La bourgeoisie française
n'a de cesse de proclamer que si les temps sont difficiles aujourd'hui,
cela ira mieux demain. Il n'est pas un seul jour sans que les journalistes
et autres experts bourgeois ne nous promettent une reprise économique
pour l'année prochaine. Le message est clair : la classe ouvrière
doit courber l'échine et se serrer la ceinture dans l'attente
de lendemains meilleurs. Cela fait maintenant des dizaines d'années
que la bourgeoisie nous tient régulièrement les mêmes
discours alors que les conditions d'existence des prolétaires,
elles, n'ont cessé de se dégrader.
Ces six derniers mois, c'est une véritable déferlante
de plans sociaux qui s'est abattue sur la classe ouvrière. On
a compté en France (selon les statistiques officielles de la
bourgeoisie), au cours de ces derniers mois, 25 000 faillites d'entreprises,
60 000 suppressions d'emplois, 220 000 demandeurs d'emploi supplémentaires,
tandis que la courbe du chômage devrait passer la barre des 10%
en fin d'année. Une masse croissante d'ouvriers n'ayant plus
aucun droit est rayée des statistiques du chômage. Contrairement
à ce que prétend la bourgeoisie, ce n'est pas 2,5 millions
de chômeurs que compte actuellement la France mais bien plus de
5 millions. Et que dire de cette nouveauté, le RMA (revenu minimum
d'activité) ? Un RMA, "qui devrait entrer en vigueur, début
2004, et dont l'objectif est d 'améliorer l'insertion des allocataires
du RMI ? La réforme de M. Fillon puise ses racines dans une philosophie
précise :'il n'apparaît pas sain qu'une allocation-chômage
puisse, sans limitation de durée, indemniser l'absence d'emploi'."
(Le Monde du 22 octobre). Quel cynisme ! La réalité est
tout autre : avec cette nouvelle attaque frontale contre la classe ouvrière,
les chômeurs qui ne pourront retrouver du travail (et qui, avec
l'aggravation de la crise, seront de plus en plus nombreux) ne toucheront
tout simplement plus rien pour vivre.
Pendant ce temps, un nombre croissant de grandes entreprises licencient
massivement : Aventis, STMicroelectronic, Alcatel, Giat-Industries,
Eramet, les Télécoms, Alstom... Le rythme de fermeture
d'usines s'accélère et, contrairement aux mensonges de
la bourgeoisie, cette accélération se poursuivra encore
dans les années à venir. Même les plus petites entreprises
tant vantées pour leur pseudo-dynamisme économique dégraissent
à tour de bras. Frédéric Bruggeman (cité
par Le Point et spécialisé dans l'assistance aux comités
d'entreprise) ne peut même plus cacher la réalité
: "Ce qui est nouveau c'est l'ampleur du mouvement et le fait qu'aucun
secteur n'y échappe." En réalité, ce qui est
nouveau, c'est l'ampleur de la dégradation des conditions de
vie de la classe ouvrière. Ce qui est nouveau, c'est que tous
les secteurs ouvriers sont aujourd'hui frontalement et massivement attaqués.
Mais la bourgeoisie ne se contente pas de jeter de plus en plus massivement
les ouvriers à la rue. Elle a fait des coupes sombres sur les
pensions de retraites, amenant les ouvriers à vieillir dans une
misère croissante. En s'attaquant à la Sécurité
sociale, c'est la capacité des ouvriers à se soigner qui
est désormais radicalement remise en cause.
Cette accélération brutale des attaques contre les conditions
d'existence de la classe ouvrière signe aujourd'hui la faillite
du capitalisme contraignant la classe dominante à démanteler
de façon irrémédiable l'Etat "providence".
Malgré l'accélération des mesures anti-ouvrières prises par le gouvernement Raffarin depuis la rentrée de septembre, les syndicats sont restés très discrets. Aucune agitation, aucun appel à reprendre la lutte alors qu'en juin dernier, après la grande mobilisation du printemps contre la réforme du système des retraites, les syndicats, FO et CGT en tête, n'ont cessé de claironner que "la rentrée de septembre serait chaude" et que le combat allait redémarrer dès la fin de l'été. Cette rentrée s'est déroulée d'une manière parfaitement calme, les syndicats sont restés parfaitement silencieux. Aucun appel à la mobilisation, aucun appel à la lutte. Ce silence de la part des appareils d'encadrement de la bourgeoisie n'est pas pour nous surprendre. Il est une claire confirmation de la manœuvre de l'Etat bourgeois et de ses syndicats lors des luttes du printemps dernier visant à faire passer l'attaque sur les retraites : provoquer les ouvriers du secteur de l'Education nationale, les enfermer dans une lutte sectorielle et isolée en polarisant leur combativité sur le problème de la décentralisation (voir RI n° 337 et 338). Grâce à cette manœuvre, la bourgeoisie a réussi à infliger une défaite cinglante à toute la classe ouvrière. Elle a réussi à enfoncer un coin dans la tête des prolétaires en leur faisant croire qu'il ne sert à rien de lutter ! Voilà pourquoi les syndicats n'ont pas bronché face aux nouvelles attaques annoncées dès la rentrée. Ils savaient qu'ils avaient réussi leur coup et étaient parvenus à leurs fins : démoraliser la classe ouvrière et lui insuffler un sentiment d'impuissance.
Cependant, si la bourgeoisie a remporté une victoire au printemps dernier, elle sait pertinemment qu'elle n'a pas gagné la guerre de classe. C'est pour cela qu'elle n'est pas restée inactive depuis la rentrée de septembre. La manœuvre entamée au printemps autour de la question des retraites s'est poursuivie à travers une campagne idéologique d'envergure visant en empêcher la classe ouvrière de tirer les leçons de cette défaite et de développer sa prise de conscience de la faillite historique du capitalisme. Voilà les raisons réelles du battage médiatique développé massivement autour de la tenue des journées du Forum Social Européen. A travers le mouvement altermondialiste, la bourgeoisie s'efforce en premier lieu d'empêcher la classe ouvrière de retrouver le chemin de sa propre perspective révolutionnaire face à la faillite du capitalisme. C'est pour cela qu'elle met en avant qu'un "autre monde est possible" mais… uniquement dans le cadre du capitalisme qu'il s'agirait de "réformer"! (voir article sur le FSE).
Les prolétaires doivent le savoir, si la bourgeoisie française
ne relâche à aucun moment sa pression si, de manière
continue, elle développe des campagnes d'intoxication idéologique,
c'est justement parce que, malgré la défaite de juin dernier,
la classe ouvrière garde potentiellement toute sa combativité.
Avec ses attaques brutales, massives et simultanées, la bourgeoisie
démontre ouvertement que le capitalisme n'a plus rien à
offrir à la classe exploitée. Elle est parfaitement consciente
du danger que représenterait une telle avancée de la conscience
au sein des masses ouvrières. Partout, y compris dans les Etats
les plus industrialisés, la misère se répand dans
les familles ouvrières en même temps que se déchaînent
la barbarie guerrière et le chaos sanglant dans les pays périphériques.
Il revient au prolétariat de ne pas accepter cette situation.
Lui seul est capable de s'opposer au pourrissement de la société
capitaliste. Le prolétariat doit refuser de tomber dans le piège
de l'idéologie altermondialiste. Il doit refuser de se laisser
entraîner par les trotskistes sur le terrain bourgeois des élections
(voir article page 4).
Face à la faillite du capitalisme, un seul monde est nécessaire
et possible : la construction de la société communiste.
Face à la faillite du capitalisme, une seule force peut changer
le monde et offrir un avenir à l'humanité : la classe
ouvrière mondiale.
Tino (29 novembre)
Après Porto Alegre en janvier 2001, Florence en novembre 2002 et le Larzac l'été dernier, le grand show altermondialiste a une fois de plus fait salles combles du 12 au 15 novembre dans les villes de Paris, Ivry, Bobigny et Saint-Denis à l'occasion de la seconde édition de son Forum Social Européen. Des centaines de "débats" programés pour lesquels 50 000 personnes sont venues des quatre coins de l'Europe. Une manifestation le 15 novembre, sorte de bouquet final du Forum, qui a rassemblé environ 80 000 personnes. Avec un pareil bilan, on peut dire que le mouvement altermondialiste a le vent en poupe. Et cela n'est pas pour déplaire à la bourgeoisie, bien au contraire. Mieux, c'est elle qui en est le commanditaire en titre.
Dès les origines, avec le Forum Social Mondial de Porto Alegre, la classe dominante est apparue comme le principal bailleur de fonds de l'altermondialisme. Ainsi, le journal Le Monde Diplomatique et l'association ATTAC, emblème de ce mouvement, s'étaient vu octroyer en janvier 2002 la somme de 80 000 euros par le ministère français des affaires étrangères afin de soutenir financièrement l'organisation du 2ème FSM au Brésil. De même, il y a quelques mois, au Larzac, le Conseil régional de Midi-Pyrénées s'était fendu d'une généreuse contribution de 50 000 euros. Pour le FSE de novembre à Paris, le moins que l'on puisse dire, c'est que la bourgeoisie française n'a pas lésinée sur les moyens. Matignon a arrosé le rendez-vous altermondialiste avec 500 000 euros. Les Conseils généraux de Seine-Saint-Denis, du Val de Marne et de l'Essonne ont quant à elles déboursées plus de 600 000 euros. Enfin, la Mairie de Paris a déposé sur la table 1 million d'euros et celle de Saint-Denis 570 000 euros. Tout cela sans compter l'énorme logistique fournie gracieusement : annexe de mairie, théâtre, bibliothèques, gymnase et même des locaux de préfecture ! "L'effort financier et logistique décidé par le Conseil de Paris, les maires d'arrondissement et les services de la Ville (mise à disposition d'un lieu pour l'organisation de cet événement, subvention pour l'aménagement du site de la Villette, ouvertures d'espaces de réunion et d'hébergement…illustre, je crois, une volonté à la hauteur des enjeux de ce rassemblement."(Bertrand Delanoë).
L'implication de la bourgeoisie au sein du mouvement altermondialiste est tellement criante que ce sont les maires des villes d'accueil, estampillés PCF, ou PS pour Paris, qui ont eu l'immense honneur de prononcer le 12 novembre les discours d'ouverture du FSE. Le ton était donné ! Pas de quoi s'étonner dès lors de l'importante présence des forces bourgeoises d'encadrement de la classe ouvrière que sont les syndicats ainsi que des partis de gauche et d'extrême gauche du capital dans ce FSE. Effectivement, de nombreux syndicats comme la CGT, FO, CFDT, CFTC, le G10Solidaires dont fait parti SUD, la FSU et bien d'autres, de l'allemand IGMetall à la CUT brésilienne, tous rompus au sabotage de la lutte de classe et aux techniques de mystification de la classe ouvrière, ont non seulement animé un grand nombre de débats mais se trouvaient être, pour certains d'entre eux, co-organisateur du Forum. C'est tout dire !
