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Revue Internationale no 85 - 2e trimestre 1996

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Conflits imperialistes : la progression inexorable du chaos et du militarisme

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Comme on l'a vu en décembre 1995 avec la manoeuvre orchestrée contre la classe ou­vrière en France et plus largement contre le prolétariat européen, la bourgeoisie parvient toujours à s'unir à l'échelle internationale pour affronter le prolétariat. Il en va tout au­trement sur le plan des relations inter-im­pé­rialistes, où la loi de la jungle reprend plei­nement ses droits. Les « victoires de la paix » qui, fin 1995, ont été célébrées par les médias aux ordres ne sont que de sinis­tres mensonges et ne constituent rien d'autre que de simples épisodes dans la lutte à mort que se livrent les grandes puissances impé­rialistes, soit ouvertement, soit le plus sou­vent derrière le masque de prétendues forces d'interposition, telles l'IFOR en ex-Yougoslavie. En effet, cette phase finale de la décadence du système capitaliste qu'est la décomposition est avant tout caractérisée, à l'échelle des rapports inter-impérialistes, par le « chacun pour soi », la guerre de tous contre tous, tendance à ce point dominante depuis la fin de la guerre du Golfe qu'elle supplante pour le moment quasi-totalement cette autre tendance inhérente à l'impéria­lisme dans la décadence, celle à la constitu­tion de nouveaux blocs impérialistes. D'où :

- une exacerbation de ces manifestations ty­piques de la crise historique du mode de production capitaliste que sont le milita­risme, le recours systématique à la force brute pour lutter contre ses rivaux impé­rialistes et l'horreur quotidienne de la guerre pour des fractions toujours plus nombreuses de la population mondiale, victimes impuissantes de la foire d'empoi­gne mortelle de l'impérialisme. Si la su­perpuissance militaire américaine, pour défendre sa suprématie, est aux avant-pos­tes dans cet usage de la force, les autres « grandes démocraties » que sont la Grande-Bretagne, la France et - fait d'im­portance historique - l'Allemagne, n'en marchent pas moins résolument - même si c'est dans la limite de leurs moyens - au même pas cadencé ([1] [1]) ;

- une contestation grandissante du leader­ship de la première puissance mondiale par la plupart de ses ex‑alliés et féaux ;

- une remise en cause ou un affaiblissement des alliances impérialistes les plus solides et anciennes, comme l'attestent la rupture historique survenue au sein de l'alliance anglo-américaine de même que le net re­froidissement des relations entre la France et l'Allemagne ;

- l'incapacité de l'Union Européenne à cons­tituer un pôle alternatif à la superpuis­sance américaine, comme l'ont illustré de manière éclatante les divisions opposant les différents Etats européens à propos d'un conflit se déroulant à leurs portes, à savoir dans l'ex-Yougoslavie.

C'est à partir de ce cadre, que nous pouvons comprendre l'évolution d'une situation im­périaliste infiniment plus complexe et in­stable qu'à l'époque des deux grands blocs impérialistes, et en dégager les principaux traits :

- l'origine et le succès de la contre-offensive américaine, avec pour épicentre l'ex-Yougoslavie ;

- les limites de cette même contre-offensive, marquées notamment par la volonté persis­tante de la Grande-Bretagne à remettre en cause son alliance avec le parrain améri­cain ;

- le rapprochement franco-britannique en même temps que la prise de distance de la France à l'égard de son allié allemand.

Le succès de la contre-offensive des Etats-Unis

Dans la résolution sur la situation interna­tionale du 11e congrès du CCI (Revue Internationale n° 82) était souligné « l'échec que représente pour les Etats-Unis l'évolu­tion de la situation en Yougoslavie, où l'oc­cupation directe du terrain par les armées britannique et française sous l'uni­forme de la FORPRONU a contribué gran­dement à déjouer les tentatives américaines de pren­dre position solidement dans la ré­gion via son allié bosniaque. Il est signifi­catif du fait que la première puissance mon­diale éprouve de plus en plus de diffi­cultés à jouer son rôle de gendarme du monde, rôle que supportent de moins en moins bien les autres bourgeoisies qui ten­tent d'exorci­ser le passé où la menace so­viétique les obli­geait à se soumettre aux diktats venus de Washington. Il existe au­jourd'hui un affai­blissement majeur, voire une crise du lea­dership américain qui se confirme un peu partout dans le monde. » Nous expliquions cet affaiblissement majeur du leadership des Etats Unis par le fait que « la tendance do­minante, à l'heure actuelle, n'est pas tant à la constitution d'un nouveau bloc mais bien le chacun pour soi. »

Au printemps 1995 la situation était effecti­vement dominée par l'affaiblissement de la première puissance mondiale, mais elle s'est nettement modifiée depuis, marquée à partir de l'été 1995 par une vigoureuse con­tre‑offensive menée par Clinton et son équipe. La constitution de la FRR par le tandem franco-britannique, en réduisant les Etats-Unis au rôle de simple challenger sur la scène yougoslave et, plus fondamentale­ment encore, la trahison de leur plus vieux et fidèle lieutenant, la Grande-Bretagne, af­faiblissaient sérieusement la position améri­caine en Europe et rendaient indispensable une riposte d'ampleur visant à enrayer le grave déclin du leadership de la première puissance mondiale. Cette contre-offensive, menée avec brio, fut conduite en s'appuyant fondamentalement sur deux atouts. D'abord celui que confère aux Etats-Unis leur statut de seule superpuissance militaire, capable de mobiliser rapidement des forces militai­res, d'un niveau tel qu'aucun de leur rivaux ne peut espérer être en mesure de se con­fronter à elles. Ce fut la constitution de l'IFOR, évinçant totalement la FORPRONU, avec tout l'appui de la formidable logistique de l'armée américaine : moyens de transport, force aéronavale à l'énorme puissance de feu et satellites militaires d'observation. C'est cette démonstration de force qui imposa aux européens la signature des accords de Dayton. Ensuite, appuyé solidement sur cette force militaire, Clinton, sur le plan di­plomatique, misa à fond sur les rivalités mi­nant les puissances européennes les plus en­gagées en ex-Yougoslavie, en utilisant en particulier très habilement l'opposition entre France et Allemagne, opposition venant s'ajouter à l'antagonisme traditionnel entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne ([2] [2]).

La présence directe dans l'ex-Yougoslavie et plus largement en Méditerranée, d'un fort contingent américain porte un rude coup à deux Etats parmi les plus en pointe dans la contestation du leadership américain : la France et la Grande-Bretagne. Cela d'autant plus que tous deux revendiquent un statut impérialiste de premier plan en Méditerranée et que, pour préserver leur sta­tut, ils s'étaient évertués depuis le début de la guerre en ex-Yougoslavie à empêcher une intervention américaine qui ne pouvait qu'af­faiblir leur position en Méditerranée.

Depuis, les Etats-Unis se sont affirmés clai­rement les maîtres du jeu dans l'ex-Yougoslavie. C'est avec un certain succès qu'ils font pression sur Milosevic afin que celui-ci distende les liens qui l'unissaient étroitement à ses parrains franco-britanni­ques, en alternant la carotte et le bâton. Ils maintiennent solidement sous leur coupe leurs « protégés » bosniaques en les rappe­lant fermement à l'ordre dès lors que ceux-ci manifestent la moindre velléité d'indépen­dance, comme on l'a vu avec le coup monté de toutes pièces par les Etats-Unis, consis­tant à faire soudainement une large publicité sur certains liens entre la Bosnie et l'Iran. Ils ménagent l'avenir en opérant un net rappro­chement avec Zagreb, la Croatie restant la seule force en mesure de s'opposer efficace­ment à la Serbie. Et ils ont su, pour le mo­ment, retourner à leur profit les vives ten­sions agitant leur créature, la fédération croato-musulmane dans la ville de Mostar. Ils ont, de toute évidence, laissé, voire en­couragé, les nationalistes croates à s'en prendre notamment à l'administrateur alle­mand de la ville, ce qui a eu pour résultat le départ précipité de ce dernier et son rempla­cement par un médiateur américain, rempla­cement sollicité à la fois par les fractions croate et musulmane. En nouant de bonnes relations avec la Croatie, les Etats-Unis vi­sent avant tout l'Allemagne, laquelle reste le grand protecteur de la Croatie. En effet, même si, ce faisant, ils exercent une certaine pression sur l'Allemagne, ils continuent de la ménager tentant ainsi de maintenir et d'accentuer les graves divisions survenues au sein de l'alliance franco-allemande à propos de l'ex-Yougoslavie. De plus, en entretenant une alliance tactique et circonstancielle avec Bonn en ex-Yougoslavie, ils peuvent espérer contrôler d'autant mieux l'activité de l'Allemagne qui reste le plus dangereux de leurs rivaux impérialistes, leur présence mi­litaire massive sur le terrain, limitant de fait la marge de manoeuvre de l'impéria­lisme allemand.

Ainsi, trois mois après la mise en place de l'IFOR, la bourgeoisie américaine contrôle solidement la situation et contre, pour le moment, efficacement les « peaux de ba­nane » lancées par la France et la Grande Bretagne pour tenter de saboter la belle ma­chine américaine. D'épicentre de la contes­tation de la suprématie de la première puis­sance mondiale, l'ex-Yougoslavie s'est trans­formée en un tremplin pour la défense de ce leadership en Europe et en Méditerranée, c'est-à-dire dans la zone centrale du champ de bataille des rivalités inter-impérialistes. Ainsi, la présence militaire américaine en Hongrie ne peut que constituer une menace pour la zone d'influence traditionnelle de l'impérialisme allemand dans l'est de l'Europe. Ce n'est certainement pas un ha­sard si d'importantes tensions surgissent au même moment entre Prague et Bonn à pro­pos des Sudètes, les Etats-Unis soutenant clairement dans cette affaire les positions tchèques. De même, un pays comme la Roumanie, allié traditionnel de la France, ne peut lui aussi que subir les effets de cette implantation américaine.

La position de force acquise par les Etats-Unis à partir de l'ex-Yougoslavie s'est aussi concrétisée lors des tensions apparues en mer Egée entre la Grèce et la Turquie. Washington a tout de suite donné de la voix et, très vite, les deux protagonistes se sont pliés à ces injonctions, même si le feu couve encore sous la braise. Mais, au‑delà de l'avertissement à ces deux pays, les Etats-Unis ont surtout su mettre à profit ces évé­nements pour souligner l'impuissance de l'Union Européenne face à des tensions tou­chant directement son sol, soulignant du même coup qui est le vrai patron en Méditerranée. Toutes choses qui n'ont pas été sans provoquer l'agacement du ministre des affaires étrangères de sa très gracieuse Majesté !

Mais si l'Europe constitue l'enjeu central pour la préservation du leadership améri­cain, c'est à l'échelle mondiale que les Etats-Unis doivent défendre ce dernier. Dans ce cadre, le Moyen-Orient continue d'être un champ de manoeuvre privilégié de l'impé­rialisme américain. Malgré le sommet de Barcelone initié par la France et ses tentati­ves de se réintroduire sur la scène moyen-orientale, malgré le succès qu'a constitué pour l'impérialisme français l'élection de Zéroual en Algérie et les crocs en jambe de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne visant à jouer les trouble-fête sur les chasses gar­dées de l'Oncle Sam, celui-ci renforce sa pression et a marqué des points importants au cours de cette dernière année. En faisant nettement progresser les accords israélo-pa­lestiniens, dont l'élection triomphale d'Arafat dans les territoires palestiniens a constitué le couronnement, et en profitant à fond de la dynamique créée par l'assassinat de Rabin pour accélérer les négociations entre la Syrie et Israël, la première puissance mondiale renforce son emprise sur cette région der­rière le masque de la « pax américana » et ses moyens de pressions à l'égard d'Etats tels que l'Iran, qui continue à contester la supré­matie américaine au Moyen-Orient ([3] [3]). Il faut noter également qu'après une éphémère et partielle stabilisation de la situation en Algérie autour de l'élection du sinistre Zéroual, la fraction de la bourgeoisie algé­rienne liée à l'impérialisme français est à nouveau confrontée à des attentats et des coups de main en série derrière lesquels, par « islamistes » interposés, il y a certainement la main des Etats-Unis.

Là où la première puissance mondiale se heurte au « chacun pour soi »

La vigoureuse contre-offensive de la bour­geoisie américaine a modifié la donne im­périaliste, mais elle ne l'a pas affectée en profondeur. Les Etats-Unis ont clairement réussi à démontrer qu'ils restent la seule su­perpuissance mondiale et qu'ils n'hésitent pas à mobiliser leur formidable machine mi­litaire pour défendre leur leadership par­tout où celui-ci est menacé, toute puissance im­périaliste contestant leur suprématie s'ex­po­sant dès lors à subir les foudres américai­nes. Sur ce plan, le succès est total et le message a été clairement entendu. Cependant, malgré les batailles importantes remportées, les Etats-Unis ne sont pas par­venus à briser, à éradiquer réellement le phénomène qui a précisément nécessité tout ce déploiement de force : la tendance au chacun pour soi qui domine l'arène impéria­liste. Momentanément et partiellement frei­née, mais en aucune façon détruite; celle-ci persiste à secouer toute la scène impéria­liste, alimentée en permanence par la dé­composition affectant l'ensemble du système capitaliste. Elle reste la tendance dominante régissant l'ensemble des rapports inter-im­périalistes, contraignant chaque rival impé­rialiste des Etats-Unis à contester ouverte­ment ou de façon plus sournoise et masquée la suprématie de ces derniers, même s'il n'y a aucune égalité entre les forces en pré­sence. La décomposition et sa monstrueuse progéniture qu'est la guerre du tous contre tous portent à l'incandescence ce trait typi­que de la décadence du capitalisme qu'est l'irrationnalité de la guerre dans la phase de l'impérialisme. C'est là l'obstacle principal auquel se heurte la superpuissance mon­diale, obstacle ne pouvant que générer des difficultés sans cesse renouvelées pour celui qui aspire à demeurer le « gendarme du monde ».

Ainsi, leur marge de manoeuvre se voyant sérieusement limitée en ex-Yougoslavie, la France, la Grande-Bretagne, mais aussi, l'Allemagne, vont faire porter ailleurs leurs efforts pour tenter d'effriter et d'affaiblir le leadership américain. A cet égard, l'impé­rialisme français se montre particulièrement actif. Evincé de façon quasi-totale du Moyen-Orient, celui-ci tente par tous les moyens de se réintroduire dans cette région hautement stratégique. S'appuyant sur ses liens traditionnels avec l'Irak, il joue les bons offices entre ce dernier et l'ONU et verse des larmes de crocodile sur les consé­quences terribles pour la population de l'em­bargo imposé à l'Irak par les Etats-Unis, tout en cherchant à renforcer son influence au Yémen et au Qatar. Il n'hésite pas à marcher sur les plates‑bandes de l'Oncle Sam, en pré­tendant jouer un rôle dans les négocia­tions syro-israëliennes et en offrant à nou­veau ses services militaires au Liban Il con­tinue de chercher à préserver ses chasses gardées au Maghreb en étant très offensif vis à vis du Maroc et de la Tunisie, en même temps qu'il défend ses zones d'in­fluence tradi­tionnelles en Afrique Noire. Et là, désormais aidé par son nouveau complice britannique - auquel, en guise de remercie­ment, il a permis, fait inconcevable il y a encore quel­ques années, d'intégrer le Cameroun à la zone du Commonwealth - il manoeuvre à tout va, de la Côte d'Ivoire au Niger (dont il a soutenu le récent coup d'Etat) jusqu'au Rwanda. Chassé de ce der­nier pays par les Etats-Unis, il utilise cyni­quement les mas­ses de réfugiés Hutus basés au Zaïre pour déstabiliser la clique pro-américaine qui di­rige désormais le Rwanda.

Mais les deux manifestations les plus signi­ficatives de la détermination de la bour­geoisie française à résister coûte que coûte au bulldozer de l'Oncle Sam sont, d'une part, le récent voyage de Chirac aux Etats-Unis et, d'autre part, la décision d'une transfor­mation radicale des forces armées françai­ses. En allant rencontrer le grand patron américain, le président français prenait acte de la nouvelle donne impérialiste créée par la démonstration de force de la première puissance mondiale, il n'allait pas pour au­tant à Canossa. Ce voyage n'avait en effet rien d'un acte d'allégeance à Washington. Le président français y a clairement réaffirmé la volonté d'autonomie de l'impérialisme français en exaltant la défense européenne. Mais prenant acte du fait qu'on ne peut que très difficilement s'opposer ouvertement à la puissance militaire américaine, il a inauguré une nouvelle stratégie, celle plus efficace du cheval de Troie. C'est là tout le sens de la réintégration quasi-totale de la France à l'OTAN. Désormais, c'est de l'intérieur que l'impérialisme français entend bien conti­nuer à saboter « l'ordre américain ». La dé­cision de transformer l'armée française en une armée de métier, capable d'aligner à tout moment 60 000 hommes pour des opérations extérieures, est l'autre volet de cette nou­velle stratégie, et traduit la ferme volonté de la bourgeoisie française de défendre ses in­térêts impérialistes, y compris contre le gen­darme américain. Il convient ici de souligner un fait d'importance : dans la mise en oeuvre de cette tactique du cheval de Troie, tout comme dans cette réorganisation de ses for­ces militaires, la France se met résolument à « l'école anglaise ». La Grande-Bretagne a en effet une longue expérience de cette stra­tégie du contournement. Ainsi, son adhésion à la CEE n'a eu pour but essentiel que de mieux saboter cette structure de l'in­térieur. De même, l'armée de métier britan­nique a largement démontré son efficacité car, avec un effectif nettement inférieur à celui de la France, elle a pu néanmoins pen­dant la Guerre du Golfe tout comme en ex-Yougoslavie mobiliser plus rapidement des forces supérieures en nombre. Ainsi aujour­d'hui, derrière le bruyant activisme d'un Chirac sur la scène impérialiste, il faut voir le plus souvent la présence de la Grande-Bretagne en coulisse. La relative efficacité de la bourgeoisie française pour défendre son rang sur la scène impérialiste doit, sans nul doute, beaucoup aux conseils avisés ve­nus de la bourgeoisie la plus expérimentée du monde et à l'étroite concertation qui s'est développée entre ces deux Etats au cours de l'année écoulée.

Mais, là où la force de la tendance au cha­cun pour soi, en même temps que les limites du succès de la démonstration de force des Etats-Unis sont les plus patentes, c'est bien dans la rupture de l'alliance impérialiste unissant la Grande-Bretagne et les Etats-Unis depuis près d'un siècle. Malgré la for­midable pression exercée par les Etats-Unis pour punir de sa trahison la « perfide Albion » et la ramener à de meilleurs senti­ments à l'égard de son ex-allié et ex-chef de bloc, la bourgeoisie britannique maintient sa politique de distanciation à l'égard de Washington, comme en témoigne notam­ment son rapprochement croissant avec la France, même si, à travers cette alliance, la Grande-Bretagne vise aussi à contrer l'Allemagne. Cette politique n'est pas una­nimement partagée par l'ensemble de la bourgeoisie anglaise, mais la fraction Thatcher - qui prône quant à elle le maintien de l'alliance avec les Etats-Unis - reste pour le moment très minoritaire, et Major béné­ficie sur ce plan du total soutien des tra­vaillistes. Cette rupture entre Londres et Washington souligne l'énorme différence avec la situation qui avait prévalu lors de la guerre du Golfe où la Grande-Bretagne res­tait le fidèle lieutenant de l'Oncle Sam. Cette défection de la part de son plus vieil et solide allié est une très sérieuse épine dans le pied de la première puissance mondiale, laquelle ne saurait tolérer une aussi grave remise en cause de sa suprématie. C'est pourquoi Clinton utilise la vieille question irlandaise pour tenter de faire rentrer le traî­tre dans le rang. A la fin de l'année 1995, Clinton, lors de son voyage triomphal en Irlande, n'a pas hésité à traiter la plus vieille démocratie du monde comme une simple « république bananière » en prenant ouver­tement fait et cause pour les nationalistes ir­landais et en imposant à Londres un mé­dia­teur américain en la personne du sénateur G. Mitchell. Le plan concocté par ce dernier ayant essuyé une fin de non-recevoir de la part du gouvernement Major, Washington est alors passé à une étape supérieure en uti­lisant l'arme du terrorisme, via la reprise des attentats par l'IRA, devenue le bras armé des Etats-Unis pour leurs basses oeuvres sur le sol britannique. Cela illustre la détermi­na­tion de la bourgeoisie américaine à ne re­cu­ler devant aucun moyen pour réduire à merci son ancien lieutenant, mais cette utili­sation du terrorisme atteste plus encore de la pro­fondeur du divorce survenu entre les deux ex-alliés et de l'incroyable chaos carac­téri­sant aujourd'hui les relations impérialis­tes entre les membres de l'ex-bloc de l'Ouest, derrière la façade de « l'amitié indé­fecti­ble » unissant les grandes puissances démo­cratiques des deux côtés de l'Atlantique. Pour le moment ce déchaîne­ment de pres­sions de la part de l'ex-chef de bloc ne sem­ble avoir pour seul résultat que de renforcer la volonté de résistance de l'im­périalisme britannique, même si les Etats-Unis sont loin d'avoir dit leur dernier mot et feront tout pour tenter de modifier cette si­tuation.

Ce développement du chacun pour soi au­quel continue de se heurter le gendarme américain a connu ces derniers temps un dé­veloppement spectaculaire en Asie, au point qu'on peut dire qu'un nouveau front est en train de s'ouvrir dans cette région pour les Etats-Unis. Ainsi, le Japon devient-il un al­lié de moins en moins docile, car libéré du carcan des blocs, il aspire à obtenir un rang impérialiste beaucoup plus conforme à sa puissance économique, d'où sa revendication d'un siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU.

Les manifestations contre la présence mili­taire américaine dans l'archipel d'Okinawa, la nomination d'un nouveau premier ministre nippon connu pour ses diatribes anti-améri­caines et son nationalisme intransigeant, té­moignent du fait que le Japon supporte de plus en plus difficilement le pesante tutelle américaine, et veut pouvoir affirmer davan­tage ses prérogatives impérialistes. Les con­séquences ne peuvent être que la déstabili­sation d'une région où de nombreux conflits de souveraineté sont latents, tel celui oppo­sant la Corée du Sud et le Japon à propos du petit archipel de Tokdo. Mais ce qui est le plus révélateur du développement des ten­sions impérialistes dans cette partie du monde, c'est la nouvelle agressivité de la Chine vis à vis de Taiwan. Au delà des mo­tivations intérieures de la bourgeoisie chi­noise, confrontée à la délicate succession de Deng Tsiao Ping, et de la question de Taiwan, cette posture guerrière de l'impé­rialisme chinois signifie surtout qu'il est dé­sormais prêt à braver son ex-chef de bloc, les Etats-Unis, pour défendre ses propres prérogatives impérialistes. Ainsi, la Chine a clairement réfuté les nombreuse mises en garde venant de Washington, distendant, pour le moins, les liens qui l'unissaient aux Etats-Unis, au point d'obliger ces derniers à montrer une nouvelle fois leurs muscles en dépêchant une armada dans le détroit de Formose. Dans un tel contexte d'accumula­tion de tensions impérialistes et de remise en cause, ouverte ou cachée, du leadership de la première puissance mondiale en Asie, le rapprochement marqué de Paris à l'égard de Pékin à travers le voyage de H. de Charette, l'invitation à Paris de Li Peng, de même que la tenue d'un premier sommet Euro-Asiatique, prennent tout leur sens. Si les motivations économiques d'une telle réu­nion sont bel et bien présentes, celle-ci est surtout l'occasion pour l'Union Européenne de venir chasser sur les plates-bandes de l'oncle Sam, en prétendant, quel­les que soient les graves divisions qui la mi­nent, constituer le « troisième pôle du triangle Europe-Asie-Amérique. »

Ainsi, malgré la ferme réaffirmation de sa suprématie, le gendarme du monde voit sans cesse se reconstituer devant lui le mur du chacun pour soi. Face à cette mine qui ne peut que menacer la préservation de leur leadership, les Etats-Unis seront contraints de toujours plus recourir à l'usage de la force brute et, ce faisant, le gendarme devient lui même un des principaux propagateurs du chaos qu'il prétend combattre. Ce chaos, gé­néré par la décomposition du système capi­taliste à l'échelle mondiale, ne peut que tra­cer un sillon de plus en plus destructeur et meurtrier sur l'ensemble de la planète.

L'alliance franco-allemande à l'épreuve

Si le leadership de la première puissance mondiale est menacé par l'exacerbation de la guerre du tous contre tous qui affecte l'en­semble des rapports impérialistes, le chaos caractérisant de manière croissante les rela­tions impérialistes renvoie en même temps à un avenir de plus en plus hypothétique la tendance à la constitution de nouveaux blocs impérialistes. En témoigne avec éclat la zone de fortes turbulences dans laquelle est rentrée l'alliance franco-allemande.

