La pandémie de Covid-19 continue de faire des ravages avec la fulgurante propagation du variant Omicron partout dans le monde. Nul ne sait actuellement ce qu’il en sera demain, tant les lignes de conduite de tous les États face à la contagion sont chaotiques, contradictoires et, en définitive, irresponsables.
Il y a deux ans, face aux confinements destinés à contrer le Covid-19, tous les espoirs reposaient sur l’élaboration d’un vaccin. Selon les dires de l’ensemble de la bourgeoisie, une course de vitesse était engagée pour produire un vaccin à même d’enrayer, à l’échelle de la planète, ce virus dévastateur. Dès 2020, la communauté scientifique était mobilisée, plus de 200 vaccins candidats étaient en cours de développement, aboutissant à l’homologation d’un certain nombre d’entre eux comme le vaccin de Pfizer/BioNTech, premier à être validé par l’OMS. La sous-directrice générale de l’OMS chargée de l’accès aux médicaments se félicitant de cette prouesse : « C’est une très bonne nouvelle pour l’accès mondial aux vaccins […] les efforts mondiaux doivent s’intensifier […] afin de répondre aux besoins des populations prioritaires partout dans le monde […] Il est indispensable que nous garantissions l’approvisionnement essentiel pour tous les pays du monde afin d’endiguer la pandémie ». Par la suite, la bourgeoisie nous a asséné jusqu’à plus soif, pendant des mois, que la vaccination mettrait fin à la pandémie et désengorgerait une bonne fois pour toutes les hôpitaux.
Un an plus tard, la pandémie a officiellement tué plus de 5,5 millions de personnes dans le monde. L’OMS, estime, quant à elle, en prenant en compte les statistiques de surmortalité, que le bilan de la pandémie pourrait être deux à trois fois plus élevé, soit de 10 millions à 15 millions de morts ! Ces chiffres, à peine imaginables il y a un an, sont pourtant la triste réalité d’aujourd’hui.
Cette hécatombe est-elle le résultat d’un manque de vaccins, de l’échec de la mobilisation scientifique de par le monde ? Bien évidemment, non ! Si les campagnes de vaccination ont abouti à des taux de vaccination gigantesques, avec près de 8 milliards de doses administrées dans le monde, elles l’ont été en priorité dans l’ensemble du monde occidental et industrialisé. Mais dans les pays périphériques du monde capitaliste, seulement 2 % de la population a reçu à ce jour un schéma vaccinal complet ! Avec une telle disparité, l’hypocrisie et l’incurie de la bourgeoisie face à l’évolution de la pandémie sautent aux yeux : les mutations du virus se poursuivent, les zones peu vaccinées du monde constituant un terrain fertile à leur propagation. Les contaminations explosent désormais dans de nombreux pays, la très grande contagiosité du nouveau variant Omicron entraînant davantage d’hospitalisations et de morts en valeur absolue.
Pour cacher la responsabilité du mode de production capitaliste, toutes les bourgeoisies nationales font porter le chapeau de cette énième vague de Covid à une partie de la population : les uns présentent les non vaccinés comme des bouc-émissaires engorgeant les services de réanimations, les autres pointent du doigt les populations occidentales « égoïstes » qui se réserveraient la primeur de la vaccination pour conserver la « qualité » de leur mode de vie.
D’où les plates évidences répétés à plusieurs reprises dans les médias : « les pays riches accumulent les vaccins au détriment des États plus pauvres ». Mais cette opposition faussement indignée entre « pays riches » et « pays pauvres » n’est qu’une pirouette visant à masquer la responsabilité du capitalisme comme un tout et la logique marchande sur laquelle il repose. Le vaccin n’échappe pas à la loi de l’offre et de la demande et donc à la concurrence acharnée entre les différents États pour se l’approprier. Contrairement à toutes les sottises propagées ces derniers temps, dans le monde capitaliste, le vaccin ne pourra jamais être un « bien commun ». Il est condamné à demeurer une marchandise comme une autre, que seuls les plus offrants peuvent s’accaparer. Par conséquent, les appels des grandes démocraties à l’accès aux vaccins dans les zones du monde les plus démunies ne sont rien d’autre que de belles promesses et de grossiers leurres.
En fait, la campagne mondiale de vaccination est un exemple caricatural de l’absence quasi totale de cohésion et de coopération des États capitalistes. La « gestion » de la pandémie a mis en pleine lumière le règne du chacun pour soi et la désorganisation totale de la société capitaliste, aggravée par l’incurie exacerbée de chaque État bourgeois et leur incapacité à contenir les effets de plus en plus dévastateurs de la crise historique du capitalisme. (1) D’où une cacophonie exacerbée : ici on reconfine totalement, là on laisse tout ouvert jusqu’à mettre en œuvre, comme en Afrique du Sud, une politique ignoble consistant à laisser le virus se répandre librement sous prétexte que le variant Omicron serait moins mortel que la souche d’origine. Dans plusieurs pays européens (Royaume-Uni, France…), bien que moins ouvertement, la bourgeoisie laisse aussi le variant Omicron se répandre afin de préserver coûte que coûte les intérêts de chaque capital national. Et tant pis pour les morts qui se compteront par milliers parmi les exploités et dans les couches les plus fragiles de la société !
Mais dans ces conditions, les bourgeoisies des pays centraux craignent malgré tout qu’une nouvelle « vague » ne désorganise tous les secteurs stratégiques des économies nationales, ne vienne davantage fragiliser le climat social et perturber l’appareil productif : la distribution alimentaire, la sécurité, les transports, les communications et, bien sûr, la santé, secteur déjà sur la corde raide.
Car un autre aspect que tente de masquer soigneusement la bourgeoisie, c’est la détérioration inexorable des systèmes de santé et de protection sociale, les attaques contre les conditions de travail, et ce dans la même logique « d’économies » et de « rentabilité » du capitalisme dans de nombreux pays, y compris les plus « développés ».
Le désordre économique bien réel et l’inflation galopante, touchant de plein fouet les conditions de vie de la classe ouvrière, accroissent la colère et le mécontentement face à tous ces États, apprentis sorciers qui nous vantent « l’intérêt général » et agissent comme de vulgaires boutiquiers.
Ainsi, depuis quelques mois, des luttes commencent à se faire jour de par le monde comme aux États-Unis cet automne, (2) en Espagne à Cadix dernièrement, mobilisant par centaines, par milliers, des ouvriers de tous secteurs qui tentent enfin de sortir la tête de l’eau. Mais la bourgeoisie s’empresse de mobiliser ses chiens de garde syndicaux et gauchistes pour diviser la lutte, la mener à l’impasse, la stériliser et, bien sûr, en dissimuler l’existence à tous les autres prolétaires du monde entier !
Dans d’autres pays, la colère du personnel de santé et d’autres secteurs face à des conditions de travail critiques ont pu s’exprimer à travers des journées de manifestation. Mais ces réactions sont également stérilisées par les syndicats, entretenant aisément la division et l’isolement. À cela, s’ajoute une immense colère dévoyée sur le terrain pourri des mouvements anti-pass sanitaire (voire anti-vax) au nom des « libertés fondamentales », comme on a pu le voir aux Pays-Bas, en Autriche ou, dernièrement, en Guadeloupe.
C’est donc la perspective de la lutte autonome de la classe ouvrière, sa confiance en ses propres forces pour mener une lutte d’ampleur sur ses propres revendications qui est sabotée, foulée aux pieds, par tous les pompiers sociaux aux ordres de l’État bourgeois. Pour tenter de déjouer les multiples pièges tendus par la classe dominante, la classe ouvrière doit renouer avec les méthodes de luttes qui ont fait sa force et ont permis, à certains moments de son histoire, de faire vaciller la bourgeoisie et son système :
– la recherche du soutien et de la solidarité au-delà de « son » entreprise, de « son » secteur d’activité, de « sa » ville, de « sa » région, de « son » pays ;
– la discussion la plus large possible à propos des besoins de la lutte, quels que soient l’entreprise, le secteur d’activité ou le pays ;
– l’organisation autonome de la lutte, à travers des assemblées générales notamment, sans en laisser le contrôle aux mains des syndicats et des autres organes d’encadrement de la bourgeoisie
Seule la mise en œuvre de l’unité et de la solidarité à l’échelle internationale, de l’autonomie de la lutte sont des jalons indispensables permettant à la classe ouvrière de s’armer pour préparer les luttes de demain.
Stopio, 30 décembre 2021
1) Cf. « La crise de Covid démontre l’impasse du capitalisme », disponible sur le site internet du CCI (décembre 2021) [2].
2) « Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat [3]! », Révolution internationale n° 491 (novembre décembre 2021).
Alors que la pandémie et le désastre écologique font rage, la crise économique nous frappe avec la montée en flèche des prix, la hausse du chômage et de la précarité, et dans ce contexte, les capitalistes nous pressurent encore plus férocement. Nous le voyons à Cadix, où dans la nouvelle convention collective de la métallurgie, on essaie de supprimer la majoration de 50 % des heures supplémentaires, soit une perte moyenne de 200 euros par mois.
La baie de Cadix renvoie une image terrifiante de la crise capitaliste : plus de 40 % de chômage, de nombreuses fermetures d’entreprises, la liquidation d’Airbus Puerto Real et de Delphi…Beaucoup de jeunes sont poussés à émigrer vers la Norvège ou vers d’autres pays supposés « mieux lotis ».
Contre cette menace qui pèse sur la vie et l’avenir de tous les travailleurs, les ouvriers métallurgistes se battent avec une détermination et une combativité que nous n’avions pas vue depuis longtemps. Ils ne sont pas les seuls à se battre. Les employés dans la fonction publique en Catalogne ont manifesté massivement contre le recours intolérable aux emplois d’intérim (plus de 300 000 travailleurs de l’État ont des emplois précaires). Des luttes ont lieu dans les chemins de fer de Majorque, à Vestas (province de La Corogne) contre 115 licenciements ; chez Unicaja contre plus de 600 licenciements ; chez les métallurgistes d’Alicante ; il y a des manifestations dans différents hôpitaux contre le licenciement de travailleurs ayant contracté le Covid. Ces luttes coïncident avec des luttes menées dans d’autres pays : aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée, etc. (1)
Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les travailleurs en lutte de Cadix. Leur combat contribue à briser la passivité et la résignation, il exprime l’indignation des travailleurs face aux outrages que ce système inflige, tout cela peut constituer un encouragement pour les premiers pas d’une réponse prolétarienne à la crise et à la barbarie du capitalisme.
Les employeurs, lors des négociations sur les conventions collectives, ont proposé de « geler les salaires en 2020 et 2021, la suppression du paiement double des heures supplémentaires, l’allongement de la durée de la journée de travail, de créer une nouvelle catégorie de travailleurs payés en dessous de leur qualification et de ne pas négocier une récupération salariale qui serait toxique, douloureuse et dangereuse ». (2) Il s’agit d’une attaque brutale par rapport à laquelle les syndicats ont tenté de désamorcer la tension sociale avec deux journées d’action stériles.
Cependant, face à la montée de l’agitation et de la combativité, ils ont fini par appeler à une grève illimitée à partir du 16 novembre, qui a été massivement suivie et s’est étendue jusqu’à la baie de Gibraltar. Le 17 et le 18, le syndicalisme radical a piégé les travailleurs à travers des blocages de la circulation qui ont conduit à des affrontements avec la police dans une stérile « guérilla urbaine », ce qui a donné des munitions à la presse, à la télévision, aux réseaux sociaux, pour les calomnier comme étant des actions « terroristes »… Ainsi El Mundo a lancé une accusation haineuse contre les travailleurs : « Annulation d’opérations chirurgicales, un accouchement dans une ambulance… La grève des métallurgistes empêche l’accès à l’hôpital des soignants et des malades à l’hôpital de La Línea » (17 novembre 2021). Comme cela a été démontré à Euzkalduna en 1984, à Gijón en 1985 et lors de luttes précédentes à Cadix, de tels affrontements ne servent qu’à s’isoler et à empêcher les autres travailleurs de se joindre à la lutte et s’aliéner les éventuelles sympathies de la population. Ils renforcent le capital et son État, et lui donnent les moyens de déclencher une répression féroce.
