La théorie de la décadence au coeur du matérialisme historique (IV)

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De Marx à la Gauche communiste (1e partie)

 

Dans le premier article de cette série publié dans le n°118 de la Revue internationale nous avons vu en quoi la théorie de la décadence constitue le coeur même du matérialisme historique dans l’analyse de l’évolution des modes de production chez Marx et Engels. C’est à ce titre que nous la retrouverons au centre des textes programmatiques des organisations de la classe ouvrière. De plus, non contentes de reprendre ce fondement du marxisme, certaines d’entre-elles en développeront l’analyse et/ou les implications politiques. C’est selon ce double point de vue que nous nous proposons ici de brièvement passer en revue les principales expressions politiques du mouvement ouvrier en commençant, dans cette première partie, par le mouvement ouvrier à l’époque de Marx, la Deuxième Internationale, les gauches marxistes qui s’en dégageront ainsi que l’Internationale Communiste à sa constitution. Dans une seconde partie de cet article qui paraîtra ultérieurement, nous examinerons plus particulièrement le cadre d’analyse des positions politiques élaborées par la 3e Internationale puis par les fractions de gauche qui s’en dégageront au cours de sa dégénérescence et constitueront le courant des groupes de la Gauche communiste qui sont à la base de notre propre filiation politique et organisationnelle.

Le mouvement ouvrier au temps de Marx

Marx et Engels ont toujours très clairement exprimé que la perspective de la révolution communiste dépendait de l'évolution matérielle, historique et globale du capitalisme. Dès lors, la conception selon laquelle un mode de production ne peut expirer avant que les rapports de production sur lesquels il s’appuie soient devenus des entraves au développement des forces productives, fut à la base de toute l’activité politique de Marx et Engels et de l'élaboration de tout programme politique prolétarien.

 

Si, à deux reprises, Marx et Engels ont cru déceler l’avènement de la décadence du capitalisme (1), ils ont néanmoins rapidement corrigé leurs appréciations et reconnu que le capitalisme était encore un système progressif. Leur vision, déjà ébauchée dans Le Manifeste Communiste et approfondie dans tous leurs écrits de cette époque, selon laquelle le prolétariat venant au pouvoir dans cette période aurait comme principale tâche de développer le capitalisme de la façon la plus progressive possible, et non simplement de le détruire, était une expression de cette analyse. C’est pourquoi la pratique des marxistes de la 1ere Internationale était avec raison basée sur l'analyse selon laquelle, tant que le capitalisme avait encore un rôle progressif à jouer, il était nécessaire pour le mouvement ouvrier de soutenir les mouvements bourgeois qui préparaient le terrain historique du socialisme : "Il a déjà été dit plus haut que le premier pas dans la révolution ouvrière est la montée du prolétariat au rang de classe dominante, la conquête de la démocratie. Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher peu à peu toute espèce de capital à la bourgeoisie... (...) Les communistes combattent pour les intérêts et les buts immédiats de la classe ouvrière ; mais dans ce mouvement du présent, ils représentent en même temps l’avenir. En France, ils se rallient au parti démocrate-socialiste contre la bourgeoisie conservatrice et radicale, sans renoncer au droit d’exercer leur critique contre les phrases et les illusions léguées par la tradition révolutionnaire. En Suisse, ils appuient les radicaux, sans méconnaître que ce parti se compose d’éléments disparates, démocrates socialistes, au sens français du mot, et bourgeois radicaux. Chez les Polonais, les communistes soutiennent le parti qui voit dans une révolution agraire la condition de l’émancipation nationale, c’est-à-dire le parti qui déclencha, en 1846, l’insurrection de Cracovie. En Allemagne, le parti communiste fait front commun avec la bourgeoisie, lorsqu’elle adopte une conduite révolutionnaire contre la monarchie absolue, la propriété féodale et les ambitions de la petite-bourgeoisie. (...) Partout, les communistes travaillent pour l’union et l’entente des partis démocratiques de tous les pays." (Le Manifeste Communiste, La Pléiade, Economie I) (2).Parallèlement à cela, il était nécessaire que les ouvriers continuent à se battre pour des réformes tant que le développement du capitalisme les rendait possibles et, dans cette lutte, "les communistes combattent pour les intérêts et les buts immédiats de la classe ouvrière..." comme le dit Le Manifeste. Ces positions matérialistes étaient défendues contre les appels a-historiques des anarchistes à une abolition immédiate du capitalisme et leur opposition complète à des réformes (3).

