Soumis par Revue Internationale le
Au niveau de la crise économique, nous pouvons soutenir clairement les deux perspectives suivantes :
- La crise qui se profile d’ores et déjà va être, dans sa portée historique, la plus grave de la décadence, dépassant sur ce plan celle qui débuta en 1929.
- Ce qui est nouveau dans l’histoire du capitalisme c’est que les effets de la décomposition vont avoir un poids très important sur l’économie et l’évolution de la nouvelle phase ouverte de la crise.
Cependant, au-delà de la validité de ces prévisions générales, la situation inédite qui s’est ouverte, va être plus que jamais dominée par une forte incertitude. Plus précisément, au stade actuel atteint par la crise historique de surproduction, l’irruption de la décomposition sur le terrain économique bouleverse profondément les mécanismes du capitalisme d’État, destinés à accompagner et limiter l’impact de la crise. Il serait pourtant faux et dangereux d’en tirer comme conséquences que la bourgeoisie ne va pas utiliser au maximum ses capacités politiques pour répondre, au mieux de ses intérêts, à la crise économique mondiale qui commence à se déployer. L’irruption du poids de la décomposition signifie de plus un facteur d’instabilité et de fragilité dans le fonctionnement économique qui rend particulièrement difficile l’analyse de l’évolution de la situation.
Dans le passé, nous avons trop souvent braqué nos yeux seulement sur les aspects de la situation qui poussaient la crise économique du capital vers son aggravation inexorable en ne prenant pas suffisamment en compte tous les facteurs qui tendaient à freiner son développement. Or, afin d’être fidèles à la méthode marxiste d’analyse consistant à dégager les tendances, certes lourdes historiquement, nous devons tracer des perspectives, mais aussi les contre-tendances que la bourgeoisie ne tardera pas à mettre en œuvre. Nous devons donc dégager, le plus clairement possible, les lignes générales de l’évolution à venir, sans tomber pour cela dans des prévisions hasardeuses et incertaines. Nous devons nous armer pour faire face à la situation, en faisant en sorte de développer et de mettre en œuvre notre capacité de réflexion et de réponse rapide aux événements de très grande importance qui ne vont pas manquer de surgir. Notre méthode doit être inspirée par cette démarche suivante : "Le marxisme ne peut tracer avec certitude que les grandes lignes et tendances historiques générales. La tâche des organisations révolutionnaires doit être évidement de dégager des perspectives pour leur intervention dans la classe, mais ces perspectives ne peuvent pas être des "prédictions" basées sur des modèles mathématiques déterministes (et encore moins en prenant pour argent comptant les prédictions des "experts" de la bourgeoisie, que ce soit dans le sens d’un "optimisme" mensonger ou d’un "alarmisme" tout aussi mystificateur)" (extrait d'une contribution interne).
La gravité de la crise
La crise de 2008 avait constitué un moment très important pour le capitalisme. La reprise (2013-2018) avait été très faible, la plus faible depuis 1967. Elle fut qualifiée par la bourgeoisie de reprise "molle". Pour la décennie 2010-2020, avant la crise du Covid19, le site Cycle Business Bourse évaluait, de façon semble-t-il réaliste, la croissance mondiale comme étant légèrement inférieure à 3% en moyenne annuelle. La crise économique qui a éclaté au grand jour avec la pandémie avait déjà connu ses premières expressions claires, notamment à partir de 2018. Nous l’avions mis en évidence dans le Rapport et la Résolution sur la situation internationale du 23e Congrès du CCI (2019) : "La situation du capitalisme est, depuis début 2018, marquée par un net ralentissement de la croissance mondiale (passée de 4 % en 2017 à 3,3 % en 2019), que la bourgeoisie prévoit comme durable et devant s’aggraver en 2019-20. Ce ralentissement s’est avéré plus rapide que prévu en 2018, le FMI ayant dû revoir à la baisse ses prévisions sur les deux prochaines années, et touche pratiquement simultanément les différentes parties du capitalisme : Chine, États-Unis, zone euro. En 2019, 70 % de l’économie mondiale ralentissent et particulièrement les pays "avancés", (Allemagne, Royaume-Uni). Certains des pays émergents sont déjà en récession (Brésil, Argentine, Turquie) tandis que la Chine, en ralentissement depuis 2017 et avec une croissance évaluée à 6,2 % pour 2019 encaisse ses plus bas chiffres de croissance des trente dernières années" (Point 16 de la Résolution).
C’est dans ce contexte de ralentissement de la croissance que la pandémie de Covid 19 est devenue un puissant accélérateur de la crise économique mettant au premier plan trois facteurs :
- Le degré de fragilisation des systèmes de santé publique, un des éléments clé du capitalisme d’État depuis 1945. Ce processus d’affaiblissement du système de santé est lié à la crise économique en général et s’est accéléré considérablement avec son épisode de 2008. Dans la grande majorité des États, les systèmes de santé ont été incapables de faire face à la pandémie, ce qui a contraint la bourgeoisie à des mesures de confinement entraînant un arrêt brutal de l’économie jamais connu en temps de paix. Pour le capitalisme, prêt à sacrifier la vie de millions de personnes dans les guerres impérialistes, le dilemme n’était pas soit sauver des vies, soit maintenir la production. Face au développement de la pandémie, il était fondamentalement autour de la problématique : comment à la fois maintenir la production, la compétitivité économique, son rang sur la scène impérialiste, alors que l'envolée de la pandémie ne pouvait qu'affecter gravement la production et la position commerciale et impérialiste de chaque puissance.
- Le degré croissant de déresponsabilisation et l’incurie de la classe dominante dans tous les pays et notamment dans les pays centraux comme conséquence du phénomène de décomposition de la société.
- L’irruption brutale du "chacun pour soi" sur le plan économique, facteur également lié à la décomposition mais ayant des conséquences très importantes sur le terrain économique.