Mais les travailleurs sont en train de chercher d’autres moyens d’être forts. Le 19, un piquet de grève de plus de 300 travailleurs s’est formé pour appeler à la solidarité les travailleurs de Navantia à San Fernando. Ce même jour, des manifestations ont été organisées dans les quartiers ouvriers de Cadix, Puerto Real et San Fernando. Après un rassemblement devant le siège des patrons, les travailleurs ont fait le tour de la ville, en suivant un itinéraire improvisé, en expliquant leurs revendications aux passants. Le 20, une manifestation massive a eu lieu dans le centre de Cadix et des rassemblements dans les quartiers ont été organisés pour soutenir les camarades entrés en lutte.
Nous ne pouvons avoir de force que si nous étendons la lutte aux autres travailleurs, si à travers des manifestations, des piquets de grève et des assemblées générales, nous organisons l’extension de la lutte. La lutte est forte si elle se propage, brisant les barrières de l’entreprise, du secteur, de la ville, forgeant dans la rue la lutte unie de toute la classe ouvrière.
Dès le début, les syndicats ont monopolisé les négociations avec les employeurs, par l’intermédiaire du Conseil andalou des relations du travail. Nous savons déjà ce que sont ces « négociations » : une parodie où l’on finit par signer ce que veut le capital. Cela s’est produit à maintes reprises à Cadix : à Delphi, les syndicats ont fait avaler la pilule des licenciements aux travailleurs, la même chose s’est produite dans les différentes luttes dans les chantiers navals ou plus récemment à Airbus. Se souvenant de ces coups de poignard dans le dos, le 20, un rassemblement de travailleurs devant le siège des syndicats a crié « Où sont-elles passées, les Commissions ouvrières et l’UGT [les deux principaux syndicats nationaux en Espagne], on ne les voit pas ! »
Pour être forte, la deuxième nécessité est que la lutte soit prise en charge par l’assemblée générale de tous les travailleurs et que celle-ci organise des comités de lutte élus et révocables pour mener à bien la défense des revendications, promouvoir des actions de lutte, etc.
Depuis les expériences de 1905 et de 1917-23, les luttes où la classe ouvrière a pu manifester sa force sont organisées par les travailleurs eux-mêmes dans des assemblées générales ouvertes au reste de la classe ouvrière : les chômeurs, les retraités, les travailleurs précaires, etc. Cela est aussi le produit de l’expérience des métallurgistes de Vigo en 2006 (3) et du mouvement des Indignados en 2011. (4)
Les ouvriers ne peuvent pas laisser la lutte entre les mains des syndicats. Dans le communiqué d’une coordination des ouvriers de la métallurgie de Cadix, il était déclaré que « les syndicats doivent nous conseiller et nous représenter mais ne pas prendre des décisions pour nous et en secret ». Il ne s’agit absolument pas de cela ! Quel est le « conseil » que donnent les syndicats ? D’accepter ce que les patrons demandent. Quant à la lutte, leur « mobilisation » consiste en des actes isolés, de pressions sans aucune force ou d’affrontements minoritaires avec la police. Ils ne nous représentent absolument pas, ce qu’ils représentent, c’est le capital et son État. Leur fonction même d’instruments au sein du capital, c’est de « prendre des décisions pour nous et en secret ». Ils ne font que renforcer le capital et son État et leur donnent les moyens de déclencher une répression féroce.
Les syndicats veulent enfermer la lutte dans un « mouvement citoyen » pour « sauver Cadix ». Il est vrai que les industries ferment, qu’un jeune sur trois doit émigrer. Mais c’est ce que nous voyons dans tous les pays. Détroit, autrefois le centre de l’industrie automobile américaine, est aujourd’hui un désert de ruines, de fer et de ciment. La même chose se produit dans l’industrie minière des Asturies. Des exemples, il en existe par milliers. Ce n’est pas Cadix qui coule, c’est le monde capitaliste qui s’enfonce dans un processus irréversible de crise économique, de destruction écologique, de pandémies, de guerres, dans une barbarie généralisée.
Le slogan « Sauver Cadix » détourne la lutte des travailleurs sur un terrain localiste totalement impuissant. Depuis 40 ans, on nous a fait lutter pour la « défense des chantiers navals de Cadix », pour réclamer plus d’investissements dans la baie, etc. Nous en voyons maintenant les résultats ! De plus en plus de chômage, de précarité, de besoin d’émigrer.
Le grand danger pour la lutte est que la solidarité qui commence à se manifester soit canalisée et dévoyée vers le slogan : « Sauver Cadix » qui nous plonge dans l’enferment bourgeois du localisme et du régionalisme, qui est le pire des poisons pour la lutte des travailleurs. Elle est détournée vers l’objectif capitaliste d’un soi-disant « développement économique », censé « créer des emplois » et vers le fait de prôner « une unité » avec les petits entrepreneurs qui nous exploitent, les flics qui nous cognent dessus, les politiciens qui nous vendent leur camelote, la petite bourgeoisie égoïste et mesquine. Ils ont mis la lutte de Cadix dans le même sac que les protestations des patrons de transport. Ainsi, Kichi, le maire « radical » de Cadix a déclaré : « Nous avons été obligés de mettre le feu pour que Madrid nous écoute ». C’est adultérer et falsifier la lutte des travailleurs en la transformant en un « mouvement de citoyens en colère » qui « mettent le feu » pour que les « autorités démocratiques » leur octroient « leur » dû.
Non ! La lutte des ouvriers n’est pas une lutte égoïste pour des revendications partielles. Comme le disait le Manifeste du Parti communiste (1848) : « Jusqu’à présent, tous les mouvements sociaux ont été des mouvements déclenchés par une minorité ou dans l’intérêt d’une minorité. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome d’une grande majorité dans l’intérêt de la grande majorité ». La lutte revendicative fait partie du mouvement historique de la classe ouvrière visant à construire une société consacrée à la pleine satisfaction des besoins humains. Ce n’est pas vers la « baie de Cadix » qu’il faut regarder pour que la lutte aille de l’avant. C’est vers la classe ouvrière dans son ensemble qui souffre autant que leurs frères et sœurs de Cadix de l’inflation, de la précarité, des baisses de salaire dans les contrats de travail, de la diminution des prestations sociales, du chaos dans les hôpitaux, de la menace de la poursuite de la pandémie de Covid. Mais, d’autre part, les travailleurs des autres régions doivent voir dans celle de leurs camarades de Cadix, leur lutte et démontrer leur solidarité en se joignant à eux, en mettant en avant leurs propres revendications.
Contrairement aux mensonges démocratiques, la société actuelle n’est pas une somme de citoyens « égaux devant la loi ». Elle est divisée en classes, une minorité exploiteuse qui possède tout et ne produit rien, et en face d’elle, la classe ouvrière, la majorité exploitée, qui produit tout et possède de moins en moins. Seule la lutte en tant que classe peut rendre les revendications des travailleurs de Cadix réalisables, seule la lutte en tant que classe peut ouvrir un avenir face à l’effondrement de l’économie et à la barbarie du capitalisme.
CCI, 21 novembre 2021
1) Cf. « Les luttes ouvrières aux Etats-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie, ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat ! », Révolution internationale n° 491 (nov.-déc. 2021). [3]
2) Citation tirée d’un communiqué de la Coordination des ouvriers métallurgistes de la baie de Cadix.
3) Cf. notre article de 2006 : « Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : une avancée dans la lutte prolétarienne », Internationalisme n° 326. [7]
4) Cf. notre tract international : « 2011 : de l’indignation à l’espoir », Révolution internationale n° 431 (avril 2012) [8].
À la mi-décembre, suite aux préavis de grève lancés à la SNCF par les syndicats (UNSA, CGT et SUD-rail), notamment dans le sud-est de la France, les médias ont adopté un ton alarmiste face à la menace d’une nouvelle paralysie des transports ferroviaires pour les fêtes de fin d’année. Après le dur et long mouvement de grève isolé de 2018 et la colère qui s’est exprimée lors du mouvement contre la réforme des retraites durant l’hiver 2019-2020, ce secteur très combatif ayant un poids politique important du fait de son expérience, préoccupe la bourgeoisie. Cela, d’autant plus que cette dernière doit gérer une situation difficile, à la fois marquée par la crise sanitaire, par le déroulement de la campagne électorale et par un mécontentement très fort au sein de la population du fait de la crise économique.
Le mouvement à la SNCF s’inscrit en grande partie dans ce contexte de colère qui existe dans l’ensemble de la classe ouvrière, en France, comme au niveau international : aux États-Unis avec les luttes qui se sont déroulées dans les usines Kellog’s, John Deere, PepsiCo, en Corée avec d’énormes grèves contre les conditions de travail et les bas salaires, en Espagne, dans la région de Cadix, avec la lutte dans le secteur de la métallurgie, en Belgique avec la grève de l’usine Volvo, en Italie, etc.
Ce mécontentement s’exprime aussi en France. On a pu s’en rendre compte dans les transports publics, chez les éboueurs de plusieurs grandes villes, comme à Lyon, Montpellier ou Marseille, dans les hôpitaux, mais aussi dans de nombreuses entreprises petites ou moyennes ou dans le commerce, comme à Leroy Merlin, par exemple, entreprises dans lesquelles les ouvriers font rarement grève. Les raisons de tous ces mouvements sont pour la plupart les mêmes : l’inflation qui diminue le « pouvoir d’achat » et des salaires qui n’augmentent pas, alors même que les États ne cessent de parler de « reprise économique » après la difficile période des confinements et des couvre-feux. Les salaires des cheminots sont bloqués depuis huit ans ; différentes mesures comme la suppression de lignes de train, l’ouverture à la concurrence ou la création de filiales low cost ont abouti à la dégradation des conditions de travail et à la diminution des salaires. C’est pour cela, par exemple, que la grève dans le secteur Ouest de la SNCF, les 23 et 24 octobre dernier, portait, sans surprise, sur des revendications liées au pouvoir d’achat.
Une telle dynamique au sein de la SNCF ne pouvait qu’alerter et inquiéter la bourgeoise échaudée par la très forte combativité qui s’était exprimée dans ce secteur contre la réforme des retraites. La bourgeoisie souhaite d’autant plus faire oublier les leçons de cette lutte que le danger de mobilisation plus large est aujourd’hui bien réel et que, malgré des difficultés et de nombreux obstacles, le mouvement à la SNCF risquait de faire tache d’huile et/ou d’encourager d’autres secteurs prêts à lutter. C’est pour cette raison qu’en toute complicité avec la direction de la SNCF, dans le dos des ouvriers, après des négociations et un certain nombre de revendications satisfaites, la CGT et SUD-rail ont maintenu dans un premier temps leur préavis de grève… pour le retirer dès le lendemain. La bourgeoisie et ses syndicats ont alors tenu à faire apparaître le fait suivant : les primes de 600 et 300 euros pour les conducteurs et contrôleurs du sud-est sont censés être une « victoire ». Il n’y aurait donc plus motif à mobilisation. En réalité, ce qui a été obtenu est très loin de rattraper les pertes de salaire depuis des années et l’augmentation du coût de la vie. Surtout, cette « victoire » a été orchestrée en coulisses de manière à générer le maximum de divisions : 600 euros pour les uns, 300 pour les autres, des évolutions de grille salariale différentes en fonction de l’ancienneté, divisant jeunes et vieux, etc.
Les gauchistes, comme ceux du NPA ou de LO, très présents sur le terrain par leur engagement dans l’action syndicale, ont été les artisans de premier plan de ces divisions, masquant leurs forfaits en détournant l’attention sur les seules « directions syndicales » qui, en quelque sorte, auraient pris leurs décisions « non démocratiques » sans en recourir à la « base » : « Il n’est pas venu à l’idée des directions syndicales de demander leur avis aux premiers concernés, ceux qui s’apprêtaient à faire grève ». Ce type de discours hypocrite n’a pour fonction que de dédouaner, in fine, les syndicats et leur sale boulot, en masquant la nature bourgeoise de ces organes dont la fonction est d’encadrer et de contenir les luttes pour le compte de l’État. En fait, ce que ce type de fausse critique vise en premier lieu, c’est à entraîner et à enfermer toujours plus les ouvriers dans la logique syndicale, en laissant croire que le syndicat reste un outil de la lutte de la classe ouvrière malgré la « mollesse » des directions.
De la sorte, les gauchistes préparent et anticipent à leur manière les luttes futures : ils savonnent à l’avance les planches déjà pourries par l’action des syndicats en usant d’un radicalisme de façade. Toute la bourgeoisie est ainsi parvenue à prendre les devants et à entraver la mobilisation, tout en tentant de redonner un certain crédit à l’action syndicale.
