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Révolution internationale n° 475 - mars avril 2019

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Le combat des Gilets Jaunes n’appartient pas à la lutte de classe du prolétariat !

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En apparence, la situation sociale semble agitée. Les “gilets jaunes” ne désarment pas après plus de quatre mois de mobilisation. Les syndicats multiplient les grèves locales et les journées d’action. Certains appellent même à une “convergence des luttes”.

Indéniablement, la colère est immense au sein de la population. L’aggravation de la pauvreté et le chômage, la morgue et l’opulence des dirigeants, la violence étatique qui réprime les contestataires, les menaces incessantes d’une crise économique mondiale qui devrait encore s’aggraver ne peuvent que provo­quer encore plus de grogne dans la population.

Pourtant, les expressions actuelles de cette colère légitime, notamment celle des “gilets jaunes”, n’inquiètent nullement la bourgeoisie. Bien au contraire, elle est parfaitement capable de les utiliser pour empêcher que resurgisse la lutte de classe du prolétariat

La bourgeoisie utilise le mouvement des gilets jaunes contre la classe ouvrière

Le mouvement des “gilets jaunes” est d’une incroyable longévité. Certains ronds-points sont occupés en continu depuis fin novembre ! C’est dire la détermination qui anime ces quelques milliers “d’irréductibles”. Pourtant, ce jusqu’au-boutisme désespéré ne fait pas trembler la bourgeoisie française. Au contraire, la classe dominante exploite ce mouvement interclassiste sans perspective pour à la fois entretenir les illusions sur la possibilité d’un capitalisme plus juste et plus humain, car prétendument plus démocratique, et renforcer l’arsenal répressif de son “État de droit”.

La bourgeoisie a exploité au mieux LA revendication centrale des “gilets jaunes”, celle du Référendum d’initiative citoyenne (RIC), en lançant son “Grand débat national”. Elle entretient ainsi les illusions sur son système et sa démocratie en mettant dans toutes les têtes une fausse alternative : participer au “Grand débat” ou organiser ses propres discussions entre “gilets jaunes”. “Nous, on a organisé un vrai grand débat des “gilets jaunes” dans la salle municipale qu’on nous a prêtée” se félicite, par exemple, l’un des “gilets jaunes” des ronds-points de l’Yonne. En réalité, ces discussions organisées par le gouvernement ou par les “gilets jaunes” (dans des salles municipales prêtées… par les maires), sont les deux faces de la même médaille : opposées en apparence, elles forment un tout. Tous ces “Grands débats”, quels qu’ils soient, se fondent sur le souhait d’une “véritable démocratie”, c’est-à-dire d’une plus grande écoute, d’une meilleure prise en compte de la parole du “peuple” par les institutions démocratiques. Or, ce système “démocratique” n’est qu’une mystification masquant que tous les gouvernements sont les gestionnaires du capital national, où une classe minoritaire exploite les prolétaires.

Une partie des “gilets jaunes” a conscience de la vacuité de ces pala­bres ; eux veulent imposer leurs revendications par la force. Les images du prestigieux restaurant Le Fouquet’s incendié lors de l’ “acte XVIII” ont ainsi fait le tour du monde. Le samedi 16 mars, quelques centaines de “black blocs” et “gilets jaunes” émeutiers ont d’abord tenté, sans succès, de prendre d’assaut l’Arc de triomphe, comme le 1er décembre, puis ont saccagé l’avenue des Champs-Élysées et les rues avoisinantes, principalement en brûlant des kiosques et en brisant des vitrines pour attaquer les symboles du capitalisme. “C’est pire que le 1er décembre. Mais Macron ne veut rien entendre ! Jusqu’où va-t-il falloir aller pour qu’on nous écoute ?” témoigne une manifestante, qui vient d’être gazée, à un journaliste de Libération. En une phrase, cette dame a résumé à la perfection la situation. Ces “gilets jaunes” veulent être “écoutés”. Mais ils ne savent pas comment être “reconnus” et “entendus” autrement qu’en détruisant et en sacca­geant : “Écoutez-nous, sinon on brûle tout !” pourrait être leur devise.

Ce mouvement est un mélange d’illusions démocratiques, de dé­sespoir absolu et de violence aveugle. Cette révolte du désespoir est donc également infestée par le nihilisme des “black blocs” qui prônent partout : “La France est une vitrine, moi un pavé”. À chaque manifestation, un tag revient d’ailleurs sur les murs : “Le peuple applaudit les casseurs”. Le “peuple” peut bien applaudir, ces actes de destruction ne sapent en rien les fondements du système, ils sont comme des piqûres d’insectes sur la peau d’un éléphant. Pire, ils permettent à la bourgeoisie et son gouvernement de légitimer le renforcement juridique et policier de son arsenal répressif à l’image de la “loi anti-casseurs” adoptée par le parlement.

Il est vrai que le 1er décembre, le chaos qui s’est répandu dans les rues de Paris a contraint Macron à distribuer quelques miettes (primes de fin d’année, etc.) pour faire croire qu’il avait entendu le “petit peuple” qui n’arrive plus à joindre les deux bouts, tout en restant déterminé à ne pas reculer sur une des proncipales revendications des “gilets jaunes” : le retour de l’Impôt sur la fortune (supprimé par le “Président des riches”).

Est-ce la preuve que seule la me­nace d’un Paris en flammes avec le slogan “On ne lâchera rien !” serait efficace ? Aucunement ! Début décembre, les images des forces de l’ordre incapables de neutraliser des centaines de casseurs dans les lieux les plus touristiques de la capitale ont fait le tour du monde. En réalité, il est apparu de plus en plus évident que le gouvernement Macron avait laissé faire les “black blocs”, quitte à laisser saccager les commerces de l’avenue des Champs-Élysées (ce sont les assurances qui payeront les réparations !).

Tout le monde s’attendait à ce que les “gilets jaunes” fassent un nouveau coup d’éclat lors de leur “Acte XVI” (à la date à laquelle devait prendre fin le “Grand débat”). Le mot d’ordre des leaders “radicaux” des “gilets jaunes” : “Marchons sur l’Élysée !”, avait en effet circulé sur tous les réseaux sociaux (Prescilla Ludovsky avait même réussi à passer à tra­vers les mailles du filet pour se rendre devant le Ministère de l’Intérieur, place Beauvau !). C’est donc ce qui s’est passé, le samedi 16 mars, où les Champs-Élysées ont servi de champs de bataille entre les CRS et les “gilets jaunes”, et de terrain de jeu aux bandes de casseurs professionnels, sans que les forces de répression aient complètement perdu la maîtrise de la situation (contrairement au 1er décembre). Si le gouvernement et son Ministre de l’Intérieur avaient voulu protéger la plus belle avenue du monde, ils auraient parfaitement pu déployer leurs cars de flics, leurs cordons de CRS et même les blindés de la gendarmerie pour bloquer tous les accès. Il faut être particulièrement naïf pour imaginer que le gouvernement a été complètement dépassé par une situation “inattendue” !

Si Macron et sa clique du gouvernement ont laissé faire, c’est d’abord pour obliger les autres partis électo­raux concurrents et “l’opinion publique” à resserrer les rangs autour de la défense de l’État républicain “menacé par le chaos” et les actes de destruction des casseurs déguisés en gilets jaunes ou en costume noir : la loi anti-casseurs ne devait plus être contestée. On a pu entendre Macron déclarer que “personne ne peut tolérer que la République soit attaquée au nom du droit de manifester”. Il fallait donc faire l’union nationale, contre le vandalisme avec “la plus grande fermeté”, et donc faire accepter à tout le “peuple” de France les mesures de renforcement de l’État policier contre tous ceux qui manifestent “illégalement” et veulent mettre “la République en danger”.

Face à la critique de l’incurie du gouvernement Macron à empêcher les émeutes et les pillages dans les beaux quartiers de Paris, la stratégie du gouvernement a été de trouver un bouc émissaire : le Préfet de Paris a servi de fusible !

L’hyper-médiatisation du mouvement des “gilets jaunes” depuis le mois de novembre a occupé tous les esprits. Depuis le début, ce mouvement fait la Une de l’actualité avec toutes sortes de débats politiques et autres polémiques entre les différentes cliques bourgeoises ; toutes sortes d’experts et autres spécialistes en “sociologie des mouvements sociaux” sont régulièrement invités sur les plateaux de télévision pour nous tenir en haleine sur l’issue de ce mouvement “inédit” et “original”. Une telle publicité pour les “gilets jaunes” permet d’amuser la galerie en faisant croire qu’il s’agit d’une forme moderne de la lutte de classe (alors qu’il s’agit d’une révolte désespérée et sans perspective de citoyens français en colère contre la politique de Macron !).

La bourgeoisie et son gouvernement tirent profit de la médiatisation à outrance de ce mouvement social pour semer la confusion au sein la classe ouvrière. En polarisant toute l’attention sur les actions spectaculaires des “gilets jaunes”, la classe dominante vise aussi à empêcher le prolétariat des grandes concentrations urbaines de se mobiliser sur son propre terrain de classe, de défendre ses propres intérêts de classe exploitée, et non pas d’être au coude à coude avec les petits patrons et les petits commerçants paupérisés par l’augmentation des taxes et qui réclament une plus grande “justice fiscale” en usant de méthodes qui ne sont absolument pas celles de la classe ouvrière.

Syndicats et gauchistes appellent à “l’unité populaire” avec les “gilets jaunes”

Les salariés, les chômeurs, les précaires, les retraités n’ont plus conscience d’appartenir à une classe sociale totalement distincte de la petite-bourgeoisie, une classe exploitée qui est la seule force de la société capable de remettre en question de fond en comble le système capital­iste. Aujourd’hui, le prolétariat a perdu son identité de classe et la mémoire de ses grandes luttes révolutionnaires du passé que les campagnes de la bourgeoisie ont cherché à gommer ou à dénaturer. Les mouvements sociaux actuels sont l’expression de cette très grande difficulté du prolétariat à s’affirmer sur la scène sociale : malgré la colère profonde et générale face aux attaques incessantes de la bourgeoisie contre toutes les conditions de vie des travailleurs exploités, de nombreux prolétaires se sont mis à la remorque du mouvement citoyen, nationaliste et interclassiste des “gilets jaunes”, revendiquant maintenant “la nécessaire amélioration des institutions” et “la probité des dirigeants”.

Dans ce contexte, les syndicats en profitent pour se remettre en selle en occupant, eux aussi, le terrain social et en entrainant un maximum de prolétaires derrière leurs banderoles.

Ainsi, depuis plusieurs mois, ces organes de l’État bourgeois, spécial­istes du sabotage des luttes, tentent de mobiliser la classe dans des journées de grèves sans lendemain et des manifestations bien encadrées où chaque secteur et chaque corporation sont scrupuleusement séparés les uns des autres. Le 28 mars, à Paris, les syndicats appelaient à pas moins de cinq rassemblements et mobilisations différentes, à des endroits et à des horaires différents. Dans les entreprises, là où les exploités n’en peuvent plus de la dégradation continuelle de leurs conditions de travail, là où le ras-le-bol est trop grand, les syndicats orchestrent des grèves isolées (donc impuissantes) et interminables afin d’épuiser la combativité des grévistes, les démoraliser et les amener à se dire que lutter ne sert à rien. Ce morcellement des luttes par entreprise et par corporation vise à saper toute unité de la classe ouvrière et ne fait qu’accroître le sentiment d’impuissance. Ainsi, par exemple, 150 postiers des Hauts-de-Seine, encadrés par Sud et la CGT, sont en grève depuis un an ! Tous seuls, dans leur coin, avec des revendications spécifiques à leur corporation.

Dans ce contexte, l’appel à la “convergence” entre le mouvement des “gilets jaunes” et les mobilisations syndicales ont pour but de noyer encore un peu plus la lutte de la classe ouvrière dans la révolte du “peuple”. Partout, on voit se multiplier des gilets de couleurs différentes, spécifique à chaque secteur ou corporation. Aux assisantes maternelles : le “gilet rose”, aux cégétistes : le “gilet rouge”, aux travailleurs indépendants des travaux publics : le “gilet orange”, aux enseignants (plus originaux) : le “stylo rouge” ! Non seulement, les syndicats divisent par secteur et par boîte, comme ils le font systématiquement depuis un siècle, mais, en plus, les ouvriers atomisés doivent maintenant se diluer dans le “peuple” et disparaître en tant que classe.

