Malgré les difficultés occasionnées par la Pandémie, le CCI a tenu son 24e congrès international et nous tirons un bilan positif de celui-ci. Comme nous l'avons toujours fait, et conformément à la pratique du mouvement ouvrier, nous rendons compte de ses travaux par cette prise de position globale et à travers un ensemble de documents qui vont orienter notre activité et intervention durant les deux années à venir, rapports et résolution dont la publication a déjà été effectuée depuis plusieurs mois sur notre site Internet1. Le congrès s'est tenu avec la pleine conscience de la part de ses participants de la gravité de la situation mondiale, du fait en particulier de la persistance de l'une des pandémies les plus dangereuses de l'histoire qui est loin d'être surmontée.
Le pire serait de sous-estimer cette situation alors que, d'une part, les gouvernements proclament que "tout est sous contrôle" et que "nous sommes revenus à la normale", et d'autre part, la horde des négationnistes et antivacs (l'autre face, également mensongère, des mensonges des gouvernements) qui nient la réalité de la pandémie en parlant de "conspirations", de "sombres manœuvres", et utilisent un fait réel -le renforcement du contrôle totalitaire de l'État- pour le monter en épingle au nom de la "défense des libertés démocratiques" dissimulant ainsi l'importance des dangers que la pandémie fait courir à la vie humaine[1]. Le plus grave de la pandémie réside dans la manière dont tous les États ont réagi : de façon totalement irresponsable, en prenant des mesures contradictoires et chaotiques, sans le moindre plan, sans aucune coordination, en jouant plus cyniquement que jamais avec la vie de millions de personnes[2]. Et cela ne s'est pas produit dans les États habituellement qualifiés de "voyous", mais aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, les pays les plus "avancés", qui se prétendent à l'avant-garde de la "civilisation et du progrès". La pandémie a mis en évidence la décadence et la décomposition du capitalisme, la pourriture de ses structures sociales et idéologiques, le désordre et le chaos qui émanent de ses rapports de production, l'absence d'avenir d'un mode de production en proie à des contradictions de plus en plus violentes qu'il ne peut surmonter. Pire encore : ce que la pandémie annonce, ce sont de nouvelles convulsions plus profondes dans tous les pays, des tensions impérialistes, la destruction écologique, la crise économique... Le prolétariat mondial ne peut pas être dupé par de vagues promesses de "retour à la normale". Il a besoin de voir la réalité en face, de comprendre que le visage de la barbarie a été clairement dessiné par la pandémie et le sera avec encore plus de virulence dans les temps à venir.
Le 24e congrès du CCI s'est déroulé, comme les congrès des organisations révolutionnaires à travers l'histoire, dans un contexte de fraternité et de débat profond. Il avait la responsabilité de confirmer le cadre d'analyse sur la décomposition du capitalisme, en rectifiant les éventuelles erreurs ou les évaluations insuffisamment élaborées. Le congrès a répondu à une série de questions nécessaires :
Ce congrès a confirmé que l'analyse de la décomposition se situait dans la continuité du marxisme. En 1914, avec la Première Guerre mondiale, les marxistes avaient identifié l'entrée du capitalisme dans son époque de décadence, une analyse confirmée en 1919 par l'Internationale communiste, "l'époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur" (Plateforme de l'IC). Fidèle à cette démarche, le CCI a identifié il y a plus de trois décennies l'entrée dans une phase spécifique et ultime de la décadence du capitalisme : celle de sa décomposition. Cette phase de décomposition se caractérise par l'accumulation d'un ensemble de contradictions que la société capitaliste a été incapable de résoudre, comme le point 3 des Thèses de la décomposition[3] l'explicite : "Dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent, et même s'approfondissent, la phase de décomposition apparaît comme celle résultant de l'accumulation de toute ces caractéristiques d'un système moribond, celle qui parachève et chapeaute trois quarts de siècle d'agonie l'un mode de production condamné par l'histoire. Concrètement, non seulement la nature impérialiste de tous les États, la menace de guerre mondiale, l'absorption de la société civile par le Moloch étatique, la crise permanente de l'économie capitaliste, se maintiennent dans la phase de décomposition, mais cette dernière se présente encore comme la conséquence ultime, la synthèse achevée de tous ces éléments". Cette analyse que nous avons effectuée il y a 30 ans a été confirmée avec une force et une gravité extrêmes qui nous a amenés à conclure dans la Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI : "la plupart des développements importants des trois dernières décennies ont en effet confirmé la validité de ce cadre, comme en témoignent l'exacerbation du chacun-pour-soi au niveau international, le "rebond" des phénomènes de décomposition vers les centres du capitalisme mondial à travers le développement du terrorisme et la crise des réfugiés, la montée du populisme et la perte de contrôle politique de la classe dirigeante, la putréfaction progressive de l'idéologie à travers la propagation de la recherche du bouc émissaire, du fondamentalisme religieux et des théories du complot (.) la pandémie actuelle de Covid-19 est la distillation de toutes les manifestations-clés de la décomposition, et un facteur actif de son accélération[4]". Depuis que notre congrès a conclu ses travaux, les événements se sont succédés avec une virulence sans précédent, confirmant clairement notre analyse : les guerres impérialistes en Éthiopie, en Ukraine, au Yémen, en Syrie..., l'affrontement Etats-Unis/Chine, s'intensifient ; la crise écologique a imprimé une énorme empreinte sur le monde, notamment avec la multiplication des inondations et des incendies catastrophiques. Aujourd'hui, la pandémie connaît une nouvelle flambée de contaminations et fait face à la menace très dangereuse du variant Omicron ; alors qu'en même temps, la crise économique s'aggrave... La défense du cadre marxiste de la décomposition est aujourd'hui plus nécessaire que jamais face à l'aveuglement des autres groupes de la Gauche communiste et à l'infiltration dans le milieu révolutionnaire de toutes sortes de positions modernistes, sceptiques, nihilistes... qui ferment les yeux sur la gravité de la situation. En ce moment, nous voyons se dérouler dans un certain nombre de pays des luttes ouvrières combatives qui ont plus que jamais besoin de la force et de la lucidité de ce cadre d'analyse.
Le 24e Congrès a pu identifier l'accélération de la décomposition capitaliste en examinant en profondeur les racines et les conséquences de la pandémie : celle-ci, "la première d'une telle ampleur depuis l'épidémie de grippe espagnole de 1918, est le moment le plus important dans l'évolution de la décomposition capitaliste depuis l'ouverture irrémédiable de cette période en 1989. L'incapacité de la classe dirigeante à empêcher les 7 à 12 millions de morts et plus qui en résultent confirme que le système capitaliste mondial, laissé à lui-même, entraîne l'humanité vers l'abîme de la barbarie et vers sa destruction, et que seule la révolution prolétarienne mondiale peut stopper cette dérive et conduire l'humanité vers un autre avenir." (Ibid.) Ainsi, la pandémie a montré et confirmé les réalités suivantes :
Notre 24e Congrès a conclu que la pandémie ne peut être réduite à une "calamité" ou considérée uniquement comme une crise sanitaire (dans le style de celles qui se sont produites périodiquement dans les sociétés précapitalistes et dans le capitalisme lui-même au cours du XIXe siècle). C'est une crise globale -sanitaire, économique, sociale et politique, mais aussi morale et idéologique. Il s'agit d'une crise de la décomposition du capitalisme en tant que produit de l'accumulation des contradictions du système au cours des 30 dernières années, comme le met en évidence notre rapport sur la pandémie et la décomposition pour le 24e Congrès[7]. Plus précisément, la pandémie est le résultat :
"Le CCI est pratiquement seul à défendre la théorie de la décomposition. D'autres groupes de la Gauche communiste la rejettent complètement, soit, comme dans le cas des Bordiguistes, parce qu'ils n'acceptent pas que le capitalisme puisse être un système en déclin (ou au mieux sont incohérents et ambigus sur ce point) ; soit, comme pour la Tendance Communiste Internationaliste, parce que parler d'une phase "finale" du capitalisme sonne beaucoup trop apocalyptique, soit parce que définir la décomposition comme une descente vers le chaos est une déviation du matérialisme qui, selon eux, cherche à trouver les racines de chaque phénomène dans l'économie et surtout dans la tendance à la baisse du taux de profit " (Idem). La résolution sur les activités du 24e Congrès souligne que "la pandémie de Covid-19 qui a débuté au début de 2020 a confirmé de manière frappante l'accélération de l'impact de la décomposition sociale du capitalisme".
La crise pandémique a révélé une avancée de la décomposition : 1) elle a touché préférentiellement les pays centraux, en particulier les Etats-Unis ; 2) il y a une combinaison et une concomitance entre les différents effets de la décomposition, contrairement aux périodes précédentes où ils étaient localement contenus et ne s'influençaient pas mutuellement. Ce que cette crise annonce, ce sont des convulsions de plus en plus violentes, une accentuation des tendances à la perte de contrôle des États dans les relations sociales. La décennie des années 2020 est pleine de graves incertitudes, faites de catastrophes plus fréquentes et liées entre elles. Le glissement du capitalisme vers la barbarie y revêtira un visage de plus en plus terrifiant.
Nous devons également garder à l'esprit que la situation à laquelle la classe ouvrière est confrontée n'est pas la même que celle qui a suivi l'effondrement du bloc russe et la confirmation de la phase de décomposition en 1989. À cette époque, la bourgeoisie a pu présenter ces événements comme la preuve de la mort du communisme, de la victoire du capitalisme et le début d'un avenir radieux pour l'humanité. Trente années de décomposition ont sérieusement ébranlé cette fraude idéologique, et la pandémie en particulier a mis en évidence l'irresponsabilité et la négligence de tous les gouvernements capitalistes, ainsi que la réalité d'une société en proie à de profondes divisions économiques, dans laquelle nous ne sommes en aucun cas "tous dans le même bateau". Au contraire, la pandémie et le lock-out ont révélé les conditions de la classe ouvrière, à la fois en tant que principale victime de la crise sanitaire et en tant que source de tout le travail et de toute la production matérielle et, en particulier, de tout ce qui concerne la satisfaction des besoins humains fondamentaux. Cela peut être la base d'une future réappropriation de son identité de classe par le prolétariat. Et, avec la prise de conscience croissante que le capitalisme est un mode de production totalement obsolète, cela a déjà été un élément dans l'émergence de minorités politisées dont la motivation est avant tout de comprendre la situation dramatique à laquelle l'humanité est confrontée.
Malgré l'atomisation sociale résultant de la décomposition, malgré les tentatives délibérées de fragmenter la force de travail à travers des stratagèmes comme "l'économie verte", ou les campagnes idéologiques qui visent à présenter les fractions les plus éduquées du prolétariat mondial comme la "classe moyenne" et les pousser vers l'individualisme, les travailleurs restent une classe qui, ces dernières années, a augmenté et est interconnectée au niveau mondial, même si, avec l'avancée de la décomposition, il est également vrai que l'atomisation et l'isolement social s'intensifient. C'est un facteur qui, pour l'instant, rend plus difficile pour le prolétariat la mise en œuvre de sa propre identité de classe. Ce n'est que par ses luttes sur son propre terrain de classe que, la classe ouvrière pourra développer son action collective, annonçant ainsi la force collective dont elle devra disposer à l'échelle mondiale pour renverser le capitalisme.
Les travailleurs sont réunis par le capital dans le processus de production, le travail associé s'y effectue sous la contrainte, mais le caractère révolutionnaire du prolétariat implique de renverser dialectiquement ces conditions dans une lutte collective. La lutte collective contre l'exploitation, guidée par la conscience communiste issue du prolétariat, contient le potentiel pour la libération du caractère social du travail, car une société qui peut utiliser consciemment tout le potentiel de l'activité associée, cette société pour laquelle le prolétariat mondial doit lutter, c'est la société communiste.
Dès avant le 23e Congrès international, des divergences s'étaient exprimées au sein du CCI sur différentes questions : les tensions impérialistes mènent-elles à une nouvelle guerre mondiale ? Le prolétariat est-il déjà vaincu ? Quelle est la tâche du moment pour l'organisation ? Cela soulève la question de savoir ce que l'on entend par activité en tant que fraction[10] dans la phase actuelle de décomposition. Les divergences sur l'analyse de la situation internationale ont donné lieu à une première publication, celle du texte "Divergences avec la résolution sur la situation internationale du 23e Congrès du CCI[11]". La résolution sur les activités de notre récent congrès souligne que "l'organisation s'est efforcée à tous les niveaux -au congrès, aux réunions des organes centraux, aux réunions de section et dans quelque 45 contributions individuelles dans les bulletins internes internationaux au cours des quatre dernières années- de répondre aux divergences des camarades et a également commencé à porter le débat à l'extérieur. L'effort de l'organisation pour affronter les divergences durant cette période exprime une volonté positive de renforcer la défense polémique de ses positions et analyses".
Les divergences se sont précisées lors du 24e Congrès :
Ces divergences, ainsi que d'autres, ont été abordées lors du Congrès et, dans le but d'obtenir la plus grande clarté possible dans leur expression, elles seront présentées publiquement dans des documents de discussion. Il s'agit d'une pratique du mouvement ouvrier que le CCI a prise très au sérieux, comme le souligne le texte cité plus haut :
"Dans la mesure où les débats qui traversent l'organisation concernent en général l'ensemble du prolétariat, il convient que celle-ci les porte à l'extérieur, en respectant les conditions suivantes :
Le congrès a dressé un bilan positif de l'activité de l'organisation au cours des deux dernières années, en soulignant notamment la solidarité avec tous les camarades touchés par la pandémie ou par les graves conséquences économiques du confinement (bon nombre de camarades ont perdu leurs moyens de subsistance).
Ce bilan positif ne doit pas nous faire baisser la garde. L'organisation communiste est soumise à de multiples pressions, les avancées -qui coûtent cher à gagner- peuvent être rapidement perdues. Comme le souligne la résolution sur les activités adoptée par le Congrès, "l'accélération de la décomposition pose d'importants problèmes au niveau du militantisme, de la théorie et du tissu organisationnel".
Ces problèmes ne sont pas nouveaux, ils sont l'expression de l'impact de la décomposition sur le fonctionnement et le militantisme des organisations communistes puisque "Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique:
Compte tenu de ces dangers, notre tâche consiste avant tout à préparer l'avenir. L'objectif fondamental du CCI, qui est de construire un pont vers le futur parti communiste mondial du prolétariat, a été défini lors de sa Conférence de fondation en 1975 et réaffirmé lors du 23e Congrès ; mais la nature de cet objectif a été précisée ces dernières années par plusieurs facteurs : l'accélération de la décomposition et les difficultés de la lutte de classe du prolétariat intensifient de plus en plus les défis pour l'organisation des révolutionnaires ; le vieillissement et en même temps l'émergence de nouveaux militants qui rejoignent l'organisation dans le contexte de la décomposition ; les attaques croissantes du parasitisme contre l'organisation ; le poids de l'opportunisme et du sectarisme dans les groupes hérités de la Gauche communiste.
À son 24e Congrès, le CCI s'est appliqué à identifier la perspective, les difficultés et les dangers qu'il doit affronter pour assumer son rôle de transmission ; il a adopté une série de "fondements" qui seront la base de l'orientation de la prochaine période. Or, face à cette situation, la préparation de l'avenir ne peut se comprendre qu'à contre-courant.
Historiquement, le mouvement marxiste n'a pu se développer qu'en affrontant avec succès des événements capitaux et s'est donc basé sur un esprit de combat, sur une volonté de surmonter tous les obstacles que la société bourgeoise met sur son chemin. L'expérience du CCI n'est pas différente à cet égard. Les organisations auxquelles l'histoire demande de jouer un rôle de transmission ont dû faire leurs preuves face à de véritables épreuves du feu : le courant marxiste du milieu du XIXe siècle, malgré l'emprisonnement, l'exil et la grande pauvreté de ses militants après la défaite de 1848, a servi de tremplin à la création de la 1e Internationale dans les années 1860. Bilan et la Gauche Communiste de France ont traversé les épreuves de la contre-révolution des années 30, 40 et 50, du stalinisme, du fascisme et de l'antifascisme, de la Seconde Guerre mondiale pour maintenir vivante la flamme révolutionnaire pour les générations futures. Il est clair que la période de décomposition constitue l'épreuve décisive du CCI.
La capacité d'analyser le monde et la situation historique est l'un des "fondements" de notre perspective immédiate ; la méthode marxiste du matérialisme historique et la référence constante à l'héritage des acquis antérieurs, ainsi que la confrontation des divergences, font partie de la préparation de l'avenir. Notre activité d'intervention, d'élaboration théorique, de défense de l'organisation se fonde sur la transmission et le développement des acquis historiques d'un siècle de lutte de la gauche communiste et ce n'est que sur cette base solide que peut être réalisée la préparation du futur parti communiste mondial du prolétariat.
Dans le cadre de la préparation de l'avenir, il y a aussi la lutte sans compromis contre le parasitisme. L'effort de ces dernières années montre la nécessité de poursuivre cette lutte, en dénonçant le parasitisme comme le CCI l'a fait face à la classe ouvrière, face à ses contacts et face au milieu de la Gauche communiste.
La lutte contre l'opportunisme dans les organisations de la gauche communiste, en lien avec celle contre le parasitisme[12], sera importante dans la prochaine période car le danger est grand de voir se perdre et s'atrophier le potentiel du futur regroupement des révolutionnaires. L'expérience de ces deux dernières années concernant la défense de l'organisation contre les attaques du parasitisme et pour la rupture du cordon sanitaire dont il entoure le CCI montre que la lutte contre l'opportunisme et le sectarisme implique la connaissance et la défense de notre histoire.
Au cours de la période à venir, le CCI entend améliorer sa presse. Au cours des dernières décennies, la préoccupation pour les polémiques avec le milieu politique prolétarien a diminué. L'organisation entend renverser cette situation et notre travail de type fraction consiste aussi à préparer l'avenir en élargissant la polémique et lui permettant de s'inspirer de ce qu'a été la première phase de l'Iskra ou les premiers numéros d'Internationalisme, la publication de la GCF, consacrés à la polémique contre Vercesi et sa dérive opportuniste. En réponse à la putréfaction de l'idéologie bourgeoise, à l'obscurantisme de ses mystifications, la presse doit pouvoir constituer un point de repère contre l'intoxication idéologique qui émane de la décomposition idéologique du capitalisme, et présenter à la classe ouvrière une perspective rationnelle et concrète de renversement du capitalisme. Il nous faut donc renforcer la diffusion de notre presse imprimée et numérique.
En tirant les leçons des erreurs du passées, en combattant sans relâche le parasitisme et l'opportunisme, en comprenant le plus rapidement possible les développements permanents de l'évolution historique, en défendant l'organisation et son fonctionnement uni, solidaire, international et centralisé, le 24e Congrès a eu pour vocation de préparer l'avenir. Mais cela exige de s'appuyer fermement, de manière critique, sur la continuité historique des organisations communistes, comme le conclut la résolution d'activité du congrès :
[1] Nous avons jugé d’adjoindre aux documents du congrès un rapport sur les conflits impérialistes adopté dans une réunion récente de l'organe central international du CCI.
[2]Tous les modes d’exploitation qui ont précédé le capitalisme (despotisme asiatique, esclavage, féodalisme) ont criminellement joué avec la vie de milliers de personnes, mais le capitalisme a porté cette barbarie à ses expressions les plus extrêmes. Qu'est-ce que la guerre impérialiste ? Des millions d'êtres humains utilisés comme chair à canon pour les sales intérêts économiques et impérialistes des nations, des États, des capitalistes, et qui sont des jouets dans les mains du capitalisme. Il n'y a donc rien de nouveau lorsque les gouvernements conçoivent la gestion de la pandémie comme un pari irresponsable avec la vie de millions de personnes.
[4] Résolution sur la situation internationale (2021).
[5] Voire le site "COVID-19. Au moins 17 000 morts parmi les professionnels de santé : il faut une campagne de vaccination rapide."
[6] Le capitalisme est basé, comme nous l'avons noté plus haut, sur la concurrence à mort entre les États et entre les capitalistes, donc le "chacun pour soi" est inscrit dans son ADN, mais cette caractéristique a été aiguisée à des extrêmes sans précédent avec la phase de décomposition capitaliste.
[7] Rapport sur la pandémie [3] et le développement de la décomposition.
[8] Résolution sur le rapport de forces [4] entre les classes (2019).
[9] Rapport sur la structure et le fonctionnement [5] des organisations révolutionnaires - conférence internationale (janvier 82)
[11] Article online Divergences avec la résolution [7] sur la situation internationale du 23e congrès
[12] Lire construction de l’organisation des révolutionnaires : thèses sur le parasitisme [8]. Revue internationale n° 94
[13] Marc Chirik [9] : Principal fondateur du CCI qui s'était distingué notamment par sa capacité à maintenir vivants les acquis théoriques du mouvement révolutionnaire, en particulier ceux élaborés par la Fraction de Gauche du Parti communiste d'Italie. Il put ainsi s'orienter de façon critique et lucide dans l'analyse de l'évolution de la situation mondiale. Ce "flair" politique, fondé sur l'analyse globale du rapport de forces entre les classes, lui permit de remettre en cause certains "dogmes" du mouvement ouvrier, sans pour autant s'écarter de la démarche et de la méthode marxiste du matérialisme historique mais en l'ancrant au contraire dans la dynamique de l'évolution de la réalité historique concrète. Lire à ce propos les articles : “MARC : De la révolution d'octobre 1917 à la deuxième guerre mondiale [10]” et MARC : De la deuxième guerre mondiale à la période actuelle [11]”
Cette résolution vise à rassembler tous les éléments majeurs de la situation mondiale : l'accélération de la décomposition, l'aiguisement des rivalités impérialistes, une crise économique sans précédent, et les perspectives de la lutte de classe.
Cette résolution s'inscrit dans la continuité du rapport sur la décomposition présenté au 22e congrès du CCI, de la résolution sur la situation internationale présentée au 23e congrès, et du rapport sur la pandémie et la décomposition présenté au 24e congrès. Elle est basée sur l’idée que non seulement la décadence du capitalisme passe par différents stades ou phases, mais que nous avons depuis la fin des années 1980 atteint sa phase ultime, la phase de décomposition ; en outre, la décomposition elle-même a une histoire, et un objectif central de ces textes est de "tester" le cadre théorique de la décomposition par rapport à l'évolution de la situation mondiale. Ces textes ont montré que la plupart des développements importants des trois dernières décennies ont en effet confirmé la validité de ce cadre, comme en témoignent l'exacerbation du chacun-pour-soi au niveau international, le "rebond" des phénomènes de décomposition vers les centres du capitalisme mondial à travers le développement du terrorisme et la crise des réfugiés, la montée du populisme et la perte de contrôle politique de la classe dirigeante, la putréfaction progressive de l'idéologie à travers la propagation de la recherche du bouc émissaire, du fondamentalisme religieux et des théories du complot. Et tout comme la phase de décomposition est l'expression concentrée de toutes les contradictions du Capital, surtout à son époque de déclin, la pandémie actuelle de Covid-19 est la distillation de toutes les manifestations-clés de la décomposition, et un facteur actif de son accélération.
1. La pandémie de Covid-19, la première d'une telle ampleur depuis l'épidémie de grippe espagnole de 1918, est le moment le plus important dans l'évolution de la décomposition capitaliste depuis l'ouverture irrémédiable de cette période en 1989. L'incapacité de la classe dirigeante à empêcher les 7 à 12 millions de morts et plus qui en résultent confirme que le système capitaliste mondial, laissé à lui-même, entraîne l'humanité vers l'abîme de la barbarie et vers sa destruction, et que seule la révolution prolétarienne mondiale peut stopper cette dérive et conduire l'humanité vers un autre avenir.
2. Le CCI est pratiquement seul à défendre la théorie de la décomposition. D'autres groupes de la Gauche communiste la rejettent complètement, soit, comme dans le cas des Bordiguistes, parce qu'ils n'acceptent pas que le capitalisme puisse être un système en déclin (ou au mieux sont incohérents et ambigus sur ce point) ; soit, comme pour la Tendance Communiste Internationaliste, parce que parler d'une phase "finale" du capitalisme sonne beaucoup trop apocalyptique, soit parce que définir la décomposition comme une descente vers le chaos est une déviation du matérialisme qui, selon eux, cherche à trouver les racines de chaque phénomène dans l'économie et surtout dans la tendance à la baisse du taux de profit. Tous ces courants semblent ignorer que notre analyse est dans la continuité de la plate-forme de l'Internationale communiste de 1919, qui non seulement insistait sur le fait que la guerre impérialiste mondiale de 1914-18 annonçait l'entrée du capitalisme dans "l'époque de l'effondrement du Capital, de sa désintégration interne, l'époque de la révolution communiste du prolétariat", mais encore soulignait également que "l'ancien "ordre" capitaliste a cessé de fonctionner ; son existence ultérieure est hors de question. Le résultat final du mode de production capitaliste est le chaos. Ce chaos ne peut être surmonté que par la classe productive et la plus nombreuse - la classe ouvrière. Le prolétariat doit établir un ordre réel - l'ordre communiste". Ainsi, le drame auquel l'humanité est confrontée se pose effectivement en termes d'ordre contre chaos. Et la menace d'un effondrement chaotique était liée à "l'anarchie du mode de production capitaliste", en d'autres termes, à un élément fondamental du système lui-même - un système qui, suivant le marxisme, et à un niveau qualitativement plus élevé que dans tout mode de production antérieur, implique que les produits du travail humain deviennent une puissance étrangère qui se dresse au-dessus et contre leurs créateurs. La décadence du système, du fait de ses contradictions insolubles, marque une nouvelle spirale dans cette perte de contrôle. Et comme l'explique la Plate-forme de l'IC, la nécessité d'essayer de surmonter l'anarchie capitaliste au sein de chaque État-nation - par le monopole et surtout par l'intervention de l'État - ne fait que la pousser vers de nouveaux sommets à l'échelle mondiale, culminant dans la guerre mondiale impérialiste. Ainsi, alors que le capitalisme peut à certains niveaux et pendant certaines phases retenir sa tendance innée au chaos (par exemple, à travers la mobilisation pour la guerre dans les années 1930 ou la période de boom économique qui a suivi la guerre), la tendance la plus profonde est celle de la "désintégration interne" qui, pour l'IC, caractérise la nouvelle époque.
3. Alors que le Manifeste de l'IC parlait du début d'une nouvelle "époque", il y avait des tendances au sein de l'Internationale à considérer la situation catastrophique du monde d'après-guerre comme une crise finale dans un sens immédiat plutôt que comme une ère entière de catastrophes qui pourrait durer plusieurs décennies. Et c'est une erreur dans laquelle les révolutionnaires sont tombés à de nombreuses reprises (du fait d'une analyse erronée mais aussi parce qu'on ne peut prévoir avec certitude le moment précis où va intervenir un changement au niveau historique) : en 1848, lorsque le Manifeste communiste proclamait déjà que l'enveloppe du capital était devenue trop étroite pour contenir les forces productives qu'il avait mises en mouvement ; en 1919-20 avec la théorie de l’effondrement brutal du capitalisme, développée notamment par la Gauche communiste allemande ; en 1938 avec la notion de Trotsky selon laquelle les forces productives avaient cessé de croître. Le CCI lui-même a également sous-estimé la capacité du capitalisme à s'étendre et à se développer à sa propre manière, même dans un contexte général de déclin progressif, notamment avec la Chine stalinienne après l'effondrement du bloc russe. Cependant ces erreurs sont les produits d'une interprétation immédiatiste de la crise capitaliste, et non un défaut inhérent à la théorie de la décadence elle-même, qui voit le capitalisme dans cette période comme une entrave croissante aux forces productives plutôt que comme une barrière absolue. Le capitalisme est en déclin depuis plus d'un siècle, et reconnaître que nous atteignons les limites du système est tout à fait cohérent avec la compréhension du fait que la crise économique, malgré des hauts et des bas, est essentiellement devenue permanente ; que les moyens de destruction ont non seulement atteint un niveau tel qu'ils pourraient détruire toute vie sur la planète, mais qu'ils sont entre les mains d'un "ordre" mondial de plus en plus instable ; que le capitalisme a provoqué un désastre écologique planétaire sans précédent dans l'histoire humaine. En somme, la reconnaissance du fait que nous sommes effectivement au stade ultime de la décadence capitaliste est basée sur une évaluation lucide de la réalité. Encore une fois, cela doit être considéré sur une échelle de temps historique et non au jour le jour. Cela signifie que cette phase finale est irréversible et qu'il ne peut y avoir d'autre alternative historique que le Communisme ou la destruction de l'humanité. C'est l’alternative face à laquelle est placée notre époque.
4. La pandémie de Covid-19, contrairement aux vues propagées par la classe dirigeante, n'est pas un événement purement "naturel" mais résulte d'une combinaison de facteurs naturels, sociaux et politiques, tous liés au fonctionnement du système capitaliste en décomposition. L'élément "économique" est en effet crucial ici, et encore une fois à plus d'un niveau. C'est la crise économique, la chasse désespérée au profit, qui a poussé le capital à envahir chaque partie de la surface du globe, à s'emparer de ce qu'Adam Smith appelait le "don gratuit" de la nature, à détruire les derniers sanctuaires de la vie sauvage et à augmenter considérablement le risque de zoonoses. À son tour, le krach financier de 2008 a entraîné une réduction brutale des investissements dans la recherche de nouvelles maladies, dans les équipements et les traitements médicaux, ce qui a augmenté de manière exponentielle l'impact mortel du Coronavirus. Et l'intensification de la concurrence, du "chacun pour soi" entre les entreprises et les nations au niveau mondial a beaucoup retardé la fourniture de matériel de sécurité et de vaccins. Et contrairement aux espoirs utopiques de certaines parties de la classe dirigeante, la pandémie ne donnera pas lieu à un ordre mondial plus harmonieux une fois qu'elle aura été mise en échec. Non seulement parce que cette pandémie n'est probablement qu'un signe avant-coureur de pandémies plus graves à venir, étant donné que les conditions fondamentales qui l'ont générée ne peuvent être éliminées par la bourgeoisie, mais aussi parce que la pandémie a considérablement aggravé une récession économique mondiale qui était déjà imminente avant que la pandémie ne frappe. Le résultat sera le contraire de l'harmonie, car les économies nationales chercheront à s'égorger mutuellement dans la lutte pour des marchés et des ressources qui s'amenuisent. Cette concurrence exacerbée s'exprimera certainement au niveau militaire. Et le "retour à la normale" de la concurrence capitaliste fera peser de nouveaux fardeaux sur le dos des exploités de la planète, qui supporteront l'essentiel des efforts du capitalisme pour récupérer une partie des dettes gigantesques qu'il a contractées en tentant de gérer la crise.
5. Aucun État ne peut prétendre être un modèle de gestion de la pandémie. Si certains États d'Asie ont, dans un premier temps, réussi à y faire face plus efficacement, (même si des pays comme la Chine se sont livrés à la falsification des chiffres et de la réalité de l’épidémie) c'est en raison de leur expérience de la confrontation aux pandémies sur le plan social et culturel, puisque ce continent a historiquement constitué le terreau de l'émergence de nouvelles maladies, et surtout parce que ces États ont conservé les moyens, les institutions et les procédures de coordination mis en place lors de l'épidémie de SRAS en 2003. La propagation du virus au niveau planétaire, la génération internationale de nouveaux variants, posent d'emblée le problème au niveau où l'impuissance de la bourgeoisie est la plus clairement exposée, notamment son incapacité à adopter une approche unifiée et coordonnée (comme le montre l'échec récent de la proposition de signer un traité de lutte contre les pandémies) et à faire en sorte que l'ensemble de l'humanité soit protégé par des vaccins.
6. La pandémie, produit de la décomposition du système, se révèle ainsi être une force redoutable dans la poursuite de l'accélération de cette décomposition. De plus, son impact sur la nation la plus puissante de la Terre, les États-Unis, confirme ce qui avait déjà été noté dans le rapport du 22e Congrès : la tendance des effets de la décomposition à revenir avec plus de force au cœur même du système capitaliste mondial. En fait, les États-Unis sont maintenant au "centre" du processus mondial de décomposition. La gestion catastrophique de la crise du Covid par l'administration populiste de Trump a certainement joué un rôle important dans le fait que les États-Unis connaissent les taux de mortalité les plus élevés au monde du fait de cette maladie. Dans le même temps, l'étendue des divisions au sein de la classe dirigeante américaine a été mise à nu par les élections contestées de novembre 2020, et surtout par la prise d'assaut du Capitole par les partisans de Trump le 6 janvier 2021, poussés par Trump et son entourage. Ce dernier événement démontre que les divisions internes qui secouent les États-Unis traversent l'ensemble de la société. Bien que Trump ait été évincé du gouvernement, le trumpisme reste une force puissante, lourdement armée, qui s'exprime aussi bien dans la rue que dans les urnes. Et avec l'ensemble de l'aile gauche du Capital se ralliant derrière la bannière de l'antifascisme, il y a un réel danger que la classe ouvrière aux États-Unis soit prise dans des conflits violents entre des factions rivales de la bourgeoisie.
7. Les événements aux États-Unis mettent également en évidence l'avancée de la décomposition des structures idéologiques du capitalisme, où là encore ce pays "montre la voie". L'accession au pouvoir de l'administration populiste de Trump, la puissante influence du fondamentalisme religieux, la méfiance croissante à l'égard de la science, trouvent leurs racines dans des facteurs particuliers de l'histoire du capitalisme américain, mais le développement de la décomposition et en particulier le déclenchement de la pandémie a imprégné le courant dominant de la vie politique de toutes sortes d'idées irrationnelles, reflétant précisément l'absence totale de perspective d'avenir offerte par la société existante. En particulier, les États-Unis sont devenus le point nodal du rayonnement de la "théorie du complot" dans l'ensemble du monde capitaliste avancé, notamment via internet et les médias sociaux, qui ont fourni les moyens technologiques permettant de saper davantage les fondements de toute idée de vérité objective à un degré dont le stalinisme et le nazisme n'auraient pu que rêver. Même si elle apparaît sous différentes formes, la théorie du complot présente certains traits communs : la vision incarnée d'élites secrètes qui dirigent la société depuis les coulisses, un rejet de la méthode scientifique et une profonde méfiance à l'égard de tout discours officiel. Contrairement à l'idéologie dominante de la bourgeoisie, qui présente la démocratie et le pouvoir d'État existant comme les véritables représentants de la société, la théorie du complot a pour centre de gravité la haine des élites établies, haine qu'elle dirige contre le capital financier et la façade démocratique classique du capitalisme d'État totalitariste. C'est ce qui a conduit les représentants du mouvement ouvrier du passé à qualifier cette approche de "socialisme des imbéciles" (August Bebel, en référence à l'antisémitisme) - une erreur encore compréhensible avant la Première Guerre mondiale, mais qui serait dangereuse aujourd'hui. Le populisme de la théorie du complot n'est pas une tentative tordue d'approche du socialisme ou de tout ce qui ressemble à une conscience de classe prolétarienne. L'une de ses principales sources est la bourgeoisie elle-même : cette partie de la bourgeoisie qui n'apprécie pas d'être exclue précisément des cercles élitistes de sa propre classe, soutenue par d'autres parties de la bourgeoisie qui ont perdu ou sont en train de perdre leur position centrale antérieure. Les masses que ce type de populisme attire derrière lui, loin d'être animées par une quelconque volonté de défier la classe dominante, espèrent, en s'identifiant à la lutte pour le pouvoir de ceux qu'elles soutiennent, partager d'une certaine manière ce pouvoir, ou du moins être favorisées par lui aux dépens des autres.