La manifestation la plus importante de la gravité de la crise tient au fait que, à la différence de 2008, les pays les plus centraux (Allemagne, Chine et surtout les États-Unis) sont les plus affectés ; même s’ils ont tous les moyens pour amortir la crise, l’onde de choc va déstabiliser fortement l’économie mondiale.
La chute brutale des prix du pétrole a frappé de plein fouet les États-Unis : Avant l’éclatement de la crise sanitaire, il y a eu une "guerre de prix" sur le pétrole . Comme résultat, les prix du pétrole deviennent négatifs, peut-être pour la première fois dans l’histoire. Même les analystes les plus optimistes en matière d'énergie prédisent la faillite d'une centaine de compagnies pétrolières aux États-Unis. Certaines ont accumulé des milliards de dollars de dettes, dont une grande partie est à haut risque : "Le premier foyer de risque dans la dette des entreprises est l'énergie", déclare Capital Economics, bien que Macadam estime qu'il ne s'agit pas d'un risque systémique. Mais une chaîne de défaillances dans le secteur pétrolier augmenterait le risque d'une crise financière. Et si l'un des géants pétroliers les plus endettés du monde - Shell, par exemple, a une dette de 77 milliards de dollars US, l'une des plus élevées au monde - se mettait en difficulté, les répercussions seraient dévastatrices"[1]
Ces prix négatifs illustrent parfaitement le niveau d’irrationalité du capital. La surproduction pétrolière et la spéculation effrénée dans ce secteur ont pour conséquence que les propriétaires de pétrole payent pour qu’on les débarrasse du pétrole excédentaire qui ne peut être stocké faute de place.
Tandis qu'en 2008, la faillite des banques était surtout propulsée par la spéculation immobilière, aujourd’hui ce sont les entreprises directement productives qui mettent en danger le secteur bancaire : "Les quatre plus grandes sociétés américaines, JP Morgan, Bank of America, Citigroup et Wells Fargo, ont chacune investi plus de 10 milliards de dollars dans le secteur de la fracturation du pétrole rien qu'en 2019, selon Statista. Et maintenant, ces compagnies pétrolières risquent sérieusement de devenir insolvables, laissant les banques avec de la paperasse sur leurs bilans (…) Selon Moody's, 91% des faillites d'entreprises américaines au cours du dernier trimestre de l'année dernière se sont produites dans le secteur du pétrole et du gaz. Les données fournies par l'Energy Economics and Financial Analysis indiquent que les entreprises de fracturation ont, l'année dernière, été incapables de payer 26 milliards de dollars de dettes"[2]. Avec la pandémie, la situation empire sérieusement : "La Consulting Rystad Energy estime que même si le baril devait récupérer les 20 dollars, 533 entreprises pétrolières américaines pourraient devenir insolvables d'ici 2021. Mais si les prix restent à 10 dollars, il pourrait y avoir plus de 1 100 faillites, avec pratiquement toutes les entreprises."[3]
La crise de la phase "multilatérale" du capitalisme d’État
Le capitalisme - par le biais du capitalisme d’Etat - fait un effort énorme pour protéger les centres vitaux du système et éviter une chute brutale, comme le dit le rapport sur la crise du 23e Congrès du CCI : "En s’appuyant sur les leviers du capitalisme d’État et en tirant les leçons de 1929, le capitalisme est capable de préserver ses centres vitaux (notamment les États-Unis et Allemagne), d’accompagner la crise, d’amoindrir ses effets en les repoussant vers les pays les plus faibles, de ralentir son rythme en les prolongeant dans le temps.".
Le capitalisme d’État a suivi différentes phases que nous avons commencé à traiter, notamment à l'occasion d'une de nos Journée d'Étude en 2019. Depuis 1945, les besoins des blocs impérialistes ont imposé une certaine coordination de la gestion étatique de l’économie au niveau international, notamment dans le bloc américain, avec la création d’organismes internationaux de "coopération" (OCDE, FMI, début de l’UE) et d’organisation du commerce (GATT).
Dans les années 1980, le capital des pays centraux, accablé par la montée de la crise et souffrant d'une chute brutale des profits, essaie de déplacer des pans entiers de la production vers des pays où la force de travail est beaucoup moins chère, comme la Chine. À cette fin, il a fallu une "libéralisation" financière très forte étendue à échelle mondiale et permettant de mobiliser les capitaux pour effectuer les investissements nécessaires. Dans les années 1990, après l’effondrement du bloc de l’Est, les organismes internationaux ont été renforcés, donnant naissance à une structure de "coopération internationale" aux niveaux monétaire, financier, pour la coordination de politiques économiques, la mise en place de chaînes de production internationale, la stimulation du commerce mondial et par l’élimination de barrières douanières etc. Ce cadre était mis en place pour avantager les pays les plus forts : ils pouvaient conquérir des nouveaux marchés, délocaliser leur production, s’approprier des entreprises parmi les plus rentables des pays plus faibles. Ces derniers étaient contraints de modifier leur propre politique étatique. Désormais, la défense de l’intérêt national ne passait plus par la protection douanière des industries clé mais par le développement d’infrastructures, la formation de la main d’œuvre, l’expansion internationale de ses entreprises clé, la captation d’investissements internationaux, etc.
Il y a eu "une vaste réorganisation de la production capitaliste à l’échelle planétaire entre 1990 et 2008. Sur le modèle de référence de l’UE, éliminant les barrières douanières entre États-membres, l’intégration de nombreuses branches de la production mondiale s’est renforcée en développant de véritables chaînes de production à l’échelle planétaire. En combinant logistique, informatique et télécommunications, permettant des économies d’échelle, l’exploitation accrue de la force de travail du prolétariat (par la hausse de la productivité, la mise en concurrence internationale, la libre circulation de la main d’œuvre pour imposer la baisse les salaires), la soumission de la production à la logique financière de la rentabilité maximale, le commerce mondial a continué à s’accroitre, même si plus faiblement, stimulant l’économie mondiale, d’un "second" souffle prolongeant l’existence du système capitaliste" (point 18 de la Résolution sur la situation internationale adoptée au 23e Congrès du CCI).