Les syndicats, CGT en tête, ont ainsi organisé un grand carnaval multicolore le 5 février dernier en appelant à une journée de “grève générale” contre la politique d’austérité de Macron et en appelant les “gilets jaunes” à faire converger leur lutte avec celle de tous les travailleurs et de tous les pauvres. Tous les cortèges de prolétaires en colère : ouvriers du secteur privé, de la fonction publique, retraites, chômeurs, étudiants, travailleurs immigrés… tous étaient bien encadrés pour défiler derrière les ballons et la sono de la CGT ! Cette manifestation balade a donné lieu, à Paris, à une véritable cacophonie où La Marseillaise et le drapeau tricolore des petits groupes de “gilets jaunes” faisaient écho à L’Internationale et aux drapeaux rouges ou noirs des trotskistes (du NPA et de LO) et des anarchistes (de la CNT) ! Pour couronner le tout, on a eu droit aux provocations policières des CRS matraquant sans vergogne des femmes et des retraités qui défilaient tranquillement vers la place de la Concorde où la manifestation a été rapidement dispersée par des jets de grenades lacrymogènes, sans que les diri­geants de la CGT n’émettent la moindre protestation ni pendant ni après cette journée de “grève générale” ! Faut-il croire que le parcours et la dispersion violente de cette manifestation ont été négociés entre la CGT et la Préfecture de police ?

Le spectre de la lutte de classe n’a pas disparu

“L’autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes de la société est la condition première de l’épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu’à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe” (Point 9 de la Plateforme du CCI).

La classe ouvrière est la classe révolutionnaire, elle seule porte une perspective pour toute l’humanité. Alors qu’aujourd’hui, elle éprouve de très grandes difficultés à imposer sa lutte en tant que classe autonome ayant des intérêts propres à défendre, plus que jamais il faut rappeler ce qu’écrivait Marx : “Il ne s’agit pas de savoir quel but tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se représente momentanément. Il s’agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu’il sera obligé historiquement de faire, conformément à cet être” (La Sainte Famille). Les journées insurrectionnelles de juin 1848 et la Commune de Paris en 1871, les lut­tes des années 1890 en Belgique, les combats révolutionnaires en Russie de 1905 et 1917 en Europe orientale, la révolution allemande de 1918, le mouvement prolétarien de Mai 1968 en France, de Pologne en 1980, etc., n’ont rien de commun avec le mouvement populaire, “radical” et jusqu’au-boutiste des “gilets jaunes”.

Si la classe ouvrière a momentanément perdu confiance dans ses potentialités révolutionnaires, à agir en tant que classe autonome, la bourgeoisie, elle, a parfaitement conscience que le prolétariat est le fossoyeur du capitalisme et qu’il n’a pas disparu. C’est pour cela que la classe dominante a tout intérêt à exploiter au maximum le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” contre la conscience du prolétariat. C’est pourquoi, depuis des mois, elle entretient la colère des “gilets jaunes” par des provocations policières et une répression destinée à mettre de l’huile sur le feu dans l’engrenage de la violence, tout en utilisant l’arme des syndicats pour saboter toute tentative des ouvriers de se mobiliser sur leur propre terrain de classe, avec leurs propres méthodes de lutte. La bourgeoisie fait tout pour que le prolétariat continue d’être amnésique. Elle fait tout pour gommer les antagonismes de classe en cherchant à diluer la classe ouvrière dans le “peuple”. Car elle sait que les attaques économiques toujours plus violentes contre les conditions de vie de la classe ouvrière risquent de faire resurgir la vraie lutte de classe !

 

Lio, 31 mars 2019

 

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Mouvement des "Gilets Jaunes"

Crise au Venezuela: ni Guaido, ni Maduro ! Les travailleurs ne doivent soutenir aucune des fractions de la bourgeoisie dans leur lutte pour le pouvoir !

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L’affrontement qui, depuis des années, oppose les fractions bourgeoises rivales de l’opposition et du chavisme au Venezuela a franchi un palier supplémentaire dès les premiers jours de 2019. Ceci dans le contexte d’un approfondissement sans précédent de la crise économique et sociale, dont le signe le plus évident est l’augmentation de la misère que vit une grande partie de la population, mais aussi dans le cadre d’un scénario où s’aiguise la rivalité entre les grandes puissances, rivalité dans laquelle la soi-disant “communauté internationale” joue également un rôle important, les uns en accordant ouvertement leur aide au régime de Nicolas Maduro, les autres en soutien à la proclamation de Juan Guaido comme président. Ce sont les États-Unis qui ont donné le ton, à travers leur reconnaissance de Guaido comme président du Venezuela, en déchaînant une stratégie plus appuyée et de grande ampleur pour écarter définitivement Nicolas Maduro du pouvoir. Cette menace n’exclue pas, comme l’ont avancé de hauts fonctionnaires et Donald Trump lui-même, une intervention militaire des États-Unis, utilisant comme alibi “l’aide humanitaire” à la population. Les réactions en soutien à Nicolas Maduro sont venues surtout de pays comme la Russie et la Chine, principaux alliés du chavisme. Nous ne pouvons pas exclure que les tensions impérialistes actuelles débouchent sur une guerre entre grandes puissances, chacune utilisant ses pions locaux (Maduro et Guaido) ; cependant, plus qu’une confrontation militaire directe entre les grandes puissances, le danger potentiel le plus important réside dans l’impasse que constituerait l’utilisation de la population en général et des travailleurs en particulier comme chair à canon dans une guerre entre gangs et au prix d’une encore plus grande effusion de sang. Les plus de 40 morts et la répression brutale (plus de 900 emprison­nements au cours des seules dernières semaines de janvier) ne représentent qu’un petit échantillon de cette réalité.

Avant cette escalade de la confrontation entre les fractions bourgeoises de droite et de gauche au Venezuela, qui va bien au-delà des frontières de ce pays, il est important et urgent d’appeler le prolétariat vénézuélien et mondial à comprendre le danger imminent d’un massacre dans ses rangs, à ne s’affilier à aucune des fractions du capital en présence, qu’elle vienne de l’intérieur comme de l’extérieur du pays, de se maintenir sur son terrain de classe et de rejeter cet engrenage infernal de chaos et de barbarie dans lequel s’enfonce la région, expression de la décomposition dans laquelle nous plonge le capitalisme. (1)

La carte Guaido : une stratégie “made in USA”

La mise sur le devant de la scène de Guaido ne surgit pas du néant ; sa propulsion soudaine dans l’arène politique a été minutieusement préparée par les États-Unis, avec l’appui des membres de l’opposition vénézué­lienne dans le pays comme celui des membres de la prétendue communauté internationale (le Groupe de Lima en Amérique latine, à l’exception du Mexique) qui soutiennent la stratégie des États-Unis contre le régime de Maduro. L’attitude agressive et déterminée des États-Unis contre Maduro s’appuie et s’est notablement renforcée avec le triomphe électoral de Jair Bolsonaro au Brésil (dans lequel les États-Unis eux-mêmes ont pris une grande part). Ce n’est pas par hasard si la première déclaration commune avec Mike Pompeo (secrétaire d’État américain) lors de la cérémonie d’investiture de Bolsonaro concernait “la lutte contre le socialisme” et le rétablissement de la “démocratie” au Venezuela. De cette manière, le Venezuela s’est retrouvé encerclé sur ses frontières les plus importantes, à l’Ouest par la Colombie (principale alliée des États-Unis en Amérique du Sud) et au Sud par le Brésil. Plusieurs pays de l’Union européenne ont fini aussi par reconnaître la légitimité de Guaido, tout en essayant de développer leur propre intervention impérialiste à travers le soi-disant “Groupe de Contact” qui tente d’affaiblir l’action américaine.

Cette réaction énergique des États-Unis et de ses alliés dans la région profite en toile de fond de la situation créée par l’émigration de nombreux Vénézuéliens fuyant la misère et la barbarie imposées par le régime bourgeois de gauche du chavisme et qui s’est poursuivie sous Maduro (qui, selon les chiffres de l’ONU, s’est traduite par la migration de plus de quatre millions de personnes). L’opposition vénézuélienne s’est lancée dans cette offensive contre Maduro (la même opposition qui, à cause des conflits d’intérêts et du poids de la décomposition dans ses rangs, avait ouvert la voie de l’accession au pouvoir de l’aventurier Chavez en 1999) en utilisant les manifestations de colère que cela a suscité dans les rangs des ouvriers et de la population en général qui n’ont pas la force d’affronter de manière cohérente à la fois le régime chaviste et les secteurs bourgeois d’opposition à cause de la division créée par l’affrontement politique entre les fractions du capitalisme. (2)

Les secteurs de l’opposition, affaiblis par les conflits d’intérêts en leur sein, prétendent maintenant se rassembler derrière la personne de Guaido dans une autre aventure qui obtient un appui dans la population à cause du désespoir occasionné par la faim et la misère. L’action de la majorité de la bourgeoisie régionale et mondiale qui se positionne aujourd’hui contre Maduro met en évidence l’hypocrisie des classes exploiteuses parlant maintenant de res­pect des droits de l’homme, après avoir chanté les louanges d’un Chavez “défenseur des pauvres” qui aurait réussi à sortir “de la misère et de leur invisibilité” des millions de pauvres au Venezuela et aurait réparti les bénéfices dans la population grâce au prix élevé du pétrole alors qu’en fait il consolidait les fondations de la barbarie qui sévit aujourd’hui, enrichissant la classe des dirigeants militaires et civils qui défendent actuellement leurs privilèges en mettant le pays à feu et à sang. (3)

De son côté, le régime chaviste s’est proclamé “socialiste” et “révolutionnaire” alors qu’il a, en réalité, imposé au Venezuela un brutal régime de capi­talisme d’État à outrance, du même style que les régimes dictatoriaux à Cuba, en Chine, en Corée du Nord ou les prétendus représentants du “socialisme arabe”. (4) Ce régime s’est proclamé en lutte contre le “néolibéralisme sauvage”, mais les effets de ce “socialisme” se sont révélés tout aussi dévastateurs pour la population : l’état d’extrême pauvreté touche 61,2 % de la population et 87 % des familles vivent avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté, plus de 10 % des enfants souffrent de dénutrition grave, entre cinq et six enfants sont morts, en moyenne, chaque semaine en 2017 pour cause de malnutrition ou de maladie, et, en 2017 et 2018, l’hyperinflation a dépassé 1 000 000 %, ce qui a pulvérisé les salaires. Non seulement la politique chaviste a éliminé pratiquement les conventions collectives mais en plus a instauré un régime de répression à l’intérieur des lieux de travail et des entreprises.

Ces modèles de gestion du capital comme celui du régime chaviste sont des régimes qui n’ont rien à voir avec le communisme pour lequel ont combattu Marx, Engels, Lénine, Rosa Luxemburg et tous ceux qui ont posé la nécessité d’en finir avec l’État bourgeois (que ce soit sous des gouvernements de droite ou de gauche) et avec les lois aveugles du mode de production capitaliste. Nous devons avoir présent à l’esprit que ni la gauche du capital ni les fractions de droite de la bourgeoisie ne peuvent trouver une issue à la crise du capitalisme dans cette phase de décomposition ; nous pouvons voir par exemple comment la droite en Argentine, après avoir supplanté les gouvernements de gauche des Kirchner, est désormais plongée dans une crise bien pire dont elle se décharge sur le dos des ouvriers. Il est en train de se passer la même chose avec le gouvernement de Bolsonaro au Brésil.

Le chavisme, et ses adorateurs gauchistes du monde entier, tout comme les différentes oppositions de centre ou de droite, ont hardiment essayé, en diffusant toutes sortes de mensonges et de confusions, de déformer l’héritage historique du marxisme et les leçons qu’ont laissées les luttes du mouvement ouvrier, quand ils ne cherchaient pas à l’effacer complètement, et cela aussi bien quand ils s’auto-proclament “marxistes” que quand ils identifient le “socialisme du XXIe siècle” au “communisme”. Tous ont essayé de maintenir leur domination de classe ; maintenant, c’est au tour de la droite ou du centre droit, en disant qu’il faut éradiquer le “communisme” en Amérique latine en l’identifiant au chavisme ou au castrisme.

Les grandes puissances attisent le chaos dans la région

Comme cela a déjà été évoqué, Guaido a été promu par les États-Unis qui cherchent à rétablir le contrôle le plus étroit sur son arrière-cour. La Chine, avec l’accroissement de son influence en Amérique latine et dans d’autres pays du monde au moyen notamment de son ambitieux programme appelé la “route de la soie”, prétend non seulement se tailler une part plus grande du marché mondial à sa portée mais encore aspire à une implantation stratégique impérialiste à l’échelle mondiale. À travers son extension sur le terrain économique, la Chine tente de tisser une toile impérialiste de dimension mondiale pour défaire le cordon sanitaire qui l’entoure depuis la période d’Obama aux États-Unis (Japon, Corée du Sud, Philippines, Inde, etc.). En ce sens, les alliances avec le Venezuela, l’Équateur, le Nicaragua, etc. revêtent beaucoup d’importance aux regard des ambitions impérialistes de la Chine. “L’opération Guaido” est une contre-attaque des États-Unis qui s’ajoute aux positions gagnées en Argentine et au Brésil et à la fidélité traditionnelle de l’alliance avec la Colombie.

