à l’heure où nous mettons sous presse, la situation sociale en Égypte se révèle explosive. Des millions de personnes sont dans la rue, bravant les couvre-feux, le régime étatique et la répression sanglante. Au même moment, en Tunisie, le mouvement social perdure ; la fuite de Ben Ali, les remaniements gouvernementaux et les promesses d’élections prochaines ne suffisent pas à calmer la profonde colère de la population. En Jordanie, là aussi, des milliers de manifestants expriment leur ras-le-bol face à la pauvreté croissante alors que la contestation en Algérie a été purement et simplement étouffée.
Les médias et les politiciens de tous bords ne cessent de parler de la “révolte des pays du Maghreb et des États arabes”, focalisant ainsi l’attention sur les spécificités régionales, sur les mœurs “trop peu démocratiques” des dirigeants nationaux, sur l’exaspération des populations de voir depuis 30 ans les mêmes têtes au pouvoir…
Tout ceci est vrai ! Oui, les Ben Ali, Moubarak, Rifai et autres Bouteflika sont des gangsters, véritables caricatures de la dictature de la bourgeoisie. Mais avant tout, ces mouvements sociaux appartiennent aux exploités de tous les pays. Ces explosions de colère qui font aujourd’hui tâche d’huile ont pour toile de fond l’accélération de la crise économique mondiale qui, depuis 2007, est en train de plonger toute l’humanité dans la plus effroyable des misères. (1)
Après la Tunisie, l'Égypte ! La contagion de révoltes dans les États arabes, en particulier en Afrique du Nord comme celle qu’a connue la Tunisie que toutes les bourgeoisies redoutaient a déjà commencé. Là encore, des populations plongées dans la misère et le désespoir sous les coups de boutoir de la crise de l’économie mondiale sont livrées à l’horreur d’une répression sanguinaire. Face à la colère des exploités, les gouvernants et les dirigeants révèlent ce qu’ils sont tous : une classe d’affameurs et d’assassins. La seule réponse qu’ils puissent apporter, c’est le règne de la terreur et des balles dans la peau. Il ne s’agit pas là des seuls “dictateurs” désignés, les Moubarak, les Ben Ali, les Bouteflika, les Saleh au Yémen et consorts. Nos propres dirigeants “démocrates”, de gauche comme de droite, n’ont cessé de s’en faire des “amis”, des “alliés fidèles” et des complices, unis avec eux dans la même défense de l’ordre et de l’exploitation capitaliste. En feignant d’ignorer que la stabilité tant vantée de ces pays ou le prétendu rempart qu’ils représentaient contre l’islamisme radical n’était dus qu’au maintien depuis des décennies d’un régime cadenassé par la terreur policière, en détournant les regards de leurs tortures, de leur corruption, de leurs exactions, du climat de terreur et de peur qu’ils faisaient régner sur les populations. Ils les ont toujours pleinement soutenus dans le maintien de cette chape de plomb au nom de la stabilité, de l’amitié et de la paix entre les peuples, au nom de la non-ingérence, ne défendant ainsi rien d’autre que leurs sordides intérêts impérialistes nationaux.
Aujourd’hui, en Égypte, ce sont à nouveau des dizaines voire des centaines de morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers d’arrestations dans un climat survolté. Avec la chute de Ben Ali en Tunisie qui a servi de détonateur, le verrou a sauté. Cela a suscité un immense espoir dans la population de la plupart des États arabes où sévit la même terreur, seul moyen de museler la classe ouvrière et les couches exploitées. On a aussi assisté à maintes manifestations de désespoir avec une vague de tentatives d’immolation en Algérie, au Maroc, en Mauritanie, au Sahara occidental, en Arabie saoudite et jusqu’au Soudan qui a touché aussi bien des jeunes chômeurs que des ouvriers qui ne parviennent plus à subvenir aux besoins de leur famille. En Égypte, ce sont les mêmes revendications qu’en Tunisie qui sont scandées : “Du pain ! De la liberté ! De la dignité ! Plus d’humanité !”, face aux mêmes fléaux qui sévissent ailleurs dans le monde provoquée par la crise économique mondiale dans laquelle nous plonge partout le capitalisme : le chômage (qui touche en fait plus de 20 % de la population égyptienne), la précarité (4 Égyptiens sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté et les fameux “chiffonniers du Caire” sont connus dans le monde entier à travers les reportages), les hausses de produits de première nécessité et la misère croissante. Le slogan “Moubarak, dégage !” est directement repris sur le modèle de la population tunisienne réclamant le départ de Ben Ali à l’encontre de celui qui dirige le pays d’une poigne de fer depuis trente ans. Des manifestants proclamaient au Caire : “Ce n’est pas notre gouvernement, ce sont nos ennemis”. Un journaliste égyptien déclare à un correspondant du Figaro : “Aucun mouvement politique ne peut revendiquer ces manifestations. C’est la rue qui s’exprime. Les gens n’ont rien à perdre. Ça ne peut plus durer.” Une phrase revient sur toutes les lèvres : “Aujourd’hui, on n’a plus peur”.
En avril 2008, les salariés d’une usine textile de Mahallah el-Koubra au nord du Caire s’étaient mis en grève pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail. Pour appuyer les ouvriers et appeler à une grève générale le 6 avril, un groupe de jeunes s’était déjà organisé sur Facebook et Twitter. Des centaines de manifestants avaient été arrêtés. Cette fois, et contrairement à la Tunisie, le gouvernement égyptien a brouillé d’avance ces accès à Internet.
Le mardi 25 janvier, décrété “journée nationale de la police”, des dizaines de milliers de protestataires sont descendus dans les rues du Caire, d’Alexandrie, de Tanta, de Suez où ils se sont heurtés aux forces de l’ordre. Quatre jours d’affrontements quotidiens se succèdent où la violence de la répression n’a cessé d’alimenter la colère : pendant ces journées et ces nuits, la police anti-émeutes utilise à tour de bras gaz lacrymogène, tirs à balle en caoutchouc ou à balles réelles L’explosion de colère couvait depuis des semaines. La répression est toujours là : affrontements au Caire, à Suez, Alexandrie, dans le Sinaï. Déjà une dizaine de morts, une centaine de blessés, des milliers d’arrestations dans les premiers jours. L’armée forte de 500 000 hommes , suréquipée et très entraînée tient un rôle central de puissant soutien au régime, contrairement à la Tunisie. Le pouvoir bénéficie aussi d’hommes de main munis de bâtons et spécialisés comme casseurs de manifestations, les baltageyas ainsi que de nombreux flics en civil de la Sûreté d'État mêlés aux manifestants armés de chaînes métalliques, les flics contrôlent les rassemblements en groupe et quadrillent les sorties de métro dans la capitale. Le 28, jour de congé, vers midi, à l’heure de la sortie des mosquées, malgré l’interdiction de se rassembler, les manifestants affluent de toutes parts et s’affrontent avec la police dans plusieurs quartiers de la capitale. Ce sera la “jour de colère”. Dès la veille, le gouvernement a brouillé les sites internet comme les téléphones portables et coupé toutes les communications téléphoniques. Le pays s’embrase ; dans la soirée, les manifestants de plus en plus nombreux, bravent le couvre-feu décrété au Caire, à Alexandrie, à Suez. Des camions de police utilisant des canons à eau foncent sur la foule, surtout composée de jeunes. Au Caire, les chars et les troupes sont d’abord accueillis en héros libérateurs par les manifestants, et on assiste à quelques tentatives de fraternisations avec l’armée, largement médiatisées qui, ça et là, aboutissent à empêcher un convoi de blindés de rallier le gros des forces de l’ordre. De même quelques policiers jettent même leurs brassards et rejoignent le camp des manifestants. Mais très vite, à d’autres endroits au contraire, les blindés militaires ont ouvert le feu sur les manifestants venus à leur rencontre ou les fauchent. Le chef d’état-major égyptien, Sami Anan, qui conduisait une délégation militaire aux États-Unis pour des entretiens au Pentagone, est rentré précipitamment en Égypte vendredi. Des voitures de police, des commissariats, ainsi que le siège du parti gouvernemental sont incendiés, le ministère de l’information est mis à sac. Les blessés s’entassent dans les hôpitaux surchargés. A Alexandrie, le gouvernorat est aussi incendié. A Mansoura aussi, dans le delta du Nil, des affrontements violents ont eu lieu, faisant plusieurs morts. Quelques assiégeants tentent de s’emparer du siège de la télévision d'État, d’où ils sont repoussés par l’armée.
Vers 23 heures 20, Moubarak apparaît devant les écrans de télévision et prend la parole pour annoncer le remaniement de son équipe gouvernementale le lendemain et promet d’entreprendre des réformes politiques ainsi que de nouvelles mesures pour la démocratie tout en assurant de sa fermeté “pour assurer la sécurité et la stabilité de l'Égypte” contre les “entreprises de déstabilisation”. Ces propos n’ont fait qu’attiser la colère et renforcer la détermination des manifestants.
Mais si la Tunisie est un modèle pour les manifestants, les enjeux de la situation ne sont plus les mêmes pour la bourgeoisie. La Tunisie reste un pays de taille modeste qui pouvait revêtir un intérêt impérialiste important pour un pays “ami” de second ordre tel que la France2. Il en est tout autrement de l'Égypte qui est de loin l'État le plus peuplé (plus de 80 millions d’habitants) de la région et qui occupe surtout une place stratégique centrale et fondamentale au Proche- et au Moyen-Orient, en particulier pour la bourgeoisie américaine. L’enjeu est ici majeur. La chute du régime Moubarak pourrait provoquer un chaos régional lourd de conséquences. L'Égypte de Moubarak est le principal allié des États-Unis dans le conflit du Moyen-Orient, afin d’assurer la protection de l'État israélien, jouant un rôle clé et prépondérant dans les relations israélo-palestiniennes et même inter-palestiniennes entre le Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas. Cet État était jusqu’ici considéré comme un facteur de stabilité au Proche-Orient. De même, l’évolution politique du Soudan qui se dirige vers une sécession du Sud du pays rend nécessaire un pouvoir égyptien fort. C’est donc une pièce maîtresse la stratégie américaine dans le conflit israélo-arabe depuis 40 ans dont la déstabilisation risquerait de faire basculer de nombreux pays voisins, en particulier la Jordanie, la Libye, le Yémen et la Syrie. Cela explique l’inquiétude des États-Unis qui, du fait de ses liens très étroits avec le régime, se retrouve dans une situation inconfortable ; Obama et la diplomatie américaine sont ainsi contraints de se mobiliser et de monter en première ligne pour multiplier les pressions directes sur Moubarak afin de tenter de préserver la stabilité du pays et d’abord de sauver le régime. C’est pourquoi Obama a déclaré publiquement qu’il s’est entretenu une demie-heure avec Moubarak, après l’allocution de ce dernier pour que celui-ci lâche davantage de lest. Auparavant, Hillary Clinton a ainsi déclaré que le “les forces de l’ordre devaient être incitées à plus de retenue” et que le gouvernement devait très rapidement remettre en service les réseaux de communication. Le lendemain, c’est probablement sous la pression américaine qu’un général, Omar Souleimane, chef du puissant service des Renseignements militaires, de surcroît chargé des dossiers de négociation avec Israël au Moyen-Orient, a été imposé comme vice-président. C’est d’ailleurs l’armée qui a profité de sa popularité auprès des manifestants pour être restée en retrait et avoir à maints endroits pactisé avec les manifestants pour pousser avec succès une grande partie de la foule amassée au centre-ville et qui bravait une nouvelle fois le couvre-feu à rentrer “à la maison” pour “se protéger des pillards”
... comme dans d’autres États arabes...
D’autres manifestations de révolte ont eu lieu en même temps aussi en Algérie, au Yémen, en Jordanie. Dans ce dernier pays, 4 000 manifestants se sont rassemblés à Amman pour la troisième fois en 3 semaines pour protester contre la vie chère et réclamer des réformes économiques et politiques, notamment le départ du premier ministre. Les autorités ont fait quelques gestes avec de petites mesures économiques et quelques consultations politiques. Mais les manifestations se sont étendues aux villes d’Irbid et de Kerak. La répression en Algérie a déjà fait 5 morts et plus de 800 blessés et au centre d’Alger, une manifestation a été durement réprimée le 22 janvier. En Tunisie aussi, la chute de Ben Ali n’a freiné ni la colère ni l’ampleur de la répression : dans les prisons, les exécutions sommaires depuis le départ de Ben Ali auraient fait plus de morts que les affrontements avec la police auparavant. La “caravane de la libération”, venue du centre ouest du pays d’où était parti le mouvement, a bravé le couvre-feu et campé plusieurs jours devant le siège du palais abritant un gouvernement dominé par d’anciens caciques et des séides du régime pour réclamer sa démission. La colère perdure car ce sont les mêmes hommes que du temps de Ben Ali qui tiennent les rênes du pays. Le remaniement gouvernemental, plusieurs fois repoussé, a eu lieu le 27 janvier, écartant les ministres les plus compromis avec l’ancien régime mais conservant toujours le même premier ministre, n’ a pas réussi à calmer les esprits. La répression féroce de la police continue et la situation reste confuse.
Ces explosions de révolte massives et spontanées révèlent le ras-le-bol des populations qui sont aujourd’hui déterminées à en finir avec la misère et la répression de ces régimes. Mais elles révèlent aussi le poids des illusions démocratiques et du poison nationaliste : dans les diverses manifestations, les drapeaux nationaux restaient fièrement brandis. En Égypte, comme en Tunisie, la colère des exploités a été immédiatement dévoyée sur le terrain du combat pour plus de démocratie. La haine de la population pour le régime et la focalisation sur Moubarak (comme en Tunisie pour Ben Ali) a permis quelques revendications économiques contre la misère et le chômage soient reléguées en arrière plan par tous les médias bourgeois. Cela permet évidemment à la bourgeoisie ds pays “démocratiques” de faire croire à la la classe ouvrière, notamment celle des pays centraux, que ces “soulèvements populaires” n’ont pas les mêmes causes fondamentales que les luttes ouvrières qui se déroulent ici : la faillite du capitalisme mondial..
Vers le développement des combats de classe
Cette irruption de plus en plus forte d’une très grande colère sociale engendrées par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme dans des États de la périphérie qui étaient jusqu’à présent le foyer permanent et exclusif de tensions impérialistes et de menées guerrières constitue un facteur politique nouveau avec lequel la bourgeoisie mondiale devra désormais de plus en plus compter. L’émergence de ces révoltes contre la corruption des dirigeants qui s’en mettent plein les poches alors que la grande majorité de la population crève de faim, ne peut apporter de solutions en elles-même dans ces pays. Mais ces mouvements sont le signe avant-coureur d’une maturation des futures luttes sociales qui ne vont pas manquer de surgir dans les pays les plus industrialisés face aux mêmes maux : la baisse du niveau de vie, la misère croissante, le chômage des jeunes.
C’est d’ailleurs la même révolte contre un système mondial en faillite qui couve chez les jeunes en Europe, comme on l’a vu avec les luttes des étudiants en particulier en France, en Grande-Bretagne, en Italie. Dernier exemple en date : aux Pays-Bas, le 22 janvier, 20 000 étudiants et enseignants se rassemblent dans la rue à La Haye devant le siège du parlement et le ministère de l’enseignement. Ils protestent contre la forte hausse des droits d’inscription à l’université visant en premier lieu les “redoublants” (ce qui est souvent le cas de beaucoup d’étudiants-salariés obligés de travailler pour payer leurs études) qui auront à payer 3000 euros supplémentaires par an, tandis que les prochaines coupes budgétaires prévoient la suppression de 7000 postes dans le secteur. C’est l’une des plus importantes manifestations d’étudiants depuis 20 ans dans le pays. Ils sont alors violemment et brutalement chargés par la police.
Ces mouvements sociaux sont le symptôme d’ une avancée importante dans le développement international de la lutte de classe dans tous les pays, même si la classe ouvrière n’apparaît pas en tant que telle, comme force autonome, dans les pays arabes et reste noyée dans un mouvement de protestation populaire.
Partout dans le monde, le fossé se creuse entre d’un côté une classe dominante, la bourgeoisie, qui étale avec une morgue et une arrogance de plus en plus indécente ses richesses, et de l’autre la masse des exploités qui plongent de plus en plus dans la misère et le dénuement. Ce fossé tend à rapprocher et unir dans un même combat contre le capitalisme les prolétaires de tous les pays quand la bourgeoisie ne peut plus répondre à l’indignation de ceux qu’elle exploite que par de nouvelles mesures d’austérité, par des coups de matraque et par des balles.
Les révoltes et les luttes sociales vont inévitablement prendre des formes différentes dans les années à venir et selon les régions du monde. Les forces et les faiblesses des mouvements sociaux ne seront pas partout identiques. Ici, la colère, la combativité et le courage seront exemplaires. Là, les méthodes et la massivité des luttes permettront d’ouvrir d’autres perspectives et d’établir un rapport de force en faveur de la classe ouvrière, seule force de la société capable d’offrir une perspective d’ avenir à l’humanité. En particulier, la concentration et l’expérience du prolétariat mobilisé dans ses combats dans les pays situés au cœur du capitalisme seront déterminantes. Sans la mobilisation massive des prolétaires des pays centraux, les révoltes sociales à la périphérie du capitalisme sont condamnées in fine à l’impuissance et ne pourront se dégager du joug de telle ou telle fraction de la classe dominante. Seule la lutte internationale de la classe ouvrière, sa solidarité, son unité, son organisation et sa conscience des enjeux de ses combats pourront entraîner dans son sillage toutes les couches de la société, afin de mettre à bas ce capitalisme agonisant et construire un autre monde !
W. (29 janvier)
1) Nous devons être ici prudents face à l’ampleur du black-out international de la situation algérienne. Il semble par exemple avoir encore des foyers de lutte en Kabylie.
2) La France qui après avoir soutenu Ben Ali avait fait son mea culpa pour avoir sous-estimé la situation et cautionné un autocrate se couvre quant à elle une nouvelle fois de ridicule en ménageant à son tour Moubarak et en se gardant bien de l’appeler à partir.
Dans Les Manuscrits économiques et philosophiques, après avoir examiné les diverses facettes de l’aliénation humaine, Marx s’est attaché à critiquer les conceptions du communisme, rudimentaires et inadéquates, qui prédominaient dans le mouvement prolétarien de son époque. Marx a rejeté les conceptions héritées de Babeuf que les adeptes de Blanqui ont continué à défendre, car elles tendaient à présenter le communisme comme un nivellement général par le bas, une négation de la culture dans laquelle “la condition de travailleur n’est pas abolie, elle est étendue à tous les hommes.” Dans cette conception, tout le monde devait devenir travailleur salarié sous la domination d’un capital collectif, de la “communauté en tant que capitaliste universel”. En rejetant ces conceptions, Marx anticipait déjà sur les arguments que les révolutionnaires venus après ont dû développer pour démontrer la nature capitaliste des régimes soi-disant “communistes” de l’ex-bloc de l’Est.
Marx avait à cœur de montrer, à l’encontre de ces définitions restrictives et déformées, que le communisme ne signifiait pas la réduction générale des hommes à un philistinisme inculte, mais l’élévation de l’humanité à ses plus hautes capacités créatrices.
Le communisme vulgaire avait compris assez correctement que les réalisations culturelles des sociétés antérieures étaient basées sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais ce faisant, il les rejetait de façon erronée alors que le communisme de Marx, au contraire, cherchait à s’approprier et à rendre vraiment fructueux tous les efforts culturels et, si l’on peut utiliser ce terme, spirituels antérieurs de l’humanité en les libérant des distorsions dont la société de classe les avait inévitablement marqués. En faisant de ces réalisations le bien commun de toute l’humanité, le communisme les fusionnerait en une synthèse supérieure et plus universelle. C’était une vision profondément dialectique qui, même avant que Marx ait exprimé une claire compréhension des formes communautaires de société ayant précédé la formation des divisions de classe, reconnaissait que l’évolution historique, en particulier dans sa phase finale capitaliste, avait spolié l’homme et l’avait privé de ses rapports sociaux “naturels” originels. Mais le but de Marx n’était pas un simple retour à une simplicité primitive perdue mais l’instauration consciente de l’être social de l’homme, une accession à un niveau supérieur qui intègre toutes les avancées contenues dans le mouvement de l’histoire.
La critique par Marx du travail aliéné présentait plusieurs aspects :
• le travail aliéné séparait le producteur de son propre produit : ce que l’homme créait de ses propres mains devenait une force hostile écrasant son créateur ; il séparait le producteur de l’acte de production : le travail aliéné était une forme de torture, une activité totalement extérieure au travailleur. Et comme la caractéristique humaine la plus fondamentale, l’“être générique de l’homme” comme dit Marx, était la production créatrice consciente, transformer celle-ci en source de tourment, c’était séparer l’homme de son véritable être générique ;
• il séparait l’homme de l’homme : il y avait une profonde séparation non seulement entre l’exploiteur et l’exploité, mais aussi entre les exploités eux-mêmes, atomisés en des individus rivaux par les lois de la concurrence capitaliste.
Dans ses premières définitions du communisme, Marx traitait ces aspects de l’aliénation sous différents angles, mais toujours avec la même préoccupation de montrer que le communisme fournissait une solution concrète et positive à ces maux. Dans la conclusion des Extraits des éléments d’économie politique de James Mill, commentaire qu’il a écrit à la même époque que les Manuscrits, Marx explique pourquoi le remplacement du travail salarié capitaliste (qui ne produit que pour le profit) par le travail associé produisant pour les besoins humains, constitue la base du dépassement des aliénations énumérées plus haut.
En opposition à cela, Marx nous demande de supposer “que nous produisions comme des êtres humains : chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l’autre. 1° Dans ma production, je réaliserais mon identité, ma particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et, dans la contemplation de l’objet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme une puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute. 2° Dans ta jouissance ou ton emploi de mon produit, j’aurais la joie spirituelle immédiate de satisfaire par mon travail un besoin humain, de réaliser la nature humaine et de fournir au besoin d’un autre l’objet de sa nécessité. 3° J’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d’être reconnu et ressenti par toi comme un complément à ton propre être et comme une partie nécessaire de toi-même ; d’être accepté dans ton esprit comme dans ton amour. 4° J’aurais, dans mes manifestations individuelles, la joie de créer la manifestation de ta vie, c’est-à-dire de réaliser et d’affirmer dans mon activité individuelle ma vraie nature, ma sociabilité humaine. Nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre. (...) Mon travail serait une manifestation libre de la vie, une jouissance de la vie.”.
Ainsi, pour Marx, les être humains ne produiraient de façon humaine que lorsque chaque individu serait capable de se réaliser pleinement dans son travail : accomplissement qui vient de la jouissance active de l’acte productif ; de la production d’objets qui non seulement aient une utilité réelle pour d’autres êtres humains mais qui méritent également d’être contemplés en eux-mêmes, parce qu’ils ont été produits, pour utiliser une expression des Manuscrits, “selon les lois de la beauté” ; du travail en commun avec d’autres êtres humains, et dans un but commun.
Pour Marx, la production pour les besoins n’a jamais constitué un simple minimum, une satisfaction purement quantitative des besoins élémentaires de se nourrir, de se loger, etc. La production pour les besoins était également le reflet de la nécessité pour l’homme de produire – pour l’acte de production en tant qu’activité sensuelle et agréable, en tant que célébration de l’essence communautaire du genre humain. C’est une position que Marx n’a jamais modifiée. Comme l’écrit, par exemple, le Marx “mûr” dans la Critique du Programme de Gotha (1874), quand il parle d’une «phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail, et, avec elle, l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail manuel, quand le travail sera devenu non seulement un moyen de vivre, mais même le premier besoin de l’existence ; quand avec le développement en tous sens des individus, les forces productives iront s’accroissant, et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance...”
Dans la société future, la principale motivation pour travailler sera que travailler devient “le premier besoin de l’existence”, la jouissance de la vie - cœur de l’activité humaine et accomplissement des désirs les plus essentiels de l’homme.
Dans le premier volume du Capital, Marx passe des pages et des pages à fulminer contre la façon dont le travail à l’usine réduit l’ouvrier à un simple fragment de lui-même ; contre la façon dont il transforme les hommes en corps sans tête, dont la spécialisation a réduit le travail à la répétition des actions les plus mécaniques engourdissant l’esprit. Mais cette polémique contre la division du travail se trouve déjà dans ses premiers travaux, et il est clair dans ce qu’il dit que, pour Marx, il ne peut être question de dépasser l’aliénation implicite dans le système salarié sans qu’il y ait une profonde transformation de la division du travail existante. Un passage fameux de l’Idéologie allemande traite cette question :
“Enfin, et la division du travail nous en fournit d’emblée le premier exemple, aussi longtemps que les hommes se trouvent dans la société primitive, donc aussi longtemps que subsiste la division entre intérêt particulier et intérêt général, et que l’activité n’est pas divisée volontairement mais naturellement, le propre acte de l’homme se dresse devant lui comme une puissance étrangère qui l’asservit, au lieu que ce soit lui qui la maîtrise. En effet, du moment où le travail commence à être réparti, chacun entre dans un cercle d’activités déterminé et exclusif, qui lui est imposé et dont il ne peut s’évader ; il est chasseur, pêcheur, berger ou “critique”, et il doit le rester sous peine de perdre les moyens qui lui permettent de vivre. Dans la société communiste, c’est le contraire : personne n’est enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former dans n’importe quelle branche de son choix ; c’est la société qui règle la production générale et qui me permet ainsi de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique.”
Cette merveilleuse image de la vie quotidienne dans une société communiste pleinement développée utilise évidemment une certaine licence poétique, mais elle traite le point essentiel : étant donné le développement des forces productives que le capitalisme a apporté, il n’y a absolument pas besoin que les êtres humains passent la plus grande partie de leur vie dans la prison d’un genre unique d’activité - par-dessus tout dans le genre d’activité qui ne permet l’expression que d’une minuscule part des capacités réelles de l’individu. De la même façon, nous parlons de l’abolition de l’ancienne division entre la petite minorité d’individus qui ont le privilège de vivre d’un travail réellement créatif et gratifiant, et la vaste majorité condamnée à l’expérience du travail comme aliénation de la vie :
“Le fait que le talent artistique soit concentré exclusivement dans quelques individus, et qu’il soit, pour cette raison, étouffé dans la grande masse des gens, est une conséquence de la division du travail. (...) dans une organisation communiste de la société, l’assujettissement de l’artiste à l’esprit borné du lieu et de la nation aura disparu. Cette étroitesse d’esprit est un pur résultat de la division du travail. Disparaîtra également l’assujettissement de l’individu à tel art déterminé qui le réduit au rôle exclusif de peintre, de sculpteur, etc., de sorte que, à elle seule, l’appellation reflète parfaitement l’étroitesse de son développement professionnel et sa dépendance de la division du travail. Dans une société communiste, il n’y a pas de peintres, mais tout au plus des êtres humains qui, entre autres choses, font de la peinture.”.
L’image héroïque de la société bourgeoise dans son aurore naissante est celle de 1’ “Homme de la Renaissance” – d’individus tels que Léonard De Vinci qui a combiné les talents d’artiste, de scientifique et de philosophe. Mais de tels hommes ne sont que des exemples exceptionnels, des génies extraordinaires, dans une société où l’art et la science s’appuyaient sur le labeur éreintant de l’immense majorité. La vision du communisme de Marx est celle d’une société composée tout entière d’“Hommes de la Renaissance”.
Les descriptions par Marx des buts ultimes du communisme sont extrêmement hardies, bien plus que ne le soupçonnent habituellement les
“réalistes”, car elles ne considèrent pas seulement les profonds changements qu’implique la transformation communiste (production pour l’usage, abolition de la division du travail, etc.) ; elles fouillent aussi dans les changements subjectifs que le communisme apportera, permettant une transformation spectaculaire de la perception et de l’expérience sensitive mêmes de l’homme.
Là encore, la méthode de Marx est de partir du problème réel, concret posé par le capitalisme et de chercher la solution contenue dans les contradictions présentes de la société. Dans ce cas, il décrit la façon dont le règne de la propriété privée réduit les capacités de l’homme de jouir véritablement de ses sens. D’abord, cette restriction est une conséquence de la simple pauvreté matérielle qui émousse les sens, réduit toutes les fonctions fondamentales de la vie à leur niveau animal, et empêche les êtres humains de réaliser leur puissance créatrice :
Au contraire, “les sens de l’homme social sont autres que ceux de l’homme non social. C’est seulement grâce à l’épanouissement de la richesse de l’être humain que se forme et se développe la richesse de la sensibilité subjective de l’homme : une oreille musicienne, un oeil pour la beauté des formes, bref des sens capables de jouissance humaine, des sens s’affirmant comme maîtrise propre à l’être humain... une fois accomplie (sa gestation), la société produit comme sa réalité durable l’homme pourvu de toutes les richesses de son être, l’homme riche, l’homme doué de tous ses sens, l’homme profond.”
Mais ce n’est pas seulement la privation matérielle quantifiable qui restreint le libre jeu des sens. C’est quelque chose de plus profondément incrusté par la société de propriété privée, la société d’aliénation. C’est la “stupidité” induite par cette société qui nous convainc que rien “n’est vraiment vrai” tant qu’on ne le possède pas :
“La propriété privée nous a rendus si sots et si bornés qu’un objet est nôtre uniquement quand nous l’avons, quand il existe pour nous comme capital, ou quand ils est immédiatement possédé, mangé, bu, porté sur notre corps, habité par nous, etc., bref quand il est utilisé par nous. Il est vrai que la propriété privée ne conçoit toutes ces réalisations directes de la possession elle-même que comme des moyens de vivre, et la vie, à laquelle elles servent de moyens, comme la vie de la propriété privée : le travail et le profit du capital. A la place de tous les sens physiques et intellectuels est apparue l’aliénation pure et simple des sens, le sens de l’avoir.”
Et de nouveau, en opposition à cela :
“...l’abolition positive de la propriété privée – c’est-à-dire l’appropriation sensible par l’homme et pour l’homme de la vie et de l’être humains, de l’homme objectif, des oeuvres humaines - ne doit pas être comprise dans le seul sens de la jouissance immédiate, partiale, dans le sens de la possession, de l’avoir. L’homme s’approprie sa nature universelle d’une manière universelle, donc en tant qu’homme total. Chacun de ses rapports humains avec le monde, voir, entendre, sentir, goûter, toucher, penser, contempler, vouloir, agir, aimer, bref, tous les actes de son individualité, aussi bien que, sous leur forme directe, ses organes génériques sont, dans leur comportement envers l’objet, l’appropriation de celui-ci (...) L’abolition de la propriété privée est l’émancipation de tous les sens et de toutes les qualités humaines ; mais elle est cette émancipation précisément parce que ces sens et ces qualités deviennent humains, tant subjectivement qu’objectivement. L’oeil devient l’oeil humain, tout comme son objet devient un objet social, humain, venant de l’homme et aboutissant à l’homme. Ainsi les sens sont devenus “théoriciens” dans leur action immédiate. Ils se rapportent à l’objet pour l’amour de l’objet et inversement, l’objet se rapporte humainement à lui-même et à l’homme. C’est pourquoi le besoin et la jouissance perdent leur nature égoïste, tandis que la nature perd sa simple utilité pour devenir utilité humaine.”
Clairement, pour Marx, le remplacement du travail aliéné par une forme réellement humaine de production mènerait à une modification fondamentale de l’état de conscience de l’homme. La libération de l’espèce du tribut paralysant payé à la lutte contre la pénurie, le dépassement de l’association de l’anxiété et du désir imposée par la domination de la propriété privée libèrent les sens de l’homme de leur prison et lui permettent de voir, d’entendre et de sentir d’une nouvelle façon. Il est difficile de discuter de telles formes de conscience parce qu’elles ne sont pas “simplement” rationnelles. Cela ne veut pas dire qu’elles ont régressé à un niveau antérieur au développement de la raison. Cela veut dire qu’elles sont allées au-delà de la pensée rationnelle telle qu’elle a été conçue jusqu’à présent en tant qu’activité séparée et isolée, atteignant une condition dans laquelle “non seulement dans le penser, mais avec tous ses sens, l’homme s’affirme dans le monde des objets.”
Une première approche pour comprendre de telles transformations internes, c’est de se référer à l’état d’inspiration qui existe dans toute grande oeuvre d’art. Dans cet état d’inspiration, le peintre ou le poète, le danseur ou le chanteur entrevoit un monde transfiguré, un monde resplendissant de couleur et de musique, un monde d’une signification élevée qui fait que notre état “normal” de perception apparaît partiel, limité et même irréel – ce qui est juste quand on se rappelle que la “normalité” est précisément la normalité de l’aliénation. L’analogie avec l’artiste n’est pas du tout fortuite. Lorsqu’il écrivait les Manuscrits, l’ami le plus estimé de Marx était le poète Heine et toute sa vie durant, Marx fut passionné par les oeuvres d’Homère, Shakespeare, Balzac et autres grands écrivains. Pour lui, de tels personnages et leur créativité débridée constituaient des modèles durables du véritable potentiel de l’humanité. Comme nous l’avons vu, le but de Marx était une société où de tels niveaux de créativité deviendraient un attribut “normal” de l’homme ; il s’ensuit donc que l’état élevé de perception sensitive décrite dans les Manuscrits deviendrait de plus en plus l’état “normal” de conscience de l’humanité sociale.
Plus tard, l’approche de Marx développera plus l’analogie avec l’activité créatrice du scientifique qu’avec celle de l’artiste, tout en conservant l’essentiel : la libération de la corvée du travail, le dépassement de la séparation entre travail et temps libre, produisent un nouveau sujet humain.
CDW
A l’heure où nous mettons sous presse, la situation sociale en Égypte se révèle explosive. Des millions de personnes sont dans la rue, bravant les couvre-feux, le régime étatique et la répression sanglante. Au même moment, en Tunisie, le mouvement social perdure ; la fuite de Ben Ali, les remaniements gouvernementaux et les promesses d’élections prochaines ne suffisent pas à calmer la profonde colère de la population. En Jordanie, là aussi, des milliers de manifestants expriment leur ras-le-bol face à la pauvreté croissante alors que la contestation en Algérie a été purement et simplement étouffée.
Les médias et les politiciens de tous bords ne cessent de parler de la “révolte des pays du Maghreb et des États arabes”, focalisant ainsi l’attention sur les spécificités régionales, sur les mœurs “trop peu démocratiques” des dirigeants nationaux, sur l’exaspération des populations de voir depuis 30 ans les mêmes têtes au pouvoir…
Tout ceci est vrai ! Oui, les Ben Ali, Moubarak, Rifai et autres Bouteflika sont des gangsters, véritables caricatures de la dictature de la bourgeoisie. Mais avant tout, ces mouvements sociaux appartiennent aux exploités de tous les pays. Ces explosions de colère qui font aujourd’hui tâche d’huile ont pour toile de fond l’accélération de la crise économique mondiale qui, depuis 2007, est en train de plonger toute l’humanité dans la plus effroyable des misères. (1)
Après la Tunisie, l'Égypte ! La contagion de révoltes dans les États arabes, en particulier en Afrique du Nord comme celle qu’a connue la Tunisie que toutes les bourgeoisies redoutaient a déjà commencé. Là encore, des populations plongées dans la misère et le désespoir sous les coups de boutoir de la crise de l’économie mondiale sont livrées à l’horreur d’une répression sanguinaire. Face à la colère des exploités, les gouvernants et les dirigeants révèlent ce qu’ils sont tous : une classe d’affameurs et d’assassins. La seule réponse qu’ils puissent apporter, c’est le règne de la terreur et des balles dans la peau. Il ne s’agit pas là des seuls “dictateurs” désignés, les Moubarak, les Ben Ali, les Bouteflika, les Saleh au Yémen et consorts. Nos propres dirigeants “démocrates”, de gauche comme de droite, n’ont cessé de s’en faire des “amis”, des “alliés fidèles” et des complices, unis avec eux dans la même défense de l’ordre et de l’exploitation capitaliste. En feignant d’ignorer que la stabilité tant vantée de ces pays ou le prétendu rempart qu’ils représentaient contre l’islamisme radical n’était dus qu’au maintien depuis des décennies d’un régime cadenassé par la terreur policière, en détournant les regards de leurs tortures, de leur corruption, de leurs exactions, du climat de terreur et de peur qu’ils faisaient régner sur les populations. Ils les ont toujours pleinement soutenus dans le maintien de cette chape de plomb au nom de la stabilité, de l’amitié et de la paix entre les peuples, au nom de la non-ingérence, ne défendant ainsi rien d’autre que leurs sordides intérêts impérialistes nationaux.
Aujourd’hui, en Égypte, ce sont à nouveau des dizaines voire des centaines de morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers d’arrestations dans un climat survolté. Avec la chute de Ben Ali en Tunisie qui a servi de détonateur, le verrou a sauté. Cela a suscité un immense espoir dans la population de la plupart des États arabes où sévit la même terreur, seul moyen de museler la classe ouvrière et les couches exploitées. On a aussi assisté à maintes manifestations de désespoir avec une vague de tentatives d’immolation en Algérie, au Maroc, en Mauritanie, au Sahara occidental, en Arabie saoudite et jusqu’au Soudan qui a touché aussi bien des jeunes chômeurs que des ouvriers qui ne parviennent plus à subvenir aux besoins de leur famille. En Égypte, ce sont les mêmes revendications qu’en Tunisie qui sont scandées : “Du pain ! De la liberté ! De la dignité ! Plus d’humanité !”, face aux mêmes fléaux qui sévissent ailleurs dans le monde provoquée par la crise économique mondiale dans laquelle nous plonge partout le capitalisme : le chômage (qui touche en fait plus de 20 % de la population égyptienne), la précarité (4 Égyptiens sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté et les fameux “chiffonniers du Caire” sont connus dans le monde entier à travers les reportages), les hausses de produits de première nécessité et la misère croissante. Le slogan “Moubarak, dégage !” est directement repris sur le modèle de la population tunisienne réclamant le départ de Ben Ali à l’encontre de celui qui dirige le pays d’une poigne de fer depuis trente ans. Des manifestants proclamaient au Caire : “Ce n’est pas notre gouvernement, ce sont nos ennemis”. Un journaliste égyptien déclare à un correspondant du Figaro : “Aucun mouvement politique ne peut revendiquer ces manifestations. C’est la rue qui s’exprime. Les gens n’ont rien à perdre. Ça ne peut plus durer.” Une phrase revient sur toutes les lèvres : “Aujourd’hui, on n’a plus peur”.
En avril 2008, les salariés d’une usine textile de Mahallah el-Koubra au nord du Caire s’étaient mis en grève pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail. Pour appuyer les ouvriers et appeler à une grève générale le 6 avril, un groupe de jeunes s’était déjà organisé sur Facebook et Twitter. Des centaines de manifestants avaient été arrêtés. Cette fois, et contrairement à la Tunisie, le gouvernement égyptien a brouillé d’avance ces accès à Internet.
Le mardi 25 janvier, décrété “journée nationale de la police”, des dizaines de milliers de protestataires sont descendus dans les rues du Caire, d’Alexandrie, de Tanta, de Suez où ils se sont heurtés aux forces de l’ordre. Quatre jours d’affrontements quotidiens se succèdent où la violence de la répression n’a cessé d’alimenter la colère : pendant ces journées et ces nuits, la police anti-émeutes utilise à tour de bras gaz lacrymogène, tirs à balle en caoutchouc ou à balles réelles L’explosion de colère couvait depuis des semaines. La répression est toujours là : affrontements au Caire, à Suez, Alexandrie, dans le Sinaï. Déjà une dizaine de morts, une centaine de blessés, des milliers d’arrestations dans les premiers jours. L’armée forte de 500 000 hommes , suréquipée et très entraînée tient un rôle central de puissant soutien au régime, contrairement à la Tunisie. Le pouvoir bénéficie aussi d’hommes de main munis de bâtons et spécialisés comme casseurs de manifestations, les baltageyas ainsi que de nombreux flics en civil de la Sûreté d'État mêlés aux manifestants armés de chaînes métalliques, les flics contrôlent les rassemblements en groupe et quadrillent les sorties de métro dans la capitale. Le 28, jour de congé, vers midi, à l’heure de la sortie des mosquées, malgré l’interdiction de se rassembler, les manifestants affluent de toutes parts et s’affrontent avec la police dans plusieurs quartiers de la capitale. Ce sera le “jour de colère”. Dès la veille, le gouvernement a brouillé les sites internet comme les téléphones portables et coupé toutes les communications téléphoniques. Le pays s’embrase ; dans la soirée, les manifestants de plus en plus nombreux, bravent le couvre-feu décrété au Caire, à Alexandrie, à Suez. Des camions de police utilisant des canons à eau foncent sur la foule, surtout composée de jeunes. Au Caire, les chars et les troupes sont d’abord accueillis en héros libérateurs par les manifestants, et on assiste à quelques tentatives de fraternisations avec l’armée, largement médiatisées qui, ça et là, aboutissent à empêcher un convoi de blindés de rallier le gros des forces de l’ordre. De même quelques policiers jettent même leurs brassards et rejoignent le camp des manifestants. Mais très vite, à d’autres endroits au contraire, les blindés militaires ont ouvert le feu sur les manifestants venus à leur rencontre ou les fauchent. Le chef d’état-major égyptien, Sami Anan, qui conduisait une délégation militaire aux États-Unis pour des entretiens au Pentagone, est rentré précipitamment en Égypte vendredi. Des voitures de police, des commissariats, ainsi que le siège du parti gouvernemental sont incendiés, le ministère de l’information est mis à sac. Les blessés s’entassent dans les hôpitaux surchargés. A Alexandrie, le gouvernorat est aussi incendié. A Mansoura aussi, dans le delta du Nil, des affrontements violents ont eu lieu, faisant plusieurs morts. Quelques assiégeants tentent de s’emparer du siège de la télévision d'État, d’où ils sont repoussés par l’armée.
Vers 23 heures 20, Moubarak apparaît devant les écrans de télévision et prend la parole pour annoncer le remaniement de son équipe gouvernementale le lendemain et promet d’entreprendre des réformes politiques ainsi que de nouvelles mesures pour la démocratie tout en assurant de sa fermeté “pour assurer la sécurité et la stabilité de l'Égypte” contre les “entreprises de déstabilisation”. Ces propos n’ont fait qu’attiser la colère et renforcer la détermination des manifestants.
Mais si la Tunisie est un modèle pour les manifestants, les enjeux de la situation ne sont plus les mêmes pour la bourgeoisie. La Tunisie reste un pays de taille modeste qui pouvait revêtir un intérêt impérialiste important pour un pays “ami” de second ordre tel que la France2. Il en est tout autrement de l'Égypte qui est de loin l'État le plus peuplé (plus de 80 millions d’habitants) de la région et qui occupe surtout une place stratégique centrale et fondamentale au Proche et au Moyen-Orient, en particulier pour la bourgeoisie américaine. L’enjeu est ici majeur. La chute du régime Moubarak pourrait provoquer un chaos régional lourd de conséquences. L'Égypte de Moubarak est le principal allié des États-Unis dans le conflit du Moyen-Orient, afin d’assurer la protection de l'État israélien, jouant un rôle clé et prépondérant dans les relations israélo-palestiniennes et même inter-palestiniennes entre le Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas. Cet État était jusqu’ici considéré comme un facteur de stabilité au Proche-Orient. De même, l’évolution politique du Soudan qui se dirige vers une sécession du Sud du pays rend nécessaire un pouvoir égyptien fort. C’est donc une pièce maîtresse la stratégie américaine dans le conflit israélo-arabe depuis 40 ans dont la déstabilisation risquerait de faire basculer de nombreux pays voisins, en particulier la Jordanie, la Libye, le Yémen et la Syrie. Cela explique l’inquiétude des États-Unis qui, du fait de ses liens très étroits avec le régime, se retrouve dans une situation inconfortable ; Obama et la diplomatie américaine sont ainsi contraints de se mobiliser et de monter en première ligne pour multiplier les pressions directes sur Moubarak afin de tenter de préserver la stabilité du pays et d’abord de sauver le régime. C’est pourquoi Obama a déclaré publiquement qu’il s’est entretenu une demie-heure avec Moubarak, après l’allocution de ce dernier pour que celui-ci lâche davantage de lest. Auparavant, Hillary Clinton a ainsi déclaré que le “les forces de l’ordre devaient être incitées à plus de retenue” et que le gouvernement devait très rapidement remettre en service les réseaux de communication. Le lendemain, c’est probablement sous la pression américaine qu’un général, Omar Souleimane, chef du puissant service des Renseignements militaires, de surcroît chargé des dossiers de négociation avec Israël au Moyen-Orient, a été imposé comme vice-président. C’est d’ailleurs l’armée qui a profité de sa popularité auprès des manifestants pour être restée en retrait et avoir à maints endroits pactisé avec les manifestants pour pousser avec succès une grande partie de la foule amassée au centre-ville et qui bravait une nouvelle fois le couvre-feu à rentrer “à la maison” pour “se protéger des pillards”
D’autres manifestations de révolte ont eu lieu en même temps aussi en Algérie, au Yémen, en Jordanie. Dans ce dernier pays, 4 000 manifestants se sont rassemblés à Amman pour la troisième fois en 3 semaines pour protester contre la vie chère et réclamer des réformes économiques et politiques, notamment le départ du premier ministre. Les autorités ont fait quelques gestes avec de petites mesures économiques et quelques consultations politiques. Mais les manifestations se sont étendues aux villes d’Irbid et de Kerak. La répression en Algérie a déjà fait 5 morts et plus de 800 blessés et au centre d’Alger, une manifestation a été durement réprimée le 22 janvier. En Tunisie aussi, la chute de Ben Ali n’a freiné ni la colère ni l’ampleur de la répression : dans les prisons, les exécutions sommaires depuis le départ de Ben Ali auraient fait plus de morts que les affrontements avec la police auparavant. La “caravane de la libération”, venue du centre ouest du pays d’où était parti le mouvement, a bravé le couvre-feu et campé plusieurs jours devant le siège du palais abritant un gouvernement dominé par d’anciens caciques et des séides du régime pour réclamer sa démission. La colère perdure car ce sont les mêmes hommes que du temps de Ben Ali qui tiennent les rênes du pays. Le remaniement gouvernemental, plusieurs fois repoussé, a eu lieu le 27 janvier, écartant les ministres les plus compromis avec l’ancien régime mais conservant toujours le même premier ministre, n’ a pas réussi à calmer les esprits. La répression féroce de la police continue et la situation reste confuse.
Ces explosions de révolte massives et spontanées révèlent le ras-le-bol des populations qui sont aujourd’hui déterminées à en finir avec la misère et la répression de ces régimes. Mais elles révèlent aussi le poids des illusions démocratiques et du poison nationaliste : dans les diverses manifestations, les drapeaux nationaux restaient fièrement brandis. En Égypte, comme en Tunisie, la colère des exploités a été immédiatement dévoyée sur le terrain du combat pour plus de démocratie. La haine de la population pour le régime et la focalisation sur Moubarak (comme en Tunisie pour Ben Ali) a permis quelques revendications économiques contre la misère et le chômage soient reléguées en arrière plan par tous les médias bourgeois. Cela permet évidemment à la bourgeoisie des pays “démocratiques” de faire croire à la la classe ouvrière, notamment celle des pays centraux, que ces “soulèvements populaires” n’ont pas les mêmes causes fondamentales que les luttes ouvrières qui se déroulent ici : la faillite du capitalisme mondial..
Cette irruption de plus en plus forte d’une très grande colère sociale engendrées par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme dans des États de la périphérie qui étaient jusqu’à présent le foyer permanent et exclusif de tensions impérialistes et de menées guerrières constitue un facteur politique nouveau avec lequel la bourgeoisie mondiale devra désormais de plus en plus compter. L’émergence de ces révoltes contre la corruption des dirigeants qui s’en mettent plein les poches alors que la grande majorité de la population crève de faim, ne peut apporter de solutions en elles-même dans ces pays. Mais ces mouvements sont le signe avant-coureur d’une maturation des futures luttes sociales qui ne vont pas manquer de surgir dans les pays les plus industrialisés face aux mêmes maux : la baisse du niveau de vie, la misère croissante, le chômage des jeunes.
C’est d’ailleurs la même révolte contre un système mondial en faillite qui couve chez les jeunes en Europe, comme on l’a vu avec les luttes des étudiants en particulier en France, en Grande-Bretagne, en Italie. Dernier exemple en date : aux Pays-Bas, le 22 janvier, 20 000 étudiants et enseignants se rassemblent dans la rue à La Haye devant le siège du parlement et le ministère de l’enseignement. Ils protestent contre la forte hausse des droits d’inscription à l’université visant en premier lieu les “redoublants” (ce qui est souvent le cas de beaucoup d’étudiants-salariés obligés de travailler pour payer leurs études) qui auront à payer 3000 euros supplémentaires par an, tandis que les prochaines coupes budgétaires prévoient la suppression de 7000 postes dans le secteur. C’est l’une des plus importantes manifestations d’étudiants depuis 20 ans dans le pays. Ils sont alors violemment et brutalement chargés par la police.
Ces mouvements sociaux sont le symptôme d’ une avancée importante dans le développement international de la lutte de classe dans tous les pays, même si la classe ouvrière n’apparaît pas en tant que telle, comme force autonome, dans les pays arabes et reste noyée dans un mouvement de protestation populaire.
Partout dans le monde, le fossé se creuse entre d’un côté une classe dominante, la bourgeoisie, qui étale avec une morgue et une arrogance de plus en plus indécente ses richesses, et de l’autre la masse des exploités qui plongent de plus en plus dans la misère et le dénuement. Ce fossé tend à rapprocher et unir dans un même combat contre le capitalisme les prolétaires de tous les pays quand la bourgeoisie ne peut plus répondre à l’indignation de ceux qu’elle exploite que par de nouvelles mesures d’austérité, par des coups de matraque et par des balles.
Les révoltes et les luttes sociales vont inévitablement prendre des formes différentes dans les années à venir et selon les régions du monde. Les forces et les faiblesses des mouvements sociaux ne seront pas partout identiques. Ici, la colère, la combativité et le courage seront exemplaires. Là, les méthodes et la massivité des luttes permettront d’ouvrir d’autres perspectives et d’établir un rapport de force en faveur de la classe ouvrière, seule force de la société capable d’offrir une perspective d’avenir à l’humanité. En particulier, la concentration et l’expérience du prolétariat mobilisé dans ses combats dans les pays situés au cœur du capitalisme seront déterminantes. Sans la mobilisation massive des prolétaires des pays centraux, les révoltes sociales à la périphérie du capitalisme sont condamnées in fine à l’impuissance et ne pourront se dégager du joug de telle ou telle fraction de la classe dominante. Seule la lutte internationale de la classe ouvrière, sa solidarité, son unité, son organisation et sa conscience des enjeux de ses combats pourront entraîner dans son sillage toutes les couches de la société, afin de mettre à bas ce capitalisme agonisant et construire un autre monde !
W. (29 janvier)
1) Nous devons être ici prudents face à l’ampleur du black-out international de la situation algérienne. Il semble par exemple avoir encore des foyers de lutte en Kabylie.
2) La France qui après avoir soutenu Ben Ali avait fait son mea culpa pour avoir sous-estimé la situation et cautionné un autocrate se couvre quant à elle une nouvelle fois de ridicule en ménageant à son tour Moubarak et en se gardant bien de l’appeler à partir.
2010 a été reconnue par la presse bourgeoisie elle-même comme l’année “record” des catastrophes. Pourtant, de tsunamis en ouragans, de pollutions massives en catastrophes écologiques, le siècle dernier et bien plus encore le début du xxie siècle n’ont pas été avares de morts comme de dégradations ahurissantes de l’environnement, aux côtés des massacres en tous genres dus aux “prodiges” des prétendus “faiseurs de paix” de par le monde. La première décennie de ce siècle qu’on nous promettait avec les festivités grandioses qui avaient ouvertes l’an 2000 comme une ère nouvelle, de modernité, de changements, etc., s’achève donc sur ce constat : le nombre invraisemblable de catastrophes, “naturelles” ou non, survenues un peu partout à travers le monde. Tremblements de terre, tempêtes, canicules, inondations… faire la listes de toutes ces catastrophes serait presque impossible. La liste déborde même déjà sur 2011 ! C’est le cas pour l’Australie par exemple, avec les deux vagues de tempêtes successives qui s’étaient abattues sur le pays, les 13 et 22 mars 2010, détruisant de nombreuses habitations et installations électriques. Et voici que depuis début janvier, ce même pays connait les pires inondations depuis 40 ans, qualifiées de “bibliques” par les autorités australiennes. On parle déjà d’une trentaine de morts, avec une surface inondée plus vaste que la France et l’Allemagne réunies. Au Brésil également, l’année commence très fort, avec des pluies torrentielles qui ont fait plus de 250 morts en 2 jours ([1]) !
Ainsi, pour ne rappeler que les grandes lignes des catastrophes 2010 :
– Le 12 janvier 2010 à Haïti, un séisme de magnitude 7.3 fait 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de sans-abris, semant le chaos et la maladie dans un pays déjà en proie à la misère ([2]).
– A partir du 27 février, la tempête Xynthia sévit sur la côte atlantique, en France où elle fait 47 morts et détruit de nombreuses habitations. Elle laissera deux victimes au Portugal et trois en Espagne.
– Au Chili, le même jour, un séisme de magnitude 8.8 tue 521 personnes et détruit près de 500 000 logements.
– En juin, la Russie connaîtra une canicule sans précédent qui fera 15 000 victimes et ravagera de nombreuses forêts et champs de céréales.
– Le 4 septembre, c’est au tour de la Nouvelle Zélande de connaître un séisme d’une magnitude proche de celui d’Haïti (7,1) mais cette fois, les réglementations antisismiques permettent de limiter à deux blessés graves le nombre de victimes.
Tous ces évènements sont particulièrement dramatiques et l’on ne peut qu’en déplorer les terribles conséquences. Aussi, nous exprimons notre solidarité avec les victimes de ces catastrophes meurtrières. Toutefois, si des phénomènes “naturels”, qu’ils soient météorologiques, géologiques ou autre, en sont souvent à l’origine, les conséquences désastreuses qu’ils entraînent n’ont, quant à elles, rien de naturel ou de fatal. Comme nous le montrions dans notre article sur le drame d’Haïti, ce sont toujours les mêmes qui payent le plus cher les conséquences de ces catastrophes : la classe exploitée et ses couches les plus pauvres. On se rappelle encore le cynisme avec lequel l’administration Bush avait tardé à porter secours à la population de la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina en août 2005.
Hélas, le bilan 2010 ne s’arrête pas là. Nous devons encore dénoncer deux autres grandes catastrophes pour lesquelles le capitalisme est bien le seul responsable :
• L’explosion de la plateforme pétrolière “Deepwater” dans le golfe du Mexique, le 20 avril, qui a provoqué une marée noire d’une ampleur sans précédent dans l’histoire déjà “riche” de la pollution due à l’irresponsabilité des compagnies pétrolières et des Etats, producteurs ou non, qui tirent de phénoménaux bénéfices de l’or noir. Pendant près de 5 mois, 780 millions de litres de pétrole se sont déversés dans le golfe, sans compter les 11 employés tués lors de l’explosion ([3]).
• Puis, en octobre, la rupture d’un barrage d’une usine de bauxite-aluminium à proximité d’Ajka en Hongrie provoque la pire catastrophe écologique qu’ait connue le pays et fait de nombreuses victimes. 1,1 million de litres de boue toxique (alcaline) sont déversés dans la Marcal, transformant cette rivière en rivière morte. “Le taux alcalin très élevé a tout tué” déplore Tibor Dobson avant de poursuivre : “Tous les poissons sont morts et nous n’avons pas pu sauver la végétation non plus” ([4]).
Pour ces véritables désastres écologiques et humains, dont les effets restent par ailleurs encore à venir, la cause ne se trouve bien évidemment pas dans ce que la classe dominante aimerait faire passer pour des “méfaits” quasi-inéluctables de “Mère Nature”. Cette dernière est une victime directe des conséquences de la course au profit du capitalisme et des contradictions de plus en plus monstrueuses que cela génère, et avec elle les 6 milliards d’êtres humains qui peuplent la planète. Aujourd’hui, pour la classe dominante, plus rien ne compte que la survie du système capitaliste, qu’il se nomme “démocratie” ou bien “dictature”. Aucune région du monde n’est à l’abri, des plus “nanties” aux plus pauvres. A n’importe quel prix, il faut que le monstre fasse du profit, et donc qu’il produise, jusqu’à vomir sa propre surproduction. Qu’importe la vie de ceux qui produisent : les ouvriers. Qu’importe la vie des populations frappées de plein fouet par ce système en pleine décomposition. S’ils ne sont pas solvables, “qu’ils crèvent !” Voilà le discours clair et net que tiennent nos exploiteurs en voix off, quand ils ne sont pas devant les caméras, leurs larmes de crocodiles ne servant à peine qu’à masquer leur avide cupidité et à compléter leur costume de clown humanitaire dont ils font usage pour justifier les plus bas appétits ([5]).
Aujourd’hui, le capitalisme prend l’humanité dans son étau : d’un côté, il détruit la planète pour la plier aux lois de la concurrence, ce qui tend à augmenter les catastrophes naturelles, et de l’autre, il appauvrit l’immense majorité des exploités et nous rend tous plus vulnérables. “Les phénomènes naturels ne devraient jamais être que des phénomènes, aussi spectaculaires soient-ils. Mais ils resteront des catastrophes tant que les lois capitalistes régiront le monde.” ([6])
Maxime (18 janvier)
1.) Sur lemonde.fr, le 14/01/2011. Le bilan est aujourd’hui de plus de 500 morts.
2.) Lire RI n° 409 : “En Haïti, l’humanitaire comme alibi”.
3.) RI no 413 : “Marée noire dans le golfe du Mexique : le capitalisme est une catastrophe [4]”.
4.) Déclaration de Tibor Dobson, chef régional des services anti-catastrophes. Ses services avaient tenté de déverser du plâtre et de l’acide pour diminuer le taux alcalin de la Marcal. En vain.
5.) RI no 409 : “En Haïti, l’humanitaire comme alibi”.
6.) Voir notre article à propos d’une énième catastrophe : “Coulées de boues en Amérique latine : le capitalisme est une catastrophe meurtrière permanente”.
Petit à petit les ballets diplomatiques et les tentatives de “médiation” cessent les uns et après les autres, l’heure est à la boucherie, bref les appels publics à la guerre fusent de toutes parts (1) :
“La communauté internationale gagnerait à ne pas laisser trop perdurer la situation actuelle en Côte d’Ivoire. Au-delà de janvier, les incertitudes sont grandes et les risques aussi. Barack Obama a indiqué qu’il était prêt à appuyer une intervention militaire de la CEDEAO. Les Britanniques aussi. Il reste à la CEDEAO de savoir se décider. Dans le projet d’intervention militaire effective, peu de pays seront prêts à franchir le pas. Il faut donc organiser sérieusement l’intervention pour lui donner toutes ses chances de réussir. Une bonne intervention ne devrait pas durer plus d’une semaine. Dans ce cas de figure, la France aura un rôle éminent à jouer”.
Et dans le même sens, le président nigérian de la CEDEAO demande officiellement l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU pour l’usage de la force, pour sa part, le camp d’Ouattara décrète la fin des négociations et s’apprête à faire parler les armes pour “déloger” Gbagbo. De fait, les tueries ont déjà commencé sous forme d’enlèvements, d’assassinats ciblés et d’assauts sanglants perpétués par les sanguinaires des deux camps qui se disputent le pouvoir ivoirien. Depuis l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier, on compte déjà 300 morts (sans doute plus avec les charniers non encore “décortiqués”) et pas un seul jour sans cadavres exposés en plein soleil sous les regards notamment des casques bleus de l’ONU. En effet :
“Jeudi 13 janvier, après deux jours de troubles et de tension croissante en Côte d’Ivoire, le bilan officiel fait état de 11 morts, dont 8 parmi les FDS(forces de défense et sécurité loyales au président sortant). Une source officielle française le juge sous-évalué. Il n’est qu’à voir le nombre de cargos calcinés, ces camions de transports de troupes, qui jalonnent la route vers Abidjan : 7 avant le premier carrefour d’Abobo. Plus loin vers le quartier PK 18, au milieu de l’artère à quatre voies, un cadavre torse nu est abandonné au soleil. Il ne fait bon de s’arrêter pour savoir s’il s’agit d’un mort civil ou militaire (…). A Abidjan le ton monte contre l’ONU et la France, accusées par Charles Blé Goudé, chef des jeunes patriotes et pilier du régime Gbagbo, de “préparer un génocide en Côte d’Ivoire (…) et les militants de l’opposition accusent des milices libériens (et autres escadrons de la mort) d’avoir été à la pointe de ces violence (2)”.
Et les grandes puissances de se cacher hypocritement derrière l’ONU qui, elle, gesticule et palabre beaucoup mais se contente d’établir le macabre bilan des morts. Et la France n’est pas moins au cœur de ces sombres manœuvres guerrières.
“Tout en s’abritant derrière la communauté internationale et en travaillant avec les Etats-Unis qui préparent leurs propres sanctions, la France reste confrontée à un délicat problème en cas de nouvelle spirale de violence. La force de Licorne dont les effectifs ont été réduits depuis 2004 (5000 soldats à l’époque) aurait pour rôle prioritaire l’évacuation des ressortissants français, en cas de besoin. Tout pourrait se corser si le conflit s’envenime et que de nouvelles exactions sont commises contre des civils. La France peut-elle rester passive sur le terrain en cas de massacres ? Licorne a “un droit de légitime défense” mais “son rôle n’est pas de s’interposer”, a déclaré le 19 décembre le chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie (3)”.
Comme l’avoue froidement son ministre, la France est là pour faire la guerre. En effet, bien qu’acculée et sur la défensive depuis la perte de son pré carré ivoirien entraînant la perte de son autorité sur les acteurs locaux, elle ne s’avoue pas vaincue pour autant et se bat farouchement pour conserver ses positions (économiques) dans ce pays quitte à aggraver les souffrances que subissent les habitants depuis plus de 10 ans.
Ils se comportent comme leurs anciens maîtres coloniaux, c’est-à-dire pour gouverner ils ont toujours opté pour le fameux “diviser pour régner” en dressant les ethnies les unes contre les autres et c’est le “Père de la nation ivoirienne” (4) qui fut le grand initiateur du phénomène :
“Le président Houphouet Boigny a ouvertement favorisé son groupe ethnique. Il a même mobilisé les ressources de l’Etat pour aménager son village Yamoussoukro jusqu’en faire la capitale politique. Issu de son ethnie, et habilement imposé, M. Konan Bédié, poursuivra cette tradition. (…) Les Bétés seraient des “sauvages”, des gens “violents” (…) Les gens du Nord, quant à eux- et, sur ce point, bétés et Akans, gens du Sud, se rejoignent, seraient plus ou moins des “étrangers”. De même les 3 à 4 millions d’immigrés (25 % de la population) dont la force de travail assurait le “miracle économique ivoirien” et qui pouvaient voter jusqu’en 1994, ont été exclus en 1995 du processus électoral et désignés comme “étrangers” voire des criminels à abattre.
Il est clair aussi que cette politique criminelle n’a pu se faire qu’avec la complicité active de l’ex- puissance coloniale, c’est elle qui a “formé”, “éduqué” et “modelé” toute cette bande de racailles dans le seul but d’en faire les dociles défenseurs de ses intérêts en Afrique.
En dépit de ses 11 500 hommes en Côte d’Ivoire, l’ONU va probablement faire comme à son habitude : accompagner les tueurs ou fuir les combats et, là, on a en tête l’exemple rwandais, c’est ce que rappelle cet éditorialiste (5) :
“En 1994, lors du génocide rwandais, Roméo Dallaire commandait la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), la force de l’ONU qui été chargée de maintenir la paix dans ce pays, mais qui allait se déshonorer en laissant se perpétuer l’une des plus grandes tragédies contemporaines : le génocide des Tutsis et des Hutus modérés, qui fit plus de 800 000 morts. Traumatisé par cette expérience, ce général canadien, pour solder se comptes avec ses démons intérieurs, a publié un livre au titre choc : “J’ai serré la main du diable”.
Dans cet ouvrage sont mis à nu les atermoiements, les hésitations, le manque de compassion, bref, en un mot la lâcheté de la communauté internationale. Pour les puissances occidentales, ce qui se passait au Rwanda n’était qu’une guerre tribale ordinaire en Afrique. Pis, la complexité des règles d’engagement de l’ONU en fait une force peu dissuasive pour les boutefeux. En Côte d’Ivoire, la communauté internationale va-t-elle laisser une nouvelle fois un pays africain sombrer dans une guerre civile aux conséquences incalculables ?
