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« Encore aujourd’hui, le problème du front unique est présenté comme le remède à tous les maux dont souffre la classe ouvrière, incapable de s’opposer à l’offensive du capitalisme. Ceux-là même qui depuis l’après-guerre, n’ont fait que traîner les travailleurs dans la boue des pires compromissions, clairement, pour maintenir coûte que coûte leur influence dans les masses : front unique! Tous ceux qui, à défaut d’une perspective des événements,résultant d’une analyse sérieuse de la situation, veulent agir à tout prix, se tirent d’affaire en criant, eux aussi : front unique! » (Bilan, 1934). C’est ainsi que la gauche communiste italienne en exil jugeait, 12 ans après son adoption par l’Internationale Communiste, la tactique de « front unique ».
Plus de 50 ans après, l’extrême gauche, appendice politique du capital, perpétue une pratique qui a prouvée dans l’expérience, être une des meilleure armes de la défaite du prolétariat : « Selon notre conception du front unique, nous visons à tracer aux travailleurs le chemin du pouvoir politique au mouvement des luttes. Nous l’exprimons par une propagande qui interpelle les partis ouvriers majoritaires, PC et PS, pour les enjoindre, à 1’encontre de leur politique, de prendre le pouvoir en s’engageant à satisfaire les revendications des travailleurs, à rompre avec la bourgeoisie, et à prendre les mesures anti-capitalistes que nécessite la situation... » (thèses du 2ème Congrès de la LCR).
C’est
en s’appuyant sur l’argumentation de l’IC que ces aspirants à
la participation à la gestion du capital jouent leur rôle
de dévoiement. C’est pourquoi il est important d’en
revenir au pourquoi et au comment de cette politique, pour comprendre
comment elle a pu être et est utilisée par les forces de
mystifications bourgeoises, pour que la classe ouvrière en
tire toutes les leçons et ne se laisse pas mener sur le chemin
de la défaite.
C’est essentiellement dans les 3ème et 4ème Congrès de l’I.C. Que les défenseurs actuels du front unique puisent leurs justifications.
Ils peuvent aller jusqu’à se réclamer aussi des « fronts uniques » des bolcheviks avec les mencheviks dans la période qui a précédé la première guerre mondiale. Or, l’ensemble du mouvement ouvrier a toujours caractérisé le front unique comme un front avec des fractions bourgeoises : quand l’I.C. Parlait de « front unique » avec la social-démocratie, c’était d’un front avec des partis bourgeois, irrémédiablement passés dans l’autre camp avec leur participation à la guerre impérialiste. Nous ne pouvons donc comparer les « fronts uniques » avec la politique des bolcheviks avant 14, politique d’alliance avec des mencheviks qui formaient une partie d’une social-démocratie qui n’avait pas encore fait la preuve de sa trahison irréversible et se situait encore à l’intérieur du mouvement ouvrier. Il est vrai que pour les trotskystes, la participation à la guerre impérialiste (dans laquelle ils ont trempé eux-même) n’est plus un critère définissant la nature d’une organisation, les PC étant aujourd’hui qualifiés d’un « opportunisme » mal défini...
Mais voyons plutôt comment ils utilisent le mouvement ouvrier à leurs fins crapuleuses. Il faut d’abord remarquer que les organisations gauchistes n’hésitent pas à se réclamer en bloc de la politique des deux premiers congrès, comme de celle des 3ème et 4ème, sans qu’il leur soit besoin d’expliquer la contradiction fondamentale qui existe entre les deux, autrement que par le fait que les premiers définissaient les principes, et les seconds la tactique. Le résultat en est une confusion plus grande, entravant la réappropriation réelle du passé.
Il nous faut donc revenir au premier Congrès. Se basant sur le changement historique qui mettait définitivement l’humanité devant le dilemme de guerre ou révolution, l’I.C. Mettait en avant comme tâche primordiale la dénonciation de tous les partis « réformistes » qui avaient montré leur nature dans leur participation à la première boucherie impérialiste, et s’avéraient les principaux obstacles à la prise de conscience révolutionnaire du prolétariat : »Ouvrir les yeux à tous les travailleurs sur l’oeuvre de trahison des social-chauvins et mettre PAR LA FORCE DES ARMES CE PARTI CONTRE-REVOLUTIONNAIRE HORS D’ETAT DE NUIRE, voilà une des tâches les plus importantes de la révolution prolétarienne mondiale » (Résolution sur la position envers les courants socialistes, 1er Congrès, 1919)
C’est la même Internationale qui, deux ans après, en 21,mettait en place la tactique du front unique et qui déclarait en 22 : « un gouvernement ouvrier résultant d’une combinaison parlementaire peut aussi fournir l’occasion de réanimer le mouvement révolutionnaire (...) Dans certaines circonstances, les communistes doivent se déclarer disposés à former un gouvernement avec des partis et des organisations ouvrières non communistes ». (Résolution sur la tactique de TIC, 4ème Congrès).
Que s’est-il passé entre les deux positions, dont la seconde a accéléré la précipitation des partis communistes dans le camp bourgeois, amenant 12 ans plus tard de la tactique de front unique aux fronts populaires de partis nationaux préparant la guerre impérialiste, dans lesquels se retrouvaient les mêmes PC, et en fait de « réveil révolutionnaire » à la pire contre-révolution de l’histoire, à l’écrasement non seulement physique mais idéologique de la classe? Entre les deux, s’était produit un reflux de la lutte révolutionnaire. Les défaites subies par la classe ouvrière modifiaient la situation, marquant un coup d’arrêt qui devait par la suite se révéler mortel à la révolution mondiale. Les implications se faisaient déjà sentir au niveau de l’IC : sa politique commençait à prendre le cours de la défense de l’Etat Russe et ses « tactiques » subordonnaient à cet impératif, début d’un processus qui devait mener à la défense nationale de l’URSS, reléguant aux oubliettes les impératifs de la révolution mondiale.
C’est au nom du « reflux », des « conditions devenues défavorables » que les partis révolutionnaires ont été amenés à quitter le programme révolutionnaire pour en revenir à un « programme minimum » terrain d’alliance avec les partis bourgeois, jusqu’à s’investir peu à peu dans le camp bourgeois.
C’est encore au nom de conditions défavorables, où la classe est soumise à la pression de partis bourgeois, que les gauchistes voudraient nous faire croire à 1’inévitabilité de passer des alliances avec l’ennemi. Nous allons voir les principaux arguments de l’Internationale, et comment ils pouvaient contenir en germe les confusions qui devaient permettre à la bourgeoisie de les utiliser.
L’argumentation de l’I.C. Pour justifier la nécessité de front unique se basait principalement sur le fait que le reflux avait renforcé le poids de la social-démocratie, et que, pour lutter contre elle, il ne fallait pas se couper des travailleurs prisonniers de cette mystification. Pour cela, il fallait travailler à sa dénonciation par des moyens qui allaient de l’alliance pour les partis les plus forts : En Allemagne, le PC s’est prononcé pour l’unité du front prolétarien et a reconnu possible d’appuyer un gouvernement ouvrier unitaire, à l’entrisme pour les partis les plus faibles : « il est maintenant du devoir des communistes d’exiger, par une campagne énergique, leur admission dans le Labour Party » (citations des thèses sur l’unité du front prolétarien du 4ème Congrès, 1922).
L’histoire a donné la réponse à la valeur d’une telle tactique. Les appels à « l’unité à la base » n’ont servi que de paravent à des alliances avec des appareils contre révolutionnaires. En Allemagne, elle a conduit au soutien du gouvernement massacreur d’Ebert, portant un coup mortel au prolétariat allemand et accentuant sa déroute (en 23 », l’alliance s’est même étendue jusqu’aux partis de droite, au parti nazi). Alors que la première nécessité pour le prolétariat était la rupture claire d’avec les partis traîtres, elle a servi partout à ramener les masses dans leur giron, en leur servant de caution. Plus tard, c’est au nom des mêmes arguments que les PC, de compromissions en compromissions devenus à leur tour des agents du capital en milieu ouvrier, vont établir des « fronts populaires » qu’appuieront à leur tour les trotskystes pour : « ne pas se couper des masses », appuyant puisque les masses y étaient, la participation à la guerre impérialiste au nom de 1’antifascisme.
Le coup d’arrêt à la révolution ne pouvait pas ne pas avoir des implications sur l’action de l’organisation révolutionnaire. Mais il ne modifiait en rien, ni la situation du capitalisme, dont le déclin n’allait que s’accentuer, laissant toujours la seule alternative de guerre ou révolution, ni la nature des partis passés dans le camp bourgeois, qui allaient perpétuer leur rôle de dévoiement et d’écrasement de la classe, ni la démocratie bourgeoise qui restait un instrument d’oppression contre la classe ouvrière. Cela ne modifiait en rien les tâches de la classe, dont la seule perspective dans ce système pourrissant ne pouvait être que l’affrontement, et le but premier de s’y préparer. Cela signifiait simplement que la classe ouvrière, affaiblie, écrasée, n’avait plus le rapport de force en sa faveur. Et que l’idéologie dominante reprenait de son poids. Seul un changement, dans ces conditions, aurait pu rétablir l’influence dominante des positions révolutionnaires dans la classe. Suivre les masses sur la pente qu’elles prenaient, c’était les suivre sur le chemin de la défaite, sous la domination bourgeoise, et quitter le terrain révolutionnaire pour se transformer en facteur contre révolutionnaire actif.L’analyse de la situation devait amener les révolutionnaires à s’isoler pour résister au poids immense que reprenait l’idéologie dominante. C’est ce qu’ont fait les différentes fractions de gauche, qui se sont opposées au cours que prenait la politique de 1’IC : gauches allemande, hollandaise, italienne: « si vous prenez le chemin du vieux mouvement ouvrier, alors c’est le chemin qui vous entraînera, et toutes les thèses du monde n’y changeront rien »(intervention du KAPD au 3ème Congrès). En voulant redresser le cours de la situation par une politique volontariste, où le parti devait réveiller les masses au prix de n’importe quelle alliance, l’IC n’a fait qu’ouvrir la porte à l’influence de l’ennemi : le seul résultat fut une accélération de la dégénérescence des partis qui ont suivi cette politique, et une théorisation qui devait laisser s’installer une des plus terribles confusions de l’histoire, entravant le ressurgissement de la prise de conscience par une difficulté à délimiter les ennemis.
Aujourd’hui, le cours n’est plus le même. Depuis la fin des années 60, c’est à un dégagement, même lent, de la classe de l’emprise bourgeoise que l’on assiste. La dangereuse tactique prise par l’IC s’est transformée en outil de la bourgeoisie pour contenir la classe dans ses faiblesses, au nom de l’ »unité à la base », en perpétuant les illusions sur les partis « ouvriers » PC et PS, qui s’apprêtent à jouer une fois de plus le rôle de fossoyeurs qu’ils ont joué tant de fois.
De même, l’argument de l’I.C. En 22 selon lequel « une des tâches les plus importantes des partis communistes est d’organiser la résistance au fascisme international et d’appliquer énergiquement sur ce terrain aussi la tactique du front unique » est encore fièrement repris par l’extrême-gauche. La sempiternelle « montée du fascisme »,aussi bien que la nécessité de « chasser la droite » sont mises au premier plan des préoccupations prolétariennes, amenant toute une hiérarchie dans les degrés d’antagonismes de la classe ouvrière avec l’une ou l’autre des fractions bourgeoises et une justification de fronts tous azimuts avec l’une contre l’autre.
Ce furent les « fronts antifascistes » qui encore une fois, diluant la classe ouvrière dans la solidarité nationale, l’ont embrigadée dans la boucherie, au seul profit des exploiteurs de tous pays. Pour lutter contre un ennemi n°l fasciste, c’est cette « tactique » qui a jeté le prolétariat sous les griffes d’un ennemi tout aussi redoutable : ce sont ces partis »ouvriers, qui, au nom de la classe ouvrière, ont préparé ou exécuté sa répression en Allemagne, en Espagne 36, comme au Chili...
Ce n’est pas parce que les contradictions de la bourgeoisie donnent naissance à des fractions rivales que cela change d’un iota le caractère réactionnaire et anti-prolétarien qui les unit toutes dans le capitalisme décadent. L’époque des ennemis communs est terminée depuis la 1ère guerre mondiale. Il ne reste en présence que deux ennemis jurés : le prolétariat et la bourgeoisie. Les partis de « gauche » ont révélé dans le sang de la classe qu’ils ne sont pas des partis qui favorisent la lutte du prolétariat, mais des partis du capital dont la fonction essentielle est de réprimer et de mystifier l’antagonisme de classe.
Argument le plus courant des trotskystes, déjà contenu dans la tactique des 3ème et 4ème congrès d’ »aller aux masses » en appuyant dans un premier temps les partis sociaux-démocrates pour mieux les dénoncer par la suite devant leur refus de mener une politique ouvrière, c’est celui qui consiste à s’appuyer sur leurs références trompeuses au socialisme pour mieux les démasquer et faire éclater au grand jour la tromperie.
Là encore, force est de constater que l’histoire n’a pas confirmé cette position. Aucun mouvement révolutionnaire n’a éclaté par suite de cette tactique. Le seul mouvement victorieux qu’il nous ait été donné de voir après qu’un tel parti aux allures « ouvrières » soit passé au pouvoir, ce fut celui de la révolution russe. Et la « tactique » des bolcheviks, minoritaires à l’époque, ne fut pas celle du front unique, mais : « AUCUN SOUTIEN AU GOUVERNEMENT PROVISOIRE. DEMONTRER LE CARACTERE PROFONDEMENT MENSONGER DE TOUTES SES PROMESSES. LE DEMASQUER AU LIEU « D’EXIGER » (CHOSE INADMISSIBLE ET QUI NE FAIT QUE créer DES ILLUSIONS) QUE CE GOUVERNEMENT DE CAPITALISTES CESSE D’ETRE CAPITALISTE ». (Lénine, Thèses d’Avril). Par contre, nombreuses sont les expériences de ces gouvernements « ouvriers » qui ont précipité la classe ouvrière, incapable de comprendre à temps la véritable nature de ces partis, dans la défaite,l’appui des révolutionnaires ne faisant qu’accroître la confusion.
Pour ceux qui ont pour souci de ne pas voir se répéter les tragédies du passé, de participer dès aujourd’hui à l’essor de la conscience du prolétariat, seule arme qui lui permettra de tirer des leçons de ses expériences futures, l’enseignement que tirait la gauche italienne dès 22 reste valable : « En ce qui concerne le problème d’un gouvernement social-démocrate, il est nécessaire de montrer qu’il ne peut apporter de solutions aux problèmes du prolétariat, et de le montrer AVANT MEME que ce gouvernement ne se constitue pour éviter que le prolétariat ne soit complètement abattu par l’échec de cette expérience.
(...) Lorsque le parti communiste refuse de se ranger parmi les forces qui revendiquent un gouvernement social-démocrate, il ne fait que devenir le protagoniste de cette pression de la partie la plus révolutionnaire des masses ».
La position de la gauche italienne face à la politique de l’I.C. d’appui aux sociaux démocrates, reste pour nous la seule valable, confirmée par une longue expérience, et peut s’appliquer aujourd’hui à tous les partis qui ont ouvertement signifié leur appartenance au camp bourgeois, des PC aux PS en passant par l’extrême-gauche.
Un des paravents les plus grossiers à toute cette politique de défaite a été de faire croire que les partis révolutionnaires pouvaient conserver leur « pureté », l’intégrité de leur programme dans ces alliances contre nature : « Évidemment, nous restons fidèles à notre drapeau, toujours et dans toutes les conditions nous disons qui nous sommes, où nous allons, ce que nous voulons. Mais nous ne pouvons imposer mécaniquement notre programme aux masses » (Trotsky, 1933). Et pour ne pas « imposer mécaniquement notre programme aux masses », tous les partis qui ont appliqué cette tactique de front unique, pour suivre la pente que les masses prenaient, de concessions en concessions, ont rogné peu à peu tout le programme révolutionnaire. Aujourd’hui, les organisations trotskystes ne gardent que quelques références trompe-l’oeil : tout leur appareil est entièrement dirigé vers la revendication de la prise en charge du système capitaliste, la revendication du capitalisme d’Etat sous couvert de socialisme.
Le programme révolutionnaire, ensemble des leçons du prolétariat, ne se découpe pas en tranches. Il fait partie intégrante de ce programme, de dénoncer sans compromis possible les partis qui ont trahi la classe et assument depuis plus de 50 ans le rôle de bourreau. Ne pas le faire, c’est renoncer à tout un pan des leçons acquises. Et quand un pan s’en va, une brèche s’ouvre, et sous la force de l’idéologie dominante, le reste part en lambeaux.
D.T.
Une variante de la gangrène frontiste qui sévit aujourd'hui vient de nous être donnée par le Parti Communiste International, organisation qui se réclame de la continuité de la gauche italienne, celle-là même qui dans une des périodes les plus dures du mouvement ouvrier, dénonçait avec clarté le danger de semer des illusions par les politiques de front unique.
Le 19 novembre dernier, en effet, le PCI a signé un tract commun avec différentes organisations d'extrême-gauche, trotskystes et maoïstes, tract d'appel à la manifestation contre les mesures Stoléru qui ont frappé les travailleurs immigrés.
Dans un premier temps, le PCI s'est défendu d'avoir commis là un front unique politique, arguant qu'il ne s'agissait là que d'un accord pour appuyer des revendications immédiates des travailleurs, et donner toute son importance à la mise en avant de l'unité de la classe ouvrière. L'argument n'est guère convainquant. Qu'est ce qu'un front unique politique, en effet si ce n'est associer son organisation politique à d'autres sur la base d'une action, d'une revendication, d'un accord minimum, en étant par ailleurs en désaccord total avec le programme de ces autres organisations politiques? Si ce n'est, comme l'a fait le PCI, noyer dans la confusion la nécessité de clarifier les objectifs des luttes prolétariennes, en faisant miroiter une possibilité d'accord sur des bases minimales? Le PCI a-t-il oublié les leçons tirées par la gauche italienne sur la nécessité de mettre en avant, sous les luttes immédiates, la seule perspective que peuvent préparer ces luttes, celle de l'affrontement? Ou pense-t-il qu'il est possible de le faire en collaboration avec des organisations qui ont fait la preuve de leurs aspirations à la gestion du système bourgeois?