La première leçon que nous devons tirer n’est pas celle des gauchistes ou des journaux bourgeois, où les ouvriers sont censés se contenter de miettes et devraient seulement se « méfier des directions syndicales ». Non ! Le prolétariat ne peut pas faire confiance aux syndicats, ni aux gauchistes, pour mener ses luttes. Ces organes d’État et organisations bourgeoises sont de faux-amis et défendent les intérêts de la classe capitaliste et de son État. Comme l’a montré le mouvement contre la réforme des retraites, on ne peut nullement s’appuyer sur les syndicats qui, en prenant d’office la direction de la lutte, ont imposé des simulacres d’assemblées ouvrières, ont divisé et saucissonné les luttes en multipliant les mobilisations étalées dans le temps, en jouant de manœuvres dilatoires pour décourager et mieux épuiser les plus combatifs dans l’impasse d’actions jusqu’auboutistes totalement isolées. Tout cela explique en grande partie pourquoi les cheminots, au lieu de se replier en bon ordre lors du reflux de la lutte contre la réforme des retraites, sont restés isolés et finalement défaits (même si la réforme a été ajournée du fait de la pandémie). Les ouvriers ne peuvent en réalité compter que sur eux-mêmes, sur leur solidarité et leurs initiatives créatrices pour faire vivre de véritables assemblées générales dans lesquelles doit être défendu le principe de s’ouvrir à tous les prolétaires, actifs, chômeurs ou retraités, comme épicentre du combat. Cela, de façon à discuter collectivement et de manière autonome des modalités de la lutte. Seule une prise en main consciente, une réflexion collective par des débats vivants aboutissant à des décisions politiques concrètes pourront étendre et faire progresser la lutte en ne restant pas isolée dans le corporatisme, dans un seul secteur, où la bourgeoisie cherche toujours à l’enfermer. Une telle démarche, même si elle est difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel, doit nourrir toute notre réflexion pour préparer les futurs combats de classe.
WH, 31 décembre 2021
Le 4 décembre dernier, plusieurs milliers de personnels de santé défilaient dans les rues de Paris à l’appel du collectif citoyen « Audace 53 », relayé et soutenu par les syndicats (CGT, FO, Solidaire…) et de nombreux autres collectifs de ce même secteur. Contre « la suppression des lits d’hôpitaux », « le manque de personnels », « l’allongement des journées de travail », « la succession des journées de garde », tels étaient les principaux mots d’ordre des salariés du secteur hospitalier. Ces derniers exprimaient par là un véritable ras-le-bol, une colère mais aussi la volonté de ne pas se résigner et de lutter contre des conditions de travail toujours plus épouvantables depuis le surgissement de la pandémie de Covid-19.
Pour autant, cela veut-il dire que la mobilisation du 4 décembre, organisée et dirigée par les collectifs et les syndicats, mène les exploités du secteur hospitalier vers un terrain favorable à la défense de leurs intérêts et ceux des autres secteurs de la classe ouvrière ?
« Pour la défense de l’hôpital public », « Pour la défense de notre système de santé » : voici quels étaient les deux principaux slogans des syndicats et collectifs. Et nous ne pouvions pas nous attendre à autre chose de la part des « partenaires sociaux », ces organes patentés de l’État bourgeois qui profitent ici d’une grande faiblesse des salariés du secteur hospitalier, le corporatisme, pour orienter ces derniers vers un terrain de lutte totalement pourri : une prétendue amélioration du système hospitalier au nom de la citoyenneté et de la défense du sacro-saint service public, érigé en patrimoine commun… de la nation. Telle était la toile de fond de cette mobilisation que les exploités du médical, comme de tous les autres secteurs, doivent rejeter à tout prix.
Comme nous l’avons soutenu à de nombreuses reprises dans notre presse, les conditions de vie et de travail abominables des salariés du secteur hospitalier sont le produit de l’incurie de la bourgeoisie qui, sous le poids écrasant de la crise économique et de l’endettement massif de l’État, n’a eu de cesse, ces dernières décennies, de démanteler les systèmes de santé afin de rendre ces derniers moins coûteux et si possible rentables ! Ce n’est donc personne d’autre que l’État, le plus puissant et le plus féroce de tous les patrons, quel que soit le gouvernement en place, qui est le responsable de la suppression des postes, de la fermeture des hôpitaux, des cadences de travail infernales, de l’enchaînement de journées à rallonge épuisantes, de la réduction drastique des moyens, etc. Cela conduit la plupart du temps à une situation délirante où les soignants ne peuvent plus soigner.
En véhiculant l’illusion selon laquelle une plus grande participation de l’État améliorerait les conditions de travail au sein de « leur » système de santé, les syndicats tendent un double piège aux exploités du médical :
– Les pousser à lutter seuls dans leur coin, totalement isolés des autres secteurs.
– Les amener à défendre le service public et l’État-providence. Deux mythes n’étant rien d’autre qu’une forme déguisée de l’exploitation capitaliste. (1)
Par conséquent, au risque de développer une espèce de « syndrome de Stockholm » qui les mènerait à sympathiser avec leurs propres exploiteurs, tous les salariés du secteur hospitalier doivent rester sourds aux mystifications des syndicats et autres collectifs en tous genres.
Car c’est la logique même de la crise du système capitalisme qui est la cause profonde de cette situation en France comme dans le monde entier. La saturation des services de réanimation, les déprogrammations d’interventions liées à d’autres pathologies et les autres dommages collatéraux de Covid-19 touchent le monde entier et n’ont fait qu’exacerber une situation déjà très ancienne n’ayant rien de conjoncturelle mais ne faisant qu’exprimer l’incapacité de la société capitaliste comme un tout à pourvoir aux besoins fondamentaux de l’humanité.
Aussi, ce contre quoi les soignants se sont mobilisés le 4 décembre n’est pas spécifique au secteur hospitalier en France. Bien au contraire, c’est à des degrés différents, le propre des conditions de travail de tous les secteurs du salariat et ce dans le monde entier. En définitive, la dureté du quotidien des soignants est une expression parmi d’autres de l’exploitation de la classe ouvrière, que ce soit dans les entreprises privées comme dans le secteur public. Il n’y a en cela aucune différence de nature entre les deux. D’ailleurs, la multiplication des grèves et des luttes dans plusieurs pays comme aux États-Unis au cours du mois d’octobre, dans la métallurgie en Espagne, mais aussi en Italie, en Iran, en Corée… sont autant de réactions aux dégradations des conditions de travail à l’échelle internationale. Cette reprise réelle mais fragile de la combativité ouvrière, à travers des revendications lui étant propres, montre bien que la pandémie n’a pas porté un coup fatal au développement des luttes. Pour autant, ces dernières marquent d’importantes faiblesses handicapant la classe ouvrière pour la perspective d’un combat plus large. À l’image de la mobilisation des soignants, bon nombre de luttes demeurent très isolées. Les ouvriers luttant dans le périmètre étroit de leur usine, de leur entreprise ou de leur secteur.
Or, le combat historique de la classe ouvrière n’est pas mue par la volonté d’améliorer tel ou tel secteur de l’économie nationale mais bien d’œuvrer à la victoire de la révolution prolétarienne et l’avènement d’une société au sein de laquelle la communauté s’organiserait pour assumer et développer les besoins humains tout autrement que la logique du marché capitaliste. Pour parvenir à créer les conditions d’une telle perspective, les prolétaires, en activité soumis à des cadences et des pressions infernales, comme ceux réduits au chômage, devront être en mesure de lutter ensemble, tous unis, derrière des revendications communes. Ce n’est qu’à travers ce cheminement qu’ils seront en mesure de dépasser les préjugés corporatistes et nationaux et ainsi se reconnaître comme une classe unie à l’échelle internationale portant en elle-même un gigantesque projet : l’abolition des classes sociales, de l’État et l’unification de l’humanité.
Face au poison de la division et de l’isolement, prolétaires de tous les pays unissez-vous !
Vincent, le 21 décembre 2021
1) Cf. « Luttes contre les licenciements : La défense du “service public”, c’est la défense de l’exploitation capitaliste », Révolution internationale n° 364, (janvier 2006) [13]. Voir également : « La défense du secteur public : un piège contre la classe ouvrière », Révolution internationale n° 371, (septembre 2006). [14]
Barrages, blocages, incendies, pillages, émeutes, destructions de magasins, de supermarché et de bâtiments, coups de feu, affrontements multiples… Malgré l’instauration rapide du couvre-feu, les révoltes aux Antilles ont abouti à ce que Macron a aussitôt qualifié de « situation très explosive ». L’explosivité de ces révoltes s’inscrit dans un contexte de mécontentement chronique et de méfiance de la population envers la métropole et ses institutions, témoignant d’une colère déjà fortement installée. (1) Comme ailleurs dans le monde, en Guadeloupe, les salariés de la grande distribution (à Baie Mahault, par exemple) ou ceux de la centrale Énergie Antilles rongeaient leur frein depuis plusieurs mois face aux menaces de licenciements. Une bonne partie de la population aux Antilles vit au dessous du seuil de pauvreté (34 % en 2017). Selon l’INSEE, un jeune sur trois est au chômage. Les prix ont fortement augmenté pour l’alimentation comme pour l’usage des transports. Les conditions sanitaires sont fortement dégradées. L’accès à l’eau est très problématique depuis des décennies : il faut supporter la rotation de « tours d’eau » car le réseau d’adduction est hors service. Dans un tel contexte, le durcissement des mesures sanitaires pour le personnel de santé non vacciné, ajouté aux problèmes non réglés depuis trop longtemps, a mis le feu aux poudres.
Profitant de cette forte colère et d’une situation chaotique à Pointe-à-Pitre comme à Fort-de-France, d’une situation marquée par l’accélération de la décomposition du capitalisme comme le CCI le met régulièrement en évidence dans notre presse, par l’exaspération d’une jeunesse désœuvrée et d’une classe ouvrière combative mais peu expérimentée, les syndicats et autres collectifs citoyens ont poussé et encouragé un mouvement entraînant une bonne partie de la population, servant à la fois d’exutoire et d’impasse très dangereuse pour la lutte de classe.
En premier lieu, les syndicats ont instrumentalisé les particularismes et les préjugés ultramarins, comme cela avait déjà été le cas lors des émeutes de 2009. Il s’agit d’endiguer toute colère dans le périmètre étroit de mouvements insulaires et d’accentuer fortement les divisions au sein de la classe ouvrière, (2) notamment au sein du personnel de santé, opposant ainsi les anti-pass/anti-vaccin aux pro-vaccin. Alors qu’elle n’a jamais dénoncé l’incurie sanitaire et les attaques de la bourgeoisie sur le système de santé, l’intersyndicale n’a fait qu’appuyer et soutenir ceux qui s’opposaient de manière irrationnelle à la vaccination, sans leur offrir la possibilité ni les moyens d’organiser une lutte commune avec tout le personnel et les ouvriers des autres secteurs. En provoquant des blocages à l’entrée des CHU et en utilisant des pneus usagés pour faire barrage, les syndicats ont accentué les tensions au sein même du personnel de santé en les enfermant sur leur lieu de travail. En divisant ainsi les prolétaires, sans donner de perspective pour une lutte unie, les privant d’un véritable terrain de classe, les syndicats ont cultivé à dessein le chacun pour soi, encouragé la défense des prétendues « libertés individuelles » et le sentiment d’impuissance qui poussent une grande partie de la jeunesse désorientée à s’exprimer par le déchaînement d’une violence aveugle. De même, la politique des syndicats a favorisé et encouragé les idéologies putrides de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie qui prospèrent derrière des revendications réactionnaires insulaires ou indépendantistes, c’est-à-dire nationalistes.
En fin de compte, les organes d’État que sont les syndicats se sont partagés le travail avec le gouvernement afin de pourrir toute possibilité de riposte ouvrière et mettre en œuvre le souhait de Macron : « Il faut que l’ordre public soit maintenu » ! En réduisant ainsi la classe ouvrière à l’impuissance et en abandonnant la riposte aux seules violences aveugles, les syndicats ont offert au gouvernement une justification en or pour déchaîner la répression, permettant l’envoi de gendarmes en renfort et du GIGN : une manière habile pour faire accepter la répression à la population. Mais aussi de redorer l’image ternie d’un État en « perte d’autorité » capable d’assurer le maintien de « l’ordre public ».
