Alors que l'humanité a développé ses forces productives qui, bien employées", permettraient d'éliminer en quelques années toute pénurie de moyens de subsistance (alimentation, santé, logement, communication, éducation, etc..) et ce sur toute la surface de la terre, ces forces, cette potentialité productive se voient aujourd'hui de plus en plus paralysées, détruites par les mécanismes et les contradictions internes aux rapports de production capitalistes.
De plus en plus, le monde manque de tout, plongé dans une crise de surproduction capitaliste.
A la fin de 1982, le nombre de chômeurs dans les principaux pays industrialisés bat tous les records depuis la seconde guerre. Qui plus est, la croissance du chômage s'accélère: près d'un demi million de chômeurs de plus en un seul mois aux USA.
Même record et même accélération pour le nombre d'entreprises en faillite et de pays en banqueroute financière. Les famines se multiplient et s'étendent dans les zones sous-développées du monde.
Dans les pays de l'Est le rationnement alimentaire prend les allures des pires années de la dernière guerre alors qu'au coeur de la première puissance mondiale, à Détroit, les queues de chômeurs sans ressources s'allongent devant les soupes populaires.
Pendant ce temps, les usines ferment, ou tournent en employant une part toujours moindre de leur capacité productive (moins de 70% aux USA, l'industrie de l'acier en Europe est immobilisée à 50%!); des excédents agricoles sont détruits et le cours des matières premières, alimentaires ou industrielles, s'effondre par manque d'acheteurs.
Quant aux perspectives, les gouvernements ont abandonné la rhétorique des "nous voyons déjà le bout du tunnel" pour celle des "nous devons nous préparer à des années de rigueur, d'austérité et de sacrifices".
La réalité devient de plus en plus évidente: ce ne sont pas des raisons "NATURELLES" (manque d'énergie ou de matières premières) qui bloquent les forces productives: les marchands internationaux ne savent plus quoi faire des stocks de pétrole ou de lait invendus. Ce n'est pas non plus le manque de force de travail (éduquée ou non): le chômage touche aussi bien les ouvriers analphabètes que les porteurs de diplômes universitaires.
Ce n'est pas un manque d’innovation technique: les secteurs les plus avancés de 1’industrie moderne (électronique, informatique), longtemps épargnés par la crise, sont frappés à leur tour de plein fouet (la "Silicon Valley" californienne, haut lieu mondial de l'électronique de pointe, connaît pour la première fois l'épidémie du chômage). Ce n'est pas enfin, un manque de "bonnes politiques de gestion capitaliste". Toutes les politiques économiques font faillite: les politiques à la Reagan qui annonçaient la relance par la rigueur et l'équilibre budgétaire, n'ont obtenu ni relance ni équilibre: aux USA la production recule et le déficit de l'Etat est un des plus élevés de l'histoire du pays. Les politiques à la Mitterrand qui au contraire annonçaient la reprise par l'augmentation de la consommation populaire et du déficit de l'Etat, ont bien réussi à creuser le déficit public, mais la croissance industrielle en France continue de s'effriter tout comme le niveau de vie des travailleurs. Quant au capitalisme d'Etat des pays de l'Est, il étouffe dans l'hypertrophie de la production d'armements.
A chaque convulsion de la crise une réalité apparaît de plus en plus crûment : c'est dans le système social mondial de production lui-même que se trouve la source de l'étranglement des forces productives.
Une fois de plus, depuis plus d'un demi siècle, l'humanité est en train de vivre l'impitoyable démonstration pratique de la caducité historique des lois de production capitalistes.
Qu'elles le veuillent ou non, les classes exploitées, sont confrontées aux questions que leur pose un horizon de plus en plus chargé de nuages sombres.
Y aura-t-il de nouveau une période de relative "reprise économique" comme ce fut le cas après les convulsions de 1967, de 1970, ou de 1974-75? Une solution de type véritablement communiste est-elle autre chose qu'un joli rêve?
Y-AURA-T-IL UNE REPRISE ECONOMIQUE A COURT OU MOYEN TERME?
Voyons d'abord ce qu'en disent les experts des organismes économiques internationaux occidentaux. Le Financial Times du I7/11/82 rendait compte des conclusions de la réunion du comité d'Economie Politique de l'OCDE au sujet des prévisions pour l'année 83, dans les termes suivants: "Le secrétariat de l'organisation doute désormais que les prévisions qu'il avait faites auparavant d'une augmentation de la production de 2,5% en 83 puissent être atteintes, étant donnée la stagnation en 82. On s'attend à ce qu'il n'y ait pas de croissance en Europe 1'année prochaine, et que 1 'économie Japonaise continue à ralentir, en partie à cause des accords sur la limitation des exportations. L'OCDE est moins optimiste que Washington quant à une reprise économique solide aux Etats-Unis."
Pour le proche avenir, ceux qui théoriquement ont pour tâche d'assurer le bon fonctionnement de l'économie capitaliste, ne voient aucune relance possible. Tout au plus, certains d'entre eux envisagent aux USA, et seulement là, un ralentissement momentané de la dégradation de la situation économique, le temps des élections présidentielles... mais, à juger par l'évolution actuelle, même cette mièvre perspective semble irréaliste.
A moyen et à long terme, certains de ces "savants" de la bourgeoisie décadente, parlent bien d'une éventuelle reprise économique. Mais ils ne savent ni quand, ni comment, ni par quoi ou par qui une telle relance pourrait être amorcée.
Ce manque de perspective traduite le désarroi de la bourgeoisie devant l’inefficacité croissante de toutes ses politiques économiques, mais aussi devant l’accumulation de difficultés que ces mêmes politiques ont à leur tour engendré.
Comme nous l'écrivions au début de 1980: "... non seulement les remèdes que les états administrent a la crise depuis des années font de moins en moins d'effet, mais en outre, l'abus du recours à ces remèdes a fini par empoisonner le malade. "(Revue Internationale N°20, "Années 80 : l'accélération de la crise").
L'insolvabilité financière des gouvernements du Mexique, de l'Argentine, de la Pologne et du Zaïre, ne constitue pas un problème "localisé" dans les zones moins industrialisées. Elle sanctionne la faillite de la politique du capital international fondée sur l'endettement généralisé.
Les médias parlent beaucoup de l'endettement des pays moins développés. Mais les 500 milliards de dollars auxquels est évalué aujourd'hui l'ensemble de l'endettement de ces pays paraît dérisoire lorsqu'on le compare à l'endettement des économies des pays les plus puissants... et en premier lieu à celui des USA. Dans la première métropole industrielle du monde l'endettement global de l'économie a été entre i960 et 1980, multiplié par 5,4! Entre 1970 et 1980 la dette des pouvoirs publics américains est passée de 450 milliards de dollars à 1069 milliards et celle du secteur privé de 975 à 2840 milliards!
Aujourd'hui, de plus en plus de dettes viennent à échéance, mais les débiteurs n'ont pas plus les moyens réels de payer qu'au moment où ils ont commencé à s'endetter massivement. Dans ces conditions aucun gouvernement n'ose plus parler de relance véritable. L'insuffisance, le handicap congénital du capitalisme c'est son incapacité à créer par lui même ; des débouchés en mesure d'absorber, d'acheter toute la production qu'il est potentiellement capable de réaliser. Contrairement au féodalisme et à l'esclavagisme antique, lorsque le système capitaliste devient historiquement incapable d'assurer à la société ses moyens matériels de subsistance, ce n'est pas par manque de moyens de production (il en a "trop" à ce moment-là) mais par manque de marchés solvables.
Le capitalisme décadent, dont la pénurie de marchés l'a entraîné à deux reprises à des guerres mondiales, qui soumet l'ensemble de la vie sociale, et entre autres la recherche scientifique la plus avancée, aux impératifs militaires que lui impose "la protection des marchés" des uns contre les autres5 ce système sénile et barbare donc, a cru pouvoir trouver dans le crédit un palliatif à ce manque de débouchés devenu chronique. Et cela surtout depuis la fin des années 60, fin de la reconstruction d'après-guerre.
Mais le développement du crédit ne peut faciliter le fonctionnement de l'économie que s'il s'accompagne entre temps d'une augmentation correspondante des moyens de paiement effectif de ceux qui s'endettent. Autrement il ne sert qu'à masquer les problèmes de fond, qu'à retarder les échéances tout en les aggravant. Or, ce à quoi on a assisté pendant ces années, c'est à une croissance de plus en plus accélérée du crédit alors que la croissance de la production réelle n'a cessé dans le même temps "5e" se ralentir jusqu'à" reculer.
A travers le crédit, le capitalisme est parvenu à retarder l'explosion violente de ses contradictions, mais il n'a fait que cela : a retarder.
Pour y parvenir il a dû payer très cher. Il lui a fallu détruire les fondements d'un de ses instruments les plus vitaux: le système monétaire international.
C'est ainsi que le capitalisme a créé méticuleusement dans les dernières années les conditions d'une tourmente économique qui concentrera en elle simultanément les traits de l'effondrement de 1929 et ceux du marasme des années 20 en Allemagne, lorsque pour acheter un timbre-poste il fallait une brouette de papier-monnaie.
Fin 82, la crainte d'un effondrement financier déclenché par le nombre croissant de débiteurs insolvables fait courir un vent de panique dans le monde des finances. Quelle solution?
L'accélération de la fuite en avant : augmenter la masse de la monnaie du FMI, les DTS (on parle de b0% de plus!).
Pour empêcher l'explosion d'un krach financier sanctionnant l'impossibilité du capital de pallier au manque de débouchés solvables par le crédit, par l'excès de papier, celui-ci n'a d'autre issue que de créer plus de papier.
Pour les capitalistes, le problème est de moins en moins: "comment assurer une relance" pour devenir "comment empêcher un effondrement incontrôlé".
Finies les illusions de ceux qui croyaient au caractère purement "monétaire"de la crise ou à la thèse de la"restructuration". C'est au coeur même des rapports de production, dans la façon même dont les différentes classes de la société sont en rapport pour produire que se trouve le noyau de la crise.
Pour les ouvriers, le capital n'a qu'une perspective à offrir: le chômage, la misère, 1'exclusion de la société civile. De moins en moins capable de gouverner par la puissance de son économie, le capital gouverne et gouvernera de plus en plus par la force et la terreur. C'est le langage de la "rigueur", de 1'"austérité", du chantage au chômage, des sacrifices imposés.
La misère cependant n'ouvre aucune porte vers la reprise économique: au contraire, elle rétrécit encore plus les faibles marchés existants. Mais chaque capital national y est contraint par la concurrence internationale.
Lentement mais inexorablement, l'effondrement du capital prépare de gigantesques affrontements de classes. De 1'issue de ces batailles qui verront s'affronter capital et prolétariat mondial, dépend l'avenir de l'humanité.
Si la bourgeoisie parvenait un jour à briser violemment la résistance prolétarienne et à embrigader les prolétaires dans une nouvelle folie guerrière, c'est le sort même de l'espèce humaine qui se trouverait mis en question.
Mais si les ouvriers du monde entier parviennent à engager une lutte internationale pour la défense intransigeante de leurs intérêts de classe ils ouvriront la porte à la seule issue possible pour l'humanité: le communisme.
LE COMMUNISME N'EST PAS UNE UTOPIE MAIS LA SEULE ISSUE REALISTE.
Parce que le mal se trouve à la racine du système, c'est à la racine qu'il faut l'extirper.
Les institutions capitalistes, le capital, le salariat, l'échange, la marchandise, les nations sont devenus des absurdités vivantes eu égard aux capacités et aux nécessités de l'humanité.
Les fondements de ces lois datent de la fin du Moyen-âge. A cette époque, un serf pouvait à peine nourrir par son travail et celui de toute sa famille un individu membre de la noblesse. Aujourd'hui un agriculteur salarié américain peut nourrir 80 personnes. Cependant, tout comme pour les ouvriers de la Renaissance, son revenu n'est déterminé ni en fonction de ses besoins ni en fonctions des possibilités productives de la société, mais par la valeur sur le marché de sa force de travail comme marchandise. En outre, tout comme à l'époque des marchands de Venise, le capital n'a jamais produit et ne produira jamais qu'en fonction des besoins de sa propre accumulation.
Lorsque cette accumulation, pour des raisons marchandes devient impossible, la production capitaliste s'effondre, quelles que soient les forces productives dont la société dispose, quels que soient les besoins des hommes.
L'humanité ne pourra faire l'économie d'une révolution sociale mondiale, violente, bouleversant de fond en comble l'organisation de la société.
Il lui faudra faire tourner les usines en fonction exclusivement des besoins humains, il faut pouvoir distribuer la production en fonction des nécessités et des possibilités des hommes, et donc éliminer l'échange et le salariat. Il lui faut unifier consciemment la production mondiale. Bref, il lui faut construire le communisme.
La crise, qui n'en est qu'à ses débuts, se chargera de démontrer par les dévastations de ses effets que ce qui peut sembler encore aujourd'hui un rêve utopique, constitue en réalité la seule issue possible pour échapper à l'apocalypse nucléaire.
La crise économique .mondiale met chaque jour plus le prolétariat international devant ses responsabilités historiques: ou briser les chaînes du vieux monde ou périr avec lui.
OU EN EST LA CRISE ?
La production industrielle au niveau de 1973
Pour la quatrième fois depuis le début de la crise à la fin des années 60, la capital connaît une nouvelle chute de la croissance industrielle qui comme par le passé devrait être plus profonde que les précédentes.
Depuis 1979 la production industrielle a globalement reculé dans les principaux pays occidentaux. Fin 1982 elle est tombée au niveau de 1973 dans la plupart d'entre eux, soit le niveau d'il y a dix ans. Le Japon est à son tour frappé : la croissance s'y ralenti de plus en plus et sa chute ne sera que plus violente, comme en 1974-75.
Le chômage s'accélère
Le nombre de chômeurs et 1a proportion de ceux-ci dans la population active sont les plus élevés depuis la guerre. Mais la croissance du chômage, loin de se ralentir, s'accélère depuis 1980 à des rythmes sans précédents
"La bourgeoisie ... ne peut régner, car elle ne peut plus assurer 1'existence de 1'esclave à 1'intérieur de son esclavage : elle est forcée de le laisser déchoir si bas qu'elle doit le nourrir au lieu d'être nourrie par lui. La société ne peut plus vivre sous la bourgeoisie; c'est à dire que 1'existence de la bourgeoisie et 1'existence de la société sont devenues incompatibles ".
MARX et ENGELS, Le manifeste du parti communiste.
La crise est devant nous
Les taux de chômage sont généralement encore loin de ceux atteints pendant la dépression économique des années 30. Il ne faut pas y voir une "consolation" mais une illustration de jusqu'où peut aller le capitalisme en crise, si le prolétariat international n'a pas la force d'imposer sa propre issue révolutionnaire.
L'explosion de l'endettement
La fuite en avant par le crédit apparaît clairement dans l'évolution de l'endettement des pays moins développés (celui-ci a presque quintuplé en dix ans).
Il ne constitue cependant qu'une petite partie de l'endettement global du capital mondial.
La baisse des matières premières
La crise de SURPRODUCTION se traduit par une chute de la demande et des prix des matières premières, surtout depuis 1981. Pour les pays moins développés, producteurs essentiellement de matières premières, c'est la certitude de nouvelles banqueroutes. Pour le système financier international c'est le danger d'effondrements en chaîne.
La baisse du prix du pétrole au moment où la crise s'aggrave, ruine le mythe de "la crise du pétrole".
Le ralentissement du commerce mondial
La croissance du commerce mondial, tout comme celle de la production, n'ont cessé de se ralentir depuis 1977.
En 1982, lai croissance des échanges internationaux recule de façon absolue et plus rapidement que celle du volume de la production, ce qui traduit et annonce une tendance au développement du protectionnisme.
Sources : Rapport annuel du GATT,1981/82 ; Newsweek,; OCDE, Principaux Indicateurs Economiques
Depuis la fin des années 60, la classe ouvrière, en engageant la lutte internationalement (1968 en France, 1969 en Italie, 1970 en Pologne, 1975-76 en Espagne, etc.) a mis un terme à cinquante ans de contre-révolution. La grève de masse en Pologne en 1980-81 a marqué jusqu'à présent le point le plus haut d'une nouvelle reprise qui mène à des affrontements de classe décisifs qui décideront du sort de 1'humanité : révolution ou guerre.
La bourgeoisie à 1'échelle internationale reconnaît le danger mortel pour son système contenu dans la combativité ouvrière. Par dessus les frontières nationales et même celle des blocs impérialistes, la classe capitaliste collabore pour faire face au danger de la grève de masse. Le prolétariat n'aura pas devant lui une bourgeoisie surprise et déconcertée comme dans la première vague de lutte de 1968, il affrontera une bourgeoisie avertie, préparée à utiliser au maximum ses capacités de mystification, de dévoiement et de répression. Le processus d'unification internationale de la classe ouvrière dans sa lutte pour la destruction du capitalisme s'annonce comme un processus long et difficile.
C'est à cette réalité que les minorités révolutionnaires qui participent du processus d'unité et de prise de conscience de la classe ouvrière se trouvent confrontées. Loin d'être à la hauteur des exigences de la période actuelle, les organisations révolutionnaires sont extrêmement minoritaires et se débattent dans une confusion politique et une dispersion organisationnelle profondes.
Depuis plus d'un an, les faiblesses n'ont fait que s'accentuer dans des disparitions de groupe et des scissions. Ce phénomène culmine aujourd'hui avec la crise qui secoue le Parti Communiste International (Programme Communiste). Après une vague d'exclusions et de nombreux départs, c'est une majorité de 1'organisation qui va rejoindre les positions les plus chauvines et nationalistes de la bourgeoisie, en prenant position pour un camp dans la guerre impérialiste au Moyen-Orient. Cette organisation paye le prix de sa sclérose politique et organisationnelle.
Son incapacité à tirer un bilan critique de la vague révolutionnaire des années 1917-23 et de la contre-révolution qui 1'a suivie, des positions de 1'Internationale Communiste et des fractions de gauche qui s'en sont dégagées, - en particulier sur la question nationale et syndicale et sur la question de 1'organisation des révolutionnaires et du parti -, son incapacité à comprendre les enjeux de la période actuelle, l'ont mené tout droit à 1'opportunisme et à 1'activisme, jusqu'à la dislocation de 1'organisation.
C'est une responsabilité de 1'ensemble des organisations révolutionnaires de tirer les leçons de cette crise qui exprime la faiblesse générale du mouvement révolutionnaire aujourd'hui, et de contribuer activement à ce que la décantation nécessaire et inévitable ne se transforme en dispersion des énergies révolutionnaires. L'histoire ne pardonne pas, et si les organisations révolutionnaires aujourd'hui ne sont pas capables de répondre aux exigences de la situation, elles seront balayées sans recours, affaiblissant la classe ouvrière dans sa tâche de défense des perspectives du communisme au cours de ses combats.
"Une crise qui est pour nous très grave et dont les répercussions sur toute notre organisation seront probablement décisives, vient d'éclater dans le Parti" (Le Prolétaire n°367, Il Programma Comunista n°20, "Mieux vaut moins mais mieux"). Les articles de la presse nous informent de départs en cascade :
En France ;
- la scission de ceux qui Se regroupent autour d'El Oumami, autrefois organe du PCI pour l'Algérie, aujourd'hui devenu l’"organe des communistes léninistes algériens", pour défendre des positions nationalistes bourgeoises dans le plus pur style tiers-mondiste ;
- le départ de la majorité des membres à Paris et d'autres un peu partout en France "parmi les quels ceux qui avaient des responsabilités de di rection", apparemment sur des positions proches d'El Oumami, avec pour certains le projet de sortir une revue, Octobre.
"En Italie, la crise a secoué toutes les sections du fait même de sa précipitation, mais à la liquidation n 'ont adhéré que quelques camarades de Turin et - nous ne savons pas encore combien - quelques camarades de Florence" (Il Programma Communista 29-10-82).
En Allemagne, la disparition de la section et de la publication Proletarier.
La presse du PCI, en donnant ces nouvelles, ne parle pas :
- de l'expulsion l'an dernier des sections du sud de la France dont Marseille, par la même direction qui est partie actuellement en France, et des sections en Italie, dont Ivrea. Il semblerait que les expulsés mettaient en question toute la politique consistant à mettre en place une panoplie de "comités" ("comité contre les licenciements", "comité anti-répression", comités dans l'armée, féministes, de squatters, etc.), ayant tous pour objectif de mieux "implanter" le Parti au sein des "luttes sociales".
- des départs d'autres éléments ensuite, pour protester contre ces expulsions, et des démissions individuelles pour des raisons non encore claires.
- de la disparition du "secteur Amérique Latine".
Ce sont des pans entiers du PCI qui se sont volatilisés en quelques mois sans aucune clarté réelle. Pourquoi cette crise ? Pourquoi maintenant ?
Les événements de la période de montée des luttes de classe aujourd'hui commencent à dissiper le brouillard de l'idéologie bourgeoise dans la tête des ouvriers. De même, ils mettent à l'épreuve les positions politiques des minorités révolutionnaires en balayant les débris des groupes gangrenés par l'idéologie bourgeoise, en secouant, plus, disloquant des groupes ambigus et inutiles.
Dans ce sens, la crise du PCI est la manifestation la plus spectaculaire des convulsions du milieu révolutionnaire aujourd'hui. Il y a un an, quand nous avons parlé des convulsions, des scissions, des régressions politiques dans le milieu révolutionnaire (Revue Internationale n°28) face aux "années de vérité", tout le milieu politique a fait la sourde oreille. Aujourd'hui, peut-être ces messieurs vont-ils se réveiller ! Le milieu révolutionnaire (y inclus le PCI) n'a pas voulu créer un cadre de Conférences internationales, permettant la décantation des positions politiques dans la clarté ; aujourd'hui, il subit la décantation par la "force des choses", avec tous les risques de perte des énergies militantes que cela comporte. Même si aujourd'hui, il est clair que la réalité sanctionne les insuffisances programmatiques du PCI, il est de la responsabilité des révolutionnaires de tirer le bilan qui s'impose impérieusement pour éviter de répéter les mêmes erreurs à 1'infini.
On ne peut ignorer que pendant longtemps le PCI a été un pôle de référence dans plusieurs pays pour des éléments qui cherchaient la voie des positions de classe. Mais en se basant sur un programme politique inadéquat et erroné, sur une structure interne de secte, le PCI s'est sclérosé au fil des années. Sa régression politique s'est révélée à l'épreuve des événements : devant le massacre au Liban, le PCI a appelé les prolétaires au Moyen-Orient à lutter "jusqu'à la dernière goutte de sang" pour défendre la cause palestinienne à Beyrouth. Quelques mois après, 1'organisation éclate.
La crise ne s'explique pas comme semblent le croire aussi bien les scissionnistes que le PCI "maintenu" par des erreurs "de la direction" ou par des erreurs "tactiques". Ce sont des erreurs programmatiques, à la base même de la constitution du PCI qui se payent aujourd'hui. Le "retour à Lénine" pour appuyer la "glorieuse lutte de libération nationale" que préconisent les scissionnistes, pour couvrir tout simplement leur démarche maoïsante est toute proche de la position du PCI. Si le PCI ne tient qu'à un fil aujourd'hui, cette manière d'expliquer la crise en termes d'"erreurs de direction" et de "tactique" va le couper définitivement.
UNE CRISE QUI ILLUSTRE LA FAILLITE D'UNE CONCEPTION DE L'ORGANISATION
LE BLUFF DU PCI
La crise aujourd'hui laisse un bilan accablant pour "le parti compact et puissant de demain".
Elle se traduit, selon la presse du PCI, "par 1'effondrement organisatif du centre international et la disparition de 1'ancienne Rédaction du Prolétaire, par le départ de tous les responsables centraux de France" (Le Prolétaire n°367). Les militants qui restent dans le PCI n'étaient au courant de rien. Ils en sont réduits à faire des appels dans la presse pour que les membres qui veulent rester dans le parti se manifestent en écrivant à la Boite Postale ! C'est incroyable d'être acculé ainsi à donner à l'Etat un moyen de repérage si facile.
Les fameux et arrogants "responsables centraux" sont partis en emportant le matériel, l'argent, "y compris les cotisations qui avaient été payées le jour même" (d'après un militant du PCI à Paris), des locaux. Voila des moeurs de gangstérisme politique de la bourgeoisie totalement étrangères au prolétariat que nous avions stigmatisées sans ambiguïté lors de l"Affaire Chénier" pendant la crise du CCI (voir Revue Internationale n°28).
Les grands mots ronflants sur le parti pur et dur, "centralisé", n'étaient qu'un bluff. Le PCI s'effondre comme un château de cartes : "La crise s'est traduite par une activité décentralisée et localiste, couverte seulement en apparence par une centralisation de façade" (Il PC 29-10-82). Les grands discours sur le "centralisme organique" cachaient un fédéralisme de la pire espèce où chaque partie de l'organisation finit par n'en faire qu'à sa tête, une structure molle ouverte à tous les vents de l'idéologie bourgeoise, véritable pépinière d'irresponsables, d'apprentis-bureaucrates, de futurs sergents-recruteurs pour les massacres impérialistes, comme déjà aujourd'hui pour le Moyen-Orient.
Après s'être gargarisé de mots pendant 40 ans sur le parti qui "organise" la classe ouvrière, on ne peut tomber de plus haut.
Peut-être que cette crise servira de leçon à tous les groupes dans le mouvement actuel qui réduisent tout débat à la question du parti, qui se décernent des titres de gloire qu'ils n'ont rien fait pour mériter, qui entravent tout progrès réel vers un véritable Parti de la classe ouvrière par leurs prétentions absurdes d'aujourd'hui. Expliquer les difficultés de la lutte de classe dans la situation internationale par l'absence du parti, tracer comme seule perspective celle de sa présence eucharistique qui résoudra tout, comme l'a ressassé le PCI depuis des années, est non seulement faux et ridicule, ça se paye. Comme nous le disions : "Le drame du bordiguisme est de vouloir être ce qu'il n'est pas : le Parti, et de ne pas vouloir être ce qu'il est : un groupe politique. Ainsi, il n'accomplit pas - sauf en paroles - les fonctions du parti qu 'il ne peut accomplir, et n'assume pas les tâches, mesquines à ses yeux, d'un vrai groupe politique" ("Une caricature de parti : le parti bordiguiste", Revue Internationale n°14).
Où est donc le fameux parti "bloc monolithique" ? Sans failles ? Ce "monolithisme", revendiqué par le PCI, n'a jamais été qu'une invention stalinienne. Il n'y a jamais eu d'organisations "monolithiques" dans l'histoire du mouvement ouvrier. La discussion constante et la confrontation politique organisées dans un cadre unitaire et collectif, est la condition d'une véritable solidité, homogénéité et centralisation d'une organisation politique prolétarienne. En étouffant tout débat, en cachant les divergences derrière le mot de "discipline", le PCI n'a fait que comprimer les contradictions jusqu'à l'éclatement. Pire, en empêchant la clarification à l'extérieur comme à l'intérieur de l'organisation, il a endormi la vigilance de ses militants. La sécurisation bordiguiste de la vérité pyramidale, la direction des chefs, a laissé les militants dépourvus d'armes théoriques et organisationnelles devant les scissions et les démissions. C'est ce que le PCI semble reconnaître lorsqu'il écrit : "Nous entendons traiter (ces questions) de façon plus ample dans notre presse, en mettant nos lecteurs devant les problèmes qui se posent à l'activité du parti" (Il PC, id.). Ces mots semblent être pour le moment plus un clin d'oeil aux militants qui sont partis dans une confusion politique complète, et dont certains ne se doutent certainement pas du bourbier dans lequel ils se sont enfoncés, qu'une véritable reconnaissance de la faillite de l'étouffoir du PCI "seul au monde". La reconnaissance de la nécessité d'ouvrir le débat sur "les problèmes qui se posent à l'activité", et l'ouverture effective de discussions à l'intérieur et à l'extérieur est une des conditions pour garder le PCI au prolétariat, pour lutter contre la pourriture politique qui ronge l'organisation. Le PCI a connu d'autres scissions dans ses quarante ans d'existence, mais celle d'aujourd'hui ébranle non seulement son cadre organisationnel, mais les fondements de sa trajectoire politique, et le met devant l'alternative : tiers-mondisme ou marxisme.
L’INTERNATIONALISME CONTRE TOUTE FORME DE NATIONALISME
LE NATIONALISME AVOUE D1EL OUMAMI
El Oumami a scissionné avec le PCI parce que le jusqu'auboutisme dans la défense de l'OLP a Beyrouth devait y rencontrer des résistances. Ces résistances doivent être bien faibles si on en juge par la position du PCI sur la question. On peut cependant supposer qu'elles portent sur le degré d'engagement, El Oumami intitulant le document dans lequel il Se présente : "Du parti-programme au parti d'action révolutionnaire". Tout un programme !
El Oumami défend le caractère progressiste du mouvement national palestinien contre "le cancer greffé sur le corps arabe qu'est 1'entité sioniste", "1'Etat-colon, mercenaire, raciste et expansionniste d'Israël". Pour El Oumami, il est hors de question de mettre sur un pied d'égalité "l'Etat-pied-noir" et les "Etats légitimes" du "monde arabe".
Ce type de distinction a toujours été l'argument de la bourgeoisie pour embrigader la classe ouvrière dans la guerre. Oui, tous les Etats capitalistes sont ennemis de la révolution, nous dit-on, mais il y a l'ennemi n°1 et l'ennemi n°2. Pour la première guerre mondiale, "battons-nous contre "le despotisme russe" disait en substance la Social-Démocratie allemande ; pour l'autre camp, c'était se battre contre "le militarisme prussien". Dans la 2ème guerre mondiale, c'est avec le même langage que les "antifascistes" de tous bords, staliniens en tête, ont embrigadé les prolétaires en appelant et en participant à "abattre l'ennemi n°1", "l'Etat fasciste", pour défendre "l'Etat démocratique".
Pour El Oumami, 1'"union sacrée juive" fait disparaître les antagonismes de classe à l'intérieur d'Israël. Inutile donc de faire des appels au prolétariat d'Israël. C'est exactement le "peuple allemand, peuple maudit" des staliniens pendant la 2ème guerre mondiale. Et quand, au cours d'une manifestation "OLP-Solidarité", aux cris de "Sabra et Chatila, vengeance !", El Qumami se vante d'avoir "capturé un sioniste qui a reçu une terrible raclée", on est au niveau de "à chacun son boche" du PCF à la fin de la 2ème guerre.
El Oumami se joint aux rangs de la bourgeoisie au niveau du chauvinisme le plus abject. A ce niveau, c'est un groupe maoïsant, tiers-mondiste virulent, qui ne mérite pas qu'on s'attarde particulièrement. Mais ce qui frappe, en lisant les textes, c'est que ces chauvins nationalistes ont plein la bouche de la Gauche Italienne, cette fraction de la Gauche Communiste Internationale qui fut une des rares et la plus conséquente pour résister à la contre-révolution et maintenir l'internationalisme prolétarien dans la tourmente de la 2ème guerre impérialiste.
Comment le PCI, "continuateur" de la Gauche Italienne, a-t-il pu laisser se développer un tel poison nationaliste en son sein ? Et c'était la direction de Paris, la rédaction du Prolétaire, la rédaction d'EI Oumami, la section en Allemagne ?
Nous rappellerons dans la troisième partie de cet article comment le PCI a conçu cet enfant dans l'oubli de toute une période de l'histoire de la Gauche Italienne entre 1926 et 1943, comment il s'est formé avec des groupes de "Partisans" de la "Résistance" en Italie, le "comité anti-fasciste de Bruxelles" en 1945, comment les confusions politiques sur le rôle de 1'"antifascisme" et la nature des camps en présence à la fin de la 2ème guerre mondiale que le(s) PCI n'ont jamais clarifiées, sont à la racine de ce qui éclate au grand jour aujourd'hui.
Parce que le PCI a nourri cet enfant et le reconnaît même aujourd'hui, ce dernier est le produit légitime de sa propre incohérence et dégénérescence.
LE NATIONALISME HONTEUX DU P.CI.
"Pour le vrai révolutionnaire naturellement, il n'y a pas de 'question palestinienne', mais uniquement la lutte des exploités du Moyen-Orient, arabes et juifs y compris, qui fait partie de la lutte générale des exploités du monde entier" (Bilan n°2).
El Oumami s'en fout d'une telle position : à l'école de la "tactique" du PCI, il pose la question non pas en terme de classes, mais en terme de nations. Le futur "parti d'action révolutionnaire" met donc son géniteur, le PCI, au pied du mur, connaissant fort bien son incohérence congénitale, et lui lance un défi : "Imaginons un instant 1'invasion de la Syrie par 1'Armée Sioniste. Devons-nous rester indifférents ou pire (sic) appeler au défaitisme révolutionnaire sous prétexte que 1'Etat syrien est un Etat bourgeois à abattre ? Si les camarades du Prolétaire sont conséquents, ils doivent le déclarer publiquement. Quant à nous, nous prenons position ouvertement contre Israël". Et encore : "Le Prolétaire se prononce pour la destruction de 1'Etat pied-noir d'Israël. Soit. Mais en même temps, il soutient que les Palestiniens subissent une oppression nationale dans les pays arabes, qu'Israël est entré au Liban continuer 1'oeuvre de la Syrie. Alors, où réside la spécificité d'Israël? Devons-nous comprendre que la destruction de1'Etat pied-noir a la même signification que la destruction des Etats arabes, aussi réactionnaires soient-ils ?".
Pour El Oumami, c'est net : le critère réactionnaire ne doit pas jouer pour un prolétaire arabe. Son Etat, c'est un Etat arabe, un point c'est tout. D'abord la guerre, après les lendemains qui chantent.
Mais que répond le PCI ? Que répondent les défenseurs intransigeants, les héritiers de la Gauche Italienne, le Parti Historique ? Tout juste un petit "oui, mais"...
L'article "La lutte nationale des masses palestiniennes dans le cadre du mouvement social au Moyen-Orient" publié dans Le Prolétaire et II Programma commence en nous sermonnant sur le sentiment panarabe, le capital arabe, la tendance unitaire arabe et la nation arabe : le rêve d'un étudiant universitaire qui a du rater la fin du cours sur le panslavisme, la négritude, et autres guevarismes des années 60.
Le "capital arabe" n'est pas inféodé au capital américain... Ce serait une vision "superficielle". Par contre, "l'Etat colon juif" l'est "constitutionnellement". Le PCI ne dit pas qu'Israël est totalement un bloc sans classes, niais que les prolétaires là-bas lui semblent "plus anti-arabes que les bourgeois". Et les sentiments xénophobes ne touchent jamais les prolétaires palestiniens ou français ou italiens comme de bien entendu. Et pour finir, on nous sort la vieille cuisine du niveau le plus bas du"maoïsme"le plus répugnant qu'on pouvait trouver chez les "Students for Démocratie Socialism" américains, sur la classe ouvrière ayant "le privilège de peau blanche" qui exploiterait les ouvriers noirs d'Amérique.
Quant à l'OLP, il reste un défenseur de la veuve et de l'orphelin à "la pointe la plus avancée des luttes sociales gigantesques du Moyen-Orient".
Le PCI affirme : "C'est précisément sur le terrain de la lutte commune (entre bourgeoisie et prolétariat) que les prolétaires palestiniens et arabes peuvent acquérir la force pour se dresser contre leurs alliés apparents, mais en réalité déjà leurs ennemis d'aujourd'hui". De qui ? De quoi ? Ah, mais ce n'est que "1'apparence qui est inter-classiste" nous dit la science bordiguiste... En réalité la guerre des Classes "vit à l'intérieur des sujets physiques eux-mêmes", (...) "au-delà et en dehors et même contre la conscience des individus eux-mêmes". Le PCI remplace la politique par la psychologie individuelle.
"Il faut renforcer la lutte nationale en la remplissant de contenus que la bourgeoisie se garde bien de lui donner". Ceci s'appelle défendre la "révolution double", sans y être et tout en y étant.
Cet article de clarification (?) finit tout simplement dans le délire. Il faut "construire une armée à direction prolétarienne grâce au travail organisatif des communistes" pour créer un "cobelligérant" avec l'armée de l'OLP !!
Le PCI déverse exactement les mêmes lamentations que la scission : "Le prolétariat dans les métropoles ne se mettaient pas vraiment en mouvement"; alors "à sa place, on a cherché les mouvements de jeunes, de femmes, anti-nucléaire, pacifiste" (Le Prolétaire n°367). C'est le triste refrain de tous les tiers-mondistes, les étudiants, les blasés et les modernistes : le prolétariat les "déçoit".
Comme le PCI prétendait être déjà le parti, ses enfants n'ont fait que vouloir le mouvement "tout de suite" ; de là ses qualificatifs de "mouvementistes" pour les démissionnaires et les scissionnistes. Une scission "propre", El Oumami ? Cette scission est proprement tombée dans le gauchisme du PCI.
Sortir de ce marasme gauchiste ne sera pas facile pour le PCI. Il n'en prend pas le chemin. Pour le moment, il gémit des "mea culpa" exactement sur le même terrain qu'El Oumami. Le Parti n'aurait pas su faire "le lien tactique" avec les masses ; il serait resté trop "abstrait", trop "théorique". Tout cela est faux. Le PCI a utilisé le mot "programme communiste" pour couvrir un vide théorique et justifier une pratique de soutien au nationalisme et d'activisme sans principes. Ce vide théorique et sa pratique actuelle, c'est ce que nous allons voir maintenant.
LA SOURCE DES ERREURS : LE VIDE THEORIQUE
"Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants" (Marx. "Le 18 Brumaire").
L'IC ET LES GAUCHES
Pour expliquer la crise du PCI, il faut remonter aux sources de sa régression politique, au manque de compréhension des erreurs de 1'Internationale Communiste (IC), au nécessaire réexamen critique du passé que le milieu actuel n'a jamais su ni voulu faire jusqu'au bout.
La Gauche Communiste des années 20 n'a pas cherché à expliquer la dégénérescence de l'IC par une "crise de direction", comme le fait le PCI aujourd'hui, pour lui-même, ni seulement par des"erreurs tactiques". Ce serait la réduire au tronc commun du trotskisme : "la crise du mouvement révolutionnaire se résume à la crise de sa direction" (Programme de transition de Trotsky). La Gauche Communiste se rendait compte que l'IC fondée sur une vague révolutionnaire internationale surgissant brusquement de la guerre, n'arrivait pas à saisir toutes les exigences de la nouvelle"période de guerre et de révolution". Chacun des Congrès de l'IC témoigne à un degré grandissant des difficultés à saisir les implications de la crise historique du capitalisme, à se débarrasser des anciennes tactiques social-démocrates, à comprendre le rôle du parti et des conseils ouvriers. Dans la situation tourmentée de l'époque, tirer toutes les implications programmatiques d'une telle situation était impossible. Vouloir aujourd'hui ériger tout ce qu'a produit l'IC en dogmes serait justement tourner le dos à la Gauche Communiste.
Au sein de l'IC, les Gauches allemande, italienne, hollandaise, anglaise, russe, et américaine étaient l'expression de 1'avant-garde du prolétariat des grands centres industriels. Avec ses formulations hésitantes et souvent confuses, la Gauche a essayé de poser les vrais problèmes de la nouvelle époque : est-ce que les syndicats restent des organes de la classe ouvrière ou ont-ils été happés dans l'engrenage de l'Etat bourgeois ? Faut-il en finir avec la tactique "parlementaire"? Comment comprendre la lutte nationale dans l'ère globale de l'impérialisme ? Quelle est la perspective pour ce nouvel Etat russe ?
La Gauche Communiste n'a jamais réussi à s'assumer en tant que fraction au sein de la 3ème Internationale, à confronter les positions en son sein. Dès 1921 (moment de l'interdiction "provisoire" des fractions dans le Parti bolchevik en Russie), la Gauche allemande (KAPD) est exclue de l'IC. L'élimination successive de toutes les Gauches va suivre jusqu'à la mort de l'IC avec l'acceptation du "socialisme en un seul pays".
Si les Gauches étaient déjà disloquées au sein de l'IC, elles allaient l'être encore plus en dehors. Quand l'IC est morte, la Gauche allemande est déjà dispersée en plusieurs morceaux, tombant dans l'activisme, l'aventurisme, et est éliminée sous les coups d'une répression sanglante; la Gauche russe est dans les prisons de Staline ; les faibles Gauches anglaise et américaine ont disparu depuis longtemps. En dehors du trotskysme, c'est essentiellement la Gauche italienne, et ce qui restait de la Gauche hollandaise qui vont, à partir de 1928, maintenir une activité politique prolétarienne, sans Bordiga et sans Pannekoek, en partant chacune de bilans différents de l'expérience vécue.
Le mouvement révolutionnaire d'aujourd'hui a encore tendance à voir la Gauche Communiste uniquement sous sa forme disloquée et partielle léguée par la contre-révolution. Il parle des apports positifs ou négatifs de telle ou telle Gauche en dehors du contexte global de l'époque. Le PCI a accentué et aggravé cette tendance en réduisant toute la Gauche Communiste à la Gauche italienne, et uniquement celle de la période de 1920 à 1926. Pour le PCI, la Gauche allemande devient une bande d'"anarcho-syndicalistes", identique à la tendance de Gramsci. Ce n'est pas qu'il ne faut pas critiquer sévèrement les erreurs de la Gauche allemande, mais chez le PCI cela devient une caricature totale. L'idée de restaurer l'héritage de la Gauche Communiste enseveli par la contre-révolution, se réduit dans le PCI à la republication à l'infini des textes de Bordiga. L'héritage de la Gauche est surtout une oeuvre critique ; le PCI l'a réduit à une liturgie de secte jalouse. Ainsi, toute une génération de militants du PCI ne connaît qu'une vision déformée de la réalité de la Gauche Communiste Internationale, et les questions politiques qu'elle a posées.
LA PERIODE DE LA "FRACTION" ET BILAN (1926-1945)
Jamais les bordiguistes ne parlent de cette époque de la Gauche italienne : ni vu, ni connu pour le PCI. Que devient la "continuité organique" dont se réclame le PCI pour se proclamer le seul et l'unique héritier de la Gauche Communiste ? Un trou de 20 années de travail militant. Mais pendant toutes ces années, Bordiga n’était pas là. La seule explication qu'on peut trouver, c’est que la "continuité organique" est en fait la présence d'un "chef génial".
La Gauche italienne dans l'émigration autour de la revue Bilan a continué le travail de la Gauche Communiste, avec la consigne de l'heure : "Ne pas trahir". Le lecteur trouvera le détail de cette période dans la brochure La Gauche Communiste d'Italie, publiée par le CCI.
Pour continuer son activité, et dans une période autrement plus difficile que la notre, elle a rejeté la méthode qui consiste à se raccrocher à Lénine comme à une bible. Elle s'est donnée la tâche de tirer les enseignements de la défaite en passant l'expérience au crible de la critique "sans aucun interdit ni ostracisme" (Bilan n°1). A l'étranger, la Fraction a pu s'enrichir des apports de l'héritage luxembourgiste à travers, entre autre, l'apport des militants de Belgique qui se sont ralliés à la Gauche italienne. En tant que "Fraction italienne de la Gauche Communiste", elle a repris le travail de la Gauche toute entière : en rejetant la défense des libérations nationales, en mettant en question la nature "prolétarienne" des syndicats (sans aboutir à une position définitive); en analysant la dégénérescence de la révolution russe, le rôle de l'Etat et du parti. Elle a tracé la perspective historique de son époque de cours vers la guerre impérialiste mondiale avec une lucidité telle, qu'elle lui a permis d'être une des seules organisations à rester fidèle aux principes prolétariens, en dénonçant 1'anti-fascisme, les fronts populaires et la participation à la défense de l'Espagne "républicaine".
La guerre a numériquement affaibli la Fraction mais le PCI occulte complètement le fait qu'elle a maintenu son activité politique pendant la guerre comme en témoignent les 9 bulletins et les tracts les Conférences et la constitution (en 1942) du noyau français de la Gauche Communiste qui publiera Internationalisme.
Vers la fin de la guerre, la Fraction exclut un de ses dirigeants, Vercesi, condamnant sa participation au "Comité anti-fasciste de Bruxelles" (comme elle avait exclue la minorité qui s'était laissée entraîner dans l'embrigadement anti-fasciste de la guerre d'Espagne). Par contre, le PCI naissant en Italie en 1943 a flirté avec des "Partisans" et a adressé des Appels pour un front unique de classe au P.C stalinien et au Parti Socialiste d'Italie (Voir l'article "Le PCI tel qu'il prétend être et tel qu'il est" dans ce numéro de la Revue Internationale).
LA FORMATION DU PCI
Le Partito Communista Internazionalista d'Italie se forme sur la base d'un regroupement politique hétérogène : il exige la dissolution pure et simple de la Fraction tandis que des groupes du "Mezziogiorno" qui avaient des rapports ambigus avec 1'anti-fascisme, les trotskystes et même le PC stalinien sont intégrés en tant que groupes constitutifs et avec la caution de Bordiga. Vercesi et l'ancienne minorité exclue sur la question de l'Espagne sont également intégrés sans discussions. " Le nouveau parti n'est pas une unité politique mais un conglomérat, une addition de courants et de tendances qui ne manqueront pas de se heurter. L'élimination de l'un ou l'autre courant est Inévitable. Tôt ou tard, la délimitation politique et organisationnelle s 'imposera" (Internationalisme n° 7, Février 1946).
En effet, en 1952, la tendance Damen a scissionné du parti avec la majorité de ses membres, le journal Battaglia Comunista, ainsi que la revue Prometeo. ([1] [3])
Tout le travail politique et théorique de la Fraction disparaît pour le PCI formé dans un regroupement immédiatiste et sans principes. Le PCI tourne le dos à tout l'héritage de Bilan sur 1'anti-fascisme, la décadence du capitalisme, les syndicats, la libération nationale, la signification de la dégénérescence de la révolution russe, l'Etat dans la période de transition. Tout cet héritage, le PCI le considère comme des "lâchages" du programme "invariant". Pour le nouveau PCI, les partis staliniens sont réformistes", la Russie, un impérialisme moins dangereux que l'ennemi numéro1, l'impérialisme américain, la décadence historique du capitalisme devient des "crises cycliques et structurelles", les approfondissements théoriques de Bilan sur le programme cèdent complètement la place au retour de la "tactique léniniste". C'est ainsi que le PCI a contribué à ramener le débat dans le mouvement révolutionnaire 20 ans en arrière, au moment de l'IC, comme si rien n'avait existé entre 1926 et 1945.
Alors que Bilan insiste sur le fait qu'un parti ne se forme que dans une période de montée des luttes de classe, le PCI s'autoproclame le "Parti" en pleine période de réaction. Ainsi, il a créé une "tradition" selon laquelle n'importe qui peut se proclamer qui n'était que trop contente de constater leur refus. Mais, même un début de clarification politique était trop dur pour le PCInt et la Communist Workers'Organisation. Ils ont "exclu" le CCI à la 3ème Conférence pour des désaccords sur la question du parti, non pas après un débat profond, mais a priori par une manoeuvre digne des plus sinistres intrigues à la Zinoviev de l'IC dégénérescente. Quelle école que celle du bordiguisme ! Et surtout si on touche à son fétiche, "le parti", que seuls les bordiguistes savent construire comme on peut en voir aujourd'hui le résultat. A une réunion récente, appelée "la 4ème Conférence Internationale de la Gauche Communiste", considérée par le PCInt comme un"indiscutable pas en avant par rapport aux Conférences précédentes" (Battaglia Comunista, du 10-11-82), le PCInt et la CWO ont "commencé à aborder les vrais problèmes du futur parti" ... avec un groupe d'étudiants iraniens mal dégagé du tiers-mondisme. Après tout, chacun a son peuple à libérer : Programma ses Palestiniens, Battaglia ses Iraniens.
Mais à cette époque, de 1976 à 1980, le PCI a tout de même fini par sentir qu'il fallait bouger". Ayant tourné le dos à la clarification politique internationale et sans analyse cohérente de la période nouvelle, le PCI a simplement troqué son immobilité pour un activisme frénétique : les deux faces de la même médaille. Aujourd'hui, en constatant que l'organisation part en lambeaux, sur quoi insiste le PCI ? De nouveau sur la "tactique", et pas seulement sur la question nationale, mais sur toutes les questions.
Le PCI a transformé 1'anti-parlementarisme de la Fraction abstentionniste en "tactique" pour ensuite appeler à participer à des élections et des référendums. Il appelle à la défense des "droits démocratiques" dont le droit de vote, pour les ouvriers immigrés. Pour quoi faire ? Pour après leur dire de ne pas aller voter ? On voit aujourd'hui 1'"après". 1'"antiparlementarisme" est devenu purement verbal, séparé de toute cohérence sur la période historique du capitalisme.
N'importe quelle "tactique" syndicale, de comités frontistes, d'appui critique aux groupes terroristes comme Action Directe en France, est bonne pour "organiser" les masses.
Et en Pologne, le PCI a vu dans les saboteurs de l'autonomie de la classe ouvrière, Solidarnosc et ses conseillers du KOR, les "organisateurs" du mouvement de la classe, eux qui ont tout fait pour le ramener sur le terrain de la défense de l'économie nationale. Et le PCI réclame la "légalisation" de Solidarnosc aux côtés de la bourgeoisie démocratique !
Ne voulant pas discuter avec les "déchets du réveil de la classe", le PCI a préféré "recruter" dans les résidus de la décomposition du maoïsme. Lorsque le PCI se fit le flic du"service d'ordre" contre le "danger fasciste" des manifestations de la lutte des foyers de travailleurs immigrés en France, interdisant en fait la distribution de la presse révolutionnaire, ce fut un symbole de sa descente à grande vitesse sur la pente glissante du gauchisme.
PERSPECTIVES
Le PCI aurait du rejeter les positions de El Oumami depuis longtemps, avant que cette gangrené n'ait pénétré toute l'organisation. El Oumami entonne le chant des sirènes pour attirer le PCI vers la cohérence de la bourgeoisie. Le PCI ne peut plus se réfugier dans l'incohérence et le charabia pour y résister. Des replâtrages ne tiendront plus le coup dans la période actuelle. En premier lieu, le PCI et tout le milieu révolutionnaire doivent reconnaître clairement que l'internationalisme è notre époque ne peut se développer qu'en rupture totale avec toute forme de nationalisme, ne peut signifier qu'une lutte intransigeante contre tout mouvement national qui ne peut être aujourd'hui qu'un moment des luttes entre puissances impérialistes, petites ou grandes. Toute défaillance sur cette question ouvre une brèche immédiate à la pression de l'idéologie bourgeoise qui entraînera une organisation inéluctablement et rapidement dans la contre-révolution.
Il ne serait pas trop tard pour le PCI de se ressaisir, à condition qu'il ait la force et la volonté de regarder la réalité en face, de réexaminer les leçons du passé, de revoir de façon critique ses propres origines.
Il y a eu d'autres départs du PCI au cours de l'année passée, mais nous ne savons pas exactement ce que deviennent ces militants. A Marseille subsisterait un cercle pour qui "le parti formel est mort, seul vit le parti historique". Ce vocabulaire bordiguiste n'est pas très clair pour le commun des mortels ; est-ce que "le parti historique" dans ce sens veut dire le programme bordiguiste ? Le marxisme ? Quel bilan faut-il tirer et pourquoi le silence de ces éléments aujourd'hui ?
D'autres ont quitté le PCI à cause de l'étouffement organisationnel et par réaction instinctive à la dégénérescence. Mais il faut aller plus loin qu'un constat, jusqu'à la racine du mal. Il ne faut pas s'arrêter à mi-chemin, en croyant "restaurer" un "vrai" bordiguisme qui n'existe pas, le pur bordiguisme "de Bordiga" qui n'a jamais existé. Ce chemin mène tout droit aux cénacles, à la création de "Partiti" de plus en plus réduits, chacun se disputant le titre légitime en ignorant les autres comme ont fait bon nombre de scissionnistes-bordiguistes depuis des années, chacun se disputant la "direction" de la classe ouvrière pour l'emmener au "paradis".
La clarification politique ne peut pas venir de rafistolages ni de 1'isolement. Elle ne peut se faire qu'avec et dans le milieu révolutionnaire. Il faut rompre le silence en ouvrant un débat public, dans la presse, dans des réunions, pour en finir avec les erreurs du passé, pour assurer que cette décantation se fasse de façon consciente, pour éviter la dispersion et la perte d'énergies révolutionnaires. Ce n'est qu'ainsi qu'on pourra déblayer le terrain pour le regroupement des révolutionnaires qui contribuera au processus de l'unification de la classe ouvrière internationale. Voilà la tâche de l'heure, voilà la vraie leçon de la crise du PCI.
J.A.
[1] [4] Le parti de Bordiga devient après la scission II Partito Comunista Internazionale. Beaucoup d'ex-membres de la Fraction sont partis avec Damen et le programme de Battaglia Comunista (PCInt.) en 1952 contient certaines positions importantes de Bilan : sur la question nationale, la question syndicale, sur la Russie. Malheureusement, les quarante années qui nous séparent des débuts de Battaglia Comunista ont vu ce groupe s'engager dans un processus de sclérose qu'une lecture de sa presse aujourd'hui, comparée à sa plateforme de 1952, ne manquera pas de révéler.
Dans le milieu politique prolétarien, on connaît, plus ou moins bien, le courant bordiguiste tel qu'il prétend être, à savoir un "Parti dur et pur" avec un "Programme achevé et invariant".
Cela tient, de toute évidence, davantage de la légende que de la réalité. Dans la réalité, en fait du "Parti", par exemple, nous connaissons au moins 4 ou 5 groupes provenant du même tronc, dont le PC International (Programme), qui prétendent être chacun l'unique héritier, le seul légitime, de ce que fut la Gauche Italienne, et incarner le "Parti historique" de leur rêve. C'est probablement là la "seule invariance" qui leur soit commune. On connaît par contre, très mal, ou pas du tout –et cela est vrai avant tout pour la majorité des militants de ces partis– les véritables positions de ce "Parti" à son origine, c'est-à-dire à sa fondation, en 1943-1944, après et suite à l'effondrement du régime de Mussolini en Italie au milieu de la 2ème guerre mondiale.
Pour pallier à cette ignorance, nous estimons très important de publier ci-dessous un des premiers documents de ce nouveau parti (PC.Int) paru dans le premier numéro de son journal Prometeo. Ce document qui porte sur une question cruciale : la position des révolutionnaires face à la guerre impérialiste et les forces politiques qui y participent, permettra à tout militant de se faire une idée exacte sur l'état de clarté et de maturité des positions politiques qui ont présidé à la fondation de ce Parti, et l'action pratique que cela impliquait nécessairement.
Pour mieux faire ressortir la différence (entre ce qu'il prétend être et ce qu'il a été et continue d'être), il serait bon de commencer par rappeler ce qu'il prétendait être. Pour ce faire, nous nous limiterons à quelques citations extraites d'un article qui se voulait fondamental et qui sert toujours de point central de référence : Sur le Parti "compact et puissant de demain" paru dans le numéro 76 de Programme Communiste en Mars 78.
En laissant de côté le style toujours pompeux propre aux bordiguistes, et en faisant de grandes réserves sur l'affirmation que les "matériaux... théoriques" sont l'unique et exclusive condition de la proclamation du Parti, indépendamment du facteur de flux ou reflux de la lutte de classe, nous pouvons retenir l'idée que l'évolution ultérieure d'une organisation dépend largement de ses positions politiques et de sa cohérence à ses débuts. Le PC.Int (Programme) en est une excellent illustration !
Polémiquant contre nous, l'auteur de l'article se trouve contraint de s'expliquer (une fois n'est pas péché mortel !) sur les positions défendues par la Fraction Italienne de la Gauche Communiste et de l'énorme contribution théorique et politique de cette dernière dans sa revue Bilan et ensuite dans la revue Octobre dans les années 30 à 451.
Ces éléments caducs sont entre autres : qu'il "ne s'agit pas de chercher dans ses propres armes théoriques et programmatiques, mais au contraire de redécouvrir sur tous les points leur force et leur puissance, et de se référer à elles comme à un bloc monolithique pour repartir de l'avant... arriver, en reprenant les armes d'origine à l'exclusion de toute autre, à la compréhension complète des causes de la défaite en même temps que des conditions d'une future offensive".
D'avoir commis l'imprudence de soumettre à la critique les positions et orientations de l’I.C. "a conduit la Fraction à certains lâchages, comme par exemple sur la question nationale et coloniale, ou encore à propos de la Russie.... que dans la recherche d'une voie différente de celle des bolcheviks dans l'exercice de la dictature, ... et aussi, en un certain sens, dans la question du Parti ou de l'Internationale."
Et, plus loin, Programme cite comme illustration des hérésies de la Fraction, Bilan qui écrit "les fractions de gauche ne pourront se transformer en parti, que lorsque les antagonismes entre la position du parti dégénéré et la position du prolétariat menacent tout le système des rapports de classe..."
"Des passages de ce genre nourrissent évidemment la spéculation de ceux qui, tel le groupe Révolution Internationale, théorise aujourd'hui comme inévitable la dégénérescence opportuniste de tout parti de classe qui prétend se constituer avant la vague révolutionnaire future, et .qui, en attendant cette vague et sous prétexte de "Bilan" préliminaire à la renaissance du parti formel, se livrent à une révision complète des thèses constitutives de l'Internationale." (p9)
Le parti bordiguiste ne conçoit absolument pas que l’on puisse mettre en critique, à la lumière de l'expérience vivante, des positions qui se sont avérées fausses ou inadéquates. Invariance oblige. Retenons toutefois, qu'après avoir tiré un coup de chapeau à la "fermeté", à la "splendide bataille" aux "valeurs positives", le porte-parole du PCI rejette aussi "fermement" ce qui constitue justement l'essentiel de l'apport véritable dans l'oeuvre de la Fraction. Quant à nous, le CCI, nous reconnaissons volontiers que cet apport de la Fraction nous a grandement nourris dans notre propre développement, et cela non seulement dans la question du moment de la constitution du Parti, mais dans tant d'autres questions que l'article désigne comme du "lâchage". Le "bloc monolithique" dont parle l'article, en plus de nous paraître comme une phrase ronflante, n'indique rien d'autre qu'un retour en deçà des positions de la Fraction, et même une régression par rapport à l’I.C.
Voilà une nouvelle définition de la constitution du Parti. Cette fois l'accent est mis sur "l'activisme". On connaît cet activisme qui démange tous les gauchistes, des différents partis des trotskistes aux maoïstes. Le PCI n'a pas manqué de tomber dans cette ornière hier comme aujourd'hui, depuis sa fondation durant la guerre en 43 jusqu'à son soutien actif de la guerre au Liban dans le camp palestinien, en passant par la participation, aux côtés des trotskistes et maoïstes, à toutes sortes de Comités fantômes, celui des soldats, de soutien de la lutte de Sonacotra, des immigrés, etc. Dans ses actions fébriles, il était en effet moins question de "défense de programme" que de se faire les porteurs d'eau afin de "conquérir sur la classe une influence". Mais cela ne l'empêche pas de retomber, comme un chat, sur ses pattes pour écrire :
Passons sur "l'insuffisance du travail théorique" de la Fraction. Cette dernière n'a jamais eu la prétention d'avoir dans sa poche un "programme achevé" à l'instar de Programme Communiste, et se contentait humblement de vouloir être une contribution au développement du programme à la lumière d'un examen critique de l'expérience de la première grande vague révolutionnaire et de ta contre-révolution qui l’a suivie. La Fraction manquait, certes, de cette mégalomanie propre au bordiguisme du lendemain de la 2ème guerre mondiale qui, sans la moindre gêne et sans rire, peut écrire :
Cette base est définie en ces termes :
Retenons bien cette conclusion "elle ne peut se faire que dans ses rangs". Il est arrivé pourtant à ce Parti un regrettable accident en cours de route, un accident dont on parle avec quelque gêne :
Passons sur toutes ces contorsions, en guise d'explication d'une démarche qui est suffisamment claire par son titre même. Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que le Parti bordiguiste lançait de tels Appels –et pas seulement "aux petits noyaux éparpillés d'ouvriers révolutionnaires". Comme nous verrons de suite, un tel Appel s'adressait en pleine guerre impérialiste, à des forces autrement plus "sérieuses" pour la constitution d'un "Front Ouvrier" pour "l'Unité de classe du prolétariat".
Voyons donc ce Parti à l’œuvre tel qu'il est, tel qu'il a été "en naissant".
Le présent appel est adressé par le Comité d'agitation du Parti Communiste Internationaliste aux comités d'agitation des partis à direction prolétarienne et des mouvements syndicaux d'entreprise pour donner à la lutte révolutionnaire du prolétariat une unité de directives et d'organisation à la veille d'événements sociaux et politiques qui devront révolutionner la situation italienne et européenne ; dans ce but, il est proposé un rassemblement de ces divers comités pour mettre au point un plan d'ensemble.
Pour faciliter une telle tâche, le Comité d'Agitation du PC.Int. expose brièvement son point de vue programmatique que l’on pourrait considérer comme base initiale de discussion.
Pourquoi avons nous pensé qu'il était opportun de s'adresser aux comités d'agitation d'usines plutôt qu'aux comités centraux des différents partis ?
Un regard panoramique sur le milieu politique qui s'est précisé non seulement dans la lutte antifasciste mais aussi dans celle plus spécifique du prolétariat, nous a convaincus (et cela pas seulement aujourd'hui) de l'impossibilité de trouver un minimum de dénominateur commun idéologique et politique pour jeter les fondements d'un accord sur l'action révolutionnaire. Les différentes appréciations portées sur la guerre (sa nature et ses buts), les différentes appréciations sur la définition de l'impérialisme et dont les divergences existant dans les méthodes de lutte ou syndicale, ou politique, ou militaire démontrent suffisamment une telle impossibilité.
D'un autre côté, nous sommes tous d'accord pour considérer la crise ouverte par la guerre comme la plus profonde et la plus incurable qui se soit abattue sur le régime bourgeois ; (d'accord aussi) pour considérer que le régime fasciste est fini socialement et politiquement, même si les armes allemandes lui apportent encore de l'oxygène, même si on doit le combattre durement et de façon sanglante pour l'extirper du sol italien, pour considérer enfin que le prolétariat est le seul protagoniste de cette nouvelle histoire du monde qui doit surgir de ce conflit inhumain.
Mais le triomphe du prolétariat est possible à la seule condition qu'il ait résolu préventivement le problème de son unité dans l'organisation et dans la lutte.
Et une telle unité ne s'est pas réalisée, et elle ne pourra jamais se réaliser sur la base du Comité de Libération Nationale, surgi de raisons contingentes dues à la guerre, qui a voulu assumer un aspect de la guerre idéologique contre le fascisme et l'hitlérisme mais qui a été impuissant constitutionnellement à poser les problèmes pour surpasser de telles contingences. Il n'a pas repris a son compte les revendications et les objectifs historiques de la classe ouvrière, qui se seraient du reste heurtés aux raisons et aux buts de la guerre démocratique dont le Comité de Libération nationale (C. de LN) fut l'instigateur et l'animateur, il s'est montré aussi incapable de rassembler dans l'unité les profondes forces de travail.
Face à la guerre, mis à part les pressions idéologiques, on peut voir les uns à côte des autres les représentants de la haute finance, du capitalisme industriel et agraire et ceux des organisations ouvrières; mais qui oserait penser a un C. de LN, centre moteur de la lutte de classe et de l'assaut du pouvoir bourgeois, dans lequel siégeraient des De Gasperi, des Gronchi, des Solen, des Gasparotto, des Croce, des Sforza, etc. ?
Si le C. de LN peut être historiquement capable de résoudre les problèmes dus à l’état d'urgence et à la continuation de celle-ci dans le cadre de l’Etat bourgeois, il ne sera en aucun cas l’organe de la révolution prolétarienne, dont la tâche revient au parti de la classe qui aura compris les exigences fondamentales du prolétariat et aura profondément adhéré à la nécessité de sa lutte.
Mais ce même parti sera impuissant à accomplir sa mission historique s'il trouve devant lui un prolétariat moralement et physiquement divisé, désabusé par l’inanité des luttes intestines, sceptique sur la validité de son propre avenir.
C'est cette situation bloquée que nous avons connue dans tous les moments de crise de ces dernières années, et contre lesquels viennent se briser les grosses lames de la révolution prolétarienne. Un prolétariat désuni ne peut aller à l'attaque du pouvoir bourgeois, et nous devons avoir le courage de reconnaître qu'actuellement le prolétariat italien est désuni et sceptique comme l'ensemble du prolétariat européen.
La tâche impérieuse de l'heure est donc l’unité de classe du prolétariat qui trouvera, dans les usines et tous les postes de travail, le milieu naturel et historique idéal pour l'affirmation d'une telle unité. C'est à cette seule condition que le prolétariat sera capable de tourner à son avantage la crise du capitalisme que la guerre a ouverte mais qu'elle est impuissante à résoudre.
Nous concluons notre appel en rassemblant en quelques points notre pensée :
puisque les raisons, la finalité, la pratique de la guerre divisent le prolétariat et ses forces de combat, à la politique qui veut subordonner la lutte de classe à la guerre, on doit opposer la subordination de la guerre et de toutes ses manifestations à la lutte de classe ;
nous souhaitons la création d'organismes unitaires du prolétariat qui soient l'émanation des usines et des entreprises industrielles et agricoles ;
de tels organismes seront de fait le front unique de tous les travailleurs, et auxquels les comités d'Agitation participeront démocratiquement ;
tous les partis liés aux luttes du prolétariat auront le droit de cité pour faire la propagande de leurs idées et de leurs programmes : bien plus, nous pensons que ce sera en ces lieux de débats d'idées et de programmes, que le prolétariat parviendra a sa maturité politique et au libre choix de quelle direction politique le conduira à la victoire ;
la lutte du prolétariat, des agitations partielles à l'insurrection armée, devra se développer, pour triompher sur une base de classe, pour culminer dans la conquête violente de tout le pouvoir qui constitue l’unique et sérieuse garantie de victoire.
10 février 1945
A cet appel, nous retenons la réponse du Comité d'Agitation du PDA et celle du Parti du Travail (de Milan) qui déclarait ne pouvoir prendre en compte notre proposition, bien qu'ils l'eussent fait dans des conditions plus favorables, parce que la ligne politique spécifique suivie par le PIL, bien que vouée à la révolution prolétarienne ne lui permet pas d'exercer une quelconque influence sur les masses de l'Italie septentrionale.
Notre appel recevait l'entière adhésion des syndicats révolutionnaires, qui acceptaient explicitement de collaborer à la création d'organismes de base et qui se déclaraient pleinement d'accord avec notre point de vue sur la lutte contre la guerre.
Réponse aussi des Communistes Libertaires, qui reconnaissaient dans les termes de la proposition le terrain sur lequel eux-mêmes se trouvaient "tant du point de vue de la situation politique générale, que du point de vue de l'attitude par rapport à la guerre et de la nécessité d'une organisation de classe des travailleurs qui ait pour objectif la révolution expropriatrice à travers la constitution de conseils ouvriers de gestion", et ils se satisfaisaient qu'un tel point de vue soit partagé par des camarades communistes internationalistes.
Il est par contre stupéfiant que le PCI ait refusé de nous répondre par des communications verbales, ayant déjà exprimé son point de vue sur nous dans sa presse. Peu de temps après, à la fin d'une campagne sporadique de dénigrement contre nous (nous accusant d'être des fascistes masqués) il sortait un entrefilet dans la revue "Usine" qui nous traitait de provocateurs et dans lequel on se référait directement à notre proposition de constitution d'organismes de front unique ouvrier et en mars, suivait une circulaire de la Fédération Milanaise invitant tes organismes de base "à intervenir énergiquement pour épurer..."
Traditionnellement incapable de répondre oui ou non, le PS a au contraire répondu :
A cette lettre qui éludait élégamment la question, nous avons répondu :
Nous nous permettons d'attirer votre attention sur 2 points :
Notre proposition ne posait pas la question d'une adhésion à des comités déjà existants, de tel ou tel parti, mais un accord entre tes organismes dirigeants de tels comités pour concrétiser un plan d'action commun, pour résoudre unitairement tous les problèmes surgis de la crise du capitalisme.
Il était implicite que notre initiative ne pouvait avoir pour objectif une "lutte générale de masses" mais la création d'organismes à représentation proportionnelle sur le terrain de classe et avançant vers des objectifs de classe.
Il va de soi que de tels comités ne peuvent avoir rien en commun avec tes comités surgis sur la base de la politique du CLN, qui comme vous le dites, ne peuvent être considérés comme des organismes de classe.
Nous vous sollicitons pour une réponse plus précise sur ces points dont dépend la possibilité d'un travail commun.
A cette heure il n'y a eu aucune réponse.
(Prometeo n°1 avril 1945)
Nous pouvons nous épargner la peine de faire des commentaires. Un tel Appel adressé aux (forces vives du prolétariat !) PC et PS pour la construction de l'unité prolétarienne parle de lui-même, et cela en dépit de l'astuce tactique qui consiste à ce que ce ne soit pas le Parti lui-même qui l'adresse directement aux autres partis mais par le biais d'un "Comité d'Agitation" fantôme du Parti qui l'adresse aux "Comités d'agitation" des autres partis.
Il faut ajouter, que rien n'est sorti (et pour cause !) de cet Appel –sauf de nous laisser un témoignage, une indication d'un parti qui a "grandi.... avec les matériaux qui ont servi a le constituer, avec ses membres théoriques et son squelette organisationnel".
Mais il serait inexact de dire que cet Appel n'ait rien produit. Voilà quel était son résultat :
Voilà pour ce qui concerne le Parti dans le nord du pays. Quant au sud du pays nous pouvons citer en exemple la Calabre (Catanzaro) où les militants bordiguistes regroupes autour de Maruca futur dirigeant du groupe de Damen, restent au sein du PCI stalinien jusqu'en 1944, date à laquelle ils passent à la "Frazione" :
En conclusion, en ce qui concerne le parti bordiguiste, nous pouvons dire :
M.C.
1 L'auteur parle de l'activité de la Fraction de "30 à 40" passant complètement sous silence son existence et activité entre 40 et 45, date de sa dissolution. Est-ce par simple ignorance ou pour s'éviter d'être obligé de faire une comparaison entre les positions défendues par la Fraction durant la guerre et celles du PC.Int. constitué en 43-44 ?
Après la présentation, le texte que nous publions ci-dessous est un article paru dans "Internationalisme" n°12 en Août 46.
Aujourd'hui, 36 ans après, il présente un intérêt, non seulement comme témoignage d'une période historique, celle qui s'est ouverte au lendemain de la guerre, mais aussi un intérêt d'actualité, quant au fond du débat soulevé dans ce texte sur le moment où s'ouvre la nécessité et la possibilité d'un processus de la constitution du parti.
Pour ceux qui nient purement et simplement la nécessité du parti politique de classe, les questions de son rôle, de sa fonction et du moment de sa constitution, ne présentent évidemment aucun intérêt.
Il en va tout autrement pour ceux qui ont compris et acceptent l'idée du Parti comme une nécessité qui se manifeste pour la classe ouvrière dans sa lutte historique contre l'ordre capitaliste. Pour ces militants et dans le cadre de la compréhension de cette nécessité, situer le problème de la constitution du Parti dans le cours historique est une question de la plus grande importance, car elle se rattache à la conception-même qu'on a du Parti: le Parti est-il le produit de la stricte volonté d'un groupe de militants ou le produit de la classe en lutte?
Dans le premier cas, le Parti peut se construire et exister dans n'importe quel moment, dans le deuxième cas son existence et sa construction sont nécessairement liées aux périodes de flux et de reflux de la lutte de classe du prolétariat.
Dans le premier cas, nous avons à faire à une vision volontariste, idéaliste de l'Histoire, dans le second, à une vision matérialiste, déterministe de l'Histoire et de sa réalité concrète.
Que l'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit là nullement de spéculations abstraites. Loin d'être un débat oiseux sur les mots et les noms à donner à l'organisation, Parti ou Fraction (groupe), ce débat implique des démarches diamétralement opposées. La démarche erronée, la non compréhension du moment historique de la proclamation du Parti, implique nécessairement la conséquence pour l'organisation révolutionnaire, de vouloir être ce qu'elle ne peut pas encore être, et de ne pas être ce qu'elle devrait être. En prenant des vessies pour des lanternes, en s'agitant en guise d'agir, en se drapant de"principes" devenus des dogmes à la place d'une ferme défense des positions politiques claires, acquises à la lumière de l'examen critique des expériences, une telle organisation, à la recherche à tout prix d'une audience immédiate, se trouve non seulement en porte-à-faux de la réalité présente mais compromet encore plus son devenir en négligeant ses vraies tâches à plus long terme, et ouvre toutes grandes ses portes à l'opportunisme et à toutes sortes de compromissions politiques.
C'est là-dessus que portait la critique d'Internationalisme en 46, et 36 années d'activité du Parti bordiguiste sont là pour confirmer pleinement la validité de celle-ci.
Certaines formulations d'Internationalisme peuvent prêter le flanc à des malentendus. Il en est ainsi de la formulation: "Le Parti, c'est l'organisme politique que se donne le prolétariat au travers de l'activité duquel le prolétariat unifie ses luttes..." (page 2). Ainsi formulé, cela laisserait entendre que le Parti est l'unique moteur de cette unification des luttes, ce qui ne correspond pas à la position exacte défendue par Internationalisme comme le montre une lecture attentive de la Revue. Ce qu'on doit comprendre dans cette formulation c'est qu'une des tâches majeures du Parti est d'être un facteur, le facteur conscient oeuvrant comme tel dans le processus de l'unification des luttes de la classe en les orientant "vers une lutte frontale en vue de la destruction de l'Etat et de la société capitaliste et à l'édification de la société communiste" (ibid).
En ce qui concerne une troisième guerre, elle ne s'est pas réalisée selon la perspective d'Internationalisme, en une guerre généralisée mais en une succession de guerres localisées et périphériques dites de "libération" et d'"indépendance" nationale ou de décolonisation, mais toujours sous l'égide et les exigences des intérêts des grandes puissances en lutte pour l'hégémonie mondiale.
Il reste néanmoins fondamentalement vrai que la seconde guerre mondiale a débouché, comme l'avait annoncé Internationalisme, sur une longue période de réaction et de profond reflux de la lutte de classe qui a duré jusqu'à la fin de la période de reconstruction.
Certains lecteurs pourront peut-être être choqués par les termes de "formation de cadres" qu'Internationalisme annonçait comme "la tâche de l'heure" à l'époque. Sous ce terme on entend aujourd'hui la formation de forces d'encadrement du prolétariat. A l'époque et sous la plume d'Internationalisme, la "formation des cadres" signifiait que la situation ne présentait pas les conditions nécessaires pour permettre aux révolutionnaires d'exercer une large influence dans les masses ouvrières, et de ce fait, le travail de recherche et d'élaboration théorique prenait inévitablement le pas sur le travail d'agitation.
Nous vivons aujourd'hui une toute autre période, une période de crise ouverte du capitalisme et de reprise de la lutte de classe. Une telle période pose à l'ordre du jour la nécessité et la possibilité de regroupement des forces révolutionnaires. Cette perspective ne saurait être assurée positivement par les groupes révolutionnaires existants et dispersés qu'en se dégageant résolument de toute théorisation de leur isolement passé; en ouvrant largement les portes à la confrontation des positions héritées du passé, et pas pour autant forcément valables aujourd'hui; en s'engageant consciemment dans un processus de décantation, ouvrant ainsi la voie à un regroupement des forces.
C'est cela la voie ouverte aujourd'hui à la reconstruction du Parti.
Il existe deux conceptions sur la formation du Parti ; deux conceptions qui se sont heurtées depuis l'apparition historique du prolétariat c'est-à-dire non son existence en tant que catégorie économique, mais dans sa tendance à se poser en tant que classe indépendante, ayant une fonction et une mission propres à assumer dans l'histoire.
Ces deux conceptions peuvent être résumées brièvement de la manière suivante :
La première conception stipule que la formation du Parti relève essentiellement, sinon exclusivement, du désir des individus, des militants, de leur degré de conscience, en un mot cette conception voit dans la formation du Parti un acte subjectif et volontariste.
La deuxième conception considère la formation du Parti comme un moment de la prise de conscience, en rapport direct et étroit avec la lutte de la classe ; du rapport de forces existant entre les classes, tel qu'il résulte, dans une situation donnée, des luttes passées, de la situation économique, sociale et politique présente, et de l'orientation générale de la lutte de classe, en connexion avec les perspectives immédiates et lointaines.
La première conception, essentiellement subjective et volontariste se rattache d'une façon plus ou moins consciente à une conception idéaliste de l'histoire ; le Parti cesse d'être déterminé, il devient un phénomène indépendant, libre, se déterminant lui-même, et de ce fait, le moteur déterminant de la lutte de classe, de l'évolution de la lutte de classe.
Nous trouvons des défenseurs acharnés de cette conception dans le mouvement ouvrier, depuis sa naissance tout au long de son long développement, jusqu'à nos jours.
Weitling et Blanqui furent les figures les plus représentatives de cette tendance, à l'aube du mouvement ouvrier.
Quelle que puisse être la grandeur de leur erreur, et la critique sévère et méritée qu'en fit Marx, nous devons les considérer, eux et leurs erreurs, comme des produits historiques ; ce qui ne nous empêche pas de reconnaître, comme le fit Marx lui-même, leur immense apport dans le mouvement, par leur valeur révolutionnaire incontestable, leur dévouement à la cause de l'émancipation, et leur mérite de pionniers, insufflant partout et toujours dans les masses, l'ardente volonté de destruction de la société capitaliste.