Le marxisme a toujours souligné qu'une al­liance inter impérialiste n'avait rien à voir avec un mariage d'amour ou avec une réelle amitié entre les peuples. L'intérêt guide seul une telle alliance et chaque membre d'une telle constellation impérialiste entend bien d'abord et avant tout y défendre ses propres intérêts et en tirer le maximum de profit. Toutes choses s'appliquant parfaitement « au moteur de l'Europe » qu'était le couple fran­co-allemand et expliquant que c'est es­sen­tiellement la France qui est à l'origine de la distanciation des liens entre les deux al­liés. En effet, la vision de cette alliance n'a ja­mais été la même des deux côtés du Rhin. Pour l'Allemagne, les choses sont simples. Puissance économique dominante en Europe, handicapée par sa faiblesse sur le plan militaire, l'Allemagne a tout intérêt à une alliance avec une puissance nucléaire européenne, et ce ne peut être qu'avec la France, la Grande-Bretagne demeurant, malgré sa rupture avec les Etats-Unis, son ennemi irréductible. Historiquement, l'Angleterre a toujours lutté contre la domi­nation de l'Europe par l'Allemagne, et la ré­unification, le poids accru de l'impérialisme allemand en Europe ne peuvent que renfor­cer sa détermination à s'opposer à tout lea­dership germanique sur le continent euro­péen. Si la France a pu hésiter à s'opposer à l'impérialisme allemand, dans les années trente certaines fractions de la bourgeoisie française étaient plutôt enclines à une al­liance avec Berlin. La Grande-Bretagne, quant à elle, s'est constamment opposée à toute constellation impérialiste dominée par l'Allemagne. Face à cet antagonisme histori­que, il n'y a pour la bourgeoisie d'outre-Rhin aucune carte de rechange possible en Europe occidentale et elle se sent d'autant plus à l'aise au sein de son alliance avec la France qu'elle sait y être, malgré les prétentions « du coq gaulois », en position de force. Dès lors, les pressions qu'elle exerce sur un allié de plus en plus récalcitrant n'ont pour but essentiel que de le forcer à lui rester fidèle.

Il en va tout autrement pour la bourgeoisie française pour laquelle s'allier avec l'Allemagne était avant tout un moyen de contrôler cette dernière, tout en espérant exercer un co-leadership sur l'Europe. La guerre dans l'ex-Yougoslavie et plus généra­lement la montée en puissance d'une Allemagne résolument conquérante a sonné le glas de cette utopie qu'entretenait une ma­jorité de la bourgeoisie française, la­quelle voyait resurgir le spectre redouté de la « Grande Allemagne », ravivé par le sou­ve­nir de trois guerres perdues face à un trop puissant voisin germanique.

On peut dire que, quelque part, la bourgeoi­sie française s'est sentie flouée et, à partir de là, elle s'est employée à distendre des liens qui ne faisaient qu'accroître ses faiblesses de puissance historiquement déclinante. Tant que la Grande-Bretagne restait fidèle aux Etats-Unis, la marche de manoeuvre de l'im­périalisme français était très limitée, réduite à tenter de circonvenir l'expansion impéria­liste de son trop puissant allié, en cherchant à l'emprisonner au sein de l'alliance.

L'avancée réalisée par l'Allemagne en ex-Yougoslavie vers la Méditerranée, via les ports croates, a sanctionné l'échec de cette politique défendue par Mitterrand, et dès que la Grande-Bretagne a rompu son al­liance privilégiée avec Washington, la bour­geoisie française a saisi cette occasion pour prendre clairement ses distances avec l'Allemagne. Le rapprochement marqué avec Londres, initié par Balladur et amplifié par Chirac, permet à l'impérialisme français d'espérer contenir beaucoup plus efficace­ment l'expansion impérialiste allemande, tout en résistant avec plus de force aux pres­sions du gendarme américain. Même si cette nouvelle version de « l'Entente Cordiale » est l'union des petits contre les deux grands que sont l'Allemagne et les Etats-Unis, il ne faut pas pour autant la sous-estimer. Sur le plan militaire, c'est une puissance significa­tive au niveau conven­tionnel et plus encore nucléaire. Cela l'est aussi sur le plan politi­que, la redoutable ex­périence de la bour­geoisie anglaise - héritage de la domination qu'elle exerça longtemps sur le monde - ne peut comme, nous l'avons vu, qu'accroître la capacité de ces deux « seconds couteaux » à défendre chèrement leur peau, tant vis à vis de Washington que de Bonn. De plus, même s'il est pour le moment encore difficile de juger de la pérennité de cette nouvelle al­liance impérialiste des deux côtés de la Manche - durement exposée aux pressions des Etats-Unis et de l'Allemagne - un en­semble de facteurs militent cependant en fa­veur d'une certaine durée et solidité du rap­prochement franco-britannique. Ces deux Etats sont tous deux des puissances impé­rialistes historiquement déclinantes, d'ex-grandes puissances coloniales menacées et par la première puissance mondiale, et par la première puissance européenne, toutes choses créant un solide intérêt commun. C'est d'ailleurs pour cela que l'on voit Londres et Paris développer une coopération en Afrique et aussi au Moyen Orient et ce, alors qu'elles y étaient encore il y a peu riva­les, sans même parler de leur concertation exemplaire dans l'ex-Yougoslavie. Mais le facteur qui confère le plus de solidité à cet axe franco-britannique est le fait qu'il s'agit de deux puissances de force sensiblement égale, tant au niveau économique que mili­taire, et que, de ce fait, aucune ne peut craindre d'être dévorée par l'autre, considé­ration revêtant toujours une importance cru­ciale dans les alliances que nouent les re­quins impérialistes.

Ce développement d'une concertation étroite entre la France et la Grande-Bretagne ne peut signifier qu'un affaiblissement marqué de l'alliance franco-allemande. Affaiblissement qui, s'il peut faire en partie le jeu des USA, en éloignant considérable­ment la perspective d'un nouveau bloc do­miné par l'Allemagne, est au contraire tota­lement opposé aux intérêts de cette dernière. La radicale réorientation de l'armée et de l'industrie militaire françaises décidée par Chirac, si elle traduit la capacité de la bour­geoisie française à tirer les leçons de la guerre du Golfe et du sérieux revers subi en ex-Yougoslavie et à répondre aux nécessités générales auxquelles est confronté l'impé­rialisme français dans la défense de ses po­sitions à l'échelle mondiale, vise néan­moins également directement l'Allemagne, à plu­sieurs niveaux :

- malgré les proclamations de Chirac selon lesquelles rien ne serait fait sans une étroite concertation avec Bonn, la bour­geoisie allemande a été mise devant le fait accompli, la France se contentant de com­muniquer des décisions sur lesquelles elle ne compte pas revenir ;

- il s'agit bien d'une profonde réorientation de la politique impérialiste française, comme l'a parfaitement compris le ministre de la défense allemand en déclarant, « si la France voit sa priorité à l'extérieur du noyau dur de l'Europe, alors c'est là une nette différence avec l'Allemagne » ([4] [4])

- à travers la mise en place d'une armée de métier et en privilégiant des forces d'opé­ration extérieures, la France signifie clai­rement sa volonté d'autonomie par rapport à l'Allemagne et facilite les conditions d'in­terventions communes avec la Grande-Bretagne, puisqu'alors que l'armée alle­mande est une armée basée essentielle­ment sur la conscription, l'armée française va désormais se conformer au modèle an­glais, reposant sur des corps profession­nels ;

- enfin, l'Eurocorps, symbole par excellence de l'alliance franco-allemande, est directe­ment menacé par cette réorganisation, le groupe chargé de la défense au sein du parti dominant de la bourgeoisie française, le RPR, demandant sa suppression pure et simple.

Tout ceci atteste de la détermination de la bourgeoisie française à s'émanciper de l'Allemagne, mais on ne saurait cependant mettre sur le même plan le divorce survenu au sein de l'alliance anglo-américaine et ce qui n'est, pour le moment, qu'un affaiblisse­ment marqué de l'alliance entre les deux cô­tés du Rhin. Tout d'abord, l'Allemagne n'en­tend pas rester sans réagir face à son al­lié rebelle. Elle dispose de moyens impor­tants pour faire pression sur ce dernier, ne serait-ce que de par l'importance des rela­tions économiques entre les deux pays et la puis­sance économique considérable dont dispose l'impérialisme allemand. Mais, plus fonda­mentalement, la position particulière dans laquelle se trouve la France ne peut que rendre extrêmement difficile une totale rup­ture avec l'Allemagne. L'impérialisme fran­çais est pris en étau entre les deux grands que sont les Etats-Unis et l'Allemagne et est confronté à leur double pression. En tant que puissance moyenne et malgré l'oxygène que lui procure son al­liance avec Londres, elle est contrainte de chercher à s'appuyer mo­mentanément sur l'un des grands, pour mieux résister à la pr­ession exercée par l'autre et est ainsi amené à jouer sur plu­sieurs tableaux à la fois. Dans la situation de chaos grandissant que provo­que le dévelop­pement de la décomposition, ce double ou triple jeu consistant à prendre tactiquement appui sur un ennemi ou un ri­val pour mieux faire face à un autre, sera de plus en plus monnaie courante. C'est dans ce cadre, que se comprend le maintien de cer­tains liens impérialistes entre la France et l'Allemagne, ainsi au Moyen-Orient voit-on les deux re­quins parfois se soutenir l'un l'autre pour mieux pénétrer les chasses gar­dées de l'on­cle Sam, phénomène pouvant aussi s'obser­ver en Asie. En témoigne éga­lement la si­gnature d'un accord particuliè­rement impor­tant en matière de construction en commun de satellites d'observation mili­taire avec le projet Hélios, dont le but est de disputer la suprématie américaine dans ce domaine es­sentiel de la guerre moderne (Clinton ne s'y est pas trompé en envoyant, en vain, le di­recteur de la CIA à Bonn pour empêcher cet accord), ou celui concernant la décision de produire certains missiles en commun. Si l'intérêt de l'Allemagne à cette poursuite de la coopération dans le domaine de la haute technologie militaire est évident, l'impéria­lisme français y trouve aussi son compte. Car il sait qu'il ne pourra plus assu­rer seul des projets de plus en plus coûteux et si la coopération avec l'Angleterre se dé­veloppe activement, elle est encore limitée de par la dépendance dans laquelle reste cette der­nière vis à vis des Etats-Unis, no­tamment en matière nucléaire. De plus la France sait être sur ce plan dans une posi­tion de force face à l'Allemagne. Ainsi à propos d'Hélios elle a exercé un véritable chantage : si Bonn refusait de participer au projet, elle mettait fin à la production d'héli­coptères, en ces­sant ses activités au sein du groupe Eurocopter.

Au fur et à mesure que le système capitaliste s'enfonce dans la décomposition, l'ensemble des rapports inter-impérialistes porte de plus en plus l'empreinte d'un chaos grandissant, mettant à mal les alliances les plus solides et anciennes et déchaînant la guerre du tous contre tous. Le recours à l'usage de la force brute de la part de la première puissance mondiale s'avère non seulement impuissant à réellement enrayer cette progression du chaos, mais devient un facteur supplémen­taire de la propagation de cette lèpre qui ronge l'impérialisme .Les seuls vrais ga­gnants de cette spirale infernale sont le mili­tarisme et la guerre, qui tels un moloch ne cessent de réclamer un nombre toujours ac­cru de victimes pour satisfaire leur effroya­ble appétit. Six ans après l'effondrement du bloc de l'Est censé inaugurer « l'ère de la paix », la seule alternative reste plus que jamais celle tracée par l'Internationale Communiste lors de son premier Congrès : « Socialisme ou Barbarie ».

RN, 10/3/96



[1] [5]. La baisse des budgets militaires censés engranger « les dividendes de la paix », loin de marquer un réel désarmement comme on l'avait vu dans les années suivant la première guerre mondiale, n'est au contraire qu'une gigantesque réorganisation des forces militaires visant à les rendre plus efficaces et meurtrières, face à la nouvelle donne impérialiste créée par le formidable développement du chacun pour soi.

 

[2] [6]. Les Etats-Unis n'ont pas hésité à s'appuyer tacti­quement sur l'Allemagne , par Croatie interposée (Voir Revue Internationale n° 83).

 

[3] [7]. La récente série d'attentats extrêmement meur­triers en Israël, quels qu'en soient les commanditai­res, ne peut faire que le jeu des rivaux des Etats-Unis. Ceux ci ne s'y sont pas trompés en désignant immédiatement l'Iran et en sommant les Européens de rompre toute relation avec « cet Etat terroriste », ce qui ne manque pas de culot de la part d'un Etat utilisant largement le terrorisme, de l'Algérie à Londres, en passant par Paris ! La réponse des Européens a été dénuée de toute ambiguïté : c'est non. D'une façon générale, le terrorisme, d'arme par excellence des faibles qu'il était, est aujourd'hui de plus en plus utilisé par les grandes puissances dans la lutte à mort qu'elles se livrent. C'est là une manifestation typique du développement du chaos généré par la décomposition.

 

[4] [8]. De même, concernant la vision du futur de l'Europe, la France s'est nettement démarquée de la vision fédéraliste défendue par l'Allemagne pour se rapprocher du schéma défendu par la Grande-Bretagne.

 

Questions théoriques: 

  • Décomposition [9]
  • Impérialisme [10]

Lutte de classe : le retour en force des syndicats contre la classe ouvriere

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Chaque jour qui passe témoigne un peu plus de la barbarie sans nom dans la­quelle s'enfonce le monde capitaliste. « Plus que jamais, la lutte du prolétariat représente le seul espoir d'avenir pour la société humaine. Cette lutte, qui avait resurgi avec puissance à la fin des an­nées 60, mettant un terme à la plus ter­rible contre-révolution qu'ai connue la classe ouvrière, a subi un recul considé­rable avec l'effondrement des régimes staliniens, les campagnes idéologiques qui l'ont accompagné et l'ensemble des événements (guerre du Golfe, guerre en Yougoslavie, etc.) qui l'ont suivi. C'est sur les deux plans de sa combativité et de sa conscience que la classe ouvrière a subi, de façon massive, ce recul, sans que cela remette en cause toutefois, comme le CCI l'avait déjà affirmé à ce moment-là, le cours historique vers les affrontements de classe. Les luttes me­nées au cours des dernières années par le prolétariat sont venues confirmer ce qui précède. Elles ont témoigné, parti­culièrement depuis 1992, de la capacité du prolétariat à reprendre le chemin du combat de classe, confirmant ainsi que le cours historique n'avait pas été ren­versé. Elles ont témoigné aussi des énormes difficultés qu'il rencontre sur ce chemin, du fait de la profondeur et de l'extension de son recul. C'est de façon sinueuse, avec des avancées et des reculs, dans un mouvement en dents de scie que se développent les luttes ou­vrières. » ([1] [11])

Les grèves et les manifestations ouvrières qui ont secoué la France à la fin de l'au­tomne 1995 sont venues illustrer cette réali­té : la capacité du prolétariat à reprendre le chemin du combat mais aussi les énormes difficultés qu'il rencontre sur ce chemin. Dans le précédent numéro de la Revue Internationale, nous avons déjà dégagé, à chaud, la signification de ces mouvements sociaux  ([2] [12])

« En réalité, le prolétariat en France est la cible d'une manoeuvre d'ampleur destinée à l'affaiblir dans sa conscience et dans sa combativité, une manoeuvre qui s'adresse également à la classe ouvrière des autres pays afin de lui faire tirer de fausses leçons des événements en France. (...)

Face à cela [les attaques brutales que le ca­pitalisme en crise déchaîne contre la classe ouvrière] les prolétaires ne peuvent rester passifs. Ils n'ont d'autre issue que de se dé­fendre dans la lutte. Mais, pour empêcher que la classe ouvrière n'entre dans le com­bat avec ses propres armes, la bourgeoisie a pris les devants et elle l'a poussée à partir prématurément en lutte sous le contrôle to­tal des syndicats. Elle n'a pas laissé aux ou­vriers le temps de se mobiliser à leur rythme et avec leurs moyens. (...)

Le mouvement de grèves qui vient de se dé­rouler en France, s'il révèle l'existence d'un profond mécontentement dans la classe, est avant tout le résultat d'une manoeuvre de très grande ampleur de la bourgeoisie vi­sant à amener les travailleurs à une défaite massive et, surtout, à provoquer chez eux une profonde désorientation » ([3] [13])

L'importance de ce qui s'est passé en France à la fin 1995

Le fait que les mouvements sociaux de la fin de l'année 1995 en France soient fondamen­talement le résultat d'une manoeuvre de la bourgeoisie ne saurait en atténuer l'impor­tance ni signifier que la classe ouvrière est aujourd'hui une troupe de moutons à la merci de la classe dominante. En particulier, ces événements apportent un démenti cin­glant à toutes les « théories » (relancées abondamment lors de l'effondre­ment des régimes staliniens) sur la « disparition » de la classe ouvrière ainsi qu'à leur variantes évoquant soit la « fin des luttes ouvrières », soit (c'est la version « de gauche » de ces théories) la « recomposition » de la classe sensée porter avec elle une atteinte majeure à ces luttes. ([4] [14]).

Ce témoignage des réelles potentialités de la classe à l'heure actuelle nous est apporté par le fait même de l'ampleur des grèves et des manifestations de novembre-décembre 1995 : des centaines de milliers de grévistes, plusieurs millions de manifestants. Cependant, on ne peut s'arrêter à ce simple constat : après tout, au cours des années 1930, on a assisté à des mouvements de très grande ampleur comme les grèves de mai-juin 1936 en France ou l'insurrection des ouvriers d'Espagne contre le coup d'Etat fa­sciste du 18 juillet de la même année. Ce qui différencie fondamentalement les mou­vements de la classe aujourd'hui de ceux des années 1930 c'est que ces derniers s'inscri­vaient dans une longue suite de défaites de la classe ouvrière au lendemain de la vague révolutionnaire qui avait surgi au cours de la première guerre mondiale, des défaites qui avaient plongé le prolétariat dans la plus profonde contre-révolution de son histoire. Dans ce contexte de défaite physique et sur­tout politique du prolétariat, les manifesta­tions de combativité de la classe avaient été facilement dévoyées par la bourgeoisie sur le terrain pourri de l'antifascisme, c'est-à-dire de la préparation de la seconde bouche­rie impérialiste. Nous ne reviendrons pas ici sur notre analyse du cours historique ([5] [15]), mais ce qu'il s'agit d'affirmer clairement c'est que nous ne sommes pas aujourd'hui dans la même situation que dans les années 1930. Les mobilisations actuelles du prolétariat ne peuvent être en aucune façon des moments de la préparation de la guerre impérialiste mais prennent leur signification dans la perspective d'affrontements de classe déci­sifs contre le capitalisme plongé dans une crise sans issue.

Cela dit, ce qui confère une importance de premier plan aux mouvements sociaux de la fin de l'automne 1995 en France, ce n'est pas tant la grève et les manifestations ouvrières par elles-mêmes, que l'ampleur de la ma­noeuvre bourgeoise qui se trouve à leur ori­gine.

Bien souvent, on peut évaluer l'état réel du rapport de forces entre les classes, dans la façon dont agit la bourgeoisie face au prolé­tariat. En effet, la classe dominante dispose de multiples moyens pour évaluer ce rapport de forces : sondages d'opinion, enquêtes de police (par exemple, en France, c'est une des missions des Renseignements Généraux, c'est-à-dire de la police politique, que de « tâter le pouls » des secteurs de la popula­tion « à risque », en premier lieu de la classe ouvrière). Mais l'instrument le plus important est constitué par l'appareil syndi­cal qui est bien plus efficace encore que les sociologues des instituts de sondage ou que les fonctionnaires de police. En effet, cet appareil, dans la mesure où il a comme fonc­tion de constituer l'instrument par excellence d'encadrement des exploités au service de la défense des intérêts capitalistes, où il dis­pose, en outre, d'une expérience de plus de 80 ans dans ce rôle, est particulièrement sensible à l'état d'esprit des travailleurs, à leur volonté et à leur capacité à engager des combats contre la bourgeoisie. C'est lui qui est chargé d'avertir en permanence les pa­trons et le gouvernement de l'importance du danger représenté par la lutte de classe. C'est d'ailleurs à cela que servent les rencon­tres périodiques entre les responsables syn­dicaux et le patronat ou le gouvernement : se concerter pour préparer ensemble la meilleure stratégie permettant à la bour­geoisie de porter ses attaques contre la classe ouvrière avec le maximum d'effica­cité. Dans le cas des mouvements sociaux de la fin de l'année 1995 en France, l'ampleur et la sophistication de la manoeuvre organisée contre la classe ouvrière suffisent, à elles seules, à souligner à quel point la lutte de classe, la perspective de combats ouvriers de grande envergure, constituent aujourd'hui pour la bourgeoisie une préoccupation cen­trale.

La manoeuvre de la bourgeoisie contre la classe ouvrière

L'article du précédent numéro de la Revue Internationale décrit par le détail les diffé­rents aspects de la manoeuvre et comment ont collaboré à celle-ci tous les secteurs de la classe dominante, depuis la droite jus­qu'aux organisations d'extrême gauche. Nous nous contenterons ici d'en rappeler les élé­ments essentiels :

- depuis l'été 1995, avalanche d'attaques de tous ordres (depuis une aggravation brutale des impôts jusqu'à une remise en cause des régimes de retraite des travailleurs du sec­teur public, en passant par le blocages des salaires de ces derniers, le tout étant cou­ronné par un plan de réforme de la Sécurité sociale, le « plan Juppé » destiné à augmenter les cotisations des salariés et à réduire les remboursements des frais de maladie ;

- véritable provocation contre les cheminots sous la forme d'un « contrat de plan » en­tre l'Etat et la SNCF (la société des che­mins de fer) qui prévoit un allongement de 7 ans du travail des conducteurs et des mil­liers de suppressions d'emplois ;

- utilisation de la mobilisation immédiate des cheminots comme « exemple à suivre » par les autres travailleurs du secteur pu­blic : contrairement à leur pratique habi­tuelle d'enfermement des luttes, les syndi­cats se font les propagandistes zélés de leur extension et réussissent à entraîner de nombreux autres travailleurs, notamment dans les transports urbains, la poste, les télécommunications, l'électricité et le gaz, l'enseignement, les impôts ;

- médiatisation extrême des grèves qui sont présentées de façon très favorable à la té­lévision, on voit même des intellectuels si­gner en masse des déclarations en faveur de ce « réveil de la société » contre la « pensée unique » ;

- contribution des gauchistes à la manoeu­vre : ils approuvent totalement l'attitude des syndicats à qui ils reprochent seule­ment de ne pas avoir fait la même chose plus tôt ;

- attitude intransigeante, dans un premier temps, du gouvernement qui rejette dédai­gneusement les appels des syndicats à la négociation : l'arrogance et la morgue du Premier Ministre Juppé, personnage anti­pathique et impopulaire, sert admirable­ment les discours « combatifs » et jus­qu'au-boutistes des syndicats ;

- puis, après trois semaines de grève, retrait par le gouvernement du « contrat de plan » dans les chemins de fer et des me­sures contre les régimes de retraite des fonctionnaires : les syndicats crient victoire et parlent du « recul » du gouvernement ; malgré des résistances dans quelques cen­tres « durs », les cheminots reprennent le travail, donnant le signal de la fin de la grève dans les autres secteurs.

Au total, grâce à ce prétendu « recul » prévu à l'avance, la bourgeoisie a remporté une vic­toire en faisant passer l'essentiel des me­su­res qui touchent tous les secteurs de la classe ouvrière comme l'augmentation des impôts et la réforme de la Sécurité Sociale, et même des mesures concernant spécifi­quement les secteurs qui se sont mobilisés comme le blocage des salaires des agents de l'Etat. Mais la plus grande victoire de la bourgeoisie est politique : les travailleurs qui ont fait trois semaines de grève ne sont pas prêts à se relancer dans un mouvement de ce type lorsque pleuvront les nouvelles attaques. De plus, et surtout, ces grèves et ces manifestations ont permis aux syndicats de redorer de façon considérable leur bla­son : alors qu'auparavant l'image qui collait aux syndicats en France était celle de la dis­persion des luttes, des journées d'action poussives et de la division, ils sont apparus tout au long du mouvement (principalement les deux principaux d'entre eux : la CGT d'obédience stalinienne et Force Ouvrière di­rigée par des socialistes) comme ceux sans qui rien n'aurait été possible, ni l'élargisse­ment et l'unité du mouvement, ni l'organisa­tion de manifestations massives, ni les pré­tendus « reculs » du gouvernement. Comme nous le disions dans l'article du précédent numéro de la Revue Internationale :

« Cette recrédibilisation des syndicats cons­tituait pour la bourgeoisie un objectif fon­damental, un préalable indispensable avant de porter les attaques à venir qui seront en­core bien plus brutales que celles d'aujour­d'hui. C'est à cette condition seulement qu'elle peut espérer saboter les luttes qui ne manqueront pas de surgir au moment de ces attaques. »

En fait, l'importance considérable que la bourgeoisie accorde à la recrédibilisation des syndicats s'est confirmée amplement à la suite du mouvement, notamment dans la presse avec de nombreux articles soulignant le « come back » syndical. Il est intéressant de noter que dans une des feuilles confiden­tielles que se donne la bourgeoisie pour in­former ses principaux responsables, on peut lire : « Un des si­gnes les plus clairs de cette reconquête syn­dicale est la volatilisation des coordina­tions. Elles avaient été per­çues comme le témoignage de la non-repré­sentativité syn­dicale. Qu'elles n'aient pas surgi cette fois montre que les efforts des syndicats pour mieux "coller au terrain" et restaurer un "syndicalisme de proximité" n'ont pas été vains. » ([6] [16]). Et cette feuille se plaît à citer une déclaration, présentée comme « un sou­pir de soulagement », d'un patron du secteur privé : « Nous avons enfin à nouveau un syndicalisme fort. »

Les incompréhensions du milieu révolutionnaire

Le fait de constater que les mouvements de la fin 1995 en France résultent avant tout d'une manoeuvre très soigneusement élabo­rée et mise en place par tous les secteurs de la bourgeoisie ne constitue en aucune façon une quelconque remise en cause des capaci­tés de la classe ouvrière à affronter le capital dans des combats de très grande ampleur, bien au contraire. C'est justement dans les moyens considérables mis en oeuvre par la classe dominante pour prendre les devants des combats futurs du prolétariat qu'on peut déceler à quel point celle-ci est préoccupée par cette perspective. Encore faut-il pour ce­la qu'on soit en mesure d'identifier la ma­noeuvre déployée par la bourgeoisie. Malheureusement si cette manoeuvre n'a pu être démasquée par les masses ouvrières, et elle était suffisamment sophistiquée pour qu'il en soit ainsi, elle a également trompé ceux dont une des responsabilités essentiel­les est de dénoncer tous les coups fourrés que les exploiteurs portent contre les exploi­tés : les organisations communistes.