8. Si la progression de la décomposition capitaliste, parallèlement à l’aiguisement chaotique des rivalités impérialistes, prend principalement la forme d'une fragmentation politique et d'une perte de contrôle de la classe dirigeante, cela ne signifie pas que la bourgeoisie ne puisse plus recourir au totalitarisme d'État dans ses efforts pour maintenir la cohésion de la société. Au contraire, plus la société tend à se désagréger, plus la bourgeoisie a besoin de s'appuyer sur le pouvoir centralisateur de l'État, qui est le principal instrument de la plus machiavélique des classes dirigeantes. La réaction des fractions de la classe dirigeante les plus responsables des intérêts généraux du capital national et de son État face à la montée du populisme en est un exemple. L'élection de Biden, soutenue par une énorme mobilisation des médias, de certaines parties de l'appareil politique et même de l'armée et des services de sécurité, exprime cette réelle contre-tendance au danger de désintégration sociale et politique très clairement incarné par le Trumpisme. À court terme, de tels "succès" peuvent fonctionner comme un frein au chaos social croissant. Face à la crise du Covid-19, les lock-downs sans précédent, dernier recours pour freiner la propagation effrénée de la maladie, le recours massif à l'endettement de l'État pour préserver un minimum de niveau de vie dans les pays avancés, la mobilisation des ressources scientifiques pour trouver un vaccin, démontrent le besoin de la bourgeoisie de préserver l'image de l'État protecteur de la population, son refus de perdre sa crédibilité et son autorité face à la pandémie. Mais à plus long terme, ce recours au totalitarisme d'État tend à exacerber davantage les contradictions du système. La semi-paralysie de l'économie et l'accumulation de la dette ne peuvent avoir d'autre résultat que d'accélérer la crise économique mondiale, tandis qu'au niveau social, l'augmentation massive des pouvoirs de la police et de la surveillance de l'État introduite pour appliquer les lois de confinement - augmentation inévitablement utilisée pour justifier toutes les formes de protestation et de dissidence - aggrave visiblement la méfiance envers l'establishment politique, qui s'exprime principalement sur le terrain anti-prolétarien des "droits du citoyen".
9. La nature évidente de la décomposition politique et idéologique de la première puissance mondiale ne signifie pas que les autres centres du capitalisme mondial soient capables de constituer des forteresses alternatives de stabilité. Encore une fois, ceci est le plus clair dans le cas de la Grande-Bretagne, qui a été frappée simultanément par les taux de mortalité les plus élevés de Covid en Europe et par les premiers symptômes de la mutilation du Brexit, et qui fait face à une réelle possibilité d'éclatement en ses "nations" constituantes. Les répugnantes dissensions actuelles entre la Grande-Bretagne et l'UE au sujet de la viabilité et de la distribution des vaccins offrent une preuve supplémentaire que la principale tendance de la politique bourgeoise mondiale d'aujourd'hui va dans le sens d'une fragmentation croissante, et non d'une unité face à un "ennemi commun". L'Europe elle-même n'a pas été épargnée par ces tendances centrifuges, non seulement autour de la gestion de la pandémie, mais aussi autour de la question des "droits de l'homme" et de la démocratie dans des pays comme la Pologne et la Hongrie. Il est remarquable que même des pays centraux comme l'Allemagne, auparavant considérée comme un "havre" de relative stabilité politique et qui a pu s'appuyer sur sa force économique, soit cette fois-ci touchée par un chaos politique croissant. L'accélération de la décomposition dans le centre historique du capitalisme se caractérise à la fois par une perte de contrôle et par des difficultés croissantes à générer une homogénéité politique.
Après la perte de sa seconde plus importante économie, même si l'UE ne court pas le risque immédiat d'une scission majeure, de telles menaces continuent de planer sur le rêve d'une Europe unie. Et tandis que la propagande d'État chinoise met en évidence la désunion et l'incohérence croissantes des "démocraties", se présentant comme un rempart de la stabilité mondiale, le recours croissant de Pékin à la répression interne, comme contre le "mouvement démocratique" à Hong Kong et les musulmans ouïgours, est en fait la preuve que la Chine est une bombe à retardement. La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de la décomposition. L'ouverture économique au cours de la période de Deng dans les années 80 a mobilisé d’énormes investissements, notamment en provenance des États-Unis, de l'Europe et du Japon. Le massacre de Tiananmen en 1989 a montré clairement que cette ouverture économique a été mise en œuvre par un appareil politique inflexible qui n'a pu éviter le sort du stalinisme dans le bloc russe que par une combinaison de terreur d'État, une exploitation impitoyable de la force de travail qui soumet des centaines de millions de travailleurs à un état permanent de travailleur migrant et de croissance économique frénétique dont les fondations semblent maintenant de plus en plus fragiles. Le contrôle totalitaire sur l’ensemble du corps social, le durcissement répressif auxquels se livre la fraction stalinienne de Xi Jinping ne représentent pas une expression de force mais au contraire une manifestation de faiblesse de l’État, dont la cohésion est mise en péril par l’existence de forces centrifuges au sein de la société et d’importantes luttes de cliques au sein de la classe dominante.
10. Contrairement à une situation dans laquelle la bourgeoisie est capable de mobiliser la société pour la guerre, comme dans les années 1930, le rythme exact et les formes de la dynamique du capitalisme en décomposition vers la destruction de l'humanité sont plus difficiles à prévoir car ils sont le produit d'une convergence de différents facteurs, dont certains peuvent être partiellement cachés. Le résultat final, comme le soulignent les Thèses sur la décomposition, est le même : "Laissé à lui-même, (le capitalisme) conduira l'humanité au même sort que la guerre mondiale. Que nous soyons anéantis par une pluie de bombes thermonucléaires ou par la pollution, la radioactivité des centrales nucléaires, la famine, les épidémies et les massacres d'innombrables petites guerres (où les armes nucléaires peuvent aussi être utilisées), c'est finalement la même chose. La seule différence entre ces deux formes d'anéantissement réside dans le fait que l'une est rapide, tandis que l'autre serait plus lente, et provoquerait par conséquent encore plus de souffrances". Or, aujourd'hui, les contours de cette dynamique d’anéantissement se précisent. Les conséquences de la destruction de la nature par le capitalisme deviennent de plus en plus impossibles à nier, tout comme l'incapacité de la bourgeoisie mondiale, avec toutes ses conférences mondiales et ses promesses d'aller vers une "économie verte", à arrêter un processus qui est inextricablement lié au besoin du capitalisme de pénétrer le moindre recoin de la planète dans sa poursuite compétitive du processus d'accumulation. La pandémie de Covid est probablement l'expression la plus significative à ce jour de ce profond déséquilibre entre l'homme et la nature, mais d'autres signaux d'alarme se multiplient également, de la fonte des glaces polaires aux incendies dévastateurs en Australie et en Californie, en passant par la pollution des océans par les détritus de la production capitaliste.
11. Dans le même temps, les "massacres d'innombrables petites guerres" prolifèrent également, alors que le capitalisme, dans sa phase finale, plonge dans un chacun-pour-soi impérialiste de plus en plus irrationnel. L'agonie de dix ans de la Syrie, un pays aujourd'hui complètement ruiné par un conflit impliquant au moins cinq camps rivaux, est peut-être l'expression la plus éloquente de ce terrifiant "panier de crabes", mais nous voyons des manifestations similaires en Libye, dans la Corne de l'Afrique et au Yémen, des guerres qui ont été accompagnées et aggravées par l'émergence de puissances régionales telles que l'Iran, la Turquie et l'Arabie saoudite, dont aucune ne voudra accepter la discipline des principales puissances mondiales : ces puissances de deuxième ou troisième niveau peuvent forger des alliances contingentes avec les États les plus puissants pour se retrouver dans des camps opposés dans d'autres situations (comme dans le cas de la Turquie et de la Russie dans la guerre en Libye). Les affrontements militaires récurrents en Israël/Palestine témoignent également de la nature insoluble de nombre de ces conflits. Dans ce cas, le massacre de civils a été exacerbé par le développement d'une atmosphère de pogrom au sein même d'Israël, ce qui montre l'impact de la décomposition au niveau militaire et social. Dans le même temps, nous assistons à un durcissement des conflits entre les puissances mondiales. L'exacerbation des rivalités entre les États-Unis et la Chine était déjà évidente sous Trump, mais l'administration Biden va continuer dans la même direction, même si c'est sous des prétextes idéologiques différents, comme les violations des droits de l'homme par la Chine ; en même temps, la nouvelle administration a annoncé qu'elle ne "se laisserait plus rouler" par la Russie, qui a maintenant perdu son point d'appui à la Maison Blanche. Et même si Biden a promis de réinsérer les États-Unis dans un certain nombre d'institutions et d'accords internationaux (sur le changement climatique, le programme nucléaire iranien, l'OTAN...), cela ne signifie pas que les États-Unis renonceront à leur capacité d'agir seuls pour défendre leurs intérêts. La frappe militaire contre les milices pro-iraniennes en Syrie par l'administration Biden quelques semaines seulement après l'élection était une déclaration claire à cet effet. La poursuite du chacun pour soi va rendre toujours plus difficile, voire impossible, aux États-Unis d’imposer leur leadership, illustration du tous contre tous dans l’accélération de la décomposition.
12. Dans ce tableau chaotique, il ne fait aucun doute que la confrontation croissante entre les États-Unis et la Chine tend à occuper le devant de la scène. La nouvelle administration a ainsi démontré son attachement à l'"inclination vers l'est" (désormais soutenue par le gouvernement conservateur en Grande-Bretagne) qui était déjà un axe central de la politique étrangère d'Obama. Cela s'est concrétisé par le développement du "Quad", une alliance explicitement antichinoise entre les États-Unis, le Japon, l'Inde et l'Australie. Toutefois, cela ne signifie pas que nous nous dirigeons vers la formation de blocs stables et une guerre mondiale généralisée. La marche vers la guerre mondiale est encore obstruée par la puissante tendance au chacun pour soi et au chaos au niveau impérialiste, tandis que dans les pays capitalistes centraux, le capitalisme ne dispose pas encore des éléments politiques et idéologiques – dont en particulier une défaite politique du prolétariat – qui pourraient unifier la société et aplanir le chemin vers la guerre mondiale. Le fait que nous vivions encore dans un monde essentiellement multipolaire est mis en évidence en particulier par les relations entre la Russie et la Chine. Si la Russie s'est montrée très disposée à s'allier à la Chine sur des questions spécifiques, généralement en opposition aux États-Unis, elle n'en est pas moins consciente du danger de se subordonner à son voisin oriental, et est l'un des principaux opposants à la "Nouvelle route de la soie" de la Chine vers l'hégémonie impérialiste.
13. Cela ne signifie pas que nous vivons dans une ère de plus grande sécurité qu'à l'époque de la Guerre froide, hantée par la menace d'un Armageddon nucléaire. Au contraire, si la phase de décomposition est marquée par une perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie, cela s'applique également aux vastes moyens de destruction - nucléaires, conventionnels, biologiques et chimiques - qui ont été accumulés par la classe dirigeante, et qui sont maintenant plus largement distribués à travers un nombre bien plus important d'États-nations que dans la période précédente. Bien que nous n'assistions pas à une marche contrôlée vers la guerre menée par des blocs militaires disciplinés, nous ne pouvons pas exclure le danger de flambées militaires unilatérales ou même d'accidents épouvantables qui marqueraient une nouvelle accélération du glissement vers la barbarie.
14. Pour la première fois dans l'histoire du capitalisme en dehors d'une situation de guerre mondiale, l'économie s’est trouvée directement et profondément affectée par un phénomène – la pandémie de Covid 19 – qui n’est pas lié directement aux contradictions de l’économie capitaliste. L’ampleur et l’importance de l’impact de la pandémie, produit de l'agonie d'un système en pleine décomposition et devenu complètement obsolète, illustrent le fait sans précédent que le phénomène de la décomposition capitaliste affecte aussi désormais, massivement et à l’échelle mondiale l’ensemble de l’économie capitaliste.
Cette irruption des effets de la décomposition dans la sphère économique affecte directement l'évolution de la nouvelle phase de crise ouverte, inaugurant une situation totalement inédite dans l'histoire du capitalisme. Les effets de la décomposition, en altérant profondément les mécanismes du capitalisme d'État mis en place jusqu'à présent pour "accompagner" et limiter l'impact de la crise, introduisent dans la situation un facteur d'instabilité et de fragilité, d'incertitude croissante.
Le chaos qui s'empare de l'économie capitaliste confirme les vues de Rosa Luxemburg selon lesquelles le capitalisme ne connaîtra pas un effondrement purement économique. "Plus s’accroit la violence avec laquelle avec laquelle à l’intérieur et à l’extérieur le capital anéantit les couches non capitalistes et avilit les conditions d’existence de toutes les classes laborieuses, plus l'histoire quotidienne de l'accumulation dans le monde se transforme en une série de catastrophes et de convulsions, qui, se joignant aux crises économiques périodiques finiront par rendre impossible la continuation de l'accumulation et par dresser la classe ouvrière internationale contre la domination du capital avant même que celui-ci n’ait atteint économiquement les dernières limites objectives de son développement." (Accumulation du capital, chapitre 32)
15. Frappant un système capitaliste qui, depuis le début de l'année 2018, entrait déjà dans un net ralentissement, la pandémie a rapidement concrétisé la prédiction du 23e congrès du CCI selon laquelle nous nous dirigions vers une nouvelle plongée dans la crise.
La violente accélération de la crise économique - et l’effroi de la bourgeoisie - se mesurent à la hauteur de la muraille de la dette élevée en toute hâte pour préserver son appareil de production de la faillite et maintenir un minimum de cohésion sociale.
L'une des manifestations les plus importantes de la gravité de la crise actuelle, contrairement aux situations passées de crise économique ouverte et à la crise de 2008, réside dans le fait que les pays centraux (Allemagne, Chine et États-Unis) ont été frappés simultanément et sont parmi les plus touchés par la récession, la Chine par une forte baisse du taux de croissance en 2020. Les États les plus faibles voient leur économie étranglée par l'inflation, la chute de la valeur de leur monnaie et la paupérisation.
Après quatre décennies de recours au crédit et à l’endettement afin de contrecarrer la tendance croissante à la surproduction, ponctuées de récessions de plus en plus profondes et de reprises de plus en plus limitées, la crise de 2007-09 avait déjà marqué une étape dans l’enfoncement du système capitaliste dans sa crise irréversible. Si l’intervention massive des États a pu sauver le système bancaire de la faillite complète en poussant la dette à des niveaux encore plus vertigineux, les causes de la crise de 2007-2011 n’ont pas été dépassées. Les contradictions de la crise sont passées à un stade supérieur avec le poids écrasant de la dette sur les États eux-mêmes. Les tentatives de relance des économies n’ont pas débouché sur une véritable reprise : fait sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, en dehors des États-Unis, de la Chine et, dans une moindre mesure, de l'Allemagne, les niveaux de production de tous les grands pays du monde ont stagné ou même baissé entre 2013 et 2018. L'extrême fragilité de cette "reprise", en empilant toutes les conditions d'une nouvelle détérioration significative de l'économie mondiale, présageait déjà de la situation actuelle.
Malgré l'ampleur historique des plans de relance et en raison du redémarrage chaotique de l’économie, il n'est pas encore possible de prévoir comment - et dans quelle mesure - la bourgeoisie parviendra à stabiliser la situation, caractérisée par toutes sortes d'incertitudes, au premier rang desquelles l’évolution de la pandémie elle-même.
Contrairement à ce que la bourgeoisie a pu faire en 2008 en réunissant le G7 et le G20, composés des principaux États, et en se mettant d'accord sur une réponse coordonnée à la crise du crédit, aujourd'hui chaque capital national réagit en ordre dispersé, sans autre préoccupation que la relance de sa propre machine économique et de sa survie sur le marché mondial, sans concertation entre les principales composantes du système capitaliste. Le chacun pour soi prédomine de façon décisive.
L’apparente exception du plan européen de relance, incluant la mutualisation des dettes entre les pays de l’UE, s’explique par la conscience des deux principaux États de celle-ci de la nécessité d’un minimum de coopération entre eux comme condition pour éviter une déstabilisation majeure de l’UE pour faire face à leurs principaux rivaux chinois et américain, sous peine de risquer un déclassement accéléré de leur position dans l’arène mondiale.
La contradiction entre la nécessité de contenir la pandémie et d'éviter la paralysie de la production a conduit à la "guerre des masques" et à la "guerre des vaccins". Cette guerre des vaccins, leur fabrication et leur distribution, forme un miroir du désordre croissant dans lequel s'enfonce l'économie mondiale.
Après l'effondrement du bloc de l'Est, la bourgeoisie a tout mis en œuvre pour maintenir une certaine collaboration entre les États, notamment en s'appuyant sur les organes de régulation internationale hérités de la période des blocs impérialistes. Ce cadre de la "globalisation" a permis de limiter l'impact de la phase de décomposition au niveau de l'économie, en poussant à l'extrême la possibilité d'"associer" les nations à différents niveaux de l'économie - financier, productif, etc.
Avec l'aggravation de la crise et des rivalités impérialistes, les institutions et mécanismes multilatéraux étaient déjà mis à l'épreuve par le fait que les principales puissances développaient de plus en plus leurs propres politiques, notamment la Chine, en construisant son vaste réseau parallèle des Nouvelles routes de la soie, et les États-Unis qui tendaient à tourner le dos à ces institutions en raison de l’inaptitude grandissante de ces outils à préserver leur position dominante. Le populisme s'imposait déjà comme un facteur aggravant la détérioration de la situation économique en introduisant un élément d'incertitude face aux affres de la crise. Son accession au pouvoir dans différents pays a accéléré la détérioration des moyens imposés par le capitalisme depuis 1945 pour éviter toute dérive vers un repli sur le cadre national favorisant la contagion incontrôlée de la crise économique.
Le déchaînement du chacun pour soi découle de la contradiction du capitalisme entre l'échelle de plus en plus globale de la production et la structure nationale du capital, contradiction exacerbée par la crise. En provoquant un chaos croissant au sein de l'économie mondiale (avec la tendance à la fragmentation des chaînes de production et la fragmentation du marché mondial en zones régionales, au renforcement du protectionnisme et à la multiplication des mesures unilatérales), ce mouvement totalement irrationnel de chaque nation à sauver son économie au détriment de toutes les autres est contre-productif pour chaque capital national et un désastre au niveau mondial, un facteur décisif de détérioration de l'ensemble de l'économie mondiale.
Cette ruée des factions bourgeoises les plus "responsables" vers une gestion de plus en plus irrationnelle et chaotique du système, et surtout l'avancée sans précédent de la tendance au chacun pour soi, révèlent une perte croissante de contrôle de son propre système par la classe dominante.
16. Seule nation à avoir un taux de croissance positif en 2020 (2%), la Chine n'est pas sortie triomphante ou renforcée de la crise pandémique, même si elle a momentanément gagné du terrain au détriment de ses rivaux. Bien au contraire. La dégradation continue de la croissance de son économie, la plus endettée au monde, et qui comporte également un faible taux d'utilisation des capacités de production et une proportion d'"entreprises zombies" de plus de 30%, témoigne de l'incapacité de la Chine à jouer désormais le rôle qui a été le sien en 2008-11 dans le redressement de l'économie mondiale.
La Chine est confrontée à la réduction des marchés à travers le monde, à la volonté de nombreux États de se libérer de leur dépendance à l'égard de la production chinoise, et au risque d'insolvabilité d’un certain nombre pays impliqués dans le projet de la Route de la soie parmi les plus durement touchés par les conséquences économiques de la pandémie. Le gouvernement chinois poursuit donc une orientation vers le développement économique interne du plan "Made in China 2025", et du modèle de "circulation duale", qui vise à compenser la perte de la demande extérieure par la stimulation de la demande intérieure. Ce changement de politique ne représente cependant pas un "repli sur soi", l'impérialisme chinois ne voulant ni ne pouvant tourner le dos au monde. Au contraire, l'objectif de ce changement est de gagner une autarcie nationale au niveau des technologies clés afin d'être d'autant plus capable de gagner du terrain au-delà de ses propres frontières. Elle représente une nouvelle étape dans le développement de son économie de guerre. Tout cela provoque de puissants conflits au sein de la classe dirigeante, entre les partisans de la direction de l'économie par le Parti communiste chinois et ceux liés à l'économie de marché et au secteur privé, entre les "planificateurs" du pouvoir central et les autorités locales qui veulent orienter elles-mêmes les investissements. Tant aux États-Unis (par rapport aux géants technologiques "GAFA" de la Silicon Valley) que - plus résolument encore - en Chine (par rapport à Ant International, Alibaba, etc.), on observe une forte tendance de l'appareil d'État central à réduire la taille des entreprises devenues trop grandes (et trop puissantes) pour être contrôlées.
17. Les conséquences de la destruction effrénée de l'environnement par un capitalisme en décomposition, les phénomènes résultant du dérèglement climatique et de la destruction de la biodiversité, conduisent en premier lieu à une paupérisation accrue des parties les plus démunies de la population mondiale (Afrique subsaharienne et Asie du Sud) ou de celles en proie à des conflits militaires. Mais ils affectent de plus en plus toutes les économies, les pays développés en tête.
Nous assistons actuellement à la multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes, de pluies et d'inondations extrêmement violentes, de vastes incendies entraînant des pertes financières énormes dans les villes et les campagnes par la destruction d'infrastructures vitales (villes, routes, installations fluviales). Ces phénomènes perturbent le fonctionnement de l'appareil de production industriel et affaiblissent également la capacité productive de l'agriculture. La crise climatique mondiale et la désorganisation croissante du marché mondial des produits agricoles qui en résulte menacent la sécurité alimentaire de nombreux États.
Le capitalisme en décomposition ne possède pas les moyens de lutter réellement contre le réchauffement climatique et la dévastation écologique. Ceux-ci ont déjà un impact de plus en plus négatif sur la reproduction du capital et ne peuvent que constituer un obstacle au retour de la croissance économique.
Motivée par la nécessité de remplacer les industries lourdes obsolètes et les combustibles fossiles, l’"économie verte" ne représente pas une issue pour le capital, que ce soit sur le plan écologique ou économique. Ses filières de production ne sont pas plus vertes ou moins polluantes. Le système capitaliste n'a pas la capacité de s'engager dans une "révolution verte". Les agissements de la classe dominante dans ce domaine aiguisent inévitablement une compétition économique destructrice et les rivalités impérialistes. L'émergence de nouveaux secteurs potentiellement rentables, comme la production de véhicules électriques, pourrait au mieux bénéficier à certaines parties des économies les plus fortes, mais compte tenu des limites des marchés solvables, et des problèmes croissants rencontrés par l’utilisation toujours plus massive de la création de monnaie et de l’endettement, ils ne pourront pas servir de locomotive à l'ensemble de l'économie.
L'"économie verte" constitue surtout un véhicule privilégié pour de puissantes mystifications idéologiques sur la possibilité de réformer le capitalisme et une arme de choix contre la classe ouvrière, justifiant les fermetures d'usines et les licenciements.
18. En raison des tensions impérialistes croissantes, tous les États augmentent leur effort militaire, tant en volume que sur la durée. La sphère militaire s'étend de plus en plus à de nouvelles "zones de conflictualité", comme la cyber sécurité et la militarisation croissante de l'espace. Toutes les puissances nucléaires relancent discrètement leurs programmes atomiques. Tous les États modernisent et adaptent leurs forces armées.
Cette course folle aux armements, à laquelle chaque État est irrémédiablement condamné par les exigences de la concurrence inter-impérialiste, est d'autant plus irrationnelle que le poids croissant de l'économie de guerre et de la production d'armes absorbe une part considérable de la richesse nationale : cette masse gigantesque de dépenses militaires à l'échelle mondiale, même si elle constitue une source de profit pour les marchands d'armes, représente au plan du capital global, une stérilisation et une destruction du capital. Les investissements réalisés dans la production et la vente d'armes et d'équipements militaires ne constituent aucunement un point de départ ou la source de l'accumulation de nouveaux profits : une fois produites ou acquises, les armes ne peuvent plus servir qu’à semer la mort et la destruction ou à attendre d’être remplacées quand elles sont obsolètes. Complètement improductives, ces dépenses ont un "impact économique (...) désastreux pour le capital. Face à des déficits budgétaires déjà incontrôlables, l'augmentation massive des dépenses militaires, que la croissance des antagonismes inter-impérialistes rend nécessaire, est un fardeau économique qui ne fait qu'accélérer la descente du capitalisme dans l'abîme." ("Rapport sur la situation internationale [14]", Revue internationale n° 35).
19. Après des décennies de dettes gigantesques, les injections massives de liquidités des derniers plans de soutien à l’économie surpassent de très loin le volume des interventions précédentes. Les milliards de dollars débloqués par les plans américains, européens et chinois ont porté la dette mondiale au niveau record de 365% du PIB mondial.
La dette, qui n'a cessé d'être utilisée par le capitalisme tout au long de sa période de décadence comme palliatif à la crise de surproduction, consiste à reporter les échéances dans le futur, au prix de convulsions toujours plus graves. Elle a atteint aujourd'hui des niveaux sans précédent. Depuis la Grande Dépression, la bourgeoisie a montré sa détermination à maintenir en vie son système de plus en plus menacé par la surproduction et l’étroitesse croissante des marchés par la sophistication de l’intervention de l’État en exerçant un contrôle général sur l’économie. Mais elle ne dispose d’aucun moyen pour s'attaquer aux causes réelles de la crise. Même s'il n'existe pas de limite fixe et prédéterminée à la fuite en avant dans l'endettement, un point à partir duquel cela deviendrait impossible, cette politique ne peut pas se poursuivre infiniment sans que l’accroissement de la dette ait de graves répercussions sur la stabilité du système, comme le montre le caractère de plus en plus fréquent et l’ampleur des crises de la dernière décennie mais également parce qu’une telle politique s’avère être, au moins depuis quatre décennies, de moins en moins efficace pour relancer l’économie mondiale.
Non seulement le poids de la dette condamne le système capitaliste à des convulsions toujours plus dévastatrices (faillites d'entreprises et même d'États, crises financières et monétaires, etc.) mais aussi, en restreignant de plus en plus la capacité des États à tricher avec les lois du capitalisme, il ne peut qu'entraver leur capacité à relancer leurs économies nationales respectives.
La crise qui se déroule déjà depuis des décennies va devenir la plus grave de toute la période de décadence, et sa portée historique dépassera même la première crise de cette époque, celle qui a commencé en 1929. Après plus de 100 ans de décadence capitaliste, avec une économie ravagée par le secteur militaire, affaiblie par l'impact de la destruction de l'environnement, profondément altérée dans ses mécanismes de reproduction par la dette et la manipulation étatique, en proie à la pandémie, souffrant de plus en plus de tous les autres effets de la décomposition, il est illusoire de penser que dans ces conditions qu'il y aura une reprise quelque peu durable de l'économie mondiale.
20. En même temps, les révolutionnaires ne doivent pas être tentés de tomber dans une vision "catastrophiste" d'une économie mondiale au bord de l'effondrement final. La bourgeoisie continuera à se battre jusqu'à la mort pour la survie de son système, que ce soit par des moyens directement économiques (comme l'exploitation de ressources inexploitées et de nouveaux marchés potentiels, illustrés par le projet chinois de la Nouvelle route de la soie) ou politiques, surtout par la manipulation du crédit et les tricheries avec la loi de la valeur. Cela signifie qu'il peut toujours y avoir des phases de stabilisation entre des convulsions économiques ayant des conséquences de plus en plus profondes.
21. Le retour d'une sorte de "néo-keynésianisme" initié par les énormes engagements de dépenses de l'administration Biden et des initiatives pour l'augmentation de l'impôt sur les sociétés - bien que motivé aussi par la nécessité de maintenir la cohésion de la société bourgeoise tout comme par le besoin tout aussi pressant de faire face à l'aggravation des tensions impérialistes - montre la volonté de la classe dirigeante d'expérimenter différentes formes de gestion économique, notamment parce que les déficiences des politiques néo-libérales lancées dans les années Thatcher-Reagan ont été sévèrement mises en évidence par la crise pandémique. Toutefois, de tels changements de politique ne peuvent empêcher l'économie mondiale d'osciller entre le double danger de l'inflation et de la déflation, de nouvelles crises du crédit et des crises monétaires ouvrant toutes sur des récessions brutales.
22. La classe ouvrière paie un lourd tribut à la crise. D'abord parce qu'elle est la plus directement exposée à la pandémie et qu'elle est la principale victime de la propagation de l'infection, ensuite parce que le plongeon de l'économie déclenche les attaques les plus graves depuis la Grande Dépression, sur tous les plans de ses conditions de vie et de travail, même si tous ne seront pas affectés de la même manière.
La destruction d'emplois quatre fois plus importante en 2020 qu'en 2009, n'a pas encore révélé toute l'ampleur de l'augmentation considérable du chômage de masse qui s'annonce. Bien que les subventions publiques accordées dans certains pays aux chômeurs partiels visent à atténuer le choc social (aux États-Unis, par exemple, au cours de la première année de la pandémie, le revenu moyen des salariés, selon les statistiques officielles, a augmenté - pour la première fois, en période de récession, dans l'histoire du capitalisme), des millions d'emplois vont disparaître très prochainement...
L'augmentation exponentielle du travail précaire et la baisse générale des salaires entraîneront une augmentation gigantesque de la paupérisation, qui frappe déjà de nombreux travailleurs. Le nombre de victimes de la famine dans le monde a été multiplié par deux et la faim réapparaît dans les pays occidentaux. Pour ceux qui conservent un emploi, la charge de travail et le rythme d'exploitation vont s'aggraver.
La classe ouvrière ne peut rien attendre des efforts de la bourgeoisie pour "normaliser" la situation économique, si ce n'est des licenciements et des réductions de salaires, l’augmentation du stress et de l'angoisse, des augmentations drastiques, des mesures d'austérité à tous les niveaux, dans l'éducation comme dans les pensions de santé et les prestations sociales. En bref, nous assisterons à une dégradation des conditions de vie et de travail à un niveau qu'aucune des générations de l'après-Seconde Guerre mondiale n'a connu jusqu'à présent.
23) Puisque le mode de production capitaliste est entré dans sa décadence, la pression pour lutter contre ce déclin avec des mesures capitalistes d'État est croissante. Cependant, la tendance à renforcer les organes et les formes capitalistes étatiques est tout sauf un renforcement du capitalisme ; au contraire, ils expriment les contradictions croissantes sur le terrain économique et politique. Avec l'accélération de la décomposition dans le sillage de la pandémie, nous assistons également à une forte augmentation des mesures capitalistes d'État ; celles-ci ne sont pas l’expression d’un plus grand contrôle de l’État sur la société mais constituent plutôt l'expression des difficultés croissantes à organiser la société dans son ensemble et à empêcher sa tendance croissante à la fragmentation.
24. Le CCI a reconnu au début des années 90 que l'effondrement du bloc de l'Est et l'ouverture définitive de la phase de décomposition créeraient des difficultés croissantes pour le prolétariat : le manque de perspective politique, qui avait déjà été un élément central des difficultés du mouvement de la classe ouvrière dans les années 1980, serait sérieusement aggravé par les campagnes assourdissantes sur la mort du communisme ; lié à cela, le sentiment d'identité de classe du prolétariat serait sévèrement affaibli dans la nouvelle période, à la fois par les effets d'atomisation et de division de la décomposition sociale, et par les efforts conscients de la classe dominante pour exacerber ces effets à travers des campagnes idéologiques (la "fin de la classe ouvrière") et les changements "matériels" apportés par la politique de globalisation (éclatement des centres traditionnels de la lutte de classe, délocalisation des industries vers des régions du monde où la classe ouvrière n'a pas le même degré d'expérience historique, etc.).
25. Le CCI a eu tendance à sous-estimer la profondeur et la durée de ce recul de la lutte de classe, voyant souvent des signes que le reflux était sur le point d'être surmonté et que nous verrions à une échéance relativement brève de nouvelles vagues internationales de lutte comme dans la période après 1968. En 2003, sur la base de nouvelles luttes en France, en Autriche et ailleurs, le CCI a prédit un renouveau des luttes par une nouvelle génération de prolétaires qui avait été moins influencée par les campagnes anticommunistes et serait confrontée à un avenir de plus en plus incertain. Dans une large mesure, ces prédictions ont été confirmées par les événements de 2006-2007, notamment la lutte contre le CPE en France, et de 2010-2011, en particulier le mouvement des Indignés en Espagne. Ces mouvements ont montré des avancées importantes au niveau de la solidarité entre les générations, de l'auto-organisation par le biais d'assemblées, de la culture du débat, des préoccupations réelles quant à l'avenir qui attend la classe ouvrière et l'humanité dans son ensemble. En ce sens, ils ont montré le potentiel d'une unification des dimensions économiques et politiques de la lutte de classe. Cependant, il nous a fallu beaucoup de temps pour comprendre les immenses difficultés auxquelles était confrontée cette nouvelle génération, "élevée" dans les conditions de la décomposition, difficultés qui empêcheraient le prolétariat d'inverser le recul post-89 au cours de cette période.
