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Révolution internationale n°488 - mai juin 2021

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Un an d’incurie face au Covid: Le capitalisme tue!

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Depuis le début du mois d’avril, le Covid-19 se propage à grande vitesse au quatre coins de la planète. Si la situation semble quelque peu se stabiliser en Europe et régresser aux États-Unis après une énorme flambée de contaminations, l’Amérique latine et le sous-continent indien sont désormais dans la tourmente. Des pays comme le Chili, dont la population avait été massivement traitée par les vaccins chinois, (1) sont touchés par une explosion des contaminations. La situation est si grave qu’au sein même des autorités chinoises, des voix ont été obligées de reconnaître l’efficacité “insuffisante” des vaccins. Officiellement, la pandémie a coûté la vie à plus de 3,2 millions de personnes dans le monde, et sans doute beaucoup plus, compte tenu des chiffres parfois éhontément mensongers de pays comme la Chine.

Si une année de recherche a permis de mieux connaître le virus, de mieux comprendre comment il se propage et comment lutter contre lui, l’incurie persistante de tous les États et l’irresponsabilité de la bourgeoisie ne permettent absolument pas la mise en œuvre de mesures cohérentes et efficaces pour limiter la prolifération du virus à l’échelle internationale. Les États, empêtrés dans une logique de concurrence, n’ont même pas été capables de se coordonner un minimum dans la politique vaccinale.

Face à cette absence de coordination, chaque État a dû mettre en place des mesures sanitaires à courte vue, avec des allers et retours sur les confinements, les semi-confinements, les états d’alerte ou les couvre-feux, en ouvrant ceci et en fermant cela. Sans moyens appropriés pour lutter contre la pandémie après des décennies de coupes budgétaires dans les systèmes de santé imposées par la crise, préoccupés par “l’économie” et le risque de se faire distancer par les concurrents, les États ont fini par s’accommoder des morts quotidiens et n’ont cessé d’ajuster leurs mesures sanitaires afin d’éviter une situation de chaos dans les hôpitaux et les cimetières (avec plus ou moins de réussite). C’est ce que la classe dominante appelle cyniquement : “vivre avec le virus”. Résultat : si certains États ont vacciné rapidement et à tout-va, on a laissé le virus se propager ailleurs en favorisant ainsi l’émergence de variants du Covid-19 plus résistant aux vaccins.

Inde, Brésil… une vision prémonitoire de l’avenir

Mais dans cette danse macabre, c’est probablement en Inde et au Brésil qu’on a pu voir les pires scènes de catastrophe. Au Brésil, “l’épidémie est hors de contrôle”, aux dires d’un scientifique brésilien : de nouveaux cimetières sont ouverts à tout-va, on transporte les cadavres en bus, la maladie emporte plusieurs milliers de victimes par jour. Bientôt le chiffre de morts atteindra le demi-million, dépassant les États-Unis dans cette course au record macabre. Les hôpitaux sont pleins, les gens crèvent dans leur brancard en attente d’un lit. Et tout cela en pleine avancée du nouveau variant originaire de Manaus, la grande ville amazonienne où, fin 2020, on avait cru au mirage de l’immunité collective, au moment même où une deuxième vague se répandait au Brésil dans un maelstrom apocalyptique. Pendant ce temps, Bolsonaro, le président du pays, celui qui prétendait qu’on avait à faire à une “gripezinha”, a continué à répéter “qu’il faut reprendre le travail et cesser de se plaindre”, tout en changeant de ministres comme de chemise dans une sinistre noria gouvernementale.

Au Brésil, le trafic d’animaux amazoniens et la déforestation massive exposent les êtres humains à des virus jusque-là “sous cloche”. D’après le biologiste Lucas Ferrante, chercheur à Manaus : “C’est en Amazonie qu’il y a le plus grand risque de voir surgir un nouveau virus, et ce risque est infiniment plus important que ce que l’on a vu à Wuhan”. (2) La destruction de la forêt amazonienne a pris les dernières années des dimensions catastrophiques. La bourgeoisie brésilienne, qui tire de juteux bénéfices de l’exploitation de la forêt amazonienne, n’est pas prête de stopper la destruction.

Mais depuis 15 jours, c’est la situation en Inde qui fait la Une de la presse. Il est difficile de décrire avec des mots l’horreur de la catastrophe sanitaire dans ce pays. L’Inde est aujourd’hui le pays le plus peuplé du monde. Malgré son développement économique, les services sanitaires étaient déjà sous-développés avant la pandémie. La santé n’était pas une priorité pour l’État. Le président indien, Narendra Modi, une espèce d’alter ego messianique de Bolsonaro, se vantait en février “d’avoir vaincu la pandémie” et que le pays “était un exemple pour le monde”. Modi s’était même permis de faire un peu comme la Chine et les autres grandes puissances possédant un vaccin : l’utiliser pour son rayonnement impérialiste. Désormais, on en interdit l’exportation.

Depuis janvier, ce gouvernement, très fortement marqué par l’hindouisme fondamentaliste, a délibérément encouragé un pèlerinage (la Kumbh Mela) de foules immenses venant des quatre coins du pays. Pendant les deux premières semaines d’avril, 2,8 millions d’Hindous se sont immergés les uns contre les autres sans masque, ni distanciation, ni contrôle de température, ni test préalable, dans les eaux du Gange infestées par les crémations rituelles de cadavres infectés. De véritables bombes à virus, sans oublier les meetings de campagne électorale !

Le retour de bâton de tant d’arrogance et de mépris ne s’est pas fait attendre. Les chiffres de la contagion et du taux de mortalité sont montés en flèche : 4 000 décès et autour de 4 millions de contagions par jour, “des statistiques très inférieures à la réalité”, disent les journaux, confirmées par le spectacle affligeant du manque d’oxygène, des lits occupés par plusieurs personnes, des queues devant les hôpitaux où les gens meurent sur les civières, dans le side-car de leur moto ou par terre !

Tout cela est un comble dans un pays qui, comme le Brésil, prétend devenir un géant économique. En Inde, à la place des images de familles à la recherche de terrain vague ou de parcs pour enterrer leurs proches, les bûchers alignés sur des centaines de mètres ont fleuri un peu partout pour incinérer les cadavres qui s’entassent et leur rendre un dernier hommage, misérable et indigne. Comme au Brésil et ailleurs, ce sont les plus démunis, c’est le prolétariat et les couches non exploitées qui payent le prix fort de telles incuries et des traumatismes qu’elles engendrent.

Quand on pense que ces deux pays, avec l’Afrique du Sud (3) avaient été classés comme ayant un potentiel de développement semblable à celui de la Chine, présentés quelque part comme l’expression du dynamisme d’un capitalisme éternel !

Le capitalisme s’enfonce dans la décomposition

Le Covid, comme les autres pandémies et fléaux qui menacent l’espèce humaine, est non seulement un produit mais aussi un puissant accélérateur de la décomposition sociale à l’échelle planétaire. L’Inde de Modi et le Brésil de Bolsonaro, mêmes s’ils sont dirigés par des gouvernements populistes qui les exposent à des décisions particulièrement stupides et irrationnelles, ne sont que deux expressions parmi les plus extrêmes, de l’impasse que représente le capitalisme pour l’avenir de l’humanité.

Il ne faut pas s’y tromper : Modi, Bolsonaro, Trump et bien d’autres représentants de la montée en puissance du populisme, à côté de leur administration erratique et bornée, restent, malgré leurs discours “anti-élites”, des défenseurs acharnés du capital national et les relais des besoins du capitalisme mondial : l’exploitation brutale et le saccage de la forêt amazonienne ainsi que l’extraction d’or sont encouragés par les pays importateurs de soja. Et du côté de Modi, les lois sur la fin de l’agriculture “protégée” ont été mises en œuvre afin d’ouvrir encore plus les campagnes aux besoins du capital. Malgré la victoire de Biden sur Trump aux États-Unis, la tendance à l’autodestruction et au chacun pour soi au sein de la classe dominante est inhérente au monde dans lequel nous vivons désormais.

Comme nous le mettions en avant dans notre “Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste” (juillet 2020) : “La pandémie de Covid […] est devenue un emblème incontestable de toute cette période de décomposition en rassemblant une série de facteurs de chaos qui expriment la putréfaction généralisée du système capitaliste, notamment :

– la prolongation de la crise économique à long terme qui a débuté en 1967 et l’accumulation et l’intensification des mesures d’austérité qui en ont résulté, ont précipité une réponse inadéquate et chaotique de la bourgeoisie à la pandémie, ce qui a obligé la classe dirigeante à aggraver massivement la crise économique en interrompant la production pendant une période significative ;

– les origines de la pandémie résident clairement dans la destruction accélérée de l’environnement créée par la persistance de la crise capitaliste chronique de surproduction ;

– la rivalité désorganisée des puissances impérialistes, notamment parmi les anciens alliés, a transformé la réaction de la bourgeoisie mondiale à la pandémie en un fiasco mondial ;

– l’ineptie de la réponse de la classe dominante à la crise sanitaire a révélé la tendance croissante à la perte de contrôle politique de la bourgeoisie et de son État sur la société au sein de chaque nation ;

– le déclin de la compétence politique et sociale de la classe dominante et de son État s’est accompagné de façon étonnante d’une putréfaction idéologique : les dirigeants des nations capitalistes les plus puissantes débitent des mensonges ridicules et des absurdités superstitieuses pour justifier leur inaptitude.

Covid-19 a ainsi rassemblé de manière plus claire qu’auparavant les principaux domaines de la vie de la société capitaliste tous impactés par la décomposition : économique, impérialiste, politique, idéologique et social. La catastrophe sanitaire actuelle révèle avant tout une perte de contrôle croissante de la classe capitaliste sur son système et sa perte de perspective croissante pour la société humaine dans son ensemble. […] La tendance fondamentale à l’autodestruction qui est la caractéristique commune à toutes les périodes de décadence a changé de forme dominante dans la période de décomposition capitaliste, passant de la guerre mondiale à un chaos mondial qui ne fait qu’accroître la menace du capitalisme pour la société et l’humanité dans son ensemble”.

Si le surgissement de la pandémie a mis un coup d’arrêt au développement des luttes ouvrières dans le monde, il n’a pas altéré la réflexion sur le caractère chaotique dans lequel baigne la société capitaliste. La pandémie offre une preuve supplémentaire de la nécessité de la révolution prolétarienne. Mais cette issue historique dépendra d’abord et avant tout de la capacité de la classe ouvrière, seule force révolutionnaire, de retrouver la conscience d’elle-même, de son existence, et de ses capacités révolutionnaires. Car seul le prolétariat, mobilisé et organisé autour de la lutte pour la défense de ses intérêts et de son autonomie de classe, a le pouvoir de mettre fin au joug tyrannique et mortifère des lois du capital et enfanter une autre société.

Inigo, 6 mai 2021

 

1) La Chine et la Russie ont sauté sur l’occasion pour inonder de vaccins les pays africains ou d’Amérique latine à des fins ouvertement impérialistes.

2) “Amazonie : point de départ d’une nouvelle pandémie  [2]?”, France Culture (19 avril 2021).

3) Voir : “Covid-19 en Afrique : Du vain espoir de 2020 à la dure réalité de 2021 [3]”, Révolution internationale n° 487 (mars-avril 2021).

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Covid-19

Violences du 1er-Mai contre la CGT: Une provocation au bénéfice de la police et des syndicats

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L’agression de militants de la CGT lors de la dernière manifestation du 1er mai à Paris est venue bousculer la routine traditionnelle des défilés syndicaux pour la fête du travail. Même si ces dernières années, les violences et affrontements entre les “éléments inorganisés”, les autonomes, les black-blocs et les forces de l’ordre sont devenus récurrentes, cette agression de la CGT sort de l’ordinaire et n’est nullement anodine.