Ainsi les camarades de Battaglia Comunista (BC) pouvaient-ils écrire, dans le numéro de dé­cembre 1995 de leur journal : « Les syn­di­cats ont été pris à contre-pied par la réac­tion décidée des travailleurs contre les plans gouvernementaux. »

Et il ne s'agit pas là d'un jugement hâtif de BC résultant d'une information encore insuf­fisante puisque, dans le numéro de janvier 1996, BC revient à la charge avec la même idée :

« Contre le plan Juppé, les employés du sec­teur public se sont mobilisés spontanément. Et c'est bien de rappeler que les premières manifestations des travailleurs se sont dé­roulées sur le terrain de la défense immé­diate des intérêts de classe, prenant par surprise les organisations syndicales elles-mêmes, démontrant encore une fois que lorsque le prolétariat bouge pour se défen­dre contre les attaques de la bourgeoisie, il le fait presque toujours en dehors et contre les directives syndicales. Ce n'est que dans une seconde phase que les syndicats fran­çais, surtout Force Ouvrière et la CGT, ont pris en marche le train de la protestation récupérant ainsi de leur crédibilité aux yeux des travailleurs. Mais l'implication aux ap­parences de radicalité de Force Ouvrière et des autres syndicats cachait de mesquins in­térêts de la bureaucratie syndicale qu'on ne peut comprendre que si l'on connaît le sys­tème de protection sociale français [où les syndicats, particulièrement Force Ouvrière, assurent la gestion des fonds, ce qui est jus­tement remis en cause par le plan Juppé] ».

C'est un peu la même thèse qu'on retrouve de la part de l'organisation-soeur de BC au sein du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, la Communist Workers' Organisation (CWO). Dans sa revue Revolutionary Perspectives n° 1, 3e Série, on peut lire :

« Les syndicats, particulièrement FO, la CGT et la CFDT ([7] [17]) s'opposaient à ce chan­gement. Cela aurait constitué un coup ma­jeur porté contre les prérogatives des di­ri­geants syndicaux. Cependant, tous, à un moment ou à un autre, avant les annonces de Juppé, avaient soit accueilli favorable­ment le dialogue avec le Gouvernement, soit accepté la nécessité de nouveaux impôts. C'est seulement quand la colère ouvrière contre les dernières propositions est deve­nue claire que les syndicats ont commencé à se sentir menacés par plus important que la perte de leur contrôle sur des domaines fi­nanciers majeurs. »

Dans l'analyse des deux groupes du BIPR, il existe toute une insistance sur le fait que les syndicats ne cherchaient qu'à défendre des « intérêts mesquins » en appelant à la mobi­lisation contre le plan Juppé sur la Sécurité Sociale. Même si les dirigeants syndicaux sont évidemment sensibles à leurs petits in­térêts de boutique, une telle analyse de leur attitude revient à observer la réalité par le petit bout de la lorgnette. C'est comme si on interprétait les disputes dont sont coutumiè­res les centrales syndicales uniquement comme manifestation de la concurrence en­tre elles sans y voir l'aspect fondamental : un des moyens par excellence de diviser la classe ouvrière. En réalité, ces « intérêts mesquins » des syndicats ne peuvent s'ex­primer que dans le cadre de ce qui constitue leur rôle dans la société d'aujourd'hui : celui de pompiers de l'ordre social capitaliste, de flics de l'Etat bourgeois dans les rangs ou­vriers. Et s'il leur faut renoncer à leurs « intérêts mesquins » et de boutique pour pouvoir tenir ce rôle, ils n'hésitent pas à le faire car ils ont un parfait sens des respon­sabilités dans la défense des intérêts du ca­pital contre la classe ouvrière. En menant leur politique de la fin 1995, les dirigeants syndicaux savaient parfaitement qu'elle al­lait permettre à Juppé de faire passer son plan qui les privait de certaines de leurs pré­rogatives financières, mais ils avaient fait leur deuil de celles-ci au nom des intérêts supérieurs de l'Etat capitaliste. En fait, il est de loin préférable pour les appareils syn­di­caux de laisser croire qu'ils prêchent pour leur propre chapelle (ils pourront toujours se réfugier derrière l'argument que leur propre force contribue à celle de la classe ouvrière) plutôt que de se démasquer pour ce qu'ils sont réellement : des rouages essentiels de l'ordre bourgeois.

En réalité, si nos camarades du BIPR sont tout à fait clairs sur la nature parfaitement capitaliste des syndicats, ils commettent une sous-estimation considérable du degré de so­lidarité qui les lient à l'ensemble de la classe dominante et, notamment, de leur capacité à organiser avec le gouvernement et les pa­trons des manoeuvres destinées à piéger la classe ouvrière.

Ainsi, tant pour la CWO que pour BC, il existe l'idée, bien qu'avec des nuances ([8] [18]), que les syndicats ont été surpris, voire dé­bordés, par l'initiative de la classe ouvrière. Rien n'est plus contraire à la réalité. S'il existe un exemple depuis ces dix dernières années en France où les syndicats ont parfai­tement prévu et contrôlé un mouvement so­cial, c'est bien celui de la fin 1995. Plus, c'est un mouvement qu'ils ont suscité de fa­çon systématique, avec la complicité du gouvernement, comme nous l'avons vu plus haut et analysé par le détail dans notre pré­cédent article. Et la meilleure preuve qu'il n'y avait aucun « débordement » ni aucune « surprise » pour la bourgeoisie et son appa­reil syndical, c'est la couverture médiatique que la bourgeoisie des autres pays a immé­diatement donnée aux événements. Depuis longtemps, et particulièrement depuis les grandes grèves de Belgique qui, à l'automne 1983, avaient annoncé la sortie de la classe de la démoralisation et la désorientation qui avaient accompagné la défaite des ouvriers en Pologne, en 1981, la bourgeoisie s'est fait un devoir d'organiser au niveau international un black-out complet autour des luttes ou­vrières. Ce n'est que lorsque ces luttes cor­respondent à une manoeuvre planifiée par la bourgeoisie, comme ce fut le cas en Allemagne au printemps 1992, que le black-out fait alors place à une profusion d'infor­mations (orientées, évidemment). Dans ce cas déjà, les grèves du sec­teur public, et no­tamment dans les trans­ports, avaient comme objectif de « présenter les syndicats, qui avaient systématiquement organisé tou­tes les actions, maintenant les ouvriers dans la plus grande passivité, comme les vérita­bles protagonistes contre les patrons » ([9] [19]). Dans le cas des mouve­ments de la fin 1995 en France, on a assisté, de ce point de vue, à un « remake » de ce que la bourgeoisie avait fomenté en Allemagne trois ans et demi plus tôt. En fait, l'intense bombardement média­tique qui a accompagné ces mouvements (même au Japon c'est de façon quotidienne que la télé­vision diffusait abondamment des images de la grève et des manifestations) ne signifie pas seulement que la bourgeoisie et ses syn­dicats les contrôlaient parfaitement et depuis le début, non seulement qu'ils avaient été prévus et planifiés par ces der­niers, mais aussi que c'est à l'échelle inter­nationale que la classe dominante avait or­ganisé cette ma­noeuvre afin de porter un coup à la con­science de la classe ouvrière des pays avan­cés.

La meilleure preuve de cette réalité est la façon dont la bourgeoisie belge a manoeuvré à la suite des mouvements sociaux en France :

- alors que les médias parlent à propos de la France d'un « nouveau mai 68 », les syndi­cats lancent, fin novembre 1995, exacte­ment comme en France, des mouvements contre les atteintes au secteur public, et particulièrement contre la réforme de la Sécurité Sociale ;

- c'est alors que la bourgeoisie organise une véritable provocation en annonçant des mesures d'une brutalité inouïe dans les chemins de fer (SNCB) et les transports aériens (Sabena) ; comme en France, les syndicats se portent résolument au devant de la mobilisation dans ces deux secteurs présentés comme exemplaires, et les che­minots belges sont invités à faire comme leurs collègues français ;

- la bourgeoisie fait alors mine de reculer ce qui est évidemment présenté comme une victoire de la mobilisation syndicale et qui permet le succès d'une grande manifesta­tion de tout le secteur public, le 13 décem­bre, parfaitement contrôlée par les syndi­cats et où l'on note la présence d'une délé­gation de cheminots français de la CGT ; le quotidien De Morgen titre le 14 décem­bre : « Comme en France, ou presque » ;

- deux jours plus tard, nouvelle provocation gouvernementale et patronale à la SNCB et à la Sabena où la direction annonce le maintien de ses mesures : les syndicats re­lancent des luttes « dures » (il y a des af­frontements avec la police sur l'aéroport de Bruxelles bloqué par les grévistes) et es­saient d'élar­gir la manoeuvre aux autres secteurs du public et aussi dans le privé où des déléga­tions syndicales venues « apporter leur so­lidarité » aux tra­vailleurs de la Sabena af­firment que « leur lutte constitue un labo­ratoire so­cial pour l'ensemble des tra­vailleurs » ;

- finalement, début janvier, le patronat fait de nouveau mine de reculer en annonçant l'ouverture du « dialogue social », tant à la SNCB qu'à la Sabena, « sous la pression du mouvement » ; comme en France, le mouvement se solde par une victoire et une crédibilisation des syndicats.

Franchement camarades du BIPR, pensez-vous que cette remarquable ressemblance entre ce qui s'est passé en France et en Belgique était le fruit du hasard, que la bourgeoisie et ses syndicats n'avait rien prévu à l'échelle internationale ?

En réalité, l'analyse de la CWO et de BC témoigne d'une dramatique sous-estimation de l'ennemi capitaliste, de sa capacité de prendre les devants lorsqu'il sait que les at­taques de plus en plus brutales qu'il sera conduit à porter contre la classe ouvrière provoqueront nécessairement de la part de celle-ci des réactions de grande envergure dans lesquelles les syndicats devront être mis abondamment à contribution pour la préservation de l'ordre bourgeois. La posi­tion prise par ces organisations donne l'im­pression d'une naïveté incroyable, d'une vul­nérabilité déconcertante face aux pièges tendus par la bourgeoisie.

Cette naïveté, nous l'avions déjà constatée à plusieurs reprises, notamment de la part de BC. C'est ainsi que cette organisation, lors de l'effondrement du bloc de l'Est, était tom­bée dans le piège des campagnes bourgeoi­sies sur les perspectives souriantes que cet événement était sensé représenter pour l'économie mondiale ([10] [20]). Parallèlement, BC avait marché à fond dans le mensonge de la prétendue « insurrection » en Roumanie (en réalité un coup d'Etat permettant le rempla­cement par d'anciens apparatchiks à la Ion Iliescu d'un Ceaucescu honni). A cette occa­sion, BC n'avait pas craint d'écrire : « La Roumanie est le premier pays dans les ré­gions industrialisées dans lequel la crise économique mondiale a donné naissance à une réelle et authentique insurrection popu­laire dont le résultat a été le renversement du gouvernement en place (...) en Roumanie, toutes les conditions objectives et presque toutes les conditions subjectives étaient ré­unies pour transformer l'insurrection en une réelle et authentique révolution sociale. » Camarades de BC, lorsqu'on est conduit à écrire de telles sottises, on doit essayer d'en tirer des leçons. En particulier, on se méfie un peu plus des discours de la bourgeoisie. Sinon, si l'on se laisse piéger par les trucs de la classe bourgeoise destinés à berner les masses ouvrières, comment peut-on se pré­tendre l'avant garde de celles-ci ?

La nécessité d'un cadre d'analyse historique

En réalité, les bourdes commises par BC (tout comme la CWO qui, en 1981, appelait les ouvriers de Pologne à « La révolution maintenant ! ») ne sont pas réductibles à des caractéristiques psychologiques ou intellec­tuelles, la naïveté, de leurs militants. Il existe dans ces organisations des camarades expérimentés et d'une intelligence correcte. La véritable cause des erreurs à répétition de ces organisations, c'est qu'elles se sont sys­tématiquement refusées à prendre en compte le seul cadre dans lequel on puisse com­prendre l'évolution de la lutte du prolétariat : celui du cours historique aux affrontements de classe qui a succédé, à la fin des années 1960, à la période de contre-révolution. Nous avons déjà, à plusieurs reprises mis en évidence cette grave erreur de BC à laquelle s'est ralliée la CWO ([11] [21]). En réalité, c'est la notion même de cours historique que BC remet en cause : « Quand nous parlons d'un "cours historique" c'est pour qualifier une période... historique, une tendance globale et dominante de la vie de la société qui ne peut être remise en cause que par des évé­nements majeurs de celle-ci... En revanche, pour Battaglia... il s'agit d'une perspective qui peut être remise en cause, dans un sens comme dans l'autre, à chaque instant puisqu'il n'est pas exclu qu'au sein même d'un cours à la guerre il puisse intervenir "une rupture révolutionnaire"... la vision de Battaglia ressemble à une auberge espa­gnole : dans la notion de cours historique chacun apporte ce qu'il veut. On trouvera la révolution dans un cours vers la guerre comme la guerre mondiale dans un cours aux affrontements de classe. Ainsi chacun y trouve son compte : en 1981, le CWO appe­lait les ouvriers de Pologne à la révolution alors que le prolétariat mondial était sup­posé n'être pas encore sorti de la contre ré­volution. Finalement, c'est la notion de cours qui disparaît totalement ; voila où en arrive BC : éliminer toute notion d'une perspective historique... En fait, la vision de BC (et du BIPR) porte un nom : l'immédia­tisme. » ([12] [22])

C'est l'immédiatisme qui explique la « naïveté » de BC : hors d'un cadre histori­que de compréhension des évènements, cette organisation en est conduite à croire ce que les medias bourgeois racontent à leur pro­pos.

C'est l'immédiatisme qui permet de com­prendre pourquoi, par exemple, en 1987-88 les groupes du BIPR, face aux luttes ouvriè­res, s'amusent à la balançoire entre un total scepticisme et un grand enthousiasme : la lutte de 1987 dans le secteur de l'école, en Italie, d'abord considérée par BC sur le même plan que celle des pilotes d'avion ou des magistrats devient par la suite le début « d'une phase nouvelle et intéressante de la lutte de classe en Italie. » A la même pé­riode, on peut voir la CWO osciller de la même façon face aux luttes en Grande-Bretagne. ([13] [23])

C'est le même immédiatisme qui fait écrire à BC de janvier 1996 que « La grève des tra­vailleurs français, au delà de l'attitude op­portuniste (sic) des syndicats, représente vraiment un épisode d'une importance ex­traordinaire pour la reprise de la lutte de classe ». Pour BC, ce qui faisait cruellement défaut dans cette lutte, pour lui éviter la dé­faite, c'est un parti prolétarien. Si le parti qui, effectivement, devra être constitué pour que le prolétariat puisse réaliser la révolu­tion communiste, devait s'inspirer de la même démarche immédiatiste que celle dont ne s'est pas départie, malgré toutes ses bour­des, le BIPR, alors, il faudrait craindre pour le sort de la révolution.

En fait, c'est justement en tournant ferme­ment le dos à l'immédiatisme, en ayant la préoccupation constante de replacer les mo­ments actuels de la lutte de classe dans leur contexte historique qu'on peut les compren­dre et assumer un véritable rôle d'avant garde de la classe.

Ce cadre, c'est évidemment celui du cours historique, nous n'y reviendrons pas. Mais, plus précisément, c'est celui qui prévaut de­puis l'effondrement des régimes staliniens à la fin des années 1980 et qui est sommaire­ment rappelé au début de cet article. C'est dès la fin de l'été 1989, deux mois avant la chute du mur de Berlin que le CCI s'est atte­lé à élaborer le nouveau cadre d'analyse permettant de comprendre l'évolution de la lutte de classe :

« C'est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat... qu'il faut s'at­tendre. Si les attaques incessantes et de plus en plus brutales que le capitalisme ne man­quera pas d'asséner contre les ouvriers vont les contraindre à mener le combat, il n'en résultera pas, dans un premier temps, une plus grande capacité pour la classe à avan­cer dans sa prise de conscience. En particu­lier, l'idéologie réformiste pèsera très for­tement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndi­cats.

Compte tenu de l'importance historique des faits qui le déterminent, le recul actuel du prolétariat, bien qu'il ne remette pas en cause le cours historique, la perspective gé­nérale aux affrontements de classe, se pré­sente comme bien plus profond que celui qui avait accompagné la défaite de 1981 en Pologne. » ([14] [24])

Par la suite, le CCI a été conduit à intégrer dans ce cadre les nouveaux événements de très grande importance qui se sont succé­dés :

« Une telle campagne [sur la "mort du com­munisme" et le "triomphe" du capitalisme] a obtenu un impact non négligeable parmi les ouvriers, affectant leur combativité et leur conscience. Alors que cette combativité connaissait un nouvel essor, au printemps 1990, notamment à la suite des attaques ré­sultant du début d'une récession ouverte, elle a été de nouveau atteinte par la crise et la guerre du Golfe. Ces événements tragi­ques ont permis de faire justice du mensonge sur le "nouvel ordre mondial" annoncé par la bourgeoisie lors de la disparition du bloc de l'Est sensé être le principal responsable des tension militaires (...) Mais en même temps, la grande majorité de la classe ou­vrière des pays avancés, à la suite des nou­velles campagnes de mensonges bourgeois, a subi cette guerre avec un fort sentiment d'impuissance qui a réussi à affaiblir consi­dérablement ses luttes. Le putsch de l'été 1991 en URSS et la nouvelle déstabilisation qu'il a entraînée, de même que la guerre ci­vile en Yougoslavie, ont contribué à leur tour à renforcer ce sentiment d'impuissance. L'éclatement de l'URSS et la barbarie guer­rière qui se déchaîne en Yougoslavie sont la manifestation du degré de décomposition at­teint aujourd'hui par la société capitaliste. Mais, grâce à tous les mensonges assénés par ses médias, la bourgeoisie a réussi à masquer la cause réelle de ces événements pour en faire une nouvelle manifestation de la "mort du communisme", ou bien une question de "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" face auxquelles les ouvriers n'ont d'autre alternative que d'être des spec­tateurs passifs et de s'en remettre à la "sagesse" de leurs gouvernements. » ([15] [25])

En fait, la guerre en Yougoslavie, par son horreur, sa durée et par le fait qu'elle se dé­roulait tout près des grandes concentrations prolétariennes d'Europe occidentale a consti­tué un des éléments essentiels permettant d'expliquer l'importance des difficultés ren­contrées par le prolétariat à l'heure actuelle. En effet, elle cumule (même si à un niveau moindre) les dégâts provoqués par l'effon­drement du bloc de l'Est, des illusions et un désarroi important parmi les ouvriers, et ceux provoqués par la guerre du Golfe, un profond sentiment d'impuissance, sans pour autant apporter, comme cette dernière, une mise en évidence des crimes et de la barba­rie des grandes « démocraties ». Elle consti­tue une claire illustration de comment la dé­composition du capitalisme, dont elle est au­jourd'hui une des manifestations les plus spectaculaires, joue comme un obstacle de premier plan contre le développement des luttes et de la conscience du prolétariat.

Un autre aspect qu'il importe de souligner, notamment parce qu'il concerne l'arme par excellence de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, les syndicats, c'est le fait qui était déjà signalé en septembre 1989 dans nos « thèses » : « l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes dans la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats. » Cela découlait du fait, non pas que les ouvriers se faisaient encore des illu­sions sur « le paradis socialiste », mais que l'existence d'un type de société présenté comme « non capitaliste » semblait signifier qu'il pouvait exister autre chose sur terre que le capitalisme. La fin de ces régimes a été présenté comme « la fin de l'histoire » (terme utilisé très sérieusement par des « penseurs » bourgeois). Dans la mesure où le terrain par excellence des syndicats et du syndicalisme est l'aménagement des condi­tions de vie du prolétariat dans le capita­lisme, les événements de 1989, aggravés par toute la succession de coups portés à la classe ouvrière depuis, ne pouvaient qu'aboutir, comme on l'a constaté effective­ment, à un retour en force des syndicats ; un retour en force célébré par la bourgeoisie lors des mouvements sociaux de la fin 1995.

En fait, cette remise en selle des syndicats ne s'est pas faite immédiatement. Ces orga­nisations avaient amassé, tout au long des année 1980 notamment, un tel discrédit, du fait de leur contribution permanente au sa­botage des luttes ouvrières, qu'il leur était difficile de revenir du jour au lendemain dans le rôle de défenseurs intransigeants de la classe ouvrière. Aussi, leur retour en scène s'est-il produit en plusieurs étapes au cours desquelles ils se sont de plus en plus présen­tés comme l'instrument indispensable des combats ouvriers.

Un exemple de ce re­tour en force progressif des syndicats nous est donné par l'évolution de la situation en Allemagne où, après les grandes manoeu­vres dans le secteur public du printemps 1992, il y avait encore eu place pour les lut­tes spontanées, en dehors des consignes syndicales, de l'automne 1993, dans la Ruhr avant qu'au début 1995, les grèves dans la métallurgie ne les remettent beaucoup plus en selle. Mais l'exemple le plus significatif de cette évolution est celui de l'Italie. A l'au­tomne 1992, l'explosion violente de colère ouvrière contre le plan Amato voit des cen­trales syndicales prises pour cible de cette même colère. Ensuite, un an plus tard, ce sont les « coordinations des conseils de fa­brique », c'est-à-dire des structures du synd­icalisme de base qui ani­ment les grandes « mobilisations » de la classe ouvrière et les grandes manifestations qui parcourent le pays. Enfin, la manifesta­tion « monstre » de Rome, au printemps 1994, la plus imposante depuis la seconde guerre mondiale, a consti­tué un chef d'oeu­vre du contrôle syndical.

Pour comprendre ce retour en force des syn­dicats, il importe de souligner qu'il a été fa­cilité et permis par le maintien de l'idéologie syndicale dont les syndicats « de base » ou « de combat » sont les ultimes défenseurs. En Italie, par exemple, ce sont eux qui ont animé la contestation des syndicats officiels (en apportant aux manifestations les oeufs et les boulons destinés aux bonzes) avant que d'ouvrir le chemin de la récupération syndicale de 1994 par leurs propres « mobilisations » de 1993. Ainsi, dans les combats à venir, après que les syndicats of­ficiels se soient à nouveau discrédités du fait de leur indispensable travail de sabo­tage, la classe ouvrière devra encore s'atta­quer au syndicalisme et à l'idéologie syndi­caliste représentés par les syndicats de base qui ont si bien travaillé pour leurs grands frères au cours de ces dernières années.

Cela signifie que c'est encore un long che­min qui attend la classe ouvrière. Mais les difficultés qu'elle rencontre ne doivent pas être un facteur de démoralisation, particuliè­rement parmi ses éléments les plus avancés. La bourgeoisie, pour sa part, sait parfaite­ment quelles sont les potentialités que porte en lui le prolétariat. C'est pour cela qu'elle organise des manoeuvres comme celle de la fin 1995. C'est pour cela que, cet hiver, lors du colloque de Davos qui traditionnellement rassemble les 2000 « décideurs » les plus importants du monde dans le domaine éco­nomique et politique (et où participait Marc Blondel, chef du syndicat français Force Ouvrière) on a pu voir ces décideurs se pré­occuper avec inquiétude de l'évolution de la situation sociale. C'est ainsi que parmi beau­coup d'autres, on a pu entendre des discours de ce genre : « Il faut créer la confiance parmi les salariés et organiser la coopéra­tion entre les entreprises afin que les collec­tivités locales, les villes et les régions béné­ficient de la mondialisation. Sinon, nous as­sisterons à la résurgence de mouvements so­ciaux comme nous n'en avons jamais vus depuis la seconde guerre. » ([16] [26])

Ainsi, comme les révolutionnaires l'ont tou­jours mis en évidence, et comme nous le confirme la bourgeoisie elle-même, la crise de l'économie capitaliste constitue le meilleur allié du prolétariat, celui qui lui ouvrira les yeux sur l'impasse du monde ac­tuel et lui fournira la volonté de le détruire malgré les multiples obstacles que tous les secteurs de la classe dominante ne manque­ront pas de semer sur son chemin.

FM, 12/03/96.




[1] [27]  « Résolution sur la situation internationale », 11e Congrès du CCI, point 14, Revue Internationale n° 82.

 

[28] « Résolution sur la situation internationale », 11e Congrès du CCI, point 14, Revue Internationale n° 82.

 

[3] [29]. Revue Internationale n° 84, « Lutter derrière les syndicats mène à la défaite ».

 

[4] [30]. Voir à ce sujet notre article « Le prolétariat est toujours la classe révolutionnaire », Revue internationale n° 74.

 

[5] [31]. Voir à ce sujet : « Rapport sur le cours historique » dans la Revue internationale n° 18.

 

[6] [32]. Supplément au bulletin Entreprise et personnel intitulé : « Le conflit social de fin 1995 et ses conséquences probables »

 

[7] [33]. C'est une erreur, la CFDT, syndicat social-démocrate d'origine chrétienne, approuvait le plan Juppé sur la Sécurité Sociale.

 

[8] [34]. Il faut relever le ton moins optimiste de la CWO que celui de BC : « La bourgeoisie a tellement confiance dans le fait qu'elle va contrôler la colère des ouvriers que la Bourse de Paris est en hausse. » Il faut ajouter que tout au long du mouvement le Franc s'est maintenu à son cours. Ce sont bien deux preuves que la bourgeoisie a accueilli ce mouvement avec une totale satisfaction. Et pour cause !

 

[9] [35]. Revue Internationale n° 70, « Face au chaos et aux massacres, seule la classe ouvrière peut apporter une réponse ».

 

[10] [36]. Voir dans la Revue Internationale n° 61 notre article « Le vent d'Est et la réponse des révolutionnaires ».

 

[11] [37]. Voir en particulier nos articles « Réponse à Battaglia Comunista sur le cours historique » et « La confusion des groupes communistes sur la période actuelle : la sous-estimation de la lutte de classe » dans la Revue Internationale n° 50 et 54.

