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Révolution Internationale n° 386 (spécial Web) - janvier 2008

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Exceptionnellement, ce numéro de Révolution Internationale est publié uniquement sur le Web.

Russie, Octobre 1917 : Salut à la Révolution prolétarienne !

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Tous les dix ans, la bourgeoisie fête à sa manière la décennie de plus qui l'éloigne dans le temps de la pire expérience qu'elle ait connue : la Révolution prolétarienne en Russie d'Octobre 1917. Et tous les dix ans, revient le rouleau compresseur idéologique des médias bourgeois qui nous "démontrent" que non seulement cet "Octobre Rouge" a été épouvantable, mais que cet événement ne pouvait qu'ouvrir la porte à la plus effroyable des barbaries.

Ainsi, les articles du journal Le Monde des 6 au 8 novembre signés d'un certain Jan Krauze comme les émissions d'Arte avec notamment les assertions du pseudo-"historien" Marc Ferro (qui nous a sorti des documents d'"archives inédites") ont-ils été particulièrement répugnants dans la falsification systématique de la Révolution russe de 1917. Après avoir mené leur "coup d'État", les Bolcheviks "se sont retournés avec une brutalité inouïe" contre toutes les "catégories sociales" qui leur auraient permis de s'emparer du pouvoir. Lénine n'est qu'un "démagogue infaillible "réclamant des "fleuves de sang", qui "n'a de cesse d'exciter la haine", qui "fixe les quotas de personnes à liquider". D'ailleurs, il avouerait lui-même que le Commissariat à la justice devrait s'appeler "Commissariat à l'extermination" ! Ainsi, ces plumitifs du capital ont été les premiers à apporter (grâce à leurs "fouilles archéologiques") leur petite contribution à la campagne de diabolisation des bolcheviks et de dénigrement de la Révolution russe. Cette campagne au service du Capital a commencé avec la publication du "Livre noir du communisme" et s'est prolongée récemment avec la campagne de criminalisation du mouvement de grèves des étudiants et des travailleurs de la SNCF et de la RATP (voir notre site Internet). Voila comment la bourgeoisie française a célébré, à sa façon, l'anniversaire de la révolution prolétarienne d'Octobre 1917.

Qui étaient les Bolcheviks ?

Le mensonge le plus gros, mais qui conditionne tous les autres, est celui d'une révolution qui n'aurait été qu'un "coup d'État" mené par une petite bande de criminels suivis par une masse populaire inculte. En tout état de cause, pour ces détracteurs bourgeois, il ne s'agissait pas d'une révolution des larges masses exploitées, dont les enfants tombaient chaque jour comme des mouches sur le Front, sacrifiés sur l'autel de la barbarie du capital (le régime tsariste, vestige de la féodalité, ne signifiait nullement que la Russie de 1917 n'était pas un État capitaliste). C'était un "complot" d'une petite minorité sanguinaire : les bolcheviks. Ainsi, l'article du Monde s'évertue à démontrer qu'entre les bolcheviks et n'importe quel aventurier prêt à tout pour s'emparer du pouvoir, il n'y avait que peu de différence. Octobre 1917 n'était qu'une "jacquerie" de paysans arriérés, selon notre grand "trouveur" d'"archives inédites", Marc Ferro.

Le Parti bolchevique a une histoire qui dément ce mensonge éhonté. Il est issu du Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie (POSDR) affilié à la Seconde Internationale. La Fraction bolchevique était l'aile la plus à gauche et a su mener un combat politique intransigeant pour défendre les principes de classe du prolétariat contre toutes les tendances conciliatrices et confuses qui existaient dans le POSDR, y compris contre l'opportunisme des mencheviks. En particulier, face à la misère et à la barbarie guerrières auxquelles étaient soumises les masses exploitées dans la Russie tsariste, les bolcheviks ont toujours été les meilleurs défenseurs de toutes les masses opprimées (prolétaires et paysans pauvres). Dès 1905, alors que partout se sont formés spontanément des "soviets" (conseils) d'ouvriers, de paysans et de soldats, c'est Lénine qui est parmi les premiers à affirmer que, face à la dictature de la bourgeoisie (qu'elle soit "tsariste" ou "démocratique"), les Soviets sont "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat". La fraction bolchevique au sein du POSDR était issue de toute une tradition de luttes contre le capitalisme, menées dans la clandestinité par des militants de la classe ouvrière qui avaient à affronter une répression constante et très efficace. Les bolcheviks ont toujours fermement défendu les positions politiques du prolétariat : non seulement ils ont participé aux luttes ouvrières partout où ils l'ont pu en Russie, mais ils ont mené des polémiques intransigeantes au sein de la Seconde Internationale pour que des mesures politiques concrètes soient prises contre le déchaînement de la barbarie capitaliste. Ils ont dénoncé la trahison des partis sociaux-démocrates qui ont embrigadé des millions de prolétaires dans la première boucherie mondiale. Ils ont défendu avec la plus grande détermination le vieux mot d'ordre du Manifeste communiste de 1848 : "Les prolétaires n'ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !". En Russie, ils sont pratiquement seuls à défendre une position internationaliste en 1914. Cet internationalisme intransigeant, jamais pris en défaut, a fait d'eux l'avant-garde et la tête naturelle du mouvement révolutionnaire des masses exploitées en 1917. Le prolétariat du monde entier avait les yeux rivés sur la Révolution russe d'Octobre qui a pu, grâce à son extension en Allemagne et à la fraternisation des soldats sur le Front, obliger la bourgeoisie mondiale à mettre fin à la Grande guerre de 1914-18. Le parti bolchevique était reconnu comme le parti phare de la classe ouvrière par les autres révolutionnaires de l'époque, y compris par des syndicalistes révolutionnaires ou des anarchistes comme Alfred Rosmer ou Victor Serge. Et surtout, il a compris que les masses exploitées et opprimées étaient seules à pouvoir mettre fin à la guerre. Le mot d'ordre de Lénine de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" (c'est-à-dire en guerre de classe contre la bourgeoisie) n'a pas été un slogan d'une petite minorité de comploteurs qui auraient fomenté un "coup d'État". Le professeur Marc Ferro[1](à la suite de la campagne orchestrée par Monsieur Courtois avec son "Livre noir du communisme") aurait-il préféré que la boucherie mondiale se poursuive ? Sa littérature très "démocratique" de vierge effarouchée (et surtout de falsificateur à la botte du Capital) n'est rien d'autre qu'une insulte honteuse jetée au visage de tous ces enfants morts sur les champs de bataille, de tous ces estropiés qui sont revenus du front[2]

Lorsqu'il rentre à Petrograd (l'actuelle Saint-Pétersbourg) en avril1917, Lénine est conscient que le parti du prolétariat doit cesser de soutenir le très "démocratique" Gouvernement provisoire qui a succédé à celui du Tsar et il affirme que "les masses sont cent fois plus à gauche que le Parti". Pour un opportuniste avide de pouvoir, on ne peut pas dire qu'il soit très habile ! D'autant que les démocrates russes lui offraient alors, à lui et au parti bolchevik, une place dans le gouvernement provisoire.

Qui a fait la Révolution russe ?

La bourgeoisie est pourtant bien contrainte d'admettre[3]qu'il s'agit là d'un "étrange coup d'État" (Le Monde du 6 novembre). Parce que les bolcheviks, bien que déterminés, n'étaient au début de la révolution qu'une petite minorité. Parce que l'objectif qu'ils fixaient à la classe ouvrière de renverser le gouvernement "démocratique" bourgeois dirigé par Kerensky était public, discuté partout à tel point que la date de l'insurrection était connue à l'avance. Élément totalement contradictoire : comment le "coup d'État" d'un petit groupe de comploteurs a-t-il pu réussir sans même bénéficier de l'effet de surprise ? La réponse est simple : le gouvernement Kerensky était incapable de satisfaire les revendications des masses ouvrières et paysannes qui mourraient de faim, de froid, avec en plus l'hécatombe sanglante sur le Front. Les masses réclamaient : "Le pain et la paix !".Si le gouvernement provisoire était, par ailleurs, incapable de résister face à la poussée révolutionnaire des masses ouvrières, c'est qu'il n'avait plus aucun soutien dans le corps social. L'armée se délitait, les prolétaires en uniforme étaient gagnés par les idées révolutionnaires, la paysannerie haïssait les héritiers politiques des grands propriétaires autant que ce gouvernement provisoire qui ne se décidait pas à entériner le partage des terres des féodaux, ni à arrêter la guerre. Quant à la classe ouvrière, à l'arrière comme au front, elle savait qu'il existait une petite minorité en son sein, ayant "une conscience claire du buts et des moyens du mouvement prolétarien dans son ensemble " (Manifeste communiste). C'est pour cela que les masses attendaient le retour de Lénine exilé en Suisse (car le parti bolchevik, affaibli par ceux qui avaient dû émigrer à l'étranger, avait besoin de toutes ses forces[4]). Lorsqu'il revient en Russie, en avril 1917, il est accueilli à bras ouverts et acclamé par des masses d'ouvriers venus l'attendre sur le quai à la gare de Finlande à Petrograd. Cet accueil chaleureux n'était nullement dû au fait que ces masses prolétariennes étaient "incultes" et étaient "manipulées" par le grand "démagogue" Lénine[5]C'est tout simplement parce que, pour pouvoir lutter contre la guerre impérialiste, les bataillons du prolétariat russe avaient besoin d'une direction politique clairvoyante et déterminée à leur mouvement de masse : c'est grâce aux "Thèses d'avril" (rédigées par Lénine) que le parti bolchevique a pu se renforcer. Les prolétaires (qui avaient faim, froid, et continuaient à mourir sur les champs de bataille du capital) le demandaient. Pour eux, comme pour toute les classes et couches non exploiteuses, c'était une question de survie. Ces masses de prolétaires, de paysans et de soldats étaient moins stupides que certains plumitifs très "cultivés" de la bourgeoisie décadente. C'est à la demande de larges masses prolétariennes, rassemblées dans les soviets, que le "Comité Militaire Révolutionnaire" (CMR) nommé par le soviet de Petrograd (où les bolcheviks étaient majoritaires) a pu organiser et coordonner le renversement du Gouvernement provisoire. La prise du pouvoir a été réalisée principalement par la "Garde rouge" (milice ouvrière) et les marins de la garnison de Kronstadt qui ont braqué les canons de leurs navires sur le Palais d'Hiver où siégeaient Kerensky et ses ministres. Et ces derniers avaient été isolés par la coupure des lignes téléphoniques du gouvernement réalisée par les ouvriers des télécommunications. Cette petite "minorité de ministres comploteurs "réunie autour de Kerensky a fait l'objet d'un décret d'arrestation par le CMR (pour sa part, Kerensky a pu s'enfuir dans une voiture de l'ambassade américaine). Si cette insurrection (qui n'était pas une "jacquerie de paysans arriérés") a pu réussir, c'est aussi parce que les garnisons de la capitale, convaincues par les arguments des bolcheviks et l'action massive des ouvriers, ont rallié, les unes après les autres, le camp de la révolution prolétarienne à tel point que le siège du gouvernement est tombé, comme un château de cartes, presque sans combats.

Il n'est pas étonnant que les soviets (qui étaient des assemblées de masse centralisées à Petrograd dans un Comité exécutif) aient peu à peu basculé du côté de ceux qui apportaient des réponses politiques claires aux questions que se posaient toutes les couches non exploiteuses de la population : "Il faut arrêter la guerre ! Il faut exproprier la bourgeoisie ! Il faut abattre le Gouvernement provisoire, paravent de la domination bourgeoise ! Il faut exporter la Révolution internationalement !". L'élection de Trotsky à la présidence du Soviet de Petrograd n'est pas un "coup d'État", elle n'est que la conséquence du fait que la classe ouvrière dans son ensemble se reconnaissait dans la direction politique donnée par les bolcheviks. Les soviets n'étaient pas une chambre d'enregistrement des décisions du Parti bolchevique, ils étaient l'activité vivante de la classe elle-même. Que les bolcheviks, qui étaient les plus conscients des tâches de l'heure, soient arrivés à gagner la majorité dans les soviets (grâce aux débats vivants et à la démocratie prolétarienne qui y régnaient), n'a rien de bien mystérieux (sauf pour les "historiens" qui nous racontent encore des histoires à dormir debout). Ce n'était nullement un "complot", une "conspiration" fomentée dans l'ombre par une petite minorité dirigée par le grand "démagogue" Lénine.

Ce prétendu "coup d'État" dénoncé par les idéologues de la bourgeoisie n'a pas été commis par une petite cohorte de meneurs machiavéliques, mais par le prolétariat dont toutes les actions étaient discutées et votées au préalable dans les soviets. L'insurrection d'Octobre a été un témoignage vivant, une concrétisation du pouvoir réel des soviets et de leur rôle révolutionnaire comme la centralisation de l'insurrection par le CMR (avec à sa tête Trotsky qui fut élu et mandaté), condition indispensable et vitale de son succès, traduisait le caractère collectif et unitaire de l'élan révolutionnaire des masses prolétariennes.

La Sainte Alliance des grandes "démocraties" asphyxie la Révolution russe

La révolution russe ne pouvait pas survivre en restant isolée dans un seul pays et les bolcheviks le savaient pertinemment. Ils attendaient avec impatience son extension dans tous les autres pays industrialisés, et notammenten Allemagne. Chaque mois, de retard de la révolution en Europe fut une tragédie pour la Révolution russe, soumise à la pression contre-révolutionnaire non seulement des armées blanches, mais aussi de toutes les puissances capitalistes (qui continuaient à se déchirer dans la Grande Guerre, mais étaient totalement unies pour écraser ensemble la Révolution russe dans le sang). Comment se fait-il que les idéologues patentés du capital n'aient pas mentionné dans leur presse le massacre sanguinaire du quart de la population ouvrière finlandaise par l'armée allemande au printemps 1918 ? Est-ce parce qu'ils n'avaient pas découvert d'"archives inédites" ou plutôt parce que, soumis à l'idéologie dominante, ils ne peuvent que falsifier l'histoire comme le leur dicte la classe dominante ? Comment se fait-il encore que ces "brillants" écrivains n'aient pas non plus signalé, dans leur prose, que ce sont les mêmes armées allemandes qui, peu de temps après, ont fraternisé avec les armées ennemies ? Ces idéologues bourgeois n'ont peut-être pas encore compris que ce brusque retournement de situation, imprévisible, n'avait qu'une seule explication : les armées belligérantes étaient composées de prolétaires en uniformes qui en avaient assez de se faire massacrer par d'autres prolétaires en uniformes. Ils ne pouvaient plus supporter cette barbarie fratricide et sanguinaire. Ces prolétaires (et paysans "incultes") avaient pris conscience que leurs exploiteurs les avaient transformés en "machines" à tuer (grâce à la trahison des partis de la social démocratie qui ont basculé avec armes et bagages dans le camp du capital dès 1914 et grâce à la propagande nationaliste). Evidemment, cette "extermination" qui a fait 20 millions de morts pendant la première "Grande guerre" du Capital ne choque nullement ces "pourfendeurs" de bolcheviks !

La bourgeoisie avait, elle, parfaitement compris l'enjeu mondial de la Révolution d'Octobre en Russie. C'est pour cela que la Sainte Alliance de tous les camps du capital a préféré signer l'armistice et s'unirpour écraser dans le sang la révolution en Allemagne, encercler la Russie des Soviets, établir un "cordon sanitaire" autour de ses frontières, et imposer le blocus économique afin de laisser toute la population de la Russie crever de faim. Les idéologues patentés de la classe dominante n'ont pas besoin des "archives inédites" du Kremlin, offertes par Poutine, pour le savoir !

Face à l'offensive menée par des armées professionnelles bien équipées,le prolétariat en Russie devait se défendre par tous les moyens. La Révolutionrusse payait d'ailleurs là certaines de ses erreurs : ainsi les bolcheviks ont d'abord relâché la plupart des contre-révolutionnaires qu'ils capturaient contre serment de ne pas porter les armes contre la Révolution. Aucun n'a tenu parole.

Si la révolution d'Octobre a dégénéré, si les soviets n'ont pas pu se maintenir comme organes du pouvoir politique de la classe ouvrière, et si le parti bolchevique a fini par s'identifier à l'État, c'est à cause de l'échec de la révolution en Allemagne et de son extension dans le reste des pays les plus industrialisés. C'est le parti socialiste (le SPD) qui a écrasé dans un bain de sang la révolution prolétarienne en Allemagne (il n'est pas inutile de rappelerque les Corps Francs qu'il a recrutés pour cette tâche ont par la suite formé l'ossature des SA nazis). Et la barbarie de la contre-révolution capitaliste n'a pu se déchaîner que grâce au sale travail de tous les propagandistes aux ordres du capital, avec leurs campagnes anti-bolchéviques d'un cynisme sans borne[6].

Le but de la prise du pouvoir en Russie était de "tenir" jusqu'à ce que la révolution prolétarienne en Europe occidentale puisse venir soutenir la Révolutions russe. Et Lénine a même écrit que "perdre la révolution en Russie ne sera rien si nous la gagnons en Allemagne". Singulier tyran,vraiment, qui acceptait de perdre "sa" révolution pour que d'autres la gagnent !

La classe dominante est incapable de comprendre Octobre 1917

Pour la classe dominante de la société capitaliste, comprendre que l'action des masses ouvrières ait pu être consciente relève de l'impossible : la bourgeoisie croit, et croira tant qu'elle existera, qu'une révolution ne peut qu'être l'œuvre d'un petit nombre de comploteurs décidés qui réussissent à manipuler de larges masses exploitées et les autres couches sociales non exploiteuses pour les amener à exécuter leurs desseins. Cette vision conspirative (et surtout totalement délirante et irrationnelle) de l'histoire, est la preuve que la bourgeoise est une classe qui n'a plus aucun avenir historique. Elle ne peut se maintenir comme classe dominante qu'en pataugeant dans la boue et le sang. Quant aux "scoops" des plumitifs de sa presse ou de ses "historiens" aux ordres, ils prennent de plus en plus la forme de méprisables ragots [7].Ce ne sont pas seulement des tissus de mensonges liés au maintien de la dictature capitaliste : la bourgeoisie est effectivement incapable de comprendre que de larges couches sociales exploitées, soumises par des siècles d'exploitation, puissent développer une conscience claire des enjeux de la situation historique présente et la force de prendre le pouvoir pour instaurer non pas une nouvelle dictature basée sur l'exploitation de l'homme par l'homme, une anarchie aveugle, un chaos de plus en plus sanglant, mais un autre mode de production et une nouvelle société : la société communiste mondiale.

Du point de vue de la classe capitaliste, l'idée que la classe ouvrière puisse être porteuse d'une conscience plus claire, plus haute, débarrassée de l'aliénation exercée par sa position de classe exploitée, est totalement insupportable et inconcevable . Dans son Histoire de la Révolution russe,Trotsky nous montre en maints passages la morgue de la bourgeoisie, les insultes qu'elle lance à des ouvriers qu'elle croit incapables de la moindre pensée politique.

Le prolétariat, affaibli par la trahison de la social-démocratie, n'a pas eu la possibilité de renverser l'ordre capitaliste au niveau mondial. Mais il a prouvé qu'il avait la force, quand il était uni, solidaire et organisé collectivement, de mettre fin à la barbarie guerrière, réfutant ainsi concrètement tous les mensonges de la bourgeoisie sur le caractère indépassable de son ordre, de ses frontières, de ses États nationaux. Le prolétariat revendique haut et fort d'avoir montré dans la pratique que tout ce que disaient Marx et les communistes n'était pas du vent : le prolétariat est la seule classe révolutionnaire de la société capitaliste. Aujourd'hui encore, à l'occasion de l'anniversaire de la Révolution d'Octobre 1917 qui a ouvert la première vague révolutionnaire mondiale du prolétariat, la classe ouvrière doit dénoncer le caractère réactionnaire, obscurantiste, des campagnes anti-communistes actuelles.

La classe ouvrière en France, quant à elle, a célébré à sa façon l'anniversaire d'Octobre 1917 : elle a su rendre hommage à ces générations de prolétaires qui ont renversé le gouvernement bourgeois de Kerensky et ont pris le pouvoir. Face à la misère et à l'exploitation capitalistes (et aussi aux mensonges des médias et de certaines presses), les étudiants et les cheminots ont adressé, sans en être encore conscients, un grand Salut à la Révolution russe en menant un mouvement qui a fini par faire tomber le masque des syndicats (et surtout du syndicat stalinien, la CGT).

Comme en 1917-18, ce sont surtout les jeunes générations de la classe ouvrière qui étaient à l'avant-garde du combat prolétarien et qui ont su tirer les principaux enseignements de la Révolution russe : "si on reste tout seuls, on va se faire manger tout crus".[8]Quant aux communistes internationalistes, ils doivent eux aussi rendre hommage à Lénine et à tous ses camarades bolcheviks dont la contribution au mouvement ouvrier restera inestimable.. Et tout comme les bolcheviks connaissaient par cœur les enseignements de la Commune de Paris, les révolutionnaires de demain se souviendront et se serviront de l'exemple de la Révolution russe en sachant entirer les enseignements et en critiquer les erreurs.

BM


[1] Et certains amateurs "d'humour noir" issus des pays de l'Est, tels ceux qui ont édité un livre intitulé "Dessine-moi un bolchevik" participent à cette même propagande anti-bolchévique mais de façon plus "subtile". Ces premières grandes "découvertes" du 21e siècle ont été rendues publiques (comme par hasard) au même moment : à l'occasion de l'anniversaire de la Révolution russe d'Octobre 1917. Nos brillants "explorateurs" seraient-ils partis ensemble en voyage organisé, dans le même charter ? En tout état de cause, ils méritent au moins un prix "Nobel" de la paix sociale. Quant aux "intellectuels" honnêtes qui ne savent pas grand chose de cette période historique, ils feraient mieux d'être un peu plus modestes (et ne pas trop étaler leurs préjugés réactionnaires sur la place publique) s'ils ne veulent pas devenir comme Marc Ferro : un arroseur arrosé !

[2] Même les scientifiques et les intellectuels humanistes de l'époque (comme par exemple Freud, Romain Rolland, Stefan Sweig) avaient de très grandes sympathies pour les bolcheviks. Ces "libres penseurs" avaient au moins la dignité de ne pas collaborer avec le Capital en hurlant avec les loups, comme Monsieur Marc Ferro.

[3] Lénine n'était pas en Russie à l'époque et ne pouvait pas "manipuler" les masses de loin puisque la télévision n'existait pas ! Et si ces masses étaient "incultes", elles étaient donc incapables de comprendre la presse des bolcheviks. A force de jouer du tam-tam, nos plumitifs bourgeois raisonnent, décidemment, comme des tambours !

[4] Voir notre article de la Revue internationale n° 89 : "1917 : la révolution russe : les "thèses d'avril", phare de la révolution prolétarienne [1]"

 

[6] Les prédécesseurs de nos chaînes de télévision "modernes" présentaient sur leurs affiches très "démocratiques" des caricatures de bolcheviks avec un couteau entre les dents. Et cela pour bien faire passer le message : "prolétaires de tous les pays, soumettez-vous à l'ordre du capital !" C'est justement cet ordre, cette paix sociale (obtenue au prix de l'extermination par Staline des derniers combattant de la vieille garde bolchevique d'Octobre et des spartakistes en Allemagne par les "socialistes") qui a ouvert la voie royale au deuxième holocauste mondial de 1939-45.

[7] Les "intellectuels" qui croient encore au "plus grand mensonge de l'histoire", à la continuité entre la révolution prolétarienne d'Octobre 1917 et le stalinisme (qui en fut par la suite son principal bourreau) feraient mieux de changer de littérature s'ils veulent rester des gens intelligents.

