Contribution à une histoire du mouvement révolutionnaire : le Communistenbond Spartacus et le courant conseilliste 1942-1948, I

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Le Communistenbond Spartacus (Union communiste "Spartacus") est né en 1942 d'une scission du "Marx-Lenin-Luxemburg front" lui-même issu du RSAP. Ce dernier dont la figure dominante était Henk Sneevliet, était  une organisation qui avant son interdiction en 1940 par le gouvernement hollandais, oscillait entre le  trotskisme et le POUM, avec des positions antifascistes, syndicalistes,  de défense des "libérations nationales" et de l'Etat russe. Le MLL Front qui  lui  succéda dans  1'illégalité s'engagea dans  un  travail internationaliste de dénonciation de  tous les fronts de guerre  capitaliste ; et  en 1941, sa direction à  l'unanimité moins une voix trotskyste, décida de ne pas soutenir l'URSS, dénonçant la guerre germano-soviétique comme un déplacement du front de  la guerre impérialiste. L'arrestation de la  direction du MLL Front  - dont Sneevliet - et leur exécution par l'armée allemande,  décapitèrent  le MLL Front  en  1942.  Quel­ques mois plus  tard les restes du Front se scindaient  en deux : d'un côté,  la petite minorité  trotskyste qui  choisissait le camp capitaliste  ; de 1'autre côté, les militants internationalistes qui  allaient for­mer,   au départ dans  une grande confusion, le Communistenbond. Cette organisation  évolua progressivement vers le communisme des  conseils. Après avoir représenté à partir de  1945 et dans les années  50 le courant révolutionnaire internationaliste en Hollande, elle finit par dégénérer complètement dans 1'idéologie conseilliste. Elle disparut  à la fin  des années 70 comme groupe,  pour ne  laisser que des  épigones, dont le groupe "Daad en  Gedachte".

Si nous présentons  cette histoire du"Communistenbond Spartacus" c'est d'abord que son histoire  est mal connue, d'autant plus  que le Bond en dégénérant  considérait que cette histoire "c'est des  vieilleries". Pour les révolutionnaires internationalistes, 1'histoire d'un  groupe communiste n'est pas  une "vieille­rie",   c'est notre histoire, 1 'histoire d'une fraction politique que  le prolétariat a  fait surgir. Faire le bilan de ce groupe et du courant conseilliste aujourd'hui, c'est  tirer les  leçons positives  et néga­tives qui nous permettent  de  forger les  armes de demain. Comme le courant conseilliste est organisationnellement  un courant  en  décomposition  en Hollande, qui n 'est plus un corps vivant pouvant  tirer les  le­çons  vivantes pour la  lutte révolutionnaire, il  appartient  au CCI de  tirer les enseignements  de  1'his­toire du  Communistenbond Spartacus : pour montrer aux éléments  qui  surgissent  sur la base du conseillisme que la logique de  ce dernier les mène au néant.

Deux leçons  fondamentales sont à  tirer :

1)    Le rejet d'octobre 17 comme révolution  "bourgeoise" mène inévitablement  au rejet de toute 1'histoire du mouvement ouvrier depuis  1848. Il  s'accompagne nécessairement d'un refus de reconnaître le changement de période historique depuis 1914 : la  décadence du  capitalisme, et mène  logiquement au soutien des "luttes de libération nationale"  comme "révolutions bourgeoises progressistes". C'est  cette logique qu'avait choisie le groupe suédois "Arbetarmakt" qui devait  le plonger jusqu'au  cou dans  le magma  gau­chiste.

2)    L'incompréhension de la nécessité de  la  fonction et du fonctionnement centralisé de l'organisation révolutionnaire mène inévitablement au néant ou à des conceptions anarchistes. L'anti-centralisme et l'individualisme dans la conception de l'organisation ouvrent d'abord la porte à 1'ouvriérisme et à l'immédiatisme qui coexistent joyeusement avec l'académisme et l'opportunisme. Le résultat? L'histoire du  Communistenbond nous  le montre : 1'abdication devant les  tendances anarchistes et petites-bourgeoi­ses. Finalement  la dislocation ou la capitulation devant 1'idéologie bourgeoise (syndicalisme, luttes de libération nationale).

Puisse cette histoire du Communistenbond Spartacus contribuer à ce que les éléments qui se réclament du "communisme des conseils" comprennent  la nécessité d'une activité organisée sur la base de la concep­tion marxiste de  la décadence du capitalisme. L'organisation politique des révolutionnaires sur une base internationale et centralisée est une arme indispensable que la classe fait surgir pour le triomphe de la révolution communiste mondiale.

L'évolution du MLL Front vers des positions internationalistes de non défense de l'URSS et de combat des deux blocs impérialistes, sans distinction d'étiquette - "démocratie, fascisme, communisme" - est une évolution atypique. Issu du RSAP, orienté vers le socialisme de gauche, le MLL Front évoluait vers des positions communistes de conseils. Cette orientation s'explique avant tout par la forte personnalité de Sneevliet qui - malgré son âge déjà avancé - était encore capable d'évoluer politiquement, et qui sur le plan per­sonnel n ' avait plus rien à perdre ( [1]). Une trans­formation politique aussi profonde ne peut être mise en parallèle qu'avec celle - tout aussi aty­pique - du groupe de Munis et des RKD ([2]).

Cette évolution n'avait pas, cependant, été jusqu'à ses ultimes conséquences. La disparition de Sneevliet et de ses camarades -en particulier Ab Menlst - décapitait totalement la direction du Front. Celui -ci avait dû en partie sa cohésion au poids politique de Sneevliet, qui était plus un militant guidé par sa conviction révolutionnai­re et son intuition qu'un théoricien.

La mort de Sneevliet et de la quasi-totalité des membres de la Centrale réduisit à néant pendant plusieurs mois l'organisation. De mars jusqu'à l'été 1942, tous les militants se cachaient et évitaient de reprendre contact, par peur de la Ges­tapo, dont ils soupçonnaient qu'elle avait déman­telé le Front par un indicateur, exerçant son oeu­vre au sein même de l'organisation. Les archives de police et du procès de Sneevliet ne laissent pourtant pas d'indice qu'il y eut un agent de la Gestapo à l'intérieur. ([3])

De la direction du Front, seul Stan Poppe avait survécu. C'est sous son influence que fut fondé, au cours de l'été, le "Revolutionair-socialistische Arbeidersbeweging" (Mouvement ouvrier socialiste-révolutionnaire). Le terme de "mouvement ouvrier" laissait comprendre que l'organisation, qui pour­suivait formellement le MLL Front, ne se concevait ni comme un front, ni comme un parti.

A la suite de la formation du groupe de Stan Poppe, les derniers partisans de Dolleman for­maient le 22 août 1942 à La Haye leur propre groupe, avec une orientation trotskyste. Ainsi, nais­sait le "Comité van Revolutionaire Marxisten" (Comité de marxistes révolutionnaires), sur la ba­se de la défense de l'URSS ([4]). Ce groupe était numériquement beaucoup plus réduit que le Mouve­ment ouvrier socialiste-révolutionnaire. Il publi­ait un journal : "De Rode October" (L'Octobre rou­ge), tiré mensuellement à 2.000 exemplaires. Parmi les dirigeants du CRM, on retrouvait Max Perthus, qui avait été libéré de prison. L'ancienne frac­tion trotskyste du MLL Front se trouvait donc re­constituée. Les éléments les plus jeunes du Front, plus activistes, rejoignaient en majorité le CRM. Logiquement ce dernier se rattachait à la IV° In­ternationale, dont il se proclamait section aux Pays Bas en juin 1944. ([5])

Cette ultime scission était la conséquence de l'affrontement entre deux positions inconciliables: l'une qui défendait les positions internationalis­tes prises en juillet 1941 par Sneevliet et ses camarades ; l'autre qui marchait dans la guerre en soutenant la Russie, et par conséquent le bloc militaire des Alliés.

D'autres raisons ont pu jouer dans la scission, à la fois organisationnelles et personnelles. Lors de l'été 1942, Poppe avait pris soin de former une nouvelle direction en éliminant tous les partisans de la défense de l'URSS. D'autre part Poppe, ayant été la dernière personne à voir Sneevliet avant son arrestation, apparaissait pour certains peu sûr sinon suspect ([6]).

Dans les faits, l'organisation constituée autour de Stan Poppe était parfaitement préparée à la clandestinité, et put poursuivre son travail politique jusqu’à la fin de la guerre, sans arrestations. Elle trouvait en Leen Molenaar l'un des plus habiles confectionneurs de faux papiers et de cartes de ravitaillement pour les militants clandestins ([7]).

