Élections en France: Seule la lutte de classe peut "changer le monde"

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Après le deuxième tour de l’élection présidentielle, marquant la victoire sans grande surprise d’Emmanuel Macron face à sa concurrente Marine Le Pen, les bourgeoisies française et européenne ont pu pousser un véritable « ouf » de soulagement. Le nouveau président et la nation française resteront bel et bien ancrés dans la vie politique de l’UE. Une fois encore, le courant populiste du Rassemblement national (RN) aura été écarté du pouvoir malgré son inexorable progression. (1)

Les effets de la décomposition sur le cirque électoral

Dans un contexte de turbulences de plus en plus fortes avec la guerre en Ukraine couplée aux effets de la pandémie et d’une crise économique marquée par l’inflation, il était impératif pour la bourgeoisie française, comme en 2017, d’écarter la fraction du RN de Marine Le Pen dont les ambiguïtés, l’inconsistance et les flous politiques vis-à-vis de l’UE risquaient d’affaiblir considérablement la France face à ses rivaux, notamment les États-Unis. Le danger était également de distendre fortement, voir de remettre en cause le difficile équilibre entretenu depuis des décennies pour maintenir à flots les liens fragiles du « couple franco-allemand ». Cela, sans compter le séisme, les incertitudes et le désordre politique intérieur qu’une telle victoire aurait pu générer au sein de l’Hexagone.

La victoire de Macron par 58,5 % des voix, alors qu’il n’est pas parvenu à construire un véritable parti depuis 2017, est donc, en ce sens, une réussite de la bourgeoisie française. Cette dernière a ainsi mis à la tête de l’État une fraction lucide pour la gestion du capital national et elle a réussi, une fois encore, à faire « barrage » au populisme, évitant en même temps l’inconvénient d’une « cohabitation », c’est-à-dire le risque d’une confrontation et d’une dilution du pouvoir exécutif dans son expression politique bicéphale.

Il n’empêche que la réussite électorale laisse à la bourgeoisie un arrière-goût amer, tant les difficultés, les problèmes de fond et les fragilités politiques persistent. En effet, si on comptabilise le nombre de voix du président Macron par rapport aux 47 millions d’inscrits, ce dernier n’obtient que 38 % de ce total et Marine Le Pen 27 %, c’est-à-dire moins, pour cette dernière, que le total des abstentions, des votes blancs ou nuls ! L’abstention à 28 % est la plus importante de toutes les élections présidentielles, depuis 1969, alors boycottée par un PCF qui réunissait plus de 21 % des suffrages. En comptant les non-inscrits sur les listes électorales, l’abstention représente en réalité 35 % de la population en âge de voter. Malgré son « succès » et sa « légitimité », Emmanuel Macron est cette fois le Président « le plus mal élu » de la Ve République. La grande colère qui persiste dans la population fait de lui une personnalité largement détestée, particulièrement dans les milieux ouvriers.

De plus, il hérite d’une situation difficile et très instable qu’il a lui-même favorisé dès son premier mandat, siphonnant et pulvérisant les grands partis de gouvernement traditionnels, à droite comme à gauche (Les Républicains et le Parti socialiste), laminés bien avant le premier tour, désormais menacés de disparition. Ces derniers sont incapables de se relever au moins pour les cinq années à venir. De plus, le parti écologiste, Europe-Écologie-Les-Verts (EELV), qui avait vocation, par ses thématiques, d’attirer une partie de la jeunesse et de tenter de prendre le relais de la social-démocratie moribonde, a été sanctionné lui-même par un fiasco. Le parti de Macron, LREM, reste quant à lui sans assise solide, notamment du fait de son incapacité à s’implanter réellement dans au niveau local et de la consistance en son sein de fractions rivales issues des partis traditionnels. Si bon nombre de personnalités politiques s’y sont ralliées progressivement en « allant à la soupe », les courants, groupes ou partis très divers qui le composent sont truffés d’opportunistes dont l’ex « socialiste » Manuel Valls est un des représentants les plus caricaturaux. Dans cette structure minée par des ambitions contraires, chacun cherche à gagner en influence et à placer un nombre conséquent de députés pour les prochaines législatives. Macron a d’ailleurs échoué pour l’instant à fusionner l’ensemble de ces formations qui le soutiennent et se heurte déjà en plus de cela à la formation Horizons de son ancien premier ministre, Édouard Philippe, devenu un rival. Ainsi, même si ces groupes tireront probablement leur épingle du jeu lors des prochaines élections législatives de juin du fait de la dynamique présidentielle, rien ne sera facile tant les divisions sont présentes, au risque d’imposer la nécessité d’une coalition forcée et fragilisée. Cela, d’autant plus que les difficultés liées au contexte international, à la crise économique, à la situation sociale et aux attaques que devra prendre le nouveau gouvernement ne feront qu’exacerber les forces centrifuges tout au long du mandat qui débute.

