Contre l’irresponsabilité politique et la singerie petite-bourgeoise des tâches révolutionnaires pour un engagement militant

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Discussion

La pratique révolutionnaire exigera de ses protagonistes des réponses aux problèmes les plus importants que les hommes n’aient jamais été amenés à se poser : comment passer du monde de l’exploitation, du besoin et de l’aliénation, à celui de la liberté. Ce jour-là, peut être beaucoup de "déçus" et "d’impatients" d’aujourd’hui, commenceront à comprendre l’importance de tous les travaux théoriques, de toutes les tentatives d’éclaircissement que les révolutionnaires auront mené à bout au cours de leur combat vers la révolution.
Depuis près de cinquante ans, la faiblesse pratique du mouvement ouvrier s’est aussi manifestée dans celle de sa théorie... et pourtant, combien de problèmes nouveaux sont surgis, que de conclusions à tirer avec le nouveau recul de l’histoire...
Contre ceux qui se sont contentés de reprendre en bloc, comme un tout sacré et intouchable, certaines théories passées (trotskisme, "bolchevisme", par exemple) sans même se soucier des critiques qui leur étaient adressées par d’autres courants révolutionnaires dès l’époque de leur formulation ; sans même se poser la question de leur validité par crainte d’hérésie et besoin de sécurité lénifiante ; contre ces adorateurs stériles le mouvement révolutionnaire est forcé de repenser, d’approfondir, d’enrichir et d’affuter celle qui sera obligatoirement son arme principale : la vision claire des buts à atteindre et des moyens pour y parvenir, sa théorie révolutionnaire.
Aujourd’hui, ce travail conditionne la possibilité de formation de véritables organisations de révolutionnaires capables de mener à bien ses taches. Contrairement à ceux qui ne conçoivent le mot théorie que comme synonyme de spéculation et élucubration gratuite, ou bien de répétition systématique de quelque texte sacré, c’est dans un but essentiellement PRATIQUE que nous nous attaquons par l’analyse et la discussion à tous les problèmes théoriques que pose la lutte de classe.
C’est dans cette perspective que nous publierons le plus souvent possible des textes de discussion. C’est dans cette vision que nous publions ce texte d’un camarade de "l’Organisation Conseilliste de Clermont-Ferrand".
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En période révolutionnaire, quand le destin de millions et millions de prolétaires est en jeu, -et par là même celui de l’humanité toute entière-, toute parole, tout geste, tout acte, prennent immédiatement, à tout moment, une signification cruciale. Les communistes, orientant le mouvement vers son but au sein des organismes de la classe, doivent donner tout son contenu politique de classe à l’action née spontanément. Là, chaque explication, chaque mot d’ordre, se vérifient aussitôt dans la pratique : pour cela, les révolutionnaires, -les communistes-, doivent avoir une assurance de fer, des nerfs trempés dans l’acier pour développer clairement les objectifs socialistes contre l’opportunisme de droite, le marais centriste, et l’aventurisme. C’est par la lucidité soutenue par la passion révolutionnaire et non dominée par elle, que les éléments avancés concrétiseront leur union avec les masses, et contribueront à l’homogénéisation de la conscience de classe.

Quand l’État bourgeois est mis à nu mais qu’il dispose encore de toutes ses forces de répression et qu’il reste l’immense tâche de le détruire, quand l’heure est à la lutte armée et que le prolétariat s’est constitué en milices, les communistes doivent aider à faire tomber les masques de tous les démocrates petits-bourgeois à la menchevik, de tous ceux qui ne parlent qu’au nom de la démocratie formelle, de la liberté formelle.

Les communistes disent qu’il n’y a pas à choisir entre 36 solutions, c’est : guerre impérialiste ou guerre de classes, dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat. Il faut lutter pour l’unité du prolétariat contre tous ceux qui la placent à l’extérieur du prolétariat dans un "front unique", dans un "gouvernement" des organisations dites ouvrières comme les staliniens et consorts trotskystes. Au sein des conseils, les communistes se battront pour que "tout le pouvoir" soit à ces conseils orientés vers le socialisme, et non pas entre les mains de soi-disant représentants exécutifs coupés du mouvement réel des masses. Contre les séparations d’appareils, vestiges de l’idéologie bourgeoise, les communistes luttent pour l’autonomie du prolétariat. Le combat sera dur, âpre, farouche, sans pitié et pourtant les révolutionnaires éduqueront toujours le prolétariat dans la poursuite de ce combat jusqu’au bout; ils agiront toujours dans le sens de fortifier la conscience de classe ; comme disait Karl Liebknecht dans son dernier article intitulé "Malgré Tout", paru dans le "Rote Fahne" le jour même de sa mort :