26. Un élément clé de ces difficultés était l'érosion continue de l'identité de classe. Cela avait déjà été visible dans les luttes de 2010-11, en particulier dans le mouvement en Espagne : malgré les avancées importantes réalisées au niveau de la conscience et de l'organisation, la majorité des Indignés se voyait comme des "citoyens" plutôt que comme des membres d'une classe, ce qui la rendait vulnérable aux illusions démocratiques colportées par des groupes comme Democratia real Ya ! (le futur Podemos), et plus tard au poison du nationalisme catalan et espagnol. Au cours des années suivantes, le reflux qui s'est produit à la suite de ces mouvements a été approfondi par la montée rapide du populisme, qui a créé de nouvelles divisions au sein de la classe ouvrière internationale - des divisions exploitant les différences nationales et ethniques, alimentées par les attitudes pogromistes de la droite populiste, mais aussi des divisions politiques entre populisme et anti-populisme. Partout dans le monde, la colère et le mécontentement grandissaient, fondés sur de graves privations matérielles et de réelles angoisses quant à l'avenir ; mais en l'absence d'une réponse prolétarienne, une grande partie de ce mécontentement a été canalisée dans des révoltes interclassistes telles que les Gilets Jaunes en France, dans des campagnes parcellaires sur un terrain bourgeois telles que les marches pour le climat, dans des mouvements pour la démocratie contre la dictature (Hong Kong, Biélorussie, Myanmar, etc.) ou dans l'enchevêtrement inextricable des politiques identitaires raciale et sexuelle qui servent à dissimuler davantage la question cruciale de l'identité de classe prolétarienne comme seule base pour une réponse authentique à la crise du mode de production capitaliste. La prolifération de ces mouvements - qu'ils apparaissent comme des révoltes interclassistes ou des mobilisations ouvertement bourgeoises - a accru les difficultés déjà considérables non seulement pour la classe ouvrière dans son ensemble mais pour la Gauche communiste elle-même, pour les organisations qui ont la responsabilité de définir et de défendre le terrain de classe. Un exemple clair de cela a été l'incapacité des bordiguistes et de la TCI à reconnaître que la colère provoquée par le meurtre de George Floyd par la police en mai 2020 avait été immédiatement détournée vers des canaux bourgeois. Mais le CCI a également rencontré d'importants problèmes face à cet éventail de mouvements souvent déconcertants et, dans le cadre de son examen critique des 20 dernières années, il devra sérieusement examiner la nature et l'étendue des erreurs qu'il a commises au cours de la période allant du printemps arabe de 2011 à ces révoltes et mobilisations plus récentes, en passant par les manifestations dites aux bougies en Corée du Sud.
27. La pandémie en particulier a créé des difficultés considérables pour la classe ouvrière :
28. Malgré les énormes problèmes auxquels le prolétariat est confronté, nous rejetons l'idée que la classe a déjà été vaincue à l'échelle mondiale, ou qu'elle est sur le point de subir une défaite comparable à celle de la période de contre-révolution, un genre de défaite dont le prolétariat ne serait peut-être plus capable de se remettre. Le prolétariat, en tant que classe exploitée, ne peut éviter de passer par l'école des défaites, mais la question centrale est de savoir si le prolétariat a déjà été tellement submergé par l'avancée implacable de la décomposition que son potentiel révolutionnaire a été effectivement sapé. Mesurer une telle défaite dans la phase de décomposition est une tâche bien plus complexe que dans la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, lorsque le prolétariat s'était levé ouvertement contre le capitalisme et avait été écrasé par une série de défaites frontales, ou que dans la période qui a suivi 1968, lorsque le principal obstacle à la marche de la bourgeoisie vers une nouvelle guerre mondiale fut le renouveau de la lutte de classe par une nouvelle génération invaincue de prolétaires. Comme nous l'avons déjà rappelé, la phase de décomposition contient en effet le danger que le prolétariat échoue tout simplement à répondre et soit étouffé sur une longue période - une "mort par mille coups" plutôt qu'un affrontement de classe frontal. Néanmoins, nous affirmons qu'il y a encore suffisamment d'éléments qui montrent que, malgré les l’avancée incontestable de la décomposition, malgré le fait que le temps ne joue plus en faveur de la classe ouvrière, le potentiel d'une profonde renaissance prolétarienne - menant à une réunification entre les dimensions économiques et politiques de la lutte de classe - n'a pas disparu, comme en témoignent :
Ainsi, la lutte défensive de la classe ouvrière contient les germes des relations sociales qualitativement plus élevées qui sont le but final de la lutte de classe - ce que Marx appelait les "producteurs librement associés". Par l'association, par la réunion de toutes ses composantes, de toutes ses capacités et de toutes ses expériences, le prolétariat peut devenir puissant, il peut devenir le combattant toujours plus conscient et uni pour une humanité libérée et son signe avant-coureur.
29. Malgré la tendance du processus de décomposition à agir sur la crise économique, cette dernière reste l'"alliée du prolétariat" dans cette phase. Comme le disent les Thèses sur la décomposition :
"l'aggravation inexorable de la crise du capitalisme, constitue le stimulant essentiel de la lutte et de la prise de conscience de la classe, la condition même de sa capacité à résister au poison idéologique du pourrissement de la société. En effet, autant le prolétariat ne peut trouver un terrain de rassemblement de classe dans des luttes partielles contre les effets de la décomposition, autant sa lutte contre les effets directs de la crise elle-même constitue la base du développement de sa force et de son unité de classe. Il en est ainsi notamment parce que:
- si les effets de la décomposition (par exemple la pollution, la drogue, l'insécurité, etc.) affectent de façon relativement indistincte toutes les couches de la société et constituent un terrain propice aux campagnes et mystifications a-classistes (écologie, mouvements antinucléaires, mobilisations antiracistes, etc.), les attaques économiques (baisse du salaire réel, licenciements, augmentation des cadences, etc.) résultant directement de la crise affectent de façon spécifique le prolétariat (c'est-à-dire la classe produisant la plus-value et s'affrontant au capital sur ce terrain);
- la crise économique, contrairement à la décomposition sociale qui concerne essentiellement les superstructures, est un phénomène qui affecte directement l'infrastructure de la société sur laquelle reposent ces superstructures; en ce sens, elle met à nu les causes ultimes de l'ensemble de la barbarie qui s'abat sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement de système, et non de tenter d'en améliorer certains aspects." (Thèse 17 [2])
30. Par conséquent, nous devons rejeter toute tendance à minimiser l'importance des luttes économiques "défensives" de la classe, ce qui est une expression typique de la conception moderniste qui ne voit la classe que comme une catégorie exploitée et non également comme une force historique, révolutionnaire. Il est bien sûr vrai que la lutte économique seule ne peut pas faire barrage à la décomposition : comme le disent les Thèses sur la décomposition, "Pour mettre fin à la menace que constitue la décomposition, les luttes ouvrières de résistance aux effets de la crise ne suffisent plus: seule la révolution communiste peut venir à bout d'une telle menace." Mais c'est une erreur profonde de perdre de vue l'interaction constante et dialectique entre les aspects économiques et politiques de la lutte, comme Rosa Luxemburg l'a souligné dans son travail sur la grève de masse de 1905 ; et encore, dans le feu de la révolution allemande de 1918-19, lorsque la dimension "politique" était au grand jour, elle a insisté sur le fait que le prolétariat devait encore développer ses luttes économiques comme seule base pour s'organiser et s'unifier en tant que classe. Ce sera la combinaison du renouveau des luttes défensives sur un terrain de classe, se heurtant aux limites objectives de la société bourgeoise en décomposition, et fertilisée par l'intervention de la minorité révolutionnaire, qui permettra à la classe ouvrière de récupérer sa perspective révolutionnaire, d'avancer vers la politisation pleinement prolétarienne qui lui permettra de sortir l'humanité du cauchemar du capitalisme en décomposition.
31. Dans une première période, la redécouverte de l'identité et de la combativité de classe constituera une forme de résistance contre les effets corrosifs de la décomposition capitaliste - un rempart contre la fragmentation de la classe ouvrière et la division entre ses différentes parties. Sans le développement de la lutte de classe, des phénomènes tels que la destruction de l'environnement et la prolifération du chaos militaire tendent à renforcer le sentiment d'impuissance et le recours à de fausses solutions telles que l'écologisme et le pacifisme. Mais à un stade plus développé de la lutte, dans le contexte d'une situation révolutionnaire, la réalité de ces menaces pour la survie de l'espèce peut devenir un facteur de compréhension du fait que le capitalisme a effectivement atteint la phase terminale de son déclin et que la révolution est la seule issue possible. En particulier, les pulsions guerrières du capitalisme - surtout lorsqu'elles impliquent directement ou indirectement les grandes puissances - peuvent être un facteur important dans la politisation de la lutte de classe, car elles impliquent à la fois une augmentation très concrète de l'exploitation et du danger physique, mais aussi une confirmation supplémentaire que la société est confrontée au choix capital entre socialisme et barbarie. De facteurs de démobilisation et de désespoir, ces menaces peuvent renforcer la détermination du prolétariat à en finir avec ce système moribond.
D’une certaine façon, « la Gauche communiste se trouve aujourd’hui dans une situation similaire à celle de Bilan des années 1930, au sens où elle est contrainte de comprendre une situation historique nouvelle sans précédent » (Résolution sur la situation internationale [16], 13e congrès du CCI, Revue internationale n°97, 1999). Ce constat, plus adéquat que jamais, requerrait des débats intenses entre organisations du milieu prolétarien pour analyser la signification de la crise du Covid-19 dans l’histoire du capitalisme et les conséquences qui en découlent. Or, face à l’extension fulgurante des événements, les groupes du MPP apparaissent totalement désemparés et désarmés : au lieu de se saisir de la méthode marxiste comme d’une théorie vivante, ils la réduisent à un dogme invariant où la lutte de classe est vue comme une répétition immuable de schémas éternellement valides sans pouvoir montrer non seulement ce qui persiste mais aussi ce qui a changé. Ainsi, les groupes bordiguistes ou conseillistes ignorent obstinément l’entrée du système dans sa phase de décadence. D’autre part, la Tendance communiste internationale (TCI) rejette la décomposition comme une vision cataclysmique et limite ses explications au truisme selon lequel le profit est responsable de la pandémie et à l’idée illusoire que cette dernière n’est qu’un événement anecdotique, une parenthèse, dans les attaques de la bourgeoisie pour maximiser ses profits. Ces groupes du MPP se contentent de réciter les schémas du passé sans analyser les circonstances spécifiques, le moment et l’impact de la crise sanitaire. En conséquence, leur apport dans l’évaluation du rapport de force entre les deux classes antagoniques de la société, des dangers ou opportunités qui se présentent à la classe et à ses minorités est aujourd’hui dérisoire.
Une démarche marxiste ferme est d’autant plus nécessaire que la méfiance envers le discours officiel engendre actuellement l’émergence de nombreuses « explications alternatives » fallacieuses et fantaisistes des événements. Des théories « complotistes » plus fantaisistes les unes que les autres voient le jour et son partagées par des millions d’adeptes : la pandémie et aujourd’hui la vaccination massive seraient une machination des Chinois pour assurer leur suprématie, un complot de la bourgeoisie mondiale pour préparer la guerre ou restructurer l’économie mondiale, une prise de pouvoir par une internationale secrète de virologues ou encore une conspiration mondiale nébuleuse des élites (sous la direction de Soros ou Gates), … Cette ambiance générale provoque même une désorientation du milieu politique, un véritable « Corona blues ».
Pour le CCI, le marxisme est « une pensée vivante pour laquelle chaque événement historique important est l'occasion d'un enrichissement. (…). Il revient aux organisations et aux militants révolutionnaires la responsabilité spécifique et fondamentale d'accomplir cet effort de réflexion en ayant bien soin, à l'image de nos aînés comme Lénine, Rosa Luxemburg, la Fraction Italienne de la Gauche Communiste Internationale (Bilan), la Gauche Communiste de France, etc., d'avancer à la fois avec prudence et audace :
En particulier, face à de tels événements historiques, il importe que les révolutionnaires soient capables de bien distinguer les analyses qui sont devenues caduques de celles qui restent valables, afin d'éviter un double écueil : soit s'enfermer dans la sclérose, soit "jeter le bébé avec l'eau du bain » (Texte d'orientation Militarisme et décomposition [17], 1991).
Dès lors, la crise du Covid-19 impose au CCI de confronter les éléments marquants de cet événement majeur au cadre de la décomposition que l’organisation met en avant depuis plus de 30 ans pour appréhender l’évolution du capitalisme. Ce cadre est clairement rappelé dans la résolution sur la situation internationale [18] du 23e congrès international du CCI (2019) : « Il y a 30 ans, le CCI a mis en évidence que le système capitaliste était entré dans la phase ultime de sa période de décadence et de son existence, celle de la décomposition. Cette analyse se basait sur un certain nombre de faits empiriques, mais en même temps elle donnait un cadre pour la compréhension de ceux-ci : "Dans une telle situation où les deux classes fondamentales et antagoniques de la société s’affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive, l’histoire ne saurait pourtant s’arrêter. Encore moins que pour les autres modes de production qui l’ont précédé, il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale. Alors que les contradictions du capitalisme en crise ne font que s’aggraver, l’incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l’ensemble de la société et l’incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l’immédiat ne peuvent que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société." (La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme [2], Point 4, Revue Internationale n° 107). Notre analyse prenait le soin de préciser les deux significations du terme "décomposition" ; d’une part, il s’applique à un phénomène qui affecte la société, particulièrement dans la période de décadence du capitalisme et, d’autre part, il désigne une phase historique particulière de cette dernière, sa phase ultime : "… il est indispensable de mettre en évidence la différence fondamentale qui oppose les éléments de décomposition qui ont affecté le capitalisme depuis le début du siècle [le 20e siècle] et la décomposition généralisée dans laquelle s’enfonce à l’heure actuelle ce système et qui ne pourra aller qu’en s’aggravant. Là aussi, au-delà de l’aspect strictement quantitatif, le phénomène de décomposition sociale atteint aujourd’hui une telle profondeur et une telle extension qu’il acquiert une qualité nouvelle et singulière manifestant l’entrée du capitalisme décadent dans une phase spécifique – la phase ultime – de son histoire, celle où la décomposition devient un facteur, sinon le facteur, décisif de l’évolution de la société." (Ibid., Point 2)
C’est principalement ce dernier point, le fait que la décomposition tende à devenir le facteur décisif de l’évolution de la société, et donc de l’ensemble des composantes de la situation mondiale – une idée qui n’est nullement partagée par les autres groupes de la Gauche communiste – qui constitue l’axe majeur de la présente résolution » (Résolution sur la situation internationale [18], 23è congrès du CCI, Revue Internationale n° 164).
Dans ce contexte, le but de ce rapport est d’évaluer l’impact de la crise du Covid-19 sur l’approfondissement des contradictions au sein du système capitaliste et les incidences de celle-ci sur l’approfondissement de la phase de décomposition.
La pandémie sévit dans le cœur du capitalisme : une première, puis une seconde, voire une troisième vague d’infections déferlent sur le monde et en particulier sur les pays industrialisés ; leurs systèmes hospitaliers sont au bord de l’implosion et ils sont obligés d’imposer à répétition des confinements plus ou moins radicaux. Après un an de pandémie, les chiffres officiels, largement sous-évalués dans de nombreux pays, comptabilisent plus de 500.000 morts aux USA et plus de 650.000 dans l’Union Européenne comme en Amérique Latine.
Durant les douze derniers mois, dans ce mode de production aux capacités scientifiques et technologiques illimitées, les bourgeoisies, non seulement de pays périphériques mais surtout des principaux pays industrialisés, se sont montrées incapables :
Au contraire, elles ont rivalisé dans la prise de mesures incohérentes et chaotiques et ont eu recours, en désespoir de cause, à des mesures datant des tréfonds de l’histoire, telles que le confinement, la quarantaine ou le couvre-feu. Elles ont condamné à la mort des centaines de milliers de personnes en sélectionnant les malades du Covid admis dans les hôpitaux surchargés ou en postposant à une date lointaine le traitement d’autres pathologies graves.
Le déroulement catastrophique de la crise pandémique est fondamentalement lié à la pression implacable de la crise historique du mode de production capitaliste. L’impact des mesures d’austérité, encore accentuées depuis la récession de 2007-2011, la concurrence économique impitoyable entre les États et la priorité accordée, en particulier dans les pays industrialisés, au maintien des capacités de production au détriment de la santé des populations au nom de la primauté de l’économie ont favorisé l’ampleur de la crise sanitaire et constituent une entrave permanente à son endiguement. Cette immense catastrophe que constitue la pandémie n’est pas le produit de la fatalité ni de l’insuffisance des connaissances scientifiques ou des outils sanitaires (comme cela a pu être le cas dans des modes de production antérieurs) ; elle n’arrive pas non plus comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ni ne constitue une parenthèse passagère. Elle exprime l’impuissance fondamentale du mode de production capitaliste déclinant, qui va au-delà de l’incurie de tel ou tel gouvernement mais qui est au contraire révélatrice du blocage et du pourrissement sur pied de la société bourgeoise. Et surtout elle révèle l’ampleur de cette phase de décomposition qui s’approfondit depuis 30 ans.
La crise du Covid-19 ne surgit pas du néant ; elle est à la fois l’expression et la résultante de 30 années de phase de décomposition qui ont marqué une tendance à la multiplication, à l’approfondissement et à une convergence de plus en plus nette des différentes manifestations du pourrissement sur pied.
(a) L’importance et la signification de la dynamique de décomposition ont été appréhendées par le CCI dès la fin des années ’80 : « Alors que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour imposer sa "solution" : la guerre impérialiste généralisée, et que la lutte de classe n'est pas encore suffisamment développée pour permettre la mise en avant de sa perspective révolutionnaire, le capitalisme est entraîné dans une dynamique de décomposition, de pourrissement sur pied qui se manifeste sur tous les plans de son existence :
(b) L’implosion du bloc soviétique marque une accélération spectaculaire du processus malgré les campagnes pour le dissimuler. L’effondrement de l’intérieur d’un des deux blocs impérialistes qui se faisaient face, sans que cela soit le produit, ni d’une guerre mondiale entre les blocs, ni de l’offensive du prolétariat, ne peut être compris que comme une expression majeure de l’entrée dans la phase de décomposition. Cependant, les tendances à la perte de contrôle et à l’exacerbation du chacun pour soi que cette implosion manifeste ont été largement dissimulées et contrées dans un premier temps, d’abord par le regain du prestige de la « démocratie » du fait de sa « victoire sur le communisme » (campagnes sur la mort du communisme et la supériorité du mode de gouvernement démocratique), ensuite par la 1ère guerre du golfe (1991), engagée au nom des Nations Unies contre Saddam Husein qui permet à Bush senior d’imposer une « coalition internationale des États » sous la direction des USA et de freiner ainsi dans un premier temps la tendance au chacun pour soi ; enfin, par le fait que l’effondrement économique découlant de l’implosion du bloc de l’Est touche uniquement les anciens pays du bloc russe, une partie particulièrement arriérée du capitalisme, et épargne largement les pays industrialisés.
(c) Au début du 21e siècle, l’extension de la décomposition se manifeste avant tout par l’explosion du chacun pour soi et du chaos sur le plan impérialiste. L’attaque des Twin Towers et du Pentagone par Al Qaeda le 11 septembre 2001 et la riposte militaire unilatérale de l’administration Bush ouvre toute grande la « boîte de pandore » de la décomposition : avec l’attaque et l’invasion de l’Irak en 2003 au mépris des conventions ou des organisations internationales et sans tenir compte de l’avis de ses principaux « alliés », la première puissance mondiale passe du statut de gendarme de l'ordre mondial à celui d'agent principal du chacun pour soi et du chaos. L’occupation de l’Irak, puis la guerre civile en Syrie (2011) vont puissamment attiser le chacun pour soi impérialiste non seulement au Moyen-Orient mais sur toute la planète. Elles accentuent également la tendance au déclin du leadership US, tandis que la Russie revient à l’avant-plan, en particulier par un rôle impérialiste « perturbateur » en Syrie et que la Chine monte rapidement en puissance en tant que challenger de la superpuissance US.
(d) Dans les deux premières décennies du 21e siècle, la croissance quantitative et qualitative du terrorisme, favorisée par l’extension du chaos et la barbarie guerrière dans le monde, prend une place centrale dans la vie de la société comme instrument de guerre entre États. Cela a conduit à la constitution d'un nouvel État, « l’État Islamique » (Daesh), avec son armée, sa police, son administration, ses écoles, dont le terrorisme est l'arme de prédilection et qui a déclenché une vague d’attentats suicides au Moyen-Orient comme dans les métropoles des pays industrialisés. « La constitution de Daesh en 2013-14 et les attentats en France en 2015-16, en Belgique et en Allemagne en 2016 représentent une autre étape de premier plan de ce processus » (Rapport sur la décomposition aujourd'hui [20], 22è Congrès du CCI, 2017). Cette expansion de ce terrorisme ‘kamikaze’ va de pair avec la progression du radicalisme religieux irrationnel et fanatique partout dans le monde, du Moyen-Orient au Brésil, des USA à l’Inde.
(e) En 2016-17, le référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne et l’avènement de Trump aux USA révèlent le tsunami populiste qui constitue une nouvelle manifestation particulièrement saillante de l’approfondissement de la décomposition. « La montée du populisme constitue une expression, dans les circonstances actuelles, de la perte de contrôle croissante par la bourgeoisie des rouages de la société résultant fondamentalement de ce qui se trouve au cœur de la décomposition de celle-ci, l’incapacité des deux classes fondamentales de la société d’apporter une réponse à la crise insoluble dans laquelle s’enfonce l’économie capitaliste. En d’autres termes, la décomposition résulte fondamentalement d’une impuissance de la part de la classe régnante, d’une impuissance qui trouve sa source dans son incapacité à surmonter cette crise de son mode de production et qui tend de plus en plus à affecter son appareil politique. Parmi les causes actuelles de la vague populiste on trouve les principales manifestations de la décomposition sociale : la montée du désespoir, du nihilisme, de la violence, de la xénophobie, associée à un rejet croissant des "élites" (les "riches", les politiciens, les technocrates) et dans une situation où la classe ouvrière est incapable de présenter, même de façon embryonnaire, une alternative » (Résolution sur la situation internationale [18], 23e Congrès du CCI, pt3, Revue internationale n° 164). Si cette vague populiste touche en particulier les bourgeoisies des pays industrialisés, elle se retrouve aussi dans les autres régions du mode sous la forme de la venue au pouvoir de leaders forts et « charismatiques » (Orban, Bolsonaro, Erdogan, Modi, Duterte, …) souvent avec le soutien de sectes ou de mouvements extrémistes d’inspiration religieuse (églises évangélistes en Amérique latine ou en Afrique, Frères Musulmans en Turquie, mouvements identitaires racistes hindous dans le cas de Modi).
La phase de décomposition a déjà 30 ans d’histoire et le bref survol de cette dernière montre comment le pourrissement du capitalisme s’est étendu et approfondi à travers des phénomènes qui ont progressivement affecté de plus en plus d’aspects de la société et qui constituent les ingrédients qui ont provoqué le caractère explosif de la crise planétaire du Covid-19. Certes, pendant ces 30 ans, la progression des phénomènes a été discontinue, mais elle s’est déroulée sur différents plans (crise écologique, chacun pour soi impérialiste, fragmentation d’États, terrorisme, émeutes sociales, perte de contrôle de l’appareil politique, pourrissement idéologique), minant de plus en plus les tentatives du capitalisme d’État de contrer son avancée et de maintenir un certain cadre partagé. Pourtant, si les différents phénomènes atteignaient un niveau d’intensité appréciable, ils apparaissaient jusque-là comme « une prolifération de symptômes sans interconnexion apparente, contrairement aux périodes précédentes de la décadence du capitalisme qui étaient définies et dominées par des repères aussi évidents que la guerre mondiale ou la révolution prolétarienne » (Rapport sur la pandémie Covid-19 et la période de décomposition capitaliste [21] (juillet 2020)). C’est précisément la signification de la crise du Covid-19 d’être, telle l’implosion du bloc de l’Est, hautement emblématique de la phase de décomposition en cumulant l’ensemble des facteurs de putréfaction du système.
A l’instar les différentes manifestations de la décadence (guerres mondiales, crises générales de l’économie, militarisme, fascisme et stalinisme, …), il y a donc aussi accumulation des manifestations de la phase de décomposition. L’ampleur de l’impact de la crise du Covid-19 s’explique non seulement par cette accumulation mais aussi par l’interaction des expressions écologiques, sanitaires, sociales, politiques, économiques et idéologiques de la décomposition dans une sorte de spirale jamais observé jusqu’alors, qui a débouché sur une tendance à la perte de contrôle de plus en plus d’aspects de la société et à une flambée d’idéologies irrationnelles, extrêmement dangereuses pour le futur de l’humanité.
(a) Covid-19 et destruction de la nature
La pandémie est clairement une expression de la rupture de la relation entre l'humanité et la nature, qui a atteint une intensité et une dimension planétaire inégalées avec la décadence du système et, en particulier, avec la dernière phase de cette décadence, celle de la décomposition, à travers plus spécifiquement ici la croissance et la concentration urbaines incontrôlées (prolifération de bidonvilles surpeuplés) dans les régions périphériques du capitalisme, la déforestation et le changement climatique. Ainsi, dans le cas du Covid-19, une étude récente de chercheurs des universités de Cambridge et d’Hawaii et du Potsdam Institute for Climate Impact Research (dans la revue Science of the Total Environment) indiquerait que les changements climatiques en Chine du Sud au cours du siècle passé auraient favorisé la concentration dans la région d’espèces de Chauve-souris, qui sont porteuses de milliers de coronavirus, et permis la transmission du SARS-CoV-2, via probablement le pangolin, vers l’homme.[1]
Depuis des décennies, la destruction irrémédiable du monde naturel génère un danger croissant de catastrophes environnementales mais aussi sanitaires, comme l'ont déjà illustré les épidémies de SRAS, de H1N1 ou d'Ebola, qui, par chance, ne sont pas devenues des pandémies. Pourtant, bien que le capitalisme dispose de forces technologiques telles qu'il est capable d'envoyer des hommes sur la Lune, de produire des armes monstrueuses capables de détruire la planète des dizaines de fois, il n’a pu se doter des moyens nécessaires pour remédier aux problèmes écologiques et sanitaires qui ont conduit au déclenchement de la pandémie Covid-19. L'homme est de plus en plus séparé de son "corps organique" (Marx) et la décomposition sociale accentue cette tendance.
(b) Covid-19 et récession économique
En même temps, les mesures d’austérité et de restructuration dans la recherche et les systèmes de santé, intensifiées encore depuis la récession de 2007-2011, ont réduit les disponibilités hospitalières et ralenti, si pas arrêté, les recherches sur les virus de la famille des Covid, alors que différentes épidémies précédentes avaient averti de la dangerosité de ceux-ci. D’autre part, au cours de la pandémie, l’objectif premier des pays industrialisés a toujours été de maintenir les capacités de production intactes autant et aussi longtemps que possible (et, dans leur prolongement, les crèches, l’enseignement gardien et primaire pour permettre aux parents d’aller travailler) tout en sachant qu’entreprises et écoles constituent un foyer non négligeable de contagion malgré les mesures prises (porter un masque, garder ses distances, etc.). En particulier, lors du déconfinement de l’été 2020, la bourgeoisie a joué cyniquement avec la santé des populations au nom de la primauté de l’économie, qui a toujours prévalu, même si cela doit contribuer au surgissement d’une nouvelle vague de la pandémie et à la répétition de confinements, à l’augmentation du nombre d’hospitalisations et de décès.
(c) Covid-19 et chacun pour soi impérialiste
L’accentuation du chacun pour soi entre États a constitué depuis le début un puissant stimulant à l’expansion de la pandémie et a incité même à son exploitation à des fins hégémoniques. D’abord, les tentatives initiales de la Chine de camoufler le surgissement du virus et son refus de transmettre des infos à l’OMS ont largement favorisé l’expansion initiale de la pandémie. Ensuite, la persistance de la pandémie et de ses différentes vagues ainsi que le nombre des victimes ont été favorisés par le refus de nombreux pays de « partager » leurs stocks de matériel sanitaire avec leurs voisins, par le chaos grandissant dans la coopération entre les différents pays, y compris et surtout au sein de l’UE, en vue d’harmoniser les politiques de limitation des contaminations ou la politique de conception et d’achat des vaccins, et encore par la « course au vaccin » entre les géants pharmaceutiques concurrents (avec de juteux bénéfices pour les gagnants à la clé) au lieu de réunir l’ensemble des compétences disponibles en médecine et en pharmacologie. Enfin, la « guerre des vaccins » sévit pleinement entre les États : ainsi, la Commission Européenne avait initialement refusé de réserver 5 millions de doses de vaccin supplémentaires proposées par Pfizer-BioNTech sous la pression de la France qui exigeait une commande supplémentaire équivalente pour l’entreprise française Sanofi ; le vaccin d’AstraZeneca/ Université d’Oxford est réservé en priorité à l’Angleterre au détriment des commandes de l’UE ; par ailleurs, les vaccins chinois (Sinovac), russe (Spoutnik V), indiens (BBV152) ou américains (Moderna) sont largement exploités par ces États comme des instruments de la politique impérialiste. La concurrence entre États et l’explosion du chacun pour soi ont accentué le chaos effrayant dans la gestion de la crise pandémique.
(d) Covid-19 et perte de contrôle de la bourgeoisie sur son appareil politique
La perte de contrôle sur l’appareil politique était déjà une des caractéristiques marquant l’implosion du bloc de l’Est mais elle était apparue alors comme une spécificité liée au caractère particulier des régimes staliniens. La crise des réfugiés (2015-16), l’émergence d’émeutes sociales contre la corruption des élites et surtout le raz-de-marée populiste (2016), toutes des manifestations certes déjà présentes mais de manière moins proéminentes lors des décennies passées, vont mettre en évidence dès la deuxième partie de la décennie 2010-2020 l’importance de ce phénomène comme expression de la progression de la décomposition. Cette dimension jouera un rôle déterminant dans l’extension de la crise du Covid-19. Le populisme et en particulier les dirigeants populistes comme Bolsonaro, Johnson ou Trump ont favorisé par leur politique « vandaliste » l’expansion et l’impact létal de la pandémie : ils ont banalisé le Covid-19 comme une simple grippe, ont favorisé une mise en place incohérente d’une politique de limitation des contaminations, exprimant ouvertement leur scepticisme envers celle-ci, et ont saboté toute collaboration internationale. Ainsi Trump a ouvertement transgressé les mesures sanitaires préconisées, ouvertement accusé la Chine (le « virus chinois ») et a refusé toute coopération avec l’OMS.
Ce « vandalisme » exprime de manière emblématique la perte de contrôle par la bourgeoisie de son appareil politique : après s’être montrées incapables dans un premier temps de limiter l’expansion de la pandémie, les différentes bourgeoisies nationales ont échoué à coordonner leurs actions et à mettre en place un large système de « testing » et de « track and tracing » en vue de contrôler et de limiter de nouvelles vagues de contagion du Covid-19. Enfin, le déploiement lent et chaotique de la campagne de vaccination souligne une fois de plus les difficultés de l’État à gérer adéquatement la pandémie. La succession de mesures contradictoires et inefficaces a nourri un scepticisme et une méfiance croissants dans les populations envers les directives des gouvernements : « On voit bien que, par rapport à la première vague, les citoyens ont davantage de mal à adhérer aux recommandations » (D. Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de Santé en France, LMD 800, nov. 2020). Cette inquiétude est bien présente au sein des gouvernements des pays industrialisés (de Macron à Biden), conjurant la population de suivre les recommandations et les directives des autorités.
(e) Covid-19 et rejet des élites, idéologies irrationnelles ou montée du désespoir
Les mouvements populistes s’opposent non seulement aux élites mais favorisent également la progression d’idéologies nihilistes et des sectarismes religieux les plus rétrogrades, déjà renforcés par l’approfondissement de la phase de décomposition. La crise du Covid-19 a provoqué une explosion sans précédent de visions complotistes et anti-scientifiques, qui nourrissent la contestation des politiques sanitaires des États. Les théories conspirationnistes foisonnent et répandent des conceptions totalement fantaisistes concernant le virus et la pandémie. Par ailleurs, les dirigeants populistes comme Bolsonaro ou Trump ont exprimé ouvertement leur mépris pour la science. L’extension exponentielle de la pensée irrationnelle et de la mise en doute de la rationalité scientifique au cours de la pandémie est une illustration frappante de l’accélération de la décomposition.
Le rejet populiste des élites et les idéologies irrationnelles ont exacerbé une contestation de plus en plus violente sur un terrain purement bourgeois des mesures gouvernementales, telles les couvre-feu et les confinements. Cette rage anti-élites et anti-État a stimulé le surgissement de rassemblements (Danemark, Italie, Allemagne) ou d’émeutes « vandalistes », nihilistes et anti-étatiques contre les restrictions (aux cris de « "Liberté ! », « pour nos droits et la vie »), contre la « dictature du confinement » ou encore la « tromperie d’un virus qui n'existe pas », comme celles qui ont éclaté en janvier en Israël, au Liban, en Espagne et surtout dans de nombreuses villes des Pays-Bas.
Les effets de la phase de décomposition ont d’abord touché de plein fouet des zones périphériques du système : pays de l’Est avec l’implosion du bloc soviétique et de l’ex-Yougoslavie, guerres au Moyen-Orient, tensions guerrières en Extrême-Orient (Afghanistan, Corée, Conflit frontalier sino-indien), famines, guerres civiles, chaos en Afrique. Cela change avec la crise des réfugiés, qui a entraîné un flot massif de demandeurs d’asile vers l’Europe, ou avec l’exode de populations désespérées du Mexique et d’Amérique centrale vers les USA, ensuite avec les attentats djihadistes aux USA et au cœur de l’Europe et enfin avec le tsunami populiste de 2016. Au cours de la deuxième décennie du 21e siècle, le centre des pays industrialisés est de plus en plus affecté et cette tendance est confirmée de manière spectaculaire avec la crise du Covid-19.