Le premier pas de l’opération impérialiste des États-Unis est le déploiement d’une prétendue “aide humanitaire”. C’est le comble du cynisme et de l’hypocrisie que d’utiliser la faim, le manque de médicaments, la situation désespérée de millions de travailleurs et d’exploités au Venezuela pour mener la première phase de sa stratégie contre le régime de Maduro. Les camions qui apportent des aliments et des médicaments et qui sont stationnés sur le fameux pont aux petites boutiques dans la ville colombienne de Cucuta sont l’équivalent d’envois de missiles et d’avions porteurs de bombes. Avec eux, l’impérialisme américain tente de mettre dans une situation inconfortable son rival impérialiste chaviste : celle de rejeter la nourriture et les médicaments destinés à une population mourant de faim. Les deux protagonistes, américains comme chavistes, les partisans de Guaido comme ceux de Maduro, démontrent ainsi leur cynisme répugnant. Les premiers exploitent la faim parmi la population comme une arme de guerre, répétant la même opération déjà réalisée par Clinton en 1998-99 en Serbie où des tonnes d’aliments ont été balancées par des avions-porteurs pour affaiblir le régime adverse de Milosevic ou de la manœuvre similaire effectuée en Haïti en 2004. (5) Les seconds, avec Maduro à leur tête, rejetant l’aide démontrant ainsi ce qui est une évidence : ils se fichent complètement de la faim, du sort et des souffrances indicibles des populations.

Maduro va se cramponner le plus possible au pouvoir et, sans doute, la Chine et la Russie feront tout leur possible pour le soutenir. Jusqu’ici, l’armée et les forces de répression ont suivi en rangs serrés le chavisme. Ce qui est maintenant prévu, c’est d’affaiblir cette fidélité “inébranlable” de l’appareil militaro-policier envers Maduro. Pour mener à bien cette opération de déstabilisation, le danger d’affrontements armés se dessine à l’horizon. Étant donné la gravité des enjeux impérialistes et le degré élevé de décomposition idéologique, politique, économique et social qui s’est développé au Venezuela, il existe une réelle possibilité pour que la situation débouche même sur le déchaînement d’une guerre civile ou, du moins, dégénère en séries d’affrontements avec des bains de sang à répétition, ce qui provoquerait une spirale croissante de chaos et une multiplication de règlements de comptes en tout genre dans lesquels le pays comme toute la région peuvent finir par s’effondrer. La crainte de cette perspective est, par ailleurs, alimentée par les analyses de l’Observatoire vénézuélien de la Violence qui estime qu’il existe dans le pays huit millions d’armes à feu circulant illégalement. Il n’y a, en outre, pas de données précises sur le nombre d’armes entre les mains du crime organisé auquel il faut ajouter la menace du gouvernement chaviste de livrer 500 000 fusils à ses milices paramilitaires.

L’exode massif de la population vénézuélienne vers des pays de la région comme la Colombie, le Brésil, l’Argentine, le Chili, l’Équateur et le Pérou (avec des caravanes de marcheurs similaires à celles qui sillonnent les routes depuis le Honduras jusqu’aux États-Unis) constitue aussi un facteur de propagation du chaos. C’est un problème qu’il ne faut pas sous-estimer et auquel les bourgeoisies des pays les plus concernés répondent en lançant des campagnes ra­cistes et xénophobes conçues comme des barrières contre la propagation du chaos. (6)

Seul le prolétariat offre la perspective d’un futur pour l’humanité

La crise du capitalisme est imparable, elle se nourrit jour après jour des propres contradictions du système. Pour cette raison, la sortie de la crise que subissent les exploités jusque dans leur chair sera seulement possible par l’union des prolétaires du Venezuela, de toute la région et du monde entier. Dans la phase actuelle de décomposition du capitalisme, il n’y a aucun pays du monde qui ne soit pas menacé de souffrir de la barbarie qui affecte aujourd’hui la vie quotidienne au Venezuela. Ni les populistes de gauche et de droite, ni les défenseurs du néo-libéralisme ne représentent une issue.

Les ouvriers au Venezuela doivent rejeter tout enrôlement dans les rangs des fractions en lutte pour le pouvoir, en rejetant les chants de sirène de la bourgeoisie d’opposition appelant les masses exploitées à rejoindre sa lutte ; de la même façon, ils ne doivent pas tomber dans les filets des partis, groupes ou syndicats de gauche ni dans ceux des gauchistes qui s’opposent au régime, comme ceux qui se réclament d’un soi-disant “chavisme sans Chavez” qui prétendent implanter leur propre interprétation bourgeoise de gauche d’un régime d’exploitation tout à fait semblable à celui de Maduro.

Nous avons vu qu’au Venezuela, il y a eu un grand nombre de protestations sous le régime chaviste. Pour la seule année 2018, 5 000 manifestations ont été comptabilisées (c’est-à-dire une moyenne de trente manifestations par jour), la majorité d’entre elles pour exiger des droits sociaux élémentaires comme de la nourriture, de l’eau, des services sociaux et de meilleurs salaires. Il faut signaler en particulier au cours de ces dernières années, les luttes des médecins et des infirmières qui ont non seulement osé défier les forces de répression de l’État, mais ont aussi montré une solidarité très typique d’une réaction de classe, en identifiant leurs intérêts avec ceux de leurs patients qui n’ont ni médicaments ni possibilité de soins et appe­lant à l’unité de leur lutte avec d’autres secteurs comme les enseignants et l’éducation. Cependant, ces luttes n’ont pas été épargnées par la pénétration des organisations syndicales et corporatistes afin de les contrôler et de les saboter, même s’il faut souligner le fait qu’il y avait une tendance à rejeter aussi bien le chavisme que les forces d’opposition pour tenter d’être plus autonomes dans leurs luttes. Les ouvriers doivent poursuivre leurs lut­tes contre le régime d’exploitation de la bourgeoisie sur leur propre terrain de classe. Dans ce combat, les ouvriers doivent essayer d’entraîner derrière eux les autres couches non exploiteuses de la société ; le prolétariat est la seule classe qui a la capacité de transformer l’indignation sociale en vrai programme politique de transformation sociale.

Les organisations révolutionnaires qui se réclament de la Gauche communiste, comme les minorités les plus politisées du Venezuela, de la région comme du monde entier doivent appeler au développement d’un mouvement sur les bases prolétariennes de la solidarité et de la lutte avec les masses exploitées comme celle du Venezuela dans n’importe quelle partie du globe. Le prolétariat mondial a une réponse à apporter face à cette perspective d’enfoncement dans la barbarie ; pour cela, il doit défendre bec et ongles son autonomie de classe, ce qui suppose le rejet de toutes les bandes bourgeoises rivales et l’affirmation de ses propres revendications en tant que classe ; la lutte pour l’unité de tous les ouvriers doit se construire autour du cri de ralliement : “D’ici ou d’ailleurs, partout, la même classe ouvrière !”

CCI, 12 février 2019

 

1) Pour comprendre, en profondeur et dans sa dimension historique, la notion de “décomposition du capitalisme”, lire nos “Thèses : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste”, Revue internationale n° 107 (4e trimestre 2001),

2) Voir notre article “Crise au Venezuela : Le prolétariat exposé à la misère, au chaos et à la répression capitaliste”

3) Voir notre article lors de la mort de Chavez en mars 2013 : “Le legs de Chavez à la bourgeoisie : un programme de défense du capital, une grande mystification pour les masses appauvries”.

4) Nous avons dénoncé à de nombreuses reprises le “grand mensonge” du XXe siècle, à savoir le prétendu “communisme” des pays comme l’URSS, la Chine, Cuba, la Corée du Nord, etc. Voir en particulier notre article repris d’Internationalisme, organe de la Gauche communiste de France (1946) et publié dans la Revue Internationale n° 131 (4e trimestre 2007) : “L’expérience russe : propriété privée et propriété collective”. On peut aussi renvoyer à notre article en espagnol : “Cinq questions sur le communisme”, et aussi en espagnol : “20 ans après la chute du stalinisme, l’URSS était-elle un capitalisme d’État ou un “État ouvrier dégénéré” ?”.

5) Voir notamment l’article : “Derrière les opérations “humanitaires”, les grandes puissances font la guerre”, Revue internationale n° 71, (4e trimestre 1992), et l’article en espagnol : “Haïti : Derrière l’aide humanitaire, l’hypocrisie bourgeoise et l’affrontement impérialiste”.

6) Lire notre article : “Migrations en Amérique latine : seul le prolétariat peut arrêter la barbarie du capitalisme en décomposition”, Révolution Internationale n° 474, (janvier-février 2019).

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Vie de la bourgeoisie

Rassemblement National: le prolétariat doit rejeter les propos xénophobes et dénoncer les mensonges

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Dans son meeting du 24 février 2019, dans le nord de la France, la dirigeante du Rassemblement National a tenu des propos ignobles et mensongers sur le sort des migrants en France. Avec un aplomb sidérant, Marine Le Pen a prétendu qu’ “un migrant fraîchement débarqué peut toucher plus qu’un retraité ayant travaillé toute sa vie” ! Cette répugnante contrevérité accompagne l’idée que les migrants qui demandent aujourd’hui l’asile bénéficient non seulement d’une couverture de santé, comme la PUMA (Protection Universelle Maladie qui remplace depuis 2016 l’ancienne CMU de base), mais ont en plus des logements et transports gratuits. Ils cumuleraient, de surcroît, une “scandaleuse” et “gracieuse” allocation de survie.

Ces propos outranciers et nauséabonds, dont Jean-Marie Le Pen père n’aurait pas à rougir, ont été soigneusement démentis, chiffres à l’appui, par bon nombre de quotidiens qui ont aussi profité de cette “fake news” pour redorer l’image fortement ternie des médias. Il est évidemment complètement faux de prétendre que les migrants peuvent bénéficier de minima sociaux supérieurs à ceux des retraités les plus modestes. Comme le soulignent les “décodeurs” du journal Le Monde, les migrants ne constituent nullement une caste de “privilégiés” aux nombreux “avantages” (dont celui prétendu de l’Allocation de demandeurs d’Asile ou ADA). (1) Les montants des retraites les plus misérables représentent au moins le double de ce que peuvent espérer les migrants les mieux lotis.

Nul besoin de ces chiffres ou de “décodeurs” pour se rendre compte de la réalité misérable des migrants ! Madame Le Pen et sa clique de politiciens devraient se rendre une fois dans leur vie dans les quartiers pauvres de Paris ou à proximité de Calais pour mesurer l’absurdité insondable de propos dont le contenu ne va pas plus loin que le bout du nez de la pré-campagne électorale. Ils feraient bien de se rendre, par exemple, Porte de la Chapelle pour contempler le luxe des nombreuses tentes-igloos installées sous l’autoroute A1, ou Porte de Clignancourt, où, l’hiver, les migrants dormaient à même le sol en grelottant ! Les hébergements étant saturés, de nombreuses familles dorment dans la rue, parquées dans des conditions moins dignes que celles du bétail entassé en batterie. Mais elles doivent en plus endurer une répression policière quasi-quotidienne. Car, afin de “dissuader les installations” de fortunes, les flics s’appliquent à “déloger” ces pauvres gens, épuisés et sans ressources, en détruisant le peu qu’ils possèdent. Quel privilège pour ces misérables !

La réalité “décomplexée” de la politique migratoire des États démocratiques consiste, en effet, à utiliser ouvertement la maltraitance à des fins de “dissuasion”. À Calais déjà, du temps de la “jungle”, au nom du “ras-le-bol des riverains”, les politiciens applaudissaient des deux mains les brutalités des forces de l’ordre pour détruire les campements et chasser violemment les migrants. Plusieurs témoignages d’ONG et de migrants dénonçaient l’usage répété de “sprays au poivre” par les policiers, les gazages de nuit et le vol organisé des couvertures, des sacs de couchage, de chaussures, etc. Comme le souligne Démika N. (15 ans) à propos des gazages de nuit par les flics : “Vous ne voyez plus rien, vous ne vous rappelez plus de rien. Vous avez le sentiment qu’il vaudrait peut-être mieux vous tuer” (Témoignage recueilli par France Terre d’Asile).