Des méthodes de petits voyous étrangères à la classe ouvrière

À ce jour, le doute reste entier sur le pedigree des éléments ayant eu l’affront de venir chatouiller les “flics sociaux” qui, bombes lacrymogène et matraques à la main, avaient d’ailleurs aisément de quoi répliquer. Qui a osé s’en prendre à un syndicat prétendument engagé pour la lutte et la défense des revendications ouvrière, le traitant de “collabo”, l’accusant de collusion avec le pouvoir ?

Plusieurs médias comme Marianne ou des leaders politiques comme Xavier Bertrand à droite, ciblent la mouvance des black-blocs et sa possible alliance avec des éléments radicaux issus des “gilets jaunes”. La CGT, quant à elle, fustige “des individus clairement et dans leur grande majorité issus de l’extrême-droite… Nous affirmons que cette attaque est bel et bien de type fasciste. En témoignent la haine, les insultes proférées, les armes utilisées, le déchaînement sur les réseaux sociaux”. Philippe Martinez, leader de la CGT, estime carrément que “la tension émanait des forces de l’ordre à l’encontre des organisations syndicales”, suivi d’ailleurs par les trotskistes de LO affirmant que “ces forces de police étaient donc complices puisqu’elles ont bloqué les véhicules de la CGT, les empêchant d’échapper à l’agression”. De quoi laisser penser que le scénario était écrit d’avance par la Préfecture de police contre un “syndicat ouvrier”…

Pour en découdre avec le service d’ordre de la CGT, qui n’a jamais fait dans la dentelle, toutes les compétences en matière de coups de poing peuvent effectivement converger dans une union sacrée de groupuscules qui tous, sans exception, n’ont jamais rien eu à voir, ni de près ni de loin, avec la classe ouvrière, son terrain de lutte et ses objectifs.

Mais, contrairement aux apparences, tous ces groupes sont choyés par la bourgeoisie et son appareil répressif qui sait parfaitement les utiliser contre la classe ouvrière, n’hésitant d’ailleurs pas à les infiltrer pour mieux les manipuler. Le saccage des commerces et des édifices publics, souvent avec la bénédiction des forces de répression, le caillassage et les agressions physiques contre les flics et, aujourd’hui, les syndicats, sont du pain béni pour l’État en vue de renforcer ses moyens de répression policière et justifier l’amplification de violence et la “riposte légitime” au cours des manifestations.

Nous affirmions déjà en 2018 au sujet des violences des black-blocs : “Ce mode d’action, ces aventures “grisantes” se veulent “héroïques et exemplaires”, méprisant les formes de lutte collectives du prolétariat… Elles ne sont pas dirigées contre le système capitaliste mondial mais seulement contre des formes et des symboles les plus grossiers de ce système, en prenant l’aspect d’un règlement de comptes, de la vengeance de petites minorités frustrées et non celui d’un affrontement révolutionnaire d’une classe contre une autre”. (1) Les méthodes stériles de ces groupes et la publicité qu’en fait la bourgeoisie pour entretenir la terreur à longueur de temps sont un véritable poison à l’encontre de la classe ouvrière qui peine encore à retrouver son identité et ses méthodes de lutte.

La CGT profite de cette agression pour redorer son blason

La CGT et toutes les autres officines bourgeoises ont tout de suite lancé des cris d’indignation pour condamner cette agression contre des militants cégétistes n’ayant rien demandé à personne. Il s’en est suivi toute une campagne de victimisation de la part de la vieille centrale syndicale, relayée par les médias et soutenue bien sûr par ses confrères syndicaux et les organisations gauchistes. La CGT, comme l’ensemble des centrales syndicales françaises, est largement discréditée aux yeux des ouvriers après des décennies de sabotage des luttes : Mai 68 et les accords de Grenelle où les syndicats négocient la paix sociale avec le pouvoir gaulliste, la défaite des grèves dans la sidérurgie en 1979, le soutien de Solidarnosc en Pologne menant à la répression, le sabotage des luttes à la SNCF en 1986 en jouant sur le corporatisme, ou les dernières luttes contre la réforme des retraites menées dans l’isolement et le jusqu’auboutisme… les syndicats se livrent à un véritable travail de sape au service de l’État pour la poursuite de l’exploitation, du flicage au sein des entreprises des éléments ouvriers les plus offensifs pour les intimider ou même les réprimer (souvent en sous-main, en toute complicité avec la hiérarchie). Ce travail systématique contre les besoins de la lutte ouvrière a abouti à une désyndicalisation massive dans l’ensemble des pays industrialisés, exceptionnelle pour ce qui concerne la France : le taux de syndicalisation en France est l’un des plus bas d’Europe avec à peu près 10 % de salariés syndiqués, même 8,4 % pour le secteur privé, et une syndicalisation quasi nulle pour les travailleurs en intérim.

Dans la perspective des luttes à venir pour répondre à toutes les attaques contre les conditions de vie ouvrières, le syndicalisme et la CGT en particulier essaient de faire peau neuve en utilisant tous les moyens, en instrumentalisant toutes les occasions. Se parer d’un nouveau vernis radical et se poser en victime aussi bien de la répression étatique comme de la violence petite-bourgeoise des groupuscules les plus “radicaux” est une opportunité que la CGT ne pouvait que saisir.

La bourgeoisie cherche à discréditer les organisations révolutionnaires

Une chose est sûre, ces violences permettent à la bourgeoisie de jeter le soupçon sur tous ceux qui critiquent ou dénoncent le rôle que jouent les syndicats contre la classe ouvrière afin de mieux préparer leur répression. Plusieurs médias ont ainsi tout de suite pointé leurs doigts vers “l’ultra-gauche”. Ce réflexe habile des médias bourgeois, dans un contexte où des propagandistes comme Christophe Bourseiller mènent sur le même thème une véritable offensive contre les organisations révolutionnaires, (2) permet une fois de plus d’entretenir l’amalgame entre, d’une part, les groupuscules bourgeois hyper-radicalisés tels que les autonomes ou les black-blocs, adeptes de la violence aveugle propre à la petite bourgeoisie exaspérée et aux couches déclassées, et, d’autre part, les organisations révolutionnaires soucieuses de défendre les méthodes de luttes de la classe ouvrière et n’ayant absolument rien à voir avec les mœurs nihilistes et délinquantes des premiers.

Un autre amalgame, assimilant une frange de l’extrême-droite qu’on trouvait notamment dans certaines manifs des “gilets jaunes” et des autonomes a été régulièrement dénoncé ces dernières années, accréditant la théorie de la collusion rouge/brun de tous les “extrémismes politiques anti-démocratiques”.

La classe ouvrière doit défendre sa propre critique des syndicats

La CGT, comme toute autre organisation syndicale, n’est plus au service de la lutte ouvrière mais bien au service de l’État bourgeois dont elle est devenue un rouage essentiel parfaitement institutionnalisé. La classe ouvrière a développé depuis plus d’un siècle toute une expérience de luttes contre les syndicats en dénonçant la sale besogne de ces organes de l’État de manière politique à travers les discussions dans des assemblées générales et en rejetant leur participation dans le déroulement des luttes par des tentatives de prise en main et d’extension par les ouvriers eux-mêmes. L’attaque de camions de militants syndicaux et, de manière plus générale, toutes les actions violentes stériles et minoritaires animées par la haine ou la vengeance ne constituent en rien des méthodes de lutte de la classe ouvrière qui ne se bat pas contre des personnes ou des organismes mais contre le mode de production capitaliste dans son ensemble. Ce n’est qu’en étant en mesure de développer son combat en s’auto-organisant au sein des assemblées générales et de façon unitaire, au-delà des corporations et des frontières, que le prolétariat sera en mesure de repousser véritablement le sale travail de division et de sabotage des luttes qu’assument en permanence ses faux-amis que sont les syndicats.

Stopio, 7 mai 2021

 

1) “Black blocs : la lutte prolétarienne n’a pas besoin de masque [6]”, Révolution internationale n° 471 (juillet-août 2018).

2) Voir dans ce numéro : “Nouvelles attaques contre la Gauche communiste (Partie 1)”.

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [7]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question syndicale [8]

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Les syndicats contre la classe ouvrière

“Appel des généraux”: Une initiative instrumentalisée par la démocratie bourgeoise!

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La publication sur le site de Valeurs actuelles d’un “Appel des généraux”, soutenu par des militaires pour la plupart en retraite, a fait l’objet d’un véritable emballement médiatique. L’auteur de la lettre, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, un ex-capitaine de gendarmerie proche du RN, voulait selon ses dires : “libérer la parole” de l’armée face à ce qu’il qualifie de “délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre Constitution”. Macron et son gouvernement, considérant Marine Le Pen “bien molle”, a beau s’engager dans une politique du “tout sécuritaire”, avec des discours inspirés par l’extrême droite et une inflation de lois “antiterroristes”, rien n’y fait : le miasme des idéologies nauséabondes s’exprime inexorablement tel une hydre des profondeurs. Pour tenter de juguler le discrédit du gouvernement après un an d’incurie et de bévues dans la gestion de la crise sanitaire, LREM multiplie les sorties sur le terrain de l’extrême droite, espérant ainsi raffermir son “autorité”. La date de publication de “l’Appel”, soixante ans jour pour jour après le putsch d’Alger, (1) témoigne d’ailleurs symboliquement de cette défiance rampante vis-à-vis de l’exécutif. Une défiance incarnée par l’épisode tragi-comique de cette lettre, agrémentée de propos non moins hilarants de Philippe de Villiers qui en “appelle a l’insurrection”… et à son frère, haut gradé mécontent, démissionné de l’état-major et qui ferait un “bon président” pour 2022 !

Après gêne, tergiversations et hésitations, le gouvernement a finalement dû réagir par la voix de sa ministre des Armées, Florence Parly, réaffirmant le principe de “neutralité” et de “loyauté” de la Grande muette en annonçant des “sanctions” pour les frondeurs. Le gouvernement en a profité pour renvoyer dans les cordes le RN et sa tentative de récupération outrancière, Marine Le Pen ayant engagé les signataires à “rejoindre son action”.

Tout ce tintamarre, au-delà du contexte de la campagne électorale qui s’amorce, est un signe révélateur de l’accélération de la décomposition du système capitaliste. Dans cet épisode grotesque, deux aspects sont particulièrement significatifs de cette dynamique :

– le premier, c’est que “l’Appel” exprime une réaction irrationnelle et ridicule de la part de hauts gradés de l’armée. Même si ce sont des généraux retraités, ceci n’est pas anodin et souligne bien la réalité de la tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut au sein de l’appareil politique de la bourgeoisie. En appeler à une “guerre civile” ou à une “insurrection” est une pure expression de la perte progressive de crédibilité de l’État.

– le deuxième aspect est le fait que cet événement ne peut que contribuer à fragiliser l’exécutif, à alimenter davantage le phénomène du populisme et du rejet des “élites” en place jugées responsables d’une insécurité surmédiatisée, des violences urbaines…

Bien entendu, si Marine Le Pen a cherché à instrumentaliser l’événement à des fins électoralistes par son soutien sans faille aux militaires réfractaires, toutes les formations aux prises ont joué leur partition politicienne pour l’occasion : le gouvernement et LREM en prônant des “sanctions” ; une partie de la droite en n’osant prendre à rebrousse-poil les généraux, préférant souligner “un appel au secours” à “prendre en compte” (Henri Leroy, sénateur LR) pour qualifier la rebuffade des verts kaki.

Mais le pompon revient aux formations d’une gauche toujours en recherche d’unité, aux écologistes, aux socialistes, à La France Insoumise, tous “scandalisés” à la fois par l’attentisme présumé du gouvernement et par ce qu’ils qualifient de “menace pour la démocratie”. Ce que révèle cette mascarade granguignolesque de nos généraux retraités, c’est que l’État capitaliste et la République bourgeoise peuvent compter sur des défenseurs et des chiens de garde aguerris : ceux des partis de la gauche du capital ! Dès que la démocratie bourgeoise semble menacée, ces zélés patriotes surgissent en justicier pour défendre bec et ongles les institutions. Dans un remake entre factions bourgeoises de Règlements de comptes à O.K. Corral, ces messieurs ont déjà saisi le procureur de la République, à l’instar de Mélanchon, qui sur Twitter demande des “sanctions” contre “les factieux”.