Il est vrai que le PCI considère l'extrême-gauche comme "centriste". On peut se demander ce qui l'arrêterait s'il avait l'occasion de signer un tract avec cet autre "opportunisme" qu'est le PC stalinien!
Il faut dire que, dans un deuxième temps, le PCI, peu fier de son aventure, a juré, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. Reprenant la plume pour dénoncer l'extrême-gauche et le "rôle de sabotage qu'ils sont destinés à jouer de plus en plus activement auprès des travailleurs" ("Le Prolétaire" N°255), le PCI affirme : "cet épisode confirme A CONTRARIO le caractère néfaste du frontisme et des cartels hétérogènes d'organisations politiques". Le PCI découvre. Une si grande naïveté n'est pas permise d'un groupe qui se réclame d'une, filiation qui, elle, a tiré cette leçon depuis plus de 50 ans. D'autant que ce n'est pas le premier front que le PCI fait avec des organisations d'extrême-gauche sur d'autres objectifs partiels. Combien de fois réitérera-t-il l'expérience pour mieux faire l'étonné?
Par delà ces tentatives de justification, il faut réaffirmer que si ce qu'on dit est important, ce qu'on fait l'est encore plus. En cédant à la facilité, à la tentation d'une plus grande audience par ce genre de compromis, le PCI s'est engagé sur une pente savonneuse. On ne s'allie pas impunément avec des forces de la bourgeoisie. Le PCI a beau faire de l'équilibre entre les principes et la tactique, ce sont les principes qui seront de plus en plus touchés,et ces principes sont le seul rempart qui protège les organisations révolutionnaires de la force d'aspiration du gouffre de la domination bourgeoise.
DT
Nous donnons dans le présent journal la suite du rapport sur la situation en France. La première partie (RI 44) montrait comment l'accélération de la crise économique "a précipité non l'effritement mais le renforcement des blocs". Cette dernière partie brosse un tableau des contradictions de plus en plus insolubles des fractions de droite et de gauche de la bourgeoisie ; dans un tel contexte, où en est la lutte de classe en France?
C'est seulement plusieurs années après être entrée dans la crise économique que la France se trouve secouée par la crise politique:
La spectaculaire division intervenue entre les partis signataires du "Programme Commun" ne doit pas faire oublier qu'il s'agit avant tout d'une lutte intestine à la bourgeoisie. Cette querelle symbolise les problèmes qu'un futur gouvernement de crise aura à affronter. Leurs divergences à propos de la renégociation du programme de nationalisations est une expression de la tendance inéluctable du capitalisme d'Etat et, d'autre part, de la difficulté à gouverner à des époques historiques de grands soubresauts. A ce titre, la France a vécu la première crise ministérielle d'un gouvernement de gauche.
Toutefois, il convient de faire remarquer les principales caractéristiques qui distinguent le PS du PC. Alors que le PS est presque entièrement lié, par l'origine sociale de ses dirigeants et de ses militants, par ses traditions politiques et idéologiques, à des fractions de la bourgeoisie traditionnelle, par contre, le PC n'a pratiquement aucun lien direct avec la grande bourgeoisie et ses aspirations politiques. Les liens qu'entretient le PC avec le capital et la bourgeoisie s'effectuent essentiellement à travers sa colossale bureaucratie syndicale et ses municipalités. La seconde différence porte sur la politique étrangère que devrait observer la France. Depuis la "Libération" le PS a toujours défendu la "petite Europe", ses organismes économiques et institutionnels, de même qu'il a choisi, en connaissance de cause, l'Alliance Atlantique. Quant à lui, par ses traditions, par la formation idéologique de ses militants, par ses aspirations, le PC reste plus proche et demeure partisan d'une alliance avec l'URSS. Lors du référendum sur l'Europe, organisé par Pompidou, le PC avait voté contre et le PS s'était abstenu. La troisième différence concerne la question du capitalisme d'Etat. Si, pour le PC, le système doit reposer fondamentalement sur le capitalisme d'Etat sous une forme très poussée, par contre, le PS n'envisage celui-ci que sous une forme plus souple, une prise de participation de l'Etat dans 1'économie, laissant une notable liberté à la petite propriété.
Tous les partis de gauche ont tiré bénéfice de leur Union : le PC en sortant de son ghetto, le PS en réalisant un bond formidable faisant de lui la première force électorale du pays, après le creux de 69 où il ne recueillait plus que 6 % des voix aux présidentielles. L'actuelle désunion, temporaire ou définitive, provient de luttes de tendances rivales à l'intérieur même des deux partis. Dans le PS, les "anciens" regroupés derrière Deferre ont manifesté les plus vives réticences à l'égard de la discipline d'union ainsi que le montrent plusieurs exemples, notamment la question du vote du budget de la ville de Marseille. Dans le PC, la tendance "dure" formée des orthodoxes Leroy et Piquet semble avoir triomphé de l'Eurocommunisme et de la politique d'union de la gauche à tout prix de Marchais. La grande pomme de discorde pourrait bien être la question des nationalisations. Pour les dirigeants socialistes, il y a trop de nationalisations dans le "Programme Commun" que Veulent faire triompher les staliniens. Il est certain que, par le biais des syndicats CGT prédominants, le PC ne ferait que renforcer sa mainmise sur l'appareil d'Etat au détriment des socialistes.
Dans une perspective de défaite de l'actuelle majorité présidentielle, comme formes possibles de gouvernement sont envisageables les hypothèses suivantes:
Parti national, le PC a concentré ses efforts pour se laver de l'accusation infamante d'être une "cinquième colonne" du Kremlin. Depuis qu'il en a été chassé en 1947, le PC continue résolument sa marche vers le pouvoir. Il entend gérer la crise, mais plutôt qu'une mince portion du pouvoir demain, qui ne serait pour lui qu'une situation à la Berlinguer, subissant l'usure rapide de la participation au pouvoir sans pour autant disposer des moyens de mener à bien sa propre politique, le PC est en "réserve de république". Sauf explosion de la lutte de classe, il ne se formera pas, vraisemblablement, de gouvernement avec le PC car, pour l'instant, ne répondant pas aux besoins immédiats du capital. Conscient que ses chances d'occuper une éventuelle place dans un prochain gouvernement se sont amenuisées, le PC se prépare à s'opposer à une politique qu'il aura lui-même inspirée, tout comme au Portugal.
Par rapport au vaste mouvement de 68, les années suivantes laissent l'impression d'un recul, puis d'une stagnation dans la lutte de classe. Au lieu de répondre aux nouvelles attaques de la bourgeoisie par des grèves de plus en plus massives, unifiées et offensives, la lutte de classe a connu un repli notable sur l'usine. Elle porte un caractère défensif. Dans sa forme la plus générale, ce cycle est caractéristique pour l'Europe entière et la France n'y échappe pas dans les conditions d'une crise lente. Les états-majors syndicaux ont pu enfermer les travailleurs dans des luttes sectorielles, provinciales, tournantes afin d'atomiser le front de résistance du prolétariat. Ces actions, étant vouées à l'échec, les syndicats ont été en mesure de déclarer la lutte impossible sur ce terrain. La tactique syndicale a été de saboter systématiquement, scientifiquement les luttes ; de déclarer qu'elles devaient aboutir aux négociations devant le tapis vert patronal. Chaque lutte entreprise contre la menace du chômage a été transformée en "défense de l'outil de travail". Les syndicats ont réussi à faire patienter les travailleurs avec les échéances électorales de 78.
Après un demi-siècle de contre-révolution anéantissant les organisations de classe, ce qui reste prédominant, c'est la pénétration d’illusions parlementaires et syndicales chez les travailleurs. Dans son immense majorité, la classe ouvrière subit passivement l'influence des staliniens et des socio-démocrates. La longue politique d'opposition au gaullisme puis au giscardisme menée par la gauche a encouragé les travailleurs à penser que les diverses composantes de celle-ci sont autant de forces dont ils pourraient disposer pour la satisfaction des revendications les plus urgentes. Mais, d'autre part, le nombre décroissant de grèves montre le refus des travailleurs excédés de se voir sans cesse floués par les syndicats. Consciente que ce calme ne fait que cacher un gigantesque orage social, la bourgeoisie commence à prendre conscience du péril et se prépare à mettre en place les structures d'un syndicalisme "ouvrier" dont la fonction de garde- fous est évidente.
A eux seuls, staliniens, socialistes et droite ne constituent pas la totalité de l'armée ennemie. A leurs forces, s'ajoutent celle du gauchisme dont le rôle va grandissant ainsi que l'ont montré à la fois les élections municipales de ce début d'année et les grands rassemblements écologistes de l'été.
Dans une atmosphère de grand désarroi, le gauchisme a cherché et a trouvé de nouvelles bases de mobilisation pour renforcer son emprise sur toute une partie de la jeunesse, y compris les jeunes apprentis et chômeurs. Mais, insuffisamment forts pour envisager d'entrer dans un quelconque gouvernement -du moins pas pour le moment- les gauchistes doivent remplir le rôle de ramener les travailleurs qui s'en écartent sur le terrain de l'idéologie dominante. Ils servent encore comme "donneurs de conseils" sur la meilleure façon d'encadrer la classe. Leur intervention pour le respect des engagements électoraux pris par les signataires du "Programme Commun" est le soutien qu'apporte une fraction de la bourgeoisie à la mystification des travailleurs. Ainsi, les gauchistes, et avec eux le PSU, posent la question : Non pas combien de nationalisations mais "quelles nationalisations ?" pour conférer au capitalisme d'Etat un caractère plus démocratique.
A partir de la succession d'échecs subis par les luttes sur le terrain de résistance au capital, quelques petits noyaux ouvriers semblent vouloir se dégager de l'étreinte mortelle dans laquelle les étouffent syndicats et gauchistes. A l'évidence, ce phénomène indique l'existence d'une hostilité grandissante à l'égard des promesses contenues dans le "Programme Commun", une angoisse devant la montée régulière du chômage qui, au lieu de se transformer en sentiment de panique, se transforme dialectiquement en volonté de lutter. Derrière l'apparente soumission des travailleurs mûrit lentement une profonde maturation de la conscience de classe. Cependant, du fait de la totale disparition de toute forme de vie politique organisée de la classe durant des dizaines d'années, de l'énorme faiblesse des forces révolutionnaires, ces éléments se débattent dans la confusion et l'obscurité tant en ce qui touche aux principes qu'en ce qui concerne les moyens d'action de la classe.
Pour ces raisons, il serait excessivement dangereux de surestimer les possibilités d'une rapide reprise de la lutte de classe avant les élections de 78. L’actuelle montée historique de la classe est le produit d'une crise économique au lent processus. En ce sens, nous ne sommes pas à la veille d'une explosion ni d'une intense agitation sociale, mais dans une phase de préparatifs électoraux qui freine et dévoie la lutte. Toutefois, cet état d'esprit ne saurait être définitif ; il se modifiera sous l'effet de l'intensification de l'exploitation et des mesures d'économie de guerre développée par la bourgeoisie française.
Exaspéré par une existence de robot, soumis à la pression accrue des lois aveugles du capitalisme, en fin de compte, le prolétariat se trouvera être poussé de l'avant et prêt à engager la lutte politique contre l'Etat. Aux lendemains des élections, l'opium électoral s'évanouissant, une brèche s'ouvrira à travers laquelle s'exprimera avec une force décuplée le mécontentement prolétarien.
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Trois mois s'étaient à peine écoulés depuis que le prolétariat russe avait détruit l'appareil d'Etat bourgeois que déjà son parti de classe connaissait une des crises les plus importantes de son histoire. Lénine lui-même, président du premier conseil des commissaires du peuple, fut dans un premier temps mis en minorité, avant de rallier Trotsky à sa position. La question si grave qui, alors, divisa le parti bolchevik, avant-garde du prolétariat mondial, fer de lance de la révolution internationale, n’était rien de moins que la question du rapport de la toute jeune république des soviets avec la guerre impérialiste qui ravageait alors l’Europe.
Jusqu'à la révolution d'Octobre, la Russie avait été partie prenante de 1‘"Entente" (fraction impérialiste qui regroupait aussi l'Angleterre et la France) dans la guerre de rapines qui l'opposait aux Empires Centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). Après le mouvement de février qui détrôna le tsar, le nouveau gouvernement de la Russie, avec à sa tête Kerenski, s'appuie sur l'Entente en lui promettant l'exécution des traités. L'armée russe, composée de paysans dans son immense majorité, est de plus en plus sensible à la propagande bolchevique qui réclame la paix. En s’appuyant sur la forteresse ouvrière de Petrograd et sur l'armée démoralisée, vaincue, qui aspire à la fin de la guerre, le parti bolchevik en Russie met en pratique la "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile", selon la vieille formulation de Lénine à Zimmerwald, et contribue par-là à l'apparition du premier pouvoir des Conseils Ouvriers dans le monde, en octobre 1917. Dès le lendemain de l'insurrection, le 2ème Congrès des Soviets rompt catégoriquement avec la politique de guerre des alliés de la vieille Russie.
La question du front contre les Empires Centraux restait à régler. Les alliés, attendant l'aide américaine, faisaient tout pour prolonger les opérations de guerre sur le front russe.
Les Empires Centraux voulaient s'en libérer pour vaincre les alliés avant que n'interviennent les Etats-Unis. La Révolution Russe devait éviter de faire le jeu de l'un ou de l'autre impérialisme, tout en favorisant au mieux l'explosion de la Révolution Internationale.
Les 3 positions bolchéviques
La légende entretenue par les staliniens oppose radicalement Trotsky et Lénine sur la question du traité de Brest-Litovsk. Rien n'est plus faux, car sur les deux principales questions qui sont alors débattues (Io: possibilité d'une guerre révolutionnaire immédiate; 2°: possibilité d'un accord avec les impérialistes) il y a un accord "total et intégral" entre les deux révolutionnaires contre Boukharine, leader des "communistes de gauche", partisans de la guerre révolutionnaire immédiate pour élargir la révolution, et qui considéraient tout traité de paix comme une "flétrissure".
L'opposition entre Lénine et Trotsky se fait sur un point: comment signer la paix. D'accord avec Trotsky, Lénine est partisan d'engager les pourparlers de paix avec les Empires Centraux à Brest-Litovsk, en les faisant traîner en longueur et en les utilisant pour l'agitation. Compte-tenu du fait que l'armée existante est un corps malade de l'ancien Etat, que toute offensive allemande mettrait la République des Soviets dans un état cri tique, il rédige, dès le 21 janvier 18, "21 thèses sur la conclusion immédiate d'une paix séparée et annexionniste" (contribution à l'histoire d'une paix malheureuse) où il met en avant la désagrégation du front et de l'économie, la nécessité d'écraser les classes exploiteuses déjà privées du pouvoir, la nécessité impérieuse, en l'absence de révolution en Allemagne, de créer "la base économique solide d'une puissante Armée Rouge", "afin de préparer la guerre révolutionnaire". La conclusion qu'en tire Lénine, c'est qu'il faut signer la paix dès que l'ultimatum sera présenté, afin d'obtenir le "répit" nécessaire à cette tâche.
NI GUERRE, NI PAIX
Trotsky s'oppose à la signature immédiate de la paix. Il "estimait nécessaire de conduire les pourparlers à une rupture, même en courant le danger d'une nouvelle offensive de l'Allemagne, afin de pouvoir capituler -le cas échéant- devant un emploi évident de la force"
("Ma Vie"). Pour en finir avec les bruits qui couraient d'après lesquels les bolcheviks auraient été de connivence avec le gouvernement allemand, avant de signer une paix séparée, il était indispensable "de donner, coûte que coûte, aux ouvriers d'Europe, une preuve éclatante et incontestable de la haine mortelle qui existait entre nous et les gouvernements de l'Allemagne."
GUERRE REVOLUTIONNAIRE
Les "communistes de gauche" ne croyaient pas à la possibilité de la paix. Pour Boukharine par exemple, les perspectives de paix étaient "inexistantes" et "illusoires", "impossibles" pour Kollontaï.
La foi aveugle en la victoire, grâce aux convictions socialistes des partisans et par la suite à "la nature sociale de la nouvelle armée en voie de mobilisation", rut aussi dans un premier temps la caractéristique de la "gauche". "Si la révolution russe ne fléchit pas elle-même, personne ne la matera ni ne la brisera". "La grande république des soviets... ne peut pas périr" (Radek). "Quand les masses auront vu l'offensive allemande à l'œuvre, ... une vraie guerre sainte commencera " (Boukharine). La guerre révolutionnaire était à l'ordre du jour.
Les partisans de Boukharine virent dans la position de Trotsky un pas fait dans leur direction, et donc, dans un premier temps, fut adoptée la position de "ni guerre, ni paix": laisser traîner en longueur les pourparlers; en cas d'ultimatum, refuser de signer la paix.
Les pourparlers de paix furent interrompus le 10 février. Trotsky y fit un bref discours, exclusivement destiné à la propagande, qui dénonça la guerre “provoquée par l'esprit de lucre et de domination des classes dirigeantes... Mous ne voulons plus participer à cette guerre purement impérialiste... Nous considérons avec la même intransigeance les impérialismes des deux parties... Nous démobilisons notre armée. Nous refusons de signer une paix d'annexions. Nous déclarons l'état de guerre entre les Empires Centraux et la Russie, terminé."
Le 18 février, l'armée allemande passa à l'offensive sur tout le front.
Les nouvelles conditions de paix étaient catastrophiques: la Russie devait abandonner la Pologne, la Lithuanie l'Estonie, l'Ukraine et la Finlande. La République des Soviets fut forcée de signer, dans les termes qu'utilisa Sokolni- kov le 3 mars à Brest-Litovsk: "Nous sommes ici pour signer une paix qu'on nous impose par la violence. La paix que nous signons nous est dictée les armes à la main... Nous déclinons toute discussion comme inutile."
