Soumis par Revue Internationale le
Avec les violents massacres du Golfe Persique, le capitalisme mondial a jeté son masque et a montré ce que nous réserve son « nouvel ordre mondial » : un avenir fait de chaos, de barbarie et de guerre.
La réalité de la guerre impérialiste, qui a impliqué, même si c'est indirectement, l'ensemble du prolétariat des métropoles impérialistes, a stimulé une décantation salutaire au sein du camp politique prolétarien.
D'un côté, un groupe comme l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI) en Italie, qui s'était spécialisé depuis des années dans le soutien aux « bourgeoisies opprimées », s'est rangé avec armes et bagages dans le camp de l'impérialisme irakien, montrant par là qu'il était complètement étranger et ennemi du camp politique prolétarien.
D'un autre côté, l'ensemble du milieu a su réagir au défi de la guerre, en défendant fermement les deux critères désormais essentiels pour rester solidement à l'intérieur des frontières de l'internationalisme prolétarien :
1) Non à la guerre impérialiste. Aucun soutien à un quelconque camp impérialiste en guerre, même et surtout s'il se proclame « anti‑impérialiste ».
2) Non au pacifisme, le capitalisme c'est la guerre ! Seule la guerre au capitalisme, seule la révolution prolétarienne, peuvent permettre un avenir sans guerre.
En défendant unanimement ces deux places fortes prolétariennes, les groupes internationalistes ont démontré qu'ils étaient dignes des minorités révolutionnaires qui, en pleine Première guerre mondiale, ont fait entendre leur voix contre le massacre impérialiste.
Il y a cependant une différence qui saute aux yeux :
‑ En 1916, les divergences énormes qui existaient entre les différents courants qui s'opposaient à la guerre ne les ont pas empêché de lancer un appel unitaire au prolétariat de tous les pays, avec le fameux manifeste de Zimmerwald, qui a été un rayon de lumière pour des millions de prolétaires qui souffraient et mouraient dans les tranchées.
‑ Aujourd'hui, les groupes internationalistes ont défendu avec les mêmes mots les critères essentiels contre la guerre, démontrant une homogénéité bien plus grande que celle qui existait à Zimmerwald, mais malgré cela ils n'ont pas été capables de parler d'une seule voix, au moins en cette occasion, au prolétariat de tous les pays.
C'est une honte qui pèse sur l'ensemble de l'actuel mouvement communiste et qu'on ne peut absolument pas minimiser. Et qu'on ne vienne pas nous dire que « l'essentiel est qu'on a dit les mêmes choses et que cela est suffisant ». Aujourd'hui, l'hypothèque que le capitalisme en décomposition fait peser sur la classe ouvrière est la perte de son unité de classe, à travers mille affrontements fratricides, des sables du Golfe aux frontières de la Yougoslavie. C'est pour cela que la défense de cette unité est une question de vie ou de mort pour notre classe. Mais quelle espérance pourrait désormais avoir le prolétariat de maintenir cette unité, si son avant‑garde consciente, elle‑même, renonçait à combattre pour son unification ? Qu'on ne vienne pas nous dire non plus que c'est un « embrassons‑nous tous », un « escamotage opportuniste des divergences », un appel à une « unité indifférenciée au mépris des principes ». Rappelons‑nous que ce fut justement la participation aux discussions de Zimmerwald qui a permis aux Bolcheviks de réunir la Gauche de Zimmerwald, embryon de la future Internationale Communiste et de la séparation définitive avec les sociaux‑démocrates. C'est justement parce qu'il existe entre les internationalistes des divergences profondes qui les empêchent de parler toujours d'une même voix, qu'il est nécessaire que ces divergences soient ouvertement discutées entre les révolutionnaires, comme nous l'a enseigné l'exemple des discussions entre Rosa Luxemburg, Lénine et les autres camarades qui nous ont précédés. Enfin, qu'on ne vienne pas nous dire que notre appel est le « classique appel dans le vide », qu'on fait tous les ans « juste pour démontrer que nous ne sommes pas sectaires et que les autres le sont ».
Quand, en 1983, nous nous retournions vers l'ensemble du mouvement prolétarien, celui‑ci était en proie à une crise profonde, illustrée par l'explosion de Programma Comunista. La transformation de son ex‑section algérienne, El Oumami, en groupe nationaliste arabe, est passée quasiment inaperçue dans le climat général d'arriération et de fermeture sectaire. Notre appel à ce moment‑là était une invitation à combattre les tendances alors dominantes dans le milieu.