[8] Propos d'un étudiant en 2006 dans la lutte contre le CPE. Les étudiants n'avaient pas besoin d'"archives inédites", ni de "bolcheviks" dans leurs AG, pour comprendre ce B-A/BA de l'histoire de l'humanité.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [2]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [3]
  • La vague révolutionnaire, 1917-1923 [4]

Russie 1917, Allemagne 1918 : L'extension de la révolution russe met fin à la guerre impérialiste

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L'article que nous publions ci-dessous rend compte,de façon très synthétique, des principaux épisodes de la Révolution russe et de son extension en Allemagne en 1918.

Contrairement à ce que soutient l'histoire officielle, celle de la bourgeoisie, la Première Guerre mondiale n'a pas pris fin, le 11 novembre 1918, parce que les forces de l'alliance germano-autrichienne avaient subi une défaite militaire décisive ou ne trouvaient plus les forces de poursuivre le combat. Non, l'armistice fut signé pour la seule raison que les bourgeoisies des deux camps belligérants devaient alors faire face à l'extension mondiale de la révolution prolétarienne d'Octobre 1917 en Russie. De fait, c'est la menace immédiate de l'insurrection du prolétariat en Europe qui a entraîné l'arrêt forcé de la tuerie capitaliste.

Que la classe ouvrière soit parvenue à un tel résultat découlait bien entendu d'un long processus au cours duquel se construisit progressivement sa force. Dès l'été 1916, il y avait eu des mouvements de masse significatifs, notamment en Allemagne, pour exprimer la colère des ouvriers contre les souffrances, les privations et la misère qu'entraînait la guerre.

Mais le véritable début de la vague révolutionnaire se situe au mois de février 1917, en Russie. A Petrograd, le 23, ce qui aurait dû être une simple journée en hommage à la femme ouvrière dans le cadre des manifestations routinières des partis socialistes, créa en réalité l'occasion de l'explosion de tout le mécontentement accumulé dans les rangs ouvriers -ainsi que dans d'autres couches pauvres de la population- contre le ravitaillement en vivres de jour en jour plus défectueux de la capitale de la Russie d'alors et la surexploitation imposée par l'économie de guerre. De telle sorte que, débordant le 23 février,le mouvement qui criait : "Du pain !" prend vite les jours suivants les allures d'une insurrection, involontairement favorisée par la férocité de la répression tsariste. Le 26, la force de la dynamique prolétarienne provoque le ralliement des soldats ; le 27, le régime tsariste[1]a vécu et s'installe alors le gouvernement démocratique bourgeois (dit"provisoire") tandis que le prolétariat, dans les usines et autres lieux de travail, s'organise en conseils autonomes et envoie des délégués au Soviet central de la ville.

Mais comme le nouveau pouvoir, dans les mois qui succèdent, poursuit la participation à la guerre, au lieu d'apporter des solutions au problème endémique de la famine, et renforce l'économie d'armement -ce qui oblige les ouvriers à travailler bien au-delà dehuit heures par jour- il suscite chez ces derniers des réactions de plus en plus combatives et conscientes, notamment à partir du mois d'avril 1917 où le parti bolchevik a mis en avant comme mot d'ordre : "La paix et le pain !" et "Tout le pouvoir aux Soviets !" La classe ouvrière s'est radicalisée de plus en plus parce que le gouvernement provisoire s'impliquait dans la guerre impérialiste de façon encore plus déterminée que le Tsar. Après de nouvelles journées insurrectionnelles en juillet, où le prolétariat a été obligé de reculer (car les conditions n'étaient pas encore mûres pour renverser le gouvernement Kerenski), le général tsariste Kornilov a tenté de faire un coup d'État contre le Gouvernement provisoire. Cette offensive a été mise en échec en particulier grâce à la mobilisation massive des ouvriers de Petrograd, ce qui a donné un nouvel élan à toute la classe ouvrière et a accru l'audience des bolcheviks et de leurs mots d'ordre. A partir du 22 octobre 1917, se tiennent des meetings qui rassemblent des foules considérables desquelles, de manière très révélatrice, montent les slogans : "A bas le gouvernement provisoire ! A bas la guerre ! Tout le pouvoir aux Soviets !". Le 25, les masses prolétariennes, avec à leur tête les marins de la "Flotte Rouge" de la garnison de Kronstadt, prennent d'assaut le palais d'Hiver, à Petrograd, et chassent le gouvernement de Kerenski.

C'est la révolution D'octobre. Le Congrès des Soviets de toutes les Russies qui se tenait au même moment et où le parti bolchevik était majoritaire, annonce, dans une Résolution, la prise du pouvoir par la classe ouvrière : "S'appuyant sur la volonté de l'immense majorité des ouvriers, des soldats et des paysans, s'appuyant sur l'insurrection victorieuse des ouvriers et de la garnison qui s'est accomplie à Petrograd, le Congrès prend en main le pouvoir. Le pouvoir des soviets proposera une paix immédiate et démocratique à tous les peuples et un armistice immédiat sur tous les fronts." (Cité par Lénine,"Oeuvres",tome 26, p. 253.) Le 26, en effet, à sa deuxième séance, le Congrès promulgue un "décret sur la paix" et arrête dans le même temps des mesures d'urgence pour soulager la misère subie par la population russe.

Les évènements révolutionnaires de Russie eurent bien entendu un retentissement énorme dans le prolétariat de tous les pays d'Europe et du monde entier, mais d'abord parmi les ouvriers des pays impliqués directement dans le carnage inter-impérialiste. Ils catalysèrent partout des manifestations contre la guerre et engendrèrent de vibrantes protestations de sympathie en faveur de l'Octobre rouge, provoquant en outre, sur le front, des mouvements de fraternisation entre soldats des armées ennemies.

C'est cependant en Allemagne, pays où se trouve le prolétariat le plus nombreux, concentré et politiquement éduqué, que les répercussions décisives se produisirent. Dans ce pays, la dynamique révolutionnaire, après un temps de mûrissement durant l'année 1917, se développe tout au long de 1918 pour atteindre son point culminant au début du mois de novembre, le 4 exactement. Ce jour-là, les marins se mutinent à Kiel entraînant derrière eux une bonne partie des soldats (des prolétaires en uniformes) et des prolétaires en civil, en particulier à Berlin et en Bavière. Les prolétaires en Allemagne répondaient ainsi de toute évidence aux appels que leurs frères de classe en Russie leur adressaient depuis octobre1917 afin qu'ils prennent le relais et la direction de la révolution mondiale. Leur soulèvement a entraîné la rébellion des troupes demeurées jusque-là loyales au gouvernement du Kaiser Guillaume II. En quelques jours, le pays se couvre de "Conseils ouvriers" sur le modèle des Soviets russes. La bourgeoisie comprend la nécessité de se débarrasser du Kaiser qui abdique le 9 novembre et est remplacé par la République (appelée par la suite République de Weimar, du nom de la ville où s'était réuni le Parlement). Elle confie le pouvoir à un gouvernement dirigé par les socialistes Ebert et Scheidemann (qui s'étaient ralliés à l'Union Sacrée en votant les crédits de guerre en 1914) qui signe immédiatement l'armistice avec la France.

Comme nous l'écrivions dans un article de "RI" n°173 (novembre 1988) consacré à la célébration de ces faits, "Avec leur mouvement insurrectionnel, les ouvriers en Allemagne avaient mis en mouvement la plus grande lutte de masse de leur histoire. Toutes les trêves sociales, que les syndicats avaient signées durant la guerre, et la politique de paix entre les classes volèrent en éclats sous les coups de la lutte de classe. Avec ce soulèvement, les ouvriers se remettaient de la défaite d'août 1914 et relevaient la tête. Le mythe d'une classe ouvrière allemande (ou autre)paralysée par le réformisme était en train de s'effondrer. (...) Dans le sillage du prolétariat de Russie, avec le soulèvement ouvrier et un début de formation de conseils en Hongrie et Autriche l'année suivante (1919), les ouvriers allemands se portaient à la tête de la première grande vague révolutionnaire internationale de luttes nées de la guerre."

Et c'est donc pour ne pas risquer d'être balayée, comme en Russie, que la bourgeoisie d'Allemagne,certainement encouragée en cela par ses consoeurs et adversaires de guerre, s'est empressée de mettre fin au conflit impérialiste commencé quatre ans plutôt.

C'est bien pour enrayer le développement de la révolution prolétarienne mondiale que toutes les bourgeoisies se sont entendues à conclure très vite entre elles le cessez-le-feu, quelques jours seulement après la mutinerie des marins de Kiel,contre les autorités militaires allemandes.

Par la suite, le mouvement révolutionnaire fut sauvagement écrasé en Allemagne (notamment lors de la"semaine sanglante" de janvier 1919 à Berlin et l'assassinat par les Corps Francs, à la solde du SPD, des révolutionnaires spartakistes dont Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg)[2]. Cette défaite du prolétariat en Allemagne devait plus tard entraîner la mort dela révolution en Russie. Il n'en reste pas moins vrai que, dans ces deux pays,la classe ouvrière mondiale avait fait la preuve qu'elle constitue la seule force de la société capable, en luttant sur son propre terrain de classe, de faire cesser la furie guerrière du capitalisme[3].

 

RI


[1] Malgré la persistance d'un régime politique de caractère féodal, le capitalisme s'était déjà développé en Russie avec des concentrations industrielles importantes : par exemple avec 40 000 ouvriers, l'usine métallurgique Poutilov de Petrograd était la plus grande usine du monde.

[2] Voir notamment dans la série consacrée à la Révolution allemande, les deux articles parus dans les n°82 et 83 de notre Revue Internationale qui retracent en détails les évènements qui vont de l'armistice à l'assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht et qui permettent de mieux comprendre ce qui s'est passé en Allemagne au cours de cette période.

[3] Le lecteur pourra également se reporter utilement à l'article plus détaillé sur le même thème : "1918-1919 : la révolution prolétarienne met fin à la guerre impérialiste" paru dans la Revue Internationale n°96.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [2]
  • Révolution Allemande [5]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [3]
  • La lutte Proletarienne [6]

Groupes prolétariens, Comités de Lutte, Cercles de Discussion : L’organisation du prolétariat en dehors (...) de luttes ouvertes

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L’organisation du prolétariat en dehors des périodes de luttes ouvertes

 

Nous publions ci-dessous de larges extraits d'un Texte d'Orientation qui a été présenté en janvier 1980 au Congrès de la section du CCI en Belgique et qui a été discuté au sein de notre organisation. Ce texte a été publié une première fois dans la Revue Internationale n°21[1]. Bien que ce fut un texte interne, comme on peut le voir à son style, il permet d'apporter une contribution à la réflexion qui se fait jour aujourd'hui parmi les ouvriers les plus combatifs : comment lutter ?

Que faire après la lutte ? Comment s'organiser lorsque la grève est terminée ? Comment préparer la prochaine lutte ?

Voilà certaines questions auxquelles la maturation actuelle de la lutte de classe impose de répondre.

Face à cette question, face aux problèmes que posent les comités de lutte, cercles de discussion, groupes prolétariens, regroupant de petites minorités d'ouvriers, nous n'avons aucune recette à fournir. Entre les leçons morales ("organisez vous comme ceci ou cela", "dissolvez-vous", rejoignez-nous") et les flatteries démagogiques, nous n'avons pas à choisir. Notre souci est bien plutôt celui-ci : comprendre ces expressions minoritaires du prolétariat comme une partie d'un tout, les insérer dans le mouvement général de la lutte de classe ; de cette manière nous pourrons comprendre à quelles nécessités générales ces organes répondent. De cette manière nous pourrons également, en ne restant ni dans le flou politique ni emprisonnés dans des schémas rigides, cerner les aspects positifs de ces démarches et souligner les dangers qui les guettent.

Les caractéristiques de la lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent

Notre première préoccupation dans l'appréhension de ce problème doit être de rappeler le contexte historique général dans lequel nous nous trouvons. Nous devons nous remettre en mémoire la nature de cette période historique (l'ère des révolutions sociales) et les caractéristiques de la lutte de classe depuis l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence. Cette analyse est fondamentale car elle nous permet de comprendre le type d'organisation de classe qui peut exister dans une telle période.

Sans entrer dans les détails, rappelons simplement que le prolétariat au 19e siècle existe comme une force organisée de manière permanente. Le prolétariat s'unifie comme classe au travers d'une lutte économique et politique pour des réformes.

Le caractère progressiste du système capitaliste permettait au prolétariat, à cette époque, de faire pression sur la bourgeoisie pour obtenir des réformes durables et obtenir une réelle amélioration de ses conditions de vie. C'est pour cela que de larges masses d'ouvriers devaient s'organiser de façon permanente dans des syndicats et des partis qui, au sein du parlement bourgeois, pouvaient encore représenter les intérêts de la classe ouvrière en luttant pour des réformes politiques. Le capitalisme était encore à cette époque un système florissant en pleine expansion.

Dans la période de sénilité du capitalisme, ouverte avec le déchaînement de la guerre de 1914-18, les caractères et les formes d'organisation de la lutte prolétarienne changent. Une mobilisation quasi permanente du prolétariat pour la défense de ses intérêts économiques immédiats et politiques n'est plus possible ni durable. Les organes unitaires permanents de la classe ne peuvent plus désormais exister qu'au cours de la lutte elle-même. La fonction de ces organisations de masses ne se limite plus désormais à simplement "négocier" une amélioration des conditions de vie du prolétariat (car cette amélioration n'est plus possible à long terme et parce que la seule issue réaliste est celle de la révolution prolétarienne) mais à se préparer, à mesure que les luttes de développent, à la prise du pouvoir. Ces organes unitaires de masse destinés à la prise du pouvoir du prolétariat sont ceux qui ont surgi en Russie en 1905 et surtout en 1917 et en Allemagne en 1918. Ce sont les Conseils Ouvriers (ou "Soviets"). Ils ne peuvent surgir que dans une période révolutionnaire.

Ces organes possèdent un certain nombre de caractéristiques que nous devons mettre en évidence si nous voulons bien cerner tout le processus qui mène à l'auto-organisation du prolétariat.

Ainsi nous devons mettre en évidence que les Conseils sont une expression directe de la lutte de la classe ouvrière. Ils surgissent de manière spontanée (mais non mécanique) de sa lutte massive. C'est pourquoi ils sont intimement liés au développement et à la maturité de cette lutte, ils puisent en elle leur substance et leur vitalité. Ils ne constituent donc pas une simple "délégation" des pouvoirs, une parodie de Parlement, mais bien l'expression organisée de l'ensemble du prolétariat et de son pouvoir. Leur tâche n'est pas d'organiser une représentativité proportionnelle des groupes sociaux ou des partis politiques mais de permettre à la volonté du prolétariat de se réaliser pratiquement. C'est à travers eux que se prennent toutes les décisions. C'est pour cette raison que les ouvriers doivent constamment en garder le contrôle (révocabilité des délégués) par le biais des Assemblées Générales.

Seuls les Conseils Ouvriers sont capables de réaliser l'unité vivante entre la lutte immédiate et le but final des luttes. Par cette liaison entre la lutte pour des intérêts immédiats et la lutte pour le pouvoir politique et la construction de la société communiste mondiale, les Conseils posent la base objective et subjective de la révolution prolétarienne. Ils constituent le creuset par excellence de l'extension de la conscience de classe. La constitution du prolétariat en Conseils n'est pas une simple question de forme d'organisation mais bien le produit d'un développement de la lutte elle-même et de la conscience de classe. Le surgissement des Conseils n'est pas le fruit de recettes organisationnelles, de structures préfabriquées, d'organes intermédiaires.

L'extension et la centralisation de plus en plus consciente des luttes, au delà des entreprises et des frontières, ne peut être un fait artificiel et volontariste. Pour se convaincre de cette idée, il suffit de se rappeler l'expérience des AAU [2] et cette tentative artificielle de relier et de centraliser les "organisations d'usines" dans une période où la lutte refluait.

Les Conseils ne peuvent subsister que tant que subsiste une lutte permanente, ouverte, impliquant la participation d'un nombre toujours plus important de prolétaires dans le combat. Leur surgissement est essentiellement fonction d'un développement de la lutte elle-même et de la conscience de classe.

Le prolétariat a horreur du vide

Mais nous ne nous trouvons pas encore dans une période de lutte permanente, dans un contexte révolutionnaire qui permettrait au prolétariat de s'organiser en Conseils Ouvriers. L'organisation du prolétariat en Conseils est tributaire de conditions objectives (degré d'approfondissement de la crise permanente de l'économie capitaliste, cours historique) et subjectives (maturité de la lutte et de la conscience au sein de larges masses du prolétariat). Elle est le résultat de tout un apprentissage, de toute une maturation tant organisationnelle que politique.

Nous devons être conscients que cette maturation, cette fermentation politique ne se déroule pas suivant une ligne bien dessinée et bien droite. Elle s'exprime bien plutôt à travers un processus bouillonnant et confus, à travers un mouvement heurté et saccadé. Elle exige en outre une participation active de minorités révolutionnaires. Incapable d'agir mécaniquement selon des principes abstraits, selon des plans préconçus, selon un volontarisme détaché de la réalité, le prolétariat mûrit son unité et sa conscience au cours d'un apprentissage heurté fait d'avancées, de reculs et de défaites. Incapable de regrouper toutes ses forces à un jour "J" (le mythe du "grand soir" cher au syndicalisme révolutionnaire), il concentre ses rangs au cours de la bataille elle-même, son "armée", il la forme dans le conflit lui-même. Mais au cours de la lutte, il forme dans ses rangs des éléments plus combatifs, des avant-gardes plus décidées. Celles-ci ne se regroupent pas forcément au sein d'une organisation de révolutionnaires (car celle-ci dans certaines périodes est peu connue). L'apparition de ces minorités combatives au sein du prolétariat, que ce soit avant, après ou pendant les luttes ouvertes, n'est pas un phénomène incompréhensible ou nouveau. Elle exprime bien ce caractère irrégulier de la lutte, ce développement inégal et hétérogène de la conscience de classe. Ainsi, depuis la fin des années 1960, nous assistons à la fois à un développement de la lutte de classe dans le sens d'une plus grande auto-organisation, à un renforcement des minorités révolutionnaires, à l'apparition de comités, cercles et groupes prolétariens etc. où tente de se regrouper une avant-garde ouvrière. Le développement d'un pôle politique cohérent, la tendance du prolétariat à s'organiser en dehors des syndicats, procèdent d'une même maturation de la lutte et de la conscience de classe.

L'apparition de ces comités, cercles, groupes prolétariens (incluant des travailleurs salariés, étudiant ou au chômage, de toutes les générations et de toutes les catégories professionnelles), répond donc bien à une nécessité de la lutte de classe elle-même. Si des éléments combatifs sentent la nécessité de rester groupés après qu'ils aient lutté ensemble, c'est à la fois dans le but de continuer à "agir ensemble" (éventuellement préparer une nouvelle grève) et à la fois dans le but de tirer des leçons de la lutte passée (à travers un débat politique, collectif, démocratique et bien organisé). Le problème qui se pose à ces prolétaires est autant celui de leur regroupement en vue d'une action future (qui ne peut pas être conçue comme l'action d'une "petite minorité" isolée) que celui de leur regroupement en vue d'éclaircir les questions posées par la lutte passée et à venir. Cette attitude est compréhensible dans la mesure où l'absence de luttes permanentes, la "faillite" des syndicats et la faiblesse numérique des véritables organisations révolutionnaires (communistes internationalistes) créent une sorte de "vide" tant organisationnel que politique. La classe ouvrière lorsqu'elle reprend le chemin de son combat historique a toujours eu horreur du vide. Elle cherche donc toujours à répondre à un besoin posé par ce "vide" organisationnel et politique. Ces comités, cercles et groupes prolétariens, ces minorités d'avant-garde de la classe ouvrière qui ne comprennent pas encore clairement leur fonction ont toujours répondu à ce besoin. Ils sont à la fois une expression de la faiblesse générale de la lutte de classe actuelle et l'expression d'une maturation de l'organisation et de la conscience de classe. Ils cristallisent tout un travail souterrain qui s'opère au sein du prolétariat. Sans ces minorités plus conscientes, organisées et disciplinées du prolétariat, la révolte générale, inévitable, contre l'oppression, la misère et la barbarie capitalistes ne peut qu'exploser sous formes d'émeutes de plus en plus destructrices, dans un déchaînement de violence aveugle et de plus en plus incontrôlables.

Le reflux de la première vague de luttes après 1968

C'est pour cette raison que nous devons faire attention à ne pas enfermer ces organes dans des tiroirs hermétiques, dans des classifications rigides. Nous ne pouvons pas prévoir l'apparition et le développement de ceux-ci de manière tout à fait précise. De plus, nous devons être attentifs à ne pas séparer artificiellement différents moments dans la vie de ces comités et ne pas poser un faux dilemme dans le style : "l'action ou la discussion."

Ceci dit, cela ne doit pas nous empêcher d'avoir une intervention par rapport à ces organes. Nous devons également être capables d'apprécier l'évolution de ces organes en fonction de la période, suivant que nous nous trouvons dans une période de reprise des luttes ou de reflux. En effet, dans la mesure où ils sont un produit immédiat et spontané des luttes, qu'ils surgissent plus sur la base de problèmes conjoncturels (à la différence de l'organisation des révolutionnaires qui surgit sur la base des nécessités historiques du prolétariat), ces organes restent très fortement dépendants du milieu ambiant de la lutte de classe. Ils restent plus fortement prisonniers des faiblesses générales du mouvement et ont tendance à suivre les hauts et les bas de la lutte.

C'est ainsi que nous devons opérer une distinction dans le développement de ces comités, cercles, groupes prolétariens etc. au moment du reflux de la lutte entre 1973 et 77, et dans la période actuelle de reprise internationale des luttes.

Tout en soulignant les dangers qui restent identiques pour ces deux périodes, nous devons être capables de cerner les différences d'évolution.

C'est ainsi qu'avec la fin de la première vague de luttes à la fin des années 1960, nous avons pu assister à l'apparition de toute une série de confusions au sein de la classe ouvrière. Ces confusions nous pouvons les mesurer surtout en fonction de l'attitude des quelques éléments combatifs de la classe qui tentent de rester groupés.

Nous avons vu ainsi se développer :

  • L'illusion du syndicalisme de combat et la méfiance à l'égard de tout ce qui est "politique" (OHK, AAH, Komiteewerking [3]. Dans la plupart des cas, les comités issus des luttes se sont transformés carrément en para-syndicats. C'est le cas des Commissions Ouvrières en Espagne et des "Conseils d'Usines" en Italie. Plus souvent encore, ils disparaissent carrément.
  • Un très fort corporatisme (ce qui constitue la base même du syndicalisme "de combat").
  • Lorsque des tentatives sont faites pour dépasser le cadre de l'usine ou de l'entreprise, une confusion et un éclectisme politique très grand.
  • Une très grande confusion politique, ce qui rend ces organes très fragiles aux manoeuvres des gauchistes et les font tomber aussi dans des illusions du style de celles entretenues par le PIC (voir le "bluff" des groupes ouvriers. [4]

C'est également au cours de cette période que se développe l'idéologie de "l'autonomie ouvrière" avec tout ce qu'elle comporte comme apologie de l'immédiatisme, de l'usinisme et de l'économisme.