Aujourd’hui, la victoire de Macron se fait malgré une montée en puissance de l’instabilité sociale et du chaos. Le président n’a pas hésité à exploiter les thèmes idéologiques de l’extrême-droite, par pur opportunisme et utilitarisme, comme ce fut le cas, par exemple, lors des discours sécuritaires de certains de ses ministres, de Castaner à Darmanin, jouant ensuite avec le feu en se réjouissant un peu trop hâtivement de la montée en puissance d’un Zemmour propulsé par les médias. (2) Tous les discours les plus réactionnaires et nauséabonds de la « macronie » se sont accompagnés d’une politique qui n’a cessée de diviser, accentuant fortement la fameuse « fracture sociale » et la pauvreté.

Dans ce cadre, l’autre victoire de la bourgeoisie au premier tour reste le score de l’Union Populaire de Mélenchon, une formation de gauche présentée comme une nouvelle alternative au pouvoir de centre-droit de Macron, en mesure d’encadrer idéologiquement la classe ouvrière. Même si ce parti politique n’a, pour l’instant, pas vocation à assurer une « alternance gouvernementale » comme ses prédécesseurs du passé, il n’en reste pas moins une force de mystification efficace au service de la bourgeoisie, comme le montre son appel à la remobilisation massive de l’électorat de gauche aux législatives en mettant en avant l’expression d’un sentiment de « frustration ».Cela, même si la logique annoncée de son « troisième tour social » et sa volonté de « revanche » compliqueront probablement la donne de la future majorité élue au parlement. (3)

Une offensive idéologique anti-ouvrière pour les législatives

Face au désintérêt croissant vis-à-vis des élections, notamment du fait de la méfiance et de la colère accumulées depuis des décennies, celle d’avoir eu de nouveau à choisir « entre la peste et le choléra », une nouvelle offensive idéologique tente de mobiliser encore le plus massivement possible les électeurs pour les prochaines législatives, en particulier ceux de la classe ouvrière qu’on cherche à rabattre à tout prix vers les urnes. Cela, pour les isoler et attaquer davantage leur conscience afin de les désarmer. (4) Tous les camps politiques de la bourgeoisie s’animent donc avec frénésie, d’autant que pour bon nombre la question de leur survie politique se pose très nettement. Les premiers bains de foules et les voyages de Macron, qui « mouille la chemise » dans les quartiers populaires pour « convaincre », montrent que le nouveau président ne lâchera rien de son offensive jusqu’au mois de juin. Les Républicains, en miette, toujours sous l’effet d’une panique liée à la défaite et aux menaces de nouvelles désertions, tentent désespérément de mobiliser à la faveur de leur « ancrage local », jouant d’un pâle marketing politique de « proximité », relançant les thèmes en vogue, ceux du « pouvoir d’achat », de la « sécurité », etc., tout en restant tétanisés par leur manque d’inspiration et la fuite des cadres. Le RN, quant à lui, fort de ses 41 %, laisse entendre mensongèrement qu’il peut « limiter la casse sociale » de Macron en cherchant à devenir la « première opposition » au futur gouvernement tout en s’attachant à vouloir « dégonfler » le phénomène Zemmour.

Naturellement, les plus dangereux bonimenteurs restent sans conteste les forces de gauche, cette fois autour de La France Insoumise et son Union Populaire, même si en marge les gauchistes ne sont pas en reste. Quelles que soient les tractations politiciennes en coulisses, entre EELV, le PS, le Parti communiste, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et LFI en position de force, il faut bien distinguer l’illusoire « contrepoids » qu’une telle formation politique offrirait face à Macron. Il s’agit en réalité de faire croire qu’ « un autre monde est possible » sous le règne du capitalisme et de désarmer le prolétariat vers le piège mystificateur des urnes et de la démocratie bourgeoise. LFI après avoir conspué un PS « traître à la gauche », vient d’ailleurs subitement de constater que ce parti, à l’origine des pires attaques contre la classe ouvrière, avait « changé ».

