La défense intransigeante de l’internationalisme et de son vieux mot d’ordre : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! », est plus que jamais la clé du combat du prolétariat, une frontière de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Nombre de groupes de la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie, les trotskistes, les anarchistes ou les maoïstes se targuent depuis des décennies d’être les défenseurs de la cause prolétarienne et de son combat contre le capitalisme. Alors que les tueries entre Israël et le Hamas font rage, leur pseudo-internationalisme s’est révélé, une nouvelle fois, n’être qu’un bluff et une mystification ! Alors le déluge de feu de Tsahal répond à la sauvagerie sans limite du Hamas, toutes leurs prises de position aboutissent à un même résultat : pousser les ouvriers à choisir un camp impérialiste contre un autre. En clair, ils ne sont que des rabatteurs sur le terrain du bourbier nationaliste !
Une partie des gauchistes, un peu partout dans le monde, n’a pas hésité à glorifier les actes ignobles du Hamas après leur attaque sauvage du 7 octobre. Les néo-maoïstes français de la Ligue de la Jeunesse Révolutionnaire (LJR) ont ainsi titré : « Le déluge d’Al Aqsa est un glorieux phare dans la nuit qu’est l’impérialisme ». Un summum dans l’ignominie guerrière ! Il en est de même du groupe trotskyste espagnol El Militant-Izquierda Revolucionaria qui n’a pas hésité à brandir triomphalement le « droit du peuple palestinien à l’autodéfense armée » pour se féliciter des exactions de cette bande de gangster et d’assassin qu’est le Hamas ! Idem, en Grande-Bretagne, où le trotskiste Socialist Workers Party a lancé sans aucune vergogne son cri de guerre : « le peuple palestinien a parfaitement le droit de répondre comme bon lui semble à la violence de l’État israélien ».
Mais derrière cette coterie de va-t-en-guerre éhontés, d’autres groupes gauchistes, dans une parfaite répartition de la sale besogne idéologique, ont promu des formes beaucoup plus sournoises de nationalisme.
Dans d’autres groupes trotskistes, les propos sont un peu plus subtils mais la logique est la même : derrières leurs slogans « résolument internationalistes », comme l’affirme, par exemple, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), la défense d’un camp impérialiste contre un autre est indéfectible. Ils persistent et signent dans leur nationalisme putride : « depuis des décennies, (et avant lui la LCR), le NPA défend que, comme les autres peuples du monde, les Palestinien(ne)s ont des droits, nationaux et démocratiques, reconnus par l’ONU ».
Ces « droits », ce sont ceux de la nation et son État (démocratique ou non), expressions par excellence de la dictature de la classe dominante, celle qui imposent au prolétariat palestinien et à la population en général, d’être la chair à canon de ses velléités impérialistes depuis plus de cinquante ans !
Le nationalisme palestinien, qu’il se présente comme « marxiste », « laïque » ou « islamiste », s’est toujours mis au service des forces impérialistes en présence. Le Hamas est, de fait, une clique à la tête d’un État, une faction de la bourgeoisie palestinienne qui exploite et impose sa dictature sur la population de Gaza, sur le prolétariat palestinien. Il traite ses travailleurs comme n’importe quel autre régime capitaliste. L’une des plus grandes ironies de ce cauchemar est que le Hamas doit dans une large mesure son existence à Israël qui a initialement encouragé son développement pour faire contrepoids à l’OLP.
Révolution Permanente (RP), organisation scissionniste du NPA qui tend à développer des liens avec d’autres groupes trotskystes en Europe, comme le Klasse gegen Klasse en Allemagne, en remet une couche avec une sidérente mauvaise foi : « L’aventurisme, les exactions et massacres du Hamas contre des civils sont à la hauteur de l’impasse qu’il constitue pour la cause palestinienne, parce qu’il ne porte pas de véritable programme social et démocratique […]. Et pourtant, le Hamas, à la différence de Daech et d’Al Qaida, a une assise populaire, quand bien même l’absence d’élection et de tout cadre démocratique […] empêche de mesurer exactement le degré de soutien du Hamas à Gaza et ailleurs dans les territoires ».
Quelle hypocrisie éhontée pour faire accepter l’inacceptable et justifier les massacres barbares du Hamas ! Assise populaire ? Les exactions du Hamas seraient donc plus légitimes si des élections étaient venues les entériner ? Est-ce sur la base de son « assise populaire » qu’en septembre 2006, quelques mois après son accès au pouvoir, des grèves massives et des manifestations ont été organisées pour exiger que le gouvernement du Hamas règle plusieurs mois de salaires impayés ?
Voilà une belle illustration de la mystification démocratique ! Sous couvert d’un discours « critique », les va-t-en-guerre du NPA utilisent le « label démocratique » pour mieux justifier les massacres perpétrés par la soldatesque d’un camp impérialiste.
L’ignominie de la propagande trotskiste n’a donc pas de limites et vire souvent à l’insoutenable. Mais la sauvagerie et les atrocités de ce conflit sont telles qu’elles gênent parfois aux entournures certains de ces groupes et les amènent à prendre un peu de « distance » avec les propos de leurs « camarades ».
De telles expressions de contorsions radicales se retrouvent, ainsi, dans un des groupes trotskistes les plus sournois, expert en double langage et faux-fuyants, l’inénarrable organisation trotskiste française : Lutte Ouvrière (LO), qui s’est fendue tout dernièrement d’un article très critique vis-à-vis du NPA et de Révolution Permanente. LO leur reproche un discours nationaliste trop outrancier qui ne percevrait pas « la nature de classe, bourgeoise, du Hamas, ni sa politique nationaliste et réactionnaire […]. Qualifier le Hamas de “principale organisation de la résistance” palestinienne est un abus de langage, pour ne pas dire une escroquerie ».
Diable ! LO dénoncerait donc la barbarie de toutes les factions bourgeoises et renoncerait à sa logique de défense des « luttes de libération nationale » ?… Sûrement pas ! « Si une partie des masses palestiniennes font confiance au Hamas, lui en tout cas ne leur fait pas confiance […] le Hamas agit et décide hors de tout contrôle de la population palestinienne et des plus pauvres. Ses méthodes ne visent pas à permettre aux révoltés de prendre conscience de leur force, de s’organiser et de faire un apprentissage politique. L’attaque du 7 octobre a été lancée par sa direction hors de tout contrôle et de toute discussion ». En clair, la sauvagerie peu démocratique du Hamas a « déçu » LO ! Rien de moins !
Ah ! Si seulement des « discussions démocratiques » avaient pu avoir lieu avant le 7 octobre pour planifier l’attaque du Hamas, les atrocités auraient pu avoir un profil plus présentable à en croire LO. Au royaume du sordide, la « subtile » Lutte Ouvrière détrône les plus outranciers des groupes trotskistes pour vendre sa camelote nationaliste et guerrière.
Laissons parler à nouveau Révolution Permanente : « En perspective, il ne faut pas penser la mobilisation contre la guerre, la lutte de libération nationale palestinienne et la perspective de la révolution prolétarienne comme des voies séparées. Elles peuvent et doivent au contraire s’entretenir l’une l’autre ». Ça a au moins le mérite d’être clair !
Non seulement le prolétariat palestinien doit continuer à servir de chair à canon pour la cause nationaliste de sa bourgeoisie mais plus largement la lutte prolétarienne doit « entretenir » et nourrir les luttes de libération nationale. Il y avait belle lurette que l’internationalisme de pacotille des trotskistes avait été jeté par la fenêtre, mais ils assument là ouvertement leur rôle de sergents recruteurs pour la cause nationale.
Quelles que soient les contorsions alambiquées ou non des organisations trotskistes, elles demeurent des rabatteurs indéfectibles de la bourgeoisie dans ses confrontations sur le terrain national.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le trotskisme est définitivement passé dans le camp de la bourgeoisie en contribuant à embrigader le prolétariat dans la guerre contre le fascisme. Depuis, ces groupes bourgeois ont, partout dans le monde, méthodiquement incité les ouvriers à choisir un camp impérialiste contre un autre. Pendant la guerre froide, ils ont confirmé leur soutien inconditionnel à l’URSS et ses prétendues « luttes de libération nationale » (Cambodge, Vietnam, Cuba…) contre les États-Unis. Lors de la guerre en Irak, ils ont déterminé que le « bon camp » était… « le camp du peuple irakien face aux agresseurs anglo-américains » !
Plus récemment, plusieurs groupes trotskistes n’a eu de cesse de dénoncer « la Russie de Poutine » dans la guerre en Ukraine, appelant le « peuple ukrainien » à se faire massacrer dans les tranchées. D’autres officines trotskistes, comme LO fidèle à son dogme d’une Russie qui ne serait pas impérialiste, n’hésitent pas à subtilement soutenir Poutine en suggérant que le seul impérialisme qui vaille la peine d’être dénoncé est celui de l’OTAN et de Biden.
Le trotskisme, parce qu’il est une idéologie bourgeoise, pousse donc inéluctablement la classe ouvrière dans les bras des prétendues luttes de libération nationale, en réalité la défense d’un camp impérialiste contre un autre : le camp des « agressés » face aux « agresseurs », le camp de la démocratie face au fascisme, le camp des « pays pauvres » face aux « pays riches », précédemment le camp de la « patrie socialiste soviétique » face à l’impérialisme occidental, etc.
Il n’y a pas de solution aux bains de sang sans fin au Moyen-Orient et dans le monde entier en dehors de la lutte des classes internationale et de la révolution prolétarienne mondiale. Toutes les formes de nationalisme, tous ses défenseurs, y compris les plus radicaux, sont des ennemis mortels de la classe ouvrière et de sa perspective révolutionnaire.
Stopio, 5 décembre 2023
Né en Bavière en 1923, d’origine juive, le jeune Heinz Alfred Kissinger sera obligé de migrer avec sa famille vers les États-unis afin d’échapper au nazisme. Devenu « Henry » il obtiendra la nationalité américaine en 1943, s’engagera comme soldat dans les rangs du renseignement militaire puis rejoindra ensuite les services du contre-espionnage. De retour en Amérique à la fin de la guerre, il poursuivra de brillantes études à l’Université de Harvard et enseignera les sciences politiques, se spécialisera dans les relations internationales. Sa carrière de diplomate prendra une véritable dimension planétaire sous l’ère Nixon. Il deviendra alors, durant toute la guerre froide, une figure emblématique incontournable de la tête du bloc occidental face à l’URSS.
Conformément à son rang et aux services rendus à la nation américaine, une « pluie d’hommages » est venue des grandes chancelleries pour honorer le défunt Kissinger. Biden saluera son « esprit acéré », Xijingping le « diplomate de légende », Scholz un « grand diplomate », Macron un « géant de l’histoire », etc.
Dans un exercice de fausse opposition, la figure controversée du diplomate américain a fait l’objet de « critiques » par les partis de gauche, les gauchistes et plusieurs médias, stigmatisant la « face sombre » du personnage. Indéniablement, dès son arrivée à la Maison-Blanche comme conseiller à la sécurité nationale en 1969, puis comme secrétaire d’État en 1973, Kissinger inspirait peu de sympathie, au point où Nixon, très méfiant, avait décidé de le mettre sous écoute. Une pratique courante qui fera scandale plus tard et lui coûtera son poste lors de l’affaire du Watergate. (1) Kissinger lui-même usait des mêmes méthodes à l’encontre de ses propres collaborateurs qui, eux aussi, n’appréciaient nullement cet infatigable manipulateur, connu pour son autoritarisme, sa froideur, ses mensonges et son manque total de scrupule. Bref, un profil propre à tous les grands représentants de la bourgeoisie et autres défenseurs du capitalisme. Mais en polarisant quasi exclusivement sur la personnalité de Kissinger, cette propagande est venue masquer que les décisions qu’il avait prises, effectivement criminelles, étaient avant tout l’émanation d’une logique de domination propre à l’impérialisme et donc à celle du système capitaliste.
Tout ceci ne retire rien à la responsabilité de Kissinger et de Nixon ni de leurs exactions, mais cela ne saurait dédouaner la politique inévitablement barbare d’un système décadent qui a généré deux guerres mondiales, des blocs impérialistes antagoniques risquant même d’engloutir l’humanité dans l’apocalypse nucléaire. Ce n’est que dans ce cadre que l’on peut appréhender les grands crimes qui ont effectivement été commis durant la guerre froide suite à des décisions venant bel et bien du sommet de l’État américain.
Et ce fut bien le cas lors des terribles bombardements massifs au Cambodge commencés dans le plus grand secret dès 1969 face aux menaces des troupes du nord Vietnam. Les États-Unis ont alors préventivement largué 540 000 tonnes de bombes, provoquant un déluge de feu tuant de 50 000 à 150 000 civils. Les transcriptions déclassifiées d’écoutes téléphoniques prouvent que Kissinger a bien transmis au général Alexander Haig les ordres de bombarder : « une campagne de bombardement massif au Cambodge […] c’est un ordre, il faut le faire. Tout ce qui vole, sur tout ce qui bouge. Vous avez compris ? ». Glaçant… Le Cambodge, devenu le pays le plus bombardé de l’histoire, a sombré alors dans une barbarie qui a favorisé l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges et du régime sanglant de Pol Pot.
Ces crimes ne sont pas uniquement le produit d’une décision venant d’une personnalité sans scrupule. Il s’agit d’une politique planifiée, basée sur la stratégie de la terreur, destinée à contrer le bloc ennemi : l’URSS. Une telle démarche n’est absolument pas contradictoire avec la politique de « détente » qui repose elle-même sur le principe d’un « équilibre de la terreur ». La doctrine de « dissuasion nucléaire », défendue par tout le camp occidental, n’était donc pas limitée au spécialiste Kissinger. (2)
Profitant des dissensions croissantes entre l’URSS et la Chine à la fin des années 1960, pour promouvoir la « détente » et prenant aussi des distances avec l’ostpolitik du Chancelier Willy Brandt, (3) Kissinger défendait fermement la continuité d’une même stratégie « d’endiguement » initié par le Président Truman après la Seconde Guerre mondiale. Là aussi, de manière discrète, la politique de « détente » allait exercer une pression destinée à isoler davantage l’URSS. Une politique cachée, minutieuse et systématique, dont Kissinger avait été l’acteur principal, le fin négociateur, aboutissait alors avec succès pour le camp occidental. Sa politique permit en même temps, grâce à de nombreux contacts discrets avec le ministre chinois Zhou Enlai, d’officialiser le voyage de Nixon à Pékin en 1972. Une politique qui allait porter ses fruits avec le basculement officiel de la Chine dans le camp occidental.