Toutes ces faiblesses sont essentiellement dues aux faiblesses de la première vague de luttes de la fin des années 1960. C'est ainsi que ces mouvements se caractérisent par une disproportion entre la force et l'extension des grèves et une faiblesse dans le contenu des revendications. Ce qui marque surtout cette disproportion c'est une absence de perspectives politiques claires dans le mouvement. Le repli ouvrier de 1973-77 est le produit de cette faiblesse utilisée par la bourgeoisie pour opérer un travail de démobilisation et d'encadrement idéologique des luttes. Chacun des points faibles de la première vague de grèves qui a surgi en 1968 est "récupéré" par la bourgeoisie à son profit :

  • "Ainsi l'idée d'une organisation permanente de la classe ouvrière, à la fois politique et économique, s'est transformée ensuite en celle des 'nouveaux syndicats' pour finalement en revenir aux syndicats classiques. La vision de l'AG comme une forme indépendante du contenu a abouti -via les légendes sur la démocratie directe et le pouvoir populaire- au rétablissement de la confiance dans la démocratie bourgeoise. Les idées d'autogestion et de contrôle ouvrier de la production, confusions explicables dans un premier temps, furent théorisées par le mythe de 'l'autogestion généralisée', les 'Îlots du communisme' ou la 'nationalisation sous contrôle ouvrier'. Tout ceci a préparé les ouvriers à faire confiance au plan de restructuration 'qui évite les licenciements' ou aux pactes de solidarité nationale pour 'sortir de la crise'." (Rapport sur la lutte de classe présenté au 3e Congrès international du CCI)

La reprise des luttes ouvrières depuis 1977

Avec la reprise des luttes ouvrières depuis 1977, nous voyons se dessiner d'autres tendances. Le prolétariat a mûri par la "défaite", il a tiré même très confusément les leçons de ce reflux et même si les dangers restent toujours présents de "syndicalisme de combat", de corporatisme, etc., ils s'inscrivent dans une évolution générale différente.

C'est ainsi que depuis 1977 nous voyons se développer timidement :

  • Une volonté plus ou moins marquée de développer une discussion politique de la part d'une avant-garde combative de prolétaires (rappelons l'AG des coordinamenti à Turin, le débat mené à Anvers avec des ouvriers de Rotterdam, d'Anvers, etc., la conférence des dockers à Barcelone... [5]).
  • La volonté d'élargir le champ de la lutte, de dépasser le ghetto de l'usinisme, de donner un cadre politique plus global à la lutte. Cette volonté s'exprime par l'apparition de "coordinamenti" et plus spécifiquement dans le manifeste politique d'un des coordinamenti du nord de l'Italie. Ce manifeste réclame une unification de l'avant-garde combative des usines, la nécessité d'une lutte politique indépendante des ouvriers et insiste sur la nécessité de dépasser le cadre de l'usine pour lutter.
  • Le souci d'établir une liaison entre l'aspect immédiat de la lutte et le but final du mouvement prolétarien dans son ensemble. Ce souci s'exprime particulièrement dans des groupes de travailleurs : en Italie (FIAT) et en Espagne (FEYCU, FORD). Les premiers sont intervenus par voie de tract pour dénoncer les menaces de licenciements faits au nom de "l'anti-terrorisme", les seconds pour dénoncer l'illusion du parlementarisme.
  • Le souci de mieux préparer et organiser les luttes à venir (par exemple, l'action des "porte-parole" de Rotterdam appelant à la formation d'AG).

Bien entendu, répétons-le, les dangers de corporatisme, de syndicalisme de combat, d'enfermement de la lutte sur un terrain strictement économique subsistent même au cours de cette période,

Mais ce dont nous devons tenir compte, c'est l'influence importante de la période sur l'évolution des comités, cercles, groupes prolétariens etc., surgissant avant ou après les luttes ouvertes. Lorsque la période est à la combativité et à la remontée des luttes, l'intervention de telles minorités ouvrières prend un autre sens et notre attitude également. C'est ainsi que dans une période de recul généralisé des luttes, nous insisterons plus sur les dangers pour de tels organes de se transformer en para-syndicats, de tomber dans les bras des gauchistes et des illusions du terrorisme, etc. Dans une période de remontée, nous insisterons plus sur les dangers du "volontarisme" et de "l'activisme" (voir les illusions exprimées à cet égard dans le manifeste du coordinamento de Sesto San Giovanni), sur les illusions que pourraient avoir ces ouvriers combatifs de former les embryons des comités de grève futurs, etc. Dans une période de reprise des luttes, nous serons également plus ouverts face à l'apparition de minorités combatives se regroupant en vue d'appeler à la lutte et à la formation de comités de grève, d'AG, etc.

La politique du CCI à l'égard des comités, cercles et groupes prolétariens

Ce souci de replacer ces comités, cercles, groupes prolétariens, etc. dans le bain de la lutte de classe, de les comprendre en fonction de la période dans laquelle ils se meuvent, n'implique pas pourtant que nous changions nos analyses du tout au tout, suivant ces différentes étapes de la lutte de classe.

Quel que soit le moment où naissent ces comités, cercles et groupes prolétariens, nous savons qu'ils ne constituent qu'une étape d'un processus dynamique général, un moment dans la maturation de l'organisation et de la conscience de classe. Ils ne peuvent avoir un rôle positif que s'ils se donnent un cadre large et souple pour ne pas figer ce processus. C'est pourquoi ils doivent veiller à ne pas tomber dans les pièges suivants :

  • imaginer qu'ils constituent la structure préparant le surgissement des comités de grève ou des Conseils Ouvriers ;
  • imaginer qu'ils sont investis d'une sorte de "potentialité" (ou de "mission impossible") ayant le pouvoir de déclencher la lutte future (ce ne sont pas des "minorités" aussi combatives et "éclairées" soient-elles qui peuvent créer et décréter artificiellement une grève ou font surgir une AG ou un comité. Et cela, même si ces minorités d'avant-garde mènent une intervention active dans ce processus) ;
  • se doter d'une plate-forme ou de statuts ou de tout élément risquant de figer leur évolution et les condamnant à la confusion politique. Ces formes d'organisation du prolétariat entre deux périodes de lutte ouverte ne doivent pas être confondues avec les organisations révolutionnaires qui ne sont pas le produit des luttes immédiates mais du combat historique de la classe ouvrière ;
  • se présenter comme des organes "intermédiaires" entre les syndicats et les Conseils Ouvriers ou entre la classe dans son ensemble et ses organisations politiques, comme une organisation à la fois unitaire et politique minoritaire.

C'est pourquoi, quelle que soit la période dans laquelle nous nous trouvons, notre attitude envers ces comités, cercles, groupes prolétariens, si elle reste ouverte, vise cependant à favoriser la réflexion politique en leur sein. Nous devons essayer de faire en sorte que ces comités, cercles, groupes prolétariens ne se figent ni dans un sens (en structure qui s'imagine préfigurer les Conseils), ni dans l'autre. Ce qui doit nous guider avant tout, ce ne sont pas les intérêts et les préoccupations conjoncturelles de ces organes (car nous ne pouvons pas leur suggérer une recette organisationnelle et une réponse toute faite), mais les intérêts généraux de l'ensemble de la classe. Notre souci est de toujours homogénéiser et développer la conscience de classe de telle sorte que le développement de la lutte se fasse avec une participation toujours plus massive des ouvriers à celle-ci et une prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes et non par une minorité, quelle qu'elle soit. C'est pour cette raison que nous insistons tant sur la dynamique du mouvement et que nous mettons les éléments les plus combatifs du prolétariat en garde contre les tentatives de substitutionnisme ou contre tout ce qui risque de bloquer le développement ultérieur de la lutte et de la conscience du prolétariat. En orientant l'évolution de ces organes dans une direction (réflexion et discussions politiques), plutôt que dans une autre, nous répondons à ce souci de favoriser la dynamique du mouvement. Bien entendu, cela ne signifie pas que nous condamnions toute forme d'"intervention" ou d'action" ponctuelle de la part de ces organes. Il est évident que dès l'instant où un groupe d'ouvriers combatifs comprend que sa tâche n'est pas d'agir en vue de se constituer en para-syndicats mais plutôt en vue de tirer des leçons politiques des luttes passées et se préparer à celles de demain, cela n'implique pas le fait que cette réflexion politique se fasse dans le vide éthéré, dans l'abstrait et sans aucune conséquence pratique. La clarification politique menée par ces ouvriers combatifs va également les pousser à agir ensemble à l'intérieur de leur entreprise (et même au delà de l'entreprise). Ils vont ressentir la nécessité de donner une expression politique matérielle à leur réflexion politique (tracts, journaux, etc.), ils vont ressentir la nécessité de prendre position par rapport à des faits concrets qui touchent la classe ouvrière. En vue de diffuser cette prise de position et de la défendre, ils vont donc avoir une intervention concrète. Dans certaines circonstances ils vont proposer des moyens d'action concrets (formation d'AG, de comités de grève...) en vue de riposter ou de lutter. Au cours de la lutte elle-même, ils ressentent la nécessité de se concerter pour développer une certaine orientation de la lutte, pour appuyer des revendications permettant d'élargir la lutte, pour insister sur l'élargissement de celle-ci, etc.

Mais, par rapport à cela, même si nous devons veiller à ne pas plaquer des schémas rigides, il est clair que nous continuons à insister sur le fait que ce qui compte avant tout, c'est la participation active de tous les ouvriers à la lutte, et qu'en aucun cas ces éléments combatifs ne doivent se substituer à cette participation et mener l'organisation et la coordination de la grève à la place de leurs camarades. De plus, il est également clair que plus les idées des organisations révolutionnaires gagneront les prolétaires au sein des luttes, plus ces éléments les plus combatifs et clairvoyants se tourneront vers elles. Ceci, non pas parce que les organisations communistes auront mené une politique de "recrutement" forcé envers ces éléments (comme le font les staliniens, les trotskistes et autres gauchistes), mais tout simplement parce que ces éléments prendront conscience qu'une intervention politique réellement active et efficace ne peut se faire que dans le cadre d'une telle organisation internationale.

L'intervention des révolutionnaires

Tout ce qui brille n'est pas or. Mettre en évidence que la classe ouvrière fait surgir dans sa lutte des minorités plus combatives ne signifie pas affirmer que l'impact de ces minorités est décisif pour le déroulement ultérieur de la conscience de classe. Nous ne devons pas faire une identification absolue entre expression d'une maturation de la conscience et facteur actif dans le développement de celle-ci.

En réalité, l'influence que peuvent avoir ces comités, cercles, groupes ouvriers, etc. dans le déroulement ultérieur de la lutte est très limitée. Elle est entièrement fonction de la combativité générale du prolétariat et de la capacité de ces comités ou cercles à poursuivre sans cesse un travail de clarification politique. Or, à long terme, ce travail ne peut se poursuivre que dans le cadre d'une organisation révolutionnaire.

Mais là encore aucun mécanisme n'est déterminé à l'avance. Ce n'est pas d'une manière artificielle que les organisations révolutionnaires pourront agréger ces éléments. Contrairement à des organisations comme Battaglia Comunista, le CCI ne cherche pas à combler d'une manière artificielle et volontariste un "fossé" qui existerait entre le parti et la classe. Notre compréhension de la classe ouvrière comme force historique et de notre rôle nous empêche de vouloir figer ces comités, cercles ou groupes prolétariens dans des structures intermédiaires ou de chercher à créer des "groupes d'usine", courroies de transmission entre la classe et le parti.

Se pose alors la question de savoir quelle est notre attitude par rapport à de tels comités, cercles etc. Tout en leur reconnaissant une influence limitée, des faiblesses, nous restons ouverts et attentifs au surgissement de tels organes. Nous leur proposons avant tout une très grande ouverture dans la discussion et nous n'adoptons en aucun cas une attitude de mépris, de condamnation sous prétexte de "l'impureté" politique de ces organes. Ceci est une chose. Une autre chose serait de flatter ces organes ou même de concentrer notre énergie uniquement sur eux. Nous n'avons pas à faire une "obsession" des "groupes ouvriers", comme nous n'avons pas à les ignorer. Tout en reconnaissant le processus de maturation de la lutte et de la conscience de classe et ses tentatives à se "hisser" vers le terrain politique, tout en ayant conscience que le prolétariat dans ce processus fait surgir en son sein des minorités plus combatives qui ne se regroupent pas nécessairement en organisation politique, nous devons faire attention à ne pas identifier ce processus de maturation avec celui qui caractérisait le développement de la lutte de classe au 19e siècle. Cette compréhension est très importante car elle nous permet d'apprécier en quoi ces comités, cercles, etc. sont véritablement des expressions de la maturation de la conscience de classe, mais des expressions avant tout temporaires et éphémères et non pas des jalons fixes et structurés, des échelons organisationnels dans le développement de la lutte de classe. Car la lutte de classe dans la période de décadence du capitalisme se développe par explosions, par surgissements brusques qui surprennent même les éléments les plus combatifs d'une lutte précédente et peuvent les dépasser tout à fait en conscience et en maturité. Le prolétariat ne peut s'organiser réellement au niveau unitaire qu'au sein de la lutte elle-même et au fur et à mesure que la lutte devient permanente, il grossit et renforce ses organisations unitaires.

C'est cette compréhension qui nous permet de mieux cerner en quoi, même si dans certaines circonstances il peut être très positif de mener une discussion suivie et systématique avec ces cercles et de participer à leurs réunions, nous n'avons pas de politique spécifique, de "tactique" spéciale à l'égard de ces comités ouvriers. Nous reconnaissons la possibilité et une plus grande facilité de discuter avec ces éléments combatifs (particulièrement quand la lutte n'est pas encore ouverte) ; nous avons conscience que certains de ces éléments peuvent nous rejoindre, mais nous ne focalisons pas toute notre attention sur eux. Car ce qui reste avant tout essentiel pour nous, c'est la dynamique générale de la lutte du prolétariat au sein de la laquelle nous n'opérons aucune classification rigide, aucune hiérarchisation. Nous nous adressons avant tout à la classe ouvrière dans son ensemble. Contrairement aux autres groupes politiques qui essaient de combler l'absence d'influence de minorités révolutionnaires par des procédés artificiels en s'illusionnant sur ces "groupes ouvriers", le CCI reconnaît son peu d'impact dans la période présente. Nous ne cherchons pas à développer, pour augmenter cette influence, une confiance artificielle des ouvriers à notre égard. Nous ne sommes pas ouvriéristes, comme nous ne sommes pas des mégalomanes. L'influence que nous développerons progressivement au sein des luttes, viendra essentiellement de notre PRATIQUE POLITIQUE en leur sein, et non d'un quelconque rôle de "porteurs d'eau" ou d'une politique de flagorneries. De plus, cette intervention politique, nous l'adressons à la classe ouvrière dans son ensemble, au prolétariat pris comme un tout et comme une classe internationale. Nous existons non pas pour nous satisfaire de la "confiance" que nous accorderaient deux, trois ouvriers aux mains calleuses, mais pour homogénéiser et accélérer l'épanouissement de la conscience de classe. Et nous devons être conscients que ce n'est qu'au cours du processus révolutionnaire lui-même que le prolétariat nous accordera sa "confiance" politique, dans la mesure où il reconnaîtra alors que le parti révolutionnaire fait réellement PARTIE de son combat historique.



[1] L'organisation du prolétariat en dehors des périodes de luttes ouvertes (groupes, noyaux, cercles. etc.) [7]

[2] AAU, Allgemeine Arbeiter Union : Union Générale des Travailleurs. Les "unions" ont été des tentatives de créer des formes d'organisation permanentes regroupant l'ensemble des ouvriers en dehors des syndicats et contre eux, en Allemagne, dans les années qui suivirent l'écrasement de l'insurrection de Berlin en 1919. Elles exprimaient une nostalgie des Conseils Ouvriers, mais ne parvinrent jamais à en remplir leur fonction.

[3] Différents groupes d'ouvriers ayant existé en Belgique.

[4] Le groupe français PIC (Pour une Intervention Communiste) vécut pendant quelques mois convaincu et cherchant à convaincre tout le monde, qu'il participait au développement d'un réseau de "groupes ouvriers", qui constitueraient une puissante avant-garde du mouvement révolutionnaire. Il fondait et entretenait cette illusion sur la réalité squelettique de deux ou trois groupes constitués pour l'essentiel d'éléments "ex-gauchistes". Il ne reste plus grand chose de tout ce bluff.

[5] Il s'agit de rencontres organisées à cette époque regroupant des délégations de différents groupes, collectifs, comités ouvriers...

 

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [6]

Réunion Publique du CCI au Pérou - L'extension de l'espace du débat prolétarien sur le continent américain

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Le CCI a tenu sa première réunion publique à Lima, au Pérou, pendant le mois d'octobre 2007. C'est un événement important puisqu'il a donné l'opportunité à des sympathisants du projet révolutionnaire de mieux comprendre les idées de la Gauche communiste et de prendre contact avec notre organisation. Dans ce pays, les militants sincères de la cause de la classe exploitée ont supporté pendant des dizaines d'années le poids terrible du stalinisme, du maoïsme (essentiellement à travers le "Sentier Lumineux"), du trotskisme, etc. Dans cette région du monde souffrant de la répression brutale de l'État capitaliste et de l'isolement par rapport au reste du prolétariat mondial, il était de la première importance, pour la classe ouvrière, qu'apparaisse une minorité de militants politiques cherchant à clarifier leurs idées sur la révolution mondiale et le communisme.

Le CCI a participé à ce débat public, animé par le souci d'ouvrir un espace de discussion fraternelle dont le but est la clarification et non le "recrutement" systématique et sans principes. Nous voulons remercier publiquement nos sympathisants de la région pour leur soutien logistique, sans lequel nous n'aurions que très difficilement pu réaliser cet objectif, entamer un débat de fond sur le monde actuel, sur ce que nous offre le capitalisme et les perspectives qui en découlent pour l'humanité. Onze personnes ont assisté à cette réunion, abordant des sujets cruciaux concernant la future révolution. Nous voulons ici exposer les leçons de cette réunion prometteuse pour tous les camarades intéressés dans le monde entier. Le sujet annoncé publiquement sur des affiches collées sur les murs de Lima était : "Qu'est-ce que le socialisme et comment lutter pour le réaliser ?", mais l'enthousiasme des participants et leurs questionnements sincères ont permis que la réunion aborde bien d'autres sujets.

Au cours des discussions, se sont exprimées des positions de camarades qui avaient noué des liens avec le GCI [1] ou qui partagent plus ou moins encore certaines positions de ce groupe ; d'autres se revendiquaient de l'anarchisme ; d'autres enfin étaient des sympathisants très proches de notre organisation. Le fait le plus significatif fut néanmoins l'ambiance sincère, fraternelle et ouverte du débat.

La lutte ouvrière : forme et contenu du terrain de classe

Dans la mesure où tous les participants ont manifesté un accord tacite sur la nécessité de la révolution et la perspective de détruire le capitalisme, la discussion s'est engagée rapidement sur des questions plus "concrètes". Une des premières questions abordées a concerné la notion de "décadence du capitalisme", dans la mesure où les participants, peu ou prou influencés par le GCI, ont une certaine vision "a-historique" du processus qui conduit à la transformation de la société, incluant même l'idée de l'existence d'un prolétariat avant l'arrivée des Espagnols aux Amériques (un des participants l'a exprimé quasi textuellement en ces termes : "il n'y avait rien de progressiste dans le fait de massacrer des prolétaires au cours de la conquête des Amériques"). Cette position exprime bien sûr les confusions typiques que sème à profusion le GCI. Plutôt que de tenter de comprendre les processus historiques, le GCI diffuse la "radicale" (et combien creuse) méthode dite de "la violence réactionnaire contre la violence des opprimés", sans prendre en compte le contexte historique dans lequel ils se développent. Cela rend, bien sûr, incompréhensibles les raisons pour lesquelles la révolution mondiale était impossible au 19e siècle, et aussi pourquoi les luttes prolétariennes et les organisations politiques de la classe ouvrière avaient, à l'époque, un contenu et des formes différentes (syndicats, partis de masse, programme minimum, etc.). D'autres participants à la réunion publique ont insisté pour développer l'explication de la décadence du capitalisme, et cette question a donc aussi été abordée.

Le débat a aussi porté sur ce qu'est le prolétariat, sur sa nature et sa façon de lutter. Des participants ont défendu que les événements d'Argentine en 2001 étaient provoqués par un mouvement authentiquement prolétarien et qu'il fallait "les soutenir et les imiter", de même que "les soviets en Irak" (sic !). Le CCI a pu présenter son analyse [2], en donnant des éléments de réflexion qui furent sérieusement discutés par les participants. Nous avons mis en avant trois axes de discussion :

  • La nécessité de rejeter la "violence pour la violence". S'il est certain que la révolution qui détruira le capitalisme sera nécessairement violente, car il est évident que la minorité qui détient l'appareil d'État résistera jusqu'à son dernier souffle, cette violence de classe du prolétariat n'est pas l'essence même de sa révolution ; celle-ci se trouve essentiellement dans la capacité du prolétariat à développer sa lutte massive et consciente. Ce qui distingue la classe qui sera le sujet de la future révolution, ce n'est pas sa violence mais sa conscience[3].
  • Les luttes ouvrières s'organisent à travers des organes engendrés au cours de la lutte elle-même, allant des assemblées générales, des délégations, des comités de lutte jusqu'à des formes plus avancées où ils s'amplifieront quand la situation historique fera surgir des Conseils Ouvriers. Nous n'en sommes encore qu'au tout début des ripostes ouvrières au niveau international depuis les gigantesques campagnes sur "la mort du communisme" et le recul que le prolétariat mondial a subi au niveau de sa conscience [4]. Rejeter les assemblées par lesquelles s'exprime l'effort du prolétariat pour prendre en mains ses luttes est une grave erreur, de même que privilégier les actions désespérées (incendies de voitures, blocage total de la production, affrontements stériles contre la police, etc.), au lieu de tirer les leçons, réfléchir et discuter collectivement de la question : comment et pourquoi la bourgeoisie et son État mystifient-elle la classe ouvrière et l'effort de clarification de ses minorités les plus conscientes ?
  • Les luttes authentiquement "pures" du prolétariat n'existent pas, et le CCI ne s'attend nullement à l'apparition de luttes dégagées immédiatement de l'influence de l'idéologie bourgeoise ou de luttes dans lesquelles seront totalement absents les organes de l'appareil d'État (syndicats de tout poil, partis intégrés au système politique et parlementaire du Capital, de même que le bras armé "radical" de la bourgeoisie : le gauchisme, qu'il soit maoïste, trotskiste, ou anarchiste officiel, etc.). L'authenticité d'une lutte prolétarienne ne se mesure pas à la présence ou non d'éléments issus "sociologiquement" de telle ou telle catégorie de travailleurs manuels. Elle se vérifie par l'existence, dans les luttes prolétariennes, d'une dynamique où les participants se reconnaissent comme partie d'une classe, comme membres qui doivent entrer en lutte avec les autres et qui partagent des intérêts immédiats communs. Quand commence à surgir la conscience qu'il existe une identité prolétarienne, la lutte contre le Capital fait de grands pas en avant et il est de la première importance de généraliser ces leçons. Par contre, quand, au lendemain d'une lutte, il subsiste une ambiance de division, de sectarisme, de ségrégation, de corporatisme, etc., alors il faut réfléchir aux origines d'une telle ambiance sociale et au piège dans lequel on est tombé.

Il reste un long chemin de clarification à poursuivre pour comprendre toutes les questions liées à la lutte de classe du prolétariat.