Idem pour les partis bourgeois hypocritement interdits de participation mais qui dans les faits étaient présents et sont intervenus massivement sous couvert d'associations, fondations ou organes de presse sous leur contrôle. Ainsi, le PS pouvait bénéficier du Mouvement des Jeunes Socialistes, de la Fédération nationale Léo Lagrange ou de la Fondation Jean Jaurès comme porte-parole. Le PCF, quant à lui, était présent dans les débats notamment par le biais de son journal L'Humanité et sa fondation Espace Karl Marx. La LCR avait aussi droit de cité dans le Forum via son hebdomadaire Rouge (devenu le temps du FSE quotidien distribué gratuitement) et ses Jeunesses Communistes Révolutionnaires.
Voilà quel est le vrai visage des animateurs et organisateurs de l'altermondialisme. Voilà ce qui se cache derrière le prétendu "renouveau" de la scène politique porteur d'alternative, toute la vieille quincaillerie bourgeoise des syndicats, de la social-démocratie en passant par le trotskisme et autres composantes du gauchisme.
Mais pourquoi la bourgeoisie accorde t-elle autant d'argent et déploie tant d'énergies pour animer un mouvement qui chante sur tout les tons qu'un autre monde (voire plusieurs) est possible et nécessaire puisque celui-ci ne tourne pas rond ? La bourgeoisie serait-elle tombée sur la tête ? Bien sûr que non ! Si elle a créé de toutes pièces le mouvement altermondialiste, le finance, l'organise et lui octroie une telle publicité à l'échelle planétaire, c'est parce que, derrière ses airs de "chamboule-tout", se cache une puissante arme de mystification contre la classe ouvrière.
La faillite du capitalisme est mise en lumière par le développement croissant de la barbarie guerrière dans les quatre coins du globe. Elle est aussi patente à travers l'aggravation de sa crise économique insoluble, dont découlent de violentes attaques contre le prolétariat. La récente remise en cause des retraites et du système de santé en France et en Allemagne en témoignent. Tout cela suscite inévitablement des interrogations quant à l'avenir que nous réserve le capitalisme. Pour la classe dominante, il est impératif de couper court à ce type de réflexion. C'est justement à cela que sert l'altermondialisme. De ce point de vue, la physionomie du FSE parle d'elle-même. Quatre villes différentes, un casse-tête pour se déplacer, des salles de "débats" dispersées d'un bout à l'autre de chaque villes façon labyrinthe. Bref, tout était prévu pour qu'il y ait le moins de rencontres, de discussions possible en dehors des "débats" officiels. "Débats" qui, soit dit en passant, étaient complètement verrouillés. En effet, les prises de parole étaient exclusivement réservées aux experts (philosophes, journalistes, syndicalistes…) se répartissant les rôles d'"orateurs" et de "modérateurs" pour reléguer le public au rang de simple spectateur juste bon à se faire bourrer le crâne.
"Un autre monde est possible"… "oui, mais lequel ?". C'est la critique commune et convenue faite à l'altermondialisme et que l'on retrouve un peu partout, des journaux aux plateaux télé. Et pour cause, elle permet aux papes du mouvement comme Bernard Cassen pour ATTAC et José Bové pour la Confédération paysanne, de venir expliquer et légitimer pourquoi l'altemondialisme ne se fonde sur aucune perspective précise. "On est en train d'y réfléchir" répondent ces messieurs, et c'est là le but des rendez-vous type FSE ; un gignatesque "brain-storming" pour définir les contours de cet "autre monde" ou encore plus évasif, "ces mondes possibles".
En fait, si l'altermondialisme reste dans le flou artistique le plus complet et s'en revendique, c'est précisément parce qu'il ne véhicule aucune alternative au capitalisme mais bien une véritable impasse pour la classe ouvrière.
"Contre la mondialisation libérale, il faut agir ICI et MAINTENANT pour une nouvelle logique économique et sociale !" tract du Mouvement Républicain et Citoyen. Voilà l'archétype du propos altermondialiste dont nous avons été abreuvé jusqu'à la lie durant le FSE. Si le monde va mal, braves gens, c'est la faute de ces fers de lance du "néo-libéralisme" que sont les méchantes multinationales sans scrupules et assoiffées de profits. Bref, un discours gauchiste dans toute sa splendeur qui consiste a crier haro sur les vilains patrons "qui organisent le système à leur profit" pour mieux blanchir le système capitaliste et semer l'illusion qu'il est inutile de le renverser puisqu'il suffit simplement d'échanger sa "logique libérale" contre une logique plus "humaine".
Mais c'est bien sûr ! Comment ne pas y avoir songé avant toutes ces crises et ces guerres qui ont ravagé et ravagent encore aujourd'hui l'espèce humaine ? Il est des fois où les mensonges éhontés de la bourgeoisie frisent le ridicule.
"Le processus de production capitaliste est déterminé par le profit. Pour chaque capitaliste la production n'a de sens et de but que si elle permet d'empocher tous les ans un "bénéfice net" …Mais la loi fondamentale de la production capitaliste à la différence de toute autre forme économique fondée sur l'exploitation n'est pas simplement la poursuite d'un profit tangible mais d'un profit toujours croissant." (Rosa Luxembourg, Critique des critiques).
"La croissance du capital apparaît comme le commencement et la fin, la fin en soi et le sens de toute la production…la production pour le profit devient la loi sur toute la terre et la sous consommation, l'insécurité de la consommation et par moments la non-consommation de l'énorme majorité de l'humanité deviennent la règle." (Rosa Luxembourg, Introduction à l'économie politique).
C'est cette loi d'airain, cette logique immuable, qui fonde la nature du capitalisme que cherche à escamoter l'altermondialisme pour asseoir son idéologie réformiste, à savoir l'illusion d'un capitalisme à visage humain.
La bourgeoisie a suffisamment d'expérience en matière de mystification pour savoir que c'est toujours dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures soupes. Et la soupe altermondialiste qu'elle sert au prolétariat, malgré une présentation en apparence nouvelle, n'en sent pas moins le réchauffé de cette bonne vieille marmite qu'est le réformisme.
Faire croire qu'une autre gestion du capitalisme, une gestion plus humaine, est possible, c'est ici la monumentale escroquerie portée par ce mouvement soi-disant "plein d'espoir". Un mouvement qui ne vise qu'une chose : empêcher la classe ouvrière d'en arriver à la conclusion que le capitalisme se trouve dans une situation de banqueroute historique irréversible. Un système incapable d'engendrer autre chose que misère et barbarie et ce depuis son entrée dans sa période de décadence au début du 20e siècle.
Un problème se pose tout de même pour la classe dominante : que faire de tous ceux qui ne se sentaient pas attiré ou qui n'ont pu être convenablement gavé par un FSE trop clairement réformiste ? Que faire de tous ceux qui sont restés dubitatifs devant cette vaste mascarade d'inspiration stalinienne où tous les "débats" étaient courus d'avance. Heureusement l'altermondialisme a pensé à tout, y compris à organiser son propre "contre-forum". A l'image du Forum Social Libertaire qui se déroulait à Saint-Ouen au même moment.
"Les libertaires proposent des revendications immédiates en rupture avec le capitalisme". Ils réclament non "une réforme de l'économie capitaliste mais son abolition", contrairement au FSE qui "ne remet pas au cause l'économie de marché" (site de présentation du FSL).
C'est donc avec un vocabulaire emprunté aux révolutionnaires que le FSL, animé par les organisations officielles de l'anarchisme (CNT, Alternative Libertaire, Fédération Anarchiste, OCL…), se présente et fait sa promotion. Mais très clairement, il ne s'agit là que d'une vitrine dont l'objectif est d'attirer les éléments plus perplexes, en recherche d'une perspective tranchante, pour finalement les ramener dans le giron réformiste de l'altermondialisme. Pour preuve, les thèmes débattus et les propositions de ce FSL "pour tenter de construire des alternatives" comme "l'accès pour tous à la culture", "l'éducation égalitaire pour tous" ou "une meilleure répartition des richesses" des thèmes identiques mot pour mot à ceux programmés par le FSE et relevant du réformisme le plus plat.
Tout ceci sans parler de l'idéologie autogestionnaire si chère à l'anarchisme et largement reprise par l'altermondialisme dans son ensemble avec la fameuse notion de "démocratie participative". Une idéologie dangereuse incitant les ouvriers à organiser dans les usines leur propre exploitation ou conduisant les populations à gérer directement la misère sans jamais pouvoir la résoudre comme à Porto Alegre.
Ce n'est pas un hasard si les libertaires ont rejoint le cortège de la manifestation altermondialiste du 15 novembre, s'ils ont animé via Alternative Libertaire un débat au sein du FSE sur "l'actualité de l'autogestion" ou si leur Forum à Saint-Ouen était prévu dans le cadre même du FSE. En effet, sur le site internet du FSE, dans la rubrique "Autour du FSE" se trouvent toutes les informations concernant le "contre forum anarchiste". L'anarchisme officiel est donc une composante à part entière de l'altermondialisme. Un maillon de la chaîne tenant un rôle clé, celui de rabatteur des éléments les plus critiques et les plus révoltés par la barbarie du monde capitaliste, vers le piège réformiste de l'altermondialisme.
"Un autre monde est possible…mais surtout pas le communisme". C'est ici le point de mire du mouvement altermondialiste : entraver la classe ouvrière dans son difficile effort de réappropriation de sa conscience de classe. Dans l'idéologie altermondialiste, pas question de classe ouvrière mais de "multitudes"…de citoyens évidemment. Pas question de lutte de classe mais de luttes citoyennes, toutes plus interclassistes les unes que les autres, allant de la lutte pour le droit des homosexuels, des femmes, jusqu'au combat pour "monde sans pesticides" ou pour protéger les animaux de laboratoire. Pas question de révolution prolétarienne mais d'amendement de la démocratie bourgeoise (c'est-à-dire la forme la plus avancée de la dictature de la bourgeoisie contre ceux qu'elle exploite).
Face à l'offensive altermondialiste contre le prolétariat visant à brouiller son identité et sa conscience de classe, les révolutionnaires ne peuvent rester les bras ballants. Ils ont pour responsabilité de réaffirmer que seule la société communiste constitue un avenir pour l'humanité, et seule la classe ouvrière est porteuse de ce nouveau monde. "Dans la mesure où l'abolition de l'exploitation se confond, pour l'essentiel, avec l'abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d'exploitation, c'est-à-dire le prolétariat, est en mesure de porter un projet révolutionnaire."…"Le projet communiste du prolétariat…est parfaitement réaliste, non seulement parce que le capitalisme a créé les prémisses d'une telle société, mais aussi parce qu'il est le seul projet qui puisse sortir l'humanité du marasme dans laquelle elle s'enfonce". (Revue Internationale n°73 [3])
C'est tout le sens de l'intervention du CCI contre le piège du FSE : vente de sa presse (en 6 langues) et la diffusion d'un tract sur les sites du FSE et lors de la manifestation du 15 novembre ; prises de parole dans les débats du FSL. Tout cela illustre la farouche volonté du CCI de défendre les positions marxistes et de démontrer en quoi l'altermondialisme (depuis ATTAC jusqu'au anarchistes du FSL) est un piège dirigé contre le prolétariat.
