L'année 1991 s'ouvre avec la menace d'une guerre terriblement meurtrière, impliquant massivement l'armée de la première puissance capitaliste, les Etats-Unis, avec une plongée dans la récession ouverte de l'économie mondiale, d'énormes attaques contre la classe ouvrière des pays développés, une misère de plus en plus épouvantable, non seulement dans le "tiers-monde", mais aussi dans les pays de l'ancien "bloc de l'Est", au premier rang desquels l'URSS, ravagée par la famine.
Le monde n'entre pas dans un "nouvel ordre international", mais se trouve de plain-pied dans la phase ultime de la décadence du mode de production capitaliste, la décomposition ([1] [1]), avec, au coeur du tourbillon de la barbarie, la guerre de tous contre tous, au premier rang de laquelle les Etats-Unis, déterminés à défendre par tous les moyens militaires dont ils disposent, leur prépondérance mondiale sur I' "ordre" existant.
La guerre du golfe, vers le massacre
Au moment où nous écrivons, Baker, deuxième personnage de l’Etat US, vient de terminer sa tournée de rencontre des chefs d'Etat en Arabie, en Syrie, en URSS, en France, au cours de laquelle il a rappelé la détermination des Etats-Unis dans la "crise du Golfe" face à l’Irak. Bush revient de Tchécoslovaquie où il a relancé l’appel à suivre et soutenir les Etats-Unis dans leur croisade militaire. L'armée américaine effectue des grandes manoeuvres. Le nombre de soldats doit être porté après de 400 000. Des centaines de milliers d'irakiens férocement embrigadés sont sur le front. L'armée israélienne est sur le pied de guerre et toutes les armées, polices, milices de la région sont en effervescence. Le Moyen-Orient est à la veille d'une nouvelle tuerie, d'une violence sans précédent.
Contrairement à la propagande sur la fin de la "guerre froide" qui devait marquer l'ouverture d'un "nouvel ordre mondial" de paix, c'est le "réchauffement" de la guerre à tous les niveaux, c'est le chaos de la situation internationale et la décomposition du système capitaliste qui s'accélèrent.
Le "désarmement" ? Une course à des armes encore plus efficaces et plus adaptées à la guerre "moderne", avec mise au rebut du matériel inutilisable, et un engagement armé direct accru dans des conflits de la part des principaux pays protagonistes des 'conférences" et autres "accords^ sur ce soi-disant "désarmement", au premier rang desquels, le plus puissant, les Etats-Unis.
La "paix" ? C'est la multiplication des conflits, l'entrée dans la guerre directement et massivement de l'armée américaine, l'envoi de troupes et de matériel de plusieurs pays, y compris des pays développés, en quantité jamais vue depuis plusieurs décennies sur les champs de bataille, avec, en toile de fond, une récession sans précédent de toute l'économie mondiale. ([2] [2])
La "communauté internationale" ? Les résistances et les oppositions s'aiguisent entre les anciens "alliés" des Etats-Unis d'un "bloc de l'Ouest" désormais rangé au placard de l'histoire.
Les résistances des pays développes
La dislocation de la coalition anti-irakienne, vers le chacun pour soi
Alors que les Etats-Unis parvenaient à afficher l'unanimité de façade de la "communauté internationale" en août 1990, en déclenchant la "crise du Golfe" face au "fou Saddam", à peine deux mois plus tard, c'est ouvertement le chacun pour soi dans la dite "communauté".
La libération de tous les otages français fin octobre 1990, à l'initiative de Saddam Hussein, sans négociation apparente, a montré ce que valait la détermination des "alliés" des USA et le "solennel engagement" pris quelques jours plus tôt... de "ne pas négocier séparément avec l'Irak". C'est apparemment Cheysson, ancien ministre français des affaires étrangères, qui a eu des "contacts" avec son homologue irakien. A sa suite, Bagdad a accueilli une procession de personnalités politiques de premier plan, venant négocier ouvertement la libération d'otages, et certainement bien d'autres choses plus discrètement : Willy Brandt, ex-chancelier de RFA, président de l’"Internationale socialiste", prix Nobel de la Paix, Nakasone, ex-premier ministre du Japon, Primakov, conseiller particulier de Gorbatchev, le ministre Chinois des affaires étrangères, d'ex-premiers ministres de pays plus secondaires, Danemark et Nouvelle-Zélande, des délégations de parlementaires italiens et irlandais, et d'autres.
Ce défilé n'était pas le résultat d'initiatives individuelles. C'est avec la bénédiction de Kohl que Brandt fait le voyage, c'est évidemment un voyage officiel que fait le ministre chinois, Cheysson n'a pas été démenti lorsqu'il a vendu la mèche sur sa véritable mission. Nous sommes loin de la réprobation générale qui avait marqué le voyage, durant l'été 1990, d'un Kurt Waldheim, lorsqu'il alla chercher des ressortissants autrichiens. Il ne s'agit pas non plus d'un partage des tâches pour piéger l'Irak, entre les Etats-Unis jouant les intransigeants et les autres jouant les conciliants. Les réactions américaine et anglaise sont là pour le montrer. Là réaffirmation brutale du refus de négocier avec l'Irak, les critiques fermes et intransigeantes de Bush, Thatcher et Baker prouvent que les désaccords sont bien réels au sein de la coalition "onusienne".
Les "traitements de faveur" consentis par l'Irak à l'égard d'un certain nombre de pays, notamment à l'égard de la France, ne sont pas des fleurs gratuites. Ils visent à enfoncer un coin entre les différents "alliés" de la coalition anti-Irak. Si Saddam Hussein a mené une telle politique de marchandage de son stock d'otages contre la venue de tel ou tel homme politique de renom, c'est bien parce qu'il était conscient des clivages existant entre ces divers pays. Et cette politique a rencontré un succès certain.
Alors que les USA demandent au Conseil de sécurité de PONU de voter une résolution autorisant "le recours aux armes", les résistances de la France, de l'URSS et de la Chine, membres permanents de ce Conseil, font que celui-ci accouche finalement d'une résolution appelant au... "renforcement de l'embargo" ! Alors que les USA fidèlement secondés par la Grande-Bretagne, renforcent constamment leur potentiel militaire dans le Golfe, que leur discours se fait de plus en plus menaçant, la France traîne les pieds, fait reculer ses troupes du front, relance l'option diplomatique, avec le discours de Mitterrand à PONU, la réunion Gorbatchev-Mitterrand, et la première déclaration, depuis le début de la crise, de Rocard, le premier ministre en voyage à Singapour, sur les nécessités... d'"explorer toutes les voies de la négociation". Le Japon et l'Allemagne restent silencieux.
L'unité du "monde libre" a vécu. Les événements d'octobre 1990 auront été les premières manifestations dans les faits de la tendance de fond inscrite dans les nouvelles conditions créées par la disparition du bloc impérialiste russe en 1989 : la disparition du "bloc de l'Ouest", l'accélération de la décomposition, le chacun pour soi de tous les Etats capitalistes, la lutte de tous contre tous, et, au premier rang de celle-ci, l'empoignade entre les principaux pays industrialisés.
La loi du plus fort
Les Etats-Unis sont prêts à passer outre leurs "alliés", PONU et tout le monde. Si la bourgeoisie américaine est prête à la guerre contre l'Irak, au sacrifice de milliers de "boys and girls", ce n'est pas pour le Koweït, pour la défense du "droit international", mais pour montrer sa force et signifier sa détermination aux autres pays les plus développés. La bourgeoisie française, par exemple, s'est ainsi faite expulser de ses zones d'influence traditionnelles au Moyen-Orient, de l'Irak d'abord, et aussi de Beyrouth, les Etats-Unis donnant le feu vert à la Syrie pour une annexion du Liban, aussi musclée et meurtrière que celle de Hussein au Koweït.
Dans tous les domaines se multiplient les accrocs dans les relations :
- dissolution du réseau secret d'influence et de contrôle mis en place par les USA au lendemain de la 2e guerre mondiale (le "scandale" du "Gladio" en Italie, mais aussi en Belgique, en France, en Hollande, en Allemagne) ;
- diktat des USA dans les négociations du GATT, sur les subventions des pays d'Europe en soutien à leur secteur agricole ;
- multiplication des "affaires" d'"espionnage industriel", vis-à-vis du Japon notamment, mais aussi de la France ; etc.
Et tout ceci n'est encore que de l'anecdote à côté des formidables divergences d'intérêts qui vont grandir, de plus en plus ouvertement, entre les plus grands pays industrialisés, avec une guerre économique et commerciale redoublée, du fait de l'accélération brutale de la crise.
L'opposition entre les USA, secondés par la Grande-Bretagne, et les autres
C'est tout l'ancien rapport des forces politico-militaire et géo-stratégique de la planète qui a été bouleversé de fond en comble avec l'écroulement du bloc impérialiste russe. Et cette situation a non seulement ouvert une période de chaos total dans les pays et régions de cet ancien bloc, mais elle a aussi accéléré partout les tendances au chaos, menaçant P"ordre" capitaliste mondial dont les Etats-Unis sont les principaux bénéficiaires. Ces derniers ont été les premiers à réagir. Ils ont suscité la "crise du Golfe" en août 1990, non seulement pour prendre pied de façon définitive dans la région, mais surtout, et c'est ce qui a été décisif dans leur détermination, pour en faire un exemple destiné à servir d'avertissement à quiconque voudrait s'opposer à leur place prépondérante de super-puissance dans l’arène capitaliste mondiale.
Pour les USA, la situation est claire. Leur intérêt national, comme première puissance mondiale (et de loin), s'identifie parfaitement à l’"ordre" existant, à l'intérêt global du capital face à la décomposition qui entraîne l'éclatement de tout le système de relations internationales. Parmi les grandes puissance la Grande-Bretagne est le seul pays qui ait manifesté un soutien indéfectible envers les Etats-Unis, du fait de l'orientation traditionnelle de sa politique étrangère, de ses intérêts au Koweït, et surtout du fait de son expérience particulière du "leadership" mondial, qui lui permet de mieux comprendre les enjeux de la situation présente.
Par contre, pour les autres puissances, la situation est beaucoup plus contradictoire. Si tous ont intérêt à freiner la tendance à la décomposition, ce qui motive la condamnation unanime de l'invasion du Koweït, leur intérêt propre n'est pas pour autant que les USA renforcent encore leur prépondérance, ce qu'ils ne peuvent faire qu'au détriment de leurs principaux concurrents.
L'opération militaire engagée par les USA qui devait amener la paix au Moyen-Orient, par une guerre justifiée aux yeux de tous parce qu'elle devait maintenir l'ordre des grandes "démocraties" et des "libertés", n'a pas vu la soudure des grandes puissances "démocratiques", mais le début de la débandade.
En fait, ces différents pays sont pris dans un piège. En jouant son rôle de gendarme contre un pays arriéré et de deuxième ordre, dès le début, les Etats-Unis ne visent pas seulement à contenir le chaos qui se développe dans le "tiers-monde", mais aussi celui qui menace de s'établir entre les pays avancés. Ce ne sont pas seulement les ambitions des Etats périphériques qu'ils se proposent de contenir, mais aussi et surtout celles des Etats centraux. Par contre, ces derniers sont évidemment intéressés au premier objectif des Etats-Unis, le maintien de l'ordre dans les zones périphériques, mais nullement au second.
En faisant étalage de leur surpuissance militaire, les USA montrent la faiblesse relative des autres. Les américains ont envoyé leurs troupes dès le début sans attendre l'accord des "alliés", qui ont du se rallier sous la pression plus que par conviction. Tant que l'action contre l'Irak prenait la forme d'un blocus ou d'un isolement diplomatique, ils pouvaient prétendre jouer un petit rôle, et ainsi faire valoir leurs intérêts particuliers. En revanche l'offensive militaire ne peut que faire ressortir l'énorme supériorité des Etats-Unis et l'impuissance de leurs "alliés".
Ces pays ne sont pas aujourd'hui, et pour longtemps encore, aptes à rivaliser avec les Etats-Unis sur le plan politico-militaire. Le Japon et l'Allemagne accusent un retard important dans le domaine militaire. La mobilisation et l'armement français n'existent qu'intégrés dans le système militaire américain, comme le montre la lamentable prestation française en Arabie Saoudite, totalement dépendante de la couverture des Etats-Unis. Il en est de même de l'engagement de la Grande-Bretagne. Les principaux rivaux économiques ne sont pas armés, et ceux qui le sont, dotés d'un armement cent fois moins puissant et efficace, ne peuvent rivaliser avec les Etats-Unis. Le moment est donc propice pour les USA. L'Irak lui en a fourni l'occasion, et comme il est de notoriété publique aujourd'hui, les Etats-Unis connaissaient les préparatifs de l'Irak pour l'invasion du Koweït, ils 'ont laissé faire, sinon plus.
Les USA, gendarme du Moyen-Orient, gendarme du monde
Le contexte général dans lequel se débat la première puissance capitaliste mondiale ne peut que la pousser a la guerre, à défendre son hégémonie face à l'effondrement de pans entiers du capitalisme qui entraîne les bourgeoisies locales, les impérialismes régionaux, étranglés, dans des aventures militaires dangereuses pour la bonne marche de la "pax americana", remise en cause par la nouvelle situation. Les Etats-Unis ont été déterminés, dès la fin de la guerre Iran-Irak, à empêcher que la puissance militaire de l'Irak rompe 1'"équilibre" des forces de la région. C'est par cet "équilibre" entre les différents pays sur le plan militaire, qu'ils peuvent renforcer leur contrôle sous couvert du rôle de 1' "arbitre".
A l'heure où l'économie s'effondre, les USA savent que, pour garder leur contrôle de l'économie mondiale, ils devront utiliser leur force militaire. Si c'est surtout de l'arme économique que les USA ont joué dans les décennies précédentes depuis la fin de la guerre du Vietnam, face au rival impérialiste russe, avec l'effondrement économique actuel, c'est de plus en plus de leur suprématie militaire qu'ils doivent user pour garder leur "leadership" du système capitaliste.
Une seule solution : la lutte de classe
La guerre USA-URSS n'aura pas lieu, mais la "logique de guerre" engagée aujourd'hui montre que le déchaînement de l'impérialisme ne cesse pas pour autant. Il menace dès aujourd'hui de mettre à feu et à sang le Moyen-Orient. Et ce n'est que le début d'une série de conflits armés et d'opérations militaires, de guerres "ethniques" ou "nationales" meurtrières.
Dans les pays les plus développés, la classe ouvrière ne se trouve pas confrontée à une mobilisation générale, comme ce fut le cas lors des Ire et 2e guerre mondiale. Elle n'est pas embrigadée militairement comme c'est le cas pour le prolétariat d'Irak et des pays en guerre aujourd'hui. Mais pour autant, la guerre au Moyen-Orient, le déséquilibre total de toute cette région, les énormes destruction que va entraîner la spirale guerrière, le bain de sang ourdi par le capitalisme mondial pour le maintien (fun résidu d' "ordre" international, ne sont pas "lointains", étrangers à la classe ouvrière des métropoles industrialisées. Ce n'est pas encore ce prolétariat qui paie de son sang dans des tranchées ou sous des bombardements, mais ce prolétariat est déjà au premier rang pour payer la facture du "maintien de l'ordre" capitaliste, avec 1’attaque redoublée de ses conditions d'existence. Une exploitation renforcée, l'inflation et le chômage, les baisses des salaires, des retraites et de toutes les allocations, la "flexibilité" des heures de travail, la dégradation continue de la santé, des transports, du logement, de l'éducation, de la sécurité, sont des attaques économiques sans précédent depuis la 2e guerre mondiale.
La mobilisation générale sous les drapeaux pour combattre dans l'armée nationale n'est pas à l'ordre du jour dans les pays développés, parce que le prolétariat n'a pas subi de défaite massive et décisive dans ses luttes économiques contre l'austérité, dans les tentatives d'extension et de prise en mains de celles-ci tout au long des années 1980. Mais le lourd tribut déjà payé aujourd'hui du sang des prolétaires enrôlés directement dans des massacres impérialistes, annonce celui qui menace le prolétariat des grandes concentrations industrielles.
La classe ouvrière a pu repousser au cours des vingt dernières années la destruction totale de la planète par l'holocauste inter-impérialiste, en particulier lors des périodes de luttes ouvrières importantes, internationalement, dans les années 1968-75, 1978-81, puis 1983-89. Aujourd'hui, le capitalisme pourrit sur pied, se décompose, et la menace de destruction totale est plus que jamais présente. Dans le fait qu'il n'existe plus l’"équilibre de la terreur", il n'y a certainement plus l’"équilibre" que constituait la présence de deux super-puissances, mais la "terreur" subsiste et va s'accentuer encore, à tous les niveaux.
L'alternative socialisme ou barbarie est plus que jamais à l'ordre du jour. Le capitalisme ne mourra pas de lui-même. Il n'a pas pu entraîner l'humanité à sa fin dans la terreur nucléaire instantanée, mais, par sa dynamique propre, sa survie ne peut mener qu à une horreur sans fond pour l'humanité, qui ne pourra aboutir qu'au même résultat.
Ce cours catastrophique, vers lequel conduit la persistance des rapports de production capitaliste dans le monde, ne peut être enrayé que par le développement de la lutte de classe du prolétariat, une lutte consciente de sa propre force comme classe sociale, antagoniste à tous les intérêts particuliers des autres classes et couches de la société et qui, en défendant ses propres intérêts, est la seule force capable de prendre en charge la destruction du pouvoir politique du capitalisme à l'échelle mondiale, garant de l’"ordre" de ce monde à l'agonie.
Seules les luttes du prolétariat, les luttes ouvrières, internationalement, et en premier lieu dans les grands pays industrialisés, peuvent enrayer le bras armé du capitalisme mondial. La dynamique propre du système capitaliste ne peut mener qu'à la barbarie guerrière. Il ne peut y avoir de "paix dans le capitalisme, aujourd'hui moins encore qu'au cours des vingt dernières années.
JM, 18 novembre 1990.
L'effondrement économique des pays d'Europe de l'Est, qui a déterminé, il y a un an, la disparition de fait du bloc impérialiste dominé par l'URSS, a été l'occasion pour les "démocraties" industrialisées d'impulser une campagne idéologique intense, sur le thème de la supériorité du capitalisme. Cette campagne qui est venue faire l'apologie du capitalisme face au "communisme" de l'Est reposait sur un double mensonge :
- celui de la nature "communiste" du système de production des pays de l'ex-bloc russe, qui n'était en fait que du bon vieux capitalisme, marqué par le poids du sous-développement, d'une bureaucratie absurde et omniprésente, et par les spécificités historiques du stalinisme, issu de l'écrasement de la révolution russe, notamment la mainmise de l'Etat sur l'ensemble des moyens de production ;
- celui de la santé économique de l'Occident qui, malgré les rodomontades d'un Reagan sur la prospérité retrouvée de l'économie capitaliste, n'a cessé tout au long des années 1980 de s'enfoncer dans une récession larvée.
Les fameux remèdes miracles du "libéralisme", n'ont finalement consisté qu'en une remise à jour et une utilisation plus massive que jamais des vieilles recettes du capitalisme d'Etat : fuite en avant dans le crédit, développement de l'économie de guerre, manipulation des marchés et tricheries grandissantes avec la loi de la valeur. Tout cela n'a pas empêché l'économie des pays industrialisés de sombrer, peu à peu, dans le marasme, même si la chute a été freinée. Le bilan soi-disant positif n'a pu être tiré que par contraste avec la catastrophe qui se développait à la périphérie, et grâce à une manipulation éhontée des indices économiques.
Fin 1989, la bourgeoisie occidentale sombrait dans une douce euphorie : aveuglée par ses propres statistiques trompeuses, la classe dominante rêvait à l'inflation contenue, à la croissance du chômage arrêtée, à la croissance économique solide avec la perspective de l'ouverture de nouveaux débouchés en Europe de l'Est. Rien ne semblait entamer ce bel enthousiasme, ni la misère insondable dans laquelle sombrait irrémédiablement et toujours plus profondément la majorité de la population mondiale habitant la partie sous-développée de la planète, ni l'avertissement renouvelé que constituait, après l'effondrement économique du tiers-monde au début des années 1980, celui des pays de l'Est à la fin de la décennie. Les cris d'alarme des économistes encore lucides étaient ignorés.
Un an plus tard, le climat a bien changé, l'euphorie s'est transformée en une panique grandissante qu'est venu illustrer l'affolement des spéculateurs face à la chute dramatique du cours des actions et l'effondrement des places boursières du monde entier durant l'été 1990.
Les mirifiques marchés de l'Est se sont envolés devant l'évidence de leur manque de solvabilité, et surtout, la principale économie du monde, celle des USA, est en train de plonger de manière accélérée dans les gouffres de la récession entraînant l'ensemble de l'économie mondiale, et notamment ses pôles les plus développés d'Asie et d'Europe, à sa suite.
La prospérité des années 80 : le mensonge d'une campagne idéologique de la bourgeoisie
La nécessité pour la classe bourgeoise, afin d'assurer sa domination sur les autres classes de la société, et avant tout sur la classe ouvrière, d'affirmer la force, la santé de son système économique, de rendre crédible ses perspectives de développement futur, est un impératif idéologique fondamental. Cette vérité s est exprimée avec de plus en plus de force tout au long des années 1980. Ce n'est évidemment pas par hasard si l'économie est devenue un thème de plus en plus central et constant des campagnes d intoxication idéologiques au fur et à mesure que la situation de l'économie mondiale se détériorait. Masquer la réalité de la dégradation économique a été un des thèmes dominants de la présidence Reagan.
Le recours massif au crédit a permis de créer des débouchés artificiels pour maintenir la production. La discipline imposée par les USA, au groupe des sept plus grands pays industrialisés, a permis de faire accepter une baisse du dollar pour soutenir la compétitivité de l'économie américaine. Mais toutes ces mesures n'ont pas été suffisantes pour sortir l'économie du marasme et, tout au plus, celles-ci ont surnagé dans la catastrophe générale.
Pour faire croire que cette récession larvée était en fait la preuve de la prospérité retrouvée, pour jouer cette comédie, il fallait bien un acteur hollywoodien ! Mais la bourgeoisie mondiale ne s'est pas contentée des rodomontades gratuites du matamore Reagan proclamant avoir vaincu la crise, terrassé l'inflation, bridé le chômage et créé les conditions d'une croissance que rien ne pourrait entraver. Pour donner du sérieux à ses affirmations, elle a avancé une montagne de chiffres, d'indices, de statistiques, tous plus "sérieux" et "officiels" les uns que les autres, et pour les besoins de la cause, dans un zèle à la mesure de ses propres illusions, elle a affiné ses méthodes statistiques, modifié ses modes de calcul, réformé sa comptabilité. Bref elle s'est livrée à une gigantesque manipulation pour gommer cette réalité qu'il lui faut à tout prix cacher, celle de l'enfoncement de plus en plus profond du capitalisme dans la crise. Les données économiques de la bourgeoisie, même si elles reflètent dans une certaine mesure la réalité, car cela est nécessaire à la gestion de son système, n'en constituent pas moins une gigantesque tricherie. La croissance est gonflée par les chiffres, tandis que, par exemple, les indices d'inflation ou le nombre de chômeurs sont profondément minimisés. C'est ainsi que le mythe de la prospérité des années 1980 a été entretenu.
Ces campagnes de mystification ont eu un effet sur le prolétariat et ont entravé sa capacité de lutter. Même si, fondamentalement, les années 1980 ont été marquées par une reprise de la lutte du prolétariat face à la dégradation évidente de ses conditions de vie, cette lutte de classe a été freinée, notamment dans les centres principaux du capitalisme développé. Le réel développement de la pauvreté pouvait, relativement à la misère indescriptible qui grandissait dans les pays du "tiers-monde", y paraître comme un moindre mal, et, dans une certaine mesure, rendre plus crédible l'idée qu'en acceptant de se serrer la ceinture, peut-être que demain, cela pourrait aller mieux, ou que le pire pourrait pour le moins être évité. La faillite économique du bloc de l'Est, l'identification de celle-ci avec la faillite du communisme, l'apparente victoire du capitalisme à la sauce démocratico-libérale, dans la continuité des campagnes médiatiques intenses sur la santé prétendument retrouvée de l'économie bourgeoise, a été un facteur de déboussolement profond du prolétariat mondial, qui s'est traduit par un recul provisoire de sa capacité de confronter la classe adverse.
Comme une caricature de cette situation, le prolétariat des pays d'Europe de l'Est qui, pendant des décennies, a été confronté au mensonge stalinien, à l'incurie bureaucratique la plus crasse, au pouvoir féroce des petits chefs du Parti, à la pénurie et au rationnement, tout cela au nom du "communisme", a cru qu'enfin son rêve d'abondance et de prospérité, identifié avec le capitalisme à l'occidentale, allait se réaliser, avec la fin de la tutelle russe, et la mise en place de mesures d'économie libérale, qui étaient soi-disant la condition du succès. Que d’illusions qui, seulement un an après l'ouverture du mur de Berlin, sont en train de s effondrer comme le niveau de vie dans les pays de l'Est.
La fin des illusions: la plongée dans la récession
Quelques mois après que les médias du monde entier aient claironné sur tous les tons, dans un vacarme assourdissant, la victoire du capitalisme, la promesse d'une nouvelle ère de prospérité et de paix, patatrac, le rêve trompeur est brutalement brisé durant l'été 1990. L'invasion du Koweït par les troupes irakiennes, la flambée des cours de l'or noir qui en a résulté, ont été le facteur déclenchant le plus grand effondrement boursier depuis 1929. Cette situation va être mise à profit par la classe dominante pour tenter de faire croire que Saddam Hussein est le principal responsable de la crise économique mondiale ! Mais avec les semaines, le tableau va se préciser : en fait, depuis des mois, l'économie américaine a accéléré sa plongée dans la récession, et ce titan, qui représente 20 % de la production mondiale, entraîne l'économie planétaire dans son saut dans le vide, bien avant les événements du golfe.
Graphique 1 : Indicateur avancé de la production industrielle - États-Unis
Avec le ralentissement de l'économie américaine, ce sont les exportations de tous les pays de la planète vers le principal marché du monde qui chutent, et par réaction en chaîne, chacun essayant de rééquilibrer sa balance commerciale, ce sont toutes les exportations qui chutent, et partout la production diminue. Le Japon et l'Allemagne ont vu leurs exportations baisser de 22,8 % et de 8 % au premier semestre 1990. En septembre, la France a vu son déficit commercial battre un record avec -10 milliards de francs, et significativement les 4/5 sont dus à la baisse des exportations, alors qu'1/5 "seulement" est dû au surenchérissement de la facture pétrolière. Partout, les signes de la récession se précisent. La RFA, premier exportateur mondial, vient de revoir à la baisse ses prévisions de croissance, l'estimant pour l'année qui vient à un petit 1,5% (à comparer au 4,2% de 1989). Au Canada, proche voisin des USA dont il est dépendant économiquement, depuis un an les chiffres officiels indiquent la récession, -1 % pour 1990. A l'autre bout du continent, le Brésil annonce une baisse de 5 % de sa production, chiffre probablement profondément sous-estimé. Qui se souvient encore qu'à la fin des années 1970 ce pays était considéré comme le modèle d'une économie en voie de développement ? Les petits dragons d'Asie, le nouveau mythe, sont en train de prendre le même chemin. Taiwan et la Corée du Sud divisent par deux leurs espoirs de croissance.
En Europe de l'Est, l'Eldorado annoncé se révèle être un champ de ruines. Dotés d'un appareil productif complètement obsolète, les pays de 1’ex-bloc de l'Est sont incapables, après avoir perdu leurs marchés privilégiés du COMECON en voie de disparition, de faire face à l'ouverture vers le marché mondial. La production s'effondre. Dans l'ex-RDA, qui était pourtant le pays le plus compétitif d'Europe de l'Est, a réunification met en évidence que 4/5 des usines devront être soit fermées, soit reconstruites, car elle sont absolument inadéquates aux critères de compétitivité occidentaux, c'est-à-dire, ceux du marché mondial. Résultat, la production s'effondre brutalement : -10 % au premier semestre. Et dans les autres pays: Bulgarie, -10%; Hongrie, -10%; Pologne, -28 % ; Roumanie, -18 % ; Tchécoslovaquie, -3 %.
L’édifice capitaliste se lézarde : faillites et chômage
C'est à un véritable effondrement de la production mondiale auquel nous assistons. En conséquence, tout l'édifice capitaliste, qui repose sur les fondations de son appareil productif, se lézarde : les bénéfices des entreprises tondent comme neige au soleil et cèdent la place à des pertes de plus en plus colossales ; les faillites se multiplient ; la spéculation s'effondre et les marchés boursiers, immobiliers, financiers, etc., sont gagnés par la panique. Après la crise boursière s'annoncent les crises financières et monétaires. Les bourses ont perdu la moitié de leur valeur, et sont aujourd'hui dans le coma, maintenues artificiellement en survie par les artifices étatiques. Aux USA, l'immobilier a plongé de 30%, en GB, l'immobilier de bureau en fait autant, tandis qu'en France et au Japon, la spéculation immobilière est en train de s'arrêter, annonçant la future baisse des prix.
L'évidence de la plongée des pôles les plus développés de l'économie mondiale dans la crise ne peut plus être masquée par les manipulations statistiques. Ainsi, alors que, face à l'inquiétude grandissante, Washington annonce le chiffre prévisionnel de croissance de 1,8 % pour le quatrième trimestre 1990, personne n'y croit, et, selon un sondage, 77 % des américains sont persuadés aujourd'hui de la réalité de la récession, lus que tous les indices obscurs balancés par les médias, plus que les chiffres colossaux qui perdent tout sens commun, plus que les gesticulations surréalistes dans les bourses du monde entier, c'est dans la réalité de la dégradation de ses conditions de vie que le prolétariat constate durement la faillite du capitalisme. Avec la baisse d'activité, les programmes dits d'"assainissement", de "restructuration", de "rigueur", appliqués par les gestionnaires capitalistes, signifient : licenciements, chômage, salaires réels en baisse, pouvoir d'achat rongé par l'inflation, augmentation des impôts, bref une misère grandissante. Ces derniers mois, les attaques de la classe dominante contre les conditions de vie de la classe ouvrière se sont intensifiées, et le pire est encore à venir, tout le monde le sait.
Pas un jour ne passe sans que l'annonce d'une mauvaise nouvelle ne vienne assombrir toujours plus le tableau calamiteux de l'économie mondiale. Ces dernières semaines, la liste des ténors de la production mondiale en difficulté s'est démesurément allongée, dans tous les secteurs et dans tous les pays. Ainsi dans l'automobile, secteur clé de l'économie mondiale, General Motors est confronté à une perte record de 2 milliards de dollars au troisième trimestre, et 20 000 employés seront affectés par les fermetures d'usines prévues ; Ford annonce pour cette même période une chute de 78 % de ses bénéfices ; Chrysler, pour ce troisième trimestre catastrophique perd 214 millions de dollars. Les firmes européennes ne sont pas mieux loties. Avec un marché européen qui s'est contracté de 3 % en 1990, Renault est confronté à une baisse de 60 % de ses bénéfices, Peugeot a réduit ses effectifs de 5 %, et pour faire face à la baisse des commandes, Fiat met 70 000 ouvriers au chômage technique. Dans l'industrie connexe du pneumatique, le numéro un mondial, Michelin, doit faire face à une perte de 2,3 milliards de francs et annonce plusieurs milliers de licenciements ; son second, Goodyear, évalue ses pertes à 61,4 millions de dollars, et prévoit 3 000 licenciements. Dans les transports aériens, pourtant en plein boom ces dernières années, pour l'ensemble de la profession les pertes à assumer cette année sont évaluées à 3 milliards de dollars. Air France affiche, pour le premier trimestre 1990, une perte de 263 millions de francs ; Lufthansa, 500 millions de francs ; et, au même moment, KLM voit ses bénéfices fondre de 78 % et annonce dans la foulée 500 suppressions d'emplois. Air Canada licencie 2 900 employés, tandis qu'US Air et Pan Am réduisent leurs effectifs respectivement de 7 et 9 %. Les secteurs de pointe ne sont pas épargnés : dans l'électronique, Philips annonce 45 000 licenciements, et Thomson annonce des résultats nets en baisse de 80 % sur les six premiers mois de l'année 1990. Dans l'industrie informatique, Unisys souffre de 356 millions de dollars de pertes au troisième trimestre 1990, et, après avoir déjà réduit ses effectifs de 20 000 employés, décide 5 000 nouveaux licenciements. En Europe, Bull doit supporter 2 milliards de francs de pertes pour le premier trimestre. En aval, dans l'industrie des composants, Texas Instruments doit faire face à 7 millions de dollars de perte, et National Semi Conductor a réduit de 6 % ses effectifs.
Cette liste, pourtant déjà longue, est tout sauf exhaustive. Elle pourrait se poursuivre sur des pages et des pages.
Les faillites se multiplient. En conséquence, le chômage connaît une nouvelle flambée. Les taux du début des années 1980 ne sont pas encore officiellement atteints, mais cela ne saurait tarder au rythme actuel des suppressions d'emplois. Depuis le début de l'année 1990, 600 000 emplois ont été perdus par l'industrie américaine, 100 000 pour le seul mois d'octobre. Depuis 3 mois consécutifs, le chômage progresse, ce qui ne s'était pas vu depuis 1982. De juillet à septembre, il est passé de 5,4 a 5,7 % selon l'indice officiel, tel qu'il est comptabilisé par les statistiques truquées. Pour l'ensemble de la CEE, le chômage, qui est resté à un niveau élevé depuis le début de la décennie 1980, recommence, après un an de baisse, à augmenter, +0,1 %, pour atteindre 8,4 % de la population active. Tout indique que le chômage va battre de nouveaux records au coeur du monde industrialisé.
En Europe de l'Est, les prolétaires qui n'avaient jamais réellement été confrontés au chômage, découvrent brutalement les "délices" du capitalisme de marché. Ainsi, pour la fin de l'année, sont attendus : 100 000 licenciements en Hongrie et Tchécoslovaquie ; 1 500 000 chômeurs en Pologne, 2 000 000 en RDA et 3 000 000 en URSS.
Parallèlement au développement du chômage, avec la même logique d'austérité les entreprises s’attaquent aux salaires. Le pouvoir d'achat diminue et le marché se rétrécit d'autant, accélérant la spirale descendante de la récession, les ventes de biens de consommation baissent, la production diminue, et en conséquence, les entreprises réduisent leurs achats en biens de production, accélérant encore plus la récession.
Avec la baisse de l'activité, les rentrées en impôts de l'Etat se réduisent, les déficits budgétaires se creusent, et les gouvernements, avec la logique des gestionnaires capitalistes qu'ils sont, dégraissent à leur tour leurs effectifs, pour équilibrer leur comptes, attaquent les salaires des fonctionnaires, lèvent de nouveaux impôts, taillent dans les programmes sociaux : santé, éducation, allocations chômage, etc. L'activité économique se contracte encore plus et les conditions de vie de la classe ouvrière plongent dans la misère.
Des dettes qui ne seront jamais remboursées : vers la crise financière
Cette dynamique de la récession, à laquelle se confronte le capital, incapable de trouver de nouveaux débouchés solvables à la mesure de ses capacités productives, est à l'oeuvre depuis la fin des années 1960. Mais cette tendance, inhérente aux contradictions de l'économie capitaliste, a pu être en partie contrecarrée par la création de marchés artificiels résultant d'un recours massif à la planche à billet et au crédit. Durant vingt ans, les capitalistes ont vendu leur trop-plein de marchandises a crédit, mais cette politique rencontre maintenant ses limites, et les échéances arrivent à terme.
La fuite en avant dans le crédit, durant les années 1980, traduit, de manière caricaturale, l'absurdité du fonctionnement du capitalisme en crise. Afin d'écouler leurs marchandises, les grands pays industrialisés ont prêté massivement de l'argent. Aujourd'hui, il apparaît clairement que toutes ces dettes ne seront jamais remboursées. C’est-à-dire que pour entretenir l'illusion d'une activité économique prospère, les pays centraux payent de fait, ce qu’ils vendent, avec des crédits qui ne seront jamais remboursés, donc de la monnaie de singe !
Le développement du crédit ne traduit donc pas la prospérité, mais au contraire les contradictions insolubles et explosives dans lesquelles s’enfonce l'économie mondiale.
Cette politique d'endettement n'a pas permis d'empêcher 1’affaissement croissant de l'économie mondiale. Seuls ses pôles les plus développés, les pays les plus industrialisés, ont été préservés de l'effondrement économique dramatique qui a submergé la majeure partie de la planète. Pour autant, eux aussi ont subi les effets de la crise, et le marasme, dans lequel ils s'enfoncent, n'a pu passer pour un semblant de prospérité que par rapport à la catastrophe qui s'étendait à la périphérie sous-développée.
Avec les années 1980, les Etats-Unis sont devenus le pays le plus endetté du monde : la dette interne se monte à 10 000 milliards de dollars, et la dette externe à plus de 700 milliards, pulvérisant tous les records. En 1989, la dette extérieure a crû de 25 %, et pourtant cette manne n'a pas suffi à alimenter les carnets de commande de l'industrie et empêcher l'appareil productif de s'enfoncer dans la récession. La fuite en avant dans le crédit est non seulement de plus en plus difficile par rapport aux disponibilités du marché mondial, mais aussi, étant donné le niveau actuel d'endettement, elle ne peut se faire sans provoquer, à terme, une crise financière et monétaire majeure.
La recette appliquée sous la présidence Reagan a perdu son "efficacité", et la récession entamée en 1981, dont le plus gros des effets négatifs a été répercuté, dans un premier temps, sur les pays de la périphérie, revient en force ébranler l'édifice économique et social des grandes puissances développées.
La montagne de dette est une montagne d'impayés. Avec la baisse de l'activité, les entreprises à la trésorerie déficiente ne peuvent plus faire face aux traites ; les particuliers, le niveau de vie rongé par l'austérité, ont de plus en plus de mal à rembourser les crédits, et les banques voient grimper le solde des créances douteuses dans les grandes métropoles capitalistes. Après les déboires dans le "tiers-monde", c'est à des défauts de paiement au coeur de leur système que les banques sont confrontées. De plus, à ce bilan inquiétant, viennent s'ajouter les pertes dues à l'effondrement de la spéculation. Résultat : les banques elles aussi voient leurs comptes entrer dans le rouge et les faillites se multiplier.
Aux USA, les plus grandes banques sont dans la tourmente : Citycorp annonce, pour le troisième trimestre 1990, des pertes de 38,3 millions de dollars, et prévoit 2 000 licenciements ; Chase Manhattan, pour a même période, se paie le luxe d'un déficit de 623 millions de dollars, et, du coup, dégraisse ses effectifs de 5 000 personnes. Dans le secteur boursier, où les faillites se sont multipliées, Drexel Burnham par exemple, les survivants sont mal en point, et la firme de courtage Merryll Lynch envisage une réduction de 10 % de ses effectifs, soit environ 4 000 personnes. Les faillites en cascade des caisses d'épargne ("Saving and loans") laisse une ardoise officiellement estimée à 500 milliards de dollars à l'Etat fédéral qui garantit les dépôts à concurrence de 100 000 dollars. Le General Accounting Office, un organisme officiel, prévoit que 35 des 400 premières banques américaines devront être assistées ou mises en faillite.
En Europe ou au Japon, la situation n'est guère meilleure : en France par exemple, les bénéfices semestriels des banques ont baisse de 15 à 20 %, au Japon, Nomura, la plus grande maison de titres mondiale, a annoncé une baisse de 48,5 % de ses bénéfices. La crise boursière de l'été est en train de laisser la place à une crise financière majeure.
La chute de la production n'en finit pas d'ébranler tout l'édifice capitaliste. Les rentrées en impôts dans les caisses de l'Etat se réduisent avec l'activité économique, les déficits se creusent. Malgré toutes les promesses de la loi Graham-Rudman, qui prévoyait de ramener le déficit budgétaire à 60 milliards de dollars en 1990, ce déficit rejoint cette année le record historique de 1986, culminant à 220 milliards de dollars. Comment financer de tels déficits ? Le problème se pose de plus en plus. Les deux principaux bailleurs de fond des USA durant les années 1980, ont d'autres chats à fouetter :
- le géant allemand se retrouve avec un véritable boulet aux pieds pour financer la reconstruction de l'ex-RDA, la réunification. Le déficit de l'Etat germanique a brusquement gonflé de 50 %, 150 milliards de deutschemarks prévu pour 1991. De second prêteur sur le marché mondial, l'Allemagne est en train de devenir un du principal emprunteur ;
- haut lieu de la spéculation mondiale dans les années 1980, principal bailleur de fonds du monde, le Japon est, comme un lutteur de sumo fatigué, menacé d'apoplexie. Pour faire face aux conséquences de l'effondrement de la spéculation qui fait plonger son économie dans la crise financière, il doit rapatrier en masse ses capitaux et assèche d'autant le marché international.
Dans ces conditions, les dirigeants US n'ont d'autre choix que de lever de nouveaux impôts, et pratiquer des coupes sombres dans les dépenses de 1’Etat. La comédie médiatique aux USA autour des palabres entre le gouvernement et le Congrès n'avait pas d'autre but que de faire passer la pilule amère. Cependant, une telle politique de rigueur budgétaire ne peut qu'accélérer la plongée dans la récession et ses conséquences néfastes.
On comprend que dans ces conditions un certain sentiment de panique se développe au sein de la classe dominante : les remèdes traditionnels ont perdu de leur efficacité, et la plongée accélérée de l'économie mondiale dans la récession ouvre une porte vers l'inconnu. Ces dernières années, les économistes optimistes envisageaient pour l'économie américaine un atterrissage en douceur ("soft landing"), le terme à la mode aujourd'hui est celui de "crash landing", pas besoin de traduction.
La fuite en avant dans l'inflation : vers la crise monétaire
Cependant, l'économie américaine est la première du monde, et les Etats-Unis sont de loin la première puissance impérialiste. Nul doute que les dirigeants américains ne vont pas rester les bras croisés, ils vont tenter d'utiliser toutes les cartes dont ils disposent pour essayer de maintenir leur économie la tête hors de l'eau. La mobilisation dans le Golfe arabo-persique montre bien comment les USA peuvent jouer de leur puissance militaire, pour imposer aux pays plus faibles un soutien économique à leur économie défaillante. De même, les négociations du GATT illustrent parfaitement comment les USA jouent de leur puissance, pour affirmer leur autorité et imposer un partage en leur faveur des marchés.
Une arme essentielle de la puissance économique américaine reste le dollar, monnaie mondiale par régulière du dollar ces dernières années a été organisée, afin de permettre à la production américaine de retrouver, par cette mesure artificielle, sa compétitivité. Cependant, son efficacité a été toute relative. Même si les déficits commerciaux se sont réduits, ils n'en atteignent pas moins une somme toujours gigantesque
Graphique 2 : États-Unis, balance commerciale et taux de change du dollar
La récente baisse des taux de la Banque Fédérale sur le dollar indique que, loin des belles phrases sur la rigueur, les dirigeants de Washington préfèrent la fuite en avant dans la dévaluation de fait, pour freiner la débandade de leur économie. Devenu premier emprunteur en dollars, les USA ont tout intérêt à laisser se dévaluer leur monnaie, afin de baisser la valeur de leur dette. En conséquence, le dollar atteint maintenant son seuil historique le plus bas, par rapport aux principales autres monnaies concurrentes. La compétitivité des produits américains se retrouve artificiellement dopée par rapport à celle des autres pays.
Cependant, une telle politique, si elle peut freiner la récession aux USA, ce que rien ne garantit, comme le montre le fait que Wall Street ait salué par un recul la dernière baisse du taux d'escompte, ne peut que renforcer encore plus la concurrence internationale, sur des marchés sursaturés, et elle aura surtout pour conséquence de reporter plus fortement les effets de la récession sur les concurrents européens et japonais. La concurrence internationale se trouye aiguisée comme jamais, et, à un moment où l'effondrement du bloc de l'Est signifie aussi le relâchement corollaire de la discipline interne dans ce qui fut le "bloc occidental", le "chacun pour soi" est en train de se conjuguer avec le "sauve-qui-peut".
Mais surtout, la principale conséquence négative d'une telle politique est d'abord une relance de l'inflation. Partout, celle-ci est à la hausse, dynamisée par la flambée des cours du pétrole. Sur les douze derniers mois, elle a crû de 6 % aux USA, 10,4 % en Grande-Bretagne, 6,1 % pour l'ensemble de la CEE. Les niveaux des années 1970 ne sont pas loin. A la périphérie, elle continue ses ravages : 1 800 % au Brésil en 1989, par exemple. Les pays de l'Est, après avoir dissimulé les chiffres de leur inflation durant des années, annoncent pour 1990 des prévisions catastrophiques : Bulgarie 70%, Hongrie 40%, Pologne 50%, Tchécoslovaquie 20%. En URSS, elle a été de 34% sur le marché « libre », durant le seul mois de septembre 1990.
La politique de dévaluation actuelle du dollar ne peut que conduire à une nouvelle explosion de l'inflation, et, à terme, soumettre le marche monétaire à de telles tensions, que, là aussi, une crise majeure menace, centrée autour du roi-dollar, qui se retrouve de plus en plus nu, dont la valeur réelle est de plus en plus hypothétique, alors que des milliers de milliards de dollars de crédits ne pourront jamais être remboursés.
L'euphorie de la fin de l'année 1989 est bien terminée. L'inquiétude de l'année 1990 est confirmée. La faillite mondiale de l'économie est de plus en plus évidente. Les faillites se multiplient, les files de chômeurs s'allongent démesurément, le niveau de vie est rongé par les attaques contre les salaires, l'inflation croissante et l'augmentation des impôts. La vérité de l'impasse totale où le capitalisme mène l'ensemble de l'humanité s'impose de plus en plus clairement à l'ensemble du prolétariat mondial. La base de la domination idéologique de la bourgeoisie se trouve sapée. La crise est le principal allié du prolétariat sur le chemin difficile de sa prise de conscience.
JJ, 17 novembre 1990
«Dans chaque crise, la société étouffe sous le faix de ses propres forces productives et de ses propres produits inutilisables pour elle, et elle se heurte impuissante à cette contradiction absurde : les producteurs n'ont rien à consommer, parce qu'on manque de consommateurs. La force d'expansion des moyens de production fait sauter les chaînes dont le mode de production capitaliste l'avait chargée. Sa libération de ces Chaînes est la seule condition requise pour un développement des forces productives ininterrompu, progressant à un rythme toujours plus rapide, et par suite, pour un accroissement pratiquement sans bornes de la production elle-même. L'appropriation sociale des moyens de production élimine non seulement l'inhibition artificielle de la production qui existe maintenant, mais aussi le gaspillage et la destruction effectifs des forces productives et des produits, qui sont actuellement les corollaires inéluctables de la production et atteignent leur paroxysme dans les crises.»
Engels, Anti-Dûhring, III, II.
1) Contrairement au courant bordiguiste, le CCI n'a jamais considéré le marxisme comme une "doctrine invariante", mais bien comme une pensée vivante pour laquelle chaque événement historique important est l'occasion d'un enrichissement. En effet, de tels événements permettent, soit de confirmer le cadre et les analyses développés antérieurement, venant ainsi les conforter, soit de mettre en évidence la caducité de certains d'entre eux, imposant un effort de réflexion afin d'élargir le champ d'application des schémas valables auparavant mais désormais dépassés, ou bien, carrément, d'en élaborer de nouveaux, aptes à rendre compte de la nouvelle réalité. Il revient aux organisations et aux militants révolutionnaires la responsabilité spécifique et fondamentale d'accomplir cet effort de réflexion en ayant bien soin, à l'image de nos aînés comme Lénine, Rosa Luxemburg, la Fraction Italienne de la Gauche Communiste Internationale (Bilan), la Gauche Communiste de France, etc., d'avancer à la fois avec prudence et audace :
En particulier, face à de tels événements historiques, il importe que les révolutionnaires soient capables de bien distinguer les analyses qui sont devenues caduques de celles qui restent valables, afin d'éviter un double écueil : soit s'enfermer dans la sclérose, soit "jeter le bébé avec l'eau du bain". Plus précisément, il est nécessaire de bien mettre en évidence ce qui, dans ces analyses, est essentiel, fondamental, et conserve toute sa validité dans les circonstances historiques différentes, par rapport à ce qui est secondaire et circonstanciel ; en bref : de savoir faire la différence entre l'essence d'une réalité et ses différentes manifestations particulières.
2) Depuis un an, la situation mondiale a connu des bouleversements considérables qui ont modifiés de façon très sensible la physionomie du monde telle qu’il était sorti de la seconde guerre impérialiste. Le CCI s’est appliqué à suivre de très prés ces bouleversements :
C'est ainsi que ces événements historiques (agonie du stalinisme, disparition du bloc de l'Est, désagrégation du bloc de l'Ouest), s'ils n'avaient pu être prévus dans leur spécificité, s'intégraient parfaitement dans le cadre d'analyse et de compréhension de la période historique présente élaboré antérieurement par le CCI : la phase de décomposition.
Il en est ainsi, également, de la présente guerre du golfe Persique. Mais l'importance même de cet événement, comme la confusion qu'il met en évidence parmi les révolutionnaires, donnent à notre organisation la responsabilité de comprendre clairement l'impact et la répercussion des caractéristiques de la phase de décomposition sur la question au militarisme et de la guerre, d'examiner comment se pose cette question dans cette nouvelle période historique.
3) Le militarisme et la guerre constituent une donnée fondamentale de la vie du capitalisme depuis l'entrée de ce système dans sa période de décadence. Dès lors que le marché mondial a été complètement constitué, au début de ce siècle, que le monde a été partagé en chasses gardées coloniales et commerciales pour les différentes nations capitalistes avancées, l'intensification et le déchaînement de la concurrence commerciale qui en découlaient entre ces nations n'ont pu déboucher que sur l'aggravation des tensions militaires, sur la constitution d'arsenaux de plus en plus imposants et sur la soumission croissante de l'ensemble de la vie économique et sociale aux impératifs de la sphère militaire. En fait, le militarisme et la guerre impérialiste constituent la manifestation centrale de l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence (et c'est bien le déclenchement de la première guerre mondiale qui signe le début de cette période), à tel point que, pour les révolutionnaires d'alors, l'impérialisme et le capitalisme décadent deviennent synonymes. L'impérialisme n'étant pas une manifestation particulière du capitalisme mais son mode de vie pour toute la nouvelle période historique, ce ne sont pas tels ou tels Etats qui sont impérialistes, mais tous les Etats, comme le relève Rosa Luxemburg. En réalité, si l'impérialisme, le militarisme et la guerre s'identifient à ce point à la période de décadence, c'est que cette dernière correspond bien au fait que les rapports de production capitalistes sont devenus une entrave au développement des forces productives : le caractère parfaitement irrationnel, sur le plan économique global, des dépenses militaires et de la guerre ne fait que traduire l'aberration que constitue le maintien de ces rapports de production. En particulier, l'autodestruction permanente et croissante du capital qui résulte de ce mode de vie constitue un symbole de l'agonie de ce système, révèle clairement qu'il est condamné par l'histoire.
4) Confronté à une situation où la guerre est omniprésente dans la vie de la société, le capitalisme, dans sa décadence, a développé deux phénomènes qui constituent des caractéristiques majeures de cette période : le capitalisme d'Etat et les blocs impérialistes. Le capitalisme d'Etat, dont la première manifestation significative date de la première guerre mondiale, répond à la nécessité pour chaque pays, en vue de la confrontation avec les autres nations, d'obtenir le maximum de discipline en son sein de la part des différents secteurs de la société, de réduire au maximum les affrontements entre classes mais aussi entre fractions rivales de la classe dominante, afin, notamment, de mobiliser et contrôler l'ensemble de son potentiel économique. De même, la constitution de blocs impérialistes correspond au besoin d'imposer une discipline similaire entre différentes bourgeoisies nationales afin de limiter leurs antagonismes réciproques et de les rassembler pour l'affrontement suprême entre les deux camps militaires. Et à mesure que le capitalisme s'est enfoncé dans sa décadence et sa crise historique, ces deux caractéristiques n'ont fait que se renforcer. En particulier, le capitalisme d'Etat à l'échelle de tout un bloc impérialiste, tel qu'il s'est développé au lendemain de la seconde guerre mondiale, ne faisait que traduire l'aggravation de ces deux phénomènes. Ce faisant, tant le capitalisme d'Etat que les blocs impérialistes, de même que la conjugaison des deux, ne traduisent une quelconque "pacification" des rapports entre différents secteurs du capital, encore moins un "renforcement" de celui-ci. Au contraire, ils ne sont que des moyens que secrète la société capitaliste pour tenter de résister à une tendance croissante à sa dislocation ([3] [10]).
5) La décomposition générale de la société constitue la phase ultime de la période de décadence du capitalisme. En ce sens, dans cette phase ne sont pas remises en cause les caractéristiques propres à la période de décadence : la crise historique de l'économie capitaliste, le capitalisme d'Etat et, également, les phénomènes fondamentaux que sont le militarisme et l'impérialisme. Plus encore, dans la mesure où la décomposition se présente comme la culmination des contradictions dans lesquelles se débat de façon croissante le capitalisme depuis le début de sa décadence, les caractéristiques propres à cette période se trouvent, dans sa phase ultime, encore exacerbées :
Il en est de même pour le militarisme et l'impérialisme, comme on a pu déjà le constater tout au long des années 1980, durant lesquelles le phénomène de décomposition est apparu et s'est développé. Et ce n'est pas la disparition du partage du monde en deux constellations impérialistes résultant de l'effondrement du bloc de l'Est qui pouvait remettre en cause une telle réalité. En effet, ce n'est pas la constitution de blocs impérialistes qui se trouve à l'origine du militarisme et de l'impérialisme. C'est tout le contraire qui est vrai : la constitution des blocs n'est que la conséquence extrême (qui, à un certain moment peut aggraver les causes elles-mêmes), une manifestation (qui n'est pas nécessairement la seule) de l'enfoncement du capitalisme décadent dans le militarisme et la guerre. D'une certaine façon, il en est de la formation des blocs vis-à-vis de l'impérialisme comme du stalinisme vis-à-vis du capitalisme d'Etat. De même que la fin du stalinisme ne remet pas en cause la tendance historique au capitalisme d'Etat, dont il constituait pourtant une manifestation, la disparition actuelle des blocs impérialistes ne saurait impliquer la moindre remise en cause de l'emprise de l'impérialisme sur la vie de la société. La différence fondamentale réside dans le fait que, si la fin du stalinisme correspond à l'élimination d'une forme particulièrement aberrante du capitalisme d'Etat, la fin des blocs ne fait qu'ouvrir la porte à une forme encore plus barbare, aberrante et chaotique de l'impérialisme.
6) Cette analyse, le CCI l'avait déjà élaborée dès la mise en évidence de l'effondrement du bloc de l'Est :
Cette analyse est aujourd'hui amplement confirmée par la guerre du golfe Persique.
7) Cette guerre constitue la première manifestation majeure de la situation dans laquelle se trouve le monde après l'effondrement du bloc de l'Est (en ce sens, elle revêt à présent une importance bien plus considérable) :
En ce sens, la guerre du Golfe n'est pas, comme l'affirme la plus grande partie du milieu politique prolétarien, une "guerre pour le prix du pétrole". Elle ne saurait se réduire non plus à une "guerre pour le contrôle du Moyen-Orient", aussi importante que puisse être cette région. De même, ce n est pas seulement le chaos qui se développe dans le "tiers-monde" que vise à prévenir l'opération militaire qui se déploie dans le Golfe. Tous ces éléments peuvent jouer un rôle, évidemment. C'est vrai que la majorité des pays occidentaux est intéressée à un pétrole à bas prix (contrairement à l'URSS qui, pourtant, participe pleinement -à la mesure de ses moyens réduits- à l'action contre l'Irak), ce n'est cependant pas avec les moyens oui ont été employés (et qui ont fait bondir le prix du brut bien au-delà des exigences de l'Irak) qu'on obtiendra une telle baisse des prix. C'est vrai aussi que le contrôle des champs pétroliers par les Etats-Unis présente pour ce pays un intérêt incontestable et renforce sa position vis-à-vis de ses rivaux commerciaux (Europe de l'Ouest, Japon) : mais alors, pourquoi ces mêmes rivaux les soutiennent-ils dans cette entreprise ? De même, il est clair que l'URSS est intéressée au premier chef par la stabilisation de la région du Moyen-Orient proche de ses provinces d'Asie centrale et du Caucase déjà particulièrement agitées. Mais le chaos qui se développe en URSS ne concerne pas que ce pays ; les pays d'Europe centrale, et partant d'Europe occidentale, sont particulièrement concernés par ce qui se passe dans la zone de l'ancien bloc de l'Est. Plus généralement, si les pays avancés se préoccupent du chaos qui se développe dans certaines régions du "tiers-monde", c'est qu'eux-mêmes se retrouvent fragilisés face à ce chaos, du fait de la nouvelle situation dans laquelle se trouve le monde aujourd'hui.
8) En réalité, c'est fondamentalement le chaos régnant déjà dans une bonne partie du monde et qui menace maintenant les grands pays développés et leurs rapports réciproques que tentent de contenir l'opération "Bouclier au désert" et ses annexes. En effet, avec la disparition du partage du monde en deux grands blocs impérialistes a disparu un des facteurs essentiels qui maintenaient une certaine cohésion entre ces Etats. La tendance propre à la nouvelle période est bien au "chacun pour soi" et, éventuellement, pour les Etats les plus puissants, à poser leur candidature au "leadership" d'un nouveau bloc. Mais en même temps, la bourgeoisie de ces pays, en mesurant les dangers que comporte une telle situation, essaie de réagir face à une telle tendance. Avec le nouveau degré dans le chaos général que traduisait l'aventure irakienne (favorisée en sous-main par l'attitude "conciliante" affichée par les Etats-Unis avant le 2 août à l'égard de l'Irak dans le but de "faire un exemple" par la suite), la "communauté internationale", comme l'appellent les médias, et qui est loin de recouvrir l'ancien bloc de l'Ouest puisque, aujourd'hui, l'URSS en fait partie, n'avait d'autre ressource que de se placer derrière l'autorité de la première puissance mondiale, et particulièrement de sa force militaire, la seule capable d'aller faire la police en n'importe quel point du monde.
Ce que montre donc la guerre du Golfe, c'est que, face à la tendance au chaos généralisé propre a la phase de décomposition, et à laquelle l'effondrement du bloc de l'Est a donné un coup d'accélérateur considérable, il n'y a pas d'autre issue pour le capitalisme, dans sa tentative de maintenir en place les différentes parties d'un corps qui tend à se disloquer, que l'imposition du corset de fer que constitue la force des armes ([5] [14]). En ce sens, les moyens mêmes qu'il utilise pour tenter de contenir un chaos de plus en plus sanglant sont un facteur d'aggravation considérable de la barbarie guerrière dans laquelle est plongé le capitalisme.
9) Alors que la formation des blocs se présente historiquement comme la conséquence du développement du militarisme et de l'impérialisme, l'exacerbation de ces deux derniers dans la phase actuelle de vie du capitalisme constitue, de façon paradoxale, une entrave majeure à la reformation d’un nouveau système de blocs prenant la suite de celui qui vient de disparaître. L'histoire (notamment celle du deuxième après-guerre) a mis en évidence le fait que la disparition d'un bloc impérialiste (par exemple l'"Axe") met à l'ordre du jour la dislocation de l'autre (les "Alliés") mais aussi la reconstitution d'un nouveau "couple" de blocs antagoniques (Est et Ouest). C'est pour cela que la situation présente porte effectivement avec elle, sous l'impulsion de la crise et de l'aiguisement des tensions militaires, une tendance vers la reformation de deux nouveaux blocs impérialistes. Cependant, le fait même que la force des armes soit devenue -comme le confirme la guerre du Golfe- un facteur prépondérant dans la tentative de la part des pays avancés pour limiter le chaos mondial, constitue une entrave considérable à cette tendance. En effet, cette même guerre est venue souligner la supériorité écrasante (pour ne pas dire plus) de la puissance militaire des Etats-Unis vis-à-vis de celle des autres pays développés (une telle démonstration constituait en fait un des objectifs majeurs de ce pays) : en réalité, cette puissance militaire, à elle seule, est aujourd'hui au moins équivalente à celle de tous les autres pays du globe réunis. Et un tel déséquilibre n'est pas près d'être compensé, il n'existe aucun pays en mesure, dans un avenir proche, d'opposer à celui des Etats-Unis un potentiel militaire lui permettant de prétendre au poste de chef d'un bloc pouvant rivaliser avec celui qui serait dirigé par cette puissance. Et pour une échéance plus éloignée, la liste des candidats à un tel poste est extrêmement limitée.
10) En effet, il est hors de question, par exemple, que la tête du bloc qui vient de s'effondrer, l'URSS, puisse un jour reconquérir une telle place. En réalité, le fait que ce pays ait joué un tel rôle dans le passé constitue, en soi, une sorte d'aberration, un accident de l'histoire. L'URSS, du fait de son arriération considérable sur tous les plans (économique, mais aussi politique et culturel), ne disposait pas des attributs lui permettant de constituer "naturellement" autour d'elle un bloc impérialiste ([6] [15]). Si elle a pu accéder à un tel rang, c'est par la "grâce" de Hitler, qui l'a fait entrer dans la guerre en 1941, et des "allies" qui, à Yalta, l'ont "récompensée" pour avoir constitué un second front face à l'Allemagne et lui ont remboursé le tribut de 20 millions de morts payé par sa population sous forme de la pleine disposition des pays d'Europe centrale que ses troupes avaient occupés lors de la débâcle allemande ([7] [16]). C'est d'ailleurs bien parce que l'URSS ne pouvait pas tenir ce rôle de tête de bloc qu'elle a été contrainte, pour conserver son empire, d'imposer à son appareil productif une économie de guerre qui a complètement ruiné celui-ci. L'effondrement spectaculaire du bloc de l'Est, outre qu'il sanctionnait la faillite d'une forme de capitalisme d'Etat particulièrement aberrante (du fait que, lui non plus, ne découlait pas d'un développement "organique" du capital, mais résultait de l'élimination par la révolution de 1917 de la bourgeoisie classique), ne pouvait que traduire la revanche de l'histoire vis-à-vis de cette aberration d'origine. C'est pour cette raison que jamais plus l'URSS ne pourra jouer, malgré ses arsenaux considérables, de rôle majeur sur la scène internationale. Et cela d'autant plus que la dynamique de dislocation de son empire extérieur ne peut que se poursuivre à l'intérieur, dépouillant en fin de compte la Russie des territoires qu'elle avait colonisés au cours des siècles passés. Pour avoir tenté de jouer un rôle de puissance mondiale qui était au-dessus de ses forces, la Russie est condamnée à retrouver la place de troisième ordre qui était la sienne avant Pierre le Grand.
Les deux seuls candidats potentiels au titre de tête de bloc, le Japon et l'Allemagne, ne sont pas en mesure non plus, a une échéance prévisible, d'assumer un tel rôle. Pour sa part, le Japon, malgré sa puissance industrielle et son dynamisme économique, ne pourra jamais prétendre à un tel rang du fait de sa localisation géographique excentrée par rapport à la région qui concentre la plus forte densité industrielle : l’Europe occidentale. Quant à l'Allemagne, le seul pays qui pourrait éventuellement un jour tenir un rôle qui a déjà été le sien par le passé, sa puissance militaire actuelle (elle ne dispose même pas de l'arme atomique, rien que cela !) ne lui permet pas d'envisager rivaliser avec les Etats-Unis sur ce terrain avant longtemps. Et cela d'autant plus qu'à mesure que le capitalisme s'enfonce dans sa décadence, il est toujours plus indispensable à une tête de bloc de disposer d'une supériorité militaire écrasante sur ses vassaux pour être en mesure de tenir son rang.
11) C'est ainsi qu'au début de la période de décadence, et jusqu'aux premières années de la seconde guerre mondiale, il pouvait exister une certaine "parité" entre différents partenaires d'une coalition impérialiste, bien que le besoin d'un chef de file se soit toujours fait sentir. Par exemple, dans la première guerre mondiale, il n'existait pas, en terme de puissance militaire opérationnelle, de disparité fondamentale entre les trois "vainqueurs" : Grande-Bretagne, France et Etats-Unis. Cette situation avait déjà évolué de façon très importante au cours de la seconde guerre, où les "vainqueurs" étaient placés sous la dépendance étroite des Etats-Unis qui affichaient une supériorité considérable sur leurs "alliés". Elle allait encore s'accentuer durant toute la période de "guerre froide" (qui vient de se terminer), où chaque tête de bloc, Etats-Unis et URSS, notamment par le contrôle des armements nucléaires les plus destructeurs, disposaient d'une supériorité absolument écrasante sur les autres pays de leur bloc. Une telle tendance s'explique par le fait que, avec l'enfoncement du capitalisme dans sa décadence :
Il en est de ce dernier facteur comme du capitalisme d'Etat : plus les différentes fractions d'une bourgeoisie nationale tendent à s'entre-déchirer avec l'aggravation de la crise qui attise leur concurrence, et plus l'Etat doit se renforcer afin de pouvoir exercer son autorité sur elles. De même, plus la crise historique, et sa forme ouverte, exercent des ravages, plus une tête de bloc doit être forte pour contenir et contrôler les tendances à sa dislocation entre les différentes fractions nationales qui le composent. Et il est clair que dans la phase ultime de la décadence, celle de la décomposition, un tel phénomène ne peut que s'aggraver encore à une échelle considérable.
C'est pour cet ensemble de raisons, et notamment pour la dernière, que la reconstitution d'un nouveau couple de blocs impérialistes, non seulement n'est pas possible avant de longues années, mais peut très bien ne plus jamais avoir heu : la révolution ou la destruction de l'humanité intervenant avant une telle échéance. Dans la nouvelle période historique où nous sommes entrés, et les événements du Golfe viennent de le confirmer, le monde se présente comme une immense foire d'empoigne, où jouera à fond la tendance au "chacun pour soi", où les alliances entre Etats n'auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment. Un monde de désordre meurtrier, de chaos sanglant dans lequel le gendarme américain tentera de faire régner un minimum d'ordre par l'emploi de plus en plus massif et brutal de sa puissance militaire.
12) Le fait que, dans la période qui vient, le monde ne soit plus divisé en blocs impérialistes, qu'il revienne à une seule puissance -les Etats-Unis- d'exercer le "leadership" mondial, ne signifie nullement que soit aujourd'hui correcte la thèse du "super-impérialisme" (ou "ultra-impérialisme") telle qu'elle fut développée par Kautsky au cours de la première guerre mondiale. Cette thèse avait été élaborée dès avant la guerre par le courant opportuniste qui se développait dans la Social-Démocratie. Elle trouvait sa racine dans la vision gradualiste et réformiste qui considérait que les contradictions (entre classes et entre nations) au sein de la société capitaliste étaient destinées à s'atténuer jusqu'à disparaître. La thèse de Kautsky supposait que les différents secteurs du capital financier international seraient en mesure de s'unifier pour établir une domination stable et pacifique sur l'ensemble du monde. Cette thèse, qui se présentait comme "marxiste", était évidemment combattue par tous les révolutionnaires, et en particulier par Lénine (notamment dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme), qui mettaient en évidence qu'un capitalisme dont on retranche l'exploitation et la concurrence entre capitaux n'est plus le capitalisme. Il est bien clair que cette position révolutionnaire reste tout à fait valable aujourd'hui.
De même, notre analyse ne saurait être confondue avec celle développée par Chaulieu (Castoriadis), et qui avait au moins l'avantage, pour sa part, de rejeter explicitement le "marxisme". Dans cette analyse, le monde s'acheminait vers un "troisième système" non pas dans l'harmonie chère aux réformistes, mais à travers des convulsions brutales. Chaque guerre mondiale conduisait à l'élimination d'une grande puissance (la seconde guerre ayant éliminé l’Allemagne). La troisième guerre mondiale était appelée à ne laisser en place qu'un seul bloc faisant régner son ordre sur un monde où les crises économiques auraient disparu et dans lequel l'exploitation capitaliste de la force de travail serait remplacée par une sorte d'esclavage, un règne des "dominants" sur les "dominés".
Le monde d'aujourd'hui, tel qu'il sort de l'effondrement du bloc de l'Est et tel qu'il se présente face à la décomposition générale, n'en reste pas moins totalement capitaliste. Crise économique insoluble et de plus en plus profonde, exploitation de plus en plus féroce de la force de travail, dictature de a loi de la valeur, exacerbation de la concurrence entre capitaux et des antagonismes impérialistes entre nations, règne sans frein du militarisme, destructions massives et massacres à la chaîne : voilà la seule réalité qui puisse être la sienne. Et avec comme seule perspective ultime la destruction de l'humanité.
13) Plus que jamais, donc, la question de la guerre reste centrale dans la vie du capitalisme. Plus que jamais, par conséquent, elle est fondamentale pour la classe ouvrière. L'importance de cette question n'est évidemment pas nouvelle. Elle était déjà centrale dès avant la première guerre mondiale (comme le mettent en évidence les congrès internationaux de Stuttgart en 1907 et de Bâle en 1912). Elle devient encore plus décisive, évidemment, au cours de la première boucherie impérialiste (comme le mettent en évidence le combat de Lénine, de Rosa Luxemburg, de Liebknecht, de même que la révolution en Russie et en Allemagne). Elle garde toute son acuité entre les deux guerres mondiales, en particulier lors de la guerre d'Espagne, sans parler, évidemment, de l'importance qu'elle revêt au cours du plus grand holocauste de ce siècle, entre 1939 et 1945. Elle a conservé enfin toute son importance au cours des différentes guerres de "libération nationale" après 1945, moments de l'affrontement entre les deux blocs impérialistes. En fait, depuis le début du siècle, la guerre a été la question la plus décisive qu'aient eu à affronter le prolétariat et ses minorités révolutionnaires, très loin devant les questions syndicale ou parlementaire, par exemple. Et il ne pouvait en être qu'ainsi dans la mesure où la guerre constitue la forme la plus concentrée de la barbarie du capitalisme décadent, celle qui exprime son agonie et la menace qu'il fait peser sur la survie de l'humanité.
Dans la période présente où, plus encore que dans les décennies passées, la barbarie guerrière (n'en déplaise à MM. Bush et Mitterrand avec leurs prophéties d'un "nouvel ordre de paix") sera une donnée permanente et omniprésente de la situation mondiale, impliquant de façon croissante les pays développés (dans les seules limites que pourra lui fixer le prolétariat de ces pays), la question de la guerre est encore plus essentielle pour la classe ouvrière. Le CCI a depuis longtemps mis en évidence que, contrairement au passé, le développement d'une prochaine vague révolutionnaire ne proviendrait pas de la guerre mais de l'aggravation de la crise économique. Cette analyse reste tout à fait valable : les mobilisations ouvrières, le point de départ des grands combats de classe proviendront des attaques économiques. De même, sur le plan de la prise de conscience, l'aggravation de la crise sera un facteur fondamental en révélant l'impasse historique du mode de production capitaliste. Mais, sur ce même plan de la prise de conscience, la question de la guerre est appelée, une nouvelle fois, à jouer un rôle de premier ordre :
14) Il est vrai que la guerre peut être utilisée contre la classe ouvrière beaucoup puis facilement que la crise elle-même et les attaques économiques :
C'est bien d'ailleurs ce qui est arrivé jusqu'à présent avec la guerre du Golfe. Mais ce type d'impact ne pourra être que limité dans le temps. A terme :
la tendance ne pourra que se renverser. Et il appartient évidemment aux révolutionnaires d'être au premier rang de cette prise de conscience : leur responsabilité sera de plus en plus décisive.
15) Dans la situation historique présente, l'intervention des communistes au sein de la classe est déterminée, outre, évidemment, par l'aggravation considérable de la crise économique et des attaques qui en résultent contre l'ensemble du prolétariat, par :
Il importe donc que cette question figure en permanence au premier plan dans la propagande des révolutionnaires. Et dans les périodes, comme celle d'aujourd'hui, où cette question se trouve aux avant plans immédiats de l'actualité internationale, il importe qu'ils mettent à profit la sensibilisation particulière des ouvriers à son sujet en y apportant une priorité et une insistance toute particulière.
En particulier, les organisations révolutionnaires auront pour devoir de veiller à :
CCI, 4 octobre 1990.
[1] [17] Voir "Guerre, militarisme et blocs impérialistes" dans la Revue Internationale n° 52 et n° 53.
[2] [18] Pour l'analyse du CCI sur la question de la décomposition, Revue Internationale n° 57 et n° 62.
[3] [19] Il convient toutefois de souligner une différence majeure entre capitalisme d'Etat et blocs impérialistes. Le premier ne peut être remis en cause par les conflits entre différentes fractions de la classe capitaliste (ou alors, c'est la guerre civile, qui peut caractériser certaines zones arriérées du capitalisme, mais non pas ses secteurs les plus avancés) : en règle générale, c'est l'Etat, représentant du capital national comme un tout, qui réussit à imposer son autorité aux différentes composantes de ce dernier. En revanche, les blocs impérialistes ne présentent pas le même caractère de pérennité. En premier lieu, ils ne se constituent qu'en vue de la guerre mondiale : dans une période où celle-ci n'est pas momentanément à l'ordre du jour (comme au cours des années 1920), ils peuvent très bien disparaître. En second lieu, il n'existe pas pour les Etats de "prédestination" définitive en faveur de tel ou tel bloc : c'est de façon circonstancielle que les blocs se constituent, en fonction de critères économiques, géographiques, militaires, politiques, etc. En ce sens, l'histoire comporte de nombreux exemples d'Etats ayant changé de bloc suite a la modification d'un de ces facteurs. Cette différence de stabilité entre l'Etat capitaliste et les blocs n'est nullement mystérieuse. Elle correspond au fait que le niveau le plus élevé d'unité auquel la bourgeoisie puisse parvenir est celui de la nation, dans la mesure où l'Etat national est, par excellence, l'instrument de défense de ses intérêts (maintien de 1' "ordre", commandes massives, politique monétaire, protection douanière, etc). C'est pour cela qu'une alliance au sein d'un bloc impérialiste n'est pas autre chose que le conglomérat d'intérêts nationaux fondamentalement antagoniques, conglomérat destiné à préserver ces intérêts dans la jungle internationale. En décidant de s'aligner dans un bloc plutôt que dans un autre, une bourgeoisie n'a pas d'autre préoccupation que la garantie de ses intérêts nationaux. En fin de compte, si l'on peut considérer le capitalisme comme une entité globale, il faut toujours garder en vue que, concrètement, c'est sous forme de capitaux concurrents et rivaux qu'il existe.
[4] [20] En réalité, c'est bien le mode de production capitaliste comme un tout qui, dans sa décadence et plus encore dans sa phase de décomposition, constitue une aberration du point de vue des intérêts de l'humanité. Mais dans cette agonie barbare du capitalisme, certaines formes de celui-ci, comme le stalinisme, découlant de circonstances historiques spécifiques (comme nous le verrons plus loin) comportent des caractéristiques qui les rendent encore plus vulnérables et les condamnent a disparaître avant même que l'ensemble du système soit détruit par la révolution prolétarienne ou à travers la destruction de l'humanité.
[5] [21] En ce sens, la façon dont sera garanti l'"ordre" du monde dans la nouvelle période tendra à ressembler de plus en plus à la façon dont l'URSS maintenait l'ordre dans son ancien bloc : par la terreur et la force des armes. Dans la période de décomposition, et avec l'aggravation des convulsions économiques du capital à l'agonie, ce sont les formes les plus brutales et barbares des rapports entre Etats utilisées auparavant qui tendront à devenir la règle pour tous les pays du monde.
[6] [22] En fait, les raisons pour lesquelles la Russie ne pouvait représenter une locomotive pour la révolution mondiale (c est pour cette raison que les révolutionnaires comme Lénine et Trotsky attendaient la révolution en Allemagne pour qu'elle prenne en remorque la révolution russe) étaient les mêmes qui en faisaient un candidat tout à fait inapproprié au rôle de tête de bloc.
[7] [23] Une autre raison pour laquelle les alliés occidentaux ont donné à l'URSS une pleine disposition des pays d'Europe centrale réside dans le fait qu'il comptaient sur cette puissance pour "faire la police" contre le prolétariat de cette région. L'histoire a montré (à Varsovie, notamment) combien cette confiance était méritée.
La guerre impérialiste constitue une épreuve de vérité pour les organisations qui se réclament de la classe ouvrière. En réalité, c'est une des questions qui permet le plus sûrement de déterminer la nature de classe d'une formation politique. Le conflit du Golfe vient d'en constituer une nouvelle illustration. Les partis bourgeois classiques, y compris les partis "socialistes" et "communistes", ont évidemment agi conformément à leur nature en s'alignant ouvertement sur la politique de guerre, ou en appelant à l’"arbitrage international" qui constitue la feuille de vigne de cette politique. Pour leur part, les organisations qui se présentent comme "révolutionnaires", telles les organisations trotskistes, ont également montré clairement dans quel camp elles se trouvaient en appelant ouvertement ou hypocritement, selon les cas et les circonstances ([1] [26]), au soutien de l'Irak. Cette épreuve de vérité a donc permis que se distinguent clairement les groupes qui se situent sur le terrain de classe prolétarien, elle leur a donné l'occasion de faire entendre la voix de l'internationalisme, à l'image des courants révolutionnaires aux cours des deux guerres mondiales. Mais si, dans l'ensemble, Tes groupes du milieu prolétarien ont affirmé une position de classe principielle face à la guerre, la plupart d'entre eux l'ont fait avec des arguments et des analyses qui, loin d'apporter une clarté au prolétariat, sont plutôt un facteur de confusion.
Dès le début de la crise du Golfe, la plupart de ces organisations n'ont pas failli à leur responsabilité internationaliste élémentaire : que ce soit dans la presse ou sous forme de tracts, l'ensemble du milieu politique prolétarien a pris position clairement pour dénoncer la guerre impérialiste, rejeter toute participation dans l'un ou l'autre camp et appeler les ouvriers à engager le combat contre le capitalisme sous toutes ses formes et dans tous les pays ([2] [27]). En somme, les organisations prolétariennes existantes ont montré qu'elles étaient... dans le camp du prolétariat.
Cependant, pour être en mesure d'affirmer leur internationalisme, il a fallu à certaines d'entre elles recouvrir d'un mouchoir pudique des élucubrations qui constituent habituellement leur fond de commerce. Il en est ainsi, par exemple, à propos du soutien que le prolétariat devrait apporter aux "luttes d'indépendance nationale" dans certains pays sous-développés.