Le VIIème Congrès, destiné à trancher définitivement la question de la paix de Brest-Litovsk, fut le théâtre de l'affrontement entre Lénine et les "communistes de gauche" qui y devinrent minoritaires. Ceux-ci avaient publié peu auparavant une motion de défiance au Comité Central, accompagnée d'un texte explicatif qui affirmait: "... dans l'intérêt de la révolution internationale, nous estimons opportun de courir le risque de la perte éventuelle du pouvoir des soviets...". Nous sommes là bien loin de l'enthousiasme guerrier qui caractérisa les débuts de la gauche. La défaite possible est admise et même prévue, dans l'intérêt de la révolution mondiale. Les espoirs sur la "guerre sainte" ont disparu à la première offensive allemande. A ce point, la "gauche" défend sa position non plus sur une perspective (la guerre révolutionnaire) mais sur un "principe": si le pouvoir des soviets signe la paix avec un impérialisme, "il devient purement formel".
Dans un article intitulé "chose étrange et monstrueuse", Lénine, après avoir mis ce fait en évidence, remercie la gauche, d'une part d'avoir rompu le silence sur le fond de son argumentation, à savoir "les conditions de la guerre au cas où nous l'accepterions tout de suite", et d'autre part de reconnaître la justesse de l'argument concret: "oui, nous irions à la défaite si nous acceptions aujourd'hui le combat contre l'Allemagne". Il estime que si la révolution avait déjà commencé en Allemagne, "il serait non seulement "opportun", mais absolument obligatoire d'accepter la défaite et la perte éventuelle du pouvoir des soviets", en "détournant une partie des forces de la contre-révolution allemande". Mais la raison de la paix de Brest-Litovsk, c'est que "la révolution européenne a osé se mettre en retard", et "l'impérialisme allemand a osé prendre l'offensive!"
Dans ce contexte, "rien ne peut porter maintenant un coup plus rude à la cause du socialisme que la chute du pouvoir des soviets" affirme le comité central. Lénine ajoute: "nous détournerions du socialisme les grandes masses de prolétaires et semi-prolétaires d'Allemagne (...) que l'anéantissement de la Russie des soviets effraierait, comme celui de la Commune effraya les ouvriers anglais en 1871."
La majorité du Congrès se prononça pour l'orientation de Lénine, signer la paix pour "préparer la guerre révolutionnaire", pour le jour où éclatera la lutte finale; "cette lutte n'éclatera que lorsque la révolution socialiste embrasera les pays impérialistes avancés" (Lénine: "Une leçon dure mais nécessaire"). "S'il est incontestable que toutes les difficultés de notre révolution ne seront surmontées que lorsque viendra à maturité la révolution socialiste mondiale... il est absurde d'affirmer (en escamotant nos difficultés concrètes): je mise sur le mouvement socialiste international, je peux faire n'importe quelle bêtise", déclare Lénine le 7 mars dans son "Rapport sur la guerre et la paix".
"La phrase révolutionnaire est la répétition de mots d'ordre sans rapport avec les circonstances objectives d'un moment. Des mots d'ordre excellents, enivrants, mais dépourvus de base, en voilà l'essence" ("Sur la phrase"). "Il ne faut pas transformer en phrase ce grand mot d'ordre: nous misons sur la victoire du socialisme en Europe". En d'autres termes, il n'était pas question que la "phrase révolutionnaire" en finisse avec la révolution.
Après la fin de l'été 18, plus personne ne revint sur la question de Brest-Litovsk et ne mit en doute le bien-fondé de l'essentiel de la politique du parti bolchevik. Personne n'en fait plus une question de principe. Il aura fallu attendre soixante ans pour voir Guy Sabatier se faire l'écho de la "gauche". La phrase révolutionnaire, disait Lénine, est tenace comme la gale.
La préoccupation qui est à la base de la brochure de Guy Sabatier ("Traité de Brest-Litovsk 1918, coup d'arrêt à la révolution", éditions Spartacus) est de montrer qu'il y a une rupture de continuité entre les bolcheviks avant et après 17. Il marque cette rupture à la prise du pouvoir. Par là même, il entend démontrer qu'il y a continuité entre les bolcheviks d'Octobre et le stalinisme.
Il bloque l'histoire de toute la vague révolutionnaire qui devient ainsi simplement l'histoire de la contre-révolution, avec à sa tête, le parti bolchevik.
Si nous voyons une rupture, quant à nous, c'est bien entre le bolchevisme et le stalinisme. Mais c'est aussi d'un certain point de vue dans le changement politique fondamental effectué par les bolcheviks entre 1905 et 191/. tn 1905, toute leur analyse est fondée sur le fait que la révolution à venir en Russie sera une "révolution démocratique bourgeoise", que le prolétariat devra pousser jusqu'au bout.
En 1914, avec le déclenchement de la guerre, c'est ce parti qui comprend l'entrée du système dans sa phase de décadence, posant l'alternative de la révolution prolétarienne.
En 1917, c'est cette compréhension quant à la nature de la période et de la révolution russe qui se concrétise dans les thèses d'avril de Lénine, thèses qui dénoncent tout appui et toute alliance avec la bourgeoisie, qui voit dans la révolution russe le point de départ de la révolution mondiale. A partir de ce moment, toutes les questions qui sont débattues en Russie le sont par rapport à comment favoriser le développement de la révolution mondiale?
Par conséquent, Sabatier se trompe. Il déforme, sciemment ou non, ce qu'était le parti bolchevik au lendemain de la prise du pouvoir. Pour ce faire, il prend tous les faits épars qui lui conviennent et procède par amalgame, de façon à appuyer sa thèse: "le parti bolchevik était un parti nationaliste attaché à la défense du capital national".
Ce n'est pas par hasard si ses commentaires sur le KAPD et la création de l'Internationale sont tronqués; s'il fait dire à Rosa Luxembourg que Lénine sacrifie la révolution allemande pour la défense de l'Etat russe. Ce n'est pas par hasard si au passage il signale innocemment que certains -en fait Kerensky et les contre-révolutionnaires- "assuraient que les bolcheviks avaient touché de l'argent de l'Allemagne".
Lorsque Sabatier cite Luxembourg, c'est à la manière des socialistes de gauche.
Il ne cite pas vraiment. Ainsi on ne voit pas l'apport réel de Rosa, on voit une "anti-bolchevik de tous temps". En fait, Rosa commence d'abord par défendre les bolcheviks, à délimiter leur activité dans le camp de la révolution, activité à laquelle elle rend hommage. Elle met en avant le fait que c'est l'absence de réaction du prolétariat international, du prolétariat allemand en particulier, qui est responsable de Brest-Litovsk. Elle parle de la gravité du problème historique posé par Brest-Litovsk, elle ne parle jamais de "ne pas reculer" et ne cache pas l'état de décomposition de l'armée russe. Elle ne prend position contre cette paix que parce qu'il lui semble qu'elle est une erreur: selon elle, cette paix va renforcer le militarisme allemand et dérouter les prolétaires à l'étranger.
Rosa ne cède pas à la "phrase", elle ne fait pas un "principe" de la mort les armes à la main, comme le font les communistes de gauche dans le feu de l'action et Sabatier dans le feu de sa phrase.
Deux mois après avoir exprimé ses craintes, les surgissements révolutionnaires en Allemagne leur enlevaient toute valeur. Brest-Litovsk n'avait pas été un frein. Karl Liebknecht, qui avait partagé en son temps la position de Rosa, avouait: "Il faut avant tout une chose aux soviets de Russie, .... et il ne s'agit pas de manifestations ou de décors, mais d'une force rigide. A cette fin, ... il faut de l'intelligence et du temps, -de l'intelligence pour gagner de ce temps qui est indispensable à la plus grande énergie."
C'est ainsi que les critiques non phraseurs reconnurent la justesse de la politique de Lénine à Brest-Litovsk, qui avant tout visa à gagner du temps, pour mieux pouvoir aider la révolution internationale.
Moro.
Mars. 78, c’était l’espérance, pour beaucoup, que si la gauche parvenait au pouvoir, enfin « tout allait changer » ! L’espérance était la même, en mai 36, quand les élections législatives donnèrent la majorité à la gauche.
Alors, voyons la suite. Le 4 juin, les partis unis de la gauche forment le gouvernement de Front Populaire. La bourgeoisie n’a pas trouvé d’autre moyen, en effet, pour essayer d’en finir avec le mouvement de grèves qui paralyse le pays. Le président Lebrun supplie Blum de lancer un appel aux ouvriers par radio : « Dites-leur que le parlement va se réunir, que, dès qu’il sera réuni, vous allez lui demander le vote rapide et sans délai des lois (sociales)... ils vous croirons... et alors, peut-être le mouvement s’arrêtera-t-il ? » Car le but est bien là. Le 7, les entretiens entre la Confédération Générale du patronat français et la CGT, en présence de Blum, représentant le gouvernement, aboutissent à la signature des accords Matignon qui sont censés donner des avantages au prolétariat.
Le lendemain, les journaux « de gauche » publient l’accord en criant à la victoire et au triomphe. Quelle est donc cette victoire ? Quels sont ces acquis pour le prolétariat ?... « La délégation patronale admet l’établissement immédiat de contrats collectifs de travail... » « Liberté... d’adhérer librement... à un syndicat professionnel ». « Les salaires réels pratiqués... réajustés... » Promesse de « ...négociations pour la fixation par contrat collectif de salaires minima, par région et par catégorie... » « ...dans chaque établissement employant plus de 10 ouvriers, après accord entre organisations syndicales ou, à défaut, entre les intéressés, il sera institué deux titulaires ou plusieurs délégués ouvriers... » en vue « ...de présenter à la direction les réclamations individuelles qui n’auraient pas été directement satisfaites. » et, en conclusion : « la délégation confédérale ouvrière demandera aux travailleurs en grève de décider la reprise du travail dès que la direction des établissements aura accepté l’accord intervenu et dès que les pourparlers relatifs à son application auront été engagés entre les directions et le personnel des établissements ».
Paris, le 7 juin 36. Les ouvriers, moins impressionnés par ces accords que les journaux « de gauche », tardent à reprendre le travail. C’est alors, le 11 juin, le célèbre discours de Thorez qui deviendra le refrain, dans la bouche des Jouhaux, Cachin, Duclos et consorts pour faire reprendre le travail : »...il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles revendications ». Et, pour hâter la reprise du travail, seront alors ajoutées les fameuses lois sociales du 21 juin 36 :
• les 40 heures : « ...la durée du travail effectif des ouvriers et employés de l’un et de l’autre sexe et de tout âge ne peut excéder 40 heures par semaine », et cela, sans réduction de salaire ;
• les congés payés d’une durée de deux semaines pour tous les travailleurs.
Devant ce qui apparaît comme des acquis, la lutte s’effrite puis finit par s’arrêter. Mais, à partir du moment où le prolétariat arrête sa lutte, cela signifie, en période de décadence, que la bourgeoisie entame la reconquête du terrain momentanément concédé.
Voyons plus loin, en effet. Qu’en est-il, de cette soi-disant victoire dont parle Thorez ?
Non seulement, grâce au syndicat, elles tentent d’enfermer la lutte du prolétariat dans un cadre légal, mais, en plus, sanctionnant le reflux de la lutte, une loi vient s’ajouter, dès décembre 36, aboutissant, au terme de son évolution à la loi du 4 mars 38, rendant « l’arbitrage » obligatoire en cas de conflit, ce qui vaut aux métallos par exemple, l’énorme avantage, désormais, d’être obligés à « un délai d’une semaine franche avant de recourir à la grève ». Le syndicat fera respecter l’esprit d’arbitrage. Avant même qu’il soit rendu obligatoire, le syndicaliste Jouhaux se déclarait « satisfait des résultats des arbitrages » même si « l’arbitrage ne peut apporter 100 % de satisfaction aux travailleurs »! Et si, en 36, notre PC national élevait la voix par rapport à cela... c’est parce que la classe ouvrière n’était pas encore tout à fait battue ; il fallait donc mettre des nuances pour pouvoir arriver en 38 à la déclaration de Croizat -député communiste- à la Chambre : « La classe ouvrière veut l’ordre. La grève n’est pour elle qu’une ultime nécessité qui lui est imposée par l’arbitraire patronal. La classe ouvrière applaudira si nous lui donnons les moyens de suppléer S la grève... » Un acquis ? Oh oui ! mais pour l’Etat qui a enfin compris que le syndicat lui est un précieux auxiliaire qui lui permet de développer sa présence policière jusque dans les usines ! N’est-ce pas le syndicat qui aura sans cesse prêché l’ordre, la sagesse et l’esprit de conciliation aux prolétaires en lutte lorsqu’il répétait par la bouche de la CGT sur tous les airs ce même refrain : que le mouvement doit rester « paisible, ordonné et propre (sic!!)... » et encore quand il invitait « les délégués de toutes les entreprises encore en grève à redoubler d’activité en vue de la conclusion d’accords... et de faire preuve de l’esprit de conciliation... ! » ‘ -
Quand la décadence du capital, dans sa phase de crise mortelle, impose à l’Etat de préparer sa seule issue : la guerre, l’Etat, plus que jamais, se voit contraint de contrôler toute la société pour orienter vers elle toutes ses énergies. C’est le syndicat, dans l’usine (nous le verrons plus loin), qui se chargera de cette besogne. Une victoire alors ? Oh oui ! pour l’Etat, puisqu’il se renforce face à son ennemi, le prolétariat.
Autre grande victoire ! Suite aux grèves de mai-juin, les métallos parisiens, par exemple, obtiennent une augmentation de 22 % environ. Pendant les six derniers mois de 36, les salaires restent inchangés, malgré une hausse du coût de la vie de l’ordre de 25 %. En mars 37, suite à deux réajustements, les salaires se trouvent augmentés de 12,84 %. Les salaires ne sont plus modifiés jusqu’à la fin d’octobre 37. Or, à ce moment-là, la hausse du coût de la vie depuis juin 36 atteint : 50 % ! Dans le meilleur des cas, les augmentations de salaire acquises sont réduites à néant : la vérité, c’est qu’il n’y a plus d’augmentation réelle possible ; elle est mangée immédiatement par la hausse des prix. Alors, pour qui la victoire ?
Les plus cyniques osent dire : « juridiquement » cela n’a jamais pu être aboli! Laissons le droit et regardons les faits.
-un décret général du 21 décembre 37 stipule la récupération des heures perdues dans les industries souffrant de morte saison. « Cela est valable dans le industries et commerces assujettis à la loi de 40 heures. »
-et encore... autorisation d’heures supplémentaires dans les secteurs essentiels de la vie économique : dès le 29 juillet 37, par arrêté, cela concerne les mines de fer, et, le 21 décembre 37 les mines de charbon. On institue même un Comité d’Enquête sur la productivité du travail, à l’initiative... de la CGT bien sûr! Mais rassurez-vous, c’est uniquement pour démontrer le caractère calomnieux des affirmations patronales sur les baisses de rendement. Le travail de ce comité trouve son heureux aboutissement dans « l’assouplissement » (!) des premiers décrets et instaure des dérogations supplémentaires... pour les industries intéressant la défense nationale. La CGT prépare la guerre.
-Le 21 décembre, une autre dérogation, toujours exceptionnelle, pour les industries souffrant d’une insuffisance de main d’oeuvre qualifiée. Les décrets de novembre et décembre 38 verront l’institution de sanctions contre les refus d’heures supplémentaires! (cela est encore valable). Enfin nous touchons au but : le décret du 21 avril 39 supprime les majorations de salaires pour les heures comprises entre la 40ème et la 45ème heure!
C’est une victoire en effet, un triomphe... mais pour la bourgeoisie de droite et de gauche qui prépare sa guerre.
-Mais il reste les deux semaines de congés payés. Que représentent-elles? Peu de temps après la promulgation des premiers décrets, le patronat réclame la récupération des fêtes de Noël et du 1er de l’An. Le gouvernement, « de gauche » appuie la demande. Les syndicats recommandent à leurs adhérents d’accepter cette récupération qui doit se limiter, paraît-il, à ces deux jours fériés. En fait, la récupération sera étendue à toutes les fêtes légales et même aux fêtes locales. C’est environ 80 heures de travail supplémentaire par an qui sera ainsi récupéré. Faisons le compte, cela fait exactement deux semaines, les deux semaines de congés payés.
Par ailleurs, il est à noter que ces fameux congés payés, sous une forme ou sous une autre, ont été accordés à la même époque dans la plupart des pays développés, sans qu’il y ait eu forcément de luttes ouvrières pour les amener. C’est qu’outre le fait qu’il est possible au capital de les récupérer sous un autre biais, ces congés ne font que prendre en compte la nécessité absolue de repos supplémentaire en vue de la reconstitution de la force de travail de plus en plus exploitée. Nécessité absolue pour chaque capital national s’il veut conserver des ouvriers « rentables » face à l’accentuation des cadences pour produire au plus bas prix et tenter de rester commercial sur un marché international qui a atteint ses limites.
Une victoire ? Qui aura encore le cynisme de parler de victoire ?
Ainsi, la deuxième guerre impérialiste qui se prépare depuis 1930 peut enfin arriver à terme grâce à la gauche et au syndicat qui auront réussi à démoraliser, mystifier, diviser et vaincre la classe ouvrière. La « gauche » sera fière d’avoir réussi, elle le proclamera, les uns vantant la méthode, c’est Blum quand il déclare : « il faut noter qu’au point de vue de l’ordre public, cette forme de grèves a d’incontestables avantages. Les ouvriers occupent l’usine, mais il est vrai que l’usine occupait les ouvriers. Les ouvriers étaient là et pas ailleurs. Ils n’étaient pas dans la rue. Au moment où ils étaient tous groupés dans l’usine, ils ne formaient pas ces cortèges avec des chants, des drapeaux rouges, qui viennent se heurter aux barrages de police... ». Et oui, enfermés dans les usines, quand ils les occupaient, les ouvriers ne menaçaient pas l’Etat. Les autres vantent l’esprit qui les anime et c’est le PC qui conclue : « Les communistes ont manifesté leur volonté inébranlable de défendre le pays en votant les crédits de défense nationale... sur le champ de bataille, des communistes soldats ont déjà versé leur sang ».