C'est seulement en étant capable de développer ses luttes sur son propre terrain revendicatif contre le système capitaliste que la classe ouvrière pourra tracer clairement la perspective qu'un seul autre monde est possible : le communisme.
Azel (26 novembre)
Au
moment de la chute du régime de Saddam Hussein au printemps
dernier, Bush déclarait : "Le monde est plus sûr
!". En réalité, le monde n'a jamais été
moins sûr. En témoigne la vivacité de la vague
actuelle de terrorisme qui s'est déchaînée dans
toute la région du Moyen et du Proche-Orient depuis la fin
officielle de la guerre en Irak. Quasiment pas une semaine ne se
passe sans qu'un attentat, voire plusieurs simultanément
(comme le quintuple attentat de Bagdad fin octobre ou les deux
doubles attentats d'Istanbul mi-novembre), ne viennent frapper
aveuglément. Les attaques au moyen de véhicules chargés
d'explosifs et conduits par des kamikazes fanatisés se
répètent, avec leurs cortèges d'horreurs. Visant
les intérêts américains autant que ceux d'autres
pays de la coalition, y inclus l'ONU et le CICR pourtant opposés
à l'intervention de Washington, ces attentats frappent tout
aussi aveuglément la population irakienne. Ils sont le
résultat d'une situation qui dégénère à
grande vitesse et qui encourage et favorise les actions terroristes
de toutes sortes de groupes : résistance des hommes de
l'ex-dictateur irakien, infiltration grandissante d'éléments
de la "mouvance" islamiste (Al-Qaïda, Jihad islamique,
Brigades d'Al-Aqsa, Hamas), provenant d'Iran, de Syrie, du Yémen,
d'Arabie Saoudite ou d'ailleurs.
Comme le dit Robert Baer, ancien
agent de la CIA chargé de l'infiltration dans divers groupes
terroristes, dont Al- Qaïda, la situation de chaos créée
en Irak est considérée par les terroristes comme une
"situation idéale de Jihad". D'autres facteurs y
contribuent : les Etats-Unis ont été incapables de
s'allier aussi bien la population sunnite, à nouveau bombardée
aujourd'hui, que la population chiite qui n'a pas vu dans l'Amérique
un "libérateur" ; les rivales européennes de
Washington, comme la France et l'Allemagne, sont prêtes à
profiter de tout ce qui peut gêner la politique américaine.
Ainsi, la boîte de Pandore ouverte par la
politique militaire des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak, et sans
cesse alimentée par les dissensions entre les grandes
puissances, continue à produire ses effets dévastateurs.
Le terrorisme ne se cantonne déjà plus au seul
territoire irakien et gagne les régions limitrophes. Les
attentats de la mi-novembre à Ryad en Arabie Saoudite puis à
Istanbul en Turquie contre deux synagogues puis contre le consulat et
une banque britanniques, quels qu'en soient les auteurs et leurs
buts, n'ont pour résultat que de créer un climat de
terreur qui va bien au-delà des seules zones où ils ont
été perpétrés. Ils ne peuvent en effet
dans un premier temps que pousser à une déstabilisation
plus grande que jamais de l'ensemble de cette région du monde
qui est une véritable poudrière. Les antagonismes
religieux, ethniques, raciaux ou nationaux, attisés ou créés
de toutes pièces par les grandes puissances depuis le 19e
siècle et surtout durant tout le 20e siècle, sont plus
que jamais prêts à exploser tous azimuts. Mais cet
"élargissement" des attentats en-dehors de la zone
de conflit en Irak vise également non seulement les Etats-Unis
et leurs alliés de la coalition mais les pays centraux dans
leur ensemble et remet avec brutalité sur le devant de la
scène le risque terroriste dans les grandes métropoles
industrielles, avec tous les ingrédients d'une violence
redoublée.
Illustration sans équivoque,
l'Organisation Maritime Internationale (OMI), organisme de l'ONU, est
convaincue que des attaques terroristes se servant de pétroliers
ou de cargos comme armes de destruction massive et visant les grands
ports vont avoir lieu, en particulier dans le Sud-Est asiatique.
Aussi, les titres des médias sont éloquents : "Guerre
sans fin contre le terrorisme", "Le front du terrorisme
s'étend", etc. Ils sont révélateurs de
l'inquiétude de la bourgeoisie des pays développés
devant la voie ouverte et annoncée par la "lutte contre
le terrorisme international" vers une plongée dans la
barbarie aggravée et dans le chaos le plus inextricable.
L'utilisation de l'arme terroriste n'est cependant
pas une nouveauté. Elle n'est d'ailleurs pas non plus
l'apanage de cliques religieuses incontrôlées. Elle fait
partie intégrante des moyens de la guerre entre Etats. Ce qui
est nouveau, c'est l'ampleur que ce phénomène a prise
ces dernières années et qu'il prend de façon
accélérée aujourd'hui. Ce sont les grands Etats,
et dans leur sillage les plus petits, qui ont multiplié les
rapports avec toutes sortes de groupes mafieux ou terroristes, ou les
deux à la fois, tant pour contrôler les trafics illégaux
que pour les utiliser comme moyens de pression contre les Etats
rivaux (voir Revue Internationale n°112 [6]). En atteste l'histoire
de l'ennemi public n°1, Ben Laden, qui a commencé sa
carrière de terroriste international comme agent de la CIA
dans la lutte des Etats-Unis contre l'URSS en Afghanistan dès
le début des années 1980.
Le développement du
terrorisme est ainsi une conséquence directe de la tendance
croissante à la violation de toutes les règles
minimales établies entre Etats. Comme nous l'écrivions
en 1990 dans la Revue Internationale n°62 dans nos "Thèses
sur la décomposition", la situation mondiale se
caractérise par "le développement du terrorisme,
des prises d'otage, comme moyens de la guerre entre Etats, au
détriment des lois que le capitalisme s'était données
par le passé pour réglementer les conflits entre
fractions de la classe dominante".
Les bourgeoisies
européennes rivales des Etats-Unis comme la France et
l'Allemagne se complaisent à épingler les erreurs
politico-stratégiques de la Maison Blanche, pour souligner
l'évidence actuelle de la politique guerrière à
outrance de Washington. C'est aussi un moyen pour elles de se
dédouaner des atrocités qu'elles ont à leur
actif au service de la défense de leurs propres intérêts
impérialistes (en Yougoslavie, au Rwanda pour la France en
particulier, etc.). Ainsi, si elles apparaissent moins "mouillées"
que les États-Unis dans le bourbier sanglant irakien, leur
part de responsabilité dans le chaos mondial ne saurait être
évacuée. Derrière tous leurs discours
hypocrites, elles sont à l'affût de difficultés
accrues des États-Unis pour concrétiser leurs
intentions de retrouver une influence dans la région et
accourir à la curée.
C'est justement pour ne pas
laisser prise aux pressions grandissantes de ces rivales que les
Etats-Unis ne peuvent se dégager du bourbier irakien. Faute
d'avoir pu lever des troupes suffisantes chez leurs alliés de
la coalition, ils sont contraints de "racler les fonds de
tiroir" afin de maintenir leur présence sur le terrain.
85 000 soldats et 43 000 réservistes vont donc recevoir leur
ordre de mission pour début 2004, dont une partie dans le
cadre de la rotation des troupes. Ce qui renvoie à une
échéance non encore définie la perspective
affichée par l'état-major américain de réduire
le contingent à 100 000 hommes 1 [7].
La
proposition d'établir un calendrier pour la constitution d'un
gouvernement irakien à l'horizon juillet 2004, qui n'est pas
plus crédible que la feuille de route israélo-palestinienne,
signifie que les États-Unis ne sont pas prêts de pouvoir
se retirer en ayant "accompli leur job". Elle s'inscrit
dans le cadre du projet délirant de Bush d'une "révolution
démocratique globale" dans les pays de la région,
l'instauration d'une démocratie en Irak en constituant la
première étape. Ce projet n'a aucune consistance, en
premier lieu parce que la "démocratisation" des
"tyrannies" visées par les Etats-Unis, comme
l'Arabie Saoudite, n'aurait pour résultat que de jeter plus
sûrement encore ces Etats dans le giron de l'islamisme radical
et anti-américain.
Pour maintenir leur leadership mondial,
les Etats-Unis n'ont d'autre issue que de s'engager dans des
offensives militaires toujours plus déstabilisatrices pour le
monde. Néanmoins, une telle escalade n'a pas été
à même d'empêcher les puissances rivales de
Washington de contester de façon chaque fois plus virulente la
domination américaine. La dernière offensive américaine
en date qui, à travers l'occupation de l'Irak, devait
constituer une étape de l'encerclement de l'Europe, est
clairement un échec. Et la position actuelle de faiblesse
relative qui en résulte pour les Etats-Unis n'est en rien
synonyme de stabilité mondiale, comme le démontre
clairement la situation actuelle.
Il s'agit en fait ici d'un
démenti à la propagande des impérialismes rivaux
des Etats-Unis selon laquelle la paix dans le monde aurait tout à
gagner d'un rééquilibrage mondial (bien sûr à
leur avantage). En fait, de paix dans le monde, il ne peut y avoir
tant qu'existeront des puissances impérialistes nécessairement
rivales, c'est-à-dire aussi longtemps qu'existera le
capitalisme.
Mulan (29 novembre)
1 [8] En l'occurrence, les dirigeants ont fait une erreur de calcul de taille : Eric Shinseki, chef d'état major de l'armée en février 2003, en pleins préparatifs de l'offensive en Irak, avait averti le Congrès, avant de démissionner, qu'il faudrait plusieurs centaines de milliers d'hommes pour organiser l'après-guerre en Irak. Ce que Wolfowitz avait récusé au prétexte qu'il était "difficile de concevoir (...) plus de troupes pour garantir la stabilité dans l'Irak post-Saddam qu'il n'en faudra pour mener la guerre elle-même".