Internationalisme et luttes d'«indépendance nationale»
Le mouvement ouvrier du début du siècle avait été traversé par un débat très animé sur la question des luttes de libération nationale (voir en particulier notre série d'articles dans la Revue Internationale n°34 et 37). Dans ce débat, Lénine était le chef de file d'une position qui estimait possible, alors que le phénomène de l'impérialisme avait déjà envahi toute la société, le soutien par le prolétariat de certaines luttes d'indépendance nationale. Cela ne l'avait pas empêché, cependant, de prendre, au cours de la première guerre mondiale, une position parfaitement internationaliste, plus claire, par certains côtés, que celle de Rosa Luxemburg, qui défendait, sur la question nationale, la position opposée. Lors du deuxième congrès de l'Internationale Communiste (IC), c'est la position de Lénine qui était devenue celle de l'Internationale. Cependant, la réalité (en particulier lors de la révolution chinoise de 1927) allait rapidement démontrer la non-validité de cette position de Lénine et de PIC, au point que la Fraction de Gauche du Parti communiste d'Italie, pourtant de "tradition léniniste", allait, au cours des années 1930, l'abandonner. Mais aujourd'hui encore, la plupart des croupes qui se réclament de la Gauche italienne continuent à défendre la position de PIC, comme si rien ne s'était passé, ce qui les conduit à des contorsions invraisemblables.
Ainsi, nous ne pouvons que saluer le souci internationaliste du Parti Communiste International lorsqu'il nous dit que :
"Les travailleurs n'ont rien à gagner et tout à perdre à soutenir les conflits impérialistes... (...) Que la rente pétrolière enrichisse des bourgeois irakiens, koweïtiens ou français ne changera pas le sort des prolétaires d'Irak, de Koweït ou de France : seule ta lutte de classe contre l'exploitation capitaliste peut le faire. Et cette lutte de classe n'est possible qu'en rompant l’ 'union nationale' entre les classes qui impose toujours des sacrifices aux prolétaires, qui les divise par le patriotisme et le racisme avant de les faire se massacrer sur les champs de bataille. " (Tract du 24 août 1990, publié par Le Prolétaire). Mais cette organisation ferait bien de se demander en quoi les prolétaires arabes défendent leurs intérêts de classe lorsqu'ils sont enrôlés, comme elle les y appelle, dans la guerre pour la constitution d'un Etat national palestinien. Un tel Etat palestinien, s'il arrivait à voir le jour, ne serait pas moins impérialiste (même si moins puissant) que ne l'est aujourd'hui l'Irak, et les ouvriers n'y seraient pas moins férocement exploités. Ce n'est pas pour rien que Yasser Arafat compte parmi les meilleurs amis de Saddam Hussein. Pour le courant "bordiguiste" (auquel appartient Le Prolétaire), il serait temps de se rendre compte que l'histoire a démontré depuis 70 ans, et en de nombreuses reprises, l'inconsistance de ces positions. Sinon, ses exercices de corde raide entre internationalisme et nationalisme ne pourront que le conduire à la chute, soit dans le néant, soit dans le camp bourgeois (comme c'est arrivé, au début des années 1980, pour une bonne partie de ses composantes, telles Combat en Italie et El Oumami en France).
Cette contradiction entre l'internationalisme, qui constitue une condition essentielle d'appartenance au camp du prolétariat, et le soutien aux luttes nationales, une autre organisation du courant bordiguiste l'a résolue à sa façon, mais qui n'est malheureusement pas celle de la clarté. Ainsi on peut lire dans 77 Programma comunista d'octobre 1990 : "On peut comprendre que, dans leur désespoir, les masses palestiniennes, s'agrippent aujourd'hui au mythe de Saddam, comme hier et en d'autres circonstances à celui de Assad : le développement des événements ne tardera pas à démontrer que le 'héros' d'aujourd'hui, au même titre que celui d'hier, n'est que volonté étatique de puissance, et que le chemin de leur émancipation passe uniquement à travers la révolution socialiste contre tous les potentats, arabes comme non arabes, du Moyen-Orient."
On constate ici toute l'ambiguïté de la position de Programma.
En premier lieu, le concept de "masses" est confusionniste par excellence. Dans les "masses", on peut tout mettre, y compris des couches sociales comme la paysannerie qui, l’histoire l'a montré, sont loin d'être des alliés de la révolution prolétarienne. Ce qui constitue la question centrale pour les communistes, celle pour laquelle ils existent, c'est la prise de conscience du prolétariat. Or il existe un prolétariat palestinien, relativement nombreux et concentré, mais qui est particulièrement intoxiqué par le nationalisme (au même titre, d'ailleurs, que le prolétariat israélien qu'il côtoie). En second lieu, on ne voit pas pourquoi on tient à "comprendre" particulièrement la soumission de la population palestinienne à l'idéologie nationaliste. Que les couches petites-bourgeoises qui constituent cette population soient infectées par le nationalisme, c'est un phénomène courant dans l'histoire, qui correspond à leur nature et à leur place dans la société. Que le prolétariat lui-même soit victime de cette infection constitue, comme toujours et dans toutes les circonstances, une tragédie témoignant de sa faiblesse face à la bourgeoisie. On peut toujours "comprendre" les causes historiques, sociales et politiques d'une telle faiblesse (comme on pouvait, par exemple, "comprendre" en 1914 les causes de 1’embrigadement du prolétariat européen derrière les drapeaux nationaux), mais cela ne signifie pas qu'il faille faire la moindre concession politique à cette faiblesse. Ceux qui, au cours de la première guerre mondiale, passaient leur temps à comprendre" le nationalisme des ouvriers français, allemands ou russes, c'étaient bien les "social-chauvins" à la Plekhanov et les "centristes" à la Kautsky, et sûrement pas les révolutionnaires comme Lénine, Rosa Luxemburg ou Karl Liebknecht qui, eux, consacraient tous leurs efforts à combattre ce nationalisme.
A quoi bon, en fin de compte, s'intéresser particulièrement "aux masses" palestiniennes si c'est pour les appeler (en fait, seul le prolétariat est réellement capable d'entendre un tel appel) à faire la révolution socialiste ? Cet appel, c'est aux ouvriers de tous les pays qu'il doit s'adresser. Ce n'est pas seulement au Moyen-Orient que le combat révolutionnaire doit se mener, mais dans le monde entier. Et les ennemis à abattre, ce ne sont pas seulement tous les "potentats", mais tous les régimes bourgeois, et particulièrement les régimes "démocratiques" qui dominent les pays les plus avancés. On voit là toute l'absurdité de la position "bordiguiste". Par une fidélité stupide à la position "classique" de Lénine et de l'Internationale Communiste, les bordiguistes continuent à réciter, comme une litanie, des phrases sur les "masses" des pays coloniaux ou semi-coloniaux. Après ce qu'il est advenu du Vietnam, du Cambodge et autres nations "libérées", la Palestine constituait un des derniers lieux où la "libération nationale" pouvait faire illusion (auprès de ceux, évidemment, qui avaient envie de s'illusionner). Aujourd'hui, cependant, avec l'évidence de l'impasse que représente la lutte pour un Etat palestinien "indépendant et démocratique", on en vient à abandonner cette position classique (puisque celle-ci appelait les ouvriers à un soutien de certaines luttes nationales), mais sans le dire, et de façon honteuse, comme c'est de façon honteuse qu'on se tortille pour "comprendre" les mystifications bourgeoises.
Cependant, ce ne sont pas ces contorsions ridicules qui, en soi, constituent le problème fondamental posé par la "fidélité" aux positions erronées de l'IC. La véritable gravité du maintien, contre vents et marée, de cette position (et même si on en abandonne, par la force des réalités, la substance) réside dans le fait qu'elle constitue la feuille de vigne favorite derrière laquelle se réfugie toute l'ignominie des différentes variétés de gauchistes dans leur soutien à la guerre impérialiste. C'est au nom des luttes de "libération nationale" contre 1' "impérialisme" que ces gauchistes, comme les staliniens "pur jus", ont participé à l'enrôlement de multitudes de prolétaires des pays arriérés dans les massacres inter impérialistes (souvenons-nous du Vietnam !). Aujourd'hui, c'est au nom de cette même lutte "anti-impérialiste" que les
gauchistes, et particulièrement les trotskistes, appellent les prolétaires irakiens à aller se faire massacrer. En ce sens, toute confusion, tout manque de clarté sur la question nationale, ne peut que favoriser, même si on s'en défend, le sale travail des secteurs "radicaux" de la bourgeoisie.
«défaitisme révolutionnaire» et internationalisme
Il n'est pas que la position de soutien aux luttes de "libération nationale" qui conduise à des concessions aux campagnes gauchistes. Il en est de même du mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" qui, au nom également de la "tradition", a été utilisé par certains groupes lors de la guerre du Golfe. Ce mot d'ordre a été mis en avant par Lénine au cours de la première guerre mondiale. Il répondait à la volonté de dénoncer les tergiversations des éléments "centristes" qui, bien que d'accord "en principe" pour rejeter toute participation à la guerre impérialiste, préconisaient cependant d'attendre que les ouvriers des pays "ennemis" soient prêts a engager le combat contre celle-ci avant d'appeler ceux de "leur" propre pays à en faire autant. A l'appui de cette position, ils avançaient l'argument que, si les prolétaires d'un pays devançaient ceux des pays ennemis, ils favoriseraient la victoire de ces derniers dans la guerre impérialiste. Face à cet "internationalisme" conditionnel, Lénine répondait très justement que la classe ouvrière d'un pays n'avait aucun intérêt en commun avec "sa" bourgeoisie, précisant, en particulier, que la défaite de celle-ci ne pouvait que favoriser son combat, comme on l'avait déjà vu lors de la Commune de Paris (résultant de la défaite face à la Prusse) et avec la révolution de 1905 en Russie (battue dans la guerre contre le Japon). De cette constatation, il concluait que chaque prolétariat devait "souhaiter" la défaite de "sa" propre bourgeoisie. Cette dernière position était déjà erronée à l’époque, puisqu'elle conduisait les révolutionnaires de chaque pays à revendiquer pour "leur" prolétariat les conditions les plus favorables à la révolution prolétarienne, alors que c'est au niveau mondial et, dans un premier temps, dans les grands pays avancés (qui étaient tous impliqués dans a guerre) que la révolution devait avoir lieu. Cependant, chez Lénine, la faiblesse de cette position n'a jamais conduit à une remise en cause de l'internationalisme le plus intransigeant (c'est même cette intransigeance qui l'avait conduit à un tel "dérapage"). En particulier, il ne serait jamais venu à Lénine 1’idée d'apporter un soutien à la bourgeoisie du pays "ennemi", même si, en toute logique, une telle attitude pouvait découler de ses "souhaits". En revanche, cette position incohérente a été par la suite utilisée en de multiples reprises par des partis bourgeois à coloration "communiste" pour justifier leur participation à la guerre impérialiste. C'est ainsi, par exemple, que les staliniens français ont brusquement "redécouvert", après la signature du pacte germano-russe de 1939, les vertus de 1'"internationalisme prolétarien" et du "défaitisme révolutionnaire", vertus qu'ils avaient oubliées depuis longtemps et qu'ils ont répudiées avec la même rapidité dès que l'Allemagne est entrée en guerre contre l'URSS en 1941. C'est le même "défaitisme révolutionnaire" que les staliniens italiens ont pu utiliser pour justifier, après 1941, leur politique à la tête de la1'résistance" contre Mussolini. Aujourd'hui, c'est au nom du même "défaitisme révolutionnaire" que les trotskistes des pays (et ils sont nombreux) impliqués dans le combat contre Saddam Hussein justifient le soutien de ce dernier.
C'est pour cela que, dans la guerre du Golfe, il est nécessaire que les révolutionnaires soient particulièrement clairs sur le mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" s'ils ne veulent pas, même involontairement, favoriser les campagnes gauchistes.
Cette faiblesse dans le point de vue internationaliste, tel qu'il est exprimé au travers du mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire", nous la trouvons sous une forme tout à fait caricaturale dans 77 Partito Comunista n° 186 : "Nous ne sommes pas cependant indifférents à l'issue de la guerre : nous sommes, en premier lieu, comme communistes révolutionnaires, défaitistes, nous sommes de ce fait favorables à la défaite de notre pays et plus généralement des pays occidentaux ; nous souhaitons la défaite la plus retentissante pour l'impérialisme états unien qui, étant le plus puissant du monde, représente le pire ennemi pour le mouvement prolétarien international, le chien de garde du capitalisme au niveau planétaire. " 77 Partito "souhaite" la défaite de l'impérialisme américain... comme les gauchistes, pour qui les croisades "anti impérialistes" ne sont rien d'autre que des prétextes pour appeler à participer à la guerre impérialiste, évidemment, Il Partito rejette une telle participation. Mais à quoi sert alors de "souhaiter", si c'est pour s'interdire tout moyen d'agir pour que le "souhait" devienne réalité. Pour les communistes, la réflexion théorique n'a pas pour objectif la spéculation gratuite, c'est un guide pour l'action. Les gauchistes, eux, sont conséquents. Et c'est justement le grand danger présenté par la position d'Il Partito. Avec ses "souhaits", cette organisation encourage, au lieu de les combattre fermement, les mystifications "anti impérialistes" qui pèsent sur une partie de la classe ouvrière. Et, à partir de là, ses protestations internationalistes en porte-à-faux ne pèsent pas lourd face à la logique des gauchistes. Qu’il le veuille ou non, Il Partito se fait ainsi le rabatteur pour le compte de ces derniers. Il est heureux, cependant, que la position de ce groupe ait peu de chances d'être entendue. C'est vrai que la défaite du principal gendarme mondial affaiblirait plus l'ensemble de la bourgeoisie que sa victoire. L'ennui, c'est que ce genre de chose n'existe que "dans l'abstrait" où l'on peut échafauder tous les plans sur la comète que l'on veut. Dans la réalité, et en l'absence d'intervention divine, la victoire va à l'impérialisme le plus fort : aujourd'hui, même Saddam Hussein, malgré sa mégalomanie, ne croit pas qu'il puisse vaincre les Etats-Unis ([3] [28]). Ainsi, en révélant ouvertement sa nature de spéculation futile et puérile, en affichant son ridicule et son absurdité, '"analyse" de Il Partito a au moins la qualité de réduire le danger constitué par une position fausse, celle du "défaitisme révolutionnaire".
Cependant, les erreurs des groupes prolétariens n'ont pas toujours le mérite d'être rendues inoffensives par leur absurdité. En particulier, il faut se garder de slogans tels que "Pour nous ouvriers de tous les pays, notre plus grand ennemi est 'notre' propre Etat", slogan qui figure dans la prise de position du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) intitulée : "Contre Bush et l'impérialisme occidental, Contre Saddam et l'expansionnisme irakien, Non à la guerre au Moyen-Orient" (Déclaration reproduite dans Battaglia Comunista de septembre 1990 et Workerç Voice n° 53). Ce n'est pas un hasard si ce slogan est le même que "L'ennemi principal est notre propre bourgeoisie" qui est le titre d'un tract diffusé en France par un groupe appelé "Internationale ouvrière pour reconstruire la 4e Internationale", c'est-à-dire un groupe trotskiste. Ce slogan (qui s'apparente à celui de "défaitisme révolutionnaire") aussi avait été mis en avant au cours de la première guerre mondiale, notamment par les spartakistes en Allemagne. On peut constater aujourd'hui à quel point il peut facilement être récupéré par la bourgeoisie. En fait, tout mot d'ordre qui s'adresse à tel ou tel secteur du prolétariat en particulier, en lui assignant des tâches distinctes, sinon différentes de celles des autres secteurs, est ambigu et peut être retourné plus facilement contre la classe ouvrière par les gauchistes. Même si le prolétariat mondial est, à l'origine, séparé en secteurs nationaux, du fait de la division de la société bourgeoise elle-même, le sens de sa lutte historique est de tendre vers une unité mondiale. Il appartient justement aux révolutionnaires de contribuer activement à la constitution de cette unité mondiale. C'est pour cela qu'il ne peut exister aujourd'hui qu'un seul programme pour une organisation communiste (et non un programme par pays) comme c'est le cas pour le CCI. Comme l'écrivait Marx : "Le prolétariat ne peut exister qu'à l'échelle de l'histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l'action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu'en tant qu'existence historique universelle." Dans le même sens, les perspectives que doivent mettre en avant les révolutionnaire sont les mêmes pour tous les pays et tous les secteurs du prolétariat mondial, contrairement à ce que fait le BIPR dans son document pour expliciter le slogan signalé plus haut. En effet, ce document, présenté comme l'émanation d'un même organe, existe en deux versions, et il faut constater que celle destinée aux ouvriers de langue anglaise a une allure bien plus gauchiste que celle en langue italienne (nous attendons la version française et allemande de ce texte). Dans cette version anglaise (et non dans l'autre) on peut lire, en effet :
"Nous devons combattre ses plans et préparatifs de guerre [de notre "propre" Etat, NDLR]. Cela signifie en premier lieu que nous exigeons le retrait immédiat de toutes les forces occidentales envoyées dans le Golfe. Toutes les tentatives d'envoyer de nouvelles forces doivent être combattue par des grèves aux ports et aux aéroports par exemple. Si les combats éclatent nous devons appeler à la fraternisation entre les soldats irakiens et les soldats occidentaux et à ce qu'ils retournent leurs fusils contre leurs officiers. En second lieu, cela signifie combattre les tentatives d'imposer plus d'austérité et de réduction des prestations sociales au nom de l’'intérêt national' (...) La crise du pétrole, comme en 1974, va fournir [à la bourgeoisie] un alibi parfait pour expliquer l'effondrement du système. Notre réponse doit être de repousser les mensonges, repousser l'hystérie nationaliste, et combattre pour un niveau de vie plus élevé. En particulier, nous appelons les ouvriers britanniques du pétrole de la mer du Nord à développer leur lutte et à empêcher les patrons d'augmenter la production. Cette grève doit être étendue afin d'inclure tous les ouvriers du pétrole et tous les autres ouvriers. Pas de sacrifice pour les guerres impérialistes."
Il faut malheureusement constater que la branche britannique du BIPR place au premier plan de son intervention le mot d'ordre classique de tous les gauchistes au sein du prétendu mouvement "anti-guerre" : "Retrait des troupes occidentales du Golfe". Il apporte ainsi sa petite contribution aux campagnes des secteurs d'extrême gauche de la bourgeoisie visant, non seulement à permettre que le Golfe soit contrôlé par le "peuple arabe" (c'est-à-dire par les impérialismes locaux), mais surtout à répandre les illusions dans la possibilité de bloquer la politique de guerre de la bourgeoisie au moyen d'une campagne légaliste de "manifestations pour la paix", de "mobilisation de l'opinion publique", etc. Et on sait que ces illusions constituent le meilleur moyen pour détourner les ouvriers de la seule arme avec laquelle ils puissent combattre le développement de la guerre : la lutte sur leur propre terrain de classe rejetant l'inter-classisme des campagnes pacifistes. Une telle politique erronée n'est pas nouvelle de la part de la Communist Workers Organisation (CWO), puisque c'est le même slogan gauchiste, "Impérialisme hors du Golfe", qu'elle avait mis en avant lors de l'intervention de 1 armada occidentale dans la guerre Irak-Iran en 1987 ([4] [29]).
Concernant l'appel à la grève dans les ports et les aéroports lancé par la CWO, on pourra signaler, pour sa gouverne et celle de ses supporters, qu il a rencontré un écho en France où les marins du port de Marseille ont arrêté le travail pour retarder (d'une journée) le départ de troupes vers le Golfe. Précisons toutefois que c'était à l'appel du syndicat CGT contrôlé par les staliniens. Et cela n'a rien de surprenant : si ces crapules se sont permises de lancer une telle "action d'éclat", c'est qu'elles savaient pertinemment qu'à l'heure actuelle une telle méthode de "lutte" ne présente aucun danger pour la bourgeoisie. En réalité, ce n'est pas à travers des luttes particulières de tel ou tel secteur de la classe ouvrière que celle-ci peut combattre la politique de guerre de la bourgeoisie (et c'est également valable pour les ouvriers du pétrole dont la solidarité avec leurs frères de classe irakiens ne passe en aucune façon par une lutte spécifique dans cette branche, même si, pris d'un scrupule, la CWO l'appelle ensuite à s'élargir). Cette politique est la seule "réponse" que cette classe, dans son ensemble, puisse apporter à la crise sans issue de son système et à la décomposition généralisée que cette crise engendre aujourd'hui. Seule la lutte de l'ensemble du prolétariat, comme classe, sur le terrain de classe, et non en tant que telle où telle catégorie spécifique peut s'opposer réellement à la guerre impérialiste. Elle seule, en particulier, ouvre le chemin vers l'unique réponse historique que la classe ouvrière puisse apporter à la guerre impérialiste : le renversement du capitalisme lui-même.
C'est pour cela, également, que l'appel "à la fraternisation entre les soldats irakiens et tes soldats occidentaux et à ce qu'ils retournent leurs fusils contre leurs officiers" est erroné dans la situation présente en tant que perspective immédiate. Ce mot d ordre est tout à fait juste en général. Il constitue une application de la vision internationaliste qui consiste à appeler le prolétariat à "transformer la guerre impérialiste en guerre civile" ; et c'est comme tel qu'il s'est concrétisé à la fin de la première guerre mondiale, notamment entre les soldats russes et les soldats allemands. Mais cette concrétisation suppose un degré de maturité important dans la conscience du prolétariat, lequel n'existait pas au début de la guerre mais s'est justement développé au cours de celle-ci. Un degré de conscience qui allait permettre aux ouvriers de Russie, puis à ceux d'Allemagne, de se lancer dans le combat révolutionnaire. Cette conscience, en revanche, n'existait pas à la fin de la seconde guerre mondiale. Par exemple, les soldats allemands, qui étaient prêts à déserter, y renonçaient dans la mesure où, dans les pays occupés, le chauvinisme était tel parmi les ouvriers, qu'ils risquaient de se faire lyncher par ces derniers. Aujourd'hui, nous ne sommes évidemment pas dans la contre-révolution telle qu'elle existait en 1945, mais la situation présente est également loin de celle de la fin de la première guerre mondiale, sur le plan de la conscience dans la classe ouvrière. C'est pour cela que la guerre du Golfe ne permet pas de réponse immédiate, sur le terrain, de la part du prolétariat. Encore une fois, la réponse de classe de celui-ci se joue essentiellement à l'arrière des combats actuels, dans les grandes métropoles du capitalisme, et se situe fondamentalement à l'échelle historique. Le rôle des révolutionnaires n'est pas, avec un "radicalisme" uniquement verbal, de mettre en avant des "recettes" qui pourraient "tout de suite" arrêter la guerre du Golfe. Il consiste à défendre au sein de l'ensemble du prolétariat mondial une vision claire des enjeux véritables qui sont posés par la guerre du Golfe et des responsabilités qui en découlent pour lui et pour ses luttes.
Et, justement, l'incapacité politique des différents groupes du milieu prolétarien à mettre en avant des mots d'ordre appropriés à la situation présente se retrouve lorsqu'il s'agit de comprendre les véritables enjeux de celle-ci, ces deux faiblesses étant liées, évidemment.
Les incompréhensions des enjeux de la guerre
Comme beaucoup de commentateurs sérieux de la presse bourgeoise, la plupart des groupes ont réussi à mettre en évidence les origines immédiates de l'aventure irakienne : non pas la "folie mégalomane" d'un Saddam Hussein, mais le fait que l'Irak, après 8 ans de guerre terriblement meurtrière et ruineuse contre l'Iran, était pris à la gorge par une situation économique catastrophique et un endettement extérieur de près de 80 milliards de dollars. Comme l'écrit Battaglia Comunista dans son numéro de septembre 1990 : "L'attaque contre le Koweït est donc le geste classique de celui qui, sur le point de se noyer, tente le tout pour le tout". En revanche, les raisons fondamentales du formidable déploiement militaire des Etats-Unis et de ses acolytes passent complètement par dessus la tête de ces mêmes groupes.
Pour Le Prolétaire, en effet : "Les Etats-Unis ont défini sans fard l’'intérêt national américain' qui les faisait agir : garantir un approvisionnement stable et à un prix raisonnable du pétrole produit dans le Golfe : le même intérêt qui les faisait soutenir l'Irak contre l'Iran les fait soutenir maintenant l'Arabie Saoudite et les pétro-monarchies contre l'Irak." (tract déjà cité). C'est la même idée qu'énonce la CWO, elle aussi, dans un tract : "En fait, la crise du Golfe est réellement une crise pour le pétrole et pour qui le contrôle. Sans pétrole bon marché, les profits vont chuter. Les profits du capitalisme occidental sont menacés et c'est pour cette raison et aucune autre que les Etats-Unis préparent un bain de sang au Moyen-Orient...". Quant à Battaglia Comunista, c'est, avec un langage plus prétentieux qu'elle défend la même idée : « Le pétrole, présent directement ou indirectement dans presque tous les cycles productifs, a un poids déterminant dans le procès de formation de la rente monopoliste et, en conséquence, le contrôle de son prix est d'une importance vitale (...) Avec une économie qui donne clairement des signes de récession, une dette publique d'une dimension affolante, un appareil productif en fort déficit de productivité par rapport aux concurrents européens et japonais, les Etats-Unis ne peuvent le moins du monde se permettre en ce moment de perdre le contrôle d'une des variables fondamentales de toute l'économie mondiale : le prix au pétrole. »
A cet argument, qui est également celui de beaucoup de groupes gauchistes qui n'ont qu'une idée en tête : vilipender la rapacité de l'impérialisme américain afin de justifier leur soutien a Saddam Hussein, 77 Programma Comunista apporte un début de réponse : « Dans tout cela, le pétrole (...) n'entre que comme dernier facteur. Dans les grands pays industriels, les réservoirs sont pleins et, dans tous les cas, la majorité de l'OPEP (...) est prête à augmenter la production et ainsi stabiliser les prix du brut ». En fait, 1’argument du pétrole pour expliquer la situation actuelle ne va pas très loin. Même si les Etats-Unis, de même que l'Europe et le Japon, sont évidemment intéressés à pouvoir importer un pétrole à bon marché, cela ne saurait expliquer l'incroyable concentration de moyens militaires opérée par la première puissance mondiale dans la région du Golfe. Une telle opération ne fait que grever encore plus les déficits déjà considérables des Etats-Unis et coûtera bien plus à l'économie de ce pays que l'augmentation du prix du pétrole demandée initialement par l'Irak. D'ailleurs, dès à présent, avec la perspective d'affrontements majeurs, ce prix a grimpe bien au delà du niveau qui aurait pu être établi par des négociations avec ce pays si les États-Unis avaient voulu de telles négociations (ce n'est certainement pas pour faire "respecter" les intérêts du cheikh Jaber et de son peuple que les Etats-Unis font preuve d'une intransigeance totale vis-à-vis de l'occupation du Koweït). Et les destructions qui résulteront de l'affrontement militaire risquent fort d'aggraver encore les choses. Si vraiment c'était le prix du pétrole qui préoccupait fondamentalement les Etats-Unis, on peut dire qu'ils ne s'y prennent pas de la meilleure façon : leur démarche évoquerait plutôt celle d'un éléphant voulant mettre de l'ordre dans un magasin de porcelaine.
En réalité, l'ampleur même du déploiement militaire fait la preuve que l'enjeu, pour les Etats-Unis, comme pour tous les autres pays, va bien au delà d'une question de prix du pétrole. C'est ce que touche du doigt Battaglia Comunista en essayant d'élargir son cadre d'analyse : "La rupture des équilibres issus de la seconde guerre mondiale a, en réalité, ouvert une phase historique dans laquelle nécessairement d'autres devront se constituer accentuant de ce fait la concurrence entre les différents appétits impérialistes (...) une chose est sûre, [quelle que soit l'issue de ce conflit] aucune des questions que la crise du golfe a mises en évidence ne pourra trouver de solution de cette façon". Mais c'était trop lui demander : immédiatement, cette organisation se noie de nouveau dans... le pétrole : "Une fois l'Irak éliminé, pour l'exemple, il ne se passera pas longtemps avant que quelqu'un d'autre ne pose la même question : modifier la répartition de la rente [pétrolière] à l'échelle mondiale : parce que c'est cette répartition qui détermine la hiérarchie internationale que la crise de l'URSS a remise en cause. " C'est là un point de vue original : qui contrôle le pétrole (ou la "rente pétrolière, pour faire plus "marxiste") contrôle la planète : pauvre URSS qui ne le savait pas et dont l'économie, en même temps que la puissance impérialiste, s'est effondrée alors qu'elle était le premier producteur mondial... de pétrole. Quant à Programma, s'il comprend bien qu'il y a autre chose de plus important que le pétrole, il n'arrive pas à dépasser les généralités : "l’enchevêtrement d'un conflit né d'intérêts de puissance colossaux, qui en se résolvant ne pourra qu'en susciter de nouveaux, défaisant et recomposant les alliances...". Comprenne qui pourra. Voila qui n'apporte pas beaucoup de clarté à la classe ouvrière, en tout cas. Il est clair, par contre, que Programma ne comprend pas grand chose, lui non plus.
La sous estimation de la gravite de la situation actuelle
En fin de compte, s'il y a un point commun entre les différentes analyses de la signification de la guerre du Golfe, c'est bien la sous-estimation dramatique de la gravité de la situation dans laquelle se trouve le monde capitaliste aujourd'hui. Tels des montres arrêtées, les groupes prolétariens, même lorsqu'ils parviennent a reconnaître le bouleversement que vient de subir l'arène impérialiste mondiale avec la disparition du bloc russe, sont incapables d'en mesurer la dimension et les implications réelles. Ils ne font que plaquer des schémas du passé à cette nouvelle situation, de la même façon qu'ils se contentent de répéter des mots d'ordre qui, des leur origine, étaient erronés. Nous ne développerons pas ici notre analyse suivant laquelle le capitalisme est entré aujourd'hui dans la phase ultime de sa décadence : celle de la décomposition générale de la société (voir Revue Internationale n°57 et 61). De même, nous ne reviendrons pas en détail sur notre propre prise de position sur la guerre du Golfe (voir éditorial de la Revue internationale n° 63 et 64), ni sur la question du militarisme dans la période actuelle (voir l'article "Militarisme et décomposition" dans ce numéro). Mais c'est notre devoir de dire que le refus des groupes communistes de regarder en race la réalité actuelle dans toute sa gravité (lorsqu'ils ne nient pas, purement et simplement, que le capitalisme est un système décadent, comme le font les bordiguistes) ne saurait leur permettre d'assumer pleinement leur responsabilité face à la classe ouvrière.
La guerre du Moyen-Orient, en effet, n'est pas simplement une guerre comme les autres, face à laquelle il suffit de réaffirmer les positions classiques de l'internationalisme, surtout sous la forme erronée du "défaitisme révolutionnaire". Le formidable déploiement militaire des Etats-Unis ne vise pas uniquement l'Irak, loin de là. La mise au pas de ce pays n'est qu'un prétexte pour "faire un exemple" afin de dissuader toute velléité future, d'où qu'elle vienne, de jouer un jeu qui pourrait déstabiliser 1'"ordre mondial". Cet "ordre" était en parti assuré lorsque le monde était partagé entre deux grands "gendarmes". Si l'antagonisme entre ces derniers alimentait et attisait toute une série de guerres, il contraignait celles-ci, en même temps, à ne pas échapper au contrôle des "superpuissances", et en particulier, à ne pas prendre une extension qui aurait risqué de conduire à une guerre généralisée pour laquelle les pays avancés n'étaient pas prêts du fait du non-embrigadement du prolétariat. Mais l'effondrement complet du bloc de 'Est n'a pu qu'ouvrir la boîte de Pandore de tous les antagonismes impérialistes existant entre les différentes composantes du bloc occidental lui-même, et qui avaient été bridés tant qu'existait la menace du bloc adverse. L'acte de décès du bloc de l'Est constituait donc la condamnation à mort du bloc de l'Ouest. C'est bien ce qu'exprimait le rapt du Koweït par l'Irak, lequel, jusqu'alors, s'était comporté en bon défenseur des intérêts occidentaux contre l'Iran. Cependant, le principal antagonisme impérialiste entre anciens "alliés" du bloc américain ne concerne pas les pays de la périphérie mais bien les pays centraux, c'est-à-dire les puissances économiques que sont les Etats d'Europe occidentale, le Japon et les Etats-Unis eux-mêmes. Si les ex-alliés de cette puissance au sein de feu le bloc occidental, sont bien intéressés à mettre au pas les seconds couteaux du "tiers-monde" lorsqu'ils tentent de sortir de leur rôle, ils sont beaucoup moins intéressés dans une opération de police dont l'objectif principal est d'assurer leur allégeance à cette même puissance. L'intervention militaire des Etats-Unis, même si elle contraint cette fois-ci leurs ex-vassaux à rabattre leurs prétentions, ne pourra mettre un terme définitif aux déchirements impérialistes, puisque ces déchirements font partie de la vie même du capitalisme, et qu'ils ne pourront qu'être encore exacerbés par l'aggravation irréversible de la crise de ce système, son enfoncement irrémédiable dans les convulsions de sa décadence et de sa décomposition. Sans être une guerre mondiale, la guerre du Golfe est donc la première manifestation majeure d'un chaos et d'une barbarie comme jamais la société humaine n'en a connus.
Voilà ce que les organisations révolutionnaires doivent affirmer clairement à leur classe afin que celle-ci puisse prendre pleinement conscience des enjeux de son combat contre le capitalisme. Sinon, elles seront totalement incapables d'assumer la tâche pour laquelle le prolétariat les a faites surgir et elles seront impitoyablement balayées par l'histoire.
FM, 1/11/90.
[1] [30] Pour certaines organisations trotskistes, le langage diffère en fonction du support de leur prise de position : dans leur presse à grande diffusion, leur soutien à l'impérialisme irakien est masqué derrière toutes sortes de contorsions (il ne faut pas choquer le public !), mais dans leur publication "théorique" et leurs réunions publiques, qui s'adressent à un public plus "initié", c'est de façon ouverte qu'ils appellent au soutien de l'Irak. Là encore, les moyens et le but sont bien en accord : comme n'importe quel secteur de la bourgeoisie impliqué dans la guerre, le trotskisme utilise, pour parvenir à ses fins, les "techniques" classiques de dissimulation, de désinformation et de mensonge.
[2] [31] Le silence
dans lequel s'est maintenu jusqu'à présent le Ferment Ouvrier Révolutionnaire
n'en est que plus inacceptable. Apparemment, le FOR est beaucoup plus en verve
lorsqu'il s'agit de faire des procès stupides aux autres organisations
révolutionnaires, en leur faisant dire n'importe quoi (voir son article
"Encore un plat piquant du CCI" dans L'arme de la critique n°
6) qu'au moment où il faut faire entendre la voix internationaliste contre la
barbarie guerrière du capitalisme. Mais peut-être ce silence indique-t-il tout
simplement que le FOR a cessé d'exister comme organisation. Une telle
éventualité ne serait nullement surprenante : lorsqu'une organisation
révolutionnaire continue à affirmer, contre toute évidence, que le capitalisme
n'est pas aujourd'hui en crise, comme l'a toujours fait le FOR, elle perd
toute capacité à contribuer à la prise de conscience du prolétariat et devient
sans objet.
[3] [32] Il faut rendre à César ce qui est à César et à Bordiga la paternité de cette position. En effet, c'est lui qui, au début de la "guerre froide", avait mis en avant que la défaite du bloc impérialiste américain face au bloc russe plus faible, créerait les conditions les plus favorables au développement de la lutte prolétarienne. Cette position était dangereuse et pouvait parfaitement faire le jeu des trotskistes et des staliniens. D'autant plus qu'elle n'avait pas la même stupidité que celle de ses épigones d'aujourd'hui puisqu'elle concernait des adversaires impérialistes d'une force comparable. Parmi ces épigones, on peut signaler également le "Mouvement communiste pour la formation du parti communiste mondial" qui a publié un tract intitulé "Pour arrêter la guerre, il faut arrêter économie". En soi, ce nouveau groupuscule ne représente pas grand-chose, mais son document est significatif des aberrations qui constituent le "patrimoine" du bordiguisme. En effet, outre les "souhaits" classiques en faveur d'une défaite des Etats-Unis, ce texte, en bonne fidélité bordiguiste, reprend à son compte des slogans mis en avant par Lénine au début du siècle tels que "Contre toute oppression des nationalités" et "Contre toute annexion". Aujourd'hui, ces deux slogans peuvent parfaitement convenir à la bourgeoisie et favoriser ses campagnes mystificatrices. Ainsi, c'est au nom de la lutte contre "l'oppression des nationalités" que les prolétaires des différentes républiques de l'URSS sont à l'heure actuelle appelés, et malheureusement avec succès, à abandonner leur terrain de classe pour le terrain pourri du nationalisme sur lequel ils vont s'entre-massacrer. De même, la "lutte contre les annexions" est, en ce moment même, le cheval de bataille de l'ONU, et particulièrement des Etats-Unis, dans leur croisade contre l'Irak.
[4] [33] Dans le document signé en commun par Workers'Voice et Battaglia Communista, l'Irak est considéré, fort justement, comme un pays impérialiste. Il faut constater, cependant, que c'est une première pour la CWO qui, jusqu'à présent, considérait que seules les superpuissances étaient impérialistes. Il est dommage que cette organisation n'ait pas fait part aux lecteurs de sa presse de son changement d'analyse. A moins que la CWO ne conserve encore, malgré tout, sa vieille (et stupide) position. Cela expliquerait la raison du titre ambigu du document signé en commun avec Battaglia, où on fait une différence entre "l'impérialisme occidental et "l'expansionnisme irakien". Décidément, le BIPR et la clarté politique sont toujours aussi fâchés l'un avec l'autre ! Pour sa part, l'opportunisme du BIPR continue à bien se porter. Merci pour lui !
Les convulsions qui secouent actuellement le monde, manifestations de l'entrée du capitalisme dans une phase de décomposition, imposent aux organisations du milieu politique prolétarien une décantation politique plus rigoureuse. La confrontation de leurs prises de position devrait contribuer a cette décantation, permettant une intervention qui soit un facteur de clarification et non de plus grande confusion pour l'ensemble de la classe ouvrière. Malheureusement, il n'en est rien.
L'accélération de l'histoire met en relief la paralysie et le retard des analyses des organisations politiques prolétariennes. Au lieu d'une confrontation de positions sérieuse, nous voyons des accords superficiels, d'occasion, pour quelque «publication commune», dont la seule raison d'être semble un accord tacite pour intensifier les attaques non fondées contre le CCI, parce qu'il est la seule organisation qui essaie d'aller au fond des choses dans les analyses de la situation actuelle, et parce qu'il en appelle à la responsabilité du milieu révolutionnaire. La persistance d'une telle attitude est porteuse du risque que ces organisations restent fixées à des formes d'existence parasitaires. Et si cela constitue un risque pour les organisations qui puisent leurs racines dans des fractions de la gauche communiste, et donc sont capables de se maintenir sur un terrain de classe, le risque est encore plus grand pour les regroupements politiques prolétariens relativement jeunes qui n'ont pas pu - ou pas voulu - s'accrocher au fil des positions historiques de la classe. C'est ce qui arrive au groupe Emancipacion Obrera (Argentine).
Défendre le milieu politique prolétarien, même des attaques des amis
Il y a quelques mois, Emancipacion Obrera (EO) a publié une brochure sous le titre «Nous voulons tout» dans laquelle ce groupe, outre qu'il disperse ses idées sur la lutte de résistance du prolétariat et autres thèmes, donne pesamment dans la calomnie à la mode dans le milieu politique prolétarien, contre le CCI, avec des envolées du style :
«Les mots d'ordre du CCI se réduisent plus ou moins à « pain, paix et travail », mot d'ordre connu de tout le réformisme mondial, du stalinisme, du trotskisme et de tous les "ismes" qui composent la gauche du capital, y compris des secteurs bourgeois qui ne sont pas de gauche».
Ce «plus ou moins» avec lequel commence la citation, est représentatif de l’esprit qui anime toute la brochure : l'esprit de l'ambiguïté dans les prises de position de EO, l'esprit de «jeter la pierre et cacher la main». Ainsi dès l’introduction nous lisons que :
«A côté dépositions qui gardent des ressemblances avec les nôtres, nous avons d'importants désaccords avec des points qu'ils (le CCI) ont en commun avec la gauche du capital (...).». Et : «ce n'est pas parce que le CCI n'est pas exactement identique à nous, mais parce qu'il n'a pas achevé la rupture avec la gauche du capital...».
Ainsi, selon ces camarades, le CCI aurait les mêmes positions que la gauche du capital... sans être exactement des leurs. C'est confus. Cependant la confusion ne vient pas de l'organisation analysée, mais de l'analyste. Il ne peut pas exister en effet une organisation qui soit en même temps bourgeoise et prolétarienne (EO ne parle pas de faiblesses ou de déviations, mais de mots d'ordre et de positions). Donc, ou bien le CCI est une organisation bourgeoise et EO devrait expliquer pourquoi il a maintenu des relations politiques pendant des années avec cette organisation. Ou bien EO a la position opportuniste selon laquelle une organisation prolétarienne pourrait maintenir des liens avec une organisation bourgeoise. Ou le CCI est une organisation prolétarienne et alors EO substitue la calomnie à la critique et au débat.
Mais le CCI n'est pas la seule victime de la confusion. En parlant de Rosa Luxemburg et en particulier de son oeuvre Réforme ou révolution, EO la situe avec le plus grand mépris comme l'exemple le plus pur du réformisme, dont le CCI serait imbibé. EO n'est pas capable de comprendre que précisément l'oeuvre citée constitue un outil fondamental avec lequel l'aile révolutionnaire - dont Rosa était une des principales représentantes - du parti prolétarien de l'époque (la social-démocratie de la fin du 19e siècle au début du 20e siècle) combattait le réformisme.
Ensuite, citant l'oeuvre de Lénine, Explication du projet de Programme, EO suppose qu il traite de «l'exposition la plus traditionnelle du problème (de la conscience), conception sur laquelle se retrouve d'accord la majorité des groupes politiques qui se disent révolutionnaires à l'intérieur et à l'extérieur de la gauche du capital», et, plus loin : «... A côté de choses correctes, on voit ses limites, son point faible. Il ne sort pas de la problématique de la résistance au capitalisme et l'alternative politique en reste à obtenir de l'influence dans le pouvoir d'Etat».
Récemment, EO considérait que des organisations prolétariennes et capitalistes pourraient «s'accorder» sur quelque chose, c'est-à-dire, avoir des positions politiques communes. En plus, la pensée révolutionnaire de Lénine est complètement détournée, la citation critiquée est de fait un commentaire inspiré du premier chapitre du Manifeste Communiste sur «comment s'accroît la force de la classe ouvrière à partir de sa lutte de résistance pour se convertir en lutte pour le pouvoir politique». EO rabaisse Lénine au niveau d'un vulgaire chercheur de poste. Son raisonnement est le même que celui dont il gratifie le CCI.
A propos du CCI : «A côté de positions semblables aux nôtres... des points communs avec la gauche du capital».
A propos de Lénine : «A côté de choses correctes, on voit ses limites.»
Mais la «limite» n'est pas ici le fait de Lénine, mais bien de EO qui se trompe sur l'histoire du mouvement révolutionnaire du prolétariat, la rend confuse, et la dévalorise. Dans une autre partie de la brochure, on peut lire :
«Le mot d'ordre traditionnel (repris par Engels, la social-démocratie, Lénine, Staline, Trotsky, Mao, Fidel, Tito, etc.) selon lequel après la révolution il doit en être "de chacun selon ses possibilités, à chacun selon son travail" s'est révélé être un moyen de perpétuer le capitalisme». Ici EO va jusqu'à établir une ligne de continuité entre les dirigeants du prolétariat comme Engels, Lénine ou Trotsky, et les bourreaux du prolétariat, les chiens sanglants du capital comme Staline, Mao, Fidel ou Tito. C'est tout juste si Marx et Engels sont épargnés par les traits ignorants de ces camarades : «Le même mot d'ordre qui a rendu fameux le Manifeste de Marx et Engels "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous" a démontré sa grave (sic) insuffisance».
Ainsi donc, la brochure «Nous voulons tout» est en premier lieu une manifestation du fait qu'EO perd la boussole et n'est pas capable de distinguer clairement les frontières de classe qui séparent une organisation prolétarienne d'une organisation du capital. Et ce, parce qu'elle n'est pas non plus capable de comprendre que les positions révolutionnaires de la classe ouvrière, de même que la forme dans laquelle elles sont exprimées dans l'oeuvre de tel ou tel révolutionnaire, ont une évolution, en même temps qu'une continuité, tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier. Continuité des positions de classe auxquelles tout regroupement politique prolétarien doit s'accrocher, s'il ne veut pas se voir ballotté d'un côté à l'autre par l'idéologie bourgeoise, fréquemment présentée sous les dehors d'idées «nouvelles» et «originales». Et attention. La question n'est pas qu'il faut s'incliner devant les révolutionnaires du passé comme s'ils étaient sacrés ou s'ils ne pouvaient pas avoir des insuffisances et commettre des erreurs, ou s'interdire toute critique envers eux ainsi qu'envers les organisations révolutionnaires. La question est que, pour pouvoir entreprendre une critique qui exprime mieux les positions de classe, ou qui leur permette d'avancer, il faut d'abord les comprendre, tout au moins il faut pouvoir les différencier des positions ennemies.
De fait, et sûrement sans s'en rendre compte, EO a apporté sa pierre dans la campagne idéologique que la bourgeoisie mondiale a lancée contre le prolétariat avec le motif de l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est, campagne qui identifie la révolution d'octobre avec le capitalisme d'Etat qui s'est instauré après sa défaite, et qui prétend établir une ligne de continuité entre Marx, Lénine et Staline, pour «prouver» que le marxisme conduit au stalinisme.
D'autre part, le silence complice et opportuniste d'autres groupes du milieu envers cette brochure de EO est préoccupant. Enchantés des attaques que EO lance contre le CCI, ils ne se sont pas préoccupés du fait que EO remet en question les frontières de classe qui définissent le milieu politique prolétarien, le marxisme en général. Dans ces conditions, le moins que puisse faire le CCI est de défendre les positions de base de la classe et du milieu politique révolutionnaire, même si, à cette occasion, l'attaque ne provient pas de l'ennemi que nous avons en face de nous, mais des amis.
Luttes de résistance et révolution
Mais quelle est cette «grave insuffisance» qui selon EO provient de Marx et Engels, passe par Rosa Luxemburg et Lénine et arrive jusqu'au CCI ? Quel est ce point sur lequel tous «s'accordent» avec la gauche du capital, «y compris avec des secteurs bourgeois qui ne sont pas de gauche» ? Il s'agit de la position la plus fondamentale, essentielle, du marxisme, avec laquelle les camarades s'embrouillent pendant les 60 pages de leur brochure sans en venir à bout : la position selon laquelle, la lutte de résistance des ouvriers contre les effets de l'exploitation capitaliste conduit dans son développement (dans son extension, unification, approfondissement, sa radicalisation) à la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière contre le capitalisme, comme un tout, pour le détruire et construire la société communiste. Et comme cette position se maintient tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier et est répétée constamment de multiples façons dans la littérature marxiste - il n'y a qu'à relire le premier chapitre du Manifeste Communiste -, il est naturel que EO finisse par vouloir jeter le marxisme dans le camp bourgeois. Voyons un des paragraphes qui résume sa position. Il se réfère aux luttes pour des augmentations de salaires et dit :
«... c'est une illusion criminelle de croire que l'unification des luttes actuelles (nous sommes dans ces luttes, nous y participons, et c'est pour cela que nous savons ce qu'elles sont) puissent créer la force qui nous permette de détruire le capitalisme et de créer le communisme. Principalement pour quatre raisons :
1) Les luttes actuelles se font en majorité sur un terrain limité, essayer de conserver la force de travail... Bien sûr, il faut les faire, mais il ne faut pas nier leurs limites et pire encore quand elles sont encadrées par des mots d'ordre tels que pain, paix et travail... D'autres sortes de luttes sont aussi nécessaires, d'autres sortes d'orientations, d'objectifs (souligné par EO).
2) Ces luttes en elles-mêmes ne créent pas la force, pas plus que leur unité ne permet de détruire le capitalisme : cela se fait avec un autre type de lutte, et un autre type de méthode (l'insurrection en est un exemple) et, certainement, avec d'autres objectifs.
3) Si l'avant-garde prolétarienne n'est pas organisée en parti... il n'y a pas de possibilité pour que mûrisse une alternative prolétarienne réellement capable de vaincre le capital.
4) Ce parti ne surgit pas spontanément de ces luttes... pas plus qu'il ne peut surgir de façon isolée de la lutte de classe réelle...».
Tout cela se réduit à une contradiction qu'établit EO entre les «luttes actuelles» et les «luttes d'un autre type qui sont nécessaires». EO nie que les luttes de résistance font partie du processus de l'unification de la classe en vue de la révolution, pour ce groupe elles ne font pas partie de la lutte de classe «réelle». Deux questions s'imposent :
Pourquoi EO pense que ces luttes doivent être, «bien sûr», soutenues. Réponse : «nous devons lutter pour ces simples raccommodages parce que nous n'avons pas encore la force pour faire la révolution». Ici est exprimé clairement que pour EO il n'existe pas de relation entre la lutte de résistance et la révolution, et que si on lutte pour ces «raccommodages» c'est parce qu'on ne peut pas faire autre chose. Non parce que cette lutte contribue en quoi que ce soit à la révolution, puisque ce sont deux choses opposées. Ceci est d'une inconséquence totale, puisque si EO considère que les luttes actuelles ne servent qu'à «obtenir des raccommodages» mais à chaque moment affirme qu'on doit «les faire» et qu'ils participent à ces luttes, c'est que ce groupe rabaisse le rôle de l'organisation révolutionnaire à celui d'une oeuvre de charité. En réalité, les révolutionnaires interviennent dans les luttes de résistance parce qu'ils ont la conviction qu'en principe elles constituent un point de départ pour le développement de la lutte révolutionnaire. C'est une autre question que de savoir comment, à partir de ces luttes, avec l'intervention du parti, de la conscience, se développe la lutte révolutionnaire.
Seconde question : quel serait cet autre «type de luttes», cette «lutte de classe réelle» qui créerait la force et l'unité de la classe. Là, la confusion de EO est encore plus grande.
D'un côté ils mentionnent l'insurrection, mais ce n'est pas de cela qu'on parle. Il ne suffit pas de définir le point culminant pour attaquer le pouvoir bourgeois, encore faut-il définir le chemin que le prolétariat doit prendre pour atteindre ce point culminant. L'histoire de la classe ouvrière ne connaît d'autre chemin que celui qui passe par le développement de ses luttes de résistance, de son mouvement de grèves. C'est dans ces luttes qu'il peut forger son unité, sa conscience, ses organisations, qui lui permettent d'aller à l'assaut révolutionnaire.
D'un autre côté, bien qu'on n'ait pas une idée claire, explicite de ce que EO veut dire par la «lutte de classe réelle», qui devrait se substituer aux «luttes actuelles», la brochure y fait allusion. Par exemple, elle se réfère à des émeutes de la faim pour dire : «il est certain que ce sont des réactions sans perspectives (...) mais il y a une composante des luttes que nie le CCI». Ailleurs, par rapport aux réactions de colère des ouvriers (comme bastonner un délégué syndical ou se battre avec la police) contre les abus dont ils sont l'objet de la part des forces du capital dans le travail et la vie quotidienne, ils disent : «Ces petites luttes, font aussi partie de la lutte et en de nombreux cas comportent des caractéristiques très importantes pour la lutte révolutionnaire...»; ou bien, à propos des actions comme dresser des barricades, brûler des voitures qu'on voit dans certaines grèves, ils approuvent : «il est certain que beaucoup d’actions, y compris désespérées, n'ont pas de perspectives et ne se produiraient pas si la classe ouvrière répondait comme une seule personne (...) mais aujourd'hui ce n'est pas la situation et si nous voulons intervenir dans la lutte réelle, nous devons partir des réalités (...)».
Il s'agit là de trois situations différentes :
- de révoltes de masses affamées et désespérées (voir "Les révolutionnaires face aux émeutes de la faim", Revue Internationale n° 63) ;
- de réactions isolées d'ouvriers ;
- de grèves de résistance (qui sont rejetées à certains moments, et ici saluées, pourquoi ?).
Qu'est ce qu'elles ont en commun ? Quelle est cette «composante de lutte très importante», cette «lutte réelle» ? Simplement, la violence désespérée. Selon EO, «Dans la mesure où la nécessité de détruire l'Etat n'apparaît pas intégrée à la façon dont le CCI pose les problèmes, (nous nous référons plus loin à cette question) (...) il est logique qu'ils sous-estiment ou méprisent les moments d affrontements avec les forces de l'ordre capitaliste (...)».
EO s'avance sur une pente glissante. De fait, la violence de classe (qu'on lise bien) est une «composante» de la lutte du prolétariat, et, évidemment non seulement dans l'insurrection pour abattre définitivement le pouvoir bourgeois, mais aussi dans toute la période qui la précède. Déjà les luttes de résistance, pour s’étendre sous le contrôle des ouvriers eux-mêmes, impliquent un affrontement avec l'appareil étatique, avec les syndicats, la police, la justice. Ce à quoi nous nous opposons sans cesse, ce que nous dénonçons dans tous les cas, c'est que les ouvriers s'enferment, ou mieux, soient enfermés par les radicaux petit-bourgeois, les syndicats ou la police, dans des actes de violence désespérés, isoles, minoritaires, qui empêchent ou entravent les tendances à l'unité de la classe, qui impliquent l'affrontement direct avec des organismes de répression pouvant mobiliser et concentrer une force très supérieure à celle d'un quelconque groupe d'ouvriers ou d'une grève isolée. Nous appelons à ne pas tomber dans cette violence désespérée «sans perspectives», qui conduit à des impasses, a des défaites et à la démoralisation de secteurs entiers de la classe ouvrière.
Rien n'est plus stupide et dangereux que de poser la question comme le fait EO : «il est criminel aujourd'hui d'appeler à s'armer de mitraillettes pour défendre un piquet de grève de la police, mais il est aussi criminel de ne pas chercher des moyens d'autodéfense en fonction des forces réelles d'aujourd'hui». Nous avons là, dans son essence, le piège du radicalisme petit bourgeois provocateur : inciter un groupe d'ouvriers à l'affrontement avec la police, mais en leur disant de ne pas utiliser d'armes à feu, sachant que la police peut en faire usage quand elle le veut. L’alternative relative au type de défense que devraient employer les ouvriers dans un piquet de grève est fausse. Les ouvriers se défendent toujours le mieux qu'ils peuvent, il n'y a qu'à se souvenir de la grève des aciéries au Brésil il y a deux ans, où les ouvriers avaient posé des pièges dans les installations de l'usine et inventé avec talent des artifices avec les outils pour affronter l'armée... et pourtant, malgré leur vaillante riposte, ils furent écrasés. La véritable alternative est : ou les ouvriers s'enferment dans leur usine jusqu'à ce qu'ils soient réprimés par une force policière plusieurs fois supérieure, qui aura inévitablement le dessus, ou ils sortent pour chercher la solidarité de classe, l'extension de la lutte, la force de la masse. Bien que ce chemin soit plus difficile et plus long, c'est le seul qui puisse conduire non seulement à l'obtention de revendications et à faire échec à la répression, mais encore est le seul moyen de contribuer à forger l'unité de la classe nécessaire pour renverser le capitalisme. Est-ce que les camarades de EO comprennent maintenant notre position ?
Le dernier point sur les luttes ouvrières. Mêlé à la critique faite au CCI d'appuyer les luttes de résistance, EO utilise l'argument que le CCI met en avant «une unité sans aucune perspective anti-capitaliste et intégrée au capitalisme... qui obligatoirement amène à de nouvelles défaites», «le principal problème du CCI... n'est pas son appui à ces luttes (de résistance) mais sa tentative de les enfermer dans un schéma politique économiciste».
C'est-à-dire, il ne s'agit pas là du «caractère limité des luttes», mais du fait que le CCI essaie de les limiter. Ceci est une accusation réellement grave parce qu'elle identifie le CCI à un instrument de la bourgeoisie, comme les syndicats, dont la fonction est précisément de tenter d'encadrer les luttes et de les mener à la défaite. EO devrait au moins avoir quelque solide argument pour la lancer. Et pourtant, il n en a pas. Cette accusation est soutenue par des phrases des plus floues, faisant référence à ce que le CCI ne parle pas toujours de l'objectif final ou de la lutte armée, du style de «ce thème n'est pas traité avec l'importance qu'il doit avoir»; «quelques textes isolés semblent reconnaître... mais c'est insuffisant» ; «soit dit en passant (oui, camarades, ce que vous dites est toujours dit "en passant"), il semble que le CCI ne défende pas non plus la dictature du prolétariat dans ses tracts».
Que signifie tout cela ? Qu'une fois que EO a perdu de vue la délimitation des frontières de classes, des positions qui séparent une organisation du capital d'une organisation révolutionnaire du prolétariat, elle est amenée à penser qu'une organisation révolutionnaire se juge... a la quantité de fois qu'elle écrit «prendre le pouvoir !», «guerre révolutionnaire !», «nous voulons tout !». C'est regrettable, mais cela nous fait penser au «travail politique dans les masses» que prône le gauchisme petit bourgeois le plus radical : balancer des tracts et couvrir les murs de mots d'ordre aussi ultraradicaux et ultra-révolutionnaires... que vides de contenu. Où va donc le groupe EO?
Emancipacion Obrera à la dérive
Il y a maintenant plus de quatre ans que nous avons établi des relations politiques avec EO, avec la publication dans les pages de cette revue de sa «Proposition internationale» et d'un début de correspondance (Revue Internationale n°46 et 49, 1986-87). A cette époque, nous avons salué la préoccupation et l'effort des camarades de contribuer à l'unification des forces révolutionnaires dans le monde. Pourtant, nous ne nous sommes pas privés de signaler ce qui, de notre point de vue, constituait les faiblesses de ce regroupement. En particulier, nous l'avons prévenu contre l'idée que le critère pour «reconnaître» les groupes révolutionnaires pourrait être «la pratique» sans plus. Nous disions que :
«Une "pratique" séparée de tout fondement politique, de toute orientation, de tout cadre de principes, n'est qu'une pratique suspendue en l'air, un immédiatisme borné, mais ne saurait jamais être une activité vraiment révolutionnaire. Toute séparation entre théorie et pratique optant soit pour la théorie sans pratique, soit pour la pratique sans théorie, détruit l'unité des luttes immédiates et du but historique». (Revue Internationale n° 49)
Ainsi nous signalions l'urgente nécessité, encore plus grande pour les groupes «jeunes», face à la rupture organique de plus de cinquante ans, produit de la défaite de la vague révolutionnaire du début de ce siècle, de s'efforcer de «tenter de rétablir la continuité historique et politique du mouvement», (id.) Nous l'avons alerté à l'époque du danger de tomber dans l'attitude de certains groupes à qui «il paraît plus avantageux de rester dans l'ignorance et même d'effacer purement et simplement le passé et de considérer que l'histoire de la lutte des classes commence avec eux... dans leur volonté d'effacer le passé, se considérant être sortis du néant, ils se condamnent à n'être que du néant», (id.) Ce qui à cette époque apparaissait comme des «faiblesses» passagères d un corps jeune, tend aujourd’hui à se convertir en maladie chronique : le mépris pour la théorie, la négation de la continuité historique du mouvement ouvrier. Et que nous offre EO en échange ? Peu, réellement peu.
Ainsi, le problème de la conscience de classe, apparaît à EO comme un «noeud gordien» qu'ils ne tentent pas de dénouer, mais qu'ils préfèrent «trancher d'un coup de hache» (p. 50 de «Nous voulons tout»). Pour EO, le débat de deux siècles dans le mouvement ouvrier est «résolu» sans grande difficulté. Pour eux, nul besoin de marxisme, ils ont simplement besoin... d'un dictionnaire :
«Si nous y prêtons réellement attention (EO nous fait la leçon), en réalité le spontané non seulement n'est pas l'inconscient mais suppose que ce qu'on fait spontanément, on le fasse volontairement... du dictionnaire, "spontané" : volontaire et de son propre mouvement"
(...)». Et de ce jeu sur les mots infantile, EO tire la conclusion : «au spontané ne s'oppose pas le conscient, mais l'organisé... et notre tâche fondamentale n'est pas que les ouvriers prennent conscience, mais de prendre part à leurs prises de position, à ce qu'il prennent parti», et plus loin : «la tâche du parti (...) n'est pas de "développer la conscience" ou qu'il y ait prise de conscience, mais qu'il y ait prise de parti (...)", "la tâche du parti est de défendre une position, un parti (sic)» : «la situation du prolétariat ne trouvera pas de solution quand les ouvriers "prendront conscience" qu'ils sont exploités, ou que la bourgeoisie est l'ennemi, que le capitalisme est une merde ! Combiens d'ouvriers et d'ouvrières le savent déjà sans l'aide des "révolutionnaires" ? Est-ce que cela change la réalité de cette situation? (...) la question est en premier lieu la position, le parti qu 'ils prennent (...)»
Nous posons la question : pourquoi personne n'a eu avant l'idée de regarder un dictionnaire, où il est clairement dit que le spontané et le volontaire sont identiques, ce qui supprime le problème de la spontanéité ? Est-ce parce que jusqu'à présent personne ne s'est rendu compte du «nombre d’ouvriers qui ont déjà pris conscience sans que cela change la réalité», fait qui anéantit le problème de la conscience ? Pourquoi, avoir construit tant de partis sans que jusqu'à maintenant personne ne se soit rendu compte que la tâche du Parti était - comme son nom l'indique - de «faire que la classe prenne parti» ? Peut-on prendre au sérieux les balivernes que nous sert aujourd'hui EO, après nous avoir fait découvrir les «graves insuffisances» du marxisme ?
Si nous prenons au sérieux EO, nous pourrions essayer d'expliquer que le problème de la conscience n'est pas un problème de définition du dictionnaire, mais la question fondamentale de la lutte du prolétariat ; la lutte pour la conscience de classe, qui est aussi la lutte pour briser et dépasser l'idéologie bourgeoise, n'est que l'expression de la lutte de classe du prolétariat pour faire prévaloir ses objectifs historiques en mettant à bas la société dominante. Nous pourrions aussi essayer d'expliquer que la conscience de classe n'est pas ce que chaque ouvrier «sait» ou croit savoir, mais ce que la classe ouvrière est appelé historiquement à réaliser. Que la conscience de classe ne peut être séparée de la pratique, c'est-à-dire que la conscience du prolétariat s'exprime en tant que lutte révolutionnaire. Nous pourrions aussi tenter de définir le cadre du débat dans le camp révolutionnaire sur la question de la conscience de classe : est-ce que ce sont les masses qui atteignent cette conscience ou seulement l'avant-garde, et en fonction de la position adoptée, les différentes organisations ont un certain type d'intervention et d'orientation au sein de la classe... Mais est que cela servirait à quelque chose pour EO ?
Certainement, dans la position de EO on peut reconnaître une certaine influence du courant bordiguiste, qui considère que la conscience à laquelle parviennent les masses est limitée à la reconnaissance du parti révolutionnaire, à leur capacité de «parti pris» dont parle EO, et que le parti est dépositaire de la conscience de classe globale. Pourtant, cette ressemblance s'arrête là. EO suit une toute autre route. Ses considérations sur les «insuffisances» des positions marxistes sont un rejet des luttes de résistance à cause de leurs «limites» ; sa préoccupation de rencontrer une lutte de classes réelle» ; ses difficultés à distinguer les frontières de classe ; son insistance sur une phraséologie «radicale» ; son idée que la classe a déjà pris conscience et qu'il lui reste seulement à se donner un parti, etc. ; tout cela n'est pas l'expression d'une position politique ferme, cohérente mais d'un désespoir. Désespoir parce qu'il n'existe pas de parti, parce que la révolution n'est pas encore immédiatement réalisable. Le titre même de la brochure, «Nous voulons tout» en est l'expression. Comme s'il suffisait de publier des millions de petits papiers, avec la même consigne «nous voulons tout, prenons tout», pour que l'insurrection ait lieu.
Le désespoir n'est pas l'essence de l'organisation révolutionnaire, qui est d'être capable de saisir, au moins dans ses grandes lignes, le cours historique de la lutte de classe, ce qui lui donne de l'assurance et de la patience. Le désespoir est propre au radicalisme petit bourgeois et EO dérive malheureusement dans ce sens. Nous considérons comme étant de notre devoir d'alerter les camarades d'EO de ce risque, de les appeler à réagir contre des tendances radicaloïdes, plus évidentes à chaque nouvelle publication. Quant aux groupes du milieu politique prolétarien, et particulièrement ceux qui aujourd'hui maintiennent des relations étroites avec EO, nous les appelons à assumer leurs responsabilités et de débattre avec EO de ses faiblesses... l'attitude de «laisser passer» sous le prétexte d'un accord occasionnel est de d'opportunisme : la gangrène des organisations révolutionnaires.
Ldo, octobre 1990
Troisième partie : de Marx à Lénine, 1848-1917 I. De Marx à la 2e Internationale
L'accélération actuelle de l'histoire, pleinement rentrée dans la phase de décomposition du capitalisme, pose de façon aiguë la nécessité de la révolution prolétarienne, comme seule issue à la barbarie du capitalisme en crise. L'histoire nous a enseigné qu'une telle révolution ne peut triompher que si la classe réussit à s'organiser de manière autonome par rapport aux autres classes (conseils ouvriers) et à sécréter l'avant-garde qui la guide vers la victoire : le parti de classe. Cependant, aujourd'hui, ce parti n'existe pas, et Beaucoup baissent les bras parce que face aux tâches gigantesques qui nous attendent, l'activité des petits groupes révolutionnaires existants paraît dénuée de sens. Au sein même du camp révolutionnaire, la majorité des groupes réagit à l'absence de parti en répétant à l'infini son très Saint Nom, invoqué comme le deus ex machina capable, grâce à sa seule évocation, de résoudre tous les problèmes de la classe. La désimplication individuelle et l'engagement déclamatoire sont deux manières classiques de fuir la lutte pour le parti, lutte qui se mène ici, aujourd'hui, en continuité avec l'activité des fractions de gauche qui se sont séparées dans les années 1920 de l'Internationale Communiste dégénérescente.
Dans les deux premières parties de ce travail, nous avons analysé l'activité de la Gauche Communiste Italienne, organisée en fraction dans les années 1930-40, et la fondation prématurée d'un Parti Communiste Internationaliste, complètement artificiel, par des camarades de Battaglia Comunista en 1942 ([1] [38]). Dans cette troisième partie, nous montrerons que la méthode de travail de fraction, dans les périodes défavorables, où il n'était pas possible qu'existe un parti de classe, a été la seule méthode employée par Marx lui môme. Nous montrerons en plus qu'une telle méthode marxiste de travail pour le parti a trouvé sa définition essentielle grâce à la lutte tenace de la Fraction Bolchevique des socio-démocrates russes. Contre tous ceux qui se gargarisent des éloges du parti de fer de Lénine et d'ironie envers «les petits groupuscules des fractions de gauche», nous répétons que «l'histoire des fractions est l’histoire de Lénine» ([2] [39]) et que ce n'est que sur la base du travail qu'elles ont accompli qu'il sera possible de reconstruire le Parti Communiste Mondial de demain.
Dans l'article, que nous avons déjà largement cité dans les parties précédentes de ce travail, les camarades de Battaglia Comunista, après avoir critiqué l'oeuvre de la Fraction de Gauche du PCI dans les années qui vont de 1935 à 1945, concluent leur présentation avec une condamnation sans appel du concept de fraction en général :
«Quel sens cela a-t-il de ne lier exclusivement la notion de parti qu'au concept de pouvoir ou de possibilité de guider de grandes masses, en déniant à l'organe politique de la lutte de classe toute possibilité d'existence si ce n'est dans les phases révolutionnaires, en déléguant à des organismes jamais bien définis ou à des succédanés la tâche de défendre les intérêts de classe dans les phases contre-révolutionnaires. (...)
Soutenir que le parti ne peut que surgir de façon correspondante aux situations révolutionnaires dans lesquelles la question du pouvoir est à l’ordre du jour, alors que dans les phases contre-révolutionnaires le parti "doit" disparaître ou laisser la place aux fractions, signifie non seulement priver la classe, dans les moments les plus dangereux et les plus difficiles, d'un minimum de référence politique, ce qui finit par favoriser le jeu conservateur de la bourgeoisie, mais aussi créer de propos délibéré .des vides qui peuvent difficilement être colmatés dans l'espace de 24heures. (...)
Il ne faut pas soutenir de telles thèses mettant sens dessus dessous l'expérience historique en attribuant au parti bolchevique lui même le rôle de "fraction" de la social-démocratie russe jusqu'en 17 (thèses soutenues par le CCI dans la Revue Internationale N° 3). (...)
La Russie a été l'unique pays européen, impliqué dans la crise guerrière de 1914-18 dans lequel, malgré des conditions plus défavorables qu'ailleurs, s'est manifestée une révolution prolétarienne, justement parce qu'il y avait un parti qui oeuvrait en tant que tel, au moins à partir de 1912. Le bolchevisme, dès ses origines ne s'est pas limité à combattre sur le plan politique l'opportunisme des mencheviques, à élaborer théoriquement les principes de la révolution, à former des cadres et à faire du prosélytisme, mais il a tissé ces premiers liens entre le parti et la classe, destinés à devenir plus tard, dans le feu d'une situation montante, de véritables canaux collecteurs entre la spontanéité de la classe et le programme tactique et stratégique du parti. (...)
En 1902 déjà, Lénine avait jeté les bases tactiques et organisationnelles sur lesquelles avait dû se construire l'alternative à l'opportunisme de la social-démocratie russe, alternative de parti, à moins qu'on ne veuille faire passer le "Que Faire ?" pour les dix commandements du bon fractionniste». ([3] [40])
Pour résumer, selon les camarades de BC :
1) on ne sait pas d'où sort la théorie selon laquelle, dans les périodes contre-révolutionnaires, les fractions devraient se substituer aux partis ;
2) ces fractions sont des «organismes jamais bien définis», et donc incapables de donner une orientation
Ç |
olitique au prolétariat ; ) si la révolution russe s'est faite, c'est parce que Lénine, dès 1902, avait jeté les bases du parti bolchevique, et non de la fraction bolchevique comme le soutient au contraire le CCI.
Trois affirmations, trois fissures dans la cohérence théorico-politique de Battaglia, et un beau trois en histoire du mouvement ouvrier. Voyons pourquoi.
Marx, la ligue des communistes, l'A.I.T., et les leçons de la contre-révolution
«Je te ferai d'abord observer qu'après que, sur ma demande, la Ligue a été dissoute en novembre 1852, je n'ai appartenu ni n'appartiens, à aucune organisation, secrète ou publique ; autrement dit, le parti, dans le sens tout à fait éphémère du terme a cessé d'exister pour moi depuis huit ans. (...) A la suite de quoi, j'ai été attaqué à plusieurs reprises, sinon ouvertement, du moins de façon compréhensible, à cause de mon "inactivité". (...) En conséquence, du parti tel que tu m'en parles, dans ta lettre, Je ne sais plus rien depuis 1852. (...) La Ligue, aussi bien que la Société des Saisons de Paris et cent autres organisations n'ont été qu'un épisode dans l'histoire du parti qui naît spontanément du sol de la société moderne. (...) En outre, j'ai essayé d'écarter ce malentendu qui ferait comprendre par "parti" une Ligue morte depuis huit ans ou une rédaction de journal dissoute depuis douze ans. Quand Je parle cependant de parti, j'entends le terme Parti dans son sens historique le plus large.» (Marx à Freiligrath, 1860).
Comme on le voit, la même théorie selon laquelle les partis prolétariens "disparaissent" dans les phases contre-révolutionnaires n'est pas un apport des camarades de Bilan dans les années 1930 de ce siècle, mais une ferme conviction de Marx depuis la moitié du siècle dernier déjà. En répondant à l’ex-militant de la Ligue des Communistes, Ferdinand Freiligrath, qui l'invitait à reprendre la direction du "parti", Marx précise que ce parti s'est dissout huit ans avant, à la fin de la vague révolutionnaire qui avait débuté en 1848, comme s'était dissoute auparavant la Société des Saisons des ouvriers parisiens et d'autres organisations, une fois fini le cycle de luttes dont elles étaient l'expression. Il est clair que cette attitude profondément matérialiste, Marx l'a toujours eue contre les préjugés activistes de ceux qui ne voulaient pas accepter de reconnaître la profondeur de la défaite et qui voulaient immédiatement «recommencer comme avant». Lorsqu'en 1850, Marx déclara que la reprise économique mondiale éloignait toute perspective révolutionnaire en Europe, la majorité des militants de la Ligue (fraction de Willich-Schapper) s'opposa à lui en dénonçant sa tentative de «renvoyer dormir tout le monde». Il n'y eut qu'une minorité pour lui rester fidèle, et -même après la dissolution formelle de la Ligue en 1852 pour se dédier à la tâche difficile de «tirer les leçons de la défaite», en en comprenant les causes et en forgeant les instruments théoriques qui serviraient au prolétariat dans les prochaines vagues de lutte. Il est important de souligner que les camarades qui voulaient à tout prix maintenir la Ligue en vie ont d'abord été contraints de revenir sur les positions politiques, en se laissant aller aux intrigues, aux alliances artificielles avec les démocrates, pour se dissoudre ensuite eux aussi, mais sans rien laisser derrière eux, sinon les feux d'artifice de l'activisme pour le maintien du parti. Au contraire, le patient travail de clarification et de formation des révolutionnaires mené par la fraction liée à Marx devait donner «ses fruits avec la reprise du mouvement» ouvrier : les quelques révolutionnaires marxistes se trouveront tout naturellement à la tête des différentes sections de l'Association Internationale des Travailleurs, quand celle-ci se formera en 1864 (en se développant «spontanément du sol de la société moderne»), en même temps que s'effectue la reprise internationale du mouvement ouvrier. La position de Marx ne change pas, quand en 1871, la défaite de la Commune de Paris ouvre la voie à une nouvelle période de reflux du mouvement ouvrier. Dans ces conditions, Marx et Engels comprirent aussitôt que les jours de l'AIT étaient comptés et, au congrès de La Haye en 1872, ils feront voter le transfert du Conseil Général à New York, ce qui revenait à dissoudre l'organisation : «étant donné les conditions actuelles de l'Europe, il est absolument utile, à mon avis, de faire passer à l'arrière-plan pour le moment l'organisation formelle de l'Internationale. (...) Les événements de l'inévitable involution et évolution des choses pourvoiront d'eux-mêmes à une résurrection de l'Internationale sous une forme plus parfaite. En attendant, il suffit de ne pas laisser glisser entièrement de nos mains les meilleurs éléments dans les divers pays (...)». (Marx à Sorge, 1873). Encore une fois, pour Marx et Engels, maintenir en vie artificiellement une façade de parti en période contre-révolutionnaire est absolument inutile, alors qu'il est fondamental que se poursuive l'activité collective de cette fraction de militants capables de résister à la démoralisation et de préparer la reprise future «sous une forme plus parfaite».
Pour consoler les camarades de BC, terrorisés par la possibilité que quelqu'un puisse "décider" que le parti, à un certain moment, "doit" disparaître, il faut souligner que Marx et Engels n'ont jamais pensé prendre de telles "décisions". "Décider" de dissoudre le parti est un acte volontariste, exactement comme décider de le maintenir artificiellement. Marx n'a pas dissout autoritairement la Ligue en 1850, pas plus que PAIT en 1872. Il a simplement expliqué que les révolutionnaires doivent se préparer à affronter la prochaine désagrégation de ces partis, en s'organisant pour maintenir même en leur absence le fil rouge de l'activité communiste. Si la dissolution de ces organes s'est effectivement vérifiée ensuite, dans tous les cas, selon les prévisions de Marx, c'était dû à la force même des choses, et pas à la force des ordres de Marx.
La dialectique fraction-parti se précise au cours du développement historique du mouvement ouvrier
Maintenant que nous avons clarifié que "l'étrange" théorie sur la disparition des partis prolétariens en périodes contre-révolutionnaires a été développée par Marx lui-même, occupons-nous donc de ces organes qui, dans ces périodes, assurent la continuité de 1’activité révolutionnaire, c'est-à-dire les fractions. Selon Battaglia, il s'agit d'«organismes jamais bien définis». Il est certainement tout à fait vrai que Marx n'a jamais écrit un bel ouvrage propagandiste (du style "Travail salarié et capital") sur la fonction du réseau de camarades, qui étaient restés autour de lui, après la dissolution de la Ligue et de l’AIT. Mais cela ne veut pas dire que, pour Marx, ce travail de bilan était peu important. Cela est dû au fait que la notion de fraction du parti de classe est, de par sa nature, liée à la notion même de parti. La définition de ses contours va donc de pair avec le processus historique, qui va de la Ligue clés Communistes, qui «marchera avec une fraction de la bourgeoisie», à l'Internationale Communiste qui «se donne pour tâche historique celle de réaliser la révolution dans le monde entier» ([4] [41]).
C'est au fur et à mesure, dans l'expérience historique de la classe, que se précisent les contours de son parti d'avant-garde, que s'accumulent parallèlement les matériaux nécessaires à la définition du travail de la fraction marxiste, qui apparaît en réaction aux déviations opportunistes du parti. Ce n'est que lorsque le capitalisme rentre dans sa phase finale, que la nécessite et la possibilité de la révolution communiste est enfin à l'ordre du jour, que le parti de classe peut se développer sous sa forme achevée, devenant par la même capable de sécréter des vraies fractions, en réaction a un cours à l'opportunisme et à la dégénérescence. La Gauche Italienne avait tiré cette leçon des années 1930 :
«Le problème de la fraction - ainsi que nous le concevons - c'est-à-dire comme un moment de la reconstruction du parti de classe ne fut ni ne pouvait être conçu au sein de la Première et de la Deuxième Internationales. Celles qui s'appelèrent alors "fraction" ou plus communément "aile droite" ou "aile gauche", ou "courant intransigeant", ou courant "transigeant", ou, enfin, "révolutionnaire" et "réformiste" ne furent - dans la plus grande partie des cas, à l'exception des bolcheviks- que des ententes fortuites à la veille ou au cours des congrès, dans le but de faire prévaloir certains ordres du jour sans aucune continuité organisationnelle, en une phase où le problème de la prise du pouvoir n'étant pas posé, il ne pouvait exister un parti de classe ([5] [42]). L'écroulement de la Deuxième Internationale, lors de l'éclatement du conflit mondial, ne peut être considéré comme une trahison brusque, mais comme la conclusion de toute une courbe qui ta conduisait au terme de son évolution. La notion exacte de la tâche d'une fraction ne peut être que le corollaire de la notion exacte du parti de classe. » ([6] [43]).