Aujourd’hui, les défenseurs de la démocratie bourgeoise prennent de grands airs contre des généraux un peu séniles. Si ces derniers ne comprennent visiblement rien à l’importance de la démocratie pour assurer la domination de la bourgeoisie, ils ne menacent en rien l’ordre capitaliste. Mais tous les thuriféraires de la République, ces vendus au capital, les Mélenchon, les Hamon, les Jadot, etc., le moment venu, sauront parfaitement dénoncer les ouvriers et les révolutionnaires en lutte contre l’ordre établi, contre la République bourgeoise.

Au-delà des putschistes de pacotille, se cachent d’autres ennemis des ouvriers, bien plus dangereux et pernicieux que les ringards de l’extrême droite : les ayatollahs de gauche tout aussi réactionnaire qui défendent l’État bourgeois et, le moment venu, réprimeront sans vergogne la classe ouvrière !

WH, 30 avril 2021

 

1) Tentative de coup d’État fomentée par une partie de l’armée française à Alger, le 21 avril 1961. Elle fut conduite par quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) en réaction à la politique de Charles de Gaulle, considérée comme un abandon de l’Algérie française.

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [7]

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Vie de la bourgeoisie

Nouvelles attaques contre la Gauche communiste: Bourseiller réinvente “la complexe histoire des Gauches communistes” (Partie 1)

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En 2003, Christophe Bourseiller, avec des prétentions d’historien, avait écrit une Histoire générale de l’ultra-gauche qui se résumait à des amalgames et des diffamations destinées à ternir la réputation de la Gauche communiste. Il réitère cette opération aujourd’hui avec un nouveau livre intitulé, Nouvelle histoire de l’ultra-gauche, tout aussi calomniateur. (1)

On peut lire à la page 363 de ce nouveau livre le passage suivant : “Lorsque la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie fait référence dans ses interventions à une menace émanant de la “mouvance anarcho-autonome” et de “l’ultra-gauche”, elle ignore sans doute la complexe histoire des gauches communistes. Pourtant, les activistes néoruraux et post-situationnistes de Tarnac s’inscrivent bel et bien dans le destin complexe du courant ultra-gauche”. Bourseiller regrette cette ignorance de l’ex-ministre chargée de la répression de la classe ouvrière et il entend bien y remédier. Après 18 ans de loyaux services, il poursuit donc son travail d’instruction à l’usage de la police. C’est probablement un travail très utile qui vient apporter un minimum de connaissance indispensable à ceux qui sont chargés de la surveillance et de la répression des petits groupes révolutionnaires qui, malgré leur audience pratiquement négligeable actuellement, représentent l’avenir, c’est-à-dire le soulèvement et l’organisation des masses ouvrières du monde entier pour conquérir leur émancipation et libérer l’humanité du fléau que constitue le capitalisme. Ce travail de renseignement et de compilation ne pouvant que servir la police est une constante dans l’histoire de la société bourgeoise comme le montre le fameux livre de Victor Serge : Ce que tout révolutionnaire devrait savoir sur la répression.

Bourseiller fait le jeu de la police

Après l’insurrection victorieuse d’Octobre 1917 et l’ouverture des archives de la police politique du tsar, l’Okhrana, le parti bolchevik chargea Victor Serge de faire une recension des principaux documents qu’on pourrait y trouver. Victor Serge synthétisa son travail dans un livre remarquable. On peut y lire : “De volumineux traités sont écrits sur le mouvement révolutionnaire pour servir à l’instruction des jeunes générations de gendarmes. On y trouve pour chaque parti, son histoire (origine et développement), un résumé de ses idées et de son programme, une série de figures accompagnées de textes explicatifs donnant le schéma de son organisation, les résolutions de ses dernières assemblées et des notices sur ses militants les plus en vue. Bref, une monographie concise et complète. […] À l’attention du tsar, [le département de la police] confectionnait en un exemplaire unique une sorte de revue manuscrite paraissant dix à quinze fois par an, où les moindres incidents du mouvement révolutionnaire (arrestations isolées, perquisitions fructueuses, répressions, troubles) étaient enregistrés. Nicolas II savait tout”. (2) C’est bien la tâche que s’est fixée Bourseiller : on le voit, scrupuleux comme un bon fonctionnaire du ministère, dresser la liste des noms au moment de la constitution puis de la dissolution des différents groupes politiques, la liste de ceux qui furent présents à telle ou telle réunion.

Mais il arrive souvent que ces employés maîtrisent mal leur sujet. C’est ce qui arrive à Bourseiller qui multiplie les erreurs. Quelques exemples :

– Typique d’une lecture superficielle, il confond Arturo Labriola (1873-1959), un temps syndicaliste révolutionnaire avant de devenir réformiste, et Antonio Labriola (1843-1904), l’ami d’Engels et celui qui a contribué à introduire le marxisme en France et en Italie (p. 64).

– Il confond la position de la Gauche communiste de France (GCF) et du CCI avec celle de Trotsky pour qui, dans la période de décadence du capitalisme, les forces productives ont cessé de croître : “[…] “La Gauche communiste de France” développe du même coup une vision catastrophique et place ses militants dans la perspective des “derniers temps”. Les forces productives ont cessé de croître. L’heure est à la révolution” (p. 129).

– Jean Malaquais ou Maximilien Rubel n’ont jamais été membres de la Gauche communiste de France (p. 151).

À côté des erreurs, il y a inévitablement plusieurs stupidités des plus comiques, comme celle-ci : “Plus de dix ans après son exil volontaire [au Venezuela], le voici de retour sur la scène politique. Aux yeux des adolescents qui l’entourent, [Marc Chirik] prend volontiers le visage d’un second “père” et se complaît dans ce rôle de guide” (p. 137).

Chroniqueur à France Inter, enseignant à Sciences Po. Lille, (3) Bourseiller parade dans les salons de la classe dominante, sur les plateaux de télévision et sur les campus, et il est bien incapable d’accomplir une œuvre d’historien aussi sérieusement que certains fonctionnaires de l’Okhrana, comme l’avait relevé Victor Serge. Il oriente ainsi son travail du côté de la presse à sensation, de la presse people, cherche à faire frissonner les bourgeois avec les excentricités des situationnistes ou les violences des autonomes, et tourne complètement le dos à une recherche scientifique sur “la complexe histoire des gauches communistes”.

Les multiples campagnes idéologiques de mensonges et de calomnies

On pourrait aussi signaler une erreur qui n’en est pas une puisqu’elle est au cœur de son entreprise de confusion et d’amalgame. “Le groupe de Cornelius Castoriadis demeure incontournable. Jamais sans doute l’étiquette de “cherchant” n’aura aussi bien collé à un collectif. Socialisme ou Barbarie s’inscrit de manière éclatante dans le prolongement de l’école germano-hollandaise (GIC, Union communiste Spartacus)” (p. 159). Il n’y a aucune convergence entre Socialisme ou Barbarie et la Gauche germano-hollandaise. Les lecteurs intéressés pourront retrouver la véritable trajectoire de Socialisme ou Barbarie dans notre article, “Castoriadis, Munis et le problème de la rupture avec le trotskisme [9]”, dans la Revue internationale nos 161 et 162.

Ainsi Bourseiller veut rendre de bons services à la police et ses informations ne sont pas fiables. Mais il rend surtout un immense service à la classe dominante en attaquant la Gauche communiste, en essayant de la discréditer auprès de ceux qui recherchent les positions révolutionnaires et les moyens permettant de dépasser, de se débarrasser du système capitaliste. Expression politique secrétée par la classe ouvrière, le courant de la Gauche communiste est régulièrement la cible d’attaques et de calomnies diverses :

– Comme elle se réfère à la tradition du bolchevisme et s’inscrit dans le combat historique pour le communisme, elle est mise dans le même sac que le stalinisme et donc accusée de tous les maux dont la classe ouvrière elle-même eut à souffrir : le KGB, le stakhanovisme, la Grande Terreur, le Goulag.

– Pour ses prises de position contre la Seconde Guerre impérialiste mondiale, responsable de 60 millions de morts, dont Auschwitz et tous les camps d’extermination, les bombardements de Dresde, Hambourg, Hiroshima et Nagasaki, la Gauche communiste est présentée comme négationniste, c’est-à-dire rejetant la réalité du génocide des Juifs d’Europe comme l’avaient fait Faurisson et Rassinier en leur temps. C’est ce que lui vaut sa dénonciation de l’idéologie antifasciste qui fut précisément la condition qui a rendu possible cette guerre et tous les massacres qu’elle engendra.

– Bourseiller, qui reprend cette accusation de négationnisme, est par ailleurs l’initiateur d’une nouvelle campagne de discrédit consistant à jeter pêle-mêle la Gauche communiste dans le même chaudron que les situationnistes, les anarchistes, les autonomes et autres black blocs. Ce chaudron inventé par lui, il le nomme “ultra-gauche” et peut alors lancer ses flèches assassines : “Ainsi l’ultra-gauche s’est fondue dans les troubles du siècle nouveau. Ennemi ultime du capital, ce serpent de mer ne cesse aujourd’hui de ressurgir. De nos jours, les enfants de l’ultra-gauche agissent dans les ZAD. On les observe dans les “blocs autonomes” ou “black blocs” qui perturbent les manifestations” (p. 7). “Ce sont eux les “infiltrés”, les “provocateurs”, les “casseurs” qui, au sein des manifestations, affrontent les policiers, vandalisent les commerces, dégradent les monuments” (quatrième de couverture).

L’accusation de négationnisme

Bourseiller feint de croire que les révolutionnaires “ignorent les persécutions raciales” (p. 97) des nazis et leur reproche de ne pas s’impliquer “dans la résistance antinazie” (p. 113). Il se reconnaît ainsi dans la politique d’Union sacrée défendue par les social-chauvins de 1914 et de 1939 et dissimule en fait la réalité de l’engagement des révolutionnaires (souvent au prix de leur vie) contre les guerres impérialistes et toutes les formes d’exploitation et d’oppression, depuis la république démocratique qui massacra les ouvriers révolutionnaires à Paris en juin 1848 et en mai 1871 pendant la semaine sanglante de la Commune, et à Berlin en janvier 1919, (4) jusqu’au totalitarisme stalinien et nazi qui les extermina dans les camps de concentration et autres massacres de masse. L’un des exemples de cette position intransigeante du marxisme révolutionnaire a été la position internationaliste de Lénine en 1914 dénonçant la guerre impérialiste : “Les socialistes ont toujours condamné les guerres entre les peuples comme une entreprise barbare et bestiale. […] Les social-chauvins reprennent à leur compte la mystification du peuple par la bourgeoisie, selon laquelle la guerre serait menée pour la défense de la liberté et de l’existence des nations, et se rangent ainsi aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat”. (5)

Trente ans plus tard, l’échec et l’écrasement de la révolution prolétarienne ont laissé les mains libres à la classe dominante pour déclencher une nouvelle guerre impérialiste encore plus meurtrière. Après Lénine, la Gauche communiste a brandi encore le drapeau de l’internationalisme, dénoncé la guerre et l’idéologie de l’antifascisme dans un Manifeste adressé aux ouvriers et aux soldats en juin 1944 : “Dans chaque pays, on vous a mobilisé sur des idéologies différentes mais ayant le même but, le même résultat, vous jeter dans le carnage les uns contre les autres, frères contre frères de misère, ouvriers contre ouvriers. Le fascisme, le national-socialisme revendiquent l’espace vital pour leurs masses exploitées, ne faisant que cacher leur volonté farouche de s’arracher eux-mêmes de la crise profonde qui les minait par la base. Le bloc des anglo-russes-américains voulait, parait-il, vous libérer du fascisme pour vous rendre vos libertés, vos droits. Mais ces promesses n’étaient que l’appât pour vous faire participer à la guerre, pour éliminer, après l’avoir enfanté, le grand concurrent impérialiste : le fascisme, périmé en tant que mode de la domination et de vie du capitalisme”. (6)

Nous avons déjà répondu à ces infamies sur le prétendu négationnisme de la Gauche communiste, en particulier dans notre brochure, Fascisme et démocratie : deux expressions de la dictature du capital [10]. (7) À une certaine époque la Guépéou traquait les révolutionnaires et les dénonçait comme “hitléro-trotskistes”, aujourd’hui les idéologues de la bourgeoisie les dénoncent comme “négationnistes”. Tout est fait pour discréditer la Gauche communiste avec des accusations tout autant délirantes aujourd’hui qu’hier. Les menaces de ces gendarmes idéologiques paraissent futiles, mais ils connaissent les effets destructeurs de la calomnie et ils comptent bien s’appuyer demain sur la force policière de l’État lorsque commencera la confrontation révolutionnaire entre les classes. (8)

Avrom E., 30 avril 2021


Dans la seconde partie de cet article [11], nous verrons comment Bourseiller s’emploie à amalgamer l’extrême gauche de l’appareil politique bourgeois et la Gauche communiste pour mieux la discréditer.


