Revue Internationale n°157

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L'été 2016 a été marqué par des signes d’instabilité croissante et imprévisible à l'échelle mondiale, ce qui confirme que la classe capitaliste rencontre des difficultés croissantes pour se présenter comme le garant de l'ordre et du contrôle politique. Le coup d'État manqué en Turquie et la vague de répression qui s’est ensuivie, une place stratégique vital dans l'arène impérialiste mondiale ; le contrecoup du chaos au Moyen-Orient sous la forme d'attentats terroristes en Allemagne et en France ; les secousses politiques intenses provoquées par le résultat du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l'Union Européenne et les perspectives épouvantables qui se dessinent avec la candidature présidentielle de Trump aux États-Unis : tous ces phénomènes, pleins de dangers pour la classe dominante, ne sont pas moins menaçants pour la classe ouvrière et ils constituent un défi majeur pour les minorités révolutionnaires dans notre classe afin de développer une analyse cohérente capable de balayer le brouillard idéologique obscurcissant ces événements.

Il n’est pas possible, dans ce numéro de la Revue internationale, de couvrir tous les éléments de la situation mondiale. En ce qui concerne le coup d'État en Turquie, en particulier, nous voulons prendre le temps de discuter de ses implications et de travailler sur un cadre d’analyse clair. Pour le moment, nous avons l'intention de nous concentrer sur une série de questions qui nous semblent être encore plus urgentes à clarifier : les implications du "Brexit" et de la candidature Trump ; la situation nationale en Allemagne, en particulier les problèmes créés par la crise européenne des réfugiés; et le phénomène social commun à tous ces développements : la montée du populisme. 

Nous avons-nous-même pris du retard à reconnaître la signification du mouvement populiste. C'est pourquoi le texte sur le populisme présenté dans ce numéro est une contribution individuelle, écrite pour stimuler la réflexion et la discussion dans le CCI (et au-delà nous espérons). Il fait valoir que le populisme est le produit d'une impasse qui se trouve au cœur de la société ; même si l'État bourgeois produit des fractions et des partis qui tentent de chevaucher ce tigre, le résultat du référendum sur l'Union Européenne au Royaume-Uni et l'ascension de Trump dans le Parti républicain aux États-Unis démontrent que ce n'est pas une mince affaire et que cela peut même aggraver les difficultés politiques de la classe dirigeante 1.

Le but de cet article sur le Brexit et les élections présidentielles aux États-Unis est d'appliquer les idées du texte sur le populisme à une situation concrète. Il veut aussi corriger une idée présente dans plusieurs articles publiés sur notre site que le référendum sur le Brexit constituerait quelque chose comme un succès pour la démocratie français 2 ou que la montée du populisme aujourd'hui "renforce la démocratie" 3.

Nous publions également un article historique sur la question nationale, en se concentrant sur le cas de l'Irlande 4. Nous les avons choisis non seulement à cause du centenaire de l’insurrection de Dublin en 1916, mais parce que cet événement (et l'histoire ultérieure de l'Armée Républicaine Irlandaise) a été l'un des premiers signes clairs que la classe ouvrière ne pouvait plus faire alliance avec des mouvements nationalistes ou intégrer des revendications "nationales" dans son programme ; et parce qu'aujourd'hui, face à une nouvelle vague de nationalisme dans les centres du système capitaliste, la nécessité pour les révolutionnaires d'affirmer que la classe ouvrière n'a pas de patrie est plus urgente que jamais. Comme le pose le rapport sur la situation nationale allemande, surmonter les limites de la nation est le défi impressionnant posé au prolétariat face au capitalisme mondialisé et aux fausses alternatives du populisme : "Aujourd’hui, avec la mondialisation contemporaine, une tendance historique objective du capitalisme décadent atteint son plein développement : chaque grève, chaque acte de résistance économique des ouvriers quelque part dans le monde, se trouvent immédiatement confrontés à l’ensemble du capital mondial, toujours prêt à retirer la production et l'investissement et à produire ailleurs. Pour le moment, le prolétariat international a été tout à fait incapable de trouver une réponse adéquate, ou même d'entrevoir à quoi pourrait ressembler une telle réponse. Nous ne savons pas s’il réussira à le faire finalement. Mais il parait clair que le développement dans cette direction prendrait beaucoup plus de temps que la transition des syndicats à la grève de masse. D’un côté, la situation du prolétariat dans les vieux pays centraux du capitalisme – ceux, comme l’Allemagne, au "sommet" de la hiérarchie économique – devrait devenir beaucoup plus dramatique qu'elle ne l'est aujourd’hui. D’un autre côté, le pas requis par la réalité objective - lutte de classe internationale consciente, la "grève de masse internationale" - est beaucoup plus exigeant que le pas des syndicats à la grève de masse dans un pays. Car il oblige la classe ouvrière à remettre en question, non seulement le corporatisme et le localisme, mais aussi les principales divisions de la société de classes, souvent vieilles de plusieurs siècles voire même de plusieurs millénaires, comme la nationalité, la culture ethnique, la race, la religion, le sexe, etc. C'est un pas beaucoup plus profond et plus politique".

CCI, août 2016


1 Maîtriser l'analyse du populisme est un objectif que se donne le CCI, et non pas quelque chose que nous aurions déjà pleinement réalisé. À titre d'exemple, nous pouvons citer quelques-unes des formulations dans l'article de titre actuel sur notre site Web, "UE, Brexit, populisme: contre le nationalisme sous toutes ses formes". Bien que l'article dénonce correctement le poison idéologique propagé par les partis populistes et démagogues, certains passages donnent l'impression que le phénomène du populisme est identique à ses expressions politiques les plus évidentes, et est donc quelque chose de totalement contrôlé par l'État capitaliste dans ses attaques idéologiques contre la classe ouvrière.

4 Un second article n'a pu, faute de place, être publié dans cette revue. Il peut néanmoins être lu dans la Revue internationale sur notre site.