Face à ces manœuvres et instrumentalisations syndicales infâmes, aux attaques et à la vie chère, aux menaces en tous genres contre les conditions de vie, menées et orchestrées par le capital, les prolétaires des Antilles comme de la métropole doivent se battre ensemble ! L’incurie face à la crise sanitaire, la poursuite du démantèlement de l’hôpital public, sont des motifs non pas d’opposer les salariés entre eux, mais au contraire de favoriser leur lutte commune dans un véritable mouvement de classe. Une telle démarche ne sera possible qu’en tirant les leçons de ce qui se passe aux Antilles, notamment afin de mettre en évidence le rôle de saboteurs des syndicats. Ces derniers sont en effet des ennemis de la classe ouvrière, des organes de l’État pour contrôler et museler la classe ouvrière. Cela, depuis qu’ils sont passés dans le camp de la bourgeoisie au moment de la Première Guerre mondiale. Toute une réflexion doit être portée sur leur complicité systématique avec les gouvernements pour mener à bien non seulement les attaques, mais aussi la répression.
Contrairement aux gauchistes, notamment les trotskistes comme ceux du NPA ou de Lutte ouvrière, qui eux-mêmes participent à l’intérieur des syndicats au sabotage qu’ils soutiennent et cherchent à masquer, les révolutionnaires dénoncent ces pratiques anti-ouvrières et les poisons de tels mouvements. Aussi, face aux attaques qui vont s’amplifier, ils soulignent la nécessité non seulement d’une réflexion ouvrière commune, collective, mais également d’une pratique de lutte permettant à tous les prolétaires de se retrouver ensemble dans des grèves et des manifestations unies. Les prolétaires doivent prendre l’initiative de discuter, de se réunir en assemblée générale, de dénoncer les pièges que tentent de dresser les syndicats pour nous diviser, de s’organiser pour préparer les conditions permettant d’élargir d’emblée la lutte aux autres prolétaires, sans s’enfermer dans des revendications spécifiques, encouragées par nos ennemis pour nous diviser et nous enfermer, pour diluer nos revendications et les entraîner dans des révoltes aveugles ou des mouvements réactionnaires sans perspective ni lendemain. Il ne s’agit nullement de foncer tête baissée dans un activisme débridé, mais de poser les conditions d’une lutte consciente, sur un terrain propre aux méthodes de la lutte de classe, capable de s’adapter aux possibilités offertes comme de se replier en bon ordre, sans s’épuiser ni se décourager dans des impasses, sans tomber dans le piège des violences stériles propres à la petite bourgeoisie désespérée et radicalisée, ouvrant toujours un boulevard à la répression.
Le chemin pour mener à une véritable lutte ouvrière commune est encore long et très difficile. Pour cela, les prolétaires doivent commencer par rejeter la propagande véhiculée par les médias et l’État sur les « particularismes antillais », mais aussi et surtout les discours des gauchistes et des syndicats sur le prétendu « modèle » ou « exemple » pour la lutte que seraient les événements de Guadeloupe et de Martinique. L’émeute, le pillage et les violences aveugles, sous le masque de la « grève générale », même si les syndicats cherchent hypocritement et soigneusement à s’en démarquer, n’ont rien à voir avec les méthodes de la lutte de classe ! En réalité, ils ne font qu’exprimer l’impasse dans laquelle nos ennemis cherchent à nous enfermer pour entraver tout frémissement dans le développement du combat de classe.
WH, 26 novembre 2021
1) Cette méfiance s’est ancrée et amplifiée depuis l’empoisonnement des populations due au chlordécone, un pesticide très toxique qui a été utilisé dans les Antilles françaises, entre 1972 et 1993, pour lutter contre le charançon du bananier. De manière générale, la pauvreté et le « sentiment d’abandon » sont particulièrement marqués dans la région.
2) Les gauchistes, comme le NPA, soutiennent pleinement l’action syndicale et son sabotage au nom de la « solidarité avec la grève générale »…
Poutine a justifié le renforcement militaire à la frontière avec l’Ukraine en dénonçant les intentions « agressives » de l’OTAN et des puissances occidentales. Les porte-parole politiques et médiatiques des « démocraties » occidentales appellent à la fermeté face aux menaces « agressives » de la Russie à l’encontre de la souveraineté de l’Ukraine, en soulignant que l’intervention des forces spéciales russes pour aider à « rétablir l’ordre » au Kazakhstan est une preuve supplémentaire d’une ambition de Poutine, celle de « reconstruire un empire ». Autant d’accusations mutuelles des puissances capitalistes et impérialistes, que les prolétaires, qui « n’ont pas de patrie », doivent repousser en refusant d’entrer dans ces querelles, et encore moins de s’abaisser à de quelconques sacrifices, économique ou physique, au nom de leurs exploiteurs, qu’ils soient américains, européens, russes ou ukrainiens.
Avant 1989, Moscou se tenait à la tête de la deuxième puissance mondiale, le leader d’un bloc impérialiste. L’Ukraine et nombre des autres républiques « indépendantes » qui entouraient la Russie faisaient partie d’une soi-disant « Union soviétique ». Mais en 1989-91, point culminant d’une longue crise économique et politique, (1) le bloc de l’Est s’est effondré et l’URSS a été emportée par ce tsunami.
Les États-Unis sont ainsi devenus la seule et unique « superpuissance ». Bush père proclamait l’avènement d’un « Nouvel ordre mondial de paix, de prospérité et de démocratie ». Mais en quelques années, le triomphe des États-Unis s’est avéré frelaté. L’ennemi commun de l’Est ayant été mis à terre, le bloc occidental lui-même a commencé à se diviser, et le principe du « chacun pour soi » a de plus en plus remplacé l’ancienne discipline des blocs, une expression, dans les relations internationales, de l’aube d’une nouvelle phase terminale dans le long déclin du système capitaliste. Ce processus a été illustré de manière frappante par la guerre des Balkans au début des années 1990, où les alliés les plus « loyaux » des États-Unis se sont retrouvés en désaccord, allant même jusqu’à soutenir différentes factions dans les massacres sanglants qui ont accompagné l’éclatement de la Yougoslavie.
La réponse américaine à la menace à l’encontre de son hégémonie fut la tentative de réaffirmer son autorité en s’appuyant sur son écrasante supériorité militaire, avec un certain succès lors de la première guerre du Golfe en 1991, mais avec des résultats beaucoup plus négatifs lors des invasions de l’Afghanistan en 2001 et de l’Irak en 2003. C’était maintenant au tour des États-Unis de s’enliser dans des conflits ingagnables avec des bandes islamistes. Au lieu de bloquer la tendance au chacun pour soi, ces aventures ont accéléré les tendances centrifuges dans toute la région stratégiquement vitale du Moyen-Orient.
Après une courte période (les années Eltsine) au cours de laquelle la Russie semblait prête à se vendre au plus offrant, l’impérialisme russe, dirigé par l’ex-chef du KGB Poutine, a commencé à se réaffirmer, en comptant sur ses seuls atouts réels : l’énorme machine militaire héritée de la période de la guerre froide et ses réserves énergétiques considérables, notamment en gaz naturel, qui pourraient être utilisées pour faire chanter les pays plus dépendants. Même si elle ne pouvait pas affronter directement ses rivaux impérialistes, elle pouvait faire de son mieux pour aggraver les divisions entre eux, notamment par l’utilisation judicieuse de la cyberguerre et de la propagande clandestine. Ses efforts pour affaiblir l’UE en soutenant les forces populistes lors du référendum sur le Brexit, en France, en Europe de l’Est, etc., en sont un exemple évident. Aux États-Unis, ses trolls agissant sur les réseaux sociaux ont soutenu la candidature de Trump.
La renaissance impérialiste de la Russie est passée par plusieurs étapes. D’abord sur le plan intérieur, en mettant fin à la grande braderie d’Eltsine et en imposant un contrôle beaucoup plus strict de l’économie nationale, mais surtout par des actions militaires : en Tchétchénie, qui, de 1999 à 2000, a été réduite en cendres en guise d’avertissement contre de futures tentatives de sécession de la Fédération de Russie ; en Géorgie en 2008, où les forces russes sont intervenues pour soutenir la sécession de l’Ossétie du Sud et pour contrecarrer le rapprochement de la Géorgie avec l’OTAN ; l’annexion de la Crimée en 2014, point culminant de la réaction russe à la « révolution orange » en Ukraine et à l’émergence d’un gouvernement pro-occidental qui souhaitait adhérer à l’OTAN ; et en Syrie, où les armes et les forces russes ont été décisives pour empêcher la chute d’Assad et la perte éventuelle de la base navale russe de Tartous. Dans les années 1970 et 1980, les États-Unis avaient largement réussi à chasser l’influence russe du Moyen-Orient (par exemple en Égypte, en Afghanistan…). Aujourd’hui, la Russie est revenue et ce sont les États-Unis qui se sont retirés. Dans nombre de ces actions militaires, la Russie a bénéficié du soutien ouvert ou tacite de la Chine, non pas parce qu’il n’y a pas de divergences d’intérêts impérialistes entre les deux pays, mais parce que la Chine a vu les avantages des politiques qui affaiblissent l’emprise des États-Unis.
Cependant, malgré le redressement de la Russie et les nombreux revers subis par les États-Unis, ces derniers n’ont pas renoncé à tous les gains qu’ils ont réalisés dans les pays limitrophes de la Russie ; à bien des égards, l’ancienne politique d’encerclement se poursuit. L’expansion de l’OTAN a été le fer de lance de cette politique, attirant de nombreux pays qui faisaient auparavant partie du bloc russe. Tout cela s’est déroulé au cours des deux dernières décennies. Il n’est donc pas surprenant que l’État russe se sente menacé par les efforts visant à faire entrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN. L’une des principales exigences de Poutine pour « désamorcer » la crise ukrainienne est la promesse que l’Ukraine ne rejoigne pas l’OTAN et que les troupes ou les armes étrangères seront retirées des pays qui ont rejoint l’OTAN depuis 1997.
En outre, les États-Unis ont également apporté un soutien maximal à diverses « révolutions de couleur », notamment en Ukraine, en cherchant à canaliser les protestations contre la misère économique et les dirigeants pro-russes despotiques vers un soutien aux forces politiques pro-UE et pro-US.
La Russie reste donc essentiellement sur la défensive dans cette situation. Toutefois, Moscou sait également que les États-Unis sont eux-mêmes confrontés à des difficultés majeures, préoccupés par la montée en puissance de la Chine et soucieux de ne pas être engagés sur trop de fronts en même temps, comme l’illustre clairement le retrait humiliant d’Afghanistan. C’est donc un « bon » moment pour Poutine d’agiter des menaces d’intervention et, comme toujours, cela peut contribuer à renforcer son image d’homme fort à l’intérieur du pays, en particulier alors que sa popularité a diminué à la suite des scandales de corruption, des politiques de plus en plus répressives contre les politiciens et les journalistes de l’opposition et des difficultés économiques croissantes du pays.
Nous dirigeons-nous vers un conflit direct entre la Russie et les États-Unis au sujet de l’Ukraine, voire vers une troisième guerre mondiale, comme le suggèrent certains des rapports les plus alarmistes ? Ni les États-Unis ni la Russie ne font partie d’un bloc militaire stable possédant la discipline nécessaire pour se mobiliser en vue d’une guerre mondiale. Et ni les uns ni les autres n’ont intérêt à un affrontement militaire immédiat et direct. Malgré les atouts agricoles et industriels considérables de l’Ukraine, l’invasion et l’annexion de l’Ukraine ont été comparées à un python avalant une vache : l’envahir est une chose, la conserver en est une autre. L’Amérique a des préoccupations plus pressantes sur le front impérialiste, d’où l’avertissement plutôt inefficace de Biden si la Russie envahit le pays, et son engagement en faveur de pourparlers diplomatiques de haut niveau.
N’oublions pas, cependant, qu’un conflit de faible intensité avec les forces séparatistes russes dans l’est de l’Ukraine s’est poursuivi malgré diverses tentatives de cessez-le-feu. Même si la Russie s’abstient d’une invasion pure et simple, elle pourrait être poussée à renforcer son soutien aux forces séparatistes, ou à grignoter l’intégrité de l’Ukraine en tant qu’État sur d’autres fronts. Même si la dernière chose que souhaite l’ Occident est de poser ses bottes sur le sol ukrainien, il n’est pas totalement impuissant. Il peut continuer à fournir des armes et une formation à l’armée ukrainienne. Il peut également répondre par des mesures économiques préjudiciables à la Russie, telles que le blocage complet des principales banques d’État et agences d’investissement russes, ainsi que de nouvelles sanctions visant les mines, les métaux, le transport maritime et les assurances.