La question syndicale

Cette question a été également présente dans une partie de la discussion. La vision classique qu'un syndicat peut être "récupérable" par la classe ouvrière ne s'est pas fait attendre (notamment à travers la vision anarchiste défendue par la CNT), et la question de la possibilité d'un "syndicalisme révolutionnaire" fut ouvertement posée. Tout les participants étaient d'accord pour affirmer que si la CNT a trahi pendant les événements d'Espagne 1936, il existait cependant au moins un groupe, "les Amis de Durruti" qui s'était opposé à la militarisation du travail" [5]. Un des participants a avancé cet argument classique du GCI : "le syndicat n'a jamais été et ne sera jamais révolutionnaire". Cette affirmation contient une part de vérité, dans le sens où les syndicats n'ont pas surgi, effectivement, en tant qu'organes de la lutte révolutionnaire du prolétariat, mais comme organes de sa lutte immédiate lui permettant d'obtenir des réformes durables au sein du capitalisme et une réelle amélioration de ses conditions de vie. Mais cet argument a aussi la faiblesse de manquer de méthode et de ne pas concevoir les syndicats comme produits historiques. Il ne permet pas de comprendre que leur apparition, qui a coûté tant de souffrances au prolétariat, était conditionnée par une période historique où la révolution prolétarienne mondiale n'était pas encore possible, objectivement et subjectivement. Cet argument va de pair avec cette vieille rengaine du GCI qui affirme que la 2e Internationale n'avait rien de prolétarien ! Rappelons rapidement que la 2e Internationale avait eu le mérite d'adopter le marxisme comme méthode scientifique (matérialiste, historique, dialectique) pour développer la théorie révolutionnaire du prolétariat. C'est cette méthode qui a permis de faire la distinction entre les organisations unitaires du prolétariat (les syndicats) et ses partis politiques. C'est cette méthode qui a permis de mener un combat de fond contre la vision du monde de la franc-maçonnerie. C'est encore cette méthode qui a permis de développer les discussions sur les origines du christianisme et a fourni une multitude d'articles fondamentaux. Le fait que les partis de la 2e Internationale aient trahi en votant les crédits de guerre pendant la Première Guerre mondiale n'empêche pas de reconnaître que la 2e Internationale a été, avant 1914, un maillon de plus dans la chaîne des efforts du prolétariat pour se doter d'un parti mondial.

Suite à la discussion sur cette question, un participant a alors défendu les positions du CCI sur la question syndicale en montrant comment les syndicats sont un moyen sophistiqué de contrôle étatique et comment Fujimori lui-même a développé, en accord avec l'opposition, une campagne de "destruction des syndicats" destinée à détourner la combativité ouvrière sur le terrain de la lutte pour créer de nouveaux syndicats (et non pas pour la clarification de la conscience permettant de se battre plus efficacement contre les attaques du Capital).

Les syndicats ont constitué une arme du prolétariat à une époque historique où le capitalisme était capable non seulement de lui accorder des réformes durables mais également où la révolution n'était pas encore à l'ordre du jour (c'est pour cela que le "programme minimum" était, à l'époque, une réalité pour laquelle la classe ouvrière devait lutter). Les événements de 1905 et surtout ceux de 1917 en Russie ont montré comment le prolétariat en lutte apporte une réponse aux questions d'organisation quand la révolution devient d'actualité, pendant la période de décadence du capitalisme ; la révolution ne s'est pas réalisée autour des syndicats mais autour des Conseils Ouvriers, "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" (Lénine).

Depuis lors, le développement des luttes ouvrières a été constamment confronté à la nécessité de s'organiser en dehors et contre les syndicats. Nous savons qu'il n'est pas possible, pour le prolétariat, de créer des Conseils Ouvriers n'importe quand, que leur surgissement dépend des conditions de généralisation des luttes dans une situation prérévolutionnaire. Néanmoins, les luttes ouvrières ne peuvent attendre cette situation prérévolutionnaire pour s'auto-organiser. La question de la prise en mains et du contrôle, par la classe ouvrière elle-même, de son combat, à travers des Assemblées Générales massives lui permettant de prendre toutes les décisions (qui doivent être discutées collectivement et soumises au vote), se pose dès qu'éclate une grève dans une usine. La recherche de la solidarité avec les autres exploités est une question de vie ou de mort pour chaque grève (nous ne parlons pas des simulacres de solidarité orchestrés par les syndicats). Commencer à comprendre que l'isolement signe toujours l'arrêt de mort de toute grève est une leçon à approfondir parce qu'elle permet de préparer les luttes décisives contre le capitalisme. L'extension géographique, le plus rapidement possible, de toute grève est une nécessité vitale pour l'avenir de la lutte.

Lutter pour la culture du débat

Les participants ont fait preuve d'un état d'esprit véritablement prolétarien, c'est-à-dire d'une capacité d'ouverture aux arguments des autres et d'une volonté de mener une réflexion collective. Ces deux aspects mettent en évidence l'effort difficile mais enthousiasmant des minorités à la recherche d'une perspective de classe dans cette région du monde. Ce qui les unit, c'est leur compréhension de la catastrophe à laquelle nous conduit le capitalisme. Nous sommes conscients des divergences qui subsistent encore et continuerons à combattre les aberrations politiques du GCI. Mais cela ne nous empêche pas, loin de là, de saluer cet état d'esprit des participants et nous les encourageons à continuer de développer le débat politique avec un esprit d'ouverture et d'écoute attentive, à intégrer de nouveaux arguments pour que le débat contradictoire permette de passer de la confusion à la clarification.

Dans l'atmosphère sociale dominée par l'idéologie bourgeoise et le gauchisme, le "débat" est conçu comme un rapport de forces, une "lutte à mort", à l'issue de laquelle l'un des protagonistes doit nécessairement éliminer et détruire ses adversaires, dans une vision guerrière où une "fraction" écrase les autres. Ce sont les mœurs quotidiennes des différentes fractions du Capital : les individus (ou groupes d'individus) sont soumis à la loi capitaliste de la concurrence par laquelle l'autre est toujours un ennemi, une concurrence où celui qui s'afficherait comme le plus "fort", ou le plus "musclé", serait le "vainqueur" (la concurrence sur le marché du travail de plus en plus saturé trouvant son équivalent dans les sentiments de "jalousie" infantile, la concurrence scolaire, intellectuelle, politique, etc.). Pour le marxisme, le débat et la confrontation fraternelle des idées et des arguments (qui font évoluer ces idées et permettent de dépasser les préjugés dus à la division de la société en classes) est le seul moyen de surmonter les entraves au développement de la conscience. Pour mener un débat véritablement prolétarien, les minorités les plus conscientes de la classe ouvrière doivent exclure l'humiliation et les insultes (même si la confrontation politique peut prendre dans certaines circonstances une forme polémique et passionnée, comme on le voit par exemple dans les débats parfois un peu "houleux" des Assemblées Générales massives de la classe ouvrière). Notre conception de la culture du débat suppose la volonté de convaincre et non d'imposer ses idées à n'importe quel prix et avec n'importe quels moyens. La culture du débat suppose aussi la capacité à écouter attentivement les arguments et à se laisser convaincre (être convaincu par les arguments des autres n'est pas une "capitulation" ou une "défaite", puisque dans le débat prolétarien il n'y a pas d'adversaire à abattre). La façon dont s'est tenue cette première réunion publique du CCI, nous permet d'affirmer qu'il est nécessaire d'ouvrir un espace de discussion dans cette partie du monde, un espace dans lequel les éléments de la classe ouvrière qui veulent débattre, se clarifier ou exposer leurs convictions pourront rencontrer un milieu politique qui permette l'élaboration collective des idées. Construire ce milieu politique vivant où le débat prolétarien sera au centre de la vie politique est une perspective qui, au Pérou, comme ailleurs dans le monde, constitue un préparatif indispensable à la future révolution mondiale.

Courant Communiste International


[1] "Groupe Communiste International" : il s'agit d'un groupe à la phraséologie "radicale" mais dont la pratique se rapproche de celle des groupes d'extrême-gauche du capital. Voir notre dénonciation de ce groupe dans la Revue Internationale no 124 : A quoi sert le Groupe Communiste Internationaliste ? [8]

2 Sur les prétendus "soviets" en Irak et sur les événements en Argentine, voir notre article Révoltes populaires en Argentine : seule l'affirmation du prolétariat sur son terrain peut faire reculer la bourgeoisie [9] dans la Revue Internationale no 109.

[3] Classe la plus "aliénée" de la société (du fait que, dans l'économie capitaliste, les prolétaires sont totalement dépossédés et séparés des moyens matériels de production), la classe ouvrière détient aussi en son sein la force lui permettant de dépasser cette aliénation économique : sa conscience du futur. La bourgeoisie est, de par sa position de classe exploiteuse, elle aussi une classe aliénée. Mais elle est incapable de dépasser cette aliénation car cela supposerait qu'elle renonce à être la bourgeoisie.

4 Voir notre article "Effondrement du bloc de l'Est : des difficultés accrues pour le prolétariat [10]", dans la Revue Internationale no 60, et "Un tournant dans la lutte de classe - Résolution sur l'évolution de la lutte de classe [11]", Revue internationale no 119.

[5] Voir notre série sur l'histoire de la CNT dans la Revue Internationale no 128 à 131. Voir aussi, en espagnol, notre livre Franco et la République massacrent les travailleurs [12]. Au sujet des Amis de Durruti, lire dans la Revue Internationale no 102, "Les Amis de Durruti : leçons d'une rupture incomplète avec l'anarchisme [13]"

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [14]

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [15]
  • Pérou [16]

Philippines - Un microcosme de la lutte de classe internationale

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Nous publions ci-dessous l'extrait d'un message qui nous a été envoyé par les camarades du groupe Internasyonalismo aux Philippines au sujet de mouvements de travailleurs qui ont eu lieu ces dernières années dans la zone industrielle de la MEPZA [1] Bien que seulement quelques centaines de travailleurs aient été concernés par les évènements décrits dans cet article, ces luttes constituent un microcosme des problèmes auxquels se heurtent non seulement les 40 000 ouvriers dans le MEZPA mais des millions de travailleurs à travers le monde, depuis les maquiladoras[2] (à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis) jusqu'aux usines des zones économiques spéciales en Chine.

"La compagnie A est une compagnie manufacturière japonaise opérant à l'intérieur de la MEZPA. A l'heure actuelle, il y a plus de 1000 ouvriers dont la majorité sont des femmes.

En 2004, la compagnie, qui avait opéré sous un nom différent, informait ses ouvriers, via une première note individuelle, du fait que la compagnie était déjà passée aux mains d'un nouveau propriétaire et par conséquent, qu'elle allait changer de nom pour prendre celui de "compagnie A"

Les travailleurs étaient priés de remettre leur lettre de démission effective immédiatement ; on leur a dit que leur seraient payés leurs derniers salaires et primes. Mais la compagnie leur assurait également qu'ils seraient automatiquement réintégrés et continueraient dans les mêmes emplois mais en tant qu'ouvriers nouvellement embauchés dans la compagnie A (ce qui signifie que leur ancienneté recommencerait à zéro).

Un groupe de travailleurs a mis en cause cette procédure de la compagnie. D'une part, le groupe considérait que ce procédé n'étant rien de plus qu'un changement de nom de la société, il ne devait donc pas automatiquement priver les ouvriers de leur ancienneté et les faire repartir à zéro pour la simple raison que la compagnie, encore sous le même encadrement, n'était pas capable de fournir des preuves, écrites ou autres, d'un rachat ou d'un changement de propriétaire.

D'autre part, le groupe a argumenté que même s'il y avait réellement eu un rachat et que la compagnie A était effectivement une nouvelle compagnie, le Code du Travail de l'État philippin exige expressément de l'ancienne société qu'elle paye l'ancienneté des travailleurs concernés (ce qui équivaut à un mois de salaire par année d'ancienneté) lorsqu'ils sont licenciés de leur emploi et avant leur transfert ou leur intégration par la nouvelle société.

Quelques travailleurs étaient en contact avec le Partido ng Manggawana (Parti du Travail) qui leur a conseillé de s'organiser en syndicat dans l'entreprise en vue d'engager des négociations avec la direction sur les bases du code du travail philippin.

Lorsqu'une réunion d'employés fut convoquée par la compagnie, les membres du groupe ont argumenté ouvertement contre le procédé d' "intégration automatique après rachat", ce qui poussa la direction de la société, après la dite réunion, à convoquer individuellement chaque membre du groupe qui s'était exprimé en faveur d'une réunion portes fermées ; chacun était interrogé séparément pour savoir s'il avait formé une organisation ou un syndicat, ce qui a été formellement démenti par les membres de celui-ci. Pressentant l'opposition possible, la société voulut boucler rapidement la procédure de rachat et y parvint.

Généralement les travailleurs réagissaient contre la procédure introduite par la compagnie mais, à cause de la réintégration automatique, ils hésitaient à entrer en lutte puisque, après tout, cela ne signifiait pas encore la perte de leur emploi. De plus, les ouvriers de la MEPZA ont, dans l'ensemble, une vision négative des syndicats et du syndicalisme en général non seulement parce que les tentatives du passé par les fédérations de travail pour s'organiser en syndicats à l'intérieur de la MEPZA ont échoué, mais aussi parce que le syndicalisme en général était inutile dans la défense des emplois, spécialement en ce moment, avec les procédés de contractualisation introduits par les capitalistes dans le but de survivre à la crise.

Quelques travailleurs du groupe original démissionnèrent de la compagnie pendant que d'autres restent dans leur emploi jusqu'à ce jour.

Au début de l'année 2007, des rumeurs au sujet de la compagnie A qui changerait de nom une nouvelle fois, circulaient parmi ses travailleurs. Les membres restants du groupe décrivaient un sentiment général d'hostilité contre ce projet parmi leurs collègues et une volonté de faire grève.

La direction de la compagnie A démentit le fait qu'il y ait un projet de changement de nom et clama que cela n'était qu'une rumeur créée par les médias. Avec ce démenti, la combativité des ouvriers retomba pour le moment.

***

La Compagnie B est une corporation familiale appartenant à des capitalistes basés à Cebu engagés dans la production alimentaire pour le marché de Visaya et Mindanao. La main d'œuvre est actuellement composée de plus ou moins 80 ouvriers réguliers et d'un peu plus de 200 travailleurs contractuels.

En 2004, la société a réduit le temps de travail pour les travailleurs réguliers notamment dans l'atelier de conditionnement (soit environ 60 d'entre eux) de six jours à trois jours par semaine. La raison invoquée par la société était que le volume de leurs importations de bœuf d'Australie était réduit par l'État philippin parce que la compagnie ne respectait pas les normes industrielles établies par l'État. La société assura aux travailleurs affectés que ce procédé était temporaire, puisqu'elle mettait tout en œuvre pour surmonter les anomalies afin de pouvoir retrouver leur volume normal d'importation de bœuf.

Cela s'avéra faux pour les travailleurs touchés. C'était déjà difficile pour eux de vivre avec leurs six jours de salaire, alors avec trois jours ! Pour compenser les trois jours pendant lesquels ils ne travaillaient pas, la société proposa de les assigner en plus à la construction de nouveaux bâtiments dans l'usine. Après trois jours de travail dans l'atelier de conditionnement à air conditionné, ils passaient les trois jours restants à travailler dehors sous un soleil brûlant. Et pire encore : malgré le fait qu'après leurs trois jours à l'intérieur, il restait encore de la matière première (le bœuf), ils furent néanmoins obligés de travailler dehors alors que les travailleurs contractuels récupéraient les trois jours restants. Et cet arrangement prétendument temporaire dura plus d'un an.

Se rendant compte qu'un retour aux six jours de travail dans l'atelier de conditionnement était impossible en raison de l'embauche de travailleurs contractuels, huit des travailleurs touchés décidaient, cette même année, de porter l'affaire devant le NLRC[3] mais après un long processus juridique et une année d'attente, ils ont été informés, non pas par le NLRC mais par l'entreprise, que l'affaire avait été classée.

En 2005, les travailleurs réguliers qui avaient porté l'affaire devant le NLRC décidaient de former un syndicat.

Après avoir franchi la procédure légale pour s'organiser, la minorité des travailleurs de l'atelier de conditionnement, qui avait formé un syndicat, a réussi à convaincre les autres travailleurs réguliers de se joindre à eux et a récolté une majorité des voix parmi les travailleurs réguliers de l'entreprise lors de l'Election de Certification du syndicat.

Le syndicat par la suite entama une série de négociations avec la compagnie pour un accord sur les salaires et les allocations qu'elle leur devait pour la dernière année et, finalement, ils conclurent un Accord de Négociation Collective ("Collective Bargaining Agreement", CBA) avec l'entreprise en mai dernier.

Une fois le CBA mis en place, la compagnie révisa son règlement ("Company Rules and Regulations", CRR) avec une série de pénalités strictes envers les travailleurs qui commettaient des violations au règlement et simplifia la procédure de licenciement.

A la première vague de l'application du CRR, quelques membres et responsables syndicaux élus ont été suspendus et un délégué a même été renvoyé. Quand les responsables se sont plaints, il leur a été dit par la compagnie, qu'ils devaient suivre la procédure prévue par leur CBA. A contrecoeur les responsables syndicaux ont soumis leurs plaintes à l'interminable processus de doléances pendant que les travailleurs affectés, et spécialement le responsable renvoyé, devaient mendier n'importe quel emploi afin de se nourrir eux-mêmes et leur familles."

Les travailleurs qui avaient rejoint le syndicat ressentaient avec beaucoup de scepticisme que cela ne mènerait à rien et surtout pas à la réintégration de l'ouvrier renvoyé. Sentant que s'ils ne faisaient rien à part attendre docilement la procédure légale promise, ils encourageraient tout au plus des licenciements supplémentaires et davantage de répression, ils commencèrent donc à mettre la pression sur le syndicat pour que celui-ci lance une grève. Le syndicat, cependant, hésitait à agir : "premièrement, le syndicat était lié par le CBA et par le code du travail de l'État philippin et, selon ce dernier, le problème des responsable limogés n'était pas une raison suffisante pour justifier une grève qui serait donc illégale.

Deuxièmement, même si le syndicat décidait d'outrepasser le CBA et la législation pour lancer la grève, il faudrait encore que les travailleurs soient assez nombreux pour que ce soit efficace. Les membres réguliers étaient au nombre de 40 et le fait même d'être syndiqués les isolait des ouvriers non syndiqués. Des ouvriers réguliers non syndiqués (environ 40 d'entre eux) disaient que le problème était uniquement l'affaire des travailleurs syndiqués alors que les travailleurs contractuels maintenaient que cela concernait uniquement les ouvriers réguliers et syndiqués. Ces sentiments de division ont été maintenus et renforcés par la société dans la formulation et l'application de sa politique envers les ouvriers."

Quelles leçons pouvons nous tirer de ces évènements ?

Tout d'abord, nous devons dire que l'instinct de classe des ouvriers les plus combatifs était absolument correct. Contre l'intimidation et la victimisation de travailleurs (spécialement ceux considérés comme des meneurs et des fauteurs de troubles) par les patrons, la classe ouvrière n'a qu'un seul moyen de se protéger contre la répression : développer une réaction collective de solidarité. Cette réaction collective n'est pas arrivée de manière spontanée : il s'agit d'un effort conscient, une réelle expression de la conscience de classe. Cela a été compris par les ouvriers de la compagnie A qui ont organisé des discussions sérieuses avec leurs collègues avant la confrontation aux dirigeants.

Pourquoi la formation d'un syndicat a-t-elle abouti à un échec ?

Une chose ressort clairement de ce compte-rendu : peu importe l'honnêteté et la combativité des militants pris individuellement (comme le travailleur licencié de la compagnie B), c'est la raison d'être même des syndicats qui les rend non seulement inutiles mais franchement dommageables pour les intérêts des travailleurs. L'orientation du syndicat, comme nous pouvons le voir dans ce compte-rendu, correspond à mener des négociations au sein de la structure légale prévue par les États capitalistes en se fiant aux lois du travail de ces mêmes États. En d'autres termes, les travailleurs sont supposés faire confiance aux protections légales offertes par l'État des patrons... contre les patrons. Cela revient à se battre les mains liées, puisque, quand ils ne trouvent pas les lois avantageuses, les patrons les réécrivent tout simplement - que ce soit à petite échelle comme dans l'usine de la compagnie B où le nouveau règlement a immédiatement réduit à néant les quelques avantages que les travailleurs croyaient avoir gagné avec le CBA ; ou à grande échelle en changeant la législation comme le gouvernement Thatcher l'a fait en Grande-Bretagne en rendant illégales les grèves de solidarité.

Comme le soulignent les camarades d'Internasyonalismo, non seulement les tactiques légales des syndicats se sont avérées inutiles pour défendre les conditions de vie des travailleurs, mais les syndicats eux-mêmes étaient plus qu'inutiles ; loin d'unir les travailleurs, ils ont introduit de nouvelles divisions parmi eux. Derrière cette division se trouve une méfiance de longue date parmi les travailleurs philippins, une méfiance qui va en grandissant du fait que les syndicats (généralement liés aux partis politiques de gauche) utilisent leurs membres comme de la "chair à canon" dans leur combat pour leur propre influence dans le système politique bourgeois. Cette situation date d'au moins la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand les syndicats rivaux se sont formés afin d'embrigader les ouvriers dans le soutien de tel ou tel camp impérialiste (pro-chinois, pro-URSS ou pro-USA).

Comment faire face à cette situation ? Comment les travailleurs peuvent-ils construire leur force collective afin de se défendre contre la classe capitaliste ?

Nous devons être clairs qu'il n'existe pas une "tactique de la Gauche communiste" qui marche, contre une "tactique syndicale" qui ne marche pas. La question n'est pas une question de tactique mais de politique. La politique syndicale implique l'enfermement des travailleurs dans le cadre légal de l'État bourgeois, la politique communiste signifie encourager tous les moyens qui peuvent développer la confiance des travailleurs en eux-mêmes, leur sentiment de solidarité comme membres d'une même classe avec les mêmes intérêts, et leur capacité à s'organiser eux-mêmes dans le combat.

Le contexte des événements dans la MEZPA n'est pas atypique. Bien au contraire, la tendance à la précarisation des conditions de travail, à la division des travailleurs entre réguliers et contractuels, à la dispersion des grandes compagnies dans de petites équipes de travail ou encore la délocalisation du travail vers une multitude de petits entrepreneurs - tout cela fait partie intégrante du capitalisme aujourd'hui et tout cela sert le capitalisme que ce soit du seul point de vue politique et économique immédiat ou du point de vue politique plus large du combat contre la classe ouvrière.

Par conséquent, le premier combat que les ouvriers ont à mener est celui contre l'atomisation, contre la division, pour l'intégration d'autant de travailleurs que possible dans le combat. Il s'agit surtout d'un combat politique, puisque cela signifie le développement de notre compréhension du contexte politique et économique général au sein duquel le combat se déroule ainsi que des méthodes organisationnelles avec lesquelles on doit le mener, cela signifie apprendre les leçons des autres combats ouvriers partout dans le monde sur comment s'organiser et comment évaluer le rapport de forces, apprendre comment éviter les provocations de la bourgeoisie quand cela peut conduire à la défaite, apprendre comment étendre le combat aussi largement que possible une fois qu'il est engagé.

Comment les travailleurs peuvent faire ce jugement par et pour eux-mêmes ? Cela peut seulement être fait si les travailleurs sont capables d'agir collectivement, s'ils peuvent se rencontrer, débattre ensemble, et déterminer leur action ensemble. Il est nécessaire que les travailleurs se réunissent ensemble dans des assemblées générales où les décisions peuvent être prises. La décision ne sera pas toujours d'engager ou de continuer le combat. Il se peut que les travailleurs considèrent que le moment n'est pas encore venu ou qu'ils n'ont pas suffisamment de force, mais le fait même de prendre ces décisions ensemble en tant que corps collectif permettra de renforcer leur conscience de classe et leur confiance en eux-mêmes. Manifestement, dans des conditions de répression comme aux Philippines, l'organisation d'assemblées ne sera pas chose facile, mais nous pouvons compter sur l'ingéniosité des travailleurs pour chercher ensemble comment cela peut se réaliser.

