Le bilan des guerres en cours est terrible. En Ukraine, le nombre de morts et de blessés dépasse déjà le million, avec des territoires et villes entièrement rasés, comme dans la ville de Marioupol entièrement rayée de la carte ! Au Moyen-Orient, avec la fuite en avant à Gaza aboutissant à un véritable génocide. Là aussi tout a été rasé, les territoires laminés resteront en friche pendant des décennies. À cela, s’ajoutent encore les confrontations connexes et meurtrières, comme au Liban, en mer Rouge, au Yémen ou, plus récemment en Syrie. Et d’autres menaces plus graves s’accumulent et risquent d’éclater, notamment entre la Chine et Taïwan.
Nous assistons depuis l’été dernier à une véritable escalade, à l’intensification partout des combats et des massacres. Depuis le début du conflit en Ukraine et bientôt trois années de guerre extrêmement violente, l’armée ukrainienne a fini par réaliser une incursion sur le sol russe, dans la région de Koursk. Dans l’Est de l’Ukraine, l’armée russe semble encore progresser au prix de très lourdes pertes. Des gamins sont envoyés sans vergogne à l’abattoir. Avec l’appui de soldats nord-coréens, mais aussi Sri Lankais, Houtis, etc., le conflit prend une autre dimension, plus périlleuse, entraînant dans son sillage davantage d’États ou de groupes militaires, même si les renforts enregistrés ne font que traduire les difficultés et la pénurie dont souffre la Russie.
Au Moyen-Orient, après deux années de guerre, le conflit s’est également intensifié, déjà plus de 44 000 morts à Gaza, dont une majorité de civils, 1700 israéliens avec quelques ressortissants étrangers et des otages, puis l’ouverture d’un nouveau front qui s’est étendu brutalement au Liban, où le centre de Beyrouth s’est rapidement retrouvé sous les bombes (plus de 3000 morts civils). À ce macabre décompte, il faut encore ajouter une foule de blessés et de déplacés.
Récemment encore, c’est en Syrie que des groupes islamistes, profitant de l’impuissance de la Russie (alliée à Bachar el-Assad) et des bombardements réguliers d’Israël dans le pays, ont lancé une offensive sur la ville d’Alep. Cette nouvelle flambée de violence, tirant opportunément parti du désordre au Moyen-Orient, représente non seulement une expansion supplémentaire du chaos mais pourrait aussi avoir à son tour des conséquences meurtrières encore plus graves.
Ces conflits se sont donc encore envenimés, notamment depuis les élections américaines où Biden a été contraint de soutenir avec gêne le jusqu’auboutisme forcené de Netanyahou ; il a aussi été poussé récemment à autoriser l’usage par l’Ukraine de missiles de plus longue portée, pouvant atteindre en profondeur des cibles dans un rayon de 300 kilomètres sur le sol russe. Depuis, très rapidement, les premiers tirs ukrainiens de missiles américains ATACMS ont fait écho à l’usage plus intense des drones et missiles à fragmentation de la part de la Russie (faisant de nombreuses victimes civiles), mais aussi de nombreux bombardements visant à priver le pays d’électricité pour l’hiver. Surtout, l’envoi symbolique d’un missile de portée intermédiaire, capable de transporter des ogives nucléaires, témoigne d’une volonté croissante du Kremlin de provoquer et intimider les puissances occidentales. L’apprenti sorcier qu’est Poutine vient d’ailleurs de modifier en conséquence la doctrine russe de l’emploi de l’arme atomique.
Pendant ce temps, paradoxalement, viennent de s’ouvrir au Moyen-Orient les voies d’une négociation qui fait suite à un cessez-le-feu accepté par Netanyahou à propos du Liban. Et si la situation n’en est pas là pour l’Ukraine au moment où nous écrivons, si Poutine « ne semble pas prêt à négocier », des voix s’élèvent pour souligner qu’il est peut-être maintenant « possible d’envisager une paix juste ».1
Les grandes puissances impérialistes et les belligérants seraient-ils devenus « raisonnables », plus enclins à « rétablir la paix » ? Nullement ! Depuis toujours, et plus particulièrement depuis la Première Guerre mondiale, le marxisme a toujours affirmé que « le capitalisme, c’est la guerre ». Un temps de « paix » n’est autre qu’un moment de préparation à la guerre impérialiste, le produit d’un rapport de force politique et militaire. Comme le soulignait Lénine, « plus les capitalistes parlent de paix, plus ils préparent la guerre ». Si aujourd’hui un fragile cessez-le-feu a été signé par Netanyahou, c’est avant tout dans l’espoir d’avoir le soutien de Trump pour capitaliser sur un plan politique ses exactions en territoire palestinien et mieux se positionner face aux prétentions régionales de l’Iran.