Mais ce qui fut un défaut chez Weitling et chez Blanqui, leur méconnaissance des lois objectives du développement de la lutte de classe, devait devenir chez les continuateurs de cette conception, la base de leur activité. Le volontarisme se transformait chez ces derniers en un aventurisme caractérisé.
Les représentants typiques sont incontestablement, aujourd'hui, le trotskisme et tout ce qui s'y rattache. Leur action et agitation ne connaissent pas d'autres limites que celles de leur imagination et caprice.
On construit et on dissout des "partis" et des "internationales" à volonté ; on lance des mots d'ordre, on agite et on s'agite tout comme un malade pris de convulsions.
Plus près de nous, nous trouvons les R.K.D ([1] [9]) et ( [2] [10]) les C.R. , qui ayant séjourné trop longtemps dans le trotskisme, d'où ils ne se sont dégagés que très tard, reproduisant encore, cette agitation pour l'agitation, c'est-à-dire l'agitation dans le vide, faisant de cela le fondement de leur existence en tant que groupe.
La deuxième conception peut être définie comme objectiviste et déterministe. Non seulement elle considère le Parti déterminé historiquement, mais encore elle considère son existence et sa constitution déterminées aussi immédiatement, contingentement, présentement. Pour que le Parti puisse exister effectivement, il ne suffit pas de démontrer sa nécessité en général, mais il faut qu'il repose sur des conditions présentes, immédiates, telles, qui rendent son existence possible et nécessaire.
Le Parti, c'est l'organisme politique que se donne le prolétariat, au travers de l'activité duquel le prolétariat unifie ses luttes, et les oriente vers une lutte frontale, en vue de la destruction de l'Etat et de la société capitaliste, et en vue de l'édification de la société communiste.
En l'absence d'un cours de développement réel de la lutte de classe qui a ses racines, non dans la volonté des militants révolutionnaires mais dans la situation objective, en l'absence des luttes de classe ayant atteint un degré avancé de crise sociale, le Parti ne peut exister, son existence est inconcevable. ([3] [11])
Le Parti ne peut se construire dans une période de stagnation de la lutte de classe. Il n'existe aucun exemple de constitution de parti révolutionnaire dans ces conditions dans toute l'histoire du mouvement ouvrier. Par contre, l'histoire nous apporte une série d'exemples où les partis construits dans des périodes de stagnation, ne parviennent jamais à influencer et à diriger effectivement les mouvements de masse de la classe. Restent des formations qui n'ont de parti que le nom, et leur nature artificielle fait qu'au lieu d'être un élément de futur parti ils deviennent un handicap à sa construction. De telles formations sont condamnées à n'être que de petites sectes dans tout le sens du terme, et qui ne sortent de leur état de secte que pour tomber, ou dans l'aventurisme et le donquichottisme, ou à évoluer dans le plus crasseux opportunisme. La plupart du temps elles tombent dans les deux à la fois, (voir le trotskisme).
Ce que nous venons de dire plus haut pour la constitution du Parti est également vrai pour le maintien d'un parti, après des défaites décisives, dans une période de reflux révolutionnaire prolongée.
C'est à tort qu'on citerait l'exemple du parti bolchevik comme démenti à notre affirmation. C'est là une vue formelle.
Le parti bolchevik qui se maintient après 1905 ne peut être considéré comme un PARTI mais comme une FRACTION du PARTI social-démocrate russe, lui-même disloqué en plusieurs fractions et tendances.
C'est à cette condition que la fraction bolchévik pouvait subsister et servir de noyau central à la constitution du parti communiste en 1917. Tel est le sens réel de l'histoire du parti bolchévik.
La dissolution de la 1ère Internationale nous montre que Marx et Engels ont eu une conscience aiguë de l'impossibilité du maintien de l'organisation internationale révolutionnaire de la classe dans une période prolongée de reflux. Il est vrai que les esprits bornés et formalistes voient dans la dissolution de la 1ère Internationale l'effet d'une manœuvre de Marx contre Bakounine.
Nous n'entendons pas entrer ici dans la question de procédure ni de justifier en tous points la manière dont Marx s'y est pris.
Que Marx ait vu dans les bakouninistes un danger menaçant l'Internationale et ait entrepris une lutte pour l'écarter est absolument exact (et nous sommes de ceux qui estimons que Marx avait absolument raison sur le fond. L'anarchisme depuis, a eu l'occasion de révéler plus d'une fois sa nature idéologique foncièrement petite-bourqeoise).
Mais ce ne fut pas ce danger qui le convainquit de la nécessité de la dissolution de l'organisation.
A maintes reprises, au moment de la dissolution et par la suite, Marx s'est expliqué à ce sujet. C'est à la fois lui faire une injure gratuite et lui attribuer une force démoniaque que de voir dans la dissolution de la 1ère Internationale le simple effet d'une manoeuvre, d'une intrigue personnelle. Il faut vraiment être aussi borné que James Guillaume, pour voir dans les événements d'une importance historique, le simple produit de la volonté des individus. Au delà de la légende anarchiste il faut voir et saisir la signification de la dissolution de la 1ère Internationale.
Et on saisit cette signification en rapprochant ce fait d'autres disparitions et dissolutions des organisations politiques dans l'histoire du mouvement ouvrier.
Ainsi, le profond changement de la situation sociale et politique survenu, qui se produit en Angleterre au milieu du XIXème siècle entraîne la dislocation et la disparition du mouvement chartiste.
Un autre exemple est celui de la dissolution de la Ligue Communiste après les années orageuses de la révolution de 1848-50. Tant que Marx croit que la période révolutionnaire n'est pas encore passée, en dépit de lourdes défaites et des échecs subis, il tend à maintenir la Ligue, à regrouper les cadres dispersés, à renforcer l'organisation. Mais dès qu'il s'est convaincu de la fin de la période révolutionnaire, de l'ouverture d'un long cours historique réactionnaire, il proclame l'impossibilité du maintien du parti, il se prononce pour un repli de l'organisation vers des tâches plus modestes, moins spectaculaires et plus réellement fécondes : l'élaboration théorique et la formation des cadres.
Il n’y a vraiment pas eu nécessité de l'existence de Bakounine, ni besoin de "manoeuvres urgentes" pour que Marx, 20 ans avant, comprenne l'impossibilité de l'existence d'un parti et d'une internationale dans une période révolutionnaire.
25 ans après, Marx, rappelant la situation de 1850-51 et les luttes de tendances qui se produisirent au sein de la Ligue Communiste, écrit :
Dans ce passage nous trouvons la pensée fondamentale de Marx s'élevant contre ceux qui ne veulent pas comprendre que la forme du mouvement, de l'organisation politique de la classe, les tâches de l'organisation, ne restent pas toujours identiques, elles suivent la situation et se transforment, se modifient avec les changements survenus dans la situation objective. Pour réfuter ceux qui voudraient voir dans ces lignes une justification a posteriori, il n'est pas sans intérêt de citer les arguments de Marx, tels qu'il les a formulés au moment même de la lutte contre la Fraction Willich-Schapper. Dans l'exposé des motifs de sa proposition de scission qu'il a présenté au Conseil Central de la Ligue le 15 septembre 1850 Marx disait entre autres :
Nous dédions ces lignes tout particulièrement aux camarades tels que R.K.D, et C.R. qui pendant longtemps nous ont reproché de ne pas vouloir "construire" le parti nouveau.
Dans la lutte contre l'aventurisme du trotskisme que nous avons soutenue depuis 1932, dans la question de formation du nouveau parti et de la IVème Internationale, le R.K.D. voyait surtout on ne sait quelle "hésitation" subjective. Le R.K.D. n'a jamais compris la notion de "Fraction" c'est-à-dire une organisation particulière, avec des tâches particulières correspondant à une situation particulière dans laquelle ne peut exister ni être constitué le parti. Cette notion de "Fraction" le RKD n'a jamais fait d'effort pour le comprendre. Il préférait se livrer à la traduction simpliste étymologique du mot "Fraction" pour voir dans le "bordiguisme" des "redresseurs" de l'ancien parti. Ils appliquaient à la Gauche Communiste, la mesure de leur nature propre, la mesure trotskiste par excellence : "On est pour le redressement de l'ancien parti, ou on est pour la proclamation du nouveau parti".
La situation objective et les tâches des révolutionnaires, en correspondance avec la situation, cela est bien trop prosaïque, trop compliqué pour ceux qui se plaisent dans la facilité de la phraséologie révolutionnaire, La lamentable expérience de l'organisation C.R. ne semble avoir guère profité à ces camarades. Dans l'échec de l'O.C.R. ils ne voient pas la rançon de la formation précipitée d'une organisation qu'ils voulaient achevée, et qui fut en réalité artificielle, hétérogène, groupant des militants sur un vague programme d'action, imprécis et inconsistant. Ils attribuent leur échec à une mauvaise qualité de l'élément humain, ne voyant surtout pas l'échec en corrélation avec l'évolution de la situation objective.
Il peut paraître étrange à première vue que des groupes se réclamant de la Gauche Communiste Internationale, et qui pendant des années ont combattu avec nous l'aventurisme trotskiste de la création artificielle de nouveaux partis aient enfourché aujourd'hui ces mêmes dadas et soient devenus les champions de cette construction à un rythme accéléré.
On sait qu'en Italie existe déjà le Parti Communiste Internationaliste, qui quoique très faible numériquement, tend néanmoins à jouer le rôle du parti. Les récentes élections à la Constituante auxquelles participait le PCI d'Italie, ont révélé l'extrême faiblesse de son influence réelle sur les masses, ce qui nous montre que ce parti n'a guère dépassé les cadres restreints d'une fraction. La Fraction belge de son coté, lance des appels pour la construction du nouveau parti. La FFGC, récente formation sans base de principe bien définie emboîte le pas et se donne pour tâche pratique la construction du nouveau parti en France.
Comment expliquer ce fait? Cette nouvelle orientation? Qu'un certain nombre d'individualités ([4] [12]) qui ont rejoint ce groupe récemment ne fassent qu'exprimer leur incompréhension, leur non assimilation de la notion de la "fraction", qu'il continuent à exprimer dans les divers groupes de la GCI les conceptions trotskistes qu'ils ont eues hier et qu'ils continuent à professer sur le Parti, aucun doute à cela.
D'autre part, il est également exact de voir dans la contradiction existant entre l'énonciation théorique abstraite et la politique pratique, concrète, dans la question de la construction du parti, une contradiction supplémentaire dans le lot des contradictions dont se sont rendus coutumiers ces groupes. Cependant tout cela n'explique pas encore la conversion de l'ensemble de ces groupes. Cette explication doit être recherchée dans l'analyse qu'ils font de la situation présente et les perspectives qu'ils entrevoient.
On connait la théorie sur "l'économie de guerre" professée avant et pendant la guerre par la tendance Vercesi dans la GCI. D'après cette théorie, l'économie de guerre et la guerre sont des périodes de plus grand développement de la production, de l'essor économique. Il en résultait qu'aucune crise sociale ne peut surgir pendant cette période de "prospérité". Il fallait attendre "la crise économique de l'économie de guerre", c'est-à-dire le moment où la production de guerre ne parviendrait plus à répondre au besoin de la consommation de la guerre, la pénurie des moyens matériels à la poursuite de la guerre, pour que cette crise nouvelle manière ouvre la crise sociale et la perspective révolutionnaire.
Il était logique, d'après cette théorie, de mer toute possibilité d'éclosion de convulsions sociales pendant la guerre. De là aussi la négation absolue et obstinée de toute signification sociale dans les événements de juillet 43 en Italie ([5] [13]) De là également l'incompréhension totale de la signification de l'occupation de l'Europe par les forces armées des alliés et Russes, et plus particulièrement l'importance qu'acquérait la destruction systématique de l'Allemagne, la dispersion du prolétariat allemand transformé en prisonnier de guerre, exilé, disloqué rendu momentanément inoffensif et incapable de tout mouvement indépendant.
Pour ces camarades, la reprise de la lutte de classe, et encore plus précisément, l'ouverture d'un cours ascendant de la révolution ne pouvait se faire qu'après la fin de la guerre, non parce que le prolétariat était imprégné d'une idéologie nationaliste patriotique mais parce que les conditions objectives d'une telle lutte ne pouvaient exister dans la période de guerre. Cette erreur démentie par l'histoire (la Commune de Paris et la révolution d'Octobre) et partiellement dans cette guerre-ci (se rappeler les convulsions sociales des événements de 43 en Italie et certaines manifestations de l'esprit défaitiste dans l'armée allemande au début de 45 devait être fatalement doublée par une erreur non moins grande que la période de l'après-guerre ouvre automatiquement un cours de reprise de luttes de classe et de convulsions sociales.
La formulation théorique la plus achevée de cette erreur a été donnée par la Fraction belge dans l'article de Lucain publié dans l'Internationaliste. D'après son schéma, dont il veut de force faire endosser à Lénine la paternité, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, reste vraie, à condition que l'on élargisse cette position à la période de l'après-guerre. En d'autres termes, c'est dans la période d'après-guerre que se réalise la transformation de la guerre en guerre civile.
Une fois cette théorie systématisée et postulée, tout deviendra simple et il ne restera plus qu'à examiner l'évolution de la situation et des événements au travers et partant d'elle.
Ainsi l'analyse de la situation présente serait celle d'une situation de transformation en guerre civile. Partant de cette analyse centrale, on proclamera la situation en Italie particulièrement avancée, justifiant la constitution immédiate du Parti, on verra dans les troubles aux Indes et en Indonésie ou dans d'autres colonies, dont les ficelles sont étroitement tenues par les divers impérialismes en compétition et par la bourgeoisie indigène, la manifestation du commencement de la guerre civile anti-capitaliste. Le massacre impérialiste en Grèce fera aussi partie de la révolution en marche. Inutile de dire que l'idée ne leur viendra pas de mettre un seul instant en doute le caractère révolutionnaire des grèves en Amérique et en Angleterre, et même celles de France. Récemment l'Internationaliste a salué la formation de cette petite chapelle qu'est la CNT en France, comme un indice "entre autres" de l'évolution révolutionnaire de la situation en France. La FFGC ira jusqu'à prétendre que la reconduction du tripartisme gouvernemental s'est faite en fonction de la menace de classe du prolétariat, et insistera sur la haute signification objective qu'acquiert l'adhésion de quelques cinq camarades du groupe "Contre le Courant" ([6] [14]) à leur groupe.
Une telle analyse de la situation, avec la perspective de batailles de classe décisives dans le proche avenir, conduit tout naturellement ces groupes à l'idée de la nécessité urgente de construire le plus rapidement possible le Parti. Cela devient la tâche présente, la tâche du jour, sinon de 1'heure.
Le fait que le capitalisme international ne semble nullement inquiet de cette menace de lutte du prolétariat qui pèserait sur lui, et se livre tranquillement à ses affaires, à ses intrigues diplomatiques, à ses rivalités internes, à ses conférences de paix dans lesquelles il étale publiquement ses préparatifs de guerre prochaine, tout cela ne pèse pas lourd dans l'analyse de ces groupes.
On n'exclue pas complètement l'éventualité d'une prochaine guerre, d'abord parce que cela peut servir de thème de propagande et ensuite parce que se souvenant de l'aventure de 37-39, où également on niait la perspective de la guerre mondiale, on préfère être plus prudent cette fois-ci et se laisser une porte de sortie pour le cas échéant. De temps à autre on dira,à la suite du PCI d'Italie, que la situation en Italie est réactionnaire, mais cela ne portera pas à conséquence et restera une phrase épisodique, sans rapport avec l'analyse fondamentale de la situation qui mûrit "lentement mais sûrement" vers des explosions révolutionnaires décisives.
Cette analyse est également partagée par d'autres groupes comme le CR qui oppose à la perspective objective de la 3ème guerre impérialiste celle de la révolution inévitable, ou encore celle du RKD qui, plus prudent, se réfugie dans la théorie du double cours, de la croissance parallèle et simultanée du cours de la révolution et du cours de la guerre. Le RKD n'a évidemment pas encore compris que la croissance du cours vers la guerre est en premier lieu conditionnée par l'affaiblissement du prolétariat et 1'éloignement de la menace de la révolution, à moins d'épouser la théorie de la tendance Vercesi avant 39 pour qui la guerre impérialiste n'est pas une lutte d'intérêt entre les différents impérialistes, mais un acte de plus haute solidarité impérialiste en vue du massacre du prolétariat, une guerre de classe directe du capitalisme contre la menace révolutionnaire du prolétariat. Les trotskistes qui donnent également la même analyse, paraissent infiniment plus logiques avec eux-mêmes, car pour eux il n'y a pas nécessité de nier la tendance vers la 3ème guerre, la prochaine n'étant pour eux que la lutte armée généralisée entre le capitalisme d'une part et le prolétariat groupé autour de"l'Etat Ouvrier" russe de 1 ' autre.
En fin de compte, ou on confond d'une façon ou d'une autre la prochaine guerre impérialiste avec la guerre de classe, ou on minimise la menace de la guerre en la faisant précéder d'une indispensable période de grandes luttes sociales et révolutionnaires. Dans le deuxième cas, l'aggravation des antagonismes inter impérialistes, l'accélération des préparatifs de guerre auxquels nous assistons est expliquée par une myopie, une inconscience dans laquelle se trouve, le capitalisme mondial et ses chefs d'Etat.
On peut rester bien sceptique sur une analyse basée sur nulle autre démonstration que son désir propre, s'accordant le bénéfice d'une clairvoyance tandis qu'on attribu-2 généreusement à l'ennemi de classe un aveuglement total. Le capitalisme mondial a plutôt donné des preuves d'une conscience autrement plus aiguë des réalités que le prolétariat. Sa conduite en 43 en Italie et en 45 en Allemagne, prouve qu'il a diablement bien assimilé les enseignements de la période révolutionnaire de 1917, bien mieux que ne le fit le prolétariat et son avant-garde. Le capitalisme a appris à mater le prolétariat non seulement par la force mais à écarter le danger en utilisant le mécontentement même des ouvriers et en dirigeant ce mécontentement vers un sens capitaliste. Il a su faire, avec les armes d'hier du prolétariat, des chaînes contre lui. Il suffit de constater que le capitalisme se sert volontiers aujourd'hui des syndicats, du marxisme, de la Révolution d'Octobre, du socialisme, communisme, anarchisme, du drapeau rouge, du 1er mai, comme moyens les plus efficaces pour duper le prolétariat. La guerre de 39-45 fut menée au nom de "l'antifascisme" qui a été déjà expérimenté dans la guerre espagnole. Demain c'est sous le drapeau de la lutte contre le fascisme russe ou au nom de la Révolution d'Octobre que les ouvriers seront, une fois de plus, jetés sur le champ de bataille.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, 1ibération nationale, reconstruction, revendications "économiques", participation ouvrière à la gestion, contrôle ouvrier, et autres slogans du même acabit, sont devenus les moyens les plus efficaces du capitalisme pour la destruction de la conscience de classe du prolétariat. C'est avec ces slogans qu'on mobilise les ouvriers dans tous les pays. Les troubles qui éclatent de ci de là, et les grèves restent dans ce cadre et ont pour résultat un plus grand enchaînement des ouvriers à 1'Etat capitaliste.
Dans les colonies, les masses se font massacrer dans une lutte, non pour la destruction de l'Etat mais pour sa consolidation, son indépendance à l'égard de la domination d'un impérialisme au bénéfice d'un autre impérialisme. Aucun doute possible sur la signification du massacre en Grèce, quand nous voyons l'attitude protectrice que prend la Russie, quand nous voyons Jouhaux devenir l'avocat de la CGT grecque en conflit avec le gouvernement. En Italie les ouvriers "luttent" contre la monarchie au nom de la république, ou se font massacrer mutuellement pour la question de Trieste. En France, les ouvriers donnent le spectacle écœurant de défiler en bleu de travail au pas cadencé, dans le défilé militaire du 14 juillet. Telle est la réalité prosaïque de la situation présente.
Il n'est pas vrai que les conditions pour la reprise de la lutte de classe, se présentent dans l’après guerre. Quand le capitalisme a "terminé" une guerre impérialiste mondiale qui a duré 6 ans sans voir l'embrasement d'une révolution, cela signifie la défaite du prolétariat et que nous ne sommes pas à la veille de grandes luttes révolutionnaires mais à la veille d'une d'une défaite. Cette défaite a eu lieu en 45, dans la destruction physique du centre de la révolution que représentait le prolétariat allemand, et elle fut d'autant plus décisive que le prolétariat mondial n'avait même pas pris conscience de la défaite qu'il venait de subir.
Le cours vers la 3ème guerre impérialiste mondiale est ouvert. Il faut cesser de jouer à l'autruche et chercher à se consoler en ne voulant pas voir la gravité du danger. Dans les conditions présentes, nous ne voyons pas la force susceptible d'arrêter ou de modifier ce cours,La pire chose que peuvent faire les faibles forces des groupes révolutionnaires c'est de lever le pied dans un cours de marche descendant. Fatalement ils aboutiront à se briser le cou.
La Fraction belge croit être quitte en disant que, si la guerre éclate, cela prouverait que la formation du parti aurait été prématurée. Quelle naïveté ! Cela ne se fera pas impunément, il faudra payer chèrement l'erreur.
En se jetant dans l'aventurisme de la construction prématurée et artificielle de partis, on commet, non seulement une erreur d'analyse de la situation, mais on tourne le dos à la tâche présente des révolutionnaires, on néglige l'élaboration critique du programme de la révolution, on abandonne l'oeuvre positive de formation de cadres.
Mais il y a encore pire, et les premières expériences du parti en Italie sont là pour nous le confirmer. Voulant à tout prix jouer au parti dans une période réactionnaire, voulant à tout prix faire du travail de masse, on descend au niveau de la masse, on lui emboîte le pas, on participe au travail syndical, on participe aux élections parlementaires, on fait de l'opportunisme.
A l'heure présente, l'orientation de l'activité vers la construction du Parti ne peut être qu'une orientation opportuniste.
Que l'on ne vienne pas nous reprocher d'abandonner la lutte quotidienne des ouvriers, de nous extraire de la classe. On ne reste pas avec la classe parce qu'on s'y trouve physiquement et encore moins en voulant garder à tout prix la liaison avec les masses, 1iaison qui, en période réactionnaire, ne peut être maintenue qu'au prix d'une politique opportuniste. Que l'on ne vienne pas nous reprocher de vouloir nous isoler dans notre tour d'ivoire, nous accuser de tendre vers des sectes de doctrinaires qui renoncent à toute activité, après nous avoir accusés d'activisme dans les années 43-45.
Le sectarisme n'est pas l'intransigeance de principes, ni la volonté d'études critiques, ni même le renoncement momentané à un large travail extérieur. Le vrai caractère du sectarisme est sa transformation du programme vivant en un système mort, les principes guidant l'action en dogmes, que cela soit braillé ou chuchoté.
Ce que nous proclamons nécessaire dans la période réactionnaire présente, c'est le besoin de faire des études objectives, de comprendre la marche des événements, leurs causes, et oeuvrer pour les faire comprendre à un cercle d'ouvriers forcément restreint dans une période de réaction.
La prise de contact entre les groupes révolutionnaires de divers pays,la confrontation de leurs idées, la discussion internationale organisée en vue de la recherche d'une réponse aux problèmes brûlants, soulevés par l'évolution, un tel travail est autrement plus fécond, et se rattache autrement à la classe, que la vaine agitation creuse, dans le vide.
La tâche de l'heure des groupes révolutionnaires est la formation des cadres, tâche moins tapageuse, moins portée à des succès faciles, immédiats et éphémères, et infiniment plus sérieuse, car la formation des cadres aujourd'hui est la condition et la garantie du FUTUR PARTI DE LA REVOLUTION.
Marco.[1] [15] R.K. D. -Communistes Révolutionnaires d’Allemagne- , Groupe trotskiste autrichien qui s'est oppose à la fondation d'une 4ème Internationale lors de la Conférence Internationale qui l'avait proclamée en 1938, l'estimant largement prématurée. Ce groupe en exil prendra de plus en plus de distance par rapport à cette Internationale (et notamment en ce qui concerne la participation à la 2ème guerre sous prétexte de défense de l'URSS) et finalement contre la théorie de l'Etat ouvrier dégénéré, chère au trotskisme. Ce groupe en exil avait le mérite politique incontestable de mener une campagne intransigeante contre la guerre impérialiste et contre toute participation, sous quelque prétexte que ce soit. A ce titre il a pris contact avec la Fraction de la Gauche Communiste Italienne et Française durant la guerre et a participé à la publication, en mai 45, d'un tract en commun avec la Fraction française, adressé aux ouvriers et aux soldats de tous les pays, et en plusieurs langues, dénonçant la campagne chauvine lors de la "libération" de la France et appelant au défaitisme révolutionnaire et à la fraternisation. Après la guerre ce groupe s'est rapidement orienté vers l'anarchisme dans lequel il finit par se dissoudre.
[2] [16] Le C.R. (Communistes Révolutionnaires) est un groupe de trotskistes français que le R.K.D. a réussi à détacher du trotskisme vers la fin de la guerre et qui a suivi une évolution identique au R.K.D. Ces deux groupes ont participé à la Conférence Internationale en 47-48 réunie en Belgique à l'initiative du groupe de la Gauche Hollandaise, qui réunissait tous les groupes restés internationalistes et qui rejétaient toute participation à la guerre.
[3] [17] Il faut absolument se garder contre une erreur couramment commise et qui consiste à identifier le Parti avec 1'activité toujours possible et nécessaire des groupes révolutionnaires et le déterminisme avec un fatalisme impuissant et désespéré. La tendance Vercesi de la G.C.I., est tombée dans cette erreur pendant la guerre.
Considérant que les conditions du moment ne permettaient, ni l'existence d'un parti, ni l'entreprise d'une large agitation dans les masses, elle a conclu à la condamnation de tout travail révolutionnaire et a nié la possibilité de l'existence même des groupes révolutionnaires. Elle a oublié que les hommes ne sont pas simplement des produits de l'histoire mais que... "Les hommes font leur propre histoire."(Marx)
L'action des révolutionnaires est forcément limitée par les conditions objectives. Mais cela n'a rien à voir avec les cris désespérés du fatalisme : quoi que tu fasses tu n'arriveras à rien.
Le marxisme révolutionnaire au contraire dit : "En prenant conscience des conditions existantes et agissant dans leurs limites dans un sens révolutionnaire, on fait de sa participation une force complémentaire réagissante qui à son tour influence et est susceptible de modifier le cours de événements." (Trotsky - "Cours nouveau"-)
[4] [18] Il s'agit des anciens membres de l'Union Communiste, groupe qui publiait "L'Internationale" dans les années 30 et qui a disparu à la déclaration de la Guerre en 1939.
[5] [19] Chute du régime de Mussolini et refus des masses ouvrières à continuer la guerre.
[6] [20] Un petit groupe qui s'est constitué après la guerre qui a connu une existence éphémère, et dont les membres, après un bref passage au P. CI s’est perdu dans la nature.
LUTTE REVENDICATIVE, LUTTE REVOLUTIONNAIRE : LA DYNAMIQUE DE LA CLASSE OUVRIERE
Le "Groupe Communiste Internationaliste", formé en 1979 par des militants ayant quitté le CCI, est une illustration typique des difficultés et de la faiblesse dans lesquelles se trouve aujourd'hui le milieu révolutionnaire. La constitution hâtive par ces camarades d'une"tendance" dans notre organisation sur des bases hétéroclites et incohérentes, leur départ précipité sans qu'ils aient essayé de mener un débat de fond permettant de clarifier pleinement leurs divergences, exprimaient certains des travers les plus répandus aujourd'hui dans le milieu révolutionnaire : 1'immédiatisme, le volontarisme, et le sectarisme. En effet, le point de départ de leur démarche était une impatience devant la stagnation des luttes de classe au milieu des années 70. Déçus par le prolétariat, ils se sont réfugiés dans la vision propre aux bordiguistes qui fait du Parti le "deus ex machina" du mouvement de la classe. De même, frustrés de n'avoir pas convaincu immédiatement 1 'ensemble de 1 'organisation, ils ont préféré la quitter avant même d'avoir rédigé un document synthétisant l'ensemble de leurs divergences. A un travail révolutionnaire sérieux qui implique aussi de se trouver en minorité dans une organisation vivante du prolétariat, ils ont préféré se livrer aux penchants typiquement gauchistes et estudiantins de multiplication de petits cercles où chacun peut s'adonner à coeur joie à 1'ambition petite-bourgeoisie d'être "maître chez soi". En un mot, le sectarisme.
Sur la lancée de ses origines, le GCI n'a eu de cesse, depuis son apparition, de dénigrer systématiquement le CCI, en s'acharnant à trouver des contre-exemples destinés à démentir nos analyses, en utilisant massivement la déformation de nos positions en lieu et place d'une polémique véritable et fructueuse.
Quand à 1'argumentation de leurs positions de départ, elle a conduit ces camarades a développer des théories fumeuses et des schémas abstraits auxquels ils "adaptent" la réalité. Ainsi, ils ont abandonné rapidement une compréhension réelle de ce qu'est la classe ouvrière et de son mouvement; ils ont rejeté aux poubelles de l'histoire une partie du mouvement ouvrier, et notamment toute la seconde Internationale.
Cet abandon est à la base, comme pour beaucoup de groupes révolutionnaires aujourd'hui, des graves confusions du GCI sur de multiples problèmes, notamment le processus de prise de conscience du prolétariat et le rôle des minorités révolutionnaires, la nature et le rôle de la violence de classe, les perspectives actuelles de la lutte de classe et le cours historique de notre période, confusions qui interdisent d'apporter une contribution fructueuse aux combats qui se préparent.
C'est ce que nous proposons de montrer dans cet article.
CONSCIENCE DE CLASSE ET ROLE DU PARTI
Le GCI ([1] [22]) reconnaît très clairement que la révolution prolétarienne, à la différence des révolutions bourgeoises, sera une révolution CONSCIENTE :
" Les conditions et les déterminations de la lutte prolétarienne sont donc radicalement différentes de ce qui conditionnait les luttes de classe du passé, pour le prolétariat qui n'a aucun nouveau système d'exploitation à imposer, la connaissance de son être en mouvement (et donc de son but) est une nécessité pour sa victoire" (Le Communiste n°6, page 3).
Malheureusement, s'il accepte cette prémisse générale, c’est pour aussitôt la déformer, en 1'"adaptant" à sa propre vision de la classe et du parti. Le préjugé bien ancré du GCI est que seule une minorité du prolétariat peut arriver à une conscience claire des buts et moyens de la révolution : " exiger que la conscience soit générale au sens où l'ensemble des ouvriers soient conscients des objectifs, des moyens pour y arriver et de l'expérience accumulée, c'est demander l'impossible : les conditions même de l'exploitation l'empêchent" (Rupture avec le CCI, page 10). La conscience de classe est vue comme l'apanage de ceux qui ("noyaux, groupes, fractions, voire individus, communistes") doivent se constituer en parti communiste mondial. Quant aux larges masses d'ouvriers, ce n'est que plus tard, après la prise du pouvoir, pendant la dictature du prolétariat, qu'elles acquerront cette donnée précieuse. Le GCI se trouve ainsi prisonnier de ses deux affirmations, qui s'excluent réciproquement; d'une part l'affirmation que"pour le prolétariat, la connaissance de son être en mouvement (et donc de son but) est une nécessité pour sa victoire" et d'autre part l'affirmation que "exiger que la conscience soit générale, au sens où l'ensemble des ouvriers soient conscients... c'est demander l'impossible". C'est dans l'emploi du mot "ensemble" et le sens abusif qu'il lui donne que le GCI s'enfonce dans la confusion tout en croyant s'en tirer. Faut-il rappeler que pour le marxisme, "l'ensemble" n'a nullement un sens arithmétique d'une somme d'ouvriers additionnés un à un? L'"ensemble" se rapporte à la classe comme une entité sociale, avec sa dynamique propre, historique. Il se rapporte à la conscience de la classe comme un tout, et non à la conscience de chaque ouvrier comme individu. C'est cette difficulté à saisir le concept de classe comme un tout, un ensemble, cette difficulté commune à toute démarche petite-bourgeoise, qui plonge le GCI dans cet embarras insurmontable, et ne lui permet de s'en dégager qu'en recourrant à une autre et vieille aberration .
Comment selon le GCI, le prolétariat pourra-t-il donc faire la révolution? C'est au parti que revient l'essentiel de cette tâche.
Cette position n'est pas sans poser quelques difficultés, lorsqu'on aborde des problèmes plus concrets. Si les ouvriers ne sont que des moutons inconscients, pourquoi suivront-ils le parti, les mots d'ordre révolutionnaires, plutôt que la bourgeoisie? Pourquoi les ouvriers, en Allemagne, n'ont-ils pas suivi leurs partis (KPD, KAPD) qui décrétèrent l'Action de Mars en 1921? "Il y a eu putsch car impréparation (cf. Les changements de positions du VKPD, du jour au lendemain) et erreurs d'appréciation de l'état d'esprit des masses, du rapport de force entre les deux classes antagoniques" (Le Communiste, n°7, pagel6).
En quoi consistait cette préparation, réussie en Russie et ratée en Allemagne? "Dans l'action de Mars, il n'y a aucune "conspiration sérieuse", aucun "complot insurrectionnel, aucune insurrection massive, et encore moins un déforcement de la bourgeoisie" (Idem). Voilà comment le GCI se "sort" de la position difficile dans laquelle il s'est placé : en éliminant totalement le facteur "conscience de classe".
Les facteurs déterminant une insurrection victorieuse sont réduits du coté du parti...à une "conspiration", un "complot", et du coté de la classe à... une"insurrection massive". Un point c'est tout.
Si le GCI peut éliminer aussi facilement la conscience de classe de l'analyse des mouvements révolutionnaires, alors qu'il en parle tellement dans d'autres textes, c'est parce que fondamentalement, il ne sait pas de quoi il parle, parce qu'il ne comprend pas ce qu'est la conscience de classe.
La conscience de classe est la conscience qu'a la classe ouvrière de son être propre, de ses perspectives et des moyens qu'elle se donne pour les réaliser. Elle n'est pas une conscience sur un objet, extérieur au prolétariat, mais une" conscience de soi, et dans cette mesure, elle s'accompagne d'une modification du prolétariat. La conscience de classe n'existe que par l'existence d'une classe consciente. Que la classe soit consciente ne signifie pas que tous les prolétaires, pris individuellement, aient cette conscience, mais c'est un fait matériel : la classe consciente est une classe qui s'affirme par la destruction matérielle du système capitaliste. Toute tentative de dissocier conscience de classe - classe consciente-destruction matérielle du capitalisme - ne consiste qu'à réintroduire l'idéologie bourgeoise, ses séparations et ses spécialisations, dans la théorie révolutionnaire.
La conscience de classe, collective, ne peut donc, par sa nature même,être détenue par une minorité. Le parti, les noyaux révolutionnaires ont bien une compréhension théorique des problèmes de la révolution, mais ne peuvent prétendre être les détenteurs exclusifs de la conscience de classe.
En fait le GCI ne voit pas d'où vient la conscience de classe, comment elle s'élabore. Sous prétexte que "l'action précède la conscience", il refuse de comprendre que la conscience de classe s'élabore au travers des luttes quotidiennes de la classe ouvrière et de la réflexion forcée et inévitable de ses expériences. Et que c'est parce que le prolétariat devient plus conscient qu'il est capable de modifier sa façon de lutter. Le prolétariat ne fera pas une "insurrection massive" poussé uniquement par la misère, comme semble le penser le GCI. Le prolétariat ne fera la révolution que s'il sait ce qu'il fait et vers où il va.
Sur ce point, le GCI se pi ait à répandre l'idée que le CCI est, entre autre, profondément "démocrate". "Avec son culte de la conscience généralisée (dont il fait un fétiche devant lequel il se met à genoux), le CCI est retombé tout droit dans l'idéologie"démocratique bourgeoise" (Rupture avec le CCI, page 11). Le GCI affirme par ailleurs que "l'aspect minoritaire de la conscience de classe restera une donnée certaine jusqu'à un stade avancé du processus révolutionnaire, pour s'élargir à des couches de plus en plus larges d'ouvriers pendant la période de dictature. La révolution communiste est donc principalement anti-démocratique".
Contrairement à ce que pense le GCI, la question réelle n'est pas "minorité" ou "majorité" en soi. Nous ne sommes pas attachés à des images de mécanismes de vote, à des forêts de bras levés, à de belles majorités qui 1'emportent...mais à comprendre les conditions qui rendent la révolution possible. Ni la révolution, ni la transformation ultérieure ne seront possibles avec pour seul atout une "minorité consciente". La transformation de la société capitaliste, dont les forces aveugles dominent le prolétariat comme toute la société, ne se fera pas par décrets, mais elle n'est possible que par l'action consciente et collective du prolétariat. C'est la mobilisation du prolétariat, sa capacité à assumer l'entièreté du pouvoir, qui seront les garanties de la transformation de la société. C'est pour cette raison que la dictature du prolétariat signifiera la démocratie ouvrière, c'est à dire une égalité réelle, une liberté sans précédent pour toute la classe ouvrière.
Cela signifiera aussi le refus de toute contrainte, de toute violence au sein du prolétariat. A ce sujet, on peut se demander ce que signifie concrètement le fait que pour le GCI, la révolution communiste sera anti-démocratique au sein même du prolétariat?
Avec la même virulence, le GCI reproche au CCI son"assembléisme", ou "formalisme" ou "fétichisme des Assemblées générales" - le terme varie selon les jours- bref, le fait que le CCI fait, dans son intervention en général, de la propagande pour certaines formes d'organisation de la lutte ouvrière : les Conseils Ouvriers en période révolutionnaire, et, dans les luttes actuelles, les organes qui les préfigurent, Assemblées Générales, comités de grève, délégués élus et révocables... L'argument du GCI en la matière étant que toutes les formes d'organisations (Conseils, comités de grève, unions etc..) pouvant être récupérées par la bourgeoisie (ce qui est tout à fait exact), peu importe la forme que prend l'organisation des ouvriers, ce qui importe, c'est le contenu . Le GCI a ainsi développé un schéma, où le lien entre la forme et contenu de la lutte est banni.
Nous ne sommes pas attachés à une forme d'organisation en tant que telle, mais à un contenu: le développement de la conscience de classe par la participation active des ouvriers â la lutte, le fonctionnement collectif, le dépassement des séparations entre "économique" et "politique", la rupture des divisions sectorielles, usinistes, entre les ouvriers. A ce contenu ne correspondent pas 36 organisations, et en tout cas, pas les syndicats (même si le GCI en juge certains de "classes" ni les unions. Le manque de clarté d'un groupe politique sur les organisations où s'exprimera la dynamique révolutionnaire est dangereux. La position du GCI sur les formes d'organisation de la lutte aujourd'hui l'a conduit à avoir, par rapport à la Pologne, une intervention totalement inadéquate. D'une part, en cherchant à prouver l'idée selon laquelle on ne peut prétendre à l'avance et en dehors de la vie réelle que les formes "syndicats de classe", "unions", "conseils", "communes", "soviets" ont toutes épuisé complètement leur cycle historique et ne ressurgiront plus comme expression du mouvement prolétarien (Le Communiste n° 4, page 29), au lieu de dénoncer les syndicats libres, le GCI écrit : " Ceux-ci peuvent en effet être de réels organismes ouvriers, larges, ouverts à tous les prolétaires en lutte, la coordination, centralisation des comités de grève, mais également sous pressions conjointes des autorités et des "dissidents", se transformer en organismes de l'Etat bourgeois" (Le Communiste n°7, page 4).
D'autre part, le GCI s'est contenté de mettre l'accent sur le caractère massif et centralisé du mouvement, sans se résoudre à parler des fermes d'organisations que cela supposait : Assemblées Générales, délégués élus et révocables, sans doute parce que cette réalité était trop "démocratique" à son goût?
Le silence dont fait preuve le GCI par rapport aux formes d'organisation de la lutte est d'autant plus profond que finalement, il n'est pas intéressé à comprendre le mouvement de la lutte de la classe ouvrière. En effet, à ses yeux, c'est le parti qui organise la classe.
LE ROLE CONCRET DU PARTI
" (les communistes) ne s'opposent pas aux nombreuses associations qui surgissent parmi les prolétaires et qui luttent pour des objectifs particuliers (...) . Ils agissent pour élever leur niveau, généraliser leurs tâches et leurs objectifs les fondre ensemble organiquement : c'est-à-dire les réunir en une seule organisation, ou du moins, si ce n'est pas possible directement, les centraliser autour du pôle le plus avancé" (Rupture avec le CCI, page 8). Le parti centralisant tendanciellement toute la classe, la fonction que joua la Première Internationale au 19ème siècle : "organiser et coordonner les forces ouvrières pour le combat qui les attend" (Marx, 1871), constitue l'idéal absolu du GCI. Ce que le GCI méconnaît totalement, c'est que l'évolution de la classe ouvrière d'une part, le changement de période historique de l'autre, ont modifié le rôle des révolutionnaires dans l'histoire : "Il était normal que dans un premier temps, la nécessité, d'organisations communistes distinctes remplissant une fonction propre ne se soit pas faite sentir de manière plus impérieuse : la première tâche d'organisation que des révolutionnaires comme Marx se sont donnée fut de tenter de faire exister le prolétariat comme force autonome, et organisée, en unifiant les expressions de classe existantes qui restaient éparpillées. Ce fut le sens de la Première Internationale, qui tenait autant du parti politique au sens strict du terme, que de l'organisation générale de la classe (associations et sociétés ouvrières, organes syndicaux). Avec la Deuxième Internationale, une plus grande distinction s'était opérée entre d'une part le parti politique et d'autre part les organismes plus généraux tels les syndicats. Cependant, l'immaturité du prolétariat en pleine croissance, la possibilité de mener des luttes permanentes pour des réformes et donc de créer et maintenir en vie des organisations de lutte permanentes (syndicats) donnaient toujours un poids à l'influence"organisatrice" des révolutionnaires; les partis eux-mêmes étaient des organisations de masse liées aux syndicats. Cette pratique s'est reflétée dans l'idée que les marxistes se faisaient de leur tâche. Pendant toute cette période en fait, l'absence d'expérience révolutionnaire décisive (l'exemple de la Commune de Paris demeurait tout à fait isolé), les marxistes ne parvenaient pas à concevoir le parti politique autrement que comme un organisme qui organiserait plus ou moins progressivement la majorité de la classe, et qui par ce caractère de masse, serait amené à exercer la dictature du prolétariat. Cette conception s'était particulièrement renforcée sous la social-démocratie.
Mais dés 1905 en Russie, cette conception s'est effondrée. L'entrée du capitalisme dans sa phase de déclin et la période de la révolution mondiale surgie de la première guerre mondiale changent définitivement et profondément les conditions de la lutte ouvrière, et donc également les caractéristiques de ses organisations. La crise du capitalisme empêche la survivance des luttes permanentes, les organisations de masses (syndicats et partis) sont englouties par l'appareil d'Etat; parallèlement, la plus grande maturité du prolétariat lui permet de se lancer dans des affrontements révolutionnaires et de créer spontanément des organisations de classe unitaires abolissant la frontière entre politique et économique, les Conseils Ouvriers. Les Conseils Ouvriers sont "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" (Lénine). Dans cette situation, la fonction propre des organisations révolutionnaires prend tout son sens: les révolutionnaires, même lorsqu'ils forment des partis, constituent une minorité dont l'impact organisateur se réduit vis-à-vis de la masse de prolétaires en mouvement, alors que leur tâche politique, en tant qu'organe spécifique, de développement de la conscience de classe devient cruciale pour la marche de la Révolution"(Internationalisme n563 : Nécessité et Fonction du Parti).
A l'époque actuelle, où le prolétariat tend à se lancer dans des luttes massives, les ouvriers à s'organiser par millions, la vision d'un parti réunissant les associations ouvrières en "une seule organisation" révèle une mégalomanie et un anachronisme profonds chez ceux qui la véhiculent. Le GCI pense avoir trouvé un support historique à sa conception : le KAPD en 20-21 en Allemagne, qui travaillait essentiellement dans les "Unions". Cette forme d'organisation bénéficie de ses faveurs pour deux raisons : parce que les "Unions" dépendaient étroitement d'un parti politique, et parce qu'il y avait un critère politique d'adhésion : l'accord sur la dictature du prolétariat.
Le GCI glorifie donc le KAPD : "Force nous est de trouver, dans la pratique du KAPD, les indications sur le contenu du futur mouvement révolutionnaire" (Le Communiste, n° 7, pagel8-19). Aveuglé par le fait d'avoir trouvé enfin la forme d'organisation qu'il cherchait et un parti qui l'a créée, le GCI se défend d'envisager en quoi, et la création des Unions et l'intervention du KAPD étaient à maints égards le produit de la faiblesse du mouvement révolutionnaire en Allemagne. Les Unions sont créées après l'échec des Conseils Ouvriers, que la bourgeoisie avait réussi à neutraliser. La désorientation politique du prolétariat qui s'en suivit se refléta dans ces organes, qui étaient clairement un repli sur l'usine, et que les ouvriers considéraient comme des syndicats plus radicaux. Cette désorientation va aussi influencer l'intervention des révolutionnaires : le KAPD va adopter une attitude volontariste dans son intervention, tenter de reconstruire le mouvement de masse grâce aux Unions. La centralisation dans le KAPD sera le reflet du manque de centralisation réelle dans la classe, d'une dispersion des forces. Finalement les attitudes putschistes du KAPD (Action de Mars) n'aboutiront qu'à 1'échec.
Armé de tout ce bagage "historico-théorique", le GCI conçoit son rôle comme étant prioritairement "d'organiser la classe", du moins les éléments qui veulent bien se laisser organiser par lui. Ses entreprises se sont soldées par un échec, soit parce que ses"appels" ne rencontrent aucun écho auprès des groupes concernés (cf. son appel â "une coordination des ouvriers en lutte", dans Le Communiste n°2, critiqué dans Internationalisme n° 35), soit parce que ayant bâti artificiellement des comités de tout genre, ceux-ci dé pourvus d'une vie réelle interne, succombaient rapidement à leurs contradictions. Ces expériences désastreuses devraient suffire pour démontrer au GCI que ce n'est pas là le sens du travail révolutionnaire aujourd'hui. Dans la période actuelle, les révolutionnaires doivent intervenir au sein des luttes générales de la classe pour y défendre des perspectives claires : ce que le GCI ne faisait quasiment plus jusqu’aux récents mouvements début 82 en Belgique, étant trop préoccupé par l'organisation et l'activation de ses "comités" fantômes.
LA CLASSE OUVRIERE
Emporté dans sa recherche de "minorités agissantes", "historiques",1e GCI a été amené à définir d'une façon très particulière ce que constitue pour lui la classe ouvrière : "Le CCI méconnaît que l'existence de la classe ouvrière ne se manifeste pas dans 1'énumération statique des prolétaires, ni même forcement dans une majorité d'entre eux, mais souvent dans des minorités d'entre eux parmi lesquelles s'exprime la tendance à la constitution en classe"(Rupture avec le CCI, page 3). Le GCI a ainsi développé une vision totalement abstraite de la classe ouvrière. Une vision qui se situe en dehors du marxisme parce qu'elle efface tout simplement et complètement les déterminations économiques de la classe. D'où yient en effet le "mouvement" qu'il retient comme critère pour définir la classe, quel est le moteur matériel de la lutte, sinon l'exploitation des prolétaires?
C'est cette définition de la classe ouvrière qui a été le support de l'intervention du GCI. Il a ainsi progressivement centré cette intervention vers des secteurs de la classe ouvrière, essentiellement les chômeurs, sans doute parce qu'il les jugeait susceptibles de se mettre plus rapidement en mouvement que les ouvriers au travail des concentrations industrielles. On peut voir à quel point le GCI est arrivé dans son culte du "mouvement", indépendamment des forces sociales qui animent celui-ci, dans sa position sur la lutte des squatters à Berlin : "La lutte à Berlin, surtout menée par des jeunes,se rattache de fait au prolétariat, parce que l'occupation correspond à la satisfaction autoritaire d'un besoin ouvrier général, parce que pour mener ces occupations, le mouvement doit s'affronter à l'Etat bourgeois, et il remet en cause le sacré principe de la propriété privée" ( Action Communiste n° 4, page 6).
Si le GCI a refusé les "déterminations économiques statiques", c'est pour être prêt à glorifier un mouvement avec pour critère qu'il s'affronte avec l'Etat et au nom de critères moraux : "satisfaction autoritaire", "propriété privée" etc..
Le mouvement squatter est une expression de l'impasse du capitalisme qui provoque des convulsions dans toute la société.
Mais celles-ci ne sont pas pour autant porteuses du dépassement de ce système. Seule la classe ouvrière est porteuse de ce dépassement et peut et doit développer sa lutte pour rassembler toutes ces révoltes sociales. Le GCI préfère assigner des perspectives particulières au mouvement des squatters : centraliser les luttes pour le logement au-delà des frontières. L'attirance aveugle pour "tout ce qui bouge" du GCI lui fait remettre en question une base essentielle de la lutte révolutionnaire et du marxisme: la classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire aujourd'hui.
LA VIOLENCE DE CLASSE
Le GCI, ne comprenant pas la capacité de la classe ouvrière à s'organiser de façon unitaire et à développer sa conscience de classe, ne saisit pas non plus comment, par sa violence de classe organisée, le prolétariat pourra avoir raison de la bourgeoisie. Cela le conduit à bon nombre de confusions, dont le point commun est l'idée que les affrontements physiques joueront un rôle central dans le développement de la perspective révolutionnaire. Le GCI défend aussi le terrorisme "ouvrier", insiste sur la "préparation militaire" de l'insurrection', sur la nécessité pour le prolétariat de développer une terreur rouge. Parce que nous ne partageons pas ces conceptions, le GCI nous accuse de "pacifisme" et de "légalisme" : "Le CCI ne s'est jamais dégagé du "social-pacifisme"" (Rupture avec le CCI, page 14).
Il ne fait aucun doute pour le CCI que la lutte de classe est une violence permanente entre deux classes irréductiblement antagonistes et que la révolution sera violente. Mais la question réelle est : quel rôle joue la violence dans la révolution prolétarienne?
A cette question, Rosa Luxembourg répondait : " Dans les révolutions bourgeoises antérieures ce sont les partis bourgeois qui avaient pris en main l'éducation politique et la direction de la masse révolutionnaire, et d'autre part, il s'agissait de renverser purement et simplement l'ancien gouvernement; alors le combat de barricades, de courte durée, était la forme la plus appropriée de la lutte révolutionnaire. Aujourd'hui, la classe ouvrière est obligée de s'éduquer, de se rassembler, et de se diriger elle-même au cours de la lutte et ainsi, la révolution est dirigée autant contre l'exploitation capitaliste que contre le régime d'Etat ancien; si bien que la grève de masse apparaît comme un moyen naturel de recruter, d'organiser et de préparer à la révolution les couches prolétaires les plus larges, de même qu'elle est en même temps un moyen de miner et d'abattre l'Etat ancien ainsi que d'endiguer l'exploitation capitaliste (...) Ce qui autrefois était la manifestation extérieure principale de la révolution : le combat de barricades, l'affrontement direct avec les forces de l'Etat, ne constitue dans la Révolution actuelle que le point culminant, qu'une phase du processus de la lutte de masse prolétarienne" (Grève de Masse).
Les combats pour la révolution prolétarienne seront peut-être plus violents, plus meurtriers que ceux qu'a menés la bourgeoisie pour faire sa révolution. Mais ce sera la conscience et la capacité du prolétariat à s'organiser qui déterminera l'efficacité de sa violence et non une "préparation militaire en soi" comme le pense le GCI. Pour cette raison, le rôle du parti prolétarien dans la préparation de l'insurrection comme à un niveau plus général consiste avant tout à développer la conscience de classe.
Les incompréhensions du GCI sur la question de la violence de classe déterminent par conséquent des erreurs dans son intervention. Pour le GCI, la classe ouvrière aurait à faire un apprentissage spécifique de la violence. Cela le conduit à applaudir à chaque acte violent posé par des groupes isolés de la classe ouvrière. " La violence est aujourd'hui un besoin immédiat de toute lutte qui veut marquer des points" (Voir leur article sur Longwy-Denain dans Le Communiste n° 1). Et parce qu'il craint que cela affaiblisse sa propagande pour la violence, la GCI s'interdit formellement de penser que ces manifestations de violence recouvrent bien souvent une combativité exemplaire associée à un manque de perspectives, comme dans la sidérurgie en France ou en Belgique. L'intervention du GCI ne correspond pas aux réels besoins de la classe.
La classe ouvrière n'a pas à apprendre à être violente, comme elle n'a pas à apprendre à faire grève. La classe ouvrière fait surgir des organisations révolutionnaires en son sein, pour ses besoins de comprendre et d'analyser la situation et de tracer des perspectives claires au cours de la lutte, non pour applaudir à ce qu'elle fait de plus immédiatement spectaculaire.
Dans ses tracts, le GCI ne manque pas de mettre en avant des mots d'ordre tels que "séquestration des patron", "destruction des stocks de marchandises". Pourtant les"exploits" du syndicalisme de base (destruction de sièges de banque, chambres syndicales, hôtels des impôts, séquestration de patrons) devraient lui faire comprendre que ces mots d'ordre ne sont pas plus que d'autres, en eux-mêmes, une manifestation de la radicalité de la lutte autonome du prolétariat.
Activisme organisateur, culte des mouvements partiels, apologie des "minorités" et de la violence dans un contexte d'immaturité de la classe ouvrière qui, jusqu'à présent, a encore laissé place aux illusions sur le parti "dirigeant la classe", 1'"organisant", "centralisant sa violence", voilà les facteurs qui ont permis que l'intervention du GCI ait produit un relatif développement numérique et éphémère en Belgique. Les bases du GCI sont peu solides. Nous venons de voir qu'elles reposent sur une incompréhension fondamentale de la nature de la classe ouvrière, de la façon dont celle-ci forge sa prise de conscience et du rôle des organisations révolutionnaires et du parti. Il s'agit de fait d'une incompréhension de la dynamique de la lutte de classe.
Lorsque l'on quitte le domaine des définitions et de la théorie, devenue pure abstraction pour le GCI, on peut voir dans toute son ampleur les conséquences des erreurs théoriques. Celui-ci s'avère en effet incapable de fournir une analyse sérieuse du mouvement de la lutte de classe. La cause essentielle de ce déficit est son refus de prendre en compte les conditions objectives, c'est-à-dire les conditions matérielles, qui, au sein du système capitaliste, sont un facteur déterminant dans les potentialités - ou les limites - de toute la lutte. Sa démarche idéaliste se dénote aussi bien dans son incompréhension historique (lutte en période ascendante et décadente du capitalisme) que dans son incompréhension du développement de la lutte à un niveau international aujourd'hui.
LE REJET DE LA 2ème INTERNATIONALE ET DES SYNDICATS
Le GCI a très vite rejeté le concept de périodisation du système capitaliste en une phase ascendante et une phase décadente, concept qui cimente la plateforme du CCI. Entendons-nous : il n'a jamais procédé à une critique réelle, mais en a touché un mot de-ci de-la ([2] [23]). Il rejette également les implications qu'a cette périodisation sur les potentialités de la lutte ouvrière. A savoir : au 19ème siècle, époque ou le capitalisme était en pleine expansion, la révolution n'était pas directement 4 l'ordre du jour. Dans ce contexte d'expansion, la lutte du prolétariat pouvait aboutir à des réformes, à des améliorations de sa condition, tant sur le plan économique (diminution du temps de travail, augmentation des salaires) que sur le plan politique (acquisition du droit d'association, de réunion, de presse, extension du droit de yote..). Au-delà de ces objectifs immédiats, c'est au travers de ces luttes que les prolétaires développaient leur organisation, leur unité, leur conscience de classe; au travers de cette expérience se préparait la lutte révolutionnaire. Social-démocratie et syndicats étaient les organisations qui, à l'époque, regroupaient les prolétaires autour de ces objectifs immédiats et à long terme. Un siècle plus tard, le GCI juge, quant à lui, que toute réforme intégrable par le capitalisme était par essence anti-prolétarienne: "Par suite de l'amélioration des conditions de travail et de la hausse des salaires, rendue possible par le haut niveau d'accumulation du capital, les luttes ouvrières furent chaque fois transformées en lutte pour des réformes (et par conséquent détruites en tant que combat prolétarien.), facteurs de l'expansion capitaliste et du progrès (Le Communiste n° 6, page 32). Pour quel objectif le prolétariat devait-il lutter alors? Selon le GCI, "il n'y a qu'un seul cas de conquête partielle envisageable, réalisé par notre classe : lorsque les ouvriers arrachent au capital une diminution du taux d'exploitation" (Le Communiste n°4, page 14). Nous avons déjà répondu à cette absurdité sans nom : "Jamais les luttes ouvrières ne se sont fixées comme objectif, en dehors des moments révolutionnaires, de mettre fin à l'accroissement du taux d'exploitation pour la bonne et simple raison qu'une telle chose aurait signifié l'arrêt de l'accumulation du capital, et donc du capital lui-même (Lutte revendicative et révolution, Internationalisme n° 40). Cette "analyse" illustre bien la démarche du GCI, oui se pi ait à élaborer des schémas stériles. La réalité de la lutte à la fin du 19ème siècle n'y entre-t-elle pas? Elle est simplement rejetée comme déchet à la poubelle de l'histoire. Les organisations du prolétariat à l'époque? Social-démocratie et syndicats sont décrétés "contre-révolutionnaires" les uns dès leur naissance, les autres dés leur légalisation par l'Etat bourgeois.
Au-delà du grotesque politique de ce genre d'affirmation, cet exemple est significatif. Ce que le GCI refuse en fait, c'est que la classe ouvrière est non seulement une classe révolutionnaire, mais aussi une classe exploitée. Ceci implique qu'elle lutte d'abord pour des objectifs immédiats (pour l'amélioration ou contre la détérioration de ses conditions d'existence), et que cette lutte ne peut réaliser sa potentialité révolutionnaire que dans des circonstances historiques déterminées : la période de décadence du capitalisme.
Pour le GCI, la classe ouvrière devrait être révolutionnaire dans toutes les conditions historiques et dans chaque lutte ponctuelle. Il tente de faire coller la réalité à son schéma, en affirmant jusque dans ses moindres tracts, que les ouvriers luttent aujourd'hui "pour une augmentation des salaires et des allocations de chômage", "pour une diminution de temps de travail", prêtant à toute lutte un caractère d'offensive directe vis-à-vis de la bourgeoisie, et ce, sur le terrain économique. Cette vision est, à maints égards, une absurdité profonde. Même dans la période actuelle, où la question de la Révolution est directement contenue dans les luttes décidées de la classe, l'aspect défensif est un caractère présent dans toute lutte. C'est la résistance à la dégradation de ses conditions d'existence qui pousse la classe ouvrière à développer son combat jusqu'à en faire une lutte révolutionnaire, moment où l'aspect défensif passe au second plan, mais est toujours présent. La transformation de sa lutte de résistance en lutte révolutionnaire nécessite toute une maturation de la classe ouvrière, de sa lutte et de sa conscience, C'est une vision totalement idéaliste de la classe ouvrière que celle du GCI qui ne reconnaît comme "lutte" que les mouvements qui posent la question de la révolution, et selon laquelle celle-ci serait directement contenue dans chaque lutte, dans chaque usine.
INTERNATIONALISATION DE LA LUTTE ET COURS HISTORIQUE
L'INTERNATIONALISATION DE LA LUTTE
Le GCI ignore généralement le problème de l'internationalisation de la lutte et quand il le pose, c'est toujours d'une façon erronée parce qu'il ne comprend pas les conditions matérielles qui déterminent les potentialités des combats ouvriers actuels.
Pour le GCI, la Révolution prolétarienne est à l'ordre du jour partout dans le monde; le prolétariat affronte sa tâche historique de façon unitaire tout en présentant des différences secondaires entre les divers pays. Le sort de la Révolution prolétarienne se jouera dans les pays centraux du capitalisme, là où le prolétariat est le plus concentré, où il y a la plus grande expérience de lutte, là où justement la bourgeoisie est le mieux développée, avec tout ce que cela comporte. C'est pourquoi nous avons toujours situé la reprise internationale des luttes en 68, au moment où toute l'Europe est secouée par des convulsions sociales. Nous rejetons explicitement la théorie "des maillons faibles" selon laquelle la Révolution se déclenchera dans les pays où la bourgeoisie est faible et mal armée contre le prolétariat. Nous avons réaffirmé cette position en essayant de comprendre la perspective qui s'ouvrait à la grève de masse en Pologne en 80-81, Nous avons mis l'accent sur le fait que le développement de la lutte en Pologne comme, à terme, la question de la Révolution, dépendait essentiellement de l'entrée en lutte du prolétariat des pays centraux du capitalisme.
A propos de cette question, le GCI jusqu'à présent fait preuve d'une incapacité notoire à comprendre la dynamique de la lutte de classe dans la période actuelle : quels en sont les grands moments? Où se situera au sein du mouvement international de la classe ouvrière, le noeud des confrontations entre bourgeoisie et prolétariat? Etc.,,
Ainsi, sous prétexte qu'il y a eu des luttes antérieures à 1968, le GCI se croit original à ignorer et minimiser ce que constitue comme ouverture la période de 1968. De même, lorsque nous analysons la Pologne comme "le mouvement ouvrier le plus important depuis 1917", le GCI (plus pour faire valoir une"originalité" que pour affirmer une autre analyse) pérore-t-il, que cette "affirmation grandiloquente et apologétique est un réel oubli actif (rien que ça!) des importants mouvements de classe, qui, ces dernière années, de l'Amérique Latine à l'Iran, de la Turquie à la Corée, de l'Italie à la Chine, ont ébranlé le monde capitaliste" (Le Communiste n913, page 13). Que le GCI soit rassuré, nous n'oublions aucune de ces luttes. Mais tous ces mouvements n'ont pas la même importance ([3] [24]). Il ne s'agit pas de juger des caractéristiques d'un mouvement dans l'absolu (de ce point de vue, la lutte en Amérique Latine a souvent été plus violente, plus généralisée que les combats en Europe) mais de voir comment il a pu s'intégrer -ou non- dans la dynamique générale qui anime la classe ouvrière mondiale, de par la maturité - historique- d'une situation. De ce point de vue, la Pologne marquait bien une avancée qualitative du mouvement, tout comme les mouvements de 68 en Europe, et ce dans la conscience ouvrière mondiale.
Le GCI, lui, met tout sur le même plan. Pire, il inverse parfois l'ordre d'importance des événement Ainsi, alors que "en Pologne, c'est le schéma de la contre-révolution qui se déroule" (après le 13 décembre), la "lutte du prolétariat au Salvador a marqué un grand pas dans la lutte communiste et à la formation du parti mondial". Si la première chose qu'il affirme à propos de la défaite en Pologne, c'est que celle-ci montre pleinement "la carence se matérialisant par l'inexistence d'une direction communiste", la leçon qu'il tire du Salvador est que : "Nous savons par notre propre expérience de classe que dans es conditions présentes au Salvador (...) il y a malgré tout des minorités révolutionnaires" (Le Communiste n°12). L'importance totalement démesurée que le GCI accorde ici au Salvador, et en général aux luttes en Amérique Latine et Centrale ([4] [25]) provient de son culte de la violence dans les luttes, des affrontements "militaires" entre bourgeoisie et prolétariat.
L'incapacité qu'il a de comprendre que seule la lutte dans les pays centraux du capitalisme offrira une perspective à la combativité des ouvriers des pays périphériques et de défendre cette perspective face à la classe ouvrière, le condamne à n'être qu'un spectateur admiratif des massacres qui se perpétuent là-bas, à faire l'apologie de l'isolement de cette fraction du prolétariat mondial.
Dans de telles conditions, il ne faut pas s'étonner du fait que le GCI ne comprenne rien au problème de l’internationalisation de la lutte de classe. "Depuis toujours le marxisme révolutionnaire analyse que la meilleure façon de généraliser un mouvement n’est ni d'"envahir" les autres pays, (...) ni d’"attendre" que simultanément le mouvement se déclenche partout (...). Au contraire, la meilleure manière de généraliser, de mondialiser un mouvement, c'est de répondre coup pour coup contre "sa propre" bourgeoisie ou les représentants directs de la bourgeoisie mondiale; c'est d'intensifier, le plus possible la guerre de classe là où elle s'est déclenchée" (Le Communiste n°13, page 9-10), avançait-il comme réponse aux questions posées par la Pologne: quand, comment, une telle lutte pourra-t-elle s'internationaliser? A nouveau l'affirmation du GCI est, par son aspect partiel, à moitié juste et donc aussi à moitié fausse. Il est certain que pour les ouvriers d'un pays donné, la meilleure façon de favoriser l'internationalisation d'un mouvement n'est pas d'attendre, mais de prendre des initiatives dans ce sens. Mais il était nécessaire d'aller plus loin que ces banalités, et de répondre aussi aux questions suivantes : est-ce que la situation était mûre pour qu'un tel dépassement des frontières nationales voit le jour à partir du mouvement en Pologne? Quelles sont les conditions objectives de maturité d'une telle situation? Il s'agit essentiellement de la mise en branle du prolétariat des pays centraux du capitalisme. De ce point de vue on ne pouvait que constater une immaturité de la lutte de classe internationale (Voir Revue Internationale n°24, 25, 26..., et Internationalisme n°59 et 60). Le GCI semble incapable de se situer à ce niveau d'analyse, de comprendre que les conditions de l'internationalisation sont avant tout des conditions mondiales.
LE COURS HISTORIQUE
Le doute profond qu'a le GCI par rapport aux potentialités de la classe ouvrière, 1'empêche d'avoir une réponse claire à la question : vers où va la société? Vers la guerre généralisée? Ou vers des affrontements de classe?
Le CCI a mis en évidence que depuis le début de la crise, le prolétariat a recommencé à lutter au niveau mondial, contrairement à la situation que la classe a connue dans" les années 30. Alors que la guerre est la seule "solution" que la bourgeoisie puisse apporter à la crise, celle-ci ne peut la déclencher tant qu'elle n'a pas réussi à briser la résistance du prolétariat, et ce au niveau mondial. L'avenir est donc à ces combats de classe, d'où dépendra la victoire du prolétariat (et donc la Révolution) ou sa défaite (et la possibilité pour la bourgeoisie de déclencher la guerre).
Le GCI reconnaît bien la différence entre la situation d'aujourd'hui et celle des années 30 : il affirme très justement que dans cette période de noire contre-révolution, le cours était inévitablement à la guerre. Mais pour lui, aujourd'hui, la tendance vers la guerre et celle vers la Révolution se développeraient simultanément, et en prenant appui l’une sur l'autre.
A propos de la lutte en Pologne, le GCI écrivait par exemple : "et il est clair que les événements d'aujourd'hui qui matérialisent la force historique de notre classe,renforcent dialectiquement l'intensification de la marche forcée de la bourgeoisie mondiale vers "sa solution" à la crise, la guerre généralisée. Le développement de la lutte prolétarienne est aussi un développement des mesures et des mystifications anti-ouvrières, renforçant ainsi la lutte entre les classes" (Le Communiste n° 7, page 7).
L'"apport" du GCI à la théorie marxiste est d'avoir complété "dialectiquement" le mot d'ordre que Lénine adressait aux ouvriers pendant la première guerre mondiale: "Transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" en son complément pour la bourgeoisie. Celle-ci aurait la capacité de "transformer (...) le danger de la guerre civile en la réalité de la préparation matérielle et idéologique à la guerre impérialiste" (Le Communiste n° 13, page 3). Cette nouvelle théorie fumeuse dissimule mal la méfiance profonde, l'incompréhension du GCI de ce que signifie pratiquement la lutte du prolétariat. Le GCI ne comprend pas réellement que lorsque le prolétariat lutte, il a tendance à prendre conscience de ses intérêts propres, à lutter sur son terrain de classe, à s'organiser en dehors du contrôle de la bourgeoisie et tant qu'il aura cette capacité, la bourgeoisie ne pourra l'emmener à la guerre. Le GCI, au contraire, voit le prolétariat comme une masse manipulée, soit par un parti, soit par la bourgeoisie. Celle-ci en effet, pourrait faire face aux luttes, sécréter des mystifications qui entraîneraient directement le prolétariat de son terrain de classe (où il est solidaire, internationaliste, où il lutte en même temps contre la crise et contre la guerre) vers la guerre impérialiste (où le prolétariat est divisé, soumis à l'idéologie nationaliste et belliciste)! Cette position conduit le GCI à de nombreuses erreurs: sur le plan théorique, il véhicule sans complexe l'idée bourgeoise que la lutte de classe accentue les dangers de guerre. Son analyse de situations plus ponctuelles est tout aussi erronée: n'a t-il pas qualifié de guerre inter impérialiste (entre les USA et l'URSS) le conflit des Malouines, destiné en réalité à donner plus de consistance aux campagnes idéologiques actuelles de la bourgeoisie sur la guerre (Voir la Revue Internationale n°30) Ces positions erronées ne peuvent que rendre plus stérile son intervention au sein de la classe ouvrière.
CONCLUSION
Ce texte ne constitue pas une critique exhaustive des positions du GCI. Nous nous sommes surtout efforcés, au travers de cette polémique d'opérer une clarification sur une série d'idées confuses qui règnent encore dans le milieu révolutionnaire. En effet, pour le GCI comme pour d'autres groupes, la source essentielle des confusions est l'incompréhension de la nature de la classe ouvrière, de sa dynamique réelle, des différents aspects de sa lutte. L'étendue des confusions sur ce problème montre bien les difficultés qu'a le milieu révolutionnaire à se réapproprier la théorie marxiste. Elle fait également ressortir la nécessité, pour les organisations prêtes à faire un travail de clarification, de répondre à ces confusions, que ce soit dans des réunions publiques, ou dans des articles dans la presse.
A notre avis, le GCI ne fait pas partie des groupes qui sont une expression de l'effort de clarification des perspectives révolutionnaires. Jusqu'à présent, la fonction essentielle du GCI dans le milieu révolutionnaire (y compris parmi les éléments qu'il "organisait" au sein de ses comités) a été de répandre la confusion.
Outre la régression théorique qu'il a opérée depuis son départ du CCI et la somme d'innovations "historico-théoriques" qu'il déverse régulièrement dans ses publications, son attitude par rapport au milieu révolutionnaire actuel en constitue une autre preuve. En effet, par son refus de tenir des réunions de discussions publiques, ou de participer à celles que nous organisons, par son attitude de sabordage de la 3ème Conférence Internationale des Groupes de la Gauche Communiste, le GCI n'a jusqu'à présent réussi à démontrer qu'une seule chose : le sectarisme profond qu'il n'a cessé de développer. Le GCI a en effet pour souci principal de s'auto satisfaire, de justifier son existence par une vision "originale" tant de l'histoire du mouvement ouvrier que des problèmes posés aujourd'hui.
Malheureusement, ces "découvertes" du GCI ne mènent pas à grand chose, sinon à une remise en question de plus en plus profonde du marxisme. Le fait que ce groupe, après nous avoir promis depuis plus de 3 ans des "Thèses d'orientation politique définissant les bases théoriques de notre groupe" (Le Communiste n°1, mai 79), ne soit toujours pas parvenu à publier l'ensemble de ces "bases théoriques", en dit long sur les difficultés qu'il éprouve à se définir une nouvelle cohérence.
A ceux qui, comme le GCI, se réclament tant de Lénine, il convient de rappeler que rien ne l'irritait plus que la "phraséologie radicale, grandiloquente et creuse ".
A ceux qui ont du "bolchevisme" plein la bouche, rappelons la réponse donnée par Lénine à l'occasion d'un appel au "bolchevisme à l'échelle de 1'Europe occidentale":
"Je n'attache pas d'importance au désir de s'accrocher au mot "bolchevisme", car je connais certains "vieux bolcheviks" dont je souhaite que le ciel nous préserve...
A mon avis, c'est faire preuve de légèreté et d'un manque d'esprit de parti absolument inadmissible que d'annoncer à son de trompe pendant toute une année un nouveau bolchevisme et d'en rester là . N'est-il pas temps de réfléchir et de donner aux camarades quelque chose qui expose en un tout cohérent ce "bolchevisme à l'échelle de l'Europe occidentale"? (Lénine, Oeuvres Complètes, Tome 23, page 18).
J
[1] [26] Groupe Communiste Internationaliste: BP 54 Bruxelles 31 1060 BRUXELLES
[2] [27] Avec le GCI, on apprend que la notion de "décadence du capitalisme", défendue par la Gauche Communiste sur la base de l'analyse économique de Luxemburg, n'était en fait "qu'une des deux thèses bourgeoises dominantes de l'époque - en 1936- (soutenues par les sociaux-démocrates, les trotskistes, les staliniens.)" (Le Communiste n° 6, page 46), affirmation qu'ils ne songent pas un instant a démontrer!
Le GCI pense réfuter cette notion en déclarant simplement que "le capitalisme n'avait pas cessé de croître, comme cela s'est vérifié par la suite : la guerre impérialiste de 39 à 45, la croissance infernale du capitalisme après la guerre. "(Idem). Mais par cet argument, il n'a rien montré, sinon qu'il s'est englué dans le marais de la propagande bourgeoise qui, à coups de taux de croissance , veut démontrer la vie éternelle du capitalisme!
[3] [28] Par contre, ce que le GCI, lui, Ignore, ou n'a jamais appris, c'est de savoir distinguer la portée de telle ou telle lutte, la signification et l'impact qu'elle a dans le développement mondial de la lutte de classe. Pour lui,"tous les chats sont gris".
[4] [29] Ainsi, c'est en Argentine et au Pérou qu'ont existé, selon le GCI,des"syndicats de classe", organisations "ouvrières" dont il serait par ailleurs incapable de donner un exemple dans une autre partie du monde. Le GCI ne manque pas non plus d'illustrer la vague révolutionnaire de 17-23 par l'exemple de la lutte de classe .en Patagonie (Le Communiste n° 5). Enfin plus récemment, le GCI a"découvert" qu'au Salvador, une des organisations populaires dirigées par des gauchistes, le BPR, constitué en 1975, était à 1'origine un organe prolétarien! (Le Communiste n°12).
" Les révolutions prolétariennes, par contre,comme celles du XIX° siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces dans la terre et se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculer constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu'à ce que soit créée la situation qui rende impossible tout retour en arrière et que les circonstances elles-mêmes crient:" Hic Rhodus, hic salta" ([1] [32])
MARX, Le 18 Brumaire.
Années de vérité, les années 80 ont commencé marquées par la lutte prolétarienne. La grève de masse d'Août 80 en Pologne montra d'emblée, par la puissance de son choc contre l'Etat/que la lutte ouverte entre prolétariat et classe dominante était devenue et, devrait de plus en plus devenir la caractéristique première de la période à venir. Cependant, les ouvriers polonais se sont retrouvés isolés. De 1980 à 1982 le nombre des luttes ouvrières, en particulier dans les pays les plus industrialisés, n'a cessé de diminuer de façon générale.
Comment comprendre ce recul au moment même où s'accélère l'aggravation de la crise mondiale du capitalisme ? Quelles sont les perspectives de la lutte de classe ?
1968-1982, 15 ans de crise économique et de luttes ouvrières
C'est seulement envisagée dans ses dimensions MONDIALE ET HISTORIQUE que la lutte prolétarienne peut être comprise, car elle n'est pas une mosaïque de mouvements nationaux sans passé ni avenir. Pour comprendre le mouvement actuel de la lutte de classe mondiale il. faut d'abord le resituer dans son cadre historique et plus particulièrement dans le mouvement général commencé par la rupture de 1968.
De la compréhension de la dynamique des rapports entre classes dans ces années de crise économique ouverte du capitalisme décadent, on pourra dégager des perspectives pour la lutte de classe.
On peut, dans les grandes lignes, distinguer quatre périodes entre 1968 et 1982 suivant les caractéristiques majeures du rapport de force entre prolétariat et bourgeoisie : ([2] [33])
1968-1974 : développement de la lutte de classe ;
1975-1977 : reflux, contre-offensive de la bourgeoisie ;
1978-1980 : reprise de la lutte ;
1980-1982 : reflux, contre-offensive.
1968-1974 : RUPTURE AVEC UN DEMI-SIECLE DE CONTRE-REVOLUTION TRIOMPHANTE
Le coup de tonnerre des 10 millions de grévistes en France en Mai-Juin 68 ouvrit une période de luttes prolétariennes qui rompait ouvertement avec 50 ans de contre-révolution. Depuis le milieu des années 20, les ouvriers du monde entier avaient vécu, marqués par l'écrasement de la vague révolutionnaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Le stalinisme, le fascisme, 1'anti-stalinisme, l'anti-fascisme, l'idéologie des mouvements de libération nationale, la démocratie bourgeoise avaient maintenu les prolétaires dans un état d ' atomisation , de soumission matérielle et idéologique, voire d'embrigadement derrière les drapeaux des différents capitaux nationaux.
Des "penseurs" à la mode, à la veille de 1968, ne théorisaient-ils pas la "disparition de la classe ouvrière" dans "l'embourgeoisement" et la soi-disant "société de consommation"?
La vague de luttes de 1968 à 1974 qui a touché, à des degrés divers, presque tous les pays (développés ou non) a constitué, par elle-même, un éclatant démenti à toutes les théorisations de la "paix sociale éternelle" et, ce ne fut pas là son moindre apport.