Avec un pays coupé en deux blocs ethnico-religieux antagoniques qui font redouter le pire, la Côte d’Ivoire n’a jamais été aussi proche du Rwanda (souligné par nous)”.
En effet le climat qui règne en ce moment en Côte d’Ivoire ressemble à celui qui précédait le déclanchement du génocide rwandais, cela s’illustre plus particulièrement à travers les attitudes des maîtres de l’ONU qui aujourd’hui devant les médias jurent vouloir œuvrer “pour la paix” tout en se préparant en coulisse à se rejeter mutuellement les responsabilités des crimes en cours et à venir. C’est là le summum de cynisme, de barbarie dont font preuve nos éminents “humanistes démocrates” pour lesquels ce qui se prépare en Côte d’Ivoire (comme le précédent rwandais) n’est qu’affaire “tribale”.
Amina (25 janvier)
1) Courrier international, 20/26/01/11
2) Le Monde du 20/12/10.
3) Selon le Monde.
4) Tiemoko Coulibaly, le Monde diplomatique, mars 2005.
5) Cité in Courrier international du 05/01/11.
Le Centre Culturel Libertaire (CCL) de Lille est le point de ralliement incontournable des anarchistes lillois, qu'ils soient organisés ou autonomes. Le groupe le plus important rattaché à ce lieu est le Groupe Des Anarchistes de Lille et Environs (GDALE), autrefois affilié à la FA et aujourd'hui à la CGA.
Mais depuis quelques années, deux petits groupes autonomes se sont formés en dehors des organisations "traditionnelles" : l'un sous la forme d'une "organisation ouverte à tous" nommée Turbulences Sociales (TS), l'autre sous la forme d'un collectif publiant le journal La Brique. Ces groupes rassemblent des éléments prolétariens à l'esprit très ouvert, dans une dynamique de prise de distance avec les organisations gauchistes, notamment sur la question nationale. Lors du mouvement social de cet automne, certains d'entre eux ont été des éléments moteurs de « l'AG de lutte de Lille », qui continue aujourd'hui de rassembler chaque semaine des éléments de tous horizons pour tirer le bilan de la lutte, des actions menées et tracer des perspectives.
C'est lors d'une soirée de soutien au journal La Brique qu'une violente intervention policière a eu lieu au CCL où se déroulait l'évènement. Vers 4h du matin, un « tagueur » poursuivi par la police s'est réfugié dans l'entrée du CCL. Les policiers ont alors pénétré brutalement dans les lieux, provoquant la réaction évidente des personnes présentes qui n'avaient aucun lien avec la course-poursuite extérieure. Les renforts du commissariat voisin n'ont pas tardé et c'est alors à une incroyable démonstration de force que les flics se sont livrés : 53 personnes interpellées et placées en garde à vue jusqu'au lendemain ; certains risquent peut-être des poursuites pour « bourre-pif » à agent. L'intervention s'est accompagnée de dégradations et de perquisition au CCL avec saisie de matériel politique.
Nous publions ci-dessous les deux communiqués de La Brique et de Turbulences Sociales publiés quelques jours après les événements, et nous nous associons à leur indignation face à cette violence démesurée qui sonne avant tout comme un avertissement à tous les prolétaires qui refusent aujourd'hui de subir les attaques incessantes de la bourgeoisie et s'engagent dans une réflexion collective pour mieux comprendre la dynamique du système et mieux s'y opposer.
Nous exprimons notre totale solidarité aux militants victimes de ces violences et saluons leur réaction responsable.
Le CCI.
Vendredi 14 janvier, au cours de la soirée de La Brique qui se déroulait au Centre Culturel Libertaire (CCL), une altercation a servi de prétexte à un exercice de harcèlement grandeur nature : 53 personnes arrêtées, plus de 15h de garde à vue, jamais on n’a autant « embarqué » d’un coup. Rétablissons la vérité face aux versions policière, journaliste et fasciste qui circulent à propos de cette soirée.
On organise une fête hip-hop. Le début de soirée se passe bien. Les DJ et les rappeurs assurent, l’ambiance est bonne. Au delà des habitué-e-s du lieu, plein de personnes viennent pour la première fois. À l’extérieur, une banale embrouille comme on en voit tous les week-ends dans n’importe quel bar ou discothèque débouche sur l’arrivée de deux flics qui, comme à leur habitude, font dégénérer la situation en voulant embarquer des gens au hasard. La lacrymo est utilisée une première fois. Tout le monde se retranche dans le CCL. En bas, la fête continue. Certains ne sont toujours pas au courant de ce qui se passe en haut.
Avec une étonnante rapidité, les flics se jettent comme des enragés sur les lieux et assiègent le local fébrilement barricadé. Pour nous faire sortir, ils envoient du gaz lacrymogène par les extrémités de la porte d’entrée et par une fenêtre qu’ils ont cassée. L’atmosphère devient irrespirable. Asphyxiées, les premières personnes tentent de sortir mais sont directement frappées à coups de tonfa, jetées à terre, insultées, menottées. Les flics regazent un coup alors que l’on continue de sortir. L’intervention est d’une brutalité hallucinante. Nous sommes ensuite embarqués dans les fourgons, et on se retrouve toutes et tous dans les geôles du commissariat central de Lille-Sud. À ce moment, l’incompréhension est totale. Les flics se défoulent. La violence atteint des sommets tristement ordinaires dans les geôles de France : injures racistes, sexistes, homophobes, humiliations, coups, mauvais traitements, pas d’eau ni d’alimentation pendant des dizaines d’heures, non assistance aux personnes évanouies ou suffocantes…
Au départ, le « pronostic vital » d’un flic serait engagé. Comme à leur habitude, les larbins de la presse régionale s’empressent de relayer la version policière, trop contents de semer le doute sur un graffiti « à caractère raciste et injurieux », et de taper sur notre journal et le CCL. Aucun policier n’« a été entraîné de force dans les locaux et molesté ». Au final, un flic serait en état de choc, sans même un ongle retourné. Conclusion : 53 arrestations, deux procès pour « jets de projectiles » et « violences sur agent »… pour rien.
Tous ces faits ne sont pas si exceptionnels. Surtout ici, à Wazemmes, dans ce quartier populaire et vivant, attaqué depuis quelques années par une entreprise de « nettoyage social » menée conjointement par les flics, les urbanistes, la mairie et ses supplétifs sociaux. Le Centre Culturel Libertaire (CCL) fait partie des indésirables qu’il convient de faire déguerpir. Tout comme le raid policier organisé rue Jules-Guesde il y a quelques mois, ce qui nous est arrivé vendredi soir est malheureusement récurrent à Wazemmes et dans les autres quartiers populaires lillois. Il s’ajoute à une présence policière continue dans le quartier et aux contrôles d’identité intempestifs…
Moins banal en revanche, c’est la rafle, le fichage, la rétention de plus de 50 personnes d’un seul coup, la réquisition d’affiches, brochures et littérature au sein d’un lieu politique. C’est dans un but politique, de contrôle et d’intimidation que cette opération a été menée. Bien évidemment, nous apportons tout notre soutien aux inculpés. Mais nous témoignons également notre soutien total aux personnes du quartier qui pourraient s’estimer blessées par des tags idiots1, pour lesquels le CCL et La Brique déclinent toute implication.
Pour finir, le collectif de La Brique aurait un conseil à donner à celles et ceux que ça ne dérange pas de colporter l’image d’un collectif qui ne prendrait pas la mesure, voire qui en rajouterait, dans le racisme ordinaire et la guerre entre les pauvres : apprenez à lire et demandez-vous à qui servent ces amalgames trop faciles. Bien sûr, et comme tout le monde, on n’est pas sauvé-e-s de certains déterminismes sociaux. Et on est prêt-e-s à en discuter. Mais surtout, vous observerez dans nos pages qu’on a toujours défendu les enfants de colonisés stigmatisés par l’État et une presse aux ordres, qu’on s’est toujours positionné du côté des femmes – voilées ou non, des quartiers populaires, des victimes de bavures, des émeutiers, des engeôlé-e-s, des vandales, des crève-la-dalle…
Encore une fois : plus de hip-hop et moins de flics – dans la rue des Postes comme dans toutes les autres.
Allez, salut.
Turbulences Sociales affirme sa complète solidarité avec toutes et tous les interpellé-e-s dans la nuit de vendredi à samedi au Centre Culturel Libertaire lors de la soirée de soutien au journal La Brique. Profitant d’incidents ayant eu lieu aux alentours du CCL, la police a comme à son habitude tabassé, gazé, insulté et humilié nos camarades détenu-e-s dans des conditions dégradantes sans possibilité d’uriner, de boire ou de manger pendant de trop longues heures. Nous dénonçons les violences et les humiliations sexistes, racistes, antisémites et homophobes dont ont été victimes nos camarades. Nous voulons pointer du doigt le comportement de la police : dans les cellules lilloises, les inculpé-e-s ont subi une véritable torture physique et psychologique. Violences multiples, coups, insultes, la rage aveugle de la police s’est abattue sur les gardé-e-s à vue pendant 17h.
Turbulences Sociales dénonce la tentative de manipulation impulsée par la police et reprise sans retenue par la presse régionale visant à faire passer les libertaires lillois-es pour les auteurs de tags présentés comme islamophobes. Depuis sa création, le CCL accueille des organisations engagées dans les luttes antiracistes et agissant contre la stigmatisation des musulmans. La Voix du Nord et autre Nord Eclair, bien loin de la déontologie journalistique, préfèrent colporter, sans la vérifier, la parole des représentants policiers. Nous condamnons sans réserve leur volonté de faire de l’événementiel plutôt que de l’information.
Liberté pour tous et toutes les inculpé-e-s, ACAB !
1[Note de La Brique] Pour que les choses soient claires, un individu pose depuis plusieurs années « cochon » sur tous les murs de la métropole, y compris ceux de magasins tels que les kebabs ou autres épicerie arabes. Une signature salement inopportune dans une société raciste qui stigmatise sans relâche les musulman-e-s.
Nous publions ci-dessous un texte de l’assemblée générale interprofessionnelle de la Gare de l’Est / Ile-de-France qui s’est constituée lors du dernier mouvement de lutte en France contre la réforme des retraites, à l’automne 2010, et qui continue encore aujourd’hui de se réunir régulièrement.
Cette AG, par cette “Adresse internationale aux ouvriers d’Europe” fait vivre une valeur fondamentale pour la classe ouvrière et son combat : l’internationalisme. Oui, exploités du monde entier, nous subissons aujourd’hui une brutale dégradation de nos conditions de vie ! Oui, nous sommes tous attaqués par la bourgeoisie ! Oui, dans tous les pays, les bourrasques de la crise économiques nous appauvrissent et, parfois même, nous affament !
Face à ce système d’exploitation de plus en plus inhumain, nous devons donc refuser de nous laisser diviser en nationalités, religions, couleurs de peau… Notre lutte doit d’étendre et s’unir par delà toutes les frontières.
Nous sommes un groupe de salariés de différents secteurs (cheminots, enseignants, informaticiens…), de chômeurs et de précaires. Pendant les récentes grèves en France, nous nous sommes réunis en Assemblée Générale Interprofessionnelle – d’abord sur le quai d’une gare (Gare de l’Est, Paris), ensuite dans une salle d’une Bourse du Travail. Nous voulions regrouper plus largement possible des travailleurs d’autres villes de la région parisienne. Parce que nous en avions assez de la collaboration de classe des syndicats qui nous menaient une nouvelle fois à la défaite, nous avons voulu nous organiser par nous même pour tenter d’unifier les secteurs en grève, étendre la grève et que ce soit les grévistes eux mêmes qui contrôlent leur lutte.
En Grande-Bretagne, en Irlande, au Portugal, en Espagne, en France… dans tous les pays, nous sommes tous durement attaqués. Nos conditions de vie se dégradent.
En Grande-Bretagne, le gouvernement Cameron a annoncé la suppression de 500 000 emplois dans la fonction publique, £7 milliards de coupes dans les budgets sociaux, le triplement des droits d’inscription à la fac, etc.
En Irlande, le gouvernement Cowen vient de baisser le salaire horaire minimum de plus d’un euro et les retraites de 9 %.
Au Portugal, les travailleurs font face à un taux de chômage record. En Espagne, le “très socialiste” Zapatero n’arrête pas de faire des coupes claires en tout genre dans les allocations chômages, les aides sociales et médicales…
En France, le gouvernement continue la casse de nos conditions de vie. Après les retraites, c’est le tour de la santé. L’accès aux soins devient de plus en plus difficile pour les travailleurs : toujours plus de médicaments payants, augmentation des mutuelles privées, suppressions de postes dans l’hôpital public. Comme l’ensemble des services publics (Poste, EDF-GDF, Telecom), l’Hôpital est démantelé et privatisé. Résultat : des millions de familles ouvrières ne peuvent déjà plus se soigner !
Cette politique est vitale pour les capitalistes. Face au développement de la crise et de l’effondrement de pans entiers de l’économie capitaliste, ces derniers trouvent de moins en moins de marchés sources de profits pour leurs capitaux. Aussi sont-ils d’autant plus pressés de privatiser les services publiques.
Cependant, ces nouveaux marchés sont plus restreints en terme de débouchés productifs que ne le sont les piliers de l’économie mondiale tels que le bâtiment, l’automobile, le pétrole…. Ils ne permettront pas, même dans le meilleur des cas, un nouvel essor économique salvateur.
Aussi, dans ce contexte d’effondrement, la lutte pour les marchés sera des plus acharnée pour les grands trusts internationaux. Autrement dit, ce sera une question de vie ou de mort pour les investisseurs de capitaux. Dans cette lutte, chaque capitaliste se retranchera derrière son Etat pour se défendre. Au nom de la défense de l’économie nationale, les capitalistes tenteront de nous enchaîner dans leur guerre économique.
De cette guerre, les victimes sont… les travailleurs. Car derrière la défense de l’économie nationale, chaque bourgeoisie nationale, chaque Etat, chaque patron essaie de réduire ses “coûts” pour maintenir sa “compétitivité”. Concrètement, ils n’auront de cesse que d’intensifier les attaques contre nos conditions de vie et de travail. Si nous les laissons faire, si nous acceptons de nous serrer encore la ceinture, ces sacrifices ne connaîtront pas de fin. Ils remettront en cause jusqu’à nos conditions d’existence !
Travailleurs, refusons de nous laisser diviser par corporation, secteur ou nationalité. Refusons de nous livrer cette guerre économique de part et d’autre des frontières. Battons-nous ensemble et unissons-nous dans la lutte ! Le cri lancé par Marx est d’autant plus d’actualité : “Prolétaires de tous les pays unissez-vous”.
Aujourd’hui, ce sont les travailleurs de Grèce, d’Espagne, les étudiants d’Angleterre qui sont en lutte et sont en butte à des gouvernements qui, de gauche comme de droite, sont aux services des classes dirigeantes. Et comme nous en France, vous avez à faire à des gouvernements qui répriment violemment les travailleurs et les chômeurs, les étudiants, les lycéens.
En France, cet automne, nous avons voulu nous défendre. Nous étions des millions à descendre dans la rue pour refuser purement et simplement cette nouvelle attaque. Nous nous sommes battus contre cette nouvelle loi et contre toutes les mesures d’austérité qui nous touchent de plein fouet. Nous avons dit “Non !” à l’augmentation de la précarité et de la pauvreté.
Mais l’intersyndicale nous a menés volontairement à la défaite en combattant l’extension du mouvement gréviste :
– au lieu de briser les barrières de métier et de corporation pour unir le plus largement les travailleurs, elle a fermé les assemblées générales de chaque entreprises aux autres travailleurs.
– elle a fait des actions spectaculaires pour “bloquer l’économie” mais rien fait pour organiser des piquets de grève ou des piquets volants qui auraient pu attirer d’autres travailleurs dans la lutte. Ce que des travailleurs et précaires ont fait.
– elle a négocié notre défaite derrière notre dos, derrière les portes fermées des cabinets ministériels.
L’intersyndicale n’a jamais rejeté la loi sur les retraites, elle a même répété et répété encore qu’elle était “nécessaire” et “inévitable” ! A l’entendre, nous aurions dû nous contenter de demander à ses côtés “plus de négociations gouvernement-patrons-syndicats”, “plus d’aménagements de la loi pour une réforme plus juste et équitable”…
Pour lutter contre toutes ces attaques, nous ne pouvons compter que sur nous mêmes. En ce qui nous concerne nous avons défendu dans ce mouvement la nécessité pour les travailleurs de s’organiser sur leurs lieux de travail dans des AG souveraines, de se coordonner à l’échelle nationale pour diriger le mouvement gréviste en élisant des délégués révocables à tout moment. Seule une lutte animée, organisée et contrôlée par l’ensemble des travailleurs, tant dans ses moyens que dans ses objectifs, peut créer les conditions nécessaire afin d’assurer la victoire.
*
* *
Nous savons que ce n’est pas fini, les attaques vont continuer, les conditions de vie vont être de plus en plus difficiles et les conséquences de la crise du capitalisme ne vont qu’empirer. Partout dans le monde, nous devons donc nous battre. Pour cela, nous devons retrouver confiance dans notre propre force :
– nous sommes capables de prendre nos luttes en main et de nous organiser collectivement ;
– nous sommes capables de débattre ouvertement et fraternellement, en “libérant la parole” ;
– nous sommes capables de contrôler véritablement la tenue de nos débats et nos décisions.
Les assemblées générales ne doivent pas être dirigées par les syndicats mais par les travailleurs eux-mêmes.
Nous allons devoir nous battre pour défendre nos vies et l’avenir de nos enfants !
Les exploités du monde entier sont frères et sœurs d’une seule et même classe !
Seule notre union de par les frontières sera à même de jeter à bas ce système d’exploitation.
Des participants de l’AG interpro “Gare de l’Est et Île-de-France”
Pour nous contacter :
[email protected] [7]
En fin d’année 2010, et pour une courte période, l’affaire Wikileaks fut au centre de tous les médias. Le soufflé est assez vite retombé, le battage a été tellement énorme qu’on peut légitimement se demander à qui il profitait réellement.
Les faits sont bien connus. Fin novembre, suite à une campagne médiatique à sensation et minutieusement préparée, Wikileaks a commencé à rendre publique une partie des centaines de milliers de câbles diplomatiques classés du gouvernement américain. Dans le même temps, plusieurs groupes de presse à travers le monde (The New York Times, le Monde, The Guardian, El Pais, et le magazine allemand Der Spiegel), à qui Wikileaks avait donné ces fichiers avant leur publication, ont commencé à publier des articles basés sur ces documents. Quiconque a cru que des “secrets d’État” des États-Unis étaient sur le point d’être publiés, a dû être bien déçu. Si l’on fait exception de quelques ragots amusants, ce qui a été rendu public jusqu’à présent n’apporte pas grand chose à ce qui est déjà largement connu de la politique des États-Unis dans le monde. Aussi embarrassant que soient ces câbles diplomatiques pour certains individus dont les opinions ont été diffusées (américains et étrangers), ils sont loin d’être une “bombe”, comme certains commentateurs de la gauche et de la bourgeoisie en général le prétendaient.
C’est finalement Robert Gates, secrétaire d’Etat américain à la défense, qui a peut-être fait la meilleure évaluation de l’importance de la publication de ces documents pour la bourgeoisie américaine :
“J’ai entendu dire que ces publications sur notre politique étrangère étaient une catastrophe, un bouleversement, etc. Je pense que ces descriptions sont assez nettement exagérées. Le fait est que les gouvernements traitent avec les États-Unis parce que c’est dans leur intérêt, non parce qu’ils nous aiment, non parce qu’ils nous font confiance, et non parce qu’ils croient que nous pouvons garder les secrets. Certains gouvernements traitent avec nous parce qu’ils nous craignent, d’autres parce qu’ils nous respectent, la plupart parce qu’ils ont besoin de nous. ... Est-ce gênant ? Oui. Est-ce délicat ? Oui. Les conséquences pour la politique étrangère des Etats-Unis ? Plutôt modeste, je pense.” Quoi qu’il en soit, malgré l’avis de ce représentant très apprécié de la classe dominante des États-Unis, il y a encore des opinions très polarisées sur Wikileaks et la publication de ces documents classés du gouvernement américain. Il y a notamment l’idée de considérer Wikileaks comme une sorte de “cyber” organisation terroriste. Le Département de la Justice lui-même a annoncé qu’il étudiait les poursuites possibles contre Wikileaks et son principal représentant Julian Assange, éventuellement en vertu de la loi sur l’espionnage de 1917, une loi draconienne adoptée dans le contexte de la Première Guerre mondiale, qui punit de la peine de mort ou de longues peines de prison ceux qui diffusent des informations préjudiciables à la sécurité des États-Unis.
Surfant sur cette assimilation avec le terrorisme, les bourgeoisies du monde entier ont commencé à mettre en avant les dangers de l’Internet, réseau décentralisé, sans contrôle, où des irresponsables vent mettre en péril la “liberté” et la “démocratie”. En d’autres termes, là où dans la presse dite traditionnelle, le journaliste un peu trop aventureux est vite bâillonné par ses dirigeants plus “responsables”, sur Internet tout le monde peut s’inventer rédacteur en chef et publier tout et surtout n’importe quoi.
Dans un sens, c’est vrai. Il n’est pas nécessaire de passer beaucoup de temps dans la “blogosphère” pour recevoir un flot d’informations pour la plupart sans intérêt, voire fausses. De même, Julian Assange, au risque de le décevoir, n’est pas le premier à avoir rendu public le fait que, par exemple, nombre de bourgeoisies dans le monde considèrent Nicolas Sarkozy comme un personnage autoritaire et agité.
Mais ce qui intéresse la bourgeoisie dans cette affaire, c’est surtout de pointer le prétendu danger d’une expression politique incontrôlée sur Internet. Derrière Wikileaks, la bourgeoisie fait l’amalgame avec tous les sites, forums, blogs qui, de plus en plus nombreux, portent une critique au système, qui expriment une réflexion et une analyse sur la société capitaliste et qui favorisent la discussion et la rencontre d’éléments qui partagent cette réflexion. Et qui de fait, et potentiellement, représentent bel et bien un danger pour elle. En prédisant pour bientôt une guerre nucléaire intergalactique parce que Wikileaks a révélé des informations aussi sensibles que le fait que les diplomates américains trouvaient Hugo Chavez quelque peu excentrique, la bourgeoisie s’autorise tous les flicages, toutes les intrusions, tous les blocages, au nom de la sécurité et de la défense de la “démocratie”.
Désormais, quiconque “révélera” que, par exemple, le capitalisme est la cause de toute la misère qui dévaste le monde, est susceptible d’être fiché comme “terroriste” et de ce fait, de subir la surveillance et la répression réservées à cette catégorie.
Cette affaire a pu sans aucun doute troubler le sommeil de quelques bourgeois mais, avant tout, le battage allait bien au-delà de la peur que la bourgeoisie a pu ressentir, pour au contraire légitimer toujours plus sa répression contre tous les ennemis de son système. Et il est particulièrement significatif que ce renforcement du flicage de tous et toutes s’effectue au nom de la “défense de la démocratie” ! Voilà effectivement ce qu’est la démocratie bourgeoise : sous une vitrine qu’elle s’efforce de rendre extérieurement polie et respectable, se cache toujours l’horrible visage d’une classe dominante viscéralement mensongère, exploiteuse et répressive !
GD (25 janvier)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article d'Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne. Il s'agit d'une prise de position réalisée à chaud lors de la grève des aiguilleurs du ciel début décembre 2010.
Nous venons d’assister, au moment de ce qui semblait être le début d’un long pont de vacances1, altéré seulement par le mauvais temps, au spectacle dramatique du « chaos aéroportuaire » et à sa conséquence : la déclaration, pour la première fois depuis la mort de Franco, de l’état d’urgence et de la militarisation des contrôleurs aériens. Ceux-ci, apeurés, ont finalement dû retourner au travail en devant supporter la surveillance de la Garde civile.
Trois ans après son début, nous continuons à vivre sous celle qu’on reconnaît comme la pire des crises de l’histoire du capitalisme. La guerre des monnaies et, plus spécifiquement, la crise de la dette souveraine qui touche l’Espagne de plein fouet, ont été les derniers jalons d’une dégradation jamais vue.
Le seul "remède" que le capitalisme a à sa disposition est celui de s’attaquer aux conditions de vie des tous les travailleurs, en leur déclarant une guerre sans quartier. Le symbole de cette dure et brutale réalité c’est que chaque fois que les fameux marchés l'exigent, le gouvernement, complaisant, adopte de nouvelles mesures contre les travailleurs. L’Irlande, le Portugal, la Grande-Bretagne, sont aujourd’hui, entre autres multiples pays, le théâtre de plans d’austérité draconiens qui, comme le dit le premier ministre britannique Cameron (si admiré par l’impassible Rajoy, chef de la droite espagnole) entraînent, pour la grande majorité, du sang, de la sueur et des larmes.
Ici, en Espagne, les mesures du mois de février 2010 ont ouvert le chemin aux baisses de salaire des fonctionnaires en juin, ce qui, à son tour, a ouvert la porte à la réforme du code du travail imposée en septembre. Pas de trêve cependant ! Le 1er décembre, Zapatero2 annonçait de nouvelles salves : l’élimination de l’allocation-aumône de 426 € aux chômeurs et la privatisation partielle d’AENA3 qui met en question 12 000 postes de travail. Et la reforme des retraites est annoncée pour janvier...
Voilà la réalité toute crue : la guerre d’une minorité de privilégiés et du gouvernement à leur service contre la grande majorité de la population. Mais, ne voilà-t-il pas que, grâce à la mise en œuvre d’une provocation sournoise du gouvernement et d’une violente campagne médiatique sans répit, on a mis la réalité sens dessus dessous : ce serait un collectif, celui des contrôleurs, qui partirait en guerre contre les citoyens en les prenant comme otages dans leur bras de fer avec le « gouvernement de la Nation ». On a voulu occuper nos esprits avec ce seul sujet, dans un tourbillon médiatique monomaniaque, pour qu’on oublie tout le reste pendant un temps, même les vrais faits préoccupants : 40% des chômeurs vivent dans des foyers où aucun des membres de la famille travaille.
Un des principes de la stratégie militaire consiste dans la division et la démoralisation de l’adversaire avant la bataille. Le gouvernement sait très bien que les coups de trique continuels qu’il assène aux travailleurs finiront par entraîner des ripostes. Aussi, il avait besoin au préalable de trouver une tête de turc pour semer la division, en lui adressant un avertissement exemplaire qui intimide et éradique toute tentative de protestation chez les autres travailleurs.
Pour ce rôle, les contrôleurs étaient les candidats parfaits. Les gouvernement de González [PS, 1982-1996] et surtout celui d’Aznar [droite, 1996-2004], avec la convention collective de 1999, avaient mis les contrôleurs aériens dans une cage dorée corporative, pas par bonté d’âme, mais à cause du rôle stratégique et indispensable qu’ils jouent dans le trafic aérien et, surtout, pour dévaluer le rôle des pilotes et du personnel de vol qui ont vu comment leurs salaires diminuaient sensiblement, en transférant aux contrôleurs le suivi des vols, l’écart des avions, le guidage de l’atterrissage et de décollage, qui se faisaient auparavant depuis les avions eux-mêmes. La convention de 1999 octroyait au syndicat des contrôleurs, l’USCA, des prérogatives très larges dans les embauches et l’organisation du travail, en renforçant ainsi l’état d’esprit de privilégié et de pouvoir corporatif.
En échange de ces « attentions », ces travailleurs réalisent un travail sur-spécialisé dans le plus grand isolement, subissant une très forte pression incluant l’engagement de responsabilité pénale, obligés à réaliser des heures supplémentaires sans arrêt pour couvrir les postes au moment de sur-trafic, et des mutations constantes d’un aéroport à un autre. Ce n'est donc pas un hasard si ces travailleurs détiennent le triste record, peu enviable, des maladies mentales, dépression, anxiété, stress, etc.
Dans le fracas de la bataille médiatique que nous venons de vivre, la presse, la radio, les TV ont soigneusement occulté ces faits pour insister sur les salaires élevés, la retraite à 52 ans, etc. Mais ils ont surtout étouffé le plus important : depuis février 2010, ce collectif est soumis à des mesures brutales qui servent de banc d’essai, pour les appliquer par la suite aux autres travailleurs. C’est à cette date-là que leur journée de travail a été augmentée de 33% et que les salaires étaient diminués de 30%.
Le 3 décembre, la veille du pont, le Gouvernement, soudainement, a allumé la mèche avec un décret-loi imprévisible : les congés-maladie ou autres permissions devaient être récupérés avec des heures de travail supplémentaires à ajouter aux 1670 heures signées. C’était un piège qui mettait les travailleurs sur le gril : ou se taire ou protester à un moment particulièrement sensible pour le public.
En vérité, ce ne sont pas les contrôleurs qui ont défié au bras de fer le gouvernement, mais celui-ci qui les a soumis à une manœuvre soigneusement orchestrée et préparée. Ce ne sont pas les contrôleurs qui ont été les protagonistes d’une « grève sauvage » tel que les médias l’ont exagéré, mais ils ont été poussés à faire une espèce de grève passive sur le tas, isolés les uns des autres. Ce qui est arrivé a été présenté comme une action des contrôleurs contre les nombreux passagers piégés dans les aéroports. Mais, en fait, c’est autant les uns que les autres qui ont été victimes d’une manœuvre de grande ampleur qui, en dernière instance, est dirigée contre l’ensemble des travailleurs.
Le ministre Blanco, vendredi, et aussi le vice-président Rubalcaba, samedi, ont déclaré qu’ils « savaient bien ce qui était en train de se préparer » ; bien plus, le ministre a dit que « Le PP en était informé ». Et le vice-président a « répondu » avec un silence assourdissant à la question, posée lors d’un point-presse samedi, de pourquoi le décret-loi qui allait pousser les contrôleurs à la révolte a été promulgué juste le jour précédent ce pont ?
Après le décret, les mesures se sont succédées avec une précision de montre suisse. À 20h30, ce même vendredi, Blanco annonce « qu’on va utiliser toute la force de la loi pour finir avec cette situation ». Une heure plus tard, le Roi d’Espagne4, qui assiste en Amérique Latine au « sommet ibéro-américain », signe un nouveau décret de contrôle militaire du trafic aérien. Et encore une heure plus tard, le président du gouvernement, Zapatero, qui, inexplicablement pour tous les médias, n’avait pas assisté à ce sommet-là, signe un nouveau décret de militarisation des contrôleurs. On convoque pour le matin suivant à 9h un conseil de ministres qui déclare l’état d’alarme. Trois décrets et une déclaration d’état d’alarme en moins de 24 heures ! Difficile de croire que tout cela a été une réaction à chaud contre le défi des contrôleurs !
Les résultats sont là : militarisation d’un collectif de travailleurs et déclaration de l’état d’alarme. Une mesure à laquelle était attaché le dictateur Franco a été reprise non pas par cette méchante droite d’Aznar mais par le « socialiste » Zapatero.
Ainsi, le précédent vient d’être mis en place. Dorénavant, face à des luttes ouvrières significatives, on brandira la menace de la militarisation et de déclaration d’état d’urgence. Avec le plus grand des cynismes, monsieur Rubalcaba, a déclaré qu’il est parfaitement constitutionnel de travailler avec l’haleine d’un garde civil derrière la nuque ou sous la surveillance de l’armée.
La manœuvre orchestrée sur le dos des contrôleurs aériens n’est pas seulement une attaque politique et économique, mais elle comporte un coup moral aux conséquences profondes.
Avec la plus grande unanimité, depuis l’extrême droite néolibérale de l’Inter-Economía jusqu’à la « gauche modérée » d’El País, des radios, des chaînes de TV, des journaux de toute sorte, des partis, et de grands syndicats, tous ont rivalisé dans l’escalade d’insultes et des demi-vérités jetées sur des contrôleurs mis au pilori. On a soufflé sur les braises du plus mauvais esprit de chasse aux sorcières chez les citoyens et certains participants dans ces émissions de TV poubelle où l’on se crêpe le chignon, se sont permis de dire : « Si vous avez un voisin contrôleur, frappez à sa porte pour lui dire tout le mal que vous pensez de son ignoble comportement »5.
Au Moyen Age, les seigneurs féodaux organisaient des cérémonies sinistres où des individus ou des groupes sociaux étaient soumis à la raillerie et la vindicte publique. C’était là un avertissement servant d’exemple, à effet dissuasif et en même temps, ces malheureux servaient de bouc émissaire pour que le peuple, devenu populace pour l’occasion, décharge sur eux sa frustration et ses souffrances.
Ce serait une erreur de sous-estimer et de banaliser cette campagne contre les contrôleurs. Le préjudice moral causé, l’humiliation subie, engendrent des souffrances pires parfois qu’une bastonnade ou la torture. Quelle tête vont faire les contrôleurs quand ils vont aller faire leurs courses à la boutique du coin ou partager l’ascenseur avec un voisin ? Quel genre des railleries vont subir leurs enfants de la part des leurs camarades d’école ?
Aujourd’hui ce sont les contrôleurs, demain ça peut être n’importe quel autre groupe de travailleurs, nous sommes tous sous cette menace !
Peut-on penser que tout va rester limité aux contrôleurs ?
Absolument pas ! Rappelons-nous comment, en février, ces mêmes contrôleurs ont été utilisés comme cobayes pour imposer les réductions salariales, ce qui a préparé le terrain aux baisses salariales imposées en juin aux fonctionnaires. La compensation des congés maladie imposée aujourd’hui aux contrôleurs ouvre la voie à ce que, tôt ou tard, cette mesure soit appliquée à d’autres secteurs tel que celui de la Santé.
Peut-on affirmer que d’autres secteurs de travailleurs sont à l’abri de nouvelles campagnes de diffamation ?
Encore une fois, absolument pas ! Ces « légendes urbaines » qui circulent sur les chômeurs (« ce n’est que des fainéants qui ne veulent pas travailler », « ce sont des coquins qui touchent une allocation et, après, ils travaillent au noir ») peut-on croire qu’ils ne vont pas être bombardés par une campagne médiatique ? Les clichés sur les fonctionnaires (« avec leur boulot à vie, ils s’arrangent pour laisser leur poste et se balader dans les grandes surfaces… ») ne pourraient-ils pas devenir, le moment venu, les flèches pour les accabler ? Est-ce qu’on doit oublier, comme si de rien n’était, la campagne agressive menée main dans la main par la dame Aguirre et le sieur Rubalcaba6, si distants en apparence, contre les travailleurs lors de la grève du métro de Madrid ?
Diviser pour mieux régner, disaient les Romains. Aujourd’hui, cela a été le tour des contrôleurs, demain ce sera contre les chômeurs ou les fonctionnaires ou les retraités. En vérité, c’est contre tous les travailleurs que cette offensive se prépare…. Qu’est-ce, sinon, la réforme du code du travail, la réforme des retraites, l’élimination des 426 € [donnés aux « fins de droits »] et un bon paquet de « réformes » que le pouvoir garde au chaud ?
Notre seule force possible est la solidarité. Laisser tomber les contrôleurs, c’est nous laisser tomber nous-mêmes, c’est permettre qu’on nous écrase et qu’on nous humilie paquet par paquet.
Les contrôleurs aériens ont été victimes d’un mirage qui a favorisé les agissements du gouvernement. Il leur semblait que leur capacité pour paralyser tout le trafic aérien leur permettrait, avec une simple grève sur le tas, de faire plier le dit gouvernement. Et on a vu justement le contraire : ce sont les contrôleurs qui ont dû plier. Pourquoi ?
En premier lieu parce que ces travailleurs avaient leur ennemi chez eux. Il s’agit de « leur » syndicat, l’USCA, qui les tenait enchaînés avec un corporatisme insensé et suicidaire, en même temps qu’il négociait en sous-main avec le gouvernement. La photo de ses dirigeants, au moment le plus aigu du conflit, prenant calmement quelques bières, a montré mieux que mille explications quel est le terrain qu’ils défendent.
En deuxième lieu, parce que la simple pression sur les transports ou la production ne fait pratiquement pas de mal aux capitalistes et à leur gouvernement. La crise et la décomposition sociale dominante, font que l’économie elle-même et la société capitaliste fonctionnent d’une façon de plus en plus chaotique et désordonnée. Dans beaucoup de cas, la simple paralysie du travail offre aux patrons une possibilité en or de réduire leurs stocks accumulés. Une action de pression d’un groupe isolé de travailleurs n’est pas seulement inefficace parce qu’elle ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu du désordre « normal », mais aussi parce qu’elle permet aux gouvernements, aux médias et aux capitalistes de les faire apparaître comme coupables du désordre existant.
Une lutte efficace ne peut pas emprunter ces chemins-là. Au minimum et comme point de départ, la lutte a besoin de deux conditions. La première : qu’elle soit organisée, contrôlée, suivie et menée par les travailleurs eux-mêmes, grâce à des assemblées générales ouvertes aux autres travailleurs. Sans la participation, l’initiative, l’engagement et l’enthousiasme des travailleurs, la lutte est condamnée à l’échec. Une lutte qui est confiée aux « mains expertes » des syndicats est un combat perdu d’avance.
La seconde consiste à gagner la solidarité, le soutien, la participation active des autres travailleurs. Ce qui peut vraiment mettre à genoux le pouvoir établi est une lutte qui s’étend, une lutte qui suscite l’estime de la majorité. Quand les travailleurs s’unissent, partagent les débats, les aspirations, les volontés communes, quand les barrières du secteur, de l’entreprise, de la corporation, sont détruites et apparaît une classe ouvrière unie, qui est, à son tour, l’embryon de l’unité générale de toute l’humanité, alors le rapport de force face au capital et son État change radicalement et ceux-ci apparaissent pour ce qu’ils sont en réalité : c’est eux la minorité de privilégiés qui vivent à nos dépends. Par contre, lorsqu’un groupe de travailleurs essaye à lui seul coincer le gouvernement par la simple pression économique, l’État et les médias à son service peuvent facilement les isoler et les défaire en les présentant comme une minorité qui essaye de prendre en otage la majorité. C’est l’État lui-même qui se renforce en se présentant comme garant des « droits de tous ».
CCI (5 décembre 2010)
1 De samedi 4 au mercredi 8 décembre inclus.
2 Chef du gouvernement espagnol (Parti socialiste)
3 Entreprise publique qui gère tous les aéroports espagnols.
4 Qui est, théoriquement, le chef de l’État espagnol.
5 Ceci est un exemple donné par nos camarades du CCI d’Espagne, mais il suffit de lire ou entendre la moindre interview dans n’importe quel journal ou émission espagnols au moindre spécialiste de n’importe quoi, à n’importe quelle célébrité genre people ou politicien, pour qu’il ajoute avec componction sa profonde exécration de ces « gangsters » de contrôleurs aériens. Même les banquiers en ont profité pour nettoyer les excréments qui leur collent aux souliers sur le dos des contrôleurs ! Sans oublier l’aspect principal de la campagne : montrer en long et en large la monstrueuse pagaille et les souffrances qui ont été le lot de beaucoup de gens, une souffrance qui ne pouvait que se retourner contre ces « privilégiés » de contrôleurs et qui a servi surtout à celui qui en été à l’origine : le gouvernement.
6 Aguirre est la présidente de droite de la région de Madrid et Rubalcaba était le vice-premier ministre socialiste du gouvernement espagnol.
Le scandale du Mediator est venu mettre en lumière les louches accointances qui unissent laboratoires pharmaceutiques, profit et partis politiques.
Le président Sarkozy nous a promis “la transparence la plus complète” sur la façon dont un médicament, soupçonné d’avoir tué entre 500 et 2000 personnes en France, interdit aux Etats-Unis depuis 1997, a été officiellement soutenu par l’Etat. Pendant 33 ans, ce “Terminator” médicamenteux a sévi malgré des rapports d’experts médicaux répétés signalant sa dangerosité.
Xavier Bertrand, re-ministre de la Santé, qui avait décidé de maintenir le remboursement à 65 % du Mediator en 2006, s’est lancé récemment à coups de flonflons dans ce qu’il voudrait faire passer pour un grand nettoyage des ces véritables écuries d’Augias grâce à une loi prémunissant contre “les conflits d’intérêts” au sein de l’Etat. Après le feuilleton Woerth-Bettancourt, il est l’heure pour la bourgeoisie française d’orchestrer une mascarade d’opération “main blanche” !
Tout cela n’est que du tape-à-l’œil, bien sûr, et n’empêchera pas les sales méthodes et les affaires de continuer comme avant. Rappelons les liens reconnus entre Sarkozy et Servier, qui a financé sa campagne électorale. Rappelons que Martine Aubry en 1999 et Kouchner en 1998 avaient eux aussi en leur temps ignoré les rapports et leurs avertissements sur le Mediator. Et si celui-ci est autant sur le devant de la scène, ce n’est pas parce que le gouvernement s’est décidé à jouer les “Monsieur Propre”, c’est pour mieux enterrer et masquer l’ensemble des pratiques hautement dangereuses et mortelles qui font le quotidien de cette partie du monde de la santé publique.
Ainsi, la France a continué jusqu’en 2004 à commercialiser le Vioxx (1), médicament anti-douleur et anti-inflammatoire, interdit aux Etats-Unis en 2004 : ce dernier serait responsable entre 1999 et 2004, selon la FDA (Food and Drug Administration, agence de régulation américaine des médicaments), de 160 000 attaques cardiaques ou cérébrales et de 40 000 décès. Dans l’Hexagone, il a fallu l’arrêt pur et simple du Vioxx par le laboratoire Merck pour que l’Afssaps (Agence française de sécurité des produits sanitaires) reconnaisse dans un discret communiqué 9 mois plus tard que ce médicament avait de graves conséquences sur le plan cardio-vasculaire. Silence radio sur le nombre de morts !
On se souvient du Tamiflu, hautement préconisé en cas de grippe A (porcine) par le gouvernement à l’automne 2009 et pendant l’hiver suivant, bien que de nombreuses sonnettes d’alarme aient retenti dans le monde médical. Une étude du British Medical Journal sortait le 8 décembre 2009 pour dénoncer le fait que le Tamiflu n’avait pas d’effet mesurable ni en prévention, ni sur l’intensité de la maladie, ni sur les complications, ni sur le nombre d’hospitalisations, ni sur la mortalité. En revanche, la Société scientifique de médecine générale et le Forum des associations de généralistes mettaient en garde sur les effets indésirables importants sur les enfants, et éventuellement sur les femmes enceintes. On sait que le laboratoire Roche avait totalement trafiqué les résultats de ses études : mais pour 33 millions de médicaments achetés par la France que ne ferait-on pas.
Evidemment, il ne s’agit pas d’une spécificité française. Jouer sans vergogne avec la vie humaine en faisant du profit et au nom du profit est un sport international pour la bourgeoisie. Cela fait partie de son être profond, dans le domaine de la santé comme dans tous les autres.
Pour ce qui concerne les laboratoires pharmaceutiques, le marché est juteux. Une étude de 2007 faite pour ces entreprises, intitulée “Pharma 2020 : The vision – What path will you take ?” projette que le marché mondial de l’industrie pharmaceutique sera de 1300 milliards de dollars en 2020. Les rédacteurs misent en particulier sur l’augmentation des maladies chroniques dans les pays “en voie de développement”. Il s’agit de “l’intérêt des patients”, on n’en doute pas. Patients auxquels il est reproché de ne pas prendre sérieusement leurs traitements, alors que s’ils montraient un plus grand sérieux dans ce suivi, grâce à des stratégies de “com” ad hoc, c’est un bonus de 30 milliards de dollars qui pourrait être gagné par les laboratoires. Il faut donc “innover” avec de nouvelles “molécules” et convaincre les gens qu’elles leur sont bénéfiques ; la preuve, c’est la caution scientifique. Et elle vaut son pesant de gélules ! 6 à 43 %, chiffre indéterminé dans l’opacité de la nébuleuse pharmaceutique, des résultats des essais ne sont pas fournis par les laboratoires. Mais il suffit qu’ils n’en fournissent que deux positifs, même si c’est au milieu d’une myriade de résultats négatifs. De plus, ils sont seuls habilités à les fournir, les autres se faisant au fil du temps et à l’usage. Alors, pourquoi se gêner ? Entre des instances sans moyens et des politiciens qui encouragent ces pratiques, au nom de la santé… de l’économie, c’est l’eldorado assuré.
Les laboratoires ne lésinent sur aucun moyen pour “aider à la guérison” de multiples maladies, comme le sida. Ils font ainsi des pieds et des mains aux différents sommets de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) pour empêcher la concurrence indienne ou chinoise de produire des génériques à bas prix et de les exporter vers les pays pauvres qui sont les plus frappés par le virus. Dans le même souci permanent d’œuvrer au bien-être des populations, ils expérimentent à tout va, galvanisés par la concurrence qui fait rage mondialement. A New York (2), les foyers de l’Aide à l’enfance de Harlem servent de plaque-tournante pour un immonde commerce d’enfants séropositifs servant de cobayes, sous la houlette du comité d’éthique de la ville. Ceux-ci proposent aux parents de ceux qui sont dans leur famille de toucher 25 dollars par mois en acceptant qu’ils servent de cobayes, avec de nombreuses souffrances à la clé sinon la mort. Et les services sociaux d’Aide à l’enfance sont, là encore, mis à contribution : les enfants sont donc enlevés à leur famille, pour “carence de soins” (sic !), pour être placés en foyer où les laboratoires pourront œuvrer à leur guise pendant des années.
Soigner les populations pour le bien-être de tous, par humanisme et bonté d’âme ? C’est pour la galerie. La bourgeoisie s’efforce d’extirper le moindre sou(ffle) de chaque être humain, malade ou en bonne santé. Il est significatif que, selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), 80 % des pathologies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, des diabètes et 40 % des cancers pourraient être évités avec une réelle prévention. Or, cette dernière ne représente que 3 % des dépenses de santé des pays de l’OCDE… car elle n’est pas “rentable” !
Les choses ne peuvent être plus claires. Les larmes de crocodiles et les discours offensés que versent les représentants de la bourgeoisie ne peuvent pas masquer leur cynisme et l’incurie phénoménale de ce système capitaliste décadent.
Mulan (27 janvier)
1) Source www.lmous.com [10]
2) Dailymotion
Que s’est-il passé en Tunisie et en Egypte, ces dernières semaines et que se passe-t-il aujourd’hui en Libye ? Un soulèvement massif de la population et des classes exploitées contre des régimes de terreur, des conditions de vie effroyables, un chômage et une misère rendus intolérables par la pression d’une crise économique mondiale. Cette lame de fond démontre au monde entier que les gouvernements, même les plus ouvertement sanguinaires, ne sont pas tout-puissants. Il est possible de les renverser. Pour autant, après le départ de Moubarak en Egypte comme après celui de Ben Ali en Tunisie, rien n’est résolu. En Egypte comme en Tunisie, les nouveaux “représentants” du pouvoir, qu’ils soient militaires ou civils, appartiennent à la même clique, au même camp, à la même classe que les anciens. Ils gardent le même objectif : nous exploiter !
La bourgeoisie occidentale, de gauche comme de droite, après avoir fait ami-ami avec tous ces dictateurs pendant des décennies, encense maintenant hypocritement les “peuples courageux qui se sont battus pour la démocratie”. Mais la misère et la répression qui ont provoqué la révolte sont toujours là. Comme elle reste présente dans le monde entier asservi au capitalisme et à la classe dominante.
L’effet “dominos” qui aboutit aujourd’hui au renversement ou à la remise en cause directe de plusieurs régimes tyranniques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient évoque pour beaucoup l’effondrement en chaîne des régimes du bloc de l’Est au début des années 1990. Elle est d’ailleurs porteuse d’une même illusion : entretenir de faux espoirs démocratiques dans les populations libérées de décennies de terreur. Mais il existe une différence capitale entre les deux mouvements et les deux périodes. En 1989-90, c’est la bourgeoisie qui en avait entièrement tiré les bénéfices en développant son idéologie mensongère sur la mort du communisme (en l’assimilant aux régimes staliniens en décomposition). Les prolétaires n’avaient ainsi pas eu conscience que c’était en réalité un pan entier du système capitaliste en faillite qui s’effondrait. Toute cette propagande avait porté un coup très important au moral et à la combativité de notre classe. Concrètement, il y a eu très peu de luttes à travers le monde durant toutes les années 1990. Mais aujourd’hui, la libération de populations entières du joug et de la chape de plomb qu’imposaient des dictateurs haïs est au contraire un encouragement à la lutte partout dans le monde même si ces soulèvements restent prisonniers de pernicieuses idéologies nationalistes et de fortes illusions électoralistes. La présence des ouvriers dans ce mouvement, s’affirmant sur leur terrain de classe, autour de leurs propres revendications, en constitue d’ailleurs l’élément le plus positif. Et c’est précisément ce qui inspire des craintes à la bourgeoisie partout dans le monde. Les luttes ouvrières au début noyées dans l’explosion de colère générale ont, surtout en Egypte, joué un rôle qui a certainement accéléré les événements. C’est significativement 48 heures seulement après l’extension de ces grèves dans la région industrielle du canal de Suez qu’Obama a persuadé l’armée que le départ de Moubarak devait être immédiat. Et il est encore plus édifiant qu’après cela, le mouvement de grève a continué de s’amplifier, contraignant l’armée, le nouveau maître national, à lancer un message sans équivoque intimant aux grèves de cesser et aux ouvriers et employés de reprendre leur travail !
Hossam el-Hamalawy (1) exprime, dans un article publié par The Guardian du 14 février, cette recrudescence de la lutte des ouvriers : “Toutes les classes en Egypte ont pris part à l’insurrection. Moubarak a réussi à s’aliéner toutes les classes sociales de la société. Sur la place Tahrir, vous pouviez rencontrer les fils et les filles de l’élite égyptienne, collaborant avec les travailleurs, les citoyens de la classe moyenne et les pauvres des zones urbaines. Mais n’oubliez pas que c’est seulement quand des grèves massives ont démarré que le régime a commencé à s’effriter, et que l’armée a dû forcer Moubarak à démissionner parce que le système allait s’effondrer... Dès le premier jour de l’insurrection, le 25 janvier, la classe ouvrière a pris part aux manifestations. Toutefois, les travailleurs ont commencé à participer d’abord comme “manifestants” et pas nécessairement en tant “qu’ouvriers”, c’est à dire qu’ils n’agissaient pas de façon autonome. C’est le gouvernement qui avait arrêté l’économie, et non les manifestants, avec son couvre-feu, et en fermant les banques et les entreprises. Il s’était agi d’une grève capitaliste, qui visait à terroriser le peuple égyptien.”
Un article de David McNally (2) sur www.pmpress.org [13] donne une idée de l’ampleur des luttes ouvrières par la suite : “Au cours de la semaine du 7 février, des dizaines de milliers d’entre eux se sont précipités dans l’action. Des milliers de cheminots ont fait grève et ont bloqué des lignes de chemin de fer. Six mille travailleurs du Service du Canal de Suez ont débrayé et ont organisé des sit-in à Suez et dans deux autres villes. A Mahalla, 1500 travailleurs de “Abul Sebae Textiles” ont fait grève et ont bloqué la route. A l’hôpital de Kafr al-Zayyat, des infirmières et des infirmiers ont organisé un sit-in et ont été rejoints par des centaines d’employés d’autres hôpitaux. A travers l’Egypte, des milliers d’autres – les travailleurs de bus au Caire, les employés de “Telecom Egypt”, des journalistes d’un certain nombre de journaux, les travailleurs dans les usines pharmaceutiques et les aciéries ont rejoint la vague de grèves. Ils exigent l’amélioration des salaires, le licenciement des directeurs d’entreprise sans scrupules, réclamant le paiement des arriérés de salaire, de meilleures conditions de travail et des syndicats indépendants. Dans de nombreux cas, ils ont aussi appelé à la démission du président Moubarak. Et dans certains cas, comme celui des 2000 ouvriers de la soie “Helwan Factory”, ils ont exigé la suppression du conseil d’administration de leur société. Il y a eu aussi des milliers de membres du corps professoral de l’Université du Caire qui ont rejoint les manifestations, se sont confrontés aux forces de sécurité et ont empêché le Premier ministre Ahmed Shariq de se rendre à son bureau au gouvernement.”
On pourrait ajouter de nombreux autres exemples : environ 20 000 travailleurs de Al-Mahalla Al-Kobra, plus de 100 kilomètres au nord du Caire, relançant la grève après une pause de trois jours dans la plus grande usine de filature et de tissage d’Egypte, des employés de banque exigeant le limogeage de leurs patrons corrompus, des ambulanciers utilisant leurs véhicules pour bloquer les routes pour protester par rapport à leurs salaires, des travailleurs manifestant devant le siège de la Fédération des syndicats égyptiens qu’ils dénoncent comme un “repaire de brigands” et “un groupe de voyous” et appelant à sa dissolution (les gros bras du service d’ordre syndical répondant évidemment à ces travailleurs par… des coups et des balles). Il y aurait sans doute beaucoup d’autres exemples à ajouter à ceux-ci.
Maintenant que les manifestations massives se sont dispersées, circulent des informations selon lesquelles les réunions de travailleurs seraient interdites. Nous savons déjà que pendant toute la période où l’armée prétendait être la protectrice des personnes, des centaines de militants ont été arrêtés et torturés par cette même institution “populaire”, et il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que ce genre de répression “ordinaire” ne continue pas, même si les affrontements frontaux sont évités.
De même, il y a l’illusion que l’armée appartient au peuple, ces illusions sont dangereuses car elles empêchent les opprimés de voir qui est leur ennemi et d’où le prochain coup viendra. Mais ces illusions sur l’armée font partie d’une illusion plus générale sur la “démocratie”, avec l’idée que des changements dans la forme de l’Etat capitaliste vont changer la fonction de cet Etat et le mettre au service des besoins de la majorité. L’appel à former des syndicats indépendants qui a traversé beaucoup de grèves est à la racine d’une variante de ce mythe démocratique : en particulier, il est basé sur l’idée que l’Etat capitaliste, dont le rôle est de protéger un système qui n’a rien à offrir aux travailleurs, ni à l’ensemble de l’humanité, peut permettre à la classe exploitée de maintenir ses propres organisations indépendantes sur une base permanente.
Nous sommes loin de la révolution dans le seul sens que cela peut avoir aujourd’hui : la révolution prolétarienne internationale. La conscience authentiquement révolutionnaire nécessaire pour guider une telle révolution à la victoire ne peut se développer qu’à l’échelle mondiale, et elle ne peut se concrétiser sans la contribution déterminante des travailleurs les plus expérimentés des pays capitalistes les plus anciens, en Europe. Mais les prolétaires (et d’autres couches opprimées) du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont d’ores et déjà, par leurs luttes, mis en lumière des enseignements essentiels pour le prolétariat mondial : sur la façon de prendre en charge leurs propres luttes, sur l’organisation de l’occupation de la rue, sur la solidarité et l’entraide… Sur la place Tahrir s’est exprimée toute cette créativité auto-organisatrice de la lutte ouvrière, comme le décrit McNally, “Sur la place Tahrir, le centre névralgique de la “révolution”, la foule s’engage dans la prise de décision directe, parfois avec des centaines de milliers de manifestants. Organisés en petits groupes, les gens discutent et débattent, puis envoient des délégués élus à des consultations par rapport aux exigences du mouvement. […] les délégués de ces mini-rassemblements se réunissent alors pour discuter de l’atmosphère qui règne, avant que les demandes potentielles ne soient lues, au moyen d’un système de haut-parleur de fortune. L’adoption de chaque proposition se fait en proportion des huées ou des applaudissements qu’elle reçoit de l’ensemble de la foule.” Leçons aussi sur la façon de se défendre collectivement contre les assauts de la police et des pillards, sur la façon de surmonter les divisions sectaires entre sunnites et chiites, musulmans et chrétiens, religieux et laïcs. Leçons sur la propagation au-delà des frontières de chaque pays, avec la révolte qui se propage de pays à pays, avec les mêmes exigences et méthodes et le fait que partout les prolétaires vont découvrir qu’ils font face aux mêmes attaques contre leur niveau de vie, à la même répression, au même système d’exploitation. Interrogés par la presse au cours des derniers jours, les travailleurs en Egypte ont souvent exprimé la simple vérité qui motive leurs grèves et leurs manifestations : ils ne peuvent pas nourrir leurs familles, parce que leurs salaires sont trop bas, parce que les prix sont trop élevés, parce que le chômage fait rage…
La classe ouvrière de tous les pays va de plus en plus faire face à la dégradation de ses conditions de vie et aucune “réforme démocratique” ne les soulagera. La classe ouvrière n’a que sa lutte pour se défendre, et la perspective d’une nouvelle société pour solution.
Am/W (26 février)
1) Journaliste égyptien qui blogue sur arabawy.org.
2) Professeur de sciences politiques à l’Université d’York à Toronto.
Que s’est-il passé en Tunisie et en Egypte, ces dernières semaines et que se passe-t-il aujourd’hui en Libye ? Un soulèvement massif de la population et des classes exploitées contre des régimes de terreur, des conditions de vie effroyables, un chômage et une misère rendus intolérables par la pression d’une crise économique mondiale. Cette lame de fond démontre au monde entier que les gouvernements, même les plus ouvertement sanguinaires, ne sont pas tout-puissants. Il est possible de les renverser. Pour autant, après le départ de Moubarak en Egypte comme après celui de Ben Ali en Tunisie, rien n’est résolu. En Egypte comme en Tunisie, les nouveaux “représentants” du pouvoir, qu’ils soient militaires ou civils, appartiennent à la même clique, au même camp, à la même classe que les anciens. Ils gardent le même objectif : nous exploiter !
La bourgeoisie occidentale, de gauche comme de droite, après avoir fait ami-ami avec tous ces dictateurs pendant des décennies, encense maintenant hypocritement les “peuples courageux qui se sont battus pour la démocratie”. Mais la misère et la répression qui ont provoqué la révolte sont toujours là. Comme elle reste présente dans le monde entier asservi au capitalisme et à la classe dominante.
L’effet “dominos” qui aboutit aujourd’hui au renversement ou à la remise en cause directe de plusieurs régimes tyranniques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient évoque pour beaucoup l’effondrement en chaîne des régimes du bloc de l’Est au début des années 1990. Elle est d’ailleurs porteuse d’une même illusion : entretenir de faux espoirs démocratiques dans les populations libérées de décennies de terreur. Mais il existe une différence capitale entre les deux mouvements et les deux périodes. En 1989-90, c’est la bourgeoisie qui en avait entièrement tiré les bénéfices en développant son idéologie mensongère sur la mort du communisme (en l’assimilant aux régimes staliniens en décomposition). Les prolétaires n’avaient ainsi pas eu conscience que c’était en réalité un pan entier du système capitaliste en faillite qui s’effondrait. Toute cette propagande avait porté un coup très important au moral et à la combativité de notre classe. Concrètement, il y a eu très peu de luttes à travers le monde durant toutes les années 1990. Mais aujourd’hui, la libération de populations entières du joug et de la chape de plomb qu’imposaient des dictateurs haïs est au contraire un encouragement à la lutte partout dans le monde même si ces soulèvements restent prisonniers de pernicieuses idéologies nationalistes et de fortes illusions électoralistes. La présence des ouvriers dans ce mouvement, s’affirmant sur leur terrain de classe, autour de leurs propres revendications, en constitue d’ailleurs l’élément le plus positif. Et c’est précisément ce qui inspire des craintes à la bourgeoisie partout dans le monde. Les luttes ouvrières au début noyées dans l’explosion de colère générale ont, surtout en Egypte, joué un rôle qui a certainement accéléré les événements. C’est significativement 48 heures seulement après l’extension de ces grèves dans la région industrielle du canal de Suez qu’Obama a persuadé l’armée que le départ de Moubarak devait être immédiat. Et il est encore plus édifiant qu’après cela, le mouvement de grève a continué de s’amplifier, contraignant l’armée, le nouveau maître national, à lancer un message sans équivoque intimant aux grèves de cesser et aux ouvriers et employés de reprendre leur travail !
Hossam el-Hamalawy (1) exprime, dans un article publié par The Guardian du 14 février, cette recrudescence de la lutte des ouvriers : “Toutes les classes en Egypte ont pris part à l’insurrection. Moubarak a réussi à s’aliéner toutes les classes sociales de la société. Sur la place Tahrir, vous pouviez rencontrer les fils et les filles de l’élite égyptienne, collaborant avec les travailleurs, les citoyens de la classe moyenne et les pauvres des zones urbaines. Mais n’oubliez pas que c’est seulement quand des grèves massives ont démarré que le régime a commencé à s’effriter, et que l’armée a dû forcer Moubarak à démissionner parce que le système allait s’effondrer... Dès le premier jour de l’insurrection, le 25 janvier, la classe ouvrière a pris part aux manifestations. Toutefois, les travailleurs ont commencé à participer d’abord comme “manifestants” et pas nécessairement en tant “qu’ouvriers”, c’est à dire qu’ils n’agissaient pas de façon autonome. C’est le gouvernement qui avait arrêté l’économie, et non les manifestants, avec son couvre-feu, et en fermant les banques et les entreprises. Il s’était agi d’une grève capitaliste, qui visait à terroriser le peuple égyptien.”
Un article de David McNally (2) sur www.pmpress.org [13] donne une idée de l’ampleur des luttes ouvrières par la suite : “Au cours de la semaine du 7 février, des dizaines de milliers d’entre eux se sont précipités dans l’action. Des milliers de cheminots ont fait grève et ont bloqué des lignes de chemin de fer. Six mille travailleurs du Service du Canal de Suez ont débrayé et ont organisé des sit-in à Suez et dans deux autres villes. A Mahalla, 1500 travailleurs de “Abul Sebae Textiles” ont fait grève et ont bloqué la route. A l’hôpital de Kafr al-Zayyat, des infirmières et des infirmiers ont organisé un sit-in et ont été rejoints par des centaines d’employés d’autres hôpitaux. A travers l’Egypte, des milliers d’autres – les travailleurs de bus au Caire, les employés de “Telecom Egypt”, des journalistes d’un certain nombre de journaux, les travailleurs dans les usines pharmaceutiques et les aciéries ont rejoint la vague de grèves. Ils exigent l’amélioration des salaires, le licenciement des directeurs d’entreprise sans scrupules, réclamant le paiement des arriérés de salaire, de meilleures conditions de travail et des syndicats indépendants. Dans de nombreux cas, ils ont aussi appelé à la démission du président Moubarak. Et dans certains cas, comme celui des 2000 ouvriers de la soie “Helwan Factory”, ils ont exigé la suppression du conseil d’administration de leur société. Il y a eu aussi des milliers de membres du corps professoral de l’Université du Caire qui ont rejoint les manifestations, se sont confrontés aux forces de sécurité et ont empêché le Premier ministre Ahmed Shariq de se rendre à son bureau au gouvernement.”
On pourrait ajouter de nombreux autres exemples : environ 20 000 travailleurs de Al-Mahalla Al-Kobra, plus de 100 kilomètres au nord du Caire, relançant la grève après une pause de trois jours dans la plus grande usine de filature et de tissage d’Egypte, des employés de banque exigeant le limogeage de leurs patrons corrompus, des ambulanciers utilisant leurs véhicules pour bloquer les routes pour protester par rapport à leurs salaires, des travailleurs manifestant devant le siège de la Fédération des syndicats égyptiens qu’ils dénoncent comme un “repaire de brigands” et “un groupe de voyous” et appelant à sa dissolution (les gros bras du service d’ordre syndical répondant évidemment à ces travailleurs par… des coups et des balles). Il y aurait sans doute beaucoup d’autres exemples à ajouter à ceux-ci.
Maintenant que les manifestations massives se sont dispersées, circulent des informations selon lesquelles les réunions de travailleurs seraient interdites. Nous savons déjà que pendant toute la période où l’armée prétendait être la protectrice des personnes, des centaines de militants ont été arrêtés et torturés par cette même institution “populaire”, et il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que ce genre de répression “ordinaire” ne continue pas, même si les affrontements frontaux sont évités.
De même, il y a l’illusion que l’armée appartient au peuple, ces illusions sont dangereuses car elles empêchent les opprimés de voir qui est leur ennemi et d’où le prochain coup viendra. Mais ces illusions sur l’armée font partie d’une illusion plus générale sur la “démocratie”, avec l’idée que des changements dans la forme de l’Etat capitaliste vont changer la fonction de cet Etat et le mettre au service des besoins de la majorité. L’appel à former des syndicats indépendants qui a traversé beaucoup de grèves est à la racine d’une variante de ce mythe démocratique : en particulier, il est basé sur l’idée que l’Etat capitaliste, dont le rôle est de protéger un système qui n’a rien à offrir aux travailleurs, ni à l’ensemble de l’humanité, peut permettre à la classe exploitée de maintenir ses propres organisations indépendantes sur une base permanente.