C'est à grand renfort de publicité que l'ensemble des médias ont annoncé l'accord électoral survenu entre Lutte Ouvrière (LO) et la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) en novembre dernier. Afin de redonner du crédit au cirque électoral auprès des ouvriers, l'ensemble des médias bourgeois ont littéralement propulsé sur le devant de la scène l'alliance entre Arlette Laguiller et Olivier Besancenot comme ce que l'on fait de mieux en ce moment du point de vue de l'opposition aux attaques du gouvernement Raffarin. Ce "bloc anticapitaliste" nous dit-on, incarnerait la défiance vis-à-vis de la gauche officielle. Comme gage de la sincérité du couple trotskiste, la propagande insiste sur le fait que cette fois, contrairement aux élections passées il n'y aura pas de consigne de vote à gauche au second tour, sauf dans les cas où Le Pen serait en mesure de l'emporter. Comme le dit le député européen de la LCR, Krivine, "c'est à la gauche d'aller elle-même gagner ses voix. Nous ne serons plus ses ramasseurs de balles".
Face à une telle promotion (commerciale), quel crédit les ouvriers peuvent-ils accorder à ce produit électoral que constitue le tandem Laguiller-Besancenot. Autrement dit, LO et la LCR sont-elles des organisations révolutionnaires comme elles le prétendent ?
D'abord, lorsque les médias bourgeois font autant de publicité autour d'un événement, en l'occurrence pour promouvoir le vote trotskiste aux prochaines élections régionales et européennes, les ouvriers ne peuvent qu'exprimer d'emblée une certaine méfiance. Si LO et la LCR étaient réellement des organisations authentiquement révolutionnaires cherchant à détruire le capitalisme, comment expliquer que l'Etat bourgeois fasse autant de publicité à de tels "adversaires". Au-delà des paillettes médiatiques et des slogans enflammés, la nature de classe d'une organisation politique du prolétariat se juge sur sa défense de l'internationalisme prolétarien, sa filiation historique et sa pratique politique.
LO et la LCR comme la plupart des organisations trotskistes depuis la Seconde Guerre mondiale et jusqu'à l'effondrement du stalinisme à la fin des années 1980, ont toujours défendu de façon "critique" que les régimes staliniens du bloc de l'Est et en particulier la Russie n'étaient pas capitalistes et qu'ils représentaient quelque chose de progressiste pour le prolétariat. C'est au nom d'ailleurs de la soi-disant défense des "acquis" de la révolution d'Octobre que la plupart des groupes trotskistes dont les ancêtres de LO et de la LCR, trahiront l'internationalisme prolétarien pour participer à l'embrigadement des ouvriers dans la Deuxième Guerre mondiale, véritable boucherie qui a fait plus de 50 millions de victimes 1 [10]. En laissant planer un doute sur le fait que le stalinisme puisse avoir quelque chose de commun avec la révolution de 1917, le trotskisme a participé activement au plus grand mensonge du siècle visant à assimiler le stalinisme au communisme. Pour la Gauche communiste, c'est dès les années 1930 qu'elle affirmait sans ambiguïté qu'il ne subsistait plus en URSS le moindre acquis de la révolution d'Octobre et qu'elle dénonçait le stalinisme. Dans toute l'histoire humaine, le stalinisme constitue le phénomène certainement le plus tragique et haïssable qui ait jamais existé. Outre qu'il est responsable du massacre de dizaines de millions d'êtres humains, il a instauré pendant des décennies une terreur implacable sur près d'un tiers de l'humanité, mais aussi, et surtout, parce qu'il s'est illustré comme le pire ennemi de la révolution communiste, falsifiant la réalité en se prétendant être le continuateur de la révolution bolchevik de 1917 alors qu'il en est son fossoyeur 2 [11].
Avec l'effondrement du bloc stalinien sous les effets de la crise économique mondiale, LO n'a pas modifié son soutien critique au stalinisme, au contraire, elle persiste et renouvelle sa profession de foi. "Nous continuerons à défendre que l'Union Soviétique représentait une réalité sociale positive, même au temps de Staline ou après, car son développement industriel plus rapide qu'ailleurs (…) était dû à l'héritage de la révolution prolétarienne de 17" (Lutte de Classe n°50, novembre 1992). LO continue donc à défendre le capitalisme d'Etat stalinien. Quant à la LCR, dès l'effondrement du bloc de l'Est, elle avait effectué un virage à 180° dénonçant haut et fort "l'abomination stalinienne qui a détruit les conquêtes d'Octobre" alors que jusqu'en 1989 elle défendait bec et ongles que l'URSS était un "Etat ouvrier dégénéré". Depuis, la LCR n'a eu de cesse de gommer progressivement ses attributs staliniens. L'abandon par son dernier congrès de la dictature du prolétariat dans son programme, au grand dam de LO, n'est que l'aboutissement d'une démarche qui vise à attirer un public plus large dans ses rangs. Outre les déçus de tous les partis de gauche, la LCR a élargi son fonds de commerce au mouvement altermondialiste. Pour autant, la LCR n'a pas abondonné son soutien critique au stalinisme. Dans un article publié dans la rubrique débats de son site Internet intitulé "Alors, toujours trotskistes ?", la LCR perpétue le mythe de "l'Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré" en déclarant à propos de l'effondrement des partis staliniens dans les pays de l'Est que "Les révolutions démocratiques n'ont pas débouché sur la révolution politique, le retour des conseils ouvriers que nous pronostiquions, mais sur la restauration du capitalisme !" La LCR persiste et signe. En URSS, ce n'était pas du capitalisme d'Etat, mais quelque chose qui aurait à voir avec la lutte du prolétariat.
Et c'est la même attitude de soutien critique que LO et la LCR emploient vis-à-vis des partis de gauche du capital.
Depuis un certain nombre d'années, les trotskistes sont obligés de dénoncer et critiquer les différents gouvernements de la gauche plurielle, du fait de la méfiance croissante de la classe ouvrière à l'encontre de ces mêmes partis de gauche qui n'ont eu de cesse d'attaquer les conditions de vie du prolétariat. Ce radicalisme verbeux ne doit pas nous faire oublier que, par le passé, ils n'ont pas hésité à soutenir ouvertement cette gauche invoquant comme prétexte que la classe ouvrière avait encore des illusions sur celle-ci. Ainsi lors des élections présidentielles de 1974 et 1981, LO a appelé à voter Mitterrand au second tour, même si en 1981 c'était un appel "sans illusion mais sans réserve". En 1988, LO proposait une alliance électorale au PCF pour les législatives et en 1995, LO et le PCF faisaient des listes communes pour les municipales dans trois villes, dont Sochaux, grande cité ouvrière. La LCR de son côté a régulièrement frayé avec les partis de gauche, et systématiquement elle proposait la fusion de ses listes avec l'ensemble des partis de gauche au second tour, quelle que soit l'élection. C'est d'ailleurs ce que regrette ouvertement une tendance dans la LCR, qui s'est exprimée dans le sens de maintenir cette position lors de son dernier congrès. (cf. Rouge du 6 novembre).
Aujourd'hui, le discrédit des partis de gauche est tellement profond dans la classe ouvrière que les trotskistes n'ont pas d'autre choix de se démarquer de cette gauche s'ils veulent garder un certain crédit auprès des ouvriers. En même temps, ils continuent leur sale boulot anti-ouvrier en maintenant l'ambiguïté sur la nature de ces mêmes partis de gauche. Ainsi la LCR affirme qu'elle "n'a jamais tiré de trait d'égalité entre la gauche et la droite" ou mieux encore, Krivine se défend, suite à son alliance avec LO, de vouloir s'en prendre à l'ex-gauche plurielle. "Ce n'est pas Hollande notre adversaire, mais Raffarin et le baron Seillère" (Libération du 4 novembre). LO va même jusqu'à dire à propos de la gauche que dans l'opposition aujourd'hui "elle se garde bien de prendre des engagements vis-à-vis des travailleurs, ne serait-ce que celui de supprimer dés son retour éventuel au pouvoir toutes les mesures anti-ouvrières prises par le gouvernement Chirac-Raffarin" ( Lutte Ouvrière du 7 novembre). Mais de qui se moque t'on ? La gauche au gouvernement non seulement n'est jamais revenue sur les mesures prises par des gouvernements de droite, mais elle a pris des mesures similaires voire pire, conformément aux besoins du capital français.
En guise de "programme commun", les trotskistes ont repris les éléments de ce qu'ils ont appelé pour d'autres élections le "programme d'urgence pour les travailleurs" où les revendications essentielles sont "l'interdiction absolue des licenciements collectifs et la réquisition des entreprises qui licencient tout en faisant du profit, et surtout, le contrôle public de la collectivité sur la comptabilité des grandes entreprises, etc…". (Le Monde du 1er novembre) Ce qui est édifiant dans ce programme, c'est qu'il ressemble à ce que la gauche avait promis aux ouvriers dans les années 1970 (Mitterrand disait en 1981 qu'il fallait "opérer une rupture avec le capitalisme"). Le PCF ne disait pas autre chose quand il parlait de "faire payer les riches" où de s'attaquer aux "200 familles" qui gouvernent le pays. Selon nos trotskistes, en s'opposant à la logique capitaliste au sein du système, à travers des mesures visant à le rendre moins injuste, on ferait faire à la classe ouvrière des pas en avant vers l'instauration du socialisme. Tous les partis de gauche ont semé par le passé le même type d'illusions, poussant les ouvriers à lutter pour réformer le capitalisme. Des générations d'ouvriers se sont épuisés dans cette impasse et les trotskistes appellent à continuer dans cette logique. Faire croire que le chômage est le fait de la cupidité des patrons, c'est masquer à la classe ouvrière la situation réelle de la crise du capitalisme. S'il jette sur le pavé des millions de prolétaires, alors que c'est justement de l'exploitation de ceux-ci qu'il tire ses profits, c'est justement parce que la réalisation de tels profits est de plus en plus limitée du fait de la crise mondiale de surproduction. 3 [12] Contrairement aux mensonges que véhiculent LO et la LCR, le prolétariat ne peut conquérir de réformes et d'avantages durables dans le capitalisme. Sa capacité de résister aux attaques capitalistes, il ne peut la trouver que dans ses luttes de résistance, dans son unité croissante, dans le développement de sa conscience de la faillite du système qui entraîne l'humanité à sa perte.
Comme nous venons de le voir, les ouvriers n'ont rien à attendre du point de vue de la défense de leurs intérêts de l'alliance LO-LCR. La médiatisation de la candidature trotskiste s'inscrit pleinement dans le dispositif anti-ouvrier que la bourgeoisie française met en place pour les prochaines échéances électorales. Il s'agit de redonner un certain crédit à la campagne électorale, compte tenu de l'usure des programmes des partis de droite et de gauche et du fort taux d'abstention que suscitent les élections européennes. Par ailleurs, l'approfondissement de la crise économique et les attaques frontales contre la classe ouvrière (retraite, santé, chômage) ne peuvent que provoquer une réflexion en profondeur et donc une conscience croissante de la faillite du capitalisme parmi les ouvriers. Même si les syndicats ont démontré leurs capacités de pouvoir encadrer pour le moment la situation sociale, comme nous l'avons vu lors des grèves du printemps dernier, cela n'est pas suffisant. Pour empêcher et dévier cette prise de conscience naissante dans la classe ouvrière un réformisme "radical", la bourgeoisie a besoin de ses fractions d'extrême gauche. En effet le PCF s'enfonce dans une irrémédiable agonie depuis la chute du stalinisme et le PS malgré ses capacités gouvernementales, ne s'est pas remis de la défaite de Jospin et il est incapable pour le moment d'avoir un langage crédible en tant qu'opposition au gouvernement.