 

1) Christophe Bourseiller, Histoire générale de l’ultra-gauche, Paris, éd. Denoël, 2003 et Nouvelle Histoire de l’ultra-gauche. Voir notre dénonciation dans Révolution internationale n° 344 : “À propos du livre de Bourseiller “Histoire générale de l’ultra-gauche” [12]” (mars 2004).

2) Victor Serge, Les Coulisses d’une sûreté générale. Ce que tout révolutionnaire devrait savoir sur la répression, dans Mémoires d’un révolutionnaire et autres écrits politiques, (1908-1947).

3) Son cours s’intitule : “Approche des extrémismes en politique”.

4) C’est encore la république démocratique qui, avec le gouvernement provisoire de Kérensky, regroupant notamment les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, tenta de massacrer les ouvriers russes en juillet 1917. Cette tentative échoua car le parti bolchevik mit en garde les ouvriers contre le piège qui leur était tendu. C’est aussi la république démocratique qui, avec le gouvernement espagnol regroupant les socialistes, les staliniens et les anarchistes de la CNT, réprima les ouvriers révolutionnaires à Barcelone en mai 1937 avant de les sacrifier sur les fronts militaires antifascistes, répétition générale de la Seconde Guerre impérialiste mondiale.

5) Lénine, Le socialisme et la guerre (1915).

6) “Manifeste de la Gauche communiste aux prolétaires d’Europe”. Reproduit dans le livre du CCI, La Gauche communiste d’Italie.

7) Voir notamment le chapitre VI : “Depuis 68, la bourgeoisie agite le danger fasciste pour affaiblir la classe ouvrière [13]”.

8) Pour une dénonciation des campagnes sur le négationnisme, voir : “Campagnes contre le “négationnisme” : la coresponsabilité des “allies” et des “nazis” dans l’“holocauste” [14]”, Revue internationale n° 89

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Communiste de France [15]

Personnages: 

  • Bourseiller [16]

Récent et en cours: 

  • Nouvelle histoire de l’ultra-gauche [17]
  • Histoire de l’ultra-gauche [18]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [19]

Rubrique: 

Défense de la Gauche communiste

Bandes, rixes, lynchages… La jeunesse victime du pourrissement de la société capitaliste

  • 181 lectures

Depuis février, les faits divers de violence parmi la jeunesse se sont multipliés. Rixes, agressions, assassinats… l’horreur touche la jeune génération de plein fouet.

Le 15 février à Paris, Yuriy, 15 ans, se fait rouer de coups et fracasser le crâne à coups de marteau par onze jeunes âgés de 15 à 18 ans. Même inerte, au sol, ils continueront de le frapper. Le 22 février en Essonne, une jeune fille de 14 ans succombe à un coup de couteau dans le ventre lors d’une rixe entre deux bandes. Six mineurs de 13 à 16 ans sont interpellés. Le lendemain, le 23 février, toujours en Essonne, deux bandes s’affrontent : les “grands” (16-17 ans) “supervisent” la bagarre entre “petits” (12-15 ans)… jusqu’à ce que l’un d’eux, encerclé, sorte un couteau… Un collégien de 14 ans décède, un autre de 13 ans est hospitalisé en état grave, blessé à la gorge. Le 26 février à Bondy, Aymen, jeune boxeur de 15 ans, meurt assassiné par arme à feu. Les coupables : deux frères de 17 et 27 ans. Le 8 mars à Argenteuil, Alisha, 14 ans, tombe dans un guet-apens fomenté par un couple âgé de 15 ans : elle est rouée de coups puis jetée à peine consciente dans la Seine. Le contraste entre la jeunesse des protagonistes et la barbarie des actes commis est saisissant.

La presse et les politiques se sont tous repus de ces tragédies. Sont accusés pêle-mêle les “familles démissionnaires”, les “immigrés primitifs”, les “musulmans”, le “laxisme de la Justice”, le “manque de moyens de la police”… et tous de proposer comme solution de punir les parents, d’expulser étrangers, d’augmenter le nombre de policiers et de durcir la loi à l’encontre des mineurs. C’est d’ailleurs cette carte répressive que le gouvernement va jouer avec une réforme de la justice des mineurs qui va induire des jugements expéditifs et des peines plus lourdes. Autrement dit, tous nous préparent une société encore plus violente et inhumaine.

En réalité, la jeunesse paie le prix du pourrissement sur pied de l’ensemble du corps social : le no futur est une gangrène qui gagne peu à peu tout son organisme. Alors que la bourgeoisie n’est plus capable de mobiliser la société derrière une quelconque perspective, et tandis que le prolétariat ne parvient pas à défendre sa propre perspective révolutionnaire, la société se décompose sur pied (1) et les rapports sociaux se délitent : l’individualisme exacerbé, le nihilisme, la destruction des liens familiaux, le chacun pour soi, la peur de l’autre se répandent ; la violence aveugle, la haine, l’esprit de vengeance et l’auto-destruction deviennent la norme (à la télévision, dans les films, par la musique, les jeux). Ce déferlement de barbarie entre gamins pour des raisons totalement futiles et irrationnelles est l’expression d’une société sans avenir, qui se décompose, nous oppresse et nous asphyxie. Dans des régions de plus en plus larges du monde, cette violence entre jeunes est devenue quotidienne, qu’elle prenne la forme de rivalités entre gangs ou de fusillade dans les établissements scolaires.

Aujourd’hui, la bourgeoisie n’a aucun avenir à offrir à l’humanité. Seule la lutte de classe peut mettre fin à cette dynamique. Seule la solidarité de classe, toute génération confondue, peut éclairer le chemin vers la perspective révolutionnaire et mettre un terme à ce capitalisme inhumain et mortifère.

Ginette, le 24 mars 2021

1Pour aller plus loin sur ce que le CCI nomme la “phase de décomposition” de la société capitaliste, nous invitons nos lecteurs à lire les thèses : “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [20]”, ainsi que les nombreux articles et polémiques que nous avons publiés sur le sujet.

Géographique: 

  • France [21]

Rubrique: 

Barbarie du capitalisme

Réunion publique en ligne du 27 mars 2021: Le prolétariat demeure l’ennemi et le fossoyeur du capital

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Le 27 mars, le CCI a tenu une nouvelle réunion publique (RP) virtuelle sur le thème : “Face à la pandémie et à la crise économique : quelle réponse de la classe ouvrière ?” Un bon nombre de camarades ont participé à cette réunion, où s’est exprimée une forte volonté de discuter, de se clarifier, d’approfondir. Après 4 heures de discussion, nous avons proposé d’arrêter la réunion, tout en sachant que le sujet était loin d’être épuisé. Des camarades sont d’ailleurs intervenus afin d’encourager la poursuite de ces rencontres et, éventuellement, d’augmenter leur fréquence.

Nous ne reviendrons pas dans ce bilan sur toutes les questions soulevées au cours de la RP. Nous souhaitons plutôt développer un sujet particulier qui traversait les interventions de plusieurs participants : la nature et la composition de la classe ouvrière.

Plusieurs intervenants ont exprimé des interrogations au sujet du poids de la classe ouvrière dans la société capitaliste, du type : les ouvriers sont-ils majoritaires ou minoritaires ? Selon le CCI, la réponse à cette question ne peut s’effectuer sur un plan quantitatif mais sous l’angle de la place et du rôle des producteurs salariés dans les rapports sociaux de production capitalistes.

D’autre part, des doutes se sont exprimés sur la capacité de la classe ouvrière à rester une alternative à la barbarie capitaliste. Mais ce qui frappe également, ce sont les difficultés chez certains camarades à apporter une réponse convaincante à ces interrogations. Quelle est la racine de ces difficultés et comment y répondre ? C’est la question que nous voulons reprendre dans cet article.

Un long recul depuis l’effondrement du bloc de l’Est

De notre point de vue, les difficultés à s’appuyer sur la force historique du prolétariat sont à relier au contexte difficile que traverse la classe ouvrière elle-même. L’impact de la pandémie, alors que le prolétariat subit depuis trois décennies un recul de sa conscience suite à l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, au point d’avoir perdu son identité de classe, le conduit à ne plus se considérer comme une véritable classe sociale ayant un projet historique. Tout ceci n’est pas sans produire d’effets néfastes sur l’ensemble des ouvriers, même pour les minorités les plus conscientes.

Au moment même où le mur de Berlin s’effondrait, et plus encore lors de la dislocation rapide du bloc soviétique, une propagande terrible sur la prétendue “faillite du communisme”, assimilé mensongèrement au stalinisme, portait un immense coup de massue sur la conscience des ouvriers. À cela s’ajoutait tout un discours officiel sur la prétendue “disparition de la classe ouvrière”. Selon les historiens et sociologues bourgeois, il ne restait désormais plus que de simples catégories étudiées de manière purement quantitative : “cols bleus”, “col blancs”, “employés”, “femmes/hommes”, “jeunes/vieux”, “immigrés”, etc. : un saucissonnage permettant de faire disparaître toute une classe dans son ensemble ! Si on reconnaissait parfois du bout des lèvres la présence des ouvriers, c’était pour davantage les diluer dans tout un tas de spécificités et d’identités diverses, mais plus du tout comme “classe”. Un discours d’autant plus pernicieux que les apparences ont semblé donner raison à la classe dominante. La disparition dans les pays industriels des secteurs traditionnels comme les mines, la sidérurgie, etc., et les délocalisations durant les années 1990-2000, pouvaient en effet donner l’illusion que la classe ouvrière avait effectivement disparu ou qu’elle ne se trouvait plus qu’en Chine ou dans d’autres pays “émergents”.

Avec la pandémie de Covid-19, la “redécouverte” des prolétaires au cœur des pays centraux n’a eu pour objet que de nous mettre encore davantage la tête sous l’eau : en divisant encore, par exemple, les blouses blanches reconnues comme “héroïques” du fait de leur “sacrifice pour la nation” et les autres prolétaires qualifiés d’ “invisibles”. Et parce qu’ “invisibles”, forcément, sans identité, inexistants ! Certes, en “première ligne”, mais comme “chair à virus”, donnant une image d’impuissance et d’écrasement total. D’autre part, une propagande incessante s’abat contre la classe ouvrière dans laquelle les médias présentent les miasmes de la société capitaliste à l’agonie (l’atomisation, le “tous contre tous”, la pensée mystique et irrationnelle) comme le propre de la “nature humaine”. Le but étant de présenter l’action collective et la solidarité comme illusoires et ainsi pousser les exploités à se résigner et abandonner le combat pour un autre avenir. Des soignants aux personnels d’entretien, des ouvriers d’usine aux livreurs, des caissières aux forçats de l’agroalimentaire, etc., toute la classe ouvrière se retrouve exposée face à cette industrie du mensonge.

