Misère du conseillisme moderne

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

A PROPOS DES LIVRES : "AU-DELA  DU PARTI" (Collectif JUNIUS, 1982) "DE L'USAGE DE  MARX  EN TEMPS DE CRISE" (Les Amis de Spartacus, 1984)

"... Toute cette salade nous la devons surtout à Liebknecht et à sa manie de favoriser les écrivassiers de merde cultivés et les personnages occupant des positions bourgeoises, grâce à quoi on peut faire l'important vis-à-vis du philistin. Il est incapable de résister à un littérateur et à un marchand qui font les yeux doux au socialisme. Or ce sont là précisément en Allemagne les gens les plus dangereux, et depuis 1845, Marx et moi nous n'avons cessé de les combattre. () leur point de vue petit-bourgeois entre à tout moment en conflit avec le ra­dicalisme des masses prolétariennes ou parce qu'ils veulent falsifier les positions de classe."

ENGELS à BEBEL 22 juin 1885.

Les produits des Editions Spartacus en France n'ont pas pour habitude de déroger à une idée fixe : la déformation des acquis principiels du mouvement ouvrier. L'éclectisme des divers ouvrages publiés possè­de même un point de rencontre primordial : 1'assimilation du bolchevisme au stalinisme et au jacobinisme avec pour objectif la négation de toute activité de parti pour le prolétariat. C'est la référence de base/ le nec plus ultra des deux "cahiers" : Au-delà du parti du collectif Junius ( 1982) et De l'usage de Marx en temps de crise par les "amis de Spartacus" (1984). Ces cahiers ont été réalisés par d'anciens mili­tants du PIC ([1]) et par toute une série d'éléments anarchisants et de notoriétés conseillistes. Les Edi­tions Spartacus ont une diffusion plutôt confidentielle, mais suffisante tout de même pour influencer des éléments de la classe en recherche au niveau international, et pour rendre confuse, voire détruire toute sérieuse réappropriation de 1 'histoire passée du mouvement ouvrier et de son legs théorique aujourd'hui ; c'est pour cela que nous avons pour but de dénoncer ici ce qu'il ne faut pas prendre pour argent comptant en  dépit  des  citations  extirpées  des   textes mêmes  de Marx. 

1- LA PRETENTION DE REJETER LA NECESSITE DU PARTI

a) La question de l'organisation en parti est-elle étrangère à la lutte de classe prolétarienne ?

Le sous-titre de Au-delà du parti assure qu'il va traiter de "l'évolution du concept de parti de­puis Marx". D'emblée l'introduction précise :

"La critique du concept de parti, y compris par les conseillistes et par les diverses variantes de modernistes (situationnistes, associationnistes, autonomes de tous poils...) évite de situer clai­rement les origines du caractère erroné de ce concept dans les thèses de Marx lui-même. Pire, elle croit pouvoir opposer la théorie du parti prolétarien chez celui-ci à toutes celles qui, à partir de la Social-Démocratie et du léninisme, ont assimilé le Parti à la représentation du pro­létariat, à1' incarnation  de sa conscience de classe" Dès le départ l'entreprise des anciens du PIC trahit sa démarche intellectuelle: on ne se situe pas du point de vue des intérêts du mouve­ment prolétarien dans son ensemble, mais du point de vue abstrait d'un "concept". Toute autre est la démarche marxiste :

". On ne peut étudier et comprendre l'histoire de cet organisme, le Parti, qu'en le situant dans le contexte général des différentes étapes que parcourt le mouvement de la classe, des problèmes qui se posent à elle, de 1 'effort de sa prise de conscience, de sa capacité à un moment donné de répondre de façon adéquate à ses problèmes, de ti­rer les leçons de son expérience et d'en faire un nouveau tremplin pour ses luttes à venir. " ("Le Parti et ses rapports avec la classe" Revue Internationale n°35).

Mais examinons si ce collectif Junius fait mieux que les modernistes. C'est en effet à partir de l'époque de Marx que le "collectif" va faire re­monter ses critiques aux conceptions défendues par les Internationales successives, puis par les fractions qui ont résisté à la dégénérescence d'octobre 1917 et par le CCI. Chemin faisant, en remontant l'histoire, on s'aperçoit qu'il est dé­jà plus facile de l'interpréter et de la "refaire" à son goût :

". .. . Ainsi, pour Marx, le dépassement de la lutte purement économique (formation de syndicats ) en lutte politique se traduit avant tout par la cons­titution d'un Parti du prolétariat, distinct et indépendant des autres partis formés par les clas­ses possédantes. Les tâches politiques de ce parti visent à aménager le système capitaliste dans un sens favorable aux intérêts des ouvriers puis à 'conquérir le pouvoir'. Ce parti correspond donc au jeu politique du 19ème siècle qui est favorable à une certaine extension du processus démocratique propre au capital dans sa phase ascendante. . . Ce qui est faux dans la conception de Marx se révèle donc être son assimilation du mouvement politique de la classe ouvrière à la formation et à 1 'action d'un parti prolétarien... Son concept de 'Parti prolétarien' est le produit de sa séparation entre phase politique et but social" (p.10) ([2]). Voici donc la notion de parti prolétarien taxée de vieillerie du 19ème siècle (air connu !). Mais es­sayons toujours de comprendre pourquoi le collec­tif Junius estime que Marx sépare en deux la lutte de classe :

".. Pour Marx, il n'y avait pas de rupture entre la démocratie bourgeoise et la réalisation du com­munisme mais une certaine continuité : la phase politique représentait en quelque sorte la char­nière entre les deux car une fois le pouvoir con­quis, la garantie de la transformation sociale ul­térieure était l'existence d'une fraction commu­niste dans le  parti prolétarien." (p.11).