La pandémie touche de plein fouet le cœur du capitalisme et notamment les USA. Par rapport à la crise de 1989, l’implosion du bloc de l’Est, qui ouvrait la phase de décomposition, une différence capitale est précisément que la crise du Covid-19 ne touche pas une partie particulièrement arriérée du mode de production capitaliste, qu’elle ne peut donc être présentée comme une victoire du « capitalisme démocratique » puisqu’elle impacte au contraire le centre du système capitaliste à travers les démocraties d’Europe et les États-Unis. Comme un boomerang, les pires effets de la décomposition, que le capitalisme avait repoussé pendant des années vers la périphérie du système, reviennent en pleine figure des pays industrialisés, qui sont maintenant au centre de la tourmente et loin d’être débarrassés de tous ses effets. Cet impact sur les pays industrialisés centraux avait certes déjà été souligné par le CCI au niveau du contrôle du jeu politique, en particulier à partir de 2017, mais aujourd’hui, les bourgeoisies américaine, anglaise, allemande (et à leur suite celles des autres pays industrialisés) se trouvent au coeur de l’ouragan pandémique et de ses conséquences au niveau sanitaire, économique, politique, social et idéologique.
Parmi les pays centraux, c’est le plus puissant d’entre eux, la superpuissance US, qui subit le plus fortement l’impact de la crise du Covid-19 : nombre absolu d’infections et de décès le plus élevé au monde, situation sanitaire déplorable, une administration présidentielle « vandale » qui a géré catastrophiquement la pandémie et qui, sur le plan international a isolé le pays par rapport à ses alliances, une économie en grande difficulté, un président qui a décrédibilisé les élections, a appelé à marcher sur le parlement, a approfondi les divisions au sein du pays et a nourri la méfiance envers la science et les données rationnelles, qualifiées de « fake news ». Aujourd’hui, les USA constituent l’épicentre de la décomposition.
Comment expliquer que la pandémie semble effectivement moins affecter la « périphérie » du système cette fois-ci (nombre d’infections, nombre de morts), et en particulier l’Asie et l’Afrique ? Il y a bien sûr une série de raisons circonstancielles : le climat, la densité de population ou l’isolement géographique (comme le montrent les cas de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie ou de la Finlande en Europe) mais aussi la fiabilité relative des données : par exemple, le chiffre des décès par le Covid-19 en 2020 en Russie s’avère être trois fois plus élevé que le chiffre officiel (185.000 au lieu de 55.000) selon une des vice-premières ministres Tatjana Golikova sur base de la surmortalité (De Morgen, 29.12.2020).
Plus fondamentalement, le fait que l’Asie et l’Afrique ont une expérience antérieure de gestion de pandémies (N1N1, Ebola) a certainement joué en leur faveur. Ensuite, il y a diverses explications d’ordre économique (la densité plus ou moins forte des échanges et des contacts internationaux, le choix de confinements limités permettant la poursuite de l’activité économique), social (une population âgée « parquée » par centaines dans des « maisons de retraite »), médical (une durée de vie moyenne plus ou moins élevée : cf. France : 82,4/ Vietnam : 76/ Chine : 76,1/ Égypte : 70,9/ Philippines : 68,5/ Congo : 64,7 et la résilience plus ou moins forte aux maladies). Par ailleurs, les pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine subissent et subiront un impact indirect lourd de la pandémie à travers e.a. les retards dans la vaccination à la périphérie, les effets économiques de la crise du Covid-19 et le ralentissement du commerce mondial, comme l’indique le danger actuel de famine en Amérique centrale du fait de l’arrêt de l’économie. Enfin, le fait que les pays européens et les USA évitent autant que possible d’imposer des confinements et des contrôles drastiques et brutaux, comme ceux décrétés en Chine, est sans doute aussi lié à la prudence de bourgeoisies envers une classe ouvrière, déboussolée certes mais non battue, qui n’est pas prête à se laisser « enfermer » par l’État. La perte de contrôle de son appareil politique et la colère au sein d’une population confrontée à l’effondrement des services de santé et à l’échec des politiques sanitaires, lui imposent d’autant plus d’agir avec circonspection.
Face à un milieu politique prolétarien qui, après avoir nié les expressions passées de la décomposition, considère la crise pandémique comme un épisode transitoire, le CCI doit souligner au contraire que l’ampleur de la crise du Covid-19 et de ses conséquences implique qu’il n’y aura pas de « retour à la normale ». Même si l’approfondissement de la décomposition, tout comme ce fut le cas pour la décadence, n’est pas linéaire, même si le départ du populiste Trump et l’arrivée au pouvoir de Biden dans la première puissance mondiale peut dans un premier temps présenter l’image d’une illusoire stabilisation, il faut être conscient que différentes tendances qui se sont manifestées pendant la crise du Covid-19 marquent une accélération du processus de pourrissement sur pied et de destruction du système.
En 2007, notre analyse concluait encore que « Paradoxalement, la situation économique du capitalisme est l'aspect de cette société qui est le moins affecté par la décomposition. Il en est ainsi principalement parce que c'est justement cette situation économique qui détermine, en dernière instance, les autres aspects de la vie de ce système, y compris ceux qui relèvent de la décomposition. (…). Aujourd'hui, malgré tous les discours sur le "triomphe du libéralisme", sur le "libre exercice des lois du marché", les États n'ont renoncé ni à l'intervention dans l'économie de leurs pays respectifs, ni à l'utilisation des structures chargées de réguler quelque peu les rapports entre eux en en créant même de nouvelles, telle l'Organisation mondiale du commerce » (Résolution sur la situation internationale [22], Revue internationale n° 130, 2007). Jusqu’alors, crise économique et décomposition avaient été séparées par l’action des États, la première ne semblant pas affectée par la seconde.
De fait, des mécanismes internationaux du capitalisme d’État, déployés dans le cadre des blocs impérialistes (1945-89), avaient été maintenus à partir des années ‘90 à l’initiative des pays industrialisés comme palliatif à la crise et comme bouclier de protection face aux effets de la décomposition. Le CCI avait appréhendé les mécanismes multilatéraux de coopération économique et une certaine coordination des politiques économiques non pas comme une unification du capital au niveau mondial, ni comme une tendance au super-impérialisme, mais comme une collaboration entre bourgeoisies sur le plan international en vue de réguler et organiser le marché et la production mondiale, de ralentir et réduire le poids de l’enfoncement dans la crise, d’éviter l’impact des effets de la décomposition sur le terrain névralgique de l’économie et enfin de protéger le cœur du capitalisme (USA, Allemagne, …). Or, ce mécanisme de résistance contre la crise et la décomposition tendait à s’éroder de plus en plus. Depuis 2015, plusieurs phénomènes ont commencé à exprimer une telle érosion : une tendance à l’ affaiblissement considérable de la coordination entre pays, notamment concernant la relance de l’économie (et qui contraste clairement avec la réponse coordonnée mise en place face à la crise de 2008-2011), une fragmentation des rapports entre États et au sein de ceux-ci. Depuis 2016, le vote en faveur du Brexit et la présidence de Trump ont accru la paralysie et le risque de fragmentation de l’Union Européenne et intensifié la guerre commerciale entre les USA et la Chine, mais aussi les tensions économiques entre les États-Unis et l’Allemagne.
Une conséquence majeure de la crise du Covid-19 est le fait que les effets de la décomposition, l’accentuation du chacun pour soi et la perte de maîtrise, qui touchaient jusqu’alors essentiellement la superstructure du système capitaliste, tendent aujourd’hui à impacter directement la base économique du système, sa capacité à gérer les secousses économiques dans l’enfoncement dans sa crise historique. « Lorsque nous avons développé notre analyse de la décomposition, nous avions considéré que ce phénomène affectait la forme des conflits impérialistes (voir "Militarisme et décomposition [17] [2]", Revue internationale n° 64) et aussi la prise de conscience du prolétariat. En revanche, nous avions considéré qu'il n'avait pas d'impact réel sur l'évolution de la crise du capitalisme. Si la montée actuelle du populisme devait aboutir à l'arrivée au pouvoir de ce courant dans certains des principaux pays d'Europe, on pourrait voir se développer un tel impact de la décomposition » (Rapport sur la décomposition aujourd’hui [20], 22è Congrès du CCI, 2017). De fait, la perspective avancée en 2017 s’est rapidement concrétisée et désormais, nous devons considérer que la crise économique et la décomposition interfèrent et s’influencent mutuellement de plus en plus.
Ainsi, les restrictions budgétaires dans les politiques de santé et dans les soins hospitaliers ont favorisé l’expansion de la pandémie, qui a son tour a provoqué un effondrement du commerce mondial et des économies, en particulier des pays industrialisés (les P.I.B. des principaux pays industrialisés présentent en 2020 des taux négatifs jamais atteints depuis la 2e guerre mondiale). La récession économique constituera à son tour un stimulant à l’approfondissement du pourrissement de la superstructure. D’autre part, l’accentuation du chacun pour soi et la perte de contrôle qui marquent globalement la crise du Covid-19 infectent dorénavant aussi l’économie. L’absence de concertation internationale entre pays centraux sur le plan économique est frappante (absence de toute réunion du G7, G8 ou G20 en 2020) et la faillite de la coordination des politiques économiques et sanitaires entre pays de l’UE est également patente. Face à la pression des contradictions économiques au sein même des pays centraux du capitalisme, face aux hésitations de la Chine sur sa politique à mener (poursuivre l’ouverture sur le monde ou amorcer un repli stratégique nationaliste sur l’Asie), les chocs au niveau de la base économique tendront à devenir de plus en plus forts et chaotiques.
Dans les années précédentes, nous avons vu une exacerbation des tensions au sein des bourgeoisies et entre bourgeoisies. En particulier, avec la venue au pouvoir de Trump et la mise en oeuvre du Brexit, cela s’est manifesté intensément au niveau des bourgeoisies américaine et anglaise, considérées jusqu’alors comme les plus stables et les plus expérimentées du monde : les conséquences de la crise du Covid-19 ne peuvent qu’aiguiser encore plus ces tensions :
Concernant l’exacerbation future des tensions au sein et entre bourgeoisies, deux points méritent d’être précisés.
(a) La nomination de Biden ne change pas le fondement des problèmes des USA
L’avènement de l’administration Biden ne signifie nullement la réductions des tensions intra et inter-bourgeoisies et en particulier la fin de l’empreinte sur la politique intérieure et extérieure du populisme trumpien : d’une part, 4 années d’imprédictibilité et de vandalisme de Trump, récemment encore en ce qui concerne la gestion catastrophique de la pandémie, marquent profondément la situation intérieure des USA, la fragmentation de la société américaine, ainsi que leur positionnement international. De plus, Trump aura tout fait durant la dernière période de sa présidence pour rendre la situation encore plus chaotique pour son successeur (cf. la lettre des 10 derniers ministres de la défense enjoignant Trump de ne pas impliquer l’armée dans la contestation des résultats des élections en décembre 2020, l’occupation du Congrès par ses partisans). Ensuite, le résultat obtenu par Trump lors des élections montre qu’environ la moitié de la population partage ses idées et en particulier son aversion pour les élites politiques. Enfin, l’emprise de Trump et de ses conceptions sur une grande partie du parti républicain annonce une gestion difficile pour la peu populaire (sauf parmi les élites politiques) administration Biden. Sa victoire est plus due à une polarisation anti-Trump qu’à un enthousiasme pour le programme du nouveau président.
Aussi, si au niveau de la forme et dans certains domaines, tels la politique climatique ou l’immigration, l’administration Biden tendra à rompre avec la politique de Trump, sa politique intérieure de « revanche » des élites des deux côtes contre « l’Amérique profonde » (les questions des énergies fossiles et du « mur » sont précisément liées à cela) et extérieure, marquée par le maintien de la politique de Trump au Moyen-Orient et par un renforcement de la confrontation avec la Chine (cf. l’attitude dure de Biden envers Xi lors de leur premier entretien téléphonique et la demande US à l’UE de revoir son traité commercial avec la Chine) ne peuvent conduire à terme qu’à un renforcement de l’instabilité au sein de la bourgeoisie US et entre bourgeoisies.
(b) la Chine n’est pas la grande victorieuse de la situation
Officiellement, la Chine se présente comme le « pays qui a vaincu la pandémie ». Quelle est sa situation dans la réalité ? Pour y répondre, il s’agit d’apprécier l’impact à court-terme (contrôle effectif de la pandémie) et à moyen-terme de la crise du Covid-19.
La Chine a une responsabilité écrasante au niveau du surgissement et de l’expansion de la pandémie. Après l’épidémie de SARS en 2003, des protocoles ont été établis afin que les autorités locales préviennent les autorités centrales ; déjà avec l’épidémie de peste porcine en 2019, il est apparu que cela ne fonctionnait pas parce que, dans capitalisme d’État stalinien, les responsables locaux craignent pour leur carrière/ promotions s’ils annoncent de mauvaises nouvelles. Idem au début du Covid-19 à Wuhan. Ce sont les « oppositions citoyennes démocratiques » qui ont en fin de compte fait passer les infos et, en conséquence avec retard, ont fait arriver les infos au niveau central. Le « niveau central » a dans un premier temps brillé par son absence : il n’a pas averti l’OMS et, pendant 3 semaines, Xi a été aux abonnés absents, trois précieuses semaines de perdues. Depuis lors d’ailleurs, la Chine refuse toujours de fournir à l’OMS les données vérifiables sur le développement de la pandémie sur son territoire.
L’impact à court-terme est avant tout indirect. Au niveau direct, les chiffres officiels de contaminations et de décès ne sont pas fiables. (ces derniers vont de 30.000 à plusieurs millions) et, selon le New York Times [23], il se pourrait que le gouvernement chinois lui-même ignore l'étendue de l'épidémie puisque les autorités locales mentent à propos du nombre d'infections, de tests et de morts par crainte de représailles provenant du gouvernement central. Cependant, l’imposition de lock-down impitoyables et barbares à des régions entières, enfermant littéralement des millions de gens dans leurs maisons pendant des semaines (à nouveau imposés régulièrement ces derniers mois), paralysent totalement l’économie chinoise pendant plusieurs semaines, ce qui a mené à un chômage massif (205 millions en mai 2020) et à des conséquences désastreuses au niveau des récoltes (en combinaison avec des sécheresses, inondations et invasions de sauterelles). Pour 2020, la croissance de son PIB recule de plus de 4% par rapport à 2019 (+6,1% à +1,9%) ; la consommation intérieure a été maintenue par une libération totale des crédits de la part de l’État.
A plus long terme, l'économie chinoise est confrontée à une délocalisation des industries stratégiques par les États-Unis et les pays européens et aux difficultés de la « nouvelle route de la soie » à cause des problèmes financiers liés à la crise économique et accentués par la crise du Covid-19 (financement chinois mais surtout niveau d’endettement de pays « partenaires » comme le Sri-Lanka, le Bangladesh, le Pakistan, le Népal …) mais aussi par une méfiance croissante de la part de nombreux pays et à la pression antichinoise des États-Unis. Aussi, il ne faut pas s’étonner qu’en 2020, il y a eu un effondrement de la valeur financière des investissements injectés dans le projet « Nouvelle route de la soie » (-64%).
La crise du Covid-19 et les obstacles rencontrés par la « nouvelle Route de la Soie » ont également accentué les tensions de plus en plus manifestes à la tête de l'état chinois, entre la faction « économiste » qui mise avant tout sur la mondialisation économique et le « multilatéralisme » pour poursuivre l’expansion capitaliste de la Chine et la faction « nationaliste » qui appelle à une politique plus musclée et qui met en avant la force (« la Chine qui a vaincu le Covid ») face aux menaces intérieures (les Ouïghours, Hong-Kong, Taiwan) et extérieures (tensions avec les USA, l’Inde et le Japon). Dans la perspective du prochain Congrès du Peuple en 2022 qui devrait nommer le nouveau (l’ancien ?) président, la situation en Chine est donc également particulièrement instable.
« Comme l'a souligné la GCF dans son organe de presse Internationalisme en 1952, le capitalisme d'État n'est pas une solution aux contradictions du capitalisme, même s'il peut en retarder les effets, mais en est l'expression. La capacité de l'État à maintenir la cohésion d'une société en déclin, aussi envahissante soit-elle, est donc destinée à s'affaiblir avec le temps et à devenir finalement un facteur aggravant des contradictions mêmes qu'il tente de contenir. La décomposition du capitalisme est la période au cours de laquelle une perte de contrôle croissante de la classe dominante et de son État devient la tendance dominante de l'évolution sociale, ce que Covid révèle de façon si dramatique » (Rapport sur la pandémie Covid-19 et la période de décomposition capitaliste [21] (juillet 2020)). Avec la crise pandémique s’exprime de manière particulièrement aigüe la contradiction entre la nécessité d’un interventionnisme massif du capitalisme d’État pour tenter de limiter les effets de la crise et une tendance opposée à la perte de contrôle, à la fragmentation, elle-même exacerbée par ces tentatives de l’État de maintenir son contrôle.
La crise du Covid-19 a en particulier marqué une accélération dans la perte de crédibilité des appareils étatiques. Alors que le capitalisme d’État est intervenu de manière massive pour faire face aux effets de la crise pandémique (mesures sanitaires, confinements, vaccination massive, compensation financières généralisées pour amortir l’impact économique, …), les mesures prises sur les différents plans se sont révélées souvent inefficaces ou ont provoqué de nouvelles contradictions (la vaccination exacerbe l’opposition anti-étatique des « antivacs », les compensations économiques pour un secteur suscitent le mécontentement des autres). Dès lors, si l’État est censé représenter l’ensemble de la société et maintenir sa cohésion, cela est de moins en moins vu ainsi par la société : face à l’incurie et l’irresponsabilité croissantes de la bourgeoisie, de plus en plus évidentes dans les pays centraux aussi, la tendance est de voir l’État comme une structure au service des élites corrompue, comme une force de répression aussi. En conséquence, il a de plus en plus de difficultés à imposer des règles : dans de nombreux pays d’Europe, comme par exemple en Italie, en France ou en Pologne, et également aux USA, des manifestations se sont produites contre les mesures gouvernementales de fermeture de commerces ou de confinement. Partout, en particulier parmi les jeunes, apparaissent des campagnes sur les médias sociaux pour s’opposer à ces règles, comme le hashtag « I don't want to play the game anymore » (je n’accepte plus de jouer le jeu) en Hollande.
L’incapacité des États à affronter la situation est à la fois symbolisée et affectée par l’impact du « vandalisme » populiste. La perturbation du jeu politique de la bourgeoisie dans les pays industrialisés se manifeste de manière saillante dès le début du 21e siècle avec des mouvements et partis populistes, souvent proches de l’extrême-droite. Relevons ainsi l'accession-surprise de Le Pen « en finale » de l’élection présidentielle de 2002 en France, la percée fulgurante et spectaculaire de la « liste Pim Fortuyn » aux Pays-Bas en 2001-2002, les gouvernement Berlusconi avec l’appui de l’extrême-droite en Italie, la montée de Jorg Haider et du FPÖ en Autriche, ou la montée du Tea Party aux USA. A ce moment encore, le CCI avait tendance à lier le phénomène à la faiblesse des bourgeoisies : « Ils dépendent de la force ou de la faiblesse de la bourgeoisie nationale. En Italie, les faiblesses et les divisions internes de la bourgeoisie, même d'un point de vue impérialiste, tendent à faire resurgir une droite populiste importante. En Grande-Bretagne, au contraire, la quasi-inexistence de parti d'extrême droite spécifique est liée à l'expérience et à la maîtrise supérieure du jeu politique par la bourgeoisie anglaise [sic !] » (Montée de l'extrême-droite en Europe : Existe-t-il un danger fasciste aujourd'hui ? RINT 110, 2002). Si la tendance à la perte de contrôle est bien mondiale et a marqué la périphérie (des pays comme le Brésil, le Venezuela, le Pérou en Amérique latine, les Philippines ou l’Inde en Asie), elle touche aujourd’hui de plein fouet les pays industrialisés, les bourgeoisies historiquement les plus fortes (Grande-Bretagne) et aujourd’hui tout particulièrement les USA. Tandis que la vague populiste surfait sur la contestation de l’establishment, la venue au pouvoir de populistes décrédibilisent et déstabilisent encore plus les structures étatiques par leur politique « vandaliste » (cf.Trump, Bolsonaro mais aussi le « gouvernement populiste » M5S et Lega en Italie), dans la mesure où ils ne sont ni disposés ni capables de prendre en charge de manière responsable les affaires de l'État.
Ces observations vont à l’encontre de la thèse que la bourgeoisie, à travers ces mesures, réalise une mobilisation et une soumission de la population en vue d’une marche vers une guerre généralisée. Les politiques sanitaires chaotiques et l’inaptitude des États à affronter la situation expriment au contraire la difficulté des bourgeoisies des pays centraux à imposer leur contrôle à la société. Le développement de cette tendance peut altérer la crédibilité des institutions démocratiques (sans que cela n’implique dans le contexte actuel le moindre renforcement du terrain de classe) ou au contraire voir se développer des campagnes pour la défense de celles-ci, voire pour la restauration d’une « vraie démocratie » : ainsi, lors de l’assaut du Capitole, s’opposaient ceux qui voulaient reconquérir la démocratie « prise en otage par les élites » (« le Capitole est notre maison ») et ceux qui défendaient la démocratie contre un putsch populiste.
Le fait que la bourgeoisie est de moins en moins capable de présenter une perspective pour l’ensemble de la société génère également une expansion effrayante d’idéologies alternatives irrationnelles et un mépris croissant pour une approche scientifique et raisonnée. Certes, la décomposition des valeurs de la classe dominante n’est pas nouvelle. Elle apparaît dès la fin des années ’60, mais l’enfoncement de plus en plus profond dans la décomposition, le chaos et la barbarie favorise l’avènement de la haine et de la violence d’idéologies nihilistes et de sectarismes religieux les plus rétrogrades. La crise du Covid-19 stimule l’extension à grande échelle de ceux-ci. Des mouvements comme QAnon, Wolverine Watchmen, Proud Boys ou le Boogaloo movement aux USA, les sectes évangéliques au Brésil, en Amérique latine ou en Afrique, des sectes musulmanes sunnites ou chiites mais aussi hindouistes ou bouddhistes diffusent les théories conspirationnistes et répandent des conceptions totalement fantaisistes concernant le virus, la pandémie, l’origine (le créationnisme) ou le futur de la société. L’extension exponentielle de la pensée irrationnelle et du rejet des apports de la science tendra à s’accélérer.
Les explosions de révoltes populaires contre la misère et la barbarie guerrière étaient présentes dès le début de la phase de décomposition et s’accentuent au 21e siècle : l’Argentine (2001-2002), les banlieues françaises en 2005, l’Iran en 2009, Londres et d’autres villes anglaises en 2011, la flambée d’émeutes au Maghreb et au Moyen-Orient en 2011-12 (le « printemps arabe »). Une nouvelle vague d’émeutes sociales éclate au Chili, en Équateur ou en Colombie (2019), en Iran (en 2017-18 et à nouveau en 2019-20), en Irak, au Liban (2019-2020), mais aussi en Roumanie (2017) en Bulgarie (2013 et 2019-2020) ou en France avec le mouvement des « gilets jaunes » (2018-2019) et, avec des caractéristiques spécifiques, à Ferguson (2014) et Baltimore (2016) aux USA. Ces révoltes manifestent le désespoir croissant de populations subissant la déstructuration des rapports sociaux, soumises aux conséquences traumatisantes et dramatiques de la paupérisation liée à l’effondrement économiques ou à des guerres sans fin. Elles visent aussi de plus en plus la corruption des cliques au pouvoir et plus généralement les élites politiques.
Dans le prolongement de la crise du Covid-19, ce genre d’explosions de colère se multiplient, prenant la forme de manifestations, voire d’émeutes. Elles tendent à se cristalliser autour de trois pôles :
(a) des mouvements interclassistes, exprimant une révolte face aux conséquences économiques et sociales de la crise du Covid-19 (exemple des ‘gilets jaunes’) ;
(b) des mouvements identitaires, d’origines populiste (MAGA) ou parcellaire, tendant à exacerber les tensions entre composantes de la population (tels les révoltes raciales (BLM), mais aussi des mouvements d’inspiration religieuse (en Inde par exemple), etc.) ;
(c) des mouvements anti-establishment et anti-État au nom de la « liberté individuelle », de type nihiliste, sans réelles « alternatives », tels les mouvements « antivax » ou complotistes (« récupérer mes institutions des mains des élites »).
Ces types de mouvements débouchent souvent sur des émeutes et des pillages, servant d’exutoire à des bandes de jeunes de quartiers minés par la décomposition. Si ces mouvements mettent en évidence l’importante perte de crédibilité des structures politiques de la bourgeoisie, aucun de ceux-ci n’offre de quelque manière que ce soit une perspective pour la classe ouvrière. Toute révolte contre l'État n’est pas toujours un terrain propice pour le prolétariat : au contraire, elles le détournent de son terrain de classe pour l’entraîner sur un terrain qui n’est pas le sien.
La pandémie illustre l'aggravation dramatique de la dégradation de l’environnement, qui atteint des niveaux alarmants selon les constats et les prévisions qui font aujourd'hui l'unanimité dans les milieux scientifiques et que la majorité des secteurs bourgeois de tous les pays eux-mêmes ont repris à leur compte (Accord de Paris, 2015) : pollution de l'air des villes et de l'eau des océans, dérèglement climatique avec des phénomènes météorologiques de plus en plus violents, avancée de la désertification, accélération de la disparition des espèces végétales et animales qui menacent de plus en plus l'équilibre biologique de notre planète. « Toutes ces calamités économiques et sociales qui, si elles relèvent en général de la décadence elle-même, rendent compte, par leur accumulation et leur ampleur, de l'enfoncement dans une impasse complète d’un système qui n'a aucun avenir à proposer à la plus grande partie de la population mondiale, sinon celui d'une barbarie croissante dépassant l'imagination. Un système dont les politiques économiques, les recherches, les investissements, sont réalisés systématiquement au détriment du futur de l'humanité et, partant, au détriment du futur de ce système lui-même » (Thèses, 7).
La classe dominante est incapable de mettre en œuvre les mesures nécessaires du fait des lois mêmes du capitalisme et plus spécifiquement de l’exacerbation des contradictions provoquée par l’enfoncement dans la décomposition ; par conséquent, la crise écologique ne peut qu’empirer et engendrer de nouvelles catastrophes dans le futur. Cependant, ces dernières décennies, la bourgeoisie a récupéré la dimension écologique pour tenter de mettre en avant une perspective « de réformes au sein du système ». En particulier, les bourgeoisies des pays industrialisés placent la « transition écologique » et « l’économie verte » au centre de leurs campagnes actuelles pour faire accepter une perspective d’austérité draconienne dans le cadre de leurs politiques économiques post-Covid visant à restructurer et renforcer la position concurrentielle des pays industrialisés. Ainsi, elles sont au centre des « plans de relance » de la commission européenne pour les pays de l’UE et des mesures de relance de l’administration Biden aux USA. L’écologie constituera donc dans les prochaines années plus que jamais une mystification majeure à combattre par les révolutionnaires.
Ce rapport a montré que la pandémie n’ouvre pas une période nouvelle mais qu’elle est d’abord un révélateur du niveau de pourrissement atteint durant les 30 années de phase de décomposition, un niveau souvent sous-estimé jusqu’ici. En même temps, la crise pandémique annonce aussi une accélération sensible de divers effets de la décomposition dans la période à venir, ce qui est illustré en particulier par l’impact de la crise du Covid-19 sur la gestion de l’économie par les États et par ses effets dévastateurs sur les pays industriels centraux, et en particulier sur la superpuissance US. Des possibilités de contre-tendances ponctuelles existent, qui peuvent imposer une pause ou même une certaine reprise de contrôle par le capitalisme d’État, mais ces événements spécifiques ne signifieront nullement que la dynamique historique d’enfoncement dans la phase de décomposition, mise en évidence dans ce rapport, soit remise en question.
Si la perspective n’est pas à la guerre mondiale généralisée (entre blocs impérialistes), la plongée actuelle dans le chacun pour soi et la fragmentation apporte néanmoins la sinistre promesse d’une multiplication de conflits guerriers meurtriers, de révoltes sans perspectives noyées dans le sang ou de catastrophes pour l’humanité. « Le cours de l'histoire est irréversible : la décomposition mène, comme son nom l'indique, à la dislocation et à la putréfaction de la société, au néant. Laissée à sa propre logique, à ses conséquences ultimes, elle conduit l'humanité au même résultat que la guerre mondiale. Être anéanti brutalement par une pluie de bombes thermonucléaires dans une guerre généralisée ou bien par la pollution, la radioactivité des centrales nucléaires, la famine, les épidémies et les massacres de multiples conflits guerriers (où l’arme atomique pourrait aussi être utilisée), tout cela revient, à terme, au même. La seule différence entre ces deux formes d'anéantissement, c'est que la première est plus rapide alors que la seconde est plus lente et provoquerait d'autant plus de souffrances » (Thèses, 11).
La progression de la phase de décomposition peut aussi entraîner un recul de la capacité du prolétariat à mener son action révolutionnaire. Celui-ci est donc engagé dans une course de vitesse contre l’enfoncement de la société dans la barbarie d’un système historiquement obsolète. Certes, les luttes ouvrières ne peuvent empêcher le développement de la décomposition, mais elles peuvent porter un coup d’arrêt aux effets de celle-ci, du chacun pour soi. Pour rappel, « la décadence du capitalisme était nécessaire pour que le prolétariat soit en mesure de renverser ce système ; en revanche, l'apparition du phénomène historique de la décomposition, résultat de la prolongation de la décadence en l'absence de la révolution prolétarienne, ne constituait nullement une étape nécessaire pour le prolétariat sur le chemin de son émancipation » (Thèses, 12).
La crise du Covid-19 engendre donc une situation encore plus imprédictible et confuse. Les tensions sur les différents plans (sanitaire, socio-économique, militaire, politique, idéologique) généreront des secousses sociales majeures, des révoltes populaires massives, des émeutes destructrices, des campagnes idéologiques intenses, comme celle autour de l’écologie. Sans cadre d’appréhension solide des événements, les révolutionnaires ne pourront pas y jouer leur rôle d’avant-garde politique de la classe mais contribueront au contraire à sa confusion, au recul de sa capacité à mener son action révolutionnaire.
[1] Ce texte a été écrit en avril 2021, et ne pouvait pas prendre en compte une information récente considérant comme plausible la thèse que l'épidémie ait eu son origine dans un accident de laboratoire à Wuhan, en Chine (Lire à ce propos l'article suivant : "Origines du Covid-19 : l’hypothèse d’un accident à l’Institut de virologie de Wuhan relancée après la divulgation de travaux inédits [24]"). Ceci étant dit, cette hypothèse, si elle était vérifiée, ne viendrait en rien amoindrir notre analyse selon laquelle la Pandémie est un produit de la décomposition du capitalisme. Tout au contraire, elle viendrait illustrer que celle-ci n'épargne pas la recherche scientifique dans un pays dont la croissance fulgurante des dernières décennies porte le sceau de la décomposition.
Ce rapport examine quelques-unes des principales questions auxquelles est confrontée la lutte de classe internationale dans la phase de décomposition capitaliste: le problème de la politisation du mouvement de classe, les dangers posés par l'interclassisme, la maturation souterraine de la conscience, et la signification des défaites dans cette période.
Lors de son 23e Congrès international, la CCI a clairement indiqué que nous devons faire la distinction entre le concept de rapport de force entre les classes et le concept de cours historique. Le premier s'applique à toutes les phases de la lutte des classes, aussi bien à l'ascendance qu'à la décadence, tandis que le second ne s'applique qu'à la décadence, et seulement dans la période comprise entre l'approche de la Première Guerre mondiale et l'effondrement du bloc de l'Est en 1989. L'idée d'un cours historique n'a de sens que dans les phases où il devient possible de prévoir le mouvement général de la société capitaliste vers soit une guerre mondiale, soit des affrontements de classe décisifs. Ainsi, dans les années 1930, la gauche italienne a pu reconnaître que la défaite préalable du prolétariat mondial dans les années 1920 avait ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale, tandis qu'après 1968, le CCI a eu raison d'affirmer que, sans une défaite frontale d'une classe ouvrière renaissante, le capitalisme ne serait pas en mesure d'enrôler le prolétariat pour une Troisième Guerre mondiale. En revanche, dans la phase de décomposition, produit d'une impasse historique entre les classes, même si la guerre mondiale a été retirée de l'ordre du jour dans un avenir prévisible par la désintégration du système des blocs, le système peut glisser vers d'autres formes de barbarie irréversible sans une confrontation frontale avec la classe ouvrière. Dans une telle situation, il devient beaucoup plus difficile de reconnaître quand un "point de non-retour" a été atteint et que la possibilité d'une révolution prolétarienne a été enterrée une fois pour toutes.
Mais "l'imprévisibilité" de la décomposition ne signifie nullement que les révolutionnaires ne se préoccupent plus d'évaluer le rapport de force global entre les classes. Ce point est évidemment affirmé par le titre de la résolution du 23e Congrès sur la lutte des classes : "Résolution sur le rapport de force entre les classes". Il y a deux éléments clés de cette résolution que nous devons souligner ici :
Ces thèmes constituent le "fil rouge" de la résolution, comme l'annonce la première partie :
La résolution retrace ensuite dans les grandes lignes comment la bourgeoisie, classe machiavélique par excellence, a utilisé tous les moyens à sa disposition pour bloquer cette dynamique :
Alors que ces difficultés s'étaient déjà accrues dans les années 80 -et étaient à l'origine de l'impasse entre les classes- les événements de 1989 ont non seulement ouvert définitivement la phase de décomposition mais ont entraîné un profond recul de la classe à tous les niveaux : dans sa combativité, dans sa conscience, dans sa capacité même à se reconnaître comme une classe spécifique dans la société bourgeoise. En outre, elle a accéléré toutes les tendances négatives de la décomposition sociale qui avaient déjà commencé à jouer un rôle dans la période précédente : la croissance cancéreuse de l'égoïsme, du nihilisme et de l'irrationalité qui sont les produits naturels d'un ordre social qui ne peut plus offrir à l'humanité aucune perspective d'avenir[2].La résolution de la 23e conférence, il faut le noter, réaffirme également que, malgré tous les facteurs négatifs de la phase de décomposition qui pèsent dans la balance, il existe encore des signes d'une contre-tendance prolétarienne. En particulier, le mouvement des étudiants contre le CPE en France en 2006, et le mouvement des "Indignados" en Espagne en 2011, ainsi que la réapparition de nouveaux éléments à la recherche de positions authentiquement communistes, fournissent des preuves concrètes que le phénomène de maturation souterraine de la conscience, le creusement de la "Vieille Taupe ", opère encore dans la nouvelle phase. La quête d'une nouvelle génération de prolétaires pour comprendre l'impasse de la société capitaliste, le regain d'intérêt pour les mouvements antérieurs qui avaient soulevé la possibilité d'une alternative révolutionnaire (1917-23, Mai 68 etc.) ont confirmé que la perspective d'une politisation future n'avait pas été noyée dans la boue de la décomposition. Mais avant d'avancer vers une meilleure compréhension du rapport de force entre les classes depuis une dizaine d'années, et surtout dans le sillage de la pandémie de la Covid, il est nécessaire d'approfondir ce que l'on entend exactement par le terme de politisation.