Le processus de maturation et de définition du concept de fraction trouve donc son origine (mais pas sa conclusion) dans ce premier réseau de camarades lui avaient survécu à la dissolution de la Ligue des Communistes. Puisque comprendre d'où nous sommes partis est toujours indispensable pour comprendre où nous allons, nous allons chercher à analyser en profondeur l'activité de cette première " fraction.
Certaines phrases de la lettre à Freiligrath, ou d'autres citations isolées de la correspondance privée de Marx et Engels, ont souvent été utilisées pour démontrer que ces camarades se seraient retirés dans leurs vies privées, s'adonnant à leurs études théoriques, que, par la suite, ils auraient mis à la disposition des masses désireuses d'apprendre. La réalité est complètement différente.
Engels le clarifie aussitôt : «Pour l'heure, l'essentiel c'est que nous ayons la possibilité de nous faire imprimer, soit dans une revue trimestrielle dans laquelle nous attaquerons directement et où nous assurerons nos positions face aux personnes, soit dans de gros ouvrages où nous pourrons faire la même chose sans même avoir à mentionner l'un quelconque de ces cafards. L'une comme l'autre de ces solutions me convient ; encore qu'il me semble que si la réaction tend à se renforcer, la première éventualité s'avérera moins sûre à ta longue, et la seconde constituera de plus en plus la seule ressource sur laquelle nous devrons nous rabattre.» (Engels à Marx, 1851). Marx le réaffirme : «Je lui ai dit que nous ne pouvions collaborer directement à aucun petit journal, pas même à un journal de parti ([7] [44]), à moins qu'il ne soit rédigé par nous-mêmes. Mais qu'en ce moment, il manquait toutes les conditions nécessaires pour atteindre un tel but.» (Marx à Engels, 1959).
Ce n'est pas du tout se retirer dans la vie privée, c'est autre chose que de «s'adonner aux études» en attendant de revenir à une action militante. «L'essentiel» pour Marx et Engels, le but auquel ils consacrent tous leurs moyens, c'était la publication la plus régulière possible d'une presse révolutionnaire pour défendre et approfondir publiquement la perspective du communisme et la critique de la société capitaliste. Ce qu'ils ont réfuté, ce n'est pas cette activité organisée et formalisée, mais le recours fallacieux pour la rendre possible, à une collaboration avec des éléments confus et activistes, qui auraient rendu leur travail complètement inutile. S'ils n'ont pu maintenir un cadre d'activité aussi formellement organisé, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas essayé, mais parce qu’il « manquait toutes les conditions nécessaires pour atteindre un tel but». Et ces conditions manquaient parce que le développement du mouvement ouvrier était encore tellement faible que, dans les phases de reflux, il ne permettait pas même l'existence d'un petit groupe révolutionnaire organisé. Encore une fois, personne ne décide que le parti "doit" disparaître, que la fraction "doit" se limiter à un réseau informel de camarades. Ce sont les conditions objectives des affrontements de classe qui le déterminent, les camarades ne peuvent que décider s'ils reconnaissent cette réalité et s organisent en conséquence, ou au contraire, s'ils ferment les yeux et s'abusent eux-mêmes et les autres avec, les miroirs aux alouettes qui font que, de l'organe de classe, il ne reste que le nom et l'apparence. En réalité, il n'y a que ceux qui ne s'amusent pas dans des Comités Centraux qui flottent dans le vide, qui jouent un rôle de "parti" dans les phases contre-révolutionnaires : le petit groupe informel de camarades regroupés autour de Marx travaillait de manière tellement continue et collective qu'on se référait communément à lui dans le milieu révolutionnaire comme au «parti Marx», à tel point que ce dernier fut obligé de préciser dans sa lettre à Freiligrath que ce parti n'existait pas. Marx précise que, quand il parle d'activité de parti, il l'entend «dans te sens historique le plus large» du terme, comme activité «de parti», qui tend à assurer la continuité politique entre les différents partis. Les croupes de camarades qui ont assuré cette continuité, après la dissolution de la Ligue et de l’AIT -par delà leur nature informelle -, peuvent être considérés comme des fractions sous tous les aspects, parce qu'il ne s'agit pas de nouveaux regroupements, mais de véritables fractions des vieux partis. Le «parti Marx» des années 1853-1863 n'est rien d'autre que la «fraction Marx» des années 1850-1852 au sein de la Ligue. Les «camarades les plus capables des différents pays» dans la période qui va de la dissolution de l'AIT à la naissance de la 2e Internationale, ne sont rien d'autre que la vieille fraction marxiste «autoritaire» au sein de l'AIT. Les fractions, quelle que soit la façon dont elles se définissent et s'organisent en fonction de la maturité des temps, représentent donc la continuité historique entre les différents épisodes de l'histoire du parti.
Le problème de la fraction dans la 2e internationale
La simple affirmation du fait que Lénine - chef de la fraction bolchevique du Parti Ouvrier Social-démocrate Russe - a quelque chose à voir avec les fractions, provoque le mépris de Battaglia, pour qui Lénine est l'homme du parti, un point c'est tout. Selon BC, c'est parce qu'il existait un parti bolchevique -et pas une quelconque fraction «mal définie» - que la révolution a pu vaincre en Russie.
Avant de démontrer l'énième falsification historique de BC, il convient de rappeler le cadre historique dans lequel s'est développée l'action des bolcheviks et de la gauche socialiste en général, à l'intérieur de la 2e Internationale. Celle-ci a été fondée dans une période historique difficile pour les révolutionnaires : d'un côté, dans toute l'Europe se termine la phase dans laquelle le prolétariat pouvait s'inscrire de façon autonome dans les révolutions démocratiques bourgeoises (qui étaient désormais menées à bien «par le haut», voir Bismark en Allemagne) ; de l'autre, les conditions pour mettre la révolution prolétarienne à l'ordre du jour n'existaient pas encore, étant donné que le capitalisme se trouvait en plein dans sa dernière et plus impétueuse phase de développement économique. Dans ces conditions, Marx (et Engels après la mort de ce dernier) considérait l'existence d une puissante aile opportuniste dans les partis social-démocrates comme un «fait inévitable». Il recommandait donc aux composantes marxistes d'éviter des scissions prématurées, pour se concentrer sur la défense politique intransigeante des positions de classe au sein du parti, en attendant que se rapproche une crise révolutionnaire qui conduirait «automatiquement» à la scission et au surgissement de véritables partis marxistes ([8] [45]).
Les révolutionnaires doivent être les défenseurs les plus résolus de l'unité du parti, renonçant momentanément à former des courants bien définis organisationnellement, ce qui les aurait exposés au risque d'expulsion et en conséquence, de transformation en secte détachée du mouvement réel. Dans cette situation, il s'agissait de la seule ligne d'action adéquate, et, dans les faits, elle a réussi à recueillir plus d'un succès (approbation du programme marxiste d'Erfurt en 1881). Cependant, la prolongation pendant des décennies de la phase de développement économique et de paix sociale posait de plus en plus comme un «fait inévitable» non seulement l'existence de l'aile opportuniste, mais aussi qu'elle s'infiltre dans la majorité du parti, ce qui rendait problématique sa capacité à s’auto-épurer face à une situation prérévolutionnaire. Au début de ce siècle commençait à se poser pour les marxistes la question de réagir à cette involution, en passant de la défense du marxisme «en ordre dispersé» à une action plus coordonnée au sein du parti. Il s'agissait cependant d'un passage extrêmement difficile, parce que le mythe de l'unité avant tout était profondément enraciné dans les fondements mêmes du parti, et que les directions du parti avaient beau jeu de présenter les radicaux comme les diviseurs du parti unitaire.
En 1909, la tentative de militants de gauche hollandais de s'organiser en tendance autour d'un organe, Die Tribune, fut brisée dans l'oeuf, par une expulsion en bloc, ce qui les obligea à se constituer momentanément en mini-parti, qui ne tarda pas à reproduire en petit les vices du parti d'origine ([9] [46]).
L'unique exception, comme le rappelaient les citations déjà faites de Bilan n° 24, ce furent les bolcheviks russes qui s'organisèrent en fraction autonome du POSDR à partir de 1904. On pourrait s'étonner que les premiers à bouger aient été ces attardés de russes, mais l'explication de leur rôle d'avant-garde vient justement des conditions particulières de l'empire russe (qui s'étendait alors de la Sibérie à la Pologne). Dans cette zone immense et dans les premières années de ce siècle, cette révolution démocratique bourgeoise, qui était déjà largement achevée en Europe, était encore à l'ordre du jour. De plus, le développement tardif de la bourgeoisie russe 1’avait empêchée de jouer un rôle d'avant-garde dans la révolution démocratique, en même temps que le caractère super-arriéré du tsarisme russe l'empêchait de réaliser la révolution «par le haut» comme Bismarck l'avait fait en Allemagne. Le prolétariat russe n'était donc pas destiné à saisir la dernière chance historique de s inscrire de manière autonome dans une révolution bourgeoise.
Mais, comme nous l'avons vu, Engels avait déjà prévu que le rapprochement d'une crise révolutionnaire mettrait à l'ordre du jour la séparation organisationnelle entre les marxistes et les opportunistes. Le mûrissement d'une situation révolutionnaire dans les territoires tsaristes a pleinement confirmé les prévisions d'Engels, en rendant toujours plus difficile la cohabitation entre les marxistes révolutionnaires et les opportunistes, qui, dans la logique même des choses, étaient enclins à faire des compromis non seulement avec les démocrates, mais avec la réaction même. En Pologne, les révolutionnaires conduits par Rosa Luxemburg avaient déjà résolu le problème en 1894, en créant un nouveau petit parti, le SDCP, en opposition au vieux parti socialiste, le PPS, profondément infecté par le nationalisme. De cette façon, Rosa Luxembourg eut aussitôt les mains libres, mais elle n'eut jamais la possibilité de faire l'expérience d'une lutte de fraction pour défendre un parti menacé de dégénérescence. C'est pour cela qu'elle n'a jamais réussi à développer et comprendre vraiment le concept de fraction. C'est une faiblesse qui sera chèrement payée pendant la lutte héroïque des spartakistes contre la dégénérescence du SPD allemand, et 3ui sera en grande partie responsable du retard fatal dans la constitution du nouveau parti communiste allemand en 1918.
Au contraire, toute la bataille que mènera Lénine pendant plus de dix ans, se déroulera à l'intérieur du parti, lui permettant de développer et d'élaborer la notion politique de fraction de gauche, posant ainsi les bases de la 3e Internationale.
Beyle
[1] [47] Les deux premières parties ont été publiées dans les Revue Internationale n° 59 et 61. Pour une analyse approfondie de l'activité de la Gauche Communiste Italienne, il est recommandé de lire nos deux volumes : "La Gauche Communiste d'Italie, 1927-1952" et "La GCI et l'Opposition Internationale de Gauche".
[2] [48] Intervention de Bordiga au 6e Comité exécutif élargi de l'Internationale Communiste, en 1926.
[3] [49] "Fraction et parti dans l'expérience de la Gauche italienne", in Prometeo n° 2, mars 1979.
[4] [50] "Vers l'Internationale 2 et 3/4 ?", in Bilan n° 1, novembre 1933.
[5] [51] On doit évidemment comprendre qu'il ne pouvait exister un parti de classe pleinement développé. La Ligue et l'AIT ont toutes deux été des partis de classe, complètement adéquats à ce niveau de développement du mouvement de la classe ouvrière. (Note du CCI).
[6] [52] ' Le problème des fractions dans la 2e Internationale", in Bilan n°24, 1935.
[7] [53] Marx entend car là un journal authentiquement socialiste. L'usage indifférencié du mot 'parti" montre clairement qu'on en était encore aux premiers pas de la définition historique delà structure et de la fonction du parti de classe.
[8] [54] Pour la tactique de Marx et Engels dans cette période, voir en particulier leur correspondance avec les dirigeants du parti allemand, reproduite dans "Marx, Engels et la Social-démocratie allemande-, Ed. 10-18.
[9] [55] Pendant la première guerre mondiale, la direction du SPD hollandais vacille dans une politique de soutien ambigu à l'impérialisme anglo-américain, censurant les écrits internationalistes des militants de gauche comme Gorter. Voir "La Gauche Communiste hollandaise" en cours de parution.
Seule la classe ouvrière Internationale peut Instaurer un véritable nouvel ordre mondial
Au moment où nous mettons sous presse, la guerre du Golfe est officiellement terminée. Elle a été rapide, bien plus rapide que les états-majors ne le laissaient prévoir ou peut-être même ne l'escomptaient. L'article éditorial qui suit a été écrit au début de l'offensive terrestre de la coalition américaine contre l'Irak, il est donc daté, cependant, la dénonciation qu'il contient de la boucherie qu'a représentée cette guerre est toujours d'actualité. L'introduction reprend en quoi les positions politiques et les analyses qui y sont défendues sont confirmées dès les premiers jours de I'« après-guerre ».
Introduction
Fin de la guerre du Golfe : les USA, « gendarme du monde »
La fin de la guerre est venue confirmer les véritables objectifs de la bourgeoisie américaine : la démonstration de son énorme supériorité militaire vis-à-vis, non seulement des pays périphériques, tel l'Irak, que l'impasse économique risque de plus en plus de pousser vers des aventures militaires, mais aussi et surtout vis-à-vis des autres puissances du monde, et particulièrement celles qui constituaient le bloc occidental : le Japon et les grands pays européens.
La disparition du bloc de l'Est, en faisant disparaître, pour ces/puissances, le besoin du « parapluie » militaire américain, portait avec elle la disparition du bloc occidental lui-même et la tendance vers la reconstitution d'un nouveau bloc impérialiste. L'effacement complet, au cours de la guerre, des deux seuls candidats sérieux au « leadership » d'un tel nouveau bloc éventuel, l'Allemagne et le Japon, la mise en évidence de leur impuissance militaire constituent un avertissement pour l'avenir : quel que soit le dynamisme économique de ces pays (en réalité, leur capacité à mieux résister à la crise que leurs rivaux), les USA ne sont nullement disposés a les laisser piétiner leurs plates-bandes. De même, toutes les petites velléités de la France « d'affirmer sa différence » (voir l'éditorial de la Revue Internationale, n° 64) jusqu'à la veille du 17 janvier, se sont volatilisées dès que les USA ont réussi à imposer LEUR « solution » à la crise : l'écrasement militaire de l'Irak. Aujourd'hui, la bourgeoisie française en est réduite à frétiller de la queue comme un petit caniche lorsque Schwarzkopf félicite les troupes françaises pour leur « absolutely superb job » et que Bush reçoit Mitterrand en lui prodiguant des amabilités. Quant à la Communauté européenne, que certains présentaient comme le futur grand rival des USA, elle a été parfaitement inexistante tout au long de la guerre. En somme, s'il était encore nécessaire d'identifier les véritables objectifs des USA eh rendant cette guerre inévitable et en la menant, ses résultats sont la pour mettre en évidence ces objectifs.
Une « victoire à la Pyrrhus »
De même, avec la fin des combats est apparu très vite ce que nous annoncions dès le début du conflit (voir Revue Internationale, n° 63) : à la guerre ne succédera pas la paix, mais le chaos et encore la guerre. Chaos et guerre en Irak même comme l'illustrent tragiquement les affrontements et les massacres dans les villes du sud ainsi qu'au Kurdistan. Chaos, guerre et désordres dans toute la région : Liban, Israël et les territoires occupés. Bref, la glorieuse victoire des « alliés », l'instauration du « nouvel ordre mondial » que l'on veut mettre en oeuvre, donnent leurs premiers fruits : le désordre, la misère et les massacres pour les populations, les guerres qui couvent. Le nouvel ordre mondial ? D’ores et déjà c'est une instabilité encore plus grande dans tout le Moyen-Orient !
Et cette instabilité n'est pas prête à se limiter à cette région. La fin de la guerre contre l'Irak n'ouvre pas la perspective d'une baisse des tensions entre grandes puissances impérialistes. Bien au contraire. Ainsi, les différentes bourgeoisies européennes se préoccupent toutes déjà de la nécessité d’adapter, moderniser et renforcer leurs armements. Ce n'est sûrement pas en vue d'une « nouvelle ère de paix ». En outre, on commence à voir des pays comme le Japon, l'Allemagne et même l'Italie, revendiquer une réévaluation de leur statut international, par leur entrée au Conseil de Sécurité de l'ONU comme membres permanents. Ainsi, les USA, s'ils ont réussi avec la guerre à administrer la preuve de leur énorme supériorité militaire, s'ils sont parvenus, de ce fait, à ralentir pour un temps la tendance au chacun pour soi, ont remporté en réalité une victoire à la Pyrrhus. L'exacerbation des tensions impérialistes et l'engloutissement de la planète dans un chaos croissant sont inévitables, au même titre que l'aggravation de la crise économique qui se trouve à leur origine. Et il faudra encore bien d'autres « punitions » comme celle infligée à l'Irak, bien d'autres « exemples » sous forme de monstrueux massacres pour « garantir le droit et l'ordre ».
Le « nouvel ordre mondial » : ,
Misère, famines, barbarie, guerres
Il y a encore un an, après la chute du mur de Berlin, la bourgeoisie, les gouvernements, les médias, nous ont clamé triomphalement que le capitalisme «libéral» avait gagné, qu'une ère de paix et de prospérité s'ouvrait avec la disparition du bloc impérialiste de l'Est et l'ouverture des marchés de ces pays. Ces mensonges ont été anéantis : à la place clés marchés de l'Est, se trouvent des économies ravagées et le chaos; à la place de la prospérité retrouvée, se développe la récession mondiale à partir des USA. A la place de la paix, nous avons eu l'intervention sanglante de la force militaire la plus gigantesque depuis la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, toujours aussi triomphalement, les secteurs dominants de la bourgeoisie internationale nous affirment qu'avec la défaite de l'Irak, l'instauration d'un « nouvel ordre mondial » est maintenant une chose acquise : la paix sera atteinte, la stabilité internationale gagnée. Le mensonge ne pourra que tomber à son tour.
La conclusion rapide de la guerre, le faible nombre de tués du côté des « coalisés », ont permis à la bourgeoisie de plonger momentanément dans le désarroi la classe ouvrière des métropoles capitalistes, celle dont dépend en fin de compte le sort de l'affrontement entre le prolétariat et la bourgeoisie à l'échelle mondiale et historique. Même si beaucoup d'ouvriers ressentent comme une blessure l'extermination de dizaines ou de centaines de milliers d'exploités irakiens, ils se sentent impuissants face à la campagne de triomphalisme chauvin qui, pour un temps, grâce aux mensonges des médias, étourdissent les esprits. Mais l'avenir de misère, de famine, de chaos, de massacres impérialistes toujours plus monstrueux qui est le seul que la classe dominante puisse proposer va nécessairement ouvrir les yeux des masses ouvrières et permettre que leurs combats s'imprègnent de plus en plus de la conscience de la nécessité de renverser ce système. C'est à cette prise de conscience que doivent participer activement les révolutionnaires.
RF, 11/3/91
Editorial
Horreur, barbarie et terreur. Voilà la réalité du capitalisme mise à nu par la guerre contre l'Irak.
Horreur et barbarie. La guerre, la guerre entre gangsters impérialistes, continue. C'est l'heure de l'offensive terrestre des forces de la coalition. Et l'Irak en sortira défait. Des centaines de milliers de morts -on ne sait exactement pour l'instant-, sans doute autant de blessés, de disparus, des destructions massives en Irak, au Koweït seront, et sont déjà, le résultat sanglant et terrible du conflit.
Horreur et cynisme de la bourgeoisie des pays « coalisés ». Sans aucune pudeur, se vautrant dans le sang et en jouissant, elle se vante de ses prouesses techniques dans la guerre. Dans un premier temps, afin d'endormir les réticences à la boucherie, c'était « la guerre propre »: les missiles ne touchaient que des cibles militaires, rentraient par les fenêtres et les cages d'escalier, mais ne tuaient personne, tout au moins parmi les civils. Quelle merveille. Il s'agissait d'une opération « chirurgicale ». Puis la macabre réalité ne put être plus longtemps masquée. Des milliers de civils sont morts sous les bombardements massifs des B52 et des missiles de croisière. Saurons-nous jamais l'effroyable vérité? Comble du cynisme: lorsque l'explosion de l'abri de Bagdad a fait sans doute 400 morts, c'est tout juste si le Pentagone ne désignait pas comme coupables ces civils qui n'auraient pas du se réfugier dans cet abri et se mettre sur le chemin des bombes !
L'admiration sans borne des médias, des journalistes, des spécialistes militaires, à l'égard des prouesses techniques, scientifiques, mises au service de la mort et de la destruction, est absolument écoeurante. Pendant ce temps, le capitalisme est incapable d'enrayer les épidémies de toutes sortes dans le monde, le choléra en Amérique Latine, le SIDA, et combien d'autres encore. La science et la technique sont au service de la mort et de la destruction à une échelle de masse. Voilà la réalité du capitalisme.
La terreur, la terreur capitaliste, la terreur d'une société pourrissante, s'est abattue sur les populations. Terreur à grande échelle sur l'Irak et sur le Koweït. La coalition américaine use des armes les plus sophistiquées, les plus meurtrières, les plus « scientifiques » et massives. Nous ne sommes pas des spécialistes militaires, et reconnaissons-le, ne trouvons aucun goût dans le sinistre décompte. Au bas mot: 100 000 tonnes de bombes ont été larguées, 108 000 sorties aériennes accomplies. Combien de missiles lancés des bateaux de guerre croisant dans 1e Golfe Persique, dans la Méditerranée ? La bourgeoisie américaine et ses alliées n'hésitent pas à utiliser les moyens de destruction les plus massifs -exception faite de l'arme nucléaire, la prochaine fois sans doute - tels que les bombes à souffle et le napalm. En comparaison les exactions, tout aussi horribles, de la soldatesque de Saddam Hussein ne sont que de l'artisanat.
Même au sein des abris, les populations civiles ne sont pas en sécurité. Peut-on imaginer les dégâts, les peurs, la panique, l'angoisse, des enfants, des femmes, des hommes vieux ou jeunes au milieu des bombardements, des explosions - quand Bassorah est touchée, la terre tremble jusqu'en Iran -, des sirènes, et souvent des morts et des blessés lorsqu'on sait que l'aviation US bombardait 24 heures sur 24. Lorsqu'on sait que, la première nuit de guerre, il avait été largué sur l’Irak une fois et demi équivalent de la bombe atomique d'Hiroshima. Lorsqu'on sait qu'au bout d'un mois, l'Irak et le Koweït ont reçu plus de bombes que l'Allemagne durant toute la deuxième guerre mondiale !
Le coût d'un missile « Patriot » est d'un million de dollars US. Le coût d'un avion furtif de 100 millions de dollars. Le coût total de la guerre va très certainement dépasser les 80 milliards de dollars dans les cas de figure les plus minimes. En fait, certainement beaucoup plus, ne serait-ce qu'en prenant en compte les destructions massives de l'Irak, du Koweït, des puits de pétrole. Au bas mot, on parle déjà de 100 milliards de dollars pour chacun des deux pays. Vingt années de travail des prolétaires en Irak viennent d'être anéanties. Est-il besoin de rappeler que la dette de l'Irak avant l'invasion du Koweït était seulement -si l'on peut dire - de 70 milliards ? Nous assistons à un immense gaspillage de biens et de richesses qui partent en fumée.
Pendant ce temps, les trois quarts de l'humanité ne mangent pas à leur faim et vivent dans le dénuement le plus total, et chaque jour plus tragique. Pendant ce temps, 40 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque jour de sous-alimentation dans le monde ! Combien, sans en mourir, en souffrent et en seront marqués de manière irréversible, à vie ?
Les capacités de production sont au service des moyens de destruction et de mort, non au service de l'humanité et de son bien-être. Telle est la réalité sans fard du capitalisme.
La dictature et le totalitarisme du capitalisme
Horreur et mensonges éhontés. Au bombardement de l'Irak, répond le bombardement médiatique, propagandiste, des populations, et spécialement de la classe ouvrière, du monde entier. Les médias apparaissent réellement pour ce qu'ils sont : au service de la bourgeoisie, au service de ses buts de guerre. Depuis le premier jour de celle-ci, du temps de la « guerre propre », la mobilisation et l'enthousiasme des médias sont à vomir. Mais la manipulation des informations et les propos « va-t-en-guerre » des journalistes bourgeois ne devaient pas suffire encore. Les différents Etats capitalistes belligérants, surtout les plus « démocratiques », en premier lieu les USA, ont imposé la censure militaire, tout comme de vulgaires Etats fascistes ou staliniens, afin d'imposer la dictature la plus complète sur les informations et sur «l'opinion publique». Voilà ce qu'il en est de la démocratie bourgeoise tant vantée.
Autre mensonge: il s'agirait d'une guerre pour le respect du Droit international transgressé par la bourgeoisie irakienne. De quel Droit s'agit-il, sinon de celui du plus fort, du droit capitaliste ? C'est soit par intérêt, telles la Syrie, l'Egypte, la Grande-Bretagne, soit par le chantage et les menaces, envers l'URSS, la Chine, la France, etc., que les USA ont obtenu l'accord de l'ONU pour intervenir militairement.
Saddam Hussein a beau jeu de crier au scandale quand il affirme qu'il y a deux poids, deux mesures et que jamais l'ONU, ni bien sûr les USA, n'ont déployé les mêmes forces armées pour qu'Israël respecte les résolutions lui enjoignant de quitter les territoires occupés. La bourgeoisie ne s'embarrasse guère du Droit, de son Droit, du Droit capitaliste, quand celui-ci ne la sert plus directement.
Apres la guerre, ni paix, ni reconstruction : encore la guerre impérialiste
Une fois le conflit déclenché, toute « raison », toute « morale », ont complètement disparu. Les USA veulent mettre à genoux l'Irak, lui infliger des destructions colossales et insurmontables. A n'importe quel prix. Tel est le processus implacable de la guerre impérialiste. La bourgeoisie américaine n'a pas le choix. Pour remplir ses objectifs politiques, pour affirmer sans ambiguïté son hégémonie impérialiste sur le monde, son leadership, elle est contrainte d'aller jusqu'au bout de la guerre en utilisant les énormes moyens de destruction dont elle dispose. Raser l'Irak, raser le Koweït, jusqu'à la capitulation complète, sont les objectifs de la bourgeoisie US. Telles sont ses consignes aux militaires.
Saddam Hussein, dans sa tentative désespérée de s'en sortir, est poussé à l'utilisation sans retenue, sans frein, suicidaire, de tout ce qui lui tombe sous la main: les Scuds, la marée noire dans le Golfe Persique, l'incendie des puits de pétrole pour se protéger des vagues incessantes des bombardiers. Lui non plus, il n'a pas le choix.
Les deux pays, l'Irak et le Koweït, à feu et à sang. Leur principale richesse, le pétrole, flambe et les puits seront certainement dévastés pour un bon moment. C'est tout l'environnement de la région qui est gravement menacé. Les dégâts sont sans doute déjà considérables. Peut-être même en grande partie irréversibles.
Et dans ce bain de sang, nous avons entendu les pleurs mensongers et hypocrites des opposants bourgeois à la guerre. Les pacifistes, les gauchistes qui quant ils ne soutiennent pas ouvertement 1’impérialisme irakien comme le font les trotskistes appellent à manifester « contre la guerre pour le pétrole » et pour la paix. La paix est impossible dans le capitalisme. Elle n'est qu'un moment de préparation a la guerre. Le capitalisme porte en lui la guerre impérialiste. La guerre au Proche-Orient vient encore de le confirmer avec éclat.
Même si le contrôle du pétrole reste important, l'objet central de la guerre n'est pas là. La paralysie depuis le 2 août des puits de pétrole d'Irak et du Koweït, leur embrasement par la suite, n'ont pas vu un renchérissement du baril, mais au contraire sa baisse. Il n'y a aucun risque de pénurie. Il y a surproduction de pétrole comme il y a surproduction généralisée de marchandises, et récession mondiale.
La guerre n'est pas encore finie et que ne voit-on pas déjà ? Les ignobles vautours baptisés « hommes d'affaires » fondre sur les décombres et s'arracher, au titre de la reconstruction, les dépouilles du carnage. Les compagnies anglaises s'indigner de la rapacité de leurs concurrentes américaines. Mener la guerre ensemble est une chose morale et juste, mais business is business. Contre ces nouveaux mensonges, soyons clairs il n'y aura pas de reconstruction qui puisse permettre une reprise de l'économie mondiale. Un pays comme l'Irak était déjà incapable de rembourser sa dette de 70 milliards de dollars avant la guerre. C'est d'ailleurs une des raisons de son aventure tragique. Alors comment, avec quoi, reconstruire? Alors que le capitalisme mondial s'avère impuissant à remettre un tant soit peu en état de fonctionner les économies ruinées des pays de l'ex-bloc capitaliste stalinien.
Tout cela n'est que mensonges et propagande afin de faire passer la guerre et ses sacrifices auprès des populations et, tout particulièrement auprès de la classe ouvrière des pays les plus industrialisés. Afin de présenter des « raisons » de soutenir l'effort de guerre.
Mais de raison pour soutenir cette guerre, comme dans toute guerre impérialiste, pour l'humanité comme un tout il n'y en a pas. Pour le prolétariat comme classe exploitée et révolutionnaire, il y en a encore moins. Ni sur un plan historique, ni économique, ni humanitaire (voir "Le prolétariat face à la guerre", p.14). Ce n'est qu'un massacre de vies humaines, un gaspillage incroyable de moyens techniques et de forces productives, qui disparaissent à jamais. Et au bout, ce n'est pas la « paix» qui apparaît, mais de nouveau la guerre, la guerre impérialiste.
Car, contre tous les mensonges dont on nous abreuve, de paix il n'y en aura pas. Ni au Proche-Orient, ni sur le reste de la planète. Bien au contraire.
La guerre contre l'Irak prépare les guerres de demain
La défaite de l'Irak bien évidemment va marquer une grande victoire des USA. Loin de ses déclarations pacifiques, morales sur le bien et le mal, la bourgeoisie américaine menace en réalité tous ceux qui vont être tentés ou contraints de suivre l'exemple de Saddam Hussein. Les USA sont la première puissance impérialiste mondiale, la seule « super-puissance » depuis l'effondrement de l'URSS. A ce titre, parce que c'est le seul pays qui puisse réellement le faire, ils ne resteront pas sans réaction face à la multiplication des guerres locales, aux remises en cause des frontières, au développement du chacun pour soi entre Etats, au chaos. Tel est l'avertissement. Il en va de leur autorité, de leur hégémonie, d'un « ordre mondial » dont ils sont le principal bénéficiaire. Voilà une des raisons du jusqu’au-boutisme sanglant des USA, de leur volonté délibérée de raser l'Irak, de mener la guerre jusqu'à la reddition complète. Mais cet avertissement ne s'adresse pas qu'aux imitateurs potentiels - ils sont nombreux - de Saddam Hussein. Il y a une autre raison plus fondamentale au jusqu'auboutisme américain.
C'est aussi et surtout un avertissement aux autres grandes puissances, l'Allemagne, le Japon, les pays européens, et dans une moindre mesure l'URSS. La domination impérialiste américaine est toujours d'actualité. Envoyer les forces armées au Proche-Orient, faire la démonstration évidente et meurtrière de leur immense supériorité militaire, entraîner les autres - la France par exemple - dans l'intervention, mener la guerre jusqu'au bout, écraser l'Irak dans le feu et le sang, est l'occasion de renforcer leur « leadership » mondial. Et surtout d'essayer d'éteindre toute velléité de politique indépendante alternative, d'émergence d'un éventuel autre pôle impérialiste concurrent capable de remettre en cause leur domination. Même si ce dernier est hautement improbable dans l'immédiat.
Voilà la raison de leur refus systématique de tous les plans de paix et propositions de négociation menant au retrait de l'Irak, proposés tour à tour par la France le 15 janvier, et par l'URSS avant l'offensive terrestre -à chaque fois soutenus par l'Allemagne, l'Italie... Voilà la raison des réponses à chaque fois plus intransigeantes, des ultimatums chaque fois plus durs, renvoyés à la figure de ceux qui présentaient ces plans de paix.
La guerre, les dizaines de milliers de tonnes de bombes, les centaines de milliers de morts, les destructions innombrables, l'Irak et le Koweït rasés pour que la bourgeoisie américaine affirme et renforce sa domination et son pouvoir impérialistes dans un monde en crise, en guerre, en pleine décomposition. Voilà les véritables buts de la guerre !
C'est par la perspective de la guerre et son déclenchement que la bourgeoisie américaine a réussi tant bien que mal à imposer aux autres puissances la « coalition » derrière ses buts de guerre. A chaque fois que la pression s'est relâchée, Tes tendances centrifuges, a l'opposition aux USA, à l'émergence d'une alternative aux menées guerrières des USA, se sont exprimées (voir Revue internationale, n°64, Editorial). Preuve que ces pays étaient bien conscients du piège et du terrain dans lesquels leur rival impérialiste américain les menait, les enfermait et les rendait impuissants, encore plus affaiblis.
Une fois la guerre finie, les tensions entre les USA et les pays européens, l'Allemagne tout particulièrement, et le Japon, vont se développer inévitablement. Devant la force économique de ces pays, leur montée en puissance, les USA vont être amenés de plus en plus à imposer un corset de fer sur ces antagonismes naissants, à utiliser la force dont ils disposent, c'est-à-dire la force militaire et donc la guerre.
La guerre contre l'Irak est la préparation des autres guerres impérialistes. Non de la paix. D'un côté, l'aggravation de la crise économique et la situation de décomposition, de chaos, dans laquelle s'enfonce le capitalisme, poussent inévitablement à d'autres aventures guerrières de même nature que celle de l'Irak. De l'autre, et dans cette situation, la première puissance impérialiste, face au chaos, face à ces nivaux potentiels, va utiliser de plus en plus sa force militaire et les guerres pour essayer d'imposer son « ordre » et sa domination. Tout pousse à l'accentuation des tensions économiques et guerrières. Tout pousse à la multiplication des guerres impérialistes.
Voilà ce qu'annonce la victoire militaire sanglante de la coalition occidentale.
Cette guerre impérialiste au Proche-Orient, comme toute guerre impérialiste, c'est en premier lieu la classe ouvrière qui la paye, qui en est la victime. De sa vie quand elle est sous 1’uniforme, enrôlée de force sur les terrains de bataille, ou quand elle se trouve tout simplement sous les bombes et les missiles. De sa sueur, de son labeur et de sa misère, quand elle a le « bonheur » de n'être pas directement massacrée.
Marx et Lénine sont morts et enterrés, clamait la bourgeoisie lors de l'effondrement du stalinisme. Pourtant le «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » de K.Marx est d'une actualité et d'une urgence brûlantes face à la folie nationaliste et guerrière qui s'abat sur l'ensemble de l'humanité.
Oui, le prolétariat international reste bien la seule force, la seule classe sociale qui puisse s'opposer à cette machine chaque fois plus infernale et folle qu'est le capitalisme en décomposition. Elle est la seule force qui puisse mettre à bas cette barbarie et construire une autre société où toute cause de guerre et de misère aura disparu.
Le chemin est encore long. Il faut pourtant s'y engager avec détermination car les échéances dramatiques se rapprochent chaque jour.
Refuser les sacrifices économiques, la logique de la défense de l'économie nationale, est la première des étapes. Refuser l'unité et la discipline nationale, la logique de la guerre impérialiste, refuser la paix sociale, voilà le chemin. Voilà les mots d'ordre que les révolutionnaires doivent lancer.
La crise économique, la guerre commerciale accrue, exacerbent l'impérialisme et la guerre. Crise et guerre sont au capitalisme ce que pile et face sont à la pièce de monnaie. La première, la crise, mène à la guerre. Celle-ci à son tour aggrave la crise. Les deux sont liées. La lutte économique, revendicative, de la classe ouvrière contre les attaques et les sacrifices, et la lutte contre la guerre impérialiste, sont une seule et même lutte: la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière, la lutte pour le communisme.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
RL, 2/3/91.
La guerre dans le Golfe est présentée tour à tour et de manière contradictoire par la bourgeoisie, comme étant à l'origine de la crise et comme étant un moyen de surmonter celle-ci en instaurant un « nouvel ordre mondial » de « prospérité » et de « stabilité ». Ce ne sont là que mensonges destinés à masquer la réalité d'une crise qui se développe depuis plus de vingt ans et s'accélère dramatiquement aujourd'hui. Le résultat de la guerre ne peut être qu'une aggravation de la crise dont les prolétaires du monde entier vont subir les effets.
LA GUERRE PERMANENTE DANS LE CAPITALISME DECADENT
La guerre est indissociable de la vie du capital ([1] [58]). Depuis la seconde guerre mondiale, quasiment aucune année ne s'est écoulée, sans que, dans une partie ou l'autre du monde, ne se fasse entendre le fracas des armes. En général, lorsque la classe dominante a pu parler de période de paix, cela signifiait seulement que les grandes puissances impérialistes n'étaient pas massivement impliquées dans une confrontation directe. Et même cette simple affirmation reste à relativiser : depuis la seconde guerre mondiale on a vu sans discontinuer, la France en Indochine puis la guerre en Algérie, les Etats-Unis en Corée et la guerre du Vietnam, l'affaire de Suez, les guerres israélo-arabes, l'Armée rouge en Afghanistan, la guerre Iran-Irak, les troupes US au Liban et au Panama, et aujourd'hui le Koweït. Autant de conflits où les « grandes puissances » se sont trouvées, peu ou prou, directement impliquées. On peut dénombrer actuellement une douzaine de conflits rien qu'en Afrique. Les multiples guerres depuis 1945 ont fait pratiquement autant de morts que la 2e guerre mondiale.
La réalité de la nature intrinsèquement guerrière du capital a marqué d'une empreinte de plus en plus profonde l'ensemble de son économie. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, s'ils interdisent aux puissances vaincues, l'Allemagne et le Japon, toute politique importante de réarmement, les pays vainqueurs ne relâchent pas pour autant leur effort guerrier. Au contraire, avec la nouvelle rivalité entre F« Est » et l'« Ouest », l'ensemble de l'économie mondiale va être soumise aux nécessités de la course aux armements. Le mode d'organisation « économique » qui apparaît avec la guerre de 1914-1918, et qui s impose durant les années 1930, celui du capitalisme d'Etat, qui met les moyens de l'économie au service du militarisme, n'a cessé de se développer, de se perfectionner depuis cinquante ans.
La situation des deux puissances impérialistes majeures durant les années 1980, les USA et l'URSS, est particulièrement significative.
La première puissance économique du globe, les USA, consacre, durant cette période, environ 6 % de son PNB annuel au budget d'armement. Une telle somme représente en valeur l'équivalent de 7 à 8 fois le PNB annuel de tout le continent africain, et 3 fois et demie celui de toute l'Amérique latine. L'ensemble des industries de pointe dépend des commandes d'armement du Pentagone. Les Boeing, MacDonnell-Douglas, Texas Instruments, General Electric, Chrysler, etc., seraient en faillite s'ils devaient se passer de cette manne, qui sert aussi à les subventionner.
L'ex-grand, l'URSS, n'a pu soutenir son effort d'armement, pour rester au niveau de son grand rival, qu'en y consacrant une part de plus en plus prépondérante de son économie. Alors qu'il y a peu, au début de sa présidence, Gorbatchev prétendait que seulement 7 % du PNB de l'URSS était consacré au budget militaire, en 1989 ses conseillers déclaraient qu en fait, la réalité se situait plus près des 30 % ! Il serait tout à fait erroné de croire que, durant toutes ces années, la Nomenklatura stalinienne a eu le monopole du mensonge à propos de ses dépenses d'armement.
Par définition, les programmes militaires sont soumis au secret et constamment minimisés. Ce qui est vrai pour l'URSS, l'est aussi, même si c'est probablement dans une moindre mesure, pour tous les autres pays. Et si d'un coté, on constate que les commandes de l'armée subventionnent les industries de pointe et orientent la recherche, de l'autre, de nombreux programmes, budgets de recherche et d'équipement « civils » sont en fait utilisés à des fins militaires. Ainsi par exemple, si la France se retrouve aujourd'hui dotée d'un des parcs de centrales atomiques « civiles » les plus importants du monde, c'est d'abord parce que cela correspondait aux besoins de son armée de se doter de plutonium pour sa «force de frappe» nucléaire. Les français ont ainsi financé l'armée même, en payant leur facture d'électricité. Ce n'est pas seulement en URSS que les usines de tracteurs servent à produire des chars d'assaut, ou bien en Irak et en Libye que les usines d'engrais produisent des gaz de combat. Aux USA, 90 % des laboratoires et centres de recherche sont contrôlés et financés plus ou moins directement et discrètement par le Pentagone.
Non seulement la part de la production consacrée aux armes de toutes sortes est partout sous-évaluée, mais surtout, aucun chiffre ne peut traduire la distorsion qualitative que le développement de l'économie de guerre impose à l'ensemble de l'économie : implantation de centres de production en fonction d'impératifs stratégico-militaires plus qu'économiques, orientation de la recherche civile en fonction des besoins des armées aux dépens d'autres nécessités.
Les exemples ne manquent pas, depuis les premières autoroutes construites durant les années 1930 en Allemagne et en Italie, avant tout pour faire passer les chars le plus rapidement possible d'un bout à l'autre du pays, jusqu'au premier ordinateur, l'ENIAC, construit aux USA pour les besoins du Pentagone, dont le centre d'expérimentation nucléaire de Los Alamos est, depuis lors, systématiquement doté du premier exemplaire de l'ordinateur le plus puissant du moment.
La production d'armements est une destruction de richesses
Aujourd'hui, les armes cristallisent le nec plus ultra du perfectionnement technologique. La fabrication de systèmes de destruction sophistiqués est devenue le symbole d'une économie moderne et performante. Pourtant, ces «merveilles» technologiques qui ont montré leur efficacité meurtrière au Moyen-Orient ne sont, du point de vue de la production, de l'économie, qu'un gigantesque gaspillage.
Les armes, contrairement à la plupart des autres marchandises; ont ceci de particulier qu'une fois produites elles sont éjectées du cycle productif du capital. En effet, elles ne peuvent servir ni à élargir ni à remplacer le capital constant (contrairement aux machines par exemple), ni à renouveler la force de travail des ouvriers qui mettent en oeuvre ce capital constant. Non seulement les armes ne servent qu'à détruire, mais elles sont déjà en elles-mêmes une destruction de capital, une stérilisation de la richesse.
Lorsque les USA, par exemple, annoncent que le budget de la défense représente 6 % du PNB, cela, signifie en fait que 6% de la richesse produite annuellement est détruite. Ces 6 % doivent donc être retirés de la richesse globale, ce qui signifie que la production militaire doit être soustraite de la croissance annuelle et non y être ajoutée comme le font les économistes.
La réalité de la ponction stérilisatrice de l'économie de guerre sur l'appareil productif se trouve parfaitement illustrée par l'évolution économique des grandes puissances ces dernières années. L'exemple de l'URSS est lumineux : loin de dynamiser l'économie, le sacrifice de celle-ci aux besoins de l'Armée rouge s'est traduit par un délabrement de plus en plus dramatique de r appareil productif. Alors que, pour ses besoins impérialistes, PURSS a développé une indus-\ trie aérospatiale de pointe, dans le même temps, faute d'investissements, la production agricole, exemple parmi tous les autres, a stagné. L'ancien grenier à blé de l'Europe doit aujourd'hui importer des céréales pour éviter la famine. L'économie russe s'est finalement effondrée essentiellement sous le poids de son économie de guerre monstrueuse.
Ce qui est vrai pour l'URSS, l'est pour les USA, même si c'est évidemment de manière moins spectaculaire. Il suffît pour cela de constater la perte de compétitivité des USA vis-à-vis de leurs principaux concurrents économiques que sont l'Allemagne et le Japon. Ces derniers, qui se sont vus interdire toute politique de réarmement au lendemain de la dernière guerre mondiale, ont donc subi une ponction relativement faible sur leur économie, pour 1’entretien de leurs armées. Il ne faut pas chercher ailleurs, même si elle n'est pas la seule, la raison principale des records de productivité atteints par ces pays.
Dans ces conditions, pourquoi entretenir une armée, si le résultat en est finalement un affaiblissement de tout l'appareil productif ?
La crise pousse le capital a la fuite en avant dans la guerre
Du strict point de vue économique, la production d'armements est en effet une aberration. Cependant, la production n'est pas tout. Bien sûr, il s'agit pour chaque capital national de s'assurer des sources d'approvisionnement stables en matières premières, et des débouchés rentables pour écouler les produits de ses industries, afin de réaliser la plus-value qu'ils contiennent. Mais ces intérêts économiques s'insèrent dans la géostratégie globale de l'impérialisme qui est déterminante et impose ses propres objectifs.
Depuis le début du siècle, alors que l'ensemble des marchés de la planète sont contrôlés par l'une ou l'autre des grandes puissances, les pays les plus mal lotis sont contraints, pour sauver leur économie, pour trouver les nouveaux marchés à exploiter, ou simplement à piller, afin de maintenir le processus d'accumulation, de se les ouvrir à coups de canon.
C'est ce qu'a tenté de faire l'Allemagne en 1914 et 1939, le Japon en 1941, et l'URSS depuis 1945. Plus la concurrence s'est exacerbée sur un marché mondial fondamentalement saturé, plus la tendance à la fuite en avant dans la politique d'armement, dans le renforcement de la puissance militaire, c'est-à-dire le développement de l'impérialisme, s'est renforcée.
Face à l'impasse économique, les solutions du militarisme tendent à imposer leur propre logique qui n'est pas simplement économique. Si la guerre peut être, pour un pays vainqueur, un moyen de renforcer sa position, de faire main basse sur de nouvelles richesses, cela n'est pas le cas en général. Il suffit, pour le vérifier, de constater, au lendemain de la 2e guerre mondiale, l'affaiblissement de la Grande-Bretagne et de la France, pourtant pays « vainqueurs ». Et, quoi qu'il en soit, du point de vue du capital global, c'est-à-dire des valeurs accumulées mondialement, le bilan est absolument négatif, des richesses ont été irrémédiablement détruites. Cela démontre amplement l'irrationalité même de la guerre, du point de vue économique.
La situation présente, caractérisée :
- par une plongée accélérée de l'économie dans la récession ouverte dans les principales puissances industrielles ;
- par l'effondrement de pans entiers du capital mondial, en dernier lieu tout l'ancien « bloc de l'Est»;
- par une guerre au Moyen-Orient qui mobilise la plus importante concentration de forces de destruction depuis la seconde guerre mondiale ; est caractéristique de la spirale apocalyptique dans laquelle le capitalisme mondial est enfermé.
Crise, chaos et guerre
La « guerre du Golfe » est, en dernière analyse, le produit de la crise économique qui, depuis la fin des années 1960, secoue le capitalisme mondial ([2] [59]). L'effondrement économique de l'URSS a eu pour première conséquence l'éclatement de son bloc et, par contrecoup, un effet déstabilisateur sur l'ensemble de la situation mondiale. La tendance au « chacun pour soi », exacerbée car la crise, s'est engouffrée dans le vide béant laissé par la disparition de la discipline imposée par les blocs.
Les pays du glacis est-européen se sont empressés de se débarrasser de la tutelle russe. Les vassaux des USA, quant à eux, n'ayant plus besoin de la protection américaine face au danger russe, ont multiplié leurs velléités d'indépendance, tandis que beaucoup de puissances régionales de la périphérie du capitalisme se sont retrouvées devant la tentation de profiter de la situation pour améliorer leur position. L'Irak est dans ce dernier cas : confronté à une dette pharamineuse, estimée à 70 milliards de dollars (près de deux fois son PNB annuel), dans l'incapacité de la rembourser, il a mis à profit sa surpuissance militaire dans la région pour faire main basse sur le richissime Koweït.
Un tel exemple est significatif du chaos qui se développe internationalement et dont l'éclatement de l'URSS est un aspect marquant. La détermination des USA d'en découdre avec l'Irak, de faire un exemple est d'abord l'expression de la nécessité de mettre un frein au chaos planétaire.
L'analyse de ceux qui ne voient dans la guerre du Golfe qu'une lutte pour le pétrole ne résiste pas à la réalité économique. Même si l'Irak se trouve au centre de la principale zone de production pétrolière du monde, il n'en reste pas moins vrai que les sources d'approvisionnement se sont diversifiées et accrues, et le pétrole de cette région ne joue plus aujourd'hui le même rôle central que dans les années 1970. Il suffît de constater, après une brève poussée spéculative, la nouvelle chute des cours du pétrole, malgré l'arrêt de la production de l'Irak et du Koweït, pour mesurer à quel point la surproduction sévit, et pour comprendre que la question de l'heure n'est pas celle du danger d'une pénurie d'or noir.
Même si d'autres facteurs existent qui justifient l'intervention US : démanteler la puissance militaire de l'Irak, renforcer la « pax americana » au Moyen-Orient et le contrôle des USA sur la manne pétrolière, ils restent secondaires par rapport à l'objectif essentiel du capital américain : faire face au chaos grandissant.
La première puissance mondiale, parce que l'intérêt de son capital national coïncide avec la défense de l’« ordre mondial » qui est avant tout le sien, est particulièrement sensible au désordre grandissant dans les relations internationales. Elle est aussi la seule oui ait les moyens militaires d'assumer le rôle de gendarme du monde.
Et c'est avec inquiétude que les principaux compétiteurs économiques des USA voient se déployer la supériorité américaine, eux qui rêvent, depuis la fin du bloc de l'Est, de s'émanciper de la tutelle US. L'illusion d'un nouveau bloc en Europe autour de la puissance de l'Allemagne a été réduite en miettes, comme le montre la cacophonie de la politique étrangère européenne devant les exigences américaines. Les puissances économiques d'Europe et du Japon savent bien que les Etats-Unis vont mettre à profit leur position de force présente, pour exiger de leur part plus de sacrifices sur le plan économique, à un moment où, avec l'accélération de la crise économique, s'exacerbe la guerre commerciale.
La récession ouverte frappe de plein fouet
Le premier effet de la guerre dans le golfe a été de repousser la crise économique au second plan des préoccupations, de la masquer. Le contraste, à 'écoute et à la lecture des médias bourgeois, est étonnant entre la période qui précède l'éclatement de la guerre et la période qui suit.
L'alarmisme au sujet d'un nouvel effondrement boursier, d'une flambée catastrophique des cours du pétrole, qui prévalait avant la guerre s'est révélé sans fondement jusqu'à présent, et du coup, un optimisme de façade est de nouveau de mise. La propagande bat son plein pour minimiser l'importance de la crise et de ses effets dramatiques.
Avec la guerre, la récession, à peine officialisée par le gouvernement américain a « trouvé » une « explication » toute prête : c'est Saddam le grand responsable, la cause des difficultés actuelles, et donc, en toute logique, avec la fin de la guerre, celles-ci devraient disparaître. C'est ce que sous-entend Bush lorsqu'il déclare que la récession américaine devrait trouver son terme dans l'année qui vient, et que, finalement, ce sont des facteurs «psychologiques » qui aggravent la situation ! Alan Greenspan, président de la FED, quant à lui, a déclaré que, sans la crise du Golfe, l'économie américaine « serait peut-être passée à coté de la récession », et ajoute que « l'essentiel du choc initial de la crise est déjà absorbé» et que «les tendances à la baisse d'activité devraient actuellement s'atténuer». (La Tribune de l'Expansion).
La réalité est évidemment bien loin de ces déclarations optimistes.
L'économie américaine s'enfonce de plus en plus rapidement dans la récession et n'a pas attendu la guerre pour cela.
La crise aux USA et dans les pays industrialisés
En novembre 1990, les commandes de biens durables aux USA ont chuté de 10,1 %, et l'embellie de décembre, + 4,4 %, est due essentiellement à une progression de 57 % des commandes militaires. Pour l'ensemble de l'année 1990, c'est en fait une baisse de 1,6 %, le plus mauvais score de l'économie américaine depuis 1982, année de pleine récession.
Certains secteurs et non des moindres sont carrément sinistrés. Par exemple l'automobile et les compagnies de transport aériens. A la mi-décembre 1990, la chute des ventes dans l'automobile prend des allures de catastrophe avec -19 %. Les pertes de General Motors atteignent 2 milliards de dollars en 1990, celles de Ford pourtant le plus compétitif des constructeurs américains, s'établissent, pour les deux derniers trimestres de l'année 1990, à 736 millions de dollars. Les compagnies aériennes voient leurs ailes brisées : TWA est a déclarée en faillite, Eastern Airlines est en liquidation, PanAm et Continental sont en très mauvaise posture. Au total, les compagnies aériennes américaines ont cumulé 2 milliards de dollars de pertes en 1990. Record historique.
En conséquence les licenciements se multiplient. Au second semestre 1990, le chômage aux USA a progressé à une allure record.
Alors qu'aux USA, en 1989, 2 500 000 emplois ont été créés, il y en eut seulement 500 000 en 1990, et encore, ce résultat global sur Tannée cache la réalité catastrophique du second semestre durant lequel 900 000 emplois ont été supprimés.
Résultat, les banques américaines, déjà bien ébranlées par l'effondrement de la spéculation immobilière et boursière, voient les impayés s'accumuler. Durant le dernier trimestre 1990, 11,6% des banques ont enregistré des pertes sèches, et la plupart n'ont pu maintenir un solde positif que par la vente d'actifs qui permettait de restaurer les bilans, ce qui en définitive représente en fait un affaiblissement. En 1990, 169 banques ont fait faillite, totalisant 16 milliards d'actifs. Pour 1991, est prévue la faillite de 180 banques qui totaliseraient 70 milliards d'actifs. A cela, il faut ajouter la faillite, depuis 1988, de plus de 500 caisses d'épargne qui ont laissé à l'Etat une ardoise dont l'estimation oscille entre 500 et 1000 milliards de dollars !
Lorsque la première économie du monde subit une telle crise, l'économie mondiale en essuie évidemment le contrecoup. Au sein de l'OCDE, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande sont entrés en récession ouverte. La production industrielle de la France et de l'Italie reflue. Partout la croissance diminue.
En Europe, les ventes d'automobiles ont baissé de 3,7 % en un an, notamment : -5 % en Italie, -8 % en France, -18 % en GB. Les ventes de poids lourds ont chuté quant à elles de 5 %. Les bénéfices de Fiat se sont effondrés de 55 %. Symboliquement, Rolls Royce décide de cesser sa production d'automobiles prestigieuses, et Saab enterre le « modèle » suédois en fermant sa toute nouvelle usine de Malmô ouverte en 1989.
A l'instar de leurs concurrentes américaines, les compagnies aériennes européennes s'enfoncent dans la crise. Pour la première fois depuis 1981, le résultat d'exploitation global devrait être négatif pour 1990. Air France, Lufthansa, British Airways, Swissair suppriment les lignes les moins rentables. Air France demande un report de la livraison des nouveaux Airbus déjà commandés. British Airways annonce 4 900 suppressions d'emploi et la compagnie Scandinave SAS prévoit de mettre 3 500 salaries à la porte.
Au coeur du monde industrialisé, la concurrence s'exacerbe et prend la dimension d'une guerre commerciale acharnée. La guerre des tarifs des transports aériens bat son plein : British Airways, le 11 février, annonce une baisse de 33 % sur Londres - New-York et, dans les heures qui suivent, TWA et PanAm lui emboîtent le pas. Ces compagnies, pourtant financièrement déjà mal en point, rognent encore sur leur marge bénéficiaire, pour protéger leur marché et grappiller quelques clients. Une telle politique ne peut avoir pour résultat final que d'accélérer la dégradation du bilan global de ce secteur. Et ce qui est vrai pour le transport aérien est vrai ailleurs. Dans tous les secteurs, de nombreuses entreprises voient leur bilan virer au rouge, et dans un réflexe de survie, tous les coups sont permis pour se maintenir sur le marché.
« Le chacun pour soi » dans la concurrence économique exacerbée
La concurrence économique ne se limite pas simplement à une guerre des tarifs. Chaque Etat, soucieux de défendre son économie nationale, utilise toutes les ressources que lui permet sa puissance. Du plan strictement économique les rivalités ont tendance à se déplacer sur un terrain qui n'a plus grand chose à voir avec les règles de la « libre concurrence ».
Depuis des décennies, la puissance tutélaire de ce qui a constitué le « bloc occidental », les USA, a impose à ses vassaux un contrôle du fonctionnement de l'économie mondiale, qui lui était d'abord profitable, et cela au prix d'une gigantesque tricherie avec la loi de la valeur. Les avocats intransigeants de la « loi du marché », de la « libre concurrence », du « capitalisme libéral», sont ceux qui ont certainement le plus distordu ces règles pour la défense des intérêts de leur capital national. Les derniers événements sur la scène internationale en sont une preuve flagrante. Avec la fin de l'année 1990, les négociations du GATT qui duraient depuis des années se sont brutalement envenimées. Agacés par les résistances européennes sur le dossier des subventions à l'agriculture et à l'industrie, les USA ont ajourné sine die ces réunions.
La démonstration de force américaine face à l'Irak a remis les pendules à l'heure. Elle a montré que l'Europe n avait pas les moyens de ses ambitions, et cela pas tant sur le plan économique, que sur le plan militaire. Il suffit de constater le changement de ton des médias à propos de l'Allemagne ou du Japon. Ces derniers, jusqu'alors présentés comme 1’exemple même des économies solides et fortes, les nouveaux géants, les nouveaux challengers d'une puissance américaine sur le déclin, se retrouvent aujourd'hui au banc des accusés pour leur égoïsme économique. Géants économiques, l'Allemagne et le Japon restent des nains sur le plan politique et militaire. Face à la super-puissance impérialiste américaine, ils sont bien obligés, pour le moment, de constater leur faiblesse. Malgré toutes les velléités de résistance sur le front économique qu'ils peuvent encore manifester, ils ne peuvent que céder du terrain.
Depuis le début de la « guerre du Golfe », les signes d'allégeance se sont multipliés de la part de ceux qui, il y a encore quelques semaines, manifestaient des réticences. La Commission européenne propose aujourd'hui de réduire les subventions agricoles et de supprimer les subventions au nouveau programme Airbus. Ce sont précisément ces deux points qui avaient constitué la pomme de discorde durant de nombreux mois de négociations entre la CEE et les USA, au sein du GATT. Sans nouvelles discussions, devant l'évidence des faits militaires, la CEE a donc cédé, toute honte bue, aux demandes US, et ces concessions seront encore probablement insuffisantes aux yeux des USA. Quant au Japon et à l'Allemagne, ils ont finalement accédé aux sollicitations pressantes de Washington, pour financer l'opération « Tempête du désert », en acceptant de verser respectivement 13 et 7,7 milliards de dollars, une « obole » significative.
Parce qu'ils sont les plus forts, les USA imposent leur loi sur le marché mondial. Cela est particulièrement illustré par le rôle du dollar. La valeur du dollar ne correspond que de loin à la réalité économique. Elle est d'abord l'expression de la domination US sur le marché mondial, et un instrument essentiel de cette domination. La baisse organisée du dollar a pour but premier de restaurer artificiellement la compétitivité des produits américains aux dépens de leurs concurrents européens et japonais. Son résultat est de faire diminuer le déficit commercial US, et par conséquent de réduire les excédents des autres pays.
La baisse du taux d'escompte a aussi pour résultat de rendre le crédit moins cher, et donc de freiner la chute de la production en facilitant la consommation et l'investissement.
La situation encore apparemment prospère de l'Allemagne et du Japon est tout à fait provisoire. Pendant des années, ces pays ont constitue les exceptions qui permettaient de perpétuer le mythe qu'une saine gestion capitaliste était la condition nécessaire pour surmonter la crise. Non seulement ces deux pays sont, aujourd'hui, dans la ligne de mire des exigences US pour la sauvegarde de leur propre capital, mais aussi et surtout, ils commencent a leur tour à être fortement secoués par les effets de la crise.
La chute du dollar commence à se faire sentir fortement sur leurs exportations qui diminuent encore plus rapidement que ne se redresse la balance commerciale US. Pour le seul mois de novembre 1990, l'excédent commercial allemand s'est contracté de 60 %. Du fait de l'effet dollar, qui a atteint son plus bas niveau historique face au Yen et au Mark, les pertes de change des entreprises exportatrices commencent à atteindre un niveau catastrophique. Ainsi, en Allemagne, Deutsche Airbus a perdu pour cette raison la moitié de son capital.
Le chiffre de croissance record de la production allemande, 4,6% pour 1990, est à relativiser pour deux raisons. Premièrement il ne tient pas compte de la chute de moitié de la production dans l'ex-RDA. Deuxièmement il n'est pas le produit d'une croissance des exportations qui, pour leur part, ont diminué, mais de l'endettement de l'Etat pour subventionner la reconstruction de l'Allemagne de l'Est. Indice de la mauvaise santé de l'économie allemande, le chômage recommence à croître à l'Ouest, tandis qu'à l'Est, si le chômage officiel est de 800 000 personnes, en fait 1800 000 sont en chômage partiel, tandis que plus d'un million de licenciements est annoncé dans la période qui vient !
Le Japon voit aussi ses exportations chuter rapidement. Mais surtout, la crise économique se manifeste par une crise financière d'une ampleur jamais vue. Le Japon a été le haut lieu de la spéculation internationale, et aujourd'hui, plus que tout autre pays, il en paye le prix.
La chute de la bourse de Tokyo a été la plus importante, avec -39 % en 1990. Les banques japonaises sont aujourd'hui menacées d'un côté par l'effondrement de la spéculation immobilière, et de l'autre, par le non-remboursement des crédits astronomiques consentis partout dans le monde. La Far Eastern Review estime ainsi que la moitié du crédit privé international qui a été consenti, l'a été par les banques nipponnes entre 1985 et 1990. Comme, pour l'essentiel, ces crédits ont été consentis en dollars, et que celui-ci se dévalue chaque jour, les remboursements ne représenteront en fait qu'une faible part de la valeur qu ils représentaient à un moment où le dollar valait bien plus. Ceci en dehors du fait que, avec la récession qui se développe, une bonne partie de ces crédits ne seront jamais remboursés du tout. La dette US, la principale, libellée en dollars, se trouve aujourd'hui dévalorisée de 50 % par rapport au yen. La catastrophe financière est dans ces conditions prévisible et inévitable, et elle pèsera de tout son poids sur l'économie japonaise.
Les économies japonaise et allemande ont mangé leur pain blanc, et l'avenir pour elles, comme pour toutes les autres fractions du capital mondial, s'annonce noir.
S'ils sont de loin la première puissance mondiale, les USA n'en sont pas pour autant omnipotents : ils restent évidemment soumis aux contradictions insurmontables du capitalisme qui font aujourd'hui plonger l'économie mondiale dans une crise d'une ampleur inconnue jusque là.
La plongée irréversible de l'économie des USA
La politique américaine est aujourd'hui une politique de fuite en avant. La baisse du dollar porte en elle ses limites. En restaurant la balance commerciale américaine, elle diminue les excédents des autres pays exportateurs, et aura donc pour conséquence de limiter leurs importations, donc à terme les exportations US. La baisse du taux d'escompte américain a pour but, en rendant le crédit plus Facile, de relancer le marché intérieur. Mais là aussi, cette politique se heurte à la réalité économique.
Alors que la dette globale des USA se situe autour de 10 000 milliards de dollars, la fuite présente dans l'endettement ne peut avoir pour résultat que de polariser toujours plus les contradictions de l'économie mondiale autour du « roi-dollar», annonçant la crise monétaire qui se rapproche inéluctablement. Pour le vérifier il suffît de constater l'attitude présente des banques américaines qui, malgré les sollicitations incessantes de l'Etat fédéral, sont rétives à desserrer es vannes du crédit, car elles sont déjà confrontées à la réalité des dettes impayées qui s'accumulent. Visiblement, la confiance ne règne guère au sein de la bourgeoisie américaine sur la solvabilité de son économie.
Avec la récession, le futur déficit budgétaire des Etats-Unis est estimé à 350 milliards de dollars, nouveau record historique en perspective, sans compter le coût de la guerre, estime pour le moment, pour les seuls USA, à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Le premier résultat de la guerre va donc être d'aggraver encore les effets de la crise mondiale, en dégradant les déficits budgétaires des pays participants. Les gigantesques destructions en Irak et au Koweït sont présentées de manière cynique par les médias, comme la source de nouveaux débouchés, avec la reconstruction en «perspective». Si tant est que celle-ci ait lieu, ces nouveaux marchés seront de toute façon bien insuffisants pour éponger le trop-plein de la production sous lequel croule l'économie mondiale. Reconstruire les capacités de production pétrolière de l'Irak et du Koweït n'aura pour seul résultat que d'aggraver la crise de surproduction du pétrole.
Le répit que les Etat-Unis essayent de s'octroyer, par leur démonstration de force, ne peut être que de très courte durée, si répit il y a. Il ne permettra certainement pas de sortir de la récession, qui sévit en fait depuis le début des années 1980 de manière larvée, et qui n'a pas attendu la reconnaissance officielle de la fin 1990 pour faire subir ses effets. Au contraire, la récession va s'en trouver aggravée.
La seule question réelle n'est pas l'existence de la crise, mais la vitesse de son développement et sa profondeur. Pour toutes les fractions du capital mondial, le problème n'est plus de prétendre la surmonter, mais d'en limiter les dégâts sur son propre capital et de tenter d'en reporter les effets les plus pernicieux sur les autres. C'est ce qui se passe déjà.
Depuis le début de la crise, à la fin des années 1960, les pays les plus puissants ont reporté les effets les plus brutaux de la crise de surproduction généralisée, qui trouve son origine au coeur des grands centres de production du monde capitaliste, sur les pays les plus faibles. La situation dramatique de l'Afrique, ravagée par les guerres, les épidémies et la famine ; la situation de l’Amérique Latine, qui est en train de prendre le même chemin, où en 1990, la richesse par habitant a diminué de 6 % officiellement, et où se développe aujourd'hui une épidémie de choléra à l'échelle du continent, la situation des pays du défunt COMECON où la production 1’année dernière a chuté globalement de 30 % ; témoignent de l'effondrement croissant de l'économie mondiale qui aujourd'hui menace à leur tour les grands centres industriels des pays développés.
***
Comme elles paraissent lointaines les belles paroles de Bush au lendemain de l'effondrement au bloc russe, il n'y a encore que quelques mois. La promesse d'un nouveau monde de « paix » et de « prospérité » a été un mensonge de plus. La guerre commerciale qui est en train de s'exacerber porte en elle l'abandon des « belles » idées sur le « libre-échange », sur la « fin des frontières européennes », sur « la croissance et la sécurité ». Les prolétaires du monde entier vont subir de plein fouet la vérité du capitalisme : guerre, misère, chômage, famine, épidémies.
L'irrationalité de la guerre, qui n'aura pour seul résultat que d'aggraver la crise économique, exprime de manière brutale la dimension catastrophique de l'impasse du capitalisme.
JJ, 24/2/91
« Le mode de production capitaliste a cette particularité que la consommation humaine qui, dans toutes les économies antérieures, était le but, n'est plus qu'un moyen au service du but proprement dit : l'accumulation capitaliste. La croissance du capital apparaît comme le commencement et la fin, la fin en soi et le sens de toute la production. L'absurdité de tels rapports n'apparaît que dans la mesure où la production capitaliste devient mondiale. Ici, à l'échelle mondiale, l'absurdité de l'économie capitaliste atteint son expression dans le tableau d'une humanité entière gémissant sous le joug terrible d'une puissance sociale aveugle qu'elle a elle-même créée inconsciemment : le capital. Le but fondamental de toute forme sociale de production : l'entretien de la société par le travail, la satisfaction des besoins, apparaît ici complètement renversé et mis la tête en bas, puisque la production pour le profit et non plus pour l'homme devient la loi sur toute la terre et que la sous-consommation, l'insécurité permanente de la consommation et par moments la non-consommation de l'énorme majorité de l'humanité deviennent la règle. »
Rosa Luxemburg
Introduction à l'économie politique, chap. 6, "Les tendances de l'économie capitaliste"
[1] [60] Lire « Guerre, militarisme et blocs impérialistes », Revue internationale n° 52 et 53, 1er et 2e trimestres 1988.
[2] [61] Lire « La guerre dans la décomposition du capitalisme », Revue internationale, n° 63, 4e trimestre 1990, « Militarisme et décomposition », Revue internationale, n°64, 1er trimestre 1991
Qu'y a-t-il derrière le « nouvel ordre mondial » annoncé par les puissances occidentales ? Quelle est la signification historique de la guerre du Golfe ? Où en est la crise économique mondiale ? Quelles sont les perspectives pour la lutte de classe ? Quels doivent être les axes de l'intervention des révolutionnaires ?
Ce sont ces questions que traite cette résolution adoptée par le CCI en janvier 1991.
Le phénomène d'accélération de l'histoire, déjà mis en évidence par le CCI au début des années 1980, a connu depuis un an et demi une accentuation considérable. En quelques mois, c'est toute la configuration du monde, telle que l'avait laissée la fin de la seconde guerre mondiale, qui s'est trouvée bouleversée. En fait, l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est, qui a clos les années 1980, annonce et ouvre la porte à une fin de millénaire dominée par une instabilité et un chaos comme jamais l'humanité n'en a connus.
l) La scène immédiatement la plus significative et dangereuse sur laquelle s'exprime aujourd'hui, non pas le « nouvel ordre », mais bien le nouveau chaos mondial, est celle des antagonismes impérialistes. La guerre du Golfe a mis en évidence la réalité d'un phénomène oui découlait nécessairement de la disparition du bloc de l'Est : la désagrégation de son rival impérialiste, le bloc de l'Ouest. Ce phénomène était déjà à l'origine du « hold up » irakien contre le Koweït : c'est bien parce que le monde avait cessé d'être partagé en deux constellations impérialistes qu'un pays comme l'Irak a cru possible de faire main basse sur un ex-allié du même bloc. Ce même phénomène a révélé de façon évidente, courant octobre, toute son ampleur avec les diverses tentatives des pays européens (notamment la France et l'Allemagne) et du Japon de torpiller, à travers des négociations séparées menées au nom de la libération des otages, la politique américaine dans le Golfe. Cette politique vise à faire de la punition de l'Irak un «exemple» censé décourager toute tentation future d'imiter le comportement de ce pays (et c'est bien en vue de cet « exemple » que les Etats-Unis ont tout fait, avant le 2 août, pour provoquer et favoriser l'aventure irakienne ([1] [62]). Elle s'applique aux pays de la périphérie où le niveau des convulsions constitue un facteur puissant d'impulsion de ce genre d'aventures. Mais elle ne se limite pas à cet objectif. En réalité, son but fondamental est beaucoup plus général : face à un monde de plus en plus gagné par le chaos et le «chacun pour soi», il s'agit d'imposer un minimum d'ordre et de discipline, et en premier lieu aux pays les plus importants de l'ex-bloc occidental. C'est bien pour cette raison que ces pays (à l'exception de la
2) En fait, la guerre du Golfe constitue un révélateur particulièrement significatif des principaux enjeux de la nouvelle période sur le plan des antagonismes impérialistes. Le partage de la domination mondiale entre deux super-puissances a cessé d'exister, et, avec lui, la soumission de l'ensemble des antagonismes impérialistes à l'antagonisme fondamental qui les opposait. Mais en même temps, et comme le CCI l'avait annoncé il y a plus d'un an, une telle situation, loin de permettre une résorption des affrontements impérialistes, n'a fait que déboucher, en l'absence du facteur de discipline que représentaient malgré tout les blocs, sur un déchaînement de ces affrontements. En ce sens, le militarisme, la barbarie guerrière, l'impérialisme, qui sont des caractéristiques essentielles de la période de décadence du capitalisme, ne pourront qu'être encore aggravés dans la phase ultime de cette décadence que nous vivons aujourd'hui, celle de la décomposition générale de la société capitaliste. Dans un tel monde dominé par le chaos guerrier, par la « loi de la jungle », il revient à la seule superpuissance qui se soit maintenue, parce que c'est le pays qui a le plus à perdre dans le désordre mondial, et parce que c'est le seul qui en ait les moyens, de jouer le rôle de gendarme du capitalisme. Et ce rôle, il ne sera en mesure de le tenir qu'en enserrant de façon croissante l'ensemble du monde dans le corset d'acier du militarisme. Dans une telle situation, pour longtemps encore, et peut-être jusqu'à la fin du capitalisme, les conditions n'existent pas pour un nouveau partage de la planète en deux blocs impérialistes. Des alliances temporaires et circonstancielles pourront se nouer, autour ou contre les Etats-Unis, mais en l'absence d'une autre super-puissance militaire capable de rivaliser avec eux (et ils feront tout leur possible pour en empêcher la constitution), le monde sera livré au déchaînement d'affrontements militaires de tous ordres qui, même s'ils ne pourront pas déboucher sur une troisième guerre mondiale, risquent de provoquer des ravages considérables, y compris, en se combinant avec d'autres calamités propres à la décomposition (pollution, famines, épidémies, etc.), la destruction de l'humanité.
3) Une autre conséquence immédiate de l'effondrement du bloc de l'Est réside dans l'aggravation considérable de la situation qui se trouvait à son origine : le chaos économique et politique dans les pays de l'Est européen, et particulièrement le premier d'entre eux, celui qui se trouvait à leur tête il y a moins de deux ans, l'URSS. En fait, dès à présent, ce pays a cessé d'exister en tant qu'entité étatique : par exemple, la réduction considérable de la participation de la Russie au budget de l’« Union », décidée le 27 décembre 1990 par le parlement de cette république, ne fait que confirmer l'éclatement, la dislocation sans retour de l'URSS. Une dislocation que la probable réaction des forces « conservatrices », et particulièrement des organes de sécurité (mise en évidence par la démission de Chevarnadze), ne pourra que retarder quelque peu tout en déchaînant un chaos encore plus considérable en même temps que des bains de sang.
Pour ce qui concerne les ex-démocraties populaires, leur situation, tout en n'atteignant pas le degré de gravité de celui de PURSS, ne peut que plonger vers un chaos croissant comme le révèlent dès a présent les chiffres catastrophiques de la production (chutant jusqu'à 40 % pour certains pays) et l'instabilité politique qui s'est manifestée ces derniers mois dans des pays comme la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne (élections présidentielles) et la Yougoslavie (déclaration d'indépendance de la Slovénie).
4) La crise du capitalisme, qui se trouve, en dernière instance, à l'origine de toutes les convulsions que subit le monde à l'heure actuelle, est elle-même aggravée par ces convulsions :
- la guerre au Moyen-Orient, l'accroissement des dépenses militaires qui en résulte, ne peuvent qu affecter de façon négative la situation économique du monde (contrairement à ce qui fut le cas, par exemple, pour la guerre du Vietnam qui permit de repousser l'entrée en récession de l'économie américaine et mondiale, au début des années 1960), dans la mesure où l'économie de guerre constitue, depuis longtemps déjà, un des facteurs de premier ordre d'aggravation de la crise ;
- la dislocation du bloc de l'Ouest ne peut que porter un coup mortel à la coordination des politiques économiques à l'échelle du bloc qui, par le passé, avait permis de ralentir le rythme d’effondrement de l'économie capitaliste ; la perspective est à une guerre commerciale sans merci (comme vient de 'illustrer l'échec récent des négociations du GATT) dans laquelle tous les pays laisseront des plumes ;
- les convulsions dans la zone de l'ancien bloc de l'Est vont également constituer un facteur croissant d'aggravation de la crise mondiale en participant a l'amplification du chaos général, et, en particulier, en contraignant les pays occidentaux à consacrer des crédits importants a la limitation de ce chaos (par exemple avec l'envoi d'une « aide humanitaire » destinée à ralentir les émigrations massives vers l'Occident).
5) Ceci dit, il importe que les révolutionnaires mettent bien en évidence ce qui constitue le facteur ultime de l'aggravation de la crise :
- la surproduction généralisée propre à un mode de production qui ne peut créer des débouchés en mesure d'absorber la totalité des marchandises produites, et dont la nouvelle récession ouverte, qui frappe dès à présent la première puissance mondiale, constitue une illustration flagrante ;
- la fuite effrénée dans l'endettement extérieur et intérieur, public et privé, de cette même puissance tout au long des années 1980, qui, si elle a permis de relancer momentanément la production d'un certain nombre de pays, a fait des Etats-Unis de très loin le premier débiteur mondial ;
- l'impossibilité de poursuivre éternellement cette fuite en avant, d'acheter sans payer, de vendre contre des promesses dont il est de plus en plus évident qu'elles ne seront jamais tenues, fuite en avant qui n'a fait que rendre les contradictions encore plus explosives.
La mise en évidence de cette réalité est d'autant plus importante qu'elle constitue un facteur de premier ordre dans la prise de conscience du prolétariat contre les campagnes idéologiques actuelles. Comme en 1974 (avec la « cupidité des rois du pétrole ») et en 1980-1982 (avec la «folie de Khomeiny»), la bourgeoisie va tenter encore une fois (et elle a déjà commencé) de faire endosser la responsabilité de la nouvelle récession ouverte à un « méchant ». Aujourd'hui, Saddam Hussein, le « dictateur mégalomane et sanguinaire », le « nouvel Hitler » de notre époque, est tout à fait bien dans ce rôle. Il est donc indispensable que les révolutionnaires fassent clairement ressortir que la récession actuelle, pas plus que celles de 1974-1975 et de 1980-1982, ne résulte pas de la simple hausse des prix pétroliers, mais qu elle avait débuté dès avant la crise du Golfe et qu'elle révèle les contradictions fondamentales du mode de production capitaliste.
6) Plus généralement, il importe que les révolutionnaires fassent ressortir, de la réalité présente, les éléments les plus aptes à favoriser la prise de conscience du prolétariat.
Aujourd'hui, cette prise de conscience continue à être entravée par les séquelles de l'effondrement du stalinisme et du bloc de l'Est. Le discrédit qu'a subi il y a un an, sous l'effet notamment d'une campagne gigantesque de mensonges, l'idée même de socialisme et de révolution prolétarienne est encore loin d'avoir été surmonté. En outre, l'arrivée massive qui s'annonce d'immigrants originaires d'une Europe de l'Est en plein chaos, ne pourra que créer un surcroît de désarroi dans la classe ouvrière des deux côtés de feu le « rideau de fer » : parmi les ouvriers qui s'imagineront pouvoir échapper à une misère insupportable en s'exilant vers l'« Eldorado » occidental et parmi ceux qui auront le sentiment que cette immigration risque e les priver des maigres « acquis » qui sont les leurs et qui seront, de ce fait, plus vulnérables aux mystifications nationalistes. Et un tel danger sera particulièrement redoutable dans les pays, tel l'Allemagne, qui se retrouveront en première ligne face aux flux d'immigrants.