Tout cela est bien alambiqué, mais constatons que c'est l'enfance de l'art que de juger un mo­ment de la trajectoire de Marx avec de l'a peu près et en figeant chaque étape. Ce que révèle ce galimatias, c'est une profonde incompréhension des conditions de la période ascendante du capitalisme qui permettait au prolétariat - tout en posant au long terme la question de la révolution - d'obte­nir de véritables réformes. En réalité, c'est jus­qu'au tout début du 20ème siècle - au terme du processus d'ascendance du capitalisme - que devait être mené en complémentarité le combat pour les libertés politiques et la lutte syndicale pour la réduction massive de la journée de travail, une même dynamique pour la constitution du prolétariat en classe consciente d'elle-même et en force poli­tique autonome. Ce combat pour les réformes ne s'opposait pas au but social final puisque, ainsi que les citent malgré eux les auteurs, Marx et Engels précisaient toujours :

". il ne saurait être question de masquer les antagonismes de classe, mais de supprimer les classes ; non pas d'améliorer la société existante mais  d'en  fonder  une nouvelle." (1850)([3]).

Paradoxalement le collectif Junius se permet de se moquer de Marx et Engels parce qu'à certains moments ils ont cru à une révolution européenne, mais il omet de citer la réévaluation faite par Engels en 1895, dans une introduction aux Luttes de classe en France, où celui-ci admet que l'histoire leur a donne tort quant à leurs prévisions : " Elle a montré clairement que l'état du déve­loppement sur le continent était alors bien loin d'être mûr pour la suppression de la production capitaliste."

Bien qu'esquivant la vraie problématique fonda­mentale des partis prolétariens au 19ème siècle, le collectif Junius s'efforce en long et en large de prétendre que Marx n'a fait que modeler la for­me du parti prolétarien sur le modèle des partis bourgeois. L'idée n'est pas nouvelle, elle est re prise de Karl Korsch ([4]). Il est vrai que Marx a souvent évoqué la révolution de 1789 d'autant plus qu'il la considérait comme la plus exemplaire des révolutions bourgeoises. A chaque époque, les révolutionnaires sont marqués par le modèle des révolutions antérieures, et ils s'efforcent de les étudier minutieusement pour être à même de dépas­ser les conceptions anciennes. Et ce n'est pas simplement Marx qui était passionné par la révo­lution française, mais pratiquement tous les révo­lutionnaires de son époque, tout autant les anar­chistes que les blanquistes. Marx est le premier, cependant, à avoir insisté, après Babeuf, sur les limites de cette révolution bourgeoise - voir com­ment il tire à boulets rouges sur les hypocrites "droits de l'homme" (in la Question Juive) - et surtout le premier à montrer lai nécessité de la révolution prolétarienne pour l'émancipation réel­le de l'humanité (cf. le "caractère universel du prolétariat" in L'Idéologie Allemande).

La phase ascendante du capitalisme ne pouvait pas permettre à Marx et à ses compagnons de lutte de comprendre toutes les fonctions- du parti pro­létarien qui diffèrent de celles du parti bour­geois classique : il n'a pas pour fonction la pri­se du pouvoir politique à la place du prolétariat, il n'a pas à encadrer la classe ouvrière ni à ap­pliquer la terreur, ni à étendre la révolution par une "guerre révolutionnaire" (toutes leçons qui seront tirées à travers les expériences de la Com­mune de Paris et d'Octobre 1917). Cependant, le mouvement-même de la classe à leur époque -surtout les révolutions de 1848 et 1871 - permit non seulement à Marx et Engels de dépasser le mo­dèle de 1789, mais aussi de tirer des enseigne­ments pour l'ensemble du prolétariat que ne tirè­rent pas les quaranthuitards ni les communards eux-mêmes : ces leçons étaient par excellence une activité indispensable en tant que militant d'une organisation révolutionnaire - et non d'historien- qui a fait date dans le mouvement révolutionnaire puisque lorsque l'on y parle de 1848 ou 1871, on ne fait pas référence à l'événementiel mais aux leçons politiques de Marx et d'Engels ! D'ailleurs plutôt que de souligner ces leçons politiques et îa capacité de Marx à remettre en question ses analyses antérieures lorsque la lutte de classe apportait des enrichissements in vivo ([5]), le col­lectif Junius préfère clamer que la Commune a don­né tort à Marx, se gardant bien de rappeler qu'il n'y a pas eu foule pour soutenir l'insurrection parisienne ni pour plaider sa cause après la ré­pression sanglante, alors que Marx l'a soutenue pleinement même si elle n'entrait pas dans ses prévisions ; nous pouvons même ajouter que si la postérité s'est tant intéressée à la Commune c'est en bonne partie grâce à Marx. Le collectif a beau assurer :

