Alain Krivine: Au-delà des apparences, un défenseur du capital!

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Alain Krivine est décédé le 12 mars 2022. La plupart des médias bourgeois ont salué la mémoire de « Krivine la cravate », ancien candidat aux élections présidentielles françaises de 1969 et 1974 : du Figaro à Libération, en passant par Le Monde et Marianne, toute la presse bourgeoise s’est fendue de son petit hommage à cette « figure de l’extrême-gauche » et surtout à celui qui « s’était présenté au suffrage des électeurs tout en dénonçant la “duperie” des élections » et a donc bien rendu service à la bourgeoisie française en cautionnant, de façon « critique » bien sûr, le cirque électoral. En cette période de campagne électorale, un tel rappel vaut bien un hommage à une personnalité qui n’a jamais menacé de quelque façon que ce soit l’ordre capitaliste dominant.

La liste des hommages rendus par les partis politiques démocratiques est d’ailleurs fort longue : de Nathalie Artaud à Jean-Luc Mélenchon, de Fabien Roussel à Pierre Moscovici, toute la Gauche y est allée de sa larme pour le « militant révolutionnaire » qui « n’a jamais renié ses convictions anticapitalistes et révolutionnaires » (N. Artaud). Et c’est bien là le problème.

Ces convictions qu’Alain Krivine n’aurait jamais reniées, quelles sont-elles ? La Jeunesse Communiste Révolutionnaire qui est devenue en 1969 la Ligue Communiste, puis en 1974 la Ligue Communiste Révolutionnaire, dont il a été le fondateur, le candidat à la présidence (deux fois !) et le porte-parole, est à l’origine une scission des Jeunesses Communistes et de l’Union des Étudiants Communistes, deux organisations du PCF ; cette scission du PCF ne s’est pas faite sur des critères programmatiques, mais sur le refus de soutenir la candidature de Mitterrand à la présidentielle de 1965 ainsi que l’indépendance de l’Algérie. Et Krivine n’est pas parti de ces organisations du fait de ses désaccords : réclamant « le droit de tendance » dans la JC, il en a été exclu.

Liée à la IVe Internationale et au courant trotskyste de Pierre Frank (Parti communiste internationaliste), la JCR débute son activité par un soutien aux manifestations contre la guerre du Vietnam et, dans les faits, par un soutien pur et simple à « l’Oncle Hô » Chi-Minh et à la guerre sous drapeau stalinien ; Krivine et son organisation n’ont dans les faits jamais dévié d’une ligne : soutenir le Bloc de l’Est et le stalinisme contre le bloc occidental ; en pratique, la LCR a soutenu le castrisme et le guévarisme, les sandinistes nicaraguayens, l’invasion russe de l’Afghanistan en 1979 (même si la « base » de l’organisation a sur ce sujet désavoué son « Bureau politique » !), le nationalisme palestinien, l’Irak de Saddam Hussein contre les « troupes impérialistes occidentales ». La logique de cette politique est claire : « dans la logique bourgeoise des trotskystes (pour lesquels il n’y a jamais eu depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un seul bloc impérialiste, celui dominé par les États-Unis), « l’adversaire principal, le seul véritable, de tous les peuples et des travailleurs occidentaux, c’est l’impérialisme, qu’il soit américain, britannique ou français ». (1) Toujours, partout, Krivine et son organisation ont défendu le nationalisme, les États, les luttes entre cliques bourgeoises, la guerre, du moment qu’il s’agit de combattre les États-Unis et leurs alliés, et exclusivement eux. Ils ont constamment défendu, comme leur ancêtre stalinien le PCF, la nature soi-disant « socialiste » de l’URSS et de ses satellites. Partout, toujours, la LCR a poussé les prolétaires à choisir un camp dans les combats impérialistes, le camp soi-disant « socialiste » défendant les prétendues « conquêtes de 1917 ». On peut ajouter que dans l’actuelle guerre en Ukraine, l’héritier de la LCR, le NPA, appelle à la « solidarité avec le peuple ukrainien », ce qui marque en creux le soutien de cette organisation à l’État capitaliste ukrainien, comme tout va-t-en-guerre, contre l’internationalisme prolétarien défendu par Trotsky pendant la Première boucherie mondiale !