La Deuxième Internationale : héritière de Marx et Engels

La 2e Internationale a rendu encore plus explicite cette adaptation de la politique du mouvement ouvrier à la période, en adoptant un programme minimum de réformes immédiates (reconnaissance des syndicats, diminution de la journée de travail, etc.), en même temps qu'un programme maximum, le socialisme, à mettre en pratique le jour où l'inévitable crise historique du capitalisme surviendrait. Ceci apparaît très clairement dans le programme d’Erfurt qui concrétisait la victoire du marxisme au sein de la Social-Démocratie : "La propriété privée des moyens de production a changé... par la force motrice du progrès elle est devenue la cause de la dégradation sociale et de la ruine. (...) Sa chute est certaine, la seule question à laquelle il faut répondre est : laissera-t-on le système de la propriété privée des moyens de production entraîner la société dans sa chute aux abysses ou la société secouera-t-elle ce fardeau et s'en débarrassera-t-elle ? (...) Les forces productives qui ont été produites dans la société capitaliste sont devenus irréconciliables avec le système même sur lequel elles ont été bâties. La tentative de soutenir ce système de propriété rend impossible tout nouveau développement social et condamne la société à la stagnation et à la décadence. (...) Le système social capitaliste a fini sa course, sa dissolution est maintenant une question de temps. Tel un destin implacable, les forces économiques mènent la production capitaliste au naufrage, la construction d'un nouvel ordre social à la place de celui qui existe n'est plus quelque chose de simplement désirable, il est devenu quelque chose d'inévitable. (...) Telles que sont les choses aujourd'hui la civilisation ne peut durer nous devons avancer vers le socialisme ou retomber dans la barbarie. (...) L'histoire de l'humanité est déterminée non par les idées mais par le développement économique qui progresse irrésistiblement obéissant à des lois sous-jacentes précises et non aux souhaits ou aux fantaisies de quiconque" (Notre traduction, extrait du programme d’Erfurt relu, corrigé et soutenu par Engels (4) : Kautsky 1965, Das Erfurter Programm Le programme d’Erfurt , Berlin, Dietz-Verlag ).

Mais pour la majorité des principaux leaders officiels de la Deuxième Internationale, le programme minimum deviendra de plus en plus le seul programme véritable de la Social-Démocratie : "Le but final, quel qu'il soit, n'est rien. Le mouvement est tout", selon les mots de Bernstein. Le Socialisme et la révolution prolétarienne se réduisirent à des platitudes rabâchées comme des sermons lors des parades du premier mai, tandis que l'énergie du mouvement officiel était de plus en plus concentrée sur l'obtention pour la Social-Démocratie d'une place à l'intérieur du système capitaliste, quel qu'en fût le prix. Inévitablement, l'aile opportuniste de la Social-Démocratie commença à rejeter l'idée même de la nécessité de destruction du capitalisme et de révolution sociale, pour défendre l'idée de la possibilité d'une transformation lente, graduelle, du capitalisme au socialisme.

La Gauche marxiste au sein de la Deuxième Internationale

En réponse au développement de l’opportunisme au sein de la 2e Internationale se développèrent des fractions de gauche dans de nombreux pays. Ces dernières seront à la base de la constitution des Partis communistes qui vont naître suite à la trahison de l’internationalisme prolétarien par la Social-Démocratie lors de l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Ces fractions défendront haut et fort le flambeau du marxisme en reprenant l’héritage de la 2e Internationale, tout en le développant face aux nouveaux enjeux posés par l’ouverture de la nouvelle période du capitalisme ouverte avec l’éclatement de la guerre, celle de sa décadence.

Ces courants sont apparus au moment où le système capitaliste vivait la dernière phase de son ascension, où l'expansion impérialiste commençait à laisser percevoir la perspective d'affrontements entre les grandes puissances dans le jeu du capitalisme mondial et où la lutte de classe se faisait de plus en plus dure (développement de grèves générales politiques et surtout de grèves de masse dans plusieurs pays). Contre l'opportunisme de Bernstein et Cie, la Gauche de la Social-Démocratie les Bolcheviks, le groupe des Tribunistes hollandais, Rosa Luxemburg et d'autres révolutionnaires allaient défendre l’analyse marxiste dans toutes ses implications : comprendre la dynamique de la fin de la phase ascendante du capitalisme et l’inéluctabilité de la faillite du capitalisme (5), les raisons des dérives opportunistes (6) et la réaffirmation de la nécessité d'une destruction violente et définitive du capitalisme (7). Malheureusement, tout ce travail théorique de la part des fractions de gauche ne se réalisera pas à l’échelle internationale ; dès lors, ces dernières se présenteront en ordre dispersé et avec des degrés d’analyse et de compréhension différents face aux formidables bouleversements sociaux du début du 20e siècle, représentés par l’éclatement de la Première Guerre mondiale et le développement de mouvements insurrectionnels à l’échelle internationale. Nous n’avons pas ici la prétention de faire ni une présentation, ni une analyse détaillée de toutes les contributions des fractions de gauche sur ces questions ; nous nous limiterons à quelques prises de position clés de ce qui va constituer les deux colonnes vertébrales de la nouvelle Internationale le Parti bolchévique et le Parti communiste allemand au travers de ses deux représentants les plus éminents : Lénine et Rosa Luxemburg.