Outre que l’attaque répugnante du Rassemblement National s’en prend ouvertement au “droit” d’asile (déjà ultra sélectif), les propos de Marine Le Pen constituent une sorte de clin d’œil à la composante populiste franchouillarde des “gilets jaunes”, pour les attirer vers les urnes et les encourager à voter aux élections européennes pour son parti politique au patronyme relooké. Profitant des relents xénophobes qui ont droit de cité dans le mouvement des “gilets jaunes”, le Rassemblement National espère au moins être au diapason de ceux qui avaient dénoncé aux autorités les migrants clandestins cachés dans un camion-citerne. (2)

En fin de compte, tout le discours nauséabond de Marine Le Pen s’inscrit dans les pratiques abjectes de l’État démocratique face aux migrants fuyant, toujours plus nombreux, la misère et la guerre : diviser la population, construire des murs, dresser des barbelés et réprimer brutalement. En multipliant les opérations de police et en bunkérisant les frontières, les migrants n’ont plus d’autre choix que de prendre de grands risques, notamment celui de couler à pic dans les eaux de la Méditerranée, pour rejoindre un illusoire Eldorado où ils seront parqués dans de nouveaux “camps de la honte”, réduits à la misère extrême et à l’exclusion.

Face aux calomnies que la bourgeoisie déverse sur tous ceux qui fuient la barbarie du capitalisme vers les supposées contrées dorées d’Occident, les ouvriers du monde entier doivent riposter et appeler à la solidarité de tous les exploités.

WH, 1er mars 2019

 

1) Pour prendre ce seul exemple, la majorité des migrants ne touche pas l’ADA, bon nombre en sont exclus. Même lorsqu’elle est versée, c’est-à-dire au compte goutte, cette aide est, selon Le Monde, “de 6,80 € par jour pour une personne seule, auxquels peuvent s’ajouter 7,40 € si aucune place d’hébergement ne lui a été proposée. Soit 440 € maximum par mois. En 2016, on dénombrait 76 100 bénéficiaires de cette aide, pour un coût total de 307,9 millions d’euros pour les finances publiques. À titre de comparaison, les huit principaux minima sociaux français représentaient environ 25 milliards d’euros la même année”.

2) Voir le supplément à Révolution Internationale n° 473 sur le mouvement des “gilets jaunes”.

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Populisme

Prise de position dans le camp révolutionnaire : Gilets jaunes : La nécessité de “réarmer le prolétariat”

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Nous publions ci-dessous un tract (signé “Fil Rouge”) sur le mouvement des “gilets jaunes”. Rédigé par des camarades issus de la tradition dite “bordiguiste”, ce tract représente une des rares voix de classe qui s’est manifestée au sujet des “gilets jaunes”. Ce mouvement, en dépit de la sympathie qu’il a pu susciter dans la population, reste extrêmement dangereux pour la conscience de classe du prolétariat. Sans lien avec la pratique héritée du mouvement ouvrier, exprimant des idéologies étrangères au prolétariat, nous l’avions dès le départ qualifié de mouvement “interclassiste”. Un certain nombre de prolétaires, parmi les plus fragilisés et marginalisés, ont en effet été entraînés dans le sillage de la révolte de petits patrons indépendants et autres couches petites bourgeoises. Le contenu du tract, à juste titre, fait mention de cette réalité. Bien que nous ne partagions pas tous les points d’analyse du tract (par exemples les notions d’indifferentisme et de classe moyenne, idées que nous critiquons et dont nous sommes prêts à débattre ultérieurement), nous le soutenons pleinement pour le diagnostic politique qu’il établit sur la nature de ce mouvement et pour l’orientation qu’il est capable de donner, celle de la nécessaire autonomie du prolétariat. Comme le disent les camarades, “la tâche des marxistes est donc de réarmer le prolétariat de sa doctrine et préparer la mort historique du capitalisme, réfutant dans le même temps toute l’idéologie des classes moyennes”. Le tract souligne que “notre bataille est celle d’une classe qui s’affronte au capitalisme mondial, à un complexe industriel qui parcourt la planète et met en relation les salariés du monde entier. Ce défi ne peut être affronté que par l’internationalisme et certainement pas par le localisme”. Ceci s’inscrit dans une démarche qui est celle de la tradition de la Gauche communiste, tant par le rejet de l’interclassisme que par la défense de l’autonomie de classe.

RI, 15 février 2018

 

Gilets jaunes : ni participation, ni indifférence

Les récentes mobilisations des gilets jaunes rendent vi­sibles à la fois un processus de crise et une modification de l’équilibre social et constituent un exemple de l’érosion des “classes moyennes”. C’est un processus international produit de l’impérialisme et de la crise qui traverse le système ca­pitaliste, basé sur les monopoles et la concurrence, et qui présente en France des caractéristiques particulières dues au “retard” historique du capitalisme français.

Dans les nations où la “révolution industrielle” s’est effectuée plus rapidement, comme l’Angleterre et l’Allemagne, le poids politique des classes moyennes a été bien plus marginal. En France, au contraire, ce sont la paysannerie, les artisans et la petite bourgeoisie qui furent les représen­tants sociaux des classes dirigeantes. De Napoléon jusqu’à nos jours, le pouvoir s’est appuyé sur ces couches sociales pour garantir sa stabilité basée sur le monde agricole et sur un réseau dense de villes de petite et moyenne dimension. Cette situation, ainsi que certaines conditions particulières du colonialisme français, expliquent pourquoi les principales métropoles se sont développées à la périphérie du pays. Le développement de métro­poles à l’intérieur aurait détruit les équilibres de cette “France profonde”.

Sous la pression énorme de l’internationalisation de l’industrie et des flux financiers, ce bloc de classes se lézarde et finira par sauter. Les attaques du gouvernement Macron contre ces classes moyennes (en terme électoral, il se tire une balle dans le pied et avantage indirectement le Rassemblement National) est révélateur du processus de prolétarisation des classes moyennes pendant les périodes de turbulence économique du capitalisme.

D’un côté, le prolétariat, à travers l’automatisation de la production, le poids toujours plus grand de la finance, et par conséquent, l’augmentation du chômage, les coupes dans les budgets de la santé, de l’école et des services en général, se voit de plus en plus coupé du capital et de son État, d’un autre côté les classes moyennes doivent absorber le plat indigeste qui a suivi le banquet des soi-disant “Trente Glorieuses”. Et ce n’est pas un hasard si en Europe plusieurs gouvernements pensent réintroduire la conscription pour rétablir un lien entre eux et les citoyens en général et pour affronter les conflits internes et externes qui ne peuvent que se multiplier avec la crise.

Face à cette situation, les classes moyennes qui ont d’abord manifesté contre l’augmentation du prix des carburants en sont venues à la bataille contre la fiscalité et les taxes en général, tout en demandant à l’État français un renforcement du protectionnisme (contre les marchés internationaux). Un programme qui en France est réclamé aussi bien dans l’extrême-droite que dans l’extrême-gauche parlementaire.

La radicalité et la violence des manifestations (même si elles sont exagérées par les médias dans ce cas, notamment quand on fait la comparaison avec le nombre de manifestants comptabilisés lors du mouvement contre la Loi travail) sont des phénomènes endémiques des classes moyennes qui, lorsqu’elles sont attaquées, réagissent de manière schizophrénique, ne pouvant adopter un programme historique propre, et oscillant entre le parti de la bourgeoisie et celui du prolétariat.

Ce n’est pas un hasard si les mots d’ordre avancés sont anti-partis et anti-syndicats. Les bourgeois conséquents se servent eux de la politique (les partis) et utilisent les syndicats comme structure d’intégration de la classe salariée.

Il y a, inévitablement, au sein de ces mouvements “populaires”, des fractions du prolétariat, qui ne sont pas toutes liées à l’aristocratie ouvrière, poussées par les événements à participer à ces manifestations. La question des taxes sur les carburants, du coût des déplacements, sont des questions sociales qui se posent de manière transversale. Le poids politique du prolétariat dans ces mouvements est cependant dérisoire car la demande de défense des “privilèges” du passé est antagoniste avec sa nature qui, en tant que dernière des classes exploitées, a un programme historique d’abolition du système lui-même.

L’accusation récurrente faite aux révolutionnaires, à ceux qui défendent le programme communiste, est celle d’être des doctrinaires schématiques et donc d’être incapables de voir la diversité de la réalité, s’obstinant à séparer en deux, à la serpe, la société : d’un côté la bourgeoisie, de l’autre le prolétariat. A l’inverse, les démocrates rejettent les schémas dogmatiques de l’ “archéo-marxisme”, prétendant analyser la société suivant ses expressions multiformes et leur attribuer une valeur démocratique sinon de… progrès. Au sommet, se situeraient les grands propriétaires fonciers et les industriels les plus réactionnaires, partisans d’une réaction pré-bourgeoise. En dessous, la grande bourgeoisie industrielle et financière, conservatrice mais pas réactionnaire. En continuant à descendre l’échelle, on arrive aux classes moyennes qui, écrasées par les classes mentionnées précédemment, réclament la démocratie la plus large. Enfin, au plus bas étage, on trouve le prolétariat qui devrait s’allier, soit à la bourgeoisie en cas de danger ’d’involution autoritaire’, soit avec les classes moyennes lorsque des conquêtes démocratiques sont à réaliser, mais en ne lui reconnaissant jamais des buts propres en opposition à ceux de tout le corps social. Nous nous gardons bien de repousser l’accusation de schématisme doctrinaire, bien au contraire nous le revendiquons. Nous sommes schématiques en tant que nous nions aussi bien aux résidus de la classe des propriétaires fonciers ayant survécu à la révolution bourgeoise, qu’aux classes moyennes, la possibilité d’élaboration de buts historiques et d’un programme propre. Et nous le sommes en affirmant que le déve­loppement de la lutte de classe, et donc son issue historique seront déterminés par l’issue du choc entre bourgeoisie et prolétariat. Mais ceci n’empêche pas le parti prolétarien de reconnaître et d’analyser, à la lumière de la doctrine marxiste, l’existence d’autres classes que la bourgeoisie et le prolétariat, en particulier les classes moyennes, et d’élaborer un type d’actions tactiques à leur égard pour les attirer dans le camp de la lutte prolétarienne, sans pour autant concéder quoi que ce soit à leurs “exigences spécifiques” petites-bourgeoises. Et en se gardant tout au contraire du danger que leur idéologie hétéroclite ne s’instille au sein du parti prolétarien au risque de perdre sa physionomie de classe et l’empêcher de développer son rôle autonome. Car ce serait alors transférer ce rôle au grand capital qui est le représentant politique de ces classes moyennes.

La tâche des marxistes est donc de réarmer le prolétariat de sa doctrine et préparer la mort historique du capitalisme, réfutant dans le même temps toute l’idéologie des classes moyen­nes. La lutte ouverte et déclarée contre la mentalité et les préjugés petits-bourgeois ne veut absolument pas dire que nous donnons pour établi le fait que la petite bourgeoisie dans son ensemble se portera du côté du prolétariat, l’expérience historique nous ayant rendu plutôt pessimistes quant au choix que celle-ci effectuera lors du processus révolutionnaire. L’unique moyen pour attirer les classes moyen­nes petites bourgeoises du côté de la classe ouvrière est de combattre vaillamment leur idéologie et, sans attendre que notre propagande puisse avoir un large succès, expliquer que le capitalisme, inévitablement, les prolétarisera et qu’en conséquence, leur seule voie de salut est (non comme petits-bourgeois mais comme prolétaires de demain) d’appuyer la lutte pour l’émancipation du prolétariat, laquelle est aussi celle de l’espèce humaine. Ce qui caractérise principalement les classes moyennes, c’est leur indétermination, leur capacité à passer avec la plus grande facilité d’une position à son opposé. La très grande hétérogénéité de ces couches sociales les divise en trois parties du point de vue de leur destinée future : une partie disparaîtra sous le régime de production capitaliste lui-même ; une autre partie, du fait du caractère non homogène du développement capitaliste, survivra, au moins pour une certaine période, au sein du régime bourgeois ; une dernière se fondra dans la nouvelle organisation économique socialisée.

La défense du programme communiste se manifeste également dans le fait de refuser tout localisme, tout protectionnisme archaïque, de céder aux requêtes des classes moyennes et de l’aristocratie ouvrière qui, au nom de la défense des droits des travailleurs, face à la menace de la misère représentée par les travailleurs immigrés, demandent de manière plus ou moins voilée de nouvelles barrières. Notre bataille est celle d’une classe qui s’affronte au capitalisme mondial, à un complexe industriel qui parcourt la planète et met en relation les salariés du monde entier. Ce défi ne peut être affronté que par l’internationalisme et certainement pas par le localisme.

Face au mouvement actuel des gilets jaunes, nous ne sommes ni parti­cipants ni indifférents. La prolétarisation de nouvelles couches sociales est une loi du système capitaliste.