Cette "coopération internationale" constituait une politique très risquée et audacieuse permettant de soulager la crise et d'atténuer certains des effets de la décomposition sur l’économie en essayant de limiter l’impact de la contradiction du capitalisme entre la nature sociale et mondiale de la production et la nature privée de l'appropriation de la plus-value par des nations capitalistes concurrentes. Une telle évolution du capitalisme décadent est expliquée dans notre brochure sur la décadence lorsque, critiquant la vision selon laquelle la décadence serait synonyme d'un blocage définitif et permanent du développement des forces productives, elle met en avant : "Si nous nous situons dans l'hypothèse [qui n'est pas la nôtre] d'un blocage définitif et permanent de ce développement, seul un rétrécissement "absolu" de l'enveloppe que constituent les rapports de production existants pourrait expliquer un mouvement net d'approfondissement de cette contradiction. Or, on peut constater que le mouvement qui se produit généralement au cours des différentes décadences de l'histoire (capitalisme y compris) tend plutôt vers un élargissement de l'enveloppe jusqu'à ses dernières limites que vers un rétrécissement. Sous l'égide de 1'État et sous la pression des nécessités économiques, sociales, la carapace se tend en se dépouillant de tout ce qui peut s'avérer superflu aux rapports de production en n'étant pas strictement nécessaire à la survie du système". Cela est encore plus vrai pour le capitalisme, le mode de production le plus élastique et le plus dynamique de l’histoire jusqu’ici.
Comme le montrent le Rapport sur la crise économique et la Résolution sur la situation internationale du 23e Congrès du CCI, cette "organisation mondiale de la production" a commencé à être ébranlée au cours de la décennie 2010 : la Chine, après avoir profité largement des mécanismes mondiaux de commerce (l’OMC), a commencé à développer un mécanisme économique, commercial et impérialiste parallèle (la nouvelle Route de la Soie). La guerre commerciale s’est accélérée avec l’arrivée au pouvoir de Trump… Ces phénomènes expriment sans conteste que le capitalisme rencontrait de manière croissante des difficultés majeures dans sa tendance à élargir cette fameuse enveloppe citée dans notre brochure sur la décadence du capitalisme.
"Depuis les années 1960, cet indicateur [qui mesure la proportion d’exportations et d’importations dans chaque économie nationale] a suivi une tendance à la hausse qui s'est ralentie au cours des 18 derniers mois. Au cours de cette période, il est passé d'environ 23 % à une stabilisation à environ 60 %, et depuis 2010, il n'a cessé de baisser"[4].
L’irruption brutale de la décomposition sociale sur le terrain économique
Trois facteurs à l'origine de la crise de la pandémie montrent l’irruption des effets de la décomposition sur le terrain économique : "chacun pour soi", incurie et irresponsabilité des Etats. Deux d'entre eux trouvent directement leur origine dans la décomposition capitaliste : chacun pour soi et irresponsabilité . Il s’agit de facteurs très sensibles que la bourgeoisie - au moins dans les pays centraux - avait réussi à contrôler le plus possible, même si de plus en plus difficilement. Au stade actuel atteint par le développement des contradictions internes du capitalisme, et vu la manière dont celles-ci se manifestent dans l’évolution de la crise, l’explosion des effets de la décomposition devient désormais un facteur d’aggravation de la crise économique mondiale dont nous n’avons vu que les toutes premières conséquences. Ce facteur va peser sur l’évolution de la crise en constituant une entrave à l'efficacité effective des politiques actuelles de capitalisme d’Etat. "En comparaison avec les réponses apportées face aux crises de 1975, 1992, 1998 et 2008, nous voyons comme perspective une réduction considérable de la capacité de la bourgeoisie à limiter les effets de la décomposition sur le terrain économique. Jusqu’à maintenant par une "coopération internationale" des mécanismes de capitalisme d’État - ce qu’a été appelé la "mondialisation", la bourgeoisie avait réussi à préserver le terrain vital de l’économie et le commerce mondial des effets centrifuges hautement dangereux de la décomposition. Au plus grave de la convulsion économique de 2007-2008 et en 2009-2011, avec la crise de la "dette souveraine", la bourgeoisie avait pu concerter ses réponses ce qui a permis d’atténuer un peu les coups de la crise et garantir une "relance" anémique pendant la phase 2013-2018" (contribution sur la crise économique au sein du CCI).
Avec la pandémie, on a vu comment la bourgeoisie tente de rassembler la population derrière l'État en relançant l'unité nationale. Contrairement à 2008, où la tonalité nationaliste n'était pas aussi forte, maintenant les bourgeoisies du monde entier ont fermé leurs frontières, répandant ainsi le message : "derrière les frontières nationales, vous trouvez une protection, les frontières aident à retenir le virus". C'est une façon pour les différents États d'essayer de rallier la population derrière eux ; ils parlent partout en termes martiaux : "nous sommes en guerre, et la guerre a besoin d'unité nationale", avec les messages "l'État vous aidera", "nous vous renflouerons" ; "en fermant la frontière, nous éloignerons le virus". En imposant des plans d'urgence, en organisant des fermetures, les États veulent faire passer le message : "un État fort est votre meilleur allié".