La phase de décomposition dans laquelle est entré le capitalisme mondial, il y a trente ans, est marquée par des conflits militaires chaotiques et une perte de contrôle croissante de la classe dirigeante. Auparavant, pendant la guerre froide, les grandes puissances planétaires avaient suspendu une épée de Damoclès nucléaire au-dessus de la tête de l’humanité. Elle y est toujours suspendue dans un monde qui n’obéit plus aux diktats de blocs cohérents, et où jamais autant de pays n’ont été munis d’armes de destruction massive. Quels que soient les calculs « rationnels » des joueurs sur l’échiquier impérialiste, on ne peut exclure des débordements soudains, des escalades, des plongées dans une destructivité irrationnelle. La guerre reste le mode de vie de ce système décadent, et le fait que les pouvoirs en place soient prêts à jouer avec la vie de l’humanité et de la planète elle-même est déjà une raison de condamner ce système et de lutter pour une communauté humaine mondiale qui reléguerait les États nationaux et les frontières au musée des antiquités.
Amos, 7 janvier 2022
Un contrat « historique » ! C’est par cette formule rebattue que la ministre des Armées, Florence Parly, décrivait la vente de 80 avions de chasse Rafale (Dassault) et de 12 hélicoptères Caracal (Airbus) le 3 décembre dernier, lors de la tournée du président Macron dans les pétromonarchies du Golfe. Résultat de cette vente : 16 milliards d’euros. Une goutte d’eau pour l’État français, troisième plus gros marchand de mort au monde en 2020, d’après le dernier classement en date du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI). Avec 7,9 % des parts de marché, la France est toujours loin derrière les principales puissances impérialistes que sont les États-Unis (36 %) et la Russie (21 %), mais elle a néanmoins « gagné » deux places, avec des ventes en hausse de 72 % par rapport à la période 2010-2014. C’est que les puissances impérialistes régionales, au premier rang desquelles l’Égypte du maréchal al-Sissi, l’Arabie saoudite et les autres États de la péninsule arabique, sont très demandeuses du matériel militaire français pour écraser les opposants ou massacrer les populations civiles au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Dernière victime en date : la population yéménite. Comme l’explique le média en ligne Disclose, « depuis 2015, les Émirats arabes unis sont régulièrement accusés de crimes de guerre au Yémen ». (1) 28 millions des Yéménites vivent quotidiennement sous les bombardements de la coalition saoudienne, 8 300 civils ayant perdu la vie suite aux frappes de cette même coalition, dont 1 283 enfants. (2) Ces chiffres, datant de 2019, sont donc bien loin de la sordide réalité et n’évoquent pas les victimes de la famine, du manque d’eau potable et des maladies qui trouvent ainsi un terrain fertile pour aggraver une situation déjà catastrophique.
Mais aux yeux de l’État français, ces morts lointaines ne sont qu’un simple prix à payer pour une industrie florissante pourvoyeuse de 200 000 emplois directs et indirects, d’après ces chiffres de 2019. C’est autant que le secteur de la production automobile. C’est dire que les dirigeants bourgeois s’en donnent à cœur joie pour tenter de culpabiliser, d’accuser les opposants à ces ventes d’armes de condamner des dizaines de milliers de travailleurs au chômage. Dans un article de 2015 où nous condamnions déjà ce système semeur de morts, nous écrivions : « Aux dires de tous les idéologues patentés, de gauche comme de droite, cette industrie guerrière serait une véritable “bouffée d’oxygène” pour une économie en crise. En réalité, outre la perte sèche et le gaspillage que la production d’armement génère du point de vue du capital global, cette question de l’emploi n’est ici qu’un alibi hypocrite, une sordide feuille de vigne destinée à masquer les objectifs guerriers de l’impérialisme français ». (3) Les marxistes ont toujours cherché à révéler la véritable nature de l’État bourgeois. Comme l’écrivait Rosa Luxemburg, « Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment ». (4) Mais la critique intransigeante du militarisme n’a rien de commun avec les cris d’indignation de nos « naïfs » démocrates et autres gauchistes de tous poils.
Les organisations de défense des droits humains, comme la FIDH ou la LDH ont sauté sur l’occasion pour pourfendre la realpolitik française, insensible aux « violations du droit international des droits humains et du droit international humanitaire ». (5) Mais le droit humanitaire international revendiqué par la LDH fut déjà celui qui considéra comme conformes aux principes de la légalité les procès de Moscou entre 1936 et 1938 ; ce fut celui qui justifia les interventions armées (et leur inévitable cortège de massacres de civils, femmes et enfants compris) au nom du « droit d’ingérence ». Si nos démocrates humanistes bourgeois jouent ici pleinement leur rôle de caution morale d’un capitalisme en putréfaction, il n’en faudrait pas pour autant oublier les gauchistes, nos prétendus « marxistes » et autres « communistes » « révolutionnaires » ! Ainsi, par exemple, le journal Révolution permanente du Courant « Communiste » « Révolutionnaire » (CCR) déplore « au milieu des congratulations et des cocoricos, un silence assourdissant et pas un mot invitant à la modération (sic) des politiques autoritaires menées par la pétromonarchie ». Misère de la fausse naïveté gauchiste… Face à toutes ces larmes de crocodile, il importe plus que jamais de revendiquer clairement et avec intransigeance la seule position véritablement prolétarienne et révolutionnaire. Le socialiste Jean Jaurès, qui pourtant défendait une position réformiste dans le mouvement ouvrier de l’époque disait, à juste titre, que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Un capitalisme pacifiste et humaniste est une contradiction dans les termes et une imposture. Il n’y a qu’une seule solution pour le prolétariat mondial, tant des pays centraux que des périphéries : le renversement par une révolution mondiale du capitalisme et l’instauration d’une société communiste sans classes et fraternelle où les luttes impérialistes ne seront plus qu’un lointain souvenir.
Pache, 21 décembre 2021
1) « La France partenaire des crimes des Émirats arabes unis », Disclose [23] (14 décembre 2021).
2) « Cartographie d’un mensonge d’État », Disclose (15 avril 2019).
3) « Ventes de Rafales français [24] : l’illustration d’un système qui sème la mort », disponible sur le site internet du CCI (28 juin 2015).
4) Rosa Luxembourg, La Brochure de Junius (1915).
5) « Ventes d’armes : France et Émirats arabes unis, partenaires dans les crimes commis au Yémen ? », ldh-france.org (14 décembre 2021).
Lors de notre dernière réunion publique en ligne de novembre 2021 portant sur « l’aggravation de la décomposition du capitalisme, ses dangers pour l’humanité et la responsabilité du prolétariat », plusieurs participants ont questionné la validité du concept de décomposition du capitalisme, développé et défendu par le CCI. À travers cet article, nous souhaitons poursuivre le débat en apportant de nouveaux éléments de réponses aux objections énoncées au cours de cette réunion. Sans reprendre textuellement le contenu des différentes interventions, les principales critiques formulées peuvent être regroupées en trois points :
Première critique : une innovation qui ne se situe pas dans la tradition marxiste. « Depuis les débuts du marxisme, personne avant le CCI n’avait développé une telle théorie de la décomposition du capitalisme, ni la Ligue des communistes, ni les trois Internationales, ni aucune autre organisation, passée ou présente, de la Gauche communiste, et personne d’autre que le CCI n’y adhère aujourd’hui. Pourquoi alors cette innovation par rapport au marxisme alors que le cadre de la décadence du capitalisme suffit à expliquer la situation actuelle ? »
Deuxième critique : une approche idéaliste de l’histoire. « Le CCI avance que la phase de décomposition est le résultat d’un blocage entre les classes fondamentales de la société, consistant en une impossibilité tant pour la bourgeoisie que pour le prolétariat d’offrir leur propre réponse à la crise historique du capitalisme : la guerre mondiale pour l’une, la révolution mondiale pour l’autre. Dans cette optique, le prolétariat aurait été suffisamment conscient pour empêcher la bourgeoisie de déclencher la guerre mondiale, mais insuffisamment pour poser sa perspective de révolution mondiale. Les difficultés rencontrées par le prolétariat se seraient encore accrues suite à la campagne anticommuniste déchaînée lors de l’effondrement du stalinisme, entraînant l’enfoncement du capitalisme dans cette phase de décomposition. Mais donner une telle importance aux facteurs subjectifs dans la marche de l’histoire n’est-ce pas adopter une approche idéaliste de celle-ci ? »
Troisième critique : une démarche phénoménologique doublée d’une vision tautologique. « Le CCI commence par établir une liste des catastrophes se produisant dans le monde et s’appuie sur celle-ci pour élaborer, en adoptant une démarche phénoménologique, sa théorie de la décomposition du capitalisme ; il s’ensuit une vision tautologique de la période actuelle, où la décomposition est expliquée par les événements et où les événements sont expliqués par la décomposition, qui au final n’explique rien et ne permet pas une compréhension globale de la situation ».
Le capitalisme, tant lors de son ascendance que lors de sa décadence, a connu différentes phases historiques distinctes. Il en est ainsi, par exemple, de la phase impérialiste, qui débute avec l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence. C’est en s’appuyant fermement sur la méthode scientifique du marxisme que les révolutionnaires de l’époque, parmi lesquels Lénine et Luxemburg, ont pu identifier cette nouvelle phase de la vie du capitalisme alors que le concept même d’impérialisme n’avait pas été théorisé par Marx et Engels.
En effet, le marxisme, ou la méthode du socialisme scientifique, ne peut en aucun cas se figer en un dogme invariant pour appréhender une réalité toujours en mouvement. D’ailleurs, Marx et Engels eux-mêmes ont toujours cherché à développer, enrichir, voire réviser si nécessaire, les positions qui se révélaient devenir insuffisantes ou dépassées, comme l’illustre leur préface à la réédition allemande de 1872 du Manifeste du Parti communiste : « Ainsi que le déclare le Manifeste lui-même, l’application pratique de ces principes dépend partout et toujours des conditions historiques du moment […] En face des immenses progrès de la grande industrie au cours de ces vingt-cinq dernières années et du développement parallèle de l’organisation en parti de la classe ouvrière ; en face des expériences pratiques, d’abord de la révolution de Février, ensuite et surtout de la Commune de Paris, où, pour la première fois, le prolétariat a pu tenir entre ses mains le pouvoir politique pendant deux mois, ce programme a perdu, par endroits, son actualité ».
Ce fut également l’attitude de Luxemburg lorsqu’elle combattit la position défendue jusque-là par le mouvement ouvrier sur la question nationale : « Comme elle l’a dit et démontré très clairement, défendre à la lettre, en 1890, le soutien apporté par Marx à l’indépendance de la Pologne en 1848, ce n’était pas seulement refuser de reconnaître que la réalité sociale a changé mais c’est aussi transformer le marxisme lui-même, faire d’une méthode vivante d’investigation de la réalité un dogme quasi-religieux desséché ». (1) Nous pouvons aussi mentionner tout le travail critique effectué par la Gauche communiste, à partir des années 1920, sur les problèmes inédits posés par la dégénérescence de la Révolution russe et de l’Internationale communiste, notamment sur la question de l’État dans la période de transition et ses rapports avec la dictature du prolétariat.
Les réelles « innovations » (si l’on peut dire) par rapport au marxisme sont, par contre, représentées à la fois par la théorie de « l’invariance du marxisme depuis 1848 », élaborée par Bordiga en pleine période de contre-révolution, reprise et portée par les bordiguistes du Parti Communiste International (PCI), et par l’attitude équivoque des daménistes du Parti Communiste internationaliste (PCIint) à son égard, voire par le rejet pur et simple des bordiguistes de la notion de décadence du capitalisme, alors que ce concept est présent dès les origines du matérialisme historique ! (2) Ce sont d’ailleurs ces mêmes « innovations » par rapport au marxisme qui amènent ces courants de la Gauche communiste à rejeter comme non-marxiste le concept de décomposition du capitalisme.
À l’époque de la décadence du féodalisme, la bourgeoisie, en tant que classe exploiteuse détentrice de ses propres moyens de production et d’échange, pouvait compter essentiellement sur son pouvoir économique croissant dans la société féodale, sur lequel se fondait la conscience aliénée de ses intérêts de classe, pour finalement parvenir à conquérir le pouvoir politique. À l’époque de la décadence du capitalisme, le prolétariat, en tant que classe exploitée ne possédant rien d’autre que sa force de travail, ne peut quant à lui compter et s’appuyer sur aucun pouvoir économique dans la société ; pour conquérir le pouvoir politique, il ne peut compter que sur le développement de sa conscience de classe et sa capacité d’organisation, dont la maturation constitue par conséquent un élément essentiel du rapport de forces entre les classes.