Nous sommes loin de la révolution dans le seul sens que cela peut avoir aujourd’hui : la révolution prolétarienne internationale. La conscience authentiquement révolutionnaire nécessaire pour guider une telle révolution à la victoire ne peut se développer qu’à l’échelle mondiale, et elle ne peut se concrétiser sans la contribution déterminante des travailleurs les plus expérimentés des pays capitalistes les plus anciens, en Europe. Mais les prolétaires (et d’autres couches opprimées) du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont d’ores et déjà, par leurs luttes, mis en lumière des enseignements essentiels pour le prolétariat mondial : sur la façon de prendre en charge leurs propres luttes, sur l’organisation de l’occupation de la rue, sur la solidarité et l’entraide… Sur la place Tahrir s’est exprimée toute cette créativité auto-organisatrice de la lutte ouvrière, comme le décrit McNally, “Sur la place Tahrir, le centre névralgique de la “révolution”, la foule s’engage dans la prise de décision directe, parfois avec des centaines de milliers de manifestants. Organisés en petits groupes, les gens discutent et débattent, puis envoient des délégués élus à des consultations par rapport aux exigences du mouvement. […] les délégués de ces mini-rassemblements se réunissent alors pour discuter de l’atmosphère qui règne, avant que les demandes potentielles ne soient lues, au moyen d’un système de haut-parleur de fortune. L’adoption de chaque proposition se fait en proportion des huées ou des applaudissements qu’elle reçoit de l’ensemble de la foule.” Leçons aussi sur la façon de se défendre collectivement contre les assauts de la police et des pillards, sur la façon de surmonter les divisions sectaires entre sunnites et chiites, musulmans et chrétiens, religieux et laïcs. Leçons sur la propagation au-delà des frontières de chaque pays, avec la révolte qui se propage de pays à pays, avec les mêmes exigences et méthodes et le fait que partout les prolétaires vont découvrir qu’ils font face aux mêmes attaques contre leur niveau de vie, à la même répression, au même système d’exploitation. Interrogés par la presse au cours des derniers jours, les travailleurs en Egypte ont souvent exprimé la simple vérité qui motive leurs grèves et leurs manifestations : ils ne peuvent pas nourrir leurs familles, parce que leurs salaires sont trop bas, parce que les prix sont trop élevés, parce que le chômage fait rage…
La classe ouvrière de tous les pays va de plus en plus faire face à la dégradation de ses conditions de vie et aucune “réforme démocratique” ne les soulagera. La classe ouvrière n’a que sa lutte pour se défendre, et la perspective d’une nouvelle société pour solution.
Am/W (26 février)
1) Journaliste égyptien qui blogue sur arabawy.org.
2) Professeur de sciences politiques à l’Université d’York à Toronto.
Tirs au mortier et aux lance-roquettes par des avions de chasse, bombardements par air et par terre sur des foules de protestataires désarmés. La capitale de la Libye, Tripoli, mise à feu et à sang. Plus de 2000 morts dans la seule région de Benghazi depuis le 17 février. Mais les massacres et les combats à mort se sont quasiment généralisés dans tout le pays. Exode massif de dizaines de milliers de travailleurs immigrés, épouvantés et traumatisés par les scènes d’horreur auxquels ils ont assisté. Charniers de civils comme de soldats déserteurs menottés découverts dans des geôles souterraines. Partout, des corps déchiquetés par des obus, des cadavres laissés sur place dans les rues ou dans les maisons avec des balles en pleine tête ou dans le cœur : le sinistre colonel Kadhafi et ses fils n’ont pas lésiné pour lancer dans les pires tueries leur armée et leurs mercenaires africains des Légions islamiques grassement rémunérés à coups de pétro-dollars qui sont venus jusque dans les hôpitaux submergés achever les blessés. Le bain de sang déchaîné en Libye est l’expression de la barbarie capitaliste dans toute son horreur.
Des ministres comme des ambassadeurs libyens ont préféré sauter du navire de ce pouvoir en folie et démissionner. Des pilotes d’avions de combat se sont détournés sur Malte et des militaires qui avaient reçu l’ordre de mitrailler la foule ont déserté, une partie de l’armée s’est prestement ralliée aux insurgés. Après de sanglants combats, l’Est puis l’Ouest du pays sont tombés aux mains des rebelles qui projettent d’attaquer massivement la capitale avec une “nouvelle armée reconstituée” autour de quelques généraux passés dans l’autre camp. Kadhafi, de plus en plus isolé, ne règne plus que sur Tripoli, en proie au chaos. Mais à l’heure où nous mettons sous presse, il est impossible de prévoir l’issue d ‘une telle situation. Kadhafi, qui a passé sa vie à asseoir son pouvoir en exploitant savamment les rivalités et les divisions entre les différentes tribus de Bédouins qui composent le tissu archaïque de l’Etat libyen, n’a cessé d’émailler ses théâtraux discours de matamore de menaces où il promettait à la population d’autres massacres de l’ampleur de la place Tian’anmen (répression qui fit entre avril et juin 1989 des milliers de victimes en Chine) qui ont laissé place à d’ubuesques harangues hallucinées et délirantes parlant tantôt de se battre jusqu’au bout, tantôt d’exterminer les rebelles jusqu’au dernier, accusés d’être de jeunes drogués “qui se comportent comme des animaux”, de surcroît manipulés par Al Qaida.
Avec une hypocrisie sans bornes, la bourgeoisie occidentale se contente de protester contre cet usage excessif de la force et demande l’arrêt des combats, mais la prétendue “communauté internationale” s’est bien gardée jusqu’ici de prendre des mesures de rétorsion économiques ou financières efficaces. Cela n’a rien d’étonnant.
Depuis que Kadhafi, au pouvoir de puis 42 ans était redevenu “fréquentable” en 2004, après l’éponge passée sur l’attentat de Lockerbie, toutes les grandes puissances se sont ruées en Libye pour le courtiser frénétiquement et signer de mirifiques contrats commerciaux, qui tenaient plus de l’appât que de l’achat concret, de même que toutes les grandes compagnies pétrolières qui n’avaient même pas attendu cette date pour exploiter les gisements libyens. En premier lieu, l’Etat français qui s’était placée dans les premiers rangs de juteuses ventes d’armes (pour 30 millions d’euros avec notamment MBDA, filiale d’EADS, pour les missiles anti-char Milan, EADS Défense et Sécurité pour des réseaux de télécommunication et le pool Dassault-Thales-Snecma Sofema pour la rénovation des Mirages). Personne n’a oublié la morgue de Kadhafi pour qui Sarkozy avait déroulé le tapis rouge et qui avait installé sa somptueuse tente de bédouin et sa suite dans les jardins de l’Elysée en décembre 2007 en échange de promesses d’achat de quelques Mirages et autres Rafales. C’est d’ailleurs le ministre Patrick Ollier, compagnon dans la vie de l’inénarrable ministre des Affaires étrangères MAM (1), qui est depuis 2000 le président des amitiés franco-libyennes et à ce titre n’a cessé d’officier comme le grand commis des tractations de la France avec son “ami” Kadhafi.
Non, la vie humaine n’a pas plus de prix pour tous nos dirigeants et nos exploiteurs de gauche comme de droite que pour les Kadhafi, les Ben Ali, les Moubarak !
“Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment...” s’indignait déjà Rosa Luxemburg dans la Brochure de Junius (la Crise de la Social-démocratie) en 1916. Ces phrases n’ont rien perdu de leur actualité près d’un siècle plus tard. Nous devrons les garder en mémoire tant que nous n’aurons pas fait sauter les chaînes de la misère, de la terreur et de l’exploitation capitalistes à l’échelle mondiale.
W (26 février)
1) Outre ses liens d’affaires avec le clan des tyrans, démontrant que la corruption n’est pas réservée à des régimes à coloration absolutistes ou totalitaires , Madame Alliot-Marie a eu aussi l’insigne mérite en se proposant publiquement d’aider Ben Ali avant sa chute à rétablir l’ordre contre le soulèvement de la populace, de souligner le trait d’union et finalement le parfait accord des forces de répression entre “leurs” régimes dictatoriaux et “nos” valeurs démocratiques.
A force d’entendre dire que la France a la droite la plus bête du monde, nous finirions presque par ne plus nous en rendre compte. Mais heureusement, régulièrement, elle s’applique à nous le rappeler avec brio, repoussant toujours plus loin les limites de sa propre stupidité.
Avec Sarkozy et sa clique, on est même plutôt gâtés. A tel point qu’on se demande à chaque fois ce qu’ils vont pouvoir inventer. Par exemple, qui aurait pu imaginer que la ministre des affaires étrangères et le Premier ministre, rien que ça, iraient passer leurs vacances en Tunisie ou en Egypte, frais payés alors même que la colère a embrasé les deux pays ? Eh bien si, ils l’ont fait ! Quand le grand patron lui-même fête ses victoires sur des yachts d’amis milliardaires, pourquoi ses ministres se priveraient-ils de quelques escapades en jet privé ou, à défaut, présidentiel ?
C’est ce qu’on appelle tendre le bâton pour se faire battre. Et le bâton n’est pas resté longtemps tendu sans que l’opposition ne s’en saisisse. Jouant les parangons de vertu outragés, elle appelle aujourd’hui unanimement à la démission des fautifs, au nom de la rigueur, de la droiture attachées aux fonctions gouvernementales et de l’image de la France. Profiter des largesses d’une clique de dictateurs, quelle horreur !
Le problème c’est que ce bâton ressemblent étrangement à un boomerang et que la gauche devrait s’en méfier un peu. Cet infréquentable Ben Ali était encore il y a peu de temps membre de l’Internationale socialiste (IS) et en a même été exclu trois jours seulement après sa fuite de Tunisie (1). Quelque mois avant de subir la fronde populaire, il aura donc encore eu le temps de décorer son “camarade” Strauss-Kahn, par exemple. Et on apprenait récemment que la compagne de l’ex-ministre de Mitterrand (lui-même ami et régulièrement invité des deux dictateurs bannis), Elizabeth Guigou, traitait avec le même homme d’affaires proche du clan Ben Ali qui faisait bénéficier MAM de ses largesses !
De même en novembre, l’IS tenait congrès à Paris, avec la présence appréciée de membres du FPI de Gbagbo et du PND de Moubarak. Si ce dernier a finalement subi le même sort que Ben Ali, le “camarade” Laurent Gbagbo, lâché par le monde entier suite à sa défaite contre Alassane Ouattara, est encore dans la grande famille socialiste. Ouf ! Certains socialistes français adeptes du soleil ivoirien et des boîtes de nuit d’Abidjan (2) pourront encore prendre du bon temps.
Parmi les “camarades” fréquentables pour l’IS, il y a certainement aussi l’Union sociale-démocrate au pouvoir en Macédoine de façon quasi-ininterrompue depuis 1991 et qui en matière de corruption n’a certainement rien à envier à Ben Ali, ou le Parti révolutionnaire du peuple mongol qui de 1921 à 1990 a présidé aux destinées d’un peuple dont on connaît l’insolent bonheur ou enfin, et pour revenir à l’Afrique, le Frelimo qui fait du Mozambique un enfer sur terre (3) .
Bref, pour faire ami-ami avec les pires tortionnaires, les pires profiteurs à travers le monde, la gauche n’a de leçons à recevoir de personne, pas même d’un Sarkozy, d’une Alliot-Marie ou d’un Fillon qui pourtant semblent être dotés en la matière d’une rare expertise. Rien d’étonnant en cela, de gauche comme de droite, ce sont d’abord des membres d’une même classe, la bourgeoisie. Qui se ressemble s’assemble !
L’extraordinaire don de la droite française est seulement de se faire prendre, avec une prodigieuse régularité, la main dans un sac où tous ses petits camarades bourgeois, de tous bords et de tous pays, piochent constamment des deux mains.
GD (16 février)
1) http ://www.slate.fr/story/34001/internationale-socialiste-dictateurs [15] (entre autres sources).
2) On se souvient du bruit qu’avait fait la virée nocturne de Jack Lang avec son “ami” en 2008, à une époque où le PS était fier de compter un “camarade” au pouvoir dans un pays phare de l’ex-pré carré français en Afrique (www.agn.netis-senegal.com/Laurent-Gbagbo-s-eclate-en-boite [16]).
3) Idem note 1.
Tous les politiques occidentaux se lamentent aujourd’hui sur la répression et la misère qui frappent en Libye, en Tunisie et en Egypte. Ils jurent tous, la main sur le cœur, leur pleine solidarité avec les “souffrances du monde arabe”. Mais leurs actes, réels ceux-là, prouvent leur hypocrisie sans borne et leur totale inhumanité. Face aux milliers d’émigrés qui fuient, en tentant de gagner le territoire européen, toutes les bourgeoisies sont en train de s’organiser pour dresser un rideau de fer infranchissable.
Samedi 25 février, la commissaire européenne, Cecilia Malmström a annoncé : “J’ai le plaisir [sic !] d’annoncer qu’à partir de dimanche 20 février, la mission “Hermes” de Frontex (l’agence de surveillance des frontières européennes) sera officiellement déployée pour aider les autorités italiennes à gérer les flux de migrants en provenance d’Afrique du Nord, et en particulier les arrivées en provenance de Tunisie sur l’île de Lampedusa”. Frontex apportera également un soutien naval et aérien à la surveillance des frontières.
Au total, une dizaine d’Etats, dont la France, se sont dits prêts à participer à cette mission. La France est d’ailleurs un pays “en pointe” pour sa politique d’immigration et pour la défense de l’espace Schengen (1).
Paris s’est ainsi montré très ferme à l’égard des Tunisiens débarqués sur l’île italienne de Lampedusa, dont beaucoup veulent venir en France : le ministre de l’Intérieur a prévenu qu’ils seront traités comme des immigrés clandestins appelés à être reconduits dans leur pays. Interrogé à l’Assemblée nationale, Brice Hortefeux a rappelé la règle en politique migratoire : “Un étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, sauf situation humanitaire particulière.” On pense bien qu’avec Hortefeux, cet ami des “Auvergnats”, les situations humanitaires particulières… cela n’existe pas, il n’y a que des tricheurs et des profiteurs. Et pour bien se faire comprendre plus clairement : “Ce n’est l’intérêt ni de la Tunisie, qui l’a parfaitement compris, ni de l’Europe, ni de la France que d’encourager et d’accepter ces migrations clandestines.” Cela ne vaut pas seulement pour les Tunisiens, car le président de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Dominique Paillé, a affirmé jeudi 24 février que les “clandestins” en provenance de Libye “seront reconduits” eux aussi. Non mais, on ne pourra pas dire que la bourgeoisie française fait deux poids, deux mesures ! Tous plongés dans la même misère et dans l’horreur capitaliste, pas d’injustice !
Mulan (26 février)
1) Kadhafi s’était d’ailleurs permis d’épingler Sarkozy publiquement à ce sujet lors de son séjour dans les jardins de l’Elysée, sous sa tente de bédouin. Interrogé sur la question des droits de l’homme en Libye, il avait répondu : “Avant de parler des droits de l’Homme, il faut vérifier que les immigrés bénéficient chez vous de ces droits.”
Après le départ de Ben Ali et de Moubarak, après l’éclatement des affrontements sanglants en Libye, un vent de révolte parcourt le monde, contre les régimes de terreur et contre l’enfoncement dans la misère. Partout la bourgeoisie s’inquiète de la propagation de cette onde de choc qui révèle la faillite générale du système capitaliste.
Au Yémen, les manifestants ont baptisé le 25 février “vendredi du début de la fin du régime”. Des dizaines de milliers de Yéménites ont participé à des prières collectives dans plusieurs villes du pays (Sanaa, Aden, Taez) pour demander la chute du régime du président Ali Abdallah Saleh. “Pars, pars !”, a scandé à son intention la foule réunie dans la capitale. Une foule d’au moins 50 000 personnes, selon le décompte du Guardian, s’est rassemblée sur une place située devant l’université où campent depuis plusieurs jours des manifestants.
Depuis le début de la contestation le 27 janvier, douze personnes ont été tuées à Aden, outre les deux morts de Sanaa et celui de Taez.
A Bahreïn, les manifestants étaient des dizaines de milliers, le 25 février, dans le centre de la capitale Manama, pour la prière du vendredi. Cette prière a eu lieu sur la place de la Perle, qui est devenue l’épicentre de la contestation entrée dans sa douzième journée. “Nous voulons que les Al-Khalifa quittent Bahreïn”, lancent certains, en référence à la dynastie sunnite qui règne sur l’île du Golfe, dont la majorité de la population est chiite.
L’amiral Mike Mullen, chef d’état-major interarmées, en tournée dans le Golfe depuis le 20 février, a marqué une étape à Bahreïn, quartier général de la 5e Flotte américaine, pour y rencontrer jeudi soir le roi Hamad ben Issa Al-Khalifa et le prince héritier. Il a salué “la manière très modérée” avec laquelle les autorités ont répondu à la crise. Après des violences initiales qui ont fait sept tués parmi les manifestants, les forces de sécurité se sont retirées sur ordre du prince héritier, chargé par son père de conduire un “dialogue nationale avec l’opposition”. Le régime a aussi procédé à des libérations de prisonniers politiques.
En Algérie, l’état d’urgence a été levé le 24 février. La décision a été publiée au Journal officiel du pays. Pourquoi maintenant ? Quelles en sont les conséquences ?
Selon le correspondant de France 24 en Algérie, l’état d’urgence, mis en place le 9 février 1992 pour contrer la menace islamiste, sortie victorieuse aux élections législatives de 1991, reposait sur trois dispositions. Tout d’abord, aucun rassemblement – manifestations, ou réunion d’ampleur dans une salle – n’était autorisé sans l’aval du pouvoir. Ensuite, l’état d’urgence justifiait tout internement administratif : “On pouvait mettre en détention provisoire n’importe qui sans décision de justice. Et c’est ce qui s’est passé dans les camps du Sud où de nombreux islamistes ont été internés. Enfin, le pouvoir algérien d’avant 2011 avait accepté la réquisition des forces militaires par les autorités civiles : “C’était en gros l’armée dans la rue”.” Il a fallu 19 ans au pouvoir assassin pour lever l’état d’urgence qui lui permet d’arrêter n’importe qui, de le détenir, de le torturer puis de le faire disparaître au nom de la lutte contre le terrorisme. Mais, curieusement, le pouvoir reconnaît que la question du terrorisme n’est pas réglée et avoue qu’il fait cela face à la contestation sociale. En quoi la situation va-t-elle changer ? Fondamentalement… en rien. Les militaires garderont le pouvoir que leur conférait l’ancienne disposition d’état d’urgence, afin de poursuivre la lutte anti-terroriste, en vertu d’une nouvelle loi prochainement annoncée (toujours sous le prétexte d’endiguer une possible menace d’Al Qaïda). Pour beaucoup, cette nouvelle mesure, de même que l’annonce le 3 février de plans pour contrer le chômage et la crise du logement, fléaux majeurs qui ont largement conduit aux manifestations de janvier dernier, pour l’emploi et le logement, n’est qu’un effet d’annonce et une manœuvre.
Il est fort à parier que la manifestation prévue à Alger pour s’opposer au régime de Bouteflika le samedi 26 février, se termine par le même flot d’arrestations que les précédentes des 12 et 19 février qui avaient mobilisé de 30 à 40 000 policiers pour 2 à 3000 manifestants.
Cette contestation sociale, malgré la répression et surtout malgré le poids énorme de vingt ans de guerre civile qui aura fait 200 000 morts, n’a pas cessé comme en témoignent les grèves qui tendent à se poursuivre au cours de ces dernières semaines.
• 300 salariés d’une société de sous traitance ont multiplié des actions de protestation, fin février, devant la direction générale de Fertial (entreprise algéro espagnole de production d’engrais phosphatés), à Annaba, pour revendiquer leur intégration au sein de l’entreprise, des hausses de salaires et une protection sociale. Ce mouvement pourrait rebondir et s’élargir à Annaba en cas d’échec des négociations.
• Une grève des employés paramédicaux déclenchée mardi 1er février, a été suivie à plus de 87 %, à l’échelle nationale et à près de 100 % dans la capitale (selon le syndicat de ce secteur, le SAP). “Pour un statut de dignité. Les paramédicaux en grève” pouvait on lire sur les pancartes.
• Une grève des travailleurs a affecté, mardi 1er février, le secteur de l’éducation de la wilaya de Bejaïa. Un mouvement de grève de deux jours initié conjointement par les deux syndicats autonomes de l’éducation, le CNAPEST et l’UNPEF. Cette grève a été précédée, lundi, par celle du syndicat rival le SETE, affilié à l’UGTA. Les syndicats revendiquent “la régularisation immédiate de toutes les situations des travailleurs du secteur de l’éducation”. D’après certaines informations, la grève aurait été suivie par plus de 92 % des travailleurs.
Selon les organisateurs, se disant indépendants de toute formation politique, près de 15000 étudiants (moins de 5000, selon les services de sécurité) ont pris part sous une pluie battante à la marche “du changement” à laquelle avait appelé pour le 1er février la coordination locale des étudiants de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Les manifestants ont scandé, en plus de revendications d’ordre pédagogique, des slogans contre le système et les responsables de l’université mais surtout en faveur des libertés démocratiques en Algérie.
En Tunisie, 100 000 personnes ont défilé dans l’après-midi du 25 février pour réclamer le départ du gouvernement de transition, et en particulier du premier ministre Mohammed Ganouchi qui était déjà celui de l’ex-président. Dans la rue, les Tunisiens maintiennent la pression et continuent à subir la répression. Des incidents ont conclu dans la soirée la plus importante manifestation en Tunisie depuis la chute de Ben Ali. Des manifestants ont jeté des pierres sur le ministère de l’Intérieur et des soldats ont tiré en l’air pour tenter de les disperser. Le gouvernement a de son côté annoncé des élections au plus tard pour la mi-juillet.
Au Maroc, les protestations n’ont pas cessé. Particularité : les opposants ne demandent pas la démission de leur dirigeant, Mohamed VI. “On n’a rien contre le roi, mais on veut plus de justice et du travail”, ont expliqué deux participants aux manifestations cités dans le Courrier international. Le souverain avait d’ailleurs pris les observateurs à contre-pied en n’interdisant pas ces rassemblements.
A ce jour, le bilan s’élève tout de même à six morts. Tous ont été tués lors des troubles qui ont entaché les défilés largement pacifiques.
En Jordanie, à Amman, le 25 février, une nouvelle “journée de la colère” avait été décrétée par l’opposition islamiste et une vingtaine de groupes issus de la société civile. Des milliers de personnes ont manifesté pour réclamer des “réformes constitutionnelles” et, cette fois, tout semble s’être déroulé dans le calme, contrairement au vendredi précédent. Des partisans du régime avaient alors attaqué une manifestation de jeunes et huit personnes avaient été blessées.
Les manifestations ont commencé en janvier pour protester contre l’augmentation du coût de la vie. Elles avaient pris une plus grande ampleur après la chute de Ben Ali en Tunisie, le 14 janvier, ce qui avait contraint le roi Abdallah II à limoger son Premier ministre et à former un nouveau gouvernement chargé de proposer des réformes, au terme d’un dialogue avec l’opposition. Des concessions encore jugées trop faibles par cette dernière.
En Syrie, la rue est restée calme mais la population n’est pourtant pas insensible à ce qui se passe dans les autres pays arabes. Le pays est placé en état d’urgence depuis 1963 et tout rassemblement public non autorisé est interdit. Une manifestation pacifique de 200 personnes à Damas devant l’ambassade de Libye mercredi a été violemment dispersée par les forces de l’ordre. Le Guardian rapporte que 14 personnes ont été arrêtées et les autres participants de ce sit-in pacifique de soutien aux révoltés libyens dispersés à coups de bâtons. La Syrie est en apparence le pays le moins vulnérable à un vent de contestation populaire. Le système policier de Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 11 ans, contrôle étroitement la population. Les moyens de communication et de mobilisation (Internet et téléphone) sont surveillés comme jamais. Ceux qui ne sont pas arrêtés sont convoqués par les autorités et menacés de poursuite. Les services secrets, terriblement efficaces, étouffent dans l’oeuf le moindre frémissement protestataire de ce régime présidentiel avec un parti unique. L’actuel président a cependant décidé en janvier de créer un fonds d’aide de 250 millions de dollars aux plus démunis, suivie en février de mesures pour faire baisser les prix de produits alimentaires de base.
En Irak, le 25 février a aussi été proclamé “Journée de la colère”. De Kirkouk, à Mossoul dans le Nord, comme à Bassorah, dans le Sud, des milliers d’Irakiens sont descendus dans les rues pour dénoncer la corruption et l’état déplorable des services de base. Au moins cinq personnes ont été tuées et 49 blessées. Huit ans après l’invasion américaine qui a renversé Saddam Hussein, on enregistre des pénuries de vivres, d’eau et d’électricité et les emplois sont rares. Enfin, les frustrations sont grandes dans un pays qui dispose d’importantes réserves de pétrole et pourrait être un gros producteur. “Où est ma part des profits du pétrole ?”, se demandait un manifestant sur une banderole.
En Iran, les chefs de l’opposition réformatrice sont mis à l’isolement. La justice iranienne a averti mardi qu’elle considèrerait désormais comme des “contre-révolutionnaires” tous les partisans de Karoubi et Moussavi, accusés de s’être mis au ban du régime issu de la révolution islamique de 1979. L’accusation de “contre-révolutionnaire” peut entraîner des condamnations judiciaires sévères, notamment pour des participants à des manifestations interdites.
En Inde, au moins 100 000 personnes ont manifesté le 23 février dans les rues de New Delhi pour protester contre la hausse des prix alimentaires et le chômage. Le défilé était organisé et encadré par le Comité des syndicats indiens (CITU, affilié au Parti communiste) et auquel se sont associés d’autres syndicats, y compris certains adhérents d’une centrale liée au parti du Congrès au pouvoir. Les manifestants, en majorité issus de la classe ouvrière, scandaient des slogans contre l’inflation et la corruption. Il s’agit de la plus grande manifestation dans la capitale depuis des années. Il faut dire que l’inquiétude est grande face à l’inflation sur les denrées alimentaires qui a atteint 18 % en décembre en rythme annuel. Les centaines de millions de miséreux de ce pays de plus d’un milliard d’habitants sont les plus durement touchés. “On gagne 100 à 125 roupies par jour (deux à trois dollars). Comment allons-nous survivre avec ça si les prix augmentent autant ?”, s’interrogeait un manifestant. “Les prix vont finir par tuer l’homme de la rue”, lisait-on sur une banderole.
En Chine, la crainte d’une contagion des révoltes arabes est perceptible dans toute la bourgeoisie et son appareil d’Etat. Le site américain LinkedIn, réseau social professionnel sur Internet, a annoncé vendredi être bloqué en Chine, après avoir été le vecteur d’une campagne pro-démocratie en ligne inspirée par la “révolution du jasmin”. Le gouvernement chinois n’est pas tranquille. De nombreux médias étrangers à Pékin ont reçu ce vendredi des convocations ou des coups de téléphone des autorités chinoises leur enjoignant de “respecter les règlements”, à la veille d’un week-end où les Chinois ont été appelés sur Internet à participer à des “rassemblements du jasmin”. Les autorités sont visiblement nerveuses de voir des rassemblements se produire, potentiellement dans 13 villes du pays. A Pékin, l’une des 13 villes concernées par cet appel, le McDonald’s devant lequel la population a été appelée à se retrouver sur le site basé à l’étranger boxun.com a vu sa façade entourée de palmiers et de barrières de chantier qui en ont bloqué l’accès. “Nous invitons chaque participant à se promener, à observer, voire à prétendre qu’il ne fait que passer. Pour peu que vous soyez présents, le gouvernement autoritaire va trembler de peur”, ont assuré les initiateurs des rassemblements.
En Albanie, au moins trois personnes ont été tuées par balles vendredi 25 février à Tirana au cours d’une manifestation de l’opposition émaillée de violents accrochages avec les forces de l’ordre devant le siège du gouvernement. Selon les services d’urgence, au moins 55 personnes ont également été blessées dont 20 policiers et 30 civils.
En Croatie, se sont produits des affrontements entre police et manifestants anti-gouvernementaux. La police a utilisé des gaz lacrymogènes jeudi 24 février au soir à Zagreb pour disperser un millier de manifestants qui tentaient de s’approcher du siège du gouvernement en réclamant la démission du Premier ministre Jadranka Kosor. Les manifestants scandaient : “Voleurs ! Voleurs !”, et : “Jadranka, va-t-en !”. Une dizaine de personnes ont été arrêtées, selon la télévision nationale. La manifestation avait été organisée sur Facebook. Une autre, similaire, avait rassemblé la veille quelque 300 personnes. Les organisateurs ont réclamé la démission de Mme Kosor. Ils ont accusé le gouvernement de “rendre tous les jours la vie des citoyens plus difficile et de mener le pays vers un chaos économique”. L’économie locale s’est contractée de 1,9% en 2010, selon les prévisions de la Banque centrale, après un recul du PIB de 5,8% en 2009.
En Russie, interrogé sur les répercussions potentielles des révolutions arabes, notamment dans le Caucase du Nord, Poutine s’est dit “préoccupé” tout en affirmant que la situation dans ces deux régions n’avait rien de comparable !
En Grèce, les grèves générales contre la cure d’austérité imposée par le gouvernement socialiste pour répondre aux exigences de l’Union européenne, de la BCE et du FMI, se multiplient depuis deux ans. La dernière en date, le 23 février a donné lieu à des heurts particulièrement violents avec la police. Face à une misère grandissante et à des syndicats complices du pouvoir, la colère des exploités ne peut que s’amplifier. Le PIB a reculé de 1,4% au quatrième trimestre 2010 par rapport au troisième trimestre, le chômage affiche un taux record de 15%, le coût de la vie est en hausse constante, du fait de la baisse des salaires et de l’augmentation des taxes impôts, l’inflation grimpe à 5 %, et la consommation s’effondre. Un Grec sur quatre vit désormais sous le seuil de pauvreté (on commence à voir à Athènes des “cartoneros”, phénomène caractéristique de la misère urbaine sud-américaine) et une majorité des jeunes (le plus fort taux de diplômés d’Europe) ne songe qu’à s’expatrier. Face à cette réalité sans fard, les réponses des institutions politiques et sociales tournent en rond. Celles du gouvernement socialiste ont pour principal leitmotiv “ou nous vaincrons ou nous coulerons”. Il propose comme unique solution une privatisation à outrance des services publics. Quant aux syndicats, leur rhétorique est usée jusqu’à la corde. Ce mécontentement de la population, face à la cure d’austérité imposée par un gouvernement ne réussit finalement qu’à exprimer de la rage et de l’impuissance. Il peine à trouver une portée efficace. Tous les signes d’une mobilisation étaient là pourtant lors de la grève générale du 23 février : participation plus massive que les derniers mois, salariés du public et du privé ensemble dans les rues de plusieurs villes du pays. De nombreux secteurs ont été touchés par la paralysie. Aucun transport urbain, sauf le métro. Les médias ont observé une grève de 24 heures. Pharmacies, banques, cabinets d’avocats fermés. Nombre de vols ont été annulés du fait, notamment, de la grève des contrôleurs aériens. Les ferries sont restés à quai. Dans les hôpitaux, seules les urgences assuraient un service de garde tandis que les écoles n’ont accueilli aucun enfant. Répondant à l’appel de leur Union professionnelle, les commerçants ont gardé porte close, indiquant : “Nous fermons aujourd’hui pour ne pas fermer pour toujours.” Et ce, dans un contexte très tendu de grèves quasi-quotidiennes ces derniers mois.
CCI (26 février)
Avec la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi2), adoptée en février par le Parlement, le gouvernement vient de franchir un grand pas supplémentaire dans le flicage des populations. Au nom de la “sécurité” et de la “protection” de tous, une vaste offensive balise le terrain pour tenter d’étouffer toute forme de contestation sociale, renforcer la répression, notamment celle des minorités ouvrières les plus combatives. Bien entendu, si la loi touche toute la population, les organisations révolutionnaires et leurs militants, dans ce cadre, sont particulièrement dans le collimateur.
Qu’est-ce qui change réellement et que prépare cette loi renforcée ?
La première offensive concerne la “cybercriminalité”. La bourgeoisie et ses flics n’ont pas attendu les révoltes sociales en Tunisie, en Egypte, dans le Maghreb ou ailleurs, pour s’apercevoir des dangers que recèle internet et les téléphones portables. D’abord comme moyen de communication rapide, permettant une réactivité et des liaisons instantanées aux moments des grèves ou lors des manifestations, mais aussi comme vecteur et réceptacle d’idées subversives. Aujourd’hui, ces outils privilégiés, aux mains des “classes dangereuses”, deviennent des armes redoutables. C’est ce que nous avons pu constater, par exemple, en Tunisie, forçant les sbires de Ben Ali à vouloir verrouiller un temps l’accès à Facebook et Twitter, à limiter les possibilités d’échanger avec l’étranger. Bien entendu, dans les états démocratiques, il serait contreproductif pour les anciens amis de Ben Ali d’opérer ce même verrouillage complet pour l’instant. Il y a plus efficace. Avec Loppsi2, en effet, se met en place la possibilité d’une censure ciblée. Les flics disposent d’un “temps d’écoutes téléphoniques plus long”, grâce à l’article 22. Les agents de renseignements peuvent agir en toute impunité contre les minorités révolutionnaires. Le but non avoué est de pouvoir “filtrer” à terme les forums ou les sites politiques qui dérangent, sur la base d’une “liste noire” en toute logique déjà constituée (voir articles 4 et 6). La police officiellement, surveille donc les ordinateurs de ceux qui mènent “une entreprise collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur” (article 421-1). Avec Loppsi2, la pratique scandaleuse (1) des flics devient “normale”. Nul doute que ceux qui prônent la grève de masse et la révolution sont ici visés. Une seule réserve : dans de telles circonstances, l’histoire montre que la “terreur et l’intimidation” sont principalement du côté de la répression, de ceux qui légifèrent !
Tout ce dispositif s’accompagne d’un renforcement sensible de la vidéo-surveillance, que la loi rebaptise “vidéo-protection” pour détourner l’attention de l’objectif visant un contrôle social complet. Alors que le nombre de caméras explose dans les zones urbaines, un amendement donne maintenant à tout préfet la possibilité “d’autoriser l’installation de dispositifs de vidéo-surveillance à titre provisoire sans réunir la commission départementale de vidéo-surveillance lorsqu’il est confronté à une manifestation ou un rassemblement de grande ampleur présentant des risques pour l’ordre public” (2).
En clair, le préfet peut passer outre l’avis des maires récalcitrants pour que chaque manifestant dans la rue, par définition contre “l’ordre public”, soit sous l’œil de Big Brother ! Il est ainsi prévu de multiplier par trois le nombre de caméras pour atteindre les 60 000. Avec la loi, l’installation de ces nouvelles caméras sera grandement facilitée. Naturellement, les rares pleurnicheries à gauche ne sont là que pour amuser la galerie. Comme s’en vante un socialiste : “Nous avons pu avoir des torts dans le passé. Nous avons essayé de les analyser, et vous pouvez venir dans les municipalités socialistes : nous y avons implanté sans aucun scrupule des caméras” (3).
La loi autorise et favorise donc la multiplication des initiatives privées pour installer des caméras aux abords des bâtiments. Autant de moyens supplémentaires qui, par recoupements successifs, permettent de fliquer davantage une population qui devient totalement suspecte.
Le pire, c’est que Loppsi2 prévoit d’officialiser la formation d’une véritable “milice armée”, appelée “police auxiliaire citoyenne” au nom du besoin pour la police de “renouer avec la population civile” ! Depuis l’abandon de “l’îlotage” prôné par la gauche, la méfiance et même le rejet de la “police de proximité”, l’Etat cherche à s’adapter au terrain pour quadriller les quartiers sans se heurter trop frontalement aux habitants hostiles qui se sentent, à juste titre, de plus en plus traqués. Il s’agit en fait, avec la nouvelle loi, d’étendre aux “citoyens volontaires” la réserve civile de la police nationale (existant déjà depuis 2003 pour les policiers à la retraite). Le public visé est surtout celui des jeunes, notamment les étudiants ayant au moins 18 ans. Ceci permet d’une part de faire des économies en évitant de payer des policiers à temps plein, mais surtout, encore une fois, de renforcer l’emprise policière de l’Etat. De ce fait, nous assistons bien à un processus continu de militarisation complète de la société, à un véritable quadrillage complet des zones urbaines. Nous voyons déjà depuis longtemps les lieux publics, comme les gares, sillonnés de long en large par des militaires. Nous aurons en plus des jeunes lâchés dans les quartiers pour aider à faire régner l’ordre. Ces nouveaux éléments pourront signaler la présence des sans papiers, surveiller les foules et particulièrement les minorités combatives qui défendent un point de vue de classe. Bref, signaler tous les suspects possibles susceptibles d’être surveillés de près où directement réprimés. Autant dire que ces “milices” au service de l’Etat pourront facilement se transformer un jour en unités de répression directe contre les mouvements révolutionnaires dans le futur. L’expérience sombre de l’histoire montre que les “milices” de ce genre ne préparent pas seulement la délation. Elles sont le terreau sur lequel peuvent fleurir les rafles, les tortures en tout genre et les exécutions sommaires. En attendant, nos simples voisins pourront devenir des flics, comme au temps de Pétain et Vichy ! Ils pourront porter des armes, dresser des procès-verbaux, nous surveiller de plus près encore, nous vendre.
A cela, il faut ajouter le dispositif complémentaire qui prévoit d’étendre en même temps le pouvoir de la police municipale. Celle-ci pourra alors procéder à des tâches qui ne lui étaient pas autorisées auparavant : les fouilles, les contrôles d’identité ; ceci, dans un contexte ou la loi durcit considérablement les peines encourues, particulièrement pour les citoyens (même mineurs) qui oseront se révolter contre un “dépositaire de l’autorité publique”. Dans la même logique, après avoir renforcé les fichiers de police STIC, JUDEX et EDWIGE (voir notre article dans RI no 394), la loi va inclure dans le fichage des personnes susceptibles d’être impliquées, même très indirectement, dans les affaires de petite délinquance. Avec un “fichage d’analyse sérielle”, la généralisation du contrôle devient effective.
Le plus ignoble, c’est que Loppsi2 s’acharne sur les plus vulnérables, les immigrés et les précaires (voir notre article sur la répression de squat). Un des volets les plus révoltants de la loi concerne en effet les victimes de la crise du logement. L’article 32 ter A donne la possibilité aux préfets d’expulser de façon complètement arbitraire les démunis de leur abris de fortune (4). Sous le prétexte d’un “risque grave d’atteinte à la salubrité, à la sécurité, à la tranquillité”, les habitants de cabanes et camionnettes, d’abris légers, de bidonvilles, de maisons sans permis de construire, de squats, sont soumis à une procédure d’expulsion encore plus expéditive. Les gens se retrouvent à la rue, même en plein hiver ! L’article en question prévoit en plus une sanction financière. Puis, si nécessaire, la destruction au bulldozer avec le vol des biens de ces pauvres gens qu’il faut faire disparaître. Cela, en toute légalité !
Loin d’être isolée, loin d’être uniquement le fait de la simple “paranoïa” de Sarkozy ou de son gouvernement, comme on voudrait nous le faire croire (5) cette Loppsi2 s’inscrit dans un contexte de durcissement général de plus en plus sévère, observable au niveau international. Tous les états, depuis quelques années, ont renforcé leur surveillance et musclé la police. De nombreuses lois “liberticides” sont votées partout dans le monde, notamment en Europe. En Grande-Bretagne, par exemple, le système des “milices citoyennes” est déjà en place. Dans certaines villes, on a même couplé aux caméras un micro qui permet d’interpeller directement les personnes sur la voie publique : “vous, le monsieur au pull-over rouge, vous avez jeté un papier sur le trottoir. Ramassez !”. Aux Etats-Unis, certains dispositifs contenus dans Loppsi2 sont déjà en vigueur depuis G.W. Bush. Comment expliquer ce qui apparaît sous la plume des médias comme une sorte de “dérive” (quand on n’y voit pas une mesure salutaire un peu “excessive”) ?
Bien que dans la phase historique de déclin du capitalisme ce soit en permanence que l’état cherche à renforcer son emprise totalitaire sur l’ensemble de la société civile, l’approfondissement de la crise économique mondiale engendre une riposte de la classe ouvrière poussant la bourgeoisie à renforcer la répression.
Contrairement à l’idée que veulent instiller les médias aux ordres, pour qui la censure et le flicage ne sont que l’apanage des “dictatures”, l’arsenal juridique générant la terreur sous les formes les plus insidieuses et subtiles, comme Loppsi2, se trouve bel et bien dans les états démocratiques. Leur vrai visage est celui d’une ineffable barbarie générée par le capitalisme décadent.
WH (18 février)
1) Le FBI utilise déjà des programmes qui espionnent les frappes sur les touches, tel que Magic lantern, utilisant les techniques des pirates informatiques pour l’installer dans l’ordinateur ciblé.
2) Amendement CL 190. Sources : LDH Toulon (www.ldh-toulon.net/spip.php?articles3738 [20])
3) Propos de Pupponi www.ldh-toulon.net/spip.php?articles3738 [20]
4) Une poursuite de la lutte “anti-cabanisation” lancée par le préfet des Pyrénées-Orientales depuis 2007.
5) Au passage, on peut signaler que d’après Wikipédia faisant référence à un article de Der Spiegel, la France s’est dotée de la loi la plus répressive du monde en matière de cybercriminalité, devant l’Australie,
Sera-t-il encore possible de se soigner ? Voilà une question angoissante que se posent de plus en plus de travailleurs. Et ils ont raison de se la poser ! Sans grand tapage médiatique, et avec la plus grande discrétion, l’Etat vient de prendre, depuis le début de l’année 2011, une série de mesures pour réduire le déficit abyssal de la Sécurité Sociale dont les conséquences seront catastrophiques pour des milliers voire des millions de personnes, mesures qui viennent s’ajouter à la longue liste de celles qui ont été prises depuis plusieurs décennies par des gouvernements qu’ils soient de gauche ou de droite. Avec la brutale accélération de la crise de 2008, le trou de la Sécurité Sociale a explosé, en une année il a doublé, passant de 10 milliards d’euros à 20 milliards.
L’objectif budgétaire de l’Etat est clair : réduire les dépenses de santé de 7.2 milliards d’euros, comme cela a été annoncé à la fin de l’année 2010, en catimini, en plein mouvement contre la “réforme de la retraite”. Et n’en doutons pas, d’autres mesures suivront, encore plus dures que les précédentes.
Voici ce que la bourgeoisie nous a concocté :
Fin de la gratuité des chambres individuelles dans les Hôpitaux Publics, maintenant il faudra débourser 45 euros par jour pour en bénéficier en plus des 18 euros de forfait journalier, cela fait chère l’hospitalisation !
D’après une ordonnance de la ministre de la “santé” Bachelot, les infirmières n’auront plus le droit de pratiquer des prélèvements sanguins comme cela se faisait jusqu’à maintenant. Les laboratoires d’analyses médicales, pour subsister, devront passer une certification assez contraignante et compliquée exigeant, entre autres, qu’ils se portent garants de leurs infirmières, c’est-à-dire qu’elles soient formées et agréées par le laboratoire dans lequel le prélèvement est analysé. Ce qui veut dire qu’ils ne pourront plus embaucher des infirmières remplaçantes ou intérimaires. De ce fait, les prélèvements à domicile seront interdits : les patients devront se rendre par leurs propres moyens, quel que soit leur état de santé, au laboratoire ! Alors que les cotations de leurs actes seront revues à la baisse, les laboratoires seront tenus de s’équiper de moyens matériels performants avec un personnel réduit. Pour continuer à fonctionner, ils vont donc devoir se regrouper. Pour la ministre, l’objectif est d’avoir 1 à 2 laboratoires par département, ce qui veut dire que certains hôpitaux de taille moyenne seront obligés de fermer leurs propres laboratoires. Les personnes qui auront besoin d’analyses particulières seront obligées de se déplacer vers un grand plateau technique qui peut être distant de plusieurs kilomètres ; étant les seuls à accueillir une grande partie des examens à réaliser, il faudra attendre plusieurs jours supplémentaires pour avoir les résultats ! De plus cette ordonnance précise qu’il n’est plus besoin d’être biologiste pour ouvrir un laboratoire, de grands établissements financiers ou des groupes industriels sont sur la ligne de départ pour racheter une grande partie des laboratoires, la rentabilité financière s’imposera au détriment des objectifs médicaux.
Augmentation du nombre de médicaments qui verront leurs taux de remboursement baisser voire même ne plus être remboursés, reconnus “inefficaces” par la communauté médicale. La campagne médiatique sur le scandale du Médiator a permis à l’Etat de pointer du doigt la surconsommation, et de publier une liste de 77 médicaments inefficaces ou ayant des effets secondaires plus ou moins dangereux, voilà comment passer en douce au déremboursement du Diantalvic, très utilisé contre la douleur.
Face à cette avalanche de déremboursements, les mutuelles emboitent le pas en utilisant le chantage : afin d’éviter l’augmentation des cotisations, elles ne “rembourseront plus à l’aveuglette”, sauf les médicaments reconnus comme efficaces, les autres passeront à la trappe, ce qui est le cas des vignettes orange, remboursés à 15 % par la Sécu (comme le Gaviscon pour les brûlures d’estomac). Ces mêmes médicaments, nous les retrouvons sur le marché 2 à 3 fois plus chers !
Les frais d’optique et les appareils auditifs seront moins remboursés.
La consultation des médecins généralistes augmente de 22 à 23 euros.
Taxer les assurés qui ne présentent pas leur carte vitale au moment des actes médicaux quand on sait qu’il faut attendre 3 ou 4 mois pour avoir ce précieux sésame !
Jusque là gratuite, il faudra, pour les immigrés non titulaires d’une carte de séjour ou d’un récipissé délivrés par la Préfecture, débourser 30 euros pour avoir droit à l’Aide Médicale d’Etat qui leur permet de se soigner gratuitement, en attendant une éventuelle régularisation. Ce qui veut dire que bon nombre d’entre eux, fuyant la misère dans leur pays, seront incapables de se soigner.
Depuis le 1er janvier, les indemnités journalières accident de travail et maladies professionnelles doivent être déclarées aux Impôts. Et cela dans un contexte où les maladies professionnelles liées au stress ou à l’utilisation de produits dangereux (l’amiante en est l’exemple le plus significatif) connaissent une très nette augmentation alors que les accidents de travail, eux, connaissent une diminution en trompe-l’oeil, et cela pour 2 raisons : d’une part un nombre important de salariés ne déclarent pas de “petits accidents de travail” et d’autre part, c’est la conséquence de la désindustrialisation.
Quant à la prise en charge des soins liés aux affections de longue durée, qui en 20 ans, de 1990 à 2010, sont passées de 600 000 à près de 1 200 000 (augmentation importante des cancers), et qui représentent 60 % des dépenses de santé), ordre est donné aux médecins-conseil d’en limiter le nombre.
La réduction des effectifs dans la Sécurité sociale entraîne d’une part un retard, qui peut atteindre plusieurs mois, dans le paiement des indemnités journalières ou le remboursement des soins, et d’autre part une impossibilité des employés d’informer correctement les assurés sociaux sur leurs droits, facteurs aggravant la précarité de milliers de salariés.
Enfin, cerise sur le gâteau, renforcer la chasse à la fraude. Les sommes récupérées sont ridicules, mais là n’est pas le réel message. Il faut culpabiliser, montrer du doigt et traquer les fraudeurs comme des boucs émissaires, responsables du trou de la Sécurité sociale !
Les dernières statistiques démontrent que 25 % de la population française ne peut plus se soigner pour des raisons financières. Et la situation ne peut qu’empirer.
Pour les conseillers de l’Etat qui travaillent sur les comptes de la Sécurité Sociale, la logique est de réduire les soins assujettis au régime général et obligatoire. Il faut donc transférer cette prise en charge sur les ménages et sur les organismes complémentaires. En 2008, 20 % du budget des familles sont consacrés aux dépenses de soins, les mutuelles en remboursent 10 %. A partir de ce constat, et dans le but d’appliquer encore des mesures qui visent à réduire le déficit de la Sécurité Sociale, il est dans les objectifs de l’Etat d’augmenter les cotisations sociales, et pour les mutuelles de participer plus à la prise en charge des soins, ce qui veut dire qu’elles augmenteront aussi leurs cotisations. Voilà en perspective de nouvelles attaques : alors qu’ils sont obligés d’acheter de plus en plus de médicaments non remboursables, les travailleurs subiront de nouvelles ponctions sur des salaires qui depuis des années sont gelés ! La conséquence c’est que, même en travaillant, il deviendra plus difficile de se soigner, surtout quand on est jeune, et que le salaire d’embauche c’est juste le SMIG avec des charges de loyers, nourriture, etc. qui ne diminueront pas. Quant aux précaires, aux invalides, aux chômeurs, aux étudiants, aux retraités, aux immigrés, pour qui tout espoir de voir une perspective d’amélioration de leur situation matérielle s’amenuiser du fait de la crise économique, exclus pour la plupart de la C.M.U., contracter une mutuelle est impossible. Toute cette frange de la classe ouvrière va grossir les rangs de ceux qui ne peuvent plus se soigner.
Ce sont les conditions de l’exploitation capitaliste qui génèrent toutes ces maladies, tous ces accidents, et c’est ce même capitalisme qui aujourd’hui nous condamne à pouvoir de moins en moins nous soigner !
Antoine (22 février)
1) Voir notre article dans Révolution Internationale n°417 “Après les retraites : la santé [22]”.
Nous avons reçu des informations de la part d’un camarade nous signalant un épisode significatif de la brutalité ordinaire des policiers contre des immigrés. Avec Loppsi2, ces brutalités ne font que se banaliser, comme le montre ce témoignage dont nous restituons l’essentiel.
Au moment d’une distribution alimentaire, le matin du 3 février à Calais, des voitures et fourgons des CRS et de la PAF (Police aux frontières) se sont placés en barrage sur la route menant à ce point de survie. Après que les “bénévoles de Salam” aient distribué les repas et fermé leurs portes, les migrants ont été traqués. Ceux qui ont tenté de s’échapper ont été poursuivis par les véhicules de police. Les policiers “sont sortis, les ont battus avec leur matraques et les ont tirés dans les fourgons. Un groupe a été chassé sur la voie ferrée où un migrant s’est effondré avec une jambe blessée. La PAF a commencé à le frapper sans pitié”. Un bénévole qui sur place a voulu filmer la scène a vu sa caméra détruite sur le champ. Un des migrants “était couché sur le sol à gémir et à crier à cause des coups qu’il avait reçus, mais la police a répété qu’il était juste en train de faire semblant et a continué à le battre hors de la vue des nombreux observateurs qui regardaient aux fenêtres (…) l’homme, alors inconscient, a été traîné dans un fourgon et frappé au visage à plusieurs reprises alors qu’il gémissait de douleur. Ses membres tombaient sans cesse empêchant la police de fermer la porte et ce fut apparemment une excuse suffisante pour le battre à nouveau”.
Face à la crise du système capitaliste, la bourgeoisie montre que la répression est le seul avenir qu’elle puisse offrir aux affamés.
WH (20 février)
Le blocage des raffineries pétrolières et des dépôts de carburant a marqué les luttes contre la réforme des retraites de 2010 en France au point de cristalliser, au sein des assemblées générales et des manifestations, l’ensemble des discussions et des débats. Pour beaucoup, bloquer les raffineries est apparu comme un moyen de faire concrètement pression sur la bourgeoisie en paralysant, par l’intermédiaire de ce “secteur stratégique,” les transports et l’ensemble de l’économie.
“Malgré huit journées d’action particulièrement suivies, il apparaît que même avec 3,5 millions de personnes dans les rues, les défilés ne permettent pas d’être correctement entendus. […] Partout en France, les blocages dans les raffineries, dans les centres de traitement des ordures et dans bien d’autres sites se multiplient. Incontestablement, l’obstination de l’État et du patronat à imposer leur réforme des retraites aura poussé la lutte à retrouver des pratiques syndicales disparues depuis trop longtemps […] Comment penser sérieusement que des grèves peuvent se résumer à des défilés dans les rues, encadrés par les forces de l’ordre ? L’histoire […] a souvent montré que nos droits, nos acquis sociaux ont été arrachés (et pas demandés poliment) à l’issue de luttes très dures et généralement en utilisant le seul moyen à la disposition des travailleurs et des travailleuses : la grève et le blocage de la production sur le lieu de travail” (1). Ces quelques lignes de la CNT-Vignoles résument ce que tous les “bloqueurs” de l’automne 2010 avaient effectivement en tête. De février à novembre, les manifestations se sont succédées, rassemblant chaque fois des millions de personnes. Dans les cortèges, une immense colère face à la dégradation générale des conditions de vie s’est explicitement exprimée. Pourtant, la bourgeoisie française n’a pas reculé, multipliant même les attaques contre la sécurité sociale, l’accès aux soins, les effectifs des fonctionnaires, etc. Tandis que les “défilés dans les rues” apparaissaient aux yeux de tous impuissants et stériles, des minorités ont cherché des méthodes de lutte plus radicales et efficaces. Le blocage de l’économie leur est alors apparu “comme une évidence” (2).
Quelques jours d’occupation des raffineries ont suffi à créer un relatif phénomène de pénurie de carburant et des troubles dans les transports.
Dès la fin du mois de septembre, la grève éclate dans certaines raffineries. Le mouvement fait naturellement tâche d’huile et les usines ferment les unes après les autres. A la mi-octobre, les 12 raffineries françaises sont toutes bloquées. Face aux provocations des CRS, des piquets composés d’ouvriers du raffinage, de travailleurs d’autres secteurs, de chômeurs, d’étudiants précaires, de retraités, etc., gardent les portes nuit et jour.
Rapidement, le carburant vient à manquer aux pompes. La pénurie d’essence fait la Une de tous les journaux. Les déclarations des responsables politiques affirmant qu’il n’y a aucun problème d’approvisionnement aux pompes apparaissent comme des gesticulations grotesques. Au final, selon l’INSEE, la production de pétrole a été réduite de 56,5 % au mois d’octobre.
En apparence, les bloqueurs semblent donc avoir réussi leur coup. Mais évidemment, en réalité, il n’en est rien. Cette prétendue “victoire” n’est qu’une illusion créée par la propagande de la bourgeoisie. Laisser croire qu’il est possible de bloquer la production à partir d’un secteur, quel qu’il soit, est un grossier mensonge. Et dans le cas précis du pétrole, la bourgeoisie a eu pleinement la capacité de faire face aux blocages. La France, comme beaucoup d’autres pays, dispose en effet de plusieurs millions de tonnes de pétrole en réserve lui assurant de nombreux mois d’approvisionnement (17 millions de tonnes de stocks stratégiques, soit plus de trois mois de consommation normale, des stocks de réserves dont disposent les compagnies pétrolières, des réserves de carburants gérées par l’armée…). De plus, avec l’internationalisation des réseaux de pipeline et, tout simplement, la possibilité d’importer de l’étranger de l’essence par camion, les Etats ne s’appuient pas seulement sur leurs propres réserves pour assurer la distribution de carburant. Comme l’écrit Peter Vener, “Il est caractéristique que même les plus insurrectionnalistes des tiqquniens (3) parlent de bloquer “l’économie du pays”, à partir de la simple généralisation des blocages effectifs, plus ou moins sporadiques ou étendus, plus ou moins spontanés ou téléguidés, etc., comme si cela avait encore le moindre sens à notre époque de “globalisation” et d’organisation en “réseaux” du capital modernisé, en particulier dans le secteur clé de la production et de la distribution de pétrole” (4).
Le risque de pénurie d’essence d’octobre 2010, et de paralysie de l’économie nationale, n’a donc été qu’un conte de fée pour endormir les ouvriers. La difficulté de s’approvisionner en essence n’a finalement touché que quelques automobilistes, surtout à cause du phénomène de panique. Les compagnies pétrolières ont même profité de l’occasion pour vendre leur essence à prix d’or. Le blocage des raffineries n’a été qu’une piqûre de moustique sur le dos d’un éléphant. Et le capitalisme a le cuir épais !
En fait, derrière cette prétendue victoire du blocage se cache au contraire une réelle défaite pour la classe ouvrière. A travers le blocage des raffineries la bourgeoisie s’est employée à isoler des ouvriers parmi les plus combattifs et à diviser le prolétariat.
D’un côté, les syndicats, notamment la CGT, s’appuyant sur le contrôle absolu qu’ils exerçaient sur les opérations, se sont employés à isoler les ouvriers des raffineries, menacés depuis plusieurs mois par des restructurations et donc particulièrement combatifs, du reste de leur classe. Leur colère justifiée n’a pas été le point de départ d’une extension de la lutte : plutôt qu’organiser des piquets volants devant des entreprises d’autres secteurs pour les gagner au mouvement, la CGT a évidemment enfermé les bloqueurs sur leur lieu de travail. Tout devant se jouer sur le seul soi-disant blocage des raffineries, il s’agissait de tenir coûte que coûte, dans une ambiance de citadelle assiégée où seule comptait la “pénurie d’essence.”
De l’autre, à travers une intense campagne sur les risques de pénurie d’essence, le gouvernement et ses médias ont volontairement créé un climat de panique parmi la population. Coincés entre de coûteuses journées de grève, massivement suivies, et le harcèlement quotidien au sein de l’entreprise, beaucoup d’ouvriers ont craint de ne pas pouvoir se rendre sur leur lieu de travail. Cette inquiétude s’est d’ailleurs matérialisée dans les longues files de véhicule à l’entrée des stations-service que les journalistes ont couvert jusqu’à la nausée. Si, en général, les prolétaires n’ont pas stigmatisé les ouvriers des raffineries et ont même plutôt manifesté leur solidarité, l’hystérique propagande médiatique a indéniablement contribué à briser la dynamique d’extension dans laquelle s’était engagée la lutte.
Ainsi, ce n’est pas un hasard si, après des mois de montée en puissance du mouvement de contestation, le déclin s’est amorcé au moment même où le blocage des raffineries battait son plein.
Mais, dans la mesure où un mouvement de masse démarre toujours quelque part, en quoi le blocage des raffineries n’aurait-il pu être le point de départ d’une lutte de plus grande ampleur ? Pourquoi le CCI, dès les premiers blocages, avertissait du risque d’enfermement, d’isolement et de division contenu dans cette action de lutte ? (5)
Dès ses premières manifestations, la théorie du blocage économique était bâtie sur de mauvaises fondations. Les pro-bloqueurs ont très rapidement pris conscience de l’inefficacité des manifestations sans lendemain organisées par les syndicats. Ils en ont cependant concluent qu’une poignée d’individus déterminés entravant le fonctionnement de cibles stratégiques comme les raffineries était la meilleure base sur laquelle créer les conditions de la massification et d’une authentique solidarité. Le groupe de Lyon nommé “Premier Round” a ainsi écrit : “Le mouvement actuel part aussi de là : “il faut bloquer l’économie, comment s’y prendre ?” La réponse s’est imposée d’elle-même autour de la question du pétrole. Même si personne ne sait au fond si cela marchera, si c’est le bon bout par lequel attaquer ce problème, il y a cette tentative : organiser la pénurie d’essence. Et voir ce qui se passera. Un peu partout, dès la grève reconductible votée, il a suffi que quelques grévistes adoptent le blocage comme moyen d’action pour que d’un peu partout on vienne les rejoindre. Là où la grève et le sabotage ne suffisent plus, les grévistes s’opposent eux-mêmes à la circulation. C’est ainsi que l’on voit des cheminots, des étudiants, des postiers, des infirmiers, des enseignants, des dockers, des chômeurs, bloquer ensemble les dépôts de carburant – sans attendre les éternels appels à une abstraite “convergence des luttes.” De même à l’encontre des gares, des centres de tri, des dépôts de transports en commun, des aéroports, des autoroutes : là où quelques dizaines de personnes suffisent à bloquer. […] Le nerf de la bataille en cours, ce sont les blocages des raffineries et des dépôts pétroliers, des points névralgiques au nombre relativement réduits. Bloquer la production et l’acheminement de pétrole, c’est sortir des revendications symboliques, c’est attaquer là où ça fait mal.”6 Cette seule phrase révèle à elle-seule la fausse route : “là où quelques dizaines de personnes suffisent à bloquer. “
Il est d’ailleurs très significatif que les cibles mises en avant soient les raffineries, les gares, les aéroports, les autoroutes ou les transports publics. Le secteur des transports est effectivement un élément stratégique pour la lutte ouvrière, mais pour des raisons exactement inverses que celles évoquées par Premier Round : le blocage des trains, des métros ou des bus est souvent un obstacle à l’élargissement de la lutte et peut favoriser le jeu de la bourgeoisie. C’est même un grand classique : monter les travailleurs les uns contre les autres en déchaînant des campagnes sur le thème de la “prise en otage des usagers”. Surtout, le blocage des transports entrave la mobilité des travailleurs qui ne sont plus en mesure de se déplacer pour apporter leur solidarité aux grévistes, en se rendant à leurs AG ou en participant aux manifestations. Les déplacements des délégations de grévistes vers les autres entreprises sont également rendus difficiles. En fait, le blocage total favorise presque toujours l’enfermement dans le corporatisme et l’isolement. C’est pourquoi les luttes ouvrières les plus avancées n’ont jamais conduit au blocage des transports.
La théorie du blocage de l’économie s’appuie sur une idée profondément juste : la classe ouvrière tient sa force de la place centrale qu’elle occupe dans la production. Le prolétariat produit presque l’ensemble des richesses que la bourgeoisie, dans son rôle proprement parasitaire, s’approprie. Ainsi, par la grève, les ouvriers sont potentiellement capables de bloquer toute la production et de paralyser l’économie.
Lors des événements de mai 1968 en France et ceux d’août 1980 en Pologne, de gigantesques grèves ont paralysé les pays provoquant même… des pénuries d’essence. Mais bloquer n’était nullement l’objectif en soi des ouvriers, les pays étant d’ailleurs paralysés de fait. Si ces deux luttes sont historiques et restent gravées dans les mémoires, c’est parce que le prolétariat a su construire un rapport de force en sa faveur par l’auto-organisation et la massivité de ses luttes. Quand les ouvriers prennent en main leur lutte, ils se regroupent spontanément en assemblées générales pour débattre et décider collectivement des actions à mener, ils cherchent la solidarité de leurs frères de classe en allant à leur rencontre, en essayant de les entraîner dans le mouvement. Etendre la lutte est une préoccupation et une pratique instinctive des exploités face au Capital.
Lors de ces deux grands mouvements, les grévistes ont surtout cherché à faire tourner l’économie pour eux, au service de la lutte et de ses besoins. En 1968, par exemple, les cheminots faisaient circuler les trains pour permettre à la population de se déplacer jusqu’aux manifestations. En 1980, cette prise en main des moyens de production va beaucoup plus loin encore. Le Comité de grève inter-entreprises (nommé MKS) avait “toute prérogative pour conduire la grève. Il formait des commissions de travail – entretien, information, liens avec les journalistes présents sur place, sécurité – et décidait si certaines entreprises devaient continuer à travailler pour assurer les besoins des grévistes. Ainsi la raffinerie produisait, au ralenti, l’essence nécessaire aux transports, des bus et des trains circulaient, l’industrie alimentaire dépassait les plus hautes normes (fixées par les bureaucrates auparavant) pour assurer l’approvisionnement de la population. La “tri-ville” [des ports de la Baltique] (Gdansk, Gdynia, Sopot) vivait au rythme de la grève, au rythme que les grévistes avaient décidé.” (7) Dans les moments les plus forts de ce mouvement, le comité de grève a organisé le ravitaillement des grévistes et de toute la population en contrôlant et en faisant tourner les entreprises d’électricité et d’alimentation.
Les pro-bloqueurs proches de groupes comme Premier Round critiquent très justement et de manière très virulente la mainmise des syndicats sur les luttes. Ils ont ainsi cru identifier dans le blocage des raffineries une action de lutte radicale débordant le corset de fer syndical : “Des nouvelles solidarités informelles se mettent en place à la base et en dehors du contrôle des directions syndicales. On le sent bien, ces dernières sont un peu dépassées par les événements et ne savent pas trop quoi faire de tous ces “soutiens”. Ces solidarités-là, et c’est bien leur force, ne sont pas vraiment encadrables.” Mais la réalité est exactement inverse. Il suffit d’ailleurs de poursuivre la lecture de l’article pour que cette illusion saute aux yeux :
“Où se retrouver pour venir en soutien aux grévistes ? Où envoyer la thune ?