Le prolétariat est une classe exploitée et révolutionnaire

Ce qu’a cherché la bourgeoisie, c’est faire oublier aux prolétaires qu’ils sont une classe fondamentale au cœur de la production et qu’ils sont, selon le mot de Marx, les véritables “fossoyeurs du capitalisme”. Par la place qu’ils occupent au cœur des rapports de production, et non du fait de leur sexe, de leur couleur de peau ou de la couleur du col de leur vêtement, les prolétaires, comme producteurs associés, vendent leur force de travail à ceux qui détiennent les moyens de production. Ils s’opposent frontalement par leurs intérêts divergents, incompatibles avec ceux de leurs exploiteurs et de la machine capitaliste. Dans la tradition du mouvement ouvrier, l’opposition fondamentale des classes, aujourd’hui encore, reste bien celle-ci : travail contre capital.

Pourtant, cette opposition est occultée, de même que toute l’expérience du mouvement ouvrier qui se retrouve en même temps falsifiée. Le socialisme ne serait plus qu’un idéal du passé, une utopie du XIXe siècle totalement obsolète, une idée en faillite et “dangereuse pour la démocratie”. Il n’y aurait donc plus rien à tirer de l’expérience de la lutte du prolétariat dont la place ne serait plus que dans les salles de musée.

La réalité est toute autre ! Non seulement la classe ouvrière existe (y compris d’ailleurs sous sa forme “classique” de travailleurs industriels) mais reste une classe historique, c’est-à-dire porteuse d’une autre société et de nouveaux rapports sociaux visant à abolir l’exploitation.

Contrairement aux couches intermédiaires de la petite bourgeoisie, comme les commerçants et les artisans ou également les paysans pauvres, la classe ouvrière détient une spécificité, celle d’être contrainte de vendre sa force de travail et de ne rien posséder, d’être une classe exploitée. Quelle est la source de cette exploitation ? Comme l’a démontré Marx, le salaire que reçoit chaque jour l’ouvrier est inférieur à la valeur de ce qu’il a produit. Voilà la base de l’exploitation capitaliste. Le salaire de l’ouvrier correspond uniquement à la partie de la valeur lui permettant de subvenir à ses besoins afin de pouvoir reproduire sa force de travail. La valeur restante n’est pas payée à l’ouvrier, elle est accaparée par le patron. Marx a appelé ce montant “la plus-value”. Par exemple, Si l’ouvrier travaille pendant 8 heures, il reçoit l’équivalent de 4 heures (1) et les 4 autres heures sont appropriées par le patron. (2)

Bien entendu, tous les salariés ne sont pas exploités : les dirigeants des grandes entreprises sont souvent des salariés mais avec leurs salaires de plusieurs millions d’euros par an, il est clair qu’ils ne sont pas exploités et qu’ils vivent eux-mêmes de la plus-value extraite à la sueur du front des prolétaires. C’est la même chose pour les hauts fonctionnaires. Appartenir à la classe ouvrière suppose également ne pas avoir une fonction dans la défense du capitalisme contre la classe ouvrière. Le clergé ou les flics ne sont pas propriétaires de leurs moyens de production (l’église ou le “panier à salade” de la répression étatique) et sont également salariés. Cependant, ils n’ont pas un rôle de producteurs de richesses mais de défenseurs des privilèges des exploiteurs et de maintien en place de l’ordre existant. Il en va de même pour les managers ou le petit chef dans un atelier qui jouent un rôle de flic au service du patron. Par contre, même s’ils ne produisent pas directement de la plus-value, les infirmiers ou les enseignants, par exemple, font partie de la classe ouvrière de par leur rôle vis-à-vis de la force de travail à réparer ou à former pour le capital, et de par leurs conditions d’exploitation sociale même.

En plus d’être une classe exploitée, la classe ouvrière a aussi et surtout la spécificité d’être une classe révolutionnaire, ce que nous appelons une “classe historique”. Produisant tout et ne possédant rien, elle n’a, à la différence des petits producteurs indépendants, par exemple, aucun intérêt à vouloir maintenir la société capitaliste. Au contraire, en tant que classe exploitée, elle subit de plein fouet la crise inéluctable et généralisée du système capitaliste. Elle doit donc se battre pour réduire les effets de l’exploitation, mais comme classe révolutionnaire il lui faut conquérir son émancipation et détruire les causes de l’exploitation. Son véritable intérêt, sa seule perspective, c’est la destruction du capitalisme. Et parce qu’elle se trouve, à l’échelle internationale, au cœur de la production, elle a non seulement l’intérêt mais aussi les moyens matériels de renverser le capitalisme. En effet, sa place comme producteur associé dans le travail, sur la base d’une solidarité commune face à l’exploitation capitaliste, en fait une classe dotée d’une conscience et d’une mémoire historique sans barrières, sans patrie ni frontière. Sa force se construit sur la base de l’expérience historique d’un mouvement qui prend nécessairement une dimension internationale du fait que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, selon les mots du Manifeste du Parti communiste. Ne possédant que son unité et sa conscience, le prolétariat reste aujourd’hui encore, et cela tant que durera le capitalisme, une classe révolutionnaire.

Contrairement à l’idée que sa force pourrait en soi être liée à son nombre par rapport au reste de la population, c’est avant tout sa nature de classe solidaire et opposée au capital qui en fait toujours le sujet de la révolution et de l’histoire. Par exemple, lors de la révolution prolétarienne d’Octobre 1917 en Russie, la classe ouvrière était nettement minoritaire sur le plan quantitatif mais elle était la seule capable de donner une orientation révolutionnaire à la société.

Aujourd’hui encore, malgré les doutes, le poids réel des difficultés, la classe ouvrière conserve intacte ses forces révolutionnaires face à l’État bourgeois. Son projet révolutionnaire n’est ni une belle idée qui viendrait de l’extérieur ou de quelques cerveaux de génie, mais de sa propre expérience et de la nécessité de son combat de classe. Alors que la crise du système capitaliste, croulant sous le poids de ses propres contradictions ne peut offrir que la crise chronique et un cortège d’attaques incessantes contre leurs conditions de vie, les prolétaires n’auront d’autre choix que de lutter. Leurs luttes revendicatives, formeront la base permettant d’affirmer à terme une véritable perspective révolutionnaire. En lien avec sa mémoire collective, son expérience et sa conscience de classe, l’avenir révolutionnaire appartient toujours au prolétariat.

WH, 10 avril 2021

 

1) Si la valeur de 4 heures de travail correspond à la reproduction de sa force de travail.

2) En réalité, il s’agit d’une valeur moyenne. Marx montre que cette valeur du salaire oscille autour de cette moyenne et dépend du rapport de force entre les classes.

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [22]
  • La lutte Proletarienne [23]
  • Conscience de classe [24]

Rubrique: 

Réunions publiques et permanences du CCI

Génocide des Tutsis au Rwanda: La bourgeoisie française solde hypocritement sa responsabilité et celle du capitalisme

  • 55 lectures

27 ans après le génocide d’au moins 800 000 Tutsis du Rwanda en 1994, deux rapports (dont l’un a été commandé par l’Élysée) ont récemment reconnu les “responsabilités lourdes et accablantes” de la France et de son président socialiste d’alors, François Mitterrand. D’anciens ministres sont évidemment tombés des nues face à ces “accusations infamantes”, mais l’État français ouvre bien la porte à la reconnaissance officielle de son indiscutable soutien aux génocidaires. Seulement, à travers cette reconnaissance, il s’agit surtout de solder idéologiquement un secret de polichinelle. Si la bourgeoisie française reconnaît sa responsabilité en misant sur l’oubli et la distance du passé, c’est aussi pour mieux mouiller la clique autour de Mitterrand et se dédouaner dans son ensemble ! Les ministres de droite de l’époque se sont bien sûr répandus dans la presse pour expliquer à quel point, eux, n’y sont pour rien : il n’y a qu’un seul coupable, c’est l’ancien président de la République ! L’ancien Premier Ministre, Édouard Balladur, fraîchement lavé de tout soupçon dans les attentats de Karachi, a ainsi déclaré : “Tous ceux qui prônaient une intervention de l’armée française étaient en fait favorables au gouvernement hutu […]. J’étais extrêmement hostile à cette solution, car cela aurait pris les allures d’une expédition coloniale […]. Ça aurait fait de nous des acolytes de ce début de génocide”. En réalité, le massacre abominable des Tutsis n’a représenté qu’un “dommage collatéral” dans les conflits impérialistes incessants que se livrent les États, puissants ou faibles. Le véritable coupable, c’est l’impérialisme, c’est le capitalisme et la concurrence effrénée que toutes les bourgeoisies doivent se livrer pour conquérir des marchés, assurer des approvisionnements, empêcher l’implantation des rivaux et/ou garder une influence sur des territoires… Pour comprendre la nature réelle du “dernier génocide du XXe siècle”, nous renvoyons nos lecteurs à un article paru en 1994 dans la Revue internationale n° 78 :

– “Rwanda, Yémen, Bosnie, Corée : derrière les mensonges de paix, la barbarie capitaliste [25]”.

Géographique: 

  • Afrique [26]

Personnages: 

  • Mitterrand [27]

Evènements historiques: 

  • Génocide des Tutsis au Rwanda [28]

Rubrique: 

Situation en Afrique

40 ans après l’arrivée du PS au pouvoir en 1981: La gauche est un ennemi mortel du prolétariat

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Il y a 40 ans, le Parti socialiste (PS), avec François Mitterrand à sa tête, arrivait au pouvoir. À l’époque, tout le “peuple de gauche” avait été appelé à sabrer le champagne pour fêter l’arrivée inespérée d’un président avec qui la société française allait prétendument “changer”. 40 ans après, la gauche est très loin de faire rêver les masses ouvrières.

En 1981, la “force tranquille” incarnée par la gauche et la figure de son leader, devait, parait-il, transformer la vie et redonner du baume au cœur à la classe ouvrière qui avait subi la crise et de nombreuses attaques durant les années 1970 : entre la crise de la sidérurgie, l’inflation galopante et le “choc pétrolier” de 1973, la classe ouvrière avait pris de plein fouet les attaques contre ses conditions de vie et avait répondu par des luttes assez dures comme à Longwy et Denain. Mais de la relance de la consommation à la disparition du chômage, en passant par la semaine de 35 heures (sans diminution de salaire), l’élimination des inégalités sociales et l’abolition de la peine de mort, les promesses du PS étaient nombreuses, pleines d’un espoir illusoire.

Pour autant, la victoire de la gauche est demeurée à l’époque accidentelle. Elle était totalement à contre-courant de la tendance générale en Europe de maintenir la gauche dans l’opposition pour mener des attaques frontales et encadrer les luttes en sabotant la combativité ouvrière. Les dissensions de la bourgeoisie de droite ont très largement contribué à torpiller la candidature de Valéry Giscard d’Estaing. Comme nous l’écrivions dès juin 1981 : “Pour les présidentielles françaises, le PS avait tout fait pour que son candidat soit battu : il avait choisi Mitterrand alors que Rocard paraissait à l’époque le mieux placé pour battre Giscard ; sitôt désigné, le candidat Mitterrand était parti en voyage en Afrique et en Chine, comme si l’élection présidentielle ne l’intéressait pas. De son côté, le PCF, jusqu’au premier tour, avait également fait tout son possible pour que Giscard rempile. La gauche dans son ensemble avait donc, comme en 1978, “joué le jeu”, celui qui devait lui permettre de rester dans l’opposition. En l’occurrence, c’est la droite qui n’a pas joué le sien… l’effet “Chirac” est allé au-delà des espérances [de la bourgeoisie]. Le mécontentement des couches petite-bourgeoises capitalisé et amplifié par le chef du RPR a finalement privé au second tour Giscard d’une partie de son électorat habituel… Ce ne sont donc pas Mitterrand et la gauche qui ont gagné l’élection mais bien Giscard et la droite qui l’ont perdue”. (1)

La politique bourgeoise du PS et du PC

Si pendant quelques mois, l’augmentation des minima sociaux a pu faire illusion, le gouvernement PS/PC/radicaux de gauche allait rapidement montrer son vrai visage : augmentation des prix en cascade dans les transports, pour l’électricité et le gaz, répression directe face aux révoltes sociales dans la banlieue lyonnaise.

