Le problème du chômage se retrouve au coeur des questions posées par les émeutes des banlieues qui viennent de se dérouler en France mais, contrairement à ce que nous présente la bourgeoisie et ses politiciens, ce n'est pas un problème limité aux jeunes issus de l'immigration. Tous leurs débats et leurs discours hyper-médiatisés pendant plusieurs semaines ont cherché à nous persuader que la question posée serait uniquement celle des jeunes d'origine africaine ou maghrébine entassés dans le ghetto des cités de banlieues, même si le chômage atteint parmi eux des taux de 30 à 40 %. En le faisant apparaître comme un problème spécifique, catégoriel de laissés-pour-compte, la classe dominante, en France comme dans tous les pays, a focalisé l'attention sur une catégorie particulière de la population, sur des jeunes sans perspective d'avenir afin de masquer et évacuer le problème de fond posé par cette situation. Le chômage est une question qui concerne et menace l'ensemble de la classe ouvrière (voir article page 8). Tous les jours, ce sont de nouvelles charrettes de licenciements massifs et des milliers d'ouvriers supplémentaires qui sont mis sur le pavé non seulement en France mais dans tous les pays les plus "développés", comme partout dans le monde. Ce que la bourgeoisie cherche à cacher, c'est la signification profonde de ce chômage de masse. Elle cherche à empêcher de faire le lien existant entre le phénomène des banlieues et les licenciements de prolétaires au quotidien. Cette polarisation sur la partie la plus défavorisée, la plus fragile, vulnérable et décomposée du prolétariat, n'est pas nouvelle : dans les années 1980, l'apparition d'un chômage de masse, le démantèlement du système de protection sociale et le brutal enfoncement dans la paupérisation de la classe ouvrière avaient été mis sur le compte de l'apparition d'une nouvelle catégorie sociologique baptisée les "nouveaux pauvres" que l'on marginalisait et qu'on isolait ainsi du reste de la population ouvrière.
La bourgeoisie a toujours cyniquement exploité la misère et le désespoir qu'engendre le capitalisme. Ceux qui sont présentés comme les laissés-pour-compte, qui ont perdu tout espoir en l'avenir, qui n'ont pas de perspective ni de repères, délibérément ignorés et méprisés depuis des décennies, sont projetés du jour au lendemain sur le devant de la scène comme s'ils étaient devenus le centre du monde. C'est l'arbre qui cache la forêt de la misère croissante qui frappe de plus en plus d'ouvriers. A travers cela, la classe dominante tente de nous livrer une panoplie d'explications sur l'origine et la nature du problème : crise identitaire des jeunes, insuffisance d'intégration des immigrés, inégalités des chances, problèmes de discrimination à l'embauche, manque d'éducation citoyenne, résultat d'une mise en échec scolaire, montée du racisme et de la xénophobie…
Toutes ces explications superficielles et partielles lui servent à mettre en avant la mystification qu'il y aurait des "solutions", des réformes possibles à l'intérieur du capitalisme pour améliorer le sort des jeunes des banlieues. Ce ne sont pourtant nullement toutes les propositions avancées et les mesures totalement illusoires du gouvernement qui pourront résoudre le problème du chômage : contrats d'apprentissage dès 14 ans, débloquer davantage d'argent et de moyens aux organismes associatifs, multiplication de stages de formation, service civil volontaire, etc. Ces mesures ne sont au contraire qu'une tentative vouée à l'échec d'un aménagement du poids croissant du chômage, de la précarité de l'emploi et de la misère dans la société. Tout cela est fondamentalement de la poudre aux yeux. Toutes les fractions de la bourgeoisie, de gauche comme de droite n'ont rien d'autre à proposer. Mais cela permet aussi de déverser à flots le poison d'une propagande idéologique qui sert fondamentalement à diviser les exploités, à opposer les intérêts des uns par rapport aux autres. La classe dominante justifie ainsi un clivage permanent entre générations, entre ouvriers autochtones et ouvriers immigrés, entre ouvriers en activité et ouvriers au chômage. D'un côté, elle pousse les chômeurs à considérer les ouvriers qui ont encore un emploi comme des privilégiés qui ne devraient pas se plaindre ni lutter pour la défense de leurs salaires, contre la diminution de leurs pensions de retraite ou la détérioration de leurs conditions de travail. De l'autre côté, elle incite les travailleurs à se représenter toute future lutte de chômeurs comme une émanation de la "racaille", seulement capable de déchaîner la rage aveugle, la haine, l'autodestruction.
Le profond malaise social qu'ont révélé les émeutes dans les banlieues est l'expression de la crise économique mondiale du capitalisme et une manifestation révélatrice de la faillite irréversible de ce système. C'est pour cela que les violences urbaines en France ont soulevé une réelle inquiétude parmi les autres bourgeoisies européennes qui sont confrontées au même problème. Si les émeutes des jeunes des banlieues, sous le signe du "no future", n'est porteuse d'aucun avenir, d'aucune perspective en elles-même car elles sont le simple reflet de l'enfer capitaliste, elles sont néanmoins révélatrices du malaise profond et de l'absence de perspective d'un système capitaliste en crise qui est désormais incapable d'intégrer les jeunes générations dans son appareil productif. Cette manifestation particulièrement éloquente de la faillite du capitalisme pose plus que jamais l'alternative : renversement de l'ordre bourgeois ou enfoncement de toute la société humaine dans le chaos, la misère et la barbarie.
La seule réponse nécessaire et possible au chômage qui menace de plus en plus les enfants d'ouvriers, c'est la mobilisation, le développement unitaire et massif des luttes de résistance de la classe ouvrière, face aux licenciements et à toutes les attaques qu'elle subit. Seule cette lutte de classe pourra permettre aux ouvriers réduits aux chômage comme aux éléments aujourd'hui impliqués dans les émeutes de trouver leur place dans l'affirmation d'une perspective révolutionnaire et internationaliste. Face au "no future" et au désespoir exprimés par les émeutes des banlieues, le prolétariat est la seule classe porteuse d'avenir parce qu'elle est la seule force sociale capable de renverser le système d'exploitation capitaliste, d'éradiquer la misère, le chômage, d'abolir le salariat, le profit et les rapports de concurrence. C'est la seule classe qui puisse permettre l'instauration et l'épanouissement d'autres rapports sociaux à travers lesquels l'humanité pourra enfin développer une activité déterminée par la réalisation de ses besoins.
W (18 novembre)
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Plus de 6000 véhicules brûlés : voitures particulières, autobus, camions de pompiers ; des dizaines de bâtiments incendiés : magasins, entrepôts, ateliers, gymnases, écoles, crèches ; plus d'un millier d'arrestations et déjà plus d'une centaine de peines de prison prononcées ; plusieurs centaines de blessés : des manifestants, mais aussi des policiers et plusieurs dizaines de pompiers ; des coups de feu tirés sur la police. Chaque nuit, depuis le 27 octobre, ce sont par centaines que sont touchées des communes dans toutes les régions du pays. Des communes et des quartiers parmi les plus pauvres, ou s'entassent, dans des tours sinistres, des millions d'ouvriers et leur famille, en grande majorité originaires du Maghreb ou d'Afrique noire.
Ce qui frappe, plus encore que l'ampleur des dégâts et des violences, c'est leur totale absurdité. On peut comprendre assez facilement que des jeunes des quartiers déshérités, notamment ceux issus de l'immigration, aient envie de s'affronter à la police. C'est de façon quotidienne qu'ils sont soumis, souvent sans égard et avec grossièreté, insultes racistes à l'appui, à des contrôles d'identité et à des fouilles au corps, et il est logique qu'ils ressentent les policiers comme des persécuteurs. Mais ici, les principales victimes des violences ce sont leur propre famille ou leurs proches : des petits frères ou sœurs qui ne pourront plus aller dans leur école habituelle, des parents qui ont perdu leur voiture qui leur sera remboursée à un prix dérisoire car ancienne et achetée d'occasion, qui seront obligés de faire leurs achats loin de leur domicile puisque le magasin de proximité à bas prix a volé en fumée. En outre, ce n'est nullement dans les quartiers riches habités par les exploiteurs que les jeunes déchaînent leurs actions violentes et les déprédations mais dans les quartiers qu'ils habitent et qui seront encore plus sinistrés et invivables qu'auparavant. De même, les blessures infligées aux pompiers, des personnes dont c'est la profession de secourir les autres, souvent au péril de leur vie, ne peuvent que choquer. Comme sont choquantes les blessures infligées aux passagers d'un bus auquel on a mis le feu et, également, la mort d'un homme de soixante ans frappé par un jeune qu'apparemment il voulait empêcher de commettre des violences.
En ce sens, les actes de violence et les déprédations qui se commettent, nuit après nuit, dans les quartiers pauvres n'ont rien à voir, ni de près ni de loin avec une lutte de la classe ouvrière.
Celle-ci, dans son combat contre le capitalisme, est contrainte d'employer la violence. Le renversement du capitalisme sera nécessairement une action violente puisque la classe dominante, avec tous les moyens de répression dont elle dispose, défendra bec et ongle son pouvoir et ses privilèges. L'histoire nous a appris, notamment depuis la Commune de Paris de 1871 parmi beaucoup d'autres exemples, à quel point la bourgeoisie est capable de fouler aux pieds ses grands principes de "démocratie" et de "liberté-égalité-fraternité" quand elle se sent menacée : en une semaine (la "semaine sanglante") ce sont 30.000 ouvriers parisiens qui ont été massacrés parce qu'ils avaient tenté de prendre le pouvoir entre leurs mains. Et même dans la défense de ses intérêts immédiats, dans des luttes qui ne menacent pas directement le règne de la bourgeoisie, la classe ouvrière est souvent confrontée à la répression de l'État bourgeois ou des milices patronales, répression à laquelle elle oppose sa propre violence de classe.
Mais ce qui se passe en ce moment en France n'a rien à voir avec la violence prolétarienne contre la classe exploiteuse : les principales victimes des violences actuelles, ce sont des ouvriers. Et au delà de ceux qui subissent directement les conséquences des dégâts provoqués, c'est l'ensemble de la classe ouvrière du pays qui est touchée : le battage médiatique autour des événements actuels vient occulter toutes les attaques que la bourgeoisie déchaîne en ce moment même contre les prolétaires, de même que les luttes qu'ils essaient de mener pour y faire face.