• Raffinerie de Grandpuits : dons en liquide ou par chèques adressés à l’ordre de : Intersyndicale CFDT-CGT, à l’adresse suivante : Intersyndicale CFDT-CGT, Raffinerie Total de Grandpuits, boîte postale 13, 77 720, MORMANT, ou dons en ligne sur le site internet.
• Raffinerie Total de Flandres : adresser vos dons à la caisse de grève gérée par SUD-Chimie : P.W. SUD-Chimie Raffinerie des Flandres 59140 DUNKERQUE. Chèques à l’ordre de : SUD-Chimie RF.”
Les actions de blocage se déroulent “en dehors du contrôle des directions syndicales” car elles “ne sont pas encadrables,” à en croire Premier Round qui informe pourtant sans sourciller ses lecteurs sur “Où envoyer la thune” pour soutenir les grévistes : à la CFDT, à la CGT, et à SUD ! La vérité, c’est que les syndicats ont orchestré de bout en bout la paralysie du secteur pétrolier.
Là encore, Peter Vener est l’un des rares à oser regarder la réalité en face : “Des personnes sont venues rejoindre des piquets de grève autour des raffineries, en règle générale à l’appel des comités intersyndicaux locaux, rebaptisées souvent assemblées interprofessionnelles, histoire d’en élargir les assises. Bien entendu, de telles personnes n’avaient pas nécessairement des visées politiciennes mais, simplement, elles avaient l’impression de dépasser l’atomisation, de sortir des séparations et des corporatismes, bref, de participer à la “convergence des luttes” et “au blocage de l’économie”. […] Les personnes qui gonflent les piquets ne se demandent pas pourquoi les syndicalistes de l’Énergie et de la Chimie, si corporatistes et si repliés sur eux-mêmes habituellement, ont ainsi besoin de faire appel à des forces n’appartenant pas à leur secteur, voire étrangères au “monde du travail”, même parfois à des “anarchistes” sur lesquels ils crachaient encore ouvertement la veille. S’agit-il de nouvelles percées à travers les murs de tels bastions, à l’ordinaire particulièrement bien contrôlés par les syndicalistes, qui, de leurs miradors, organisèrent des cordons sanitaires autour d’eux ? Assiste-t-on à la rupture réelle des salariés de tels secteurs avec leur corporatisme spécifique, fondé sur l’horrible tradition néo-stalinienne du “produire et consommer français”, etc. ? En réalité, sauf peut-être pour quelques-uns d’entre eux, il n’en est rien. […] D’où l’acceptation des quelques “forces” venues d’ailleurs, qui, pour l’essentiel, doivent jouer le rôle de troupiers additionnels de l’appareil syndical de la CGT, mais aussi de celui de SUD. […] Aujourd’hui, via le recentrage de la principale centrale syndicale en direction des formes d’intervention à la mode, tel le blocage programmé d’axes de communication, parfois annoncé à l’avance à la police par les leaders syndicaux, nous sommes passés de la “grève par procuration”, des années 1980 et 1990, au “blocage par procuration”. Les “bloqueurs” des sites, bien souvent, ont travaillé pour les centrales syndicales. Point barre.”
Ainsi, à la raffinerie de Grandpuits, en région parisienne, de nombreux salariés, chômeurs, étudiants précaires et retraités sont venus chaque jour apporter leur soutien aux ouvriers grévistes. Certains ont même parfois pu participer aux AG. Mais ces rares AG “ouvertes” n’étaient que de tristes mascarades : prise de parole du délégué CFDT, puis du délégué CGT, puis… vote. Aucune discussion, aucun débat.
Pourquoi des pro-bloqueurs, si critiques envers les centrales syndicales, ont-ils fini par jouer le rôle de faire-valoir dans des actions typiques des gros bras de la CGT ? Pour Peter Vener, il ne faut pas confondre “de simples réactions de colère contre les services d’ordre syndicaux pour de la critique approfondie du syndicalisme.” L’expérience de la réalité est d’ailleurs encore plus édifiante. Il y a, en effet, une parfaite concordance entre les partisans du blocage économique et celle des syndicats : une minorité décide et agit à la place de la majorité des exploités. La différence réside en ce que les pro-bloqueurs croient agir au service de la lutte alors que les appareils syndicaux ont pleinement conscience de leur œuvre de sabotage.
Aucune recette immédiate, aucune pratique activiste minoritaire ne peut se substituer à la nécessité de l’extension et du développement massif de la lutte pour le prolétariat. Le blocage concret de l’économie ne peut pas être un raccourci vers la victoire tombant du ciel par décret ; il est le résultat d’un processus de généralisation de la lutte auto-organisée et solidaire des travailleurs. Si le constat de l’inefficacité des manifestations de l’automne 2010 est juste, il faut en déduire, non pas qu’il est inutile d’être des millions dans la lutte, mais que la question essentielle est : qui dirige le mouvement de contestation ? Les ouvriers ou les syndicats ?
“L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes”… de tous les travailleurs.
Pawel et V. (21 février)
1) “Généraliser les pratiques de lutte, aujourd’hui et demain…,” Classe en lutte, no 116, nov. 2010 (CNT-Vignoles).
2) “France, automne 2010 : Le blocage de l’économie comme une évidence”, nov. 2010 (Groupe communiste internationaliste).
3) NDLR : Les “tiqquniens” désigne les partisans de la revue Tiqqun, organe de presse du Parti de l’imaginaire dont le membre le plus connu est Julien Coupat, mis en examen sous le coup des lois anti-terroristes et livré en pâture par le pouvoir et ses médias en étant désigné comme l’auteur du sabotage d’une caténaire d’une ligne de TGV sur le réseau de la SNCF en novembre 2008.
4) “L’idéologie du blocage”, Peter Vener, oct.-nov. 2010.
5) Cf. “Bloquer les raffineries : une arme à double tranchant,” Révolution Internationale - suppl. au mensuel no 417, oct. 2010.
6) “Bloquons tout,” Le blocage, une idée qui circule, mardi 26 octobre 2010. (Premier Round).
7) “La victoire au bout de la grande grève,” Inprecor, no 84, 11 sept. 1980.
“Le Conseil de sécurité [de l’ONU],
Se déclarant vivement préoccupé par la détérioration de la situation, l’escalade de la violence et les lourdes pertes civiles, […]
Condamnant la violation flagrante et systématique des droits de l’homme, y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires, […]
Considérant que les attaques généralisées et systématiques actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité, […]
Se déclarant résolu à assurer la protection des civils, […]
Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet […] à prendre toutes mesures nécessaires, […] pour protéger les populations […]” (Résolution ONU 1973 – Libye, 17 mars 2011).
Une nouvelle fois, les hauts dirigeants de ce monde usent de belles formules humanitaires, font des discours, la voix vibrante, sur la “démocratie”, la “paix” et la “sécurité des populations”, pour mieux justifier leurs aventures impérialistes.
Ainsi, depuis le 20 mars, une “coalition internationale” (1) mène en Libye une opération militaire d’envergure, nommée poétiquement “Aube de l’Odyssée” par les Etats-Unis. Chaque jour, des dizaines d’avions décollent des deux puissants porte-avions français et américain pour larguer des tapis de bombes sur toutes les régions abritant des forces armées fidèles au régime de Kadhafi (2).
En langage clair, c’est la guerre !
Tous ces Etats ne font que défendre leurs propres intérêts… à coup de bombes
Evidemment, Kadhafi est un dictateur fou et sanguinaire. Après des semaines de recul face à la rébellion, l’autoproclamé “Guide libyen” a su réorganiser ses troupes d’élite pour contre-attaquer. Jour après jour, il a réussi à regagner du terrain, écrasant tout sur son passage, les “rebelles” comme la population. Et il s’apprêtait sans aucun doute à noyer dans leur propre sang les habitants de Benghazi quand l’opération Aube de l’Odyssée a été déclenchée.
Les frappes aériennes de la coalition ont mis à mal les forces de répression du régime et ont donc effectivement évité le massacre annoncé.
Mais qui peut croire un seul instant que ce déploiement de forces armées a réellement eu pour but le bien-être de la population libyenne ?
Où était cette même coalition quand Kadhafi a fait massacrer 1000 détenus dans la prison Abu Salim de Tripoli en 1996 ? En réalité, c’est depuis quarante ans que ce régime enferme, torture, terrorise, fait disparaître, exécute… en toute impunité.
Où était hier cette même coalition quand Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte ou Bouteflika en Algérie faisaient tirer sur la foule lors des soulèvements de janvier et février ?
Et que fait aujourd’hui cette même coalition face aux massacres qui ont lieu au Yémen, en Syrie ou à Bahreïn ? Oh pardon… ici nous ne pouvons pas dire qu’elle est tout à fait absente : un de ses membres, l’Arabie Saoudite, intervient effectivement pour soutenir l’Etat du Bahreïn… à réprimer les manifestants ! Et ses complices de fermer les yeux.
Les Sarkozy, Cameron, Obama et consorts peuvent bien se présenter fièrement comme des sauveurs, des défenseurs de la veuve et de l’orphelin, la souffrance des “civils” de Benghazi n’a été pour eux qu’un alibi pour intervenir militairement sur place et défendre leurs sordides intérêts impérialistes respectifs. Tous ces gangsters ont une raison, qui n’a rien à voir avec l’altruisme, de se lancer dans cette croisade impérialiste :
Cette fois-ci, contrairement aux dernières guerres, les Etats-Unis ne sont pas le fer de lance de l’opération militaire. Pourquoi ? En Libye, la bourgeoisie américaine est contrainte de jouer à l’équilibriste.
D’un côté, elle ne peut pas se permettre d’intervenir massivement par voie terrestre sur le sol libyen. Cela serait perçu par l’ensemble du monde arabe comme une agression et une nouvelle invasion. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont en effet encore renforcé l’aversion généralisée pour “l’impérialisme américain, allié d’Israël”. Et le changement de régime en Egypte, traditionnel allié de l’Oncle Sam, est venu affaiblir un peu plus sa position dans la région (3).
Mais de l’autre, ils ne peuvent rester en dehors du jeu sans risquer de décrédibiliser totalement leur statut de “combattant pour la démocratie dans le monde”. Et il est évidemment hors de question pour eux de laisser le terrain libre au tandem France/Grande-Bretagne.
La participation de la Grande-Bretagne a un double objectif. Elle aussi tente, auprès des pays arabes, de redorer son blason terni par ses interventions en Irak et en Afghanistan. Mais elle essaye aussi d’habituer sa propre population à des interventions militaires extérieures qui ne manqueront pas de se multiplier à l’avenir. “Sauver le peuple libyen de Kadhafi” est l’occasion parfaite pour cela (4).
Le cas de la France est un peu différent. Il s’agit du seul grand pays occidental à jouir d’une certaine popularité dans le monde arabe, acquise sous De Gaulle et amplifiée par son refus de participer à l’invasion de l’Irak en 2003.
En intervenant en faveur du “peuple libyen”, le président Sarkozy savait parfaitement qu’il serait accueilli les bras grands ouverts par la population et que les pays voisins verraient d’un bon œil cette intervention contre un Kadhafi beaucoup trop incontrôlable et imprévisible à leur goût. Et effectivement, à Benghazi, ont retenti des “Vive Sarkozy”, “Vive la France” (5). Une fois n’est pas coutume, l’Etat français est parvenu ici à profiter ponctuellement de la mauvaise posture américaine.
Le président de la République française en a aussi profité pour se rattraper suite aux bourdes successives de son gouvernement en Tunisie et en Egypte (soutiens aux dictateurs finalement chassés par les révoltes sociales, accointances notoires pendant ces luttes entre ses ministres et les régimes locaux, proposition d’envoyer ses forces de police pour épauler la répression en Tunisie…).
Nous ne pouvons pas ici détailler les intérêts particuliers de chaque Etat de la coalition qui frappe aujourd’hui la Libye mais une chose est sûre, il ne s’agit en rien d’humanisme ou de philanthropie ! Et il en est exactement de même pour ceux qui, réticents, se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU ou alors du bout des doigts :
La Chine, la Russie et le Brésil sont très hostiles à cette intervention tout simplement parce qu’ils n’ont rien à gagner au départ de Kadhafi.
L’Italie, elle, a même tout à perdre. Le régime actuel assurait, jusqu’à maintenant, un accès facile au pétrole et un contrôle draconien des frontières. La déstabilisation du pays peut remettre tout cela en cause.
L’Allemagne d’Angela Merkel est encore aujourd’hui un nain militaire. Toutes ses forces sont engagées en Afghanistan. Participer à ces opérations aurait révélé un peu plus au grand jour cette faiblesse. Comme l’écrit le journal espagnol El País, “Nous assistons à une réédition du rééquilibrage constant de la relation entre le gigantisme économique allemand, qui s’est manifesté pendant la crise de l’euro, et la capacité politique française, qui s’exerce aussi à travers la puissance militaire” (6).
Finalement, la Libye, comme l’ensemble du Moyen-Orient, ressemble aujourd’hui à un immense échiquier où les grandes puissances tentent d’avancer leurs pions.
Cela fait des semaines que les troupes de Kadhafi avancent vers Benghazi, le fief des rebelles, massacrant tout ce qui bouge sur leur passage. Pourquoi les pays de la coalition, s’ils avaient de tels intérêts à intervenir militairement dans la région, ont-ils tant attendu ?
Dans les premiers jours, le vent de révolte qui a soufflé en Libye venait de Tunisie et d’Egypte. La même colère contre l’oppression et la misère embrasait toutes les couches de la société. Il était donc hors de question pour les “Grandes démocraties de ce monde” de soutenir réellement ce mouvement social, malgré leurs beaux discours condamnant la répression. Leur diplomatie refusait hypocritement toute ingérence et vantait le “droit des peuples à faire leur propre histoire”. L’expérience enseigne qu’à chaque lutte sociale, il en est ainsi : la bourgeoisie de tous les pays ferme les yeux sur les plus horribles répressions, quand elle ne leur prête pas directement main forte !
Mais en Libye, ce qui semblait avoir commencé comme une véritable révolte de “ceux d’en bas”, avec des civils sans armes, partant courageusement à l’assaut des casernes des militaires et incendiant les QG des prétendus ‘Comités du Peuple’, s’est rapidement transformé en une sanglante ‘guerre civile’ entre fractions de la bourgeoisie. Autrement dit, le mouvement a échappé des mains des couches non-exploiteuses. La preuve en est que l’un des chefs de la rébellion et du CNT (Conseil National de Transition) est Al Jeleil, l’ancien ministre de la Justice de Kadhafi ! Cet homme a évidemment autant les mains couvertes de sang que son ancien “Guide” devenu son rival. Autre indice, alors que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, ce gouvernement provisoire s’est donné pour drapeau les couleurs de l’ancien royaume de Libye. Et enfin, Sarkozy a reconnu les membres du CNT comme les “représentants légitimes du peuple Libyen”.
La révolte en Libye a donc pris une tournure diamétralement opposée à celle de ses grandes sœurs tunisienne et égyptienne. Ceci est principalement dû à la faiblesse de la classe ouvrière de ce pays. La principale industrie, le pétrole, embauche presque exclusivement des travailleurs venus d’Europe, du reste du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique. Ceux-là, dès le début, n’ont pas pris part au mouvement de contestation sociale. Résultat, c’est la petite-bourgeoisie locale qui a donné sa coloration à la lutte, d’où la mise en avant du drapeau national par exemple. Pire ! Les travailleurs “étrangers”, ne pouvant alors se reconnaître dans ces combats, ont fui. Il y a même eu des persécutions de travailleurs noirs entre les mains des forces “rebelles”, car il y avait de nombreuses rumeurs selon lesquelles certains mercenaires d’Afrique noire avaient été recrutés par le régime pour écraser les manifestations, ce qui jetait la suspicion sur tous les immigrants venant de là.
Ce retournement de situation en Libye a des conséquences dépassant largement ses frontières. La répression de Kadhafi d’abord et l’intervention de la coalition internationale ensuite, constituent un coup de frein à tous les mouvements sociaux de la région. Cela permet même aux autres régimes dictatoriaux contestés de se livrer sans retenue à une répression sanglante : c’est le cas à Bahreïn où l’armée saoudienne a prêté main forte au régime en place pour réprimer violemment les manifestations (7) ; au Yémen où le 18 mars les forces gouvernementales n’ont pas hésité à tirer sur la foule, faisant 51 morts supplémentaires ; et plus récemment en Syrie.
Cela dit, il n’est pas du tout sûr qu’il s’agisse là d’un coup fatal. La situation libyenne pèse, tel un boulet attaché aux pieds du prolétariat mondial, mais la colère est si profonde face au développement de la misère qu’elle ne la paralyse pas totalement. Au moment où nous écrivons ces lignes, il faut s’attendre à des manifestations à Riyad, alors même que le régime saoudien a déjà décrété que toutes les manifestations sont contraires à la charia. En Egypte et en Tunisie, où la “révolution” est censée avoir déjà triomphé, il y a des affrontements permanents entre les manifestants et l’Etat, maintenant “démocratique”, qui est administré par des forces qui sont plus ou moins les mêmes que celles qui ont mené la danse avant le départ des “dictateurs”. De même, des manifestations perdurent au Maroc, malgré l’annonce par le roi Mohammed VI de l’avènement d’une monarchie constitutionnelle.
Quoi qu’il en soit, pour toutes ces populations prises sous le joug de terribles répressions, et parfois sous les bombes démocratiques des différentes coalitions internationales, le ciel ne s’éclaircira vraiment que lorsque le prolétariat des pays centraux, en particulier d’Europe occidentale, développera à son tour des luttes massives et déterminées. Alors, armé de son expérience, rompu notamment aux pièges du syndicalisme et de la démocratie bourgeoise, il pourra montrer ses capacités à s’auto-organiser et ouvrir la voie d’une véritable perspective révolutionnaire, seul avenir pour toute l’humanité.
Etre solidaire de tous ceux qui tombent aujourd’hui sous les balles, ce n’est pas soutenir le régime de Kadhafi, ni les “rebelles”, ni la coalition onusienne ! Il faut au contraire dénoncer tous ceux-là comme des chiens impérialistes !
Etre solidaire, c’est choisir le camp de l’internationalisme prolétarien, lutter contre nos propres exploiteurs et massacreurs dans tous les pays, participer au développement des luttes ouvrières et de la conscience de classe partout dans le monde !
Pawel (25 mars)
1) Royaume-Uni, France, Etats-Unis en particulier, mais aussi Italie, Espagne, Belgique, Danemark, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Emirats Arabe Unis et Qatar.
2) A en croire les médias occidentaux, seuls les hommes de main de Kadhafi meurent sous ces bombes. Mais souvenons-nous qu’au moment de la Guerre du Golfe, ces mêmes médias avaient aussi fait croire à une “guerre propre”. En réalité, en 1991, au nom de la protection du “petit Koweït” envahi par l’armée du “boucher” Saddam Hussein, la guerre avait fait plusieurs centaines de milliers de victimes.
3) Même si la bourgeoisie américaine a réussi à limiter les dégâts en soutenant l’armée pour remplacer le régime honni par la population.
4) Il faut se souvenir ici qu’en 2007, à Tripoli, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair embrassait chaleureusement le colonel Kadhafi, en le remerciant de la signature d’un contrat avec BP. Les dénonciations actuelles du “dictateur fou” ne sont que purs cynisme et hypocrisie !
5) Rappelons que la bourgeoisie française ne fait là, elle aussi, que retourner une nouvelle fois sa veste, elle qui a reçu en grande pompe Kadhafi en 2007. Les images de sa tente plantée au beau milieu de Paris ont d’ailleurs fait le tour du monde et ridiculisé encore un peu plus Sarkozy et sa clique. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau film qui nous est joué : “OTAN en emporte l’auvent”.
6) https://www.elpais.com/articulo/internacional/guerra/europea/elpepuint/2... [24]
7) Ici aussi d’ailleurs, la faiblesse de la classe ouvrière favorise ces répressions. Le mouvement y est en effet dominé par la majorité chiite, soutenue par l’Iran.
“Le Conseil de sécurité [de l’ONU],
Se déclarant vivement préoccupé par la détérioration de la situation, l’escalade de la violence et les lourdes pertes civiles, […]
Condamnant la violation flagrante et systématique des droits de l’homme, y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires, […]
Considérant que les attaques généralisées et systématiques actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité, […]
Se déclarant résolu à assurer la protection des civils, […]
Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet […] à prendre toutes mesures nécessaires, […] pour protéger les populations […]” (Résolution ONU 1973 – Libye, 17 mars 2011).
Une nouvelle fois, les hauts dirigeants de ce monde usent de belles formules humanitaires, font des discours, la voix vibrante, sur la “démocratie”, la “paix” et la “sécurité des populations”, pour mieux justifier leurs aventures impérialistes.
Ainsi, depuis le 20 mars, une “coalition internationale” (1) mène en Libye une opération militaire d’envergure, nommée poétiquement “Aube de l’Odyssée” par les Etats-Unis. Chaque jour, des dizaines d’avions décollent des deux puissants porte-avions français et américain pour larguer des tapis de bombes sur toutes les régions abritant des forces armées fidèles au régime de Kadhafi (2).
En langage clair, c’est la guerre !
Tous ces Etats ne font que défendre leurs propres intérêts… à coup de bombes
Evidemment, Kadhafi est un dictateur fou et sanguinaire. Après des semaines de recul face à la rébellion, l’autoproclamé “Guide libyen” a su réorganiser ses troupes d’élite pour contre-attaquer. Jour après jour, il a réussi à regagner du terrain, écrasant tout sur son passage, les “rebelles” comme la population. Et il s’apprêtait sans aucun doute à noyer dans leur propre sang les habitants de Benghazi quand l’opération Aube de l’Odyssée a été déclenchée.
Les frappes aériennes de la coalition ont mis à mal les forces de répression du régime et ont donc effectivement évité le massacre annoncé.
Mais qui peut croire un seul instant que ce déploiement de forces armées a réellement eu pour but le bien-être de la population libyenne ?
Où était cette même coalition quand Kadhafi a fait massacrer 1000 détenus dans la prison Abu Salim de Tripoli en 1996 ? En réalité, c’est depuis quarante ans que ce régime enferme, torture, terrorise, fait disparaître, exécute… en toute impunité.
Où était hier cette même coalition quand Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte ou Bouteflika en Algérie faisaient tirer sur la foule lors des soulèvements de janvier et février ?
Et que fait aujourd’hui cette même coalition face aux massacres qui ont lieu au Yémen, en Syrie ou à Bahreïn ? Oh pardon… ici nous ne pouvons pas dire qu’elle est tout à fait absente : un de ses membres, l’Arabie Saoudite, intervient effectivement pour soutenir l’Etat du Bahreïn… à réprimer les manifestants ! Et ses complices de fermer les yeux.
Les Sarkozy, Cameron, Obama et consorts peuvent bien se présenter fièrement comme des sauveurs, des défenseurs de la veuve et de l’orphelin, la souffrance des “civils” de Benghazi n’a été pour eux qu’un alibi pour intervenir militairement sur place et défendre leurs sordides intérêts impérialistes respectifs. Tous ces gangsters ont une raison, qui n’a rien à voir avec l’altruisme, de se lancer dans cette croisade impérialiste :
Cette fois-ci, contrairement aux dernières guerres, les Etats-Unis ne sont pas le fer de lance de l’opération militaire. Pourquoi ? En Libye, la bourgeoisie américaine est contrainte de jouer à l’équilibriste.
D’un côté, elle ne peut pas se permettre d’intervenir massivement par voie terrestre sur le sol libyen. Cela serait perçu par l’ensemble du monde arabe comme une agression et une nouvelle invasion. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont en effet encore renforcé l’aversion généralisée pour “l’impérialisme américain, allié d’Israël”. Et le changement de régime en Egypte, traditionnel allié de l’Oncle Sam, est venu affaiblir un peu plus sa position dans la région (3).
Mais de l’autre, ils ne peuvent rester en dehors du jeu sans risquer de décrédibiliser totalement leur statut de “combattant pour la démocratie dans le monde”. Et il est évidemment hors de question pour eux de laisser le terrain libre au tandem France/Grande-Bretagne.
La participation de la Grande-Bretagne a un double objectif. Elle aussi tente, auprès des pays arabes, de redorer son blason terni par ses interventions en Irak et en Afghanistan. Mais elle essaye aussi d’habituer sa propre population à des interventions militaires extérieures qui ne manqueront pas de se multiplier à l’avenir. “Sauver le peuple libyen de Kadhafi” est l’occasion parfaite pour cela (4).
Le cas de la France est un peu différent. Il s’agit du seul grand pays occidental à jouir d’une certaine popularité dans le monde arabe, acquise sous De Gaulle et amplifiée par son refus de participer à l’invasion de l’Irak en 2003.
En intervenant en faveur du “peuple libyen”, le président Sarkozy savait parfaitement qu’il serait accueilli les bras grands ouverts par la population et que les pays voisins verraient d’un bon œil cette intervention contre un Kadhafi beaucoup trop incontrôlable et imprévisible à leur goût. Et effectivement, à Benghazi, ont retenti des “Vive Sarkozy”, “Vive la France” (5). Une fois n’est pas coutume, l’Etat français est parvenu ici à profiter ponctuellement de la mauvaise posture américaine.
Le président de la République française en a aussi profité pour se rattraper suite aux bourdes successives de son gouvernement en Tunisie et en Egypte (soutiens aux dictateurs finalement chassés par les révoltes sociales, accointances notoires pendant ces luttes entre ses ministres et les régimes locaux, proposition d’envoyer ses forces de police pour épauler la répression en Tunisie…).
Nous ne pouvons pas ici détailler les intérêts particuliers de chaque Etat de la coalition qui frappe aujourd’hui la Libye mais une chose est sûre, il ne s’agit en rien d’humanisme ou de philanthropie ! Et il en est exactement de même pour ceux qui, réticents, se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU ou alors du bout des doigts :
La Chine, la Russie et le Brésil sont très hostiles à cette intervention tout simplement parce qu’ils n’ont rien à gagner au départ de Kadhafi.
L’Italie, elle, a même tout à perdre. Le régime actuel assurait, jusqu’à maintenant, un accès facile au pétrole et un contrôle draconien des frontières. La déstabilisation du pays peut remettre tout cela en cause.
L’Allemagne d’Angela Merkel est encore aujourd’hui un nain militaire. Toutes ses forces sont engagées en Afghanistan. Participer à ces opérations aurait révélé un peu plus au grand jour cette faiblesse. Comme l’écrit le journal espagnol El País, “Nous assistons à une réédition du rééquilibrage constant de la relation entre le gigantisme économique allemand, qui s’est manifesté pendant la crise de l’euro, et la capacité politique française, qui s’exerce aussi à travers la puissance militaire” (6).
Finalement, la Libye, comme l’ensemble du Moyen-Orient, ressemble aujourd’hui à un immense échiquier où les grandes puissances tentent d’avancer leurs pions.
Cela fait des semaines que les troupes de Kadhafi avancent vers Benghazi, le fief des rebelles, massacrant tout ce qui bouge sur leur passage. Pourquoi les pays de la coalition, s’ils avaient de tels intérêts à intervenir militairement dans la région, ont-ils tant attendu ?
Dans les premiers jours, le vent de révolte qui a soufflé en Libye venait de Tunisie et d’Egypte. La même colère contre l’oppression et la misère embrasait toutes les couches de la société. Il était donc hors de question pour les “Grandes démocraties de ce monde” de soutenir réellement ce mouvement social, malgré leurs beaux discours condamnant la répression. Leur diplomatie refusait hypocritement toute ingérence et vantait le “droit des peuples à faire leur propre histoire”. L’expérience enseigne qu’à chaque lutte sociale, il en est ainsi : la bourgeoisie de tous les pays ferme les yeux sur les plus horribles répressions, quand elle ne leur prête pas directement main forte !
Mais en Libye, ce qui semblait avoir commencé comme une véritable révolte de “ceux d’en bas”, avec des civils sans armes, partant courageusement à l’assaut des casernes des militaires et incendiant les QG des prétendus ‘Comités du Peuple’, s’est rapidement transformé en une sanglante ‘guerre civile’ entre fractions de la bourgeoisie. Autrement dit, le mouvement a échappé des mains des couches non-exploiteuses. La preuve en est que l’un des chefs de la rébellion et du CNT (Conseil National de Transition) est Al Jeleil, l’ancien ministre de la Justice de Kadhafi ! Cet homme a évidemment autant les mains couvertes de sang que son ancien “Guide” devenu son rival. Autre indice, alors que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, ce gouvernement provisoire s’est donné pour drapeau les couleurs de l’ancien royaume de Libye. Et enfin, Sarkozy a reconnu les membres du CNT comme les “représentants légitimes du peuple Libyen”.
La révolte en Libye a donc pris une tournure diamétralement opposée à celle de ses grandes sœurs tunisienne et égyptienne. Ceci est principalement dû à la faiblesse de la classe ouvrière de ce pays. La principale industrie, le pétrole, embauche presque exclusivement des travailleurs venus d’Europe, du reste du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique. Ceux-là, dès le début, n’ont pas pris part au mouvement de contestation sociale. Résultat, c’est la petite-bourgeoisie locale qui a donné sa coloration à la lutte, d’où la mise en avant du drapeau national par exemple. Pire ! Les travailleurs “étrangers”, ne pouvant alors se reconnaître dans ces combats, ont fui. Il y a même eu des persécutions de travailleurs noirs entre les mains des forces “rebelles”, car il y avait de nombreuses rumeurs selon lesquelles certains mercenaires d’Afrique noire avaient été recrutés par le régime pour écraser les manifestations, ce qui jetait la suspicion sur tous les immigrants venant de là.
Ce retournement de situation en Libye a des conséquences dépassant largement ses frontières. La répression de Kadhafi d’abord et l’intervention de la coalition internationale ensuite, constituent un coup de frein à tous les mouvements sociaux de la région. Cela permet même aux autres régimes dictatoriaux contestés de se livrer sans retenue à une répression sanglante : c’est le cas à Bahreïn où l’armée saoudienne a prêté main forte au régime en place pour réprimer violemment les manifestations (7) ; au Yémen où le 18 mars les forces gouvernementales n’ont pas hésité à tirer sur la foule, faisant 51 morts supplémentaires ; et plus récemment en Syrie.
Cela dit, il n’est pas du tout sûr qu’il s’agisse là d’un coup fatal. La situation libyenne pèse, tel un boulet attaché aux pieds du prolétariat mondial, mais la colère est si profonde face au développement de la misère qu’elle ne la paralyse pas totalement. Au moment où nous écrivons ces lignes, il faut s’attendre à des manifestations à Riyad, alors même que le régime saoudien a déjà décrété que toutes les manifestations sont contraires à la charia. En Egypte et en Tunisie, où la “révolution” est censée avoir déjà triomphé, il y a des affrontements permanents entre les manifestants et l’Etat, maintenant “démocratique”, qui est administré par des forces qui sont plus ou moins les mêmes que celles qui ont mené la danse avant le départ des “dictateurs”. De même, des manifestations perdurent au Maroc, malgré l’annonce par le roi Mohammed VI de l’avènement d’une monarchie constitutionnelle.
Quoi qu’il en soit, pour toutes ces populations prises sous le joug de terribles répressions, et parfois sous les bombes démocratiques des différentes coalitions internationales, le ciel ne s’éclaircira vraiment que lorsque le prolétariat des pays centraux, en particulier d’Europe occidentale, développera à son tour des luttes massives et déterminées. Alors, armé de son expérience, rompu notamment aux pièges du syndicalisme et de la démocratie bourgeoise, il pourra montrer ses capacités à s’auto-organiser et ouvrir la voie d’une véritable perspective révolutionnaire, seul avenir pour toute l’humanité.
Etre solidaire de tous ceux qui tombent aujourd’hui sous les balles, ce n’est pas soutenir le régime de Kadhafi, ni les “rebelles”, ni la coalition onusienne ! Il faut au contraire dénoncer tous ceux-là comme des chiens impérialistes !
Etre solidaire, c’est choisir le camp de l’internationalisme prolétarien, lutter contre nos propres exploiteurs et massacreurs dans tous les pays, participer au développement des luttes ouvrières et de la conscience de classe partout dans le monde !
Pawel (25 mars)
1) Royaume-Uni, France, Etats-Unis en particulier, mais aussi Italie, Espagne, Belgique, Danemark, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Emirats Arabe Unis et Qatar.
2) A en croire les médias occidentaux, seuls les hommes de main de Kadhafi meurent sous ces bombes. Mais souvenons-nous qu’au moment de la Guerre du Golfe, ces mêmes médias avaient aussi fait croire à une “guerre propre”. En réalité, en 1991, au nom de la protection du “petit Koweït” envahi par l’armée du “boucher” Saddam Hussein, la guerre avait fait plusieurs centaines de milliers de victimes.
3) Même si la bourgeoisie américaine a réussi à limiter les dégâts en soutenant l’armée pour remplacer le régime honni par la population.
4) Il faut se souvenir ici qu’en 2007, à Tripoli, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair embrassait chaleureusement le colonel Kadhafi, en le remerciant de la signature d’un contrat avec BP. Les dénonciations actuelles du “dictateur fou” ne sont que purs cynisme et hypocrisie !
5) Rappelons que la bourgeoisie française ne fait là, elle aussi, que retourner une nouvelle fois sa veste, elle qui a reçu en grande pompe Kadhafi en 2007. Les images de sa tente plantée au beau milieu de Paris ont d’ailleurs fait le tour du monde et ridiculisé encore un peu plus Sarkozy et sa clique. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau film qui nous est joué : “OTAN en emporte l’auvent”.
6) https://www.elpais.com/articulo/internacional/guerra/europea/elpepuint/2... [24]
7) Ici aussi d’ailleurs, la faiblesse de la classe ouvrière favorise ces répressions. Le mouvement y est en effet dominé par la majorité chiite, soutenue par l’Iran.
Nos camarades du Réseau de Rencontre et de Solidarité (Red de Encuentro y Solidaridad) d’Alicante et le collectif L'Escletxa ont organisé une rencontré pour débattre et contribuer à la lutte ouvrière les 11 et 12 février derniers. On devait y aborder des expériences de lutte en France et à Barcelone. La volonté affichée de cette réunion était : "Se regrouper pour développer la lutte ouvrière".
Nous publions ci-dessous l'Appel à cette rencontre car il témoigne de cet effort de notre classe à créer des lieux de débats révolutionnaires et est une preuve vivante du besoin des exploités à tisser entre eux des liens forts de solidarité dans la lutte.
NOUS RETROUVER POUR PARTAGER des expériences d’unité, d’auto-organisation, de solidarité.
PARTAGER CES EXPERIENCES POUR CONTINUER LA LUTTE
Il y a peu de temps, nous commencions un de nos tracts ainsi : « Nous cherchons des travailleurs (des personnes) pour exprimer nos véritables besoins ». Nous poursuivons cette recherche, parce que nous savons que nous ne sommes pas seuls. Nous savons de l’existence d’un mouvement (chétif et diffus encore de nos jours) qui se produit et qui grandit partout dans le monde et qui est déjà apparu avec force à d’autres moments de l’histoire. Nous pouvons le nommer de différentes manières différentes : internationalisme prolétarien, autonomie ouvrière, ou encore, mouvement auto-organisé des travailleurs. C’est dans ces mouvements que s’est concrétisé et se concrétise toujours le meilleur de ce que le genre humain peut donner :
• L’unité : se ressembler fraternellement pour mettre en commun nos besoins et pouvoir leur donner une issue, en comprenant que les besoins des autres correspondent aux nôtres, sans établir des frontières artificielles : de races, de nations, de secteur...
• En nous organisant par nous mêmes sans besoin d’intermédiaires, dans de véritables ASSEMBLÉES, qui concrétisent au mieux ce que nous ressentons à travers nos luttes pour une vie meilleure.
• Sur la solidarité et la coopération, en comprenant bien que, sans elles, nous ne serions que des êtres acculés à la solitude et à l’incapacité de nous défendre.
Dans l'état actuel des choses, il n’est pas facile de se comprendre en tant que collectif, alors qu'on essaye en permanence de nous isoler pour pouvoir ainsi nous frapper plus fort avec la crise, le chômage, les expulsions, les salaires non payés, et qu'il ne nous reste que les plaintes des « on-n’arrive-plus-à joindre-les deux-bouts- à-la-fin-du-mois », des « quel-va-être-le-futur-de-nos-enfants »...
C’est terriblement simple à comprendre quand on se trouve concrètement dans de telles situations, celles que nous touchons du doigt avec notre corps, avec nos sentiments, et aussi avec nos « mains pensantes ». Par hasard, n’avez-vous jamais passé du temps à ruminer, avec votre compte bancaire à la main, en essayant de faire durer le plus longtemps possible les quelques euros que vous avez en poche, jusqu’à une nouvelle acrobatie de prêt ou de report de payement ? Ne vous est-il jamais arrivé de sentir votre coeur se serrer en entendant la mère ou le grand-père reconnaître qu’ils sont en train de vivre dans la gêne parce qu’il faut répartir la pension entre le chômeur de la famille et l’endetté jusqu’au cou ?...
Encore une fois, nous vous appelons, nous nous appelons, tous, les travailleurs, les chômeurs, les expulsés, les étudiants qui connaissent bien leur non-futur, les retraités aux pensions encore une fois laminées, les ménagères qui doivent surtout se ménager sans salaire,... aux PROLETAIRES, à tous ceux auxquels ce système n’offre d’autre issue que l’angoisse, la pauvreté cachée ou ouverte, la crainte de ne pas savoir ce qui va se passer le lendemain, le fait d’être toujours les spectateurs impuissants de ce que d’autres veulent faire avec notre propre survie.
Parce que, malgré tout, la VIE est toujours là et il y en a qui luttent pour elle, pour celle de tous, en partant des besoins immédiats, en rejoignant les siens, tous ceux qui partagent ces mêmes besoins devenus pénuries, en nous efforçant de construire un mouvement qui puisse tout changer. Ce sont de petites expériences, éparpillées de par le monde entier, quelques unes pratiquement inconnues, mais ce sont NOS expériences et nous savons que le fait de les mettre en commun nous rendra plus forts.
Red de Encuentro y Solidaridad de Trabajadores (Alicante)
[email protected] [25]
Ateneo Libertario "La Escletxa" [Athénée Libertaire]
escletxa.org
Dans cette rencontre participent à partir de leurs expériences, des camarades :
- des Comités de quartier de l’Assemblée de Barcelone. C’est une expérience « assembléiste1 » qui a fait du bruit dans les médias à cause de l’occupation de l’ancienne Banque de crédit et des incidents provoqués par la police pendant l’évacuation (c’était le jour de la dernière grève générale). Cette assemblée mène, cependant, un travail profond d’auto-organisation et de lutte au-delà du spectaculaire que les journalistes aiment présenter.
- Les Assemblées de travailleurs de Toulouse qui sont le reflet de la volonté de mener une lutte auto-organisée de la part des travailleurs en France aujourd'hui. Ces assemblées essayent de faire front aux attaques contre les conditions de vie des travailleurs, ainsi qu’à la démobilisation et la manipulation syndicales.
- Le Groupe Rupture, de Madrid. Ce sont des camarades avec une longue trajectoire, qui animent la lutte auto-organisée des travailleurs, et y participent en alimentant le débat dans leur publication.
- L'Assemblée des travailleurs de Valence qui se présente comme un espace de rencontre, de débat et d’intervention par la classe ouvrière et pour la classe ouvrière.
- Le Réseau de rencontre et de solidarité de travailleurs d’Alicante. C’est une initiative partie de la Plateforme des travailleurs des Services sociaux de la Santé, à partir de la lutte let de ses assemblées générales, tout en évoluant et ebn s’appuyant sur la certitude du fait qu’il n’y a que l’unité et l’extension des luttes qui puissent nous ouvrir une perspective.
Ce qui nous rassemble tous, ce sont les efforts d’auto-organisation et d’unité, le principe de la solidarité entre nous et la pratique des assemblées générales interprofessionnelles et ouvertes.
Nous espérons et souhaitons que d’autres personnes, groupes ou assemblées, auxquels cet appel peut parvenir par quelque moyen que ce soit, nous rejoignent et participent à notre rencontre.
Avec cette invitation, considérez votre présence comme indispensable.
Nous vous attendons.
1 Qu’on nous permette ce néologisme en français pour traduire « asambleísta », c'est-à-dire qui lutte pour des assemblées ouvrières souveraines.
Plus de 200 000 travailleurs du secteur public et étudiants sont descendus dans la rue et ont occupé le Wisconsin State Capitol pour protester contre des modifications proposées à des conventions collectives, à la suite d'accords négociés entre le gouvernement de l'Etat et les syndicats de la fonction publique. Scott Walker, le néophyte gouverneur Républicain de l'Etat, soutenu par le Tea Party, avait proposé un projet de loi supprimant les droits de négociation collective pour la majorité des 175.000 employés du secteur public de l'Etat, leur interdisant de négocier les cotisations de retraite et de santé, ne leur laissant que le droit de négocier sur les salaires. En outre, conformément à la législation, les syndicats de la fonction publique auraient dû se soumettre aux votes d'authentification annuelle afin de maintenir leur droit de représenter les travailleurs pour les négociations à venir. Les pompiers, qui n'étaient pas affectés par les modifications proposées (parce que leur syndicat a appuyé Walker à l'élection de Novembre) ont montré leur solidarité avec ceux qui ont été attaqués en rejoignant les manifestations, que beaucoup disent s'être inspirées de la vague d'agitation qui balaie l'Egypte et le Moyen-Orient. De nombreux manifestants du Wisconsin arboraient fièrement des pancartes donnant au gouverneur le sinistre surnom de 'Scott Moubarak Walker', tandis que d'autres chantaient: «Si l'Egypte peut avoir une démocratie, pourquoi pas le Wisconsin? » Des manifestants en Egypte ont même montré leur solidarité avec les travailleurs du Wisconsin !
Pendant ce temps, bien que le Département d'Etat américain ait demandé à plusieurs reprises, ces dernières semaines, aux dirigeants arabes de faire preuve de retenue contre les manifestants, le gouverneur Walker a menacé de faire appel à la Garde Nationale pour réprimer si nécessaire! Certains groupes d'anciens combattants ont répondu que le travail de la Garde est d'intervenir face aux catastrophes et non de se mettre au service de l'équipe de voyous du gouverneur. La situation politique dans le Wisconsin est dite fragile, comme une menace de crise constitutionnelle. L'ensemble des 14 sénateurs d'Etat Démocrates ont déserté l'Etat, empêchant ainsi que l'Etat Républicain ait le quorum nécessaire pour passer le projet de loi du gouverneur. On dit que si on les trouve dans l'Etat, la patrouille de l'Etat les arrêtera et les ramènera au Capitole ! D'autre part, le syndicat et les dirigeants démocrates parlent ouvertement de révoquer le gouverneur et les sénateurs qui soutiennent son projet de loi. A chaque crise, la politique américaine ne cesse de ressembler de plus en plus à une bande dessinée!
La crise dans le Wisconsin a été évoquée par les médias nationaux, comme le premier véritable affrontement d'un dirigeant Républicain, soutenu par le Tea Party, qui utilise son nouveau pouvoir politique pour ordonner un programme idéologique de destruction des syndicats des employés du secteur public, que de nombreux membres du Tea Party et du Parti Républicain blâment pour la quasi faillite des gouvernements d'Etat à travers le pays. Ces républicains affirment qu'il est nécessaire d'adopter des mesures d'austérité pour équilibrer le budget de l'Etat paralysé par un énorme déficit de 137 millions de dollars. D'un autre côté, les Démocrates et leurs amis dans les syndicats font un tollé par rapport au gouverneur Républicain et à ses alliés nationaux Le Tea Party fait un bon usage politique d'un véritable dilemme financier pour alimenter son idéologie anti-syndicale. Qui a raison?
Il est vrai que, tout comme en Europe, les Etats américains sont en effet confrontés à l'insolvabilité. Alors qu'au niveau national, le gouvernement fédéral peut encore se donner une certaine souplesse (en imprimant plus de dollars), les Etats n'ont pas ce privilège et sont donc confrontés à un besoin urgent de faire adopter des mesures draconiennes d'austérité, si elles permettent d'équilibrer leurs budgets qui demeureraient financièrement viables sur les marchés obligataires. A ce niveau, le projet de loi du gouverneur Walker semble répondre à un besoin vital de la bourgeoisie de réduire les coûts de la force de travail dans l'Etat et gagner un avantage durable dans les négociations futures, en limitant la portée des futurs contrats. Cela semblerait être la mise en place d'un modèle à suivre dans d'autres Etats, dans leur lutte pour venir à bout de leur terrible situation fiscale.
Toutefois, à un niveau plus global, la bourgeoisie est aussi bien consciente du risque politique et social à lancer de lourdes attaques contre des travailleurs déjà martelés par un chômage élevé, le gel des salaires, la mise en congé et l'effondrement du marché immobilier. D'où la stratégie qui a fait ses preuves aux USA qui consiste à lancer des attaques au niveau local ou à celui des Etats, plutôt que de lancer un assaut frontal, direct et immédiat sur les programmes du droit fédéral. Pourtant, il existe le risque que la loi du gouverneur Walker aille trop loin en déstabilisant les syndicats qui agissent comme des unités de police pour contrôler la colère des travailleurs, ainsi que le Parti Démocrate lui-même, qui s'appuie sur les syndicats pour le financement d'une grande partie de sa campagne. La politique du gouverneur Walker risquerait non seulement d'émasculer les syndicats lorsque la bourgeoisie en aura le plus besoin, mais elle pourrait aussi menacer de perturber le système à deux partis dans un 'Etat bascule' vital que le président Obama a gagné en 2008.
L'année dernière, des manifestations en Californie contre les coupes budgétaires dans l'éducation et récemment, la semaine dernière, les ouvriers dans l'Ohio ont protesté contre un projet de loi qui limiterait la négociation collective pour les travailleurs de l'Etat, tout comme l'avaient fait les enseignants à Indianapolis. Lorsque le besoin de nouvelles attaques se fait sentir, la bourgeoisie a besoin d'un appareil syndical en ordre de bataille pour contenir la combativité des travailleurs et s'assurer que la lutte restera sur le terrain de la négociation sur les salaires et les allocations plutôt que de menacer l'Etat lui-même.
L'état dramatique des finances du Wisconsin n'est pas chose rare. Il doit faire face cette année à un déficit de 137 millions de dollars, et pour les deux prochaines années, ce sera la modique somme de 3,6 milliards. L'aspect le plus drastique des coupes budgétaires du gouverneur Walker c'est l'exigence que la plupart des employés d'Etat et de localités contribuent pour moitié du coût de leurs cotisations de retraite et au moins pour 12,6 pour cent de leurs primes d'assurance maladie. Cependant, tout ceci ne doit permettre à l'Etat d'enregistrer que 30 millions de dollars d'ici le mois de Juin, ce qui représente seulement 10% du déficit. Le reste du projet de loi propose d'économiser 165 millions de dollars cette année par simple refinancement de la dette de l'Etat. Ainsi, les économies les plus importantes n'ont rien à voir avec les employés du secteur public. Ceci est bien sûr réconfortant pour les travailleurs face à une augmentation écrasante des cotisations de retraite et des coûts des soins de santé. Selon une estimation, le projet équivaut à une réduction de 10% pour la moyenne des enseignants de la ville de Madison.
Etant donné que la négociation des contrats dure en moyenne 15 mois, le gouverneur a refusé de rencontrer les syndicats, a appelé à des mesures drastiques, menaçant de licenciement 1.500 travailleurs de l'Etat, si son plan n'est pas accepté. Il semble bien rester fidèle à sa réputation de partenaire agressif. Mais est-ce juste un autre cas où un Républicain tente de se placer à l'aile droite de son parti en démantelant les syndicats? Walker lui-même est très clair: «Pour nous, c'est simple. Nous sommes fauchés. Il ne s'agit pas des syndicats. Il s'agit d'équilibrer le budget. »(NY Times) Du côté syndical, David Ahrens, du UW-Madison's Carbone Cancer Center, conteste le caractère d'urgence de la situation en disant:« Ce serait plus crédible si, pour commencer, il avait seulement pris la peine de rencontrer les syndicats. »(Wisconsin State Journal)
Le président Obama a également mis son poids en faveur des syndicats avec le remboursement des 200 millions de dollars qu'ils avaient dépensés pour sa campagne électorale en Novembre et en appelant les propositions de M. Walker « une attaque contre les syndicats. » Toutefois, le Président de la Chambre, le Républicain John Boehner, de l'Ohio, a félicité M. . Walker pour « s'être attaqué aux problèmes qui se posent, qui ont été négligés pendant des années au détriment de l'emploi et de la croissance économique. » Comme on pouvait s'y attendre, la gauche est venue défendre les syndicats, comme étant la meilleure protection des travailleurs dans les moments difficiles, alors que la droite les décrit comme des anachronismes historiques qui entravent la croissance économique et tuent les emplois. Qu'est-ce que les travailleurs ont à faire de tout cela?
Il est important de comprendre le rôle clé que jouent les syndicats dans le cadre de l'appareil d'Etat. Ils sont les «pompiers sociaux", agissant comme une soupape de sécurité aux niveaux économique et politique. Ce genre de conventions collectives, d'accords sur les négociations, qui sont aujourd'hui attaqués ont été introduits par des gens comme le Président Kennedy qui ont vu leurs intérêts en termes de contrôle social offert par les syndicats, en particulier lorsque les types de 'victoires' que les syndicats ont remportées incluaient des clauses de non-grève! A la fin des années 60 et au début des années 70, ces 'concessions' étaient certainement plus abordables en termes économiques qu'elles ne le sont aujourd'hui. Quarante années de crise économique ont conduit à une grande érosion du salaire social dont bénéficiaient les 'baby-boomers' d'après-guerre. Mais, même si les syndicats sont coûteux en termes économiques, ils sont également des outils efficaces pour imposer l'austérité à la classe ouvrière. Par exemple, dans le Wisconsin les syndicats « avaient déjà négocié un accord avec l'administration précédente de 100 millions de dollars de coupes dans les prestations avec une réduction de salaire de 3% pure et simple. » On a le sentiment que la colère des syndicats à l'égard du projet du gouverneur n'est pas tant causée par les réductions pour les travailleurs qu'ils sont censés représenter, mais par la perspective de ne plus être considérés comme des partenaires de l'Etat dans la gestion de l'économie. En fait, Marty Beil, le chef du Syndicat des employés du secteur public du Wisconsin, a soutenu que le syndicat était parfaitement disposé à aller de concert avec certaines coupes, mais qu'il ne pouvait pas supporter l'insolence du gouverneur: «Nous sommes prêts à mettre en oeuvre les concessions financières proposées pour aider à équilibrer le budget de notre Etat, mais nous ne nous laisserons pas priver de notre droit, donné par Dieu, d'adhérer à un véritable syndicat ... nous ne laisserons pas, je le répète, nous ne laisserons pas nier nos droits à la négociation collective »Dans une conférence téléphonique avec les médias, elle poursuit: « Ce n'est pas une question d'argent (...) Nous comprenons la nécessité des sacrifices ». (Milwaukee Journal Sentinel)
Tous les discours sur le démantèlement des syndicats est au fond une tentative pour faire dérailler le mécontentement manifesté par les travailleurs contre les attaques sur leurs conditions de vie dans l'impasse de la défense des syndicats eux-mêmes et de la démocratie qu'ils sont censés incarner et on se trouve ainsi loin de la grève efficace pour défendre les conditions de vie et de travail. Déjà, dans le mouvement du Wisconsin, les syndicats ont été très efficaces en le désignant par l'expression 'défense de la démocratie' (d'où le lien avec l'Egypte), même si ce sont leurs alliés, les sénateurs Démocrates qui semblent, pour l'instant , avoir entravé le fonctionnement de l'appareil au gouverneur démocratique bourgeoise en s'enfuyant de l'Etat. Déjà, des militants du Tea Party ont organisé des contre-manifestations en soutien au gouverneur 'démocratiquement élu' et pour protéger 'la majorité des Wisconsinites' qui ont voté pour ses actions sévères contre les syndicats. Si votre objectif principal est de défendre la 'démocratie', il n'est pas évident de savoir quel camp vous allez soutenir!
En un sens, la chasse aux sénateurs disparus, par la police d'Etat est emblématique de la chasse plus importante que fait la bourgeoisie américaine pour trouver une solution à la crise économique. Comme cette solution s'avère plus improbable que jamais, la bourgeoisie à tous les niveaux, fédéral, étatique et local, devra avoir recours à de nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Les fonctionnaires employés-civils, pompiers, travailleurs de la voirie et surtout les enseignants, seront sur la ligne de front de cette agression. Ce n'est pas un accident, ni tout simplement un penchant idéologique de la droite, si le Tea Party et les Républicains ont mis les employés du secteur public dans leur ligne de mire. C'est le projet de loi contre leurs salaires et leurs allocations qui aura l'impact le plus immédiat sur la solvabilité financière de l'Etat.
En outre, les attaques contre les employés du secteur public n'ont pas été limitées aux Etats régis par des Républicains. A New York, le gouverneur démocrate Cuomo a proféré une menace de près de 10.000 licenciements si les négociations avec les syndicats stagnent, alors que le démocrate Jerry Brown en Californie, a parlé de la nécessité de coupes douloureuses pour résoudre ces perpétuels problèmes budgétaires. Au niveau fédéral, le président Obama lui-même a gelé les salaires des fonctionnaires fédéraux et sa commission budgétaire a menacé de licencier 10 pour cent de l'effectif fédéral! Néanmoins, le zèle avec lequel des Tea Party Républicains comme Walker ont effectué leur croisade contre les fondements même des syndicats (par opposition aux travailleurs qu'ils sont censés représenter) peut avoir l'effet inverse si elle est menée à son terme. La bourgeoisie va avoir inévitablement besoin de faire appel aux syndicats si la lutte de classes continue à s'embraser. La tentative d'un gouverneur Républicain néophyte de faire disparaître les syndicats de son Etat est encore un autre exemple des difficultés de la bourgeoisie nationale US pour contrôler son appareil politique, en tant que conséquence de la décomposition sociale qui s'aggrave chaque jour, dans ce système.
Internationalism
Début mars, la bourgeoisie française nous propose un remake de sa grande peur de la “peste brune”. Des sondages mettant en scène des deuxièmes tours des présidentielles de 2012 avec Marine Le Pen face à différents candidats potentiels, de gauche comme de droite, placent la candidate du FN en tête dans la grande majorité des cas. Cette fois, ce n’est plus le 21 avril (1), c’est encore pire : une catastrophe, la fin de la démocratie, la dictature, le fascisme, les pogroms, les ratonnades et bien d’autres horreurs, qui attendent les français s’ils ne se ressaisissent pas !
Coup monté de l’UMP ? Vrai sondage ? Les deux ? Finalement, cela ne change pas grand chose à la situation. On sait que l’extrême-droite reçoit un écho grandissant dans l’opinion, le reste n’est qu’affaire de stratégie et d’exploitation médiatique pour les intérêts des uns et des autres. Cela dit, cela pose à nouveau la question : Marine Le Pen va-t-elle accéder au pouvoir ? Beaucoup d’observateurs bourgeois ne cèdent pas à la panique et estiment que ce qui s’est passé en 2002 (2) se passera encore en 2012 s’il le faut. Même si ceux qui sont allés voter Chirac une pince à linge sur le nez à l’époque, auraient encore plus de mal à déposer un bulletin “Sarkozy” dans l’urne, la défense de la démocratie saurait sans aucun doute leur dicter ce sacrifice ultime de ce qu’il leur reste d’amour propre.
Pour autant, la bourgeoisie ne se veut pas rassurante : même si le FN n’accédera vraisemblablement pas au pouvoir, ses idées, elles, pourront sans problème franchir les portes de l’Elysée. Car face à cette menace, ce sont les partis “de gouvernement”, ceux qui ont vocation à exercer le pouvoir, qui réagissent en adoptant les idées populistes de l’extrême-droite. Pour en rajouter et enfoncer le clou, on rappelle la sortie de Brice Hortefeux sur les maghrébins (ou les auvergnats, selon les versions !) et on rediffuse à en vomir les propos de son successeur, Claude Guéant, estimant légitime de ne plus se sentir “chez soi” face à tous ces “étrangers”.
C’est donc entendu : le barrage démocratique bloquera Marine Le Pen, mais pas ses idées ! Pendant que l’on ferme la porte, les idées fascistes pénètrent la République par la fenêtre !
Sommes-nous donc à la veille d’un régime fasciste ? Après tout, la question peut être posée : cela fait au moins dix ans que le danger guette. Il y a évidemment l’épisode de 2002 en France, mais pas seulement.
En Italie, le gouvernement Berlusconi bénéficie de l’alliance et du soutien des deux formations d’extrême-droite qui ont déjà été ses partenaires gouvernementaux entre 1995 et 1997 : la Ligue lombarde d’Umberto Bossi et l’Alliance Nationale (ex-MSI) de Gianfranco Fini. En Autriche, l’accession de Jörg Haider au pouvoir en 1999 (en coalition avec le parti conservateur) avait fait naître une véritable angoisse en Europe. De même pour l’éclosion ultra-rapide du parti de Pym Fortuyn aux Pays-Bas qui fit son entrée au parlement en 2002.
Depuis que la question est posée, nous apportons toujours la même réponse : non, mille fois non, le danger fasciste n’existe pas aujourd’hui en Europe. Nous sommes certes face à une crise économique mondiale effroyable et à une montée du populisme qui ne sont pas sans rappeler celles des années 1930, qui ont donné naissance au fascisme et au nazisme. Mais la comparaison s’arrête là car il y a plus de différences que de points communs entre la période d’aujourd’hui et celle des années 1930. Il s’agit même de situations radicalement opposées.
Dans les années 1920 et 1930, l’accession au pouvoir des régimes fascistes a été favorisée et soutenue par de larges fractions nationales de la classe dominante, en particulier par les grands groupes industriels. En Allemagne, de Krupp à Siemens en passant par Thyssen, Messerschmitt, IG Farben, regroupés en cartels (Konzerns) qui fusionnent capital financier et industriel, celles-ci contrôlent les secteurs clés de l’économie de guerre, développée par les nazis : le charbon, la sidérurgie, la métallurgie.
En Italie, les fascistes sont également subventionnés par les grands patrons italiens de l’industrie d’armement et de fournitures de guerre (Fiat, Ansaldo, Edison) puis par l’ensemble des milieux industriels et financiers centralisés au sein de la Confinindustria ou de l’Association bancaire. Face à la crise, l’émergence des régimes fascistes a correspondu aux besoins du capitalisme, en particulier dans les pays vaincus et lésés par l’issue du premier conflit mondial, contraints pour survivre de se lancer dans la préparation d’une nouvelle guerre mondiale pour redistribuer les parts du gâteau impérialiste.
Pour cela, il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l’Etat, accélérer la mise en place de l’économie de guerre, de la militarisation du travail et faire taire toutes les dissensions internes à la bourgeoisie. Les régimes fascistes ont été directement la réponse à cette exigence du capital national. Ils n’ont été, au même titre que le stalinisme, qu’une des expressions les plus brutales de la tendance générale vers le capitalisme d’Etat. Loin d’être la manifestation d’une petite bourgeoisie dépossédée et aigrie par la crise, même si cette dernière lui a largement servi de masse de manoeuvre, le fascisme était une expression des besoins de la bourgeoisie dans certains pays et à un moment historique déterminé.
Aujourd’hui, au contraire, les “programmes économiques” des partis populistes sont soit inexistants, soit inapplicables, du point de vue des intérêts de la bourgeoisie. Ils ne sont ni sérieux, ni crédibles. Leur mise en œuvre impliquerait une totale incapacité à soutenir la concurrence économique sur le marché mondial face aux autres capitaux nationaux. La mise en application des programmes des partis d’extrême-droite signifierait une catastrophe économique assurée pour la bourgeoisie nationale. De telles propositions rétrogrades et fantaisistes ne peuvent qu’être rejetées avec mépris par tous les secteurs responsables de l’économie nationale.
L’autre condition majeure et indispensable pour l’instauration du fascisme, c’est la défaite physique et politique préalable du prolétariat. Au même titre que le stalinisme, le fascisme est une expression de la contre-révolution dans des conditions historiques déterminées. Il a été permis par l’écrasement et la répression directe de la vague révolutionnaire de 1917-1923. C’est l’écrasement sanglant en 1919 et 1923 de la révolution allemande, c’est l’assassinat des révolutionnaires comme Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, par la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie, la social-démocratie, qui a permis l’avènement du nazisme. C’est la répression de la classe ouvrière après l’échec du mouvement des occupations d’usines à l’automne 1920 par les forces démocratiques du gouvernement Nitti qui a ouvert la voie au fascisme italien. Jamais la bourgeoisie n’a pu imposer le fascisme avant que les forces “démocratiques”, et surtout celles de gauche, ne se soient chargées de défaire le prolétariat, là où ce dernier avait constitué la menace la plus forte et la plus directe contre le système capitaliste.
C’est précisément cette défaite de la classe ouvrière qui avait ouvert un cours vers la guerre mondiale. Le fascisme a été avant tout une forme d’embrigadement de la classe ouvrière dans la guerre pour un des deux blocs impérialistes, au même titre que l’antifascisme dans les pays dits “démocratiques” dans l’autre camp (voir notre brochure Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital).
Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La classe ouvrière reste dans une dynamique d’affrontements de classe ouverte depuis la fin des années 1960. Elle n’est pas dans un cours contre-révolutionnaire. L’accroissement des combats de classe, l’émergence d’une réflexion profonde sur les raisons de la crise et la meilleure façon de résister, le développement de la solidarité dans la lutte, sont autant de preuves que la bourgeoisie n’est pas parvenue à embrigader massivement le prolétariat des pays centraux du capitalisme derrière la défense du capital national vers la guerre ni à l’entraîner dans un soutien aveugle aux incessantes croisades impérialistes.
Un dérapage incontrôlé est-il cependant possible ? Peut-on penser que la bourgeoisie garde la maîtrise de son processus électoral quand on voit, notamment en France, tout ce qu’elle a été incapable d’empêcher (3) ?
Il est certain que la bourgeoisie française n’est pas la championne du monde, dans beaucoup de domaines. Cependant, la victoire d’un parti d’extrême-droite est tellement contraire à tous les intérêts, du plus particulier au plus général, de la bourgeoisie, qu’elle ne peut être envisagée. Ainsi, pour accéder au pouvoir, les partis “populistes” actuels doivent renier leur programme, abandonner une partie de leurs oripeaux idéologiques et se reconvertir en aile droite libérale et pro-européenne. Par exemple, le MSI de Fini en Italie en 1995 a rompu avec l’idéologie fasciste pour adopter un credo libéral et pro-européen. De même, le FPÖ d’Haider en Autriche a dû s’aligner sur un “programme responsable et modéré” pour pouvoir exercer des responsabilités gouvernementales. Et de fait, la “vague brune” qu’il symbolisait n’a pas envahi l’Europe. Elle n’a même pas envahi l’Autriche !
Par ailleurs, l’expérience du 21 avril 2002 montre la capacité de la bourgeoisie à “mettre le paquet” quand elle s’embourbe dans ses difficultés, pour retourner celles-ci à son avantage contre la classe ouvrière. Rarement un deuxième tour aura connu un tel engouement, une telle mobilisation ! Jamais il n’aura été aussi difficile de dire “je n’irai pas voter dimanche” !
Et justement, le principal danger qui menace aujourd’hui la classe ouvrière n’est pas le fascisme, mais la pression démocratique, le chantage, la culpabilisation qui est exercée sur le prolétariat alors même qu’il se pose de plus en plus de questions sur les raisons de la situation dramatique dans laquelle il se débat chaque jour.
Bien sûr, Marine Le Pen récolte des soutiens et des adhésions en surfant sur le populisme et ses grands classiques que sont la xénophobie et le “tous pourris”. Mais ce n’est pas la seule ! Dans sa région de prédilection, l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais, abandonné dans une misère indicible, elle n’a pas eu de mal à entrer dans un conseil municipal (4), face à un maire PS pourri jusqu’à l’os, architecte d’un grand réseau d’influence et de corruption (5). Elle n’avait pas besoin de beaucoup d’imagination pour dénoncer la misère, dans une zone particulièrement sinistrée, où des familles s’entassent parfois dans des corons sans eau ni électricité, où le sol est même encore en terre battue. Elle pouvait aussi sans difficulté dénoncer le pouvoir de l’argent et des riches qui emploient “des étrangers au lieu de faire travailler les français”. Ce discours-là n’est pas nouveau autour des carreaux en friche. Le PCF en use depuis longtemps, et reste toujours bien implanté grâce à l’entretien minutieux de ce verbiage stalinien qui n’a pas varié d’une once depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale (et son célèbre “Produisons français, consommons français”!). Là-bas, entre un meeting du FN et un autre du PCF, il faut être bien attentif pour déceler la différence !