A la fin de l'été, le groupe qui comptait une cinquantaine de militants commença à éditer un bulletin ronéoté, avec plus ou moins de régulari­té :"Spartacus". Ce dernier était l'organe du "Communistenbond  Spartacus" (Union commu­niste Spartacus). Plusieurs brochures étaient éditées qui montraient un niveau théorique plus élevé que dans le MLL Front. Vers la fin de l'an­née 1944, "Spartacus" devenait un organe théori­que mensuel. A côté, à partir d'octobre 1944 et jusqu'à mai 1945, était diffusée sous forme de pamphlet une feuille hebdomadaire sur l'actualité immédiate : "Spartacus - actueleberichten" (Nou­velles actuelles).

Politiquement, les membres du Bond étaient plus aguerris car plus anciens que les éléments trotskystes, et plus formés théoriquement. Beaucoup d'entre eux avaient milité dans le NAS, dont ils avaient gardé tout un esprit syndicaliste-révolu­tionnaire. Ainsi Anton (Toon) van den Berg, mili­tant de l'OSP puis du RSAP, avait dirigé le NAS à Rotterdam jusqu'en 1940. Autour de lui se for­mait le groupe de Rotterdam du Communistenbond, qui se caractérisa toujours jusqu'au lendemain de la guerre par un esprit activiste. D'autres militants, enfin, avaient tout un passé politi­que, marqué moins par le syndicalisme que par le socialisme de gauche et même du MLL Eront. Tel était le cas de Stan Poppe.

Stan Poppe avait joué un rôle important dans l'OSP. Il se trouvait à la direction de ce parti, dans la fonction de secrétaire. Lors de la fu­sion avec le RSP, il était devenu membre du Bu­reau politique du RSAP. Nommé en 1936 secrétaire trésorier de ce parti, il avait été délégué -avec Menlst - en décembre à la conférence du Centre pour la IV° Internationale. Membre du Bu­reau politique en 1938, il était en 1940 l'un des responsables du MLL Front. Dans le Front, ccmme plus tard dans le Communistenbond Spartacus, il se faisait connaître sous le pseudonyme de Fjeerd Woudstra. Très orienté vers l'étude économique, son orientation politique était en­core un mélange de léninisme et de conseillisme.

La plupart des militants venaient de l'ancien RSAP, sans être passés par le mouvement trotskyste, d'ailleurs très faible aux Pays Bas. Nombre d'entre eux continuèrent - après la guer­re - à militer dans le Bond, la plupart jusqu'à la fin de leur vie : Bertus Nansink, Jaap van Otterloo, Jaap Meulenkamp, Cees van der Kull, Wlebe van der Wal, Jan Vastenhouw étaient ce type de militants.

Cependant, pendant deux ans encore, l'évolution de "Spartacus" se signala par des ambiguïtés po­litiques qui prouvaient que l'esprit du RSAP n'a­vait pas totalement disparu. Les réflexes socia­listes de gauche se manifestèrent encore lors de prises de contact avec un groupe social-démocra­te qui avait quitté le SDAP au début de la guerre et dont la personnalité marquante était W. Romljn. Ce dernier -à la fin de l'année 1943- avait écrit, sous le pseudonyme Soc lus, une brochure où il se prononçait pour un soutien "tactique" de la lutte militaire des Alliés. "Spartacus" attaque durement cette position ([8]) et renonça aux négociations de fusion avec Romljn. Le fait moue qu'il y eut des propositions de fusion avec ce groupe montrait que le Bond n'avait aucune caractérisation de classe de la social-démocratie. En cela "Spartacus" était très éloigné des communistes de conseils qui avaient toujours dénoncé comme contre révolutionnaire et bourgeois les groupes socialistes de droite comme de gauche. Cette persistance à cher­cher des contacts avec des socialistes de gauche se retrouve encore en novembre 1944, lorsque pen­dant quelque temps un travail commun est mené avec le groupe "De Vonk" (cf. chapitre précédent), travail qui finalement échoue, compte tenu des di­vergences politiques.

Avec le courant trotskyste, si la rupture organisationnelle était consommée, il n'en était pas de mené idéologiquement avec ses tendances de gauche. Poppe eut au cours de l'année 1944 deux réunions avec le groupe "Contre le courant" (Tegen de Stroom de Vereekenl. Bien que celui-ci refusa la défense de l'URSS en juin 1941, il restait lié au Comité commu­niste Internationaliste français d'Henri Molinier ; il devait d'ailleurs s'intégrer dans la IV° Inter­nationale, après la guerre ([9]). Plus significatif était le fait que même au sein du Bond "Spartacus" les dernières hésitations sur la défense de l'URSS n'avaient pas été totalement levées. Une petite partie de l'organisation - contre la défense du camp russe dans la présente guerre - se prononçait pour cette défense en cas d'une troisième guerre mondiale entre les Alliés occidentaux et l'URSS ([10]),

Aussi, pendant deux ans - jusqu'à ce que l'apport théorique de l'ex-GIC devint prépondérant - le Bond essaya de clarifier ses positions politiques. Son activité consista en grande partie à réaliser un travail théorique, sous forme de brochures, lequel reposait en grande partie sur les épaules de Bertus Nansink et surtout de Stan Poppe.

La brochure de Stan Poppe sux "Les perspectives de l'impérialisme après la guerre en Europe et la tâche des socialistes -révolutionnaires" fut écrite en décembre 1943 et parut en janvier 1944 ([11]). Le texte, très influencé par le livre de Lénine L'impérialisme, stade suprême du capita­lisme, se réclamait du "socialisme scientifique de Marx, Engels, Lénine" et non de Rosa Luxem­bourg. Il essayait de définir le cours suivi par le capitalisme et les perspectives révolutionnai­res pour le prolétariat.

La cause de la guerre mondiale était "la crise générale du capitalisme" depuis 1914. Dans un sens léniniste, Poppe définissait la nouvelle période de crise comme impérialiste monopoliste :

"Cette phase ultime, la plus haute, Lénine la définissait cpmme impérialiste. L'impérialisme est le côté politique de la société produisant selon un mode capitaliste-monopoliste."

Cette référence à Lénine est particulièrement intéressante, quand on sait que par la suite les "conseillistes" de "Spartacus" se définiront com­me anti-léninistes.

On peut voir déjà, pourtant, une certaine ré­flexion théorique percer sous la référence quasi scolaire à Lénine. Poppe comprend la crise comme une crise de surproduction. Celle-ci se traduit par le capitalisme d'Etat, aboutissement de la phase du monopole, dont l'expression est l'écono­mie d'armements. Celle-ci envahit la production et "le système (capitaliste) ne peut être secouru que par la guerre et par la production pour la guerre".Il ne parle pas, dans sa contribution,de la Russie comme capitaliste d'Etat. Au contraire, il affirme que l'URSS "est soustraite à l'emprise du monopole - production capitaliste - et à la demi-nation du marché" ; qu'elle est "le seul adversai­re étatiquement organisé de l'impérialisme". Une telle position était d'autant plus surprenante que Poppe avait été l'un de ceux qui -dans le MLL Front - avait caractérisé l'URSS comme capitalis­te d'Etat. Contradictoire était donc la dénoncia­tion dans ce texte des mesures de capitalisme d'Etat dans tous les pays,"qu'ils soient démocra­tiques ou autocratiques, républicains ou monar­chistes", sauf en URSS.

Plus lucide était l'analyse du conflit en Euro­pe :"La guerre touche à sa fin. La défaite mili­taire de l'Allemagne et de ses alliés n'est pas une spéculation mais un fait..." Poppe, par un paradoxe de style, considérait que la Deuxième guerre mondiale se prolongeait par une Troisième guerre mondiale en Asie, mettant aux prises le Japon et le camp anglo-américain pour la domination des colonies.

Un peu comme Bordiga après 1945 ([12]) Poppe con­sidérait que la guerre menait à la fascisation des démocraties occidentales, sur le plan poli­tique :

"La guerre impérialiste est - sur le plan de la politique extérieure- l'autre face de l'ex­ploitation monopolistique de la force de travail "- tandis que - en politique intérieure - la démo­cratie bourgeoise, forme de vie du même ordre social, est comme le fascisme."

Les démocraties trouveront - en cas de crise ré­volutionnaire - dans le fascisme "leur propre fu­tur", sinon s'imposera en économie une forme de néo-fascisme :

"Sous l'apparence de la terminologie, il n'y aura plus de fascisme, mais dans les faits nous vivrons son deuxième âge d'or. Au coeur de la politique sociale néo-fasciste il y aura la dégradation du revenu ouvrier, conséquence nécessaire de la politique de déflation."

Ayant en tête l'exemple des années 30, Poppe pensait que la crise ouverte du capitalisme se poursuivrait après la guerre : en effet, il n'y aurait pas de "conjoncture de reconstruction, si­non très courte et extrêmement modeste."