La nomination au poste de secrétaire d’État à la défense aux états-Unis de l’ancien vétéran Pete Hegseth va d’ailleurs dans le sens des espoirs de Netanyahou. Animateur vedette de la chaîne de télévision conservatrice Fox News, Hegseth, conservateur évangélique pur et dur, se présente comme un « défenseur d’Israël », un partisan du « sionisme » qui a applaudi des deux mains la décision de déménager l’ambassade américaine à Jérusalem comme capitale de l’État Hébreux. Ce futur ministre soutient naturellement Netanyahou face aux pressions de la justice internationale, d’autant plus aisément qu’il avait déjà plaidé en faveur de soldats américains accusés de crimes de guerre ! Il s’était fait aussi le porte-voix de ceux qui souhaitaient « bombarder l’Iran » au prétexte de « ses caches d’armes »…
En Ukraine, chaque camp tente également d’anticiper la réaction de Washington et essaye au maximum de marquer des points sur le terrain, de façon à pouvoir négocier en position de force. D’un côté la pression désespérée du Kremlin par les bombardements aveugles, la menace nucléaire, de l’autre, en Ukraine, la détermination à utiliser la conquête fragile de la région russe de Koursk comme « monnaie d’échange ». Une chose est certaine, quelle que soit la politique décidée par Trump, elle ne pourra qu’alimenter les mêmes appétits et vengeances.
Il en va de même pour les puissances européennes, prises dans la dynamique du chacun pour soi et confrontées aux initiatives de partenaires de plus en plus audacieux, comme lors de la rencontre entre le chancelier Olaf Scholz et Vladimir Poutine, mais aussi par la relance de discours franco-britanniques sur la possibilité d’envoyer des troupes en Ukraine « pour maintenir la paix », alors que l’Allemagne n’y est pas favorable pour l’instant. Tout un ensemble de sujets de discordes empoisonne des relations de plus en plus tendues, tant face à la Russie et à la guerre en Ukraine (Hongrie pro-russe) qu’au Moyen-Orient (question de l’État palestinien) et même les rapports avec l’OTAN, la place de la défense européenne, le développement de l’économie de guerre… L’incertitude des résultats des élections américaines puis la victoire de Trump qui s’était engagé à « résoudre le conflit ukrainien en 24 heures », ne pouvaient que conduire à souffler davantage sur les braises de la guerre. D’ici le 20 janvier, date d’intronisation de Donald Trump, nul ne sait, en effet, ce qu’il peut envisager tant le nouveau Président américain s’avère capricieux, versatile, imprévisible.
Les tensions de plus en plus importantes vont donc se poursuivre, peut-être aussi sous la forme de discours de « paix ». Cette dynamique de chaos impérialiste, marquée par les tensions majeures entre toutes les puissances du globe, au premier rang desquels la Chine et les états-Unis, ne peut que s’amplifier et s’étendre, même s’il est possible qu’une trêve en marque momentanément le tempo. Mais la guerre ne pourra disparaître. « Il n’y a pas d’autre issue pour le capitalisme, dans sa tentative de maintenir en place les différentes parties d’un corps ayant tendance à se démembrer, que d’imposer la main de fer de la force des armes. Et les moyens mêmes qu’il utilise pour contenir un chaos de plus en plus sanglant sont un facteur d’aggravation considérable de la barbarie guerrière dans laquelle le capitalisme a sombré ».2 Désormais, chaque État impérialiste applique de plus en plus, pour défendre ses intérêts stratégiques, la politique de la « terre brûlée », semant le chaos et la destruction, même dans les aires d’influence des « alliés » les plus proches et à fortiori des rivaux. Laissé à sa propre dynamique, le système capitaliste menace la survie même de l’humanité.