"... l'insurrection des ouvriers... allait donner tort aux analyses précédentes de Marx et Engels sur la priorité absolue du processus démocratique" (p.14), ceci pour dénigrer une nouvelle fois toute activité de parti prolétarien, il n'en reste pas moins que la faiblesse des mesures prises pendant la Commune, le manque de coordination, le faible nombre de représentants de l'AIT, ont révélé d'au­tant plus pour l'avenir la nécessité de la présen­ce d'une minorité révolutionnaire au sein de la classe, dotée d'un programme cohérent et influen­çant fermement la lutte. Mais, malgré tout, la Commune ne pouvait être, de par son caractère pré­maturé, qu'un gigantesque éclair annonciateur de la confrontation sociale qui allait pouvoir se produire moins d'un demi siècle plus tard, non pas à l'échelle d'une ville, mais au niveau interna­tional du fait de l'entrée en décadence du capita­lisme. De la même façon que la Commune ne niait pas l'importance d'un parti prolétarien qui soit à la hauteur des tâches de sa période, de la même façon elle donnait raison à Marx sur la nécessité d'une phase transitoire du fait de la nécessaire réorganisation de la société. Pas question de pé­riode de transition, disent par contre nos au­teurs, en substance :

"... C'est la théorisation d'une séparation entre la phase politique et le but social encore !), donc de la continuité de certaines fonctions de la société de classes et du capitalisme à travers la phase  politique (l'Etat)"(p.15).

Il s'agit du même raisonnement que celui de Proudhon. Vingt ans plus tôt, dans la fameuse let­tre à Weydemeyer, Marx avait anticipé le contenu transitoire concrétisé par la Commune : ". . . la lutte de classe mène nécessairement à la dictature du prolétariat.(qui) elle-même ne re­présente qu'une transition vers 1'abolition de toutes les classes et vers une société sans clas­se" (1852). La Commune est restée un exemple des prémisses transitoires de." ia lutte pour le commu­nisme ; il faut bien constater que les mesures politiques prises y ont été plus importantes que les timides mesures économiques. A la différence de la classe bourgeoise, le prolétariat ne peut s'appuyer sur l'économie pour garantir ses chances de succès ; il bouleversera, certes, constamment l'économie pendant toute la phase future de tran­sition, mais dans la mesure où il s'affirmera politiquement. De ce point de vue, Marx est resté intraitable face au réformisme qui fut longtemps surtout le fait de ceux qui rejetaient l'action politique et la fonction du parti politique de classe, les différentes variétés de syndicalistes ou d'anarchistes, qui auraient approuvé l'argumen­tation de nos modernes conseillistes. Enfin, et surtout, en cherchant à nous faire avaler que Marx avait tort face à la Commune de Paris à pro­pos du "processus démocratique", le collectif Junius veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, il cache sous la table la principa­le leçon de la Commune : LA NECESSITE DE LA DES­TRUCTION DE L'ETAT BOURGEOIS, que l'opportunisme dans la 2ème Internationale a longtemps également mise sous le boisseau. Or, de ce point de vue, Marx avait parfaitement raison dès 1852, et il l'af­firme à plusieurs reprises dans le 18 Brumaire, comme ceci :

"... Toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considérèrent la conquête de cet immense édifice d'Etat comme la principale proie du  vainqueur."

Le collectif Junius qui n'en est pas à un oubli (de taille) près, reproche surtout, d'une façon générale, à Marx de s'être inspiré du "siècle des lumières". Comme on peut le constater par ce qui précède, il apporte plutôt beaucoup d'ombre aux thèses de Marx lui-même, il colporte pas mal de vieilleries utilisées déjà au siècle dernier, com­me cet idéaliste de Bauer que Marx qualifiait de "lumineux" ([6]) sarcastiquement. Marx, au bout du compte, ne s'est pas contenté de copier tel quel l'exemple de la bourgeoisie révolutionnaire - nos doctes historiens ont l'air d'oublier que la bour­geoisie a été aussi une classe progressiste-, il a pris pour point de départ le renversement critique révolutionnaire des principes hégéliens, il a ain­si élaboré une méthode matérialiste traitant des idées et des alternatives de société en connexion avec l'époque historique déterminée et avec la forme spécifique de société propre à ladite épo­que. Le collectif Junius se soucie fort peu de la méthode marxiste, le matérialisme, historique n'existe pas pour lui : son point de vue étroit d'aujourd'hui lui sert de grille à la compréhen­sion  des  différentes  périodes  du  passé !

Les partis du prolétariat - nous ne parlons pas ici des partis bourgeois qui prétendent parler et décider en son nom - sont sécrétés par lui, ils lui sont aussi utiles que l'oxygène à l'air. Et c'est le matérialisme historique qui nous permet d'affirmer :

"La formation de 'forces politiques exprimant et défendant des intérêts de classe n'est pas propre au prolétariat. Elle est le fait de toutes les classes de l'histoire* Le degré de développement, de définition et de structuration de ces forces est à 1'image des classes desquelles elles éma­nent. Cependant, s'il existe des points communs incontestables entre les partis du prolétariat et ceux des autres classes - et notamment de la bour­geoisie - les différences qui les opposent sont également considérables... l'objectif de la bour­geoisie, en établissant son pouvoir sur la socié­té, n'était pas d'abolir 1'exploitation mais de la perpétuer sous d'autres formes, n'était pas de supprimer la division de la société en classes, mais d 'instaurer une nouvelle société de classes, n'était pas de détruire l'Etat mais au contraire de le perfectionner .. Par contre... les partis du prolétariat n'ont pas pour vocation la prise et 1'exercice du pouvoir d'Etat, leur but étant au contraire la disparition de l'Etat et des classes" ("Sur le Parti et ses rapports avec la classe", in la Revue Internationale n°35). Il est logique, ce­pendant, que Marx, même après l'expérience de la Commune de Paris, soit resté marqué par son époque et qu'il ait persisté à soutenir que le parti pro­létarien devait prendre le pouvoir, mais l'histoi­re a tranché depuis, a contrario des bolcheviks sur ce point, que ce n'est pas la fonction du par­ti. Mais à comparer pour comparer, que dire des contemporains de Marx, des diverses sectes bakouninistes ou blanquistes avec leurs sociétés secrè­tes et leurs dérisoires projets de coups d'Etat ! Qui peut être placé à côté de la formidable cohé­rence et lucidité de Marx dont la méthode reste une arme de combat ? Qui, excepté le collectif Junius et sa machine à rebrousser chemin !