Cependant, la mise en évidence croissante tant de la faillite irréversible du mode de production capitaliste, y compris et surtout sous sa forme « libérale », que de la nature irrémédiablement guerrière de ce système, vont constituer un facteur puissant d'usure des illusions issues des événements de la fin 1989. En particulier, la promesse d'un « ordre mondial de paix », telle qu'elle nous a été faite avec la disparition du bloc russe, a subi en moins d'un an un coup décisif.
En fait, la barbarie guerrière dans laquelle se vautre de plus en plus le capitalisme en décomposition va imprimer sa marque de façon croissante dans le processus de développement dans la classe de la conscience des enjeux et des perspectives de son combat. La guerre ne constitue pas en soi et automatiquement un facteur de clarification de la conscience du prolétariat. Ainsi, la seconde guerre mondiale a débouché sur un renforcement de l'emprise idéologique de la contre-révolution. De même, les bruits de bottes qui se sont faits entendre depuis l'été dernier, s'ils ont eu le mérite de démentir les discours sur « la paix éternelle », ont aussi engendré dans un premier temps un sentiment d'impuissance et une paralysie indiscutable dans les grandes masses ouvrières des pays avancés. Mais les conditions actuelles de développement du combat de la classe ouvrière ne permettront pas que se maintienne de façon durable un tel désarroi :
- parce que le prolétariat d'aujourd'hui, contrairement à celui des années 1930 et 1940, s'est dégagé de la contre-révolution, qu'il n'est pas embrigadé, tout au moins ses secteurs décisifs, derrière les drapeaux bourgeois (nationalisme, défense de la « patrie socialiste », de la démocratie contre le fascisme) ;
- parce que la classe ouvrière des pays centraux n'est pas directement mobilisée dans la guerre, soumise au bâillon que représente l'enrôlement sous l'autorité militaire, ce qui lui laisse beaucoup plus de latitude pour développer une réflexion de fond sur la signification de la barbarie guerrière dont elle supporte les effets par un surcroît d'austérité et de misère ;
-parce que l'aggravation considérable, et de plus en plus évidente, de la crise du capitalisme, dont les ouvriers seront évidemment les principales victimes et contre laquelle ils seront contraints de développer leur combativité de classe, les conduira de façon croissante à faire le lien entre la crise capitaliste et la guerre, entre le combat contre celle-ci et les luttes de résistance aux attaques économiques, leur permettant de se garantir contre les pièges du pacifisme et des idéologies a-classistes.
En réalité, si le désarroi provoqué par les événements du Golfe peut ressembler, en surface, à celui résultant de l'effondrement du bloc de l'Est, il obéit à une dynamique différente : alors que ce qui vient de l'Est (élimination des restes du stalinisme, affrontements nationalistes, immigration, etc.) ne peut, et pour un bon moment encore, qu'avoir un impact essentiellement négatif sur la conscience du prolétariat, la présence de plus en plus permanente de la guerre dans la vie de la société va tendre, au contraire, à réveiller cette conscience.
7) Si, malgré un désarroi temporaire, le prolétariat mondial détient donc toujours entre ses mains les clés du futur, il importe de souligner que tous ses secteurs ne se trouvent pas au même niveau dans la capacité d'ouvrir une perspective pour l'humanité. En particulier, la situation économique et politique qui se développe dans les pays de l'ex-bloc de l'Est témoigne de l'extrême faiblesse politique de la classe ouvrière dans cette partie du monde. Ecrasé par la forme la plus brutale et pernicieuse de la contre-révolution, le stalinisme, ballotté par les illusions démocratiques et syndicalistes, déchiré par les affrontements nationalistes et entre cliques bourgeoises, le prolétariat de Russie, d'Ukraine, des pays baltes, de Pologne, de Hongrie, etc., se trouve confronté aux pires difficultés pour développer sa conscience de classe. Les luttes que les ouvriers de ces pays seront contraints de mener, face à des attaques économiques sans précédent, se heurteront, quand elles ne seront pas directement dévoyées sur un terrain bourgeois comme le nationalisme, à toute la décomposition sociale et politique qui est en train de s'y développer, étouffant de ce tait leur capacité à constituer un terreau pour la germination de la conscience. Et il en sera ainsi tant que le prolétariat des grandes métropoles capitalistes, et particulièrement celles d'Europe occidentale, ne sera pas en mesure de mettre en avant, même de façon embryonnaire, une perspective générale de combat.
8) La nouvelle étape du processus de maturation de la conscience dans le prolétariat, dont la situation actuelle du capitalisme détermine les prémisses, n'en est, pour le moment, qu'à ses débuts. D'une part, c'est un chemin important que doit parcourir la classe pour se dégager des séquelles du choc provoqué par l'implosion du stalinisme et l'utilisation qu'en a faite la bourgeoisie. D'autre part, même si sa durée sera nécessairement moindre que celle de l'impact de cet événement, le désarroi produit par les campagnes entourant la guerre du Golfe n'est pas encore surmonté. Pour franchir ce pas, le prolétariat se trouvera confronté aux difficultés que la décomposition générale de la société sème devant lui, de même qu'aux pièges des forces bourgeoises, et en particulier syndicales, qui tenteront de canaliser sa combativité dans des impasses, y compris en le poussant dans des engagements prématurés. Dans ce processus, les révolutionnaires auront une responsabilité croissante :
- dans la mise en garde contre l'ensemble des dangers que représente la décomposition, et particulièrement, il va de soi, la barbarie guerrière ;
- dans la dénonciation de toutes les manoeuvres bourgeoises, dont un des aspects essentiels sera de dissimuler, ou de dénaturer, le lien fondamental entre la lutte contre les attaques économiques et le combat plus général contre une guerre impérialiste de plus en plus présente dans la vie de la société ;
- dans la lutte contre les campagnes visant à saper la confiance du prolétariat en lui-même et en son devenir ;
-dans la mise en avant, contre toutes les mystifications pacifistes et, plus généralement, contre l'ensemble de l'idéologie bourgeoise, de la seule perspective qui puisse s'opposer à l'aggravation de a guerre : le développement et la généralisation du combat de classe contre le capitalisme comme un tout en vue de son renversement.
4 janvier 1991.
[1] [63] Mais s'ils n'en étaient pas totalement maîtres (l'Irak aussi y était pour quelque chose), la date choisie par les Etats-Unis pour le début du conflit, le 2 août 1990, n'est pas le fait du hasard. Pour cette puissance, il fallait faire vite avant que ne s'accentue encore plus la dislocation de son ancien bloc, mais aussi avant que ne se manifeste trop ouvertement (après la « gueule de bois » consécutive à l'effondrement du bloc de 1 Est) la tendance à la reprise des luttes ouvrières, impulsée par la récession mondiale, qui avait commencé à s'exprimer avant l'été 1990.
Grande-Bretagne qui a choisi depuis longtemps une alliance indéfectible avec les Etats-Unis) ont fait plus que traîner les pieds pour s'aligner sur la position américaine et s'associer à son effort de guerre. S'ils ont besoin de la puissance américaine comme gendarme du monde, ils redoutent qu'un étalage trop important de celle-ci, inévitable lors d'une intervention armée directe, ne porte ombrage à leur propre puissance.
LE PROLÉTARIAT FACE À LA GUERRE
Avec une violence inouïe, la guerre du Golfe est venue rappeler que le capitalisme c'est la guerre. La responsabilité historique de la classe ouvrière mondiale, seule force capable de s'opposer au capital, n'en a été que plus mise en relief. Mais, pour assumer cette responsabilité, la classe révolutionnaire doit se réapproprier sa propre expérience théorique et pratique de lutte contre le capital et la guerre. C'est dans cette expérience qu'il doit puiser la confiance dans sa capacité révolutionnaire et les moyens pour mener à bien son combat.
LE PROLÉTARIAT FACE A LA GUERRE DU GOLFE : L'ENJEU DE LA SITUATION HISTORIQUE
La classe ouvrière mondiale a subi la guerre du Golfe comme un massacre d'une partie d'elle-même, mais aussi comme un gigantesque coup de massue, comme une gifle monumentale assenée par la classe dominante.
Mais les rapports de force entre prolétariat et classe dominante locale ne sont pas les mêmes dans les deux parties belligérantes.
En Irak, le gouvernement a pu envoyer au massacre le contingent, les ouvriers, les paysans et leurs enfants (15 ans d'âge parfois). La classe ouvrière y est minoritaire, noyée dans une population agricole ou semi-marginalisée dans les bidonvilles. Elle ne possède quasiment aucune expérience historique de combat contre le capital. Et surtout, l'absence de luttes suffisamment significatives de la part des prolétaires des pays les plus industrialisés l'empêche de concevoir la possibilité d'un véritable combat internationaliste. Aussi lui a‑t‑il été impossible de résister à l'embrigadement idéologique et militaire qui l'a contrainte à servir de chair à canon pour les visées impérialistes de sa bourgeoisie. Le dépassement des mystifications nationalistes ou religieuses, parmi les travailleurs de ces régions, dépend tout d'abord de l'affirmation internationaliste, anti‑capitaliste des prolétaires des pays centraux.
Dans les métropoles impérialistes comme les Etats-Unis, la Grande‑Bretagne, la France, la situation est différente. La bourgeoisie n'a pu envoyer à la boucherie qu'une armée de professionnels. Pourquoi ? Parce que le rapport de forces entre les classes est différent. La classe dominante sait que les prolétaires n'y sont pas prêts à payer, encore une fois, l'impôt du sang. Depuis la fin des années 1960, depuis la reprise des luttes marquée par les grèves massives de 1968 en France, la plus vieille classe ouvrière du monde ‑ qui a déjà subi deux guerres mondiales ‑ a développé la plus grande méfiance vis‑à‑vis des hommes politiques de la bourgeoisie et leurs promesses, tout comme vis‑à‑vis des organisations dites « ouvrières » (partis de gauche, syndicats) destinées à l'encadrer. C'est cette combativité, ce détachement de l'idéologie dominante. Qui a empêché jusqu'à présent l'issue d'une troisième guerre mondiale et, cette fois encore, l'embrigadement des prolétaires dans un conflit impérialiste.
Mais, comme le démontrent les derniers événements, cela ne suffit pas pour empêcher le capitalisme de faire la guerre. Si la classe ouvrière doit n'en rester qu'à cette sorte de résistance implicite, le capital finira par mettre à feu et à sang l'ensemble de la planète jusqu'à y plonger ses principaux centres industriels.
Face à la guerre impérialiste, le prolétariat a démontré par le passé, lors de la vague révolutionnaire de 1917‑23 qui mit fin à la Première guerre mondiale, qu'il était la seule force capable de s'opposer à la barbarie guerrière du capitalisme décadent. La bourgeoisie fait tout aujourd'hui pour le lui faire oublier et l'enfermer dans un sentiment d'impuissance, en particulier à travers la gigantesque campagne autour de l'effondrement de l'URSS avec son ignoble mensonge : « La lutte ouvrière révolutionnaire ne peut mener qu'au goulag et au militarisme le plus totalitaire ».
Pour le prolétariat aujourd'hui, « oublier » sa nature révolutionnaire c'est aller au suicide, et y entraîner l'humanité entière. Dans les mains de la classe capitaliste, la société humaine va au désastre définitif. La barbarie technologique de la guerre du Golfe vient encore de le rappeler. Si le prolétariat producteur de l'essentiel des richesses, y compris des armes les plus destructrices, se laisse endormir par les sirènes pacifistes et leurs hymnes hypocrites à la possibilité d'un capitalisme sans guerres, s'il se laisse dévorer par l'ambiance décomposée du « chacun pour soi », s'il ne parvient pas à retrouver le chemin de la lutte révolutionnaire contre le capitalisme comme système, l'espèce est définitivement condamnée à la barbarie et à la destruction. « Guerre ou révolution. Socialisme ou barbarie », plus que jamais, c'est ainsi qu'est posée la question.
Plus que jamais, il est indispensable, urgent, que le prolétariat se réapproprie sa lucidité historique et son expérience, le résultat de près de deux siècles de lutte contre le capital et ses guerres.
LA LUTTE DU PROLETARIAT CONTRE LA GUERRE
Parce qu'il est la classe porteuse du communisme, le prolétariat est la première classe de l'histoire à pouvoir considérer la guerre autrement que comme un inévitable et éternel fléau. Dès les premiers moments, le mouvement ouvrier affirma son opposition générale aux guerres capitalistes. Le Manifeste Communiste, dont la parution en 1848 correspond aux premières luttes où le prolétariat s'affirme comme, force indépendante sur la scène de l'histoire, est sans équivoque : « Les travailleurs n'ont pas de patrie... Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
Le prolétariat et la guerre au XIXe siècle
L'attitude des organisations politiques prolétariennes vis‑à‑vis de la guerre a logiquement été différente suivant les périodes historiques. Au XIXe siècle, certaines guerres capitalistes possèdent encore un caractère progressiste anti‑féodal ou permettent, par la constitution de nouvelles nations, le développement des conditions nécessaires à la future révolution communiste. C'est ainsi que le courant marxiste fut amené en plusieurs occasions à se prononcer en faveur de la victoire de tel ou tel camp dans telle ou telle guerre nationale, ou à soutenir la lutte pour la libération nationale de certaines nations (par exemple, la Pologne contre l'empire russe, bastion du féodalisme en Europe).
Mais, dans tous les cas, le mouvement ouvrier a considéré la guerre comme un fléau capitaliste dont les classes exploitées sont les premières victimes. Il eut des confusions importantes du fait de l'immaturité des conditions historiques puis du poids du réformisme en son sein. Ainsi, à l'époque de la fondation de la Ie Internationale (1864), on croyait avoir trouvé un moyen de supprimer les guerres en exigeant la suppression des armées permanentes et leur remplacement par des milices du peuple. Cette position trouva au sein même de l'Internationale sa propre critique qui affirmait, dès 1867 « qu'il ne suffit pas de supprimer les armées permanentes pour en finir avec la guerre, mais qu'une transformation de tout l'ordre social était à cette fin également nécessaire. » La IIe Internationale, fondée en 1889, se prononce aussi vis-à‑vis des guerres en général. Mais c'est l'époque dorée du capitalisme et du développement du réformisme. Son premier congrès reprend l'ancien mot d'ordre de « substitution des milices populaires aux armées permanentes ». Au congrès de Londres, en 1896, une résolution sur la guerre affirme : « la classe ouvrière de tous les pays doit s'opposer à la violence provoquée par les guerres ». En 1900, les partis de l'Internationale ont grandi et ont même des députés aux parlements des principales nations. Un principe est solennellement affirmé : « les députés socialistes de tous les pays sont tenus de voter contre toutes les dépenses militaires, navales et contre les expéditions coloniales. »
En réalité la question de la guerre ne se pose pas encore dans toute son acuité. Mis à part les expéditions coloniales, la période charnière entre les deux siècles est encore marquée par la paix entre les principales nations capitalistes. C'est le temps de « la Belle époque ». Alors que mûrissent les conditions qui vont conduire à la Première guerre mondiale, le mouvement ouvrier semble aller de conquêtes sociales en triomphes parlementaires, et la question de la guerre apparaît pour beaucoup comme une question purement théorique.
« Tout cela explique ‑ et nous écrivons d'après une expérience vécue ‑ le fait que nous, de la génération qui lutta avant la guerre impérialiste de 1914, avons peut-être considéré le problème de la guerre plus comme une lutte idéologique que comme un danger réel et imminent : le dénouement de conflits aigus, sans le recours aux armes, tels Fachoda ou Agadir, nous avait influencés dans le sens de croire fallacieusement que grâce à "l'interdépendance" économique, aux liens toujours plus nombreux et plus étroits entre pays, il s'était ainsi constitué une sûre défense contre l'éclosion d'une guerre entre puissances européennes et que l'augmentation de préparatifs militaires des différents impérialistes, au lieu de conduire inévitablement à la guerre, vérifiait le principe romain "si vis pacem para bellum", si tu veux la paix prépare la guerre. » Gatto Mammone, in Bilan n° 21, 1935. ([1] [65])
Les conditions de cette période d'apogée historique du capitalisme, le développement des partis de masses avec leurs parlementaires et leurs énormes appareils syndicaux, les réformes réelles arrachées à la classe capitaliste, tout cela favorise le développement de l'idéologie réformiste au sein du mouvement ouvrier et son corollaire, le pacifisme. L'illusion d'un capitalisme sans guerres gagne les organisations ouvrières.
Face au réformisme, et contre lui, se dégage une gauche qui maintient les principes révolutionnaires et comprend que le capitalisme est en train d'entrer dans sa phase de décadence impérialiste. Rosa Luxemburg et la fraction bolchevique du parti social‑démocrate russe maintiennent et développent les positions révolutionnaires sur la question de la guerre. En 1907, au congrès de l'Internationale, à Stuttgart, ils parviennent à faire adopter un amendement qui ferme la porte aux conceptions pacifistes. Celui‑ci stipule qu'il ne suffit pas de lutter contre l'éventualité d'une guerre ou de la faire cesser le plus rapidement possible mais qu'il s'agit au cours de celle‑ci de « tirer de toute façon parti de la crise économique et politique pour soulever le peuple et précipiter, par là même, la chute de la domination capitaliste. » En 1912, sous la pression de cette même minorité, le congrès de Bâle dénonce la future guerre européenne comme « criminelle » et « réactionnaire » et ne pouvant qu ’» accélérer la chute du capitalisme en provoquant immanquablement la révolution prolétarienne. »
Malgré ces prises de position, deux ans plus tard, lorsqu'éclate la Première guerre mondiale, l'Internationale s'effondre. Rongées en profondeur par le réformisme et le pacifisme, les directions des différents partis nationaux se rangent du côté de leurs bourgeoisies au nom de la « défense contre l'agresseur ». Les parlementaires sociaux‑démocrates votent les crédits de guerre.
La reprise de la lutte des classes depuis 1968
Depuis la Seconde guerre mondiale, le monde n'a pas connu une minute de paix. Essentiellement à travers des conflits locaux, guerre de Corée, guerres israélo-arabes, mais aussi les soi‑disant luttes de libération nationale (Indochine, Algérie, Vietnam, etc.), les principales puissances impérialistes ont continué de s'affronter militairement. La classe ouvrière n'a pu que subir ces guerres comme l'ensemble des aspects de la vie du capitalisme.
Mais avec la grève massive de 1968 en France, et l'ensemble des luttes qui la suivent en Italie 1969, Pologne 1970 et dans la plupart des pays, le prolétariat revient sur la scène de l'histoire. Retrouvant le chemin du combat massif sur son terrain de classe, il se dégage du poids de la contre‑révolution. Au moment même où la crise capitaliste, provoquée par la fin de la reconstruction, pousse le capital mondial vers l'issue d'une troisième guerre mondiale, la classe ouvrière se détache lentement, mais suffisamment de l'idéologie dominante pour rendre impossible un embrigadement immédiat pour une troisième boucherie impérialiste.
Aujourd'hui, après vingt ans de cette situation de blocage, où la bourgeoisie n'a pas pu se lancer vers sa « solution » apocalyptique généralisée, mais où le prolétariat n'a pas eu la force d'imposer sa solution révolutionnaire, le capitalisme vit sa décomposition en engendrant un nouveau type de conflit, dont la guerre du Golfe constitue la première grande concrétisation.
Pour la classe ouvrière mondiale, et celle des principaux pays industrialisés en particulier, l'avertissement est clair : ou bien elle parvient à développer ses combats jusqu'à leur aboutissement révolutionnaire ou bien la dynamique guerrière du capitalisme en décomposition, de guerre « locale » en guerre « locale », finira par mettre en question la survie même de l'humanité.
COMMENT LUTTER CONTRE LA GUERRE AUJOURD'HUI ?
Et tout d'abord, ce que la classe ouvrière doit rejeter.
Le pacifisme c'est l'impuissance
Avant la guerre du Golfe, comme avant la Première et la Seconde guerres mondiales, à côté de la préparation de ses armes matérielles, à côté du bourrage de crâne belliciste, la bourgeoisie a préparé cette autre arme idéologique qu'est le pacifisme.
Ce qui définit le « pacifisme » ce n'est pas la revendication de la paix. Tout le monde veut la paix. Les va-t-en-guerre eux‑mêmes ne cessent de clamer qu'ils ne veulent la guerre que pour mieux rétablir la paix. Ce qui distingue le pacifisme c'est de prétendre qu'on peut lutter pour la paix, en soi, sans toucher aux fondements du pouvoir capitaliste. Les prolétaires qui, par leur lutte révolutionnaire en Russie et en Allemagne, mirent fin à la Première guerre mondiale, voulaient eux aussi la paix. Mais s'ils ont pu faire aboutir leur combat, c'est parce qu'ils ont su mener leur combat non pas AVEC les « pacifistes » mais malgré et CONTRE ceux‑ci. À partir du moment où il devint clair que seule la lutte revolutionnaire permettrait d'arrêter la boucherie impérialiste, les travailleurs de Russie et d'Allemagne se sont trouvés confrontés non seulement aux « faucons » de la bourgeoisie mais aussi et surtout à tous ces pacifistes de la première heure, les « mencheviks », les « socialistes révolutionnaires », les sociaux‑démocrates qui, armes à la main, défendaient ce dont ils ne pouvaient plus se passer et qui leur était le plus cher : l'ordre capitaliste.
La guerre n'existe pas « en soi », en dehors des rapports sociaux, en dehors des rapports de classes. Dans le capitalisme décadent, la guerre n'est qu'un moment de la vie du système et il ne peut y avoir de lutte contre la guerre qui ne soit lutte contre le capitalisme. Prétendre lutter contre la guerre sans lutter contre le capitalisme, c'est se condamner à l'impuissance. Rendre inoffensive pour le capital la révolte des exploités contre la guerre, tel a toujours été le but du pacifisme.
Sur ces manœuvres, l'histoire nous livre des expériences édifiantes. La même entreprise que nous voyons à l'œuvre aujourd'hui, les révolutionnaires la dénonçaient déjà il y a plus de cinquante ans avec la dernière énergie : « La bourgeoisie a précisément besoin que, par des phrases hypocrites sur la paix, on détourne les ouvriers de la lutte révolutionnaire », énonçait Lénine en mars 1916. L'usage du pacifisme n'a pas changé : « En cela réside l'unité de principe des sociaux‑chauvins (Plekhanov, Scheidemann) et des sociaux‑pacifistes (Turati, Kautsky) que les uns et les autres, objectivement parlant, sont les serviteurs de l'impérialisme : les uns le servent en présentant la guerre impérialiste comme "la défense de la patrie", les autres servent le même impérialisme en le déguisant par des phrases sur la paix démocratique, la paix impérialiste qui s'annonce aujourd'hui. La bourgeoisie impérialiste a besoin des larbins de l'une et de l'autre sorte, de l'une et de l'autre nuance : elle a besoin des Plekhanov pour encourager les peuples à se massacrer en criant : "À bas les conquérants" ; elle a besoin des Kautsky pour consoler et calmer les masses irritées pas des hymnes et dithyrambes en l'honneur de la paix. » (Lénine, janvier 1917)
Ce qui était vrai au moment de la Première guerre mondiale s'est, depuis, invariablement confirmé. Aujourd'hui encore, face à la guerre du Golfe, dans toutes les puissances belligérantes, la bourgeoisie a organisé la machine pacifiste. Des partis ou des fractions de partis politiques « responsables », c'est‑à‑dire ayant fait largement leurs preuves de fidélité absolue à l'ordre bourgeois (ayant participé au gouvernement, au sabotage des grèves et autres formes de lutte des classes exploitées, ayant joué le rôle de sergents recruteurs dans des guerres passées) sont chargés de prendre la tête de mouvements pacifistes. « Demandons ! », « Exigeons ! », « Imposons ! » ... un capitalisme pacifique. De Ramsey Klark (ancien conseiller du président Johnson) aux USA, à la social-démocratie en Allemagne (celle‑là même qui envoya le prolétariat allemand à la Première guerre mondiale et se chargea directement de l'assassinat des principales figures du mouvement révolutionnaire de 1918/19 Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg), des fractions pacifistes du Labour Party britannique à celles de Chevènement et Cheysson dans le PS français, en passant pas les PC staliniens de France, d'Italie, d'Espagne (avec leurs inévitables acolytes trotskystes), devenus depuis longtemps maîtres dans l'art de recruter la chair a canon, tout ce beau monde s'est retrouvé à la tête des grandes manifestations pacifistes de janvier 1991 à Washington, Londres, Bonn, Rome ou Paris. Tous ces patriotes (qu'ils défendent de grandes ou de petites patries ‑ l'Irak par exemple ‑ ne change rien à l'affaire) ne croient évidemment pas plus à la paix aujourd'hui qu'hier. Tout simplement ils remplissent le role du pacifisme : canaliser le mécontentement et la révolte provoqués par la guerre dans une impasse d'impuissance.
Après les signatures de « pétitions », après les balades dans la rue, en compagnie des « bonnes consciences » de la classe dominante, les prêtres « progressistes », les vedettes du spectacle et autres « amoureux de la paix »... capitaliste, que reste‑t‑il dans l'esprit de ceux qui sincèrement ont cru y trouver un moyen de s'opposer à la guerre, si ce n'est un sentiment de stérilité et d'amère impuissance ? Le pacifisme n'a jamais empêché les guerres capitalistes. Il n'a fait que les préparer et les accompagner.
Le pacifisme s'accompagne presque toujours d'un frère « radical » : l'antimilitarisme. Celui‑ci se caractérise en général par le refus total ou partiel du pacifisme « pacifique ». Pour combattre la guerre il préconise des méthodes plus radicales, directement orientées contre la force militaire : désertion individuelle et « exécution des officiers » sont ses mots d'ordre les plus caractéristiques. À la veille de la Première guerre mondiale, Gustave Hervé en fut le représentant le plus connu. Face à la mollesse du pacifisme ambiant de la social‑démocratie réformiste, il eut un certain écho. Il y eut même à Toulon, en France, un pauvre soldat qui, influencé par ce langage « radical », alla jusqu'à tirer sur son colonel. Cela ne mena évidemment nulle part... sauf Hervé qui aboutit au cours de la guerre au plus abject patriotisme et à l'appui de Clemenceau.
Il est évident que la révolution se traduit par la désertion des soldats de l'armée et par le combat contre les officiers. Mais il s'agit alors, comme pendant les révolutions russe et allemande, d'actions massives des soldats se fondant dans la masse des prolétaires en lutte. Il est absurde de penser qu'il puisse y avoir une solution individualiste a un problème aussi éminemment social que la guerre capitaliste. Il s'agit dans le meilleur des cas de l'expression du désespoir suicidaire de la petite‑bourgeoisie incapable de comprendre le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière, et dans le pire, d'une impasse sciemment mise en avant par des forces policières pour renforcer le sentiment d'impuissance face au problème du militarisme et de la guerre. La dissolution des armées capitalistes ne peut être l'œuvre d'actions individuelles de révolte nihiliste, mais le résultat de l'action révolutionnaire, consciente, massive et collective du prolétariat.
Les conditions de la lutte ouvrière aujourd'hui
La lutte contre la guerre ne peut être que la lutte contre le capital. Mais aujourd'hui les conditions de cette lutte sont radicalement différentes de celles qui ont présidé aux mouvements révolutionnaires du passé. De façon plus ou moins directe, les révolutions prolétariennes du passé ont été liées à des guerres : la Commune de Paris fut le résultat des conditions créées par la guerre franco‑allemande de 1870 ; la révolution de 1905 en Russie répondait à la guerre russo‑japonaise ; la vague de 1917‑23 à la Première guerre mondiale. Certains révolutionnaires en ont déduit que la guerre capitaliste constitue une condition nécessaire, ou du moins très favorable pour la révolution communiste. Cela n'était que partiellement vrai dans le passé. La guerre crée des conditions qui poussent effectivement le prolétariat à agir de façon révolutionnaire. Mais, premièrement, cela ne se produit que dans les pays vaincus. Le prolétariat des pays vainqueurs reste généralement beaucoup plus soumis idéologiquement à ses classes dirigeantes, ce qui contrecarre l'indispensable extension mondiale qu exige la survie du pouvoir révolutionnaire. Deuxièmement, lorsque la lutte parvient à imposer la paix à la bourgeoisie, elle se prive par là même des conditions extraordinaires qui ont fait naître cette lutte ([2] [66]). En Allemagne par exemple, le mouvement révolutionnaire APRÈS l'armistice pâtira fortement de la tendance de toute une partie des soldats, revenant du front et n'ayant qu'un désir : jouir de cette paix tant désirée et si chèrement acquise.
Nous avons vu par ailleurs comment, lors de la Deuxième guerre mondiale, la bourgeoisie avait su tirer les leçons de la Première guerre et agir en vue d'éviter des explosions sociales révolutionnaires.
Mais surtout, et au‑delà de toutes ces considérations, si le cours historique actuel est renversé, si jamais il devait y avoir une guerre à laquelle seraient appelés à participer massivement les prolétaires des métropoles impérialistes, elle impliquerait la mise en œuvre de moyens de destruction si terribles que toute possibilité de fraternisation et d'action révolutionnaire serait extrêmement difficile, voire impossible.
S'il est une leçon que les prolétaires doivent retenir de leur expérience passée c'est que, pour lutter contre la guerre aujourd hui, ils devront agir AVANT une guerre mondiale ; pendant, il sera trop tard.
L'analyse des conditions historiques actuelles permet d'affirmer que les conditions d'une nouvelle situation révolutionnaire internationale pourront se créer sans que le capitalisme ait pu embrigader le prolétariat des pays centraux dans une boucherie généralisée.
Les processus qui conduisent à une réponse révolutionnaire du prolétariat ne sont ni rapides ni faciles. Ceux qui aujourd'hui se lamentent de ne pas voir le prolétariat des pays industrialisés répondre immédiatement à la guerre, oublient qu'il lui fallut trois ans de souffrances indescriptibles, entre 1914 et 1917, pour parvenir à engager sa réponse révolutionnaire. Nul ne peut dire quand et comment la classe ouvrière mondiale pourra cette fois‑ci porter son combat à la hauteur de ses tâches historiques. Ce que nous savons, c'est qu'il se heurte aujourd'hui à des difficultés énormes, dont la moindre n'est pas l'ambiance de la décomposition délétère qu'engendre la décadence avancée du capitalisme avec sa généralisation de l'esprit du « chacun pour soi » et l'odeur nauséabonde du stalinisme en putréfaction. Mais nous savons aussi que, contrairement à la période de la crise économique des années 1930, contrairement à la période de la Seconde guerre mondiale, le prolétariat des pays centraux n'est ni écrasé physiquement, ni vaincu dans sa conscience.
Le fait même que le prolétariat des grandes puissances n'ait pu être embrigadé dans la guerre du Golfe, obligeant les gouvernements à recourir à des professionnels, les multiples précautions auxquelles ont dû recourir ces gouvernements pour justifier la guerre, sont une manifestation de ce rapport de forces.
Quant aux effets de cette guerre sur la conscience dans la classe, ils se sont traduits par une relative paralysie de la combativité dans l'immédiat mais aussi par une réflexion inquiète et profonde sur les enjeux historiques.
À ce niveau, la guerre du Golfe se distingue des guerres mondiales du passé sur un aspect particulièrement important : les guerres mondiales ont eu la particularité de cacher, aux yeux des prolétaires, la crise économique qui était à leur origine. Pendant la guerre, les chômeurs disparaissaient sous l'uniforme de soldats, les usines arrêtées reprenaient leur activité pour fabriquer les armes et les marchandises nécessaires à une guerre totale : la crise économique semblait disparue. Il en est tout autrement aujourd'hui. Au moment même où la bourgeoisie déclenchait son enfer de feu au Moyen‑Orient, son économie, au cœur de ses zones les plus industrialisées, plongeait dans une récession sans précédent... sans espoir de nouveau plan Marshall. Nous avons assisté simultanément à une guerre qui a clairement révélé la perspective apocalyptique qu'offre le capital, et à 1'approfondissement de la crise économique. La première a donné la mesure de l'enjeu historique pour le prolétariat, la seconde crée et créera les conditions pour que celui‑ci, contraint de répondre aux attaques, s'affirme en tant que classe et se reconnaisse comme tel.
La situation actuelle est pour les générations présentes de prolétaires un nouveau défi de l'histoire. Celles‑ci peuvent le relever si elles savent tirer profit des vingt dernières années de luttes revendicatives au cours desquelles elles ont appris ce que valent les promesses des capitalistes sur l'avenir de ce système ; si elles savent porter jusqu'au bout la méfiance et la haine qu'elles ont développées contre les organisations soi‑disant ouvrières (syndicats, partis de gauche) qui ont systématiquement saboté tous les combats importants; si elles savent comprendre que leur lutte n'est que la suite de deux siècles de combats de la classe révolutionnaire de notre époque.
Pour cela, loin du terrain interclassiste du pacifisme et autres pièges nationalistes, le prolétariat n'a d'autre chemin que le développement de sa lutte contre le capital, sur son propre terrain de classe.
Un terrain qui se définit de façon simple et tranchante comme une façon de concevoir chaque moment de la lutte : se battre en tant que classe en mettant en avant les intérêts qui sont communs à tous les ouvriers ; défendre ces intérêts de façon intransigeante contre ceux du capital. Ce n'est pas le terrain syndicaliste, qui divise les ouvriers par nations, régions, corporations... Ce n'est pas le terrain des syndicats et partis de gauche, qui prétendent que « la défense des intérêts ouvriers est la meilleure défense de la nation », pour en conclure que les ouvriers doivent tenir compte, dans leurs luttes, des intérêts de la nation, donc du capital national. Le terrain de classe est défini par l'irréconciliabilité entre les intérêts de la classe exploitée et ceux du système capitaliste moribond.
Le terrain de classe n'a pas de frontières nationales, mais des frontières de classe. Il est par lui‑même la négation de la base des guerres capitalistes. Il est le terrain fertile où se développe la dynamique qui conduit le prolétariat à assumer, à partir de la défense de ses intérêts « immédiats », la défense de ses intérêts historiques : la révolution communiste mondiale.
La guerre capitaliste n'est pas plus une fatalité que les aberrations du capitalisme en décomposition. Pas plus que la société antique esclavagiste ou que la société féodale, le capitalisme n'est un mode de production éternel. Seule la lutte pour le bouleversement de cette société, pour la construction d'une société vraiment communiste, sans exploitation ni nations, peut débarrasser l'humanité de la menace de disparition dans le feu de la guerre capitaliste.
Seule la lutte contre le capitalisme est une lutte contre la guerre. C'est la seule « guerre » qui vaille la peine d'être menée.
RV
[1] [67] ) Les travailleurs qui comme Gatto Mammone croyaient voir dans la question de la guerre, avant 1914 une question « idéologique », oubliaient (comme ceux qui, il y a peu, se laissaient endormir par les hymnes à « la fin de la guerre froide » et l'Europe unie de 1992) que le développement de « l'interdépendance » économique, loin de résoudre les antagonismes inter‑impérialistes, ne fait que les exacerber. Ils oubliaient une des découvertes fondamentales du marxisme : la contradiction irrémédiable qui oppose d'une part le caractère de plus en plus international de la production capitaliste et, d'autre part la nature privée, nationale de l'appropriation de cette production par les capitalistes.
La recherche de fournitures comme de débouchés solvables pour sa production, conduit inévitablement chaque capital national, sous la pression de la concurrence, à développer irréversiblement la division internationale du travail. Il se développe ainsi en permanence une interdépendance économique internationale de tous les capitaux nationaux â l'égard des autres. Cette tendance, effective depuis les premiers temps du capitalisme, s'est vue renforcée par l'organisation du monde en blocs au lendemain de la Seconde guerre mondiale, tout comme par le développement des entreprises dites « multinationales ». Cependant le capitalisme ne peut pas pour autant abandonner la base de son existence : la propriété privée et son organisation en nations. Qui plus est, la décadence capitaliste s'est accompagnée simultanément du renforcement de la tendance au capitalisme d'État, c'est‑à‑dire â la dépendance de chaque capital national à l'égard de son appareil d'État national devenu maitre d'œuvre de toute la vie sociale. Cette contradiction essentielle entre production organisée internationalement et maintien de l'appropriation par nations, constitue un des bases objectives de la nécessité et de la possibilité d'une société communiste sans propriété privée ni nations. Mais pour le capitalisme, elle est une impasse insoluble qui ne peut le conduire qu'au chaos et à la barbarie guerrière.
[2] [68] « La guerre, incontestablement, a joué un rôle énorme dans le développement de noire révolution, elle a désorganisé matériellement l'absolutisme ; elle a disloqué l'armée ; elle a donné de l'audace à la masse des hésitants. Mais heureusement elle n'a pas créé la révolution et c'est une chance parce que la révolution née de la guerre est impuissante : elle est le produit de circonstances extraordinaires, repose sur une force extérieure et en définitive se montre incapable de conserver les positions conquises. » Trotsky dans « Notre révolution », parlant du rôle de la guerre russo‑japonaise dans l'éclatement de la Révolution de 1905 en Russie.
Comme les lecteurs de notre presse territoriale l'ont déjà appris, notre camarade Marc est mort. Dans le numéro de décembre de notre publication territoriale en France, on pouvait trouver, associé à une souscription, le texte suivant signé MC : "En réponse à de nombreuses lettres qui m'ont profondément touché et pour un premier dur combat, livré et gagné, cette souscription pour la presse du CCI..." C'est avec beaucoup de lucidité et de courage, comme à son habitude, que notre camarade avait livré combat contre la maladie. Mais celle-ci, une des formes les plus foudroyantes du cancer, devait finalement prendre le dessus, le 20 décembre 1990. Avec Marc, ce n'est pas seulement notre organisation qui perd son militant le plus expérimenté et le plus fécond ; c'est tout le prolétariat mondial qui se trouve privé d'un de ses meilleurs combattants.
Depuis longtemps, et contre toutes les visions propres à l’individualisme bourgeois, le marxisme a montré que ce ne sont pas les individualités qui font l'histoire mais que, depuis l'apparition des classes sociales : "L'histoire de toutes les sociétés, jusqu'à ce jour, est l'histoire de la lutte des classes". Il en est de même, et c'est particulièrement vrai, de l'histoire du mouvement ouvrier dont le principal protagoniste est justement la classe qui, bien plus que toutes les autres, travaille de façon associée et mène son combat de façon collective. Au sein du prolétariat, c'est également, et en conséquence, de façon collective qu'agissent les minorités communistes qu'il secrète comme manifestation de son devenir révolutionnaire. En ce sens, l'action de ces minorités revêt un caractère avant tout anonyme et n'a pas à sacrifier au culte des personnalités. Leurs membres n'ont de raison d'exister, en tant que militants révolutionnaires, que comme partie d'un tout, l'organisation communiste. Cependant, si l'organisation doit pouvoir compter sur tous ses militants, il est clair que tous ne lui apportent pas une contribution équivalente. L'histoire personnelle, l'expérience, la personnalité de certains militants, de même que les circonstances historiques, les conduisent à jouer dans les organisations où ils militent un rôle tout à fait particulier et marquant en tant qu'élément d'impulsion des activités de ces organisations, et notamment de l'activité qui se trouve à la base de leur raison d'existence : l'élaboration et l'approfondissement des positions politiques révolutionnaires.
Marc était justement un de ceux-là. En particulier, il appartenait à la toute petite minorité de militants communistes qui a survécu et résisté à la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière entre les années 1920 et les années 1960, tels Anton Pannekoek, Henk Canne-Meijer, Amadeo Bordiga, Onorato Damen, Paul Mattick, Jan Appel ou Munis. De plus, outre sa fidélité indéfectible à la cause du communisme, il a su à la fois conserver sa pleine confiance dans les capacités révolutionnaires du prolétariat, faire bénéficier les nouvelles générations de militants de toute son expérience passée, et ne pas rester enfermé dans les analyses et positions dont le cours de l'histoire exigeait le dépassement [1] [71]. En ce sens, toute son activité de militant constitue un exemple concret de ce que le marxisme veut dire : la pensée vivante, en constante élaboration, de la classe révolutionnaire, porteuse de l'avenir de l'humanité.
Ce rôle d'impulsion de la pensée et de l'action de l'organisation politique, notre camarade l'a joué de façon éminente dans le CCI, évidemment. Et cela, jusqu'aux dernières heures de sa vie. En fait, toute sa vie militante est animée par la même démarche, par la même volonté de défendre bec et ongles les principes communistes, tout en gardant en permanence l'esprit critique en éveil afin d’être capable, chaque fois que nécessaire, de remettre en cause ce qui semblait à beaucoup des dogmes intangibles et "invariants". Une vie militante de plus de soixante-dix ans et qui a trouvé ses sources à la chaleur même de la révolution.
Marc est né le 13 mai 1907 à Kichinev, capitale de la Bessarabie (Moldavie), à une époque où cette région faisait partie de l'ancien Empire tsariste. Il n’a donc pas encore dix ans lorsque éclate la révolution de 1917. Voici comment lui-même, à l'occasion de son 80e anniversaire, décrit cette formidable expérience qui a marqué toute sa vie :
"J'ai eu la chance de vivre et de connaître, tout en étant enfant, la révolution russe de 1917, aussi bien de Février que d'Octobre. Je l'ai vécue intensément. Il faut savoir et comprendre ce qu'est un Gavroche, ce qu'est un enfant dans une période révolutionnaire, où on passe ses journées dans des manifestations, de l'une à l'autre, d'un meeting à l'autre ; où on passe les nuits dans des clubs où sont les soldats, les ouvriers, où ça parle, où ça discute, où ça s'affronte ; lorsque,à chaque coin de rue, tout d'un coup, brusquement, un homme se lève sur le bord d'une fenêtre et commence à parler : immédiatement, il y a 1000 personnes qui sont autour et ça commence à discuter. C'est quelque chose d'inoubliable comme souvenir, qui a marqué toute ma vie, évidemment. J'ai eu la chance, par dessus le marché, d'avoir mon frère aîné qui était soldat et qui était bolchevik, le secrétaire du parti dans la ville, et avec qui je pouvais courir, la main dans la main, d'un meeting à l'autre où il portait la défense des positions des bolcheviks.
J'ai eu la chance d'être le dernier enfant - le cinquième- d'une famille où tous les membres furent, les uns après les autres, militants du Parti jusqu'à être tués ou exclus. Tout cela m'a permis de vivre dans une maison qui était toujours pleine de gens, de jeunes, où il y avait toujours des discussions car, au début, un seul était bolchevik, les autres étant plus ou moins socialistes. C'était un permanent débat avec tous leurs camarades, tous leurs collègues, etc. Et c'était une chance énorme pour la formation d'un enfant."
En 1919, durant la guerre civile, lorsque la Moldavie est occupée par les troupes blanches roumaines, toute la famille de Marc, menacée par les pogroms (le père était rabbin), émigré en Palestine. Ce sont d'ailleurs ses frères et soeur aînés qui sont à l'origine de la fondation du parti communiste de ce pays. C'est à ce moment là, début 1921, que Marc (qui n'a pas encore 13 ans) devient militant, puisqu'il entre aux jeunesses communistes (en fait, c'est l'un de leurs fondateurs) et au parti. Très vite, il se heurte à la position de l'Internationale communiste sur la question nationale qui, suivant ses propres termes, lui "passait difficilement par la gorge". Ce désaccord lui vaut d'ailleurs, en 1923, sa première exclusion du parti communiste. Dès cette époque, alors qu'il est encore adolescent, Marc manifeste donc déjà ce qui sera une de ses principales qualités tout au long de sa vie militante : une intransigeance indéfectible dans la défense des principes révolutionnaires, même si cette défense devait le conduire à s'opposer aux "autorités" les plus prestigieuses du mouvement ouvrier comme l'étaient à ce moment-là les dirigeants de l'Internationale communiste, notamment Lénine et Trotsky [2] [72]. Son adhésion totale à la cause du prolétariat, son implication militante dans l'organisation communiste et l'estime profonde qu'il portait aux grands noms du mouvement ouvrier ne l'ont jamais conduit à renoncer au combat pour ses propres positions lorsqu'il estimait que celles de l'organisation s'écartaient de ces principes ou qu'elles étaient dépassées par les nouvelles circonstances historiques. Pour lui, comme pour tous les grands révolutionnaires, tels Lénine ou Rosa Luxemburg, l'adhésion au marxisme, la théorie révolutionnaire du prolétariat, n'était pas une adhésion à la lettre de cette théorie mais à son esprit et à sa méthode. En fait, l'audace dont a toujours su faire preuve notre camarade, à l'image des autres grands révolutionnaires, était le pendant, l'autre face, de son adhésion totale et indéfectible à la cause et au programme du prolétariat. C'est parce qu'il était profondément attaché au marxisme, qu'il en était pénétré jusqu'au bout des ongles, qu'il n'a jamais été paralysé par la crainte de s'en écarter lorsqu'il critiquait, sur la bse du même marxisme, ce qui était devenu caduc dans les positions des organisations ouvrières. La question du soutien aux luttes de libération nationale qui, dans le seconde, puis dans la troisième internationale était devenue une sorte de dogme, fut donc le premier terrain sur lequel il eut l'occasion d'appliquer cette démarche [3] [73].
En 1924, Marc, en compagnie d'un de ses frères, vient vivre en France. Il obtient alors son intégration dans la section juive du Parti communiste, redevenant membre de cette même Internationale dont il avait été exclu peu avant. Immédiatement, il fait partie de l'opposition qui combat le processus de dégénérescence de l’IC et des partis communistes. C'est ainsi qu'avec Albert Treint (secrétaire général du PCF de 1923 à 1926) et Suzanne Girault (ancienne trésorière du Parti), il participe à la fondation, en 1927, de l'Unité léniniste. Lorsque parvient en France la plateforme de l'Opposition russe rédigée par Trotsky, il se déclare en accord avec elle. En revanche, et contrairement à Treint, il rejette la déclaration de Trotsky affirmant que sur toutes les questions où il y avait eu désaccord entre lui et Lénine avant 1917, c'est Lénine qui avait raison. Marc estimait qu'une telle attitude n'était absolument pas correcte, d'abord parce que Trotsky n'était pas réellement convaincu de ce qu'il avançait, ensuite parce qu'une telle déclaration ne pouvait qu'enfermer Trotsky dans des positions fausses défendues dans le passé par Lénine (notamment au moment de la révolution de 1905 sur la question de la "dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie"). De nouveau se manifeste cette capacité de notre camarade à conserver une attitude critique et lucide face aux grandes "autorités" du mouvement ouvrier. Son appartenance à l'Opposition de gauche internationale, après son exclusion du PCF en février 1928, ne signifiait pas une allégeance à toutes les positions de son principal dirigeant, malgré toute l'admiration qu'il pouvait, par ailleurs, lui porter. C'est en particulier grâce à cet esprit qu'il est capable, par la suite, de ne pas se laisser entraîner dans la dérive opportuniste du mouvement trotskiste contre laquelle il engage la lutte au début des années 1930. En effet, après sa participation, avec Treint, à la formation du Redressement communiste, il adhère en 1930 à la Ligue communiste (l'organisation qui représente l'Opposition en France) dont il devient, de même que Treint, membre de la commission exécutive en octobre 1931. Mais tous deux, après y avoir défendu une position minoritaire face à la montée de l'opportunisme, quittent cette formation en mai 1932 avant de participer à la constitution de la Fraction communiste de gauche (dite Groupe de Bagnolet). En 1933, cette organisation connaît une scission et Marc rompt avec Treint qui commence à défendre une analyse de l'URSS comparable à celle développée plus tard par Burnham et Chaulieu ("Socialisme bureaucratique"). Il participe alors, en novembre 1933, à la fondation de l'Union communiste en compagnie de Chazé (Gaston Davoust, mort en 1984), avec qui il avait entretenu des relations étroites, depuis le début des années 1930, alors que ce dernier était encore membre du PCF (il est exclu en août 1932) et qu'il animait le 15e Rayon (banlieue ouest de Paris) qui défendait des orientations d'opposition.
Marc est resté membre de l'Union communiste jusqu'au moment de la guerre d'Espagne. Nous vivons une des périodes les plus tragiques du mouvement ouvrier : suivant les termes de Victor Serge, "il est minuit dans le siècle". Comme Marc le dit lui-même : "Passer ces années d'isolement terrible, voir le prolétariat français arborer le drapeau tricolore, le drapeau des Versaillais et chanter la Marseillaise, tout cela au nom du communisme, c'était, pour toutes les générations qui étaient restées révolutionnaires, source d'une horrible tristesse". Et c'est justement au moment de la guerre d'Espagne que ce sentiment d'isolement atteint un de ses points culminants lorsque nombre d'organisations qui avaient réussi à maintenir des positions de classe sont entraînées par la vague "antifasciste". C'est notamment le cas de l'Union communiste qui voit dans les événements d'Espagne une révolution prolétarienne dans laquelle la classe ouvrière aurait l'initiative du combat. Cette organisation ne va certes pas jusqu'à soutenir le gouvernement de "Front populaire". Mais elle préconise l'enrôlement dans les milices antifascistes et elle noue des relations politiques avec l'aile gauche du POUM, une organisation antifasciste qui participe au gouvernement de la "Generalitat" de Catalogne.
Défenseur intransigeant des principes de classe, Marc ne peut évidemment pas accepter une telle capitulation devant l'idéologie antifasciste ambiante, même si elle se pare de justifications comme la "solidarité avec le prolétariat d'Espagne". Après avoir mené le combat minoritaire contre une telle dérive, il quitte l'Union communiste et rejoint individuellement, début 1938, la Fraction de gauche italienne avec qui il était resté en contact. Celle-ci avait été pour sa part, également, confrontée à un minorité favorable à l'enrôlement dans les milices anti-fascistes. Au milieu de la tourmente que représente la guerre d'Espagne, de toutes les trahisons qu'elle occasionne, la Fraction italienne, fondée à Pantin, dans la banlieue parisienne, en mai 1928, est une des rares formations à résister sur des principes de classe. Elle base ses positions de rejet intransigeant de toutes les sirènes antifascistes sur la compréhension du cours historique dominé par la contre-révolution. Dans une telle période de recul profond du prolétariat mondial, de victoire de la réaction, les événements d'Espagne ne peuvent être compris comme l'essor d'une nouvelle vague révolutionnaire, mais comme une nouvelle étape de la contre-révolution. Au bout de la guerre civile qui oppose non pas la classe ouvrière à la bourgeoisie, mais la République bourgeoise, alliée au camp impérialiste "démocratique", contre un autre gouvernement bourgeois, allié au camp impérialiste "fasciste", il ne peut y avoir la révolution mais la guerre mondial. Le fait que les ouvriers d'Espagne aient pris spontanément les armes face au putsch de Franco en juillet 1936 (ce qui est évidemment salué par la Fraction) ne leur ouvre aucune perspective révolutionnaire à partir du moment où, embrigadés par les organisations antifascistes telles le PS, le PC et la CNT anarcho-syndicaliste, ils renoncent au combat sur leur terrain de classe pour se transformer en soldats de la République bourgeoise dirigée par le "frente popular". Et une des meilleures preuves de l'impasse tragique dans laquelle se trouve le prolétariat en Espagne est, pour la Fraction, constituée par le fait qu’il n'y a dans ce pays aucun parti révolutionnaire [4] [74].
C'est donc comme militant de la Fraction italienne, qui est exilée en France et en Belgique [5] [75], que Marc poursuit le combat révolutionnaire. En particulier, il devient très proche de Vercesi (Ottorino Perrone) qui en est le principal animateur. Bien des années après, Marc a souvent expliqué aux jeunes militants du CCI combien il avait appris aux cotés de Vercesi pour qui il avait une estime et une admiration considérables. "C'est auprès de lui que j'ai appris vraiment ce qu'était un militant", a-t-il dit à plusieurs reprises. En effet, la remarquable fermeté dont fait preuve la Fraction, elle la doit en grande partie à Vercesi qui, militant depuis la fin de la première guerre mondiale dans le PSI puis dans le PCÎ, a mené de façon permanente le combat pour la défense des principes révolutionnaires contre l'opportunisme et la dégénérescence de ces organisations. A la différence de Bordiga, principal dirigeant du PCI lors de sa fondation en 1921 et animateur de la gauche de celui-ci par la suite, mais qui s'est retiré de la vie militante après son exclusion du PCI en 1930, il a mis son expérience au service de la poursuite du combat face a la contre-révolution. En particulier, il apporte une contribution décisive à l'élaboration de la position concernant le rôle des fractions dans la vie des organisations prolétariennes, notamment dans les périodes de réaction et de dégénérescence du Parti [6] [76]. Mais sa contribution est bien plus vaste. Sur la base de la compréhension des tâches qui incombent aux révolutionnaires après l'échec de la révolution et la victoire de la contre-révolution, faire un bilan (d'où le nom de la publication de la Fraction en langue française) de l'expérience passée afin de préparer "les cadres pour les nouveaux partis du prolétariat", et cela sans "aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme" (Bilan, n°1), il impulse dans la fraction tout un travail de réflexion et d’élaboration théorique qui en fait une des organisations les plus fécondes de l'histoire du mouvement ouvrier. En particulier, bien que de "Léniniste", il n'a pas peur de reprendre à son compte les positions de Rosa Luxemburg rejetant le soutien aux luttes d'indépendance nationale et sur l'analyse des causes économiques de l'impérialisme. Sur ce dernier point, il tire profit des débats avec la Ligue des communistes internationalistes de Belgique (une formation issue du trotskisme mais qui s'en est éloignée), dont la minorité rejoint les positions de la fraction lors de la guerre d'Espagne, pour constituer avec elle, à la fin de 1937, la Gauche communiste internationale. Par ailleurs, Vercesi (en compagnie de Mitchell, membre de la LCI), en s'appuyant sur les enseignements du processus de dégénérescence de la révolution en Russie et du rôle de l'Etat soviétique dans la contre-révolution, élabore la position suivant laquelle il ne peut y avoir identification entre la dictature du prolétariat et l'Etat qui surgit après la révolution. Enfin, en matière d'organisation, il donne un exemple, au sein de la commission exécutive de la Fraction, de comment il s'agit de mener un débat lorsque surgissent des divergences graves. En effet, face a la minorité qui rompt toute discipline organisationnelle en allant s'engager dans les milices antifascistes, qui refuse de payer ses cotisations, il combat l'idée d'une séparation organisationnelle précipitée (alors que, conformément aux règles de fonctionnement de la Fraction, les membres de la minorité auraient parfaitement pu être exclus) afin de donner le maximum de chances au développement de la plus grande clarté dans le débat. Pour Vercesi, comme pour la majorité de la Fraction, la clarté politique constitue en effet une priorité essentielle dans le rôle et l'activité des organisations révolutionnaires.
Tous ces enseignements qui, sur bien des points correspondent déjà à sa démarche politique antérieure, Marc les a pleinement assimilés au cours des années où il a milité aux côtés de Vercesi. Et c'est d'ailleurs sur ces mêmes enseignements qu'il va s'appuyer lorsque, à son tour, Vercesi commencera à les oublier et à s'écarter des positions marxistes. En effet, celui-ci, au moment même où se constitue la GCI, où Bilan est remplacé par Octobre, commence à développer une théorie de l'économie de guerre comme antidote définitif à la crise du capitalisme. Désorienté par le succès momentané des politiques économiques du New Deal et du nazisme, il en conclut que la production d'armes, qui ne vient pas encombrer un marché capitaliste sursaturé, permet au capitalisme de surmonter ses contradictions économiques. Selon lui, le formidable effort d'armement réalisé par tous les pays à la fin des années 1930 ne correspond donc pas aux préparatifs de la future guerre mondiale mais constitue au contraire un moyen d'y échapper en éliminant sa cause fondamentale : l'impasse économique du capitalisme. Dans ce contexte, les différentes guerres locales qui se sont développées, notamment la guerre d'Espagne, ne doivent pas être considérées comme les prémisses d'un conflit généralisé, mais comme un moyen pour la bourgeoisie d'écraser la classe ouvrière face à une montée des combats révolutionnaires. C'est pour cela que la publication que se donne le Bureau international de la GCI s'appelle Octobre : nous sommes entrés dans une nouvelle période révolutionnaire. De telles positions constituent une sorte de victoire posthume pour l'ancienne minorité de la Fraction.
Face à un tel dérapage, qui remet en cause l'essentiel des enseignements de Bilan, Marc engage le combat pour la défense des positions classiques de la Fraction et du marxisme. C'est pour lui une épreuve très difficile puisqu'il doit combattre les errements d'un militant à qui il porte la plus haute estime. Dans ce combat, il est minoritaire car la majorité des membres de la fraction, aveuglés par leur admiration envers Vercesi, le suivent dans cette impasse. En fin de compte, cette conception conduit la Fraction italienne, de même que la Fraction belge, à une totale paralysie au moment de l'éclatement de la guerre mondiale face à laquelle Vercesi estime qu il n'y a plus lieu d'intervenir puisque le prolétariat a "disparu socialement". A ce moment-là, Marc qui a été mobilisé dans l'armée française (bien qu'apatride) ne peut engager immédiatement le combat [7] [77]. Ce n'est qu'en août 1940, à Marseille, dans le Sud de la France, qu'il peut se replonger dans l'activité politique pour regrouper les éléments de la Fraction italienne qui se sont retrouvés dans cette ville.
Ces militants refusent pour la plupart la dissolution des fractions prononcée, sous 1’influence de Vercesi, par le Bureau international de celles-ci. Ils tiennent en 1941 une conférence de la Fraction reconstituée qui se base sur le rejet de la dérive introduite à partir de 1937 : théorie de l'économie de guerre comme dépassement de la crise, guerres "localisées" contre la classe ouvrière, "disparition sociale du prolétariat", etc. De même, la Fraction abandonne sa vieille position sur l'URSS présentant celle-ci comme un "Etat ouvrier dégénéré" [8] [78] et reconnaît sa nature capitaliste. Tout au long de la guerre, dans les pires conditions de clandestinité, la Fraction va tenir des conférences annuelles regroupant des militants de Marseille, Toulon, Lyon et Paris de même que, malgré l'occupation allemande, elle va établir des liens avec les éléments de Belgique. Elle publie un Bulletin intérieur de discussion abordant toutes les questions qui ont conduit à la faillite de 1939. Quand on lit les différents numéros de ce bulletin, on peut constater que la plupart des textes de fond combattant les dérives impulsées par Vercesi ou élaborant les nouvelles positions requises par l'évolution de la situation historique sont signés Marco. Notre camarade, qui n'avait rejoint la Fraction italienne qu'en 1938, et qui en était le seul membre "étranger", en est durant toute la guerre le principal animateur.
En même temps, Marc a entrepris un travail de discussion avec un cercle de jeunes éléments, dont la plupart viennent du trotskisme, et avec qui, en mai 942, il constitue le Noyau français de la Gauche communiste sur les bases politiques de la GCI. Ce noyau se donne pour perspective la formation de la Fraction française de la Gauche communiste mais, rejetant la politique de "campagnes de recrutement" et de "noyautage" pratiquée par les trotskistes, il se refuse, sous l'influence de Marc, à proclamer de façon précipitée la constitution immédiate d'une telle fraction.
La Commission exécutive de la Fraction italienne reconstituée, dont Marc fait partie, ainsi que le noyau français, sont conduits à prendre position face aux événements d'Italie de 1942-1943 où des combats de classe très importants conduisent au renversement de Mussolini le 25 juillet 1943 et à son remplacement par l'amiral Badoglio qui est pro-allié. Un texte signé Marco pour la CE affirme que "les révoltes révolutionnaires qui arrêteront le cours de la guerre impérialiste créeront en Europe une situation chaotique des plus dangereuses pour la bourgeoisie" tout en mettant en garde contre les tentatives du "bloc impérialiste anglo-américano-russe" de liquider ces révoltes de l'extérieur, et contre celles des partis de gauche de "museler la conscience révolutionnaire". La conférence de la Fraction qui, malgré l'opposition de Vercesi, se tient en août 1943, déclare, suite à l'analyse des événements d'Italie, que "la transformation de la fraction en Parti" est à l'ordre du jour dans ce pays. Cependant, à cause des difficultés matérielles et, aussi, de l'inertie que Vercesi oppose à une telle démarche, la Fraction ne réussit pas à rentrer en Italie pour intervenir activement dans les combats qui ont commencé à s'y dérouler. En particulier, elle ignore qu'à la fin 1943 s'est constitué dans le nord de ce pays, sous l'impulsion d'Onorato Damen et de Bruno Maffi, le Partito comunista internazionalista (PCInt), auquel participent d'anciens membres de la Fraction.
Durant cette même période, la Fraction et le Noyau ont entrepris un travail de contacts et de discussions avec d'autres éléments révolutionnaires et particulièrement avec des réfugiés allemands et autrichiens, les Revolutionäre Kommunisten Deutschlands (RKD), qui se sont dégagés du trotskisme. Avec eux, ils vont mener, et particulièrement le Noyau français, une action de propagande directe contre la guerre impérialiste adressée aux ouvriers et soldats de toutes les nationalités, y compris aux prolétaires allemands en uniforme. C'est évidemment une activité extrêmement dangereuse car elle doit affronter non seulement la Gestapo mais aussi la Résistance. C'est d'ailleurs cette dernière qui se montre la plus dangereuse pour notre camarade qui, fait prisonnier avec sa compagne par les FFI où grouillent les staliniens, échappe a la mort que ces derniers lui promettaient en s'évadant au dernier moment. Mais la fin de la guerre va sonner le glas de la Fraction.
A Bruxelles, fin 1944, après la "Libération", Vercesi sur la lancée de ses positions aberrantes tournant le dos aux principes qu'il avait défendus par le passé, est conduit à prendre la tête d'une "Coalition antifasciste" qui publie ltalia di Domani, un journal qui, sous couvert d'aide aux prisonniers et émigrés italiens, se situe clairement aux côtés de l'effort de guerre des Alliés. Dès qu'elle a pu vérifier la réalité d'un tel fait, qui avait d'abord rencontré son incrédulité, la CE de la Fraction, sous l'impulsion de Marc, exclut Vercesi, le 25 janvier 1945. Une telle décision ne résultait pas des désaccords qui existaient sur les différents points d'analyse entre ce dernier et la majorité de la Fraction. Comme avec l'ancienne minorité de 1936-37, la politique de la CE, et de Marc en son sein qui reprenait à son compte l'attitude de Vercesi à l'époque, était de mener les débats avec la plus grande clarté. Mais ce qui était reproché à Vercesi en 1944-1945, ce n'était pas simplement des désaccords politiques, c'était sa participation active, et même dirigeante, à un organisme de la bourgeoisie impliqué dans la guerre impérialiste. Mais cette dernière manifestation d'intransigeance de la part de la Fraction italienne n'était que le chant du cygne.
Découvrant l'existence du PCInt en Italie, la majorité de ses membres, à la conférence de mai 1945, décide l’auto-dissolution de la Fraction et l'intégration individuelle de ses militants dans le nouveau "parti". Marc combat avec la dernière énergie ce qu'il considère comme une complète négation de toute la démarche sur laquelle s'était fondée la Fraction. Il demande le maintien de celle-ci jusqu'à la vérification des positions politiques de cette nouvelle formation qui sont mal connues. Et l'avenir donnera parfaitement raison à sa prudence quand on constatera que le parti en question, auquel se sont ralliés les éléments proches de Bordiga se trouvant dans le Sud de l'Italie et dont certains pratiquaient l'entrisme dans le PCI), a évolué vers les positions les plus opportunistes qui soient, jusqu'à se compromettre avec le mouvement des partisans antifascistes (voir Revue Internationale n°8, 4e trimestre 1976, et n°32, 1er trimestre 1983). Pour protester contre un tel reniement, Marc annonce sa démission de la CE et quitte la conférence, laquelle a également refusé de reconnaître la Fraction française de la Gauche communiste (FFGC) qui avait été constituée à la fin 1944 par le Noyau français et qui avait fait siennes les positions de base de la Gauche communiste internationale. De son côté, Vercesi a rejoint le nouveau "Parti" qui ne lui demande aucun compte sur sa participation à la coalition antifasciste de Bruxelles. C'en est fini de tout l'effort que lui même avait mené durant des années pour que la Fraction puisse servir de "pont" entre l'ancien parti passé à l'ennemi et le nouveau parti qui devrait se constituer avec le ressurgissement des combats de classe du prolétariat. Loin de reprendre le combat pour ces positions, il oppose au contraire une hostilité farouche, et avec lui l'ensemble du PCInt, à la seule formation qui soit restée fidèle aux principes classiques de la Fraction italienne et de la Gauche communiste internationale : la FFGC. Il va même encourager, au sein de celle-ci, une scission qui constitue une FFGC bis ([9] [79]. Ce groupe publie un journal portant le même nom que celui de la FFGC, L'Etincelle. Il accueille dans ses rangs les membres de l'ex-minorité de Bilan, combattue à l'époque par Vercesi, de même que d'anciens membres de l'Union Communiste. C'est la FFGC bis que le PCInt et la Fraction belge (reconstituée après la guerre autour de Vercesi resté à Bruxelles) reconnaîtront comme "seul représentant de la Gauche communiste".
Désormais, Marc reste le seul membre de la Fraction italienne à poursuivre le combat et les positions qui avaient fait la force et la clarté politique de cette organisation. C'est au sein de la Gauche communiste de France, nouveau nom que s'est donné la FFGC, qu'il engage cette nouvelle étape de sa vie politique.
CCI
Lorsqu'il s'agit de traiter de la vie d'un camarade et d'un hommage à son engagement, il s'agit d'un tout, et il eût été préférable de publier in extenso l'article que nous lui consacrons dans cette Revue internationale. Mais parce que sa vie se confond avec l'histoire de ce siècle et des minorités révolutionnaires du mouvement ouvrier, nous avons pensé nécessaire de ne pas traiter seulement de la vie du camarade, mais également de développer plus longuement quelles furent les questions politiques les plus importantes auxquelles il fut confronté, ainsi que la vie des organisations dans lesquelles il a milité. Etant donné les impératifs de la situation internationale d'aujourd'hui, l'article a donc été divisé en deux parties, pour des raisons de place, et la suite paraîtra dans le prochain numéro de la Revue Internationale.
[1] [80] Les militants qui sont évoqués ici ne sont que les plus connus parmi ceux qui ont réussi à traverser la période de contre-révolution sans abandonner leurs convictions communistes. Il faut signaler que, contrairement à Marc, la plupart d'entre eux n'ont pas réussi à fonder ou à maintenir en vie des organisations révolutionnaires. Il en est ainsi, par exemple, de Mattick, Pannekoek et Canne-Meijer, figures de proue du mouvement "conseilliste" qui ont été paralysés par leurs conceptions sur l'organisation ou même, comme ce fut le cas du dernier (voir dans notre Revue Internationale n° 37, "La faillite du conseillisme, Le socialisme perdu") par l'idée que le capitalisme serait capable de surmonter ses crises indéfiniment écartant toute possibilité pour le socialisme. De même Munis, valeureux et courageux militant venu de la section espagnole du courant trotskiste, n'ayant jamais pu rompre complètement avec les conceptions de ses origines et enfermé dans une vision volontariste qui rejetait le rôle de la crise économique dans le développement de la lutte de classe, n'a pu donner aux nouveaux éléments qui l'ont rejoint dans le Ferment ouvrier révolutionnaire (FOR) un cadre théorique les rendant capables de poursuivre sérieusement l'activité de cette organisation après la disparition de son fondateur. Bordiga et Damen, pour leur part, se sont montrés capables d'animer des formations qui leur ont survécu (le Parti communiste international et le Parti communiste internationaliste) ; cependant, ils ont éprouvé les plus grandes difficultés (surtout Bordiga) à dépasser les positions de l'Internationale communiste devenues caduques, ce qui a constitué un handicap pour leurs organisations, qui leur a valu une crise extrêmement grave au début des années 1980 (dans le cas du PCI) ou une ambiguïté permanente sur des questions vitales comme celles du syndicalisme, du parlementarisme et des luttes nationales (cas du PCInternationaliste, comme on a pu voir lors des conférences internationales de la fin des années 1970). C'était d'ailleurs un peu le cas de Jan Appel, un des grands noms du KAPD qui est resté marqué par les positions de cette organisation sans être vraiment en mesure de les actualiser. Cependant, dès la constitution du CCI, ce camarade s'est reconnu dans l'orientation générale de notre organisation et lui a apporté tout le soutien que lui permettaient ses forces. Il faut noter qu'à l'égard de tous ces militants, malgré les désaccords souvent très importants qui pouvaient le séparer d'eux, Marc nourrissait la plus grande estime et qu'il éprouvait pour la plupart d'entre eux une profonde affection. Cette estime et cette affection ne se limitaient pas d'ailleurs à ces camarades. Elles s'étendaient à des militants moins en vue mais qui avaient, aux yeux de Marc, l'immense mérite d'avoir conservé leur fidélité à la cause révolutionnaire dans les pires moments de l'histoire du prolétariat.
[2] [81] Marc aimait évoquer cet épisode de la vie de Rosa Luxemburg qui, lors du congrès de l'Internationale socialiste, en 1896 (elle a 26 ans) ose se dresser contre toutes les "autorités" de l'Internationale pour combattre ce qui semblait être devenu un principe intangible du mouvement ouvrier : la revendication de l'indépendance de la Pologne.
[3] [82] Cette démarche se trouve à l'opposé de celle d'un Bordiga pour qui le programme du prolétariat est "invariant" depuis 1848. Cela dit, elle n'a évidemment rien à voir avec celle des "révisionnistes" à la Bernstein ou, plus récemment, à la Chaulieu, mentor du groupe "Socialisme ou Barbarie" (1949-1965). Elle est également complètement différente de celle du mouvement conseilliste qui, parce que la révolution russe de 1917 avait débouché sur une variante du capitalisme, a considéré qu'il s'agissait d'une révolution bourgeoise, ou qui se revendiquait d'un "nouveau" mouvement ouvrier par opposition à l'"ancien" (la deuxième et la troisième Internationales) qui aurait fait faillite.
[4] [83] Concernant l'attitude de la Fraction face aux événements d'Espagne, voir notamment la Revue internationale n°4, 6 et 7, 1976
[5] [84] Sur la Fraction italienne, voir notre brochure La Gauche communiste d'Italie.
[6] [85] Sur la question des rapports parti-fraction voir notre série d'articles dans la Revue Internationale n° 59, 61, 64 et 65 (1989-91).
[7] [86] Pendant quinze ans, notre camarade n'avait eu d'autre papier officiel qu'un ordre d'expulsion du territoire français dont il était obligé, toutes les deux semaines, de faire prolonger le délai d'exécution auprès des autorités. C'était une épée de Damoclès que le très démocratique gouvernement de la France, "terre d'asile et des droits de l'homme", avait suspendu au-dessus de sa tête, puisque Marc était obligé en permanence de s'engager à ne pas avoir d'activités politiques, engagement que, évidemment, il ne respectait pas. Au moment de la guerre, ce même gouvernement décrète que cet "apatride indésirable" est tout à fait apte à servir de chair à canon pour la défense de la patrie. Fait prisonnier par les troupes allemandes, il réussit à s'évader avant que les autorités d'occupation ne découvrent qu'il est juif. Il se rend alors, avec sa compagne Clara, à Marseille où la police, redécouvrant sa situation d'avant guerre, refuse de lui délivrer le moindre papier. Ironiquement, ce sont les autorités militaires qui obligeront les autorités civiles à changer d'avis en faveur de ce "serviteur de la France" d'autant plus "méritoire" à leurs yeux que ce n'était pas son pays.
[8] [87] Il faut noter que cette analyse, similaire à celle des trotskistes, n'a jamais conduit la Fraction à appeler à la "défense de l'URSS". Depuis le début des années 1930, et les événements d'Espagne ont parfaitement illustré cette position, la Fraction considérait l'Etat "soviétique" comme un des pires ennemis du prolétariat.
[9] [88] Il faut signaler que, malgré les errements de Vercesi, Marc lui a toujours conservé une grande estime personnelle. Cette estime s'étendait d'ailleurs à l'ensemble des membres de la Fraction italienne qu'il évoquait toujours dans les termes les plus chaleureux. Il faut l'avoir entendu parler de ces militants, presque tous des ouvriers, les Piccino, Tulio, Stefanini, dont il a partagé le combat dans les heures les plus sombres de ce siècle, pour mesurer tout l'attachement qu'il leur portait.
Troisième partie : de Marx à Lénine, 1848-1917. II. Lénine et les bolcheviks
L'accélération actuelle de l'histoire, pleinement rentrée dans la phase de décomposition du capitalisme, pose de façon aiguë la nécessité de la révolution prolétarienne, comme seule issue à la barbarie du capitalisme en crise. L'histoire nous a enseigné qu'une telle révolution ne peut triompher que si la classe réussit à s'organiser de manière autonome (conseils ouvriers) par rapport aux autres classes et à sécréter l'avant-garde qui la guide vers la victoire : le parti de classe. Cependant, aujourd'hui, ce parti n'existe pas, et beaucoup baissent les bras parce que face aux tâches gigantesques qui nous attendent, l'activité des petits groupes révolutionnaires existants paraît dénuée de sens. Au sein même du camp révolutionnaire, la majorité des groupes réagit à l'absence de parti en répétant à l'infini son Très Saint Nom, invoqué comme le deus ex machina capable, grâce à sa seule évocation, de résoudre tous les problèmes de la classe. La désimplication individuelle et l'engagement déclamatoire sont deux manières classiques de fuir la lutte pour le parti, lutte qui se mène ici, aujourd'hui, en continuité avec l'activité des fractions de gauche qui se sont séparées dans les années 1920 de l'Internationale Communiste en dégénérescence.
Dans les deux premières parties de ce travail, nous avons analysé l'activité de la Gauche Communiste d'Italie, organisée en fraction dans les années 1930-1940, et la fondation prématurée d'un Parti Communiste Internationaliste, complètement artificiel, par des camarades de Battaglia Comunista en 1942.([1] [91])
Dans cette troisième partie, nous avons d'abord montré ([2] [92]) que la méthode de travail de fraction, dans les périodes défavorables où il n'était pas possible qu'existât un parti de classe, a été la seule méthode, employée par Marx lui-même. Dans ce numéro, nous montrerons en plus qu'une telle méthode marxiste de travail pour le parti a trouvé sa définition essentielle grâce à la lutte tenace de la fraction bolchevik du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR). Contre tous ceux qui se gargarisent des éloges du parti de fer de Lénine et d'ironie envers « les petits groupuscules des fractions de gauche », nous répétons que « l'histoire des fractions est l'histoire de Lénine » ([3] [93]) et que c'est seulement sur la base du travail qu'elles ont accompli qu'il sera possible de reconstruire le parti communiste mondial de demain.
« Sans les fractions, Lénine lui-même serait reste un rat de bibliothèque »
Avec les citations que nous avons données dans le numéro précédent, nous avons vu comment Battaglia Comunista (BC) ne perd pas une occasion d'ironiser sur le fait que le « Que Faire ?» de Lénine, de 1902, serait le vade-mecum du parfait fractionniste et, en conséquence, ne laisse pas passer une opportunité de faire le dégoûté pour la énième fois ([4] [94]). Si ces camarades arrêtaient de s'exciter à scander le mot parti et commençaient plus sobrement à étudier l'histoire du parti, ils découvriraient que « Que Faire ? » pouvait difficilement parler de la fraction bolchevik, étant donné qu'elle s'était constituée à Genève en juin... 1904 (réunion des «22») ([5] [95]). C'est à partir de là que les bolcheviks ont commencé à développer la notion de la fraction et de ses rapports avec l'ensemble du Parti, notion qui prendra sa forme définitive avec 'expérience de la révolution de 1905 et surtout de la phase de réaction qui suivit sa défaite ([6] [96]) :
« Une fraction est une organisation à l'intérieur du parti, qui est unie non pas par le lieu de travail, par la langue ou par quelque autre condition objective, mais par un système de conceptions communes sur les problèmes qui se posent au parti. » ([7] [97])
«A l'intérieur du parti, on peut trouver toute une gamme d'opinions diverses dont les extrêmes peuvent être tout à fait contradictoires (...). Mais dans une fraction, les choses sont différentes. Une fraction est un groupe fondé sur l'unité de pensée, dont l'objectif premier est d'influencer le parti dans une direction bien déterminée et de faire adopter ses principes, sous leur forme la plus pure, par le parti. Pour cela, une unité de pensée véritable est indispensable. Quiconque veut comprendre comment se pose réellement le problème des divergences internes au sein de la fraction bolchevik doit bien se rendre compte que l'unité de la fraction et celle du parti ne relèvent pas pour nous des mêmes exigences. » ([8] [98])
«Mais une fraction, en tant qu'expression d'une unité de pensée dans le parti, ne peut subsister si ses militants «ne se rencontrent pas sur les problèmes fondamentaux. Quitter une fraction, ce n est pas quitter le parti. Les camarades qui se sont séparés de notre fraction ont toujours la possibilité de travailler dans le parti. » ([9] [99])
La fraction est donc une organisation à l'intérieur du parti, bien identifiée par une plate-forme précise, qui se bat pour influencer le parti, et qui se donne pour objectif final le triomphe dans le parti de ses principes « sous leur forme la plus pure » c'est-à-dire sans médiation ou non-homogénéité. Pendant ce temps, la fraction travaille dans le parti, avec les autres fractions qui défendent d'autres plates-formes, de façon à ce que l'expérience pratique et le débat politique public permettent à l'ensemble du parti de se rendre compte de quelle est la plate-forme qui est juste. Cette coexistence est possible à condition que, dans le parti, il n'y ait pas de place pour ceux qui ont déjà fait des choix qui les mènent à l'extérieur du parti et dont le maintien à l'intérieur de l'organisation ne peut que mener à la liquidation de l'organisation elle-même. C'est ce que représentait en Russie le courant des « liquidateurs » qui se battait pour la dissolution du parti illégal et sa soumission à la « légalité » tsariste. a divergence de fond entre les bolcheviks et les autres fractions résidait justement en ceci que les autres, tout en condamnant en général les liquidateurs, continuaient à les considérer comme des membres du parti, alors que les bolcheviks estimaient qu'il devait y avoir de la place dans le parti socialiste pour toutes les opinions, exceptées celles qui étaient anti-socialistes :
« C'est le fondement de la conciliation qui est erroné ; sa volonté d'édifier l'unité du parti du prolétariat sur l'alliance de tous, y compris des fractions anti-social-démocrates, non prolétariennes, c'est l'absence de principes de sa perspective " unificatrice " qui est erronée et conduit à l'absurde, ce sont les phrases contre les "fractions" (qui s'accompagnent en fait de la formation d'une nouvelle fraction). » ([10] [100])
Il est intéressant de noter que ces lignes de Lénine sont dirigées contre Trotsky qui fut dans le POSDR le principal ennemi de l'existence organisée de fractions qu'il rejetait comme inutiles et dommageables pour le parti. L'incompréhension totale de la part de Trotsky de la nécessité du travail de fraction aura des conséquences catastrophiques pendant et après la dégénérescence de la révolution russe.