Reconnaître l’obsolescence du capitalisme ne signifie pas pour autant céder au fatalisme. Au contraire ! Au sein de la société bourgeoise, il existe une force antagonique capable de mettre à bas ce système : la lutte massive et internationale du prolétariat. Même si ce dernier est aujourd’hui encore affaibli, incapable de se dresser directement contre la guerre, son potentiel reste intact. Même s’il ne tend que progressivement à s’exprimer à travers un lent processus de prise de conscience, fragile et heurté, encore moléculaire et souterrain, il représente pour l’avenir une force sociale de transformation radicale. Les révolutionnaires se doivent de mettre en évidence cette réalité porteuse d’avenir : « Face à toutes les guerres actuelles ou en gestation, la classe ouvrière n’a aucun camp à choisir et partout elle doit défendre avec acharnement l’étendard de l’internationalisme prolétarien. Pendant toute une période, la classe ouvrière ne sera pas en mesure de se dresser contre la guerre. Par contre, la lutte de classe contre l’exploitation va revêtir une importance accrue car elle pousse le prolétariat à politiser son combat ».3
WH, 30 novembre 2024.
1 Propos du secrétaire de l’ONU, Antonio Guterres
2 « Militarisme et décomposition », Revue internationale n° 64 (1991).
3 « Face au chaos et à la barbarie, les responsabilités des révolutionnaires », Revue international n° 172 (2024).
Les médias prodiguent aujourd’hui les images des horreurs du régime de Bachar al Assad (comme celles de la sinistre prison de Saydnaya), tout en se réjouissant des célébrations de la population pour la «fin du cauchemar». Mais le soulagement après la fin de ce régime de terreur n’est qu’une vaine illusion. La vérité est que la population (tant en Syrie que dans le reste du monde) est victime d’une nouvelle et criminelle tromperie, d’une nouvelle démonstration de l’hypocrisie frauduleuse de la classe dominante : faire croire que la terreur, la guerre et le la misère étaient uniquement de la responsabilité d’Assad, un «fou» qu’il fallait arrêter pour rétablir la paix et la stabilité.
En réalité, tous les impérialismes, des plus petites puissances de la région aux grandes puissances mondiales, ont trempé sans vergogne dans les atrocités du régime : n’oublions pas comment Obama, «prix Nobel de la Paix», a détourné le regard, en 2013, lorsque Bachar Al Assad bombardait ou utilisait des gaz toxiques contre sa population ; ou comment bien des puissances «démocratiques», qui se félicitent aujourd’hui de la «chute du tyran», se sont accommodées de la famille Assad pendant des décennies, voire en ont été les complices patentés, pour défendre leurs sordides intérêts dans la région. Ces mêmes grandes « démocraties » mentent à nouveau éhontément lorsqu’elles cherchent à blanchir les nouveaux dirigeants du pays, qualifiés il y a encore quelques années de « terroristes » : ces « modérés », aptes à trouver une issue « pacifique », ne sont qu’un ramassis d’islamistes et d’égorgeurs issus des rangs d’Al Qaida ou de Daesh !
Il y a un an, lorsque le conflit éclatait à Gaza, nous avons distribué un tract dans lequel nous dénoncions l’extension de la barbarie que préparaient déjà ces massacres : "L’attaque du Hamas comme la riposte d’Israël ont un point commun : la politique de la terre brûlée. Le massacre terroriste d’hier et le tapis de bombes d’aujourd’hui ne peuvent mener à aucune victoire réelle et durable. Cette guerre est en train de plonger le Moyen-Orient dans une ère de déstabilisation et d’affrontements. Si Israël continue de raser Gaza et d’ensevelir ses habitants sous les décombres, il y a le risque que la Cisjordanie s’enflamme à son tour, que le Hezbollah entraîne le Liban dans la guerre, que l’Iran finisse par trop s’en mêler (…) Si la concurrence économique et guerrière entre la Chine et les États-Unis est de plus en plus brutale et oppressante, les autres nations ne se plient pas aux ordres de l’un ou l’autre de ces deux mastodontes, elles jouent leur propre partition, dans le désordre, l’imprévisibilité et la cacophonie. La Russie a attaqué l’Ukraine contre l’avis chinois. Israël écrase Gaza contre l’avis américain. Ces deux conflits incarnent le danger qui menace de mort toute l’humanité : la multiplication des guerres dont le seul but est de déstabiliser ou détruire l’adversaire ; une chaîne sans fin d’exactions irrationnelles et nihilistes ; un chacun pour soi, synonyme de chaos incontrôlable" (Massacres et guerres en Israël, à Gaza, en Ukraine, en Azerbaïdjan… Le capitalisme sème la mort! Comment l’en empêcher? [12] (Tract international, 7 novembre 2023)
L’offensive éclair des djihadistes est un acte de pur opportunisme tirant profit de la situation de chaos croissant dans la région : Assad et son régime corrompu jusqu’à la moelle ne tenaient plus qu’à un fil depuis que l’armée russe, enlisée en Ukraine, n’était plus en mesure de le soutenir, et que le Hezbollah, empêtré dans sa guerre avec Israël, avait abandonné ses positions en Syrie. Dans le chaos de la barbarie croissante en Syrie, cette coalition de milices hétéroclites a pu foncer sur Damas sans rencontrer beaucoup de résistance. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui en Syrie, comme hier au Liban et en Ukraine, c’est bien à la propagation et à l’amplification de ces guerres de terre brûlée dans lesquelles aucun des adversaires n’obtient une position solide, une influence durable ou une alliance stable, mais alimente au contraire une fuite en avant inexorable dans le chaos.