L'alternative pour le prolétariat était "entre le socialisme ou la chute dans la barbarie", c'est à dire entre la révolution prolétarienne ou la guerre. Faisant cette constatation, le texte se garde de faire des pronostics. Il souligne que la guerre "pour la reconquête et la sauvegarde de l'Indonésie et de l'Extrême-Orient" implique "la perspective d'une guerre inévitable contre l'U­nion soviétique elle-même", soit au cours de la "troisième" guerre en Orient soit à l'occasion d'une "quatrième" guerre mondiale.

Néanmoins, "la crise générale du capitalisme fait mûrir la crise révolutionnaire du système". Cela n'implique pas que la "révolution surgisse automatiquement" : Elle dépend de l'intervention consciente de la classe révolutionnaire au cours du processus (révolutionnaire) "

Théoriquement, Poppe définit la révolution com­me la mise en place de la dictature du prolétariat et la dissolution "de cette dictature et de l'Etat lui-même". Cette dictature sera celle des conseils d'usine qui formeront "les conseils centraux du pouvoir". Il est intéressant de noter que sont ex­clus ici les soviets de paysans. Dans "la lutte pour le pouvoir" qui n'est autre que "la lutte pour et avec les conseils" le prolétariat d'usine est le coeur de la révolution. Il est symptomatique d'une vision usiniste gramscienne que Poppe prenne comme exemple l'occupation des usines, à l'exemple de l'Italie en 1920 ([13]).

Symptomatique est la séparation faite entre la révolution des conseils dans les pays industriali­sés et l'appel lancé au soutien des "luttes de li­bération nationale" :

"Il ne peut point y avoir de politique socialis­te en Europe et en Anérique sans la proclamation de la pleine indépendance des anciens peuples coloniaux."

Dans la question coloniale, Poppe reprend à son compte les positions de Lénine sur le "droit des peuples à l'auto-détermination". Il ne semble pas que ces positions de Poppe reflétassent l'opinion de tous les militants : en 1940, Jan Vastenhouw -membre alors du MLL Front - avait fermement attaqué la conception de Lénine dans un bulletin interne.

Poppe va cependant très loin dans son analyse ; non seulement il considère que "la tâche (des révo­lutionnaires socialistes) est naturellement d'appe­ler les ouvriers de tous les pays à chasser les Japonais des territoires occupes par ceux-ci en Chine et en Indonésie", mais il proclame la néces­sité de cette "libération" sous la bannière de l'URSS. Mais Poppe ne parle pas d'une URSS stali­nienne, mais d'une URSS libérée -grâce à l'instau­ration du pouvoir des conseils en Europe - par les ouvriers et les paysans du stalinisme. Dans cette optique - mélange de fantasme et de croyance- il y aurait guerre de "libération nationale" révolution­naire :

"Si les socialistes ne se trompent pas dans leur prévision, alors cela signifie que l'Union so­viétique devient le facteur le plus important aussi dans la lutte contre l'impérialisme japo­nais. Une Union soviétique qui peut s'appuyer sur l'alliance du pouvoir des conseils des au­tres peuples au lieu des traités douteux avec les gouvernements capitalistes ; une union so­viétique qui se sait soutenue sur ses arrières par un système d'Unions des conseils européens . et par la solidarité du prolétariat guidé par le socialisme révolutionnaire doit aussi - sans le secours des armes anglaises et américaines- être capable de chasser les impérialismes japo­nais du Mandchukuo et des autres parties de territoire de la République chinoise, de même que de l'Indonésie."

Cette idée d'une guerre de "libération révolu­tionnaire" s'apparentait à la théorie de la guerre révolutionnaire lancée en 1920 par le Komintern. On ne peut manquer de constater ici, cependant, que la "libération" préconisée par Poppe à la poin­te des baïonnettes est plus nationale sinon natio­naliste- puisqu'elle se propose de restaurer l'in­tégrité territoriale de la "République de Chine"- que révolutionnaire. Elle apparaît comme une guer­re nationale bourgeoise, à l'image des guerres de la Révolution française, qui instaure et non dé­truit le cadre national. La théorie de Poppe des conseils ouvriers est une théorie nationale des conseils fédérés en Unions. Ici, la conception de la "lutte de libération nationale" est le corollai­re d'une conception où la révolution ouvrière qui fait surgir les conseils ouvriers est nationale.

Les positions de Poppe et du Communistenbond sont donc encore très éloignées de celles du com­munisme des conseils. Elles sont encore un mélange syncrétique de léninisme, de trotskisme, voire de gramscisme. Et cela d'autant plus que jusqu'à l'é­té 1944, le Bond sera incapable d'avoir une posi­tion théorique sur la nature de l'URSS.

C'est finalement par des discussions menées au cours de l'été 1944 avec d'anciens membres du GIC que l'Union communiste Spartacus s'oriente défini­tivement vers le communisme des conseils. Quelques membres du Bond prirent contact avec Canne Meijer, B.A. Sijes, Jan Appel et Théo Massen, Bruun van Albada pour leur demander de travailler dans leur organisation. Ils acceptèrent de contribuer théo­riquement par la discussion et par écrit ([14]) ; mais ils ne voulaient en aucun cas ni dissoudre le propre groupement ni adhérer immédiatement au Bond Ils étaient encore très méfiants vis-à-vis de la nouvelle organisation marquée par une tradition léniniste ; ils voulaient auparavant voir dans quelle mesure le Bond s'orienterait vers le com­munisme des conseils. Peu à peu ils participèrent aux activités rédactionnelles et d'intervention, en avant un statut hybride d'"hôtes" ([15]). Ils évitaient de prendre partie dans les questions organisationnelles du Bond et ne participaient pas aux réunions lorsque de telles questions étaient soulevées. C'est peu avant mai 1945, qu'ils de­vinrent membres à part entière de l'organisation, une fois constaté l'accord théorique et politique de part et d'autre.

Le fruit d'une maturation politique du Bond fut la brochure, publiée en août 1944 : "De Strijd cm de macht" (La lutte pour le pouvoir). Cette bro­chure se prononçait contre toute activité de type parlementaire et syndical, et préconisait la for­mation de nouveaux organes prolétariens, antisyn­dicaux, nés de la lutte spontanée : les conseils d'usine, base de la formation de conseils ouvrier La brochure constatait, en effet, .que les change­ments dans le mode de production capitaliste en­traînaient   des modifications structurelles au sein de la classe ouvrière et donc mettaient à l'ordre du jour de nouvelles formes d'organisa­tions ouvrières correspondant au surgissement d'u "nouveau mouvement ouvrier". ([16])

A la différence de l'ancien GIC, le Bond - dans cette brochure - préconisait la formation d'un parti révolutionnaire et d'une Internationale. Ce­pendant, à la différence du trotskisme, il était souligné qu'un tel parti ne pourrait surgir qu'à la fin de la guerre, et de lui-même, lorsque se­raient formés les organes de lutte du prolétariat.

Lorsque en mai 1945, le Communistenbond "Sparta­cus" publie légalement la revue mensuelle, Sparta­cus, il ne peut plus être considéré comme une con­tinuation du MLL Front. Avec l'apport militant des membres du GIC il est devenu une organisation com­muniste des conseils. Comme devait le noter en 1946, Canne Meijer : "Le Spartacusbond actuel ne peut être considéré comme une continuation directe du RSAP. Sa composition est différente et dans beaucoup de questions, la prise de positions est autre... Beaucoup qui auparavant appartenaient au RSAP ne se sont pas joints à "Spartacus", alors que quelques-uns purent être attirés par les trotskystes. Mais ils ne sont pas nombreux, car les trotskystes de toute façon ne sont pas nombreux." ([17])

En importance, "Spartacus" était la première or­ganisation révolutionnaire en Hollande, et portait donc une lourde responsabilité politique au ni­veau international dans le regroupement des révo­lutionnaires en Europe, cloisonnés par l1 Occupa­tion et de nouveau à la recherche de liens inter­nationaux. Cette possibilité de devenir un pôle de regroupement dépendait autant de la solidité de l'organisation, de son homogénéité politique et théorique, que d'une claire volonté de sortir des frontières linguistiques de la petite Hollande.

Numériquement le Bond était relativement fort pour une organisation révolutionnaire, surtout dans un petit pays. En 1945, il comptait une cen­taine de militants ; il avait à la fois une revue théorique mensuelle et un journal hebdomadaire, dont le tirage était de 6.000 exemplaires ([18]). Il était présent dans la plupart des grandes villes, et en particulier dans les centres ouvriers d'Am­sterdam et de Rotterdam, où la tradition communiste des conseils était réelle.