La classe ouvrière est la première dans l'histoire à être à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire. Parce qu'elle ne possède rien, sa seule force dans cette société est sa conscience et son organisation.

Les révolutionnaires ne peuvent pas faire naître la lutte de classe par leur seule volonté : si les ouvriers ne sont pas prêts à lutter, alors ils ne peuvent pas les forcer à le faire. On ne peut pas remplacer la volonté des travailleurs de combattre par des campagnes artificielles ; bien au contraire cela ne peut que séparer les révolutionnaires des travailleurs et diviser les travailleurs entre eux. Mais si les révolutionnaires ne peuvent pas "créer" la lutte de classe, nous pouvons et nous devons préparer les luttes massives à venir. Nous pouvons et nous devons aider à préparer les conditions de la lutte pour qu'elle soit aussi puissante, aussi autonome et aussi consciente que possible quand elle éclatera.

C'est pour répondre à cette nécessité de la lutte de classe que le CCI a toujours encouragé, poussé, et a pris part à chaque fois que possible, à la formation de groupes de discussion et de comités de lutte réunissant des travailleurs de différents lieux de travail et de différentes entreprises. Ces groupes ne sont pas des organismes permanents : ils se créent et se dissolvent en fonction des besoins de la lutte. Mais ils peuvent offrir un moyen pour les travailleurs les plus combatifs de surmonter leur isolement, de développer leur réflexion et leur compréhension de la situation qu'ils rencontrent. Ils sont un moyen de se préparer à la lutte de masse à venir.

CCI (15/10/2007)

[1] MEPZA - Mactan Export Processing Zone. Composée de centaines de compagnies principalement étrangères destinées à l'exportation, la MEPZA compte un effectif total de force de travail de plus de 40 000 hommes. Vues les conditions politiques aux Philippines, nous n'avons pas révélé les noms des sociétés dans lesquelles les événements décrits ici ont eu lieu.

[2] Usines manufacturières de confection ou d'assemblage de petites pièces demandant un travail minutieux où sont employées essentiellement des jeunes filles ou des jeunes femmes sous-payées et surexploitées, soumises de plus aux pires conditions de travail (brimades, vexations, chantage sexuel...)

[3] NLRC - National Labor Relations Commission, une sorte d'équivalent au Tribunal des Prud'Hommes.

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  • Philippines [17]

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  • Luttes de classe [18]

Où en est la lutte de classe aux États-Unis ? - La solidarité est la clé du développement de la conscience de classe

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Comme nous l'avons souligné dans d'autres articles sur la situation aux Etats-Unis , en particulier dans Internationalism n°142, le capitalisme américain est aujourd'hui atteint d'une double maladie : une crise historique de sa puissance impérialiste et une crise économique de plus en plus inextricable. La classe dominante y a répondu en fonçant tête baissée dans la guerre impérialiste à travers toute la planète et en poursuivant les politiques complètement usées de combines fiscales et monétaires qui ont empêché jusqu'à présent l'effondrement total de l'économie. Pour la classe ouvrière, ces politiques ont signifié une détérioration continue de ses conditions de travail et de son niveau de vie comme une situation d'insécurité sociale croissante. Du fait du reflux de la lutte de classe, suite à la confusion créée par l'effondrement du bloc de l'Est (et la prétendue "victoire" du capitalisme démocratique sur le prétendu "communisme" en URSS), la bourgeoisie a pu mettre en œuvre ces politiques sans rencontrer de résistance sérieuse de la part de la classe ouvrière, seule force de la société qui ait une véritable alternative à offrir à l'impasse du capitalisme moribond. Cependant, depuis quelques années, il est de plus en plus clair qu'une nouvelle période s'est ouverte dans laquelle la lutte de classe va de nouveau être au centre de la situation sociale et où les politiques d'austérité et de guerre impérialiste de la bourgeoisie ne pourront se poursuivre sans obstacles. Afin de permettre aux prolétaires de se préparer aux luttes futures et faire fructifier toutes leurs potentialités, il nous faut mieux comprendre le stade actuel de la lutte de la classe ouvrière au sein de la première puissance mondiale.

Pour comprendre la situation actuelle de la lutte de classe aux Etats-Unis, il faut la replacer dans le contexte général de la lutte de classe internationale. Il est donc important de rappeler brièvement les principales caractéristiques de la phase actuelle de ces luttes. Depuis 2003, nous avons assisté à une tendance générale de la classe ouvrière à sortir du reflux de sa combativité et de sa conscience et de la désorientation qu'elle a connue suite à la disparition, à la fin des années 1980, de la configuration du système dominée par les deux blocs impérialistes rivaux, configuration issue de la Conférence de Yalta en février 1945. Cette nouvelle tendance de la classe ouvrière à reprendre le chemin de la confrontation avec son ennemi historique a connu un épisode remarquable lors de la grande mobilisation des étudiants en France au printemps 2006. Les luttes en Allemagne qui se sont déroulées en même temps et les mobilisations ouvrières dans de nombreux autres pays depuis, au centre comme à la périphérie du capitalisme, ont confirmé que nous étions entrés dans une nouvelle phase de la lutte de classe internationale.

Comme nous l'avons souligné dans toute la presse du CCI, les caractéristiques centrales de cette phase de la lutte de classe sont :

  • l'émergence d'une nouvelle génération d'ouvriers qui se confrontent pour la première fois à leur ennemi de classe ;
  • la question de la solidarité de classe qui est posée à la fois au sein de la classe ouvrière dans son ensemble et entre les générations de prolétaires ;
  • la réappropriation par la nouvelle génération des méthodes et des formes historiques de la lutte ouvrière - les assemblées générales et les manifestations massives ;
  • une conscience croissante des enjeux contenus dans la situation historique actuelle.

La classe ouvrière aux Etats-Unis s'est pleinement inscrite dans cette reprise générale de la lutte de classe. Comme dans d'autres pays, face aux attaques incessantes contre leurs conditions de vie et de travail d'un système capitaliste embourbé dans une crise économique permanente, les ouvriers américains ont été contraints de se défendre et de surmonter la période de désorientation des années 1990. Comme nous l'avons mis en évidence dans notre presse, la grève de trois jours des employés des transports de la ville de New York pendant les vacances de Noël en décembre 2005 a constitué le moment fort de cette tendance. Elle n'a cependant pas été un événement isolé mais plutôt la manifestation la plus claire de la tendance de la classe ouvrière à reprendre le chemin de ses luttes (qui s'était déjà concrétisée dans la lutte des employés des supermarchés en Californie en 2004 et celles des ouvriers de Boeing, de North West Airlines et des transports de Philadelphie en 2005). Cette tendance a continué en 2006, comme l'ont exprimé, en particulier, la grève sauvage des enseignants à Detroit pendant deux semaines en septembre et celle de plus de 12 000 ouvriers dans 16 usines de pneus Goodyear aux Etats-Unis et au Canada en octobre de la même année.

Toutes ces luttes faisaient face aux mêmes problèmes : la menace d'attaques draconiennes contre les salaires et les allocations, les baisses directes de salaires, les coupes dans les allocations de santé et de retraite - qui allaient frapper non seulement la génération actuelle de travailleurs exploités mais également les générations futures. La combativité des ouvriers impliqués dans ces luttes qui, pour la plupart, n'avaient aucune chance de faire reculer la bourgeoisie, a été énorme et a montré toute la réserve d'énergie et de combativité qui existe dans une classe qui n'a pas été défaite pendant deux générations. Les employés des transports de New York et de Philadelphie, les enseignants de Detroit ont fait grève en encourant des peines légales et financières parce qu'ils transgressaient les lois qui interdisent aux employés du secteur public de faire grève. Partout, les ouvriers étaient prêts à faire d'énormes sacrifices personnels. Cependant, au delà de la combativité, ce qui est le plus remarquable, c'est le développement naissant d'une conscience dans ces luttes, en particulier au niveau de l'identité et de la solidarité de classe. Très souvent, les ouvriers se sont mis en lutte en sachant très bien qu'ils ne se battaient pas seulement pour eux-mêmes mais aussi pour toutes les générations futures de prolétaires, pour les enfants et petits-enfants de toute la classe ouvrière. Tel a été le message souvent répété par les ouvriers pendant la grève du métro de New York où la principale question de la lutte était de s'élever contre une proposition de la direction d'établir un nouveau système de retraite pour les futurs employés requérant des contributions plus élevées de la part de tous les nouveaux embauchés. Cela exprimait le refus de "trahir ceux qui ne sont pas encore nés" et la volonté de défendre l'avenir de la nouvelle génération d'ouvriers et de toute la classe ouvrière ; c'était une expression frappante de la solidarité et de la conscience qui se développent dans la classe ouvrière.

Néanmoins, malgré l'énorme combativité et la conscience de classe croissante manifestée par les ouvriers engagés dans ces luttes, celles-ci ont été encore marquées par de grandes faiblesses. Partout la classe dominante est parvenue à les maintenir sous le contrôle des syndicats qui ont réussi à isoler les ouvriers de leurs frères de classe confrontés au même déluge d'attaques contre les salaires et les allocations sociales. Même pendant la grève des employés du métro de New York qui a bénéficié de la très grande sympathie des ouvriers de la ville (comme en ont témoigné les nombreuses expressions spontanées de solidarité), la bureaucratie syndicale a réussi à empêcher d'autres ouvriers de s'impliquer dans la lutte et a limité la "solidarité" à des déclarations formelles de soutien par les syndicats. Ce contrôle des luttes actuelles par l'appareil syndical n'est pas surprenant étant donné le recul de la conscience de classe durant la décennie des années 1990. Les ouvriers devront se réapproprier les leçons de leurs luttes passées pour déjouer les pièges et s'affronter à ces institutions de l'Etat bourgeois que sont les syndicats. Ce n'est que par ces confrontations politiques avec les appareils syndicaux que les ouvriers pourront se réapproprier leurs propres méthodes de lutte et d'organisation - les assemblées générales de masse, les comités de grève élus et révocables, les grèves et manifestations massives. Ces méthodes de luttes du prolétariat n'ont pas encore ressurgi dans le mouvement prolétarien renaissant aux Etats-Unis.

Cependant, malgré les faiblesses du mouvement actuel, la bourgeoisie a bien vu ses potentialités. Après chaque lutte, elle a fait campagne pour répandre le message selon lequel la principale leçon de ces grèves, c'était que "la lutte ne paie pas". Et dans la plupart des cas, les ouvriers ont repris le travail en ayant accepté de nombreuses concessions sur des baisses de salaires, des coupes dans les allocations et des conditions de travail dégradées. Si la bourgeoisie a pu faire passer ses mesures d'austérité, c'est parce que les syndicats ont joué leur rôle de saboteurs en poussant les ouvriers à rester isolés dans des grèves longues et épuisantes. Cependant, pour l'ensemble de la classe ouvrière, l'importance d'une grève ne se mesure pas à son succès concernant la satisfaction de toutes les revendications immédiates, mais à la contribution qu'elle apporte, sur le plan de l'organisation et de la conscience, au mouvement prolétarien dans son ensemble, dans sa confrontation générale à l'ennemi de classe. C'est la raison principale pour laquelle la bourgeoisie et ses syndicats font tant d'efforts pour décourager les ouvriers des autres entreprises et secteurs d'entrer en lutte. A New York, la bourgeoisie a fait tout ce qu'elle a pu pour faire rentrer dans la tête des ouvriers que "la lutte ne paie pas", en sanctionnant les employés du métro en grève. Les syndicats et le maire de la ville n'ont pas pris le risque de faire éclater d'autres luttes des employés municipaux et ont négocié des conventions salariales, avant la date prévue, en évitant de mettre en œuvre des attaques draconiennes comme celles qui avaient provoqué la grève du métro. Sur le plan national, la précipitation actuelle avec laquelle la bourgeoisie énonce de nouvelles propositions se donnant pour but de sortir de la crise à propos de la couverture des soins de santé est également le résultat de la dynamique des luttes présentes (dans la mesure où toutes ont contesté les attaques du gouvernement fédéral sur les assurances médicales). Cette campagne a en grande partie pour objectif de retirer les problèmes de la santé publique du terrain des luttes ouvrières et d'en faire une question de plus que la bourgeoisie devra "régler" à travers le cirque électoral. Les 12 postulants à la candidature présidentielle ont chacun un "plan" pour "résoudre" ce problème.

Dans un monde qui s'effondre, de plus en plus ravagé par la barbarie de la guerre, l'aggravation de la crise économique, l'instabilité politique, la propagation de maladies mortelles et la dégradation croissante de l'environnement, la responsabilité historique de la classe ouvrière mondiale est immense. L'avenir de l'humanité et, sans exagérer, la survie même de l'espèce humaine et de la vie sur la planète sont en jeu. Soit la classe ouvrière hissera ses combats au niveau nécessaire pour mettre fin à ce système moribond, soit le capitalisme emportera dans sa tombe les bases sur lesquelles l'humanité a pu émerger et se développer, les bases de toute possibilité de construire une communauté humaine mondiale, libérée de l'exploitation de l'homme par l'homme, de la division en classes sociales, des Etats nationaux et dans laquelle l'espèce humaine pourra vivre de façon plus harmonieuse avec son environnement. Le réveil actuel de la lutte de classe internationale contient la potentialité de ce nouveau monde et les révolutionnaires, les communistes internationalistes, ont d'énormes responsabilités pour aider la classe dont ils sont l'émanation, le prolétariat, à rendre cette perspective possible. Car plus que jamais l'alternative historique est : révolution communiste mondiale ou destruction de l'humanité dans le chaos et la barbarie.

Eduardo S (8 juillet 2007)

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  • Etats-Unis [19]

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  • Luttes de classe [18]

Le syndicat américain UAW gère l’austérité contre les ouvriers

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Au mois de septembre, après 48h de grève, la direction de General Motors et le syndicat UAW ont passé un accord, qui, sans aucun doute, servira de modèle aux autres secteurs de l'industrie ; il va entraîner des dépenses et des sacrifices supplémentaires pour les ouvriers et pour les retraités en remettant en cause toute leur couverture sociale. L'UAW se révèle encore une fois un partenaire accompli pour la mise en œuvre de mesures d'austérité qui vont faire baisser le niveau de vie des ouvriers et vont servir les intérêts du capital national en préservant l'industrie automobile du naufrage au détriment des intérêts de la classe ouvrière. Le même scénario s'est reproduit peu de temps après, début octobre chez Chrysler, suite à une grève qui a duré 6 heures.

L'élément nouveau présent dans le contrat de la GM est la création d'une association (VEBA) à laquelle les employés peuvent cotiser, s'ils le souhaitent, pour bénéficier d'une couverture sociale -une sorte de mutuelle ("health care trust") qui assurerait un programme de couverture sociale et qui serait gérée par le syndicat. L'accord passé allègerait ainsi la GM d'une dette estimée à 55 milliards de dollars, étalée sur les 80 prochaines années pour assurer une couverture sociale aux employés et aux retraités. Ce trust endosserait 70% de la dette, soit 38,5 milliards en liquide, valeurs boursières et autres actifs. Selon le New York Times, l'équilibre de la dette de 55 milliards proviendra des "gains sur investissements". En d'autres termes, cet accord permet à la GM de se décharger entièrement du programme de couverture médicale, très coûteux pour elle, sur le syndicat ; tout l'avenir du programme repose entièrement sur l'aptitude de l'entreprise à faire des profits. Si elle échoue, le programme de couverture médicale s'effondre aussi. Le syndicat se positionne clairement et fermement, et ce, pour une longue période, du côté de la GM pour que celle-ci réalise des profits aux dépens des ouvriers.

Le syndicat a annoncé qu'il avait obtenu la garantie que la couverture médicale ne serait pas touchée pendant deux ans -la durée exacte que mettront les autorités fédérales à revoir les détails et à autoriser la création de la VEBA ; ce sera alors au syndicat d'assumer les coupes dans la couverture médicale afin d'assurer l'avenir du programme. Le syndicat a obtenu un autre accord important : la garantie que GM maintiendrait la force de travail à un niveau de 73 000 employés, ce qui, initialement, a été compris comme la garantie d'un travail à tous les ouvriers. Mais il s'est avéré très vite que la compagnie promettait simplement de maintenir une force de travail "équivalente" à l'actuel niveau des 73 000 ouvriers. Cela ne garantit pas du tout que tous les ouvriers actuels garderont leur travail. La compagnie peut fermer des usines et elle le fera (pour l'instant le nombre d'usines et leurs localisations n'est pas annoncé), elle emploiera des intérimaires qui se verront dans l'obligation de devenir membre du syndicat UAW. Ainsi, le syndicat est assuré de recevoir 73 000 cotisations, peu importe le nombre d'ouvriers actuels qui seront licenciés ou forcés de prendre une retraite anticipée. Le contrat d'une durée de quatre ans arrivera à terme en 2011 et prévoit de donner aux ouvriers une somme forfaitaire de 3000 dollars lorsque cet accord sera signé par les représentants syndicaux, puis une somme additionnelle durant les trois dernières années. Mais, quoi qu'il en soit, aucune augmentation du salaire horaire n'est prévue.

Et pour comble, cet accord impose aussi une double échelle de salaires, condamnant les ouvriers les plus jeunes et les intérimaires nouvellement embauchés à faire exactement le même travail que les travailleurs réguliers de l'entreprise à des salaires nettement inférieurs. Cela donne encore plus de motivation à l'entreprise pour pousser dehors les ouvriers les plus anciens. Cela divise les ouvriers en les mobilisant sur des fausses questions de conflits de génération, dressant les jeunes contre les vieux, tournant ainsi le dos à la courageuse position prise par les ouvriers des transports du New York en décembre 2005, qui ont combattu pour leurs enfants et les générations futures l'imposition d'un système de double échelle avec des salaires différents selon les générations.

Une fois de plus, les syndicats se révèlent être une arme dressée contre les ouvriers pour la défense du capitalisme.

JG (13 octobre 2007)

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  • Etats-Unis [19]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question syndicale [20]

Grève à Royal Mail (GB) : le syndicat CWU négocie une baisse des salaires sur le dos des ouvriers

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La reprise des luttes ouvrières de 2003 s'est poursuivie dans beaucoup de pays en 2007, et la Grande-Bretagne n'y a pas fait exception. La dernière lutte des ouvriers de Royal Mail (les Postes britanniques) a montré à la fois la combativité des ouvriers tout comme la capacité du syndicat des ouvriers de la communication (CWU : Communication Workers Union) de saboter la grève. Lorsque le syndicat a négocié les salaires, il a négligé de préciser qu'il s'agissait d'une baisse effective des salaires. Cependant, les grèves spontanées des postiers de Liverpool et dans le secteur sud de Londres ont montré que les ouvriers n'admettaient pas tous le diktat syndical. Et bien que les ouvriers n'aient pas vu entièrement le rôle joué par le syndicat, l'accord final a été clairement vu au moins comme une trahison.

Le CWU a séparé la question des retraites du reste de l'accord afin de le vendre aux ouvriers des postes. L'idée fut aussi répandue par les syndicats officiels du Nord que c'était à cause des ouvriers du Sud que l'accord était passé, à la fois pour cacher leur responsabilité et tenter de créer la division parmi les postiers.

En réalité, la nouvelle flexibilité est un pas en avant vers 76 000 nouveaux licenciements et des accords locaux qui pousseront la productivité et le plan d'attaque de Royal Mail contre les intérêts de la classe ouvrière.

Mais bien qu'on ne puisse considérer l'accord comme autre chose qu'une défaite pour les ouvriers des postes, il est absolument nécessaire de saluer l'action solidaire et la poussée vers l'extension de la grève par les postiers dans les débuts de la grève. Et, à la fin de la grève, les grèves sauvages dans South London et à Liverpool ont montré la combativité d'ouvriers qui voulaient clairement continuer la lutte.

Le CWU a contré cette combativité en contrôlant les piquets de grève et en imposant que leur activité reste locale, sur place, de sorte que les piquets de grève soient séparés et sans lien les uns avec les autres.

Un trait important de la grève tient dans le fait que le mouvement s'est en partie développé à l'initiative des ouvriers eux-mêmes, c'est-à-dire en dehors du syndicalisme officiel. La perspective de telles grèves sauvages est un signe positif pour le futur. De même que la méfiance envers les syndicats qui se développe lentement. Au début, les ouvriers pensaient que le syndicat les avait trahis. Mais on a vu un certain nombre d'entre eux dire qu'ils annulaient leur affiliation syndicale. Petit à petit, les ouvriers ont été amenés à comprendre que leurs luttes ne peuvent réussir que si elles sont menées par les ouvriers eux-mêmes et non par les syndicats.

Car (2 décembre 2007)

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  • Grande-Bretagne [21]

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  • Luttes de classe [18]

Courrier de lecteur : grève des travailleurs du pétrole au Venezuela

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Nous publions ci-dessous notre réponse à une note envoyée par un lecteur du Brésil (T), qui nous demande notre avis sur un article qu'il a reçu dont nous publions quelques extraits. Cet article traite des luttes et des mobilisations des ouvriers du pétrole contre l'entreprise d'État Petróleos de Venezuela (PDVSA) en septembre dernier, pour des revendications salariales et d'autres avantages contractuels. Ce camarade nous demande aussi notre avis sur la réduction de la journée de travail proposée par le président Chavez dans la révision de la Constitution qui devait être soumise à référendum le 2 décembre.

Note du camarade T : "Bonjour camarade... je te fais passer le message qu'un ami m'a envoyé sur ce qui s'est passé au Venezuela. Est-ce que tu pourrais m'en faire un petit commentaire ? Je voudrais aussi que tu me dises ce qu'il en est de la réduction de la journée de travail dont parle Chavez, car ceci a provoqué pas mal de discussions ici. Salutations, T."