Tout au long de son histoire, l'avant-garde marxiste du mouvement ouvrier a lutté pour clarifier l'interrelation entre les différents aspects de la lutte de classe : économique et politique, pratique et théorique, défensive et offensive. Le lien profond entre les dimensions économique et politique a été souligné par Marx dans sa première polémique avec Proudhon :
"Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique. Il n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit en même temps social.
Ce n'est que dans un ordre de choses où il n'y a plus de classes et d'antagonismes de classes que les évolutions sociales cesseront d'être des révolutions politiques "[3]Cette polémique se poursuit à l'époque de la Première Internationale dans la lutte contre les doctrines de Bakounine. A cette époque, la nécessité d'affirmer la dimension politique de la lutte des classes est principalement liée à la lutte pour les réformes, et donc à l'intervention dans l'arène parlementaire de la bourgeoisie. Mais le conflit avec les anarchistes, ainsi que l'expérience pratique de la classe ouvrière, ont également soulevé des questions relatives à la phase offensive de la lutte, surtout les événements de la Commune de Paris, premier exemple de pouvoir politique de la classe ouvrière.
Pendant la période de la Deuxième Internationale, surtout dans sa phase de dégénérescence, une nouvelle bataille a été lancée : la lutte des courants de gauche contre la tendance croissante à séparer rigoureusement la dimension économique, considérée comme la spécialité des syndicats, et la dimension politique, de plus en plus réduite aux efforts du parti pour gagner des sièges dans les parlements bourgeois et les municipalités locales.
A l'aube de l'époque de décadence du capitalisme, l'apparition spectaculaire de la grève de masse en 1905 en Russie, et l'émergence des soviets, ont réaffirmé l'unité essentielle des dimensions économique et politique, et la nécessité d'organes de classe indépendants qui combinent les deux aspects. Comme l'a dit Luxemburg dans son pamphlet sur la grève de masse, qui était essentiellement une polémique contre les conceptions dépassées de la droite et du centre social-démocrate :
"Il n'y a pas deux luttes de classe différentes de la classe ouvrière, une économique et une politique, mais une seule lutte de classe, qui vise à la fois la limitation de l'exploitation capitaliste au sein de la société bourgeoise et l'abolition de l'exploitation avec la société bourgeoise elle-même "[4]Cependant, il est nécessaire de rappeler que ces deux dimensions, tout en faisant partie d'une unité, ne sont pas identiques, et leur unité n'est souvent pas saisie par les travailleurs engagés dans les luttes réelles. Ainsi, même lorsqu'une grève autour de revendications économiques peut rapidement être confrontée à l'opposition active des organes de l'État bourgeois (gouvernement, police, syndicats, etc.), le contexte politique "objectif" de la lutte peut n'être visible que pour une minorité combative des travailleurs impliqués.
En outre, cela souligne que dans le mouvement de prise de conscience des enjeux politiques de la lutte, deux dynamiques différentes sont en jeu : d'une part, ce que l'on pourrait appeler la politisation des luttes, et d'autre part, l'émergence de minorités politisées qui peuvent ou non être liées à l'essor immédiat de la lutte ouverte.
Et encore une fois, dans le premier cas, nous sommes face à un processus qui passe par différentes phases. Dans la décadence, s'il ne peut plus y avoir d'intervention prolétarienne dans la sphère politique bourgeoise, il peut encore y avoir des revendications et des débats politiques défensifs qui ne posent pas encore la question du pouvoir politique ou d'une nouvelle société, comme par exemple, lorsque les prolétaires discutent de la manière de répondre aux violences policières, comme lors des grèves de masse en Pologne en 1980 ou du mouvement "anti-CPE" en 2006. Ce n'est qu'à un stade très avancé de la lutte que les travailleurs peuvent envisager la prise du pouvoir politique comme un véritable objectif de leur mouvement. Néanmoins, ce qui caractérise généralement la politisation des luttes, c'est l'éclatement d'une culture massive du débat, où le lieu de travail, le coin de la rue, la place publique, les universités et les écoles sont le théâtre de discussions passionnées sur la manière de faire avancer la lutte, sur les ennemis de la lutte, sur ses méthodes d'organisation et ses objectifs généraux, comme Trotsky et John Reed l'ont décrit dans leurs livres sur la révolution russe de 1917, et qui ont peut-être été le principal "signal d'alarme" à la bourgeoisie sur les dangers posés par les événements de mai-juin 1968 en France.
Pour le marxisme, la minorité communiste est une émanation de la classe ouvrière, mais de la classe ouvrière considérée comme une force historique dans la société bourgeoise ; elle n'est pas un produit mécanique de ses luttes immédiates. Certes, l'expérience d'un conflit de classe amer peut pousser des travailleurs individuels à des conclusions révolutionnaires, mais les communistes peuvent aussi être "façonnés" par une réflexion sur les conditions générales du prolétariat et du capitalisme en général, et ils peuvent aussi avoir leurs origines sociologiques dans des couches extérieures au prolétariat. C'est ainsi que Marx l'exprime dans L'idéologie allemande :
Évidemment, la convergence des deux dynamiques -la politisation des luttes et le développement de la minorité révolutionnaire- est essentielle pour qu'une situation révolutionnaire émerge ; et nous pouvons même dire qu'une telle convergence, comme le note le début de la résolution à propos de Mai 68 en France, peut même être l'expression d'un changement du cours de l'histoire vers des affrontements de classe majeurs. De même, les avancées dans la lutte générale de la classe ouvrière et l'apparition de minorités politisées sont toutes deux, à la base, des produits de la maturation souterraine de la conscience, qui peut se poursuivre même lorsque la lutte ouverte a disparu de la vue. Mais mélanger les deux dynamiques peut aussi conduire à des conclusions erronées, notamment à une surestimation du potentiel immédiat de la lutte des classes. Comme le dit l'expression "une hirondelle ne fait pas le printemps".
La résolution (point 6) nous met également en garde contre les difficultés considérables qui empêchent la classe ouvrière de prendre conscience qu'elle est "révolutionnaire ou rien". Elle parle de la nature de la classe ouvrière en tant que classe exploitée soumise à toutes les pressions de l'idéologie dominante, de sorte que "la conscience de classe ne peut pas progresser de victoire en victoire mais ne peut se développer que de manière inégale à travers une série de défaites". Elle note également que la classe est confrontée à des difficultés supplémentaires dans la décadence, par exemple la non-permanence d'organisations de masse dans lesquelles les travailleurs peuvent maintenir et développer une culture politique ; l'inexistence d'un programme minimum, ce qui signifie que la lutte de classe doit atteindre les hauteurs vertigineuses du programme maximum ; l'utilisation des anciens outils des organisations de la classe ouvrière contre la lutte de classe qui -dans le cas du stalinisme en particulier- a contribué à créer un fossé entre les organisations communistes authentiques et la masse de la classe ouvrière. Ailleurs, la résolution, faisant écho à nos Thèses sur la décomposition, souligne les nouvelles difficultés imposées par les conditions particulières de la phase finale du déclin capitaliste.
L'une de ces difficultés est longuement évoquée dans la résolution : le danger que représentent les luttes interclassistes comme celle des Gilets jaunes en France ou les révoltes populaires provoquées par la paupérisation croissante des masses dans les pays moins "développés". Dans tous ces mouvements, dans une situation où la classe ouvrière a un très faible niveau d'identité de classe, et est encore loin de rassembler ses forces au point de pouvoir donner une perspective à la colère et au mécontentement qui s'accumulent dans toute la société, les prolétaires participent non pas en tant que force sociale et politique indépendante mais en tant que masse d'individus. Dans certains cas, ces mouvements ne sont pas simplement interclassistes, mélangeant les revendications prolétariennes avec les aspirations d'autres couches sociales (comme dans le cas des Gilets jaunes), mais épousent des objectifs ouvertement bourgeois, comme les manifestations pour la démocratie à Hong Kong, ou l'illusion du développement durable ou de l'égalité raciale au sein du capitalisme, comme dans le cas des marches des Jeunes pour le climat et des manifestations "Black Lives Matter". La résolution n'est pas tout à fait précise sur la distinction à faire ici, ce qui reflète des problèmes plus larges dans les analyses de ces événements par le CCI : d'où la nécessité d'une section spécifique de ce rapport pour clarifier ces questions.
"En raison de la grande difficulté actuelle de la classe ouvrière à développer ses luttes, de son incapacité pour l'instant à retrouver son identité de classe et à ouvrir une perspective pour l'ensemble de la société, le terrain social tend à être occupé par des luttes interclassistes particulièrement marquées par la petite bourgeoisie... Ces mouvements interclassistes sont le produit de l'absence de toute perspective qui touche l'ensemble de la société, y compris une partie importante de la classe dirigeante elle-même... La lutte pour l'autonomie de classe du prolétariat est cruciale dans cette situation imposée par l'aggravation de la décomposition du capitalisme :
Les luttes interclassistes et les luttes partielles sont des obstacles au développement de la lutte des travailleurs. Nous avons vu récemment combien le CCI a eu du mal à maîtriser ces deux questions :
Le bilan des mouvements au Moyen-Orient : une question à clarifier
La présentation sur la lutte des classes au 23e Congrès a rappelé que l'analyse des mouvements du Printemps arabe n'avait pas été incluse dans le bilan critique que nous avons entrepris depuis le 21e Congrès malgré l'existence de divergences non résolues, notamment "des questions de glissements opportunistes que nous avons faits dans le passé vers par exemple les mouvements interclassistes du Printemps arabe et autres"[5]
Revenons à notre analyse des mouvements de 2011.
Si l'organisation, dans son intervention, n'a pas utilisé le terme "interclassisme" pour qualifier ces mouvements, elle les a décrits d'une manière qui développait toutes les caractéristiques d'un mouvement interclassiste, montrant qu'elle n'était pas totalement dans l'ignorance de leur nature : " La classe ouvrière ne s’y est [dans ces luttes] jusque-là jamais présentée comme une force autonome en mesure d’assumer la direction des luttes qui ont souvent pris la forme d’une révolte de l’ensemble des classes non-exploiteuses, de la paysannerie ruinée aux couches moyennes en voie de prolétarisation "[6]
Une surestimation de ces mouvements : "Toutes ces expériences sont de vrais tremplins pour le développement d'une conscience véritablement révolutionnaire. Mais la route dans cette direction est encore longue, elle est parsemée de nombreuses et indéniables illusions et faiblesses idéologiques"[9] ; "L’ensemble de ces révoltes constitue une formidable expérience sur la voie qui conduit à la conscience révolutionnaire ".[10]
Oublier le cadre de la critique du maillon faible
Si l'organisation a eu raison de rappeler que le mouvement des "Indignados" et les soulèvements des classes exploitées et notamment de la classe ouvrière au Moyen-Orient ont une origine commune dans les effets de la crise économique mondiale, elle l'a fait en mettant sur le même plan, ou en amalgamant, tous les mouvements, qu'ils viennent des pays centraux ou des pays périphériques. C'est-à-dire sans les placer dans le cadre de la critique de la théorie du maillon faible (voir la résolution sur la situation internationale du 20e congrès)[11].
Le CCI a défini le mouvement des Indignados[12] comme un mouvement de la classe ouvrière marqué :
Nos textes de cette période ne font pas de distinction entre le mouvement des Indignados en Espagne et les révoltes dans les pays arabes. Pourtant, il existe des différences très importantes : en Espagne, même si l'aile prolétarienne n'a pas dominé le mouvement des Indignados, elle a lutté pour sa propre autonomie face aux efforts de "Démocratie maintenant" pour la détruire. Dans les pays arabes, le prolétariat, au mieux, n'a pas été capable de se maintenir sur son propre terrain, ni d'utiliser ses propres méthodes de combat pour développer sa conscience, se laissant mobiliser derrière des factions nationalistes et démocratiques.[13]
Absence du cadre de décomposition
Sans jamais nier son existence ni le poids des difficultés profondes de ces mouvements, en soulignant les "aspects positifs" des révoltes sociales[14], l'analyse de ces mouvements dans les pays arabes n'a pas été placée dans le cadre de la décomposition[15]. Cela a conduit à atténuer la dénonciation ferme du poison démocratique et nationaliste si puissant dans ces pays, et le danger que cela représentait surtout dans ces parties du monde, mais aussi et surtout face à la propagande des bourgeoisies occidentales envers le prolétariat européen, soulignant la nécessité de la démocratie dans les pays arabes.
Des faiblesses plus générales de l'organisation déterminant ses analyses et prises de position
L'impatience de voir partout et rapidement une sortie du repli après 1989 suite à la relance des luttes en 2003 a été un lourd fardeau : "L'actuelle vague internationale de révoltes contre l'austérité capitaliste ouvre la porte à une toute autre solution : la solidarité de tous les exploités au-delà des divisions religieuses ou nationales ; la lutte des classes dans tous les pays avec pour but ultime une révolution mondiale qui sera la négation des frontières et des états nationaux. Il y a un an ou deux, une telle perspective aurait semblé complètement utopique à la plupart des gens. Aujourd'hui, de plus en plus de personnes considèrent la révolution mondiale comme une alternative réaliste à l'ordre du capital mondial qui s'effondre."[16]
La position du CCI a été marquée non seulement par une surestimation générale de la situation, mais aussi par une surestimation de l'importance des mouvements dans les pays arabes pour le développement d'une perspective prolétarienne. De même, la tendance à négliger l'importance du débat dans le milieu politique prolétarien a également eu une influence négative : alors que la contribution du NCI à l'analyse du mouvement des Piqueteros en 2002-4 avait été très importante, le CCI n'a pas été en mesure de prendre en compte ultérieurement les critiques formulées à son égard ultérieurement, en 2011, par Internationalist Voice.
Avons-nous fait des erreurs opportunistes dans l'analyse des mouvements arabes ?
Nous pouvons conclure des éléments précédents que le CCI, sur la question de l'analyse des mouvements dans les pays arabes en 2011, où leur caractère massif, leur simultanéité avec d'autres mouvements dans les pays occidentaux, les formes prises par ces mouvements (assemblées, etc), la présence de la classe ouvrière (différente du caractère chaotique d'un certain nombre d'émeutes interclassistes ou dominée par des groupes gauchistes comme les Piqueteros par exemple) ont été examinés, sans prendre de recul et sans avoir une vision lucide de ce qu'ils représentaient réellement, dans un contexte où les parties les plus expérimentées du prolétariat mondial n'étaient pas en mesure de fournir une perspective et une direction. Cette approche s'inscrit dans l'immédiatisme.
Dans le contexte général qui favorisait l'impatience et la précipitation qui existaient dans l'organisation, en imaginant que le prolétariat mondial était déjà en train de surmonter massivement le recul post-89, cet immédiatisme était certainement l'antichambre de l'opportunisme, le point de départ d'un glissement vers l'opportunisme et l'abandon des positions de classe, comme peuvent l'attester les différentes manières dont cet immédiatisme s'est manifesté :
Si tous ces éléments combinés réunissent les conditions pour des positions ouvertement opportunistes -si la clarté prolétarienne et la défense des positions de classe par le CCI ne constituent pas une barrière à ces tendances délétères- il faut souligner que le CCI n'a pas pris des positions qui contredisaient directement sa plate-forme et les positions de classe. Il faut situer ces difficultés au niveau de ce qu'elles représentaient réellement (ce qui ne veut pas dire relativiser leur importance et leurs dangers). L'analyse et l'intervention du CCI ont été affaiblies par l'immédiatisme (avec tout ce que cela implique au niveau de l'ambiguïté, de la superficialité, du manque de rigueur, de l'oubli de la défense de notre cadre et de nos positions politiques, et d'une dynamique ouvrant la porte à l'opportunisme), mais on ne peut pas en conclure qu'il a pris des positions directement opportunistes (ce qui a été le cas concernant le mouvement de jeunesse autour de l'écologie).
Relation entre luttes partielles et interclassisme
La dérive sur le mouvement des jeunes contre la destruction écologique a montré un oubli du point 12 de notre plateforme : "La question écologique, comme toutes les questions sociales (qu'il s'agisse de l'éducation, des relations familiales et sexuelles ou autres) sont appelées à jouer un rôle énorme dans toute prise de conscience future et toute lutte communiste. Le prolétariat, et lui seul, a la capacité d'intégrer ces questions dans sa propre conscience révolutionnaire. Ce faisant, il élargira et approfondira cette conscience. Il pourra ainsi diriger toutes les "luttes partielles" et leur donner une perspective. La révolution prolétarienne devra affronter très concrètement tous ces problèmes dans la lutte pour le communisme. Mais ils ne peuvent être le point de départ du développement d'une perspective de classe révolutionnaire. En l'absence du prolétariat, ils sont au pire le point de départ de nouveaux cycles de barbarie. Le tract et l'article du CCI en Belgique sont des exemples flagrants d'opportunisme. Cette fois, il ne s'agit pas d'opportunisme en matière d'organisation, mais d'opportunisme par rapport aux positions de classe telles qu'exposées dans notre plate-forme" (Camarade S. Bulletin interne 2019).
Nous pouvons dire que le rapport sur la lutte des classes au 23e Congrès n'était pas sans ambiguïté à ce niveau. Il adoptait une position ambiguë sur la nature de ces mouvements et laissait la porte ouverte à l'idée qu'ils pouvaient jouer un rôle positif dans le développement de la conscience.[17]
Nous avons eu du mal à voir ce qui distingue ces deux types de mouvements, avec une tendance à les amalgamer, à les mettre sur le même plan. Qu'est-ce qui distingue donc les luttes interclassistes et les luttes partielles ? Dans les mouvements interclassistes, les revendications ouvrières sont diluées et mélangées à des revendications petites bourgeoises (cf. les Gilets jaunes). Ce n'est pas le cas des luttes partielles qui se manifestent essentiellement au niveau des superstructures, leurs revendications se concentrant sur des thèmes qui laissent de côté les fondements de la société capitaliste, même si elles peuvent désigner le capitalisme comme responsable, comme avec la question climatique, ou avec l'oppression des femmes qui est imputée au patriarcat capitaliste. Ils sont aussi des facteurs de division au sein de la classe ouvrière, divisions avec les travailleurs employés dans le secteur de l'énergie dans le premier cas, ou en renforçant les divisions entre les sexes. Les travailleurs peuvent être entraînés dans des luttes partielles mais cela ne les rend pas interclassistes . Il s'agit de clarifier la différence entre les luttes partielles et les luttes interclassistes, et ce qu'elles peuvent avoir en commun.
Sur l'indignation
Dans les années 2010, le CCI a reconnu l'indignation comme une composante importante de la lutte de classe du prolétariat et un facteur de sa prise de conscience. Cependant, le CCI a eu tendance à définir son importance "en soi", de manière quelque peu métaphysique. Une des racines de nos difficultés réside dans l'utilisation inappropriée et unilatérale du concept d'indignation comme quelque chose de nécessairement positif, une indication de la réflexion et même du développement de la conscience de classe, sans tenir compte de la nature de classe de son origine, ou du terrain de classe sur lequel elle s'exprime. Avec la poursuite du plongeon dans la décomposition, il y aura de nombreux mouvements mus par l'indignation, le dégoût, la colère dans de larges couches de la société contre les phénomènes de cette période.
Le rapport sur la lutte des classes au 23ème congrès du CCI traite de la propagation de l'indignation sociale contre la nature destructrice de la société capitaliste (par exemple en réaction contre le meurtre des noirs, la question climatique ou le harcèlement des femmes). En affirmant que ces mouvements basés sur la colère peuvent être récupérés lorsque celle-ci aura retrouvé son identité de classe et luttera sur son terrain, cela introduit une ambiguïté sur le fait que le prolétariat, en luttant sur son propre terrain, peut récupérer toute cette colère. Ceci est en contradiction avec ce qui est dit au point 12 de la plate-forme : "La lutte contre les fondements économiques du système contient en son sein la lutte contre tous les aspects super-structurels de la société capitaliste, mais ce n'est pas vrai dans l'autre sens". De plus, de telles luttes partielles tendent à entraver le combat de la classe ouvrière, son autonomie, et c'est pourquoi la bourgeoisie sait très bien comment les récupérer pour préserver l'ordre capitaliste. En ce sens, l'indignation n'est pas en soi un facteur de développement de la conscience de classe : tout dépend du terrain sur lequel elle s'exprime. Cette réaction émotionnelle qui peut provenir de différentes classes ne conduit pas automatiquement à une réflexion qui peut contribuer au développement de la conscience de classe.
Le rapport sur la lutte des classes au 23ème Congrès du CCI contient une section sur la propagation de l'indignation sociale contre la nature destructrice de la société capitaliste (par exemple en réaction contre le meurtre des noirs, la question climatique ou le harcèlement des femmes). Mais en affirmant que la colère exprimée par ces mouvements peut être récupérée par le prolétariat lorsque celui-ci aura retrouvé son identité de classe et luttera sur son terrain, on introduit l'idée fausse que le prolétariat pourrait "assumer" la direction de tels mouvements dans leur forme actuelle. En réalité, ces mouvements devraient se "dissoudre" avant que les éléments qui y participent puissent rejoindre la lutte prolétarienne.
L'organisation doit clarifier quelles seraient les conditions, à l'échelle historique, pour qu'un mouvement prolétarien autonome donne une orientation et une direction entièrement nouvelles à toutes les différentes doléances et oppressions imposées par la société capitaliste, et qui aujourd'hui, en l'absence d'une direction prolétarienne, trouvent leur seul exutoire sur le terrain des mobilisations interclassistes ou bourgeoises.
L'impact de la crise capitaliste sur l'ensemble de la société pose une autre question à clarifier : quel est le rapport de la lutte du prolétariat avec les autres classes, couches intermédiaires ou non exploitées, existant encore dans le capitalisme et capables de développer leurs propres mobilisations contre la politique de l'Etat (comme les mouvements paysans).
Près d'une décennie s'est écoulée depuis le mouvement des Indignados. Aussi important qu'il ait été, il n'a en aucun cas marqué un retour en arrière par rapport au recul ouvert en 1989. Nous savons également que la bourgeoisie -surtout en France où le danger de contagion était le plus évident- a pris des contre-mesures pour empêcher qu'un mouvement similaire, ou plus avancé, n'éclate dans le "foyer" traditionnel des révolutions.
À bien des égards, le recul de la classe s'est accentué après l'affaissement des mouvements autour de 2011. Les illusions qui ont prédominé dans le Printemps arabe, étant donné l'incapacité de la classe ouvrière à fournir un leadership aux différentes révoltes, ont été noyées dans la barbarie, la guerre, le terrorisme et la répression féroce. En Europe et aux États-Unis, la marée populiste, en partie alimentée par les développements barbares en Afrique et au Moyen-Orient qui ont précipité la crise des réfugiés et le retour en force du terrorisme islamique, a affecté une partie de la classe ouvrière. Dans le "tiers-monde", la montée de la misère économique a eu tendance à provoquer des révoltes populaires dans lesquelles la classe ouvrière a été à nouveau incapable de se manifester sur son propre terrain ; de manière encore plus significative, la tendance du mécontentement social à prendre un caractère interclassiste s'est clairement exprimée dans un pays central comme la France, avec les manifestations des Gilets jaunes qui ont persisté pendant toute une année. À partir de 2016, avec l'arrivée au pouvoir de Trump et le vote pour le Brexit au Royaume-Uni, la montée du populisme a atteint des niveaux spectaculaires, entraînant une partie de la classe ouvrière dans ses campagnes contre les "élites". Et en 2020, tout ce processus de décomposition s'est accéléré de manière encore plus spectaculaire avec la pandémie. Le climat de peur généré par la pandémie, et le verrouillage qui en résulte, ont encore accru l'atomisation de la classe ouvrière et créé de profondes difficultés pour une réponse de classe aux conséquences économiques dévastatrices de la crise de Covid-19.
Et pourtant, peu de temps avant que la pandémie ne frappe, nous assistions à un nouveau développement des mouvements de classe : les grèves des enseignants et des ouvriers de l'automobile de GM aux États-Unis ; les grèves généralisées en Iran en 2018, qui ont posé la question de l'auto-organisation même si, contrairement aux exagérations d'une partie du milieu, on était encore loin de la formation de soviets. Ces dernières grèves ont notamment posé la question de la solidarité de classe face à la répression étatique.
Surtout, nous avons vu les luttes en France fin 2019, où des bataillons clés de la classe ouvrière étaient dans les rues autour de revendications de classe, écartant le mouvement des Gilets jaunes qui était réduit à une présence symbolique à l'arrière des cortèges.
D'autres expressions de combativité ont eu lieu dans d'autres pays, par exemple en Finlande. Mais la pandémie a frappé le cœur de l'Europe, paralysant dans une large mesure la possibilité pour les luttes en France de prendre une dimension internationale. Néanmoins, à plusieurs endroits dans le monde ont eu lieu des grèves de travailleurs pour la défense de leurs conditions de travail face aux mesures sanitaires totalement inadaptées prises par l'Etat et le patronat[18]. Ces mouvements n'ont pas pu se développer davantage en raison des conditions restrictives du premier confinement, bien que le rôle central de la classe ouvrière pour permettre que la vie continue dans la société ait été mis en évidence par les secteurs qui n'ont pas eu d'autre choix que de continuer à travailler pendant le confinement : santé, transports, alimentation, etc. La classe dirigeante a fait de gros efforts pour présenter ces travailleurs comme des héros au service de la nation, mais l'hypocrisie des gouvernements -et donc la base de classe des "sacrifices" de ces travailleurs- était évidente pour beaucoup. En Grande-Bretagne, par exemple, les travailleurs de la santé ont manifesté leur colère lorsqu'il est apparu que leur "héroïsme" ne valait pas une augmentation de salaire [19].
En plus de la pandémie, la classe ouvrière a rapidement été confrontée à d'autres obstacles au développement de la conscience de classe, surtout aux États-Unis où les manifestations de "Black Lives Matter" se sont polarisées sur une mobilisation parcellaire, celle de la race, suivies rapidement par l'énorme campagne électorale qui a donné un nouvel élan aux illusions démocratiques. Ces deux campagnes ont eu un impact international majeur. Aux États-Unis en particulier, le danger que la classe ouvrière soit entraînée, via les politiques identitaires de droite et de gauche, dans des confrontations violentes derrière des factions bourgeoises concurrentes reste très réel : l'assaut dramatique du Capitole par les partisans de Trump démontre que même si Trump a été écarté du gouvernement, le trumpisme reste une force puissante au niveau de la rue. Enfin, les travailleurs sont maintenant confrontés à une deuxième vague de la pandémie et à une nouvelle série de restrictions, qui non seulement renouvellent l'atomisation de la classe par l'État, mais ont également conduit à des explosions de frustration contre les restrictions qui ont entraîné certaines parties de la classe dans des protestations réactionnaires alimentées par les théories du complot et l'idéologie de "l'individu souverain".
Pour le moment, la combinaison de toutes ces questions, mais surtout les conditions imposées par la pandémie, ont agi comme un frein important à la fragile relance de la lutte des classes entre 2018 et 2020. Il est difficile de prévoir combien de temps cette situation va persister et nous ne pouvons donc pas fournir de perspectives concrètes pour le développement de la lutte au cours de la période à venir. Ce que nous pouvons dire, cependant, c'est que la classe ouvrière sera confrontée à des attaques brutales contre ses conditions de vie. Cela a déjà commencé dans un certain nombre de secteurs où les employeurs ont réduit de manière drastique leurs effectifs. Les gouvernements des pays centraux du capitalisme font encore preuve d'une certaine prudence à l'égard de la classe, en subventionnant les entreprises pour leur permettre de conserver leurs employés, en "mettant au chômage" les travailleurs qui ne peuvent pas travailler à domicile afin d'éviter une plongée immédiate dans la paupérisation, en prenant des mesures pour éviter les expulsions des locataires incapables de payer leurs loyers, etc. Ces mesures coûtent très cher aux gouvernements et alourdissent considérablement le poids de la dette. Nous savons que, tôt ou tard, les travailleurs seront appelés à payer pour cela.
L'évolution dramatique de la situation mondiale depuis le dernier congrès du CCI a inévitablement donné lieu à des débats tant au sein de l'organisation que dans notre milieu de contacts et de sympathisants. Ces débats ont porté sur l'importance de la pandémie et l'accélération de la décomposition, mais ils ont également posé de nouvelles questions sur le rapport des force entre les classes. Lors du Congrès du RI de l'été 2020, des critiques ont été formulées à l'encontre du rapport sur la lutte des classes, notamment son évaluation du mouvement contre la réforme des retraites en France début 2019. Une contribution dans le bulletin interne (2021, camarade M) en particulier a fait valoir - nous pensons à juste titre - que le rapport prétendait que le mouvement avait atteint un certain niveau de politisation sans fournir de preuves suffisantes d'une telle avancée ; en même temps, qu'il y avait un manque de clarté dans celui-ci concernant la distinction entre la politisation des luttes, et la politisation des minorités - une distinction que le présent rapport a cherché à élucider. Cette contribution met en garde contre une surestimation du niveau actuel de la lutte des classes (une erreur que nous avons souvent commise dans le passé - cf. .le rapport du 21e Congrès) :
En outre, est souligné que cette surestimation de la tendance à la politisation peut ouvrir la porte à une vision conseilliste : "La politisation des luttes ne peut se vérifier que lorsque l'avant-garde révolutionnaire commence à avoir une certaine influence dans les luttes ouvrières (notamment dans les assemblées générales). Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Le rapport du congrès de RI ouvre donc la porte à une vision conseilliste en affirmant qu'il existe déjà 'les indices d'une politisation de la lutte'".
Le danger d'une vision conseilliste est également soulevé dans les divergences exprimées par le camarade S. lors et après le 23e Congrès, mais pas à partir du même point de départ. Ces divergences se sont approfondies depuis et ont donné lieu à un débat public qui, à son tour, a eu un certain impact sur certains de nos interlocuteurs contacts. Dans la mesure où elles concernent le problème du rapport de force entre les classes, ces divergences touchent à trois questions essentielles :
Dans sa réponse à notre réponse (Bulletin interne 2021), le camarade S. affirme qu'il est d'accord avec le CCI sur la nécessité de la lutte économique : parce que les travailleurs doivent défendre leur existence physique contre l'exploitation capitaliste ; parce que les travailleurs doivent lutter pour "avoir une vie" au-delà de la journée de travail afin d'avoir accès à la culture, aux débats politiques, etc. ; et parce que, comme Marx l'a dit, une classe qui ne peut pas lutter pour ses intérêts à ce niveau ne peut certainement pas se présenter comme une force capable de transformer la société. Mais en même temps, dit-il, dans les conditions de décomposition, notamment en raison de l'affaiblissement de la perspective d'une révolution sociale par l'impact de l'effondrement du bloc de l'Est, les liens historiques entre les dimensions économiques et politiques de la lutte ont été rompus au point que cette unité ne peut être restaurée par un développement des seules luttes économiques. Et il cite ici Rosa Luxemburg dans Réforme ou Révolution pour mettre en garde le CCI contre toute rechute dans une vision conseilliste dans laquelle les "travailleurs eux-mêmes", sans le rôle indispensable de l'organisation révolutionnaire, peuvent retrouver leur perspective révolutionnaire : "Le socialisme n'est pas du tout une tendance inhérente aux luttes quotidiennes de la classe ouvrière. Il n'est inhérent qu'à l'aggravation des contradictions objectives de l'économie capitaliste d'une part, à la compréhension subjective de la nécessité de la surmonter par une transformation socialiste d'autre part".
S. en conclut que le principal danger auquel est confronté le CCI est une déviation conseilliste dans laquelle l'organisation laisse à la résurgence des luttes économiques le soin de se politiser "spontanément", et ignore ainsi ce qui devrait être sa tâche première : réaliser l'approfondissement théorique nécessaire qui permettrait à la classe de reprendre confiance dans le marxisme et la possibilité d'une société communiste.
Nous avons vu que le danger du conseillisme ne peut être écarté lorsqu'il s'agit de comprendre le processus de politisation : nous avons appris à nos dépens que le danger de devenir trop enthousiaste quant aux possibilités et à la profondeur des luttes immédiates est toujours présent. Nous sommes également d'accord avec Luxemburg -et avec Lénine- pour dire que la conscience socialiste n'est pas le produit mécanique de la lutte quotidienne, mais qu'elle est le produit du mouvement historique de la classe, qui inclut de manière certaine l'élaboration théorique et l'intervention de l'organisation révolutionnaire. Mais ce qui manque dans l'argumentation de S., c'est une explication du processus réel par lequel la théorie révolutionnaire peut à nouveau "saisir les masses". À notre avis, cela est lié à un désaccord sur la question de la maturation souterraine.
Dans son texte, le camarade dit : "La réponse demande si je considère que la situation actuelle est pire que celle des années 1930 (lorsque des groupes comme Bilan ont contribué à une "maturation souterraine" politique et théorique de la conscience malgré la défaite de la classe), alors que je nie l'existence d'une telle maturation à l'heure actuelle. Oui, au niveau de la maturation souterraine, la situation est effectivement pire que dans les années 30, car aujourd'hui la tendance parmi les révolutionnaires est plutôt à la régression politique et théorique".
Afin de répondre à cela, il est nécessaire de revenir à notre débat initial sur la question de la maturation souterraine -à la lutte contre le point de vue conseilliste selon lequel la conscience de classe ne se développe que dans les phases de lutte ouverte.
Ainsi, l'argument du camarade MC[20] dans "Sur la maturation souterraine" (Bulletin interne1983) était que le rejet de la maturation souterraine sous-estimait profondément le rôle de l'organisation révolutionnaire dans l'élaboration de la conscience de classe : "La lutte de classe du prolétariat connaît des hauts et des bas, mais ce n'est pas le cas de la conscience de classe : l'idée d'une régression de la conscience avec le recul de la lutte de classe est contredite par toute l'histoire du mouvement ouvrier, histoire dans laquelle l'élaboration et l'approfondissement de la théorie se poursuivent dans une période de recul. Il est vrai que le champ, l'étendue de son action se rétrécit, mais pas son élaboration en profondeur".