L’OMS a été complètement inopérante alors que son action était vitale pour développer une action médicale efficace. Chaque État redoutant une perte de position concurrentielle par rapport aux autres a retardé de façon suicidaire les mesures pour faire face à la pandémie. L’obtention de matériel sanitaire a vu le spectacle sidérant de vols en tout genre, de mauvais coups entre États (et même à l’intérieur de chaque État). Dans l’UE où la "coopération entre Etats" était allée le plus loin possible, on a vu se développer de façon incontrôlée une poussée brutale du protectionnisme et du "chacun pour soi"» économique. Non seulement l'UE n'a aucune possibilité juridique pour imposer ses règles dans le secteur de la santé, mais surtout chaque pays a pris des mesures pour défendre ses frontières, ses chaînes d'approvisionnement et nous avons assisté, pour la première fois, à un véritable blocage des marchandises, à la confiscation d'équipements sanitaires - et à l'interdiction de les livrer à d'autres pays européens.
Nous avons là une illustration, encore plus grave, de la perspective dégagée par la Résolution sur la situation internationale du dernier Congrès du CCI : "Le développement actuel de la crise par les perturbations croissantes qu’elle provoque dans l’organisation de la production au sein d'une vaste construction multilatérale à l’échelle internationale unifiée par des règles communes montre les limites de la "mondialisation" : le besoin toujours plus grand d’unité (qui n’a jamais signifié autre chose que l’imposition de la loi du plus fort sur les plus faibles) en raison de l’intrication "transnationale” de la production très segmentée pays par pays. C’est en unités fondamentalement divisées par la concurrence où tout produit est conçu dans un endroit, assemblé ailleurs à l’aide d’éléments produits dans d’autres régions ou pays qui se heurte à la nature nationale de chaque capital, aux limites mêmes du capitalisme, irrémédiablement divisé en nations concurrentes et rivales. Le degré d’unité maximal qu’il est impossible au monde bourgeois de dépasser. L’aggravation de la crise (ainsi que les exigences des rivalités impérialistes) soumet à rude épreuve les institutions et les mécanismes multilatéraux" (point 20).
Ce que nous voyons, c'est qu’en réponse à la pandémie s’est développé un retour très significatif des mesures de "relocalisation nationale" de la production, de préservation de secteurs clé dans chaque capital national, du développement d’entraves à la circulation internationale des marchandises et des personnes etc., ce qui ne peut qu’avoir de graves conséquences sur l’évolution de l’économie mondiale et sur la capacité globale de la bourgeoisie pour répondre à la crise. Le repli national ne peut qu’aggraver la crise conduisant à une fragmentation des chaînes de production qui avaient précédemment une dimension mondiale, ce qui ne pourra que semer la pagaille dans les politiques monétaires, financières, commerciales… Cela peut mener au blocage et même à l’effondrement partiel de certaines économies nationales. Il est trop tôt pour prendre la mesure des conséquences de cette paralysie relative de l’appareil économique. Cependant, le plus grave et le plus significatif est que cette paralysie a lieu à l’échelle internationale.
La réponse généralisée des États à la pandémie a illustré la validité d'une analyse du Rapport sur la crise économique du 23e Congrès du CCI : "Une des contradictions majeures du capitalisme est celle découlant du conflit entre la nature de plus en plus mondiale de la production et la structure nécessairement nationale du capital. En poussant vers ses dernières limites les possibilités des "associations" de nations sur les plan économique, financier et productif le capitalisme a obtenu une "bouffée d’oxygène" significative dans son combat contre la crise qui le gangrène, mais en même temps il s’est mis dans une situation risquée. Cette fuite en avant dans le multilatéralisme se développe dans un contexte de décomposition, c’est-à-dire, une situation où l’indiscipline, les tendances centrifuges, le retranchement sur la structure nationale, sont de plus en plus puissantes et affectent non seulement des fractions de chaque bourgeoisie nationale mais aussi entraînent de larges secteurs de la petite bourgeoisie et même des franges de prolétaires croyant à tort que leur intérêt est attaché à la nation. Tout cela se cristallise dans une sorte de "révolte nationaliste nihiliste" contre la "globalisation" ".
Comment va répondre la bourgeoisie ?
Nous allons examiner la réponse entamée par la bourgeoisie et qui va s'articuler selon 3 volets : 1) poursuite d’endettement pharamineux ; 2) Repli national ; 3) Attaque brutale contre les conditions de vie de la classe ouvrière.
La dette mondiale s’élevait en 2020 à 255 000 milliards de dollars, soit 322% du PIB mondial, alors qu’avant la crise de 2008 celle-ci s’élevait à 60 000 milliards de dollars, le PIB mondial n’ayant depuis lors progressé que relativement "mollement". Nous avons ici une image du développement de l’endettement privé et public au cours des treize dernières années et qui a permis de soutenir ce que la bourgeoisie a qualifié de croissance "molle". Face à la violente accélération de la crise économique provoquée par la pandémie, la bourgeoisie a réagi partout dans le monde par la création monétaire par les banques centrales de tous les pays développés et émergents. Contrairement à la crise de 2008, aucune coordination entre les principales banques centrales mondiales n’a été mise en œuvre. Cette création massive de monnaie centrale et de dettes a été à la hauteur de l’inquiétude qui a gagné immédiatement la classe bourgeoise face à l’ampleur de la récession qui semble s’ouvrir devant elle. En prenant une moyenne des chiffres donnés par la bourgeoisie à la fin du mois de mai, nous avons les prévisions suivantes des reculs de la croissance :
- Au sein de l’Union européenne de 6,8% du PIB, de 11 à 12% pour les pays méditerranéens;
- Aux Etats-Unis, les chiffres donnés expriment la difficulté ou la perfidie idéologique de la bourgeoisie dans l’évaluation donnant des chiffres allant de – 6,5% à – 30% ! En termes statistiques, c’est du jamais vu. La FED de Philadelphie avançant même le chiffre de 35%.
- La Chine annonce une baisse de son PIB de 3,5% et une chute de son activité industrielle de 13%.
Si nous prenons l’hypothèse la plus basse émise par la bourgeoisie et en l’absence d’une deuxième vague de la pandémie, la croissance mondiale en 2020 devrait connaître une forte contraction de 3% minimum, soit un recul bien plus marqué que lors de la crise de 2008-2009.