L'article que T nous a renvoyé est écrit en anglais[1]. Nous en traduisons ci-dessous quelques extraits :

  • "Des travailleurs du pétrole affrontent la police pour le renouvellement de leurs conventions collectives.
    30 septembre 2007 : le ministre de l'Énergie et président de la compagnie pétrolière d'État PDVSA, Rafael Ramirez, a affirmé que la convention collective des travailleurs du pétrole, en négociation depuis avril, pourrait être signée dans les deux prochaines semaines, à la suite d'affrontements, jeudi dernier, entre les ouvriers du pétrole et la police dans la province d'Anzoategui, qui se sont soldés par plusieurs personnes blessées.
    150 ouvriers de la raffinerie de Puerto La Cruz, accompagnés des travailleurs du Complexe Pétrochimique Jose, se sont dirigés vers les bureaux de la Corporation Vénézuelienne du Pétrole (CVP) à Urbaneja, pour transmettre un document à Ramirez, qui était réuni avec la commission de négociation de la Fédération Unitaire des Travailleurs des Pétroles du Venezuela (FUTPV). Ils furent stoppés par le Groupe d'Intervention Immédiate de la police d'Anzoategui.
    Lors de cet affrontement de trois heures, 40 ouvriers furent arrêtés, trois d'entre eux blessés, dont un qui reçut une balle dans le dos... Ayant eu connaissance de cette répression policière, 4000 travailleurs des entreprises Petroanzoátegui, Petrocedeño, et du Projet San Cristobal, ont immédiatement arrêté leur travail. ...dans une déclaration de solidarité avec les ouvriers du pétrole d'Anzoategui, dénonçant la violence policière, la Fédération UNT-Zulia a dit : "Nous pensons que cette situation a dégénéré à cause de l'intransigeance de PDVSA qui a laissé traîner les discussions sur la convention pendant des mois, en faisant des offres en dessous des attentes des travailleurs, en imposant arbitrairement une commission de négociation (de la FUTPV) pour discuter sur la convention alors qu'elle n'avait pas été élue par les travailleurs». C-CURA (Courant de Classe, Unitaire, Révolutionnaire et Autonome) a fait un appel pour qu'il y ait un changement dans la commission de négociation..., parce que, autrement, ils "radicaliseront" leurs actions. Mais, des appels similaires, faits par C-CURA et Fedepetrol, à des actions radicales et à des arrêts de travail généraux pour ‘paralyser' l'industrie pétrolière à ‘l'heure zéro' le 6 août, n'ont mobilisé que 1500 travailleurs au plus dans tout le pays. Après avoir proclamé et promu la dite ‘heure zéro' dans les médias privés, la controverse a pris une dimension politique lorsque d'autres secteurs d'ouvriers du pétrole et de secteurs pauvres de la population se sont unis en ‘défense' de PDVSA. Hier, la Fédération de Travailleurs de UNT -ZULIA, a déclaré : "Nous pensons que certaines situations [dans l'industrie pétrolière] sont le résultat des manœuvres des secteurs droitiers au sein du chavisme pour créer des conflits dans le pays et déstabiliser ainsi le processus de réforme constitutionnel». Mais les travailleurs d'Anzoategui ont rejeté ces accusations en brandissant une pancarte avec l'inscription : 'Nous ne sommes pas des guarimberos, nous sommes des travailleurs du pétrole' (la guarimba est une forme de protestation dont le seul but est de provoquer la violence pour atteindre des objectifs politiques). Les travailleurs du pétrole d'Anzoategui ont annoncé qu'ils continueront leurs manifestations de rue et qu'ils resteront vigilants, malgré les promesses de Ramirez sur une meilleure convention collective dans les deux prochaines semaines"

 

 

Notre réponse

Cher camarade T,

Nous voulons saluer l'envoi de ton courrier. Nous allons y répondre brièvement, en profitant de cette occasion pour évoquer la situation de la lutte de classe au Venezuela.

Sur la lutte des travailleurs du pétrole

 

L'article qu'on t'a envoyé décrit une partie de ce qui s'est passé lors d'une lutte menée en septembre-octobre dernier par les ouvriers du pétrole de l'entreprise d'État PDVSA, la plus importante du pays, qui s'est soldée par un certain nombre de travailleurs blessés, dont un grièvement, et plusieurs arrestations. La cause immédiate de la lutte a été le retard de plus de 8 mois dans la discussion de la convention collective qui régit les salaires et les conditions de travail des ouvriers de ce secteur. Ceux-ci ont réagi par des arrêts de travail et des manifestations dans les installations de PDVSA de l'Est du pays, dans la province d'Anzoategui, et de l'ouest, dans la province de Zulia, au sud du lac Maracaibo. L'entreprise, en accord avec les syndicats, la plupart contrôlés par des tendances favorables au chavisme, a retardé la discussion sur les salaires. La lutte des ouvriers a contraint plusieurs dirigeants syndicaux, ceux de C-CURA (Courant de Classe, Unitaire, Révolutionnaire et Autonome) appartenant à l'UNT (Union Unitaire des Travailleurs) ou ceux de FEDEPETROL (Fédération des Travailleurs du Pétrole, de la Chimie et Similaires du Venezuela), qui ont été ainsi contraints de se "radicaliser" contre la compagnie PDVSA et le gouvernement, pour ne pas être totalement discrédités face aux travailleurs.

En fin de compte, le syndicats et PDVSA ont fini par signer une misérable augmentation salariale de 12 000 bolivars par jour [3,8 euros], ce qui fut rejeté par les ouvriers qui exigeaient une augmentation de 30 000 bolivars. Il faut savoir que le salaire mensuel d'un ouvrier du pétrole est à peu près de 1 320 000 bolivars (autour de 420 euros ou 610 $US, selon le taux de change officiel, et, en fait, moins de 300 $US, définissant le prix réel de nombreux produits et services).

Ce salaire mensuel correspond à un peu plus du coût quotidien du panier de la ménagère avec les aliments de base pour une famille de 5 personnes (octobre 2007), qui tourne autour d'un million de bolivars. Même en additionnant les primes que reçoivent les travailleurs du pétrole, ceux-ci ne peuvent pas vivre dignement, parce que, en plus de ces bas salaires, les prix de la nourriture ne cesse d'augmenter (25% par an)[2] et la pénurie, selon les chiffres mêmes de la Banque Centrale du Venezuela, tourne autour de 30% sur les produits de base. Et pourtant, les ouvriers du pétrole sont une des catégories les mieux payées du pays !

Nous pensons, cependant, que cette lutte a représenté un gain politique et moral pour les ouvriers du pétrole et pour le prolétariat vénézuélien dans son ensemble :

  • en premier lieu, les travailleurs du pétrole ont repris la lutte sur leur terrain de classe, après avoir été un des secteurs les plus frappés par les coups de la bourgeoisie, parce qu'il était au centre de la polarisation entre le chavisme et l'opposition, ce qui avait permit à l'État de licencier 20 000 employés de PDVSA en 2003 (dont au moins la moitié étaient des ouvriers et des employés de base), sans la moindre indemnisation. Cette lutte a eu une plus forte signification alors que les fractions chavistes et de l'opposition renforcent la polarisation politique pour ou contre la reforme de la constitution proposée par Chavez. Les ouvriers, du moins lors de ces mobilisations, ont réussi à se placer sur le terrain de leurs revendications, malgré le forcing permanent de la bourgeoisie pour mettre n'importe quelle lutte ouvrière ou sociale sur le terrain de cette polarisation.
  • la lutte a mis à nu le caractère bourgeois et anti-ouvrier du gouvernement Chavez : comme les gouvernements qui l'on précédé (que le chavisme accuse de tous les maux sociaux), celui de Chavez riposte de la même manière : répression, bombes lacrymogènes, plomb et prison contre les ouvriers qui "osent" lutter pour une vie plus digne.

Un fait important : les ouvriers du pétrole de Puerto La Cruz, à l'Est du pays, dont une majeure partie sympathisent avec le chavisme, ont dénoncé les salaires mirobolants des hiérarques "socialistes" de PDVSA dont les salaires mensuels sont 50 fois supérieurs à celui des salariés de base (bien plus élevés que ceux des administrateurs de l'industrie des gouvernements précédents), alors que, concernant les ouvriers, on leur refuse des augmentations qui puissent leur permettre au minimum de se nourrir décemment, et qui plus est, ajoutons nous, quand c'est la force de travail des travailleurs qui est la source principale des salaires mirobolants et des privilèges de la haute bureaucratie de l'État et des bénéfices de plusieurs secteurs de la bourgeoisie nationale.

  • ces luttes ont été précédées par d'autres en mai dernier, qui ont mobilisé les ouvriers du pétrole pour la réintégration de plus de 1000 ouvriers des entreprises pétrolières récemment nationalisées, que le gouvernement "socialiste" de Chavez voulait jeter à la rue : voilà une expression authentique et importante de la solidarité ouvrière à laquelle ont aussi participé les familles des ouvriers.
  • comme nous l'avons dit, les travailleurs sont restés insatisfaits de cet accord. Le mécontentement est toujours latent et il peut se réveiller à tout moment.

Il est important d'ajouter que la même réaction que celle qui a eu lieu chez les ouvriers du pétrole, commence à se développer avec une certaine force dans d'autres secteurs. Les médecins, les instituteurs et des travailleurs dans d'autres secteurs publics ont commencé à se mobiliser pour des revendications salariales ; ils ont organisé des assemblées où, en plus d'exiger une augmentation des salaires, ils ont dénoncé la constante détérioration des services publics. Lors d'une récente assemblée des médecins à Caracas, travaillant pour le ministère de la Santé, ceux-ci se sont déclarés "prolétaires de la santé".

Il est important de dire que les gouvernants et les opposants ont tout essayé pour diviser et polariser le mouvement, en réussissant leur coup dans pas mal de cas. Et, en plus, le gouvernement mobilise ses organisations (cercles bolivariens, conseils communaux, service de contrôle social, et même, quand il leur semble nécessaire, ses bandes armées) pour intimider et même agresser physiquement les travailleurs.

Un autre aspect, non moins important, c'est que, presque quotidiennement, apparaissent des expressions d'indignation des masses paupérisées (en grande partie sympathisantes ou soumises au clientélisme gouvernemental), qui protestent contre le manque de logements, la criminalité, le manque de services sociaux, etc., et dernièrement à cause de la rareté des produits tel que le lait, le sucre, l'huile, etc. Dans certains cas, elles ont été réprimées. Voilà bien une situation qui apparaît clairement à l'opposé de celle des hauts pontes du régime (de ceux qu'on appelle la "bolibourgeoisie", ou bourgeoisie bolivarienne), qui étalent leur opulence[3] ; ils font des grands investissements en armements qui vont tomber nécessairement sur le dos des prolétaires et les masses paupérisées ; et ils investissent les ressources de la rente pétrolière pour déployer la politique impérialiste de l'État vénézuélien dans la région.

Voilà le véritable visage du "socialisme du 21e siècle" promu par Chavez et acclamé par la gauche, les gauchistes et les alter mondialistes qui se pâment en regardant ses discours dans Tele Sur[4] : comme tout régime bourgeois, il est bâti sur l'exploitation des masses ouvrières. La seule différence, c'est la logorrhée "révolutionnaire" pour essayer de mystifier les prolétaires à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

Sur la "réduction" de la journée de travail

La "réduction" de la journée de travail de 8 à 6 heures par jour est prévue dans la réforme constitutionnelle proposée par Chavez, de même que les autres "avantages" du travail, tels que la sécurité sociale pour les travailleurs de l'économie souterraine qui, comme dans le reste de l'Amérique Latine, occupe 50% ou plus de la force de travail. Ces propositions, loin de chercher une amélioration véritable des conditions de vie des travailleurs, sont de la fumisterie, c'est le grand mensonge avec lequel essayer de gagner le soutien des travailleurs à la proposition gouvernementale de réforme de la constitution.

Les forces progouvernementales ne disent pas comment va se concrétiser cette réduction de la journée de travail ; mais on évoque la possibilité d'utiliser ces heures non travaillées à la "formation" politique (autrement dit, à l'endoctrinement) ou, aussi, à la prétendue "émulation socialiste" inventée par la bourgeoisie cubaine castriste pour que les travailleurs soient exploités par l'État sans débourser un centime. Par ailleurs, un des objectifs de la bourgeoisie (chaviste ou pas) est d'essayer de faire payer des impôts aux travailleurs de l'économie souterraine ; en leur offrant les bénéfices de la sécurité sociale (qui n'offrira la moindre protection réelle aux travailleurs), l'État aura un plus grand contrôle sur eux et pourra les obliger à payer des impôts et autres taxes.

L'objectif principal de la réforme constitutionnelle (avec toute sa charge d'hypocrisie comme toutes les constitutions du monde), est celui de renforcer le cadre juridique pour un contrôle plus grand de l'État sur la société, une plus grande militarisation, pour une justification légale de la répression des mouvements sociaux et permettre aussi, entre autres choses, la réélection indéfinie de Chavez à la présidence de la République.

Nous ne pouvons pas nous laisser berner : le gouvernement de Chavez est un gouvernement bourgeois, dans lequel ce qui domine ce sont les nécessités et les priorité du capital ; nous ne devons pas être naïfs (nous ne pensons pas que ce soit ton cas) par rapport à l'affirmation du régime chaviste que chercherait "le plus grand bonheur social", comme l'affirme le texte réformé de la constitution. Le chavisme lance cette propagande mensongère à travers ses campagnes au niveau national et international pour que les travailleurs du Venezuela et des autres pays finissent par croire qu'au Venezuela il y aurait une véritable amélioration des conditions de vie des travailleurs et de la population pauvre ; ce n'est qu'une grosse mystification de la propagande chaviste.

La crise capitaliste oblige chaque bourgeoisie, de droite, du centre ou de gauche, à attaquer les conditions de vie de la classe ouvrière. Dans aucun des pays où la journée de travail a été réduite par l'État (France, Allemagne, etc.; et aussi le Venezuela, où, au début des années 90, la journée de travail fut réduite de 44 à 40 heures hebdomadaires) cette mesure n'a représenté une véritable amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière ; bien au contraire : les salaires et les avantages sociaux n'ont fait que diminuer et le travail précaire n'a fait qu'augmenter.

L'aggravation de la crise capitaliste obligera la classe ouvrière du Venezuela à lutter contre l'État tel que les ouvriers du pétrole, de la santé et de l'éducation l'ont fait. C'est ainsi, sur son terrain de classe, que le prolétariat pourra sortir du piège de la polarisation politique qui l'entrave, en s'intégrant dans la lutte du prolétariat mondial pour la construction du véritable socialisme.

Nous espérons avoir répondu à tes questions.

CCI. (19-11-07)


[1] Venezuelanalysis.com

[2] Le Venezuela a le taux d'inflation le plus élevé de la région, avec une moyenne de 20% par an ces trois dernières années.

[3] Lors d'un récent "Allo, Président", show TV dominical animé par Chavez lui-même, celui-ci n'a pas pu faire autrement que de critiquer les "révolutionnaires" dorés paradant en 4x4 tous terrains (qui dépassent les 100 millions de $), et qui boivent du whisky de 18 ans d'âge... Ce que Chavez ne dit pas, c'est qu'il tire bien profit, pour lui, sa famille et son clan, des recettes pétrolières. La "révolution bolivarienne", qui avait levé le drapeau de la lutte contre la corruption, aime bien barboter dans ses eaux croupies.

[4] Tele Sur est une chaîne de télévision récemment créée par le chavisme qui s'adresse à tous les pays de la région avec la volonté de faire pièce à l'influence politique et culturelle des États-Unis.

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  • Vénézuela [22]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [18]

Mexique : Le capitalisme est le vrai coupable de la "crise de l’eau" !

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La question de l'eau est un des aspects qui met en évidence le danger auquel le capitalisme expose l'humanité, à tel point que l'ONU elle-même reconnaît que plus d'un million d'êtres humains ne peuvent jouir d'approvisionnement en eau potable. Rien qu'au Mexique, les chiffres officiels indiquent que 11 millions de personnes n'ont pas accès à cet élément naturel indispensable à la vie sur terre. Ce problème ne concerne pas seulement des zones rurales éloignées des services de distribution ; il y a dans le district urbain de Mexico des zones (comme Iztapalapa) qui vivent pratiquement sans service d'eau potable, et c'est la même chose à Tijuana (près de la frontière américaine) ou à Juarez. Il est devenu évident que la question de l'eau est devenue un problème crucial, ce qui donne une opportunité au gouvernement, aux groupes gauchistes, aux écologistes, aux ONG et à toute une faune de prétendus "intellectuels", pour monter au créneau et exposer de fausses explications ou proposer de fausses solutions. Mais autant celles-ci que celles-là s'efforcent toujours de cacher qu'il faut chercher la véritable origine du problème dans le système capitaliste lui-même. Non seulement ce dernier ne peut vivre que par l'exploitation du travail salarié, mais son existence le pousse aussi à détruire de plus en plus notre environnement naturel, au point que non seulement il pollue l'eau, la terre et l'air mais qu'en outre, il ruine, dépouille et concentre le système hydrologique en l'intégrant dans sa logique concurrentielle consistant à faire du "chiffre" et des profits.

La classe dominante n'a pas de solution au problème de l'eau

A travers ses appareils de gauche comme de droite, la bourgeoisie tente de faire croire que le problème de l'eau est lié à un accroissement de la population et à la consommation démesurée qu'en ferait l'humanité ; en d'autres termes, ce que nous vivons à ce niveau plongerait pour une grande partie ses racines tant dans des aspects "naturels" que dans un manque de "culture d'économie de l'eau". Les solutions qui en découlent seraient donc d'une part que les "citoyens responsables" fassent individuellement attention en utilisant rationnellement l'eau et, d'autre part, qu'au niveau de la production soient appliquées des technologies avancées pour son extraction, son traitement et sa distribution, jusqu'à ce que l'on parvienne à la réalisation d'une prétendue "démocratisation" de la distribution et du contrôle de l'eau potable. Toutes ces propositions ont comme toile de fond la volonté de faire croire que le capitalisme est capable de modifier sa nature prédatrice et irrationnelle - aux dires de nos dirigeants, il suffirait d'appliquer correctement la technologie en développant une "culture de protection des ressources" -, et surtout d'imposer, comme solution, des coûts élevés pour l'usage et l'accès à l'eau. Ces idées "géniales" sont inévitablement bien sûr complétées par le chœur de ceux qui prétendent trouver une solution à "la crise de l'eau" en invoquant la démocratie. C'est ainsi que la bourgeoisie parvient à faire croire que le capitalisme pourrait être "humain et rationnel" et pourrait trouver une solution à la destruction de l'environnement tout en permettant que les besoins en eau potable soient satisfaits.

Il est évident que la bourgeoisie, comme le reste de l'humanité, est préoccupée par les problèmes liés à l'eau potable, mais sa préoccupation fondamentale réside surtout dans la question : comment se l'approprier et comment faire du commerce avec l'eau potable ? Ses invocations d'accords internationaux impulsés par l'ONU, les "droits constitutionnels" ou les déclarations des gouvernements pour créer des accords de protection ne sont que l'emballage cachant leurs véritables intentions : s'approprier l'eau à tout prix. La déclaration honteuse du conseiller du Pentagone, Andrew Marshall, affirmant que les Etats-Unis devaient se préparer à aller chercher l'eau "là où elle se trouve et quand ce sera nécessaire"[1] met en évidence que pour le Capital, l'eau est maintenant devenue un nécessité "stratégique" (comme le pétrole). C'est bien pour cela que tous les Etats nationaux (en tant que représentation et expression sociale du Capital national) partagent ce projet de la bourgeoisie américaine, même si les forces dont ils disposent sur l'échiquier impérialiste ne leur permettent ni d'être aussi éhontés dans leurs déclarations, ni de mener concrètement à terme cet objectif impérialiste. La crise de l'eau n'est pas seulement le fait de quelques Etats ou de quelques entreprises (Nestlé, Lala, Coca-Cola...), c'est le système capitaliste dans son ensemble qui engendre cette dégradation, qui met en danger l'humanité et rend donc de plus en plus évidente la nécessité de sa destruction.

Le capitalisme a transformé l'eau en marchandise

Pour bien mettre en évidence son inquiétude et son engagement en ce qui concerne la question de la crise de l'eau, la classe dominante organise des forums (Forum mondial de l'eau et autres forums "alternatifs"...) visant à répandre, par de belles résolutions et proclamations (tant officielles qu'"alternatives"), une véritable campagne de confusion dans la population et dans la classe ouvrière; cette campagne cherche à dédouaner le système capitaliste de sa responsabilité en masquant que c'est lui qui est le véritable responsable de la crise de l'eau. Gauchistes et altermondialistes en ont fait un axe de leur activité, clamant haut et fort que "L'eau n'est pas une marchandise". Ce slogan, devenu un cliché privilégié, leur permet de renforcer leur image d'opposition à la dynamique du capital pour s'approprier toute l'eau et en faire le commerce, mais ne peut que semer davantage de confusion et de pièges.

Les arguments les plus utilisés pour "démontrer" que "l'eau n'est pas une marchandise" se basent sur le fait que l'eau fait partie de l'environnement, qu'elle est source et essence de vie, ressource naturelle non renouvelable. Nous pourrions jusque-là être d'accord. Mais cet argument est aussitôt utilisé pour conclure que l'eau est un "droit fondamental de l'homme" et qu'il faut se mobiliser pour qu'il soit reconnu comme tel. Ainsi, nous devrions croire que ces "droits de l'homme", pour lesquels il faudrait lutter, donneraient des "garanties légales" dont chaque être humain pourrait bénéficier. Ce précepte est précisément celui qui est déjà défini depuis 1948 par l'ONU (qui succéda à la fameuse Société des Nations que Lénine appelait justement "un repaire de brigands") et soutenu par les Constitutions de la plupart des divers Etats-nations (à côté, soit dit en passant, du "droit à la propriété"). En fin de compte, ils ne font que semer l'illusion que les institutions du Capital pourraient résoudre les problèmes créés par ce même Capital, pour que " la gestion et le contrôle de l'eau soient maintenus dans le domaine public" (Forum alternatif au Ive Forum mondial de l'eau, Mexico, 2006). Ils n'hésitent pas à avancer que "ce serait une obligation pour les institutions publiques (...) de garantir ces conditions". Sous couvert de radicalisme verbal, ils ne font en fin de compte que soutenir les actions étatiques, demandant seulement que ce soit précisément l'Etat, l'Etat capitaliste, qui assure le contrôle de l'eau.

Dans le même sens, en voulant montrer une attitude radicale d'opposition au processus de privatisation de l'eau, la Coalition des organisations pour le droit à l'eau affirme : "L'accès à l'eau potable ne s'obtiendra pas par la privatisation, mais par le respect de la responsabilité sociale de l'État". Nous pouvons constater dans ces deux exemples que l'Etat est présenté comme étant un organisme "neutre" dans la société, ce qui est absolument faux ! L'Etat et ses "institutions publiques" répondent aux besoins du capital, c'est pourquoi tous les discours soi-disant "alternatifs" finissent par insister sur la possibilité pour le capitalisme de devenir plus "humain", moins prédateur, s'il utilisait une "meilleure politique".

Les proclamations basées sur un langage marxiste lancées par des "intellectuels" ne sont pas moins dangereuses. Pour s'en convaincre, il suffit de lire Economie et politique de l'eau, de J. Veraza. Ce livre commence par exposer une approche marxiste du processus par lequel l'eau, même quand elle n'a pas de valeur (puisqu'elle n'est pas le produit du travail humain), est amenée, par une imposition du prix, à devenir une marchandise, pour finir par l'éternelle ritournelle altermondialiste. On trouve dans son explication l'ébauche d'une explication correcte quand il observe que "l'eau est un patrimoine de l'humanité", mais il reste à mi-chemin et oublie que l'humanité est soumise au Capital, et pas uniquement à cause des multinationales qui ne sont qu'une partie de ce système d'exploitation et dont la limitation des pouvoirs ne favoriserait en rien l'émancipation de l'humanité. Cet "oubli" lui permet, quand il critique la privatisation comme "solution" à la question de l'eau, d'avancer que la "solution politique ne passe pas, loin s'en faut, par la destruction du capitalisme" mais se base sur l'espoir (ou la prière ?) que " le capital national et mondial peuvent agir et prendre conscience pour s'opposer aux abus hydrauliques des capitaux privés et transnationaux de l'eau". En d'autres termes, la solution serait l'adoption par le système capitaliste d'une démarche rationnelle et consciente qui affaiblisse les politiques néolibérales et limite la voracité des multinationales. Ce serait l'avènement du "capitalisme à visage humain" !

L'humanité comme un tout est menacée par le capitalisme ! Proclamer que ce système pourrait s'améliorer sur la base de réglementations internationales ou nationales, ou par une attitude généreuse et rationnelle de la classe dominante, c'est pousser les travailleurs à se détourner de la nécessité de l'action révolutionnaire. Aujourd'hui, l'avertissement d'Engels sur l'alternative qui s'offrirait à l'humanité, socialisme ou barbarie, est plus "prophétique" que jamais. Soit le prolétariat en finit avec ce système dégénéré pourrissant, soit l'humanité se verra aspirée dans une spirale toujours plus destructrice de barbarie.