« On doit noter que Trotsky - dans toutes les questions relatives à la révolution de 1905, comme pendant toute la période qui suivit - fut généralement avec les bolcheviks pour toutes les questions de principe et avec les mencheviks pour toutes les questions d'organisation. Son incompréhension de la juste notion du Parti, au cours de cette période, détermina sa position "hors fraction" en faveur de l'unité à tout prix. Sa pitoyable position actuelle - qui le pousse dans les bras de la social-démocratie- nous prouve que Trotsky n'a, à ce sujet, rien appris des événements. » ([11] [101])
Naturellement, Lénine a été violemment attaqué, soit dans le mouvement russe, soit dans le mouvement international, pour sa folie sectaire et scissionniste, pendant que tous en choeur réclamaient la « fin du ractionnisme ». En fait, le premier à vouloir la fin du fractionnisme, c'était Lénine lui-même, qui savait bien que l'existence de fractions était un symptôme de crise dans le parti. Mais il savait aussi que la lutte ouverte, pratique, de fraction, était l'unique remède valable pour la maladie du parti, parce que ce n'était que de la confrontation publique des plates-formes que pouvait naître la clarté sur la voie à suivre :
« Toute fraction est convaincue que sa plate-forme et sa politique sont les meilleures pour supprimer les fractions, car personne ne considère l'existence de celles-ci comme un idéal. La différence est seulement que les fractions qui ont une plate-forme claire, conséquente, cohérente, défendent ouvertement leur plate-forme, tandis que les fractions sans principe se cachent derrière des protestations gratuites de vertu, de non-fractionnisme). » ([12] [102])
Un des principaux mensonges hérités du stalinisme est celui d'une tradition bolchevik monolithique, où il n'y avait pas de place pour les vains bavardages et les débats pour intellectuels, mensonge par ailleurs dans le fil des accusations mencheviks de « fermeture aux débats » constamment adressées aux bolcheviks. Bien sur, il est tout à fait vrai qu'entre les mencheviks et les conciliateurs, la discussion était « libre », alors que, entre les bolcheviks, elle était « obligée». Mais c est vrai dans le sens où les premiers se sentaient libres de discuter quand cela les arrangeait et de se taire quand ils avaient des divergences à cacher. Pour les bolcheviks au contraire, la discussion n'était pas libre mais obligatoire et devenait d'autant plus obligatoire que des divergences naissaient à l'intérieur de la fraction, divergences qu'il fallait discuter publiquement pour qu'elles se résorbent ou soient poussées jusqu'au bout avec une séparation organisationnelle fondée sur des motifs clairs :
« C'est dans ce but que nous avons ouvert une discussion sur ces problèmes dans les colonnes du Proletari. Nous avons publié tous les textes qui nous ont été envoyés et nous avons reproduit tout ce qui, en Russie, a été écrit sur la question par des bolcheviks. Jusqu'à présent nous n'avons pas refusé une seule contribution à la discussion et nous continuerons à agir ainsi. Malheureusement les camarades otzovistes et ceux qui sympathisent avec leurs idées ne nous ont encore envoyé que peu de matériaux, et, d'une façon générale, ils se sont montres réticents à exposer leur credo théorique clairement et complètement dans la presse, préférant les conversations "privées". Mous invitons tous les camarades, qu'ils soient otzovistes ou bolcheviks orthodoxes à exposer leur opinion dans les colonnes du Proletari. Il le faut, nous éditerons les textes qui nous parviendront en brochure spéciale. (...) Notre fraction, par contre, ne doit pas craindre la lutte idéologique interne, à partir du moment où elle est nécessaire. Dans cette lutte en effet, elle va encore se renforcer). »([13] [103])
Tout ceci démontre largement l'énorme contribution faite par Lénine à la définition historique de la nature et de la fonction de la fraction, malgré toute l'ironie que Battaglia réserve aux « dix commandements du bon fractionniste». Notons en passant que c'est ce même BC qui, dans une phrase, parle d'alternative de Parti à partir de 1902, et qui, dans une autre, dit que e parti a agi en tant que tel « au moins à partir de 1912 ». Et alors, de 1902 à 1912, qu'a donc fait Lénine - étant donné qu'il ne faisait pas de travail de fraction -, de la cuisine macrobiotique ? En réalité, pour BC, ce qui lui tient à coeur, c'est d'affirmer que es bolcheviks ne se sont pas limités à faire du travail théorique et de formation de cadres, mais qu'ils faisaient aussi un travail en direction des masses et, donc, qu'ils ne pouvaient pas être une fraction. Dans les faits, pour Battaglia, le choix de travailler comme fraction est un choix de fuir la lutte de classe, de refuser de se salir les mains avec les problèmes des masses, ce qui mène « à se limiter à une politique édulcorée de prosélytisme mesuré et de propagande et à se centrer sur les études des soi-disant problèmes de fond, réduisant ainsi les tâches du parti à des tâches de fraction sinon de secte.» ([14] [104])
Les jeux sont faits : d'un côté, il y a Lénine, qui pense aux masses, et qui ne peut donc qu'être le parti, de l'autre, en opposition, il y a la Gauche Italienne à l'étranger, dans les années 1930, qui oeuvre comme fraction et qui ne peut donc être qu'un cénacle d'étudiants et de petits professeurs. Nous avons déjà vu quelle a été la véritable activité de Lénine, examinons maintenant quelle a été la véritable activité de la Gauche Italienne :
« Il pourrait sembler que les tâches de la fraction soient exclusivement didactiques. Mais une telle critique peut être repoussée par les marxistes avec les mêmes arguments à l'égard de tous les charlatans qui considèrent la lutte du prolétariat pour la révolution et pour la transformation du monde au même titre que l'action électorale..
Il est parfaitement exact que le rôle spécifique des fractions est surtout un rôle d'éducation de cadres au travers des événements vécus, et grâce à la confrontation rigoureuse de la signification de ces événements. Cependant, il est vrai que ce travail, surtout idéologique, est fait en considération des mouvements de masse et fournit constamment la solution politique pour la réussite. Sans le travail des fractions, Lénine lui-même serait resté un rat de bibliothèque et ne serait pas devenu un chef révolutionnaire
Les fractions sont donc les seuls endroits historiques où le prolétariat continue son travail pour son organisation en classe. De 1928 jusqu'à maintenant, le camarade Trotsky a complètement négligé ce travail de construction des fractions, et, de ce fait, il n'a pas contribué à réaliser les conditions effectives pour les mouvements de masse ). »([15] [105])
Comme on le voit, l'ironie de Battaglia sur la fraction comme secte, qui fuit les masses, tombe encore une fois mal à propos. Le souci qui anime Bilan est le même que celui qui animait les bolcheviks, celui de contribuer à réaliser les conditions effectives pour les mouvements de masse. Le fait que l'ampleur des liens avec les masses qu'avaient les bolcheviks dans les années 1910 et la Gauche italienne dans les années 1930 ait été très différente, ne dépend certes pas des tendances personnelles de celui-ci ou de celui-la, mais des conditions objectives de la lutte de classe, qui différaient énormément. La fraction bolchevik n'était pas constituée d'un groupe de camarades qui avaient survécu au passage du parti à l'ennemi de classe dans une période de contre-révolution et de profonde défaite du prolétariat. C'était une partie (souvent majoritaire) d'un parti prolétarien de masse (comme tous les partis de la 2e Internationale), qui s'était constituée dans une phase immédiatement prérévolutionnaire (1904) et qui s'était développée au sein d'une gigantesque vague révolutionnaire qui, pendant deux ans (1905-1906), va secouer l'empire russe tout entier, de l'Oural à la Pologne. Si on veut faire des comparaisons quantitatives entre l'action de la fraction de gauche italienne et celle des bolcheviks, il faut se référer à une période qui a certains aspects historiquement comparables, c'est-à-dire aux années révolutionnaires entre 1917 et 1921. Dans ces années-là, la Fraction Communiste Abstentionniste (fraction de gauche du PSI) se développe au point qu'elle finit par comprendre, au moment de sa constitution en Parti Communiste d'Italie, un tiers des inscrits au vieux parti socialiste de masse et la totalité de la fédération des jeunes. Les camarades qui ont été capables d'orienter ce processus militaient, dix ans après, dans la Fraction de Gauche à l'étranger, en nombre réduit à une dizaine de cadres. Qu'est-ce qui avait changé ? Est-ce que ces camarades n'avaient plus la volonté de diriger des mouvements de masse ? Evidemment non :
« Depuis que nous existons, il ne nous a pas été possible de diriger des mouvements de classe, il faut bien se mettre en tête que cela n'a pas dépendu de notre volonté, de notre incapacité, ou du fait que nous étions fraction, mais d'une situation dont nous avons été les victimes comme en est victime le prolétariat révolutionnaire du monde entier. » (Bilan n° 28, 1935)
Ce qui avait changé, c'était donc la situation objective de la lutte de classe, qui était passée d'une phase pré-révolutionnaire mettant à l'ordre du jour la transformation de la fraction en parti, à une phase contre-révolutionnaire qui obligeait la fraction à résister à contre-courant, contribuant par son travail au développement de nouvelles situations qui remettraient à 1 ordre du jour sa transformation en parti.
De la fraction bolchevik du POSDR au parti communiste russe
Comme toujours, quand on critique les positions de BC, on revient au point crucial, c'est-à-dire aux conditions pour la naissance du parti. On a vu comment BC aimerait bien blanchir Lénine de l'infâme qualificatif de « bon fractionniste », à partir de 1902 déjà. En voulant faire des concessions, BC est prête à admettre, du bout des lèvres, que le parti bolchevik n'a existé qu'à partir de 1917, a condition qu'il soit clair qu'il existait avant la période révolutionnaire qui s'est ouverte en février 1917. Ce qu'il faut éviter à tout prix d'admettre, c'est que la lutte de la fraction bolchevik du POSDR s'est conclue sur sa transformation en Parti Communiste Russe (bolchevik) en 1917 seulement, parce que ce serait admettre que «la transformation de la fraction en parti est conditionnée (...) par le surgissement de mouvements révolutionnaires qui pourront permettre à la fraction de reprendre la direction des luttes pour l'insurrection » (Bilan n° 1, 1933). Il faut donc clarifier si cette transformation s'est produite ou non en 1912, cinq ans avant la révolution.
Qu'est-il arrivé en 1912? Il s'est tenu à Prague une conférence des organisations territoriales du POSDR qui travaillent en Russie, conférence qui a réorganisé le parti démoli par la réaction qui a suivi la défaite de la révolution de 1905, et élu un nouveau comité central, pour remplacer l'ancien désormais dissout. La Conférence et le nouveau comité central sont dominés par les bolcheviks, alors que les autres tendances du POSDR ne participent pas à l'initiative « scissionniste » de Lénine. A première vue, il semblerait que Battaglia ait raison : une conférence de bolcheviks a pris l'initiative de reconstruire le parti, indépendamment des autres fractions, donc, à partir de ce moment-là, les bolcheviks agissent comme parti, sans attendre l'ouverture d'une phase prérévolutionnaire. Mais si nous regardons les choses de plus près, nous voyons qu'il en va tout à fait différemment. La naissance d'une fraction révolutionnaire au sein du vieux parti se produit en réaction aux maladies du parti, à son incapacité à élaborer des réponses adéquates aux nécessités historiques, aux lacunes de son programme. La transformation de la fraction en parti ne veut pas dire qu'on retourne simplement au statu quo antérieur, au vieux parti épuré des opportunistes ; cela veut dire formation d'un nouveau parti, fondé sur un nouveau programme qui élimine les ambiguïtés précédentes en recourant aux principes de la fraction révolutionnaire «sous leur forme la plus pure ». Dans le cas contraire, on retournerait au point de départ en posant les bases pour que ressurgisse inévitablement la même déviation opportuniste qui vient d'être chassée. Et c'est ce qu'aurait fait Lénine en 1912, la transformation de la fraction en parti basé sur un nouveau programme ? Pas même en idée. En premier lieu, la résolution approuvée par la conférence déclare s'être réunie «pour rassembler toutes les organisations russes du parti sans distinction de fractions et pour reconstituer notre parti. » ([16] [106]) Il ne s'agit donc pas d'une conférence purement bolchevik, d'autant plus que son organisation a été en grande partie confiée au comité territorial de Kiev dominé par les mencheviks partidistes, et que ce fut justement un menchevik qui présidait la commission de vérification des mandats ([17] [107]). Modifier le vieux programme, on n'en parla pas, et les décisions prises consistaient simplement à mettre en pratique des résolutions condamnant les liquidateurs, approuvées en 1908 et en 1910 par « les représentants de toutes les fractions». Donc la Conférence non seulement se compose de « membres du partisans distinction de fractions», mais se base encore sur une résolution approuvée par « des représentants de toutes les fractions». Il est évident qu'il ne s'agit pas de la constitution du nouveau parti bolchevik, mais de la simple réorganisation du vieux parti social-démocrate. Cela vaut la peine de souligner qu'une telle réorganisation n'était considérée comme possible qu'« en rapport avec le resurgissement du mouvement ouvrier» ([18] [108]) après les années de réaction de 1907 à 1910. Comme on le voit. Lénine, non seulement ne pensait pas du tout fonder un nouveau parti avant les batailles révolutionnaires, mais ne se donnait même pas l'illusion de réorganiser ce vieux parti en l'absence d'une nouvelle période de lutte de classe. Les camarades de Battaglia - et pas seulement eux - sont tellement hypnotisés par le mot parti qu'ils en deviennent incapables d'analyser les faits lucidement, prenant pour un tournant décisif ce qui n'était qu'une étape très importante dans le processus de démarcation d’avec 1'opportunisme. L'élection en 1912 du comité central par une conférence à prédominance bolchevik ne peut pas être considérée comme la preuve de la fin de la phase de fraction et le début de celle du parti, pour le simple motif que, à Londres en 1905, il y avait déjà eu une conférence exclusivement bolchevik qui s'était proclamée 3e congrès du parti et qui avait élu un comité central entièrement bolchevik, considérant les mencheviks en dehors du parti. Mais l'année suivante déjà, Lénine s'était rendu compte de l'erreur qui avait été commise et, au congrès de 1906, le parti s'était réunifié en maintenant les deux fractions comme fractions d'un même parti. De manière analogue, de 1912 à 1914, Lénine estime que la phase de lutte de fraction est désormais en voie d'extinction et que l'heure de la sélection définitive a sonné. Cela pouvait être vrai d'un point de vue strictement russe, mais c'était certainement prématuré d'un point de vue international :
« Ce travail fractionnel de Lénine s'effectue uniquement au sein du parti russe, sans qu'il essayât de le porter à l'échelle internationale. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire ses interventions aux différents congrès et l'on peut affirmer que ce travail resta complètement inconnu en dehors des sphères russes. » ([19] [109])
Dans les faits, la sélection définitive se fera entre 1914 et 1917, face à la double épreuve de la guerre et de la révolution, divisant les socialistes en sociaux-patriotes et internationalistes. Lénine s'en est parfaitement rendu compte et, de même qu'en 1906 il s'était battu pour la réunification du parti, de même, en février 1915, en répondant au groupe « Naché Slovo » de Trotsky, il écrivait : « Nous sommes absolument d'accord avec vous pour dire que le rassemblement de tous les véritables sociaux-démocrates internationalistes est l’une des tâches les plus urgentes du moment présent. » ([20] [110]) Le problème tenait en cela que, pour Lénine, l'unification des internationalistes ans un parti effectivement communiste n'était possible qu'a condition d'en écarter ceux qui ne se montraient pas vraiment internationalistes jusqu'au bout, alors que Trotsky - comme d'habitude - voulait concilier l'inconciliable, entendait fonder l'unité du parti internationaliste « sur l'union de toutes les fractions », y compris celles qui n'étaient pas disposées à rompre avec les ennemis de l'internationalisme. Pendant trois années, Lénine s'est battu de façon incessante contre ces illusions en transférant sa lutte de fraction pour la clarté du terrain purement russe à celui, international, de la « gauche de Zimmerwald » ([21] [111]).
Cette grandiose lutte internationale constitue l'apogée et la conclusion du travail de fraction des bolcheviks qui allaient avoir les cartes en main à l'éclatement de la révolution en Russie. Grâce à cette tradition de lutte et au développement d'une situation révolutionnaire, Lénine peut, dès son retour en Russie, proposer l'unification des bolcheviks avec les autres internationalistes conséquents, sur la base d'un nouveau programme et sous le nom de Parti Communiste, en remplacement du vieux terme social-démocrate. C'est alors qu'intervient la dernière sélection avec la droite bolchevik (Voitinsky, Goldenberg), qui passe au menchevisme, tandis que le centre des « vieux bolcheviks » (Zinoviev, Kamenev) s'oppose à Lénine au nom ... du vieux programme sur lequel s'était basée la conférence de 1912. Lénine sera accusé d'être le «fossoyeur de la tradition du parti » et répliquera en démontrant que toute la lutte des bolcheviks n'a été qu'une préparation à un vrai parti communiste : « Fondons un parti communiste prolétarien ; les meilleurs partisans du bolchevisme en ont déjà créé les éléments. » ([22] [112])
C'est ici que se conclut la grande lutte de la fraction bolchevik, c'est ici qu'on a la réelle transformation en parti. Nous disons réelle parce que, d'un point de vue formel, le nom de Parti Communiste ne sera adopté qu'en mars 1918, alors que la version définitive du nouveau programme sera ratifiée seulement en mars 1919. Mais le passage -en substance- se produit en avril 1917 (8e conférence pan-russe bolchevik). Il ne faut pas oublier que ce qui différencie un parti d'une fraction, c'est sa capacité à influer directement sur les événements. Le parti est en fait « un programme, mais aussi une volonté d'action » (Bordiga), à condition, évidemment, que cette volonté puisse s'exprimer dans des circonstances objectivement favorables au développement d'un parti de classe. En février 1917, les bolcheviks étaient quelques milliers et n'avaient joué aucun rôle de direction dans le soulèvement spontané qui ouvrit la période révolutionnaire. A la fin d'avril, ils sont plus de 60 000 et ils se profilent déjà comme l'unique opposition réelle au gouvernement provisoire bourgeois de Kérenski. Avec l'approbation des Thèses d'avril et de la nécessité d'adopter un nouveau programme, la fraction devient parti et pose les bases de 1’octobre Rouge.
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Dans la prochaine partie de ce travail, nous verrons comment les conditions particulières et historiquement originales de la dégénérescence de la révolution russe ont empêché le surgissement d'une fraction de gauche pour reprendre, dans le parti bolchevik en dégénérescence, la bataille de Lénine à l'intérieur du parti social-démocrate. L'incapacité de l'opposition russe de se constituer en fraction sera ensuite a la base de la faillite historique de l'Opposition Internationale trotskiste, alors que la Gauche Italienne, en reprenant la méthode de travail de Marx et de Lénine, arrivera à partir de 1937 à se constituer en Gauche Communiste Internationale ([23] [113]). Nous verrons de plus comment l'abandon de cette méthode de travail par les camarades qui ont fondé le PC Internationaliste en 1943 a été à la base de leur incapacité d'agir comme pôle de regroupement révolutionnaire entre les organisations (Battaglia Comunista et Programma Comunista) qui provenaient de ce parti.
Beyle
[1] [114] Les deux premières parties ont été publiées dans les Revue Internationale n° 59 et 61. Pour une analyse approfondie de l'activité de ce courant, il est recommandé de lire nos deux volumes : La Gauche Communiste d'Italie, 1927-1952 et Rapports entre la fraction de gauche du PC d'Italie et l'Opposition de Gauche Internationale, 1929-1933.
[2] [115] Voir «Troisième partie : de Marx à Lénine, 1848-1917. Lénine et les bolcheviks » dans la Revue Internationale n° 64.
[3] [116] Intervention de Bordiga au 6e comité exécutif élargi de l'Internationale Communiste, en 1926.
[4] [117] «En 1902 déjà, Lénine avait jeté les bases tactiques et organisationnelles sur lesquelles avait dû se construire l'alternative à l'opportunisme de ta social-démocratie russe, alternative de parti, à moins qu'on ne veuille faire passer le «Que Faire?» pour les dix commandements du bon fractionniste » (« Fraction et parti dans l'expérience de la Gauche italienne», dans Prometeo n°2, mars 1979.)
[5] [118] Les bolcheviks du Congrès de 1903 du POSDR étaient le fruit de l'alliance temporaire entre Lénine et Plekhanov. La fraction de 1904 s'appelle bolchevik (majoritaire) pour se réclamer des positions défendues par la majorité au congrès de 1903.
[6] [119]Il est significatif que la théorisation complète du concept de fraction effectuée par Lénine arrive seulement dans les années de féroce réaction à la suite de la révolution de 1905. Ce n'est que l'activité de fraction qui permet de résister dans les périodes défavorables.
[7] [120] «Au sujet d'une nouvelle fraction de conciliateurs, les vertueux», Social-Démocrate n°24, 18(31) octobre 1911, Lénine, Oeuvres complètes, tome 17, Editions de Moscou.
[8] [121] « Conférence de la rédaction élargie du "Proletari", 8-17 (21-30) juin 1909, supplément au n°46 du Proletari, Oeuvres complètes, tome 15, p. 40l.
[9] [122] « La liquidation en voie d'être liquidée », Proletari n° 46, 11 (24) juillet 1909. Cité par Lénine, Oeuvres complètes, tome 15, p. 490.
[10] [123] Au même endroit, note n° 7.
[11] [124] « Le problème des fractions dans la 2e Internationale», dans Bilan n° 24, 1935.
[12] [125] Au même endroit, note n° 7.
[13] [126] « A propos de l'article "Sur les questions actuelles" », Proletari n°42, 12 (25) février 1909. Cité par Lénine, Oeuvres complètes, tome 15, p. 383. L'otzovisme constituait une dissidence interne à la fraction bolchevik dans les années les plus noires du reflux, tendant à tomber d'un travail de fraction dans celui d'un réseau.
[14] [127] Plate-forme politique du PC Internationaliste (BC) de 1952. Dans une récente remise à jour de 1982, ce morceau a été reproduit sans changement.
[15] [128] «Vers l'internationale 2 et 3/4 ». dans Bilan n° 1, 1933, extraits publiés dans le Bulletin d'Etude et de Discussion publié par Révolution Internationale, n° 6, avril 1974.
[16] [129] « Résolution de la conférence, point sur la commission d'organisation de Russie chargée de la convocation de la conférence », texte de la 6e conférence générale (dite de Prague) du POSDR, 6-17 (18-30) janvier 1912. Cité par Lénine, Oeuvres complètes, tome 17, p. 467.
[17] [130] « La situation dans le POSDR et les tâches immédiates du Parti », texte du 16 juillet 1912, Gazeta Robotnicza n° 15-16. Cité par Lénine, Oeuvres complètes, tome 18, p. 155 : « (...) C'est précisément le délégué de cette organisation (de Kiev) qui fut président de la commission des mandats a la conférence ! ».
[18] [131] Tiré des résolutions de la conférence. Lénine revient encore en 1915 sur ce sujet : « Les années 1912-1914 ont marqué le début d'un nouvel et prodigieux essor révolutionnaire en Russie. Nous avons de nouveau assiste à un vaste mouvement de grève, sans précédent dans le monde. La grève révolutionnaire de masse a englobe en 1913, selon les estimations les plus modestes, un million et demi de participants ; en 1914, elle en comptait plus de 2 millions et se rapprochait du niveau de 1905. » (Le socialisme et la guerre, juillet-août 1915, chap. 2. « Les classes et les partis en Russie. La classe ouvrière et la guerre. ». Oeuvres complètes 6e Lénine, tome 21, p. 330).
[19] [132] « Le problème des fractions dans la 2e Internationale », dans Bilan n° 24, 1935.
[20] [133] Lettre du comité central du POSDR à la rédaction du Naché Slovo, 10 (23) mars 1915. Cité par Lénine, Œuvres complètes, tome 21, p.164.
[21] [134] Pour mieux comprendre le rôle des bolcheviks dans la gauche de Zimmerwald, voir l’article publié dans la Revue Internationale, n°57.
[22] [135] « Sur la dualité de pouvoir », Pravda n°28, 9 avril 1917. Cité par Lénine, Œuvres complètes, tome 24, p.31.
[23] [136] Pour une analyse du travail de la fraction italienne du PC d’Italie dans les années 1930, voir la première partie du présent article dans la Revue Internationale, n°59
Un mot revient sur toutes les bouches à propos de la situation mondiale : chaos. Un chaos qu'on constate comme une réalité criante ou comme une menace imminente. La guerre du Golfe n'a pas ouvert les portes d'un « nouvel ordre mondial ». Elle a permis au capital américain de rétablir son autorité, en particulier sur ses alliés-concurrents d'Europe et du Japon, et de s'affirmer comme le « gendarme du monde ». Mais le tourbillon de désordres dans lequel s'enfonce la société ne cesse de s'accélérer, poussé par les vents dévastateurs de l'entrée en récession ouverte des premières puissances économiques mondiales.
Quatre mois après la fin de la guerre, en Irak même, dans les zones Kurdes et Chiites le sang continue de couler et le feu de la guerre n'est pas éteint. Au Moyen-Orient, derrière les discours sur les conférences de paix, les antagonismes militaires s'exacerbent et Israël reprend les bombardements au Sud-Liban. Dans les républiques soviétiques, les affrontements armés, loin de s'atténuer s'intensifient concrétisant l'éclatement de l'ancien Empire. En Afrique du Sud la population noire, soi-disant libérée de l'Apartheid, vit ensanglantée par les plus meurtriers affrontements entre l'ANC et l'Inkatha. Dans les bidonvilles de Lima s'étend le choléra au milieu des incendies allumés par les staliniens du Sentier Lumineux. En Corée du Sud, des jeunes se suicident par le feu pour protester contre la répression gouvernementale. En Inde l'assassinat du dernier des Gandhi met a nu la dislocation de « la plus grande démocratie du monde », déchirée par les conflits de castes, de religions et de nationalités. En Ethiopie, une des zones de la planète les plus frappées par la famine, l'effondrement du gouvernement Mengistu, abandonné par son protecteur soviétique, laisse le pays aux mains de trois bandes armées nationalistes rivales qui veulent se partager le pays. La Yougoslavie est au bord de l'éclatement sous la pression des affrontements quotidiens entre les nationalités qui la composent. En Algérie de jeunes chômeurs embrigadés par les « islamistes » du FIS sont envoyés contre les chars du gouvernement FLN. Dans les ghettos des banlieues de Washington, Bruxelles ou Pans se multiplient pillages et affrontements stériles contre la police. Au coeur de l'Europe, dans l'ex-Allemagne de l'Est le capital s'apprête a mettre au chômage prés de la moitié des travailleurs...
La classe dominante ne peut pas comprendre pourquoi la société, « sa » société plonge irréversiblement dans un désordre croissant où la guerre le dispute à la misère, la dislocation au désespoir. Son idéologie, l'idéologie dominante, n'a pas d'explication. Elle n'existe que pour vanter les vertus de l’ordre existant. Pour continuer à maintenir son emprise, elle n'a d'autre moyen que le mensonge et la confusion sciemment organisés. Une confusion qui traduit tout autant le stupide aveuglement historique de la bourgeoisie décadente que le cynisme mensonger dont celle-ci est capable pour protéger et justifier son « ordre » en décrépitude.
La guerre, telle qu'elle est venue se rappeler à nous dans toute son horreur dans le Golfe, reste la manifestation la plus tragique de cette réalité où le mensonge organisé accompagne en permanence le chaos le plus barbare.
LE BILAN DE LA GUERRE DU GOLFE
Avec le plus abject des cynismes, la classe dominante des pays de la Coalition, gouvernement américain en tête, s'est attachée et s'attache à travestir le massacre du Golfe. Alors que face à l'effondrement des régimes de l'Est, elle a multiplié les hymnes aux «libertés démocratiques occidentales qui triomphent sur l'obscurantisme stalinien », elle a au même moment réalisé une des plus colossales opérations de mensonge et de désinformation de l'histoire.([1] [137]) Une opération marquée aussi bien par l'ampleur des moyens employés (le gouvernement US disposait, entre autres, d'une chaîne de télévision diffusant son poison d'informations-propagande vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur la totalité de la planète), comme par l’énormité des contrevérités distillées : Michael Deaver, ancien conseiller « à la communication » de Reagan, actuel secrétaire général adjoint à la Maison Blanche avait clairement défini l'objectif à atteindre : la guerre doit être présentée comme « une combinaison de Lawrence d'Arabie et de la Guerre des étoiles » ([2] [138]). Ce fut fait. Les écrans de télévision furent inondés par les armes les plus sophistiquées et tout fut entrepris pour donner l'impression d'un véritable Wargame, as une image des victimes du déluge de feu qui s'abattit sur les soldats et la population civile irakienne, ne vint troubler cet ignoble spectacle de «guerre propre».
Le bilan de la guerre en Irak est pourtant atroce. On ne saura vraisemblablement jamais le nombre exact des victimes côté irakien. ([3] [139]) Mais toutes les estimations comptent en centaines de milliers. Probablement près de 200 000 tués parmi les soldats : jeunes paysans, ouvriers, enrôlés de force, le fusil derrière le dos, postés en masse devant l'ennemi, coincés entre des champs de mines à l'avant et la Garde Républicaine à l'arrière, prête à fusiller sur le champ tout déserteur. ([4] [140]) Près des deux tiers des soldats tués l'ont été pendant les bombardements aériens, enterrés vivants dans leurs bunkers ; ceux qui sont morts pendant la guerre terrestre, ont en grande partie été lâchement massacrés alors qu'ils battaient en retraite. Dans la population civile - enfants, femmes, vieillards et hommes qui ont échappé à l'enrôlement forcé - on compte un nombre analogue de tués par les bombardements.
Le pays a été en grande partie rasé par la guerre. Toutes les infrastructures ont été touchées. « Pour les temps qui viennent, l'Irak a été relégué à un âge préindustriel», déclarait une commission d'enquête des Nations Unies envoyée en mars en Irak. L’état des installations hospitalières, le manque de médicaments condamnent à mort des milliers de blessés et de victimes des épidémies, du manque d'eau et d'aliments. Tel est le premier résultat de l'opération menée par les « héroïques armées » des puissances occidentales.
Il faudra ajouter à ce bilan, les destructions et les victimes du massacre des populations Kurdes et Chiites. Car au moment même où le gouvernement américain organisait le spectacle grotesque d'une orgie patriotarde à New York, faisant défiler les « vainqueurs » de la boucherie du Golfe entre les gratte-ciels de Broadway, en Irak, les populations Kurdes et Chiites subissaient encore la plus sanglante répression de la part du gouvernement de Saddam Hussein.
De quelle victoire s'agissait-il ? Ces soldats n'étaient-ils pas partis dans le Golfe pour empêcher l’« Hitler du Moyen Orient » de continuer à sévir ?
La réalité, clairement confirmée par les déclarations de dirigeants nationalistes Kurdes, est bien que c'est le gouvernement américain qui a froidement et cyniquement provoqué le massacre des populations Kurdes et Chiites. ([5] [141]) Et si l'équipe de Bush a gardé « le boucher de Bagdad » au pouvoir c'est, entre autres, parce que celui-ci lui était utile pour se charger de la besogne, avec le talent qu'on lui connaît dans ce domaine. Les destructions massives résultant de cette répression, montrées cette fois-ci en détail par les médias, ont été utilisées pour tenter de faire oublier celles provoquées par la Coalition. Les armées alliées, après avoir assisté immobiles à cette nouvelle boucherie, ont pu jouer sur tous les écrans du monde le rôle de sauveurs humanitaires auprès des réfugiés kurdes. (Voir dans ce numéro : « Les massacres et les crimes des grandes démocraties »).
La barbarie du militarisme et du chaos, travestie par la plus gigantesque machine de manipulation idéologique, c'était cela la guerre du Golfe. C'est cela 'avenir qu'elle annonce.
Pour les classes exploitées de la région, en uniforme ou non, le bilan de la guerre est celui d'un carnage auquel elles n'ont participé que comme chair à canon, comme cobaye pour tester l'efficacité des derniers modèles des armes les plus sophistiquées. Pour le prolétariat mondial c'est une défaite, un crime de plus du capital, qu'il n'aura pas pu empêcher. Mais c'est aussi une leçon, un rappel de ce qui l'attend s'il ne sait pas s'unifier pour mettre fin à cette société.
LA VERITABLE VICTOIRE DU CAPITAL AMERICAIN
Il en est tout autrement pour les criminels qui ont provoqué cette guerre. Pour le gouvernement américain, la mission des soldats envoyés dans le Golfe n'était évidemment pas de protéger les populations locales contre les exactions de Saddam Hussein. Contrairement à ce qu'ils croyaient eux-mêmes, contrairement à ce que racontait la propagande de leurs gouvernements, les soldats de la Coalition avaient pour seule et vraie mission de faire une violente démonstration de force et de détermination de la part du capital US. Un étalage sanglant de puissance, devenu indispensable face au chaos international déclenché par l'effondrement de l'URSS, et qui menaçait de remettre en question la position de la première puissance mondiale.([6] [142])
C'est le gouvernement de Washington qui a voulu et provoque cette guerre. C'est son ambassadrice April Glaspie qui, au cours d'entretiens avec Saddam Hussein, alors que celui-ci envisageait pratiquement l'invasion du Koweït, a déclaré que les USA étaient indifférents à la querelle Irak-Koweit, querelle qu'ils considéraient comme <r interne au monde arabe », ([7] [143]) laissant entendre que la Maison Blanche donnait son feu vert au « hold-up ».
Pour le capital américain, l'enjeu dans cette opération était autrement plus important que le seul contrôle de l'Irak-Koweit et du pétrole. L'enjeu c'était le monde, la place de première puissance dans ce monde en pleine déstabilisation. La menace militaire soviétique, ce chantage avec lequel le capital américain tenait les autres puissances de son bloc depuis quarante-cinq ans, ce carcan venait de se rompre. Et la poussière provoquée par l'effondrement du mur de Berlin n'était pas encore retombée, que déjà des responsables politiques allemands et français parlaient de création d'une force militaire européenne, « plus indépendante des Etats-Unis». Au Japon, la revendication d'une révision de la constitution imposée par le gouvernement américain à la fin de la seconde guerre mondiale qui interdit à ce pays la possession d'une véritable armée, refaisait surface.
Le principaux concurrents économiques et créanciers des Etats-Unis réclamaient une nouvelle place dans la nouvelle situation, une nouvelle place politique et militaire en accord avec leur puissance économique.
Pour les Etats-Unis, la guerre du Golfe devait être une brutale réaffirmation de leur autorité sur le monde, et en premier lieu sur l'Europe et le Japon. Et de ce point de vue, elle a constitué une véritable victoire du « parrain » américain, du moins pour l'immédiat. Les événements des mois qui ont suivi la guerre l'ont clairement illustré.
« Les Etats-Unis, tirant profit de leur récente victoire militaire, sont en train de transformer leur avantage en victoire politique dans chaque continent. » C'est ainsi que Boucheron ([8] [144]), président de la commission de la défense de l'Assemblée Nationale française, résumait récemment la situation internationale. Il sait de quoi il parle. En Europe, après les fanfaronnades franco-allemandes mettant en question le rôle de l'OTAN, toutes les puissances sont rentrées dans le rang sous la pression américaine. Les militaires américains ont même imposé la formation au sein de l'OTAN d'une « force d’intervention rapide » dont l'essentiel des forces terrestres reposera sur l'Allemagne, mais oui sera placée sous le commandement du plus fidèle allié de Washington, le capital- britannique, Pour ce dernier, comme pour certains pays de l'Est nouvellement acquis à l'influence occidentale (Pologne, Tchécoslovaquie), la crainte première est celle du capital allemand réunifié, et ils voient dans la présence américaine un antidote efficace à cette menace. Le gouvernement japonais a aussi baissé d'un ton ses récriminations, et, tout comme l'Allemagne, il a payé au grand rival américain sa « contribution à la guerre ».
Quant aux pays de la zone d'influence japonaise, ils considèrent généralement d'un bon oeil la pression .américaine dans la région car ils craignent le chaos que provoquerait une montée en puissance politique et militaire du Japon. Bob Hawke, le premier ministre d'Australie s'est ouvertement prononcé pour un maintien de la présence militaire américaine dans cette partie du monde afin de dissuader les puissances régionales « d'acquérir de nouvelles capacités militaires qui pourraient déstabiliser et déclencher une course aux armements dans la région ».
La crainte du chaos n'est pas le fait du seul gouvernement américain. En s'affirmant comme « gendarme » politique et militaire du monde, celui-ci intervient comme « dernier recours » face aux tendances centrifuges qui se manifestent sur toute la planète, et il impose son « ordre » avec une arrogance sans précédent.
-En Irak il a réglé comme on le sait le problème Kurde, se débarrassant ainsi du danger d'une déstabilisation plus grande encore de la région qu'aurait impliqué 1 autonomie politique de cette population qui vit sur cinq pays clés de la région (Irak, Syrie, Turquie, URSS et Iran).
- En URSS il a refusé tout véritable appui aux indépendantistes des républiques baltes pour ne pas déstabiliser davantage l'ancien « Empire du mal » ; sur le gouvernement de Moscou lui-même, il exerce un pouvoir direct, moyennant le chantage à l'aide économique (voir dans ce numéro « L’URSS en miettes »).
- En Ethiopie, en proie à l'éclatement après la victoire des « rebelles », c'est le même gendarme qui a autoritairement organisé la conférence de Londres permettant de constituer une gouvernement éthiopien autour des Tigréens du FDRPE, et c'est lui qui a fait pression sur les organisations séparatistes de l'Erythrée (FPLE) ou des Oromos pour qu'ils coopèrent avec le nouveau pouvoir.
- En Yougoslavie c'est encore le gouvernement US qui a menacé de suspendre l'aide économique si les cliques bourgeoises serbes ne changeaient pas leur attitude à l'égard des revendications croates, ce qui menaçait le pays de dislocation.
- Au Pakistan Washington a arrêté la fourniture d'armes conventionnelles et une partie de l'aide économique tant que le gouvernement d'Islamabad n'aura pas fourni la preuve qu'il ne construit pas un armement nucléaire.
- La bourgeoisie américaine s'est même permise d'interdire à la Chine de vendre au Pakistan certains matériaux pouvant être utilisés à cet effet.
Telle est la « victoire » que fête le capital américain : la consolidation immédiate de sa position de premier gangster de la planète. C'est une victoire sur ses concurrents directs et une action décidée pour limiter certains aspects de la décomposition qui menace son empire. Mais la tendance mondiale au chaos et à la barbarie n'est pas arrêtée pour autant.
L'INEVITABLE ENFONCEMENT DANS LE CHAOS
La puissance du capital américain peut s'exercer aux quatre coins de la planète et modérer momentanément tel ou tel aspect du chaos. Elle ne peut cependant renverser le cours du gigantesque torrent de boue et de sang qui envahit la planète. Le nouveau désordre mondial n'est pas une fortuite coïncidence entre différents phénomènes sans lien entre eux et qui pourraient être résolus les uns après les autres. Derrière le chaos actuel il y a une logique, celle de la décadence avancée d'une forme d'organisation sociale. Comme l'avait analysé et prévu le marxisme, et lui seul (celui-là même que la classe dominante croit, ou fait semblant de croire, qu'elle enterre aujourd'hui sous les décombres du stalinisme), c'est au coeur même des rapports de production capitalistes que se trouve l'impasse qui condamne la société à cette situation apocalyptique.
La crise économique capitaliste a progressivement rasé les moindres capacités économiques des pays du « tiers-monde ». En mai 1991, au lendemain du gigantesque gaspillage destructif de la guerre du Golfe, au moment ou les grandes puissances agricoles occidentales décident de stériliser de nouveaux millions d'hectares cultivables pour faire face à la « surproduction », le secrétaire général de ce repaire de gangsters que sont les Nations-Unies, lançait un appel « en faveur de l'Afrique », où 30 millions d'êtres humains sont menacés de famine cette année.
C'est cette même impasse économique qui a provoqué l'effondrement de 1’édifice vermoulu du capitalisme d'Etat des pays de l'Est.
C'est elle qui, dans les nations les plus industrialisés d'Occident, a provoqué la désertification industrielle de zones entières, généralisé la précarité de l'emploi et le chômage. C'est cette crise qui connaît aujourd'hui une nouvelle accélération en frappant de plein fouet le coeur du système. (Voir dans ce numéro « La relance... de la chute de l'économie mondiale »).
La machine économique ne parvient à exploiter qu'un nombre toujours moindre de prolétaires. Une partie croissante de la société se trouve rejetée des relations productives capitalistes elles-mêmes et se voit atomisée, marginalisée, contrainte de vivre de « petits travaux » ou d'expédients. C'est la généralisation de la misère. ([9] [145]) C'est la décomposition du tissu social capitaliste.
Au sein de la classe possédante, la crise économique est aussi synonyme de concurrence accrue. Que ce soit entre nations ou au sein même de chaque nation, la compétition s'intensifie sur le plan économique et militaire. La violence aveugle, le langage militaire remplace de plus en plus le langage économique. La guerre de tous contre tous, caractéristique du capitalisme depuis sa naissance, atteint son paroxysme dans cette phase finale du système. C'est le « chacun pour soi » dans un monde sans perspectives.
Les rapports de production capitalistes sont devenus une aberration historique dont la survie ne peut plus être que source de barbarie, tout comme en leur période de déclin historique le furent les rapports esclavagistes antiques ou ceux de la féodalité. Mais contrairement au passé où les nouveaux rapports sociaux (féodaux après l'esclavagisme antique, capitalistes après le féodalisme) pouvaient commencer à se développer au sein des anciennes institutions, l'instauration d'une nouvelle société fondée sur des rapports communistes, ne pourra se faire que sur les ruines politiques de l'ancienne. La logique capitaliste conduit à l'effondrement économique du système, mais non à son dépassement. Celui-ci ne peut être que l'oeuvre consciente et volontaire du prolétariat mondial. Si la classe ouvrière ne parvient pas à assumer la portée révolutionnaire de son combat contre le capital, si elle n'ouvre pas concrètement la perspective d'une nouvelle société, ce n'est pas le communisme qui se développe mais le pourrissement barbare de la vieille société capitaliste et la menace de disparition de l'espèce humaine, soit par la guerre mondiale, soit par la décomposition et le chaos généralisés. La résistance du prolétariat des pays centraux à l'embrigadement idéologique du capital a empêché l'issue de la guerre mondiale entre les deux blocs, mais elle n'a pu retenir le pourrissement qui en découle pour la société capitaliste. C'est cette décomposition sur pied de la société, privée de perspectives, que nous vivons et qui est à la base du chaos actuel.
C'est pourquoi l'action du capital américain, quelle que soit la puissance des moyens que celui-ci utilise, ne peut véritablement renverser le cours vers l'abîme. Que ce soit au niveau du rapport entre nations ou entre fractions capitalistes au sein de chaque nation, les tendances centrifuges, à l'exacerbation des rivalités, ne peuvent que continuer à s'intensifier.
Sur le plan des conflits inter-impérialistes, le Moyen-Orient reste une poudrière instable où, malgré les efforts déployés par la diplomatie musclée de Washington, l'explosion de nouveaux conflits armés est inévitable. Déjà Israël a repris les bombardements du Sud-Liban, et ne cesse de résister aux pressions qui le poussent à « échanger des territoires pour la paix », en répondant par des accusations contre la Syrie qui «dévore le Liban». ([10] [146]) La guerre du Golfe n'a pas apporté une paix définitive ; elle n'a fait qu'annoncer par quels moyens le capital américain entend défendre sa suprématie.
Quant à la concurrence économique entre nations rien ne permet d'envisager un quelconque apaisement. L aggravation de la crise économique ne pourra que continuer à l'exacerber. Ici encore l'action du capital américain n'est qu'un coup de force pour compenser sa faiblesse à l'égard de ses concurrents. ([11] [147]) « Je ne crois pas que le leadership des Etats-Unis devrait se limiter aux domaines de la sécurité et de la politique. Je pense que ce leadership doit s’étendre aussi au domaine économique. » Cette déclaration de J.Baker ([12] [148]) n'annonce pas une attitude conciliante du capital américain, mais encore une fois, la méthode avec laquelle celui-ci entend faire face à la guerre économique.
Que ce soit sur le plan politique et militaire ou sur le an économique, la perspective n'est pas à la paix et ordre mais à la guerre et au chaos entre nations.
Mais la tendance à la désagrégation s'exprime tout autant à l'intérieur de chaque nation. Qu'il s'agisse de la dislocation de l'URSS (Voir l'article « L'URSS en miettes» dans ce numéro), de celle de l'Inde, de l'Ethiopie, de la Yougoslavie ou de la plupart des pays africains, les ravages de la misère et de la guerre pour la survie de chaque clique de la classe dominante ne pourront que l'intensifier. Et ce ne sont pas les quelques miettes d'aide « humanitaire » des Etats-Unis, ou autre puissance, qui permettront de renverser les tendances de fond qui déchirent ces nations.
LA LUTTE DE CLASSE
Il ne peut y avoir de lutte contre le chaos et la dislocation de la société qu'en s'attaquant à ce qui en est à la source : les rapports sociaux capitalistes. Or seule la lutte du prolétariat est véritablement un combat irréconciliable contre le capital. Seul l'antagonisme capital-travail possède cette dimension internationale et historique indispensable pour répondre à l'ampleur des enjeux.
Le sort de l'humanité dépend de l'issue du combat qui oppose les prolétaires de tous les pays au capital mondial. Mais avant cela, il dépend de la capacité des prolétaires de reconnaître le vrai combat à mener. Si le prolétariat ne parvient pas à échapper au tourbillon chaotique qui le pousse à se diviser pour des questions d'origines nationales, de religions, de races, d'ethnies ou autres, s'ils ne parvient pas à s'unifier en imposant le terrain de classe comme seul terrain de combat, la porte restera grand ouverte à l'accélération du chaos et de la décomposition.
Dans les pays sous-développés, là où la classe ouvrière est le plus minoritaire et possède le moins de traditions de combat, les prolétaires ont les plus grandes difficultés pour échapper à l'emprise de divisions archaïques, étrangères a leur lutte de classe. Dans les pays de l'Est, malgré une forte combativité au cours des derniers mois (en particulier chez les mineurs et les travailleurs de Biélorussie en URSS), la classe ouvrière subit tout le poids des mystifications nationalistes, « démocratiques » et, évidemment, de « l'anti-communisme » ambiant.
C'est dans les pays centraux du capitalisme occidental que l'antagonisme prolétariat-capital existe sous sa forme la plus complète et directe. La classe prolétarienne y représente la large majorité de la population et son expérience historique y est la plus riche, aussi bien au niveau des mystifications bourgeoises que de celui du combat de masse. Elle constitue les bataillons décisifs de l'armée prolétarienne mondiale. De sa capacité à déjouer les pièges que la décomposition capitaliste lui tend, (concurrence face à la menace du chômage, oppositions entre travailleurs d'origines nationales différentes, marginalisation des chômeurs), de sa capacité à affirmer clairement l'irréconciliable antagonisme qui l'oppose au capital, dépend l'ouverture de perspectives nouvelles pour les prolétaires du monde entier. Sur ses épaules repose le sort de l'ensemble de sa classe, et par là même de l'humanité entière.
La guerre du Golfe avait engendré une profonde inquiétude dans la population mondiale et en particulier parmi les prolétaires des pays industrialisés. La fin du conflit a provoqué un sentiment de soulagement, renforcé par les gigantesques campagnes idéologiques sur la nouvelle « paix », le « nouvel ordre mondial ». Mais ce sentiment ne peut être que relatif et de courte durée, tant les nuages noirs du chaos s'amoncellent sur la planète et ruinent les discours « optimistes» de la classe dominante. Rien ne serait plus dangereux pour la classe révolutionnaire que d'oublier ce que fut la guerre du Golfe et ce qu'elle annonce. Face à l'aggravation de la crise économique et aux attaques que la classe dominante porte et portera sur ses conditions d'existence, dans les luttes de résistance que ces attaques entraîneront, il est crucial qu'elle sache tirer profit de toute la réflexion que 1’inquiétude causée par la guerre a provoqué en son sein. Elever son niveau de conscience et comprendre la globalité de son combat, c'est seulement en regardant la réalité en face, en refusant de se laisser « consoler » par les discours lénifiants de la classe dominante, en retrouvant son programme révolutionnaire et l'arme de combat que constitue le marxisme, que la classe ouvrière pourra à travers ses luttes s acquitter de sa tâche historique.
RV, 16/6/91
[1] [149] Depuis la première guerre mondiale, la manipulation de l'opinion est considérée par la classe capitaliste comme une tâche gouvernementale à part entière. Au cours des années 1930, avec le fascisme en Italie et en Allemagne, avec le Stalinisme en URSS, mais aussi et surtout avec la subtile « démocratie » hollywoodienne aux Etats-Unis, cette mission est devenue une entreprise gigantesque, objet des premières préoccupations de tout pouvoir politique. Gœbbels, le maître d’oeuvre de la propagande hitlérienne, résumait cyniquement la méthode qui sera adoptée par tous les gouvernements de la planète : « Un mensonge répété mille fois devient une vérité ».
[2] [150] Le Monde diplomatique, mai 1991.
[3] [151] Les militaires restent systématiquement flous ou silencieux lorsqu'ils sont interrogés à ce sujet : « Nous ne sommes pas ici pour discuter de la pornographie de la guerre. » - répondit un colonel bri tannique pendant une conférence de presse sur le bilan de la guerre. {Libération, 26 mars 1991) Pour les armées alliées, les chiffres officiels des pertes sont par contre très précis : 236 hommes, dont 115 américains, plus 105 au cours d'accidents de transport en se rendant sur place.
[4] [152] On sait maintenant qu'il y a eu dans certains cas des désertions massives dans l'armée irakienne et que cela a entraîné une féroce répression de la part des corps d'élite de Saddam Hussein.
[5] [153] Il est prouvé que l'aviation américaine à jeté des tracts à la fin de la guerre sur les zones Kurdes appelant au soulèvement contre le régime de Hussein et que des officiers américains ont encouragé les chefs de mouvements bourgeois nationalistes kurdes à se lancer dans une telle aventure.
[6] [154]Lorsque nous affirmons que l'empire US a entrepris cette guerre pour lutter contre le chaos, ils nous est parfois reproché de présenter la guerre comme « une action désintéressée des dirigeants américains » (sic). Ce n'est pas parce que les intérêts les plus sordides et particuliers de USA s'opposent à un chaos qui remettrait en question leur position prépondérante dans le monde, qu'il faut conclure que les USA agissent de façon « altruiste » à l'égard des autres capitaux. Celui qui bénéficie d un ordre établi s'opposera toujours à la remise en question de celui-ci. Pour une analyse développée des causes de la guerre du Golfe, voir les numéros 63, 64, 65 de cette revue.
[7] [155] Cité par Claude Julien dans Le monde diplomatique d'octobre 1990.
[8] [156] Cité par J. Fitchctt dans Herald Tribune, 12/6/91.
[9] [157] L'analyse de Marx qui prévoyait une « paupérisation absolue » de la société, et qui fut pendant les années 1960 si décriée par les pré tendus fossoyeurs théoriques du marxisme, trouve aujourd’hui encore une éclatante et tragique confirmation.
[10] [158] Le capital américain ne se fait d'ailleurs aucune illusion à ce sujet. Ainsi, en même temps qu'il apparaît multipliant les pressions sur Israël pour que celui-ci adopte une position plus conciliante à l'égard des alliés arabes, l'Etat US décide de livrer à Tsahal d'importants nouveaux stocks d'armes : 46 chasseurs F-16, 25 F- 15, 700 millions de dollars d'armes, transmis directement des « surplus d'armement » américains ; constitution de nouveaux stocks d'armes en Israël pouvant être utilisés indifféremment par les armées des deux pays. Les USA financent en outre 80 % du programme israélien de missiles anti-missiles.
[11] [159] Toutes proportions gardées, les Etats-Unis sont comme l'URSS, en position de faiblesse économique à l'égard de leurs principaux vassaux. C'est en grande partie le résultat du poids des dépenses militaires que devait inévitablement supporter les chefs de blocs. (Voir « Où en est la crise ? » dans le n° 65 de cette revue).
[12] [160] Herald Tribune, 21 /2/91.
LES RAVAGES DE LA RECESSION INTERNATIONALE
Après les récessions de 1967, 1971, 1975 et 1982, le capitalisme entrait en 1986 dans une nouvelle phase de ralentissement. Mais, tel un animal à l'agonie, il connut un ultime répit ; la brutale chute des prix pétroliers conjuguée avec une utilisation massive du crédit (Tableau 1), a permis de freiner la chute de la croissance. Mais aujourd'hui, la réalité crue de la récession ouverte, pour un temps repoussée, est belle et bien là : une remontée de l'inflation et du chômage accompagne la chute du taux de croissance (Graphique 1).
Table 1: Debt
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1980
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1990
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Mil$
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%GNP
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Mil$
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%GNP
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Total public
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1250
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46%
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4050
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76%
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Business
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829
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30%
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(1)
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2100
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40%
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Consumer
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1300
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48%
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(2)
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3000
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57%
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Total internal
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3400
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124%
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9150
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173%
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Debt external
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+181
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-800
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15%
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GNP
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2732
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5300
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(1) 4 times their cash flow (ie company savings, used to self-finance investments)
(2) In 1989, consumer debt represented 89% of their income.
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Public debt (% of GNP)
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1973
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1986
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USA
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39.9%
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56.2%
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Canada
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45.6%
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68.8%
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France
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25.4%
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36.9%
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Italy
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52.7%
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88.9%
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Japan
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30.9%
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90.9%
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Germany
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18.6%
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41.1%
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Spain
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13.8%
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49.0%
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Fer de lance de la reprise artificielle des années 1980, les USA ont été les premiers à entrer en récession. Le PNB a commencé à régresser : + 1,4%, - 1,6% et -2,8 %, respectivement pour les 3e et 4e trimestres de 1990, et le 1er trimestre de 1991. Les autres grands pays industrialisés, soit les accompagnent, soit connaissent un ralentissement notable de leur taux de croissance. Mais la situation est encore bien plus catastrophique dans d'autres parties de la planète. D'une part, c'est à une véritable chute de la production que l'on assiste dans les pays de l'Est (Tableau 2), où l'ouverture du rideau de fer, loin de constituer un nouveau champ d'accumulation pour le capitalisme, a encore accéléré la crise (voir 1’article "L’URSS en miettes" dans ce numéro). D'autre part, la dette du "tiers-monde", malgré de nombreux rééchelonnements et réajustements, continue de croître (Tableau 3). L'Amérique du sud, sous-continent soi-disant promis à un bel avenir, s'enfonce dans une terrible récession : son PNB croissait à peine de +0,9% en 1989, il régresse de -0,8% en 990. Exprimé en PIB/habitant, il est revenu au même niveau qu'en 1978. Et ne parlons pas de l'Afrique, véritable continent à la dérive. Son PNB, pour une population de 500 millions d'habitants, est l'équivalent de celui de la Belgique peuplée de 10 millions d'habitants.
La récession larvée des années 1980 ([1] [161]) se confirme actuellement à travers la plongée de l'économie mondiale dans la récession ouverte. Les années 1980, années d'illusions dans les discours de la bourgeoisie, furent en réalité des années de vérité : vérité de l'absence totale d'issue à la crise, vérité de l’inéluctabilité de l'enfoncement dans la récession, vérité de l'épuisement des palliatifs. La récession actuelle est une nouvelle convulsion de la tendance de fond à l'enfoncement du capitalisme depuis la fin des années 1960 (Graphique 2).
LES MENSONGES SUR L'IMMINENCE D'UNE REPRISE
S'il arrive parfois à la bourgeoisie de reconnaître la réalité de la récession, c'est pour immédiatement la minimiser et annoncer la toute proche reprise. Le développement du crédit, la baisse des taux d'intérêt, la réunification allemande, l'ouverture des pays de l'Est, la reconstruction et le développement économique des pays du Moyen-Orient, l'économie d'armement ou la fin de la guerre sont tour à tour invoqués pour apaiser l'inquiétude de la classe ouvrière. Qu'en est-il exactement ?
La guerre peut-elle relancer l'économie US comme après la guerre de Corée ?
La guerre du Golfe et l'accroissement des dépenses militaires depuis les années 1970 ne peuvent qu'aggraver la crise car le contexte économique est très différent de celui d'après la seconde guerre mondiale :
Quant à la fin de la guerre elle ne peut qu'aggraver la crise malgré les dires de la bourgeoisie. Le poids du coût de la guerre sur les déficits budgétaires et les faibles retombés économiques l'attestent ([2] [162]).
La réunification allemande et l'ouverture des pays de l'Est peuvent-elles constituer la nouvelle locomotive de l'économie ?
L’Allemagne doit faire face au coût de la réunification, aux frais de la guerre du Golfe et de l'aide à l'Europe de l'Est pour freiner le chaos en son sein et à ses portes. Economiquement, la RDA est une ruine peu intéressante, dont presque toute l'industrie est à reconstruire. En fait, sa remise sur pied est un leurre, une illusion savamment entretenue par la bourgeoisie : la réunification est un « véritable désastre économique» pour reprendre les termes du gouverneur de la Bundesbank ([3] [163]).
L'autre illusion entretenue par la bourgeoisie, et dans laquelle nombre de groupes du milieu politique sont tombés, est l'idée de la possibilité d une nouvelle jeunesse pour le capitalisme suite à la chute du mur de Berlin. La comparaison a souvent été faite entre la situation d'après-guerre pour les pays de l'Ouest et celle que connaissent actuellement les pays de l'Est (fin d'une économie de guerre, plan Marshall pour la reconstruction, etc.), mais le contexte global est radicalement différent (voir ci-contre).
Les pays de l'Est sont déjà fortement endettés, les nouveaux crédits servent à couvrir les anciens prêts, plutôt qu'à investir. Hyperinflation, insolvabilité, succession de plans anti-crises, dévaluations et remplacement de la monnaie, développement de l'économie parallèle et maffieuse deviennent le lot de ces pays en voie de tiers-mondisation ([4] [164]). Même dans le pays le plus ouvert à l'Occident, la Hongrie, « il n'y a pas eu jusqu'à présent de véritable percée des capitaux étrangers» reconnaît M. Gyorgy Matolcsy, secrétaire d'Etat et véritable responsable économique du gouvernement. Si les capitalistes ne veulent déjà pas racheter les entreprises de RDA, pourtant les plus performantes à l'Est et bénéficiant du soutien de l'Ouest, ce n'est pas demain que les autres seront rachetées et modernisées par l'occident ! Il est d'ailleurs significatif que la BERD ([5] [165]), vu le manque d'investissements intéressants, a réorienté ses activités vers la prestation de services, surtout en conseils institutionnels pour modifier les législations de l'Est. Et compte tenu aussi du faible pouvoir d'achat, l'Est n'est en rien un marché solvable.
Le Moyen Orient peut-il constituer un marché permettant de relancer l'économie mondiale ?
La guerre a asséché les économies du Golfe, rendant impossible toute relance de l'économie mondiale par la manne des pétrodollars ou le développement de l’activité économique dans cette région :
- les caisses des Etats du Golfe sont vides ; or, dans ces pays d'économie de rentes, c'est l'Etat qui est le principal moteur de la vie économique ;
- le prix du pétrole est retombé à son niveau d'avant-guerre, et la reprise de la production du Koweït et de 'Irak menace de le faire chuter à nouveau ;
- les coûts de guerre pour l'Arabie Saoudite s'élèvent à la somme colossale de 64 milliards de dollars et, pour la première fois, le pays doit emprunter 3,5 milliards de dollars sur le marché international des capitaux ; le Koweït devra vivre sur ses réserves et l'Irak qui, avant la guerre, possédait un fond de 80 milliards de dollars, en doit aujourd'hui 100 ;
- la peur du conflit a fait fuir 60 milliards de dollars de capitaux du Golfe qui ont été placés ailleurs.
La politique qui a permis de soutenir la croissance mondiale au cours des années 1980 n'est plus possible aujourd'hui
Les USA se trouvent à la croisée des chemins : ils doivent significativement baisser les taux d'intérêt ([6] [166]) pour éviter la récession au risque de faire fuir les capitaux étrangers qui financent leur déficit ([7] [167]) et de relancer l'inflation. Outre la diminution du taux d'intérêt, la FED a également assoupli les contraintes de réserves des banques afin d'encourager le crédit. Bref, une nouvelle fuite en avant qui accroît encore plus les contradictions explosives et semble bien mince pour pouvoir infléchir l'évolution économique. La bourgeoisie tente à nouveau de relancer la machine mais ces remèdes, si puissants par le passé, se révèlent aujourd'hui inopérants : la machine, totalement déglinguée, répond de moins en moins aux sollicitations. Par exemple, les banques américaines, surendettées et minées par les faillites, retardent la répercussion de la baisse du coût du crédit sur les taux du marché et sélectionnent drastiquement les clients auxquels elles accordent encore des crédits ([8] [168]).
Le développement des crédits au "tiers-monde" n'est plus possible
La bourgeoisie crie victoire parce que l'endettement du "tiers-monde" ne menace plus l'ordre financier international. Les statistiques montrent un tassement de la croissance du volume de la dette et une diminution du service de la dette exprimé en proportion des exportations annuelles (28 % en 1988, 22% en 1989). Mais cette soi-disant amélioration cache une réalité bien pire. Ces chiffres ont été obtenus au prix d'une austérité et d'une récession drastiques. En l'espace de quelques années la bourgeoisie est passé du plan Baker (1985), qui stipulait que, pour que la dette puisse être remboursée,.il fallait prêter davantage, au plan Brady (1989), qui constatait que, puisque les pays sont incapables de payer, les banques devaient annuler une partie de leurs créances. Mais en privilégiant les réductions de créances sur les flux de capitaux nouveaux, les "chances" de "développement économique" sont reportées aux calendes grecques. Ceci ferme à tout jamais, s'il était encore besoin de s'en convaincre, la possibilité de relancer l'économie mondiale par l'octroi de crédits au "tiers-monde". D'ailleurs, depuis 1983, les transferts nets de capitaux se sont inverses : il y a plus d'argent qui sort des pays sous-développés vers les pays développés (170 milliards de dollars de 1983 a 1989) que d’argent qui entre. Les taux d'intérêt élevés, la diminution relative du prix des matières premières et la récession internationale ne pourront qu'aggraver encore plus la situation.
Le rapport de l’UNICEF de 1990 estime que chaque années 500 000 enfants meurent en raison de l'endettement et des programmes d'austérité que le FMI impose aux pays du "tiers-monde", il évalue à 40 000 par jour le nombre d'enfants qui y mourront de faim. Les rapports économiques inégaux, le poids de la dette, le maintien des prix des matières premières ridiculement bas, la fermeture des marchés occidentaux, engendrent un génocide équivalent à l'éclatement, tous les deux jours, d'une bombe atomique de la puissance de celle d'Hiroshima. En cette année 1991, 27 millions d'êtres humains mourront de faim en Afrique, un tiers de la population active des pays de l'Est sera réduit au chômage, tandis que, dans les pays centraux, la classe ouvrière subit une austérité sans précédent, et que des pans entiers de celle-ci tombent dans la misère absolue ([9] [169]) : un enfant sur huit souffre de la faim aux USA et un septième de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté dans la CEE. Des épidémies massives (comme le choléra en Amérique du sud, en Irak, au Bangladesh) déciment des masses considérables de force de travail. Un bilan aussi hallucinant condamne irrémédiablement ce système barbare et appelle à son renversement au profit d'une société sans classes.
GA, 1er juin 1991
[1] [170] Concernant la soi-disant prospérité des années 1980 nous mettions en avant (Revue Internationale, n° 59, 4e trimestre 1989) le danger de ne considérer que « l'accroissement des chiffres bruts de la production sans se préoccuper de quoi était faite cette production ni se demander qui allait la payer», et le texte de conclure : « En fin de compte, pendant des années, une bonne partie de la production mondiale n'a pas été vendue mais tout simplement donnée. Cette production, qui peut correspondre à des biens réellement fabriqués, n'est pas une production de valeur, c'est-à-dire la seule chose oui intéresse le capitalisme. Elle n'a pas permis une réelle accumulation de capital. Le capital s'est reproduit sur des bases de plus en plus étroites, pris comme un tout, le capitalisme ne s'est donc pas enrichi. Au contraire, il s'est appauvri ».
[2] [171] Le "marché du siècle" se dégonfle déjà comme une baudruche : le Koweït revoit à la baisse les estimations de coût pour sa reconstruction. De 40 à 50 milliards de dollars, voir 100 (!) estimés au départ, on passe aujourd'hui à 10 ou 30 milliards, tout au plus.
[3] [172] A ce jour, seules 455 firmes sur les 4500 à privatiser ont été rachetées, à peine un dixième du parc industriel.
[4] [173] On assiste déjà à l'apparition de véritables processus de tiers mondisation :
-la privatisation en RDA fonctionne à l'envers: 70,3% des investissements vont vers la mise sur pied de chaînes de distribution, le reste seulement vers la production ;
- en Pologne, pays qui s'est pourtant le plus transformé, ce sont les secteurs à faibles valeurs ajoutés qui résistent le mieux ; ce pays, comme les autres de l'Est, va être confiné à la production de matières premières ou de marchandises de secteurs banalisés requérant beaucoup de main d'oeuvre mal payée ;
- les conditions offertes en matière d'autonomie de gestion et de rapatriement des bénéfices empêchent toutes retombées ou effets d'entraînements économiques locaux importants.
[5] [174] Banque pour la reconstruction à l'Est.
[6] [175] Le taux d'escompte US est passé de 7 % à 5,5 % entre décembre 1990 et avril 1991. Cette succession de baisses montre le pessimisme croissant des autorités américaines pour une reprise rapide de l'économie.
[7] [176] Déjà, les capitaux ont tendance à quitter les USA pour s'investir en Allemagne et au Japon. En août 1990, une émission de 32 milliards de dollars US de l'Etat n'a pu trouver preneur chez les japonais que pour 10% de la somme, alors que d'habitude, ils assuraient au minimum du tiers à la moitié des souscriptions. De ce fait, les taux US ne pourront être maintenus très longtemps aussi bas.
[8] [177] A l'heure actuelle l'écart entre le taux d'escompte et le taux de base offert par les banques est très élevé : 3 %.
[9] [178] Selon une enquête menée par l'université de Bristol, 5,5 millions d'anglais vivaient dans la pauvreté en 1984 (critère retenu : absence à la fois d'un lit, d'une toilette et d'un frigo), ils sont 11 millions aujourd'hui, soit 18 % de la population, presque 1 personne sur 5. Dix millions de personnes vivent dans des maisons non chauffées et 5 millions n'ont qu'un repas par jour.
« Je réalise que nous nous trouvons sur la ligne au-delà de laquelle commence la dislocation de l'économie et de l'Etat», qui parle ainsi? Gorbatchev lui-même! Chaque jour qui passe l'URSS, le plus vaste pays du monde, s'enfonce encore plus dans le chaos. Le navire est à la dérive, et Gorbatchev, recevant le président français Mitterrand début mai, faisait le bilan calamiteux de la Perestroïka en déclarant que les soviétiques sont a dans le brouillard», que «les instruments ne fonctionnent pas », que « l'équipage n'est pas très homogène ». Sinistre constat que vient préciser le nouveau premier ministre Pavlov, digne représentant de la Nomenklatura du parti, insistant sur le fait que l'URSS est menacée par «une décomposition colossale »([1] [180]).
LE PARCOURS CATASTROPHIQUE DU CAPITALISME RUSSE
Le temps, pas si lointain, où la puissance impérialiste de l'URSS faisait trembler le monde appartient à un passé irrémédiablement révolu. L'URSS n'a définitivement plus les moyens de sauvegarder son rang de super-puissance impérialiste mondiale. Sur le plan économique, elle ne les a jamais eus. Ce n'est qu'en concentrant toute l'économie aux mains de l'Etat, et en la sacrifiant totalement aux besoins de sa puissance militaire que l'URSS a pu, un temps, malgré son sous-développement, prétendre au rôle de challenger, de son rival américain dont le PNB en 1990 représentait près de trois fois le sien.
Durant des décennies de 20 à 40 % du revenu national de l'URSS ont été consacrés à la production d'armement et à l'entretien de l'"armée rouge". Cette priorité a été imposée au prix d'un délabrement de tous les autres secteurs de l'économie. Le retard technologique s'est de plus en plus accentué dans les secteurs de pointe. Par ricochet, ce retard s'est concrétisé par une supériorité technologique grandissante des armements occidentaux, handicapant de plus en plus gravement la puissance militaire de l'URSS. Là où la technologie manquait, où les machines étaient absentes, la débrouillardise et la sueur, la tête et les muscles des prolétaires ont été exploités de manière brutale. Sous la poigne de fer du parti stalinien, l'URSS a été transformée en un gigantesque camp de travail forcé.
La guerre à laquelle elle s'était tant préparée, l'URSS n'a pas pu finalement la mener. Non seulement ses armements étaient surclassés, mais le rejet total du régime par la population rendait impossible la mobilisation totale nécessaire à une telle fuite en avant.
La crise économique chronique s'est précipitée, et avec les années 1980 c'est une véritable dynamique d'effondrement de l'économie qui s'est ouverte. Les ambitions impérialistes de l'URSS vont être refoulées dans le monde des rêves sans lendemains.
Des révisions déchirantes s'imposent à la Nomenklatura devant l'écroulement économique. Il devient urgent de moderniser l'appareil de production et pour cela de procéder à des réformes. Gorbatchev va être le porte-flambeau de la nouvelle politique économique, la Perestroïka. Cependant, la remise en cause des dogmes économiques qui sont le fondement du capitalisme d'Etat stalinien implique nécessairement une remise en cause des dogmes politiques qui sont à la base du stalinisme. Et notamment, celui du pouvoir dictatorial du parti unique. Loin de remettre l'économie en ordre, de redresser la barre, la Perestroïka précipite l'effondrement du système politico-économique mis en place par Staline. Ce n’est plus simplement aux aberrations de son économie que la bourgeoisie russe doit faire face, mais à la plongée accélérée de l'URSS dans la spirale infernale au chaos économique, politique et social.
La question qui se pose aujourd'hui, c'est celle de l'existence même de 1’URSS.
La prétention du stalinisme, la forme la plus brutale du capitalisme d'Etat, à représenter le communisme a été le plus grand mensonge du siècle. De l'Est à l'Ouest, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, toutes les fractions de la bourgeoisie l'ont entretenu. Dans la phraséologie stalinienne, le vocabulaire du marxisme a été mis au service des ambitions impérialistes de l'URSS, lui a servi de paravent idéologique, ainsi que d'alibi, pour les exactions de son régime. La décomposition présente de l'URSS met à nu, dans ses rouages les plus intimes, cette vérité que les révolutionnaires n'ont cessé d'affirmer durant des décennie: la nature capitaliste de l'URSS et la nature bourgeoise du PCUS.
L'EFFONDREMENT ECONOMIQUE S'ACCELERE
Pour le premier trimestre 1991 rapporté au même trimestre de l'année précédente, le Bureau des statistiques, organisme officiel de l'Etat, annonce un recul de 8 % du produit national brut, une chute de 13 % de la production agricole, un plongeon de 40 % des exportations, tandis que le déficit budgétaire fédéral s'est accru de près de 27 milliards de roubles. Les estimations occidentales sont encore plus pessimistes, estimant la chute de la production à 15 %.
Le secteur militaro-industriel, le seul qui jusque là fonctionnait avec un minimum d'efficacité est devenu quasiment inutile. L'URSS a du refouler ses rêves impérialistes, elle n'a pas besoin de plus d'armes, elle en a déjà trop alors qu'elle doit rapatrier des milliers de chars et de tonnes d'armements divers des bases qu'elle évacue en Europe de l'Est. Le coeur technologique de l'industrie tourne au ralenti, dans l'attente d'une reconversion hypothétique vers la production de biens d'équipement ou de consommation qui de toutes façon prendrait des années. En attendant, le capital russe ne sait que faire de ses principaux fleurons techno-industriels devenus inutiles.
Alors que les clients traditionnels de ses produits industriels, les pays d'Europe de l'Est, se tournent vers d'autres fournisseurs, l'industrie de l'URSS ne peut espérer trouver d'autres débouchés pour ses produits, car ceux-ci relèvent d'une technologie complètement périmée et dépassée, ils sont de mauvaise qualité et peu fiables. La encore, alors que la guerre commerciale fait race sur le marché mondial, il n'existe aucune possibilité d'amélioration dans la période qui vient.
Caractéristique de sa situation de pays sous-développé, l'URSS est avant tout exportatrice de matières premières et notamment de pétrole, et parallèlement importatrice de produits agricoles. Ainsi, en 1988, les produits du sous-sol représentaient les 3/4 des rentrées en devises fortes, tandis que la balance agricole était déficitaire de plus de 12 milliards de dollars.
L'industrie pétrolière doit cependant réduire sa production car, n'ayant pas été modernisée durant de nombreuses années, son matériel ne fonctionne plus, les machines tombent en panne, les pièces de rechange manquent cruellement. En conséquence, le volume des exportations pétrolières chute de 36 % au 1er trimestre par rapport à la même période de l'année précédente.
La situation de l'agriculture est dramatique. Le spectre de la famine, repoussé l'hiver dernier grâce à une récolte céréalière abondante, continue de rôder. La chute annoncée de la production de céréales de plus de 10 % pour la prochaine récolte vient le raviver, le manque d’équipement, silos, transports, machines fait que 30% des récoltes sont perdues. L'URSS va devoir se procurer sur le marché mondial ce qui lui manque, pour faire simplement face aux besoins immédiats pour nourrir sa population déjà sévèrement rationnée. Et pour cela s'endetter encore plus.
Naguère pays traditionnellement peu endetté et très solvable, l'URSS ploie aujourd'hui sous le fardeau d'une dette estimée à 60 milliards de dollars, et accumule depuis plusieurs mois les retards et les défauts de paiements, ce qui a conduit le Japon à refuser à 'URSS tout nouveau crédit. Gorbatchev en est maintenant à multiplier les appels au secours pour quémander des aides et de nouveaux prêts internationaux.
Mais ce tableau de l'effondrement économique ne serait pas complet s'il n'incluait les effets destructeurs sur l'économie de la dynamique de chaos dans laquelle l'URSS s'enfonce.
Dans plusieurs républiques la production est quasiment paralysée par les déchirements nationalistes. La situation dans le Caucase en est un exemple parlant. Le blocus ferroviaire et routier imposé à l'Arménie par l’Azerbaïdjan empêche non seulement l'approvisionnement des usines d'Arménie qui sont donc nombreuses à ne pas produire, mais de plus crée un gigantesque embouteillage qui entrave la circulation des marchandises dans tout le sud de l'URSS, obligeant ainsi des usines pourtant situées loin du Caucase à s'arrêter.
Le mécontentement des ouvriers qui voient leurs conditions de vie, pourtant déjà bien misérables, se dégrader constamment s'amplifie. Les arrêts de travail se multiplient, des grèves massives explosent. Ces derniers mois les mineurs ont ainsi bloqué la production de charbon pendant de longues semaines.
Face à cette situation cataclysmique la bourgeoisie est paralysée, affiche son impuissance. Une fraction importante de l’appareil du parti est profondément hostile aux réformes et les sabote sciemment, accélérant encore les dysfonctionnements de l'économie. Face à l'indécision et à l'impuissance dont fait montre le centre des hiérarques du Kremlin, la tendance naturelle à la passivité de l'appareil bureaucratique s'en trouve renforcée. Avec l'éclatement des centres de décisions, les responsables locaux préfèrent attendre prudemment, ne rien faire avant de savoir comment le vent va tourner.
Pendant ce temps l'économie se délabre toujours plus, dans l'attente des décisions qui ne viennent pas, la désorganisation la plus totale règne. Sur fond de misère grandissante, la corruption généralisée est la règle, le marché noir a imposé sa loi à l'ensemble de l'économie.
LA PARALYSIE DE LA CLASSE DOMINANTE
La forme même qu'a prise la contre-révolution a déterminé le mode d'organisation de la classe dominante en URSS. L'Etat issu de la révolution russe et le parti bolchevik qui s'y était identifié ont été dévorés de l'intérieur par la contre-révolution stalinienne. Alors que la vieille classe possédante avait été expropriée par la révolution prolétarienne, une nouvelle classe capitaliste s'est reconstituée dans le parti-Etat stalinien, contrôlant tous les moyens de production et l'ensemble de la vie sociale. La forme politique, le parti unique, correspond à la forme juridique, l'étatisation de la propriété des moyens de production.
Les membres de la Nomenklatura du Parti bénéficient de privilèges qui leur garantissent un niveau de vie sans comparaison avec celui du prolétariat qui croupit dans une misère généralisée. L'Etat assure un train de vie luxueux à ceux qui en contrôlent le fonctionnement : résidences dans des quartiers réservés, accès à des magasins abondamment pourvus en produits de consommation de toutes sortes, notamment occidentaux, voitures de fonction, au-delà du simple salaire les postes de responsabilités bureaucratiques sont une source de revenu occulte par la corruption et tous les trafics qu'ils permettent, etc. Plus encore que n'importe quelle analyse théorique, la réalité des faits prouve amplement qu'il existe bien une classe privilégiée en URSS, une bourgeoisie capitaliste qui au travers de l'Etat exploite le prolétariat de ce pays. Les formes sont différentes de celles des pays occidentaux, mais le résultat est le même.
Au cours des décennies écoulées, derrière la façade monolithique du Parti soi-disant communiste, des clans se sont érigés en féodalité, des maffias et des dynasties se sont créées. Les guerres de cliques ont laissé leur lot de cadavres au cours des purges successives. A tous les niveaux de l'Etat, l'incurie, l'incapacité règnent chez les responsables du Parti plus préoccupés des rivalités exacerbées pour le pouvoir dispensateur de richesses et de puissance, ainsi que de leur trafics en tout genre, que de la gestion de l'appareil de production.
A la mort de Brejnev, fin 1982, la guerre de succession fait rage, le parti unique est en crise, les tendances centrifuges se renforcent. Lorsque, après les courts intermèdes d'Andropov et de Tchernenko, l'accession de Gorbatchev à la tête du Bureau politique sanctionne la victoire de la tendance réformatrice, en 1985, l'effondrement économique de l'URSS est déjà patent, la décomposition du parti en cours, et la dynamique de chaos déjà bien entamée.