Il y a effectivement de quoi être fier d’avoir contribué à l’accomplissement d’une telle oeuvre, la survie du capital : la 2ème boucherie mondiale fera 55 millions de morts...
Les prolétaires doivent en tirer les leçons.
Comme dans les années 30, le capital est mondialement en crise, et une crise de plus en plus aiguë.
Le capital ne survit plus que dans un cycle infernal de crise, guerre, reconstruction, crise...
Comme dans les années 30, l’heure de la gauche au pouvoir se précise avec aussi un programme qui, lui aussi, promet d’accorder les 40 heures,les loisirs, davantage de congés payés, le SMIC à 2400 F et des augmentations de salaires
Plusieurs leçons doivent être tirées, Nous n’en soulignerons qu’une, mais qui est d’importance, capitale pour le prolétariat : étant définitivement entré dans sa phase de décadence, le capital ne peut plus accorder aucun avantage important et durable ! Le prolétariat ne peut plus espérer, comme au 19ème siècle, s’aménager une place moins mauvaise dans le capital. La seule alternative désormais est : guerre ou révolution. La sinistre mascarade de la gauche au pouvoir et des soi-disant avantages acquis sont là pour l’illustrer. Tous ceux, depuis la gauche, les syndicats et les gauchistes de tout poil qui avec un langage qui se veut ouvrier et plus ou moins radical parlent des acquis de 36 sont les ennemis mortels de la classe, aujourd’hui et demain.
En 36, mondialement, la classe ouvrière était faible. Elle se relevait d’une défaite sanglante, celle de la vague révolutionnaire des années 17-23. Mais, demain, quand la lutte se généralisera, à l’inverse des années 30, c’est un prolétariat ayant refait le plein de ses forces physiques et fort des leçons de ses défaites qui se dressera contre toute cette racaille : syndicats, gauche et extrême-gauche, les démasquant pour ce qu’ils sont : les meilleurs défenseurs du capital.
A.B.
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■ Pour les idéologues bourgeois, l'Etat est l'émanation de la souveraineté populaire. La démocratie est la forme suprême de l'Etat, l'achèvement et la perfection de son être. Le marxisme y voit cependant tout autre chose. Dévoilant la division de la société en classes, il démontre qu'il ne saurait y avoir communauté d'intérêts entre exploités et exploiteurs. Par conséquent, l'Etat, loin de gérer un prétendu bien commun, n'est jamais qu'une trique aux mains de la classe exploiteuse. Cela reste vrai même si la démocratie étend son voile hypocrite sur les rapports de classe et ne laisse paraître que les "citoyens égaux et libres". Derrière la liberté et l'égalité formelles, descend l'ombre du bâton dont la classe oppresseuse se sert pour assujettir la classe opprimée.
Pour comprendre la fonction première de la démocratie, on peut méditer ces mots d'Engels : "...au moment de la révolution, elle aura son importance en tant que PARTI BOURGEOIS EXTREME... A ce point, toute la masse des réactionnaires s'aligne dans sa foulée et la renforce, tout ce qui est réactionnaire se donne des allures démocratiques... (ce qui fait que) notre seule ennemi au moment et au lendemain de la crise sera l’ENSEMBLE DE LA REACTION REGROUPEE AUTOUR DE LA DEMOCRATIE PURE" (Engels, 1884, lettre à Bebel).
C'est vrai lorsque la crise révolutionnaire frappe à la porte, mais tend également à se réaliser dès que les affrontements de classe se durcissent. Les luttes prolétariennes trouvent alors sur leur chemin le mirage démocratique et parlementaire, destiné à les égarer, à ramollir ou écarter les assauts qu'elles portent à l'Etat bourgeois, à freiner ou disloquer leur élan, à les emporter sans force loin de leur but. Car si "l'appareil exécutif, militaire et politique de l'Etat bourgeois organise l'action directe contre la révolution prolétarienne, la démocratie représente pour lui un moyen de défense indirecte en répandant dans les masses l'illusion qu'elles peuvent réaliser leur émancipation par un processus pacifique" (thèses de la Gauche italienne, 1920). De ce moyen de défense indirecte, aucun Etat de la classe dominante ne peut durablement se passer sans chauffer à blanc les antagonismes sociaux.
démocratie et état fort sont complémentaires
Nous avons établi que la démocratie servait principalement de tampon entre la machine étatique et la classe ouvrière ; au détriment non de la première, mais de la seconde. Dans le cours au renforcement de l'Etat, la légalité "démocratique" est d'ailleurs la plus avantageuse pour la bourgeoisie. Elle n'a nul besoin de liquider son arsenal démocratique pour augmenter ses capacités de répression brutale. C'est au contraire sous la démocratie que l'Etat bourgeois se renforce LE MIEUX : il gagne en puissance matérielle, sans pour autant rien perdre en puissance idéologique. Il faut apprécier avec réalisme cette tendance de la démocratie â se blinder "contre la subversion", à se doter des capacités de répression les plus modernes pour faire face à la lutte de classe (comme l'indique la campagne anti-terroriste de la bourgeoisie, prétexte au déploiement, béni par la gauche, de ses forces policières). Voir dans le blindage de la démocratie une tendance qui ne peut être inversée, mais que seule la révolution prolétarienne pourra briser par la destruction de l'Etat bourgeois, n'est nullement propager le pessimisme dans la classe ouvrière. A moins de croire réellement que la bourgeoisie ne se préparé pas pour le moment crucial et renoncera à se défendre si les codes démocratiques sont suffisamment exprimés dans un texte de loi. Une fatale illusion qui a creusé la tombe de plus d'une révolution quand la bourgeoisie, acculée, s'est mise à violer tous les chapitres de sa propre légalité.
que signifient aujourd’hui les «droits démocratiques» ?
Au siècle dernier, lorsque le capitalisme était un mode de production progressif, il existait la possibilité pour la classe ouvrière d'obtenir un certain nombre d'améliorations et de garanties au sein du système. A cette époque, malgré les illusions qu'elles pouvaient déjà favoriser, et que les révolutionnaires dénonçaient, les luttes pour certains de ces "droits" avaient un sens. C'est notamment vrai pour le suffrage universel qui permettait, d'une part, l'utilisation du parlement comme tribune de laquelle les partis ouvriers pouvaient mettre en avant ce qui distinguait le prolétariat des autres classes de la société; d'autre part, d'apporter un soutien aux secteurs les plus dynamiques de la classe dominante contre les vestiges de la féodalité afin de hâter le développement du capitalisme et donc des conditions de sa disparition. Mais, aujourd'hui, alors que le capitalisme est un système décadent, qui ne peut accorder de réelles améliorations à la classe ouvrière, au sein duquel tous les secteurs de la classe dominante sont réactionnaires au même titre que le système lui-même, on peut se demander ce que valent ces "droits démocratiques" dont parle l’extrême-gauche. Effectivement, ces droits, quels sont-ils ?
C'est le droit pour le prolétaire, après avoir sué tant et plus pour le capital, de coucher sur papier son mécontentement, de le faire publiquement et même de se rassembler avec d'autres pour en parler... dans la mesure bien sûr où aucune lutte n'en découle, sinon la police intervient et rappelle très vite que la "démocratie a aussi ses devoirs".
C'est le droit, après avoir trimé durement dans les bagnes industriels, de se faire arnaquer par les syndicats pour tenter de récupérer une partie de ce que le capital nous vole, et pour finalement ne pas même récupérer des miettes parce que les syndicats ne sont là que pour protéger les profits du capital.
C'est la liberté de croire que si tel ou tel parti accédait à l'exécutif de l'Etat, la société changerait, de telle sorte que nous devrions nous échiner à élire parti sur parti dans l'espoir de voir leurs promesses se réaliser. Bref, les "libertés démocratiques" sont la consolation offerte par la bourgeoisie à ses esclaves salariés et elles culminent dans la liberté... d'être humble et soumis à l'ordre établi. Qui nous fera croire après ça qu'une autre classe que la bourgeoisie a intérêt à la démocratie politique ?
Dans la propagande des gauchistes, les "libertés constitutionnelles" sont pour le prolétariat la première chose à acquérir. Dans leur vision de la lutte de classe, le prolétariat apparaît comme un ver rampant, la classe opprimée la plus lâche et la plus insensée de l'histoire. Car si les esclaves du passé avaient d'emblée leurs propres révoltes, les serfs les jacqueries, la bourgeoisie les grandes révolutions anti-féodales ; le prolétariat n'a qu'un itinéraire absurde : d'abord lutter avec les méthodes bourgeoises pour des objectifs bourgeois (par exemple, avec les syndicats pour la mystification de "droit de grève"), ensuite seulement envisager la révolution. Comme si après avoir fait siens des buts et des moyens opposés à ses propres buts et moyens, on pouvait songer sérieusement à renverser l'ennemi de classe !
Mais, ici, le gauchisme sursaute et se colore d'indignation. Il crie au scandale, tablant sur le sens commun et l'opinion courante : "Quoi ! Pour ces misérables pourfendeurs de démocratie, la lutte contre l'arbitraire, pour la liberté d'association, d'expression, etc. n'est pas valable en tous temps et de n'importe quelle manière ?" Bien sûr que non, faux dévêts, elle ne Test pas. Les révolutionnaires ne sont nullement favorables aux libertés EN GENERAL qui toujours cachent la dictature bourgeoise. D'abord parce qu'ils sont partisans de la dictature du prolétariat comme transition nécessaire vers le communisme, c'est-à-di- dire d'un pouvoir qui SUPPRIMERA pour les classes exploiteuses ces fameuses libertés politiques dont on parle tant. Ensuite, parce qu'il vaut mieux faire grève pour les intérêts réels de la classe ouvrière, plutôt que pour obtenir... le "droit de grève" accordé par la bourgeoisie, qui ne sera jamais que la garantie verbale de ne pas réprimer la grève, en d'autres termes, du vent. Qui serait assez naïf pour croire que si la grève menaçait véritablement ses intérêts, la bourgeoisie resterait inactive parce qu'elle a promis de le rester ? Seuls ceux qui ont orienté tous leurs espoirs sur l’obtention de cette promesse, en la prenant pour argent comptant, seront surpris lorsque la classe dominante leur cassera l'échine.
L'extrême-gauche, quant à elle, s'affirme partisane de la "liberté de grève": elle montre par-là que la classe ouvrière dont elle rêve, n'est que la classe qui SE SOUMETTRA TOUJOURS ! Tant que les prolétaires feront la grève pour se voir garantir le droit de grève, écriront pour avoir le droit d'écrire, parleront pour avoir le droit de parler, la bourgeoisie ne sera jamais menacée.
Mais quand la classe ouvrière fera grève sans concessions, exprimera ses intérêts généraux antagoniques au capital, écrira et parlera d'insurrection avec la ferme intention de la mettre eri pratique, les fusils de la classe bourgeoise tonneront, quel que soit le "degré de la démocratie". Le gauchisme voudrait établir un "statu quo" entre les deux classes antagoniques. Et pour cela il propose aux prolétaires, ni plus ni moins... de ne pas lutter, de prendre des airs courtisans à l'affût de phrases onctueuses et de caresses empoisonnées. Encore les courtisans savaient-ils s'y prendre. Les prolétaires n'en retireraient qu'une honte sans avantage. En somme, le programme du gauchisme revient à dire que le plus sûr moyen d'empêcher la répression de s'abattre sur la révolution est encore de supprimer la révolution ; et en lieu et place de lutter pour elle, de dévoyer les combats prolétariens en leur donnant comme objectifs des "droits" vides de sens qui ne renforcent que les illusions propagées par la société bourgeoise.
la Position des révolutionnaires sur la démocratie
Toutes ces constatations ne nous empêchent évidemment pas d'affirmer pour le prolétariat le "droit" de combattre la domination bourgeoise. Faut-il beaucoup discuter pour comprendre la différence entre ce "droit" et celui que l'extrême-gauche revendique pour la classe ouvrière ? Le marxisme est partisan de la COALITION des ouvriers pour limiter les empiétements du capital, de l'EXPRESSION par la parole et l'écrit de leurs revendications de classe, et même plus, de leur ORGANISATION comme CLASSE REVOLUTIONNAIRE pour renverser l'Etat bourgeois et le capitalisme.
Jamais la classe dominante ne pourra admettre le "droit", historique du prolétariat à la balayer, elle et toute sa société d'oppression et d'exploitation.
Ce "droit", le prolétariat le tire non d'une constitution stalinienne qui le proclame, ni de principes moraux, mais de sa seule FORCE. Quant à ses possibilités d'association, de réunion, de diffusion d'une presse, etc. -exigences pratiques de sa vie-, il doit les IMPOSER par la lutte contre l'Etat bourgeois, non pour se maintenir dans des positions défensives, mais pour se préparer â l'assaut final.
Rien de commun, on le voit, avec la démocratie bourgeoise et ses prétendues garanties. Mais, au contraire, la plus ferme détermination d'affronter la terreur bourgeoise, démocratie ou fascisme, sur un terrain de classe : par la préparation, l'organisation de la lutte révolutionnaire. Lorsque la classe ouvrière s'émancipera de ses illusions dans la démocratie, elle n'exigera pas un nouveau "droit", un "droit prolétarien" à la révolution ; mais concrétisera son devoir historique de renverser le vieux monde par la destruction de tout l'appareil politique, économique, juridique du capitalisme.
(D'après Internationalisme n°23).
"Il n'est jamais trop tard pour bien faire" et "tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir", nous dit le "bon sens populaire". En général, les communistes dénoncent ce "bon sens" dans lequel ils voient essentiellement un condensé de tous les préjugés sur lesquels s'appuie l'idéologie de la classe dominante, mais, pour une fois, ces deux proverbes semblent pouvoir s 'appliquer au "Parti Communiste International" dont les analyses publiées dans le n° 77 de "Programme Communiste" et le "Prolétaire" nu 271 traduisent un net redressement par rapport aux aberrations qu'ils a pu produire ces dernières années sur trois points essentiels pour la lutte prolétarienne :
Nous estimons très important ce redressement opéré par le PCI, nous espérons qu'il ne restera pas sans lendemain et permettra en particulier à cette organisation de reconsidérer un certain nombre de positions erronées qui, pour l'heure, lui interdisent une contribution réellement positive au processus de prise de conscience de la classe ouvrière.
Mais nous entendons déjà le militant bordiguiste crier à la "falsification" et déclarer : "Nous, changer de position ? Jamais ! Ne savez-vous pas que nos positions sont invariantes ?"
Bien, puisqu'il le faut, nous allons imposer au lecteur un certain nombre de citations de la presse du PCI pour faire apparaître que ces changements de positions sont bien réels et non le fruit de notre simple imagination torturée.
Nous avons signalé trois points sur lesquels les positions du PCI ont évolué de façon positive. Le premier concerne l'évaluation de la situation internationale. Voici ce que le PCI écrivait en 1974 concernant les rapports entre les USA et l'URSS : "Nous proclamons depuis longtemps un certain nombre de vérités qui ne sont pas des découvertes de nos cervelles mais découlent d'une application élémentaire du marxisme à l'analyse et à l'appréciation des événements contemporains. Le prétendu "condominium américano-soviétique" sur le monde n'est en réalité qu'une domination du gendarme américain avec participation aux bénéfices du laquais russe. Tout pas en avant dans la détente, dans les "relations commerciales avantageuses", dans la coexistence pacifique... Tout cela signifie le feu vert pour le gendarme impérialiste international siégeant à Washington (mais, bien entendu... la succursale de Moscou, elle aussi en profite : celui qui tient le parapluie de son supérieur hiérarchique a quelque chance d'être à l'abri de la pluie...")...
En 1975, sous le titre "En Indochine, l'axe USA-URSS", on entendait le même son de cloche : "C'est là, dans le stalinisme, qu'est la racine de la capitulation devant l'impérialisme mondial et son pilier: les USA. C'est là aussi qu'est la clé pour comprendre par quel "mystère" la Russie et la Chine peuvent s'accuser réciproquement de révisionnisme et n'aspirer à rien d'autre qu'à de bons rapports et à une "collaboration avantageuse" avec l'empire de la bannière étoilée"...
"C'est en s'appuyant sur les centrales du "socialisme dans un seul pays" que Washington peut se sentir à l'abri aussi bien les jours de tempête que les jours de calme plat". ("Le Prolétaire", n°197 du 31 mai 1975).
Ainsi, à cette époque, le PCI développait la thèse d'un "impérialisme mondial" dirigé par les USA dont l'URSS n'était qu'un simple valet. Il s'agit là d'une position proche de celles des trotskystes pour qui il n'y a pas (comme les révolutionnaires et particulièrement Lénine l'ont toujours affirmé) des blocs impérialistes antagoniques mais une sorte de "super-impérialisme" tentant d'imposer ses conditions léonines à tous les autres pays du monde et contre lequel les "peuples" sont appelés à "s'émanciper". Certes, même à cette époque, il existait une différence fondamentale entre les positions bordiguistes et les positions trotskystes : les premières reconnaissent la nature capitaliste et impérialiste de l'URSS alors que les secondes considèrent ce pays comme un "État ouvrier" qu'il faut défendre. Cependant, cette conception d'un impérialisme mondial, non seulement tournait résolument le dos à la réalité (malgré la prétention de ses auteurs de procéder à "une application élémentaire du marxisme à l'analyse et l'appréciation des événements contemporains") mais, de plus, elle était extrêmement dangereuse et pernicieuse (c'est pour cela que Lénine la combattait très férocement chez Kautsky) : en niant l'existence d'antagonismes irréductibles entre blocs impérialistes, elle tend à accréditer l'idée que la guerre impérialiste mondiale n'est pas la conséquence inéluctable de la crise du capitalisme en l'absence de révolution prolétarienne. C'est, sur le plan théorique, la porte ouverte au pacifisme et à l'abandon des positions fondamentales autour desquelles les révolutionnaires se sont retrouvés pendant la 1ère guerre mondiale et sur lesquelles s'est fondée l'internationale Communiste. Rien de moins.