Les conséquences des premières mesures de François Mitterrand ne se font pas attendre. Tous les voyants sont au rouge. Dès 1982, les difficultés économiques et monétaires amènent le gouvernement à bloquer les salaires et aboutir au fameux “tournant de la rigueur” de 1983 sous le troisième gouvernement Mauroy, une expression aujourd’hui consacrée.

Autre promesse médiatisée à l’extrême, le symbole de l’abolition de la peine de mort est enfin adopté. La barbarie n’a, parait-il plus sa place en France. La belle affaire ! Si la guillotine disparaît, la mort sous les coups de la répression s’aggrave : de la mort de Malik Oussekine en 1986 à celle des indépendantistes kanaks de la grotte d’Ouvéa en 1988, la violence barbare de l’État sous la gauche n’a strictement rien à envier à la moindre dictature policière.

Déjà à l’époque nous écrivions : “Le gouvernement socialiste, gestionnaire responsable du capital français, troisième marchand d’armes de la planète qui naguère a été, avec son ancêtre SFIO responsable de la guerre en Algérie, qui aujourd’hui accélère son programme militaire à coups de sous-marins atomiques, de missiles nucléaires et de bombes à neutrons, se pose en moraliste. Tartuffe est au pouvoir !” (2)

La France s’arme “non pour faire la guerre mais pour qu’il n’y ait plus de guerre… uniquement parce que la supériorité militaire de l’URSS et le déséquilibre de la terreur est source de conflit” (Charles Hernu, ministre PS de la défense à l’époque). En effet, le PS au discours “pacifiste” multipliait les expériences nucléaires dans le Pacifique et n’hésitait pas à faire donner les barbouzes de l’État pour couler le Rainbow Warrior de Greenpeace en 1985. En Afrique, les croisades impérialistes se multipliaient : l’opération Manta au Tchad se mettait en place dès 1983-84 ; l’opération Épervier allait suivre dès 1986. S’agissait-il d’apporter la solidarité aux peuples africains plongés dans la guerre et le chaos ? Non évidemment, il s’agissait plutôt de garantir la défense du pré carré de la Françafrique. Si la “solidarité” s’exerce, c’est au profit du bloc impérialiste atlantique, en soutenant l’installation des fusées Pershing en Allemagne par exemple : “le pacifisme est à l’ouest, les euromissiles à l’est” (Charles Hernu en 1983). En engageant la France dans la guerre du Golfe aux côtés des États-Unis en 1991, la France poursuivait son œuvre guerrière au service d’une barbarie croissante.

Nous pourrions poursuivre à l’envi tout ce qui concerne les promesses faites à la classe ouvrière…

– Les 39 heures puis les 35 heures, la cinquième semaine de congés payés ? Il suffit de regarder la situation aujourd’hui et se rappeler que dès 1986, la loi sur la flexibilité du travail venait balayer l’illusion de la baisse du temps de travail et imposait une intensification des rendements, de la productivité, une exploitation accrue pour la classe ouvrière, une augmentation exponentielle du chômage de masse et de la précarité.

– La loi Auroux de défense des intérêts ouvriers dans l’entreprise ? Elle instaure de nouveaux droits pour les organisations syndicales, les délégués du personnel, les comités d’entreprise. Là encore, l’objectif majeur est de redynamiser la production en confortant la paix sociale, renforcer l’encadrement des syndicats.

– Sans parler de l’institution du forfait hospitalier promue par le ministre stalinien Ralite, la Contribution sociale généralisée (CSG), créée en 1990 pour abonder les caisses de sécurité sociale, a constamment augmenté (passant d’une taxation de 1,1 % à 9,20 % aujourd’hui) et s’applique aussi aux indemnités chômage et retraite.

Mitterrand, tremplin pour le FN

Face à la montée en flèche de l’extrême droite en France depuis des années, à ses conceptions populistes, xénophobes et racistes, il est bon de rappeler combien Mitterrand a su utiliser la carte du Front National (FN) pour son jeu politicien contre la droite, l’utiliser également pour crédibiliser tout un discours démocratique antifasciste. Même s’il n’évitera pas la défaite électorale de la gauche aux législatives de 1986, le rétablissement du scrutin proportionnel lors de ces élections avait permis à l’extrême droite de faire élire 35 députés FN. Elle avait ainsi obtenu droit de cité dans la vie politique française, institutionnalisée comme une force politique à part entière.

Loin d’être une bourde politique, ce tremplin offert au Front national se confirmera par la suite via l’ineffable Bernard Tapie, alors ministre de la ville, “invitant” divers responsables FN sur son yacht afin de sceller en sous-main des alliances électorales implicites pour faire barrage à la droite.

Même si l’évolution du populisme est ce qu’elle est aujourd’hui, même si le FN (RN maintenant) a fait du chemin sur la scène politique française au détriment de la gauche et du PS, n’oublions pas que c’est Mitterrand qui lui délivra le label de “parti politiquement correct”.

Le soutien indéfectible des organisations trotskistes à la victoire de Mitterrand

Tous ces rappels ne sont en rien une simple évocation de souvenirs du passé. Ils sont l’expression de leçons toujours actuelles et brûlantes : la bourgeoisie de gauche, tout comme celle de droite ou d’extrême droite, reste l’ennemie mortelle du prolétariat. Derrière les sirènes de la démocratie, de la défense des intérêts ouvriers, de la défense des “valeurs de gauche”, la bourgeoisie, du PS jusqu’à l’extrême gauche, n’ont jamais hésité à s’affubler des masques les plus hypocrites pour duper et attaquer la classe ouvrière, que ce soit en l’appelant à participer au cirque électoral, en l’appelant à faire barrage à l’extrême droite (comme elle s’apprête à le faire encore dans plusieurs mois).

La bourgeoisie peut compter sur le soutien de rabatteurs de premier plan, les organisations trotskistes de LO ou du NPA, pour faire valoir la défense démocratique de l’État et de la nation, pour faire valoir le “barrage au fascisme” danger suprême qui vaudrait toutes les unions sacrées, même conditionnelles. Ainsi, rappelons qu’en mai 1981, LO, le soi-disant “parti des travailleurs”, avec à sa tête Arlette Laguiller, avait su titrer son journal : “Pas de chèque en blanc… mais votez Mitterrand” et par conséquent soutenir sans complexe l’arrivée au pouvoir de la gauche. Cette organisation prouvait une fois de plus qu’elle ne se situait absolument pas dans le camp du prolétariat mais bel et bien à l’extrême gauche du capital, assumant pleinement son sale travail de dévoiement des luttes ouvrières sur le terrain bourgeois des élections et son propre rôle de rabatteur de la gauche. Depuis, les organisations gauchistes comme LO ont poursuivi leurs basses œuvres et nul doute que ces organisations seront encore à la manœuvre pour illusionner la classe ouvrière dans les prochains mois, saboter sa réflexion alors qu’elle tente péniblement de retrouver conscience et identité de classe.

Stopio, 5 mai 2021

 

1) “La crise politique de la bourgeoisie française”, Révolution Internationale n° 86 (Juin 1981).

2) “La gauche à l’œuvre”, Révolution Internationale n° 90 (octobre 1981).

Personnages: 

  • Mitterrand [27]

Rubrique: 

La gauche au pouvoir

La Semaine sanglante de mai 1871: La sauvagerie de la répression bourgeoise

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Le 150e anniversaire de la Commune a une fois de plus permis à la bourgeoisie de nous présenter les communards comme des “fauteurs de troubles” sanguinaires et des destructeurs nihilistes : n’ont-ils pas abattu des otages ? N’ont-ils pas failli détruire tout Paris par le feu ? Il est toujours intéressant de voir que, à un siècle et demi de distance, la bourgeoisie tremble toujours face à l’exemple de la Commune. Et tant pis si les exécutions de quelques dizaines d’otages ne répondaient qu’à des milliers d’exécutions sommaires, si au sein de la Commune, la prise d’otage était très loin de faire l’unanimité, si la libération des ecclésiastiques capturés par la Commune, comme l’archevêque Darboy, a de fait été refusée par les Versaillais, préférant laisser tomber des centaines de prisonniers et d’otages plutôt que de libérer le seul Auguste Blanqui, dont le chef versaillais, Adolphe Thiers, savait la popularité et l’influence dans le prolétariat français.

Une répression pire qu’en 1848

La répression des Journées de Juin 1848 était encore dans toutes les mémoires ; le général Galliffet en gardait un tel souvenir qu’il a choisi préférentiellement les prisonniers communards âgés, qui avaient pu y participer. En 1871, la bourgeoisie française déchaîna une puissance de feu bien plus grande puisque la soldatesque bombarda Paris, sans se soucier des dégâts et des victimes que cela provoquerait. Des quartiers entiers furent livrés au canon, et si les communards incendièrent effectivement des immeubles et des symboles du pouvoir bourgeois, comme le Palais des Tuileries, ce fut pour couvrir leur retraite et ralentir l’avancée des hordes versaillaises ! Les assassinats et exécutions sommaires atteignirent des sommets inimaginables lors de l’épisode final de la Commune, la fameuse “Semaine sanglante”, se déroulant entre le 21 et le 28 mai 1871, au cours de laquelle les troupes versaillaises se livrèrent à une répression sauvage, exécutant sans discontinuer hommes, femmes et enfants, dont le seul tort fut de s’être révoltés contre leur condition d’exploités. Au moins 15 000 personnes furent passées par les armes en quelques jours à peine.

L’isolement tragique de la Commune de Paris

Marx avait, dès le début de l’insurrection, mis en garde les communards contre l’isolement de Paris vis-à-vis du reste de la France ; la piteuse tentative aventuriste de Bakounine à Lyon, les quelques insurrections rapidement matées à Marseille ou à Toulouse en solidarité avec Paris sont rapidement écrasées par le gouvernement. D’autres mouvements prolétariens surgissent à Narbonne, Béziers, Perpignan, Sète, Limoges (dont les ouvriers porcelainiers tenteront de bloquer les trains amenant des renforts versaillais), Rouen, le Havre, Grenoble, Nîmes, Périgueux, dans la Nièvre, le Cher et l’Ariège. Les ouvriers provinciaux tentent de venir en aide à la Commune en entravant les mouvements de troupes, d’armes, de vivres destinés à Versailles, mais, ainsi que l’écrit Lissagaray, “les révoltes des villes s’éteignaient ainsi une à une comme les cratères latéraux des volcans épuisés”.

La bourgeoisie allemande et son gouvernement social-démocrate montrera la même sauvagerie lors de l’insurrection de Berlin en janvier 1919 : soulevés par une provocation de la social-démocratie au pouvoir, les ouvriers de Berlin vont mener, seuls, une insurrection face à l’armée du régime républicain de Weimar. Tout aussi isolés du reste du pays que les communards parisiens, les spartakistes affrontèrent une impitoyable répression qui culmina par les assassinats expéditifs de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, mais aussi de milliers de spartakistes et de sympathisants ouvriers entre le 5 et le 12 janvier 1919. À Paris comme à Berlin, ces massacres de masse furent perpétrés par les régimes les plus “démocratiques” de leur époque rappelant par là qu’ils demeuraient les défenseurs de l’ordre social capitaliste.

À Paris comme à Berlin, la crainte que firent peser les masses ouvrières sur l’ordre social capitaliste provoqua “l’union sacrée” de la bourgeoisie mondiale. Ainsi les dirigeants bourgeois français comme allemands mirent en sourdine leurs rivalités guerrières et impérialistes et firent front commun pour se retourner avec la même haine de classe et sauvagerie contre leur ennemi principal : le prolétariat !