 

[12] [38]. Revue Internationale n° 54.

 

[13] [39]. Voir à ce sujet notre article « Décantation du milieu politique prolétarien et oscillations du BIPR », Revue Internationale n° 55.

 

[14] [40]. « Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est », Revue Internationale n° 60.

 

[15] [41]. « Seule la classe ouvrière internationale peut sortir l'humanité de la barbarie », Revue Internationale n° 68.

 

[16] [42] Rosabeth Moss Kanter, ancien directeur de la Harvard Business Review, citée par Le Monde Diplomatique de mars 1996.

 

Géographique: 

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Récent et en cours: 

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Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question syndicale [45]

Revolution allemande (IV) : fraction ou nouveau parti ?

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Dans les trois précédents articles, nous avons montré que la classe ouvrière, par ses luttes, avait contraint le Capital à mettre fin à la première guerre mon­diale. Afin d'empêcher une extension de la vague révolu­tionnaire, le Capital a tout entrepris pour séparer la classe ou­vrière d'Allemagne de celle de Russie, pour saboter toute radicali­sation ulté­rieure des luttes. Dans cet article nous voulons montrer comment les révolu­tionnaires en Allemagne ont été confron­tés à la question de la cons­truction de l'organisation face à la trahi­son de la social-démocratie.

Le déclenchement de la première guerre mondiale n'a été possible que parce que les partis de la 2e Internationale, dans leur ma­jorité, se sont soumis aux intérêts de chaque capital national. Après l'engagement sans hésita­tion des syndicats dans la politique d' « Union sacrée » avec la bourgeoisie, l'ap­probation des crédits de guerre par la frac­tion parlementaire et l'Exécutif du SPD a rendu possible le déclenchement de la guerre par le capital allemand. Le vote des crédits de guerre n'est pas une surprise dans la mesure où il constitue l'aboutissement de toute un processus de dégénérescence de l'aile oppor­tuniste de la Social-démocratie. L'aile gau­che avait déjà lutté de toutes ses forces, avant la guerre, contre cette dégéné­rescence. Dès le premier jour des hostilités les internationalistes se rassemblent sous la bannière du groupe qu'ils vont nommer « Spartakus ». La première des respon­sa­bilités qu'ils se fixent est la défense de l'in­ternationalisme prolétarien contre la trahi­son de la di­rection du SPD. Cela ne signifie pas, pour eux, de faire seulement de la pro­pagande en faveur de cette position pro­grammatique fondamentale mais aussi et surtout de défendre l'organisation politique de la classe ouvrière, dont la direction a trahi, contre son étranglement par les forces du capital. Les internationalistes, à l'unani­mité, sont décidés à ne pas laisser tomber le parti aux mains des traîtres et tous tra­vaillent à sa reconquête. Aucun d'entre eux ne veut en sortir de plein gré. Au contraire, tous choisissent d'accomplir un travail de fraction en son sein afin d'en expul­ser la di­rection social-patriote.

Les principaux bastions de la trahison sont constitués par les syndicats qui sont irrémé­diablement intégrés dans l'État bourgeois. Il n'y a là plus rien à reconquérir. Le SPD constitue, quant à lui, un lieu de trahison mais en même temps un lieu où s'exprime une résistance prolétarienne. Même la frac­tion parle­mentaire du Reichstag se divise clairement entre traîtres et internationalis­tes. Comme nous l'avons montré dans l'ar­ticle de la Revue internationale n° 81, des voix contre la guerre se sont élevées rapi­dement au Reichstag malgré de grandes dif­ficultés et une certaine hésitation. Mais, dès ce moment-là, c'est surtout à la base du parti-même que se déve­loppe le levier le plus puissant contre la trahison.

« Nous accusons la fraction du Reichstag d'avoir trahi les principes fondamentaux du parti, et, avec eux, l'esprit de la lutte des classes. La fraction parlementaire s'est ainsi elle-même mise en dehors du parti ; elle a cessé d'être la représentante autorisée de la social-démocratie allemande. » ([1] [46])

Tous les internationalistes sont d'accord pour ne pas abandonner l'organisation aux traîtres. « Cela ne signifie pas que la sépa­ration im­médiate d'avec les opportunistes soit, dans tous les pays, souhaitable ou même possi­ble ; cela signifie que la sépara­tion est, histori­quement, mure, qu'elle est devenue inéluc­table et qu'elle représente un pas en avant, une nécessité pour le combat révolu­tion­naire du prolétariat, que le tournant histo­rique de l'entrée du capita­lisme "pacifique" dans le stade de l'impéria­lisme met une telle séparation à l'ordre du jour. » ([2] [47])

Nous avons montré dans la Revue interna­tionale n° 81 que les Spartakistes et les « Linksradikale », dans d'autres villes, pour­sui­vent, dans un premier temps, le but de construire un rapport de forces qui doit met­tre la direction social-pa­triote en minorité. Mais ensuite, comment mettre à exé­cution la rupture organisationnelle avec les traî­tres ? Il est clair que traîtres et interna­tiona­listes ne peuvent pas coexister dans le même parti. Les uns doivent l'emporter sur les au­tres. Le fait est que la direction, à cause de la ré­sistance des Spartakistes, se trouve de plus en plus dans l'embarras, que le parti dans son en­semble suit de moins en moins les traîtres.Ces derniers sont ainsi contraints d'engager une of­fensive con­tre les interna­tionalistes pour les asphyxier.

 La question se pose alors : comment réagir face à cette attaque? Faut-il claquer la porte et fonder aus­sitôt une nouvelle organisation en dehors du SPD ?

Par rapport à cela, des divergences apparais­sent au sein de la Gau­che. Alors que les so­cial-patriotes commencent à chasser les ré­volutionnaires du SPD (d'abord de la frac­tion parlementaire, ensuite du parti lui même ; ainsi après Liebknecht, exclu en dé­cembre 1915, c'est au tour des députés ayant voté contre les crédits de guerre d'être éjec­tés du groupe parlementaire au prin­temps 1916) est discutée la question : jus­qu'à quel point faut-il lutter pour reconquérir l'organi­sa­tion ?

L'attitude de Rosa Luxemburg est claire : « On peut "sortir" de petites sectes et de cé­nacles quand ils ne vous conviennent plus pour fonder de nouvelles sectes et de nou­veaux cénacles. Vouloir, par une simple "sortie", libérer les masses de prolétaires du joug horriblement pesant et funeste et leur montrer ainsi par ce vaillant exemple la voie à suivre, n'est que rêverie immature. Se donner l'illusion de libérer les masses en déchirant sa carte de membre n'est que l'ex­pression renversée du fétichisme de la carte du parti comme pouvoir illusoire. Ces deux attitudes ne sont que les pôles diffé­rents du crétinisme organisationnel (...). La décom­position de la social-démocratie al­lemande fait partie d'un processus histori­que aux dimensions les plus larges, de l'af­fronte­ment général entre bourgeoisie et classe ou­vrière, champ de bataille qu'il est impossi­ble de déserter par dégoût. Il nous faut li­vrer ce combat titanesque jusqu'aux derniè­res extrémités. Il nous faut arracher pour le rompre de toutes nos forces réunies le mor­tel noeud coulant que la social-démo­cratie allemande officielle, les syndicats li­bres officiels et la classe dominante ont glissé autour de la gorge des masses trom­pées et trahies. La liquidation de ce tas de putréfac­tion organisée qui s'appelle au­jourd'hui social-démocratie, n'est pas une affaire pri­vée qui dépende de la décision personnelle d'un ou de plusieurs groupes. (...) Elle doit être réglée comme large ques­tion publique du pouvoir en déployant tou­tes nos for­ces. » ([3] [48])

« Le mot d'ordre n'est ni scission ni unité ; ni nouveau parti ni vieux parti, mais recon­quête du parti de bas en haut par la rébel­lion des masses qui doivent prendre dans leurs propres mains les organisations et leurs moyens, non par des mots mais par une rébellion en actes. (...) Le combat déci­sif pour le parti a commencé. » ([4] [49])

Le travail de fraction

Alors que Rosa Luxemburg maintient fer­mement l'idée de rester le plus longtemps possible dans le SPD et qu'elle est le plus fortement convaincue de la nécessité du tra­vail de fraction, la Gauche de Brême com­mence à soutenir la nécessité d'une organi­sation indépendante.

Jusque fin 1916, début 1917, cette question ne constitue pas un point de litige. K. Ra­dek, l'un des principaux représentants de la Gauche de Brême affirme lui-même :

« Faire la propagande en faveur de la scis­sion ne signifie pas que nous devrions sortir dés maintenant du parti. Au contraire : nos efforts doivent viser à nous emparer de tou­tes les organisations et de tous les orga­nes possibles du parti. (...) Notre devoir est de nous maintenir à nos postes le plus long­temps possible, car plus longtemps nous nous y maintiendrons, plus nombreux seront les ouvriers qui nous suivront dans le cas où nous serions exclus par les social-impéria­listes qui naturellement comprennent parfai­tement quelle est notre tactique, même si nous la passions sous silence. (...) L'une des tâches de l'heure est que les organisations locales du parti qui se trouvent sur le ter­rain de l'opposition s'unissent et établissent une direction provisoire de l'opposition dé­terminée. » ([5] [50])

C'est donc un mensonge que d'affirmer que la Gauche de Brême aurait aspiré à une sé­pa­ration organisationnelle immédiatement en août 1914. Ce n'est qu'à partir de 1916, lors­que le rapport de forces au sein du SPD commence à être de plus en plus chancelant, que les groupes de Dresde et de Hambourg commencent à plaider pour une organisation indépen­dante, même s'ils n'ont pas sur cette question de conceptions organisationnelles solides.

Le bilan des deux premières années de la guerre montre que les révolutionnaires ne se sont pas laissés museler et qu'aucun des groupes n'a renoncé à son indépendance or­ganisationnelle. S'ils avaient abandonné l'or­ganisation aux mains des so­cial-patriotes en 1914 cela aurait si­gnifié jeter les principes par dessus bord. Et même en 1915, quand le mécontentement dans la classe ouvrière commence à s'exprimer et que de plus en plus d'ac­tions de riposte se mettent en mou­ve­ment, ce n'est pas encore le moment pour édifier une nouvelle organisation indépen­dante en dehors du SPD. Tant qu'il n'existe pas un rapport de forces suffisant, tant qu'il n'existe pas suffisamment de force pour combattre dans les rangs prolétariens eux-mê­mes et que les révolutionnaires se trou­vent être en­core en si petite minorité, bref, tant que les conditions pour la « fondation du parti » ne sont pas remplies, il est néces­saire d'effectuer un travail de fraction dans le SPD.

Un rapide tour d'horizon de la situation, à ce moment-là, montre que le choc de la trahi­son de la direction du parti en août 1914 continue à faire sentir ses effets, que la classe ouvrière, avec la victoire pas­sagère du nationalisme, a essuyé une lourde dé­faite et que, de ce fait, il est impossible de fonder un nouveau parti. Il s'agit d'abord de mener la lutte pour l'ancien parti, accomplir un dur travail de fraction et ensuite effectuer les préparatifs pour la construction d'un nouveau parti. La fondation immédiate de celui-ci en 1914 est impen­sable car la classe ouvrière doit d'abord se re­mettre des effets de la défaite. Pour les internationalis­tes, ni la sortie directe du SPD, ni la fonda­tion d'un nouveau parti ne sont à l'ordre du jour à ce moment-là.

En septembre 1916 le Comité directeur du SPD convoque une conférence nationale du parti. Bien que les mandats des délégués soient manipulés par ses soins, la direction perd de son emprise sur l'opposition. Cette dernière décide de ne plus verser de cotisa­tions à l'Exécutif. Mais celui-ci réplique aussitôt par l'exclusion de tous ceux qui adoptent cette attitude et en premier lieu la Gauche de Brême.

Dans cette situation qui s'envenime rapide­ment, où le Comité directeur se trouve de plus en plus récusé dans le parti, où la classe réagit de plus en plus contre la guerre, où l'Exécutif a commencé à pro­cé­der à des exclusions plus importantes, les Spartakistes ne se prononcent toujours pas pour par­tir, pour quitter le SPD « par tran­ches » comme le recommandent une partie des ca­marades de Brême suite à la tactique de la grève des cotisations :

« Une telle scission dans les circonstances données ne signifierait pas l'expulsion hors du parti des majoritaires et des hommes de Scheidemann à laquelle nous aspirons mais conduirait nécessairement à disperser les meilleurs camarades du parti dans des petits cercles et à les condamner à la complète impuissance. Nous tenons cette tactique pour dommageable et même néfaste. » ([6] [51]) Les Spartakistes se prononcent pour une démarche unitaire et non pas dispersée vis-à-vis des social-patrio­tes. En même temps, ils soulignent le critère clair déterminant leur présence dans le SPD :

« L'appartenance à l'actuel SPD ne devra être maintenue par l'opposition que tant que son action politique indépendante ne sera pas entravée et paralysée par celui-ci. L'op­position ne demeure dans le parti que pour combattre sans cesse la politique de la ma­jorité et pour s'interposer, pour protéger les masses de la politique impérialiste pra­ti­quée sous le manteau par la social-démo­cratie et afin d'utiliser le parti comme ter­rain de recrutement pour la lutte de classes prolétarienne anti-impérialiste. » E. Meyer déclare :

« Nous ne restons dans le parti que tant que nous pouvons y mener la lutte de classes contre le Comité directeur du parti. Du mo­ment que nous en serions empêchés, nous ne voudrions pas y rester. Nous ne sommes pas pour la scission. » ([7] [52])

La Ligue Spartakiste cherche, en effet, à former dans le SPD une organisation de l'en­semble de l'op­position. C'est ce qui a consti­tué l'orientation de la conférence de Zimmerwald et comme Lé­nine le souligne avec justesse : « L'opposition allemande manque énormé­ment encore d'un sol solide. Elle est encore dispersée, s'éparpille en cou­rants autono­mes, auxquels il  manque en premier lieu un fondement commun indis­pensable à sa ca­pacité d'action. Nous con­sidérons de notre devoir de fondre les forces dispersées en un organisme capable d'agir. » ([8] [53])

Tant que les Spartakistes restent dans le SPD en tant que groupe autonome, ils for­ment un pôle de référence politique qui lutte contre la dégé­nérescence du parti, contre la trahison d'une partie de celui-ci. Suivant les principes d'or­ganisation du mouvement ou­vrier la fraction ne prend pas d'existence sé­parée, d'indépen­dance organisationnelle mais reste au sein du parti. Ce n'est qu'avec l'exclusion du parti que l'existence indépen­dante sur le plan or­ganisationnel de la frac­tion est possible.

Par contre, les autres regroupements de la Gauche, et surtout les « Lichtstrahlen » ([9] [54]), celui autour de Borchardt et à Hambourg, commen­cent dans cette phase-ci, au cours de l'année 1916, à se prononcer clairement pour la construction d'une organisation indé­pen­dante.

Comme nous l'avons déjà exposé, cette aile de la Gauche (surtout de Hambourg et de Dresde) prend pour prétexte la trahison de la direction social-pa­triote pour remettre en ques­tion la nécessité du parti en général. Par crainte d'une nouvelle bureaucratisation, par peur de voir la lutte ouvrière étouffée par la Gauche à cause de l'organisation, ils com­mencent à rejeter toute organisation po­liti­que. Au départ, cela prend la forme d'une méfiance vis-à-vis de la centralisation, d'une revendication du fédéralisme. A ce moment-là, cela s'illustre par un refus de lut­ter contre les social-patriotes à l'intérieur du parti. Mais cela constitue l'acte de naissance du futur communisme de conseils qui va connaître dans les années suivantes un grand développement.

Le principe d'un travail de fraction consé­quent et la poursuite de la résistance au sein du SPD, tels qu'ils sont mis en pratique en Allemagne par les Gauches au cours de cette période, serviront ensuite d'exemple pour les camarades de la Gauche italienne, dix an­nées plus tard, dans leur combat au sein de l'Internationale Communiste contre la dégé­nérescence de celle-ci. Ce principe défendu par Rosa Luxemburg et la grande majorité des Spartakistes va être bien vite rejeté par des parties de la Gauche qui, dés que surgi­ront des divergences, sans aucune commune me­sure encore avec la trahison commise par les social-patriotes du SPD, quitteront im­médiatement l'or­gani­sation.

Les différents courants au sein du mouvement ouvrier

Le mouvement ouvrier, au cours des premiè­res années de guerre, s'est divisé dans tous les pays en trois courants. Lénine es­quisse ces trois courants en avril 1917 dans Les Tâches du prolétariat dans notre révo­lution de la façon suivante :

- « Les social-chauvins, socialistes en paro­les, chauvins en fait ; qui admettent la "défense de la patrie" dans une guerre im­périaliste. (...) Ce sont nos adversaires de classe. Ils sont passés du côté de la bour­geoisie. »

- « (...) les véritables internationalistes que représente le mieux "la Gauche de Zimme­r­wald". Caractère distinctif essentiel : rup­ture complète avec le social-chauvi­nisme (...). Lutte révolutionnaire intransi­geante contre son propre gouvernement impéria­liste et sa propre bourgeoisie im­périaliste. »

- Entre ces deux tendances, il existe un troi­sième courant que Lénine qualifie de « "centre", qui hésite entre les social-chau­vins et les véritables internationalistes. (...) Le "centre" jure ses grands dieux qu'il est (...) pour la paix, (...) et pour la paix avec les social-chauvins. Le "centre" est pour "l'unité", le centre est l'adversaire de la scission. (...) le "centre" n'est pas con­vaincu de la nécessité d'une révolution contre son propre gouvernement, ne la préconise pas, ne poursuit pas une lutte révolutionnaire intransigeante, invente pour s'y soustraire les faux-fuyants les plus plats, bien qu'à résonance archi-mar­xiste. »

Ce courant centriste ne possède aucune clar­té programmatique mais est au contraire in­cohérent, inconséquent, prêts à toutes les concessions possibles, recule devant toute définition programmatique, cherche "à s'adap­ter" à toute nouvelle situation. Il est l'endroit où s'affrontent les influences peti­tes-bourgeoises et révolutionnaires. Ce cou­rant s'est retrouvé en majorité à la confé­rence de Zimmerwald en 1915. En Allemagne même il est important en nom­bre. Lors de la conférence de l'opposition te­nue le 7 janvier 1917 il représente la majori­té des 187 délégués ; seulement 35 délégués sont des Spartakistes.

Le courant centriste se compose lui-même d'une aile droite et d'une aile gauche. L'aile droite est proche des social-pa­triotes tandis que l'aile gauche est plus ou­verte à l'inter­vention des révolutionnaires.

En Allemagne Kautsky se trouve la tête de ce courant qui s'unifie en mars 1916 au sein du SPD sous le nom de « Sozialdemokratische Arbeitsge­mein­schaft » (SAG, Collectif social-démocrate de Tra­vail) et qui est le plus fort surtout au sein de la fraction parlementaire. Haase et Ledebour sont les principaux députés cen­tristes au Reichstag.

Dans le SPD il n'existe donc pas seulement les traîtres et les révolutionnaires mais aussi un courant cen­triste qui, pendant une lon­gue période, attire vers lui la majorité des ouvriers.

« Et quiconque, s'écartant du terrain de la réalité, se refuse à reconnaître l'existence de ces trois tendances, à les analyser, à lutter de façon conséquente pour celle qui est véri­tablement internationaliste, se con­damne à l'inertie, à l'impuissance et à l'er­reur. » ([10] [55])

Alors que les social-patriotes continuent à vouloir injecter à haute dose le poison natio­naliste à la classe ouvrière et que les Spar­takistes mènent une lutte acharnée contre eux, les centristes oscillent entre ces deux pôles, allant de l'un à l'autre. Quelle attitude doi­vent alors adopter les Spartakistes vis-à-vis de ce centre ? L'aile rassemblée autour de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht souli­gnent que « politiquement on doit ta­per sur les centristes », que les révolution­naires doi­vent intervenir vis-à-vis d'eux.

L'intervention vis-à-vis du centrisme : la clarté politique d'abord, avant l'unité

En janvier 1916, au cours d'une conférence convoquée par les adversaires à la guerre Rosa Luxemburg esquisse déjà sa position vis-à-vis des Centristes : « Notre tactique dans cette conférence doit partir, non pas de l'idée de mettre toute l'opposition d'accord, mais inversement de sélectionner dans toute cette bouillie le petit noyau solide et apte à l'action que nous pouvons regrouper autour de notre plate-forme. A l'inverse, concernant un rassem­blement organisationnel, la plus grande prudence est requise. Car l'union des Gau­ches ne fait, d'après mes longues an­nées d'amère expérience dans le parti, que lier les mains des quelques uns capables d'agir. »

Pour elle, toute association organisationnelle avec les Centristes au sein du SPD est ex­clue. « Bien sûr l'unité fait la force, mais l'unité des convictions solides et profondes, non pas celle de l'addition mécanique et su­per­ficielle d'éléments profondément diver­gents. Ce n'est pas dans le nombre que ré­side sa force, mais dans l'esprit, dans la clarté, dans la détermination qui nous ani­ment. » ([11] [56])

De même Liebknecht souligne en février 1916 : « Non pas l'unité à tout prix, mais la clarté avant tout. Obtenue au moyen de la mise en évidence intransigeante et de la dis­cussion en profondeur de toute divergence  pour un accord sur les principes et la tacti­que dans la perspective d'être en mesure d'agir, dans la perspective de l'unité,  telle est la voie que nous nous devons d'emprun­ter. L'unité ne doit pas former le début de ce processus de fermentation mais doit en être la conclu­sion. » ([12] [57])

La clé de voûte de la méthode de R. Luxemburg et des autres Spartakistes est l'exi­gence de la clarté programmatique. En exi­geant la solidité programmatique, en persis­tant à ne pas se noyer politiquement, quitte à être numériquement réduits, mais en restant clairs quant au contenu, R. Luxemburg ne fait pas preuve de secta­risme, mais se situe en continuité de la vieille méthode marxiste. R. Luxemburg n'est pas la seule dépositaire de cette rigueur et de ce tranchant program­matique ; la même méthode sera ensuite aussi utilisée par les camarades de la Gau­che d'Italie, lorsqu'ils mettront en garde, au moment où ils analyseront le bilan de la Russie, et dans les années 1930, contre toute tendance à faire des concessions politiques sur le plan programmatique uniquement dans le but de grandir numériquement. De plus, il est pos­sible que Rosa Luxemburg commence à per­cevoir les répercus­sions de la nouvelle si­tuation ouverte avec l'entrée en décadence du système capitaliste. Dans cette pé­riode en effet, il ne peut plus y avoir de partis de masse de la classe ouvrière mais seulement des partis numériquement réduits qui se doivent d'être programmatiquement solides. Ainsi, la solidité, la rigueur du programme constitue la boussole du travail des révolu­tionnaires envers les Centristes qui, par dé­finition, oscillent et redoutent la clarté poli­ti­que.

Lorsqu'en mars 1917 les Centristes, après leur expulsion du SPD, veulent fonder leur propre organisation, les Spartakistes recon­naissent la nécessité d'une intervention vis-à-vis d'eux. Ils endossent la responsabilité qui est celle des révolutionnaires vis-à-vis de leur classe.

Dans le contexte du développement de la ré­volution en Russie et d'une radicalisation croissante des luttes de la classe ouvrière en Allemagne même, il s'agit, pour les Spartakistes, de ne pas se couper des meilleurs éléments qui sont encore sous l'in­fluence du centrisme pour les faire avancer et les pousser à effectuer une clarification. Nous devons considérer ces courants centris­tes, comme le « Collectif de travail social-démo­crate » (SAG), de la même manière que nombre de partis qui adhèreront à l'Internationale Com­muniste en mars 1919, c'est à dire non homo­gènes et n'of­frant au­cune stabilité ou cohé­rence.

Les mouvements centristes sont l'expression de l'immaturité de la conscience dans la classe; ils peuvent donc, avec la tendance de la lutte de classes à se développer, s'engager dans un processus de clarification et ainsi ac­complir leur destin historique : disparaî­tre. Pour cela, à côté de la dynamique de la lutte des classes, il est indispensable qu'il existe un pôle de référence organisateur en mesure de jouer le rôle de pôle de clarté vis-à-vis des Centristes. Sans l'existence et l'in­tervention d'une organisation révolutionnaire qui pousse en avant les éléments ouverts et ré­ceptifs pris dans le Centrisme, tout déve­loppement et toute séparation de ceux-ci du Centrisme est impossible.

Lénine résume cette tâche ainsi : « Le man­que le plus important de l'ensemble du mar­xisme révolutionnaire en Allemagne est l'ab­sence d'une organisation illégale qui suit sa ligne de façon systématique et qui éduque les masses dans l'esprit des tâches nouvel­les : une telle organisation devrait prendre une claire position aussi bien vis-à-vis de l'op­portunisme que du kautskysme. » ([13] [58])

Comment exercer alors l'activité de pôle de réfé­rence ? En février les Centristes propo­sent pour les 6 et 8 avril 1917 une confé­rence en vue de la fondation d'une organisa­tion commune adop­tant pour nom USPD (Parti social-démo­crate indépendant). De profondes divergen­ces s'expriment à ce su­jet parmi les révolu­tionnaires internationa­listes.

La Gauche de Brême prend position contre la participation de la gauches révolution­naire à cette organisation commune. Radek pense que :  « Seul un noyau clair et organi­sé peut exercer une influence sur les ou­vriers radicaux du Centre. Jusqu'à mainte­nant, tant que nous agissions sur le terrain du vieux parti, on pouvait se tirer d'affaire avec les liaisons lâches entre les différents radi­caux de la gauche. Maintenant (...) seul un parti radical de gauche doté d'un pro­gramme clair et de ses propres organes peut rassembler les forces dispersées, les unir et les accroître. (Nous ne pouvons remplir no­tre devoir) que par l'organisation des radi­caux de gauche en leur propre parti. » ([14] [59])

Les Spartakistes eux-mêmes ne sont pas unanimes sur la question. Lors d'une confé­rence préparatoire de la Ligue Spartakiste le 5 avril, de nombreux délégués prennent po­sition contre l'entrée dans l'USPD. Mais ce point de vue là ne parvient visiblement pas à s'imposer puisque les Spartakistes s'affilient à l'USPD. L'intention des Spartakistes est d'en retirer les meilleurs éléments pour les gagner à leur cause.