"La révolution du prolétariat, qu’ils ont pensé noyer dans le sang, va se dresser devant eux, gigantesque ; son premier mot: à bas Ebert-Scheidemann-Noske, assassins d’ouvriers… Car Spartacus, c’est le feu et l’esprit, c’est l’âme et le cœur, c’est la volonté et l’action de la révolution prolétarienne. Et Spartacus, c’est encore toute la misère, et l’espoir de bonheur, toute la volonté de lutte du prolétariat conscient. Car Spartacus enfin, c’est le socialisme et la révolution mondiale."

Ainsi pour ces tâches gigantesques qui les attendent, les communistes doivent se préparer sans faiblir, s'efforcer d’acquérir le maximum de cohérence pendant les périodes de reflux des luttes.

Dans ces temps de contre-révolution où le prolétariat se scinde en de multiples ouvriers, individualisés, atomisés, écrasés, où règne l’idéologie bourgeoise, toute la conscience de classe doit être préservée et les révolutionnaires doivent s’employer à cette tâche.

Pour un communiste, le sérieux doit être constant, l’effort doit être régulier, Comment pourrait-il en être autrement face à un ouvrier qui travaille huit heures et plus par jour, qui subit des cadences infernales, qui doit arriver à l’heure pour pointer ? L’ouvrier qui subit l’exploitation capitaliste dans sa chair, comprend la préparation de la révolution comme quelque chose de long et de difficile : il sait que la lutte des classes n’est pas un dîner de gala ! Les communistes ne confondent pas préparation et révolution comme les petits-bourgeois. La préparation est hérissée de souffrances, d’échecs, de réflexions, de critiques : ce n’est pas une fête ! La fête c’est s’aménager un petit coin douillet au sein du capitalisme, c’est l’accepter et donc collaborer avec lui à l’abrutissement de millions d’ouvriers, c’est se satisfaire de la misère et de la survie qu’il nous accorde.

La révolution transforme peu à peu l’homme émietté en homme total : l’homme qui réalisera ses désirs au sein d’une collectivité réelle. Son processus est complexe : la première phase n’est pas non plus la fête, c’est là où la préparation trouve sa suite logique, où le prolétaire orienté par le communiste tend à prendre son destin en mains. Il y a là déjà bien sûr une immense libération mais la révolution prolétarienne étant avant tout une révolution consciente, il n’y a d’illusions à entretenir sur cette première victoire. Pendant ce passage du quantitatif au qualitatif, où l’ouvrier devient dialecticien, surgit sur la scène historique pour réaliser le socialisme, les éléments avancés doivent redoubler de travail à l’intérieur des conseils (comme nous l’avons un peu esquissé au début du texte). La deuxième phase : la fin des classes, sera une fête dans le sens où ce sera le temps démesuré des maîtres sans esclave .

Ainsi la préparation refuse le dilettantisme car celui-ci ne peut que renforcer les éléments de là contre-révolution. La préparation refuse l’éparpillement et l’activisme. Au contraire, par leur concentration et leur approfondissement de la théorie, les révolutionnaires sauvegardent les principes du communisme. Voir la nécessité de la théorie de manière constante, c’est comprendre le socialisme scientifique dans ses applications pratiques, c’est se préparer à assumer sa responsabilité historique c’est à dire à agir au plein sens du terme quand les conditions sont réunies, quand le prolétariat dans la rue réalise la théorie.

Les révolutionnaires ne font pas dogme de la théorie mais la conçoivent comme un dépassement au sein des plus grandes convulsions. Ils n’en sont pas les gardiens jaloux comme Kautsky, qui en deviennent les renégats en la figeant à la manière d’un absolu formel, idéaliste et donc inaccessible.