Cependant, l'organisation était loin d'être homo­gène. Elle rassemblait d'anciens membres du MLL Front, du GIC, mais aussi d'anciens syndicalistes du NAS d'avant guerre. Au Bond s'étaient aussi ad­joints des anarchistes de l'ancien "Mouvement so­cialiste libertaire". Beaucoup de jeunes enfin avaient rejoint "Spartacus", mais sans expérience politique ni formation théorique. Il y avait donc une union de différentes origines mais pas vérita­blement une fusion, condition même de la création d'un tissu organisationnel homogène. Les tendances centrifuges - comme on le verra plus loin - étaient donc fortes. Les éléments libertaires véhiculaient des conceptions anti-organisation. Les ex-syndica­listes, particulièrement actifs autour de Tbon van den Berg à Rotterdam, étaient très activistes et ouvriéristes. Leur conception était plus syndicalis­te que politique. D'autre part, les jeunes avaient une propension - découlant de leur immaturité poli­tique - à suivre l'une de ces deux tendances, et particulièrement la première.

Organisationnellement, le Bond n'avait rien à voir avec l'ancien GIC qui se concevait comme une fédération de groupes de travail. Le Bond était une organisation centralisée et le restera jusqu'en 1947. Son organisation était composée de noyaux (Kerne) ou sections locales de 6 membres, coiffées par des sections territoriales ou urbaines. Le co­mité exécutif de 5 membres représentait l'organisa­tion à l'extérieur et était responsable devant le congrès du Bond, qui était l'instance suprême. Com­me dans toute organisation révolutionnaire digne de ce nom, elle avait des organes de travail élus : une commission politique regroupant la rédaction et chargée des questions politiques ; une commis­sion d'organisation pour les taches courantes ; une commission de contrôle chargée de vérifier que les décisions prises étaient appliquées ; une 'commission de contrôle financier. En tout, en 1945 il y avait entre 21 et 27 personnes dans les orga­nes centraux.

L'adhésion à l'organisation était clairement dé­finie par les statuts adoptés en octobre 1945 ([19]). Le Bond qui avait alors une conception très haute de l'organisation ne voulait accepter de nouveaux membres qu'avec la plus grande prudence et exi­geait d'eux "la discipline d'un parti centraliste démocratique" ([20]). Le Bond, en effet, renouait avec la tradition du KAPD.

De cette tradition, cependant, le Communisten­bond reprenait certains aspects les moins favora­bles à l'accomplissement de son travail. Centrali­sé par ses organes, le Bond était décentralisé au niveau local. Il considérait que chaque "noyau est autonome dans sa propre région"  ([21]). Vi­sant à une "décentralisation du travail", il était inévitable que celle-ci entre en contradic­tion avec le centralisme de l'organisation.

D'autre part, le Bond véhiculait certaines con­ceptions de l'organisation qui s'étaient épanouies dans les grandes organisations politiques de masses du passé. L'organisation était encore conçue comme une organisation de "cadres" ; d'où la forma­tion, décidée lors de la Conférence des 21 et 22 juillet 1945, d'une "école de cadres marxistes". Elle n'était pas totalement unitaire ; à la péri­phérie gravitaient les "Associations des amis de Spartacus" (V.S.V.). Le Bond trouvait dans le VSV son organisation de jeunesse autonome. Composée de jeunes entre 20 et 25 ans, cette organisation pa­rallèle était en fait une organisation de jeunes sympathisants. Bien que n'ayant pas de devoirs vis-à-vis du Bond, ils devaient participer à la propagande et contribuer financièrement. Un tel flou entre militants et sympathisants ne contribua pas peu à renforcer les tendances centrifuges au sein de l'organisation.

Un autre exemple du poids du passé est à trou­ver dans la création en août 1945 d'une "Aide ou­vrière" (Arbeidershulp). Il s'agissait de créer dans les entreprises un organisme, ou plutôt une caisse de secours, pour aider financièrement les ouvriers en grève. En filigrane, il y avait l'idée que le Communistenbond devait diriger la lutte des ouvriers et se substituer à leurs efforts spontanés de s'organiser. Néanmoins, l'"Aide ouvrière" n'eut qu'une brève existence. La discussion sur le parti, générale dans le Bond, permit de préciser quelle était la nature et la fonction de l'organisation politique des révolutionnaires.

"Spartacus" pensait en effet que les luttes ouvri­ères qui éclataient à la sortie de la guerre augu­raient d'une période révolutionnaire, sinon dans l'immédiat, du moins dans le futur. Eh avril 1945 la conférence du Spartacusbond proclamait la néces­sité d'un parti et le caractère provisoire de son existence comme organisation nationale :

"Le Bond est une organisation provisoire de mar­xistes, orientée vers la formation d'un vérita­ble parti communiste international, lequel doit surgir de la lutte de la classe ouvrière". ([22])

Il est remarquable que cette déclaration posait la question de la naissance d'un parti en période révolutionnaire. Une telle conception était à l'in­verse de celle des trotskystes des années 30, puis des bordiguistes après 1945 qui faisaient du moment de ce surgissement une question secondaire et con­sidéraient que le parti était le produit d'une simple volonté. Il suffisait de le "proclamer" pour qu'il existât. Non moins remarquable était 1'"Adresse inaugurale" - votée à la conférence de juillet- adressée aux groupes révolutionnaires internationalistes. Elle excluait le CRM trotskyste de Hollande, avec lequel la conférence rom­pit tout contact, en raison de leur position de "défense de l'URSS"  ([23]). Enfin elle était un appel au regroupement des différents groupes de la Gauche communiste, qui rejetaient la vision de la prise du pouvoir par un parti :

"C'est dans et par le mouvement même que peut naître une nouvelle Internationale communiste, à laquelle les communistes de tous les pays -débarrassés de la domination bureaucratique mais aussi de toute prétention à briguer le pou­voir pour leur propre compte - peuvent partici­per". ([24])

On doit cependant constater que cet appel au re­groupement des révolutionnaires internationalistes ne se traduisit que par des mesures limitées. La conférence décida d'établir un Secrétariat d'in­formation à Bruxelles dont la tâche était de pren­dre contact avec divers groupes et d'éditer un Bulletin d'information. En même temps, le contact était repris pour un temps très bref avec le grou­pe de Vereeken. Il était évident que les positions de son groupe "Centre le courant" (Tegen de stroem) ([25]) étaient incompatibles avec celles du Bond. Mais le fait même de reprendre contact notait une absence de critères politiques dans la délimita­tion des groupes cemmunistes internationalistes d'autres groupes confus ou anarchistes. Cette même absence de critères se retrouvera en 1947, lors d'une conférence internationale tenue à Bruxelles (cf. infra).

La préparation du Bond au surgissement d'un par­ti impliquait que la plus grande homogénéité se fasse dans l'organisation sur la conception théo­rique du parti. C'est pourquoi furent écrites et discutées pour le congrès des 24-26 décembre 1945 des "Thèses sur la tâche et la nature du parti" ([26]). Elles furent adoptées par le congrès et pu­bliées en brochure en janvier 1946 ([27]). Il est très significatif qu'elles furent rédigées par un ancien membre du GIC : Bruun van Albada. Ce fait même montrait l'unanimité qui existait alors dans le Bond sur la question, et surtout traduisait le rejet explicite des conceptions qui avaient régné dans le GIC au cours des années 30.

La tenue de réunions publiques sur le thème du parti, au cours de l'année 1946, montre l'impor­tance que les thèses revêtaient pour l'organisa­tion.

Les Thèses sont centrées sur le changement de fonction du parti entre la période d'ascendance du capitalisme - appelée période du"capitalisme libé­ral"- et la période de décadence qui suit la premiè­re guerre mondiale - période de domination du capi­talisme d'Etat. Bien que les concepts d1ascendance et de décadence du capitalisme ne soient pas utili­sés, le texte souligne avec force le changement de période historique qui implique une remise en cause des vieilles conceptions du parti :

"La critique actuelle des vieux partis n’est pas seulement une critique de leur pratique po­litique ou des procédés des chefs, mais une cri­tique de toute la vieille conception du parti. Elle est une conséquence directe des changements dans la structure et dans les objectifs du mou­vement de masse. La tâche du parti (révolution­naire) est dans son activité au sein du mouve­ment de masse du prolétariat."

Les Thèses, de façon historique, montrent que la conception d’un parti ouvrier agissant sur le modè­le des partis bourgeois de la Révolution française et non distinct des autres couches sociales est devenue caduque avec la Commune de Paris. Le parti ne vise pas la conquête de l’Etat mais sa destruc­tion :

"Dans cette période de développement de l'action de masse, le parti politique de la classe ouvri­ère allait jouer un rôle beaucoup plus grand. Parce que les ouvriers n’étaient pas encore de­venus la majorité écrasante de la population, le parti politique apparaissait encore comme l'organisation nécessaire, qui doit oeuvrer à entraîner la majorité de la population dans l'action des ouvriers, tout à fait de la même façon que le parti de la bourgeoisie a agi dans la révolution bourgeoise ; parce que le parti prolétarien devait être à la tête de l'Etat, le prolétariat devait conquérir le pou­voir d'Etat".