« Le Collectif de travail social-démocrate possède dans ses rangs tout une série d'élé­ments ouvriers qui, politiquement et par leur état d'esprit, comptent parmi les nôtres et ne suivent le collectif de travail que par man­que de contact avec nous ou par absence de connaissance des rapports effectifs au sein de l'opposition ou pour tout autre cause for­tuite... » ([15] [60])

« Il s'agit donc d'utiliser le nouveau parti qui va réunir des masses plus importantes comme champ de recrutement pour nos con­ceptions, pour la tendance déterminée de l'opposition ; il s'agit ensuite de contester au collectif de travail l'influence politique et spirituelle sur les masses au sein même du parti ; il s'agit enfin de propulser le parti comme un tout en avant par notre activité dans ses organisations même tout comme par nos propres actions indépendantes, ainsi qu'éventuellement d'agir contre son in­fluence dommageable sur la classe. » ([16] [61])

Au sein de la Gauche, les arguments pour ou cen­tre cette adhésion sont nombreux. La question qui se pose est : est-il préférable de me­ner un travail de fraction en dehors de l'USPD ou d'agir sur celui-ci de l'inté­rieur? Si le souci des Spartakistes d'inter­venir vis-à-vis de l'USPD pour en arracher les meilleurs éléments est parfaitement valable, il est autrement plus difficile de voir si cela doit se faire « de l'intérieur » ou « de l'ex­té­rieur ».

La question ne peut cependant se poser que parce que les Spartakistes considèrent à juste titre l'USPD comme un courant cen­triste appartenant à la classe ouvrière. Ce n'est pas un parti de la bourgeoisie.

Même Radek et avec lui la Gauche de Brême reconnaissent la nécessité de l'inter­vention vis-à-vis de ce mouvement cen­triste : « C'est en suivant notre chemin - sans aller de gauche ou de droite - que nous luttons pour les éléments indéterminés. Nous vou­lons essayer de les faire se ranger de notre côté. S'ils ne sont pas dés mainte­nant en me­sure de nous suivre, si leur orientation vers nous doit se produire ulté­rieurement, au moment où les nécessités de la politique exigeront de nous l'indépen­dance organisa­tionnelle, rien ne doit s'op­poser à celle-ci. Nous devrons suivre notre chemin. (L'USPD) est un parti qui à plus ou moins brève ou longue échéance se trouvera broyé entre les meules de la droite et de la gauche déterminées. » ([17] [62])

On ne peut comprendre la signification de l'USPD centriste et le fait qu'elle possède encore une grande influence au sein des masses ouvrières qu'en se représentant la si­tuation d'ébullition croissante de la classe ouvrière. A partir du printemps il y a une vague de grèves dans le nord, dans la Ruhr en mars, une série de grèves de masse im­pliquant plus de 300 000 ouvriers à Berlin en avril, un mouvement de grèves et de pro­testation durant l'été à Halle, Brunswick, Magdebourg, Kiel, Wuppertal, Hambourg, Nuremberg, en juin se produisent les pre­mières mutineries dans la flotte. Il ne peut être mis fin à tous ces mouvements que par la répression la plus brutale.

En tous cas, l'aile gauche se trouve provisoi­rement divisée entre les Spartakistes, d'une part, et la Gauche de Brême et les autres parties de la Gauche révolutionnaire, d'autre part. La Gauche de Brême réclame la fon­dation rapide du parti, tandis que les Spar­takistes adhèrent majoritairement à l'USPD en tant que fraction.

DV.



[1] [63]. Tract de l'opposition cité par R. Müller

 

[2] [64]. Lénine, L'Opportunisme et l'effondrement de la II° Internationale, Oeuvres complètes, tome 21

 

[3] [65]. Rosa Luxembourg, Der Kampf n° 31, « Offene Briefe an Gesinnungs­freunde. Von Spaltung, Einheit und Aus­tritt », Duisburg, 6 janvier 1917

 

[4] [66]. Lettre de Spartakus du 30 mars 1916.

 

[5] [67]. Radek, p.327, fin 1916.

 

[6] [68]. L. Jogisches, 30 septembre 1916.

 

[7] [69]. Wohlgemuth, p.167.

 

[8] [70]. Lénine, Wohlgemuth, p.118.

 

[9] [71]. Lichtstrahlen paraît d'août 1914 à avril 1916 ; l'Arbeiterpolitik de Brême depuis fin 1915, ensuite à partir de juin 1916, comme Organe des « Internationale Sozialisten Deutschlands » (ISD).

 

[10] [72]. Lénine, Les Tâches du prolétariat dans notre révolution, Oeuvres complètes, tome 24, p. 68.

 

[11] [73]. R. Luxemburg, La Politique de la minorité social-démocrate, T4, p. 179, printemps 1916.

 

[12] [74]. Spartakusbriefe, p. 112.

 

[13] [75] Lénine, juillet 1916, Oeuvres complètes, tome 22, p. 312.

 

[14] [76] K. Radek, Unter eigenem Banner, p. 414.

[15] [77] L. Jogisches, 25 décembre 1916.

[16] [78] Spartakus im Kriege, p. 184.

[17] [79] Einheit oder Spaltung  ?

Géographique: 

  • Allemagne [80]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [81]

Approfondir: 

  • Révolution Allemande [82]

Questions théoriques: 

  • Parti et Fraction [83]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [84]

Questions d'organisation, II : la lutte de la premiere internationale contre l' « alliance » de bakounine

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Nous consacrons la deuxième partie de cet article à la manière dont l'Alliance de Bakounine s'y est pris pour prendre le contrôle de la Première Internationale, l'Association Internationale des Travailleurs (AIT), et la détruire. Nous essaierons de montrer, aussi concrète­ment que possible, les tactiques utili­sées contre le mouvement ouvrier, en nous basant sur l'analyse faite par l'Internationale elle-même. Nous som­mes convaincus que l'identification de ces tactiques de la bourgeoisie et du parasitisme, la capacité à tirer les le­çons du combat contre Bakounine, sont aujourd'hui indispensables pour la dé­fense du milieu révolutionnaire.

Dans la première partie de cette série ([1] [85]), nous avons montré que la fameuse lutte au sein de l'AIT, qui devait conduire à l'exclu­sion de Bakounine et à la condamnation de son « Alliance secrète de la Démocratie Socialiste » au congrès de La Haye, était plus qu'une lutte du marxisme contre l'anar­chisme. C'était une lutte à mort entre ceux qui se consacraient à la construction du parti révolutionnaire du prolétariat et tous ceux qui ne recherchaient que sa destruction. Ces derniers n'incluaient pas seulement les anar­chistes déclarés, mais toutes les variantes les plus diverses du parasitisme organisa­tionnel. Le but de l'« Alliance » secrète de Bakounine n'était rien moins que de prendre le contrôle de l'Association Internationale des Travailleurs, à travers un complot caché, dans le but de détruire sa nature proléta­rienne. Dans cette tentative, les bakouni­niens étaient soutenus par une série d'élé­ments bourgeois, petits-bourgeois et déclas­sés qui existaient à l'intérieur des différentes sections de l'Internationale sans en partager les buts. Et, derrière la scène, le complot était encouragé par les classes dominantes elles-mêmes. Elles encourageaient et mani­pulaient Bakounine et ses adeptes, souvent même à leur insu. La presse bourgeoise se faisait l'écho des campagnes de calomnies de l'Alliance contre Marx et le Conseil Général, portant aux nues « l'esprit de liberté » des anarchistes qui condamnaient « les métho­des dictatoriales » des marxistes. Leurs es­pions et agents provocateurs, envoyés pour infiltrer l'AIT, faisaient tout ce qu'ils pou­vaient pour soutenir Bakounine et ses alliés parasites, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Association. La police politique facilitait le travail de sape contre les statuts de l'Internationale, en arrêtant des militants de manière à garantir le succès des manoeuvres de l'Alliance.

D'emblée, la bourgeoisie a utilisé sa police, ses tribunaux, ses prisons, et plus tard ses pelotons d'exécution contre l'AIT. Mais ce n'était pas là son arme la plus dangereuse. En effet, le Congrès de La Haye a montré « comment plus les persécutions ont aug­menté et plus l'organisation des travailleurs qu'est l'AIT s'est renforcée. » ([2] [86]).

L'arme la plus dangereuse de la bourgeoisie consistait précisément dans la tentative de détruire l'AIT de l'intérieur, à travers l'infil­tration, la manipulation et l'intrigue. Cette stratégie consiste à provoquer le soupçon, la démoralisation, les divisions et les clashes au sein d'une organisation prolétarienne, pour l'amener à se détruire elle-même. Alors que la répression porte toujours avec elle le risque de provoquer la solidarité de la classe ouvrière avec ses victimes, la destruction de l'intérieur permet, non seulement de détruire un parti ou un groupe prolétarien, mais de ruiner sa réputation et de l'effacer ainsi de la mémoire collective et des traditions de la classe ouvrière. Plus généralement elle vise à calomnier la discipline organisationnelle, en la présentant comme une « dictature » et à dénigrer la lutte contre l'infiltration poli­cière, le combat contre les ambitions de pouvoir destructrices des éléments déclassés de la classe dominante et  la résistance con­tre l'individualisme petit-bourgeois, en les présentant comme la manifestation d'une « élimination bureaucratique de rivaux ».

Avant de montrer comment la bourgeoisie, avec l'aide du parasitisme politique et de Bakounine en particulier, entreprit ce travail de destruction et de dénigrement, nous al­lons rapidement rappeler l'ampleur de la peur que l'AIT inspirait à la bourgeoisie.

La bourgeoisie se sent menacée par l'AIT

Le rapport du Conseil Général au cinquième congrès annuel de l'Association Internationale des Travailleurs à la Haye en septembre 1872, écrit au lendemain de la défaite de la Commune de Paris, déclarait :

« Depuis notre dernier Congrès à Bâle, deux grandes guerres ont changé la face de l'Europe, la guerre franco-allemande et la guerre civile en France. Ces deux guerres ont été précédées, accompagnées et suivies par une troisième : la guerre contre l'Association Internationale des Travailleurs. »

Ainsi, à la veille du plébiscite qui servit à Louis Napoléon à préparer sa guerre contre la Prusse, des membres de l'AIT furent arrê­tés le 23 avril 1870 à Paris, sous le prétexte d'être mêlés à un complot visant à assassiner Louis Bonaparte. Simultanément des arres­tations d'internationalistes eurent lieu à Lyon, Rouen, Marseille, Brest et dans d'au­tres villes.

« Jusqu'à la proclamation de la République, les membres du Conseil Fédéral de Paris sont restés en prison, tandis que les autres membres de l'Association étaient quotidien­nement dénoncés aux foules comme des traî­tres agissant pour le compte de la Prusse.

Avec la capitulation de Sedan, tandis que le second Empire se terminait comme il avait commencé, par une parodie, la guerre fran­co-allemande est entrée dans sa seconde phase. Elle est devenue une guerre contre le peuple français... De ce moment, elle s'est trouvée contrainte non seulement de com­battre la République en France, mais simul­tanément l'Internationale en Allemagne. » ([3] [87]).

« Si la guerre contre l'Internationale a été localisée d'abord en France et ensuite en Allemagne, elle est devenue générale à par­tir du surgissement puis de la défaite de la Commune de Paris. Le 6 juin 1871, Jules Favre envoya une circulaire aux puissances étrangères, exigeant l'extradition des réfu­giés de la Commune en tant que criminels de droit commun et réclamant une croisade gé­nérale contre l'Internationale comme ennemi de la famille, de la religion, de l'ordre et de la propriété. » ([4] [88]).

Il s'ensuivit une nouvelle offensive, coor­donnée internationalement, de la bourgeoi­sie pour détruire l'AIT. Les chanceliers d'Autriche-Hongrie et d'Allemagne, Beust et Bismarck, tinrent deux « réunions au som­met » presque entièrement consacrée à tra­vailler aux moyens de cette destruction. Les tribunaux autrichiens, par exemple, en con­damnant les chefs du parti prolétarien à la servitude pénale en juillet 1870, décrétèrent ce qui suit :

« L'Internationale vise à émanciper la classe ouvrière de la domination de la classe pos­sédante et de la dépendance politique. Cette émancipation est incompatible avec les ins­titutions existantes de l'Etat autrichien. De là, quiconque accepte et défend les principes du programme de l'Internationale, conspire pour renverser le gouvernement Autrichien et est, en conséquence, coupable de haute trahison. » ([5] [89])

Aux derniers jours de la Commune de Paris, tous les secteurs de la classe dominante avait compris le danger mortel que l'organi­sation socialiste internationale représentait pour sa domination. Même si l'AIT n'a pas pu elle-même jouer un rôle dirigeant dans les événements de la Commune de Paris, la bourgeoisie était tout à fait consciente que ce surgissement, la première tentative de la classe ouvrière pour détruire l'Etat bourgeois et le remplacer par sa propre domination de classe, n'aurait pas été possible sans l'auto­nomie et la maturité politiques et organisa­tionnelles du prolétariat, une maturité que l'AIT cristallisait.

Plus encore, c'est la menace politique que l'existence même de l'AIT faisait peser sur la domination à long terme du capital qui, dans une grande mesure, explique la sauvagerie avec laquelle la Commune de Paris a été ré­primée conjointement par les Etats français et allemand.

Après la Commune de Paris : la bourgeoisie essaie de briser et de discréditer l'AIT

En fait, comme Marx et Engels avaient tout juste commencé à le comprendre au moment du fameux congrès de La Haye en 1872, la défaite de la Commune, et du prolétariat français comme un tout, signifiait le com­mencement de la fin pour l'AIT. L'association des secteurs décisifs des ou­vriers d'Europe et d'Amérique, fondée en 1864, n'était pas une création artificielle, mais le produit de la montée de la lutte de classe à cette époque. L'écrasement de la Commune signifiait la fin de cette vague de luttes et ouvrait une période de défaite et de désorientation politique. Comme après la défaite des révolutions de 1848-49, quand la Ligue des Communistes avait été victime d'une semblable désorientation, beaucoup de ses membres refusant de reconnaître que la période révolutionnaire était terminée, l'AIT, après 1871, était entrée dans une période de déclin. Dans cette situation, la principale préoccupation de Marx et Engels fut de faire en sorte que l'AIT termine son travail en bon ordre. C'est dans cette perspective qu'au Congrès de La Haye, ils ont proposé de transférer le Conseil Général à New York, où il serait tenu à distance de la ligne de front de la répression bourgeoise et des dis­sensions internes. Ils voulaient avant tout préserver la réputation de l'Association, dé­fendre ses principes politiques et organisa­tionnels, de manière à ce que ceux-ci puis­sent être transmis aux futures générations de révolutionnaires. En particulier, l'expérience de l'AIT devait servir de base pour la cons­truction d'une Seconde Internationale, aussi­tôt que les conditions objectives le permet­traient.

Pour les classes dominantes, cependant, il n'était pas question de permettre que l'AIT termine sa tâche en bon ordre et de la laisser transmettre ainsi aux générations proléta­riennes à venir les enseignements de ces premiers pas dans la construction d'une or­ganisation internationale, statutairement centralisée. Le massacre des ouvriers de Paris donnait le signal : il s'agissait de me­ner à son terme tout le travail de sape in­terne et de discrédit de l'AIT qui avait déjà commencé bien avant la Commune. Les re­présentants les plus intelligents des classes dominantes craignaient que l'AIT reste dans l'histoire comme un moment décisif de l'adoption du marxisme par le mouvement ouvrier. Bismark était un de ces intelligents représentants des exploiteurs, lui qui, au long des années 1860, avait secrètement, et quelquefois ouvertement, soutenu les Lassaliens au sein du mouvement ouvrier al­lemand, dans le but de combattre le déve­loppement du marxisme. Mais il y en eut d'autres, comme nous allons le voir, qui se sont unis pour désorienter et naufrager l'avant-garde politique de la classe ouvrière.

L'Alliance de Bakounine : fondée pour attaquer l'AIT

« L'Alliance de la démocratie socialiste fut fondée par M. Bakounine vers la fin de l'an­née 1868. C'était une société internationale prétendant fonctionner, en même temps en dehors et en dedans de l'Association inter­nationale des travailleurs. Se composant de membres de cette dernière qui réclamaient le droit de participer à toutes ses réunions, elle voulait cependant se réserver celui d'avoir ses propres groupes locaux, ses fé­dérations nationales, et d'organiser ses congrès particuliers, à côté et en sus de ceux de l'Internationale. En d'autres termes, l'Alliance prétendait dès le début former une sorte d'aristocratie au sein de notre associa­tion, un corps d'élite avec un programme à elle et avec des privilèges particuliers. » ([6] [90]).

Bakounine avait échoué dans son projet ori­ginal d'unifier sous son propre contrôle l'AIT et la Ligue de la Paix et la Liberté, ses pro­positions ayant été rejetées par le congrès général de toute l'AIT à Bruxelles. Bakounine expliquait cette défaite à ses amis bourgeois de la Ligue en ces termes : « Je ne pouvais pas prévoir que le Congrès de l'Internationale nous répondrait par une insulte aussi grossière que prétentieuse, mais cela est dû aux intrigues d'une certaine coterie d'Allemands qui déteste les Russes et tout le monde excepté eux-mêmes. » ([7] [91]).

Concernant cette lettre, Nicolai Outine, dans son rapport au Congrès de La Haye, souligne un des aspects centraux de la politique de Bakounine :

« Elle prouve que c'est déjà de cette époque, sinon d'avant, que datent les calomnies de Bakounine contre le citoyen Marx, contre les Allemands et contre toute l'Internationale, qui était déjà accusée alors, et a priori - puisque Bakounine igno­rait tout à ce moment tant de l'organisation que de l'activité de l'Association -, d'être une marionnette aveugle entre les mains du citoyen Marx et de la clique allemande (plus tard devenue pour les partisans de Bakounine une clique autoritaire à l'esprit bismarckien) ; de cette époque également date la haine rancunière de Bakounine pour le Conseil général et pour certains de ses membres en particulier. » ([8] [92]).

Devant cet échec, Bakounine dût changer de tactique et demander son admission dans l'AIT. Mais il ne modifia pas sa stratégie de base :

« Pour se faire reconnaître comme chef de l'Internationale, il fallait se présenter comme chef d'une autre armée dont le dé­vouement absolu envers sa personne lui de­vait être assuré par une organisation se­crète. Après avoir ouvertement implanté sa société dans l'Internationale, il comptait en étendre les ramifications dans toutes les sec­tions et en accaparer par ce moyen la direction absolue. Dans ce but, il fonda à Genève l'Alliance (publique) de la démocra­tie socialiste. (...) Mais cette Alliance publi­que en cachait une autre qui, à son tour, était dirigée par l'Alliance encore plus se­crète des frères internationaux, les Cent Gardes du dictateur Bakounine. » ([9] [93])

Cependant, la première demande d'admis­sion de l'Alliance fut refusée, pour cause de sa pratique organisationnelle non conformes aux statuts de l'Association.

« Le Conseil Général refusa d'admettre l'Alliance tant qu'elle conserverait son ca­ractère international distinct ; il ne promit de l'admettre qu'à la condition qu'elle dis­soudrait son organisation internationale particulière, que ses sections se converti­raient en simples sections de notre associa­tion et que le conseil serait informé du lieu et des effectifs numériques de chaque section nouvelle. ».([10] [94]).

Le Conseil Général insistait particulière­ment sur ce dernier point, afin d'empêcher l'Alliance d'infiltrer secrètement l'AIT, sous des noms différents.

L'Alliance répondit :

« La question de la dissolution est aujour­d'hui prononcée. En notifiant cette décision aux différents groupes de l'Alliance, nous les avons invités à se constituer, à notre exemple, en sections de l'AIT, et à se faire reconnaître comme telles par vous ou par le Conseil Fédéral de l'Association dans leurs pays respectifs. » ([11] [95]).

Mais l'Alliance ne fit rien de tel. Ses sec­tions n'ont jamais déclaré leur siège ni leur force numérique, pas plus qu'elles n'ont posé leur candidature en leur propre nom.

« La section de Genève resta la seule qui demandait son affiliation. On n'entendit plus parler des autres prétendues sections de l'Alliance. Cependant, en dépit des intrigues continuelles des alliancistes tendant à impo­ser leur programme spécial à toute l'Internationale et à s'assurer le contrôle de notre association, il nous fallut croire que l'Alliance avait tenu parole et qu'elle s'était dissoute. Mais, au mois de mai dernier, le Conseil général reçut des indications assez précises, dont il dut conclure que l'Alliance n'avait pas même envisagé sa dissolution ; qu'en dépit de sa parole solennellement donnée, elle avait existé et existait toujours, sous forme de société secrète, et qu'elle usait de cette organisation clandestine pour poursuivre son but de toujours : s'assurer le contrôle complet de l'Internationale. » ([12] [96]).

En fait, au moment où l'Alliance s'est décla­rée dissoute, le Conseil Général ne disposait pas de preuves suffisantes pour justifier un refus de l'admettre dans l'Internationale. Il avait en outre été « induit en erreur par quelques signatures du programme qui lais­saient supposer qu'elle était reconnue par le Comité fédéral romand. » ([13] [97]).

Mais ce n'avait pas été le cas, puisque le Comité fédéral romand avaient de bonnes raisons de ne faire aucune confiance aux al­liancistes.

« L'organisation secrète cachée derrière l'Alliance publique entra, dès ce moment, en action. Derrière la section de Genève de l'Internationale, il y avait le bureau central de l'Alliance secrète ; derrière les sections de Naples, de Barcelone, de Lyon et du Jura, les sections secrètes de l'Alliance. Appuyé sur cette franc-maçonnerie dont l'existence n'était pas même soupçonnée ni par la masse des Internationaux, ni par leurs centres administratifs, Bakounine es­pérait s'emparer de la direction de l'Internationale au congrès de Bâle, en sep­tembre 1869. » ([14] [98]).

A cette fin l'Alliance commença à mettre di­rectement en oeuvre son appareil secret in­ternational.

« L'Alliance secrète envoya des instructions à ses adhérents dans tous les coins d'Europe, les enjoignant, qui à se faire élire comme délégués, qui à donner un mandat impératif s'ils ne pouvaient envoyer un de leurs propres hommes. Dans beaucoup d'en­droits, les membres ont été très surpris de constater que, pour la première fois dans l'histoire de l'Internationale, la désignation des délégués ne se faisait pas de manière honnête, ouverte et transparente et le Conseil général reçut des lettres demandant s'il n'y avait pas quelque chose dans l'air. » ([15] [99]). Au congrès de Bâle, l'Alliance échoua dans son objectif principal qui était de trans­férer le Conseil Général de Londres à Genève, où Bakounine comptait bien le do­miner. L'Alliance ne renonça pas, elle chan­gea de tactique.

« Constatons d'abord qu'il y a eu deux pha­ses bien distinctes dans l'action de l'Alliance. Dans la première, elle croyait pouvoir s'emparer du Conseil général et, ce faisant, s'assurer la direction suprême de notre association. C'est alors qu'elle de­manda à ses adhérents de soutenir la "forte organisation" de l'Internationale et surtout "le pouvoir du Conseil général et des con­seil fédéraux et comités centraux". C'est dans ces conditions que les alliancistes ont demandé au Congrès de Bâle tous ces pou­voirs étendus pour le Conseil général, pou­voirs qu'ils ont plus tard repoussé avec tant d'horreur parce que autoritaires. » ([16] [100]).

La bourgeoisie favorise le travail de sabotage de Bakounine

Dans la première partie de cet article, sur la préhistoire de la conspiration de Bakounine, nous avons déjà montré quelle était la nature de classe de sa société secrète. Même si la majorité de ses membres n'en avaient pas conscience, l'Alliance représentait rien moins qu'un cheval de Troie au moyen du­quel la bourgeoisie a tenté de détruire l'AIT de l'intérieur.

Si Bakounine a pu tenter de prendre le con­trôle de l'AIT dès le congrès de Bâle, moins d'un an après y être entré, c'est uniquement parce qu'il avait reçu l'aide de la bourgeoi­sie. Cette aide lui a fourni une base politi­que et organisationnelle, avant même qu'il n'ait rejoint l'AIT.

La première origine du pouvoir de Bakounine a été la société entièrement bourgeoise qu'était la Ligue de la Paix et la Liberté, constituée pour rivaliser avec l'AIT et s'opposer à elle. Comme le rappelait Outine, parlant de la structure de l'Alliance :

« Nous devons noter avant tout que les noms de Comité central permanent, Bureau cen­tral et Comités nationaux, existaient déjà dans la Ligue de la Paix et de la Liberté. En fait les règles secrètes (de l'Alliance) admet­tent sans gêne que le comité central perma­nent est composé de "tous les membres fon­dateurs de l'Alliance". Et ces fondateurs sont les "anciens membres du Congrès de Berne" (de la Ligue) appelés "la minorité socialiste". Ainsi ces fondateurs devaient élire parmi eux le Bureau central avec son siège à Genève. » ([17] [101]).