Suite au Traité de Paris l’année suivante, qui allait déboucher sur des pourparlers au Moyen-orient et sur la fin de la guerre du Vietnam, Kissinger allait recevoir… le prix Nobel de la paix ! Ce fut naturellement un véritable tollé qui allait même conduire à la démission de deux membres du prix Nobel (4)
Pour desserrer l’étau de cette offensive américaine très habile, le bloc soviétique allait riposter par des tentatives de déstabilisation en essayant de contrer la pression accrue du bloc occidental. Dans ce contexte, l’élection du « socialiste » Salvador Allende au Chili en 1973 allait être perçue comme une véritable menace pour Washington. L’assassinat d’Allende et le putsch aboutissant à l’arrivée du général Pinochet au pouvoir ont, pour le moins, été grandement favorisés (si ce n’est exécuté) par la CIA et la politique des États-unis. La contre-offensive américaine usait bel et bien de la terreur. La preuve en est qu’elle fermera totalement les yeux sur les tortures et les exécutions sommaires du nouveau régime chilien et de bien d’autres. Le rôle de Kissinger et son autorité sur la CIA, leurs soutiens aux nombreuses dictatures, font des années 1970 et 1980 sur ce plan des « années noires ».
La « realpolitik » de Kissinger est en réalité celle de tout le bloc occidental. Elle a contribué, par la ruse et la séduction, le mensonge, la dissimulation, la manipulation et la violence, à orchestrer les nombreux coups d’État, à organiser les bombardements massifs sur les civils, favorisant ainsi le terreau des épurations ethniques et des massacres. Tout cela, au nom de la « démocratie ».
Le plus ignoble est cette capacité de la bourgeoisie aujourd’hui à utiliser ses propres crimes passés pour alimenter encore la propagande démocratique afin de mystifier la classe ouvrière en tentant de dédouaner son propre système d’exploitation des destructions et massacres de masse. « Pour perpétuer sa domination sur la classe ouvrière, il est vital pour la bourgeoisie de maintenir en vie la mystification démocratique, et elle s’est servie et continue de se servir de la faillite définitive du stalinisme pour renforcer cette fiction. Contre ce mensonge d’une prétendue différence de nature entre “démocratie et totalitarisme”, toute l’histoire de la décadence du capitalisme nous montre que la démocratie s’est tout autant largement vautrée dans le sang que le totalitarisme, et que ses victimes se comptent par millions. Le prolétariat doit aussi se rappeler que jamais la bourgeoisie “démocratique” n’a hésité, pour défendre ses intérêts de classe ou ses sordides intérêts impérialistes, à soutenir et encenser les plus féroces dictateurs. Souvenons-nous du temps où les Blum, les Churchill, etc., appelaient Staline, “Monsieur Staline”, et où celui-ci était nommé “l’homme de la Libération” ! Plus près de nous, rappelons-nous du soutien apporté à S. Hussein ou encore à Ceausescu, félicité par De Gaulle et décoré par Giscard. La classe ouvrière doit faire sien le fait que la démocratie, hier, aujourd’hui, et plus encore demain, n’a jamais été et ne sera jamais autre chose que le masque hypocrite avec lequel la bourgeoisie recouvre le visage hideux de sa dictature de classe, pour mieux l’enchaîner et la réduire à merci ». (5)
Henry Kissinger a été un représentant typique de cette classe bourgeoise, séparant de manière radicale morale et politique : « un pays qui exige la perfection morale dans sa politique étrangère n’atteindra ni la perfection ni la sécurité » dira-t-il. Jusqu’à la fin de sa carrière officielle en 1977 et bien au-delà, Kissinger continuera à influencer la vie politique américaine, comme en témoignent ses soutiens ouverts à Reagan, ses conseils à Bush Jr. et à bien d’autres. En juillet dernier, âgé de 100 ans, il restait toujours influent et même en mesure de voyager. Il fut reçu par Xi Jinping en personne à Pékin, quelques mois seulement avant sa disparition.
WH, 10 décembre 2023
1 Le Watergate est une affaire d’espionnage politique avec écoutes qui aboutit, en 1974, à la démission du Président Richard Nixon.
2 Afin de cultiver la crainte chez les « Soviétiques », Kissinger laissait entendre habilement que Nixon pouvait être « incontrôlable », c’est-à-dire prêt à utiliser la bombe atomique à tout moment. Bref, un partage du travail dans lequel Kissinger passait pour le « gentil » et Nixon le « dangereux méchant ».
3 Cette politique visant à normaliser les relations avec l’Union soviétique était considéré avec méfiance par les Américains.
4 Le chanteur américain Tom Leher dira que « la satire politique est devenue obsolète depuis que Henry Kissinger a reçu le prix Nobel de la paix ». Françoise Giroud parlera d’un « prix Nobel de l’humour noir ».
5 « Souvenons-nous : les massacres et les crimes des “grandes démocraties” [6] », Revue internationale n° 66 (1991).
Dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 novembre, Thomas, 16 ans, a été mortellement touché par un coup de couteau à la suite d’une bagarre causée par un incident mineur (des réflexions au sujet d’une coiffure) qui a mal tourné à la fin d’un bal à Crépol (Drôme). Immédiatement, une réaction incendiaire d’une partie de l’extrême droite (hors RN) et de la droite, accusant des « étrangers » d’avoir commis ce crime.
Quelques jours plus tard, « des dizaines d’individus encagoulés se sont dirigés vers le quartier de la Monnaie, à Romans-sur-Isère (Drôme), une ville située à 15 km de Crépol, dans le but d’opérer une expédition punitive, aux cris de “justice pour Thomas”. Les auteurs et complices présumés du meurtre de Thomas seraient, en partie, originaires de cette cité » (Le Monde du 30 novembre).
Face à cela, on ne peut que noter les atermoiements et la cacophonie de la classe dominante. Par exemple, Eric Ciotti (Les Républicains) a d’abord refusé, dimanche, de condamner cette expédition punitive, avant de faire machine arrière, sous la pression du gouvernement, alors même qu’à ce jour, les investigations policières ne sont pas terminées et qu’il existe encore des inconnues quant au déroulement précis de la soirée qui a abouti à ce drame. De son côté, le gouvernement, tout cherchant à se donner une image de fermeté, a tenté d’apaiser la situation : « un proche du président de la République dénonce “la fable insensée” véhiculée par l’extrême-droite sur l’imminence d’une “guerre civile” ».
Ce drame intervient dans un contexte où l’accélération de la décomposition de la société capitaliste génère toujours plus de violence sociale, comme on a pu le mesurer encore récemment lors des émeutes à Dublin. Une violence qui s’est encore exacerbée un peu partout depuis le déclenchement de la guerre au Moyen-Orient, et qui vient gangrener le tissu social. De telles violences ne font à leur tour qu’aggraver le phénomène qui alimente la montée du populisme, les idéologies racistes d’extrême-droite et les théories délirantes sur le « grand remplacement ».
Fondamentalement, la bourgeoisie est impuissante, de plus en plus ballottée par une situation qui menace son ordre et tend à empoisonner sa vie politique. Pourquoi la bourgeoisie a-t-elle jeté autant d’huile sur le feu, depuis tant d’années à propos de l’Islam et de l’immigration ? Pour diviser la classe ouvrière, naturellement, mais aussi, initialement pour tenter d’instrumentaliser et de diaboliser l’extrême droite en vue de renforcer l’idéologie démocratique.
Or, aujourd’hui, le phénomène tend à échapper aux apprentis sorciers et inquiète. Une partie de la presse s’est ainsi montrée étonnamment prudente à la suite du Procureur de la République qui a initialement menti en affirmant qu’il est « faux d’affirmer que le groupe hostile serait composé d’individus tous originaires de la même ville et du même quartier ». Même Darmanin, pourtant habitué à la surenchère xénophobe, s’est déclaré « scandalisé » par les manifestations de l’extrême-droite et a menacé de dissoudre trois groupuscules. Tout comme Véran qui à dénoncer ces « factions d’ultradroite animées par la haine et le ressentiment ».
Pourquoi cette tentative de calmer la situation ? D’abord parce que le camp présidentiel est en train de se déchirer sur la nouvelle Loi Immigration et cette ambiance délétère ne fait que renforcer l’électorat du RN. Mais surtout, le rôle majeur de l’État, est de maintenir la cohésion de la société. Or la situation de crise politique qui affecte l’ensemble de la classe politique rend cette tache de plus en plus difficile et délicate. La fraction la plus lucide de la bourgeoisie, elle-même en partie déjà affectée, se rend compte que la situation est explosive, qu’il existe un risque de fragmentation sociale. Même Marine Le Pen a critiqué les propos incendiaires de Zemmour pour mieux se présenter en garante de la cohésion de la Nation, apte à diriger l’État.
Ce drame illustre bien, par ses conséquences, le processus de décomposition de la société capitaliste, au niveau mondial. Même si le fait d’instrumentaliser de tels drames et d’attiser les haines communautaires constitue un moyen de diviser les luttes des ouvriers et pourrir leur conscience, de tels phénomènes sont des produits de la décomposition du capitalisme qui ne fait que dégrader l’ensemble du corps social et ne sauraient être celui d’une simple volonté politique.
La bourgeoisie française se retrouve aujourd’hui coincée entre deux exigences : - d’une part, l’urgence de renforcer ses attaques contre la classe ouvrière pour résister à la crise économique qui ne cesse de s’aggraver, ce qui explique les campagnes de division, y compris racistes.
- d’autre part, il y a la nécessité de maintenir un minimum de cohésion sociale pour empêcher la société de sombrer dans un chaos (tel qu’on le voit, par exemple, en Amérique Latine) qui risquerait de bloquer encore plus toute l’activité politique et économique avec le danger d’une déstabilisation accrue.
Un autre facteur d’instabilité est la porosité de la jeunesse des « quartiers défavorisés » à la décomposition sociale ambiante, avec le risque à ce que les quartiers s’enflamment de nouveau à terme.
Les débats actuels concernant la nouvelle loi sur l’immigration à l’Assemblée nationale, au-delà des réelles querelles politiciennes, montrent les hésitations et l’impasse dans laquelle se trouve la bourgeoisie. Dans tous les cas, la situation ne pourra que se durcir pour les immigrés déjà largement criminalisés, sans que cela ne règle pour pourtant les contradictions croissantes au sein de la vie politique.
La bourgeoisie n’a pas intérêt à laisser le populisme se développer et gagner en influence de voix le RN pour les futures élections. Une victoire du RN aux élections ne pourrait que fragiliser davantage la bourgeoisie française et aggraverait une crise politique qui est en train, manifestement, de s’installer durablement.
L, 15 décembre 2023
Il y a huit ans, une nouvelle organisation au nom « prometteur » de Révolution Permanente, faisait son apparition au sein du courant trotskiste, avec pour vocation de s’inscrire « dans le projet plus large de redonner une vitalité aux idées marxistes et révolutionnaires, en démontrant qu’elles n’ont pas vocation à rester confinées dans les bibliothèques, les caves ou les musées, mais gardent au contraire toute leur actualité pour comprendre le monde dans lequel nous vivons et former de nouvelles générations militantes prêtes à le transformer ».
À quoi pouvait-on s’attendre de la part de ce nouveau groupe politique trotskiste si ce n’est qu’il assume une fonction anti-ouvrière au même titre que ses pairs qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, n’ont jamais manqué une occasion de trahir l’internationalisme prolétarien. Les partis de la Quatrième International avaient alors choisi le camp de l’impérialisme de l’URSS, face à d’autres impérialismes. 1
Quant à sa déclaration d’intention « en vue de revitaliser » les idées marxistes, s’agissant d’une organisation passée dans le camp de la bourgeoise2, on devait s’attendre à ce qu’elle soit plus dynamique que les autres chapelles trotskystes, à travers un langage parfois plus radical, dans son rôle de saboteur de la lutte et de la prise de conscience du prolétariat. S’il y a quelque chose qui change par rapport au NPA, dont elle est une scission, c’est effectivement qu’avec un langage plus radical et combatif que les « anti-capitalistes » elle pourra avoir un impact encore plus négatif sur les éléments qui s’éveillent à la politique révolutionnaire, comme on l’a vu dans les manifestations en France contre la réforme des retraites.
Le groupe Révolution Permanente se présente en France comme « une organisation politique révolutionnaire » mais « avec un point de vue assumé : du côté des travailleurs, de la jeunesse, des femmes, des personnes LGBT, des quartiers populaires et de tous les exploités et opprimés ». « Révolution Permanente s’inscrit dans le projet plus large de redonner une vitalité aux idées marxistes et révolutionnaires ». Le groupe appartient d’ailleurs à une « Fraction trotskyste pour la Quatrième Internationale3 », ce qui est clair : « … nous entendons contribuer aux débats au sein de l’extrême-Gauche nationale et internationale, dans le cadre de notre lutte pour reconstruire une internationale de la révolution socialiste, la IVe Internationale4 ». Quant à son nom, il fait référence à la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky.
Cette organisation se présente également comme faisant partie d’un « réseau international en 7 langues », qui regroupe plusieurs organisations basées dans certains pays d’Amérique du Sud et centrale, mais aussi aux États-Unis, en Italie, en Espagne et en Allemagne : « 15 journaux, 7 langues, la même voix ». Nous verrons qu’il y a quand même des nuances politiques entre ces organisations et qu’elles ne constituent aucunement une organisation internationale.
Le nouveau groupe a déjà gagné ses galons dans La lutte contre la réforme des retraites où il a été très présent.
Il a effectué au cours du mouvement de contestation de la réforme des retraites une intervention importante, dont nous avons mis en évidence la logique profonde : dans une intervention vidéo5, le candidat à la présidentielle et principal porte-voix de Révolution Permanente Anasse Kazib, se dit très « critique de l’intersyndicale et pour plusieurs raisons : la première et la plus importante, c’est parce que moi, je suis pour l’auto-organisation ; je suis pour que la grève appartienne aux grévistes, dans les assemblées générales, dans les coordinations de travailleurs, dans les rencontres interprofessionnelles » ; « intersyndicale n’est pas synonyme de victoire, au contraire, ça fait presque trente ans maintenant que le mouvement ouvrier perd systématiquement contre les réformes des gouvernements successifs » La conséquence devrait être simple : les syndicats, notamment quand ils sont unis, parce qu’ils ne permettent aucunement l’auto-organisation et de lutter victorieusement, sont en fait des outils de l’État pour saboter les luttes. Depuis longtemps déjà les syndicats sont devenus des obstacles à la lutte de classe, comme en avaient témoigné durant la révolution en Allemagne en 1919 les confrontations de la classe ouvrière à cet ultime rempart de l’ordre capitaliste et comme cela n’a cessé d’être confirmé depuis lors. En effet, ils ne peuvent échapper à leur absorption par l’État partout dans le monde. Leurs « méthodes de lutte » sont basées sur l’enfermement local et corporatiste de la lutte, non seulement ils ne permettent pas aux ouvriers de l’emporter, mais permettent à la bourgeoisie de les diviser et de détruire la principale force de la classe ouvrière : son unité.