b) Conscience de classe et formation des partis

Le collectif Junius qui constate :

" .. une nouvelle fois   le poids  négatif de  la  ré­volution  française sur la conscience  de Marx-Engels.. La séparation  phase  politique/phase  so­ciale (cela devient une obsession !) fera apparaî­tre complètement la conception  et   la mise  en  pra­tique du Parti Communiste Jacobin, un parti de spécialistes de la politique, de révolutionnaires professionnels, de    théoriciens du prolétariat. Pour la social-démocratie et le bolchevisme, le Parti construit préalablement au mouvement révolu­tionnaire deviendra l'introducteur d'une conscien­ce idéologique dans le prolétariat considéré uni­quement  comme   trade-unioniste"

Ou encore, puisqu'il faut jeter aux poubelles de la bourgeoisie toute l'histoire de la lutte de classe prolétarienne, après Marx on jette la 2ème Internationale, puis la 3ème, etc.:"Lénine allait appliquer dans la pratique jus­qu'à leurs ultimes conséquences, les aspects néga­tifs de Marx sur la conception organisationnelle que la Social-Démocratie allemande avait déjà amplifiée."

Tout y passe, tout est objet de l'insulte anar­chiste : parti élitiste, vision politicienne, manipulation. Il serait fastidieux de répondre à toutes les arguties de cette compilation d'éco­liers, que le lecteur soucieux d'une bonne recher­che historique se reporte plutôt aux textes de Marx, de Lénine ou aux quelques ouvrages histori­ques sérieux et aux documents des Internationales. Rappelons simplement ici ce passage toujours vala­ble du Manifeste Communiste :

"(les communistes) n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat." Rappelons simplement que Marx rétorquait à tous les conspirateurs de son temps que la lutte de classe a besoin de clarté comme le jour de la lu­mière. Quant à l'idée de "conscience introduite de l'extérieur du prolétariat" que ressasse aussi le collectif Junius, elle n'existe pas chez Marx, ni non plus dans les congrès des 2ème et 3ème Inter­nationales. Que Kautsky et Lénine aient tordu la barre dans les débats contre les économistes et les syndicalistes apolitiques est une chose, mais cette idée n'a jamais figuré dans aucun programme des partis ouvriers avant 1914 ; Lénine a publi­quement rejeté cette idée en 1907. Il est de bon ton dans certains milieux soixanthuitards de chan­ter le leitmotiv du "renégat Kautsky et son disci­ple Lénine", c'est là une vieille mode reprise aux notoriétés de la Gauche hollandaise dégénérée. H est vrai que les erreurs de Kautsky ([7]) et Lénine ont été exploitées par le stalinisme et le trotskysme contre le mouvement ouvrier ; néanmoins, c'est sur la base du combat mené par les Kautsky, Rosa Luxemburg et Lénine contre le révisionnisme, contre les économistes, que la fonction du parti politique de classe a pu être affirmée et préci­sée. Les débats de leur époque ont constitué un enrichissement indispensable pour le marxisme, pour le développement de la conscience de classe.

Or, pour ce qui est de la conscience de classe, après toute leur entreprise de démolition tout azimut, on se demande où nos vaillants écrivains en herbe vont la chercher, puisqu'il n'y a que le moment spontané qui compte à leurs yeux : le mo­ment des grèves, l'instant des révolutions. Entre temps, le prolétariat a-t-il disparu ? En fait, leur vision est simple : la conscience de classe n'est que le simple reflet des luttes ouvrières, jamais un facteur dynamique. Tout travail d'élabo­ration théorique, de prise de position, est forcé­ment élitiste, manipulateur, politicien, donc le fait de partis bourgeois. Il n'existe pas pour eux deux dimensions dans le même mouvement proléta­rien, celle de ses organisations politiques et celle de l'ensemble de la classe qui réagissent dialectiquement l'une sur l'autre. Dans leur vi­sion, quand la lutte cesse, la classe ouvrière disparaît ([8]) pour renaître de ses cendres six mois ou dix ans plus tard, comme après un coma total, sans que le moindre travail de "taupe" n'ait pu s'effectuer au niveau de la conscience de classe, ni la moindre dynamique de réflexion et de recherche théorique! Tout cela rappelle bien plutôt l'esprit obtus et anti-scientifique des doctes partisans de la génération spontanée com­battant Pasteur. De toute façon, l'idée du collec­tif Junius n'est autre que très scolastique : dépeindre une sorte de parti à travers les âges conçu par le sorcier Marx qui est accusé, une fois de créer le parti avant la révolution et une autre fois de se contredire en disant :

"(le Parti) naît spontanément de la société moder­ne" (1860).