La Perestroïka se proposant de promouvoir des réformes économiques sans vouloir remettre en cause le parti unique, et son contrôle sur l'Etat, a accéléré le processus d'effondrement du régime stalinien. Gorbatchev, pour préserver l'unité du Parti doit pratiquer un subtil équilibre entre les tendances conservatrices et réformatrices qui le condamne aux demi-mesures, et donc à l'impuissance. De fait, depuis qu'il a accédé au pouvoir suprême en URSS, tout l'art de Gorbatchev a été de faire passer pour une politique, voulue et décidée, de réformes hardies ce qui n'était que la reconnaissance tardive de la réalité d'une situation qui tend à échapper de plus en plus au contrôle de l'Etat. Sans peur de se contredire Gorbatchev a avalisé ce qu'il refusait la veille. Alors que le but de la Perestroïka était par les réformes de sauver l'URSS et donc son bloc, il a du sanctionner, après avoir tenté de maintenir des fractions réformatrices inféodées à Moscou, l'abandon de tout contrôle de l'URSS sur les pays qui constituaient son glacis en Europe de l'Est. Après avoir annoncé son refus des mesures de répression, il a envoyé l'armée pour réprimer l'agitation nationaliste à Bakou et dans le Caucase, lancé ses séides contre le parlement Lituanien. Après s'être allié avec les réformateurs, il s'est appuyé sur les conservateurs, et vice-versa.
Les tentatives de crédibilisation démocratiques font un flop retentissant. Les élections mettent en évidence l'absolue impopularité des apparatchiks du parti. Les nationalistes et réformateurs radicaux monopolisent les votes. En l'absence de nourriture pour Remplir des frigos inexistants, aucune mascarade démocratique ne pourra jamais combler le divorce total entre l'Etat stalinien et les habitants de l'URSS. Les années d'horreurs durant lesquelles des millions de prolétaires et de paysans sont tombés sous la répression d'un Etat féroce et corrompu ne seront jamais oubliées. Dans ces conditions, malgré son adresse médiatique, Gorbatchev est bien incapable de contrôler un quelconque processus démocratique. Le dernier référendum sur 1’Union en est un bel exemple. Après des années de préparation, le résultat en est que, finalement, plus que les perspectives d'union, il consacre la désunion: les arméniens, géorgiens, baltes qui lui sont hostiles n'y ont pas participé ; plus que la popularité de Gorbatchev en chute libre, il consacre 1 influence grandissante de son rival réformateur Eltsine.
Le parti a implosé, ses contours sont devenus flous. Une myriade de nouvelles organisations politiques est apparue. Les nostalgiques du stalinisme, partisans de la manière forte pour rétablir l'ordre s acoquinent avec les anti-sémites ultra-nationalistes russes de Pamiat. Les réformateurs radicaux quittent le parti pour fonder des associations démocratiques. Dans les républiques périphériques des scissions ont marqué la naissance de nouveaux partis "communistes" sur une base nationaliste consacrant l'éclatement du PCUS. L'opportunisme fait rage, pour nombre d'anciens apparatchiks la démagogie populiste et la surenchère nationaliste sont la seule issue dans le climat général de sauve-qui-peut qui sévit dans le parti. Sous les drapeaux des diverses nationalités qui s'agitent en URSS se nouent de nouvelles alliances de circonstance entre de vieilles féodalités locales du PCUS, un milieu affairiste issu du marché noir florissant, des réformateurs qui mêlent des opportunistes de la pire espèce à des naïfs aux illusions démocratiques, des groupes nationalistes qui expriment le plus souvent le poids d'archaïsmes historiques.
Des régions de plus en plus larges de l'URSS échappent à l'autorité du pouvoir central. Dans les pays baltes, en Moldavie, en Arménie, les courants indépendantistes sont au pouvoir. Partout, les prérogatives du pouvoir central se sont restreintes, le nationalisme dominant encourage la désobéissance face aux ordres du Kremlin, l'appareil bureaucratique de l'Etat face à la paralysie du centre hésite entre l'immobilisme et le ralliement aux nouveaux pouvoirs locaux qui surgissent. Les centres de décision, de pouvoir se sont multipliés.
De haut en bas de l'appareil du parti et de l'Etat les lignes de fracture se sont élargies. Le récent accord entre Gorbatchev et Eltsine concernant la dévolution par le pouvoir central de la gestion de l'ensemble des mines par les républiques et la création d'un KGB sous le contrôle du gouvernement russe est l'expression de l'état d'impuissance du pouvoir central.
La longue grève des mineurs a démontré l'incapacité du Kremlin à imposer une remise en route de la production, à se faire écouter. N'ayant plus aucun contrôle sur des pans entiers de l'économie, l'Etat n'a d'autre solution que d'en laisser la gestion aux divers pouvoirs locaux. L'économie de l'URSS est en train de se disloquer entre différents pôles. Même le contrôle du commerce international est en train d'échapper au pouvoir central, d'ores et déjà les diverses républiques commercent directement avec les pays voisins et avec l'Occident, accélérant la dynamique centrifuge de l'économie soviétique.
Comme le parti, l'appareil policier qui lui est intimement lié se divise de plus en plus, se mettant au service des nouveaux centres de pouvoir nationalistes. De nouvelles forces de police, les milices nationalistes se substituent aux anciennes forces de l'ordre trop liées à Moscou.
Des frontières se sont érigées, au sein de l'URSS, défendues les armes à la main par les militants indépendantistes. La Lituanie a posté des gardes sur ses frontières et des affrontements sporadiques avec la police de Moscou ont occasionné plusieurs morts. Le conflit entre les milices arméniennes et azéris ne s'est pas calmé avec l'intervention de 1'"armée rouge" dans la région. Les pogroms, la guerre et la répression à Bakou et dans le Caucase ont fait des centaines de morts. L'"armée rouge" s'est enlisée sans parvenir à une solution du conflit. En Géorgie, les affrontements entre milices géorgiennes et ossètes ces derniers mois montrent l'émergence d'une nouvelle zone de tension. Partout en URSS, les conflits ethniques se multiplient.
Dans ce contexte d'éclatement, d'affaiblissement et de perte de contrôle du pouvoir central la seule structure qui ait un tant soit peu résisté à la décomposition générale et qui permet de maintenir encore une apparence de cohésion de l'URSS, c'est l'armée. Cependant, la même dynamique qui domine aujourd'hui l'URSS est à l'oeuvre là aussi. Les centaines de milliers de soldats rapatriés d'Europe de l'Est se retrouvent avec leur famille sans logement, sans occupation, dans des conditions de misère d'autant plus mal ressenties qu'ils viennent de quitter des pays au niveau de vie plus élevé que l'URSS, ce qui aggrave le malaise profond qui mine 1'"armée rouge" depuis le retrait d'Afghanistan. Des batailles rangées mettent aux prises des soldats de différentes nationalités dans les casernes. Les refus d'incorporation, les désertions, les refus d'obéissance se généralisent.
La bourgeoisie soviétique n'a plus aujourd'hui les moyens de la répression généralisée. Si son armée peut encore assumer le maintien de l'ordre dans certaines régions troublées, sa capacité d'action sur ce plan se trouve néanmoins grandement limitée. Les tergiversations de l'appareil répressif face aux tensions en Lituanie ou dans le Caucase, les déclarations contradictoires à ce propos traduisent bien la situation de désarroi et d'impuissance dans laquelle se trouve le gouvernement du Kremlin. Il n'y a guère que les plus imbéciles des nostalgiques de l'époque révolue du stalinisme pour croire encore que la répression à grande échelle serait possible sans précipiter l'URSS plus rapidement encore dans la guerre civile.
LE PROLETARIAT DANS LA TOURMENTE
Ni le mécontentement général, ni le discrédit total du régime, et encore moins la lutte de classe ne sont à l'origine de l'effondrement de l'Etat stalinien. Le mécontentement n'est pas nouveau, pas plus que le discrédit dont pâtit l'Etat. Quant à la lutte de classe, il suffît de constater, qu'avant la grève des mineurs de l'été 1989, il n'y avait pas eu de lutte significative en URSS.
C'est au nom de la défense du communisme, de l'internationalisme prolétarien, que des générations de prolétaires ont subi la bestialité du stalinisme, produit de l'écrasement de la Révolution russe. Le rejet du régime s'est accompagné, pour les ouvriers de l'URSS, d un rejet de la tradition révolutionnaire du prolétariat, de son expérience de classe, conduisant es descendants des prolétaires de la révolution à un déboussolement politique total, identifiant la pire des dictatures capitalistes au socialisme. En réaction au stalinisme les aspirations au changement des travailleurs soviétiques se sont orientées vers un folklore nationaliste issu d'un passé mythique ou vers les mirages merveilleux des "démocraties" affairistes occidentales.
Dans la mesure où il n'a pas provoqué l'effondrement du régime stalinien, le prolétariat subit d'autant plus fortement les conséquences dévastatrices de la dynamique d'éclatement et de décomposition. Plus qu’aux illusions démocratiques qui ne correspondent à aucune tradition historique en URSS, et sont plutôt réservées à la petite-bourgeoisie intellectuelle, le prolétariat est particulièrement réceptif à la démagogie nationaliste et populiste. Le poids du nationalisme sur le prolétariat est dû à la fois à l'arriération du capitalisme russe qui, étant donné sa faiblesse économique, n'a pu intégrer la population colonisée par l'empire tsariste, et au rejet viscéral du gouvernement central symbole des années de dictature et de terreur.
Avec la Perestroïka, au nom des réformes et du changement, les attaques contre les conditions de vie des ouvriers se sont intensifiées. Les augmentations de salaire ne suivent pas les hausses successives des produits de première nécessité. Pour l'année 91 on attend une inflation à trois chiffres. Début avril le pain a augmenté de 200 %, le sucre de 100 %. Et il en est ainsi de tous les produits de première nécessité. Sous prétexte de renouvellement des billets de banques, l'Etat pratique; un hold-up sur les économies des salariés et des retraités. Le rationnement s'est étendu à une gamme toujours plus large de produits. Dans ces conditions, le mécontentement s'est exacerbé. Depuis le début de l'année, de nombreuses grèves se sont déroulées en URSS, témoignant de la combativité des ouvriers. Selon le Bureau des statistiques, les grèves ont coûté 1,17 millions d'heures de travail durant le premier trimestre 1991. Cependant, ces grèves qui se développent, si elles montrent la combativité retrouvée des travailleurs, et leur volonté de résister aux attaques contre leurs conditions de vie, illustrent aussi leur faiblesse politique et leur déboussolement. Comme le montre la grève des mineurs du printemps dans toute l'URSS, ou la grève générale qui touche la Biélorussie à la même époque.
Alors que ces grèves démarrent sur le terrain économique, ce sont les représentants des tendances les plus nationalistes gui prennent le contrôle des comités de grève qui se forment. Alors que la grève des mineurs avait paralysé la production de centaines de puits et mobilisé des centaines de milliers de travailleurs dans toute l'URSS, alors que toutes les propositions du gouvernement central ont été rejetées durant des semaines, la négociation séparée des comités de grève locaux avec les représentants de chaque république, va conduire à la dislocation du mouvement. En Russie, la démagogie populiste et nationaliste d'un Eltsine qui promet aux mineurs qu'ils « auront le droit de choisir leur mode de gestion et leur régime de propriété, a plus d'effet que les propositions de doublement des salaires de Pavlov pour arrêter la grève. Sitôt effectuée la reprise du travail, Eltsine qui quelques semaines plus tôt appelait à la démission de Gorbatchev et se donnait ainsi un vernis radical à bon compte, noue une nouvelle alliance avec ce dernier, instaurant de concert un régime d'exception », c'est-à-dire l'interdiction des grèves dans les secteurs des transports, les secteurs industriels de base et les entreprises consacrées aux consommateurs soviétiques.
La faiblesse du prolétariat de l'URSS face aux mystifications démocratiques et nationalistes, fait que non seulement, il n'est pas capable de défendre une quelconque perspective face au chaos, mais ses luttes actuelles sont dévoyées de leur terrain de classe, vouées à la défaite. Eltsine a pu utiliser la grève des mineurs pour renforcer sa crédibilité politique et son pouvoir économique. Le récent abandon de souveraineté sur la production de charbon en annonce bien d'autres et exprime la dynamique d'éclatement du capital soviétique.
Le prolétariat, trop faible pour résister, est lui aussi marqué par la dynamique d'éclatement et de décomposition qui ravage l'URSS. Le poison nationaliste est une gangrène qui n'a pas pour effet simplement d'handicaper le prolétariat dans ses luttes, mais il est un facteur mortel de destruction de l'identité de classe, de division des travailleurs. La situation en Arménie, en Azerbaïdjan, en Géorgie, dans les pays baltes, où les ouvriers ne se manifestent pas sur leur terrain de classe, mais où ils sont atomisés, dilués dans le mécontentement général que cristallise le nationalisme, enrôlés dans les milices nationalistes, embrigadés dans de nouveaux conflits comme dans le Caucase. La situation de décomposition qui atteint le prolétariat dans les républiques périphériques est celle qui menace la classe ouvrière dans toute l'URSS.
LA PEUR DES GRANDES PUISSANCES FACE A L'ECLATEMENT DE L'URSS
Loin de se réjouir des déboires de leur ancien rival impérialiste qu'elles avaient craint durant, de longues décennies, les puissances occidentales sont gagnées par l'inquiétude devant les conséquences de l'effondrement du système stalinien.
La fin du bloc russe, a déterminé le délitement de son rival occidental qui perdait sa principale raison d'être, libérant mondialement la tendance naturelle du capitalisme au chacun pour soi. L'effondrement politique du stalinisme en URSS entraîne avec lui celui de ses alliés dans le monde. Dans tous les pays d'Europe de l'Est les divers partis communistes doivent abandonner le pouvoir, de nouveaux régimes instables et fragiles s'installent qui sanctionnent la perte de contrôle de l'URSS et leur nouvelle indépendance. A la périphérie les dictatures qui ne trouvaient leur légitimité que du soutien politique et militaire de 'URSS doivent céder de leur pouvoir. En Angola, les troupes de l’ex-bloc de l'Est se sont retirées, le MPLA doit passer sous les fourches caudines des diktats occidentaux. En Ethiopie, Mengistu privé des approvisionnements d'armes que lui livrait l'URSS n'a pu sauver sa peau que par une fuite précipitée à l'étranger. On se demande combien de temps Castro va pouvoir encore tenir à Cuba. L'exemple contagieux fragilise toutes les dictatures. L'effondrement politique de l'URSS est un facteur profondément déstabilisateur de la situation mondiale.
Le réveil des nationalités s'accompagne d'une exacerbation des tensions nationalistes, la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan préfigure l'état de désordre dans lequel se précipitent ces futurs Etats qui basent leur existence sur les aspects les plus archaïques et anachroniques des différentes cultures nationales.
Le gigantesque arsenal que s'est constitué l’"armée rouge" est menacé d'être dispersé suivant les multiples lignes de fracture de la dislocation de l'URSS. Demain, les armes nucléaires, les centrales atomiques, les milliers de chars, canons, fusils risquent de se trouver sous le contrôle des forces les plus anachroniques auxquelles peut donner naissance la putréfaction du régime stalinien, rendant à jamais caduque toute idée de contrôle de la dissémination des armes nucléaires par les grandes puissances et aggravant la menace d"'accidents" nucléaires majeure. Tchernobyl n'est pas un hasard, mais l'exacte concrétisation de la situation en URSS.
Face à une telle situation de déstabilisation, les autres grandes puissances du globe et en premier lieu les USA et les Etats européens n'ont aucun intérêt à ce que l'effondrement de l'URSS et sa désagrégation en de multiples Etats rivaux s'accélère. Tous leurs efforts vont se conjuguer pour soutenir les facteurs de cohésion politique de l'URSS, et promouvoir des réformes pour tenter de stabiliser la situation économique et sociale.
Dans ces conditions, l'Occident ne peut que soutenir Gorbatchev, dernier garant de l'unité de l'URSS et partisan proclamé des réformes. Depuis des années, c'est la politique qui est suivie strictement, mais ce faisant les bourgeoisies occidentales s'enferment dans la même contradiction que la Perestroïka. Les fractions les moins décomposées du Parti sur lesquelles s'appuie Gorbatchev regroupent les éléments les plus hostiles aux réformes ou timides vis-à-vis de celles-ci. Avec Pavlov comme premier ministre, c'est la vieille garde du parti qui est aux commandes. Les fractions es plus réformatrices ont rejoint les courants nationalistes, et leur victoire signifierait aujourd'hui une accélération de la dynamique d'éclatement. Au nom du maintien des frontières internationales et de la volonté de préserver l'existence de plus en plus théorique de 1’URSS, les "démocraties" occidentales soutiennent, en fermant opportunément les yeux, la répression qui vise à calmer la fièvre indépendantiste des Lituaniens, des Arméniens et des Géorgiens.
L'incapacité des divers gouvernements de la Perestroïka à réformer l'économie et à relancer la production se concrétise dans les appels désespérés à l'aide internationale, à de nouveaux crédits. Pavlov, le premier ministre qui il y a peu accusait l'Occident de distribuer des produits radioactifs lors des opérations d'aides alimentaires de l'hiver dernier, déclare aujourd'hui que «sans l'aide de l'Occident, nous n'y arriverons pas».
Cependant, les principaux pays occidentaux dont les économies sont secouées par le développement de la récession n'ont pas les moyens de venir en aide à l'économie soviétique défaillante. La pénurie générale de liquidités et d'autres priorités rendent impossible l'instauration d'un plan Marshall tant souhaité par les pays d'Europe de l'Est et l'URSS. On mesure simplement à la vue de la situation en Allemagne de l'Est, pourtant naguère le pays le plus développé de l'Est, comment dans le chaos de l'URSS, des centaines de milliards pourraient être injectés sans grand résultats productifs. Les prêts occidentaux servent surtout à parer au plus pressé et à soulager la tension sociale immédiate, sans autre résultat que de reporter les échéances à plus tard.
Mais si l'Occident est bien obligé de mesurer son aide économique à Gorbatchev, il ne va pas, en revanche, lésiner sur l'appui politique qu'il peut lui apporter. Reconnu comme seul interlocuteur valable, le chef de l'Etat soviétique va bénéficier d'une couverture médiatique mondiale de première classe. Lors de leurs voyages à l'étranger les représentants des diverses nationalités qui ressurgissent en URSS se voient sermonnés. On leur conseille la patience pour calmer leurs ardeurs indépendantistees, et on les renvoie au dialogue avec Moscou. Lors de son voyage européen, au printemps, alors qu'il vient de demander la démission de Gorbatchev, Eltsine essuie rebuffade sur rebuffade. Il n'est pas question pour les occidentaux de donner une plus grande crédibilité internationale au leader russe dont la victoire signifierait une accélération de l'éclatement de l'URSS. Apparemment, le message a été compris, puisque, des son retour, Eltsine fait un virage à 180° et s'allie à Gorbatchev. L'Occident utilise tous les moyens de pression dont il dispose sur les principaux acteurs du drame qui se joue en URSS pour tenter de calmer le jeu.
Cependant, avec leurs moyens les pays occidentaux n'ont pas plus la capacité d'empêcher un éclatement inéluctable, tout au plus peuvent-ils permettre de freiner, de retarder une telle perspective, gagner du temps afin d'essayer de contrôler les aspects les plus explosifs de la situation. L'impuissance de l'Occident rejoint en définitive celle de Gorbatchev, traduisant le fait que les mêmes contradictions fondamentales qui déterminent l'effondrement de l'URSS, sont aussi à l'oeuvre dans le reste du monde ([2] [181]). Le "tiers-monde" a précédé l'URSS dans cette plongée dans le chaos qu'elle connaît maintenant. La décomposition de 1 URSS n'est pas le simple produit des spécificités de l'URSS, elle est l'expression d'une dynamique mondiale dont la concrétisation a été rendue plus rapide et % Elus explosive par les spécificités historiques et la faiblesse du capital russe.
Dans l'incapacité de trouver un palliatif ou une issue à ses contradictions, le capital mondial depuis plus de 20 ans s'enfonce dans la crise économique. L'effondrement économique de l'URSS, après celui du tiers-monde, et son "africanisation" présente, montrent la progression de la gangrène de la décomposition qui aujourd'hui pèse de plus en plus fortement sur 1 ensemble de la planète ([3] [182]).
JJ
[1] [183] Voir Revue internationale, n° 60, 1er trimestre 1990 : "Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est" et "La faillite définitive du stalinisme , Revue internationale, n° 61, 2e trimestre 1990 : "Après l'effondrement du bloc de l'Est, déstabilisation et chaos".
[2] [184] Voir Revue Internationale, n°57, 2e trimestre 1989: "La décomposition du capitalisme", Revue Internationale, n°62, 3e trimestre 1990 : "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste".
[3] [185] Voir l’éditorial de ce numéro de la Revue Internationale.
La guerre du Golfe est venue rappeler avec force à la classe ouvrière que le capitalisme c'était aussi la guerre, ce summum de la barbarie, et cela ne peut que l'interpeller et la pousser à la réflexion. C'est pourquoi la bourgeoisie des "pays démocratiques", durant toute la guerre, a systématiquement caché l'ampleur des destructions et des massacres, et, qu'après la guerre, elle a monté une gigantesque campagne humanitaire et démocratique autour du massacre des Kurdes, dans le but de tenter de faire oublier aux ouvriers ses propres crimes et sa responsabilité dans ces massacres. La bourgeoisie des "grandes démocraties" a une longue expérience en ce domaine, tant en termes de tueries que de mensonges et de cynisme. Le prolétariat doit se rappeler les multiples crimes accomplis par la bourgeoisie "démocratique" ainsi que sa complicité directe ou indirecte dans les massacres et destructions commis tant par le stalinisme que par le fascisme.
Durant toute la durée de la guerre, pratiquement aucune image ne nous est parvenue des massacres et des destructions infligés à la population irakienne. Black-out total et médias aux ordres, telle a été la règle absolue. Encore aujourd'hui, aucun chiffre précis n'est fourni, mais il est certain que plus de 200.000 civils et près de 250 000 soldats irakiens ont été tués, sans parier des blessés et de tous ceux qui resteront infirmes à vie. Alors que l’on nous a vanté de façon obscène « la précision des bombardements chirurgicaux », un général américain, responsable de l’US Air Force a depuis admis que sur les 88 500 tonnes de bombes déversées sur l'Irak, moins de 7 % étaient à guidage laser, 70 % des bombes auraient raté leurs cibles et il avouait que les aviateurs avaient "arrosé" sans trop se soucier d'une précision millimétrique, selon la vieille et sinistre méthode du «tapis de bombes » ! On mesure l'ampleur des destructions des zones civiles opérées dans de telles conditions. Mais de tout ceci, rien ou presque n'a filtré. Par contre, on a étalé dans tous les médias, avec une complaisance morbide, le spectacle de milliers de Kurdes, femmes, enfants, vieillards crevant de faim et de froid, lapant comme des chiens l'eau croupie d'une flaque d'eau et se battant autour des camions pour un bout de pain ou une bouteille d'eau. Le cynisme et l'incroyable duplicité des bourgeoisies américaine, française et anglaise se sont révélés une fois de plus dans toute leur sinistre crapulerie. Car non seulement elles utilisent ces massacres pour tenter de faire oublier leurs propres crimes de guerre, mais elles sont directement responsables de cette tuerie aux allures de génocide qui fait que le total des victimes de la guerre approche désormais du million !
Elles ont en effet poussé sciemment à la révolte les Chiites et les Kurdes, encouragé la clique bourgeoise kurde à proclamer la rébellion, en lui laissant entendre qu'elles l'aideraient, tout en se gardant dans les faits d'apporter la moindre aide et en laissant soigneusement à Saddam Hussein les forces suffisantes pour assurer le succès de la répression. En dressant ce piège dans lequel sont mortes au moins 250 000 personnes, elles faisaient d'une pierre deux coups : tenter de faire oublier leurs propres massacres en braquant tous les projecteurs de leurs médias sur le nouveau crime de « Hitler du Moyen-Orient », et empêcher, par cette répression massive, la libanisation de l'Irak, voire de toute la région, en cas de succès de la rébellion kurde et chiite, sans avoir à se salir eux-mêmes les mains, puisque le « diabolique Saddam Hussein » se chargeait, une fois de plus, de jouer le rôle du boucher. C'est pourquoi, alors que la répression s'est déroulée sous les yeux de l'armée américaine, ce n'est qu'une fois celle-ci complètement achevée que les pleureuses de l'action humanitaire sont entrées en scène.
Le machiavélisme de la bourgeoisie, son art de la mise en scène, sa capacité à entraîner à la tuerie des centaines de milliers d'êtres humains, ne datent pas d'aujourd'hui. Les horreurs du Golfe ne sont de ce point de vue que la suite d'une longue série macabre, tout au long de la décadence du capitalisme, les "grandes démocraties" ont largement expérimenté ce type de scénarios et leur conclusion toujours sanglante, que ce soit à l'occasion de la situation toujours dangereuse qui prévaut dans le cas d'un pays vaincu à la fin d'une guerre, ou pour faire oublier ou tenter de justifier leurs propres crimes, en focalisant toute l'attention sur les crimes des "autres", en les "diabolisant".
La liste des crimes et boucheries perpétrés par ces parangons du droit et de la morale que sont les vieilles démocraties bourgeoises est si longue qu'un numéro entier de cette revue y suffirait à peine. Rappelons pour mémoire la première boucherie mondiale, où tous les protagonistes étaient des démocraties, y compris la Russie de 1917 du très "socialiste et démocratique" Kerenski, et le rôle qu'y a joué la social-démocratie comme grand pourvoyeur de chair à canon. Cette dernière, endossant résolument l'habit du boucher lors de la répression sanglante de la révolution en Allemagne en janvier 1919, où des milliers d'ouvriers périrent rien que dans la ville de Berlin. Souvenons-nous encore des corps expéditionnaires anglais, français et américains envoyés pour réduire à merci, par le sang, la révolution d'Octobre ; le génocide des Arméniens par l'État turc avec la complicité directe des gouvernements français et britannique ; le gazage des Kurdes par l'armée anglaise en 1925, etc. Au fur et à mesure que le système capitaliste s'enfonçait dans sa décadence, sa seule béquille, son seul moyen de survie fut de plus en plus la guerre et la terreur, et cela tant dans les États "démocratiques" que dans les États "totalitaires". Mais dans le cadre forcément limité d'un article, nous nous attacherons tout d'abord à dénoncer ce qui constitue sans nul doute, avec la monstrueuse identification entre communisme et stalinisme, le plus grand mensonge de ce siècle : la nature de la seconde guerre mondiale, soi-disant « guerre de la démocratie contre le fascisme, guerre du droit et de la morale contre la barbarie nazie », comme l'enseignent encore aujourd'hui tous les manuels scolaires. Guerre où la barbarie aurait été essentiellement d'un seul côté, celui des puissances de l'Axe et où, dans le camp de nos vertueuses démocraties, la guerre n'aurait été que défensive et essentiellement, pour reprendre les termes actuels de la propagande bourgeoise, « une guerre propre ». L'étude de la seconde guerre impérialiste mondiale permet non seulement de mesurer l’énormité de ce mensonge, mais encore de comprendre comment, pendant et après la guerre du Golfe, la bourgeoisie démocratique a largement puisé dans l'expérience qu'elle a acquise durant cette période historique cruciale.
Dès son arrivée au pouvoir en 1940, le chef d'État de la plus vieille démocratie du monde, l’Angleterre, en même temps que le véritable dirigeant politique de la guerre, côté Alliés, Sir Winston Churchill, met sur pied le "Bomber Command", noyau central des bombardiers lourds devant aller semer la terreur dans les villes allemandes. Pour justifier cette mise au point d'une véritable stratégie de la terreur, pour couvrir idéologiquement son lancement, Churchill utilisera les bombardements massifs allemands sur Londres et Coventry durant l'automne 1940 et celui sur Rotterdam, en exagérant délibérément la portée de ce dernier. Les médias anglo-américains parleront de 30 000 victimes alors qu'il n'y en eut en fait qu'un millier. La couverture idéologique ainsi assurée, Lindemann, conseiller de Churchill, peut en mars 1942 lui faire la suggestion suivante : « Une offensive de bombardements extensifs pourrait saper le moral de l’ennemi pourvu qu'elle soit dirigée contre les zones ouvrières des 58 villes allemandes, ayant chacune une population de 100.000 habitants... », et il concluait en disant « qu'entre mars 1942 et le milieu de 1943, il devait être possible de rendre sans abris un tiers de la population totale de l'Allemagne. » La bourgeoisie britannique adopte alors cette stratégie de terreur, mais dans toutes ses déclarations officielles, le gouvernement de sa gracieuse Majesté insistait sur le fait que le « Bomber Command ne bombardait qu'à des fins d'ordre militaire et ne visait que des objectifs militaires, toute allusion à des attaques contre des zones ouvrières ou civiles étant rejetée comme absurde et attentatoire à l'honneur des aviateurs qui sacrifiaient leur vie pour la patrie » !
Première et sinistre illustration de ce cynique mensonge, le bombardement de Hambourg en juillet 1943. L'utilisation massive des bombes incendiaires provoque la mort de 50.000 personnes, fait 40.000 blessés et ce, pour l'essentiel, dans des zones résidentielles et ouvrières. Le centre-ville fut entièrement détruit et, en deux nuits, le nombre total de victimes fut, à Hambourg, égal au nombre de tués sous les bombardements, côté anglais, durant toute la durée de la guerre ! À Kassel, en octobre 1943, près de 10.000 civils périrent dans une gigantesque tempête de feu. Face à certaines questions sur l'ampleur des dommages causés aux populations civiles, le gouvernement anglais répondait invariablement «qu’aucune instruction n'avait été donnée pour détruire des maisons d'habitation et que les cibles du Bomber Command étaient toujours des cibles militaires. » Début 1944, les raids de terreur sur Darmstadt, Königsberg, Heilbronn, firent plus de 24 000 victimes parmi les civils. À Braunschweig, perfectionnant leur technique au point qu'aucun mètre carré des zones d'habitations ne put échapper aux bombes incendiaires lâchées par les bombardiers, 23.000 personnes furent prises au piège du brasier gigantesque qu'était devenu le centre-ville et périrent carbonisées ou asphyxiées. Cependant le black-out était total, et un général américain (les forces US commençant à participer massivement à ces « bombardements extensifs ») déclare à cette époque : « A aucun prix nous ne devrions permettre aux historiens de cette guerre de nous accuser d'avoir dirigé des bombardements stratégiques sur l'homme de la rue. » Quinze jours avant cette déclaration, un raid US sur Berlin avait provoqué la mort de 25.000 civils, ce dont était parfaitement au courant ce général. Les mensonges et le cynisme qui ont prévalu pendant toute la guerre du Golfe sont une longue et solide tradition de nos "grandes démocraties".
Cette stratégie de la terreur inspirée et dirigée par Churchill visait trois objectifs : accélérer la chute et la défaite militaire de l'Allemagne en sapant le moral de la population, étouffer par le feu toute possibilité de révoltes, et plus encore, de surgissements prolétariens. Ce n'est pas un hasard si les bombardements de terreur se sont systématisés au moment même où des grèves ouvrières éclataient en Allemagne et où, depuis la fin 1943, les désertions au sein de l'armée allemande tendaient à s'amplifier. Churchill, qui avait fait ses premières armes de boucher contre la révolution russe, était particulièrement attentif à ce danger. Enfin, en 1945, avant notamment la conférence de Yalta de février, il s'agissait de se placer, grâce à ces bombardements, en position de force lace à une avancée de l'armée russe jugée trop rapide par Churchill.
Le déchaînement de barbarie et de mort entraîné par ces raids aériens, dont les principales victimes étaient des ouvriers et des réfugies, trouva son paroxysme à Dresde en février 1945. À Dresde, il n'y avait aucune industrie importante, ni installation militaire ou stratégique, et c'est cette absence qui fit de Dresde une ville refuge pour des centaines de milliers de réfugiés fuyant les bombardements et l'avancée de "l'armée rouge", aveuglés qu'ils étaient par la propagande "démocratique" des Alliés, persuadés que Dresde ne serait jamais bombardée. Les autorités allemandes se laissèrent elles aussi aveugler par cette propagande, puisqu'elles installèrent un grand nombre d’hôpitaux civils dans cette ville. Cette situation était parfaitement connue par le gouvernement britannique, à tel point que certains chefs militaires du Bomber Command, émirent de sérieuses réserves quant à la validité militaire d'un tel objectif. On leur répondit sèchement que Dresde était un objectif prioritaire pour le premier Ministre et tout fut dit.
En bombardant Dresde les 13 et 14 février 1945, la bourgeoisie anglaise et américaine savait parfaitement qu'il s'y trouvait alors près d'un million et demi de personnes, dont un grand nombre de femmes et d'enfants réfugiés, de blessés et aussi de prisonniers de guerre. 650.000 bombes incendiaires tombèrent sur la ville produisant la plus gigantesque tempête de feu de toute la seconde guerre mondiale. Dresde brûla pendant huit jours, on voyait l'incendie à plus de 250 kilomètres. Certains quartiers de la ville étaient si brûlants qu'il fallut attendre plusieurs semaines avant de pénétrer dans certaines caves. Sur 35.000 immeubles d'habitation, seuls 7000 restèrent debout, tout le centre-ville avait disparu et la plupart des hôpitaux furent détruits. Le 14 février, 400 forteresses volantes américaines, prenant le relais des bombardiers anglais, déversèrent encore 771 tonnes de bombes incendiaires. Le bilan de ce qui fut sans conteste l'un des plus grands crimes de guerre de la seconde boucherie mondiale fut de 250 000 morts, dont presque tous étaient des civils. À titre de comparaison, cet autre crime odieux que fut Hiroshima fit 75.000 victimes et les terribles bombardements américains sur Tokyo en mars 1945 provoquèrent 85.000 morts !
Ordonnant le bombardement de Chemnitz les jours suivants, le commandement ne s'embarrasse plus d'aucune précaution oratoire. Il déclare aux aviateurs : « Vos raisons d'aller là-bas cette nuit sont d'achever tous les réfugiés qui peuvent avoir échappé de Dresde. » Langage de bouchers s'il en fût, on peut mesurer à travers tout ceci qu'en termes de barbarie, la coalition anti-fasciste n’avait rien à envier aux nazis. Le 1er novembre 1945, en 18 mois de bombardements, 45 des 60 principales villes allemandes avaient été quasiment complètement détruites. Au moins 635.000 civils périrent au cours de ces raids de terreur.
De même, en termes de cynisme et de mensonge éhonté, elle n'a pas non plus grand chose à envier à un Goebbels ou à un Staline. Face aux questions suscitées par ces terrifiants massacres, la bourgeoisie anglo-américaine répondit, contre toute évidence, que Dresde était un centre industriel et plus encore militaire très important. Churchill, quant à lui, ajouta d'abord que c'était les Russes qui avaient demandé qu'on effectue un tel bombardement, ce que tous les historiens s'accordent aujourd'hui à considérer comme faux, puis il tenta de rejeter la responsabilité sur les militaires, d'en faire une sorte de bavure ! Les "travaillistes", ces chiens sanglants, ces tartuffes immondes de la démocratie bourgeoise, enfourchèrent le même cheval de bataille pour tenter de se laver les mains d'une telle horreur. Le travailliste C. Attlee qui avait succédé à Churchill, s'attira cette réponse du chef militaire du Bomber Command : « La stratégie de la force de bombardement critiquée par Lord Attlee fut décidée par le gouvernement de Sa Majesté dont lui (Lord Attlee) a été un des chefs pendant presque toute la guerre. La décision de bombarder les villes industrielles fut prise, et prise avec une grande netteté, avant que je ne devienne commandant en chef du Bomber Command ». La stratégie de la terreur fut une décision politique prise par l'ensemble de la bourgeoisie anglaise à laquelle s'est pleinement rallié cet autre "grand démocrate" qu'a été Roosevelt, qui, quant à lui, décida la fabrication de la bombe atomique. La barbarie démocratique a été pleinement à la hauteur de la barbarie fasciste et stalinienne. Les petits-fils de Churchill et Roosevelt que sont les Bush, Mitterrand et Major ont bien appliqué leurs leçons pendant la guerre du Golfe, que ce soit en termes de massacre, de lock-out, de mensonges ou de cynisme le plus total[1].
Autre exemple de cette longue tradition démocratique consistant à masquer et justifier ses propres crimes et abominations en braquant tous les projecteurs sur d'autres crimes, d'autres horreurs : l'utilisation qui a été faite des camps de concentration pour justifier la barbarie de la boucherie impérialiste côté Alliés. Loin de nous l'idée de nier la sordide et sinistre réalité de ces camps de la mort[2], mais la publicité obscène qui en a été faite depuis n'a rien à voir avec des considérations humanistes et encore moins avec l'horreur légitime provoquée par une telle barbarie. La bourgeoisie, tant anglaise qu'américaine, savait parfaitement ce qui se passait dans ces camps. Et pourtant, chose étrange en apparence, elle n'en parle pratiquement pas pendant toute la guerre et n'en fait pas un thème central de sa propagande. Ce n'est qu'après la guerre qu'elle en fit l’axiome principal de sa justification de la seconde boucherie impérialiste mondiale et plus largement de la défense de la sacro-sainte démocratie. En fait, les gouvernements de Churchill et Roosevelt craignaient comme la peste que les nazis n'expulsent massivement les Juifs et ne vident les camps. Dès la rencontre anglo-américaine des Bermudes en 1943, le ministre anglais des affaires étrangères A. Eden faisait part d'une telle inquiétude et la décision fut prise « qu’aucun navire des Nations Unies ne peut être habilité à effectuer le transfert des réfugiés d'Europe. » En termes clairs, ils peuvent crever en toute tranquillité dans les camps ou ailleurs ! Lorsque la Roumanie, alliée de l'Allemagne, veut libérer 60.000 Juifs, lorsque la Bulgarie veut faire de même, elles se heurtent à un refus catégorique de la part de ce « grand combattant de la liberté » qu'était Roosevelt, pour qui « transporter tant de monde désorganiserait l'effort de guerre ». La mésaventure survenue à Joël Brandt en avril 1944, dirigeant d'une organisation de Juifs hongrois, confirme de manière particulièrement éclatante que les "grandes démocraties" anglaise et américaine n'avaient strictement rien à faire des souffrances des Juifs entassés dans les camps en Allemagne. Lorsque la bourgeoisie invoque à tout bout de champ les Droits de l'Homme, ce n'est que pour les besoins de sa propagande et pour perpétuer tranquillement ses crimes derrière cette feuille de vigne. Eichmann, chef SS de la section juive, confie à J. Brandt, avec l'accord de Himmler lui-même, que le gouvernement nazi veut libérer un million de Juifs en échange de 10.000 camions, voire même de moins. Muni de cette proposition, Brandt va voir les anglo-américains persuadés que ceux-ci vont accepter. Comme le souligne la brochure du PCI (Programme Communiste) "Auschwitz ou le grand alibi" : «Non seulement les Juifs mais aussi les SS s'étaient laissés prendre à la propagande humanitaire des Alliés ! Les Alliés n'en voulaient pas de ce million de Juifs ! Pas pour 10.000 camions, pas pour 5000, même pour rien ! » Brandt se heurta à un refus complet et catégorique tant de la part du gouvernement de Churchill que de Roosevelt, et ce alors même que les nazis avaient proposé de libérer 100.000 Juifs sans contrepartie pour preuve de leur bonne foi, et ce million de juifs resta à crever dans les camps
S'il est vrai que la plupart des camps furent, avant de se transformer en camps de la mort, d'abord des camps de travail ; s'il est encore plus vrai que toute la publicité morbide faite autour des camps et des chambres à gaz, de 1945 à aujourd'hui, vise avant tout à blanchir et à faire oublier tous les crimes commis par le "camp démocratique", il ne s'agit en aucune façon d'une inexistence des génocides monstrueux, malheureusement bien réels, perpétrés ans ces camps, comme le prétendent ces nazillons de la pensée que sont les "révisionnistes" de l'histoire des camps de concentration. Cette tendance soi-disant radicale ne vise en fait qu'à participer à l'entreprise générale de la bourgeoisie de banalisation de l’horreur, de la barbarie du capitalisme en décadence, sous toutes ses formes, et dont les crimes et les massacres accomplis par les nazis furent l'un des sommets.
À la fin de la guerre, les USA gardent l'essentiel des prisonniers juifs dans les mêmes camps que les Allemands, dans des conditions effroyables. Le général américain Patton déclara même à cette époque : « Les Juifs sont inférieurs aux animaux. » Là encore, où est la différence entre la crapule nazie et la crapule galonnée démocratique ? La bourgeoisie du camp anti-fasciste s'est souciée comme d’une guigne pendant toute la guerre du sort des Juifs comme du sort de la population en général. Elle n'a ensuite utilisé le génocide juif que pour masquer et dissimuler ses propres crimes de guerre, pour masquer que c'est le capitalisme comme un tout qui est responsable de la boucherie de 1939-45 et de son cortège d'horreurs indicibles[3].
La répression massive des populations kurde et chiite en Irak et la complicité totale dans ces massacres des «patries des Droits de l'Homme », peut se comparer jusqu'à un certain point avec l'attitude des Alliés durant la seconde guerre mondiale. Il ne s'agit pas ici de comparer des mouvements foncièrement bourgeois, dans lesquels les ouvriers ne jouent aucun rôle, si ce n'est celui de chair à canon, tel le mouvement nationaliste kurde, avec ce qui s'est passé en Italie où, en 1943, les ouvriers tendaient, du moins au début, à se tenir sur un terrain de classe. Mais une fois cette distinction fondamentale opérée, il s'agit de voir ce qu'il y a de commun dans 1’attitude de la bourgeoisie démocratique entre hier et aujourd'hui.
En Italie fin 1942 et surtout en 1943, des grèves éclatent un peu partout dans les principaux centres industriels du Nord. Partout on revendique pour un meilleur ravitaillement, de meilleurs salaires, et certains ouvriers appellent même à la constitution de conseils d'usine et de soviets, et ceci contre les staliniens du PCI de Togliatti. Le mouvement est d'autant plus dangereux pour la bourgeoisie que les ouvriers italiens immigrés en Allemagne se mettent eux aussi en grève et rencontrent souvent l'appui de leurs frères de classe allemands. C'est notamment face aux grèves ouvrières que fut prise la décision de renverser Mussolini et de le faire remplacer par Badoglio. Les Alliés, qui avaient appelé le peuple italien à se révolter contre le fascisme, débarquent alors en Sicile et à l'automne 43 occupent totalement et solidement tout le Sud de l'Italie. Mais, inquiets de cette situation potentiellement révolutionnaire, ils stoppent vite, sur la demande de Churchill, leur avance et restent cantonnés dans le Sud. Churchill, fort de son expérience de la vague révolutionnaire qui mit fin à la première guerre mondiale, craint comme la peste le renouvellement d'un semblable scénario. Il convainc alors les USA de «laisser l'Italie mijoter dans son jus», et ralentit alors sciemment la progression de l'armée alliée vers le Nord. Son but : laisser à l'armée allemande le soin de mater et briser la classe ouvrière, en occupant militairement tout le Nord de l'Italie et toutes ses grandes concentrations ouvrières. Il laisse ainsi délibérément l'armée allemande fortifier ses positions et l'armée alliée mettra dix-huit mois à conquérir l'ensemble de la péninsule, dix-huit mois pendant lesquels les ouvriers seront brisés par la soldatesque allemande avec la complicité objective des staliniens qui appellent à l'Union Sacrée derrière Badoglio. La sale besogne accomplie par les Allemands, les armées alliées pourront alors se poser en« libérateurs de l'Italie » et imposer tranquillement leurs vues en imposant la "Démocratie-Chrétienne" au pouvoir.
En Grèce, pays laissé à l'Angleterre dans le grand partage entre requins impérialistes, Churchill va aussi exercer ses talents de « champion de la liberté et de la démocratie». Des grèves et manifestations ouvrières éclatèrent fin 1944, grèves rapidement encadrées et dévoyées par les staliniens qui dominaient, via l'ELAS, toute la résistance grecque. L'ELAS va entraîner la population athénienne à affronter pratiquement à mains nues les tanks britanniques occupant alors la ville. Les tanks démocratiques de Sa Très Gracieuse Majesté rétablirent l'ordre dans le sang, au point qu'Athènes qui, jusqu'alors, vu sa qualité de ville historique, n'avait jamais été bombardée, fut bientôt une ville à moitié en ruine. Churchill dira au général anglais commandant les troupes : « Vous êtes responsable du maintien de l'ordre à Athènes, et devez détruire ou neutraliser toutes les bandes ELAS qui approcheront de la ville... L'ELAS essaiera bien entendu de pousser des femmes et des enfants en avant partout où la fusillade pourra être ouverte. N'hésitez pas cependant à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où se serait déclenchée une révolte locale. » (A. Stinas, Mémoires d'un révolutionnaire). Résultat : pris entre l'enclume stalinienne et le marteau démocratique, des milliers d'ouvriers périront.
Ce qui se passe à Varsovie peut encore plus directement être rapproché de la stratégie cynique employée par la bourgeoisie occidentale à la fin de la guerre du Golfe. L'"armée rouge" est aux portes de Varsovie, à 15 kilomètres de la ville le 30 juillet 44 ; éclate alors le soulèvement de la population de Varsovie contre l'occupation allemande. Depuis des mois, les Alliés et l'URSS n'avaient cessé d'exhorter cette population au soulèvement, promettant dans ce cas toute leur aide, et, à la veille du soulèvement, Radio Moscou appelait Varsovie à l'insurrection armée, en assurant du soutien de l’"armée rouge". Toute la population se révolte alors et, dans un premier temps, cette insurrection populaire, dans laquelle les ouvriers jouent un grand rôle, bien que le poids de l'encadrement nationaliste soit très fort, réussit à libérer une bonne partie de la ville de l'occupation militaire allemande. La population se lance d'autant plus massivement dans cette aventure qu'elle est convaincue de recevoir rapidement de l’aide : «L'aide alliée à notre soulèvement paraissait aller de soi. Nous combattions l'hitlérisme, par conséquent nous avions le droit de supposer que toutes les nations unies dans cette lutte nous fourniraient un secours efficace... Nous espérions que les secours viendraient immédiatement. » (Z. Zaremba, La Commune de Varsovie). Staline avait initialement prévu de rentrer dans Varsovie au tout début d'août : l'armée allemande était en déroute, et aucun obstacle militaire sérieux ne s'opposait plus à cette entrée. Mais devant l'insurrection et son ampleur, il chance de plan et retarde délibérément l'avancée de l’armée russe qui va rester cantonnée aux portes de Varsovie pendant deux mois. Elle ne reprendra son avancée qu'une fois l'insurrection écrasée dans le sang par l’armée allemande, au bout de soixante-trois jours. Il déclare froidement que « cette insurrection était réactionnaire et qu'il se dissociait d'une aventure imprudente et terrible dont les instigateurs étaient des criminels. » (Z. Zaremba). Pendant tout ce temps, dans la ville, les troupes allemandes regagnent position après position, il n'y a plus d'eau ni d'électricité, et les munitions, côté insurgés, se font de plus en plus rares. Les insurgés attendent toujours une aide de l'armée russe. Non seulement celle-ci ne vient pas, mais encore Staline les dénonce comme des «séditieux fascistes». La population attendait aussi de l'aide côté anglo-américain. Cette aide, au-delà de bonnes paroles affirmant «l'enthousiasme et la solidarité envers l'insurrection » des gouvernements britannique et américain, ne prendra que la forme dérisoire de quelques maigres parachutages d'armes, totalement insuffisants pour permettre de s'opposer à l'avancée des troupes allemandes et ne servant, de fait, qu'à accroître encore le nombre des tués et des blessés et à prolonger les souffrances vaines de la population de la capitale polonaise. En fait, Staline, devant l'ampleur de l'insurrection, décide, comme Churchill en Italie, « de laisser Varsovie mijoter dans son jus », dans le but évident d'avaler la Pologne sans rencontrer d'obstacle sérieux du côté de la population polonaise. En cas de succès de l'insurrection de Varsovie, le nationalisme se serait trouvé considérablement renforcé et aurait pu dès lors mettre de sérieux bâtons dans les roues des visées de l'impérialisme russe. Il inaugurait en même temps le rôle de gendarme anti-prolétarien, face à une menace ouvrière potentielle à Varsovie, qui lui fut dévolu et qu'il remplit avec zèle à la fin de la seconde guerre mondiale pour tout l'est de l'Europe, Allemagne comprise. En laissant l'armée allemande écraser l'insurrection, il ne trouverait devant lui, ce qui fut le cas, qu'une population décimée et exsangue, donc peu capable de résister efficacement à l'occupation russe et ce sans avoir, de plus, à se salir lui-même les mains puisque les « hordes barbares nazies » faisaient le sale boulot à sa place.
Du côté anglo-américain, où l'on savait parfaitement ce qui se passait, on laisse faire, car Roosevelt avait tacitement laissé la Pologne à l'impérialisme russe. La population de Varsovie fut ainsi froidement sacrifiée sur l'autel des grands marchandages entre requins impérialistes. Le bilan de ce piège mortel lancé aux habitants de Varsovie par Staline et ses complices démocrates fut particulièrement lourd : 50 000 tués, 350 000 déportés en Allemagne, un million de personnes condamnées à l'exode et une ville complètement en ruine[4].
Vis-à-vis des événements de Varsovie, le cynisme de la bourgeoisie apparaît encore plus monstrueux si l'on se souvient que ce fut l'invasion de la Pologne qui décida l'Angleterre et la France à entrer en guerre pour sauver « la liberté et la démocratie en Pologne » lorsqu'on compare la situation d'août 1944 à Varsovie avec la situation de l'après-guerre du Golfe cette année, et si on remplace les polonais par les kurdes, Hitler par S. Hussein et Staline par Bush, on retrouve le même cynisme impitoyable et les mêmes pièges sanglants où la bourgeoisie, pour ses sordides intérêts impérialistes, tout en ayant partout à la bouche les mots de liberté, démocratie et Droits de l'Homme, condamne froidement au massacre des dizaines, des centaines de milliers d'êtres humains.
La seconde boucherie mondiale constitua pour la bourgeoisie une formidable expérience, pour tuer et massacrer des millions de civils sans défense, mais aussi pour dissimuler, masquer, justifier ses propres crimes de guerre monstrueux, en "diabolisant" ceux de la coalition impérialiste antagoniste. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les "grandes démocraties", maigre tous leurs efforts pour se donner un air respectable, apparaissent plus que jamais maculées des pieds à la tête par le sang de leurs innombrables victimes.
« Le capitalisme est né dans le sang et dans la boue », comme le disait Marx, et les crimes et génocides qu'il a accomplis tout au long de la colonisation illustrent de façon saisissante ce monstrueux accouchement. « Transformation de l'Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires », « os des tisserands indiens blanchissant les plaines de l'Inde » (Marx), résultat de la colonisation britannique du continent indien, etc. La liste exhaustive de tous ces génocides serait, elle aussi, beaucoup trop longue pour le cadre de cet article. Par ailleurs, avec les terribles souffrances qu'il infligeait à l'humanité, le système capitaliste était pendant toute sa phase ascendante encore progressiste, car, en permettant le développement des forces productives, il développait en même temps, et la classe révolutionnaire, le prolétariat, et les conditions matérielles nécessaires à l'avènement du communisme. Plus rien de tel à « l'ère des guerres et des révolutions » marquant l'entrée en décadence d'un système devenu purement réactionnaire. Désormais, les massacres coloniaux n'étaient plus que le terrible prix du sang dû à la survie d'un moloch menaçant maintenant jusqu'à la survie de l'espèce humaine. Dans ce cadre, les multiples crimes et massacres coloniaux commis par les «patries des Droits de l'Homme » que sont les vieilles démocraties bourgeoises n'apparaissent plus que pour ce qu'ils sont : de purs actes de barbarie[5].
Au sortir de la seconde boucherie mondiale, les vainqueurs et notamment ces trois vieilles démocraties que sont les USA, la Grande-Bretagne et la France, promettaient au monde entier l'avènement partout de la liberté et de la démocratie, car «n'était-ce pas pour elles qu'elles avaient consenti tant de sacrifices?» Voyons, puisque l'on a beaucoup parlé auparavant du rôle joué par les Anglais et les Américains, comment s'est comportée le troisième larron de cet inestimable trio du florilège démocratique, « la patrie par excellence des Droits de l'Homme » : la France.
En 1945, le jour même de la capitulation de l'Allemagne, le gouvernement très démocratique de De Gaulle, comprenant alors des ministres "communistes", ordonne à l'aviation française, dont le ministre était le stalinien Tillon, de bombarder Sétif et Constantine, où des mouvements nationalistes osaient remettre en cause la domination coloniale de la gracieuse démocratie française. Les victimes et blessés se comptèrent par milliers et certains quartiers populaires furent réduits en cendres. En 1947, le ministre de la France d'Outre-Mer, le très "démocrate et socialiste" Marius Moutet, organise la terrible répression du mouvement indépendantiste malgache, en utilisant là encore l'aviation, relayée ensuite par les tanks et l'artillerie. De nombreux villages seront rasés, l'on expérimente là, pour la première fois, la sinistre tactique de jeter des prisonniers du haut des avions pour qu'ils s'écrasent sur des villages : il y aura au total 80.000 morts !
À peu près à la même époque, le même M. Moutet ordonne le bombardement de Haïphong en Indochine, sans déclaration de guerre préalable. Durant la guerre d'Indochine, l'armée française se fait les dents, en systématisant la torture : gégène, baignoire, tout l'arsenal y est. Elle établira une règle des plus démocratiques en ordonnant que pour un soldat français tué, huit villages soient brûlés ! Un témoin raconte qu'en Indochine a l'armée française se comportait comme les boches le faisaient chez nous », et il ajoute que «comme à Buchenwald où l'on trouva une tête humaine coupée dans le bureau du commandant du camp, l'on trouvait le même semblable objet, servant de presse-papier, dans nombre de bureaux d'officiers français. » Décidément, encore une fois, la soldatesque galonnée démocratique n'a rien à envier à la soldatesque galonnée nazie ou stalinienne ! Et les "Viets" et leurs atrocités, dont la presse de l'époque faisait sa "Une" (rappelons au passage qu'en 1945 Ho Chi Minh aide les « impérialistes étrangers » à écraser la commune ouvrière de Saigon, voir notre brochure Nation ou Classe), ou plus tard le FLN en Algérie, étaient à bonne école et appliquaient les leçons fournies par la très démocratique armée française.
Lors du début de l'insurrection et rébellion nationaliste algérienne, les "socialistes" étaient au pouvoir en France et le gouvernement comprenait alors Guy Mollet, Mendes-France et le jeune F. Mitterrand, alors ministre de l'intérieur. Le sang de tous ces "authentiques démocrates" ne fît qu'un tour et les pleins pouvoirs furent confiés à l'armée en 1957 pour rétablir "l'ordre républicain". Très vite les grands moyens furent employés, en représailles d'un attentat contre des colons ou l'armée, on rasa des villages et des douars entiers, l'aviation mitrailla systématiquement des caravanes. Deux millions d'Algériens, soit près du quart de la population totale, furent chassés de leur village et zones de résidence, pour être parqués à la totale merci de l'armée dans des "camps de regroupements" où, selon un rapport de M. Rocard, alors inspecteur des finances: «Les conditions sont déplorables et au moins un enfant meurt par jour. » Très vite le général Massu et son complice Bigeard, devenu ensuite ministre de Giscard, se découvrent des talents de tortionnaires. La torture devient partout systématique et à Alger un mot devient vite célèbre, celui de "disparu". Une bonne partie de ceux qui sont livrés à la soldatesque ne réapparaîtra plus jamais. Comme le souligne une note de l'inspecteur général Guilhaume adressée à Mitterrand courant 1957 : « Les coups, la baignoire, le tuyau d'eau, l'électricité sont partout employés. » «A Boulemane, comme dans beaucoup de petites villes des Aurès, la salle de torture fonctionnait jour et nuit... et il n'était pas rare qu'au mess des officiers on boive le Champagne dans des crânes de fellagas (combattants du FLN). » En 1957 le secrétaire général de la préfecture d'Alger, P. Teitgen, dit à propos des tortures à l'avocat P. Vergés :«(...) Tout cela Je le sais hélas et vous comprendrez bien que l'ancien déporté que je suis ne peut le supporter (et il va d'ailleurs démissionner). On se conduit parfois comme les Allemands se conduisaient», et il ajoute qu'il connaît toutes les villas d'Alger où l'on torture...
Cette déclaration d'un haut fonctionnaire est particulièrement intéressante car elle met en lumière, une fois de plus, l'incroyable duplicité de ceux qui nous gouvernent, et particulièrement des sociaux-démocrates. Ainsi G. Mollet déclare le 14 avril 1957 à la fédération socialiste de la Marne : « Sans doute des actes de violence extrêmement rares ont été à déplorer. Mais ils ont été, je l'affirme, consécutifs aux combats et atrocités des terroristes. Quant aux actes de torture prémédités et réfléchis, je dis que si cela était ce serait intolérable. On a comparé à ce sujet le comportement de l'armée française à celui de la Gestapo. Cette comparaison est scandaleuse. Hitler donnait des directives qui préconisaient ces méthodes, tandis que Lacoste et moi avons toujours donné des ordres dans un sens absolument contraire. » Ceux-ci prétendent tout ignorer, alors qu'ils sont parfaitement au courant de la situation, et que ce sont eux qui donnent les ordres. Comme dans toute bande de gangsters, il y a toujours ceux qui commanditent le crime, et ceux qui l'exécutent. On focalise toujours l'attention sur les "flingueurs", qui sont dans ce cas Massu et Bigeard, pour blanchir les véritables responsables, en 'occurrence la canaille social-démocrate qui est au pouvoir. La bourgeoisie française, "socialistes" en tête, a par la suite toujours présenté les massacres et atrocités commises en Algérie (par exemple, de 1957 à l'arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, 15.000 enfants algériens disparaissaient chaque mois) comme étant l'œuvre de militaires sanguinaires, outrepassant les ordres, mais celui qui a donné ces ordres est sans conteste le gouvernement "socialiste". Encore une fois, qui est le plus criminel : celui qui exécute le crime ou celui qui l’ordonne ?[6]
La bourgeoisie, dans sa version démocratique, s'est toujours acharnée à présenter ses crimes, dès que ceux-ci sont trop évidents pour qu'on ne puisse plus les cacher, comme une bavure, un accident, ou comme l'œuvre de militaires outrepassant la mission qui leur était dévolue. On l'a vu en r rance à propos de l’Algérie, on l'a vu aux USA à propos du Viêt-Nam. Tout ceci n'est que sinistre tartufferie dont le seul but est de préserver le grand mensonge démocratique.
Pour perpétuer sa domination sur la classe ouvrière, il est vital pour la bourgeoisie de maintenir en vie la mystification démocratique, et elle s'est servie et continue de se servir de la faillite définitive du stalinisme pour renforcer cette fiction. Contre ce mensonge d'une prétendue différence de nature entre "démocratie et totalitarisme", toute l'histoire de la décadence du capitalisme nous montre que la démocratie s'est tout autant largement vautrée dans le sang que le totalitarisme, et que ses victimes se comptent par millions. Le prolétariat doit aussi se rappeler que jamais la bourgeoisie "démocratique" n'a hésité, pour défendre ses intérêts de classe ou ses sordides intérêts impérialistes, à soutenir et encenser les plus féroces dictateurs. Souvenons-nous du temps où les Bleu, les Churchill, etc., appelaient Staline «Monsieur Staline » et où celui-ci était nommé « l'homme de la Libération » ! Plus près de nous, rappelons-nous du soutien apporté à S. Hussein ou encore à Ceausescu, félicité par De Gaulle et décoré par Giscard.
La classe ouvrière doit faire sien le fait que la démocratie, hier, aujourd'hui, et plus encore demain, n'a jamais été et ne sera jamais autre chose que le masque hypocrite avec lequel la bourgeoisie recouvre le visage hideux de sa dictature de classe, pour mieux l'enchaîner et la réduire à merci.
R.N.
[1] Les citations de cette partie sont tirées de La destruction de Dresde de David Irvine, Éditions Art et Histoire d'Europe et de La seconde guerre mondiale de Henri Michel, Éditions PUF.
[2] Depuis quelques années, il y a en France toute une campagne montée par des résidus de 1'"ultra-gauche" autour des "révélations" du Sieur Faurisson à propos de la soi-disant non-existence des camps de la mort nazis, campagne récupérée pour une large part par l'extrême-droite. Notre point de vue n'a rien à voir, ni de près, ni de loin avec cette mouvance pour le moins fort suspecte.
[3] Sur ces questions, voir également le livre "A bas la guerre", Pierre Hempel, 1990.
[4] La Commune de Varsovie trahie par Staline, massacrée par Hitler, Zygmunt Zaremba, Editions Spartacus.
[5] A propos de la différence entre la démocratie bourgeoise dans 1’ascendance et dans la décadence du capitalisme on consultera utilement la Plate-forme du CCI et la brochure La décadence du capitalisme
[6] Les crimes de l’armée française, Pierre Vidal-Naquet, Editions Maspéro. Alors que la bourgeoisie française essaye de présenter l'Algérie comme son dernier € péché colonialiste» (sous-entendu, depuis elle aurait "les mains propres"), d'autres massacres ont été perpétrés depuis la guerre d'Algérie, notamment au Cameroun où de sanglantes exactions furent commises par l'armée française.
I. La vague révolutionnaire mondiale de 1917-23 affaiblie par le soutien aux mouvements de « libération nationale »
La tragédie kurde est la énième manifestation de la barbarie sanglante déchaînée au nom de la soi-disant « libération nationale des peuples ». Des Etats-Unis à la Grande-Bretagne, de la Turquie à l'Iran, tous les divers impérialismes qui ont participé à la boucherie guerrière du Golfe ont, peu ou prou, poussé les Kurdes au soulèvement armé au nom de la « libération nationale », et nous pouvons aujourd'hui voir comment ils laissent Saddam Hussein les massacrer, les précipiter dans l'exil et perpétrer un nouveau génocide. Tous sont complices du massacre, tous ont utilisé le mythe de la « libération nationale », comme monnaie d'échange et comme feuille de vigne, dans leur brutale concurrence impérialiste. Dans cette meute, gardons-nous d'oublier les leaders kurdes eux-mêmes, qui sont parvenus à un accord avec le boucher de Bagdad pour réduire la revendication d' « indépendance nationale » à celle de « premiers pas vers l'autonomie », "premiers pas" déjà faits... en 1970, 1975, 1981, etc !
Le capitalisme est entré dans sa phase ultime : celle de sa décomposition. Celle-ci va faire proliférer à un rythme accéléré les guerres comme celle du Golfe, les massacres ethnico-nationalistes comme ceux de Yougoslavie, d'URSS ou entre arabes et kurdes en Irak. Leur drapeau commun est celui de la « libération nationale » qui, dans certains cas, peut être le masque cynique des ambitions impérialistes des Etats et principalement celui des grandes puissances, et dans d'autres être une ivresse irrationnelle qui entraîne et abrutit les masses désespérées. Dans tous les cas, elle est l'expression tant de la faillite mortelle du système capitaliste que de la menace que fait planer celle-ci sur la survie de l'humanité.
Seul le prolétariat est à même de s'opposer à cet avenir en proposant une perspective de réorganisation de la société qui instaure des rapports sociaux basés sur l'unification réelle de l'humanité, sur la production consacrée à la pleine satisfaction des besoins, la communauté mondiale des hommes libres et égaux qui travaillent par et pour eux-mêmes. Pour orienter ses luttes vers cette perspective, le prolétariat doit rejeter en bloc les mystifications du style « libération nationale » qui ne font que l'attacher au vieux monde ([1] [188]). Dans la première partie de cet article, nous allons analyser comment cette mystification fut un élément important dans l'échec de l'expérience révolutionnaire de 1917-23, et comment elle donna aux Etats capitalistes une planche de salut à laquelle ils s'agrippèrent, avec comme tragique conséquence la survie du système capitaliste et la longue série de guerres et de barbarie qu'il a charriée avec lui depuis 70 ans.
Le 2e Congrès de l'Internationale Communiste (mars 1920) adopte les « Thèses et additions sur les questions nationales et coloniales » dont l'idée de base est : « (...) tous les événements de la politique mondiale se concentrent inévitablement autour d’un centre de gravité : la lutte de la bourgeoisie internationale contre la République des Soviets, qui doit grouper autour d'elle d'une part les mouvements soviétistes des travailleurs avancés de tous les pays, de l’autre tous les mouvements émancipateurs nationaux des colonies et des nationalités opprimées qu'une expérience amère a convaincues qu'il n'est pas de salut, pour elles, eti dehors d'une alliance avec le pouvoir soviétiste victorieux de l'impérialisme mondial ». ([2] [189])
Cet espoir a rapidement été démenti pas les faits dès le début de la Révolution russe. L'appui aux luttes de « libération nationale » pratiqué par l’I.C. et le bastion prolétarien en Russie a au contraire constitué une barrière contre l'extension mondiale de la révolution prolétarienne, et a profondément affaibli la conscience et l'unité du prolétariat international, contribuant à l'échec de ses tentatives révolutionnaires.
Une corde au cou de la Révolution russe
La révolution d'Octobre était le premier pas dans le mouvement révolutionnaire du prolétariat à l'échelle mondiale : « ce qui montre la vision politique des bolcheviques, leur fermeté de principes et leur large perspective, c'est qu'ils aient basé toute leur politique sur la révolution prolétarienne mondiale » (Rosa Luxemburg, La Révolution Russe).
En accord avec cette vision qui privilégiait l'extension internationale de la révolution, l'appui aux mouvements de libération nationale dans les pays soumis par les grandes métropoles impérialistes a été conçu comme une tactique, destinée à gagner des soutiens additionnels à la révolution mondiale.
Dès octobre 1917, les bolcheviks impulsèrent l'indépendance des pays que l'empire tsariste avait maintenus sous domination : les pays baltes, la Finlande, la Pologne, l'Ukraine, l'Arménie, etc. Ils pensaient qu'une telle attitude gagnerait au prolétariat révolutionnaire des appuis indispensables pour se maintenir au pouvoir en Russie, dans l'attente de la maturation et de l'éclatement de la révolution prolétarienne dans les grands pays européens et spécialement en Allemagne. Ces espoirs ne se sont pas du tout réalisés.
* Le gouvernement soviétique reconnut l'indépendance de la Finlande le 18 décembre 1917. Le mouvement ouvrier était très fort dans ce pays, il était en pleine poussée révolutionnaire, maintenait de forts liens avec les ouvriers russes et avait participé de manière active à la Révolution de 1905 et à celle de 1917. En réalité, il ne s'agissait pas d'un pays dominé par le féodalisme mais d'un territoire capitaliste très développé où la bourgeoisie profita du cadeau soviétique pour écraser l'insurrection ouvrière quand elle éclata en janvier 1918. La lutte dura presque trois mois et malgré l'aide décidée que les Soviets prêtèrent aux ouvriers finlandais, le nouvel Etat réussit à détruire le mouvement révolutionnaire grâce aux troupes allemandes appelées à la rescousse.
* En Ukraine, le nationalisme local ne représentait pas un véritable mouvement bourgeois mais exprimait plutôt, de manière dévoyée, les vagues ressentiments des paysans contre les propriétaires fonciers d'origine russe et surtout polonais. Le prolétariat de la région provenait de tous les territoires de Russie et était très développé. Dans de telles circonstances, la bande d'aventuriers nationalistes qui constituèrent la « Rada » ukrainienne cherchèrent rapidement la protection de l'impérialisme allemand et autrichien, tout en consacrant leurs forces à attaquer les soviets ouvriers qui s'étaient formés à Kharkov et autres villes. Face à la défaite des impérialismes centraux, le général français Tabouis se substitua à l'influence allemande et utilisa les phalanges réactionnaires ukrainiennes dans la guerre que livraient les gardes blancs contre les soviets.
«Le nationalisme ukrainien n'était qu'une lubie, l'élucubration de quelques douzaines d'intellectuels petits bourgeois sans la moindre racine dans la vie économique, politique ou intellectuelle du pays, sans une trace de tradition historique, car l'Ukraine n'a jamais été ni un Etat ni une nation, n'a jamais possédé de culture nationale... (...) Lénine et ses amis (...) ont conféré de l'importance à ce qui n'était au début qu'une farce, jusqu'au jour où la farce a pris une gravité des plus sanglantes, où elle s'est transformé non pas en un mouvement national sérieux, qui n'avait de toutes façons pas de racines, mais en pavois, en drapeau de ralliement de la contre-révolution ! Cette bulle pleine d'air a enfanté à Brest les baïonnettes allemandes » (Rosa Luxemburg, La Révolution russe).
* Dans les pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), les soviets ouvriers prirent le pouvoir au moment de la révolution d'Octobre. La « libération nationale » fut réalisée par la marine britannique ! «A la fin des hostilités contre l'Allemagne, des unités navales britanniques apparurent dans la Baltique. La république soviétique d'Estonie tomba en janvier 1919 ; la république soviétique lettonne tint bon à Riga pendant cinq bons mois, et succomba finalement devant la menace des canons de la marine britannique » (EH. Carr : La Révolution bolchevik, T. I, p. 318).
* En Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan, en "Russie asiatique", « Un gouvernement bachkir, sous un certain Validov, qui avait proclamé un Etat bachkir autonome après la révolution d'Octobre, passa du côté des cosaques d'Orenbourg qui étaient en guerre ouverte contre le gouvernement soviétique et cela était caractéristique de l'attitude qui prévalait chez les "nationalistes"» (EH. Carr, ibid., p. 325). Le gouvernement « national-révolutionnaire » de Kokand, de son côté, avec tout un programme qui comprenait l'instauration de la loi islamique, la défense de la propriété privée et la réclusion obligatoire des femmes, combattit férocement le soviet ouvrier de Tachkent (principale ville industrielle du Turkestan russe).
* Dans le Caucase se forma une république transcaucasienne dont se disputèrent la tutelle la Turquie, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, ce qui conduisit à son éclatement en trois Etats « indépendants » (la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan) qui à leur tour s'affrontèrent férocement entre eux pour des raisons ethniques, encouragés en cela par les impérialismes en lice. Tous se trouvèrent d'accord cependant pour harceler férocement le soviet ouvrier de Bakou qui eut à subir, entre 1917 et 1920, les bombardements et les massacres répétés des anglais.
* En Turquie : le gouvernement soviétique appuya dès le début Kemal Atatûrk, le « nationaliste-révolutionnaire » père de la « nouvelle Turquie ». Au nom de l’I.C., Radek exhorta le tout nouveau Parti communiste de Turquie à le soutenir : « Dès que vous vous serez constitué en parti indépendant, votre première tâche sera de soutenir le mouvement en faveur de la liberté nationale de la Turquie » (Procès-verbaux des quatre premiers Congrès de PIC). Le résultat fut catastrophique : Kemal écrasa sans états d'âme les grèves et mobilisations du jeune prolétariat turc. Une fois défaites les troupes grecques et après que l'impérialisme britannique ait offert l'abandon de Constantinople en échange de la loyauté turque, Kemal rompit son alliance avec les soviets et offrit aux anglais la tête des communistes turcs qui furent férocement persécutés.
* Le cas de la Pologne mérite d'être mentionné à part. L'émancipation nationale de la Pologne avait été presque un dogme dans la 2e Internationale. Quand, vers la fin du 19e siècle, Rosa Luxemburg démontra que ce mot d'ordre était erroné et dangereux, car le développement capitaliste avait associé étroitement la bourgeoisie polonaise à la bourgeoisie russe et à la caste impériale tsariste, cela souleva au sein de l'Internationale des polémiques orageuses. Le fait était cependant que les ouvriers de Varsovie, de Lodz, etc., s'étaient trouvés à l’avant-garde de la révolution de 1905, et que de leur sein avaient surgi d'éminents militants révolutionnaires comme Rosa Luxemburg elle-même. Lénine avait reconnu pratiquement que « l'expérience de la révolution de 1905 a démontré que même dans ces deux nations -il fait référence à la Pologne et à la Finlande- les classes dirigeantes, les propriétaires fonciers et la bourgeoisie renoncent à la lutte révolutionnaire en faveur de la liberté, et cherchent leur rapprochement avec les classes dirigeantes de la Russie et avec la monarchie tsariste par peur du prolétariat révolutionnaire de Finlande et de Pologne» (Procès-verbaux de la conférence du parti à Prague, en 1912, souligné dans le texte). Malheureusement, les bolcheviks, prisonniers du dogme sur l’ "autodétermination nationale des peuples", favorisèrent, à partir d'octobre 1917, l'indépendance de la Pologne. Le 29 août 1918, le Conseil des commissaires du peuple déclarait : « Tous les traités et actes signés par le gouvernement de l'ancien empire russe avec les gouvernements du royaume de Prusse ou l'empire a Autriche-Hongrie concernant la Pologne, sont annulés irrévocablement par le présent texte, vu leur incompatibilité avec le principe d'autodétermination des nations et avec le sens révolutionnaire du droit du peuple russe, qui reconnaît le droit du peuple polonais à réclamer son indépendance et son unité. »
S'il est juste que le bastion prolétarien dénonce et annule les traités secrets des gouvernements bourgeois, par contre, c'est une grave erreur que de le faire au nom de "principes" qui n'appartiennent pas au terrain prolétarien, mais au terrain bourgeois, tel que le "droit des peuples". Et cela s'est rapidement vérifié dans la pratique : la Pologne est tombée sous la dictature de fer de Pilsduski, vétéran social-patriote, qui écrasa les grèves ouvrières, qui fit alliance avec la France et la Grande-Bretagne, et appuya activement les armées blanches contre-révolutionnaires en envahissant l'Ukraine en 1920.
Quand, pour riposter à cette agression, les troupes de l’ "armée rouge" sont entrées en territoire polonais et ont marché sur Varsovie avec l'espoir que les ouvriers se soulèveraient contre le pouvoir bourgeois, une nouvelle catastrophe s'est produite pour la cause de la révolution mondiale : les ouvriers de Varsovie, les mêmes qu'en 1905, resserrèrent les rangs autour de la "nation polonaise" et participèrent à la défense de la ville contre les troupes soviétiques. C'était la tragique conséquence d'années de propagande de la 2e Internationale, et ensuite du bastion prolétarien en Russie, en faveur de l’"indépendance nationale" de la Pologne. ([3] [190])
Le bilan de cette politique est catastrophique : les prolétariats locaux furent défaits, les nouvelles nations ne « remercièrent » en rien le cadeau bolchevik et s'installèrent rapidement dans l'orbite de l'impérialisme britannique, collaborant au blocus qui réduisit à la famine le pays des soviets et soutenant par tous les moyens la contre-révolution blanche qui provoqua une guerre civile sanglante.
« Les bolcheviks ont dû apprendre à leurs dépens et à ceux de la révolution que sous l'hégémonie au capitalisme, il n'y a pas d'autodétermination de la nation, que dans une société de classes, chaque classe tend à s'"autodéterminer" différemment, et que pour les classes bourgeoises, les considérations sur ta liberté nationale viennent bien après celles qui touchent à la domination de classe. La bourgeoisie finlandaise et la petite-bourgeoisie ukrainienne sont tombées tout à fait d'accord pour préférer le régime autoritaire de l'Allemagne à la liberté nationale, si celle-ci devait être liée aux dangers du "bolchevisme" » (Rosa Luxemburg, La Révolution russe, p. 71).
La « libération nationale » ne guérit pas des oppressions nationales
Les bolcheviks pensaient que « pour affirmer l'unité internationale des ouvriers, il faut d'abord déraciner tous les vestiges de l'ancienne inégalité et discrimination entre nations ». Les ouvriers de ces pays n'avaient-ils pas été soumis au nationalisme réactionnaire de l'empire tsariste ? Ceux-ci ne représentaient-ils pas un obstacle à l'unité avec les ouvriers russes qui pouvaient passer pour des complices du chauvinisme grand-russien ? Et, plus généralement, les jeunes prolétariats des pays coloniaux et semi-coloniaux ne seraient-ils pas opposés au prolétariat des grandes métropoles tant que leurs pays n'auraient pas obtenu l'indépendance nationale ?
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Il est vrai que le capitalisme a créé le marché mondial de façon anarchique et violente, semant partout une quantité d'oppressions et de discriminations de toutes sortes, particulièrement d'ordre national, ethnique, linguistique, etc. ; celles-ci pèsent lourdement sur la conscience des ouvriers de tous ces pays, rendant plus difficile son processus d'unification et de prise de conscience. Il n'en est pas moins erroné et dangereux de prétendre soigner ces maux en aidant à la formation de nouvelles nations, qui non seulement ne sont économiquement pas viables du fait de la saturation du marché mondial, mais en outre ne font que reproduire ces maux à une échelle plus vaste. L'expérience de la "libération nationale" des peuples périphériques de l'empire tsariste fut à cet égard concluante. Les nationalistes polonais se servirent de l'« indépendance » pour persécuter les minorités juives, lituaniennes et allemandes ; dans le Caucase, les géorgiens persécutèrent les arméniens et les abkhazes, les arméniens persécutèrent turkmènes et azéris oui, à leur tour, persécutèrent les arméniens... La Rada d'Ukraine déclara officiellement sa haine contre les russes, les polonais et les juifs... En vérité, toutes ces persécutions ne furent que le pâle reflet annonciateur de l'horrible cauchemar qui s'est développé par la suite dans le capitalisme en décadence. Rappelons simplement l'orgie de massacres des hindous contre les musulmans en 1947, celle des croates contre les serbes durant l'occupation nazie et la vengeance des serbes à la « Libération » de Tito. Que dire des insupportables pogromes nationalistes qui font actuellement baigner dans le sang toute l'Europe de l'Est jusqu'à la Russie asiatique 7 Soyons clairs : la « libération nationale » ne guérit en rien les maux de l'oppression nationale, elle ne fait que les reproduire encore plus irrationnels. On n'éteint pas un incendie avec de l'essence.
Seul le prolétariat, dans son être et par sa lutte révolutionnaire, peut trouver les bases permettant de combattre et dépasser toutes les discriminations engendrées par la société de classe, qu'elles soient de type national, ethnique ou linguistique. «La grande industrie a créé une classe dont les intérêts sont les mêmes dans toutes les nations et pour laquelle la nationalité est déjà abolie, une classe qui s est réellement débarrassée du monde ancien et qui s'oppose à lui en même temps (Marx-Engels, L'Idéologie allemande, « Feuerbach, l'Histoire, IV », p. 90).
La « libération nationale » précipite les couches non-exploiteuses dans les bras du capital
Toujours dans le but de renforcer le développement de la révolution mondiale, les bolcheviks pensaient qu'ils pouvaient gagner à leur cause les couches non exploiteuses de ces nations (paysannerie, certaines couches intermédiaires, etc.) en appuyant la « libération nationale » et quelques autres mesures classiques du programme des révolutions bourgeoises (réforme agraire, libertés politiques, etc.).