Si Lénine n’utilise pas le vocable d’ascendance et de "décadence" mais des termes et des expressions comme "l’époque du capitalisme progressiste", "ancien facteur de progrès", "l’époque de la bourgeoisie progressive" pour caractériser la période ascendante du capitalisme et "l’époque de la bourgeoisie réactionnaire", "le capitalisme est devenu réactionnaire", "un capitalisme agonisant", "l’époque du capitalisme qui a atteint sa maturité" pour caractériser la période décadente du capitalisme, il utilise néanmoins pleinement le concept et ses implications essentielles, notamment pour analyser correctement la nature de la Première Guerre mondiale. Ainsi, à l’opposé des sociaux-traîtres qui, s’appuyant sur les analyses faites par Marx pendant la phase ascendante du capitalisme, continuaient à prôner un soutien conditionnel à certaines fractions bourgeoises et à leurs luttes de libération nationale, Lénine sera capable d’identifier dans la Première Guerre mondiale l’expression d’un système ayant épuisé sa mission historique, nécessitant par là son dépassement par une révolution à l’échelle mondiale. De là, sa caractérisation de guerre impérialiste totalement réactionnaire à laquelle il fallait opposer l’Internationalisme prolétarien et la révolution : "De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu réactionnaire ; il a développé les forces productives au point que l'humanité n'a plus qu'à passer au socialisme, ou bien à subir durant des années, et même des dizaines d'années, la lutte armée des "grandes" puissances pour le maintien artificiel du capitalisme à l'aide de colonies, de monopoles, de privilèges et d'oppressions nationales de toute nature." (Les principes du socialisme et la guerre de 1914-1918 – "La guerre actuelle est une guerre impérialiste") ; "L’époque de l’impérialisme capitaliste est l’époque du capitalisme qui a atteint sa maturité et qui a dépassé sa période de maturité, qui est à l’orée de sa ruine, mûr pour laisser la place au socialisme. La période de 1789 à 1871 a été l’époque du capitalisme progressiste : à l’ordre du jour figuraient la renversement du féodalisme, de l’absolutisme, la libération du joug étranger..." (L’opportunisme et la banqueroute de la 2e Internationale, janvier 1916) ; "De tout ce qui a été dit plus haut de l'impérialisme, il ressort qu'on doit le caractériser comme un capitalisme de transition ou, plus exactement, comme un capitalisme agonisant. (...) le parasitisme et la putréfaction caractérisent le stade historique suprême du capitalisme c'est-à-dire l'impérialisme. (...) L'impérialisme est le prélude de la révolution sociale du prolétariat. Cela s'est confirmé, depuis 1917, à l'échelle mondiale." (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme).

Les positions prises face à la guerre et à la révolution ont toujours constitué des lignes de démarcation claires au sein du mouvement ouvrier. La capacité de Lénine à cerner la dynamique historique du capitalisme, à reconnaître la fin de "l’époque du capitalisme progressiste" et que "le capitalisme est devenu réactionnaire", lui a, non seulement, permis de clairement caractériser la première guerre mondiale mais également la nature et la portée de la révolution en Russie. En effet, lorsque la situation révolutionnaire mûrit dans ce pays, la compréhension qu'avaient les Bolcheviks des tâches qu'imposait la nouvelle période leur permit de lutter contre les conceptions mécanistes et nationalistes des Mencheviks. Lorsque ces derniers tentèrent de minimiser l'importance de la vague révolutionnaire sous prétexte du trop grand "sous-développement de la Russie pour le socialisme", les Bolcheviks affirmèrent que le caractère mondial de la guerre impérialiste révélait que le capitalisme mondial était arrivé au stade de maturation nécessaire à la révolution socialiste. En conséquence, ils luttaient pour la prise du pouvoir de la classe ouvrière, considérant cette tâche comme un prélude à la révolution prolétarienne mondiale.