L'historien anarchiste Nettlau mentionne les personnes suivantes qui quittèrent la Ligue pour se consacrer à pénétrer dans l'Internationale : Bakounine, Fanelli, Friscia, Tucci, Mroczkowski, Zagorski, Joukovski, Elisée Reclus, Aristide Rey, Charles Keller, Jaclard, J. Bedouche, A. Richard ([18] [102]). Plusieurs de ces personnages étaient direc­tement des agents de l'infiltration politique bourgeoise. Albert Richard, qui constitua l'Alliance en France, était un agent de la po­lice politique bonapartiste, ainsi que son « compagnon d'armes » à Lyon, Gaspard Blanc. Saverio Friscia, selon un autre histo­rien anarchiste, Woodcock, n'était pas seu­lement « un physicien homéopathique sici­lien, mais aussi un membre de la Chambre des députés, et, plus important pour les Frères Internationaux, un franc-maçon du trente-troisième degré, avec une grande in­fluence dans les loges du Sud de l'Italie. » ([19] [103]). Fanelli a été longtemps membre du parlement italien et avait les plus intimes connexions avec de hauts représentants de la bourgeoisie italienne.

La seconde origine bourgeoise des appuis politiques de Bakounine était donc ses liens avec les « cercles influents » d'Italie. En oc­tobre 1864, à Londres, Bakounine dit à Marx qu'il partait travailler pour l'AIT en Italie, et Marx écrivit à Engels combien il avait été impressionné par cette initiative. Mais Bakounine mentait.

« Par Dolfi, il s'était introduit dans la so­ciété des francs-maçons, où les libres pen­seurs italiens s'étaient regroupés », nous dit Richarda Huch, aristocrate allemande, admi­ratrice et biographe de Bakounine ([20] [104]). Comme nous l'avons vu dans la première partie de cet article, Bakounine, qui quitta Londres pour l'Italie en 1864, tira avantage de l'absence de l'AIT dans ce pays pour y monter des sections, sous son propre con­trôle et à sa propre image. Ceux qui, comme l'Allemand Cuno, qui fonda la section de Milan, se sont opposés à la domination par cette « confrérie » secrète, ont été fort à pro­pos arrêtés ou déportés par la police dans les moments décisifs.

« L'Italie n'était devenue la terre promise de l'Alliance que par grâce particulière.(...) », déclare le rapport publié par le congrès de La Haye, citant une lettre de Bakounine à Mora, dans laquelle il explique : « Il y a en Italie ce qui manque aux autres pays : une jeunesse ardente, énergique, tout à fait dé­placée, sans carrière, sans issue, et qui, malgré son origine bourgeoise, n'est point moralement et intellectuellement épuisée comme la jeunesse bourgeoise des autres pays. » En commentaire, le rapport ajoute : « Le Saint Père (le Pape Bakounine) a rai­son. L'Alliance en Italie n'est pas un "faisceau ouvrier", mais un ramassis de dé­classés. Toutes les prétendues sections de l'Internationale en Italie sont conduites par des avocats sans cause, des médecins sans malades et sans science, des étudiants de billard, des commis voyageurs et autres em­ployés de commerce, et principalement des journalistes de la petite presse d'une réputa­tion plus ou moins douteuse. L'Italie est le seul pays où la presse de l'Internationale - ou soi-disant telle - ait revêtu les caracté­ristiques du Figaro. On n'a qu'à jeter un coup d'oeil sur l'écriture des secrétaires de ces prétendues sections, pour constater qu'il s'agit du travail de clercs ou de plumitifs professionnels. C'est en s'emparant ainsi de tous les postes officiels des sections que l'Alliance parvint à forcer les ouvriers ita­liens, pour entrer en communication entre eux ou avec les autres conseils de l'Internationale, de passer par les mains des déclassés alliancistes qui, dans l'Internationale, retrouvaient une "carrière" et une "issue". » ([21] [105])

C'est grâce à cette infrastructure issue de la Ligue, cet organe de la bourgeoisie euro­péenne occidentale influencé par la diploma­tie secrète du Tsar de Russie, et nourrie du vivier de bourgeois déclassés italiens, « libres-penseurs » et « francs-maçons », que Bakounine put lancer sa violente attaque contre l'Internationale.

C'est donc après le Congrès de Berne de la Ligue de la Paix (septembre 1868) que le déjà mentionné Fanelli, membre italien du Parlement et membre fondateur de l'Alliance, a été envoyé en Espagne, « muni d'une recommandation de Bakounine pour Garrido, député aux Cortes, qui le mit en contact avec les cercles républicains, tant bourgeois qu'ouvriers », afin d'installer l'Alliance sur la péninsule ibérique ([22] [106]). Ici nous voyons les méthodes typiques des anar­chistes « abstentionnistes » qui refusent énergiquement de faire de la « politique ». C'est avec de telles méthodes que l'Alliance s'est étendue dans les parties de l'Europe où le prolétariat industriel était encore extrê­mement sous-développé : l'Italie et l'Espagne, le Sud de la France, le Jura suisse. C'est ainsi qu'au congrès de Bâle, « grâce aux moyens déloyaux dont elle s'était servie, l'Alliance se trouva représen­tée par au moins dix délégués, parmi les­quels se trouvaient le fameux Albert Richard et Bakounine lui-même ».([23] [107]).

Mais toutes ces sections bakouniniennes, se­crètement dominées par l'Alliance, n'étaient pas en elles-mêmes suffisantes. Afin de met­tre la main sur l'AIT, il était nécessaire pour Bakounine et ses partisans d'être acceptés par une des sections existantes de l'Association, parmi les plus anciennes et les plus importantes, et d'en prendre le contrôle. Venu de l'extérieur, Bakounine comprit le besoin de se servir de l'autorité d'une telle section, déjà largement reconnue à l'intérieur de l'AIT. C'est pourquoi Bakounine partit dès le début pour Genève, où il fonda sa « Section de Genève de l'Alliance de la dé­mocratie socialiste ». Avant même que le conflit ouvert avec le Conseil général ne soit apparu, c'est là qu'a commencé la première résistance décisive de l'AIT contre le sabo­tage de Bakounine.

La lutte pour le contrôle de la fédération suisse romande

« Mais, en décembre 1868, l'Alliance de la démocratie socialiste s'était juste formée à Genève et s'était déclarée comme section de l'AIT. Cette nouvelle section demanda trois fois en quinze mois son admission au groupe des sections de Genève, et trois fois celle-ci lui a été refusée, d'abord par le Conseil cen­tral de toutes les sections de Genève et en­suite par le Comité fédéral romand. En sep­tembre 1869, Bakounine, le fondateur de l'Alliance, fut battu à Genève, lorsqu'il posa sa candidature pour la délégation au Congrès de Bâle et que celle-ci fut rejetée, les membres de Genève ayant nommé Grosselin délégué. Les pressions commen­cèrent alors (...) de la part des supporters de Bakounine, conduits par lui-même, pour contraindre Grosselin à renoncer et à lais­ser sa place à Bakounine. Ces discussions ont dû convaincre Bakounine que Genève n'était pas un endroit favorable à ses ma­chinations. Ses coups de gueule retentis­sants n'ont rencontré dans les réunions des ouvriers genevois que désintérêt et mépris. Ce fait, ajouté aux autres affaires russes, fournit à Bakounine le motif pour quitter de lui-même Genève. » ([24] [108]).

Au moment où, à Londres, le Conseil géné­ral agissait encore avec beaucoup d'hésita­tions et où il admettait l'Alliance contre sa propre conviction, les sections ouvrières en Suisse résistaient déjà ouvertement aux ten­tatives de Bakounine d'imposer sa volonté en violation des statuts. Alors que les histo­riens bourgeois, fidèles à leur vision de l'his­toire déterminée par de « grandes personna­lités », présentent le combat dans l'AIT comme un conflit « entre Marx et Bakounine », et tandis que les anarchistes font de Bakounine l'innocente victime de Marx, cette toute première bataille contre les bakouniniens en Suisse révèle immédia­tement qu'il s'agissait d'une lutte de toute l'organisation pour sa propre défense.

Cependant, cette résistance prolétarienne aux tentatives ouvertes de Bakounine de prendre le pouvoir n'a pu l'empêcher de faire éclater les sections suisses. Ceci vient de ce que, derrière la scène, Bakounine avait déjà commencé à se faire des adeptes dans le pays. Il les avaient gagnés principalement par des moyens de persuasion non politi­ques, en particulier le charisme de sa per­sonnalité, grâce auquel il fit la conquête de la section internationaliste du Locle, dans la région horlogère du Jura. Le Locle a été un centre de résistance à la politique Lassalienne de soutien aux conservateurs contre les radicaux bourgeois menée par le docteur Coullery, le pionnier opportuniste de l'Internationale en Suisse. Bien que Marx et Engels ait été les opposants les plus déter­minés à Lassale en Allemagne, Bakounine dit aux artisans du Locle que la politique corrompue de Coullery était le résultat de l'autoritarisme de Marx dans l'AIT, si bien qu'il était nécessaire de « révolutionner » l'Association par le biais d'une société se­crète. La branche locale de l'Alliance se­crète, conduite par J. Guillaume, devint le centre de la conspiration, à partir duquel la lutte contre les Internationaux suisses était organisée.

Les partisans de Bakounine, peu représentés dans les villes industrielles, mais fortement présents parmi les artisans du Jura, provo­quèrent alors la scission dans le Congrès de la Fédération romande tenu à la Chaux-de-Fonds, en s'efforçant d'obliger la section de Genève à reconnaître l'Alliance et de trans­porter le Comité fédéral et son organe de presse de Genève à Neuchâtel, pour les met­tre dans les mains du bras droit de Bakounine, Guillaume. Les bakouniniens sabotèrent complètement l'ordre du jour du Congrès, n'acceptant la discussion sur aucun point, sinon celui de la reconnaissance de l'Alliance. Incapables d'imposer leur volonté, les alliancistes quittèrent le Congrès pour se réunir dans un café voisin, où ils s'auto-pro­clamèrent aussitôt « Congrès de la Fédération romande » et nommèrent leur propre « Comité fédéral romand », en viola­tion flagrante des articles 53, 54 et 55 des statuts de la fédération.

Face à cela, la délégation de Genève déclara qu' « il s'agissait de décider si l'Association voulait rester une fédération de sociétés ou­vrières, visant l'émancipation des tra­vailleurs par les travailleurs eux-mêmes ou si elle souhaitait abandonner son pro­gramme devant un complot fomenté par une poignée de bourgeois, dans le but évident de s'emparer de la direction de l'Association au moyen de ses organes publics et de ses conspirations secrètes. » ([25] [109]).

Ce faisant, la délégation de Genève avait immédiatement saisi l'entièreté de ce qui était en jeu. De fait, la scission que la bour­geoisie désirait tant, avait eu lieu.

« Quiconque connaît un tant soit peu l'histo­ire et le développement de notre Association sait bien qu'avant le Congrès romand de la Chaux-de-Fonds en avril 1870, il n'y avait pas de scission dans notre Association et ni la presse bourgeoise, ni le monde bourgeois n'avait jamais pu se réjouir publiquement de nos désaccords.

En Allemagne, il y eut la lutte entre les vrais Internationalistes et les partisans aveugles de Schweitzer, mais cette lutte n'a pas dé­passé les frontières de l'Allemagne, et les membres de l'Internationale dans tous les pays ont rapidement condamné cet agent du gouvernement prussien, même si au début il était bien camouflé et semblait être un grand révolutionnaire.

En Belgique, une tentative d'abuser et d'ex­ploiter notre Association eut lieu de la part d'un certain Mr Coudray, qui lui aussi sem­blait au début être un membre influent, tout dévoué à notre cause, mais qui s'avéra fina­lement n'être qu'un intrigant, dont le Conseil fédéral et les sections belges se sont chargés, malgré le rôle important qu'il avait réussi à avoir.

A l'exception de cet incident passager, l'Internationale se développait comme une véritable unité fraternelle, animée par le même effort combattant et n'ayant pas de temps à perdre dans de vaines disputes per­sonnelles.

Tout d'un coup, un appel à la guerre intes­tine surgit au sein de l'Internationale elle-même ; cet appel fut lancé par le premier numéro de La Solidarité (journal bakouni­nien). Il était accompagné des plus graves accusations publiques contre les sections de Genève et leur Comité fédéral, qui était ac­cusé de s'être vendu à un membre qui était peu connu jusqu'alors (...)

Dans le même numéro, La Solidarité prédi­sait qu'il y aurait bientôt une profonde scis­sion entre les réactionnaires (les délégués genevois au Congrès de la Chaux-de-Fonds) et plusieurs membres de la section des ou­vriers du bâtiment de Genève. Au même moment, des affiches parurent sur les murs de Genève, signées par Chevalley, Cagnon, Heng et Charles Perron (bakouniniens bien connus) annonçant que les signataires avaient été délégués par Neuchâtel pour ré­véler aux membres genevois de l'Internationale la vérité sur le Congrès de la Chaux-de-Fonds. Cela revenait logique­ment à une accusation publique contre tous les délégués de Genève, qui étaient ainsi traités de menteurs cachant la vérité aux membres de l'Internationale.

Les journaux bourgeois de Suisse annoncè­rent alors au monde qu'il y avait eu une scission dans l'Internationale. » ([26] [110]).

Les enjeux de cette grande bataille étaient énormes pour l'AIT, mais aussi pour l'Alliance dans la mesure où le refus de Genève de l'admettre « prouverait à tous les membres de l'Internationale ailleurs qu'il se passait quelque chose d'anormal autour de l'Alliance » (...) « et ceci aurait naturelle­ment sapé, paralysé, le "prestige" que les fondateurs de l'Alliance avaient rêvé d'avoir depuis sa création et l'influence qu'elle vou­lait exercer, surtout en dehors de Genève. » (...)

« D'un autre côté, s'il elle avait été un noyau reconnu et accepté par les groupes genevois et romand, l'Alliance aurait pu, se­lon les plans de ses fondateurs, usurper le droit de parler au nom de toute la Fédération romande, ce qui lui aurait né­cessairement donné un grand poids en de­hors de la Suisse » (...)

« Tout comme le choix de Genève comme centre des opérations ouvertes de l'Alliance, ceci venait de ce que Bakounine pensait qu'il jouirait d'une plus grande sécurité en Suisse que nulle part ailleurs, et qu'en géné­ral Genève, tout comme Bruxelles, avait ac­quis la réputation d'un des principaux cen­tres de l'Internationale sur le continent. »

Dans cette situation, Bakounine resta fidèle à son principe destructeur : ce qu'on ne peut pas contrôler, il faut le faire éclater. « Cependant, l'Alliance continuait à insister pour rejoindre la Fédération romande qui a alors été contrainte de décider l'expulsion de Bakounine et des autres meneurs. Il y eut ainsi deux Comités fédéraux romands, un à Genève, l'autre à la Chaux-de-Fonds. La grande majorité des sections restèrent loya­les au premier, tandis que le second n'avait l'appui que de quinze sections, dont un grand nombre (...) cessèrent d'exister l'une après l'autre. »

L'Alliance en appela alors au Conseil géné­ral pour décider lequel des deux devait être considéré comme le véritable organe central, espérant profiter du nom de Bakounine et de l'ignorance des affaires suisses censée régner à Londres. Mais, dès que le Conseil général se fut prononcé en faveur de la fédération originale de Genève et appela le groupe de la Chaux-de-Fonds à se transformer en sec­tion locale, elle dénonça immédiatement « l'autoritarisme » de Londres, qui s'immis­çait dans les affaires de la Suisse.

La Conférence de Londres de 1871

Pendant la guerre franco-prussienne de 1870, les luttes de classe en France puis la Commune de Paris, la lutte organisation­nelle au sein de l'Internationale passa au se­cond plan, sans pour autant disparaître com­plètement. Avec la défaite de la Commune et face à la nouvelle ampleur des attaques de la bourgeoisie, il fallut bientôt redoubler d'énergie pour défendre l'organisation révo­lutionnaire. Au moment de la Conférence de Londres, en septembre 1871, il était clair que l'AIT était attaquée d'une manière coor­donnée, tant de l'extérieur que de l'intérieur, et que le véritable coordinateur en était la bourgeoisie.

A peine quelques mois avant, c'était beau­coup moins clair. « Quand le matériel des organisations de Bakounine tomba dans les mains de la police parisienne avec les arres­tations de mai 1871 et que le ministère pu­blic annonça dans la presse qu'existait, der­rière l'Internationale officielle, une société secrète de conspirateurs, Marx crut que c'était une de ces coutumières "découvertes" policières. "C'est une niaiserie", écrivit-il à Engels. "A la fin, la police ne saura plus à quel saint se vouer". » ([27] [111]).

Mais, en septembre 1871, la Conférence de Londres, prise dans l'étau de la répression internationale et des calomnies, est à la hau­teur de la tâche. Pour la première fois, les questions organisationnelles internationales internes dominèrent une réunion internatio­nale de l'Association. La conférence adopta la proposition de Vaillant, affirmant que les questions sociales et politiques sont deux aspects de la même tâche du prolétariat pour détruire la société de classes. Les docu­ments, et en particulier la résolution « Sur l'action politique de la classe ouvrière », ti­rant les leçons de la Commune, montrant la nécessité de la dictature du prolétariat et d'un parti politique distinct de la classe ou­vrière, était un coup porté contre les absten­tionnistes politiques, « ces alliés de la bour­geoisie, qu'ils en soient conscients ou pas » ([28] [112]).

Au niveau organisationnel, ce combat s'est concrétisé par le renforcement des responsa­bilités du Conseil général, qui obtint le pou­voir, si nécessaire, de suspendre des sections entre les congrès internationaux. Elle s'est aussi concrétisée par la résolution contre les activités de Netchaiev, collaborateur de Bakounine en Russie. Le russe Outine, qui avait pu lire tous les documents des ba­kouniniens en Russie, fut chargé par la con­férence de rédiger un rapport sur cette der­nière question. Dans la mesure où ce rapport menaçait de mettre en lumière toute la conspiration bakouninienne, tout fut fait pour l'empêcher de le rédiger. Après que les autorités suisses, qui cherchaient à expulser Outine, aient été contraintes de renoncer face à une campagne publique massive de l'AIT, une tentative d'assassinat contre Outine (qui a bien failli réussir) fut perpé­trée par les bakouniniens.

Main dans la main avec cette répression bourgeoise, la circulaire de Sonvillier de la fédération bakouninienne du Jura s'attaqua à la Conférence de Londres. Cette attaque ou­verte était devenue une absolue nécessité pour l'Alliance, depuis qu'à la Conférence de Londres, les manipulations des partisans de Bakounine en Espagne avaient été mises au jour.

« Même les membres les plus dévoués de l'Internationale en Espagne furent amenés à croire que le programme de l'Alliance était identique à celui de l'Internationale, que l'organisation secrète existait partout et que c'était presque un devoir d'y entrer. Cette il­lusion fut détruite par la Conférence de Londres où le délégué espagnol - lui même membre du comité central de l'Alliance de son pays - put se convaincre du contraire, ainsi que par la circulaire du Jura elle-même, dont les attaques violentes et les ca­lomnies contre la Conférence et contre le Conseil général avaient immédiatement été reproduites par tous les organes de l'Alliance. La première conséquence de la circulaire jurassienne en Espagne fut donc de créer une scission au sein même de l'Alliance espagnole entre ceux qui étaient avant tout des membres de l'Internationale et ceux qui ne voulaient de l'Internationale qu'à condition qu'elle fût sous le contrôle de l'Alliance » ([29] [113]).

L'Alliance en Russie : une provocation dans l'intérêt de la réaction

« L'affaire Netchaiev » dont se préoccupa la Conférence de Londres, risquait de discrédi­ter totalement l'AIT et menaçait donc son existence même. Lors du premier procès po­litique public dans l'histoire russe, en juillet 1871, 80 hommes et femmes furent accusés d'appartenir à une société secrète qui avait usurpé le nom de l'AIT. Netchaiev qui pré­tendait être l' émissaire d'un soi-disant Comité révolutionnaire international oeu­vrant pour l'AIT, poussa la jeunesse russe à s'engager dans une série d'escroqueries et contraint certains d'entre eux à assister à l'assassinat d'un de leurs membres qui avait commis le crime de mettre en doute l'exis­tence du tout puissant « comité » de Netchaiev. Cet individu, qui s'échappa de Russie, en laissant ces jeunes révolutionnai­res à leur sort, pour venir en Suisse, où il se lança encore dans le chantage et tenta de monter un gang visant à dépouiller les tou­ristes étrangers, était un collaborateur direct de Bakounine. Dans le dos de l'Association, Bakounine avait muni Netchaiev, non seu­lement d'un « mandat » pour agir au nom de l'Association en Russie, mais aussi d'une jus­tification idéologique. C'était le « catéchisme révolutionnaire », basé sur la morale jésuite tant admirée par Bakounine, selon laquelle la fin justifie tous les moyens, y compris le mensonge, le meurtre, l'extor­sion, le chantage, l'élimination des camara­des qui « sortent du droit chemin », etc.

De fait, les activités de Netchaiev et de Bakounine conduisirent à l'arrestation de tant de jeunes révolutionnaires inexpérimen­tés qu'elles firent écrire par le Tagwacht de Zürich, en réponse à Bakounine : « le fait est que, même si vous n'êtes pas un agent rétri­bué, aucun agent provocateur rémunéré n'aurait pu réussir à faire autant de mal que ce que vous avez fait. »

Quant à la pratique d'envoyer par la poste en Russie des proclamations ultra-radicales, y compris à des gens non politisés, Outine écrivait : « Puisque les lettres étaient ouver­tes par la police secrète en Russie, comment Bakounine et Netchaiev pouvaient-ils sé­rieusement supposer que des proclamations pouvaient être envoyées en Russie dans des enveloppes à des personnes, connues ou in­connues, sans d'une part compromettre ces personnes, et d'autre part, sans prendre le risque de tomber sur un espion  ? » ([30] [114]).

Nous considérons l'explication que donne le rapport d'Outine de ces faits comme la plus vraisemblable :

« Je maintiens donc que Bakounine cher­chait à n'importe quel prix à faire croire en Europe que le mouvement révolutionnaire produit par son organisation était réelle­ment gigantesque. Plus gigantesque est le mouvement, et plus géante encore est son accoucheuse. Dans ce but, il publia dans La Marseillaise et ailleurs des articles dignes de la plume d'un agent provocateur. Tandis que des jeunes gens étaient arrêtés, il don­nait des assurances comme quoi tout était prêt en Russie pour le cataclysme pan-des­tructeur, pour la formidable explosion de sa grande révolution des moujiks, que les pha­langes de la jeunesses étaient prêtes, disci­plinées et aguerries, que tous ceux qui avaient été arrêtés étaient en fait de grands révolutionnaires (...) Il savait pertinemment que tout cela n'était que mensonges. Il men­tait quand il spéculait sur la bonne foi des journaux radicaux et quand il se posait en grand Pape-accoucheur de toute cette jeu­nesse qui payait en prison la foi qu'elle avait dans le nom de l'Association interna­tionale des travailleurs. »

Puisque, comme Marx et Engels l'ont sou­vent souligné, la police politique russe sur place, et sa « confrérie » d'agents en mis­sions, était la plus formidable du monde à cette époque, avec des agents dans chaque mouvement politique radical dans toute l'Europe, on peut présumer que ce prétendu « troisième département » avait connais­sance des plans de Bakounine et les tolérait.

 

Conclusion

La construction d'une organisation proléta­rienne révolutionnaire n'est pas un processus paisible. C'est une lutte permanente devant faire face, non seulement à l'intrusion des at­titudes petites-bourgeoises et autres influen­ces déclassées et intermédiaires, mais au sa­botage planifié organisé par la classe enne­mie. Le combat de la Première Internationale contre ce sabotage mené par l'Alliance est une des plus importantes luttes organisationnelles de l'histoire du mouve­ment ouvrier. Ce combat est riche de leçons pour aujourd'hui. L'assimilation de ces le­çons est actuellement plus essentielle que jamais pour défendre le milieu révolution­naire et préparer le parti de classe. Ces le­çons sont d'autant plus significatives et ri­ches, qu'elles ont été formulées de la ma­nière la plus concrète et avec la participation directe des fondateurs du socialisme scienti­fique, Marx et Engels. Le combat contre Bakounine est une exemplaire leçon d'appli­cation de la méthode marxiste dans la défe­nse et la construction de l'organisation com­muniste. C'est en assimilant cet exemple laissé par nos grands prédécesseurs que l'ac­tuelle génération de révolutionnaires, qui souffre encore de la rupture de continuité organique avec le mouvement ouvrier du passé causée par la contre-révolution stali­nienne, pourra se placer plus fermement dans la tradition de cette grande lutte orga­nisationnelle. Les leçons de tous ces com­bats, menés par l'AIT, par les bolcheviks, par la gauche italienne, sont une arme essen­tielle dans l'actuelle lutte du marxisme con­tre l'esprit de cercle, le liquidationnisme et le parasitisme politique. C'est pourquoi nous pensons qu'il est nécessaire d'entrer dans les détails les plus concrets, pour mettre en évi­dence toute la réalité de ce combat dans l'histoire du mouvement ouvrier.

KR.


[1] [115]. Revue Internationale n° 84.

 

[2] [116]. Le Congrès de La Haye de la Première Internationale, Procès-verbaux et Documents (M & D), Editions du Progrès (en anglais) Moscou p. 146.

 

[3] [117]. Rapport du Conseil Général au Congrès de La Haye, M & D, p. 213.

 

[4] [118]. Ibid p. 215.

 

[5] [119]. Ibid p. 216.

 

[6] [120]. Rapport sur l'Alliance, fait au nom du Conseil Général par Engels au congrès de La Haye , M & D, p. 348. Edité en français dans F. Engels    K. Marx, Le Parti de Classe, III, Questions d'organisation, Edition Maspero, p. 62.

 

[7] [121]. Lettre de Bakounine à Gustav Vogt de la Ligue, citée dans les documents du congrès de la Haye, M & D, p. 388.

 

[8] [122]. Rapport de Outine au congrès de La Haye, présenté par la commission d'enquête sur l'Alliance, M & D, p. 388.

 

[9] [123]. L'Alliance de la démocratie socia­liste et l'Association Internationale des travailleurs, M & D, p. 511, édité en français dans Marx / Bakounine, socialisme autoritaire ou libertaire ?, Editions 10-18, Tome II p. 134. Il s'agit du rapport public officiel, rédigé, sous le mandat du congrès de La Haye, par Marx, Engels, Lafargue et d'autres militants. Le titre de la version allemande, éditée par Engels, est plus combatif : Un complot contre l'AIT.