Ces couches occupent une position instable et hétérogène dans la société bourgeoise, elles n'ont en tant que telles aucun avenir. Bien qu'opprimées par le capitalisme, elles souffrent cependant de n'avoir pas d'intérêts qui leur soient propres, clairs et définis ; et quand elles s'en trouvent un, il est directement et sans équivoque lié à la sauvegarde du capitalisme. Le prolétariat ne peut les gagner à sa cause en leur offrant une plate-forme basée sur la « libération nationale » ou autres revendications issues tout droit de l'idéologie de la bourgeoisie. Ce faisant, il ne peut que les précipiter dans les bras de la bourgeoisie qui, elle, peut les manipuler avec des promesses démagogiques pour ensuite les lancer contre le prolétariat.
Il faut dire que les points du programme bourgeois auxquels sont le plus sensibles les couches paysanne et petite-bourgeoise (réforme agraire, liberté sur le plan linguistique, national, etc.) n'ont jamais été totalement réalisés par la bourgeoisie. Pire encore, durant toute la décadence du capitalisme, les nations nouvelles ont été incapables d'accomplir le moindre de ces points programmatiques car ceux-ci ne sont, bien évidemment, qu'une utopie réactionnaire impossible à réaliser dans un système capitaliste qui ne tend plus à l'expansion mais bien à des convulsions toujours plus violentes.
Mais cela implique-t-il que le prolétariat doive reprendre toutes ces revendications jetées dans les poubelles de l'histoire par l'évolution historique afin de démontrer qu'il est, pour ainsi dire, plus « conséquent » que la bourgeoisie ? En aucun cas ! Cette façon de voir, qui pesa indiscutablement sur les bolcheviks et sur d'autres fractions révolutionnaires, n'est qu'un résidu mal éliminé des objectifs gradualistes et réformistes qui avaient conduit la social-démocratie à la trahison. C'est une vision spéculative et idéaliste du capitalisme que de penser que le « programme » de la bourgeoisie doit être accompli de fond en comble dans tous les pays pour que l'humanité soit prête pour le communisme. C'est là une utopie réactionnaire qui ne correspond en rien à la réalité d'un système d'exploitation dont la finalité n'est en aucun cas de mener à bien un projet social quelconque, mais simplement d'extirper de la plus-.value. Déjà, durant la période ascendante, la bourgeoisie qui parvenait au pouvoir abandonnait bien souvent son « programme » à peine ébauché pour pactiser avec les restes des vieilles classes féodales ; une fois formé le marché mondial et le système entré dans sa phase de déclin, historique, ce « programme » s'est converti en une grossière mystification.
Le prolétariat, s'il se propose de réaliser le « programme inachevé » de la bourgeoisie, ouvre une brèche dans son propre projet historique révolutionnaire, brèche dans laquelle s’engouffre la bourgeoisie. La meilleure façon de gagner à sa cause les couches non exploiteuses ou, du moins, de les neutraliser dans l'affrontement décisif avec l'Etat bourgeois, est d'affirmer pleinement et de façon conséquente son propre programme. C'est la perspective de l'abolition des privilèges de classe, l'espérance d'une nouvelle organisation de la société qui assure l'existence à l'ensemble de l'humanité, c'est l'affirmation claire et résolue du prolétariat en tant que classe autonome, en tant que force sociale qui se présente ouvertement comme candidate à la prise de pouvoir, c'est l'organisation massive de cette classe dans les Conseils ouvriers.
« Ne pouvant s'assigner comme but celui de constituer de nouveaux privilèges, le prolétariat, lorsqu'il aura détruit la société capitaliste, ne pourra fonder sa classe, ni l'accroître, sur un ensemble de principes qui puissent exprimer des positions économiques. Il ne pourra établir sa base de lutte que sur des notions politiques qui, tout en résultant de son programme particulier de classe - le prolétariat représentant parmi les différentes classes de la société capitaliste, la seule qui puisse construire la société de demain - peuvent entraîner, dans la lutte, les couches sociales moyennes qui n'ont pas un intérêt économique et réel au triomphe de la dictature du prolétariat. (...) Ces classes moyennes ne se rallieront au prolétariat que dans des circonstances historiques particulières où les contradictions du régime capitaliste venant à leur éclosion, et, la classe ouvrière passant à l'assaut révolutionnaire, elles éprouveront le besoin de mêler leurs luttes désespérées à la lutte consciente du prolétariat pour la victoire révolutionnaire. » (Bilan, n° 5, mars 1934, ", "Les principes : armes de la révolution", chap. "Automatisme économique ou conscience de classe").
La « libération nationale » facteur de désagrégation de la conscience prolétarienne
La révolution prolétarienne n'est pas une fatalité découlant des conditions objectives, qui rendrait valable n'importe quelle tactique pourvu qu'on arrive au but. Même si la révolution est une nécessité historique dont les bases objectives ont été fournies par la constitution du marché mondial et celle du prolétariat, elle n'en reste pas moins essentiellement un acte conscient.
En outre, à la différence des classes révolutionnaires du passé, le prolétariat ne possède aucune parcelle de pouvoir économique dans la vieille société ; il est une classe exploitée et une classe révolutionnaire. Ceci fait que les armes dont il dispose pour détruire la vieille société, son unité et sa conscience, sont décisives et uniques dans l'histoire et constituent aussi les bases de la nouvelle société.
Il est, par conséquent, vital pour l'avancée de sa lutte que : «A chaque occasion, le problème que le prolétariat doit se poser, ce n'est pas celui d'obtenir le plus grand avantage, le plus grand nombre d'alliés, mais bien celui de rester cohérent avec le système principiel qui régit sa classe (...)» (Bilan, n° 5, mars 1934, "Les principes : armes de la révolution", chap. "Genèse et développement de la conscience de classe : le parti").
De ce point de vue, le soutien aux « luttes de libération nationale » pendant la période révolutionnaire de 1917-23 a eu des conséquences désastreuses pour le prolétariat mondial tout entier, et pour son avant-garde, l'Internationale Communiste.
A cette époque historique de lutte décisive entre capital et travail, période ouverte par la Première Guerre mondiale, où la seule alternative qui reste est celle de la révolution internationale du prolétariat ou la soumission du prolétariat à l'intérêt national de chaque bourgeoisie, le soutien à la « libération nationale », même conçue en tant qu'élément « tactique », conduit à la désagrégation, la corruption et la décomposition de la conscience prolétarienne.
On a déjà vu que la « libération » des peuples périphériques du vieil empire tsariste n'apporta aucun avantage à la Révolution russe mais contribua, au contraire, à la création d'un cordon sanitaire autour d'elle : un groupe de nations, avec des prolétariats combatifs, avec une vieille tradition, s'est fermé à la pénétration des positions révolutionnaires, creusant un abîme infranchissable entre ouvriers russes et allemands.
Comment est-il possible que les ouvriers de Pologne, d'Ukraine, de Finlande, de Bakou, de Riga, qui avaient été à la tête des révolutions de 1905 et 1917, qui avaient fait surgir de militants communistes aussi clairvoyants et dévoués que Rosa Luxemburg, Piatakov, Jogiches..., aient pu aussi rapidement être écrasés et défaits en 1918-20 par leur propre bourgeoisie et se soient opposés, parfois avec rage, aux consignes bolcheviks ?
Il n'y a pas le moindre doute là-dessus : c'est le poison nationaliste qui a eu une influence décisive. « Le fait qu'en somme la question des revendications et tendances séparatistes nationales ait été jetée au milieu des luttes révolutionnaires, que même la paix de Brest-Litovsk Va amenée au premier plan et estampillée en shibboleth de la politique socialiste et révolutionnaire, a porté le plus grand trouble dans les rangs du socialisme et a ébranlé la position du prolétariat justement dans les pays limitrophes » (Rosa Luxemburg, idem).
La « libération nationale » poussa les ouvriers de ces pays vers le mirage de l’« indépendance et le développement du pays, libéré du joug russe » avec la même force qu'elle les éloigna de plus en plus du prolétariat russe, avec lequel ils avaient partagé tant et tant de luttes, de ce prolétariat qui venait de faire le premier pas dans le combat décisif.
L'Internationale, le Parti communiste mondial, est le facteur clé dans la conscience de classe du prolétariat, sa clarté et cohérence politique sont vitales. Le soutien à la libération nationale joua un rôle décisif dans la dégénérescence opportuniste de l’I.C..
L'I.C. s'est constituée sur un principe central : le capitalisme est entré dans sa décadence historique, la tâche du prolétariat ne peut plus être de le réformer ou de l'améliorer, mais de le détruire : « Une nouvelle époque vient de surgir. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son enfoncement interne. Epoque de la révolution communiste du prolétariat». Cependant, l'appui à la "libération nationale" a ouvert une brèche très dangereuse dans cette clarté de base, il a ouvert la porte à 1’opportunisme car il a introduit une tâche qui appartenait à l'ancien ordre social dans le programme de destruction de cet ancien ordre. La tactique de combiner la lutte révolutionnaire dans les métropoles et la "lutte de libération nationale" dans les colonies et les semi-colonies, portait à conclure que l'heure de la destruction du capitalisme n'avait pas encore sonné, soit en affirmant que le monde était divisé en deux zones (l'une « mûre » pour la révolution prolétarienne, l'autre étant une zone où le capitalisme n'était pas encore développé), soit en reconnaissant sans détours qu'il existe encore des possibilités d'expansion du capitalisme (c'est la seule raison qui permet à des marxistes de parler de possibilité de « libération nationale»).
Ce germe de confusion, cette porte ouverte à l'opportunisme, se développa de plus en plus avec le reflux des luttes révolutionnaires du prolétariat en Europe.
Le parti n'est pas un produit passif du mouvement de la classe, mais un facteur actif de son développement. Si sa clarté et détermination sont cruciales pour le succès de la révolution prolétarienne, ses confusions, ambiguïtés et incohérences contribuent fortement à la confusion et à la défaite de la classe. L'évolution de PIC dans sa position sur la question nationale en est un témoignage.
Le Premier Congrès, qui eut lieu en pleine montée des luttes, se propose comme tâche la disparition des frontières nationales : « Le résultat final des procédés capitalistes de production est le chaos, - et ce chaos ne peut être vaincu que par la classe productrice la plus nombreuse, la classe ouvrière. C'est elle qui doit instituer l'ordre véritable, l'ordre communiste. Elle doit briser la domination du capital, rendre les guerres impossibles, effacer les frontières entre les Etats, transformer le monde en une vaste communauté travaillant pour elle-même, réaliser la solidarité fraternelle et la libération des peuples. » (Plate-forme de PIC)
De même, ce Congrès mit en évidence que les petits Etats sont incapables de rompre le joug de l'impérialisme et ne peuvent que se soumettre a leur jeu : « dans les Etats vassaux et dans les républiques que l'Entente vient de créer (la Tchécoslovaquie, les pays slaves méridionaux, auxquels il faut ajouter la Pologne, la Finlande, etc.), la politique de l'Entente, appuyée sur les classes dominantes et les sociaux-nationalistes, vise à créer des centres d'un mouvement national contre-révolutionnaire. Ce mouvement doit être dirigé contre les peuples vaincus, doit maintenir en équilibre les forces des nouveaux Etats et les soumettre à l'Entente, il doit freiner les mouvements révolutionnaires qui surgissent dans les nouvelles républiques "nationales" et finalement fournir des gardes blancs pour la lutte contre la révolution internationale et surtout contre la révolution russe. » (Thèses sur la situation internationale et la politique de l'Entente). Et, finalement, il démontre que « l'Etat national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l'expansion des forces productives. » (Manifeste de PIC aux prolétaires du monde entier).
On voit là comment le 1er Congrès de l’I.C. jette les bases pour corriger les erreurs initiales sur la question nationale, mais ces jalons de clarté ne vont pas se développer, ils seront peu à peu engloutis par l'opportunisme à cause des défaites prolétariennes et de la difficulté de la majorité de l’I.C. pour avancer dans la clarification. Le 4e Congrès (1922), avec ses Thèses sur la question d'Orient, fera un pas important dans la régression, car : « On exigeait du prolétariat et des paysans qu'ils fassent passer leur programme social après les besoins immédiats d'une lutte nationale commune contre l'impérialisme étranger. On tenait pour acquis qu'une bourgeoisie nationaliste, et même une aristocratie féodale nationaliste, serait prête à mener une lutte de libération nationale contre l'impérialisme étranger, alliées à des prolétaires et des paysans potentiellement révolutionnaires qui n'attendaient que la victoire pour se retourner contre leurs anciens maîtres et alliés et les renverser» (EH. Carr, La révolution bolchevik, T. III, p. 490).
Dans les événements ultérieurs, à la suite de la proclamation du « socialisme dans un seul pays », avec le bastion prolétarien de Russie définitivement défait et intégré dans la chaîne impérialiste mondiale, la « libération nationale » deviendra tout simplement la feuille de vigne des intérêts de l'Etat russe. Mais, celui-ci ne sera pas le seul à utiliser une telle bannière ; tous les Etats concurrents l'adopteront aussi, avec de multiples variantes, mais avec un seul but : la guerre à mort pour le partage d'un marché mondial définitivement saturé. Les innombrables guerres impérialistes déguisées en « libérations nationales » seront traitées dans la deuxième partie de cet article.
Pour systématiser le processus de clarification mené par les fractions de la Gauche Communiste face à la dégénérescence de PIC, Internationalisme, organe de la Gauche communiste de France, adoptait en janvier 1945 une Résolution sur les mouvements nationalistes qui finissait ainsi : « Etant donné que, par sa nature de classe capitaliste, les mouvements nationalistes ne présentent pas la moindre continuité organique et idéologique avec les mouvements de classe du prolétariat, celui-ci, pour gagner ses positions de classe, doit rompre et abandonner tout lien avec les mouvements nationalistes».
Ad, 20 mai 1991
[1] [191] Voir la brochure Nation ou Classe et les articles de la Revue Internationale, n° 4, 19, 34, 37, 42 et 62.
[2] [192] "Thèses, manifestes et résolutions adoptés par les Ier, IIe, IIIe et IVe Congrès de l'Internationale Communiste (1919-1923)", Librairie du Travail, Juin 1934, Réimpression en fac-similé, Maspéro, 1971).
[3] [193] D'un autre côté, la révolution prolétarienne ne peut jamais s'étendre par des méthodes militaires comme l'avait dit très clairement le Comité exécutif des soviets lui-même : <r Nos ennemis et les vôtres vous trompent quand ils vous disent que le gouvernement soviétique russe souhaite implanter le communisme en territoire polonais avec les baïonnettes des soldats de V ** armée rouge*. L'ordre communiste n'est possible que quand l'immense majorité des travailleurs est convaincue de l'idée de te créer avec ses propres forces. » ("Appel au peuple polonais", 28 janvier 1920). Le parti bolchevik chaque fois plus rongé par l'opportunisme, dans un virage vers une fausse compréhension de l'internationalisme, encouragea -malgré une importante opposition en son sein, Trotsky, Kirov, etc.- l'aventure du printemps 1920 qui oubliait complètement ce principe.
La première partie de cet article, parue dans le numéro précédent de la Revue Internationale, en hommage à notre camarade Marc disparu en décembre 1990, évoquait la période de 1917 à la fin de la deuxième guerre mondiale.
«Marc appartenait à la toute petite minorité de militants communistes qui a survécu et résisté à la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière entre les années 1920 et les années 1960, tels Anton Pannekoek, Henk Canne-Meijer, Amadeo Bordiga, Onorato Damen, Paul Mattick, Jan Appel ou Munis. De plus, outre sa fidélité indéfectible à la cause du communisme, il a su à la fois conserver sa pleine confiance dans les capacités révolutionnaires du prolétariat, faire bénéficier les nouvelles générations de militants de toute son expérience passée, et ne pas rester enfermé dans les analyses et positions dont le cours de l'histoire exigeait le dépassement. En ce sens, toute son activité de militant constitue un exemple concret de ce que le marxisme veut dire : la pensée vivante, en constante élaboration, de la classe révolutionnaire, porteuse de l'avenir de l'humanité. » (Revue Internationale, n°65)
Cette deuxième partie retrace l'activité de notre camarade au sein de la Gauche communiste de France puis lors de la dernière période de sa vie où sa contribution a été décisive dans la constitution et le développement du CCI.
« INTERNATIONALISME »
La Gauche Communiste de France (GCF) tient sa deuxième conférence en juillet 1945. Elle adopte un rapport sur la situation internationale rédigé par Marc (republié dans la Revue Internationale, n°59, 4e trimestre 1989) qui fait un bilan global des années de guerre. Tout en rappelant les positions classiques du marxisme sur la question de l'impérialisme et de la guerre, notamment face aux aberrations développées par Vercesi, ce document constitue un réel approfondissement dans la compréhension des principaux problèmes affrontés par la classe ouvrière dans la décadence du capitalisme. Ce rapport est à l'image de toute la contribution qui sera apportée par la GCF à la pensée révolutionnaire et dont les différents articles publiés dans sa revue théorique. Internationalisme, nous donnent une idée ([1] [197]). En effet, L'Etincelle cesse d'être publiée fin 1946. C'est la conséquence de la compréhension par la GCF que ses prévisions d'une sortie révolutionnaire de la guerre impérialiste (à l'image de ce qui s'était passé au cours de la première guerre mondiale) ne se sont pas réalisées. Grâce aux leçons qu'elle a tirées du passé, comme la Fraction le craignait dès 1943, la bourgeoisie des pays "vainqueurs" a réussi à empêcher un surgissement du prolétariat. La "Libération" ne constitue pas un marchepieds pour la révolution, mais au contraire, un des sommets de la contre-révolution. La GCF en tire les conséquences et estime que la constitution du parti n'est pas à l'ordre du jour de même que n'est pas a l'ordre du jour l'agitation dans la classe ouvrière dont L'Etincelle se voulait un des outils. C'est un travail comparable à celui de Bilan qui attend les révolutionnaires. C'est pour cela que la GCF se consacre désormais à un effort de clarification et de discussion théorique-politique à l'inverse du PCInt qui, durant des années, sera agité par un activisme fébrile qui aboutira à la scission de 1952 entre la tendance de Damen, plus activiste, et celle de Bordiga (avec qui se retrouve Vercesi). Cette dernière tendance se replie complètement dans le sectarisme et dans une prétendue invariance (en fait, une véritable fossilisation des positions de la Gauche communiste de 1926) qui seront la marque du Parti communiste international qui publie Programma Comunista. De son côté, le PCInt de Damen (qui, majoritaire, a conservé les publications Battaglia Comunista et Prometeo), auquel on ne peut pas reprocher un tel sectarisme à cette époque, se lance dans toute une série de tentatives de conférences et d'activités en commun avec des courants non prolétariens tels les trotskistes et les anarchistes.
Pour sa part, la GCF a maintenu l'esprit d'ouverture qui avait caractérisé la Gauche italienne avant et au cours de la guerre. Mais, contrairement au PCInt qui s'ouvre aux quatre vents et n'est pas très regardant sur la nature de ses fréquentations, les contacts établis par la GCF sont basés, à l'image de ceux de Bilan, sur des critères politiques précis permettant de se distinguer clairement des organisations non prolétariennes. C'est ainsi qu'en mai 1947, la GCF participe à une conférence internationale organisée a l'initiative du Communistenbond des Pays-Bas (de tendance "conseilliste") en compagnie, notamment, du groupe Le Prolétaire issu des RKu, de la Fraction belge et de la Fédération autonome de Turin qui avait scissionné du PCInt dû fait de ses désaccords au sujet de la participation aux élections. Dans la préparation de cette conférence, à laquelle le Bond a convié la Fédération anarchiste, la GCF insiste sur la nécessité de critères de sélection plus précis écartant les groupes, tels les anarchistes officiels, qui avaient participé au gouvernement de la République espagnole et à la Résistance ([2] [198]).
Cependant, l'apport essentiel de la GCF au combat du prolétariat, dans cette période dominée par la contre-révolution, se situe bien dans le domaine de l'élaboration programmatique et théorique. L'effort considérable de réflexion réalisé par la GCF dans ce domaine la conduit notamment à préciser la fonction du parti révolutionnaire, en dépassant les conceptions "léninistes" classiques, ou à reconnaître l'intégration définitive et irréversible des syndicats et du syndicalisme dans l'Etat capitaliste. Sur ces questions, la Gauche germano-hollandaise avait, dès les années 20, fait une critique sérieuse des positions erronées de Lénine et de l'Internationale communiste. La confrontation de la Fraction italienne, avant la guerre, et de la GCF, après celle-ci, avec les positions de ce courant, ont permis à la GCF de reprendre à son compte certaines de ses critiques à l'IC. Cependant, la GCF se montre capable de ne pas tomber dans l'excès de ce courant sur la question du parti (auquel il a fini par dénier toute fonction) de même que d'aller bien plus loin que lui sur la question syndicale (puisqu'à coté du rejet du syndicalisme classique, la Gauche germano-hollandaise préconisait une forme de syndicalisme "de base" s'appuyant, par exemple sur les "Unions"). Sur la question syndicale, notamment, se manifeste toute la différence de démarche gui distingue la Gauche allemande de la Gauche italienne. C’est très rapidement que la première a réussi à comprendre, au cours des années 20, les grands traits d'une question (par exemple sur la nature capitaliste de l'URSS ou sur la nature des syndicats) mais, en faisant l'économie de toute une réflexion systématique dans l'élaboration des nouvelles positions, elle a été conduite à remettre en cause certains des fondements du marxisme ou à s'interdire tout approfondissement ultérieur de ces questions. La Gauche italienne, pour sa part, est beaucoup plus prudente. Avant les dérapages de Vercesi a partir de 1938, elle a le souci permanent de soumettre à une critique systématique les pas qu'elle effectue dans la réflexion afin de vérifier qu'ils ne s'écartent pas du cadre du marxisme. Ce faisant, elle s'est rendue capable d'aller beaucoup plus loin dans la réflexion et d'élaborer, en fin de compte, une pensée bien plus audacieuse, en particulier, sur la question fondamentale de l'Etat. C'est une telle démarche, dont Marc s'était pleinement pénétré au sein de la Fraction italienne, qui lui permet d'impulser l'énorme travail de réflexion effectué par la GCF. Un travail qui conduit également cette organisation à poursuivre 1’élaboration de la position de Ta Fraction sur la question de l'Etat dans la période de transition du capitalisme au communisme de même qu'à donner à la question du capitalisme d'Etat une vision dépassant la seule analyse de l'URSS pour faire ressortir le caractère universel de cette manifestation essentielle de la décadence du mode de production capitaliste.
Cette analyse, on la trouve notamment dans l'article "L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective" publié dans internationalisme n°46 (republié dans la Revue internationale n° 21). Ce texte rédigé en mai 1952 par Marc, constitue, en quelque sorte, le testament politique de la GCF. En effet, Marc quitte la France pour le Venezuela en juin 1952. Ce départ correspond à une décision collective de la GCF qui, face à la guerre de Corée, estime qu'une troisième guerre mondiale entre le bloc américain et le bloc russe est devenu inévitable à brève échéance (comme il est dit dans le texte en question). Une telle guerre, qui ravagerait principalement l'Europe, risquerait de détruire complètement les quelques groupes communistes, et notamment la GCF qui ont survécu à la précédente. La "mise à l'abri" en dehors d'Europe d'un certain nombre de militants ne correspond donc pas au souci de leur sécurité personnelle (tout au long de la seconde guerre mondiale Marc et ses camarades ont fait la preuve qu'ils étaient prêts à prendre des risques énormes pour défendre les positions révolutionnaires dans les pires conditions qui soient) mais au souci de préserver la survie de l'organisation elle-même. Cependant, le départ sur un autre continent de son élément le plus expérimenté et formé va porter un coup fatal à la GCF dont les éléments qui sont restés en France, malgré la correspondance suivie que Marc entretient avec eux, ne parviennent pas, dans une période de profonde contre-révolution, à maintenir en vie l'organisation. Pour des raisons sur lesquelles on ne peut revenir ici, la troisième guerre mondiale n'a pas eu lieu. Il est clair que cette erreur d'analyse a coûté la vie de la GCF (et c'est probablement l’erreur, parmi celles commises par notre camarade tout au cours de sa vie militante, qui a eu les conséquences les plus graves). Cependant, la GCF avait laissé tout un bagage politique et théorique sur lequel allaient s'appuyer les groupes qui ont été à l'origine du CCI.
LE « COURANT COMMUNISTE INTERNATIONAL »
Pendant plus de dix ans, alors que la contre-révolution continue de peser sur la classe ouvrière, Marc connaît un isolement particulièrement pénible. Il suit les activités des organisations révolutionnaires qui se sont maintenues en Europe et reste en contact avec elles et certains de leurs membres. De même, il continue sa réflexion sur un certain nombre de questions que la GCF n'avait pu élucider suffisamment. Mais, pour la première fois de sa vie, il est privé de cette activité organisée qui constitue le cadre par excellence d'une telle réflexion. C'est une épreuve très douloureuse comme il l'exprime lui-même :
« Dans la période de réaction d'après-guerre, ce fut une longue marche dans le désert, en particulier suite à la disparition du groupe Internationalisme après dix ans d'existence. C était le désert de l’isolement pendant une quinzaine d'années. »
Cet isolement se poursuit jusqu'au moment où il réussit à rassembler autour de lui un petit groupe de lycéens qui vont constituer le noyau d'une nouvelle organisation :
«Et c'est en 1964 qu'au Venezuela se constituait un groupe d'éléments très jeunes. Et ce groupe continue aujourd'hui. Vivre quarante ans dans la contre-révolution, dans la réaction, et sentir tout d'un coup l'espoir, sentir que, de nouveau, la crise du capital est là, que les jeunes sont là et, à partir de là, sentir ce groupe pousser peu à peu, se développer à travers 1968, à travers la France et s'élargir dans dix pays, tout cela est vraiment une joie pour un militant. Ces années-là, ces derniers vingt-cinq ans, sont certainement mes années les plus heureuses. C'est dans ces années que j'ai pu réellement sentir la joie de ce développement et la conviction que ça recommençait, que nous étions sortis de la défaite et que le prolétariat se reconstituait, que les forces révolutionnaires reprenaient. Avoir la joie de participer soi-même, de donner tout ce qu'on peut, le meilleur de soi-même, à cette reconstruction, c'est une énorme joie. Et cette joie, je la dois au CCI... »
A la différence des autres organisations dans lesquelles Marc avait milité, nous n'évoquerons pas ici 1 histoire du CCI dont nous avons donné des éléments à l'occasion de son dixième anniversaire (Revue Internationale n°40). Nous nous bornerons à signaler quelques faits mettant en relief l'énorme contribution e notre camarade au processus qui a conduit à la formation de notre organisation. Ainsi, dès avant la constitution formelle du CCI, c'est à lui essentiellement que revient la capacité du petit groupe qui, au Venezuela, publie Internationalisme) (le même nom que la revue de la GCF) de s'orienter vers une grande clarté, notamment sur la question de la libération nationale particulièrement sensible dans ce pays et sur laquelle il subsiste énormément de confusions dans le milieu prolétarien. De même, la politique, que mène Internacionalismo, de recherche de contacts avec les autres groupes de ce milieu, sur le continent américain et en Europe, se trouve dans la droite ligne de celle de la GCF et de la Fraction. Et, en janvier 1968, alors qu'on ne parle (y compris certains révolutionnaires) que de la "prospérité" du capitalisme et de sa capacité à éliminer les crises, que fleurissent les théories de Marcuse sur l’« intégration de la classe ouvrière», que les révolutionnaires que Marc a rencontrés au cours d'un voyage en Europe durant l'été 1967 font, pour la plupart, preuve d'un total scepticisme sur les potentialités de lutte du prolétariat supposé se trouver encore en pleine contre-révolution, notre camarade ne craint pas d'écrire, dans Internacionalismo n° 8 :
« Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas deviner quand et de quelle façon vont se dérouler les événements futurs. Mais ce dont nous sommes effectivement sûrs et conscients concernant le processus dans lequel est plongé actuellement le capitalisme, c'est qu'il n'est pas possible de l'arrêter (...) et qu'il mène directement à la crise. Et nous sommes sûrs également que le processus inverse de développement de la combativité de la classe, qu'on vit actuellement de façon générale, va conduire la classe ouvrière à une lutte sanglante et directe pour la destruction de l'Etat bourgeois. »
Quelques mois plus tard, la grève généralisée de mai 68 en France apporte une confirmation éclatante de ces prévisions. Ce n'est évidemment pas encore l'heure d'«une lutte directe pour la destruction de l'Etat bourgeois » mais bien celle d'une reprise historique du prolétariat mondial, attisée par les premières manifestations de la crise ouverte du capitalisme, après la plus profonde contre-révolution de l'histoire. Ces prévisions ne relèvent pas de la voyance mais tout simplement de la remarquable maîtrise du marxisme par notre camarade et de la confiance que, même aux pires moments de la contre-révolution, il a conservée envers les capacités révolutionnaires de la classe. Immédiatement, Marc se rend en France (il parcourt même la dernière partie de son voyage en auto-stop puisque lès transports de ce pays sont paralysés). Il reprend contact avec ses anciens camarades de la GCF et entre en discussion avec toute une série de groupes et d'éléments du milieu politique ([3] [199]). Cette action, comme celle d'un jeune membre d'Internacionalismo venu en France dès 1966, sera déterminante dans l'apparition et le développement du groupe Révolution internationale qui va jouer le rôle de pôle de regroupement à l'origine du CCI.
Nous ne pourrons pas rendre compte, non plus, de tous les apports politiques et théoriques de notre camarade au sein de notre organisation une fois qu'elle a été constituée. Il suffît de dire que, sur toutes les questions essentielles qui se sont posées au CCI, comme à l'ensemble de la classe, sur toutes les avancées que nous avons pu réaliser, la contribution de notre camarade a été décisive. En fait, c'était en général Marc qui, le premier, était amené à soulever les points nouveaux sur lesquels il importait de se pencher. Cette vigilance permanente, cette capacité à identifier rapidement, et en profondeur, les questions nouvelles auxquelles il était nécessaire d'apporter une réponse, de même d'ailleurs que les questions plus anciennes sur lesquelles il pouvait subsister des confusions dans le milieu politique, notre Revue Internationale en a rendu compte tout au long de ses soixante-quatre numéros précédents. Les articles publiés sur ces questions n'étaient pas toujours rédigés directement par Marc car, n'ayant jamais fait d'études et, surtout, contraint de s'exprimer dans des langues, tel le français, qu'il n'avait apprises qu'à l'âge adulte, écrire représentait pour lui un effort très pénible. Cependant, il a toujours été le principal inspirateur des textes permettant à notre organisation d'accomplir sa responsabilité d'actualisation permanente des positions communistes. Ainsi, pour ne citer qu'un des derniers exemples où notre organisation a dû réagir rapidement face à une nouvelle situation historique, l'effondrement irréversible du bloc de l'Est et du stalinisme, la grande vigilance de notre camarade, en même temps, évidemment, que sa profondeur de pensée, ont joué un rôle essentiel dans la capacité du CCI à apporter une réponse adéquate dont les faits n'ont cessé, depuis, de confirmer la validité.
Mais la contribution de Marc à la vie du CCI ne se limitait pas à l'élaboration et à l'approfondissement des positions politiques et des analyses théoriques. Jusqu'aux derniers instants de sa vie, tout en continuant à réfléchir sur l'évolution de la situation mondiale et à faire part, malgré l'effort surhumain que cela représentait pour lui, de ses réflexions aux camarades qui lui rendaient visite à l'hôpital, il a continué également à se préoccuper des moindres détails de la vie et du fonctionnement du CCI. Pour lui, il n'y a jamais eu de questions "subalternes" qu'on aurait pu réserver à des camarades moins formés théoriquement. De même qu'il a toujours eu comme préoccupation que l'ensemble des militants de l'organisation soit capable de la plus grande clarté politique possible, que les questions théoriques ne soient pas réservées à des "spécialistes", il n'a jamais hésité à "mettre la main à la pâte" de toutes les activités pratiques et quotidiennes. Ainsi, Marc a toujours donné aux jeunes militants du CCI l'exemple d'un militant complet, engagé avec toutes ses capacités dans la vie de cet organe indispensable du prolétariat, son organisation révolutionnaire. En fait, notre camarade a su en permanence transmettre aux nouvelles générations de militants toute l'expérience qu'il avait accumulée sur tous les plans au cours d'une vie militante d'une longueur et d'une intensité exceptionnelles. Et une telle expérience, ce n'est pas seulement dans la lecture des textes politiques que ces générations pouvaient l'acquérir, c'est dans la vie quotidienne de l'organisation et avec la présence de Marc qu'ils pouvaient y parvenir pleinement.
En ce sens, Marc a occupé une place tout à fait exceptionnelle dans la vie du prolétariat. Alors que la contre-révolution a éliminé, ou a plongé dans la sclérose, les organisations politiques que la classe ouvrière avait sécrétées dans le passé, il a constitué un pont, un maillon irremplaçable, entre les organisations qui avaient participé a la vague révolutionnaire du premier après-guerre et celles qui seront confrontées à la prochaine vague révolutionnaire. Dans son Histoire de la révolution russe, Trotsky est conduit à s'interroger sur la place particulière et exceptionnelle qu'y a prise Lénine. Tout en reprenant à son compte les thèses classiques du marxisme sur le rôle des individus dans l'histoire, il en conclut que, sans Lénine qui a réussi à impulser le redressement et 1’"armement" politique du parti bolchevik, la révolution n'aurait pu avoir lieu, ou qu'elle se serait soldée par un échec. Il est clair que, sans Marc, le CCI n'existerait pas, tout au moins sous sa forme actuelle d'organisation la plus importante du milieu révolutionnaire international (sans parler de la clarté de ses positions sur laquelle, évidemment, d'autres groupes révolutionnaires peuvent avoir un point de vue différent du nôtre). En particulier, sa présence et son activité ont permis que ne disparaisse pas dans l'oubli mais, au contraire, que fructifie le travail énorme et fondamental effectué par les fractions de gauche, et particulièrement la Fraction italienne, qui ont été exclues de l'Internationale communiste. En ce sens, si notre camarade n'a jamais eu dans la classe ouvrière une notoriété ne serait-ce que comparable à celles de Lénine, de Rosa Luxemburg, de Trotsky ou même de Bordiga ou Pannekoek, et il ne pouvait en être autrement alors que la plus grande partie de sa vie militante s'est passée dans la période de contre-révolution, et justement à cause de cela, il ne faut pas craindre d'affirmer que sa contribution à la lutte du prolétariat se situe au même niveau que celle de ces révolutionnaires.
Notre camarade s'est toujours montré réfractaire à ce type de comparaisons. Et c'est toujours avec la plus grande simplicité qu'il a accompli ses tâches militantes, qu’il n'a jamais revendiqué de "place d'honneur" au sein de l'organisation. Sa grande fierté, ce n'est pas dans sa contribution exceptionnelle qu'il l'a placée mais dans le fait que jusqu'au bout, il est reste fidèle, de tout son être, au combat du prolétariat. Et cela aussi était un enseignement précieux pour les nouvelles générations de militants qui n'ont pas eu l'occasion de connaître l'énorme dévouement à la cause révolutionnaire qui était celui des générations du passé. C'est en premier lieu sur ce plan que nous voulons être à la hauteur du combat que, désormais sans sa présence vigilante et lucide, chaleureuse et passionnée, nous sommes déterminés à poursuivre.
CCI
[1] [200] Les articles d'Internationalisme publiés dans la Revue
Internationale sont les suivants :
" L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective "
(n° 21,2e trim. 1980)
"La tâche de l'heure : formation du parti ou formation des cadres"
(n°32, ler trim. 1983)
"Contre la conception du chef génial", (n° 33, 2e trim. 1983)
"La discipline... Force principale... ", (n° 34, 3e trim. 1983)
"Le 2e congrès du Parti Communiste Internationaliste", juillet 1948 (n°36, ler trim. 1984)
" Rapport sur la situation internationale, GCF, juillet 1945 ", extraits sous le titre "Les vraies causes de la 2e guerre mondiale"
Ainsi que :
" le "Manifeste" de L'Etincelle, janvier 1945, (n° 59, 4e trim. 1989)
"L'expérience russe", (n° 61, 2e trim. 1990)
Ou la série d'articles :
"Critique de « Lénine philosophe » de Pannekoek, Politique et philosophie de Lénine à Harper", (n° 25, 27, 28, 30).
[2] [201] Cette même préoccupation d'établir des critères précis dans la convocation de conférences de croupes communistes a été manifestée par le CCI, contre le flou dans lequel se complaisait le PCInt lors de la Ire conférence tenue en mai 1977. Voir à ce sujet la Revue Internationale n° 10, 13, 17, 22, 40, 41, 53, 54, 55 et 56.
[3] [202] Il a alors l'occasion de manifester un des traits de son caractère qui n'a rien à voir avec celui d'un "théoricien en chambre" : présent sur tous les lieux où vit le mouvement, dans les discussions mais aussi dans les manifestations, il passe une nuit entière derrière une barricade bien décidé, avec un groupe déjeunes éléments, à "tenir jusqu'au matin" face à la police... comme l'avait fait la petite chèvre de Monsieur Seguin race au loup dans le conte d'Alphonse Daudet.
Durant l'année 1991, la crise est passée au second plan des préoccupations, occultée par la guerre dans le Golfe et les massacres qu'elle a causé, par le développement de la guerre civile en Yougoslavie, et évidemment par les événements de l'été en URSS. Cependant, cela ne signifie certainement pas que cet aspect de l'évolution dramatique de la situation internationale soit devenu secondaire ou, comme voudrait le faire croire la classe dominante, que sur ce plan, les choses, finalement, n'Iraient pas aussi mal que ça. L'économie mondiale s'enfonce dans la récession, et toutes les mesures mises en avant par les différents gouvernements parviennent de moins en moins à freiner cette plongée irrésistible. La chronique économique de l'été 1991 est, à cet égard, très révélatrice.
La crise financière qui se développe depuis plusieurs années, et dont témoignent les faillites bancaires en série, est particulièrement significative de la crise du capital et des limites des moyens mis en oeuvre pour y remédier. Le développement gigantesque du crédit, c'est-à-dire de l'endettement, a été le moyen essentiel pour maintenir la production à flot en créant des débouchés artificiels et pour entretenir, durant les années 1980, l'illusion de la croissance et du boom économique. Le système financier international, donc les banques, ont été au coeur de ce processus. Elles payent aujourd'hui les pots cassés. Les montagnes de crédits qu'elles ont généreusement octroyé ne sont plus remboursés par des clients insolvables, et leurs bilans qui virent au rouge ont été encore plus gravement dégradés par l'effondrement de la spéculation boursière et immobilière dans laquelle elles s'étaient engouffrées.
Derrière les scandales qui, depuis des mois, secouent le monde bancaire et qui vont en s'accroissant, c'est en fait la réalité du développement de la crise financière et l'annonce d'un prochain séisme de première grandeur au coeur du système financier international qui s'annoncent. Les banques sont au coeur du fonctionnement du capitalisme, le symbole même de l'argent, du capital. Elles sont le système sanguin, proche du centre de décision de l'Etat, qui irrigue, en finançant et en permettant l'échange, tout l'organisme capitaliste. La forme scandaleuse que prennent les faillites bancaires n'est pas seulement liée au fait que la classe dominante utilise le scandale pour faire croire à l'exception et, en pointant du doigt a brebis galeuse, veut montrer la "moralité" de ses institutions, elle est surtout le produit du fait que la faillite met à nu le fonctionnement putride du capitalisme décadent, toutes les activités délictueuses et criminelles qui se déroulent derrière les portes feutrées des banques dans la course effrénée à la richesse où tous les coups sont permis, alors que les enjeux se chiffrent en milliards.
Le récent scandale de la BCCI qui laisse un trou dont l'estimation varie de 5 à 15 milliards de dollars montre l'envers du décor du monde capitaliste, ce qui se trame et se manigance dans les bureaux confortables des financiers "respectables". Recyclage de l'argent de la drogue, financement et organisation du trafic d'armes à l'échelle internationale, détournement de fonds, gestion des comptes des hommes politiques corrompus, organisation de l'évasion des capitaux, falsification de documents, trafic d'influence, magouilles diverses avec les services secrets et les groupes terroristes, corruption, espionnage industriel, et même entretien d'une équipe de tueurs pour "faciliter" ces activités, etc. Une véritable organisation du crime se cachait derrière l'honorable institution bancaire. Mais aussi caricaturale que soit la situation de la BCCI, elle n'est pas une exception, loin de là. Il suffit, pour constater cela, de faire simplement l'énumération des scandales bancaires de ces derniers mois : la filiale du Crédit Lyonnais en Hollande qui s'acoquine avec un financier italien, Paretti, dont la fortune est d'origine plus que douteuse, le fils de Bush, ancien directeur d'une caisse d'épargne en faillite qui passe en procès pour escroquerie ; les plus grandes banques japonaises qui sont prises la main dans le sac pour avoir escroqué les petits épargnants au profit des plus gros clients, tandis que le chef de la police japonaise vient de les avertir de cesser de faire des affaires avec les parrains de la pègre locale ; Salomon Brothers qui est accusée de trafiquer illégalement sur les bons du trésor; une escroquerie bancaire sur les actions de la bourse de Milan et qui porte sur des centaines de milliards de Lires est dévoilée en Suisse ; des fonctionnaires du ministère des finances de Pologne qui sont renvoyés pour avoir avec l'aide de banques locales, détourné es fonds de l'Etat. Et encore cette liste sur les derniers mois seulement est-elle loin d'être exhaustive. La crise qui pousse les capitalistes dans une concurrence effrénée, les pousse aussi, dans la quête avide de capital, à outrepasser leurs propres lois et à se jeter sur les activités les plus profitables, les plus spéculatives, celles du crime.
Pour une classe décadente qui, dans sa recherche assoiffée du profit, n'hésite pas à développer des activités criminelles vis-à-vis de ses propres lois, le mensonge est une peccadille, surtout s'il est dirigé vers la classe ennemie, le prolétariat. Cacher, masquer la réalité de la crise économique tant que faire se peut, a toujours été un axe essentiel de la propagande bourgeoise. Tous les Etats manipulent a qui mieux mieux les chiffres du chômage et de l'inflation, mais avec la récession qui se développe depuis des années ce sont ceux de la croissance qui sont soumis à une tricherie permanente. Le gouvernement américain est un spécialiste en la matière. Depuis des années le même sketch rituel est mis en scène : il annonce des chiffres de croissance optimistes, lance une campagne sur le thème du "tout va bien, la situation s'améliore" pendant quelques semaines et trois mois après, publie des chiffres révisés à la baisse qui montrent qu'il n'en a rien été. L'été dernier on a pu assister à une nouvelle répétition de cette manoeuvre : après avoir fêté en juillet, la fin de la récession en divulguant une hausse annuelle du PNB de 0,4 % pour le deuxième trimestre, finalement dans les derniers jours d'août c'est une baisse de -0,1 % qui est annoncée. Après les baisses de -1,6% du 4e trimestre 1990 et de -2,8% au 1er trimestre 1991, cela montre que, contrairement à la propagande de l'été, non seulement l'économie américaine n'est pas sortie de la récession, même en chiffres officiels, mais surtout que toutes les mesures mises en place pour relancer la machine, baisse du taux d'escompte à un niveau très bas pour faciliter le crédit, creusement d'un déficit budgétaire qui va atteindre un nouveau record pour l'année en cours où il devrait avoisiner les 400 milliards de dollars- n'ont pas suffit. La faiblesse de l'amélioration relative de l'économie américaine, plus qu'une source d'espoir pour le futur, comme le désirerait la bourgeoisie, est en fait le signe annonciateur d'une plongée encore plus profonde de la récession dans la période qui vient.
Alors que l'économie américaine continue à battre de l'aile et à s'enfoncer dans le marasme, les deux autres puissances économiques du monde qui semblaient jusque là à l'abri de la récession avec des taux de croissance confortables, commencent à montrer des signes de faiblesse :
- l'Allemagne après une croissance record de 4,8 % en 1990, table pour l'année 1991 sur une croissance en baisse à 3 % malgré la reconstruction de l'Allemagne de l'Est qui tire sa production ;
- au Japon aussi, même si la croissance se maintient à un haut niveau, les signes avant-coureurs d'une baisse future sont là, la consommation intérieure stagne, les importations ont baissé de - 5,4 % au mois de juillet, tandis que le bâtiment est en crise avec un recul de - 21 % des mises en chantiers en juillet 1991 par rapport au même mois de l'année précédente.
Alors que la fuite en avant dans le crédit n'est plus possible, comme le montre la crise du système financier et les faillites bancaires en série, la perspective s'assombrit toujours plus pour l'économie mondiale, les nuages s'accumulent qui annoncent l'orage.
Cette crise qui s'intensifie, les prolétaires n'ont pas besoin d'en lire les nouvelles et les indices dans les journaux pour la constater, ils la vivent dans leur chair. Plus que toute autre question, le développement du chômage a été significatif de l'accélération de la crise ces derniers mois. Depuis le début de l'année pas un jour qui ne passe sans que de nouveaux licenciements ne soient annoncés. Dans tous les pays développés l'accroissement du nombre de chômeurs prend l'allure d'une catastrophe sociale et offre un contraste frappant avec les déclarations faussement rassurantes de nos dirigeants.
De juin 1990 à mai 1991, le nombre de chômeurs est passé officiellement aux USA de 6 580 000 à 8 640 000, une croissance de 30 % ! En Grande-Bretagne, sur la même période, il a grimpé de 1 618 000 à 2 244 000, et depuis le printemps, il croît au rythme de 80 à 90 000 nouveaux demandeurs d'emploi par mois, et l'OCDE prévoit déjà 2 700 000 chômeurs pour la mi-1992. En France, de juillet 1990 à juillet 1992, il est passé de 2 503 000 à 2 703 000. En Allemagne, même si le chômage a régressé à l'ouest depuis un an, ce qui est lié à la situation particulière de ce pays dopé par la réunification, à l'est on prévoit un taux de chômage de 30 % dans la période qui vient.
Ce sombre bilan montre ce qui attend les prolétaires du monde entier, car il n'est que provisoire. Avec le développement de la récession mondiale, le pire est à venir. En fait, ce bref survol de l'actualité économique de ces derniers mois montre, sous un éclairage particulièrement cru, ce que le capitalisme a à offrir aux prolétaires et exploités du monde entier : le crime, le mensonge et la misère.
JJ, 02/09/1991
Quelques semaines avant les événements d'URSS, le CCI a tenu son 9e Congrès international. Comme le lecteur pourra s'en rendre compte en prenant connaissance des documents adoptés à cette réunion que nous publions par la suite, l'éclatement de l'URSS -ainsi que la guerre civile en Yougoslavie -qui s'inscrit complètement dans la dynamique ouverte depuis la disparition du bloc impérialiste de l'Est, ne nous a pas surpris et est venu illustrer les travaux et les orientations que nous venions tout juste de confirmer à ce congrès. Tout juste de confirmer disions-nous, car, à vrai dire, c'est depuis le tout début de l'explosion du bloc impérialiste de l'Est, en été 1989, que notre organisation a su analyser les grandes tendances de la nouvelle situation historique qui s'ouvrait, et tout spécialement la perspective du chaos et de l'explosion du bloc de l'Est et de l'URSS.
Véritable assemblée générale du CCI, moment privilégié de sa vie et expression la plus haute de son caractère centralisé et international, un congrès doit tirer un bilan du travail accompli dans la période qui le précède, et, sur cette base, définir des orientations d'activités en rapport avec les perspectives qu'il dégage de la situation internationale, spécialement quant au rapport de force entre le capital et le prolétariat au niveau mondial. Par conséquent, ce congrès avait pour tâche essentielle la discussion de la validité de nos analyses (en particulier l'analyse générale sur la phase historique de décomposition dans laquelle est entré le capitalisme) et de nos prises de position face aux immenses bouleversements historiques que nous avons vécus depuis la fin 1989 :
- l'effondrement des régimes staliniens,
- la disparition de la configuration impérialiste Est-Ouest issue de 1945, de Yalta,
- face à la situation qui s'en est suivie, la guerre du Golfe qui a vu la destruction de l'Irak et du Koweït,
- le chaos touchant un grand nombre de pays et tout particulièrement les pays de l'Est européen, e recul de la lutte de classe internationale.
La nouvelle situation : une rupture historique et le recul de la lutte de classe
Quel bilan le congrès a-t-il tiré des analyses élaborées et des prises de position du CCI - toutes publiées dans la presse et auxquelles nous allons faire référence -face aux événements gigantesques que nous avons vécus ? Comme le dit la résolution d'activités adoptée :
« Les événements de portée historique qui ont jalonné ces deux années ont mis l'organisation à l'épreuve en lui imposant le réexamen de {ensemble de ses analyses et de son activité à la lueur des nouvelles données de la situation internationale (...) Le critère central pour apprécier le bilan de l'activité du CCI durant ces deux dernières années est nécessairement, vue l'importance des événements, sa capacité à avoir perçu et analysé ce qu'ils signifiaient et impliquaient. »
Que signifiaient ces événements ? Qu'impliquaient-ils ? C'est là-dessus que le congrès a du revenir et se prononcer.
La phase historique de décomposition du capitalisme a l'origine de la disparition du bloc de l'Est et de l'URSS
Dans les conditions dramatiques et catastrophiques de la crise économique ouverte, irréversible du capitalisme, la bourgeoisie est incapable d'imposer au prolétariat mondial la seule perspective qu'elle puisse offrir à l'humanité : une troisième guerre mondiale aux effets dévastateurs. Mais par ailleurs, le prolétariat est lui-même incapable pour le moment de dégager clairement, ni même de présenter, sa propre perspective révolutionnaire de destruction de la société capitaliste. Aucune perspective historique n'ayant réussi à se dégager, la société capitaliste - dont la crise économique, elle, ne s'arrête pas - se trouve dans une impasse et pourrit sur pied tel un fruit non cueilli. C'est ce que nous appelons la nouvelle phase historique de décomposition du capitalisme ("La décomposition, phase ultime du capitalisme", Revue Internationale n° 62, 3e trimestre 1990).
Cette phase de décomposition, de blocage et d'impasse historique, est a l'origine de l'éclatement du bloc impérialiste de l'Est, de PURSS et de la mort du stalinisme que nous avions su entrevoir dès octobre 1989 :
«Dès à présent, le bloc de l'Est nous présente le tableau d'une dislocation croissante. Par exemple, les invectives entre l'Allemagne de l'Est et la Hongrie, entre les gouvernements "réformateurs" et les gouvernements "conservateurs", ne sont nullement du cinéma. Elles rendent compte des réels clivages qui sont en train de s'établir entre les différentes bourgeoisies nationales. Dans cette zone, les forces centrifuges sont tellement fortes qu'elles se déchaînent dès qu'on leur en laisse l'occasion. Et aujourd'hui, cette occasion s'alimente des craintes suscitées au sein des partis dirigés par les "conservateurs" que le mouvement parti d'URSS, et qui s'est amplifié en Pologne et en Hongrie, ne vienne, par contagion, les déstabiliser.
C'est un phénomène similaire qu'on retrouve dans les Républiques périphériques de l'URSS. Ces régions sont en quelque sorte des colonies de la Russie tsariste ou même de la Russie stalinienne (par exemple les pays baltes annexés suite au pacte germano-soviétique de 1939). (...) Les mouvements nationalistes qui, à la faveur du relâchement du contrôle central du parti russe, s'y développent aujourd'hui avec près d'un demi-siècle de retard par rapport aux mouvements qui avaient affecté les empires français ou britannique, portent avec eux la dynamique de séparation d'avec la Russie.
En fin de compte, si le pouvoir central de Moscou ne réagissait pas, nous assisterions à un phénomène d'explosion, non seulement du bloc russe, mais également de sa puissance dominante. Dans une telle dynamique, la bourgeoisie russe, qui, aujourd'hui, domine la deuxième puissance mondiale, ne serait plus à la tête que d'une puissance de second plan, bien plus faible que l'Allemagne, par exemple. »
("Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est", adoptées en Octobre 1989, Revue Internationale n° 60, 1er trimestre 1990).
La décomposition du capitalisme exacerbe encore plus les antagonismes impérialistes, les guerres et le militarisme
Les effets de cette phase historique, dans ce cas l'explosion du bloc de l'Est et de l'URSS, à leur tour, viennent accentuer et renforcer la décomposition de la société. Elle est marquée par l'exacerbation de toutes les caractéristiques du capitalisme décadent, tout particulièrement, la guerre, l'impérialisme, le militarisme (telles que nous les avons mises en évidence dans le texte "Militarisme et décomposition" en octobre 1990, Revue Internationale n° 62), le capitalisme d'Etat, et ce dans un chaos croissant. Voilà ce 3ue nous écrivions au lendemain de la chute du mur e Berlin, alors que la bourgeoisie mondiale chantait à tue-tête les vertus du capitalisme et se vantait d'offrir à l'humanité une ère de paix et de prospérité... ainsi que sa victoire sur le marxisme :
« Cette disparition du bloc de l'Est signifie-t-elle que, désormais, le monde sera dominé par un seul bloc impérialiste ou que le capitalisme ne connaîtra plus d'affrontements impérialistes ? De telles hypothèses seraient tout à fait étrangères au marxisme. (...). Dans la période de décadence du capitalisme, TOUS les Etats sont impérialistes et prennent les dispositions pour assumer cette réalité : économie de guerre, armements, etc. C'est pour cela que l'aggravation de l'économie mondiale ne pourra qu'attiser les déchirements entre ces différents Etats, y compris, et de plus en plus, sur le pian militaire. La différence avec la période qui vient de se terminer, c'est que ces déchirements et antagonismes qui auparavant étaient contenus et utilisés par les deux grands blocs impérialistes, vont maintenant passer au premier plan. La disparition du gendarme impérialiste russe, et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux "partenaires" d'hier (note : nous entendions par là la disparition du bloc de l'Ouest face à la mort subite de son rival oriental), ouvrent la porte au déchaînement de toute une série de rivalités plus locales. Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l'heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (même en supposant que le prolétariat ne soit plus en mesure de s y opposer). En revanche, du fait de la disparition de la discipline imposée par la présence des blocs, ces conflits risquent d’être plus violents et plus nombreux, en particulier, évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible. »
("Après l'effondrement du bloc de l'Est, décomposition et chaos", Revue Internationale n°61, 2 trimestre 1990,).
C'est exactement ce qui allait se réaliser quelques mois plus tard de manière ô combien sanglante avec la guerre du Golfe.
L'effondrement du bloc de l'est : une rupture historique dans la situation mondiale
La disparition du bloc impérialiste de l'Est, l'agonie du capitalisme d'Etat stalinien, la guerre impérialiste du Golfe, marquent une rupture nette dans l'évolution historique. En particulier pour la lutte de classe du prolétariat mondial.
La fin des années 1960 avait ouvert une période de développement lent, non linéaire, mais réel, des luttes ouvrières dans le monde entier face aux attaques dues à l'aggravation inexorable de la crise économique : 1968 à 1975 (France, Italie, Pologne, etc.), Pologne 1980, luttes des années 1983-1988 en Europe occidentale. Cette force relative, cette résistance de la classe ouvrière mondiale, en empêchant les différentes bourgeoisies nationales d'embrigader l'ensemble du prolétariat, est à l'origine du blocage historique qui a vu le phénomène de la décomposition devenir déterminant dans la vie du capitalisme. L'effondrement des régimes staliniens, qui est à comprendre dans ce cadre de la décomposition, devait occasionner un profond recul dans la conscience de la classe ouvrière (article de la Revue Internationale n°60, "Des difficultés accrues pour le prolétariat" rédigé en novembre 1989 et la thèse 22 des "Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est" déjà citées). Il pesait encore sur la classe ouvrière lorsque la guerre du Golfe est venue à son tour influer sur le rapport de force entre les classes :
«Aujourd'hui, cette prise de conscience continue à être entravée par les séquelles de l'effondrement du stalinisme et du bloc de t'Est. Le discrédit qu'a subi il y a un an et demi, sous l'effet notamment d'une campagne gigantesque de mensonges, l'idée même de socialisme et de révolution prolétarienne est encore loin d'avoir été surmonté. (...) De même, la crise et la guerre du Golfe, si elles ont eu le mérite de démentir les discours sur la "paix éternelle", ont aussi engendré dans un premier temps un sentiment d'impuissance et une paralysie indiscutable dans les grandes masses ouvrières des pays avancés. »
("Résolution sur la situation internationale" adoptée par le congrès et publiée dans ce numéro).
Est-il besoin de préciser que, depuis notre congrès, l'échec du putsch des "conservateurs" en URSS au mois d'août, la mort du PC stalinien d'URSS, la dislocation de l'URSS, sont l'occasion pour la bourgeoisie mondiale de relancer la campagne contre la classe ouvrière sur "la mort du communisme", usant et abusant du plus grand mensonge historique de tous les temps qui assimile le capitalisme d'Etat stalinien au communisme. Nul doute que cette campagne ne fait que prolonger un peu plus encore les effets négatifs sur le prolétariat de la putréfaction nauséabonde du stalinisme. Le prolétariat mondial aura payé cher, très, très cher, la contre-révolution stalinienne, dans sa chair et dans son esprit.
Le 9e congrès du CCI s'est prononcé en accord avec cette analyse et avec les différentes prises de position adoptées face aux événements. Il a donc tiré un bilan positif de ses activités sur le plan de l'élaboration théorique et de l'analyse de la situation internationale, ainsi que sur le plan des prises de position.
Bilan des activités
La rupture historique, les événements que nous avons vécus depuis l'effondrement du bloc de l'Est, le recul du prolétariat, ont nécessité une adaptation de notre intervention générale. De ce point de vue aussi, le congrès a tire un bilan positif. L'ensemble de notre intervention a su prendre position de façon militante sur les principales questions posées dans la situation actuelle, en particulier à travers : la mise en lumière de la nouvelle phase historique de décomposition, la gravité des enjeux, l'explication des causes historiques et particulières de l'effondrement des régimes staliniens, la dénonciation des campagnes bourgeoises en particulier celle identifiant la révolution russe à la barbarie du stalinisme, identifiant le communisme au capitalisme d'Etat stalinien, la dénonciation de la barbarie meurtrière et cynique de la bourgeoisie, de son système et de la "démocratie" durant a guerre du Golfe, etc.
Par ailleurs, avec le recul de la lutte de classe et les circonstances de celui-ci, « l'aspect propagande a largement pris le pas dans notre intervention, avec la presse comme instrument principal de celle-ci (...) Les publications territoriales ont été globalement capables de répondre à l'irruption des événements majeurs, en avançant leur date de parution, par la sortie de suppléments quand nécessaire » (Résolution sur les activités). Le CCI, comme un tout uni et centralisé, a diffusé un supplément international à ses publications lors de l'éclatement du bloc de l'Est, et deux tracts internationaux dans les douze pays où il est présent et partout où il pouvait intervenir, dénonçant le conflit impérialiste dans le Golfe lors de son éclatement et de sa fin.
Sur le plan de la vie organisationnelle, le CCI a su renforcer ses liens et sa centralisation internationale suivant en cela les orientations tracées par son congrès international précédent. La mobilisation de l'organisation, de tous ses militants, et le resserrement des liens entre toutes ses parties et sections territoriales, ont constitué une arme fondamentale de l'organisation pour faire face à la nouvelle situation.
Si le congrès a tiré un bilan positif de nos activités, cela ne veut pas dire que nous n'ayons pas manifesté des faiblesses, notamment des retards dans les différentes presses territoriales, en particulier pour répondre à l'effondrement des régimes staliniens. Ces faiblesses ont résulté fondamentalement de la difficulté réelle qu'il y avait pour appréhender dans toute sa mesure l'ampleur de la rupture historique ; pour remettre en cause le cadre d'analyse correspondant à la période précédant la disparition du bloc de l'Est ; pour voir rapidement et comprendre l'éclatement de ce bloc ; pour saisir les répercussions négatives pour la classe ouvrière de l'effondrement du stalinisme ; pour reconnaître le recul de la lutte de classe.
Faire face à l'accélération dramatique de l'histoire
L'histoire s'accélère dramatiquement. Inutile de revenir encore sur les événements et sur le dernier d'entre eux à l'heure où nous écrivons : la fin de l'URSS. Il suffit de lire les journaux, ou de regarder la TV. La bourgeoisie ne peut le cacher. La décomposition de la société capitaliste dans l'impasse historique, est la cause de cette accélération. Elle touche toute la société, toutes les classes, y compris le prolétariat. Les caractéristiques du phénomène de la décomposition font que s'exerce sur la classe ouvrière, les organisations révolutionnaires - y inclus bien sûr le CCI - et les militants, une pression particulière de l'idéologie petite-bourgeoise qui mine la confiance et la conviction dans la force historique du prolétariat et dans le rôle des organisations politiques révolutionnaires.
La pression de l'idéologie bourgeoisie et petite-bourgeoise gangrenées par la décomposition, et la fuite dans les illusions les plus réactionnaires qu'elle provoque, telles le nationalisme, le corporatisme, voire le racisme ; le rejet de grandes masses d'ouvriers dans le chômage, sans perspective de retrouver du travail, ou d'en trouver quand il s'agit des jeunes, la lumpénisation, la marginalisation qui s'ensuit, le désespoir (la chute dans la drogue et dans la délinquance ou la constitution par exemple), et nous en passons, sont es dangers qui menacent de plus en plus violemment et massivement le prolétariat mondial. Ils entravent le développement de sa conscience et de la confiance en sa force révolutionnaire. Cette situation connaît un développement terrible et se révèle dans toute son ampleur dans les pays de l'ex-bloc de l'Est. Le déboussolement, l'aveuglement et le désespoir qui frappent les grandes masses d'ouvriers de ces pays sont particulièrement dramatiques. Nul doute que l'explosion de l'URSS, l'indépendance des républiques et le nationalisme qui va avec, les illusions démocratiques et celles sur la pseudo prospérité des pays occidentaux, vont renforcer encore le désarroi et 'impuissance du prolétariat dans cette partie du monde.
Le même type de dangers pèse sur les militants communistes et leurs organisations politiques. Les doutes, le scepticisme, la démoralisation, le manque de confiance dans la classe ouvrière vont de pair avec les tentations de fuite dans la "vie privée", dans l'individualisme, dans le rejet, le dénigrement amer et cynique de toute activité militante organisée et collective, ou dans le refus de la théorie, de la réflexion.
De même au plan collectif, du fonctionnement de l'organisation révolutionnaire, le dilettantisme, le laisser-aller, le chacun pour soi, le localisme, représentent eux aussi des dangers autrement plus menaçants que par le passé sur le fonctionnement même des organisations politiques communistes.
Cette pression s'effectue encore sur le plan théorico-politique. L'absence de perspective historique qui produit cette situation inédite de décomposition du capitalisme, se manifeste dans la déliquescence de la pensée, dans la perte de toute méthode, dans la confusion et le mélange des genres, dans une vision immédiate, a-historique. Pour les organisations communistes, cette pression se traduit dans des tendances accrues à une vision immédiate et superficielle, au jour le jour, des événements - ce que nous appelons l'immédiatisme - sans comprendre, ni même bien souvent essayer de voir, l'unité et l'ensemble du processus historique.
Le manque de rigueur dans la pensée, le manque d'intérêt pour la théorie - caractéristiques qui touchent l'ensemble de la société capitaliste et qui connaissent un développement effarant - se manifestent par une pression à l'abandon de la lecture des ouvrages théoriques et historiques, par l'oubli ou l'ignorance des "classiques du marxisme", de l'histoire du mouvement ouvrier et de la société capitaliste.
Cette pression s'illustre aussi - nous le voyons dans nombre de groupes révolutionnaires - dans la mise en cause des acquis théoriques et politiques du mouvement ouvrier, quand ce n'est pas tout simplement -ouvertement ou non - dans le rejet du marxisme.
C'est la raison pour laquelle le 9e congrès a appelé l'ensemble de notre organisation, de ses parties, de ses militants, à renforcer les liens et la centralisation internationale du CCI, à faire preuve de la plus grande vigilance organisationnelle et militante, mais aussi à développer tout particulièrement l'implication et la mobilisation de l'ensemble de nos forces dans la réflexion et l'approfondissement théorique et dans l'élaboration de nos analyses. Ce sont la les conditions indispensables pour pouvoir intervenir de la manière la plus adéquate et la plus efficace possible dans la classe ouvrière.
L'intervention dans la période qui vient
Dans cette situation de pression renforcée de la décomposition sur le prolétariat et les révolutionnaires, dans cette situation d'accélération terrible de l'histoire, le 9e congrès du CCI a tracé ses perspectives d'activités générales, et tout particulièrement ses perspectives d'intervention envers la classe ouvrière et e milieu politique prolétarien.
Bien évidemment, la disparition de l'URSS et l'ignoble campagne de la bourgeoisie contre le communisme prolongent les effets du recul subi par le prolétariat depuis maintenant plus de deux ans. Elles renforcent aussi la nécessité pour nous de renforcer la dénonciation du mensonge assimilant le communisme au stalinisme. En s'inscrivant dans le cadre de nos analyses, cet événement ne nous surprend pas et vient confirmer l'orientation de notre intervention que le 9e Congrès avait définie :
« Notre intervention va être confrontée à la fois à la nécessité d'aider la classe ouvrière à surmonter les séquelles toujours présentes du recul dans sa conscience, consécutif à l'effondrement du bloc de l'Est et à celle de favoriser la décantation de cette même conscience qu a suscité la guerre du Golfe et que ne fera qu'approfondir la menace déplus en plus présente de la guerre. C'est pourquoi l'axe principal de l'intervention est de contribuer du mieux possible à l'approfondissement de la conscience, à travers la dénonciation générale de la bourgeoisie et de son système, à la mise en relief des enjeux dans la nouvelle situation historique en lien avec la perspective générale du combat de classe.
De ce fait la question de la guerre doit rester un axe de notre intervention. » (Résolution sur les activités).
Car en fait, la classe ouvrière va devoir lutter dans une situation déterminée par le développement du chaos, des guerres et de la crise économique. C'est aussi dans cette situation que va se déployer notre activité et notre intervention.
« Le chaos général qui caractérise la phase ultime de la décadence capitaliste, celle de la décomposition, ne pourra être marqué que par un déchaînement de ce qui constitue la caractéristique dominante de la période de décadence: les conflits impérialistes et le militarisme. » (Résolution sur la situation internationale).
Les guerres impérialistes qui vont éclater, même si elles ne prendront pas la forme de guerre mondiale avec deux blocs impérialistes antagoniques - du moins pour le moment -, n'en seront pas moins meurtrières, provoquant des ravages considérables et, combinées aux autres effets de la décomposition, pollution, famines, épidémies, elles peuvent très bien mener à la destruction de l'humanité. En effet, chaque fois plus aigus encore sous les coups redoublés de la crise économique, les antagonismes impérialistes entre les alliés d'hier dans l'ex-bloc occidental, vont venir entretenir et propager les différents feux guerriers qui éclatent dans la phase de décomposition.
Cette perspective de multiplication de conflits impérialistes sanglants et la perspective d'un développe ment catastrophique des effets de la décomposition tout particulièrement dans les pays d'Europe de l'Est ne sont pas sans conséquences sur la lutte de classe. Nous l'avons dit, le prolétariat subit un recul de sa conscience et de sa combativité. Mais comme classe mondiale, il n'est pas défait et le cours historique reste à des affrontements de classe décisifs. Tout particulièrement, et c'est ce qui est déterminant, la classe ouvrière concentrée et expérimentée d'Europe de l'Ouest n'est pas embrigadée derrière les drapeaux de la bourgeoisie.
« En réalité, si le désarroi provoqué par les événements du Golfe peut ressembler, en surface, à celui résultant de l'effondrement du bloc de l'Est, il obéit à une dynamique différente : alors que ce qui vient de l'Est (élimination des restes du stalinisme, affrontements nationalistes, immigration, etc.) ne peut, et pour un bon moment encore, qu 'avoir un impact essentiellement négatif sur la conscience du prolétariat, la présence de plus en plus permanente de la guerre dans la vie de la société va tendre, au contraire, à réveiller cette conscience. (...). La mise en évidence croissante tant de la faillite irréversible du mode de production capitaliste, y compris et surtout sous sa forme "libérale", que de la nature irrémédiablement guerrière de ce système, vont constituer pour les secteurs centraux du prolétariat un facteur puissant d'usure des illusions issues des événements de la fin 1989. » (idem).
La barbarie guerrière et la multiplication des attaques économiques vont pousser le prolétariat à reprendre le chemin de la lutte, et à prendre conscience des terribles enjeux historiques qui se présentent. C'est à cette perspective que le 9e congrès a voulu préparer le CCI.
Appel au milieu politique prolétarien
C'est dans cette situation historique mondiale chaque jour plus dramatique, que le 9e congrès adresse un "Appel au milieu politique prolétarien" (publié dans ce numéro). En effet, malgré les difficultés importantes du milieu politique prolétarien, le CCI doit participer et oeuvrer à la clarification politique et à 1’unification de ce qui constitue l'avant-garde politique du prolétariat. Depuis sa fondation, notre organisation a toujours inscrit cette tâche au sein de ses préoccupations.
« Le CCI qui, par l'importance de sa place dans ce milieu, possède une responsabilité de premier ordre (...), doit savoir mettre à profit toute occasion pour agir dans le sens d'un dépassement de l'actuelle situation (de dispersion et de sectarisme). La guerre du Golfe, qui a provoqué une claire prise de position internationaliste de la part des groupes révolutionnaires, mais de façon très dispersée, et dans une bien moindre mesure l'effondrement du bloc de l'Est, vis-à-vis duquel les groupes ont réaffirmé sa nature capitaliste mais dans un cadre d'analyse aussi insuffisant que confus, fournissent une telle occasion. (...)
Le 9e Congrès du CCI décide d'adresser aux groupes dont l'existence repose sur des bases historiques réelles et à l'exclusion des groupes parasites, un appel mettant en avant la nécessité :
- de prendre conscience de l'importance des enjeux historiques actuels et des positions de classe que partagent ces groupes ;
- de combattre les attitudes marquées par le sectarisme de chapelle (...);
- d'agir en vue d'un développement des contacts et du débat ouvert à travers la presse (...), l'assistance aux réunions publiques et permanences des groupes du milieu, d éventuelles interventions communes (à travers des tracts par exemple) face à des questions particulièrement importantes. » (Résolution sur le milieu politique prolétarien).
Le 9e congres, moment d'homogénéisation et de renforcement du CCI
C'est un bilan positif que nous tirons de ce congrès. Ce fut un moment d'homogénéisation et de regroupement du CCI. Après les faits historiques bouleversant toute la société capitaliste telle qu'elle était sortie de la 2e Guerre mondiale, il s'agissait de "digérer" ce bouleversement, cette rupture Historique, de vérifier nos analyses, de se regrouper derrière nos perspectives, pour affronter l'intense période qui vient.
L'histoire s'accélère et s'accélère encore. Les événements dramatiques se succèdent à une cadence chaque fois plus effrénée. L'immense majorité de la population mondiale vit dans la misère extrême sous a menace mortelle des guerres, des maladies, des catastrophes en tous genres, et de la famine.
Le prolétariat mondial subit les attaques économiques redoublées dans une ambiance croissante de décomposition et de guerre. Même si aujourd'hui il subit un recul de sa conscience et aussi de sa combativité, il est la seule force capable d'en finir à jamais avec ce cloaque immonde qu'est devenu le capitalisme en putréfaction. Inévitablement, sous les coups du capital, il va devoir s'affronter implacablement, dans une lutte à mort, à la bourgeoisie mondiale. L'enjeu de cet affrontement terrible et gigantesque ? La destruction du capital, l'instauration du communisme et la survie de l'humanité.
CCI, 01/09/91
9e CONGRES DU CCI
La guerre impérialiste, la crise et les perspectives de la lutte de classe dans la décomposition du capitalisme
Nous publions ci-dessous la résolution sur la situation internationale adoptée par le 9e congrès du CCI. Ce texte constitue la synthèse des deux rapports présentés à ce congrès : sur la situation économique et sur les autres aspects de la situation internationale. Afin de préciser et expliciter certains points de la résolution, nous reproduisons à sa suite des extraits de ce deuxième rapport. Faute de place, les passages retenus ne sont pas toujours articulés entre eux et sont loin de recouvrir l'ensemble des points abordés dans le rapport de même que dans les discussions du congrès. Ces passages ne concernent pas toujours non plus les points les plus importants de la situation internationale, lesquels ont déjà été amplement traités dans d'autres articles de la Revue Internationale. Nous avons plutôt privilégié dans ce choix les questions, également importantes, sur lesquelles le rapport était plus explicite que ces articles.
Résolution sur la situation internationale
Le phénomène d'accélération de l'histoire, déjà identifie par le CCI au début des années 1980, a connu, depuis son dernier congrès, une accentuation considérable. Jamais, depuis la constitution de notre organisation, et même depuis la seconde guerre mondiale, il ne s'était déroulé, et ceci en moins de deux ans, des événements d'une telle importance historique. En quelques mois, c'est toute la configuration du monde, telle qu'elle était sortie de cette guerre, qui s'est trouvée bouleversée. En fait, l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est, qui clôt les années 1980, ouvre la porte à une fin de millénaire dominée par une instabilité et un chaos comme jamais l'humanité n'en a connus. Il appartient aux révolutionnaires, s'ils veulent être en mesure d'assumer leur rôle d'avant-garde du prolétariat mondial, de comprendre pleinement la signification des convulsions que nous venons de connaître afin de dégager la perspective qu'elles annoncent pour l'ensemble de la société et, en premier lieu, pour la classe ouvrière. En particulier, il leur revient de faire ressortir que l'effondrement du bloc de l'Est et la guerre du Golfe constituent des manifestations de l'entrée du système capitaliste dans la phase ultime de sa période de décadence : celle de la décomposition générale de la société.
1) Comme il a été mis en évidence dans plusieurs autres textes de l'organisation, la phase de décomposition :
- «constitue l'étape ultime vers laquelle tendent les convulsions phénoménales qui, depuis le début du siècle, à travers une spirale infernale de crise-guerre-reconstruction-nouvelle crise, ont secoué la société et ses différentes classes (...); elle apparaît [dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme... ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent et même s'approfondissent] comme celle résultant de l'accumulation de toutes ces caractéristiques d'un système moribond, celle qui parachève et chapeaute trois quarts de siècle d'agonie d'un mode de production condamné par l'histoire. Concrètement, non seulement la nature impérialiste de tous les Etats, la menace de guerre mondiale, l'absorption de la société civile par le Moloch étatique, la crise permanente de l'économie capitaliste, se maintiennent dans la phase de décomposition, mais cette dernière se présente comme la conséquence ultime, la synthèse achevée de tous ces éléments »
- « est déterminée fondamentalement par des conditions historiques nouvelles, inédites et inattendues : la situation d'impasse momentanée de la société, de "blocage", du fait de la "neutralisation" mutuelle de ses deux classes fondamentales qui empêche chacune d'elles d'apporter sa réponse décisive à la crise ouverte de l’économie capitaliste (...): l'incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l'ensemble de la société et l'incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l'immédiat». ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", Revue Internationale, n°62, 3e trimestre 1990)
Cette incapacité du mode de production capitaliste à proposer la moindre perspective à la société, en dehors d'une résistance au jour le jour face à l'avancée inéluctable de ses convulsions économiques, débouche nécessairement sur des tendances croissantes vers un chaos généralisé, vers une débandade des différentes composantes du corps social dans le "chacun pour soi".
En outre, cette phase de décomposition ne débute pas avec sa manifestation la plus spectaculaire : l'effondrement du stalinisme et du bloc de l'Est dans la seconde moitié de 1989. C'est tout au long des années 1980 que le phénomène de décomposition générale de la société prend son essor et imprègne de Façon croissante tous les aspects de la vie sociale.
2) Un événement aussi considérable et inédit que l'effondrement de tout un bloc impérialiste en dehors d'une guerre mondiale ou d'une révolution prolétarienne, tel qu'on l'a vécu en 1989, ne peut s'expliquer pleinement sans prendre en considération l'entrée du capitalisme décadent dans une phase nouvelle de son existence : la phase de décomposition. Cependant, les particularités de la décomposition ne permettent pas, a elles seules, de comprendre les causes d'un tel événement. Celui-ci trouve ses origines dans l'existence d'un phénomène, le stalinisme, qui ne peut être analysé qu'en faisant intervenir le cadre général de la décadence du mode de production capitaliste et de l'histoire de cette décadence tout au long du 20e siècle :
a) Le stalinisme constitue une manifestation particulière de la tendance générale au capitalisme d'Etat qui caractérise justement la décadence capitaliste.
b) Cependant, et au contraire des manifestations de cette tendance dans la plupart des autres pays (particulièrement les plus avancés), il ne se développe pas de façon progressive et organique au sein des rouages de la société capitaliste, mais il résulte de circonstances spécifiques et "accidentelles" (si on se place du point de vue de la bourgeoisie) mais qui ne pouvaient se produire que dans la décadence : la révolution prolétarienne momentanément victorieuse dans un pays à laquelle fait suite une contre-révolution prise en charge dans ce même pays par l'appareil de l'Etat post-révolutionnaire et non par les secteurs classiques de la classe dominante.
c) Ce même caractère "accidentel" se retrouve dans la constitution du bloc dirigé par l'Etat qui a vu naître le stalinisme. En effet, ce sont les circonstances spécifiques de la seconde guerre mondiale (qui constitue justement la manifestation la plus saillante à ce jour de la décadence capitaliste) qui ont permis à cet Etat arriéré d'établir sa domination sur une partie du monde avec comme seul instrument la même force brute qu'il utilisait à l'intérieur de ses frontières, ce qui a conduit à la formation d'un bloc impérialiste particulièrement bancal.
Les caractéristiques aberrantes de la forme stalinienne du capitalisme d'Etat (totale centralisation de l'économie, absence de la sélection du marché éliminant les entreprises non rentables, sélection du personnel gérant le capital national sur des critères uniquement politiques) liées à son origine historique pouvaient être compatibles avec les circonstances de la guerre mondiale. En revanche, elles ont imposé à ce type de régime des limites radicales avec la prolongation, sans qu'elle puisse déboucher sur un nouvel holocauste généralise, de la crise ouverte du capitalisme. Dans une telle situation d'aggravation de la guerre commerciale entre nations, ces caractéristiques, en privant l'économie stalinienne de toute compétitivité et d'une quelconque motivation de ses agents, n'ont pu que déboucher sur son implosion.