Cette prolétarisation ne doit pas pousser les communistes à défendre le “vieux monde” mais signifie au contraire saluer l’augmentation de l’armée prolétarienne dans sa lutte titanesque, bien qu’encore souterraine aujourd’hui, contre le monstre Capital. Ne pas accepter cette position, c’est succomber face à notre ennemi historique, le parti de la bourgeoisie, en donnant de la force, inconsciemment ou non, à de nouveaux mouvements réactionnaires de masse.

 

POUR L’AUTONOMIE PROLETARIENNE !

POUR LE PARTI DE CLASSE !

 

Le Fil Rouge

 

Vie du CCI: 

  • Correspondance avec d'autres groupes [7]

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [3]

Rubrique: 

Mouvement des "Gilets Jaunes"

Affaire Finkielkraut: un académicien au-dessus de tout soupçon ?

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L’agression verbale contre le “philosophe” Alain Finkielkraut par un groupe de “gilets jaunes” lors de la manifestation du 16 février à Paris a donné lieu à une levée de boucliers générale de toute la classe politique et à une gigantesque campagne d’union nationale contre l’ignominie de l’antisémitisme.

Même Marine Le Pen (dont le père, fondateur du FN, avait affirmé que les chambres à gaz de la Shoah n’étaient qu’un “détail” de l’histoire !) a tenu à exprimer son soutien à Finkielkraut : “L’agression d’Alain Finkielkraut aujourd’hui est un acte détestable et choquant, qui illustre la tentative d’infiltration du mouvement des “gilets jaunes” par l’extrême-gauche (pourquoi pas l’extrême-droite alors, NDLR ?) antisémite”.

Alors que Finkielkraut lui-même déclarait sur LCI : “on ne m’a pas traité de sale juif. Et on ne m’a jamais traité de sale juif”, toute la classe politique, du RN au PCF, a néanmoins sauté sur l’événement pour surjouer l’indignation, exploiter l’incident en s’affichant en hérauts de la lutte contre l’antisémitisme et pour ériger Finkielkraut en martyr de la nouvelle “peste brune”.

Bien évidemment, personne ne peut ni soutenir ni “excuser” les propos répugnants de ces “gilets jaunes” pro-salafistes, qui ont permis de monter en épingle ce fait divers. “Barre-toi, sale sioniste de merde”, “Nous sommes le peuple”, “La France, elle est à nous”, “Rentre chez toi en Israël”, “Tu vas mourir”. Ces insultes ou menaces sont d’ailleurs de la même veine que les propos xénophobes proférés, au début du mouvement, par d’autres “gilets jaunes” qui avaient dénoncé à la gendarmerie des migrants clandestins cachés dans un camion-citerne : “c’est encore avec nos impôts qu’on va payer pour ces enculés !”.

Finkielkraut étant devenu une star nationale, il n’est pas inutile de rappeler son curriculum vitae politique. “Finkie” fait partie de ces anciens gauchistes soixante-huitards (principalement des maoïstes) qui ont retourné leur veste pour s’intégrer dans la société capitaliste comme idéologues patentés au service de la classe dominante. Au palmarès de cette intelligentsia qui a fait ses choux gras des décombres du mouvement de Mai 68, on trouve Daniel Cohn-Bendit (devenu président des “Verts” au Parlement européen), Bernard Kouchner (ex-ministre “socialiste”, puis du gouvernement Fillon), Serge July (grand patron de la médiasphère, dont le journal Libération était financé par le banquier Édouard de Rothschild) et la brochette des “nouveaux philosophes” : André Glucksmann (devenu un “fan” de Nicolas Sarkozy), BHL (dandy en chemise blanche des plateaux TV), Alain Finkielkraut (pédant candidat à l’Académie française)… Ces arrivistes, anciens adeptes du Petit Livre rouge de Mao, se sont reconvertis en défenseurs zélés de l’ordre capitaliste, d’abord en faisant leurs classes comme supporters du PS et de Mitterrand, puis en penchant vers la droite néolibérale avant d’apporter leurs voix à Émmanuel Macron aux dernières présidentielles. Dans une interview en juillet-août 1988, Finkielkraut expliquait dans Passages :

“J’avais l’impression que le fait d’être juif faisait de moi le porte-parole naturel des opprimés : les Black Panthers aux États-Unis, les peuples colonisés. Je croyais qu’il y avait a priori une sorte de fraternité des victimes de l’histoire. 
– Je suppose que vous vous sentiez solidaire des Palestiniens ? 
– Non, jamais
”... No comment !

Parmi les ex-gauchistes de Mai 68, seul Guy Hocquenghem avait pu garder un minimum de dignité, comme en témoigne son pamphlet : Lettre ouverte à ceux qui sont passé du col Mao au Rotary. C’est en ces termes cinglants que Hocquenghem s’adressait en 1986, deux ans avant sa mort, à ses anciens camarades renégats : “Cher ex-contestataires, le retour de la droite ne vous rendra pas votre jeunesse. Mais c’est bien la gauche au pouvoir qui vous l’a fait perdre. Définitivement. Ce fut sous Mitterrand que vous vous êtes “normalisés” ; et sous Fabius que vous avez viré votre cuti. Pour devenir les néo-bourgeois des années 1980, les maos-gauchos-contestos crachant sur leur passé ont profité de l’hypocrisie nationale que fut le pouvoir socialiste. Sous lui, ils s’installèrent dans tous les fromages. Plus que personne, ils s’en goinfrèrent. Deux reniements ainsi se sont alliés : celui des “ex” de Mai 68 devenus conseillers ministériels, patrons de choc ou nouveaux guerriers en chambre, et celui du socialisme passé plus à droite que la droite. Votre apostasie servit d’aiguillon à celle de la gauche officielle”.

Toute cette clique d’anciens soixante-huitards repentis (dont le fonds de commerce a consisté d’abord à dénoncer le marxisme comme étant l’idéologie totalitaire du stalinisme et à faire un parallèle plus que douteux entre le nazisme et le marxisme) se sont particulièrement distingués par leur soutien à toutes les croisades impérialistes du camp “démocratique” pro-américain.

Les “nouveaux philosophes” BHL, Glucksmann et Finkielkraut, après avoir fustigé dans leurs jeunes années l’ “impérialisme yankee” pendant la guerre du Vietnam, n’ont eu aucun scrupule à soutenir ce même impérialisme dans la guerre du Golfe en 1991, au nom d’un combat “humanitaire” contre le dictateur Saddam Hussein. Ainsi, Alain Finkielkraut avait-il affirmé être “exaspéré par le pacifisme” et qualifié l’intervention militaire de la coalition pro-américaine contre l’Irak de “guerre moralement juste”. Une guerre “moralement juste” avec ses frappes aériennes intensives, expérimentant les bombes à effets de souffle qui retournaient les soldats irakiens comme des gants ? Une guerre “moralement juste” qui a provoqué plus de 100 000 morts parmi les soldats irakiens et autant dans la population civile victime des “dommages collatéraux” de l’opération “Tempête du désert” commanditée par Georges Bush ? Les discours bellicistes de Finkielkraut en disent long sur la “morale” nauséabonde de ce “nouveau philosophe”, tout comme son engagement, aux côtés de son ami BHL dans le soutien sans faille à l’intervention militaire occidentale en ex-Yougoslavie (toujours au nom de la même “juste” cause : l’hypocrite croisade “humanitaire” contre les dictateurs sanguinaires). Déjà, lors de la guerre du Kippour en 1973, le va-t’en guerre Finkielkraut avait été l’un des premiers “intellectuels” à soutenir l’État impérialiste d’Israël.

Finkielkraut s’offusque d’avoir été traité de “raciste” par les “gilets jaunes” qui l’ont agressé. Faut-il rappeler cette déclaration qu’il avait faite, au lendemain des émeutes des banlieues de l’automne 2005 : “Le problème est que la plupart de ces jeunes sont des Noirs ou des Arabes avec une identité musulmane. Regardez ! En France il y a aussi des immigrés dont la situation est difficile (des Chinois, des Vietnamiens, des Portugais) et ils ne prennent pas part aux émeutes. C’est pourquoi il est clair que cette révolte a un caractère ethnique et religieux” (Interview au quotidien israélien Haaretz, retranscrite par le journal Le Monde).

Cette sortie de Finkielkraut se situe, en réalité, dans la droite ligne des discours “sécuritaires” (de sinistre mémoire) de l’ex-Premier flic de France, Nicolas Sarkozy :

“Dès demain, on va nettoyer au Karcher la cité. On y mettra les effectifs nécessaires et le temps qu’il faudra, mais ça sera nettoyé !” (19 juin 2005, dans la “cité des 4 000” à La Courneuve, après la mort d’un enfant de 11 ans tué lors d’une rixe entre deux bandes rivales) ;

“Vous en avez assez de cette bande de racaille ? Eh bien, on va vous en débarrasser !” (25 octobre 2005, lors d’une visite de Sarkozy dans le quartier de la dalle d’Argenteuil).

Ce sont ces propos musclés de Sarkozy (dont la candidature à la Présidentielle de 2007 a été soutenue par André Glucksmann, un des meilleurs “potes” de Finkielkraut) qui avaient contribué à déclencher les émeutes des banlieues, en novembre 2005 (après la mort à Clichy-sous-Bois [8] de deux adolescents, électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police [9]).

Il n’est guère surprenant que Finkielkraut ait bénéficié du plein soutien de Nicolas Sarkozy face à l’opposition farouche de certains “Immortels” qui voulaient le virer de l’Académie française, estimant que cet homme de lettres était décidément un peu trop “réac” pour briguer un siège à la Coupole : “Que l’on ait pu si violemment s’opposer à la candidature à l’Académie française d’un de nos plus brillants intellectuels (…) est à pleurer de bêtise”. (Sarkozy, cité dans l’hebdomadaire Le Point).

Parmi les autres bavures verbales de ce “brillant intellectuel” et éminent tribun de la droite, on peut encore signaler ce persiflage à propos de l’équipe de France de football : “Les gens disent que l’équipe nationale française est admirée par tous parce qu’elle est black-blanc-beur. En fait, l’équipe de France est aujourd’hui black-black-black, ce qui provoque des ricanements dans toute l’Europe”.

Finkielkraut est aujourd’hui la figure emblématique de la mobilisation contre l’antisémitisme. Ses protestations indignées face aux injures le qualifiant de “raciste” ne sont que la feuille de vigne derrière laquelle se cache l’islamophobie (à peine voilée) de ce “brillant intellectuel” érigé en héros national depuis son agression du 16 février. C’est bien pour cela que Marine Le Pen lui a témoigné également sa “solidarité”.

Pour paraphraser Marx (qui avait stigmatisé la Misère de la philosophie du socialiste bourgeois Proudhon), on est en droit de s’écrier : misère de la “nouvelle philosophie” !

Ces nouveaux “philosophes”, arrivistes et anciens maos défroqués, ne sont que les dignes maîtres à penser de la bourgeoisie décadente. Leur idéologie nationaliste, sioniste et militariste n’a pas grand-chose à envier ni au fanatisme réactionnaire des islamistes, ni à l’islamophobie des troupes de choc du Rassemblement National.

Marianne, 1er mars 2019

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Situation en France

Réfugiés de la guerre d’Espagne en 1939: l’hypocrite “asile démocratique” des camps d’internement

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Fin janvier 1939 avait lieu le premier grand exode de population en Europe occidentale, la retirada (la retraite) espagnole.

Un effroyable exode

Près d’un demi-million d’espagnols, en grande partie des civils (dont des femmes, des enfants et des vieillards) fuyaient vers la frontière des Pyrénées. Une véritable tragédie pour une population déjà martyrisée par la guerre civile. Dès 1936, une première vague de 15 000 réfugiés s’était dirigée vers Hendaye suite à la prise du Pays basque et des Asturies par les troupes franquistes insurgées. Au cours de l’année 1937, une deuxième vague de 120 000 civils quittait le territoire espagnol à la fin de la campagne du Nord pour échapper aux massacres et à la misère. Mais l’ultime épisode de l’hiver 1939, avec la prise de la Catalogne et la chute de Barcelone, a provoqué un départ forcé et massif vers un nouvel enfer. Nombreux sont les témoignages de souffrances et d’angoisses liées à l’exode : “On était tous des réfugiés”, raconte Henri Melich, évoquant les bombardements, la longue attente à la frontière, les fouilles. “Jusqu’à ce qu’on arrive, on ne savait pas où on allait”. “On est venus avec une charrette, il y avait trois familles dedans, moi j’avais 13 ans, je marchais à côté de mon père”.