Qui peut prétendre avoir remporté une victoire solide ? Le nouveau régime syrien doit d’ores et déjà affronter une situation de fragmentation et de déchirement qui n’est pas sans rappeler la Libye post-Kadhafi. La chute du régime Assad est aussi un revers de premier ordre pour l’Iran qui perd là un précieux allié alors que le Hamas et le Hezbollah sont exsangues, mais aussi pour la Russie qui pourrait voir disparaître ses précieuses bases militaires sur la Méditerranée en même temps que sa crédibilité à défendre ses alliés... Même ceux qui, comme Israël ou des États-Unis, pourraient se réjouir de voir arriver de nouveaux maîtres plus conciliants à Damas, en ont une confiance plus que relative, comme en témoignent les bombardements israéliens pour détruire les arsenaux et éviter qu’ils ne tombent entre les mains du nouveau régime. La Turquie, qui apparaît comme le principal bénéficiaire de la chute d’Assad, sait aussi qu’elle va devoir affronter un soutien accru des États-Unis aux Kurdes, et une situation encore plus chaotique à ses frontières. La «chute du tyran» ne promet rien d’autres que toujours plus de guerre et de chaos !
Le chaos, la terreur et les massacres, s’ils sont bien l’œuvre des dirigeants de ce monde, de la bourgeoisie tant autoritaire que démocrate, répondent surtout à la logique propre au capitalisme décadent. Le capitalisme, c’est la concurrence de tous contre tous, c’est le pillage et la guerre ! Le fait que cette guerre s’étende aujourd’hui à de plus en plus de régions du globe, qu’elle occasionne des dévastations insensées et des massacres de masse, est l’expression de l’impasse historique dans lequel se trouve le système capitaliste. À l’occasion de la guerre à Gaza nous écrivions ainsi : «Quelles que soient les mesures adoptées, la dynamique de déstabilisation est inévitable. Il s’agit donc fondamentalement d’une nouvelle étape significative dans l’accélération du chaos mondial […] Cette tendance à l’irrationalité stratégique, aux visions à court terme, à l’instabilité des alliances et au chacun pour soi n’est pas une politique arbitraire de tel ou tel État ni le produit de la simple stupidité de telle ou telle faction bourgeoise au pouvoir. C’est une conséquence des conditions historiques, celles de la décomposition du capitalisme, auxquelles sont confrontés tous les États. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, cette tendance historique et le poids du militarisme dans la société se sont profondément approfondis. La guerre de Gaza confirme à quel point la guerre impérialiste est désormais le principal facteur déstabilisateur de la société capitaliste. Produit des contradictions du capitalisme, le souffle de la guerre alimente à son tour le feu de ces mêmes contradictions, augmentant, sous le poids du militarisme, la crise économique, le désastre environnemental, le démembrement de la société»[1].
Conséquence de cette décomposition de la société capitaliste, nous avons vu émerger des phénomènes tels que des exodes massifs de réfugiés, comme celui déclenché par la guerre en Syrie en 2015 avec près de 15 millions de personnes déplacées (7 millions en Syrie même, 3 en Turquie, environ 1 million entre l’Allemagne et la Suède). Nous dénoncions alors[2] que les hypocrites «Welcome refugees» de la bourgeoisie ne signifiaient pas une reconversion des exploiteurs à la solidarité mais plutôt une tentative de contenir les explosions du chaos en profitant d’une main d’œuvre à bas prix. Ces mêmes bienfaiteurs poussent aujourd’hui les réfugiés à rentrer dans l’enfer que demeure la Syrie, parce que «le régime oppressif n’existe plus» et que «le pays se dirige vers le rétablissement de la normalité démocratique». Cynisme dégoûtant de ces «démocraties» qui mettent en pratique la politique prônée par les partis populistes et l’extrême droite dont ils prétendent se démarquer. L’alternative à la destruction de l’humanité qu’implique la survie du capitalisme, c’est la solidarité internationale de classe, une solidarité de lutte, de combat contre le capitalisme mondial.