Et pourtant, le PCF reste un parti “respectable”, à l’inverse du FN, qu’il faut abattre. Tout cela démontre le caractère essentiellement idéologique des campagnes contre l’extrême-droite. Le populisme touche toutes les composantes politiques de la bourgeoisie et il n’est pas surprenant que les fractions les plus minoritaires en fassent l’axe central de leur discours. Mais au final, pas une tête bourgeoise ne manque quand il faut lancer l’appel aux urnes, à la “conscience citoyenne”, à la “responsabilité” et au “devoir” de l’électeur. Par là, la classe dominante démontre que, quelle que soit sa crainte de ne pas pouvoir contenir la montée du FN, cette peur ne sera jamais aussi importante que celle de voir son ennemi historique, la classe ouvrière, démonter ses mensonges un à un et prendre toujours plus conscience de la responsabilité de toute la bourgeoisie dans la situation catastrophique où est plongée l’humanité.
GD (21 mars)
1) Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen, candidat d’extrême-droite, obtient le deuxième score au premier tour des présidentielles, devancé par Jacques Chirac (RPR, droite) mais devant Lionel Jospin (PS, gauche). Depuis, cette date symbolise pour beaucoup en France le danger fasciste devenu réalité.
2) Entre les deux tours, des manifestations sont organisées partout en France : le 1er mai, près de 2 millions de personnes défilent dans les rues d’une centaine de villes. Le 5 mai, lors du deuxième tour, le taux de participation approche les 80 % et Jacques Chirac est élu avec plus de 82 % des voix.
3) Déjà en 1981, nous avions analysé l’élection de Mitterrand comme un résultat non souhaité pour la bourgeoisie qui, face à la crise et aux attaques que le gouvernement devait porter à la classe ouvrière, avait tout intérêt à garder son appareil de gauche dans l’opposition. Depuis, trois cohabitations ont notamment montré les difficultés de la bourgeoisie française dans l’exercice électoral, en comparaison par exemple avec la maîtrise longtemps infaillible de la bourgeoisie anglaise.
4) Marine le Pen a été élue au conseil municipal d’Hénin-Beaumont en 2008 puis en 2009 après la révocation du maire. Sous le coup d’un cumul de mandat, elle en a démissionné en février 2011. Hénin-Beaumont est une commune de l’ex-bassin minier, elle compte 25 000 habitants et un taux de chômage officiel de 19,4 %.
5) Gérard Dalongeville est maire (PS) de 2001 à 2009. La ville est placée sous contrôle budgétaire à partir de 2002. En 2009, plusieurs élus sont mis en examen. Gérard Dalongeville est en prison (détention provisoire) de façon quasi-ininterrompue depuis 2009.
Vignette illustrant ce qu'est l'argent selon le manga "Karl Marx - Le Capital", éd Soleil Manga – Demopolis.
De curiosité destinée à la jeunesse des années 1980 fan de « Goldorak » et autres « Dragonball Z », le manga est devenu un véritable phénomène culturel. A tel point que toute une génération et la suivante en ont fait leurs lectures préférées et des signes de ralliement sociaux, au grand dam de nombreux parents et enseignants désespérant de voir cette « génération manga » ouvrir un jour un "vrai" livre sans images ! La simplicité du dessin, celle des textes (réduits le plus souvent à des onomatopées), le tout lu de droite à gauche pour ajouter au charme de l’exotisme, ont fait l’universalité des mangas, dans une période de désocialisation et d’abaissement généralisés de l’alphabétisation, alliée à la perte de goût pour la lecture qui gagne toutes les couches de la société. Yusuke Maruo dirige chez l'éditeur East Press la collection « Tout lire en bande dessinée », spécialisée dans la reprise de grandes oeuvres (Dante, Machiavel, Dostoïevski, Kafka, Bouddha, etc.) comme de textes au lourd passé tel que « Mein Kampf » d'Hitler. Outre la fiction, la violence ou la pornographie auxquelles, hors de l'archipel japonaise, on réduit trop souvent le manga, le genre permet de diffuser une masse d'informations et de connaissances.
Surfant sur l’inquiétude et les réflexions grandissantes générées dans la classe ouvrière, et dans sa jeunesse, par la crise de 2007, cet éditeur a réussi le tour de force de faire un manga de cette œuvre majeure de Karl Marx et de Friedrich Engels qu’est Le Capital . Vingt ans et plus de recherches et d’écriture, quatre livres divisés chacun en plusieurs volumes, plus de 3000 pages, se trouvent condensés en deux volumes de dessins faisant 190 pages.
Ce n’est pas un hasard si cette publication apparaît au Japon d’abord. D’abord car c’est la terre natale du manga. Mais aussi parce que le Parti communiste japonais a dépassé les 400 000 adhérents en 2008 et qu'il en gagne 1000 par mois depuis, avec un élan de syndicalisation grandissant chez les jeunes Japonais. La formule a largement fait florès au Japon, où ce manga s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires depuis sa parution.
Un tel engouement pour ces « vieux » Marx et Engels, voués régulièrement aux gémonies, régulièrement dénoncés comme les annonciateurs du futur stalinisme par nombre de philosophes et autres « théoriciens » socio-politiques, n’est pas anodin. Il est d’abord directement issu de la crise des subprimes de 2007 et de l’incapacité de la bourgeoisie et de ses économistes à donner une explication satisfaisante de cet évènement qui a jeté des dizaines de millions de personnes à la rue et dans la misère, partout dans le monde. On nous a répété qu’au fond, c’était la faute à « pas de chance », mais que la production allait repartir. Ce qui n’est pas le cas. Aussi, il existe une quête profonde dans l’ensemble de la classe ouvrière mondiale et dans sa jeune génération à essayer de comprendre et à se donner des perspectives en-dehors de ce système d’exploitation qui montre chaque jour son incapacité à satisfaire les besoins humains les plus élémentaires. Ce manga sur Le Capital s’efforce de répondre à ce besoin. Un éditeur français, « Soleil Manga », s’en est même emparé avec l’édition de 50 000 exemplaires, ce qui pourrait paraître d’autant plus étonnant que le fondateur de cette édition est aussi propriétaire du Racing Club de Toulon, milieu du sport qui ne milite pas en général pour l’émancipation politique des masses. C’est parce que l’intérêt pour Marx et le marxisme n’est pas question d’élévation de la conscience collective pour un patron quel qu’il soit, eut-il l’âme « socialiste », mais parce que c’est un marché. Comme l’était dans les années 1960 et 1970 le marché des œuvres de Mao, de Staline, mais aussi de Marx et d’Engels, pour nombre d’éditeurs maoïstes comme les éditions Maspéro1 ou de libraires trotskistes comme la Fnac2.
Pour ce qui est du manga, le résultat est assez étonnant. Contre toutes les méchantes attentes des vieilles barbes prévoyant une vulgarisation pitoyable et fausse du Capital, le résultat, malgré quelques notes surprenantes comme Marx présenté sous la forme d’une sorte d’archange venu prêcher depuis le ciel, ou encore Engels appelant Marx « Monsieur », est assez étonnant de justesse.3
Dans le Tome 1, le lecteur suit l’aventure de Robin, jeune fromager fils d’artisan, qui quitte l’entreprise familiale pour fonder une usine de fromage grâce aux subsides d’un jeune loup financier plein aux as qui lui prête l’argent nécessaire à la fondation de son entreprise. En pleine révolution industrielle, ce qui n’est pas dit dans le manga car il s’agit du 19e siècle, le jeune fromager passe donc d’une fabrique artisanale et familiale à une petite usine aux grandes ambitions. Robin découvre les responsabilités et les tracas d'un jeune patron, la nécessité de composer entre la qualité du produit, les délais de fabrication, la masse salariale. Il doit faire face à son investisseur qui le pousse à toujours plus exploiter ses ouvriers, afin de produire toujours plus et à moindre coût, donc à augmenter les cadences et travailler plus longtemps. Se greffe sur cette trame le « surveillant » (traduire « contremaître ») de l’usine, brute débile qui matraque les ouvriers et que Robin tente de calmer dans un premier temps avant de se résigner à le laisser cogner car c’est de ce garde-chiourme que dépend la productivité. Harangués par l’un d’entre eux qui prend conscience que les patrons tirent leur profit de la partie de leurs salaires non payée, les ouvriers esquissent une vague révolte (durant trois/quatre pages) qui est matée par la police et tout rentre vite fait dans le rang. Ce que l'on en retient, en laissant de côté l’aspect plutôt moralisateur et manichéen de l’ouvrage, c’est que le capitalisme est en effet inhumain car il réduit des individus de façon massive à la misère et qu’il exploite leur force de travail comme aucun système ne l'avait jamais fait auparavant.
L’exemple mis en exergue d’un petit patron comme Robin montre aussi que ce n’est pas parce qu’il est un salaud (il veut seulement devenir riche) qu’il est un exploiteur mais parce que c’est la logique du système capitaliste. Et s’il ne suit pas cette loi, il se fait écraser par la concurrence et n’a plus pour perspective que de mettre la clé sous la porte avec les dettes à payer pour sa faillite. En revanche, les "salauds" sont les investisseurs et, on le verra dans le 2e tome, le banquier. Mais ça, c’est pour la galerie « actuelle ».
Le Tome 2, plus théorique, voit Friedrich Engels s’adresser directement au lecteur dans une sorte de cours magistral illustré. Au moyen d’exemples vivants, y sont expliquées la « valeur d’usage », la « valeur d’échange », la « valeur étalon » (l’argent) et la « plus-value » qui « s’obtient grâce au travail du prolétariat », puis la surproduction et enfin les crises capitalistes. Il s’agit là d’une vulgarisation du langage économique qui est expliquée de manière assez claire et simple mais sans être trop réductrice, avec pour support pédagogique des situations compréhensibles et qui ne sont pas falsificatrices de la pensée marxiste.
Dans cette deuxième partie est assez bien vu et résumé le processus qui mène à la crise. La compétition entre patrons entraîne l’achat de matériels comme des machines plus modernes qui coûtent plus cher et contraignent à exiger plus de productivité de la part des ouvriers et une baisse de leurs salaires en termes réels. D’autre part, la compétition entre capitalistes pousse à la surproduction et à la saturation des marchés. Le tout provoque la crise économique avec la fermeture des usines et le licenciement des ouvriers et la mise au tapis d’un certain nombre de capitalistes. C’est cette logique implacable selon laquelle le capitalisme ne peut mener qu’à la crise qui est clairement affirmée : « Le but du jeu pour les capitalistes est d’arriver à profiter au maximum des travailleurs pour générer le plus de profits possible ! Et pour réussir à dépasser la concurrence, ils produisent toujours plus de nouvelles machines (…) Mais c’est à cet instant précis que le capitalisme montre son visage contradictoire [car] les machines représentent un capital constant qui n’engendre pas de valeur ajoutée » et donc fait baisser « le taux de profit [et la] rentabilité », alimentant d’autant plus la concurrence et la compétition sur toute la planète et avec elles les crises.
Ce 2e tome s’achève sur un appel de Marx, qui monte au ciel en compagnie d’Engels avec une auréole sur la tête (!!!) : « l’ombre néfaste du capitalisme recouvre la planète entière. Cette ombre provoque des effets dévastateurs (…) Pour les capitalistes, tout se vend, tout s’achète, tout est bon pour faire du profit. (…) Laissez donc parler ceux qui ne voient pas la réalité en face ! Mais vous, prenez le chemin de la justice ! Remettez en cause le capitalisme ! »
Ce ne sont donc pas quelques exploiteurs avides qui sont désignés, mais le système lui-même dans son entièreté qui mène à la catastrophe permanente.
Cependant, manque à cet appel la réelle perspective révolutionnaire qui ne peut réellement prendre corps qu’avec la conscience que les crises finissent par mener à la faillite générale du système capitaliste et avec la conscience de l’alternative marxiste « Socialisme ou barbarie ». Cette dernière est non seulement absente mais le manga, par la bouche de Marx, présente les crises comme une cure de jouvence dure mais utile : « Il est indéniable que dans les sociétés capitalistes… les paniques et les crises économiques sont monnaie courante… mais n’allez pas blâmer les crises ! En effet, ce sont elles qui vont rétablir l’équilibre entre l’offre et la véritable demande. Mais après quels dégâts ? » Au bout du compte, le capitalisme auto-régule en quelque sorte ses crises et de façon infinie. Ceci a une implication fondamentale : que la révolte contre ce système ne peut pas être une révolution mais jamais qu’une réaction contre l’injustice, contre l’exploitation, etc., une sorte de volonté morale « d’assainissement » ou de « réforme » sans réelle perspective de dépassement et d'abolition du capitalisme. Or, depuis bientôt un siècle, ce système est en décadence et montre tous les jours des expressions de sa faillite généralisée, à travers les crises, mais aussi à travers les catastrophes en série et tous les aspects de la vie quotidienne qui vont en s’aggravant de façon accélérée, même dans les pays « riches ».4
On pourrait difficilement reprocher ce manque à cette édition, qui a fait par ailleurs un énorme travail. En revanche, et pour la bonne bouche, il y a la préface de l’édition française, signée… Olivier Besancenot. Cool, tutoyant d’emblée le lecteur, dans l’ensemble de bonne facture, de toute évidence au fait du Capital, on peut même y lire : « Ainsi, le système capitaliste produit plus, sans plus parvenir à vendre sa production. C’est la marque des crises de surproduction, telles que nous les connaissons aujourd’hui. » Quelle lucidité ! Besancenot se revendique même de Marx : « Marx est le fondateur de la première association internationale des travailleurs dont le but était de renverser le capitalisme et d’établir le socialisme. » Et c’est là que le bât blesse. Car le NPA, dont le leader se revendique de la nécessité de la révolution sur la base d’une compréhension marxiste des lois du capitalisme « dont les crises à répétition désagrègent toujours la société plus de 140 ans après sa parution (du Capital) », et en accord avec ce manga qu’il ne s’agit pas de « méchanceté » ou de « cupidité » en soi des patrons, ne cesse de rabâcher qu’il faut « réformer » ce système ; qu’il faut un « capitalisme à visage humain », « plus juste », qu’il faut pour cela « nationaliser », rendre l'Etat plus social… Bref, c’est ce qui s’appelle avoir deux discours, celui du racoleur de foire qui dit qu’il vous en vend deux pour le prix d’un et vous en prend en définitive le double : à l’instar du capitaliste qui prétend payer le salaire à juste valeur et qui en tire en catimini la plus-value nécessaire à sa survie.
Mulan (24 février)
1Où le cassage de gueule était la coutume pour ceux qui volaient un « Petit Livre Rouge » dans les rayons… pour le « respect » de la pensée de Mao.
2 Ce sont les nervis trotskistes qui faisaient là leur office de tabasseurs de voleurs de livres. Vous savez, la Fnac « Agitateur de curiosités »...
3 Il a d’ailleurs la qualité de pouvoir être lu de gauche à droite, contrairement à la « coutume », ce qui n’est pas négligeable pour toucher un plus large public, et rassembler éventuellement les différentes générations.
4 C’est d’ailleurs une des faiblesses de ce manga de faire apparaître en message plus que subliminal la distinction entre pays pauvres exploités et pays peuplés de « nantis ».
Après les tueries à « petit feu » qui ont commencé dès le lendemain de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, place maintenant aux massacres de masse et à ciel ouvert. Selon diverses sources (tel le porte- parole d’Ouattara sur RFI), on compte déjà plus de mille morts, des dizaines de milliers de blessés et des centaines de milliers de réfugiés, dont 300 000 qui ont fui les quartiers d’Abidjan. Les combats se déroulent dans la plupart des quartiers de cette ville, notamment Abobo. La population y est prise en tenaille par le feu des assassins des deux camps qui n’hésitent pas à marcher sur les cadavres de leurs victimes, notamment femmes et enfants. Bref, ce ne sont plus seulement des assassinats ciblés et des assauts ponctuels des escadrons de la mort, ce sont aussi les chars, les hélicoptères et autres armes lourdes qui entrent désormais dans cette danse macabre. D’ores et déjà, la guerre va d’Abidjan à Yamoussoukro (capitale politique) et s’étend jusqu’aux frontières libériennes où ces chiens assoiffés de sang règlent leurs comptes. On sait par ailleurs que ceux qui échappent à la mort se heurtent inévitablement à la misère due à l’état de guerre avec son lot de disette, de chômage de masse et d’insécurité permanente.
« Ici, une femme, « une ménagère, une maman », comme la Côte d’Ivoire appelle ses mères de famille avec respect et tendresse, a eu la tête emportée par le tir d’un soldat sur la chaussée d’Abobo, le quartier insurgé d’Abidjan. Autour, peut-être six, sept ou huit autres femmes ont été fauchées par les rafales tirées depuis un blindé des forces de défense (FDS) loyales à Laurent Gbagbo qui venait, selon la foule, d’un camp voisin de la Garde républicaine, appuyé par des hommes de la Brigade anti-émeute (BAE). Des colonnes infernales traversent les zones désormais hostiles, suivies d’ambulances ou de corbillards pour faire disparaître les corps.(…) Jeudi 3 mars, la marche des femmes qui pensaient pouvoir manifester pacifiquement à l’égyptienne ou à la tunisienne avec des pancartes « Gbagbo dégage ! » ne s’est pas soldée par le début de la « révolution » à laquelle a appelé Guillaume Soro, ex-chef de la rébellion devenu le premier ministre d’Alassane Ouattara, président reconnu par la communauté internationale. Les FDS ont tiré sur les femmes, y compris à la mitrailleuse lourde, avec des balles capables d’arracher têtes et membres. Sept morts (Le Monde, 10 mars 2011) ».
Et le carnage s’est reproduit le 8 mars (au cours d'une autre marche à l'occasion de la « journée internationale de la femme »). Au bout du compte, on voit ici l’extrême barbarie dans laquelle excellent les forces loyales au criminel Gbagbo, mais il ne faudrait pas ignorer pour autant la responsabilité non moins criminelle du camp Ouattara qui a sciemment envoyé ces femmes se faire massacrer sans aucune protection. C’est bien Soro, le bras droit d’Ouattara, qui a profité des circonstances, des révoltes dans le monde arabe, pour pousser les femmes vers cet abattoir sous prétexte de déclencher la « révolution » contre le pouvoir de Gbagbo. Ce procédé proprement monstrueux consiste à manipuler les civils et les femmes dans le seul but de satisfaire leurs ambitions criminelles. Mais les deux camps charognards ne s’arrêtent pas là, ils enrôlent les populations dans l’horreur absolue :
« L’impensable se produit : chacun son camp, malheur aux neutres. Il y a de plus en plus de civils en armes. De plus en plus de situations où des innocents se font tuer, brûler vifs, blesser, martyriser, dans les deux camps. La Côte d’Ivoire court à sa perte et ce n’est pas la réunion organisée par l’Union africaine, jeudi, à Addis-Abeba, pour communiquer ses solution « contraignantes » aux deux rivaux de la présidentielle de novembre 2010, qui suscite de grands espoirs … Parallèlement, la gamme des violences se diversifie. Trois mosquées ont été brûlées les jours derniers. Des groupes de miliciens ont aussi saccagé les résidences à Abidjan de responsables de RHDP d’Alassane Ouattara, qui vivent reclus à l’Hôtel du Golf, ou qui sont sortis discrètement du pays. Dix-huit maisons sont pillées sur fond de peur grandissante de voir une prochaine vague d’exactions toucher ceux que leurs voisins suspectent d’être pro-Ouattara. Inversement, les habitants d’Anokoua, un quartier d’Abobo peuplé par l’ethnie Ebrié, supposée appartenir au camp Gbagbo, a été attaqué l’avant-veille. Trois morts, dont une femme brûlée dans sa maison, de nombreux blessés. Aux miliciens Ebrié, on a distribué des armes. La spirale de violence, si elle n’est pas interrompue, va tout embraser (Le Monde, ibid.) ».
Voilà l’enfer que vivent au quotidien les populations, malheureusement sans espoir d’en sortir pour eux car, au vu de la protection dont bénéficient les tueurs, le plus probable est que le pays entier va finir par s’embraser.
Pour soutenir Alassane Ouattara désigné vainqueur (par eux) à l’issue du deuxième tour de la présidentielle de novembre dernier, les Etats-Unis et l’Union européenne avaient annoncé une série de « sanctions » à caractère économique et diplomatique contre le clan Gbagbo pour contraindre celui-ci à céder le pouvoir à son rival. Mais 3 mois après, Laurent Gbagbo est toujours là et se moque ouvertement des « sanctions » car il sait que ceux qui les ont décidées tiennent par ailleurs un double langage et ne sont unis sur rien, au contraire ils se battent âprement en coulisses pour défendre leurs intérêts respectifs.
Face à la volonté de « bloquer » le cacao ivoirien, Gbagbo réfléchit désormais à une réorganisation de la commercialisation de cette matière première, y compris en remettant en cause la « toute puissance des groupes occidentaux » et en recherchant de nouveaux débouchés. Son entourage plastronne : « Gbagbo a payé les salaires de février, il payera ceux de mars et d’avril. (…) L’étau de réprobation internationale envers son régime demeure, mais Laurent Gbagbo n’a pas renoncé à le desserrer. Il espère profiter des désaccords apparus au sein de la communauté internationale et veut croire que le temps joue pour lui. Les pharmacies commencent à souffrir de pénuries de médicaments, en raison d’un embargo maritime qui ne dit pas son nom. Mais des hommes d’affaires européens continuent à solliciter des audiences, même si Gbagbo ne les reçoit qu’après avoir éconduit les caméras indiscrètes » (Jeune Afrique, 6/12 mars 2011).
Et le cas de la France est particulièrement édifiant en la matière. En effet, il se trouve que d’un côté, Monsieur Sarkozy a annoncé publiquement une série de mesures pour soi-disant sanctionner le gouvernement Gbagbo, y compris à travers la menace d'un boycott économique alors que de l’autre, il s’est bien gardé d’inciter les grandes sociétés françaises sur place (Bouygues, Bolloré, Total, etc.) à quitter le pays. Au contraire, tous ces groupes continuent de « faire affaires » avec le régime Gbagbo en atténuant ou en contournant ainsi les dites « sanctions économiques ». Une fois de plus, on voit là le caractère odieusement hypocrite de la « politique africaine » de la France en Côte d’Ivoire. En réalité, l’impérialisme français se soucie avant tout de ses capitaux et ne s’est jamais préoccupé du sort des populations, premières victimes de cette boucherie, d’ailleurs ses chiens de l’opération militaire « Licorne » sont sur les dents et, comme en 2004, seront lâchés dès que les intérêts français sur place seront menacés. En clair, dans cette affaire de « sanctions », aucun gangster ne veut laisser des « plumes » au profit de ses concurrents.
A chaque grande explosion de violence en Côte d’Ivoire depuis le début du sanglant processus électoral de fin 2010, le Conseil de sécurité de l’ONU se dépêche de se réunir pour prendre des « résolutions », mais jamais dans le sens de faire arrêter les massacres, au contraire car chacun de ses membres soutient plus ou moins ouvertement l’un ou l’autre camp armé en place. Cela montre clairement le comportement sordide de ces messieurs du Conseil de sécurité de l’ONU, d’autant plus cynique que leurs 11 000 soldats de « paix » sur le sol ivoirien ne font rien d’autre que du « recensement » des victimes et pire encore : ils couvrent de fait les groupes armés qui, même entourés des Casques bleus, bombardent et tirent tranquillement sur les populations.
Donc, non seulement les responsables de l’ONU restent scandaleusement indifférents aux souffrances des victimes de la guerre, mais depuis quelque temps ils ont instauré un black-out sur les tueries.
Là encore, soulignons un énième « numéro » du président français qui, à l’adresse du monde entier, avait lancé un ultimatum à Gbagbo lui intimant « l’ordre » de quitter le pouvoir avant fin 2010. Depuis lors ? Rien… Il observe scrupuleusement un silence total sur les horreurs qui se déroulent devant ses services et ses « soldats de paix » sur place.
Quant à l’Union africaine, elle adopte une attitude aussi ignoble que l’ONU. En effet, prise à la gorge par les partisans respectifs des bouchers qui se disputent le pouvoir ivoirien, elle laisse à ses membres le soin de soutenir et d’armer l’une ou l’autre clique sanguinaire en lutte (à l’instar de l’Afrique du Sud et de l’Angola pour Gbagbo, du Burkina Faso et compagnie pour Ouattara). Pour masquer cette réalité, elle fait semblant de « réconcilier » les belligérants en créant commission sur commission, dont la dernière (réunie à Addis-Abeba le 10 mars 2011) n’a rien trouvé de mieux à faire que de nommer un énième « haut représentant chargé de la mise en œuvre de solutions contraignantes en liaison avec un comité de suivi, où siègent des représentants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l‘Ouest et des Nations unes » ».
Derrière ce jargon de diplomates,quel cynisme de tous ces gangsters impérialistes ! Tous ces « réconciliateurs » ne sont rien d’autre que les véritables bourreaux des populations ivoiriennes prises dans un étau.
Amina (17 mars)
Les grèves, les luttes et les manifestations continuent en Afrique du Nord ! Des soulèvements de populations opprimées, d’étudiants, des manifestations ouvrières ont gagné de nombreux autres pays du continent africain, du Proche et du Moyen-Orient. Pourtant, les guerres entre fractions bourgeoises nationalistes et les politiques impérialistes des différents pays impliqués dans toutes ces régions pèsent d’un poids très lourd sur toutes ces luttes. Un danger mortel guette les couches opprimées et la classe ouvrière de tous ces pays. Au piège démocratique et nationaliste fait écho une répression de plus en plus généralisée et féroce, la mitraille pour les uns, les obus et les bombes pour les autres. Mais le besoin de se nourrir, de vivre dignement, d’avoir un avenir pousse malgré tout nos frères de classe à ne pas se résigner. Que peut et que doit faire la classe ouvrière en France, en Allemagne, en Angleterre et dans tous les pays du cœur du capitalisme mondial devant une telle situation ? La lutte des opprimés et des ouvriers dans ces pays est notre lutte ; les armées et les cliques bourgeoises qui les massacrent sont nos ennemis communs.
En Egypte, la rue, la détermination des manifestants, la volonté de la classe ouvrière ont eu raison du gouvernement de Moubarak. La bourgeoisie a cru alors la partie gagnée : la place Tahrir, haut lieu de la lutte, pouvait être à nouveau ouverte à la circulation. La population pouvait retourner “librement” crever de faim dans les taudis des villes égyptiennes. Le gouvernement provisoire, sous l’égide de l’armée et de son conseil suprême, allait reprendre les affaires de l’Etat en main avec promesse d’élections libres et démocratiques à venir. Pourtant le 23 mars dernier, le Premier ministre Essam Charaf, appuyé par l’armée, promulguait une loi criminalisant les grèves et les manifestations. Lourdes amendes et peines de prisons, voilà la réponse de la bourgeoisie égyptienne confrontée à une vague de revendications qui continuent à s’exprimer. Les interventions de la police et de l’armée, aussi bien contre les grévistes qu’à l’intérieur de l’université du Caire, ne pouvaient enrayer le mécontentement. Bien au contraire, cette loi a suscité une vague de protestations et de grèves. Le 12 avril, le quotidien Al-Masry Al-Youm soulignait “la permanence de mouvements de protestations et de grèves dans de nombreuses régions de l’Egypte. Elles portaient sur les salaires, les conditions de travail, les contrats de travail, etc. Ces mouvements touchent des secteurs très diversifiés.” A Alexandrie, par exemple, des enseignants demandent la suppression de leur statut de temporaires, réclament des contrats à durée indéterminée. Au Caire, se sont des salariés des services de l’administration fiscale qui exigent une hausse de salaire. Certes, en Egypte, il n’y a plus pour le moment de manifestations massives, mais la colère ouvrière et sa combativité restent bien présentes. Les revendications avancées par les travailleurs en Egypte au cours des derniers mois expriment parfaitement à la fois leur caractère ouvrier et les illusions démocratiques qui pèsent lourdement. Elles ont été affichées sur tous les sites en lutte et reprises dans plus de 500 plates-formes revendicatives. Elles étaient résumées en six points, les voici :
1) Transformer en contrats à durée indéterminée les contrats des travailleurs temporaires qui travaillent depuis plus de trois ans.
2) Limoger les membres des conseils d’administration des institutions et banques mêlés à des actes de corruption impliquant de l’argent public, eux qui profitent encore de leur poste.
3) L’annulation de sanctions arbitraires prononcées par les dirigeants des entreprises contre des cadres et des travailleurs qui ont dénoncé les pratiques de ces dirigeants ; sanctions allant du transfert vers une autre entreprise à des punitions diverses comme à des licenciements.
4) Déterminer un seuil minimum et un plafond pour les salaires et veiller à réduire les disparités entre les revenus ; garantir un niveau de vie digne pour les travailleurs ; assurer une relation entre les salaires et l’évolution des prix des biens et des services, ainsi que celle du montant moyen à payer pour les assurances.
5) Assurer le droit d’organisation syndicale, indépendante de l’Etat.
6) Modifier les textes du Code du travail pour assurer la stabilité des relations de travail et parvenir à la sécurité d’emploi et limiter les pouvoirs de l’employeur dans l’utilisation de licenciements arbitraires.
Tel est le cas également en Algérie. Depuis plusieurs mois, la contestation est permanente. Le 3 avril, le journal Al Watan déclarait : “Les étudiants ne décolèrent toujours pas. Les médecins résidents lancent un défi à Ould Abbès. Les gardes communaux menacent “d’encercler” la Présidence. Les paramédicaux reprennent la grève.” Dans l’enseignement, une grève nationale de trois jours sur la question des retraites était prévue à partir du 25 de ce mois, alors que des employés de l’Education avaient été réprimés deux jours auparavant lors d’une manifestation sur la question des conditions de travail.
En Tunisie, se sont les ouvriers travaillant dans le secteur du pétrole pour la société SNDP qui viennent de rentrer en grève. Ce mouvement touche l’ensemble du personnel des nombreuses sociétés de sous-traitance disséminées dans tout le pays, véritables entreprises de misère. Ils rejoignent ainsi ceux de l’enseignement qui luttent depuis de longues semaines.
Dans des pays comme le Swaziland, le Gabon, le Cameroun, Djibouti et le Burkina Faso, des manifestations estudiantines et ouvrières, influencées par ce qui s’est passé en Egypte et en Tunisie, ont été réprimées dans la plupart des cas. Dans ces pays, la classe ouvrière est peu nombreuse ce qui, malgré la détermination des populations réduites à la misère, ouvre toute grande la porte à la répression de masse.
Au Yémen, alors que le porte-parole de l’opposition avait annoncé, lundi 25 avril, avoir donné son accord au plan de sortie de crise proposé par le Conseil de coopération du Golfe qui prévoyait le départ d’ici quelques semaines du président Saleh, au pouvoir depuis trente deux ans, la réponse de la rue a été claire et sans ambages : “Nous rejetons catégoriquement toute initiative qui ne prévoit pas le départ du président Saleh et sa famille”, a affirmé dimanche dans un communiqué la Coordination des mouvements de jeunes qui encadre le sit-in de la place de l’université de Sanaa. La suite de ce communiqué en dit long sur la détermination des manifestants : “l’opposition ne représente qu’elle même” et invite “à s’abstenir de tout dialogue avec le régime, à demander le départ immédiat de Saleh et son jugement”. Là encore, la réponse fut la même. Lundi, lors de manifestation à Taêz, à Ibb et à Al-Baîdah, l’armée a fait feu sur la manifestation.
Dans le genre chien sanglant, la famille el-Assad en Syrie sait également tenir son rang. Dans ce pays, depuis le 12 mars dernier, une grande partie de la population s’est soulevée. Les raisons sont là encore les mêmes. Misère grandissante et oppression quotidienne sont le lot de toute la population opprimée. Répression, enlèvements et assassinats sont la réponse du sinistre Bachir el-Assad. Selon l’AFP, depuis que le soulèvement a eu lieu, il y aurait eu quelques 390 tués, dont environ 160 depuis la prétendue levée de l’état d’urgence le 21 avril. Lundi dernier, au moins 25 personnes ont été tuées lors du pilonnage de Deraa, où plus de 3000 soldats appuyés par les blindés et des chars étaient arrivés avant l’aube. “La mosquée Abou Bakr Assidiq est la cible de tir intensif, et un sniper est posté sur la mosquée Bilal al-Habachi. Des chars sont postés et des barrières installées aux entrées de la ville” (site Orange du 26 avril 2011). La justification est toujours la même, on croirait entendre un Kadhafi, ou n’importe quel autre dirigeant aux prise avec la révolte et la contestation, qui accuse hypocritement “des gangs criminels armés” d’être à l’origine du mouvement. L’armée serait entrée à Deraa “en réponse aux appels aux secours lancés par les habitants pour mettre fin aux actes de sabotage et d’assassinat commis par des groupes terroristes extrémistes” (idem). Ignobles et pathétiques sont ces justifications de Bachir el-Assad. Comme est ignoble et pathétique l’attitude des grandes puissances. Rome et Paris se disent préoccupés par la situation et appellent le régime à “arrêter la répression violente”, a déclaré le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi à l’issue d’un sommet franco-italien. Quand aux Etats-Unis, ils disent réfléchir à des sanctions ciblées. Le président français Sarkozy, champion toutes catégories du bombardement de la population libyenne, a bien évidemment exclu une intervention militaire en Syrie sans une résolution préalable du Conseil de sécurité de l’ONU. Résolution que tous savent impossible à obtenir, intervention militaire que personne ne veut : la population syrienne peut bien crever, la Syrie n’est pas la Libye ! La Syrie, c’est plus de 21 millions d’habitants, une force armée bien plus conséquente que celle de la Libye ou de l’Irak d’hier et, surtout, c’est une puissance impérialiste qui compte dans la région : elle a des alliés non négligeables dans sa politique anti-américaine, tel l’Iran, et des appuis diplomatiques tels que la Chine ou la Russie. Une intervention militaire en Syrie déstabiliserait tout le monde arabo-musulman, et personne ne sait où cela conduirait. Les impérialismes vont devoir, contrairement à ce qui se passe en Libye, défendre leurs sordides intérêts autrement.
Mais un danger bien réel guette la population insurgée en Syrie. Le gouvernement de Bachir el-Assad s’appuie sur des minorités religieuses dont celle des alaouites, alors que la population est à 70 % sunnite. En l’absence d’une classe ouvrière suffisamment forte et consciente, il peut être facile d’entraîner la population opprimée et affamée derrière une fraction bourgeoise ou une autre. Malheureusement, cette situation peut déboucher sur une véritable guerre civile, à l’image de ce qui se passe à Bahreïn.
Dans cet émirat, depuis maintenant de nombreuses semaines, la population manifeste pour demander la chute du Premier ministre Khalifa ben Salman Al-Khalifa, oncle du roi Hamad ben Issa Al-Khalifa, dynastie sunnite qui règne depuis deux cents ans sur ce royaume dont la population est en majorité chiite. Dans ce pays, réclamer du pain, réclamer le droit à la parole ne peut que se transformer rapidement de la part de la population pauvre en une contestation ouverte de la dynastie sunnite corrompue au pouvoir. A la répression du gouvernement en place s’est alors ajoutée celle de l’entrée en force dans ce petit royaume de l’armée d’Arabie saoudite, venue défendre le pouvoir sunnite. Les chars pouvaient alors occuper les rues de la capitale Manama. Le décor était tristement planté et les tensions impérialistes entre l’Iran et ses voisins du conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Katar et Oman) ne faisaient que se tendre. A partir de la mi-mars, l’Iran n’a cessé de critiquer la répression d’un mouvement de contestation dirigé de fait par des chiites, majoritaires dans le pays. L’hypocrisie totale de la France, de l’Angleterre, des Etats-Unis qui, rappelons-le, bombardent en ce moment même la Libye au nom de l’humanitaire, éclate ici au grand jour. Pas un mot, pas une protestation de la part de ces gangsters impérialistes. Ici les massacres ne leur révulsent pas le cœur. Et pour cause, leur allié objectif se trouve dans ce pays du côté des massacreurs, le gouvernement du Bahreïn et autre Arabie saoudite. L’ennemi commun s’appelle l’Iran. Pour cette population qui se révolte avec courage et détermination, il n’y a pas d’issue favorable dans tout ce bourbier nationaliste et impérialiste.
Dans tous les pays de ce que l’on appelle le monde arabo-musulman les populations se soulèvent, la crise économique fait des ravages ; se nourrir devient une préoccupation quotidienne. Mais tous ces opprimés qui se révoltent ne sont pas tous logés à la même enseigne. Il est bien plus difficile pour les bourgeoisies locales de réprimer massivement dans des pays comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, comme il est plus difficile pour les différentes grandes puissances impérialistes d’y défendre leurs sordides intérêts à coup de canons. La différence tient à l’existence dans ces pays d’une classe ouvrière qui, si elle ne peut pas prendre la tête du mouvement de révolte, n’en pèse pas moins dans la situation sociale.
Mais dans tous ces pays, quel que soit le prix à payer par les populations opprimées, les révoltes et les luttes ouvrières ne sont pas prêtes de cesser.
Voilà donc nos dirigeants démocratiques et grands défenseurs des droits de l’homme confrontés à un nouveau problème humain ! Le développement de la misère, la répression violente et massive dans les pays d’Afrique du Nord ont accéléré brutalement la migration de familles entières démunies de tout et cherchant à survivre dans la fuite vers les pays d’Europe. Il est estimé que dans les prochains mois, la vague d’émigrants devrait compter 300 000 personnes. Depuis quelques semaines ce sont quelques 20 000 Tunisiens qui sont arrivés sur les côtes italiennes, cherchant en partie à rejoindre la France. 8000 d’entre eux seraient passés par la désormais célèbre île de Lampedusa. Le problème, c’est qu’aucun gouvernement d’Europe, aucune bourgeoisie nationale ne veut de ces gens. D’ailleurs, bon nombre d’entres eux crèvent tout simplement en mer, de froid, de faim ou de noyade sans qu’un seul de ces magnifiques bateaux de guerre déployés partout dans le monde par nos grandes puissances ne daignent même faire semblant de les secourir. Mais dans l’horreur et l’inhumanité de la classe bourgeoise, il y a toujours pire à faire et à envisager. La France en tête, la bourgeoisie européenne veut jeter aux oubliettes l’espace sans frontière de Schengen. Cela veut dire concrètement que tous les pays d’Europe veulent se protéger, y compris militairement si nécessaire, contre ce qu’ils appellent l’invasion massive d’étrangers venus d’Afrique du Nord. A l’Italie de se débrouiller toute seule ou plus exactement à prendre la responsabilité de rejeter tous ces pauvres gens à la mer.
Que valent alors tous ces grandiloquents discours bourgeois qui justifient les bombardements en Libye au nom de l’humanitaire, au nom de la défense de la vie humaine ? La réponse est simple : RIEN ! Ce sont des paroles d’hypocrites, de menteurs et de gangsters qui ne font que défendre l’intérêt de leur propre impérialisme national.
Aujourd’hui, la crise ne sévit pas que dans les pays d’Afrique du Nord. En Asie, en Amérique, en Europe, partout, ses effets commencent à se faire sentir. Des luttes impliquant notamment des jeunes générations ouvrières se sont développées dans des pays tels que la Grèce, le Portugal, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne. Dans ces pays, la classe ouvrière s’est mobilisée contre les plans d’austérité que chaque bourgeoisie nationale essaie de leur imposer. Ces réactions sont importantes et nécessaires. Dernièrement, dans bien des manifestations, s’exprimait une sympathie certaine pour les révoltes et les luttes qui se développaient en Egypte, en Tunisie, etc. Dans les pays du cœur du capitalisme, la classe ouvrière commence à ressentir confusément que ces révoltes dans ces pays d’Afrique du Nord relèvent des mêmes raisons qui poussent les ouvriers en Chine, aux Etats-Unis et en Europe dans la rue. Mais cela ne suffit pas. Pour se défendre, pour se protéger et freiner ces attaques du capitalisme, il va falloir des luttes beaucoup plus massives et unies que celles que nous avons connues jusqu’à maintenant. Seules ces luttes impliquant la majorité de la classe ouvrière des pays développés pourra freiner le bras meurtrier de la répression dans les pays d’Afrique du Nord. Plus que jamais, les populations opprimées et les ouvriers de ces pays ont besoin de la solidarité active du prolétariat du cœur du capitalisme. Les ouvriers d’Europe peuvent voir concrètement ce qu’est la démocratie en regardant les bombes de la coalition internationale tomber sur la population libyenne et les mesures d’expulsions de ceux qui fuient les massacres et leurs conditions de vie insoutenables, renvoyés purement et simplement crever dans leurs pays, tandis que la bourgeoisie occidentale les noie sous des discours humanitaires.
Dans l’avenir, quelles que soient les difficultés, la résistance de la classe ouvrière ne peut se faire que de plus en plus massive et, au cœur historique du capitalisme, l’Europe, la confrontation à la démocratie bourgeoise de plus en plus claire et frontale.
Tino (28 avril)
Les grèves, les luttes et les manifestations continuent en Afrique du Nord ! Des soulèvements de populations opprimées, d’étudiants, des manifestations ouvrières ont gagné de nombreux autres pays du continent africain, du Proche et du Moyen-Orient. Pourtant, les guerres entre fractions bourgeoises nationalistes et les politiques impérialistes des différents pays impliqués dans toutes ces régions pèsent d’un poids très lourd sur toutes ces luttes. Un danger mortel guette les couches opprimées et la classe ouvrière de tous ces pays. Au piège démocratique et nationaliste fait écho une répression de plus en plus généralisée et féroce, la mitraille pour les uns, les obus et les bombes pour les autres. Mais le besoin de se nourrir, de vivre dignement, d’avoir un avenir pousse malgré tout nos frères de classe à ne pas se résigner. Que peut et que doit faire la classe ouvrière en France, en Allemagne, en Angleterre et dans tous les pays du cœur du capitalisme mondial devant une telle situation ? La lutte des opprimés et des ouvriers dans ces pays est notre lutte ; les armées et les cliques bourgeoises qui les massacrent sont nos ennemis communs.
En Egypte, la rue, la détermination des manifestants, la volonté de la classe ouvrière ont eu raison du gouvernement de Moubarak. La bourgeoisie a cru alors la partie gagnée : la place Tahrir, haut lieu de la lutte, pouvait être à nouveau ouverte à la circulation. La population pouvait retourner “librement” crever de faim dans les taudis des villes égyptiennes. Le gouvernement provisoire, sous l’égide de l’armée et de son conseil suprême, allait reprendre les affaires de l’Etat en main avec promesse d’élections libres et démocratiques à venir. Pourtant le 23 mars dernier, le Premier ministre Essam Charaf, appuyé par l’armée, promulguait une loi criminalisant les grèves et les manifestations. Lourdes amendes et peines de prisons, voilà la réponse de la bourgeoisie égyptienne confrontée à une vague de revendications qui continuent à s’exprimer. Les interventions de la police et de l’armée, aussi bien contre les grévistes qu’à l’intérieur de l’université du Caire, ne pouvaient enrayer le mécontentement. Bien au contraire, cette loi a suscité une vague de protestations et de grèves. Le 12 avril, le quotidien Al-Masry Al-Youm soulignait “la permanence de mouvements de protestations et de grèves dans de nombreuses régions de l’Egypte. Elles portaient sur les salaires, les conditions de travail, les contrats de travail, etc. Ces mouvements touchent des secteurs très diversifiés.” A Alexandrie, par exemple, des enseignants demandent la suppression de leur statut de temporaires, réclament des contrats à durée indéterminée. Au Caire, se sont des salariés des services de l’administration fiscale qui exigent une hausse de salaire. Certes, en Egypte, il n’y a plus pour le moment de manifestations massives, mais la colère ouvrière et sa combativité restent bien présentes. Les revendications avancées par les travailleurs en Egypte au cours des derniers mois expriment parfaitement à la fois leur caractère ouvrier et les illusions démocratiques qui pèsent lourdement. Elles ont été affichées sur tous les sites en lutte et reprises dans plus de 500 plates-formes revendicatives. Elles étaient résumées en six points, les voici :
1) Transformer en contrats à durée indéterminée les contrats des travailleurs temporaires qui travaillent depuis plus de trois ans.
2) Limoger les membres des conseils d’administration des institutions et banques mêlés à des actes de corruption impliquant de l’argent public, eux qui profitent encore de leur poste.
3) L’annulation de sanctions arbitraires prononcées par les dirigeants des entreprises contre des cadres et des travailleurs qui ont dénoncé les pratiques de ces dirigeants ; sanctions allant du transfert vers une autre entreprise à des punitions diverses comme à des licenciements.
4) Déterminer un seuil minimum et un plafond pour les salaires et veiller à réduire les disparités entre les revenus ; garantir un niveau de vie digne pour les travailleurs ; assurer une relation entre les salaires et l’évolution des prix des biens et des services, ainsi que celle du montant moyen à payer pour les assurances.
5) Assurer le droit d’organisation syndicale, indépendante de l’Etat.
6) Modifier les textes du Code du travail pour assurer la stabilité des relations de travail et parvenir à la sécurité d’emploi et limiter les pouvoirs de l’employeur dans l’utilisation de licenciements arbitraires.
Tel est le cas également en Algérie. Depuis plusieurs mois, la contestation est permanente. Le 3 avril, le journal Al Watan déclarait : “Les étudiants ne décolèrent toujours pas. Les médecins résidents lancent un défi à Ould Abbès. Les gardes communaux menacent “d’encercler” la Présidence. Les paramédicaux reprennent la grève.” Dans l’enseignement, une grève nationale de trois jours sur la question des retraites était prévue à partir du 25 de ce mois, alors que des employés de l’Education avaient été réprimés deux jours auparavant lors d’une manifestation sur la question des conditions de travail.
En Tunisie, se sont les ouvriers travaillant dans le secteur du pétrole pour la société SNDP qui viennent de rentrer en grève. Ce mouvement touche l’ensemble du personnel des nombreuses sociétés de sous-traitance disséminées dans tout le pays, véritables entreprises de misère. Ils rejoignent ainsi ceux de l’enseignement qui luttent depuis de longues semaines.
Dans des pays comme le Swaziland, le Gabon, le Cameroun, Djibouti et le Burkina Faso, des manifestations estudiantines et ouvrières, influencées par ce qui s’est passé en Egypte et en Tunisie, ont été réprimées dans la plupart des cas. Dans ces pays, la classe ouvrière est peu nombreuse ce qui, malgré la détermination des populations réduites à la misère, ouvre toute grande la porte à la répression de masse.
Au Yémen, alors que le porte-parole de l’opposition avait annoncé, lundi 25 avril, avoir donné son accord au plan de sortie de crise proposé par le Conseil de coopération du Golfe qui prévoyait le départ d’ici quelques semaines du président Saleh, au pouvoir depuis trente deux ans, la réponse de la rue a été claire et sans ambages : “Nous rejetons catégoriquement toute initiative qui ne prévoit pas le départ du président Saleh et sa famille”, a affirmé dimanche dans un communiqué la Coordination des mouvements de jeunes qui encadre le sit-in de la place de l’université de Sanaa. La suite de ce communiqué en dit long sur la détermination des manifestants : “l’opposition ne représente qu’elle même” et invite “à s’abstenir de tout dialogue avec le régime, à demander le départ immédiat de Saleh et son jugement”. Là encore, la réponse fut la même. Lundi, lors de manifestation à Taêz, à Ibb et à Al-Baîdah, l’armée a fait feu sur la manifestation.
Dans le genre chien sanglant, la famille el-Assad en Syrie sait également tenir son rang. Dans ce pays, depuis le 12 mars dernier, une grande partie de la population s’est soulevée. Les raisons sont là encore les mêmes. Misère grandissante et oppression quotidienne sont le lot de toute la population opprimée. Répression, enlèvements et assassinats sont la réponse du sinistre Bachir el-Assad. Selon l’AFP, depuis que le soulèvement a eu lieu, il y aurait eu quelques 390 tués, dont environ 160 depuis la prétendue levée de l’état d’urgence le 21 avril. Lundi dernier, au moins 25 personnes ont été tuées lors du pilonnage de Deraa, où plus de 3000 soldats appuyés par les blindés et des chars étaient arrivés avant l’aube. “La mosquée Abou Bakr Assidiq est la cible de tir intensif, et un sniper est posté sur la mosquée Bilal al-Habachi. Des chars sont postés et des barrières installées aux entrées de la ville” (site Orange du 26 avril 2011). La justification est toujours la même, on croirait entendre un Kadhafi, ou n’importe quel autre dirigeant aux prise avec la révolte et la contestation, qui accuse hypocritement “des gangs criminels armés” d’être à l’origine du mouvement. L’armée serait entrée à Deraa “en réponse aux appels aux secours lancés par les habitants pour mettre fin aux actes de sabotage et d’assassinat commis par des groupes terroristes extrémistes” (idem). Ignobles et pathétiques sont ces justifications de Bachir el-Assad. Comme est ignoble et pathétique l’attitude des grandes puissances. Rome et Paris se disent préoccupés par la situation et appellent le régime à “arrêter la répression violente”, a déclaré le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi à l’issue d’un sommet franco-italien. Quand aux Etats-Unis, ils disent réfléchir à des sanctions ciblées. Le président français Sarkozy, champion toutes catégories du bombardement de la population libyenne, a bien évidemment exclu une intervention militaire en Syrie sans une résolution préalable du Conseil de sécurité de l’ONU. Résolution que tous savent impossible à obtenir, intervention militaire que personne ne veut : la population syrienne peut bien crever, la Syrie n’est pas la Libye ! La Syrie, c’est plus de 21 millions d’habitants, une force armée bien plus conséquente que celle de la Libye ou de l’Irak d’hier et, surtout, c’est une puissance impérialiste qui compte dans la région : elle a des alliés non négligeables dans sa politique anti-américaine, tel l’Iran, et des appuis diplomatiques tels que la Chine ou la Russie. Une intervention militaire en Syrie déstabiliserait tout le monde arabo-musulman, et personne ne sait où cela conduirait. Les impérialismes vont devoir, contrairement à ce qui se passe en Libye, défendre leurs sordides intérêts autrement.
Mais un danger bien réel guette la population insurgée en Syrie. Le gouvernement de Bachir el-Assad s’appuie sur des minorités religieuses dont celle des alaouites, alors que la population est à 70 % sunnite. En l’absence d’une classe ouvrière suffisamment forte et consciente, il peut être facile d’entraîner la population opprimée et affamée derrière une fraction bourgeoise ou une autre. Malheureusement, cette situation peut déboucher sur une véritable guerre civile, à l’image de ce qui se passe à Bahreïn.
Dans cet émirat, depuis maintenant de nombreuses semaines, la population manifeste pour demander la chute du Premier ministre Khalifa ben Salman Al-Khalifa, oncle du roi Hamad ben Issa Al-Khalifa, dynastie sunnite qui règne depuis deux cents ans sur ce royaume dont la population est en majorité chiite. Dans ce pays, réclamer du pain, réclamer le droit à la parole ne peut que se transformer rapidement de la part de la population pauvre en une contestation ouverte de la dynastie sunnite corrompue au pouvoir. A la répression du gouvernement en place s’est alors ajoutée celle de l’entrée en force dans ce petit royaume de l’armée d’Arabie saoudite, venue défendre le pouvoir sunnite. Les chars pouvaient alors occuper les rues de la capitale Manama. Le décor était tristement planté et les tensions impérialistes entre l’Iran et ses voisins du conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Katar et Oman) ne faisaient que se tendre. A partir de la mi-mars, l’Iran n’a cessé de critiquer la répression d’un mouvement de contestation dirigé de fait par des chiites, majoritaires dans le pays. L’hypocrisie totale de la France, de l’Angleterre, des Etats-Unis qui, rappelons-le, bombardent en ce moment même la Libye au nom de l’humanitaire, éclate ici au grand jour. Pas un mot, pas une protestation de la part de ces gangsters impérialistes. Ici les massacres ne leur révulsent pas le cœur. Et pour cause, leur allié objectif se trouve dans ce pays du côté des massacreurs, le gouvernement du Bahreïn et autre Arabie saoudite. L’ennemi commun s’appelle l’Iran. Pour cette population qui se révolte avec courage et détermination, il n’y a pas d’issue favorable dans tout ce bourbier nationaliste et impérialiste.
Dans tous les pays de ce que l’on appelle le monde arabo-musulman les populations se soulèvent, la crise économique fait des ravages ; se nourrir devient une préoccupation quotidienne. Mais tous ces opprimés qui se révoltent ne sont pas tous logés à la même enseigne. Il est bien plus difficile pour les bourgeoisies locales de réprimer massivement dans des pays comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, comme il est plus difficile pour les différentes grandes puissances impérialistes d’y défendre leurs sordides intérêts à coup de canons. La différence tient à l’existence dans ces pays d’une classe ouvrière qui, si elle ne peut pas prendre la tête du mouvement de révolte, n’en pèse pas moins dans la situation sociale.
Mais dans tous ces pays, quel que soit le prix à payer par les populations opprimées, les révoltes et les luttes ouvrières ne sont pas prêtes de cesser.
Voilà donc nos dirigeants démocratiques et grands défenseurs des droits de l’homme confrontés à un nouveau problème humain ! Le développement de la misère, la répression violente et massive dans les pays d’Afrique du Nord ont accéléré brutalement la migration de familles entières démunies de tout et cherchant à survivre dans la fuite vers les pays d’Europe. Il est estimé que dans les prochains mois, la vague d’émigrants devrait compter 300 000 personnes. Depuis quelques semaines ce sont quelques 20 000 Tunisiens qui sont arrivés sur les côtes italiennes, cherchant en partie à rejoindre la France. 8000 d’entre eux seraient passés par la désormais célèbre île de Lampedusa. Le problème, c’est qu’aucun gouvernement d’Europe, aucune bourgeoisie nationale ne veut de ces gens. D’ailleurs, bon nombre d’entres eux crèvent tout simplement en mer, de froid, de faim ou de noyade sans qu’un seul de ces magnifiques bateaux de guerre déployés partout dans le monde par nos grandes puissances ne daignent même faire semblant de les secourir. Mais dans l’horreur et l’inhumanité de la classe bourgeoise, il y a toujours pire à faire et à envisager. La France en tête, la bourgeoisie européenne veut jeter aux oubliettes l’espace sans frontière de Schengen. Cela veut dire concrètement que tous les pays d’Europe veulent se protéger, y compris militairement si nécessaire, contre ce qu’ils appellent l’invasion massive d’étrangers venus d’Afrique du Nord. A l’Italie de se débrouiller toute seule ou plus exactement à prendre la responsabilité de rejeter tous ces pauvres gens à la mer.
Que valent alors tous ces grandiloquents discours bourgeois qui justifient les bombardements en Libye au nom de l’humanitaire, au nom de la défense de la vie humaine ? La réponse est simple : RIEN ! Ce sont des paroles d’hypocrites, de menteurs et de gangsters qui ne font que défendre l’intérêt de leur propre impérialisme national.
Aujourd’hui, la crise ne sévit pas que dans les pays d’Afrique du Nord. En Asie, en Amérique, en Europe, partout, ses effets commencent à se faire sentir. Des luttes impliquant notamment des jeunes générations ouvrières se sont développées dans des pays tels que la Grèce, le Portugal, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne. Dans ces pays, la classe ouvrière s’est mobilisée contre les plans d’austérité que chaque bourgeoisie nationale essaie de leur imposer. Ces réactions sont importantes et nécessaires. Dernièrement, dans bien des manifestations, s’exprimait une sympathie certaine pour les révoltes et les luttes qui se développaient en Egypte, en Tunisie, etc. Dans les pays du cœur du capitalisme, la classe ouvrière commence à ressentir confusément que ces révoltes dans ces pays d’Afrique du Nord relèvent des mêmes raisons qui poussent les ouvriers en Chine, aux Etats-Unis et en Europe dans la rue. Mais cela ne suffit pas. Pour se défendre, pour se protéger et freiner ces attaques du capitalisme, il va falloir des luttes beaucoup plus massives et unies que celles que nous avons connues jusqu’à maintenant. Seules ces luttes impliquant la majorité de la classe ouvrière des pays développés pourra freiner le bras meurtrier de la répression dans les pays d’Afrique du Nord. Plus que jamais, les populations opprimées et les ouvriers de ces pays ont besoin de la solidarité active du prolétariat du cœur du capitalisme. Les ouvriers d’Europe peuvent voir concrètement ce qu’est la démocratie en regardant les bombes de la coalition internationale tomber sur la population libyenne et les mesures d’expulsions de ceux qui fuient les massacres et leurs conditions de vie insoutenables, renvoyés purement et simplement crever dans leurs pays, tandis que la bourgeoisie occidentale les noie sous des discours humanitaires.
Dans l’avenir, quelles que soient les difficultés, la résistance de la classe ouvrière ne peut se faire que de plus en plus massive et, au cœur historique du capitalisme, l’Europe, la confrontation à la démocratie bourgeoise de plus en plus claire et frontale.
Tino (28 avril)
Si mentir était un péché mortel, la bourgeoisie serait une classe en voie de disparition.
Il faut la voir crier partout, sur les plateaux télé, à la radio, dans ses journaux et ses revues : “Ca y est, regardez bien, là-bas, tout au fond, ce petit point blanc lumineux, c’est la sortie du tunnel !” La preuve : le chômage baisse partout… paraît-il. Aux Etats-Unis et en France, le taux de chômage a enregistré ces derniers mois son plus fort recul depuis l’éclatement de la crise de 2007. En Allemagne, il est tombé au plus bas depuis 1992 ! Et les grandes institutions internationales se font fort, elles aussi, d’afficher leur plus bel optimisme. Selon le FMI, en 2011, la croissance mondiale sera de 4,4 %. La Banque asiatique de développement prévoit une croissance de 9,6 % pour la Chine et de 8,2 % pour l’Inde. L’Allemagne, la France et les Etats-Unis devraient respectivement atteindre des taux de 2,5 %, 1,6 % et 2,8 %. Le FMI ose même pronostiquer, malgré le séisme et la catastrophe nucléaire, une croissance de 1,7 % cette année pour le Japon !
Argument décisif en faveur du retour à venir de l’embellie, les bourses s’envolent, s’envolent…
Alors ? Cette fameuse lumière au bout du tunnel annonce-t-elle réellement une résurrection imminente ? N’est-elle pas plutôt l’hallucination classique d’un être agonisant ?
Aux Etats-Unis, cela irait donc en s’améliorant. Evanoui le spectre du krach de 1929. Aucune chance de croiser d’interminables files d’attente devant les bureaux d’embauche comme au temps cauchemardesque de la Grande dépression des années 1930 ! Quoique… Fin mars, les restaurants McDonald’s annoncent un recrutement exceptionnel de “50 000 jobs en une journée”. Le 19 avril, date fatidique, trois millions de personnes se retrouvent à attendre devant les portes des restaurants !
La réalité de la crise actuelle se révèle là, dans les souffrances infligées à la classe ouvrière. Le chômage américain peut bien être officiellement en baisse, les statistiques étatiques ne sont de toute façon qu’une immense supercherie. Par exemple, est exclue de ces savants calculs toute la population nommée NLF (“Not in the Labor Force” ou population non active). Par ce sigle sont désignés les personnes âgées licenciées, les chômeurs découragés, les étudiants et les jeunes, les chômeurs qui se relancent dans la recherche d’un emploi… soit, en janvier 2011, 85,2 millions de personnes. L’Etat lui-même est obligé de reconnaître que le nombre de pauvres, constituant 15 % de la population américaine, est en constante augmentation.
L’explosion de la misère sur le sol de la première puissance mondiale révèle l’état de déliquescence de l’économie internationale. Aux quatre coins du globe, les conditions de vie sont toujours plus inhumaines. Selon les estimations de la Banque mondiale, environ 1,2 milliard d’individus vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté (1,25 dollar par jour). Mais l’avenir est encore plus sombre. Pour une partie toujours plus large de l’humanité, le retour de l’inflation va signifier une difficulté croissante à trouver un toit ou simplement se nourrir. Les prix mondiaux des produits alimentaires ont augmenté de 36 % par rapport à leurs niveaux d’il y a un an. Or, selon la dernière édition du Food Price Watch de la Banque mondiale, chaque hausse de 10 % des prix mondiaux précipite, au minimum, 10 millions de personnes supplémentaires sous le seuil d’extrême pauvreté. 44 millions de personnes sont ainsi officiellement tombées dans la misère depuis juin 2010. Concrètement, les prix des produits de premières nécessité, voire essentiels à la survie, sont en passe de devenir inabordables : en un an, le maïs a augmenté de 74 %, le blé de 69 %, le soja de 36 %, le sucre de 21 %, etc.
Depuis l’été 2007 et l’éclatement de la bulle dite des “subprimes” aux Etats-Unis, la crise mondiale s’aggrave irrémédiablement, à un rythme de plus en plus élevé, sans que la bourgeoise ne trouve l’ombre d’un début de solution. Pire, ses tentatives désespérées pour endiguer le mal qui ronge son système ne font chaque fois que préparer de nouvelles secousses. L’histoire économique de ses dernières années ressemble à une sorte de spirale infernale, à un tourbillon aspirant tout vers le fond. Et ce sont ces quarante dernières années qui ont préparé ce drame.
De la fin des années 1960 à ce fameux été 2007, l’économie mondiale n’a en effet dû sa survie qu’au recours systématique et grandissant à l’endettement. Pourquoi ? Ici un petit détour théorique s’impose.
Le capitalisme produit plus de marchandises que son marché ne peut en absorber. C’est presque là une tautologie :
Le Capital exploite ses ouvriers (autrement dit leurs salaires sont moins importants que la valeur réelle qu’ils créent par leur travail).
Le Capital peut ainsi vendre ses marchandises avec profit. Mais la question est : à qui ?
Evidemment, les ouvriers achètent ces marchandises… à la hauteur de leurs salaires. Il en reste donc une bonne partie encore à vendre, celle-là justement qui n’a pas été payée aux ouvriers lors de sa production, qui contient une valeur en plus (une plus-value) et qui seule a ce pouvoir magique pour le Capital de générer du profit.
Les capitalistes eux aussi consomment… et ils ne sont d’ailleurs en général pas trop malheureux. Mais ils ne peuvent pas à eux seuls acheter toutes les marchandises porteuses de plus-value. Cela n’aurait aucun sens. Le Capital ne peut s’acheter, pour faire du profit, ses propres marchandises ; ce serait comme s’il prenait l’argent de sa poche gauche pour le mettre dans sa poche droite. Personne ne s’enrichit ainsi, les pauvres vous le diront.
Pour accumuler, se développer, le Capital doit donc trouver des acheteurs autres que les ouvriers et les capitalistes. Autrement dit, il doit impérativement trouver des débouchés en-dehors de son système, sinon il se retrouve avec des marchandises invendables sur les bras qui engorgent le marché : c’est alors la célèbre “crise de surproduction” !
Cette “contradiction interne” (cette tendance naturelle à la surproduction et cette obligation à trouver sans cesse des débouchés extérieurs) est aussi l’une des racines de l’incroyable dynamisme de ce système. Le capitalisme a dû lier commerce avec toutes les sphères économiques sans exception : les anciennes classes dominantes, les paysans et les artisans du monde entier. L’histoire de la fin du xviiie siècle et de tout le xixe est celle de la colonisation, de la conquête du globe par le capitalisme ! La bourgeoise était alors assoiffée de nouveaux territoires sur lesquels elle forçait, par de multiples moyens, la population à acheter ses marchandises. Mais, en agissant ainsi, elle transformait aussi ces économies archaïques ; elle les intégrait peu à peu à son système. Les colonies devenaient lentement, elles aussi, des terres capitalistes, produisant selon les lois de ce système. Non seulement leurs économies étaient donc de moins en moins susceptibles de représenter des débouchés aux marchandises d’Europe et des Etats-Unis mais elles généraient même à leur tour une surproduction. Pour se développer, le Capital était donc condamné à découvrir de nouvelles terres, encore et encore.