Progressivement, cette conception absurde a disparu des colonnes de la presse bordiguiste et on a pu voir apparaître des références à l'aggravation des tensions entre les "deux grands blocs" : il est vrai qu'il fallait être aveugle pour ne pas s'en apercevoir. Cependant, même ces derniers mois, la sous-estimation du rôle de l'impérialisme russe dans le monde était de mise : ainsi, lors de l'intervention française au Zaïre, la prise de position du PCI "Impérialisme français hors d'Afrique et du Liban" ("Le Prolétaire", n° 267), ne disait pas un mot de l'existence -combien présente en Afrique !- de l'impérialisme russe. Et si les articles suivants du "Prolétaire" étaient un peu moins discrets sur cette existence (ils insistaient presque exclusivement sur un seul point : les intérêts spécifiques de la France en Afrique), ce n'est que dans "Programme Communiste" n°77 que l'impérialisme russe trouvait sa vraie place dans la tragédie africaine et que la véritable signification des événements était dégagée : "Avec la chute de l'empire colonial portugais, le vrai repartage du continent est désormais ouvert. Mais il démarre en grand précisément au moment où la crise économique mondiale... ramène avec elle le spectre d'une nouvelle guerre mondiale. De plus, la lutte titanesque pour la domination du monde que se livrent les deux super-monstres étatiques du capital, qui masquent leurs faces hideuses de marchands d'esclaves sous les plis des drapeaux d'une hypocrite défense des droits de l'homme d'un côté, d'un faux anti-impérialisme de l'autre, se répercute sur la scène de notre drame... On comprend alors que cette vaste aire géographique... devienne un terrain privilégié de la préparation d'un futur conflit impérialiste".
De même, cet article semblait répondre (est-ce une coïncidence ?) à celui publié dans "Révolution Internationale" n°51 intitulé : "Et si le PCI avait des militants en URSS ?" et dans lequel nous mettions en évidence "l'internationalisme" à usage uniquement occidental de cette organisation. Effectivement, le PCI écrit : "Par rapport à l'Afrique, la position est la même en Belgique contre les agressions belges, aux USA contre les menées américaines, en Russie contre les brigandages russes... car le prolétariat international n'a pas à choisir un camp impérialiste contre un autre".
Très bien ! Voilà qui ressemble plus à une position réellement internationaliste !
Le deuxième point sur lequel on peut noter une évolution de la part du PCI est directement rattaché au premier : la signification des prétendues luttes de "libération nationale". Dans "Le Prolétaire" n°271, le PCI nous en donne partiellement la clé : "Derrière les conflits locaux, rôle de spectre de la guerre mondiale". On peut lire dans l'article : "L'Afrique, en particulier, n'a cessé de prendre feu, dans sa corne orientale, au Sahara Occidental, au Tchad, et, enfin, au Zaïre. Les tensions nationales internes et les explosions sociales dans des pays dont l'indépendance est trop fragile pour ne pas se convertir en dépendance économique, financière, politique et militaire, ont été le prétexte d'interventions soi-disant philanthropiques des uns et des autres, créant une chaîne de heurts, d'antagonismes et de conflits sanglants qui n'est pas près de s'arrêter".
Voilà qui commence à ressembler à une appréciation correcte de ces luttes "nationales" dans lesquelles ce sont les blocs impérialistes qui sont maîtres du jeu, et absolument pas les "peuples". Toute cette théorie bordiguiste sur l'émancipation des "peuples de couleur" et que la simple constatation de la réalité oblige à remettre en cause, repose sur une thèse essentielle : celle de l'existence "d'aires" du capitalisme où les tâches du prolétariat seraient différentes. C'est justement sur ce 3ème point que l'article : "Sur la révolution en Amérique Latine" ("Programme Communiste" n°77) essaie de rétablir une position correcte. C'est explicitement que cet article rejette la thèse énoncée dans le n°75 de "Programme Communiste" et qui affirme : "La classe ouvrière doit lutter pour soulever et entraîner sous sa direction les masses travailleuses paysannes et urbaines dans la révolution agraire et anti-impérialiste, qui n'est pas sa propre révolution de classe, mais une condition nécessaire... sur la voie de son émancipation..."
Il n'a pas peur d'affirmer dans le rectificatif : "Il serait désastreux de s'enfermer dès à présent dans l'horizon soi-disant obligatoire d'une révolution bourgeoise radicale", et aussi: "c'est dans cette perspective, qui renverse le schéma esquissé dans (l'autre article), que nos camarades doivent travailler. Dans cette optique, la future révolution continentale prolétarienne, partie intégrante de la révolution prolétarienne mondiale, est la règle..."
Nous sommes loin des conceptions qui apparaissaient dans l'article dédié à Che Guevara (Le Prolétaire, n°253) qui se lamente que "le prolétariat... alors absent de la scène historique n'ait pas répondu à l'appel que lui lançaient, depuis La Havane, les représentants de la révolution paysanne" et qui prévoit: "L‘ appel, cependant, reste vivant, et la nouvelle vague révolutionnaire devra lui répondre".
C'est donc sur une position bien ancrée dans le PCI que l'article de "Programme Communiste" n°77 appelle à revenir et non sur une simple coquille malencontreusement apparue dans le n°75 de la même revue.
Si nous avons mis en évidence l'évolution subie dernièrement par certaines positions du PCI, ce n'est certainement pas pour le lui reprocher. Ces dernières années, ce n'est pas avec indifférence que nous avons constaté et signalé le processus d'involution de cette organisation qui se réclame de la Gauche Communiste, vers des positions de plus en plus proches de celles du trotskysme. Nous avons vu, au contraire, dans ce phénomène une dernière victoire de la contre-révolution qui entraînait de plus en plus à elle une organisation de la classe ouvrière. C'est pour cela que nous saluons les prises de position récentes du PCI. Nous y voyons une réaction contre cette involution et donc la possibilité d'un redressement politique. Cependant, nous estimons que cette réaction n'est pas suffisante et que c'est seulement en remettant explicitement en cause certaines des positions de Lénine et de l'internationale Communiste dont le PCI a fait un dogme, qu'il pourra se donner la capacité de résister efficacement contre la pression de l'idéologie bourgeoise ambiante (et dont sa phraséologie sur les "luttes héroïques" des peuples X ou Y et sur les exploits du "Che" était une des expressions les plus lamentables). Lénine était un grand révolutionnaire, sa contribution au combat de la classe ouvrière est énorme, mais, comme tous les révolutionnaires, il a commis des erreurs. En particulier, dans son débat avec Rosa Luxembourg, l'histoire a donné raison à cette dernière : "Les guerres nationales ne sont plus possibles à l'époque de l'impérialisme effréné. Les intérêts nationaux ne servent que comme instrument de duperie pour mettre les masses ouvrières au service de leur ennemi mortel, l'impérialisme"[1]. Plus d'un demi-siècle de massacres inter-impérialistes a tragiquement confirmé cette thèse. Ici, la fidélité à la lettre des positions de Lénine conduit à une trahison de toute sa démarche comme révolutionnaire et comme marxiste : se mettre à l'école de l'expérience ; critiquer, à la lumière de celle-ci, la moindre erreur programmatique ou d'analyse.
Implicitement, c'est ce qu'a fait le PCI en rejetant certaines de ses positions qui n'ont pas résisté à l'épreuve des faits. Mais, si, réellement, une vie révolutionnaire l'anime, il ne peut en rester là : il doit également tirer les conclusions de ce réalignement et jeter aux orties les dogmes absurdes et dérisoires de "l'invariance" et du "monolithisme". Le PCI n'est ni "invariant", comme on a pu le voir, ni monolithique : sinon, pourquoi le "centre" estime-t-il nécessaire d'indiquer la bonne direction dans laquelle les "camarades doivent travailler". Rien n'est plus étranger au marxisme que l'idée d'une pensée monolithique. Le marxisme est essentiellement critique et même s'il se conçoit comme une vision cohérente du monde, il n'a jamais exclu la possibilité de contradictions au sein de sa démarche, contradictions qui sont l'expression même de la vie.
Chacune des différentes organisations qui se réclament du bordiguisme se considèrent comme "le seul détenteur de la conscience révolutionnaire". Pauvre conscience qui est obligée de courir après l'événement et, incapable de tirer les enseignements d'un demi-siècle d'histoire, d'ajuster le tir au coup par coup. Comme toute pensée, elle aurait grandement gagné à la discussion et à la confrontation avec celle des autres groupes communistes existant à l'heure actuelle. Cela lui aurait peut-être évité certains des errements mencheviks et kautskystes que le PCI -bien que partiellement- vient de rejeter en catastrophe et que d'autres organisations dénonçaient depuis longtemps. Malheureusement, par leur refus récent de participer aux efforts de discussion entrepris avec "Battaglia Comunista" par le CCI, le CWO et autres, le PCI ("Programma"), comme le PCI ("Il Partito Comunista"), se refuse à une telle attitude. Décidément, il reste encore un long chemin à faire pour le bordiguisme !
F.M.
[1] Thèses de la social-démocratie révolutionnaire sur la guerre impérialiste (1915).
Iran, Nicaragua, c'est par milliers de morts, que les régimes en place doivent leur maintien au pouvoir. Voilà l'image idyllique que le capitalisme nous donne de lui aujourd'hui. Pour la bourgeoisie "démocratique”, "progressiste” ou "libérale”, tout cela est "de la faute" des régimes "pourris" et "sanguinaires” du Shah ou du dictateur Somoza. Hypocrisie ! Les lamentations actuelles de cette bourgeoisie ne nous feront pas oublier qu'elle partage, avec les secteurs de droite, "fascistes” et autres, l’entière responsabilité des plus grands crimes de ce siècle ; des 20 millions de morts de la 1ère guerre mondiale, des 50 millions de morts de la 2nde, de tous les massacres qui l'ont suivie et surtout qu'elle a toujours été en première ligne quand il s'agit de déchaîner la répression contre la classe ouvrière. Aujourd'hui, dans ces deux pays, ce n'est pas le prolétariat qui occupe le devant de la scène. L'immense mécontentement de presque toutes les couches de la population, violemment heurtées par la crise mondiale du capitalisme, et où domine la petite-bourgeoisie agricole et urbaine, en est d'autant mieux utilisé, soit au service des secteurs les plus anachroniques de la classe dominante comme en Iran, soit au service de la bourgeoisie "démocratique” comme au Nicaragua. De ce fait, la domination bourgeoise n'est nullement remise en cause par ces "mouvements populaires", mais la sauvagerie avec laquelle ils sont réprimés permet de se faire une idée de ce que la classe capitaliste, toutes fractions réunies, est capable de faire quand son système est réellement menacé par la seule classe qui puisse l’abattre : le prolétariat.
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Trois jours avant la répression qui s'est abattue sur les manifestations pacifiques des habitants des taudis en Iran, toute la presse bourgeoise parlait de "libéralisation", s'attardait sur la description idyllique de la foule qui lançait des gerbes de fleurs sur l'armée et la police. Puis, ce fut la tuerie. L'armée tirait à vue. Les soldats qui refusaient d'exécuter, mitraillés aussi. 5000 morts, ce jour-là. Un mouvement qui rassemblait 500 000 personnes dans une même colère s'est fait écraser comme des agneaux dans une boucherie.
C'est ainsi que répond la bourgeoisie lorsque la situation est bloquée, et que les Carter, les Schmidt, les Giscard ou les Hua Kuo Feng ne peuvent admettre que soient mis en péril les milliards investis en Iran, pays clé de la situation stratégique de la guerre entre les blocs.
Mais si les remous actuels en Iran sont certes l'expression de rivalités intestines qui agitent le clan du shah, l'église ou l'opposition pro-russe, alimentées par des rivalités de plus grande ampleur, celles des blocs occidental et russe, la foule mystifiée qui s'est jetée dans la rue, n'était pas avant tout animée de la foi dans Allah ou de la volonté que l'Iran s'islamise. Ce qui l' a jetée là, c'est la misère profonde dans laquelle est maintenue la majorité de la population, pour qui la survie est un problème quotidien, et qui n'a rien à perdre, parce qu'elle ne possède rien, si ce n'est sa vie, et encore si peu.
Cette foule qui s'est fait livrer pieds et poings liés à la répression, endormie par les appels au pacifisme d'une opposition qui craignait d'être débordée par sa masse de manœuvre, ce n'est pas encore la classe ouvrière. Les grands centres industriels, ceux qui se sont soulevés en grève l'année dernière, sont restés muets, à part le simulacre de "grève de solidarité" de 24 heures orchestrée par l'opposition. La classe qui seule porte la possibilité de la véritable libération de l'humanité, celle qui seule a la force de s'organiser et de s'armer contre le capitalisme pourrissant, commence à peine à s'affirmer sur la scène internationale. Aussi longs que soient ses préparatifs, ce n'est que dans un mouvement international de la classe ouvrière que se trouve le bout du tunnel pour le tiers-monde. En l'absence de cette force, les mouvements du lumpen prolétariat sont condamnés à se faire embrigader par des "ayatollahs", des PC ou autres prometteurs de miroirs aux alouettes, et à se faire massacrer.
Si le mouvement auquel s'est heurté l'État iranien n'était pas encore celui de son ennemi mortel, sa réaction fut par contre celle à laquelle TOUTE bourgeoisie a recours face à la colère des exploités, quand les phrases creuses ne suffisent plus.
Pour accréditer la possible mise en place d'une soi-disant libéralisation au nom du camp des droits de l'homme, la bourgeoisie occidentale tente de masquer sous le folklore des grands sorciers ayatollahs les véritables causes de la situation, tentant de justifier la tuerie par le caractère "réactionnaire" du mouvement. Les proclamations américaines du début de l'été ne déclaraient-elles pas que "le shah partage les conceptions occidentales des droits de l'homme"? Nous n'en doutons pas. La bourgeoisie a par-delà ses frontières et ses divisions, la même conception des droits de ceux qu'elle exploite. Et les professions de foi de la gauche en France qui implore une "véritable libéralisation" ne font pas plus illusion que les autres. Depuis le sang des ouvriers allemands sur les mains de la social- démocratie en 1920 jusqu'aux massacres en chaînes dans les pays sous-développés actuellement, la chaîne est longue des forfaits perpétrés par la classe bourgeoise lorsqu'elle se trouve face à l'impasse, à l'opposition de ceux qui n'ont rien à perdre.
La signification de ces derniers massacres est double:
D.N.
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Au Nicaragua, un régime aux abois déchaîne aujourd'hui une des répressions les plus féroces que l'Amérique Latine ait connu depuis le putsch de Pinochet au Chili en 1973. C'est là une image que le capitalisme, tous secteurs confondus, ne manquera pas de présenter de plus en plus fréquemment à mesure que sa crise mortelle ira en s'aggravant. Mais le dégoût que les atrocités de la soldatesque aux ordres de Somoza ne peut manquer de provoquer, ne doit pas faire oublier au prolétariat où sont ses intérêts véritables, s'il ne veut pas se laisser entraîner dans une lutte qui n'est pas la sienne, où il n'a rien à gagner et tout à perdre.
Pour ceux à qui il suffit qu'une lutte soit violente pour qu'elle soit révolutionnaire, comme "Libération" par exemple, il faut sans doute saluer la "lutte du peuple de Matagalpa" par exemple, où "les étudiants, les lycéens, les commerçants, les paysans, les employés... se sont soulevés comme un seul homme" (journal du 5 août).
Pour nous, pour le prolétariat mondial, cette énumération est avant tout significative que cette lutte n'est pas la nôtre, même si des prolétaires en sont les premières victimes.
En effet, cette lutte, si elle s'appuie sur le mécontentement de toute une série de couches sociales violemment touchées par la crise mondiale du capitalisme, ne peut que servir des intérêts qui n'ont rien à voir, ni avec ceux de la classe ouvrière, ni même avec ceux des autres couches qui sont descendues dans la rue. D'emblée, elle s'est placée sur un terrain parfaitement bourgeois, celui des "droits démocratiques", du "renversement de la dictature fasciste". Et cela d'autant plus facilement que ces différentes couches, autres que le prolétariat, n'ont aucun avenir, ni immédiat, ni encore moins historique. Aucun avenir pour les étudiants et les lycéens destinés à devenir techniciens ou cadres, mais pour quoi faire ? dans un pays où l'industrialisation est à son plus faible degré de développement.
Aucun avenir pour les paysans qui peuvent difficilement vivre de ce qu'il qu'ils produisent : bananes, café, canne à sucre... et plus difficilement encore payer leurs impôts.
Aucun avenir pour les commerçants qui peuvent difficilement vendre quelque chose, à une population dont 80% vit dans les bidonvilles et dont 40% est au chômage.
Aucun avenir pour les quelques milliers d'employés dont la perspective se situe de plus en plus entre l'austérité et le chômage.
Aucun avenir non plus pour les syndicats patronaux de plus en plus écrasés par le poids de la concurrence mondiale.
Et alors, dans ces circonstances, comment la population, le "peuple nicaraguayen", va-t-elle payer les impôts demandés par la famille Somoza ? Et comment la famille Somoza va-t-elle rembourser ses dettes vis-à-vis des USA et négocier le prêt de 40 millions de dollars avec le FMI ?
Il n'y a plus alors aucune difficulté à comprendre pourquoi la population du Nicaragua s'est, en quelque sorte, mise en grève générale, et à quel degré de décomposition de la bourgeoisie cela correspond.
La lutte du "peuple nicaraguayen", c'est donc la lutte de toutes les forces politiques opposées à la famille Somoza : jamais, très certainement, "un front élargi d'opposition" n'a été aussi élargi puisqu'il va des conservateurs aux sandinistes favorables à la guérilla, qu'il comprend à la fois les milieux d'affaires, l'Église, et tous les amateurs de "respect des droits de 1'homme".