Bien entendu, pour ceux qui ne se contentent pas d’emblée de cette supercherie, il est nécessaire d’adopter, en complémentarité, un ton plus radical. C’est, par exemple, le cas de Lutte ouvrière (LO) qui n’a pas donné de consigne de vote entre les deux tours, mais qui, par la voix de sa candidate Nathalie Arthaud, appelle les ouvriers à « ne pas se démobiliser en vue des élections législatives ». Dans une lettre adressée au NPA datée du 28 avril, voici ce que cette organisation répond au sujet des discussions menées avec l’Union Populaire : « En ce qui nous concerne, nous restons sur notre ligne politique et plutôt que de cautionner une opération de rafistolage du réformisme, nous annoncerons, dans les prochains jours, notre présence aux législatives dans toutes les circonscriptions de la métropole, pour défendre le “camp des travailleurs” ». Un comble ! Une défense, comme toujours, qui consiste à rabattre sans relâche vers les urnes et à canaliser la colère vers les institutions bourgeoises. Toute cette triste tambouille bourgeoise, au-delà des pseudo-débats mystificateurs, ne sert en réalité qu’à berner les ouvriers et à leur cacher qu’en réalité les tractations en cours ne recouvrent que de sordides intérêts de cliques, masquent les véritables rapports de forces faits d’une concurrence propre à la classe bourgeoise, dont seuls les intérêts comptent sur l’échiquier politique. Tous ces politicards n’ont de conviction que celle qui sert la défense de leur propre place et de leurs intérêts, de leur propre influence quand ce n’est pas purement et simplement leur sinistre trajectoire carriériste. Les transfuges de dernières minutes, les ralliements ou les oppositions n’obéissent qu’à des logiques totalement étrangères à la classe ouvrière.

L’élection présidentielle a été une nouvelle fois l’occasion pour la bourgeoisie d’attaquer la conscience du prolétariat en utilisant les résultats pour accentuer encore plus les divisions. Ainsi, toute une campagne idéologique jette la méfiance sur la classe ouvrière dont certaines parties (comme notamment dans les anciens centres industriels aujourd’hui en proie au chômage) sont accusées d’être gagnées par l’idéologie d’extrême droite. Le saucissonnage des résultats des votes par catégories sociologiques : celle des employés, des ouvriers, des professions intermédiaires, les vieux, les jeunes, ou ceux dont les revenus par mois sont corrélés à telle ou telle manière de voter, permet est également une tentative volontaire de semer l’opposition et la division au sein de la classe ouvrière, diffusant par là le poison de la méfiance en son propre sein. Bien entendu, si ces « analyses » comportent factuellement une part de vérité, l’optique reste toujours de discréditer à l’avance toute possibilité d’unité et de riposte ouvrière.

Ce faisant, cette offensive prolongée par la bataille des législatives a pour objet d’entraver au maximum toute forme de réflexion, de diluer, d’isoler les prolétaires afin de les rendre impuissants face aux réformes envisagées dont l’objet est de poursuivre les attaques après l’intermède en trompe l’œil du « quoi qu’il en coûte ».

Il n’y a pas d’illusions à se faire, les élections ne sont pas un terrain pour l’expression des revendications ou de la lutte de la classe ouvrière. Face aux mystifications électoralistes, aux attaques qui se profilent de nouveau contre nos retraites, contre l’école, contre la santé… face à la paupérisation présente et à venir, le prolétariat se doit de rester sourd aux appels à voter de la bourgeoisie pour les législatives, en particulier de la part de ses faux amis que sont les partis de gauche et gauchistes, ceux qui cherchent à l’arrimer aux institutions d’un système barbare, d’un capitalisme aux abois qui sème toujours plus la destruction et la mort. Mais la classe ouvrière ne pourra se contenter de simplement bouder les urnes. Elle devra prendre confiance en ses propres forces et devra reprendre le chemin difficile de la lutte. La lutte de classe représente un avenir ; elle seule doit pouvoir guider à nouveau notre futur.

WH, 29 avril 2022

 

1 Le Pen avait obtenu 17,9 % des voix en 2012 sans accéder au second tour ; 34,3 % en 2017 ; 41,5 % en 2022.

2 Lire notre article : « Phénomène Zemmour, Une sinistre marionnette au service du jeu électoral », Révolution internationale n° 491 (novembre décembre 2021).

3 Lire notre article : « La France Insoumise, encore et toujours au service du capitalisme », disponible sur le site internet du CCI.

4 Lire notre article : « Non au bulletin de vote, oui à la lutte de classe », disponible sur le site internet du CCI.

Personnages: 

Récent et en cours: 

Rubrique: 

Élection présidentielle en France