Rojo (octobre 2007)

[1]) Déclaration publiée par The Guardian, citée par Gian Carlo Delgado dans Agua, éd. La Jornada, 2006, p. 189.

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  • Mexique [23]

Récent et en cours: 

  • Ecologie [24]

Morts de froid, SDF, sans-abri… - Le capitalisme sème la misère et la mort

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Un homme est mort de froid en plein cœur de Paris, place de la Concorde, dans la nuit du 20 au 21 décembre. A peine un entrefilet dans les journaux. Le cas est devenu trop banal ; les statistiques sont elles aussi glaçantes : il y aurait officiellement 200 personnes qui meurent de froid par an en France chaque année. Le gouvernement avec son cynisme habituel se félicite même qu'il y en ait si peu alors que le nombre de sans-abri ou de sans domicile fixe (SDF) dépasserait le chiffre de 100 000, en augmentation constante, alors que plus de 3 millions de foyers seraient "mal logés". Les télévisions nous montrent régulièrement quelques foyers modèles du Secours Catholique (avec chambres individuelles) et des reportages sur les rondes de nuit du "SAMU Social". Cette publicité est bien obligée de concéder quelques interviews moins idylliques de ces prolétaires survivant dans la plus grande misère et qui refusent de se laisser "rafler" pour aller dans les centres d'hébergement surpeuplés où il n'est pas possible de fermer l'œil parce que la promiscuité est telle que chacun vit dans la crainte permanente du vol ou de l'agression. Dans ces petits "camps de concentration humanitaires", ils se disent beaucoup moins en sécurité que sur leur bout de trottoir. Qu'importe : le message de la propagande est bien là, martelée avec insistance : s'ils crèvent de froid, tant pis, c'est de leur faute, c'est qu'ils le veulent bien ! La spectaculaire intervention musclée des flics pour démonter les tentes des "Enfants de Don Quichotte" sur les quais de Seine face au parvis de Notre-Dame n'aura été qu'un événement médiatique qui se conclut deux jours plus tard par un touchant consensus où chaque association et chaque organisation caritative se félicite que le gouvernement ait renouvelé ses belles promesses en termes de construction de nouveaux foyers, de logements sociaux d'urgence ou de "droit au logement opposable en justice". Evidemment, cela n'est que de la poudre aux yeux : non seulement rien n'est réglé mais la situation ne peut qu'empirer dramatiquement. Quelques jours auparavant, pour leur 22e anniversaire, les "Restos du Cœur" ont mis en avant qu'ils avaient servi plus d'un milliard de repas depuis leur création (82 millions en 2006 auprès de 700 000 personnes). Et leur fréquentation est en constante augmentation (+5% par an) : avec l'emploi de plus de 51 000 "bénévoles", c'est devenu la plus grosse entreprise caritative du pays. Les porte-parole de l'État bourgeois ne nous parlent plus de "nouvelle classe" que seraient les "nouveaux pauvres" comme il y a 20 ans ; la misère croissante crève aujourd'hui les yeux. La question du logement, le coût exorbitant des loyers, l'insalubrité du parc immobilier, la multiplication des prêts immobiliers "à risque", liés au gonflement de la spéculation immobilière, sont le creuset permanent de la paupérisation croissante de la classe ouvrière qui se cumule avec tous les autres facteurs de dégradation vertigineuses des conditions de vie des ouvriers : la hausse du "coût de la vie", des produits alimentaires de base, le déremboursement des dépenses de santé, l'aggravation de la précarité de l'emploi, les menaces de licenciement et de chômage... Un sondage récent a montré qu'une personne sur deux redoute de se retrouver à la rue du jour au lendemain. Un autre chiffre semi-officiel a été rendu public (encore très en dessous de la réalité) : il y aurait plus de 7 millions de personnes qui sont aujourd'hui réduites en France à survivre en dessous du seuil de pauvreté, y compris parmi des couches de plus en plus larges de travailleurs salariés. Le déséquilibre et le développement des inégalités sociales est aussi de plus en plus manifeste, révélateur de l'aberration du mode de production capitaliste et de sa faillite : d'un côté cette société sécrète une accumulation ostentatoire de richesses et de fortunes colossales, l'étalage d'un luxe artificiel et d'un train de vie tapageur pour une petite minorité d'exploiteurs (y compris de ses couches parasitaires) et de l'autre de plus en plus de prolétaires surexploités réduits à plonger dans la détresse. Dans tous les pays, y compris les plus riches et développés, le même phénomène permet de faire le même constat. Celui de l'incapacité du système capitaliste à satisfaire les besoins les plus élémentaires de l'immense majorité des êtres humains. C'est pourquoi le prolétariat, qui est la seule classe capable de renverser ce système et de construire une nouvelle société d'abondance (débarrassée de la marchandise et donc de la misère) détient la clé de l'avenir. Il y a 160 ans, dans Misère de la Philosophie, Marx mettait en avant contre Proudhon qu'il ne faut pas voir dans la misère que la misère mais le ressort même de la lutte de classe qui rend possible la nécessité de la révolution : "la condition d'affranchissement de la misère et de l'exploitation de la classe laborieuse, c'est l'abolition de toute classe". [1]

W. (21 décembre 2007)

[1] [1]Plus que jamais, le marxisme reste la seule théorie vivante de la classe porteuse du communisme. Karl Marx n'était ni un guignol ni un clown (contrairement à ce que prétendent les "humoristes" du Capital qui cherchent à escroquer les ouvriers et à leur vendre leurs "best sellers" . Voir la couverture d'un livre très commercial intitulé "Prolétaires de tous les pays, excusez-moi"). C'est bien la lutte des prolétaires de son époque qui avait permis à Marx d'examiner et d'analyser la dynamique historique du capitalisme avec un télescope (et non avec des verres déformants). Le mot d'ordre du Manifeste de 1848 "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !", est toujours d'actualité. .

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [25]

Campagne anti-terroriste en Grande-Bretagne : Protéger la population ou renforcer l'État policier ?

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Selon Lord West, la Grande-Bretagne serait dorénavant le leader mondial des mesures anti-terroristes, "à l'avant-garde de tous les pays du monde sur le front de la protection". De nouvelles mesures proposées par le gouvernement travailliste viennent consolider cette position.

La sécurité doit être renforcée dans les gares, les ports et les aéroports, avec de nouvelles barrières de sécurité, des zones où les véhicules sont interdits et des bâtiments résistant aux explosions. L'effectif des services de sécurité qui était de 2000 en 2001 va passer à plus de 4000 employés. Il y aura une nouvelle police et de nouveaux pouvoirs d'expulsion. Une nouvelle force à la frontière du Royaume-Uni ayant le droit d'arrestation et de détention des suspects va avoir plus de 25 000 employés ; 2000 supplémentaires travailleront dans des unités régionales anti-terroristes. Toute personne prenant l'avion pour sortir ou entrer en Grande Bretagne devra fournir 90 documents d'informations aux services de sécurité. Il y aura de la propagande contre les "influences terroristes".

Quand le Parti travailliste est arrivé au pouvoir, on ne pouvait être mis en garde à vue que quatre jours ; depuis lors, la durée de celle-ci peut aller jusqu'à 20 jours, ce qui est la plus longue durée en Europe, avec la possibilité d'être doublée et d'atteindre 8 semaines ou plus (L'État Turc, qui est en guerre contre les Kurdes dans le Sud-Est du pays, n'autorise que 7 jours et demi de garde à vue).

L'infrastructure des services de "sécurité" en Grande-Bretagne a plus de 4 millions de caméras de surveillance, le nombre le plus élevé du monde. La base de données britannique ADN, qui aura 4,25 millions d'êtres humains dans ses fichiers à la fin de 2008, est la plus grande du monde. Les demandes officielles (émanant d'environ 800 organismes y ayant droit) d'écoutes téléphoniques, de surveillance du courrier électronique avoisinent les 30 000 par mois. En 2005, le Parti travailliste a introduit les ordres de contrôle qui sont utilisés pour mettre certaines personnes en résidence surveillée quand il n'y a pas assez de preuves pour les mettre en accusation.

Pour renforcer son appareil de répression, l'État ne met en avant qu'une seule raison. Le Directeur Général du MI5[1] dit que dans ce pays, il y a 30 groupes actifs et 200 autres représentant 2000 personnes actuellement ou potentiellement impliquées dans le terrorisme. Lord West dit qu'il faudra 30 ans pour arriver à éradiquer le terrorisme.

Oui, le terrorisme est une préoccupation réelle pour la classe dominante, qu'il soit le fait d'individus isolés ou de groupes qui opèrent pour le compte des États impérialistes hostiles à l'État britannique. A ce niveau, les mesures anti-terroristes ne sont qu'une autre partie des dispositions militaires d'un État.

Cependant, si on regarde l'éventail des mesures qui ont été introduites par le gouvernement ces dernières années, on voit qu'elles ne sont pas seulement destinées à contrer les ennemis impérialistes (ceux qui sont derrière "une petite minorité d'extrémistes violents") mais aussi son ennemi de classe : la classe ouvrière et spécialement les militants révolutionnaires.

Le volume énorme d'enregistrements téléphoniques et d'e-mails (quelques 400 0000 pendant les 15 derniers mois) n'a pas seulement comme cible les 2000 "personnes les plus recherchées" par le MI5, mais clairement toute une série de personnes que l'État estime nécessaire d'espionner. En d'autres termes, si on considère les droits d'arrestation et de recherche disponibles du fait de la législation anti-terroriste, sur 400 recherches, il n'y a qu'une arrestation (et une proportion encore plus réduite conduisant à des poursuites ou des condamnations). Ces pouvoirs existent en partie pour collecter de l'information et en partie pour intimider. L'intimidation des individus, le contrôle social, la surveillance de groupes soupçonnés d'être une menace, sont bien sûr le but de l'activité des services de la "sécurité" d'État.

Les querelles entre les supporters du gouvernement et les membres d'associations de défense des libertés civiques se sont concentrées sur l'extension de la durée de la garde à vue. C'est une dispute purement académique, puisque le gouvernement a même des pouvoirs beaucoup plus étendus s'il choisit de proclamer l'état d'urgence. L'État affirme, effectivement, qu'il utilisera les pouvoirs normalement utilisés en temps de guerre sans que les hostilités ne soient formellement déclarées. Mais il n'a pas besoin de couvrir tous ses agissements par le biais de sa "législation". Après tout, la politique du "tirer pour tuer" utilisée en Irlande du Nord et à la station de métro de Stockwell[2] n'avait besoin d'autorisation (ni de sanction) "légale".

Pourquoi la Grande-Bretagne est-elle autant à l'avant-garde dans le renforcement de son appareil de répression ? Est-ce parce que le parti travailliste aurait un "réflexe autoritaire" ? Est-ce parce qu'il y aurait quelque chose de particulièrement menaçant dans le situation actuelle en Angleterre ?

Non. Le fait que la bourgeoisie britannique soit si en avance dans ses préparatifs de répression (idéologiques, législatifs ou technologiques) montre la vision qu'a cette fraction nationale de la classe dominante. Alors que la lutte de la classe ouvrière est en dernière analyse une menace au niveau international pour le système capitaliste, chaque État capitaliste doit fourbir ses propres armes au niveau national. En Grande-Bretagne, l'État veut saper toute possibilité de futures confrontations de classe, mais se préparer aussi à la possibilité d'un échec de ce sabotage du développement de la riposte prolétarienne. D'autres pays se préparent déjà à suivre le "modèle" de la Grande-Bretagne en ce domaine.

Car (24 novembre 2007)

[1] Service secret intérieur, équivalent de la Direction de la Surveillance du Territoire française.

[2] Evoque le meurtre par la police d'un jeune ouvrier électricien brésilien, tiré à vue comme un lapin dans une station de métro lors de son "ratissage" après la dernière vague "d'attentats déjoués" à Londres le 21 juillet 2005.

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [21]

Questions théoriques: 

  • Terrorisme [26]

Crime fasciste à Madrid: L’alternative n’est pas fascisme ou antifascisme, mais barbarie capitaliste ou révolution prolétarienne

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Dimanche 11 novembre, dans une rame du métro de Madrid, un individu appartenant à une bande néo-nazie a assassiné Carlos, un jeune de 16 ans, et en a blessé un autre. Ce crime a été commis à l'occasion d'un appel d'un obscur groupuscule fasciste -Démocratie Nationale- auquel a répliqué une manifestation antifasciste de quelques 200 jeunes.

Nous voulons exprimer notre indignation face à la mort de ce jeune. Nous témoignons notre profonde solidarité à sa famille effondrée par un tel crime. Ce lâche assassinat est répugnant. Les idéologies fascistes et racistes, qui ont mis entre les mains de l'assassin le couteau qui a fauché la vie du jeune Carlos, sont un ramassis des idéologies les plus réactionnaires que le capitalisme ait secrétées tout au long de son histoire. Elles sont le catalyseur des pulsions les plus inhumaines, des sentiments les plus irrationnels de haine et de recherche de boucs émissaires.

Pendant les années 1930 et 1940, sous des régimes comme celui de Franco, le fascisme a reçu du Capital un mandat de gouvernement qu'il a exercé avec une terreur et une barbarie que ses rivaux "démocrates" et staliniens se chargent de rappeler à tout heure. Aujourd'hui, ces résidus des régimes fascistes, écartés des gouvernements mais que les États "démocratiques" entretiennent encore, servent à polariser les ripostes irrationnelles et xénophobes aux contradictions du capitalisme (le chômage, l'immigration ou l'insécurité). Face à ces contradictions, cette idéologie réactionnaire cultive le racisme, l'enfermement identitaire et le nationalisme le plus extrême... Les idéologies fascistes, néonazis, populistes, expriment de la manière la plus brutale et sans fard le processus de décomposition du capitalisme que nous avions identifiée à la fin des années 1980 :

  • "l'accroissement permanent de la criminalité, de l'insécurité, de la violence urbaine, (...) ;
  • le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir (tel que l'exprimait le "no future" des émeutes urbaines en Grande-Bretagne), de la haine et de la xénophobie qui animent les "skinheads" et les "hooligans" pour qui les rencontres sportives sont une occasion de se défouler et de semer la terreur ;
  • le raz-de-marée de la drogue, qui devient aujourd'hui un phénomène de masse, participant puissamment à la corruption des États et des organismes financiers, n'épargnant aucune partie du monde et touchant plus particulièrement la jeunesse, un phénomène qui, de moins en moins, exprime la fuite dans des chimères et, de plus en plus, s'apparente à la folie et au suicide ;
  • la profusion des sectes, le regain du mysticisme, y compris dans certains pays avancés, le rejet d'une pensée rationnelle, cohérente, construite, y inclus de la part de certains milieux 'scientifiques' et qui prend dans les médias une place prépondérante notamment dans des publicités abrutissantes, des émissions décervelantes ;
  • l'envahissement de ces mêmes médias par le spectacle de la violence, de l'horreur, du sang, des massacres, y compris dans les émissions et magazines destinés aux enfants ;
  • la nullité et la vénalité de certaines productions "artistiques" (littérature, musique, peinture, architecture) qui ne savent exprimer que l'angoisse, le désespoir, l'éclatement de la pensée, le néant ;
  • le "chacun pour soi", la marginalisation, l'atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l'exclusion des personnes âgées, l'anéantissement de l'affectivité et son remplacement par la pornographie, le sport commercialisé et médiatisé, les rassemblements de masse de jeunes dans une hystérie collective en guise de chanson et de danse ("rave parties"), sinistre substitut d'une solidarité et de liens sociaux complètement absents.

Toutes ces manifestations de la putréfaction de la vie sociale qui aujourd'hui, à une échelle inconnue dans l'histoire, envahissent tous les pores de la société humaine, ne savent exprimer qu'une chose : non seulement la dislocation de la société bourgeoise, mais encore l'anéantissement de tout principe de vie collective au sein d'une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective, même à court terme, même la plus illusoire."[1]

À la racine de la haine, de la xénophobie, de l'exaltation nationaliste, ne se trouve pas spécifiquement l'idéologie fasciste -ni, en soi, une autre idéologie,d'ailleurs- mais le système capitaliste comme un tout et toutes les forces politiques qui le défendent -qu'elles soient fascistes, de droite, de gauche ou d'extrême gauche. Toutes favorisent ces expressions de barbarie criminelle -certaines d'une manière directe (le néo-fascisme), les autres (ceux qui se présentent comme "démocrates" et "anti-fascistes")- de manière hypocrite et sournoise.

Le nationalisme : patrimoine commun à toutes les fractions et idéologies du Capital

 

On attribue souvent aux fascistes le monopole du nationalisme. Voilà un vrai et gros mensonge. Ce sont les démocrates et antifascistes du PSOE[2] qui ont organisé l'hystérie nationaliste, véritable provocation envers la bourgeoisie marocaine, déclenché par la visite du roi dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Ce sont eux qui développent une campagne assourdissante d'exaltation nationale qui s'est concrétisée dans ce nouveau label "Gouvernement d'Espagne", dont le PSOE est si fier. Les deux grands partis "démocratiques" -PP et PSOE-, soutenus indirectement par tous les autres, développent une surenchère nationaliste sans précédent avec pour objectif de nous embrigader derrière eux dans la défense de la Nation espagnole. Ce sont chez eux que les chiots fascistes trouvent la source de leur inspiration. N'est-ce pas Rajoy[3] qui excite les peurs et les haines vis-à-vis de "l'étranger" quand il dit qu'"il y a ici ou là des gens qui veulent du mal aux Espagnols" ?

L'exaltation nationaliste espagnole a, par ailleurs, son pendant dans l'hystérie nationaliste pro-catalaniste ou pro-basque déclenchée par des partis tel que Esquerra, Convergencia, Parti Nationaliste Basque (PNV), Batasuna etc. Les uns faisant la promotion du nationalisme "grand espagnol", les autres celui du nationalisme basque ou catalaniste ; ils veulent tous nous faire entrer dans cette ambiance étroite et repliée sur elle-même de la "communauté nationale", de la défense de "ce qui nous est propre", d'exclusion des "autres", de crainte et de haine vis-à-vis de "l'étranger". On prétend faire la distinction entre un nationalisme "démocratique" et "ouvert" et un nationalisme "fermé" et "exclusif". C'est une différenciation démagogique et fausse. Tout nationalisme porte en lui-même et mène par lui-même vers l'exclusion, vers la haine de l'étranger, vers les sentiments irrationnels de victimisation et de recherche chez "les autres" du bouc émissaire sur lequel faire porter la responsabilité de ses propres malheurs.

Toutes les idéologies et les fractions du Capital mènent au racisme et à la xénophobie

 

Les groupuscules néo-nazis dirigent leur haine vers les immigrants. Ils leur font subir les actes les plus barbares comme celui qu'on a pu voir (avec la scène filmée en vidéo) dans le métro où un élément dégénéré, abruti par le "nationalisme régional" catalaniste s'en prend sadiquement à Barcelone, à une immigrante équatorienne.

Les autorités et les partis démocratiques "s'indignent" devant ces actes cruels et barbares, mais ce sont eux qui traitent les émigrants comme du bétail en les expulsant dans leurs pays d'origine dans des conditions abominables. C'est justement le démocrate et antifasciste Zapatero qui a tout mis en place en 2005 pour que 5 émigrants finissent par crever sur les frontières de Ceuta et Melilla. C'est le gouvernement du "dialogue" de Zapatero qui demande aux gouvernements du Maroc ou du Sénégal de faire le sale boulot de poursuivre les émigrants. Ce sont les démocrates et antifascistes du PSOE et d'IU[4] qui, dans leurs gouvernements régionaux ou leurs mairies, acceptent que des immigrants soient engagés sans contrat légal, obligés de travailler du lever au coucher du soleil pour des salaires misérables, dormant entassés dans des cahutes ou des baraques abandonnées ou, tout simplement, à la belle étoile.

Les minorités néo-fascistes jouent leur rôle en insultant, en agressant les immigrés ; les démocrates de droite et de gauche organisent leur sélection et leur exploitation en laissant des tiers faire le sale travail. Les néo-fascistes vocifèrent, les démocrates agissent.

Toutes les fractions du capital ont les mains tachées de sang

 

Habituellement, la bourgeoisie "démocratique" attribue uniquement au fascisme la responsabilité de la répression ou de la guerre. Elle met en avant la barbarie répressive du franquisme, elle insiste sur les pires expressions de la barbarie guerrière des nazis. Par contre, elle ferme le rideau sur les répressions brutales menées par les démocrates et sur les atrocités réalisées par les grandes "démocraties" lors de leurs innombrables massacres contre l'humanité.

Avec des manipulations de toutes sortes, elle déforme les faits historiques en nous offrant, en échange, une "mémoire historique" sélective et falsifiée. De cette façon, elle cache la question essentielle : c'est tout le capitalisme, toutes ses fractions, qui sont coupables de la répression et de la guerre. C'est l'État capitaliste sous toutes ses formes -totalitaires et démocratiques- qui sont responsables des crimes les plus atroces contre l'humanité.

Quant à la répression, faut-il rappeler que c'est la "très démocratique" et "si antifasciste" République espagnole qui, rien que dans sa première année, entre les mois d'avril et décembre 1931, assassina plus de 500 ouvriers lors de la répression des luttes des travailleurs, des journaliers et des paysans ? Faut-il rappeler que c'est le gouvernement social-démocrate allemand qui noya dans le sang la tentative révolutionnaire du prolétariat en 1918-23, causant plus de 100 000 morts ? Faut-il rappeler que de nombreux hiérarques du nazisme ont commencé leur carrière dans les Corps Francs organisés par la social-démocratie et les syndicats en Allemagne pour réprimer la révolution prolétarienne en 1919 ? Faut-il rappeler que Franco fut chargé par la République de réprimer l'insurrection ouvrière des Asturies en octobre 1934 ? Est-il nécessaire de signaler que Pinochet fut un serviteur zélé du gouvernement démocratique d'Allende, lequel l'a fait applaudir par les masses lors d'une concentration devant le Palais présidentiel de Santiago ?

Quant aux guerres, si les nazis ont leurs camps de concentration, les démocrates ont dans leur besace le bombardement atroce de Dresde qui provoqua en une seule nuit la mort de 250 000 victimes innocentes. Et que dire du largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki par la plus grande "démocratie" du monde, l'État américain !. Sans parler de la barbarie guerrière en Irak, en Afghanistan et dans tant d'autres lieux !

Au nom de l'antifascisme, on nous impose l'exploitation et la répression

 

Tout au long du 20e siècle, considéré comme le plus barbare de l'histoire, le capitalisme a réussi à se maintenir et à survivre en enfermant le prolétariat dans toute une série de faux dilemmes : le monde "libre" contre le soi-disant "communisme" ; la démocratie ou le totalitarisme ; la gauche ou la droite ; le nationalisme "grand espagnol" ou le nationalisme basque ou catalaniste. Sa politique a consisté à lui faire choisir entre la peste et le choléra, à lui faire choisir un plat dans un menu entièrement empoisonné.

Pendant plus d'un siècle, surtout grâce à ses forces de "gauche", le capitalisme a exhorté le prolétariat à choisir le "moindre mal" : la ritournelle a toujours été la même : oui, c'est vrai, les "démocrates" du capital, les "socialistes" et les "staliniens" ne sont pas dignes de confiance, mais le plus grand mal, le diable en personne, ce sont uniquement les fascistes d'extrême droite. Au nom de cette démagogie, on a fait accepter les pires barbaries, l'exploitation la plus sauvage, les guerres les plus cruelles.