Tellement obnubilé par l'immédiat et l'événemen­tiel, notre collectif Junius confirme son inapti­tude à comprendre le marxisme. Pour Marx, le parti est un produit naturel de la lutte de classe, nul­lement volontariste ni auto-proclamé ; il n'est pas ce corps statique et omnipotent qu'imaginent nos auteurs, sorte d'invention démoniaque de Marx et Lénine pour saboter la révolution à travers les siècles, c'est un élément dynamique et dialecti­que :

"…. L'histoire réelle et  non fantaisiste nous montre que 1'existence du parti de la classe parcourt un mouvement cyclique de surgissement, de développement et de dépérissement, dépérissement qui se manifeste par sa dégénérescence interne, par son passage dans le camp de 1'ennemi ou encore par sa disparition pure et simple et qui laisse des intervalles plus ou moins longs jusqu'à ce que, de nouveau, se présentent les conditions né­cessaires pour son resurgis sèment. S'il existe un lien évident de continuité. . . il n'existe par contre aucune stabilité, aucune fixité de cet organisme  appelé parti"

("Sur le Parti et ses rapports avec la classe", Revue Internationale n°35).

Ajoutons que les partis dans le prolétariat sont encore plus indispensables a celui-ci que les partis bourgeois ne l'étaient à l'enfantement de la société bourgeoise ; la tâche est plus immense pour le prolétariat, l'élaboration théorique plus universelle, il doit abolir toutes les divisions de classe et toute société d'exploitation. Le pro­blème de la conscience est donc considérable com­paré à la phase du capitalisme progressiste qui, lui, s'est développé "dans la boue et le sang".

c) L'ouvriérisme conseilliste

A rebours dé l'histoire, il y a toute la gauche du capital pour tenter de faire croire que la conscience serait apportée de l'extérieur, mais il y a aussi cette catégorie de révolutionnaires pour qui "les conseils ouvriers" sont une incantation permanente comme pour d'autres la révélation, et dont la logique absurde conduit tout autant à la négation du prolétariat. A force de dire que les partis sont extérieurs au prolétariat, ils finis­sent toujours par estimer que c'est la lutte de classe qui est extérieure au prolétariat ! Heureu­sement que le collectif Junius prend la défense du prolétariat contre cet "illuminé" de Marx : "... Les conditions, la marche, les fins... tout est tracé, ce "reste du prolétariat" qui n'a pas ‘l'avantage d'une intelligence claire' n'a donc aucun apport théorique, du moins fondamental ! C'est en quelque sorte un aveugle qui doit se laisser guider par ceux, les communistes, qui pos­sèdent le programme de A à Z." (p.21). Les grandes lignes du Manifeste de 1848 sont, som­me toute, "élitistes", concluent nos pourfendeurs de parti. Déduisez : les combats, les sacrifices, les polémiques et les directives des partis pro­létariens ont toujours eu pour but de nuire aux ouvriers, ainsi que nous l'explique notre collec­tif "défenseurs du prolétariat" contre l'odieux Marx :

"... (à propos de la non publication de rectifica­tions au Programme de Gotha)... Même secondaires, ces raisons témoignent de la vision politicienne et donc bourgeoise qu'entretenait Engels sur le mouvement ouvrier : les travailleurs sont incapa­bles d'avoir une conscience claire des choses, le parti peut donc les manipuler à son aise " (p.41). Ici l'outrance passe la mesure, l'invecti­ve anarchiste remplace l'argumentation. La démago­gie d'épicier couvre à nouveau la négation idéa­liste de l'étape réformiste, et surtout des pro­grammes minimum et maximum. Cette défense échevelée de l'ouvrier moyen évoque plutôt ce patron qui s'exclame : "en parlant de grève et d'insurrection aux ouvriers vous leur portez préjudice". Rosa Luxemburg même est accusée de concevoir un parti de chefs avec son "credo" le programme communiste, auquel le collectif Junius (pseudonyme de Rosa pendant la guerre) renvoie son propre credo : "c'est la philosophie des  lumières  qui   continue  à faire ses ravages."   (p.103)

Une chose est certaine pour le collectif Junius : la classe ouvrière est une classe homogène où ne comptent pas les années d'expérience, où l'ouvrier qui se met en grève pour la première fois de sa vie en sait tout à coup autant que celui qui s'est battu pendant vingt ans ; dix mille ouvriers en grève pendant une journée comptent plus pour ces gens-là du point de vue de l'expérience historique qu'une minorité révolutionnaire qui a combattu pendant quinze ans ! On prétend combattre le mouvement ou­vrier "bourgeois" mais en réalité on rend service à la plus plate, à la plus crasse idéologie syndi­caliste capitaliste - celle qui favorise par ex­cellence la manipulation - : l'ouvriérisme, et on évacue d'un revers de manche l'existence d'un pro­gramme historique du prolétariat I

d) L'ignorance du phénomène de l'opportunisme

Ce qui est frappant, au total, dans cette bro­chure anti-parti, décousue et indigeste, c'est, non seulement la surdité face à l'évolution de la compréhension du rôle du parti (1848-1871-1905-1917 1921), mais - découlant fondamentalement du reste- l'aveuglement quant à la notion d'opportunisme. Sans traduire la moindre honte de compréhension, le terme est utilisé à plusieurs reprises. Sont évoquées les critiques de l'opportunisme par Pannekoek, Gorter, Rosa, Lénine. Il est même fourni une belle citation de Rosa :

".. il est impossible de se prémunir à l'avance contre la possibilité d'oscillations opportunis­tes"   (p.94).