Or par la bouche de son principal porte-voix, Révolution Permanente nous dit que « l’unité syndicale, c’est dans le combat, c’est dans la rue, c’est là où on montre l’unité syndicale, c’est lorsqu’on fait des tournées de piquets, qu’on montre qu’on est du côté des travailleurs, qu’on est opposé aux réquisitions, qu’on fait front avec les travailleurs devant les CRS pour empêcher les réquisitions. Mais mille fois oui à cette unité syndicale-là ! ».
Donc, d’un côté l’intersyndicale n’a jamais permis aux ouvriers de l’emporter, mais d’un autre côté il faut qu’elle montre qu’elle est du côté des travailleurs ! Révolution Permanente nous sert donc un discours d’apparence « critique » mais servant à masquer que l’intersyndicale ne peut qu’être un facteur de défaite systématique pour le mouvement. Autrement dit, en cachant soigneusement le fait que les syndicats sont des organes bourgeois totalement intégrés à l’appareil d’état. Elle renforce très clairement le localisme et le corporatisme dans la classe ouvrière par une série d’articles sur des luttes locales, sans jamais chercher à faire le lien entre elles : à Brest, à Toulouse, à Vulaines sur Seine, à Châtillon… La confusion orchestrée, la contradiction dans les discours ne permettent aucunement aux ouvriers en lutte de comprendre qui sont leurs véritables ennemis, que leur lutte ne peut l’emporter que par l’unité et le combat contre les diviseurs syndicaux, et de fait contribue à détruire l’unité dont le mouvement a besoin pour l’emporter. Le soutien aux caisses de grève locales6 renforce d’ailleurs clairement l’isolement des luttes et les mystifications syndicales. Il n’est d’ailleurs dans ce discours jamais question d’unité et d’autonomie de la classe ouvrière, seulement de l’unité syndicale. Révolution Permanente n’a donc aucunement pour but de faire triompher les luttes, mais plutôt de renforcer les forces d’encadrement syndicales par la division en amplifiant la difficulté pour les ouvriers de s’auto-organiser en-dehors et contre les syndicats. Comme le font déjà tous les groupes trotskystes, ajouterons-nous.
Le fait de présenter un candidat à l’élection présidentielle française, de constamment chercher à soutenir des candidats aux élections partout où elle est présente fait déjà de Révolution Permanente un solide défenseur de la démocratie bourgeoise7. Mais cela va plus loin : ce groupe défend bec et ongles une vision politique profondément démocratique, notamment par son soutien à l’antifascisme8 et par la dénonciation des pratiques « antidémocratiques » de Macron et de ses soutiens politiques. Dans un article de mai dernier Révolution Permanente se plaint que la bourgeoisie utilise son Parlement pour… faire passer des lois anti-ouvrières ! « A n’en pas douter, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet est tout aussi préoccupée que ses collègues macronistes par la nouvelle crise parlementaire qui l’attend le 8 juin. Mais elle est sans doute beaucoup plus lucide sur le caractère explosif des outils antidémocratiques que mobilise le régime pour faire passer en force ses mesures antisociales.9 » A aucun moment n’est invoqué ce que Lénine écrivait sur la démocratie bourgeoise : « La croissance du mouvement révolutionnaire prolétarien dans tous les pays suscite les efforts convulsifs de la bourgeoisie et des agents qu’elle possède dans les organisations ouvrières pour découvrir les arguments philosophico-politiques capables de servir à la défense de la domination des exploiteurs. La condamnation de la dictature et la défense de la démocratie figurent au nombre de ces arguments. Le mensonge et l’hypocrisie d’un tel argument répété à satiété dans la presse capitaliste et à la conférence de l’Internationale jaune de Berne en février 1919 sont évidents pour tous ceux qui ne tentent pas de trahir les principes fondamentaux du socialisme ». Effectivement, les « efforts convulsifs » de Révolution Permanente pour essayer de nous faire avaler que le Parlement serait un lieu de lutte pour la classe ouvrière montrent clairement le caractère profondément bourgeois de cette organisation. Et cette démonstration, Lénine la poursuite de façon implacable : « Tous les socialistes en démontrant le caractère de classe de la civilisation bourgeoise, de la démocratie bourgeoise, du parlementarisme bourgeois, ont exprimé cette idée déjà formulée, avec le maximum d’exactitude scientifique par Marx et Engels que la plus démocratique des républiques bourgeoises ne saurait être autre chose qu’une machine à opprimer la classe ouvrière à la merci de la bourgeoisie, la masse des travailleurs à la merci d’une poignée de capitalistes.10 » Révolution Permanente passe délibérément sous silence cette leçon authentique et précieuse des révolutionnaires du passé… et ce n’est donc pas par hasard.
Dans un article publié sur son site où elle critique les positions prises par le NPA sur la guerre en Ukraine, Révolution Permanente nous dévoile sa vision des rapports impérialistes ; en critiquant la prise de position claire et nette du NPA qui s’est engagé dans la défense de l’impérialisme ukrainien, allié à un certain nombre de pays dont les États-Unis, Révolution Permanente se donne une apparence d’internationalisme prolétarien : c’est une « guerre réactionnaire », et « Contrairement aux regroupements de cette « gauche » pro-impérialiste, il y a urgence à commencer à regrouper les forces qui s’opposent à la guerre et qui dénoncent aussi bien le Kremlin que l’OTAN d’un point de vue de classe.11 »
Une organisation prolétarienne ne saurait mieux dire. Là où ça se gâte, c’est lorsque Révolution Permanente nous explique pourquoi elle ne soutient pas l’Ukraine ou le Kremlin dans ce conflit : « Le conflit en Ukraine n’est en effet pas comparable à ceux de la guerre d’Algérie, du Vietnam ou d’autres guerres anticoloniales et anti-impérialistes, car ce qui se joue en Ukraine ne se réduit pas juste à un affrontement entre Kiev et Moscou.12 » Pour Révolution Permanente, il y a donc lieu de soutenir un conflit guerrier qui est une « guerre anticoloniale et anti-impérialiste », et la guerre d’Algérie, celle du Vietnam ou la Guerre d’Espagne en faisaient donc logiquement partie selon elle.
Sauf que tous les conflits de décolonisation dont nous parle Révolution Permanente ont tous été des conflits de nature impérialiste . Ils ne se sont jamais réduits à un affrontement entre la métropole et sa colonie, l’implication d’autres puissances dans ceux-ci a toujours été une réalité. En quoi la guerre d’Algérie, où le FLN était soutenu à la fois par les États-Unis et l’URSS contre la vieille puissance coloniale française, ou la Guerre du Vietnam, conflit de la Guerre froide à part entière avec la participation de l’URSS et de la Chine contre les États-Unis, ont-ils été « anti-impérialistes » ? On ne le saura pas, *** la démonstration de Révolution Permanente s’arrête là. Ces conflits ont tous été des moments de l’affrontement des blocs impérialistes rivaux de la Guerre froide, le Viêt-Cong n’ayant jamais eu la capacité à lui seul d’affronter et la France et les États-Unis. De la même façon, le conflit en Algérie a surtout montré que les deux superpuissances s’étaient circonstanciellement alliées contre la France, en fournissant une aide militaire et surtout diplomatique au FLN et à ses soutiens : l’épisode de l’expédition de Suez est assez parlante à ce sujet. Quant à la Guerre d’Espagne, l’implication des grandes puissances de l’époque pour soutenir l’un ou l’autre des deux camps en présence ne permet aucun doute sur le caractère impérialiste de cet épisode, avec la lamentable trahison de l’internationalisme prolétarien par les Trotskystes à travers la défense de l’État capitaliste républicain.
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, Révolution Permanente nous indique très clairement qu’il s’agit d’un conflit qui sert à « affaiblir la Russie (mais aussi la Chine dont la Russie est devenue le principal allié) et préserver l’ordre mondial dominé par les États-Unis. » La différence avec la guerre du Vietnam ne saute pas aux yeux à première vue, et pour tout dire la vision de Révolution Permanente d’une « guerre de libération nationale » non plus…
Le dit « droit à l’autodétermination », qui permettrait selon Révolution Permanente de faire la différence entre une guerre impérialiste et une lutte nationale contre la domination coloniale, est une idée fausse et dangereuse, bourgeoise. Si l’idée de « libération nationale »a pu être soutenue par le mouvement ouvrier, comme lors du « Printemps des peuples » en 1848/49 – au cours duquel F. Engels lui-même s’est engagé dans les combats d’Elberfeld pour l’unité allemande –, c’est uniquement dans le cadre de la phase d’ascendance du capitalisme, pour un mouvement possiblement progressiste à l’époque.. Mais cette idée de « l’autodétermination nationale », si elle a existé dans la Seconde Internationale, a été fermement combattue par toute une partie de la Gauche, notamment par Rosa Luxemburg, qui la première a montré les fondements réels de l’impérialisme dans le déclin historique du capitalisme.
Contrairement à ce que tout le mouvement trotskyste peut nous dire aujourd’hui, l’impérialisme n’est pas une caractéristique particulière à une nation, c’est – comme l’écrivait Lénine – le stade où en est arrivé l’ensemble du capitalisme depuis un siècle. Ainsi que l’expliquait Rosa Luxemburg, dans L’accumulation du Capital, aucun Capital national ne saurait se soustraire aux conditions générales du monde capitaliste. .. Dans la période actuelle le nationalisme, idéologie propre à la bourgeoisie, permet de justifier ces luttes incessantes entre bourgeoisies, qui ne concernent aucunement le prolétariat : « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas13 », comme le disait déjà le Manifeste communiste de Marx et Engels, en… 1847 !
Toutes les nations sont impérialistes, dans un monde où il ne peut en être autrement. L’impérialisme, c’est la défense de ses intérêts propres par une bourgeoisie nationale, Face à l’impasse économique mondiale, à l’exacerbation des contradictions à tous les niveaux, chaque état national est poussée dans la fuite en avant dans le militarisme et la guerre. Ce monde de requins, Révolution Permanente le partage, même si de manière masquée, et pour cela nie son existence.
Pour expliquer sa vision de l’impérialisme, on peut se tourner vers le « réseau international » de Révolution Permanente, par exemple le groupe allemand Klasse gegen Klasse, qui publie un texte posant clairement la question : la Russie est-elle impérialiste ?14 L’article ayant été écrit par un Américain qui défend pêle-mêle Cuba, le Venezuela et le Nicaragua contre « l’impérialisme », on sait à quoi s’en tenir sur la réponse. Klasse gegen Klasse dit ne pas partager toutes les conclusions de l’article, mais le publie quand même parce que « l’argument de base sur la question de l’impérialisme russe reste définitivement intéressant pour nos lecteurs. » En gros, KgK ne souhaite pas aller aussi loin que l’auteur, mais partage son argumentation initiale : la Russie n’est pas impérialiste.
A l’appui de cette idée, dans un article de « débat »15, Révolution Permanente développe que la Russie est fondamentalement une nation dominée, et par conséquent ne serait pas impérialiste : en fait, pour Révolution Permanente, « si certaines caractéristiques de l’État russe créent l’« illusion d’une superpuissance », elles masquent une situation en réalité très subordonnée de la Russie. » « … la Russie [agit] comme une sorte d’« impérialisme militaire » (bien qu’elle ne soit pas un pays impérialiste au sens précis du terme : elle n’a pas de projection internationale significative de ses monopoles et de ses exportations de capitaux ; elle exporte essentiellement du gaz, du pétrole et des matières premières) ». Cet article ignore d’une part que l’impérialisme n’est pas une question purement économique, concernant un pays ou un autre, mais l’ensemble du système capitaliste, et son auteur passe également sous silence, de façon intéressée, que la Russie est aussi… le second exportateur d’armes du monde. L’impérialisme n’est pas spécifiquement lié à l’exportation de capitaux, ni au fait qu’un État est plus faible que d’autres, il est la a conséquence inéluctable du développement du mode de production capitaliste au sein duquel chaque bourgeoisie n’a d’autre issue, sous peine de disparition, que la défense acharnée de ses intérêts et donc de son existence face aux rivalités économique et militaires mondiales. Et par conséquent, contrairement à ce qu’affirme plus ou moins clairement Révolution Permanente, la Russie est aussi impérialiste que ses opposants de l’OTAN. Ses interventions militaires en Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine, en Syrie et ailleurs le montrent amplement.
On peut d’ailleurs constater que la position de Révolution Permanente sur la guerre en Ukraine est une merveille d’ambiguïté à des fins d’enfumage ; dans un article portant une critique apparemment très dure à la position du NPA16, et qui n’accole jamais le terme « impérialiste » à la Russie, cette organisation affirme qu’elle considère « que la seule issue progressiste dans cette guerre ne peut venir que de la main de la classe ouvrière, mobilisée de façon totalement indépendante de Poutine, mais aussi du gouvernement Zelensky, des oligarques ukrainiens et des impérialistes de l’OTAN. Cela signifie que la seule façon pour l’Ukraine de retrouver une véritable auto-détermination nationale c’est à travers la révolution ouvrière et socialiste, qui pose les bases de la création d’une Ukraine socialiste et véritablement indépendante. Dans le cadre du capitalisme semi-colonial, il est impensable que l’Ukraine puisse être indépendante réellement de la Russie ou des impérialistes occidentaux. »
D’une part, on peut demander ce qu’est une « véritable auto-détermination nationale » ; le but des communistes n’est pas et n’a jamais été de créer de nouvelles nations qui permettent de diviser encore un peu plus la classe ouvrière mondiale.
D’autre part si d’un côté Révolution Permanente nous dit appeler de ses vœux une révolution ouvrière contre la guerre, et que « cette tâche ne peut pas reposer seulement sur le dos de la classe ouvrière ukrainienne. Ses premiers alliés sont les travailleurs et travailleuses de Russie », elle n’appelle nulle part au renversement de l’État russe, ni à un combat commun contre la bourgeoisie. On touche là le cœur de la réflexion de nos Trotskystes, bien digne de ce que leurs ancêtres faisaient pendant la Seconde Guerre mondiale : appeler les prolétaires allemands à se soulever contre les Nazis, oui ; faire la même chose du côté russe en appelant les prolétaires à renverser l’État soviétique, non. Et on voit que la longue habitude des Trotskystes de toujours chercher un camp à défendre dans une guerre impérialiste, y compris en nous affirmant le contraire, a encore de beaux jours devant elle…
Si la position de Révolution Permanente sur la guerre en Ukraine peut donner l’illusion d’être prolétarienne et internationaliste, le retour du conflit proche-oriental sur le devant de la scène mondiale donne à cette organisation l’occasion de se démasquer en se vautrant dans une défense claire et nette du nationalisme palestinien.