Quant aux capitalistes et aux dirigeants de l'État, tranquillement installés dans leurs quartiers huppés, ils mettent à profit les violences actuelles pour justifier un renforcement des moyens de répression. C'est ainsi que la principale mesure du gouvernement français, pour faire face à la situation, a été de décréter, le 8 novembre, l'état d'urgence, une mesure qui a été appliquée pour la dernière fois il y a 43 ans et qui s'appuie sur une loi adoptée il y a plus de cinquante ans pendant la guerre d'Algérie. Comme élément majeur de ce décret, il y a le couvre-feu, l'interdiction de circuler dans les rues à partir d'une certaine heure, comme au temps de l'occupation allemande entre 1940 et 1944 ou comme au moment de l'état de guerre en Pologne 1981. Mais ce décret permet beaucoup d'autres entorses à la "démocratie" classique (comme les perquisitions de jour et de nuit, le contrôle des médias ou le recours aux tribunaux militaires). Les politiciens qui ont décidé la mise en œuvre de l'état d'urgence ou qui le soutiennent (comme le parti socialiste) nous assurent qu'il ne sera pas fait d'abus de ces mesures d'exception, mais c'est un précédent qu'on a fait accepter à la population, et notamment aux ouvriers, et demain, face aux luttes ouvrières que les attaques capitalistes vont faire surgir, il sera plus facile de ressortir et de faire accepter cette arme de l'arsenal de répression de la bourgeoisie.
Les jeunes qui brûlent des voitures comme les ouvriers ne peuvent tirer rien de positif de la situation actuelle. Seule la bourgeoisie, peut, d'une certaine façon en tirer un avantage pour le futur.
Cela ne veut pas dire que ce soit la bourgeoisie qui ait délibérément provoqué les violences actuelles.
C'est vrai que certains de ses secteurs politiques, comme l'extrême droite du "Front national", pourra en tirer des gains électoraux. C'est vrai aussi qu'un Sarkozy, qui rêve de racoler les électeurs d'extrême droite pour remporter les prochaines présidentielles, a jeté de l'huile sur le feu en disant il y a quelques semaines qu'il fallait "nettoyer au karcher" les quartiers sensibles et en traitant de "racailles", au début des violences, les jeunes qui y participaient. Mais il est clair que les principaux secteurs de la classe dominante, à commencer par le gouvernement, mais aussi les partis de gauche qui, en général sont à la tête des communes les plus touchées, sont très embarrassés par la situation. C'est un embarras qui est motivé par le coût économique de ces violences. C'est ainsi que la patronne du patronat français, Laurence Parisot, a déclaré sur une chaîne de radio (Europe 1), le 7 novembre, que "la situation est grave, même très grave" et que "les conséquences [en] sont très sérieuses sur l'économie".
Mais c'est surtout sur le plan politique que la bourgeoisie est embarrassée et inquiète : la difficulté qu'elle éprouve à "rétablir l'ordre" porte un coup à la crédibilité des institutions grâce auxquelles elle gouverne. Même si la classe ouvrière ne peut tirer aucun bénéfice de la situation actuelle, son ennemie de classe, la bourgeoisie, fait la preuve de sa difficulté croissante à maintenir "l'ordre républicain" dont elle a besoin pour justifie sa place à la tête de la société.
Et c'est une inquiétude qui ne concerne pas seulement la bourgeoisie française. Dans les autres pays, en Europe mais aussi à l'autre bout du monde, comme en Chine, la situation en France fait la une des journaux. Même aux États-Unis, dans un pays où en général la presse fait peu de cas de ce qui se passe en France, c'est en boucle que reviennent sur les News de la télévision les images des voitures et des bâtiments en flammes.
Pour la bourgeoisie américaine, la mise en évidence de la crise qui frappe aujourd'hui les quartiers pauvres des villes françaises est l'occasion d'un petit règlement de comptes : les médias et les politiciens français avaient fait grand bruit sur la faillite de l'État américain lors de l'ouragan Katrina ; aujourd'hui, on trouve une certaine jubilation dans la presse ou chez certains dirigeants des États-Unis pour moquer "l'arrogance de la France" à cette occasion. Cet échange d'amabilités est de bonne guerre entre deux pays qui s'opposent de façon permanente sur le plan diplomatique, notamment sur la question de l'Irak. Cela dit, la tonalité de la presse européenne, même si elle peut contenir quelques piques contre le "modèle social français" vanté en permanence par Chirac contre le "modèle libéral anglo-saxon", exprime une réelle inquiétude. C'est ainsi que, le 5 novembre, on pouvait lire, dans le quotidien espagnol La Vanguardia "Que personne ne se frotte les mains, les bourrasques de l'automne français pourraient être le prélude à un hiver européen". Et il en est de même de la part des dirigeants politiques :
"Les images qui nous viennent de Paris sont pour toutes les démocraties un avertissement à faire en sorte que ces efforts d'intégration ne doivent jamais être considérés comme achevés, mais qu'on doit sans cesse leur donner un nouvel élan (…) La situation n'est pas comparable, mais ce qui est clair c'est que l'une des tâches du futur gouvernement sera d'accélérer l'intégration." (Thomas Steg, l'un des porte-parole du gouvernement allemand, lundi 7 novembre).
"Nous ne devons pas penser que nous sommes tellement différents de Paris, c'est seulement une question de temps" (Romano Prodi, leader du centre gauche en Italie et ancien président de la Commission européenne).
"Tout le monde est inquiet de ce qui se passe" (Tony Blair).
Cette inquiétude révèle que la classe dominante prend conscience de sa propre faillite. Même dans les pays où des "politiques sociales" ont traité de façon différente les problèmes liés à l'intégration des immigrés, elle est confrontée à des difficultés qu'elle ne peut pas résoudre parce qu'elles découlent de la crise économique insurmontable à laquelle elle est confrontée depuis plus de trente ans.
Aujourd'hui, les bonnes âmes de la bourgeoisie française, et même le gouvernement qui a surtout manié jusqu'à présent le bâton plutôt que la carotte, affirment qu'il faut "faire quelque chose" pour les quartiers défavorisés. On annonce une rénovation des citées lugubres dans lesquelles vivent les jeunes qui se révoltent. On préconise plus de travailleurs sociaux, plus de lieux de culture, de sport ou de loisir où les jeunes pourront s'occuper plutôt que d'aller brûler des voitures. Tous les politiciens sont d'accord pour reconnaître qu'une des causes du malaise actuel des jeunes provient du chômage considérable dont ils sont victimes (plus de 50% dans ces quartiers). Ceux de droite en appellent à de plus grandes facilités données aux entreprises pour s'installer dans ces secteurs (notamment une baisse de leurs impôts). Ceux de gauche réclament plus d'enseignants et d'éducateurs, de meilleures écoles. Mais ni l'une ni l'autre de ces politiques ne peut résoudre les problèmes qui se posent.
Le chômage ne baissera pas parce qu'on installe une usine à tel endroit plutôt qu'à tel autre. Les besoins en éducateurs et autres travailleurs sociaux pour s'occuper des centaines de milliers de jeunes désespérés sont tels que le budget de l'État ne peut y faire face, un budget qui, dans tous les pays, ne cesse de toute façon de réduire l'ensemble des prestations "sociales" (santé, éducation, pensions de retraite, etc.) afin de garantir la compétitivité des entreprises nationales sur un marché mondial de plus en plus saturé. Et même s'il y avait beaucoup plus de "travailleurs sociaux", cela ne pourrait résoudre les contradictions fondamentales qui pèsent sur la société capitaliste dans son ensemble et qui sont à l'origine du malaise croissant dont souffre la jeunesse.
Si les jeunes des banlieues se révoltent aujourd'hui avec des moyens totalement absurdes, c'est qu'ils sont plongés dans un profond désespoir. En avril 1981, les jeunes de Brixton, quartier déshérité de Londres à forte population immigrée, qui s'étaient révoltés de façon semblable, avaient placardé sur les murs ce cri : "no future". C'est ce "no future", "pas de futur", que ressentent des centaines de milliers de jeunes en France, comme dans tous les autres pays. C'est dans leur chair et au quotidien, du fait du chômage, du mépris et de la discrimination que les jeunes "casseurs" des quartiers populaires ressentent cette absence totale d'avenir. Mais ils sont loin d'être les seuls. Dans beaucoup de parties du monde, la situation est encore pire et l'attitude des jeunes prend des formes encore plus absurdes : dans les territoires de Palestine, le rêve de beaucoup d'enfants est de devenir "kamikazes" et un des jeux favoris des gamins de 10 ans est de s'entourer le corps d'une ceinture fictive d'explosifs.
Cependant, ces exemples les plus extrêmes ne sont que la partie visible de l'iceberg. Ce ne sont pas seulement les jeunes les plus défavorisés, les plus pauvres, qui sont envahis par le désespoir. Leur désespoir et leurs actes absurdes ne sont que les révélateurs d'une absence totale de perspective, non seulement pour eux-mêmes, mais pour l'ensemble de la société, dans tous les pays. Une société qui, de façon croissante, se débat dans une crise économique insurmontable du fait des contradictions insolubles du mode de production capitaliste. Une société qui, de plus en plus, subit les ravages de la guerre, des famines, des épidémies incontrôlables, d'une détérioration dramatique de l'environnement, de catastrophes naturelles qui se transforment en d'immenses drames humains, comme le tsunami de l'hiver dernier ou les inondations de la Nouvelle-Orléans à la fin de l'été.
Dans les années 1930, le capitalisme mondial avait subi une crise semblable à celle dans laquelle il s'enfonce aujourd'hui. La seule réponse que le capitalisme put lui apporter fut la guerre mondiale. C'était une réponse barbare mais elle avait permis à la bourgeoisie de mobiliser la société et les esprits autour de cet objectif.
Aujourd'hui, la seule réponse que peut apporter la classe dominante à l'impasse de son économie est encore la guerre : c'est pour cela que les conflits guerriers n'ont pas de fin et impliquent de façon croissante les pays les plus avancés ou qui avaient été épargnés pendant une longue période (tels les États-Unis ou certains pays d'Europe comme la Yougoslavie tout au long des années 1990). Cependant, la bourgeoisie ne peut aller jusqu'au bout de ce chemin vers la guerre mondiale. En premier lieu, parce que lorsque les premiers effets de la crise se sont fait sentir, à la fin des années 60, la classe ouvrière mondiale, et notamment dans les pays les plus industrialisés, a réagi avec une vigueur telle (grève générale de Mai 68 en France, "automne chaud" italien de 69, grève en Pologne de 70-71, etc.) qu'elle a fait la preuve qu'elle n'était pas prête comme auparavant à servir de chair à canon pour les visées impérialistes de la bourgeoise. En second lieu, parce qu'avec la disparition des deux grands blocs impérialistes, après l'effondrement du bloc de l'Est en 1989, les conditions militaires et diplomatiques n'existent pas à l'heure actuelle pour une nouvelle guerre mondiale, ce qui n'empêche pas les guerres plus locales de se perpétuer et de se multiplier.