 

[10] [124]. Rapport d'Engels, M & D, p. 348 ; en français Edition Maspéro citée ci-dessus, p. 63.

 

[11] [125]. Cité par Engels dans son rapport, M & D, p. 249 ; en français Edition Maspéro, p. 63.

 

[12] [126]. Rapport au Congrès de La Haye, M & D, p. 349 ; en français Edition Maspéro, p. 64.

 

[13] [127]. L'Alliance et l'AIT, M & D, p. 522 ; en français, Editions 10-18 citée ci-dessus, p. 152.

 

[14] [128]. Ibid., p. 522-523 ; en français, p. 152-153.

 

[15] [129]. Karl Marx : l'homme et le combattant, Nicolaievsky et Maenchen-Helfen, p. 311 de l'édition anglaise.

 

[16] [130]. Rapport sur l'Alliance, M & D, p. 354 ; en français Edition Maspéro, p. 68.

 

[17] [131]. Rapport de Outine, M & D, p. 392-393.

 

[18] [132]. Max Nettlau, Der Anarchismus von Proudhon bis Kropotkine, p. 100.

 

[19] [133]. George Woodcock, Anarchism, p. 310.

 

[20] [134]. Huch, Bakounine und die Anarchie, p. 147.

 

[21] [135]. L'Alliance et l'AIT, M & D, p. 556 ; en français Editions 10-18, p. 202.

 

[22] [136]. Ibid, p.537 ; p. 174.

 

[23] [137]. Ibid p. 523 ; p. 153.

 

[24] [138]. Rapport d'Outine, ibid, p. 378.

 

[25] [139]. Rapport d'Outine, ibid, p. 383.

 

[26] [140]. Rapport de Outine, M & D, p. 376-377.

 

[27] [141]. Karl Marx : l'homme et le combattant, p. 315.

 

[28] [142]. Die Erste International, Vol. 2, p. 143.

 

[29] [143] Rapport sur l'Alliance, M & D, p. 356-356 ; en français Edition Maspéro, p. 69-70.

[30] [144] M & D, p. 416.

Conscience et organisation: 

  • La première Internationale [145]

Approfondir: 

  • Questions d'organisation [146]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [147]
  • L'organisation révolutionnaire [148]

Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle [13° partie]

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LA TRANSFORMATION DES RAPPORTS SOCIAUX SELON LES REVOLUTIONNAIRES DE LA FIN DU 19e SIECLE

Dans le dernier article de cette série, nous avons montré, à l'encontre des doutes soulevés par beaucoup de « communistes » autoproclamés, que l'objectif fondamental des partis socialistes à la fin du 19e siècle était vraiment le socialisme - une société sans rapports marchands, sans classes ou sans Etat. Dans cette suite, nous allons examiner comment les socialistes authentiques de cette époque envisageaient la façon dont la future société communiste s'attaquerait à certains des problèmes sociaux les plus pressants de l'humanité : les rapports entre hommes et femmes, et entre l’humanité et la nature dont elle a surgi. Ici, en défendant les communistes de la 2e Internationale, nous défendons une fois de plus le marxisme contre certains de ses « critiques » plus récents, en particulier le radicalisme petit-bourgeois à l'origine du féminisme et de l'écologie qui sont maintenant devenus des instruments à part entière de l'idéologie dominante.

Bebel et la « question de la femme » ou le marxisme contre le féminisme

Nous avons déjà mentionné que la grande popularité du livre de Bebel La femme et le socialisme résidait, dans une grande mesure, dans le fait qu'il prenait la « question de la femme » comme point de départ d'un voyage théorique vers une société socialiste dont la géographie devait être décrite en partie en détail. C'est avant tout comme guide dans ce paysage socialiste que le livre a eu un impact si puissant sur le mouvement ouvrier de l'époque. Mais cela ne veut pas dire que la question de l'oppression des femmes n'était qu'un hameçon ou un artifice commode. Au contraire, c'était une préoccupation réelle et croissante du mouvement prolétarien de cette époque : ce n'est pas par hasard si le livre de Bebel a été terminé plus ou moins en même temps que celui d’Engels sur L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat ([1] [149]).

Il est nécessaire d'insister là-dessus car, pour certaines versions grossières du féminisme - en particulier celle qui a fleurit parmi l'intelligentsia radicale aux Etats Unis - le marxisme lui-même n'est qu'une autre variante de l'idéologie patriarcale, une invention de ces «foutus chauvin-mâles » blancs, et il n'aurait rien à dire sur l'oppression de la femme. Les plus conséquentes de ces féministes-féministes défendent même qu'il faut immédiatement rejeter le marxisme parce que Marx lui-même était un mari et un père victorien qui a procréé en secret un enfant illégitime avec sa bonne:

Nous ne perdrons pas de temps ici à réfuter ce dernier argument puisqu'il révèle amplement par lui-même sa propre banalité. Mais l'idée que le marxisme n'a rien à dire sur la « question de la femme » nécessite qu'on la traite, également parce qu'elle a été appuyée par les interprétations économistes et mécanistes du marxisme lui-même.

Nous avons mis la formulation « question de la femme » entre guillemets jusqu'ici, non pas parce que la question n'existe pas pour le marxisme, mais parce qu'elle ne peut être posée que comme un problème de l’humanité, comme problème du rapport entre les hommes et les femmes, et non comme une question à part. Dès le début de son œuvre en tant que communiste, légitimement inspiré par le point de vue de Fourier, Marx posait ainsi la question:

« Le rapport immédiat, naturel, nécessaire de l'homme à l'homme est le rapport de l'homme à la femme. Dans le rapport naturel des sexes, le rapport de l'homme à la nature est immédiatement son rapport à l'homme; de même, celui-ci est son rapport immédiat à la nature, sa propre vocation naturelle. Il est la manifestation sensible, la démonstration concrète du degré jusqu'où l'essence humaine est devenue la nature, ou celle-ci l'essence de celle-là. Il permet de juger de tout le degré du développement humain. Du caractère de ce rapport, on peut conclure jusqu'à quel point l'homme est devenu pour lui-même un être générique, humain et conscient de l'être devenu. » ([2] [150])

Ici, le rapport homme-femme est placé dans son cadre naturel et historique fondamental. Le passage était écrit contre les notions erronées du communisme qui défendaient (ou accusaient les communistes de défendre) la « communauté des femmes », la subordination totale des femmes à la lubricité des hommes. Au contraire, il ne sera possible d'accéder à une vie véritablement humaine que lorsque les rapports entre les hommes et les femmes seront libérés de toute souillure de domination et d'oppression - et ceci n'est possible que dans une société communiste.

Ce thème a été sans cesse repris par la suite, dans l'évolution de la pensée marxiste. Depuis la dénonciation dans le Manifeste communiste du jargon hypocrite bourgeois sur les valeurs éternelles de la famille -valeurs que l'exploitation capitaliste elle-même sapait sans cesse - jusqu'à l'analyse historique de la transformation des structures familiales en système social différent, contenue dans le livre d’Engels L'origine de la famille, le marxisme a cherché à expliquer non seulement que l'oppression particulière des femmes était une réalité, mais aussi à situer ses origines matérielles et sociales afin de montrer la voie de son dépassement ([3] [151]) . Dans la période de la 2e Internationale, ces préoccupations furent reprises par les semblables d' Eléonore Marx, Clara Zetkin, Alexandra Kollontai et Lénine. Contre le féminisme bourgeois qui, tout comme dans ses incarnations récentes, voulait dissoudre les antagonismes de classe dans le concept vaporeux de « femmes­soeurs », les partis socialistes de cette époque reconnaissaient aussi la nécessité de faire un effort particulier pour attirer les femmes prolétaires qui étaient coupées du travail productif et associé, dans la lutte pour la révolution sociale.

Dans ce contexte, le livre de Bebel La femme et le socialisme constituait un repère bien net de la démarche marxiste envers le problème de l'oppression de la femme. Le rapport de première main qui suit, illustre de façon vivante l'impact qu'a eu le livre en défiant la rigidité de la division sexuelle du travail à l'époque « victorienne » -rigidité qui existait et opérait aussi dans le mouvement ouvrier lui-même :

« Bien que je ne fusse pas social-démocrate , j'avais des amis qui appartenaient au parti. Par eux, j'ai eu le précieux travail. Je l'ai lu d'affilée pendant des nuits. C'était mon propre destin et celui de milliers de mes sœurs. Ni dans la famille, ni dans la vie publique, je n'avais jamais entendu toute la souffrance que la femme doit endurer. On ignorait sa vie. Le livre de Bebel rompait courageusement le vieux secret -je n'ai pas lu ce livre une fois mais dix. Parce que tout était si nouveau, il m'a fallu un effort considérable pour assimiler le point de vue de Bebel. Je devais rompre avec tant de choses que j'avais considérées comme correctes auparavant. » ([4] [152])

Baader a rejoint le parti; ce qui a son importance : en mettant à nu les origines réelles de leur oppression, le livre de Bebel avait pour effet d'amener des femmes (et des hommes) prolétaires à la lutte de leur classe, la lutte pour le socialisme. L'immense impact qu'a eu le livre à son époque, se mesure au nombre d'éditions qui en a été fait: 50 entre 1879 et 1910, y compris un certain nombre de corrections et de traductions.

Dans les éditions plus développées, le livre se divise en trois parties - la femme dans le passé, dans le présent et dans l'avenir - traduisant par là la force essentielle de la méthode marxiste : sa capacité à situer toutes les questions qu'elle examine dans un cadre historique large qui met aussi en lumière la résolution future des conflits et contradictions existants.

La première partie, « la femme dans le passé » n'ajoute pas grand-chose à ce qu'Engels a mis en avant dans L'origine de la famille. En fait, c'est la publication du travail d’Engels qui a amené Bebel à réviser sa première version qui tendait plutôt vers l'idée que les femmes avaient été « autant » opprimées dans toutes les sociétés passées. Engels, à la suite de Morgan, a démontré que cette oppression s'était développée de manière qualitative avec l'émergence de la propriété privée et des divisions de classe. Aussi l'édition révisée de Bebel a-t-elle été capable de montrer le lien entre la montée de la famille patriarcale et celle de la propriété privée:

«.Avec la dissolution de la vieille société gentilice, l'influence et la position de la femme se sont rapidement affaiblies. Le droit maternel a disparu ; le droit paternel a pris sa place. L'homme est devenu un propriétaire privé : il avait un intérêt dans les enfants qu'il pouvait considérer comme légitimes et dont il a fait les héritiers de sa propriété : de ce fait, il a obligé la femme à l'abstinence de rapports avec d'autres hommes. » ([5] [153])

Les parties les plus importantes du livre sont les deux suivantes, la troisième comme nous l'avons vu ([6] [154]), parce qu'elle élargissait le problème à une vision générale de la société socialiste future ; la seconde parce que, sur la base de recherches approfondies, elle avait pour but de prouver concrètement comment la société bourgeoise existante, malgré toutes ses prétentions à la liberté et à l'égalité, assurait la perpétuation de la subordination de la femme. Bebel le démontrait non seulement par rapport à la sphère politique immédiate - les femmes n'avaient pas le droit de vote même dans la majorité des pays « démocratiques » de l'époque, sans parler de l'Allemagne dominée par les Junkers - mais aussi par rapport à la sphère sociale, en particulier celle du mariage au sein duquel la femme était subordonnée à 1’homme dans tous les domaines - financier, légal et sexuel. Cette inégalité s'appliquait à toutes les classes mais touchait les femmes prolétaires avec plus de force puisque qu'en plus de toutes les pressions de la pauvreté, elles subissaient fréquemment aussi la double obligation du travail salarié quotidien et des nécessités sans fin du travail domestique et de l'éducation des enfants. La description détaillée de Bebel sur la façon dont les stress combinés du travail salarié et du travail domestique sapent la possibilité de rapports harmonieux entre hommes et femmes, exprime une sensation remarquablement contemporaine, même à notre époque des soi-disant femmes « libérées » et « hommes nouveaux ».

Bebel montre aussi que « si le mariage représente l'un des côtés de la vie sexuelle du monde bourgeois, la prostitution en représente l'autre. Le premier est la face de la médaille, la seconde en est le revers. » ([7] [155])

Bebel dénonce avec colère l'attitude hypocrite de cette société envers la prostitution ; non seulement parce que le mariage bourgeois dans lequel la femme - surtout dans les classes supérieures - est en réalité achetée et propriété du mari, est lui-même du même ordre qu'une forme légalisée de prostitution, mais aussi parce que la majorité des prostituées sont des femmes prolétaires forcées à s'abaisser hors de leur classe par les contraintes économiques du capitalisme, par la pauvreté et le chômage. Et pas seulement: la société bourgeoise respectable qui est en premier lieu celle qui amène les femmes à cet état, punit sans faille les prostituées et protège les « clients », en particulier s'ils appartiennent aux sommets de la société. Particulièrement odieuses étaient les vérifications d' « hygiène » sur les prostituées par la police, dont non seulement les examens humiliaient les femmes mais qui, de surcroît, ne se prenaient pas la peine d'arrêter l'extension des maladies vénériennes.

Entre le mariage et la prostitution, la société bourgeoise était complètement incapable de fournir aux être humains les bases d'un accomplissement sexuel. Sans aucun doute, certaines positions de Bebel sur le comportement sexuel reflètent-elles les préjugés de son époque, mais leur dynamique de fond est définitivement tournée vers le futur. Anticipant Freud, il développait avec force que la répression sexuelle conduit à la névrose :

« Il est une loi que l'homme est obligé de s'appliquer rigoureusement à soi-même s'il veut se développer d'une façon saine et normale, c'est qu'il ne doit négliger d'exercer aucun membre de son corps, ni refuser d'obéir à aucune impulsion naturelle. II faut que chaque membre remplisse les fonctions auxquelles la nature l'a destiné, sous peine de voir dépérir et s'endommager tout l'organisme. Les lois du développement physique de l'homme doivent être étudiées et suivies avec autant de soin que son développement intellectuel. Son activité morale est l'expression de la perfection physique de ses organes. La pleine santé de la première est une conséquence intime du bon état de la seconde. Une altération de l'une trouble nécessairement l'autre. Les passions dites animales n'ont pas une racine plus profonde que les passions dites intellectuelles. » ([8] [156])

Freud devait évidemment développer un tel point de vue à un niveau bien plus profond ([9] [157]). Mais la force particulière du marxisme est que, sur la base de telles observations scientifiques des besoins humains, il est capable de montrer qu'un être véritablement humain ne peut exister que dans une société saine et que le véritable traitement de la névrose réside dans le domaine social plutôt que dans le domaine purement individuel.

Dans la sphère plus directement « économique », Bebel montre que malgré toutes les réformes réalisées par le mouvement ouvrier, malgré tous les acquis dans l'élimination des premiers excès dans le travail des femmes et des enfants, les femmes ouvrières continuent de souffrir d'épreuves particulières: précarité de l'emploi, travail malsain et métiers dangereux... Comme Engels, Bebel reconnaissait que l'extension et l'industrialisation du travail des femmes jouait un rôle progressiste dans la libération des femmes de la stérilité et de l'isolement des travaux domestiques, créant les bases de l'unité prolétarienne dans la lutte de classe. mais il montrait aussi le côté négatif de ce processus - l'exploitation particulièrement impitoyable du travail des femmes et la difficulté croissante pour les familles ouvrières à assurer l'entretien et l'éducation de leurs enfants.

Evidemment, pour Bebel, pour Engels, bref pour le marxisme, il y a véritablement une « question de la femme » et le capitalisme est incapable d'y fournir une réponse. Le sérieux avec lequel la question était traitée par ces marxistes, démontre amplement à quel point l'idée féministe grossière selon laquelle le marxisme n'a rien à dire sur ces sujets, est creuse. Mais il existe des versions bien plus sophistiquées de féminisme. Les «féministes socialistes » dont la principale mission fut d'amener le « mouvement de libération de la femme » des armées 1960 dans l'orbite du gauchisme établi, sont tout à fait capables de « reconnaître la contribution du marxisme » au problème de la libération de la femme - rien que pour prouver l'existence de fossés, de défauts et d'erreurs dans la démarche marxiste classique, requérant donc la subtile addition du féminisme pour arriver à la « critique totale ».

Les critiques telles qu'en firent les «féministes socialistes » au travail de Bebel sont assez parlantes de cette démarche. Dans Women's Estate, Juliet Mitchell, ayant reconnu que Bebel avait fait avancer la compréhension de Marx et Engels sur le rôle des femmes en mettant en évidence que leur fonction maternelle avait servi à les placer dans une situation de dépendance, se plaint ensuite que « Bebel lui-aussi a été incapable défaire plus qu'établir que l'égalité sexuelle était impossible sans le socialisme. Sa vision du futur est une vague rêverie, tout à­ fait déconnectée de sa description du passé. L'absence de préoccupation stratégique l'a amené à un optimisme volontariste divorcé de la réalité. » ([10] [158])

Une accusation similaire est portée dans le livre de Lise Vogel Marxism and the op­pression of women, tentative certainement parmi les plus sophistiquées de trouver une justification « marxiste » au féminisme: la vision du futur de Bebel « reflète une vision socialiste utopique, réminiscence de Fourier et d'autres socialistes du début du 19e siècle » ; sa démarche stratégique est contradiction de sorte que Bebel ne pouvait « malgré ses meilleures intentions socialistes, suffisamment spécifier le rapport entre la libération des femmes dans le futur communiste et la lutte pour l'égalité dans le présent! capitaliste. » Non seulement il n'y a pas de rapport entre aujourd'hui et demain: même la vision du futur est fausse puisque « le socialisme est largement décrit en terme de redistribution de biens et des services déjà accessibles dans la société capitaliste à des individus indépendants, plutôt qu'en termes de réorganisation systématique de la production et des rapports sociaux. » Cette idée que « même le socialisme » ne va pas assez loin dans la direction de la libération des femmes constitue le refrain commun des féministes: Mitchell par exemple cite Engels sur la nécessité pour la société de collectiviser le travail domestique (par la fourniture de facilités communales pour cuisiner, nettoyer, s'occuper des enfants, etc. ) et conclut que Marx et Engels insistaient tous deux « trop sur l'économique » quand ce qui est en cause est fondamentalement une question de rapports sociaux et de leur transformation.

Nous dirons quelque chose sur la question de l’« utopisme » de la période de la 2e Internationale. Mais laissons parfaitement clair qu'une telle accusation est inadmissible de la part des féministes. S'il existe un problème d'utopisme dans le mouvement ouvrier de cette époque, c'est à cause des difficultés à faire le lien entre le mouvement immédiat, défensif de la classe ouvrière et le but communiste futur. Mais pour les féministes, ce lien n'est pas fourni du tout par le mouvement du prolétariat, par un mouvement de classe, mais par un « mouvement autonome des femmes » qui proclame traverser les divisions de classe et fournir le chaînon stratégique manquant entre la lutte contre l'inégalité des femmes aujourd'hui et la construction de nouveaux rapports sociaux demain. C'est l'« ingrédient secret » le plus important que toutes les féministes socialistes veulent ajouter au marxisme. Malheureusement, c'est un ingrédient qui ne peut que gâter le plat.

Le mouvement de la classe ouvrière du 19e siècle n'a pas pris et ne pouvait pas prendre exactement la même forme qu'il a prise au 20e. Opérant au sein d'une société capitaliste qui pouvait encore accorder des réformes significatives, il était légitime pour les partis sociaux-démocrates de mettre en avant un programme minimum contenant des revendications pour des améliorations économiques, légales et politiques pour les femmes ouvrières, y compris l'octroi du droit de vote. Il est vrai que le mouvement social-démocrate n'était pas toujours précis dans la distinction entre buts immédiats et objectifs finaux. A cet égard, il existe des formulations ambiguës à la fois dans L'origine de la famille et dans La femme et le socialisme et une vraie «féministe socialiste » telle que Vogel n’hésite pas à le mettre en évidence. Mais fondamentalement, les marxistes de l'époque comprenaient que la véritable signification de la lutte pour des réformes était qu'elle unissait et renforçait la classe ouvrière et l'instruisait ainsi dans la lutte historique pour une nouvelle société. C'est avant tout pour cette raison que le mouvement prolétarien s'est toujours opposé au féminisme bourgeois : pas seulement à cause de ses buts limités aux horizons de la société présente, mais parce que loin d'aider à l'unification de la classe ouvrière, il aiguisait les divisions en son sein et l'amenait en même temps hors de son propre terrain de classe.

C'est plus vrai que jamais dans la période de décadence du capitalisme où les mouvements réformistes bourgeois n'ont plus du tout de contenu progressiste. Dans cette période, le programme minimum ne s'applique plus. La seule véritable question « stratégique » c'est comment forger l'unité du mouvement de classe contre toutes les institutions de la société capitaliste afin de se préparer pour son renversement. Les divisions sexuelles au sein de la classe, comme toutes les autres (raciales, religieuses, etc.) affaiblissent évidemment le mouvement et doivent être combattues à tous les niveaux, mais elles ne peuvent être combattues qu'avec les méthodes de la lutte de classe - à travers l'unité de sa lutte et de son organisation. La revendication des féministes d'un mouvement autonome des femmes ne peut être qu'une attaque directe contre ces méthodes ; tout comme le nationalisme noir et d'autres soi-disant « mouvements d'opprimés », elle est devenue un instrument de la société capitaliste pour exacerber les divisions au sein du prolétariat.

La perspective d'un mouvement séparé des femmes, vu comme la seule garantie à un futur « non sexiste », tourne en fait le dos au futur et finit par se fixer sur des questions « de femmes » les plus immédiates et particulières, telles que la maternité et l'éducation des enfants - qui n'ont en fait de véritable futur que lorsqu'elles sont posées en termes de classe (par exemple la revendication des ouvriers polonais en 1980). Elle est donc fondamentalement réformiste. Il en va de même pour cette autre critique féministe « radicale » du marxisme: le fait que le marxisme insiste sur la nécessité de transférer les (travaux) domestiques et l'éducation des enfants de toutes sortes de l'individu à la sphère communale serait « trop économiste ».

Dans ces articles, nous avons attaqué l'idée que le communisme soit autre chose que la transformation totale des rapports sociaux. La vision féministe selon laquelle le communisme ne va pas assez loin, ne voit pas plus loin que la politique et l'économique pour arriver au véritable dépassement de l'aliénation, n'est pas simplement fausse : c'est une adjonction directe au programme gauchiste de capitalisme d'Etat puisque les féministes montrent systématiquement les modèles « socialistes » existants (Chine, Cuba, auparavant l'URSS) pour prouver que les changements économiques et politiques ne sont pas suffisants sans la lutte consciente pour la libération des femmes. Bref: les féministes s'érigent elles-mêmes en groupe de pression pour le capitalisme d'Etat, se faisant sa conscience « antisexiste ». Le rapport symbiotique entre le féminisme et la gauche capitaliste « dominée par les mâles » le prouve suffisamment.

Cependant, pour le marxisme, tout comme la prise du pouvoir par la classe ouvrière ne constitue que le premier pas vers l'inauguration d'une société communiste, la destruction des rapports marchands et la collectivisation de la production et de la consommation, bref le contenu « économique » de la révolution ne fait que fournir la base matérielle pour la création de rapports qualitativement nouveaux entre les êtres humains.

Dans ses Commentaires sur les Manuscrits de 1844, Bordiga explique de façon éloquente pourquoi ce doit être le cas dans une société qui a réalisé l'aliénation des rapports humains jusque dans les rapports sexuels en les subordonnant tous à la domination du marché :

« Le rapport des sexes dans la société bourgeoise oblige la femme, à faire d'une position passive un calcul économique chaque fois qu'elle accède à l'amour. Le mâle fait ce calcul de façon active en inscrivant au bilan une somme allouée à un besoin satisfait. Ainsi dans la société bourgeoise, non seulement tous les besoins sont traduits en argent - ainsi pour le besoin d'amour chez le mâle - mais, pour la femme, le besoin d'argent tue le besoin d'amour. » ([11] [159])

Il ne peut y avoir dépassement de cette aliénation sans l'abolition de l'économie marchande et de l'insécurité matérielle qui va avec (insécurité ressentie d'abord et avant tout par les femmes). Mais cela requiert aussi l'élimination de toutes les structures économiques et sociales qui reflètent et reproduisent les rapports de marché, en particulier la famille atomisée qui devient une barrière à l'accomplissement réel de l'amour entre les sexes :

« Dans le communisme non monétaire, l'amour aura, en tant que besoin, le même poids et le même sens pour les deux sexes et l'acte qui le consacre, réalisera la formule sociale que le besoin de l'autre homme est mon besoin d'homme, dans la mesure où le besoin d'un sexe se réalise comme un besoin de l'autre sexe. On ne peut pas proposer cela uniquement en tant que rapport moral fondé sur un certain mode de rapport physique parce que le passage à une forme supérieure de société s'effectue dans le domaine économique : les enfants et leur charge ne concernent plus les deux parents qui s'unissent, mais la communauté. »

Contre ce programme matérialiste pour l'humanisation authentique des rapports sexuels, qu'offrent les féministes avec leur proclamation que le marxisme ne va pas assez loin ? En niant la question de la révolution - de la nécessité absolue du renversement économique et politique du capital - le féminisme « au mieux » ne peut rien offrir de plus qu'« un rapport moral fondé sur une certaine connexion physique », bref des sermons moralistes contre des attitudes sexistes ou des expériences utopiques de nouveaux rapports au sein de la prison de la société bourgeoise. La vraie pauvreté de la critique féministe est probablement le mieux résumée dans les atrocités du politically correct où l'obsession de changer les mots a épuisé toute passion pour changer le monde. Le féminisme se révèle ainsi comme un autre obstacle au développement d'une conscience et d'une action véritablement radicaux.