Pour toutes ces raisons, les communistes doivent remplir entièrement les plus petites tâches qu’ils se sont fixées. Leur engagement ne doit pas être simplement une formule creuse, que l’on répète de temps à autre pour fuir les tâches concrètes auxquelles il nous lie. Les communistes, se différencient en tout point des petits-bourgeois qui, selon le thermomètre, plus ou moins brûlant de leur révolte, mènent leur travail politique de manière irresponsable, qui selon le degré de leur impatience révolutionnaire, singent plus ou moins bien l’ensemble des tâches d’un militant sincère. Par leur lâcheté, leur faiblesse, leur fainéantise, dues au caractère de l’idéologie de la couche qu’ils représentent, ces éléments nuisent à la cohérence que cherche à atteindre une organisation révolutionnaire. Gorki a dépeint toutes leurs tares dans de nombreuses pages de ses romans et pièces de théâtre, mais quand justement ils veulent "s’engager" dans le mouvement révolutionnaire sans essayer de les corriger, -sans avoir même quelquefois le moindre soupçon de leur existence-, ces tares prennent des dimensions catastrophiques pour l’organisation, que la littérature seule ne peut pas rendre. Les vrais communistes -ceux que l’histoire "institutionnalisée" a appelé les communistes de gauche, ou Ultra-Gauche, ou Conseillistes- attachent une importance, extrême à la cohérence. Contre un Parti de Masse qui enrégimente la classe à coups de propagande tactique, ils mettent en avant la nécessité d’une organisation regroupant des éléments totalement conscients. Ils pensent que c’est la cohérence d’ensemble fondée sur une conscience commune dans les buts qui empêche de manière interne la formation de rapports hiérarchiques entre les révolutionnaires. En situation contre-révolutionnaire les structures de l’organisation subissent toutes les pressions physiques morales et idéologiques de la société de classes: aussi la cohérence qui en ressort sera pleine de rigueur et la conscience d’un militant reposera en partie sur sa volonté de lutter, de persévérer, d’apprendre sans cesse.

Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on songe aux épreuves qu’ont dut traverser les quelques groupes ouvriers communistes pour garder leur cohérence révolutionnaire pendant les 50 ans de contre-révolution stalinienne qui ont laminé le prolétariat ?

Mai 68 a marqué une importante reprise des luttes et la classe ouvrière internationale à présent (mineurs de Limbourg, des Asturies, de la Ruhr, ouvriers de Fiat et Pirelli ... et les chantiers navals de Gdansk, Gdynia, Sopot, des textiles de Lodz) recommence à ouvrir clairement la voie vers le communisme. Mais comme le dit si bien la formule, "ce n’est qu’un début” Cependant pas encore au niveau d’un combat ouvert et prolongé contre le capitalisme (ce qui est la thèse de tous les groupuscules qui ont la rage de la tactique et de la préparation militaire : de l’AJS aux maoïstes de la "Nouvelle Résistance Populaire" !), mais surtout en ce qui concerne la préparation théorique nécessaire pour orienter la spontanéité révolutionnaire qui va se révéler de plus en plus importante.

En conséquence de tout cela, une organisation révolutionnaire, -si elle entend mener à bien les tâches actuelles de préparation théorique qu’elle s’est fixées-, ne peut tolérer en aucun cas, l’introduction de mœurs petites-bourgeoises qui peuvent se camoufler en son sein sous une façade dite anti-autoritaire (en effet, le petit-bourgeois se refuse à reconnaître l’autorité et ses conséquences : hiérarchie, domination... comme un mal social et non un mal-en-soi, un mal "absolu": ainsi il se borne à la nier comme il veut nier l’État -sans chercher à comprendre d’où elle vient et surtout sans se rendre compte que par sa négation de cette réalité, il contribue en fait à renforcer cette même réalité). Ainsi si l’on commence à mal interpréter les sources de l’autorité, d’une part on fait des rêves sur une organisation toute simple où tout le monde se regarderait gentiment "en croquant la pomme", et donc on mutile consciemment chacun de sa volonté et de l’apport de ses capacités (ceci au profit d’élucubrations sur la "réalisation des désirs", sur la "transparence des rapports inter-personnels" ; comme si le refus de prendre des décisions tranchées et précises en vue d’intervenir n’était pas lui aussi une des formes de l’aliénation entretenue par la société capitaliste)- on mutile aussi en conséquence le développement réel de l’organisation pour atteindre la cohérence, qui est complexe, difficile, pleine de dépassements. (La cohérence n’est pas une planification de pensées immobiles, mais la centralisation de pensées vivantes); d’autre part on tend à nier que le communisme passe par la dictature du prolétariat puisque l’on veut immédiatement une société sans autorité. Comme dit Engels dans un texte de 1873 intitulé "De 1’Autorité" :

"Ont-ils jamais vu une révolution, ces messieurs ? Une révolution est certainement la chose la plus autoritaire qui existe, un acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l’autre partie à l’aide de baïonnettes, de fusils, de canons, moyens autoritaires s’il en fut... ainsi donc, de deux choses l’une : ou bien les adversaires de l’autorité ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils disent et en ce cas ils ne créent que la confusion, ou ils le savent, et dans ce cas, ils trahissent la cause du prolétariat. De toute façon, ils servent la Réaction”.