Le capitalisme n'a aucune perspective à offrir à l'humanité, sinon celle de guerres toujours plus barbares, de catastrophes toujours plus tragiques, d'une misère toujours croissante pour la grande majorité de la population mondiale. La seule possibilité pour la société de sortir de la barbarie du monde actuel est le renversement du système capitaliste. Et la seule force capable de renverser le capitalisme, est la classe ouvrière mondiale. C'est parce que, jusqu'à présent, celle-ci n'a pas encore trouvé la force d'affirmer cette perspective, à travers un renforcement et une extension de ses luttes, que des centaines de milliers de ses enfants sont amenés à sombrer dans le désespoir, exprimant leur révolte de façon absurde ou se réfugiant dans les chimères de religions qui leur promettent le paradis après leur mort. La seule véritable solution à la "crise des quartiers déshérités" est le développement des luttes du prolétariat vers la révolution qui permettra de donner un sens et une perspective à toute la révolte des jeunes générations.
CCI (8/11/2005)
Voilà plus de deux ans que l’armée américaine a pris le contrôle de l’Irak. Voilà plus de deux ans que le chaos se développe implacablement sur tout le pays. Près de 120 000 morts dans la population, 2000 soldats américains tués et 18 000 blessés, sans compter les destructions d'habitations ou de bâtiments publics : l'Irak connaît une des pires situations que l’histoire ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale et la guerre contre l'Iran. Mais, en plus des dévastations qui s'abattent sur les Irakiens, cette guerre a pour effet d'attiser plus largement les tensions impérialistes des petits et des grands, et c'est l'ensemble du Moyen- et du Proche-Orient qui est entré irrémédiablement dans une période d'instabilité plus explosive que jamais. Le triple attentat d'Amman en Jordanie, jusqu'ici épargnée, a signé clairement la dynamique actuelle d'extension de cette instabilité.
L’intervention américaine a ainsi ouvert la voie à une phase d'accélération vers la barbarie militaire, vers une aggravation de tous les conflits ouverts ou latents dans une région de tous temps pleine de dangers.
La situation de l’Irak est celle d’un pays dévasté, en plein marasme économique et social et en situation de pré-guerre civile. Le "nouvel Irak" "prospère" et "démocratique" annoncé par l'administration Bush est une ruine. La guérilla permanente contre les forces d'occupation et la continuation de multiples attentats perpétrés ignoblement contre les civils irakiens rendent complètement illusoire toute idée de reconstruction. De surcroît, les divisions entre cliques sunnites, chiites et kurdes, qui prennent en otage des populations laminées et déboussolées, se sont violemment exacerbées. Ce qui laisse augurer du futur d'un Etat irakien traversé par les pires dissensions. Au Nord, les Sunnites et les anciens baasistes, soutenus activement par la Syrie, n’ont de cesse de faire pression à coups d'assassinats sur les Kurdes afin de les chasser aux confins de la Turquie et de l'Iran. A Bagdad et au Sud, ce sont les luttes entre fractions chiites et sunnites qui prédominent. Meurtres, attentats et menaces sont le lot quotidien des relations entre ces deux fractions qui s'entredéchirent pour le contrôle du pouvoir.
Une telle situation n'a pu qu'aiguiser les appétits impérialistes de l'Iran et de la Syrie. Cette dernière sert déjà de base arrière aux terroristes sunnites et autres ex-hommes de main de Saddam Hussein, marquant ainsi sa volonté d'intervenir de venir défendre ces intérêts dans la mêlée irakienne. Dans un tel contexte, où son éviction récente du plateau du Golan, une de ses revendications territoriales fondamentales, n'a pu qu'attiser encore ses velléités guerrières en direction de l'Irak.
Du côté de l'Iran, qui joue le bras de fer avec les Etats-Unis et les pays européens sur la question de la constitution d'un armement nucléaire, le marasme existant en Irak et la position de force des Chiites dans le gouvernement, en particulier dans les forces de sécurité, est une véritable aubaine. A terme, il s'agit d'une voie ouverte vers une influence déterminante et prépondérante dans tout le Proche-Orient et le renforcement d'une position stratégique sur le Golfe Persique et les zones pétrolifères pour l'Etat iranien. C'est cette perspective qui le pousse à bomber le torse face aux grandes puissances, de même que le retour en force de la fraction la plus rétrograde et des "durs" du régime annoncent une involution vers un état de guerre.
L'exode des populations kurdes qui s'amorce vers le Nord va quant à lui être facteur d'une nouvelle déstabilisation de cette région d'Irak qui avait connu, malgré la guerre, un calme relatif.
Enfin, l'attentat qui s'est produit au cœur d'Amman, et que toute la bourgeoisie internationale s'est empressée de "dénoncer", est venu en point d'orgue rappeler que pas un territoire, pas une région, ne seront épargnés par les forces destructrices mises en branle à l'heure actuelle. Cet attentat-suicide est d'autant plus significatif qu'il frappe, à travers la Jordanie, les intérêts américains et qu'il vient faire un lien direct entre la question de l'Irak et celle du conflit israélo-palestinien. Ce petit pays a en effet joué un rôle tampon déterminant entre Israël et les groupes palestiniens, l'OLP en particulier, qu'il a hébergés jusqu'aux détournements d'avions du début des années 1970, pour le compte de l'impérialisme américain. Il s'agit ainsi d'un indéfectible allié des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne qui est à présent sous le feu des terroristes, à l'instar de l'Arabie Saoudite qui connaît depuis la dernière guerre en Irak les attaques répétées des membres d'Al Qaida.
Ainsi, il suffit de regarder une carte pour prendre conscience de l'étendue du désastre qui se développe au Proche- et au Moyen-Orient.
Dans cette situation, il faut aussi prendre en compte l'escalade guerrière à l'initiative de Sharon et qui ne peut déboucher que sur une aggravation des tensions avec les Palestiniens et les différents groupes armés comme le Hamas, mais aussi entre ce dernier et le Fatah. De plus, la politique guerrière d'Israël, servie sous couvert de désengagement de la bande de Gaza qui va se transformer en un énorme ghetto, a pour objectif de mieux contrôler et d'investir le territoire de la Cisjordanie, région stratégique importante pour Tel-Aviv, mais aussi, derrière cela, de faire en sorte de déployer plus de moyens en direction du Liban.
Dans cette situation, il est clair que l'administration américaine éprouve les pires difficultés pour continuer à justifier son intervention et le maintien de sa présence militaire en Irak. Celle de la lutte contre le terrorisme a fait long feu, car jamais la vague d'attentats n'a reflué, ni en Irak même, au nez de la première puissance mondiale, ni sur la planète entière. Et en guise d'instauration de la "démocratie" et de la "paix", c'est le chaos qui règne en maître. C'est pourquoi l’administration Bush se trouve prise entre le feu des critiques qu'elle subit de la part de ses adversaires au sein de la "communauté internationale", France et Allemagne en tête, et de celles provenant de la bourgeoisie américaine elle-même. Et, aux côtés des démocrates, ce sont les électeurs de Bush, ceux du parti républicain, qui commencent à ruer dans les brancards, face à l'impopularité grandissante de la politique guerrière américaine. La baisse de popularité de Bush aux Etats-Unis, les débats qui se sont ouverts au Sénat, à majorité républicaine, autour de la nécessité pour l’Amérique de commencer à retirer ses troupes d’Irak dès 2006, autour de la question de la torture des prisonniers de Guantanamo, les manipulations aujourd'hui avérées autour des preuves fabriquées sur l'existence d'armes de destruction massive en Irak, montrent l'impasse dans laquelle se trouve actuellement la bourgeoisie d’outre-Atlantique.
La logique de l'occupation se trouve chaque jour un peu plus réduite à néant.
Et malgré certaines tentatives de démonstrations de force militaire, qu’on a pu voir encore à travers l’offensive de septembre contre les bastions rebelles du Nord de l’Irak, l’impuissance des Etats-Unis en Irak est de plus en plus manifeste.
Aussi, le Pentagone est pris entre deux feux :
- celui de la pression d’une opinion publique qui exprime son inquiétude devant l’inanité de l’opération militaire en Irak, pression qui la contraint à partir le plus rapidement possible ;
- celui d’une situation de catastrophe sociale existant en Irak qui contredit totalement les annonces de mise en place de la paix et de la stabilité "démocratiques" promises avant l’intervention militaire et dont elles étaient les justifications majeures.
Cette position difficile dans laquelle se trouvent les Etats-Unis ne peut que satisfaire les puissances qui se sont opposées à la guerre en Irak, car elle sert de tremplin à leurs critiques vis-à-vis de la première puissance mondiale et de moyen pour justifier leurs propres menées impérialistes, sous prétexte d'offrir leurs bons offices. C'est ce qu'on a vu par exemple à l'occasion de l'attentat d'Amman, où la France, par la voix de Villepin, s'est empressée de proposer ses bons offices à la Jordanie, en réalité de chercher à utiliser ces attentats pour venir marcher sur les plate-bandes américaines.
Le monde que prépare la bourgeoisie à l'humanité peut se mesurer à l'aune des horreurs qui se déroulent en Irak et dans la région, mais aussi sur le reste de la planète, et ses mensonges sont à l'avenant des coups tordus qu'elle prépare.
La fuite en avant irrationnelle du capitalisme dans le chaos et la barbarie guerrière entraîne le monde à sa perte. Seuls le renversement et la destruction de ce système pourra permettre de construire une autre société, le communisme.
Mulan (19 novembre)
Depuis la fin de la période de reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, le monde capitaliste a continué à sombrer, lentement mais inexorablement, dans la crise économique.
Alors que cette crise est de nouveau sur le point de connaître une accélération brutale, nos gouvernants essaient d’embarquer la classe ouvrière vers les explications boiteuses du genre "c’est la faute aux excès de l’économie libérale", pour donner aux ouvriers un semblant de sens à la détérioration de leurs conditions de vie depuis la réapparition de la crise économique à la fin des années 1960 et spécialement depuis le début des années 2000.
La classe ouvrière, qui paie un lourd tribut à la banqueroute du capitalisme, sans parler des attaques massives contre les retraites et du démantèlement des services de santé doit aussi essuyer cet autre discours cynique de la bourgeoisie qui essaie, comme toujours, de la convaincre que tous ces sacrifices ne sont que le fruit de difficultés passagères, "tout ira mieux demain", que ses conditions de vie s’amélioreront et que le chômage diminuera. Les mensonges n’ont encore cette fois qu’un seul but : faire en sorte que la classe ouvrière accepte et paie par une misère et une exploitation accrues la plongée catastrophique du capitalisme dans sa propre crise économique.
En dépit de ce que nous raconte la bourgeoisie, l’évolution de l’économie est celle d’un déclin, lent mais inéluctable.
Le capitalisme a tiré un maximum de leçons à la suite de l’effondrement économique qui a frappé le monde à la fin des années 1920 et au début des années 1930. Depuis lors, et surtout après la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme s’est organisé de façon à prévenir un effondrement soudain de son économie. Nous voyons ainsi un renforcement du rôle de l’Etat dans toutes les économies nationales. Par-dessus le marché, la bourgeoisie s’est adjointe des organismes internationaux tel le FMI qui ont la tâche de limiter tout à-coup violent dans l’économie. Ainsi, le capitalisme d’Etat peut certainement ralentir sa crise mais il ne peut empêcher son développement inexorable.