Cela aurait pu être une histoire sans fin mais notre planète n’est qu’une petite boule ronde ; à son grand malheur, le Capital en fait le tour en à peine 150 ans. Au début du xxe siècle, tous les territoires sont conquis, les grandes nations historiques du capitalisme se sont partagé le monde. Dès lors, il n’est plus question pour elles de nouvelles découvertes mais de prendre, par la force armée, aux nations concurrentes les territoires dominés. L’Allemagne, la moins riche en colonies, se montrera ainsi la plus agressive en déclenchant les hostilités de la Première Guerre mondiale en raison de cette nécessité que formulera explicitement plus tard Hitler dans la marche vers la Seconde Guerre mondiale : “Exporter ou mourir”.
Dès lors, le capitalisme, après 150 ans d’expansion, devient un système décadent. L’horreur des deux guerres mondiales et la Grande dépression des années 1930 en seront des preuves dramatiques irréfutables.
Pourtant, même après avoir détruit dans les années 1950 les marchés extra-capitalistes qui subsistaient encore (telle la paysannerie française), le capitalisme n’a pas sombré dans une crise de surproduction mortelle. Pourquoi ? Nous revenons là à notre idée initiale qu’il nous fallait démontrer : si “le capitalisme produit plus de marchandises que son marché ne peut en absorber”, il a su créer un marché artificiel ; “de la fin des années 1960 à ce fameux été 2007, l’économie mondiale n’a en effet dû sa survie qu’au recours systématique et grandissant à l’endettement.”
Ces quarante dernières années se résument à une série de récessions et de relances financées à coups de crédit. A chaque crise ouverte, le Capital a dû recourir de plus en plus massivement à l’endettement. Et il ne s’agit pas là de soutenir seulement la “consommation des ménages” par le biais d’aides étatiques… non, les Etats se sont aussi endettés pour maintenir artificiellement la compétitivité de leur économie face aux autres nations (en finançant directement un investissement infra-structurel, en prêtant aux banques à des taux le plus bas possible pour qu’elles puissent à leur tour prêter aux entreprises et aux ménages…). Bref, en ouvrant toutes grandes les vannes du crédit, l’argent a coulé à flot et, peu à peu, tous les secteurs de l’économie se sont retrouvés en situation classique de surendettement : chaque jour de plus en plus de nouvelles dettes ont dû être contractées pour… rembourser les dettes d’hier. Cette dynamique menait forcément à une impasse.
En cela, l’été 2007 a ouvert un nouveau chapitre au sein de l’histoire de la décadence. La capacité de la bourgeoisie mondiale à ralentir le développement de la crise par un recours de plus en plus massif au crédit a pris fin. Aujourd’hui, les secousses succèdent aux secousses sans qu’il n’y ait entre elles ni répit ni véritable relance. L’impuissance de la bourgeoisie face à la nouvelle situation est patente. En 2007, avec l’éclatement de la bulle des “subprimes” et en 2008 avec la faillite du géant bancaire Lehman Brothers, tous les Etats du monde n’ont su faire qu’une seule chose : renflouer le secteur de la finance en laissant littéralement exploser la dette publique. Problème, il ne s’agissait pas là d’un “coup de pouce” ponctuel : depuis 2007, l’économie mondiale, les banques et les bourses ne survivent que par la transfusion permanente d’argent public issu de nouvelles dettes ou directement de la planche à billets. Un seul exemple : les Etats-Unis. En 2008, pour sauver son secteur financier de la banqueroute généralisée, la banque centrale américaine (la Fed) lance un premier plan de rachats d’actifs (le QE1 – “Quantitative Easing 1”) de plus de 1400 milliards de dollars. Deux ans plus tard seulement, en janvier 2010, elle doit renouveler l’opération de soutien en lançant un QE2 : 600 milliards de dollars sont alors injectés grâce à la planche à billets. Mais cela ne suffit toujours pas. A peine 6 mois plus tard, dès l’été 2010, la Fed doit renouveler l’achat de créances arrivées à échéance pour 35 milliards de dollars par mois. En tout, depuis la crise, c’est donc plus de 2300 milliards de dollars qui sont sortis de la poche de la Banque centrale américaine. C’est tout simplement l’équivalent du PIB d’un pays comme l’Italie ou le Brésil ! Mais évidemment, l’histoire ne s’arrête pas là. A l’été 2011, la Fed sera contrainte de lancer un QE3, puis un QE4 (1)…
L’économie mondiale est devenue un puits sans fond ou plutôt une sorte de trou noir : elle absorbe des quantités d’argent-dette toujours plus astronomiques.
Il serait pourtant faux d’affirmer que les immenses sommes d’argent injectées aujourd’hui par tous les Etats de la planète n’ont aucun effet. A double titre. Sans elles, le système s’effondrerait, littéralement. Mais il y a une seconde conséquence : l’augmentation sans précédent de la masse monétaire mondiale, en particulier en dollars, est en train de ronger le système, d’agir sur lui comme un poison. Le capitalisme est devenu un malade agonisant dépendant de sa pompe à morphine ; sans elle, il meurt, mais chaque nouvelle injection le ronge un peu plus : si les injections de dettes des années 1967-2007 ont permis à l’économie de tenir, aujourd’hui les doses nécessaires précipitent au contraire sa perte.
Concrètement, en faisant tourner la planche à billets, les différentes banques centrales produisent consciemment ce que les économistes appellent de “la monnaie de singe”. Quand la masse monétaire croît plus vite que l’activité réelle, elle perd de sa valeur. Par conséquent, les prix montent, c’est l’inflation… (2). Evidemment, en ce domaine, les champions toute catégorie sont les Etats-Unis. Ils savent que leur monnaie est le pilier de la stabilité économique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, personne ne peut se passer du dollar. C’est pourquoi ce sont eux qui ont pu depuis 2007 créer la plus grande quantité de monnaie pour soutenir leur économie. Si le dollar n’a pas encore décroché, c’est parce que la Chine, le Japon… ont été obligés, malgré eux, d’acheter du dollar. Mais cet équilibre précaire aussi commence à toucher à sa fin. Les acheteurs en Bons du trésor américain (T-Bonds) se font de plus en plus rares car tout le monde sait qu’ils ne valent rien en réalité. Depuis 2010, c’est en fait la Fed elle-même qui achète ses propres T-Bonds pour soutenir leur valeur ! Surtout, l’inflation commence à se développer de manière importante aux Etats-Unis (entre 2 et 10 % selon les sources, la fourchette haute étant en fait la plus vraisemblable, celle en tout cas ressentie par les ouvriers qui font leurs courses…). Le Président de la Fed de Dallas, Richard Fisher, qui siège cette année au comité de politique monétaire, a ainsi récemment brandi le risque croissant d’une “hyper-inflation”, comparable à celle de la République de Weimar en 1923.
Il s’agit là d’une tendance fondamentale, l’inflation gagne progressivement tous les pays. Il y a d’ailleurs une méfiance grandissante des capitalistes à l’égard de toutes les monnaies. Les convulsions à venir, les probables faillites de grandes entreprises, de banques, voire d’Etats, posent un immense point d’interrogation sur le comportement du marché monétaire international. La conséquence en est visible : l’or s’envole. Après une hausse de 29 % en 2010, les cours de l’or battent record sur record et viennent de franchir pour la première fois la barre des 1500 dollars. Soit cinq fois plus qu’il y a dix ans. Même phénomène avec l’argent, au plus haut depuis trente et un ans. L’université du Texas, qui forme des économistes, a dernièrement placé toute sa trésorerie (soit 1 milliard de dollars) en or. Nous voyons ici quelle confiance accorde la grande bourgeoisie américaine à sa propre monnaie ! Et il ne s’agit pas là d’un épiphénomène. Les banques centrales elles-mêmes ont acheté plus de métal jaune en 2010 qu’elles n’en ont vendu, une première depuis 1988. Il ne s’agit là de rien d’autre que du dernier paraphe de l’acte d’enterrement des accords de Breton Woods (non officiellement mais dans les faits) qui avaient établi après la Seconde Guerre mondiale un système monétaire international adossé à la stabilité du dollar.
La bourgeoisie est évidemment consciente du danger. Incapable de fermer les vannes du crédit et de stopper les rotatives de la planche à billets, elle essaye de limiter les dégâts et de réduire l’endettement en mettant en place des plans de rigueur draconiens à l’encontre de la classe ouvrière. Presque partout, les salaires du privé et du public sont soit gelés soit amputés, les aides sociales et de santé s’effondrent… en un mot, la misère se développe. Aux Etats-Unis, Obama a annoncé vouloir réduire ainsi le déficit américain de 4000 milliards en douze ans. Les sacrifices qui vont être imposés à la population sont inimaginables ! Mais cette solution aussi n’en est évidemment pas une. En Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne…, les plans de rigueur se succèdent les uns aux autres et les déficits continuent de se creuser. Le seul effet de cette politique est de faire plonger encore un peu plus l’économie dans la récession. Il n’y a qu’une seule issue à cette dynamique : après la faillite des ménages américains en 2007, des banques en 2008, c’est au tour des Etats de se diriger inévitablement vers la banqueroute. Il n’y a aucune illusion à avoir, les défauts de paiement de pays comme la Grèce sont inévitables à l’avenir. Même des Etats américains comme la Californie ne sont pas à l’abri.
Il est impossible de fixer des échéances, de savoir avec précision par où et quand l’économie mondiale va de nouveau craquer. Est-ce la catastrophe qui a touché le Japon (qui a fait plonger la production de la troisième puissance économique mondiale de plus de 15 % en mars) qui va être le détonateur ? Ou est-ce la déstabilisation du Moyen-Orient ? Est-ce l’effondrement du dollar ou la faillite de la Grèce ou de l’Espagne ? Personne ne peut le prévoir. Une seule chose est certaine : se dresse devant nous une succession de récessions d’une extrême brutalité. Après le lent développement de la crise économique mondial de 1967 à 2007, nous entrons aujourd’hui dans un nouveau chapitre de la décadence du capitalisme caractérisé par des convulsions incessantes du système et l’explosion de la misère.
Pawel (30 avril 2011)
1) Néanmoins, elle le fera ces fois-ci certainement sans le dire officiellement pour ne pas avouer l’échec patent de toutes les mesures précédentes !
2) Les lecteurs pointilleux diront : “mais cette masse monétaire a augmenté démesurément dans les années 1990-2000 sans qu’il n’y ait eu une poussée inflationniste”. C’est vrai et la raison en est simple : la saturation du marché réel a poussé les capitaux à fuir vers l’économie virtuelle (les bourses). Autrement dit, la masse monétaire augmentant considérablement avant tout dans la sphère financière, ce ne sont pas les prix des marchandises mais ceux des actions qui sont montés. Mais cette spéculation, aussi folle et déconnectée de la réalité soit-elle, repose tout de même, in fine, sur des entreprises qui produisent de la valeur. Quand celles-ci sont massivement menacées par la faillite (en particulier les banques), ce petit jeu de casino sent le roussi. C’est ce qui s’est produit en 2008, le krach, et ce qui se reproduira encore dans un avenir proche. C’est d’ailleurs pour cela que les investisseurs se rabattent actuellement sur l’or et les denrées alimentaires, à la recherche de “valeurs refuges”. Nous y revenons plus loin dans l’article.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Revolución Mundial, organe de presse du CCI au Mexique.
Ce qui en Libye semblait avoir commencé comme une révolte de “ceux d’en bas” a dégénéré en sanglante guerre civile entre factions de la bourgeoisie et, immédiatement, en dispute impérialiste avec participation directe des grandes puissances : les protestations initiales de la mi-février ont été complètement dévoyées. Ces fractions de la bourgeoisie s’affrontent depuis lors à feu et à sang et les masses leur servent de chair à canon. La répression brutale et l’intervention militaire ont freiné le développement des mouvements sociaux dans la région : tous les gouvernements de la région pratiquent maintenant la répression ouverte et impitoyable contre les manifestants, à Bahreïn, au Yémen, en Arabie Saoudite, en Syrie, etc., avec la complicité des mêmes puissances qui dirigent l’intervention prétendument “humanitaire”.
C’est dans ce scénario que se déroule l’opération militaire de l’alliance de la Grande-Bretagne, de la France et des Etats-Unis, sous la couverture idéologique de la “défense humanitaire du peuple libyen” massacré par le gouvernement de ce “fou” de Kadhafi.
Il y a aussi eu des réactions moins meurtrières, mais pour le moins tout aussi abjectes. Nous voulons parler du soutien émis par “les amis de Kadhafi” en Amérique Latine. Les gouvernements de Cuba, du Venezuela, de la Bolivie et de l’Équateur, principalement, ont déclaré haut et fort leur soutien à leur congénère libyen, en arborant comme d’habitude la défense de la souveraineté nationale, autrement dit la libre détermination de chaque bourgeoisie à pratiquer à sa guise l’exploitation dans son propre pays. Bien évidemment, peu importe à ces personnages de “gauche” que les masses de “leur” pays ou de celui de leurs congénères soient massacrées comme des mouches, contrairement à ce qu’ils prétendent dans leurs tonitruants discours.
En particulier, Fidel Castro, Hugo Chavez et Daniel Ortega ont réagi de façon très véhémente à la situation de leur copain Kadhafi, lequel leur avait octroyé il y a quelques années le “Prix des droits de l’homme Mouammar Kadhafi” qu’il avait créé en 1988. Une reconnaissance, sans doute, à l’efficacité de ce genre de gouvernement bourgeois à l’heure de mener à bien une exploitation et une répression dans leurs pays respectifs, une espèce de réponse cynique à la réticence vis-à-vis d’autres gouvernements qui octroient des prix similaires, mais qui feraient la fine bouche dégoûtée vis-à-vis de ces gouvernants qui ne sauvent pas les apparences démocratiques. Hugo Chavez, en retour et avec tout le tintamarre dont il sait s’entourer, a offert à Kadhafi une copie conforme de l’épée du libertador Simon Bolivar. “Je ne vais pas condamner Kadhafi... rien ne me dit que ce soit un assassin” a-t-il dit en haussant les épaules.
Fidel Castro, de son côté, a refusé en faisant les gros yeux de se prononcer sur les massacres perpétrés par le Guide autoproclamé du peuple libyen, préférant encenser les succès de son ami dans l’économie nationale de son pays, c’est-à-dire dans la bonne gestion de l’économie capitaliste libyenne, ce qui revient à dire dans l’exploitation efficace des masses laborieuses et opprimées.
Ce soutien au régime kadhafiste par ses frères de classe en Amérique Latine ne fait que mettre en évidence, si besoin était, la nature bourgeoise de leurs propres gouvernements.
Il ne s’agit pas bien sûr de se mettre à soutenir le conseil des “rebelles” et la coalition des Nations Unies. D’un côté comme de l’autre, ils agissent en fonction de leurs propres intérêts, en tant que fraction de la bourgeoisie, et règlent leurs comptes sur les cadavres des masses opprimées.
Il nous faut leur opposer l’internationalisme prolétarien, tant aux uns comme aux autres, sans la moindre hésitation, en nous solidarisant avec les milliers de gens qui se révoltent dans cette région et luttent contre la bourgeoisie qui nous opprime et nous exploite, en assumant consciemment le fait que la lutte prolétarienne est une seule et même lutte partout dans le monde. Pour qu’elle puisse un jour triompher, elle doit se généraliser internationalement, par dessus toutes les divisions nationales, de langue, de religion, etc. Ce n’est qu’ainsi que la puissance de la lutte ouvrière pourra arrêter la répression des Etats capitalistes. Quand ceci deviendra une réalité en Amérique Latine, les amis de Kadhafi seront les premiers à essayer de massacrer leurs peuples, qu’ils ont toujours prétendu défendre.
RR (avril 2011)
Alors que la catastrophe de Fukushima ne cesse d’évoluer vers une situation toujours plus incertaine, l’histoire est venue nous rappeler l’épisode de Tchernobyl, il y a 25 ans, le 26 avril 1986.
Cet “anniversaire” de l’explosion d’un réacteur nucléaire, qui a fait entre 1986 et 2004 (dernier “pointage” de l’OMS) un million de morts “reconnus”, est par la même occasion venu aussi nous rappeler à quel point la classe dominante nous prend pour des imbéciles, elle qui a cette incroyable capacité à se lancer dans des projets dont elle ne maîtrise en rien les conséquences et les risques les plus destructeurs. En 1986, on nous avait seriné que c’était évidemment de la faute à l’incurie du système “soviétique”, et la propagande occidentale ne s’était pas gênée pour fustiger l’arriération des dirigeants russes proportionnellement égale à la vétusté de leurs centrales nucléaires, et inversement. Il est vrai que l’Etat russe avait entourloupé sans état d’âme les 500 000 liquidateurs du fameux réacteur no 4 en leur répétant qu’ils ne craignaient rien, ainsi que le monde entier !
Mais ici, dans l’Hexagone, relayant en quelque sorte les mensonges du Kremlin, on nous avait également copieusement arrosé, au milieu de la masse d’atomes de césium 137 ou encore d’iode 135 équivalente à 400 fois la radioactivité de la bombe d’Hiroshima, de nombreuses certitudes comme celle répétée à plusieurs reprises selon laquelle “l’anticyclone des Açores” (1) avait “bloqué” l’arrivée du panache atomique en provenance de Tchernobyl, alors que des doses radioactives largement supérieures à la normale étaient décelées le jour-même et le lendemain de la Suède (2) jusqu’au midi de la France. Ce que savait pertinemment le gouvernement qui ne se gênait pas de déclarer que “du point de vue de la santé publique, il n’y a aucun risque” (3). Au ministère de l’Intérieur, tenu par un dénommé Pasqua, on savait qu’en Corse par exemple la contamination par l’iode 131 était de 10 000 becquerels par litre de lait (ce qui est une dose hautement dangereuse), le gouvernement ne prenait aucune mesure particulière, à part répéter la même litanie, celle que servaient au peuple les éteigneurs de lanternes du Moyen-Age : “Tout va bien, bonnes gens, dormez tranquilles !”
Et si l’effet de la pollution atomique a été largement sous-évalué, en particulier en France dont le lobby nucléaire est d’une importance cruciale pour son indépendance énergétique et militaire, la dangerosité de la centrale n’a quant à elle pas cessé. Les risques d’effondrement du sarcophage existant et de fusion du réacteur sont toujours imminents, tandis que les émanations radioactives continuent de pourrir l’environnement à des dizaines de kilomètres alentour. Pourtant la bourgeoisie et nombre de ses prostitués qui manient le verbiage de ceux qui savent se sont efforcés de “positiver” une prétendue nouvelle “norme” de vie initiée par la catastrophe de Tchernobyl. Une sorte de mode a ainsi pris son essor il y a quelques années consistant à se faire une balade, sous escorte d’un guide et d’un compteur Geiger, dans la zone interdite de Tchernobyl. Après Dysneyland, Tchernoland ! Non seulement des touristes en mal de sensations mais aussi des journalistes en mal de scoops y font donc de fréquentes incursions. Certains prétendus “scientifiques” prétendent même que la vie sauvage y a repris ses droits avec des chevaux sauvages et des loups en pleine santé, développant diverses théories sur les potentialités des cellules à “se réparer” devant les attaques des atomes ionisants, ce qui est en effet une véritable capacité du monde vivant, confronté à une radioactivité naturelle permanente. Mais on sent dans ces théorisations le souffle frelaté du bourgeois qui voudrait à la fois minimiser le danger monstrueux du nucléaire et même répéter que la présence de taux élevés de radioactivité, dans la mesure où ils sont “stables”, fait que la région est devenue “habitable”. Tchernobyl serait en passe de devenir avec le temps un milieu original, celui de la “genèse” d’une nouvelle norme “propice à la vie”.
Voilà qui devrait rasséréner les victimes de Tchernobyl, mortes ou en passe de la devenir, ainsi que les enfants nés de malformations et de handicaps profonds, physiques et mentaux. Voilà aussi qui devrait rassurer les victimes d’Hiroshima et de Nagasaki et dont les enfants et petits-enfants subissent encore jusqu’à aujourd’hui les séquelles de ces bombardements atomiques.
L’accident de la centrale de Fukushima, en totale perdition, est passé en niveau 7, égalant le triste record de… Tchernobyl ! Joyeux anniversaire !
Les taux de radioactivité ne cessent de monter, le gouvernement nippon a repoussé à 30 km la zone de “sécurité” autour de la centrale (recommandation qui sous-estime celle des Etats-Unis qui l’ont repoussée pour leurs ressortissants à 80 km), ce qui ne l’empêche pas de continuer à mentir et trafiquer les chiffres devant une situation qu’il est incapable de maîtriser. Ainsi, vingt établissements scolaires, écoles maternelles, primaires et collèges autour de la ville de Fukushima ont été réouverts. Des mesures plus approfondies dans la région, comme à Tsushima, un village à l’extérieur de la zone d’évacuation volontaire de 30 km, laissent aussi paraître des niveaux de contamination jusqu’à 47 microSieverts par heure. L’exposition humaine à un tel degré de radioactivité signifie que la dose maximale admissible pour une année est atteinte en 24 heures. Toutes les cultures de la région sont contaminées, tandis que le gouvernement ne donne aucune consigne claire quant à leur utilisation. L’eau déversée dans la mer est environ 100 fois plus radioactive que les seuils autorisés, a précisé Tokyo Electric Power (Tepco), l’opérateur de la centrale mais, selon le gouvernement japonais, “il n’y a pas d’autre solution”, car Tepco n’a plus de place pour stocker une eau encore plus radioactive ayant servi à refroidir les réacteurs.
Comme à Tchernobyl, il n’y aura aucune autre option que de recouvrir les réacteurs d’un sarcophage de béton, mais, selon un reportage de Reuters, cela serait beaucoup plus difficile qu’à Tchernobyl, ne serait-ce que du fait qu’il s’agit d’une zone hautement sismique. Et même, une telle mesure n’empêchera pas la formation d’un “désert nucléaire” à long-terme autour de la centrale, alors que des milliers de tonnes de dérivés hautement radioactifs resteront sur le site et que la contamination s’est répandue dans toute la zone d’exclusion. Selon de nombreux experts, le “nettoyage” de la zone autour de Fukushima prendra plusieurs décennies.
Le Premier ministre japonais, Naoto Kan, a fini par déclarer “l’état d’alerte maximale”, laissant entendre que trois des réacteurs nucléaires situés à Fukushima sont présentement en fusion. Le réacteur no 3, qui fonctionnait depuis peu avec du MOX, un mélange d’uranium et de plutonium, est fissuré [32] et donc des fuites y sont présentes. D’ailleurs, des échantillons prélevés à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments ont décelé du plutonium [33], l’élément chimique le plus toxique connu de la science. Tepco, qui est évidemment de la plus grande opacité, a été contraint de reconnaître que des taux de radiation 100 000 plus élevés que la norme ont été mesurés dans de l’eau contaminée sous le réacteur no 2, dans des tunnels, et qui se déversent maintenant dans l’océan adjacent [34]. La nappe phréatique sous la centrale a des taux de radioactivité 10 000 fois supérieurs à la “normale”.
Pourtant, l’horreur qui est en train de se produire au Japon, avec toutes ses conséquences, était annoncée. De nombreux scientifiques, dont le professeur Katsuhiko, avaient dénoncé dès 2006 la “vulnérabilité fondamentale” aux séismes de cette centrale. Mais, dans le capitalisme, la science ne doit servir qu’aux intérêts capitalistes, et advienne que pourra !
Barack Obama déclarait le 29 avril à Tusaloosa en Alabama, après la série de tornades qui a fait des centaines de morts et des milliers de blessés, du jamais vu depuis 1925 : “Nous ne pouvons pas contrôler où et quand une terrible tempête va frapper, mais nous pouvons contrôler la façon dont nous y répondons.”
Voilà la logique bourgeoise, on voudrait bien, on sait que c’est dangereux, mais on s’en fout.
Mulan (30 avril)
1) Déclaration imposée aux services météorologiques et reprise au JT d’Antenne 2 le 30 avril au soir.
2) Au soir même du 26 avril, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants avait équipé en catimini les avions d’Air France de filtres permettant d’analyser l’atmosphère vers le nord et l’est de l’Europe.
3) JT d’Antenne 2 du 29 avril à 13 h.
A l’heure où les spécialistes de l’environnement tirent la sonnette d’alarme, où les océans, pollués par toute sorte de produits chimiques, sont de plus en plus saturés de déchets plastiques, où boire l’eau du robinet prend une allure de roulette russe, la classe capitaliste et ses spécialistes à la solde des compagnies gazières nous annoncent fièrement qu’ils vont développer une nouvelle méthode de production gazière très rentable : l’extraction du gaz de schiste. Cette “alternative” énergétique permettrait entre autres à la France d’être autonome pour ses besoins en gaz pendant des décennies et ainsi de réduire le coût de ses dépenses en énergie. Bien des Etats se penchent donc sur cette nouvelle recette miracle. En France, le 21 avril dernier, une mission d’inspection des ministères de l’Industrie et de l’Ecologie a rendu un rapport très attendu au gouvernement pour présenter les enjeux des huiles et gaz de schiste dont les sous-sols semblent regorger. En vue de la grande mascarade démocratique de 2012, il faut reconnaître que tous les partis politiques semblent unanimes pour dénoncer le manque de recul et de réflexion pour accorder des permis d’exploration et d’exploitation. “En clair, le gouvernement n’est pas prêt à décider quoi que ce soit avant l’élection présidentielle de 2012, et d’ici là, la loi Jacob aura peut-être été adoptée” (le Monde du 23 avril 2011). Toutefois, il est à noter que ce rapport ne ferme pas la porte à une possible exploration des gaz de schiste : “Il serait dommageable pour l’économie nationale et pour l’emploi que notre pays aille jusqu’à s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle.”
Pour ainsi dire, il n’y a rien de véritablement “révolutionnaire” dans cette production de gaz. Il s’agit de forer le sol à une certaine profondeur jusqu’à atteindre une couche de schiste ou plus précisément de roche sédimentaire argileuse (appelée “shale” par les géologues canadiens) et d’en extraire les hydrocarbures par pompage. Rien de bien nouveau depuis le premier puits de gaz foré en 1821 à Fredonia aux Etats-Unis, dans une formation de schiste du dévonien. Rapidement abandonnée au profit de l’exploitation des réservoirs de gaz conventionnel, cette méthode fait aujourd’hui son retour “en grandes pompes” avec quelques modifications tout à fait stupéfiantes !
La méthode traditionnelle d’extraction de gaz conventionnel consiste en un forage vertical au dessus de la poche de gaz à exploiter. Le nouveau procédé s’appuie sur le forage directionnel (souvent horizontal), associé à la fracturation hydraulique. Le forage directionnel consiste à forer non pas verticalement, mais à une profondeur et un angle qui permettent au puits de rester confiné dans une zones potentiellement productrices (1). La fracturation hydraulique consiste à provoquer un grand nombre de micro-fractures dans la roche contenant du gaz, permettant à celui-ci de se déplacer jusqu’au puits afin d’être récupéré en surface. La fracturation est obtenue par l’injection d’eau à haute pression dans la formation géologique. On injecte également du sable de granulométrie adapté qui va s’insinuer dans les micro-fractures et empêcher qu’elles ne se referment. Du point de vue technique, il faut reconnaître que ce procédé est très astucieux. Mais en y regardant de plus près… il s’avère être une menace immédiate sur le plan écologie et sanitaire. Outre la consommation en eau particulièrement vorace de ce procédé (2), on ajoute des additifs dans l’eau pour améliorer l’efficacité de la fracturation, parmi lesquels figurent :
– des lubrifiants, qui favorisent la pénétration du sable dans les micro-fractures ;
– des biocides destinés à réduire la prolifération bactérienne dans le fluide et dans le puits ;
– des détergents qui augmentent la déportation du gaz et donc la productivité des puits ;
– des produits pour gélifier l’eau et autres anti-corrosions…
La liste est encore longue. Selon le Centre Tyndall (université de Manchester), certains de ces additifs seraient toxiques et cancérigènes.
Pour le forage des douze puits d’une plate-forme, c’est au total jusqu’à 7000 tonnes d’additifs toxiques qui peuvent être déversés dans les sous-sols, risquant ainsi de contaminer l’eau contenue dans les nappes phréatiques environnantes. Si, pour certains spécialistes comme Didier Bonijoly, chef du bureau des recherches géologiques et minières, ce risque serait minime du fait qu’“en général, les couches de schiste visées par les explorations en France sont bien trop profondes pour que les fissures puissent atteindre les nappes phréatiques proches de la surface”, son homologue Bernard Collot, un géologue ancien d’Exxon, a la lucidité de reconnaître : “dans nos régions géologiquement agitées, les couches de schistes sont plissées et fracturées, si bien qu’on peut imaginer une migration verticale des additifs par les failles de schiste”. En France, le risque de pollution à grande échelle est bien réel.
Le film documentaire de Josh Fox intitulé “Gasland”, diffusé sur Canal + en avril dernier, est très explicite et démonstratif. On y voit des familles américaines, vivant à proximité des fameuses plate-formes de forage, condamnées à souffrir des conséquences de cette exploitation sauvage. Par les robinets des maisons, de l’eau pétillante contaminée par les hydrocarbures se déverse devant les yeux pleins de colère des habitants impuissants. Un homme approche une flammèche du filet d’eau trouble… et tout l’évier est envahi de flammes ! Plus tard, on apprend qu’une famille aura bu cette eau contaminée pendant plusieurs années avant de se rendre compte de sa toxicité. Il faut également remarquer que le procédé de fracturation peut entraîner la migration de certains éléments radioactifs contenus dans les sous-sols vers, entre autres, des nappes phréatiques !
Et ce n’est là qu’un début. La société norvégienne Statoil [37], impliquée dans une coentreprise [38] avec Chesapeake Energy [39] pour produire le gaz de schiste du Marcellus Shale dans le nord-est des Etats-Unis, veut profiter de son “expérience” pour développer le gaz de schiste en Europe. La société russe Gazprom [40] a annoncé en octobre 2009 qu’elle envisageait l’achat d’un producteur américain de gaz de schiste afin d’acquérir une expertise qu’elle pourrait utiliser pour développer le potentiel de la Russie. Dans le Barnett Shale au Texas [41], la compagnie pétrolière française Total SA [42] participe à une coentreprise [38] avec Chesapeake Energy, alors que la société italienne ENI [43] a acquis une participation dans Quicksilver Resources. En Autriche, l’exploration est en cours. OMV [44] travaille sur un bassin prometteur, près de Vienne [45]. En Allemagne, Exxon Mobil [46] détient des baux sur 750 000 hectares dans le bassin inférieur de la Saxe [47], où elle projetait de forer dix puits de gaz de schiste en 2009. Cette [46] même compagnie a foré le premier puits de gaz de schiste en Hongrie [48] dans la fosse Mako, en 2009. En Angleterre, Eurenergy Resource Corporation a annoncé son intention de forer pour du gaz de schiste dans le bassin Weald [49], situé dans le sud du pays. La Royal Dutch Shell [50] évalue la viabilité des schistes d’Alum, dans le sud de la Suède, comme source de gaz de schiste. Beach Petroleum Limited a annoncé son intention de forer pour du gaz de schiste dans le bassin de Cooper, en Australie-Méridionale [51]. La Chine s’est fixé un objectif de production de 30 milliards de mètres cubes par an à partir des schistes…
Voilà se dessiner une fois encore l’avenir glorieux que nous annonce cette société décadente, pourrie jusqu’à la moelle ! Les contraintes économiques qui poussent ces grandes compagnies à développer des méthodes d’extraction toujours plus complexes, profondes et… risquées, rappellent étrangement la catastrophe de la plate-forme Deapwater survenue dans le golfe du Mexique il y a tout juste un an.
Le capitalisme ne s’arrêtera jamais de détruire la planète.
Maxime (26 avril)
1) “Selon Total, dix à quinze puits peuvent être installés sur une même plate-forme de forage, afin de rayonner dans toutes les directions. Le forage horizontal peut aller jusqu’à trois kilomètres” (le Point, 11.04.2011).
2) “Compte tenu du recyclage possible d’une partie de cette eau (entre 20 et 80 %), il faut prévoir 200 000 mètres cubes pour forer les douze puits d’une plate-forme” (idem).
Depuis le début des révoltes sociales dans les pays arabes, la presse chinoise est extrêmement discrète sur les événements. Tout au plus sont-ils présentés comme l’œuvre de l’impérialisme américain, sans écho envisageable en Chine.
Mais au-delà du discours de façade des autorités chinoises, c’est bien une contagion à laquelle s’attend la bourgeoisie mondiale dans ce pays, comme le montre cet article de presse de janvier 2011 : “Une étude du CNRS dans le Sud de la Chine montre une combativité nouvelle qui pourrait déboucher sur une grève générale. […] Depuis un an, on voit se multiplier les conflits du travail. De ce fait, les salaires montent. Les journaux ont même fait état de plusieurs conflits, dans des entreprises taïwanaises ou japonaises, lesquels se sont soldés par de très conséquentes hausses de salaires. Le mouvement est tellement fort que de plus en plus d’observateurs parlent de la possibilité d’une grève générale en Chine du Sud. [...] les conditions sont réunies pour un printemps ouvrier en Chine du Sud, explosif ou rampant, mouvement qui a déjà commencé ; tout porte à penser qu’il va se développer dans les mois qui viennent” (1).
Et le sud de la Chine n’est pas la seule région à connaître des conflits sociaux. Après les grèves massives de mai à juillet 2010 (2), qui se sont principalement soldées par des augmentations de salaire allant de 20 à 70 % selon l’endroit (3), des mouvements sporadiques de moindre ampleur continuent à toucher la moitié est du pays, là où la classe ouvrière est la plus concentrée, et concernent un grand nombre de secteurs : usines de batteries (Huizhou), d’électronique (Longhua, Foshan, Shenzhen), de textiles (Wuhan), chantiers de construction (Shanghai, Zunhua, Wuzhou, Canton), transports en commun (Shenzhen), éducation (Shenzhen), assainissement (Canton), chômeurs (Emeishan). Et ce qui caractérise ces mouvements, qui mobilisent parfois plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’ouvriers, c’est à la fois leur caractère spontané et leurs principales revendications, dans lesquelles chaque prolétaire peut se reconnaître au-delà de son lieu de travail ou de son secteur : hausse des salaires, paiement des heures supplémentaires et des arriérés de salaire, paiement des indemnités de licenciement et de maladie professionnelle, meilleures conditions de travail, lutte contre les licenciements et le chômage, protestation contre la répression patronale et étatique…
Même si les revendications ouvrières sont parfois en grande partie satisfaites, notamment dans les entreprises étrangères, c’est loin d’être une généralité et cela ne se passe pas sans heurts : une répression féroce est à l’œuvre.
D’un côté, il y a la répression de l’État stalinien. Si habituellement il s’agit de matraquages suivis d’arrestations, en janvier la police n’a pas hésité à tirer à balle réelle sur une manifestation d’une centaine d’ouvriers protestant contre leur salaire misérable, faisant plusieurs blessés (4).
De l’autre, il y a la répression patronale. Outre les classiques menaces de licenciement envers les grévistes, il est aussi fait usage de nervis issus des couches déclassées, du lumpenprolétariat, transportés par dizaines voire par centaines au devant des ouvriers, parfois armés de couteaux et de tubes métalliques, et se vantant pour certains d’être payés 50 $ par jour pour casser du gréviste ; bien évidemment, la police n’est jamais présente sur les lieux au moment même de ces exactions, qui font à chaque fois de nombreux blessés (5).
Mais la répression brutale est insuffisante pour venir à bout du mécontentement ouvrier ; il est nécessaire pour la bourgeoisie d’avoir également recours à son principal outil de sabotage des luttes : le syndicalisme.
Le syndicat unique lié au Parti “communiste” chinois au pouvoir, la Fédération des Syndicats de toute la Chine (ACFTU) (6), est aujourd’hui fortement discrédité. “En effet, en cas de grève, le syndicat n’hésite pas à prendre l’initiative pour renvoyer des salariés grévistes, ou embaucher des non-grévistes. [...] Il n’est pas rare que le syndicat envoie des milices pour taper sur les grévistes” (7). De plus, “les leaders syndicaux sont désignés par le Parti communiste, payés par les entreprises dans lesquelles ils officient, et pour beaucoup sont des membres du Parti communiste, voire des comités de direction des entreprises dont ils sont censés défendre les travailleurs. Par exemple, à l’usine Honda de Foshan, touchée par un mouvement de grève en mai, les représentants syndicaux étaient le directeur de l’usine et d’autres cadres dirigeants.” Cette situation rend indispensable de redorer le blason syndical et d’accroître son influence, en profitant des illusions sur le syndicalisme toujours présentes chez les ouvriers. D’une part, “il est prévu de changer le mode de rémunération des leaders syndicaux, et de permettre leur élection par la base des travailleurs. Les leaders syndicaux pourraient donc bientôt être payés directement par l’ACFTU, et choisis par les travailleurs dans un processus de “gestion démocratique” des syndicats au niveau local” (8). D’autre part, l’ACFTU était jusque l’année dernière très peu implantée dans les entreprises privées, chinoises ou étrangères, et ne syndiquait quasiment pas d’ouvriers migrants, pour la plupart de jeunes prolétaires arrivés des campagnes chinoises, subissant les salaires les plus bas et les conditions de travail les plus difficiles, et qui font preuve d’une grande combativité dans les luttes ; l’extension de la présence de l’ACFTU dans ces directions est ainsi devenue une priorité pour la bourgeoisie chinoise (9).
Pour réussir dans cette entreprise de renforcement de l’appareil d’encadrement, quoi de mieux que de s’adresser aux champions toutes catégories du sabotage syndical : les bourgeoisies des pays centraux du capitalisme. En témoigne cette tournée aux États-Unis d’une délégation de dirigeants de l’ACFTU partis rencontrer leurs homologues américains afin “d’améliorer leurs relations” (10), ou encore ces “séances d’échanges entre syndicalistes chinois et français” (11).
La bourgeoisie mondiale n’a en effet aucun intérêt au développement de la lutte de classe dans quelque partie du monde que ce soit, et pour contrer celle-ci elle est toujours capable de passer outre ses rivalités économiques et impérialistes. Pour la combattre, le prolétariat devra lui opposer sa solidarité de classe internationale.
DM (21 avril)
1) http ://dndf.org/ ?p=8835 [53]
2) Voir notre article : “Une vague de grèves parcourt la Chine [54]”, Révolution internationale no 415.
3) www.clb.org.hk/en/node/100813 [55].
4) http ://dndf.org/ ?p=8843 [56]
5) http ://chinastrikes.crowdmap.com/reports/view/59 [57] et http ://chinastrikes.crowdmap.com/reports/view/57 [58]
6) “All-China Federation of Trade Unions” en anglais de Hong-Kong.
7) http ://dndf.org/ ?p=8835 [53]
8) http ://dndf.org/ ?p=7498 [59]
9) www.clb.org.hk/en/node/101029 [60].
10) www.clb.org.hk/en/node/100837 [61].
11) http ://dndf.org/ ?p=8835 [53]. Ainsi, après avoir envisagé d’apporter le concours de sa police pour venir à bout des révoltes sociales en Tunisie, la France envoie ses syndicats en Chine afin de prévenir de telles révoltes. Décidément, le savoir-faire français en la matière s’exporte bien.
Comme on s’y attendait depuis quelque temps, l’armée française est intervenue massivement en Côte-d’Ivoire en utilisant chars, missiles et autres armements lourds pour déloger Gbagbo de son bunker et installer Ouattara au pouvoir, en bombardant au passage résidences et autres édifices, provoquant sans doute nombre des victimes. Cependant, plusieurs jours après cette pluie de bombes et tirs de missiles, on ne sait rien du nombre de ces victimes. En effet, on a beau faire le tour d’une dizaine de médias (presse écrite et audiovisuels français), pas un seul chiffre n’a été avancé ; comme si on voulait nous faire croire qu’il s’agissait d’opérations ultra-“chirurgicales” évitant sciemment tout être humain. Tout au plus, certains projecteurs continuent de montrer des cadavres sauvagement exposés autour et au milieu des passages empruntés par les chars français au cours de leurs actions. Duplicité suprême, les autorités françaises justifient sans honte leur entreprise criminelle au nom de la “protection” des civils et à la demande de l’ONU. Gros mensonge et hypocrisie sans borne, car cela fait des mois que la population et les civils en Côte-d’Ivoire se font massacrer quotidiennement par les bandes et troupes armées sous les regards complices des forces de l’ONU et de la “Licorne”. Cette attitude de l’ONU et de la France relève du cynisme des grands charognards capitalistes.
En effet, comme toutes ses interventions passées, cette fois-ci encore l’impérialisme français s’est mis en première ligne, mais hypocritement “sous couvert” de l’ONU, dont le rôle habituel consiste justement à accompagner les tueurs. La vérité dans cette histoire est celle que décrit si bien cet éminent connaisseur de la “Françafrique” : “Ainsi, donc loin des discours sans cesse martelés depuis 2007 sur sa volonté de rompre avec les turpitudes interventionnistes, auxquelles se sont livrés tous ses prédécesseurs de la Ve République, Nicolas Sarkozy a remis au goût du jour les propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Louis de Guiringaud, qui, en 1978, déclarait sans ambages que “l’Afrique est la seule région du monde où la France peut se prendre pour une grande puissance capable de changer le cours de l’histoire avec 500 hommes”. […] Les bombardements aériens quotidiens, dont celui du 10 avril visant directement la résidence de Laurent Gbagbo, et le soutien logistique, stratégique et militaire apporté aux forces d’Alassane Ouattara n’entrent assurément pas dans le mandat donné par la résolution 1975 du Conseil de sécurité, en date du 30 mars.[…] Dans pratiquement tous les cas où l’armée française a agi pour voler au secours d’un président ami menacé par des troubles intérieurs, ou installer un chef d’Etat en lieu et place de celui qui est au pouvoir, les dirigeants français ne se sont jamais embarrassés de savoir si le droit, comme par exemple l’existence d’un accord international, les y autorisait. Pire, la protection ou l’évacuation des nationaux français a parfois été le prétexte pour une opération de maintien de l’ordre destiné à garder au pouvoir un président, comme ce fut le cas au Gabon, en 1990, où l’armée française, après avoir sécurisé les nationaux à Port-Gentil, a été surtout assignée à des tâches de maintien de l’ordre à Libreville qui ont permis d’asseoir le pouvoir d’Omar Bongo” (Albert Bourgi, le Monde du 16 mars 2011).
En réalité, la France préparait son intervention armée dès le lendemain de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de novembre/décembre 2010. C’est dans ce cadre qu’elle a préparé et armé le camp Ouattara en guidant celui-ci dans ses opérations, y compris les plus monstrueuses comme celles ayant abouti aux massacres de Duékoué.
“Massacres à dimension politico-ethnique, immolations, viols, exécutions sommaires, pillage : une série d’atrocités ont été commises dans l’extrême ouest de la Côte-d’Ivoire au mois de mars au moment où, à Abidjan, l’affrontement militaire entre le président sortant, Laurent Gbagbo, et le président élu, Alassane Ouattara, focalisait l’attention des observateurs. Si les soldats de M.Gbagbo ont alors tué plus d’une centaine de partisans de son rival, les massacres commis par les forces républicaines de Côte-d’Ivoire (FRCI) de M.Outtara semblent revêtir une autre dimension : elles ont tué des centaines de civils, ciblés comme étant prétendument pro-Gbagbo, violé au moins 23 femmes et brûlé au moins 10 villages pendant leur offensive du mois de mars, selon un rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) publié vendredi 8 avril au soir” (le Monde du 11 avril 2011).
Et, au bout du compte, on dénombre au moins 800 morts selon la Croix-Rouge, un millier selon l’ONG catholique Caritas. Ce sont là les nouvelles autorités ivoiriennes que l’armée française vient d’installer au pouvoir, c’est-à-dire un gouvernement Ouattara “démocratiquement élu” qui entame son mandat en sanguinaire ordinaire.
Ce terrible récit se passe de commentaires sur le degré de barbarie et de monstruosité dont ont fait (et font encore) preuve les deux camps sanguinaires.
“Au repli identitaire ivoirien dont il se faisait le champion, Laurent Gbagbo avait greffé une semelle nationaliste. Celle-ci préconisait à terme “l’indigénisation” partielle de l’économie ivoirienne et la diversification des investissements étrangers en Côte-d’Ivoire. Il s’agissait alors pour M. Gbagbo d’affranchir son pays de sa dépendance systématique historique envers la France. Il s’est alors tourné vers la Chine. En moins d’une décennie, le volume des échanges entre la Côte-d’Ivoire et la Chine explose. D’une cinquantaine de millions d’euros en 2002, il oscille autour du demi-milliard d’euros en 2009. Favorisée par la crise économique en Occident et regorgeant de surplus commerciaux et de devises, la Chine a supplanté la France et les Etats-Unis en Afrique. Le triomphe de la diplomatie économique chinoise en Afrique de l’Ouest notamment confirme la proximité géopolitique entre M.Gbagbo et la gérontocratie pékinoise. L’éviction de la France par la Chine en Côte-d’Ivoire et en Afrique est perçue par le Quai d’Orsay comme une gifle géopolitique inacceptable. Dès lors, la destitution de M.Gbagbo faisait partie des priorités stratégiques de la France” (Willson Saintelmy, le Monde du 16 mars 2011).
Contrairement à la propagande véhiculée par les médias nationaux, cette intervention armée de Sarkozy n’a aucun objectif humanitaire mais elle a pour seul but de défendre les sordides intérêts du capital national. Et ce n’est pas par hasard que les principales forces politiques françaises, de droite comme de gauche, soutiennent cette sale intervention.
Amina (20 avril)
Carlo Rovelli (1) a écrit un ouvrage paru en 2009 intitulé Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique (2).
Parmi la somme d’ouvrages qui abordent la méthode scientifique, ce livre doit retenir l’attention car son auteur fait preuve d’un esprit d’ouverture à saluer. Dans l’introduction de son livre, C. Rovelli montre d’emblée ce qui apparaît clairement comme étant la motivation première qui a présidé à l’écriture de son ouvrage : “En ouvrant, pour reprendre les mots de Pline (3), “les portes de la nature”, Anaximandre (4) a en effet ouvert un conflit titanesque : le conflit entre deux formes de savoirs profondément différents. D’un côté, un nouveau savoir sur le monde fondé sur la curiosité, sur la révolte contre les certitudes et donc sur le changement. De l’autre, la pensée alors dominante, principalement mystico-religieuse, et fondée, dans une large mesure, sur des certitudes qui, par nature, ne peuvent être mises en discussion. Ce conflit a traversé l’histoire de notre civilisation, siècle après siècle, avec victoires et défaites de part et d’autres. Aujourd’hui, après une période où les deux formes de pensées rivales semblaient avoir trouvé une forme de coexistence pacifique, ce conflit semble s’ouvrir à nouveau. De nombreuses voix, d’origines politiques et culturelles assez différentes chantent à nouveau l’irrationalisme et le primat de la pensée religieuse” (p. 7).
Nous ne pouvons que souscrire à cette triste constatation de l’auteur. Celui-ci continue en affirmant : “L’issue incertaine de ce conflit détermine notre vie de tous les jours, et le sort de l’humanité” (page 8).
Anaximandre vécut dans la cité de Milet (5) au vie siècle avant J.-C. Mais bien avant lui et depuis fort longtemps, le savoir avait été développé par la civilisation humaine. L’écriture est utilisée depuis trois millénaires. Les lois sont écrites depuis au moins douze siècles sur de splendides blocs de basalte (visibles au Louvre). Les mathématiques correspondent déjà au savoir actuel d’un enfant de CE2 : “Retenons qu’il a été tout sauf facile pour l’humanité de rassembler des connaissances qu’un enfant de huit ans d’aujourd’hui assimile sans difficultés” (p. 15).
C. Rovelli développe d’emblée, tout au long de son ouvrage, une réflexion faisant le lien entre l’évolution du savoir scientifique et le type de société et d’organisation politique dans laquelle elle s’inscrit.
Pour lui, la forme fondamentale de l’organisation politique des grandes civilisations est la monarchie : “C’est cette structure monarchique qui permet le développement de la civilisation. Elle constitue la garantie de stabilité et de sécurité nécessaire à la complexification des relations sociales” (p. 15). Mais ce type de société monarchique a aussi ses limites, notamment sous l’angle de l’immobilisme qui y règne et des représentations sociales et religieuses qui y sont associées et qui déterminent une “image du monde”. Il nous donne ainsi l’exemple de la civilisation chinoise, capable d’amasser pendant des millénaires une somme de connaissances extraordinaires sur l’astronomie, mais incapable d’en dégager une réalité correcte en lien rationnel avec ses observations. Elle devra ainsi attendre le xvie siècle et la venue du jésuite Matteo Ricci pour accéder aux connaissances développées depuis bien longtemps par l’astronomie grecque et européenne et ainsi comprendre que la terre n’était pas carrée mais ronde.
C’est avec cette même démarche que l’auteur nous montre ce qu’a été Milet pour la naissance de la pensée scientifique : “C’est ici que naît le libre esprit d’investigation qui deviendra la marque distinctive de la pensée grecque et plus tard du monde moderne” (p. 29).
Il décrit Milet comme une ville marchande, un endroit où de nombreuses cultures différentes et formes de pensées se sont réunies : “Une florissante petite cité portuaire ionienne, d’où partent et où arrivent sans cesse des navires de commerce. Où chaque citoyen se sent sans doute plus maître de son destin et de celui de sa cité qu’un anonyme sujet du pharaon ! […] L’Ionie est le pivot entre l’occident et l’orient. Enfin au sud, d’où arrivent les navires phéniciens par lesquels les Grecs ont appris à écrire […] Milet est donc la scène d’un processus politique complexe, qui rappelle celui d’Athènes et celui plus tardif et bien connu de Rome” (p. 28 à 31).
Tout aussi déterminante fut la structure politique et sociale de cette cité où, pour la première fois, quelle que soit sa complexité et les différentes formes qu’elle peut prendre, “on assiste à une remise en question continuelle de la gestion de la chose publique” (p. 95). De cette “désacralisation et cette laïcisation de la vie publique, qui passe des mains des rois à celle des citadins, s’ouvre un processus de désacralisation et de laïcisation du savoir” (p. 95). “Au moment où les cités grecques chassent les rois, quand elles découvrent qu’une collectivité humaine hautement civilisée n’a pas besoin d’un roi-dieu pour exister, qu’au contraire elle fleurit mieux sans roi-dieu, à ce moment la lecture de l’ordre du monde se libère de la sujétion aux dieux créateurs et ordonnateurs, et de nouvelles voies s’ouvrent pour comprendre et ordonner le monde” (p. 95). “La loi que cherche Anaximandre pour comprendre le cosmos est sœur de la loi que les citoyens de la Polis cherchent pour s’organiser” (p. 95). Ce sont ces conditions qui ont présidé à la naissance de la pensée scientifique d’Anaximandre dans la ville de Milet.
Un siècle avant Anaximandre, au sein de la Grèce archaïque, un autre penseur marque son temps : l’historien Hésiode. Son monde et sa pensée sont très humains. Il s’interroge sur le sens de l’humanité et la peine de la vie dans les Travaux et les Jours et sur la naissance et l’histoire de l’univers dans sa théogonie (6). Autant de travaux qui s’inscriront dans les recherches futures et notamment à Milet. Pourtant, comme le dit C. Rovelli : “Les réponses qu’offre Hésiode, quoique sans doute un peu plus complexes, sont taillées dans la même étoffe que celle que nous trouvons partout autour du monde, et en particulier dans la vallée du Tigre et de l’Euphrate : une étoffe faite exclusivement de dieux et de mythes” (p. 23). Lorsque Hésiode se pose les questions “comment le monde est-il né et de quoi est-il fait ?”, il ne peut répondre dans sa théogonie que par ce que nous pourrions résumer ainsi, la force et le désir des dieux. “De tous les textes qui sont arrivés jusqu’à nous, c’est exclusivement par ces mythes que la pensée confère un ordre au monde. Et c’est au pouvoir des dieux, ou en tout cas d’entités surnaturelles, que l’homme attribue les responsabilités des événements du monde” (p. 25). “Selon certains, l’activité religieuse humaine ou en tout cas “rituelle”, remonte au moins à 200 000 ans, sinon à l’origine du langage. C’est aujourd’hui une opinion consensuelle que la pensée religieuse était la pensée universellement dominante, dans toutes les cultures antiques dont nous avons la trace” (p. 152). C’est à ce moment-là de son analyse sur la pensée pré-scientifique que l’auteur choisit d’introduire l’importance de la naissance de la pensée d’Anaximandre pour la pensée scientifique : “Anaximandre invente quelque chose de nouveau : une lecture du monde où la pluie n’est pas décidée par Zeus mais causée par la chaleur du soleil et par le vent, et où le cosmos ne naît pas d’une décision divine mais d’une boule de feu. Il propose d’expliquer le monde de l’origine du cosmos jusqu’à l’origine des gouttes de pluie, sans faire référence aux dieux” (p. 139).
Anaximandre va tirer les premières conséquences scientifiques d’observations déjà millénaires. La liberté de pensée d’Anaximandre va lui permettre de remettre en cause de manière constructive les enseignements de son maître Thalès et des sages ou autres savants chinois. “A mi-chemin entre la révérence absolue des pythagoriciens envers Pythagore, de Mencius envers Confusisus, de Paul envers le Christ, et le rejet brutal de celui qui pense différemment de soi, Anaximandre ouvre une troisième voie. Le respect d’Anaximandre à l’égard de Thalès est clair, et il est évident qu’il s’appuie complètement sur ses conquêtes intellectuelles. Et pourtant, il n’hésite pas à dire que Thalès s’est trompé, en ceci et en cela, et qu’il est possible de faire mieux. Ni Mencius, ni Paul de Tarse, ni les pythagoriciens n’ont compris que cette troisième voie, étroite, est le chemin de la connaissance” (p. 82).
Ici, c’est la nature même de la démarche scientifique qui est mise en lumière : “La science est avant tout une exploration passionnée d’une nouvelle façon de penser le monde. Sa force ne tient pas aux certitudes qu’elle fournit, mais au contraire à une conscience aiguë de l’étendue de notre ignorance. C’est cette conscience qui nous pousse à sans cesse douter de ce que nous croyons savoir et ainsi nous permet d’apprendre toujours. La recherche de la connaissance ne se nourrit pas de certitudes : elle se nourrit d’une absence radicale de certitudes” (p. 2). Ce que nous dit ici C. Rovelli, c’est qu’il n’existe pas de vérité absolue, vraie de tout temps et pour toujours. La matière, la vie, la pensée, la science sont mouvement.
Malgré cela, la science est source de sécurité. La théorie scientifique est indispensable à la construction de la civilisation humaine. En ce sens, comme le dit l’auteur : “La théorie de Newton ne perd pas sa valeur après Einstein” (p. 107). Comme l’idée de lois naturelles d’Anaximandre et de Pythagore ne perdent pas de leur importance pour le développement de la science avec Platon ! “S’il serait candide de prétendre savoir comment est fait le monde sur la base du peu que nous en connaissons, il serait franchement idiot de mépriser ce que nous savons, seulement parce que demain nous pourrions en savoir un peu plus. […] L’humanité parcourt une voie vers la connaissance qui sait se tenir loin des certitudes de ceux qui se croient dépositaire de la vérité, sans pour autant être incapable de reconnaître qui a raison et qui a tort […]” (p. 6).
Plus profondément encore, comme Anaximandre l’écrit lui-même dans le seul texte qu’il nous reste de lui rapporté par Simplicius (7) : “Toutes choses ont racines l’une dans l’autre et périssent l’une dans l’autre selon la nécessité. Elles se rendent justice l’une à l’autre et se récompensent à l’injustice conformément à l’ordre du temps” (p. 74).
C. Rovelli rend justice à Anaximandre et à ses intuitions. Avant Anaximandre, on se représentait la Terre avec le ciel au-dessus d’elle, celle-ci devant nécessairement reposer sur quelque chose. Anaximandre fait cette découverte “qui a elle seule suffirait à faire de lui un géant de la pensée” (p. 1) : la terre flotte dans le ciel. Il n’y a plus de haut ni de bas. Ces notions n’ont de sens que par rapport à la Terre elle-même.
Ce qui semble aujourd’hui une évidence, l’espèce humaine a mis 200 000 ans à le découvrir. Pourquoi ? “La difficulté est que la Terre flotte dans l’espace contredit violemment l’image que nous avons du monde. C’est une idée absurde, ridicule et incompréhensible. La difficulté principale est d’accepter que le monde puisse ne pas être comme nous croyions qu’il était. Que les choses puissent ne pas être comme elles apparaissent. La vraie difficulté est d’abandonner une image qui nous est familière. Pour franchir ce pas, il faut une civilisation dans laquelle les hommes sont prêts à mettre en doute ce que tout le monde croit vrai”… et tel était le cas à Milet ! (p. 59).
“Mais son héritage est plus vaste. Anaximandre ouvrit la voie à la physique, à la géographie, à l’étude des phénomènes météorologiques et à la biologie” (p. 1). Entre autres contributions d’Anaximandre, il faut noter celle de l’origine de l’homme : “Tous les animaux vivaient originellement dans la mer ou dans l’eau qui recouvrait la terre dans le passé. Les premiers animaux étaient donc des poissons ou des sortes de poissons. Ils ont ensuite conquis la terre ferme quand celle-ci s’est asséchée et se sont adaptés à ce nouveau milieu. Les hommes en particulier ne peuvent être apparus dans leur forme actuelle parce que les nourrissons ne sont pas autosuffisants, ce qui implique que quelqu’un d’autre devait les nourrir. Ils sont donc dérivés d’autres animaux à la forme de poisson” (p. 40). Nous assistons ici à la naissance d’une ébauche de théorie sur l’évolution des espèces.
Carlo Rovelli insiste sur la nécessité de la discussion la plus large et la plus ouverte : “Dans le domaine du savoir, la découverte est que laisser libre cours à la critique, permettre la remise en question, donner le droit à la parole à tous et prendre au sérieux toute proposition, ne mène pas à une cacophonie stérile. Au contraire, cela permet d’écarter les hypothèses qui ne fonctionnent pas, et de faire émerger les meilleures idées” (p. 97). Il s’élève de ce fait contre cette vision du xixe siècle selon laquelle “les bonnes théories scientifiques sont définitives, exactement valides pour l’éternité” (p. 105). Mais aussi contre celle de la théorie scientifique consistant à accumuler et mesurer des faits : “L’objectif déclaré de la recherche scientifique n’est pas de faire des prédictions quantitatives correctes. Qu’est ce que cela signifie ? Construire et développer une image du monde. C’est-à-dire une structure conceptuelle pour penser le monde efficace et compatible avec ce que nous en savons” (p. 111).
Notre quête du savoir est ainsi en permanente évolution : “Nous pensions que la Terre était plate puis qu‘elle était au centre du monde. Nous pensions que les bactéries étaient spontanément générées par la matière inanimée. Nous pensions que les lois de Newton étaient exactes… A chaque nouvelle découverte, le monde se redessine et change sous nos yeux. Nous le connaissons différemment et mieux. La science est une recherche continuelle de la meilleure façon de penser le monde, de regarder le monde. C’est avant tout une exploration de nouvelles formes de penser… Cette aventure s’appuie sur toute la connaissance accumulée mais son âme est le changement perpétuel. La clé du savoir scientifique est la capacité à ne pas rester agrippé à nos certitudes, à nos images, à être prêt à les changer, et le changer encore en fonction d’observations, de discussions, de nouvelles idées, de nouvelles critiques” (p. 111).
Cependant, “s’il ne cesse de se transformer, pourquoi le savoir scientifique est-il digne de foi ?” Pour Carlo Rovelli, “l’aspect évolutif de la science est précisément la raison de sa fiabilité. Les réponses scientifiques ne sont pas définitives mais ce sont, presque par définition, les meilleures réponses dont nous disposons aujourd’hui” (p. 121). “La science offre les meilleures réponses justement parce qu’elle ne considère pas ses réponses comme certainement vraies ; c’est pourquoi elle est toujours capable d’apprendre, de recevoir de nouvelles idées” (p. 122).
C. Rovelli nous présente Anaximandre comme un géant de la pensée. Pour lui : “Il est l’homme qui a donné naissance à ce que les Grecs ont appelé “l’investigation de la nature” jetant les bases y compris littéraires de toute la tradition scientifique ultérieure. Il ouvre sur le monde naturel une perspective rationnelle pour la première fois, le monde des choses est perçu comme directement accessible à la pensée” (p. 169). C’est à notre sens au cœur de cette citation que l’on trouve la raison fondamentale à partir de laquelle l’auteur affirme que nous assistons avec Anaximandre à la naissance de la pensée scientifique.
Pour ce qui nous concerne, le livre de C. Rovelli sur Anaximandre nous semble important à un double titre. Dans l’opposition qu’il introduit entre la pensée mystique et la pensée rationnelle et enfin dans la démonstration qu’il fait tout au long de son ouvrage de l’importance vitale pour l’espèce humaine de ce que l’on doit appeler la méthode scientifique. Méthode d’investigation de la nature que C. Rovelli utilise dans l’étude des travaux d’Anaximandre et de l’exposé qu’il nous fait de l’histoire des sciences. L’auteur utilise ainsi la même méthode qu’ont utilisée depuis bientôt deux siècles Marx et Engels dans leur étude des phénomènes de la nature et de l’histoire.
C’est l’utilisation de cette méthode qui permet par exemple au lecteur de tirer un fil de continuité d’Anaximandre à Copernic, Galilée, Newton et Einstein, ou encore à Darwin.
Pour citer une dernière fois C. Rovelli : “La science est l’aventure humaine qui consiste à explorer les modes de pensée du monde, prête à subvertir certaines de certitudes que nous avions jusqu’ici. C’est l’une des plus belles aventures” (p. 126).
T et P (avril 2011)
1) Carlo Rovelli est professeur à l’université de la Méditerranée (Marseille), membre de l’Institut Universitaire de France, chercheur en physique théorique et co-inventeur avec Lee Smolin et Abbay Ashtekar, de la théorie de la gravitation quantique en boucles
2) Editions Dunod-La Recherche.
3) Pline, naturaliste et écrivain né à Côme en Italie (23-79). Il a laissé une histoire naturelle en 37 volumes.
4) Anaximandre, philosophe grec de l’école ionienne (610-547 av. J.-C.).
5) Milet, située sur la côte occidentale de l’actuelle Turquie.
6) Généalogie et filiation des dieux.
7) Simplicius, mort en 483, pape de 463 à 483.
Au moment où, dans beaucoup de pays, les médias font, jour après jour, leurs gros titres sur le “séisme” du “scandale DSK”, un autre “séisme”, réel, frappe l’Europe : celui d’un vaste mouvement social en Espagne qui se cristallise, depuis le 15 mai, par l’occupation jour et nuit de la Puerta del Sol (la “Porte du Soleil”) à Madrid par une marée humaine composée essentiellement de jeunes, révoltés par le chômage, les mesures d’austérité du gouvernement Zapatero, la corruption des politiciens... Ce mouvement social s’est répandu comme une traînée de poudre à toutes les villes du pays grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) : Barcelone, Valence, Grenade, Séville, Malaga, Léon… Mais les informations n’ont pas franchi la barrière des Pyrénées. En France, seuls les réseaux sociaux Internet et certains médias alternatifs ont largement diffusé les images et les vidéos de ce qui se passait en Espagne depuis la mi-mai. Si les médias bourgeois ont fait un tel black-out sur ces événements, en préférant nous intoxiquer avec la “série américaine” de l’affaire DSK, c’est justement parce que ce mouvement constitue une étape très importante dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière mondiale face à l’impasse du capitalisme.
Le mouvement des “Indignés” en Espagne a mûri depuis la grève générale du 29 septembre 2010 contre le projet de réforme des retraites. Cette grève générale s’était soldée par une défaite, tout simplement parce que les syndicats avaient négocié avec le gouvernement et accepté le projet de réforme (les travailleurs actifs de 40-45 ans toucheront, à leur départ à la retraite, une pension inférieure de 20 % à leur pension actuelle). Cette défaite a provoqué un profond sentiment d’amertume au sein de la classe ouvrière. Mais elle a suscité un profond sentiment de colère parmi les jeunes qui s’étaient mobilisés et avaient participé activement au mouvement, notamment en apportant leur solidarité dans les piquets de grève.