Jamais, non plus, une opposition à un gouvernement en place n'a reçu une telle approbation de tous côtés, et bien au-delà du pays concerné lui-même. En effet, derrière le "front élargi d'opposition", et à des degrés divers, il y a bon nombre de pays d'Amérique Latine qui n'ont pas intérêt à voir se développer une zone "d'instabilité sociale" à leurs frontières : c'est le cas du Venezuela notamment, qui a tout récemment prêté son armée au Costa-Rica pour protéger ses frontières, et qui demande de plus en plus fortement l'aide des USA. La réaction des USA semble encore un peu hésitante mais, elle vise avant tout à installer au Nicaragua, comme ailleurs, un régime capable de garantir un minimum de "paix sociale" pour tenter de "rentabiliser" l'aide qu'il peut lui apporter. Le tout, bien sûr, sous la couverture de "respect des droits de 1'homme".
Et toute l'opposition à Somoza se veut respectueuse des "droits démocratiques" du "peuple nicaraguayen" ; il n'est qu'à entendre les syndicats patronaux eux-mêmes : "l'installation d'un régime démocratique susceptible d'introduire des réformes sociales, politiques et économiques visant à l'amélioration des conditions de vie du peuple du Nicaragua". Voilà le contenu de la lutte du "peuple nicaraguayen", exprimé tout crûment par ceux-là mêmes qui exploitent tous les jours des milliers de travailleurs et d'ouvriers agricoles.
La lutte du "peuple nicaraguayen", c'est donc, avant tout, celle de toutes les fractions de la bourgeoisie qui demandent à pouvoir exploiter en paix les travailleurs, et une aide consistante du bloc. Et en suivant l'étendard de la bourgeoisie, cette lutte ne pouvait avoir qu'une issue : le massacre.
Et ce n'est pas parce que des travailleurs ou des chômeurs en ont été les victimes que cette lutte est notre lutte. Toujours les ouvriers ont fait les frais des règlements de compte entre fractions locales ou nationales de la bourgeoisie : les deux guerres mondiales en sont l'expression la plus criante. Et le massacre au Nicaragua n'est donc rien d'autre qu'un moment de la barbarie.
Notre lutte, si ce n'est pas celle d'un "peuple nicaraguayen", c'est celle de tout un prolétariat qui se bat à l'échelle d'un continent entier, et qui tente de lutter en tant que classe autonome. Bien sûr, dans ce cas, les journaux ne signalent les luttes du prolétariat que par quelques entrefilets. C'est bien là l'expression de cette "liberté de presse" qui n'a rien à envier, du point de vue de l'hypocrisie, au "respect des droits de l'homme" de Carter ; et cette politique est bien celle de toutes les fractions de la bourgeoisie qui s'entendent pour saluer la lutte des "peuples d'Amérique Latine" : comprendre, "il n'y a pas de lutte de classe en Amérique Latine". Et pourtant, cette lutte existe, et depuis plusieurs années. Et celle-ci, c'est notre lutte.
Notre lutte, c'est celle des mineurs de Chuquicamata, hier contre Allende, aujourd'hui contre Pinochet. C'est celle des travailleurs péruviens dont nous parlions dans le dernier numéro de RI : 40.000 mineurs en grève pendant 31 jours, demandant 25% d'augmentation de salaires et qui ont repris le travail en ayant tout obtenu, du moins pour un temps : la non-application du décret anti-grève, une loi sur la stabilité de l'emploi, la garantie qu'il n'y aurait pas de représailles. La bourgeoisie péruvienne n'a pu, bien sûr, accorder ces revendications qu'en pensant les récupérer le plus tôt possible
Elle n'a, de toutes façons, pas le choix. Mais la classe ouvrière a donné bien des preuves de sa combativité, elle n'a pas hésité à refuser l'accord préalablement signé entre les syndicats et le patronat au cours de la dernière grève. Elle a tout un passé de luttes : les mineurs de Cobiza en 71, les pêcheurs de Chimbote et les mineurs de Cuamone en 73, les mineurs de Centromin Peru en août74, les métallurgistes en septembre74, les mineurs encore en décembre74, les prolétaires de Lima en février75, ceux d'Arequipa en juillet75, les mineurs, les métallurgistes, les employés des banques et de la presse en janvier 76, A tous ceux qui rechercheraient encore une classe ouvrière au Pérou, la voilà, et la liste de son action est suffisamment parlante.
Notre lutte, c'est aussi celle des métallurgistes de Sao Paulo, au Brésil, en mai78. La grève, commencée par les ouvriers de la métallurgie, s'est poursuivie dans la sidérurgie, les constructions mécaniques, les industries textiles. En mai, finalement, 100.000 ouvriers sont en grève illégale pour des augmentations de salaires. Mais, là encore, le patronat est de plus en plus tenté par les méthodes "occidentales": "les dirigeants d'entreprises" estiment qu'une reconnaissance du droit de grève et l'octroi d'un rôle plus important aux syndicats permettraient de circonscrire des conflits sociaux qui, dans les circonstances actuelles, se transforment en autant de "grèves sauvages" ("Le Monde" du 31 mai). Saluons au passage "Le Monde" pour ces quelques lignes qui en disent long sur son objectivité.
En septembre, le mouvement de grève a repris parmi les employés de banque, les métallurgistes du grand complexe de Joao-Montevade, portant à plus de 150.000 le nombre des grévistes. Mais, il faut croire que le vœu du "Monde" n'a pas été satisfait et que les techniques de mystifications syndicales ne sont pas encore au point au Brésil.
Notre lutte, c'est aussi celle des ouvriers de Renault-Argentine en octobre77 : 23 ouvriers sont encore portés "disparus", 140 ont été licenciés.
C'est aussi celle des enseignants de Colombie, des employés de l'aéroport, des banques, des ouvriers du bâtiment il n'y a pas si longtemps, et tous en lutte pour des augmentations de salaires ou des non-versements de primes.
C'est encore celle des mêmes ouvriers de la sucrerie Aztra à Guayaquil, en Equateur, qui, en octobre77, avaient été si violemment réprimés et qui se sont à nouveau remis en grève le 8 août.
Les faits se suffisent à eux-mêmes : la classe ouvrière existe en Amérique Latine et, bien plus, elle se bat, et pas seulement en suivant les syndicats. La bourgeoisie a bien compris qu'il s'agissait des mêmes luttes que dans les pays dits développés , elle qui a commencé par réprimer d'abord violemment toute grève, à interdire le droit de grève, et qui, maintenant, ne se sert plus seulement de la gauche et des gauchistes pour justifier la répression, mais de plus en plus pour demander des "droits démocratiques".
Elle se bat le plus souvent pour des augmentations de salaires, elle se bat contre l'austérité, le chômage, la misère, pas pour obtenir de quelconques "droits démocratiques". Et les préparatifs de la bourgeoisie à un affrontement plus généralisé n'atténuent en rien la force du prolétariat sur tout un continent.
Elle se bat seule, contre la bourgeoisie toute entière. Sa lutte est notre lutte, son ennemi est le même, il est mondial : c'est la bourgeoisie. Là encore plus qu'ailleurs, le prolétariat n’a plus rien à perdre que ses chaînes.
N.M.
Récemment a été publiée la revue "Alarme", organe du "Ferment Ouvrier Révolutionnaire"[1]. Cette revue continue en français le travail initié par "Alarma" en espagnol depuis plus de 10 ans. Ce groupe, à travers la personne de son inspirateur G. Munis, est issu d'une scission du trotskysme. Réfugiés au Mexique, des membres de l'ex-section espagnole de la IVème Internationale allaient défendre une position internationaliste pendant la guerre en dénonçant le caractère impérialiste dans les deux camps de ce nouvel holocauste. En s'opposant à la "défense de l‘URSS" des trotskystes, concrétisée par leur participation dans les fronts de résistance, le groupe de Munis rompait de fait avec la IVème Internationale, rupture qui fut officialisée par leur scission en 1948.
C'est grâce à cette scission que le groupe du Mexique put se réapproprier les positions de classe les plus fondamentales : affirmation de la décadence du capitalisme, rejet des luttes de libération nationale, caractérisation de l'URSS, de la Chine, etc., comme capitalistes (cf. "Pour un second Manifeste Communiste) ; dénonciation des syndicats comme organes du capitalisme ("Les syndicats contre la révolution" de Munis et B. Péret). Positions aujourd'hui défendues par le FOR.
Nous ne pouvons que nous réjouir de voir l'intervention des camarades du "Fomento Obrero Revolucionario" s'élargir avec la publication en français de leur numéro 1 d'"Alarme". Cette parution est un signe que la crise, loin de démoraliser le prolétariat et ses éléments d'avant-garde, est au contraire un terrain favorable où la vieille taupe de la révolution vient creuser avec ardeur. L'existence même d'"Alarme" constitue une preuve vivante que la position défendue par "Alarma" il y a quelques années selon laquelle, comme en 29, la crise générale du capitalisme allait plonger dans la résignation et désespoir le prolétariat, ne s'est heureusement pas vérifiée. Le développement de la lutte de classe à l'échelle internationale depuis 68, même si son cours demeure encore hésitant, traduit le cours historique actuel de la tendance générale à la révolution prolétarienne, comme point d'aboutissement de tout un processus d'explosions ouvrières de plus en plus généralisées. Cette alternative prolétarienne, face à l'autre alternative, celle capitaliste de la guerre généralisée, se traduit par un surgissement d'éléments neufs, qui, au prix d'immenses difficultés, se réapproprient peu à peu, les positions révolutionnaires du passé.
Faire face à ses responsabilités de révolutionnaires dans la classe, faire un travail de clarification théorique, mener une confrontation politique dans le milieu révolutionnaire en vue d'un regroupement des forces que le prolétariat sécrète toujours plus est une tâche immense, qui implique une intervention renforcée, un organe d'intervention. Nous saluons dans "Alarme" cette tentative de concrétiser une intervention politique avec des articles vivants d'actualité (Indochine, Italie, grève des mineurs aux USA, etc.) ou de fond (contre les nationalisations) qui viennent actualiser les positions révolutionnaires.
Nous devons faire ici néanmoins quelques remarques d'ordre théorique, qui, bien entendu, n'épuisent pas une discussion plus systématique avec ces camarades. Plusieurs points, dans la présentation du FOR, nous semblent manquer de clarté :
Il est affirmé qu'"il y a 40 ans s'achevait la contre-révolution", et que l'Espagne en 36-37 fut l'ultime point d'aboutissement de la vague révolutionnaire commencée en 17. Parler de "révolution espagnole", alors que le Front Populaire, la mobilisation sur le front de la guerre civile fut un sommet de la contre-révolution, ouvrant le cours à la guerre impérialiste mondiale, c'est ne pas tirer toutes les leçons de la contre-révolution officialisée par l'adoption par l’IC du "socialisme en un seul pays". La Gauche italienne, a travers "Bilan", a été une des seules en mesure, à l'époque, de dénoncer l'écrasement du prolétariat mondial qui se préparait à travers l'embrigadement dans la "lutte anti-fasciste", puis l'écrasement des ouvriers de Barcelone en 1937. "Alarme" qui affirme que "le bordiguisme en arrive à nier la révolution espagnole du fait de l'absence d'organisation révolutionnaire forte" ne comprend donc toujours pas qu'il n'y ait pas une "révolution espagnole" mais bien une contre-révolution espagnole, expression de la contre-révolution mondiale qui réduisit à néant la magnifique combativité du prolétariat espagnol en juillet 36. Et enfin, pourquoi la prétendue révolution espagnole a été une période non d'organisation du prolétariat en conseils, mais d'atomisation dans les tranchées, non de surgissement d'un parti mais de débandade généralisée dans le milieu révolutionnaire. " "Alarme" ne l'explique pas, ne tente pas de soumettre au crible de la critique, -sans préjugés ni idées reçues-cette vieille position erronée du FOR.
Alors que le "Second Manifeste Communiste" définissait le courant trotskyste comme "réformiste", "Alarme" affirme clairement qu'il est contre-révolutionnaire. C'est un pas en avant incontestable. Mieux vaut tard que jamais, après toute une période où le FOR eut quelques "atomes crochus" vers LO pour laquelle il avait plutôt un "préjugé favorable". Il nous semble cependant que cette dénonciation du trotskysme ne va pas jusqu'à la racine du mal. Affirmer que Trotsky considérait ses positions sur l'URSS comme "provisoires", différencier en quelque sorte les "disciples" du "maître", c'est escamoter purement et simplement la responsabilité du créateur de la IVème Internationale dans la trahison de cette dernière lors de la 2ème guerre mondiale : de la "défense de l'URSS" du "programme de transition" au soutien du camp démocratique "contre le fascisme" dans "Défense du marxisme", au salut enthousiaste de l'arrivée de l'armée rouge en Finlande et dans les pays baltes, Trotsky n'a fait que préparer et couvrir le passage progressif du "trotskysme" à la bourgeoisie. Cette réticence à reconnaître la validité de l'analyse de la Gauche italienne par rapport au trotskysme, cette vague nostalgie de la "section espagnole" de la IVème Internationale, autant de confusions du passé que le FOR actuel arrive encore mal à surmonter.
La caractérisation de la période actuelle manque de clarté. Sommes-nous en période de cours vers la révolution? Ou bien alors de cours vers la guerre ? La présentation du FOR garde là-dessus un silence gênant. Le titre d’"Alarme" donné à l’organe du FOR ne contribue pas à dissiper ce silence : s'agit-il de sonner l'alarme face à une prochaine guerre mondiale? "Alarme" est, pour un groupe révolutionnaire Se développant en période de montée de la lutte de classe, un titre bien... alarmiste.
L'ensemble de ces critiques faites rapidement à la jeune publication en français du FOR, ne sont pas bien entendu des critiques pour la critique.
Elles se veulent un encouragement à une discussion de plus en plus profonde et large, sans sectarisme, au sein du milieu révolutionnaire international, à une confrontation publique et résolue de leurs positions avec d'autres groupes politiques, comme ils ont commencé de le faire.
Que cette confrontation, vitale pour le mouvement révolutionnaire, soit possible, les conférences internationales à Oslo ou à Milan l'ont montré.
[1] "Alarme", C/o -"Parallèles", 47, rue St Honoré, 75001 Paris.
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Jamais, en cette époque de guerres, de massacres, de terreur quotidienne de la bourgeoisie, on n'a autant parlé de "droits de l'homme", de "défense des libertés fondamentales", de "démocratie". Une telle logorrhée dans l'utilisation du mot "démocratie", "droits de l’homme", n’est pas fortuite, l'enflure de la phrase suppléant au vide du contenu. Ve réalité au 19ème siècle, Va démocratie bourgeoise est devenue vide de sens mais lourde de mystifications, dans un monde que le capitalisme terrorise quotidiennement A l’heure où la bourgeoisie se gargarise sans pudeur avec le mot "démocratie", qu’elle accole à "liberté", il s’agit de voir pour le prolétariat quelles sont les racines de la démocratie bourgeoise ; quel est le sens aujourd’hui des "droits démocratiques" demandés par les "dissidents" des pays de l'Est; d'opposer enfin à cette "démocratie", la dictature du prolétariat, la vraie liberté, celle de la majorité opprimée sur l’infime minorité exploiteuse.
• Depuis que le capitalisme a définitivement triomphé au 19ème siècle, ses porte-paroles et idéologues patentés se sont toujours efforcés de le présenter comme le porteur des aspirations de l'humanité, comme le sommet de la "civilisation". Les diverses constitutions qui sont nées de la révolution bourgeoise ont été le produit de cette justification par le droit d'une domination s'érigeant par le fer et par le feu, non seulement sur les ruines de l'ancien système féodal, mais sur le corps des exploités supposant au pouvoir de la nouvelle classe exploiteuse. Dernière classe exploiteuse surgie de la société divisée en classes, la bourgeoisie s'est toujours efforcée de dissimuler la nature de son exploitation et de son oppression des masses laborieuses dans la sphère du droit. La "déclaration des droits de l'homme et du citoyen" de 1789 est le monument érigé autant à ses illusions dans les "lumières" qu'elle croyait donner au monde qu'à sa bonne conscience de minorité exploiteuse, mettant deux ans plus tard hors-la-loi les ouvriers en grève qu'elle privait de ce "droit" (loi de 1791).
Face au socialisme petit-bourgeois, croyant dans les vertus du "progrès" et de la "démocratisation" des libertés bourgeoises étendues aux couches exploitées de la société, le communisme s'est toujours dressé dès ses origines contre le mensonge d'un "droit égal" (liberté, égalité, fraternité) pour tous, montrant que les "droits" proclamés par la bourgeoisie éternels "ne sont rien d'autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté" (Marx, "la question juive", 1843). En instaurant par le principe de la propriété, l'atomisation de la société en cellules concurrentes, en décrétant la guerre de tous contre tous, le capitalisme ne pouvant définir ses propres "libertés démocratiques" dans la sphère politique (libéralisme) et économique (libre-échangisme) que négativement :
C'est cette pseudo-liberté, celle d'une minorité exploiteuse et non de la communauté humaine, que Marx devait définir comme "la démocratie de la non-liberté, l'aliénation achevée" ("Critique de l'Etat hégélien", 1842). Le prolétariat, dernière classe exploitée de l'histoire, est l'incarnation de l'homme déshumanisé, transformé en marchandise. Sa "liberté" nouvelle, par rapport aux anciennes classes exploitées (esclaves, serfs), c'est de vendre -sous la contrainte économique- sa force de travail qu'il aliène au capital. Sous les "droits de l'homme" se cachent en fait la déshumanisation de l'homme transformé en marchandise, en simple force de travail exploitable à merci.
Si les droits de l'homme, si chers au aujourd'hui à M. Carter et Amnesty International, ont parrainé la révolution bourgeoise, ils sont vite passés du domaine de la "raison pure" chère au monde bourgeois à celui du pur mensonge : les "droits de l'homme", ce furent les babouvistes tombant sous le couperet de la vraie raison bourgeoise : la guillotine ; ce sont les ouvriers anglais pendus dans les années 1830 pour bris de machines ; ce sont les milliers d'ouvriers parisiens massacrés en juin 1848 par les républicains démocrates ; ce sont les charniers de la Commune ouvrant la voie à la république bourgeoise française la plus "démocratique". Tout au long de son histoire, le capitalisme a montré la vérité de ses principes humanistes dans le sang des prolétaires broyés par ses machines, affamés, fusillés, traqués comme des bêtes par la meute déchai née des agents de l'ordre bourgeois.