Comme pour Henri Melich, “les réfugiés se pressent à la frontière pour échapper à la vindicte des vainqueurs. Ils arrivent souvent à pied, à travers la montagne, malgré les rigueurs de l’hiver. Après avoir patienté plusieurs jours avant d’être autorisés à entrer sur le territoire, les femmes et les enfants sont dirigés vers des régions éloignées des Pyrénées et les hommes de moins de 50 ans sont conduits vers des camps improvisés à la hâte sur les plages du Roussillon. Les familles sont dispersées sur tout le territoire. Une dernière vague de réfugiés quitte le sud-est de l’Espagne fin mars et gagne l’Algérie par bateaux”. (1)

Les autorités françaises contrôlaient militairement, avec une brutalité inouïe, les différents points de passage. Un travail systématique d’identification et de fichage policier était effectué au préalable ; les soldats espagnols de l’armée “républicaine” étaient désarmés. Le long de la frontière s’est effectué, de manière expéditive, un semblant de ravitaillement et de vaccinations. La fatigue, la faim, le froid… Les réfugiés n’étaient pourtant qu’au début de leur calvaire ! Ils allaient découvrir l’abomination des camps, l’ignoble réalité de l’État “démocratique” français, sous le gouvernement du “républicain” Daladier.

L’ “asile” des camps de concentration

Des camps de “recueils” comme à Amélie-les-Bains, Le Boulou, etc., ont reçu les premiers réfugiés hagards, épuisés, affamés et crevant de froid. Ils étaient également internés dans d’autres lieux “d’hébergement”, comme Rieucros (ouvert le 21 janvier 1939), officiellement qualifiés de “camps de concentration”. Le ministre Albert Sarraut affirmait ainsi à propos de ces camps d’ “accueil” : “le camp d’Argelès-sur-Mer ne sera pas un lieu pénitentiaire, mais un camp de concentration. Ce n’est pas la même chose”. (2)

Ces camps en France préfigurent l’univers concentrationnaire qui va se développer un peu partout en Europe durant et après la Seconde Guerre mondiale. En mars 1939 on comptait ainsi 90 000 réfugiés à Saint-Cyprien, 50 000 à Barcarès, 77 000 à Argelès, etc. Les nombreux camps de “concentration” du Roussillon s’organisaient ainsi : “trois côtés hérissés de barbelés, le quatrième ouvert sur la mer. Dans chaque camp, un endroit disciplinaire, avec un poteau auquel on attache les récalcitrants ; les motifs de châtiment sont variables : de l’accusation de faire de la politique au refus de saluer un gardien. Les conditions de vie sont déplorables : absence d’hygiène, malnutrition, promiscuité”. (3)

Les réfugiés étaient traités comme des “indésirables” et des “pestiférés”, particulièrement ceux suspectés de “troubler l’ordre public”, surtout les “révolutionnaires”. Des camps étaient spécialement aménagés pour les réfugiés politiques, comme celui de Septfonds, où ont été parqués de nombreux exilés se revendiquant communistes. Dans le camp du Vernet, ont été incarcérés des anarchistes (parmi lesquels les combattants de la colonne Durruti). Ces camps disciplinaires étaient de véritables horreurs. Arthur Koestler, par certains points, comparait le camp du Vernet à celui de Dachau en Allemagne. Il allait même jusqu’à affirmer que : “au point de vue de la nourriture, de l’installation et de l’hygiène, Le Vernet était en dessous d’un camp de concentration nazi”. (4)

Les premières semaines, après avoir franchi la frontière, tous les réfugiés étaient parqués derrière des barbelés qu’ils étaient forcés de dresser souvent eux-mêmes. On leur lançait du pain, il n’y avait pas de cantine. Ils n’avaient souvent rien à boire, excepté l’eau de mer. Sans abris, ils ont été obligés, comme à Argelès, de creuser des trous dans le sable dès le premier soir de leur arrivée sur le territoire français, pour pouvoir dormir et se protéger du froid. Parfois, leur lit de fortune devenait leur propre tombe. Très rapidement, leurs corps affaiblis étaient infestés de parasites et de maladies : aux punaises et à la gale, s’ajoutaient la tuberculose, la pneumonie, la dysenterie, la typhoïde, le paludisme, etc. Les secours sanitaires de la Croix-Rouge ont tardé à arriver. Selon l’historien B. Bennassar, entre 5 000 et 14 600 réfugiés espagnols seraient morts dans ces camps uniquement au cours des six premiers mois de l’exode ! La promiscuité, l’absence d’intimité et les humiliations étaient quotidiennes, tout comme les brimades et les punitions des gardes chiourmes de l’État français. La moindre révolte entraînait des représailles ignobles infligées par les militaires, les tirailleurs sénégalais ou les gendarmes. À Argelès, par exemple, les réfugiés récalcitrants étaient enfermés nus et on les empêchait de dormir la nuit. (5) Dans les camps à vocation disciplinaire, l’humiliation et les exactions étaient accompagnées d’une répression féroce contre les réfugiés suspectés d’être des militants de la classe ouvrière. Certains ont été enfermés dans des cellules insalubres et humides, comme au château de Collioure. Il n’était pas rare que des réfugiés politiques finissent par mourir sous les coups des sévices corporels et de la torture. Un rapporteur de la commission internationale d’aide aux enfants réfugiés décrivait le camp de Bois-Brûlé (dans le Loir-et-Cher) comme “l’un des pires” qu’il ait visités : “Environ 250 réfugiés étaient installés dans des baraques sales, dans lesquelles la température était proche de zéro (…) Le sol était maculé d’urine gelée”.

Carmen Martin, née Lazaro, venant de Saragosse, témoigne ainsi de son internement dans ce camp : “J’ai le souvenir qu’avec d’autres de nos compatriotes, nous avons été poussés dans des wagons à bestiaux. On a dit aux mères que nous allions nous diriger vers le camp de concentration du Bois-Brûlé. Dans ce train on nous vaccinait (avec des produits périmés !) et j’en ai été très malade. Nous avons donc attendu dans ce camp jusqu’en février 1940. Nous y avons souffert de froid car l’hiver fut très rude, et de malnutrition (un pain qui gelait dans la journée, pour sept personnes et une boîte de conserve contenant un bouillon chaud)”. Par ailleurs, bon nombre de réfugiés allaient être utilisés un peu partout comme main d’œuvre corvéable à merci, surexploitées, pour les besoins de l’économie de guerre de l’impérialisme français. Ce fut le cas, par exemple, dans les travaux agricoles au sud de la France ou dans les mines de charbon (notamment celles de Decazeville). Bon nombre furent par la suite enrôlés comme chair à canon dans la Résistance et dans l’armée française (notamment dans la Légion étrangère). (6) Les “échappés de l’enfer espagnol étaient transformés en soldats de l’impérialisme français”. (7) Tous ceux qui tentaient de revenir en Espagne ou étaient refoulés par les autorités françaises, risquaient de passer devant les pelotons d’exécution franquistes ! Parmi ceux qui sont restés en France, beaucoup ont été finalement déportés dans les camps nazis.

La mystification de l’Eldorado démocratique

La sinistre réalité des camps de réfugiés espagnols en France, longtemps passée sous silence et méconnue, a donné lieu à un discours officiel mensonger tendant à opposer “l’humanité” du Front populaire, sa “générosité” à celle de la “dureté” d’une “droite conservatrice” sous le gouvernement de Daladier (qui était pour sa part “radical-socialiste”). Ainsi, la tradition française du prétendu “droit d’asile” et les “valeurs républicaines” n’auraient été bafouées que par quelques “années noires”. Pur mensonge ! La réalité des conditions abominables de survie de ces masses de réfugiés vient contredire cette sinistre fable. Elle dévoile la parfaite continuité entre les mesures de répression policières et les discours xénophobes. Cela, bien avant le Front populaire ! La méfiance et les préjugés obscurantistes envers ces “étrangers” considérés comme du bétail, était bien ancrée dans la population de leur “terre d’accueil”. Mais surtout, il fallait faire la chasse aux “indésirables” soupçonnés d’être venus sur le territoire français comme “fauteurs de troubles”. Les militants ouvriers étaient considérés et traités comme de véritables criminels. En témoignent ces propos du ministre de l’Intérieur Roger Salengro, déjà en 1936 : “il m’est signalé que des réfugiés espagnols sur notre territoire se livreraient à une active propagande anarchiste. J’ai l’honneur de vous prier de vouloir suivre très attentivement ces menées dont les auteurs devront faire l’objet d’une surveillance étroite à l’égard desquels vous voudrez bien prendre ou me proposer telle mesure d’éloignement que vous jugerez utile (…) Je précise à ce sujet que tout refoulement de ressortissant espagnol jugé indésirable en France en raison de ses agissements révolutionnaires ne pourra s’effectuer que par le poste frontière de Cerbère”. (8) C’est dans la même veine que son successeur Albert Sarraut (ministre du second gouvernement de Léon Blum avant que ce dernier ne démissionne en avril 1938), s’est distingué par ses discours musclés et ses diatribes xénophobes. C’est en ces termes que ce ministre radical-socialiste, inspiré par la paranoïa d’État et la haine des “communistes” et des anarchistes, qualifiait les réfugiés politiques espagnols : “l’élément trouble et louche de l’exode espagnol”, les “hors la loi”, “ces déchets d’humanité qui ont perdu tout sens moral et qui constitueraient un très grave danger pour nous si nous les conservions sur notre sol”. Ce sont des “détritus”. “Les instructions les plus sévères ont été données aux préfets, à tous les services de police sur le territoire pour fouiller tous les milieux et resserrer aussi étroitement que possible les mailles de la surveillance sur tous les cénacles étrangers. Tous les jours nous cherchons, nous raflons, nous épurons ; nos prisons en savent quelque chose”. (9)

Un tel zèle montre qu’avant la mise en place des camps et la chasse aux militants réfugiés de 1939, il était déjà difficile de passer entre les mailles de la répression. La propagande bourgeoise a pu s’appuyer sur les horreurs bien réelles du franquisme pour tenter de minimiser et d’occulter la propre responsabilité et les propres crimes du “camp démocratique” avant et pendant la Guerre. C’est pour cela, entre autres, que le sort des réfugiés espagnols est longtemps passé sous silence au profit de l’hyper médiatisation des camps nazis. En réalité, il n’y a pas de différence de nature entre ces deux régimes politiques, entre la barbarie fasciste, nazie ou franquiste et celle des États démocratiques. Ils sont tous un produit du même système capitaliste et expriment la même réalité de la société capitaliste décadente. Dans tous les cas, la démocratie reste le plus subtil des moyens de domination et de justification de la guerre et le meilleur moyen de masquer ses propres crimes.

Face aux traitements infligés à tous les réfugiés espagnols, à la répression et de la barbarie contre les civils, nous ne pouvons que rappeler la célèbre dénonciation de la guerre impérialiste par Rosa Luxemburg : “Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”. (10)

WH, 28 janvier 2019

 

1) “Réfugiés espagnols : quand la France choisissait l’infamie”, Libération (9 septembre 2015).

2) Geneviève Dreyfus-Armand, Émile Témime, Les Camps sur la plage, un exil espagnol. (Le “camp de concentration” est une appellation administrative des autorités françaises).

3) P.-J. Deschod, F. Huguenin, La République xénophobe (2001).

4) Cité et repris de Arthur Koestler, La lie de la terre (1947).

5) Selon le témoignage de la mère d’un militant du CCI, qui a été internée pendant onze mois à Argelès, la décision par le médecin du camp d’hospitaliser un enfant en bas âge équivalait à une condamnation à mort : les religieuses qui exerçaient le métier d’infirmière à l’hôpital de Perpignan n’apportaient aucun soin à ces “enfants de rouges” dont les parents étaient tous considérés comme des persécuteurs des membres de l’Église au cours de la guerre d’Espagne. Cette réalité a été confirmée par la propre mère de cette réfugiée qui a séjourné dans cet hôpital avec son bébé au début 1940. C’est pour cela qu’on pouvait assister près des barbelés à ces scènes insupportables de mères en pleurs essayant d’empêcher qu’on enlève leur enfant et qui étaient repoussées à coups de crosse par les gendarmes.

6) Les premiers chars alliés qui sont entrés dans Paris le 24 août 1944, ceux de la 9e Compagnie de la 2e DB de Leclerc, “la Nueve”, sont conduits par des réfugiés espagnols.

7) “Semailles d’un carnage impérialiste”, Communisme n° 23 (15 février 1939).

8) Circulaire du 3 novembre 1936 du ministre de l’Intérieur, Roger Salengro.

9) Séances du 10 et 14 mars 1939 à la Chambre des députés in La République xénophobe.

10) Rosa Luxemburg, Brochure de Junius (1915).