Valerio, 13 décembre 2024 (Version modifiée le 24.12.2024. Nous remercions Internationalist Voice pour les précisions suggérées).
[1] « Spirale d’atrocités au Moyen-Orient: la terrifiante réalité de la décomposition du capitalisme [13] », Revue internationale n° 171, (janvier 2024).
Le 16 novembre, le CCI a tenu une Réunion publique en ligne sur le thème « Les implications mondiales des élections américaines ». En plus des militants du CCI, plusieurs dizaines de personnes ont participé à cette discussion, réparties sur quatre continents et une quinzaine de pays. Des traductions simultanées en anglais, en espagnol et en français ont permis à tous de suivre ces échanges qui ont duré un peu plus de trois heures. Nous avons publié un premier bilan de cette rencontre ici : « Un débat international pour comprendre la situation mondiale et préparer l’avenir [18] ».
Depuis, nous avons reçu de nombreux courriers, certains pour saluer cette réunion, d’autres pour prolonger le débat ou poser de nouvelles questions, témoignant ainsi de la dynamique lancée par cette rencontre enthousiasmante.
Parmi ces lettres, il y en a aussi une signée Blake qui fait un bilan plus négatif de cette réunion internationale et propose de faire autrement, de tenir d’autres types de réunions. C’est à cette critique, fraternelle et argumentée, que nous avons voulu répondre en premier.
Nous publions donc ci-dessous ce courrier puis notre réponse.
Bonjour,
Quelques commentaires sur la réunion publique de samedi dernier.
Je n’ai pas trop à dire sur le contenu proprement dit, je suis d’accord avec la position mise en avant par l’organisation, essentiellement que l’élection de Trump est un signe et un facteur aggravant de la poursuite de la décomposition.
Je voudrais surtout faire des commentaires sur l’organisation de la réunion. Il est très difficile de gérer un grand nombre de personnes en ligne. Toutes les réunions en ligne auxquelles j’ai participé avec un grand nombre de personnes ne sont pas conçues pour la discussion. En général, elles servent à donner des informations et les discussions se déroulent dans des forums/groupes beaucoup plus restreints.
Tout d’abord, il y a constamment des problèmes techniques (la menace d’effacer le pad, les gens qui n’éteignent pas les micros, les problèmes de connexion, etc.) Par ailleurs, en ce qui concerne la discussion, j’ai l’impression qu’il y a très peu de « discussion » à proprement parler lorsqu’il y a autant de monde. La plupart des camarades interviennent une fois, pour exposer leur point de vue, et il y a donc peu de dialogue et d’approfondissement (c’est mon sentiment, et la raison pour laquelle je ne suis pas intervenu dans la réunion). Quelques camarades ont posé des questions (par exemple JC sur la « rationalité »), mais il n’y a pas de discussion de la part des autres, et à la place vous avez « la réponse de l’organisation » (qui est évidemment importante à avoir, mais cela ressemble alors à une relation élève-professeur).
Un autre point négatif (pour moi) était d’avoir des camarades parlant d’autres langues. Si vous ne pouvez pas parler/comprendre, vous avez tendance à vous déconnecter et à attendre que la personne ait cessé de parler, ce qui nuit à la concentration. C’était une bonne idée de traduire ces interventions non anglaises et de les remettre rapidement dans le bloc-notes, mais : (a) certaines traductions étaient médiocres (sans surprise, Google translate n’a pas rattrapé notre vocabulaire quelque peu spécialisé) et (b) pendant que je lisais la dernière intervention, l’intervention suivante était en cours, ce qui fait qu’il est difficile de suivre et de se tenir au courant.
Malgré l’avantage d’avoir des voix différentes et de donner un sentiment d’internationalisme, je pense que cela ne fonctionne pas vraiment pour une réunion publique en ligne (ce qui est très différent, par exemple, d’une réunion publique en face à face où vous pouvez avoir une traduction en direct…).
Une proposition d’organisation de la réunion :
1. présentation à tout le monde (20 minutes),
2. l’assemblée est divisée en groupes linguistiques, qui peuvent alors discuter librement (disons 1 heure),
3. Une pause – au cours de laquelle les discussions / questions / thèmes principaux, etc. sont rassemblés (10 minutes).
4. Suivi d’un plénum avec une discussion de l’ensemble du groupe (1 heure).
Cette méthode présente plusieurs avantages :
1. Des groupes plus petits = une gestion plus facile.
2. Il s’agit toujours d’une réunion internationale (présentation et discussion en plénum), mais les limites de la réunion en ligne sont réduites.