Depuis que les conditions objectives pour le renversement du capitalisme et son remplacement par le communisme sont remplies avec l’entrée du mode de production capitaliste dans sa période de décadence, l’avenir de la révolution communiste mondiale dépend exclusivement des conditions subjectives, de la maturation en profondeur et en étendue de la conscience de classe du prolétariat. C’est pourquoi il est essentiel pour la bourgeoisie d’attaquer en permanence la conscience de la classe ouvrière.
Cet aspect est particulièrement illustré par les événements ayant mené au déclenchement de la Première Guerre mondiale. En juillet 1914, les blocs impérialistes rivaux sont fin prêts à s’affronter militairement. Il ne reste à cette date qu’une incertitude pour la bourgeoisie : l’attitude de la classe ouvrière face à la guerre. Se laissera-t-elle embrigader, notamment en tant que chair à canon, derrière les drapeaux nationaux ? Cette incertitude est levée le 4 août 1914 avec la trahison de la social-démocratie qui, après avoir été gangrenée pendant des années par l’opportunisme, passe définitivement dans le camp de la bourgeoisie en votant les crédits de guerre. Cet acte de trahison fut reçu comme un coup de massue sur la tête du prolétariat, entraînant un recul de sa conscience de classe qui allait être immédiatement exploité par la bourgeoisie pour mobiliser sur-le-champ les prolétaires dans la Première Guerre impérialiste mondiale, avec l’aide précieuse des anciennes organisations de la classe ouvrière récemment passées à l’ennemi de classe : les partis sociaux-démocrates et les syndicats.
Ainsi, c’est le coup porté à la conscience de classe du prolétariat qui a finalement permis à la bourgeoisie de se lancer dans la Première Guerre mondiale en 1914. C’est aussi la faiblesse de cette même conscience de classe dans les années 1980, aggravée par le coup porté par les campagnes anticommunistes ayant suivi l’effondrement du stalinisme, qui a empêché le prolétariat de mettre en avant sa propre perspective historique de révolution communiste mondiale et qui a entraîné l’entrée du capitalisme décadent dans sa phase de décomposition ; autrement dit, l’absence de perspective pour la classe ouvrière revient actuellement à une absence de perspective pour l’ensemble de la société. Tout ceci illustre le caractère central et déterminant des facteurs subjectifs dans la période de décadence du capitalisme pour l’avenir de l’humanité.
Aussi, loin de constituer une approche idéaliste de l’histoire, l’importance donnée aux facteurs subjectifs dans la marche de l’histoire constitue une approche véritablement matérialiste dialectique de celle-ci. Selon Marx, comme pour tous les matérialistes conséquents, la conscience de classe est une force matérielle. La révolution communiste est une révolution où la conscience joue un rôle central : « Le communisme se distingue de tous les mouvements qui l’ont précédé jusqu’ici en ce qu’il bouleverse la base de tous les rapports de production et d’échanges antérieurs et que, pour la première fois, il traite consciemment toutes les conditions naturelles préalables comme des créations des hommes qui nous ont précédé jusqu’ici, qu’il dépouille celles-ci de leur caractère naturel et les soumet à la puissance des individus unis ». (3)
La société féodale décadente fut marquée par la survenue d’éléments ou phénomènes de décomposition, dont les atrocités et le délitement moral qui ont marqué la Guerre de Trente Ans sont une parfaite illustration. Cela dit, l’enfoncement du féodalisme dans la décadence allait de pair avec le développement du capitalisme, dont le dynamisme économique empêchait la société comme un tout de sombrer dans une phase de décomposition.
Il en va tout autrement dans la société capitaliste décadente. Celle-ci ne voit pas grandir en son sein une nouvelle classe exploiteuse dont le pouvoir économique croissant serait un contrepoids à l’enfoncement inéluctable de la société dans la décadence, elle ne voit pas se développer en son sein un nouveau mode de production amené à remplacer l’ancien. Pourquoi ?
Parce que la nouvelle société qui doit émerger des flancs de l’ancienne société, le communisme, est le « mouvement réel qui abolit l’état actuel ». Le communisme ne peut être érigé que sur la base de la destruction des anciens rapports de productions capitalistes. Tant que ce « mouvement qui abolit l’état actuel » n’est pas réalisé par la classe porteuse d’une nouvelle société, les éléments de décomposition s’accumulant et s’amplifiant au fur et à mesure de l’avancée de la période de décadence ne trouvent dans la société aucune force antagonique susceptible d’en limiter l’expression. Sans mode de production capable de prendre le relais du capitalisme agonisant, la société en vient à pourrir sur pied.
C’est armés de ce cadre général d’analyse de la décadence du capitalisme que nous avons observé les phénomènes survenus à partir des années 1980. Cependant nous ne les avons pas observés « en eux-mêmes » mais bien en nous appuyant fermement sur la méthode scientifique du marxisme. C’est bien cette démarche, et non une approche phénoménologique de la situation, qui nous a permis d’identifier l’éclatement du bloc de l’Est comme la dissolution de la politique de blocs, rendant provisoirement et matériellement impossible la marche du capitalisme vers un nouveau conflit mondial. De même, c’est ce cadre qui nous a permis d’analyser l’effondrement du stalinisme comme un phénomène décisif marquant l’évolution durant toutes années 1980 de la phase de décomposition du capitalisme, renforçant pour le prolétariat sa responsabilité cruciale pour l’avenir même de l’humanité. Ce faisant, nous avons adopté la même démarche que celle des révolutionnaires qui ont eu à faire face au phénomène de la Première Guerre mondiale et l’ont identifié comme marquant l’ouverture d’une ère « de guerres et de révolutions », où, comme l’affirmait Lénine, « l’époque de la bourgeoisie progressiste » avait fait place à « l’époque de la bourgeoisie réactionnaire » ; en clair, comme ouvrant la période de décadence du capitalisme. (4)
Contrairement aux objections qui nous ont été faites, ce n’est donc pas tant l’accumulation de phénomènes propres à la décomposition qui donne lieu à notre compréhension de cette phase ultime de la vie du capitalisme mais fondamentalement une analyse historique du rapport entre les deux classes fondamentales de la société. En cela, notre point de départ méthodologique est conforme au marxisme, celui de nous appuyer sur la lutte de classe et sa dynamique, sur ce qui fait le « moteur de l’histoire » et non sur de simples « phénomènes » accumulés par les circonstances.
Cette démarche nous a également permis de comprendre que la décomposition du capitalisme se « nourrissait elle-même ». C’est particulièrement le cas pour le phénomène de la pandémie de Covid-19, à la fois produit de la décomposition du capitalisme (destruction accrue tant de l’environnement naturel planétaire que des systèmes de santé et de recherche médicale, « chacun pour soi » généralisé au sein de la bourgeoisie mondiale culminant dans la « guerre des masques » et la « guerre des vaccins ») mais également facteur d’accélération de cette même décomposition (enfoncement accru dans la crise économique, fuite en avant accélérée dans l’endettement, accroissement des tensions impérialistes). (5) Cette approche de la réalité n’a donc rien de tautologique mais adopte la rigueur méthodologique du matérialisme dialectique.
Nous encourageons les lecteurs à poursuivre leur réflexion sur ce sujet, notamment par la lecture de notre article sur les racines marxistes de la notion de décomposition [28], paru dans la Revue internationale n° 117. Mais également à nous écrire pour poursuivre le débat.
DM, 29 décembre 2021
1) « L’insurrection de Dublin en 1916 et la question nationale [29] », Revue internationale n° 157 (Été 2016).
2) Cf. « La théorie de la décadence au cœur du matérialisme historique (I) : de Marx à la Gauche communiste [30] », Revue internationale n° 118.
3) Marx, Engels, L’Idéologie allemande (1846).
4) Cf. « La théorie de la décadence au cœur du matérialisme historique (IV) [31] », Revue internationale n° 121 (2e trimestre 2005).
5) Voir à ce sujet le « DOSSIER SPÉCIAL COVID-19 [32] » sur notre site web.
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un courrier reçu par une lectrice suivis de notre réponse.
Chers camarades,
Je souhaiterais réagir à l’article paru sur le prolétariat que j’ai relu à l’occasion d’une permanence sur ce qu’est la classe ouvrière (« Qui peut changer le monde ? – 2e partie » dans la Revue internationale n° 74).
Je partage globalement les positions de cet article et surtout je comprends les intentions d’un tel écrit. Face aux campagnes de dévoiement qui sévissent depuis plusieurs décennies pour démontrer par tous les moyens possibles que la classe ouvrière n’existe qu’en tant que catégorie socio-professionnelle en voie de disparition, il est essentiel de démontrer qu’elles sont le fruit de l’idéologie bourgeoise et non de la réalité. Ces campagnes reposent sur deux mensonges et deux grands dévoiements du marxisme. La première est de considérer la question des classes de manière sociologique. Quant au deuxième mensonge, il s’agit de faire croire que les ouvriers ne se résument qu’au travailleur en col bleu considérant que les employés faisant un travail plus intellectuel ne sont pas des ouvriers. […] Le prolétariat en tant que classe n’existe qu’au sein de la lutte, non dans le sens où il n’existerait que dans les périodes de mouvements ouvriers, mais que son existence ne peut se penser que dans le rapport de force qui l’oppose à la bourgeoisie. C’est pourquoi, choisir comme titre de paragraphe : « les critères d’appartenance à la classe ouvrière », ne me paraît pas pertinent et semble être en contradiction avec la première partie de l’article. Ce paragraphe commence en rappelant ceci :« À grands traits… le fait d’être privé de moyens de production et d’être contraint, pour vivre, de vendre sa force de travail à ceux qui les détiennent et qui mettent à profit cet échange pour s’accaparer une plus-value, détermine l’appartenance à la classe ouvrière ».
Je souscris à cette description qui pose clairement la place occupée par le prolétariat dans les rapports de production (elle est une classe exploitée) et qui détermine le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière.
Ensuite, l’article précise que face à toutes les « falsifications », il est nécessaire d’apporter des précisions sauf que ces précisions très détaillées finissent par dénaturer l’analyse précédente puisqu’il s’agit de faire une liste de qui appartient à la classe ouvrière ou pas. En voici quelques-unes : « C’est pour cela qu’il est indispensable de signaler qu’une des caractéristiques du prolétariat est de produire de la plus-value. Cela signifie notamment deux choses : le revenu d’un prolétaire n’excède pas un certain niveau au-delà duquel il ne peut provenir que de la plus-value extorquée à d’autres travailleurs […] ».
Ou encore : « Ainsi, au sein du personnel d’une entreprise, certains cadres techniques (et même des ingénieurs d’études) dont le salaire n’est pas éloigné de celui d’un ouvrier qualifié, appartiennent à la même classe que ce dernier, alors que ceux dont le revenu s’apparente plutôt à celui du patron (même s’ils n’ont pas de rôle dans l’encadrement de la main-d’œuvre) n’en font pas partie. […] ».
Suivi de : « D’un autre côté, l’appartenance à la classe ouvrière n’implique pas une participation directe et immédiate à la production de plus-value. L’enseignant qui éduque le futur producteur, l’infirmière ou même le médecin salarié (dont il arrive maintenant que le revenu soit moindre que celui d’un ouvrier qualifié) qui « répare » la force de travail des ouvriers (même si, en même temps, elle soigne aussi des flics, des curés ou des responsables syndicaux, voire des ministres) appartient incontestablement à la classe ouvrière au même titre qu’un cuisinier dans une cantine d’entreprise […] ».
Ces passages ouvrent la voie d’une analyse qui ne peut conduire qu’à « du cas par cas » car la question soulevée est « qui est ouvrier ? » et non « qu’est-ce que la classe ouvrière ? ». Il s’agit de deux approches très différentes qui reposent sur deux méthodes antagoniques. L’une enferme la réflexion dans une approche sociologique et l’autre ouvre la réflexion sur la notion de classe qui permet de penser la question de la conscience de classe dans le processus révolutionnaire.