Parmi les premières et plus claires expressions de cette défense du marxisme, il y eut la brochure Réforme ou Révolution écrite par Rosa Luxemburg en 1899 qui, tout en reconnaissant que le capitalisme était encore en expansion grâce à de "brusques sursauts expansionnistes" (c'est-à-dire à l'impérialisme), insistait sur le fait que le capitalisme allait de façon inévitable vers sa "crise de sénilité" et amènerait la nécessité immédiate de la prise de pouvoir révolutionnaire du prolétariat. De plus, avec beaucoup de perspicacité politique, Rosa Luxemburg a été capable de percevoir les nouvelles exigences posées par ce changement de période historique au niveau de la lutte et des positions politiques du prolétariat notamment concernant la question syndicale, la tactique parlementaire, la question nationale et les nouvelles méthodes de lutte au travers de la grève de masse (8) : Sur les syndicats : "Quand le développement de l’industrie aura atteint son apogée et que sur le marché mondial commencera pour le capital la phase descendante, la lutte syndicale deviendra difficile (...) A ce stade la lutte se réduit nécessairement de plus en plus à la simple défense des droits acquis, et même celle-ci devient de plus en plus difficile. Telle est la tendance générale de l’évolution dont la contre-partie doit être le développement de la lutte de classe politique et sociale." (Rosa Luxemburg, Réformes ou Révolution, Maspéro 1971 [1898] : 35). Sur le parlementarisme : "Assemblée nationale ou tout le pouvoir aux Conseils des ouvriers et soldats, abandon du socialisme ou lutte de classe la plus résolue du prolétariat armé contre la bourgeoisie : voilà le dilemme. Réaliser le socialisme par la voie parlementaire, par simple décision majoritaire, que voilà un projet idyllique ! (...) Le parlementarisme, il est vrai, fut une arène de la lutte de classe du prolétariat, et cela tant que dura la vie tranquille de la société bourgeoise. Il fut alors une tribune du haut de laquelle nous pouvions rassembler les masses autour du drapeau du socialisme et l’éduquer pour la lutte. Mais aujourd’hui, nous sommes au coeur même de la révolution prolétarienne, et il s’agit à présent d’abattre l’arbre même de l’exploitation capitaliste. Le parlementarisme bourgeois, tout comme la domination de classe bourgeoise qui fut sa raison d’être la plus éminente, a perdu sa légitimité. A présent, la lutte de classe fait irruption à visage découvert, le Capital et le Travail n’ont plus rien à se dire, il ne leur reste plus qu’à s’empoigner d’une étreinte de fer et à trancher l’issue de cette lutte à mort." (Rosa Luxemburg, Assemblée nationale ou gouvernement des conseils ?, Ed. La Brèche 1978 [17 décembre 1918] : 45, 48). Sur la question nationale : "La guerre mondiale ne sert ni la défense nationale, ni les intérêts économiques ou politiques des masses populaires quelles qu’elles soient, c’est uniquement un produit de rivalités impérialistes entre les classes capitalistes de différents pays pour la suprématie mondiale et pour le monopole de l’exploitation et de l’oppression des régions qui ne sont pas encore soumises au Capital. A l’époque de cet impérialisme déchaîné, il ne peut plus y avoir de guerre nationale. Les intérêts nationaux ne sont qu’une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l’impérialisme." (La crise de la Social-Démocratie, 1915).

La décadence au centre de l’analyse de l’Internationale communiste

Portée par les mouvements révolutionnaires qui mirent fin à la Première Guerre mondiale, la constitution de la 3e Internationale (Internationale communiste ou IC) s’est appuyée sur ce constat de la fin du rôle historiquement progressif de la bourgeoisie dégagé par les gauches marxistes au sein de la 2e Internationale. L’IC et les groupes qui la constituent, confrontés à la tâche de comprendre le tournant marqué par l’éclatement de la Première Guerre mondiale et l’émergence de mouvements insurrectionnels à l’échelle internationale, feront de la "décadence" à un degré ou à un autre la clé de leur compréhension de la nouvelle période qui venait de s’ouvrir. Ainsi, dans la plate-forme de la nouvelle Internationale est-il précisé que : "Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat" (1er Congrès, reprint Maspéro, p.19) et ce cadre d’analyse se retrouvera, peu ou prou, dans toutes ses prises de position (9) comme dans les "Thèses sur le parlementarisme" adoptées au 2e Congrès : "Le communisme doit prendre pour point de départ l’étude théorique de notre époque (apogée du capitalisme, tendances de l’impérialisme à sa propre négation et à sa propre destruction...)" (op. cité, p.66).