De Paris à Cordoba, en Argentine, de Détroit à Gdansk, de Shanghai à Lisbonne, 1968-1974 fut la réponse de la classe ouvrière aux premières secousses de la crise économique mondiale dans laquelle le capitalisme commençait à s'enfoncer depuis l'achèvement, au milieu des années 60, de vingt ans de reconstruction d'après-guerre.
Cette première grande période de lutte posa, dès ses débuts, tous les problèmes auxquels le prolétariat devait se confronter dans les années suivantes : 1'encadrement syndical et des partis bourgeois dits "ouvriers", les illusions dans les possibilités d'une nouvelle prospérité capitaliste, dans le mécanisme de la démocratie bourgeoise, la vision nationaliste de la réalité de la lutte de classe. Bref, les difficultés à développer son autonomie et son auto organisation face aux forces politiques de l'Etat bourgeois.
Presque partout les luttes ouvrières durent s'affronter, souvent violemment, non seulement aux gouvernements locaux, mais aussi et surtout aux forces d'encadrement de la bourgeoisie : syndicats, partis de gauche.
Mais, ces affrontements sont restés généralement dans le cadre des illusions d'une époque où les réalités de la crise économique étaient encore à leurs premiers développements.
Le capitalisme venait de connaître, pendant vingt ans, une période de relative stabilité économique. L'idée qu'un retour à la situation précédente était possible dominait encore la société. Et cela, d'autant plus qu'en 1972-73; le capital occidental, pour sortir de la récession de 70-71, se débarrassa des contraintes des taux de change fixes et de la convertibilité du dollar en or et connut une croissance sans précédent.
Entre 1968 et 1974, le chômage augmente sensiblement dans beaucoup de pays occidentaux, mais le niveau de celui-ci reste encore relativement bas ([3] [34]).L'attaque subie par la classe ouvrière dans cette période se situe surtout au niveau des prix à la consommation ([4] [35])
Devant la montée de la lutte de classe, les forces de gauche de la bourgeoisie ont su, en un premier temps, radicaliser leur langage et réadapter 1eurs structures, afin de pouvoir garder, d'une façon ou d'une autre, le contrôle des 1uttes. L'exemple des syndicats italiens pendant 1'"automne chaud" de 1969 est peut-être un des plus significatifs et spectaculaires: après avoir été violemment contestés par les assemblées d'ouvriers en lutte, ils savent instaurer des "conseils d'usine" formés de délégués de base pour mieux asseoir leur pouvoir dans les usines.
Cela s'avère insuffisant. Devant la nouvelle accentuation de la crise économique en 74-75, la bourgeoisie devra imposer encore de nouveaux sacrifices aux exploités. Se reposant sur les illusions encore for tes quant à la possibilité d'un "retour à la prospérité d'antan" (illusions dont elle est elle-même prisonnière) elle va développer la perspective de "la gauche au pouvoir".
A travers cette première vague de luttes, le prolétariat mondial a affirmé son retour au centre de l'histoire. Mais l'évolution de la situation objective ne permet pas encore à la classe révolutionnaire de posséder la force et l'expérience pour comprendre les perspectives et résoudre les problèmes que pose la lutte.
1975-1978 : CONTRE-OFFENSIVE DE LA BOURGEOISIE, LA GAUCHE AU POUVOIR
La récession de 74-75, que la presse appelait "le choc pétrolier", marque le véritable début des effets réels de la crise. Il se produit un changement profond dans la vie sociale. Les restrictions sur le niveau de vie des travailleurs deviennent de plus en plus sensibles. Le chômage augmente irréversiblement en Europe et, s'il diminue momentanément aux Etats-Unis, il reste toujours à un niveau élevé. En 76, les partis de gauche ont déjà formé des gouvernements aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne. En France, la gauche accroît ses triomphes électoraux et lance la campagne "ne pas faire de grèves pour ne pas effrayer la population et permettre le triomphe de la gauche.
En Italie, après ses victoires électorales retentissantes, le PCI pratique le partage du pouvoir par le "compromis historique" avec le gouvernement démocrate-chrétien.
Le nombre de grèves diminue de façon générale dans la majorité des pays.
La réalité des faits se charge, cependant, de détruire peu à peu les illusions. La crise économique ne cesse de s'approfondir. Les triomphes électoraux des partis de gauche n'y changent rien. Les appels aux sacrifices se multiplient alors que leur efficacité apparaît de moins en moins évidente.
Dès 1978, les signes qui annoncent la fin de cette période de repli se font jour.
1978-1980 : LA DEUXIEME VAGUE DE LUTTES, LA POLOGNE
Au début 1981, nous parlions de cette "deuxième vague de luttes (...) où l'on voit tour à tour les mineurs américains en 78, les ouvriers de la sidérurgie en France début 79, les travailleurs du port de Rotterdam à l'automne 79, les ouvriers de la sidérurgie en Grande-Bretagne début 80, ainsi que les métallurgistes brésiliens durant toute cette période... reprendre le chemin du combat!
C'est à cette deuxième vague de luttes qu'appartient le mouvement présent du prolétariat polonais" ("La dimension internationale des luttes ouvrières en Pologne" (Revue Internationale N°24 ).
Les luttes ouvrières qui précédent celles de Pologne sont moins nombreuses que celles de 68-74. Mais 1orsqu'on les envisage dans leur ensemble, on s'aperçoit qu'elles résument, en un peu plus d'un an, l'essentiel de l'expérience de la première vague de luttes.
En se heurtant aux syndicats pour les déborder, comme les mineurs des USA, en se donnant dans la grève une forme d'auto organisation indépendante .des syndicats, comme les travailleurs du port de Rotterdam, en tentant de porter la lutte vers les centres du pouvoir et de force de la classe, comme les sidérurgistes français et leur "marche sur Paris", en faisant de la solidarité l'axe de leur combat, comme les sidérurgistes britanniques et leurs piquets de grève volants, les ouvriers,1ors de ces batailles,ont repris certains problèmes de la lutte au niveau où les avaient laissés les affrontements de la première vague.
La grève de masse en Pologne apporta dans la pratique d'importants éléments de réponse à ces problèmes. La grève de masse a démontré la capacité du prolétariat à s'unifier, à se battre sans distinction de catégories ou de secteurs de production. Elle a mis en évidence la capacité d'auto organisation par les assemblées et les comités de délégués à une échelle inconnue pendant la première vague. Et surtout, elle a illustré concrètement comment; en s'unifiant par la généralisation et en s'auto organisant, le prolétariat peut parvenir à développer une force et une maîtrise de soi capable d'affronter et de faire reculer les gouvernements les plus totalitaires.
Mais, en développant cette force, en désarçonnant et faisant reculer le gouvernement national, et avec lui le bloc militaire soviétique, le prolétariat s'est trouvé porté à un niveau supérieur d'affrontement avec l'Etat. Jamais, depuis les années 20, la classe ouvrière n'avait imposé un tel rapport de force politique à la bourgeoisie. Les luttes en Pologne ont démontré concrètement qu'à ce degré de confrontation entre les classes, les choses ne se jouent plus au niveau national. La bourgeoisie a affronté les prolétariats polonais avec la contribution de toutes ses forces économiques, mi1itaires et idéologiques dont elle dispose au niveau international. Même s'ils n'en ont pas toujours eu conscience, les ouvriers ont été mis devant la réalité des conséquences de leur propre force : s'ils voulaient pouvoir répondre à la riposte de la bourgeoisie, s'ils voulaient aller plus loin dans leur combat, seul moyen de ne pas reculer, il leur fallait LA GENERALISATION INTERNATIONALE de la lutte prolétarienne.
Cette généralisation était indispensable non seulement pour d'évidentes raisons militaires et économiques, mais d'abord et surtout parce qu'elle conditionnait l'évolution de la conscience même des ouvriers en Pologne. Les ouvriers en Pologne sont restés prisonniers de deux mystifications importantes : le nationalisme et les illusions sur la démocratie bourgeoise (lutté" pour un syndicat légal, etc.). Or, seule la lutte massive des ouvriers des autres pays de l'Est et surtout celle des principaux pays industrialisés d'Occident, pouvait apporter au prolétariat de Pologne, dans les faits, la démonstration pratique:
1°) de la possibilité d'unification internationale du prolétariat et donc de se débarrasser des perspectives nationales et de percevoir le caractère diviseur et anti-prolétarien de l'idéologie nationale,
2°) du caractère illusoire et dictatorial de la "démocratie" bourgeoise, avec ses syndicats et ses Parlements à l'occidentale.
Comme son être matériel, la conscience du prolétariat a une réalité mondiale. Elle ne pouvait se développer indéfiniment en un seul pays. Les ouvriers polonais ne pouvaient que poser objectivement le problème de la généralisation internationale. Seul, le prolétariat des autres pays industrialisés, en particulier en Europe occidentale, pourra y apporter une réponse pratique. Ce fut là le principal enseignement du mouvement prolétarien en Pologne.
1980-1982 : LA NOUVELLE CONTRE-OFFENSIVE DE LA BOURGEOISIE, LA GAUCHE DANS L'OPPOSITION :
RECUL DES LUTTES OUVRIERES
Lorsque explose la grève de masse en Août 80 en Pologne, la bourgeoisie occidentale a déjà entamé une contre-offensive face à la nouvelle montée de la lutte de classe. Elle a commencé à réorganiser la disposition de ses forces politiques. La priorité est donnée à un renforcement de l'appareil d'encadrement du prolétariat sur le terrain même de l'usine et de la rue. Face à l'effritement des illusions, les gouvernements de gauche cèdent la place à des gouvernements de droite au langage "franc", ferme et menaçant...Thatcher et Reagan en deviennent les symboles. Les partis de gauche reprennent leur place dans l'opposition pour assurer leur fonction de contrôle des mouvements prolétariens en se mettant à leur tête et les étouffant dans la logique de la défense de l'intérêt national.
La façon dont la bourgeoisie mondiale a fait face à la lutte des ouvriers en Pologne même, les campagnes qu'elle a développées internationalement pour mieux en cacher le véritable contenu et la profonde portée, illustrent les caractéristiques les plus essentielles de cette contre-offensive.
En Pologne même, ce fut la construction de l'appareil de "Solidarnosc" avec la collaboration, le soutien financier et les conseils expérimentés de tous les syndicats du bloc US, soutenus par leurs gouvernements. Cette gauche dans l'opposition "à la polonaise" sut exploiter le sentiment "anti-russe" de la population pour enfermer les prolétaires dans une vision nationaliste de leur lutte. Elle sut détourner systématiquement les luttes ouvrières contre l'intensification de l'exploitation et de la misère, en combats pour une "Pologne démocratique". Elle sut maintenir l'ordre et saboter ouvertement les grèves au nom des intérêts de l'économie nationale et de la paix sociale'(Bydgoszcz) sans trop perdre de sa crédibilité:
-grâce au développement d'un appareil de base du syndicat, capable de prendre la tête des mouvements qui s'opposaient à la direction syndicale, tout en les maintenant dans le cadre syndicaliste,
-grâce au langage "anti-Solidarnosc" que développa le gouvernement qui fit de ses dirigeants des victimes et des martyrs et redora son blason.
Complémentarité et partage du travail entre gouvernement et opposition pour faire face au prolétariat, complémentarité et partage du travail au sein des forces de gauche entre les directions "modérées" et une base politique et syndicale "radicale" La Pologne fut un laboratoire vivant pour la construction de la contre-offensive de la bourgeoisie.
La façon dont la bourgeoisie affronte les luttes des sidérurgistes belges au début 1982, celles des ouvriers italiens en janvier 1983, constitue presque une caricature schématique de ce qu'elle fit en Pologne: durcissement du gouvernement devenu plus "de droite", radicalisation du langage de la gauche dans l'opposition, utilisation du syndicalisme de "base" ou de "combat" pour mieux contrôler les mouvements qui tendent à mettre en question le carcan syndical.
Sur le plan international, Va campagne organisée par la bourgeoisie occidentale à propos de la Pologne est un exemple typique de la série de campagnes idéologiques orchestrées internationalement et ayant comme objectif conscient le déboussolement, la désorientation des prolétaires. ([5] [36])
Pour dénaturer l'exemple de la réponse des ouvriers polonais à la crise économique mondiale, pour détruire la tendance des ouvriers du monde entier à se reconnaître dans la combativité des prolétaires polonais, la bourgeoisie occidentale, avec la collaboration explicite de celle de l'Est, à coup de "Reagan show" le Pape en tête/développe le thème "La lutte des ouvriers polonais n'a rien à voir avec votre situation ; son objectif c'est vivre comme en Occident . Nous ne nous battons pas pour abolir l'exploitation mais pour avoir un régime comme le votre".
Le coup de force du 13 décembre fut le premier résultat de cette contre-offensive. Les campagnes de déboussolement et l’instauration d'un climat de terreur: El Salvador, la guerre des Malouines, le terrorisme, les massacres du Liban, ont contribué à en étendre les bâti vite prolétarienne.
Cette contre-offensive de la bourgeoisie au début des années 80 n'a pas été seulement idéologique. La répression policière et bureaucratique a connu des développements spectaculaires. Tous les gouvernements ont multiplié les brigades "antiémeutes" et la collaboration internationale des polices face à ceux qui mettent en question "la sécurité de l'Etat".
Mais la pire forme de répression que subissent les ouvriers n'est autre que les effets de la crise économique: les heures de queue devant les magasins et la jungle du marché noir dans les pays de l'Est, la misère du chômage et la baisse des salaires dans les pays occidentaux.
La violente accélération de la crise entre 1980 et 1982 se traduit concrètement par un rapide resserrement de l'étau qui soumet les prolétaires à 1'atomisation et à la concurrence entre eux. La bourgeoisie mondiale a su en tirer momentanément le maximum de profit.
Dans les principaux pays occidentaux, le nombre des grèves diminue fortement à partir de 19807 En 1981, dans des pays aussi importants pour la lutte de classe que les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France ou l'Italie le nombre des grèves enregistré est le plus bas ou un des plus bas depuis plus de 10 ans.
Comme au milieu des années 70, la bourgeoisie a réussi à dresser un barrage contre la montée de la combativité ouvrière.
Mais les barrages du capital sont faits de matériaux périssables et les flots qu' ils ont pour tâche de contenir puisent leur source dans les plus profondes nécessités historiques de l'humanité.
Les facteurs objectifs et subjectifs sur lesquels a reposé la dernière contre-offensive de la bourgeoisie s'usent d'autant plus vite que la décomposition du système économique s'accélère.
PERSPECTIVES : VERS LA FIN DU REPLI
De façon générale la bourgeoisie -comme toutes les classes exploiteuses dans l'histoire - a assuré son pouvoir:
1°) par la capacité du système économique qu'elle gère à assurer un minimum de moyens de subsistance à 1 a principale ; classe productrice et exploitée
2°) par sa domination idéologique ;
3°) par la répression.
Mais lorsque les rouages économiques se grippent et que 1'obsolescence des rapports de production est démontrée chaque jour par la réalité, ce sont les bases matérielles qui sous-tendent le pouvoir idéologique de la classe dominante qui s'effondrent. Dans ces conditions, 1a répression pour le maintien de 1'"ordre", pour le maintien de la "rentabi1ite", apparaît de plus en plus comme la défense barbare des privilèges d'une minorité.
Telle est la tendance depuis le début de la crise ouverte à la fin des années 60. Elle s'est accélérée avec le début des années 80.
Les conditions du repli de la lutte de classe ne peuvent que s'effriter car la tendance générale n'est pas vers une plus grande union entre bourgeoisie et prolétariat mais au contraire vers l'exacerbation de l'antagonisme entre les deux classes principales de la société.
En 15 ans, les contradictions, les tensions générales que provoque la crise du capitalisme en déclin n'ont cessé de s'exacerber: contradiction entre, d'une part la nécessité et la possibilité du développement des forces productives et, d'autre part, les lois et les institutions sociales dans lesquelles ces forces sont utilisées ; contradiction entre la réalité concrète de décomposition et l'impasse d' une société en ruines d'un côté, et l'idéologie dominante qui chante les louanges des fondements de ce type de société de l'autre; contradiction entre les intérêts de l'immense majorité de la population soumise à une misère croissante et ceux de la minorité qui gère et profite du capital ; contradiction entre la nécessité objective de la révolution communiste mondiale et le renforcement de la répression- capitaliste.
Si, avant 1968;la bourgeoisie pouvait faire croire que le capitalisme était devenu un système éternel, sans crises économiques, si en 1975-78 elle a encore pu accréditer l'idée que la crise était momentanée et qu' elle serait surmontée par des économies de pétrole et les restructurations industrielles nécessaires, si elle a pu développer à la fin des années 70 l'idée qu'en "travaillant plus et gagnant moins" les prolétaires permettraient le recul du chômage, aujourd'hui la réalité rend quotidiennement évident qu'il ne s'agit, dans tout cela, que de mystifications destinées à la sauvegarde du système.
Il en est de même pour des mystifications qui pendant des décennies (et en particulier pendant la crise des années 30) ont pesé sur le prolétariat mondial: la nature "ouvrière" des régimes des pays de l'Est, (la Pologne a joué un rôle décisif dans la destruction de ce mensonge), le caractère "progressiste" des luttes de libération nationale, l'efficacité des mécanismes électoraux et des partis "ouvriers" pour empêcher l'intensification de l'exploitation et de la misère de la vie, le mythe de l'Etat-providence et protecteur.
Cela se traduit dans la réalité par le caractère de plus en plus précaire de l'efficacité des grandes campagnes idéologiques de la bourgeoisie mondiale. Les prolétaires croient de moins en moins dans les valeurs idéologiques qui justifient le système capitaliste.
QU'EN EST-T-IL AU NIVEAU DE LA LUTTE OUVRIERE ELLE-MEME?
Que ce soit l'affaiblissement de la force du prolétariat en Pologne enfermé dans les impasses du nationalisme et des illusions sur la "démocratie occidentale", que ce soit l'isolement de la lutte des sidérurgistes belges au début de 1982 ou l'incapacité à s'unifier des mouvements des prolétaires en Italie au début 1983, la réalité de la lutte de classe montre clairement que la lutte ouvrière dans les années à venir connaîtra deux problèmes essentiels et interdépendants :
1°) la nécessité de généraliser la lutte,
2°) la nécessité de ne pas laisser la conduite du combat aux mains des forces de gauche du capital travaillant dans les rangs ouvriers.
LA GENERALISATION
En Août 80, les ouvriers polonais ont démontré, dans la pratique, deux vérités essentielles pour la lutte ouvrière:
- la classe ouvrière peut étendre sa lutte, par elle-même sans recours à aucun appareil syndical ;
- seule, la force que donne cette extension peut faire reculer la puissance de 1'Etat.
Un an d'isolement international du mouvement en Pologne à3 en outre, démontré que la lutte ouvrière ne peut développer sa pleine puissance qu'en se généralisant par-delà les frontières nationales.
En ce sens, la perspective tracée au début des années 80 par la lutte en Pologne c'est celle de la généralisation au niveau international. Cette perspective dépend fondamentalement de l'action du prolétariat d'Europe occidentale, du fait de son nombre, de sa puissance, de son expérience, et…. de sa vie divisée en une multitude de petites nations. Elle ne s'y concrétise pas du jour au lendemain. Une telle généralisation sera inévitablement précédée de toute une série de luttes à l'échelle locale, voire "nationale", expériences qui seules pourront en démontrer dans la pratique, le caractère vital, indispensable.
Les récentes luttes des ouvriers en Belgique et en Italie ont toutes deux vu se manifester nettement des tendances spontanées à l'extension. Le prolétariat européen se prépare effectivement à suivre le chemin ouvert en Pologne en août 1980. Mais il lui faut certainement encore développer sa propre expérience de lutte pour y parvenir. D'autant plus que sur ce chemin, il trouve et trouvera devant lui le barrage systématique des organisations syndicales et des forces politiques de la gauche de la bourgeoisie.
LA GAUCHE DANS LES RANGS OUVRIERS
Le mouvement en Pologne en 1981, en Belgique en 1982 illustre concrètement comment les forces radicales de la gauche bourgeoise peuvent parvenir à détourner et conduire dans des impasses les poussées ouvrières vers la généralisation.
Au moment de l'établissement de l'état de guerre en Pologne, les conséquences de l'isolement international du mouvement apparurent dans toute leur violence. La nécessité de faire appel aux ouvriers des autres pays apparaissait comme une question cruciale. "Solidarnosc" et ses tendances radicales surent détourner cette nécessité vers des appels...aux gouvernements de la bourgeoisie occidentale (voir les banderoles de décembre 1981 aux portes des chantiers de Szczecin).
En Belgique, lorsque dans les assemblées des sidérurgistes des différentes villes en grève se sont manifestées de plus en plus de critiques aux directions syndicales et des poussées vers une unification directe et l'extension de la lutte, les tendances radicales du syndicat ont su prendre la tête de ces mouvements et les canaliser dans des actions "unifiées" sous le contrôle des centrales syndicales soigneusement isolées de tous les autres secteurs de la classe ouvrière.
Le prolétariat, jusqu'à son émancipation définitive, trouvera devant lui, dans ses rangs, ces habiles forces de la classe dominante. Mais poussé par la nécessité de réagir à l’attaque du système en crise, il apprend et apprendra à les contrer et à les détruire de la même façon qu'il a tout appris : par l’expérience de la lutte.
Il faudra, certainement, encore beaucoup de combats, de défaites partielles, momentanées, pour que la classe ouvrière parvienne à prendre systématiquement ses affaires en main et aller vers la généralisation. C'est un processus qui se déroule à l’échelle mondiale et dans lequel, constamment, les luttes ouvrières, comme dit Marx, "reviennent sur ce qui semble accompli pour le recommencer à nouveau".
VERS LA REPRISE DES LUTTES
Les hésitations, les reculs momentanés sont inévitables dans le développement de la lutte d'une classe exploitée. Ce Qu'il faut comprendre c'est qu'au travers de ses hauts et ses bas, la tendance générale de la lutte ouvrière depuis 15 ans, renforcée avec l'entrée dans les années 80, va dans le sens d'un dégagement de l'idéologie dominante, vers des heurts de plus en plus violents avec les forces de gauche du capital et vers la généralisation des combats.
Le développement de la crise économique est devant nous. Ses effets, l'attaque qu'ils constituent contre la classe ouvrière mondiale, iront s'accentuant, contraignant les prolétaires à hisser leur combat à des niveaux de plus en plus élevés, globaux, généraux.
Le chômage, effet principal de la crise, qui frappe les ouvriers comme une des pires formes de répression (qu'il soit effectif le ou sous forme de menace) peut, momentanément constituer un facteur de frein à la lutte. En mettant les ouvriers en concurrence entre eux pour les postes de travail, il peut rendre plus difficile l'unification du prolétariat. Mais il ne peut l'empêcher. Au contraire la lutte contre les licenciements, contre les conditions de vie des chômeurs constituera une des bases luttes ouvrières à venir. Ce qui en un premier temps peut constituer un frein 'se' transformera en accélérateur contraignant les ouvriers, chômeurs et non chômeurs, à envisager leur lutte de façon toujours plus générale, à assumer toujours plus le contenu politique, social et révolutionnaire de leur combat.
La gravité même de la crise du système, son ampleur poussent les luttes ouvrières à, comme le disait Marx, " reculer constamment à nouveau devant 1 ' immensité infinie de leurs propres buts, jusqu'à ce que soi t créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière et que les circonstances elles mêmes crient "Hic Rhodus, tic saita."
R. V.
"F.ENGELS DIT QUE LA VICTOIRE DEFINTIVE DU PROLETARIAT SOCIALISTE CONSTITUE UN BOND QUI FAIT PASSER L'HUMANITE DU REGNE DE L'ANIMALITE A CELUI DE LA LIBERTE. MAIS CE "BOND" N'EST PAS ETRANGER AUX LOIS D'AIRAIN DE L'HISTOIRE, IL EST LIE AUX MILLIERS DE MAILLONS DE L'EVOLUTION QUI LE PRECEDENT, EVOLUTION DOULOUREUSE ET ËIEN TROP LENTE. ET CE BOND NE SAURAIT ETRE ACCOMPLI SI, DE L'ENSEMBLE DES PREMISSES MATERIELLES ACCUMULEES PAR L'EVOLUTION, NE JAILLIT PAS L'ETINCELLE DE LA VOLONTE CONSCIENTE DE LA GRANDE MASSE POPULAIRE JAMAIS LA VICTOIRE DU SOCIALISME NE TOMBERA DU CIEL COMME LE FATUM ANTIQUE, CETTE VICTOIRE NE PEUT ETRE REMPORTEE QUE GRACE A UNE LONGUE SERIE D'AFFRONTEMENTS OPPOSANT LES FORCES ANCIENNES AUX NOUVELLES, AFFRONTEMENTS AU COURS DESQUELS LE PROLETARIAT INTERNATIONAL FAIT SON APPRENTISSAGE (...) ET TENTE DE PRENDRE EN MAIN SES PROPRES DESTINEES, DE S'EMPARER DU GOUVERNAIL DE LA VIE SOCIALE. (...)
LA CLASSE OUVRIERE NE DOIT JAMAIS AVOIR PEUR DE REGARDER LA VERITE EN FACE, MEME SI CETTE VERITE CONSTITUE POUR ELLE L'ACCUSATION LA PLUS DURE, CAR SA FAIBLESSE N'EST QU'UN ERRE- MENT ET LA LOI IMPERIEUSE DE L'HISTOIRE LUI REDONNE LA FORCE, LUI GARANTIT SON SUCCES FINAL."(Rosa Luxembourg, "La crise de la social-démocratie")
[1] [37] "Voici Rhodes, c'est ici qu'il faut sauter". Proverbe latin inspiré d'une fable d'Esope qui signifie : c'est le moment de montrer ce dont on est capable.
[2] [38] Il n'est pas toujours aisé dé déterminer de façon précise des périodes dans l'histoire. Il n'y a pas une simultanéité stricte de la crise sociale dans tous les pays. Suivant le développement économique, suivant la situation géographique, suivant les conditions politiques caractérisant telle ou telle zone de la planète, les tendances générales internationales de la lutte de classe s'y manifesteront plus ou moins rapidement avec plus ou moins d'ampleur et d'intensité. En ce sens, dire "Telle année marque la fin de la période de repli de la classe et commence une période de reprise" ne veut pas dire que l'année en question tous les ouvriers du monde ont brisé leur atomisation pour engager le combat. Ce dont il s'agit, c'est de déterminer des points de repère indispensables pour dessiner les tendances générales du mouvement mondial. Par ailleurs, la vie de la lutte de classe dans les pays les plus industrialisés qui concentrent les forces les plus nombreuses et les plus expérimentées du prolétariat et de la bourgeoisie a inévitablement une place prépondérante dans la détermination de telles périodes.
[3] [39] Le taux de chômage moyen des pays industrialisés du bloc occidental tourne autour de 3% à la fin des années 60; (il dépasse aujourd'hui les 10%). En 1974 il n'a augmenté que de 1 ou 2 points. En 1975, année la plus noire de la récession de 74-75 il est autour de 5% en moyenne.
[4] [40] Entre 1968 et 1975 l'inflation, mesurée par l'indice des prix à la consommation, passe de 4,2 à 9,1 aux USA, de 5,3 à 11,8 au Japon, de 2,9 à 6% en Allemagne, de 4,1 à 11,3% dans l'ensemble de l'OCDE.
[5] [41] Il nous a souvent été reproche par certains de nos critiques d'avoir une vision machiavéliste de l'histoire lorsque nous parlons de telles campagnes. Nous avons longuement répondu à cette question dans les articles "Machiavélisme, conscience et unité de la bourgeoisie" dans le n°31 (4e trimestre 82) de cette revue. Pour ceux qui ont la mémoire courte rappelons que de telles campagnes n'ont rien de nouveau. Dès la fin de la Seconde guerre mondiale, dans la période de la "guerre froide", les deux nouvelles puissances militaires qui se partageaient le monde devaient se livrer à de gigantesques campagnes idéologiques internationales au sein de leur bloc pour incruster dans le cerveau des populations les nouvelles alliances impérialistes: les ennemis d'hier étaient devenus alliés, et les alliés ennemis. 40 ans après il serait candide de croire que la bourgeoisie serait devenue, aujourd'hui, moins manipulatrice.
LE CHOMAGE DANS LES ANNEES 30
Après une progression du chômage foudroyante qui s'est traduite, notamment aux Etats-Unis, par une situation sociale explosive, la mise en oeuvre des politiques de relance par l'Etat a permis de faire régresser le nombre des sans-emploi jusqu'à l'ouverture de la guerre. De plus la mise en place de systèmes d'allocation pour les chômeurs et d'aides sociales diverses constitue pour un prolétariat encore marqué par l'écrasement sanglant de la révolution, le piège qui va permettre à la bourgeoisie de désamorcer la bombe politique que constitue un fort taux de chômage au coeur du capitalisme industriel.
Source: A.Madisson, « Economic Grouth ».
LE POIDS DE L'ETAT DANS L'ECONOMIE DES ANNEES 30
L'Etat prend une part de plus en plus importante dans l'économie nationale que ce soit par l'économie de guerre comme en Allemagne, le New Deal aux Etats-Unis, ou les nationalisations du Front Populaire en France. L'Etat s'endette, cela permet de retarder les effets de la crise qui rejaillit. Ce répit permet une politique d'embrigadement du prolétariat dans la guerre derrière les illusions de l'Etat social: national-socialiste, stalinien et derrière le Welfare-State démocratique.
LE CHOMAGE AUJOURD'HUI
La progression du chômage suit une courbe différente aujourd'hui de celle de la grande crise des années 30. La progression est lente mais croît régulièrement durant toutes les années 70. Le début des années 80 montre une flambée de la progression. Plus de 11 millions de chômeurs aux USA, plus de 3 millions en GB, plus de 2,5 millions en RFA. Pour l'ensemble des 24 pays de l'OCDE c'est un total de 32 millions de chômeurs (comme si plus personne ne travaillait en RFA, en Belgique et aux Pays-Bas). De ce point de vue la situation est inverse de celle des années 30. La crise se développe sur l'usure (qui se traduit par une inefficacité croissante) des mesures qui avaient permis à la bourgeoisie de faire face à la crise de 29. Le chômage se développe inexorablement et de plus en plus vite, tandis que les aides sociales, elles, diminuent. La situation sociale va devenir de plus en plus explosive. L'emploi ne va pas se développer alors que les investissements chutent.
LA CHUTE DES INVESTISSEMENTS
L'impossibilité de vendre sur un marché sursaturé les marchandises produites, le sous-emploi du potentiel productif qui en résulte, poussent la bourgeoisie à réduire ses investissements industriels et à destiner une part croissante de ses capitaux à la spéculation (monnaies, or, matières premières). Elle est conduite à concentrer l'essentiel de ses investissements dans la recherche de la compétitivité par une mécanisation, une automation intensives. Ce qui, de fait, supprime beaucoup plus d'emplois qu'il n'en est créé . Même une hypothétique relance -dont on parle tant- ne ferait qu'accélérer cette tendance. Le chômage, dans ces conditions, ne peut que s'accroître.
Source : OCDE, "Perspectives Economiques", déc.82
L’ENDETTEMENT MONDIAL
La politique de relance se fonde sur l'endettement de l'Etat. Au début des années 30, cette politique était nouvelle : l'Etat n'était pas encore surendetté. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les USA, qui ont été le moteur des relances successives dans les années 70 se sont surendettés à l'extrême : la dette publique et privée avoisine un total de 5000 milliards de $. Pour rembourser cette dette, il faudrait que les travailleurs américains travaillent de 1,5 à 2 ans sans être payés.
La politique d'austérité qui visait à résorber cet endettement se heurte non seulement à la difficulté d'attaquer le niveau de vie de la classe ouvrière toujours combative, mais aussi à l'instabilité du système monétaire international. Le colossal déficit budgétaire américain (plus de 100 milliards de $ en 1982 et on parle pour l'année qui vient d'un déficit de 200 milliards de $), la nécessité de venir au secours du tiers-monde afin d'éviter un écroulement financier, impose de faire marcher la pompe à finances du FMI (qui a augmenté récemment ses avoirs de 74%). La bourgeoisie doit faire marcher la planche à billets : la potion Reagan-Tchatcher est impuissante à faire face à l'endettement et au danger d'une relance de l'inflation qui menace. La relance ne peut être qu'une relance de l'inflation.
Source : OCDE, id.
UNE INFLATION TOUJOURS PRESENTE
Pour justifier la politique de récession menée ces dernières années, la bourgeoisie se targue d'avoir jugulé l'inflation. En fait, l'inflation sévit toujours et surtout, les pressions inflationnistes augmentent malgré la récession.
La politique de relance relance l'inflation, sans empêcher la tendance à la récession de s'imposer ; la politique de récession plonge l'économie dans le marasme sans enrayer les tendances inflationnistes.
La baisse de l'inflation de ces dernières années est momentanée ; les années qui viennent vont voir se développer une inflation croissante parallèlement à un chômage croissant.
La classe ouvrière n'a pas d'illusions à se faire : toutes les politiques économiques de la bourgeoisie sont impuissantes à faire face à la crise.
Source : OCDE, id.
Karl Marx est mort le 14 mars 1883. Il y a donc un siècle que s'est tu celui que le mouvement ouvrier considère comme son théoricien le plus important.
Cet anniversaires la bourgeoisie -cette classe que Marx a combattue sans relâche toute sa vie et qui le lui a bien rendu- s'apprête à le célébrer à sa façon en déversant de nouveaux tombereaux de mensonges sur Marx et son oeuvre.
Suivant sa coloration, les intérêts plus particuliers qu'il a charge de défendre ou sa place spécifique dans l'appareil de mystification, chaque secteur bourgeois y va de sa petite spécialité.
Ceux pour qui Marx était "un être malfaisant", une sorte "d'incarnation du mal, une créature du démon", ont pratiquement disparu. De toute façon ils sont les moins dangereux aujourd'hui.
Par contre, il en reste bon nombre pour qui Marx, "au demeurant un homme très intelligent et cultivé, s'est complètement trompé" ; une variante de ce mensonge consistant à affirmer que : "Si l'analyse de Marx était valable au I9ème siècle, elle est aujourd'hui complètement dépassée".
Cependant, les plus dangereux ne sont pas ceux qui rejettent explicitement les apports de Marx. Ce sont ceux qui s'en réclament, qu'ils appartiennent à la branche social-démocrate, à la branche stalinienne, à la branche trotskyste ou à ce qu'on pourrait appeler la branche "universitaire" les "marxologues".
A l'occasion du centième anniversaire de la mort de Marx, on verra tout ce beau monde s'agiter fébrilement, faire du bruit, parler avec autorité, envahir les colonnes des journaux et les écrans de télévision. Il revient donc aux révolutionnaires, et c'est là le véritable hommage qu'ils puissent rendre à Marx et à son oeuvre, de réfuter ces mensonges abondamment diffusés, de balayer les dithyrambes intéressés pour rétablir la simple vérité des faits.
MARX DEPASSE ?
Marx découvrit le profond secret du mode de production capitaliste : le secret de la plus-value appropriée par les capitalistes grâce au travail non payé des prolétaires. Il montra qu'au lieu de s'enrichir par son travail, le prolétaire s'y appauvrissait, que les crises devenaient de plus en plus violentes parce que le besoin de débouchés s'accroissait tandis que le marché mondial se rétrécissait davantage. Il s'attacha à montrer que le capitalisme, en vertu de ses propres lois, court à sa perte et crée avec une nécessité d'airain les conditions de l'instauration du communisme. Etant venu au monde couvert de sang et de boue, s'étant nourri en cannibale de la force de travail des prolétaires, le capitalisme quitterait la scène dans un cataclysme.
C'est pour cette raison que, depuis un siècle, la bourgeoisie s'est employée à combattre les idées de Marx. Des légions d'idéologues ont fait tentative sur tentative pour anéantir sa pensée. Des professeurs, des savants, des prédicateurs ont fait de la "réfutation" de Marx leur métier. Par ses écoles, ses universités, la bourgeoisie a dirigé un feu nourri contre Marx. A l'intérieur même du mouvement ouvrier, le révisionnisme se dressa contre les principes fondamentaux du marxisme au nom d'une "adaptation" de celui-ci aux nouvelles réalités de l'époque (fin du 19ème siècle). Ce n'est pas par hasard d'ailleurs que Bernstein, le théoricien du révisionnisme, s'était proposé d'attaquer le marxisme sur deux points fondamentaux :
- le capitalisme aurait découvert le moyen de surmonter ses crises économiques catastrophiques;
- l'exploitation de la classe ouvrière pourrait s'atténuer progressivement jusqu'à disparaître.
Ce sont ces deux idées essentielles que la bourgeoisie a agité frénétiquement chaque fois que la situation économique du capitalisme a semblé s'améliorer permettant la distribution de quelques miettes à la classe ouvrière. Ce fut notamment le cas dans la période de reconstruction qui a suivi la seconde guerre mondiale où l'on a pu voir les économistes et les politiciens prédire la fin des crises. Ainsi, le prix Nobel d'économie Samuelson s'exclamait dans son livre "Economies" (p.266) : "tout se passe aujourd'hui comme si la probabilité d'une grande crise- d'une dépression profonde, aiguë et durable comme il a pu s'en produire en 1930, 1870 et 1890 se trouvait réduite à zéro".
De son côté, le président Nixon n'avait pas peur de déclarer, le jour de son "inauguration" (janvier 1969) : " Nous avons enfin appris à gérer une économie moderne de façon à assurer son expansion continue".
Ainsi, jusqu'au début des années 70, c'est avec beaucoup d'autorité que se sont exprimés ceux pour qui "Marx est dépassé" ([1] [45]).
Depuis, les clameurs se sont tues. Inexorablement la crise se déploie. Toutes les potions magiques préparées par les prix Nobel des différentes écoles ont échoué et ont même aggravé le mal. Pour le capitalisme l'heure est aux records : record d'endettement, du nombre de faillites, de la sous-utilisation des capacités productives, du chômage. Le spectre de la grande crise de 29 revient hanter la bourgeoisie et ses professeurs appointés. Leur optimisme béat a fait place à un noir pessimisme et au désarroi. Il y a déjà quelques années, le prix Nobel Samuel son constatait avec détresse "la crise de la science économique" qui se révélait incapable d'apporter des solutions à la crise. Il y a un an et demi, le prix Nobel Friedmann avouait "qu'il n'y comprenait plus rien". Plus récemment, le prix Nobel Von Hayek constatait que le "krach est inévitable" et qu'il n'y a rien à faire".
Dans la postface de la 2ème édition allemande du Capital, Marx constatait que la "crise générale, par l'universalité de son champ d'action et l'intensité de ses effets, allait faire entrer la dialectique dans la tête même aux tripoteurs qui avaient poussé comme champignons" à l'occasion d'une phase de prospérité du capitalisme. Ces spécialistes du tripotage que sont les économistes en font une nouvelle fois l'expérience : la crise qui se déchaîne aujourd'hui commence à les rendre intelligents. Ils commencent à comprendre, à leur grand effroi, que leur "science " est impuissante, qu'il n'y a "rien à faire" pour sortir leur cher capitalisme du gouffre.
Non seulement Marx n'est pas "dépassé" aujourd'hui, mais il est nécessaire d'affirmer bien net que jamais ses analyses n'ont été autant à l'ordre du jour.
Toute l'histoire du 20ème siècle est une illustration de la validité du marxisme. Les deux guerres mondiales, la crise des années 30 étaient la preuve du caractère insurmontable des contradictions qui assaillent le mode de production capitaliste. Le surgissement révolutionnaire des années 1917-23, malgré sa défaite, confirmait que le prolétariat est bien la seule classe révolutionnaire d'aujourd'hui, la seule force de la société capable de renverser le capitalisme, d'être le "fossoyeur" (suivant l'expression du Manifeste Communiste) de ce système moribond.
La crise aiguë du capitalisme qui se développe aujourd'hui balaye les illusions semées par la reconstruction du 2ème après-guerre. Illusions sur un capitalisme définitivement prospère, illusions sur la "coexistence pacifique" entre grands blocs impérialistes, illusions sur "l'embourgeoisement" du prolétariat et la "fin de la lutte de classes" comme Ta montré, dès mai 68, le ressurgissement historique de la classe ouvrière qui n'a fait que se confirmer depuis, notamment par les combats en Pologne en 1980. Une nouvelle fois se découvre dans toute sa clarté l'alternative indiquée par Marx et Engels : "Socialisme ou chute dans la barbarie".
Ainsi, le premier hommage qui soit rendu à la pensée de Marx au moment du centième anniversaire de sa mort nous vient des faits eux-mêmes : de la crise, de l'aggravation inéluctable des convulsions du capitalisme, du resurgissement historique de la lutte de classe. Quel meilleur hommage à celui qui écrivait en 1844 :
"La question de savoir si la pensée humaine peut prétendre à la vérité objective n'est pas une question de théorie mais une question pratique. C'est dans la pratique que l'homme doit prouver la vérité, c'est-à-dire la réalité et la puissance, la matérialité de sa pensée".
(Thèses sur Feuerbach)
L'UTILISATION DE MARX CONTRE LA CLASSE OUVRIERE
Les grands révolutionnaires ont toujours été persécutés durant leur vie: leur doctrine a toujours été en butte à la haine ''la plus féroce, aux campagnes de mensonge et de diffamation les plus ineptes de la part des classes oppresseuses. Après leur mort on tente de les convertir en icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une auréole de gloire pour la consolation des classes opprimées et pour leur duperie, en même temps qu'on émascule la substance de-leur ''enseignement révolutionnaire, qu'on en émousse le tranchant, qu'on l'avilit".
Lénine "L'Etat et la Révolution"
Ces mots de Lénine écrits en 1917 contre la Social-Démocratie et notamment son "Pape", Karl Kautsky, se sont illustrés par la suite à une échelle que leur auteur était loin de soupçonner. Lui-même fut transformé après sa mort "en icône inoffensive" et cela au sens propre puisque sa momie est encore aujourd'hui un haut lieu de pèlerinage.
La Social-Démocratie dégénérescente, celle qui en 1914 allait passer ouvertement aux côtés de la bourgeoisie, avait déjà beaucoup fait pour "émasculer" la pensée de Marx, pour la vider de tout contenu révolutionnaire. Si la première offensive contre le marxisme, celle de Bernstein à la fin du 19ème siècle, se proposait de "réviser" cette théorie, celle de Kautsky autour de 1910 se fit au nom de "l'orthodoxie marxiste". Par un choix judicieux de citations de Marx et Engels, on leur faisait dire l'exact contraire de leur pensée véritable. Il en fut ainsi notamment de la question de l'Etat bourgeois. Alors que depuis la Commune de Paris la nécessité de détruire celui-ci avait été affirmée clairement par Marx, Kautsky fit silence sur cette affirmation pour partir à la recherche de formulations qui pourraient accréditer l'idée opposée. Et comme les révolutionnaires, y compris les plus grands, ne sont pas à l'abri des ambiguïtés ou même des erreurs, Kautsky parvint à ses fins au grand bénéfice des pratiques réformistes de la Social-Démocratie, c'est-à-dire au grand détriment du prolétariat et de sa lutte.
Mais l'ignominie Social-Démocrate ne s'est pas arrêtée à une falsification du marxisme. Cette falsification, après avoir préparé la démobilisation totale du prolétariat face à la menace de guerre annonçait une trahison complète, un passage avec armes et bagages dans le camp bourgeois. C'est au nom du "marxisme" qu'elle sauta les pieds joints dans le sang et la boue de la première guerre impérialiste, qu'elle aida la bourgeoisie mondiale à colmater la brèche ouverte dans l'édifice croulant du capitalisme par la révolution de 1917, qu'elle a froidement fait assassiner Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ainsi que des milliers de spartakistes en 1919. En usurpant le nom de Marx, la Social-Démocratie a obtenu des fauteuils ministériels dans les gouvernements bourgeois, des postes de préfet de police, de gouverneur aux colonies. Au nom de Marx elle s'est faite le bourreau du prolétariat européen et des populations coloniales.
Cependant, aussi loin qu'ait pu aller la Social-Démocratie dans l'abjection elle fut dépassée sur tous les plans par le stalinisme.
Les falsifications sociales-démocrates du marxisme n'étaient encore rien à côté de celles que les staliniens devaient lui faire subir. Jamais idéologues de la bourgeoisie n'avaient fait preuve d'un tel cynisme pour déformer la moindre phrase et lui faire dire l'exact contraire de son sens véritable.
Alors que l'internationalisme, le rejet de tout chauvinisme, avait été la pierre angulaire tant de la révolution d'octobre 17 que de la fondation de l'Internationale Communiste, il revint à Staline et à ses complices d'inventer la théorie monstrueuse de la "construction du socialisme dans un seul pays". C'est au nom d'Engels et de Marx qui écrivait dès 1847 :
"La révolution communiste... ne sera pas une révolution purement nationales elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés….Elle est une révolution universelle"
(Principes du communisme) "Les prolétaires n'ont pas de patrie (Manifeste Communiste) ; c'est en leur nom que le parti, bolchevik dégénéré et les autres partis dits "communistes" appelèrent à la "construction du socialisme en URSS", à la défense de la "patrie socialiste" et plus tard à la défense de l'intérêt national, de la patrie, du drapeau dans leur pays respectif, A côté de l'hystérie chauvine des partis staliniens avant, pendant et au lendemain de la 2ème boucherie impérialiste, à côté des "A chacun son boche" et "Vive la France éternelle" (l'Humanité en 1944), le "jusqu'au-boutisme" des socialistes de 1914 en vint à faire pâle figure.([2] [46])
Ennemi de l'Etat (et de façon bien plus conséquente que l'anarchisme), ennemi de la religion, le marxisme est devenu entre les mains des staliniens une religion d'Etat, une religion de l'Etat. Alors qu'il jugeait incompatibles l'existence de l'Etat et celle de la liberté, qu'il considérait comme indissolublement liés l'Etat et l'esclavage, Marx est utilisé comme knout idéologique des pouvoirs en place en URSS et ses satellites, il est devenu le pilier porteur de l'appareil de répression policier. Alors qu'il entra dans la vie politique en luttant centre la religion considérée par lui comme "l'opium du peuple", Marx est récité tel un catéchisme par des centaines de millions d'éco1iers.
Alors que Marx voyait dans la dictature du prolétariat la condition de l'émancipation des exploités et de toute la société, c'est au nom de cette "dictature du prolétariat" que la bourgeoisie règne par la terreur la plus brutale sur des centaines de millions de prolétaires.
Après la vague révolutionnaire du 1er après-guerre, la classe ouvrière a subi la plus terrible contre-révolution de son histoire. Le principal fer de lance de cette contre-révolution, ce fut la "patrie socialiste" et les partis qui s'en réclamaient. Et c'est au nom de Marx et de la révolution communiste pour laquelle il avait lutté toute sa vie qu'a été menée cette contre-révolution avec ses dizaines de millions de cadavres des camps staliniens et du second holocauste impérialiste. Toutes les ignominies dans lesquelles s'était vautrée la Social-Démocratie, le stalinisme les a renouvelées, au décuple. ([3] [47])
MARX SAVANT OU MILITANT ?
La bourgeoisie n'en a pas eu assez de transformer Marx et le marxisme en symboles de la contre-révolution. Pour parachever son oeuvre, il lui fallait en faire également des disciplines universitaires, des sujets de thèse en philosophie, en sociologie, en économie. A l'occasion du centième anniversaire de la mort de Marx, à côté des socialistes et des staliniens, on verra donc s'agiter les "marxologues" (qui sont aussi souvent socialistes ou staliniens d'ailleurs). Quelle sinistre ironie : Marx qui avait refusé de faire carrière à l'université pour pouvoir se consacrer à la lutte révolutionnaire est mis au rang des philosophes, économistes et autres idéologues de la bourgeoisie.
C'est juste que dans beaucoup de domaines de la pensée, il y a un "avant" et un "après" Marx. C'est particulièrement vrai dans le domaine de l'économie : après l'énorme contribution de Marx à l'intelligence des lois économiques de la société, cette discipline fut complètement transformée. Mais on ne peut y voir un phénomène identique à celui de la découverte d'une grande théorie en physique par exemple. Dans ce dernier cas, la découverte est le point de départ de tout un progrès dans la connaissance (ainsi "l’après" Einstein constitue un approfondissement considérable dans la lecture des lois de l'univers). Par contre, les découvertes de Marx en économie n'inaugurent pas, pour les pontifes économistes de la bourgeoisie, des progrès dans cette discipline mais au contraire une énorme régression. A cela, il existe une raison très simple. Les économistes qui ont précédé Marx étaient les représentants intellectuels d'une classe qui portait avec elle le progrès historique, d'une classe révolutionnaire dans la société féodale : la bourgeoisie. Les Smith et les Ricardo, malgré leurs insuffisances, étaient capables de faire avancer la connaissance de la société parce qu'ils étaient les défenseurs d'un mode de production -le capitalisme- qui, à leur époque, constituait une étape progressive dans l'évolution de cette société. Face à l'obscurantisme propre à la société féodale, ils avaient besoin de déployer le maximum de rigueur scientifique que leur permettait leur époque.
Marx salue et utilise les travaux des économistes classiques. Cependant son objectif est complètement différent du leur. S'il étudie l'économie capitaliste ce n'est nullement pour tenter d'améliorer son fonctionnement mais pour la combattre et préparer son renversement. C'est pour cela qu'il n'écrit pas une "Economie politique" mais une "Critique de l'Economie Politique". Et c'est justement parce qu'il se situe de ce point de vue dans l'étude de la société bourgeoise, du point de vue de son renversement révolutionnaire, qu'il est capable d'en comprendre aussi bien les lois. Seule une classe qui n'a aucun intérêt à la préservation du capitalisme, le prolétariat, pouvait mettre à nu ses contradictions mortelles. Si Marx a fait faire un tel progrès à la connaissance de l'économie capitaliste, c'est avant tout parce qu'il était un combattant de la révolution prolétarienne.
Après Marx, tout nouveau progrès dans la connaissance de l'économie capitaliste ne pouvait se faire qu'à partir de ses découvertes et donc en partant du même point de vue de classe. Par contre, l'économie politique bourgeoise qui, par essence, se refusait un tel peint de vue, ne pouvait plus être que de l'apologétique, une discipline destinée à justifier par n'importe quel argument la conservation du capitalisme et incapable de ce fait de comprendre ses lois véritables. C'est pour cette raison que les économistes, même les plus huppés, font figure aujourd'hui de crétins.
Le marxisme est la théorie du prolétariat, il ne peut être une discipline universitaire. Seul un militant révolutionnaire peut être marxiste. Cette unité entre la pensée et l'action est justement un des fondements du marxisme. Elle s'exprime avec clarté dès 1844 dans les thèses sur Feuerbach et notamment dans la dernière :
"Jusqu'ici les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières; il s'agit maintenant de le transformer". Certains ont voulu faire de Marx un pur savant enfermé avec ses livres et coupé du monde. Rien n'est plus étranger â la vérité. Lorsqu'un jour ses filles lui font subir un questionnaire (publié par Riazanov sous le nom de "Confession") et lui demandent quelle est son idée du bonheur, il répond : "la lutte". Et c'est bien la lutte qui est au centre de sa vie comme elle est au centre de la vie de tout militant révolutionnaire.
Dès 1842, alors qu'il n'a pas encore adhéré au communisme, il commence le combat politique contre l'absolutisme prussien à la rédaction puis à la tête de la "Gazette Rhénane". Par la suite, c'est un lutteur infatigable que les différentes autorités européennes expulsent d'un pays à l'autre des années durant jusqu'au moment (août 49) où il viendra se fixer définitivement à Londres. Entre temps, Marx a pris part directement aux combats de la vague révolutionnaire qui a secoué toute l'Europe en 1848-49. A ces combats il a participé avec sa plume à la tête de la "Nouvelle Gazette Rhénane", quotidien publié à Cologne entre juin 48 et mai 49 et dans lequel il avait investi toutes ses économies personnelles. Mais sa contribution la plus importante à la lutte du prolétariat, c'est au sein de la Ligue des Communistes qu’il l’a donnée. Car c'est une constante dans la démarche de Marx : contrairement à certains pseudo-marxistes d'aujourd'hui, il considère l'organisation des révolutionnaires comme un instrument essentiel de la lutte du prolétariat. Ainsi, le texte le plus célèbre et le plus important du mouvement ouvrier, le "Manifeste Communiste" rédigé par Marx et Engels en 1847, s'intitulait en fait "Manifeste du Parti Communiste" et constituait le programme de la Ligue des Communistes à laquelle avaient adhéré les deux amis quelques mois auparavant après "que fut éliminé des Statuts tout ce qui favorisait la superstition autoritaire" (Marx),
De même qu'il avait joué un rôle majeur dans le développement de la Ligue des Communistes, Marx prit une part prépondérante dans la fondation et la vie de l’A.I.T, c'est-à-dire la première grande organisation mondiale du prolétariat. C'est à lui que nous devons l'Adresse inaugurale et les statuts de TAIT ainsi que la plupart des textes fondamentaux de celle-ci, notamment l'Adresse sur la guerre civile en France écrite pendant la Commune de Paris. Mais sa contribution à la vie de l’AIT ne s'est pas limitée à cela. En fait, entre 1864 et 1872, il exerça une activité quotidienne et infatigable au sein du Conseil Général de l'Internationale dont il était le véritable animateur sans pour cela d'ailleurs en tirer une gloire quelconque. Sa participation à la vie de l’AIT lui prit des quantités énormes de temps et d'énergie qu'il ne put consacrer à l'achèvement de son travail théorique, Le Capital, dont le Livre I fut publié en 1867 et dont les autres livres ne furent publiés qu'après sa mort par Engels. Mais c'était un choix délibéré de sa part. Il considérait son activité militante au sein de l’AIT comme fondamentale parce que c'était T organisation vivante de la classe ouvrière mondiale, de cette classe qui en s'émancipant elle-même devait émanciper l'humanité. Comme Ta écrit Engels : "La vie de Marx sans l'Internationale aurait été comme une chevalière à laquelle il manquerait le diamant".
Par la profondeur de sa pensée et la rigueur de son raisonnement, par l'étendue de sa culture et sa quête infatigable de nouvelles connaissances, Marx ressemble incontestablement à ceux qu'on nomme les "savants". Mais ses découvertes ne furent jamais pour lui l'occasion de bénéficier ni d'honneurs et titres officiels, ni d'avantages matériels. Son engagement au côté de la classe ouvrière, et qui motivait l'énergie avec laquelle il mena son travail théorique, lui valut au contraire la haine et les attaques permanentes de la "bonne société" de son temps. Il lui valut également de se débattre la plus grande partie de sa vie contre une extrême misère matérielle. Comme l'écrivait son biographe Franz Mehring :
"Non seulement dans la pauvreté de son train de vie mais dans l'insécurité totale de toute son existence, Marx a partagé le sort du prolétariat moderne". Mais, à aucun moment, l'adversité de même que les plus cruelles défaites enregistrées par le prolétariat ne put le détourner de son combat.
Bien au contraire. Comme il l'écrivait-lui même à Johann Phi 1ipp Becker :
"...toutes les natures vraiment bien trempées une fois qu'elles se sont engagées sur la voie révolutionnaire, puisent continuellement de nouvelles forces dans la défaite, et deviennent de plus en plus résolues à mesure que le fleuve de l'histoire les emporte plus loin".
ETRE MARXISTE AUJOURD'HUI
Dans l'histoire de la pensée humaine, il n'y a pas de maître qui n'ait été involontairement trahi par l'un ou l'autre de ses disciples. Marx n'a pas échappé au sort commun qui,, de son vivant même, vit sa méthode d'analyse du réel se transformer en facile passe-partout. Par avance, il avait décliné toute responsabilité pour l'usage édulcoré qu'en faisaient certains sociaux-démocrates. A la place d'une scolastique morte, il entendait que ceux-ci étudient une société en constante évolution à l’aide d'une méthode et non qu'ils utilisent à tort et à travers chacune de ses paroles comme une loi invariante.
Chercher chez Marx des solutions toutes faites à transplanter artificiellement d'une époque révolue à une époque nouvelle, c'est figer une pensée toujours en éveil et aiguillonnée par le souci de rester une arme critique en une rêche cristallisation. Ainsi, plutôt que d'accepter sans examen tout ce qui vient de Marx, le marxiste d'aujourd'hui doit déterminer exactement ce qui continue à servir la lutte de classe et ce qui a cessé d'avoir cette fonction. Une série de lettres t d'Engels à Sorge (1886-1894) invite à se préserver de la bigoterie car, d'après les propres termes du co-auteur du "Manifeste Communiste" et de "L'Idéologie Allemande", Marx ne prétendit jamais construire une théorie rigide, une orthodoxie. Dans le rejet d'un doctrinarisme dit "invariant", il y a, de notre part, le rejet d'un contresens absolu : une théorie vraie de toute éternité, Verbe qui engendre l'action et qui n'attend plus que des catéchumènes pour devenir Action.
Cette "invariance" ne se trouve nulle part dans l'oeuvre de Marx car elle est incapable de distinguer le transitoire du permanent*. Ne correspondant plus aux situations nouvelles et multiformes elle est disqualifiée comme méthode d'interprétation des faits. Sa vérité est trompeuse, malgré les rodomontades qui l'accompagnent.
"De telles idées n'ont d'intérêt que pour "une classe rassasiée qui se sent à son aise "et se voit confirmée dans la situation pré-"sente. Elles ne valent rien pour une classe "qui lutte et s'efforce de progresser et que "la situation atteinte laisse nécessairement "insatisfaite". Korsch "Au coeur de la conception matérialiste".
Etre marxiste aujourd'hui ce n'est donc pas se réclamer à la lettre de chacun des écrits de Marx. Cela poserait d'ailleurs de sérieux problèmes dans la mesure où Ton trouve dans l'oeuvre de
Marx nombre de passages qui se contredisent. Ce n'est nullement d'ailleurs la preuve d'un manque de cohérence dans sa pensée : même ses adversaires ont reconnu au contraire l'extraordinaire cohérence de sa démarche et de son oeuvre. C'est en réalité la marque du fait que sa pensée était vivante, qu'elle était constamment en éveil et à l'écouta du réel et de l'expérience historique. A l'image des "révolutions prolétariennes (qui).. "se critiquent elles-mêmes constamment, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent "impitoyablement les hésitations et les faiblesses. .. de leurs premières tentatives". (K. Marx le 18 Brumaire), Marx n'a jamais hésité à remettre en question ses analyses antérieures. Ainsi, dans la préface à l'édition allemande du Manifeste Communiste de 1872, il reconnaît qu' "il ne faut pas attribuer trop d'importance "aux mesures révolutionnaires énumérées à la "fin du chapitre II. Ce passage serait, à "bien des égards, rédigé tout autrement aujourd'hui.. .La Commune, notamment, a démontré que la classe ouvrière ne peut pas se "contenter de prendre possession telle quelle "de la machine d'Etat et de la faire fonctionner pour ses propres fins. " Cette démarche est celle des véritables marxistes...C'est celle de Lénine qui en 1917 combat les mencheviks qui s'appuyaient sur la lettre de Marx pour soutenir la bourgeoisie et s'opposer à la révolution prolétarienne en Russie. C'est celle de Rosa Luxemburg qui, en 1906, se heurte aux bonzes syndicaux qui condamnaient la grève de masse en se basant sur un texte de Engels de 1873 écrit contre les anarchistes et leur mythe de "la grève générale". Sa défense de la grève de masse comme arme essentielle de la lutte prolétarienne dans la nouvelle période c'est justement au nom du marxisme qu'elle la conduit :
"Si donc la Révolution russe rend indispensable une révision fondamentale de l'ancien point de vue marxiste à l'égard de la grève de masse, ce n'en sont pas moins les méthodes et les points de vue généraux du marxisme qui, sous une nouvelle forme, en sortent vainqueurs. .." ( Grève de masse, Parti,Syndicats). Etre marxiste aujourd'hui c'est utiliser "les méthodes et les points de vue généraux du marxisme" dans la définition des tâches fixées au prolétariat par la nouvelle période ouverte dans la v vie du capitalisme avec la première guerre mondiale : la période de décadence de ce mode de production.
C'est en particulier dénoncer tout syndicalisme avec la même démarche qui conduisait Marx et l'A.I.T. à encourager la syndicalisation des ouvriers. C'est combattre toute participation au Parlement et aux élections avec le même point de vue qui animait le combat de Marx et Engels contre les anarchistes et leur abstentionnisme. C'est refuser tout soutien aux prétendues luttes de "libération nationale" d'aujourd'hui en employant la même méthode que la Ligue des Communistes et l'A.I.T. faisaient leur pour comprendre la nécessité d'appuyer certaines luttes nationales de leur temps.
C'est rejeter la conception du Parti de masses pour la révolution future pour les mêmes raisons fondamentales qui faisaient de la première et la deuxième Internationales des organisations de masse.
Etre marxiste aujourd'hui, c'est tirer les enseignements de toute l'expérience du mouvement ouvrier, des apports successifs de la Ligue des Communistes, de la 1ère, de la 2ème et de la 3ème Internationales et des fractions de gauche qui se sont dégagées de cette dernière lors de sa dégénérescence, afin d'en féconder les combats prolétariens que la crise du capitalisme a fait surgir à partir de 1968, et les armer pour le renversement du capitalisme.
RC/FM
"LE MARXISME N'EST PAS UNE CHAPELLE OU L'ON SE DELIVRE DES BREVETS D1 "EXPERTISE" ET DEVANT LAQUELLE LA MASSE DES CROYANTS DOIT MANIFESTER SA CONFIANCE AVEUGLE. LE MARXISME EST UNE CONCEPTION REVOLUTIONNAIRE DU MONDE, APPELEE A LUTTER SANS CESSE POUR ACQUERIR DES RESULTATS NOUVEAUX, UNE CONCEPTION QUI N'ABHORRE RIEN TANT QUE LES FORMULES FIGEES ET DEFINITIVES ET QUI N'EPROUVE SA FORCE VIVANTE QUE DANS LE CLIQUETIS D'ARMES DE L'AUTOCRITIQUE ET SOUS LES COUPS DE TONNERRE DE L'HISTOIRE."
(Rosa Luxembourg. "L'accumulation du capital")
[1] [48]
Il
est important de signaler que les défenseurs avoués du système capitaliste ne
furent pas les seuls avocats de cette idée. Au cours des années 1950. et 60, on
a vu se développer, parmi des groupes et éléments se réclamant pourtant de la
révolution communiste, une tendance à la remise en cause des acquis essentiels
du marxisme. C’est ainsi que le groupe « Socialisme ou Barbarie » a
échafaudé, sous la conduite de son grand théoricien (allias Chailieu-Cardan),
une thèse sur la « dynamique du capitalisme »affirmant que Marx avait
fait simplement fausse route en tentant de démontrer le caractère insoluble des
contradictions économiques de ce système. Depuis, les choses sont revenues à
leur place : le professeur Castoriadis s'est distingué comme caution
"de gauche" de l’effort de guerre du Pentagone en publiant un livre
qui "démontre" que les USA ont un énorme retard sur l'URSS en matière
d'armements (!). D une façon toute naturelle, le rejet par Castoriadis du
marxisme lui a ouvert toutes grandes les porter de la bourgeoisie.
[2] [49] Il est clair que cela n'excuse en rien les crimes Sociaux-démocrates ou n'atténue leur gravité. Le prolétariat n'a pas à faire un choix entre la peste social-démocrate et le choléra stalinien. L'une et l'autre poursuivent le même but : la conservation du régime capitaliste avec des méthodes parfois différentes dues aux conditions particulières des pays où ils agissent. Ce qui fait du stalinisme un dépassement de la social-démocratie dans l'ignominie c'est la place extrême qu'il occupe dans le capitalisme décadent, dans son évolution vers sa forme historique de capitalisme d'Etat et le développement du totalitarisme étatique. Ce processus inexorable du capital nécessite dans les pays arriérés, où la bourgeoisie privée est moins développée et déjà sénile, une force politique particulièrement brutale capable d'instaurer de la façon la plus sanglante le régime du capitalisme d'Etat. Selon les pays, cette force politique se présente sous la forme du stalinisme qui, en plus d'exercer une oppression sanglante, prétend instaurer le capitalisme d'Etat au nom du "Socialisme", du "Communisme" ou du "marxisme" battant ainsi tous les records d'ignominie et de cynisme.
[3] [50] Avec leurs modestes moyens, les trotskystes ont emboîté le pas à leurs grands frères sociaux- démocrates et staliniens. C'est avec une véhémence exacerbée qu'ils se réclament de Marx et du marxisme (Ainsi, le Parti Communiste Internationaliste, tendance "lambertiste", a lancé une souscription pour republier la biographie de Marx écrite par Franz Mehring), alors que depuis plus de 40 ans, ils n'ont pas manqué une occasion d'apporter un soutien "critique" aux ignominies staliniennes (résistance, défense de l'URSS, exaltation des prétendues "luttes de libération nationale", soutien des gouvernements de gauche).
Ce texte d'Internationalisme est extrait d'une série d'articles publiés tout au long de l'année 1947, intitulée "Problèmes actuels du mouvement ouvrier". Dans ces articles, Internationalisme entend par "mouvement ouvrier" ou "mouvement révolutionnaire", les groupes et les organisations politiques. Il polémique contre l'activisme ambiant qui existe parmi les groupes qui voient, avec la fin de la 2ème guerre mondiale, la possibilité d'une répétition du processus révolutionnaire tel qu'il s'était déroulé à la fin de la 1ère guerre mondiale de 1917 à 1923.
Internationalisme analyse au contraire la fin de la 2ème guerre comme une défaite profonde pour la classe ouvrière internationale. Les conditions ne sont pas les mêmes qu'à la fin de la 1ère guerre mondiale ; la classe ouvrière a été physiquement et idéologiquement vaincue ; la survie du capitalisme a accentué la tendance au capitalisme d'Etat qui modifie les données pour la lutte de classe ; les conditions ne sont pas réunies pour une reprise générale de la lutte révolutionnaire.
Internationalisme combat le volontarisme des groupes qui mettent en avant la formation immédiate du parti, sans prendre en compte ces nouvelles données de la période, avec pour seul cadre politique une répétition à leur échelle microscopique des positions et des orientations du Parti bolchevik de la période révolutionnaire, sans un bilan de la défaite et des erreurs de ce parti. Ces groupes sont des scissions du trotskysme, mais surtout les fractions de la Gauche Communiste Internationale qui appuient la constitution d'un Parti Communiste Internationaliste (PCI) en Italie en 1943.
Poursuivant la critique qu'il faisait dès le moment de la constitution du PCI1, Internationalisme rappelle quelles sont les conditions de la constitution d'un parti. L'histoire du mouvement ouvrier montre que la naissance et le développement, tout comme la fin, la dégénérescence ou la trahison des organisations politiques du prolétariat (Ligue des communistes, AIT, 2ème Internationale, Internationale Communiste, Parti bolchévik), sont étroitement liés à l'activité de la classe ouvrière elle-même. Au sein de la classe ouvrière, un parti, c'est-à-dire une organisation capable d'influer sur le cours des événements de la lutte de classe de manière décisive, ne peut surgir que s'il s'exprime dans la classe une tendance à s'organiser et à s'unir contre le capitalisme, dans une montée de lutte de classe.
Cette tendance n'existe pas à la fin de la 2ème guerre mondiale. Les mouvements de grève de 1943 en Italie, les manifestations contre la faim en 1945 en Allemagne où l’on voit même parfois la police se retourner contre le pouvoir, sont circonscrites et isolées. S'ils attestent d'une combativité de classe que tous les groupes politiques reconnaissent, ils restent limités et prisonniers de l'idéologie et des forces d'encadrement de la bourgeoisie, partis de gauche et syndicats.
Pour Internationalisme, l'heure n'est certainement pas à la formation du parti. Contre ceux qui voient dans sa position un "défaitisme", un rejet de l'activité révolutionnaire. Internationalisme réaffirme que le débat n'est pas "construction du parti" ou "rien", mais quelles tâches pour les groupes révolutionnaires, et sur quel programme. Ce qui tient lieu de théorie est pour beaucoup un bavardage incohérent répétant les positions de l'Internationale Communiste comme si rien ne s'était passé depuis la période révolutionnaire et faisant le silence sur tous les débats d'avant la guerre.
On trouve à la constitution du PCI des éléments qui, comme Vercesi, récusaient pendant la guerre toute possibilité d'activité révolutionnaire, refusant de prendre position contre la guerre, théorisant la "disparition du prolétariat" pour aboutir à participer à des "comités antifascistes"2. On y trouve aussi beaucoup d'éléments qui n'avaient pas participé ni suivi le travail politique et théorique de la Gauche Communiste de 1'entre-deux-guerres et qui, à l'appel des anciens des années 20 restés à l'écart de ce travail comme Damen et surtout Bordiga, rejoignent les rangs du PCI, sans que jamais ne soient discutées les positions politiques de la Gauche.
Pour Internationalisme, qui se situe résolument dans la continuité de ce travail, il n'a jamais été question de rejeter la nécessité de l'activité révolutionnaire. Comme il le dit : "le cours de la lutte de classe ne se modifie pas par la volonté des militants, pas plus qu'il ne se modifie indépendamment de leur volonté".
Quelle activité, avec quelles méthodes ? Telle est la question qu'Internationalisme pose aux organisations révolutionnaires.
La "construction du parti" du PCI veut dire en fait se jeter dans un activisme sans principes, et le parti est un regroupement fait de bric et de broc, de tendances diverses, y inclus des groupes qui ont participé aux côtés de la bourgeoisie à la "résistance antifasciste".
Pour Internationalisme au contraire, il faut poursuivre un travail de fraction communiste, continuer le bilan de la vague révolutionnaire précédente en tirant les leçons de la défaite et de la période de guerre, assurer dans la mesure de ses moyens une propagande constante à contre-courant, entretenir le plus possible la confrontation et la discussion dans le milieu révolutionnaire nécessairement réduit dans les conditions de la période.
En 1947, Internationalisme peut déjà faire le constat de l'échec des divers groupes qui prennent leur propre agitation pour 1'activité de la classe depuis quelques années, ce qui entraîne la démoralisation et la dispersion de forces militantes immatures et hâtivement regroupées à qui on a fait miroiter, sans discussion aucune, des perspectives qui ne correspondent en rien à la réalité.
Des groupes qui ont scissionné avec le trotskysme abandonnent le marxisme, se disloquent. De 3000 membres environ que compte le PCI à ses débuts, celui-ci se trouve engagé dans un processus de défections massives et de dispersion. Des dirigeants de ce parti, des éléments des fractions française et belge qui l'appuie, loin de se rendre compte des causes réelles de ce phénomène, l'expliquent par une pirouette philosophique, la "transformation de la quantité en qualité" !
Contre cette aberration, Internationalisme explique ce qui se passe d'une part par l'incapacité à comprendre la période, mais aussi d'autre part par les méthodes défendues et en vigueur dans le PCI : le rejet du travail d'approfondissement politique et théorique par l'ensemble des militants.
Ces méthodes reposent sur la reprise d'une conception erronée de la lutte et de la prise de conscience de la classe, selon laquelle la conscience ne peut être apportée à la classe que "de l'extérieur". Cette conception, que Lénine dans "Que faire ?" reprit de Kautsky, ne voit pas la prise de conscience comme le fait de l'ensemble de la classe ouvrière, dont le parti en son sein est l'expression la plus claire et la plus décidée sur les moyens et les buts généraux du mouvement. Elle la voit comme le fait d'une minorité éclairée détentrice des connaissances théoriques qu'elle doit "importer" dans la classe.
Rapportée sur le plan du parti, cette conception amène à théoriser que seules des individualités particulières ont la capacité d'approfondir la théorie révolutionnaire, pour la distiller et la transmettre en quelque sorte "toute mâchée" aux membres de l'organisation.
C'est cette conception d'un chef génial, seul capable de mener le travail théorique de l'organisation, que critique l'extrait de "Problèmes actuels du mouvement ouvrier" que nous publions ci-dessous. L'attitude que le PCI défendait par rapport à Bordiga, et défend toujours en général en ce qui concerne les questions théoriques dans le mouvement ouvrier, relève de cette conception. Elle sert de base au rejet de la discussion ouverte de toutes les questions et orientations de l'organisation. Elle implique pour les militants une obéissance servile et une confiance aveugle dans les orientations politiques élaborées par le seul centre de l'organisation et une absence de véritable formation. Nous publierons la suite de cet article dans un prochain numéro de la Revue Internationale, article intitulé "La discipline, force principale..." qui combat cette vision militaire du travail militant dans une organisation révolutionnaire.
La vision sclérosée du PCI des méthodes d'une organisation révolutionnaire qu'Internationalisme combattait en 1947, sévit encore aujourd'hui, en particulier dans les groupes qui se réclament du "léninisme". Face aux difficultés que fait surgir l'accélération de l'histoire actuelle, cette vision ne fait qu'accentuer l'opportunisme et le sectarisme dans un milieu révolutionnaire en difficulté.3
A l'inverse de cette vision, le parti, comme toute organisation révolutionnaire, ne peut remplir sa fonction que s'il est un lieu d'élaboration constante collective par tous ses membres des orientations politiques. Ceci implique nécessairement la discussion la plus ouverte et la plus large possible, à l'image de la classe ouvrière dont la condition de son émancipation est l'action consciente collective à laquelle participent toutes les parties et tous les membres de la classe.
1 Lire "La tâche de l'heure : formation du parti ou formation des cadres [52]" – REVUE INTERNATIONALE n°32
2 Lire la brochure publiée par le CCI "Contribution à une histoire de la Gauche Communiste d’Italie".
3 Lire "Convulsions actuelles du milieu révolutionnaire [53]" – REVUE INTERNATIONALE n°28.
Lire "Problèmes actuels du milieu révolutionnaire" – REVUE INTERNATIONALE n°32, en particulier "Le Parti Communiste International (Programme Communiste) à un tournant de son histoire [54]".
Ce n'est pas nouveau en politique qu'un groupe change radicalement ses façons de voir et d'agir en devenant une grande organisation, un parti de masses. On peut citer maints exemples de telles métamorphoses. On pourrait, avec raison, l'appliquer également, en partie tout au moins, au Parti bolchevik après la révolution. Mais ce qui frappe, pour le Parti Communiste Internationaliste d'Italie, c'est la rapidité surprenante avec laquelle l'esprit de ses principaux dirigeants a subi ce changement. Et cela est d'autant plus surprenant que, somme toute, le Parti italien représente, aussi bien numériquement que fonctionnellement, tout au plus une fraction élargie.
Comment expliquer alors ce changement ?
Par exemple : le Parti Communiste italien à sa fondation, animé par la direction de la Gauche et de Bordiga, a toujours été l'enfant terrible dans l'I.C. Ne reconnaissant pas la soumission "a priori" à l'autorité absolue des chefs, même de ceux envers qui il portait la plus grande estime, le PC d'Italie entendait discuter librement, et combattre, s'il le fallait, toute position politique qu'il ne partageait pas. Dès la fondation de l’IC, la fraction de Bordiga se trouvera sur bien des points en opposition et exprimera ouvertement ses désaccords avec Lénine et autres dirigeants du Parti bolchevik, de la révolution russe et de l’IC. On connaît les débats qui ont eu lieu entre Lénine et Bordiga au 2ème Congrès. Personne ne songeait alors à contester ce droit de libre discussion et il ne serait venu à personne de voir en cela une atteinte à l'autorité des "chefs". Peut-être que des hommes, aussi veules et serviles que Cachin{C}[1]{C} [57], pouvaient dans leur for intérieur en être scandalisés, mais ils n'osaient même pas le montrer. Mieux que cela : la discussion n'était même pas considérée comme un droit mais comme un DEVOIR, l'unique moyen permettant, par la confrontation des idées et l'étude, l'élaboration des positions programmatiques et politiques courantes nécessaire pour l'action révolutionnaire.
Lénine écrivait : "il est du devoir des militants communistes de vérifier par eux-mêmes les résolutions des instances supérieures du Parti. Celui qui, en politique, croit sur parole est un indécrottable idiot".Et on sait quel mépris Lénine mettait dans ces termes d'"indécrottable idiot". Sans cesse Lénine insistait sur la nécessité de l'éducation politique des militants. Apprendre, comprendre, ne peut se faire que par la libre discussion, par la confrontation générale des idées par l'ensemble des militants .sans exception. Ce n'est pas là simplement une question de pédagogie mais une condition première de l'élaboration politique, de la marche en avant du mouvement de l'émancipation du prolétariat.
Après la victoire du stalinisme et l'exclusion de la gauche de l’IC, la fraction italienne n'a cessé de combattre le mythe du chef infaillible, et face a Trotsky réclamait dans l'opposition de gauche le plus grand effort dans le réexamen critique des positions passées et la recherche théorique par la plus large discussion des problèmes nouveaux. La Fraction italienne a fourni cet effort avant la guerre. Elle n'a cependant pas prétendu avoir résolu tous les problèmes et se trouvait elle-même, comme on le sait, très divisée sur des questions de première importance.
Or on doit constater que toutes ces bonnes dispositions et traditions se sont évanouies avec la constitution du Parti. Le PCI est actuellement le groupement où la discussion théorique et politique est la moins existante. La guerre, l'après-guerre ont soulevé un grand nombre de problèmes nouveaux. Aucun de ces problèmes n'a été et n'est abordé dans les rangs du Parti italien. Il suffit de lire les écrits et journaux du Parti pour se rendre compte de leur extrême pauvreté théorique. Quand on lit le procès-verbal de la Conférence constitutive du Parti, on se demande si cette conférence a eu lieu en 1946 ou en 1926. Et un des dirigeants du Parti –si nous ne nous trompons pas c’était le camarade Damen–, avait raison de dire que le Parti reprenait et repartait des positions de...1925. Mais ce qui pour lui représente une force (les positions de 1925) exprime, on ne peut mieux, le terrible retard théorique et politique et souligne précisément l'extrême faiblesse du Parti.
Aucune période, dans l'histoire du mouvement ouvrier, n'a tant bouleversé les données acquises et posé tant de nouveaux problèmes que cette période, relativement courte, de 20 ans, entre 1927 et 1947, pas même la période pourtant si mouvementée de 1905 à 1925. La plus grande partie des Thèses fondamentales qui étaient à la base de l’IC ont vieilli et sont périmées. Les positions sur 1a question nationale et coloniale, sur la tactique, sur les mots d'ordre démocratiques, sur le parlementarisme, sur les syndicats, sur le Parti et ses rapports avec la classe sont à réviser radicalement. D'autre part, la réponse est à donner aux questions de l’Etat après la révolution, la dictature du prolétariat, sur les caractères du capitalisme décadent, sur le fascisme, sur le capitalisme d'Etat, sur la guerre impérialiste permanente, sur les nouvelles formes de lutte et d'organisation unitaire de la classe. Autant de problèmes que l’IC a à peine entrevus et abordés, et qui sont apparus après la dégénérescence de l’IC.
Quand, devant l'immensité de ces problèmes, on lit les interventions à la Conférence de Turin où on a répété comme des litanies les vieilles positions de Lénine de la "Maladie infantile du Communisme", déjà périmées à l'époque même où il l’a écrit, quand on voit le Parti reprendre, comme si rien ne s'était passé, les vieilles positions de 1924 de participation aux élections bourgeoises et de lutte à l'intérieur des syndicats, on mesure tout le retard politique de ce Parti et tout ce qu'il a à rattraper.
Et cependant c'est ce Parti qui est de loin le plus en retard, répétons-le, par rapport aux travaux de la Fraction d'avant-guerre, qui s'oppose le plus à toute discussion politique intérieure et publique. C'est dans ce Parti ou la vie idéologique est la plus terne.
Comment cela s'explique-t-il ? L'explication nous a été donnée par un des dirigeants de ce Parti, dans une conversation qu'il a eue avec nous{C}[2]{C} [58]. Il nous a dit :
Ce discours que nous reproduisons presque textuellement contient trois éléments. Premièrement une constatation de fait : le bas niveau idéologique dès membres du Parti. Deuxièmement, le danger qui consiste à ouvrir d'amples discussions dans le Parti, parce que ne pouvant que troubler les membres et disloquer ainsi leur cohésion. Et troisièmement que la solution aux problèmes politiques nouveaux ne peut être QUE l’œuvre d'un cerveau génial.
Sur le premier point le camarade dirigeant a absolument raison, c'est là un fait incontestable. Mais cette constatation devrait inciter, croyons-nous, à poser la question de la valeur de ce Parti. Que représente un tel Parti pour la classe ? Que peut-il apporter à la classe ?
Nous avons vu la définition que donne Marx sur ce qui distingue les communistes de l'ensemble du prolétariat : leur conscience des fins générales du mouvement et les moyens pour y parvenir. Si les membres du Parti italien ne représentent pas cette distinction, si leur niveau idéologique ne dépasse pas celui de l'ensemble du prolétariat, peut-on alors parler d'un Parti communiste ?
Bordiga formulait justement l'essence du Parti, par un "corps de doctrine et une volonté d'action". Si ce corps de doctrine manque, mille regroupements ne forment pas encore le Parti. Pour le devenir réellement, le PCI a pour première tâche : la formation idéologique des cadres, c'est-à-dire le travail idéologique préalable pour pouvoir devenir un parti réel.
Ce n'est pas la pensée de notre dirigeant du PCI, qui estime au contraire qu'un tel travail n'est susceptible que de troubler la volonté d'action des membres. Que dire d'une telle pensée sinon qu'elle nous paraît MONSTRUEUSE. Faut-il rappeler les remarquables passages du "Que faire" où Lénine cite Engels sur la nécessité de la lutte sur trois fronts : l'économique, le politique et le front idéologique ?
De tous les temps existaient ces socialistes qui craignaient que la discussion et la manifestation des divergences puissent troubler la bonne action des militants. Ce socialisme peut être appelé le socialisme borné ou le socialisme de l'ignorance.
Contre Weitling, le chef reconnu, le jeune Marx fulminait en s'écriant : "Le prolétariat n'a pas besoin de l'ignorance" ! Si la lutte des idées peut troubler l'action des militants, combien cela serait encore plus vrai pour l'ensemble du prolétariat ? Et alors c'en est fini du Socialisme à moins de professer que le socialisme c'est de l'ignorance. C'est là une conception d'Eglise, qui elle aussi craint de troubler les cerveaux de ses fidèles, par trop de questions doctrinales.
Contrairement à l'affirmation que les militants ne peuvent agir que dans la certitude, "fusse-t-elle même fondée sur des positions fausses", nous opposons qu'il n'y a pas de certitude, mais un continuel dépassement des vérités. Seule l'action basée sur les données les plus récentes, en continuel enrichissement, est révolutionnaire. Par contre, l'action faite sur la base d'une vérité d'hier, mais déjà, périmée aujourd'hui, est stérile, nuisible et réactionnaire. On veut nourrir les membres de bonnes vérités certaines et absolues, alors que seules les vérités relatives contenant leur antithèse du doute donnent une synthèse révolutionnaire.
Si le doute et la controverse idéologique doivent troubler l'action des militants, on ne voit pas pourquoi cela serait un phénomène uniquement valable pour aujourd'hui. A chaque étape de la lutte, la nécessité surgit de dépasser les positions antérieures. A chaque moment la vérification des idées acquises et des positions prises sont mises en doute. Nous serons donc placés dans un cercle vicieux : ou de réfléchir, de raisonner et en conséquence ne pas pouvoir agir, ou d'agir sans savoir si notre action repose sur un raisonnement réfléchi.
Belle conclusion à laquelle doit aboutir notre dirigeant du PCI s'il était logique avec ses prémisses. C'est en tout cas l'idéalisation du type de "l'indécrottable idiot" contre lequel Lénine n'avait pas assez de sarcasmes. C'est le "parfait crétin" hissé à la hauteur de membre idéal du PCI d'Italie !
Tout le raisonnement de notre dirigeant sur l'impossibilité "momentanée" de la recherche et de la controverse théorico-politique, au sein du PCI, ne contient pas l'ombre d'une justification.
Le trouble provoqué par de telles controverses est justement la condition de la formation du militant, la condition que son action puisse reposer sur une conviction sans cesse vérifiée, comprise et enrichie. C'est la condition fondamentale de l'action révolutionnaire, en dehors de laquelle il n'y a qu’obéissance, crétinisme et servitude.
Mais la pensée intime de notre dirigeant se trouve exprimée dans le troisième point. C'est là sa pensée profonde. Les problèmes théoriques de l'action révolutionnaire ne sont pas résolus par des controverses et des discussions mais par le cerveau génial d'un individu, du chef. La solution n'est pas une oeuvre collective mais individuelle du penseur isolé dans son cabinet de travail, tirant de sa génialité les éléments fondamentaux de la solution. Ce travail achevé, la solution donnée, il ne reste à la masse des militants, à l'ensemble du Parti que d'assimiler cette solution et d'aligner sur elle leur action politique. Cela rendrait les discussions sinon nuisibles du moins un luxe inutile, une perte de temps stérile. Et pour appuyer cette thèse, de citer entre autres l'exemple de l’œuvre de Marx.
Notre dirigeant se fait une drôle d'idée de Karl Marx. Jamais penseur n'a été moins "l'homme-de-cabinet-de-travail" que Marx. Moins que chez tout autre, on ne peut séparer chez Marx l'homme de l'action, le militant du mouvement et le penseur. La pensée de Marx mûrit en correspondance directe non de l’action des autres mais de son action avec les autres dans le mouvement général. Pas une idée contenue dans son oeuvre que Marx n'ait déjà exposée, opposée, sous forme de conférences et de controverses, à d'autres idées au cours de son action. C'est pourquoi son oeuvre garde cette fraîcheur d'expression et de vitalité. Toute son œuvre, et même le Capital, n'est qu'une incessante controverse où les recherches théoriques les plus ardues et les plus abstraites voisinent, et sont étroitement mêlées à la discussion et à la polémique directe. Curieuse façon de concevoir l’œuvre de Marx que de la considérer comme le produit de la composition biologique miraculeuse du cerveau de Marx !
D'une façon générale c'en est fini du génie dans l'histoire humaine. Que représentait le génie dans le passé ? Rien d'autre que le niveau extrêmement bas de la connaissance de la moyenne des hommes en rapport de qui la connaissance de quelques éléments d'élite faisait une différence incommensurable. A un stade inférieur du développement de la connaissance humaine, la connaissance toute relative pouvait être un acquis individuel, tout comme le moyen de production pouvait avoir un caractère individuel. Ce qui distingue l'outil de la machine c'est son changement de caractère qui de produit rudimentaire d'un travail privé, devient un produit compliqué d'un travail social collectif. Il en est autant pour la connaissance en général. Tant qu'elle restait élémentaire, un individu isolé pouvait l'embrasser dans sa totalité. Avec le développement de la société et de la science, la connaissance cesse de pouvoir être embrassée par l'individu pour être mieux saisie par l'humanité tout entière. L’écart entre le génie et la moyenne des hommes diminue dans la proportion même où la somme des connaissances humaines s’élève. La science, comme la production économique, tend à se socialiser. Du génie l'humanité est passée au savant isolé et du savant à l'équipe de savants. La division du travail tend à grandir. Pour produire aujourd'hui il est nécessaire de compter sur la coopération des grandes masses d'ouvriers. Cette même tendance à la division est dans la production "spirituelle" et assure précisément par là son développement. Le cabinet du savant cède la place au laboratoire où coopèrent dans leurs recherches des équipes de savants, comme l'atelier de l'artisan a cédé sa place aux grandes usines.
Le rôle de l'individu tend à diminuer dans la société humaine, non en tant qu'individu sensible mais en tant qu'individu émergeant de la masse confuse, surnageant le chaos humain. L'homme-individu cède la place à l'homme social. L'opposition de l'unité individuelle à la société est résolue par la synthèse d'une société où tous les individus retrouvent leur personnalité véritable. Le mythe du génie n’est pas l’avenir de l’humanité. Il doit aller rejoindre le mythe du héros et du demi-dieu dans le musée de la préhistoire.
On peut penser ce que l'on veut de la diminution du rôle de l'individu dans l'histoire humaine. On peut applaudir ou le regretter. On ne peut contester ce processus. Pour pouvoir continuer la production techniquement évoluée le capitalisme était forcé d'instaurer l'instruction générale. La bourgeoisie a été obligée d'ouvrir un nombre de plus en plus grand d'écoles, dans une certaine mesure compatible avec ses intérêts. Elle s'est vue obligée de laisser accéder les fils des prolétaires à une instruction supérieure.
Dans cette même mesure elle a élevé la culture générale de la moyenne de la société. Mais elle ne peut dépasser un certain degré sans atteindre à sa propre domination et devient ainsi une entrave au développement culturel de la société.
C’est là une des manifestations de la contradiction historique de la société bourgeoise que seul le socialisme peut résoudre. Le développement de la culture et de la conscience sans cesse dépassée est la résultante mais aussi la CONDITION du socialisme et voilà un homme qui se dit marxiste, qui prétend être un dirigeant d'un Parti communiste qui nous parle et nous demande d'attendre le Génie sauveur.
Pour nous convaincre, il nous a conté cette anecdote : se présentant après la guerre chez Bordiga, qu'il n'a pas vu depuis 20 ans, il a soumis à sa critique des écrits théoriques et politiques. Après lecture, Bordiga trouvant leur contenu erroné, lui aurait demandé ce qu'il comptait en faire. Les publier dans les revues du Parti, a répondu notre dirigeant. Sur quoi Bordiga aurait répliqué que ne pouvant les combattre, n'ayant pas le temps de faire les recherches théoriques nécessaires pour réfuter le contenu de ces articles, il s'opposait à leur publication. Et si le Parti passait outre, il retirerait sa collaboration littéraire. La menace de Bordiga a suffi pour faire renoncer notre dirigeant à la publication de ses articles.
Cette anecdote qu'on nous donnait en exemple devait nous convaincre de la grandeur du maître et du sens de mesure de l'élève. Elle nous laisse plutôt un sentiment pénible. Si cette anecdote est vraie, elle nous donne une idée de l'esprit qui règne dans le PCI d'Italie, un esprit absolument lamentable. Ainsi ce n'est pas le Parti, la masse des militants, la classe ouvrière dans son ensemble qui est appelée à juger de la justesse ou de l'erreur de telle ou telle position politique. Cette masse ne doit pas même être informée. Le "maître", seul juge de ce qu'elle peut comprendre et de ce dont elle doit être renseignée. Quel sublime souci de ne pas "troubler" la quiétude de la masse. Et si le "maître" se trompe ? s'il est dans l'erreur ? Cela ne peut être, car si le "maître" se trompe, comment voulez-vous qu'un simple mortel puisse, lui, avoir même la possibilité de juger ! Pourtant cela est bien arrivé à d'autres "maîtres" de se tromper : à Marx, à Lénine. Eh bien, cela n'arrivera pas à "notre maître", au VRAI. Et si cela arrivait, il ne peut appartenir qu'à un "maître" futur de le corriger. C'est là une conception typiquement aristocratique de la pensée. Nous ne nions pas la grande valeur que peut avoir la pensée du spécialiste, du savant, du penseur, mais nous rejetons la conception authentiquement monarchiste de la pensée, le Droit Divin sur la pensée. Quant au "maître" lui-même, il cesse d être un être humain dont la pensée se développe au contact des autres humains, pour devenir en quelque sorte un phénix, un phénomène se mouvant par lui-même, l'Idée pure se cherchant, se contredisant et se saisissant soi-même comme chez Hegel.
L'attente du génie c'est la proclamation de sa propre impuissance, c'est la masse attendant au pied du mont Sinaï la venue d'un je ne sais quel Moïse, apportant on ne sait quelle Bible d'inspiration divine. C'est la vieille et éternelle attente du Messie juif venant libérer son peuple. Le vieux chant révolutionnaire du prolétariat, l'Internationale dit : "il n'y a pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun", Il faudrait veiller à l'avenir d'ajouter "ni génie" à l'intention particulière des membres du PCI d'Italie.
Il existe bien des présentations modernes de cette conception messianique : le culte du "chef infaillible" des staliniens, le “Führer prinzip” des hitlériens, l'appartenance au Duce des chemises noires. Elles sont l'expression de l’angoisse de la bourgeoisie décadente prenant vaguement conscience de sa fin prochaine et cherchant à se sauver en se jetant au pied du premier aventurier venu. Le concept du génie fait partie de la même famille des divinités.
Le prolétariat n'en a que faire et n'a pas à craindre d'être troublé en regardant la réalité en face car l'avenir du monde lui appartient.
(A suivre [59])
[1] [60] Vieux parlementaire du Parti socialiste, chef de cabinet du ministre socialiste Sembat durant la 1ère guerre mondiale. Chauvin invétéré chargé de porter des fonds de l'Etat français à Mussolini pour faire campagne pour l'entrée en guerre de l'Italie au côté de l'Entente... Converti en 1920 en partisan de l’IC où il continue sa carrière de parlementaire et est le plus veule partisan, jusqu'à sa mort, de Staline.
[2] [61] Conversation avec Vercesi
1) La structure dont se dote l'organisation des révolutionnaires correspond à la fonction qu'elle assume dans la classe ouvrière. Comme cette fonction comporte des tâches valables à toutes les étapes du mouvement ouvrier, mais aussi des tâches plus particulières à telle ou telle époque de ce mouvement, il existe des caractéristiques constantes de l'organisation des révolutionnaires et des caractéristiques plus circonstancielles, plus déterminées par les conditions historiques dans lesquelles elle surgit et se développe.
Parmi les caractéristiques constantes, on peut relever :
Parmi les caractéristiques plus circonstancielles, on peut mettre en évidence :
2- Le mode d'organisation du CCI participe directement de ces différentes données :
Mais le caractère unitaire au niveau international est d'autant plus marqué pour le CCI que, contrairement aux organisations ayant surgi auparavant dans la période de décadence (Internationale Communiste, fractions de gauche), il n'y a pas de lien organique avec les organisations venant de la 2ème Internationale où la structure par pays était plus marquée. C'est pour cela que le CCI a surgi d'emblée comme organisation internationale suscitant progressivement l'apparition de sections territoriales, et non comme résultat d'un processus de rapprochement d'organisations déjà formées au niveau national.
Cet élément plus "positif" résultant de la rupture organique est cependant contre-balancé par tout une série de faiblesses liées à cette rupture, et concernant la compréhension des questions d'organisation. Faiblesses qui ne sont pas propres au CCI mais concernent l'ensemble du milieu politique révolutionnaire. Ce sont ces faiblesses qui se sont manifestées une nouvelle fois dans le CCI et qui ont motivé la tenue d'une Conférence Internationale et le présent texte.
3) Au centre des incompréhensions qui pèsent sur le CCI figure la question du centralisme. Le centralisme n'est pas un principe abstrait ou facultatif de la structure de l'organisation. C'est la concrétisation de son caractère unitaire : il exprime le fait que c'est une seule et même organisation qui prend position et agit dans la classe. Dans les rapports entre les différentes parties de l'organisation et le tout, c'est toujours le tout qui prime. Il ne peut exister face à la classe de position politique ou de conception de l'intervention particulière à telle ou telle section territoriale ou locale. Celles-ci doivent toujours se concevoir comme partie d'un tout. Les analyses et positions qui s'expriment dans la presse, les tracts, les réunions publiques, les discussions avec les sympathisants ; les méthodes employées dans notre propagande comme dans notre vie interne, sont celles de l'organisation dans son ensemble, même s'il existe des désaccords sur tel ou tel point, en tel ou tel lieu, ou chez tel ou tel militant et même si l'organisation porte à l'extérieur les débats politiques qui se déroulent en son sein. La conception selon laquelle telle ou telle partie de l'organisation peut adopter face à la classe ou à l'organisation des positions ou des attitudes qui lui semblent correctes au lieu de celles de l'organisation qu'elle estime erronées est à proscrire absolument car :
Dans l'organisation, le tout n'est pas la somme des parties. Celles-ci reçoivent délégation pour l'accomplissement de telle activité particulière (publications territoriales, interventions locales, etc.) et sont donc responsables devant l'ensemble de ce mandat qu'elles ont reçu.
4) Le moment privilégié où s’exprime avec toute son ampleur l’unité de l’organisation est son Congrès International. C’est au congrès international qu’est défini, enrichi, rectifié le programme du CCI, que sont établies, modifiées ou précisées ses modalités d’organisation et de fonctionnement, que sont adoptées ses analyses et orientations d’ensemble, qu’il est fait un bilan de ses activités passées et élaboré ses perspectives de travail pour le futur. C’est pour cela que la préparation du Congrès doit être prise en charge avec le plus grand soin et la plus grande énergie par l’ensemble de l’organisation. C’est pour cela que les orientations et décisions du Congrès doivent servir de références constantes à l'ensemble de la vie de l'organisation après celui-ci.
5) Entre deux Congrès, l'unité de même que la continuité de l'organisation s'exprime par l'existence d'organes centraux nommés par le Congrès et responsables devant lui. C'est aux organes centraux que revient la responsabilité (suivant le niveau de compétence : international ou territorial) :
L'organe central est une partie de l'organisation et comme tel, il est responsable devant elle, lorsqu'elle est réunie en Congrès. Cependant, c'est une partie qui a comme spécificité d'exprimer et de représenter le tout, et de ce fait, les positions et décisions de l'organe central priment toujours sur celles des autres parties de l'organisation prises séparément.
Contrairement à certaines conceptions, notamment celles dites "léninistes", l'organe central est un instrument de l'organisation et non le contraire. Il n'est pas le sommet d'une pyramide suivant une vision hiérarchique et militaire de l'organisation des révolutionnaires. L'organisation n'est pas formée d'un organe central plus les militants, mais constitue un tissu serré et uni au sein duquel s'imbriquent et vivent toutes ses composantes. Il faut donc plutôt voir l'organe central comme le noyau de la cellule qui coordonne le métabolisme d'une entité vivante.
En ce sens, c'est de façon constante que l'ensemble de l'organisation est concerné par les activités de ses organes centraux, lesquels sont tenus de faire des rapports réguliers sur leurs activités. Même si c'est uniquement au Congrès qu'ils rendent leur mandat, les organes centraux sont tenus d'avoir des oreilles toujours ouvertes à la vie de l'organisation et de tenir constamment compte de cette vie.
Suivant les nécessités et circonstances, les organes centraux peuvent être conduits à désigner en leur sein des sous-commissions à qui il revient la responsabilité d'exécuter et de faire exécuter les décisions adoptées lors des réunions plénières des organes centraux ainsi que d'accomplir toute autre tâche (notamment les prises de positions) qui s'avère nécessaire entre deux réunions plénières.
Ces sous-commissions sont responsables devant ces réunions plénières. D'une façon plus générale, les rapports établis entre l'ensemble de l'organisation et les organes centraux valent également entre ceux-ci et leurs sous-commissions permanentes.
6) Le souci de la plus grande unité du sein de l'organisation préside également à la définition des mécanismes qui permettent les prises de position et la nomination des organes centraux. Il n'existe aucun mécanisme idéal garantissant le meilleur choix quant aux décisions à prendre, aux orientations à adopter et aux militants à nommer dans les organes centraux. Cependant, le vote et l'élection sont ceux qui permettent le mieux de garantir tant l'unité de l'organisation que la plus grande participation de l'ensemble de celle-ci à sa propre vie.
En général, les décisions à tous les niveaux (Congrès, organes centraux, sections locales) sont prises (quand il n'y a pas d'unanimité) à la majorité simple. Cependant, certaines décisions qui peuvent avoir une répercussion directe sur l'unité de l'organisation (modification de la plate-forme ou des statuts, intégration ou exclusion de militants) sont prises à une majorité plus forte que la majorité simple (3/5, 3/4, etc..).
Par contre, dans le même souci d'unité, une minorité de l'organisation peut provoquer la convocation d'un Congrès extraordinaire à partir du moment où elle est significative (par exemple les 2/5) : en règle générale, il revient au Congrès de trancher sur les questions essentielles, et l'existence d'une forte minorité demandant sa tenue est l'indice de l'existence de problèmes importants au sein de l'organisation.
Enfin, il est clair que le vote n'a de sens que si les membres qui sont en minorité appliquent les décisions qui ont été prises et qui deviennent celles de l'organisation.
Dans la nomination des organes centraux, il est nécessaire de prendre en considération les trois éléments suivants :
C'est en ce sens que l'on peut dire que l'assemblée (Congrès ou autre) qui doit désigner un organe central nomme une équipe : c'est pour cela qu'en général, l'organe central sortant fait une proposition de candidats. Cependant, il revient à cette assemblée (et c'est le droit de tout militant) de proposer d'autres candidats si elle l'estime nécessaire et, en tout état de cause, d'élire individuellement les membres des organes centraux. Seul ce type d'élections permet à l'organisation de se doter d'organes en qui elle a un maximum de confiance.
L'organe central a pour responsabilité de mettre en application et de défendre les décisions adoptées par le Congrès qui l'a élu. En ce sens, il est opportun que figure en son sein une forte proportion de militants, qui, lors du Congrès, se sont prononcés en faveur de ces décisions et orientations. Cela ne veut pas dire cependant que seuls ceux qui ont défendu dans le Congrès les positions majoritaires, positions qui sont devenues à la suite de celui-ci celles de l'organisation, puissent faire partie de l'organe central. Les trois critères définis plus haut restent valables quelles que soient les positions défendues lors des débats par tel ou tel candidat éventuel. Cela ne veut pas dire non plus qu'il doit exister un principe de représentation -par exemple proportionnelle- des positions minoritaires au sein de l'organe central. C'est là une pratique courante dans les partis bourgeois, notamment les partis sociaux-démocrates, où la direction est constituée par les représentants des différents courants ou tendances en proportion des voix recueillies dans les Congrès. Un tel mode de désignation de l'organe central correspond au fait que, dans une organisation bourgeoise, l'existence de divergences est basée sur la défense de telle ou telle orientation de gestion du capitalisme, ou plus simplement sur la défense de tel ou tel secteur de la classe dominante ou de telle ou telle clique, orientation ou intérêts qui se maintiennent de façon durable et qu'il s'agit de concilier par une "répartition équitable" des postes entre représentants. Rien de tel dans une organisation communiste où les divergences n'expriment nullement la défense d'intérêts matériels, personnels ou de groupes de pression particuliers, mais sont la traduction d'un processus vivant et dynamique de clarification des problèmes qui se posent à la classe et sont destinés comme tels à être résorbés avec l'approfondissement de la discussion et à la lumière de l'expérience. Une représentation stable, permanente et proportionnelle des différentes positions qui sont apparues sur les divers points de l'ordre du jour d'un Congrès tournerait donc le dos au fait que les membres de organes centraux :
7) L'utilisation des termes "démocratique" ou "organique" pour qualifier le centralisme de l'organisation des révolutionnaires est à proscrire :
En effet, le "centralisme démocratique" (terme que l'on doit à Lénine) est marqué aujourd'hui du sceau du stalinisme qui l'a employé pour masquer et recouvrir le processus d'étouffement et de liquidation de toute vie révolutionnaire au sein des partis de l'Internationale, processus dans lequel d'ailleurs Lénine porte une responsabilité pour avoir demandé et obtenu au l0ème Congrès du PCUS (1921) l'interdiction des fractions, qu'il estimait à tort nécessaire (même à titre provisoire) face aux terribles difficultés traversées par la Révolution. D'autre part, la revendication_ d'un "véritable centralisme démocratique" qui était pratiqué dans le parti bolchevique n'a pas de sens non plus dans la mesure où :
D’une certaine façon, le terme « organique » (que l’on doit à Bordiga), serait plus correct pour qualifier la nature du centralisme qui existe dans l’organisation des révolutionnaires. Cependant, l’usage qu’en fait le courant bordiguiste pour justifier un mode de fonctionnement qui exclut tout contrôle des organes centraux et de sa propre vie par l’ensemble de l’organisation, le déqualifie et il est nécessaire de le rejeter également. En effet, pour le bordiguisme, le fait –juste en soi- que l’existence d’une majorité en faveur d’une position ne garantisse pas que celle-ci soit correcte, ou que l’élection des organes centraux ne soit pas un mécanisme parfait prévenant ceux-ci de toute dégénérescence, est utilisé pour défendre une conception de l’organisation où le vote et l’élection sont bannis. Dans cette conception, les positions correctes et les "chefs" s’imposent "d’eux-mêmes" à travers un processus soi-disant "organique", mais qui en pratique, revient à confier au "centre" le soin de décider seul et en tout, de trancher tout débat, et conduit ce "centre" à s’aligner sur les positions d’un "chef historique" qui serait investi d’une sorte d’infaillibilité divine. Combattant toute forme d’esprit religieux et mystique, les révolutionnaires ne sauraient remplacer le pontife de Rome par celui de Naples ou Milan.
Encore une fois, le vote et l’élection, aussi imparfaits qu’ils soient, sont encore le meilleur moyen, dans les conditions actuelles, pour garantir un maximum d’unité et de vie dans l’organisation.
8) Contrairement à la vision bordiguiste, l'organisation des révolutionnaires ne peut être "monolithique". L'existence de divergences en son sein est la manifestation que c'est un organe vivant qui n'a pas de réponses toutes faites à apporter immédiatement aux problèmes qui surgissent devant la classe. Le marxisme n'est ni un dogme, ni un catéchisme. C'est l'instrument théorique d'une classe qui, à travers son expérience et en vue de son devenir historique, avance progressivement, avec des hauts et des bas, vers une prise de conscience qui est la condition indispensable de son émancipation. Comme toute réflexion humaine, celle qui préside au développement de la conscience prolétarienne n'est pas un processus linéaire et mécanique, mais bien contradictoire et critique. Il suppose nécessaire la confrontation des arguments. En fait, le fameux "monolithisme" ou la fameuse "invariance" des bordiguistes est un leurre (ce qu'on peut vérifier fréquemment dans les prises de positions de cette organisation et de ses diverses sections), ou bien l'organisation est complètement sclérosée et n'est plus en prise avec la vie de la classe, ou bien elle n'est pas monolithique et ses positions ne sont pas invariantes.
9) Si l'existence de divergences au sein de l'organisation est un signe qu'elle est vivante, seul le respect d'un certain nombre de règles dans la discussion de ces divergences permet que celles-ci soient une contribution au renforcement de l'organisation et à l'amélioration des tâches pour lesquelles la classe l'a fait surgir.
On peut ainsi énumérer un certain nombre de ces règles :
Dans la mesure où les débats qui traversent l'organisation concernent en général l'ensemble du prolétariat, il convient que celle-ci les porte à l'extérieur, en respectant les conditions suivantes :
10) Les divergences existant dans l'organisation des révolutionnaires peuvent conduire à l'apparition de formes organisées des positions minoritaires. Si, face à un tel processus, aucune mesure de type administratif (comme l'interdiction de telles formes organisées) ne saurait se substituer à la discussion la plus approfondie possible, il convient également que ce processus soit pris en charge de façon responsable, ce qui suppose :
La tendance est avant tout l'expression de la vie de l’organisation du fait que la pensée ne se développe jamais de façon rectiligne, mais à travers un processus contradictoire et de confrontation des idées. Comme telle, une tendance est en général destinée à se résorber dès lors qu'une question est devenue suffisamment claire pour que l'ensemble de l'organisation puisse se donner une analyse unique soit comme résultat de la discussion, soit par l'apparition de données nouvelles venant confirmer telle vision et réfuter l'autre.
Par ailleurs, une tendance se développe essentiellement sur des points conditionnant l'orientation et l'intervention de l'organisation. Sa constitution n'a donc pas comme point de départ des questions d'analyse théorique. Une telle conception de la tendance aboutirait à un affaiblissement de l'organisation et à une parcellisation à outrance de l'énergie militante.
La fraction est l'expression du fait que l'organisation est en crise de par l'apparition d'un processus de dégénérescence en son sein, de capitulation face au poids de l'idéologie bourgeoise. Contrairement à la tendance qui ne s'applique qu'à des divergences sur l'orientation face à des questions circonstancielles, la fraction s'applique à des divergences programmatiques qui ne peuvent trouver d'aboutissement que dans l'exclusion de la position bourgeoise ou par le départ de l'organisation de la fraction communiste et c'est dans la mesure où la fraction porte en elle la séparation de deux positions devenues incompatibles au sein du même organisme qu'elle tend à prendre une forme organisée avec ses propres organes de propagande.
C'est parce que l'organisation de la classe n'est jamais garantie contre une dégénérescence que le rôle des révolutionnaires est de lutter à chaque moment pour l'élimination des positions bourgeoises pouvant se développer en son sein. Et c'est quand ils se trouvent en minorité dans cette lutte que leur tâche est de s'organiser en fraction soit pour gagner l'ensemble de l'organisation aux positions communistes et exclure la position bourgeoise soit, quand cette lutte est devenue stérile de par l'abandon du terrain prolétarien par l'organisation - généralement lors d'un reflux de la classe - de constituer le pont vers une reconstitution du parti de classe qui ne peut alors surgir que dans une phase de remontée des luttes.
Dans tous les cas, le souci qui doit guider les révolutionnaires est celui qui existe au sein de la classe en général. Celui de ne pas gaspiller les faibles énergies révolutionnaires dont dispose la classe. Celui de veiller sans cesse au maintien et au développement d'un instrument aussi indispensable mais aussi fragile que l'organisation des révolutionnaires.
11) Si l'organisation doit s'interdire l'usage de tout moyen administratif ou disciplinaire face à des désaccords, cela ne veut pas dire qu'elle doit se priver de ces moyens en toutes circonstances. Il est au contraire nécessaire qu'elle recourre à de tels moyens, comme la suspension temporaire ou l'exclusion définitive, lorsqu'elle est confrontée à des attitudes, comportements ou agissements qui sont de nature à constituer un danger pour son existence, sa sécurité ou son aptitude à accomplir ses tâches. Cela s'applique à des comportements au sein et en dehors de l'organisation qui seraient incompatibles avec l'appartenance à une organisation communiste.
Par ailleurs, il convient que l'organisation prenne toute disposition nécessaire à sa protection face à des tentatives d'infiltration ou de destruction de la part des organes d'Etat capitalistes ou de la part d'éléments qui, sans être directement manipulés par ces organes, ont des comportements de nature à favoriser leur travail.
Lorsque de tels comportements sont mis en évidence, il est du devoir de l'organisation de prendre des mesures non seulement en faveur de sa propre sécurité, mais également en faveur de la sécurité des autres organisations communistes.
12) Une condition fondamentale de l'aptitude d'une organisation à remplir ses tâches dans la classe est une compréhension correcte en son sein des rapports qui s'établissent entre les militants et l'organisation. C'est là une question particulièrement difficile à comprendre à notre époque, compte tenu du poids de la rupture organique avec les fractions du passé et de l'influence de l'élément estudiantin dans les organisations révolutionnaires après 68 qui ont favorisé la résurgence d'un des boulets du mouvement ouvrier du l9ème siècle : l'individualisme.
D'une façon générale, les rapports qui s'établissent entre les militants et l'organisation relèvent des mêmes principes que ceux évoqués plus haut concernant les rapports entre les parties et le tout.
Plus précisément, il convient d'affirmer sur cette question les points suivants :
1. Cette affirmation n'est pas seulement à usage interne ; elle ne vise pas uniquement les scissions qui se sont produites (ou pourront encore se produire) dans le CCI. Dans le milieu politique prolétarien, nous avons toujours défendu cette position. Ce fut le cas notamment lors de la scission de la section d'Aberdeen de la "Communist Workers' Organisation" et de la scission du Nucleo Comunista Internazionalista d'avec "Programme Communiste". Nous avions alors critiqué le caractère hâtif des scissions basées sur des divergences apparemment non fondamentales et qui n'avaient pas eu l'occasion d'être clarifiées par un débat interne approfondi. En règle générale, le CCI est opposé aux "scissions" sans principes basées sur des divergences secondaires (même lorsque les militants concernés posent ensuite leur candidature au CCI, comme ce fut le cas d'Aberdeen). Toute scission sur des questions secondaires relève en réalité d'une conception monolithique de l'organisation qui ne tolère aucune discussion ni divergence au sein de celle-ci. C'est le cas typique des sectes.
La lutte des ouvriers de Pologne est venue montrer de manière éclatante aux yeux du prolétariat mondial que le soi-disant "paradis socialiste" du bloc de l'Est n'était qu'une des facettes de l'enfer capitaliste qui, partout sur la planète, impose le joug de 1 'exploitation de l'homme par l'homme.
Ce mythe des pays "socialistes" a eu la vie dure. C'est que tous les secteurs de la bourgeoisie mondiale, à 1'Est comme à 1'Ouest, avaient intérêt à son maintien soit comme thème d'embrigadement des ouvriers dans les conflits impérialistes, soit comme moyen de les écoeurer et de les détourner de toute perspective de transformation de la société. Depuis un demi-siècle, les révolutionnaires ont combattu sans relâche cette mystification qui a constitué la meilleure arme de la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur le prolétariat mondial à partir des années 20 et a duré jusqu 'aux années 60. Mais, comme le disait Marx, "un seul pas du mouvement réel est plus important qu'une douzaine de programmes". En ce sens, les luttes ouvrières de l'été 80 ont plus fait pour clarifier la conscience du prolétariat international que des décennies de propagande des groupes communistes. Et ce n'est pas fini. Sous les coups de boutoir de la crise économique mondiale, les mystifications bourgeoises se lézardent et s'effondrent, et notamment celle sur la prétendue nature "socialiste" des pays d'Europe de l'Est. Où en est aujourd'hui cette prétendue "prospérité économique" des pays de 1 'Est, ce développement magnifique des forces productives tant chantés par les staliniens et par les trotskystes ? Où en est la situation du prolétariat dans ces "paradis des travailleurs" où il n'y aurait plus d'exploitation, plus de bourgeoisie ? C'est ce que nous abordons dans le premier article qui suit.
Les formidables combats du prolétariat en Pologne n'ont pas constitué seulement une confirmation de ce que les révolutionnaires répétaient depuis des décennies. Ils ont également remis au premier plan "certains problèmes auxquels la pratique n'a pas encore donné de réponse décisive, bien qu'ils se soient posés depuis longtemps sur le plan théorique", comme nous 1'écrivions dans la "Revue Internationale" n° 27 (4ème trimestre 81). Parmi ces problèmes nous signalions, dans cet article, "la nature des armes bourgeoises que la classe ouvrière devra affronter dans les pays du bloc russe" et plus précisément, la contradiction existant entre, d'un côté, la nécessité pour la classe dominante d'utiliser comme en Occident, une gauche dans 1'opposition ayant pour tâche de saboter de 1'intérieur les luttes ouvrières et, de 1'autre côté, 1'incapacité de ces régimes à tolérer une opposition organisée.
L'instauration de l'état de guerre en décembre 81 et l'interdiction officielle de "Solidarnosc" en octobre 82 ont permis d'apporter plus d'éléments sur cette question. Ce sont ces éléments que nous donnons dans le second article ci-dessous.
CRISE DU CAPITAL ET OFFENSIVE CONTRE TES TRAVAILLEURS
L’enfoncement du bloc de l'est dans la crise capitaliste
Pour n'importe quelle entreprise capitaliste, le fait de ne plus pouvoir payer ses dettes signifie la faillite. Même si certains Etats ne peuvent fermer leur porte comme ils ferment les entreprises, l'incapacité de la Pologne et de la Roumanie à rembourser les dettes contractées sur le marché mondial auprès des banques occidentales montre la faillite économique du capitalisme à l'Est au même titre que la situation similaire du Mexique ou du Brésil le montre à l'Ouest. Ces dernières années, l'endettement des pays du bloc russe s'est considérablement aggravé atteignant des sommes vertigineuses :
- en Pologne, la dette de plus de 25 milliards de dollars représente le tiers du Produit National Brut annuel ;
- en Roumanie, la dette de 10 milliards de dollars représente aussi le tiers du PNB.
Comme sa consoeur occidentale, la bourgeoisie du bloc de l'Est a, durant les années 70, fui en avant avec le recours au crédit pour tenter de masquer et de retarder les échéances économiques d'un effondrement de la production. Pourtant, les dettes se payent toujours, et la tricherie par rapport à la loi de la valeur trouve ses limites aujourd'hui. Comme à l'Ouest, le capitalisme à l'Est est entré dans la récession.
Il est bien difficile d'accorder une confiance absolue aux chiffres officiels fournis par la bourgeoisie ; cela est vrai de manière générale, et en Russie plus qu'ailleurs. Cependant, ces chiffres, dans leur évolution, correspondent tout à fait à ce qui se passe en Occident. Pour 1982, la croissance du revenu national sera officiellement de 2%, taux le plus bas jamais atteint et en constante régression depuis plusieurs années. Il faudrait que ce taux soit doublé pour pouvoir réaliser le plan quinquennal ambitieux décidé sous l'égide de Brejnev. La croissance industrielle a été la plus faible depuis la guerre : en 82, la production de produits sidérurgiques, de ciment, de matières plastiques a diminué par rapport aux années précédentes.
Endettement, récession, à ce tableau il ne manque plus que l'inflation pour que l'on retrouve les mêmes caractéristiques fondamentales de la crise capitaliste telle qu'elle se manifeste à l'Ouest. Eh bien cette inflation existe aussi à l'Est ! Sans parler de l'inflation des prix à la consommation, sur laquelle nous reviendrons, la hausse moyenne des prix de gros dans l'ensemble de l'industrie serait de 13,4% dont 42% pour le charbon, 20% pour les produits sidérurgiques, 70% pour 1'énergie thermique ([1] [64]) .
Les mêmes phénomènes sont donc à l'oeuvre, à l'Est comme à l'Ouest, la crise économique mondiale accélère ses effets dévastateurs sur la production capitaliste. Le bloc de l'Est, beaucoup plus faible économiquement, subit encore plus durement l’effet de la crise. Le PNB de l'URSS par habitant est inférieur à celui de la Grèce, celui de la RDA, pays le plus développé du bloc russe, et à peu près égal à celui de l'Espagne. Le bloc russe, économiquement sous-développé,n'a aucune chance, dans une période de surproduction mondiale, de parvenir à une quelconque compétitivité économique ; il éprouve les plus grandes difficultés à vendre ses marchandises sur le marché mondial. Cette situation n'est pas nouvelle pour l'URSS et son bloc, arrivés trop tardivement sur la scène capitaliste mondiale ; il est bien loin le mythe du rattrapage de l'Occident tant mis en avant par Staline et Kroutchev ! L'heure est à une crise économique qui met à nu tous les mensonges, qui montre toutes les faiblesses du capitalisme russe et de ses satellites.
Dans ces conditions se trouve accentuée la tendance qui a permis au bloc russe de survivre depuis son origine : la concentration de plus en plus forte de l'économie entre les mains de l'Etat au service de l'économie de guerre.
L'ACCROISSEMENT DE L'ECONOMIE DE GUERRE
Dans la mesure où le bloc de l'Est ne peut rivaliser économiquement avec le bloc occidental, la seule façon qu'il a de maintenir sa place sur la scène mondiale est de développer son économie de guerre, de mobiliser tout son appareil productif pour la production militaire. En URSS, ce phénomène existe depuis Staline, mais, ces dernières années, il s'est encore accentué.
Face à la pression économique et militaire de l'Occident, l'URSS n'a d'autre choix que de sacrifier toujours plus son économie au profit de l'économie de guerre.
Prenons un exemple : le secteur des transports est un des points noirs du capitalisme russe, paralysant l'ensemble de l'activité économique. La pénurie de moyens est la première cause de la défaillance du secteur des transports ; pourtant, en 82 ont été produits à peine plus de wagons qu'en 70. Cela peut sembler paradoxal alors que les 4/5 des transports terrestres sont réalisés sur le réseau ferroviaire. On comprend mieux ce qui se passe lorsqu'on sait que la production de wagons a été sacrifiée pour donner la priorité à la satisfaction des besoins militaires (la principale usine de wagons, à Niznij Taghil, construisant également des chars).
Ce qui est vrai pour les wagons est vrai pour tous les secteurs de l'économie russe; pour toutes les usines, la priorité absolue est donnée à la production d'armements, ce qui entrave toutes les autres productions.
Contrairement aux biens d'équipement qui sont utilisés dans un nouveau cycle productif ou aux biens de consommation qui servent à la reproduction de la force de travail, les armes n'ont aucune utilité dans le procès de production. De ce fait, leur production massive équivaut à une gigantesque destruction de capital qui ne peut qu'accentuer toujours plus les effets de la crise.
L'URSS à elle seule réalise 40% de la production militaire mondiale alors qu'elle ne produit que 10% du produit mondial brut. Ce pays ne peut maintenir sa place sur la scène mondiale qu'au prix d'un effort militaire toujours plus important qui renforce toujours plus la banqueroute économique.
Il est difficile de trouver des chiffres exacts, le domaine militaire étant par définition celui du secret. Selon la "Military balance", les dépenses militaires de l'URSS seraient équivalentes au PNB de l'Espagne (1000 milliards de Francs) ; ce qui signifie que chaque année, c'est la production d'un pays comme l'Espagne qui est détruite en URSS dans l'économie d'armement, sans compter le coût de la désorganisation de l'économie qui en résulte, c'est-à-dire 20 ou 30% de la production, au bas mot.
Pour le prolétariat du bloc russe, le choix "du beurre ou des canons" prend caricaturalement tout son sens. Les effets conjugués de la crise et de l'économie de guerre signifient pour la classe ouvrière une misère sans cesse accrue au "paradis des travailleurs".
L'AUSTERITE POUR LA CLASSE OUVRIERE
L'absence officielle d'inflation et le plein emploi ont toujours été parmi les arguments principaux des staliniens et des trotskystes pour affirmer que les travailleurs des pays de l'Est bénéficient d'"acquis socialistes". Pourtant, c'est bien un euphémisme de parler d'austérité pour la classe ouvrière dans les pays dits "socialistes". La misère de la situation économique et sociale de la classe laborieuse dans ces pays n'est plus à démontrer et l'attaque menée aujourd'hui par la bourgeoisie de ces pays contre le niveau de vie des ouvriers signifie encore plus d'austérité dans l'austérité.
La bourgeoisie russe elle-même ne peut plus masquer la réalité derrière des chiffres truqués. Officiellement, en URSS, 1982 n'aura pas marqué une progression du pouvoir d'achat de la classe ouvrière. Les augmentations en cascades des prix montrent que l'absence d'inflation dans les pays de l'Est est un mythe qui a fait son temps. Ce sont bien les augmentations brutales du prix des denrées de base nécessaires à la survie des ouvriers qui ont provoqué l'explosion de mécontentement en Pologne avec des tarifs qui grimpaient jusqu'à 100% pour certains produits. Le niveau de vie de la classe ouvrière a été attaqué brutalement ; comme en Occident, l'inflation des prix à la consommation est présente avec en plus, pour l'essentiel des produits, une pénurie et un rationnement draconiens. (Xiand on produit toujours plus de canons, il y a toujours de moins en moins de beurre.
Quant au plein emploi, il existe réellement. Mais il n'est pas le produit d'une quelconque générosité de la classe dominante qui ne voudrait pas laisser ses pauvres ouvriers au chômage. Ce plein emploi n'est que l'expression de la pénurie de capital, de l'absence de machines et de la paralysie de l'appareil productif. Tout le capital qui n'est pas investi dans le capital constant et qui est détruit dans la production de machines de guerre est remplacé par le "capital humain". L'huile de coude remplace l'huile de machine. De plus, le niveau de vie est si faible que la plupart du temps les ouvriers sont tenus d'avoir deux emplois, de faire une double journée de travail pour assurer leur survie et celle de leur famille.
Le plein emploi est aussi un moyen d'assurer une surveillance draconienne du prolétariat. L'arrivée d'Andropov au pouvoir s'est concrétisée par une surveillance accrue sur les lieux de travail :
pointeuses, contrôles d'identité et de présence, opérations "coup de poing" dans les magasins pour voir si les ouvriers ne font pas leurs achats durant les heures de travail etc..., toutes choses bien dans la ligne policière de cet ancien chef du KGB. Tout cela au non de la lutte pour la productivité, contre l'absentéisme et le laisser-aller. La discipline du travail est un thème aujourd'hui martelé par la propagande de l'Etat russe et qui marque une répression accrue contre la classe ouvrière.
Comme dans les pays occidentaux, les années 80 sont marquées en Europe de l'Est par une attaque sévère contre les conditions de vie de la classe ouvrière.
Si les formes changent (plein emploi policier, pénurie, rationnement) le fond reste le même : crise du capitalisme, économie de guerre ; et les conséquences pour la classe ouvrière sont les mêmes dans les deux blocs : une misère sans cesse accrue.
Face à cette situation, les ouvriers de Pologne ont montré l'exemple de la lutte de classe. Cet exemple ne saurait rester sans lendemain. A l'Est comme à l'Ouest, la bourgeoisie, sous la pression de la crise, est amenée à attaquer toujours plus durement la classe ouvrière.
Une telle situation généralisée à toute la planète ne peut que pousser le prolétariat au développement de la lutte de classe.
J.J.
LES ARMES DE LA BOURGEOISIE CONTRE LE PROLETARIAT
Les luttes prolétariennes de 1980-81 en Pologne n'ont pas surpris les révolutionnaires. Ceux qui, contre les reniements et les attaques de tous bords, ont maintenu une défense ferme des principes marxistes savaient et disaient depuis des décennies que les pays soi-disant "socialistes" étaient aussi capitalistes que tous les autres, que leur économie était soumise aux mêmes contradictions qui assaillent l'ensemble du capitalisme, que dans ces pays la classe ouvrière est exploitée autant qu'ailleurs et qu'elle lutte comme partout contre son exploitation. Ils ont compris et ont dit à leur classe que, depuis le milieu des années 60, le capitalisme mondial, ayant épuisé le répit que lui avait donné la reconstruction du second après-guerre, entrait dans une nouvelle phase de convulsions économiques aiguës qui n'épargnerait aucun pays et qui, partout provoquerait des réponses prolétariennes. Ils surent reconnaître dans la grève générale de Mai 68 en France, dans 1'"automne chaud" italien de 69, dans les soulèvements de 70 en Pologne et dans de multiples autres mouvements entre 68 et 74 les premières de ces réponses et purent prévoir que ces luttes ne seraient pas sans lendemain.
Cependant, si l'immense mouvement de 1980 constituait une confirmation des analyses des révolutionnaires, il leur imposait de faire preuve de prudence et d'humilité face à des situations différentes de tout ce que nous avions connu jusqu'à présent. En ce sens, tout en analysant le développement du syndicat indépendant "Solidamosc" came étant la forme prise en Pologne de la politique de gauche dans l'opposition déployée à l'échelle mondiale par la bourgeoisie pour saboter et étouffer les luttes ouvrières, nous nous gardions bien d'annoncer que les pays de l'Est allaient connaître une évolution politique vers les formes démocratiques telles qu'elles existent dans les pays avancés d'Occident.
".. les affrontements entre Solidarité et le POUP ne sont pas uniquement du cinéma, comme n'est pas uniquement du cinéma l'opposition entre droite et gauche dans les pays occidentaux. En Occident, cependant, le cadre institutionnel permet, en général, de "gérer" ces oppositions afin qu'elles ne menacent pas la stabilité du régime et que les luttes pour le pouvoir soient contenues et se résolvent dans la formule la plus appropriée pour affronter l'ennemi prolétarien. Par contre, si, en Pologne même, la classe dominante est parvenue, avec beaucoup d'improvisation mais momentanément avec succès, à instaurer des mécanismes de ce style, rien ne dit qu'il s'agisse d'une formule définitive et exportable vers d'autres pays "frères". Les mêmes invectives qui servent à crédibiliser un partenaire adversaire quand celui-ci est indispensable au maintien de 1'ordre peuvent accompagner son écrasement quand il n'est plus utile. "En la contraignant à un partage des tâches auquel la bourgeoisie d'Europe de l'Est est structurellement réfractaire, les luttes prolétariennes de Pologne ont créé une contradiction vivante. Il est encore trop tôt pour prévoir comment elle se résoudra. Face à une situation historiquement inédite, la tâche des révolutionnaires est de se mettre modestement à l'écoute des faits" (Revue Internationale n° 27, 3/10/81).
Depuis, les faits ont parlé. Le coup de force du 13 décembre 81 a suspendu toutes les activités du syndicat "Solidarité". La décision de la "Diète" (Parlement) polonaise du 8 octobre 1982 l'a définitivement interdit. Comment interpréter ces faits? Cette interdiction est-elle révocable comme le prétendent les dirigeants de "Solidarité" clandestine qui, à côté de déclarations au ton radical, continuent à en appeler à l'entente nationale" et à la "liberté syndicale" ?
Les régimes de l'Est peuvent-ils employer contre la classe ouvrière les mêmes armes "démocratiques" crue ceux d'Occident.
LES REGIMES DE L'EST PEUVENT-T-ILS SE "DEMOCRATISER"
Les 15 mois d'existence légale de "Solidarité" ont semblé donner une réponse positive à cette question. C'était la période où Kuron, le théoricien du KOR, pouvait pérorer sur la perspective d'une démocratisation de la Pologne suivant la "voie espagnole". Cette perspective était au centre de toute la propagande de "Solidarité" : il s'agissait de savoir faire des "sacrifices" sur le plan économique, de ne pas "abuser" de l'arme de la grève, de se montrer "responsable" et "modéré" afin de préserver et d'élargir les "acquis démocratiques" des accords de Gdansk.
Depuis, l'histoire a montré que cette "modération" n'avait nullement favorisé la "démocratie" mais qu'elle avait, par contre, fait le lit de la défaite ouvrière et de la répression qui s'est abattue sur les travailleurs à partir de décembre 1981.
En fait, si l'instauration de l'état dé guerre concrétisait cette défaite, sa signification allait au-delà. Elle visait, comme toutes les répressions, à infliger une punition cuisante au prolétariat, à l'intimider, à lui ôter, par la terreur, le goût de la lutte. Mais elle visait également à mettre hors-la-loi le syndicat "Solidarité", c'est-à-dire le principal agent de la démobilisation et de la défaite ouvrière.
Depuis sa reprise historique de 1968, le prolétariat mondial a subi d'autres défaites que celle de Pologne en 81. En particulier, l'épreuve de force de Mai 68 en France entre la classe ouvrière et la bourgeoisie s'était conclue par une victoire de cette dernière. Les principaux instruments de cette victoire furent, on le sait, les syndicats et notamment la CGT contrôlée par le PCF. Et, fort logiquement, les syndicats furent récompensés de leur action par la reconnaissance de la part du patronnât de la section syndicale d'entreprise, la CGT ayant droit à un petit cadeau supplémentaire sous la forme du rétablissement d'une subvention gouvernementale qui lui avait été retirée quelques années auparavant. En Pologne, par contre, "Solidarité" n'a eu droit à aucune récompense pour ses bons et loyaux services de 1980-81. Au contraire, ses principaux dirigeants furent emprisonnés et, si le plus célèbre d'entre eux est maintenant en liberté et a retrouvé son travail, il en reste encore de nombreux dans les geôles de Jaruzelski tels Gwiazda, Jurczyk, Modzelewski, Rulewski en compagnie des dirigeants du KOR comme Kuron et Michnick. Est-ce à dire que la bourgeoisie de l'Est serait plus ingrate que celle d'Occident ? Ce n'est certainement pas une question de gratitude. Il y a belle lurette, qu'en Occident même, la bourgeoisie s'est départie de ce type de sentiment "pour ne laisser subsister d'autre lien entre 1'homme et 1'homme que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant... qu'elle a noyé tout cela dans l'eau glaciale du calcul égoïste" ("Le manifeste Communiste"). En fait, la raison majeure pour laquelle les autorités polonaises n'ont pas, à l'opposé de leurs consoeurs occidentales, laissé subsister une opposition officielle ou légale c'est que "le régime stalinien ne peut tolérer sans dommage ni danger 1'existence de telles forces d'opposition*dans la mesure où celles-ci constituent "un corps étranger... que rejettent toutes les fibres de son organisme" (Revue Internationale n° 24, 4/12/81).
En effet, si on ne peut comprendre la nature et la portée des événements survenus en Pologne ces trois dernières années qu'en les replaçant dans leur contexte international, qu'en les considérant comme un moment -important- de l'affrontement historique qui oppose à l'échelle mondiale les deux principales classes de la société -le prolétariat et la bourgeoisie- on ne peut tirer tous leurs* enseignements si on ne tient pas compte des différences qui distinguent les conditions de la lutte de classe existant à l'Est de celles que l'on connaît dans les pays avancés d'Occident.
LE CAPITALISME D'ETAT DANS LES PAYS DE L'EST : L'ECONOMIE...
La caractéristique la plus évidente, la plus généralement connue des pays de l'Est, celle sur laquelle repose d'ailleurs le mythe de leur nature "socialiste", réside dans le degré extrême d'étatisation de leur économie.
Comme nous l'avons souvent mis en évidence dans nos publications, le capitalisme d'Etat n'est pas un phénomène propre à ces pays. C'est un phénomène qui relève avant tout des conditions de survie du mode de production capitaliste dans la période de décadence : face aux menaces de dislocation d'une économie et d'un corps social soumis à des contradictions croissantes, face à 1'exacerbation des rivalités commerciales et impérialistes que provoque la saturation générale des marchés, seul un renforcement permanent de la place de l'Etat dans la société permet de maintenir un minimum de cohésion de celle-ci et d'assumer sa militarisation croissante. Si la tendance au capitalisme d'Etat est donc une donnée historique universelle, elle n'affecte cependant pas de façon identique tous les pays. Elle prend ses formes les plus extrêmes là où le capitalisme connaît ses contradictions les plus brutales, où la bourgeoisie classique est la plus faible. En ce sens, la prise en charge directe par l'Etat de l'essentiel des moyens de production qui caractérise le bloc de l'Est (et dans une large mesure, le Tiers-Monde) est en premier lieu une manifestation de l'arriération et de la fragilité de son économie (cf. l'article précédent). Dans la mesure même où la tendance au capitalisme d'Etat est une donnée mondiale irréversible, où, d'autre part, les convulsions présentes de l'économie capitaliste atteignent les pays arriérés encore plus violemment que les autres, il n'existe aucune possibilité pour que se relâche dans ces pays -et notamment ceux du bloc de l'Est- une étatisation de l'économie qui, partout, se renforce y compris dans les pays les plus développés.
La question "les pays de l'Est peuvent-ils se démocratiser ?" trouve donc un premier élément de réponse dans la constatation du fait que tout retour vers des formes classiques du capitalisme est impossible dans ces pays. En effet, il existe un lien étroit entre les formes de domination économique de la bourgeoisie et les formes de sa domination politique : à l'étatisation presque complète des moyens de production correspond le pouvoir totalitaire d'un parti unique ([2] [65]).
... LE PARTI UNIQUE ...
Le régime de parti unique n'est pas propre aux pays de l'Est ni à ceux du Tiers-Monde. Il a existé durant des décennies dans des pays d'Europe occidentale comme l'Italie, l'Espagne, le Portugal. L'exemple le plus marquant est évidemment celui du régime nazi qui dirige entre 1933 et 1945 le pays le plus développé et puissant d'Europe. En fait, la tendance historique vers le capitalisme d'Etat ne comporte pas seulement un volet économique. Elle se manifeste également par une concentration croissante du pouvoir politique entre les mains de l'exécutif au détriment des formes classiques de la démocratie bourgeoise, le Parlement et le jeu des partis. Alors que, dans les pays développés du 19ème siècle, les partis politiques étaient les représentants de la société civile dans ou auprès de l'Etat, ils se transforment, avec la décadence du capitalisme, en représentants de l'Etat dans la société civile ([3] [66]). Les tendances totalitaires de l'Etat s'expriment, y compris dans les pays où subsistent les rouages formels de la démocratie, par une tendance au parti unique qui trouve ses concrétisations les plus nettes lors des convulsions aiguës de la société bourgeoise : "Union Nationale" lors des guerres impérialistes, rassemblement de toutes les forces bourgeoises derrière les partis de gauche dans les périodes révolutionnaires, prééminence massive et de longue durée du Parti Démocrate aux USA entre 1933 et 1953, du parti gaulliste en France de 1958 à 1974, de la Social-Démocratie en Suède de 1931 à 1977, etc.
La tendance au parti unique trouve rarement son achèvement complet dans les pays les plus développés. Les USA, la Grande Bretagne, les Pays Bas, la Scandinavie n'ont jamais connu un tel achèvement. Lorsque ce fut le cas en France, sous le régime de Vichy, c'était essentiellement lié à l'occupation du pays par l'armée allemande. Le seul exemple historique d'un pays pleinement développé où cette tendance soit parvenue à son terme est celui de l'Allemagne. Et cela n'a duré que 12 années, c'est-à-dire huit de moins que la domination démocrate aux USA. Le phénomène fasciste a été amplement analysé depuis les années 30 par la gauche communiste et dans de précédents numéros de la Revue Internationale ([4] [67]) . Aussi ne donnons, nous ici qu'un résumé succinct des causes de l'accession au pouvoir du parti nazi :
- la violence des convulsions économiques (l'Allemagne est le pays d'Europe le plus touché par la crise de 1929) ;
- l'écrasement physique de la classe ouvrière lors de la révolution de 1919-1923 rendant inutiles et inefficaces les mystifications démocratiques ;
- l'usure des partis "démocratiques" qui ont assumé cette contre-révolution ;
- la frustration ressentie, après la paix de Versailles, par des secteurs importants de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie qui se sont détachés de leurs partis traditionnels au bénéfice de celui qui leur promettait la revanche.
Si, dans les autres pays avancés, les structures politiques et les partis traditionnels se sont maintenus, c'est qu'ils se sont révélés suffisamment solides du fait de leur implantation ancienne, de leur expérience, de leur lien avec la sphère économique, de la force des mystifications qu'ils colportaient, pour assurer la stabilité et la cohésion du capital national face aux difficultés qu'ils ont affrontées crise, guerre, luttes sociales).
Mais ce qui n'existe qu'à l'état d'exception dans les pays les plus développés est la règle dans les pays arriérés dans la mesure où il n'existe aucune des conditions qu'on vient d'énumérer et où ces pays sont ceux qui subissent le plus violemment les convulsions de la décadence capitaliste. Dans le lot des pays arriérés, ceux de l'Est occupent une place particulière. Aux facteurs directement économiques expliquant le poids qu'y occupe le capitalisme d'Etat se superposent des facteurs historiques et géopolitiques : les circonstances de la constitution de l'URSS et de son empire.
L'Etat capitaliste en URSS se reconstitue sur les décombres de la révolution prolétarienne. La faible bourgeoisie de l'époque tsariste a été complètement éliminée par la révolution de 1917 (c'est d'ailleurs sa faiblesse qui explique le fait que la Russie soit le seul pays où le prolétariat a réussi à prendre le pouvoir lors de la vague révolutionnaire du premier après-guerre) et par l'échec des armées blanches. De ce fait, ce n'est ni elle, ni ses partis traditionnels qui prennent en charge en Russie même l'inévitable contre-révolution résultant de la défaite de la révolution mondiale.
Cette tâche est dévolue à l'Etat qui a surgi après la révolution et qui a rapidement absorbé 3e parti bolchevik qui avait commis la double erreur de se substituer à la classe ouvrière et de s'attribuer des responsabilités étatiques ([5] [68]). Par ce fait, la classe bourgeoise s'est reconstituée non à partir de l'ancienne bourgeoisie (sinon de façon exceptionnelle et individuelle) ni à partir d'une propriété individuelle des moyens de production, mais à partir de la bureaucratie du parti-Etat et de la propriété étatique de ces moyens de production. En URSS, le cumul des facteurs : arriération du pays, débandade de la bourgeoisie classique, écrasement physique de la classe ouvrière (la contre-révolution et la terreur qu'elle subit étant à la mesure de son avancée révolutionnaire), ont donc amené la tendance universelle au capitalisme d'Etat à ses formes les plus extrêmes : l'étatisation presque complète de l'économie, la dictature totalitaire du parti unique. N'ayant plus à discipliner les différents secteurs de la classe dominante ni à composer éventuellement avec les intérêts économiques de ceux-ci, puisqu'il a complètement absorbé la classe dominante, qu'il s'est confondu totalement avec elle, l'Etat a pu donc se passer définitivement des formes politiques classiques de la société bourgeoise (démocratie et pluralisme) y compris comme fiction ([6] [69]).
... LA DOMINATION IMPERIALISTE . . .
A la fin de la seconde guerre mondiale, lorsque l'URSS étend son empire vers l'Europe centrale et, rnomentanément, vers la Chine, elle exporte son modèle économique et politique. Cela n'a rien à voir, évidemment, avec l'idéologie comme le prétendent les bourgeois bornés d'Occident.
La raison pour laquelle l'URSS installe dans ses pays satellites des régimes comme le sien tient fondamentalement dans sa faiblesse en tant que tête de bloc impérialiste, faiblesse qui s'exprime d'abord sur le plan économique. Alors que les USA sont en mesure de renforcer leur suprématie sur l'Europe occidentale grâce aux dollars du plan Marshall, l'URSS n'a d'autre moyen de garantir son emprise sur les zones qu'elle occupe militairement qu'en portant au pouvoir des partis qui lui sont dévoués corps et âme : les partis "communistes". Cette dévotion ne signifie pas que les partis staliniens sont de simples agences de l'impérialisme russe : tous les partis bourgeois sont avant tout des partis du capital national. Ce qui les distingue c'est la façon dont ils entendent gérer ce capital national, dont ils entendent assurer sa sécurité extérieure dans une arène mondiale dominée par deux blocs impérialistes. En tant que représentants les plus déterminés de la tendance générale au capitalisme d'Etat, les partis staliniens sont, dans l'éventail politique de leurs pays respectifs, les plus favorables à leur insertion dans le bloc dominé par l'URSS. Cette orientation en politique extérieure est liée au fait que ces partis ne peuvent accéder au pouvoir que par la force des armes, en général au sein d'un conflit impérialiste. En effet, partis capitalistes par excellence, les partis staliniens ont comme particularité de n'avoir aucun soutien de la part des secteurs classiques de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie (tant les gros et les petits détenteurs individuels de moyens de production que les membres des professions libérales) dans la mesure où leur programme comporte l'expropriation de ces secteurs au bénéfice de l'Etat. S'ils peuvent dans certains pays, compter sur le soutien d'une partie du prolétariat, ils n'ont pas la possibilité d'en faire un usage bien important puisque le prolétariat, privé de tout moyen de production, ne constitue une force réelle dans la société que par la lutte sur son terrain de classe, c'est-à-dire une lutte qui met potentiellement en question la domination de tous les secteurs de la bourgeoisie et de tous ses partis. Les partis staliniens ont pu utiliser des luttes ouvrières pour faire pression sur d'autres secteurs de la bourgeoisie (comme en 1947 en France, lorsque le PCF, chassé du gouvernement en Mai, espère obtenir son retour à la faveur des grandes grèves qui se poursuivent jusqu'à la fin de l'année). Mais ils n'ont jamais encouragé ces luttes au renversement du gouvernement en place : en dernier ressort, la solidarité de la classe bourgeoise a toujours été la plus forte. C'est pour cela que les circonstances les plus favorables à l'accession au pouvoir de ces partis ont été celles :
- où la classe ouvrière était faible, défaite ou embrigadée (ce dernier cas englobant évidemment les précédents) ;
- où ils ont pu se faire valoir comme les meilleurs défenseurs du capital national, ce qui leur a permis de faire alliance avec d'autres secteurs bourgeois qu'ils ont ensuite éliminés ;
- où ils ont bénéficié de l'aide directe ou indirecte de la force militaire de l'URSS.
Ces circonstances se sont présentées dans et à la suite de la seconde guerre mondiale pour laquelle ils ont été les meilleurs sergents recruteurs dans le cadre des mouvements de "résistance" (sauf en Pologne où l'A.K. dirigée de Londres était beaucoup plus puissante que le mouvement dirigé de Moscou) et où ils ont pu, dans la plupart des cas, s'appuyer sur la présence de l'armée "rouge". De telles circonstances se sont présentées également dans certaines guerres de décolonisation ou "d'indépendance nationale" (notamment en Chine et en Indochine) ou tout simplement à l'occasion de coups d'Etat militaires (Ethiopie, Afghanistan, ..».).
En fait, la grande aptitude des partis staliniens à employer les moyens militaires, à diriger ou à constituer eux-mêmes des armées, s'explique par le caractère ultra militarisé de leur structure et de la forme de capitalisme dont ils sont les agents. La tendance historique au capitalisme d'Etat trouve une de ses sources et s'exprime dans la militarisation de la société. Les partis qui prennent en charge de façon la plus déterminée cette tendance ne sont jamais autant à la fête que lorsqu'il s'agit de caporaliser et d'encaserner, d'aboyer des ordres,.de faire régner la soumission aveugle à l'autorité et à la hiérarchie par l'abrutissement , la terreur, les prisons, les juridictions d'exception, les pelotons d'exécution, de cultiver le chauvinisme et la xénophobie, bref de réaliser toutes ces choses magnifiques qui font la grandeur de l'institution militaire.
En fin de compte, le fait que l'URSS, qui est un des pays les moins développés de son bloc, ne puisse maintenir son emprise sur celui-ci que par la force armée détermine le fait que ses satellites soient dotés de régimes qui, tout comme le sien, ne peuvent maintenir leur emprise sur la société que par la même force armée (police et institution militaire). D'une certaine façon, il existe le même type de liens entre l'URSS et les pays de son bloc qu'entre les USA et les "républiques bananières" d'Amérique latine : les régimes de ces derniers pays sont vomis par la majorité de la population et ne tiennent en place que par l'aide militaire indirecte ou directe des USA. En échange, les USA peuvent compter sur une fidélité à toute épreuve de ces régimes à l'égard de leurs intérêts économiques et militaires. Cependant, ce type de contrôle des USA sur leur bloc n'est que marginal. Pays de loin le plus développé de celui-ci, première puissance économique et financière du monde, les USA s'assurent leur domination sur les principaux pays de leur empire, qui sont également des pays pleinement développés, sans faire appel à tout bout de champ à la force militaire de la même façon que ces pays n'ont pas besoin de la répression permanente pour assurer leur stabilité. Il est clair que les blocs impérialistes sont avant tout des blocs militaires. Le principal pilier du bloc américain est la puissance militaire des USA, la première du monde. Mais cette puissance militaire n'est pas mise à contribution pour maintenir la domination américaine sur ces pays ou leur stabilité interne, ni de façon directe (comme ce fut le cas en Hongrie en 56, en Tchécoslovaquie en 68) nr comme moyen d'intimidation des populations (Pologne 80-81). C'est de façon "volontaire" que les secteurs dominants des principales bourgeoisies occidentales adhèrent à l'alliance américaine : ils y trouvent des avantages économiques, financiers, politiques et militaires (le parapluie américain face à l'impérialisme russe). En ce sens, il n'existe pas parmi les principaux pays du bloc US de "propension spontanée" à passer dans l'autre bloc comme on a pu le constater dans l'autre sens (changement de camp de la Yougoslavie en 48, de la Chine à la fin des années 60, tentatives de la Hongrie en 56, de la Tchécoslovaquie en 68). La force et la stabilité des USA leur permet de 3 ' accommoder de l'existence de toutes les formes de régimes au sein de leur bloc : du régime "communiste" chinois au très "anti-communiste" Pinochet, de la dictature militaire turque à la très "démocratique" Angleterre, de la république française bicentenaire à la monarchie féodale saoudienne, de l'Espagne franquiste à l'Espagne social-démocrate. Par contre, la faiblesse et l'arriération économique de l'URSS ne lui permet de contrôler que des régimes staliniens ou militaires. De ce fait :
- si un régime stalinien peut toujours envisager de "passer à l'Ouest" sans qu'il soit remis en cause à l'intérieur de ses frontières, un régime "démocratique" court les plus grands risques pour sa survie comme telle en "passant à l'Est" ,
- si le bloc américain peut parfaitement "gérer" la " démocratisation" d'un régime fasciste ou militaire quand cela devient utile (Japon, Allemagne, Italie, au lendemain de la guerre ; Portugal, Grèce, Espagne, dans les années 70), l'URSS ne peut s'accommoder d'aucune "démocratisation" au sein de son bloc.
UNE "DEMOCRATISATION" IMPOSSIBLE
Ainsi la "voie espagnole" préconisée par Kuron est aussi absurde que la prétention de Walesa de faire de la Pologne un "deuxième Japon". C'est un double non-sens :
1°) malgré l'importance du secteur étatisé en Espagne, la bourgeoisie classique conservait le contrôle de secteurs décisifs du capital national : le changement de régime n'affectait nulle ment ce partage ni les privilèges d'aucun secteur de la classe dominante et cela quelles que fussent les forces politiques qui pourraient diriger l'Etat (Centre ou Social-démocratie) ; par contre, toute "démocratisation" en Pologne signifierait la perte immédiate des pouvoirs et privilèges de l'actuelle bourgeoisie dans la mesure où celle- ci se confond avec la sphère dirigeante du parti, où tous ces pouvoirs et privilèges découlent de la domination complète du parti sur l'Etat, de la fusion ce ces deux institutions ([7] [70]), et où des élections "libres" ne donneraient qu'un nombre insignifiant de voix au parti (celles de ses membres , et encore)
2°) le bloc américain, de façon prudente, systématique et coordonnée (notamment avec la collaboration étroite de la social-démocratie allemande et du président français Giscard) a pris en charge la "transition démocratique" à la mort de Franco ; cette prise en charge s'est effectuée sans problèmes pour ses protagonistes : il s'agissait simplement d'aligner les structures politiques espagnoles sur celles existant déjà dans les pays avancés d'Occident, les gouvernements de ces pays pouvant même toucher des dividendes de cette opération auprès de leurs "opinions publiques" traditionnellement hostiles au franquisme ; par contre, on ne voit pas comment l'URSS pourrait contrôler un tel processus dans son glacis : même si les éventuelles forces "démocratiques" de remplacement s'engageaient fermement à "respecter les alliances traditionnelles", leur arrivée et leur maintien au pouvoir dans un des pays d'Europe de l'Est donneraient le signal de processus similaires dans les autres pays où la très grande majorité de la population aspire à de tels changements ; on assisterait alors à une réaction en chaîne qui déstabiliserait l'ensemble du bloc et le régime en URSS même : non seulement ce régime (le plus "dur" de son bloc) ne pourrait servir "d'exemple" mais il serait gravement compromis par "l'exemple" d'une "démocratisation" venant de ses vassaux.
Si, donc, le bloc de l'Est ne peut, en aucune façon ,3faccommoder d'une quelconque "voie espagnole" à la "démocratisation", il ne peut s'accommoder davantage d'une formule intermédiaire comme celle qui s'était établie en Pologne à partir de septembre 80. En effet, bien que "Solidarnosc" ait été depuis le début un défenseur inconditionnel du capital national, un ennemi indiscutable du prolétariat dont la fonction .et la préoccupation essentielles étaient de saboter les luttes ouvrières, bien que ce syndicat n'ait prétendu à aucun moment disputer le pouvoir central au parti ni remettre en question la place de la Pologne dans le bloc russe, il était porteur d'un programme parfait rendent incompatible avec le régime stalinien. C'est avant tout pour déboussoler les ouvriers que "Solidarité" avait mis en avant ses revendications d'une "République Autogérée" où le pouvoir serait soumis au contrôle de la société "au niveau des entreprises, des communes et des voïvodies, où il y aurait une "Diète démocratiquement élue", des tribunaux indépendants", où la "culture, l'instruction et les média seraient au service de la société (Programme de "Solidarnosc"). Mais, ces revendications, maintenues de façon durable par une organisation de 9 millions de membres et dans laquelle se reconnaissaient 90% de la population, constituaient une menace pour un régime et un bloc aussi fragiles et rigides que ceux de 1'Est.
Dans les pays avancés d'Occident, les secteurs dominants de la bourgeoisie peuvent tolérer l1existence dans leur jeu politique, et bien qu’ils fassent tout leur possible pour les affaiblir au bénéfice de la social-démocratie, des partis staliniens dont le programme comporte pourtant l'élimination de ces secteurs. Ayant la garantie que ces partis n'obtiendront jamais une majorité parlementaire, ils peuvent leur laisser un libre accès aux joutes électorales et même leur concéder des parcelles de pouvoir : cela ne fait que redorer à peu de frais le blason de la"démocratie" qui tend à se défraîchir. Mais c'est là un luxe de riche, d'une bourgeoisie forte qui maîtrise, grâce à sa puissance économique, l'ancienneté de ses institutions et le poids de ses mystifications, les rouages de cette "démocratie" (aussi formels qu'ils soient) et les mécanismes de 1'"alternance". C'est un luxe que ne peuvent se payer les bourgeoisies au pouvoir à 1'Est. Elles n'ont pas la capacité de"fixer" de façon durable dans un rôle bien délimité des forces politiques qu'elles ne contrôlent pas directement comme peuvent le faire les secteurs dominants de la bourgeoisie en Occident avec les PC. La seule présence officielle, même comme simple opposition, de forces politiques de masse contestant le caractère absolu du pouvoir du parti-Etat constitue une remise en cause des fondements du régime, un facteur d'instabilité permanente de celui-ci.
Ainsi, le destin de "Solidarité" était scellé dès sa constitution. Si la bourgeoisie du bloc de l'Est a été contrainte de légaliser et de laisser la bride sur le cou au syndicat "indépendant" tant que c'était absolument nécessaire pour affronter les luttes ouvrières, celui-ci ne pouvait qu'être mis hors-la-loi dès qu'il aurait affaibli ces luttes.
A l'Est encore plus qu'à l'Ouest, les discours sur la démocratie ne sont que des songes creux, des mystifications destinées à mener le prolétariat dans une impasse, à la défaite.
F.M.
[1] [71] Le Courrier des pays de l'Est, n°27.
[2] [72] On sait que dans plusieurs pays de l'Est, il existe officiellement d'autres partis que le parti "communiste". Ainsi, en Pologne, à côté du "Parti Ouvrier Unifié de Pologne" on trouve le "Parti Démocrate" et le "Parti paysan unifié", les trois étant regroupés dans le "Front d'Unité Nationale" qui, officiellement, gouverne le pays. En Allemagne de 1'Est, ce ne sont pas moins de 5 partis qui ont pignon sur rue. On y trouve, comme en RFA, un parti libéral et un parti chrétien-démocrate et même un parti national-démocrate. Il est clair que ces partis ne sont que des appendices du parti dirigeant stalinien.
[3] [73] Le phénomène est particulièrement net en ce qui concerne les partis ouvriers de la 2ème Internationale. Avant 1914, ces partis représentaient (malgré leurs tendances de plus en plus réformistes et opportunistes) les intérêts de la classe ouvrière au sein des parlements, des municipalités et autres institutions électives, ce qui leur permettait, dans certaines circonstances, de faire pression sur l'Etat. A partir de la première guerre mondiale, ces partis ont été absorbés par l'Etat capitaliste qui en fait ses agents en milieu ouvrier, chargés de mettre à profit leurs origines et leur langage pour participer à 1'embrigadement du prolétariat dans la guerre impérialiste et saboter -sinon réprimer directement- ses luttes. Le même processus a affecté les partis communistes, avant-garde de la classe ouvrière dans la vague révolutionnaire du premier après-guerre et qui, lors de l'échec et de la défaite de cette vague, ont dégénéré encore plus rapidement que ne 1'avaient fait les partis socialistes auparavant : à mesure que s'avance la décadence capitaliste se renforce le pouvoir d'absorption de l'Etat à l'égard des organisations prolétariennes qui prétendent "utiliser" les institutions bourgeoises. La trahison du courant trotskyste lors de la seconde guerre mondiale en constitue une autre illustration.
Bien qu'à un degré moindre, ce même renversement de fonction a touché les partis bourgeois classiques. Après avoir été les représentants des différents secteurs de la classe capitaliste dans 1'Etat, ils ont tendu de plus en plus à être les représentants de celui-ci auprès de leurs clientèles respectives. Cependant, le fait que ces clientèles appartiennent à la classe économiquement dominante contraint ces partis dans certaines circonstances, et, contrairement aux partis soi-disant "ouvriers", à faire valoir de façon effective bien que limitée certains des intérêts spécifiques qu'ils sont censés représenter.
[4] [74] Voir notamment "Les causes économiques, politiques et sociales du fascisme" (Revue Internationale n°7), Voir également les n°14 et 21 de Révolution Internationale.
[5] [75] Voir Revue Internationale n°3, La dégénérescence de la révolution russe, les leçons de Kronstadt, n°8, La Gauche Communiste en Russie. Voir la brochure "La période de transition...", t.1.
[6] [76] Il est clair que lorsque nous parlons de "démocratie" pour qualifier les régimes occidentaux, c'est par facilité de langage : la décadence du capitalisme a vidé la démocratie bourgeoise de son contenu politique réel pour ne lui conserver qu'une fonction essentiellement mystificatrice.
[7] [77] Dans les pays de l'Est, il n'existe aucune fonction quelque peu importante dans la société qui ne relève de la "Nomenklatura", c'est-à-dire de la liste des postes dont le titulaire est choisi par la sphère dirigeante du parti et auxquels sont associés les privilèges matériels en rapport avec leur position dans la hiérarchie. Cela va du commandant en chef de la police aux directeurs d'hôpitaux, du chef d'Etat-major aux secrétaires des organisations de base du parti dans les entreprises, des directeurs d'usine au président régional de l'Association volontaire des pompiers, des ambassadeurs aux présidents des comités de district de culture physique. Ainsi, un directeur de ferme d'Etat n'est pas nommé par le ministère de 1'agriculture, mais par le comité de district du parti, ce n'est pas le ministère de la défense ou le chef d'Etat-major qui peut faire général un colonel mais le Bureau Politique ou le Secrétariat du parti.
"Dans chaque crise, la société étouffe sous le faix de ses propres forces productives et de ses propres produits inutilisables pour elle, et elle se heurte impuissante à cette contradiction absurde : les producteurs n'ont rien à consommer parce qu 'on manque de consommateurs". Cette phrase écrite par Engels en 1876 pour 1'Anti-Durhing montre toute l'actualité du marxisme aujourd'hui.
L'économie capitaliste s'effondre par manque de débouchés solvables, c'est-à-dire de consommateurs qui puissent payer. Voila la contradiction qui se traduit dans l'horrible paradoxe qui voit la majorité de la population mondiale menacée de famine, qui voit le niveau de vie du prolétariat plonger dans la misère non pas parce qu'on ne produit pas assez, mais parce que l'industrie capitaliste produit plus qu'elle ne peut vendre, non pas parce qu'il n'y a "pas assez", mais parce qu'il y a "trop" par rapport aux lois capitalistes.
Parce qu'il y a surproduction généralisée sur un marché mondial trop étriqué, la concurrence entre capitalistes se fait toujours plus effrénée. Les politiques de relance par un recours intensif à l'endettement, qui élargissent artificiellement le marché se heurtent aux limites de l'inflation qui menace de faire exploser le système monétaire international. La bourgeoisie voit les mécanismes de l'économie lui échapper, elle ne peut empêcher des plongées de plus en plus profondes dans la récession alors que les pressions inflationnistes se font toujours plus fortes.
Le graphique I montre que les politiques de relance ont depuis 1967, par trois fois, permis une reprise du commerce mondial, c'est-à-dire de la demande pour maintenir la production. Elles ne sont pas cependant parvenues à entraver la chute de la croissance de celle-ci ni finalement la récession de 1974-75 ni celle encore plus forte qui débute en 1980.
Pourquoi ce phénomène ? Parce que, classe exploitée, le prolétariat produit plus qu'il ne consomme. Cette production supplémentaire, la plus-value, le capitalisme ne peut en réaliser et accumuler la valeur qu'en la vendant à des secteurs extra capitalistes. Avec la disparition de ceux-ci, le capital ne peut plus écouler la totalité de la production. Pour vendre, il faut être le plus compétitif, faire baisser les salaires pour réduire les coûts de production. Comme chaque nation capitaliste ne peut que suivre la même politique, il en découle un rétrécissement toujours plus fort du marché mondial. Dans ces conditions, la production s'effondre, les usines ferment et les ouvriers se retrouvent au chômage, ce qui ne fait pas de bons consommateurs ! Les politiques d'austérité qui s'imposent à chaque bourgeoisie par la nature concurrente de l'économie capitaliste ne font qu'accélérer la chute de la demande mondiale et donc l'effondrement de la production.
Le graphique II montre la chute du taux d'utilisation de l'appareil productif aux USA, 1ère puissance mondiale avec 20% delà production mondiale : 68% en 1982, cela équivaut à près d'une usine sur trois qui ferme ses portes. En RFA, fin 1982, l'appareil productif est utilisé à 76% -comme si une usine sur quatre fermait-, en Grande-Bretagne, seulement 30% des usines tournent à pleine capacité.
Le capitalisme ne peut sortir de ses contradictions, il ne peut que plonger de plus en plus dans le chaos économique et fuir en avant dans les rivalités impérialistes. Le prolétariat est soumis aujourd'hui à une attaque comme il n'en avait pas connu depuis la dernière guerre mondiale. Inflation, chômage, misère sont le lot quotidien qui annonce pire encore. De la capacité de réaction du prolétariat mondial dépend l'avenir de l'humanité. Le capitalisme n'a plus rien à offrir que la misère et la mort. La catastrophe économique actuelle n'a pas d'issue dans le capitalisme. 15 ans d'échec des entreprises de relance économique montrent que la bourgeoisie n'a aucune perspective.
Au prolétariat mondial d'être capable d'affirmer la sienne.
Débat sur la question nationale a l'aube de la décadence
"Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !". Cet appel qui terminait le Manifeste Communiste rédigé par Marx et Engels en 1848 n'était pas une simple exhortation généreuse, mais il exprimait une des conditions vitales pour la victoire et 1'émancipation de la classe ouvrière. Dès sa naissance, le mouvement de la classe ouvrière s'affirme comme mouvement d'une classe internationale contre les frontières nationales au sein desquelles se développe la domination de la classe capitaliste sur le prolétariat. Au 19ème siècle cependant, le capitalisme n'a pas encore épuisé toutes les potentialités de son développement contre les rapports de production pré-capitalistes. A certains moments et dans certaines conditions, les communistes envisagent la possibilité pour la classe ouvrière d'appuyer des fractions de la bourgeoisie, parce que le capitalisme en se développant accélère le mûrissement des conditions de la révolution prolétarienne. Mais dès le début du 20ème siècle, avec la constitution du marché mondial sanctionnant l'extension du mode de production capitaliste à toute la planète, le débat est ouvert sur la nature du soutien des révolutionnaires aux mouvements nationaux. L'article ci-dessous, première partie d'une série consacrée à 1'attitude des communistes sur la question nationale, rappelle dans quels termes et avec quel souci le débat s'est mené entre Lénine et Rosa Luxemburg.
L'échec de la vague révolutionnaire de 1917-23, le triomphe de la contre-révolution en Russie et la soumission du prolétariat pendant 50 ans à la barbarie du capitalisme décadent n'ont pas permis une clarification complète sur la question nationale dans le mouvement ouvrier. Tout au long de cette période, la contre-révolution s'est acharnée à dénaturer le contenu de la révolution prolétarienne, en ne cessant de présenter une continuité entre la vague révolutionnaire des années 1917-23 et le capitalisme d'Etat instauré en URSS, entre l'internationalisme prolétarien de la période révolutionnaire et la politique impérialiste de l'Etat capitaliste russe menant ses opérations de brigandage au nom de 1 ' "autodétermination", du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", de la "libération nationale des peuples opprimés". Les positions d'un Lénine étaient transformées en un dogme infaillible dans tous ses aspects. C'est ainsi que la possibilité pour le prolétariat d'utiliser les mouvements nationaux comme un "levier" pour la révolution communiste, tactique préconisée avec le reflux de la révolution des pays centraux et la nécessité de la défense de"l'Etat prolétarien" en Russie, tendait à être considérée comme un acquis dans les rangs mêmes des révolutionnaires sauf quelques minorités.
Aujourd'hui, la dispersion et la crise des organisations révolutionnaires, en particulier la crise du parti bordiguiste, le PCI (Programme Communiste), ont mis en lumière l'importance, pour les communistes, de défendre une position de principe claire sur les soi-disant luttes de "libération nationale", s'ils veulent éviter de succomber au poids énorme de l'idéologie bourgeoise sur cette question cruciale. L'abandon par le PCI d'une position internationaliste dans le conflit inter-impérialiste du Moyen-Orient au profit d'un soutien critique aux forces capitalistes de l'Organisation de. Libération de la Palestine -position qui a provoqué la dislocation du groupe et donné naissance à une scission ouvertement nationaliste et chauvine ([1] [81])- est un exemple récent du danger de toute concession du prolétariat vis-à-vis du nationalisme dans la période de décadence du capitalisme.
La source des faiblesses théoriques des bordiguistes, comme de toute la tradition dite "léniniste", sur la question nationale, réside dans la défense de là position soutenue par Lénine dans la jeune Internationale Communiste du soutien aux mouvements nationaux, sous le mot d'ordre du "droit des nations à disposer d'elles-mêmes" Le CCI rejette tout soutien de ce genre à l'époque de l'impérialisme. Ce rejet est lui-même basé sur la critique des idées de Lénine faite par Rosa Luxemburg au tout début du siècle. Aujourd'hui, à la lumière des expériences du prolétariat, ces soixante dernières années, nous ne pouvons, que réaffirmer que c'est la position de Luxemburg, et non celle de Lénine qui a été vérifiée par l'histoire, et qui offre la seule base claire pour une approche marxiste de la question.
Il y a, aujourd'hui, beaucoup d'autres éléments émergeant dans le milieu révolutionnaire, ou qui ont fait une rupture partielle avec le gauchisme, qui prennent la position de Lénine contre Luxemburg sur cette question. Au vu de l'importance qu'il y a à rompre clairement avec tous les aspects de l'idéologie gauchiste, nous publions une série d'articles qui examinent de façon critique les débats qui eurent lieu dans le mouvement révolutionnaire avant comme pendant la première guerre impérialiste mondiale. Cela afin de montrer pourquoi c'est la position de Luxemburg qui prend en compte de façon cohérente toutes les implications de la décadence capitaliste sur la question nationale, mais aussi afin de restituer la réelle position de Lénine, qui était une erreur faite dans le mouvement ouvrier de 1 'époque, par rapport aux distorsions et aux censures manifestes de la gauche du capital.
Lénine et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes
"Le marxisme ne peut se concilier avec le nationalisme, celui-ci serait-il le ""plus juste", le "plus pur", et d'une "facture plus raffinée et civilisée".
Lénine "Remarques sur la question nationale"
Au vu des grossières distorsions que les épigones de Lénine infligèrent à la question nationale, il est nécessaire avant tout de souligner que Lénine, en marxiste, basait son attitude de soutien aux mouvements nationalistes sur les fondements mis en place par Marx et Engels dans la Première Internationale; comme pour toute question sociale, il affirmait que les marxistes doivent examiner la question nationale:
- au sein de limites historiques définies et non comme un "principe" abstrait ou a-historique.
- du point de vue de l'unité du prolétariat et du besoin primordial de renforcer sa lutte pour le socialisme.
Ainsi, lorsque Lénine défendait l'idée que le prolétariat doit reconnaître le "droit des nations à l'autodétermination", c'est-à-dire le droit d'une bourgeoisie de se séparer et d'établir un Etat capitaliste indépendant, si nécessaire, il insistait sur le fait que ce droit ne devait être soutenu que dans les cas où il allait dans le sens des intérêts de la lutte de classe, et que le prolétariat "en même temps qu'il reconnaît l'égalité et des droits nationaux à un Etat national, tient par-dessus tout et place au-dessus de tout l'alliance des prolétaires de toutes les nations, et évalue toute revendication nationale, toute séparation nationale, sous l'angle de la lutte de la classe ouvrière". (Lénine "Le droit des nations à disposer d'elles-mêmes" 1914)
Pour Lénine, le droit à l'autodétermination était une revendication nécessaire dans la lutte du prolétariat pour la démocratie, de même que l'égalité des droits, le suffrage universel, etc. Il posait la question fondamentale en terme d'achèvement de la révolution bourgeoise, qui était encore à venir en Europe de l'est, en Asie et en Afrique. Les mouvements nationalistes étaient historiquement inévitables pour la destruction du féodalisme par la bourgeoisie montante et l'extension des rapports sociaux capitalistes à travers le monde. Là où ces mouvements nationalistes bourgeois démocratiques surgissaient, selon Lénine, les marxistes devaient les soutenir et combattre pour un degré maximum de démocratie, pour aider à balayer les vestiges féodaux et à supprimer toute oppression nationale, pour se débarrasser de tous les obstacles à la lutte de classe contre le capitalisme.
Cette tâche avait une signification particulière en Russie pour les Bolcheviks qui cherchaient à gagner la confiance des masses dans les nations opprimées par l'empire tsariste. Lénine voyait dans le nationalisme "Grand Russe" l'obstacle principal à la démocratie et aux luttes prolétariennes, dans la mesure où il était plus "féodal que bourgeois" : dénier le droit à ces petites nations de faire sécession signifierait, en pratique, soutenir les privilèges de la nation oppresseuse, et subordonner les ouvriers à la politique de la bourgeoisie et des seigneurs féodaux Grands Russes.
Mais, Lénine était très conscient des dangers du soutien du prolétariat aux mouvements nationalistes parce que, même dans les pays "opprimés", les luttes du prolétariat et celles de la bourgeoisie, étaient diamétralement opposées:
- le prolétariat soutenait le droit à l'autodétermination dans le seul but de hâter la victoire de la démocratie bourgeoise sur le féodalisme et l'absolutisme, et de s'assurer au mieux les conditions les plus démocratiques pour la lutte de classe;
- la bourgeoisie formulait des revendications nationales pour obtenir des privilèges pour sa propre nation et pour défendre sa propre exclusivité nationale.
Pour ces raisons, Lénine insistait sur le fait que le soutien du prolétariat au nationalisme était "strictement limité à ce qui était progressiste dans de tels mouvements"; il soutenait la bourgeoisie « conditionnellement » "seulement dans une certaine direction". Du point de vue de l'achèvement de la révolution bourgeoise, à travers la lutte pour la démocratie contre l'oppression nationale, le soutien à la bourgeoisie d'une nation opprimée ne pouvait être accordé que là où celle-ci combattait réellement la nation oppresseuse: "...dans la mesure où la bourgeoisie des nations opprimées défend son propre nationalisme bourgeois, nous la combattons. Nous combattons les privilèges et la violence de la nation oppresseuse, nous ne fermons en aucun, cas les yeux sur la lutte pour les privilèges de la part de la nation opprimée" (Ibid. )
Autrement dit, les mouvements nationalistes bourgeois ne devaient être soutenus que pour leur contenu démocratique, c'est-à-dire pour leur capacité à contribuer à l'instauration de meilleures conditions pour la lutte de classe et pour l'unité de la classe ouvrière :"Le nationalisme bourgeois de toute nation opprimée a un contenu démocratique général qui est dirigé contre l'oppression, et c 'est ce contenu que nous soutenons inconditionnellement. En même temps, nous le distinguons strictement des tendances à l'exclusivisme national."(Ibid. souligné dans l'original)
Ainsi, sur les limites historiques de la lutte pour la démocratie et la nécessité d'avancer le mot d'ordre de l'autodétermination, Lénine était, en 1913, tout à fait explicite. Dans l'Europe continentale de l'Ouest, l'époque des révolutions démocratiques bourgeoises était terminée depuis 1871: "Par conséquent, chercher le droit à l'autodétermination dans les programmes des socialistes ouest-européens, à cette époque, c 'est trahir sa propre ignorance de l'A.B.C du marxisme" (Ibid.). Ma i s, en Europe de l'Est et en Asie, la révolution bourgeoise devait être achevée, et "c'est précisément et seulement parce que la Russie et les pays voisins sont dans cette phase, que nous devons avoir une clause dans notre programme sur les droit des nations à disposer d'elles-mêmes"(Ibid. nous soulignons)
Dès le début, le mot d'ordre d'autodétermination était rempli d'ambiguïtés. Par exemple Lénine était forcé d'admettre que c'était une revendication négative , pour un droit de former un Etat séparé, pour lequel le prolétariat ne pouvait donner aucune garantie ,et qui ne pouvait pas être accordé aux dépens d'une autre nation. Ses écrits sur le sujet sont remplis d'avertissements, de limitations et d'exceptions, dont certaines contradictoires, et il s'agissait par-dessus tout de l'utiliser comme thème de propagande pour les socialistes des pays "opprimés". Mais selon la même méthode strictement historique de Lénine, à la racine,ceci se basait sur la capacité maintenue de la bourgeoisie, dans ces aires du monde où le capitalisme était encore en expansion, de lutter pour la démocratie contre le féodalisme et l'oppression nationale ; la conclusion de cela était que quand cette période prendrait fin, tout le contenu démocratique de ces luttes disparaîtrait et que la seule tâche progressiste du prolétariat serait de faire sa propre révolution contre le capitalisme.
La critique de l'autodétermination par Rosa Luxemburg
La critique de R.Luxemburg de la reconnaissance par les Bolcheviks du mot d'ordre du "droit des nations à l'autodétermination" était inséparable de la lutte de l'aile gauche des partis sociaux-démocrates d'Europe de l'Ouest contre les tendances grandissantes à l'opportunisme et au révisionnisme dans la II° Internationale, vers le début du XX° siècle, il était possible de voir dans les pays capitalistes avancés la tendance naissante vers le capitalisme d'Etat et l'Impérialisme, et celle qui en découle, la tendance de là machine étatique à absorber les organisations permanentes du mouvement ouvrier - les syndicats et les partis de masse. Au sein de l'Internationale, des théoriciens comme Bernstein sont apparus pour "réviser" le marxisme révolutionnaire, afin de justifier leur accommodement avec cette évolution dans le capitalisme. Luxemburg fut une des premières parmi les théoriciens de la Gauche à combattre ce "révisionnisme" et à chercher à en exposer les causes profondes.
Elle rejetait la notion "d'autodétermination" très énergiquement parce qu'elle y voyait le signe des influences "social-patriotes" dans l'Internationale : des forces nationalistes réactionnaires qui se déguisaient sous des couleurs socialistes et qui étaient justifiées par des théoriciens dirigeants, tels que Kautsky. L'adoption, en 1896, par l'Internationale, d'une résolution reconnaissant "le droit absolu de toutes les nations à l'autodétermination" fut une réponse à la tentative du Parti Socialiste Polonais d'obtenir un soutien officiel pour la restauration de la souveraineté nationale polonaise. Cette tentative du PSP fut rejetée, mais l'adoption de la formule générale, de l'avis de Luxemburg, évitait les questions sous-jacentes: la base historique du soutien du prolétariat aux mouvements nationalistes, et la nécessité de combattre le social-patriotisme dans l'Internationale.
Luxemburg commença sa critique en acceptant le même cadre de base que Lénine, à savoir:
-la révolution démocratique bourgeoise doit encore être achevée en Russie, en Asie, en Afrique;
-dans l'intérêt du développement des conditions de la révolution, le prolétariat ne peut pas ignorer les mouvements nationalistes pour leur contenu démocratique dans les aires du monde où le capitalisme est encore en train de détruire le féodalisme ;
-le prolétariat est naturellement opposé à toute forme d'oppression, y compris l'oppression nationale, et n'est en aucune manière, indifférent aux conditions des nations opprimées.
Mais sa première tâche était de défendre l’approche marxiste de la question nationale contre ceux qui, comme les sociaux- patriotes polonais, utilisaient les écrits de Marx pour soutenir l'indépendance de la Pologne et justifier leurs propres projets réactionnaires de restauration nationale, S'efforçant " de transformer une vision particulière de Marx sur une question du moment, en un véritable dogme, hors du temps, inchangeable, indifférent aux contingences historiques, et échappant aux doutes et à la critique après tout 'Marx lui-même l'a déjà dit'. Ce n'était rien d'autre qu'un abus du nom de Marx pour sanctionner une tendance qui, dans son esprit même, était en contradiction avec les enseignements et la théorie du marxisme" (Avant-propos à l'anthologie "La question polonaise et le mouvement socialiste" 1905)
Contre cette fossilisation de la méthodologie historique du marxisme, R.Luxemburg affirmait que :"Sans un examen critique des conditions historiques concrètes, rien de valable ne peut être apporté au problème de l'oppression nationale" ("La question polonaise" Congrès de l'Internationale 1896). A partir de là, elle continuait en esquissant ses arguments principaux contre le mot d'ordre d'autodétermination :
-la dépendance ou l'indépendance des Etats nationaux est une question de pouvoir, pas de "droits", et est déterminée par le développement socio-économique et les intérêts matériels des classes ;
-c'est un mot d'ordre utopique dans la mesure où il est clairement impossible de résoudre tous les problèmes de nationalité, de race et d'origine ethnique dans le cadre du capitalisme ;
- c'est une formule métaphysique qui n'offre pas d'orientation pratique ou de solution à la lutte quotidienne du prolétariat, et qui ignore la théorie marxiste des classes sociales et des conditions historiques des mouvements nationalistes. Elle n'est pas, non plus, assimilable à la lutte pour les droits démocratiques car elle ne représente pas une forme légale d'existence, dans une société bourgeoise adulte, comme le droit d'organisation ;
-ce mot d'ordre ne distingue pas la position du prolétariat de celle des partis bourgeois les plus radicaux, ou celle des partis pseudo-socialistes et petits-bourgeois et, ce n'est pas du tout lié de façon spécifique, au socialisme ou à la politique ouvrière
- ce mot d'ordre conduirait à une fragmentation du mouvement ouvrier, non à son unification en laissant au prolétariat, dans chaque nation opprimée, le soin de décider sa propre position nationale avec d'inévitables contradictions et conflits.
La majeure partie de ses arguments qui, dans beaucoup de cas, ne faisaient que répéter les positions marxistes de base sur l'Etat et la nature de classe de là société, resta sans réponse de la part de Lénine. Contre l'idée du prolétariat soutenant l’autodétermination, elle insistait sur la deuxième partie de la résolution générale adoptée par l'Internationale en 1896, qui appelait les ouvriers de tous les pays opprimés « à rejoindre les rangs des ouvriers conscients du monde entier, afin de combattre avec eux pour la défaite du capitalisme international et pour atteindre les buts de la sociale démocratie internationale » (« La question nationale et l’autonomie »-1908).
Luxemburg sur l'indépendance de la Pologne
La critique par R. Luxemburg de 1'auto-détermination a été développée en référence particulière à la Pologne, mais les raisons qu'elle a données pour le rejet du soutien de son indépendance vis-à-vis de la Russie, ont une importance générale dans la clarification de l'approche marxiste de telles questions et des implications des changements de conditions dans le capitalisme sur la question nationale comme dans son ensemble.
Marx et Engels, apportèrent à l'origine leur soutien au nationalisme polonais comme partie d'une stratégie révolutionnaire pour défendre les intérêts de la révolution démocratique-bourgeoise en Europe de l'Ouest, contre la Sainte-Alliance des régimes féodaux et absolutistes de l'Europe de l'Est. Ils allèrent jusqu'à appeler à la guerre contre la Russie et à des insurrections en Pologne pour sauvegarder la démocratie bourgeoise. Luxemburg mit en évidence le fait que ce soutien au nationalisme polonais était accordé à un moment où il n'y avait pas de signe d'action révolutionnaire en Russie même, et où il n'y avait pas un prolétariat significatif en Russie ou en Pologne pour engager la lutte contre le féodalisme : "Non pas une théorie ou une tactique socialiste, mais les exigences politiques brûlantes de la démocratie allemande du moment -les intérêts pratiques de la révolution bourgeoise en Europe de l'Ouest -c'est ce qui déterminait le point de vue que Marx, et plus tard Engels, adoptèrent à propos de la Russie et de la "Pologne", (Ops.cité)
La réaffirmation par Luxemburg de l'approche marxiste était basée sur une analyse du développement historique du capitalisme : dans la dernière moitié du XIX° siècle, la Pologne faisait l'expérience de "la danse frénétique du capitalisme et de l'enrichissement capitaliste sur la tombe des mouvements nationalistes et de la noblesse polonaise" (Ibid) qui donna naissance à un prolétariat polonais et à un mouvement socialiste qui, dès le début, défendit les intérêts de la classe, comme opposés au nationalisme. Cela allait de pair avec des développements en Russie même où la classe ouvrière commença à engager ses propres luttes.
En Pologne, le développement capitaliste créa une opposition entre l'indépendance nationale et les intérêts de la bourgeoisie qui renonça à la cause nationaliste de la vieille noblesse en faveur de l'intégration plus étroite des capitaux polonais et russes, basée sur le besoin du marché russe, marché dont la bourgeoisie serait privée si la Pologne devait rompre comme Etat indépendant. De cela, Luxemburg concluait que la tâche politique du prolétariat en Pologne n'était pas de reprendre la lutte utopique, mais de rejoindre les ouvriers russes dans une lutte commune contre l'absolutisme, pour la démocratisation la plus large, afin de créer les meilleures conditions possibles pour la lutte contre le capital, russe et polonais.
La reprise du soutien de Marx en 1848 au nationalisme polonais par le Parti Socialiste Polonais était, ainsi, une trahison du socialisme, un signe de l'influence du nationalisme réactionnaire au sein du mouvement socialiste qui utilisait les mots de Marx et d'Engels, en même temps qu'il tournait le dos à l'alternative prolétarienne à l'oppression nationale : la lutte de classe unie qui s'est révélée en 1905 quand la grève de masse s'est étendue de Moscou et Petrograd jusqu'à Varsovie. Le nationalisme en Pologne était devenu " un vaisseau pour tous les genres de réactions, un champ nature pour la contre-révolution" ; il était devenu une arme dans les mains de la bourgeoisie nationale qui, au nom de la nation polonaise, attaquait et assassinait les ouvriers en grève, organisait des "syndicats nationaux" pour contrecarrer la combativité de là classe, menait campagne contre les grèves générales "anti-patriotiques" et utilisait des bandes armées nationalistes pour assassiner les socialistes. Luxemburg concluait : "Maltraitée par l'histoire, l'idée nationale polonaise traversa toutes sortes de crise et tomba en déclin. Ayant commencé sa carrière politique comme rébellion romantique, noble, glorifiée par la révolution internationale, elle prend fin, maintenant, en hooliganisme national, en volontaire des Cent Noirs de l'absolutisme et de l'impérialisme russe" ("La question nationale et l'autonomie" 1908)
Grâce à un examen des changements concrets apportés par le développement capitaliste, Luxemburg parvint à liquider les phrases abstraites sur les "droits" et l’"autodétermination" et, plus important, à réfuter l'ensemble du raisonnement de la position de Lénine selon lequel il était nécessaire de soutenir 1'autodétermination polonaise, afin de faire avancer la cause de la démocratie et de précipiter l'érosion du féodalisme. Le nationalisme lui-même était devenu une force réactionnaire partout où il était confronté à la menace de la lutte de classe unifiée. Quelles que soient les spécifiés de la Pologne, les conclusions de R.Luxemburg ne pouvaient qu'avoir de plus en plus une application généralisée dans une période dans laquelle les mouvements bourgeois de libération nationale ouvraient la voie à un antagonisme existant entre la bourgeoisie comme classe et le prolétariat.
L'émergence de l'impérialisme et les Etats de conquête
Le rejet par Luxemburg de I'autodétermination et de l'indépendance polonaise était inséparable de son analyse de l'émergence de l'impérialisme et de ses effets sur les luttes de libération nationale. Bien que ce fut une des questions essentielles dans le mouvement socialiste en Europe de 1'Ouest, les commentaires de Luxemburg ne furent pas du tout pris en compte par Lénine jusqu'à l'éclatement de la première guerre mondiale.
L'émergence de l'impérialisme capitaliste, selon Luxemburg, rendait désuète toute idée d'indépendance nationale ; la tendance était à la "destruction continue de l'indépendance d'un nombre croissant de nouveaux pays et peuples, de continents entiers "par une poignée de pouvoirs dirigeants. L'impérialisme, en étendant le marché mondial, détruisait toute apparence d'indépendance économique : "ce développement, ainsi que les racines des politiques coloniales, gît dans les fondations mêmes de la production capitaliste... seuls les inoffensifs apôtres bourgeois de la "paix", peuvent croire à la possibilité, pour les Etats d'aujourd'hui, d'éviter cette voie". (Ibid.)
Toutes les petites nations étaient condamnées à l'impuissance politique, et lutter pour leur assurer leur indépendance au sein du capitalisme signifierait , en fait, revenir au premier stade du développement capitaliste, ce qui était clairement une utopie.
Cette nouvelle caractéristique du capitalisme donnait naissance non pas à des Etats nationaux sur le modèle des révolutions démocratiques bourgeoises d'Europe, mais à des Etats de rapine, mieux adaptés aux besoins de la période. Dans de telles conditions, l'oppression nationale devenait un phénomène généralisé et intrinsèque au capitalisme, et son élimination est rendue impossible sans la destruction du capitalisme lui-même par la révolution socialiste. Lénine rejetait cette analyse de la dépendance croissante des petites nations comme n'ayant pas de rapport avec la question des mouvements nationaux ; il ne niait pas l'existence de l'impérialisme ou du colonialisme mais pour lui, seule l'autodétermination politique était en cause, et, sur cette question, il défendait Kautsky qui soutenait la restauration de la Pologne contre Luxemburg.
Le développement de l'impérialisme comme condition du système capitaliste mondial, n'était pas encore complètement clair et Luxemburg ne pouvait mettre en avant que quelques exemples comme "modèle" - Angleterre, Allemagne, Amérique - en même temps qu'elle reconnaissait que le marché mondial était encore en expansion et que le capitalisme n'était pas encore entré dans sa crise mortelle. Mais la valeur de son analyse résidait dans le fait qu'elle examinait quelques-unes des tendances fondamentales du capitalisme et leurs implications pour la classe ouvrière et la question nationale : son rejet des luttes de libération nationale reposait sur une compréhension des conditions nouvelles de l'accumulation capitaliste et non pas sur des considérations morales ou subjectives.
Quelques conclusions sur l'attitude des révolutionnaires sur l'autodétermination dans le capitalisme ascendant
Le mot d'ordre de l'autodétermination servait, pour Lénine, un double but : en tant que revendication importante dans la lutte du prolétariat pour la démocratie au sein de la société capitaliste ; en tant que tactique de propagande à utiliser contre le chauvinisme national dans l'empire tsariste. Mais dès le début, ce mot d'ordre renfermait des ambiguïtés théoriques et des dangers pratiques qui devaient miner la défense, par les Bolcheviks, de l'internationalisme prolétarien au début de la phase impérialiste du capitalisme :
- comme revendication démocratique c'était une utopie. L'obtention de l'indépendance nationale par quelque fraction bourgeoise que ce soit était déterminée par des rapports de force et non par des droits, et était un produit de l'évolution du mode de production capitaliste. La tâche du prolétariat était avant tout de garder son autonomie de classe et de défendre ses propres intérêts contre la bourgeoisie.
- l'élaboration de l'unité du prolétariat était sans aucun doute, dans l'empire tsariste et partout ailleurs, un problème pour les communistes, dans leur lutte contre l'influence de l'idéologie bourgeoise. Mais cela ne pouvait se faire que sur les fondements solides de la lutte de classe, et non par des concessions au nationalisme qui, dès la fin du 19ème siècle, étaient devenues une arme dangereuse dans les mains de la bourgeoisie contre le prolétariat.
De plus, l'utilisation par Lénine, des termes de nations "opprimée" et "oppresseuse" était inadéquate même dans le capitalisme ascendant. Il est vrai à que Luxemburg utilisait elle-même ces termes pour décrire l'émergence d'une poignée de "grandes puissances" qui se partageaient le monde ; mais pour elle, ces "Etats de conquête" n'étaient que des exemples d'une tendance générale au sein du capitalisme dans son ensemble. Une des valeurs de ses écrits sur le nationalisme polonais était de démontrer que, même dans les soi-disant nations opprimées, la bourgeoisie utilisait le nationalisme contre la lutte de classe, et agissait comme agent des puissances impérialistes dominantes. Tous les discours sur les nations "opprimées" et "oppresseuses" conduisent à faire de la "nation" bourgeoise une abstraction qui masque les antagonismes de classe.
Toute la stratégie de 1'"autodétermination" était héritée non de Marx et Engels, mais de la 2ème Internationale qui, à la fin du 19ème siècle, était corrompue par l'influence du nationalisme et du réformisme. La position de Lénine était partagée par le centre des partis Social-Démocrates et sur cette question il soutenait Kautsky, le théoricien le plus "orthodoxe", contre Luxemburg et l'aile gauche de l'Internationale. Combattant du point de vue de la situation en Russie, Lénine ne parvint pas à montrer que l'autodétermination était en premier lieu une concession au nationalisme ; pour aller aux racines de la dégénérescence de la social-démocratie il était donc nécessaire de rejeter le "droit des nations à 1'auto-détermination".
La véritable importance de la position de Luxemburg était qu'elle résidait sur une analyse des tendances dominantes au coeur du mode de production capitaliste, et en particulier l'émergence de l'impérialisme en Europe, comme indicateurs de la nature de l'ensemble de l'économie mondiale à l'époque impérialiste. La position de Lénine, au contraire, était basée sur l'expérience et les besoins des pays des aires arriérées du monde, dans lesquels la révolution bourgeoise n'était pas encore achevée, à l'aube de l'époque dans laquelle il n'était plus possible pour le prolétariat d'obtenir des réformes de la part du capitalisme et dans laquelle le nationalisme ne pouvait plus jouer aucun rôle progressiste. C'était une stratégie pour une époque historique en voie de disparition, qui était incapable de répondre aux besoins de la classe ouvrière dans les conditions nouvelles de la décadence capitaliste.
MT
Ce texte d'Internationalisme est extrait d'une série d'articles publiés tout au long de l'année 1947, intitulée "Problèmes actuels du mouvement ouvrier". Nous renvoyons le lecteur à la présentation de la première partie publiée dans la Revue Internationale no 33 - 2e trimestre 1983 [86] qui situe la critique que fait Internationalisme des conceptions de l'organisation du Parti Communiste Internationaliste d'Italie dans le contexte historique de l'époque.
Après avoir critiqué "la conception du chef génial" qui théorise que seules des individualités particulières ont la capacité d'approfondir la théorie révolutionnaire, dans la partie ci-dessous, Internationalisme poursuit sa critique contre le corollaire de cette vision,"la discipline" qui conçoit les militants de l'organisation comme de simples exécutants qui n 'ont pas à discuter des orientations politiques de l'organisation. Internationalisme réaffirme que "l'organisation et l'action concertée communistes ont uniquement pour base la conscience des militants qui les fonde. Plus grande et plus claire est cette conscience, plus forte est l'organisation, plus concertée et efficace est son action".
Depuis cette époque, les scissions répétées du tronc commun initial que constituait le PCI d'Italie avec la même vision de l'organisation, jusqu'à la dislocation actuelle du plus fort d'entre eux, le Parti Communiste International (Programme Communiste), n'ont fait que confirmer la validité de la mise en garde d'Internationalisme contre ces conceptions.
Lors des élections parlementaires en Italie, à la fin de 1946, un article leader, qui était un programme à lui seul, est paru dans l'organe central du PCI d'Italie. Il avait pour titre "Notre Force" et pour auteur le secrétaire général du Parti. De quoi s'agissait-il ? Du trouble provoqué dans les rangs du PCI par la politique électorale du Parti. Toute une partie des camarades, obéissant plus, parait-il, au souvenir d'une tradition abstentionniste de la Fraction de Bordiga, qu'à une position claire d'ensemble, se révoltait contre la politique de participation aux élections. Ces camarades réagissaient plus par une mauvaise humeur, par un manque d'enthousiasme, par des "négligences" pratiques dans la campagne électorale que par une franche lutte politique et idéologique au sein du Parti. D'autre part un certain nombre de camarades, poussaient leur enthousiasme électoraliste jusqu'à prendre part dans le Référendum "pour la Monarchie ou la République" en votant évidemment pour la République, en dépit de la position d'abstentionnisme sur le Référendum qui était, cette fois, celle du Comité Central.
Ainsi en voulant éviter de "troubler" le parti par une discussion générale sur le parlementarisme, en reprenant la politique périmée dite de "parlementarisme révolutionnaire", on n'a fait que troubler effectivement la conscience des membres, qui ne savaient plus à quel "génie" se vouer. Les uns participant trop chaudement, les autres trop froidement, le Parti en a attrapé un chaud et froid, et il est sorti tout malade de l'aventure électoraliste. ([1])
C'est contre cet état de fait que s'élève avec véhémence le secrétaire général dans son éditorial. Brandissant la foudre de la discipline il pourfend les improvisations politiques locales de droite ou de gauche. Ce qui importe, n'est pas la justesse ou l'erreur d'une position, mais de se pénétrer qu'il y a une ligne politique générale, celle du Comité Central,à qui on doit obéissance. C'est la discipline. La Discipline qui fait la principale force du Parti... et de l'armée ajouterait le premier sous-off venu. Il est vrai que le secrétaire spécifie une discipline librement consentie. Que Dieu soit loué ! Avec cet appendice nous sommes complètement rassurés
Des résultats bienfaisants n'ont pas manqué de suivre ce rappel à la discipline: du Sud, du Nord, de la droite et de la gauche un nombre de plus en plus grand de militants ont traduit à leur façon "la discipline librement consentie" par la démission librement exécutée. Les dirigeants du PCI ont beau nous dire que c'est la "transformation de la quantité en qualité" et que la quantité qui a quitté le Parti a emporté avec elle une fausse compréhension de la discipline communiste, nous répliquerons à cela que notre conviction est faite que ceux qui sont restés, et le Comité Central avec en premier lieu ont gardé, non pas une fausse compréhension de la discipline communiste mais une fausse conception du Communisme tout court.
Qu'est-ce que la discipline ? UNE IMPOSITION DE LA VOLONTÉ D'AUTRUI. L'expression qualitative ajoutée "librement consentie" n'est qu'un ornement de plume au derrière pour rendre la chose plus attrayante. Si elle émanait de ceux qui la subissent, il n'y aurait nul besoin de la leur rappeler, et surtout de leur rappeler sans cesse qu'elle a été "librement consentie".
La bourgeoisie a toujours prétendu que SES lois, SON ordre, SA démocratie, sont 1'émanation de la "libre volonté" du peuple. C'est au nom de cette "libre volonté" qu'elle a construit des prisons sur le fronton desquelles elle a inscrit en lettres de sang "Liberté, Egalité, Fraternité." C'est toujours en ce même nom qu'elle embrigade le peuple dans les armées, où pendant les entractes des massacres elle leur révèle leur "libre volonté" qui s'appelle Discipline.
Le mariage est un libre contrat, paraît-il, aussi le divorce, la séparation devient une dérision intolérable. "Soumets toi à TA volonté" a été le summum de l'art jésuitique des classes exploiteuses. C'est ainsi, enveloppée dans des papiers de soie et joliment enrubannée, qu'elles présentaient aux opprimés, leur oppression. Tout le monde sait que c'est par amour, par respect de leur âme divine, pour la sauver, que l'inquisition chrétienne brûlait les hérétiques qu'elle plaignait sincèrement. L'âme divine de l'inquisition est devenue aujourd'hui "le libre consentement".
"Une, deux, une, deux, gauche,droite en avant marche !" Exercez votre discipline "librement consentie" et soyez heureux !
Quelle est donc la base de la conception communiste -et nous le répétons, non de la discipline mais- de l'organisation et de l'action ?
Elle a pour postulat que les hommes agissent librement qu'en ayant pleinement conscience de leurs intérêts. L'évolution historique, économique et idéologique conditionnent cette prise de conscience. La "Liberté" n'existe que lorsque cette conscience est acquise. Là où il n'y a pas de conscience, la liberté est un mot creux, un mensonge, elle n'est qu'oppression et soumission, même si c'est formellement "librement consenti".
Les communistes n'ont pas pour tâche d'apporter on ne sait quelle liberté à la classe ouvrière. Ils n'ont pas de cadeaux à faire. Ils n'ont qu'à aider le prolétariat à prendre conscience "des fins générales du mouvement" comme s'exprime d'une manière remarquablement juste le Manifeste Communiste.
Le Socialisme, disions nous, n’est possible qu'en tant qu'acte conscient de la classe ouvrière. Tout ce qui favorise la prise de conscience est socialiste, MAIS UNIQUEMENT CE QUI LA FAVORISE. On n'apporte pas le socialisme par la trique. Non pas parce que la trique est un moyen immoral, comme le dirait un Koestler, mais parce que la trique ne contient pas d'élément de la conscience. La trique est tout à fait morale, quand le but qu'on s'assigne est l'oppression et la domination de classe, car elle réalise concrètement ce but, et il n'existe pas et ne peut exister d'autres moyens. Quand on recourt à la trique, et la discipline est une trique morale -pour suppléer au manque de conscience, on tourne le dos au socialisme, on réalise les conditions de non-socialisme. C'est pourquoi nous sommes catégoriquement opposés à la violence au sein de la classe ouvrière après le triomphe de la révolution prolétarienne, et sommes des adversaires résolus du recours à la discipline au sein du Parti.
Qu'on nous entende bien!
Nous ne rejetons pas la nécessité de l'organisation, nous ne rejetons pas la nécessité de l'action CONCERTEE. Au contraire. Mais nous nions que la discipline ne puisse jamais servir de base à cette action étant dans sa nature, étrangère à elle. L'organisation et l'action concertée communistes ont UNIQUEMENT pour base la conscience des militants qui les fonde. Plus grande, plus claire est cette conscience, plus forte est l'organisation, plus concertée et efficace est son action.
Lénine a plus d'une fois dénoncé violemment le recours à la "discipline librement consentie", comme une trique de la bureaucratie. S'il employait le terme de discipline, il l'entendait toujours -et il s'est maintes fois expliqué là dessus- dans le sens de la volonté d'action organisée, basée sur la conscience et la conviction révolutionnaire de chaque militant.
On ne peut exiger des militants, comme le fait le Comité Central du PCI, d'exécuter une action qu'ils ne comprennent pas, ou qui va à l’encontre de leurs convictions. C'est croire qu'on peut faire oeuvre révolutionnaire avec une masse de crétins ou d'esclaves. On comprend alors qu'on ait besoin de la discipline, hissée à la hauteur d'une divinité révolutionnaire.
En réalité, l'action révolutionnaire ne peut être le fait que des militants conscients et convaincus. Et alors cette action brise toutes les chaînes y compris celles forgées par la sainte discipline.
Les vieux militants se souviennent quel guet-apens, quelle arme redoutable contre les révolutionnaires, constituait cette discipline entre les mains des bureaucrates et de la direction de l'IC. Les hitlériens en formation avaient leur sainte Vehme, les Zinovievs à la tête de l’IC avaient leur sainte Discipline. Une véritable inquisition, avec ses commissions de contrôle torturant et fouillant dans l'âme de chaque militant.
Un corset de fer passé sur le corps des partis, emprisonnant et étouffant toute manifestation tendant à la prise de conscience révolutionnaire. Le comble du raffinement consistait à obliger les militants à défendre publiquement ce qu'ils condamnaient dans les organisations, dans les organismes dont ils faisaient partie. C'était l'épreuve du parfait bolchevik. Les procès de Moscou ne diffèrent pas de nature, avec cette conception de la discipline librement consentie.
Si l'histoire de l'oppression des classes n'avait pas légué cette notion de "discipline", il aurait fallu à la contre-révolution stalinienne la réinventer.
Nous connaissons des militants, et de premier ordre, du PCI d'Italie, qui pour échapper à ce dilemme, de participer à la campagne électorale contre leurs convictions, ou de manquer à la discipline, n'ont rien trouvé d'autre que la ruse d'un voyage opportun. Ruser avec sa conscience, ruser avec le Parti, désapprouver, se taire et laisser faire voilà les plus clairs résultats de ces méthodes. Quelle dégradation du Parti, quel avilissement des militants !
La discipline du PCI ne s'étend pas seulement aux membres du Parti d'Italie, elle est également exigée de la part des fractions belge et française.
L'abstentionnisme était une chose qui allait de soi dans la GCI ([2]). Aussi une camarade de la fraction française écrit dans son journal un article essayant de concilier l'abstentionnisme avec le participationnisme du PCI d'Italie, Selon elle, ce n'est point une question de principe, donc parfaitement admissible la participation du PCI. Cependant, elle croit qu'il eut été "préférable" de s'abstenir. Comme on le voit une critique pas très "méchante" dictée surtout par les besoins de justifier la critique de la fraction en France contre la participation électorale des trotskistes en France.
Bien mal lui en a pris. Il ne lui en fallait pas plus pour se faire tirer les oreilles, et se faire rappeler à l'ordre par le secrétaire du Parti en Italie. Fulminant, le dit secrétaire déclare inadmissible la critique à l'étranger de la politique du Comité Central d'Italie. Pour peu on reprenait l'accusation du "coup de couteau dans le dos" mais cette fois l'accusation venait de l'Italie contre la France.
Marx, Lénine disaient : enseigner, expliquer, convaincre. "...discipline... …discipline..." leur répond en écho le Comité Central.
Il n'y a pas de tâche plus importante que de former des militants conscients, par un travail persévérant d'éducation, d'explication, et de discussion politique. Cette tâche est en même temps l'unique moyen garantissant et renforçant l'action révolutionnaire. Le PCI d'Italie a découvert un moyen plus efficace : la discipline. Cela n'a rien de surprenant après tout. Quand on professe Te concept, du Génie se contemplant et se réfléchissant en lui d'où jaillit la Lumière, le Comité Central devient l'Etat major distillant et transformant cette lumière en ordres et oukases, les militants en lieutenants, sous-off et caporaux, et la classe ouvrière en masse de soldats à qui on enseigne que la "discipline est notre principale force..."
Cette conception de la lutte du prolétariat et du parti est celle d'un adjudant de carrière de l'armée française. Elle a sa source dans une oppression séculaire et une domination de l'homme par l'homme. Il appartient au prolétariat de l'effacer à jamais.
Il peut paraître ahurissant après les longues années passées de luttes épiques au sein de l'IC sur le droit de fraction, de revenir aujourd'hui sur cette question. Elle semblait résolue, pour tout révolutionnaire, par l'expérience vécue. C’est pourtant ce droit de fraction que nous sommes obligés de défendre aujourd'hui contre les dirigeants du PCI d'Italie.
Aucun révolutionnaire ne parle de la liberté ou de la démocratie en général, car aucun révolutionnaire n'est dupe des formules en général car il cherche toujours à mettre en lumière leur contenu social réel, leur contenu de classe. Plus qu'à tout autre, on doit à Lénine d'avoir déchiré les voiles et d'avoir mis à nu les mensonges éhontés que couvraient les beaux mots de "liberté et démocratie", en général.
Ce qui est vrai pour une société de classes, l'est aussi pour les formations politiques qui agissent en son sein. La 2ème Internationale fut ; très démocratique, mais sa démocratie consistait à noyer l'esprit révolutionnaire dans un océan d'influence idéologique de la bourgeoisie. De cette démocratie où toutes les vannes sont ouvertes pour éteindre l'étincelle révolutionnaire, les communistes n'en veulent pas. La rupture d'avec ces partis de la bourgeoisie qui se disaient socialistes et démocratiques fut nécessaire et justifiée. La fondation de la 3ème Internationale sur la base de l'exclusion de cette soi-disant démocratie fut une réponse historique. Cette réponse est un acquis définitif pour le mouvement ouvrier.
Quand nous parlons de démocratie ouvrière, de démocratie à l'intérieur de l'organisation, nous l'entendons tout autrement que la Gauche socialiste, les trotskistes et autres démagogues. La démocratie à laquelle ils nous convient avec des trémolos dans la voix et le miel sur les lèvres, est celle où l'organisation est libre de fournir des ministres pour la gestion de l'Etat bourgeois, celle de participer "librement" à la guerre impérialiste. Ces démocraties organisationnelles ne nous sont pas plus proches que les organisations non-démocratiques d'Hitler et Mussolini et Staline qui font exactement le même travail. Rien n'est plus révoltant que l'annexion (les partis socialistes s'y connaissent en matière d'annexion impérialiste) de Rosa Luxembourg, faite par les Tartuffe de la Gauche socialiste pour opposer son "démocratisme" à "l'intolérance bolchevik". Rosa, comme Lénine, n'a pas résolu le problème de la démocratie ouvrière, mais l'un comme l'autre savaient à quoi s'en tenir sur la démocratie socialiste et ils la dénoncèrent pour ce qu'elle valait.
Quand nous parlons de régime intérieur, nous entendons parler d'une organisation basée sur des critères de classe et sur un programme révolutionnaire et non ouvert au premier avocat venu de la bourgeoisie. Notre liberté n'est pas abstraite en soi, mais essentiellement concrète, c'est celle des révolutionnaires groupés cherchant ensemble les meilleurs moyens d'agir pour l'émancipation sociale. Sur cette base commune et tendant au même but, bien des divergences surgissent immanquablement en cours de route. Ces divergences expriment toujours, soit l'absence de tous les éléments de la réponse, soit les difficultés réelles de la lutte, soit l'immaturité de la pensée. Elles ne peuvent être ni escamotées ni interdites mais au contraire doivent être résolues par l'expérience de la lutte elle même et par la libre confrontation des idées. Le régime de l'organisation consiste donc, non à étouffer les divergences mais à déterminer les conditions de leur solution. C'est à dire, en ce qui concerne l'organisation, de favoriser, de susciter leur manifestation au grand jour au lieu de les laisser cheminer clandestinement. Rien n'empoisonne plus l'atmosphère de l'organisation que les divergences restées dans l'ombre. Non seulement l'organisation se prive ainsi de toute possibilité de les résoudre, mais elles minent lentement ses fondations, A la première difficulté, au premier revers sérieux, l'édifice qu'on croyait en apparence solide comme un roc, craque et s'effondre, laissant derrière lui un amas de pierres. Ce qui n'était qu'une tempête se transforme en catastrophe décisive.
Il nous faut un Parti fort disent les camarades du PCI -un parti uni, or l'existence des tendances, la lutte de fractions le divisent et l'affaiblissent. Pour appuyer cette thèse, ces mêmes camarades invoquent la résolution présentée par Lénine et votée au l0ème Congrès du PC russe interdisant l'existence de fractions dans le Parti. Ce rappel de la fameuse résolution de Lénine et son adoption aujourd'hui, marque, on ne peut mieux, toute l'évolution de la fraction italienne devenue Parti. Ce, contre quoi la Gauche italienne et toute la gauche dans TIC s'est insurgée et a combattu pendant plus de 20 ans est devenu aujourd'hui le credo du "parfait" militant du PCI. Rappellerons-nous aussi que la résolution en question a été adoptée par un parti 3 ans après la révolution (elle n'aurait jamais pu être envisagée même auparavant) qui se trouvait aux prises avec des difficultés innombrables : blocus extérieur, guerre civile, famine et ruine économique à l'intérieur ? La révolution russe était dans une impasse terrible. Ou la révolution mondiale allait la sauver ou elle succombait sous la pression conjuguée du monde extérieur et des difficultés intérieures. Les bolcheviks au pouvoir subissent cette pression et reculent sur le plan économique et, ce qui est mille fois plus grave, sur le plan politique. La résolution sur l'interdiction des fractions que Lénine présentait, d'ailleurs comme provisoire , dictée par les conditions contingentes terribles dans lesquelles se débattait le parti, fait partie d'une série de mesures, qui loin de fortifier la Révolution n'ont fait qu'ouvrir un cours de sa dégénérescence.
Le l0ème congrès a vu à la fois le vote de cette résolution, l'écrasement par la violence étatique de la révolte ouvrière de Cronstadt et le début de la déportation massive des opposants du Parti, en Sibérie.
L'étouffement idéologique à l'intérieur du Parti ne se conçoit qu'allant de pair avec la violence au sein de la classe. L'Etat, organe de violence et de coercition, se substitue aux organismes idéologiques, économiques et unitaires de la classe : le parti, les syndicats et les soviets. La Guépéou remplace la discussion. La contre-révolution prend le pas sur la révolution sous le drapeau du socialisme, c'est le plus inique régime du capitalisme d'Etat qui se constitue.
Marx disait, à propos de Louis Bonaparte, que les grands événements de l'histoire se produisent pour ainsi dire deux fois, et il ajoutait : "la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce".
Le PCI d'Italie reproduit en farce ce que fut la grandeur et la tragédie de la Révolution russe et dii Parti bolchevik. Le Comité de coalition antifasciste de Bruxelles pour le Soviet de Pétrograd, Vercesi à la place de Lénine, le pauvre Comité Central de Milan pour l'Internationale communiste de Moscou où siégeaient les révolutionnaires de tous les pays, la tragédie d'une lutte de dizaines de millions d'hommes par les petites intrigues de quelques chéfaillons. Autour de la question du droit de fraction se jouait, en 1920 le sort de la révolution russe et mondiale. "Pas de fraction" en Italie en 1947 est le cri des impuissants ne voulant pas être forcés de penser par la critique et être dérangés dans leur quiétude. "Pas de fraction" menait à l'assassinat d'une révolution en 1920. "Pas de fraction" en 1947 est tout au plus une petite fausse couche d'un parti non viable.
Mais même en tant que farce, l'interdiction de fraction devient un handicap sérieux de la reconstruction de l'organisation révolutionnaire. La reconstruction du Bureau International de la GCI pourrait nous servir d'exemple palpable de la méthode en honneur.
On sait que ce Bureau International s'est trouvé disloqué avec l'éclatement de la guerre. Pendant la guerre des divergences politiques se sont manifestées dans les groupes et entre les groupes se réclamant de la GCI. Quelle devait être la méthode de reconstruction de l'unité organisationnelle et politique de la GCI ? Notre groupe préconisait la convocation d'une Conférence internationale de tous les groupes se réclamant de la GCI, et se fixant pour objectif la discussion la plus large pour toutes les questions en divergence. Contre nous prévalait l'autre méthode qui consistait à mettre le maximum de sourdine sur les divergences, et à exalter la constitution du Parti en Italie et autour de qui devait se faire le nouveau regroupement. Aussi aucune discussion ou critique internationale ne fut tolérée et un simulacre de Conférence eut lieu à la fin de 1946. Notre esprit de critique et de franche discussion fut considéré: intolérable et inacceptable et en réponse à nos documents, (les seuls qui avaient été soumis à la discussion de la Conférence) on a préféré, non seulement de ne pas les discuter mais en plus, on a estimé préférable de nous éliminer tout simplement de la Conférence.
Nous avons publié dans l'Internationalisme n°16 de décembre 1946 notre document destiné à tous les groupes se réclamant de la GCI en vue de la Conférence. Dans ce document, nous avons, selon notre vieille habitude, énuméré toutes les divergences politiques existant dans la GCI et expliqué franchement notre point de vue. Dans le même numéro d’Internationalisme on trouvera également la "réponse" de ce singulier Bureau international. "Puisque", dit cette réponse, votre lettre démontre une fois de plus la constante déformation des faits et des positions politiques prises soit par le PCI d'Italie, soit par les fractions française et belge" et plus loin, "que votre activité se borne à jeter la confusion et de la boue sur nos camarades, nous avons exclu à l'unanimité la possibilité d'accepter votre demande de participation à la réunion internationale des organisations de la GCI".
On pensera ce que l'on voudra de l'esprit dans lequel a été faite cette réponse mais on doit constater qu'à défaut d'arguments politiques elle ne manque pas d'énergie et de décision bureaucratique. Ce que la réponse ne dit pas et qui est un très haut point caractéristique de la conception de la discipline vraiment générale, professée et pratiquée par cette organisation, est la décision suivante prise en grand secret.
Voici ce que nous écrit, à ce sujet, un camarade du PCI d'Italie le lendemain de cette réunion internationale:
"Dimanche 8 décembre a eu lieu la réunion des délégués du Bureau politique International du PCI.
En référence à votre lettre adressée aux camarades des fractions de la GCI et du PCI d'Italie, réponse officielle vous sera faite et envoyée prochainement. En se référant à votre demande de réunions communes pour d'ultérieures discussions, votre ... proposition a été rejetée. En plus, ordre a été donné à tout camarade de rompre toute communication avec les fractions dissidentes. J'ai donc le regret de vous prévenir de ne pouvoir, pour l'avenir continuer mes liaisons avec votre groupe", signé JOBER- le 9 décembre 1946 ([3])
Cette décision intérieure et secrète a-t-elle encore besoin d'être commentée ? Vraiment pas. Nous ajouterons seulement qu'à Moscou, Staline a évidemment des moyens plus appropriés pour isoler les révolutionnaires : les cellules de la Loubianka, (prison de la Guépéou) les isolateurs de Verkhni Ouralsk et, au besoin, la balle dans la nuque. Dieu merci la GCI n'a pas encore cette force et nous ferons tout pour qu'elle ne l'ait pas et jamais, mais ce n'est vraiment pas de sa faute. Ce qui importe en définitive c'est le but poursuivi et la méthode, consistant à chercher à isoler, à vouloir faire taire la pensée de l'adversaire, de ceux qui ne pensent pas comme vous. Fatalement et en correspondance avec la place qu'on occupe et la force qu'on possède, on est amené à des mesures de plus en plus violentes. La différence avec le stalinisme n'est pas une question de nature mais uniquement de degré.
Le seul regret que doit avoir le PCI c'est d'être obligé de recourir à ces misérables moyens "d'interdire aux membres tout contact avec les fractions dissidentes".
Toute la conception sur le régime intérieur de l'organisation et de ses rapports avec la classe se trouve illustrée et concrétisée par cette décision, à notre avis, monstrueuse et écoeurante . Excommunication, calomnie, silence imposé, tels sont les méthodes qui se substituent à l'explication, la discussion et la confrontation politiques. Voilà un exemple type de la nouvelle conception de l'organisation.
Un camarade de la GCI nous écrit une longue lettre pour "décharger" -comme il dit- son estomac de tout ce qui lui pèse, depuis la coalition antifasciste jusqu'à la nouvelle conception du Parti. "Le parti -écrit-il dans la lettre- n'est pas le but du mouvement ouvrier, il est seulement un moyen". Mais la fin ne justifie pas tous les moyens. Ceux-ci doivent être imprégnés du caractère de la fin qu'ils servent pour l'atteindre, la fin doit se retrouver dans chacun des moyens employés, par conséquent le parti ne pourra pas être érigé suivant les conceptions léninistes, car cela signifierait, une fois de plus, absence de démocratie : discipline militaire, interdiction de la libre expression, délits d'opinion, monolithisme et mystification du parti.
Si la démocratie est la plus belle fumisterie de tous les temps, cela ne doit pas nous empêcher d'être pour la démocratie prolétarienne dans le Parti, le mouvement ouvrier et la classe. Ou bien qu'on propose un autre terme. L'important est que la chose reste. Démocratie prolétarienne signifie droit d'expression, liberté de pensée, liberté de ne pas être d'accord, suppression de la violence et de la terreur sous toutes leurs formes, dans le parti et naturellement dans la classe.
Nous comprenons et partageons entièrement l'indignation de ce camarade quand il s'élève contre l'édification du parti caserne et de la dictature sur le prolétariat. Combien est loin cette saine et révolutionnaire conception de l'organisation et du régime intérieur de cette autre conception que nous a donnée récemment un des dirigeants du PCI d'Italie. "Notre conception du Parti"; a-t-il dit textuellement "est un parti monolithique, homogène et monopoliste".
Une telle conception jointe au concept du chef génial, à la discipline militaire, n'a rien à voir avec l'oeuvre révolutionnaire du prolétariat, où tout est conditionné par l'élévation de la conscience, par la maturation idéologique de la classe ouvrière. Monolithisme, homogénéité et monopolisme est la trilogie divine du fascisme et du stalinisme.
Le fait qu'un homme ou un parti, se disant révolutionnaire, puisse se revendiquer de cette formule, indique tragiquement toute la décadence, toute la dégénérescence du mouvement ouvrier. Sur cette triple base on ne construit pas le parti de la révolution, mais plutôt une nouvelle caserne pour les ouvriers. On contribue effectivement à maintenir les ouvriers à l'état de soumission et de domination. On fait une action contre-révolutionnaire.
Ce qui nous fait douter de la possibilité du redressement du PCI d'Italie, plus que ses erreurs proprement politiques, ce sont ses conceptions de I l'organisation, et de ses rapports avec l'ensemble de la classe. Les idées par lesquelles s'est manifestée la fin de la vie révolutionnaire du parti bolchevik et qui marquèrent le début de la déchéance :l’interdiction de fraction, la suppression de la liberté d'expression dans le parti et dans la classe, le culte de la discipline, l'exaltation du chef infaillible, servent aujourd'hui de fonde ment, de base au PCI d'Italie et à la GCI. Persistant dans cette voie le PCI ne pourra jamais servir! la cause du socialisme. C'est avec pleine conscience et mesurant toute la gravité que nous leur crions: " Halte là. Il faut rebrousser chemin, car ici la pente est fatale".
Marc
[1] Aux dernières nouvelles le PCI d'Italie ne participerait pas aux prochaines élections. Ainsi en a décide le Comité Central. Est-ce à la suite d'un réexamen de la position, et d'une discussion dans le Parti, détrompez-vous. Il est toujours trop prématuré d'ouvrir une discussion qui risquerait de troubler les camarades, nous dit notre dirigeant bien connu. Mais alors ? Tout simplement le Parti a perdu beaucoup de membres et la caisse est vide. Ainsi, faute de munitions le Comité Central a décidé d'arrêter la guerre et de ne pas participer aux PROCHAINES élections. C'est une position commode qui arrange tout le monde et a en plus l'avantage de ne troubler personne. C'est ce que notre dirigeant appelle encore "la transformation renversée de la quantité en qualité".
[2] Gauche Communiste Internationale
[3] Il s'agit du camarade JOBER qui était alors en discussion avec nous, au nom de la fédération de Turin du PCI qu'il représentait. Depuis, la Fédération de Turin protestant contre les méthodes du Comité Central, est devenue autonome et à ce titre a participé à la Conférence Internationale de contact (Voir Internationalisme n° 24).
Beaucoup de camarades, pour n'être pas très familiers de l'histoire de la Gauche Communiste, pourraient avoir quelques difficultés à s'orienter dans les références à une période du mouvement révolutionnaire dont on ne sait que peu de chose, sinon rien. Nous nous en rendons compte et c'est justement pour combler ce "trou" dans la compréhension de notre passé que le CCI s'est fixé la tâche de republier tout une série de vieux textes. Après l'article de Battaglia Comunista, qui est reproduit ici, la republication de "1'Appel" de 45 a aussi incité la CWO (Communist Workers Organisation) à répondre avec un article dans le n°20 de Revolutionary Perspectives (nouvelle série). En attendant de répondre avec l'ampleur nécessaire aux critiques qui nous sont faites par ces camarades, nous nous limiterons à une brève observation sur la méthode.
Pour la CWO, le CCI ment en parlant d'appel aux staliniens, laissant ainsi entendre "qu'il se serait ainsi retourné vers les partis staliniens et non pas simplement vers les ouvriers tombés sous leur influence". (Revolutionary Perspectives n°20, p.36). A ce point, il y a deux objections à faire. En premier lieu, ce n'est pas vrai : ''1’Appel" n’est pas adressé aux travailleurs influencés par les partis contre-révolutionnaires mais au Comité d'Agitation des Partis Staliniens, sociaux-démocrates, etc. En deuxième lieu, même si le CCI s'était trompé dans l'évaluation de "1'Appel", il n'a rien "laissé entendre", mais il a republié le texte intégralement de façon à ce que tous les camarades puissent seuls les juger en connaissance de cause. A ce propos, sur le contenu du texte, quel est l'appréciation de CWO ?
Des attitudes de ce type ne sont pas productives, et surtout sont en contradiction avec l'excellente initiative de publier dans le même numéro de Revolutionary Perspectives toute une série de textes de discussion interne sur la Gauche Italienne, pour "poser le débat dans l'ensemble du Mouvement Révolutionnaire". Jusqu'à aujourd'hui, le CCI était pratiquement la seule organisation à publier dans sa presse quelques-unes de ses discussions internes. Pour le CCI et CWO, il ne reste plus qu'à souhaiter que Battaglia Comunista suive leur exemple.
« II arrive souvent que dans les polémiques partiales qui n'ont pas d'arguments trop valables, on recourt à des fourberies, au milieu de la rhétorique et de la démagogie. C'est ainsi que le CCI, par exemple, en argumentant sur la crise de Programme Communiste dans Revue Internationale n°32, fait semblant de trouver dans les origines du Parti Communiste Internationaliste, et donc dans la période 1943-45, des péchés originels qui vouaient le Parti Communiste Internationaliste à la damnation (ou au moins une des fractions qui a scissionné en 1952).
Nous ne voulons pas répondre longuement ici, mais faire seulement quelques notes télégraphiques :
Le document "Appel du Comité d'Agitation du PCInt.", contenu dans le numéro de Prometeo d'Avril 45 fut-il une erreur ? D'accord. Ce fut la dernière tentative de la Gauche Italienne d'appliquer la tactique de "front unique à la base" préconisé par le PC d'Italie dans sa polémique avec l'IC dans les années 21-23. En tant que tel, nous la cataloguons dans les "péchés véniels" parce que nos camarades ont su l'éliminer tant sur un plan politique que théorique, avec une clarté qui aujourd'hui nous rend sûrs de nous face à quiconque.
Ça et là, quelques autres erreurs tactiques ont été commises et sans attendre le CCI, nous les avons déjà révisées tout seul depuis un bon moment, et nous les revoyons continuellement pour nous éviter de les répéter. Mais ces erreurs là ne nous ont pas empêchés d'aller de l'avant, en les corrigeant justement, et nous n'avons jamais quitté le terrain qui nous est propre, celui du marxisme révolutionnaire.
C'est ceux qui ne bougent pas qui ne se trompent jamais, ou ceux qui n'existent pas. Et alors, au cœur de la guerre impérialiste, pendant que les masses exploitées et données au massacre manifestaient quelques premières réactions et tendances à desserrer l'étau des forces interclassistes liées aux blocs impérialistes, les "pères" du CCI ayant jugé que le prolétariat était défait parce qu'il avait ... accepté la guerre, restaient au chaud, sans penser le moins du monde à se "salir les mains" dans le mouvement ouvrier.
Après quoi, ayant émis le jugement que le prolétariat n'était plus prostré et défait, ils ont réapparu, ils ont ramassé quelques étudiants et quelques intellectuels captieux pour "féconder" les nouvelles luttes révolutionnaires qui se présenteront ou sont latentes, qui nous amèneront de façon grandiose à la Révolution. Et nous voilà donc en présence de la véritable erreur fondamentale du CCI. Le péché originel du CCI réside justement dans la façon de poser les problèmes : celui-là, comme sur celui du rapport classe-conscience-Parti. Si (et nous disons si, parce qu'il y a une forte probabilité) la guerre éclate avant que la classe ouvrière ne surgisse, le CCI ne pourra que retourner à la maison, tandis que nous, encore une fois, nous nous "salirons les mains" en travaillant avec toutes les possibilités que nous donnera notre force organisationnelle, pour le défaitisme révolutionnaire, pendant, après, comme avant la guerre.
En ce qui concerne les erreurs de Programma, elles sont aussi grandes que son opportunisme de fond. (Voir numéro précédent de Battaglia Communista). Dans Programme Communiste des questions sont restées ouvertes (bien qu'ils disent le contraire), des questions importantes : celles de l'impérialisme, des guerres de libération nationale, et celle, sûrement pas par hasard, du syndicalisme. C'est sur ces questions que Programme est entré en crise, de même que 1e CCI. Et, si on nous le permet, c'est bien cela que nous écrivions dans les numéros 15 et 16 de décembre 81. Dans l'article "Crise du CCI ou crise du mouvement révolutionnaire ?" où nous disions que ce sont "des organisations bien précises" qui sont en crise, le CCI et Programma. Ces organisations qui n'ont pas les idées claires sur des problèmes très importants, "sautent" quand ceux-ci, d'une manière ou d'une autre, ne répondent pas au schéma prévu et surgissent avec force. Ce sont des "organisations-crise" qui n'arrivent pas à intervenir dans le mouvement. Elles sont "vivantes" seulement quand la situation est "ferme", solide. Elles survivent comme un poids mort tant que l'équilibre n'est pas dérangé. »
Battaglia Communista n°3 – Février 1983
En premier lieu, nous prenons acte que BC confirme l’authenticité et la fidélité de l’original des textes que nous avons publiés.
Ceci éclaircit, BC se demande : "Est-ce que ça a été une erreur ? Admettons.", mais elle en traite comme s’il s’agissait tout au plus d’un "pêché véniel". On ne peut que rester admiratif devant la délicatesse et l’habileté avec lesquelles elle ménage son amour propre. Si une proposition de front unique avec les bouchers staliniens et sociaux-démocrates n’est qu’un " pêché véniel", qu’aurait alors dû faire le PC.Int. en 45 pour qu’on puisse parler explicitement d’erreur… Entrer au gouvernement ? Mais BC nous rassure : ses errements, elle les a révisés depuis un bon moment, sans attendre le CCI, et elle n’a donc jamais eu de raisons de les cacher. C’est possible. Mais quand, en 77, nous avons mis pour la première fois l’accent, dans notre presse, sur la série d’erreurs du PC.Int., dans l’après-guerre immédiat, Battaglia a répliqué dans une lettre indignée qu’elle admettait des défaillances, mais soutenait qu’elles étaient sous l’exclusive responsabilité des camarades1 qui étaient sortis en 52 pour constituer le PC.Int.
Nous avons répondu à l’époque qu’il nous semblait étrange que Battaglia se lave les mains de tout. En substance, Battaglia nous dit :
"Nous avons participé à la constitution du PC.Int., nous et eux. Ce qui était bon, c’était nous. Ce qui était mauvais, c'était eux". "En admettant qu'il en ait été ainsi, reste le fait que le "mauvais" existait et ... que personne n'a rien trouvé à redire." (Extrait de Rivoluzione Internazionale n°7 – 1977)
C'est trop facile d'accepter en silence, compromis sur compromis, pour faire le Parti avec Bordiga (dont le nom rassemble des milliers d'adhérents) et avec Vercesi (qui anime un réseau de contacts à l'extérieur d'Italie), et ensuite quand les choses vont mal, de se mettre à crier que c'est uniquement la faute des bordiguistes. Pour faire un compromis, il faut au moins être deux...
A part ça, la prétention de jeter la faute sur les "mauvais" n'est plus de règle. L'appel de 45 n'a pas été écrit par les "Groupes du Sud" qui faisaient référence à Bordiga, mais par le centre du Parti au Nord, constitué par la tendance Damen, aujourd'hui Battaglia Communista. Pour donner encore un exemple, entre mille possibles, il faut se souvenir que les pires erreurs localistes et activistes provenaient de la Fédération de Catanzaro, dirigée par Francesco Maruca, qui était membre du PCI stalinien jusqu'à son expulsion en 44. Cependant, au moment de la scission de 52, la Fédération de Catanzaro n'a pas rejoint Programme Communiste et est restée à Battaglia Comunista et, en fait, un article dans les n°26/27 de Prometeo citait encore Maruca comme un militant exemplaire. C'est vrai que l'article (une espèce d'apologie) ne parlait pas des positions défendues par Maruca ; au contraire, pour faire plus joli, l'article faisait dater de 1940 son exclusion du PCI, c'est-à-dire anticipait de 4 ans. Voila comment Battaglia Comunista règle continuellement les comptes à ses erreurs.
Au début, Battaglia se vantait publiquement d'avoir un passé sans tâche. Ensuite, quand ses errements ont été révélés, elle les a attribués aux "programmistes". Quand elle n'a plus pu nier sa propre participation, elle nous les a présentés en les réduisant à de simples péchés véniels. Mais cependant, il faut se décharger de ces errements sur quelqu'un, et cette fois-ci, c'est sur nous que c'est tombé, ou mieux, sur nos "pères" qui ayant prononcé le jugement que le prolétariat était défait parce qu'il avait accepté la guerre, sont restés au chaud sans penser le moins du monde à "se salir les mains dans le mouvement ouvrier".
L'accusation de désertion du combat de la classe est une accusation grave et le CCI tient à répondre immédiatement, pas tant pour se disculper lui-même ou ses "pères" –il n'en a pas besoin–, mais pour défendre le milieu révolutionnaire de pratiques inadmissibles telles que celles de porter des accusations très graves sans ressentir un minimum le besoin de prouver ce qu'on affirme.
Il est hors de doute que tout une partie de la Fraction Italienne et la Fraction Belge de la Gauche Communiste Internationale durant la guerre, considérait le prolétariat comme non existant socialement et a abandonné en conséquence toute activité de classe jusqu'à participer vers la fin de la guerre au Comité Antifasciste de Bruxelles. Contre cette tendance conduite par Vercesi, la majorité de la Fraction italienne réagit et se regroupe à Marseille dès 1940. A partir de 1942 est formé à côté et avec l'aide de la Fraction italienne, le noyau français de la Gauche Communiste qui commence à publier la revue Internationalisme et le journal d'agitation l’Etincelle en 1944. Le débat se focalise sur la nature de classe des grèves des années 43 en Italie :
"Une tendance dans la fraction italienne, la tendance Vercesi et en partie aussi la fraction belge, niait, et cela jusqu'à la fin des hostilités, l'apparition du prolétariat italien sur la scène politique. Pour cette tendance, les événements de 1943 n'étaient qu'une manifestation de la crise économique, dite crise de l'économie de guerre, ou bien une révolution de palais, une chamaillerie dans les hautes sphères dirigeantes du capitalisme italien et rien de plus. Le prolétariat italien, pour cette tendance, était et continuait d'être absent aussi bien politiquement que socialement. Cela devait cadrer avec toute une théorie échafaudée par cette tendance sur "l'inexistence sociale du prolétariat pendant la guerre et pendant toute la période de l'économie de guerre". Aussi, après 43 comme avant, ils préconisaient la passivité absolue allant jusqu'à la dissolution organisationnelle de la Fraction. Avec la Fraction Italienne, nous avons combattu pied à pied cette tendance liquidationniste dans la GCI. Avec la Fraction Italienne, nous avons analysé les événements de 43 en Italie comme une manifestation avancée de la lutte sociale et de l'ouverture du cours vers la révolution et préconisé l'orientation de la transformation de la Fraction en Parti." (Internationalisme n°7 – Février 46. A propos du 1er Congrès du PC. Internationaliste d'Italie.)
En 1945, on a tout une série de coups de théâtre. Quand on a su qu'en Italie s'est effectivement constitué un parti à la fin de 1943, la tendance Vercesi. grâce à un triple saut périlleux, se retrouve dans la direction de ce parti, aux côtés de la tendance exclue en 1936 pour sa participation à la Guerre d'Espagne et de la majorité de la Fraction italienne qui l'avait exclue à ce moment- là !
Les seuls étrangers à cette embrassade opportuniste, ce sont nos "pères" d'Internationalisme. Et ce n'est pas sans raison. C'est justement parce que, au contraire de Vercesi, ils ont été au premier rang dans le travail illégal pendant la guerre pour la reconstitution de l'organisation prolétarienne, qu'ils n'ont pas ressenti le besoin de se cacher en criant "vive le parti". Au contraire, en constatant que le capitalisme a réussi à défaire les réactions ouvrières contre la guerre (mars 43 en Italie, printemps 45 en Allemagne) et à prévenir toute possibilité d'ouverture d'une situation pré-révolutionnaire, ils ont commencé à se poser la question de savoir si la perspective de la transformation de la Fraction en Parti était encore valable. De plus, la Gauche Communiste de France, tout en continuant à défendre la nature prolétarienne du PC.Int., même face aux attaques des autres groupes2, n'a pas accepté pour autant de voiler pieusement sa non homogénéité politique et ses errements continuels. Au contraire, elle n'a cessé d'exiger une rupture politique avec toutes les tentations opportunistes :
"Ou la tendance Vercesi exécute publiquement devant le Parti et le prolétariat sa politique de coalition anti-fasciste et toute sa théorie opportuniste qui l'ont conduite à cette politique, ou bien c'est au Parti, après une discussion critique ouverte d'exécuter théoriquement, politiquement et organisationnellement la tendance opportuniste de Vercesi." (Idem)
Quelle fut la réaction du PC.Int. ? Pendant plus d'un an, il a fait la sourde oreille et a ignoré les appels répétés d'Internationalisme. A la fin de 46, à l'occasion de la reconstitution du Bureau International de la Gauche Communiste sous l'impulsion du PC.Int. et des noyaux français et belge qui s'y référaient, Internationalisme a envoyé une énième lettre ouverte dans laquelle il demandait à participer à la Conférence afin d'avoir une discussion franche sur les points passés sous silence et d'arriver à cerner politiquement définitivement les glissements opportunistes. Pour toute réponse, il y eut cette lettre :
"Puisque votre lettre démontre une fois de plus la constante déformation des faits et des positions politiques prises soit par le PC.Internationaliste d'Italie, soit par les Fractions française et belge ; que vous ne constituez pas une organisation politique révolutionnaire et que votre activité se borne à jeter de la confusion et de la boue sur nos camarades, nous avons exclu a l'unanimité la possibilité d'accepter votre demande de participation à la Réunion Internationale des organisations de la GCI." Signé : "Pour le PCI d'Italie" (Internationalisme n°16 ; réponse du Bureau International de la GCI à notre lettre).
C'est ainsi que les "pères" de Battaglia pour conserver l'alliance opportuniste avec la tendance Vercesi, ont liquidé l'unique tendance de la Gauche Communiste Internationale qui avait eu le courage politique de ne pas s'adapter au fait d'avoir des chapelles et la mémoire courte.
Quant au courage physique, ce n'est pas notre habitude de nous en vanter, mais nous pouvons assurer à Battaglia qu'il fallait beaucoup plus de courage pour coller des affiches défaitistes contre les résistants pendant 1a "1ibération" de Paris qu'il n'en fallait pour participer, encadré dans les rangs des partisans, à la chasse aux fascistes pendant la "libération" du nord de l'Italie.
Pour revenir à aujourd'hui, Battaglia dit que ce n'est pas le mouvement révolutionnaire qui est en crise, mais le CCI, Programme Communiste, tous les autres groupes de la Gauche Italienne (à l'exception de Battaglia) et en plus tous les groupes des autres pays qui n'ont pas participé à la Conférence Internationale organisée par Battaglia et la CWO. Mais, pardon, si on enlève ces groupes, qu'est-ce qui reste ? Seulement Battaglia et la CWO ! Il vaudrait mieux alors soutenir que le mouvement révolutionnaire n'existe pas et qu'en conséquence il ne peut pas être en crise. En plus, la crise ne se manifeste pas que par 1a désintégration des groupes ou des scissions, elle se manifeste aussi par des glissements politiques, comme quand la CWO soutenait qu'en Pologne il fallait faire "la révolution maintenant !", ou quand Battaglia a présenté des forces plus que douteuses comme l’UCM iranienne et KOMALA kurde comme des organisations communistes et les a poussées jusqu'à soutenir de façon critique "l'échange de prisonniers" (!) entre KOMALA et 1'armée iranienne.
Il faut noter que tant Battaglia que la CWO ont corrigé leurs erreurs après les critiques fraternelles qui ont paru dans notre presse, anglaise en particulier. Mais ça démontre justement que les hésitations momentanées de tout groupe peuvent être corrigées aussi grâce à l'effort des autres groupes et qu'aucune organisation révolutionnaire ne peut donc se considérer comme totalement indépendante de l'ensemble du milieu révolutionnaire.
Battaglia croit qu'en republiant les documents du mouvement révolutionnaire, le CCI veut démontrer que Battaglia a une histoire pleine d'erreurs et se trouve donc en dehors du camp prolétarien. En cela, Battaglia commet une grave erreur ; les hésitations d'un Maruca n'appartiennent pas à Battaglia, pas plus que ne lui appartient le défaitisme cohérent d'un Damen, pas plus que les erreurs et les contributions d'un Vercesi n'appartiennent à Programme Communiste. Tout cela, en bien comme en mal, fait partie du patrimoine de tout le mouvement révolutionnaire et il incombe à l'ensemble du mouvement d'en faire un bilan critique qui permettra d'en tirer toutes les leçons.
Ce bilan ne peut être tiré par des groupes isolés, réduits à panser chacun ses propres plaies, mais réclame la possibilité d'un débat ouvert et organisé comme cela était possible dans le cadre des Conférences Internationales des groupes de la Gauche Communiste (1977, 78, 79). Battaglia a contribué à enterrer les Conférences3 ; il n'est donc pas surprenant qu'aujourd'hui, elle ne comprenne pas comment contribuer au débat.
Beyle
1 Jusqu'en 1952, la tendance de Bordiga et la tendance de Damen étaient dans la même organisation, le P.C.Internationaliste. On ne saurait donc faire porter la responsabilité des événements du PC.Int. sur la seule tendance de Bordiga, d'autant plus que celle-ci était minoritaire, de sorte qu'au moment de la scission, c'est elle qui est partie du PC.Int. pour fonder le P.C.International (Programma Comunista), la tendance de Damen conservant les titres "Prometeo" et "Battaglia Comunista". BC a beau polémiquer durement avec Programme Communiste, elle ne s'attaque jamais à ses origines parce que ce sont ses propres origines.
2 Voir dans l'article cité le paragraphe "Les révolutionnaires (en Italie) doivent adhérer au PCI italien en réponse aux Communistes Révolutionnaires de France et d'Allemagne".
3 Revue Internationale n°16, 17, 22 – Textes, compte-rendus, procès-verbaux des Conférences Internationales (Milan 77 ; Paris 78. 79).
Lorsque la classe ouvrière montre ouvertement sa force, menaçant de paralyser la machine de production, faisant reculer l’Etat, déchaînant un bouillonnement de vie dans l'ensemble de la société, carme ce fut le cas, par exemple, pendant la grève de masse de l'été 1980 en Pologne, la question : "la classe ouvrière est-elle la force révolutionnaire de notre époque ?" semble saugrenue. En Pologne, comme dans toutes les luttes sociales qui ont ébranlé le capitalisme, le coeur du mouvement social n'était autre que le coeur de la classe ouvrière : les chantiers navals de la Baltique, la sidérurgie de Nova Huta, les mines de Silésie. Que les paysans polonais se mettent en lutte, que les étudiants ou les artistes décident de combattre l'Etat, ils n'ont d'autres réflexes que "d'aller voir les ouvriers".
Quand les ouvriers parviennent à briser les forces qui les atomisent en une poussière impuissante, lorsque leur union explose à la face des classes dominantes ébranlant tout leur édifice, les contraignant à faire marche arrière, il est aisé, sinon évident; de comprendre comment et pourquoi la classe ouvrière est la seule force capable de concevoir et d'entreprendre un bouleversement révolutionnaire de la société.
Mais, dès que le combat ouvert cesse, dès que le capital reprend le dessus et repose sa chape de plomb sur la société, ce qui semblait si évident à un moment donné, paraît s'estomper, même dans le souvenir, et le capital décadent impose sur ses sujets sa propre vision sinistre du monde : celle d'une classe ouvrière soumise, atomisée, entrant en rangs silencieux tous les matins à l'usine, incapable de rompre ses chaînes par elle-même.
Il ne manque pas alors de "théoriciens" pour expliquer à qui veut bien l'entendre, que la classe ouvrière, en tant que telle est, en fait, partie intégrante du système, qu'elle y a une place à défendre et que seuls des illuminés aveuglés par leur propre fanatisme peuvent voir en cette masse d'individus "près de leurs sous", la porteuse d'une nouvelle société.
Ceux qui défendent toujours ouvertement les bienfaits du système capitaliste, que ce soit sous sa forme "occidentale" ou stalinienne, n'ont jamais d'autre credo à la bouche. Mais les périodes de recul de la lutte ouvrière font aussi régulièrement réapparaître des groupes ou publications qui théorisent les "doutes" sur la nature historique de la classe ouvrière, même parmi ceux qui se réclament de la révolution communiste et qui, en outre, n'ont d'illusions ni sur la nature des pays dits "socialistes" ni sur celle des partis occidentaux dits "ouvriers".
Les vieilles idées d'origine anarchiste et populiste suivant lesquelles la révolution sera essentiellement l'oeuvre non pas d'une classe économique spécifique, mais de l'ensemble des hommes qui, d'une façon ou d'une autre, subissent l'inhumanité du capitalisme, gagnent du terrain.
Tout comme au moment du recul des luttes ouvrières après la vague de 1968-74, l'idéologie "moderniste", l'idéologie de la "théorie moderne de la révolution" qui rejette "le vieux mouvement ouvrier" et son "marxisme poussiéreux" semble connaître, actuellement, avec le repli des luttes ouvrières de l'après Pologne un certain regain. En témoignent, entre autres, en France l'apparition de la revue "La Banquise" ([1] [88]) et le passage au rythme trimestriel de la revue "La Guerre Sociale" ([2] [89]), et en Grande Bretagne la réapparition de "Solidarity" ([3] [90]) ([4] [91])
Ces publications sont relativement différentes entre elles. "La Guerre Sociale" et "La Banquise" s'inscrivent plus directement dans une ligne théorique qui passe par Invariance et Le Mouvement Communiste. Mais elles partagent toutes le même rejet de cette idée de base du "vieux" marxisme : la classe ouvrière est la seule force véritablement révolutionnaire de la société ; la destruction du capitalisme et l'ouverture vers une société communiste exigent une période de transition caractérisée par la dictature politique de cette classe.
Nous n'avons pas l'intention de développer ici une critique complète de l'ensemble des idées défendues par ce type de courant. La polémique avec ces tendances est d'ailleurs souvent stérile et ennuyai se, étant donné, premièrement, qu'il s'agit de groupes assez informels (et fiers de l'être) regroupant divers individus "indépendants", ce qui fait que d'un article à l'autre on trouve dans la même publication des concepts, des idées qui se contredisent i deuxièmement, les tenants du modernisme cultivent en permanence les ambiguïtés, les "oui, mais", les "non, mais", en particulier vis-à-vis du marxisme dont ils manient souvent avec aisance le vocabulaire (on cite Marx dès que l'on peut) tout en en rejetant l'essentiel. De ce fait, ils peuvent toujours répondre aux critiques par le classique "ce n'est pas ce que nous disons, vous déformez".
Ce qui nous importe c'est
de réaffirmer, dans un moment de recul provisoire des luttes de la classe ouvrière
et de mûrissement accéléré des contradictions sociales qui
conduisent à la révolution communiste, le rôle central de cette classe,
pourquoi elle est la classe révolutionnaire et pourquoi, du nouent
qu'on ignore cette réalité essentielle de notre époque, on se
condamne d'une part à ne pas comprendre le cours de l'histoire qui se déroule sous
nos yeux (voir le pessimisme larvé de "La Banquise"),
et d'autre part à tomber dans les pièges les plus grossiers de l'idéologie
bourgeoise (voir les ambiguïtés de "La Guerre Sociale" et de
"Solidarity" sur le syndicat "Solidarité" en
Pologne) .
Cela est d'autant plus nécessaire que tout comme les étudiants "radicaux" de 1968, certains groupes modernistes développent souvent une analyse lucide et fouillée de certains aspects du capitalisme décadent, ce qui ne peut qu'ajouter à la crédibilité de leurs fadaises politiques.
QU'EST-CE-QUE LE PROLETARIAT ?
Chez Marx, comme chez tous les marxistes, les termes de classe ouvrière et de prolétariat ont toujours été synonymes. Cependant, parmi ceux qui remettent en question la nature révolutionnaire de la classe ouvrière comme telle, sans pour autant oser se réclamer directement de l'anarchisme ou du populisme radical de la fin du siècle dernier, il est fréquent d'inventer une distinction entre les deux mots. La classe ouvrière, ce serait les ouvriers et les employés tels qu'on les voit tous les jours sous la domination du capital avec leurs luttes pour de meilleurs salaires et des emplois. Le prolétariat, ce serait une force révolutionnaire aux contours plus ou moins indéterminés, englobant un peu tout ce qui, à un moment ou à un autre, peut se révolter contre l'autorité de l'Etat. Cela peut aller de l'ouvrier de la métallurgie au voyou professionnel en passant par les femmes battues, riches ou pauvres, les homosexuels ou les étudiants, suivant le "penseur moderniste". (Voir la fascination qu’exerçait sur 1'Internationale Situationniste ou sur Le Mouvement Communiste les "hors-la-loi" ; voir le journal "Le Voyou" au milieu des années 70 ; voir l'emballement de "Solidarity" dans le féminisme).
Pour la revue Invariance (Camatte), en 1974, la définition du prolétariat finit par être élargie à son maximum : l'humanité entière. Ayant compris que la domination du capital était devenue de plus en plus totalitaire et impersonnelle sur la société, on en déduisait que c'est toute la "communauté humaine" qui devrait se révolter contre le capital. Ce qui revenait à nier la lutte de classes comme dynamique de la révolution.
Aujourd'hui, "La Guerre Sociale" nous offre une autre définition, plus restrictive, mais à peine plus précise :
"Le prolétaire, ce n'est pas 1'ouvrier ou même 1'ouvrier et l'employé, travailleur au bas de l'échelle. Le prolétaire, ce n'est pas le producteur, même si le producteur peut être prolétaire. Le prolétaire, c'est celui qui est coupé de',c'est 1' 'exclu', c'est le sans réserve '" ("La Guerre Sociale" n°6, "Lettre ouverte aux camarades du Parti Communiste International maintenu", décembre 82).
Il est vrai que le prolétaire est exclu, coupé de toute emprise réelle sur la conduite de la vie sociale et donc de sa vie ; il est vrai que contrairement à certaines classes exploitées pré-capitalistes, il ne possède pas ses moyens de production et vit sans réserve. Mais il n'est pas que cela. Le prolétaire n'est pas seulement un "pauvre" comme un autre. Il est aussi un producteur, le producteur de la plus-value qui est transformée en capital. Il est exploité collectivement et sa résistance au capital est immédiatement collective. Ce sont des différences essentielles.
Elargir ainsi la définition du prolétariat, ce n'est pas agrandir la classe révolutionnaire, mais la diluer dans le brouillard de l'humanisme.
"La Banquise", à la suite d'invariance, croit pouvoir se référer à Marx pour élargir la notion de prolétariat.
"A partir du moment (...) où le produit individuel est transformé en produit social, en produit d'un travailleur collectif dont les différents membres participent au maniement de la matière à des degrés très divers, de près ou de loin, ou même pas du tout, les déterminations de travail productif, de travailleur productif, s'élargissent nécessairement. Pour être productif, il n'est plus nécessaire de mettre soi-même la main à 1'oeuvre, il suffit d'être un organe du travailleur collectif ou d'en remplir une fonction quelconque". (Marx. Le Capital, Livre 1, Oeuvres, Gallimard, I, 1963, p.1001-1002).
Pourtant, ce que Marx met ici en relief, ce n'est pas l'idée que tous et n'importe qui dans le monde seraient devenus productifs ou prolétaires. Ce qu'il souligne, c'est que la qualité spécifique de la tâche accomplie par tel ou tel travailleur ne constitue pas dans le capitalisme développé un critère, une détermination valable pour savoir s'il est productif ou pas. En modifiant le processus de production suivant ses besoins, le capital exploite l'ensemble de la force de travail qu'il achète, comme celle d'un travailleur productif. L'utilisation concrète qu'il fait de chacun des membres de celui-ci, ouvrière de boulangerie ou employé de bureau, productrice d'armes ou balayeur, est secondaire du point de vue de savoir qui est exploité par le capital. C'est l'ensemble collectif qui l'est. Le prolétariat, la classe ouvrière inclut bien aujourd'hui la plupart des employés dans le secteur dit "tertiaire".
Pour autant qu'elle se soit développée, la domination du capital n'a pas généralisé à toute la société la condition de prolétaire. Le capital a engendré de gigantesques masses de marginaux sans-travail, surtout dans les pays sous-développés. Il a laissé survivre des secteurs pré-capitalistes, comme le petit paysannat individuel, le petit commerce, l'artisanat, les professions libérales.
Le capital domine tous les secteurs de la société. Et tous ceux qui subissent sa domination dans la misère ont des raisons de se révolter contre elle. Mais seule la partie qui est directement liée au capital par le salariat et la production de la plus-value, est véritablement antagonique au capital : elle seule constitue le prolétariat, la classe ouvrière.
POURQUOI LE PROLETARIAT EST LA CLASSE REVOLUTIONNAIRE ?
Avant Marx, la dynamique de l'histoire de la société demeurait un mystère. Il fallait avoir recours à des notions de type religieux, telles "la Providence", le génie des chefs militaires, ou l’Histoire avec un grand H, pour tenter, en vain, d'en dresser un tableau cohérent. En démontrant la place centrale de la lutte de classes dans cette dynamique, le marxisme a, pour la première fois, permis de la comprendre.
Cependant, ce faisant, il n'a pas fourni une façon d'interpréter le monde mais une vision du monde permettant de le transformer. Marx considérait que sa découverte fondamentale n'était pas l'existence de la lutte de classes en soi -ce que les théoriciens bourgeois avaient déjà établi-, mais, le fait que cette lutte de classes conduit à la dictature du prolétariat.
L'antagonisme irréconciliable entre classe ouvrière et capital -dit Marx- doit conduire à une lutte révolutionnaire pour la destruction des rapports sociaux capitalistes et l'établissement d'une société de type communiste. Cette révolution aura comme protagoniste la classe ouvrière ; celle-ci devra s'organiser de façon autonome, en tant que classe, par rapport au reste de la société et exercer une dictature politique afin de détruire de fond en comble les bases de l'ancien régime.
C'est cette analyse que les modernistes rejettent : "Pour transformer réellement leurs conditions d'existence, les prolétaires ne doivent pas se soulever en tant que 'classe ouvrière' ; mais c'est ce qui est difficile, puisqu'ils se battent précisément à partir de leurs conditions d'existence. La contradiction ne sera tout à fait éclaircie théoriquement qui lorsqu'elle aura été surmontée dans la pratique." ("La Banquise" n°1, "Avant la débâcle", p.11). "Le prolétariat n'a pas à se poser d'abord en force sociale avant de changer le monde". (id. n°2, "Le roman de nos origines", p.29).
"Mais, dès maintenant, on ne fait que 'enfermer dans cette oppression si on ne s'y attaque pas en tant que prolétaires, ou en tant qu'humains, et non sur la base d'une spécificité -qui devient de plus en plus illusoire- à conserver ou à défendre. Le pire c'est de faire de cette spécificité 1e dépositaire d'une capacité de révolte". (souligné par nous, "La Guerre Sociale" n, "Vers la communauté humaine", p.32).
Les modernistes ne savent pas ce qu'est le prolétariat fondamentalement parce qu'ils ne comprennent pas pourquoi il est révolutionnaire. Pourquoi devrait-il donc s'organiser séparément, en tant que classe, puisqu'il doit se battre pour l'élimination des classes? Pour les modernistes, la classe ouvrière, en tant que classe, n'est pas plus révolutionnaire que quiconque : en tant que classe, sa lutte reste limitée aux améliorations de salaires, et à la défense de l'emploi d'esclave. Au lieu de se constituer en classe politique, le prolétariat devrait commencer par se nier comme classe et s'affirmer en tant que ... "humains".
Le pire, dit "La Guerre Sociale',', c'est de faire d'une spécificité -être ouvrier par exemple- "le dépositaire d'une capacité de révolte".
Avec les modernistes, l'histoire semble toujours commencer avec eux. La Commune de Paris, la grève de masse en Russie en 1905, la révolution d'octobre 1917, le mouvement révolutionnaire en Allemagne en 1919, tout cela n'a rien démontré, rien enseigné. "La contradiction ne sera tout à fait éclaircie théoriquement que lorsqu'elle aura été surmontée dans la pratique", dit "La Banquise". Mais qui a mené les luttes révolutionnaires contre le capital depuis plus d'un siècle si ce n'est la classe ouvrière qui se battait pour la défense de ses aspirations spécifiques.
Pourquoi en a-t-il toujours été ainsi ?
"C'est parce que dans le prolétariat développé 1’abstraction de toute humanité, et même de toute apparence d'humanité est achevée en pratique ; c'est parce que les conditions d 'existence du prolétariat résument toutes les conditions d'existence de la société actuelle parvenues au paroxysme de leur inhumanité ; c'est parce que, dans le prolétariat, l'homme s'est perdu lui-même, mais a acquis en même temps la conscience théorique de cette perte et, qui plu est, se voit contraint directement, par la misère désormais inéluctable impossible à farder, absolument impérieuse expression pratique de la nécessité- à se révolter contre cette inhumanité : c'est pour ces raisons que le prolétariat peut et doit se libérer lui-même. Toutefois, il ne peut se libérer lui-même sans abolir ses propres conditions d'existence. Il ne peut abolir ses propres conditions d'existence sans abolir toutes les conditions d'existence inhumaines de la société actuelle que sa propre situation résume" (Marx, "la Sainte Famille", chap.4, Oeuvres, Gallimard, III, p.460).
Telle est la spécificité de la classe ouvrière : ses intérêts immédiats et historiques coïncident avec ceux de l'humanité entière, ce qui n'est le cas pour aucune autre couche de la société. Il ne peut se libérer du salariat capitaliste, forme la plus achevée de l'exploitation de l'homme par l'homme, sans éliminer toute forme d'exploitation, "toutes les conditions d'existence inhumaines de la société actuelle". Mais il n'en découle nullement que toutes les parties de l'humanité possèdent la force matérielle et la conscience indispensable pour entreprendre une révolution communiste.
La classe ouvrière tire sa force d'abord de sa situation centrale dans le processus de production. Le capital, ce ne sont pas les machines et les matières premières ; le capital, c'est un rapport social. Lorsque, par sa lutte, la classe ouvrière refuse ce rapport, le capital est immédiatement paralysé. Il n'y a pas de capital sans plus-value, pas de plus-value sans travail des prolétaires. C'est là que réside la puissance des mouvements de grève de masse. Cela explique en partie pourquoi la classe ouvrière peut entreprendre matériellement la destruction du capitalisme. Mais cela ne suffit pas pour expliquer pourquoi elle peut jeter les bases d'une société communiste.
Les esclaves de Spartacus, dans l’antiquité, ou les serfs dans le féodalisme avaient aussi une situation centrale, déterminante dans le processus de production. Cependant, leurs révoltes ne pouvaient déboucher sur une perspective communiste.
"La scission de la société en une classe exploiteuse et une classe exploitée, en une classe dominante et une classe opprimée était une conséquence nécessaire du faible développement de la production dans le passé. Tant que le travail total de la société ne fournit qu'un rendement excédent à peine ce qui est nécessaire pour assurer strictement 1'existence de tous, tant que le travail réclamerions tout ou presque tout le temps de la grande majorité des membres de la société, celle-ci se divise nécessairement en classes." (Engels, "Anti-Durhing", partie 3, chap. 2).
Le prolétariat est porteur du communisme parce que la société capitaliste a créé les moyens matériels de sa réalisation. En développant les richesses matérielles de la société au point de permettre une abondance suffisante pour supprimer les lois économiques, c'est-à-dire les lois de gestion le la pénurie, le capitalisme a ouvert une perspective révolutionnaire pour la classe qu'il exploite.
En dernier lieu, le prolétariat est porteur de la révolution communiste parce qu'il est le porteur de la conscience communiste. Si l'on écarte les visions semi religieuses pré-capitaliste d'une société sans exploitation, le projet d'une société communiste .sans propriété privée, sans classe, où la production est orientée directement et exclusivement en fonction des besoins humains, apparaît et se développe avec l'existence de la classe ouvrière et de ses luttes. Les idées socialistes de Babeuf, Saint-Simon, Owen, Fourier traduisent le développement de la classe ouvrière à la fin du 18ème et au début du 19ème siècles. La naissance du marxisme, première théorie cohérente et scientifiquement fondée du communisme coïncide avec l'apparition de la classe ouvrière en tant que force politique spécifique (Mouvement Chartiste en Angleterre, Révolutions de 1848). Depuis lors, d'une façon ou d'une autre, avec plus ou moins de clarté suivant les cas, toutes les luttes importantes de la classe ouvrière ont repris les idées communistes.
Les idées communistes, la théorie révolutionnaire, ne se sont développées que par et en vue de la compréhension des luttes ouvrières. Tous les grands pas en avant de la théorie de la révolution communiste ont été le produit, non pas de pures déductions logiques de quelques penseurs en chambre, mais de l'analyse militante et engagée des grands pas du mouvement réel de la classe ouvrière.
C'est pour cela aussi que c'est seulement la classe ouvrière qui a entrepris en pratique (la Commune de Paris, Octobre 17) la destruction du pouvoir capitaliste dans un sens communiste.
L'histoire du mouvement communiste n'est autre que l'histoire du mouvement ouvrier.
Est-ce à dire que le prolétariat peut faire la révolution tout seul en ignorant le reste de la société ? Depuis le 19ème siècle, le prolétariat sait que le communisme doit être "l'unification du genre humain". L'expérience de la révolution russe lui a clairement démontré l'importance pour son combat de l'appui de toutes les couches exploitées. Mais l'expérience a aussi mis en évidence que le prolétariat seul était capable d'offrir un programme révolutionnaire cohérent. L'unification de l'humanité, et dans un premier temps de tous les exploités, ne peut se faire que sur la base de l'activité et du programme de la classe ouvrière. En s'organisant séparément, le prolétariat ne divise pas la société. Il se donne les moyens de conduire son unification communiste.
C'est pour cela que, contrairement à ce qu'affirment les modernistes, la marche vers la révolution communiste commence par l'organisation unitaire de la classe ouvrière comme force, par la dictature du prolétariat.
LE DEBOUSSOLEMENT DU MODERNISME
La période historique
Comprendre la période historique actuelle en ignorant que c'est la classe ouvrière qui est la force révolutionnaire, est aussi difficile que comprendre la fin du régime féodal sans tenir compte du développement de la bourgeoisie révolutionnaire .
On peut difficilement savoir si les conditions d'un bouleversement révolutionnaire se développent ou non si on ne sait pas encore identifier le protagoniste d'une telle révolution.
Quiconque connaît l'histoire du mouvement ouvrier et comprend sa nature révolutionnaire, sait que le processus qui conduit le prolétariat à la révolution communiste n'a rien de linéaire ni d'automatique. C'est une dynamique dialectique faite de reculs et d'avancées, où seules une longue pratique et expérience de la lutte permet à des millions de prolétaires, sous la pression de la misère, de s'unifier, de retrouver les leçons des luttes passées, de soulever la chape idéologique de la classe dominante, pour se lancer dans un nouvel assaut contre l'ordre établi.
Mais lorsqu'on ne voit, dans les luttes ouvrières en tant que classe, que des luttes sans issue, sans les comprendre dans leur dynamique et potentialité révolutionnaires, on ne peut qu'être "déçu". Si l'on ne voit dans des luttes comme celles de la Pologne en 80 que des luttes "au sein du capital", il est normal que l'on soit déprimé, 15 ans après Mai 68 ; il est normal que l'on ne voit pas la signification du fait que, malgré le recul momentané des luttes ouvrières depuis 1980, les grèves qui, ponctuellement, éclatent ici et là au coeur des pays industrialisés (Belgique 82, Italie 83), on n'assiste pas à un embrigadement des ouvriers derrière les intérêts de l'économie nationale et ses représentants syndicaux, mais au contraire, à des heurts de plus en plus violents entre ouvriers et syndicats.
C'est ainsi que le n° 1 de "La Banquise" s'ouvre sur cette phrase marquée par la nostalgie des barricades de 1968 à Paris et par un ton dépressif :
"Sous les paves, la plage, disions-nous avant la grande glaciation. Aujourd'hui la banquise a recouvert tout cela. Dix, vingt, cent mètres de glace par dessus les pavés. Alors, la plage.".
C'est une dépression aussi sénile qu'était infantile l'emballement des étudiants radicaux de 1968 qui croyaient qu'on pouvait "tout, tout de suite".
L'impuissance et la confusion du modernisme face a la lutte ouvrière
Ce n'est pas par hasard que des publications modernistes comme "Solidarity" ou "La Guerre Sociale" ont cessé de paraître au moment des luttes ouvrières en Pologne. Comme la petite-bourgeoise dont il est une expression"radicale", le courant moderniste vit dans l'ambiguïté et l'hésitation entre le rejet de l'idéologie bourgeoise et un mépris pour les luttes terre à terre des ouvriers. Lorsque la force de la révolution s'affirme, même de façon encore embryonnaire, comme en Pologne, l'histoire a tendance à se débarrasser des ambiguïtés et donc des idéologies qui y pataugent. C'est ce qui est momentanément arrivé au modernisme pendant l'année 80.
Mais le déboussolement politique de ce courant ne s'arrête pas malheureusement à l'impuissance. Il peut conduire à la défense des positions les plus platement gauchistes, au moment de se prononcer sur une lutte ouvrière.
C'est ainsi que "La Guerre Sociale" se retrouve à côté des trotskystes et autres démocrates à répéter aujourd'hui que le syndicat "Solidarité" -l'organisateur de la défaite du prolétariat en Pologne- est un organe prolétarien : "Incontestablement 'Solidarité' est un organe du prolétariat. Le fait qu'à sa tête se soient installés des éléments issus des couches sociales non ouvrières (intellectuels et autres) n'ôte rien au fait que le prolétariat dès le début s'est reconnu en lui. Comment expliquer, sinon, 1'adhésion de la quasi-totalité du prolétariat polonais ? Comment expliquer 1'influence du syndicat sur celui-ci ?" ("La Guerre Sociale", n° 6).
C'est le mode de raisonnement borné typique des gauchistes dans l'esprit de la 3ème Internationale dégénérescente. Suivant cette logique, l'Eglise polonaise qui a plus de fidèles ouvriers que "Solidarnosc", devrait être aussi "incontestablement un organe du prolétariat"... et le Pape, Lénine !
"La Guerre Sociale" parle aussi en termes généraux de la nature des syndicats, mais c'est pour ressortir la vieille soupe ambiguë du groupe "Pouvoir Ouvrier" (fin des années 60, en provenance également de "Socialisme ou Barbarie") de la"double nature des syndicats" : "Le syndicat n'est pas un organe du capital, une machine de guerre contre le prolétariat, mais 1'expression organisationnelle de son rapport au capital, antagonisme et coopération. Il exprime à la fois que le capital n'est rien sans le prolétariat et, de façon immédiate, réciproquement." (Idem)
Il n'y a pas dans le capitalisme décadent de coopération entre capitalistes et ouvriers au profit de l'ouvrier. La vision qui identifie, à notre époque, les syndicats à la classe ouvrière, n'est autre que celle de la propagande des classes dominantes (qui savent par ailleurs coopérer au niveau mondial pour construire un "Solidarnosc" crédible). Elle repose sur l'idée qu'il peut y avoir conciliation entre l'intérêt du capital et l'intérêt du prolétariat ; elle ignore la nature révolutionnaire de la classe ouvrière. C'est ainsi que "La Guerre Sociale" peut faire candidement la constatation suivante :
"La différence essentielle entre Solidarité et le prolétariat polonais est que le premier prenait en compte les intérêts économiques nationaux et internationaux, nécessaires à la survie du système, alors que le second a poursuivi la défense de ses intérêts immédiats sans se soucier le moins du monde des problèmes de valorisation du capital." (Idem).
Seul en ignorant la nature révolutionnaire du prolétariat, en considérant celui-ci essentiellement comme une partie du capital et non comme son destructeur, peut-on voir une identité quelconque entre "les intérêts économiques nationaux et internationaux" du capital et "les intérêts immédiats"du prolétariat.
Le déboussolement que provoque la non reconnaissance de la classe ouvrière conduit ainsi à la même vision que celle des gauchistes, tant critiquée par le modernisme radical.
Le prolétariat est la première classe révolutionnaire de l'histoire qui soit une classe exploitée. Le processus de luttes qui le conduit à la révolution communiste est inévitablement marqué de périodes de recul, de repli. Ces replis ne se concrétisent pas seulement par une diminution du nombre de luttes ouvrières. Sur le plan de la conscience, le prolétariat subit aussi un désarroi qui se traduit par l'affaiblissement de ses expressions politiques révolutionnaires et facilite le resurgissement des courants politiques qui cultivent "le doute" sur la classe ouvrière.
La rupture de 1968, après près d'un demi-siècle de contre-révolution triomphante, a ouvert un cours vers le développement des affrontements de classe de plus en plus décisifs. Ce cours n'a pas plus été renversé par le repli de l'après-Pologne qu'il ne le fut par le recul de 1975-78. Les conditions historiques de ce recul s'usent à la même vitesse que s'approfondit la crise économique du capitalisme et que sa réalité se charge de détruire, lentement, mais systématiquement les piliers de l'idéologie bourgeoise décadente (nature ouvrière des pays de l'Est, Etat-providence, démocratie parlementaire, syndicats, luttes de libération nationale, etc.).
Toutes les conditions mûrissent pour que, dans toute sa force, la lutte du prolétariat revienne rappeler l'avenir de l'humanité et balayer tous les doutes sur sa nature révolutionnaire.
rv
[1] [92] "La Banquise", B.P. 214 ; 75623 Paris Cedex 13
[2] [93] "La Guerre Sociale", B.P. 88, 75623 Paris Cedex 13. Annuelle de 1977 à 1979, cette publication cesse momentanément de paraître en 1980, au moment des plus grands combats en Pologne. Elle ne réapparaît qu'en Mai 1981 et est devenue trimestrielle depuis Juin 82.
[3] [94] Le groupe"Solidarity"a ses origines dans les années 60. Il a tout au long des années 70 publié assez régulièrement la revue du même nom. Mais, à l'automne 80, incapable de prendre une position cohérente face aux luttes en Pologne et de se prononcer sur 1'attitude à adopter face à "Solidarnosc", la revue disparaît. La revue vient de réapparaître (nouvelle série) début 83 (leur crise de 1980 y est racontée).
("Solidarity", c/o 123 Lathom Road, London E6, Grande-Bretagne)
[4] [95] Ces trois groupes sont directement ou indirectement liés à "Socialisme ou Barbarie", revue des années 50-60, dont le principal animateur, Castoriadis (alia Chaulieu, Cardan, Coudray) théorisa longuement le dépassement du marxisme.
LA CRITIQUE EMPIRIQUE ET LE ROLE DES REVOLUTIONNAIRES.
INTRODUCTION DU CCI
L'immaturité du milieu politique actuel, dont les manifestations les plus évidentes sont le sectarisme et l'immédiatisme, a empêché - et particulièrement depuis l'échec des conférences internationales -qu'un débat de fond se mène conjointement et publiquement sur les principales questions du moment.
L'analyse que le CCI a développée sur les perspectives de la lutte de classe, à la lumière du passage de la gauche dans l'opposition, sur le rôle des révolutionnaires n'a pas rencontré - à de rares exceptions - tout l'écho souhaité. Des sarcasmes, une politique du "silence" se sont bien souvent substitués à une attitude sérieuse et responsable dans la confrontation des positions. Comprendre que les débats soulevés dépassent l’existence de tel ou tel groupe ou organisation, que les idées avancées ne sont pas la propriété privée ou le label d'une chapelle politique, mais le fruit d'une réflexion commune, voilà qui est loin d'être encore compris. La vision qu'il n'y aurait qu'une seule organisation révolutionnaire, la sienne, s'est concrétisée par un immédiatisme effréné, à la longue destructeur, et par un appauvrissement des débats qui pèse lourdement sur l'évolution de tout le milieu révolutionnaire.
Il est particulièrement encourageant de constater que, malgré cet état de fait, des éléments révolutionnaires surgissent avec le souci de prendre position sur les grandes questions politiques, en comprenant que celles-ci sont "l'affaire de tout le milieu". Il est significatif que le texte que nous publions ici ("la perspective du CCI de la gauche dans l'opposition; la critique empirique et le rôle des révolutionnaires") émane d'un camarade de Hongkong - issu du groupe anarchisant "Minus" - isolé géographiquement du milieu politique d'Europe. Sa contribution au débat sur "la gauche dans l'opposition" est la preuve concrète que cette question n'est ni un hobby du CCI ni une affaire du milieu "occidental". Toute question politique de fond concerne l'ensemble du milieu politique sur les cinq continents, car elle traduit l'effort du prolétariat mondial de parvenir à une cohérence théorique et politique, et donc à une unité dépassant le morcellement géographique et politique des groupes révolutionnaires. Comme l'écrit le camarade, il s'agit que "le faible milieu actuel" soit "à la hauteur des tâches immenses qui l'attendent dans les années à venir".
Dans cette brève présentation, nous n'entrerons pas dans tous les points soulevés par le camarade qui, par exemple, reproche au CCI sa "fausse analyse du cours historique". Tout en étant d'accord que la bourgeoisie est unie contre le prolétariat - ce qu'il appelle "conspiration" - le camarade fait une distinction entre deux bourgeoisies : la bourgeoisie I (en quelque sorte les "managers") et la bourgeoisie II (les "idéologues").
Nous ne pensons pas que cette distinction apporte une grande clarification.
1. A l'échelle historique, les rapports de production capitalistes créent deux classes antagonistes : le prolétariat et la bourgeoisie. Le ralliement des éléments hésitants de la petite bourgeoisie est fonction de la dynamique sociale surgie de la lutte de classe. L'expérience montre, que dans les moments décisifs, il y a unité de toutes les fractions de la bourgeoisie contre le prolétariat, de la gauche à la droite, ce dont semble douter le camarade, pour qui la lutte pour le pouvoir politique dans l'Etat est la raison d'être des partis. A cette vision il convient d'opposer l'expérience historique qui montre que la division entre droite et gauche n'est qu'apparence.
2. Il est fondamental de ne pas confondre division du travail au sein de la bourgeoisie (les fonctions assumées au sein de l'appareil économique politique et idéologique) avec une division de nature.
L'existence de fractions complémentaires au sein de la bourgeoisie n'est pas contradictoire avec la nature unitaire de cette classe. Ces fractions ont des fonctions complémentaires qui leur permettent de mieux remplir leurs tâches de mystification du prolétariat.
3. Le rôle de la droite n'est pas spécifiquement de préparer la guerre : cette préparation est le fait de toute la bourgeoisie, gauche comprise qui y participe essentiellement par ses campagnes pacifistes. Le rôle de la gauche dans l'appareil politique de la bourgeoisie se manifeste en permanence depuis la première guerre mondiale : son rôle anti-ouvrier ne s'exerce pas "pour plus tard" mais aujourd'hui avec la tactique bourgeoise de la gauche dans l'opposition.
En dépit de ces quelques remarques, nous pensons que ce texte montre une réelle implication dans le débat sur la gauche dans l'opposition et le machiavélisme de la bourgeoisie "avec le souci non pas de discréditer les autres organisations du milieu mais avec le souci de clarification pour tout le milieu". Un tel esprit est particulièrement encourageant.
LETTRE DE LLM (HONG-KONG)
Durant ces trois dernières années ou à peu près, le CCI a systématiquement mis en avant sa perspective de la "Gauche dans l'opposition", très sévèrement critiquée par beaucoup. Ce court article n'essaie ni de la défendre ni de la rejeter, mais tente 'seulement de discuter de quelques questions ouvertes par le débat et qui semblent avoir été en grande partie négligées par le milieu révolutionnaire.
Avant d'aller plus avant sur ces questions, je voudrais établir deux points généraux :
1- Par le passé, des tiers sont rarement intervenus dans les débats entre organisations; l'attitude générale semble avoir été : "c'est leur affaire". J'ai la ferme conviction que les débats sur des questions importantes ne sont pas seulement "l'affaire" des parties impliquées, mais sont l'affaire de tout le milieu. Des tiers doivent se préparer et prendre position publiquement. Ce n'est pas une question de jeter son poids dans la balance derrière la partie avec laquelle on est d'accord (si on est d'accord avec l'un des protagonistes), ni une question de jouer l'arbitre, mais bien une question de clarification par tout le milieu. C'est une des conditions préalables à la progression du faible milieu actuel, s'il veut progresser pour être à la hauteur des tâches immenses qui l'attendent dans les années à venir. Les longs débats en cours entre la CWO et le CCI, le rejet du concept de décadence par le KPL, etc.. sont, par exemple, autant de questions que des tiers devraient amplement discuter. La perspective de la "Gauche dans l'opposition" est un autre exemple ; en privé j'ai entendu un bon nombre de critiques sur ce sujet mais je n'en ai jamais lues en détail imprimées sur papier (il est vrai que ma seule langue étrangère est l'anglais ; je peux donc avoir manqué des critiques publiées en d'autres langues; il se peut également qu'il y en ait quelques-unes en anglais que j'ignore).
2- Plus d'une fois, on m'a fait remarquer que le CCI a dégénéré ces dernières années, un des signes de cette dégénérescence étant qu'aujourd'hui le plus souvent sjs analyses ne sont que des affirmations journalistiques régurgitées et vides de sens alors qu'auparavant, il offrait des analyses intelligentes. Il peut y avoir une certaine réalité dans cette dernière accusation ainsi que dans la première si par là, on veut dire que le CCI est en train de transiger de plus en plus sur les positions de classe, mais je ne suis pas d'accord, si par là on veut dire que le CCI a dégénéré orqanisationnellement, car je ne suis pas en position d'en juger. Revenons à la dernière accusation. Je pense que si elle est partiellement justifiée, elle passe aussi à côté d'un point très important.
Il est très facile de discourir, disons sur la théorie des crises de Marx, ou sur pourquoi et comment l'Internationale Communiste dégénéra à partir de son 3ème congrès. Mais c'est très difficile et c'est quelque chose d'entièrement différent d'arriver à l'analyse, disons de l'état actuel de la crise, ou du rapport de force actuel entre les classes. Dans ce dernier type d'analyse, parce que les événements sont seulement en train d'émerger, parce que beaucoup de choses sont, au mieux, à moitié connues, parce que nous manquons de recul, etc., leur nature même est d'être basée sur des preuves insuffisantes, et ainsi, elle comporte inévitablement une certaine marge de simples affirmations. Si nous regardons, par exemple, la Revue Internationale, ses premiers numéros s'attachaient principalement à se réapproprier les leçons de la lutte prolétarienne depuis la 1ère guerre mondiale. Dans ce type d'analyse, on peut amasser des preuves documentées considérables pour étayer sa perspective, et plus important encore, on a la sagesse que nous accorde le recul. Mais les révolutionnaires ne sont pas des intellectuels, des académiciens ; ils ne font pas qu'analyser le passé, mais doivent aussi analyser le présent et prévoir le futur. Ils ne font pas de l'élaboration théorique pour elle-même, mais se servent de la théorie pour analyser l'équilibre présent du rapport de force entre les classes, l'état actuel du développement du capital, pour tracer l'avenir de la lutte de classe, pour concevoir la stratégie et les tactiques du prolétariat. Ainsi, lorsque nous faisons la critiqua de la perspective de la "Gauche dans l'opposition", ou l'analyse du CCI sur le cours historique, nous ne devons pas tomber dans le piège d'un rejet empirique par manque de preuves évidentes (voir ci-dessous), mais nous devons examiner si ces analyses sont compatibles avec la méthode marxiste : nous ne devons pas en rester, comme le font les intellectuels ou les académiciens, à un niveau "purement" théorique (par exemple, la théorie matérialiste de l'histoire contre la théorie "conspirative"), mais, nous devons considérer les questions auxquelles ces analyses tentent de répondre. C'est de cette façon que je me propose d'examiner la perspective de la " Gauche dans 1'opposition".
Cette perspective est fondamentalement critiquée comme étant basée sur une vision machiavélique de la bourgeoisie et une conception conspirative de l'histoire ; elle serait développée par le CCI pour justifier sa (fausse) analyse du cours historique, contre toute évidence du contraire. A une époque je partageais cette critique, comme l'attestent les remarques suivantes que je fis au CCI à la fin de l'année dernière :
"...Cette question contient la question de l’idéologie.. .Qu'est ce que l'idéologie ?
Est-elle créée par des "professionnels" de façon consciente, délibérée, machiavélique ?... Si Marx lui-même n'a jamais fait d'exposé systématique sur la nature de l'idéologie, c'est néanmoins implicite dans ses derniers travaux ; son discours sur l'idéologie de l'économie politique (bourgeoise) dans le tome 3 du Capital l'illustre particulièrement bien. Pour aller droit au but :sur la base du fait que c'est l'existence qui détermine la conscience, il est "naturel" que la bourgeoisie - qui occupe une position particulière dans les rapports de production - conçoive de tels rapports selon sa position privilégiée en leur sein. Le résultat, c'est qu'elle conçoit ces rapports en termes de catégories particulières (rente, intérêts, vertu de l'abstinence, etc...). Si nous nous souvenons de ce qu'écrit Marx dans le tome 3 du Capital, c'est évident que pour lui, de telles catégories sont "naturelles" pour l'économiste politique bourgeois, et il n'y a rien de machiavélique dans tout cela. D'un autre côté, c'est tout aussi "naturel" que le prolétariat soit incapable de penser ou de s'approprier de telles catégories parce qu'il occupe une position différente, en fait opposée dans les rapports de production. Il était "naturel" pour Marx de penser en termes de catégories telles que la plus-value. Si nous acceptons la formulation ci-dessus il est alors évident que dans la mesure où l'idéologie bourgeoise est concernée, elle ne sait pas que l'ennemi numéro I de la bourgeoisie est le prolétariat, qu'une telle connaissance lui est impossible...Mais pour la bourgeoisie qui est directement impliquée dans la "gestion" des rapports de production (les capitalistes, les échelons élevés des bureaucrates d'Etat, les dirigeants syndicaux etc.- je les appellerai bourgeoisie I, pour la présentation), le fait qu'elle soit directement aux prises avec la lutte de classe, lui donne cette compréhension. Alors que de toute évidence, ils souscrivent, à des degrés divers, aux catégories de l'idéologie bourgeoise, ils savent bigrement bien que l'existence de ces catégories et ce qu'elles signifient dépendent de l'exploitation et de l'oppression du prolétariat. D'un autre côté, cette connaissance manque à bien des idéologues de la bourgeoisie (les intellectuels, les académiciens, les employés des mass média, les trotskistes, les syndicalistes de base etc.. nous les appellerons bourgeoisie II). Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la bourgeoisie I soit capable d'unité de façon subjective et conspirative, alors que la bourgeoisie II ne s'unit avec la bourgeoisie I que dans le sens où toutes les fractions de la bourgeoisie sont toujours unies contre le prolétariat. Personnellement je ne pense pas, par exemple, que les trotskistes, les syndicalistes de base etc..ne coopèrent jamais avec la bourgeoisie I d'une façon subjective et conspirative... Il serait par conséquent fatalement incorrect d'affirmer que de telles conspirations entre la bourgeoisie I et la bourgeoisie II existent car cela découlerait de la "nature" de l'idéologie. Même pour la bourgeoisie I nous devons faire attention à ne pas surestimer sa capacité à s'unifier subjectivement en conspiration contre les ouvriers ; sinon c'est oublier que les contradictions fondamentales au sein de la bourgeoisie I sont aussi insolubles (...). L'une de ces contradictions internes fondamentales est celle qui existe entre les divers aspirants au pouvoir politique. A ce que j'en vois, il n'y a aucune possibilité que les partis politiques de gauche et ceux de droite puissent s'asseoir et travailler ensemble à savoir quelle fraction formera le gouvernement. L'empoignade pour le pouvoir politique est la raison d'être des partis politiques, et même si les politiciens savaient que l'arrivée de la révolution sonnait le glas de tous, ils ne viendraient pas ensemble à des négociations dire qu'ils sont capables de le faire, c'est leur attribuer une sagesse dont ils sont incapables. Bien sûr, les partis politiques prennent souvent des décisions tactiques comme lorsqu'ils "se mettent au vert", ou quand ils doivent provoquer des crises gouvernementales etc. mais elles sont de nature totalement différente. De telles décisions sont prises dans le but de s'emparer du pouvoir. Le type de négociations dont nous parlons ici entraîne de la part d'un parti la décision de renoncer au pouvoir lorsqu'il l'a déjà, ou d'abandonner sa quête lorsqu'il a la chance de s'en emparer - deux occasions antithétiques à leur raison d'être. Ma propre interprétation de la Gauche (allant) dans l'opposition est la suivante (...) : ce n'est pas que la Gauche doive aujourd'hui rester dans l'opposition car aller au pouvoir signifierait perdre toute crédibilité. Cette vision représente une demi-vérité parce qu'elle n'est pas menée jusqu'à sa conclusion logique. Même si la Gauche perd sa crédibilité...en allant au pouvoir, cela ne signifie pas que la bourgeoisie sera à court d'imagination en termes d'idéologie politique. A la gauche de la Gauche "établie", il y a encore les trotskistes etc. Si la Gauche "établie" doit perdre sa crédibilité en^allant au pouvoir, son extrême gauche prendra sûrement sa place actuelle. Il n'y aura pas de scission "de droite" dans le parti travailliste, mais plutôt une scission de gauche (...). La Gauche est contrainte à l'opposition à cause des politiques économiques qu'elle incarne traditionnellement (keynésianisme) et dont l'inefficacité a été prouvée aujourd'hui... Demandez aujourd'hui à l'homme de la rue ce qui empêche le rétablissement de l'économie, il vous répondra que ce sont les taux d'intérêts élevés. Depuis un bout de temps maintenant, à cause de la faillite des économies keynésiennes, les idéologues de la bourgeoisie ont vigoureusement propagé l'idée qu'un retour aux économies smithiennes (Adam) fera l'affaire. Avec toute l'aide sophistiquée des mass média..., on a créé un climat où chacun se transforme brusquement en économiste, et "est sûr" que des taux d'intérêts bas apporteront un rétablissement."
Ce que je disais, fondamentalement, était qu'en mettant en avant la perspective de la "Gauche dans l'opposition", le CCI courait le danger d'ignorer la "nature" de l'idéologie et était inconscient lorsqu'il supposait que la bourgeoisie est capable de résoudre quelques-unes de ses contradictions internes et fondamentales.
En examinant ce texte aujourd'hui, la distinction entre bourgeoisie I et bourgeoisie Il est encore fondamentalement correcte, mais le point sur la lutte pour le pouvoir, raison d'être des partis politiques, ainsi que le point sur la Droite arrivant au pouvoir pour des raisons de philosophie économique sont trop simplistes. J'expliquerai pourquoi avec plus de détails par la suite. Comme le CCI disait dans sa réponse : "La raison d'être des fractions (de la bourgeoisie) n'est pas une simple convoitise du pouvoir...une insistance trop grande sur l'idée de "pouvoir" détenu par un parti au "parlement" peut tendre à détourner l'attention du cadre qu'est le capitalisme d'Etat et du totalitarisme. Nous ne devons pas tomber dans les faux antagonismes auxquels la bourgeoisie voudrait nous faire croire". Plus important, nulle, part dans mes observations, je n'avais fait des évaluations de l'état actuel de la crise ou du rapport de forces actuel entre les classes. Nous pouvons certainement débattre de la perspective de la "Gauche dans l'opposition", mais pour ce faire, nous devons baser notre critique sur une analyse de ces deux aspects essentiels de la lutte de classe, ce que sans s'occuper de la validité de la perspective, le CCI est exactement en train de faire ; et c'est précisément ce qui manque dans la plupart des critiques de cette perspective qui sont lourdement intellectualistes dans leur approche, j'en suis conscient.
Plus je considère cette perspective, moins je peux comprendre pourquoi c'est scandaleux de dire que la bourgeoisie est capable de conspirer contre le prolétariat. Aujourd'hui, nous rêverons tous l'analyse de Bilan sur la République espagnole et sur la guerre civile espagnole dans les années 30. Mais si nous lisons soigneusement ses articles, il ne fait aucun doute que Bilan suggérait une conspiration entre l'aile fasciste de la bourgeoisie et l'aile anti-fasciste du Front populaire pour entraîner les ouvriers dans la seconde guerre mondiale. Bilan formula clairement que face à la résistance du prolétariat en Espagne, la bourgeoisie comprit que l'écraser de front était une stratégie moins valable que de le faire dérailler par le moyen de la République espagnole, et que les Fronts populaires anti-fascistes, à travers toute l'Europe, étaient le moyen par lequel la bourgeoisie des "démocraties" mobilisa son prolétariat pour le transformer en chair à canon. Aujourd'hui c'est un fait pour nous tous que les analyses de Bilan étaient exactes, et elles l’étaient en effet. Mais pourquoi une théorie conspirative, qui se révélait exacte est si révêrêe9 alors qu'une théorie similaire aujourd’hui est tenue pour scandaleuse ?
Pour tous les groupes de la Gauche Communiste, c'est évident qu'aujourd'hui les syndicats sont, la police d'Etat dans les rangs ouvriers. Les syndicats ne trahissent pas les ouvriers uniquement parce que dans le capitalisme décadent ils ne peuvent obtenir des gains durables, mais parce qu'ils jouent consciemment leur rôle de flic. Un examen superficiel de toutes les publications de la Gauche Communiste aujourd'hui montrera cette attitude ou position. Pourquoi, alors, est-il si difficile d'imaginer les partis politiques de Gauche et de Droite de la bourgeoisie en train de conspirer, alors que la conspiration entre les syndicats et les patrons s'effectue sans la moindre hésitation ?
Je suis sûr, que personne ne niera que les différents Etats soient capables de conspirer pour atteindre des buts communs. Pour tous ceux qui ont des yeux pour voir, la conspiration entra les USA et la G.B. dans la guerre des Falkland, la conspiration entre les USA et Israël lors de la dernière invasion du Liban, etc.. sont claires comme la lumière du jour. Ou, si nous remontons un peu dans l'histoire, les leçons de la Commune de Paris et de la Révolution russe ne sont-elles pas suffisantes pour enfoncer à fond la leçon que, menacée par le prolétariat, la bourgeoisie est capable de mettre de côté ses antagonismes même les plus forts pour s'unir contre lui, comme l'a montré correctement le CCI ? Pourquoi, alors, lorsqu'il se produit une conspiration entre la Droite et la Gauche de la bourgeoisie à l'intérieur des frontières nationales, cela devient inimaginable ? Est-ce que Noske assassina le prolétariat allemand inconsciemment ou consciemment ? Ne ririons-nous pas tous si quelqu'un nous disait que la Gauche de la bourgeoisie I aux mains pleines de sang, a dans les faits réels, subjectivement à coeur les intérêts des ouvriers alors qu'objectivement elle ne peut que trahir les ouvriers dans le capitalisme décadent ?
Dire que la bourgeoisie est constamment impliquée dans des conspirations, ce n'est pas la même chose que d'avoir une vision de l'histoire de mauvais garçons conspirateurs. La bourgeoisie conspire non parce qu'elle est composée de mauvais garçons, mais parce que le capitalisme la force à conspirer. Si la bourgeoisie est capable de conspirer, alors ce n'est pas si extraordinaire qu'une de ses fractions conspire à être en dehors du pouvoir. Les exemples de la Commune de Paris et de la Révolution russe ont été déjà mentionnés et récemment nous avons vu aussi plusieurs dictateurs militaires en Amérique du Sud renoncer volontairement au pouvoir dans des circonstances défavorables.
La validité de la perspective de la "Gauche dans l'opposition" est une question ouverte, mais sa méthode est certainement valable. Il est évident que la crise est chaque jour de plus en plus aiguë ; il est évident que la bourgeoisie se prépare à la guerre ; il est évident que pour le faire, elle doit mobiliser le prolétariat et les autres secteurs de la population. La perspective part de ces prémisses, et si nous voulons faire une critique véritable, nous devons aussi partir de ces prémisses et ne pas se soucier, comme le font les empiristes, de savoir s'il existe une preuve formelle, si la bourgeoisie a été surprise en flagrant délit de conspiration. Bilan ne se souciait pas de telles choses, nous non plus. Ceci ne signifie pas, bien sûr, que nous n'analyserons pas concrètement les manoeuvres de la bourgeoisie, mais ceci doit signifier que nos analyses doivent être celles de la dynamique des rapports sous-jacents du système, le sceau de la méthodologie marxiste. "Tomber dans les faux antagonismes auxquels la bourgeoisie voudrait nous faire croire" c'est revenir à la pseudoscience phénoménologique de la bourgeoisie.
Dans la Revue Internationale 31, le CCI dit que les manoeuvres de la bourgeoisie "sont déterminées, structurées et limitées par et dans le cadre :
- de la période historique (décadence),
- de la crise conjoncturelle (ouverte ou non),
- du cours historique (vers la guerre ou vers la révolution),
- du poids momentané de la lutte de classe (avancée - reflux).
- En fonction de l'évolution de la situation, l'importance relative de secteurs-clés de la bourgeoisie se renforce au sein de l'appareil d'Etat, au fur et à mesure que leur rôle et leur orientation deviennent clairs pour la bourgeoisie" (p. 15)
Je pense que c'est fondamentalement correct, bien que l'on puisse certainement améliorer la façon dont c'est formulé en le liant moins à la perspective de la "Gauche dans l'opposition" ; mais aussi je m'empresse d'ajouter que la perspective ne doit pas nécessairement se déduire de cela. En utilisant le même cadre, il est possible d'arriver à une perspective très différente, comme celle qui suit. La crise a pour un temps touché un stade où il y aura une période de stagnation fluctuant autour du niveau actuel le plus bas. A cause de cela, la bourgeoisie a réalisé que la guerre éclatera, et a alors commencé à s'y préparer en vue de réellement la faire. Mais comme dans les années 30, la bourgeoisie a besoin d'une idéologie pour mobiliser le prolétariat et les autres classes laborieuses ; cette idéologie peut très bien être une croisade "morale" contre l'agression soviétique, c'est-à-dire que le mouvement pacifiste (sic) joue le rôle assumé par l'anti-fascisme dans les années 30. En d'autres termes, lorsque le craquement se produira, le prolétariat de l'ouest devra être conduit à la guerre par "les champions" de la paix d'aujourd'hui, c'est à dire la Gauche de la bourgeoisie (le même vieux "faire une guerre pour en finir (sic) avec toutes les guerres" remis au goût du jour). Ceci signifie que le travail de fond de construction de la machine de guerre doit être assumé par la Droite. La Gauche, par conséquent, a un rôle oppositionnel aujourd'hui non pour faire dérailler les ouvriers de leur combativité (plusieurs débats) mais pour se préparer à son vrai rôle plus tard. Lorsque WR n°25 ([1] [97]) l'écrivait il y a quelques temps de cela : "De façon générale, la participation de la Gauche au pouvoir est absolument nécessaire dans deux situations extrêmes : dans une "Union Sacrée" pour entraîner les ouvriers dans la défense nationale en préparation directe à la guerre, et dans une situation révolutionnaire lorsque le reste de la bourgeoisie remet volontairement ou autrement le pouvoir à la Gauche (cf. mon premier point erroné sur la raison d'être des partis politiques) dont l'arrivée au pouvoir est présentée comme le but ultime de la révolution elle-même", (p.6 souligné par moi).
Ceci n'est qu'une perspective improvisée qui comporte bien des lacunes mais ce qui est implicite dans tout cela, c'est une évaluation du cours historique vers la guerre. Cela montre que la perspective du CCI de "la Gauche dans l'opposition" ne découle pas nécessairement de son propre cadre.
Pour résumer cette petite contribution, je ferai essentiellement deux points :
1) Dire que la bourgeoisie (classe I) est capable de conspirer contre le prolétariat, est entièrement en accord avec la méthode marxiste. En ce qui concerne la bourgeoisie II je suis d'accord avec le CCI lorsqu'il dit : " Il est donc possible de parler de "plans" de la bourgeoisie même si ce n'est qu'une partie de celle-ci qui les fait". (Revue Internationale 31, p.14)
2) En mettant en avant la perspective de la "Gauche dans l'opposition", avec laquelle j'ai évidemment beaucoup de divergences, le CCI montre une remarquable compréhension du rôle des révolutionnaires et une volonté d'assumer ce rôle, ce qui est encore rare dans le milieu aujourd'hui. Nous avons certainement besoin de faire beaucoup plus d'efforts pour dépasser l'attitude intellectuelle qui prévaut encore dans notre pratique théorique.
Enfin, je souhaite faire un point de plus sur l'attitude empiriste qui existe à divers degrés dans le milieu. Quand le CCI dit qu'aujourd'hui, le cours historique est à la révolution, bon nombre lève les bras au ciel protestant que toutes les évidences sont contre une telle vision. Mais comment suppose-t-on que le CCI est capable de présenter une preuve pour étayer sa vision ? En menant un examen de conscience avec la classe ouvrière ?! Etant donné la nature même de la conscience révolutionnaire, à savoir qu'elle ne se développe pas de façon cumulative, nous pouvons dire sans danger, que, de toute évidence, elle ne peut suggérer que la révolution est à l'ordre du jour qu'à la veille de celle-ci. Il y aura, pour sûr, des heurts sporadiques plus violents entre les ouvriers et I'Etat, mais jusqu'à la veille de la révolution, ces luttes seront inévitablement plus ou moins rapidement englouties par le syndicalisme. Ainsi toutes les analyses sur le cours historique ne peuvent qu'être très abstraites, basées sur des schémas généraux tels qu'une vision historique du développement du capitalisme (c'est-à-dire la décadence), de ce que ce développement signifie en termes d'emprise idéologique de la bourgeoisie sur le prolétariat (voir la préface de Marx à "Une contribution à la critique de l'économie politique"), etc. Les preuves n'ont pas de place dans ce type d'analyse.
L.L.M. (avril 83)
P.S. Pour élargir quelque peu le point 1 fait tout au début du texte alors que l'esprit de critique ouverte et 1'auto-critique existent dans l'actuel milieu, il laisse encore à désirer. Non seulement l'attitude qui prévaut c'est : "c'est leur affaire" même dans les parties concernées directement, mais encore on garde souvent le silence ou un demi silence sur les arguments qu'on ne défend plus. Pire encore, dans plusieurs occasions, on continue à s'accrocher à leurs positions caduques, et même, dans quelques cas on a recours à ce que l'on peut seulement qualifier de calomnies qui sont basées, soit sur des positions non défendues par leurs victimes, soit sur des dénigrements à 1'emporte-pièce qui, quand ils ne sont pas prouvés, induisent for cément en erreur (tels que : "A la différence de X, Y ou Z qui se trompent, nous, nous disons..."). Ceci existe à des degrés divers dans tous les groupes et je peux citer une demi-douzaine d'exemples au pied levé. Nous ne sommes pas des gauchistes, nous nous impliquons dans les débats, avec le souci non pas de discréditer les autres organisations du milieu, mais avec le souci de clarification pour tout le milieu. Pour les familiers des positions des parties calomniées, les mensonges n'ont pas d'emprise, mais pour le nouvel initié, cela crée des préjudices. Si même un ex-maoïste comme Sweezy était capable d'admettre publiquement qu'il avait été convaincu par un autre ex-maoïste Bettelheim, de la fausseté de sa position (voir leur débat "Entre Capitalisme et Socialisme (sic)" Modem Reader), je pense que nous sommes en droit d'attendre un milieu plus ouvert que ce qu'il est aujourd'hui.
Cet éditorial trace les grandes lignes de l’analyse des événements de l'été 83, au moment de la parution de ce numéro de la Revue Internationale qui est consacré aux rapports et résolutions du Sème Congrès du CCI. Ces événements illustrent sur les menaces de guerre et les campagnes idéologiques de la bourgeoisie les orientations des textes de ce Congrès sur la situation internationale.
L'été 83 a été marqué par un réchauffement des tensions inter-impérialistes sur la scène mondiale:
- Le conflit du Tchad en plein centre de l'Afrique, endémique depuis plusieurs années, est passé à un niveau supérieur, par l'intervention déterminée de forces armées du bloc occidental, et notamment de la France.
- Le conflit du Liban, après plusieurs mois de relative accalmie, s'est brutalement rallumé, et Beyrouth est de nouveau sous les bombes.
- Enfin, la destruction du Bœing 747 sud-coréen par la chasse russe est venu montrer l'hypocrisie du bloc américain, qui n'hésite pas à utiliser les passagers civils comme otages dans une sinistre affaire d'espionnage, tandis que l'URSS n'a pas hésité à les tuer pour la sacro-sainte défense du territoire national et du secret militaire.
Une propagande intense est venue répercuter les bruits de bottes comme un écho amplifié par tous les médias qui assourdit les consciences et rallume la peur d'une troisième guerre mondiale. C'est le rôle de toute propagande de montrer que c'est l'adversaire l'agresseur, le barbare, le fauteur de guerre, et dans cet art, le bloc de l'Ouest est passé maître : si des troupes interviennent au Tchad, c'est pour faire face à l'agression du "fou mégalomane" Kadhafi, l'allié des russes ; si les armées américaines, françaises, italiennes et britanniques campent à Beyrouth, c'est pour "protéger" la liberté et l'indépendance du Liban face à l'impérialisme syrien soutenu par la Russie, etc. Autant d'alibis qui masquent l'essentiel : c'est le bloc de l'Ouest gui est à l'offensive et gui marque sa supériorité en tentant de faire disparaître les vestiges de l'influence du bloc de l'Est en Afrique et au Moyen-Orient.
Alors même que les grandes puissances négocient tous azimuts sur les euromissiles et 1'armement en général, au nom de la "paix" (Madrid, Genève, etc.), jamais l'effort de guerre n'aura été aussi intense depuis la deuxième guerre mondiale. Des armements toujours plus sophistiqués et meurtriers sont mis au point, produits en grande série et implantés partout dans le monde. Pour utiliser cet armement technologique, de plus en plus les grandes puissances sont amenées à intervenir directement dans les opérations militaires : l'URSS en Afghanistan, mais aussi la France au Tchad, La France encore avec les USA, l'Italie, la Grande-Bretagne au Liban, etc., sans compter les nombreuses bases militaires stratégiques installées et entretenues tout autour de la planète.
Les soi-disant divergences au sein du bloc américain, entre la France et les Etats-Unis par exemple, ne sont qu'un rideau de fumée de la propagande qui cherche à masquer l'unité profonde et le partage des tâches entre alliés contre le bloc russe. Cela montre que si les discours, de droite de Reagan, de gauche de Mitterrand, sont différents, les buts et les résultats sont les mêmes : militarisme et impérialisme pour la défense des intérêts du même camp.
Face à cette pression, l'URSS est en position de faiblesse, tant sur le plan économique, que militaire et politique. Incapable de réellement soutenir ses alliés de la périphérie (Libye, Syrie, Angola, etc.), doté d'un armement qui accuse un important retard technologique et empêtré dans le conflit d'Afghanistan, le bloc de l'Est est le plus fragilisé dans la mobilisation de son potentiel militaire, par la faiblesse de son contrôle sur le prolétariat comme l'ont montré les grèves en Pologne en 80-81.
Si le bloc de l'Ouest peut tenter de mettre à profit cette situation, c'est parce qu'il est parvenu jusqu'à présent à enrayer la lutte de classe dans les principaux pays- industrialisés, par une utilisation intensive des mystifications démocratiques et syndicales, et des campagnes forcenées sur la guerre (Malouines, Salvador, Moyen-Orient) qui, en déboussolant la classe ouvrière, renforcent sa passivité. Les différents conflits qui amènent leur lot quotidien de massacres viennent rappeler au prolétariat ses responsabilités historiques. Tenaillée par la crise, la bourgeoisie mondiale intensifie ses préparatifs militaires pour la guerre. Le seul obstacle qu'elle rencontre sur ce chemin, c'est la lutte de classe du prolétariat. Tout le verbiage diplomatique sur la paix n'est que pure propagande ; toutes les guerres sont faites au nom de la paix. Il n'y a pas de paix dans le capitalisme ; seule la révolution communiste, en mettant fin au capital, peut mettre fin à la guerre et aux menaces de guerre.
Cependant, si c'est la passivité présente du prolétariat mondial, notamment dans sa principale concentration en Europe, qui permet l'accentuation des tensions inter-impérialistes, le chemin vers une troisième guerre mondiale n'est pas ouvert. La classe ouvrière est passive, mais elle n'est pas encore embrigadée et elle n'a pas été écrasée. La bourgeoisie de tous les pays en est bien consciente, et le bloc occidental procède avec prudence, n'engageant que ses troupes professionnelles, et développant toute une propagande qui n'a pas pour but immédiat l'embrigadement direct, mais qui vise, en martelant la peur de la guerre, à démoraliser la classe ouvrière et 1'empêcher de développer sa lutte.
A 1'heure où la bourgeoisie s'engage militairement de plus en plus clairement, où les budgets militaires dévorent les budgets sociaux, où le chômage touche des millions d'ouvriers, où la misère imposée par l'austérité est toujours plus dramatique, la réponse du prolétariat occidental est de plus en plus déterminante pour offrir une perspective aux luttes du prolétariat mondial.
De la capacité des fractions centrales de la classe ouvrière à secouer la chape de plomb de l'idéologie de résignation véhiculée par la propagande bourgeoise dépend l'avenir de l'humanité : guerre ou révolution.
La vie des organisations révolutionnaires fait partie de la vie de la classe révolutionnaire. Même si leur taille et leur influence sont peu importantes, même si parfois certaines d'entre elles ont tendance à l'oublier, les organisations politiques prolétariennes sont sécrétées par le prolétariat et sa lutte historique pour le communisme. Le comprendre, c'est avoir conscience de sa responsabilité.
Le 5ème Congrès du CCI, juillet 83, qui réunit des délégations en provenance de dix pays, fut ainsi, avec ses forces et ses faiblesses, non pas un événement "privé", oeuvre de quelques individus, mais un moment de la vie de la classe ouvrière. C'est dans cette optique que nous en rendons publics les principaux documents dans ce numéro de la Revue Internationale.
Comme à l'habitude, notre Congrès s'est attaché aussi bien à définir les caractéristiques et les perspectives qui se dégagent de la période historique présente, qu'à faire le point sur 1'état de 1'orqanisation et à tracer les lignes d'orientation de son activité dans le proche avenir. Il s'est en outre penché plus spécifiquement sur la question générale du parti politique prolétarien et a adopté une "Adresse aux groupes politiques prolétariens", mettant en avant la nécessité d'oeuvrer -face à la crise qui a durement secoué depuis plus de deux ans un milieu révolutionnaire déjà faible vers un plus grand esprit de débat et de confrontation fraternels, combattant plus énergiquement que jamais tout esprit de chapelle et de sectarisme.
LA SITUATION INTERNATIONALE
"A l'aube des années 80, nous avons analysé la décennie qui commençait comme les années de vérité, les années où les convulsions et la faillite ouverte du mode de production capitaliste allaient dévoiler dans toute sa clarté l'alternative historique : révolution communiste ou guerre impérialiste généralisée. A la fin du premier tiers de cette période, on peut constater que cette analyse s'est pleinement confirmée: jamais, depuis les années 30, l'impasse totale dans laquelle se trouve l'économie capitaliste ne s'était révélée avec une telle évidence ; jamais depuis la dernière guerre mondiale, la bourgeoisie n'avait déplacé de tels arsenaux militaires, n'avait mobilisé de tels efforts en vue de la production de moyens de destruction ; jamais depuis les années 20, le prolétariat n'avait mené des combats de l'ampleur de ceux qui ont secoué la Pologne et l'ensemble de la classe régnante en 1980-81. Cependant, ce n'est là qu'un début. En particulier, si aujourd'hui les dirigeants bourgeois semblent se consoler en bavardant sur la 'reprise économique', ils ont du mal à masquer que le plus fort de la crise est devant nous. De même, le recul mondial des luttes ouvrières qui a suivi les formidables combats de Pologne ne constitue qu'une pause avant les énormes affrontements de classe qui mettront en mouvement les détachements décisifs du prolétariat mondial, celui des grandes métropoles industrielles et notamment d'Europe occidentale". (Résolution sur la situation internationale).
Le rapport (en deux parties) et la résolution sur la situation internationale publiés dans ce numéro, adoptés par le Congrès, ont ainsi particulièrement souligné, sur le plan de la vie du capital :
- l'impossibilité pour la bourgeoisie mondiale de définir une quelconque politique économique lui permettant de relancer véritablement sa machine économique ;
- le fait que le capital apparaît de plus en plus comme ce qu'il est : un rapport social devenu anachronique et dont la survivance ne peut plus engendrer que misère et barbarie ;
Et sur le plan de la lutte de classe :
- le fait que le recul des luttes ouvrières, surtout en Europe occidentale, depuis 1980, produit d'une contre-offensive de la bourgeoisie au niveau international, est inévitablement momentané, les conditions de son dépassement ne cessant de se développer avec 1'approfondissement de la crise et l'usure inexorable des mystifications bourgeoises ;
- le fait que le prolétariat, s'il se trouve encore souvent paralysé, déboussolé devant 1'ampleur de l'attaque économique et politique du capital, maintient une combativité intacte et -contrairement aux années 30- échappe à tout embrigadement idéologique réel ;
- le fait qu'en ce sens, le cours historique actuel demeure celui ouvert depuis 1968 : vers le développement d'affrontements de classe de plus en plus décisifs, ouvrant la possibilité du triomphe de la révolution communiste mondiale.
L'ETAT DU CCI. ET LA CRISE DU MILIEU REVOLUTIONNAIRE
Dans ces conditions, peut-on estimer que le CCI et plus généralement l'ensemble du milieu révolutionnaire a été et est à la hauteur de la situation ?
Comment se sont adaptées, comment se préparent les organisations révolutionnaires aux échéances de l'histoire ? Voici ce qu'en dit la Résolution sur la vie et les activités du CCI adoptée par le 5ème Congrès :
"Depuis son 4ème Congrès (1981), le CCI a connu la crise la plus grave de son existence. Une crise qui, au delà des péripéties particulières de 'l'affaire Chénier' ([1] [100]), a secoué profondément l'organisation, lui a fait frôler l'éclatement, a provoqué directement ou indirectement le départ d'un quarantaine de ses membres, a réduit de moitié les effectifs de sa deuxième section territoriale. Une crise qui s'est traduite par tout un aveuglément, une dés orientation comme le CCI n'en avait pas connus depuis sa création. Une crise qui a nécessite pour être dépassée, la mobilisation de moyens exceptionnels : la tenue d'une Conférence Internationale extraordinaire, la discussion et l'adoption de textes d'orientation de base sur la fonction et le fonctionnement de l'organisation révolutionnaire ([2] [101]), l'adoption de nouveaux statuts".
Dès janvier 1982, le CCI affirmait dans une résolution de sa Conférence Internationale extraordinaire que : "les difficultés que traverse, le CCI ne lui sont pas propres et sont une expression d'une crise qui touche l'ensemble du milieu révolutionnaire. Cette crise est l'expression du fait que les convulsions des 'années de vérité', qui touchent toute la société, n'épargnent pas les groupes communistes. Pour eux, également les années 80 sont les 'années de vérité' et l'histoire ne leur pardonne aucune faiblesse".
Le 5ème Congrès a tiré un bilan positif de la façon dont le CCI a fait face à cette crise : "Le CCI porte avec lui l'ensemble des faiblesses qui affectent tout le milieu prolétarien. S1il a mieux résisté à ces faiblesses, s'il a pu s'éviter l'éclatement dont d'autres groupes ont été victimes, s'il a pu retrouver l'essentiel de son équilibre après la crise de 1981, il le doit essentiellement au cadre solide de sa plateforme et de ses statuts, basé sur l'expérience de toute la Gauche Communiste (même s'il l'a négligée, oubliée, ignorée pendant quelque temps)". (Résolution sur la crise et les activités du CCI).
Avoir les moyens programmatiques et organisationnels pour permettre à 1'organisation de comprendre et de s'adapter aux exigences de la période historique, tel est un objectif permanent pour toute organisation communiste si elle ne veut pas vivre à la merci de débandades de plus en plus destructrices dans la tourmente sociale gui se lève.
Voici comment le 5ème Congrès a concrétisé cet effort dans sa Résolution d'activités : "Le 4ème Congrès du CCI, tenu neuf mois après les grèves de masse en Pologne, ne pouvait encore percevoir la tendance au repli des luttes. Le Sème Congrès, par contre, prend acte du fait que, depuis deux ans, l'offensive de l'ensemble de la bourgeoisie mondiale, basée sur la carte de la 'gauche dans l'opposition, a été couronnée d'un certain succès, ce qui a comme conséquence, non seulement une diminution très sensible des combats de classe, mais également de l'audience des idées révolutionnaires (baisse des ventes, des participants aux réunions publiques, etc.). Cette situation n'est que temporaire, mais, tant qu'elle dure, les révolutionnaires doivent en tenir compte afin de ne pas gaspiller leurs forces et ne pas arriver épuisés aux batailles décisives. En ce sens, reste on ne peut plus valable, la consigne donnée par la Conférence extraordinaire : l'organisation devra, lorsque nécessaire, opérer un repli dans l'ordre afin de consacrer le meilleur de ses efforts à ce qui est essentiel dans la période présente : le renforcement du cadre politique et organisationnel. Mieux vaut moins mais mieux".
La maîtrise que doit avoir une organisation révolutionnaire sur sa propre activité est d'autant plus importante que la période historique n'en demeure pas moins, dans ses tendances profondes, une période de montée de la lutte de classe. L'organisation doit être prête à pouvoir accentuer son activité d'intervention en très peu de temps et sans débandades activistes, comme ce fut trop souvent le cas dans la période de luttes de 1978-80.
LES STATUTS
Il ne suffit cependant pas, pour une organisation communiste, de posséder une bonne analyse de la situation historique et des orientations générales d'activité. Encore faut-il qu'elle dispose d'une structure et d'une forme de vie organisationnelles qui lui permet de concrétiser dans sa pratique quotidienne et avec une réelle homogénéité dans toutes ses sections, ces orientations.
Les statuts de l'organisation sont des instruments de cet objectif. Produits de l'expérience historique de toutes les organisations communistes du passé et de la capacité de l'organisation à assimiler cette expérience et à s'en servir face aux problèmes de son époque, les statuts d'une organisation traduisent la maturité organisationnelle et politique de celle-ci.
Ils sont une concrétisation pratique de toutes les conceptions de l'organisation en ce qui concerne des questions aussi essentielles que : la compréhension du déroulement du processus révolutionnaire, de la prise de conscience de classe, la place des révolutionnaires dans ce processus, centralisation et démocratie ouvrière, les rapports devant exister au sein de la classe révolutionnaire en lutte, et donc au sein de ses organisations politiques. C'est ainsi que, en cohérence avec ses conceptions générales, le CCI matérialise dans ses statuts, le rejet des conceptions fédéralistes, monolithiques et substitutionnistes par exemple (voir "Le fonctionnement de l'organisation des révolutionnaires" dans la Revue Internationale n°33, 1er trimestre 1983).
En se donnant de nouveaux statuts ([3] [102]), le CCI a renforcé sa capacité à être à la hauteur des tâches de la période.
Mais si les statuts sont un cadre organisationnel immédiat, ils sont en même temps une préparation pour l'avenir. Cette préparation passe aussi par une compréhension toujours renouvelée et enrichie de ce que sont et seront la forme, la fonction et le fonctionnement des organisations communistes du prolétariat. C'est ainsi gue le 5ème Congrès a placé dans son ordre du jour la question du parti.
LE PARTI
Le texte adopté par le Congrès, publié dans ce numéro, n'apporte pas d'innovations particulières à ce qu'a été l'analyse du CCI depuis ses débuts. Il est surtout une affirmation de la méthode avec laquelle cette question doit être abordée, c'est-à-dire historiquement.
Trop souvent, les débats sur la question de l'organisation communiste se sont laissés enfermer dans des analyses idéologiques (conseillisme, partidisme) où les syllogismes abstraits ignorent et manquent l'essentiel : la pratique, l'expérience historique du mouvement réel.
Les conférences de la Gauche Communiste avaient été sabordées par le PCI (Battaglia Comunista) et par la CWO (Communist Workers'Organisation) au nom des désaccords avec le CCI sur la question du parti. Au lieu de mener, comme le demandait le CCI, le débat sur ces problèmes au sein des conférences, publiquement, ouvertement, ces organisations ont préfère "fuir" la confrontation et imposer l'adoption de leur analyse sur le parti comme critère de participation aux conférences, excluant de ce fait le CCI.
La publication du document adopté par le 5ème Congrès se veut ainsi une contribution pour la poursuite de ce débat sur la seule base gui puisse servir de référence objective : l'expérience de notre classe. Il est par là un appel aux autres organisations révolutionnaires à assumer leurs responsabilités et à prendre conscience de leur importance réelle sans surestimation mégalomaniaque ni sous-estimation auto castratrice.
L'ADRESSE AUX GROUPES PROLETARIENS.
Les classes dominantes ne craignent rien autant -et pour cause- que la perspective d'une révolution communiste.
Les groupes politiques prolétariens sont les défenseurs principaux de la perspective révolutionnaire ; leur affaiblissement est un renforcement des classes exploiteuses.
Face à la situation actuelle, face à la crise qui secoue encore le milieu révolutionnaire, au moment où les responsabilités de ce qui devrait être une avant-garde du prolétariat mondial décuplent, plus que jamais, doivent être combattues les tendances à l'atomisation, à 1'éparpillement activiste ou académiste, à l'esprit de chapelle, au sectarisme et au dénigrement des autres groupes que soi. Plus que jamais, il est indispensable que les groupes révolutionnaires sachent se donner les moyens d'une vie politique où les uns n'ignorent pas les autres, où le débat et la confrontation théorique ouverts permettent de dépasser les divergences et servent de point de référence pour toutes les forces communistes qui naissent et naîtront avec l'intensification et la généralisation des combats de classe. Tel est le sens de l'adresse adoptée par le Congrès.
[1] [103] A propos de "l'affaire Chénier", voir Revue Internationale n°28, "La crise du milieu révolutionnaire", et le "Communiqué à tous les militants révolutionnaires" publié dans la presse territoriale du CCI.
[2] [104] "La fonction de l'organisation révolutionnaire", Revue Internationale n°29; "Le fonctionnement de l'organisation des révolutionnaires", Revue Internationale n°33.
[3] [105] Il s'agit en fait d'une reformulation et précision de certains points en fonction de l'expérience acquise depuis l'adoption des premiers statuts du CCI en 1976.
CRISE ECONOMIQUE : LA DESCENTE DANS L'ABIME ET L'IMPASSE DE LA CLASSE CAPITALISTE
Cette partie du rapport sur la situation internationale traite du cours de la crise économique capitaliste mondiale qui est, en dernière analyse, le facteur déterminant dans le développement des antagonismes inter impérialistes et l’axe autour duquel oscille le rapport de forces entre la classe capitaliste et le prolétariat, ([1] [106]). L'évolution actuelle des antagonismes inter impérialistes et le cours de la lutte de classe ne peuvent être analysés que sur la base d'une compréhension claire du cours de la crise économique elle-même.
Au contraire des années 1929-33 qui ont vu une chute brutale de l'économie capitaliste mondiale, la consolidation de la tendance universelle au capitalisme d'Etat a rendu possible un étalement de la crise mondiale actuelle de surproduction durant les années 70. Le recours systématique à une expansion massive du crédit orchestrée par les banques centrales des pays industrialisés du bloc américain et, en particulier, au moyen des armes financières internationales du capitalisme d'Etat américain, le FMI, la Banque mondiale, l'Import-Export Bank, etc., a permis momentanément au capitalisme mondial de compenser le manque croissant de demande effective sur le marché mondial saturé. La création d'une énorme masse de capital fictif, auquel ne correspond aucun capital fixe véritable, n'a pu faire plus, en fait, que de fournir à l'économie mondiale, une décennie de stagnation chronique ponctuée par deux chutes brutales d'une gravité croissante de la production industrielle (1970 et 1974-75) et une inflation galopante. Cette dernière a, en 1970-80, amené les métropoles capitalistes elles-mêmes au bord d'une hyper-inflation qui pourrait amener à son tour rapidement un effondrement brutal de l'économie mondiale. La seule voie ouverte au capital mondial, si elle n'avait pas été bloquée par le tourbillon de l'hyper-inflation, était un tournant vers une politique économique de déflation et d'austérité. Cependant, parce que cette dernière ne peut plus être relayée par une politique keynésienne de véritable expansion du crédit, dont les doses toujours plus massives n'ont fait que permettre un étalement de la crise, le capital mondial, ces trois dernières années, a plongé tête la première dans le sombre abîme d'une dépression qui au niveau économique a déjà confirmé les analyses du CCI sur les années 80, années de vérité.
Bans ce texte nous ferons d'abord un survol de la situation économique présente du capital mondial en se centrant sur les indices clé qui montrent clairement la condition désespérée de l'économie globale aujourd'hui. Nous démontrerons ensuite la Marge de manoeuvre toujours plus étroite des politiques économiques utilisables par le capital pour essayer de ralentir la descente vers l'abîme.
En montrant l'impasse dans laquelle la crise a. conduit la classe capitaliste, nous montrerons comment, du simple point de vue de la perspective économique ([2] [107]), la situation de la classe capitaliste est aujourd'hui bien pire que celle d'il y a cinquante ans, en 1933.
LA SITUATION ECONOMIQUE ACTUELLE DU CAPITAL MONDIAL
L’indice le plus infaillible de l'existence d'une sursaturation du marché mondial est peut être donné par les chiffres de la production industrielle et le pourcentage de capacité industrielle inutilisée, La production industrielle dans les sept principaux pays du bloc américain (USA, Japon, RFA, France, Italie, Canada) a été réellement stagnante en 1981 augmentant d'un minuscule 0,8% par rapport à 1980. En 1982, la production industrielle a plongé dans ces mêmes pays tombant de 4f5% dans l'année. Aux USA, la production industrielle a commencé à chuter dans la deuxième moitié de 1981 et a décliné de plus de 12% à la fin de 1982. En Grande Bretagne, la baisse de la production industrielle depuis son point le plus haut de 1979, est de 16% tandis qu'au Canada, la production en août 82 a été de 14,75% au dessous du point le plus haut de 1981 en juin. En Allemagne de l'Ouest, en France et en Italie où la chute a commencé un peu plus tard, la production industrielle est tombée de 6% en juillet, août et septembre 1982 ; 31,6% des installations industrielles aux USA et 31,8% au Canada ont été inemployées, expression claire de l'hypertrophie de la capacité productive face au manque chronique de demande effective,ce qui est la caractéristique essentielle de la crise permanente du capitalisme.
La contrepartie de ce fort déclin de la production et d'une masse énorme d'usines inutilisées dans les pays du bloc américain, pays qui représentent de loin la partie la plus importante de la production industrielle mondiale, a été une chute non moins dévastatrice des investissements productifs. Ainsi, aux USA, entre le premier et le quatrième trimestre 1982, l'investissement d'affaires dans de nouvelles industries et dans les machines est tombé de 14,5 %. En même temps, en Allemagne de l'Ouest, l'investissement en machines et équipements a chuté de 6,5 % et l'investissement dans la construction de 15 % dans la première moitié de 1982..
Dans les pays avancés du bloc américain, la saturation du marché mondial se manifeste dans la forme d'une masse croissante de marchandises invendables et une surproduction de capital pour lequel aucun investissement productif n'est possible. Dans les pays du bloc russe, la même crise globale de surproduction se manifeste par les longues files d'attente devant les magasins vides et le rationnement des biens de première nécessité pour la classe ouvrière en même temps que par une pénurie chronique de capital du fait de laquelle il est vain de tenter de dépasser l'arriération qui est l'héritage historique d'un bloc impérialiste arrivé sur le marché mondial en pleine décadence du capitalisme. L'impact de la crise capitaliste sur les régimes staliniens peut se voir dans le fait qu'en Russie même, la production industrielle a crû d'un anémique 2,8 % en 1982 au lieu des 4,7 % d'accroissement qui étaient prévus par la planification, la plus faible croissance depuis la deuxième guerre mondiale. Etant donné que le secteur militaire -qui, bien qu'absolument essentiel en termes de compétition inter impérialiste, représente une stérilisation de capital- compte pour 25 % dans la production russe et que la production dans ce secteur s'accroît à un rythme extrêmement rapide, ceci signifie qu'il y a eu un ralentissement très brusque de la production du secteur productif de l'économie russe. Dans les économies du bloc russe plus immédiatement liées aux conditions du marché mondial, la situation est encore plus dure. En Pologne, la production industrielle a décliné en 1982 de 5 % par rapport à 1981. En Hongrie et en Tchécoslovaquie, la production a été de fait stagnante, s'accroissant seulement de 1 % tandis que la production industrielle de la Roumanie a augmenté de 2,5 % au lieu des 5,5 % qu'avaient prévus les planificateurs.
Dans la poignée de pays du tiers-monde qui ne sont pas totalement dépendants de la production de denrées alimentaires et de matières premières pour l'exportation, mais qui ont aussi un secteur industriel significatif, en retrouve le même tableau d'un déclin ou d'une stagnation dans la production industrielle. Au Mexique, terre du dernier "miracle économique" des années 70, le mythe a éclaté comme une bulle et la production industrielle a commencé à s'enfoncer tentent à 1 % en 1982. En Argentine, la production industrielle est tombée de près de 4 % alors qu'au Brésil et en Inde, la production du secteur industriel a été stagnante.
Cette même crise de surproduction qui a amené ce déclin dans la production industrielle a aussi amené la chaos dans cette partie de l'économie consacrée à la production de denrées alimentaires et de matières premières. Ainsi, dans un monde où une masse toujours plus grande de la population est condamnée à la famine, 16 % de la production mondiale de céréales en 1982 a été invendable, s'ajoutant aux 35 millions de tonnes de céréales qui pourrissent déjà dans les stocks mondiaux.
La saturation du marché alimentaire et des matières premières pour lesquels il n'y a pas de demande effective a amené une chute des prix en 1982 :
Pour les paysans, ceci a signifié une crise dans des proportions dévastatrices jamais vues depuis les années 30. Toutes les récoltes (maïs, coton, sucre, soja) sent maintenant vendues en dessous des coûts de production réels des agriculteurs. Aux USA, le géant agricole de l'économie mondiale, le revenu net des agriculteurs a chuté depuis 1979 de 50 %, de 32,3 milliards de dollars à 16,5 en 1982. En même temps, l'intérêt des dettes agricoles était à lui seul de 22 milliards de dollars en 1982, bien supérieur au revenu net. Le résultat a été une cascade de faillites et des ventes forcées d'exploitations agricoles qui se répandent comme un fléau dans les campagnes.
La saturation du marché mondial a conduit à un déclin du volume du commerce mondial pendant deux ans de suite, ceci pour la première fois depuis la fin de la guerre mondiale et la création du G.A.T.T., lorsque l'impérialisme américain victorieux imposa sa version du commerce libre sur un monde prostré. A cela doit être ajouté tout l'effilochage du réseau financier complexe mis en place par l'Etat américain pour faciliter le flux du commerce sur le marché mondial, dont la plus grande part était tombée sous sa domination en 1945. En 1982, c'est 30 % du commerce mondial (ce qui ne s’était jamais vu), à côté des 2 % il y a deux ans, qui a pris la forme de troc. Le recours au troc a été imposé par la raréfaction des échanges extérieurs, la chute de la valeur de la plupart des monnaies et le manque de crédit disponible pour la plupart des pays du monde. Ce fait est une indication de plus que les mécanismes financiers élaborés par le capital pour relier les différentes parties du marché mondial sont en train de se désintégrer devant ses yeux-
Le recours massif au crédit qui a permis d'éviter une chute brutale de l'économie mondiale pendant les années 70, mais qui a dû être restreint lorsque les pays avancés se sont heurtés à l'hyper inflation, a laissé au capital mondial un fardeau de dettes énorme et insupportable, La dette extérieure du tiers-monde et des pays du bloc russe a maintenant atteint le niveau astronomique de 853 milliards de dollar! Pris entre le poids écrasant de la dette d’un côté et la baisse de la production, des prix et du commerce de l'autre, les trois plus grands débiteurs, le Mexique (81 milliards de dollars), le Brésil (70) et l'Argentine (40), dont les "miracles économiques" avaient été bâtis sur du papier, se sont brutalement retrouvés en faillite en 1982. Les plus grands débiteurs du bloc russe, la Pologne (27 milliards de dollars) et la Roumanie (10 milliards de dollars) ont aussi été déclarés insolvables. C'est seulement un rééchelonnement forcené des dettes et un moratoire des paiements accordé par le F.M.I., la Banque Mondiale, et les prêteurs "privés" qui ont empêché que l'ensemble du système monétaire international ne s'effondre corme un château de cartes.
De plus, la dette et le danger de faillite du tiers-monde et des pays du bloc de l'Est ne sont tous deux que la partie visible de l'iceberg.
La dette des pays avancés du bloc américain éclipse de loin les dettes des pays pauvres et a rendu précaire la situation financière de ces géants industriels eux-mêmes. Aux USA le résultat cumulatif de l'hypertrophie du crédit est une dette du secteur public et privé qui a maintenant atteint le niveau incroyable de 5 000 milliards de dollars !
Oie crise capitaliste est toujours une crise du profit dans laquelle, non seulement le taux de profit, mais également la masse de profit s'effondrent. La situation du capital américain, capital national dominant dans le monde, peut probablement illustrer l'état de plus en plus précaire de l'indice le plus important de la santé de l'économie capitaliste. Aux USA, les profits industriels avant impôts, qui atteignaient un montant annuel de 260 milliards de dollars au premier trimestre de 1980, sont tombés à un montant de 170 milliards à la fin de 1982. Les profits après impôts des plus grandes compagnies américaines sont tombés de presque 20 % en 1982. Dans l'industrie clé du pétrole, les profits des vingt-cinq plus grandes compagnies américaines sont tombés de 27 % en 1982. Derrière cette chute .dramatique de la masse de profit, il y a le fait que des secteurs critiques des industries de base aux USA travaillent à perte : acier, automobiles, machines-outils, matériel agricole, métaux non ferreux, mines.
L'industrie américaine de l'acier, pour prendre un exemple significatif, a perdu 684 millions de dollars en 1982.
L'accroissement énorme du chômage est à la fois et en même temps l'expression de la barbarie du capitalisme qui condamne une masse toujours croissante de l'humanité au rebut, et la démonstration de la faillite historique d'un mode de production qui ne peut plus exploiter de manière rentable la force de travail de ses esclaves salariés. Dans les pays industrialisés du bloc américain, il y a maintenant 32 millions de chômeurs sur la base des chiffres officiels des gouvernements, qui cachent évidemment la profondeur réelle de la catastrophe (ainsi, si le chômage aujourd'hui était mesuré sur la même base que dans les années 30 aux USA, le taux de chômage des ouvriers américains serait à son plus haut niveau depuis 1935 !) L'extension de 1'accroissement du chômage dans ces pays est un des indices les plus clairs de la plongée du capitalisme dans l'abîme :
En même temps, dans les pays arriérés, le capitalisme poursuit -à un taux plus rapide encore un processus effroyable de création d'une masse permanente de sans emplois vivant dans des conditions sous humaines dans d'énormes bidonvilles ou mobilisés pour travailler à la campagne dans des bataillons de travail d'esclave (Chine, Vietnam. ) .
Trois ans de politique déflationniste dans les métropoles du bloc américain, après une décennie durant laquelle une chute abrupte à la 1929 n'a été évitée que par la création d'une masse de valeurs-papier, ont accéléré la plongée sans cependant écarter le spectre de l'hyper-inflation. Un grand nombre d'économies de premier plan sont restées soumises à une inflation à deux chiffres à la fin de 1982 :
TAUX ANNUEL D'ACCROISSEMENT DES PRIX A LA CONSOMMATION
Un déficit budgétaire aux USA de plus de 200 milliards de dollars pour 1983 ; des emprunts extérieurs massifs de pays comme la France, le Canada, l'Espagne et l'Italie pour soutenir leurs économies qui s'effondrent, et ceci avec des taux d'intérêt qui restent à des niveaux historiques tant ils sont élevés ; tout indique que le tourbillon inflationniste reste un danger réel pour l'économie capitaliste définitivement malade.
Tous les indices montrent donc qu'au cours de ces trois dernières années, la crise économique mondiale a franchi un pas qualitatif à partir duquel -comme nous allons le montrer maintenant -aucune reprise n'est possible.
L'impasse de la classe capitaliste.
Même à l’époque d'une crise historique du mode de production capitaliste qui pose l'alternative de la guerre impérialiste mondiale ou de la révolution prolétarienne comme seules sorties possibles de l'effondrement économique, le cours de la crise n'est jamais linéaire. La crise garde sa caractéristique d'avancer en zigzags, bien que fondamentalement elle tende à être toujours plus profonde. Par conséquent, la descente du monde capitaliste dans l'abîme de la dépression n'est pas incompatible avec des reprises courtes, cycliques, limitées dans le temps et dans l'espace. De fait, l'économie américaine commence probablement déjà à faire l'expérience d'une telle reprise. Cependant, contrairement à la situation d'après 1933, lorsqu'il a été possible pour le capital de stimuler l'économie pour une période de cinq ou six ans à travers la consolidation du capitalisme d'Etat et une variété de politiques économiques keynésiennes, aujourd'hui, de telles politiques, et par conséquent une reprise du même type, sont exclues.
L'année 1933 a vu Roosevelt et Hitler arriver au pouvoir respectivement aux Etats-Unis et en Allemagne, au milieu d'un effondrement économique quasi-total. En Allemagne, Hitler et son tsar de l'économie, Hjalmar Schacht, lancèrent un programme de relance basé sur l'autarcie et le financement déficitaire de grands travaux publics et de projets d'armements. La production en Allemagne s'accrût de 90 % entre 1933 et 1938, alors que le chômage tombait de 3,7 millions d'ouvriers à 200 000 dans la même période. Roosevelt et son "brains trust" utilisèrent le protectionnisme, à commencer par le "Scoot-Hawley tariff" de 1930 et une combinaison de politiques keynésiennes consistant en des dépenses déficitaires, l'expansion du crédit, l'inflation monétaire et la création d'un "salaire social" pour compenser le manque de demande effective ([3] [108]), qui amenèrent une croissance annuelle du produit national brut de 9,1 % de 1933 à 1935 et de 9,8 % de 1935 à 1938. Il est certain que la grande expansion du capitalisme d'Etat et l'utilisation des politiques keynésiennes, qui furent à la base des cinq années de relance, n'ont pu fournir aucune solution à la crise historique du capitalisme. Aux Etats-Unis, de septembre 1937 à juin 1938, la production industrielle a chuté de 30 % alors que le chômage augmentait de 22 %. Avant que cette nouvelle étape dévastatrice de la crise économique n'ait pu s'étendre à 1'Europe, la deuxième boucherie inter impérialiste avait commencé et le capitalisme avait de ce fait apporté à la crise économique la seule "solution" dont il est capable.
La situation à laquelle fait face le capital mondial aujourd'hui est qualitativement différente
de celle qui prévalait en 1933. Le type de politique qui a permis à la classe capitaliste d'effectuer une reprise économique pendant cinq ans, durant lesquels les préparatifs économique, militaire et idéologique pour la guerre mondiale impérialiste ont été parachevés, n'est pas possible dans la conjoncture actuelle. La tendance universelle au capitalisme d'Etat, qui a été la réponse du capital à la nécessité de centraliser et d'organiser son appareil productif pour la guerre mondiale en 1914-1918, avait été atténuée de façon considérable durant la phase de reconstruction des années 20. Par conséquent, l'utilisation pendant de nombreuses années, de mesures capitalistes d'Etat après 1933, ont eu pour effet de rationaliser un appareil productif et financier qui était devenu obsolète par rapport aux besoins du capital lui-même confronté à une crise permanente.
Aujourd'hui, cependant, après cinquante ans d'expansion quasi-ininterrompue du capitalisme d'Etat, que ce soit sous la forme stalinienne ou "démocratique", la base économique capitaliste s'écroule sous l'énorme poids du parasitisme de l'Etat Léviathan. Les mesures capitalistes d'Etat supplémentaires -cependant nécessaires du fait que le capital réagit aux antagonismes inter impérialistes croissants et au danger de la lutte de classe prolétarienne- loin de stimuler une reprise économique, ne font que constituer un fardeau encore plus lourd sur une économie qui étouffe sous le poids improductif d'une bureaucratie parasitaire.
Les politiques économiques inflationnistes introduites après 1933 faisaient suite à quatre ans de déflation et de chute rapide des prix, période pendant laquelle d'énormes dettes furent liquidées. Il en résulta une vaste expansion du crédit et un financement déficitaire massif qui pouvaient compenser un manque de demande effective sans provoquer immédiatement une inflation galopante ou un effondrement du système monétaire. Aujourd'hui, bien qu'après des décennies durant lesquelles la drogue du crédit a été administrée à profusion à une économie capitaliste embourbée dans une crise permanente, le capital mondial titube à la limite d'une hyper-inflation et suffoque sous une montagne de dettes. Ces politiques économiques très keynésiennes doivent être maintenant abandonnées si le malade capitaliste ne veut pas mourir d'une overdose de la drogue mortelle qui a été utilisée pour le maintenir en vie ces dernières années.
Après 1933, l'expansion du "salaire social", cette partie du coût de production et de reproduction de la marchandise force de travail (capital variable) payée directement par l'Etat, qui a été au départ un moyen de soumettre la classe ouvrière à l'Etat capitaliste, a aussi agi comme un stimulant de l'économie en crise. La croissance du salaire social a toujours été liée aux politiques inflationnistes keynésiennes ; il s'ensuit que dans la situation présente, le salaire social est partout soumis à une attaque en règle et sauvagement amputé. Le démantèlement du "Welfare State" (Etat "providence"), nécessairement pris en charge tout autant par les gouvernements de gauche que de droite, supprime un des appuis idéologiques clé de la domination capitaliste sur le prolétariat ; en même temps, ceci amènera un rétrécissement accru d'un marché qui est déjà trop petit pour absorber la pléthore de marchandises que l'industrie est capable de produire.
L'économie de guerre, qui a été le véritable axe autour duquel le capitalisme d'Etat s'est développé, et qui a commencé dans les années 30, n'a jamais été une politique économique en aucune manière, une tentative de vaincre les barrières intrinsèques de l'accumulation du capital, car la production d'armements constitue une stérilisation de capital. Elle est par nature improductive en termes capitalistes. La fonction véritable de l'économie de guerre est toujours une préparation directe à la guerre inter impérialiste elle-même. Néanmoins, après 1933, dans le cadre de la période de déflation sauvage qui venait juste de se produire, l'économie de guerre pouvait avoir l'effet subsidiaire d'un stimulant momentané de l'économie. Aujourd'hui, alors que la production d'armement doit croître à un taux toujours plus rapide du fait que les deux blocs se préparent pour la guerre, son impact économique -tout au contraire des années 30- sera désastreux pour le capital. Face à des déficits budgétaires déjà incontrôlables, l'augmentation massive des dépenses militaires, que la croissance des antagonismes inter impérialistes rend nécessaire, est un fardeau économique qui ne fait qu'accélérer la descente du capitalisme dans l'abîme.
Après 1933 l'autarcie et le protectionnisme ont été utilisés par Hitler et Roosevelt, en même temps qu'un financement déficitaire, pour combattre temporairement la saturation du marché intérieur alors même que le commerce mondial stagnait. Aujourd'hui l'extrême interdépendance des économies capitalistes avancées du bloc américain sous la domination des Etats-Unis, est telle que les fractions dominantes du capital dans chaque pays sont liées à là version américaine imposée du "libre-échange" qui a prévalu depuis 1945. Il est certain qu'il y a des voix et des secteurs croissants du capital dans chaque pays qui réclament un retour au protectionnisme, mais ceux-ci restent concentrés dans les secteurs les plus anachroniques et les plus faibles de chaque économie. Une politique de protectionnisme ou d'autarcie est combattue par les secteurs les plus puissants de la classe capitaliste parce qu'elle menace directement d'exacerber l'effondrement du commerce mondial et le système monétaire international, aussi bien que la cohésion même du bloc américain. La valeur réelle du protectionnisme pour le capital aujourd'hui n'est pas celle d'une politique économique comme dans les années 30, mais celle d'une mystification nationaliste pour tenter de dévoyer la lutte de classe, un instrument particulièrement important pour la gauche du capital dans l'opposition
Ce que nous constatons maintenant n'est rien moins que la faillite complète du keynésianisme, des politiques économiques sur lesquelles le capitalisme s'est appuyé depuis les années 30. L'Etat ne peut plus compenser le manque de demande effective sur un marché saturé au travers de politiques inflationnistes qui ont été la cheville ouvrière du keynésianisme. Qui plus est, alors que la direction de l'Etat et le contrôle sur l'économie -qui est l'autre base du keynésianisme -vont continuer à s'accroître à un taux toujours plus rapide, il est maintenant plus que clair que ceux-ci ne peuvent fournir aucune "solution" à la crise économique. La faillite du keynésianisme est la manifestation éclatante de l'impasse de la classe capitaliste, la confirmation du fait qu'en termes économiques, la perspective à laquelle fait face le capital mondial est beaucoup plus sinistre qu'elle ne l'était en 1933.
Le long recours au keynésianisme ayant brisé les véritables bases qui permettaient la poursuite de ces politiques inflationnistes, le capital n'a plus de nouveau palliatif économique pour les remplacer. La seule politique ouverte au capital aujourd'hui est la déflation et l'austérité, politique économique qui ne peut que pousser le capital plus loin dans l'abîme de la dépression mondiale, tout en détruisant en même temps les bases sur lesquelles il a cherché à maintenir un semblant de contrôle idéologique sur le prolétariat (Welfare State, "salaire social", etc.).
Empêcher l'éclatement de l'ensemble du système monétaire international -véritable colonne vertébrale du capital mondial- par l'hyper-inflation, exige des politiques d'austérité et de déflation qui vont accélérer le plongeon de la production industrielle et du commerce mondial. Cependant, ces politiques vont elles-mêmes toujours générer de nouvelles pressions vers une faillite généralisée des nations et entreprises débitrices, ce qui a aussi pour résultat l'effondrement véritable du système monétaire que les mesures d'austérité tentent de prévenir. Le dilemme est insoluble, sinon par une destruction des valeurs capitalistes et une re division du marché mondial qui ne peut se faire qu'à l'échelle d'une troisième guerre mondiale -quoique la destruction physique d'un tel holocauste rendrait probablement problématique toute sorte de "reconstruction". Néanmoins, c'est le seul pas que le capital -par la nature de ses propres contradictions- doive faire. Ceci signifie que le capital doit tenter de répondre à cette nouvelle étape dans le déroulement de sa crise historique, non par des politiques économiques, qui ne sont aujourd'hui rien de plus qu'une opération de colmatage à très court terme, mais par une stratégie politique destinée d'abord à dévoyer ensuite à défaire la classe ouvrière. Seule une telle défaite peut ouvrir la voie à la "solution" capitaliste.
[1] [109] Ceci, bien sûr, ne doit pas nous amener à ignorer le fait que les moyens par lesquels la bourgeoisie réagit aux antagonismes inter impérialistes et à la lutte de classe peuvent eux-mêmes affecter la manière dont s'étend la crise économique.
[2] [110] La situation de la classe capitaliste vis-à-vis du prolétariat est traitée dans l'autre partie du rapport sur la situation internationale.
[3] [111] Il est clair que la fonction objective de toutes ces politiques était de soumettre le prolétariat à l'Etat capitaliste et permettre à l'impérialisme de parachever sa mobilisation pour la guerre mondiale.
LE RAPPORT DE FORCES ENTRE CLASSE OUVRIERE ET BOURGEOISIE
"Le coup de force du 13 décembre 1981 a mis fin à 1'épisode le plus important depuis un demi-siècle du long combat entre classe ouvrière mondiale et capital. Depuis le resurgissement historique de la lutte prolétarienne à la fin des années 60, jamais la classe ouvrière n 'était allée en effet aussi loin dans la combativité, la solidarité et 1'auto-organisation. Jamais elle n'avait employé avec autant d'ampleur cette arme essentielle de sa lutte dans la période de décadence du capitalisme : la grève de masse. Jamais elle n'avait infligé à la bourgeoisie de telles craintes, ne l'avait contrainte à déployer autant de moyens de défense. Aujourd'hui, le prolétariat est muselé en Pologne. Une nouvelle fois, il a versé son sang et, contrairement à ce qui s'était passé en 1970 et 1976, c'est pour subir une exploitation décuplée, une misère accrue proche de la famine, une terreur déchaînée. C'est donc par une défaite pour la classe ouvrière que se clôt cet épisode. Mais au moment où la coalition de toutes les forces bourgeoises et la force des armes l'obligent à quitter la scène en Pologne, il importe que le prolétariat mondial tire un maximum de leçons de l'expérience qu'il vient de vivre. Il importe qu'il puisse répondre, et avec lui son avant-garde communiste, à la question : Où en sommes-nous ? Quelle perspective pour la lutte de classe ?", (Revue Internationale n°29 "Après la répression en Pologne : perspectives des luttes de classe mondiales", 2ème trim.82) .
OU EN EST LA LUTTE DE CLASSE?
Par la grève de masse, les ouvriers de Pologne ont donné en Août 80 une réponse aux questions posées dans la lutte, et non résolues par leurs frères de classe d'Europe occidentale :
- la nécessité de l'extension de la lutte (grèves des dockers de Rotterdam en automne 79) ,
- la nécessité de son auto organisation (sidérurgie en Grande-Bretagne au printemps 80) ,
- l'attitude face à la répression de l'Etat (lutte des sidérurgistes de Longwy-Denain en hiver 79).
Leur combat a ainsi confirmé ce que les grèves de 78-80 en Europe occidentale annonçaient : la fin du reflux de la lutte de classe, reflux qui avait marqué le milieu des années 70.
Il a montré au prolétariat mondial la véritable nature -capitaliste- des soi-disant "pays socialistes", levant ainsi une mystification déjà bien entamée, mais jusque là toujours vivace au sein de la classe ouvrière.
Ce combat a constitué concrètement un frein aux tensions impérialistes, paralysant le dispositif militaire russe en Europe de l'Est, montrant; à l'ensemble de la bourgeoisie mondiale la combativité du prolétariat au coeur de l'Europe.
Cependant, les ouvriers de Pologne sont restés isolés, l'appel que constituait leur lutte n'a pas été entendu. La question à laquelle ils ne pouvaient répondre par eux-mêmes c'est celle de la généralisation des combats de classe, l'entrée dans la lutte des prolétaires des autres pays.
La défaite en Pologne n'est pas uniquement une défaite des ouvriers de Pologne, elle est celle de l'ensemble du prolétariat. Elle est l'expression de la faiblesse du prolétariat mondial. Les mystifications qui ont permis à la bourgeoisie de dévoyer la lutte de classe et d'imposer la répression sont fondamentalement les mêmes auxquelles se sont trouvés confrontés les ouvriers d'Europe occidentale : démocratisme, nationalisme, syndicalisme. Ce sont les mêmes qui ont permis à la bourgeoisie d'imposer un recul des luttes aux ouvriers d'Europe de l'Ouest, dont la défaite en Pologne est le résultat.
Le prolétariat d'Europe occidentale est au coeur du monde capitaliste. Fraction du prolétariat mondial ayant le plus d'expérience, il est aussi confronté aux mystifications bourgeoises les plus élaborées. Si la lutte en Pologne a pu faire prendre conscience de la nature capitaliste des pays de l'Est, seule la lutte du prolétariat occidental pourra réellement purger la conscience des ouvriers du monde entier des illusions démocratiques, nationalistes et syndicalistes qui sont une entrave à la lutte du prolétariat partout.
Après les grèves de 78 à 80, on a assisté à un recul des luttes en Europe occidentale. La contre-offensive de la bourgeoisie a commencé à la fin des années 70 avec la réorganisation de l'appareil politique (gauche dans l'opposition), le développement du syndicalisme de base, les campagnes idéologiques de désorientation du prolétariat. Toute cette stratégie, orchestrée de manière de plus en plus organisée et unifiée au niveau mondial, a abouti à un affaiblissement de la lutte ouvrière en Europe de l'Ouest. De plus, l'absence de réaction ouvrière claire contre la participation directe des contingents français et italiens au Liban ainsi que du contingent britannique au conflit des Malouines, dans le contexte d'un alourdissement constant des budgets militaires et des bruits de bottes assourdissants répercutés par les médias, a pu faire douter certains de la capacité du prolétariat d'Europe occidentale à assumer ses responsabilités historiques, à s'opposer à la réponse bourgeoise à la crise du capitalisme : la guerre impérialiste généralisée.
La première et la seconde guerre mondiale ont été déterminées par la capacité de la bourgeoisie à mettre à profit les faiblesses du prolétariat européen pour l'embrigader derrière ses objectifs impérialistes.
Aujourd'hui, avec le recul du prolétariat mondial concrétisé par la défaite en Pologne, et les tambours guerriers qui résonnent, vient se profiler sur la classe ouvrière le spectre des années 30 et de la seconde guerre mondiale. Tirer le bilan de ce recul des luttes de classe ne doit pas nous amener à des conclusions alarmistes. La bourgeoisie a entamé une nouvelle offensive contre le prolétariat, mais les conditions, les raisons et la nature même de cette offensive en montrent les limites.
Aujourd'hui, la situation est bien différente de celle des années 30. C'est ce que nous démontrons dans la partie qui suit.
LA DIFFERENCE ENTRE LES ANNEES 30 ET LA PERIODE ACTUELLE
1. Le prolétariat n'est pas vaincu aujourd'hui.
La génération de prolétaires qui se trouve confrontée à la crise ouverte du capitalisme qui commence en 1929 et va déboucher sur la guerre de 1939-45 est la même qui a vécu 1' écrasement de la vague révolutionnaire des années 1917-23. De cet échec le prolétariat mondial en sort avec un potentiel de combativité profondément diminué, notamment là où la perspective révolutionnaire s'est manifestée avec le plus de force, en Allemagne et en Russie.
Mais, même dans les pays où cet écrasaient n'a pas été aussi violent, comme pour les démocraties occidentales (France, Grande Bretagne, USA), la combativité du prolétariat s'est trouvée profondément affectée par son déboussolement idéologique lié à la défaite de la révolution et à l'effondrement de la 3ème Internationale qui en a découlé.
L'échec de la révolution est une défaite du prolétariat mondial et c'est au niveau mondial que le prolétariat a été affaibli. Tel fut le facteur essentiel qui a permis à la bourgeoisie d'organiser l'embrigadement des prolétaires dans la seconde guerre mondiale.
Aujourd'hui, la situation est bien différente. La génération de prolétaires qui se trouve confrontée à la crise du capital qui, de nouveau, a ressurgi de manière ouverte, ne se relève pas de la défaite d'une vague révolutionnaire. Dans la période du second après-guerre, la bourgeoisie a assuré son contrôle sur le prolétariat bien plus grâce aux illusions permises par la relative prospérité liée à la reconstruction que par la répression directe. Ainsi, alors que l'aggravation lente mais inexorable de la crise entame ces illusions, le potentiel de combativité de cette nouvelle génération de prolétaires demeure intact.
Le prolétariat, bien que déboussolé par son manque d'expérience -produit de 50 années de contre-révolution-, n'en est pas pour autant démoralisé et surtout il n'est pas embrigadé derrière la défense de l'Etat, laquelle ouvre le chemin à la guerre. De ce point de vue, la condition première de l'éclatement d'une 3ème guerre mondiale est absente.
2. La marge de manoeuvre de la bourgeoisie s'est restreinte
Cependant, la différence entre la situation présente et celle des années 30 ne se situe pas seulement au plan des conditions historiques de la lutte du prolétariat.
L'histoire ne se répète pas : depuis son entrée dans la période de décadence, le capitalisme a continué de se transformer. Et si les causes de sa crise ouverte sont fondamentalement les mêmes, les caractéristiques de son développement ont changé. Cette réalité se traduit au niveau des formes de contrôle que la bourgeoisie essaye d'établir sur le prolétariat.
Malgré toutes les politiques de capitalisme d'Etat systématisées depuis les années 30, la crise économique présente ne fait que s'aggraver. Cette aggravation montre de manière limpide la réelle inefficacité, dans la période actuelle, des politiques d'étatisation de 1'économie qui, lors de la crise des années 30, avait permis à la bourgeoisie d'obtenir le répit lui permettant de parachever l'embrigadement du prolétariat pour la guerre.
En effet, pour qu'une mystification soit à même de jouer son rôle vis-à-vis du prolétariat, il faut qu'elle s'appuie sur un semblant de réalité. L'"efficacité" des mesures de capitalisme d'Etat dans les années 30 qui ont permis à la bourgeoisie de redresser provisoirement la situation économique est avant tout liée à leur nouveauté. Les illusions sur l'économie ont permis à la bourgeoisie d'asseoir les illusions politiques, de désamorcer la combativité ouvrière. Le capitalisme d'Etat s'est caché derrière le mythe de 1'Etat-social : national-socialiste en Allemagne, populaire en France ou en Espagne, Etat-providence ou Welfare state aux USA. L'Etat social est le volet politique destiné au prolétariat, corollaire du capitalisme d'Etat sur le plan économique, qui a permis jusqu'à aujourd'hui à la bourgeoisie de maintenir la classe ouvrière dans les fers de la contre-révolution derrière l'étendard de la démocratie.
Grâce aux mesures de capitalisme d'Etat, la bourgeoisie a pu contenir momentanément les manifestations les plus flagrantes de la crise économique et grâce au Welfare state, elle a pu éviter la crise politique. Mais la crise qui se développe aujourd'hui, malgré l'intervention intensive de l'Etat dans la vie économique, tend à rendre caduques les illusions liées au Welfare state et, de manière générale, les illusions démocratiques. La bourgeoisie ne parvenant plus à réellement freiner les effets de la crise, toute la base de son contrôle sur le prolétariat durant des décennies se trouve donc sapée; elle est ainsi poussée vers la crise politique.
La crise économique du capitalisme pousse aujourd'hui la bourgeoisie dans une impasse face à; la classe ouvrière. Elle pousse les deux classes vers l'affrontement parce que les armes idéologiques de la bourgeoisie sont rendues caduques par la faillite économique de son système. Durant les années 30, la bourgeoisie avait pu faire croire que l'effondrement de 1929 exprimait uniquement la faillite du capitalisme privé, ce qui lui permettait ainsi de préserver l'essentiel : l'idée que l'Etat se posait au-dessus des classes, qu'au sein de l'Etat la classe ouvrière avait sa place, qu'elle pouvait y défendre ses intérêts. La crise économique montre aujourd’hui à l'évidence, ainsi que l'ont toujours proclamé les révolutionnaires, que tout cela n'est qu’illusion.
Dans la réalité pratique de son existence, le prolétariat commence à voir l'Etat pour ce qu'il est : un instrument de coercition au service d'une classe, la classe dominante. Ainsi tendent à devenir caduques toutes les mystifications qui ont masqué aux yeux du prolétariat la réalité totalitaire de l'Etat capitaliste.
3. Une illustration de ces différences : la question du chômage
Le krach de 1929 va précipiter des millions de prolétaires dans le démènent le plus total. De 1929 à 1934, le chômage ne cesse de s'accroître. Mais la mise en place des mesures de capitalisme d'Etat va permettre ensuite de le réduire momentanément : politique des grands travaux aux USA (Tennessee Valley Authority), développement de l'économie de guerre en Allemagne et en Grande-Bretagne, sans que pour autant le taux de chômage ne redescende jamais au niveau d'avant 1929. Mais cela va permettre à la bourgeoisie de renforcer l'idée qu'il existe une solution réelle à la crise du capital : l'intervention de l'Etat. De plus, la mise en place par l'Etat d'allocations-chômage, d'aide aux chômeurs sous différentes formes -aide qui n'existait pas auparavant- , va permettre de renforcer au sein du prolétariat la confiance dans l'Etat, protecteur des ouvriers face au capitalisme privé et "sauvage".
Durant les années 30, la bourgeoisie a pu ainsi désamorcer la bombe sociale que constituait le chômage. Après les luttes déterminées des chômeurs, notamment aux USA en 1930, 31, 32, la politique de l'Etat va permettre de résorber la combativité ouvrière et de préparer l'embrigadement idéologique du prolétariat derrière l'Etat de gauche, démocratique, qui défend les ouvriers face au grand capital ([1] [112]). C'était ainsi préparer le futur embrigadement dans la guerre impérialiste.
Aujourd'hui, la situation est radicalement différente. Le chômage se développe régulièrement, inexorablement, sans que la bourgeoisie n'ait de mesure économique à sa disposition pour l'endiguer ni d'illusion politique pour le faire accepter. D'ores et déjà dans les pays développés, le niveau de chômage atteint des taux qui étaient ceux de la fin des années 30. Comme l'a montré l'échec des politiques de relance durant les années 70, aucune relance future ne pourra le résorber; au contraire, face à la concurrence exacerbée sur le marché mondial, les investissements ont pour objectif bien plus l'augmentation de la productivité que l'élargissement de la production.
De plus, à l'inverse des années 30, l'Etat capitaliste ne peut plus asseoir son contrôle sur sa soi-disant "générosité" par le renforcement de la protection sociale des chômeurs; au contraire, il ne peut qu'attaquer les "acquis" du Welfare state, mis en place après la crise de 1929 et perfectionnés durant la reconstruction. L'Etat capitaliste n'a plus les moyens économiques de sa politique de mystification du prolétariat, politique qui lui a permis d'assurer sa domination jusqu'à aujourd'hui. Dans la pratique, la bourgeoisie est ainsi amenée à détruire les bases de son contrôle idéologique sur le prolétariat.
4. La question de la guerre
Une des caractéristiques des années 30 consistait dans la préparation à la seconde guerre mondiale d'une part par l'augmentation des programmes militaires, et d'autre part par le développement de conflits localisés à la périphérie tels que les conflits entre la Chine et le Japon, l'invasion italienne en Ethiopie, la guerre en Espagne, l'Anschluss de l'Allemagne nazie sur l'Autriche.
De ce point de vue, sommes-nous dans la même situation que celle qui précéda la seconde guerre mondiale ?
L'augmentation, ces dernières années, des programmes militaires dans tous les pays -et notamment ceux les plus puissants, qui étaient déjà les plus armés- montre que, comme dans les années 30, la pression de la crise pousse la bourgeoisie vers des tensions impérialistes croissantes. Chaque bloc renforce effectivement de manière accélérée son dispositif militaire.
Par ailleurs, certains conflits se déployant à la périphérie rappellent les conflits qui ont précédé la seconde guerre mondiale : l'invasion de l'Afghanistan avec la présence directe de 100 000 soldats russes, l'intervention israélienne au Liban pour expulser la présence soviétique de la région, les différents conflits en Afrique et en Asie, où le bloc russe se bat par soldats cubains, libyens ou vietnamiens interposés, et même la guerre entre l'Irak et l'Iran qui a fait déjà 300 000 morts et blessés, où l'URSS n'est pas présente mais qui a pour but de restaurer efficacement le dispositif militaire du bloc occidental affaibli en Iran, face à l'offensive russe en Afghanistan.
Tous ces conflits sont, en effet, l'expression des tensions impérialistes réelles qui déchirent le monde.
Cependant, -et là réside toute la différence entre la situation présente et celle des années 30- d'autres conflits ouverts, tels que ceux du Salvador ou des Malouines, bien qu'ils se situent dans le contexte de l'impérialisme mondial, ne sont pas l'expression de réelles rivalités impérialistes, ni locales, ni mondiales. Ces "guerres" servent d'abord à alimenter le matraquage idéologique intense auquel la bourgeoisie soumet le prolétariat. Tous ces bruits de bottes sont amplifiés démesurément par les vociférations des médias qui étalent dans tous les foyers les horreurs de la guerre, semant la crainte d'une 3ème guerre mondiale.
Les événements de Pologne montrent le but d'un tel battage. Les grèves en Pologne ont été le prétexte d'une propagande hystérique des deux blocs, l'URSS dénonçant les "ingérences inacceptables" de l'Occident, les USA et leurs alliés poussant des cris d'orfraie devant la menace d'une intervention russe. L'histoire se répétait-elle, la Pologne où avait débuté la seconde guerre mondiale serait-elle à l'origine d'une troisième ?
En réalité, derrière cette façade belliciste se cachait le fait que les deux blocs travaillaient en sous mains ensemble pour mater les luttes ouvrières en Pologne. Par l'envoi de crédits, l'occident a permis à la bourgeoisie de l'Est de tenir face au prolétariat, grâce à sa propagande relayée par ses radios style Free Europe ou BBC international en Polonais, l'occident a accrédité le danger d'une intervention russe pour intimider les ouvriers de Pologne. En occident même, la bourgeoisie a tout fait pour en faire un problème polonais afin d'isoler le prolétariat en claironnant que la grève de masse en Pologne créait un danger de guerre, elle a répandu l'idée que la lutte de classe menait à la guerre impérialiste.
On voit quel usage la bourgeoisie fait de sa propagande belliciste : diviser et intimider le prolétariat. Cette préoccupation est déterminante pour la bourgeoisie, dans la mesure où le prolétariat mondial, et notamment le prolétariat européen n'est pas embrigadé dans la guerre.
Là est la différence fondamentale par rapport aux années 30. A cette époque, le prolétariat de Russie et d'Allemagne physiquement écrasé dans les années 20 était incapable de s'opposer à la guerre. En occident, les campagnes antifascistes ont réussi à permettre l'enrôlement derrière l'étendard démocratique.
Le prolétariat aujourd'hui, n'est pas embrigadé en Europe, au coeur même des contradictions capitalistes, là où se sont déjà déchaînées deux guerres mondiales : l'Europe qui est l'enjeu d'une éventuelle 3ème guerre mondiale. Cela se traduit dans le fait que les conflits restent à la périphérie où des fractions plus isolées et plus faibles du prolétariat peuvent être embrigadées derrière les illusions nationalistes. Mais même en Israël, où la bourgeoisie a eu beau jeu de jouer sur des spécificités historiques et locales, il est de plus en plus difficile de justifier aux yeux du prolétariat la nécessité de la guerre, contre l'ont montré les résistances parmi les soldats face à l'intervention au Liban en 82.
Le manque de réaction du prolétariat de différents pays d'Europe face à l'envoi de contingents professionnels aux Malouines et au Liban n'est certes pas un signe de la force de la classe ouvrière, mais il n'exprime pas cependant une adhésion du prolétariat. Le seul moment où on a vu de réelle réaction de la classe ouvrière face à la guerre, c'est dans la guerre elle-même, que ce soit en 1917 sur le front de la Marne ou sur le front russe, en 1943 en Italie ou en 1945 en Allemagne.
La lutte du prolétariat contre la guerre passe par sa lutte contre les attaques de la bourgeoisie sur le plan économique. C'est de cette lutte que surgira la conscience de la nécessité de mener le combat contre la guerre impérialiste. Car c'est à ce niveau que se concrétisera l'alternative : du beurre ou des canons.
Tant que cette fraction déterminante du prolétariat mondial que constitue le prolétariat d'Europe n'est pas vaincue sur le terrain de la lutte pour la défense de ses conditions d'existence, il n'est pas possible de l'embrigader dans la guerre, de lui faire accepter le sacrifice de sa vie.
Le cours historique aujourd'hui n'est pas ouvert à la guerre. Le cours à la guerre, comme dans les années 30, suppose l'écrasement au préalable de la seule force capable de s'opposer au déchaînement des rivalités impérialistes : le prolétariat.
Le cours historique actuel, au contraire, est au développement des affrontements de classe dont dépendra la mise en avant de la perspective révolutionnaire.
Cependant, cela ne signifie pas que ce cours ne puisse être renversé, que la révolution soit inéluctable, qu'elle soit un fait acquis.
Dans la situation actuelle, tous les efforts de la bourgeoisie visent à défaire le prolétariat, à le démobiliser d'abord pour tenter ensuite, de l'embrigader, ouvrant ainsi un cours à la guerre.
C'est une pression permanente qui s'exerce sur la classe ouvrière et qui se traduit par les aléas, les avancées et les reculs de la lutte de classe.
Face au prolétariat, la bourgeoisie adapte ses armes aux conditions présentes
1. Pour la bourgeoisie aussi ; la fin des illusions
Durant les années 70, la bourgeoisie a vécu dans l'illusion de la répétition des années 30, dans l'illusion qu'aux mêmes maux pouvaient correspondre mécaniquement les mêmes remèdes. Les Etats se sont endettés pour financer les politiques de relance qui devaient mettre fin à la crise et surtout différer le plus fort de l'attaque nécessaire contre le niveau de vie des prolétaires des centres industriels du capitalisme mondial. C'était la condition essentielle pour tenter de conforter l'emprise de l'Etat sur le prolétariat des métropoles capitalistes, là où la classe exploitée est la plus concentrée, là où l'essentiel des richesses est produit.
Cette politique économique avait son corollaire dans l'attaque idéologique menée contre le prolétariat -c'est-à-dire la politique de gauche au pouvoir- après le resurgissement de la lutte de classe partout dans le monde (et en particulier avec Mai 68 en France et le Mai rampant italien en 69). C'est cette politique qui a permis à la bourgeoisie d'imposer le reflux de la lutte de classe au milieu des années 70 : Programme commun en France, compromis historique en Italie, contrat social en Grande Bretagne, social démocratie au pouvoir en Europe du Nord, démocrates au pouvoir avec Carter aux USA. A la fin des années 70, derrière les campagnes sur "les droits de l’homme" se cachaient les mêmes thèmes humanistes qui, durant les années 30, avaient permis d'embrigader le prolétariat occidental dans la guerre derrière la bannière de l’antifascisme. Cependant, l'échec des politiques de relance, qui ne parvenaient pas à résorber le chômage et ne faisaient qu1accélérer l'inflation, a réduit à néant l'illusion pour la bourgeoisie qu'il serait possible d'enrôler le prolétariat aussi facilement. Les années 70 montrent à la bourgeoisie d'une part, que le prolétariat n'est pas dans la situation de faiblesse des années 30, et d'autre part, qu'avec l'aggravation des contradictions du capitalisme tout au long de la décadence, elle n'a plus aujourd'hui la même marge de manoeuvre sur le plan économique. Ces deux aspects se manifestent sur le plan politique dans le rapport entre prolétariat et bourgeoisie.
Parce que les "recettes" héritées des années 30, tant sur le plan économique que politique, ne sont plus efficaces, parce que, dans ces conditions nouvelles pour elle, les vieilles formes de mystification et d'encadrement ne sont plus suffisantes pour entraver le processus de prise de conscience politique de la classe révolutionnaire, la bourgeoisie doit, de manière urgente, s'adapter si elle veut conserver son contrôle sur le prolétariat. Elle est poussée à être plus intelligente, à renforcer et à homogénéiser son système de contrôle. Mais, dans une situation générale d'affaiblissement de la classe dominante, ce renforcement est fondamentalement un renforcement de l'Etat, telle une forteresse dont on renforcerait les défenses en construisant sur du sable mouvant.
2. Unité de la bourgeoisie et campagnes idéologiques
La nécessité de faire face à la classe ouvrière est devenue la première préoccupation de la bourgeoisie qui tend à repousser au second plan ses tensions internes, aussi bien sur le plan national qu'international.
Alors que la crise économique pousse la bourgeoisie vers 1'exacerbation des rivalités inter impérialistes, le fait actuel que toutes les fractions de la bourgeoisie se trouvent confrontées en même temps au même ennemi réel, la classe ouvrière, -dont la force réside dans sa capacité à s'unifier et à développer sa conscience politique-les pousse à faire preuve de plus d'unité.
Ce n'est pas un phénomène nouveau, l'histoire nous donne des exemples limpides de cette réalité:
- face à la Commune de Paris, les armées belligérantes de France et d'Allemagne unissent leurs efforts pour écraser l'insurrection parisienne;
- face à la révolution en Russie et qui menace en Allemagne, la bourgeoisie met fin à la première guerre mondiale et unifie ses efforts pour écraser la vague révolutionnaire.
Cette unité est aussi rendue possible par des décennies de décadence, de concentration des pouvoirs au sein de l'Etat. C'est une réalité qui tend à devenir permanente et qui marque toute la situation internationale du rapport de force entre prolétariat et bourgeoisie.
Cela s'est traduit, ces dernières années, après l'échec des méthodes classiques (comme celles des années 30) par la mise en place au niveau international d'une stratégie plus adaptée de la bourgeoisie. Cette stratégie s'est manifestée non seulement dans le renforcement de son arsenal répressif, mais surtout par une utilisation plus intensive et plus appropriée des campagnes idéologiques au travers d'un contrôle plus strict des médias de masse.
Les campagnes idéologiques de la bourgeoisie se sont développées internationalement sur deux thèmes essentiels, corollaires l'un de l'autre : la guerre et le pacifisme. Ces campagnes constituent apparemment un paradoxe, après l'échec des campagnes d'embrigadement dans la guerre que constituait l'idéologie des "droits de l'homme", à une période où le chemin vers la guerre n'est pas ouvert. Pourtant, précisément parce que ce n'est pas le problème de la guerre qui se pose dans l'immédiat au prolétariat, ce ne sont pas de réelles campagnes pour la guerre, mais essentiellement des campagnes de déboussolement qui visent à entraver le développement de la prise de conscience du prolétariat en lui masquant l'alternative révolutionnaire.
La bourgeoisie essaie d'utiliser le même réflexe de peur que lors des campagnes anti-terroristes, qui visaient à justifier et à faire accepter le contrôle policier. En étalant sur les écrans T.V. ou sur les pages des journaux les horreurs de la guerre, le but n'est pas de mobiliser la classe ouvrière vers une guerre immédiate mais de l'immobiliser face à l'austérité en la jetant dans les bras de la gauche "pacifiste", tout en induisant des sentiments nationalistes derrière l'illusion du neutralisme.
En effet, ces campagnes sur la guerre ne prennent sens et ne sont efficaces que dans la mesure où une gauche dans l'opposition est capable d'en tirer les fruits avec le pacifisme et le neutralisme qui en découle.
3. La gauche dans l'opposition
Face à la dégradation de son économie, le maintien de la gauche au gouvernement devient incompatible avec la préservation de son image de défenseur des ouvriers.
La gauche de l'appareil politique de la bourgeoisie est la fraction spécifiquement destinée à exercer le contrôle idéologique de l'Etat sur le prolétariat; cela n'est possible que dans la mesure où cette gauche se réclame des traditions de la classe ouvrière au niveau politique et syndical. Ne pouvant maintenir la gauche crédible, et donc la crédibilité de l'Etat avec la gauche au gouvernement, la bourgeoisie est obligée de se réorganiser pour mettre la gauche dans l'opposition. Derrière cette question, c'est tout le rapport du prolétariat à l'Etat qui est en jeu.
La crise pousse au divorce de plus en plus accentué entre l'Etat et la société civile. Le prolétariat, en particulier, perd ses illusions sur le Welfare state et tend à prendre conscience du rôle anti-ouvrier de l'Etat, il est contraint à perdre ses illusions démocratiques. La bourgeoisie essaie d'entraver ce processus en tentant de faire identifier l'Etat à la droite et en maintenant dans l'opposition l'illusion d'un Etat de "gauche", d'un "bon" Etat.
Dans les années 70, parce que les effets de la crise dans les pays centraux étaient encore relativement faibles, la bourgeoisie pouvait se permettre, à coup de campagnes électorales, de diluer le prolétariat dans la population en général. Au sein de la gauche, le rôle déterminant était joué par les partis politiques, électoraux et le travail des syndicats consistait essentiellement à ramener les ouvriers sur le terrain électoral. La relance de la combativité ouvrière à la fin des années 70 va montrer que les mystifications électorales ne suffisent plus. La bourgeoisie devait affronter le prolétariat aux racines mêmes de sa luttes. Le rôle des syndicats est devenu prépondérant. La radicalisation du langage et de l'activité syndicale à la base a pour but d'entraver, de démoraliser, de diviser, d'empêcher l'extension et l'auto organisation des grèves ouvrières. Dans les pays avancés, le syndicalisme "radical" devient le fer de lance de l'offensive de la bourgeoisie contre les ouvriers : on a pu en mesurer l'efficacité face aux luttes ouvrières ces dernières années.
Cette stratégie globale de la gauche dans l'opposition telle qu'elle se concrétise dans les pays centraux (USA, RFA, GB, Belgique, Hollande) n'est pas contredite par l'arrivée de la gauche au pouvoir dans certains pays.
En effet, la bourgeoisie n'est pas une classe homogène, elle est divisée et éprouve des difficultés à surmonter ses tensions internes. Au sein de l'Etat, ces tensions se manifestent et se traduisent au niveau de la souplesse de l'appareil politique. Le partage des tâches qu'impose la nécessité de mettre la gauche dans l'opposition implique une homogénéisation de la bourgeoisie derrière l'Etat qui peut se heurter à la faiblesse idéologique de certains secteurs de la droite traditionnelle. La venue de la gauche au gouvernement en France a mis en lumière cette faiblesse et a surpris la bourgeoisie mondiale. Au coeur de l'Europe industrielle, ce "raté" de la bourgeoisie constitue un affaiblissement important de sa capacité d'encadrement du prolétariat. La gauche au gouvernement doit assumer directement la politique d'austérité nécessaire au capital national. Ce faisant, la gauche en vient à montrer le même visage que la droite et perd de son pouvoir de mystification et de contrôle sur une fraction du prolétariat mondial qui, dans l'histoire, s'est distingué par son sens politique et qui n'a pas oublié l'expérience des grèves de Mai 68, qui a marqué la reprise historique des luttes du prolétariat après 50 années de contre-révolution.
L'arrivée des socialistes au gouvernement en Grèce, en Suède ou en Espagne, ne peut avoir la même importance parce que le prolétariat de ces pays joue un rôle moins central. D'ailleurs, l'arrivée de la gauche au pouvoir dans ces pays n'a pas constitué une surprise pour la bourgeoisie. La situation a été préparée parce que la bourgeoisie ne pouvait faire autrement. La faiblesse de la droite dans ces pays est une faiblesse congénitale : poids du passé fasciste en Espagne ou de la dictature militaire en Grèce, inexpérience de la droite en Suède où la social-démocratie a monopolisé le pouvoir pendant des décennies. Néanmoins, la droite, dans ces pays comme partout, sera amenée à revenir au gouvernement dans le cadre du partage des tâches droite au pouvoir/gauche dans l'opposition, partage des tâches qui tendra de plus en plus à s'imposer dans le futur canne une nécessité face au développement de la lutte de classe. Ce n'est que par une cure d'opposition que cette droite peut se restructurer afin de pouvoir assumer efficacement sa fonction future à la tête du gouvernement.
Parce que tout développement de la lutte de classe dans un pays (et surtout dans un pays central) a des répercussions internationales, la bourgeoisie doit se serrer les coudes au niveau international. Avec la lutte de classe en Pologne nous avons vu comment la bourgeoisie est capable de surmonter ses divisions impérialistes pour affronter de manière unie le prolétariat et pour rendre crédible le mythe de 1'"opposition" de la gauche sous sa forme syndicale au travers de Solidarnosc. Cette "vie" de Solidarnosc en Pologne, en opposition à toute la rigidité de l'appareil stalinien, n'a été rendue possible que grâce à l'union de toutes les forces de la bourgeoisie mondiale face aux ouvriers.
L'offensive que mène la bourgeoisie maintenant n'a pas pour but d'embrigader la classe ouvrière, parce que ce n'est pas possible, mais d'abord de l'affronter, d'entraver sa marche vers l'unité, de l'endetter et de la démoraliser. Dans ces conditions, l'impact d'une telle offensive ne peut se mesurer à court terme. Mais d'ores et déjà, on peut en mesurer l'efficacité dans le recul de la lutte de classe en 1981 et 1982, recul qui s'est concrétisé et accentué par la défaite en Pologne, renforçant le déboussolement du prolétariat mondial.
Cependant, parce que celui-ci, et notamment sa fraction d'Europe occidentale, au coeur des rivalités impérialistes mondiales, n'est pas embrigadé dans la guerre impérialiste, son potentiel de combativité est fondamentalement intact, et ceci malgré sa défaite partielle en Pologne, malgré toutes les illusions qui continuent de peser encore sur lui. Parce qu'elle le contraint à lutter, à abandonner ces illusions, la crise du capitalisme est la meilleure alliée du prolétariat.
"Ce qui est important, ce n 'est pas ce que pense tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat dans son ensemble à un moment donné de son histoire, mais ce qu 'il sera contraint historiquement de faire, conformément à son être."
K. Marx, "La Sainte Famille".
QUELLES PERSPECTIVES?
Si, jusqu'à présent, le prolétariat des pays centraux avait subi moins brutalement que ses frères de classe de la périphérie les rigueurs de l'austérité, l'enfoncement du capitalisme dans la crise contraint la bourgeoisie à une attaque de plus en plus sévère du niveau de vie de la classe ouvrière au sein de la plus importante concentration industrielle mondiale, celle d'Europe occidentale.
Dans la mesure où la condition subjective essentielle est satisfaite -le prolétariat n'étant pas écrasé- il possède en son centre aussi un énorme potentiel de combativité; l'approfondissement accéléré de la crise est la condition objective nécessaire à l'ouverture d'une période révolutionnaire. Cette crise, que le prolétariat vit carme une contrainte, le pousse à généraliser ses luttes et sa conscience, à mettre pratiquement en avant la perspective révolutionnaire.
1. La question du chômage et la généralisation des luttes
De plus en plus, c’est la question du chômage qui signifie le plus clairement pour la classe ouvrière dans les pays développés ce qu'est la crise : .32 millions de chômeurs pour les pays de l'OCDE, c’est-à-dire toute la population active de RFA, de Belgique et des Pays-Bas réunis. Et pas d'amélioration devant nous; de ce point de vue, le pire de la crise est à venir.
Dans un premier temps, la bourgeoisie a pu utiliser la croissance lente du chômage pour diviser et intimider la classe ouvrière. "Accepter les licenciements pour sauver l'entreprise", "les chômeurs sont des privilégiés", "expulser les travailleurs immigrés pour maintenir l'emploi" : autant de mensonges qui volent en éclats devant le développement accéléré du chômage.
Jusqu'à présent, la bourgeoisie a pu limiter l'impact du chômage sur la combativité du prolétariat, d'abord en versant des allocations, ensuite en développant l'illusion que le chômage est un sacrifice nécessaire pour mettre fin à la crise. Cette situation va s'éroder, la bourgeoisie est obligée de s'attaquer toujours plus au niveau de vie des chômeurs, corme à celui de tous les autres prolétaires, car la crise s'approfondit inexorablement.
L'ensemble du prolétariat est touché par le chômage, par delà les divisions nationales, ethniques, de corporation; le chômage montre aux prolétaires ce qui les menace tous et pose ainsi la base de l'unité de la classe ouvrière.
Le problème du chômage, dans tous les pays industrialisés, se pose au niveau international; il montre que quels que soient les mensonges de chaque bourgeoisie nationale, la situation est la même partout.
Par son accroissement inévitable le chômage ne peut que pousser le prolétariat à la lutte. Lutter ou sombrer dans la misère du chômage, c'est l'alternative qui se pose concrètement aux ouvriers. Les files de chômeurs devant les soupes populaires donnent une image de ce qui attend toute la classe ouvrière. Les prolétaires luttent et lutteront, ne serait-ce que parce que c'est leur survie qui est en jeu.
Tous les mensonges de la bourgeoisie se démasquent sous la pression de la crise et par la résistance de la classe ouvrière. Le développement de la crise dans la période actuelle ne peut se traduire que par un affaiblissement de la bourgeoisie et par le renforcement du prolétariat dans la lutte historique qui les oppose. La dynamique de cette lutte dépend de la capacité de la bourgeoisie à faire face à son ennemi de classe.
Durant toutes les années 70, on peut dire que dans ses luttes le prolétariat a plus montré sa combativité que la conscience de ses buts et des moyens d'y parvenir. Ce phénomène s'est vérifié encore en Pologne où l'énorme combativité du prolétariat révélée par le caractère massif de son combat et par sa capacité à braver la menace de la répression est venue se heurter aux pires illusions démocratiques bien classiques -pluralisme, syndicalisme, nationalisme- qui ont fini par épuiser la dynamique de la grève de masse : l'extension et 1'auto-organisation.
La grève de masse en Pologne a illuminé la scène mondiale durant les premiers mois par la force de sa dynamique, sa rapidité. Si cette dynamique montre la vitalité du prolétariat, elle a été aussi rendue possible par la faiblesse locale de la bourgeoisie faiblesse liée aux spécificités des pays de l'Est dont la rigidité de l'appareil politique laisse peu de place à des forces d'opposition destinées à encadrer et à mystifier le prolétariat. La bourgeoisie du bloc russe n'a pu surmonter cette faiblesse congénitale pour faire face à la lutte de classe en Pologne qu'avec l'aide de la bourgeoisie mondiale, tant sur le plan économique que politique, ce qui lui a permis de "faire vivre" avec Solidarnosc l'illusion d'un syndicalisme indépendant.
D'une façon similaire, l'explosion de la lutte de classe en mai 68 en France a aussi été facilitée par la surprise et l'impréparation de la bourgeoisie qui vivait encore dans l'illusion d'un prolétariat passif, tel qu'elle l'avait connu durant 40 ans.
Le prolétariat d'Europe de l'Quest se trouve aujourd'hui dans une situation différente. En effet, 15 ans de crise économique et de lutte de classe ont permis à la bourgeoisie, avertie, de se préparer, de réorganiser, d'adapter son appareil politique pour tenter de faire face au développement prévisible de la lutte de classe. Le prolétariat d'Europe de l'Ouest doit faire face à la fraction la plus expérimentée de la bourgeoisie mondiale, aux mystifications les plus élaborées, à l'appareil d'encadrement le plus sophistiqué dont la carte de la gauche dans l'opposition constitue un des éléments les plus importants.
2. L'obstacle syndical et la généralisation de la conscience
Depuis la reprise de la lutte de classe en 1968, tous les combats significatifs de la classe ouvrière ont été marqués par le débordement, à des degrés divers, de l'appareil syndical.
Les syndicats sont le fer de lance de l'appareil de contrôle de la classe dominante sur le prolétariat. Dans tous les lieux de travail, ils organisent le quadrillage de l'Etat avec pour tâche d'abord d'empêcher la lutte ouvrière de se déclencher, ensuite de la saboter. Ils sont les troupes avancées de la bourgeoisie sur le front de la lutte de classe.
En 1917, la question de la guerre impérialiste a joué un rôle central dans la prise de conscience du prolétariat. Cependant, dans la question de la généralisation de la révolution en Europe occidentale, l'obstacle syndical est revenu au premier plan.
Dans les conditions actuelles, où le chemin vers la guerre n'est pas ouvert, la question syndicale est centrale dans la prise de conscience générale du prolétariat, parce que c'est l'obstacle essentiel auquel il se confronte le plus directement dans sa lutte et à chaque moment de celle-ci.
Aucune lutte ne peut dépasser le cadre national sans développement de la grève de masse, avant tout sans débordement de l'appareil syndical. La question nationale et la question syndicale sont intimement liées. Le prolétariat en Pologne a posé implicitement la question de la généralisation internationale sans pouvoir y répondre, car cette question est liée à la capacité à dépasser les illusions sur le syndicalisme, la gauche et la démocratie. Par sa situation et son expérience spécifique, la classe ouvrière de Pologne, seule, ne pouvait y répondre.
Par contre, le prolétariat d'Europe occidentale, parce qu'il n'est pas dans la même situation d'isolement, parce qu'il a accumulé depuis des décennies toute une expérience de luttes où il s'est confronté aux syndicats, à la gauche, parce qu'aujourd'hui plus que jamais la crise le pousse à lutter, parce que son potentiel de combativité est intact, se trouve aujourd'hui dans des conditions meilleures qu'il n'en a jamais connues pour clarifier aux yeux du prolétariat mondial la véritable nature des syndicats, de la gauche et de la démocratie.
Le prolétariat d'Europe occidentale est le mieux placé pour balayer les obstacles qui se dressent devant lui et l'ensemble du prolétariat mondial, obstacles visant à l'empêcher de mettre en avant dans ses luttes la perspective révolutionnaire.
Ce prolétariat n'est plus dans la situation de mai 68 et n'est pas dans celle de la Pologne 80. La gauche dans l'opposition et le développement du syndicalisme de base ont rendu plus difficile le débordement de l'appareil syndical, débordement sans lequel la dynamique de la grève de masse ne peut s'enclencher. C'est dans la lutte que le prolétariat doit faire le dur apprentissage du fait que la gauche et les syndicats sont ses ennemis. Cette prise de conscience ne peut se faire du jour au lendemain; le chemin vers la généralisation sera marqué par des avancées et des reculs, c'est-à-dire par des moments de déboussolement, manifestation de rupture avec les illusions.
Cependant, le creux de ces deux dernières années n'est pas dû uniquement à l'offensive politique de la bourgeoisie, il est aussi la manifestation inhérente aux difficultés mêmes du processus de prise de conscience du prolétariat. Jusqu'à présent, depuis la reprise de 68, le niveau de conscience contenu dans la combativité du prolétariat était empreint des illusions sur la possibilité de sortir de la crise économique. Ces illusions ne peuvent que tomber. Alors que toute l'activité de la bourgeoisie tend à enfermer, à isoler les luttes derrière le contrôle syndical afin de les mener dans l'impasse, toute l'expérience d'échecs du prolétariat qui n'obtient rien dans ces grèves isolées, le pousse de plus en plus à assumer les aspects politiques contenus dans la base économique de ses luttes. Parce que le problème est général, le prolétariat est poussé à généraliser ses luttes et sa conscience.
De sa capacité à clarifier ces questions dans ses luttes futures où il sera obligé de se confronter aux syndicats -et donc de développer son auto organisation-, dépend sa capacité à développer la grève de masse et à mettre en avant pratiquement la perspective révolutionnaire par la généralisation.
La perspective révolutionnaire n'est pas seulement une question théorique, c'est avant tout une question pratique. Fn mai 68, la question de la révolution a été posée par les ouvriers en grève -bien qu'ils n'aient pu y répondre pratiquement -donnant ainsi une perspective pour toute la période qui s'ouvrait. Dans les années qui ont suivi, la bourgeoisie par sa contre-offensive a tout fait pour masquer la nécessité de la révolution et surtout sa possibilité.
C'est dans la capacité du prolétariat européen à lutter, à montrer concrètement qu'il est possible d'opposer une alternative à la barbarie capitaliste par la généralisation de ses luttes, que va se développer la conscience dans la classe ouvrière mondiale non seulement de la nécessité de la révolution communiste, mais surtout de sa possibilité.
3. L'importance du prolétariat d'Europe de l'Ouest
C'est l'écrasement du prolétariat allemand qui a fait échouer l'extension de la révolution nasse, c'est 1 'embrigadement du prolétariat d'Europe qui a permis la première et la seconde guerre mondiale, c'est le réveil de la lutte de classe en Europe qui marque la fin de la période de contre-révolution, c'est le recul du prolétariat européen face aux mystifications de la gauche au pouvoir qui détermine le reflux des années 70, c'est l'usure de ces mystifications qui permet la reprise de la lutte de classe à la fin des années 70, et c'est la contre-offensive de la bourgeoisie notamment en Europe avec la gauche dans l'opposition qui est à l'origine du recul de 1981-82.
Aujourd'hui plus que jamais, le rôle du prolétariat d'Europe de l'Ouest est crucial, tant sur le plan des conditions objectives dans lesquelles se développe sa lutte (évidence de la nature de la crise comme crise de surproduction rendant possible la révolution), que des conditions subjectives (expérience des mystifications bourgeoises les plus sophistiquées).
Des affrontements de classe de demain, de la capacité du prolétariat d'Europe à tirer les leçons de ses échecs et de ses victoires dépend la perspective révolutionnaire et l'avenir de l'humanité.
Rosa Luxemburg disait : "Le prolétariat est la seule classe qui parvient à la victoire après toute une série de défaites".
La défaite des ouvriers en Pologne est de celles qui annoncent les perspectives futures de la lutte de classe. Manifestation de la force de l'ennemi, cette défaite a conduit à une désorientation du prolétariat mondial. Cependant, les luttes qui l'ont précédée dans ce pays ont été un élément de clarification pour l'ensemble du prolétariat mondial sur la nature des pays de l'Est et des mystifications staliniennes.
A une échelle bien plus grande encore, la lutte du prolétariat en Europe occidentale devra être une clarification pour l'ensemble du prolétariat mondial; elle seule pourra donner un sens, une perspective, une unité à toutes les luttes de la classe ouvrière face à la crise économique, face à la guerre, face à la barbarie du capital sous toutes ses formes.
Parce qu'aujourd'hui, le terrain pour le développement des luttes et de la prise de conscience du prolétariat est celui d'une crise économique inexorable et non celui de la guerre impérialiste, parce que le prolétariat n'a pas subi de défaite historique, jamais les conditions n'ont été aussi bien réunies pour la mise en avant d'une perspective révolutionnaire.
Plus que jamais, l'avenir appartient au prolétariat, et dans cet avenir, le prolétariat du coeur du monde capitaliste, de la vieille Europe, a un rôle essentiel à jouer.
[1] [113] En Allemagne, l'Etat nazi impose son image "populaire" grâce en particulier au développement de l'économie de guerre qui permet de relancer l'embauche.
1. A l'aube des années 80, nous avons analysé la décennie qui commençait comme "les années de vérité", les années où les convulsions et la faillite ouverte du mode de production capitaliste al laient dévoiler dans toute sa clarté l'alternative historique : révolution communiste ou guerre impérialiste généralisée. A la fin du premier tiers de cette période, on peut constater que cet te analyse s'est pleinement confirmée : jamais, depuis les années 30, l'impasse totale dans laquelle se trouve l'économie capitaliste ne s'était révélée avec une telle évidence ; jamais, depuis la dernière guerre mondiale, la bourgeoisie n'avait déployé de tels arsenaux militaires, n'avait mobilisé de tels efforts en vue de la production de moyens de destruction ; jamais, depuis les années 20, le prolétariat n'avait mené des combats de l'ampleur de ceux qui ont secoué la Pologne et l'ensemble de la classe régnante en 1980-81. Ce pendant, ce n'est là qu'un début. En particulier, si aujourd'hui les dirigeants bourgeois semblent se consoler en bavardant sur la "reprise économique", ils ont du mal à masquer que le plus fort de la crise est devant nous. De même, le recul mondial des luttes ouvrières qui a suivi les formidables combats de Pologne ne constitue qu'une pause avant les énormes affrontements de classe qui mettront en mouvement les détachements décisif s du prolétariat mondial, celui des grandes métropoles industrielles et notamment d'Europe occidentale. C'est ce que la présente résolution essaie de montrer.
2. La récession qui a marqué le début des années 80 s'est confirmée comme "la plus longue et la plus profonde" de l'après-guerre (comme nous le prévoyions au 3ème congrès du CCI en 1979) Dans les principaux pays avancés, le coeur du capitalisme mondial, cette récession se caractérise par:
- une chute brutale de la production industrielle (-4,5% pour les 7 pays les plus importants de l'OCDE en 1982 après une stagnation en 1981) ;
- une sous-utilisation massive des forces productives, tant du potentiel industriel (près d'un tiers non utilisé au Canada et aux USA en 82) que de la force de travail (32 millions de chômeurs dans les pays de l'OCDE, soit plus de 10% de la population active) ;
- un recul très net des investissements productifs (-14% en 82 aux USA par exemple) ;
- une régression du commerce mondial (-1% en 81, -2% en 82).