S. ne nie évidemment pas le rôle de l'organisation révolutionnaire dans l'élaboration de la théorie. Ainsi, lorsqu'il parle de "régression souterraine", il veut dire que l'avant-garde politique communiste (et donc le CCI) ne parvient pas à effectuer le travail théorique nécessaire pour restaurer la confiance de la classe ouvrière dans sa perspective révolutionnaire - qu'elle régresse théoriquement et politiquement.
Mais rappelons que le texte de MC ne limite pas la maturation souterraine au travail de l'organisation révolutionnaire :
Ce point est important car S. semble précisément restreindre la maturation souterraine à la seule organisation révolutionnaire. Si nous le comprenons bien, puisque le CCI tend à la régression théorique et politique, ce serait une preuve de la "régression souterraine "dont il parle. Bien sûr, nous ne sommes pas d'accord avec cette évaluation de la situation actuelle du CCI, mais c'est une autre discussion. Le point sur lequel il faut se concentrer ici est que l'organisation communiste et le milieu politique prolétarien ne sont que la pointe de l'iceberg dans un processus plus profond qui se déroule dans la classe :
Dans une polémique avec le CWO dans la Revue internationale n° 43 sur le problème de la maturation souterraine, nous avons défini ce processus comme suit :
Ce qui manque dans ce modèle, c'est une autre couche constituée par les éléments qui souvent ne sont pas des produits directs des mouvements de classe, mais qui sont à la recherche des positions communistes ; Ils constituent le "marais" (ou une partie de celui-ci qui est le produit d'une avancée politique, même si elle est confuse, et non pas ces éléments qui expriment une régression à partir d'un niveau de clarté plus élevé), et aussi ceux qui se dirigent plus explicitement vers les organisations révolutionnaires.
L'émergence d'une telle couche n'est pas le seul indice de maturation souterraine, mais c'est certainement le plus évident. S. a soutenu que l'apparition de cette couche peut être expliquée simplement en se référant à la nature révolutionnaire de la classe ouvrière. Du fait que nous comprenons la classe non pas comme une force statique, mais comme une force dynamique, il est plus exact de considérer cette couche comme le produit d'un mouvement vers la conscience au sein de la classe. Et il est certainement nécessaire d'étudier le mouvement à l'intérieur du mouvement : comprendre s'il y a un processus de maturation qui a lieu dans cette couche - en d'autres termes, est-ce que le milieu des éléments de recherche lui-même montre des signes de développement ? Et si nous comparons les deux "poussées" des minorités politisées qui sont apparues depuis 2003 environ, il y a effectivement des indications qu'un tel développement a eu lieu.
La première poussée a eu lieu au milieu des années 2000 et a coïncidé avec ce que nous avons appelé une nouvelle génération de la classe ouvrière, qui s'est manifestée dans le mouvement "anti-CPE" et les "Indignados". Une petite partie de ce milieu a gravité vers la gauche communiste et a même rejoint le CCI, ce qui a donné l'espoir que nous rencontrions une nouvelle génération de révolutionnaires (cf. le Texte d'orientation sur la culture du débat[22]). En réalité, il s'agissait d'une "mouvance" largement présente au sein du marais et qui s'est avéré très perméable à l'influence de l'anarchisme, du modernisme et du parasitisme. L'un des traits distinctifs de cette mouvance était, à côté d'une méfiance à l'égard de l'organisation politique, une profonde résistance au concept de décadence et donc aux groupes de la gauche communiste, perçus comme sectaires et apocalyptiques, surtout le CCI. Certains des éléments de cette poussée avaient été impliqués dans l'ultra-activisme du mouvement anticapitaliste dans les années 90, et bien qu'ils aient fait un premier pas en voyant le rôle central de la classe ouvrière dans le renversement du capitalisme, ils ont conservé leurs penchants activistes, poussant certains d'entre eux (par exemple la majorité du collectif qui organise Libcom) vers un anarcho-syndicalisme renaissant, vers des idées d'"organisation" sur le lieu de travail, qui se nourrissent de la possibilité de remporter de petites victoires et se détournent de toute notion selon laquelle le déroulement objectif et historique de la crise serait lui-même un facteur de développement de la lutte des classes.
La seconde vague d'éléments en recherche, dont nous avons pris conscience ces dernières années, bien que peut-être de moindre ampleur que la précédente, se situe certainement à un niveau plus profond : elle tend à considérer la décadence et même la décomposition comme une évidence ; elle contourne souvent l'anarchisme, qu'elle considère comme dépourvu des outils théoriques permettant de comprendre la période actuelle, et craint moins de contacter directement les groupes de la gauche communiste. Souvent très jeunes et sans expérience directe de la lutte des classes, leur souci premier est d'approfondir, de donner un sens au monde chaotique qui leur fait face en assimilant la méthode marxiste. Il s'agit ici, à notre avis, d'une concrétisation claire de la conscience communiste résultant, selon les termes de Rosa Luxemburg, de "l'acuité des contradictions objectives de l'économie capitaliste d'une part, (et) de la compréhension subjective du caractère indispensable de son dépassement par une transformation socialiste d'autre part".
En ce qui concerne cette couche émergente d'éléments politisés, le CCI a une double responsabilité en tant qu'organisation de type "fraction". D'une part, bien sûr, l'élaboration théorique vitale nécessaire pour fournir une analyse claire d'une situation mondiale en constante évolution et pour enrichir la perspective communiste[23] Mais il s'agit aussi d'un patient travail de construction de l'organisation : travail de "formation des cadres" comme le disait le GCF après la Seconde Guerre mondiale, de développement de nouveaux militants qui tiendront le cap ; de défense contre les incursions de l'idéologie bourgeoise, les calomnies du parasitisme, etc. Ce travail de construction organisationnelle n'apparaît pas du tout dans la réponse de S., et pourtant il est certainement l'un des éléments principaux de la lutte réelle contre le conseillisme.
En outre, si ce processus de maturation souterraine est réel, s'il s'agit de la partie émergée de l'iceberg des développements qui ont lieu dans des couches beaucoup plus larges de la classe, le CCI a raison d'envisager la possibilité d'une future reconnexion entre les luttes défensives et la reconnaissance croissante que le capitalisme n'a aucun avenir à offrir à l'humanité. En d'autres termes, il annonce le potentiel intact de politisation des luttes et leur convergence avec l'émergence de nouvelles minorités révolutionnaires et l'impact croissant de l'organisation communiste.
La publication d'un premier cycle de débat sur le rapport de force entre les classes a fait apparaître diverses divergences dans notre milieu de proches sympathisants. Sur le forum du CCI, en particulier dans le fil "Débat interne au CCI sur la situation internationale"(Internal debate in the ICC on the international situation | International Communist Current (internationalism.org) [27]), dans un échange de contributions avec MH ; Débat sur le rapport de force entre les classes (Debate on the balance of class force | International Communist Current (internationalism.org) [28]), dans nos réunions de contact, et sur le propre blog de MH[24]. Le camarade MH en particulier est devenu de plus en plus critique de notre point de vue selon lequel c'est essentiellement l'effondrement du bloc de l'Est en 1989 qui a précipité le long retrait de la classe dont nous devons encore sortir. Pour MH, c'est en grande partie une offensive politique/économique de la classe dominante après 1980, menée par la bourgeoisie britannique en particulier, qui a mis fin à la troisième vague de luttes (plutôt : l'a étranglée à la naissance). De ce point de vue, c'est la défaite de la grève des mineurs en 1985 au Royaume-Uni qui a marqué la défaite des luttes des années 1980. Cette conclusion conduit actuellement MH à réévaluer notre vision des luttes après 1968 et même à remettre en question la notion de décomposition, bien que ses divergences semblent parfois impliquer que "la décomposition a gagné", et que nous devons faire face à la réalité d'une grave défaite historique pour la classe ouvrière. Le camarade Baboon est largement d'accord avec MH sur l'importance clé de la défaite de la grève des mineurs, mais il ne l'a pas suivi jusqu'au point de remettre en question la décomposition, ou de conclure que le recul de la classe ouvrière a peut-être franchi une étape qualitative vers une sorte de défaite historique[25].
Le camarade S., cependant, semble maintenant être de plus en plus explicite sur le fait que c'est le cas. Comme il l'a dit dans une récente lettre à l'organe central:
Comme nous l'avons souligné au début de ce rapport, la reconnaissance par le CCI que le concept de cours historique ne s'applique plus dans la phase de décomposition signifie qu'il devient beaucoup plus difficile d'évaluer la dynamique globale des événements, et en particulier d'arriver à la conclusion que la porte vers un avenir révolutionnaire est définitivement fermée, puisque la décomposition peut submerger le prolétariat dans un processus graduel, sans que la bourgeoisie ait à le vaincre directement, dans un combat face à face, comme elle l'a fait dans la période de la vague révolutionnaire. Il est donc difficile de savoir ce que S. entend par une "défaite politique d'une ampleur telle qu'il faudra peut-être une génération pour s'en remettre". Si le prolétariat n'a pas encore affronté l'ennemi de classe dans une lutte politique ouverte, comme il l'a fait en 1917-23, quels critères utilisons-nous pour juger que le recul de la lutte de classe au cours des trois dernières décennies a atteint un tel point ; et de plus, puisqu'une telle défaite serait vraisemblablement suivie d'une accélération majeure de la barbarie, et - selon S. - d'une guerre mondiale, ou au moins d'un holocauste nucléaire "limité"- quelles possibilités de "récupération" resteraient à la génération suivante ?
Un dernier point : S. prétend que nous considérons la situation actuelle de la classe "meilleure" qu'au lendemain de l'effondrement des blocs. C'est inexact. Nous avons certes dit que les conditions des futurs affrontements de classe sont inévitablement en train de mûrir, et, comme l'a souligné le rapport sur la lutte de classe au Congrès du RI, ceci dans un contexte très différent de la situation au début de la phase de décomposition :
Mais tous ces "plus" viennent s'ajouter à 30 ans de décomposition -une période pendant laquelle le temps n'est plus du côté du prolétariat, qui continue à souffrir des blessures accumulées infligées par une société qui pourrit sur ses pieds. À certains égards, nous serions d'accord pour dire que la situation est "pire" qu'elle ne l'était dans les années 1980. Mais nous échouerions dans notre tâche en tant que minorité révolutionnaire si nous ignorions les signes qui indiquent une renaissance de la lutte des classes- d'un mouvement prolétarien qui contient la possibilité d'empêcher la société de plonger définitivement dans l'abîme.
[1] Résolution sur le rapport de force entre les classes (2019) [29] Revue internationale n° 164
[2] Dans son premier article exposant ses désaccords avec les résolutions du 23e Congrès sur la situation internationale, le camarade S. soutient que la résolution sur le rapport de force entre les classes montre que le CCI abandonne son point de vue selon lequel l'incapacité du prolétariat à développer sa perspective révolutionnaire pendant la période 1968-89 était une cause première de la phase de décomposition. Dans notre réponse, nous avons déjà souligné ce que nous répétons dans ce rapport : la résolution sur le rapport de force entre les classes place la question de la politisation - en d'autres termes, le développement d'une alternative prolétarienne pour l'avenir de la société - au cœur même de sa compréhension de l'impasse actuelle entre les deux grandes classes. Il est vrai que la résolution aurait pu être plus explicite sur le fait que l'impasse est le produit non seulement de l'incapacité de la bourgeoisie à mobiliser la société pour la guerre mondiale, mais aussi de l'incapacité de la classe ouvrière - en particulier de ses bataillons centraux dans le sillage de la grève de masse polonaise - à comprendre et à assumer les objectifs politiques de sa lutte. Nous pensons que ce point - qui est simplement l'élément de base de notre analyse de la décomposition - a été clarifié dans notre réponse publiée à S..
[3] Misère de la philosophie, 1847
[4] Grève de masse, parti et syndicats, 1906
[5] Contribution (J.) dans le bulletin interne en 2011.
[6] "Révoltes sociales en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, catastrophe nucléaire au Japon, guerre en Libye : Seule la révolution prolétarienne peut sauver l'humanité du désastre du capitalisme [30]", Revue internationale n° 145 . La résolution du 21e Congrès a une démarche encore ambiguë sur les mouvements au Moyen-Orient comme étant "marqués par l'interclassisme".
[7] "Que se passe-t-il au Moyen-Orient [31] ?", Revue internationale 145.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] "Révoltes sociales en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, catastrophe nucléaire au Japon, guerre en Libye : Seule la révolution prolétarienne peut sauver l'humanité du désastre du capitalisme [30]", Revue internationale 145
[11] "La métaphore des 5 cours :
Ces 5 cours appartiennent à la classe ouvrière parce que malgré leurs différences, ils expriment chacun à son niveau l'effort du prolétariat pour se retrouver lui-même malgré les difficultés et les obstacles que sème la bourgeoisie ; chacun à son niveau a porté une dynamique de recherche, de clarification, de préparation du terrain social. A différents niveaux, ils s'inscrivent dans la recherche "du mot qui nous emmènera jusqu’au socialisme" (comme l'écrit Rosa Luxemburg en parlant des conseils ouvriers) au moyen des assemblées générales". (Résolution sur la situation internationale [32], 20e Congrès du CCI, IR 152)
[12] “Mouvement des indignés en Espagne, Grèce et Israël : de l’indignation à la préparation des combats de classe [33]”, Revue internationale 147.
[13] Comme l'indique le titre de l'article de l'IR 147, les mouvements en Grèce et en Israël en 2011 (mais aussi les protestations en Turquie et au Brésil en 2013) ont été analysés de manière très similaire aux Indignados en Espagne. Une révision critique de tous nos articles de cette période s'impose donc.
[14] Une question à réexaminer est également l'existence d'ambiguïtés et de confusions quant à l'impact positif des émeutes de la faim sur le développement de la conscience de classe (cf. Crise alimentaire, émeutes de la faim : Seule la lutte de classe du prolétariat peut mettre fin aux famines [34] ; Revue internationale n° 134
[15] Le chapitre sur "Les luttes contre l'économie de guerre au Proche -Orient" du rapport sur la lutte de classe du 23e Congrès du CCI [35] n'a pas été discuté en profondeur. Le rapport parle de l'existence de mouvements prolétariens dans plusieurs pays, et il est nécessaire de réévaluer ces mouvements sur une base plus solide et plus approfondie, en cherchant à situer l'analyse de ces mouvements dans le cadre de la critique du maillon faible, ainsi que dans le contexte de la décomposition (ce que le rapport ne semble pas faire explicitement, adoptant l'approche appliquée aux mouvements de 2011) afin d'examiner la nature de ces mouvements et leurs force et faiblesses.
[16] " Manifestations en Israël : "Moubarak, Assad, Netanyahou !", ICC en ligne, cité dans l'article de IR 147
[17] "Le fait qu'il ne s'agisse pas de mouvements spécifiquement prolétariens les rend certainement vulnérables aux mystifications autour de la politique identitaire et du réformisme, et à la manipulation directe par les factions bourgeoises de gauche et démocratiques".
[20] Pour l'histoire de notre camarade, ancien membre de la Bilan et de la Gauche communiste de France, membre fondateur du CCI et décédé en 1991, lire nos articles 'MARC : De la révolution d'octobre 1917 à la deuxième guerre mondiale [10]" et "MARC : II - De la deuxième guerre mondiale à la période actuelle [11]" des numéros 65 et 66 de la Revue internationale.
[21] "Réponse à la CWO : sur la maturation souterraine de la conscience de classe [38]"; Revue internationale n° 43.
[23] Comme cela a été souligné lors d'une discussion lors d'un réunion de l'organe central du CCI en 2021, le CCI ne peut être accusé de négliger l'effort d'approfondissement de notre compréhension du programme communiste. L'existence de trente ans de publications sur le communisme prouve bien que nous ne partons pas de zéro ici...
[25] Nous n'approfondirons pas ces discussions ici, sauf pour dire qu'elles semblent être basées sur une sous-estimation à la fois des luttes importantes qui ont eu lieu après 1985, où la remise en cause des syndicats dans des pays comme la France et l'Italie a contraint la classe dirigeante à radicaliser son appareil syndical, et surtout une sous-estimation de l'impact de l'effondrement du bloc de l'Est sur la combativité et la conscience de classe.
Ce rapport fait suite au rapport adopté par le 24e Congrès de Révolution Internationale[1]. Plusieurs aspects sont traités de manière adéquate dans ce rapport, notamment les mesures prises dans le domaine économique face à la pandémie, l'incursion violente de la décomposition sur le terrain économique, l'attaque des conditions de vie des ouvriers qui devient un véritable cauchemar. Nous ne développerons pas ces éléments mais nous nous concentrerons sur la perspective : où va l'économie mondiale après le grand cataclysme qui a éclaté avec la pandémie ?
Le rapport sur la crise économique adopté par le 23e Congrès annonçait : "nous devons considérer la possibilité de secousses significatives dans l’économie mondiale pour 2019-2020. Les facteurs négatifs s’accumulent : une dette de plus en plus incontrôlable ; la guerre commerciale qui se déchaîne ; dévaluations brutales des actifs financiers surévalués; contraction de -0,1% de l’économie allemande au troisième trimestre de 2018, l’économie chinoise est tombée à son rythme le plus bas de la dernière décennie".
Pour 2020, la Banque mondiale a enregistré une baisse globale de la production de 5,2%, soit 7% pour les 23 premières économies du monde et 2,5% pour les "économies en voie de développement". Selon la Banque mondiale, la baisse de la production est la pire depuis 1945 et "pour la première fois depuis 1870, un nombre sans précédent de pays vont enregistrer une baisse de leur production par habitant"[2]. Un phénomène très important est la chute du commerce mondial. Un indicateur est la baisse du commerce maritime mondial, qui a diminué de 10% en 2020. Mais, paradoxalement, "les prix des conteneurs ont en moyenne quadruplé au cours des deux derniers mois. D'environ 1.500 dollars à près de 5.000 dollars. Et dans certains cas, il a même atteint 12.000 dollars. Cela s'explique par le fait que des pays comme la Chine utilisent leurs navires et leurs conteneurs pour leur propre usage, les soustrayant au trafic mondial [3].
Pour 2021, un rebond de l'économie mondiale est prévu, à condition toutefois que la pandémie soit vaincue d'ici juin 2021, sinon les prévisions sont beaucoup plus pessimistes. Il y aura des augmentations fébriles de la croissance, mais au-delà, il faut considérer que les prévisions les plus sérieuses indiquent une stabilisation de l'économie mondiale à partir de 2023. L'expérience de la reprise post-2008 est qu'elle a mis du temps à s'installer (à partir de 2013), qu'elle a été plutôt anémique et qu'en 2018, elle a montré des signes d'épuisement. Comme nous le verrons tout au long de ce rapport, les conditions actuelles de l'économie mondiale sont bien pires qu'en 2008 et, plutôt que de faire des prédictions, l'important est de comprendre cette importante détérioration.
D'une part, les "experts" donnent une image trompeuse des effets de la crise pandémique sur l'économie. Ils partent de l'axiome selon lequel une telle crise n'aura pas d'effets irréversibles sur l'appareil économique et que l'économie se redressera à un niveau supérieur à celui de la période précédente. Une telle hypothèse sous-estime l'importante détérioration de longue date du tissu productif, financier et commercial, que la crise pandémique risque d'affaiblir profondément. On estime que 30% des entreprises pourraient disparaître définitivement dans les pays de l'OCDE. Nous avons là plus de 100 ans de décadence capitaliste, avec une économie distordue par l'économie de guerre et les effets de la destruction de l'environnement, profondément altérée dans ses mécanismes de reproduction par l'endettement et les manipulations étatiques, érodée par les pandémies, et de plus en plus touchée par les effets de décomposition. Dans ces conditions, il est illusoire de penser que l'économie se redressera sans la moindre égratignure.
D'autre part, la profonde faiblesse de la "reprise" proclamée de 2013 - 2018 annonçait déjà la situation actuelle. En dehors des États-Unis, de la Chine et, dans une moindre mesure, de l'Allemagne, la production de tous les grands pays du monde a stagné ou baissé (selon les estimations de la Banque mondiale) - ce qui ne s'était pas produit depuis la Seconde Guerre mondiale.
Déjà au 22e Congrès, nous avons constaté l'impact croissant des effets de la décomposition sur le terrain économique et en particulier sur la gestion capitaliste d’État de la crise. Nous étions conscients de cette tendance dans le rapport sur la crise économique adopté par le 23e Congrès qui notait cette irruption de la décomposition comme l'un des principaux facteurs de l'évolution de la situation économique et, enfin, le rapport sur la crise adopté par le 24e Congrès de "Révolution Internationale" approfondissait cette analyse de la pandémie comme résultat de la décomposition et aussi de l'aggravation de la crise économique mais, en même temps, comme puissant facteur d'accélération de cette dernière.
Il est important de souligner notre approche de la question : l'une des caractéristiques de la décadence est que le système capitaliste tente d'étendre toutes les possibilités contenues dans ses rapports de production jusqu'à leurs limites extrêmes, même au risque de violer ses propres lois économiques. Ainsi, "une des contradictions majeures du capitalisme est celle découlant du conflit entre la nature de plus en plus mondiale de la production et la structure nécessairement nationale du capital. En poussant vers ses dernières limites les possibilités des "associations" de nations sur les plans économique, financier et productif le capitalisme a obtenu une "bouffée d’oxygène" significative dans son combat contre la crise qui le gangrène, mais en même temps il s’est mis dans une situation risquée" (Rapport du 23e Congrès). Cette "situation risquée" a démontré ses graves conséquences liées à l'impact de la décomposition sur le terrain économique, en particulier au cours des cinq dernières années de la décennie 2010.
La pandémie représente une accélération de la décomposition et, en même temps, une aggravation de celle-ci. Le rapport sur la crise économique est centré sur cette réalité fondamentale. La résolution sur la situation en France (Bulletin interne ; 2020) met en évidence cet axe central : "En 2008, lors de "la crise des Subprimes", la bourgeoisie avait su réagir de façon coordonnée à l’échelle internationale. Les fameux G7, G8,… G20 (qui faisaient la Une de l’actualité) symbolisaient cette capacité des États à s’entendre a minima pour tenter de répondre à la "crise de la dette". 12 ans plus tard, la division, la "guerre des masques" puis la "guerre des vaccins", la cacophonie régnant dans les décisions de fermetures des frontières contre la propagation de la Covid-19, l’absence de concertation à l’échelle internationale (hormis l’Europe qui tente difficilement de se protéger contre ses concurrents) pour limiter l’effondrement économique, signent l’avancée du chacun pour soi et la plongée des plus hautes sphères politiques du capitalisme dans une gestion de plus en plus irrationnelle du système". Cette tendance est particulièrement forte aux États-Unis où une longue tendance au déclin économique se combine avec une aggravation sans précédent de la décomposition de son appareil politique et de son tissu social.
Toutefois, ce serait une erreur de penser que cette tendance se limite aux États-Unis. En Europe, l'Allemagne semble avoir réagi, mais les tensions au sein de l'UE sont de plus en plus évidentes et le choc du Brexit aura des conséquences qui ne sont pas encore visibles. La "stabilité" de la Chine est plus apparente que réelle.
Par conséquent, nous pouvons dire que les effets de la rupture dans la sphère économique et dans la gestion étatique de l'économie sont destinés à perdurer et auront une influence de plus en plus forte sur les développements économiques. Il est vrai que la bourgeoisie va mettre en place des contre-tendances (par exemple, les accords de l'UE sur la mutualisation partielle des dettes ou l'annulation par Biden de certaines mesures adoptées par Trump). Cependant, au-delà des freins ou des revirements, le poids de la décomposition sur l'économie et sur la gestion étatique de cette dernière va se renforcer avec des conséquences pour l'instant difficiles à prévoir. Plutôt que de tenter des prédictions, nous devons suivre de près l'évolution de la situation et en tirer des conclusions dans le cadre global que nous avons mis en place.
Avec la réponse que le capital dans la plupart des pays a été contraint de donner à la pandémie (le confinement qui n'a pas encore pris fin), l'une des pires récessions de l'histoire s'est produite.
Pour éviter un effondrement généralisé, la bourgeoisie a été obligée d'injecter des milliards. Cela lui a permis de "s'en sortir", de "résister à la tempête".[4] Il va falloir "sauver l'économie mondiale". Et comment va se dérouler cette opération compliquée ?
Nous pouvons dire qu'elle se fera dans des conditions bien pires qu'en 2008, qu'elle impliquera une violente dose d'austérité et que l'économie mondiale se retrouvera dans un état bien plus dégradé, avec une moindre capacité de reprise, du chaos et des convulsions importantes.
Cinq facteurs participent de l'aggravation du contexte :
Avec la pandémie, nous avons assisté à une réponse chaotique et irrationnelle des États, à commencer par les plus grands et les plus puissants. L'OMS a été ignorée par tous les États, empêchant ainsi une stratégie internationale nécessaire basée autant que possible sur des critères scientifiques. Chaque État a essayé de fermer son économie le plus tard possible afin de ne pas perdre ses avantages compétitifs et impérialistes sur ses rivaux ;Les économies qui ont été rouvertes dans le but de prendre l'avantage sur les rivaux, et les fermetures provoquées par l'aggravation de la pandémie se sont trouvé piégées par la contradiction existant entre, d'une part la nécessité de maintenir et d'augmenter la production face aux rivaux et, d'autre part, celle d'éviter que l'appareil productif et la cohésion sociale ne soient affectés par de nouvelles vagues de contagion.
La guerre des masques a donné lieu à un spectacle dégradant : des États considérés comme "sérieux", tels que la France ou l'Allemagne, volaient ouvertement des cargaisons de masques destinées à d'autres capitaux nationaux. Il en a été de même pour les équipements tels que les appareils respiratoires, l'oxygène, les équipements de protection individuelle, etc.
Dans le contexte de l’actuelle guerre des vaccins, leur fabrication, leur distribution et les vaccinations elles-mêmes sont autant d'indices du désordre croissant dans lequel s'enfonce l'économie mondiale.
Dans le domaine de la recherche et de la fabrication de vaccins, nous avons assisté à une course chaotique entre des États en concurrence féroce. La Grande-Bretagne, la Chine, la Russie, les États-Unis... se sont lancés dans une course contre la montre pour être les premiers à disposer du vaccin. La coordination internationale a été absente. Les vaccins ont été testés en un temps record, sans réelle garantie d'efficacité.
La distribution est tout aussi chaotique. Le conflit entre l'UE et la société britannique Astra Zeneca en témoigne. Les pays les plus riches ont laissé les plus pauvres sans protection. Israël a vacciné ses ressortissants tout en négligeant les Palestiniens. La Russie utilise une propagande trompeuse pour présenter son vaccin comme le meilleur. C'est la preuve que le vaccin est utilisé comme un instrument d'influence impérialiste. La Russie et la Chine ne le cachent pas et proclament ouvertement qu'elles offriront des prix plus bas aux pays qui se plieront à leurs exigences économiques, politiques et militaires.
Enfin, la manière dont la population est vaccinée est vraiment ahurissante de désorganisation et d'indiscipline. En France, en Allemagne, en Espagne, en Italie, pour ne citer que quelques exemples, on constate un manque constant d'approvisionnement, des retards de vaccination même dans les groupes identifiés comme prioritaires (personnel de santé, personnes de plus de 65 ans). Les plans de vaccination ont été retardés à plusieurs reprises. Souvent, la première dose est administrée et la seconde est retardée sine die, annulant ainsi l'efficacité du vaccin. Les dirigeants, les politiciens, les hommes d'affaires, les militaires, etc. ont contourné la liste des groupes prioritaires et ont été vaccinés en premier.
Ce spectacle dégradant autour des vaccins nous montre une tendance croissante du capitalisme à saper la capacité de "coopération internationale" qui avait réussi à atténuer la crise économique au cours de la période 1990-2008. Le capitalisme est fondé sur la concurrence à mort - et cette caractéristique constitutive du capitalisme n'a pas disparu à l'apogée de la "mondialisation" - mais ce que nous voyons aujourd'hui, c'est une concurrence exacerbée, qui prend pour champ d'action quelque chose d'aussi sensible que la santé et les épidémies. Si dans la période ascendante du capitalisme, la concurrence entre les capitaux et les nations était un facteur d'expansion et de développement du système, dans la décadence, elle est au contraire un facteur de destruction et de chaos : Destruction avec la barbarie de la guerre impérialiste ; chaos (qui inclut également la destruction et les guerres) surtout avec l'irruption des effets de la décomposition sur le terrain économique et sa gestion étatique. Ce chaos affectera de plus en plus les chaînes de production et d'approvisionnement mondiales, la planification de la production, la capacité à combattre les phénomènes "inattendus" tels que les pandémies ou autres catastrophes.
Le rapatriement de la production dans le pays d'origine par les multinationales était déjà en cours depuis 2017 mais semble s'être accéléré avec la pandémie : "Une étude publiée cette semaine par Bank of America, portant sur 3.000 entreprises totalisant une capitalisation boursière de 22 billions de dollars et situées dans 12 secteurs mondiaux majeurs, indique que 80% de ces entreprises ont des plans de relocalisation pour rapatrier une partie de leur production depuis l'étranger. 'C'est le premier tournant d'une tendance qui dure depuis des décennies', proclament les auteurs. Au cours des trois dernières années, quelque 153 entreprises sont retournées aux États-Unis, tandis que 208 l'ont fait dans l'UE"[5].
Ces mesures sont-elles irréversibles ? Assistons-nous à la fin de la phase de "mondialisation", c'est-à-dire une production mondiale, fortement interconnectée avec une division internationale du travail, avec des chaînes de production, de transport et de logistique organisées à l'échelle mondiale ?
La première considération est que la pandémie dure plus longtemps que prévu. Le 28 septembre 2020, le chiffre d'un million de morts était atteint ; le 15 janvier, moins de trois mois plus tard, il atteignait deux millions. Bien que la vaccination soit en cours, la directrice scientifique de l'OMS, Soumya Swaminathan, prévoit qu'il faudra attendre 2022 pour atteindre une immunisation raisonnable de la population en Europe. Il est probable que les perturbations et les interruptions de production se poursuivront tout au long de l'année 2021.
Deuxièmement, si nous examinons l'expérience historique, nous pouvons constater que les mesures de capitalisme d'État qui ont été prises en réponse à la Première Guerre mondiale n'ont pas complètement disparu après la fin de la guerre, et 10 ans plus tard, avec la crise de 1929, elles ont fait un bond gigantesque, confirmant la prédiction correcte du premier congrès de l'Internationale communiste : "toutes ces questions fondamentales de la vie économique du monde ne sont plus réglées par la libre concurrence, ni même par des combinaisons de trusts ou de consortiums nationaux et internationaux. Elles sont tombées sous le joug de la tyrannie militaire pour lui servir de sauvegarde désormais. Si l'absolue sujétion du pouvoir politique au capital financier a conduit l'humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier non seulement de militariser jusqu'au bout l’État, mais de se militariser lui-même, de sorte qu'il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et par le sang"[6].
De même, il est probable que les mesures prises en réponse à la pandémie sur le terrain économique resteront en place, même s'il y aura des reculs partiels.
Cela est confirmé par le fait que, depuis 2015, comme nous l'avons précisé dans le rapport du 23e Congrès, la Chine, l'Allemagne et les États-Unis s'orientent dans cette direction. Les mesures prises pendant la pandémie ne font qu'accentuer une orientation qui était déjà présente dans les années 2010.
Le fait que les grandes puissances n'aient pas, pour l'instant, coordonné leurs réponses financières et économiques au danger de faillite en est l'illustration. Alors que, lors de la crise de 2008, les réunions du G8, du G20, etc. se sont multipliées, ce type de réunion est aujourd'hui manifestement absent[7].
Cependant, la structure mondialisée de la production mondiale offre des avantages majeurs aux économies les plus puissantes, et celles-ci prendront des mesures pour corriger les principales perturbations décrites ci-dessus. Un exemple très clair : le plan de mutualisation des dettes dans l'UE profite particulièrement à l'Allemagne qui va consolider ses exportations vers l'Espagne, l'Italie, etc. Ces pays, présentés comme "les grands bénéficiaires", seront finalement les grands perdants, car leur tissu industriel sera affaibli par la concurrence écrasante des exportations allemandes. En fait, la mutualisation des dettes aidera l'Allemagne à contrer la présence chinoise dans les pays du sud de l'Europe, qui s'est renforcée depuis 2013. Nous n'assistons pas à un démantèlement de la mondialisation, mais plutôt à sa dislocation croissante - par exemple, à travers la tendance à la fragmentation en zones régionales -, à l'importance grandissante des tendances protectionnistes, à la relocalisation des zones de production, à la multiplication des mesures que chaque pays prend de son côté, en violation des accords internationaux. Bref, à un chaos croissant dans le fonctionnement de l'économie mondiale.
Au cours de la période 2009-2015, la Chine a joué un rôle essentiel, par ses achats et ses investissements, dans la faible relance de l'économie mondiale après les graves bouleversements de 2008. Face à la situation actuelle, la Chine peut-elle jouer le même rôle de locomotive de l'économie mondiale ?
Nous pensons que cette possibilité est très peu probable pour au moins 4 raisons :
Le processus de destruction écologique (dévastation et pollution de l'environnement et des ressources naturelles) ne date pas d'hier. La guerre impérialiste et l'économie de guerre ont contribué à ce processus dans une large mesure. Cependant, la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure ce processus a influencé négativement l'économie capitaliste en entravant l'accumulation.
Dans le cadre de ce rapport, nous ne pouvons pas donner une réponse élaborée. Cependant, il est probable que dans le contexte des difficultés croissantes de collaboration entre les pays, de manœuvres nationalistes de chaque État, … la destruction écologique aura un impact de plus en plus négatif sur la reproduction du capital et contribuera à rendre les moments de reprise économique de la période à venir beaucoup plus faibles et instables que par le passé.
On estime que la pollution atmosphérique tue 7 millions de personnes chaque année. La consommation d'eau contaminée provoque environ 485.000 décès par an.[9]
Au cours du XXe siècle, 260 millions de personnes sont mortes de la pollution de l'air intérieur dans le tiers-monde, soit environ deux fois le nombre de victimes de toutes les guerres du siècle. Ce chiffre est plus de 4 fois supérieur à celui des décès dus à la pollution de l'air extérieur[10].