Evènements historiques: 

  • Guerre d'Espagne [10]

Rubrique: 

Barbarie du capitalisme

Réunions publiques sur la révolution allemande: réponse à la CWO sur la question des fractions de gauche

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En novembre 2018, les deux principales organisations de la Gauche Communiste en Grande-Bretagne, le CCI et la Communist Workers Organisation (1), ont organisé des réunions publiques à Londres sur le centenaire de la révolution allemande. Il ressort nettement de ces deux réunions qu’il y a un consensus fondamental sur un certain nombre de points-clés de cette expérience :

— L’importance historique immense de la révolution allemande comme tournant dans la révolution mondiale, débutée en Russie, et les conséquences tragiques de sa défaite : l’isolement et la dégénérescence de la Révolution russe, puis le triomphe général de la contre-révolution sous des formes fascistes, staliniennes et démocratiques qui ont préparé le terrain de la Seconde Guerre mondiale ;

— La trahison irréversible des parties de la social-démocratie qui se sont ralliées à l’effort de guerre de la classe dominante, puis ont joué un rôle central dans le sabotage et la répression de la révolution qui a surgi en réaction au carnage. Dans tout futur assaut révolutionnaire, ce seront les factions de gauche de la bourgeoisie, les véritables héritiers de Noske, Scheidemann et des autres agents de la contre-révolution, qui seront utilisées par le capital comme dernier rempart contre le prolétariat.

— L’importance cruciale de la lutte pour un parti communiste afin de combattre les mensonges des sbires de la bourgeoisie et de proposer une alternative révolutionnaire claire et cohérente. Un tel parti ne peut être centralisé qu’à l’échelle mondiale puisque la révolution elle-même ne peut réussir que sur la scène mondiale. Comme l’a dit la CWO dans son article : L’importance de la révolution allemande : Réflexions sur la réunion publique CWO/TCI à Londres, le 17 novembre 2018 [11], “sans un noyau révolutionnaire de la classe ouvrière autour duquel un parti peut se construire, il n’y a pas la moindre chance que nous ressortions victorieux de cette lutte”.

Pourtant, il y a aussi des désaccords nets et précis entre nos deux organisations, qui sont apparus lors de la réunion publique de la CWO et qui ont été débattus la semaine suivante lors de la réunion du CCI, à laquelle a participé un membre de la CWO (2). Ces désaccords sont soulevés dans l’article de la CWO mentionné ci-dessus :

“Compte tenu de ce scénario, il était donc surprenant qu’un membre du Courant Communiste International (la seule autre organisation présente à la réunion) et dont les autres camarades avaient apporté des contributions positives à la discussion, avance qu’il aurait été prématuré pour le groupe internationaliste de quitter la Social-démocratie allemande en août 1914. Il a étonnamment soutenu qu’août 1914 n’était pas une trahison définitive du mouvement ouvrier international.

Il a ajouté que, le CCI et la TCI étant toutes deux issues de la tradition de la gauche communiste italienne, nous devrions reconnaître que c’était exactement comme les membres du Parti communiste italien (PCd'I) qui sont partis en exil dans les années 1920. Ils avaient vu le parti qu’ils avaient fondé être repris par les “centristes” comme Gramsci et Togliatti, avec le soutien de l’Internationale Communiste (même si la Gauche avait toujours le soutien de la majorité du PCd'I). Cependant, comme ils n’avaient aucune preuve évidente que cela signifiait que la Troisième Internationale avait définitivement et irrévocablement rompu avec la révolution internationale (étant donné les brusques changements de politique du Komintern, c’était une période de grande confusion), ils décidèrent de se former en une “fraction”. Le but de la Fraction était soit de persuader le Komintern de s’en tenir à l’internationalisme révolutionnaire, soit, si cela échouait et que l’Internationale faisait quelque chose qui montrait clairement qu’elle avait trahi la classe ouvrière, alors la fraction devrait former le noyau du nouveau parti. En fait, la Fraction décida en 1935 que le Komintern était passé de l’autre côté des barrières de classe (avec l’adoption du Front Populaire). Cependant, elle était alors divisée entre les partisans de Vercesi, qui soutenaient désormais que le parti ne pouvait être formé que dans des conditions où il pouvait gagner une masse de partisans (comme Luxemburg), et ceux qui voulaient commencer à le construire dans les années 1930. Le problème n’a jamais été résolu et la Fraction s’est effondrée en 1939.

Nous avons répondu que les cas de l’Allemagne en 1914 et des camarades italiens dans les années 1920 étaient tous deux différents. Comme le montre l’analyse précédente, le vote du SPD en faveur des crédits de guerre était une trahison claire et évidente de la cause de la classe ouvrière. Et ce jugement n’est pas le fruit d’un examen rétrospectif. Il y avait d’autres socialistes à l’époque (comme Lénine, mais pas seulement) qui le clamaient haut et fort. Il fallait une nouvelle bannière autour de laquelle la classe ouvrière révolutionnaire pourrait se rallier. Plus vite cette bannière serait levée, plus vite les révolutionnaires pourraient se mettre au travail afin de construire le mouvement qui, tôt ou tard, se sortirait de la guerre. Et le fait que l’Allemagne était un État fédéral imbibé de nationalisme rendit cette tâche d’autant plus urgente”.

Les réelles tâches d’une fraction révolutionnaire

Nous avons abondamment cité la CWO car nous voulions nous assurer que notre réponse tenait compte fidèlement de leurs points de vue. Mais, ce faisant, nous devrons faire ressortir certaines inexactitudes importantes dans le compte-rendu de la CWO, tant en ce qui concerne certains éléments historiques que dans notre propre compréhension de ceux-ci.

Tout d’abord, il est trompeur de dire que, pour le CCI, “Août 1914 ne signifiait pas la trahison définitive du mouvement ouvrier international”. Bien au contraire : la capitulation de la majorité des sociaux-démocrates, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement, était en effet une trahison incontestable de tout ce que la social-démocratie internationale avait défendu et voté lors des grands congrès internationaux. Cela a confirmé que la droite opportuniste de la social-démocratie contre laquelle des militants, comme Luxemburg, luttaient avec détermination bien avant la fin du XIXe siècle, avait franchi la frontière du camp ennemi, frontière pour laquelle il ne pouvait y avoir retour en arrière.

Ce que nous voulions souligner, cependant, c’est que la trahison d’une grande partie de l’organisation ne signifiait pas encore que l’ensemble du parti avait été intégré à l’État capitaliste, précisément parce que, contrairement à ce que disent certains anarchistes, la social-démocratie n’a pas toujours été bourgeoise. La trahison d’août 1914 a donné lieu à une énorme lutte au sein du parti, à un flot de réactions contre la trahison, souvent confuses et inadéquates, limitées par des conceptions centristes et pacifistes, mais exprimant toujours fondamentalement une réaction prolétarienne internationaliste contre la guerre. Les plus clairs, les plus déterminés et les plus célèbres d’entre eux étaient les spartakistes. Tant que cette lutte se poursuivait, tant que les différentes oppositions à la nouvelle ligne officielle pouvaient encore opérer au sein du parti, la question de la fraction, d’une lutte interne organisée pour “l’âme” du parti, jusqu’à la disparition des traîtres ou l’expulsion des internationalistes, était toujours pertinente (3).

Dans un texte de discussion interne sur la nature du centrisme, que nous avons publié en 2015, notre camarade Marc Chirik a donné un grand nombre d’exemples du mouvement d’opposition au sein du SPD après août 1914, tant au parlement que dans le parti dans son ensemble. L’expression la plus ferme de cette réaction a été donnée par le groupe autour de Luxemburg et Liebknecht, qui n’a pas attendu que la classe se mobilise massivement, mais qui, dès le premier jour de la guerre, a organisé sa résistance dans ce qui deviendra par la suite le Spartakusbund et a essayé de réunir les forces internationales autour du slogan “Ne laissez pas le Parti aux mains de traîtres”. Peu de temps après, il y eut la décision de nombreux députés de ne pas voter en faveur de crédits de guerre supplémentaires ; les résolutions de nombreuses branches locales du SPD pour que les dirigeants abandonnent la politique de l’Union sacrée ; la formation du “collectif de travail social-démocrate” qui constituerait plus tard le noyau du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, l’USPD ; la publication de tracts et de programmes, l’appel aux manifestations contre la guerre et en solidarité avec Karl Liebknecht pour son opposition intransigeante au militarisme de la classe dominante. Pour Marc, tout cela venait confirmer que : “ce qui n’est déjà pas valable pour une vie d’homme est une totale absurdité au niveau d’un mouvement historique, comme celui du prolétariat. Ici le passage de la vie à la mort ne se mesure pas en secondes, ni en minutes, mais en années. Ce n’est pas la même chose le moment où un parti ouvrier signe son arrêt de mort et sa mort effective, définitive. Cela est peut être difficile à comprendre pour un phraséologue radical, mais est tout à fait compréhensible pour un marxiste qui n’a pas l’habitude de quitter le bateau comme les rats dès que celui-ci commence à prendre l’eau. Les révolutionnaires savent ce que représente historiquement une organisation à qui la classe a donné le jour et, tant qu’il reste un souffle de vie, ils luttent pour la sauver, pour la garder à la classe.” (4)

Il est faux de dire que la situation des révolutionnaires allemands en 1914 était fondamentalement différente de celle des camarades de la Gauche italienne qui décidèrent de former une fraction afin de lutter contre la dégénérescence du Parti communiste italien durant les années 1920. Bien au contraire : dans les deux cas, il y avait un parti de plus en plus dominé par une faction ouvertement bourgeoise (les sociaux-chauvins au sein du SPD, les staliniens au sein du PC) et une opposition partagée entre un centre indécis et une gauche révolutionnaire qui a justement décidé, même si la situation tourne en défaveur de la classe, que c’est un devoir primordial de se battre aussi longtemps que possible pour les valeurs et le programme concret du parti tant que subsistera en lui une vie prolétarienne. En revanche, la façon dont la CWO a décrit la situation du SPD en 1914 ressemble étrangement à l’ancienne prise de position (essentiellement conseilliste) de cette dernière sur les bolcheviks et les partis communistes : qu’ils étaient déjà totalement bourgeois en 1921 et que quiconque pensait autrement était en quelque sorte complice de leurs futurs crimes.

Nous pourrions également reprendre la présentation extrêmement simpliste relatant l’histoire des débats au sein de la Fraction italienne jusqu’en 1939, mais il serait plus judicieux d’y revenir dans un article distinct étant donné que la CWO a récemment republié un article de Battaglia Comunista (5) sur la question des fractions et du parti, avec une longue introduction de la CWO exprimant de nombreuses critiques envers le CCI, pas seulement sur la question de la fraction et du parti, mais aussi sur notre analyse de la situation internationale.(6) Mais, l’un des points clés qui ressort à la fois de l’article de Battaglia Comunista et de sa nouvelle introduction est l’idée qu’une Fraction n’est pour ainsi dire qu’une sorte de cercle de discussions, ce qui montrerait son peu d’intérêt à intervenir dans la lutte des classes, comme la CWO le souligne à la fin de leur article sur la réunion publique : “Le moment n’est pas aux cercles de discussions ou aux fractions. Il est en revanche temps de constituer partout des noyaux de révolutionnaires et de converger vers la création d’un parti révolutionnaire, international et internationaliste en vue des inévitables conflits de classe à venir”.

Si, malgré ses nombreuses faiblesses, le groupe spartakiste jouait foncièrement le rôle d’une Fraction au sein du SPD, dont la longue dynamique de dégénérescence, suite au tournant décisif d’août 1914, allait s’accélérer de façon dramatique jusqu’à un point de rupture définitif, alors, le travail de fraction n’est clairement pas synonyme d’un enfermement au sein d’un débat purement théorique, loin de la réalité quotidienne de la lutte de classe et de la guerre. Au contraire, il ne fait aucun doute que les Spartakistes ont “hissé la bannière” de la lutte de classe contre la guerre. Au sein du SPD, le Spartakusbund avait sa propre structure organisationnelle, publiait son propre journal, diffusait de nombreux tracts et avait la capacité, avec certains des éléments les plus radicaux de la classe (notamment les “délégués révolutionnaires” ou “Obleute” des centres industriels), d’organiser des manifestations regroupant des milliers d’ouvriers. Cette structure organisationnelle distincte était une condition préalable à l’entrée des spartakistes au sein de l’USPD en avril 1917, presque trois ans après le début de la guerre, après l’expulsion massive de l’opposition au sein du SPD. La décision d’adhérer à l’USPD a été prise, comme l’a dit Liebknecht, “pour le pousser en avant, l’avoir à portée de notre fouet, en arracher les meilleurs éléments”. Comme Marc le souligne dans son texte : “Que cette stratégie fut valable à ce moment-là, c’est plus que douteux, mais une chose est claire : une telle question pouvait se poser pour Luxemburg et Liebknecht parce qu’ils considéraient, avec raison, l’USPD comme un mouvement centriste dans le prolétariat et non comme un parti de la bourgeoisie”. En somme, le travail de fraction des spartakistes se poursuivit, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur d’un parti plus large, comme force indépendante cherchant à créer les conditions pour qu’émerge un nouveau parti, débarrassé de ses éléments tant bourgeois que centristes, comme il se poursuivit au sein de la Gauche italienne après leur expulsion du parti, entre les années 1920 et les années 1930, même après le constat du passage à l’ennemi du PC.