Voici en résumé les perspectives incertaines exprimées par le FMI (qui se situent dans la moyenne des prévisions effectués par les organismes officiels au niveau international) :
Pays |
2019 |
2020 |
Pays avancés |
2,9 |
- 3 |
Zone euro |
1,7 |
-6,1 |
Allemagne |
0,6 |
-7 |
France |
1,3 |
-7,2 |
Italie |
0,3 |
-9,1 |
Espagne |
2 |
-8 |
Japon |
0,7 |
-5,2 |
Royaume uni |
1,4 |
-6,5 |
Chine |
6,1 |
1,2 |
Inde |
4,2 |
1,9 |
Brésil |
1,1 |
-5,3 |
Russie |
1,3 |
-5,5 |
Croissance mondiale |
2,4 |
-4,2 |
Volume du commerce mondial
|
2019 |
2020 |
Importations par pays avances |
1,5 |
-11,5 |
Importations par pays émergents et en développement |
0,8 |
-8,2 |
Exportations par pays émergents et en développement |
0,8 |
-9,6 |
Ces tableaux donnent un aperçu non seulement du processus de récession envisagé, mais également de la contraction prévue du commerce mondial.
Une synthèse de discussion au sein du CCI donne les chiffres suivants très évocateurs : "La situation n’est tenable que parce que les dettes des États et leur remboursement sont pris en charge par les banques centrales ; ainsi la FED injecte dans l’économie américaine 625 milliards de dollars par semaine alors que le Plan Paulson lancé en 2009 pour arrêter la faillite des banques a été globalement de 750 milliards de dollars (même s’il est vrai que d’autres plans de rachat des dettes par la FED seront lancés dans les années suivantes)", "La réponse la plus frappante de toutes est venue d'Allemagne, bien qu'elle ne soit qu'une partie d'une réaction européenne plus large à l'accélération de la crise économique. La raison pour laquelle les mesures prévues par le gouvernement allemand revêtent une importance particulière est expliquée dans un article du Financial Times du lundi 23 mars : les mesures proposées par Olaf Scholtz, ministre des Finances, représentent une rupture décisive avec la stricte adhésion du gouvernement à la politique du "schwarze Null" ou "black zero", qui consiste à équilibrer les budgets et à ne pas contracter de nouveaux emprunts."[5] (...) "Depuis février, 14 000 milliards de dollars ont été débloqués pour éviter l'effondrement. Tout cela dans un contexte complètement différent du passé. Comment ces politiques "expansionnistes", - qui ont surmonté les différences entre les banques centrales et les États, la reprise, les plans de sauvetage - comment peuvent-elles être efficaces ?"[6] .
Un exemple moins connu concerne la Chine qui est un des pays les plus endettés du monde, même si par ailleurs elle a des atouts non négligeables et à ne pas sous-estimer. L’endettement global de la Chine en 2019 est égal à 300% de son PIB, soit 43 000 milliards de dollars. De plus, 30% des entreprises en Chine sont cataloguées dans la catégorie "d’entreprises zombies". Ce qui est le pourcentage le plus élevé du monde. C’est aussi dans ce pays que le taux d’utilisation des capacités de production est le moins élevé, même si tous les pays développés connaissent ce phénomène de surcapacités de production. Officiellement, les taux d’utilisation des capacités industrielles des deux premières puissances du monde -et ceci avant la Covid-19- s’élevait en Chine à 76,4% et aux États-Unis à 78,2%. Le plan de relance mis en place en Chine s’élèverait à 64 000 milliards de dollars ce qui est une somme pharaonique et surement destiné en grande partie à la propagande idéologique. Le plan de relance est prévu de s'étendre sur une période de cinq à vingt ans, et bien que l’on ne sache quelle en sera la réalité, il ne peut qu’être en lié aux visées hégémoniques économiques et impérialistes de la Chine. Le plan de relance des États-Unis atteint 10 000 milliards de dollars. En comparaison, le plan de relance de l’UE apparaît comme presque ridicule, puisqu’il s’élèverait selon les dernières informations à 1290 milliards de dollars sous forme d’emprunts, financés, en partie par les marchés financiers, et en partie directement par la BCE. En réalité, l’argent injecté par la BCE dans l’ensemble de l’économie, banques privées, financements occultes, et entreprises s’élève à plusieurs milliards d’euros. Les États, surtout l’Allemagne, garantissent par mutualisation une partie de ce plan qui se fera sous forme de subventions et de prêts remboursables entre 2028 et 2058 ! En réalité, la classe bourgeoise est en train d’admettre qu’une grande partie de la dette mondiale ne sera jamais remboursée. Ce qui renvoie aux aspects que nous allons abordés maintenant.
Nous ne pouvons pas rendre compte dans le cadre de ce rapport des créations monétaires en cours dans toute leur ampleur, ni détailler tous les plans de relance. Encore une donnée statistique au moment où nous écrivons ce rapport, la dette des États-Unis atteint 10 000 milliards de dollars. Si tout cela semble dépasser l’imagination, il n’en demeure pas moins que le capitalisme utilise cette création monétaire astronomique pour investir et écouler ses marchandises. De ce point de vue, la création monétaire centrale et privée doit croître de façon exponentielle (sous différentes formes) pour permettre autant que possible à l’accumulation du capital de se maintenir et, dans la situation présente, de freiner la plongée dans la dépression. Cette dépression porte en elle le danger de la déflation mais surtout celui de la stagflation. La dévalorisation des devises, au-delà même de la guerre monétaire en cours qui la favorise, est inscrite dans la perspective de la crise du capitalisme. L’accélération de la crise actuelle est un pas très significatif dans ce sens. Le fond de la question est le suivant : dans chaque pays et de plus en plus, le capital global hypothèque la valeur future à produire et à réaliser la plus-value pour permettre la croissance actuelle et poursuivre l'accumulation du capital. C'est donc en grande partie grâce à cette anticipation que le capitalisme parvient à capitaliser et à investir. Ce processus concrétise le fait que, de plus en plus, la dette colossale émise est de moins en moins couverte par de la plus-value déjà produite et réalisée. Ce qui ouvre la perspective de krachs financiers et de destruction toujours plus importantes du capital financier. En toute logique, ce processus implique que le marché interne au capital ne peut croître de manière infinie, même s’il n’existe pas de limite fixe en la matière. C’est dans ce cadre que la crise de surproduction au stade actuel de son développement pose un problème de rentabilité et de profit au capitalisme. La bourgeoisie estime que près de 20% des forces productives mondiales ne sont pas utilisées. La surproduction de moyens de production est particulièrement visible et touche l’Europe, les États-Unis, l’Inde, le Japon, etc.