3. Certains camarades sont intimidés par un grand nombre de personnes ou par leur connaissance de la langue (par exemple, les camarades japonais ou australiens) (1) et peuvent donc être davantage encouragés à prendre la parole. (Par ailleurs, pensez-vous que le fait de dire constamment que vous voulez que les « nouveaux camarades/participants » s’expriment fait réellement le travail que vous voulez qu’il fasse ? Le fait de « haranguer » constamment les gens pour qu’ils prennent la parole (c’est ainsi que je l’ai perçu) ne produit généralement pas beaucoup de réactions, personnellement je n’ai pas remarqué que davantage de personnes participaient. Vous disposez d’un plus grand nombre de moyens de communication en ligne, vous devriez donc envisager de les utiliser. Par exemple, pourquoi ne pas demander aux participants, s’ils ne veulent pas parler, d’écrire un court paragraphe de ce qu’ils pensent dans la boîte de dialogue, qui peut ensuite être lu ? Je peux pratiquement vous garantir que vous obtiendrez plus de réponses de cette manière…)
4. Des groupes plus petits, ce qui signifie généralement que chaque personne dispose d’un peu plus de temps pour s’exprimer (vous pouvez insister sur la « limite de 5 minutes » pendant la séance plénière principale).
5. Enfin, il est possible d’éliminer les répétitions et les idées de base dans le petit groupe, ce qui devrait permettre d’avoir une discussion de plus haut niveau lors de la session du groupe entier. […]
Si vous souhaitez en discuter plus avant, n’hésitez pas à me contacter.
Fraternellement,
Blake
Tout d’abord, nous voulons saluer fortement cette lettre. Par ses critiques et ses propositions, le camarade participe ici à la réflexion collective, dans le but de perfectionner l’organisation des débats, de favoriser la confrontation des arguments et le processus de clarification.
D’autant plus que le camarade Blake a raison : si dans le bilan que nous avons publié sur notre site, nous nous sommes contentés de dire (pour des raisons de sécurité) que « plusieurs dizaines de personnes ont participé, réparties sur quatre continents et une quinzaine de pays », il y avait réellement beaucoup de monde.
Compte-tenu de cette affluence, tous les participants n’ont pas pu intervenir lors des débats, et il n’a pas été possible pour une même personne d’intervenir plusieurs fois. Comme l’écrit Blake, ces contraintes empêchent en partie l’approfondissement des questions en jeu, elles limitent les échanges qui se répondent les uns les autres.
Et le camarade a encore raison quand il pointe les difficultés techniques liées à une réunion internationale, en ligne, en plusieurs langues, ce qui implique de traduire en direct, de jongler avec différents pads, de se discipliner pour couper son micro quand ce n’est pas son tour de parler, etc.
Pour toutes ces raisons, le CCI organise aussi d’autres types de réunions : des réunions en ligne par langues, avec des effectifs plus réduits, des réunions dans les villes où l’on se rassemble physiquement, des permanences aussi qui n’ont pas de sujet défini à l’avance et où chaque participant peut proposer un point à discuter (d’actualité, d’histoire, de théorie…). Il est indéniable que lors de ces réunions se développent des échanges nourris qui permettent l’argumentation et la contre-argumentation, l’évolution des positions… Toutes ces discussions sont annoncées sur notre site internet dans la rubrique « agenda [19] ».
Dans ce spectre, les réunions internationales en ligne ont un rôle particulier, et même crucial. Commençons par le plus évident. Des camarades sont isolés, parfois seuls : se retrouver dan une réunion où d’autres camarades, en plusieurs langues, depuis plusieurs pays, brûlent de la même flamme pour la révolution, cherchent à comprendre l’évolution du monde et comment participer au développement de la conscience ouvrière est un moment enthousiasmant, revigorant.