Ce cadre d’analyse apparaîtra avec encore plus de netteté dans le "Rapport sur la situation internationale" écrit par Trotsky et adopté au 3e Congrès : "Les oscillations cycliques disions-nous dans notre rapport au 3e Congrès de l’IC accompagnent le développement du capitalisme dans sa jeunesse, sa maturité et sa décadence comme le tic-tac du coeur dure chez un homme dans son agonie même" (Trotsky, "Le flot monte", 1922) et attesté par les discussions qui se sont développées autour de ce rapport : "Nous avons vu certes hier en détail comment le camarade Trotsky et tous ceux qui sont ici seront, je pense, d’accord avec lui se représente les rapports entre d’un côté les petites crises et les petites périodes d’essor cycliques et momentanées et, de l’autre côté, le problème de l’essor et du déclin du capitalisme, envisagé sur de grandes périodes historiques. Nous serons tous d’accord que la grande courbe qui allait vers le haut va maintenant irrésistiblement vers le bas, et qu’à l’intérieur de cette grande courbe, aussi bien lorsqu’elle monte que maintenant qu’elle descend, se produisent des oscillations" (Authier D., Dauvé G., Ni parlement ni syndicats : les Conseils ouvriers !, Edition "Les nuits rouges", 2003) (10). Enfin, plus explicitement encore, ce cadre d’analyse de la décadence du capitalisme sera réaffirmé dans la "Résolution sur la tactique de l’IC" à son 4e Congrès : "II. La période de décadence du capitalisme. Après avoir analysé la situation économique mondiale, le Troisième Congrès put constater avec la plus complète précision que le capitalisme, après avoir accompli sa mission de développer les forces productrices, est tombé dans la contradiction la plus irréductible avec les besoins non seulement de l’évolution historique actuelle, mais aussi avec les conditions d’existence humaine les plus élémentaires. Cette contradiction fondamentale se refléta particulièrement dans la dernière guerre impérialiste et fut encore aggravée par cette guerre qui ébranla, de la manière la plus profonde, le régime de la production et de la circulation. Le capitalisme qui se survit ainsi à lui-même, est entré dans la phase où l’action destructrice de ses forces déchaînées ruine et paralyse les conquêtes économiques créatrices déjà réalisées par le prolétariat dans les liens de l’esclavage capitaliste. (...) Ce que le capitalisme traverse aujourd’hui n’est autre que son agonie." (op. cité).

L’analyse de la signification politique de la Première Guerre mondiale

L'explosion de la guerre impérialiste en 1914 marque un tournant décisif aussi bien dans l'histoire du capitalisme que dans celle du mouvement ouvrier. Le problème de la "crise de sénilité" du système n'était plus un débat théorique entre différentes fractions du mouvement ouvrier. La compréhension du fait que la guerre ouvrait une nouvelle période pour le capitalisme, en tant que système historique, exigeait un changement dans la pratique politique dont les fondements devinrent une frontière de classe : d'un côté les opportunistes qui montrèrent clairement leur visage d'agents du capitalisme en "ajournant" la révolution par 1'appel à la "défense nationale" dans une guerre impérialiste et, de l'autre, la gauche révolutionnaire les Bolcheviks autour de Lénine, le groupe "Die Internationale", les radicaux de gauche de Brème, les Tribunistes hollandais, etc. qui se réunirent à Zimmerwald et Kienthal et affirmèrent que la guerre marquait l'ouverture de l'ère "de guerres et de révolutions" et que la seule alternative à la barbarie capitaliste était le soulèvement révolutionnaire du prolétariat contre la guerre impérialiste. De tous les révolutionnaires qui assistèrent à ces conférences, les plus clairs sur la question de la guerre furent les Bolcheviks et cette clarté découle directement de la conception que le capitalisme était rentré dans sa phase de décadence puisque "l’époque de la bourgeoisie progressive" avait fait place à "l’époque de la bourgeoisie réactionnaire" comme l’affirme sans ambiguïté la citation suivante de Lénine : "Les sociaux-démocrates russes (Plekhanov en tête) invoquent la tactique de Marx dans la guerre de 1870 ; les social-chauvins allemands (genre Lensch, David et Cie) invoquent les déclarations d’Engels en 1891 sur la nécessité pour les socialistes allemands de défendre la patrie en cas de guerre contre la Russie et la France réunies... Toutes ces références déforment d’une façon révoltante les conceptions de Marx et Engels par complaisance pour la bourgeoisie et les opportunistes... Invoquer aujourd’hui l’attitude de Marx à l’égard des guerres de l’époque de la bourgeoisie progressive et oublier les paroles de Marx : "Les ouvriers n’ont pas de patrie", paroles qui se rapportent justement à l’époque de la bourgeoisie réactionnaire qui a fait son temps, à l’époque de la révolution socialiste, c’est déformer cyniquement la pensée de Marx et substituer au point de vue socialiste le point de vue bourgeois." (Lénine 1915, tome 21)