Le paysage du futur

Le faux radicalisme en vert

Le féminisme n'est pas seul à « découvrir » l'échec du marxisme à aller à la racine des choses. Son proche cousin, le mouvement « écologiste », proclame la même chose. Nous avons déjà résumé la critique « verte » du marxisme dans un précédent article de cette revue ([12] [160]) : posé simplement, l'argument est que le marxisme ne serait, à l'instar du capitalisme, qu'une autre idéologie de croissance, exprimant une vision « productionniste » de l’homme et aliénée de la nature.

Ce tour de passe-passe est habituellement réalisé par l'assimilation du marxisme au stalinisme : l'état hideux de l'environnement dans les anciens pays « communistes » est présenté comme un véritable legs de Marx et Engels. Cependant, il existe des versions plus sophistiquées de ce tour. Des conseillistes, des bordiguistes et des gens désenchantés qui flirtent maintenant avec le primitivisme et autres « verdures », savent que les régimes staliniens étaient du capitalisme et pas du communisme ; ils connaissent également le point de vue profond sur les rapports entre l'homme et la nature contenu dans les écrits de Marx, en particulier dans les Manuscrits de 1844. De tels courants concentrent donc leur feu sur la période de la 2e Internationale, période durant laquelle la vision dialectique de Marx a été soi-disant effacée sans laisser de trace pour être remplacée par un démarche mécaniste qui adorait passivement la science et la technologie bourgeoises, et plaçait l'abstrait « développement des forces productives » au-dessus de tout programme réel de libération humaine. Les intellectuels snobs de Aufheben sont spécialisés dans l'élaboration de ce point de vue, en particulier dans leur longue série qui attaque la notion de décadence capitaliste. Kautsky et Lénine sont souvent cités comme les contrevenants en chef, mais Engels lui-même n'échappe pas au bâton.

La dialectique universelle

Ce n'est pas ici le lieu de traiter ces arguments en détail, en particulier parce que nous voulons nous centrer dans cet article non sur les questions philosophiques mais sur ce que les socialistes de la seconde internationale disaient sur socialisme et de la nouvelle société pour laquelle ils luttaient. Néanmoins, quelques observations sur la « philosophie », sur la vision mondiale générale du marxisme ne sera pas hors sujet puisque celle-ci est liée à la façon dont le mouvement ouvrier a traité de la question plus concrète de l'environnement naturel dans une société socialiste.

Dans de précédents articles de cette série, nous avons déjà posé la question de la façon dont Marx envisageait le problème, dans ses premiers travaux et par la suite ([13] [161]). Dans la vision dialectique, l’homme fait partie de la nature, il n'est pas quelqu' « être établi hors du monde ». La nature, comme le dit Marx, est le corps de l’homme et il ne peut pas plus vivre sans elle qu'une tête sans un corps. Mais l'homme n'est pas « seulement » un autre animal, un produit passif de la nature. Il est un être qui, de façon unique, est actif, créateur, qui, seul parmi les animaux, est capable de transformer le monde autour de lui en accord avec ses besoins et ses désirs.

II est vrai que la vision dialectique n'a pas toujours été bien comprise par les successeurs de Marx et que, comme diverses idéologies bourgeoises infestaient les partis de la 2e Internationale, ces virus s'exprimaient aussi sur le terrain « philosophique ». A une époque où la bourgeoisie avançait triomphalement, la notion que la science et la technologie contenaient en elles-mêmes la réponse à tous les problèmes de 1ltumanité est devenue un accessoire du développement de théories réformistes et révisionnistes au sein du mouvement. Mais même les plus « orthodoxes » des marxistes n'étaient pas immunisés : certains travaux de Kautsky, par exemple, tendent à réduire l’histoire de l'homme à un processus scientifique purement naturel dans lequel la victoire du socialisme serait automatique. De même Pannekoek a montré que certaines conceptions philosophiques de Lénine reflétaient le matérialisme mécanique de la bourgeoisie.

Mais comme font montré les camarades de la Gauche communiste de France dans leur série d'articles sur Lénine philosophe de Pannekoek ([14] [162]), même si Pannekoek a porté des critiques pertinentes aux idées de Lénine sur les rapports entre la conscience humaine et le monde naturel, sa méthode de base était imparfaite parce que lui-même faisait un lien mécanique entre les erreurs philosophiques de Lénine et la nature de classe du bolchevisme. La même chose s'applique à la 2e Internationale en général. Ceux qui défendent que c'était un mouvement bourgeois parce qu'il était influencé par l'idéologie dominante, ne comprennent pas le mouvement ouvrier en général, son combat incessant contre la pénétration des idées de la classe dominante dans ses rangs, ni les conditions particulières dans lesquelles les partis de la 2e Internationale eux-mêmes menaient cette lutte. Les partis so­cial-démocrates étaient prolétariens malgré les influences bourgeoise et petite-bourgeoise qui les affectaient, dans une mesure plus ou moins grande, à différents moments de leur histoire.

Nous avons déjà montré, dans le précédent article de cette série, qu'Engels était certainement l'interprète et le défenseur le plus en vue de la vision prolétarienne du socialisme dans les premières années de la social-démocratie, et que cette vision était défendue par d'autres camarades contre les déviations qui se sont développées ultérieurement dans cette période. La même chose s'applique à la question plus abstraite du rapport de l’homme à la nature. Du début des années 1870 jusqu'à la fin de sa vie, Engels a travaillé sur La dialectique de la nature, ouvrage où il a essayé de résumer la démarche marxiste sur cette question. La thèse essentielle de ce travail vaste et incomplet est qu'à la fois le monde naturel et le monde de la pensée humaine suivent un mouvement dialectique. Loin de mettre l’humanité hors ou au-dessus de la nature, Engels affirme que :

« A chaque pas nouveau, nous sommes ainsi amenés à penser que nous ne dominons nullement la nature, à l'instar du conquérant d'un peuple étranger, comme si nous étions placés en dehors de la nature - mais qu'au contraire nous lui appartenons tout entier par la chair, le sang, le cerveau et en faisons partie, et que toute la souveraineté que nous exerçons sur elle, se résume à la connaissance de ses lois et à leur juste application qui sont notre seule supériorité sur toutes les autres créatures. » ([15] [163])

Cependant pour toute une série de « marxistes » académiques (les soi-disant marxistes occidentaux qui sont les véritables mentors de Aufheben et ses semblables), La dialectique de la nature est la source théorique de tout mal, la justification scientifique du matérialisme mécanique et du réformisme de la 2e Internationale. Dans un précédent article de la série ([16] [164]), nous avons déjà donné des éléments de réponse à ces accusations, celle de réformisme en particulier a été plus longuement traitée dans l'article sur le centenaire de la mort d'Engels dans la Revue internationale n° 83 ([17] [165]). Mais pour nous limiter au terrain de la « philosophie », ça vaut le coup de noter que, pour les « marxistes occidentaux » comme Alfred Schmidt, l'argument d'Engels selon lequel la dialectique « cosmique » et la dialectique « humaine » sont au fond une et identique, serait une espèce non seulement de matérialisme mécanique mais même de « panthéisme » et de « mysticisme »([18] [166]).Schmidt suit ici l'exemple de Lukacs qui argumentait aussi que la dialectique se limitait au « royaume de l’histoire et de la société » et critiquait le fait qu'« Engels - suivant la mauvaise direction d’Hegel - étendait la méthode pour l'appliquer aussi à la nature. » ([19] [167])

En fait, cette accusation de « mysticisme » est sans fondement. Il est vrai, et Engels le reconnaît lui-même dans La dialectique de la nature, que certaines visions du monde préscientifiques telles que le bouddhisme, avaient développé des points de vue authentiques sur le mouvement dialectique à la fois de la nature et de la psyché humaine. Hegel lui-même avait été fortement influencé par de telles approches. Mais alors que tous ces systèmes restaient mystiques dans le sens où ils ne pouvaient aller au-delà d'une vision passive de l'unité entre l'homme et la nature, la vision d'Engels, vision du prolétariat, est active est créatrice. L'homme est un produit du mouvement cosmique, mais comme le passage précédent de « La part jouée par le travail... » le souligne, il a la capacité -et ceci d'autant plus comme espèce et pas simplement comme individu illuminé - de maîtriser les lois de ce mouvement et de les utiliser pour les changer et les diriger.

A ce niveau, Lukacs et les « marxistes occidentaux » ont tort d'opposer Engels à Marx puisque ces derniers sont tous les deux d'accord avec Hegel que le principe dialectique « est valable pour l'histoire comme pour les sciences naturelles. »

De plus, l'incohérence de la critique de Lukacs peut se voir dans le fait que dans le même ouvrage, il cite en l'approuvant deux clés de Hegel quand il dit que « la vérité doit être comprise et exprimée pas seulement comme substance mais aussi comme sujet » et que « la vérité n'est pas de traiter les objets comme étrangers. » ([20] [168])

Ce que Lukacs ne réussit pas à voir, c'est que ces formules clarifient la véritable relation entre l’homme et la nature. Tandis que le panthéisme mystique et le matérialisme mécanique tendent tous deux à voir la conscience humaine comme le reflet passif du monde naturel, Marx et Engels saisissent que c'est en fait - par dessus tout dans sa forme réalisée en tant qu'auto-conscience de l’humanité sociale - le sujet dynamique du mouvement naturel. Un tel point de vue présage du futur communiste où l’homme ne traitera plus ni le monde social ni le monde naturel comme une série d'objets étrangers et hostiles. Nous ne pouvons qu'ajouter que les développement des sciences naturelles depuis l'époque d’Engels - en particulier dans le champ de la physique quantique - ont ajouté un poids considérable à la notion de dialectique de la nature.

La civilisation mais pas telle qu'on la connaît.

En tant que bons idéalistes, les « verts » expliquent souvent la propension du capitalisme à détruire l'environnement naturel comme l'issue logique de la vision aliénée de la bourgeoisie sur la nature; pour les marxistes, c'est fondamentalement le produit du mode capitaliste de production lui-même. Aussi la bataille pour « sauver la planète » des conséquences désastreuses de cette civilisation se situe d'abord et avant tout, non au niveau de la philosophie, mais à celui de la politique, et requiert un programme pratique pour la réorganisation de la société. Et même si au 19e siècle, la destruction de l'environnement n'avait pas encore atteint les proportions catastrophiques qu'elle connaît dans la dernière partie du 20e siècle, le mouvement marxiste a néanmoins reconnu dès sa naissance que la révolution communiste impliquait une refonte très radicale du paysage naturel et humain pour compenser les dommages infligés aux deux par le massacre sans limite de l'accumulation capitaliste. Depuis le Manifeste communiste jusqu’'aux derniers écrits d'Engels et dans La femme et le socialisme de Bebel, une formule résume cette reconnaissance : abolition de la séparation entre la ville et la campagne. Engels dont le premier livre majeur Les conditions de la classe ouvrière en Angleterre s'était élevé contre les conditions d'existence empoisonnées que l'industrie et le logement capitalistes imposaient au prolétariat, revient sur cette question dans l’Anti­Duhring :

« La suppression de l'opposition de la ville et de la campagne n'est donc pas seulement possible. Elle est devenue une nécessité directe de la production industrielle elle-même, comme elle est également devenue une nécessité de la production agricole, et, par-dessus le marché, de l'hygiène publique. Ce n'est que par la fusion de la ville et de la campagne que l'on peut éliminer l'intoxication actuelle de l'air, de l'eau et du sol ; elle seule peut amener les masses qui aujourd'hui languissent dans les villes au point où leur fumier servira à produire des plantes, au lieu de produire des maladies... Certes, la civilisation nous a laissé, avec les grandes villes, un héritage qu'il faudra beaucoup de temps et de peine pour éliminer. Mais il faudra les éliminer et elles le seront, même si c'est un processus de longue durée. Quelles que soient les destinées réservées à l'Empire allemand de la nation prussienne, Bismarck peut descendre au cercueil avec la fière conscience que son souhait le plus cher sera sûrement exaucé : le déclin des grandes villes. » ([21] [169])

La dernière remarque n'a évidemment pas pour intention de réconforter les réactionnaires qui rêvent d'un retour aux « simplicités de la vie de village » ou plutôt aux certitudes de l'exploitation féodale, ni à leur incarnation « verte » de la période présente dont le modèle d'une société écologiquement harmonieuse est fondé sur les fantaisies proudhoniennes de communes locales liées par des rapports. d'échange. Engels dit clairement que le démantèlement des gigantesques villes n'est possible que sur la base d'une communauté globalement planifiée:

« Seule une société qui engrène harmonieusement ses forces productives lune dans l'autre selon les lignes grandioses d’un plan unique peut permettre à l'industrie de s'installer à travers tout le pays, avec cette dispersion qui est la plus convenable à son propre développement. » ([22] [170])

De plus, cette « décentralisation centralisée » n'est possible que parce que « l'industrie capitaliste s'est déjà rendue relativement indépendante des barrières locales que constituaient les lieux de production de ses matières premières. (..)

La société libérée des barrières de la production capitaliste peut aller bien plus loin encore. En produisant une race de producteurs développés dans tous les sens, qui comprendront les bases scientifiques de l'ensemble de la production industrielle, et dont chacun aura parcouru dans la pratique toute une série de branches de production d'un bout à l'autre, elle créera une nouvelle force productive compensant très largement le travail de transport des matières premières ou des combustibles tirés de grande distance. » ([23] [171])

Aussi, l'élimination des grandes villes n'est pas la fin de la civilisation, à moins d'identifier cette dernière à la division de la société en classes. Si le marxisme reconnaît que les populations du monde futur s'éloigneront des vieux centres urbains, ce n'est pas pour se retirer dans le « crétinisme rural », dans l'isolement inchangé et le philistinisme de la vie paysanne. Comme le dit Bebel :

« Aussitôt que la population urbaine aura la possibilité de transporter à la campagne toutes les choses nécessaires à l'état de civilisation auquel elle sera habituée, et d’y retrouver ses musées, ses théâtres, ses salles de concert, ses cabinets de lecture, ses bibliothèques, ses lieux de réunion, ses établissements d'instruction, etc... elle commencera sans retard son émigration. La vie à la campagne aura tous les avantages jusque-là réservés aux grandes villes, sans en avoir les inconvénients. Les habitations y seront plus saines, plus agréables. La population agricole s'intéressera aux choses de l'industrie, la population industrielle à l'agriculture. » ([24] [172])

Sans mettre en question la compréhension que cette nouvelle société sera basée sur les développements technologiques les plus avancés, Bebel anticipe aussi :

« Chaque commune formera en quelque sorte une zone de culture dans laquelle elle produira elle-même la plus grande partie de ce qui sera nécessaire à son existence. Le jardinage, en particulier, la plus agréable de presque toutes les occupations pratiques, atteindra sa plus florissante prospérité. La culture des fleurs, des plantes d'ornement, des légumes, des fruits, offre un champ presqu'inépuisable à l'activité humaine ; elle constitue tout particulièrement un travail de détail qui exclut l'emploi de grandes machines. » ([25] [173])

Ainsi Bebel voit une société hautement productive mais qui produit au rythme humain :

« Le bruit énervant de la foule courant à ses affaires dans nos grands centres commerciaux, avec leurs milliers de véhicules de tout genre, tout cela sera profondément modifié et prendra un tout autre caractère. » ([26] [174])

Ici, la description du futur par Bebel est très similaire à celle que fait William Morris qui utilisait aussi l'image du jardin et a donné à son roman futuriste Nouvelles de nulle part le titre alternatif Une époque de repos. Dans son style direct caractéristique, Morris explique que tous les « désavantages » des villes modernes, leur saleté, leur course folle et leur apparence hideuse sont le produit direct de l'accumulation capitaliste et ne peuvent être éliminés qu'en éliminant le capital :

« A nouveau, l'agrégation de population qui a servi le but de donner aux gens des opportunités de communiquer et que les ouvriers se sentent solidaires, arrivera aussi à sa fin ; et les immenses quartiers ouvriers se désagrégeront et la nature cicatrisera les horribles plaies que l'imprudence, l'avidité et la terreur stupide de l'homme ont faites ; car ce ne sera plus une affreuse nécessité que le tissu de coton soit un tout petit peu meilleur marché cette année que l'année dernière. » ([27] [175])

Nous pouvons ajouter qu'en tant qu'artiste, Morris avait la préoccupation particulière de dépasser la laideur pure et simple de l'environnement capitaliste et de le refondre selon les canons de la créativité artistique. Voilà comment il pose la question dans un discours sur l' « Art sous la Ploutocratie » :

« Et d'abord, je dois vous demander d'étendre le terme d'art au-delà des sujets qui sont consciemment des œuvres d'art, de ne pas le prendre pour la peinture et la sculpture, et l'architecture, mais de l'étendre aux formes et aux couleurs de tous les objets domestiques, et même à l'arrangement des champs de culture et de pâturage, à celui des villes et des routes de toutes sortes ; en un mot, de l'étendre à tous les aspects externes de notre vie. Car je dois vous demander de croire que chacune des choses qui font l'entourage dans lequel nous vivons, doit être pour celui qui doit le faire, ou belle ou laide, ou élevante ou dégradante, ou un tourment et un poids ou bien un plaisir et un ensoleillement. Comment faire donc avec ce qui nous entoure aujourd'hui ? Quelles sortes de comptes rendrons-nous à ceux qui viennent après nous sur la façon dont nous avons traité la terre, que nos aïeux nous ont laissée encore si belle, malgré des milliers d'années de conflits, de négligence et d'égoïsme ? » ([28] [176])

Ici Morris pose la question de la seule façon dont un marxiste peut la poser: du point de vue du communisme, du futur communiste: l'apparence externe dégradante de la civilisation bourgeoise ne peut être jugée qu'avec la plus grande sévérité par un monde dans lequel chaque aspect de la production, depuis le plus petit objet de maison jusqu'au dessin et à la maquette du paysage, est fait comme le dit Marx dans les Manuscrits de 1844 « en accord avec la loi de la beauté » . Dans cette vision, les producteurs associés sont devenus des artistes associés, créant un environnement physique qui répond au besoin profond de l'humanité de beauté et d'harmonie.

La perversion stalinienne

Nous avons mentionné que la « critique » des écologistes du marxisme se base sur la fausse identification entre stalinisme et communisme. Le stalinisme incarne la destruction capitaliste de la nature et la justifie par une rhétorique marxiste. Mais le stalinisme n'a jamais été capable de laisser intacts les fondements de la théorie marxiste - il a commencé par réviser le concept marxiste d'internationalisme et il est arrivé à attaquer chaque autre principe fondamental du prolétariat, plus ou moins explicitement. C'est la même chose pour la revendication d'abolition de l'opposition entre ville et campagne. L'écrivain stalinien qui introduit en 1971 l'édition de Moscou de « La société du futur », extrait de La femme et le socialisme de Bebel, explique comment Bebel (et donc Marx et Engels) se sont trompés sur ce point :

« L'expérience de la construction socialiste ne confirme pas non plus la position de Bebel selon laquelle, avec l'abolition de l'opposition entre la ville et la campagne, la population quittera les grandes villes. L'abolition de cette opposition implique qu'en dernière instance il n y ait ni ville, ni campagne dans le sens moderne du terme. En même temps, il faut s'attendre à ce que les grandes villes, même si leur nature change dans la société communiste développée, garderont leur importance en tant que centres culturels historiquement évolués. » ([29] [177])

L'expérience de la « construction du socialisme » dans les régimes staliniens ne fait que confirmer que c'est la tendance de la civilisation bourgeoise, surtout dans son époque de déclin, d'entasser de plus en plus d'êtres humains dans des villes qui ont gonflé au-delà de toute proportion humaine, dépassant de loin les pires cauchemars des fondateurs de la théorie marxiste qui trouvaient déjà que lès villes de leur époque étaient catastrophiques. Les staliniens ont mis le marxisme sur la tête comme partout ailleurs : ainsi le despote Ceaucescu en Roumanie a proclamé que l'élimination par bulldozer des anciens villages et leur remplacement par de gigantesques tours « ouvrières » constituaient l'abolition de l'opposition entre ville et campagne. La réponse la plus pertinente à ces perversions est fournie par Bordiga dans son Espace contre ciment, écrit au début des années 1950. Ce texte est une dénonciation passionnée des conditions de boîtes de sardines imposées à la majorité de l’humanité par l'urbanisme capitaliste et une claire réaffirmation de la position marxiste d'origine sur cette question :

« Quand après avoir écrasé par la force cette dictature chaque jour plus obscène, il sera possible de subordonner chaque solution et chaque plan à l'amélioration des conditions de travail... alors le verticalisme brut des monstres de ciment sera ridiculisé, et supprimé, et dans les immenses étendues d'espace horizontal, les villes géantes une fois dégonflées, la force et l'intelligence de l'animal homme tendront progressivement à rendre uniformes sur les terres habitables la densité de la vie et celle du travail ; et ces forces seront désormais en harmonie, et non plus farouchement ennemies comme dans la civilisation difforme d'aujourd'hui où elles ne sont réunies que par le spectre de la servitude et de la faim. » ([30] [178])

Cette transformation vraiment radicale de l'environnement est plus que jamais nécessaire dans la période présente de décomposition capitaliste où les cités géantes sont devenues non seulement de plus en plus enflées et invivables, mais sont devenues aussi le point nodal de la menace capitaliste sur l'ensemble de la vie planétaire. Le programme communiste, ici comme dans tous les autres domaines, constitue la meilleure réfutation du stalinisme. Et c'est aussi une gifle au visage du pseudo-radicalisme des « verts » qui ne peuvent jamais dépasser leur danse incessante entre deux fausses solutions: d'un côté, le rêve nostalgique d'un vol en arrière dans le passé qui trouve son expression la plus logique dans les apocalypses des « anarchistes verts » et des primitivistes dont le « retour à la nature » ne peut que se fonder sur l'extermination de la majorité du genre humain; et, d'un autre côté, les « réformes » de rafistolage à petite échelle et les expériences de l'aile écologiste plus respectable (soutenues de toutes façons par les primitivistes par tactique) qui cherchent simplement des solutions par petits bouts à tous les problèmes particuliers de la vie de cité moderne - le bruit, le stress, la pollution, le surpeuplement, les embouteillages et le reste. Mais si les êtres humains sont dominés par les machines, les systèmes de transport et les immeubles qu'ils ont eux-mêmes construits, c'est parce qu'ils sont emprisonnés dans une société où le travail mort domine le travail vivant à chaque tournant. Seulement quand l'humanité reprendra le contrôle de sa propre activité productrice, elle pourra créer un environnement compatible avec ses besoins ; mais la prémisse en est le renversement forcé de la « dictature de plus en plus obscène »du capitalisme, bref, la révolution prolétarienne.

CDW.

Dans le prochain article de cette série, nous examinerons comment les révolutionnaires de la fin du 19e siècle prévoyaient la plus cruciale de toutes les transformations - la transformation du « travail inutile » en « travail utile », c'est-à-dire le dépassement pratique du travail aliéné. Nous reviendrons alors sur l'accusation qui a été portée à ces visions du socialisme - qu'elles représenteraient une rechute dans à l’utopisme pré marxiste. Ceci nous amènera à la question qui devait devenir la préoccupation majeure du mouvement révolutionnaire dans la première décennie de ce siècle: pas tant le but ultime du mouvement, mais les moyens d'y parvenir.



[1] [179] Voir l'article de cette série dans la Revue internationale n°81.

[2] [180] Manuscrits parisiens, 1844, Editions La Pléiade, Tome II, page 79.

[3] [181] Voir la Revue internationale n° 81.

[4] [182] Ottilie Baader, citée dans Vogel, Marxism and the oppresion of wornen, Pluto Press 1983, traduit de l'anglais par nous.

[5] [183] Traduit de l'anglais par nous.

[6] [184] Voir la Revue internationale n° 84.

[7] [185] La femme dans le passé, le présent et l'avenir, Edition Ressources, page 128.

[8] [186] Ibid., page 60

[9] [187] Dans ce passage de Bebel, le rapport entre les états mentaux et physiologiques sont présentés d'une façon un peu mécanique. Freud a mené l'exploration de la névrose à un niveau nouveau en montrant que l'être humain ne peut être compris comme une unité mentale et physique fermée, mais s'étant au champ de la réalité sociale. Mais il faut rappeler que Freud lui-même avait commencé par un modèle hautement mécanique de la psyché et que ce n'est qu'après qu'il a développé vers une vision plus sociale, plus dialectique du développement mental de l'homme.

[10] [188] Penguin Books, 1971, traduit de l'anglais par nous.

[11] [189] Bordiga, La passion du communisme, Ed. Spartaeus 1972

[12] [190] « C'est le capitalisme qui empoisonne la terre »,.Revue internationale n° 63.

[13] [191] Voir Revue internationale n° 70, 71 et 75.

[14] [192] Voir Revue internationale n° 25, 27, 28, 30

[15] [193] La dialectique de la nature, Ed. M.Rivière & Cie 1950, « La part du travail dans la transition de l’homme au singe».

[16] [194] Voir Revue internationale n° 81.

[17] [195] Voir aussi le rejet par la Conununist Workers’Organisation de la notion d'une scission entre Marx et Engels dans Revolutionary Perspectives n° 1 série 3.

[18] [196] Cf. Le concept de nature chez Marx, 1962.

[19] [197] Dans Histoire et conscience de classe, Lukacs.

[20] [198] Ibid.

[21] [199] L'anti-Düring, Editions sociales 1977, pages 333 et 334.

[22] [200] Ibid., page 333.

[23] [201] Ibid., page 334.

[24] [202] La femme dans le passé..., op cit, page 296.

[25] [203] Ibid., page 297.

[26] [204] Ibid., page 281.

[27] [205] Ecrits politiques de William Morris,« La-société du futur

[28] [206] Ibid.

[29] [207] Traduit par nous.

[30] [208] Espèce humaine et croûte terrestre

Approfondir: 

  • Le communisme : une nécessité matérielle [209]

Questions théoriques: 

  • Communisme [210]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [147]

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