Aujourd'hui, la situation est différente. À l'intégration définitive de l'OCI dans le camp de la bourgeoisie, a répondu le rejet explicite du soutien aux « bourgeoisies nationales opprimées » par les groupes internationalistes de tradition bordiguiste, rejet qui marque une clarification importante pour l'ensemble du milieu. À la place du total isolement sectaire, nous trouvons aujourd'hui dans les différents groupes une plus grande disposition à exposer leurs critiques réciproques dans la presse ou dans les réunions publiques. Il existe en plus un appel explicite des camarades de Battaglia Comunista à surmonter la dispersion actuelle, appel dont nous partageons en grande partie les arguments et les buts. Il existe enfin ‑ et ce doit être encouragé au maximum ‑ une poussée contre l'isolement sectaire, qui vient d'une nouvelle génération d'éléments que le tremblement de terre de ces deux dernières années pousse vers les positons de la Gauche communiste et qui restent pantois devant l'extrême dispersion dont ils n'arrivent pas à comprendre les raisons politiques.
Nous savons bien que les difficultés sont énormes, et que, pour le moment, la disposition à la discussion ‑ quand elle existe ‑ est très limitée. Il y a ceux qui affirment que le débat doit se cantonner à des groupes qui ne se réclament que de la Gauche communiste d'Italie, excluant donc le CCI. Il y a ceux qui conçoivent le débat exclusivement comme un anéantissement des autres groupes dans leur presse. Il y a ceux qui pensent que le vrai débat ne sera possible que dans une phase pré‑révolutionnaire et il y a ceux qui sont disposés à discuter avec les nouveaux éléments en recherche mais pas avec les « vieux ». Comme on le voit, les racines du sectarisme sont trop profondes pour qu'il soit aujourd'hui possible de faire des propositions trop ambitieuses, tant dans leur contenu (travail à la reconstruction du parti) que dans leur forme (par exemple une conférence internationale). Que faire alors pour dépasser concrètement cet état actuel de dispersion ? Il faut favoriser tout ce qui va dans le sens de la multiplication des contacts et des débats entre internationalistes ([1]). Il ne s'agit pas de cacher les divergences pour rendre possible un « mariage » entre groupes, mais de commencer à exposer et à discuter ouvertement des divergences qui sont à l'origine de l'existence des différents groupes.
Le point de départ, c'est de systématiser la critique réciproque des positions dans la presse. Cela peut paraître une banalité, mais il y a encore des groupes révolutionnaires qui, dans leur presse, font semblant d'être seuls au monde.
Un autre pas qui peut être fait immédiatement, c'est de systématiser la présence et l'intervention aux réunions publiques des autres groupes.
Un pas plus important est la confrontation des positions dans des réunions publiques, convoquées conjointement par plusieurs groupes, face à des événements d'une importance particulière, comme la guerre du Golfe.
Il est clair que tout cela, et en particulier ce dernier point, ne sera pas immédiatement réalisable partout et entre tous les groupes. Même si il n'y a que deux organisations qui réussissent à discuter publiquement de leurs accords et de leurs divergences, ce sera déjà un pas en avant pour le milieu politique internationaliste tout entier, et le CCI appuiera avec conviction de telles initiatives, même s'il n'est pas parmi les participants directs de cette discussion particulière.
Nos propositions peuvent paraître modestes, et en fait elles le sont. Face à des décennies de sectarisme débridé, il est déjà ambitieux de vouloir seulement contribuer à enclencher un processus de confrontation et de regroupement entre internationalistes, mais c'est le seul chemin pour que se fasse le processus de décantation politique et de démarcation programmatique qui conduira les minorités communistes à jouer pleinement leur rôle essentiel dans les batailles de classe qui se préparent.
CCI, juillet 1991
[1] Il est évident que les groupes résidus et organisations de type gauchiste (trotskystes, maoïstes, anarchistes) ne sont pas pour nous des internationalistes. Quant à la myriade de groupuscules qui gravitent en parasites autour des principaux courants du milieu prolétarien, par la dispersion militante et la confusion qu'ils alimentent, ils ne peuvent en rien contribuer dans un tel débat.