C’est pourquoi, depuis les années 1960, les reprises économiques ont été de plus en plus limitées et les récessions, celles de 1967, 1970-71, 1974-75, 1991-93 et 2001-2002, de plus en plus profondes.
Le monde capitaliste s’enfonce dans la crise. L’Afrique, l’Amérique Centrale, l’ancien bloc russe et la plus grande partie de l’Asie, chacun avec ses particularités, ont sombré dans un chaos économique grandissant. Depuis des années, les effets de la crise ont atteint directement les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. Aux Etats-Unis, le taux de croissance par décennie entre 1950-1960 et 1990-1999 est passé de 4,11 à 3 % et pendant la même période, de 4,72 à 1,74 % en Europe (source : OCDE). Après la période de reconstruction qui a suivi le deuxième conflit mondial, l’économie a progressivement pris le chemin de la récession. Si cette période a été entrecoupée de périodes de reprise (de plus en plus courtes), ce n’est que parce que la bourgeoisie mondiale s’est endettée et s’est autorisée des déficits budgétaires sans cesse croissants. La principale puissance de la planète, les Etats-Unis, en donne l’exemple le plus criant. De surplus budgétaires de 2 % en 1950, elle en est aujourd’hui à un déficit budgétaire qui approche les 4%. Ainsi, la dette totale des Etats-Unis, qui s’est lentement accrue depuis les années 1950 jusqu’au début des années 1980, a connu une réelle explosion en une vingtaine d’années. Elle a doublé de quinze mille milliards à plus de trente mille milliards de dollars. Les Etats-Unis, qui étaient le principal financier de la planète, sont devenus le pays le plus endetté du monde. Cependant, il serait complètement faux de penser que c’est une situation spécifique de la principale puissance mondiale : cette tendance s’inscrit dans l’évolution globale de l’économie capitaliste. A la fin des années 1990, la dette de l’Afrique atteignait plus de 200 milliards de dollars, celle du Moyen-Orient aussi ; la dette de l’Europe de l’Est dépasse les 400 milliards de dollars ; celle de l’Asie et de la région Pacifique (y compris la Chine), plus de 600 milliards ; et c’est la même chose pour l’Amérique Latine (source : Etat du Monde, 1998).
Si on considère la production industrielle, la réalité du ralentissement de l’économie mondiale depuis la fin de la période de reconstruction est encore plus évidente. De 1938 à 1973, soit en 35 ans, la production des pays développés s’est accrue de 288 %. Pendant les vingt années qui ont suivi, cette croissance n’a été que de 30 % (source : OCDE).
Le ralentissement de la production industrielle mondiale est donc bien visible. Et c’est la classe ouvrière qui paie inévitablement le prix de cette réalité. On peut voir une évolution tout à fait frappante du chômage quand on considère les cinq pays les plus développés économiquement. Le chômage est passé d’une moyenne de 3,2 % en 1948-1952 à 4,9 % en 1979-1981, pour arriver finalement à 7,4 % en 1995 (source : OCDE). Ces chiffres sont ceux de la bourgeoisie et tendent consciemment à minimiser la réalité aux yeux de la classe ouvrière. Depuis 1995, le chômage n’a fait que continuer à se développer dans l’ensemble du monde.
Pour ralentir sa descente dans la crise, il n’a pas suffi que la bourgeoisie se dote de nouvelles institutions au niveau international, ou accumule une dette qui dépasse l’entendement pour maintenir artificiellement un peu de vie sur un marché mondial saturé. Il lui a aussi fallu essayer de freiner la chute progressive du taux de profit. Les capitalistes n’investissent que pour dégager un profit du capital investi. C’est ce qui détermine son fameux taux de profit. De 1960 à 1980, celui-ci a chuté de 20 à 14 % en Europe, pour s’élever comme par magie à 20 % aux Etats-Unis et à plus de 22 % en Europe à la fin des années 1990. Deux facteurs peuvent expliquer cette augmentation : l’élévation de la productivité sur les lieux de production ou l’austérité accrue imposée aux ouvriers. En fait, l’augmentation de la productivité du travail a été divisée par deux pendant cette période. C’est donc bien en attaquant les conditions de vie de la classe ouvrière que la bourgeoisie a été capable d’améliorer, momentanément, son taux de profit. L’évolution des salaires en pourcentage du PIB (Produit Intérieur Brut) en Europe illustre parfaitement cette réalité. Dans les années 1970-80, ce pourcentage s’élevait à plus de 76 % pour chuter à moins de 66 %. C’est bel et bien l’aggravation de l’exploitation et le développement de la misère ouvrière qui est la cause de cette amélioration temporaire du taux de profit dans les années 1990.
T.
Tout ce que raconte le gouvernement du président argentin Kirschner sur la "reprise fantastique" de l'économie argentine après la débâcle de 2001, n’est que bobards. La réalité que subissent au quotidien les travailleurs et l'immense majorité de la population est de plus en plus oppressante. Quelques chiffres peuvent l'illustrer : la population qui vit au-dessous du seuil de pauvreté est passée de 5% en 1976 à 50% en 2004. La famine, limitée jusque là aux provinces du Nord (Tucumán ou Salta, où 80% des enfants souffrent de malnutrition chronique) envahit désormais les zones pauvres de l'épouvantable ceinture de bidonvilles du sud de Buenos Aires.
C'est contre une telle situation, insupportable, que les ouvriers se sont révoltés. Entre juin et août, on a assisté à la plus grande vague de grèves depuis 15 ans ([1] [11]). Les luttes ont ainsi touché des hôpitaux comme ceux de Quilmes et Moreno, des entreprises telles que Supermercados Coto, Parmalat, Tango Meat ou Lapsa, le métro de Buenos Aires, les travailleurs communaux d'Avellaneda, Rosario et des villes les plus importantes de la province méridionale de Santa Cruz, les marins et les pêcheurs au niveau national, les employés de la justice partout dans le pays, les instituteurs de cinq provinces, les médecins de la commune de Buenos Aires, les enseignants des universités de Buenos Aires et Cordoba... Parmi ces luttes, la plus remarquable est celle de l'hôpital de pédiatrie Garrahan (Buenos Aires) pour la combativité et l'esprit de solidarité qui s'y sont exprimés.
Les luttes ont obtenu ici ou là quelques améliorations salariales éphémères, mais face à un capitalisme qui plonge de plus en plus dans une crise sans issue, la conquête principale des luttes ne se trouve pas sur le terrain économique, mais sur le terrain politique. Les leçons tirées de ces luttes serviront à la préparation de nouvelles qui seront inévitables. Il en va ainsi de l’importance de la solidarité, de l'esprit d'unité, qui mûrissent chez les ouvriers, la compréhension de qui sont leurs véritables ennemis, etc.
Le prolétariat s'affirme comme classe en lutte
En 2001, il y a eu en Argentine une révolte sociale spectaculaire, qui fut saluée par les milieux altermondialistes comme étant une situation "révolutionnaire". Mais cette mobilisation s'est placée clairement sur un terrain inter-classiste, avec des questionnements nationalistes et des "reformes" de la société argentine qui ne pouvaient entraîner que le renforcement du pouvoir capitaliste. Dans un article que nous avons publié dans la Revue Internationale nº 109, nous avons mis en relief le fait que "Le prolétariat en Argentine s'est trouvé submergé et dilué dans un mouvement de révolte inter-classiste. Ce mouvement de protestation populaire, dans lequel la classe ouvrière a été noyée, n'a pas exprimé la force du prolétariat mais sa faiblesse. Celui-ci n'a été en mesure d'affirmer ni son autonomie politique, ni son auto-organisation."([2] [12])
Nous affirmions ainsi que : "Le prolétariat n'a pas besoin de se consoler ni de s'accrocher à des chimères illusoires. Ce dont il a besoin, c'est de retrouver le chemin de sa propre perspective révolutionnaire, de s'affirmer sur la scène sociale comme seule et unique classe capable d'offrir un avenir à l'humanité, et partant, d'entraîner derrière lui les autres couches sociales non exploiteuses". Nous y disions que les capacités de lutte du prolétariat argentin ne se sont pas épuisées, loin de là, et que celles-ci devaient se déveopper à nouveau, mais qu'il était fondamental qu'"il soit tiré une leçon claire des événements de 2001 : la révolte inter-classiste n'affaiblit pas le pouvoir de la bourgeoisie, ce qu'elle affaiblit principalement, c'est le prolétariat lui-même." (2)
Aujourd'hui, quatre ans plus tard, la vague de grèves en Argentine a montré un prolétariat combatif qui apparaît sur son propre terrain de classe, qui commence à se reconnaître comme tel, même si c'est encore timidement. D’ailleurs, la gauche du capital elle-même ne cherche pas à nier l’évidence. Ainsi, la publication Lucha de Clases : Revista Marxista de Teoría y Política de juillet 2005, reconnaît que l'"un des faits le plus remarquable de cette année-ci, a été le retour agissant des travailleurs actifs au centre de la scène politique argentine, après des années de recul. Nous sommes devant un cycle long de luttes revendicatives, où les travailleurs luttent pour l'amélioration de leur salaire et contre les conditions dégradées du travail, cherchant à se réapproprier les conquêtes perdues dans les décennies passées", en ajoutant que "Au moment où les travailleurs de l'industrie et des services commençaient à faire entendre leur voix, d'autres voix gardaient le silence : celles qui avaient décrété la 'fin du prolétariat'".
Ce surgissement combatif du prolétariat n’est pas un phénomène local dû aux particularités argentines. Sans pour autant nier l'influence des facteurs spécifiques, en particulier la baisse rapide et violente du niveau de vie des grandes masses de la population, conséquence d'une dégradation économique qui s'est accélérée avec l'effondrement de 2001, cette vague des grèves fait partie du mouvement international de reprise de la lutte de classe que nous avons signalée depuis 2003. Elle en fait pleinement partie par ses caractéristiques et ses tendances de fond.
Dans un texte publié récemment ([3] [13]), nous avons mis en évidence les caractéristiques générales de cette reprise : lente et difficile, pas encore concrétisée dans des luttes spectaculaires, avançant non pas tant grâce à une succession de luttes victorieuses, mais de défaites dont les ouvriers tirent des leçons qui feront vivre des luttes futures bien plus fortes. Le fil conducteur qui les porte et qui contribue à leur lente maturation est "le sentiment, encore très confus mais qui ne demande qu’à se développer dans la période qui est devant nous, qu’il n’existe pas de solution aux contradictions qui assaillent le capitalisme aujourd’hui, que ce soit au plan de son économie ou des autres manifestations de sa crise historique, comme la permanence des affrontements guerriers, la montée du chaos et de la barbarie dont chaque jour qui passe démontre un peu plus clairement le caractère irrésistible". Lors de cette vague de grèves, il est apparu, comme dans d'autres luttes ailleurs dans le monde (Heathrow en Grande-Bretagne, Mercedes en Allemagne), une arme fondamentale pour faire avancer la lutte prolétarienne : l’expression de la solidarité prolétarienne.