Avec ces choix truqués, le Capital cherche toujours à faire en sorte que le prolétariat perde son autonomie de classe, à le transformer en un jouet de ses batailles politiques, à faire de lui de la chair à canon lors de ses guerres.

Le dilemme le plus funeste, celui qui a fait le plus de tort au prolétariat tout au long du 20e siècle a été celui de choisir entre cette fausse alternative : fascisme ou antifascisme. Au nom de ce piège mortel, l'humanité toute entière fut entraînée dans le plus terrifiant des holocaustes : près de 60 millions de morts lors de la 2e Guerre mondiale. Au nom de ce dilemme truqué, un million de morts furent sacrifiés dans la "guerre civile" barbare de 1936 en Espagne.

A chaque fois que le prolétariat prend partie pour une des fractions du capital (extrême droite, droite, gauche ou extrême gauche), à chaque fois qu'il perd son identité de classe, et qu'il est dissout dans la masse interclassiste du "peuple" ou des "citoyens" en général, le Capital arrive à prolonger les souffrances, l'exploitation, la barbarie provoquées par son système d'exploitation.

La raison est bien simple : si le prolétariat choisit un des camps du capital, s'il disparaît en tant que classe dans cet amalgame du "peuple" ou des "citoyens" de la Nation capitaliste, alors les ouvriers, de même que l'ensemble de toute les classes non exploiteuses, deviennent les otages des guerres de cliques auxquelles se livrent leurs exploiteurs. Et c'est ainsi que le Capital arrive à créer un climat social où toute la population devient une somme d'automates vociférants contre l'épouvantail -qu'il agite pour cacher ses autres monstres (car dans ses querelles internes de cliques, la bourgeoisie a aussi besoin d'avoir ses propres boucs émissaires) ; les exploités sont transformés en soldats prêts à s'entre-tuer ou à mourir pour la "Patrie", pour les intérêts des fractions "démocrates" du Capital, pour des causes qui sont toujours celles de l'exploitation et de la barbarie capitaliste.

Les "démocrates anti-fascistes" du Capital sont tout aussi responsables de la Terreur bourgeoise que les néo-nazis les plus réactionnaires et arriérés. Le prolétariat n'a pas à choisir entre les camps d'exterminations nazis et les bombardements atomiques et massifs de la "guerre propre" des "démocraties". L'histoire des deux guerres mondiales a montré que, drapés de belles phrases sur "la tolérance", "la liberté", "l'égalité", "la fraternité" et "les droits de l'homme", tous les États "démocratiques" du capital ont inoculé tout autant, mais plus sournoisement, ces mêmes poisons nationalistes que leurs rivaux fasciste, franquiste, nazis ou staliniens.

Seule la lutte indépendante du prolétariat peut nous sortir de l'impasse historique du capitalisme

 

La seule manière de lutter efficacement contre le Capital, c'est l'autonomie politique du prolétariat. C'est uniquement s'il est capable de lutter pour ses intérêts propres, sur son propre terrain de classe exploitée, qu'il pourra bâtir un rapport de forces capable de faire face au Capital. Ce n'est que de cette façon qu'il pourra agréger à son combat libérateur toutes les couches sociales opprimées et exploitées.

La société capitaliste, c'est la division de l'humanité en nations concurrentes, tandis que le prolétariat représente l'unité de l'humanité toute entière en une communauté mondiale où les différences de "races", de culture ou d'origine sociale sont abolies. Au nationalisme -quelle que soit l'enveloppe qui l'entoure- il faut opposer l'internationalisme prolétarien.

La société capitaliste secrète la haine et l'exclusion de l'étranger, de "l'autre". Seul le prolétariat pourra établir une communauté d'êtres humains libres et égaux qui travailleront collectivement pour le bien-être et l'épanouissement de toute l'espèce humaine. Face à la division et à l'affrontement entre êtres humains, il faut opposer la fraternité universelle qu'exprime de façon embryonnaire la lutte de classe du prolétariat.

La société capitaliste est basée sur la concurrence entre entreprises et nations, ce qui entraîne obligatoirement, dans la vie sociale, le chacun pour soi, le "pousse-toi de là que je m'y mette", le fait que chaque être humain est vécu comme un ennemi, un prédateur dans ses rapports avec les autres. Seul le prolétariat, en unifiant l'humanité dans une communauté mondiale où chacun pourra apporter le meilleur de lui-même pour contribuer à la pleine satisfaction des besoins de son espèce (en préservant son environnement naturel), pourra abolir les racines de la barbarie capitaliste. Face à la concurrence et au corporatisme dans le monde du travail, qui sont des forces destructrices et de désagrégation du tissu social, il faut opposer la solidarité et l'unité contenues dans les luttes authentiques du prolétariat.

L'origine de l'assassinat de Carlos se trouve dans le capitalisme et son processus de décomposition. Il ne faut pas s'arrêter au bras qui l'a tué, mais au système qui l'a armé. Seule la lutte indépendante du prolétariat contre toutes les fractions de la classe dominante, contre l'État bourgeois dans son ensemble, contre l'économie capitaliste et toutes ses expressions nationales et idéologiques pourra mettre fin aux bases matérielles qui provoquent (en plus de l'exploitation, de la guerre et de la barbarie quotidienne), des actes inhumains tels que le crime du métro de Madrid.

Acción Proletaria (journal du CCI en Espagne - 12 décembre 2007)

[1] D'après nos "Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste" (1990), republiées dans la Revue Internationale nº 107 - 4e trimestre 2001 [27].

[https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm] [28]

[2] PSOE : Parti Socialiste. PP : Parti Populaire (droite)

[3] Chef du PP.

[4] Izquierda Unida (Gauche Unie) coalition autour du Parti Communiste d'Espagne.

Géographique: 

  • Espagne [29]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [30]

Referendum au Venezuela : prendre parti pour ou contre la réforme de la constitution c’est prendre parti pour le capital

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Nous publions ci-dessous de larges extraits d'un tract que notre section au Venezuela a diffusé à la veille du référendum du 2 décembre dernier organisé par Chavez pour se faire plébisciter. Le résultat, l'échec de Chavez qui n'a obtenu que 48 % des voix, ne fait que confirmer le contenu de cette prise de position : l'impopularité croissante du dictateur populiste à qui la coalition de toutes les forces d'opposition de la bourgeoisie a refusé d'octroyer la "réélection à vie" contenu dans le projet de réforme de la Constitution. Par ailleurs, il faut réaffirmer que cette mise en échec ne représente nullement une quelconque "victoire" pour les prolétaires qui n'avaient absolument rien à gagner sur un terrain électoral qui n'est pas le leur.

Une fois de plus, moins d'un an après la réélection de Chavez, la bourgeoisie nationale, autrement dit aussi bien les dirigeants chavistes que ceux de l'opposition, mobilise les travailleurs et la population pour une autre confrontation électorale. Cette fois-ci, on convoque à un référendum le 2 décembre pour voter pour ou contre la réforme de la Constitution proposée par Chavez. (...)

Tenir les masses constamment mobilisées est indispensable pour le projet chaviste, et c'est ainsi que pendant ces 9 années de gouvernement, il a mis en place rien de moins que 10 consultations électorales. De cette manière, il cherche à maintenir la cohésion de ses forces éblouies par le mirage des supposés bienfaits du "Socialisme du 21e siècle" ou "Socialisme bolivarien", nom avec lequel la bourgeoisie chaviste a baptisé son modèle capitaliste d'État, un modèle basé, comme les autres, sur l'exploitation du prolétariat vénézuélien.

Le prolétariat vénézuélien n'a rien à gagner dans cette nouvelle bataille électorale ; il a surtout beaucoup à perdre ; non seulement à cause des mirages des modèles capitalistes que les factions bourgeoises en lutte lui font miroiter, mais aussi parce qu'elle renforce la division et les affrontements entre prolétaires. Cette nouvelle bataille électorale se déroule dans un cadre d'affrontement politique aiguisé entre les fractions gouvernementale et oppositionnelle, qui s'est répercuté dans les rangs des travailleurs avec le résultat de quelques ouvriers morts et blessés et qui pourrait déboucher sur des situations imprévisibles auxquelles beaucoup d'autres prolétaires pourraient être entraînés. Avec ce referendum, comme avec n'importe quel autre processus électoral, la seule gagnante est la bourgeoisie, qu'elle soit de gauche ou de droite. (...) Aussi, le prolétariat doit à tout prix éviter de tomber dans les mirages démocratiques qui lui proposent les progouvernementaux ou ceux de l'opposition pour essayer de l'encadrer dans l'une ou l'autre faction ; les uns se présentant en tant que défenseurs de la "démocratie participative où chacun en est l'acteur", les autres en tant que défenseurs d'une "démocratie sociale" contre les tentatives totalitaires et dictatoriales de Chavez. La démocratie, indépendamment de ses qualificatifs, n'est que l'appareillage juridique et idéologique que les classes dominantes ont perfectionné pendant des lustres pour soumettre le prolétariat et la société dans son ensemble. Les travailleurs doivent rejeter fermement les illusions propagées par les secteurs de la petite bourgeoisie d'opposition selon lesquelles une telle dynamique vers le chaos pourrait être inversée grâce "au jeu démocratique" et revenir à l'époque "faste" des années 70 ; et ne pas penser non plus que le projet chaviste du "socialisme bolivarien" éliminera la pauvreté en créant rien de moins que "le maximum de bonheur possible", tel que c'est écrit dans la Constitution reformulée. Les uns autant que les autres sont des défenseurs du système capitaliste d'exploitation, qui, dans sa période de décadence où nous vivons, ne se fonde que sur l'augmentation constante de la paupérisation. Ses propres lois de fonctionnement (qu'aucune loi décrétant le "socialisme" ne peut dépasser, comme le chavisme le prétend), concentrent la richesse entre les mains de quelques uns et la pauvreté pour l'immense majorité de la population.

La situation n'est pas "rose" pour le chavisme

 

La précipitation et la manière brouillonne avec laquelle le chavisme prétend imposer la réforme constitutionnelle met en évidence le fait que le projet chaviste court "contre la montre" pour contrer un processus d'épuisement politique et social ; d'un coté, parce que la pression de la bourgeoisie d'opposition est plus grande du fait que le chavisme a été incapable de mener à bien les objectifs du capital national dans son ensemble et, d'un autre coté, à cause du malaise social qui a commencé à sourdre et que le chavisme, à l'évidence, a de plus en plus de difficultés à contrôler (et c'était une des raisons principales pour les quelles la bourgeoisie avait accepté Chavez). Plusieurs facteurs montrent les difficultés réelles du projet chaviste :

  • aggravation de la crise économique : même si le gouvernement se vente de la plus forte croissance du PIB de la région (estimée à 8% en 2007, grâce à l'augmentation constante des dépenses publiques basée sur les prix très élevés du pétrole), les problèmes économiques sont bien présents. D'un coté, le Venezuela, pendant les 3 dernières années, a eu l'inflation la plus élevée de la région (officiellement, une moyenne proche de 20% par an, ce qui fait fondre les salaires et les pensions des travailleurs : rien qu'en se limitant aux produits alimentaires de base, l'inflation atteint 27%) ; augmentation du déficit budgétaire, ce qui veut dire que la rente pétrolière et les impôts ne sont pas suffisants face à la spirale des dépenses de l'État ; augmentation de la dette externe et interne (autour de 53 milliards de dollars, un peu plus de 25% du PIB) ; augmentation de l'emploi précaire, qui se concrétise dans la quantité de travailleurs de l'économie "informelle" (52% de la force de travail) et dans la politique "coopérativiste" de l'État ; aggravation des pénuries à cause de la politique économique du gouvernement, surtout pour les produits de base tel que le lait, le sucre, les œufs, etc.
  • développement d'une géopolitique impérialiste fort coûteuse pour la bourgeoisie : augmentation des dépenses d'armement (ce qui préoccupe les autres pays de la région à cause du déséquilibre entre les forces armées) ; politique de "donations" à des pays "amis" comme Cuba, le Nicaragua, la Bolivie, l'Équateur, etc. et des rabais dans la facture pétrolière pour ainsi essayer de contrebalancer l'influence des États-Unis dans les Caraïbes, l'Amérique Centrale et du Sud.
  • dissensions au sein du chavisme lui-même : rupture du parti Podemos ("Nous pouvons") avec le chavisme, qui possède une représentation parlementaire minoritaire ; refus des autres partis alliés, tel le Parti communiste du Venezuela (PCV) ou Patria Para Todos (PPT), à se dissoudre pour s'intégrer dans un Parti Socialiste Uni du Venezuela promu par Chavez ; dissidences au sein du TSJ [Tribunal Suprême=Cour de Cassation] ; développement de mouvements du chavisme sans Chavez. Peu de semaines avant le référendum, l'ancien ministre chaviste de la défense, le général Raul Baduel, a asséné un coup dur à l'aile radicale du chavisme en se prononçant contre la réforme et en appelant les forces armées (où, d'après ce qu'on dit, il a de l'ascendant) à défendre la constitution de 1999 ; etc.
  • des difficultés au niveau géopolitique : après les escarmouches avec l'ancien président du Mexique (Fox) et Alan García (Pérou), il a eu des altercations diplomatiques avec l'Espagne et récemment avec la Colombie, quand ce pays a enlevé à Chavez le rôle de premier plan qu'il prétendait jouer dans la médiation avec les FARC pour la libération des otages. Chavez a essayé de tirer profit de ces événements pour sa campagne en faveur de la réforme constitutionnelle parce qu'il cherche désespérément des ennemis extérieurs, étant donné que la politique des États-Unis vis-à-vis de Chavez a consisté à ne pas tomber dans le piège de l'affrontement médiatique, laissant Chavez "cuire dans son jus". Il n'est pas à exclure qu'il existe une politique coordonnée pour affaiblir Chavez au niveau régional et mondial, tout en consolidant les forces d'opposition à l'intérieur.
  • la corruption et le clientélisme politique ont atteint des niveaux bien plus élevés que lors des gouvernements précédents. (...)

Protestations sociales et lutte des travailleurs

 

Le plus grand défi que le chavisme affronte, c'est la perspective d'une élévation de la protestation sociale et de la lutte des ouvriers.

Tout le long de cette année, les expressions de l'indignation des masses (parfois même sympathisantes du chavisme) à cause du manque d'attention de l'État vis-à-vis de leurs nécessités en services, en voierie et, surtout, le manque de logements qui s'est encore aggravé avec les ravages provoqués par les pluies torrentielles (certaines personnes vivaient déjà dans des conditions très précaires depuis les inondations de 1999). Leurs protestations se sont jointes à celles de chauffeurs de taxi et des transports publics, qui subissent des agressions et même des assassinats en permanence. Les blocages de routes et les occupations de sièges d'organismes publics sont presque quotidiens.

En mai dernier, il y a eu des luttes chez les étudiants, des luttes qui rompaient avec la forme "traditionnelle" de lutte de ce secteur, qui se sont résolument exprimées sur un terrain social et ont utilisé des méthodes de luttes ouvrières basées sur les assemblées générales et les délégués élus par celles-ci. (...)

Il faut particulièrement mettre en relief les luttes des travailleurs pour leurs revendications salariales et sociales, les luttes des ouvriers du pétrole, qui ont débuté en mai dernier pour la réintégration des travailleurs des entreprises mixtes nationalisées, que l'entreprise d'État PDVSA voulait licencier. (...) (Voir l'article "Courrier du lecteur : grève des travailleurs du pétrole au Venezuela").

Face a une telle perspective de mobilisation sociale, face aux difficultés accrues pour montrer un visage "populaire" et "ouvrier", le régime chaviste n'a pas d'autre choix que celui de renforcer le contrôle et les moyens de répression étatiques, en modifiant pour cela quelques articles de la constitution ; comme, par exemple, les articles qui traitent de l'instauration des états d'exception et sur la création des dites "milices révolutionnaires", forces de répression militarisées, "garde prétorienne" directement dépendante de la présidence de la république.

Des défis encore plus grands pour la classe ouvrière

Il est certain que les luttes sociales et les luttes ouvrières ont marqué un coup d'arrêt à cause de la campagne assourdissante pour la réforme. Il existe cependant un danger pour la classe ouvrière d'être prise dans les filets de cette polarisation et même d'être utilisée comme chair à canon par l'une ou l'autre des factions au pouvoir.

En tant que révolutionnaires, en tant que militants de notre classe, nous alertons le prolétariat contre ce danger. Beaucoup de prolétaires se sont laissé embarquer par la polarisation, disposés parfois à s'en prendre à leurs frères de classe : de tels agissements, comme tous ceux qui affaiblissent la solidarité de classe, doivent être dénoncés avec fermeté et sans relâche. Le prolétariat vénézuélien vit une situation particulièrement dangereuse, et, jusqu'à maintenant, il n'a pas eu les forces pour s'opposer fermement et massivement à une telle polarisation.

La situation au Venezuela est une illustration du fait que la bourgeoisie, dans son ensemble, est incapable de gouverner vraiment : il y a 9 ans, elle a placé Chavez au pouvoir pour essayer de régler la situation sociale et politique des années 90 ; résultat : le remède est pire que le mal. Pour les travailleurs : la détérioration des services publics, le coût élevé de la vie, le chômage et l'emploi précaire, la délinquance et, maintenant, la pénurie des aliments de base : voilà qui nous éloigne de ce "paradis" que nous ont vendu la bourgeoisie et la petite bourgeoisie de gauche, un paradis où nos conditions de vie allaient s'améliorer et, même, disaient-ils, la pauvreté allait être surmontée.

Les travailleurs n'ont d'autre alternative que celle de lutter avec leurs propres forces pour un monde meilleur, pour une vie vraiment digne. Pour y arriver, il faudra en finir avec les illusions démocratiques, qui non seulement éloignent la classe ouvrière de son propre terrain de lutte, mais qui l'éloignent aussi de sa lutte historique pour le dépassement de la barbarie à laquelle le capitalisme nous soumet. Seules les masses travailleuses, par le rôle qu'elles occupent au sein du capitalisme, possèdent la capacité de développer une lutte unie et consciente contre le capital ; et ainsi devenir une référence pour les autres couches sociales opprimées, et, enfin, mener à bien une lutte pour le véritable socialisme. Pour cela, il faut que les ouvriers brisent les chaînes de la polarisation et reprennent les luttes sur leur propre terrain de classe, sur la base de véritables assemblées ouvrières, avec leur délégués élus et révocables, responsables devant elles.

De la même manière, les minorités qui luttons au Venezuela et dans le monde entier pour dépasser la situation actuelle de domination du travail par le capital, avons aussi une très grande responsabilité dans le débat et la propagation des idées socialistes que nos prédécesseurs révolutionnaires ont défendues : Marx, Engels, Lénine, Trotski, Luxemburg, etc., des idées qui sont l'antithèse de cette supercherie nommée "socialisme du 21e siècle".

Internacionalismo (section du CCI au Venezuela) 29-11-07

Géographique: 

  • Vénézuela [22]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La mystification parlementaire [31]

Sarkozy reçoit Kadhafi - Les "guignolades" d’un marchand de canons

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Il ne fait pas bon planter des tentes à Paris quand l'hiver arrive. Pourtant, le colonel Kadhafi, qui a installé la sienne pendant quelques jours au coeur de la capitale en décembre, n'a pas eu à goûter les rigueurs du froid ni de la répression. Bien au contraire, c'est dans les dorures de la République que le "Guide" de la Libye avec sa suite s'est vu dérouler le tapis rouge et qu'il a été pompeusement reçu par Sarkozy et sa troupe gouvernementale docile.

Docile, ou presque. Quelques voix se sont élevées pour s'offusquer d'un tel accueil pour celui qui, en 1983, a commandité un des plus meurtriers attentats perpétrés contre un avion français et qui tout récemment torturait encore les infirmières bulgares libérées par l'ex-première dame de France. A en faire toujours un peu trop, Sarkozy Ier irrite de façon croissante une partie de la classe dominante, jusque dans son propre clan. C'est la faussement candide Rama Yade qui a endossé ce rôle, au prix d'un sérieux remontage de bretelles par l'Élysée. Et bon nombre de députés de droite comme de gauche, se sont déclarés franchement scandalisés ou hostiles, mais pas un Bernard Kouchner toujours prêt à jouer les moralistes pleurnichards mais qui, dans son costume actuel de ministre des "affaires" étrangères, n'a pas voulu entraver la démarche intéressée de son Président.

Car, tout simplement, Kadhafi est venu "signer une dizaine de milliards de contrats" selon les propres mots de Sarkozy (Le Monde du 12 décembre). Et pas dans n'importe quoi : dans l'armement et le nucléaire. Un tel soutien dans ces secteurs, en faveur d'un chef d'État récemment encore mis au ban de la "communauté internationale" pour soutien au terrorisme, n'est pas anodin, même si la Libye tente de rentrer dans le rang. Cette cure de remise en forme est apportée par la France à l'armée libyenne alors que Kadhafi justifiait encore, à Lisbonne au début du mois, le recours au terrorisme pour un État faible. Ce qui ne laisse présager rien d'autre qu'un retour prochain de la Libye sur la scène de la provocation guerrière. Tout cela ne peut que contribuer à aggraver le chaos et les massacres, notamment sur le sol africain.

Mais le clou de cette visite parisienne, est resté la question des droits de l'Homme. Sarkozy jure la main sur le coeur qu'il en a parlé à Kadhafi. D'ailleurs, ne le reçoit-il pas pour l'encourager dans sa décision de se "normaliser" ? Kadhafi rétorque quant à lui qu'on ne lui en a pas parlé, et que d'ailleurs ce serait mal venu dans un pays où il n'est pas certain que les immigrés bénéficient de ces droits. A ce petit jeu de poker menteur, celui qui ment le moins est sans aucun doute Kadhafi. Il n'était vraiment pas nécessaire de parler des "droits de l'Homme" à Kadhafi pour lui vendre des armes. De quels droits de l'Homme peut-on bien parler quand on fourgue à un pays un arsenal militaire capable de mater et massacrer le moindre frisson de rébellion dans toute sa région, où il garde une influence considérable ? Sarkozy peut se targuer pourtant d'avoir "été le candidat des droits de l'Homme" (Libération du 12 décembre) et d'avoir respecté ses engagements en libérant les infirmières bulgares et obtenant "des preuves de vie d'Ingrid Betancourt" (Ibid.). Au sein de la bourgeoisie, libyenne, française ou de n'importe où, le sort des populations est lié à ses intérêts impérialistes et l'humanité n'a qu'un seul droit, celui de verser sa sueur et son sang.

Les gesticulations people de Sarkozy du haut de sa "jet set" ressemblent de plus en plus à un théâtre de grand' guignol pour amuser la galerie : un jour sous les flashes de sa poignée de mains amicale avec le pantin Chavez, un autre faisant frissonner les foules de journaleux et de politicards avec la marionnette de "l'affreux, sale et méchant" acteur Kadhafi en guest-star. Puis suivent les cadeaux de Noël-surprise du Président : s'afficher à Eurodisney avec sa nouvelle poupée Barbie, la chanteuse et ex-top model Carla Bruni et, pour couronner le tout, la gloire médiatico-rédemptrice d'une bénédiction papale juste à la veille de la messe de minuit. Alléluia ! De quoi émouvoir dans les chaumières garnies d'antennes paraboliques !

Décidément, en assurant en permanence un tel spectacle, Saint Nicolas, notre bon Papa Noël français, qui a transformé l'Élysée en magasin de farces et attrapes, mériterait bien un jour de recevoir de ses pairs de la bourgeoisie un prix Nobel s'il y en avait un réservé aux marchands de canon.

RI (19 décembre)

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [32]

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