À la lecture du Manifeste [du Parti communiste], nous pouvons voir que Marx explore de manière approfondie la question du processus historique mais qu’il ne détaille pas qui est le prolétariat. Il détermine de manière matérialiste ce qu’est le prolétariat et non qui est le prolétariat. Je pense que ce garde-fou est nécessaire, car poser cette problématique en termes individuels est le meilleur moyen de noyer la compréhension des rapports de force. La question ne se pose pas à cette échelle, selon moi. La frontière de classe se réalise et se pense dans la lutte : quels sont les mouvements, les discours et les prises de position qui correspondent aux nécessités révolutionnaires du prolétariat et, de ce fait, apparaît qui appartient au prolétariat ou non. Certes, de par leur position dans le processus de production (exploité : extorsion d’une plus-value : salarié qui ne détient pas les moyens de production et qui ne participe pas à la réalisation de l’exploitation) ou la nature de leur travail (associé), certaines catégories de travailleurs portent et apportent la coloration révolutionnaire au mouvement qu’ils engendrent. C’est eux qui peuvent porter un mouvement révolutionnaire sans en être les seuls dépositaires : leur force est justement de rassembler car en s’émancipant, ils émancipent l’homme. […]
Qui appartient à la classe ouvrière n’est pas une question pertinente dans l’absolu et nécessite d’être sans cesse questionnée sur le terrain des idées, des combats et des revendications dans les moments d’opposition ou d’affrontement à la bourgeoisie. Il ne s’agit pas de mettre tout le monde dans le prolétariat mais de ne pas enfermer la définition de la classe ouvrière dans un carcan sociologique ou déterministe qui exclut de fait l’importance de la dynamique interne propre aux rapports de forces dans le capitalisme. Les débats sur cette question restent très importants en cette période où tout est fait pour détruire la pensée et surtout vider de sa substance toutes les perspectives révolutionnaires en niant jusqu’à l’existence même de la classe ouvrière. C’est pourquoi, je salue et veut contribuer à ces débats portés par le CCI.
Fraternellement.
Pomme
Nous saluons tout d’abord la contribution de la camarade Pomme. Dans la tradition du mouvement révolutionnaire, le presse est un lieu de débat au sein de la classe ouvrière où toutes divergences, désaccords et questionnements sont de véritables contributions pour la clarification des questions politiques, un véritable ballon d’oxygène dans le monde mortifère de la société capitaliste en pleine décomposition.
Nous sommes tout à fait d’accord avec la camarade sur la nécessité de combattre l’idéologie de la bourgeoisie sur la disparition de la classe ouvrière alors qu’elle existe bel et bien, ne se résumant ni à des critères socio-professionnels ni aux seuls « cols bleus ». Tout en reconnaissant cette base objective, bien que, selon nous, sous-estimant les critères économiques qui déterminent l’appartenance à la classe des exploités, la camarade critique le titre d’un paragraphe : « Les critères d’appartenance à la classe ouvrière », mais aussi toute sa démarche en contradiction, selon elle, avec la première partie qui dénonçait les falsifications idéologiques de la bourgeoisie. Pour la camarade, il faut s’appuyer, au contraire, sur la méthode qu’utilisent Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste, qui explore de manière approfondie un processus historique et ne détaille pas « qui est prolétaire » mais « ce qu’est le prolétariat ». Pour la camarade, poser cette problématique en termes individuels est le meilleur moyen de noyer la compréhension des rapports de force.
Nous aborderons la question du rapport de force entre les classes dans une deuxième partie. Il s’agit tout d’abord de répondre à la première critique : y a-t-il une contradiction entre les deux parties de l’article ?
Comme le souligne la camarade, contrairement aux discours sur la « disparition de la classe ouvrière » ou son « embourgeoisement » depuis l’avènement de la « société de consommation », jamais le marxisme n’a identifié la classe ouvrière aux seuls « cols bleus ». Même du temps de Marx, et ce alors que le gros bataillon de la classe ouvrière était constitué par le prolétariat industriel, d’autres secteurs, comme les correcteurs d’imprimerie, faisaient aussi partie du prolétariat, quelquefois à l’avant-garde des luttes. En fait, cette distinction entre « cols bleus » et « cols blancs » est destinée à diviser les ouvriers, et c’est ce même discours que la bourgeoisie utilise aujourd’hui, afin de faire croire à beaucoup « d’employés » qu’ils ne font pas partie de la classe ouvrière.
En réalité, ce sont fondamentalement des critères économiques qui déterminent l’appartenance à la classe ouvrière. Du fait de l’évolution du capitalisme et de sa crise, ce qu’on appelle les « cols blancs » représentent la majorité des salariés dans nombre de pays européens, ce qui permet à la bourgeoisie de les présenter comme la « classe moyenne ». Autrement dit, ils n’appartiendraient plus à la classe ouvrière.
Contrairement à ce que pense la camarade, la question de qui produit et de qui dispose de la plus-value une fois celle-ci réalisée est centrale dans les rapports de classe. Il ne s’agit donc nullement de faire du « cas par cas » mais de définir un cadre permettant de caractériser une appartenance de classe de manière rigoureuse. C’est justement en mettant au cœur du problème la plus-value et sa dimension politique qu’on peut poser la question en termes de classes. Comme l’article critiqué l’a montré, ce n’est pas le niveau de salaire en soi qui fait la nature du prolétaire, mais sa place dans un rapport de production et dans un processus lié à l’exploitation. En ce sens, notre démarche, ici, n’est ni « individuelle » ni « sociologique », elle est conforme à la critique de l’économie politique.
Cet article est-il contradictoire avec la méthode du Manifeste ? Marx montre comment, sous la poussée du développement et de l’évolution de la production capitaliste, le prolétariat ne cesse lui aussi de se transformer : quittant l’artisanat et la paysannerie, l’ouvrier intègre la classe ouvrière naissante en vendant sa force de travail dans les premiers ateliers à l’âge de la manufacture, dans les premières fabriques, puis dans les usines des grandes concentrations industrielles. En 1880, Marx lança une grande enquête destinée aux ouvriers français sur la base de toute une série de questions, seuls les prolétaires pouvant « décrire, en toute connaissance de cause, les maux qu’ils endurent ; eux seuls, et non des sauveurs providentiels, peuvent appliquer énergiquement les remèdes aux misères que l’exploitation capitaliste leur font subir ». Kautsky, dans son Programme socialiste, lorsqu’il était encore marxiste, avait analysé l’évolution du prolétariat de la fin du XIXe siècle, période de pleine expansion du capitalisme dans sa recherche de nouveaux marchés à travers la colonisation de grandes zones qui n’étaient pas encore sous sa domination. C’est cette méthode que nous reprenons dans un contexte particulier : la phase de décomposition du capitalisme où sa survie est menacée. Pour Marx et Kautsky, il s’agissait de participer à la prise de conscience de la classe ouvrière comme force sociale. L’objectif aujourd’hui n’est plus le même. Le capitalisme n’est plus dans sa phase d’épanouissement mais dans une lutte pour sa survie afin d’éviter de sombrer dans le chaos, ce face à quoi la bourgeoisie est impuissante, mais surtout cherche à entraver la marche révolutionnaire du prolétariat qui, même affaibli, constitue un danger. Pour dénoncer les campagnes idéologiques de la bourgeoisie qui visent à entretenir, au sein de la classe ouvrière, un sentiment d’impuissance du fait de la perte momentanée de son identité de classe, nous sommes obligés de rentrer plus dans le détail afin de montrer que la classe ouvrière existe bel et bien. Or, celle-ci doit prendre appui sur la réalité sociale du capitalisme, d’une société divisée en classes.
(À suivre [35])
RI, 2 janvier 2022
Cette troisième partie de notre série sera consacrée à la longue résilience du prolétariat en France, longtemps marqué par le traumatisme provoqué par l’écrasement de la Commune de Paris. Affaibli et divisé pendant plusieurs décennies, trahi et enrôlé plus tard dans « l’union sacrée », le prolétariat cherchera à relever la tête. Ce sera le cas progressivement durant la Première Guerre mondiale et surtout lors de la vague révolutionnaire des années 1920. Après une sombre période qui a suivi la défaite de la révolution mondiale, la classe ouvrière en France ne reprendra véritablement le chemin des luttes qu’en Mai 68, cette fois encore, pour se placer aux avant-postes du réveil de la classe ouvrière mondiale.
Après avoir été embrigadés dans la guerre, confrontés à la trahison du parti socialiste, de ses dirigeants et des syndicats ralliés à « l’union sacrée », les ouvriers en France, exposés à l’horreur, aux souffrances et aux privations, accueillaient avec enthousiasme et espoir la révolution prolétarienne éclatant en Russie en octobre 1917 et se répercutant par la suite à l’échelle internationale. Au niveau politique, malgré de grandes faiblesses, la scission du Congrès de Tours concrétisait d’ailleurs ces efforts du combat ouvrier en France.
Durant la guerre, les conflits sociaux à l’arrière s’étaient multipliés, comme dans d’autres pays, surtout à partir de l’année 1916. Cette année-là, par exemple, les ouvrières des aiguilles de l’habillement et de l’armement étaient en grève. En juillet, les grévistes de l’usine de Dion à Puteaux s’étaient arrêtés plusieurs semaines. En mai et juin 1917, les « midinettes » parisiennes du textile et les « munitionnettes » combattaient pour des augmentations des salaires (133 000 grévistes dont 80 % de femmes). (1) Sur le front, 30 000 à 40 000 soldats se livraient à des actes collectifs de refus d’obéissance. Les gréves touchèrent aussi les houillères de Moselle en novembre 1918, au moment même où les ouvriers et marins de Kiel se soulevaient en Allemagne. Malgré une période de terreur, de guerre et de censure, (2) la bourgeoisie était obligée de satisfaire rapidement les revendications pour les besoins prioritaires du front, mais aussi et surtout pour tenter de conjurer sa peur de la « contagion bolchevique ».
Si la situation du prolétariat mondial offrait toutes ses potentialités dès l’assaut révolutionnaire de l’Octobre rouge, (3) si l’effervescence révolutionnaire en Allemagne fin 1918 avait forcé les belligérants à signer l’armistice de manière précipitée, les difficultés et les obstacles n’allaient pas pour autant disparaître pour les ouvriers en France. En effet, dès l’armistice, une propagande massive et le déchaînement de l’hystérie chauvine cultivés sur le thème de la « victoire » accentuaient les divisions au sein du prolétariat. À l’opposition entre les idéologies nationalistes distillées entre pays vainqueurs et pays vaincus, s’ajoutait la terrible nouvelle de l’écrasement du soulèvement révolutionnaire de Berlin en janvier 1919 et la réaction des armées blanches. La colonne vertébrale du prolétariat international était désormais brisée et la Russie rouge allait être isolée, encerclée plus fortement par les troupes de l’Entente. Cela, même si la création de l’Internationale communiste (IC) en mars 1919 suscitait encore un vif espoir pour une nouvelle poussée de la révolution. Ce contexte, marquant surtout les faiblesses subjectives et les difficultés du prolétariat mondial face à l’action contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, allait accentuer le reflux de la vague révolutionnaire qui devait provoquer par la suite la dégénérescence de la révolution.
Malgré tous ces obstacles, poussé par la dynamique de la vague révolutionnaire, surtout juste après la guerre, le prolétariat en France exprima une forte combativité, notamment lors des grandes grèves de 1919 et 1920 mais ne fut jamais en mesure de prendre le pouvoir aux dépens de la bourgeoisie française. Cette expérience cuisante, devait montrer que les syndicats, et notamment la CGT, assumaient bien un nouveau rôle depuis « l’union sacrée », celui de serviteur de l’État aux visées ouvertement anti-ouvrières. En avril 1919, Clemenceau pouvait déjà s’appuyer sur ces derniers, craignant une grève généralisée. Il allait d’ailleurs accorder la journée de huit heures afin de désamorcer la colère ouvrière, pour tenter de calmer la grogne à titre préventif. (4) En juin, les grèves des métallos, du métro et des transports en région parisienne, comme celle des fonctionnaires, restaient ainsi encadrées par les syndicats, même si elles menaçaient de se politiser. La question de la révolution était bien sur toutes les lèvres et dans les esprits.