Dans le Subte (métro de Buenos Aires), tout le personnel s'est arrêté spontanément après la mort de deux ouvriers de maintenance, causée par le manque total de mesures de protection contre les accidents du travail. Les travailleurs des hôpitaux de la capitale fédérale ont mené plusieurs actions de solidarité avec leurs camarades du Garrahan. Dans le Sud (province de Santa Cruz), la grève des employés municipaux dans les villes principales a suscité une forte sympathie de la part de larges couches de la population. A Caleta Olivia, des travailleurs du pétrole, des employés de la justice, des enseignants, des chômeurs, se sont joints aux manifestations de leurs camarades employés municipaux. A Neuquen, les ouvriers de la santé se sont joints spontanément à la manifestation des instituteurs en grève qui marchaient vers le siège du gouvernement provincial. Réprimés violemment par la police, les manifestants réussirent à se regrouper et ont pu voir comment des passants se joignaient à la manifestation en critiquant durement la police, qui se retira à une distance prudente.
Il est aussi à signaler la façon unitaire avec laquelle fut posée la revendication salariale chez les salariés de l'hôpital pédiatrique Garrahan : au lieu d'exiger des augmentations proportionnelles qui ne font qu'approfondir les différences entre les différentes catégories et poussent à la division et à la concurrence entre travailleurs, ils ont lutté pour une augmentation égale pour tous et favoriser les secteurs les moins bien rémunérés.
La riposte de la bourgeoisie
Il serait cependant stupide de croire que la classe dominante pourrait rester les bras croisés face aux efforts de son ennemi mortel pour se réapproprier son identité de classe et sa perspective révolutionnaire. Elle riposte, inévitablement, en déployant l'arme de la répression, mais une aussi en attaquant à tout va la conscience de classe des ouvriers.
Voilà ce que nous avons vu concrètement en Argentine. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont employé la force policière contre les grévistes : arrestations, tribunaux de justice, sanctions administratives sont tombés drus sur beaucoup de travailleurs. Mais le gros de la riposte de la bourgeoisie s'est concentré dans une manœuvre politique destinée à isoler les secteurs les plus combatifs, calomnier les ouvriers en lutte, mener les différents foyers de combat vers l'impasse et la démoralisation et bien inscrire dans les têtes que "la lutte ne paye pas", que la mobilisation n'apporte rien.
Pour cela, l'Etat a pris la lutte de l'hôpital Garrahan –qui, comme nous l'avons dit, a eu un rôle de premier plan dans la vague de grèves- comme cible pour ses manoeuvres.
En premier lieu, il a déclenché une campagne assourdissante traitant les ouvriers de "terroristes", en les présentant comme des scélérats qui mettraient en avant leurs "intérêts particuliers" contre la santé des enfants soignés à l'hôpital. Avec une hypocrisie à vomir, ces gouvernants, qui laissent mourir de faim des milliers d'enfants, affichent tout d'un coup une "préoccupation" pour les enfants "menacés" par ces "abominables" grévistes.
Tout cela a été une évidente provocation pour isoler les travailleurs de Garrahan, ce qui a été parachevé par l'accusation absurde selon laquelle ils seraient manipulés par une prétendue conspiration politique "anti-progressiste" inspirée par Menem et Duhalde ([4] [14]).
Mais ce qui a affaibli le plus la lutte des travailleurs de Garrahan a été "l'aide" prêtée par les organisations de piqueteros ([5] [15]). Celles-ci se sont collées comme des sangsues à la lutte à Garrahan (elles ont fait la même chose avec les ouvriers de Tango Meat) au nom de la "solidarité". C'est ainsi que les ouvriers de Garrahan se sont vus associés -et le gouvernement et ses médias n'ont pas raté l'occasion d'en faire la plus grande publicité- aux méthodes commandos des organisations de piqueteros qui, au lieu de frapper la classe dominante, ne visent qu’à diviser les ouvriers et enfoncer un coin dans le développement de leur solidarité. Les organisations de piqueteros, par exemple, ont coupé le pont Pueyrredón, point névralgique de la capitale, aux heures de pointe, en provoquant des embouteillages monstres qui ont surtout affecté des nombreux travailleurs de la banlieue sud de Buenos Aires. Ou ce qui est arrivé à Cañadón Seco (au Sud) où une quarantaine de personnes ont coupé les accès de la raffinerie de Repsol-YPF sans la moindre consultation préalable des travailleurs de l'usine.
La vraie solidarité ne peut se développer qu'en dehors et contre le carcan syndical, c'est une lutte commune où s'intègrent de nouveaux secteurs de travailleurs, où il y a des envois de délégations, des manifestations et des assemblées générales, où les ouvriers, directement, vivent, luttent, réfléchissent et comprennent ensemble, et c'est ainsi que d'autres opprimés et exploités pourront se joindre à eux. Dans un tel mouvement, les divisions qui émiettent les ouvriers commencent à disparaître parce qu'ils peuvent vérifier concrètement qu'ils appartiennent à la même classe, parce qu'ils prennent conscience de leur force et de leur unité.
Cette solidarité directe, active, de masse, la seule qui donne la force et fait avancer la lutte prolétarienne, a été remplacée par une "solidarité" d'intermédiaires (les organisations "sociales" avec leurs dirigeants en tête), passive et minoritaire, qui produit l'euphorie de croire qu'on "est soutenu par les masses qui sont derrière ces organisations". On finit par se rendre compte avec amertume qu'on est encore plus isolés et divisés qu'auparavant.
CCI (16 septembre)
[1] [16] "Le mois de juin dernier a connu le niveau le plus élevé des conflits de la dernière année : 127 mouvements, qui ont touché 80% du secteur public, 13 % dans les services et le 7 % restant dans les différentes branches de l'industrie. Ce mois a dépassé en conflits ceux enregistrés dans tous les autres mois de juin depuis 1980. L'analyse des conflits du travail des mois de juin des 26 dernières années, 1980 inclus, montre que le mois de juin de 2005 est le plus élevé." (Colectivo Nuevo Proyecto Histórico, groupe surgi en Argentine, dans son texte "Sindicato y necesidades radicales").
[2] [17] "Revoltes populaires en Argentine : seule l'affirmation du prolétariat sur son terrain peut faire reculer la bourgeoisie" (Revue Internationale nº 109).
[3] [18] Revue Internationale n° 119 : "Résolution sur la lutte de classes"
[4] [19] Anciens présidents argentins particulièrement impopulaires.
[5] [20] Sur les piqueteros, lire "Révoltes 'populaires en Amérique Latine: l'indispensable autonomie de classe du prolétariat", Revue Internationale nº 117 et "Argentine: la mystification des piqueteros", Revue Internationale nº 119.
Durant trois semaines, les émeutes dans les banlieues ont fait la Une de l’actualité. Des milliers de jeunes, issus pour une grande part des couches les plus pauvres de la population, ont crié leur colère et leur désespoir à coup de cocktails Molotov et de caillasses (voir article page 1).
Les premières victimes de ces destructions sont les ouvriers. Ce sont leurs voitures qui sont parties en fumée. Ce sont leurs lieux de travail qui ont été fermés, plaçant plusieurs centaines d'entre eux au chômage technique. Un ouvrier interviewé pour le journal de 20h a magistralement résumé la parfaite absurdité de ces actes en ces termes : "Ce matin, j’ai trouvé sur le pare-brise de ma voiture calcinée cette affiche. C’est marqué dessus ‘Nique Sarkozy’. Mais c’est pas Sarkozy qu’on a niqué, c’est moi !"
Même si l'explosion de colère des jeunes des banlieues est tout à fait légitime, la situation sociale qu'elle a créée représente un réel danger pour la classe ouvrière. Comment réagir ? Faut-il se ranger derrière les émeutiers ou derrière l'Etat "républicain" ? Pour la classe ouvrière, il s'agit là d'une fausse alternative car les deux pièges sont à éviter. Le premier serait de voir à travers la révolte désespérée de ces jeunes un exemple de lutte à suivre. Le prolétariat n’a pas à s’engouffrer sur ce chemin auto-destructeur. Mais la "solution" criée partout haut et fort par la bourgeoise est une impasse tout aussi grande.
En mettant à profit la peur que suscitent de tels événements, la classe dominante, avec son gouvernement, son Etat et son appareil répressif, se présente aujourd'hui comme le garant de la sécurité des populations et notamment des quartiers ouvriers.. Mais derrière ses beaux discours qui se veulent "sécurisants", le message qu’elle cherche à faire passer est lourd de menaces pour la classe ouvrière : "Lutter contre l'ordre républicain, c'est-à-dire l'Etat capitaliste, c’est ce comporter en voyou, en racaille".
Incapable de résoudre le problème de fond, la crise économique, la bourgeoisie préfère naturellement le cacher et exploiter à son profit le côté spectaculaire des émeutes : les destructions et les violences… Et là, on peut dire que les journalistes ont su mouiller leur chemise afin d’alimenter au mieux cette propagande de la peur.
Ils sont allés chercher l’information au cœur des cités, livrant par centaines des images de voitures en flammes ou calcinées, multipliant les témoignages de victimes, réalisant des enquêtes sur la haine de ces jeunes pour toute la société.
Les reportages ont fourmillé montrant, dans la nuit, ces bandes de jeunes, casquette vissée sur la tète et recouverte elle-même d’une capuche masquant le visage. C’est en gros plan qu‘on a eu droit aux jets de cocktails Molotov et de cailloux, aux affrontements avec les forces de l’ordre et, de temps en temps, à l’interview d’un des émeutiers exultant en direct sa colère : "On existe, la preuve : les voitures brûlent" (Le Monde du 6 novembre) et aussi "on parle enfin de nous".
La bourgeoisie a ici exploité à merveille la violence désespérée des jeunes banlieusards pour créer un climat de terreur. C’est pour elle une occasion idéale pour justifier le renforcement de son arsenal répressif. La police peut en effet s’octroyer le luxe d’apparaître comme la protectrice des ouvriers, la garante de leur bien-être et de leur sécurité. Le débat entre le PS et l’UMP sur ce point a donné d’ailleurs le "la". Pour la droite, la solution est évidemment de donner plus de moyens aux forces de l’ordre en renforçant les unités d’intervention type CRS. Et pour la gauche c'est la même chose avec un autre enrobage. Le PS a proposé le retour de la police de proximité. Autrement dit, plus de flics dans les quartiers ! C'est bien pour cela que ces deux grands partis bourgeois se sont prononcés en faveur de l’Etat d’urgence.