Les phénomènes météorologiques extrêmes, les extinctions massives, la baisse des rendements agricoles et la toxicité de l'air et de l'eau nuisent déjà à l'économie mondiale, la pollution coûtant à elle seule 4,6 billions de dollars par an[11].
La protection même des villes situées le long des côtes engloutira des sommes considérables, égales, sinon supérieures, à tous les plans de sauvetage qui ont dû être adoptés dans le cadre de la pandémie de Covid-19. Les implications économiques de ce chaos sont bien réelles. L'impact de ce processus d'autodestruction est stupéfiant. Il est calculé que, si le changement climatique augmente la température de 4ºC, alors le PIB mondial chutera de 30% par rapport aux niveaux de 2010, la chute pendant la dépression des années 1930 ayant atteint 26,7% (la chute actuelle sera permanente). 1,2 milliards d'emplois pourraient ainsi être perdus. Ces chiffres ne tiennent pas compte de l'aggravation de la crise économique ni de l'impact du COVID.
Tous ces dommages sont considérablement aggravés par la crise COVID, même s'il faudra du temps pour en évaluer l'impact. En effet, celle-ci illustre clairement les conséquences pour l'économie de la destruction écologique : "La colonisation des espaces naturels et le contact humain avec les animaux réservoirs de virus et d'agents pathogènes est le premier maillon de la chaîne qui explique les pandémies. La destruction des habitats forestiers dans les zones tropicales permet la transmission aux humains de nombreux agents pathogènes qui étaient auparavant confinés dans des endroits inaccessibles. Les gens rencontrent des espèces avec lesquelles ils n'étaient pas associés auparavant, ce qui augmente le risque d'être infecté par des maladies d’origine animale. Les marchés d'animaux, les transports et la mondialisation les propagent ensuite"[12].
Des institutions telles que la Banque mondiale mettent clairement en garde contre les conséquences de la destruction écologique, par exemple en termes d'expansion de la pauvreté : "Selon de nouvelles estimations, le changement climatique pourrait entraîner de 68 à 135 millions de personnes dans la pauvreté à l'horizon 2030. Il représente une menace particulièrement grave pour les pays d'Afrique subsaharienne et d'Asie du Sud, ces deux régions concentrant la plupart des pauvres de la planète. Dans un certain nombre de pays, comme le Népal, le Cameroun, le Liberia et la République centrafricaine, une grande partie des pauvres vivent dans des zones à la fois en situation de conflit et fortement exposées aux inondations."[13].
L'effondrement de la coopération internationale autour de la pandémie de COVID est un avant-goût de l'attitude de chacun pour soi qui prédominera face au changement climatique. La concurrence économique accrue résultant du COVID ne peut qu'accélérer cette dynamique. La capacité du capitalisme à limiter l'augmentation de la température globale s'affaiblit.
La contradiction entre les intérêts de la nation capitaliste, et de l'ensemble du système capitaliste, et l'avenir de l'humanité ne pourrait être plus claire. Si des mesures suffisantes sont prises contre le changement climatique, les tensions impérialistes et économiques s'intensifieront qualitativement avec la montée en puissance de la Chine comme principale économie mondiale. Si aucune mesure n'est prise, l'économie mondiale se contractera de 30% avec toutes les conséquences que cela entraînera.
Cela ne peut que développer de manière exponentielle la destruction de l'environnement par le capitalisme et préparer le terrain pour d'autres pandémies au fur et à mesure que les conditions de celles-ci se développent, comme le montrent plusieurs contributions dans les bulletins internes[15].
L'économie de guerre, comme nous l'a rappelé Internationalisme, est un poids mort pour l'économie mondiale. Malgré la position claire du texte d'orientation Militarisme & Décomposition[16] des parties de l'organisation ont eu tendance à penser que dans le cadre de la décomposition, les dépenses d'armement auraient tendance à être réduites et n'auraient pas l'impact énorme qu'elles avaient à l'époque des blocs et de la Guerre froide. Cette vision est fausse, comme le souligne le rapport adopté par le 23e Congrès. "Les dépenses militaires mondiales ont connu - en 2019 - leur plus forte augmentation en dix ans. Au cours de l'année 2019, les dépenses militaires ont atteint 1,9 billion de dollars (1,8 billion d'euros) dans le monde, soit une augmentation de 3,6 % en un an, la plus importante depuis 2010. "Les dépenses militaires ont atteint leur plus haut niveau depuis la fin de la guerre froide", a déclaré Nan Tian, chercheur au SIPRI"[17].
La nécessité de faire face au COVID n'a pas ralenti le réarmement. Le budget de la Bundeswehr augmente de 2,85% pour 2021, l'Espagne augmente ses dépenses militaires de 4,7%, la France de 4,5%, tandis que le Royaume-Uni les accroît de 18,5 milliards d'euros supplémentaires[18].
Aux États-Unis, attisant l'hystérie anti-Chine, le Sénat a approuvé une augmentation astronomique des dépenses militaires, qui atteindront 740 milliards de dollars en 2021. Au Japon, "le Premier ministre Yoshihide Suga a approuvé lundi la neuvième hausse consécutive du budget militaire, établissant un nouveau record historique à 5,34 billions de yens (environ 51,7 milliards de dollars), soit une augmentation de 1,1 % par rapport au budget de l'année précédente"[19].
"Les guerres américaines en Afghanistan, en Irak, en Syrie et au Pakistan ont coûté aux contribuables américains 6,4 billions de dollars depuis leur début en 2001. Ce total est supérieur de 2 billions de dollars à l'ensemble des dépenses du gouvernement fédéral au cours de l'année fiscale qui vient de s'achever"[20].
Il n'y a pas de données disponibles pour la Chine pour 2021, mais les dépenses militaires ont apparemment moins augmenté en 2020 qu'en 2019. Cependant, "l'Armée populaire de libération a franchi deux étapes majeures, en dévoilant son premier porte-avions 100 % indigène et son premier missile balistique intercontinental capable d'atteindre les États-Unis. La Chine a également construit sa première base militaire à l'étranger à Djibouti en 2017. Pékin conçoit également une nouvelle génération de destroyers et de missiles pour renforcer sa dissuasion contre ses voisins asiatiques et la marine américaine."[21]
La Russie a augmenté de façon spectaculaire ses dépenses militaires au cours de la période triennale 2018-2021, l'Australie "a lancé au cours des deux dernières années un ambitieux programme naval visant à créer une marine de douze nouveaux sous-marins qui seront construits par le chantier naval français DCNS, neuf frégates (un programme pour lequel Navantia soumissionne), deux navires logistiques et douze patrouilleurs ; elle recevra également 72 avions de combat américains F-35 de Lockheed Martin d'ici 2020. Les autorités australiennes prévoient même de doubler son budget en une décennie pour le porter à 21 milliards de dollars par an (…) [Les pays scandinaves] considèrent que les menaces russes sur leur espace aérien et dans l'Arctique relèvent de moins en moins de la fiction, et dans le cas de la Suède, le rétablissement du service militaire obligatoire et des augmentations significatives du budget de la défense ont été annoncés"[22].
Ce survol de la jungle sanglante des dépenses militaires montre que l'économie de guerre et l'armement, au-delà de l'impulsion initiale qu'ils peuvent donner, finissent par constituer un fardeau de plus en plus lourd pour elle, et on peut prévoir qu'ils participeront à la tendance à rendre plus fragile et convulsive la reprise économique que le capitalisme recherche pour la période post-COVID[23].
En 1948, le plan Marshall a représenté un montant total de prêts de 8 milliards de dollars ; le plan Brady pour sauver les économies sud-américaines en 1985 a impliqué 50 milliards de dollars ; les dépenses pour sortir du bourbier de 2008 ont atteint le chiffre astronomique de 750 milliards de dollars.
Les chiffres actuels font de ces injections dans l'économie de la menue monnaie. L'UE a déployé un programme de 750 milliards d'euros. En Allemagne, "le gouvernement déploie le plus grand plan d'aide de l'histoire de la République fédérale. Pour financer ce programme, la Fédération contractera de nouveaux emprunts pour un montant total d'environ 156 milliards d'euros."[24] Biden a proposé au Congrès un programme de soutien et de relance économique de 1,9 billion de dollars. Le montant total des mesures de relance versées dans l'économie américaine en 2020 est estimé à 4 billions de dollars.
La dette mondiale au troisième trimestre 2020 était de 229 billions d'euros, soit 365% du PIB mondial (un nouveau record historique). Cette dette atteint 382% dans les pays industrialisés. Selon l'Institut de la finance internationale, cette escalade s'accélère depuis 2016 avec une augmentation sur les 4 dernières années de 44 billions d'euros. C'est dans ce cadre que nous devons aborder les conséquences de l'escalade actuelle de l'endettement mondial[25].
L'accumulation du capital (la reproduction élargie définie par Marx) a pour base de développement les marchés extra-capitalistes et les zones non encore complètement intégrées au capitalisme. Si les uns et les autres se réduisent, la seule issue pour le capital, organisé par l'État, est l'endettement, qui consiste à jeter des sommes toujours plus importantes dans l'économie en acompte de la production attendue des années à venir.
S'il n'y a pas de chocs inflationnistes dans les grandes économies, c'est pour trois raisons :
L'un des facteurs qui a permis au capital global d'amortir les effets de la dette était la coordination internationale des politiques monétaires, un certain degré de coordination et d'organisation des transactions financières à l'échelle mondiale. Si ce facteur commence à faire défaut et que le "chacun pour soi" l'emporte, quelles sont les conséquences attendues ?
Le capitalisme a utilisé l'équivalent de trois ans et demi de production mondiale. S'agit-il d'un chiffre insignifiant qui pourrait être étiré à l'infini ? Absolument pas. Cette gigantesque gangrène est le terreau non seulement de folles poussées spéculatives qui ont fini par s'institutionnaliser dans le labyrinthe indéchiffrable que sont les transactions financières, mais aussi de crises monétaires, de gigantesques faillites d'entreprises et de banques, voire de faillites d'États importants. Logiquement, ce processus implique que le marché intérieur pour le capital ne peut croître à l'infini, même s'il n'y a pas de limite fixe en la matière. C'est dans ce contexte que la crise de surproduction au stade actuel de son développement pose un problème de rentabilité au capitalisme. La bourgeoisie estime qu'environ 20% des forces productives mondiales sont inutilisées. La surproduction des moyens de production est particulièrement visible et touche l'Europe, les États-Unis, l'Inde, le Japon, etc.[26]
Depuis 1985, date à laquelle les États-Unis ont abandonné leur position de créancier pour devenir l'un des plus gros débiteurs, l'économie mondiale souffre d'une situation aberrante : pratiquement tous les pays sont endettés, les plus gros créanciers sont à leur tour les plus gros débiteurs, et tout le monde le sait. Aujourd'hui, après des décennies de dettes gigantesques, ces récents plans de sauvetage ont surpassé toutes les interventions précédentes. Cependant, en raison du niveau actuel d’endettement de tous les grands acteurs, le risque de "détonations"/avalanches de dettes augmente. La situation actuelle de "taux d'intérêt zéro" facilite encore la politique d'augmentation du fardeau de la dette, mais - tous les autres facteurs mis à part - si les taux d'intérêt augmentent..... Quelque chose s'écroulera ...
L’arrêt brutal de la production a des conséquences. Tout d'abord, la Chine et l'Allemagne, ainsi que d'autres grands pays producteurs, vont se retrouver avec une énorme surcapacité de production qui ne pourra pas être compensée immédiatement. D'une manière générale, le secteur des machines, l'électronique, l'informatique, l'approvisionnement en matières premières, les transports, etc. se retrouveront avec des stocks énormes et une reprise lente de la demande.
Même s'il y aura indubitablement des moments de reprise de la production (qui seront applaudis avec enthousiasme par la propagande capitaliste) et même s'il y aura des contre-tendances que les secteurs les plus intelligents du capital activeront[27], ce qui est indiscutable, c'est que l'économie mondiale sera secouée et affaiblie au cours de la prochaine décennie.
Au cours du dernier demi-siècle, le capitalisme a montré une capacité à "continuer" face aux nombreux bouleversements qu'il a subis (1975, 1987, 1998, 2008). Cependant, les conditions globales que nous venons d'analyser nous permettent d'avancer que cette capacité a été considérablement affaiblie. Il n'y aura pas - comme l'espèrent les conseillistes et les bordiguistes - un Grand Effondrement Final mais, parce que c'est le cœur de l'économie mondiale qui est fortement déstabilisé - en particulier les USA et de manière croissante aussi certaines parties de l'Europe - il sera plus difficile de coordonner une réponse à la crise au niveau international, ce qui, avec le poids écrasant de la dette, fournit une confirmation claire de la perspective esquissée par le rapport du 23ème Congrès sur la crise : "Poids déstabilisateur d’un endettement sans frein ; saturation croissante des marchés ; difficultés croissantes de "gestion globalisatrice" de l’économie mondiale provoquées par l’irruption du populisme, mais aussi l’aiguisement de la concurrence et le poids des investissements énormes demandés par la course aux armements ; enfin, un facteur qu’il ne faut pas négliger, les effets de plus en plus négatifs de la destruction galopante de l’environnement et le bouleversement incontrôlé des équilibres "naturels" de la planète".
L'une des politiques que les États vont lancer pour donner un coup de fouet à l'économie sont les plans dits d'"économie verte". Ceux-ci sont motivés par la nécessité de remplacer la vieille industrie lourde et les combustibles fossiles par l'électronique, l'informatisation, l'IA, les matériaux légers et les nouvelles sources d'énergie qui permettent une plus grande productivité, une réduction des coûts et des économies de main-d'œuvre. Pendant un certain temps, les investissements importants qu'exigera une telle relance de l'économie - qui inclura également la production d'armements - pourront donner un coup de fouet aux économies des pays les mieux placés dans le processus, mais le spectre de la surproduction reviendra une fois de plus hanter l'économie mondiale.
La détérioration des conditions de vie des ouvriers a été très progressive au cours de la période 1967-80.
Elle a commencé à s'accélérer dans les années 1980, lorsque les prestations sociales ont commencé à être limitées, que des licenciements massifs ont eu lieu et que la précarité du travail a commencé à s'installer.
Au cours de la période 1990-2008, la détérioration s'est poursuivie : la réduction systématique des ouvriers employés est devenue "normale". Une crise du logement a également commencé. La migration massive a exercé une pression à la baisse sur les salaires et produit une détérioration des conditions de travail dans les pays centraux. Cependant, la baisse des conditions de vie dans les pays centraux restait graduelle et limitée. Il y avait quelque chose de pervers qui masquait la baisse : le développement du crédit massif dans les ménages ouvriers.
Dans le rapport adopté par le 23e Congrès, nous avons montré l'énorme dégradation du niveau de vie du prolétariat dans les pays centraux, les coupes importantes dans les retraites, la santé, l'éducation, les services sociaux, les prestations sociales etc..., la hausse du chômage et surtout le développement spectaculaire de la précarité de l’emploi. Les années 2010 ont signifié une escalade majeure de la dégradation de la vie professionnelle dans les pays centraux. Les attaques graduelles auxquelles nous avons assisté entre 1970 et 2008 ont commencé à s'accélérer dans la décennie 2010-2020.
La crise pandémique a intensifié les attaques contre les conditions de vie des ouvriers. Tout d'abord, dans tous les pays, les ouvriers ont été envoyés à l'abattoir parce qu'ils ont été contraints de se rendre au travail en empruntant des transports publics bondés et se sont retrouvés sans équipement de protection sur leur lieu de travail (il y a d'ailleurs eu nombre de protestations dans des usines, des entrepôts, etc. au début du confinement à cause de cela). Il convient toutefois de noter que les travailleurs de la santé et ceux des maisons de retraite ont souffert d’un nombre élevé d'infections et de décès. Les travailleurs de l'industrie alimentaire ont également été durement touchés[28], de même que les travailleurs agricoles, dont la plupart sont des migrants[29].
Les attaques contre la classe ouvrière dans tous les pays, mais particulièrement dans les pays centraux, sont clairement à l'ordre du jour. Le rapport de l'OIT "Le COVID-19 et le monde du travail" ne mâche pas ses mots : "le COVID-19 a engendré la crise la plus grave jamais enregistrée par le monde du travail depuis la Grande dépression des années 1930".
Le chômage. Les surcapacités dans l'industrie, et la lente et faible reprise de la demande vont fortement stimuler les licenciements massifs. Pendant la période de strict confinement, les énormes subventions de l'État aux chômeurs à temps partiel ont masqué la gravité de la situation de nombreux ouvriers souffrant d'une réduction drastique de leurs revenus. Cependant, une "normalisation" graduelle du fonctionnement économique entraînera une nouvelle dégradation des conditions de vie des ouvriers, la rendant dans de nombreux cas irréversible. Selon l'OIT, les estimations mondiales pour 2021 sont celles d’une perte allant de 36 millions d'emplois au mieux à 130 millions au pire[30].
Nous pouvons illustrer cela par une analyse des sombres perspectives pour l'industrie automobile : "Un expert de l'industrie automobile allemande a donné l'aperçu, la prévision suivants : selon les prévisions, tous les grands marchés automobiles connaîtront une contraction en pourcentage à deux chiffres. La France et l'Italie seront les plus touchées, avec un déclin de 25% chacune, l'Espagne avec 22%, et l'Allemagne, les États-Unis et le Mexique avec 20% chacun. Pour le plus grand marché automobile du monde, la Chine, Dudenhöffer prévoit une baisse des ventes d'environ 15%. Dans les usines allemandes, il y a soudainement une capacité excédentaire de 1,3 à 1,7 million de véhicules. Le chômage partiel ne peut combler que de courtes périodes. Aucune entreprise ne pourrait conserver des capacités de production inutilisées pendant des années. C'est pourquoi 100.000 des 830.000 emplois actuels chez les constructeurs et équipementiers automobiles en Allemagne sont menacés - "selon des hypothèses optimistes", écrit Dudenhöffer."[31]
La précarité. L'OIT appelle la précarité "emploi sous-utilisé" et estime qu'il y a 473 millions de travailleurs dans le monde dans cette condition (2020). Le travail informel est tout aussi important : "plus de 2 milliards de travailleurs sont engagés dans des activités économiques qui sont soit insuffisamment couvertes, soit pas du tout couvertes par des dispositions formelles en droit ou en pratique". Selon l'OIT, "plus de 630 millions de travailleurs dans le monde ne gagnent pas suffisamment pour pouvoir se sortir eux-mêmes et leur famille de la pauvreté"[32].
Les salaires. En ce qui concerne les salaires, l'OIT a évalué la baisse globale des salaires dans le monde à 8,3% jusqu'en 2020. Malgré les mesures de soutien gouvernementales, les salaires ont baissé en 2020 (selon les données de l'OIT) de 56,2% au Pérou, de 21,3% au Brésil, de 6,9% au Vietnam, de 4,0% en Italie, de 2,9% au Royaume-Uni et de 9,3% aux États-Unis.
Le rapport susmentionné de l'OIT prévient que "La crise a eu des effets particulièrement dévastateurs sur nombre de catégories de populations vulnérables et de secteurs à travers le monde. Les jeunes, les femmes, les personnes faiblement rémunérées et les travailleurs peu qualifiés disposent d’un potentiel inférieur pour embrayer rapidement sur la reprise économique et les risques de stigmates à long terme et d’un éloignement du marché du travail sont bel et bien réels en ce qui les concerne".
Le niveau incroyable d'endettement national ne peut être maintenu indéfiniment ; à partir d'un certain point, il conduira nécessairement à l'adoption de mesures d'austérité drastiques touchant l'éducation, la santé, les retraites, les subventions, les prestations sociales, etc.
On ne peut rien attendre de la "gestion intelligente" du capitalisme d'État, seulement l'austérité, la misère, le chaos et aucun avenir. L'avenir de l'humanité est entre les mains du prolétariat, sa résistance contre l'austérité brutale, et la politisation de cette résistance seront la clé de la période à venir.
[1] L’irruption de la décomposition sur le terrain économique [41] (Rapport juillet 2020). Revue internationale n°165
[2] La pandémie de COVID-19 plonge l’économie planétaire dans sa pire récession depuis la Seconde Guerre [42] mondiale
[4] Les chiffres et l'analyse de ce gigantesque déploiement d'injections monétaires sont fournis dans le rapport sur la crise économique adopté par le 24e Congrès de RI, nous ne les répéterons donc pas ici.
[6] Manifeste du [45]1 [45]er [45]Congrès de l'Internationale communiste [45]
[7] Biden a bien proposé de mettre en place une réunion du G10 non pour une coordination économique, mais pour isoler la Chine.
[8] Les entreprises zombies sont celles qui doivent constamment refinancer leur dette, au point que le remboursement de celle-ci absorbe tous leurs profits et les oblige même à contracter de nouvelles dettes.
[9] Source : Britannica [46]
[10] Source : assessment paper AIR POLLUTION [47]
[12]Source LAVANGUARDIA [49] Rapport de l'Agence européenne pour l'environnement
[13] LA BANQUE MONDIALE [50]
[15] "la conquête inconsidérée par le capital de territoires "sauvages", comme on l'a déjà vu avec Ebola [qui] a à voir avec la soif de terre de ce système capitaliste, c'est-à-dire avec le fonctionnement de la rente. L'urbanisation croissante, l'exploitation de chaque centimètre carré de la planète (...) conduit à une coexistence forcée entre les espèces." (D.). "Il y a effectivement tendance à sous-estimer à quel point la pandémie est un produit de la dimension écologique, autre caractéristique fondamentale de la décomposition. La citation de Le Fil Rouge est intéressante : la façon dont la tendance aux pandémies est liée à l'échange métabolique avec la nature (Marx) - qui a atteint des proportions déformées par le développement du capitalisme dans la décadence et la décomposition. L'idée qu'il s'agit presque d'une catastrophe naturelle - conduit aux racines sociales qui ont été mises sur la touche." (B.)
[17] Rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) publié le 27/04/2020. Source : DW [52].
[21] Source EL COMERCIO [56].
[22] China y Rusia doblan su gasto militar en una década ABC Internacional [57]
[23] L'économie de guerre peut, dans un premier temps, stimuler l'économie. Mais cette stimulation est trompeuse, et on peut le constater si l'on regarde sur le long terme. Il y a l'exemple de la Russie. Plus récemment, il y a le cas de la Turquie qui, après un décollage spectaculaire, est aujourd'hui de plus en plus affaiblie par le poids étouffant de l'effort de guerre. De même, les économies de l'Iran et de l'Arabie Saoudite, engagées dans une rivalité extrême, sont de plus en plus affaiblies.
[24] Cité par le communiqué sur l'Allemagne dans le bulletin interne de l'année 2020
[26] Rapport sur la crise économique (juillet 2020) [59] adopté par le 24e Congrès de Révolution Internationale.
[27] Voir à ce sujet le rapport sur la crise économique du 24e Congrès de Révolution Internationale.
[28] "La situation dans l'industrie du conditionnement de la viande a révélé une image similaire à celle des abattoirs de Chicago d’il y a plus d'un siècle. Tout à coup, les taux d'infection élevés parmi le personnel des abattoirs ont été connus. On a appris qu'il s'agissait d'ateliers de misère modernes en Allemagne, avec une main-d'œuvre très bon marché venant d'Europe de l'Est, vivant dans des baraquements ou des appartements particulièrement délabrés et surpeuplés - loués par des sous-traitants des abattoirs. Des centaines d'entre eux ont été infectés, en raison de leurs conditions d’entassement au travail comme au logement" (communiqué de Welt-D, dans le bulletin interne de l'année 2020).
[29] En Espagne, en avril 2020, des cueilleurs de fraises, pour la plupart des ouvriers originaires du Maroc et d'Afrique, ont tenté de faire grève contre la surpopulation effroyable dans leurs quartiers et le gouvernement de coalition de gauche a immédiatement envoyé la Guardia Civil.
[30] Observatoire de l’OIT [60] Le COVID‑19 et le monde du travail. Septième édition
[31] Cité par le communiqué sur la situation en Allemagne de l'année 2020.
Ce rapport s’inscrit dans le cadre de la résolution sur la situation internationale adopté par le 24e congrès du CCI, et plus particulièrement les points suivants (nous soulignons) :
Dans ce cadre, il vise, à appréhender les événements de ces derniers mois afin de contribuer à la réflexion autour des trois questions suivantes :
1. Où en sommes-nous en ce qui concerne le déclin de l’hégémonie américaine ?
2. Est-ce que la Chine a tiré avantage des événements de cette période ?
3. Quelle est la tendance dominante aujourd’hui sur le plan des confrontations impérialistes ?
"Confirmés comme la seule superpuissance subsistante, les États-Unis feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter qu'aucune autre superpuissance -en réalité, aucun autre bloc impérialiste- ne vienne défier leur "nouvel ordre mondial". (Résolution sur la situation internationale, Point 4, 15e congrès du CCI [63], 2003). L’histoire des 30 dernières années est caractérisée en ce qui concerne les États-Unis par un déclin systématique de leur leadership malgré une politique persistante visant à maintenir leur position hégémonique dans le monde.
1.1. Bref aperçu du déclin de l’hégémonie américaine
Différentes étapes caractérisent les efforts des États-Unis pour maintenir leur leadership face à des menaces qui évoluent. Elles sont aussi marquées par les dissensions internes au sein de la bourgeoisie américaine sur la politique à mener et vont par ailleurs les accentuer.
a) Le "Nouvel Ordre Mondial" sous la direction des États-Unis (Bush1 et Clinton : 1990-2001)
Le président Bush senior exploite l’invasion du Koweït par les forces irakiennes, pour mobiliser une large coalition militaire internationale autour des États-Unis pour "punir" Saddam Hussein. La 1ère guerre du golfe vise à faire un "exemple" : face à un monde de plus en plus gagné par le chaos et le "chacun pour soi", il s'agit d'imposer un minimum d'ordre et de discipline, et en premier lieu aux pays les plus importants de l'ex-bloc occidental. La seule superpuissance qui se soit maintenue veut imposer à la "communauté internationale" un "nouvel ordre mondial" sous son égide, parce que c'est la seule qui en ait les moyens mais aussi parce que c'est le pays qui a le plus à perdre dans le désordre mondial.
Cependant, elle ne sera en mesure de tenir ce rôle qu'en enserrant de façon croissante l'ensemble du monde dans le corset d'acier du militarisme et de la barbarie guerrière, comme lors de la sanglante guerre civile en ex-Yougoslavie où elle devra contrer les appétits impérialistes des pays européens (Allemagne, Grande-Bretagne et France) en imposant sous son autorité, la "pax americana", dans la région (accords de Dayton, déc. 1995).
b) Les États-Unis en tant que "Shérif Mondial/Gendarme Mondial" (Bush2 : 2001-2008)
Les attentats d’Al-Qaïda du 11 septembre 2001 amènent le président Bush junior à déclencher une "War against terror" contre l’Afghanistan et surtout l’Irak en 2003. Malgré toutes les pressions et l’utilisation de "fake news" visant à mobiliser la "communauté internationale" derrière les États-Unis contre "l’axe du mal", les États-Unis échouent à mobiliser les autres impérialismes contre l’"État voyou" de Saddam et envahissent quasiment seuls l’Irak avec pour seul allié significatif l’Angleterre de Tony Blair.
L’échec de ces interventions, souligné par le retrait d’Irak (2011) et d’Afghanistan (2021), a mis en évidence l’incapacité des États-Unis de jouer au "shérif mondial" pour imposer "son ordre" au monde. Au contraire, cette "war against terror" a pleinement ouvert la boîte de Pandore de la décomposition dans ces régions, en exacerbant l’expansion du chacun pour soi, qui s’est manifestée en particulier par une multiplication tous azimuts des ambitions impérialistes de puissances telles la Chine et la Russie, bien sûr l’Iran, mais aussi la Turquie, l’Arabie Saoudite, voire les Emirats du Golfe ou le Qatar. L’impasse croissante de la politique des États-Unis et la fuite aberrante dans la barbarie guerrière, ont mis en évidence le net affaiblissement de leur leadership mondial.
L’administration Obama a tenté de réduire l’impact de la politique catastrophique menée par Bush (l’exécution de Ben Laden en 2011 a souligné la supériorité technologique et militaire absolue des États-Unis) et a pointé de plus en plus clairement l’ascension de la Chine comme le principal danger pour l’hégémonie américaine, ce qui a déclenché d’intenses débats au sein de cette bourgeoisie et de son appareil étatique.
c) La politique de "America First" (Trump, fondamentalement poursuivie par Biden : 2017)
La politique de type "America First" sur le plan impérialiste, mise en œuvre par Trump à partir de 2017, constitue en réalité la reconnaissance officielle de l’échec de la politique impérialiste américaine de ces 25 dernières années : "L’officialisation par l’administration Trump de faire prévaloir sur tout autre principe celui de la défense de leurs seuls intérêts en tant qu’état national et l’imposition de rapports de force profitables aux États-Unis comme principal fondement des relations avec les autres États, entérine et tire les implications de l’échec de la politique des 25 dernières années de lutte contre le chacun pour soi en tant que gendarme du monde et de la défense de l’ordre mondial hérité de 1945.(…)" (23e congrès du CCI, Résolution sur la situation internationale [64], Revue Internationale n° 164).
Si elle implique une limitation maximale des opérations avec des "boots on the grounds" face au manque d’embrigadement des masses ouvrières par rapport à des engagements massifs et aux pertes conséquentes qu’un déploiement massif de militaires dans le monde impliquerait (cf. déjà la difficulté de recrutement de Bush II pour la guerre en Irak), elle va surtout de pair avec une polarisation croissante et une agressivité accentuée envers la Chine, tendant à être de plus en plus identifiée comme le danger principal. Si cette position reste discutée au sein de l’administration Obama et si des tensions apparaissaient encore au sein de l’administration Trump entre les tenants du combat contre les "États voyous", tels l’Iran (Pompeo, Kushner), et les tenants du "danger majeur chinois" (services secrets et armée), la polarisation sur cette dernière option est incontestablement l’axe central de la politique étrangère de Biden. Il s’agit là de la part des États-Unis d’un choix stratégique pour concentrer leurs forces sur la compétition militaire et technologique avec la Chine, en vue de maintenir et même d’accentuer leur suprématie, de défendre leur position de "Parrain" du clan dominant face aux clans concurrents (la Chine et accessoirement la Russie) qui menacent le plus directement son hégémonie. Déjà en tant que gendarme mondial, les États-Unis exacerbaient la violence guerrière, le chaos et le chacun pour soi ; leur politique actuelle n’est en rien moins destructive, bien au contraire.
1.2. Polarisation des tensions en mer de Chine
La polarisation américaine envers la Chine et un redéploiement des forces en conséquence, initiés par l’administration Trump, ont été pleinement repris par l’administration Biden. Celle-ci a non seulement maintenu les mesures agressives économiques contre la Chine, mises en œuvre par Trump, mais elle a surtout accentué la pression par une politique agressive :
Taïwan a toujours joué un rôle important dans la stratégie des États-Unis envers la Chine. Si pendant la "guerre froide", elle constituait une pièce importante du dispositif d’endiguement du bloc communiste, elle a représenté dans les années 1990 et au début des années 2000 la vitrine de la société capitaliste globalisée dans laquelle la Chine était intégrée. Mais avec la montée en puissance de cette dernière, le point de vue a changé et Taïwan joue à nouveau un rôle géostratégique pour barrer l’accès au Pacifique ouest à la marine chinoise. Par ailleurs, sur un plan stratégique, "les fonderies de l’île produisent en effet la majeure partie des semi-conducteurs de dernière génération, composants indispensables à l’économie numérique mondiale (smartphones, objets connectés, intelligence artificielle, etc.)" (Le Monde diplomatique [65], octobre 2021)
La Chine pour sa part a réagi furieusement à ces pressions politiques et militaires, particulièrement celles qui concernent Taïwan : organisation de manœuvres navales et aériennes massives et menaçantes autour de l’île, publication d’études alarmistes, qui indiquent un risque de guerre "qui n’a jamais été aussi élevé" avec Taïwan, ou de plans d’attaque surprise contre Taïwan, qui conduirait à une défaite totale des forces armées de l’île.
Mises en garde, menaces et intimidations se sont donc succédé ces derniers mois en mer de Chine. Elles soulignent la pression croissante exercée par les États-Unis sur la Chine. Dans ce contexte, les États-Unis ont tout fait pour entraîner derrière eux d’autres pays asiatiques, inquiets des velléités expansionnistes de Pékin, en tentant par exemple de créer une sorte d’OTAN asiatique, le QUAD, réunissant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde et d’y associer la Corée du Sud. D’autre part et dans le même sens, Biden a voulu raviver l’OTAN dans le but d’entraîner les pays européens dans sa politique de pression contre la Chine. Paradoxalement, la constitution de l’AUKUS indique les limites du ralliement des autres nations derrière les États-Unis. L’AUKUS signifie d’abord une gifle à la France et annihile les belles paroles de Biden sur le "partenariat" au sein de l’OTAN. Par ailleurs, cet accord confirme aussi la frilosité de pays comme l’Inde, avec ses propres ambitions impérialistes, et surtout de la Corée du Sud et du Japon, coincés entre la crainte du renforcement militaire de la Chine et leurs liens industriels et commerciaux considérables avec la Chine.
Après l’enfoncement de l’Irak et de la Syrie dans le chaos et la barbarie sanglante, les événements de septembre 2021 en Afghanistan confirment pleinement les tendances marquantes de la période : le déclin du leadership US et la montée du chaos et du chacun pour soi.
2.1. La débâcle US en Afghanistan
L’effondrement total du régime et de l’armée afghane, l’avancée éclair des Talibans, malgré une intervention militaire américaine de 20 années dans le pays et des centaines de milliards de dollars engloutis dans le "nation building", ainsi que l’évacuation en panique de ressortissants américains et de collaborateurs confirment de manière saisissante que les États-Unis ne sont plus en mesure de remplir le rôle de "gendarme du monde". Plus spécifiquement, le retrait dramatique et chaotique des troupes américaines d'Afghanistan a mené à une déroute intérieure et extérieure pour l’administration Biden.