« Free Gaza17 », « Des syndicalistes anglais bloquent une usine d’armement israélienne : workers for a free Palestine18 », « Amplifions le soutien à la Palestine, tous dans la rue à Paris samedi !19», les titres des articles sur la question ne laissent aucun doute sur le soutien de Révolution Permanente à la « cause », nationale palestinienne. L’élément structurant de sa position est le soi-disant « droit à l’autodétermination du peuple palestinien »..
Surtout, Révolution Permanente montre clairement sa nature bourgeoise. Elle appelle « internationalisme » la « solidarité » avec un État palestinien qui est déjà une machine de répression contre les exploités, et qui possède proportionnellement la plus forte proportion de flics par rapport à sa population totale ! Et on doit ajouter que, de toute façon, le prolétariat palestinien de Gaza se trouve déjà sous le joug des Islamistes du Hamas, et quoi que puissent objecter les soutiens de la « cause palestinienne », ils soutiennent la répugnante oppression religieuse menée par le Hamas à Gaza, et celle des Staliniens de l’OLP en Cisjordanie. Cela n’a rien à voir avec l’internationalisme prolétarien, qui en 1914 a été porté haut par le Parti socialiste serbe, lequel a refusé de participer à l’Union sacrée contre l’offensive de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie, et par Trotsky, pourchassé sur tous les continents pour avoir dénoncé la guerre impérialiste.
Ce que les communistes appellent internationalisme s’appuie sur l’unité de la classe ouvrière face à ses exploiteurs, quelle que soit leur nationalité. Nous, Communistes internationalistes, appelons le prolétariat israélien ET palestinien à se soulever contre la logique de guerre et à combattre les États israélien ET palestinien, c’est-à-dire refuser l’Union sacrée.
HG, le 30 octobre 2023
1Lire notre article « Le trotskisme et la deuxième guerre mondiale [18] »
2Lire notre brochure Le trotskysme contre la classe ouvrière [19]
7Lire par exemple https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-Avec-Cristian-Castillo-la-... [24]
8https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-voter-pour-un-peroniste-de-droite-pour-faire-barrage-a-l-extreme-droite [25]. Voir aussi https://www.revolutionpermanente.fr/Brest-10-ans-apres-la-mort-de-Clemen... [26]
12Ibid.
16https://www.revolutionpermanente.fr/Guerre-en-Ukraine-Le-NPA-a-la-remorque-de-la-gauche-pro-OTAN [29]. Il peut être utile de rappeler que le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) est l’organisation dont Révolution Permanente a été exclue.
Le glyphosate est un herbicide très efficace. C’est le désherbant le plus vendu au monde; pulvérisé chaque année sur des millions d’hectares, son utilisation a été environ multipliée par cent dans le monde en quarante ans. Mais le glyphosate est classé depuis le 20 mars 2015 comme probablement cancérigène par le Centre international sur le cancer (CIRC) qui regroupe de nombreuses études indépendantes et, entre autres, celles de l’INSERM. Pour sa part, l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) conclue (sans surprise) que le produit est sans danger s’il est utilisé « normalement » tout en reconnaissant des lacunes dans les analyses sur les effets délétères potentiels sur les écosystèmes.
Les études d’impact sont biaisées et ne portent que sur le seul glyphosate, alors qu’il est toujours utilisé avec des additifs. En 2023, une étude du CNRS alertait sur la responsabilité des pesticides dans la disparition des oiseaux en Europe qui ont perdu 60 % de leur population en à peine quarante ans, de même que sur la biodiversité des sols. Monsanto, qui produit le Roundup, a répliqué en faisant rédiger des articles favorables, signés par des chercheurs de renom qui se sont ensuite répandus et amplifiés sur les réseaux sociaux, tout en exerçant de fortes pressions sur les scientifiques… et notamment ceux du CIRC. Cette pratique a été révélée par les Monsanto papers.
Cette molécule de synthèse a accompagné le développement de l’agriculture intensive, en favorisant les productions à moindre coût sur des surfaces gigantesques et le glyphosate est l’un 1500 pesticides utilisés dans le monde (450 en Europe). C’est donc l’un des piliers de la production agricole capitaliste dans le monde soumis à une âpre concurrence sur le marché mondial, ce qui éclaire la décision de la Commission européenne, elle-même un haut lieu de la concurrence infra-européenne, de reconduire l’usage du glyphosate pour 10 ans. Les États membres n’étaient pas parvenus à la majorité qualifiée pour moduler le texte initial (par exemple une durée de sept ans) mais l’écrasante majorité étaient d’accord sur la reconduction : le texte a donc été reconduit en l’état, ce qui satisfait tout le monde.
En réalité, on comprend bien que, pour toutes les puissances agricoles dont la France, malgré les intentions démagogiques affichées en 2017 avec Nicolas Hulot comme ministre de l’Écologie, il n’est pas question de renoncer à ce pesticide aussi efficace que controversé, en dépit des risques sanitaires, tant qu’il n’existe pas de solution alternative, selon les mots du gouvernement. La France, voulant ménager les sensibilités écologiques à l’approche des élections européennes, s’est abstenue, prétendant hypocritement que cela équivalait voter contre !
En fait, il y a des alternatives, par exemple mécaniques, mais qui ne font pas le poids comme il transparaît dans le propos d’un agronome : « Ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les très grosses exploitations […] Elles ont construit des systèmes très cohérents, conçus dans une extrême dépendance au glyphosate », dont l’utilisation est bien plus rapide et économique que la combinaison d’autres méthodes, qui nécessitent plus de main-d’œuvre et de temps, et donc en ce sens, il n’y a pas d’alternative. Face à la logique capitaliste implacable à laquelle se conforme l’Union Européenne comme l’ensemble des principales puissances agricoles, l’alternative mécanique est inadaptée au marché mondial où la production agricole intensive de l’Europe tient les premiers rangs.
Cette décision a provoqué une large indignation légitime, d’une part, et les protestations hypocrites de la gauche. Tous à gauche citent d’abord la promesse démagogique d’Emmanuel Macron en 2017 d’interdire l’herbicide dans les trois ans… mais elles font rarement référence aux enjeux de la concurrence mondiale et préfèrent montrer du doigt l’influence, selon eux, déterminante des lobbies de l’industrie chimique et de l’agriculture dans cette décision qui est un vieux refrain pratique pour ne pas aller au fond du problème. Ainsi Manuel Bompart (LFI) déclarait : « Le travail de lobbying de ce grand groupe Bayard Monsanto a porté ses fruits » ou encore « Tout le monde sait que les lobbies des pesticides au niveau européen utilisent des moyens financiers considérables pour peser sur les décisions politiques ».
Dans notre article « Derrière les lob [36]bies, la main bien visible du capitalisme d’État [36] », nous disions que « présents à tous les niveaux de la sphère politique, les lobbies font partie de la défense de chaque capital national, dont l’État est le garant ». La gauche présente les lobbies comme des entités « extérieures » à l’État. En réalité, ils font partie intégrante du capitalisme d’État. Il n’y a qu’à voir la pléthore de capitalistes qui accompagne les chefs d’État en voyage quand des contrats économiques majeurs sont en jeux. Présenter mensongèrement les États comme des entités « neutres », qui pourraient échapper à la « logique libérale » des patrons et des lobbies, est le fonds de commerce de l’idéologique démocratique en général et des gauchistes en particulier. Il est en réalité le principal administrateur du capital national et entretient de ce fait, des rapports très étroits avec les entreprises.
La France s’est alignée sur la FNSEA nous dit-on, mais depuis quand les intérêts respectifs devraient diverger ou du moins dans quel monde ? Pour Lutte Ouvrière : « Tant que les industriels contrôleront la production, avec le soutien des États à plat ventre devant les intérêts des capitalistes, la santé passera après les profits ». C’est une vision mensongère de l’État, faible et lâche, qui induit là-aussi une séparation entre l’État et le capitalisme, alors que depuis l’apparition du capitalisme d’État, précisément, lors de la Première Guerre mondiale et la période de décadence, l’État contrôle toute la vie sociale et seul celui-ci peut prendre en main l’économie nationale de façon globale et centralisée et atténuer la concurrence interne qui l’affaiblit afin de renforcer sa capacité, à affronter comme un tout la concurrence entre nations sur le marché mondial.
Ce que ne veulent pas dire toutes les officines de gauche ou gauchistes, c’est que les États et leurs industriels ne peuvent pas faire autrement que défendre leurs intérêts face à la concurrence mondiale acharnée dans ce secteur stratégique comme dans bien d’autres. Leurs assertions sur les intérêts des lobbies ou les profits des multinationales ne sont des écrans de fumée visant à cacher que le problème mettant en danger la santé humaine, c’est le capitalisme lui-même.
Luc, 19 décembre 2023
Après deux ans de conflit en Ukraine sur fond de rivalité sino-américaine et face aux risques d’extension de la guerre au Moyen-Orient, la crainte d’un nouveau conflit mondial s’accroît. Les conditions d’un tel conflit sont-elles réunies ? Assiste-t-on la constitution de nouveaux blocs impérialistes ? Le prolétariat est-il prêt à se laisser embrigader massivement dans un conflit mondial ?
Afin de discuter de ces questions, le CCI organise des réunions publiques, partout où il est présent, en France et dans le monde. Ces réunions sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.
- Paris : samedi 20 janvier de 15h à 18h, CICP, 21ter rue Voltaire, 75011 Paris, métro "Rue des Boulets"
Le premier volet de cet article[1] a décrit la montée en puissance de l’impérialisme américain, qui devient dans la phase de décadence du capitalisme l’impérialisme dominant, leader du bloc occidental qui finit par triompher du bloc concurrent, le bloc soviétique, à la fin des années 1980. Dans l’introduction de cette première partie, il était déjà souligné que « L'effondrement du bloc de l'Est marque le début d'une phase terminale dans l'évolution du capitalisme : la décomposition sociale », qui va accélérer non seulement l’enfoncement du système bourgeois dans le chaos et la barbarie, mais va entraîner par la même occasion le déclin du leadership américain. Le deuxième volet de cet article se centrera précisément sur la mise en évidence de ce processus qui débute dans les années 1990 : « En 30 ans de pourrissement de la société bourgeoise, les États-Unis sont devenus un facteur d'aggravation du chaos, leur leadership mondial ne sera pas récupéré, peu importe que l'équipe Biden le proclame dans ses discours, ce n'est pas une question de souhaits, ce sont les caractéristiques de cette phase finale du capitalisme qui déterminent le cours des tendances et l'abîme vers lequel le capitalisme nous mène si le prolétariat n'y mettait pas fin par la révolution communiste mondiale »[2].
L’implosion du bloc de l’Est marque l’ouverture de la période de décomposition du capitalisme, une période où s’accélère dramatiquement la débandade des différentes composantes du corps social dans le « chacun pour soi », l’enfoncement dans le chaos. S'il est un domaine où s'est immédiatement confirmée cette tendance, c’est bien celui des tensions impérialistes : « La fin de la "guerre froide" et la disparition des blocs n'a donc fait qu'exacerber le déchaînement des antagonismes impérialistes propres à la décadence capitaliste et qu'aggraver de façon qualitativement nouvelle le chaos sanglant dans lequel s'enfonce toute la société (...) »[3].
De fait, la totale désagrégation de bloc soviétique mène aussi à l’implosion de l’Union soviétique elle-même, mais elle entraine en corolaire le délitement du bloc US concurrent. Le texte d’orientation « Militarisme et décomposition [39] »[4] examine quel est l’impact de l’entrée du capitalisme décadent dans sa période de décomposition pour le déploiement de l’impérialisme et du militarisme. Il met d’emblée en évidence que la disparition des blocs ne remet pas en cause la réalité de l’impérialisme et du militarisme. Au contraire, ceux-ci deviennent plus barbares et chaotiques : « En effet, ce n'est pas la constitution de blocs impérialistes qui se trouve à l'origine du militarisme et de l'impérialisme. C'est tout le contraire qui est vrai : la constitution des blocs n'est que la conséquence extrême (qui, à un certain moment peut aggraver les causes elles-mêmes), une manifestation (qui n'est pas nécessairement la seule) de l'enfoncement du capitalisme décadent dans le militarisme et la guerre. (…) la fin des blocs ne fait qu'ouvrir la porte à une forme encore plus barbare, aberrante et chaotique de l'impérialisme »[5].
Cette exacerbation de la barbarie guerrière s’exprimera plus concrètement par le biais de deux tendances majeures, qui marqueront le développement de l’impérialisme et du militarisme pendant ces trois dernières décennies :
De fait, face à cette tendance historique prédominante au chacun pour soi, les États-Unis, seule superpuissance subsistante, vont mener une politique visant à contrecarrer cette tendance et à maintenir leur statut déclinant en exploitant en particulier leur supériorité militaire écrasante pour imposer leur leadership sur le monde et en particulier sur leurs « alliés » : "Confirmed as the only remaining superpower, the USA would do everything in its power to ensure that no new superpower - in reality no new imperialist bloc - could arise to challenge its 'New World Order'"[8]. Ainsi, l’histoire des 35 dernières années est caractérisée non seulement par une explosion du « chacun pour soi », mais aussi par les tentatives continuelles de la part des États-Unis de maintenir leur position hégémonique dans le monde et de contrer le déclin inévitable de leur leadership. Ces initiatives incessantes des États-Unis pour maintenir leur leadership face à des menaces qui surgissent de toute part ne feront cependant qu’accentuer le chaos et la plongée dans le militarisme et la barbarie, dont Washington est en fin de compte l’instigateur principal. De plus, ces initiatives feront apparaître des dissensions internes au sein de la bourgeoisie américaine sur la politique à mener, qui s’accentueront avec le temps.
Face à la disparition des blocs et à l’intensification du chaos, le président des États-Unis, Georges W. Bush senior suscite l’invasion du Kuweit par les forces irakiennes, afin de permettre à Washington de mobiliser une large coalition militaire internationale autour des USA pour « punir » Saddam Hussein.
2.1. La première guerre du Golfe vise à contrer la montée du « désordre mondial »
La 1ère guerre du golfe (1991) vise en réalité à faire un « exemple » : face à un monde de plus en plus gagné par le chaos et le « chacun pour soi », le gendarme mondial américain veut imposer un minimum d'ordre et de discipline, en premier lieu aux pays les plus importants de l'ex-bloc occidental. La seule superpuissance qui se soit maintenue veut imposer à la « communauté internationale » un « nouvel ordre mondial » sous son égide, parce que c'est la seule qui en ait les moyens mais aussi parce que c'est le pays qui a le plus à perdre dans le désordre mondial : " En 1992, Washington adopte consciemment une orientation très claire pour sa politique impérialiste dans la période d’après-guerre froide, à savoir une politique basée sur "l'engagement fondamental de maintenir un monde unipolaire dans lequel les États-Unis n'aient pas d'égal. Il ne sera permis à aucune coalition de grandes puissances d'atteindre une hégémonie sans les États-Unis" (prof. G. J. Ikenberry, Foreign Affairs, sept-oct. 2002). Cette politique vise à empêcher l’émergence de toute puissance en Europe ou en Asie qui puisse remettre en cause la suprématie américaine et jouer le rôle de pôle de regroupement pour la formation d’un nouveau bloc impérialiste. Cette orientation, initialement formulée dans un document de 1992 (1992 Defense Planning Guidance Policy Statement) rédigé par Rumsfeld, durant la dernière année du premier mandat Bush, établit clairement cette nouvelle grande stratégie"[9].