Toutes ces mesures de renforcement de l'appareil répressif ne pourront mettre fin aux violences dans les banlieues. Au contraire, si elles peuvent être efficaces de façon immédiate et temporaire, à terme, elles ne peuvent qu’alimenter la tension et la haine de ces jeunes envers les forces de l'ordre. Les hommes politiques le savent très bien. En réalité, ce que vise la bourgeoisie avec le renforcement du quadrillage policier des quartiers "sensibles", ce ne sont pas les bandes d'adolescents désœuvrés mais la classe ouvrière. En faisant croire que l'Etat républicain veut protéger les prolétaires contre les actes de vandalisme de leurs enfants ou ceux de leurs voisins, la bourgeoisie se prépare en fait à la répression des luttes ouvrières lorsque celles-ci constitueront une véritable menace pour l'ordre capitaliste. La mise en place de l’Etat d’urgence, par exemple, vise à habituer la société, à banaliser le contrôle permanent, le flicage permanent et les perquisitions légales dans les quartiers ouvriers.
La dimension la plus répugnante de la propagande actuelle est celle qui consiste à désigner les immigrés comme boucs émissaires.
Du fait que les émeutiers sont en partie des enfants issus de l’immigration, les ouvriers immigrés ont été insidieusement accusés de menacer "l'ordre public" et la sécurité des populations puisqu'ils sont incapables de tenir leurs enfants, de leur donner une "bonne éducation" en leur transmettant des valeurs morales. Ce sont ces parents "irresponsables" ou "démissionnaires" qui ont été montrés du doigt comme les vrais coupables. Et la palme du racisme affiché est revenue au ministre délégué à l’emploi, Gérard Larcher, pour qui la polygamie serait "l’une des causes des violences urbaines" (Libération du 17 novembre) !
Mais les forces de gauche ont apporté elles aussi leur petite pierre à l’édifice, mettant en avant, sous couvert d’humanisme, les difficultés de la société française à intégrer des populations de "divers horizons culturels" (pour reprendre leur terminologie). Les deux plus grands sociologues actuels sur la question des banlieues, Didier Lapeyronie et Laurent Mucchilie, qui se positionnent à la gauche radicale de l’échiquier politique, insistent ainsi sur le fait qu’aux yeux des jeunes issus de l’immigration "la promotion par l’école est réservée aux ‘blancs’, les services publics ne sont plus du tout des vecteurs d’intégration […] et les mots de la République […] sont perçus comme les masques d’une société ‘blanche’."(Libération du 15 novembre) Les prolétaires immigrés auraient donc un problème spécifique qui n’aurait rien à voir avec le reste de la classe ouvrière.
En désignant les travailleurs immigrés comme les vrais responsables des violences urbaines, la bourgeoisie cherche ainsi à monter les ouvriers les uns contre les autres, à créer une division entre français et immigrés. Elle exploite la révolte aveugle des jeunes des banlieues afin de masquer la réalité : la paupérisation croissante de l’ensemble de la classe ouvrière, quelle que soit sa nationalité, ses origines ou sa couleur. Le problème de la misère, du chômage, de l'absence de perspective ne serait pas la conséquence de la crise économique insurmontable du capitalisme mais se résumerait à un problème "d’intégration" ou de "culture" ! En diabolisant ainsi les parents des jeunes émeutiers, la classe dominante justifie par la même occasion des attaques prétendument ciblées sur les "fauteurs de troubles" d’aujourd’hui mais qui, en réalité, toucheront toute la classe ouvrière demain. C’est par exemple le cas de la suppression des allocations pour les familles de "délinquants". Et que dire des mesures d’expulsion immédiate des étrangers pris dans les émeutes ? Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a demandé aux préfets d’expulser "sans délai de notre territoire national" les étrangers condamnés dans le cadre des violences urbaines des treize dernières nuits, "y compris ceux qui ont un titre de séjour" (Libération du 9 novembre). Mais la classe ouvrière ne doit pas se faire d'illusion. Cette mesure ne restera pas une exception réservée aux seuls "petits voyous". Ces expulsions territoriales pour ‘trouble de l’ordre public’, l'Etat républicain n'hésitera pas à les utiliser dans le futur contre l’ensemble de la classe ouvrière lorsque celle-ci développera ses luttes : pour briser une grève et son unité en obligeant les ouvriers qui justement "ont un titre de séjour" à reprendre le travail sous peine de "reconduction aux frontières".
Pawel (17 novembre)
Face à la multiplication des attaques qu'elle impose et à la dégradation très forte du niveau de vie des prolétaires, la bourgeoisie redoute un inévitable développement des luttes ouvrières et, dans celui-ci, la maturation d'une réflexion et d'une remise en cause de son système d'exploitation. C'est pourquoi les syndicats, qui sont sa première force d'encadrement social, se placent sur le devant de la scène pour court-circuiter et enrayer cette dynamique, dévoyer la combativité et saboter les luttes. Déjà, le mois dernier, face à la montée d'un ras-le-bol de plus en plus manifeste, ils avaient pris les devants en organisant la journée d'action nationale du 4 octobre destinée à défouler la colère et à les remettre en selle pour les faire apparaître comme les seuls capables de défendre les intérêts de la classe ouvrière. Mais surtout, avec la complicité de toutes les fractions de la bourgeoisie et des médias, ils avaient organisé une véritable provocation en manipulant un des secteurs les plus corporatistes et les plus rétrogrades du prolétariat, les marins de la SNCM, pour pousser l'ensemble de la classe ouvrière sur la voie de la défaite et de la démoralisation (voir nos articles dans RI n°362). Aujourd'hui, la bourgeoisie et ses syndicats continuent d'enfoncer le même clou. Non contente d'utiliser et d'exploiter le désespoir des jeunes des banlieues contre le prolétariat, c'est le terrain de la lutte de classe qu'investit la bourgeoisie pour pourrir la conscience des ouvriers.
Chez les conducteurs de bus et de métro de Marseille comme à la SNCM, la bourgeoisie s'est appuyée sur la lutte d'un secteur particulièrement gangrené par les illusions corporatistes et fortement encadré par les syndicats. Les prolétaires de ce secteur n'ont pas su tirer la moindre leçon de l'échec de la lutte de leurs camarades de l'entreprise voisine. A l'heure actuelle, la grève dure depuis 40 jours et n'est toujours pas terminée, mais son issue ne fait pas le moindre doute. Malgré le déploiement de toute leur combativité, les grévistes s'apprêtent à subir une défaite encore plus cuisante et amère.
C'est depuis le 3 octobre, à la veille de la grande manifestation syndicale où ils ont défilé aux côtés de la SNCM et autour du même slogan pour réclamer le "sauvetage du service public", que les traminots de la Régie des transports de Marseille (RTM) sont en grève. Ils se sont mobilisés autour d'une unique revendication : s'opposer à la gestion et à l'exploitation du futur tramway marseillais par une société privée, la Connex (qui est d'ailleurs appelée à "patronner" en partie la SNCM). Mais alors que le projet va se traduire par la fermeture de certaines lignes de bus et de nouvelles suppressions d'emploi, alors que les salaires sont "gelés" depuis des années, toutes leurs craintes réelles par rapport aux licenciements, aux conditions de travail et aux salaires ont été étouffées derrière la défense du service public. D'autres grèves chez les traminots ont été mises sous le boisseau à Bordeaux, à Nancy ou à Lille alors qu'elles portaient sur des revendications de hausse des salaires. Sous la houlette d'une intersyndicale "unie" dans laquelle la CGT est cependant encore une fois à la pointe "de l’action", ce conflit a été mis sous les projecteurs notamment à partir du moment où le maire de droite de la ville, Gaudin, a parlé de "réquisition". C'est l'image d'une grève extrêmement dure et jusqu’au-boutiste ; pour "radicaliser" et exacerber encore le conflit, la direction et la mairie se sont livrés à une véritable provocation en assignant la lutte devant les tribunaux pour faire déclarer la grève "illégale", avec à la clé une menace de réquisition, voire de sanctions à l’encontre des chauffeurs. Ainsi, au bout d’un mois de grève et après une reprise du travail provisoire de 5 jours, les syndicats ont pu faire repartir un mouvement qui s'essoufflait en posant un nouveau préavis de grève.
C’est avant tout une grève-repoussoir, extrêmement impopulaire auprès d’un million de personnes de l’agglomération marseillaise, notamment auprès des autres ouvriers qui doivent emprunter les transports en commun pour se rendre à leur travail, amener leurs enfants à la crèche ou à l'école. Il est bien difficile de se sentir solidaires d'une lutte dans ces conditions. Cela n'a pas empêché le leader de la LCR, Besancenot, de venir déclarer aux grévistes "Vous faites honneur au syndicalisme. Toute la France vous regarde !" Au contraire, cela ne peut que susciter la colère, la division, voire l’hostilité dans les rangs des autres secteurs du prolétariat.
Avec le durcissement de la grève, tandis que les syndicats ont mis des voitures en travers pour empêcher la sortie des bus des dépôts, l'encadrement policier a été renforcé sous prétexte de protéger les chauffeurs non grévistes mais aussi les grévistes contre d'éventuelles agressions d'usagers mécontents : 4 compagnies de CRS et de gardes mobiles ont ainsi été placées aux portes de 4 grands dépôts de bus. De même la quarantaine de bus réquisitionnés fin octobre, cible favorite de commandos cégétistes, ont été escortés de motards et truffés de flics en civil. La municipalité est restée inflexible, refusant pendant des semaines toute négociation, puis lors de chaque rencontre, toute concession. C'est dans ce climat délétère et d'intimidation que la grève s'est déroulée et pourrit lentement sur pied de jour en jour, même si un millier de travailleurs sont toujours en grève sur les 3200 que compte l'entreprise. Son isolement est total. Pour la plupart des traminots, la note sera salée avec la perte de plus d’un mois de salaire, voire bien davantage. Non seulement les traminots marseillais ne sont pas prêts à reprendre le combat de classe de sitôt, mais cela ne peut déboucher que sur un énorme écœurement, une très forte démoralisation dans toute la classe ouvrière vis-à-vis de la lutte.
Quelles sont les fausses leçons que la bourgeoisie voudrait que la classe ouvrière retire à travers cette lutte ?
La première est précisément celle-ci : il s'agit de dissuader les ouvriers d'entrer en lutte en montrant que lutter ne mène à rien sinon à la défaite. La RTM est donnée en exemple : voilà une lutte pourtant longue, déterminée, combative et "radicale" qui n'a servi à rien !
A travers l'image donnée par les médias, les grèves ne pourraient au contraire qu'empoisonner les conditions de vie et de travail des autres ouvriers. Toute lutte ouvrière ne pourrait que défendre de façon irresponsable des intérêts particuliers, égoïstes, corporatistes prenant les autres ouvriers en otage, les pénalisant de façon inadmissible, certains courent même le risque de se retrouver au chômage en paralysant l'activité d'autres entreprises.