Dans les luttes ouvrières, la LCR a toujours mis son action bourgeoise au service du sabotage par les syndicats, de l’isolement des prolétaires en lutte et des ouvriers combatifs : il n’est que de se souvenir de son engagement dans la grève de Mai 68, où elle a purement et simplement suppléé l’incapacité du PCF à encadrer le mouvement en soutenant l’action des syndicats, UNEF en tête, de son action dans l’enfermement de la lutte des ouvriers de Lip dans le piège de l’autogestion en 1973, dans la grève des cheminots de décembre 1986, lorsque la LCR a monté les « coordinations » pour faire le même travail contre-révolutionnaire que les syndicats décrédibilisés, isoler les roulants dans le corporatisme et empêcher les « éléments extérieurs » de participer aux AG cheminotes, (2) ou dans la lutte des infirmières en 1988 où la LCR a combattu la méfiance des grévistes envers les syndicats officiels en la détournant vers de nouvelles « coordinations » (c’est-à-dire vers le piège d’une pratique radicale du syndicalisme « de base »). (3) On se rappellera aussi des magouilles et du sabotage permanent des décisions des AG dans les comités chargés de les mettre en œuvre au cours de la lutte anti-CPE de 2006, alors même que les militants du CCI étaient calomniés en sous-main ou empêchés d’entrer dans les AG étudiantes pourtant ouvertes à tous, comme à Toulouse-Rangueil, (4) ou du soutien systématique à l’isolement et au dévoiement de la colère ouvrière dans toutes les actions stériles menée par les syndicats, que ce soit SUD ou la CGT, par exemple dans la lutte des enseignants parisiens en 2003, dans celle contre la réforme des retraites en 2010 ou dans la lutte menée contre la « pwofitasyon » en Guadeloupe la même année.

Aujourd’hui, l’héritier de la LCR, le NPA, toujours sous la houlette de Krivine, continue de présenter des candidats à toutes les élections, toujours avec le même argumentaire mensonger. Quand l’actuel candidat, Philippe Poutou, nous répète, comme avant lui Olivier Besancenot : « Une victoire électorale ne suffira pas, car les capitalistes, qui détiennent le pouvoir économique et les rênes de l’État, ne se laisseront pas faire. Il nous faudra imposer le changement par une mobilisation d’ensemble sur les lieux de vie et de travail pour constituer une force capable de révolutionner la société », cela ne peut que faire écho à ce que disait le candidat Krivine à la présidentielle de 1969 : « Les élections sont une telle duperie que même des travailleurs s’apprêtent aujourd’hui à apporter leurs suffrages au candidat Poher ! Ce faisant, ils croient transformer le non au référendum en une victoire ouvrière. Ils croient pouvoir troquer la trique gaulliste pour un régime joufflu, bonasse et apaisant. Mais quel est le véritable visage du pouvoir? Se trouve-t-il au Parlement? Se trouve-t-il au Sénat? » (5) Autrement dit : ça ne sert à rien de voter mais il faut continuer à se servir de la « tribune électorale » qu’ « offrirait » la bourgeoisie, donc… allez vous défouler dans l’isoloir ! Et que vive la démocratie bourgeoise avec l’aide pleine et entière des trotskystes, ajouterons-nous !

Alors, oui, la bourgeoisie française peut remercier Krivine pour ses bons et loyaux services ! En tout cas, ça valait bien un petit hommage ! Mais la classe ouvrière retiendra surtout que la LCR/NPA et son porte-parole n’ont jamais été autre chose qu’une forme de stalinisme, plus « jeune », « sympathique » et « moins dogmatique » que leurs cousins de Lutte Ouvrière, et surtout moins déconsidérée que leurs mentors, le PCF et la CGT !

HG, 1er avril 2022

 

1 « PCF, CGT, Trotskystes, des va-t-en-guerre comme les autres », Révolution Internationale n° 94 (octobre 1990).

2  Décembre 1986 : les ouvriers peuvent se battre sans les syndicats », Révolution Internationale 264 (janvier 1997).

3 « Le rôle actif des Trotskystes dans la stratégie de la bourgeoisie », Révolution Internationale 174 (décembre 1988).

4 « L’intervention du CCI dans le mouvement contre le CPE », Révolution Internationale 369 (juin 2006).

5 « Alain Krivine contribua à écrire les plus grandes heures du trotskisme français », Marianne (17 mars 2022).

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Le trotskysme contre la classe ouvrière