En vérité, la politique de Bush senior, loin de faire entrer la planète dans un « nouvel ordre mondial » sous la supervision de Washington, ne représente qu’une tentative désespérée des États-Unis de contenir l’expansion foudroyante du « chacun pour soi » ; elle va fondamentalement aboutir à une accentuation du chaos et des confrontations guerrière : six mois seulement après la guerre du Golfe, l'explosion de la guerre en Yougoslavie, venait déjà confirmer que le "nouvel ordre mondial" ne serait pas dominé par les Américains, mais par le « chacun pour soi » rampant.
La guerre civile sanglante résultant de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie (1995-2001) voit se manifester et s’opposer les appétits impérialistes des différents « alliés de l’ex-bloc américain : la France et l’Angleterre soutiennent la Serbie, l’Allemagne la Croatie et la Turquie la Bosnie : « 6) Le conflit dans l’ex-Yougoslavie, enfin, vient confirmer une des autres caractéristiques majeures de la situation mondiale : les limites de l'efficacité de l'opération « Tempête du Désert » de 1991 destinée à affirmer le leadership des États-Unis sur le monde. Comme le CCI l'a affirmé à l'époque, cette opération de grande envergure n'avait pas comme principale cible le régime de Saddam Hussein ni même les autres pays de la périphérie qui auraient pu être tentés d'imiter l'Irak. Pour les États-Unis, ce qu'il s'agissait avant tout d'affirmer et de rappeler, c'était son rôle de « gendarme du monde » face aux convulsions découlant de l'effondrement du bloc russe et particulièrement d'obtenir l'obéissance de la part des autres puissances occidentales qui, avec la fin de la menace venue de l'Est, se sentaient pousser des ailes. Quelques mois à peine après la guerre du Golfe, le début des affrontements en Yougoslavie est venu illustrer le fait que ces mêmes puissances, et particulièrement l'Allemagne, étaient bien déterminées à faire prévaloir leurs intérêts impérialistes au détriment de ceux des États-Unis »[10]. Finalement, c’est en enserrant de façon croissante l'ensemble du monde dans le corset d'acier du militarisme et de la barbarie guerrière, en intervenant militairement, d’abord aux côtés de la Croatie, puis de la Bosnie contre la Serbie, que le président Clinton va contrer les appétits impérialistes des pays européens en imposant sous son autorité la « pax americana » dans la région (accords de Dayton, déc. 1995).
L’opération « Tempête du désert », loin d’avoir réprimé la contestation du leadership US et les divers appétits impérialistes, a exacerbé la polarisation. Ainsi, les moudjahidines qui combattaient les russes en Afghanistan s’élèvent contre les « croisés » US (constitution de Al-Qaïda sous la direction de Osama bin Laden) et s’inspirent de l’échec de l’intervention américaine en Somalie (opération "Restore Hope" de 1993 à 1994) pour entamer dès la fin 1998 une campagne d’attentats djihadistes anti-américains. Après l’échec de son armée lors de l’invasion du Sud-Liban, la droite israélienne dure monte au pouvoir en 1996 (1er gouvernement Netanyahu) contre la volonté du gouvernement américain qui soutenait Shimon Peres, laquelle droite fera tout à partir d’alors pour saboter le processus de paix avec les Palestiniens (les accords Israélo-palestiniens d’Oslo), qui constituait un des plus beaux succès de la diplomatie de Washington dans la région. Enfin, le massacre de centaines de milliers de Tutsis et de Hutus en 1994 au Rwanda lors de la guerre entre clans locaux, soutenus chacun par des impérialismes occidentaux, exprime de manière dramatique à quoi mène l’intensification du « chacun pour soi » impérialiste.
Une des expressions les plus manifestes de la contestation du leadership américain est l'échec lamentable en février 1998 de l'opération « Tonnerre du désert », qui visait à infliger une nouvelle « punition » à l'Irak et, au-delà de ce pays, aux puissances qui la soutiennent en sous-main, notamment la France et la Russie. Les entraves posées par Saddam Hussein à la visite des « sites présidentiels » par des inspecteurs internationaux ont conduit la superpuissance à une nouvelle tentative d'affirmer son autorité par la force des armes. Mais cette fois-ci, contrairement au lancement de missiles sur l’Irak qu’elle imposa encore en 1996, elle a dû renoncer à son entreprise face à l'opposition résolue de la presque totalité des États arabes, de la plupart des grandes puissances et au soutien (timide) de la seule Grande-Bretagne. Le contraste entre la « Tempête du désert » et le « Tonnerre » du même nom met en évidence l’approfondissement de la crise du leadership des États-Unis. Bien sûr, Washington n'a nul besoin de la permission de quiconque pour frapper quand et où il le veut (ce qu’il a d’ailleurs fait fin 1998 au moyen de l’opération "Renard du Désert"). Mais en menant une telle politique, les états-Unis se placent précisément à la tête d'une tendance qu'ils veulent contrer, celle du chacun pour soi, alors qu’ils avaient momentanément réussi à l’éviter durant la guerre du Golfe. Pire encore : pour la première fois depuis la fin de la guerre du Vietnam, la bourgeoisie américaine (les partis Républicain et Démocrate) s'est montrée incapable de présenter un front uni vers l'extérieur, alors qu'elle était en situation de guerre.
L’érosion de la capacité de la bourgeoisie américaine à gérer adéquatement le jeu politique se manifeste à la fin de la "guerre froide" et à l’entrée dans la période de décomposition du capitalisme, au début des années 1990, en particulier à travers la candidature « indépendante » de Ross Perot en ’92 et en ’96. " Cette tendance générale à la perte de contrôle par la bourgeoisie de la conduite de sa politique, si elle constitue un des facteurs de premier plan de l'effondrement du bloc de l'Est, ne pourra que se trouver encore accentuée avec cet effondrement, du fait:
Cette tendance à la perte de contrôle du jeu politique s’exprimera ouvertement en 1998, en pleine opération "Renard du Désert". Pour la première fois depuis la fin de la guerre du Vietnam, la bourgeoisie américaine va se montrer incapable de présenter un front uni vers l'extérieur, alors qu'elle est en situation de guerre. Au contraire, la procédure d'« impeachment » contre Clinton, intensifiée durant les événements, met en évidence combien les politiciens américains, plongés dans un véritable conflit interne, au lieu de désavouer la propagande des ennemis de l'Amérique selon laquelle Clinton avait pris la décision d'intervenir militairement en Irak à cause de motivations personnelles (le "Monicagate"), y ont apporté leur crédit.
La résolution du congrès de RI en 1998, après l’échec de l’opération « Tonnerre du désert », était prémonitoire : « Si les États-Unis n'ont pas eu l'occasion, au cours de la dernière période, d'employer la force de leurs armes et de participer directement à ce « chaos sanglant », cela ne peut être que partie remise, dans la mesure, notamment, où ils ne pourront pas rester sur l'échec diplomatique essuyé en Irak »[12].
Avec la venue au pouvoir de Georges W. Bush junior et de son équipe de « néoconservateurs » (le vice-président D. Cheney, le secrétaire à la défense D. Rumsfeld, son adjoint Paul Wolfowitz et J. Bolton), Washington concentre son attention sur les « États voyous », tels la Corée du Nord, l’Iran ou l’Irak, qui menaceraient l’ordre mondial par leur politique agressive et leur soutien au terrorisme. Les attentats d’Al-Qaïda du 11 septembre 2001 sur le sol américain amènent le président Bush junior à appeler à une « croisade contre le terrorisme » et à déclencher une « War against terror » conduisant à l’invasion de l’Afghanistan et surtout de l’Irak en 2003. Malgré toutes les pressions américaines et la présentation de « fake news » à l’ONU visant à mobiliser la « communauté internationale » derrière leur opération militaire contre « l’axe du mal », les États-Unis échouent en fin de compte à mobiliser les autres impérialismes contre Saddam et doivent envahir quasiment seuls l’Irak avec pour seul allié significatif l’Angleterre de Tony Blair. « Si les attentats du 11 septembre ont permis aux États-Unis d'impliquer des pays comme la France et l'Allemagne dans leur intervention en Afghanistan, ils n'ont pas réussi à les entraîner dans leur aventure irakienne de 2003, réussissant même à susciter une alliance de circonstance entre ces deux pays et la Russie contre cette dernière intervention. Par la suite, certains de leurs "alliés" de la première heure au sein de la "coalition" qui est intervenue en Irak, tels l'Espagne et l'Italie, ont quitté le navire. Au final, la bourgeoisie américaine n'a atteint aucun des objectifs qu'elle s'était fixés officiellement ou officieusement : l'élimination des "armes de destruction de masse" en Irak, l'établissement d'une "démocratie" pacifique dans ce pays, la stabilisation et un retour à la paix de l'ensemble de la région sous l'égide américaine, le recul du terrorisme, l'adhésion de la population américaine aux interventions militaires de son gouvernement »[13].
Malgré un engagement colossal de soldats, d’armes et de moyens financiers, ces interventions inconsidérées des « neocons » mènent à un enlisement et à l’échec final, souligné par le retrait d’Irak (2011) et d’Afghanistan (2021). Elles mettent particulièrement en lumière que la prétention des USA de jouer au « shérif mondial » n’a fait qu’intensifier le chaos guerrier et barbare : "L’attaque des Twin Towers et du Pentagone par Al Qaeda le 11 septembre 2001 et la riposte militaire unilatérale de l’administration Bush ouvre toute grande la « boîte de pandore » de la décomposition : avec l’attaque et l’invasion de l’Irak en 2003 au mépris des conventions ou des organisations internationales et sans tenir compte de l’avis de ses principaux « alliés », la première puissance mondiale passe du statut de gendarme de l'ordre mondial à celui d'agent principal du chacun pour soi et du chaos. L’occupation de l’Irak, puis la guerre civile en Syrie (2011) vont puissamment attiser le chacun pour soi impérialiste non seulement au Moyen-Orient mais sur toute la planète"[14]. Cette ouverture de la boîte de Pandore de la décomposition s’est manifestée en particulier par la multiplication des attentats terroristes dans les métropoles occidentales (Madrid, 2004, Londres, 2005) et par une multiplication tous azimuts des ambitions impérialistes de puissances telles la Chine et la Russie, bien sûr, de l’Iran, de plus en plus audacieuse et agressive, mais aussi de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, voire des Émirats du Golfe ou du Qatar, qui déboucheront sur des conflits barbares, comme les guerres civiles en Lybie ou en Syrie dès 2011 et au Yémen à partir de 2014, le surgissement d’organisations terroristes particulièrement cruelles comme l’OEI provoquant une nouvelle vague d’attentats et la « crise des réfugiés » causée par l’afflux soudain et incontrôlé de personnes non identifiées en l’Europe en 2015.
Si l’impasse patente de la politique des États-Unis et la fuite en avant aberrante dans la barbarie guerrière soulignent le net affaiblissement de leur leadership mondial, elles font aussi plus que jamais apparaître au grand jour les contradictions internes et les fractures entre factions de la bourgeoisie américaine. Déjà, G. Bush junior avait obtenu la présidence à travers des « élections volées », qui illustraient le caractère instable de « l’appareil démocratique américain » : son adversaire, Al Gore, avait obtenu 500.000 voix de plus que lui, mais la décision concernant la répartition des grands électeurs ne tomba que 36 jours plus tard, plus spécifiquement en Floride, dont le frère de Bush était le gouverneur. "Une parodie populaire de l'élection a commencé à circuler sur Internet, demandant ce que les médias diraient si, dans un pays africain, il y avait une élection controversée dans laquelle le candidat gagnant était le fils d'un ancien président, qui avait été directeur des forces de sécurité de l'État (CIA), et où la victoire était déterminée par un décompte contesté des bulletins de vote dans une province gouvernée par un frère du candidat à la présidence".[15] Les péripéties marquant les élections de 2000 exprimaient déjà clairement la difficulté de la bourgeoisie à gérer son système politique face aux tendances centrifuges de plus en plus manifestes.
Ceci est d’autant plus vrai que des factions liées au fondamentalisme chrétien, ont commencé à peser sur la scène politique américaine. Déjà présentes dans le parti républicain à l'époque de Reagan, elles se sont renforcées et radicalisées dans les « États ruraux » du fait du chaos croissant et du manque d'espoir pour l'avenir. Ainsi, il y a eu l’émergence du « Tea Party », qui jouera un rôle important dans le torpillage des projets de l’administration Obama, accusant le président d’être « marxiste » et un « agent musulman ». Le Tea Party n’était pas seulement composé de fondamentalistes chrétiens, mais aussi de suprémacistes blancs, de militants anti-immigrés, de membres de milices, etc., tout un cocktail qui a infiltré le Parti républicain et menaçait de plus en plus la stabilité du système politique. Fédérées autour de l’opposition à « l’establishment à Washington », ces factions sont à la base de la propagation de l’idéologie populiste, sur laquelle va surfer Donald Trump.
Ces tensions centrifuges au sein de la bourgeoisie américaine se sont nettement manifestées à travers la fuite en avant dans l’aventure irakienne catastrophique adoptée par les « pieds nickelés » de l’administration Bush jr pour assurer le maintien de la suprématie américaine : « L'accession en 2001 à la tête de l'État américain des "neocons" a représenté une véritable catastrophe pour la bourgeoisie américaine. La question qui se pose est : comment a-t-il été possible que la première bourgeoisie du monde ait fait appel à cette bande d'aventuriers irresponsables et incompétents pour diriger la défense de ses intérêts ? Quelle est la cause de cet aveuglement de la classe dominante du principal pays capitaliste ? En fait, l'arrivée de l'équipe Cheney, Rumsfeld et compagnie aux rênes de l'État n'était pas le simple fait d'une monumentale "erreur de casting" de la part de cette classe. Si elle a aggravé considérablement la situation des États-Unis sur le plan impérialiste, c'était déjà la manifestation de l'impasse dans laquelle se trouvait ce pays confronté à une perte croissante de son leadership, et plus généralement au développement du "chacun pour soi" dans les relations internationales qui caractérise la phase de décomposition »[16].