C'est la raison essentielle de cette candidature unie des trotskistes : venir au secours de la gauche. C'est ce que dit Krivine, "Aujourd'hui on est dans une situation où les attaques de la droite et du patronat sont sans précédent et où, en face, on a une gauche paralytique car plombée par son bilan. Il faut répondre à cela." ( Le Monde du 1er novembre) C'est clair, LO et la LCR viennent combler un vide idéologique du fait des difficultés de la gauche. Effectivement, les trotskistes ne sont pas que des "ramasseurs de balles" pour la gauche. L'Etat bourgeois ne s'y trompe pas et c'est pour cela qu'il n'hésite pas à confier les premiers rôles du prochain cirque électoral au tandem trotskiste. Compte tenu de leur verbiage pseudo-révolutionnaire et du fait qu'ils n'ont jamais participé à un gouvernement, l'alliance trotskiste est le cheval de Troie idéal pour répandre le poison réformiste dans la classe ouvrière alors que la faillite du capitalisme pose la nécessité de sa destruction.
Donald ( 27 novembre)
1 [13] Voir notre brochure "Le Trotskisme contre la classe ouvrière [14]"
2 [15] Voir notre Revue Internationale n°60 [16], consacrée à l'effondrement du bloc de l'Est et à la faillite définitive du stalinisme.
3 [17] Voir notre article "Seule l'abolition du salariat en finira avec les licenciements", RI n°314, juillet/août 2001
Dans le numéro 468 du Prolétaire (août-septembre 2003), organe de presse du Parti Communiste International (PCI), nous trouvons un article intitulé "Après les grèves du printemps, se préparer aux luttes futures" dans lequel cette organisation de la Gauche communiste se livre, au passage, à une attaque en règle contre le CCI. Dans la première partie de notre réponse au Prolétaire (publiée dans le précédent numéro de RI [21]), nous avions mis en évidence les zigzags opportunistes du PCI dans son analyse de la lutte de classe. La deuxième partie de notre réponse se propose de réfuter les "arguments" du PCI et de rétablir la vérité face aux calomnies déversées par le Prolétaire n°468 contre le CCI.
L'article du Prolétaire n°468, après avoir critiqué le rôle anti-ouvrier des "appareils syndicaux" et des trotskistes dans le mouvement de grève du printemps dernier, affirme en effet : "A une autre échelle, le mouvement a agi également de révélateur pour les positions d'un groupe qui s'affirme être un représentant de la 'Gauche communiste', le Courant Communiste International. Comme lors des grèves de 1995, le CCI a en substance réagi devant le mouvement de ce printemps par une condamnation : la lutte était perdue d'avance, elle allait laisser 'le goût amer de la défaite chez des dizaines de milliers de prolétaires', 'les grèves qui ont paralysé les transports en commun constituent un obstacle supplémentaires à l'extension du mouvement'; il ne manquait même pas à ce couplet le refrain sur les 'préjudices' que feraient subir aux enfants de la classe ouvrière un blocage des examens ! Le CCI verrait-il dans les examens la voie de l'émancipation sociale pour les enfants de la classe ouvrière ? Les militants du CCI ne se cachent pas (et se glorifient même) d'avoir été 'hués' en divers endroits lorsqu'ils ont appelé à la reprise du travail. Ils justifient leur refus d'appeler les travailleurs à prendre leur lutte en main (comme nous le faisions), au nom d'une savante analyse selon laquelle on aurait été en présence d'une manœuvre de la bourgeoisie pour infliger une sévère défaite aux prolétaires ; voilà pourquoi il était nécessaire selon eux d'avertir les prolétaires du piège et de les inviter à ne pas se lancer dans une longue lutte. Le caractère spécieux de ces arguments que nous sert à chaque fois le CCI pour condamner les luttes ouvrières saute aux yeux : la pire des défaites est la défaite sans combat."
Ces attaques contre le CCI ne sont pas nouvelles. En effet, déjà
lors du mouvement de décembre 1995, le PCI avait publié
dans le n°435 du Prolétaire un article intitulé
"Le CCI contre les grèves" dans lequel il
accusait notre organisation :
- d'être "l'émule
de Thorez", le dirigeant stalinien français, qui
déclarait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que "la
grève est l'arme des trusts" ;
- de s'exprimer comme
"n'importe quel jaune" ;
- d'être des
"proudhoniens modernes" et des "déserteurs
(souligné par Le Prolétaire) de la lutte
prolétarienne".
Dans les numéros 258 et 259 de
RI nous avions largement répondu à ces attaques.
De toute évidence, notre réponse n'a pas convaincu nos
détracteurs puisque aujourd'hui le PCI persiste et signe.
Comme nous l'avons démontré dans le précédent
numéro de RI, les zigzags du PCI concernant l'analyse du
mouvement de grèves du printemps dernier révèlent
qu'il est incapable d'avoir la moindre continuité dans son
analyse du rapport de forces entre les classes. La seule continuité
dont sait faire preuve le PCI, c'est celle des attaques calomnieuses
contre le CCI :
- le CCI aurait réagi par une
"condamnation" du mouvement du printemps dernier. Cette
affirmation purement mensongère n'est fondée sur aucune
citation de notre presse. N'importe quel lecteur un peu sérieux
pourra lui-même se rendre compte de la façon dont le CCI
a "condamné" le mouvement : "Face aux
attaques capitalistes, la lutte est nécessaire (…) Il est
clair aujourd'hui que la classe ouvrière n'a pas d'autre choix
que de lutter. Car si elle ne le fait pas, la bourgeoisie va
continuer à cogner toujours plus fort, sans retenue (…) Ce
n'est qu'en reprenant le chemin de la lutte que le classe ouvrière
pourra retrouver son identité en tant que classe, reprendre
confiance en elle-même, développer sur le terrain son
unité et sa solidarité (…) Malgré la défaite
qu'elle vient de subir, malgré le fait que cette lutte n'a pas
fait reculer le gouvernement (en particulier sur la question des
retraites), la classe ouvrière ne doit pas céder à
la démoralisation. Elle doit résister à l'idée
que la bourgeoisie veut lui mettre dans la tête : 'lutter ne
sert à rien'." (Tract diffusé par le CCI en
juin 2003 et publié dans RI n°337).
- le CCI aurait,
selon le PCI, refusé "d'appeler les travailleurs à
prendre leur lutte en main". Là encore sur quelle
citation de notre presse le PCI s'est-il appuyé pour asseoir
une telle affirmation ? Aucune ! Voilà en réalité
comment nous avions défendu concrètement (contrairement
au PCI qui s'est révélé incapable de faire la
moindre proposition concrète) la nécessité pour
la classe ouvrière de prendre ses luttes en main :
"Aujourd'hui, elle [la classe ouvrière] vient de perdre
une bataille, mais elle n'a pas perdu la guerre (…) Pour être
plus forts demain, développer un combat massif et uni, il
faudra :
- mettre en avant des revendications communes à
toute la classe ouvrière et ne pas se focaliser sur une
attaque spécifique à tel ou tel secteur ;
- étendre
immédiatement la lutte dès le début en envoyant
des délégations massives aux entreprises les plus
proches ;
- défendre la souveraineté des assemblées
générales qui doivent être des lieux où
les ouvriers doivent se regrouper massivement, des lieux de
discussion ouverts aux ouvriers de tous les secteurs ;
- déjouer
les syndicats visant à contrôler les assemblées
générales pour saboter la lutte et toute véritable
tentative d'extension.
Ce n'est que dans et par la lutte que la
classe ouvrière pourra prendre conscience de sa force,
retrouver confiance en elle-même. C'est en se confrontant aux
manoeuvres de sabotage des syndicats et des gauchistes, dans la lutte
elle-même, que les ouvriers prendront conscience qu'ils ne
peuvent compter que sur eux-mêmes." (Tract du CCI, publié
dans RI n°337).
"Les militants du CCI ne se cachent pas (et se glorifient
même) d'avoir été hués lorsqu'ils ont
appelé à la reprise du travail". Pour remettre
les pendules à l'heure, nous tenons à rappeler au PCI
que nos militants, n'ont pas seulement été hués
lorsqu'ils ont "appelé à la reprise du travail".
Au début du mouvement, ils ont été hués
parce qu'ils ont dénoncé au sein des assemblées
générales les manœuvres des syndicats et ont défendu
la nécessité d'étendre la lutte aux autres
secteurs ouvriers. Pour le vérifier, nos lecteurs peuvent se
reporter au bilan de notre intervention publié dans RI n°337.
Ils pourront y lire les deux passages suivants dans lesquels nous
relatons les circonstances dans lesquelles nous avons été
"hués" :
"Dès le 13 mai, dans une
AG départementale regroupant près de 500 grévistes
à Lyon et dirigée par l'intersyndicale FSU, FO, SUD,
CNT, nos camarades ont pu intervenir à deux reprises malgré
l'agressivité de l'intersyndicale qui présidait l'AG
(et notamment un ponte local de la LCR, représentant de la
FSU, qui a tenté de leur couper la parole par des altercations
du style : "Abrège. Commence d'abord par mettre ton école
en grève !"). Malgré le tir de barrage des
syndicats pour tenter de nous faire taire, un autre camarade
travaillant dans le secteur hospitalier est venu dans cette AG des
enseignants et a insisté sur la nécessité
impérative de traverser la rue pour aller chercher les autres
secteurs ouvriers qui subissent la même attaque sur les
retraites." (…)
"Dans d'autres AG
départementales, comme par exemple celle du 21 mai à
Nantes, nos camarades se sont directement affrontés aux
syndicats en affirmant haut et fort "L'unité de la lutte
ne passe pas par l'unité des syndicats !". Ils ont été
copieusement sifflés tout a long de leur
intervention".
D'autre part, nos camarades ont
effectivement été "hués" par les
syndicats et les gauchistes lorsqu'ils ont appelé à la
reprise du travail dès lors qu'il est apparu clairement que
les forces d'encadrement capitalistes avaient réussi leurs
manoeuvres visant à isoler les travailleurs de l'Éducation
nationale. Si nos militants les ont alors appelés à
cesser la grève, c'est justement parce que les manoeuvres
syndicales avaient entraîné celle-ci dans une impasse.