(a) sur un plan extérieur, la débâcle a sapé aux yeux de ses "alliés" la fiabilité des États-Unis
Dans la mesure où même le secrétaire de l’OTAN, J. Stoltenberg a dû reconnaître que les États-Unis ne garantissent plus de défendre les alliés européens contre leurs ennemis, toute l’opération de charme de Biden envers l’OTAN et les alliés a été annihilée. L’absence totale de concertation au sein de l’OTAN et le "cavalier seul" absolu des États-Unis a provoqué des réactions indignées à Londres, Berlin et Paris. Quant aux collaborateurs des américains en Afghanistan (comme les kurdes en Syrie, trahis par Trump), ils craignent à juste titre, pour leur vie : voilà une première puissance mondiale incapable de garantir la vie de ses collaborateurs et le soutien à ses alliés. Elle ne mérite donc pas la "confiance" (comme l’a souligné sarcastiquement Xi Jinping !).
(b) sur le plan intérieur, elle a érodé la crédibilité de l’administration Biden
La résolution sur la situation internationale du 24e congrès du CCI souligne que "L'élection de Biden, soutenue par une énorme mobilisation des médias, de certaines parties de l'appareil politique et même de l'armée et des services de sécurité, exprime cette réelle contre-tendance au danger de désintégration sociale et politique très clairement incarné par le Trumpisme. À court terme, de tels "succès" peuvent fonctionner comme un frein au chaos social croissant" (point 8). Cependant, la débâcle afghane a mis en évidence non seulement le manque de fiabilité des États-Unis envers les alliés mais elle accentue aussi les tensions au sein de la bourgeoisie américaine et ouvre un boulevard à toutes les forces adverses (Républicaines et populistes) qui condamnent cette retraite hâtive et humiliante par une administration qui "déshonore les États-Unis sur le plan international". Et cela au moment où la politique de relance industrielle et de grands travaux, prônée par l’administration Biden et supposée contenir les ravages causés par populisme, se heurte à une opposition féroce des Républicains au Capitole et de Trump et que, face à une politique vaccinale anti-Covid qui stagne, elle a été obligée de prendre des mesures contraignantes envers la population.
2.2. Imprédictibilité de la situation pour les autres impérialismes
L’absence de centralisation du pouvoir Taliban, la myriade de courants et de groupes aux aspirations les plus diverses qui composent le mouvement et les accords conclus avec les chefs de guerre locaux pour investir rapidement l’ensemble du pays font que le chaos et l’imprédictibilité caractérisent la situation, comme les attentats récents visant la minorité Hazara le démontrent. Cela ne peut qu’intensifier la volonté d’intervention des différents impérialismes mais aussi l’imprévisibilité de la situation, donc aussi le chaos ambiant.
La Chine tente de contrer le danger en Afghanistan en s'implantant dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale (Turkménistan, Tadjikistan et Ouzbékistan). Mais ces républiques font traditionnellement partie de la zone d’influence russe, ce qui augmente le danger de confrontation avec cet "allié stratégique", auquel de toute façon ses intérêts à long terme (la "nouvelle route de la soie" l’opposent fondamentalement (cf. point 4.2. qui traite de l’alliance sino-soviétique).
La Chine a connu ces dernières décennies une ascension fulgurante sur le plan économique et impérialiste, qui en a fait le challenger le plus important pour les États-Unis. Cependant, comme l’illustrent déjà les événements de septembre 2021 en Afghanistan, elle n’a pu profiter, ni de la poursuite du déclin US, ni de la crise de la Covid-19 et de ses conséquences pour renforcer ses positions sur le plan des rapports impérialistes, bien au contraire. Nous examinons les difficultés auxquelles la bourgeoisie chinoise est confrontée sur le plan de la prise en charge de la Covid, de la gestion de l’économie, des rapports impérialistes et des tensions en son sein.
3.1. Difficultés dans la gestion de la crise de la Covid
La Chine mise sur l’immunité collective avant d’ouvrir le pays, mais la politique de lock-down stricte, qu’elle applique en attendant dans des villes et des régions entières, chaque fois que des infections sont identifiés, pèse lourdement sur les activités économiques et commerciales : ainsi, la fermeture du port de Yantian, le troisième port de conteneurs du Monde en mai a conduit au blocage de milliers de conteneurs et des centaines de navires pendant des mois, désorganisant totalement le trafic maritime mondial.
Cette recherche de l’immunité collective pousse par ailleurs certaines provinces et villes chinoises à imposer des sanctions financières aux retardataires. Face aux nombreuses critiques sur les réseaux sociaux chinois, le gouvernement central a bloqué ce genre de mesures, qui tendaient à "mettre en péril la cohésion nationale".
Enfin, le plus grave vient sans doute des données convergentes sur l’efficacité limitée des vaccins chinois, communiquées par divers pays qui les utilisent : "Au total, la campagne de vaccination chilienne –importante avec 62% de la population vaccinée actuellement– ne semble avoir aucun impact notable sur la proportion de décès" (H. Testard, "Covid-19 : la vaccination décolle en Asie mais les doutes augmentent sur les vaccins chinois", Asialyst, 21.07.21). Les responsables chinois envisagent même aujourd’hui des accords pour importer Pfizer ou Moderna afin de pallier l’inefficacité de leurs propres vaccins.
Au-delà de la responsabilité indéniable de la Chine dans l’éclatement de la pandémie, la gestion peu efficiente de la crise de la Covid par Beijing pèse sur la politique générale du capitalisme d’État chinois.
3.2. Accumulation de problèmes pour l’économie chinoise :
La forte croissance que la Chine connaît depuis quarante ans -même si ces chiffres reculaient déjà la dernière décennie- semble arriver à son terme. Les experts s’attendent à une croissance du PIB chinois inférieure à 6% en 2021, contre 7% en moyenne sur la dernière décennie et plus de 10% lors de la décennie précédente. Divers autres facteurs accentuent les difficultés actuelles de l’économie chinoise :
a) Le danger d’éclatement de la bulle immobilière chinoise : Evergrande, le numéro deux de l’immobilier en Chine, se retrouve aujourd’hui écrasé par quelque 300 milliards d’euros de dettes, soit à elles seules 2% du PIB du pays, auxquelles il ne peut plus faire face. D’autres promoteurs sont contaminés, tels Fantasia Holdings ou Sinic Holdings quasiment en défaut de paiement face à leurs créanciers. De manière générale, le secteur de l’immobilier, qui représente 25% de l’économie chinoise, a généré une dette publique et privée colossale qui se chiffre en milliers de milliards de dollars. La faillite d’Evergrande n'est en réalité que la première séquence d’un effondrement global à venir de ce secteur. Aujourd’hui les logements vides sont tellement nombreux qu’ils pourraient héberger 90 millions de personnes. Certes, l’effondrement immédiat du secteur sera évité dans la mesure où les autorités chinoises n’ont d’autre choix que de limiter les dégâts du naufrage au risque sinon d’un impact très sévère sur le secteur financier : "(…) il n’y aura pas d’effet boule de neige comme en 2008 [aux États-Unis], parce que le gouvernement chinois peut arrêter la machine, estime Andy Xie, économiste indépendant, ancien de Morgan Stanley en Chine, cité par Le Monde. Je pense qu’avec Anbang [groupe d’assurance, NDLR] et HNA [Hainan Airlines], on a de bons exemples de ce qui peut se produire : il y aura un comité rassemblant autour d’une table l’entreprise, les créditeurs et les autorités, qui va décider quels actifs vendre, lesquels restructurer et, à la fin, combien d’argent il reste et qui peut perdre des fonds". (P.-A. Donnet, Chute d’Evergrande en Chine : la fin de l’argent facile, Asialyst, 25.09.21).
Cependant, si l’immobilier chinois fonde son modèle économique sur un endettement pharamineux, de nombreux autres secteurs sont dans le rouge : fin 2020, la dette globale des entreprises chinoises représentait 160% du PIB du pays, contre 80% environ pour celle des sociétés américaines et les investissements "toxiques" des gouvernements locaux représenteraient aujourd’hui, selon des analystes de Goldman Sachs, à eux seuls 53.000 milliards de yuans, soit une somme qui représente 52% du PIB chinois. Ainsi, l’éclatement de la bulle immobilière risque de non seulement de contaminer d’autres secteurs de l’économie mais aussi d’engendrer une instabilité sociale (près de 3 millions d’emplois directs et indirects liés à Evergrande), la grande crainte du PCC.
b) Les coupures d’énergie : elles sont la conséquence d’un approvisionnement en charbon insuffisant causé entre autre par les inondations records dans la province du Shaanxi qui, à elle seule, produit 30% du combustible dans tout le pays, et aussi du durcissement de la réglementation anti-pollution décidée par Xi. La pénurie pèse déjà sur l’activité industrielle dans plusieurs régions : les secteurs de la sidérurgie, de l’aluminium et du ciment souffrent déjà de la limitation de l’offre d’électricité. Cette limitation a réduit d’environ 7% les capacités de production d’aluminium et de 29% celles de ciment (chiffres de Morgan Stanley) et le papier et le verre pourraient être les prochains secteurs touchés. Ces coupures freinent désormais la croissance économique de l’ensemble du pays. Mais la situation est encore plus grave qu’il n’y paraît à première vue. "En effet, cette pénurie d’électricité se répercute désormais sur le marché résidentiel dans certaines régions du Nord-Est. La province du Liaoning a ainsi étendu les coupures de courant du secteur industriel à des réseaux résidentiels" (P.-A. Donnet, Chine : comment la grave pénurie d’électricité menace l’économie, Asialyst, 30.09.21).
c) Les ruptures dans les chaînes de production et d’approvisionnement. Celles-ci sont liées à la crise énergétique mais aussi aux lock-down découlant des infections Covid (cf. point précédent). Elles affectent la production dans les industries de diverses régions et accentuent le risque de rupture des chaînes d’approvisionnement nationales et mondiales déjà tendues, d’autant plus que certains fabricants sont confrontés à une pénurie aigüe de semi-conducteurs.
3.3. Essoufflement du projet de la "nouvelle route de la soie"
La "nouvelle route de la soie" devient de plus en plus difficile à réaliser, ce qui est dû aux problèmes financiers liés à la crise de la Covid et aux difficultés de l’économie chinoise, mais aussi aux réticences des partenaires :
Bref, il ne faut pas s’étonner qu’en 2020, il y a eu un effondrement de la valeur financière des investissements injectés dans le projet "Nouvelle route de la soie" (-64%), alors que la Chine a prêté plus de 461 milliards de dollars depuis 2013.
3.4. Accentuation des antagonismes au sein de la bourgeoisie chinoise
Sous Deng Xiao Ping le capitalisme d’État de type stalinien chinois, sous le couvert d’une politique de "créer des riches pour partager leur richesse", a établi des zones "libres" (Hong Kong, Macao, etc.) afin de développer un capitalisme de type "libre marché" permettant l’entrée de capitaux internationaux et favorisant aussi un secteur capitaliste privé qui, avec l’effondrement du bloc de l’Est et la "globalisation" de l’économie dans les années 90, s’y est développé de manière exponentielle, même si le secteur public sous le contrôle direct de l’État représente toujours 30% de l’économie. Comment la structure rigide et répressive de l’État stalinien et du parti unique a-t-elle prise en charge cette "ouverture" au capitalisme privé ? Dès les années 1990, le parti s’est transformé en intégrant massivement des entrepreneurs et des chefs d’entreprises privées. "Au début des années 2000, le président d’alors, M. Jiang Zemin avait levé l’interdiction de recruter des entrepreneurs du secteur privé, vus jusque-là comme des ennemis de classe, (…). Les hommes et les femmes d’affaires ainsi sélectionnés deviennent membre de l’élite politique, ce qui leur garantit que leurs entreprises soient, au moins partiellement, protégées de cadres aux tendances prédatrices" (Que reste-t-il du communisme en Chine ? Le monde diplomatique n°68 [66], juillet 2021). Aujourd’hui, les professionnels et managers diplômés du supérieur constituent 50% des adhérents du PCC.
Les oppositions entre les différentes fractions s’exprimeront donc non seulement au sein des structures étatiques mais au sein même du PCC. Depuis plusieurs années (cf. déjà le Rapport sur les tensions impérialistes du 20e congrès du CCI, 2013), les tensions croissent entre différentes fractions au sein de la bourgeoisie chinoise, en particulier entre celles plus liées aux secteurs capitalistes privés, dépendant des échanges et des investissements internationaux, et celles liées aux structures et au contrôle financier étatiques au niveau régional ou national, celles qui prônent une ouverture au commerce mondial et celles qui avancent une politique plus nationaliste. En particulier, le "tournant à gauche", engagé par la faction derrière le président Xi, et qui signifie moins de pragmatisme économique et plus d’idéologie nationaliste, a intensifié les tensions et l’instabilité politique ces dernières années : en témoignent "les tensions persistantes entre le premier ministre Li Keqiang et le président Xi Jinping sur la relance économique, tout comme la "nouvelle position" de la Chine sur la scène internationale". (Chine : à Beidaihe, "l'université d'été" du Parti, les tensions internes à fleur de peau", A. Payette, Asialyst, 06.09.20), la "politique guerrière" menée par la diplomatie chinoise envers Taïwan mais en même temps la déclaration spectaculaire de Xi que la Chine veut atteindre la neutralité carbone pour son économie en 2060, les critiques explicites envers Xi qui surgissent régulièrement (dernièrement l’essai "alerte virale" publié par un professeur réputé de droit constitutionnel à l'Université Qinghua à Pékin et prédisant la fin de Xi), les tensions entre Xi et les généraux dirigeant l’armée populaire, les interventions de l’appareil d’État envers des entrepreneurs trop "flamboyants" et critiques envers le contrôle étatique (Jack Ma et Ant Financial, Alibaba). Certaines faillites (HNA, Evergrande) pourraient d’ailleurs être rapportées aux luttes entre cliques au sein du parti, dans le cadre par exemple de la campagne cynique pour "protéger les citoyens des excès de la "classe capitaliste"".
Bref, loin de tirer profit de la situation actuelle, la bourgeoisie chinoise, comme les autres bourgeoisies, est confrontée au poids de la crise, au chaos de la décomposition et aux tensions internes, qu’elle tente par tous les moyens de contenir au sein de ses structures capitalistes d’État désuètes.
4. L’extension du chaos, de l’instabilité et de la barbarie guerrière
Les données analysées dans les points précédents montrent certes que les tensions entre les États-Unis et la Chine tendent à occuper une place prédominante dans la situation impérialiste, sans toutefois qu’elles induisent une tendance à la formation de blocs impérialistes. En effet, au-delà de certaines alliances limitées comme l’AUKUS, la puissance principale de la planète, les États-Unis, aujourd’hui non seulement n’arrive pas à mobiliser les autres puissances derrière sa ligne politique (contre l’Irak ou l’Iran précédemment, contre la Chine aujourd’hui), mais est en outre incapable de défendre ses propres alliés et de se donner la posture d’un "chef de bloc". Ce déclin du leadership US mène à une accentuation du chaos qui impacte même de plus en plus la politique de l’ensemble des impérialismes dominants, y compris la Chine qui n’arrive pas non plus à imposer de manière durable son leadership à d’autres pays.
4.1. Chaos et guerre
Le fait que les talibans aient "battu" les Américains enhardira tous ces petits requins qui n'hésiteront pas à avancer leurs pièces en l'absence de quelqu'un pour "imposer des règles". Nous entrons dans une accélération de l'empire sans loi et le plus grand chaos de l'histoire. Le chacun pour soi devient le facteur central des relations impérialistes et la barbarie guerrière menace des zones entières de la planète.
(a) Asie Centrale, Moyen-Orient et Afrique :
Outre la barbarie de la guerre civile en Irak, Syrie, Lybie ou Yémen et la plongée de l’Afghanistan dans l’horreur, les tensions sont fortes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, stimulées par la Turquie qui provoque la Russie, la guerre civile a éclaté en Éthiopie (soutenue par l’Érythrée) contre la "province rebelle" du Tigray (soutenue par le Soudan et l’Égypte) ; enfin, les tensions croissent entre l’Algérie et le Maroc. La "Somalisation" d’États, et la zone d’instabilité et de "non-droit" (cf. déjà Rapport du 20e congrès [67] du CCI, 2013) n’ont cessé de s’étendre : le chaos règne à présent de Kaboul à Addis-Abeba, de Sanaa à Erevan, De Damas à Tripoli, de Bagdad à Bamako.
(b) Amérique Centrale et du Sud :
Le Covid frappe durement le sous-continent (1/3 des décès mondiaux en 2020 pour 1/8 de la population mondiale) et le plonge dans sa pire récession depuis 120 ans : contraction du PIB de 7,7% et accroissement de la pauvreté de près de 10% en 2020 (LMD, oct. 2021). Le chaos croît, comme à Haïti, plongée dans une situation désespérée, sous le règne sanglant de gangs, et dans une misère horrible, et la situation est également catastrophique en Amérique Centrale : des centaines de milliers de gens désespérés fuient la misère et le chaos et menacent de submerger la frontière sud des États-Unis. La région subit de plus en plus de convulsions liées à la décomposition : révoltes sociales en Colombie et au Chili, confusion populiste au Brésil. Le Mexique essaie de jouer ses propres cartes (proposition d'une nouvelle OAS, etc.) mais est trop dépendant des États-Unis pour affirmer ses propres aspirations. Les États-Unis n'ont pas été en mesure de renverser Maduro au Venezuela, auquel les Chinois et les Russes et même l'Iran continuent à apporter un soutien "humanitaire", ainsi que à Cuba. La Chine s’est infiltrée surtout depuis 2008 dans l’économie de la région et est devenue un créancier important de nombreux États latino-américains mais la contre-offensive américaine exerce actuellement une forte pression sur certains États (Panama, Équateur, Chili) pour prendre leurs distances envers "l’activité économique prédatrice" de Beijing.
(c) Europe :
Les tensions entre l’OTAN et la Russie se sont intensifiées ces derniers mois : après l’incident du vol Ryanair détourné et intercepté par le Belarus pour arrêter un dissident, réfugié en Lituanie, il y a eu en juin les manœuvres de l’OTAN en Mer Noire au large de l’Ukraine, où un accrochage s’est produit entre une frégate anglaise et des navires russes, et, en septembre, des manœuvres conjointes entre armées russe et biélorusse aux frontières de la Pologne et des Pays Baltes face à des exercices de l’OTAN en territoire ukrainien, une véritable provocation aux yeux de Poutine.
4.2. Instabilité croissante
Le chaos croissant augmente aussi les tensions au sein des bourgeoisies et renforce l’imprédictibilité de leur positionnement impérialiste : c’est le cas de pays comme le Brésil, où la situation sanitaire catastrophique et la gestion irresponsable du gouvernement Bolsonaro mène à une crise politique de plus en plus intense, et d’autres pays d’Amérique latine (instabilité politique en Équateur, au Pérou, en Colombie ou en Argentine). Au Proche et au Moyen-Orient, les tensions entre les clans et tribus qui dirigent l’Arabie Saoudite peuvent déstabiliser le pays, tandis que Israël est marqué par une opposition d’une large part des fractions politiques de la droite à la gauche contre Netanyahu et contre les partis religieux, mais aussi par des pogroms à l'intérieur du pays contre les arabes "israéliens". Enfin, il y a la Turquie qui cherche une solution pour ses difficultés politiques et économiques dans une fuite en avant suicidaire dans des aventures impérialistes (de la Lybie à l’Azerbaïdjan).
En Europe, la débâcle en Afghanistan et "l’affaire des sous-marins" ainsi que l’après-Brexit accentuent la déstabilisation d’organisations émanant de période des blocs, comme l’OTAN ou l’UE. Au sein de l’OTAN, des pays européens doutent de plus en plus de la fiabilité des États-Unis. Ainsi, l’Allemagne n’a pas cédé face aux pressions américaines en ce qui concerne le pipeline avec la Russie en Mer Baltique et la France ne digère pas l’affront infligé par les États-Unis dans le deal des sous-marins avec l’Australie, alors que d’autres pays européens continuent à voir dans les États-Unis leur principal protecteur. La question des rapports avec la GB pour implémenter les accords du Brexit (Irlande du Nord et quota de pêche) divisent les pays de l’UE et les tensions sont fortes entre la France et l’Angleterre. Au sein de l’UE même, les flux de réfugiés continuent à opposer les États, pendant que des pays comme la Hongrie et la Pologne remettent de plus en plus ouvertement en question les "pouvoirs supranationaux" définis par les traités européens, et que l’hydre du populisme menace la France lors des élections au printemps 2022.
Chaos et accentuation du chacun pour soi tendent également à entraver la continuité de l’action des impérialismes majeurs : les États-Unis se voient obligés de maintenir la pression par des bombardements aériens réguliers sur des milices chiites qui harcellent leurs forces subsistantes en Irak ; les Russes doivent "jouer aux pompiers" dans la confrontation armée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, instillée par le chacun pour soi impérialiste de la Turquie ; l’extension du chaos dans la Corne de l’Afrique à travers la guerre civile en Éthiopie, avec l’implication du Soudan et de l’Égypte qui soutiennent la région du Tigray et l’Érythrée le gouvernement central éthiopien, bouleverse en particulier les plans chinois qui faisaient de l’Éthiopie, vantée comme un pôle de stabilité et le "nouvel atelier du monde", un point d’appui pour leur "Belt and Road project" en Afrique du Nord-Est et avaient dans ce but installé une base militaire à Djibouti. L'impact continu des mesures et des incertitudes liées à la pandémie est également un facteur déstabilisateur dans la politique impérialiste des divers États : stagnation de la vaccination aux États-Unis après un départ en fanfare, nouveaux confinements massifs de régions entières et manque d'efficacité patent des vaccins en Chine, explosion des contaminations et de la surmortalité (660.000), méfiance de la population envers les vaccins en Russie (taux de vaccination d’un peu plus de 30%)
Cette instabilité caractérise aussi les alliances comme en particulier celle entre la Chine et la Russie. Si ces pays développent une "coopération stratégique" (caractérisation du communiqué sino-russe du 28.06.21) contre les États-Unis et par rapport au Moyen-Orient, l’Iran ou la Corée du Nord organisent même des exercices communs de leurs armées et marines, leurs ambitions politiques sont radicalement différentes : l’impérialisme russe vise avant tout la déstabilisation de régions et ne peut viser guère plus que des "frozen conflicts" (Syrie, Lybie, Ukraine, Géorgie, …), alors que la Chine déploie une politique économique et impérialiste à long terme, la "nouvelle route de la soie". Par ailleurs, la Russie est parfaitement consciente que les parcours de la "Silk Road" par la terre et par la zone arctique s’opposent directement à ses intérêts dans la mesure où ils menacent directement les zones d’influence russes en Asie centrale et en Sibérie et que, sur le plan de l’appareil industriel, elle ne fait pas le poids face à la 2ième économie mondiale, elle qui a un PNB correspondant à celui de l’Italie.
4.3. Développement de l’économie de guerre
"L'économie de guerre (…) n'est pas une politique économique qui peut résoudre les contradictions du capitalisme ou créer les fondements d'une nouvelle étape du développement capitaliste. (…). La seule fonction de l'économie de guerre est... la GUERRE ! Sa raison d'être est la destruction effective et systématique des moyens de production et des forces productives et la production des moyens de destruction - la véritable logique de la barbarie capitaliste" (De la crise à l’économie de guerre, Revue Internationale n°11 [68], 1977). Le fait que la perspective ne soit pas à la constitution de larges alliances stables, de "blocs" impérialistes s’engageant dans une confrontation mondiale et donc qu’une guerre mondiale ne se pose pas actuellement n’enlève rien à une accentuation aujourd’hui de l’économie de guerre. Soumettre l'économie aux nécessités militaires pèse lourdement sur l'économie, mais cette irrationalité n'est pas un choix : elle est le produit de l'impasse du capital que la décomposition sociale accélère.
La course aux armements engloutit des sommes phénoménales, dans le cas des États-Unis, qui ont encore un avantage important sur ce plan, mais aussi de la Chine qui a accru significativement ses dépenses militaires durant les deux dernières décennies. "L’augmentation de 2,6% des dépenses militaires mondiales survient l’année où le produit intérieur brut (PIB) mondial a reculé de 4,4% (projection du Fonds monétaire international, octobre 2020), principalement en raison des impacts économiques de la pandémie de la Covid-19. En conséquence, les dépenses militaires en pourcentage du PIB –dit fardeau militaire- ont atteint une moyenne mondiale de 2,4% en 2020, contre 2,2% en 2019. Il s’agit de la plus forte augmentation annuelle de ces dépenses depuis la crise économique et financière mondiale de 2009" (communiqué de presse du Sipri [69], avril 2021). Cette course concerne non seulement les armes conventionnelles et nucléaires, mais aussi la militarisation encore plus nette des programmes spatiaux et l’extension de la course à des zones autrefois épargnées, telles les régions arctiques.
Vu l’expansion terrifiante du chacun pour soi impérialiste, la course aux armements ne se limite pas aux impérialismes majeurs mais touche tous les États, en particulier sur le continent asiatique qui connaît une hausse significative des dépenses militaires : ainsi, l'inversion du poids respectif de l'Asie et de l'Europe entre 2000 et 2018 est spectaculaire : en 2000, l'Europe et l'Asie représentent respectivement 27% et 18% des dépenses de défense mondiales. En 2018, ces rapports sont inversés, l'Asie en représente 28% et l'Europe 20% (données du Sipri).
Cette militarisation s’exprime aujourd’hui aussi par un développement impressionnant des activités cybernétiques des États (attaques de hackers, souvent liés directement ou indirectement à des États, telle l’attaque cybernétique d’Israël contre les sites nucléaires iraniens), ainsi que de l’intelligence artificielle et de la robotique militaire (robots, drones), qui jouent un rôle de plus en plus important dans les activités de renseignement ou dans les opérations militaires.
Cependant, "la véritable clé de la constitution de l'économie de guerre (…) [est] la soumission physique et/ou idéologique du prolétariat à l'État, [le] degré de contrôle que l'État a sur la classe ouvrière" (Id., Revue Internationale n°11 [68], 1977). Or, cet aspect est loin d’être acquis. Cela explique pourquoi l’accélération de la course aux armements va de pair aujourd’hui avec une forte réticence parmi les puissances impérialistes majeures (les États-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne ou la France) à l’engagement massif de soldats sur le terrain ("boots on the ground") par peur de l’impact d’un retour massif de "body bags" sur la population et, en particulier la classe ouvrière. Relevons ainsi l’utilisation de sociétés militaires privées (organisation Wagner par les Russes, Blackwater/Academi par les États-Unis, …) ou l’engagement de milices locales pour mener des actions : utilisation de milices sunnites syriennes par la Turquie en Lybie et en Azerbaïdjan, de milices kurdes par les États-Unis en Syrie et Irak, du Hezbollah ou de milices chiites irakiennes par l’Iran en Syrie, de milices soudanaises par l’Arabie Saoudite au Yémen, une force régionale (Tchad, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Fasso) "coachée" par la France et l’UE dans la région du Liptako, …
"10. Dans le même temps, les "massacres d'innombrables petites guerres" prolifèrent également, alors que le capitalisme, dans sa phase finale, plonge dans un chacun-pour-soi impérialiste de plus en plus irrationnel.
13. Cela ne signifie pas que nous vivons dans une ère de plus grande sécurité qu'à l'époque de la Guerre froide, hantée par la menace d'un Armageddon nucléaire. Au contraire, si la phase de décomposition est marquée par une perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie, cela s'applique également aux vastes moyens de destruction -nucléaires, conventionnels, biologiques et chimiques- qui ont été accumulés par la classe dirigeante, et qui sont maintenant plus largement distribués à travers un nombre bien plus important d'États-nations que dans la période précédente." (Résolution [64] sur la situation internationale)
Dans la mesure où nous savons que la bourgeoisie est capable de retourner les pires effets de la décomposition contre le prolétariat, nous devons être conscients que ce contexte de barbarie meurtrière ne facilitera nullement la lutte ouvrière :
En conséquence, notre intervention doit dénoncer la progression de la barbarie et le caractère insidieux de la situation, elle doit mettre constamment le prolétariat en garde contre la sous-estimation des dangers que la situation de multiplicité chaotique des conflits engendre dans le contexte du chacun pour soi comme dynamique dominante :
23.10.2021
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/revue_internationale_167_y1j_jo.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[3] https://fr.internationalism.org/content/10505/rapport-pandemie-et-developpement-decomposition
[4] https://fr.internationalism.org/content/10522/rapport-lutte-classe-internationale-au-24eme-congres-du-cci
[5] https://fr.internationalism.org/french/rinte33/structure_et_fonctionnement_organisation_revolutionnaire.htm
[6] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201601/9305/rapport-role-du-cci-tant-fraction
[7] https://fr.internationalism.org/content/10309/divergences-resolution-situation-internationale-du-23e-congres
[8] https://fr.internationalism.org/rinte94/parasitisme.htm
[9] https://fr.internationalism.org/content/10429/il-y-a-trente-ans-disparaissait-notre-camarade-marc-chirik
[10] https://fr.internationalism.org/rinte65/marc.htm
[11] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm
[12] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[13] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/2020-21-pandemie-covid-19
[14] https://fr.internationalism.org/rinte35/congres1.htm
[15] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/resolutions-congres
[16] https://fr.internationalism.org/rinte97/13congres.htm
[17] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm
[18] https://fr.internationalism.org/content/9922/resolution-situation-internationale-2019-conflits-imperialistes-vie-bourgeoisie-crise
[19] https://fr.internationalism.org/rinte59/situ.htm
[20] https://fr.internationalism.org/content/9937/rapport-decomposition-aujourdhui-mai-2017
[21] https://fr.internationalism.org/content/10255/rapport-pandemie-covid-19-et-periode-decomposition-capitaliste-juillet-2020
[22] https://fr.internationalism.org/rint130/17_congr%C3%A8s_du_cci_resolution_sur_la_situation_internationale.html
[23] https://fr.wikipedia.org/wiki/The_New_York_Times
[24] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/05/14/origines-du-covid-19-la-divulgation-de-travaux-inedits-menes-depuis-2014-a-l-institut-de-virologie-de-wuhan-alimente-le-trouble_6080154_3244.html
[25] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/rapports-congres
[26] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decomposition
[27] https://en.internationalism.org/forum/16901/internal-debate-icc-international-situation
[28] https://en.internationalism.org/content/16735/debate-balance-class-forces
[29] https://fr.internationalism.org/content/9921/resolution-rapport-forces-entre-classes-2019
[30] https://fr.internationalism.org/rint145/revoltes_sociales_au_maghreb_et_au_moyen_orient_catastrophe_nucleaire_au_japon_guerre_en_libye_seule_la_revolution.html
[31] https://fr.internationalism.org/rint145/que_se_passe_t_il_au_moyen_orient.html
[32] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201401/8855/resolution-situation-internationale-20e-congres-du-cci
[33] https://fr.internationalism.org/content/4833/mouvement-des-indignes-espagne-grece-et-israel-lindignation-a-preparation-des-combats
[34] https://fr.internationalism.org/content/crise-alimentaire-emeutes-faim-seule-lutte-classe-du-proletariat-peut-mettre-fin-aux-famines
[35] https://fr.internationalism.org/content/9932/rapport-lutte-classe-23e-congres-international-du-cci-2019-formation-perte-et
[36] https://fr.internationalism.org/content/10139/covid-19-malgre-tous-obstacles-lutte-classe-forge-son-futur
[37] https://en.internationalism.org/content/16907/protests-health-sector-putting-national-unity-question
[38] https://fr.internationalism.org/rinte43/polemique.htm
[39] https://fr.internationalism.org/rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html
[40] https://markhayes9.wixsite.com/website/post/notes-on-the-bourgeois-counter-offensive-in-the-1980s
[41] https://fr.internationalism.org/content/10263/lirruption-decomposition-terrain-economique-rapport-juillet-2020
[42] https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2020/06/08/covid-19-to-plunge-global-economy-into-worst-recession-since-world-war-ii
[43] https://www.lavanguardia.com/economia/20210207/6228774/precios-comercio-maritimo-mundial-cuadruplican-covid.html?utm_term=botones_sociales_app&utm_source=social-otros&utm_medium=social
[44] http://www.ace-cargadores.com/2020/03/02/el-80-de-las-multinacionales-tiene-planes-para-repatriar-su-produccion/
[45] https://www.marxists.org/francais/inter_com/1919/ic1_19190300h.htm
[46] https://www.britannica.com/science/pollution-environment
[47] https://copenhagenconsensus.com/sites/default/files/air_pollution.pdf
[48] https://www.greeneconomycoalition.org/news-and-resources/the-economics-of-mass-extinction
[49] https://www.lavanguardia.com/natural/20200908/483359329249/degradacion-ambiental-catapulta-pandemias.html
[50] https://www.banquemondiale.org/fr/topic/poverty/overview
[51] https://www.bloomberg.com/graphics/2020-global-economic-and-climate-change-forecast-2050/
[52] https://www.dw.com/es/gasto-militar-mundial-tuvo-su-mayor-aumento-en-una-d%C3%A9cada-seg%C3%BAn-sipri/a-53254197
[53] https://www.infodefensa.com/texto-diario/mostrar/3123473/alemania-incrementa-1300-millones-presupuesto-defensa
[54] https://www.aviacionline.com/2020/12/japon-aprueba-presupuesto-militar-record-para-el-2021/
[55] https://www.cnbc.com/2019/11/20/us-spent-6point4-trillion-on-middle-east-wars-since-2001-study.html
[56] https://www.elcomercio.com/actualidad/china-gasto-militar-economia-pandemia.html
[57] https://www.abc.es/internacional/abci-china-y-rusia-doblan-gasto-militar-decada-201711121042_noticia.html
[58] https://www.republica.com/?pagename=la-deuda-mundial-escalara-en-2020-a-un-record-de-233-billones/
[59] https://fr.internationalism.org/content/10264/rapport-crise-economique-juillet-2020
[60] https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/documents/briefingnote/wcms_767223.pdf
[61] https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/---publ/documents/publication/wcms_757159.pdf
[62] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/leconomie
[63] https://fr.internationalism.org/rinte113/reso.htm
[64] https://fr.internationalism.org/content/10545/resolution-situation-internationale-2021
[65] https://www.monde-diplomatique.fr/2021/10/
[66] https://www.monde-diplomatique.fr/2021/07/
[67] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201309/8651/rapport-tensions-imperialistes-20e-congres-du-cci
[68] https://fr.internationalism.org/rint11/congres_resolution_situation_internationale.htm
[69] https://www.sipri.org/sites/default/files/2021-04/sipri_milex_press_release_fre.pdf