L’administration Obama a tenté de réduire les conséquences catastrophiques de l’unilatéralisme aventuriste promu par Bush junior. Tout en rappelant au monde la supériorité technologique et militaire absolue des États-Unis à travers l’exécution de Ben Laden en 2011 par une opération commando spectaculaire au Pakistan, elle a essayé de remettre le multilatéralisme à l’ordre du jour en tentant d’impliquer les « alliés » de Washington dans la mise en œuvre de la politique américaine. Cependant, elle n’est pas arrivée à contrer véritablement l’explosion des ambitions impérialistes diverses : la Chine a mis en œuvre son expansion économique et impérialiste à travers le déroulement des « nouvelles routes de la soie » à partir de 2013 ; quant à l’Allemagne, si elle a évité toute confrontation directe avec les États-Unis, vu la supériorité militaire écrasante de Washington, elle a renforcé de manière masquée ses prétentions à travers une collaboration économico-énergétique croissante avec la Russie ; la France et l’Angleterre pour leur part ont pris l’initiative d’intervenir en Lybie pour chasser Kadhafi ; la Russie et l’Iran ont renforcé leurs positions au Moyen Orient en profitant de la guerre civile en Syrie ; enfin, en Ukraine, confronté à la victoire des partis pro-occidentaux lors de la « révolution orange », Poutine a occupé militairement la Crimée et soutenu des milices pro-russes dans le Donbass en 2014. Face à l’ascension de la Chine comme le principal challenger menaçant l’hégémonie US, des débat intenses se sont engagés au sein de l’administration Obama, de l’appareil étatique et plus largement de la bourgeoisie américaine sur une réorientation de sa stratégie impérialiste.
Bref, « La politique du « passage en force », qui s’est particulièrement illustrée durant les deux mandats de George Bush fils, a conduit non seulement au chaos irakien, un chaos qui n’est pas près d’être surmonté, mais aussi à un isolement croissant de la diplomatie américaine (…). De son côté, la politique de « coopération », qui a la faveur des démocrates, ne permet pas réellement de s’assurer une « fidélité » des puissances qu’on essaie d’associer aux entreprises militaires, notamment du fait qu’elle laisse une marge de manœuvre plus importante à ces puissances pour faire valoir leurs propres intérêts »[17].
Tandis que la politique de « gendarme du monde » engloutissait à pure perte des budgets pharamineux et entraînait un déploiement massif de militaires dans le monde (des « boots on the ground ») et des pertes conséquentes, et alors que les masses ouvrières ne sont pas prêtes à se laisser embrigader (cf. les grosses difficultés à recruter des soldats sous Bush junior pour la guerre en Irak), Donald Trump est élu président en 2017 après une campagne centrée sur le mot d’ordre « America First ». Celui-ci exprime fondamentalement une reconnaissance officielle de l’échec de la politique impérialiste américaine des 25 dernières années et un recentrage de celle-ci sur les intérêts immédiats des États-Unis : « L’officialisation par l’administration Trump de faire prévaloir sur tout autre principe celui de la défense de leurs seuls intérêts en tant qu’état national et l’imposition de rapports de force profitables aux États-Unis comme principal fondement des relations avec les autres États, entérine et tire les implications de l’échec de la politique des 25 dernières années de lutte contre le chacun pour soi en tant que gendarme du monde et de la défense de l’ordre mondial hérité de 1945.(…) »[18].
La politique « l’Amérique d’abord », mise en œuvre par le populiste Trump, va de pair avec une « vandalisation » des rapports entre puissances. Traditionnellement, afin de garantir un certain ordre dans les relations internationales, les États fondaient leur diplomatie sur un principe, résumé par la formule latine suivante : "pacta sunt servanda" - les traités, les accords sont supposés être respectés. Lorsqu’on signe un accord mondial -ou multilatéral- on est censé le respecter, du moins en apparence. Les États-Unis, sous Trump abolissent cette convention : "Je signe un traité, mais je peux l'abolir demain". Cela s'est produit avec le Pacte transpacifique (PPT), l'Accord de Paris sur les changements climatiques, le traité nucléaire avec l'Iran, l'accord final sur la réunion du G7 au Québec. A leur place, Trump prône des négociations entre États, favorisant le chantage économique, politique et militaire pour imposer sans détour ses intérêts (cf. la menace de représailles contre les entreprises européennes qui investissent en Iran). « Ce comportement de vandale d’un Trump qui peut dénoncer du jour au lendemain les engagements internationaux américains au mépris des règles établies représente un nouveau et puissant facteur d’incertitude et d’impulsion du chacun pour soi. Il forme un indice supplémentaire de la nouvelle étape que franchit le système capitaliste dans l’enfoncement dans la barbarie et l’abîme du militarisme à outrance »[19].
En conséquence, « La situation actuelle se caractérise par des tensions impérialistes partout et par un chaos de moins en moins contrôlable, mais surtout par son caractère hautement irrationnel et imprévisible, lié à l’impact des pressions populistes, en particulier au fait que le pouvoir le plus fort du monde est aujourd’hui dirigé par un président populiste aux réactions capricieuses »[20].
Cependant, sous l’administration Trump, une polarisation de plus en plus nette contre la Chine se dessine dans la politique impérialiste américaine visant à contenir et à briser l’ascension du challenger chinois. En 2011 déjà, l’administration Obama avait décidé d’accorder une importance stratégique plus élevée à la confrontation avec la Chine qu’à la guerre contre le terrorisme : « Cette nouvelle approche, appelée « pivot asiatique », fut annoncée par le président américain au cours d’un discours prononcé devant le parlement australien le 17 novembre 2011 »[21]. Encore remise en question par l’émergence de l’Organisation de l’État Islamique sous Obama, la réorientation stratégique de la politique impérialiste américaine vers l’Extrême-Orient s’impose clairement sous Trump, malgré une dernière poche de résistance des tenants de la « croisade » contre les "États voyous", tels l’Iran (le Secrétaire d’Etat Pompeo et J. Bolton). La « Stratégie de Défense Nationale » (SDN), publiée en février 2018, stipule que « la guerre globale contre le terrorisme est suspendue » tandis que la « compétition entre grandes puissances » devient une orientation cardinale[22]. Ceci va impliquer un tournant important dans la politique américaine :
Quoi qu’il en soit, « La défense de leurs intérêts en tant qu’état national épouse désormais celle du chacun pour soi qui domine les rapports impérialistes : les États-Unis passent du rôle de gendarme de l’ordre mondial à celui de principal agent propagateur du chacun pour soi et du chaos et de remise en cause de l’ordre mondial établi depuis 1945 sous leur égide »[23].
L’arrivée au pouvoir de Trump a fait pleinement éclater au grand jour l'énorme difficulté de la bourgeoisie de la première puissance mondiale à « gérer » son cirque électoral et à contenir les tendances centrifuges qui croissent en son sein : « La crise de la bourgeoisie américaine n'est pas le résultat de l'élection de Trump. En 2007, le rapport constatait déjà la crise de la bourgeoisie américaine en expliquant : « C'est d'abord cette situation objective -situation qui exclut toute stratégie à long terme de la part de la puissance dominante restante- qui a permis d'élire et réélire un régime aussi corrompu, avec à sa tête un président pieux et stupide [Bush junior]. (...), l'administration Bush n'est rien d'autre que le reflet de l'impasse dans laquelle se trouve l'impérialisme américain ». Cependant, la victoire d'un président populiste (Trump), connu pour prendre des décisions imprévisibles, n'a pas seulement mis en lumière la crise de la bourgeoisie américaine, mais a également mis en évidence l'instabilité croissante de l'appareil politique de la bourgeoisie américaine et l'exacerbation des tensions internes »[24]. Le vandalisme populiste de Trump ne fait donc qu’exacerber les tensions déjà existantes au sein de la bourgeoisie américaine.
Différents éléments vont mener ces tensions à un paroxysme : (a) Le besoin constant d’essayer de cadrer l’imprévisibilité des décisions présidentielles mais surtout (b) l’option de Trump de se rapprocher de Moscou, l’ancien ennemi qui n’hésite pas à s’immiscer dans la campagne électorale américaine (le « Russiagate »), une perspective totalement inacceptable par une majorité de la bourgeoisie US, et (c) son refus d’accepter le verdict électoral mettent en évidence une situation politique explosive au sein de la bourgeoisie américaine et son incapacité croissante à contrôler le jeu politique.
(a) une lutte incessante pour "cadrer" le président a marqué toute la présidence et s’est jouée à plusieurs niveaux : une pression exercée par le Parti Républicain (échec des votes sur la suppression de l’Obamacare), une opposition aux plans de Trump par ses ministres (le ministre de la Justice qui refuse de démissionner ou les ministres des affaires étrangères et de la défense qui « nuancent » les propos de Trump), une lutte constante pour la prise de contrôle du staff de la Maison Blanche par les « généraux » (les ex-généraux Mc Master et ensuite Mattis). Toutefois, ce cadrage n’empêche pas les « dérapages », comme lorsque Trump conclut un « deal » avec les Démocrates pour contourner l’opposition des Républicains à l’augmentation du plafond de la dette ;
(b) Trump et une faction de la bourgeoisie américaine envisageaient un rapprochement, voire une alliance avec la Russie de Poutine contre la Chine, une politique qui avait divers partisans au sein de l’administration présidentielle, comme le premier Secrétaire d’État Tillerson, le ministre du commerce et Ross ou même le beau-fils du président, Kushner. Cette orientation s’est toutefois heurtée à l’opposition de larges parties de la bourgeoisie américaine et à une résistance de la plupart des structures de l’État (l’armée, les services secrets), qui n’étaient nullement convaincues par une telle politique pour des raisons historiques (l'impact de la période de la « guerre froide ») et à cause de l’immixtion russe lors des élections présidentielles (le « Russiagate »). Si Trump n’a jamais voulu exclure une amélioration de la coopération avec la Russie (Trump a par exemple suggéré de réintégrer la Russie dans le Forum des pays industriels), l’approche des fractions dominantes de la bourgeoisie américaines, concrétisée aujourd’hui par l’administration Biden, a au contraire toujours considéré la Russie comme une force hostile au maintien du leadership des États-Unis.
(c) Lors des élections présidentielles de novembre 2020, les oppositions entre fractions bourgeoises prennent quasiment un tour insurrectionnel : des accusations de fraude électorale sont lancées de part et d’autre et finalement, Trump refuse de reconnaître le résultat des élections. Le 6 janvier 2021, à l’appel de Trump, ses partisans marchent sur le parlement, le prennent d’assaut et occupent le Capitole, le « symbole de l'ordre démocratique », pour faire annuler les résultats annoncés et déclarer Trump vainqueur. Les divisions internes au sein de la bourgeoisie américaine se sont aiguisées au point où, pour la première fois dans l'histoire, le président candidat à sa réélection accuse le système du pays « le plus démocratique du monde » de fraude électorale, dans le meilleur style d'une « république bananière ».
Malgré le vandalisme et l’imprédictibilité du populiste Trump et la fragmentation croissante au sein de la bourgeoisie américaine sur la manière de défendre son leadership, l’administration Trump a adopté une orientation impérialiste en continuité et en cohérence avec les intérêts impérialistes fondamentaux de l’État américain, qui font globalement consensus au sein des secteurs majoritaires de la bourgeoisie américaine : défendre le rang de première puissance mondiale indiscutée des États-Unis en développant une attitude offensive envers leur challenger chinois. Cette polarisation envers la Chine, désignée comme une « menace constante »[25], devient incontestablement l’axe central de la politique étrangère de J. Biden. Ce choix stratégique des États-Unis implique une concentration des forces américaines en vue de la confrontation militaire et technologique avec la Chine. Si déjà en tant que gendarme mondial, les États-Unis exacerbaient la violence guerrière, le chaos et le chacun pour soi, la polarisation actuelle envers la Chine n’est en rien moins destructive, bien au contraire. Cette agressivité se manifeste :
- au niveau militaire par des démonstrations de force assez explicites et spectaculaires visant à endiguer la Chine : une multiplication d’exercices militaires impliquant la flotte US et celles d’alliés en mer de Chine du Sud, l’engagement par Biden d’un soutien militaire à Taïwan en cas d’agression chinoise, l’établissement d’un cordon sanitaire autour de la Chine par la conclusion d’accords de soutien militaire (l’AUKUS, entre les USA, l’Australie et la Grande-Bretagne), de partenariats clairement orientés contre la Chine (le Quad impliquant le Japon, l’Australie et l’Inde), mais aussi en ravivant des alliances bilatérales ou en signant de nouvelles avec la Corée du Sud, les Philippines ou le Vietnam.
D’autre part, la fragmentation considérable de l’appareil politique américain s’est encore étendue, malgré la victoire démocrate aux présidentielles et la nomination à la présidence de J. Biden. Les élections de mi-mandat en 2022, la candidature de Trump pour un nouveau mandat et les tensions entre Démocrates et Républicains au Congrès ont confirmé que les fractures sont toujours aussi profondes et exacerbées entre les partis, de même que les déchirements à l’intérieur de chacun des deux camps. Le poids du populisme et des idéologies les plus rétrogrades, marquées par le rejet d’une pensée rationnelle et cohérente, loin d’être enrayé par les campagnes visant la mise à l’écart de Trump, n’a fait que peser de plus en plus profondément et durablement sur le jeu politique américain et tend constamment à entraver la mise en œuvre de l’offensive contre la Chine.
Ces deux tendances, l’intensification d’une offensive polarisée vers la provocation du challenger chinois d’une part et l’accentuation du chaos et du chacun pour soi que cela provoque, mais aussi les tensions internes entre factions de la bourgeoisie américaine de l’autre, vont marquer les deux événements majeurs des rapports impérialistes de ces dernières années, la guerre meurtrière en Ukraine et la boucherie entre Israël et le Hamas.
Si la guerre en Ukraine a bien été initiée par la Russie, elle est la conséquence de la stratégie d’encerclement et d’étouffement de celle-ci mise en place par les États-Unis. A travers le déclenchement de cette guerre meurtrière, ces derniers ont réussi un coup de maître dans l’intensification de leur politique agressive contre les challengers potentiels. « A Washington, beaucoup attendaient cela depuis belle lurette : une occasion pour l’Amérique d’exhiber ses états de service de grande puissance dans un duel avec un concurrent de poids, plutôt que dans des opérations incertaines contre des fanatiques religieux pauvrement armés »[26]. En effet, cette guerre s’inscrit dans des objectifs bien plus ambitieux qu’un simple coup d’arrêt signifié aux ambitions de la Russie : « L’actuelle rivalité américano-russe ne s’explique pas par une quelconque crainte que Moscou puisse dominer l’Europe, mais plutôt par le comportement hégémonique de Washington »[27].
