérialiste ne peut que s'affirmer aux dépens des autres. Dans ce cadre, qui est celui qui a déjà provoqué les deux guer­res mondiales de ce siècle, c'est la force brute qui décide, en dernière instance, du statut des Etats bourgeois. Les événements en Yougoslavie nous confirment cette leçon. S'il n'a pas de troupes dans la région, l'im­périalisme allemand perdra, quelle que soit sa force par ailleurs. C'est cette contrainte d'un système en décadence qui fait monter aujourd'hui les tensions militaires dans le monde entier, imposant une politique de militarisation à l'Allemagne et à tous les au­tres Etats bourgeois.

Cependant cette course sanglante, avec tout ce que cela impose d'appauvrissement et de souffrances à la classe ouvrière, avec la lu­mière qu'elle jette sur la réalité barbare du système capitaliste, va, à long terme, exa­cerber la lutte de classe entre bourgeoisie et prolétariat. Au niveau historique, le déve­loppement de l'expansion impérialiste de l'Allemagne peut être un facteur considéra­ble du retour du prolétariat allemand à la tête de la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat international.

DK.




[1]. Toutes les citations des géostratèges du « pangermanisme » sont tirées du document « Europastrategien des deutschen Kapitals 1900-1945 ».

 

[2] Sur la rupture historique de l'alliance de la Grande-Bretagne avec les Etats-Unis, voir en parti­culier la « Résolution sur la situation internatio­nale », Revue internationale n° 86.

 

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