L'autre son de cloche est celui qui est colporté par les syndicats. Il faut s'en remettre à l'Etat pour se défendre. Les seules luttes ou les seules grèves qui aient un sens et qui vaillent la peine de "se sacrifier" seraient d'une part celles pour assurer la défense du service public mais aussi d'autre part, la lutte pour défendre la démocratie et le "droit à la négociation". Ainsi, l'objectif assigné par les syndicats dans les luttes n'est même plus de faire aboutir des revendications ouvrières, mais le but de la lutte devient l'ouverture de négociations, présentée déjà comme une "victoire".
Dans la foulée, les syndicats poussent à se mobiliser contre la série de privatisations en cours de plusieurs services publics : EDF, la Poste, les sociétés d'autoroutes, etc. pour lesquels ils se préparent à organiser un feu roulant de nouvelles grèves ou journées d'action. Les principaux syndicats du secteur (CGT, FO, SUD, syndicat autonome des conducteurs) ont déposé un autre préavis de grève reconductible à partir du 21 novembre à la SNCF avec la même stratégie. Les syndicats martèlent l'idée que la privatisation amène des licenciements, alors qu'en réalité, la logique de l'exploitation capitaliste est inverse, c'est le besoin de licencier qui amène la privatisation. Ils alimentent ainsi une campagne forcenée sur la défense du service public où l'unique but de la lutte serait d'empêcher une dérive libérale et un démantèlement du service public. Ce qui signifie pousser les ouvriers à s'en remettre à l'Etat pour les protéger, se réfugier derrière l'Etat-patron pour se défendre. Pousser les ouvriers à rechercher la protection de l'État, en suscitant une fausse opposition entre "politique libérale" ou "plus d'État" est un leurre. C'est précisément l'Etat qui est l'organisateur et l'ordonnateur de toutes les attaques dirigées contre les prolétaires, c'est lui qui préconise, oriente et facilite les procédures de licenciements, qui planifie la rigueur budgétaire et l'austérité salariale. C'est lui qui assure la défense indéfectible des intérêts du capital national contre la classe ouvrière.
Toutes ces manœuvres cherchent à persuader les ouvriers qu'ils n'ont qu'une alternative : soit faire confiance à l'Etat et aux syndicats pour se défendre, soit renoncer à lutter. C'est une escroquerie.
La lutte de classe, ce n'est pas la lutte que nous proposent les syndicats. Elle est incompatible avec la défense d'intérêts corporatistes derrière lesquels les ouvriers sont divisés et montés les uns contre les autres Elle est incompatible avec la défense des intérêts de l'entreprise, du capital national et de l'Etat vers lesquels ceux-ci nous rabattent. Elle n'est possible que sur la base du refus des licenciements, de la défense des salaires et des conditions de travail. C'est sur cette base que peuvent se développer et s'affirmer les besoins vitaux de la lutte, son extension, sa prise en charge par les ouvriers eux-mêmes, la solidarité qui sont des expressions du caractère unitaire de la classe en lutte. L'affirmation de ces besoins sont diamétralement à l'opposé et antagoniques aux méthodes et aux moyens que mettent en œuvre et préconisent les syndicats : le repli sur l'entreprise ou le dépôt, les AG qui interdisent l'accès aux ouvriers d'autres entreprises ou réduits au chômage, les actions-commandos. C'est ce dévoiement, cette dénaturation, ce travail de sape et de sabotage permanents par les syndicats qui conduisent inévitablement les luttes vers une défaite démoralisante, l'épuisement et la démolition stérile de leur combativité et l'écoeurement. Le développement des luttes est plus que jamais nécessaire pour faire face aux attaques de la bourgeoisie. Les prolétaires n'ont pas d'autre choix que de se battre. Mais pour cela, ils ne doivent pas s'en remettre à ces auxiliaires les plus précieux de la bourgeoisie et de son Etat dans les rangs ouvriers que sont les syndicats.
Wim (19 novembre)
L’ensemble de la classe ouvrière, dans tous les pays, tous les secteurs, toutes les entreprises, vit aujourd’hui avec cette inquiétude obsédante: comment échapper à la menace du chômage? Quel avenir la société actuelle réserve-t-elle à nos enfants? Que peut-on faire pour sortir de cette situation ?
Jamais depuis la dernière guerre mondiale le monde capitaliste n’avait connu un degré de misère et de barbarie tel que celui d’aujourd’hui. Les guerres ne cessent de se développer et le chômage croît sans fin. Dans les pays sous-développés, les massacres, les épidémies, les famines sont le lot quotidien de centaines de millions d’êtres humains ; dans les pays les plus industrialisés, une masse croissante d’ouvriers est jetée sur le pavé à chaque nouvelle vague de licenciements. Ainsi des Etats, tels l’Allemagne, qui nous avaient été présentés pendant des décennies comme des modèles de prospérité, ne sont plus épargnés par le développement du chômage massif.
Ce ne sont pas seulement les jeunes, à l’issue de leur scolarité, qui se retrouvent sans emploi ou avec un travail de misère, mais l’ensemble des prolétaires intégrés dans le système productif qui se retrouvent chaque jour, par milliers, brutalement licenciés sans aucune perspective de pouvoir retrouver un emploi durable.
Cette aggravation de la misère et du chômage, ce sont tous les ouvriers qui la subissent de plein fouet, dans tous les secteurs, tous les pays. Toute la classe ouvrière est aujourd’hui directement concernée par cette attaque du capital. Non seulement les prolétaires exclus de la production, mais aussi ceux qui ont encore un emploi.
Dans toutes les usines, les ateliers, les bureaux, chacun redoute d’être inscrit sur la liste noire des prochaines charrettes de licenciements. Partout, règne la même atmosphère d’inquiétude et d’insécurité.
Mais le chômage n’est pas seulement une situation que les ouvriers "actifs" redoutent pour l’avenir. Cette attaque, ils la subissent déjà dans la réalité quotidienne de toutes leurs conditions de vie.
De plus, l’ensemble de la classe ouvrière voit après chaque vague de licenciements, chaque nouvelle suppression d’emplois, ses conditions de travail empirer, notamment à travers les augmentations de cadences dues aux baisses d’effectifs.
Enfin, l’Etat ne se contente pas seulement de faire peser ainsi le poids du chômage sur le dos des travailleurs. Il exerce encore un chantage crapuleux sur les ouvriers en semant l’illusion que s’ils acceptent les baisses de salaires sans broncher, ils pourront participer à améliorer la compétitivité de leur entreprise et donc s’éviter de nouvelles vagues de licenciements.
Voilà la situation intolérable que subissent les ouvriers au travail, auxquels l’Etat, le patronat, la maîtrise, cherchent en permanence à faire courber l’échine en leur répétant sans cesse: "Si tu n’es pas content, fous le camp. Il y en a cent, il y en a mille dehors qui attendent ta place."
Non seulement les ouvriers au travail sont contraints de faire les frais de la crise du système qui les exploite, mais c’est par centaines de milliers qu’ils sont amenés à subvenir, avec leurs revenus de plus en plus maigres, aux besoins élémentaires des membres de leurs familles déjà au chômage, en particulier de leurs enfants qui ne trouvent pas de travail à la fin de leurs études.
Le seul avenir que peut promettre le capitalisme aux nouvelles générations de prolétaires, c’est la misère absolue, une misère encore plus terrible que celle que subissent aujourd’hui les ouvriers au chômage, condamnés à vivre au jour le jour, à courir des journées entières après des offres d’emplois toujours plus rares et pour lesquelles 10, 100, 1000 personnes se déplacent en pure perte.
L’Etat et le patronat obligent ces ouvriers au chômage à accepter n’importe quel petit boulot précaire et sous-payé, amputent régulièrement leurs allocations, voire les suppriment tout simplement. De plus en plus d’ouvriers licenciés sont ainsi réduits au désespoir, parce qu’ils ne trouvent plus les moyens de se loger, se vêtir, se nourrir, eux et leur famille tandis que dans les cités ghettos, un nombre croissant de jeunes chômeurs sont menacés par la délinquance, la drogue, la criminalité.
Ces prolétaires que le capitalisme a définitivement rejetés de la production viennent chaque jour grossir les rangs des indigents que la classe dominante, ses médias aux ordres et ses curés baptisent "nouveaux pauvres" ou "exclus", leur enlevant ainsi toute leur identité de classe afin de les séparer du reste de la classe ouvrière, de les isoler, et d’empêcher une lutte commune entre chômeurs et ouvriers au travail.
De même, toute la bourgeoisie, à travers un matraquage médiatique permanent, cherche à culpabiliser les ouvriers au travail, à les opposer aux chômeurs en les présentant comme des "privilégiés", dont "l’égoïsme" serait responsable de cette situation alors que c’est elle, la classe exploiteuse et son système en crise, qui sont les seuls responsables de la misère et du chômage.
Ceux qui nous gouvernent, ceux qui exploitent la force de travail, ceux qui veulent nous faire payer toujours plus le prix de la faillite de leur système, répètent depuis des années que c’est un mauvais moment à passer, que les sacrifices d’aujourd’hui sont destinés à préparer des lendemains meilleurs. Ils mentent !
Aujourd’hui, comme hier, ils veulent nous faire croire que ce sont les travailleurs "immigrés" qui sont responsables de l’augmentation du chômage. Depuis des années, en France comme dans la plupart des pays industrialisés, on verrouille les frontières, on organise la chasse aux "clandestins", on expulse manu militari des familles entières vers leur "pays d’origine" qu’elles n’ont souvent même pas connu et où les conditions économiques et sociales sont encore plus catastrophiques qu’ici. Malgré ces mesures policières, le chômage n’a cessé de croître inexorablement, frappant aussi bien les travailleurs immigrés que les ouvriers autochtones. Et le langage ne cesse de s’adapter, mais les mensonges restent. Aujourd’hui par exemple, il faudrait croire que toutes les mesures prises – attaque contre les retraites, la santé, les réductions d’allocations aux chômeurs – seraient des réformes nécessaires qui ne pénaliseraient pas ou seulement ceux qui "abusent" !
Tous les gouvernements d’Europe et d’Amérique, de droite et de gauche, prétendent aujourd’hui faire de la lutte contre le chômage la priorité numéro 1. Tous nous racontent que la reprise économique, même si elle n’est pas encore à l’ordre du jour, ne saurait tarder. Ils mentent ! Mensonges aussi que ceux des "alter-mondialistes" qui cherchent à nous faire croire que le chômage ainsi que les autres fléaux pourraient trouver une solution dans un capitalisme bien géré et qui rejetterait le soi-disant libéralisme. Ces mystificateurs nous présentent un capitalisme sans contradictions dans lequel l’Etat, s’il le voulait bien, pourrait être le garant du bonheur de tous et de chacun ! Tous ces menteurs patentés veulent nous faire oublier que les fléaux de la société d’aujourd’hui ne sont que la dramatique illustration de la faillite du capitalisme.