H. G., 8 mai 2021

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Commune de Paris - 1871 [29]

Rubrique: 

150 ans de la Commune de Paris

Émeutes au Sénégal: la démocratie bourgeoise reste l’ennemi de la classe ouvrière

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L’hebdomadaire Courrier International (1) a très bien résumé la situation qui prévaut au Sénégal depuis le début du mois de mars : “Cela faisait près de dix ans que le Sénégal, réputé si tranquille, n’avait connu pareilles scènes : des manifestants révoltés, des rues parsemées de pierres, des magasins vandalisés. “Le chaos”: en un mot, plusieurs quotidiens résumaient l’état du pays le 3 mars. […] L’arrestation d’Ousmane Soko, un des plus populaires opposants au président Macky Sall, a plongé le pays dans la tourmente”. Si l’on en croit la presse, l’arrestation du candidat à la présidence du Sénégal Ousmane Sonko a mis le pays à feu et à sang, dans des proportions jamais vues.

Le Sénégal, pays “réputé si tranquille”, a donc basculé dans des émeutes a priori politiques, dont le mot d’ordre “Libérez Sonko” peine cependant à expliquer pourquoi il y a eu des pillages, notamment de chaînes de magasins français comme Auchan dont quatorze supermarchés ont été attaqués (et dix pillés), rien qu’à Dakar. Dans le même temps, le quotidien Le Soleil et la radio RFM, jugés proches du pouvoir, ont également subi la fureur des émeutiers.

La réponse du pouvoir a été quant à elle sans ambiguïté : après avoir envoyé les forces anti-émeutes qui ont tué entre cinq et huit personnes, (2) procédé à de nombreuses arrestations et jonché les rues de grenades lacrymogènes, les autorités ont stationné des blindés autour de la présidence, suspendu deux télévisions d’opposition et perturbé les réseaux sociaux en ralentissant le réseau internet. Le gouvernement d’une des démocraties africaines montrées en exemple s’est donc comporté comme n’importe quelle “dictature” : il a muselé les oppositions et lancé une impitoyable répression.

Mais pareille explosion de violence peut-elle s’expliquer uniquement par l’arrestation d’un candidat d’opposition à la présidence pour une affaire de mœurs ? (3) Comme l’écrit Le Figaro, il faut chercher les causes un peu plus loin : “Cette arrestation a non seulement provoqué la colère de ses partisans, mais aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble l’exaspération accumulée dans ce pays pauvre face à la dureté de la vie depuis au moins un an et la pandémie de Covid-19”. (4) Car une partie de la population a tout simplement faim ; la crise du Covid n’a fait qu’exacerber une situation économique et sociale terrible : le taux de chômage annoncé par l’Organisation internationale du travail s’établit à 48 %, l’économie informelle (97 % de l’activité économique du pays) qui fait survivre la plus grande partie de la population s’est effondrée suite aux mesures prises pour lutter contre la pandémie, il n’y a plus de touristes alors qu’ils faisaient vivre certains secteurs de l’économie, le couvre-feu empêche nombre de travailleurs d’exercer leur métier, notamment dans le secteur informel et dans la pêche. (5) Le système de santé est insuffisant, surtout en dehors de Dakar, et la crise du Covid est en train de l’achever. (6) De précaire, la situation de nombreux Sénégalais est devenue invivable.

La jeunesse étudiante s’est notamment mobilisée, car elle est particulièrement sensible à deux problèmes : trouver un emploi et se construire un futur. Même le porte-parole de la présidence le reconnaît : “Ousmane Sonko a été le déclencheur, mais il n’est pas le mobilisateur. Ce qui a mobilisé, c’est le mal de vivre d’une jeunesse face à un avenir en pointillé et un quotidien sans relief”. Cette jeunesse (les moins de 25 ans représentent presque la moitié de la population sénégalaise) tend d’ailleurs à soutenir le candidat Sonko qui lui promet monts et merveilles comme rien de moins que “la transparence économique et l’assainissement des dépenses publiques”. (7) Elle a donc pris l’arrestation de son “champion” comme une provocation. L’attaque de nombreux magasins sous enseignes françaises (Auchan notamment), au-delà de la rhétorique “anti-impérialiste” de Sonko, montre que le soutien de la France au régime de Macky Sall est de plus en plus dénoncé par une partie de la population, en même temps que le pillage de ces magasins alimentaires est symbolique de la faim qui taraude les Sénégalais les plus pauvres. Et du fait de la pandémie mondiale et de la fermeture des frontières, la soupape que constituait l’émigration vers l’Europe ne fonctionne plus, ce qui rend encore plus insupportable l’impasse sociale du pays. Cependant, la question n’est pas la politique menée par tel ou tel politicien bourgeois ; Sall autant que Sonko ne sont rien d’autre que deux figures incarnant l’affrontement entre deux fractions de l’appareil politique de la bourgeoisie sénégalaise. L’un comme l’autre seront incapables de régler la situation engendrée par la crise mondiale dont le Covid est une manifestation particulièrement significative. Et ce n’est pas le discours populiste de Sonko ou encore l’appel à des élections “libres” et “démocratiques” qui pourront masquer l’impuissance de toute la bourgeoisie face à la désintégration de son système économique et social et la spirale infernale dans laquelle le capitalisme entraîne toute l’humanité.

Les phénomènes classiques de la période de décomposition sociale actuelle touchent caricaturalement les pays pauvres, et le Sénégal n’échappe pas à la règle : délitement des structures sociales, notamment de l’infrastructure sanitaire incapable de faire face à la pandémie de Covid ; chômage de masse et absence de perspective pour la plus grande partie de la population, y compris pour les plus diplômés. D’ailleurs l’ascension d’un politicien populiste particulièrement réactionnaire et xénophobe comme Ousmane Sonko, sont les signes les plus patents d’un phénomène qui touche tous les pays du monde. Mais la classe ouvrière sénégalaise, n’a pour l’heure pas les forces ni l’expérience pour être le moteur d’un mouvement social pour affirmer des revendications de classe en déployant ses propres méthodes de lutte. Les prolétaires ont au contraire tout à perdre en se laissant entraîner derrière le piège des illusions démocratiques tendu par la bourgeoisie. Si des revendications ouvrières comme l’accès à l’emploi, l’amélioration des salaires, le rejet de la précarité, la dénonciation des conditions désastreuses régnant dans les écoles et les universités, ou encore l’absence de toute perspective d’avoir une vie sociale ont été exprimées, la classe ouvrière au Sénégal demeure bel et bien prisonnière de ce mouvement relevant purement et simplement du règlement de comptes entre deux fractions de l’appareil politique sénégalais. Aussi, les revendications ouvrières déjà très diluées ont été totalement noyées et submergées par la marée des mots d’ordre nationalistes (avec la présence de nombre de drapeaux nationaux dans les manifestations), les revendications démocratiques autour de la liberté des élections et le rejet des privilèges de la caste dirigeante qui n’entend de toute façon pas les partager. “Élargir et continuer le combat contre toutes les injustices” (8) restant le mot d’ordre fédérateur de ce mouvement. Tout cela sur fond de xénophobie “anti-impérialiste” essentiellement dirigée contre la France et son soutien au pouvoir en place.

La société capitaliste en décomposition n’a pas de perspective à offrir à la classe ouvrière et à sa jeunesse, pas plus qu’à l’humanité toute entière. Mais les mouvements d’émeutes comme ceux qui se sont produits au Sénégal ne peuvent rien apporter de positif pour le prolétariat et le développement de ses luttes. Ils sont non seulement le reflet désespéré d’un monde sans perspective mais surtout, ils sont immédiatement exploités, manipulés voire suscités par la bourgeoisie dans ses rivalités de cliques. En ce sens, ils constituent un danger de premier ordre partout dans le monde et un obstacle supplémentraire pour que le prolétariat se fraye un chemin pour ses luttes dans la période actuelle ! Tant que la classe ouvrière n’aura pas imposé ses mots d’ordre et son organisation au sein d’un mouvement qui lui est propre, elle restera impuissante face à l’État et à la bourgeoisie. Et ce à plus forte raison dans les pays périphériques du capitalisme comme le Sénégal où le prolétariat reste largement inexpérimenté et vulnérable face aux multiples pièges que peut lui tendre la classe dominante. Par conséquent, sans l’action des masses ouvrières des pays centraux du capitalisme, ayant accumulé déjà une longue expérience de luttes face à l’État bourgeois démocratique, l’issue victorieuse de la révolution et l’émancipation de l’humanité resteront impossibles.

HD, 23 mars 2021

1Courrier International, (11 au 17 mars 2021).

2Libération, (9 mars 2021).

3Ousmane Sonko est accusé de viol et menaces de mort par une masseuse.

4Le Figaro (5 mars 2021).

5Libération (1er mars 2021).

6“Les invisibles du système de santé au Sénégal” [30], The conversation [30] (7 juin 2020). [30]

7Libération (1er mars 2021) ; le programme du candidat à la présidentielle Sonko se caractérise politiquement par un populisme xénophobe, “anti-système” et anti-français, par un soutien à la bigoterie islamique, et par des propos particulièrement agressifs vis-à-vis de ses opposants politiques.

8“À Saint Louis du Sénégal, le malaise de la jeunesse”, Le Monde, (17 mars 2021).

Géographique: 

  • Afrique [26]

Rubrique: 

Situation en Afrique

Le marxisme, défenseur de la Commune

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Il n’a échappé à personne que le cent-cinquantième anniversaire de la Commune de Paris a donné lieu à une large couverture médiatique : livres, émissions radio, documentaires télé, articles de presse, etc. La bourgeoisie n’a pas hésité à se saisir d’une telle occasion pour travestir une nouvelle fois l’histoire de la Commune en multipliant les mensonges et les déformations, faisant passer le premier assaut révolutionnaire du prolétariat pour un vulgaire soulèvement du “peuple” de Paris en faveur d’une République “sociale” et”universelle” à l’image de ce qu’est censée être aujourd’hui la république bourgeoise. Bref, une expérience réduite qui n’aurait qu’un périmètre strictement hexagonal.

Comme à son habitude, la bourgeoisie s’appuie sur les apparences pour diffuser ses mensonges. Il en est ainsi du documentaire animé diffusé sur Arte intitulé “Les damnés de la Commune” qui relaie ces falsifications en s’appuyant sur le récit objectif de la communarde et membre de l’AIT, Victorine Brocher, une ouvrière combative et courageuse mais drainant également les illusions du prolétariat de l’époque sur le caractère universel des idéaux de 1789. Si effectivement la “République sociale et universelle” demeurait encore en 1871 un idéal présent au sein du prolétariat, le véritable esprit de la Commune de Paris allait bien au-delà. En faisant vaciller pour la première fois dans l’histoire le pouvoir de la bourgeoisie, les Communards incarnèrent la possibilité d’un autre avenir. Ainsi, derrière l’apparence de la “République sociale” se cachaient les jalons d’une société sans classes sociales et sans État. Par conséquent, et contrairement à ce que tentent d’insinuer bon nombre de journalistes et d’universitaires, les Communards ne sont pas les héritiers des sans-culottes de 1792-1794 mais ceux du prolétariat parisien des journées de juin 1848 qui fut, lui aussi, massacré au cours de la répression sanguinaire de la bourgeoisie. Alors que la révolution prolétarienne mondiale n’était pas encore à l’ordre du jour, la Commune annonçait la direction dans laquelle allaient s’engager les futurs combats prolétariens à l’échelle mondiale. C’est bien cela que la bourgeoisie tente de cacher. Elle mobilise tous ses canaux idéologiques afin de réduire la Commune à un simple événement de l’histoire de France et ainsi nier sa véritable nature prolétarienne comme expérience internationale. Mais la Commune appartient bien à l’histoire de la classe ouvrière ! Elle fut une expérience inestimable ayant permis au prolétariat de tirer des leçons déterminantes sur le processus révolutionnaire et la prise du pouvoir. Face aux dénigrements, aux dévoiements, aux édulcorations dont elle fait aujourd’hui l’objet de la part de la classe dominante, les organisations révolutionnaires doivent défendre et transmettre les acquis de cette “lutte héroïque”. C’est ce que nous nous efforçons de faire en publiant ci-dessous des extraits de livres considérés comme des “classiques” du mouvement ouvrier et du marxisme sur cet épisode.