Ceci est important si nous voulons fonder en quoi le capitalisme d’État doit absolument se renforcer face à la crise qui s’annonce mais en quoi les plans de relance contiennent de très fortes limites et des effets pervers croissants. Et comment le chacun pour soi, dans ce contexte, est non seulement le produit de la décomposition, mais également de l'impasse croissante au plan économique, une tendance à laquelle le capitalisme ne peut pas échapper, qui est aussi historiquement une dynamique mortifère. Il sera important dans ce sens, dans la période à venir, d’étudier et de comparer l’histoire des crises ouvertes du capitalisme. En particulier celles de 1929, 1945, 1975, 1998, 2008.
Le repli national
La situation qui s’ouvre avec l’accélération très profonde de la crise actuelle remet au premier plan le rôle des États (et donc de leur banque centrale car le mythe de l’indépendance de celle-ci est révolu). Il sera intéressant de montrer ce qu’ont été concrètement les politiques économiques, le rôle des États et le keynésianisme dans les périodes 1930 et 1945. Puis de montrer la différence avec la façon dont la bourgeoisie a fait face en 2008. Il y a pendant toute cette période des différences d’une très grande importance, par exemple l’existence des marchés et zones extra capitalistes, mais aussi l’étendue de l’économie mondiale et des grandes puissances impérialistes et économiques, de même que la question des blocs impérialistes, etc. Mais dans cette crise, les plans de relance se font sous forme de déficit public et d’endettement des États et non pas, comme dans les années 1930 et 1940, en ponctionnant essentiellement de la plus-value déjà réalisée et thésaurisée à laquelle venait s’ajouter une part d’endettement n’ayant rien en commun avec celle d’aujourd’hui. Les plans de relance actuels s’avèreront de plus en plus difficiles à soutenir dans leur financement, tant les niveaux d’endettement qu’ils requièrent, s’écarteront de la croissance qu’ils engendreront. Cependant, un certain nombre de questions se posent.
Les leçons de la crise de 1929 conduisaient la bourgeoisie, malgré et contre sa propre "nature", à aller vers une coopération plus grande pour freiner autant que possible le développement de sa crise économique, soit par des politiques keynésiennes, soit par l’orchestration par les États de la mondialisation. Même si, dans la situation actuelle, il se produira un retour à des politiques de type keynésiennes dans le contexte d'une tendance croissante au chacun pour soi, l'efficacité de ces politiques, au regard des moyens mis en œuvre, ne sera pas comparable avec les périodes passées.
Il faut voir sur ce plan la tendance à un poids plus important - par rapport à la période précédente - des réponses isolées données par la bourgeoisie à l'échelle nationale. Par exemple, cette nouvelle tendance consistant à fermer les frontières pour arrêter le transport de passagers d'un continent à l'autre –ou à fermer les frontières nationales, comme si le virus respectait l'isolement national ". Tout cela est beaucoup plus le reflet d'une impuissance et d'un état d'esprit qu'une décision scientifiquement fondée de mise en quarantaine et destinée à éloigner le virus. En effet, en quoi risque-t-on d'avantage d'attraper le virus dans un train international entre Stuttgart et Paris plutôt qu'entre Stuttgart et Hambourg dans un train national ? La fermeture des frontières nationales n'est d'aucune utilité, elle exprime les "limites" des moyens de la bourgeoisie.
Le rapatriement de la production vers les pays centraux s’accroit avec la pandémie. Ainsi, 208 entreprises européennes ont décidé de faire revenir la production de la Chine. "Selon une enquête récente portant sur 12 industries mondiales, 10 d'entre elles - dont les industries automobiles, des semi-conducteurs et des équipements médicaux - déplacent déjà leurs chaînes d'approvisionnement, principalement hors de Chine. Le Japon offre 2 milliards de dollars aux entreprises pour qu'elles déplacent leurs usines hors de Chine et les ramènent dans l'archipel japonais" [7] .Un président comme Macron qui semble être partisan du multilatéralisme a déclaré que ""déléguer" de la nourriture et des fournitures médicales est "fou". Son ministre des finances, Bruno Le Maire, appelle au "patriotisme économique" pour que les Français consomment des produits nationaux" (ídem.). Dans tous les pays ils ont favorisé les plans d’économie de proximité, pour consommer de préférence des produits locaux ou nationaux. C’est un repli sur soi qui tend à briser les chaines de production industrielles, alimentaires etc., conçues à l’échelle mondiale et qui ont réduit fortement les coûts.
Les tendances centrifuges du "chacun pour soi" ont atteint un niveau plus élevé, alors que dans le même temps, dans chaque pays, l'État et chaque banque nationale, ont pompé ou promis des sommes gigantesques (illimitées dans le cas de l'Allemagne) à l'industrie. Aucune de ces mesures n'a été adoptée ni harmonisée par la BCE ou le FMI ; il faut ajouter que ce n'est pas seulement le populiste Trump qui a agi comme un champion du "chacun pour soi". L'Allemagne - avec l'accord des principaux partis politiques - a agi dans le même sens, tout comme Macron. Ainsi, qu'ils soient populistes ou non, tous les gouvernements ont agi dans la même direction -se retranchant derrière les frontières nationales, "chacun pour soi"- avec seulement un minimum de coordination internationale ou européenne.