Se situant hors de la problématique du mouvement ouvrier, il est impossible au collectif Junius de saisir ce qu'il cite de valable. Par contre, il s'identifie très bien à la gauche germano-hollan­daise dégénérée, à ce Pannekoek qui a inauguré la formule très moderniste de "nouveau mouvement ou­vrier" vers la fin des années 30, et qui est cité avec plaisir :

"... un parti, quel qu'il soit, est petit à l'ori­gine (quelle sagacité !) - mais parce que de nos jours un parti ne peut être qu'une organisation visant à diriger et à dominer le prolétariat"(page 124). CQFD ! Il n'est jamais possible dans ces conditions d'appréhender le phénomène de dégéné­rescence des partis du prolétariat passés à l'en­nemi puisque tout s'explique par : la bourgeoisie, la séparation phase politique/but social, le siècle des lumières. Les apports du mouvement ouvrier sont traités par le collectif Junius comme les étudiants manient les pensées des philosophes : par l'interprétation systématique. La Gauche ger­mano-hollandaise, à ses débuts, ne trouve pourtant pas grâce aux yeux de notre collectif : " « La conception de Gorter sur le parti considé­ré comme regroupement des 'purs' face à l'opportu­nisme était encore largement entachée d'une vision inspirée par le processus des révolutions bour­geoises (philosophie des lumières), cela peut expliquer son attitude de 'recherche de la discus­sion' avec Lénine et les bolcheviks" (p.117). En vérité, c'est le collectif Junius qui se veut "pur", idéalement pur, ou tout au moins en quête de pureté. Il n'est donc pas en mesure de saisir le complexe processus de dégagement de l'idéologie dominante par le prolétariat et ses organisations. Il est si épris de pureté qu'il confond la bourgeoisie avec ses victimes, puisqu'il ne voit pas qu'il s'agit d'un combat. Il est tel un magistrat au-dessus de la mêlée sociale.

L'opportunisme, de façon générale, est une manifestation de la pénétration de l'idéologie bour­geoise dans les organisations prolétariennes et la classe ouvrière ; il conduit au rejet des princi­pes révolutionnaires et du cadre général de l'ana­lyse marxiste. Il menace donc de façon permanente la classe et les organisations ou partis qui en font partie, au mieux il peut être corrigé de la part d'éléments sincères, au pire il entraîne des faiblesses ou des erreurs impardonnables. De ce point de vue, Marx, Lénine et bien d'autres ont commis plus d'une fois des erreurs opportunistes, mais ils n'étaient pas bourgeois pour autant ! Des concessions partielles ou secondaires suivant l'époque et l'expérience générale, ne remettent pas en cause la méthode commune et la fonction des partis pour lesquels ils ont tant combattu, car il n'y a pas eu répétition dans le mouvement révolu­tionnaire, on s'est efforcé d'affiner progressive­ment "l'évolution du concept de parti" (si nous reprenons la terminologie universitaire du collec­tif Junius).

Lorsqu'il s'en tient à rejeter systématiquement les apports successifs des différents partis du prolétariat, lorsqu'il évoque indistinctement la classe ouvrière, lorsqu'il rejette férocement la forme et la fonction du parti, le cahier signé collectif Junius est typiquement conseilliste. Mais l'incantation de "la classe elle-même" ou des "conseils ouvriers" comme panacée, est une forme moderne particulièrement pernicieuse de l'opportu­nisme, plus répandue que chez les simples lecteurs des publications Spartacus. C'est une idéologie qui, ainsi que le révèle sa forme théorisée par le collectif Junius, fait le plus de concessions auîT idées dominantes de la période de décadence du capitalisme contemporain. Nous l'affirmons ferme­ment : le rejet de l'organisation en parti politi­que est dangereux. De la thèse "tous les partis sont bourgeois", à 1'anti-thèse "seuls les con­seils ouvriers sont révolutionnaires", on aboutit au mépris de la lutte de classe et à la démorali­sation, on laisse champ libre à la bourgeoisie. Mais plus fondamentalement, à force de nier deux programmes distincts, maximum et minimum, pour notre époque - ce qui est vrai - on aboutit à nier le programme maximum qui reste seul valable parce qu'on rejette tout rôle et toute fonction de parti révolutionnaire.

Dans l'avertissement au lecteur, la présentation de ce cahier Spartacus précisait qu'il s'agissait de la première partie d'un projet "inachevé", or il s'agit bien de quelque chose qui restera ina­chevé et insaisissable par définition, car issu d'un groupuscule... dissous dans l'incohérence pe­tite-bourgeoise : le défunt PIC. La suite parle d'elle-même, elle n'existe pas. Le grand néant ! A force de vouloir faire table rase du passé, com­me dit la chanson de Pottier si ingénument chan­tée par les fractions de gauche de la bourgeoisie, on fait table rase de l'avenir de la lutte de classe.