La vérité, c’est que la crise de l’économie mondiale n’a pas d’issue. Quelles que soient les mesures que prendra la bourgeoisie, quels que soient les partis au gouvernement, le système capitaliste ne peut que continuer à s’effondrer. La classe ouvrière ne doit se faire aucune illusion: les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer des sacrifices encore plus douloureux demain.
Les patrons, les Etats licencient, suppriment les emplois, réduisent les salaires parce qu’ils n’arrivent pas à vendre en quantité suffisante les marchandises produites par les ouvriers. Ils n’arrivent pas à écouler ces marchandises parce que le marché mondial est devenu trop étroit pour absorber l’ensemble de la production de tous les pays. Face à la guerre commerciale à laquelle se livrent tous les requins capitalistes qui se disputent les parts de plus en plus restreintes du marché mondial, toutes les bourgeoisies nationales sont obligées de "rationaliser" leur production.
Pour cela, elles doivent fermer des usines, augmenter la productivité du travail, diminuer les effectifs, accélérer les cadences, baisser les salaires.
Depuis ses origines, notamment au xixe siècle, le capitalisme a connu des crises qui, à chaque fois, se traduisaient par une poussée du chômage et une dégradation des conditions d’existence du prolétariat. Mais les crises qui accompagnaient régulièrement, de façon cyclique, l’expansion du capitalisme au siècle dernier ne sont nullement comparables à celle que nous vivons aujourd’hui.
En effet, au xixe siècle, à l’époque où le capitalisme était un système en plein développement qui n’avait pas encore conquis toute la planète, les crises de surproduction finissaient toujours par se résoudre grâce à la découverte de nouveaux débouchés dans les régions du monde où prédominaient des modes de productions plus archaïques. C’est par le feu et par le sang que la bourgeoisie naissante qui avait succédé aux seigneurs féodaux, partait à la conquête de nouveaux marchés. Elle a chassé sauvagement les paysans de leurs terres afin de les obliger à vendre leur force de travail au capital. Elle s’est lancée dans les conquêtes coloniales en exterminant des populations entières afin de piller les matières premières et s’ouvrir de nouveaux débouchés.
C’est au prix d’une barbarie inconnue jusque là dans l’histoire de l’humanité que cette nouvelle classe exploiteuse pouvait non seulement écouler le surplus de ses marchandises dans les zones pré-capitalistes, mais aussi étendre son mode de production à toute la planète. C’est au prix de souffrances effroyables que les anciens producteurs de la société féodale sont devenus des prolétaires contraints par la force à se soumettre à l’esclavage de l’exploitation capitaliste.
Mais la situation des premières générations de prolétaires, durant cette période ascendante du capitalisme, malgré son caractère particulièrement inhumain, n’avait pas une signification aussi tragique, une perspective aussi catastrophique que celles auxquelles sont confrontés les ouvriers en ce début du xxie siècle.
Dans la période ascendante du capitalisme, le chômage, même lorsqu’il explosait massivement dans les moments de crise aiguë, n’était jamais de très longue durée. Dès que la crise était résorbée avec l’ouverture de nouveaux marchés, il y avait pour les ouvriers une nouvelle perspective de retrouver rapidement un travail.
Par ailleurs, les chômeurs étaient d’une grande utilité pour la bourgeoisie. Ils constituaient une "armée industrielle de réserve" qu’elle exploitait également dans les périodes de ralentissement économique pour faire baisser les coûts de production et améliorer la compétitivité de ses marchandises. Grâce à cette réserve de main d’oeuvre qui crevait de faim, la classe dominante pouvait faire pression sur les salaires et entraver le développement des luttes ouvrières.
Ainsi, le chômage était à cette époque un phénomène que la classe exploiteuse entretenait et contrôlait parfaitement pour les besoins de l’accumulation du capital.
Pour les prolétaires, malgré la misère et la surexploitation qu’ils subissaient, les conditions de développement du capitalisme leur permettaient non seulement de vendre leur force de travail, mais encore de se constituer en classe, de s’organiser, de développer leur unité, et d’arracher aux exploiteurs des améliorations substantielles et durables de leurs conditions d’existence.
Les crises cycliques du 19ème siècle étaient donc des étapes par lesquelles le système capitaliste devait passer pour continuer sa marche en avant vers l’accroissement des forces productives de la société.
Lorsque le capitalisme atteint son apogée à la fin du xixe siècle, en ayant soumis toute la planète à ses lois économiques, il n’existe plus de zones extra-capitalistes capables d’absorber la surproduction des marchandises des pays industrialisés. La classe dominante se trouve alors confrontée à une saturation du marché mondial. C’est l’ouverture d’une nouvelle période dans l’histoire de l’humanité: celle de la décadence du capitalisme.
Désormais, ce système est gangrené par une crise de surproduction permanente qui, lorsqu’elle se manifeste de façon ouverte, ne peut aboutir qu’à un affrontement armé entre les grandes puissances pour le repartage du marché mondial. C’est ainsi que la Première Guerre mondiale a marqué l’entrée du mode de production bourgeois dans sa période de déclin historique.
Aujourd’hui avec le développement du chômage massif, de plus en plus d’ouvriers se retrouvent dans une situation de dénuement total, sans maison, n’ayant pas les moyens de se vêtir, se nourrir. Un nombre croissant d’entre eux, réduits à l’état d’indigents, lorsque l’Etat leur supprime jusqu’au minimum vital, ne peut survivre que grâce aux associations caritatives et à la mendicité. Si l’on se contentait d’une vision photographique, cette situation ne manquerait pas d’évoquer un retour aux conditions de la classe ouvrière à l’aube du capitalisme.
Cependant, il existe une différence fondamentale entre la situation présente et celle de la période ascendante du capitalisme.
Depuis 80 ans, ce système a atteint ses limites historiques. Il n’a pu se maintenir en vie, de façon artificielle depuis le début du xxe siècle, qu’au prix d’une destruction toujours plus massives des richesses de la société, à travers un cycle infernal de crise-guerre mondiale-reconstruction - nouvelle crise - nouvelle guerre mondiale... En ce sens, les conditions de vie misérables du prolétariat ne sont nullement comparables à celles des ouvriers au siècle dernier.
Alors que le capitalisme avait pour raison d’être essentielle de développer les forces productives en généralisant le salariat comme c’était le cas dans le passé, son incapacité évidente à donner aujourd’hui du travail à des dizaines de millions d’ouvriers signifie que ce système est arrivé au bout du rouleau. Il ne peut prolonger son agonie qu’en continuant à plonger toute la société humaine dans une paupérisation absolue et une barbarie sans nom.
De même, c’est encore l’incapacité du système à surmonter sa crise de surproduction qui est à l’origine des famines dans les pays du tiers-monde car le capitalisme ne produit pas pour satisfaire les besoins humains mais pour vendre ses marchandises. Et lorsqu’il ne peut pas écouler ses stocks, il les détruit. Il est hors de question pour le capitalisme de les distribuer gratuitement car une telle mesure provoquerait nécessairement un effondrement des cours sur le marché. En réalité, un capitalisme qui donnerait ce qu’il produit ne serait plus du capitalisme.
Ainsi, l’absurdité de ce système se traduit par une destruction massive de richesses à un pôle de la société tandis qu’à l’autre pôle, la misère, la pénurie, la faim laminent des millions d’êtres humains.
En rejetant de la production des masses sans cesse croissantes de prolétaires, le capitalisme mondial dévoile son vrai visage: celui d’un système qui n’a plus rien à proposer à l’humanité qu’une misère et une barbarie toujours plus effroyables. Il fait la preuve de sa faillite historique.
Ce système ne peut donner un travail et un salaire aux ouvriers, se servir de leurs bras et de leur cerveau, que lorsqu’il a les moyens de surmonter ses crises. Aujourd’hui, s’il plonge des dizaines de millions de prolétaires dans le dénuement le plus total, s’il condamne les deux tiers de l’humanité à la famine, c’est justement parce qu’il n’est plus capable de résoudre les contradictions qui l’assaillent.
Les ouvriers doivent oser regarder la réalité en face: un système qui menace la survie de l’espèce humaine, non parce qu’il ne produit pas assez, mais parce qu’il produit trop, est une absurdité.
Ce système moribond, la classe ouvrière mondiale a la responsabilité de le détruire avant qu’il n’entraîne dans son agonie toute la société. Ce n’est qu’en s’attaquant aux fondements mêmes du capitalisme, en développant et unifiant partout ses luttes contre la misère et l’exploitation, que le prolétariat pourra accomplir sa tâche historique. C’est pour cela que ses luttes immédiates pour la défense de ses conditions de vie portent avec elles une perspective plus globale, celle du renversement du capitalisme, pour la construction d’une autre société sans crise, sans exploitation, sans famines, sans guerres. Une société dont l’activité économique sera déterminée non par la recherche du profit, non par les contraintes du marché, mais par la satisfaction des besoins de toute l’humanité.
Seule cette transformation du monde par le prolétariat pourra mettre définitivement un terme au fléau du chômage car elle nécessitera le concours de tous à la production. L’activité productive, source de richesses pour l’ensemble de l’humanité, ne signifiera plus contrainte et abrutissement, mais au contraire travail propice à l’auto réalisation de tous et de chacun. Tels sont les véritables enjeux des combats de la classe ouvrière. En engageant et développant la lutte contre le chômage sous toutes ses formes, le prolétariat ne s’attaque pas seulement à un aspect de la barbarie capitaliste. Il attaque cette barbarie à sa racine.
A la différence des émeutes sans lendemain dans les pays du tiers-monde ou dans les banlieues des grandes métropoles industrielles, cette lutte est d’emblée un combat à l’échelle de toute la société. Un combat qui porte avec lui, non seulement la défense immédiate du niveau de salaire, mais l’abolition du salariat.
C’est à travers le développement de l’unité et de la solidarité de tous les ouvriers en lutte que le prolétariat prendra conscience de son être en tant que classe révolutionnaire. Cette unité et cette solidarité constituent une nécessité vitale pour le renversement du capitalisme. C’est bien cette unité et cette solidarité qui seront, demain, une des bases sur lesquelles la classe exploitée devra édifier une véritable communauté humaine mondiale. C’est uniquement dans la lutte que les ouvriers au travail pourront affirmer leur solidarité vis-à-vis des chômeurs en comprenant que ces derniers n’ont, s’ils restent isolés, aucune possibilité de s’en sortir.
Les ouvriers au travail doivent se situer aux avant-postes du combat. Participant à une vie collective avec leurs camarades de travail, ils sont, de ce fait, moins exposés que les chômeurs au danger de "lumpénisation" résultant de la décomposition de la société capitaliste (drogue, prostitution, trafic de toutes sortes, débrouille individuelle, délinquance...). Ils ont les moyens de bloquer la production, de paralyser toute l’activité économique capitaliste, et par conséquent d’exercer une pression sur la bourgeoisie, de montrer au grand jour la force du prolétariat.
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