Poursuivre la grève, avec le blocage des examens, ne pouvait
conduire qu'à épuiser la combativité des
travailleurs en lutte, les conduire à une cinglante défaite
et à la démoralisation.
Voilà en réalité
les vraies raisons pour lesquelles nos militants ont été
"hués" par les syndicats et leurs appendices
trotskistes. Si les militants du PCI ne sont pas d'accord avec nos
interventions dans les AG, s'ils estiment que les syndicats avaient
raison de nous "huer" et de nous traiter de "jaunes",
qu'ils le disent franchement au lieu de raconter n'importe quoi dans
le seul but de nous calomnier (et de masquer leur propre opportunisme
vis-à-vis des syndicats !). Pour notre part, nous avons plus
d'une fois été dénoncés par la CGT comme
des "jaunes" et des "briseurs de grève" à
chaque fois que nos camarades prenaient la parole pour dénoncer
ses manœuvres de sabotage. Ce type d'insultes de la part des
défenseurs de l'ordre bourgeois n'est pas pour nous
surprendre. Mais il est lamentable et scandaleux que le PCI reprenne
à son compte les mêmes propos. Avant de nous faire des
leçons de morale, il serait préférable que les
militants du PCI assument leurs responsabilités face à
la classe ouvrière en disant ouvertement et publiquement
quelle était leur propre orientation dans la lutte face au
"barrage des bonzes syndicaux". Nous ne pouvons que
regretter que nos détracteurs n'aient pas fait entendre leur
voix dans la lutte elle-même, et notamment dans les AG. Comme
dit le proverbe "la critique est aisée mais l'art est
difficile" et "quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a
la rage".
Et pour boucler sa belle démonstration de
la "condamnation" du mouvement par le CCI, le PCI nous
adresse cette dernière tirade : "voilà pourquoi il
était nécessaire selon eux [les militants du CCI]
d'avertir les prolétaires du piège et de les inviter à
ne pas se lancer dans une longue lutte".
Décidément,
le PCI n'a pas fini de nous surprendre. Voilà ce qu'il
affirmait dans le numéro précédent du
Prolétaire, lorsqu'il dénonçait à juste
raison les manœuvres de sabotage syndicales : "ne pas avertir
les prolétaires, mais leur dire l'inverse, c'est tout
simplement se rendre complice de l'action anti-ouvrière du
collaborationnisme politique et syndical". Le virage à
180 degré que le Prolétaire a été obligé
d'opérer d'un numéro sur l'autre, avec pour objectif
d'attaquer le CCI en faisant flèche de tout bois, ne pouvait
que le conduire à dévoiler une fois encore
l'inconsistance de sa pensée. En tout état de cause, si
la véritable position du Prolétaire est celle de son
article du n°468, alors il est clair que le PCI se rend lui-même
"complice de l'action anti-ouvrière du collaborationnisme
politique et syndical" puisqu'il estime que nous n'avions pas à
avertir les ouvriers des pièges qui leur étaient
tendus. Le PCI nous reproche encore d'inviter les prolétaires
à "ne pas se lancer dans une longue lutte". Il est
clair que le PCI apporte aujourd'hui, de façon implicite, son
soutien à cette manœuvre syndicale que la CGT a toujours
promue : épuiser la combativité des ouvriers dans des
luttes longues et isolées. Visiblement le PCI a oublié
ce qu'il écrivait dans un tract diffusé dans les
manifestations du 16 décembre 1995 : "Et si FO et la CGT
se démènent bruyamment, c'est afin que la détermination
des grévistes s'épuise peu à peu dans une grève
interminable au lieu de se concentrer dans un affrontement généralisé
avec la bourgeoisie et son État." (souligné par
nous).
Et pour justifier une fois de plus son accord avec les méthodes
de lutte "radicale" des syndicats, le PCI affirme encore
que le CCI verrait "dans les examens la voie de
l'émancipation sociale pour les enfants de la classe ouvrière"
!
Là encore, le PCI falsifie ce que nous disons. Voici ce
qui est écrit dans le passage de notre article évoqué
par Le Prolétaire : "L'approche de la période
des examens est utilisée comme nouveau facteur de division du
mouvement : alors que les deux principaux syndicats dans l'éducation
nationale s'opposent résolument à tout boycott des
examens de fin d'année et à tout blocage des salles
d'examen, les éléments les plus combatifs sont poussés
au contraire par les syndicalistes les plus radicaux et par les
gauchistes à multiplier des actions-commandos de ce type. De
telles actions ne peuvent évidemment contribuer qu'à
isoler ces éléments combatifs et à les
discréditer en même temps aux yeux de l'ensemble de la
classe ouvrière dont les enfants sont exposés à
subir directement les préjudices du blocage des examens."
(RI n° 336)
Contrairement à ce que laisse
entendre Le Prolétaire, nous ne suggérons nullement que
les examens seraient "la voie de l'émancipation sociale
pour les enfants de la classe ouvrière". La seule
émancipation sociale pour la classe ouvrière et pour
ses enfants passe par le renversement du capitalisme ; et c'est ce
que les révolutionnaires doivent rappeler en permanence. Cela
dit, avec l'aggravation de la crise du capitalisme, chaque prolétaire
sait très bien que ses enfants seront de plus en plus menacés
par le chômage. Les études et les diplômes ne sont
pas considérés par les ouvriers comme le moyen d'une
"émancipation" ou même d'une "promotion"
sociale pour leurs enfants mais tout simplement comme le moyen de
leur éviter une misère noire et l'exclusion. Et une
telle préoccupation concerne y compris les ouvriers qui
pensent nécessaire la révolution communiste. Le royal
mépris avec lequel Le Prolétaire traite cette
préoccupation des familles ouvrières ne fait
qu'exprimer le point de vue anarchiste petit bourgeois qui est le
sien.
L'imbécillité de cet "argument" révèle au moins une chose : le PCI est d'accord avec les actions minoritaires et jusqu'au-boutistes des syndicats visant à rendre la grève impopulaire. Le blocage des examens, comme tout autre "action commando" (tels les barrages sur les routes ou le blocage des voies de chemin de fer qui ont la faveur de la CGT). C'est une conception de la lutte propre au "radicalisme" des anarchistes pour lesquels une petite minorité jusqu'au-boutiste peut par ce type d'action s'opposer au capitalisme. Là aussi, le point de vue du PCI rejoint celui des anarchistes.
Le lecteur pourra juger par lui-même du manque de sérieux
de ce groupe révolutionnaire qui se permet encore de faire au
CCI un cours de marxisme en nous rappelant (merci pour la leçon
!) que "la pire des défaites est la défaite sans
combat" (Le Prolétaire n°468). Que le PCI nous
permette de lui renvoyer l'ascenseur en lui rappelant ce que le
mouvement ouvrier nous a enseigné : la pire attitude que
puisse adopter un groupe révolutionnaire est justement celle
qui consiste à entraîner les ouvriers derrière
les méthodes de lutte des syndicats, à les embarquer
dans des aventures qui peuvent leur être fatales, accentuant
leur démoralisation et faisant le jeu de la bourgeoisie. Et
surtout, la pire faute que puissent commettre les militants
communistes, c'est de présenter les défaites de la
classe ouvrière comme des victoires (comme l'a fait le PCI
lors du mouvement de décembre 1995). C'est justement cette
démarche que la Gauche communiste (dont le PCI se réclame)
avait dénoncée en mettant en évidence qu'un des
principaux moyens avec lesquels la bourgeoisie avait infligé
au prolétariat la plus terrible contre-révolution de
son histoire a été justement de lui présenter
comme des "victoires" ses plus grandes défaites : la
"construction du socialisme en URSS" (c'est-à-dire
la victoire de la contre-révolution stalinienne), les "Fronts
populaires" des années 1930 (la "victoire de la
démocratie contre le fascisme" lors de la Seconde Guerre
mondiale).
Nous réaffirmons ici, n'en déplaise au
PCI, que la lutte longue et isolée des travailleurs de
l'Éducation nationale au printemps dernier s'est soldée
par une défaite. C'est grâce à cette défaite
cuisante pour toute la classe ouvrière que le gouvernement
Raffarin a pu non seulement faire passer son attaque contre les
retraites comme une lettre à la poste, mais s'est encore
permis d'en porter d'autres dès la rentrée de
septembre.
Lors du mouvement de décembre 1995, le PCI nous avait
traités de "jaunes", de "briseurs de grèves"
etc. sur la base d'une analyse du mouvement qu'aujourd'hui il rejette
(si l'on en croit ce qu'il écrit dans le n°468 du
Prolétaire) pour adopter une analyse proche de celle du
CCI (à moins qu'il ait encore changé sa position depuis
lors !). Avant de continuer à déverser ses calomnies
sur notre organisation, ce serait la moindre des choses :
- que le
PCI ait l'honnêteté d'admettre qu'il a commis une erreur
d'analyse lors du mouvement de décembre 1995 dans son article
du Prolétaire n°435 ;
- qu'il retire les
insultes déversées contre le CCI dans son article
intitulé "Le CCI contre les grèves"
(Le Prolétaire n°435) puisque les accusations qu'il avait
portées à l'époque contre notre organisation
n'ont aujourd'hui plus de raison d'être.
La méthode
avec laquelle le PCI mène la polémique avec le CCI, la
démarche qui l'anime (et qui est un pur produit de son
sectarisme), ce n'est pas celle d'un débat en vue de la
clarification sérieuse et argumentée des divergences
afin de dégager les orientations les plus claires pour le
combat de la classe ouvrière. Sa principale préoccupation,
c'est d'abord et avant tout de dénigrer le CCI en faisant
usage de la falsification, du mensonge et de la diffamation. Et pour
atteindre cet objectif, le PCI n'est pas à une contradiction
près. Peu lui importe la cohérence et la continuité
de son analyse de la lutte de classe. Ce qui lui importe c'est la
continuité dans son entreprise de dénigrement du CCI.
Nous tenons ici à rappeler que le mouvement ouvrier a toujours
banni de ses débats la calomnie, le mensonge et la
diffamation. Ce que Marx, Engels, Lénine, Rosa Luxemburg nous
ont enseigné, c'est que la polémique au sein du
mouvement ouvrier, aussi cinglante puisse-t-elle être, doit
toujours s'attacher à réfuter de façon
scientifique et avec des arguments sérieux les positions
erronées. La calomnie en guise d'arguments est une méthode
propre au milieu parasitaire dont la seule raison d'être est de
discréditer les organisations révolutionnaires. Que le
PCI s'approprie de plus en plus cette méthode du parasitisme
n'est pas pour nous surprendre. Il n'est pas inutile de rappeler à
nos lecteurs que cette organisation de la Gauche communiste n'a eu
aucun scrupule à flirter avec des éléments
parasites regroupés sous le nom pompeux de "Fraction
Interne du CCI" (voir notre article "Le PCI à la
remorque de la 'Fraction Interne du CCI'" dans RI n°328 )
Pour défendre sa petite boutique contre le CCI, tout est bon à
prendre pour le PCI (y compris la complaisance avec des voleurs et
des mouchards !) au mépris de tout principe. Voilà ou
mènent l'opportunisme et le sectarisme : à s'acoquiner
avec n'importe quel petit groupe de voyous qui vient lui lécher
les bottes pour l'entraîner dans un "front unique"
anti-CCI.