2- LES CHRYSANTHEMES DE LA PETITE-BOURGEOISIE

"Ces messieurs font tous du marxisme, mais de la sorte que vous avez connue en France il y a dix ans et dont Marx disait : 'Tout ce que je sais c'est que je ne suis pas marxiste, moi !' Et pro­bablement il dirait de ces messieurs ce que Heine disait de ses imitateurs : j'ai semé des dragons et  j'ai récolté des puces". Engels à Lafargue (27/8/1890)

Nous ne nous étendrons pas autant sur le second cahier Spartacus qui dans l'ensemble n'est pas pire que le précédent ; il précise un peu plus que chez les divers collaborateurs "amis de Sparta­cus", le plus court chemin pour nier la classe ouvrière est de commencer par nier l'apport du militant Marx. Ce cahier avait, lui, fait l'objet d'un appel d'offre publique, et nous leur avions répondu ceci :

"(cette) démarche... et (ce) projet s'inscrivent comme une suite de toute la campagne de singes savants des universités   de   la   bourgeoisie se livrant, à 1'occasion du centenaire de la mort de Marx, à un dénigrement, à une défiguration sys­tématique du marxisme, en identifiant celui-ci avec le régime stalinien des pays du bloc de l'Est. Merci pour votre invitation, "amis de Spar­tacus, mais très peu pour nous !... Vous, vous vous placez en juges du mouvement, nous, nous som­mes des militants révolutionnaires du mouvement" (Révolution Internationale n°112, 1983). Nous ne nous étions pas trompés en répondant ainsi à cette énième cérémonie funèbre du marxisme. L'introduc­tion de l'hommage rendu soi-disant à Marx par les "amis de Spartacus" est claire et résume bien l'éclectisme des textes présentés : "... Les différentes contributions réunies dans ce cahier sont sur ce point convergentes. Quel que soit l'angle d'attaque [sic !] choisi par les au­teurs, tous en sont convaincus : les limites de 1'oeuvre de Marx sont aussi bien les limites de son époque que les limites de sa relation à son époque" (p.9).

Ce bouquet de fleurs fanées résume bien à lui tout seul 120 pages de rejet de l'apport - pourtant toujours actuel - de Marx, et sa réduction à une "oeuvre" d'écrivain. Signalons évidemment toute une série de dénigrements de la même teneur et même repris du cahier précédent : trait d'égalité entre jacobinisme et marxisme (1'"apport" de Korsch est ouvertement revendiqué), trait d'égali­té entre Octobre 1917 et le stalinisme, et obsessionnellement "Marx copieur de 1789" ou du "siècle des lumières". Marx est aussi considéré comme mar­qué par une vision "ontologique" et de s'être ins­piré de 1'"hypertrophie du politique de Hegel" (rien que ça !).

Tous ces gens-là défilent devant la tombe de Marx l'air si contrit, qu'on ne peut que se les représenter autrement que comme une procession de vieilles bigottes du vieux monde. Choisissons, par exemple, un nommé Janover qui, après avoir évoqué lui aussi l'influence délétère de 1789, tient à montrer combien il est ignare quant à comprendre toute notion d'opportunisme :

"Le marxisme politique est donc tout à la fois le produit de ce détournement (?) et le résultat d'un accommodement. Sa structure était à l'image de 1'organisation social-démocrate, partie proléta­rienne, partie bourgeoise, mais la tendance bour­geoise dominante passera vite au premier plan, avant même que le marxisme-léninisme ne propose ses recettes d'accumulation 'socialiste' aux éli­tes des pays encore au stade pré-capitaliste". Plus actuel, un nommé St James n'en finit pas de tracer des hypothèses et de s'essayer à être plus flou que les autres :

"... Bien entendu, on ne peut pas non plus élimi­ner 1'hypothèse que la situation actuelle évolue vers une crise franche et ouverte. . . On ne peut m d'ailleurs pas plus éliminer le retour à une nouvelle prospérité. Bien sûr, certains pourront objecter d'abord que nous ne déduisons aucune conclusion certaine de cette analyse. Il est clair qu'une théorie que l'on   peut   éventuellement  plier , à rendre compte de phénomènes opposés ne peut guè­re être considérée comme scientifique". Et ces gens-là osent se réclamer des enseignements de Marx ! En vérité, ils ont tous un pape, l'in­tellectuel conseilliste notoire Rubel qui, plus que Marx, est l'inspirateur de toutes leurs stupi­dités.

A peu près tous rejettent, comme Rubel, le Marx militant, ils le placent à leur niveau de puces intellectuelles. Ils croient comme Rubel que Marx s'est trop contenté d'incertitudes dans son tra­vail scientifique (bien qu'ils abhorrent la métho­de scientifique) mais, hélas, sans jamais renier "le combat politique quasi quotidien dans le cadre d'une organisation ou en militant isolé" (Rubel dixit). Deux fois hélas, c'est pourquoi Rubel - incapable comme tous les petits-bourgeois de connaître la passion révolutionnaire de la lutte -s'est spécialisé dans la recherche dans les écrits intimes et les poubelles de Marx de tout ce qui peut corroborer ses propres doutes :