Certes, de manière immédiate, le piège fatal tendu à la Russie vise à infliger un affaiblissement important de sa puissance militaire subsistante et à la dégradation radicale de ses ambitions impérialistes : « Nous voulons affaiblir la Russie de telle manière qu’elle ne puisse plus faire des choses comme envahir l’Ukraine » (le ministre de la défense américain Lloyd Austin lors de sa visite à Kiev le 25.04.22)[28]. La guerre a aussi pour objectif de démontrer la supériorité absolue de la technologie militaire américaine par rapport aux armes rustiques de Moscou.
Ensuite, l’invasion russe a permis de resserrer les boulons au sein de l’OTAN sous le contrôle de Washington en contraignant les pays européens réticents à se ranger sous la bannière de l’Alliance, en particulier l’Allemagne, alors qu’ils avaient tendance à développer leur propre politique envers la Russie et à ignorer l’OTAN, qu’il y a quelques mois encore, le président français Macron avait prétendu être en « état de mort cérébrale ».
Mais surtout, l’objectif prioritaire des Américains était incontestablement d’adresser un avertissement non équivoque à leur challenger principal, la Chine (« voilà ce qui vous attend si vous vous risquez à tenter d’envahir Taiwan »). Cela constituait le point d’orgue d’une dizaine d’années de renforcement de la pression sur le challenger principal menaçant le leadership US. La guerre a affaibli le seul partenaire intéressant pour la Chine, celui qui pouvait en particulier lui fournir un apport sur le plan militaire, et a de surcroît mis en difficulté le projet d’expansion économique et impérialiste de Pékin, la nouvelle route de la soie, dont un axe important passait par l’Ukraine.
Les centaines de milliers de victimes civiles et militaires, l’extension de la barbarie guerrière en Europe centrale, les risques de dérapage nucléaire, le chaos économique mondial ne sont pour les États-Unis que des « effets collatéraux » négligeables de leur offensive pour garantir le maintien de leur leadership.
Après l’attaque surprise et les massacres barbares perpétrés par le Hamas et la riposte sanguinaire d’Israël écrasant sous les obus et les bombes des dizaines de milliers de civils, la présence quasi permanente de dirigeants américains à Tel Aviv (le président Biden s’y est rendu en personne et le Secrétaire d’État A. Blinken ou le ministre de la Défense L. Austin y passent presque chaque semaine) souligne la fébrilité et la perplexité de la superpuissance américaine sur la meilleure manière de gérer la situation. En exerçant une pression permanente sur le gouvernement israélien tout en gardant le contact avec les gouvernements arabes, ils tentent de limiter la soif de vengeance barbare des Israéliens dans Gaza ou en Cisjordanie et d’éviter un embrasement général de la région.
Lorsque les États-Unis ont opéré, depuis l’ère Obama, leur « pivot asiatique », ils n’ont pas pour autant abandonné toute ambition d’influence au Proche et Moyen-Orient. Washington a œuvré, avec les Accords d’Abraham notamment, à établir un système d’alliance entre Israël et plusieurs pays arabes, en particulier l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, pour contenir les aspirations impérialistes de l’Iran, déléguant à l’État hébreu la responsabilité du maintien de l’ordre dans la région. Mais c’était sans compter avec la dynamique d’instabilité croissante des alliances et la tendance profonde au chacun pour soi. Car la bourgeoisie israélienne n’hésite plus à faire passer ses propres intérêts impérialistes devant son allégeance traditionnelle envers les États-Unis. Alors que Washington privilégiait une « solution » à deux États, Netanyahou et les factions de droite de la bourgeoisie israélienne, encouragés par Trump, ont multiplié les annexions en Cisjordanie tout en mettant les Palestiniens totalement hors-jeu. Ils jouaient clairement avec le feu dans la région, mais comptaient sur le soutien militaire et diplomatique américain en cas d’aggravation des tensions. En conséquence, les États-Unis se retrouvent aujourd’hui mis au pied du mur par Israël, contraints de soutenir la politique irresponsable de Netanyahou et de remettre en question la stratégie du « Pivot asiatique » qui visait précisément à extirper les États-Unis des conflits sans fin qui ravagent le Proche-Orient afin qu’ils puissent se centrer sur l’endiguement du challenger chinois. Or, aujourd’hui, ils se voient obligés d’envoyer des forces navales conséquentes en Méditerranée orientale, d’intervenir en Mer Rouge, de renforcer leurs contingents en Irak et en Syrie.
La réaction pour le moins volontaire de l’administration Biden montre le peu de confiance qu’elle accorde à la clique de Netanyahou et son inquiétude face à la perspective d’un embrasement catastrophique du Moyen-Orient. Le conflit israélo-palestinien constitue un nouveau point de tension pour la politique impérialiste des États-Unis, qui pourrait s’avérer calamiteux en cas d’élargissement. Washington devrait alors assumer une présence militaire considérable et un soutien à Israël qui ne pourraient que peser, non seulement sur l’économie américaine, mais également sur son soutien à l’Ukraine et, plus encore, sur sa stratégie pour endiguer l’expansion de la Chine. Par ailleurs, le discours propalestinien de la Turquie, membre « incorrigible » de l’OTAN, va également contribuer à accroître le risque d’élargissement des confrontations, tout comme les critiques virulentes des pays arabes comme l’Égypte ou l’Arabie Saoudite. Washington tente donc d’empêcher que la situation échappe à tout contrôle… ambition parfaitement illusoire, à terme, compte tenu de la dynamique funeste dans laquelle sombre le Moyen-Orient.
Pendant ce temps, les États-Unis entrent dans une période de campagne électorale et la déstabilisation de l’appareil politique américain accentue l’imprévisibilité de ses orientations politiques sur les plans intérieur et extérieur. Les blocages récurrents au Congrès ont confirmé que les fractures sont toujours aussi profondes et exacerbées entre Démocrates et Républicains, de même que les déchirements à l’intérieur de chacun des deux camps, comme l’attestent l’élection compliquée du « speaker » Républicain à la chambre des représentant ou le débat parmi les Démocrates sur l’âge avancé de J. Biden pour une éventuelle réélection. En même temps, les campagnes visant la mise à l’écart de Trump (e. a. les différents procès intentés contre lui), n’ont fait que diviser de plus en plus profondément et durablement la société américaine et rendre « the Donald » plus populaire que jamais dans une frange non négligeable de l’électorat américain.
La nouvelle candidature présidentielle de Trump pour les élections de 2024, toujours plébiscité par plus de 30% des américains (soit près des 2/3 des électeurs républicains) et donné largement favori pour l’investiture républicaine, fait peser dès à présent une dose d’incertitude sur la politique américaine et joue un rôle dans le positionnement de Washington dans les deux conflits analysés ci-dessus : en Ukraine, le soutien militaire massif à Zelenski est dès à présent mis en question par le refus de la majorité républicaine d’entériner les budgets pour l’Ukraine et Poutine compte sur le fait qu’une réélection de Trump changera la donne sur le terrain ; en Israël, Netanyahou et les factions de droite misent sur le soutien inconditionnel de la droite religieuse républicaine pour contrer la politique de l’administration Biden en attendant, eux aussi, le retour du « messie » Trump.
Bref, cette imprédictibilité de la politique américaine n’engage pas d’autres pays à prendre pour argent comptant les promesses des États-Unis et constitue en elle-même (en plus de sa politique de polarisation) un facteur d’intensification du chaos dans le futur.
La guerre actuelle au Moyen-Orient n’est donc pas le résultat de la dynamique de formation de blocs impérialistes, mais du « chacun pour soi » ; Tout comme la confrontation en Ukraine, cette guerre confirme la tendance dominante de la situation impérialiste mondiale : une irrationalité croissante alimentée d’une part par la tendance de chaque puissance impérialiste à agir pour elle-même et d’autre part, par la politique sanglante de la puissance dominante, les États-Unis, visant à contrer son inévitable déclin en empêchant le surgissement de tout challenger potentiel.
Quoi qu’il en soit et quel que soit l’aboutissement de ces conflits, l’actuelle politique de confrontation de l’administration Biden, loin de produire une accalmie dans les tensions ou d’imposer une discipline entre les vautours impérialistes,
Contrairement au discours de ses dirigeants, la politique offensive et brutale des États-Unis est donc à la pointe de la barbarie guerrière et des destructions de la décomposition.
La lutte de l’impérialisme américain contre son inévitable déclin est depuis plus de 30 ans plus que jamais un facteur central d’accentuation des tensions et du chaos. Le succès initial de l’actuelle offensive américaine était fondé sur une caractéristique mise en évidence dès le début des années 1990 dans le Texte d’Orientation « Militarisme et décomposition [39]»[29], la surpuissance économique et surtout militaire des États-Unis, qui dépasse la somme des puissances potentiellement concurrentes. Aujourd’hui, les USA exploitent à fond cet avantage dans leur politique de polarisation. Celle-ci n’a cependant jamais amené plus d’ordre et de discipline dans les rapports impérialistes mais a au contraire multiplié les confrontations guerrières, a exacerbé le chacun pour soi, a semé la barbarie et le chaos dans de nombreuses régions (Moyen-Orient, Afghanistan, Europe centrale, …), a intensifié le terrorisme, a provoqué d’énormes vagues de réfugiés et a multiplié tous azimuts les appétits des petits et des grands requins.
Depuis plus de 30 ans également, les tensions politiques croissantes au sein de la bourgeoisie US sont exploitées pour mystifier la lutte du prolétariat américain, en tentant de mobiliser ce dernier dans la lutte contre les « élites au pouvoir », en essayant de le diviser entre ouvriers « autochtones et « immigrés illégaux », ou alors en voulant le mobiliser pour la défense de la démocratie contre la droite raciste et fasciste. Les luttes ouvrières de 2022 et 2023 aux États-Unis constituent, dans un tel contexte une claire expression du refus de la classe ouvrière américaine de se laisser entraîner sur le terrain bourgeois et de leur volonté de se défendre de manière unitaire en tant que classe exploitée contre toute attaque contre leurs conditions de vie et de travail.
20.12.2023 / R.H. & Marsan
[1] Les États-Unis : superpuissance dans la décadence du capitalisme et aujourd'hui épicentre de la décomposition sociale (1ère partie) [40], Revue Internationale 169, 2022.
[2] Id.
[3] Résolution sur la situation internationale [41], pt 6, 9e congrès du CCI, Revue internationale n°67, 1991.
[4] Revue internationale 64, 1991.
[5] Texte d’Orientation Militarisme et décomposition [39], Revue Internationale 64, 1991.
[6] Id.
[7] Id.
[8] Résolution sur la Situation Internationale [42], pt 4, 15ième Congrès International du CCI, Revue internationale 113, 2003.
[9] Notes sur l'histoire de la politique impérialiste des Etats-Unis depuis la seconde guerre mondiale, 2e partie [43], Revue Internationale 114, 2003.
[10] Résolution sur la situation internationale [44], 10e Congrès International du CCI, Revue Internationale 74, 1993.
[11] THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [45], thèse 10, Revue Internationale 107, 2001,
[12] Résolution sur la situation internationale [46], pt 8, 13e congrès de Révolution Internationale, Revue internationale 94, 1998.
[13] Résolution sur la situation internationale [47], pt 8, 17ième Congrès International du CCI, Revue internationale 130, 2007.
[14] Rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition [48], Revue internationale 167, 2021.
[15] Internationalism 116, winter 2000-2001.
[16] Résolution sur la situation internationale [47], pt 9, 17ième Congrès International du CCI, Revue internationale 130, 2007.
[17] Résolution sur la situation internationale, pt 7, 18ième Congrès International du CCI, Revue internationale 138, 2009.
[18] Résolution sur la situation internationale, pt 13, 23e Congrès International du CCI, Revue internationale 164, 2020.
[19] Ibid.
[20] Analyse de l’évolution récente des tensions impérialistes (juin 2018) [49], Revue Internationale 161 [50], 2018.
[21] Le repli américain aura duré six mois … », Monde diplomatique, mars 2022.
[22] Déclaration du ministre de la Défense James Mattis le 26.04.2018 devant le Comité des forces armées du Sénat des États-Unis.
[23] Résolution sur la situation internationale [51] pt 10, 23ième Congrès International du CCI, Revue internationale 164, 2020.
[24] Rapport sur l’impact de la décomposition sur la vie politique de la bourgeoisie, 23ième congrès du CCI [52], 2019, Revue internationale 164, 2020. La citation dans l’extrait est tirée du rapport (non publié) sur la vie de la bourgeoisie du 17e congrès.
[25] Lloyd Austin, Memorandum for all department of defense employees, mars 2021.
[26] Le repli américain aura duré six mois … », Monde diplomatique, mars 2022.
[27] « Pourquoi les grandes puissances se font la guerre », Monde diplomatique, août 2023.
[28] La fraction Biden voulait aussi par ailleurs « faire payer » la Russie pour leur ingérence dans les affaires internes américaines, par exemple leurs tentatives de manipuler les dernières élections présidentielles.
[29] Revue internationale 64, 1991.
Le 15 octobre 1923, 46 membres du parti bolchevik faisaient parvenir une lettre secrète au Bureau politique du Comité central du parti pour dénoncer notamment l’étouffement bureaucratique de la vie interne au sein du parti. La « plate-forme des 46 » marquait ainsi l’acte de naissance de l’Opposition de gauche avec Trotsky comme figure de proue.
Les groupes trotskistes situent leurs racines dans l’Opposition de gauche qui donna naissance en 1938 à la IVe Internationale dont ils se revendiquent
Toutefois, ils n’ont généralement pas jugé utile de célébrer cet anniversaire et son restés bien discrets sur leur prétendue filiation. Pour autant, le lien qu’ils tracent (et qu’ils ont toujours tracé) entre les révolutionnaires des années 20 et eux-mêmes se résume à ériger en principes politiques immuables ce qui constituait les “erreurs” du mouvement ouvrier de l’époque et non les positions révolutionnaires que la vague révolutionnaire de 17-23 avait permis de dégager. D’ailleurs, ce sont ces mêmes positions erronées qui servirent de terreau aux positions fondamentales du “trotskisme” qui, depuis la seconde guerre mondiale, sert de caution de « gauche » à la politique de l’État bourgeois contre la classe ouvrière.
L’échec sanglant du prolétariat en Allemagne d’abord, en Hongrie ensuite, au cours de l’année 1919, fut le crépuscule de la vague révolutionnaire ayant surgi en octobre 1917 en Russie. S’en suivit le reflux des luttes dans le monde et le renforcement de l’isolement de la révolution en Russie. Cette situation pesa d’un poids très lourd sur l’Internationale communiste (IC) et le parti bolchevik qui commencèrent à adopter des mesures opposées aux intérêts de la classe ouvrière : soumission des soviets au Parti, embrigadement des ouvriers dans les syndicats, signature du traité de Rapallo([1]), répression sanglante des luttes ouvrières (Kronstadt, Petrograd 1921). L’adoption de telles orientations ne firent qu’accélérer le reflux de la révolution dont elles étaient elles-mêmes l’expression, suscitant des réactions de gauche aussi bien dans l’IC que dans le parti bolchevik. Lors du IIIe congrès de l’I.C. (1921), la gauche germano - hollandaise regroupée dans le KAPD, dénonça le retour au parlementarisme, au syndicalisme, comme une remise en cause des positions adoptées au Ier congrès en mars 1919. C’est aussi à ce congrès que la “Gauche Italienne” réagit vivement contre la politique sans principe d’alliance avec les “centristes” et la dénaturation des P.C. par l’entrée en masse de fractions issues de la social-démocratie.