Si, dans les "Statuts de l'AIT", il est affirmé, dans le préambule, que l'"émancipation de la classe ouvrière n'est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe, mais pour l'établissement de droits et de devoirs égaux, et pour l'abolition de tout régime de classe", il faut entendre ces "droits et devoirs égaux" non comme ceux de l'individu abstrait bourgeois, mais ceux de l'homme concret s'affirmant dans la société sans classes ; le communisme, véritable porteur des intérêts de l'humanité, abolit le règne bourgeois du "droit" inégal et fait surgir celui de la liberté humaine où chaque membre de la communauté n'est pl.us "libre et égal devant la loi" mais responsable vis-à-vis de tous. Face à tous les courants petits-bourgeois proudhoniens et trade-unionistes prédominant dans l'Internationale, prisonniers du langage et des illusions bourgeoises des "droits -et des devoirs de l'humanité", le marxisme affirmait avec force qu'il ne pouvait y avoir de principes abstraits de "liberté, égalité, devoir", et que leur réalisation ne se rattachait pas à l'application de la constitution bourgeoise, mais à l'abolition du régime de classe à la base de celle-ci.
Comment expliquer cependant le combat mené par le mouvement ouvrier du siècle dernier pour la "démocratie" ? Marx lui-même n'accepta-t-il pas en 1847 la vice-présidence de l’"Association démocratique" à Bruxelles ? N'appela-t-il pas la "Nouvelle gazette rhénane" en 1848, l'organe de la démocratie" ?
Derrière toutes ces formulations, il n'y a pas, en fait, d'ambiguïtés sur l'essence de la démocratie, comme forme de la démocratie bourgeoise. Cette "démocratie" avec ses libertés pour la classe dominante, le marxisme la rejette. Lorsque le "Manifeste" parle de "conquête de la démocratie" cela doit s'entendre comme le combat du prolétariat sur la voie de son émancipation. Cette émancipation, à l'époque où le capitalisme est encore ascendant, au point que les conditions objectives -pour la révolution prolétarienne sont encore immatures, passe par la conquête non de "libertés en soi"- derrière lesquelles se cache l'hypocrite liberté de la bourgeoisie de commercer et d'asservir les classes laborieuses- mais des libertés du prolétariat pour s'organiser face au capital. C'est pourquoi le prolétariat se battit dès l'origine pour la liberté de se coaliser en partis politiques et en syndicats ; pour la liberté d'avoir sa propre presse ses propres coopératives pour le suffrage universel afin de faire entendre sa voix au parlement bourgeois ; pour la diminution du temps de travail comme condition à l'obtention d'un temps libre pour sa propre existence comme classe. Autant de libertés que le prolétariat exigeait contre la "liberté" de propriété bourgeoise.
Ce n'est pas sur le terrain du droit que le prolétariat livra bataille pour résister et concentrer toutes ses forces face à la machine impitoyable du capitalisme, mais sur son terrain à lui : celui de la lutte de classe.
Ce n'est pas en s'aplatissant devant la bourgeoisie, en lui demandant humblement par des pétitions qu'elle cède, comme le soutinrent les éléments modérés du chartisme et le théorisèrent les courants proudhonien et lassalien, mais par la force que le prolétariat put s'organiser, éditer sa presse, tenir ses propres meetings. Le flot montant des grèves ouvrières dans les années 1860-70, la bourgeoisie ne put le contenir, son appareil juridique en reconnaissant dans la plupart des pays capitalistes le "droit de grève", "le droit d'association" ne faisait qu'entériner une situation de fait. En dépit de ses lois d'exception, comme celle du gouvernement bismarckien en 1878 contre la social-démocratie allemande, la bourgeoisie ne put empêcher la fondation des partis socialistes ; elle dut en valider l'existence dans les pays où le prolétariat était suffisamment développé pour l'imposer.
La bourgeoisie industrielle, fraction la plus avancée du capitalisme, avait d'ailleurs l'illusion qu'elle pourrait utiliser le prolétariat soit contre la bourgeoisie agraire, soit contre la réactionnaire caste nobiliaire. Le suffrage universel qu'elle généralisa, souvent avec réticence, lui permettait d'avoir une base de masse dans les classes petites-bourgeoises, en vue de mieux asseoir et assurer sa domination de l'Etat en y éliminant les derniers vestiges d'archaïsme féodal.
L'alliance électorale de fait entre le parti libéral anglais et les trade-unions allait dans ce sens aussi et menaçait l'indépendance de classe du prolétariat. Ce fut la tâche du socialisme de fonder des partis ouvriers qui maintinrent pendant longtemps une rigoureuse indépendance de classe face aux partis bourgeois. La gangrène s'instaura quand les courants réformistes entraînèrent ces partis dans la voie des compromissions et des alliances avec la bourgeoisie "démocratique", au nom de la défense de la "démocratie pure". Les trotskystes n'ont rien inventé...
Ces "libertés" que le prolétariat obtint par un rapport de forces favorable et surtout parce que la bourgeoisie ne voyait pas pointer à l'horizon. le spectre de la révolution, le marxisme en a toujours montré le caractère formel et non réel sous le capitalisme. La "démocratie", c'est la participation de la bourgeoisie au gouvernement de son Etat, l'exploitation de la majorité par la minorité. Cette minorité dispose des moyens matériels (police, armée, presse, de maintenir sa propre domination. Le marxisme a lutté de toutes ses forces au siècle dernier contre les courants réformistes qui sacralisaient la "démocratie" et en faisaient le but final du prolétariat par la conquête de l'Etat, quand le but véritable est la destruction de l'Etat et donc de la démocratie comme expression de la société divisée en classes. Le marxisme a enfin montré le vrai sens de cette "démocratie" pour la classe dominante :
Que cette légalité soit le cadet des soucis de la bourgeoisie, quand elle se trouve confrontée au prolétariat, alors que sa propre domination économique est sapée à la base, la période qui a suivi la première guerre mondiale l'a amplement montré.
L'impérialisme comme phase ultime d'un système en décadence s'est traduit :
Il s'ensuit que la tactique du prolétariat vis-à-vis de la démocratie bourgeoise a changé du tout au tout. Alors qu'au 19e siècle le prolétariat essayait de s'aménager des places fortes au sein de la société, des forteresses permanentes de résistance aux assauts du capital, la décadence l'a privé de ces lieux de résistance permanents, le mettant hors-la-loi, la bourgeoisie n'étant plus en mesure de faire des concessions durables :
Le prolétariat ne peut avoir aujourd'hui, et quelle que soit la forme de la dictature bourgeoise ("démocratie occidentale", "démocratie populaire") qu'un seule but : non la "conquête " ou la "reconquête de la démocratie", mais l'anéantissement du système capitaliste. Exiger les "libertés démocratiques" comme le font les "dissidents " intellectuels des pays de l'Est, voire "les droits de l'homme" dans le système capitaliste qui est la négation même de l'humain, n'est pas simplement utopique mais mystificateur en voilant la nature du régime capitaliste, fût-i1 en apparence le plus "démocratique". Les véritables libertés, celles de s'organiser, de penser, d'agir consciemment, le prolétariat ne pourra les conquérir que par la transformation révolutionnaire de la société, par l'élimination de la société de classes. La phase historique qui permettra au prolétariat de passer du "règne de la nécessité" au "règne de la liberté", c'est non la "démocratie pure" mais la dictature du prolétariat, la seule forme de démocratie qui, pour lui et l'ensemble des exploités, soit réelle et non formelle. C'est ce que nous verrons dans un prochain article.
Ch.
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• Nous avons vu dans une première partie ce que dissimulaient les droits démocratiques et les droits de l'homme dans la société capitaliste dès son origine et comment la "démocratie" bourgeoise avec la décadence était devenue une pure mystification dissimulant le totalitarisme de l’Etat. Au mensonge de cette "démocratie" frelatée, le marxisme, depuis la Commune de Paris, oppose la dictature du prolétariat, comme phase de transition au socialisme. S’agit-il d’une "dictature" dans le sens usuel du terme ? Cette "dictature" ouvre-t-elle la voie à une société fondée sur la liberté et l'égalité réelles, et non abstraites et mensongères de la bourgeoisie ? Le prolétariat, pour parvenir au "royaume de la liberté" (Engels) utilise-t-il et engendre-t-il une démocratie d'un type nouveau ou la supprime-t-il en établissant un pouvoir totalitaire ? Telles sont les questions que se pose et doit se poser tout ouvrier conscient à l'heure où la bourgeoisie mène une offensive idéologique pour discréditer le socialisme, dénigrer la notion de dictature du prolétariat.
Aujourd'hui, plus de soixante années après la plus grande expérience prolétarienne, la révolution russe, la crise générale du capitalisme remet à l'ordre du jour la nécessité de la dictature du prolétariat. Alors que le prolétariat n'a pas été battu, qu'il a ressurgi sur la scène historique par de vastes mouvements de classe, la crise le pousse à des confrontations de plus en plus violentes avec le pouvoir d'Etat partout dans le monde. L'approfondissement de la lutte de classe, pour autant que le capitalisme ne réussit pas à imposer sa solution : la guerre mondiale, va le conduire à des affrontements décisifs avec la bourgeoisie, dont le point le plus haut ne peut être que le renversement mondial du système d'exploitation et l'instauration de sa dictature comme condition nécessaire du passage au socialisme et à la société sans classes.
Il est donc nécessaire de dégager les caractéristiques de la dictature du prolétariat, en montrant qu'elle n'est pas un "mal nécessaire", mais une condition du passage d'une société gangrenée par les crises, les guerres impérialistes, à une société de véritable liberté.
Plus de cinquante années de contrerévolution ont malheureusement déformé le sens du terme "dictature du prolétariat". Celle-ci, dans l'esprit de beaucoup d'ouvriers et en particulier dans les pays de l'Est, est assimilée au capitalisme d'Etat, à l'omniprésence de l'Etat, avec ses camps, le déploiement gigantesque de sa police, sa répression violente des luttes ouvrières comme en 53 en Allemagne de l'Est, 56 en Hongrie et 70 en Pologne. Alors que la prétendue "dictature du prolétariat" dans les pays de l'Est n'est qu'un mensonge monstrueux pour voiler la réalité de l'exploitation de l'Etat capitaliste, les défenseurs zélés du capitalisme n'ont pas manqué pour pré- tendre que la dictature du prolétariat , dans la conception marxiste, ne mènerai qu'à une "dictature sur le prolétariat" Des mencheviks aux actuels "défenseurs des droits de l'homme", les agents acharnés du capitalisme ne manquent pas pour essayer de décourager le prolétariat de renverser la société bourgeoise çt le persuader que la "démocratie occidentale" est préférable, avec ses "libertés".
Cependant, la mystification de la "démocratie" bourgeoise -pour le grand malheur des Carter et autres "nouveaux philosophes"- ne peut que s'effilocher au fil de la crise. Quel ouvrier sensé croira aujourd'hui dans les vertus de la "démocratie" bourgeoise, quand les fameuses "libertés " qui font tant pleur er dans les chaumières signifient : "liberté" d'être au chômage, "liberté " de se faire tuer dans les guerres impérialistes, "liberté " de crever tous les jours à petit feu avec une exploitation toujours plus féroce.
La crise du capitalisme remet donc à ordre du jour la nécessité du socialisme, celle d'en finir avec un système qui n'arrête pas quotidiennement de s'enfoncer dans la barbarie qu'il sécrète.
La notion de "dictature", dans le sens non du totalitarisme de l'Etat capitaliste décadent, mais de l'exercice du pouvoir par la classe révolutionnaire historiquement progressiste, dérive des révolutions bourgeoises. Pour établir sa domination économique, la bourgeoisie devrait dominer politiquement le reste de la société à travers l'Etat qu'elle conquérait, par la mise hors la-loi de la classe féodale. Cest par la violence, la terreur généralisée,que les Cromwell, les jacobins, affirmaient la domination de leur classe. Cette terreur s'appliquait sur l'ensemble des couches sociales, aussi bien les classes exploitées (artisans, ouvriers) que sur les fractions indécises de la bourgeoisie prêtes à transiger avec la classe féodale. Mais cette terreur était momentanée pour la bourgeoisie qui n'aspirait qu'à respirer l'air du libéralisme politique, l'air serein de la "démocratie". Cette "démocratie " pour la bourgeoisie ne mettait pas fin néanmoins à la terreur sur la classe exploitée prolétarienne. La dictature est le mode de vie même du capitalisme, fût-il le plus "démocratique", le plus riche en "libertés juridiques" qui soit.
Est-ce à dire que le prolétariat, lorsqu'il prendra le pouvoir, devra établir sa domination de classe sans dictature sur la classe exploiteuse ? L'expérience même montre qu'il est impossible au prolétariat de réaliser son but : le socialisme, sans employer la violence organisée, sans briser la résistance d'une bourgeoisie qui préfère voir le monde s'ensanglanter en entraînant toute l'humanité avec elle, plutôt que d'abandonner le système qui l'a engendré. Contre l'illusion criminelle des anarchistes qui affirment que le prolétariat n'a pas à utiliser la coercition sur les classes exploiteuses, mais doit généreusement garantir la liberté de chacun, de chaque individu, le marxisme affirme que la question de la liberté ne se pose pas en termes d'individus, mais de classes sociales absolument antagoniques.
Ainsi la domination du prolétariat n'implique pas la "liberté pour tous", drapeau derrière lequel se cache la bourgeoisie. A la différence de celle - ci qui dissimule toujours hypocritement sa dictature féroce derrière "l'intérêt général", "Tordre social", "les libertés fondamentales", le prolétariat n'a pas peur d'affirmer sans détours la nécessité de la violence pour briser le carcan capitaliste qui enserre la société, de l'appliquer farouchement et ouvertement contre les forces de la contre-révolution.
Cependant le prolétariat, tout en employant la violence contre la classe ennemie, n'établit pas son pouvoir de classe en se nourrissant de la chair des vaincus, comme le dieu Moloch de la Bible. Le culte de la "violence en soi", de la violence pour la violence, est une pratique absolument étrangère au prolétariat. Il est de l'essence même du capitalisme de reposer sur des rapports de violence, qui finissent par dominer l'ensemble de la société, pour culminer dans la terreur permanente incarnée par l'Etat. Les soixante dernières années avec leurs sinistre s massacres de millions d'hommes, l'anéantissement de populations entières, la torture institutionnalisée donnent une image exacte de la finalité du capitalisme décadent : l'anéantissement de l'humanité.
Le prolétariat a pour finalité non la conservation, mais la destruction de la barbarie. Classe exploitée, il ne peut avoir pour moteur de son activité révolutionnaire que son but : la suppression de toute exploitation. En détruisant le capitalisme, le prolétariat supprime non seulement son exploitation, mais celle de l'humanité entière. Pour tenter d'opposer le prolétariat au reste des exploités, les idéologues bourgeois et petits-bourgeois ne manquent jamais d'affirmer que "au fond les ouvriers voudraient être patrons", et que "de toutes façons, il faudra toujours des patrons". Pour la bourgeoisie, il est inconcevable qu'il puisse exister un autre système que le sien, fondé non sur l'exploitation, mais sur l’émancipation de toute l'humanité de la société de classes.
Lorsque le prolétariat est amené à utiliser la violence pour enlever toute capacité de résistance à la classe bourgeoise, c'est non pour exercer une terreur sans fin sur cette classe, mais pour mettre fin à la longue nuit de la préhistoire humaine où "l'histoire" des classes exploiteuses s'est transcrit e sur des annales souillées du sang et de la boue de leur système. La dictature du prolétariat n'est pas le renforcement, le développement de la terreur. Cette idée, développée par Staline dans les années 20 que la "dictature du prolétariat" se renforcerai t au fur et à mesure qu'on se rapprocherait du socialisme est la théorisation de la terreur stalinienne dirigée contre le prolétariat. Au contraire, la phase de "dictature" pour briser la contre-révolution bourgeoise est transitoire. Son but n'est pas de se perpétuer, mais de disparaître pour laisser place au socialisme. C'est pourquoi, si la phase de dictature du prolétariat signifie la plus grande fermeté et vigilance vis-à-vis de la bourgeoisie prête à un bain de sang monstrueux, elle n'est pas une "dictature" dans le sens classique du terme que lui a donné la bourgeoisie. Le prolétariat n'est pas une classe assoiffée de sang, le "couteau entre les dents", propre visage de la bourgeoisie que celle-ci projette sur lui pour les besoins de sa propagande vis à vis des Représentant les intérêts de l'humanité sortant du cauchemar de la société de classes, il n'aspire pas à détruire, et se refuse à utilise r les méthodes d'avilissement et d'extermination caractéristiques de la bourgeoisie. Son but, c'est de CONSTRUIRE la société de l'homme, le communisme.
Le communisme, dont le prolétariat porte le germe, est donc aux antipodes du totalitarisme actuel, où Etat et terreur s'identifient. Le marxisme ne peut que rejeter l'assertion selon laquelle la dictature du prolétariat serait "l'instauration de la société mono-classiste, mono-parti et ouvertement totalitaire du prolétariat dirigée par le parti de classe" (Le Prolétaire, N°276). A ces apologistes de la dictature totalitaire d'un parti, on ne peut que répondre, comme le faisait Engels à partir de l'expérience de la Commune : "Regardez donc la Commune de Paris". Regardez donc la révolution russe ! La dictature du prolétariat, c'était au début, non la dictature d'un parti unique, mais celle des conseils ouvriers, "forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" (Lénine). Totalitaire, une révolution qui pendant son existence, fut l'œuvre de millions d’ouvriers qui établirent leur pouvoir non en développant, mais en détruisant l'Etat tzariste totalitaire ? Y avait-il donc un seul parti ouvrier dans les conseils en 1917 ? Dictature d'un parti, le gouvernement des commissaires du peuple, désigné par les conseils ? L'expérience concrète d'octobre 17 est un clair démenti à une telle vision où la fière devise de Marx "l'émancipation de la classe ouvrière sera l'œuvre de la classe ouvrière elle-même" est remplacée par "la dictature du parti sera l'œuvre totalitaire du mono-classiste mono-parti".