Par conséquent, une partie de la critique de la CWO à l’égard des spartakistes, qui seraient restés trop longtemps dans l’ancien parti, est donc basée sur une idée fausse du rôle d’une fraction, comme étant un simple cercle de discussion et dont les activités sont, en un sens, opposées à la formation de groupes révolutionnaires préparant les bases du futur parti mondial. Au contraire : c’était précisément le concept de la Fraction tel qu’il a été élaboré par la Gauche italienne. La différence réside ailleurs : dans la reconnaissance (partagée par Luxemburg et la Gauche italienne) que la constitution d’un nouveau parti international n’était pas le produit de la seule volonté des révolutionnaires, mais dépendait d’un processus de maturation beaucoup plus large et profond au sein de la classe.

Bolcheviks et Spartakistes

La présentation de la CWO à la réunion et l’article qui suit soulignent le contraste entre les spartakistes et les bolcheviks :

“Au début de l’année 1917, le nombre de bolcheviks en Russie n’était estimé qu’autour de 8 000 ou 10 000, mais ils étaient présents dans presque chaque ville ou village et, plus important encore, faisaient partie intégrante de la classe ouvrière. Ainsi, lorsque le mouvement révolutionnaire apparut, ils furent non seulement capables de prendre les devants, mais ils purent grandir en son sein. En février 1917, les ouvriers ont spontanément appelé au “pouvoir du soviet” (en mémoire de 1905), mais à l’été 1917, il était clair qu’un seul parti soutenait “tout le pouvoir aux soviets”, et ce parti comptait désormais 300 000 membres, selon la plupart des estimations”.

Il est certainement vrai que les bolcheviks étaient à l’avant-garde du mouvement révolutionnaire dans les années 1914-1919. Sur la question de la guerre, la délégation bolchevique à Zimmerwald a défendu une position bien plus rigoureuse que celle des spartakistes : elle a, avec les “radicaux de gauche” allemands, revendiqué le slogan “Transformer la guerre impérialiste en guerre civile”, alors que la délégation spartakiste montrait quant à elle une tendance à faire des concessions au pacifisme. Dans leur pratique concrète d’une situation révolutionnaire, les bolcheviks ont été capables d’analyser l’équilibre des forces entre les classes avec une grande lucidité, jouant ainsi un rôle clé aux moments décisifs : en juillet, lorsqu’il était nécessaire de faire abstraction des provocations de la bourgeoisie, qui cherchait à entraîner les ouvriers révolutionnaires dans un affrontement militaire prématuré ; en octobre, lorsque Lénine affirmait que les conditions pour une insurrection étaient mûres et qu’il était désormais vital d’attaquer avant qu’il ne soit trop tard. Tout cela contraste tragiquement avec le jeune Parti communiste allemand qui a commis l’erreur monumentale d’avoir mordu à l’hameçon de la bourgeoisie en janvier 1919 à Berlin, en grande partie parce que le leader spartakiste Liebknecht avait transgressé la discipline du parti en appelant à un soulèvement armé immédiat.

Cependant, la capacité des bolcheviks à jouer ce rôle ne peut se réduire à la seule notion d’être “ancrés” dans la classe. C’est surtout le fruit d’une longue lutte pour la clarté politique et organisationnelle au sein du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie, qui a permis aux bolcheviks d’appréhender les enjeux réels du soulèvement de février, même si cela a entraîné au sein du parti de fermes luttes visant à éliminer une forte tendance à soutenir la démocratie bourgeoise et la position “défensive” dans la guerre, tout cela était le but des débats autour des Thèses d’avril de Lénine (7). Le fait que les bolcheviks soient sortis de ce débat renforcés et plus déterminés que jamais à se battre en faveur du pouvoir aux soviets était le résultat de deux facteurs essentiels : d’une part, leur solidité organisationnelle, qui permit de maintenir l’unité du parti malgré les divergences très nettes qui apparurent en son sein tout au long du processus révolutionnaire ; d’autre part, le fait que, dès le début, leur programme politique, et cela même s’il n’était pas aussi clair qu’il le deviendrait après 1917, était toujours fondé sur le principe d’indépendance de la classe vis-à-vis de la bourgeoisie, par opposition à l’autre courant majoritaire de la social-démocratie russe, les mencheviks. Mais ce que tout cela souligne vraiment, c’est que dans les années qui s’écoulèrent entre la naissance du bolchevisme et l’éclatement de la révolution, les bolcheviks avaient eux-mêmes accompli les tâches les plus fondamentales d’une fraction révolutionnaire au sein du Parti russe et de la Deuxième Internationale.

La rigueur des bolcheviks sur les problèmes organisationnels et programmatiques était l’un des aspects de cette capacité à faire la transition de fraction jusqu’à parti ; l’autre étant la maturation rapide au sein du prolétariat russe dans son ensemble. C’était un prolétariat bien moins vulnérable aux illusions réformistes que ses frères et sœurs de classe d’Allemagne : tant au niveau de leurs conditions de vie que des conditions politiques imposées par le régime tsariste, leur lutte prit nécessairement un caractère explosif et révolutionnaire qui, dans un sens, révélait déjà les circonstances auxquelles la classe ouvrière serait confrontée dans les pays les plus avancés dans la période de décadence qui allait s’ouvrir. C’était un prolétariat qui, en grande partie privé de la possibilité de construire des organisations défensives de masse à l’intérieur de l’ancien système, donna naissance en 1905 à la forme organisationnelle des soviets et qui acquit un avant-goût d’une valeur inestimable de ce que faire une révolution signifie. Aussi, il ne faut pas oublier que le prolétariat russe avait face à lui une bourgeoisie affaiblie, alors que les ouvriers allemands seraient catapultés dans des luttes révolutionnaires contre une classe dominante toute-puissante, qui savait pouvoir compter sur le soutien du SPD, des syndicats, ainsi que des bourgeoisies de tous les pays. De ce point de vue, nous pouvons plus facilement comprendre pourquoi ce problème ne se réduit pas seulement à la présence physique de révolutionnaires au sein de la classe ouvrière, bien que cela soit important. Les sociaux-démocrates allemands étaient certainement très présents au sein de la classe ouvrière et dans tous les aspects de sa vie : économique, politique, et culturelle. Le problème était que cette influence au sein de la classe était de plus en plus orientée vers l’institutionnalisation et donc la neutralisation de la lutte des classes. La différence clé entre le SPD et les bolcheviks résida dans la capacité de ces derniers à maintenir et à développer l’autonomie de classe du prolétariat.

En fin de compte, pour vraiment saisir le contraste entre les bolcheviks et les spartakistes, pour aller au plus profond des problèmes rencontrés par la minorité communiste durant la vague révolutionnaire qui suivit 1917, nous devons prendre en compte les situations particulières relatives à chaque pays et les réintégrer dans une vision internationale plus globale. La Deuxième Internationale s’est en effet écroulée en 1914 : face à la trahison de la plus grande partie de ses composants nationaux, elle a tout simplement cessé d’exister. Cela a immédiatement posé la nécessité d’une nouvelle Internationale, même si les conditions de sa formation n’étaient pas encore réunies. La formation tardive de l’Internationale communiste (et les faiblesses programmatiques qui l’accompagnaient) devait être un handicap majeur non seulement pour la révolution allemande, mais aussi pour le pouvoir des soviets russes et toute la vague révolutionnaire. Nous y reviendrons dans d’autres articles. Nous avons fait valoir que le travail préalable des fractions de Gauche est indispensable à la formation du parti sur une base solide. Mais nous devons également reconnaître qu’au début du XXe siècle, alors que le danger de l’opportunisme au sein des partis sociaux-démocrates devenait de plus en plus évident, les fractions de Gauche s’opposant à la dérive de l’intégration au sein de la politique bourgeoise étaient entravées par la structure fédérale de la Deuxième Internationale. C’était une Internationale qui fonctionnait en grande partie comme une sorte de centre de coordination pour un ensemble de partis nationaux. Il y avait solidarité et coopération entre les différents courants de gauche (par exemple, lorsque Lénine et Luxemburg ont travaillé ensemble pour rédiger la résolution de Bâle contre la guerre au Congrès international de 1912), mais il n’y a jamais eu une fraction centralisée au niveau international qui puisse développer une politique cohérente dans tous les pays, une réponse unifiée à tous les changements dramatiques qui étaient provoqués par le passage du capitalisme à une époque de guerres et de révolutions.

Les groupes révolutionnaires d’aujourd’hui ne sont pas vraiment des fractions, au sens d’être des parties intégrantes d’un ancien parti ouvrier, mais ils ne seront pas capables de préparer le terrain du parti de demain s’ils échouent à comprendre ce que l’apport historique des fractions de gauche peut nous apporter.

Amos, 23 janvier 2019

 

(1) La CWO est l’affiliée anglaise de la Tendance communiste internationaliste ; un camarade de leur groupe allemand, le GIS, a également pris part à la réunion. Bien qu’il soit positif que les deux organisations reconnaissent l’importance historique de la révolution allemande, qui a tout de même mis fin à la Première Guerre mondiale et menacé pour un court instant d’étendre le pouvoir politique du prolétariat de la Russie à toute l’Europe de l’Ouest, c’était une marque de désunion de la part des mouvements révolutionnaires actuels d’organiser deux réunions distinctes sur le même thème, dans la même ville, et à moins d’une semaine d’intervalle. Le CCI a proposé la tenue d’une réunion commune afin d’éviter ce télescopage, mais notre demande a été refusée par la CWO pour des motifs qui nous paraissent obscurs. Cela contraste avec les réunions sur la Révolution russe tenues en 2017, où la CWO avait accepté de faire une présentation lors de notre journée de discussion à Londres [12]. Pour nous, le fait que les groupes de la Gauche Communiste soient plus ou moins seuls à préserver et à élaborer les leçons essentielles de la révolution en Allemagne est une raison suffisante pour qu’ils répondent de manière coordonnée aux distorsions idéologiques de cet événement mises en avant par l’ensemble des factions de la classe dominante (y compris son effacement virtuel dans les livres d’histoire) ;

(2) Ce désaccord a été l’objet principal de la discussion lors de la réunion publique organisée par la CWO. Ce point a de nouveau été central lors de la réunion du CCI, bien qu’il y ait également eu débat autour des questions posées par un camarade anarchiste internationaliste sur la nécessité d’un parti et sur la question de savoir si la centralisation correspondait aux besoins organisationnels de la classe ouvrière. Sur cette question de la nécessité de la centralisation comme expression de la tendance à l’unité, le camarade a dit plus tard qu’il trouvait nos arguments clairs et convaincants.

(3) Voir en particulier les articles sur la révolution allemande dans la Revue Internationale n° 81, 82 et 85.

(4) Voir notre article : “Conférence de Zimmerwald : les courants centristes dans les organisations politiques du prolétariat [13]”, Revue internationale n° 155.

(5) Publication du Parti communiste internationaliste, l’affilié italien à la Tendance communiste internationaliste.

(6) En attendant, les camarades peuvent se référer à une série d’articles que nous avons publié critiquant les visions de Battaglia Communista et de la CWO autour de la fraction dans les Revue internationale n° 59, 61,64, 65.

(7) Voir notre article “1917 : la révolution russe : les “Thèses d’avril”, phare de la révolution prolétarienne [14]”, Revue Internationale n° 89.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [15]

Courants politiques: 

  • Communist Workers Organisation [16]

Rubrique: 

Vague révolutionnaire 1917-23

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Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri475.pdf [2] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france [3] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france [4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/gilets-jaunes [5] https://fr.internationalism.org/tag/5/54/venezuela [6] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france [7] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/correspondance-dautres-groupes [8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Clichy-sous-Bois [9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Contr%C3%B4le_d'identit%C3%A9_en_France [10] https://fr.internationalism.org/tag/6/414/guerre-despagne [11] https://www.leftcom.org/en/articles/2018-11-23/the-significance-of-the-german-revolution [12] https://en.internationalism.org/icconline/201712/14536/icc-day-discussion-russian-revolution [13] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201508/9244/conference-zimmerwald-courants-centristes-organisations-politiques- [14] https://fr.internationalism.org/revorusse/chap2a.htm [15] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-allemande [16] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/communist-workers-organisation