Les conséquences de ces politiques semblent contreproductives pour chaque capital national et encore pire pour l’économie mondiale. "Entre 2007 et 2008, en raison d'une convergence fatidique de facteurs défavorables - mauvaises récoltes, hausse des prix du pétrole et des engrais, boom des biocarburants... - 33 pays ont limité leurs exportations pour protéger leur "souveraineté alimentaire". Mais le remède fut pire que la maladie. Les restrictions ont fait augmenter les prix du riz (116%), du blé (40%) et du maïs (25%), selon les estimations de la Banque mondiale (…) L'exemple de la Chine, premier pays touché par l'épidémie, n'est pas de bon augure : les menaces qui pèsent sur les chaînes d'approvisionnement mondiales ont déjà provoqué une augmentation de 15 et 22 % des denrées alimentaires dans ce pays asiatique depuis le début de l'année"[8]
Les contre-tendances au repli national
Il est certain que la bourgeoisie va réagir. Au niveau de l’UE, l’Allemagne a accepté finalement la "mutualisation des dettes", ce qui montre que les contre-tendances sont à l’œuvre face à l’ accélération de la décomposition sociale. Peut-être la bourgeoisie américaine va-t-elle limoger Trump aux prochaines élections présidentielles au bénéfice des démocrates partisans traditionnels du "multilatéralisme"[9]. Par ailleurs, "Le 22 avril dernier, les 164 pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui représentent 63 % des exportations agroalimentaires mondiales, se sont engagés à ne pas intervenir sur leurs marchés. En parallèle, les ministres de l'agriculture de 25 pays d'Amérique latine et des Caraïbes ont signé un accord contraignant pour garantir l'approvisionnement de 620 millions de personnes." [10]
Avec le plan de "transition écologique" et la promotion d’une "économie verte", des efforts pour une réorganisation de l’économie - au moins à l’échelle de l’UE - vont être faits : avec le développement massif des télécommunications, l’application de la robotique et l’informatique, les nouveaux matériaux beaucoup plus légers, la biotechnologie, les drones, la voiture électrique etc., l’industrie lourde traditionnelle basée sur les combustibles fossiles tend à se périmer, y compris dans le domaine militaire. Imposer les "nouveaux standards" d’organisation économique devient un atout pour les pays centraux, notamment l’Allemagne, les États-Unis et la Chine.
La bourgeoisie va lutter pied à pied contre cette marée de fragmentation nationale de l’économie. Mais elle se heurte à la force accrue de sa contradiction historique entre la nature nationale du capital et la nature mondiale de la production. Cette tendance de chaque bourgeoisie à vouloir sauver son économie au détriment des autres est une tendance irrationnelle désastreuse pour tous les pays et pour l'ensemble de l'économie mondiale (même s'il y aura des différences entre les pays). La tendance au "chacun pour soi", peut même être irréversible et l'irrationalité qui l'accompagne remet en question les leçons que la bourgeoisie avait tirées de la crise de 1929.
Comme le disait la Plateforme de l’Internationale Communiste, "Le résultat final du mode de production capitaliste est le chaos" ; le capitalisme a résisté à ce chaos de plusieurs façons pendant la période de décadence et a continué à résister pendant sa phase de décomposition. Des contre-tendances se manifesteront encore. Cependant la situation qui s’ouvre aujourd’hui est celle d’une aggravation importante du chaos, notamment sur le plan économique, ce qui est historiquement très dangereux.
Un cauchemar pour le prolétariat de tous les pays et notamment dans les pays centraux
La Résolution sur la situation internationale du 23e Congrès du CCI donnait le cadre suivant :
- " Concernant le prolétariat, ces nouvelles convulsions ne peuvent que se traduire par des attaques encore plus importantes contre ses conditions de vie et de travail sur tous les plans et dans le monde entier, en particulier :
- par le renforcement de l’exploitation de la force de travail, par la poursuite de la baisse des salaires et l’augmentation des cadences et de la productivité dans tous les secteurs ;
- par la poursuite du démantèlement de ce qui reste du ‘welfare state’ (restrictions supplémentaires des différents systèmes d’indemnités accordées aux chômeurs, des aides sociales et des systèmes de retraite) ; et plus généralement l’abandon "en douce" du financement de toutes les formes d’aides ou de soutien social du secteur associatif ou parapublic ;
- la réduction par les États des coûts que représentent l’enseignement et la santé dans la production et l’entretien de la force de travail du prolétariat (et donc des attaques importantes contre les prolétaires de ces secteurs publics) ;
- l’aggravation et le développement encore plus grand de la précarisation comme moyen d’imposer et de faire peser le développement du chômage de masses dans toutes les parties de la classe ;
- les attaques camouflées derrière des opérations financières, telles que les taux d’intérêt négatifs qui érodent les petits comptes d’épargne et les régimes de retraite. Et bien que les taux officiels d’inflation des biens de consommation soient faibles dans de nombreux pays, les bulles spéculatives ont contribué à une véritable explosion du coût du logement ; - l’augmentation du coût de la vie et notamment des taxes et du prix des produits de première nécessité."
Ce cadre a clairement été confirmé, et la situation s'est sérieusement aggravée avec l'irruption de la pandémie. Le cœur de la situation économique est l’attaque contre les conditions de vie du prolétariat du monde entier.