Montrant l'évolution du capitalisme après 1900, "période de prospérité croissante du capitalisme", les Thèses montrent le développement du réformisme dans la social-démocratie. Elles ont tendance à rejeter les partis de la II° Internationale après 1900, étant donné leur évolution vers l'opportunis­me parlementaire et syndical. Et elles ignorent la réaction des gauches communistes (Lénine, Luxembourg/ Pannekoek) en leur sein. Montrant très bien le "semblant de pleine démocratie" de la social-démo­cratie classique et la "complète scission entre la masse des membres et la direction du parti", les Thèses concluent négativement et ne montrent pas l'apport positif de l'organisation pour le mouve­ment ouvrier de l'époque :

"Le parti politique cesse d'être une formation de pouvoir de la classe ouvrière. Il devient la représentation diplomatique des ouvriers dans la société capitaliste. En opposition loyale, il participe au Parlement, participe à l'organi­sation de la société capitaliste." La Première guerre mondiale ouvrait une nouvelle période, celle de la Révolution prolétarienne. Les Thèses considèrent que c'est la paupérisation ab­solue du prolétariat et non le changement de période qui est à l'origine de la révolution. De ce fait, on voit mal en quoi la période révolution­naire de 1917-1923 se distinguait de 1848, période de "paupérisation absolue" caractéristique de la si­tuation du prolétariat naissant :

"L'éclatement de la guerre mondiale signifia qu'à la phase de paupérisation relative succé­dait celle de la paupérisation absolue. Cette nouvelle évolution doit par la force des cho­ses pousser les ouvriers dans une opposition révolutionnaire au capital. Aussi, en même temps, les ouvriers entraient en conflit avec la social-démocratie".

Les Thèses ne manquent pas de souligner les ap­ports positifs de la vague révolutionnaire de l'après-guerre : naissance spontanée "d'organisa­tions d'entreprise et de conseils ouvriers comme organes de la démocratie ouvrière à l'intérieur des entreprises et organes de la démocratie poli­tique locale". Les Thèses, cependant, minimisent la portée révolutionnaire de 1917 en Russie ; el­les ne semblent retenir de 17 que la suite : la contre-révolution et le capitalisme d'Etat. Elles voient même dans la révolution l'origine la contre révolution stalinienne. Le processus de dé­générescence est nié et les ouvriers russes sont ainsi rendus responsables de l'échec de la révolu­tion russe. Ainsi, le développement du "socialisme d'Etat" (c'est-à-dire le capitalisme d'Etat) est considéré "comme résultat de la lutte révolution­naire des paysans et des ouvriers."

Cependant, c'est avec lucidité que les Thèses notent l'effet pernicieux de la confusion entre socialisme et capitalisme d'Etat dans les rangs ouvriers de l'époque. Cette confusion empêcha la pleine maturation de la conscience révolutionnaire:

"... par la Révolution russe, la conception so­cialiste d'Etat se para d'une auréole révolu­tionnaire et cela ne contribua pas peu à entra­ver la réelle prise de conscience révolution­naire des ouvriers." ([28])

Le rejet implicite de la Révolution russe et de l'apport du parti bolchevik en 1917 amène le ré­dacteur des Thèses à établir une identité entre le bolchevisme révolutionnaire des débuts et le stali­nisme. Pour lui, il n'y a pas de différence entre bolchevisme et social-démocratie, "sinon de mé­thode" pour établir une"économie planifiée par l'Etat".

Plus originale est la définition du rôle du par­ti et des révolutionnaires dans leur intervention. Reprenant la conception du KAPD des années 1920, le Bond souligne que le rôle du parti n'est ni de guider, ni d'éduquer, ni de se substituer à la classe ouvrière :

"Le rôle du parti est maintenant restreint à ce­lui d'une organisation de clarification et de propagande. Il n'aspire pas davantage à ins­taurer une domination sur la classe".

La genèse du parti dépend étroitement des changements dans le capitalisme - où la période "de capitalisme libéral est définitivement close" -et de la transformation de la conscience de classe des ouvriers. La lutte révolutionnaire qui fait surgir le parti, est avant tout une lutte contre l'Etat produite par l'action de masses, et une lutte consciente pour l'organisation :

"L'Etat est devenu clairement l'ennemi mortel de la classe ouvrière... Dans tous les cas, la lutte des ouvriers se déroule en opposition in­conciliable avec cet Etat, non seulement contre les gouvernements mais contre l'ensemble de l'appareil (d'Etat), vieux partis et syndicats inclus. Il y a un lien indestructible entre les trois éléments de la lutte d'émancipation des ouvriers : l'essor de l'action de masse, l'essor de l'organisation et de la conscience."

Les Thèses établissent une interaction dialecti­que entre le développement de l'organisation révo­lutionnaire et la lutte révolutionnaire :

"Ainsi se développe dans la lutte l'organisation matériellement et spirituellement ; et avec l'organisation se développe la lutte."

L'aspect le plus significatif des Thèses est de montrer le rôle positif du parti révolutionnaire dans les mouvements de masses et de définir le ty­pe de militant révolutionnaire correspondant à la nouvelle période.

Son champ d'action est clairement défini :

a) nécessité du parti : prise de conscience

Les Thèses montrent que le parti est nécessaire, car il est un produit dialectique du développement de la conscience de classe et par conséquent un facteur actif dans ce processus de développement. On est ici très loin de la vision "conseilliste"-qui sera développée par la suite - où les révolu­tionnaires inorganisés se dissolvent dans la classe ([29]). Est rejetée aussi la conception bordiguiste qui fait du parti un véritable état-major auquel les ouvriers sont subordonnés aveuglément. La nécessité du parti découle non d'un rapport de forces entre cette organisation et la classe, mais d'un rapport organique entre parti et clas­se, né du développement de la conscience de clas­se :

"Dans le processus de prise de conscience par la lutte, où la lutte devient consciente d'el­le-même, le parti a un rôle important et né­cessaire à jouer. En premier lieu il soutient cette prise de conscience. Les leçons qu'on doit tirer autant des victoires que des défai­tes - et dont les ouvriers, séparément, ont une conscience plus ou moins claire - sont formu­lées par le parti et diffusées parmi les masses par le moyen de sa propagande. C'est "l'idée", qui, dès qu'elle s'empare des masses, devient une force matérielle".

"Le parti n'est ni un état-major détaché de la classe ni le "cerveau pensant" des ouvriers ; il est le foyer où se focalise et s'exprime la conscience grandissante des ouvriers".

Si le parti et la classe sont dans un rapport organique de complémentarité dans une même unité de conscience, ils ne sont pas identiques ni con­fondus. Le parti est l'expression la plus élevée de la conscience de classe du prolétariat, comme conscience politique et historique, et non comme conscience reflet de la lutte immédiate (conscien­ce immédiate dans la classe). Le parti est donc une partie de la classe.

"Partie de la classe, la plus consciente dans la lutte et la plus formée, le parti a la capa­cité de comprendre le premier les dangers qui menacent (la lutte des ouvriers) , de discerner le premier les potentialités des nouvelles orga­nisations de pouvoir : il doit y lutter de fa­çon telle que son opinion soit utilisée à fond par les ouvriers ; il doit la propager par la parole, et s'il le faut par une intervention en acte, afin que son exemple fasse avancer la classe dans sa lutte".

On notera que cette conception du parti dans sa fonction propagandiste "par les mots et par les faits" est identique à celle du KAPD dans les an­nées 20. Le Bond a ici une conception presque vo­lontariste du parti, où l'exemple de l'action du parti est un combat et même une incitation au com­bat. Cette définition du parti rejoint aussi celle de Bordiga pour lequel un parti c'est un programme plus une volonté d'action. Mais dans la Gauche hol­landaise, le programme est moins un ensemble de principes théoriques et politiques que la formula­tion de la conscience de classe, voire d'une som­me de consciences ouvrières :

"Ce que ressent chaque ouvrier, à savoir que la situation est intenable et qu'il est absolument nécessaire de détruire le capitalisme, doit être synthétisé par le parti dans des formules clai­res".

b) les tâches du parti : théorie et praxis Pour le Communistenbond, il est clair qu'il ne peut être fait une séparation entre travail théorique et intervention pratique. La théorie n'est pas définie comme une somme d'opinions individuelles mais com­me une science. Comme le soulignait déjà le Bond en janvier 1945 ; "Le matérialisme dialectique n'est pas seulement la seule méthode exacte mais aussi la seule méthode universelle de recherche " ([30]). Para­doxalement, c'est le scientifique Pannekoek qui re­jette dans ses "Conseils ouvriers" l'idée de théorie matérialiste scientifique considérant qu'une organi­sation exprime des opinions variées sans résultat scientifique et sans méthode. Contrairement au Bond de la période 45-46, Pannekoek défend une méthode éclectique, c'est à dire rejette toute méthode d'in­vestigation théorique, selon le principe qu'une som­me d'unités donne une totalité. Il écrit en effet que " dans chacune de ces pensées diverses se trouve en fait une parcelle de la vérité, plus ou moins grande" ([31]). Au contraire, les Thèses affir­ment :

"Les questions doivent être examinées dans leur cohérence ; les résultats doivent être exposés dans leur clarté et leur déterminisme scientifi­ques . "

De cette méthode découlent les tâches du parti dans le prolétariat :

-   tache"d'éclaircissement" et non d'organisation, cette tâche étant celle des ouvriers dans leur lutte. La fonction d'organisation de la classe disparaît au profit d'une tâche de clarification de la lutte. Cet­te clarification est définie négativement comme une lutte idéologique et pratique contre "toutes les ten­tations fourbes de la bourgeoisie et de ses compli­ces de contaminer par leur propre influence les orga­nisations ouvrières".