En février et mars 1920, la menace se précisait avec la grève très dure des cheminots qui avait démarré à Périgueux avant de s’étendre aux autres compagnies et réseaux, puis à d’autres corporations, notamment aux mineurs du Nord. En mai, marquant le pas du fait de l’enfermement corporatiste soigneusement orchestré par l’action syndicale. Cette grève sera fortement réprimée, sans aucun scrupule, par le gouvernement du « socialiste » Millerand : emprisonnements, révocation de 10 % des cheminots grévistes, soit 18 000 prolétaires ! Le mouvement et les risques d’extension et d’unification pourront alors être contenus et enrayés par le sabotage des grandes fédérations syndicales, notamment grâce à leur tactique dite de « grèves par vagues ». Ces vagues successives ont permis un saucissonnage et un enfermement sectoriel et corporatiste des grèves, étalées dans l’espace et dans le temps, laissant « échapper la vapeur » en jouant sur des dynamiques à contretemps qui ne pouvaient qu’émietter la lutte et la mener à la défaite. Censée officiellement terrasser la bourgeoisie par des « vagues d’assaut », la politique syndicale isolait en réalité paquets par paquets les ouvriers en les épuisant et en les démoralisant, les divisant de manière délibérée : la CGT a d’abord, déclenché une première « vague » avec les marins, les dockers et les mineurs lancés, le 26 avril, seuls au combat. Puis, le 7 mai, une deuxième « vague » avec les ouvriers du bâtiment et les métallos. Ensuite, le 11 juin, une troisième est menée par des travailleurs du gaz et de l’électricité. Plus tard, les ouvriers agricoles… La CGT pouvait ainsi appeler en toute sécurité à la reprise du travail dès le 22 mai ! Cela, même si elle devait le payer immédiatement par un certain discrédit et une fonte brutale de ses effectifs. Une scission syndicale se produira même l’année suivante.
C’est dans ce contexte difficile que le Congrès de la SFIO se tint en décembre 1920 à Tours (ce lieu fut choisi suite à la forte combativité des cheminots du nœud ferroviaire de Saint-Pierre-des-Corps). (5) Lénine, au nom de l’Internationale communiste, adressera « à tous les membres du Parti Socialiste français, à tous les prolétaires conscients de France » un message optimiste et combatif, imprégné des difficultés importantes qui se présentaient à la classe ouvrière : « La France bourgeoise est devenue le rempart de la réaction mondiale. Le capital français s’est chargé de remplir, aux yeux de l’univers entier, le rôle de gendarme international […]. La révolution mondiale en marche n’a pas de pire ennemi que le gouvernement des capitalistes français. Cela impose aux ouvriers français et à leur parti un devoir particulièrement important. L’histoire a voulu que vous, prolétaires français, fussiez chargés de la mission la plus difficile mais aussi la plus noble, celle de repousser les attaques de la plus enragée, de la plus réactionnaire des bourgeoisies du monde ». (6)
Malgré la longue présence des idées communistes en France et les résistances courageuses du prolétariat, les faiblesses théoriques de la gauche de la SFIO avaient favorisé la dispersion, un fort développement de l’opportunisme marqué par le réformisme, un poids des illusions démocratiques et républicaines conduisant à « l’union sacrée ». La scission au Congrès de Tours donnant naissance au PCF (SFIC) ne fut en réalité qu’une sorte de « compromis » sanctionnant l’échec des luttes, que l’IC encouragea par défaut, commettant en cela une lourde erreur. (7)
Quelques années plus tard en 1924, avec la « bolchevisation », c’est-à-dire la pression opportuniste de l’IC et du parti bolchevik sur le PCF, la résistance ouvrière s’est avérée extrêmement faible. Elle était d’ailleurs quasiment compromise au moment où le prolétariat mondial s’engouffrait dans la nuit de la contre-révolution stalinienne. (8)
Incapable de mener un combat résolu contre le développement de l’opportunisme, suivant dans le meilleur des cas les positions de l’IC, le nouveau Parti communiste en France s’avérera incapable de sécréter une aile de gauche conséquente, plus précisément une fraction sérieuse capable de lutter contre sa dégénérescence et celle de l’IC. (9) Son activisme, en pleine contre-révolution, face à la moindre grève, et son alignement stalinien en feront rapidement un des bourreaux les plus actifs du prolétariat. La dispersion très forte de petits groupes et la présence opportuniste de l’Opposition internationale trotskiste ne permettra pas de construire, malgré plusieurs tentatives et initiatives dans les années 1930, une unité et une force politique conséquente. Le travail de loin le plus sérieux d’analyse de la situation mondiale de l’entre-deux guerre, dans la continuité critique du travail de l’IC (avant qu’elle ne sombre dans le stalinisme), ne sera assuré que par une toute petite minorité, celle de la fraction de gauche du PC d’Italie qui, en exil, décida de publier en 1933 la revue Bilan. Le prolétariat, qui avait été tétanisé par la propagande vantant la « victoire » était désormais plongé dans les conditions terribles de la chape de plomb stalinienne. S’il allait tout de même être capable de se mobiliser en pleine période de contre-révolution, ce ne fut que dans le contexte d’un encadrement total sous le joug des forces de gauche de la bourgeoisie.
Ainsi, en mai et juin 1936, des tréfonds de son expérience et de son instinct de lutte, allait bien surgir une grande colère et une mobilisation massive du prolétariat en France. Mais la réalité de la défaite internationale du prolétariat permit à la bourgeoisie d’enfermer les ouvriers dans les usines et de les embrigader idéologiquement dans la guerre, les immenses manifestations ouvrières se plaçant directement sous le signe du drapeau tricolore avec le chant de La Marseillaise. Avec la propagande omniprésente de « l’antifascisme », le prolétariat devait céder ainsi aux mythes et aux sirènes démocratiques du Front populaire, ce qui le livra pieds et poings liés pour la seconde boucherie mondiale. Cette expérience terrible montrait la puissance du piège démocratique, mais aussi la nécessité pour la bourgeoisie de peaufiner sa propagande d’encadrement idéologique anti-ouvrière.
Seules d’infimes minorités, notamment au moment de la guerre d’Espagne en 1937 résisteront sur un terrain de classe et des militants comme Marc Chirik (10) rejoindront la Gauche italienne en défendant la bannière de l’internationalisme prolétarien. Ce camarade jouera un rôle essentiel pour préparer le futur, transmettre la méthode et le patrimoine organisationnel de la Fraction, permettant de renouer avec la tradition marxiste et d’assurer la continuité politique. C’est sous son initiative que se formera en 1942 le Noyau français de la Gauche communiste durant la guerre qui deviendra en 1944 la Fraction française de la Gauche communiste, puis finalement la Gauche communiste de France, publiant L’Étincelle et Internationalisme. Lors de l’orgie d’hystérie chauvine à la « Libération », ces camarades n’hésiteront pas à intervenir par tract et par voie de presse pour dénoncer le patriotisme, défendant de manière rigoureuse, là encore, le principe de l’internationalisme prolétarien.
Quelques années plus tard, en 1947, encore au pic de la contre-révolution, la classe ouvrière en France se montra capable de résister, notamment durant la grève chez Renault avec l’extension aux mines de charbon et dans d’autres secteurs, grèves suivies un an après d’une terrible répression par les CRS et l’armée. (11) À cette époque, les camarades d’Internationalisme intervenaient à contre courant de l’encadrement syndical et de la pression stalinienne dans ces grèves, vendant la presse, diffusant des tracts. Malgré les ténèbres dans laquelle la période l’avait plongée, la résistance ouvrière s’exprimait encore malgré tout. En 1953, la grève de tout le secteur public entraînait deux millions de grévistes dans la rue. Celle de Saint-Nazaire en 1955, où une émeute éclata, saccageant les locaux patronaux et syndicaux, suivi de nombreuses luttes dans les chantiers navals de plusieurs villes, montrait la réalité de fortes poussées de combativité. Mais le prolétariat n’allait enfin pouvoir sortir de la contre-révolution stalinienne et se propulser aux avant-postes du prolétariat international qu’avec le puissant élan de Mai 1968. (12)
Dans le prochain et dernier article de cette série, nous aborderons les luttes qui se sont développées après Mai 68 jusqu’à l’effondrement du bloc de l’Est qui a initié une période de recul de la conscience pour terminer sur la situation qui s’est ouverte par la pandémie de la Covid-19.
WH, août 2021
1) Les « midinettes » étaient appelées ainsi, car elles prenaient leur déjeuner, à midi, sur le pouce.
2) Le quotidien internationaliste Naché slovo (Notre parole), publié en russe à Paris depuis 1914 est interdit en 1916. Trotsky est expulsé de France le 31 octobre de l’année. Les internationalistes, très minoritaires, comme Rosmer ou Monatte, ont été constamment inquiétés.
3) Les fraternisations inquiétaient fortement la bourgeoisie. En France, des soldats russes devenus indisciplinés, censés venir en renfort, mais considérés comme de « fortes têtes » ont été internés dans un camp à la Courtine et sévèrement réprimés au cours de l’année 1917.
4) En 1891 à Fourmies (Nord), l’armée ouvrait le feu sur une manifestation d’ouvriers revendiquant les huit heures. Neuf d’entre eux tombaient sous les balles.
5) « Il y a 100 ans, le congrès de Tours, un anniversaire dévoyé [38]! », Révolution internationale n° 486 (janv.-fév. 2021).
6) Gérard Walter, Lénine (1971).
7) « La boutade de Lénine [adressée] à Trotsky qu’il “fallait nécessairement employer des planches pourries (Cachin) pour arriver aux militants sains de la classe ouvrière” cache les erreurs colossales qui furent commises et qui, toutes, se résument dans ce fait : la croyance que l’on pouvait, grâce à la victoire en Russie, suivre un autre chemin en France pour former un parti que celui suivi par les bolcheviques… ». Extrait de la Résolution « Pour une Fraction française de la Gauche communiste », publiée dans la revue Octobre n° 4 (1938) et reprise dans notre brochure sur La Gauche communiste de France [39].
8) En 1928, Staline faisait adopter par l’IC la doctrine du « socialisme dans un seul pays » qui est la négation même des principes internationalistes du marxisme.
9) Lire notre brochure : Comment le PCF est passé au service du capital [40].
10) « Il y a trente ans disparaissait notre camarade Marc Chirik [41]», disponible sur le site internet du CCI (mars 2021).
11) « Grèves de 1947-1948 en France : la bourgeoisie “démocratique” renforce son État policier contre la classe ouvrière [42] » sur le site internet du CCI.
12) Voir notre brochure : Mai 68 et la perspective révolutionnaire [43].
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-492_bat.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/content/10648/crise-covid-demontre-limpasse-du-capitalisme
[3] https://fr.internationalism.org/content/10582/luttes-aux-etats-unis-iran-italie-coree-ni-pandemie-ni-crise-economique-nont-brise
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/coronavirus
[5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/covid-19
[6] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/omicron
[7] https://fr.internationalism.org/isme/326/vigo
[8] https://fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html
[9] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne
[10] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/cadix
[11] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[12] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/sncf
[13] https://fr.internationalism.org/ri364/public.htm
[14] https://fr.internationalism.org/ri371/public.html
[15] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/hopital
[16] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[17] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/antilles
[18] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guadeloupe
[19] https://fr.internationalism.org/rinte60/edito.htm
[20] https://fr.internationalism.org/tag/5/399/ukraine
[21] https://fr.internationalism.org/tag/5/513/russie
[22] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/poutine
[23] https://disclose.ngo/fr/article/france-partenaire-des-crimes-des-emirats
[24] https://fr.internationalism.org/icconline/201506/9225/ventes-rafales-francais-lillustration-dun-systeme-qui-seme-mort
[25] https://fr.internationalism.org/tag/30/526/emmanuel-macron
[26] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/rafales
[27] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/emirats-arabes-unis
[28] https://fr.internationalism.org/french/rint/117_decomposition.htm
[29] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201609/9443/l-insurrection-dublin-1916-et-question-nationale
[30] https://fr.internationalism.org/french/rint/118_decadence.htm
[31] https://fr.internationalism.org/rinte121/decadence.html
[32] https://fr.internationalism.org/content/10105/dossier-special-covid-19-vrai-tueur-cest-capitalisme
[33] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[34] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decomposition
[35] https://fr.internationalism.org/content/10685/quest-ce-combat-historique-classe-ouvriere-partie-2
[36] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[37] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[38] https://fr.internationalism.org/content/10387/il-y-a-100-ans-congres-tours-anniversaire-devoye
[39] https://fr.internationalism.org/brochure/gcf
[40] https://fr.internationalism.org/brochures/pcf
[41] https://fr.internationalism.org/content/10429/il-y-a-trente-ans-disparaissait-notre-camarade-marc-chirik
[42] https://fr.internationalism.org/content/9874/greves-1947-1948-france-bourgeoisie-democratique-renforce-son-etat-policier-contre
[43] https://fr.internationalism.org/files/fr/mai_68.pdf
[44] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/commune-paris-1871
[45] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/mai-1968