Une paupérisation à grande vitesse
En 2019, selon l’ONU, 135 millions de personnes souffraient de la faim. En avril 2020, avec l’éclatement de la pandémie, l’ONU prévoit que 265 millions de personnes seront dans cette situation[11]. La banque mondiale affirmait au mois de Mars que la population pauvre atteindrait 3,5 milliards de personnes avec une brusque accélération de plus de 500 000 par mois. Depuis lors, ce rythme semble s’être effectivement poursuivi, tout particulièrement en Amérique centrale et du Sud, ainsi qu’en Asie y compris aux Philippines, Inde et Chine. La paupérisation des travailleurs va s’accélérer, selon le Rapport de l’OIT "la pression sur les revenus résultant du déclin de l'activité économique aura un effet dévastateur sur les travailleurs qui se trouvent près ou en dessous du seuil de pauvreté". Entre 8,8 et 35 millions de travailleurs supplémentaires seront en situation de pauvreté dans le monde, par rapport à l'estimation initiale pour 2020 (qui prévoyait une baisse de 14 millions dans le monde).
Un chômage massif
En Inde et en Chine, le nombre de prolétaires mis au chômage se compte selon le FMI par centaines de milliers. Certains sites comme celui de Business bourse parlent de plusieurs millions d’ouvriers ayant perdu tout emploi en Chine. Tous ces chiffres sont vraiment à prendre avec beaucoup de prudence car ils varient souvent d’un site d’information à un autre. Ce qu'il faut retenir du phénomène, c'est sa massivité et sa rapidité d’extension qui sont dues au confinement et à l’arrêt d’une grande partie de l’activité économique mondiale. Pendant la même période, le chômage de masse a atteint 35 millions de personnes aux États-Unis et, malgré les aides exceptionnelles de l’État, les files d'attente devant les points de distribution de nourriture s’allongent de plus en plus, renvoyant aux images des années 1930 aux États-Unis. Le même phénomène se déroule aux Brésil où les chômeurs ne sont même plus réellement recensés officiellement. En France, le chômage devrait concerner d'ici quelques mois près de 7 millions de personnes. L’explosion du chômage de masse prend le même rythme en Italie et en Espagne. Actuellement, les plans de licenciements massifs commencent à affluer comme dans le transport aérien et la construction aéronautique. Mais également dans l’automobile, la production pétrolière etc. La liste va s’allonger encore dans la période à venir.
Une précarité généralisée
Dans une première évaluation des conséquences de la pandémie, l’OIT (Organisation Internationale du Travail) estimait que la pandémie provoquerait la perte définitive de 25 millions d’emplois dans le monde, tandis que la précarité augmenterait brutalement : "Le sous-emploi devrait également augmenter de manière exponentielle, car les conséquences économiques de l'épidémie de virus se traduisent par des réductions des heures de travail et des salaires. Dans les pays en développement, les restrictions à la circulation des personnes (par exemple, des prestataires de services) et des biens peuvent cette fois-ci annuler l'effet tampon que le travail indépendant a habituellement dans ces pays"[12]. De plus, dans l’économie informelle, des dizaines de milliers de travailleurs - qui ne rentrent dans aucune statistique et autre soutien financier de l’État – se retrouvent sans activité. Pour le moment, il est trop tôt pour avoir une idée du niveau de détérioration global du niveau de vie.
Des attaques sur tous les plans
À travers la baisse de salaires, l'augmentation des horaires de travail, des impôts, la baisse des retraites et des allocations sociales, … Il apparaît également que la bourgeoisie cherche à allonger le temps de travail réel (comme en France). Mais il s’agit également de faire baisser le salaire direct notamment par de nouveaux impôts "justifiés" par la pandémie. L’Union européenne par exemple étudie très sérieusement un impôt Covid, tout un programme !
L’endettement est toujours plus colossal, entraînant nécessairement une contrepartie : l’aggravation des mesures d’austérité contre les travailleurs. C’est dans ce cadre qu’il nous faut examiner la signification du revenu universel, un moyen de contenir les tensions sociales et de porter un coup important aux conditions de vie de la classe ouvrière. C’est un pas supplémentaire organisé par l’État vers la paupérisation universelle.
Dans les pays centraux et notamment en Europe de l’Ouest, la bourgeoisie essaiera de porter le plus judicieusement ses attaques et de faire en sorte que celles-ci soient menées d’une façon "politique", en provoquant les plus grandes divisions au sein du prolétariat. Bien que la marge de manœuvre de la bourgeoisie sur ce terrain tendra de plus en plus à s’amenuiser, il ne faut pas perdre de vue que : "les pays les plus développés de l’Europe du Nord, les États-Unis ou le Japon sont encore très loin d’une telle situation et il est plus qu’improbable qu’ils y parviennent un jour, d’une part, du fait de la plus grande résistance de leur économie nationale face à la crise, d’autre part, et surtout, du fait qu’aujourd’hui le prolétariat de ces pays, et particulièrement ceux d’Europe, n’est pas prêt à accepter un tel niveau d’attaques contre ses conditions d’existence. Ainsi, une des composantes majeures de l’évolution de la crise échappe au strict déterminisme économique et débouche sur le plan social, sur le rapport de forces entre les deux principales classes de la société" (Résolution sur la situation internationale du 20e Congrès du CCI).[1] Extrait de La Vanguardia du 25 avril 2020 "Las zonas de riesgo del sistema financiero "
[2] Extrait de La Vanguardia du 22 avril 2020 "La quiebra de las petroleras golpeará a los mayores bancos de EE.UU"
[3] Idem.
[4] La Vanguardia du 23 avril 2020 "Cómo el coronavirus está acelerando el proceso de desglobalización"
[5] BBC World Service, 6-4-20
[6] Présentation dans une réunion de l'organisation.
[7] Lire plus dans Política exterior.
[8] Lire plus dans Politica exterior.
[9] Cependant, au sein du parti démocrate les positions protectionnistes, similaires à celles de Trump, se développent. Deux congressistes démocrates ont présenté en mars 2020 une proposition de retrait des États-Unis de l’OMC.
[10] Política exterior.
10 Política exterior.
[12] Rapport de l’OIT de mars 2020.