Début 2011, la colère commence à gronder dans les universités. En mars, au Portugal, un appel à une manifestation du groupe Jeunes précaires est lancé sur Internet et débouche sur une manifestation regroupant 250 000 personnes à Lisbonne. Cet exemple a eu un effet immédiat dans les universités espagnoles, notamment à Madrid. La grande majorité des étudiants et des jeunes de moins de 30 ans survit avec 600 euros par mois grâce à des petits boulots. C’est dans ce contexte qu’une centaine d’étudiants ont constitué le groupe Jeunes sans avenir (Jovenes sin futuro). Ces étudiants pauvres, issus de la classe ouvrière, se sont regroupés autour du slogan “sans soins, sans toit, sans revenus, sans peur”. Ils ont appelé à une manifestation le 7 avril. Le succès de cette première mobilisation qui a rassemblé environ 5000 personnes, a incité le groupe Jeunes sans avenir à programmer une nouvelle manifestation pour le 15 mai. Entre temps est apparu à Madrid le collectif Democracia Real Ya (Démocratie réelle maintenant !) dont la plate-forme se prononçait aussi contre le chômage et la “dictature des marchés”, mais qui affirmait être “apolitique”, ni de droite ni de gauche. Democracia Real Ya a lancé également des appels à manifester le 15 mai dans d’autres villes. Mais c’est à Madrid que le cortège a connu le plus grand succès avec environ 25 000 manifestants. Un cortège bon enfant qui devait se terminer tranquillement sur la place de la Puerta del Sol.
Les manifestations du 15 mai appelées par Democracia Real Ya ont connu un succès spectaculaire : elles exprimaient un mécontentement général, notamment parmi les jeunes confrontés au problème du chômage à la fin de leurs études. Tout aurait dû apparemment s’arrêter là, mais à la fin des manifestations, à Madrid et à Grenade, des incidents provoqués par un petit groupe de “black blocks” sont réprimés par les charges de la police et se sont soldés par plus d’une vingtaine d’arrestations. Les détenus, brutalisés dans les commissariats, se sont regroupés dans un collectif et ont adopté un communiqué dénonçant les violences policières. La diffusion de ce communiqué a suscité immédiatement une réaction d’indignation et de solidarité générale face à la brutalité des forces de l’ordre. Une trentaine de personnes totalement inconnues et inorganisées décident d’occuper la Puerta del Sol à Madrid et d’y établir un campement. Cette initiative a fait immédiatement tâche d’huile et a gagné la sympathie de la population. Le même jour, l’exemple madrilène s’étend à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression policière met le feu aux poudres et depuis lors, les rassemblements de plus en plus massifs sur les places centrales se sont étendus à plus de 70 villes du pays et n’ont fait que croître à toute allure.
Dans l’après-midi du mardi 17 mai, les organisateurs du Mouvement du 15 mai avaient prévu des actions silencieuses de protestation ou des mises en scène ludique “défouloir”, mais la foule rassemblée sur les places publiques ne cessait de croître en réclamant à grands cris la tenue d’assemblées. A 20 heures, commencent à se tenir des assemblées à Madrid, Barcelone, Valence et dans d’autres villes. A partir du mercredi 18, ces assemblées prennent la forme d’une véritable avalanche. Les rassemblements se transforment en Assemblées générales ouvertes sur les places publiques.
Face à la répression et dans la perspective des élections municipales et régionales, le collectif Democracia Real Ya lance le débat autour d’un objectif : la “régénération démocratique” de l’État espagnol. Il revendique une réforme de la loi électorale afin d’en finir avec le bipartisme PSOE/Parti Populaire, en réclamant une “vraie démocratie” après 34 ans de “démocratie imparfaite” suite au régime franquiste.
Mais le mouvement des “Indignés” a largement débordé la seule plate-forme revendicative, démocratique et réformiste, du collectif Democracia Real Ya. Il ne s’est pas cantonné à la seule révolte de la jeune “génération perdue des 600 euros”. Dans les manifestations et sur les places occupées à Madrid, comme à Barcelone, Valence, Malaga, Séville, etc., sur les pancartes et banderoles, on pouvait y lire des slogans tels que : “Démocratie sans capital !”, “PSOE et PP, la même merde”, “Construisons un futur sans capitalisme !”, “Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir”, “Tout le pouvoir aux Assemblées !”, “Le problème n’est pas la démocratie, le problème, c’est le capitalisme !”, “Sans travail, sans maison, sans peur”, “Ouvriers, réveillez-vous !” “600 euros par mois, voilà où est la violence !”.
A Valence, des femmes criaient : “Ils ont trompés les grands-parents, ils ont encore trompés les fils, il faut que les petits-enfants ne se laissent pas avoir !”.
Face à la démocratie bourgeoise qui réduit la “participation” au fait de “choisir” tous les quatre ans le politicien qui ne tiendra jamais ses promesses électorales et mettra en œuvre les plans d’austérité exigés par l’aggravation inexorable de la crise économique, le mouvement des “Indignés” en Espagne s’est réapproprié spontanément une arme du combat de la classe ouvrière : les Assemblées générales ouvertes. Partout ont surgi des assemblées massives de villes, regroupant des dizaines de milliers de personnes de toutes les générations et de toutes les couches non exploiteuses de la société. Dans ces assemblées, chacun peut prendre la parole, exprimer sa colère, lancer des débats sur différentes questions, faire des propositions. Dans cette atmosphère d’ébullition générale, la parole se libère, tous les aspects de la vie sociale sont passés en revue (politique, culturel, économique…). Les places sont inondées par une gigantesque vague collective d’idées discutées dans un climat de solidarité et de respect mutuel. Dans certaines villes, on installe des “boîtes à idées”, des urnes où chacun peut déposer des idées rédigées sur un bout de papier. Le mouvement s’organise avec une très grande intelligence. Des commissions se mettent en place, notamment pour éviter les débordements et les affrontements avec les forces de l’ordre : la violence y est interdite, l’alcoolisation proscrite avec le mot d’ordre “La revolución no es botellón” (La révolution n’est pas une beuverie). Chaque jour, des équipes de nettoyage sont organisées. Des cantines publiques servent des repas, des garderies pour enfants et des infirmeries sont montées avec des volontaires. Des bibliothèques sont mises en place ainsi qu’une “banque du temps” (où son organisés des enseignements aussi bien scientifiques que culturels, artistiques, politiques, économiques). Des “journées de réflexion” sont planifiées. Chacun apporte ses connaissances et ses compétences.
En apparence, ce torrent de pensées ne semble déboucher sur rien. Il n’y a pas de propositions concrètes, pas de revendications réalistes ou immédiatement réalisables. Mais ce qui apparaît clairement, c’est d’abord et avant tout un énorme ras-le-bol de la misère, des plans d’austérité, de l’ordre social actuel, une volonté collective de briser l’atomisation sociale, de se regrouper pour discuter, réfléchir tous ensemble. Malgré les nombreuses confusions et illusions, dans les bouches comme sur les banderoles et pancartes, le mot “révolution” est réapparu et ne fait plus peur.
Dans les assemblées, les débats ont fait apparaître des questions fondamentales :
– faut-il se limiter à la “régénération démocratique” ? Les problèmes n’ont-ils pas leur origine dans le capitalisme, un système qui ne peut être réformé et doit être détruit de fond en comble ?
– Le mouvement doit-il s’arrêter le 22 mai, après les élections, ou faut-il le poursuivre pour lutter massivement contre les attaques des conditions de vie, le chômage, la précarité, les expulsions ?
– Ne devrait-on pas étendre les assemblées aux lieux de travail, aux quartiers, aux agences pour l’emploi, aux lycées, aux universités ? Doit-on enraciner le mouvement chez les travailleurs qui sont les seuls à avoir la force de mener une lutte généralisée ?
Dans ces débats au sein des assemblées, deux tendances sont apparues très clairement :
– l’une, conservatrice, animée par les couches sociales non prolétariennes semant l’illusion qu’il est possible de réformer le système capitaliste à travers une “révolution démocratique et citoyenne” ;
– l’autre, prolétarienne, mettant en évidence la nécessité d’en finir avec le capitalisme.
Les assemblées qui se sont tenues le dimanche 22 mai, jour des élections, ont décidé de poursuivre le mouvement. De nombreuses interventions ont déclaré : “nous ne sommes pas ici à cause des élections, même si elles ont été le détonateur”. La tendance prolétarienne s’est plus clairement affirmée à travers les propositions d’“aller vers la classe ouvrière” en mettant en avant des revendications contre le chômage, la précarité, les attaques sociales. A la Puerta del Sol, la décision est prise d’organiser des “assemblées populaires” dans les quartiers. On commence à entendre des propositions d’extension vers les lieux de travail, les universités, les agences pour l’emploi. A Malaga, Barcelone et Valence, les assemblées ont posé la question d’organiser une manifestation contre les réductions du salaire social, en proposant une nouvelle grève générale, qui soit “véritable” comme l’a affirmé l’un des orateurs.
C’est surtout à Barcelone, capitale industrielle du pays, que l’Assemblée centrale de la place de Catalogne apparaît comme la plus radicale, la plus animée par la tendance prolétarienne et la plus distante par rapport à l’illusion de la “régénération démocratique”. Ainsi, des ouvriers de la Telefónica, des travailleurs des hôpitaux, des pompiers, des étudiants mobilisés contre les coupes sociales, ont rejoint les assemblées de Barcelone et ont commencé à leur insuffler une tonalité différente. Le 25 mai, l’Assemblée de la place de Catalogne décide de soutenir activement la grève des travailleurs des hôpitaux, tandis que l’Assemblée de la Puerta del Sol à Madrid décide de décentraliser le mouvement en convoquant des “assemblées populaires” dans les quartiers afin de mettre en pratique une “démocratie participative horizontale”. A Valence, les manifestations des chauffeurs de bus ont rejoint une manifestation d’habitants contre les coupes budgétaires dans l’enseignement. A Saragosse, les conducteurs de bus se sont joints aux rassemblements avec le même enthousiasme.
A Barcelone, les “Indignés” décident de maintenir leur campement et de continuer à occuper la place de Catalogne jusqu’au 15 juin.
Quelle que soit la direction dans lequel va se poursuivre le mouvement, quelle que soit son issue, il est clair que cette révolte initiée par les jeunes générations confrontées au chômage (en Espagne, 45 % de la population des 20-25 ans n’a pas de travail), se rattache pleinement au combat de la classe ouvrière. Sa contribution à la lutte internationale de la classe ouvrière est indiscutable.
C’est un mouvement généralisé qui a impliqué toutes les couches sociales non exploiteuses, notamment toutes les générations de la classe ouvrière. Même si celle-ci a été noyée dans la vague de colère “populaire” et ne s’est pas affirmée de façon autonome à travers des grèves et manifestations massives, en mettant en avant ses propres revendications économiques immédiates. Ce mouvement exprime en réalité une maturation en profondeur de la conscience au sein de la seule classe qui puisse changer le monde en renversant le capitalisme : la classe ouvrière.
Ce mouvement révèle clairement que, face à la faillite de plus en plus évidente du capitalisme, des masses importantes commencent à se lever dans les pays “démocratiques” d’Europe occidentale, ouvrant la voie à la politisation des luttes du prolétariat.
Mais surtout, ce mouvement a révélé que les jeunes, en grande majorité des travailleurs précaires et chômeurs, ont été capables de s’approprier les armes de combat de la classe ouvrière, les assemblées générales massives et ouvertes, qui leur ont permis de développer la solidarité et de prendre eux-mêmes en main leur propre mouvement en dehors des partis politiques et des syndicats.
Le mot d’ordre “Tout le pouvoir aux assemblées !” qui a surgi dans le mouvement, même si de façon encore minoritaire, n’est qu’un remake du vieux mot d’ordre de la Révolution russe “Tout le pouvoir aux conseils ouvriers !” (soviets).
Même si, aujourd’hui, le mot “communisme” fait encore peur (du fait du poids des campagnes déchaînées par la bourgeoisie au lendemain de l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes staliniens), le mot “révolution” n’a effrayé personne, bien au contraire.
Ce mouvement n’est nullement une “Spanish Revolution” comme le présente le collectif Democracia Real Ya. Le chômage, la précarité, la vie chère et la dégradation constante des conditions d’existence des masses exploitées ne sont pas une spécificité espagnole ! Le visage sinistre du chômage, notamment le chômage des jeunes, on le voit autant à Madrid qu’au Caire, autant à Londres qu’à Paris, autant à Athènes qu’à Buenos Aires. Nous sommes tous unis dans la même chute dans l’abîme de la décomposition de la société capitaliste. Cet abîme, ce n’est pas seulement celui de la misère et du chômage, mais aussi celui de la multiplication des catastrophes nucléaires, des guerres et d’une dislocation des rapports sociaux accompagnée d’une barbarie morale (comme en témoigne, entre autres, l’augmentation des agressions sexuelles et des violences faites aux femmes dans les pays “civilisés”).
Le mouvement des “Indignés” n’est pas une “révolution”. Il n’est qu’une nouvelle étape dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière à l’échelle mondiale qui, seuls, peuvent ouvrir une perspective de futur pour cette jeunesse “sans avenir” comme pour l’ensemble de l’humanité.
Ce mouvement (malgré toutes ses confusions et ses illusions sur la “République indépendante de la Puerta del Sol”), révèle que, dans les entrailles de la société bourgeoise, la perspective d’une autre société est en gestation. Le “séisme espagnol” révèle que les nouvelles générations de la classe ouvrière, qui n’ont rien à perdre, sont d’ores et déjà les acteurs de l’histoire. Elles sont en train de creuser les galeries pour d’autres tremblements de terre sociaux qui finiront par ouvrir la voie vers l’émancipation de l’humanité. Grâce à l’utilisation de réseaux sociaux Internet, de la téléphonie mobile et des moyens modernes de communication, ces jeunes générations ont montré leur capacité à briser le black-out de la bourgeoise et de ses médias pour commencer à développer la solidarité au-delà des frontières.
Cette nouvelle génération de la classe ouvrière a émergé sur la scène sociale internationale à partir de 2003, d’abord face à l’intervention militaire en Irak de l’administration Bush (dans de nombreux pays, les jeunes manifestants protestaient contre la “busherie”), puis avec les premières manifestations en France contre la réforme des retraites en 2003. Elle s’est affirmée au printemps 2006 dans ce même pays avec le mouvement massif des étudiants et lycéens contre le CPE. En Grèce, en Italie, au Portugal, en Grande-Bretagne, la jeunesse scolarisée a fait également entendre sa voix face à la seule perspective que le capitalisme est capable de lui offrir : la misère absolue et le chômage.
Le raz de marée de cette nouvelle génération “sans avenir” a frappé récemment la Tunisie et l’Égypte, conduisant à une gigantesque révolte sociale qui a provoqué la chute de Ben Ali et de Moubarak. Mais il ne faut pas oublier que l’élément déterminant qui a obligé la bourgeoisie des principaux pays “démocratiques” (et notamment Barak Obama) à lâcher Ben Ali et Moubarak, ce sont les grèves ouvrières et la menace d’une grève générale face à la répression sanglante des manifestants.
Depuis, la place Tarhir est devenue un emblème, un encouragement à la lutte pour les jeunes générations de la classe ouvrière dans de nombreux pays. C’est sur ce modèle que les “Indignés” en Espagne ont établi leur campement à la Puerta del Sol, ont occupé les places de plus de 70 villes et ont agrégé dans les assemblées toutes les générations et toutes les couches sociales non exploiteuses (à Barcelone, les “Indignés” ont même renommé la place de Catalogne, “Plaza Tahrir”).
Le mouvement des “Indignés” est, en réalité, beaucoup plus profond que la révolte spectaculaire qui s’est cristallisée au Caire sur la place Tahrir.
Ce mouvement a explosé dans le principal pays de la péninsule Ibérique, et qui constitue le pont entre deux continents. Le fait qu’il se déroule dans un Etat “démocratique” d’Europe occidentale (et, de surcroît, dirigé par un gouvernement “socialiste” !), ne peut que contribuer, à terme, à balayer les mystifications démocratiques déployées par les médias depuis la “Révolution de jasmin “ en Tunisie.
De plus, bien que Democracia Real Ya qualifie ce mouvement de “spanish revolution”, aucun drapeau espagnol n’a été exhibé, alors que la place Tahrir était inondée de drapeaux nationaux (1).
Malgré les illusions et confusions qui jalonnent inévitablement ce mouvement initié par les jeunes “Indignés”, ce dernier constitue un maillon très important dans la chaîne des luttes sociales qui explosent aujourd’hui. Avec l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme, ces luttes sociales ne peuvent que continuer à converger avec la lutte de classe du prolétariat et contribuer à son développement.
Le courage, la détermination et le sens profond de la solidarité de la jeune génération “sans avenir” révèle qu’un autre monde est possible : le communisme, c’est-à-dire l’unification de la communauté humaine mondiale. Mais pour que ce “vieux rêve” de l’humanité puisse devenir réalité, il faut d’abord que la classe ouvrière, celle qui produit l’essentiel des richesses de la société, retrouve son identité de classe en développant massivement ses combats dans tous les pays contre l’exploitation et contre toutes les attaques du capitalisme.
Le mouvement des “Indignés” a commencé à poser de nouveau la question de la “révolution”. Il appartient au prolétariat mondial de la résoudre et de lui donner une direction de classe dans ses combats futurs vers le renversement du capitalisme. C’est uniquement sur les ruines de ce système d’exploitation basé sur la production de marchandises et le profit que les nouvelles générations pourront édifier une autre société, rendre à l’espèce humaine sa dignité et réaliser une véritable “démocratie” universelle.
Sofiane (27 mai 2011)
1) On a même vu, au contraire, apparaître des slogans appelant à une “révolution globale” et à l’“extension” du mouvement au-delà des frontières nationales. Dans toutes les assemblées une “commission internationale” a été créée. Le mouvement des “Indignés” a essaimé dans toutes les grandes villes d’Europe et du continent américain (même à Tokyo, Pnom-Penh et Hanoï, des regroupements de jeunes espagnols expatriés déploient la bannière de Democracia Real Ya !).
L’arrestation et l’incarcération de Dominique Strauss-Kahn, directeur général en exercice du puissant Fonds monétaire international, caracolant sous la casaque social-démocrate en tête de tous les sondages pour les primaires du PS et ultérieurement pour l’élection présidentielle de 2012 en France, ne pouvait que faire sensation et provoquer un énorme scandale. Le voilà désormais sous l’inculpation de sept chefs d’accusation différents dont le harcèlement sexuel et la tentative de viol d’une femme de chambre d’origine guinéenne dans l’hôtel où il se trouvait, cueilli et menotté par la police new-yorkaise dans l’avion qui devait le ramener en Europe.
Les moeurs libertines de DSK (qui ne sont un secret pour personne) ont-elles été exploitées à l’extrême et poussées à la caricature pour diaboliser le personnage, le virer du FMI et saboter sa candidature aux présidentielles en France ? DSK a-t-il été victime d’un “complot” ou de règlements de comptes au sein de différentes cliques de la bourgeoisie ? C’est tout à fait possible. Cette classe de requins et de gangsters ne se fait pas de cadeaux. Elle n’a jamais hésité à “flinguer” (au sens propre comme au sens figuré) l’un des siens. Cela a été le cas, entre autres exemples, en France avec la mort en octobre 1979 du ministre de Giscard, Robert Boulin, en passe de devenir Premier ministre, présentée comme un suicide alors qu’il a été retrouvé noyé sous quelques centimètres d’eau dans un étang de la forêt de Rambouillet et, selon plusieurs témoignages, le visage tuméfié par les coups. Ou encore l’ex-Premier ministre de Mitterrand, Pierre Bérégovoy, qui se suicide le 1er mai 1993 après une énorme campagne l’accusant de corruption. Et, aux Etats-Unis, personne n’a oublié l’assassinat à Dallas de John-Fitzgerald Kennedy (“JFK”) en novembre 1963, probablement commandité – on le sait aujourd’hui – par la CIA, ni le gigantesque scandale du Watergate où le camp républicain avait mis sur écoutes téléphoniques le siège de ses rivaux démocrates et qui a forcé le président Richard Nixon à démissionner en 1975...
“L’affaire DSK” est tout à fait révélatrice des moeurs banalement dépravées de la bourgeoisie et elle va de pair avec les comportements “naturels” de prédateurs de leurs dirigeants. Ce n’est d’ailleurs pas une première : on se souvient que, lorsqu’il était président des Etats-Unis, Bill Clinton s’est fait épingler et a fait l’objet d’une procédure d’empeachment lors de l’affaire Monica Lewinski. De même, les scandales pleuvent sur Berlusconi qui recrute à tour de bras de jeunes call girls ou cover girls pour des “parties fines”, y compris des mineures de moins de 16 ans en achetant le silence de leurs parents, tout en s’enorgueillissant de sa “verdeur” de chaud latin. Les grands de ce monde, souvent grisés par un sentiment de toute puissance, ont tendance à se croire tout permis et ils étalent ce pouvoir avec morgue et arrogance. DSK lui-même avait déjà été confronté en 2008 à une histoire sordide avec une subordonnée sur laquelle il avait exercé un chantage et qui avait failli lui coûter sa place à la tête du FMI. La “morale bourgeoise” s’accommode parfaitement “d’écarts” ou d’agissements de ses dirigeants, de gauche comme de droite, qui relèvent des comportements de voyous et de grands truands mafieux. En France, ces dernières années, les “scandales” ou les “affaires” nauséabondes ont été particulièrement nombreux, de Giscard à Sarkozy, en passant par Mitterrand ou Chirac et leurs ministres : subornations, détournements de fonds publics dans les caisses des partis, implication de ministres dans des affaires louches ou frauduleuses, comme l’étalage d’un luxe ostentatoire dans laquelle ils se vautrent. DSK, avec son goût du luxe, est aussi bling-bling que Sarkozy ; même Christine Lagarde présentée comme la “meilleure” représentante de l’Europe pour succéder à DSK à la tête du FMI est nantie de casseroles (elle est notoirement intervenue plusieurs fois à la rescousse de l’homme d’affaires Bernard Tapie quand celui-ci était en procès dans l’affaire du Crédit Lyonnais).
Ce qui est plus inusité, c’est l’ampleur de la publicité qui est donnée à “l’affaire DSK”. Depuis qu’elle a éclaté le 15 mai, elle a accaparé la “une” de toute la presse internationale et, dans la plupart des médias, on nous abreuve quasiment heure par heure en direct des péripéties de ce qui nous est présenté désormais comme un grand feuilleton à suspense. Tous les journaux télévisés y consacrent les trois-quarts de leur temps, des débats animés les relaient quotidiennement, c’est devenu le principal sujet de conversation de l’homme de la rue, sur les lieux de travail, dans les cafés. Chacun est invité à donner son avis. On parle de surprise, d’incrédulité, de honte, d’humiliation. On n’hésite pas à évoquer complaisamment la thèse déjà évoquée ci-dessus du “complot orchestré” contre DSK, du “piège qui lui a été tendu”. Les médias et les politiques n’hésitent pas à jouer la surenchère pour critiquer ou se justifier sous couvert de déontologie. Ceux qui se sont tus et ont couvert pendant des années le “problème de DSK avec les femmes” balancent hypocritement aujourd’hui leurs “révélations” sur des turpitudes notoirement connues dans le cercle fermé du pouvoir et des médias.
La vraie question à se poser est pourquoi la bourgeoisie et ses médias donnent une telle publicité à ce scandale qui l’éclabousse et la compromet pourtant gravement toute entière, brisant la carrière d’un de ses représentants patentés les plus éminents ? Quel intérêt la classe dominante trouve-t-elle dans la médiatisation outrancière de ce scandale ?
Aujourd’hui, il est clair que les divers épisodes de cette sordide affaire sont mis délibérément sous les projecteurs pour une raison majeure. La polarisation spectaculaire sur cet épisode permet pour un temps d’occulter les vrais problèmes sociaux, de créer un écran de fumée afin de tenter de reléguer au second plan et de minimiser dans la tête des prolétaires une réalité sociale quotidienne douloureuse et dramatique engendrée par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme : hausse vertigineuse du chômage, de la précarité, des produits de première nécessité, aggravation tous azimuts des attaques contre nos conditions de vie, réduction de tous les budgets et amputation des programmes sociaux, qui mettent de plus en plus à nu la faillite irrémédiable du capitalisme. Il est particulièrement édifiant de voir que l’affaire DSK est montée en épingle au moment même où les plans d’austérité concertés du FMI et des gouvernements sont redoublés en Grèce ou au Portugal, et surtout au moment même où les jeunes chômeurs, les étudiants et de nombreux travailleurs, précaires ou non, manifestent leur colère et leur ras-le-bol non seulement sur la Puerta del Sol à Madrid mais dans toutes les principales villes d’Espagne, se réclamant d’un mouvement explicitement dans la lignée des révoltes en Tunisie et en Egypte, ou des autres luttes en Europe (Grèce, France, Grande-Bretagne).
Bien sûr, les sommes astronomiques lâchées comme caution pour obtenir la “libération conditionnelle” de DSK ou pour alimenter son procès sont choquantes et révoltantes pour tous les travailleurs et les chômeurs qui n’ont même plus de quoi se loger, se nourrir, se vêtir. Un responsable du PS (proche de DSK), Manuel Valls, a même piqué une colère dans un débat, accusant avec une certaine lucidité les journalistes d’alimenter ainsi “un fossé qui se creuse entre les politiques et la société civile”.
Mais cet aspect est provisoirement noyé sous les flots de reportages, d’interviews, de propagande, de polémiques (c’est pourquoi on laisse même des associations féministes monter au créneau pour fustiger le sexisme et la misogynie-réelles des dirigeants et des élites) qui servent à entretenir les divisions et la confusion dans l’opinion publique : on souligne les différences d’opinions ou de lois, on met en demeure chacun de se prononcer : faut-il défendre la présomption d’innocence ou défendre les droits de la victime ? On compare et on oppose les méthodes juridiques et les moyens d’investigation entre la France et les Etats-Unis, on compare et on oppose le traitement “éthique” de l’information entre journalistes français et la presse anglo-saxonne. Et surtout on essaie ainsi de canaliser les spéculations sur les “nouvelles donnes” afin de relancer l’intérêt pour les supposés enjeux électoraux de 2012 en France. Tout ce barouf n’est que de la poudre aux yeux, une campagne de diversion visant à éloigner les exploités de la défense de leurs intérêts de classe. Ce n’est pas vers l’affaire DSK qu’il faut se tourner mais vers les luttes sociales qui se déroulent actuellement contre le chômage, la misère, les plans d’austérité imposés par le FMI (sans DSK comme avant avec lui) et par tous les gouvernements de gauche comme de droite.
W. (22 mai)
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Nous avons choisi de publier de larges extraits d’une présentation orale faite en avril par une participante du Comité de lutte Saint-Sernin et de l’assemblée populaire Ponzan à Toulouse, qui sont nés au cours des luttes de l’automne 2010 contre la réforme des retraites. Ces assemblées sont parvenues à rédiger, le plus collectivement possible étant donné la diversité des intervenants, une brochure qui tire un premier bilan de cette expérience riche de promesses pour l’avenir. Nous partageons l’espoir de la camarade que de nombreux contacts prennent plaisir à lire ce document, mais aussi nous les incitons à le diffuser, à en débattre et à en discuter le plus largement possible autour d’eux.
Nous sommes un certain nombre d’individus, militants ou non, à s’être réunis lors du mouvement social de cet automne. Nous avons tenté de proposer une alternative aux formes d’expression et d’organisation proposées traditionnellement par les partis politiques et les syndicats. Nous avons essayé de permettre à chacun de s’exprimer en dehors de la censure de la parole que nous impose la société. Cela a pris la forme d’assemblées populaires en fin de manifestations, de rassemblements, d’écriture de tracts, de participation à des blocages devant des entreprises. Toutes ces actions étaient décidées collectivement. Elles ont été menées à l’initiative du Comité de lutte de Saint-Sernin (des grévistes qui se réunissaient tous les soirs de la semaine devant la Bourse du travail, puis aux Pavillons sauvages les mardis soirs) et l’Assemblée populaire Ponzan (réunions les dimanches aux jardins de Ponzan puis à la Chapelle). Avec la fin du mouvement, les deux assemblées ont continué à se réunir et, comme elles partageaient beaucoup de choses, elles se sont fondues en une seule assemblée pour faire le bilan des expériences vécues, d’où la production d’une brochure qui recueille des témoignages individuels et collectifs, fruit de ce travail en commun.
Nous sommes venus ce soir dans un lieu (...) tout à fait adéquat pour parler de nos ressentis concernant l’injustice, le besoin de créer ensemble et de témoigner de nos réflexions, de notre expérience collective pour restaurer la dignité, pour se dire qu’il est possible de construire différemment de ce que nous propose ce monde moribond !
Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est parce que nous avons conscience qu’une lutte contre les injustices et l’oppression s’est engagée un peu partout dans le monde et que chacun d’entre nous est concerné. Ici, il ne s’agit pas d’une affaire de spécialistes mais de nous rapproprier la parole, savoir être à l’écoute des autres, avec pour objectif de contribuer à mettre fin à ce monde qui crée des inégalités. À notre niveau et avec beaucoup d’humilité, nous avons essayé de développer de nouvelles formes d’organisation, dont les assemblées populaires sont une expression. Quant on voit ce qui s’est passé sur la place Tahrir en Egypte, on se rend compte qu’au delà des différences apparentes, les mêmes besoins créent des volontés communes de se réunir, de prendre en charge nous-mêmes nos revendications, bref, de défendre notre dignité ! Dans cette aventure humaine qui dure depuis plusieurs mois, chacun de nous s’est interrogé. Car dans ces moments forts de l’histoire, de nombreuses questions émergent. Elles peuvent concerner une collectivité : Qui sommes-nous ? Contre qui ou quoi nous battons-nous ? Quelle(s) stratégie(s) devons-nous adopter ? Quels seront nos alliés dans cette bataille ? Quels sont ceux qui voudront nous mettre des bâtons dans les roues ? Comment s’y prendront-ils ? Comment anticiper cela et partager l’esprit de notre travail commun ? Ou bien toucher à notre intimité : Qu’est-ce que je défends ? Comment ai-je l’intention de me rendre utile ? Quelle est ma place dans ce groupe ? Est-ce que je m’y sens à l’aise ? Est-ce que je communique avec les autres comme je le voudrais ?
Certains ont peut-être douté face à l’ampleur de la tâche et les risibles moyens dont nous disposons pour nous en acquitter. On se sent alors découragé, isolé, tout petit et impuissant. D’autres auraient préféré que les choses aillent plus vite et ils n’ont plus trouvé d’intérêt à nous rejoindre et ils sont partis. Mais tous ont contribué, pendant un instant, à créer cet espace de discussion libre, d’expression de nos peurs, de nos idées, de nos points de désaccord et de nos espoirs. Nous avons appris à nous connaître au-delà des apparences, des barrières sociales et des préjugés. Nous nous sommes découverts dans nos différences, et ensemble, nous avons été capables de produire une brochure afin d’immortaliser ces réflexions. Elle n’est pas parfaite. Mais elle a le mérite d’être authentique. Nous avons voulu situer notre expérience collective de participation au mouvement social de cet automne dans le fil historique de la lutte en France depuis le xixe siècle, parce que conserver la mémoire du passé, c’est se préserver des écueils de l’oubli. Inscrire notre action dans un contexte historique, c’est donner une âme à ce mouvement qui semble encore fragile, c’est lui montrer sa force à travers les âges pour qu’il grandisse à nouveau. Et cela nous permet d’avoir une vision plus étendue du chemin parcouru et de celui qu’il reste encore à faire. Nous avons besoin de savoir où nous en sommes. C’est pourquoi chacun de ceux qui le souhaitaient a pu apporter sa contribution personnelle, un témoignage de son expérience et de son ressenti dans son propre langage, souvent avec humour et parfois de manière poétique. Nous espérons que vous prendrez plaisir à lire ce document comme nous avons pris plaisir à le composer. (...)
Nous publions ci-dessous la première partie de la Résolution sur la situation internationale adoptée par le CCI lors de son 19e Congrès qui s’est tenu au mois de mai. Cette première partie est consacrée à l’analyse de la situation économique actuelle. La totalité de cette résolution sera publiée dans le prochain numéro de notre Revue Internationale.
1. La résolution adoptée par le précédent congrès du CCI mettait d’emblée en évidence le démenti cinglant infligé par la réalité aux prévisions optimistes des dirigeants de la classe bourgeoise au début de la dernière décennie du xxe siècle, particulièrement après l’effondrement de cet “Empire du mal” que constituait le bloc impérialiste dit “socialiste”. Elle citait la déclaration désormais fameuse du président George Bush senior de mars 1991 annonçant la naissance d’un “Nouvel ordre mondial” basé sur le “respect du droit international” et elle soulignait son caractère surréaliste face au chaos croissant dans lequel s’enfonce aujourd’hui la société capitaliste. Vingt ans après ce discours “prophétique”, et particulièrement depuis le début de cette nouvelle décennie, jamais, depuis la fin de la seconde guerre mondiale le monde n’a donné une telle image de chaos. A quelques semaines d’intervalle on a assisté à une nouvelle guerre en Libye, venant s’ajouter à la liste de tous les conflits sanglants qui ont touché la planète au cours de la dernière période, à de nouveaux massacres en Côte d’Ivoire et aussi à la tragédie qui a frappé un des pays les plus puissants et modernes du monde, le Japon. Le tremblement de terre qui a ravagé une partie de ce pays a souligné une nouvelle fois qu’il n’existe pas des “catastrophes naturelles” mais des conséquences catastrophiques à des phénomènes naturels. Il a montré que la société dispose aujourd’hui de moyens pour construire des bâtiments qui résistent aux séismes et qui permettraient d’éviter des tragédies comme celle d’Haïti l’an dernier. Mais il a montré aussi toute l’imprévoyance dont même un État aussi avancé que le Japon peut faire preuve : le séisme en lui-même a fait peu de victimes mais le tsunami qui l’a suivi a tué près de 30 000 êtres humains en quelques minutes. Plus encore, en provoquant un nouveau Tchernobyl, il a mis en lumière, non seulement l’imprévoyance de la classe dominante, mais aussi sa démarche d’apprenti sorcier, incapable de maîtriser les forces qu’elle a mises en mouvement. Ce n’est pas l’entreprise Tepco, l’exploitant de la centrale atomique de Fukuyama qui est le premier, encore moins l’unique responsable de la catastrophe. C’est le système capitaliste dans son ensemble, basé sur la recherche effrénée du profit ainsi que sur la compétition entre secteurs nationaux et non sur la satisfaction des besoins de l’humanité, qui porte la responsabilité fondamentale des catastrophes présentes et futures subies par l’espèce humaine. En fin de compte, le Tchernobyl japonais constitue une nouvelle illustration de la faillite ultime du mode de production capitaliste, un système dont la survie constitue une menace croissante pour la survie de l’humanité elle-même.
2. C’est évidemment la crise que subit actuellement le capitalisme mondial qui exprime le plus directement la faillite historique de ce mode de production. Il y a deux ans, la bourgeoisie de tous les pays était saisie d’une sainte panique devant la gravité de la situation économique. L’OCDE n’hésitait pas à écrire : “L’économie mondiale est en proie à sa récession la plus profonde et la plus synchronisée depuis des décennies” (Rapport intermédiaire de mars 2009). Quand on sait avec quelle modération cette vénérables institution s’exprime habituellement, on peut se faire une idée de l’effroi que ressentait la classe dominante face à la faillite potentielle du système financier international, la chute brutale du commerce mondial (plus de 13 % en 2009), la brutalité de la récession des principales économies, la vague de faillites frappant ou menaçant des entreprises emblématiques de l’industrie telles General Motors ou Chrysler. Cet effroi de la bourgeoisie l’avait conduite à convoquer les sommets du G20 dont celui de mars 2009 à Londres décidant notamment le doublement des réserves du Fond monétaire international et l’injection massive de liquidités dans l’économie par les États afin de sauver un système bancaire en perdition et de relancer la production. Le spectre de la “Grande dépression des années 1930” hantait les esprits ce qui conduisait la même OCDE à conjurer de tels démons en écrivant : “Bien qu’on ait parfois qualifié cette sévère récession mondiale de ‘grande récession’, on reste loin d’une nouvelle ‘grande dépression’ comme celle des années 30, grâce à la qualité et à l’intensité des mesures que les gouvernements prennent actuellement” (Ibid.). Mais comme le disait la Résolution du 18e congrès, “le propre des discours de la classe dominante aujourd’hui est d’oublier les discours de la veille” et le même rapport intermédiaire de l’OCDE du printemps 2011 exprime un véritable soulagement face à la restauration de la situation du système bancaire et à la reprise économique. La classe dominante ne peut faire autrement. Incapable de se donner une vision lucide, d’ensemble et historique des difficultés que rencontre son système, car une telle vision la conduirait à découvrir l’impasse définitive dans laquelle se trouve ce dernier, elle en est réduite à commenter au jour le jour les fluctuations de la situation immédiate en essayant de trouver dans celle-ci des motifs de consolation. Ce faisant, elle en est amenée à sous-estimer, même si, de temps en temps, les médias adoptent un ton alarmiste à son sujet, la signification du phénomène majeur qui s’est fait jour depuis deux ans : la crise de la dette souveraine d’un certain nombre d’États européens. En fait, cette faillite potentielle d’un nombre croissant d’États constitue une nouvelle étape dans l’enfoncement du capitalisme dans sa crise insurmontable. Elle met en relief les limites des politiques par lesquelles la bourgeoisie a réussi à freiner l’évolution de la crise capitaliste depuis plusieurs décennies.
3. Cela fait maintenant plus de 40 ans que le système capitaliste se confronte à la crise. Mai 68 en France et l’ensemble des luttes prolétariennes qui ont suivi internationalement n’ont connu cette ampleur que parce qu’ils étaient alimentés par une aggravation mondiale des conditions de vie de la classe ouvrière, une aggravation résultant des premières atteintes de la crise capitaliste, notamment la montée du chômage. Cette crise a connu une brutale accélération en 1973-75 avec la première grande récession internationale de l’après guerre. Depuis, de nouvelles récessions, chaque fois plus profondes et étendues, ont frappé l’économie mondiale jusqu’à culminer avec celle de 2008-2009 qui a ramené dans les consciences le spectre des années 1930. Les mesures adoptées par le G20 de mars 2009 pour éviter une nouvelle “Grande Dépression” sont significatives de la politique menée depuis plusieurs décennies par la classe dominante : elles se résument par l’injection dans les économies de masses considérables de crédits. De telles mesures ne sont pas nouvelles. En fait, depuis plus de 35 ans, elles constituent le cœur des politiques menées par la classe dominante pour tenter d’échapper à la contradiction majeure du mode de production capitaliste : son incapacité à trouver des marchés solvables en mesure d’absorber sa production. La récession de 1973-75 avait été surmontée par des crédits massifs aux pays du Tiers-Monde mais, dès le début des années 1980, avec la crise de la dette de ces pays, la bourgeoise des pays les plus développés avait dû renoncer à ce poumon pour son économie. Ce sont alors les États des pays les plus avancés, et au premier lieu celui des États-Unis, qui ont pris la relève en tant que “locomotive” de l’économie mondiale. Les “reaganomics” (politique néolibérale de l’Administration Reagan) du début des années 80, qui avaient permis une relance significative de l’économie de ce pays, étaient basées sur un creusement inédit et considérable des déficits budgétaires alors que Ronald Reagan déclarait au même moment que “L’État n’est pas la solution, c’est le problème”. En même temps, les déficits commerciaux également considérables de cette puissance permettaient aux marchandises produites par les autres pays de trouver à s’y écouler. Au cours des années 1990, les “tigres” et les “dragons” asiatiques (Singapour, Taïwan, Corée du Sud, etc.) ont accompagné pour un temps les États-Unis dans ce rôle de “locomotive” : leurs taux de croissance spectaculaires en faisaient une destination importante pour les marchandises des pays les plus industrialisés. Mais cette “success story” s’est construite au prix d’un endettement considérable qui a conduit ces pays à des convulsions majeures en 1997 au même titre que la Russie “nouvelle” et “démocratique” qui s’est retrouvée en cessation de paiements ce qui a déçu cruellement ceux qui avaient misé sur la “fin du communisme” pour relancer durablement l’économie mondiale. Au début des années 2000 l’endettement a connu une nouvelle accélération, notamment grâce au développement faramineux des prêts hypothécaires à la construction dans plusieurs pays, en particulier aux États-Unis. Ce dernier pays a alors accentué son rôle de “locomotive de l’économie mondiale” mais au prix d’une croissance abyssale des dettes, – notamment au sein de la population américaine – basées sur toutes sortes de “produits financiers” censés prévenir les risques de cessation de paiement. En réalité, la dispersion des créances douteuses n’a nullement aboli leur caractère d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’économie américaine et mondiale. Bien au contraire, elle n’a fait qu’accumuler dans le capital des banques les “actifs toxiques” à l’origine de leur effondrement à partir de 2007 et de la brutale récession mondiale de 2008-2009.
4. Ainsi, comme le disait la résolution adopté au précédent congrès, “ce n’est pas la crise financière qui est à l’origine de la récession actuelle. Bien au contraire, la crise financière ne fait qu’illustrer le fait que la fuite en avant dans l’endettement qui avait permis de surmonter la surproduction ne peut se poursuivre indéfiniment. Tôt ou tard, “l’économie réelle” se venge, c’est-à-dire que ce qui est à la base des contradictions du capitalisme, la surproduction, l’incapacité des marchés à absorber la totalité des marchandises produites, revient au devant de la scène.” Et cette même résolution précisait, après le sommet du G20 de mars 2009, que “la fuite en avant dans l’endettement est un des ingrédients de la brutalité de la récession actuelle. La seule ‘solution’ que soit capable de mettre en œuvre la bourgeoisie est… une nouvelle fuite en avant dans l’endettement. Le G20 n’a pu inventer de solution à une crise pour la bonne raison qu’il n’existe pas de solution à celle-ci.”
La crise des dettes souveraines qui se propage aujourd’hui, le fait que les États soient incapables d’honorer leurs dettes, constitue une illustration spectaculaire de cette réalité. La faillite potentielle du système bancaire et la récession ont obligé tous les États à injecter des sommes considérables dans leur économie alors même que les recettes étaient en chute libre du fait du recul de la production. De ce fait les déficits publics ont connu, dans la plupart des pays, une augmentation considérable. Pour les plus exposés d’entre eux, comme l’Irlande, la Grèce ou le Portugal, cela a signifié une situation de faillite potentielle, l’incapacité de payer leurs fonctionnaires et de rembourser leurs dettes. Les banques se refusent désormais à leur consentir de nouveaux prêts, sinon à des taux exorbitants, puisqu’elles n’ont aucune garantie de pouvoir être remboursées. Les “plans de sauvetage” dont ils ont bénéficié de la part de la Banque européenne et du Fond monétaire international constituent de nouvelles dettes dont le remboursement s’ajoute à celui des dettes précédentes. C’est plus qu’un cercle vicieux, c’est une spirale infernale. La seule “efficacité” de ces plans consiste dans l’attaque sans précédent contre les travailleurs qu’ils représentent, contre les fonctionnaires dont les salaires et les effectifs sont réduits de façon drastique, mais aussi contre l’ensemble de la classe ouvrière à travers les coupes claires dans l’éducation, la santé et les pensions de retraite ainsi que par des augmentations majeures des impôts et taxes. Mais toutes ces attaques anti-ouvrières, en amputant massivement le pouvoir d’achat des travailleurs, ne pourront qu’apporter une contribution supplémentaire à une nouvelle récession.
5. La crise de la dette souveraine des PIIGS (Portugal, Islande, Irlande, Grèce, Espagne) ne constitue qu’une part infime du séisme qui menace l’économie mondiale. Ce n’est pas parce qu’elles bénéficient encore pour le moment de la note AAA dans l’indice de confiance des agences de notation (les mêmes agences qui, jusqu’à la veille de la débandade des banques en 2008, leur avaient accordé la note maximale) que les grandes puissances industrielles s’en tirent beaucoup mieux. Fin avril 2011, l’agence Standard and Poor’s émettait une opinion négative face à la perspective d’un Quantitative Easing n° 3, c’est-à-dire un 3e plan de relance de l’État fédéral américain destiné à soutenir l’économie. En d’autres termes, la première puissance mondiale court le risque de se voir retirer la confiance “officielle” sur sa capacité à rembourser ses dettes, si ce n’est avec un dollar fortement dévalué. En fait, de façon officieuse, cette confiance commence à faire défaut avec la décision de la Chine et du Japon depuis l’automne dernier d’acheter massivement de l’or et des matières premières en lieu et place des bons du Trésor américain ce qui conduit la Banque fédérale américaine à en acheter maintenant de 70% à 90% à leur émission. Et cette perte de confiance se justifie parfaitement quand on constate l’incroyable niveau d’endettement de l’économie américaine : en janvier 2010, l’endettement public (État fédéral, États, municipalités, etc.) représentait déjà près de 100 % du PIB ce qui ne constituait qu’une partie de l’endettement total du pays (qui comprend également les dettes des ménages et des entreprises non financières) se montant à 300 % du PIB. Et la situation n’était pas meilleure pour les autres grands pays où la dette totale représentait à la même date des montants de 280 % du PIB pour l’Allemagne, 320 % pour la France, 470 % pour le Royaume-Uni et le Japon. Dans ce dernier pays, la dette publique à elle seule atteignait 200 % du PIB. Et depuis, pour tous les pays, la situation n’a fait que s’aggraver avec les divers plans de relance.
Ainsi, la faillite des PIIGS ne constitue que la pointe émergée de la faillite d’une économie mondiale qui n’a dû sa survie depuis des décennies qu’à la fuite en avant désespérée dans l’endettement. Les États qui disposent de leur propre monnaie comme le Royaume-Uni, le Japon et évidemment les États-Unis ont pu masquer cette faillite en faisant fonctionner à tout va la planche à billets (au contraire de ceux de la zone Euro, comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal, qui ne disposent pas de cette possibilité). Mais cette tricherie permanente des États qui sont devenus de véritables faux-monnayeurs, avec comme chef de gang l’État américain, ne pourra se poursuivre indéfiniment de la même façon que ne pouvaient pas se poursuivre les tricheries du système financier comme l’a démontré sa crise de celui-ci en 2008 qui a failli le faire exploser. Un des signes visibles de cette réalité est l’accélération actuelle de l’inflation mondiale. En basculant de la sphère des banques à celles des États, la crise de l’endettement ne fait que marquer l’entrée du mode de production capitaliste dans une nouvelle phase de sa crise aiguë où vont s’aggraver encore de façon considérable la violence et l’étendue de ses convulsions. Il n’y a pas de “sortie du tunnel” pour le capitalisme. Ce système ne peut qu’entraîner la société dans une barbarie toujours croissante.
CCI (mai 2011)
Depuis le déclenchement le 19 mars de l’intervention militaire en Libye sous la double bannière de l’ONU et de l’OTAN, la situation ne s’est pas apaisée. Mais qu’on se rassure, le dernier sommet du G8 a réaffirmé que les coalisés, au-delà de leurs dissensions, étaient “déterminés à finir le travail”, après avoir appelé le dirigeant libyen à quitter le pouvoir car il a “perdu toute légitimité”. La Russie elle-même s’est mêlée au concert de tous ces nouveaux anti-kadhafistes pour proposer son concours à une médiation avec celui qu’elle “ne considère plus comme le dirigeant de la Libye”. En signe de leur appui aux “révolutions arabes” et donc aussi en direction de la population libyenne, les dirigeants présents se sont fendus, en pressant l’Arabie Saoudite de mettre la main à la poche, d’un cadeau aux “révolutions arabes” de 45 milliards de dollars.
En attendant, ce bel élan de “solidarité” envers les insurgés anti-Kadhafi réunis autour du Conseil national de transition libyen, dont les représentants passent plus de temps dans les ambassades occidentales que sur les zones de combats, a bien du mal à faire accréditer une guerre qui s’enlise jour après jour un peu plus. Les forces de Kadhafi, malgré les quelque 2700 frappes aériennes qu’elles ont subies, continuent de pilonner les rebelles, que ce soit à Benghazi ou à Misrata. On est bien loin de l’éviction de ce pouvoir libyen récemment dénoncé par la “communauté internationale” pour sa cruauté et de l’avènement de cette démocratie qui ont été le prétexte à cette nouvelle aventure militaire impérialiste. Car le “guide de la révolution verte” s’accroche désespérément au pouvoir. Aussi, le pays offre un spectacle de désolation, loin de satisfaire à l’espoir ou à l’enthousiasme qui ont accompagné, malgré la dureté des événements, les mouvements en Tunisie et en Egypte. Les morts se comptent par douzaines chaque jour au moins à Misrata (selon l’OMS), et les carcasses de blindés et de voitures sommairement armées jonchent les routes, tandis que les villes ressemblent de plus en plus à des gruyères, à l’image de Beyrouth dans les années 1970 et 1980. Evidemment, nos dignes représentants n’ont de cesse de fustiger le gouvernement libyen et d’exiger que “les responsables d’attaques contre les civils rendent des comptes”, sans omettre de mobiliser préventivement la Cour pénale internationale sur ces “crimes”. On connaît leurs grands discours, comme on connaît leur hypocrisie mensongère : ils sont eux aussi responsables des morts, dans les deux camps, y compris parmi les populations civiles. Parce que c’est la loi des “frappes aériennes” qui ne font pas des morts que pile-poil dans le camp des méchants, comme dans les films de série B. Rappelons juste en exemple les prétendues attaques “ciblées” des deux guerres en Irak, et leurs quelques centaines de milliers de morts “collatéraux”, de celle en Afghanistan où c’est régulièrement que des villages entiers sont la cible “d’erreurs” logistiques. La liste des responsabilités des grandes puissances, qui n’enlève rien à celle des petits Etats, pour la mort de “civils”, serait bien longue. De même que leur responsabilité pour créer le chaos.
Ainsi, la réaffirmation du dernier sommet du G8 d’accentuer sa pression militaire contre Kadhafi avec la décision de mettre en place des attaques par hélicoptères français et britanniques pour être au “plus près du sol” sont au plus près d’une présence à terme “sur le sol”. Autant l’intervention militaire était partie sur des bases plutôt troubles et instables, avec les Etats-Unis qui traînaient des pieds, ainsi que l’Italie, et la Russie qui s’y opposait, autant aujourd’hui la direction semble affirmée : aller à la curée. La population libyenne, que les champions toutes catégories de la démocratie occidentale sont venus “secourir” pour les “sauver”, subit désormais le même calvaire que celles subissant le joug de tel ou tel dictateur ou du terrorisme international. Cet avenir, cet après-Kadhafi annoncé, c’est celui d’un affrontement plus ou moins larvé entre les différentes cliques tribales libyennes, soutenues par les différentes puissances sur le terrain, avec pour mot d’ordre : chacun pour soi et tous contre tous.
Et la question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir si le même sort attend bientôt la population syrienne ; une population dans les rangs de laquelle il y a eu au moins un millier de morts depuis le début des manifestations anti-Assad il y a deux mois, et des dizaines de milliers d’emprisonnés par les forces de répression du gouvernement de Damas. Tortures, tabassages, assassinats sont le lot quotidien des Syriens, en fait le même brouet qu’en Libye, qui a tout à coup “offusqué” les représentants de l’Union européenne. Relayant leurs velléités protestataires contre cette “répression sanglante” syrienne jusqu’au Conseil de sécurité de l’ONU, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et le Portugal ont appelé à frapper le régime syrien de “sanctions internationales”, qui lui font pour l’instant aussi peur que l’histoire du Grand méchant loup.
Contrairement à ce qui s’est passé avec la Libye, l’ONU est loin de parvenir à un accord et à une résolution qui l’engagerait à une action militaire contre la Syrie. D’abord parce que l’Etat syrien possède des moyens militaires autrement plus conséquents que ceux de Kadhafi, et parce que la région est bien plus sensible stratégiquement que l’environnement de la Libye. Et c’est là qu’on peut une fois encore mesurer le peu de crédit à accorder aux puissances occidentales pour soutenir les “révolutions démocratiques arabes”, dont les mots remplissent la bouche de ces menteurs patentés alors qu’elles cautionnent depuis des années le régime de la famille Al-Assad. Les enjeux impérialistes concernant la Syrie sont de tout premier ordre. Voisine et alliée de l’Irak où les Etats-Unis s’essoufflent toujours à trouver une voie de sortie militaire à peu près honorable, la Syrie est de surcroît de plus en plus soutenue par l’Iran qui lui a fourni, depuis les derniers événements des milices aguerries et rompues à toutes les sortes de sévices que requièrent les besoins d’une répression massive de la population.
La première puissance mondiale ne peut pas se permettre de se retrouver avec un nouveau bourbier sur le bras en Syrie, bourbier qui la décrédibiliserait encore un peu plus dans les pays arabes, alors même qu’elle a de plus en plus de mal à calmer le jeu dans les tensions israélo-palestiniennes, précisément attisées par Israël et la Syrie. De plus, le bonus momentané tiré sur l’arène mondiale par les Etats-Unis – et par Obama en particulier, ce prestige lui assurant presque sa future réélection – avec le succès de la traque et de la mort surmédiatisée de Ben Laden, “lavant l’affront du 11 septembre”, ne signifie pas pour autant une éradication du terrorisme, but proclamé de la grande croisade américaine depuis 20 ans. Au contraire, cette nouvelle situation expose toujours plus le monde à une recrudescence des attentats meurtriers et les récents attentats sanglants au Pakistan et à Marrakech n’ont pas tardé à le démontrer. Partout, on assiste à une multiplication des foyers de guerre, à une fuite en avant dans des tensions impérialistes plus fortes aiguisées par les rivalités entre les grandes puissances et à une accumulation d’instabilité et de barbarie.
Il ne faut avoir aucune illusion. Le capitalisme, c’est la guerre, le chaos, mais nulle part il n’aboutira à une prétendue libération ou émancipation des peuples.
Mulan (28 mai)
Que ce soit au Mexique ou au Pérou, les attentes autour des élections sont amplifiées au maximum et par tous les moyens de communication pour maintenir l’intérêt des travailleurs fixé sur des sujets qui sont bons pour la bourgeoisie et qui sont partout les mêmes : tel ou tel parti est le meilleur pour en finir avec la crise ou l’insécurité, telle ou telle alliance serait meilleure pour signer des accords qui permettent de réaliser les reformes légales nécessaires pour les affaires capitalistes, toujours présentées, cela va de soi, comme bénéfiques “pour les pauvres enfin, en dernière instance, toutes ces campagnes ont comme axe le culte de la personnalité des différents candidats dont il faudrait valoriser les attributs au moment de voter. Et c’est ainsi que les personnages des principaux partis du Mexique (PAN, droite, PRI, centre, et PRD, gauche) se sont mis en concurrence pour les gouvernorats des provinces mexicaines (1). Ou, au Pérou, les candidatures autour de personnages comme Ollanta Humala ou Keiko Fujimori (la fille de l’ancien président Alberto Fujimori), pour ne nommer que les plus connus. Tous reviennent pour renouveler dans les têtes des masses ouvrières et opprimées le sempiternel espoir selon lequel cette fois-ci c’est la bonne, cette fois-ci on a l’occasion de sortir de la crise, cette fois-ci la pauvreté va disparaître, cette fois-ci on va régler ce fléau de la délinquance déchainée, du narcotrafic et ainsi de suite...et tout ça, uniquement grâce à un simple geste magique… “le vote démocratique”. Cette mystification est effectivement la même dans tous les pays, même s’il existe quelques particularités, parfois extravagantes ou en lien avec les systèmes électoraux, qui font qu’au Mexique, par exemple, il n’y ait qu’un seul “tour” et au Pérou un “deuxième tour”, face à des résultats peu clairs, ce qui au demeurant, peut servir à susciter une attente et un intérêt plus grands.
La démocratie capitaliste ne pourrait fonctionner sans la mystification idéologique des élections libres et démocratiques, par lesquelles, prétendument, “les citoyens sont à égalité pour décider pour qui ils votent, en ayant ainsi une influence dans le choix de ceux qui vont les gouverner et leurs représentants au Parlement” ; voilà une des plus grandes escroqueries réalisée par l’État lui-même à notre époque de décadence du capitalisme ; alors que c’est à partir de l’État lui-même que sont créés les différents partis, avec des masques idéologiques de droite, de centre ou de gauche pour inciter à la participation citoyenne, pour faire voter pour tel ou tel choix par le biais de différents mécanismes de manipulation, de propagande et de moyens de diffusion aux mains de l’État. C’est une tromperie démesurée, qui, en plus, essaye d’occulter que la prétendue égalité est une chimère, c’est la classe dominante qui décide quels candidats doivent être dans la compétition et, en fin de compte, quel candidat ou quel équipe gouvernementale doit prendre en charge tel ou tel poste pour une période donnée.
La bourgeoisie conserve cette institution démocratique en y injectant des masses d’argent considérables, parce qu’elle est la colonne vertébrale de sa domination ; c’est à travers ces institutions que les masses travailleuses surtout peuvent avoir l’illusion que seul le vote “pacifique”, très solitaire et atomisé dans une urne en carton, pourrait avoir une véritable influence pour que son état permanent de pénurie puisse ne serait-ce que diminuer. C’est ainsi que les agissements des partis politiques, des syndicats, des médias, etc., arrivent à détourner l’attention des masses ouvrières de leurs intérêts de classe, c’est-à-dire : la défense de leurs conditions de vie et de travail.
Au Pérou, par exemple, grâce à l’orgie électoraliste, on a occulté intentionnellement toute information sur des luttes qui se sont déroulées parallèlement aux élections : des mineurs, des dockers, des ouvriers des raffineries de sucre, avec, parfois, des affrontements des travailleurs contre les forces de répression de ce même État qui organise les élections, des affrontements qui ont causé des morts et des blessés. Ou au Mexique où l’on offre cette eucharistie du vote citoyen pour éviter que les prolétaires ne portent leur attention sur les véritables causes de leur misère croissante, pour éviter qu’ils ne recherchent les raisons du chômage qui broie leurs familles, éviter qu’ils ne s’opposent activement aux attaques impitoyables du capital qui continue à dégrader leur situation jusqu’à des limites insupportables.
Pour les travailleurs, rien ne se joue dans les élections démocratiques. Il suffit de se rappeler ne serait-ce que les résultats des élections passées au moment où des “alternatives différentes” sont arrivées au pouvoir, mais dans les faits, elles ont appliqué les mêmes mesures nécessaires pour que les affaires capitalistes puissent continuer à marcher tant bien que mal, ce qui, toujours, s’est concrétisé à travers des plans d’austérité contre les exploités. La diversité politique avec laquelle on veut nous droguer n’est faite que des masques plus ou moins hideux ou avenants pour cacher la division du travail entre la droite, le centre et la gauche. Il faut que tous les “choix” s’offrent aux votants : pour que ces campagnes électorales soient un succès, il faut que le plus grand nombre de personnes aillent aux urnes pour qu’elles soient ainsi accrochées au char de l’État.
La bourgeoisie a érigé le totem avec l’emblème du “citoyen avec des droits et des devoirs”, le citoyen “qui participe dans une communauté et qui se développe par l’action autorégulée, intégrante, pacifique et responsable, avec le seul objectif supérieur d’améliorer sans cesse le bien-être public”, autrement dit, la bourgeoisie, en accord avec ses intérêts, identifie “l’intérêt commun” avec les siens propres qui sont ceux d’une économie et d’un ordre politique et social organisé à l’intérieur d’une nation capitaliste, des intérêts préservés grâce à l’État qui exerce une dictature de la minorité sur l’immense majorité. Les travailleurs, pour pouvoir s’affirmer en tant que classe, devront secouer aussi le joug de cette mystification et penser en termes de classe, de leurs intérêts communs, comment développer la conscience du fait qu’au niveau individuel ils ne sont rien et qu’ils doivent rechercher la solidarité et l’unité pour arriver à ce que le poids réel qu’ils représentent dans la société soit reconnu grâce à leurs propres méthodes d’organisation et de lutte. Un scénario totalement opposé a la mascarade des élections démocratiques bourgeoises.
RR, avril 2011
1) Tout au long de l’année 2011, il y a des élections de gouverneurs placés à la tête des provinces mexicaines.
La révolution industrielle a aussi été une révolution de l’énergie, dans l’utilisation de ses sources qui ont permis à la société d’aller au-delà des frontières imposées par « l’économie organique » qui la cantonnait à la croissance saisonnière des ressources d’énergie naturelles pour assouvir la plupart de ses besoins. Cependant, au cours de la révolution industrielle, prédominait l’utilisation principale du charbon qui est allée de pair avec les changements du mode de production, ainsi que l’émergence de la bourgeoisie comme classe qui a poussé au développement de la technologie pour extraire et utiliser les gisements charbonneux.[1].
Autant les premiers jours du capitalisme ont vu une utilisation extensive et plus systématique des moyens de production existants, autant on a vu un usage des ressources énergétiques existantes poussées à leurs limites.
Dans l’économie organique qui a prédominé depuis la révolution néolithique jusqu’à l’adoption à grande échelle du charbon pendant la révolution industrielle, la puissance humaine et animale ainsi que celle du bois furent les principales sources d’énergie. En 1561-70, elles représentaient respectivement 22,8%, 32,4% et 33% de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. Le vent et l’énergie hydraulique faisaient tout juste plus de 1% combinés ensemble alors que le charbon comptait pour 10,6%.[2]
L’abondance du bois en Europe lui donna un avantage sur les sociétés où il était rare, mais le développement de la production épuisa ces ressources et enraya la croissance. Ainsi en 1717, un haut-fourneau du Pays de Galles n’était pas allumé depuis quatre ans après sa construction que le bois et le charbon accumulés ne pouvaient donc assurer régulièrement la production que pour 15 semaines par an pour la même raison.[3]
Avant le 18e siècle, il a été calculé qu’un haut-fourneau standard travaillant deux ans sans interruption exigeait la coupe de 2000 hectares de forêt.[4]
En Galles du Sud, bien connu pour ses mines de charbon, les premières étapes de la révolution industrielle ont témoigné du développement des aciéries et ont conduit à la déforestation des vallées qui étaient autrefois densément boisées. La croissance de la demande en bois amena des augmentations de prix et des famines qui affectèrent le plus grand nombre des pauvres. Dans certaines parties de la France, il n’y avait pas assez de bois pour les fours à pain et, dans d’autres, il est raconté que « les pauvres vivaient sans feu ».[5]
Les limites à la production imposée par l’économie organique ne peuvent être considérées qu’en calculant le nombre de troncs qui aurait été nécessaire pour réaliser une consommation conséquente d’énergie à partir du charbon. Le bois n’est pas une source d’énergie aussi efficace que le charbon, car deux tonnes de bois sont nécessaires pour produire la même énergie qu’une tonne de charbon et trente tonnes pour produire une tonne d’acier. Un acre de bois (0,4 hectare) peut produire environ l’énergie équivalente d’une tonne de charbon en un an. En 1750, 4 515 000 tonnes de charbon ont été extraites en Angleterre et au Pays de Galles. Pour produire la somme équivalente d’énergie, utiliser le bois aurait demandé 13 045 000 tonnes, c’est-à-dire 35% de la surface boisée (11,2 millions d’acres). Un demi-siècle plus tard, la production avait atteint 65 050 000 tonnes, ce qui revient à pas moins de 150% de la même surface (48,1 millions d’acres).[6]
Une des clés de la domination britannique sur le monde a été qu’elle avait des réserves de charbon qui étaient accessibles en utilisant la technologie existante. Cela a pu créer l’impulsion pour développer les moyens de production afin de permettre l’extraction de charbon à des niveaux plus profonds.