Ainsi ont fini les anarcho-syndicalistes en France, qui, ne posant pas le problème de l’autorité par rapport à la lutte de classe, contribuèrent à envoyer le prolétariat sur les charniers Européens en 1914 ; ainsi ont-ils fini en Espagne en devenant ministres de "la République" aux cotés des crapules libérales, réformistes et staliniens, c’est à dire de la bourgeoisie antifasciste.

L’organisation doit rompre avec toute forme d’idéalisme ou d’opportunisme, en remettant les illusions "anarchisantes" ou "démocratiques”, car c’est la facilité, la paresse, la médiocrité aux dépens d’une analyse matérialiste qui laisse justement la place au renforcement de l’autorité et non à son dépérissement -surtout si de plus les conditions matérielles ne sont pas entièrement mûres. Les communistes doivent sans relâche éduquer l’ensemble du prolétariat et donc s’éduquer eux-mêmes dans les moments les plus qualitatifs de la classe et non pas être de "nouveaux administrateurs" qui en fait gouvernent à la place du prolétariat pour que des Cronstadt et un "moyen âge" comme le stalinisme ne resurgisse pas en retardant la marche de l’histoire. Car comme dit Rosa Luxembourg dans son texte sur la révolution russe :

"Cette dictature doit être l’œuvre de la classe, et non pas d’une petite minorité qui dirige au nom de la classe, c’est à dire qu’elle doit être l’émanation fidèle et progressive de la participation active des masses, elle doit subir constamment leur influence directe, être soumise au contrôle de l’opinion publique dans son ensemble, émaner de l’éducation politique croissante des masses populaires".

Face aux tâches importantes et radicales que nous avons définies, tout ce qui peut favoriser ou maintenir le confusionnisme doit être écarté. Seul un engagement militant qui découle en fait d’une analyse matérialiste de la décadence du capitalisme et du rôle des révolutionnaires dans la lutte de classe, nous amène à rompre avec la débilité petite-bourgeoise qui a suivi Mai 68. Il ne s’agit pas de "tirer des plans sur la Comète" en ce qui concerne les structures et les divers modes d’intervention concrètes de l’organisation des révolutionnaires ; mais nous pouvons dès maintenant nous opposer définitivement, autant à ceux qui se placent d’un point de vue de "stricte commentateurs de luttes" (comme ICO), qu’aux divagations moralisantes de ceux qui ont abandonné l’analyse marxiste et ses implications concrètes (dictature du prolétariat en particulier) au profit des recettes magiques des révoltes sexuelles, de la critique de la vie quotidienne, des rapports "authentiques” dans l’organisation, etc... (de VLR aux divers résidus situationnistes).

La lutte des travailleurs des ports polonais de la Baltique était bien plus qu’une "grève sauvage" ou qu’une "révolte spontanée" ; elle montre que les travailleurs ont conscience que l’obstacle principal au développement de leurs aspirations est l’État bourgeois et ses organes de répression. Le premier objectif fut donc la tentative de commencer sa destruction : le plus haut moment de la lutte fut l’incendie du siège du Parti au son de l'internationale, chantée par des mil1iers de travailleurs.

L’engagement militant réside avant tout dans la compréhension du processus révolutionnaire. L’organisation des révolutionnaires devra être en mesure d’expliquer clairement et de contribuer à l'accomplissement de ce processus une fois enclenché. Concentrons-nous sur ces tâches !

L’humanité ne se pose que les problèmes qu’elle peut résoudre. Ainsi, pour le moment, tout le reste n’est que pipi de chat.
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(Texte rédigé en vue de contribuer à préciser certaines positions de l’Organisation Conseilliste de Clermont-Ferrand, et par suite comme apport à la discussion au sein du courant Ultra-Gauche.)

12 Avril 1971

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