Cette dimension internationale n’est pas seulement bonne pour le moral, elle l’est aussi et surtout pour la réflexion. Dans le capitalisme en décomposition, où règnent de plus en plus le repli, la peur de l’autre, l’enfermement de la pensée dans le local et le maintenant, il est absolument vital pour les minorités du monde de rompre l’isolement, de se lier, d’élaborer ensemble, dans toutes les langues, pour développer la vision la plus large et la plus profonde. Lors de la réunion du 16 novembre qui nous réunissait pour comprendre ensemble « Les implications mondiales des élections américaines », les différentes interventions des participants prononcées au quatre coins du globe ont permis de croiser les informations et les analyses, de se nourrir des sensibilités et des expériences différentes. Peut-être Blake l’a remarqué, mais les interventions des camarades en langue française portaient une confiance dans le prolétariat et ses luttes futures plus affirmée, ce qui est probablement en partie lié à la combativité et à l’expérience de la classe ouvrière en France. Tous les participants n’ont pas pu intervenir, c’est vrai. Mais tenir à dire « son » mot est-il le réellement le plus important ? Nous pensons qu’au contraire savoir écouter, s’enrichir de la pensée des autres est aussi un moment déterminant de la dynamique d’un débat et du processus de clarification collective. Lors de cette réunion de trois heures, les militants du CCI ne sont intervenus que trois fois, afin de laisser le maximum de temps à tous les autres camarades mais aussi pour mieux écouter, mieux cerner les différentes positions, les nuances et les désaccords en jeu2.
Il y a là-dessous, quelque chose de plus profond encore, ressentir ensemble que « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! » Le combat de notre classe est mondial, la révolution communiste sera internationale, cet internationalisme n’est pas simplement un sentiment, un élan, il est aussi concret, réel, une force sociale et politique déterminante.
Passons maintenant à l’organisation concrète de cette réunion. Le camarade met en avant les problèmes de micro et de pads, la difficulté à rester concentré lorsque le débat se fait en plusieurs langues… Tout cela est exact, et justement cela signifie que nous devons apprendre. Nous avons reçu de nombreux courriers de la part de participants nous posant des questions pour savoir comment mieux maîtriser leur ordinateur, sur tel ou tel aspect technique, pour la prochaine fois. Là encore, ce petit exemple concret révèle quelque chose de beaucoup plus profond : cette réunion en plusieurs langues et les prochaines à venir sont un moment d’apprentissage, pour s’habituer à se rassembler nombreux, à s’organiser pour maîtriser nos débats, pour renforcer nos liens à l’échelle internationale. C’est une réunion toute entière dirigée vers l’avenir !
Car, de quoi devra nécessairement être fait le futur de la lutte de classe pour parvenir à renverser le capitalisme par une révolution mondiale ? Avec le développement de la combativité, de la conscience, des minorités révolutionnaires, nos réunions devront rassembler de plus en plus de monde, en provenance de plus en plus de pays. Aujourd’hui, se rassembler à plusieurs dizaines de participants, en trois langues, n’est qu’un avant-goût de ce que nous devrons organiser dans l’avenir. Tant sur le plan technique que dans la gestion des débats, tous les participants doivent accumuler de l’expérience pour que les minorités révolutionnaires, à l’échelle internationale, soient à la hauteur de leurs responsabilités dans la classe et pour la classe.
Une telle activité militante doit tous nous enthousiasmer ! Alors, à la prochaine !
CCI, 8 décembre 2024
1Pour des raisons de sécurité, nous avons modifié les pays désignés dans le courrier du camarade. Les révolutionnaires font d’ores et déjà face à une répression féroce dans de nombreuses régions du monde.
2 Le camarade Blake parle dans sa lettre d’un débat fait surtout de questions des participants et de réponses du CCI, affirmant que cela donne une impression de rapport « maître/élèves ». Le peu d’interventions du CCI (seulement trois en trois heures, rappelons-le) et la dynamique de la discussion où chaque intervenant a répondu aux autres, affirmé ses accords et désaccords, nous semble démentir cette impression. Mais il y a une autre question sous-jacente : les réunions des organisations révolutionnaires ne sont pas un moment où chacun doit avoir « son » intervention, « son » expression libre. Non, ces débats visent la clarification, la confrontation des positions, dans le but de participer au développement de la conscience vers la révolution. Les groupes révolutionnaires ont donc à y défendre leur position, leur clarté, leur cohérence.
Le 14 décembre 2024, Mayotte a été le sujet d’un désastre d’une ampleur inimaginable. Le cyclone Chido a été un des événements les plus destructeurs qu’ait connu l’île. Ce dernier a provoqué plus de 30 morts, des milliers de blessés, et a détruit une grosse partie des infrastructures et des logements, en particulier les bidonvilles, laissant des centaines de milliers de personnes sans abris. Les camps de réfugiés font face à des crises sanitaires terribles. Les habitants doivent faire face à des pénuries d’eau, les réseaux de distribution ayant été endommagés, et de nourriture, tandis que l’approvisionnement promis par l’État peine à arriver. Le seul hôpital de l’île a été fortement endommagé, empêchant la prise en charge de très nombreuses personnes dans le besoin. Tout cela a favorisé l’exacerbation des tensions sociales déjà très fortes et qui menacent d’exploser.