-   tâche"d'intervention pratique dans la lutte de classe". Sa réalisation découle de la compréhension par le parti qu'il ne peut"soustraire aux ouvriers leurs fonctions" :

"(Le parti) ne peut intervenir que comme partie de la classe et non en contradiction avec celle-ci. Sa position dans l'intervention est unique­ment de contribuer à 1'approfondissement et à l'extension de la domination du pouvoir de la dé­mocratie des conseils..."

Cette fonction du parti n'implique pas la passivi­té. A la différence des "conseillistes" des années 50 et 60 (cf. infra), le Spartacusbond n'a pas peur de s'affirmer comme un "moteur" de la lutte de classe qui prend des initiatives qui compensent les hésita­tions des ouvriers :

"Quand les ouvriers hésitent à prendre certai­nes mesures, les membres du parti peuvent, comme ouvriers d'industrie révolutionnaires, prendre l'initiative et ils sont même tenus de le faire quand l'accomplissement de ces mesures est pos­sible et nécessaire. Quand les ouvriers veulent remettre à une instance syndicale la décision de déclencher une action, les communistes cons­cients doivent prendre l'initiative pour une intervention propre des ouvriers. Quand, dans une phase plus développée de la lutte, les or­ganisations d'entreprise et les conseils ou­vriers hésitent devant un problème d'organisa­tion de l'économie les communistes conscients ne doivent pas seulement leur montrer la néces­sité de cette organisation ; ils doivent aussi étudier eux-mêmes ces questions et convoquer des assemblées d'entreprise pour les discuter. Ainsi, leur activité se déroule dans la lutte et comme le moteur de la lutte, quand celle-ci stagne ou risque de s'égarer sur les voies de garage.

Qui ne manquera pas de relever, dans ce passage, une certaine interprétation ouvriériste de l'inter­vention dans les conseils ouvriers. Que les mem­bres du parti interviennent comme "ouvriers d'in­dustrie "semble exclure que des "communistes cons­cients" - d'extraction intellectuelle- puissent dé­fendre comme membres du parti devant les ouvriers leur point de vue. A ce compte là, Marx, Lénine Engels seraient exclus. On sait qu'en 1918, Rosa Luxembourg fut privée du "droit" d'expression dans le Grand Conseil de Berlin sous le prétexte qu'elle était une "intellectuelle". Les défenseurs de la motion d'exclusion étaient les membres du SPD conscients du poids politique de Luxembourg. Ici, les Thèses semblent concevoir que les "intellectuels" membres du parti seraient "étrangers" au proléta­riat, bien que le Parti soit défini comme "une par­tie de la classe".

D'autre part, il est caractéristique que l'inter­vention du Parti dans les conseils soit centrée d'emblée sur les problèmes économiques de la période de transition : gestion de la production et "organisa­tion de l'économie par la démocratie des conseils ouvriers, dont la base est le calcul du temps de travail". En affirmant que "la nécessité de l'orga­nisation d'une économie communiste planifiée doit être démontrée clairement", le Spartacusbond mani­feste une tendance à sous-estimer les problèmes politiques qui se posent en premier dans la révolu­tion prolétarienne, à savoir la prise du pouvoir par les conseils, comme préalable d'une période de transition vers le communisme.

c) le fonctionnement du parti

Les Thèses passent sous silence la question de la centralisation du Parti. Ne sont abordées ni la question des fractions et des tendances, ni la question de la démocratie interne. Le Bond manifes­te une tendance à idéaliser l'homogénéité du Parti. Tout comme le PCint bordiguiste de l'après-guerre ([32]), il ne conçoit pas que des divergences puis­sent surgir dans l'organisation. Mais alors que le parti"bordiguiste" trouve des "garanties" contre les divergences dans un idéal de "programme" immua­ble, le Spartacusbond croit les trouver dans l'e­xistence de militants idéaux. Le militant, selon le Bond est celui qui est toujours capable d'auto­nomie de compréhension et de jugement :

"(Les membres du Parti) doivent être des travail­leurs autonomes, ayant leur propre faculté de comprendre et de juger..."

Cette définition du militant apparaît comme un "impératif catégorique" et une éthique individuelle à l'intérieur du Parti. Il est à souligner que le Bond pense qu'une composition professionnelle en­tièrement prolétarienne et que la haute qualité de chaque militant mettent le Parti à l'abri des ris­ques d'une dégénérescence bureaucratique. Cependant on ne peut manquer de relever que les partis composes totalement d'ouvriers, comme les PC dans les années 20 et 30 ne les a pas mis à l'abri de la bu­reaucratisation stalinienne et que l'organisation du Parti en cellules d'ouvriers d'usine a étouffé la capacité politique de "compréhension et de juge­ment" des militants ([33]), fussent-ils les meilleurs. D'autre part, dans un parti révolutionnaire, il n'y a pas d'égalité formelle de capacités de tous ; l'égalité réelle est politique par le fait que le Parti est un corps politique avant tout dont la co­hésion se reflète dans chacun de ses membres. C'est ce corps qui permet aux militants de tendre indi­viduellement vers une homogénéité politique et théorique.

Plus profond est le rejet par le Bond d'une dis­cipline jésuitique de cadavre - le fameux "perinde ac cadaver" de la Société de Jésus - qui brise les convictions profondes de chaque militant :

"Liés aux conceptions générales et principiel-les du Parti, qui sont en même temps leurs, pro­pres conceptions, (les militants) doivent défen­dre et appliquer celles-ci dans toutes les cir­constances. Ils ne connaissent pas la discipli­ne de cadavre de la soumission sans volonté aux décisions ; ils ne connaissent que l'obéissance par conviction intime, issue d'une conception fondamentale et, dans un conflit au sein de l'or­ganisation, c'est cette conviction qui tranche."

Ainsi est acceptée une discipline de l'organi­sation librement consentie, qui découle de la dé­fense des positions principielles du Parti. C'est cette notion de discipline qui fut par la suite re­jetée quelques années plus tard (cf. infra) par le Bond sous le prétexte qu'elle s'opposait à la libre activité de chacun comme "homme libre pen­sant par lui-même".

Une idée très importante se trouve exposée dans les Thèses. Le parti n'est pas seulement un pro­gramme, mais il est composé d'hommes aminés par la passion révolutionnaire. C'est cette passion, que le Bond appelle "conviction", qui prémunirait le Parti contre toute tendance dégénérescente :

"Cette auto activité des membres, cette éduca­tion générale et cette participation consciente à la lutte des ouvriers rend impossible tout surgissement d'une bureaucratie de parti. Sur le plan organisationnel, on ne saurait trouver des mesures efficaces contre ce (danger) au cas où cette auto activité et cette éducation vien­draient à manquer ; dans ce cas-là le parti ne pourrait plus être considéré comme un parti communiste : le parti vraiment communiste, pour lequel l'auto activité de la classe est l'idée de base, le parti dans lequel cette idée s'est incarnée, chair et os, jusque dans ses membres. Un parti avec un programme communiste peut finir par dégénérer, peut-être ; un parti composé de communistes, jamais."