" Même s'il s'est refusé à livrer à la postéri­té des confessions de caractère  introspectif. Mieux que de telles confidences, la masse des  iné­dits, des écrits inachevés et des cahiers d'étu­des témoigne des hésitations et des doutes qu'il devait éprouver en se sachant désarmé devant les triomphes répétés de la contre-révolution.". En fait, puisque le militant Marx dérange, on va lui imaginer ses propres doutes de petit-bourgeois, on va rayer d'un trait de plume son implication dans le mouvement collectif du prolé­tariat pour n'en extraire que "la poésie" (Rubel). Rubel qui prête ses propres doutes en vain à Marx, affirme pourtant ses certitudes : ". Nous sommes obligés de reconnaître que si le capital est partout, c'est parce que le proléta­riat n'est rien et nulle part" (p.43). Ce philistin nous confirma par là que le conseillisme n'est pas seulement un danger opportuniste pour le prolétariat mais que son aboutissement réside dans la négation de la classe ouvrière : le modernisme. Dans sa conclusion, Rubel, après avoir abandonné le prolétariat,  rejoint les grands impuissants de l'histoire, les philosophes : "..Nous, les vivants, nous pouvons et devons agir dès maintenant pour mettre en oeuvre un pro­jet de modification visant les forces aliénantes, produit du génie inventif de 1'homme tout autant que ses inventions créatrices".

Les autres philistins n'ont qu'à marquer le pas derrière le grand maître à penser es conseillisme devenu es modernisme. Le représentant du cercle moderniste "Guerre Sociale" peut se lamenter comme le collectif Junius :

"L'oeuvre de Marx exprime les circonstances histo­riques dans lesquelles elle s'est créée, prolonge les tendances bourgeoises dont elle est issue et qu'elle cherchait à dépasser" (p.90). Un enterrement est toujours une circonstance péni­ble quand on pense aux "vivants" ; aussi l'anar­chiste Pengam chuchote-t-il en inclinant la tête : "... la classe ouvrière vise, par l'intermédiaire des 'partis ouvriers' à se faire reconnaître dans l'Etat en fonction de la place qu'elle occupe dans les rapports de production" (p.103). Enfin, même un vieux routier du milieu révolution­naire comme Sabatier a mis le crêpe noir, et vient donner le coup de goupillon anti-bolchevik de rigueur pour la cérémonie des "amis de Spartacus": ".., La contre-révolution et ses idéologies mysti­ficatrices triomphèrent en prenant appui sur les médiations introduites par Marx et en noyant toute méthode critique sous les flots d'un langage de bois" (p.83).

Les intellectuels petits-bourgeois finissent tou­jours par se retrouver en abandonnant le terrain de la défense des principes de classe - d'accord avec la bourgeoisie qui s'est efforcée, elle, cons­ciemment, pendant cinquante ans, de déformer les véritables raisons de la dégénérescence d'Octobre 1917 et de l'échec de la vague révolutionnaire des années 20. C'est contre les arguments de ces phi­listins que le prolétariat doit lutter dès aujour­d'hui s'il' ne veut pas compromettre son combat pour la destruction de l'ordre capitaliste établi.

Gieller.


[1]Le groupe "Pour une Intervention Communiste" (Jeune Taupe) s'est constitué en 1974 autour d'éléments ayant quitté "Révolution Internationale" parce qu'ils estimaient que ce groupe n ' intervenait pas assez ; ce groupe s'est brisé il y a quelques années contre les écueils de 1'activisme, du conseillisme et du modernisme ; son héritier "Révolution Sociale" n'a tiré pratiquement aucune leçon de cette trajectoire désastreuse (cf. sa brochure  intitulée pompeusement "Bilan et Perspectives").

[2] Affirmation inconséquente puisque, juste à la page précédente, les auteurs ont repris la célèbre  phrase du pamphlet contre Proudhon : "Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique, Il n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même temps." Ajoutons ce que Marx affirmai) déjà en 1844 : "Toute révolution dissout 1 'ancienne société ; en ce sens elle est sociale. Toute révolution renverse l'ancien pouvoir ; en ce sens elle est politique" (Gloses critiques, in La Pléiade, annoté par Rubel).

[3] Remarque qu'on retrouve dans maints autres textes depuis le Manifeste. Mais Lénine souligne justement en quoi c'est une question de méthode : "...A quel point Marx s'en tient strictement aux données de l'expérience historique, on le voit par le fait qu'en 1852, il ne pose pas encore la question concrète de savoir par quoi remplacer cette machine d'Etat qui doit être détruite. L'expérience n'avait pas encore fourni à l'époque, les matériaux nécessaires pour répondre à cette question, que l'histoire mettra à l'ordre  du   jour  plus   tard,   en   1871." (L'Etat et la Révolution).

[4] Karl Korsch, ancien membre  du  parti communiste allemand (KPD) dont il est exclu en-1926 ; abandonnant la méthode marxiste, il a théorisé l'idée que  le  jacobinisme  était   la   source  fondamentale  de Marx certaines de ces  idées ont été reprises par Mattick aux USA. Son principal traducteur en  France a été le conseilliste Bricianer.

[5] Voir notre article pour  le  centenaire de la mort de Marx, Revue  Internationale n°33 : "Marx  toujours actuel".

[6] "Bataille critique contre la révolution français, Marx (La Pléiade, p.557).

[7] Nous parlons ici évidemment du Kautsky d'avant 1910, celui qui, avant de devenir un centriste puis un renégat, était un authentique militant révolutionnaire, le chef de file avec Rosa Luxemburg de l'aile gauche  de  la  Social-Démocratie  dans  sa   lutte  contre  1'opportunisme.

[8]Signalons la vision symétriquement inverse de certains bordiguistes, mais finalement identique selon lesquels lorsque le parti disparaît la classe ouvrière n'existe plus !

Conscience et organisation: 

Courants politiques: