Critique du Groupe Communiste Internationaliste

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LUTTE REVENDICATIVE, LUTTE REVOLUTIONNAIRE : LA DYNAMIQUE DE LA CLASSE OUVRIERE

Le "Groupe Communiste Internationaliste", formé en 1979 par des militants ayant quitté le CCI, est une illustration  typique des difficultés  et de la  faiblesse dans lesquelles se trouve aujourd'hui le milieu révolutionnaire. La constitution hâtive par ces camarades d'une"tendance" dans notre organisation  sur des bases hétéroclites et incohérentes, leur départ précipité sans qu'ils aient essayé de mener un débat de fond permettant de clarifier pleinement leurs divergences, exprimaient certains des travers les plus répandus aujourd'hui dans le milieu révolutionnaire : 1'immédiatisme, le  volontarisme, et le sectaris­me. En effet, le point  de départ de leur démarche était une impatience devant  la stagnation  des luttes de classe au milieu des années 70. Déçus par le prolétariat, ils se sont réfugiés dans  la vision propre aux bordiguistes qui  fait du Parti le "deus ex machina" du mouvement  de la classe. De même, frustrés de n'avoir pas convaincu immédiatement 1 'ensemble de 1 'organisation, ils ont préféré la quitter avant même d'avoir rédigé un document synthétisant l'ensemble de leurs divergences. A un travail révolutionnaire sé­rieux qui implique aussi de se trouver en minorité dans une organisation vivante du prolétariat, ils ont préféré se livrer aux penchants  typiquement gauchistes et estudiantins de multiplication de petits cercles où chacun peut s'adonner à coeur joie à 1'ambition petite-bourgeoisie d'être "maître chez soi". En  un mot, le sectarisme.

Sur la lancée de ses origines, le GCI n'a eu de cesse,  depuis son apparition, de dénigrer systématique­ment  le CCI, en s'acharnant à trouver des contre-exemples destinés  à démentir nos analyses, en  utilisant massivement la déformation de nos positions  en lieu et place d'une polémique  véritable et  fructueuse.

Quand à 1'argumentation de leurs positions de départ, elle a conduit ces camarades a développer des théories  fumeuses et des schémas abstraits auxquels ils "adaptent" la réalité. Ainsi, ils ont abandonné rapidement une compréhension réelle de ce qu'est  la classe ouvrière et de son mouvement; ils ont rejeté aux poubelles de l'histoire une partie du mouvement ouvrier, et notamment  toute la seconde Internationale.

Cet  abandon est à la base, comme pour beaucoup de groupes révolutionnaires aujourd'hui, des graves confusions du GCI sur de multiples problèmes, notamment le processus de prise de conscience du prolétariat et le rôle des minorités révolutionnaires, la nature et le rôle de la violence de classe, les perspectives actuelles de la lutte de classe et le cours historique de notre période, confusions qui interdisent d'apporter  une contribution fructueuse aux combats qui se préparent.

C'est ce que nous proposons de montrer dans cet article.

CONSCIENCE DE CLASSE ET ROLE DU PARTI

Le GCI ([1]) reconnaît très clairement que la révolution prolétarienne, à la différence des  révolutions bourgeoises, sera une révolution CONSCIENTE :

" Les conditions et les déterminations de la lutte prolétarienne sont donc radicalement différentes de ce qui  conditionnait les  luttes de classe du passé, pour le prolétariat qui  n'a aucun nouveau système d'exploitation à imposer, la connaissance de son être en mouvement (et donc de son but) est une nécessité pour sa victoire" (Le Communiste n°6, page 3).

Malheureusement, s'il accepte cette prémisse générale, c’est pour aussitôt la déformer, en 1'"adaptant" à sa propre vision de la classe et du parti. Le préjugé bien ancré du GCI est que seule une minorité du prolétariat peut arriver à une conscience claire des buts et moyens de la révolution : " exiger que la cons­cience soit générale au sens où l'ensemble des ouvriers soient conscients des objectifs,  des moyens pour y arriver et de l'expérience accumulée, c'est demander l'impossible : les conditions même de l'exploitation l'empêchent" (Rupture avec le CCI, page  10). La conscience de classe est vue comme l'apanage de ceux qui  ("noyaux, groupes, fractions, voire individus, communistes") doivent se constituer en parti  communiste mondial.  Quant aux larges masses d'ouvriers, ce n'est que plus tard, après la prise du pouvoir, pendant la dictature du prolétariat, qu'elles acquerront cette donnée précieuse. Le GCI se trouve ainsi  prisonnier de ses deux affirmations, qui  s'excluent réciproquement; d'une part l'affirmation que"pour le prolétariat, la con­naissance de son être en mouvement (et donc de son but) est une nécessité pour sa victoire"  et d'au­tre part l'affirmation que "exiger que la conscience soit générale, au sens où l'ensemble des ouvri­ers soient conscients... c'est demander l'impossi­ble". C'est dans l'emploi  du mot "ensemble" et le sens abusif qu'il  lui  donne que le GCI s'enfonce dans la confusion tout en croyant s'en tirer. Faut-il  rappeler que pour le marxisme,  "l'ensem­ble" n'a nullement un sens arithmétique d'une som­me d'ouvriers additionnés un à un? L'"ensemble" se rapporte à la classe comme une entité sociale, avec sa dynamique propre, historique.   Il  se rap­porte à la conscience de la classe comme un tout, et non à la conscience de chaque ouvrier comme individu.  C'est cette difficulté à saisir le con­cept de classe comme un tout,  un ensemble, cette difficulté commune à toute démarche petite-bour­geoise, qui  plonge le GCI dans cet embarras insur­montable, et ne lui  permet de s'en dégager qu'en recourrant à une autre et vieille aberration .

Comment selon le GCI, le prolétariat pourra-t-il donc faire la révolution? C'est au parti que revient l'essentiel de cette tâche.

Cette position n'est pas sans poser quelques difficultés, lorsqu'on aborde des problèmes plus concrets. Si  les ouvriers ne sont que des moutons inconscients, pourquoi  suivront-ils le parti, les mots d'ordre révolutionnaires, plutôt que la bourgeoisie? Pourquoi  les ouvriers, en Allemagne, n'ont-ils pas suivi leurs partis (KPD, KAPD) qui décrétèrent l'Action de Mars en 1921? "Il y a eu putsch car impréparation  (cf. Les changements de positions du VKPD,  du jour au lendemain) et er­reurs d'appréciation de l'état d'esprit des mas­ses, du rapport de force entre les deux classes antagoniques" (Le Communiste, n°7, pagel6).

En quoi  consistait cette préparation,  réussie en Russie et ratée en Allemagne? "Dans l'action de Mars, il n'y a aucune "conspiration sérieuse", aucun "complot insurrectionnel, aucune insurrec­tion massive, et encore moins un déforcement de la bourgeoisie" (Idem).  Voilà comment le GCI se "sort"  de la position difficile dans  laquelle il  s'est placé  : en éliminant totalement le fac­teur "conscience de classe".

Les facteurs déterminant une insurrection vic­torieuse sont réduits du coté du parti...à une "conspiration",  un "complot", et du coté de la classe à...  une"insurrection massive". Un point c'est tout.

Si  le GCI peut éliminer aussi  facilement la conscience de classe de l'analyse des mouvements révolutionnaires, alors qu'il en parle tellement dans d'autres textes, c'est parce que fondamenta­lement, il ne sait pas de quoi  il  parle, parce qu'il  ne comprend pas ce qu'est la conscience de classe.

La conscience de classe est la conscience qu'a la classe ouvrière de son être propre, de ses pers­pectives et des moyens qu'elle se donne pour les réaliser. Elle n'est pas une conscience sur un ob­jet, extérieur au prolétariat, mais une" conscience de soi, et dans cette mesure, elle s'accompagne d'une modification du prolétariat. La conscience de classe n'existe que par l'existence d'une clas­se consciente. Que la classe soit consciente ne signifie pas que tous  les prolétaires, pris indi­viduellement, aient cette conscience, mais c'est un  fait matériel  : la classe consciente est une classe qui s'affirme par la destruction matériel­le du système capitaliste. Toute tentative de dis­socier conscience de classe - classe consciente-destruction matérielle du capitalisme - ne consis­te qu'à réintroduire l'idéologie bourgeoise, ses séparations et ses spécialisations, dans la théo­rie révolutionnaire.

La conscience de classe, collective, ne peut donc, par sa nature même,être détenue par une mino­rité. Le parti, les noyaux révolutionnaires ont bien une compréhension théorique des problèmes de la révolution, mais ne peuvent prétendre être les détenteurs exclusifs de la conscience de classe.

En fait le GCI ne voit pas d'où vient la cons­cience de classe, comment elle s'élabore. Sous pré­texte que "l'action précède la conscience",  il  re­fuse de comprendre que la conscience de classe s'élabore au travers des luttes quotidiennes de la classe ouvrière et de la réflexion forcée et inévi­table de ses expériences. Et que c'est parce que le prolétariat devient plus conscient qu'il est ca­pable de modifier sa façon de lutter. Le proléta­riat ne fera pas une  "insurrection massive" poussé uniquement par la misère, comme semble le penser le GCI. Le prolétariat ne fera la révolution que s'il  sait ce qu'il  fait et vers où il  va.

Sur ce point,  le GCI se pi ait à répandre l'idée que le CCI est, entre autre, profondément "démocrate".  "Avec son culte de la conscience géné­ralisée (dont il fait un fétiche devant lequel il se met à genoux), le CCI est retombé tout droit dans l'idéologie"démocratique bourgeoise" (Rupture avec le CCI, page 11). Le GCI affirme par ailleurs que "l'aspect minoritaire de la conscience de clas­se restera une donnée certaine jusqu'à un stade avancé du processus révolutionnaire, pour s'élargir à des couches de plus en plus larges d'ouvriers pendant la période de dictature. La révolution com­muniste est donc principalement anti-démocratique".

Contrairement à ce que pense le GCI,  la question réelle n'est pas  "minorité" ou "majorité" en soi. Nous ne sommes pas attachés à des images de mécanismes de vote, à des forêts  de bras levés, à de belles majorités qui  1'emportent...mais à compren­dre les conditions qui  rendent la révolution pos­sible. Ni  la révolution, ni  la transformation ulté­rieure ne seront possibles avec pour seul atout une "minorité consciente". La transformation de la so­ciété capitaliste, dont les forces aveugles domi­nent le prolétariat comme toute la société, ne se fera pas par décrets, mais elle n'est possible que par l'action consciente et collective du proléta­riat. C'est la mobilisation du prolétariat, sa ca­pacité à assumer l'entièreté du pouvoir, qui  seront les garanties de la transformation de la société. C'est pour cette raison que la dictature du prolé­tariat signifiera la démocratie ouvrière, c'est à dire une égalité réelle, une liberté sans précédent pour toute la classe ouvrière.

Cela signifiera aussi  le refus de toute con­trainte, de toute violence au sein du proléta­riat. A ce sujet, on peut se demander ce que si­gnifie concrètement le fait que pour le GCI,  la révolution communiste sera anti-démocratique au sein même du prolétariat?

Avec la même virulence, le GCI  reproche au CCI son"assembléisme", ou "formalisme" ou "fétichis­me des Assemblées  générales" - le terme varie selon les jours- bref, le fait que le CCI fait, dans son    intervention en général,  de la propa­gande pour certaines formes  d'organisation de la lutte ouvrière  :  les Conseils Ouvriers en période révolutionnaire, et, dans les luttes ac­tuelles, les organes qui  les préfigurent, Assem­blées Générales, comités  de grève,  délégués élus et révocables... L'argument du GCI en la matière étant que toutes  les  formes  d'organisations (Conseils, comités de grève,  unions etc..) pou­vant être récupérées par la bourgeoisie (ce qui est tout à fait exact),  peu importe la forme que prend l'organisation des ouvriers, ce qui importe, c'est le contenu . Le GCI a ainsi  dé­veloppé un schéma, où le lien entre la forme et contenu de la lutte est banni.

Nous ne sommes pas attachés à une forme d'or­ganisation en tant que telle, mais à un contenu: le développement de la conscience de classe par la participation active des ouvriers â la lutte, le fonctionnement collectif, le dépassement des séparations entre  "économique" et "politique", la rupture des divisions sectorielles, usinistes, entre les ouvriers. A ce contenu ne cor­respondent pas 36 organisations, et en tout cas, pas les syndicats  (même si  le GCI en juge cer­tains de "classes" ni les unions. Le manque de clarté d'un groupe politique sur les organisa­tions où s'exprimera la dynamique révolutionnai­re est dangereux. La position du GCI sur les formes d'organisation de la lutte aujourd'hui l'a conduit à avoir, par rapport à la Pologne, une intervention totalement inadéquate. D'une part, en cherchant à prouver l'idée selon la­quelle on ne peut prétendre à l'avance et en dehors de la vie réelle que les formes "syndi­cats de classe", "unions", "conseils",  "commu­nes",  "soviets" ont toutes épuisé complètement leur cycle historique et ne ressurgiront plus comme expression du mouvement prolétarien (Le Communiste n° 4, page 29), au lieu de dénoncer les syndicats libres,  le GCI écrit  : " Ceux-ci  peuvent en effet être de réels orga­nismes ouvriers, larges, ouverts à tous les prolétaires en lutte, la coordination, centralisation des comités de grève, mais également sous pressions conjointes des autorités et des "dissidents", se transformer en organismes de l'Etat bourgeois" (Le Communiste n°7, page 4).

D'autre part, le GCI s'est contenté de mettre l'accent sur le caractère massif et centralisé du mouvement, sans se résoudre    à parler des fermes d'organisations que cela supposait : Assemblées Générales, délégués élus et révoca­bles, sans doute parce que cette réalité était trop "démocratique" à son goût?

Le silence dont fait preuve le GCI par rap­port aux formes d'organisation de la lutte est d'autant plus profond que finalement, il  n'est pas intéressé à comprendre le mouvement de la lutte de la classe ouvrière. En effet, à ses yeux, c'est le parti qui organise la classe.

LE ROLE CONCRET DU PARTI

" (les communistes) ne s'opposent pas aux nom­breuses associations qui surgissent parmi les pro­létaires et qui luttent pour des objectifs parti­culiers (...)   .  Ils agissent pour élever leur ni­veau, généraliser leurs tâches et leurs objectifs les fondre ensemble organiquement : c'est-à-dire les réunir en une seule organisation, ou du moins, si ce n'est pas possible directement, les centra­liser autour du pôle le plus avancé" (Rupture avec le CCI, page 8). Le parti centralisant tendanciellement toute la classe, la fonction que joua la Première Internationale au 19ème siècle : "organiser et coordonner les forces ouvrières pour le combat qui  les attend" (Marx,  1871), cons­titue l'idéal  absolu du GCI. Ce que le GCI méconnaît totalement, c'est que l'évolution de la clas­se ouvrière d'une part, le changement de période historique de l'autre, ont modifié le rôle des révolutionnaires dans l'histoire : "Il était normal que dans un premier temps, la nécessité, d'organi­sations communistes distinctes remplissant une fonction propre ne se soit pas faite sentir de ma­nière plus impérieuse  :  la première tâche d'orga­nisation que des révolutionnaires comme Marx se sont donnée  fut de tenter de faire exister le prolétariat comme force autonome, et organisée, en unifiant les expressions de classe existan­tes qui  restaient éparpillées. Ce fut le sens de la Première Internationale, qui tenait autant du parti politique au sens strict du terme, que de l'organisation générale de la classe (associa­tions et sociétés ouvrières, organes syndicaux). Avec la Deuxième  Internationale, une plus grande distinction s'était opérée entre d'une part le parti politique et d'autre part les organismes plus généraux tels les syndicats. Cependant, l'immaturité du prolétariat en pleine croissance, la possibilité de mener des luttes permanentes pour des  réformes et donc de créer et maintenir en vie des organisations de lutte permanentes (syndicats) donnaient toujours un poids à l'influence"organisatrice" des révolutionnaires; les partis eux-mêmes étaient des organisations de masse liées aux syndicats. Cette pratique s'est reflétée  dans l'idée que les marxistes se faisaient de leur tâche. Pendant toute cette pé­riode en fait, l'absence d'expérience révolution­naire décisive (l'exemple de la Commune de Paris demeurait tout à fait isolé), les marxistes ne parvenaient pas à concevoir le parti politique autrement que comme un organisme qui organise­rait plus ou moins progressivement la majorité de la classe, et qui par ce caractère de masse, se­rait amené à exercer la dictature du prolétariat. Cette conception s'était particulièrement renfor­cée sous la social-démocratie.

Mais dés 1905 en Russie, cette conception s'est effondrée. L'entrée du capitalisme dans sa phase de déclin et la période de la révolu­tion mondiale surgie de la première guerre mon­diale changent définitivement et profondément les conditions de la lutte ouvrière, et donc également les caractéristiques de ses organisa­tions. La crise du capitalisme empêche la survivance des  luttes  permanentes, les organisations de masses (syndicats et partis) sont englouties par l'appareil  d'Etat; parallèlement, la plus grande maturité du prolétariat lui permet de se lancer dans des affrontements révolutionnaires et de créer spontanément des organisations de classe unitaires abolissant la frontière entre politique et économique, les Conseils Ouvriers. Les Conseils Ouvriers sont "la forme enfin trou­vée de la dictature du prolétariat" (Lénine). Dans cette situation, la fonction propre des organisations révolutionnaires prend tout son sens: les révolutionnaires, même lorsqu'ils forment des partis, constituent une minorité dont l'impact or­ganisateur se réduit vis-à-vis de la masse de pro­létaires en mouvement, alors que leur tâche politi­que, en tant qu'organe spécifique, de développement de la conscience de classe devient cruciale pour la marche de la Révolution"(Internationalisme n563 : Né­cessité et Fonction du Parti).

A l'époque actuelle, où le prolétariat tend à se lancer dans des luttes massives, les ou­vriers à s'organiser par millions, la vision d'un parti réunissant les associations ou­vrières en "une seule organisation" révèle une mégalomanie et un anachronisme profonds chez ceux qui  la véhiculent. Le GCI pense avoir trouvé un support historique à sa conception : le KAPD en 20-21 en Allemagne, qui travaillait essentiellement dans les  "Unions". Cette forme d'organisation bénéficie de ses faveurs pour deux raisons : parce que les "Unions" dépen­daient étroitement d'un parti  politique, et parce qu'il y avait un critère politique d'adhé­sion : l'accord sur la dictature du prolétariat.

Le GCI  glorifie donc le KAPD : "Force nous est de trouver, dans la pratique du KAPD,  les indications sur le contenu du futur mouvement révolutionnaire" (Le Communiste, n° 7, pagel8-19). Aveuglé par le fait d'avoir trouvé enfin la forme d'organisation qu'il  cherchait et un parti  qui  l'a créée,  le GCI se défend d'envisa­ger en quoi, et la création des Unions et  l'in­tervention du KAPD étaient à maints égards le produit de la faiblesse du mouvement révolution­naire en Allemagne. Les Unions sont créées après l'échec des Conseils Ouvriers, que la bourgeoi­sie avait réussi à neutraliser. La désorientation politique du prolétariat qui s'en suivit se refléta dans ces organes, qui étaient clai­rement un repli sur l'usine, et que les ouvriers considéraient comme des syndicats plus radicaux. Cette désorientation va aussi influencer l'in­tervention des révolutionnaires : le KAPD va adopter une attitude volontariste dans son in­tervention, tenter de reconstruire le mouvement de masse grâce aux Unions. La centralisation dans le KAPD sera le reflet du manque de centralisation réelle dans la classe, d'une dis­persion des forces. Finalement les attitudes putschistes du KAPD (Action de Mars) n'abouti­ront qu'à 1'échec.

Armé de tout ce bagage "historico-théorique", le GCI conçoit son rôle comme étant prioritaire­ment "d'organiser la classe", du moins les élé­ments qui veulent bien se laisser organiser par lui. Ses entreprises se sont soldées par un échec, soit parce que ses"appels" ne rencontrent aucun écho auprès des groupes concernés (cf. son appel â "une coordination des ouvriers en lutte", dans Le Communiste n°2, critiqué dans Internatio­nalisme n° 35), soit parce que ayant bâti artifi­ciellement des comités de tout genre, ceux-ci  dé­ pourvus d'une vie réelle interne, succombaient ra­pidement à leurs contradictions. Ces expériences désastreuses devraient suffire pour démontrer au GCI que ce n'est pas là le sens du travail  révolu­tionnaire aujourd'hui. Dans la période actuelle, les révolutionnaires doivent intervenir au sein des luttes générales de la classe pour y défendre des perspectives claires : ce que le GCI ne fai­sait quasiment plus jusqu’aux récents mouvements début 82 en Belgique, étant trop préoccupé par l'organisation et l'activation de ses  "comités" fantômes.

LA CLASSE OUVRIERE

Emporté dans sa recherche de "minorités agis­santes", "historiques",1e GCI a été amené à défi­nir d'une façon très particulière ce que constitue pour lui  la classe ouvrière : "Le CCI méconnaît que l'existence de la classe ouvrière ne se mani­feste pas dans 1'énumération statique des prolétaires, ni même forcement dans une majorité d'en­tre eux, mais souvent dans des minorités d'entre eux parmi lesquelles s'exprime la tendance à la constitution en classe"(Rupture avec le CCI, page 3). Le GCI a ainsi développé une vision to­talement abstraite de la classe ouvrière. Une vi­sion qui  se situe en dehors du marxisme parce qu'elle efface tout simplement et complètement les déterminations économiques de la classe. D'où yient en effet le "mouvement" qu'il  retient comme critère pour définir la classe, quel est le moteur matériel  de la lutte, sinon l'exploitation des prolétaires?

C'est cette définition de la classe ouvrière qui a été le support de l'intervention du GCI. Il a ainsi  progressivement centré cette interven­tion vers des secteurs de la classe ouvrière, es­sentiellement les chômeurs, sans doute parce qu'il  les jugeait susceptibles de se mettre plus rapidement en mouvement que les ouvriers au travail  des concentrations industrielles. On peut voir à quel  point le GCI est arrivé dans son cul­te du "mouvement", indépendamment des forces so­ciales qui animent celui-ci, dans sa position sur la lutte des squatters à Berlin  :  "La lutte à Berlin,  surtout menée par des jeunes,se rattache de fait au prolétariat, parce que l'oc­cupation correspond à la satisfaction autoritaire d'un besoin ouvrier général, parce que pour mener ces occupations, le mouvement doit s'affronter à l'Etat bourgeois, et il remet en cause le sacré principe de la propriété privée" ( Action Commu­niste n° 4, page 6).

Si  le GCI a refusé les  "déterminations économi­ques statiques", c'est pour être prêt à glorifier un mouvement avec pour critère qu'il  s'affronte avec l'Etat et au nom de critères moraux :  "satis­faction autoritaire",  "propriété privée" etc..

Le mouvement squatter est une expression de l'impasse du capitalisme qui  provoque des con­vulsions dans toute la société.

Mais celles-ci  ne sont pas pour autant porteuses du dépassement de ce système. Seule la classe ouvrière est porteuse de ce dépassement et peut et doit développer sa lutte pour rassem­bler toutes ces révoltes sociales. Le GCI préfère assigner des perspectives particulières au mouve­ment des squatters : centraliser les  luttes pour le logement au-delà des frontières. L'attirance aveugle pour "tout ce qui bouge" du GCI lui fait remettre en question une base essentielle de la lutte révolutionnaire   et du marxisme: la classe ouvrière est la seule  classe révolutionnaire aujourd'hui.

LA VIOLENCE DE CLASSE

Le GCI, ne comprenant pas la capacité de la classe ouvrière à s'organiser de façon unitaire et à développer sa conscience de classe, ne sai­sit pas non plus comment, par sa violence de clas­se organisée, le prolétariat pourra avoir raison de la bourgeoisie. Cela le conduit à bon nombre de confusions, dont le point commun est l'idée que les affrontements physiques joueront un rôle cen­tral dans le développement de la perspective révolutionnaire. Le GCI défend aussi le terrorisme "ouvrier", insiste sur la "préparation militaire" de l'insurrection', sur la nécessité pour le prolétariat de développer une terreur rouge. Parce que nous ne partageons pas ces conceptions, le GCI nous accuse de "pacifisme" et de "légalisme" : "Le CCI ne s'est jamais dégagé du "social-paci­fisme"" (Rupture avec le CCI, page 14).

Il  ne fait aucun doute pour le CCI que la lutte de classe est une violence permanente en­tre deux classes irréductiblement antagonistes et que la révolution sera violente. Mais  la ques­tion réelle est : quel   rôle joue la violence dans la révolution prolétarienne?

A cette question, Rosa Luxembourg répondait : " Dans les révolutions bourgeoises antérieures ce sont les partis bourgeois qui avaient pris en main l'éducation politique et la direction de la masse révolutionnaire, et d'autre part, il s'agissait de renverser purement et simplement l'ancien gouvernement; alors le combat de barri­cades, de courte durée, était la forme la plus appropriée de la lutte révolutionnaire. Aujourd'hui,  la classe ouvrière est obligée de s'éduquer, de se rassembler, et de se diriger elle-même au cours  de la lutte et ainsi,  la révolution est di­rigée autant contre l'exploitation capitaliste que contre le régime d'Etat ancien; si  bien que la grève de masse apparaît comme un moyen naturel de recruter,  d'organiser et de préparer à la ré­volution les couches prolétaires les plus larges, de même qu'elle est en même temps un moyen de mi­ner et d'abattre l'Etat ancien ainsi que d'endi­guer l'exploitation capitaliste (...) Ce qui autrefois    était la manifestation extérieure principale de la révolution  :  le combat de bar­ricades, l'affrontement direct avec les forces de l'Etat, ne constitue dans la Révolution actuel­le que le point culminant, qu'une phase du proces­sus de la lutte de masse prolétarienne" (Grève de Masse).

Les combats pour la révolution prolétarienne seront peut-être plus violents, plus meurtriers que ceux qu'a menés la bourgeoisie pour faire sa révolution. Mais ce sera  la conscience et la capa­cité du prolétariat à s'organiser qui  détermine­ra    l'efficacité de sa violence et non une "pré­paration militaire en soi" comme le pense le GCI. Pour cette raison, le rôle du parti  prolétarien dans la préparation de l'insurrection comme à un niveau plus général  consiste avant tout à déve­lopper la conscience de classe.

Les incompréhensions du GCI sur la question de la violence de classe déterminent  par conséquent des erreurs dans son intervention. Pour le GCI, la classe ouvrière aurait à faire un apprentis­sage spécifique de la violence. Cela le conduit à applaudir à chaque acte violent posé par des groupes isolés de la classe ouvrière. " La violence est au­jourd'hui  un besoin immédiat de toute lutte qui veut marquer des points" (Voir leur article sur Longwy-Denain dans Le Communiste n° 1). Et parce qu'il  craint que cela affaiblisse sa propagande pour la violence, la GCI s'interdit formellement de penser que ces manifestations de violence recouvrent bien souvent une combativité exemplaire associée à un manque de perspectives, comme dans la sidérurgie en France ou en Belgique. L'intervention du GCI ne correspond pas aux réels besoins de la classe.

La classe ouvrière n'a pas à apprendre à être violente, comme elle n'a pas à apprendre à faire grève. La classe ouvrière fait surgir des organisa­tions révolutionnaires en son sein, pour ses besoins de comprendre et d'analyser la situation et de tracer des perspectives claires au cours de la lutte, non pour applaudir à ce qu'elle fait de plus immé­diatement spectaculaire.

Dans ses tracts, le GCI ne manque pas de mettre en avant des mots d'ordre tels que "séquestration des patron", "destruction des stocks de marchandi­ses". Pourtant les"exploits" du syndicalisme de ba­se (destruction de sièges de banque, chambres syndi­cales, hôtels des impôts, séquestration de patrons) devraient lui  faire comprendre que ces mots d'ordre ne sont pas plus que d'autres, en eux-mêmes, une manifestation de la radicalité de la lutte autonome du prolétariat.

Activisme organisateur, culte des mouvements partiels, apologie des "minorités" et de la violen­ce dans un contexte d'immaturité de la classe ouvri­ère qui, jusqu'à présent, a encore laissé place aux illusions sur le parti "dirigeant la classe", 1'"organisant", "centralisant sa violence", voilà les facteurs qui ont permis que l'intervention du GCI ait produit un relatif développement numérique et éphémère en Belgique. Les bases du GCI sont peu solides. Nous venons de voir qu'elles reposent sur une incompréhension fondamentale de la nature de la classe ouvrière, de la façon dont celle-ci  forge sa prise de conscience et du rôle des organisations révolutionnaires et du parti. Il  s'agit de fait d'une incompréhension de la dynamique de la lutte de classe.

Lorsque l'on quitte le domaine des définitions et de la théorie, devenue pure abstraction pour le GCI, on peut voir dans toute son ampleur les conséquences des erreurs théoriques. Celui-ci s'avère en effet incapable de fournir une analyse sérieuse du mouvement de la lutte de classe. La cause essentielle de ce déficit est son refus de prendre en compte les conditions objectives, c'est-à-dire les conditions matérielles, qui, au sein du systè­me capitaliste, sont un facteur déterminant dans les potentialités  - ou les limites - de toute la lutte. Sa démarche idéaliste se dénote aussi bien dans  son  incompréhension historique (lutte en période ascendante et décadente du capitalisme) que dans  son incompréhension du développement de la lutte à un niveau international  aujourd'hui.

LE REJET DE LA 2ème INTERNATIONALE ET DES SYNDICATS

Le GCI a très vite rejeté le concept de périodisation du système capitaliste en une phase ascendante et une phase décadente, concept qui cimente la plateforme du CCI. Entendons-nous : il  n'a jamais procédé à une critique réelle, mais en a touché un mot de-ci  de-la  ([2]).  Il  rejette également les implications qu'a cette périodisation sur les potentialités de la lutte    ouvrière. A savoir : au 19ème siè­cle, époque ou le capitalisme était en pleine expansion, la révolution n'était pas directement 4 l'ordre du jour. Dans ce contexte d'expansion, la lutte du prolétariat pouvait aboutir à des ré­formes, à des améliorations de sa condition, tant sur le plan économique (diminution du temps de travail, augmentation des salaires) que sur le plan politique (acquisition du droit d'associa­tion, de réunion, de presse, extension du droit de yote..). Au-delà de ces objectifs immédiats, c'est au travers de ces luttes que les prolétaires développaient leur organisation, leur unité, leur conscience de classe; au travers de cette expérience se préparait la lutte révolutionnaire. Social-démocratie et syndicats étaient les orga­nisations qui, à l'époque,  regroupaient les pro­létaires autour de ces objectifs immédiats et à long terme. Un siècle plus tard, le GCI juge, quant à lui, que toute réforme  intégrable par le capitalisme était par essence anti-prolétarienne: "Par suite de l'amélioration des conditions de travail et de la hausse des salaires, rendue pos­sible par le haut niveau d'accumulation du capi­tal, les luttes ouvrières furent chaque fois transformées en lutte pour des  réformes  (et par conséquent détruites en tant que combat proléta­rien.), facteurs de l'expansion capitaliste et du progrès (Le Communiste n° 6, page 32).  Pour quel objectif le prolétariat devait-il lutter alors? Selon le GCI, "il  n'y a qu'un seul cas de conquête partielle envisageable,  réalisé par no­tre classe :  lorsque les ouvriers  arrachent au capital  une diminution du taux d'exploitation" (Le Communiste n°4, page 14). Nous avons déjà ré­pondu à cette absurdité sans nom : "Jamais les luttes ouvrières ne se sont fixées comme objectif, en dehors des moments révolutionnaires, de mettre fin à l'accroissement du taux d'exploitation pour la bonne et simple raison qu'une telle chose aurait signifié l'arrêt de l'accumulation du capital, et donc du capital  lui-même (Lutte revendicative et révolution,  Internationalisme n° 40). Cette "ana­lyse" illustre bien la démarche du GCI, oui se pi ait à élaborer des   schémas stériles. La réalité de la lutte à la fin du 19ème siècle n'y entre-t-elle pas? Elle est simplement rejetée comme dé­chet à la poubelle de l'histoire. Les organisations du prolétariat à l'époque? Social-démocratie et syndicats sont décrétés "contre-révolutionnaires" les uns dès leur naissance, les autres dés leur lé­galisation par l'Etat bourgeois.

Au-delà du grotesque politique de ce genre d'af­firmation, cet exemple est significatif. Ce que le GCI refuse en fait, c'est que la classe ouvrière est non seulement une classe révolutionnaire, mais aussi  une classe exploitée. Ceci  implique qu'elle lutte d'abord pour des objectifs immédiats  (pour l'amélioration ou contre la détérioration de ses conditions d'existence), et que cette lutte ne peut réaliser sa potentialité révolutionnaire que dans des circonstances historiques  déterminées : la période de décadence du capitalisme.

Pour le GCI, la classe ouvrière devrait être révolutionnaire dans toutes les conditions histori­ques et dans chaque lutte ponctuelle. Il  tente de faire coller la réalité à son schéma, en affirmant jusque dans ses moindres tracts, que les ouvriers luttent aujourd'hui "pour une augmentation des salaires et des allocations de chômage", "pour une diminution de temps de travail", prêtant à toute lutte un caractère d'offensive directe vis-à-vis de la bourgeoisie, et ce, sur le terrain économi­que. Cette vision est, à maints égards,  une absur­dité profonde. Même dans la période actuelle, où la question de la Révolution   est directement con­tenue dans les luttes décidées de la classe, l'as­pect défensif  est un caractère présent dans toute lutte. C'est la résistance à la dégradation de ses conditions  d'existence qui  pousse la classe ouvrière à développer son combat jusqu'à en faire une lutte révolutionnaire, moment où l'aspect défensif passe au second plan, mais est toujours présent. La transformation de sa lutte de résis­tance en lutte révolutionnaire nécessite toute une maturation de la classe ouvrière, de sa lutte et de sa conscience, C'est une vision totalement idéaliste de la classe ouvrière que celle du GCI qui  ne reconnaît comme  "lutte" que les mouvements qui posent la question de la révolution, et selon laquelle celle-ci serait directement contenue dans chaque lutte, dans chaque usine.

INTERNATIONALISATION DE LA LUTTE ET COURS HISTORIQUE

L'INTERNATIONALISATION DE LA LUTTE

Le GCI ignore généralement le problème de l'in­ternationalisation de la lutte et quand il   le po­se, c'est toujours d'une façon erronée parce qu'il  ne comprend pas les conditions matérielles qui  déterminent les potentialités des combats ou­vriers actuels.

Pour le GCI,  la Révolution prolétarienne est à l'ordre du jour partout dans le monde; le pro­létariat affronte sa tâche historique de façon unitaire tout en présentant des différences se­condaires entre les divers pays. Le sort de la Révolution prolétarienne se jouera dans les pays centraux du capitalisme, là où le prolétariat est le plus concentré, où il y a la plus grande ex­périence de lutte, là où justement la bourgeoi­sie est le mieux développée, avec tout ce que ce­la comporte. C'est pourquoi  nous avons toujours situé la reprise internationale des luttes en 68, au moment où toute l'Europe est secouée par des convulsions sociales. Nous rejetons explicite­ment la théorie "des maillons faibles" selon la­quelle la Révolution se déclenchera dans les pays où la bourgeoisie est faible et mal armée contre le prolétariat. Nous avons réaffirmé cette posi­tion en essayant de comprendre la perspective qui s'ouvrait à la grève de masse en Pologne en 80-81, Nous avons mis l'accent sur le fait que le développement de la lutte en Pologne comme, à terme,  la question de la Révolution, dépendait essentiellement de l'entrée en lutte du proléta­riat des pays centraux du capitalisme.

A propos de cette question, le GCI jusqu'à présent fait preuve d'une incapacité notoire à comprendre la dynamique de la lutte de classe dans la période actuelle : quels en sont les grands moments? Où se situera au sein du mouve­ment international  de la classe ouvrière, le noeud des confrontations entre bourgeoisie et prolétariat? Etc.,,

Ainsi, sous prétexte qu'il y a eu    des luttes antérieures à 1968, le GCI se croit original  à ignorer et minimiser ce que constitue comme ou­verture la période de 1968. De même, lorsque nous analysons la Pologne comme "le mouvement ouvrier le plus important depuis 1917", le GCI (plus pour faire valoir une"originalité" que pour affirmer une autre analyse) pérore-t-il, que cette "affirma­tion grandiloquente et apologétique est un réel oubli actif (rien que ça!) des importants mouve­ments de classe, qui, ces dernière années, de l'Amérique Latine à l'Iran, de la Turquie à la Corée, de l'Italie à la Chine, ont ébranlé le monde capitaliste" (Le Communiste n913, page 13). Que le GCI soit rassuré, nous n'oublions aucune de ces luttes. Mais tous ces mouvements n'ont pas la même importance ([3]). Il  ne s'agit pas de juger des caractéristiques d'un mouvement dans l'absolu (de ce point de vue, la lutte en Amérique Latine a souvent été plus vio­lente, plus généralisée que les combats en Europe) mais de voir comment il a pu s'intégrer -ou non- dans la dynamique générale qui anime la classe ou­vrière mondiale,  de par la maturité - historique- d'une situation. De ce point de vue, la Pologne mar­quait bien une avancée qualitative du mouvement, tout comme les mouvements de 68 en Europe, et ce dans la conscience ouvrière mondiale.

Le GCI,  lui, met tout sur le même plan. Pire,  il inverse parfois l'ordre d'importance des événement Ainsi, alors que  "en Pologne, c'est le schéma de la contre-révolution qui  se déroule" (après le 13 dé­cembre), la "lutte du prolétariat au Salvador a mar­qué un grand pas dans la lutte communiste et à la formation du parti mondial". Si la première chose qu'il  affirme à propos de la défaite en Pologne, c'est que celle-ci montre pleinement "la carence se matérialisant par l'inexistence d'une direction com­muniste", la leçon qu'il tire du Salvador est que : "Nous savons par notre propre expérience de classe que dans  es conditions présentes au Salvador (...) il y a malgré tout des minorités  révolutionnaires" (Le Communiste n°12). L'importance totalement déme­surée que le GCI accorde ici au Salvador, et en géné­ral  aux luttes en Amérique Latine et Centrale ([4]) provient de son culte de la violence dans les luttes,  des affrontements  "militaires" entre bourgeoisie et prolétariat.

L'incapacité qu'il  a de comprendre que seule la lutte dans les pays centraux du capitalisme offrira une perspective à la combativité des ouvriers des pays périphériques et de défendre cette perspective face à la classe ouvrière, le condamne à n'être qu'un spectateur admiratif des massacres qui  se per­pétuent là-bas, à faire l'apologie de l'isolement de cette fraction du prolétariat mondial.

Dans de telles conditions,  il  ne faut pas s'étonner du fait que le GCI ne comprenne rien au problème de l’internationalisation de la lutte de classe. "Depuis toujours le marxisme révolutionnaire analyse que la meilleure façon de généraliser un mouvement n’est ni d'"envahir" les autres pays, (...) ni d’"attendre" que simultanément le mouvement se déclenche partout (...). Au contraire, la meilleure manière de généraliser, de mondialiser un mouvement, c'est de répondre coup pour coup contre "sa propre" bourgeoisie ou les représentants directs de la bourgeoisie mondiale; c'est d'intensifier, le plus possible la guerre de classe là où elle s'est déclen­chée" (Le Communiste n°13, page 9-10), avançait-il comme réponse aux questions posées par la Pologne: quand, comment, une telle lutte pourra-t-elle s'in­ternationaliser? A nouveau l'affirmation du GCI est, par son aspect partiel, à moitié juste et donc aussi à moitié fausse. Il est certain que pour les ouvriers d'un pays donné, la meilleure façon de favoriser l'internationalisation d'un mouvement n'est pas d'attendre, mais de prendre des initiatives dans ce sens. Mais il  était nécessaire d'aller plus loin que ces banalités, et de répondre aussi aux questions suivantes : est-ce que la situation était mûre pour qu'un tel  dépassement des frontières nationales voit le jour à partir du mouvement en Pologne? Quelles sont les conditions objectives de maturi­té d'une telle situation? Il s'agit essentielle­ment de la mise en branle du    prolétariat des pays centraux du capitalisme. De ce point de vue on ne pouvait que constater une immaturité de la lutte de classe internationale (Voir Revue In­ternationale n°24, 25, 26..., et Internationalis­me n°59 et 60). Le GCI semble incapable de se situer à ce niveau d'analyse,  de comprendre que les conditions de l'internationalisation sont avant tout des conditions mondiales.

LE COURS HISTORIQUE

Le doute profond qu'a le GCI par rapport aux potentialités de la classe ouvrière, 1'empêche d'avoir une réponse claire à la question : vers où va la société? Vers la guerre généralisée? Ou vers des affrontements de classe?

Le CCI a mis en évidence que depuis le début de la crise, le prolétariat a recommencé à lutter au niveau mondial, contrairement à la situation que la classe a  connue dans" les années 30. Alors que la guerre est la seule "solution" que la bourgeoisie puisse apporter à la crise, celle-ci ne peut la déclencher tant qu'elle n'a pas réus­si à briser la résistance du prolétariat, et ce au niveau mondial. L'avenir est donc à ces com­bats de classe, d'où dépendra la victoire du prolétariat (et donc la Révolution) ou sa défaite (et la possibilité pour la bourgeoisie de déclen­cher la guerre).

Le GCI reconnaît bien la différence entre la situation d'aujourd'hui et celle des années 30 : il affirme très justement que dans cette pério­de de noire contre-révolution, le cours était iné­vitablement à la guerre. Mais pour lui, aujourd'hui, la tendance vers la guerre et celle vers la Révolution se développeraient simultanément, et en prenant appui l’une sur l'autre.

A propos de la lutte en Pologne, le GCI écri­vait par exemple : "et il est clair que les évé­nements d'aujourd'hui qui matérialisent la force historique de notre classe,renforcent dialectiquement l'intensification de la marche forcée de la bourgeoisie mondiale vers  "sa solution" à la crise, la guerre généralisée. Le développement de la lutte prolétarienne est aussi  un développement des mesures et des mystifications anti-ouvrières, renforçant ainsi la lutte entre les classes" (Le Communiste n° 7, page 7).

L'"apport" du GCI à la théorie marxiste est d'avoir complété "dialectiquement" le mot d'ordre que Lénine adressait aux ouvriers pendant la pre­mière guerre mondiale: "Transformation de la guer­re impérialiste en guerre civile" en son complément pour la bourgeoisie. Celle-ci aurait la ca­pacité de "transformer (...) le danger de la guer­re civile en la réalité de la préparation matérielle et idéologique à la guerre impérialiste" (Le Communiste n° 13, page 3). Cette nouvelle théorie fumeuse dissimule mal  la méfiance profon­de, l'incompréhension du GCI  de ce que signifie pratiquement la lutte du prolétariat. Le GCI ne comprend pas réellement que lorsque le prolétariat lutte, il a tendance à prendre conscience de ses intérêts propres, à lutter sur son terrain de classe, à s'organiser en dehors  du contrôle de la bourgeoisie et tant qu'il  aura cette capacité,  la bourgeoisie ne pourra l'emmener à la guerre. Le GCI, au contraire, voit le prolétariat comme une masse manipulée, soit par un parti, soit par la bourgeoisie. Celle-ci en effet, pourrait faire face aux luttes, sécréter des mystifications qui entraîneraient directement le prolétariat de son terrain de classe (où il  est solidaire, inter­nationaliste, où il  lutte en même temps contre la crise et contre la guerre)  vers  la guerre impé­rialiste (où le prolétariat est divisé, soumis à l'idéologie nationaliste et belliciste)! Cette position conduit le GCI à de nombreuses erreurs: sur le plan théorique, il  véhicule sans complexe l'idée bourgeoise que la lutte de classe accentue les dangers  de guerre. Son analyse de situations plus ponctuelles est tout aussi erronée: n'a t-il pas qualifié de guerre inter impérialiste  (entre les USA et l'URSS) le conflit des Malouines, des­tiné en réalité à donner plus de consistance aux campagnes idéologiques actuelles de la bourgeoisie sur la guerre (Voir la Revue Internationale n°30) Ces positions erronées ne peuvent que rendre plus stérile son intervention au sein de la classe ouvrière.

CONCLUSION

Ce texte ne constitue pas une critique exhaus­tive des positions du GCI. Nous nous sommes surtout efforcés, au travers de cette polémique d'o­pérer une clarification sur une série d'idées confuses qui règnent encore dans le milieu révo­lutionnaire. En effet, pour le GCI comme pour d'autres groupes, la source essentielle des con­fusions est l'incompréhension de la nature de la classe ouvrière, de sa dynamique réelle, des dif­férents aspects de sa lutte. L'étendue des confu­sions sur ce problème montre bien les difficultés qu'a le milieu révolutionnaire à se réapproprier la théorie marxiste. Elle fait également ressor­tir la nécessité, pour les organisations prêtes à faire un travail  de clarification, de répondre à ces confusions, que ce soit dans  des réunions publiques, ou dans des articles dans la presse.

A notre avis, le GCI ne fait pas partie des groupes qui sont une expression de l'effort de clarification des perspectives révolutionnaires. Jusqu'à présent, la fonction essentielle du GCI dans le milieu révolutionnaire (y compris parmi les éléments qu'il "organisait" au sein de ses comités) a été de répandre la confusion.

Outre la régression théorique qu'il a opérée depuis son départ du CCI et la somme d'innova­tions "historico-théoriques" qu'il déverse régu­lièrement dans ses publications, son attitude par rapport au milieu révolutionnaire actuel en cons­titue une autre preuve. En effet, par son refus de tenir des réunions de discussions publiques, ou de participer à celles que nous organisons, par son attitude de sabordage de la 3ème Confé­rence Internationale des Groupes de la Gauche Communiste, le GCI n'a jusqu'à présent réussi à démontrer qu'une seule chose : le sectarisme profond qu'il n'a cessé de développer. Le GCI a en effet pour souci principal de s'auto satisfaire, de justifier son existence par une vision "originale" tant de l'histoire du mouvement ouvrier que des problèmes posés aujourd'hui.

Malheureusement, ces "découvertes" du GCI ne mè­nent pas à grand chose, sinon à une remise en ques­tion de plus en plus profonde du marxisme. Le fait que ce groupe, après nous avoir promis depuis plus de 3 ans des "Thèses d'orientation politique défi­nissant les bases théoriques de notre groupe" (Le Communiste n°1, mai 79), ne soit toujours pas parvenu à publier l'ensemble de ces "bases théo­riques", en dit long sur les difficultés qu'il éprouve à se définir une nouvelle cohérence.

A ceux qui, comme le GCI, se réclament tant de Lénine, il convient de rappeler que rien ne l'irri­tait plus que la "phraséologie radicale, grandilo­quente et creuse ".

A ceux qui ont du "bolchevisme" plein la bou­che, rappelons la réponse donnée par Lénine à l'oc­casion d'un appel au "bolchevisme à l'échelle de 1'Europe occidentale":

"Je n'attache pas d'importance au désir de s'ac­crocher au mot "bolchevisme", car je connais cer­tains "vieux bolcheviks" dont je souhaite que le ciel nous préserve...

A mon avis, c'est faire preuve de légèreté et d'un manque d'esprit de parti absolument inadmis­sible que d'annoncer à son de trompe pendant toute une année un nouveau bolchevisme et d'en rester là . N'est-il pas temps de réfléchir et de don­ner aux camarades quelque chose qui expose en un tout cohérent ce "bolchevisme à l'échelle de l'Eu­rope occidentale"? (Lénine, Oeuvres Complètes, Tome 23, page 18).

J


[1] Groupe Communiste Internationaliste: BP 54   Bruxelles 31 1060 BRUXELLES

[2] Avec le GCI, on apprend que la notion de "décadence du capitalisme", défendue par la Gauche Communiste sur la base de l'analyse économique de Luxemburg, n'était en  fait   "qu'une des deux thèses bourgeoises dominantes de l'époque - en 1936- (soutenues par les sociaux-démocrates, les trotskistes, les staliniens.)" (Le Communiste n° 6, page 46), affirmation qu'ils ne songent pas un instant a démontrer!

Le GCI pense réfuter cette notion en déclarant simplement que "le capitalisme n'avait pas cessé de croître, comme cela s'est vérifié par la suite : la guerre impérialiste de 39 à 45, la croissance in­fernale du capitalisme après la guerre. "(Idem). Mais par cet argument, il n'a rien montré, sinon qu'il s'est englué dans le marais de la propagande bourgeoise qui, à coups de  taux de croissance , veut démontrer la vie éternelle du capitalisme!

[3] Par contre, ce que le GCI, lui, Ignore, ou n'a jamais appris, c'est de savoir distinguer la portée de telle ou telle lutte, la signification et l'impact qu'elle a dans le développement mondial de  la lutte de classe. Pour  lui,"tous les chats  sont  gris".

[4] Ainsi, c'est en Argentine et au Pérou qu'ont existé, selon le GCI,des"syndicats de classe", organisations   "ouvrières" dont  il serait par ailleurs incapable de donner un  exemple dans  une autre partie du monde. Le GCI ne manque pas non plus d'illustrer la vague révolutionnaire de 17-23 par l'exemple de la lutte de classe .en  Patagonie (Le  Communiste n°  5). Enfin plus récemment, le GCI a"découvert" qu'au Salvador, une des organisations populaires dirigées par des gauchistes, le BPR, constitué en 1975, était à 1'origine  un organe prolétarien! (Le  Communiste n°12).

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