En ce sens, l'effondrement économique de l'URSS et de ses "satellites", qui est à l'origine de la dislocation du bloc de l'Est, trouve ses racines dans les mêmes conditions historiques qui ont permis l'entrée du capitalisme dans la phase de décomposition : la prolongation de la crise ouverte alors qu'aucune des deux classes fondamentales de la société ne peut affirmer sa propre perspective. Ainsi, il se confirme que l'effondrement du bloc de l'Est, fait historique le plus important depuis la reprise mondiale des combats de classe à la fin des années 1960, est bien une manifestation, au delà des particularités de ce bloc et de l'URSS, de l'entrée dans la phase ultime de la décadence capitaliste, celle de la décomposition.
3) S'il est un domaine où s'est immédiatement confirmée la tendance au chaos croissant, dont l'éclatement du bloc de l'Est constituait la première grande manifestation sur la scène mondiale, c'est bien celui des antagonismes impérialistes. La fin du bloc russe était présentée par la bourgeoisie d'Occident comme l'aube d'un "nouvel ordre mondial" censé promouvoir la paix et la prospérité. En moins d'un an, la guerre du Golfe est venue apporter un démenti cinglant à ce mensonge. Elle a mis en évidence la réalité d'un phénomène qui, comme le CCI l'avait relevé immédiatement, découlait nécessairement de la disparition du bloc de l'Est : la désagrégation de son rival impérialiste, le bloc de l’Ouest. Ce phénomène était déjà à l'origine du "hold-up" irakien contre le Koweït en août 1990 : c'est bien parce que le monde avait cessé d'être partagé en deux constellations impérialistes qu'un pays comme l'Irak avait cru possible de faire main basse sur un ex-allié du même bloc. Ce même phénomène a révélé de façon évidente, courant octobre 1990, toute son ampleur avec les diverses tentatives des pays européens (notamment la France et l'Allemagne) et du Japon de torpiller, à travers des négociations séparées menées au nom de la libération des otages, la politique américaine dans le Golfe. Cette politique visait à faire de la punition de l'Irak un "exemple" censé décourager toute tentation future d'imiter le comportement de ce pays (et c'est bien en vue de cet "exemple" que les Etats-Unis avaient tout fait, avant le 2 août, pour provoquer et favoriser l'aventure irakienne). Elle s'applique aux pays de la périphérie où le niveau des convulsions constitue un acteur puissant d'impulsion de ce genre d'aventures. Mais elle est loin de se limiter à cet objectif. En réalité, son but fondamental est beaucoup plus général : face à un monde de plus en plus gagné par le chaos et le "chacun pour soi", il s'agit d'imposer un minimum d'ordre et de discipline, et en premier lieu aux pays les plus importants de l’ex-bloc occidental. C'est bien pour cette raison que ces pays (à l'exception de la Grande-Bretagne gui a choisi depuis longtemps une alliance indéfectible avec l'Oncle Sam) ont fait plus que traîner les pieds pour s'aligner sur la position des Etats-Unis et s’associer à leur effort de guerre. S'ils avaient besoin de la puissance américaine comme gendarme du monde, ils redoutaient qu'un étalage trop important de celle-ci, inévitable lors d'une intervention armée directe, ne porte ombrage à leur propre puissance. Et c'est bien ce que les opérations militaires du début de l'année ont clairement mis en évidence : il n'existe aujourd'hui qu'une seule superpuissance ; aucun autre pays ne peut songer à rivaliser militairement avec les Etats-Unis.
4) En fait, il s'agit là de la clé essentielle de la guerre du Golfe et de l'ensemble de la perspective mondiale. Dans un monde où l'impasse économique totale et de plus en plus évidente du mode de production capitaliste ne peut qu'attiser de façon croissante les antagonismes guerriers entre nations, la disparition des deux blocs issus de la seconde guerre mondiale a mis à l'ordre du jour la tendance à la reconstitution de deux nouveaux blocs militaires, c'est-à-dire de la structure classique que se donnent les principaux Etats, dans la période de décadence, pour "organiser" leurs affrontements armés. Avant même la guerre du Golfe, il était clair qu'aucun des deux seuls prétendants possibles à la direction d'un éventuel nouveau bloc rival de celui qui serait dirigé par les Etats-Unis, le Japon et surtout l'Allemagne, n'était pour le moment en mesure de tenir un tel rang du fait de son extrême faiblesse militaire. Mais compte tenu de la puissance économique et du dynamisme de ces pays, qui en font déjà des concurrents commerciaux redoutables pour les Etats-Unis, il importait pour cette puissance de prendre les devants face à toute évolution des rapports internationaux pouvant s'orienter vers une telle redisposition des forces impérialistes. C'est pour cela que la guerre du Golfe ne saurait être réduite à une "guerre pour le pétrole" ou à une guerre "Nord-Sud". Une telle vision (défendue notamment par les gauchistes qui l'ont utilisée pour justifier leur soutien à l'impérialisme irakien), ne fait qu'amoindrir son importance et sa signification. Au même titre que l'ensemble des manifestations de la décadence capitaliste (militarisme, capitalisme d'Etat, crise ouverte, etc.), les antagonismes fondamentaux qui déchirent le monde trouvent leur origine au coeur du capitalisme et opposent nécessairement les puissances qui tiennent le premier rôle sur la scène mondiale. De ce point de vue, la guerre du Golfe, imposée par les Etats-Unis à leurs alliés, a donné les résultats qu'ils en attendaient : elle a fait la preuve éclatante de l'immense décalage existant entre cette puissance et ses rivaux potentiels. Elle a notamment mis en relief l'incapacité totale des pays européens de mettre en avant une politique extérieure commune indépendante qui aurait pu représenter la prémisse politique de la constitution, à terme, d'un "bloc européen" dirigé par l'Allemagne.
5) Cependant, cette réussite immédiate de la politique américaine ne saurait constituer un facteur de stabilisation durable de la situation mondiale dans la mesure où elle ne pouvait affecter les causes mêmes du chaos dans lequel s'enfonce la société. Si les autres puissances ont du remiser pour un temps leurs ambitions, leurs antagonismes de fond avec les Etats-Unis n'ont pas disparu pour autant : c'est bien ce qui se manifeste avec l'hostilité larvée que témoignent des pays comme la France et l'Allemagne vis-à-vis des projets américains de réutilisation des structures de 'OTAN dans le cadre d'une "force de réaction rapide" dont le commandement reviendrait, comme par hasard, au seul allié fiable des Etats-Unis : la Grande-Bretagne. En outre, au Moyen-Orient même, les conséquences de la guerre du Golfe (chaos dans le Koweït "libéré", révoltes des chiites et des kurdes) ont mis en relief que les moyens employés par les Etats-Unis pour imposer leur "nouvel ordre mondial" constituaient des facteurs d'aggravation du désordre. En ce sens, il n'existe pour le capitalisme aucune perspective de modération, encore moins d'élimination, des affrontements militaires. Bien au contraire, le chaos général qui caractérise la phase ultime de la décadence capitaliste, celle de la décomposition, ne pourra être marquée que par un déchaînement de ce qui constitue la caractéristique dominante de la période de décadence : les conflits impérialistes et le militarisme. Un déchaînement où, contrairement au passé, et c'est là un indice majeur du pas qualitatif franchi par le capitalisme en putréfaction, ce ne seront plus les puissances les plus mal loties dans le partage impérialiste qui joueront le rôle de "boutefeu", mais bien la puissance qui conserve la position dominante, les Etats-Unis, et dont la préservation de cette position la conduira nécessairement à garder ou à prendre de façon croissante l'initiative des affrontements militaires puisque c'est le terrain par excellence où elle peut affirmer sa supériorité. Dans cette situation, et même si les conditions n'étaient plus jamais réunies pour l'établissement d'une nouvelle division du monde en deux blocs impérialistes, c'est-à-dire la prémisse indispensable pour que les affrontements militaires puissent déboucher sur une troisième guerre mondiale, ces affrontements, qui ne pourront que s'amplifier, risquent de provoquer des ravages considérables, y compris, en se combinant avec d'autres calamités propres à la décomposition (pollution, famines, épidémies, etc.), la destruction de l'humanité.
6) La fin de la "guerre froide" et la disparition des blocs n'a donc fait qu'exacerber le déchaînement des antagonismes impérialistes propres à la décadence capitaliste et qu'aggraver de façon qualitativement nouvelle le chaos sanglant dans lequel s'enfonce toute la société. Mais, en même temps qu'il faut souligner l'extrême gravité de la situation présente à l'échelle du monde entier et non seulement de telle ou telle de ses parties, il importe de mettre en évidence que cette gravité n'affecte pas celles-ci de façon immédiatement identique. Il en est ainsi, en premier lieu, du phénomène qui se trouve à l'origine de la nouvelle configuration de la situation mondiale : la fin du bloc de l'Est et celle du bloc de l'Ouest. Ce ne sont pas là deux phénomènes identiques : en particulier, il n'y a pas eu des processus parallèles d'affaiblissement de chacun des deux blocs impérialistes aboutissant à leur disparition simultanée. L'un des blocs s'est effondré brutalement sous la pression de la faillite économique totale de sa puissance dominante alors que le leader de l'autre bloc conservait encore l'essentiel de ses capacités. C'est la disparition du premier qui a provoqué celle du second, non pas à la suite d un effondrement interne, mais tout simplement parce qu'il avait perdu sa raison essentielle d'existence. Cette différence permet de comprendre pleinement les caractéristiques présentes des conflits impérialistes : au même titre que le Japon et l'Allemagne au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'URSS ne peut plus jouer un rôle de premier plan dans l'arène impérialiste mondiale. Désormais, c'est entre les "vainqueurs" de la "guerre froide" que vont se jouer fondamentalement ces antagonismes et c'est pour cela qu'il revient à la puissance dominante du camp victorieux de jouer, pour son compte propre mais aussi pour le compte de l'ensemble du capitalisme, le rôle de "gendarme du monde".
7) D'autre part, cette différence dans les processus de disparition des deux blocs est à l'image de l'évolution de la situation interne dans chacune des composantes de l'un et l'autre : alors que, globalement, les Etats de l’ex-bloc de l'Ouest sont encore capables de contrôler la situation politique et même économique à l'intérieur de leurs frontières, il en est tout autrement des Etats de l'ex-bloc de l'Est ou à régime stalinien. Dès à présent, ces pays nous présentent une caricature de ce que la phase de décomposition porte avec elle ; outre le chaos économique on y voit se développer à une vitesse foudroyante les plaies du capitalisme pourrissant : chômage massif provoquant la lumpénisation de secteurs importants de la classe ouvrière, explosion de la drogue, de la criminalité, de la corruption. Le chaos économique et politique qui se répand dans les pays de l'Est européen frappe en premier lieu celui qui se trouvait à leur tête il y a moins de deux ans, l'URSS. En fait, ce pays a pratiquement cessé d'exister en tant que tel puisque les organes du pouvoir central se révèlent de plus en plus incapables d'exercer leur contrôle sur des parties croissantes du territoire. La seule perspective qui puisse exister pour ce qui fut la deuxième puissance mondiale est celle d'une dislocation sans retour. Une dislocation que la réaction des forces "conservatrices", et particulièrement des organes de sécurité, telle qu'on ra vue dans les pays baltes et en Transcaucasie, ne pourra que retarder quelque peu tout en déchaînant à terme un chaos encore plus considérable en même temps que des bains de sang.
Pour ce qui concerne les ex-démocraties populaires, leur situation, tout en n'atteignant pas le degré de gravité de celle de l'URSS, ne peut que plonger vers un chaos croissant comme le révèlent dès a présent les chiffres catastrophiques de la production (chutant jusqu'à 40 % pour certains pays) et l'instabilité politique qui s'est manifestée ces derniers mois dans pratiquement tous les pays de la région (Bulgarie, Roumanie, Albanie) et particulièrement en Yougoslavie qui est au bord de l'éclatement.
8) La crise du capitalisme, qui se trouve, en dernière instance, à l'origine de toutes les convulsions que subit le monde à l'heure actuelle, est elle-même aggravée par ces convulsions :
- la guerre au Moyen-Orient, l'accroissement des dépenses militaires qui en résulte, les crédits nécessaires à la reconstruction d'une partie des destructions (pour l'essentiel, un pays comme l'Irak ne pourra jamais surmonter les dommages considérables subis durant la guerre), ne peuvent qu'affecter de façon négative la situation économique du monde (contrairement à ce qui fut le cas, par exemple, pour la guerre du Vietnam qui permit, au début des années 1960, de repousser l'entrée en récession de l'économie américaine et mondiale), dans la mesure où l'économie de guerre et l'endettement généralisé constituent, depuis longtemps déjà, des facteurs de premier ordre d’aggravation de la crise ;
- la dislocation du bloc de l'Ouest ne peut que porter un coup mortel à la coordination des politiques économiques à l'échelle du bloc qui, par le passé, avait permis de ralentir le rythme d’effondrement de l'économie capitaliste ; la perspective est à une guerre commerciale sans merci dans laquelle tous les pays laisseront des plumes ;
- les convulsions dans la zone de l'ancien bloc de l'Est vont également constituer un facteur croissant d'aggravation de la crise mondiale en participant à l'amplification du chaos général, et en particulier, en contraignant les pays occidentaux à consacrer des crédits importants a la limitation de ce chaos (par exemple avec l'envoi d'une "aide humanitaire" destinée à ralentir les émigrations massives vers l'Occident).
9) Ceci dit, il importe que les révolutionnaires mettent bien en évidence ce qui constitue le facteur ultime de l'aggravation de la crise :
- la surproduction généralisée propre à un mode de production qui ne peut créer des débouchés en mesure d'absorber la totalité des marchandises produites, et dont la nouvelle récession ouverte, qui frappe actuellement la plupart des pays avancés, à la suite de la première puissance mondiale, constitue une illustration flagrante ;
- la fuite effrénée dans l'endettement extérieur et intérieur, public et privé, de cette même puissance tout au long des années 1980, qui, si elle a permis de relancer momentanément la production d'un certain nombre de pays, a fait des Etats-Unis de très loin le premier débiteur mondial ;
- l'impossibilité de poursuivre éternellement cette fuite en avant, d'acheter sans payer, de vendre contre des promesses dont il est de plus en plus évident qu'elles ne seront jamais tenues, fuite en avant qui n'a fait que rendre les contradictions encore plus explosives, notamment par une fragilisation croissante du système financier international.
La mise en évidence de cette réalité est d'autant plus importante qu'elle constitue un facteur de premier ordre dans la prise de conscience du prolétariat contre les campagnes idéologiques qui se sont déchaînées ces derniers mois, qu'elles aient prétendu "démontrer" que seul le capitalisme "libéral" peut offrir la prospérité aux populations ou que les causes des difficultés économiques sont à imputer aux ambitions du "dictateur mégalomane et sanguinaire" Saddam Hussein. Il est donc indispensable que les révolutionnaires soulignent clairement que la récession actuelle, pas plus que celles de 1974-1975 et de 1980-1982, ne résulte des convulsions politiques et guerrières du Moyen-Orient, mais qu'elle avait débuté dès avant la crise du Golfe et qu'elle révèle les contradictions fondamentales du mode de production capitaliste.
10) Plus généralement, il importe que les révolutionnaires fassent ressortir, de la réalité présente, les éléments les plus aptes à favoriser la prise de conscience du prolétariat.
Aujourd'hui, cette prise de conscience continue à être entravée par les séquelles de l'effondrement du stalinisme et du bloc de l'Est. Le discrédit qu'a subi il y a un an et demi, sous l'effet notamment d'une campagne gigantesque de mensonges, l'idée même de socialisme et de révolution prolétarienne est encore loin d'avoir été surmonté. En outre, l'arrivée massive qui s'annonce d'immigrants originaires d'une Europe de l'Est en plein chaos, ne pourra que créer un surcroît de désarroi dans la classe ouvrière des deux côtés de feu le "rideau de fer" : parmi les ouvriers qui s'imagineront pouvoir échapper à une misère insupportable en s'exilant vers l’"Eldorado" occidental et parmi ceux qui auront le sentiment que cette immigration risque de les priver des maigres "acquis" oui leur restent et qui seront, de ce fait, plus vulnérables aux mystifications nationalistes. Et un tel danger sera particulièrement redoutable dans les pays, tel l'Allemagne, qui se retrouveront en première ligne face aux flux d'immigrants.
Cependant, la mise en évidence croissante tant de la faillite irréversible du mode de production capitaliste, y compris et surtout sous sa forme "libérale", que de la nature irrémédiablement guerrière de ce système, vont constituer pour les secteurs centraux du prolétariat un facteur puissant d'usure des illusions issues des événements de la fin 1989. En particulier, la promesse d'un "ordre mondial de paix", telle qu'elle nous a été faite avec la disparition du bloc russe, a subi en moins d'un an un coup décisif.
11) En fait, la barbarie guerrière dans laquelle se vautre de plus en plus le capitalisme en décomposition va imprimer sa marque de façon croissante dans le processus de développement dans la classe de la conscience des enjeux et des perspectives de son combat. La guerre ne constitue pas en soi et automatiquement un facteur de clarification de la conscience du prolétariat. Ainsi, la seconde guerre mondiale a débouché sur un renforcement de l'emprise idéologique de la contre-révolution. De même, la crise et la guerre du Golf, si elles ont eu le mérite de démentir es discours sur "la paix éternelle", ont aussi engendré dans un premier temps un sentiment d'impuissance et une paralysie indiscutable dans les grandes masses ouvrières des pays avancés. Mais les conditions actuelles de développement du combat de la classe ouvrière ne permettront pas que se maintienne de façon durable un tel désarroi :
-parce que le prolétariat d'aujourd'hui, contrairement à celui des années 1930 et 1940, s'est dégagé de la contre-révolution, qu'il n'est pas embrigadé, tout au moins ses secteurs décisifs, derrière les drapeaux bourgeois (nationalisme, défense de la "patrie socialiste , de la démocratie contre le fascisme) ;
- parce que la classe ouvrière des pays centraux n'est pas directement mobilisée dans la guerre, soumise au bâillon que représente l'enrôlement sous l'autorité militaire, ce qui lui laisse beaucoup plus de latitude pour développer une réflexion de fond sur la signification de la barbarie guerrière dont elle supporte les effets par un surcroît d'austérité et de misère ;
- parce que l'aggravation considérable, et de plus en plus évidente, de la crise du capitalisme, dont les ouvriers seront évidemment les principales victimes et contre laquelle ils seront contraints de développer leur combativité de classe, développera les conditions leur permettant de façon croissante de faire le lien entre la crise capitaliste et la guerre, entre le combat contre celle-ci et les luttes de résistance aux attaques économiques, renforçant leur capacité de se garantir contre les pièges du pacifisme et des idéologies aclassistes.
12) En réalité, si le désarroi provoqué par les événements du Golfe peut ressembler, en surface, à celui résultant de l'effondrement du bloc de l'Est, il obéit à une dynamique différente : alors que ce qui vient de l'Est (élimination des restes du stalinisme, affrontements nationalistes, immigration, etc.) ne peut, et pour un bon moment encore, qu'avoir un impact essentiellement négatif sur la conscience du prolétariat, la présence de plus en plus permanente de la guerre dans la vie de la société va tendre, au contraire, à réveiller cette conscience. De même, si l'effondrement du stalinisme n'a eu qu'un impact limité sur la combativité de la classe ouvrière, comme on pouvait déjà le constater au printemps 1990 par une tendance à la reprise des luttes, la crise et la guerre du Golfe, par le sentiment d'impuissance qu'elles ont suscité parmi les ouvriers des principaux pays avancés (qui étaient pratiquement tous impliqués dans la "coalition") ont d'ores et déjà provoqué un recul important de la combativité, de plus longue durée que celui de l'hiver 1989-90. Cependant, cette pause dans la combativité ouvrière, loin de constituer en soi un obstacle sur le chemin du développement historique des combats de classe, se présente surtout comme un moment de décantation, de réflexion en profondeur de l'ensemble du prolétariat. C'est bien pour cette raison que les appareils de gauche de la bourgeoisie ont tenté déjà depuis plusieurs mois de lancer des mouvements de lutte prématurés afin d'entraver cette réflexion et de semer un surcroît de confusion dans les rangs ouvriers.
13) Si, malgré un désarroi temporaire, le prolétariat mondial détient donc toujours entre ses mains les clés du futur, il importe de souligner que tous ses secteurs ne se trouvent pas au même niveau dans la capacité d'ouvrir une perspective pour l'humanité. En particulier, la situation économique et politique qui se développe dans les pays de l'ex-bloc de l'Est témoigne de l'extrême faiblesse politique de la classe ouvrière dans cette partie du monde. Ecrasé par la forme la plus brutale et pernicieuse de la contre-révolution, le stalinisme, ballotté par les illusions démocratiques et syndicalistes, déchiré par les affrontements nationalistes et entre cliques bourgeoises, le prolétariat de Russie, d'Ukraine, des pays baltes, de Pologne, de Hongrie, etc., se trouve confronté aux pires difficultés pour développer sa conscience de classe. Les luttes que les ouvriers de ces pays seront contraints de mener, face à des attaques économiques sans précédent, se heurteront, quand elles ne seront pas directement dévoyées sur un terrain bourgeois tel que le nationalisme (comme ce fut en partie le cas lors de la grève des mineurs en URSS au printemps dernier), à toute la décomposition sociale et politique qui est en train de s'y développer, étouffant de ce fait leur capacité à constituer un terreau pour la germination de la conscience. Et il en sera ainsi tant que le prolétariat des grandes métropoles capitalistes, et particulièrement celles d'Europe occidentale, ne sera pas en mesure de mettre en avant, même de façon embryonnaire, une perspective générale de combat.
14) En réalité, les difficultés considérables affrontées aujourd'hui par les ouvriers des pays de l'Est du fait, notamment, de la décomposition sociale qui se déchaîne dans cette partie du monde, constituent un révélateur de l'impact que la décomposition du capitalisme exerce sur le développement de la lutte et de la conscience du prolétariat mondial. Par la confusion et les illusions aclassistes qu'un certain nombre d'aspects de la décomposition (tels les désastres écologiques, les catastrophes "naturelles", la montée de la criminalité, etc.) provoquent en son sein, par l'attaque contre sa confiance et soi et en son avenir que représente l'atmosphère de désespoir qui envahit la société, par l'obstacle à la solidarité et à l'unification des combats que constitue l'idéologie du "chacun pour soi" aujourd'hui omniprésente, la décomposition croissante de la société, le pourrissement sur pieds du capitalisme, s'inscrivent fondamentalement comme une difficulté supplémentaire que doit affronter le prolétariat sur le chemin de son émancipation. Mais le fait même :
- que les formes les plus extrêmes et brutales de la décomposition affectent moins le prolétariat des pays centraux du capitalisme, celui qui sera au coeur de l'affrontement décisif avec la bourgeoisie, que les autres secteurs du prolétariat mondial ;
- que ce même prolétariat ait réussi dans la plus grande partie des années 1980 à développer ses luttes et sa conscience alors que la décomposition faisait déjà sentir ses effets, ces deux éléments illustrent le fait que la classe ouvrière détient toujours entre ses mains les clés de l'avenir. Et c'est particulièrement vrai dans la mesure où les deux manifestations majeures de la vie du capitalisme auxquelles elle sera confrontée, la crise économique du mode de production capitaliste et la guerre impérialiste (qui ne sont pas des manifestations typiques de la phase de décomposition, mais appartiennent à la décadence capitaliste), la contraindront à développer ses luttes sur son terrain de classe, à prendre conscience de la faillite de ce système et de la nécessité de le renverser.
15) La nouvelle étape du processus de maturation de la conscience dans le prolétariat, dont la situation actuelle du capitalisme détermine les prémisses, n'en est, pour le moment, qu'à ses débuts. En particulier, c'est un chemin important que doit parcourir la classe pour se dégager des séquelles du choc provoqué par 'implosion du stalinisme et l'utilisation qu'en a faite la bourgeoisie. De même, ce n'est pas de façon immédiate que l'ensemble du prolétariat sera en mesure de dégager de la barbarie guerrière croissante la perspective historique de ses luttes.
Dans ce processus, les révolutionnaires auront une responsabilité croissante :
- dans la mise en garde contre l'ensemble des dangers que représente la décomposition, et particulièrement, il va de soi, le déchaînement de la barbarie guerrière qu'elle porte en elle ;
- dans la dénonciation de toutes les manoeuvres bourgeoises, dont un des aspects essentiels sera de dissimuler, ou de dénaturer, le lien fondamental entre la lutte contre les attaques économiques et le combat plus général contre une guerre impérialiste de plus en plus présente dans la vie de la société ;
- dans la lutte contre les campagnes visant à saper la confiance du prolétariat en lui-même et en son devenir ;
- dans la mise en avant, contre toutes les mystifications pacifistes ou interclassistes et, plus généralement, contre l'ensemble de l'idéologie bourgeoise, de la seule perspective qui puisse s'opposer à l'aggravation de la guerre : le développement et la généralisation du combat de classe contre le capitalisme comme un tout en vue de son renversement et de son remplacement par la société communiste.
CCI, juillet 1991
La décomposition de la société capitaliste
(...) Le troisième point qu'il faut faire ressortir (voir dans la résolution la présentation des deux premier) est la durée du phénomène de la décomposition. Celui-ci a été identifié pour la première fois par le CCI lors des attentats terroristes de Paris, à l'automne 1986. Cela ne veut pas dire, évidemment, qu'il n'ait commencé à se manifester qu'à ce moment-la. En réalité, c'est tout au long des années 1980 que ce phénomène connaît son essor.
Ainsi, le CCI avait déjà implicitement pointé un tel phénomène dans la résolution sur la situation internationale adoptée lors de son 6e congrès, en novembre 1985 (et qui reprenait l'analyse d'un document interne d'octobre 198$). Dans ce document, il était mis en évidence l'aggravation considérable des convulsions politiques des pays de la périphérie qui interdisait de façon croissante aux grandes puissances de s'appuyer sur eux dans les guerres contre le bloc adverse ou dans le "maintien de l'ordre" régional et les contraignait à intervenir de plus en plus directement dans les affrontements militaires. Un tel constat se basait notamment sur la situation au Liban et surtout en Iran. Dans ce dernier pays, en particulier, on relevait déjà une relative nouveauté par rapport aux situations qu'on pouvait rencontrer dans le passé : un pays d'un bloc, et important dans son dispositif militaire, échappait pour l'essentiel à son contrôle sans pour autant tomber, ou même avoir la possibilité de tomber, sous la tutelle de l'autre. Cela n'était pas dû à un affaiblissement du bloc dans son ensemble, ni à une option permettant une amélioration de la position du capital national de ce pays, bien au contraire, puisqu'une telle politique devait conduire à une catastrophe politique et économique. En fait, l'évolution de la situation en Iran ne correspondait à aucune rationalité, même illusoire, du point de vue des intérêts du capital national, la meilleure illustration en étant l'accession au pouvoir d'une couche de la société, le clergé, qui n'a jamais eu de compétence pour gérer les affaires économiques et politiques du capitalisme.
Ce phénomène de la montée de l'intégrisme musulman, et de la victoire politique de celui-ci dans un pays relativement important, était lui-même une des premières manifestations de la phase de décomposition. Cette percée de la religion dans un certain nombre de pays du tiers-monde ne pouvait et ne peut être considérée comme un retour en arrière à Page d'or de l'influence dominante de la religion dans la vie sociale. La roue de l'histoire ne saurait tourner à l'envers. Les pays du tiers-monde, de même qu'un certain nombre de pays de l'ancien bloc de l'Est particulièrement infestés par la religion, ne reviennent pas au féodalisme ; le capital a, depuis longtemps déjà, soumis ces contrées a ses lois non pas, évidemment, par un développement significatif des forces productives sur des bases capitalistes, mais par la destruction irréversible de leur économie "naturelle". Dans ces pays, la poussée de l'intégrisme religieux constitue une manifestation de la décomposition des superstructures idéologiques de la société capitaliste qu'il faut ranger sur le même plan que la montée, dans les pays avancés, du mysticisme et de la drogue.
On peut donc constater que l'entrée du capitalisme décadent dans sa phase de décomposition révèle ses premières manifestations dès la fin des années 70 et prend sa pleine dimension tout au long des années 80 (en ce sens, ces années ont bien été pour le capitalisme, et aussi pour la classe ouvrière, des années de vérité au cours desquelles l'un et l'autre ont commencé à se trouver confrontés à la phase ultime du mode de production capitaliste). C’est un élément important dans la mesure où sa prise en compte conditionne une pleine compréhension, tant du point de vue de leurs causes que de leurs perspectives, des bouleversements qui ont secoué le monde ces deux dernières années. Il conditionne également, comme nous le verrons plus loin, une claire compréhension de la dynamique de la lutte et de la prise de conscience de la classe depuis le début des années 1980.
L'effondrement du bloc de l'est
(...) La tendance historique au capitalisme d'Etat, dont la mise en évidence est la condition élémentaire à la compréhension du stalinisme, connaît ses premières manifestations marquantes non pas dans des secteurs arriérés du capitalisme mais au contraire dans ses secteurs les plus avancés. L'Allemagne de la première guerre mondiale en constituait, pour les révolutionnaires de cette époque (particulièrement pour Lénine), l'exemple typique. Classiquement, la prise en main par l'Etat de l'ensemble de l'économie s'est présentée comme un processus organique du capital national, affectant en premier lieu les secteurs les plus développés de celui-ci et de la bourgeoisie, notamment par une imbrication croissante entre cette dernière et l’appareil d'Etat. Ce caractère organique et généralement progressif (même si dans certains cas, tel le fascisme, il a pu s'accompagner de règlements de comptes violents au sein de l'appareil politique bourgeois) du développement du contrôle de la société civile, et particulièrement de l'économie, par l'Etat, a permis de garantir, dans les pays avancés, la pérennité des mécanismes classiques de l'économie capitaliste, et particulièrement la sanction du marché comme stimulant de la compétitivité des entreprises, d'une exploitation "rationnelle" de la force de travail. Il a eu également pour mérite de maintenir en place l'essentiel du personnel économique de la classe dominante permettant au capital national de bénéficier de toute l'expérience de ce personnel.
Tout autre est le processus de développement de la forme stalinienne du capitalisme d'Etat. Ce développement n'a rien d'"organique". Il se présente au contraire comme une sorte "d'accident" de l'histoire résultant de la révolution et de la contre-révolution en Russie. Dans la mesure où c'est l'Etat surgi après la révolution qui assume la contre-révolution, c'est à lui qu'il revient de prendre en charge, de façon exclusive, la gestion du capital national abolissant de ce fait les mécanismes du marché intérieur et se privant (pour l'essentiel) des compétences des anciens spécialistes de l'exploitation capitaliste. Les critères d'appartenance à la classe exploiteuse, chargée de diriger la valorisation du capital, ne sont plus d'ordre économique comme dans le capitalisme classique (ce qui permet de sélectionner et de former un personnel compétent pour cette tâche de valorisation) mais d'ordre politique. C'est la place dans la hiérarchie du Parti-Etat, le grade dans la "nomenklatura", qui déterminent fondamentalement l'accession aux responsabilités économiques importantes. La servilité, a ruse, l'absence de scrupules qui constituent les talents essentiels pour l'ascension dans l'appareil du parti ne sont pas nécessairement les plus utiles pour une bonne gestion du capital national, d'autant plus qu'il n'y a pas de sanction du marché pour opérer une sélection et provoquer l'émulation au sein des "responsables" de l'économie. Sur ces bases, l'ensemble du personnel chargé de gérer le capital national est tout sauf motivé par la valorisation de celui-ci, désimplication et cynisme oui se répercutent à tous les niveaux de l'appareil productif, et particulièrement chez les ouvriers. Un tel mode de "gestion" du capital, où le "stimulant" principal de la force de travail exploitée est la contrainte policière, peut convenir à une économie relativement arriérée protégée par l'autarcie mais ne saurait faire face aux exigences du marché mondial. C'est principalement à ce caractère "accidentel" de sa constitution que le capitalisme d'Etat de modèle stalinien doit son extrême fragilité face à la crise économique ainsi que son effondrement brutal.
Les causes de la faiblesse du bloc de l'Est sont du même ordre. Traditionnellement, les blocs impérialistes se sont constitués de façon progressive, avec une véritable volonté des bourgeoisies des principaux pays les composant de s'associer, ou tout au moins de se rallier à la puissance dominante, laquelle tirait sa prééminence en premier lieu de son potentiel économique. Il n'en a rien été pour ce qui concerne la constitution du bloc russe. Celui-ci se présente aussi comme une sorte d'accident de l'histoire. En effet, le pays qui se retrouve à sa tête est un pays arriéré sur tous les plans, faiblement industrialisé, moins développé que beaucoup de ses vassaux et donc nullement qualifie pour tenir ce rang. Il ne doit un tel privilège qu'aux circonstances spécifiques dans lesquelles se termine la seconde guerre mondiale (...). C’est donc contrainte et forcée par la puissance militaire que la bourgeoisie de ces derniers se "rallie" à l'URSS au lendemain de la seconde guerre mondiale. Et c'est encore, pour l'essentiel, avec cette même puissance militaire que l'URSS maintient son emprise sur ses "alliés" (Hongrie 1956, Tchécoslovaquie 1968) alors même que ceux-ci sont dirigés par des partis staliniens. Un tel mode de maintien de la cohésion du bloc exprime une extrême faiblesse de celle-ci. C'est bien cette faiblesse considérable qui s'est révélée en 89.
Il importe donc de souligner l'écart qui sépare le capital des pays centraux de celui des pays de l'ex-bloc de l'Est du point de vue de leur capacité de résistance face à la crise. En effet, même si le chaos qui est en train de s'instaurer dans ces derniers indique la tendance générale de l'évolution du capitalisme à l'échelle mondiale, il serait erroné de considérer qu'à une brève échéance les pays les plus avancés vont connaître une situation du même type. (...)
Ceci dit, il est clair que la mise en évidence de la faiblesse particulière du capitalisme d'Etat stalinien ainsi que de l'ancien bloc russe ne permet pas de tout expliquer. En particulier, elle ne permet pas de comprendre pourquoi c'est à la fin des années 1980, et non au début par exemple, que s'est produit leur effondrement. C'est ici que le cadre de la décomposition se révèle indispensable.
...) L'absence d'une perspective (exceptée celle de sauver les meubles" de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l'indiscipline et au "sauve qui peut". C'est ce phénomène qui permet en particulier d'expliquer l'effondrement du stalinisme et de l'ensemble au bloc impérialiste de l'Est. (...) La débandade générale au sein même de l'appareil étatique, la perte du contrôle sur sa propre stratégie politique, telles que l'URSS et ses satellites nous en donnent aujourd'hui le spectacle, constitue, en réalité, la caricature (du fait des spécificités des régimes staliniens) d'un phénomène beaucoup plus général affectant l'ensemble de la bourgeoisie mondiale, un phénomène propre à la phase de décomposition. ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", point 9, Revue Internationale n°62)
Ainsi l'effondrement du stalinisme est bien une des manifestations de la décomposition. En particulier, il traduit clairement cette donnée essentielle de celle- ci : l'absence totale de perspective pour la société capitaliste. De même, la situation actuelle de l'URSS elle-même (et d'une partie de l'Europe de l'Est) qui est en train de se disloquer sous le coup des mouvements nationalistes, constitue une autre illustration d'une des conséquences majeures de cette absence de perspective : la tendance à l'éclatement de la vie sociale, au "chacun pour soi". (...)
La nouvelle configuration des conflits impérialistes
Au même titre que pour l'examen de l'effondrement I du stalinisme et du bloc de l'Est, celui de l'évolution des conflits impérialistes doit prendre en compte ce qui relève du cadre général de la décadence et ce qui relève plus particulièrement de la phase de décomposition. C'est évidemment vrai pour la guerre du Golfe. (...)
Contrairement à la FECCI, par exemple, qui identifie impérialisme, blocs impérialistes et capitalisme d'État, nous avons mis en relief le fait que si l'impérialisme (de même que le capitalisme d'Etat) est une donnée permanente et universelle de la décadence, il n'en est pas de même des blocs impérialistes. C'est pour cela que nous avons pu annoncer que l'effondrement du bloc de l'Est portait avec lui la disparition du bloc occidental tout en prévoyant que la fin des blocs n'augurait nullement une période de paix, bien au contraire.
Ceci dit, il importe de souligner que, même s'il n'y a pas besoin de blocs pour que la guerre puisse se déchaîner, même si la formation de blocs impérialistes ne découle pas automatiquement de l'impérialisme,celui-ci exerce en permanence une i pression très forte vers cette formation. C'est pour cela que, en janvier 1990, nous écrivions : "La disparition des deux constellations impérialistes qui étaient sorties de la seconde guerre mondiale porte, avec elle, la tendance à la recomposition de deux nouveaux blocs. " ("Après l'effondrement du bloc de l'Est, déstabilisation et chaos", Revue Internationale n°61)
C'est un point important pour bien comprendre tous les enjeux de la guerre du Golfe. Si on ne le prend pas en compte, on passe à côté des véritables antagonismes qui sont en cause dans la période présente et qui se trouvaient en toile de fond de cette guerre.
En effet, un des objectifs essentiels de la démonstration de force des Etats-Unis était de prendre immédiatement les devants, de tirer un coup de semonce face à toute velléité de constitution d'un nouveau bloc impérialiste. Il est évident qu'aujourd'hui les conditions n'existent pas pour une telle constitution. (...) Cependant, (...) il importait dès à présent pour la première puissance mondiale -en réalité la seule super-puissance- de barrer le chemin d'une telle perspective afin de dissuader de s'y engager tous les pays qui auraient pu envisager une telle démarche. De façon plus concrète, un certain nombre de secteurs de la bourgeoisie ont pu miser, après l'effondrement du bloc de l'Est, sur un renforcement de la "Communauté européenne" et sur l'instauration d'une force armée de celle-ci, ce qui pourrait à terme constituer les bases d'un éventuel bloc dirigé par l'Allemagne. (...)
La guerre du Golfe a détruit tout espoir pour ceux qui pouvaient miser sur un éventuel futur bloc européen. S'il y a un résultat particulièrement clair de ce conflit, que tous les secteurs de la bourgeoisie ont souligné 'ailleurs, c'est bien la mise en évidence, outre de l'inexistence militaire du Japon et de l'Allemagne, de la totale inexistence politique (sans même parler du militaire) de l'Europe, puisqu'il est apparu pratiquement autant de positions face à la guerre qu'il y a d'Etats sur ce continent. (...) On peut donc affirmer que, au moins sur le plan de la liquidation de toute velléité de démarche vers la constitution d'un nouveau bloc, l'objectif des Etats-Unis a été atteint, pour le moment, au delà de toute espérance..
La compréhension de cette fonction de la guerre du Golfe comme barrière à la constitution d'un nouveau bloc impérialiste est essentielle face aux interprétations fausses qui ont pu se développer (...). [En particulier, il est nécessaire de réfuter la thèse, chère aux gauchistes, qu'il s'agit d'un conflit Nord-Sud, entre pays avancés et pays sous-développés.]
Un conflit entre les pays avancés et les pays arriérés ?
C'est vrai qu'il existe des intérêts communs entre les grandes puissances pour limiter au maximum l'extension du chaos existant dès à présent dans le tiers-monde. D'ailleurs, c'est également une des clés delà guerre du Golfe. La croisade pour "l'ordre mondial" et le respect du "droit international" a pu obtenir (difficilement) l'assentiment de tous les membres permanents du Conseil de Sécurité et le soutien financier de l'Allemagne et du Japon grâce au chantage exercé par les Etats-Unis sur leurs ex-alliés et sur leur ex-rival.
Mais sur quoi portait ce chantage ? En partie sur des aspects économiques et financiers (attitude dans les négociations sur les tarifs douaniers pour l'Europe et le Japon, montant de l'aide financière consentie à l'URSS). Mais ce n'est là que la partie visible de l'iceberg. En réalité, le marché tel qu'il a été mis en main par les Etats-Unis à ses "alliés", notamment lors de la tournée de Baker en novembre 1990 qui a permis d'obtenir le vote du Conseil de Sécurité en faveur de l'intervention militaire, consistait à reconnaître cette puissance comme gendarme du monde en échange de sa "protection" et de son "aide" en cas de difficultés résultant de l'instabilité mondiale. Pour que la démonstration soit bien probante, les Etats-Unis ont fait comme n'importe quel racketteur : on brise la vitrine du magasin (ici le piège tendu à l'Irak) pour convaincre le boutiquier de l'intérêt qu'il a d'acheter une "protection". Dans le monde chaotique qui sort de la fin de la "guerre froide", les occasions de "désordres" régionaux ne manquent pas : en Afrique, en Indochine, entre l'Inde et le Pakistan ainsi que, avec l'éclatement du bloc de l'Est et de son chef de file, en Asie centrale, en Europe centrale et dans les Balkans. En outre, la prolifération de l'arme nucléaire (qui, à l'heure actuelle, en plus des cinq "grands" membres permanents du Conseil de Sécurité, est déjà détenue par des pays comme Israël, l'Inde, le Pakistan, le Brésil, et qui demain sera à la portée de n'importe qui constitue un facteur supplémentaire de danger. Les grands pays avancés sont évidemment intéressés à limiter cette instabilité qui menace ce qu'il leur reste de zones d'influence et de marchés. C'est pour cela qu'ils ont fini par se ranger derrière la seule puissance qui ait réellement les moyens de faire la police à l'échelle planétaire, comme elle l'ajustement démontré avec la guerre du Golfe.
Mais "l'ordre mondial" tel qu'il est proposé par le grand gendarme est loin de convenir entièrement aux autres pays puisqu'il est conçu principalement à son avantage et au détriment de leurs intérêts impérialistes. Dans le chaos qui s'annonce, il appartenait à la bourgeoisie la plus puissante du monde de jouer pleinement son rôle parce que c'est celle qui a le plus à perdre dans ce chaos et qui seule dispose des moyens de tenter d'y faire barrage. Et c'est ce qu'elle a fait. Mais par la manière employée, par le caractère on ne peut plus spectaculaire et brutal de son action, elle a en même temps signifié qu'elle ne tolérerait pas plus de "désordres" (c’est-à-dire d'empiétements de ses propres intérêts) de la part des pays avancés que de la part de pays comme l'Irak. C'est pour cela que, contrairement à la plupart de ses "alliés" qui pouvaient miser sur une simple pression économique et politique, la bourgeoisie américaine n'avait d’autre option que la destruction de l'essentiel du potentiel économique et militaire du "fautif (option que ces autres pays ont tenté jusqu'au dernier moment de saboter) ([1] [203]). Avec la méthode classique des gangsters, le parrain a donc "flingué" un truand de seconde zone pour obtenir l'allégeance des autres "caïds". Et pour que la leçon soit bien comprise, que la démonstration ait toute la portée nécessaire, sans commune mesure avec ce qu avait pu représenter l'intervention au Panama, les Etats-Unis n'ont pas choisi n'importe quel "bouc émissaire". Il fallait que "l'ennemi à abattre" présente une certaine crédibilité, qu'il soit puissamment armé et justifie l'énorme déploiement militaire américain, un étalage bien impressionnant de toute la panoplie : satellites espions, Awacs, 6 porte-avions, énormes cuirassés crachant des obus de 1200 kg, missiles de croisière et "patriots", bombes de 7 tonnes, bombes "air-fuel combustible", char Abrams, etc., tout cela servi par près de 600 000 soldats. Il fallait en outre que cette intervention concerne une partie du monde ayant une réelle importance stratégique : avec l'opération "Tempête du désert", les Etats-Unis ont bien démontré aux pays d'Europe et au Japon, qui sont les plus tributaires du pétrole du Moyen-Orient, qu'il dépendait de leur bon vouloir que ces pays puissent continuer à disposer de cette matière première indispensable à l'économie et la force militaire.
En fait, la thèse d'une "Sainte-Alliance" des pays avancés contre l'instabilité et le chaos régnant dans le tiers-monde s'apparente à une théorie extrêmement dangereuse, et fermement combattue par le passé par les révolutionnaires, qui est celle du "super-impérialisme". Elle se base sur l'hypothèse que les grandes puissances pourraient surmonter, ou au moins contenir, leurs antagonismes impérialistes afin d'établir une espèce de "condominium" sur le monde. C'est une thèse qui est démentie par toute l'histoire de l'impérialisme et que la phase de décomposition ne saurait rendre valable. En réalité, depuis qu'existe le capitalisme et particulièrement depuis que ce système a établi sa domination sur l'ensemble du monde, l'ensemble des phénomènes majeurs de son mode de vie ne sont pas partis de sa périphérie pour ensuite gagner son centre mais ont pris au contraire leur essor dans les pays centraux. Il en est ainsi en particulier de l'ensemble des caractéristiques majeures de la décadence telles que l'impérialisme, le militarisme et le capitalisme d’Etat dont les premières manifestations majeures ont affecté d'abord essentiellement les pays avancés de la vieille Europe avant qu'ils ne s'étendent par la suite dans le reste du monde pour y prendre des ormes souvent caricaturales. Il en est de même pour la crise ouverte de l'économie capitaliste, notamment celle qui se développe à partir du milieu des années 60, même si ses effets les plus désastreux sont repoussés pour un temps vers les pays de la périphérie. En fait, comme toutes les sociétés de l'histoire, le capitalisme ne s'effondre pas à partir de sa périphérie mais à partir de son centre. Et la décomposition ne fait pas exception qui est un phénomène que nous avons identifié d'abord pour les pays avancés même si elle prend dans le tiers-monde ses formes les plus caricaturales.
Les conflits dans la phase de décomposition
Pour ce qui concerne les antagonismes impérialistes, manifestation typique de la décadence capitaliste et que la décomposition ne peut qu'exacerber, il ne sauraient échapper à la règle. C'est d'abord et fondamentalement à travers les pays centraux du capitalisme qu'ils sont appelés à se déchaîner, même s'ils trouveront dans l'instabilité et le chaos qui déferlent sur les pays de la périphérie un terrain particulièrement propice à leur expression notamment dans la mesure où ils ne peuvent encore s'opposer directement sur un plan militaire aux pays avancés du fait du non embrigadement du prolétariat. Donner crédit à la thèse du "conflit Nord-Sud", ou à une de ses variantes c'est finalement considérer que le capitalisme est capable de surmonter ses contradictions fondamentales. C'est tomber dans la vision réformiste. (....)
Ainsi, comme on l'a vu pour l'effondrement du bloc de l'Est, c'est bien d'abord dans le cadre des caractéristiques de la décadence qu'il convient de comprendre les conflits impérialistes d'aujourd'hui avant que de pouvoir examiner les particularités que la phase de décomposition y introduit. Ces particularités ne sont pas étrangères à la décadence ; c'est au contraire leur exacerbation et leur accumulation à une échelle toujours plus étendue qui introduit dans la vie du capitalisme d aujourd'hui une qualité nouvelle qui constitue justement la différence entre les phases précédentes de la décadence et la phase de décomposition.
La guerre du Golfe illustre bien cette réalité. Elle constitue en particulier une confirmation tout à fait probante du caractère parfaitement irrationnel de la guerre dans la période de décadence. (...)
Cette irrationalité économique de la guerre n'est pas une "découverte" récente du CCI. En particulier, elle était largement traitée dans la Revue Internationale n°52 et n°53 ("Guerre, militarisme et blocs impérialistes"). En fait, ce n'est même pas une découverte du CCI puisqu'il a plus de 45 ans la Gauche Communiste de France pouvait écrire : "La décadence de la société capitaliste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue au développement économique (période ascendante), l'activité économique se restreint essentiellement en vue de la guerre (période décadente). Cela ne signifie pas que la guerre soit devenue le but de la production capitaliste, le but restant toujours pour le capitalisme la production de la plus-value, mais cela signifie que la guerre, prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent." (voir Revue Internationale n°59)
En ce sens, il importe de rejeter toute conception tendant à chercher pour la guerre du Golfe clés causes directement économiques, telles le pétrole ou l'ouverture de nouveaux marchés pour les "vainqueurs", etc. Nous avons déjà vu combien était insuffisant l'argument du pétrole : s'il peut effectivement constituer un élément du chantage des Etats-Unis sur leurs "alliés", la fixation de son prix ou les revenus qu'il représente pour le capital américain ne sauraient motiver une opération militaire d'une telle envergure et d'un tel coût. De même, si évidemment les sociétés américaines se sont taillées la part du lion dans les contrats pour la reconstruction du Koweït, il serait absurde de voir dans la guerre récente un moyen de relancer l'économie des Etats-Unis ou du reste du monde. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les bénéfices que ce pays pourra rapatrier avec ces contrats sont bien en deçà du coût de la guerre, même en comptant les chèques japonais et allemands. Quant à la "relance" économique de l'économie mondiale, il est clair qu'elle n'est pas à l'ordre du jour (...). Comme nous l'avons souligné en de multiples reprises, la guerre et le militarisme ne sont nullement des contrepoisons à la crise capitaliste, mais au contraire des facteurs de premier plan d'aggravation de celle-ci.
En outre, il serait incorrect de présenter l'accentuation des antagonismes impérialistes, dont la guerre du Golfe a constitué, jusqu'à présent, la manifestation la plus évidente, comme le résultat de l'aggravation immédiate de la situation économique, et particulièrement de la récession ouverte qui se développe à l'heure actuelle. S'il est clair que la guerre impérialiste découle, en dernière instance, de l'exacerbation des rivalités économiques entre nations résultant, elles-mêmes, de l'aggravation de la crise du mode de production capitaliste, il ne faut pas établir un lien mécanique entre ces différentes manifestations de la vie du capitalisme décadent ([2] [204]). En fait, la cause majeure expliquant pourquoi cette guerre s'est déchaînée en 1990-91 est évidemment à rechercher dans la situation créée par l'effondrement du bloc de l'Est. De même dans le futur, le facteur qui va accentuer encore les antagonismes impérialistes ne sera pas constitué par chacune des étapes successives marquant l'évolution de la crise mais bien par le caractère de plus en plus absolu de l'impasse historique dans laquelle se trouve le mode de production capitaliste.
Si la guerre du Golfe constitue une illustration de l'irrationalité d'ensemble du capitalisme décadent, elle comporte cependant un élément supplémentaire et significatif d'irrationalité qui témoigne de l'entrée de ce système dans la phase de décomposition. En effet, les autres guerres de la décadence pouvaient, malgré leur irrationalité de fond, se donner malgré tout des buts apparemment "raisonnables" (comme la recherche d'un "espace vital" pour l'économie allemande ou la défense des positions impérialistes des alliés lors de la seconde guerre mondiale). Il n'en est rien pour ce qui concerne la guerre du Golfe. Les objectifs que s'est donnée celle-ci, tant d'un côté comme de l'autre, expriment bien l'impasse totale et désespérée dans laquelle se trouve le capitalisme :
- Du côté irakien, l'invasion du Koweït avait incontestablement un objectif économique bien clair : faire main basse sur les richesses considérables de ce pays en espérant que les grandes puissances, comme elle Pavaient fait en de multiples autres reprises, fermeraient les yeux sur un tel "hold-up". En revanche, les objectifs de la guerre avec les "coalisés", telle qu'elle a été acceptée par les dirigeants irakiens à partir du moment ou ils sont restés sourds à l'ultimatum du 15 janvier 1991, n'avait d'autre but que de "sauver la face" et d'infliger le maximum de pertes à ces ennemis et cela au prix de ravages considérables et insurmontables de l'économie nationale.
- Du côté "allié", les avantages économiques obtenus, ou même visés, sont nuls y compris pour le principal vainqueur, les Etats-Unis. L'objectif central de la guerre, pour cette puissance, donner un coup d'arrêt a la tendance au chaos généralisé, même s'il s'habille de grandes phrases sur le "nouvel ordre mondial", ne contient aucune perspective réelle sur le plan de l'amélioration de la situation économique, ni même de la préservation de la situation présente. Les Etats-Unis ne sont pas entrés en guerre, contrairement à la seconde guerre mondiale, pour améliorer, ou même préserver leurs marchés, mais tout simplement pour éviter une amplification trop rapide du chaos politique international qui ne ferait qu'exacerber encore plus les convulsion économiques. Ce faisant, ils ne peuvent faire autre chose qu'accentuer l'instabilité d'une zone de première importance tout en aggravant encore les difficultés de leur propre économie (notamment l'endettement) comme celles de l'économie mondiale. (...)
Par certains côtés, la situation présente des Etats-Unis s'apparente à celle de l'Allemagne avant les deux guerres mondiales. Ce dernier pays, en effet, a essayé de compenser ses désavantages économiques, illustrés par le fait qu'il ne disposait pas d'empire colonial significatif (en fait bien plus réduit que celui de la Belgique, de la Hollande ou du Portugal avant la première guerre et nul avant la seconde), en bouleversant le partage impérialiste par la force des armes. C'est pour cela que, lors des deux guerres, il a fait figure "d'agresseur" puisque les puissances mieux loties n'étaient pas intéressées à une remise en cause des équilibres. De même, l'atout essentiel dont disposent aujourd'hui les Etats-Unis, face à la menace économique constituée par l'Allemagne et le Japon, réside principalement dans sa supériorité militaire écrasante. Tant qu'existait le bloc de l'Est, cette puissance pouvait utiliser cette supériorité comme "bouclier" de ses alliés, ce oui lui permettait, en échange, de leur imposer ses "vues" notamment en matière économique. Dans un tel contexte, les Etats-Unis n'avaient pas besoin, à priori, de faire un usage important de leurs armes puisque l'essentiel de la protection accordée à leurs alliés était de nature défensive (bien qu'au début des années 1980, les Etats-Unis aient engagé une offensive générale contre le bloc russe). Avec la disparition de la menace russe, "l'obéissance" des autres grands pays avancés n'est plus du tout garantie (c'est bien pour cela que le bloc occidental est désagrégé). Pour obtenir une telle obéissance, les Etats-Unis ont désormais besoin d'adopter une démarche systématiquement offensive sur le plan militaire (comme on l'a vu justement avec la guerre du Golfe) qui s'apparente clone à celle de l'Allemagne par le passé. La différence avec la situation du passé, et elle est de taille, c'est qu'aujourd'hui ce n'est pas une puissance visant à modifier le partage impérialiste qui prend les devants de l'offensive militaire, mais au contraire la première puissance mondiale, celle qui pour le moment dispose de la meilleure part du gâteau.
Cette différence est significative. Le fait qu'à l'heure actuelle, le maintient de "l'ordre mondial", c'est-à-dire, fondamentalement de l'ordre américain, ne passe plus par une attitude "défensive" (qui était celle de l'Entente et des Alliés par le passé) de la puissance dominante mais par un utilisation de plus en plus systématique de l'offensive militaire, et même à des opérations de déstabilisation de toute une région afin de mieux s'assurer de la soumission des autres puissances, traduit bien le nouveau degré de l'enfoncement du capitalisme décadent dans le militarisme le plus déchaîné. C'est justement là un des éléments gui distingue la phase de décomposition des phases précédentes de la décadence capitaliste. (...)
Les rapports de force entre prolétariat et bourgeoisie
Le prolétariat dans la décomposition
(...) Il importe d'être particulièrement lucide sur le danger que représente la décomposition pour la capacité du prolétariat à se hisser à la hauteur de sa tâche historique. (...) la décomposition de la société, qui ne pourra aller qu'en s’aggravant, peut faucher, dans les années à venir, les meilleures forces du prolétariat et compromettre définitivement la perspective du communisme. Il en est ainsi parce que l’empoisonnement de la société que provoque la putréfaction du capitalisme n'épargne aucune de ses composantes, aucune de ses classes, ni même le prolétariat. En particulier, si l'affaiblissement de l'emprise de l'idéologie bourgeoise résultant de l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence était une des conditions de la révolution, le phénomène de décomposition de cette même idéologie, tel qu'il se développe aujourd'hui, se présente essentiellement comme un obstacle à la prise de conscience du prolétariat. ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", point 14) (...)
" Tout au long des années 1980, c'est malgré ce poids négatif de la décomposition, systématiquement exploité par la bourgeoisie, que le prolétariat a été en mesure de développer ses luttes face aux conséquences de l'aggravation de la crise" (Revue Internationale n°59, Présentation de la résolution sur la situation internationale du 8e Congrès du CCI)
Jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est, les difficultés résultant du poids de la décomposition n'avaient pas réussi à remettre fondamentalement en cause la dynamique d'ensemble du combat de classe. Mais cet événement allait déterminer une rupture sensible dans cette dynamique. (...)
Dès le mois d'octobre 89, le CCI mettait en évidence les difficultés nouvelles que cet événement historique considérable allait provoquer sur la conscience du prolétariat (voir les "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est", Revue Internationale n° 60) (...)
C'est dans ce contexte que la classe ouvrière a reçu un deuxième choc particulièrement brutal : la guerre du Golfe.
L'impact de la guerre du Golfe
(...) la paralysie des luttes ouvrières provoquée par la guerre du Golfe s'est révélée beaucoup plus importante et durable que celle qui a accompagné l'effondrement du stalinisme. Il en est ainsi parce la classe ouvrière des pays centraux s'est sentie beaucoup plus directement affectée par les événements du Golfe dans lesquels étaient (plus ou moins) directement impliqués ces pays que par ceux de l'Est qui pouvaient apparaître comme quelque peu "extérieurs" (c’est pour cette raison d’ailleurs qu'en Occident il n'y a pas eu de manifestations à propos des événements de l'Est). L'effondrement du stalinisme, s'il a suscité dans la classe un surcroît d'illusions très dangereuses (illusions démocratiques, croyances en un monde de paix") ainsi qu'un recul considérable de la perspective d'un possible remplacement du capitalisme par une autre société, n'a pas provoqué de sentiment d'inquiétude mais plutôt un sentiment d'euphorie. En revanche, la crise du Golfe et la guerre ouverte ont provoqué parmi des dizaines de millions d'ouvriers une profonde inquiétude qui a fait passer au second plan, de façon bien plus profonde et durable que l'effondrement du bloc de l'Est, les préoccupations liées à la dégradation des conditions de vie en même temps qu'elle entraînait un fort sentiment d'impuissance.
Ainsi, au niveau des apparences, la guerre du Golfe a eu un impact encore plus négatif sur la classe ouvrière que l'effondrement du bloc de l'Est. Mais c'est justement la responsabilité des organisations révolutionnaires, fraction la plus consciente de la classe, de savoir reconnaître, au delà de ces apparences, les véritables tendances qui travaillent la société en profondeur.
Si on passe en revue la façon dont les principales forces de la bourgeoisie ont manoeuvré pour faire accepter l'intervention militaire au Moyen-Orient à la classe ouvrière des pays centraux on est frappé par leur extrême habileté :
- au début de la crise, lorsque la majorité de la population, et particulièrement de la classe ouvrière, est réticente face à une telle intervention, les "démocraties" occidentales, avec les Etats-Unis à leur tête, focalisent l'attention sur le "boycott" de l'Irak, alors qu'est acheminé sur place le dispositif militaire le plus considérable depuis la seconde guerre mondiale ;
- en même temps se multiplient les manoeuvres politiques pour faire apparaître Saddam Hussein comme "celui qui veut le guerre" alors qu'on ne lui laisse de toutes façons pas d'autre issue ;
- durant la même période, les mouvements pacifistes se mettent en branle pour canaliser dans une impasse les éléments (et particulièrement les ouvriers) qui refusent de s'associer à la croisade pour le "Droit" ;
- lors du déclenchement de la guerre elle-même, celle-ci est présentée comme une "guerre propre" qui ne fait pas de victimes civiles en Irak ni de pertes parmi les "coalisés" ;
- à la veille de l'offensive terrestre, c'est un son de cloche opposé qui se fait entendre avec toute une insistance sur l'étendue des pertes qu'elle va occasionner parmi les coalisés, ce qui permet, avec la rapidité et les faibles pertes de cette offensive, de provoquer un sentiment de soulagement dans les populations (et donc la classe ouvrière) des pays concernés ;
- après la guerre elle-même, l'horrible massacre des kurdes, voulu par les vainqueurs, est exploité pour justifier a posteriori l'intervention militaire contre l'Irak et susciter le sentiment que cette intervention aurait dû se poursuivre jusqu au renversement de Saddam Hussein et la destruction complète de ses forces militaires.
Ces manoeuvres, systématiquement appuyées par les médias aux ordres, ont atteint leur objectif mais leur sophistication prouve à elle seule à quel point la bourgeoisie était consciente qu'elle n'avait pas les coudées franches pour mener sa politique guerrière. En particulier, elle savait pertinemment que si cette politique était indispensable dans la défense de ses intérêts (avec les nuances que nous avons vues suivant les pays) elle pouvait constituer, contrairement à l'effondrement du bloc de l'Est, un facteur non négligeable de clarification de la conscience du prolétariat. (...)
Au delà des apparences, l'effondrement du bloc de l'Est et la guerre du Golfe (non pas à elle seule mais par ce qu'elle annonce) s'inscrivent dans des dynamiques opposées du point de vue du processus de prise de conscience dans la classe ouvrière.
(...) Dans le second cas, nous étions confrontés à une réelle inquiétude, à des interrogations en profondeur, faisant suite à l'euphorie qui avait accompagné les événements de l'Est. (...) Et contrairement à ce type d'euphorie, l'inquiétude, si elle peut dans un premier temps provoquer une paralysie de la combativité ouvrière, constitue dans la période historique présente, un puissant stimulant de la réflexion en profondeur.
Il importe donc d'insister sur le fait (...) que les événements de ces deux dernières années ne sauraient en aucune façon remettre en cause le cours historique mis en évidence par le CCI depuis plus de deux décennies. (...)
Le cours historique
Un renversement du cours historique supposerait, en effet, une défaite considérable de la classe ouvrière et la capacité de la bourgeoisie de s'appuyer sur cette défaite pour embrigader la classe ouvrière derrière ses drapeaux idéologiques. Or, tant l'effondrement du bloc de l'Est que la guerre du Golfe ne peuvent être considérés comme des défaites du prolétariat ni des occasions pour la bourgeoisie de l'embrigader.
Le premier événement s'est produit de façon indépendante vis-à-vis de l'action de la classe ouvrière (et c'est bien pour cette raison qu'il a provoqué un recul dans le processus de la prise de conscience en son sein). De ce fait, il n'a pu, malgré les difficultés importantes qu'il a fait surgir sur le chemin du prolétariat vers les affrontements révolutionnaires, lui faire rebrousser de façon durable ce chemin (c'est ce que nous mettions en évidence il y a un an en signalant la fin de la dynamique de recul). En particulier, pour les secteurs décisifs du prolétariat, il n'y a pas eu de réel embrigadement (et, notamment, pas de manifestations) derrière les mystifications qui ont affaibli sa conscience car "les secteurs de la classe qui se trouvent aujourd'hui en première ligne de ces mystifications, ceux des pays de l'Est, sont relativement périphériques. C'est principalement à cause du "vent d'Est" qui souffle aujourd'hui, et non parce qu'il serait dans "l'oeil du cyclone", que le prolétariat de l'Ouest doit affronter ces difficultés."Après l'effondrement du bloc de l'Est, déstabilisation et chaos", Revue Internationale n°61).
Quant au second événement, il constitue fondamentalement, comme on l'a vu, un antidote contre le poison idéologique déversé lors de l'effondrement du stalinisme, venant renforcer les effets salubres de la mise en évidence de la faillite économique du mode de production capitaliste. La guerre du Golfe n'a pu avoir lieu que parce que le prolétariat des pays avancés n'a pas trouvé la force de s'y opposer. Mais il ne s'agit pas là d'une défaite directe puisque ses grandes masses n'ont pas eu à être mobilisées dans cette guerre que l'on a confiée uniquement à des professionnels, en insistant d'ailleurs bien fort sur le fait que les ouvriers en uniforme du contingent (là où existe la conscription) n'y seraient pas envoyés. Cette insistance, de même que celle sur le faible nombre de tués dans les troupes "coalisées", constitue une des meilleures preuves de la crainte éprouvée par la bourgeoisie que la guerre ne devienne un facteur de développement des luttes et de la conscience de la classe ouvrière. (...)
Et s'il en est ainsi, c'est que, bien qu'aujourd'hui la guerre impérialiste s'inscrive de plain pied dans la décomposition, elle ne constitue pas une manifestation typique de celle-ci mais le mode de vie même du capitalisme depuis le début de sa décadence. Et c'est bien la décadence qui constitue la condition objective nécessaire au renversement de ce système.
Ceci dit, la décomposition elle-même, bien qu'elle comporte uniquement des conséquences négatives pour la classe ouvrière jusqu'au moment de la période révolutionnaire, ne saurait être invoquée aujourd'hui pour étayer la thèse d'une remise en cause du cours historique. Certes, c'est, comme on l'a vu, un danger extrêmement grave qui menace la classe ouvrière et plus globalement l'humanité puisqu'elle peut conduire à sa destruction. Et ce danger est d'autant plus grave "que si le déchaînement de la guerre mondiale requiert l'adhésion du prolétariat aux idéaux de la bourgeoisie, (...) la décomposition n'a nul besoin d'une telle adhésion pour détruire l'humanité." (Ibid, page 8). Mais, contrairement à la guerre mondiale, les effets de la décomposition (à part, évidemment l'effondrement du stalinisme) sont relativement lents et n'ont pas été capables jusqu'à présent de bloquer le développement des luttes et de la prise de conscience du prolétariat (comme on l'a vu notamment au milieu des années 1980 avec la troisième vague de luttes). En outre, la permanence de la guerre associée à l'effondrement croissant de l'économie capitaliste provoquant nécessairement la riposte et la mobilisation du prolétariat sur son terrain de classe, va constituer un antidote puissant contre les poisons typiques sécrétés par la décomposition. (...)
De même, les combats que le prolétariat devra nécessairement développer vont constituer un facteur de premier plan, par la solidarité de classe qu'ils supposent, de dépassement des tendances à l'atomisation entre ouvriers, au "chacun pour soi", notamment sous sa forme du corporatisme.
Cela ne veut pas dire que, désormais, la décomposition n'exercera plus de pression néfaste sur la classe. Cela signifie tout simplement que cette pression n'a pu jusqu'à présent, et n'est pas près de provoquer une défaite et un embrigadement du prolétariat. C'est pour cela que les révolutionnaires ont la responsabilité de mettre en avant toutes les potentialités de développement des combats et de la conscience que la classe porte en elle. (...)
20/4/1991
[1] [205] La fidélité à toute épreuve témoignée par la bourgeoisie britannique à l'égard de la politique américaine témoigne à la fois de l'intelligence toute particulière de celle-ci qui a compris que les enjeux sont trop importants pour l'ensemble du capitalisme pour prendre le risque de participer à une aggravation de l'instabilité mondiale en tentant de s'opposer aux Etats-Unis et aussi d'une défense bien comprise de ses intérêts nationaux que, depuis la première guerre mondiale, elle a décidé d'associer fermement à celui de la bourgeoisie américaine qui venait de la supplanter. Par cette fidélité envers la bourgeoisie la plus puissante, la bourgeoisie anglaise s'est en même temps acquise une position de "bras droit", d'"homme de confiance" de celle-ci dont elle attend, en contrepartie des garanties. Une telle alliance présente en outre l'avantage de ne pas risquer d'aboutir à une simple colonisation (comme c'est le cas du Canada) dans la mesure où le "grand frère" est éloigné de près de 5000 kilomètres. Si un pays comme la France ne fait pas montre, en général, de la même docilité envers les Etats-Unis, c'est qu'il n'y a pas de place pour deux "bras-droits" auprès des Etats-Unis. C'est le sens de l'alliance privilégiée de ce pays avec l'Allemagne depuis plus de 30 ans, une alliance qui, avec la montée en puissance de ce grand voisin, risque de devenir un peu pesante, ce qui constitue une entrave supplémentaire à la constitution d'un "bloc européen".
[2] [206] Cela était déjà vrai pour la première guerre mondiale qui ne se déchaîne pas comme conséquence directe de la crise. Il y a effectivement, en 1913, une certaine aggravation de la situation économique, mais qui n'est pas sensiblement plus importante que celles de 1900-1903 ou de 1907. En fait, les causes essentielles du déclenchement de la guerre mondiale, en août 1914, résident dans :
- la fin du partage du monde entre les grandes puissances capitalistes, dont la crise de Fachoda (où les deux grandes puissances coloniales, la Grande-Bretagne et la France se retrouvent face à face après avoir conquis l'essentiel de l'Afrique), en 1898, constitue une sorte de symbole et qui marque la fin de la période ascendante du capitalisme ;
- l'achèvement des préparatifs militaires et diplomatiques permettant la constitution des alliances qui allaient s'affronter ;
- la démobilisation du prolétariat européen sur son terrain de classe face à la menace de guerre mondiale (contrairement à la situation de 1912, lorsque se tient le Congrès de Bâle) et son embrigadement derrière les drapeaux bourgeois permis, en premier lieu, par la trahison avérée (et vérifiée par les principaux gouvernements) de la majorité des chefs de la Social-Démocratie.
Ce sont donc principalement des facteurs politiques qui déterminent, une fois que le capitalisme est entré en décadence, qu'il a fait la preuve qu'il arrivait à une impasse historique, le moment du déclenchement de la guerre.
Le même phénomène se renouvelle lors de la seconde guerre mondiale. Les conditions objectives de celle-ci sont données dès le début des années 30, lorsque ce système, une fois la reconstruction achevée, se retrouve confronté à son impasse. Encore une fois, ce sont principalement des données politiques du même ordre qui font que la guerre n'éclate qu'à la fin de cette décennie.
De même, si la raison majeure qui empêche le capitalisme de déchaîner une troisième guerre mondiale au cours des années 50 réside dans le fait que la reconstruction lui donne momentanément une certaine marge de manoeuvre, il faut également prendre en compte, comme autre facteur, la faiblesse du bloc de l'Est et particulièrement de sa puissance dominante. Celle-ci, qui se retrouve dans une situation similaire à celle de l'Allemagne avant les deux guerres mondiales puisqu'elle est la plus mal lotie dans le partage du gâteau impérialiste, fait un certain nombre de tentatives pour améliorer ses positions (blocus de Berlin en 48, guerre de Corée en 52). Mais ces tentatives sont facilement repoussées par les Etats-Unis et leur bloc, ce qui les empêche de constituer les prémisses d'une troisième guerre mondiale.
Avec les violents massacres du Golfe Persique, le capitalisme mondial a jeté son masque et a montré ce que nous réserve son « nouvel ordre mondial » : un avenir fait de chaos, de barbarie et de guerre.
La réalité de la guerre impérialiste, qui a impliqué, même si c'est indirectement, l'ensemble du prolétariat des métropoles impérialistes, a stimulé une décantation salutaire au sein du camp politique prolétarien.
D'un côté, un groupe comme l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI) en Italie, qui s'était spécialisé depuis des années dans le soutien aux « bourgeoisies opprimées », s'est rangé avec armes et bagages dans le camp de l'impérialisme irakien, montrant par là qu'il était complètement étranger et ennemi du camp politique prolétarien.
D'un autre côté, l'ensemble du milieu a su réagir au défi de la guerre, en défendant fermement les deux critères désormais essentiels pour rester solidement à l'intérieur des frontières de l'internationalisme prolétarien :
1) Non à la guerre impérialiste. Aucun soutien à un quelconque camp impérialiste en guerre, même et surtout s'il se proclame « anti‑impérialiste ».
2) Non au pacifisme, le capitalisme c'est la guerre ! Seule la guerre au capitalisme, seule la révolution prolétarienne, peuvent permettre un avenir sans guerre.
En défendant unanimement ces deux places fortes prolétariennes, les groupes internationalistes ont démontré qu'ils étaient dignes des minorités révolutionnaires qui, en pleine Première guerre mondiale, ont fait entendre leur voix contre le massacre impérialiste.
Il y a cependant une différence qui saute aux yeux :
‑ En 1916, les divergences énormes qui existaient entre les différents courants qui s'opposaient à la guerre ne les ont pas empêché de lancer un appel unitaire au prolétariat de tous les pays, avec le fameux manifeste de Zimmerwald, qui a été un rayon de lumière pour des millions de prolétaires qui souffraient et mouraient dans les tranchées.
‑ Aujourd'hui, les groupes internationalistes ont défendu avec les mêmes mots les critères essentiels contre la guerre, démontrant une homogénéité bien plus grande que celle qui existait à Zimmerwald, mais malgré cela ils n'ont pas été capables de parler d'une seule voix, au moins en cette occasion, au prolétariat de tous les pays.
C'est une honte qui pèse sur l'ensemble de l'actuel mouvement communiste et qu'on ne peut absolument pas minimiser. Et qu'on ne vienne pas nous dire que « l'essentiel est qu'on a dit les mêmes choses et que cela est suffisant ». Aujourd'hui, l'hypothèque que le capitalisme en décomposition fait peser sur la classe ouvrière est la perte de son unité de classe, à travers mille affrontements fratricides, des sables du Golfe aux frontières de la Yougoslavie. C'est pour cela que la défense de cette unité est une question de vie ou de mort pour notre classe. Mais quelle espérance pourrait désormais avoir le prolétariat de maintenir cette unité, si son avant‑garde consciente, elle‑même, renonçait à combattre pour son unification ? Qu'on ne vienne pas nous dire non plus que c'est un « embrassons‑nous tous », un « escamotage opportuniste des divergences », un appel à une « unité indifférenciée au mépris des principes ». Rappelons‑nous que ce fut justement la participation aux discussions de Zimmerwald qui a permis aux Bolcheviks de réunir la Gauche de Zimmerwald, embryon de la future Internationale Communiste et de la séparation définitive avec les sociaux‑démocrates. C'est justement parce qu'il existe entre les internationalistes des divergences profondes qui les empêchent de parler toujours d'une même voix, qu'il est nécessaire que ces divergences soient ouvertement discutées entre les révolutionnaires, comme nous l'a enseigné l'exemple des discussions entre Rosa Luxemburg, Lénine et les autres camarades qui nous ont précédés. Enfin, qu'on ne vienne pas nous dire que notre appel est le « classique appel dans le vide », qu'on fait tous les ans « juste pour démontrer que nous ne sommes pas sectaires et que les autres le sont ».
Quand, en 1983, nous nous retournions vers l'ensemble du mouvement prolétarien, celui‑ci était en proie à une crise profonde, illustrée par l'explosion de Programma Comunista. La transformation de son ex‑section algérienne, El Oumami, en groupe nationaliste arabe, est passée quasiment inaperçue dans le climat général d'arriération et de fermeture sectaire. Notre appel à ce moment‑là était une invitation à combattre les tendances alors dominantes dans le milieu.
Aujourd'hui, la situation est différente. À l'intégration définitive de l'OCI dans le camp de la bourgeoisie, a répondu le rejet explicite du soutien aux « bourgeoisies nationales opprimées » par les groupes internationalistes de tradition bordiguiste, rejet qui marque une clarification importante pour l'ensemble du milieu. À la place du total isolement sectaire, nous trouvons aujourd'hui dans les différents groupes une plus grande disposition à exposer leurs critiques réciproques dans la presse ou dans les réunions publiques. Il existe en plus un appel explicite des camarades de Battaglia Comunista à surmonter la dispersion actuelle, appel dont nous partageons en grande partie les arguments et les buts. Il existe enfin ‑ et ce doit être encouragé au maximum ‑ une poussée contre l'isolement sectaire, qui vient d'une nouvelle génération d'éléments que le tremblement de terre de ces deux dernières années pousse vers les positons de la Gauche communiste et qui restent pantois devant l'extrême dispersion dont ils n'arrivent pas à comprendre les raisons politiques.
Nous savons bien que les difficultés sont énormes, et que, pour le moment, la disposition à la discussion ‑ quand elle existe ‑ est très limitée. Il y a ceux qui affirment que le débat doit se cantonner à des groupes qui ne se réclament que de la Gauche communiste d'Italie, excluant donc le CCI. Il y a ceux qui conçoivent le débat exclusivement comme un anéantissement des autres groupes dans leur presse. Il y a ceux qui pensent que le vrai débat ne sera possible que dans une phase pré‑révolutionnaire et il y a ceux qui sont disposés à discuter avec les nouveaux éléments en recherche mais pas avec les « vieux ». Comme on le voit, les racines du sectarisme sont trop profondes pour qu'il soit aujourd'hui possible de faire des propositions trop ambitieuses, tant dans leur contenu (travail à la reconstruction du parti) que dans leur forme (par exemple une conférence internationale). Que faire alors pour dépasser concrètement cet état actuel de dispersion ? Il faut favoriser tout ce qui va dans le sens de la multiplication des contacts et des débats entre internationalistes ([1] [207]). Il ne s'agit pas de cacher les divergences pour rendre possible un « mariage » entre groupes, mais de commencer à exposer et à discuter ouvertement des divergences qui sont à l'origine de l'existence des différents groupes.
Le point de départ, c'est de systématiser la critique réciproque des positions dans la presse. Cela peut paraître une banalité, mais il y a encore des groupes révolutionnaires qui, dans leur presse, font semblant d'être seuls au monde.
Un autre pas qui peut être fait immédiatement, c'est de systématiser la présence et l'intervention aux réunions publiques des autres groupes.
Un pas plus important est la confrontation des positions dans des réunions publiques, convoquées conjointement par plusieurs groupes, face à des événements d'une importance particulière, comme la guerre du Golfe.
Il est clair que tout cela, et en particulier ce dernier point, ne sera pas immédiatement réalisable partout et entre tous les groupes. Même si il n'y a que deux organisations qui réussissent à discuter publiquement de leurs accords et de leurs divergences, ce sera déjà un pas en avant pour le milieu politique internationaliste tout entier, et le CCI appuiera avec conviction de telles initiatives, même s'il n'est pas parmi les participants directs de cette discussion particulière.
Nos propositions peuvent paraître modestes, et en fait elles le sont. Face à des décennies de sectarisme débridé, il est déjà ambitieux de vouloir seulement contribuer à enclencher un processus de confrontation et de regroupement entre internationalistes, mais c'est le seul chemin pour que se fasse le processus de décantation politique et de démarcation programmatique qui conduira les minorités communistes à jouer pleinement leur rôle essentiel dans les batailles de classe qui se préparent.
CCI, juillet 1991
[1] [208] Il est évident que les groupes résidus et organisations de type gauchiste (trotskystes, maoïstes, anarchistes) ne sont pas pour nous des internationalistes. Quant à la myriade de groupuscules qui gravitent en parasites autour des principaux courants du milieu prolétarien, par la dispersion militante et la confusion qu'ils alimentent, ils ne peuvent en rien contribuer dans un tel débat.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/rinte64/edito.htm#_ftn1
[2] https://fr.internationalism.org/rinte64/edito.htm#_ftn2
[3] https://fr.internationalism.org/rinte64/edito.htm#_ftnref1
[4] https://fr.internationalism.org/rinte64/edito.htm#_ftnref2
[5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[6] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[7] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[8] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn1
[9] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn2
[10] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn3
[11] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn4
[12] https://fr.internationalism.org/rinte61/est.htm
[13] https://fr.internationalism.org/rinte63/reso.htm
[14] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn5
[15] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn6
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