Traumatisé par l'expérience russe, le Bond pen­sait que la volonté militante et la formation thé­orique constituaient suffisamment de garde-fous contre la menace de dégénérescence. Il tendait ain­si à édifier l'image d'un militant pur, non soumis individuellement à la pression de l'idéologie bourgeoise. Concevant que le parti est une somme d'in­dividus ayant "les exigences les plus hautes", les Thèses traduisaient un certain volontarisme, voire un idéalisme naïf. La séparation entre programme, fruit d'une constante recherche théorique, et volonté militante aboutissaient à rejeter l'idée d1 un parti, comme corps et programmatique et organi­que. Si le parti était une somme de volontés mili­tantes, il n'y avait plus d'organe irrigant l'en­semble des cellules militantes. Par la suite, le Bond allait pousser cette séparation à l'extrême, deux ans après (cf .infra).

d) le lien avec la classe

Issu de l'action de masse du prolétariat, le Par­ti ne trouve finalement d'ultime "garantie" qu'à travers ses liens avec le prolétariat :

"Quand ce lien est inexistant, quand le parti est un organe qui se situe en dehors de la clas­se, il n'a d'autre choix que de se placer - de façon défaitiste - en dehors de la classe, ou de soumettre les ouvriers à sa direction par la contrainte. Aussi, le Parti ne peut être véri­tablement révolutionnaire que s'il est ancré dans les masses de telle sorte que son activité n'est, en général, pas distincte de celle du prolétariat, si ce n'est dans le sens que la volon­té, les aspirations et la compréhension conscientes de la classe ouvrière sont cristallisées dans le Parti".

Le lien avec la classe apparaît ici -dans sa dé­finition - contradictoire. Le parti catalyse la conscience de la classe en lutte et simultanément fusionne avec le prolétariat. Le Bond ne voit de contradiction entre le Parti et la classe que dans un processus dégénérescent, où se perd le "lien". La cause réside dans la hantise que partageaient les révolutionnaires de cette époque de voir se ré­péter les horreurs de la contre-révolution en Russie On ne peut, cependant, s'abstenir de remarquer que l'adéquation des buts historiques du prolétariat avec ceux du Parti, n'est point une fusion. L'his­toire du mouvement ouvrier, en particulier les ré­volutions russe et allemande, est l'histoire tour­mentée des rapports entre le Parti et la classe. En période révolutionnaire, le Parti peut être en dé­saccord avec des actions de la classe ; ainsi les bolcheviks étaient en désaccord en juillet 1917 avec les masses ouvrières de Petrograd qui voulaient prendre prématurément le pouvoir. Il peut aussi, comme le Spartakus Bund de Luxembourg, être en ac­cord avec la "volonté des masses" impatientes de prendre le pouvoir à Berlin et se faire décapiter. Dans les faits, la "fusion" entre Parti et masses est rarement accomplie. Le Parti se dirige plus même en période révolutionnaire et totalement dans une phase contre-révolutionnaire - à "contre courant" que "dans le courant". Etant "une partie de la classe" - comme le montrent les Thèses - il est distinct de la totalité de la classe lorsque ses principes et son activité ne sont pas totalement acceptés par la masse des ouvriers ou même rencon­trent l'hostilité.

e)Parti et Etat dans la révolution Les Thèses de décembre 1945 n'abordaient pas les rapports entre Parti et Etat, lors de la prise du pouvoir. La question ([34]) fut soulevée au sein du Bond et en mars 1946 parut une brochure consacrée -dans un de ses chapitres - à ce problème : "Van slavenmaatschappij tôt arbeidersmacht" (De la socié­té esclavagiste au pouvoir ouvrier). Il en ressor­tait que le parti ne pouvait ni prendre le pouvoir ni"gouverner" les ouvriers. En effet, "quel que soit le parti qui forme le gouvernement, il doit gouverner contre les hommes, pour le capital et par une bureaucratie" ([35]). C'est pourquoi le Parti, parti et partie des conseils ouvriers, est distinct de l'Etat :

"C'est un tout autre parti que ceux de la socié­té bourgeoise. Il ne participe lui-même sous au­cune forme au pouvoir...la prise du pouvoir pro­létarienne n'est ni la conquête du gouvernement de l'Etat par un "parti ouvrier" ni la partici­pation d'un tel parti à un gouvernement d'Etat... l'Etat en tant que tel est complètement étranger par essence au pouvoir des ouvriers ; ainsi les formes d'organisation du pouvoir ouvrier n'ont aucune des caractéristiques de l'exercice du pouvoir par l'Etat." ([36])

Mais en 1946, à l'inverse de ce qui se produira plus tard, c'est Pannekoék qui est influencé par le Ccmmunistenbond ! Dans ces "Cinq thèses sur la lut­te de classe" ([37]) il affirme - en contradiction avec ses thèses antérieures- que le travail des partis (révolutionnaires) "est une partie in­dispensable de l'auto émancipation de la classe ou­vrière". Il est vrai qu'il réduit la fonction de ces partis à une fonction uniquement théorique et propagandiste :"Aux partis incombe la deuxième fonction (la première étant "la conquête du pouvoir politique", NDR), c'est à dire diffuser les idées et les connaissance; d'étudier, discuter, formuler les idées sociales et, par la propagande éclairer l'esprit des masses ".

Les oppositions qui naquirent dans le Bond sur la conception du Parti - lors de la préparation du con­grès de Noël 1945- apportaient plus des nuances aux Thèses qu'elles ne le critiquaient. Elles étaient en tout cas, un rejet de la théorie éducationniste de Pannekoek. Dans un projet de Thèses - accepté par 2 membres sur 5 de la Commission politique- il était souligné que "le nouveau parti n'est pas l'é­ducateur de la classe". Ce projet tenait surtout à préciser certains points qui restaient flous dans "Taak en Wszen van de nieuwe Parti ". En premier lieu- pour mieux marquer la rupture avec l'ancien RSAP de Sneevliet - la participation "tactique" aux élections était nettement rejetée :"Le parti natu­rellement ne participe à aucune activité parlemen­taire". En second lieu, le rédacteur du projet croyait voir dans les Thèses un retour aux concep­tions activistes du KAPD, ou plutôt des tendances "dirigistes" dans la lutte de masses:

"Le parti ne mène aucune action et, comme parti, ne conduit aucune action de la classe. Il combat précisément toute subordination de la classe et de ses mouvements à la direction d'un groupe po­litique."

Dans cet esprit, le nouveau parti "ne reconnaît point de 'chefs1; il ne fait qu'exécuter les déci­sions de ses membres... Aussi longtemps qu'une déci­sion subsiste, elle vaut pour tous les membres."

Chardin.  (à suivre)


[1] Des deux fils de Sneevliet, l'un s'était suicidé, l'autre était mort en Espagne dans les milices du POUM, sous la bannière de l'antifascisme, victime des positions propagées par le RSAP.

[2] Le groupe de Munis, exilé au Mexique pendant la guerre, prit des positions internationalistes de non-défense de l'URSS. Les RKD, issus eux aussi du trotskisme, et composés de militants français et au­trichiens travaillèrent à la fin de la guerre en collaboration avec la Fraction française de la Gauche communiste. Ils s'orientèrent peu à peu vers l'anarchisme pour disparaître en 1948-1949.

[3] Les études de Max Perthus et de Wim Bot sur le MLL Front, qui s'appuient sur les archives alleman­des en Hollande, ne donnent aucun fondement à cette hypothèse.

[4] Winkel dans son livre : "De ondergrondse pers 1940-1945" (la Haye, 1954) affirme que l'ex-chef du KAPN et ami de Gorter, Barend Luteraan était rédacteur du CRM ; il semble que Luteraan ait créé pendant la guerre son propre groupe, sur des positions trotskystes. Après la guerre, il devint membre de la so­cial-démocratie hollandaise (Parti du Travail).

[5] Le "Groupe bolchevik-léniniste" constitué sur les positions de la IV° Internationale en 1938 dispa­rut pendant la guerre, après l'arrestation de ses dirigeants. Le CRM se proclama parti en décembre 1945, bien que très faible numériquement, sous l'étiquette de "Parti communiste révolutionnaire" (RCP). Il publiait l'hebdomadaire " De Tribune" qui n'avait rien à voir avec le tribunisme du SPD de Gorter.

[6] Après la guerre, les soupçons se portèrent sur Stan Poppe. Sneevliet avait été arrêté après une vi­site à Poppe. Dans le dossier du procès de Sneevliet il était affirmé que ce dernier avait été capturé "avec l'aide de Poppe". En décembre 1950 fut constituée une Commission d'enquête composée du RCP, du Ccrmunistenbond et du petit syndicat indépendant 0VB. Elle arriva unanimement à la conclusion que l'at­titude de Poppe était irréprochable et qu'aucun blâme ne pouvait être porté contre lui.

[7] 300.000 personnes sur une population de 6 millions d'habitants vivaient dans la clandestinité, avec de faux papiers et de fausses cartes de ravitaillement.

[8] cf. "Spartacus, bulletin van de revolutionair-socialistische  Arbeidersbeweging in Nederland", janvier 1944.

[9] cf. Vereeken :"Le Guépéou dans le mouvement trotskyste", Paris, 1975, chapitre premier.

[10] cf. "Spartacus n°4, octobre 1942 ; et dans la même revue de février 1944 l'article :"De Scwiet-Uhie en Wij" ("L'Union soviétique et nous").