Encore une fois, nous ne pouvons que mettre en garde le
PCI contre cette dangereuse dérive.
GL
Dans le précédent
numéro de RI [23], nous avons commencé à répondre
à un lecteur affichant ses sympathies envers l'anarchisme en
montrant l'incohérence des anarchistes quant à leurs méthodes
dans les luttes ouvrières et leur absence de boussole.
Dans cette seconde partie, nous nous attacherons essentiellement à
démentir l'assertion totalement fausse de notre lecteur selon
laquelle " la CNT espagnole a mené le plus loin le mouvement
d'auto-émancipation humaine jamais réalisé au 20e
siècle en 1936-39 ".
D'emblée, l'affirmation " d'un mouvement d'auto-émancipation
humaine " en Espagne dans la période 1936-39 laisse
perplexe. Que veut dire notre lecteur à travers cette expression
lapidaire utilisée à l'emporte-pièce ? Veut-il
évoquer toute la période que les anarchistes (entre autres
!) appellent plus simplement celle de " la révolution espagnole
" ? Fait-il allusion à la capacité de mobilisation
du prolétariat sur un terrain révolutionnaire ? A une
transformation significative de la société capitaliste
? A des pas vers la destruction de l'Etat bourgeois ? Fait-il l'apologie
des expériences concrètes d'autogestion ? Nous ne le savons
pas.
La seule chose que nous pouvons affirmer, en revanche, c'est que, du
point de vue des révolutionnaires, l'émancipation humaine,
c'est l'abolition du salariat et la fin des rapports d'exploitation
capitalistes, la réalisation d'une société sans
classes. Nous savons que cette transformation révolutionnaire
de la société peut seulement passer par une révolution
mondiale accomplie par l'union d'une classe spécifique, le prolétariat.
Nous devons alors considérer la situation de 1936-39 en Espagne
et le rôle de la CNT selon certains critères. Le rapport
de force est-il favorable au prolétariat ? A-t-il exercé
un pouvoir politique ? A-t-il fait un pas vers l'abolition des rapports
capitalistes d'exploitation et la destruction de l'Etat bourgeois ?
A-t-il été capable d'arrêter la guerre comme l'avait
fait la révolution en Russie en 1917 ? Et bien entendu, la CNT
qui, selon notre lecteur, aurait été l'avant-garde de
" ce mouvement " et " l'aurait mené le plus loin
possible " a-t-elle joué un rôle révolutionnaire
? A chacune de ces questions, la réponse est NON. Pourquoi ?
Il est en effet impossible d'évoquer la situation en Espagne
sans rappeler brièvement quel était le contexte global
de la période et de la situation pour la classe ouvrière
au niveau international.
Ces événements se situent en pleine période contre-révolutionnaire,
notamment illustrée par l'émergence du fascisme en Italie,
du nazisme en Allemagne, du stalinisme en URSS, sur les décombres
de la vague révolutionnaire de 1917-23. Les révolutionnaires
sont systématiquement pourchassés, emprisonnés,
torturés, exilés, massacrés partout. Et partout,
toutes les bourgeoisies nationales préparent activement la guerre
mondiale, idéologiquement à travers la fausse alternative
fascisme ou démocratie, matériellement à travers
le développement intensif d'une économie de guerre menée
sous la houlette de l'Etat capitaliste.
Ce qui s'est joué en Espagne, ce n'est pas le sort de la révolution
mondiale du prolétariat comme semble le croire notre lecteur.
Ce qui s'y est déroulé, c'est le basculement du monde
dans la barbarie de la Deuxième Guerre mondiale. C'est une féroce
bataille entre deux camps bourgeois dans lequel le prolétariat
va se faire tragiquement happer.
L'Espagne restait dans les années 1930 un Etat capitaliste d'Europe
occidentale parmi les plus arriérés, héritant des
structures féodales des siècles précédents,
largement dominé par l'agriculture. Le prolétariat du
pays est alors très concentré, combatif, mais totalement
inexpérimenté, encore fortement marqué par ses
origines petites-bourgeoises, paysannes ou artisanales. Ce qui explique
l'attrait pour la révolte individualiste et, de ce fait, le poids
particulier de l'anarchisme et de l'anarcho-syndicalisme en son sein.
Dès le début des années 1930, la CNT représente
un syndicat majoritaire, notamment en Catalogne et elle exerce également
une grande influence en Aragon. La CNT apparaît d'autant plus
comme la principale force syndicale oppositionnelle crédible
que le syndicat socialiste, l'UGT, est discrédité par
sa collaboration active avec le gouvernement dictatorial de Primo de
Rivera installé au pouvoir depuis 1923. Cela dit, dès
1930, la CNT s'associe à son tour, aux côtés de
l'UGT, au " pacte de San Sebastian " qui jette préventivement
les bases d'une " alternative républicaine " au pouvoir
monarchiste pour la bourgeoisie espagnole. Suite à une montée
de mouvements sociaux et surtout à un raz-de-marée en
faveur des partis de gauche aux élections municipales, le roi
Alphonse XIII prend la fuite en avril 1931. La république est
proclamée. D'emblée, les élections qui suivent
portent au pouvoir une coalition de " centre gauche ", socialo-républicaine.
Le nouveau gouvernement ne tarde pas à donner la véritable
mesure de sa nature antiouvrière. La répression s'abat
violemment sur les mouvements de grève qui surgissent face à
la montée rapide du chômage et des prix, faisant des centaines
de morts et de blessés parmi les ouvriers, notamment en janvier
1933 à Casas Viejas en Andalousie. Au cours de cette répression,
le " socialiste " Azana ordonne à la troupe : "
Ni blessés, ni prisonniers ! Tirez au ventre ! "
Cette répression sanglante des luttes ouvrières, effectuée
au nom de la défense de la démocratie, va durer deux années,
discrédite rapidement la coalition gouvernementale et va permettre
aux forces de droite de s'organiser. Une fraction du Parti Socialiste
va tenter, de son côté, de se recrédibiliser en
opérant un tournant à gauche. En avril-mai 1934, les grèves
ouvrières reprennent de l'ampleur. Les métallurgistes
à Barcelone, les cheminots et surtout les ouvriers du bâtiment
à Madrid, engagent des luttes très dures. Face à
ces luttes, la gauche et l'extrême gauche comme dans les autres
pays européens se servent de l'idéologie antifasciste
pour entraîner les ouvriers hors de leur terrain de classe dans
une politique de " front uni de tous les démocrates ".
Quelle est l'attitude de la CNT ? Non contente de participer à
cette entreprise, visant à faire abandonner aux ouvriers leur
terrain de classe et à les entraîner derrière leur
bourgeoisie, elle y joue un rôle de premier plan. Toute sa propagande
est axée sur " l'antifacisme ". Le prolétariat
est alors pris dans un piège : d'un côté, ses luttes
sont dévoyées par la propagande antifasciste qui affaiblit
la résistance ouvrière et pousse massivement les ouvriers
vers le terrain électoral et la perspective d'un " programme
de front populaire pour faire face au péril fasciste ".
D'un autre côté, les bataillons les plus combatifs de la
classe ouvrière sont poussés à s'affronter isolément
et de façon suicidaire directement à l'appareil d'Etat.
En octobre 1934, les ouvriers des Asturies, poussés par toutes
les forces de gauche, tombent dans ce piège qui va les saigner
à blanc. Leur insurrection puis leur résistance dans les
zones minières et dans la ceinture industrielle d'Oviedo et de
Gijon est totalement isolée par les manoeuvres du PSOE et de
l'UGT qui ont empêché par tous les moyens que la lutte
ne s'étende au reste de l'Espagne. Pendant ce temps le gouvernement
déploie l'armée avec 30 000 hommes, ses chars et ses avions
pour écraser impitoyablement les ouvriers, ouvrant une nouvelle
période de répression sanglante dans le pays. Le 15 janvier
1935, l'alliance électorale du Frente Popular est signée
par l'ensemble des organisations de gauche ainsi que par les gauchistes
trotskisants du POUM. Les dirigeants anarchistes de la CNT et de la
FAI dérogent à leurs " principes anti-électoraux
" et manifestent leur soutien à cette entreprise en s'abstenant
de toute critique envers cette élection. En février 1936
le premier gouvernement de Front Populaire est élu. Alors qu'une
nouvelle vague de grèves se développe, le gouvernement
et le parti stalinien lancent des appels pour la reprise du travail,
disant que les grèves sont des actes de sabotage et font le jeu
du fascisme.
La mobilisation idéologique massive des ouvriers derrière
l'antifascisme, hors de leur terrain de classe, est en marche.
La bourgeoisie peut passer à une deuxième phase, l'embrigadement
direct derrière un camp capitaliste contre un autre, en défense
de la république du Front Populaire, la plongée du prolétariat
dans l'enfer des massacres de la guerre impérialiste.
Suffisamment assurées de leur succès, les forces militaires
se lancent dans un " pronunciamiento " parti du Maroc. Elles
sont commandées par un Franco qui a fait ses premières
armes de général en dirigeant la répression antiouvrière
de 1934 dans les Asturies, sous les ordres de Largo Caballero qui va
devenir la principale " figure " de la république du
Front Populaire. La riposte ouvrière est immédiate : le
19 juillet 1936, les ouvriers se mettent en grève contre le soulèvement
de Franco et se rendent massivement dans les casernes pour désarmer
cette tentative, sans se préoccuper des directives contraires
du Front Populaire et du gouvernement républicain. Ils endiguent
l'action franquiste, notamment à Barcelone et dans plusieurs
villes de Catalogne. Mais, dans la majorité des cas où
les ouvriers suivent les consignes d'attente du gouvernement, ils se
font massacrer dans un horrible bain de sang, comme notamment à
Séville. Les forces de gauche du capital déploient alors
pleinement leurs manoeuvres d'embrigadement. En 24 heures, le gouvernement
central qui négociait avec les troupes franquistes et organisait
avec elles le massacre des ouvriers cède la place à un
gouvernement plus à gauche et plus antifasciste qui prend la
tête du soulèvement ouvrier pour l'orienter exclusivement
sur un terrain militaire et vers l'affrontement avec Franco.