Cette analyse politique de la signification historique de l’éclatement de la Première Guerre mondiale a déterminé le positionnement de l’ensemble du mouvement révolutionnaire, depuis les fractions marxistes au sein de la 2e Internationale (11) jusqu’aux groupes de la Gauche communiste en passant par la 3e Internationale. C’est ce qu’avait d’ailleurs prédit Engels dès la fin du 19e siècle : "Friedrich Engels a dit un jour "La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie". Mais que signifie donc une "rechute dans la barbarie" au degré de civilisation que nous connaissons en Europe aujourd’hui ? Jusqu’ici nous avons lu ces paroles sans y réfléchir et nous les avons répétées sans en pressentir la terrible gravité. Jetons un coup d’oeil autour de nous en ce moment même, et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoise dans la barbarie. Le triomphe de l'impérialisme aboutit à l'anéantissement de la civilisation, sporadiquement pendant la durée d'une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. C'est exactement ce que F. Engels avait prédit, une génération avant nous, voici quarante ans. Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien, victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. C'est là un dilemme de l'histoire du monde, un ou bien - ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Celui-ci doit résolument jeter dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l'avenir de la civilisation et de l'humanité en dépendent." (Luxemburg 1970 [1915]). C’est également ce qu’avaient bien compris et déterminé toutes les forces révolutionnaires qui vont participer à la création de l’Internationale communiste. Ainsi, dans ses statuts, il est très clairement rappelé que "La 3e Internationale communiste s’est constituée à la fin du carnage impérialiste de 1914-18, au cours duquel la bourgeoisie des différents pays a sacrifié 20 millions de vies. Souviens-toi de la guerre impérialiste ! Voilà la première parole que l’Internationale communiste adresse à chaque travailleur, quelles que soient son origine et la langue qu’il parle. Souviens-toi que, du fait de l’existence du régime capitaliste, une poignée d’impérialistes a eu, pendant quatre longues années, la possibilité de contraindre les travailleurs de partout à s’entr’égorger ! Souviens-toi que la guerre bourgeoise a plongé l’Europe et le monde entier dans la famine et le dénuement ! Souviens-toi que sans le renversement du capitalisme, la répétition de ces guerres criminelles est non seulement possible, mais inévitable ! (...) L’Internationale communiste considère la dictature du prolétariat comme l’unique moyen disponible pour arracher l’humanité aux horreurs du capitalisme." (Quatre Premiers Congrès de l’IC).

Oui, plus que jamais, nous devons nous "souvenir" de l’analyse de nos illustres prédécesseurs et nous devons la réaffirmer avec d’autant plus de force que les groupuscules parasitaires tentent de la faire passer pour de "l’humanisme et du moralisme bourgeois", en banalisant la guerre impérialiste et les génocides. Sous le prétexte d’une critique de la théorie de la décadence, c’est à une attaque en règle contre les acquis fondamentaux du mouvement ouvrier qu’ils procèdent : "Par exemple, pour nous démontrer que le mode de production capitaliste est en décadence, Sander nous affirme que sa caractéristique est le génocide et que plus des trois quarts des morts par guerre des 500 dernières années se sont produites dans le 20e siècle. Ce type d’arguments est également présent dans la pensée millénariste. Pour les témoins de Jéhovah, la Première Guerre mondiale constituerait un tournant de l’histoire du fait de sa grandeur et de son intensité. A les croire, le nombre de morts pendant la Première Guerre mondiale aurait été "... sept fois plus important que toutes les 901 principales guerres précédentes durant les 2 400 années avant 1914 (...)". Selon la polémologue Ruth Leger Sivard, dans un ouvrage publié en 1996, le siècle aurait fait environ 110 millions de morts en 250 guerres. Si nous extrapolons ce résultat pour terminer le siècle nous obtenons environ 120 millions de morts, 6 fois plus qu’au 19e siècle. Rapporté à la population moyenne du siècle le rapport relatif tombe à 2. (...) Même après cela, l’effet des guerres reste inférieur aux effets des mouches et des moustiques... (...) Ce n’est pas en se ralliant aux concepts propres au droit bourgeois moderne (comme celui du génocide), façonné par l’idéologie démocratique et des droits de l’homme sur les décombres de la Deuxième Guerre mondiale que l’on fera avancer le matérialisme et encore moins la compréhension de l’histoire du mode de production capitaliste." (Robin Goodfellow, "Camarade, encore un effort pour ne plus être révolutionnaire").