Mais c’est en Russie même qu’apparurent les premières oppositions. Dès 1918, la revue « Kommunist » groupée autour de Boukharine, Ossinsky et Radek mettait en garde le parti contre le danger d’assumer une politique de capitalisme d’État. Entre 1919 et 1921, plusieurs groupes (« Centralisme démocratique », « l’Opposition ouvrière ») exprimèrent également une réaction à la percée de la bureaucratie au sein du parti ainsi qu’à la concentration croissante du pouvoir décisionnaire entre les mains d’une minorité. Mais la réaction la plus cohérente à la dérive opportuniste du parti bolchevik fut le « Groupe ouvrier » de Miasnikov qui dénonça le fait que le parti sacrifiait peu à peu les intérêts de la révolution mondiale au profit des intérêts de l’État russe. Toutes ces tendances, résolument prolétariennes, n’ont donc pas attendu Trotsky et l’Opposition de gauche pour lutter en faveur de la défense de la révolution et de l’Internationale Communiste.
En réalité, c’est seulement après la faillite politique de l’IC en Allemagne en 1923 et en Bulgarie en 1924, que commença à se constituer au sein du parti bolchevik et plus précisément dans ses sphères dirigeantes, le courant connu sous le nom d’ « Opposition de gauche ». Le sens de sa lutte peut se résumer à son propre mot d’ordre : « feu sur le koulak, le Nepmen, le bureaucrate ». Autrement dit, il s’agissait d’attaquer à la fois la politique interclassiste de l’« enrichissez-vous à la campagne » prônée par Boukharine et, la bureaucratie rampante du parti et ses méthodes. Sur le plan international, les critiques de l’Opposition se concentrèrent sur la formation du Comité anglo-russe et la politique de l’IC dans la Révolution chinoise. Mais en fait, toutes ces questions pouvaient se résumer à un seul et même combat, celui de la défense de la révolution prolétarienne contre la théorie du « socialisme dans un seul pays ». Autrement dit, la lutte pour la défense des intérêts du prolétariat mondial contre la politique nationaliste de la bureaucratie stalinienne.
C’est donc bien en tant que réaction prolétarienne aux effets désastreux de la contre-révolution que naquit l’Opposition de gauche en Russie.
Mais son apparition tardive pesa lourdement sur ses conceptions et sur sa lutte. Elle s’avéra en fait incapable de comprendre la nature réelle du “phénomène stalinien” et “bureaucratique”, prisonnière de ses illusions sur la nature ouvrière de l’État russe. C’est ainsi que, tout en critiquant les orientations de Staline, elle fut partie prenante de la politique de mise au pas de la classe ouvrière par la militarisation du travail sous l’égide des syndicats et se fit même le chantre du capitalisme d’État par une industrialisation accélérée.
Incapable de rompre avec les ambiguïtés du parti bolchevik sur la défense de la « Patrie soviétique », elle ne fut donc pas en mesure de mener un combat résolu et cohérent contre la dégénérescence de la révolution et resta toujours en deçà des oppositions prolétariennes qui s’étaient manifestées dès 1918. À partir de 1928, de plus en plus d’oppositionnels subirent la répression stalinienne. Ils furent pourchassés et assassinés par les staliniens. Trotsky, lui, fut expulsé d’URSS.
Mais dans d’autres sections de l’Internationale communiste, des tendances oppositionnelles à la politique de plus en plus contre-révolutionnaire de cette dernière se manifestèrent. A partir de 1929, un regroupement autour et sous l’impulsion de Trotsky se constitua et prit le nom d’« Opposition de Gauche internationale » (OGI). Celle-ci constituait le prolongement de l’Opposition de Gauche en Russie en reprenant ses principales conceptions. Mais, par beaucoup d’aspects, cette opposition fut un regroupement sans principes de tous ceux qui prétendaient vouloir faire une critique de gauche du stalinisme. S’interdisant toute véritable clarification politique en son sein, laissant à Trotsky la tâche de principal porte-parole et théoricien, elle s’avéra incapable de mener un combat déterminé et cohérent pour la défense de la continuité du programme et des principes communistes. Pire, sa conception erronée de « l’État ouvrier dégénéré » la mena en définitive à prendre la défense du capitalisme d’État russe. Par exemple, en 1929, l’Opposition prit la défense de l’intervention de l’armée russe en Chine suite à l’expulsion de fonctionnaires soviétiques par le gouvernement de Tchang Kai Tchek. À cette occasion, Trotsky lança le mot d’ordre tristement fameux : « Pour la patrie socialiste toujours, pour le stalinisme, jamais ! ». En dissociant les intérêts staliniens (donc capitalistes) des intérêts nationaux de la Russie, ce mot d’ordre ne pouvait que précipiter la classe ouvrière dans la défense de la patrie, traçant la voie au soutien de l’impérialisme soviétique. Cette politique opportuniste s’incarna également dans la défense de la politique de Front uni avec la social - démocratie et les alliances de Front populaire en faveur de l’anti-fascisme, dans la défense des mots d’ordre démocratiques ou encore dans la position « des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
En définitive, chaque nouvelle tactique de Trotsky et de l’Opposition ne fut qu’un pas supplémentaires dans la capitulation et la soumission à la contre - révolution.
Cette dérive catastrophique se concrétisa également sur le plan organisationnel. Contrairement, à la fraction de gauche du Parti communiste d’Italie, l’Opposition fut incapable de comprendre et d’assimiler le rôle que devait jouer les organisations restées fidèles au programme et aux principes communistes alors que la révolution était défaite et les partis communistes passés dans le camp de la contre-révolution. En se concevant comme une simple « opposition loyale » à l’IC avec pour objectif de la redresser de l’intérieur, l’OGI ne fut pas en mesure de tirer les leçons de l’échec de la vague révolutionnaire et d’aller à la racine des erreurs de l’Internationale communiste.
Jusqu’en 1933, date où la fraction sera définitivement exclue de l’OGI, la fraction de gauche du Parti Communiste d’Italie, mena le combat au sein de l’Opposition internationale, afin que cette dernière se mette sur les rails d’un travail de fraction permettant d’assumer la continuité du programme et des principes communistes en vue de l’ouverture d’une nouvelle période révolutionnaire et la formation du parti des révolutionnaires : « Dans le passé, nous avons défendu la notion fondamentale de la "fraction" contre la position dite "d’opposition". Par fraction nous entendions l’organisme qui construit les cadres devant assurer la continuité de la lutte révolutionnaire, et qui est appelée à devenir le protagoniste de la victoire prolétarienne. Contre nous, la notion dite "d’opposition" a triomphé au sein de l’Opposition Internationale de gauche. Cette dernière affirmait qu’il ne fallait pas proclamer la nécessité de la formation des cadres : la clef des évènements se trouvant entre les mains du centrisme et non entre les mains de la fraction. Cette divergence prend actuellement un aspect nouveau, mais il s’agit toujours du même contraste, bien qu’à première vue il semble que le problème consiste aujourd’hui en ceci : pour ou contre les nouveaux partis. Le camarade Trotsky néglige totalement, et pour la deuxième fois, le travail de formation des cadres, croyant pouvoir passer immédiatement à la construction de nouveaux partis et de la nouvelle internationale »([2]). L’incapacité de Trotsky et de l’opposition à s’inscrire dans un travail de fraction de gauche, l’amena donc à concevoir la formation du parti comme une simple histoire de tactique où la volonté de quelques-uns pouvait se substituer aux conditions historiques. Cette démarche relevant davantage de la magie que du matérialisme occultait évidemment « les conditions de la lutte de classes telles qu’elles se trouvent données contingentement par le développement historique et le rapport de forces des classes existantes »[3].
Sans véritable boussole politique, l’Opposition ne pouvait qu’être ballotée aux grès des évènements de l’histoire. D’où, l’appel à former la IVe Internationale (1938) alors que la classe ouvrière est mobilisée pour la défense des intérêts des différents impérialismes et que le monde est à la veille de sombrer dans une deuxième boucherie mondiale.
Ainsi, loin d’apporter une contribution crédible permettant de préparer les conditions pour le futur parti, la trajectoire de l’Opposition de gauche affaiblit considérablement le milieu révolutionnaire et fut une source de confusion et de désorientation au sein des masses ouvrières dans le cœur de la nuit de la contre-révolution. Le mouvement trotskiste quant à lui le destin de toute entreprise opportuniste. En prenant la défense de l’URSS et du camp anti - fasciste durant la IIe Guerre mondiale, il trahit l’internationalisme prolétarien et passa avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie. Ses avortons, les organisations trotskistes actuelles, se placeront dès lors du côté de l’État bourgeois.[4]
A contrario, en étant en mesure de comprendre son rôle historique, la fraction italienne fut en mesure de défendre et de préserver le programme communiste et les principes organisationnels. Elle fut capable de préparer l’avenir en permettant à la Gauche communiste de France d’abord (1944 - 1952), au CCI ensuite de reprendre à leur compte cet héritage politique et assumer la continuité historique de l’organisation des révolutionnaires en vue de contribuer à la formation du futur parti, indispensable pour le triomphe de la révolution prolétarienne.
Vincent,
(16 décembre 2023).
[1] Diplomatie secrète d’État à État : droit pour les troupes allemandes de s’entraîner sur le territoire russe.
[2] Revue Bilan, n°1, (novembre 1933).
[3] "Les méthodes de la Gauche communiste et celle du trotskisme", Internationalisme n°23, (juin 1947).
[4] Il faut néanmoins noter que pendant les prémisses de la deuxième guerre mondiale, Trotsky a eu encore la force de réviser intégralement toutes ses positions politiques notamment sur la nature de l’URSS. Il disait dans une dernière brochure “L’URSS en guerre” que si le stalinisme sortait vainqueur et renforcé de la guerre, alors il faudrait revoir le jugement qu’il portait sur l’URSS. C’est ce que fit Natalia Trotsky en utilisant la logique de pensée de son compagnon et en rompant avec la IVe Internationale sur la nature de l’URSS, le 9 mai 1951[20], comme d’autres trotskistes notamment Munis. (Trotsky, le "Révolutionnaire", l'"Internationaliste [54])
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/conflit-israelo-palestinien
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[3] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/npa
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/revolution-permanente
[5] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[6] https://fr.internationalism.org/rinte66/crimes.htm
[7] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/henry-kissinger
[8] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/richard-nixon
[9] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/guerre-froide
[10] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/guerre-du-vietnam-0
[11] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[12] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/darmanin
[13] https://fr.internationalism.org/tag/30/371/pen
[14] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/zemmour
[15] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/extreme-droite
[16] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/violence
[17] https://fr.internationalism.org/tag/7/536/populisme
[18] https://fr.internationalism.org/Brochure/trotskiste1
[19] https://fr.internationalism.org/brochures/trotskysme
[20] https://www.revolutionpermanente.fr/Reseau-Internacional/
[21] https://www.revolutionpermanente.fr/Qui-sommes-nous-1211
[22] https://www.revolutionpermanente.fr/Bataille-des-retraites-ou-va-l-intersyndicale-Decryptage-d-Anasse-Kazib
[23] https://www.revolutionpermanente.fr/Solidarite-avec-les-conducteurs-de-bus-en-greve-a-Transdev-Vulaines-donnez-a-la-caisse-de-greve
[24] https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-Avec-Cristian-Castillo-la-gauche-revolutionnaire-fait-entrer-un-5e-depute-au-Congres
[25] https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-voter-pour-un-peroniste-de-droite-pour-faire-barrage-a-l-extreme-droite
[26] https://www.revolutionpermanente.fr/Brest-10-ans-apres-la-mort-de-Clement-Meric-le-meilleur-hommage-c-est-de-continuer-le-combat
[27] https://www.revolutionpermanente.fr/Article-40-un-nouveau-levier-anti-democratique-pour-un-nouveau-passage-en-force-sur-les-retraites
[28] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1919/03/19190304.htm
[29] https://www.revolutionpermanente.fr/Guerre-en-Ukraine-Le-NPA-a-la-remorque-de-la-gauche-pro-OTAN
[30] https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000b.htm
[31] https://www.klassegegenklasse.org/ist-russland-imperialistisch/
[32] https://www.revolutionpermanente.fr/Ukraine-l-enjeu-d-une-politique-anti-imperialiste-independante-27618
[33] https://www.revolutionpermanente.fr/Free-Gaza-plusieurs-milliers-de-manifestants-bravent-l-interdiction-pour-la-Palestine-a-Paris
[34] https://www.revolutionpermanente.fr/Des-syndicalistes-anglais-bloquent-une-usine-d-armement-israelienne-workers-for-a-free-Palestine
[35] https://www.revolutionpermanente.fr/6500-morts-a-Gaza-amplifions-le-soutien-a-la-Palestine-tous-dans-la-rue-a-Paris-samedi
[36] https://fr.internationalism.org/content/9828/derriere-lobbies-main-bien-visible-du-capitalisme-detat
[37] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/ecologie
[38] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[39] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm
[40] https://fr.internationalism.org/content/10506/etats-unis-superpuissance-decadence-du-capitalisme-et-aujourdhui-epicentre
[41] https://fr.internationalism.org/rinte67/congres.htm
[42] https://fr.internationalism.org/rinte113/reso.htm
[43] https://fr.internationalism.org/french/rint/114_pol_imp_US.html
[44] https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-74-3e-trimestre-1993
[45] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[46] https://fr.internationalism.org/rinte94/reso.htm
[47] https://fr.internationalism.org/rint130/17_congr%C3%A8s_du_cci_resolution_sur_la_situation_internationale.html
[48] https://fr.internationalism.org/content/10505/rapport-pandemie-et-developpement-decomposition
[49] https://fr.internationalism.org/content/9736/analyse-levolution-recente-des-tensions-imperialistes-juin-2018
[50] https://fr.internationalism.org/content/9789/revue-internationale-ndeg161
[51] https://fr.internationalism.org/content/9922/resolution-situation-internationale-2019-conflits-imperialistes-vie-bourgeoisie-crise
[52] https://fr.internationalism.org/content/9938/rapport-limpact-decomposition-vie-politique-bourgeoisie-2019
[53] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/imperialisme
[54] https://fr.internationalism.org/Brochure/trotsky
[55] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/gauche-italienne
[56] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[57] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/opportunisme-centrisme