Tous ces éléments mettent en évidence que la crise dont souffre le capitalisme trouve ses racines dans la saturation des marchés à l'échelle mondiale, dans la surproduction de marchandises eue égard à la demande solvable.
Cette incapacité d'écouler les marchandises produites se répercute directement sur ce qui constitue l'objet de la production capitaliste : le profit. C'est ainsi que dans la principale puissance mondiale, le montant annuel des profits industriels (avant impôts) a chuté de 90 milliards de dollars (-35%) entre 80 et 82, alors que de nombreux secteurs de base, comme l'acier et l'automobile, travaillent à perte. Ainsi se trouve confirmée une des thèses classiques du marxisme : de tendancielle, la baisse du taux de profit devient effective dès lors que les marchés sont saturés.
3. La crise du capitalisme trouve ses sources dans les métropoles industrielles. Cependant, et pour cette même raison, elle est mondiale, aucun pays n'y échappe. Ceux de la périphérie, en particulier, en subissent la rigueur sous ses formes les plus extrêmes. Alors que la décadence du mode de production capitaliste a placé ces pays dans l'incapacité de connaître un réel développement industriel et de rejoindre les nations les plus avancées, la crise aiguë de ce mode de production les a mis au premier rang de ses victimes. En fait, les économies les plus puissantes ont, dans un premier temps, reporté vers les plus faibles une part importante des effets de la crise.
Aujourd'hui, la crise mondiale provoque dans les pays du tiers-monde une aggravation tragique des maux endémiques dont souffrent ces pays : multitude de sans-travail entassés dans les bidonvilles, développement des famines et des épidémies. Parmi ces pays, ceux pour lesquels on parlait de "miracle", tels le Brésil ou le Mexique, administrent la preuve qu'il n'y a pas d'exception à la règle: leur tentative de se doter d'un appareil industriel moderne dans un monde où même les plus forts subissent maintenant de plein fouet les rigueur de la crise, les a conduit à la banqueroute, à une accumulation astronomique de dettes dont chacun sait qu'ils ne pourront pas s'acquitter et qui les contraint, sous la houlette du FMI, à des politiques d'austérité draconiennes qui vont enfoncer encore plus leurs populations dans la misère totale.
Dans le peloton des pays insolvables, ils sont rejoints par ceux qui se prétendent "socialistes". L'économie arriérée et fragile de ces derniers subit maintenant de plein fouet la crise mondiale par une incapacité permanente et croissante à atteindre des objectifs du plan pourtant de moins en moins ambitieux, ainsi que par le développement de pénuries de plus en plus catastrophiques qui règlent leur compte tant aux mensonges staliniens et trotskystes sur leur nature "socialiste" qu'aux élucubrations échafaudées au sein de courants prolétariens sur leur aptitude à "échapper à la loi de la valeur".
4. Les convulsions récentes de l'économie mondiale, notamment les menaces qui se profilent à intervalles réguliers d'une explosion de l'édifice financier international, ont conduit nombre d'économistes à rapprocher la situation présente de celle de 1929 et des années 30, pour conclure d'ailleurs la plupart du temps que la crise actuelle était moins grave que celle d'il y a 50 ans. Il appartient aux révolutionnaires, aux marxistes, de mettre en évidence tant les points communs que les différences entre ces deux crises afin de situer la gravité réelle de celle que nous vivons et ses perspectives.
Ces deux crises ont pour point commun de constituer la phase aiguë de la crise historique du mode de production capitaliste entré dans sa période de décadence depuis la 1ère guerre mondiale. Elles résultent de l'épuisement du stimulant qu'a constitué la reconstruction à la suite de chacune des deux guerres impérialistes généralisées. Elles sont la manifestation brutale de la saturation mondiale des marchés résultant de l'absorption ou de la destruction par le capitalisme, pratiquement achevée au début de ce siècle, des secteurs extra capitalistes qui avaient constitué son sol nourricier depuis son apparition.
Cependant, si le fond de ces deux crises est le même, elles diffèrent quant à la forme et au rythme du fait des caractéristiques différentes du capitalisme d'aujourd'hui et de celui d'il y a un demi-siècle.
La crise de 1929 touche un capitalisme qui, par bien des aspects, continue de vivre suivant des règles qu'il a héritées de sa période de pleine prospérité du 19ème siècle. En particulier, l'étatisation de l'économie qui avait été menée tambour battant lors de la première guerre mondiale a en bonne partie cédé la place au vieux "laisser-faire". De même, les blocs impérialistes qui s'étaient constitués lors de cette guerre ont relâché sensiblement leur emprise, notamment avec le développement de l'illusion que celle-ci était la "der des der". De ce fait, à peine la reconstruction terminée, la réémergence des contradictions du capitalisme provoque un effondrement brutal de celui-ci. Les banques, les entreprises réagissent en ordre dispersé, ce qui ne fait qu'aggraver l'effet "château de cartes" du krach financier. Et lorsque les Etats interviennent, c'est encore en ordre dispersé qu'ils le font sur la scène internationale sous forme de fermeture quasi totale des frontières et de dévaluations sauvages.
Le capitalisme d'aujourd'hui est bien différent de celui de 1929. Le capitalisme d'Etat qui connaît son grand essor au cours des années 30 sous les formes du stalinisme, du fascisme et en particulier des politiques keynésiennes, n’a cessé depuis d'étendre et de renforcer son emprise sur l'économie et la société. De plus, si les blocs impérialistes se recomposent à la fin de la seconde guerre mondiale, leur existence et leur force ne sont nullement remises en cause. Au contraire: si leur ciment de base est l'alliance militaire autour de chacune des deux nations dominantes, ils étendent de plus en plus leurs prérogatives à la sphère économique (COMECON à l'Est ; FMI, OCDE, etc., à l'Ouest).
Pour ces raisons, ce ne sont pas des entreprises privées qui affrontent individuellement l'aggravation des contradictions économiques qui marque la fin de la reconstruction du 2ème après-guerre au milieu des années 60. Ce sont les Etats. Et ces derniers mènent leur politique non en ordre dispersé mais en accord avec les orientations définies à l'échelle de chacun des blocs. Cela ne veut nullement dire que les rivalités commerciales entre les différentes nations d'un bloc ont disparu. Bien au contraire : la saturation croissante des marchés ne fait que les attiser et les tendances protectionnistes, pour être exploitées dans les campagnes nationalistes, n'en sont pas moins réelles. Cependant, la situation commande à chacun des blocs de ne pas laisser libre cours à ces rivalités et à ces tendances protectionnistes sous peine d'un effondrement immédiat de toute l'économie mondiale.
5. Le développement du capitalisme d'Etat et la prise en charge des politiques économiques au niveau des blocs impérialistes rendent de même très improbable un krach financier comme celui de 29. Si l'enfoncement dans la crise depuis le milieu des années 60 connaît de brusques accélérations (67, 70-71, 74-75, 80-82), le capitalisme a toutefois appris, depuis les années 30 à en ralentir et contrôler le rythme global, à s'épargner les collapsus brutaux. Cela ne veut pas dire cependant que la situation présente du capitalisme soit moins grave que celle qu'il connaissait en 1929. Bien au contraire : elle est en réalité beaucoup plus grave. En effet, les mesures qui avaient permis un certain rétablissement de l'économie mondiale au milieu des années 30 ont été employées déjà massivement depuis la fin de la deuxième guerre et se sont renforcées encore au cours des années 70.
Les dépenses massives d'armements, les politiques keynésiennes de grands travaux, de "soutien à la demande" par les déficits budgétaires et l'endettement des Etats qui étaient momentanément possibles après 1929 alors qu'on sortait d'une période de déflation et que les caisses des Etats n'étaient pas encore vides, sont devenues complètement incapables de procurer un quelconque répit après des décennies d'inflation résultant d'efforts d'armement intensifs et de l'abus des drogues néo-keynésiennes. Ces drogues, auxquelles on doit le montant astronomique des dettes sur lequel repose aujourd'hui l'économie mondiale (les 750 milliards de dettes du tiers-monde ne doivent pas masquer les 5000 milliards de dettes de la seule économie américaine, sans compter celles des autres pays avancés), ne pouvaient aboutir qu'à la mort du malade par un emballement apocalyptique de la spirale inflationniste et l'explosion du système financier international. En particulier, le développement des dépenses militaires qui, dans les années 30, avait momentanément contribué à la reprise, apparaît clairement aujourd'hui corme un facteur aggravant de l'acuité de la crise.
Les politiques "monétaristes" orchestrées par Reagan et suivies par la totalité des dirigeants des pays avancés rendent compte de cette faillite des politiques néo-keynésiennes en laissant émerger la cause profonde de la crise du capitalisme, la surproduction généralisée et ses conséquences inéluctables : la chute de la production, l'élimination du capital excédentaire, la mise au chômage de millions d'ouvriers, la dégradation massive du niveau de vie de l'ensemble du prolétariat.
En ce sens, la prétendue "reprise" dont on a pu faire grand cas il y a quelques mois ne fera pas long feu. La timidité avec laquelle elle se manifeste et le nombre réduit des pays qui en bénéficient (USA et Grande Bretagne) traduisent bien le fait qu'il est aujourd'hui hors de question pour le capitalisme de rééditer l'opération de 76-78 où les prêts massifs aux pays du tiers-monde avaient permis une certaine relance de la production des pays avancés. Un des indices de l'aggravation continue de la crise consiste dans le fait que les mouvements de récession sont de plus en plus longs et profonds alors que les mouvements de reprise sont de plus en plus courts et insignifiants.
6. L'aggravation inexorable de la crise confirme bien que nous sommes entrés dans les "années de vérité", celles où se dévoilera dans toute son évidence la véritable nature des contradictions du mode de production capitaliste. Années de vérité qui s'illustreront non seulement au plan économique mais également et surtout au plan des enjeux historiques essentiels de la société avec l'émergence de l'alternative déjà annoncée par l'Internationale Communiste : Guerre ou Révolution ; ou bien la réponse prolétarienne à la crise : le développement des luttes de classe menant à la révolution, ou bien son aboutissement bourgeois : l'holocauste impérialiste généralisé.
Pour sa part, la bourgeoisie poursuit et poursuivra ses préparatifs militaires tant que sa domination de classe ne sera pas directement menacée. Mais il importe de mettre en évidence ce qui aujourd'hui et dans la période qui vient détermine fondamentalement la politique bourgeoise : ces préparatifs de guerre ou bien les préparatifs à un affrontement décisif avec la classe ouvrière. En ce sens il est important de distinguer,y compris au plan des gesticulations bellicistes des gouvernements, ce qui participe directement de l'aggravation des conflits impérialistes de ce qui relève avant tout d'une politique globale contre le prolétariat .
7. Dans la dernière période, l'aggravation des tensions impérialistes s'est manifestée en premier lieu par une nouvelle avancée du bloc américain dans une des zones essentielles en conflit : celle du Moyen-Orient. L'opération "Paix en Galilée" me née par Israël, la mise au pas de l'OLP et l'expulsion de ses troupes du Liban, l'installation des corps expéditionnaires occidentaux dans ce pays, constituent une nouvelle étape vers la liquidation complète de la présence dans cette partie du monde, de l'URSS. C'est ce qui explique la tentative désespérée de cette puissance d'y conserver un der nier point d'appui par l'armement intensif de la Syrie.
La poursuite de l'instauration de la "pax americana" au Moyen-Orient trouve par ailleurs un complément dans la mise au pas progressive de l'Iran et le renforcement de l'intégration de l'Irak dans le bloc de l'Ouest, dans la mesure même où les livraisons d'armement à ces deux pays pour alimenter la guerre du Golfe les rendent plus dépendants du monde occidental. La liquidation du parti stalinien en Iran (Toudeh) illustre que ces manoeuvres réduisent progressivement les espoirs de l'URSS d'accéder un jour aux "mers chaudes", que l'invasion de l'Afghanistan avait pu lui procurer.
L'autre volet de l'aggravation des tensions impérialistes consiste dans le nouveau pas franchi par l'ensemble des principaux pays et notamment des USA dans le renforcement des armements et particulièrement le déploiement en Europe -théâtre et enjeu essentiels d'une éventuelle 3ème guerre mondiale- des Pershing II et des missiles de croisière. Cette dernière opération confirme bien, s'il en était encore besoin, l'indéfectible fidélité des pays d'Europe occidentale à l'alliance américaine.
8. Autre est la signification qu'il faut attribuer aux bruits de bottes qui se sont fait entendre ces derniers temps aux Malouines et en Amérique centrale. Dans le premier cas, il s'agissait d'une opération interne au bloc occidental destinée avant tout, à travers une campagne idéologique assourdissante, à déboussoler la classe ouvrière des pays avancés (comme on a pu le voir notamment en Grande Bretagne) et accessoirement à servir de test en réel des armements les plus modernes. Dans le deuxième cas, la présence de conseillers cubains et d'armements russes au Nicaragua comme le soutien de ce pays à la guérilla salvadorienne n'impliquent nullement une menace pour les USA de l'apparition d'un nouveau Cuba à leurs frontières. Les campagnes de Reagan sur cette question, auxquelles s'opposent les secteurs "pacifistes" ou "colombes" de la bourgeoisie américaine participent fondamentalement d'une politique concertée de tous les secteurs de la classe dominante en occident en vue de détourner le prolétariat de ses combats et de ses intérêts de classe.
De même, les grandes campagnes pacifistes qui touchent -avec un certain succès- la plupart des pays occidentaux n'ont pas la mené vocation que celles des années 30 qui préparaient directement la 2ème guerre mondiale. Là encore, l'objectif majeur de ces campagnes, qui s'appuient sur une réelle inquiétude suscitée, par les préparatifs guerriers, est de constituer un facteur de déboussolement de la classe ouvrière en vue de limiter et d'éparpiller son inévitable riposte de classe à l'aggravation inexorable de la crise et de ses conditions de vie. Ces campagnes s'intègrent dans le partage des tâches qui s'opère de plus en plus clairement à l'échelle mondiale entre les secteurs "de droite" de la bourgeoisie, chargés d'appliquer au gouvernement des politiques d'austérité de plus en plus dures à l'égard de la classe ouvrière et les secteurs "de gauche" chargés de saboter ses luttes.
9. Ce partage des tâches entre secteurs de la bourgeoisie, la mise en place de la carte de la "gauche dans l'opposition" que le CCI avait signalé dès 1979, s'est encore confirmé ces derniers mois avec l'arrivée des chrétiens-démocrates au gouvernement en' Allemagne et la récente victoire éclatante des Tories en Grande-Bretagne au détriment d'un parti travailliste qui s'était "suicidé" au plan électoral par son "extrémisme" et son "pacifisme" aux dires mêmes des observateurs bourgeois, dans le but de renforcer son contrôle sur la classe ouvrière. Cette perspective de "la gauche dans l'opposition" n'est nullement démentie par l'arrivée des forces de gauche ces derniers temps dans des pays couine la France, la Suède, la Grèce, l'Espagne et le Portugal. Dans l'ensemble de ces cas, il ne s'agit nullement d'une manifestation de force de la bourgeoisie, mais au contraire d'éléments de faiblesse. Dans le cas des trois derniers pays, c'est fondamentalement l'expression des difficultés de la classe dominante à constituer de solides forces de droite au sortir d'une longue période de régime militaire ou fasciste. Dans le cas de la Suède, c'est le résultat de la très longue hégémonie de la social-démocratie qui n'avait pas permis aux forces de droite de s'aguerrir à l'exercice du pouvoir. Quant au cas de la France, c'est une illustration a contrario très probante de la perspective de "la gauche dans l'opposition". Alors que dans les autres pays, la nécessaire arrivée de la gauche au pou voir aura été consciemment assumée par la bourgeoisie, la victoire de Mitterrand en 81 avait constitué un"accident", ce qui se confirme de jour en jour par les difficultés de son gouvernement à mener une politique cohérente et par les préparatifs du PC et de la gauche du PS à un prochain passage dans l'opposition. Si, dans la majorité des pays les plus avancés d'occident (USA, RFA, GB, Belgique, Pays-Bas, Italie) la venue ou le maintien au pouvoir des forces de droite laisse les mains libres à la gauche et aux syndicats pour saboter de l'intérieur les luttes ouvrières, notamment grâce à une radicalisation de leur langage, la présence "forcée" de la gauche au gouvernement en France (c'est-à-dire la 2ème puissance d'Europe occidentale) qui dévoile claire ment la nature bourgeoise des partis soi-disant "ouvriers", constitue un facteur de faiblesse pour la bourgeoisie, non seulement dans ce pays, mais aussi à l'échelle mondiale.
10. La carte de "la gauche dans l'opposition" jouée globalement par la bourgeoisie en Occident ne limite pas son champ d'application à cette seule partie du monde. Elle a été jouée et continue d'être jouée dans le bloc de l'Est, en Pologne, avec l'action anti-ouvrière du syndicat "indépendant" Solidarnosc. Bien que la fragilité et la rigidité congénitales des pays staliniens n'aient pas permis que se mette en place dans ce pays un jeu"démocratique" à l'occidentale ni même de conserver l'existence légale de Solidarnosc plus longtemps que ne l'exigeait strictement le degré de combativité de la classe ouvrière, les mécanismes de base et l'efficacité de "la gauche dans l'opposition" s'y sont révélés tout à fait comparables à ceux d'Occident non seulement avant le 13 décembre 81, mais également après. Si, avant cette date, grâce à son apparente opposition intransigeante aux autorités, "Solidarnosc" a constitué, avec le soutien de la bourgeoisie occidentale et dans le cadre d'une offensive d'ensemble de celle-ci, un instrument essentiel de sabotage des luttes ouvrant la porte à la répression militaire et policière, sa fonction n'a pas disparu avec sa mise hors-la-loi. En fait, les persécutions dont sont victimes les dirigeants de cette organisation facilitent, en lui conférant l'auréole du martyr, la poursuite de son action de déboussolement de la classe ouvrière, tout comme les attaques de Thatcher contre les syndicats en G.B ne font que renforcer leur efficacité anti ouvrière. En fin de compte, "la gauche dans la clandestinité" apparaît comme une des formes extrêmes de "la gauche dans l'opposition".
11. C'est donc à la redoutable efficacité, tant à l'Est qu'à l'Ouest, de la politique de "gauche dans l'opposition" qu'il faut principalement attribuer la défaite du prolétariat mondial en Pologne et son recul général en 81-82 qui a permis cette défaite. Ce recul est indiscutable. Alors que les années 78-79-80 avaient été marquées par une reprise mondiale des luttes ouvrières (grève des mineurs américains, des dockers de Rotterdam, des ouvriers de la sidérurgie en G.B, des ouvriers de la métallurgie en Allemagne et au Brésil, affrontements de Longwy-Denain en France, grèves de masse en Pologne) , les années 81 et 82 se sont distinguées par un net reflux de ces luttes; ce phénomène étant particulièrement évident dans le plus "classique" des pays capitalistes, la Grande-Bretagne, où l'année 81 connaissait le nombre le plus faible de grèves depuis la 2ème guerre mondiale alors qu'en 79 celles-ci avaient atteint leur niveau quantitatif le plus élevé de l'histoire avec 29 millions de jours d'arrêt de travail. Ainsi, l'instauration de l'état de guerre en Pologne et la violente répression qui s'est abattue sur les ouvriers de ce pays n'arrivaient pas comme un éclair dans un ciel bleu. Point le plus marquant de la défaite ouvrière après les formidables combats de l'été 80, le coup de force de décembre 81 participait d'une défaite de tout le prolétariat.
Cette défaite, le prolétariat l'a subie dès lors que le capitalisme, d'une façon concertée et grâce notamment à ses forces de gauche, est parvenu à isoler les ouvriers de Pologne du reste de leur classe, à les enfermer idéologiquement dans le cadre de ses frontières de bloc (pays "socialistes" de l'Est) et nationales ("la Pologne est l’affaire des polonais") ; dès lors qu'il est parvenu à faire des ouvriers des autres pays des spectateurs, inquiets certes, mais passifs, à les détourner de la seule forme que peut prendre la solidarité de classe : la généralisation de leurs luttes dans tous les pays, en mettant en avant une caricature de solidarité : les manifestations sentimentales, les pétitions humanistes et la charité chrétienne avec ses envois de colis pour Noël. Dans la mesure où elle n'apporte pas de réponse adéquate aux exigences de la période, la non généralisation des luttes est en soi une défaite.
12. Ainsi, comme nous le signalions déjà en 81, un des enseignements essentiels des affrontements de classe en Pologne est la nécessité pour le prolétariat, face à la sainte alliance de la bourgeoisie de tous les pays et en vue de son assaut révolutionnaire contre le capitalisme, de généraliser ses luttes à l'échelle mondiale.
L'autre enseignement majeur de ces combats et de leur défaite est que cette généralisation mondiale des luttes ne pourra partir que des pays qui constituent le coeur économique du capitalisme : les pays avancés d'occident et, parmi eux, ceux où la classe ouvrière a acquis l'expérience la plus ancienne et la plus complète : l'Europe occidentale. La bourgeoisie mondiale a pu établir un "cordon sanitaire" autour du prolétariat de Pologne parce que ce pays appartient à un bloc arriéré, où pèse avec le plus de dureté la contre-révolution, où le prolétariat n'a pas été confronté directement pendant des décennies aux mystifications démocratiques et syndicales. Ces conditions expliquent que, d'emblée, le prolétariat y ait employé son arme fondamentale de la grève de masse. Elles expliquent également qu'il ait pu, par la suite, être enfermé dans les impasses syndicalistes, démocratiques et nationalistes. Dans les pays avancés d'occident, et notamment en Europe de l'Ouest, le prolétariat ne pourra déployer pleinement la grève de masse qu'à l'issue de toute une série de combats/ d'explosions violentes, d'avancées et de reculs, au cours desquels il démasquera progressivement tous les mensonges de la gauche dans l'opposition, du syndicalisme et du syndicalisme de base. Mais alors, sa lutte pourra réellement montrer le chemin aux ouvriers de tous les pays, frapper les trois coups de la généralisation mondiale des combats de classe ouvrant la voie à l'affrontement révolutionnaire contre la domination bourgeoise.
Si l'acte décisif de la révolution se jouera lorsque la classe ouvrière aura terrassé les deux monstres militaires de l'Est et de l'Ouest, son premier acte se jouera nécessairement au coeur historique du capitalisme et du prolétariat : l'Europe occidentale.
13. Un autre enseignement des événements de Pologne est que la classe ouvrière restera à la merci des défaites, de défaites souvent tragiques tant qu'elle n'aura pas abattu le capitalisme. Si, comme l'écrit Rosa Luxemburg : "la révolution est la seule forme de 'guerre'... où la victoire finale ne peut être préparée que par une série de défaites V le prolétariat -et notamment ses organisations révolutionnaires- doit se garder qu'une série de défaites partielles n'aboutisse à une défaite complète, à la contre-révolution. Certains éléments communistes ont affirmé que c'était déjà le cas avec la défaite du prolétariat en Pologne et au vu de la stagnation présente de ses luttes au niveau mondial. Pour notre part, nous affirmons le contraire. Depuis le ressurgissement prolétarien de 1968, nous avons dit que le cours historique n'était pas à la guerre impérialiste généralisée mais à l'affrontement de classes. Cela ne veut pas dire que ce cours ne puisse être renversé.
L'existence d'un cours vers la guerre, comme dans les années 30, signifie que le prolétariat a subi une défaite décisive qui l'empêche désormais de s'opposer à l'aboutissement bourgeois de la crise.
L'existence d'un cours à"l'affrontement de classes" signifie que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour déchaîner une nouvelle boucherie mondiale; auparavant, elle devra affronter et battre la classe ouvrière. Mais cela ne préjuge pas de l'issue de cet affrontement, ni dans un sens, ni dans l'autre. C'est pour cela qu'il est préférable d'utiliser ce terme plutôt que celui de "cours à la révolution".
Quelle que soit la gravité de la défaite enregistrée ces dernières années par la classe ouvrière, elle ne remet pas en cause le cours historique dans la mesure où :
- ce ne sont pas les bataillons décisifs du prolétariat mondial qui se sont trouvés en première ligne de l'affrontement,
- la crise qui maintenant atteint de plein fouet les métropoles du capitalisme obligera le prolétariat de ces métropoles à exprimer ses réserves de combativité qui n'ont pas été jusqu'à présent entamées de façon décisive.
Ainsi, en provoquant une dégradation de plus en plus brutale, simultanée et universelle des conditions de vie du prolétariat, en particulier par l'intensification massive du chômage dans les grands centres industriels, la crise se révèle la meilleure alliée du prolétariat mondial. Elle développe de façon jamais égalée dans l'histoire les conditions objectives et subjectives de l'internationalisation des luttes, d'une prise de conscience révolutionnaire. Parce qu'aujourd'hui il n'existe aucune perspective de rétablissement, même momentané, de l'économie capitaliste (contrairement aux années 30 où la reprise avait permis à la bourgeoisie de parachever la défaite d'un prolétariat déjà battu) la perspective historique reste aux affrontements de classe.
Les plus grands combats de la classe ouvrière sont encore à venir.
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1. C'est dans le cadre de nos textes de base sur la fraction de l'organisation des révolutionnaires, et dans la suite de cette vision, que doit être abordée la question du Parti Communiste et de ses rapports avec la classe[1].
2. Le Parti Communiste est une partie de la classe, un organisme que, dans son mouvement, elle sécrète et se donne pour le développement de sa lutte historique jusqu'à sa victoire, c'est-à-dire la transformation radicale de l'organisation et des rapports sociaux pour fonder une société qui réalise l'unité de la communauté humaine : chacun pour tous et tous pour chacun.
3. En opposition à la thèse défendue par Lénine dans Que faire ? du Parti "au service de la classe" et contrairement à la caricature stupide du "léninisme" dont les différentes tendances du bordiguisme se sont faites les championnes, suivant laquelle c'est "le Parti qui fonde la classe", nous affirmons avec Rosa Luxembourg que "le Parti est un produit de la classe elle-même" au sens où la constitution du Parti traduit et exprime un processus de prise de conscience qui s'opère dans la classe en lutte ainsi que le degré de conscience auquel la classe est parvenue. Cette formulation n'a rien de commun avec cette autre conception provenant du bordiguisme renversé, qui, durant les années 70 trouvait son expression la plus achevée dans la revue Invariance, conception selon laquelle "le Parti c'est la classe". Une telle conception simpliste remplace le Tout, l'Unité du Tout et son mouvement réel par une stricte identification des éléments, ignorant les différenciations qui existent et se produisent, et le lien dialectique entre ces éléments au sein même de l'unité dont ils sont partie intégrante.
4. Cette conception identificatrice ne peut comprendre le rôle que jouent les différents éléments à l'intérieur de l'unité dont ils sont issus. Elle ne voit pas le mouvement. Elle est statique et non dynamique. Elle est fondamentalement a historique. Cette conception rejoint la vision idéaliste, moralisante des modernistes -ces épigones modernes du conseillisme dégénérescent- qui opèrent avec la vieille dichotomie du blanc et du noir, du bien et du mal et pour lesquels toute organisation politique au sein de la classe est le mal absolu par définition.
5. Le défaut principal du conseillisme de la Gauche hollandaise, sous l'influence de Pannekoek, est de n'attribuer aux courants et groupes qui surgissent dans la classe qu'une fonction éducatrice et pédagogique. I1 escamote leur rôle politique, c'est-à-dire de constituer une partie prenante et militante au sein de la classe, élaborant et défendant en son sein des positions communistes cohérentes cristallisées dans un programme, le programme communiste, en vue duquel ces groupes agissent de façon organisée. En ne leur attribuant uniquement qu'une fonction d'éducation et non de défense d'un programme communiste, Pannekoek fait de son organisation conseilliste, le Conseiller de la classe, rejoignant ainsi la vision de Lénine d'une organisation au service de la classe, Les deux conceptions se retrouvent ainsi dans la négation de l'idée que le Parti fait partie de la classe, est un des organismes actifs de la classe.
6. La société politique est le monde social uni de l'humanité qui s'est perdu en se divisant en classes, et auquel l'humanité en la personne du prolétariat et au travers de la lutte de celui-ci tend péniblement à parvenir. Dans ce sens, la lutte du prolétariat prend encore nécessairement un caractère politique (dans la mesure où il s'agit encore de la lutte d'une classe).
En effet, la lutte du prolétariat est fondamentalement sociale dans le plein sens du terme. Elle porte, dans son triomphe, la dissolution de toutes les classes et de la classe ouvrière elle-même dans la communauté humaine reconstituée à 'échelle de la planète. Cependant, cette solution sociale passe nécessairement par la lutte politique -c'est-à-dire en vue de l'établissement de son pouvoir sur la société- pour laquelle la classe ouvrière se donne les instruments que sont ses organisations révolutionnaires, les partis politiques.
7. La formation de forces politiques exprimant et défendant des intérêts de classe n'est pas propre au prolétariat. Elle est le fait de toutes les classes de l'histoire. Le degré de développement, de définition et de structuration de ces forces est à l'image des classes desquelles elles émanent. Elles trouvent leur forme la plus achevée dans la société capitaliste - la dernière société de classes de l'histoire - là où les classes sociales connaissent leur développement le plus complet, où les antagonismes qui les opposent se manifestent avec le plus de netteté.
Cependant, s'il existe des points communs incontestables entre les partis du prolétariat et ceux des autres classes - et notamment de la bourgeoisie - les différences qui les opposent sont également considérables.
Comme pour les autres classes historiques du passé, l'objectif de la bourgeoisie, en établissant son pouvoir sur la société, n'était pas d'abolir l'exploitation mais de la perpétuer sous d'autres formes, n'était pas de supprimer la division de la société en classes, mais d'instaurer une nouvelle société de classes, n'était pas de détruire l'Etat mais au contraire de le perfectionner. Le type d'organismes politiques dont se dote la bourgeoisie, leur mode d'action et d'intervention dans la société, sont directement déterminés par ces objectifs : les partis bourgeois sont des partis étatiques qui ont pour rôle spécifique la prise et l'exercice du pouvoir d'Etat comme émanation et garant de la perpétuation de la division de la société en classes.
Par contre, le prolétariat est la dernière classe de l'histoire, celle dont la prise du pouvoir politique a pour objectif l'abolition de la division de la société en classes et l'élimination de l'Etat, expression de cette division. En ce sens, les partis du prolétariat ne sont pas des partis étatiques. Ils n'ont pas pour vocation la prise et l'exercice du pouvoir d'Etat, leur but ultime tant au contraire la disparition de l'Etat et des classes.
8. I1 faut mettre en garde contre les interprétations abusives de la phrase malencontreuse du Manifeste Communiste (qui ne se comprend que dans le contexte politique d'avant 1848) où il est dit que « les communistes ne forment pas un parti distinct…»
Prise à la lettre, cette phrase est en contradiction évidente avec le fait qu'il s'agissait du manifeste d'une organisation qui s'intitulait précisément La Ligue des Communistes et à laquelle i1 servait de programme. C'est d'autant plus surprenant venant de deux hommes qui ont rédigé ce manifeste, Marx et Engels, qui ont été, leur vie durant, tant des militants du mouvement général de la classe que des hommes de partis et d'actions politiques.
9. Parties du mouvement général de la classe ouvrière qui leur donne jour, ces organismes politiques que sont les partis évoluent avec le développement de la lutte de classe. Comme tout organisme vivant, ces partis politiques du prolétariat ont une histoire qui est indissolublement liée à l'histoire du mouvement général de la classe avec ses hauts moments de lutte et avec ses reculs momentanés.
On ne peut étudier et comprendre l'histoire de cet organisme, le Parti, qu'en le situant dans le contexte général des différentes étapes que parcourt le mouvement de la classe, des problèmes qui se posent à elle, de l'effort de sa prise de conscience, de sa capacité à un moment donné de répondre de façon adéquate à ses problèmes, de tirer les leçons de son expérience et d'en faire un nouveau tremplin pour ses luttes à venir.
S'ils sont un facteur de premier ordre du développement de la classe, les partis politiques sont donc, en même temps, une expression de l'état réel de celle-ci à un moment donné de son histoire.
10. Tout au long de son mouvement, la classe a été soumise au poids de l'idéologie bourgeoise qui tend à déformer, à corrompre les partis prolétariens, à dénaturer leur véritable fonction. A cette tendance, se sont opposées les fractions révolutionnaires qui se sont donné pour tâche d'élaborer, de clarifier, de préciser les positions communistes. C'est notamment le cas de la Gauche Communiste issue de la 3ème Internationale : la compréhension de la question du Parti passe nécessairement par l'assimilation de l'expérience et des apports de l'ensemble de cette Gauche Communiste Internationale.
Il revient cependant à la Fraction italienne de la Gauche Communiste le mérite spécifique d'avoir mis en évidence la différence qualitative existant dans le processus d'organisation des révolutionnaires selon les périodes : celle de développement de la lutte de classe et celle de ses défaites et de ses reculs. La FIGC a dégagé avec clarté, pour chacune des deux périodes, la forme prise par l'organisation des révolutionnaires et les tâches correspondantes : dans le premier cas la forme du parti, pouvant exercer une influence directe et immédiate dans la lutte de classe; dans le second cas, celle d'une organisation numériquement réduite, dont l'influence est bien plus faible et peu opérante dans la vie immédiate de la classe. A ce type d'organisation, elle a donné le nom distinctif de Fraction qui, entre deux périodes de développement de la lutte de classe, c'est-à-dire deux moments de l'existence du Parti, constitue un lien et une charnière, un pont organique entre l'ancien et le futur Parti.
La Fraction italienne a combattu les incompréhensions d'un Trotski qui croyait pouvoir créer un Parti et une Internationale dans n'importe quelle situation -par exemple dans les années 30- et qui n'a réalisé que des scissions et un éparpillement encore plus grand des éléments révolutionnaires. Elle s'est refusée aux astuces théoriques d'un Bordiga[2] jonglant avec les mots et se contorsionnant, en guise de théorie, dans des abstractions vides de sens et des sophismes tels que "l'invariance du programme" et la distinction entre "Parti formel" et "Parti historique". Contre ces différentes aberrations, la Fraction italienne de la Gauche Communiste a démontré la validité de sa thèse en s'appuyant sur la terre ferme de l'expérience d'un siècle d'histoire du mouvement ouvrier et de ses organisations.
11. L'histoire réelle et non fantaisiste nous montre que l'existence du parti de la classe parcourt un mouvement cyclique de surgissement, de développement et de dépérissement, dépérissement qui se manifeste par sa dégénérescence interne, par son passage dans le camp de l'ennemi ou encore par sa disparition pure et simple et qui laisse des intervalles plus ou moins longs jusqu'à ce que, de nouveau, se présentent les conditions nécessaires pour son resurgissement. Cela est vrai aussi bien pour la période pré-marxiste -à commencer par le babouvisme et le surgissement successif d'organisations révolutionnaires- que durant la vie et l'activité de Marx et Engels, ainsi qu'après leur mort, jusqu'à nos jours. La Ligue des Communistes n'a vécu que 5 ans (1847-1852), la Première Internationale 9 ans (1864-73), la 2ème Internationale 25 ans (18891914), la 3ème Internationale 8 ans (en comptant large, 1919-1927). S'il existe un lien évident de continuité (leur continuité provient du fait qu'elles étaient toutes des organismes de la même classe, des moments successifs de cette unité qu'est la classe qui, tel le système solaire à l'égard des planètes, paraît présenter un Tout stable à l'intérieur duquel se meuvent les divers organismes), il n'existe par contre aucune stabilité, aucune fixité de cet organisme appelé Parti.
La pseudo-théorie bordiguiste sur le "Parti historique" et 1e "Parti formel" est entachée de mysticisme. D'après cette théorie, le Parti "historique" -tout comme le Programme- serait une donnée fixe, immuable, invariante. Mais ce Parti ne saurait manifester sa réalité que dans le Parti "formel". Mais qu'advient-il du Parti "historique quand le formel vient à disparaître ? Il devient invisible et inopérant, mais subsiste cependant, quelque part on ne sait où, parce qu'immortel. Nous retrouvons ici les thèmes et interrogations de la philosophie idéaliste et religieuse séparant l'esprit et la matière, l'âme et le corps, l'un dans la béatitude éternelle et l'autre dans la mortalité.
12. Aucune théorie illuministe, volontariste, de la génération spontanée ou de l'intelligence géniale, ne saurait rendre compte du phénomène du surgissement et de l'existence du Parti, et encore moins des raisons de sa périodicité, de l'ordre de succession de ses différents moments. Seule une démarche qui tient compte du mouvement réel de la lutte de la classe, lui-même conditionné et déterminé par l'évolution du système capitaliste et de ses contradictions peut donner une réponse valable au problème du Parti, en l'insérant dans la réalité du mouvement de la classe.
13. La même démarche doit être appliquée quand on examine la variabilité, constatée dans l'histoire, de certaines fonctions du Parti.
Tout comme la philosophie, dans l'antiquité, englobait des disciplines diverses, le Parti, produit du mouvement de la lutte de classe du prolétariat, assure, à ses débuts dans l'histoire, l'accomplissement d'un grand nombre de tâches dans la classe, en particulier :
14. L'histoire des dernières 140 années, a connu quatre grands bouleversements dans le capitalisme :
15. Comment réagit le prolétariat à ces 4 événements capitaux ?
- 1848 : Derrière la bourgeoisie apparaît l'ombre géante du jeune prolétariat (journées de juin, soulèvement des ouvriers de Paris), évènement annoncé quelques mois auparavant par la constitution de la Ligue des Communistes. Premier véritable Parti du prolétariat moderne, cette organisation, rompant avec le romantisme des sociétés conspiratives, annonce et démontre dans un Programme cohérent, critique du capitalisme ("Le Manifeste") , l'inévitable écroulement de ce système sous le poids de ses insurmontables contradictions internes. Elle désigne le prolétariat comme sujet de la solution historique, sujet qui, par sa révolution, devra mettre fin à la longue histoire de la division de la société humaine en classes antagoniques et de l'exploitation de l'homme par l'homme. S'opposant à toute phraséologie révolutionnaire et au volontarisme, la Ligue reconnaît, en 1852, la victoire du capitalisme sur les premiers soulèvements du prolétariat dans une situation d'immaturité historique des conditions rendant possible le triomphe de la Révolution Socialiste. Et c'est dans cette situation nouvelle de défaite que la Ligue est appelée inévitablement à disparaître comme organisation politique agissante et centralisée.
- 1870 : Les militants de la Ligue n'ont pas disparu dans la nature. Dans l'attente de la maturation des conditions d'une nouvelle vague de luttes ouvrières, ils ont poursuivi un travail d'élaboration théorique, d'assimilation des expériences au sein de la classe, suite à la grande convulsion sociale de 1848. Pour sa part, la bourgeoisie, remise de cette convulsion, a poursuivi à grands pas son développement et son expansion. Quelques 15 ans après, nous nous trouvons en présence d'un prolétariat plus nombreux, élargi à d'autres pays, plus mûr et décidé à engager de grandes batailles non pas encore, certes, pour une révolution (du fait de l'immaturité des conditions objectives pour un tel objectif immédiat) mais pour la défense de ses conditions économiques d'existence immédiate. C'est dans ce contexte, qu'en 1864, est fondée, à l'initiative des ouvriers de France et d'Angleterre, la 1ère Internationale groupant par dizaines de milliers les ouvriers de tous les pays industrialisés ou en voie d'industrialisation, de l'Amérique à la Russie. Les anciens militants de la Ligue des Communistes se retrouveront tout naturellement dans les rangs de cette Association Internationale des Travailleurs (A.I.T) où ils occuperont les postes de plus haute responsabilité avec Marx à la tête.
D'année en année, dans tous les coins du monde, l'Internationale deviendra le drapeau d'ouvriers de plus en plus nombreux, de plus en plus combatifs, au point de devenir une préoccupation majeure pour tous les gouvernements d'Europe. C'est dans cette organisation générale de la classe que s'affronteront le courant marxiste, authentique expression du prolétariat, et le courant anarchiste de Bakounine, représentant de l'idéologie petite-bourgeoise ayant encore une grande influence parmi les prolétaires de la première génération et parmi les artisans semi-prolétarisés.
La guerre franco-prussienne, la défaite misérable du second Empire et sa chute en France, la félonie de la bourgeoisie républicaine, la misère et la faim des ouvriers de Paris cernés par l'armée de Bismarck, la provocation du Gouvernement... Tout poussait les ouvriers parisiens à un affrontement armé prématuré pour en finir avec le gouvernement bourgeois et proclamer la Commune. L'écrasement de la Commune était inévitable. Et, en même temps qu'elle témoignait de la combativité et de la volonté exaspérées de la classe ouvrière montant à l'assaut contre le capital et son Etat, laissant aux générations à venir de la classe ouvrière mondiale des enseignements inestimables, sa défaite, dans un immense bain de sang, avait pour conséquence immédiate d'entraîner également et irrémédiablement la disparition de l'Internationale.
- 1914 : Le triomphe sanglant du capital, le massacre de la Commune et la disparition de l'Internationale qui l'a suivi, devaient peser pendant de longues années et marquer toute une génération du prolétariat. Les blessures une fois cicatrisées, c'est peu à peu que le prolétariat reprend confiance en lui et en sa capacité d'affronter le capital. Lentement se reconstituent les organisations de la classe : Bourses de travail, syndicats, partis politiques, qui vont tendre à se centraliser, à l'échelle nationale d'abord, et enfin à l'échelle internationale donnant naissance en 1889 (18 ans après la Commune) à la constitution de la 2ème Internationale, organisation strictement politique.
Mais le monde capitaliste est alors à l'apogée de son développement au niveau international, il tire un maximum de profit du fait de l’existence d'un marché qui semble illimité. C'est l'âge d'or du colonialisme, du développement des moyens de production et de la plus-value relative, se substituant à la plus-value absolue. La lutte du prolétariat pour la diminution de la journée de travail, pour l'augmentation des salaires, pour des réformes politiques est largement payante. Cette situation semble pouvoir se poursuivre sans fin, aboutissant à l'illusion que, par des réformes successives, le monde capitaliste pourrait se transformer graduellement en une société socialiste. Cette illusion, c'est le réformisme, cette maladie qui va pénétrer profondément dans la tête des ouvriers et dans leurs organisations tant politiques qu'économiques (surtout économiques), va ronger la conscience de la classe et lui faire perdre de vue son but et sa démarche révolutionnaires.
Le triomphe du réformisme constituera finalement la défaite du prolétariat. C'est le triomphe de la bourgeoisie parvenant à le rattacher à ses valeurs, avant tout nationalistes, patriotiques, à corrompre définitivement ses organisations, partis et syndicats, passés sans retour possible dans le camp du capital.
- 1917 : Endormi, chloroformé, trahi par le passage de ses organisations dans le camp bourgeois saoulé du nationalisme et du patriotisme dont la bourgeoisie l'abreuve à dose renforcée, le prolétariat, mobilisé dans la guerre, se réveillera dans le fracas assourdissant des obus, au milieu de millions de cadavres des siens, plongé dans un océan de sang, de son sang. Il ne lui a fallu pas moins de ce cataclysme de 3 années de guerre impérialiste mondiale pour se dégriser et pour commencer à reprendre conscience de la réalité.
1917 était la première explosion d'une vague révolutionnaire qui va durer des années. C'est au cours de cette explosion que le prolétariat sera amené à reconstruire de nouvelles organisations de classe correspondant à ses tâches nouvelles, non plus sous la forme de syndicats devenus à jamais impropres à la période nouvelle de décadence du capitalisme, mais sous la forme de Conseils Ouvriers; non plus ressusciter la Social-démocratie à jamais perdue et passée dans le camp ennemi, mais un Parti Communiste mondial (la 3ème Internationale) à la hauteur de la tâche qui s'imposait : contribuer à la marche vers la révolution mondiale du prolétariat. C'est avec les Fractions et les minorités de gauche issues de la 2ème Internationale qui ont combattu durant de longues années l'idéologie réformiste, qui ont dénoncé la trahison de la vieille Social-démocratie, qui ont lutté contre la guerre et contre l'idéologie de la défense nationale, en un mot qui sont restées fidèles au marxisme et à la révolution prolétarienne, que se constitue le nouveau Parti , la nouvelle internationale, l'Internationale communiste.
16. Du fait qu'elle a surgi au cours de la guerre -qui ne constitue pas 1a condition la plus favorable à la révolution- cette grandiose première vague de la révolution prolétarienne a échoué. Cet échec était dû également à l'immaturité de la conscience du prolétariat qui s'est manifestée, entre autres, par la survivance, au sein de la nouvelle internationale, de bien des positions erronées héritées de la vieille Social-démocratie :
Ces différentes erreurs, la survivance de l'Etat soviétique proclamé "Etat ouvrier", l'insuffisance des analyses de "l'Opposition de Gauche" sur sa dégénérescence (prétendue préservation de son caractère "prolétarien" et des "acquis d'octobre"), tous ces facteurs, se combinant entre eux et aux défaites successives du prolétariat dans les autres pays (pour lesquelles ils portent une part de responsabilité) ont contribué au rétablissement d'un rapport de forces en faveur de la bourgeoisie mondiale, ont été responsables d'un écrasement historique de la classe. Cet ensemble d'éléments entraînera également la déchéance, la dégénérescence et finalement le passage à la bourgeoisie du Parti bolchevik, de l'ensemble des partis de l'Internationale Communiste et la mort de celle-ci.
La profondeur de la défaite subie par le prolétariat sera en proportion directe de la hauteur de la vague révolutionnaire qui a précédé cette défaite. Ni la grande crise mondiale qui éclate en 29, ni la 2ème guerre mondiale, ni la période de reconstruction de l'après-guerre ne connaîtront de luttes d'ampleur significative du prolétariat. Même dans les rares pays où la combativité ouvrière persistait encore pour n'avoir pas été directement mise à l'épreuve, cette combativité sera facilement détournée de son terrain de classe par les forces politiques de la Gauche en vue de la guerre mondiale. Ce fut le cas notamment lors de la grève générale de 1936 en France et, la même année, du soulèvement du prolétariat espagnol rapidement dévoyé dans une guerre "civile" entre fascisme et antifascisme, servant de préparation et de répétition générale pour la seconde guerre mondiale. Dans d'autres pays, comme la Russie, la Roumanie, la Pologne, l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, les pays des Balkans, l'Espagne et le Portugal, le prolétariat est soumis à la plus noire répression : par millions, il est jeté dans les prisons et autres camps de concentration. Toute condition pour le surgissement d'un Parti de classe est absente. Seuls, le volontarisme et l'incompréhension totale de la réalité d'un Trotski, qui va jusqu'à saluer, en 36, le commencement de la Révolution en France et en Espagne, qui confond le capitalisme d'Etat en Russie avec la "survivance des conquêtes d'Octobre", lui permettent de se lancer, avec ses partisans, dans l'aventure de la proclamation de nouveaux partis et d'une Internationale prétendument révolutionnaires, après que son courant ait fait un retour et un séjour dans les partis socialistes de la défunte 2ème Internationale de triste mémoire.
Loin d'être une période de mouvement centripète, de convergence des forces révolutionnaires allant vers l'unification et vers la formation du Parti de la classe, ce qui caractérise cette période, c'est un mouvement catégoriquement centrifuge, d'éparpillement et de dispersion des groupes et des éléments révolutionnaires : la gauche anglaise depuis longtemps disparue, la gauche russe inexorablement exterminée physiquement dans les geôles de Staline, la gauche allemande complètement liquidée. Les groupes révolutionnaires qui subsistent s'isolent et se replient sur eux-mêmes, s'amenuisent au fil des mois et des années.
La guerre de 36 en Espagne fera une sélection sévère parmi ces groupes, entre ceux qui se sont pris dans les filets de l'antifascisme et ceux qui se maintiennent fermement sur le terrain de classe : les Fractions de la Gauche Communiste Internationale qui poursuivent et développent un travail de compréhension théorique en soumettant, sans aucun ostracisme, les positions politiques passées de l'internationale Communiste à son apogée , à la critique la plus sévère, la plus féconde, fondée sur l'expérience réelle du mouvement depuis 1917. La Gauche Communiste Internationale subira elle-même les contrecoups des évènements. Une première fois, par la scission d'une minorité en 36, optant pour la participation à la guerre d'Espagne du côté républicain antifasciste, une deuxième fois par le départ, au début de la guerre d'une minorité proclamant la "disparition sociale du prolétariat" en temps de guerre et, par suite, l'impossibilité de poursuivre toute activité et de maintenir l'organisation des Fractions. La troisième crise -qui sera définitive- surgit fin 1945 avec la scission de la Fraction française de la Gauche Communiste (la GCF) s'opposant à la décision de dissolution de la Gauche Communiste Internationale et l'engloutissement pur et simple de ses membres, à titre individuel, dans un parti proclamé en Italie dont on ignorait tout de la plateforme et des positions, sachant seulement qu'il s'était constitué autour de 0. Damen et Bordiga, deux éminentes figures de la Gauche Italienne des années 20. Ainsi finit tristement la Fraction Italienne de la Gauche Communiste.
17. Ce rapide survol de l'histoire du mouvement ouvrier nous enseigne :
a) La nécessaire existence d'un lien étroit entre la classe comme un tout et le Parti comme organisme particulier de ce tout. I1 y a des périodes où la classe existe sans le Parti mais il ne peut jamais exister de Parti sans la classe.
b) La classe secrète le Parti comme un organisme indispensable, chargé de fonctions dont la classe a besoin dans et pour sa maturation et sa prise de conscience lui permettant ainsi de se rendre apte à atteindre la victoire finale. Il est impossible de supposer le triomphe final du prolétariat sans qu'il ait développé les organes qui lui sont indispensables : notamment l'organisation générale unitaire de la classe groupant en son sein tous les ouvriers, et l'organisation politique -le Parti- qui se constitue sur un programme général et composé de positions cohérentes montrant le but ultime de 1a lutte du prolétariat, le communisme, et les moyens pour l'atteindre.
c) Une différence substantielle existe, dans leur évolution, entre les organisations générales ouvertes à tous les ouvriers et l'organisation politique qu'est le Parti.
Dans la période ascendante du capitalisme, l'organisation générale qui se donne pour tâche la défense des intérêts économiques immédiats de la classe, a tout en subissant des modifications importantes de structure, une existence permanente; cela n'est pas le cas pour l'organisation politique, le Parti, qui n'existe que de façon intermittente, dans les périodes de développement de la lutte et de combativité de la classe. Cette constatation souligne fortement l'étroite dépendance de l'existence du Parti avec l'état de 1a lutte de classe. Dans le cas d'une période de montée de la lutte, les conditions sont données pour le surgissement et l'activité du Parti; dans les périodes de reflux, avec la disparition de ces conditions, le Parti tend à disparaître. Dans le premier cas, c'est la tendance centripète qui l'emporte, dans le second cas, c'est la tendance centrifuge qui s'impose.
d) Sur ce point, il faut noter qu'il en est sensiblement différent dans 1a période décadence du capitalisme. Dans cette période où ne sont même plus possibles le maintien et l'amélioration réels et durables des conditions de vie de la classe ouvrière, il ne saurait exister une organisation permanente dont ce but serait la raison d'être. C'est pour cela que le syndicalisme est vidé de tout contenu ouvrier. Les syndicats ne peuvent garder leur existence et leur permanence que comme appendices de l'Etat, chargés d'encadrer, contrôler et dévoyer toute action et lutte de la classe. Dans cette période, seules les grèves sauvages tendant vers la grève de masse, contrôlées et dirigées par les assemblées générales, présentent la forme possible d'un contenu de classe. De ce fait, ces assemblées ne peuvent exister de façon permanente à leur début. Une organisation générale de la classe ne peut exister et devenir permanente que lorsque la défense des intérêts immédiats se conjugue avec la possibilité de la révolution, dans la période révolutionnaire. C'est l'organisation des Conseils Ouvriers. C'est le seul moment dans l'histoire du capitalisme où la permanence de cette organisation est vraiment générale, constitue une concrétisation de l'unité réelle de la classe. Il n'en est pas de même pour ce qui concerne le parti politique qui peut parfaitement surgir avant ce point culminant que sont les Conseils Ouvriers. Il en est ainsi parce crue son existence n'est pas conditionnée par le moment final, mais simplement par une période de montée de la lutte de classe.
e) Nous avons pu constater au cours de l'histoire comment, avec l'évolution de la lutte de classe, se modifient certaines fonctions passées du Parti. Enumérons-en quelques exemples :
La 1ère Internationale est beaucoup plus proche de l'organisation générale que d'une organisation du type de la Ligue des Communistes, c'est-à-dire du type Parti, strictement groupé et sélectionné sur la base d'un programme théorique et politique cohérent. C'est pour cela que pouvaient coexister et s'affronter, en son sein, divers courants : marxiste (collectiviste), ouvriériste, proudhonien, anarchiste et même, au début, un courant aussi bizarre que le mazzinisme. L'Internationale était un creuset où se décantaient les idées et les courants. Un parti est déjà le produit d'une décantation. C'est pourquoi les courants restent encore informels en son sein. Un seul parti politique dans le plein sens du mot est né depuis la dissolution de la Ligue des Communistes et durant l'existence de la 1ère Internationale en 1868 : le Parti Social-démocrate eisenachien, à tendance marxiste sous la direction de W. Liebknecht et de Bebel. I1 faudra attendre 1878, à l'occasion des élections, pour que naisse, sous la direction de Guesde et de Lafargue avec la participation directe de Marx (qui en écrivit la plateforme politique) le Parti Ouvrier en France.
Ce n'est qu'à partir des années 80 avec le développement accéléré du capitalisme et la remontée de la lutte de classe que se font sentir le besoin et la possibilité de formation de partis politiques pour la lutte politique proprement dite, distincts des organisations à caractère de défense des intérêts immédiats sur le plan économique, les syndicats. C'est à partir des années 1880, un peu dans tous les pays industrialisés ou en voie d'industrialisation, que s'engage véritablement un processus de formation de partis, à l'image de la Social-démocratie allemande qui prendra l'initiative de la constitution de la 2ème Internationale en 1889.
La 2ème Internationale sera le résultat d'une décantation politique opérée dans le mouvement ouvrier depuis la dissolution de la 1ère Internationale (16 ans) et d'unification du courant marxiste à l'échelle internationale. Elle se réclamera du "socialisme scientifique" tel qu'il a été formulé 40 ans auparavant par Marx et Engels dans le Manifeste de la Ligue des Communistes en 1848. Elle ne se donnera plus pour tâche, comme l'avait fait la 1ère Internationale, de procéder à une enquête sur les conditions de la vie ouvrière dans différents pays, ni d'élaborer des cahiers de revendications économiques. Les activités de ce type qui, à ses débuts, sont encore siennes, seront progressivement et définitivement laissées aux syndicats. Par contre, elle prendra comme tâche la lutte pour des revendications politiques immédiates : suffrage universel, droit de réunion et liberté de la presse, participation aux campagnes électorales, luttes pour des réformes politiques, contre la politique colonialiste de la bourgeoisie, contre sa politique étrangère, contre le militarisme, etc., tout en poursuivant un travail d'élaboration théorique et de défense des buts finaux du mouvement, la révolution socialiste.
C'est avec raison qu'Engels (dans une de ses préfaces au Manifeste Communiste) signale, dans les années 80, que la 1ère Internationale avait rempli complètement sa tâche dans la période historique où elle avait surgi. I1 a tort, sur sa lancée, de conclure hâtivement que le mouvement politique de la classe, la formation de partis dans différents pays, a pris un tel essor que la classe ouvrière "n'a plus besoin d'une organisation internationale". Avec toutes ses insuffisances, avec toutes ses erreurs, avec toute la pénétration réformiste (trouvant son appui principal dans les syndicats) -qui va triompher en son sein et la perdre comme organisation de la classe-, la 2ème Internationale a également accompli une œuvre entièrement positive dans la classe, une œuvre qui reste un acquis du mouvement, ne serait-ce que d'avoir servi de terrain inégalable à la confrontation et à la clarification théoriques dans plus d'un domaine, de terrain d'affrontement des positions politiques de la gauche contre le révisionnisme Bernsteinien et le centrisme Kautskien. C'est en son sein que vit et s'aguerrit la gauche révolutionnaire.
Quand les moralistes-modernistes de ces se plaisent aujourd'hui à dresser uniquement négatif dans l'histoire -dans la mesure où ils ont quelque connaissance de l'histoire-, de ce que fut la 2ème Internationale à une certaine époque et de son apport au mouvement ouvrier, ils ne font preuve que de leur propre ignorance totale de ce qu'est un mouvement historique en développement. Dans leur ingénuité, ils ne se rendent même pas compte que le peu qu'ils connaissent aujourd'hui, ils l'ont appris, ils le doivent à l'histoire, au passé d'un mouvement vivant de la classe ouvrière ! Ceux-là mêmes qui s'empressent de jeter l'enfant avec l'eau sale ne se doutent même pas que leurs idées et "inventions", qu'ils croient être originales, ils n'ont fait que les ramasser là où elles se trouvaient -pour être devenues depuis longtemps inutiles et inutilisables-, dans les corbeilles à papier de l'époque utopique de l'histoire du mouvement ouvrier. Même les bâtards ont des géniteurs ; inavoués, il est vrai.
Tout comme les modernistes, les bordiguistes se contentent d'ignorer l'histoire du mouvement, l'histoire vivante d'une classe ouvrière en mouvement et en évolution, avec ses moments faibles et ses moments forts. Au lieu de l'étudier et de la comprendre, ils la remplacent par des dieux morts, éternellement immobiles et momifiés par le Bien et le Mal absolus.
18. Le réveil du prolétariat après trois ans de massacre impérialiste et la mort honteuse de la 2ème Internationale portant le manque infâme de la trahison ouvrent une période de montée de luttes et de reconstitution du parti de la classe. Cette nouvelle période d'intenses luttes sociales -qui voit s'écrouler comme de vulgaires châteaux de cartes des citadelles et des forteresses qu'on croyait la veille encore imprenables, qui voit s'effondrer en l'espace de quelques jours un appareil militaire considérable, des monarchies et des empires qu'on croyait invulnérables tels que ceux de la Russie, de l'Autriche-Hongrie, de l'Allemagne prussienne- constitue, non pas un simple moment mais un formidable bond qualitatif dans l'évolution de l'histoire et pour le mouvement ouvrier, car elle pose d'emblée la question de la révolution, de sa marche et de la stratégie de la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière. C'est pour la première fois de leur histoire que la classe ouvrière et ses partis communistes récemment constitués se doivent de répondre à toute une série de questions cruciales -dont chacune se pose en ternies de vie ou de mort de la révolution. Des réponses à ces questions, la classe et les partis en son sein, ont une idée très vague, ou pas d'idée du tout, ou encore franchement anachronique et erronée. Seuls des nains minuscules, mais dotés d'une incommensurable mégalomanie -qui n'ont jamais vu une révolution, même de loin (et la révolution prolétarienne est le plus grand saut de toute l'histoire humaine à ce jour)- peuvent de leur petite hauteur pointer, soixante ans après, leur petit doigt plein de mépris et de suffisance, contre les erreurs et les tâtonnements de ces géants qui ont osé monter à l'assaut du ciel capitaliste en s'engageant résolument dans la voie de la révolution.
Oui, la classe ouvrière, et avant tout les partis et l'Internationale Communiste, ont souvent tâtonné, improvisé et, commis de graves erreurs qui ont largement entravé la marche de la révolution. Mais ils nous ont non seulement légué des acquis inappréciables, mais aussi une riche expérience que nous devons étudier minutieusement afin de comprendre les difficultés rencontrées, d'éviter les pièges dans lesquels ils sont tombés, de dépasser les erreurs commises par eux, et, sur la base de leur expérience, de pouvoir mieux répondre aux problèmes que soulève la révolution. Il s'agit de mettre à profit le recul dans le temps qui nous été donné pour tenter de résoudre, ne serait-ce que partiellement, ces problèmes, sans pour cela dans la prétention ni perdre de vue le fait que la prochaine révolution apportera avec elle les problèmes nouveaux que nous ne pouvons pas complètement prévoir.
19. Pour revenir au problème précis du parti et de sa fonction dans la période présente et dans a révolution, nous pouvons énoncer la réponse surtout sous la forme de ce qu'elle n'est pas pour dégager ce qu'elle devrait être.
a) Le parti ne peut pas prétendre être le seul et exclusif porteur ou représentant de la conscience de la classe. I1 n'est pas prédestiné à un tel monopole. La conscience de la classe est inhérente à la classe comme une totalité et dans sa totalité. Le parti est l'organe privilégié de cette conscience et rien de plus. Cela n'implique pas qu'il soit infaillible, ni que parfois, à certains moments, il soit en deçà de la conscience prise par certains autres secteurs ou fractions de la classe. La classe ouvrière n'est pas homogène, mais tend à l'être. Il en est de même en ce qui concerne la conscience de classe qui tend à s'homogénéiser et à se généraliser. I1 appartient au Parti, et c'est là une de ses principales fonctions, de contribuer consciemment à accélérer ce processus.
b) A ce titre, le parti a pour tâche d'orienter la classe, de féconder sa lutte ; il n'en est pas le dirigeant au sens de celui qui décide seul, en lieu et place de la classe.
c) A ce titre nous devons reconnaître la possibilité de surgissement de groupes (qu'ils s'intitulent parti ou non ne change rien) au sein de la classe et dans son organisation unitaire que sont les Conseils Ouvriers. Non seulement le Parti Communiste ne peut, à aucun titre, s'arroger le droit d'interdire leur existence ou faire pression dans ce sens, mais il doit au contraire combattre énergiquement de telles tentatives.
d) A l'instar de la classe qui, comme un tout, peut être traversée par plusieurs courants révolutionnaires plus ou moins cohérents, le Parti, dans le cadre de son Programme, connaît la possibilité de divergences, de tendances. Le Parti Communiste rejette catégoriquement la conception d'un parti monolithique.
e) Le parti, à aucun titre, ne saurait prétendre établir un cahier de recettes pour répondre à toutes les questions (et dans leur détail) qui peuvent se poser dans les luttes et dans la conduite de celles-ci. I1 n'est ni un organe exécutif ni administratif ni technique de la classe. Il est et doit rester un organe politique. Ce principe s'applique tant aux luttes qui précèdent la révolution qu'à celles de la période révolutionnaire elle-même dans laquelle le Parti ne saurait notamment jouer un rôle d’« état-major » de l'insurrection.
f) La discipline d'organisation et dans l'action que le Parti exige de ses membres, ne peut être une réalité que dans le cadre de la constante liberté de discussion et de critique, dans le cadre de la plateforme qu'il s'est donnée. Il ne saurait exiger de ses membres qui sont en divergence avec certaines de ses positions importantes de présenter et défendre face à l'extérieur, contre leur conviction, ces positions, de s'en faire les porte-parole au nom du Parti. Et cela aussi bien dans le souci de respecter la conscience de ces membres que dans l'intérêt général de l'organisation comme un tout. Confier la défense de positions importantes de l'organisation à des militants qui ne les partagent pas aboutit à une mauvaise défense de celles-ci. Dans ce même sens, le Parti ne saurait recourir à des mesures de répression pour faire pression sur ses membres. Par principe, le Parti rejette l'utilisation de la force et de la violence comme moyen de persuasion et en guise de conviction en son sein, tout comme il rejette la pratique de la violence et des rapports de force physique au sein de la classe et dans son rapport à la classe.
g) Le parti en tant que tel ne demande pas à la classe de lui "faire confiance", de lui déléguer en tant que Parti le pouvoir de décision. Car, par principe, le parti communiste est contre toute délégation par la classe du pouvoir à un organisme, groupe ou parti qui ne relève pas comme tel de son contrôle constant. Le principe communiste exige la pratique réelle de délégués élus et révocables à tout moment, toujours responsables devant l'assemblée qui les a élus ; en ce sens, il proscrit tout mode d'élections par listes présentées par les partis politiques. Toute autre conception mène inéluctablement à une pratique substitutionniste.
S'il est du droit du parti d'exiger la démission d'un de ses membres d'un poste, d'un comité, d'un organisme ou mP1ne d'un poste de l'Etat, auquel ce militant a été élu par une assemblée et devant laquelle il est et reste responsable, il ne saurait imposer son remplacement par un autre membre, de son propre chef et de par sa propre décision.
h) Enfin, et à la différence des partis bourgeois, le parti prolétarien n'est pas un organe destiné à s'emparer de l'Etat ou à le gérer. Ce principe découle tant de ce qui vient d'être vu que de la nécessaire indépendance de la classe ouvrière par rapport à l'Etat de la période de transition. L'abandon de ce principe conduit inéluctablement à la perte par le Parti de son caractère prolétarien.
i) De tout ce qui précède, il découle que le Parti prolétarien de notre époque ne saurait être un parti de masse . N'ayant aucune fonction étatique ni d'encadrement de la classe, sélectionné autour d'un programme -le plus cohérent possible- le Parti sera nécessairement une organisation minoritaire jusqu'à et pendant la période révolutionnaire. En ce sens, la conception de l'Internationale Communiste du "Parti révolutionnaire de masse" qui, en son temps, était déjà fausse et relevait d'une période révolue, doit être rejetée catégoriquement.
20. Le CCI analyse la période ouverte par le surgissement des luttes ouvrières à partir de 1968 comme une période de reprise historique des combats de la classe répondant à la crise ouverte qui se développe à la fin de la reconstruction du 2ème après guerre. En accord avec cette analyse, il considère donc cette période comme posant les prémisses de la reconstitution du Parti. Cependant, même s'ils la font dans des conditions indépendantes de leur volonté, ce sont les hommes qui font l'histoire.
En ce sens, la formation du futur Parti sera le résultat d'un effort conscient, délibéré, effort auquel les groupes révolutionnaires existants doivent s'atteler dès à présent. Cet effort nécessite une compréhension claire tant des caractéristiques générales, valables à toutes les époques, du processus de formation du parti, due des conditions spécifiques, inédites dans l'histoire, qui président au surgissement de celui de demain.
21. Une des spécificités majeures du surgissement du futur parti réside dans le fait qu'il prendra place d'emblée à L'échelle mondiale contrairement à ce qui s'est produit par le passé.
Dans le passé déjà, les organisations politiques du prolétariat étaient mondiales, tendaient vers l'unité mondiale. Cependant, les organisations mondiales résultaient du regroupement de formations plus ou moins constituées au niveau national et autour d'une formation émanant d'un secteur national particulier du prolétariat occupant une position d'avant-garde dans l'ensemble du mouvement ouvrier.
Ainsi, en 1864, l'AIT se constitue essentiellement autour du prolétariat d'Angleterre (la Conférence constitutive se tient à Londres qui est aussi le siège du Conseil Général jusqu'en 1872, les Trade-unions constituent longtemps les contingents les plus importants de l'AIT) qui est le pays de loin le plus développé de l'époque, où le capitalisme est le plus puissant et concentré.
De même, en 1889, la 2ème Internationale se constitue principalement autour de la Social-démocratie allemande qui est, -en Europe et dans le monde- le parti ouvrier le plus ancien, le plus développé et le plus puissant, ce qui résulte, avant tout, du formidable développement du capitalisme allemand dans la seconde moitié du 19ème siècle.
Enfin, la 3ème Internationale a pour pôle indiscutable le Parti bolchevik, non pas à cause d'une quelconque prééminence du capitalisme de Russie (qui, bien qu'au 5ème rang mondial, reste très arriéré) mais parce que le prolétariat de ce pays est, par des circonstances spécifiques, le premier (et le seul) à renverser l'Etat capitaliste et à prendre le pouvoir lors de la grande vague révolutionnaire du premier après-guerre.
La situation d'aujourd'hui se distingue notoirement de celle qui prévalait à ces différents moments du passé. D'une part, la période de décadence du capitalisme n'a pas permis l'éclosion de nouveaux grands , secteurs du prolétariat mondial qui auraient pu constituer un nouveau pôle pour l'ensemble du mouvement ouvrier (comme ce fut le cas en Allemagne au siècle dernier).
D'autre part, le capitalisme décadent -du fait notamment de sa décadence- a été l'objet d'un nivellement considérable de ses caractéristiques économiques, sociales et politiques, et tout particulièrement dans les pays avancés. Jamais, dans l'histoire, le monde capitaliste, malgré ses insurmontables divisions nationales et de bloc n'a atteint, du fait, entre autres, du développement du commerce mondial et de l'usage des moyens modernes de communication, un tel degré d'homogénéité, d'interdépendance entre ses différentes parties. Cette évolution s'est traduite, pour la classe ouvrière, par un nivellement, sans exemple dans le passé, de ses conditions et mode de vie ainsi que, d'une certaine manière, de son expérience politique.
Enfin, les circonstances présentes du développement historique de la lutte de classe vers la révolution (aggravation simultanée dans tous les pays de la crise économique et non pas guerre impérialiste comme en 1917, degré considérable d'unité de la bourgeoisie face au prolétariat) assignent à ce développement de tendre vers une simultanéité, une unité et une généralisation du combat inconnues par le passé.
L'ensemble de ces conditions pousse non pas à la constitution du futur Parti mondial autour de tel ou tel secteur national du prolétariat, comme par le passé, mais à son surgissement d'emblée à l'échelle internationale autour des positions et du pôle politiques les plus clairs, cohérents et développées.
C'est en particulier pour cette raison que, encore plus aujourd'hui que dans tout le passé du mouvement ouvrier, il est fondamental que les différents groupes communistes existant dans le monde mobilisent et unifient leurs efforts en vue de la constitution de ce pôle et, en premier lieu, de la clarification des positions politiques prolétariennes.
Ces tâches essentielles participent donc également, et de façon majeure, à la prise en charge consciente et volontaire -évoquée plus haut- par les révolutionnaires de leurs responsabilités dans le processus de formation du futur Parti.
22. En accord avec cette perspective, le CCI défend l'idée de la nécessité urgente de rompre avec l'isolement dans lequel se trouvent les groupes communistes existants, de combattre l'esprit faisant de la nécessité (objective) d'hier une vertu pour aujourd'hui - qui ne peut relever que d'un esprit de chapelle et de secte - pour que s'engage une véritable discussion internationale entre ces groupes. Cette discussion devra manifester la ferme volonté d'éliminer les malentendus, les incompréhensions, les fausses interprétations des positions des uns et des autres – résultant de la polémique ou de l'ignorance de ces positions afin d'ouvrir une véritable confrontation des divergences politiques et de permettre que s'enclenche un processus de décantation et de regroupement.
Le CCI n'ignore pas les énormes difficultés que va rencontrer la réalisation de cette tâche. Ces difficultés sont liées en grande partie au poids de la terrible contre-révolution subie par la classe ouvrière pendant plus de 40 ans, contre révolution qui est venue à bout des fractions de gauche issues de l'Internationale Communiste et à rompre la continuité organique ayant existé entre les différentes organisations politiques prolétariennes depuis le milieu du siècle dernier. Du fait de cette rupture de la continuité organique, le futur Parti ne pourra pas se constituer suivant le processus mis en évidence par la Fraction italienne, processus dans lequel la Fraction constituait un pont entre l'ancien et le nouveau Parti.
Cette situation rend encore plus indispensable cette tâche de confrontation et de décantation en vue du regroupement des organisations du camp communiste. Le CCI s'est efforcé d'y contribuer par des contacts avec ces groupes; il a suggéré la tenue de conférences internationales de groupes se situant dans le camp prolétarien et y a participé activement. I1 faut constater l'échec de ces premières tentatives, dû avant tout à l'esprit de secte des groupes - débris de la Gauche italienne - passablement sclérosés et qui, au nombre de cinq, se proclament tous Le "Parti historique". Ces soi-disant "partis" sont voués à une sclérose irréversible s'ils persistent dans cette attitude.
Pour ce qui le concerne, le CCI est convaincu qu'il n'existe pas d'autre voie. C'est la voie qui a toujours triomphé dans l'histoire du mouvement ouvrier, la voie de Marx Engels, la voie de Lénine et de R. Luxemburg, la voie suivie par la Gauche Communiste Internationale et Bilan dans les années 30. C'est la seule voie féconde et riche de promesses, et c'est cette voie que, plus que jamais, le CCI est décidé à poursuivre fermement.
[1] Sans être exhaustif, on peut signaler les textes suivants :
[2] Les analyses aberrantes développées par Bordiga - notamment à partir de 1945 - ne sauraient atténuer sa contribution de premier plan dans la fondation du Parti Communiste d'Italie et dans la lutte de la Gauche contre la dégénérescence de l'Internationale Communiste. La reconnaissance de l'importance de cette contribution ne doit pas servir à justifier l'adhésion à ces aberrations, à les considérer comme l'alpha et l'oméga des positions communistes.
Les années 80 se confirment comme des "années de vérité" pour l'avenir de l'humanité.
Par son aggravation inexorable, la crise économique mondiale gui, depuis une quinzaine d'années secoue le capitalisme, révèle chaque jour plus l'impasse totale dans laquelle se trouve ce système. Elle démontre de plus en plus clairement la réalité de l'alternative historique déjà constatée par l'Internationale Communiste : guerre ou révolution, ou bien la réponse prolétarienne à la crise : le développement des luttes de classe menant à la révolution ; ou bien son aboutissement bourgeois : l'holocauste impérialiste généralisé menaçant de mort toute l'humanité. C'est dire si sont aujourd'hui considérables les responsabilités des groupes révolutionnaires comme facteur actif de la capacité du prolétariat à donner une issue positive à cette alternative. Pourtant, pour l'ensemble du milieu politique constitué par les organisations révolutionnaires, l'accélération de l'histoire de ces dernières années s'est traduite, non par un renforcement, mais par une série de crises organisationnelles internes, des débandades activistes ou des paralysies aux moments de montée de la lutte (Pologne 80 en particulier) et par des tendances à la démoralisation, à l'usure, au repli sur soi dans les moments de reflux de la lutte. Au lieu de servir de repère, de phare dans la tourmente sociale gui se développe, l'avant-garde politique du prolétariat se révèle au contraire souvent ballottée, secouée au gré des flots du tourbillon engendré par la crise historique du capitalisme.
Dans l'immédiat, la contre-offensive déclenchée par la bourgeoisie à l'ouverture des années 80 frappe la classe révolutionnaire, mais aussi son avant-garde politique. Et cela d'autant plus que celle-ci a été incapable de se donner les moyens de dépasser son éparpillement et ses divisions gui sont un legs de la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur le prolétariat entre les années 1920 et les années 60.
Les conférences internationales des groupes de la Gauche Communiste (1977-80) auraient pu constituer un pôle de référence au niveau mondial, un cadre pour entreprendre le dépassement de ces faiblesses. Mais le poids de l'immaturité, de la sclérose et du sectarisme, après les avoir maintenues "muettes" par le refus de toute prise de position commune, a finalement mis un terme à cet effort.
Dans les conditions historiques actuelles, il est de la plus haute importance que l'ensemble des organisations révolutionnaires prennent conscience de la gravité de la situation et des responsabilités gui sont les leurs, et sachent notamment opposer une résistance réelle, efficace aux pressions destructrices du capital aux abois. Ces responsabilités ne sauraient être assurées par une simple somme d'efforts de chaque groupe pris individuellement. Il s'agit d'établir une coopération consciente entre toutes les organisations, non pas pour réaliser des regroupements hâtifs, artificiels, mais pour engendrer une volonté et une démarche qui donnent toute son importance à un travail systématique de débats, de confrontations fraternels entre forces politiques prolétariennes.
En ce sens, le travail qui avait été entrepris avec les trois premières conférences de la Gauche Communiste devra être repris. Il devra se baser sur les mêmes critères de délimitation que ceux qui avaient été retenus pour ces conférences, parce que ces critères n'étaient pas de circonstance, mais résultaient de toute une expérience historique de la classe ouvrière depuis la vague révolutionnaire suivant la 1ère guerre mondiale. Il devra se baser également sur les enseignements de l'échec de ces conférences, et notamment sur le fait de les concevoir non comme de simples forum de discussions mais comme un effort militant se donnant notamment comme objectif de prendre position face aux événements cardinaux de la lutte de classe et de la vie de la société. L'heure n'est pas venue pour l'appel à de nouvelles conférences des groupes communistes. Il reste encore tout un chemin à faire pour que soient réunies les conditions d'un tel effort. Cependant, c'est dès aujourd'hui qu'il faut préparer le développement de telles conditions.
C'est dans cette perspective qu'au moment de son 5ème Congrès International, le CCI adresse à toutes les organisations révolutionnaires un appel pour qu'elles prennent résolument en charge les responsabilités gui sont les leurs face à la gravité et aux enjeux de la situation historique :
- reconnaissance de l'existence d'un milieu politique prolétarien ; les groupes communistes doivent rejeter la prétention mégalomane d'être chacun le seul détenteur des positions de classe ;
- développement systématique d'un esprit et d'une volonté de débat et de confrontation des positions politiques gui sont la condition première d'une décantation et d'une clarification dans l'ensemble de ce milieu et de toute la classe, et gui doivent prendre place dans les presses respectives, les réunions publiques, etc.
- rejet dans ce débat des bavardages dilettantes et irresponsables, du sectarisme et du dénigrement systématique des autres organisations.
Les formidables affrontements de classe gui se préparent seront également une épreuve de vérité pour les groupes communistes : ou bien ils seront capables de prendre en charge ces responsabilités et ils pourront apporter une contribution réelle aux développements des luttes ; ou bien ils se maintiendront dans leur isolement actuel et ils seront balayés par le flot de l'histoire sans avoir pu mener à bien la fonction pour laquelle la classe les a fait surgir.
CCI
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/leconomie
[2] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decadence
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