Comparer les ravages des guerres impérialistes à quelque chose qui reste "inférieur aux effets des mouches et des moustiques" est un véritable crachat à la figure des millions de prolétaires qui ont été massacrés sur les champs de bataille et des milliers de révolutionnaires qui ont sacrifié leurs vies pour arrêter le bras armé de la bourgeoisie et hâter les luttes révolutionnaires. C’est une insulte scandaleuse jetée à la figure des générations de communistes qui ont combattu de toutes leurs forces pour dénoncer les guerres impérialistes. Comparer les analyses léguées par Marx, Engels et tous nos illustres prédécesseurs de l’Internationale communiste et de la Gauche communiste à celles des Témoins de Jéhovah et du moralisme bourgeois est une véritable insanité. Face à de tels propos nous rejoignons pleinement Rosa Luxemburg lorsqu’elle affirmait que l’indignation du prolétariat est une force révolutionnaire !

Pour ces éléments parasitaires, toute la 3e Internationale, les Lénine, Trotsky, Bordiga, etc. se seraient fourvoyés dans un lamentable malentendu en confondant stupidement la Première Guerre mondiale qu’ils voyaient comme "le plus grand des crimes" ("Plate-forme" de l’IC, ibid.) avec ce qui n’aurait été quelque chose qui "reste inférieur aux effets des mouches et des moustiques". Tous ces révolutionnaires qui ont pensé que la guerre impérialiste est la plus gigantesque des catastrophes pour le prolétariat et le mouvement ouvrier dans son ensemble, "La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé de fond en comble toutes les conquêtes des batailles syndicalistes et parlementaires." (Manifeste de l’IC, ibid.), auraient commis la plus grave des méprises : avoir théorisé la Première Guerre mondiale comme ouvrant la période de décadence du capitalisme : "La période de décadence du capitalisme. (...) le capitalisme, après avoir accompli sa mission de développer les forces productrices, est tombé dans la contradiction la plus irréductible avec les besoins non seulement de l’évolution historique actuelle, mais aussi avec les conditions d’existence humaine les plus élémentaires. Cette contradiction fondamentale se refléta particulièrement dans la dernière guerre impérialiste et fut encore aggravée par cette guerre..." (op. cit.). Le mépris souverain de ces parasites pour les acquis du mouvement ouvrier qui ont été inscrits en lettres de sang par nos frères de classe, n’a d’égaux que le dédain de la bourgeoisie pour la misère ouvrière et le cynisme désincarné des chiffres bruts utilisés par cette même bourgeoisie pour vanter les mérites du capitalisme. Pour paraphraser la formule célèbre de Marx à propos de Proudhon et de la misère, 'ces parasites ne voient dans les chiffres que les chiffres et non leur signification sociale et politique révolutionnaire' (12). Tous les révolutionnaires de l’époque avaient, eux, bien saisi tout le caractère qualitativement différent, toute la signification sociale et politique de ce "massacre massif des troupes d’élite du prolétariat international" : "Mais le déchaînement actuel du fauve impérialiste dans les campagnes européennes produit encore un autre résultat qui laisse le "monde civilisé" tout à fait indifférents (et nos parasites d’aujourd’hui, ndlr) : c’est la disparition massive du prolétariat européen. Jamais une guerre n’avait exterminé dans ces proportions des couches entières de population (...) c’est la population ouvrière des villes et des campagnes qui constitue les neuf dixièmes de ces millions de victimes (...) ce sont les forces les meilleures, les plus intelligentes, les mieux éduquées du socialisme international (...) Le fruit de dizaines d’années de sacrifices et d’efforts de plusieurs générations est anéanti en quelques semaines, les troupes d’élite du prolétariat international sont décimées (...) Ici, le capitalisme découvre sa tête de mort, ici il trahit que son droit d’existence historique a fait son temps, que le maintien de sa domination n’est plus compatible avec le progrès de l’humanité." (Rosa Luxemburg, La crise de la Social-Démocratie, 1915, édition La Taupe 1970) (13).

 

C. Mcl

1 Pour plus de détails, lire notre premier article dans le n°118 de cette Revue.

2 Malheureusement, ce que la vision de Marx exprimait à cette époque avec justesse, a été utilisé comme une confusion réactionnaire dans la période de décadence par ceux qui invoquent les mesures prônées dans Le Manifeste Communiste comme si elles étaient adaptées à l'époque actuelle.

3 Ces dernières positions, apparemment ultra-révolutionnaires, étaient en fait l'expression du désir petit-bourgeois "d’abolir" le capitalisme et le travail salarié, non pas en avançant vers leur dépassement historique, mais en régressant vers un monde de petits producteurs indépendants.