[11] "De perspectiven van het impérialisme na de oorlog in Europa en de taak van de revolutio-naire socialisten", décembre 1943. Il est remarquable que cette brochure, dont les thèses étaient très éloignées du communisme des conseils, soit donnée comme base politique du Bond en 1945, sans qu'aucune critique soit portée sur le contenu de ces thèses. Cf ; "Spartacus, maans-chrift voor de revolutionair-socialistische Arbeidersbeweging", mai 1945 : Beschouwingen over de situatie : de balans".

[12] cf. "ETOrcéteo", n°3, octobre 19^6 : "Le prespettive del dopoguerra in relazione alla piatta-forma del Fartito" (Tes nerspectives de l'après-guerre en relation avec la plateforme du Parti). Bordiga , auteur de l'article, y affirme que "les démocraties occidentales évoluent progressivement vers les formes totalitaires et fascistes". Sous ces termes, Bordiga, comme la Gauche hollandaise, voulaient souligner la tendance vers le capitalisme d'Etat dans les pays d'Europe occidentale.

[13] Le Bond publia dans sa revue théorique "Maandblad Spartacus"en 1945 (N°9 et 12) une étude sur les oc­cupations d'usines en Italie :"Een bedrijfsbezetting" (Une occupation d'usines). L'article affirme que en 1920 "les usines formaient une unité qui n'était rattachée ni à un parti ni à un syndicat".  "... le mou­vement finit par un compromis entre les syndicats et les patrons". Il montre que l'occupation d'usines ne suffit pas et que doivent surgir des conseils ouvriers dont la "tâche première n'est pas l'ordonnancement de l'industrie mais l'organisation de la lutte. C'est alors une période de guerre : la guerre civile". Cet­te vision critique de l'occupation des usines en Italie est bien différente de la vision usiniste défendue par la suite dans le Bond par Pannekoek d'une "gestion de la production" par les conseils.

[14] Pour l'historique de la fusion entre les ex-GIC et le Communistenbond, une lettre de Canne Meijer du 30 juin 1946 au journal "Le prolétaire" (RKD-CR) donne d'utiles précisions. Canne Meijer écrivit en 1944 pour la discussion un texte sur la démocratie ouvrière : "Arbeiders-democratie in de bedrijven". Bruun van Albada publia dans "Spartacus" n°1 de janvier 1945, une étude sur la méthode marxiste : Het marxisme als mé­thode van onderzoek", comme méthode dialectique scientifique d'investigation.

[15] Ils étaient seulement des "hôtes" - note Canne Meijer dans la même lettre -, faisaient tout le travail… en commun avec les camarades du Bond, mais ils se gardaient de toute ingérence organisation

[16] Cependant en 1943 et 1944, des membres du Bond participaient à la création du petit syndicat clandes­tin "Eenheidsvakbewweging" (Syndicat unitaire). Pour l'histoire de ce syndicat, cf. "De Eenheidsvakcentra-le (EVC) 1943-1948", Groningen, 1976 par P. Coomans, T. de Jonge et E. Nijhof.

[17] Lettre du 30 juin 1946, déjà citée, Canne Meijer considère que le Bond s'inscrit dans le développe­ment d'un "nouveau mouvement ouvrier qui  n'est pas une 'opposition' à l'ancien ni sa 'gauche' ou son 'ultra-gauche', mais un mouvement avec d'autres fondements".

[18] Lettre de Canne Meijer du 27 juin 1946 au journal "Le Prolétaire". En 1946 le tirage de "Spartacus" hebdomadaire était tombé à 4.000 exemplaires.

[19] Décision de la conférence des 21-22 juillet 1945, où étaient présents 21 militants des "Kerne" de Leiden, Amsterdam, Rotterdam, Hilversum-Bussum. Cf "Uit eigen Kring" (UEK) n°2, août 1945.

[20] Décision de la conférence des 21-22 juillet 1945, où étaient présents 21 militants des "Kerne" de Leiden, Amsterdam, Rotterdam, Hilversum-Bussum. Cf "Uit eigen Kring" (UEK) n°2, août 1945.

[21] "Le noyau est autonome dans son propre cercle. Il décide de l'admission et de l'exclusion des membres. Le Comité exécutif central est d'abord consulté pour l'admission et l'exclusion des membres. Par ce point de statut, l'autonomie des noyaux restait limitée en théorie, d'autant plus qu était affir­mée la discipline organisative : "Les noyaux (noyaux principaux) sont tenus d'observer les décisions pri­ses par la Conférence du Bond et de diffuser les principes du Bond, tels que ceux-ci étaient et sont éta­blis aux conférences du Bond."

[22] "Uit eigen kring",  n°1, avril 1945.

[23] "Uit eigen kring", n°2 août 1945 : "La conférence se met d'accord de rejeter toute collaboration avec le CRM. Décision est prise de ne pas s'engager dans une discussion avec le CRM".

[24] "Uit eigen kring", n°4 août 1945, Projet d'adresse inaugurale "aux travailleurs manuels et intel­lectuels de tous les pays "

[25] La proposition d'établir un "Secrétariat d'informations" à Bruxelles venait de "Contre le courant" et de la Centrale du Communistenbond. La conférence donna son accord. Cf. "Vit eigen king"n°2, août 1945, point 8 de la résolution.

[26] Les Thèses,-qui étaient l'un des trois projets de thèses, parurent dans "Uit eiqen kring" n°8 décembre 1945, puis sous forme brochure en janvier 1946. Les deux autres projets, sans être rejetés étaient soumis à la discussion.

[27] Les Thèses ne furent remises en question qu'en 1951. Des projets d'amendements furent soumis à l'organisation par le groupe d'Amsterdam. Cf. "Uit eigen kring", 20 octobre 1951.

[28] En 1943,  Pannekoek lui-même, en dépit de son analyse de la révolution russe comme "bourgeoise" , mon­trait qu'Octobre 1917 a eu un effet positif sur la conscience de classe : "Puis, comme une étoile brillan­te dans un ciel sombre, la Révolution russe illumina toute la Terre. Partout les masses se remirent à es­pérer ; elles devinrent plus rétives aux ordres de leurs maîtres, car elles entendaient les appels venus de Russie : appels à mettre fin à la guerre, appels à la fraternité entre les travailleurs de tous les pays, appels à la Révolution mondiale contre le capitalisme." ("Les conseils ouvriers", p. 184, Balibaste)

[29] Cf. Bordiga, in "Parti et classe", 1921 (republié dans Le fil du temps, n°8, octobre 1971) : "Un parti vit quand vivent une doctrine et une méthode d'action. Un parti c'est une école de pensée politique et, par conséquent, une organisation de lutte. Tout d'abord, il y a un fait de conscience ; ensuite un fait de volonté, soit plus exactement une tendance vers une finalité."

[30] Cf "Spartacus, maandschrift vcor de revolutionaire-socialistische arbeidersbeweging",n°1 : "Het marxisme als méthode van onderzoek", article écrit par Van Albada, qui était astronome.

[31] Cf. "Les conseils ouvriers", p. 493, Bélibaste.

[32] Le PC internationaliste de Bordiga se concevait comme un parti "monolithique" où ne pouvait exister une "liberté de théorie". Les débats internes étaient rendus impossibles par le "centralisme organique" d'une direction concevant le marxisme comme une "conservation de la doctrine". Dans le Bond, existaient des débats internes, mais sans qu'il définisse dans ses statuts dans quel cadre ils devaient surgir.

[33] Cf . Bordiga, l’Unita n°172, 26 juillet 1925 : « …les chefs d’origine ouvrière ce sont révélés au moins aussi capable que les intellectuels d’opportunisme et de trahison en général, plus susceptibles d’être absorbés par les influences bourgeoises… Nous affirmons que l’ouvrier, dans la cellule, aura tendance à ne discuter que les questions particulières intéressant les travailleurs de son entreprise » .

[34] Un deuxième projet de thèses sur le parti abordait cette question. Il rejetait explicitement la con­ception que le parti prend et exerce le pouvoir. Cf ."Stellingen,taak en wezen van de Partij", thèse 9,in "Uit eigen kring",n°7, décembre 1945.

[35] La brochure était l'un des fondements programmatiques du Bond. Elle examinait la question du voir à travers l'évolution des sociétés de classe de l'Antiquité jusqu'à la société capitaliste.

[36] Les "Cinq thèses" de Pannékoek ont été republiées par "Informations et correspondance ouvrières" (ICO) dans le brochure : "La grève généralisée en France, mai-juin 1968", supplément à ICO, n°72.

[37] Uit eigen kring", n°7, décembre 1945 : "Stellingen over begrip en wezen van de parti j" (Thèses sur le concept et l'essence du parti). Ces Thèses forment le troisième projet soumis à la discussion et non accepta par le Congrès du Bond.

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