La CNT qui n'avait cessé de pousser les ouvriers à choisir
le camp de la république contre celui de Franco va donner un
nouveau coup de main au gouvernement de Front Populaire en poussant
les ouvriers dans des " expériences d'autogestion "
qui ne sont mises en oeuvre qu'après le soulèvement des
troupes franquistes et le départ précipité de nombreux
patrons d'usine et de propriétaires terriens effrayés
par la perspective de guerre civile. A quoi aura servi la fameuse "
expérience autogestionnaire " dont les anarchistes continuent
à se revendiquer et dont ils tirent autant de fierté ?
Elle aura contribué à enfermer les prolétaires
chacun dans leur coin, dans " leur " usine, " leur "
entreprise, " leur " campagne ou " leur " village
en paralysant toute réaction unitaire de la classe ouvrière,
absorbant et stérilisant ses énergies. Elle aura aussi
bloqué tout développement d'une réflexion politique
sur la situation générale et semé dans les consciences
les pires illusions sur le rapport de forces entre les classes qui se
jouait à un niveau global. Cette " autogestion " va
se propager rapidement. Plus de 70% de la production industrielle et
commerciale sera " collectivisée " à des degrés
divers en Catalogne, souvent pendant près de 14 mois, notamment
l'industrie du bois, le textile, la métallurgie mais aussi les
services et les transports publics. La CNT se retrouve aussi à
la pointe de la collectivisation des terres et encourage activement
la formation de communes ou de communautés agraires, notamment
en Aragon.
A travers l'antifascisme, la CNT et la FAI prennent alors une part décisive
et prépondérante pour rabattre les ouvriers dans les bras
du Front Populaire. Cette caution abrite les menées de l'Etat
capitaliste républicain qui profite de la confiance que font
les ouvriers aux leaders anarchistes. CNT et FAI embrigadent les ouvriers
à travers des organismes comme le Comité Central des Milices
Antifascistes et le Conseil Central de l'Economie qui créent
l'illusion d'un " pouvoir ouvrier ". Les ouvriers vont ainsi
se livrer définitivement aux mains de leurs bourreaux. Dès
lors, des centaines de milliers d'ouvriers sont directement enrôlés
dans les milices antifascistes des anarchistes et des poumistes et sont
envoyés se faire tuer sur le front impérialiste "
antifranquiste " par le gouvernement du Front Populaire. Dans ce
but, la CNT et la FAI sont appelés à participer au gouvernement
régional de Catalogne (la Generalidad), là où les
ouvriers paraissaient concentrer le plus de force. Elles acceptent sans
rechigner la main tendue par Companys et les postes de ministres proposés
(notamment les plus stratégiques, la défense et l'économie),
ce qui va permettre au gouvernement de récupérer les armes
dont s'étaient emparées les ouvriers tandis que la collectivisation
de la production va s'étendre par décrets, directement
assurée par " l'Etat catalan ". Fort de cette expérience,
le gouvernement central va à son tour appeler les anarchistes
au pouvoir. La CNT et la FAI y répondront tout aussi favorablement
avec le même empressement. Avec le même succès pour
les manoeuvres de la bourgeoisie. Les anarchistes ont tenu un rôle
de premier plan pour le compte de la bourgeoisie et dans sa manoeuvre
pour tromper les prolétaires sur la nature de classe du gouvernement
de Front Populaire et de son Etat : " Tant sur le plan des principes
que par conviction, la CNT a toujours été anti-étatiste
et ennemie de toute forme de gouvernement. Mais les circonstances ont
changé la nature du gouvernement espagnol et de l'Etat. Aujourd'hui,
le gouvernement en tant qu'instrument de contrôle des organes
de l'Etat a cessé d'être une force d'oppression contre
le classe ouvrière, de même que l'Etat ne représente
plus un organisme qui divise la société en classes. L'un
et l'autre opprimeront moins le peuple maintenant que des membres de
la CNT y sont intervenus " (Federica Montseny, 4 novembre 1936).
Dès ce moment, la bourgeoisie peut tendre un nouveau piège
idéologique dont les ministres et la plupart des leaders anarchistes
vont se faire les plus ardents apôtres et les représentants
les plus crédibles : faire croire aux ouvriers que l'Etat est
réduit en miettes, qu'il n'existe plus, que tout le pouvoir est
passé aux mains des ouvriers et des paysans.
La CNT, intégrée dans les rouages de l'appareil d'Etat,
donne la pleine mesure de ses services. Elle est très active
dans toutes les entreprises " collectivisées " pour
orienter toute la production vers le front impérialiste : l'armement,
le textile, la métallurgie, destinés à équiper
les milices ouvrières qu'elle envoie en grand nombre se faire
tuer contre l'armée franquiste. Les syndicalistes de la CNT jouent
un rôle éminent dans la militarisation de la production
: par exemple, à Hispano-Suiza, " les ateliers de cette
entreprise sont parmi ceux qui travaillent avec le plus d'intensité
et dans les branches les plus diverses pour le ravitaillement des Milices
ouvrières. Les organisations syndicales procédèrent,
dès les premiers moments de la saisie de l'usine, à l'organisation
des travaux sous la direction intégrale des organismes créés
par le prolétariat, afin d'adapter la fabrication aux nécessités
imposées par la guerre civile. Jamais une modification des services
n'aura été aussi complète et aussi rapide en vue
de transformer une production de paix en production de guerre. Les travaux
qui sortent de tous les établissements de l'industrie métallurgique
pour le service de la guerre, étant soumis au contrôle
du Comité des Milices, celui-ci fonctionne sous la forme d'un
délégué direct spécialement nommé
à cet effet. Le camarade qui remplit ces fonctions si complexes
est un des membres les plus en vue du Syndicat Unique de la Métallurgie
(CNT). Il a ses bureaux installés à l'intérieur
de l'usine Hispano-Suiza." (A. Souchy, Collectivisations : L'Oeuvre
constructive de la révolution espagnole 1936-39, cité
par C. Semprun-Maura, Révolution et contre-révolution
en Catalogne, pp. 106/107).
Après avoir abandonné ainsi son terrain de classe et s'être
vus imposer une féroce surexploitation au nom de l'économie
de guerre antifasciste par le Front Populaire : réduction des
salaires, inflation, rationnement, réquisitions, allongement
de la journée de travail, militarisation du travail, le prolétariat
devait subir la répression comme les massacres sur le front.
Les sanglants massacres en Aragon, à Oviedo, à Madrid
sont aussi le résultat de cette manoeuvre criminelle qui entoure
la tragédie des journées de mai 1937 à Barcelone
par le gouvernement de Front Populaire, troupes du PCE et de sa succursale
catalane du PSUC en tête, tandis que les hordes franquistes arrêtaient
volontairement leur avance pour permettre aux bourreaux staliniens d'écraser
les ouvriers. Là encore, ce sont l'appareil de la CNT et les
leaders anarchistes au gouvernement, tels que Federica Montseny et Garcia
Oliver qui vont, dès le début, appeler les ouvriers insurgés
à rendre leurs armes alors même que nombre de prolétaires
envoyés au front manifestaient leur intention de revenir leur
prêter main-forte.
Dans cette sanglante tragédie, la CNT, la FAI le POUM, en poussant
les ouvriers à quitter leur terrain de classe au nom du "
front antifasciste " les ont jetés pieds et poings liés
dans les bras de leurs assassins et au coeur de la mêlée
impérialiste. La présence de ministres anarchistes dans
le gouvernement de Catalogne puis dans le gouvernement central de Caballero
a représenté un puissant facteur dans la mystification
des ouvriers par le Front Populaire.
Tous les organismes dirigeants de la CNT déclarèrent une
guerre féroce contre les éléments des rares courants
qui, même dans une terrible confusion, luttaient pour défendre
un point de vue de classe, en les envoyant sur les positions les plus
exposées du front ou en les faisant emprisonner par la police
des " forces républicaines ".
La guerre d'Espagne n'était pas une révolution, mais bien
la guerre entre deux camps bourgeois, première étape de
la Seconde Guerre mondiale entre deux blocs impérialistes qui
étaient encore en voie de constitution.
Ce n'est certainement pas à l'avant-garde de " l'émancipation
de l'humanité " que s'est trouvée la CNT, mais au
contraire elle s'est illustrée par son rôle clairement
contre-révolutionnaire complémentaire à celui des
sociaux-démocrates et des staliniens.
La guerre d'Espagne avec ses répercussions idéologiques
immenses sur le prolétariat européen aura constitué
la première étape de la seconde boucherie impérialiste
mondiale. Elle se prolongea jusqu'en 1939, s'achevant par la victoire
de Franco, au moment où les autres fractions du prolétariat
mondial, servaient à leur tour de chair à canon dans l'affrontement
impérialiste généralisé derrière
leur bourgeoisie nationale respective.
Le plus haut moment d'émancipation révolutionnaire de
l'humanité du 20e siècle, c'est dans la révolution
prolétarienne en Russie de 1917 que notre lecteur doit aller
la chercher s'il veut se dégager de l'absence de repères
de l'anarchisme qui a conduit le prolétariat vers les pires défaites
et les pires massacres. C'est là que le prolétariat a
vécu ses plus riches expériences historiques à
travers le pouvoir des conseils ouvriers, qu'il a été
capable d'arrêter la barbarie guerrière et d'engendrer
une vague révolutionnaire au niveau mondial qui, même si
elle a été vaincue, a fait trembler la bourgeoisie et
a su ébranler le monde capitaliste.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decadence
[2] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[3] https://fr.internationalism.org/rinte73/proletariat.htm
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/forums-sociaux
[5] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anti-globalisation
[6] https://fr.internationalism.org/french/rint/112_edito.html
[7] https://fr.internationalism.org/ri341/terror.html#sdfootnote1sym
[8] https://fr.internationalism.org/ri341/terror.html#sdfootnote1anc
[9] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/terrorisme
[10] https://fr.internationalism.org/ri341/lolcr.html#sdfootnote1sym
[11] https://fr.internationalism.org/ri341/lolcr.html#sdfootnote2sym
[12] https://fr.internationalism.org/ri341/lolcr.html#sdfootnote3sym
[13] https://fr.internationalism.org/ri341/lolcr.html#sdfootnote1anc
[14] https://fr.internationalism.org/brochures/trotskysme
[15] https://fr.internationalism.org/ri341/lolcr.html#sdfootnote2anc
[16] https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-60-1e-trimestre-1990
[17] https://fr.internationalism.org/ri341/lolcr.html#sdfootnote3anc
[18] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[19] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[20] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/mystification-parlementaire
[21] https://fr.internationalism.org/ri340/pci.html
[22] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme
[23] https://fr.internationalism.org/ri340/courrier.html
[24] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/espagne-1936
[25] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anarchisme-officiel
[26] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/espagne-1936