Le contenu véritable de la dictature du prolétariat, de la révolution russe, c'est la démocratie pour les masses ouvrières et travailleuses. C'est ce que nous verrons dans un prochain article.
Ch.
Dans le n°54 de notre journal (octobre 78), nous avons salué la parution du 1er numéro d'une nouvelle publication révolutionnaire, "Alarme", organe du "Ferment Ouvrier Révolutionnaire", équivalent français du groupe espagnol "Fomento Obrero Revolucionario". À cette occasion nous avons rappelé les principales critiques que nous faisions aux positions politiques du FOR. À la suite de cet article, nous avons reçu une lettre du FOR répondant à nos critiques et qui annonce : "Nous ne ferons pas paraitre cette présente lettre dans notre journal car, pour le moment, nous ne voulons pas y, faire entrer de polémiques entre groupes".
Nous ne comprenons pas pour quelles raisons les camarades du FOR se refusent à une confrontation publique de nos positions respectives. Pour notre part, nous estimons de peu d'intérêt un débat politique confidentiel entre organisations révolutionnaires : les questions qui y sont agitées n'intéressent pas seulement un petit nombre de spécialistes (c'est là le schéma qui prévaut dans la société bourgeoise) mais bien l'ensemble de la classe ouvrière. C'est pour cela que nous publions ici la première partie de la lettre du FOR et la réponse que nous apportons aux arguments qui y figurent ; la seconde partie de la lettre et la réponse correspondante figureront, pour des raisons de place, dans notre prochain numéro[1].
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Chers camarades,
Nous voulons tout d'abord vous dire que nous vous savons gré de votre "SALUT A ALARME". Nous avons trouvé cela sympathique et vous êtes les seuls jusqu'à présent à l'avoir fait. Cependant, nous avons tenu à vous adresser une réponse exposant notre propre point de vue sur les divergences entre nos deux groupes que vous avez soulignées dans votre salutation.
Cela fait maintenant une dizaine d'années naissait le CCI, pur produit de la fameuse "crise de surproduction" qui sévit actuellement dans nos contrées. Nous profitons donc de l'existence de cette "crise" pour correspondre avec le groupe Révolution Internationale qui sans ce "facteur positif" de la révolution se serait retiré tel Mahomet dans la montagne pour y méditer et conserver au plus haut la conscience communiste en attendant de reparaître avec une nouvelle crise.
Vous dites que la parution d'Alarme "est un signe de la crise". Sachez d'abord que lorsque nous nous sommes créés en tant que groupe, nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si nous devions agir révolutionnairement parce qu'il y avait crise ou non, ni même parce qu'il y avait agitation sociale ou non. Être révolutionnaire, c'est ressentir profondément le besoin d'agir révolutionnaire- ment quel que soit le moment en tenant compte uniquement des particularités que prend l'activité et l'intervention communiste suivant la situation existante. Être révolutionnaire, c'est initialement une simple question de sentiment : sentir la pourriture et vouloir lutter contre elle. Le FOR s'est créé en 1959, c’est-à-dire en dehors, selon vos propres positions, de toute crise (et il ne s'est pas contenté de conserver au plus haut la conscience communiste). Le FOR, groupe français, aurait très bien pu lui aussi se créer en dehors de toute crise (toujours selon vos propres critères car nous considérons qu’il s'est en effet créé en dehors de toute crise mais ceci est un point de peu d'importance que nous aborderons plus loin) ; pour cela, il eut fallu (et il a fallu) uniquement des individus révolutionnaires, exactement ce que la création du FOR en 59 a requis. Expliquer l’existence ou l'inexistence, la force ou la faiblesse de ou des organisations révolutionnaires par l'état de la lutte de classe et expliquer ce dernier par l'état économique momentané dans lequel se trouve le capitalisme n’est pas notre démarche. Nous n'attachons pas une grande importance à la question de la crise et en général à l'état économique momentané dans lequel se trouve le système capitaliste car notre travail de révolutionnaires doit se faire à n'importe quelle époque, suivant nos possibilités et suivant les caractéristiques des différentes époques. Que les gens soient des marchandises, ils le sont qu’il y ait crise ou pas crise ; mais vous prétendez que, lorsque quelqu'un a le ventre vide, il y a plus de chances qu'il veuille faire la révolution que s'il est gras et replet. Ne pensez-vous pas qu'un individu qui a le ventre vide pense plutôt à le remplir et non pas tant à révolutionner le monde ? Un état de crise économique peut provoquer sans nul doute une certaine agitation sociale. Cependant, ne nous abusons pas sur l'agitation qui peut surgir en réponse à un état de crise, c'est- à-dire en réponse à un état particulier du système capitaliste, et non en opposition directe avec le capitalisme quel que soit l’état économique dans lequel il se trouve momentanément plongé. Nous avons ici parlé d'un état de crise, c'est-à- dire de crise dite de surproduction, mais cela vaut également pour la récession présente. En effet, présentement, il n'y a pas crise de surproduction ce- qui se marquerait par une dépression, par une baisse des prix suivant la loi de l'offre et de la demande et également par un nombre de chômeurs nettement supérieur à celui atteint à ce jour. Avant chaque crise, il y a récession, mais après chaque récession il n'y a pas obligatoirement crise.
Par ailleurs il serait aberrant de nier qu'une révolution peut éclater en pleine croissance capitaliste et ne pourrait aboutir qu'à refuser de reconnaître des perspectives réelles de révolution si elles se présentaient au moment justement où économiquement le capitalisme est en bonne santé. »
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Chers camarades,
C'est avec beaucoup de clarté que votre lettre exprime ce que nous pensons être une des incompréhensions fondamentales du FOR : le mépris des facteurs objectifs dans l'analyse du développement de la lutte de classe et de l'organisation des révolutionnaires.
Vous écrivez : "lorsque nous nous sommes créés en tant que groupe, nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si nous devions agir révolutionnairement parce qu'il y avait crise ou non, ni même parce qu'il y avait agitation sociale ou non". Que vous ne vous soyez pas posé la question vous, individus, nous n'en doutons pas. Et nous vous approuvons. Effectivement, comme le dit la plate-forme de notre organisation : "L'effort de prise de conscience de la classe existe constamment depuis ses origines et existera jusqu'à sa disparition dans la société communiste.
C'est en ce sens qu'il existe, en toutes périodes, des minorités révolutionnaires comme expression de cet effort constant" (Revue Internationale du CCI n°5 p. 22).
Ainsi, et contrairement à ce que vous semblez croire, nous ne défendons pas l'idée qu'il n'y ait de place pour l'activité des révolutionnaires qu'aux moments de crise aiguë ou d'intense lutte de classe.
Tout au contraire, notre courant a toujours dénoncé une telle position. Nous pensons que, même dans les périodes de recul, ou de creux de la lutte de classe, les révolutionnaires ont une fonction. "Leur tâche essentielle consiste alors, en tirant les leçons des expériences antérieures, à préparer le cadre théorique et programmatique du futur parti prolétarien qui devra nécessairement ressurgir dans la prochaine montée de la lutte de classe"(plateforme du CCI). C'est pour cela que, lorsqu'un individu se hisse à une conscience révolutionnaire, il n'attendra pas, pour agir, que la crise ou la révolution soient là.
Vous écrivez encore : "Être révolutionnaire, c'est initialement une simple question de sentiment : sentir la pourriture et vouloir lutter contre elle". Certes, la condition nécessaire pour être un révolutionnaire, c'est d'être un révolté, mais ce n'est nullement une condition suffisante : en effet, peut-on sérieusement dire que les quelques centaines de révolutionnaires (c'est-à-dire membres d'organisations au programme révolutionnaire) existant aujourd'hui dans le monde sont les seuls êtres humains qui soient révoltés contre l'ordre existant ? Certainement pas !
S'il suffit de "sentir la pourriture et vouloir lutter contre elle" pour être révolutionnaire, alors même les fascistes sont révolutionnaires.(ce qu'ils prétendent d'ailleurs quelques fois !)
Être révolutionnaire, c'est participer consciemment et activement à un mouvement qui tend à révolutionner .la société.
Et comme aujourd'hui le seul mouvement qui puisse le faire est la lutte historique de la classe ouvrière contre le capitalisme, "est révolutionnaire celui qui participe à cette lutte en y mettant en avant les buts généraux et finaux du mouvement" (Manifeste Communiste). Contrairement à la conception policière de la bourgeoisie, pour laquelle c'est l'action de "meneurs" qui rend la classe ouvrière révolutionnaire, "il existe des révolutionnaires parce qu'il existe une classe au devenir révolutionnaire" (Plate-forme du CCI). Et cette idée n'est pas une invention du CCI, qu'il aurait mise au point lors de sa "retraite dans la montagne". C’est la même idée qui figure déjà dans le "Manifeste Communiste" dont, à notre connaissance, le FOR se réclame encore : "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne font qu' exprimer, en termes généraux, les conditions réelles d'une lutte de classe qui existe, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux."
En d'autres termes, les communistes ne sont pas le produit d'eux-mêmes, leurs idées ne sont pas le produit de leur révolte. Ils sont fondamentalement une sécrétion de la classe ouvrière dans son processus de prise de conscience d'elle-même, des buts et des moyens de son mouvement historique.
De ce fait, l'apparition, le développement et l'impact des groupes communistes dépendent étroitement des conditions générales de la lutte de classe, de la combativité et du niveau d'ensemble de conscience de celle-ci et donc du rapport de forces entre elle et la bourgeoisie. Est-ce par hasard que le mouvement communiste a dégénéré, s'est disloqué, que les groupes qui ont tenté d'en préserver les principes se sont amenuisés, sclérosés, et ont souvent disparu au cours de la terrible contre- révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière mondiale à partir des années 1920? Est-ce par hasard que depuis 1968, avec la reprise historique des luttes, il soit apparu un nombre important de nouveaux groupes révolutionnaires dans un grand nombre de pays, que ceux qui existaient déjà se soient développés, aient augmenté leur impact, la diffusion et l'importance de leur presse ? Nous ne nions pas que des facteurs autres que la situation d'ensemble de la société et de la lutte de classe puissent jouer dans l'apparition d'un groupe politique. Par exemple, l'action de quelques éléments issus d'un groupe antérieur est souvent décisive dans l'origine ou la constitution formelle d'une organisation communiste. Mais, de la même façon qu'une graine ne donnera jamais une plante si elle est semée sur un sol stérile, un noyau communiste ne peut se développer s'il ne trouve autour de lui des conditions propices à un tel développement. Si, pour fonder un groupe révolutionnaire, il faut "uniquement des individus révolutionnaires, encore faut-il se demander pourquoi de tels individus apparaissent à tel moment et non à tel autre?
Vous écrivez : "Expliquer l'existence ou l'inexistence, la force ou la faiblesse de ou des organisations révolutionnaires par l'état de la lutte de classe et expliquer ce dernier par l'état économique momentané dans lequel se trouve le capitalisme n'est pas notre démarche". Et c'est bien ce que nous critiquons. Nous ne prétendons pas que ce soient les seules déterminations, mais ce sont bien les déterminations essentielles et il nous semble que c'est là la démarche du marxisme dont pourtant vous vous réclamez. De fait, vous attribuez au circonstanciel -votre démarche individuelle- la place fondamentale dans l'apparition et le développement d'un groupe politique comme le vôtre, alors que l'essentiel -les déterminations sociales et économiques, la nécessité historique- est niée purement et simplement. Vous partez de l'idée juste, mais partielle, que pour être révolutionnaire il faut être révolté, pour aboutir à la conclusion apparemment logique mais parfaitement fausse que la cause de l'émergence des organisations politiques de la classe est le produit de la seule volonté d'individus révoltés.
Dans ce dernier passage, non seulement vous exprimez avec clarté votre désaccord avec le marxisme en ce qui concerne les causes de l'apparition des éléments et groupements communistes dans la classe, mais également en ce qui concerne les conditions du développement de la lutte de classe et de la révolution prolétarienne. Sur cette question, il peut être utile de rappeler quelques bases du matérialisme historique :
"l'économie est le squelette de la société" (Marx) ;
"à un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants (...) Hier encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves. Alors commence une ère de révolution sociale"[2] (Marx) (2)
"du fait de la prospérité générale, au cours de laquelle les forces productives de la société bourgeoise se développent avec toute la luxuriance possible dans les rapports sociaux bourgeois il ne peut être question de véritable révolution. Celle-ci n'est possible qu'aux périodes où ces deux facteurs, les forces productives modernes et les formes bourgeoises de la production f entrent en conflit l'un avec l'autre... (c'est ainsi que Marx et Engels ont toujours caractérisé la crise). Une nouvelle révolution ne sera possible qu'à la suite d'une nouvelle crise…"[3]. (Marx).
Nous pourrions multiplier les citations des théoriciens du marxisme ; toutes vont dans le même sens : bien que la lutte de classe existe à chaque moment de la vie de la société capitaliste, le développement et l'approfondissement de celle-ci, sa capacité à menacer réellement la classe régnante, n'est possible qu'avec l'aggravation des conditions économiques de la classe exploitée, qu'avec l'existence d'une crise profonde au sein même des institutions du capitalisme, idéologiques, politiques, et en premier lieu, évidemment, dans*la fondation réelle de la société, sur laquelle s'élève l'édifice juridique et politique" (Marx) : l'économie.
Vous appliquez à l'étude des causes de la révolution les mêmes critères qu'à celle des causes du surgissement d'organisations communistes : pour vous, c'est une question "d'individus". Vous posez la question : "Ne pensez-vous pas qu'un individu qui a le ventre vide pense plutôt à le remplir et non pas tant à révolutionner le monde?". Ce que vous semblez oublier, c'est que lorsque cet "individu" est un prolétaire, il appartient à une classe sociale qui a des intérêts collectifs donnés qui ne sont pas la simple somme des intérêts "individuels" des membres qui la composent : c'est pour cela que le marxisme ne pose pas comme l'idéologie bourgeoise que "l'histoire est l'histoire de la lutte des individus" mais bien que "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes" (Manifeste Communiste).
Comme membre d'une classe que des conditions objectives poussent à agir dans telle ou telle direction, le prolétaire n'agit plus et ne pense plus comme un être individuel et isolé . Quand le prolétariat agit pour lui-même, comme classe, pour "remplir le ventre" de ceux qui le composent, il tend à s'opposer de plus en plus violemment au capitalisme dont l'intérêt est justement de le remplir le moins possible, quels que soient les oripeaux dont il se pare. C'est vrai que dans certaines conditions historiques, notamment lors de la crise de 1929, une aggravation des conditions de vie des ouvriers a finalement débouché sur une plus grande soumission au capitalisme (notamment sous ses formes staliniennes et fascistes), mais il s'agissait là de périodes où le prolétariat était déjà battu, où son unité avait été brisée, où il était justement atomisé, réduit à une simple somme d'individus prolétaires "au ventre vide". Mais l'histoire ne connait pas d'exemple de révolution dans une période de pleine prospérité : 1789 fait suite à une crise économique majeure; la révolution de 1848 est provoquée par la crise commerciale de 1847; c'est parce qu'ils ont “le ventre vide" et qu'ils sont précipités dans le chômage que les ouvriers parisiens se révoltent en juin 1848, ce sont les terribles privations conséquences de la guerre, qui conduisent les ouvriers parisiens à l'insurrection de mars 1871, les ouvriers russes aux révolutions de 1905 et 1917, les ouvriers allemands à la révolution de 1918-19.
Ainsi, qu’elles s'appliquent aux causes des révolutions comme aux causes du surgissement des courants révolutionnaires, les analyses du FOR font preuve d'un égal mépris pour l'expérience historique. Que la Ligue des Communistes et les trois Internationales se soient fondées au moment d'une montée de la lutte de classe, elle-même résultant d'une aggravation des conditions de vie des travailleurs n'est pas fait pour impressionner le FOR : si l'histoire n'entre pas dans ses schémas, ce n'est pas qu'ils sont faux, c'est l'histoire qui s'est trompée! De la même façon, parce qu'il pense que la crise est un obstacle à la révolution et qu'il espère que celle-ci aura quand même lieu bientôt, le FOR décrète qu'aujourd’hui il n'y a pas de crise[4] ce n'est pas plus compliqué, mais malheureusement, une telle démarche ne prépare pas beaucoup cette organisation à comprendre le système qu'elle combat et donc à accomplir sa tâche de contribuer à la prise de conscience de la classe ouvrière.
[1] Les camarades du FOR, dans une lettre ultérieure, nous font part de leur opposition à une publication en plusieurs fois de leur lettre. Si nous n'accédons pas à leur demande, ce n'est nullement que nous voulions envenimer les rapports entre nos deux organisations mais bien pour des raisons techniques et parce que nous pensons qu'une telle séparation entre deux parties qui sont bien distinctes dans la lettre n'est pas de nature à altérer le contenu de l'ensemble de celle-ci.
[2] Avant-propos à la "Critique de l'économie politique".
[3] "Les luttes de classe en France, 1848-1852".
[4] Sur la réalité et l'interprétation de la crise actuelle, nous renvoyons le FOR et les lecteurs aux nombreux articles que nous avons consacrés à ce sujet.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_45.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/troisieme-internationale
[3] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme
[4] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[5] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/question-syndicale
[6] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/front-uni
[7] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme
[8] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_46.pdf
[9] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_47.pdf
[10] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_48.pdf
[11] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[12] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/france
[13] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[14] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_49.pdf
[15] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_50.pdf
[16] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_51.pdf
[17] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_53.pdf
[18] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_54.pdf
[19] https://fr.internationalism.org/tag/4/459/democratie
[20] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/polemique
[21] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/pci-proletaire
[22] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/nicaragua
[23] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/iran
[24] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/dehors-gauche-communiste
[25] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/alarma-for
[26] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_55.pdf
[27] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_56.pdf