4 Le premier article de cette série avait déjà clairement montré, à l’aide de nombreuses citations puisées dans l’ensemble de leur oeuvre, que le concept de décadence ainsi que le terme lui-même trouvaient leur origine chez Marx et Engels et constituaient le coeur du matérialisme historique dans la compréhension de la succession des modes de production. Ceci venait clairement infirmer les assertions totalement farfelues de la revue académiste Aufheben prétendant que "La théorie du déclin capitaliste est apparue pour la première fois dans la Deuxième Internationale" (dans la série d’articles intitulée : "Sur la décadence. Théorie du déclin ou déclin de la théorie", parue dans les n°2, 3 et 4 de Aufheben). Cependant, en reconnaissant que la théorie de la décadence est bel et bien au centre même du programme marxiste de la 2e Internationale, elle vient clairement démentir l’éventail des différents certificats de naissance tout aussi farfelus les uns que les autres, inventés par la kyrielle de groupes parasitaires : ainsi, pour la FICCI (Bulletin communiste n°24, avril 2004), elle naîtrait à la fin du 19è siècle : "nous avons présenté l'origine de la notion de décadence autour des débats sur l'impérialisme et l'alternative historique de guerre ou révolution qui ont eu lieu à la fin du 19e siècle face aux profondes transformations vécues alors par le capitalisme", alors que, pour la RIMC (Revue internationale du Mouvement communiste, "Dialectique des forces productives et des rapports de production dans la théorie communiste"), elle serait née après la Première Guerre mondiale "Le but de ce travail est d'effectuer une critique globale et définitive du concept de "décadence" qui empoisonne la théorie communiste comme une de ses déviations majeures nées dans le premier après guerre, et qui empêche tout travail scientifique de restauration de la théorie communiste par son caractère foncièrement idéologique". Enfin, pour Perspective internationaliste ("Vers une nouvelle théorie de la décadence du capitalisme"), ce serait Trotsky qui serait l’inventeur de ce concept : "Le concept de décadence du capitalisme a surgi dans la 3e Internationale, où il a été développé en particulier par Trotsky". La seule chose que tous ces groupuscules ont en commun est la critique de notre organisation et, en particulier, de notre théorie de la décadence ; mais en réalité aucun ne sait vraiment de quoi il parle.

5 Ce que feront, par exemple, Lénine dans L’impérialisme stade suprême du capitalisme ou Rosa Luxemburg dans L’accumulation du capital.

6 Ce que feront également, par exemple, Rosa Luxemburg dans Réforme ou Révolution et Lénine plus tard dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky.

7 Ce que feront encore Lénine et Rosa Luxemburg dans respectivement L’Etat et la Révolution et Que veut la Ligue Spartakiste ?.

8 Lire son ouvrage Grève de masse, parti et syndicats.

9 Nous illustrerons plus amplement cette idée dans la seconde partie de cet article.

10 Cette citation est extraite de l’intervention d’Alexander Schwab, délégué du KAPD, au 3e Congrès de l’Internationale communiste, dans la discussion à propos du rapport de Trotsky sur la situation économique mondiale : "Thèses sur la situation mondiale et la tâche de l’Internationale communiste". Elle restitue bien le sens et la teneur, mais surtout le cadre conceptuel de ce rapport et de la discussion dans l’IC autour de la notion d’essor et de déclin du capitalisme à l’échelle des "grandes périodes historiques".

11 "Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde. C’est une folie insensée de s’imaginer que nous n’avons qu’à laisser passer la guerre, comme le lièvre attend la fin de l’orage sous un buisson, pour reprendre ensuite gaiement son petit train. La guerre mondiale a changé les conditions de notre lutte et nous a changé nous-mêmes radicalement." (Luxemburg, La crise de la Social-Démocratie, 1915, édition "La Taupe" : 59-60).

12 Même au niveau des chiffres, nos censeurs sont bien obligés de reconnaître, après de "savants" calculs, que le "rapport relatif" du nombre de morts en décadence est le double de la période ascendante... ce qui les laisse toujours de marbre.

13 Si nous avons cru bon de prendre la place nécessaire pour dénoncer de telles insultes, c’est non seulement pour les stigmatiser et défendre les acquis théoriques de générations entières de prolétaires et de révolutionnaires, mais aussi pour fermement dénoncer le petit milieu parasitaire qui colporte, cultive et laisse se développer ce genre de prose. Nous avons là un des multiples exemples, une des multiples preuves de sa nature totalement parasitaire : son rôle est de détruire les acquis politiques de la Gauche communiste, de parasiter le milieu politique prolétarien et de jeter le discrédit sur le CCI en particulier.

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