Face à la situation, la bourgeoisie fait preuve d’un cynisme absolu. Loin d’assumer les conséquences de ses propres politiques, elle cherche à rejeter la faute sur les plus précaires. L’ensemble de la bourgeoisie insiste sur la « nécessité de régler le problème migratoire à Mayotte », prétendant que les dégâts liés au cyclone seraient la faute des immigrés construisant illégalement des bidonvilles. En réalité, la situation est connue depuis bien longtemps. De nombreux rapports et études font état de la vulnérabilité de la population, de la précarité généralisée et du chômage de masse, de l’importance de l’économie informelle, des conditions de vie très rudes, et de l’accès difficile aux ressources. D’autant plus pour les migrants vivant dans des conditions d’autant plus précaires, dans des bidonvilles, sur des terrains à risque, et dont l’accès aux ressources et aux soins est difficile. Les infrastructures manquent d’investissement et sont incapables de supporter la rapide croissance de la population. Malgré cela, la bourgeoisie n’a rien fait pour préparer à l’éventualité d’une catastrophe naturelle. Il n’y a pas de plan d’urgence, peu de sensibilisation auprès de la population, et les infrastructures ne sont pas construites de sorte à résister aux aléas climatiques. Il est donc peu étonnant que cette catastrophe ait pris une telle ampleur.
Mais l’État se fiche bien des victimes de ce cyclone. Pour la bourgeoisie française, Mayotte est, comme la Nouvelle-Calédonie, avant tout une position stratégique. Située au carrefour de grandes routes commerciales mondiales, Mayotte permet à la France d’assurer le contrôle du Canal du Mozambique, une des principales routes maritimes mondiales, et par lequel circule pétrole, gaz, et autres marchandises entre l’Asie, l’Afrique, et l’Europe. Le contrôle de cette zone fournit aussi à la France une excellente position diplomatique avec les États voisins, notamment Madagascar, et lui permet d’assurer une forte influence dans l’Océan Indien, surtout depuis que la concurrence pour l’influence dans cette région devient plus difficile avec la présence croissante de la Chine et de l’Inde. C’est pour cette raison que la France dépense sans compter des fortunes pour garder une base militaire là-bas. Quitte à devoir traîner un « boulet social » dont elle ne s’occupe de toute façon pas.
Cette tragédie illustre la barbarie dans laquelle s’enlise le mode de production capitaliste. La sévérité de la crise qui touche Mayotte et l’enchevêtrement des facteurs qui lui ont donné cette intensité sont symptomatiques de la profonde décomposition dans laquelle le capitalisme se trouve. Le dérèglement climatique, la misère de la population et les conditions de vie indécentes, le délabrement des services publics, ne peuvent qu’amplifier ces catastrophes. Et face à elles, la reconstruction n’en sera que plus longue et anarchique, aggravant d’autant plus la situation. L’État aura bien du mal à mobiliser un budget, des lois et des entreprises, pour une reconstruction qui sera de toute façon limitée, probablement bien plus coûteuse et plus longue que prévue. La situation est relativement similaire à celle de la reconstruction d’Haïti où la timide mobilisation de moyens après le tremblement de terre de 2010 n’a pas empêché de faire sombrer le pays dans le chaos La pauvreté endémique et les tensions sociales ont fortement influencé la montée des gangs et de la violence. Si la situation à Mayotte n’est pas aussi apocalyptique, elle demeure néanmoins très difficile et il faut tout de même s’attendre à une forte montée de la violence de la part de petits groupes.
Tout cela illustre la réalité d’un « effet tourbillon » dans lequel chaque facteur de la décomposition alimente, accélère, et amplifie les autres. On ne saurait prendre cet événement pour lui-même quand déjà en novembre 2024, des inondations à Valence ont causé d’énormes dégâts matériels et pertes humaines. L’enchaînement de ces tragédies exceptionnelles montre une forte tendance à la perte de contrôle de la bourgeoisie, qui est de moins en moins apte à faire face et à anticiper les problèmes générés par les ondes de chocs provoqués par son mode de production putréfié.
Les conditions qui ont donné lieu à ces tragédies continuent de s’amplifier sous l’effet de la crise, et on peut observer que ce qui tenait hier de l’exceptionnel, se normalise aujourd’hui, avec des effets qui seront encore plus désastreux demain tant que perdurera le système capitaliste.
Cam., 28 décembre 2024
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