Prosper-Olivier Lissagaray et L’Histoire de la Commune de Paris

Dès le lendemain du massacre, le mouvement ouvrier a dû faire face aux calomnies et aux mensonges de la bourgeoisie, encore enivrée de sa macabre victoire. Certains communards ayant échappé aux tueries ou au bagne se firent les plus fervents défenseurs de la Commune. Prosper-Olivier Lissagaray fut de ceux-là. Son Histoire de la Commune de Paris de 1871 fut un fabuleux acte de défense du caractère prolétarien de la Commune et une dénonciation ouverte de la sauvagerie des Versaillais. Ce récit d’une grande rigueur historique, animé par une quête de vérité sans faille vaut de loin mieux que toutes les “Histoires” de journalistes ou universitaires que l’on trouve actuellement sur les tables des librairies qui, pour la plupart, volontairement ou non, falsifient ou dénaturent la véritable signification de cette “plus haute marée du siècle” comme l’affirmait Lissagaray.

Comme nous pouvons le constater dans la préface de la première édition publiée ci-dessous, cette histoire est donc l’œuvre d’un militant animée par un seul et même but : défendre l’honneur du prolétariat parisien souillé par les tombereaux de calomnies déversés par les maîtres à penser de la classe bourgeoise de l’époque : journalistes, hommes politiques, écrivains, universitaires…

Préface de la première édition (1876)

“L’histoire du quatrième État de 1789 devait être le prologue de cette histoire. Mais le temps presse ; les victimes glissent dans la tombe ; les perfidies libérales menacent de surpasser les calomnies usées des monarchistes ; je me limite aujourd’hui à l’introduction strictement nécessaire.

Qui a fait le 18 mars ? Qu’a fait le Comité central ? Quelle a été la Commune ? Comment cent mille Français manquent-ils à leur pays ? Où sont les responsabilités ? Des légions de témoins vont le dire.

C’est un proscrit qui tient la plume, sans doute : mais un proscrit qui n’a été ni membre, ni officier, ni fonctionnaire de la Commune ; qui pendant cinq années, a vanné les témoignages ; qui a voulu sept preuves avant d’écrire ; qui voit le vainqueur guettant la moindre inexactitude pour nier tout le reste ; qui ne sait pas de plaidoyer meilleur pour les vaincus que le simple et sincère récit de leur histoire.

Cette histoire d’ailleurs, elle est due à leurs fils, à tous les travailleurs de la terre. L’enfant a le droit de connaître le pourquoi des défaites paternelles ; le parti socialiste, les campagnes de son drapeau dans tous les pays. Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs.

Londres, Novembre 1876.”

A l’heure actuelle, alors que les ouvriers du monde entier éprouvent les pires difficultés à se reconnaître appartenir à une seule et même classe, nous les invitons à se plonger dans ce formidable récit qui n’est rien d’autre que histoire de leur propre classe.

Karl Marx et les leçons politiques de la Commune

Dès le déclenchement de la guerre franco-prussienne en juillet 1870, l’Association internationale des Travailleurs a réagi vigoureusement pour dénoncer la fureur guerrière dans laquelle la bourgeoisie européenne entraînait le prolétariat. Les deux Adresses du Conseil général de l’Association internationale des travailleurs sur la guerre franco-allemande, rédigées par Karl Marx, sont une défense implacable de l’internationalisme prolétarien. La Troisième Adresse, plus connue sous le titre de La guerre civile en France, rédigée également par Marx, toujours au nom du conseil général de l’AIT, forme l’analyse la plus profonde et la plus riche que le mouvement ouvrier a pu produire sur cet épisode. Nous publions ci-dessous un des extraits les plus significatifs dans lequel Marx dévoile l’essence prolétarienne et révolutionnaire de l’événement. Bien loin d’entretenir les illusions sur un prétendu mouvement républicain et démocratique dans la droite ligne de la Révolution française, Marx défend ici le caractère inédit et original de la Commune à l’échelle de l’histoire.

Karl Marx, La guerre civile en France, chapitre III, 1871.

“C’est le sort ordinaire des créations historiques entièrement nouvelles d’être prises par erreur pour la contre-partie de formes anciennes ou même disparues de la vie sociale avec lesquelles elles ont quelques points de ressemblance. Les uns ont vu dans cette Commune nouvelle, qui brise la puissance de l’État moderne, une reproduction des Communes du Moyen-âge qui d’abord précédèrent le pouvoir central et plus tard en devinrent la base. D’autres ont pris la Constitution communale pour une tentative de fractionner en une fédération de petits États, idéal de Montesquieu et des Girondins, cette unité de grandes nations qui, engendrée jadis par la force politique, est devenue aujourd’hui un puissant coefficient de la production sociale. L’antagonisme de la Commune contre l’État a été interprété comme une forme excessive de l’ancien combat contre la centralisation à outrance. […] La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a donné lieu et la multiplicité des intérêts qui se réclamaient d’elle montrent que c’était une forme de gouvernement tout à fait expansive, tandis que toutes les formes antérieures étaient essentiellement répressives. Son vrai secret le voici. La Commune était essentiellement le gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte contre la classe qui produit et qui exploite, la forme politique enfin découverte grâce à laquelle on arrivera à l’émancipation du travail. […] Oui, messieurs, la Commune prétendait abolir cette propriété à une classe qui fait du travail de tous la fortune de quelques-uns ! Elle voulait exproprier les expropriateurs, elle voulait faire de la propriété individuelle une vérité par la transformation des moyens de production, la terre et le capital, aujourd’hui instruments tout-puissants d’asservissement et d’exploitation du travailleur, en de simples instruments de travail libre et associé. Mais c’est là du communisme, du communisme “impossible”. Eh quoi ! Est-ce que les membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour voir que le système actuel n’est pas durable – et ils sont nombreux – ne sont pas devenus les malencontreux et bruyants apôtres de la production coopérative ? Si la production coopérative ne doit pas pas rester une chimère et un piège, si elle doit remplacer le système capitaliste, si les sociétés coopératives réunies doivent régler la production nationale sur un plan commun en la plaçant sous leur propre contrôle et mettre fin à l’anarchie constante et aux convulsions périodiques, conséquences fatales de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du communisme “possible” ?”

La Commune de Paris annonçait la force révolutionnaire du prolétariat mondial

Comme l’indiquait Marx dans les dernières lignes de La guerre civile en France, “le Paris des travailleurs avec sa Commune sera à tout jamais célébré comme le glorieux précurseur d’une société nouvelle.” La vague révolutionnaire mondiale qui se leva après la prise du pouvoir par le prolétariat en Octobre 1917 en Russie donna raison aux prospectives de Marx 45 ans plus tôt. Les prolétaires de Russie, se plaçant dans les pas des Communards, portèrent l’expérience révolutionnaire bien plus loin. Comme les ouvriers parisiens de 1871, le prolétariat de Russie, en parvenant à s’emparer du pouvoir, devait s’affronter à la question de l’État. C’est pour cette raison pratique que Lénine éprouva la nécessité de se replonger dans les acquis théoriques produits par le mouvement marxiste et en particulier les leçons tirées par l’Association internationale des travailleurs, sous la plume de Marx, dans les différentes Adresses mentionnées plus haut. La brochure de Lénine, intitulée L’État et la révolution, attribue une place significative aux leçons de la Commune, preuve supplémentaire du legs inestimable laissé par l’assaut révolutionnaire parisien de 1871. Contrairement à ce que prétendent bon nombre d’historiens et d’intellectuels, la Commune n’était en rien “la dernière révolution du XIXe siècle” mais un mouvement annonciateur de la force révolutionnaire qu’allait déployer le prolétariat dès lors que les conditions historiques seraient favorables pour la victoire de la révolution mondiale. Par conséquent, comme le montre l’extrait ci-dessous, l’avant-garde révolutionnaire s’appuya sur l’expérience des combats passés pour faire face aux défis auxquels la classe ouvrière était confrontée.

Lénine, L’État et la révolution, “chapitre III : L’expérience de la Commune de Paris (1871). Analyse de Marx”, 1917

“1. En quoi la tentative des communards est-elle héroïque ?

On sait que, quelques mois avant la Commune, au cours de l’automne 1870, Marx avait adressé une mise en garde aux ouvriers parisiens, s’attachant à leur démontrer que toute tentative de renverser le gouvernement serait une sottise inspirée par le désespoir. Mais lorsque, en mars 1871, la bataille décisive fut imposée aux ouvriers et que, ceux-ci l’ayant acceptée, l’insurrection devint un fait, Marx, en dépit des conditions défavorables, salua avec le plus vif enthousiasme la révolution prolétarienne. Il ne s’entêta point à condamner par pédantisme un mouvement, comme le fit le tristement célèbre renégat russe du marxisme, Plékhanov, dont les écrits de novembre 1905 constituaient un encouragement à la lutte des ouvriers et des paysans, mais qui, après décembre 1905, clamait avec les libéraux : « II ne fallait pas prendre les armes. »

Marx ne se contenta d’ailleurs pas d’admirer l’héroïsme des communards « montant à l’assaut du ciel », selon son expression. Dans le mouvement révolutionnaire des masses, bien que celui-ci n’eût pas atteint son but, il voyait une expérience historique d’une portée immense, un certain pas en avant de la révolution prolétarienne universelle, un pas réel bien plus important que des centaines de programmes et de raisonnements. Analyser cette expérience, y puiser des leçons de tactique, s’en servir pour passer au crible sa théorie : telle est la tâche que Marx se fixa. La seule “correction” que Marx ait jugée nécessaire d’apporter au Manifeste communiste, il la fit en s’inspirant de l’expérience révolutionnaire des communards parisiens. La dernière préface à une nouvelle édition allemande du Manifeste communiste, signée de ses deux auteurs, est datée du 24 juin 1872. Karl Marx et Friedrich Engels y déclarent que le programme du Manifeste communiste « est aujourd’hui vieilli sur certains points ».

« La Commune, notamment, a démontré, poursuivent-ils, que la « classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte.""…

Les derniers mots de cette citation, mis entre guillemets, sont empruntés par les auteurs à l’ouvrage de Marx La Guerre civile en France. Ainsi, Marx et Engels attribuaient à l’une des leçons principales, fondamentales, de la Commune de Paris une portée si grande qu’ils l’ont introduite, comme une correction essentielle, dans le Manifeste communiste. Chose extrêmement caractéristique : c’est précisément cette correction essentielle qui a été dénaturée par les opportunistes, et les neuf dixièmes, sinon les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des lecteurs du Manifeste communiste, en ignorant certainement le sens. Nous parlerons en détail de cette déformation un peu plus loin, dans un chapitre spécialement consacré aux déformations. Qu’il nous suffise, pour l’instant, de marquer que l'“interprétation” courante, vulgaire, de la fameuse formule de Marx citée par nous est que celui-ci aurait souligné l’idée d’une évolution lente, par opposition à la prise du pouvoir, etc.

En réalité, c’est exactement le contraire. L’idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser, démolir la « machine de l’État toute prête », et ne pas se borner à en prendre possession.

Le 12 avril 1871, c’est-à-dire justement pendant la Commune, Marx écrivait à Kugelmann :

« Dans le dernier chapitre de mon 18-Brumaire, je remarque, comme tu le verras si tu le relis, que la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la briser. (Souligné par Marx ; dans l’original, le mot est zerbrechen). C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. C’est aussi ce qu’ont tenté nos héroïques camarades de Paris » (Neue Zeit, XX, 1, 1901-1902, p. 709). Les lettres de Marx à Kugelmann comptent au moins deux éditions russes, dont une rédigée et préfacée par moi. »

« Briser la machine bureaucratique et militaire" : en ces quelques mots se trouve brièvement exprimée la principale leçon du marxisme sur les tâches du prolétariat à l’égard de l’État au cours de la révolution.”

 

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Commune de Paris - 1871 [29]

Rubrique: 

150 ans de la Commune de Paris

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