Charbon et pétrole : les fondements du capitalisme industriel
Avant l’utilisation à grande échelle du charbon, l’énergie utilisable était essentiellement déterminée par la quantité d’énergie solaire qui était convertie en croissance des plantes par la photosynthèse. Ceci impliquait la production de nourriture pour les humains et les animaux et celle du bois. Ce cycle naturel semblait imposer une limite insurmontable à l’accumulation d’énergie musculaire et thermique qui pouvait être utilisée et donc au niveau de la production et de la prospérité de la société. La pauvreté et la misère généralisée semblaient éternelles, inaltérables, des données de la vie. L’extraction à grande échelle du charbon et aussi du pétrole a brisé cette barrière en permettant l’accès aux sources d’énergie de la terre, à la production de la photosynthèse des millénaires passés.[7]
Le 19e siècle et la première partie du 20e ont été dominés par l’utilisation du charbon. L’avancée de la révolution industrielle est souvent mesurée en tonnes de minerai de charbon, en tonnes d’acier produites et en kilomètres de chemin de fer posés. Nous en avons donné quelques indications ci-dessus, mais elle peut aussi être mesurée par le modèle changeant d’utilisation de l’énergie et par l’augmentation de l’énergie utilisée par personne. Nous avons vu qu’en 1560 le charbon comptait pour à peine plus de 10,6% de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. En 1850, il compte pour 92%. A l’origine, le charbon servait pour remplacer le bois dans des industries telles que la poterie et des préparations qui exigeaient de grandes quantités de chaleur et il n’affectait qu’assez peu l’organisation de l’époque sur la production et l’augmentation directe de la productivité. Les machines à vapeur statiques étaient utilisées pour pomper l’eau des mines, lesquelles, bien qu’inefficaces, permettaient que le charbon et d’autres ressources, aussi faibles qu’en Cornouailles, soient prélevés de profondeurs jusqu’alors inaccessibles. Les machines étaient donc adaptées à manier des équipements, comme dans l’industrie du coton, et comme moyens de transport. La consommation totale d’énergie augmenta progressivement dans la révolution industrielle. En 1850, en Angleterre et au Pays de Galles, celle-ci fut au total 28 fois supérieure à elle de 1560. Cela était dû en partie à la croissance substantielle de la population qui a été constatée pendant cette période mais l’échelle réelle de cette montée est montrée par le fait que la consommation par personne a été multipliée par cinq.[8]
L’industrie du pétrole s’est développée graduellement pendant le 20e siècle avec des développements significatifs dans les techniques de production et avec le niveau de production qui a eu lieu dans les années de l’entre-deux-guerres. En 1929, le commerce du pétrole avait augmenté de 1,170 million de dollars, les principaux exportateurs étant les Etats-Unis, le Venezuela et les Antilles néerlandaises, bien que des raffineries aient aussi été établies au Barheïn et en Arabie Saoudite par les Etats-Unis et en Irak et au Liban par des entreprises britanniques et européennes.[9]
Cependant, ce fut seulement après la Seconde Guerre mondiale que le pétrole est devenu comme la production d’énergie dominante, comptant pour 46,1% de la production mondiale d’énergie en 1973, bien qu’il soit descendu en 2008 à 33,2%.
L’utilisation croissante de l’énergie a été un trait marquant de l’industrialisation partout dans le monde. Elle exprime non seulement la poussée de l’échelle de la production et l’impact de la croissance de la population, mais aussi le développement de la productivité avec la croissance en quantité des moyens de production, l’énergie comprise, que chaque ouvrier est capable de mettre en ?uvre. Cette tendance a perduré de nos jours : entre 1973 et 2008, la consommation totale d’énergie a augmenté de 80%.[10]
La révolution en forme et en quantité d’énergie offerte à l’humanité a dopé la révolution industrielle et a ouvert la porte à la possibilité de passer du règne de la volonté à celui de l’abondance. Mais cette révolution a été conduite par le développement du capitalisme dont le but n’est pas la satisfaction des besoins humains mais la croissance du capital sur la base de l’appropriation de la plus-value produite par une classe ouvrière exploitée.
Le capitalisme n’a pas d’autre critère pour utiliser l’énergie, pour détruire les ressources finies, que celui du coût de production qu’il représente. L’augmentation de la productivité pousse à exiger plus d’énergie, aussi les capitalistes (autres que ceux impliqués dans l’industrie du pétrole) sont amenés à essayer de réduire le coût de cette énergie. D’un côté, ceci conduit à une utilisation prolifique de cette énergie à des fins irrationnelles, telles que le transport des mêmes marchandises en tous sens à travers le monde, et à la multiplication sans fin de marchandises qui ne représentent aucun besoin humain mais servent uniquement de moyens pour extraire et réaliser la plus-value. De l’autre, ceci conduit à ce que des millions d’êtres humains ne puissent accéder à cette ressource et à ces produits parce qu’ils ne présentent pas assez d’intérêt financier pour les capitalistes. Cela s’illustre au Niger où Shell pompe des milliards de dollars de pétrole alors que la population locale n’en a pas ou bien risque sa vie pour en prendre illégalement dans les pipelines. Le prix est aussi payé par ceux qui travaillent dans les industries énergétiques et dont l’organisme est miné ou empoisonné par l’environnement dans lequel ils vivent, des eaux toxiques polluées de la Tamise qui ont caractérisé le 19e siècle à Londres jusqu’au réchauffement de la planète qui menace le futur de l’humanité aujourd’hui.
L’énergie nucléaire
La possibilité d’utiliser la fission ou la fusion nucléaires pour produire de l’énergie est connue depuis environ un siècle, mais c’est seulement après la Seconde Guerre mondiale qu’elle a pu être menée à bien. Aussi, bien que le contexte général est le même que celui souligné ci-dessus, la situation spécifique de l’après-guerre est dominée par la rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS, avec la course aux armements qui s’en est suivie. Le développement de l'énergie nucléaire n’est donc pas seulement inextricablement lié à celui des armes nucléaires mais a été probablement l’écran de fumée de ce dernier.
Au début des années 1950, le gouvernement américain était inquiet de la réaction du public au danger de l’arsenal nucléaire qu’il avait mis en oeuvre et à la stratégie de la « première frappe » qui avait été proposée. Sa réponse fut d’organiser une campagne connue sous le nom d’Opération Candor pour gagner l’opinion grâce à des messages dans les médias (y compris des bandes dessinées) et par une série de discours du président Eisenhower qui ont culminé dans l’annonce à l’assemblée générale de l’ONU du programme « Des atomes pour la paix » pour « encourager l’investigation au niveau mondial de l’utilisation la plus efficace en temps de paix des matériaux fissibles ».[11] Le plan incluait une information et des ressources partagées, avec les Etats-Unis comme l’URSS créant de façon conjointe un stock de matériau fissible. Dans les années qui ont suivi la course aux armements des armes nucléaires se sont répandues chez d’autres puissances, souvent sous le prétexte de développer un programme civil nucléaire, comme en Israël et en Inde. Les premiers réacteurs produisaient de grandes quantités de matériel pour les armes nucléaires et une petite quantité pour une électricité très dépensière. Le partage de la connaissance en matière de nucléaire fit alors partie des luttes impérialistes au niveau mondial ; ainsi, à la fin des années 1950, la Grande-Bretagne soutint secrètement Israël avec de l’eau lourde pour le réacteur qu’elle avait construit grâce à l’assistance française.[12] En dépit des discours sur cette énergie moins chère, la puissance nucléaire n’a jamais rempli cette promesse et a eu besoin du soutien de l’Etat pour couvrir son coût réel. Là où des compagnies privées construisent et dirigent des usines, il existe habituellement des subsides ouverts ou cachés. Par exemple, la privatisation de l’industrie nucléaire en Grande-Bretagne a avorté lorsque Thatcher dans les années 1980 l’a attaquée parce que le capital privé reconnaissait qu’il y avait des risques et des coûts non quantifiables. Ce n’est qu’en 1996, alors que les vieux réacteurs Magnox qui avaient déjà besoin d’être mis au rancart ont été exclus de l’accord que les investisseurs privés avaient préparé un contrat pour acheter British Energy à un prix cassé de 2 milliards de livres. Six ans plus tard, la compagnie devait être cautionnée d’un prêt du gouvernement de 10 milliards de livres.[13]
Alors que les avocats du nucléaire arguent aujourd’hui qu’il est meilleur marché que d’autres sources d’énergie, ceci reste une affirmation discutable. En 2005, l’Association Mondiale du Nucléaire (World Nuclear Association) statuait sur le fait que : « Dans la plupart des pays industrialisés aujourd’hui, de nouvelles usines nucléaires offrent la façon la plus économique de créer de l’électricité à bas coût sans considération des avantages géopolitiques et environnementaux que confère l’énergie nucléaire » et publiait une série de statistiques pour soutenir la demande selon laquelle la construction, le financement, la mise en oeuvre et les coûts que représentent les déchets ont tous été réduits.[14] Entre 1973 et 2008, la proportion d’énergie provenant des réacteurs nucléaires est montée de 0,9% à un total global de 5,8%.[15]
Un rapport publié en 2009, demandé par le gouvernement fédéral allemand[16], fait une évaluation de loin plus critique de l’économie du nucléaire et questionne l’idée d’une renaissance du nucléaire. Ce rapport montre que le nombre de réacteurs a chuté ces dernières années en contradiction avec les projets plus larges d’augmentations à la fois des réacteurs et de l’énergie produite. L’augmentation de puissance générée qui a eu lieu durant cette période est le résultat de la rentabilité des réacteurs existants et de l’extension de leur vie opérationnelle. Il continue en argumentant qu’il existe une incertitude sur les réacteurs couramment décrits comme étant « en construction », un certain nombre étant dans cette position depuis plus de 20 ans. Le nombre de ceux en construction est tombé d’un pic de 200 en 1980 à moins de 50 en 2006.
Au regard de l’économie du nucléaire, le rapport montre le haut niveau d’incertitude dans toutes les zones incluant le financement, la construction et l’entretien.
Il montre que l’Etat reste central pour tous les projets nucléaires quels que soient ceux auxquels ils appartiennent ou qui les dirigent. Un de ces aspects tient dans les formes variées des subsides fournis par l’Etat pour soutenir les coûts du capital investis dans l’entretien comme dans les démantèlement des usines, ainsi que le soutien des prix. Un autre a été la nécessité pour l’Etat de limiter la responsabilité de l’industrie afin que le secteur privé en accepte les risques. En 1957, le gouvernement américain a marqué le pas lorsque les compagnies d’assurance refusèrent de couvrir l’assurance car il leur était impossible de quantifier les risques.[17] Aujourd’hui, on estime qu' « en général, les limites nationales sont de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros, moins de 10% du coût de construction d’une usine et bien moins que le coût de l’accident de Tchernobyl. »[18]
Les dangers de l’énergie nucléaire sont aussi fortement débattus que les coûts et les preuves scientifiques apparaissent très variables. Cela est particulièrement le cas du désastre de Tchernobyl dont l’estimation des morts qui en ont résulté varie largement. Un rapport de l’OMS considère que 47 des 134 ouvriers irradiés au cours de l'intervention d'urgence sont morts des suites de la contamination en 2004[19] et estime qu’il y aurait à peine moins de 9000 morts de plus par cancer provoqué par la catastrophe.[20] Un rapport de scientifiques russes publié dans les Annales de l’Académie des Sciences de New-York pense que, de la date de l’accident jusqu’en 2006, ce sont 985 000 morts de plus qu’il faut compter, des cancers à toute une série d’autres maladies.[21]
Pour tous ceux qui n’ont pas la connaissance scientifique et médicale des spécialistes, il est difficile de s’y retrouver mais, ce qui est moins douteux, c’est le niveau massif de secret et de falsification en cours, depuis la décision du gouvernement britannique de retenir la publication du rapport sur un des premiers accidents à la centrale de Windscale en 1957 jusqu’à Fukushima aujourd’hui où le vrai niveau de catastrophe n’émerge que lentement. Pour revenir à Tchernobyl, le gouvernement russe n’a pas rapporté l’accident pendant plusieurs jours, laissant la population locale continuer à vivre et à travailler au milieu des radiations. Mais il n’y a pas qu’en Russie. Le gouvernement français a minimisé les niveaux de radiation qui atteignait le pays[22], disant à la population que le nuage radioactif qui s’étendait sur toute l’Europe n’était pas passé sur la France[23], tandis que le gouvernement britannique rassurait le pays qu’il n’y avait aucun risque pour la santé, rapportant des niveaux de radiation 40 fois plus bas que ceux de la réalité[24], mettant cependant plus tard des centaines de fermes en quarantaine. Jusqu’en 2007, 374 fermes sont encore restées sous contrôle spécial.[25]
L’énergie nucléaire est mise en avant par divers gouvernements comme la solution “verte” aux problèmes associés aux combustibles fossiles. C’est en majeure partie un écran de fumée qui cache les motifs réels qui tournent autour de l’épuisement possible du pétrole, de l’augmentation du prix du pétrole et des risques associés à une dépendance des ressources énergétiques hors de contrôle des Etats. Cette façade “verte » s’estompe à mesure que la crise économique conduit les Etats à revenir au charbon[26] et à baisser les coûts des nouvelles sources de pétrole en exploitation, la plupart d’entre elles physiquement difficiles d’accès, ou qui demandent des processus qui polluent et salissent l’environnement, comme les suies.
Les produits énergétiques ont aussi été un facteur dans les luttes impérialistes ces dernières années et elles le seront encore plus dans la période à venir. L’énergie nucléaire revient là même où elle a commencé comme source de matériau fissible et comme couverture pour les programmes d’armement.
Le communisme et les sources d'énergie
Les régimes staliniens qui se sont appropriés et ont sali le nom du communisme ont tous partagé le comportement du capitalisme dans l’utilisation du nucléaire et ont agi avec un mépris total de la santé de la population comme de l’environnement. Cela était vrai de l’ex-URSS et l’est aussi pour la Chine d’aujourd’hui et nourrit la confusion largement répandue sur le fait que le communisme pousse à une industrialisation forcée qui ne tient pas compte de la nature.
Contrairement à ces fausses idées, Marx se sentait très concerné par la nature, au niveau théorique de la relation entre l’humanité et la nature comme on l’a déjà vu, et au niveau pratique quand il écrit sur le danger de l’épuisement des sols par l’agriculture capitaliste et sur l’impact de l’industrialisation sur la santé de la classe ouvrière : « En outre, chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de dépouiller le sol; chaque progrès dans l'art d'accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du nord de l'Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s'accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. »[27]
Nous ne pouvons pas prévoir la « politique énergétique » du communisme, mais partant du fait fondamental que la production se fera pour les besoins humains et pas pour le profit, nous pouvons prédire que le modèle de l’utilisation de l’énergie changera de façon significative et nous pouvons en mettre en avant certains aspects :
- nous pouvons anticiper une vaste réduction dans la production des choses non-nécessaires et dans le transport d’autres choses dont le seul but est d’accroître les profits des capitalistes ;[28]
- de même, il y aura une réduction des voyages non-nécessaires vers et depuis les endroits de travail en même temps que les communautés prendront des proportions plus humaines, comme la frontière entre les activités de travail et celles dites de non-travail, comme le divorce entre la ville et la campagne, qui seront alors dépassés ;
- la créativité et l’intelligence seront dirigées vers les besoins humains, et on peut donc anticiper des développements significatifs dans les ressources d’énergie,[29] spécialement renouvelables, tout comme dans la mise en perspective de moyens de production, de transports et d’autres équipements et de machines pour les rendre plus efficaces, et cela à long terme.
Parce qu’une société communiste aura le souci du long terme, ceci implique de grandes réductions dans l’usage des sources d’énergie non-renouvelables de façon à ce qu’elles puissent servir aux futures générations. Il faut noter que même l’uranium utilisé par le nucléaire est une source d’énergie non-renouvelable et ne brise donc pas la dépendance envers les ressources finies. Ceci implique que l’énergie renouvelable sera fondamentale pour la société communiste mais, parce que la créativité et l’intelligence de l’humanité se libéreront des chaînes actuelles, cela n’entraînera pas un retour aux privations des anciennes économies organiques.
Il ne nous appartient pas de dicter au futur les décisions qui seront prises sur cette question. Mais ce que nous avons dit ci-dessus implique une réduction significative de l’utilisation de l’énergie et des changements dans les formes d’énergie à la lumière d’une intelligence scientifique en éveil. Les dangers potentiels du nucléaire et le fait que dépenser du pétrole et contaminer la terre représente un risque pour des centaines de milliers d’années suggère que l’énergie nucléaire n’ait pas de place dans une société dirigée vers le bien commun de sa génération, des futures générations et de la planète dont nous dépendons.
Contrairement à cela, le capitalisme a la prétention aujourd’hui d’être « écolo ». L’énergie verte de nos jours est largement périphérique, quoi qu’on entende dire partout que c’est économique de la mettre en pratique. Cela dit, la manière dont le capitalisme utilise les diverses sources d’énergie expose l’humanité à tous les dangers parce que la menace qu’il représente ne surgit pas de telle ou telle politique ou des éléments de la production, mais des lois qui gouvernent le capitalisme et de l’héritage historique des sociétés basées sur l’exploitation.
North (19 juin 20
[1] Ceci est également valable dans le cas de la Chine : « Le charbon était extrait et brûlé à une échelle substantielle dans certaines parties de la Chine depuis le 4e siècle et peut avoir atteint un pic durant le 11e siècle, mais cela n’a jamais conduit à une transformation de l’économie.” » E. A. Wrigley, Energy and the English Industrial Revolution, p. 174, Cambridge University Press, 2010.
[2] Wrigley, op.cit., p.92.
[3] Fernand Braudel, Civilisation and Capitalism 15th 18th Century Vol. 1, p.366-7. William Collins Sons and Co. Ltd, London
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Wrigley, op. cit, p.37 et p.99
[7] Energy and the English Industrial Revolution. par E. A. Wrigley.
[8] Ibid., p.94.
[9] Kenwood et Lougheed, The growth of the international economy (1820-1990). Routledge, 1992 (3e édition).
[10] International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.28.
[11] Noté dans S. Cooke, In mortal hands: A cautionary history of the nuclear age, Bloomsbury New York, 2010 (Paperback edition), p.110.
[12] Ibid., p.148-9.
[13] Ibid., p. 357-8.
[14] World Nuclear Association, The new economics of nuclear power, p.6.
[15] International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.6
[16] The World Nuclear Industry Status Report 2009 With Particular Emphasis on Economic Issues. Commissioned by German Federal Ministry of Environment, Nature Conservation and Reactor Safety. Paris 2009.
[17] Cooke, op. cit., p.120-5. Le gouvernement accepta arbitrairement un plafond engageant sa responsabilité à hauteur de 500 milions de dollars en dépit de l'avis de ses propres experts pour lesquels “la mesure du risque encouru ne peut pas être exactement evalué” (ibid, p. 124).
[18] German Federal Ministry of Environment, Nature Conservation and Reactor Safety, op.cit., p.44.
[19] World Health Organisation, 2006, Health effects of the Chernobyl accident and special health care programmes, p.106.
[20] Ibid., p.108.
[21] Yablokov, Nesterenko and Nesterenko, “Chernobyl: Consequences of the catastrophe for people and the environment.” Annals of the New York Academy of Sciences, Vol. 1181, 2009, p.210. Cette étude a suscité pas mal de controverses, notamment des critiques selon lesquelles elle amalgamerait des données incompatibles entre elles, ne tiendrait aucun compte des études qui ne soutiennent pas son argumentation et ne suivrait pas des méthodes scientifiques reconnues. Voir par exemple la revue des publications dans Environmental Health Perspectives, Vol. 118, 11 Novembre 2010.
[22] Cooke, op. cit., p.320.
[23] Yablokov et al, op. cit., p.10
[24] Ibid., p.14
[25] Cooke, op. cit., p.321.
[26] Le charbon est passé de 24,5% des sources d’énergie totale en 1973 à 27% en 2008. Source: International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.6.
[27] Marx, Le Capital , Vol. I, Chapitre XV ter “Machinisme et grande industrie”, Section 10, “Grande industrie et agriculture.”
[28] Voir : “Le monde à l’aube d’une catastrophe environnementale ” dans la Revue Internationale n°139.
[29] Voir Makhijani, A. 2007, Carbon-Free and Nuclear-Free: A Roadmap for U.S. Energy Policy pour un inventaire des sources d’énergie alternatives.
Derrière le prétendu “miracle” de la croissance chinoise se cache une réalité qui n’a rien d’enviable. Si peu enviable que la classe dirigeante et ses médiats aux ordres l’occultent même complètement. Dans le pays où fut inventée la poudre à canon, la situation est véritablement explosive !
Depuis le début du mois de juin, de violentes protestations parcourent le sud du pays, opposant les migrants des campagnes (mingongs) aux forces de police et parfois même à l’armée. Il semblerait que l’élément déclencheur de cette vague de colère soit une altercation dans la ville de Xintang entre un couple de modestes vendeurs ambulants originaires du Sichuan et des “chengguan” (l’équivalent de nos policiers municipaux et profondément détestés). Ces derniers, voulant déloger le couple sous prétexte que la vente à la sauvette est illégale, auraient violemment bousculé la jeune femme qui est enceinte. Aussitôt, la foule alentour s’est regroupée et a exprimé sa colère contre de tels comportements. Dans un climat rendu explosif par la situation qui règne dans le pays, le mouvement a rapidement tourné à l’émeute. Selon l’agence officielle de Chine nouvelle, des centaines de personne ont jeté des briques et des bouteilles sur les policiers. Dans les jours qui suivirent, malgré l’intervention massive des policiers appuyée par le déploiement de blindés, la fermeture des routes à la circulation et l’arrestation de 25 personnes, la situation dans la région de Xintang demeure tendue. De nombreux manifestants restent mobilisés, demandant la libération des 25 collègues détenus (1). Ce phénomène n’est pas un fait isolé. Loin de là. Pour l’immense majorité du peuple chinois et particulièrement pour les ouvriers migrants venus dans les grandes agglomérations avec l’espoir de trouver du travail, les conditions de vie sont de moins en moins supportables. Entre les murs de “l’usine du monde”, comme ailleurs, le cynisme et le mépris de la classe capitaliste envers les ouvriers paraît sans limite. Il y a peu, un ouvrier chinois demandait que lui soient versé des salaires impayés. En retour… il a reçu un coup de couteau de la part de ses patrons ! L’ignominie de cet acte abominable a sans doute fortement attisé le sentiment de révolte qui s’est étendu peu à peu à travers le pays. Mais ces faits ne suffisent pas à comprendre les causes profondes de l’explosivité du climat social. Ainsi, dans un article du journal les Echos du 15 juin on peut lire : “Des problèmes locaux ont tendance à dégénérer en raison de l’inquiétude croissante posée par d’autres questions comme l’inflation, explique à l’AFP Russell Leigh-Moses, analyste installé à Pékin. (…) L’inflation en Chine a atteint en mai son plus haut niveau en près de trois ans, et la hausse des prix est potentiellement explosive. De nombreuses catégories de Chinois subissent de plein fouet l’envolée des prix, notamment les paysans, les retraités et les ouvriers migrants.” Face à ce profond malaise, l’Etat doit employer les grands moyens pour maintenir une certaine stabilité dans la région où avait déjà explosé, il y a un an, une série de grèves et de manifestations (2). Sur le site web Rue 89, un article bien détaillé et daté du 14 juin 2011 précise : “s’ils avaient réussi à obtenir des augmentations de salaire et, dans certains cas, une relative amélioration de leurs conditions de travail, leur situation reste peu enviable”. Enfin, Jeffrey Crothall, porte-parole de l’ONG China Labor Bulletin explique : “Ils ont des horaires de travail très lourds et souffrent de discriminations. Certes, grâce au manque de main-d’œuvre, les travailleurs ont gagné du pouvoir de négociation dans certains secteurs. Mais dans beaucoup d’endroits, ils sont encore très mal traités par leurs patrons, qui refusent souvent de les payer. Quant aux augmentations de salaires, de toute façon leur effet a été largement amoindri par l’inflation.”
En définitive, c’est un pas de plus vers la misère généralisée que nous montre la réalité du “miracle chinois”.
Maxime (24 juin)
1) Selon le site Radio Free Asia.
2) Lire RI n°415, “Une vague de grève parcourt la Chine [71]”, et RI n° 422, “Après le monde arabe, la Chine ? [72]”.
Dans le mouvement des Indignés en Espagne comme en France et dans tous les pays, le collectif Democracia Real Ya ! (DRY – “Démocratie réelle maintenant !”), a exploité le dégoût légitime des jeunes envers les partis politiques bourgeois (et la corruption des politiciens), pour promouvoir une idéologie extrêmement pernicieuse : celle de “l’apolitisme”. Ainsi, partout, on a pu entendre les mentors de DRY faire croire aux Indignés que leur mouvement de protestation contre les effets de la crise du capitalisme (notamment le chômage des jeunes) devait rester un mouvement “apolitique”, en dehors et contre tous les partis, associations et syndicats. Partout, les éléments politisés devaient donc respecter la consigne : ne pas prendre la parole au nom de leur groupe politique mais uniquement en tant que simples “citoyens” (1). Tous ceux qui font de la politique étaient ainsi suspectés de vouloir diviser ou récupérer le mouvement pour le compte de leur propre “chapelle”.
L’hypocrisie sans borne de DRY atteint son comble lorsqu’on sait que derrière cette vitrine prétendue “apolitique” se cachent en réalité non seulement toute la brochette des partis de la gauche du capital (PS, PC, NPA, Front de gauche, etc.), mais également des partis de droite et d’extrême-droite (puisque leurs militants ont droit de cité dans les assemblées en tant que “citoyens au-dessus de tout soupçon”).
C’est en réalité à une union sacrée de toutes les bonnes âmes respectueuses de la “citoyenneté” capitaliste que nous convie la politique démagogique et populiste de DRY. En réalité, ce que visent les leaders de DRY, c’est à attacher les jeunes prolétaires au char de l’ordre capitaliste.
Lorsque DRY appelle à revendiquer une réforme de la loi électorale en Espagne, lorsqu’elle nous demande d’aller voter et de rester ainsi de bons “citoyens”, lorsque ses slogans mensongers nous appellent à lutter contre la “dictature des banques” et nous fait croire qu’un capitalisme “propre”, “éthique”, à “visage humain” est possible, DRY ne fait rien d’autre que de la… “politique” ! Et cette politique réformiste, de gestion de la crise économique, c’est celle des partis de la gauche du capital, avec ses politiciens plus ou moins “propres” et corrompus (comme Strauss-Kahn, Zapatero, Papandréou et consorts).
“L’apolitisme” est une pure mystification et un piège dangereux pour les exploités ! Cette idéologie hypocrite ne vise qu’à les déposséder de leurs propres moyens de lutte afin de les rabattre sur le terrain pourri de la “légalité” de la “démocratie” bourgeoise. Les partis de gauche et les syndicats, après avoir porté tant de coups à notre classe, ont de plus en plus de mal à déverser leurs poisons : les divisions corporatistes ou sectorielles, le noyautage des luttes et des assemblées générales et, surtout, les illusions réformistes et électorales… Les exploités sont animés d’une méfiance grandissante à leurs égards, voire d’un réflexe de rejet ; ils ont appris à détecter la puanteur de leurs poisons. “L’apolitisme” de l’alter-mondialisme a donc pour mission de nous refourguer ce même poison mais en le rendant préalablement inodore ! Il s’agit d’un tour de passe-passe, ni plus ni moins, qui vise au bout du compte à ramener les prolétaires dans le giron des ennemis officiellement rejetés : les partis de gauche et les syndicats !
La classe exploitée ne doit pas oublier que c’est au nom de “l’apolitisme” que le fascisme est arrivé au pouvoir dans les années 1930. C’est sous couvert “d’apolitisme” que les mouvements sociaux ont toujours été récupérés par ceux qui se font les promoteurs patentés de cette idéologie, tels les “altermondialistes” de DRY ou d’ATTAC.
C’est ce que nous avions vu, par exemple en France, dans le mouvement des étudiants contre le CPE au printemps 2006 où de nombreux enfants de la classe ouvrière ont été récupérés, entre autres par le NPA, dans la perspective des élections présidentielles de 2007. Ils ont été dévoyés sur le terrain des isoloirs électoraux derrière un front uni “anti-Sarko”.
Pour ne pas se faire “récupérer” et dévorer par des loups déguisés en agneaux, les jeunes générations d’aujourd’hui doivent se souvenir du slogan des étudiants de Mai 68 : “Si tu ne t’intéresses pas à la politique, la politique s’intéressera à toi”.
Oui, il faut s’intéresser à la “politique” ! Confronter les idées politiques dans les assemblées générales est le seul moyen de démasquer nos faux amis, de déjouer leurs pièges et de ne pas se laisser confisquer nos luttes par des politicards “spécialistes” de la négociation et de la magouille. C’est dans la confrontation et le débat politique, notamment au sein des assemblées souveraines, que les exploités en lutte peuvent faire la distinction entre les groupes politiques qui défendent vraiment leurs intérêts et ceux qui jouent le rôle de chiens de garde du Capital.
La lutte de la classe exploitée contre la classe exploiteuse est toujours un combat politique. C’est uniquement dans ce combat, à travers le débat le plus large possible que les exploités peuvent construire un rapport de force en leur faveur face à l’ignominie du Capital et de ses politiciens de tous bords. C’est dans ce combat politique, dans la rue et au sein des assemblées massives, qu’ils peuvent retrouver leur identité de classe, développer leur solidarité, leur unité, et retrouver confiance en leur propre force.
La classe exploitée, qu’elle soit salariée ou au chômage, est la seule force politique qui puisse changer le monde, renverser le capitalisme et construire une société véritablement humaine, sans crise, sans guerre, sans exploitation.
Sofiane (29 juin)
1) Voir notre article “Altercation entre Democracia Real et le CCI : notre indignation face aux méthodes “démocratiques” de DRY [73]”.
Ecœurante à tous les niveaux, l’affaire DSK, quelle que soit son issue, est venue nous rappeler quelle est la condition faite aux femmes. Que cet homme à la “stature de chef d’Etat” ait effectivement violé une domestique ou couché avec une prostituée qui s’est révélée être l’appât d’un piège… tout cela révèle le même fond : le mépris total et sociétal du genre féminin. Ce monde “développé” est capable de nous bassiner d’une “journée de la femme”, comme on parle de la “journée du sida” ou du “téléthon”. Cette société capitaliste sexiste, qui a repris à son compte les conceptions des sociétés patriarcales tribales du passé, ne peut dépasser cette idéologie d’un monde dominé par les hommes. La société capitaliste méprise les femmes, considérées comme une marchandise à la fois salariale et sexuelle. Et ses représentants politiques, comme DSK, en sont les meilleurs VRP. Il vaut la peine en l’occurrence de rappeler quelles ont été les réactions premières de ses amis, pourtant tous prétendument défenseurs des droits de l’homme et de la femme. Jean-François Kahn, pourfendeur populiste des tares de cette société et de ses représentants, ex-rédacteur en chef de Marianne, hebdo engagé dans toutes les causes des minorités, et donc de celle des femmes, s’est empressé de minorer “l’incident” en le qualifiant d’ “imprudence”, de “troussage de domestique”. C’est vrai, quoi, si on ne peut plus lutiner le petit personnel, où va-t-on ? Et puis si la bonne ne dit rien, effrayée de perdre sa place, on peut aller plus loin ! Pourquoi se gêner, surtout à Sofitel qui a pour habitude de couvrir les frasques de ce genre chez les “bons clients”.
Et que penser de la saillie de Jack Lang, glissant au passage d’un interview télévisé avec Pujadas : “Il n’y a pas mort d’homme.” Que diable mon Prince de Blois, n’y aurait-il eu au pire que viol de femme, et qui plus est de femme de chambre ? Au regard de l’avenir d’un des hommes les plus en vue de la politique française, ce ne sont là que billevesées !
Cette société capitaliste a beau faire se tortiller dans tous les sens ses hommes, et ses femmes, politiques pour nous convaincre d’une évolution des conditions de la femme et qu’ils oeuvrent en ce sens, rien n’est plus illusoire. Il n’y a pour s’en rendre compte que de prendre en exemple la moyenne des salaires de 30% inférieure, à charge de travail égale, pour les femmes par rapport aux hommes. Et même si un nombre relativement croissant de femmes occupe des postes à responsabilité dans les entreprises, c’est en fait parce qu’elles singent littéralement le comportement social “dominant”, agressif et “prédateur” des capitalistes qu’elles sont acceptées. En politique, on dit des “pointures” comme Mme Lagarde, nommée en remplacement de DSK au FMI : “Celle-là, elle a des couilles.” Et cela est si vrai que les députées (femmes) ne se présentent jamais (ou très rarement) en jupe à l’Assemblée Nationale, sous peine de subir les quolibets “joyeux” de la finesse de corps de garde qu’on imagine de la part de leurs confrères.
En réalité, la classe bourgeoise, et plus que jamais dans la décadence, est empreinte jusque dans ses gènes de cet esprit machiste nauséabond, ne considérant la femme que comme l’objet de l’assouvissement du besoin sexuel de l’homme.
La publicité est d’ailleurs en cette occurrence un bon “sexomètre”. Celle sur Orangina qui fleurit sur panneaux géants tous les printemps depuis quelques années, dans les gares, les centres commerciaux, etc., en est un prototype des plus “excitants” intellectuellement. On peut y voir des animaux, censés être femelles, affublés de sous-vêtements “sexy”, dans des poses provocantes, tous étant censés représenter des femmes “épanouies” grâce à Orangina ! En fait des objets sexuels avilis et rabaissés. L’indécence de cette publicité, le mépris ouvert qu’elle affiche pour les femmes renvoie à cette maxime populaire qu’on utilise pour les sexopathes avérés et invétérés : “Une chèvre avec une culotte, et c’est bon pour lui.”Hasard ou coïncidence, il y a d’ailleurs même une chèvre dans la publicité Orangina qui fait le ménage ! On nous dira que nous sommes des imbéciles qui ne comprennent rien à l’humour au second degré. Eh bien oui ! Car cet “humour” est le reflet exact de la pitoyable pensée bourgeoise, de la séparation et de la ségrégation qu’elle opère entre les sexes.
L’injustice criante et révoltante faite aux femmes pousse souvent les plus indignés à s’engager sur la voie du féminisme. Ceux-là luttent avant tout pour l’égalité entre les sexes. Il s’agit là d’un combat voué à l’échec, d’une impasse. Le sort réservé aux femmes est le fruit du capitalisme. Pour changer réellement les choses, il faut donc l’abattre. Aucun aménagement ne sera possible. En effet, le capitalisme est une société de classe et d’exploitation, en cela il induit forcément cette injustice entre les sexes. Comme l’écrivait Engels “la première opposition de classe qui se manifeste dans l’histoire coïncide (souligné par nous) avec [ ] la première oppression de classe avec l’oppression du sexe féminin par le sexe masculin.” et “De nos jours, l’homme dans la grande majorité des cas, doit être le soutien de la famille et doit la nourrir, au moins dans les classes possédantes ; et ceci lui donne une autorité souveraine qu’aucun privilège juridique n’a besoin d’appuyer. Dans la famille, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat.”
Ce n’est donc pas un hasard si c’est le mouvement ouvrier dès sa naissance qui, en luttant contre le capitalisme, a aussi posé en premier la question de la place de la femme dans la société. Comme l’a écrit la militante ouvrière Flora Tristan en 1843 dans son livre L’Union ouvrière : “L’affranchissement des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. L’homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme. Elle est le prolétaire du prolétaire même”. Autrement dit, pour abolir l’exploitation de la femme par l’homme, il faut abolir l’exploitation de l’Homme par l’Homme.
Wilma (1er juillet)
A l’heure où l’OTAN couvre son aventure meurtrière d’un silence gêné et se fend de discrètes excuses vite recouvertes par mille faits-divers “pour s’être trompée de cible et avoir tué par erreur des familles de civils” en Libye, des révélations sur les crimes de l’armée américaine en Irak donnent une image très précise de ce qu’est une “guerre propre” pour l’ensemble des bourgeoisies du monde.
En avril et en novembre 2004, la ville de Falloujah, à l’ouest de Bagdad, fut le théâtre d’une gigantesque bataille opposant les forces américaines aux cliques baassiste et djihadiste de la région. Si les chiffres officiels font état de presque 500 victimes, le bilan de l’opération s’élève en réalité à plusieurs milliers de tués, dont de nombreux civils pris entre deux feux. Mais les victimes directes des combats ne représentent qu’une fraction d’un ensemble plus vaste, celui des estropiés, des orphelins, des sans-abris, etc.
Parmi ceux-ci, Falloujah compte désormais ses “bébés-monstres,” victimes des effets durables des armes à l’uranium appauvri. Ce métal, faiblement radioactif, est néanmoins très polluant et dangereux pour la santé en cas d’ingestion par la digestion ou la respiration. Dès 2008, le taux exceptionnellement élevé de nourrissons gravement malformés, la surmortalité infantile et l’explosion des cas de cancers (y compris dans l’armée et les unités ayant servi en Irak ou dans la guerre des Balkans) produisent quelques remous qui finissent par attirer l’attention des scientifiques. Plusieurs enquêtes finissent par établir un lien direct entre les nombreuses malformations et les obus à l’uranium appauvri utilisés lors des combats.
Le professeur Christopher Busby, connu pour ses recherches sur les effets sanitaires des faibles doses de rayonnements ionisants, affirme même avoir découvert des traces d’uranium cette fois “enrichi”, utilisé dans l’armement nucléaire, en analysant des échantillons prélevés sur place. En d’autres termes, la bourgeoisie américaine a fait tirer des armes irradiant durablement la population et ses propres soldats.
L’incurie des états-majors militaires pour la santé de la “piétaille” est d’ailleurs bien connue. A titre d’exemple stupéfiant, les déchets de l’armée sont soigneusement recyclés dans de grandes fournaises à ciel ouvert, entretenues au kérosène par des sous-traitants locaux sous l’œil des soldats. Les conséquences sanitaires sont évidemment catastrophiques, comme en témoignent les nombreuses insuffisances respiratoires, les lésions cérébrales et les cancers dont sont victimes les soldats chargés de la surveillance des décharges et que les hôpitaux militaires qualifient pudiquement de “troubles psychosomatiques”.
La guerre en Irak et toutes les “guerres justes” sont décidément de sales guerres.
V. (22 juin)
L’ampleur de la catastrophe en cours à Fukushima révèle une fois de plus l’exploitation prédatrice de la nature par le capitalisme. L’espèce humaine a toujours été amenée pour vivre à transformer la nature. Mais le Capital pose aujourd’hui un nouveau problème : ce système ne produit pas pour satisfaire les besoins de l’humanité mais pour le profit. Il est prêt à tout pour cela. Laissé à sa seule logique, ce système finira donc par détruire la planète.
Au sein de cette nouvelle série, nous allons donc retracer brièvement l’histoire des rapports entretenus par l’Homme à la nature pour mieux comprendre les dangers actuels mais aussi les nouvelles possibilités énergétiques qui pourraient s’ouvrir à l’Homme dans la société future, le communisme.
Le désastre du réacteur nucléaire
de Fukushima au Japon au mois de mars dernier a réouvert le débat sur le rôle de la puissance nucléaire dans les besoins que connaît l’énergie mondiale. Beaucoup de pays, y compris la Chine, ont annoncé qu’ils allaient revoir ou temporairement arrêter leur programme de constructions de centrales tandis que la Suisse et l’Allemagne sont allées plus loin et prévoient de remplacer leur capacité nucléaire. Dans le cas de ce dernier pays, 8 des 17 centrales du pays seront fermées cette année avec un arrêt de toutes en 2022 et seront remplacées par des sources d’énergie renouvelables. Ce changement a provoqué de puissants avertissements de la part de l’industrie nucléaire et certains grands utilisateurs d’énergie de problèmes de réserves et de grosses augmentations des prix. Depuis ces dernières années, on avait vu des rapports sur la renaissance de l’industrie nucléaire avec 60 centrales en construction et une 493e planifiée selon le groupe industriel World Nuclear Association1. En Grande-Bretagne, il y a eu un débat sur les risques et les bénéfices du nucléaire comparé à celui des plus profitables énergies vertes. George Monbiot, par exemple, a annoncé non seulement sa conversion au nucléaire comme la seule voie réaliste pour éviter le réchauffement global de la planète2 mais allant jusqu’à attaquer ses anciens collègues du mouvement anti-nucléaire d’ignorer la question scientifique du risque réel de la puissance nucléaire3.
En réalité, le problème du nucléaire ne peut être compris comme une question purement technique ou comme une équation déterminée par les différents coûts ou bénéfices du nucléaire, de l’énergie fossile ou des énergies renouvelables. Il est nécessaire de s’arrêter et de regarder l’ensemble de la question de l’utilisation de l’énergie dans la perspective historique de l’évolution de la société humaine et des différents modes de production qui ont existé. Ce qui suit se veut être une esquisse nécessairement brève d’une telle approche.
L’utilisation de l’énergie
et le développement humain
L’histoire de l’humanité et des différents modes de production est aussi l’histoire de l’énergie. Les premières sociétés de chasseurs-cueilleurs vivaient principalement de l’énergie humaine comme de celle des animaux et des plantes produites par la nature avec une intervention plutôt modérée, même si certains usages impliquaient l’utilisation du feu pour la déforestation en vue de cultures ou pour abattre les arbres. Le développement de l’agriculture au néolithique marqua un changement fondamental dans l’utilisation de l’énergie par l’humanité et dans ses relations avec la nature. Le travail humain fut organisé sur une base systématique pour transformer la terre, avec des forêts nettoyées et des murs érigés pour élever les animaux domestiques. Les animaux commencèrent à être utilisés pour l’agriculture et donc dans certains processus productifs comme les moulins à grains. Le feu servait à réchauffer et faire la cuisine et pour des processus industriels comme la fabrication de poteries et la fonte des métaux. Le commerce se développa également, reposant à la fois sur la puissance du muscle et de l’animal mais aussi exploitant la force du vent pour traverser les océans.
La révolution néolithique transforma la société humaine. L’augmentation des sources de nourriture qui en résulta conduisirent à une augmentation significative de la population et à une plus grande complexité de la société, avec une partie de la population allant graduellement de la production directe de nourriture vers des rôles plus spécialisés liés aux nouvelles techniques de production. Certains groupes furent aussi libérés de la production pour prendre des rôles militaires ou religieux. Ainsi, le communisme primitif des sociétés de chasseurs-cueilleurs se transforma en sociétés de classe, les élites militaires et religieuses soutenues par le travail des autres.
Les accomplissements des sociétés dans l’agriculture, l’architecture et la religion requéraient tous l’utilisation concentrée et organisée du travail humain. Dans les premières civilisations, ils furent le résultat de la cœrcition massive du travail humain, qui trouva sa forme typique dans l’esclavage. L’utilisation par la force de l’énergie d’une classe assujettie permit à une minorité d’être libérée du travail et de vivre une vie qui exigeait la mobilisation d’un niveau de ressources bien supérieur à celui qu’un individu aurait pu réaliser pour lui-même. Pour donner un exemple : une des gloires de la civilisation romaine était les systèmes de chauffage des villas qui faisaient circuler de l’air chaud sous les sols et dans les murs ; rien de comparable n’a été vu par la suite durant des siècles où même les rois vivaient dans des bâtiments qui étaient si froids qu’on raconte que le vin et l’eau gelaient sur les tables l’hiver4. Ces systèmes étaient le plus souvent construits et entretenus par des esclaves et consommaient de grandes quantités de bois et de charbon. La chaleur dont profitait la classe dominante venait de l’appropriation de l’énergie humaine et naturelle.
La relation entre l’humanité
et la nature
Le développement des forces productives et des sociétés de classe qui était à la fois la conséquence et l’aiguillon de ces dernières changea la relation entre l’homme et la nature comme il avait changé la relation entre les gens. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs étaient immergées dans la nature et dominées par elle. La révolution de l’agriculture poussa à contrôler la nature avec les cultures et la domestication des animaux, le défrichement des forêts, l’amendement des sols par l’utilisation de fertilisants naturels et le contrôle des apports d’eau.
Le travail humain et celui du monde naturel devinrent des ressources à exploiter mais aussi des menaces devant être dominées. Il en résulta que les Hommes – exploités et exploiteurs – se détachèrent de la nature et les uns des autres. Vers le milieu du 19e siècle, Marx montra l’intime inter-relation entre l’humanité et la nature qu’il vit comme la “vie des espèces” : “Physiquement, l’homme ne vit que de ces produits naturels, qu’ils apparaissent sous forme de nourriture, de chauffage, de vêtements, d’habitation, etc. L’universalité de l’homme apparaît en pratique précisément dans l’universalité qui fait de la nature entière son corps non-organique, aussi bien dans la mesure où, premièrement, elle est un moyen de subsistance immédiat que dans celle où, [deuxièmement], elle est la matière, l’objet et l’outil de son activité vitale. La nature, c’est-à-dire la nature qui n’est pas elle-même le corps humain, est le corps non-organique de l’homme. L’homme vit de la nature signifie : la nature est son corps avec lequel il doit maintenir un processus constant pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l’homme est indissolublement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissolublement liée avec elle-même, car l’homme est une partie de la nature.”5 Le capitalisme, le travail salarié et la propriété privée déchire tout cela, détournant la production du travail ouvrier en “une puissance autonome vis-à-vis de lui” et transformant la nature qui “s’oppose à lui, hostile et étrangère.”6
L’aliénation, que Marx voyait comme une caractéristique du capitalisme dont la classe ouvrière faisait l’expérience de façon très aiguë, avait émergé en fait avec l’apparition des sociétés de classe mais s’accélérait avec la transition vers le capitalisme. Tandis que l’humanité toute entière est affectée par l’aliénation, son impact et son rôle n’est pas le même qu’il s’agisse de la classe exploitante ou de la classe exploitée. La première, en tant que classe qui domine la société, pousse vers l’avant le processus d’aliénation tout comme elle anime le processus d’exploitation et ressent rarement ce que cela provoque, même si elle ne peut échapper aux conséquences. La seconde ressent l’impact de l’aliénation dans sa vie quotidienne comme un manque de contrôle sur ce qu’elle fait et ce qu’elle est mais absorbe en même temps la forme idéologique que prend l’aliénation et le répète en partie dans ses relations humaines et dans sa relation avec le monde naturel.
Le processus a continué depuis que Marx l’a décrit. Au siècle dernier, l’humanité aliénée s’est entredévorée dans deux guerres mondiales et a vu l’effort systématique effectué pour anéantir des parties d’elle-même dans l’holocauste de la Seconde Guerre mondiale et lors des “nettoyages ethniques” des vingt dernières années. Elle a également exploité et détruit la nature brutalement au point que le monde naturel et toute vie menacent de s’éteindre. Cependant, ce n’est pas une humanité vue comme une abstraction qui a fait cela mais la forme particulière de société de classe qui est arrivée à dominer et menacer la planète : le capitalisme. Ce ne sont pas non plus tous ceux qui vivent dans cette société qui en portent la responsabilité : entre les exploiteurs et les exploités, entre la bourgeoisie et le prolétariat, il n’y a pas d’égalité de pouvoir. C’est le capitalisme et la classe bourgeoise qui ont créé ce monde et qui en portent la responsabilité. Cela peut déranger ceux qui veulent nous mettre tous ensemble dans le même sac pour le “bien commun”, mais l’histoire a montré que notre conclusion est correcte.
North (19 juin)
1) Financial Times du 6 juin 2011, “Nuclear power : atomised approach”.
2) Guardian du 22 juin 2011, “Why Fukushima made me stop worrying and love nuclear power”.
3) Guardian du 5 avril 2011, “The unpalatable truth is that the anti-nuclear lobby has misled us all”.
4) Fernand Braudel, Civilisation and Capitalism 15th – 18th Century, Volume one : The Structures of Everyday Life, p.299. William Collins Sons and Co. Ltd, London.
5) Marx, manuscrits philosophiques et économiques de 1844, “Le travail aliéné” (www.marxists.org [75])
6) Ibid.
Nous publions ci-dessous la traduction de la prise de position de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne, sur les émeutes qui ont fait rage cet été outre-manche. Ce texte a été publié immédiatement sur notre site en anglais alors que les rues n’avaient toujours pas retrouvé leur calme.
Suite aux émeutes qui ont éclaté à travers le pays, les porte-paroles de la classe dominante – le gouvernement, les politiciens, les médias, etc. – nous demandent de participer à la défense d’une campagne ayant pour but de soutenir leur “programme” : accroissement de l’austérité et répression accrue contre quiconque s’y opposerait.
Une austérité accrue parce qu’ils n’ont aucune solution à apporter pour remédier à la crise économique de leur système en phase terminale. La seule chose qu’ils puissent faire, c’est de supprimer des emplois, de baisser les salaires, de sabrer les aides sociales, d’amputer les dépenses sur les retraites, dans la santé, l’éducation. Tout cela ne peut signifier qu’une aggravation considérable des conditions sociales mêmes qui ont précisément poussé à ces émeutes, conditions entraînant la conviction chez une partie importante de toute une génération qu’ils n’ont plus d’avenir devant eux. C’est pourquoi toute discussion sérieuse sur les causes économiques et sociales des émeutes a été dénoncée comme voulant trouver “une excuse” aux émeutiers. On nous a raconté que c’étaient des criminels et qu’ils seraient traités comme tels. Point final. Ce qui est très pratique parce que l’Etat n’a aucune intention de donner de l’argent pour les centres urbains, comme il l’avait fait après les émeutes des années 1980.
Une répression accentuée parce que c’est la seule chose que la classe dominante puisse nous offrir. Elle tire au maximum avantage de l’inquiétude des populations concernant les destructions causées par les émeutes pour accroître les dépenses de la police, pour l’équiper de balles en caoutchouc, de canons à eau et même pour mettre en avant l’idée d’imposer des couvre-feux et l’armée dans la rue. Ces armes, en même temps que la surveillance accrue des réseaux sociaux sur Internet et la “justice” expéditive qui s’est abattue sur ceux qui ont été arrêtés après les émeutes, ne seront pas seulement utilisées contre les pillages et les saccages. Nos dirigeants savent très bien que la crise ne peut que déboucher sur un torrent de révoltes sociales et de luttes ouvrières qui s’est déjà répandu de l’Afrique du Nord à l’Espagne et de la Grèce jusqu’en Israël. Ils sont parfaitement conscients qu’ils seront confrontés à l’avenir à des mouvements massifs et que toutes leurs prétentions démocratiques servent uniquement à justifier le recours à la violence contre ces mouvements, de la même manière que l’ont fait les régimes ouvertement dictatoriaux, comme en Egypte, au Bahreïn ou en Syrie. Ils l’ont déjà démontré lors de la lutte des étudiants en Grande-Bretagne l’an dernier.
La campagne sur les émeutes est basée sur la proclamation de nos dirigeants qu’ils défendent ainsi la moralité de la société. Cela vaut la peine de considérer le contenu de ces déclarations.
Les porte-parole de l’Etat condamnent la violence des émeutes. Mais c’est l’Etat lui-même qui exerce aujourd’hui la violence, à une bien plus large échelle, contre les populations en Afghanistan et en Libye. Une violence qui chaque jour est présentée comme héroïque et altruiste alors qu’elle sert uniquement les intérêts de nos dirigeants.
Le gouvernement et les médias condamnent les hors-la-loi et la criminalité. Mais c’est la brutalité de leurs propres forces de répression au nom du maintien de la loi et de l’ordre, la police, qui, dès le début, a mis le feu aux poudres, avec l’assassinat de Mark Duggan et le comportement méprisant envers sa famille et ses amis qui manifestaient autour du poste de police de Tottenham afin de savoir ce qui s’était réellement passé. Et cela fait suite à toute une longue série de gens morts dans des commissariats situés dans des quartiers similaires à celui de Tottenham ou subissant quotidiennement le harcèlement policier dans les rues.
Le gouvernement et les médias condamnent l’avidité et l’égoïsme des émeutiers. Mais ce sont eux les gardiens et les propagandistes d’une société qui fonctionne sur la base de l’avidité organisée, de l’accumulation de richesses entre les mains d’une petite minorité. Alors que nous sommes sans cesse encouragés à consommer davantage pour réaliser leurs profits, à identifier notre valeur sociale à la quantité de biens que l’on peut s’acheter. Puisque non seulement ce système repose sur l’inégalité, et que celle-ci devient de pire en pire, il n’est pas surprenant que ceux qui sont au bas de l’échelle sociale, qui ne peuvent pas s’offrir les “belles choses” dont on leur vante le besoin, pensent que la réponse à leur problème est de piquer tout ce qu’ils peuvent, quand ils le peuvent.
Les dirigeants condamnent ce pillage “à la petite semaine” alors qu’eux mêmes participent à une vaste opération de pillage à l’échelle planétaire : les compagnies pétrolières ou forestières qui détruisent la nature pour leur profit, les spéculateurs qui s’engraissent en faisant grimper le cours des produits alimentaires, les trafiquants d’armes qui vivent de la mort et des destructions, les respectables institutions financières qui blanchissent des milliards du trafic de drogue. Une contrepartie essentielle de ce pillage est qu’une partie croissante de la classe exploitée est jetée dans la pauvreté, dans le désespoir et la délinquance. La différence, c’est que les petits délinquants sont habituellement punis alors que les grands criminels ne le sont pas.
En résumé : la moralité de la classe dominante ? Elle n’existe pas.
La question réelle à laquelle est confrontée l’immense majorité qui ne profite pas de cette gigantesque entreprise criminelle appelée capitalisme, est celle-ci : comment pouvons-nous nous défendre réellement alors que ce système, maintenant en train de crouler sous les dettes, est contraint de tout nous prendre ?
Est-ce que les émeutes que nous avons vues début août 2011 en Grande-Bretagne nous donnent une méthode pour lutter, pour prendre le contrôle de ces luttes, pour unir nos forces, pour créer un futur différent pour nous-mêmes ?
Beaucoup de ceux qui ont pris part aux émeutes ont clairement exprimé leur colère contre la police et contre les possesseurs de richesses qui sont ressentis comme la cause essentielle de leur misère. Mais, presque immédiatement, les émeutiers ont sécrété les aspects les plus négatifs, les comportements les plus troubles, alimentés par des décennies de désintégration sociale dans les quartiers urbains les plus pauvres, par des mœurs propres aux gangs, allant puiser dans la philosophie dominante du “chacun pour soi” et du “sois riche ou crève en essayant de le devenir !” C’est ainsi qu’au début une manifestation contre la répression policière a dégénéré dans un chaos franchement anti-social et dans des actions anti-prolétariennes : intimidation et agression vis-à-vis d’individus, mise à sac de boutiques dans le voisinage, attaques contre les ambulanciers et les pompiers, incendies d’immeubles sans discrimination, alors que souvent les occupants se trouvaient encore à l’intérieur.
De telles actions n’offrent absolument aucune perspective permettant de se dresser contre ce système de rapine dans lequel nous vivons. Au contraire, elles servent uniquement à élargir les divisions parmi ceux qui souffrent de ce système. Face aux attaques contre les boutiques et les immeubles, des habitants se sont armés eux-mêmes de battes de base-ball et ont formé des “unités d’auto-défense”. D’autres se sont portés volontaires pour des opérations de nettoyage au lendemain des émeutes. Beaucoup se sont plaints du manque de présence policière et ont demandé des mesures plus fortes.
Qui profitera le plus de ces divisions ? La classe dominante et son Etat. Comme nous l’avons dit, ceux qui sont au pouvoir se revendiqueront dorénavant d’un mandat populaire pour renforcer l’appareil répressif policier et militaire, pour criminaliser toute forme de manifestations et de désaccords politiques. Déjà les émeutes ont été imputées à “des anarchistes” et, il y a une semaine ou deux, la police londonienne (le MET) a fait l’erreur de publier des enquêtes sur des personnes militant pour une société sans Etat.
Les émeutes sont le reflet de l’impasse atteint par le système capitaliste. Elles ne sont pas une forme de la lutte de la classe ouvrière ; elles sont plutôt une expression de rage et de désespoir dans une situation où la classe ouvrière est absente en tant que classe. Les pillages ne sont pas un pas vers une forme de lutte supérieure, mais un obstacle sur ce chemin. D’où la frustration justifiée d’une femme du quartier londonien d’Hackney qui a été regardée par des milliers de gens sur Youtube (1), dénonçant les pillages parce que cela empêchait les gens de se regrouper et de réfléchir ensemble sur comment mener la lutte. “Vous me faites chier... nous ne sommes pas rassemblés pour nous battre autour de la défense d’une cause. Nous sommes en train de piller Footlocker...” (NDT : un magasin de chaussures à Londres).
Se rassembler et lutter pour une cause : ce sont là les méthodes de la classe ouvrière ; c’est la morale de la lutte de classe prolétarienne mais ces méthodes courent le danger d’être happées par l’atomisation et le nihilisme au point que des pans entiers de la classe ouvrière oublient qui ils sont.
Mais il existe une alternative. On peut la percevoir dans les mouvements massifs qui se déroulent en Tunisie, en Egypte, en Espagne, en Grèce ou en Israël avec la re-émergence d’une identité de classe, avec la résurgence de la lutte de classe. Ces mouvements, avec toutes leurs faiblesses, nous donnent un aperçu sur une manière toute différente de mener le combat prolétarien : à travers des assemblées de rues où chacun peut prendre la parole ; à travers un intense débat politique où chaque décision peut être discutée ; à travers une défense organisée contre les attaques de la police et des voyous ; à travers les manifestations et les grèves des travailleurs ; à travers la montée de la question de la révolution, de l’interrogation sur une forme de société totalement différente, non pas basée sur la vision que l’homme est un loup pour l’homme mais sur la solidarité entre les êtres humains, basée non sur une production en vue de la vente de marchandises et du profit mais sur une production qui corresponde à nos réels besoins.
A court terme, à cause des divisions créées par les émeutes, parce que l’Etat a réussi son coup en matraquant le message selon lequel toute lutte contre le système actuel est vouée à finir dans des destructions gratuites, il est probable que le développement d’un réel mouvement de classe au Royaume-Uni se confrontera à des difficultés encore plus grandes qu’auparavant. Mais à l’échelle mondiale, la perspective reste la même : l’enfoncement dans la crise de cette société vraiment malade, la résistance de plus en plus consciente et organisée des exploités. La classe dominante en Grande-Bretagne ne pourra être épargnée ni par l’un ni par l’autre.
CCI (14 août)
Les mois de juillet et d’août de cette année auront été marqués par des événements apparemment stupéfiants. On assiste à un affolement généralisé des gouvernements, des dirigeants, des banques centrales et autres institutions financières internationales. Les maîtres de ce monde semblent avoir totalement perdu la boussole. Chaque jour se tiennent de nouvelles réunions de chefs d’Etat, des G8, G20, de la BCE, de la FED, etc Au même rythme ahurissant, dans une totale improvisation, sont prononcées des déclarations paraissant dérisoires au regard des problèmes rencontrés, et des décisions sont annoncées sans que, pour autant, la crise économique mondiale ne cesse de poursuive son cours catastrophique. La faillite généralisée avance. La dépression plonge dans le gouffre de manière irréversible. En quelques semaines, le plan de sauvetage de l’économie de la Grèce est dépassé et la crise de la dette gagne spectaculairement des pays aussi importants que l’Italie et l’Espagne.
La première puissance économique mondiale elle-même, les Etats-Unis, a connu une crise politique majeure devant la nécessité absolue pour elle de relever le plafond de sa dette de 14 500 à 16 600 milliards de dollars. Les difficultés de cet État ont conduit à la dégradation de la note évaluant sa capacité à honorer sa dette. Ce qui est une première dans son histoire. Et les conducteurs perdent le contrôle de leur machine qui s’emballe toujours plus dangereusement. Mais où va donc l’économie mondiale ? Pourquoi celle-ci semble-t-elle tomber dans un précipice sans fond ? Où l’économie mondiale en faillite entraîne-t-elle l’humanité ? Autant de questions auxquelles il est nécessaire de répondre.
Il faut se souvenir. À la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008, la faillite de la banque américaine Lehman Brothers et la crise des subprimes avaient amené l’économie au bord du gouffre. Tout le système financier, tel un château de cartes, risquait alors de s’effondrer. Les Etats ont dû reprendre à leur compte une partie de la dette bancaire, d’un montant souvent astronomique, qui a eu pour effet de les engager, à leur tour, sur le chemin de la faillite Dans ce contexte, les banques centrales elles-mêmes n’allaient pas tarder à se retrouver dans une situation périlleuse. Et, pendant tout ce temps, la bourgeoisie s’est cyniquement moquée du monde. Nous avons eu droit à des discours plus mensongers les uns que les autres. Certes, les bourgeois sont en partie dupes de leur propres discours, les exploiteurs ne pouvant jamais faire preuve de lucidité totale face à l’effondrement de leur propre système. Toutefois, ils doivent aussi mentir, tricher pour cacher les faits afin de maintenir les exploités sous leur joug.
Ils ont commencé par dire que tout cela n’était pas grave, qu’ils gardaient un contrôle total sur la situation. Il était déjà difficile de faire plus ridicule. Pourtant, dans ce domaine, le meilleur était à venir. Au début de l’année 2008, après la chute des bourses de près de 20 % et le recul de la croissance mondiale, on nous promettait, sans rire, une sortie rapide de la crise. Celle-ci était présentée comme passagère et ponctuelle ; mais les faits sont plus têtus que les discours. La situation, se moquant résolument de tous ces bonimenteurs, continuait de s’aggraver. Ces messieurs sont alors passés à des arguments bassement nationalistes, aussi faux et perfides qu’ignobles. La population américaine fut accusée d’avoir dépensé à crédit sans réfléchir, achetant des maisons sans avoir les moyens de rembourser les emprunts contractés à cet effet ; il s’agit ici des célèbres subprimes. Bien sûr, cette explication ne pouvait que révéler sa vacuité lorsqu’il est devenu évident que l’Etat grec ne pourrait pas éviter la faillite. L’ignominie est alors montée d’un cran : les exploités de ces pays ont tout simplement été traités de fainéants et de profiteurs. La crise en Grèce était alors présentée comme une spécificité de ce pays, comme avant elle il avait existé une spécificité islandaise et, quelques mois plus tard, il existera une spécificité irlandaise. Sur les écrans de télé, à la radio, tous les dirigeants y allaient de leurs petites phrases assassines. Selon eux, les gens dépensaient trop ; à les entendre, les exploités de ces pays vivaient au-dessus de leurs moyens ou comme des pachas ! Mais devant la colère légitime qui se développait au sein de ces pays, les discours mensongers ont encore une fois évolué. En Italie, l’inénarrable Berlusconi, président du Conseil, est désigné comme le seul responsable d’une politique économique totalement... irresponsable. Mais il était difficile de faire de même avec le très sérieux président du gouvernement espagnol Zapatero.
La bourgeoisie reprend à présent le thème utilisé au début de la crise des subprimes, en rendant le monde de la finance, fait de requins avides de gains toujours croissants, en grande partie responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Aux Etats-Unis, en décembre 2008, B. Madoff, ancien dirigeant du Nasdaq et l’un des conseillers en investissements les plus connus et respectés à New York, était devenu, du jour au lendemain, le pire escroc de la planète. De même, les agences de notation ne cessent de servir de boucs-émissaires. Fin 2007, on les taxait d’incompétence pour avoir négligé le poids les dettes souveraines des Etats dans leurs évaluations. Aujourd’hui, elles sont accusées au contraire de trop pointer du doigt ces mêmes dettes souveraines de la zone euro (pour Moody’s) et des Etats-Unis (pour Standard & Poor’s). La crise devenant visiblement et explicitement mondiale, il fallait trouver un mensonge plus crédible, plus proche de la réalité. C’est ainsi que, depuis un certain nombre de mois, circule une rumeur de plus en plus tenace selon laquelle la crise serait due à un endettement généralisé, insupportable, organisé par la finance dans l’intérêt des grands spéculateurs. Avec l’été 2011, et la nouvelle explosion de la crise financière, ces discours ont envahi nos écrans.
Ainsi, pour les partis de gauche, les gauchistes et un grand nombre d’économistes, ce serait la finance, et non le capitalisme en tant que tel, qui serait responsable de l’aggravation actuelle de la crise. Certes, l’économie croule sous des dettes qu’elle ne peut plus ni rembourser, ni supporter. Celles-ci mettent à mal la valeur des monnaies, poussent à la hausse le prix des marchandises et sont à l’origine d’un processus de faillite des particuliers, des banques, des assurances et des Etats, posant en perspective la paralysie des banques centrales. Mais cet endettement n’a pas pour origine fondamentale l’avidité insatiable des financiers et autres spéculateurs, et encore moins la consommation des exploités. Au contraire, cet endettement généralisé était nécessaire, vital même à la survie du système depuis plus d’un demi-siècle pour lui permettre de créer des débouchés à ses marchandises produites de façon croissante et qui, sans cela, n’auraient pas trouvé d’acquéreur solvable. Le développement progressif de la spéculation financière n’est donc pas la cause de la crise, mais la conséquence des moyens que les Etats ont pris pour tenter de faire face à la surproduction depuis cinquante ans. En fait, c’est l’accroissement de cet endettement qui a permis au capitalisme, pendant toute cette période, de soutenir sa croissance. Le développement monstrueux de la finance spéculative, devenant progressivement un véritable cancer pour le capitalisme, n’est en réalité que le produit de la difficulté croissante pour ce système d’investir et de vendre avec profit. L’épuisement historique de cette capacité, à la fin 2007/début 2008, a ouvert en grand les portes de la dépression (1).
Les événements qui se déroulent en ce mois d’août en sont la claire manifestation. Le président de la Banque centrale européenne, J.-C. Trichet, vient de déclarer que “la crise actuelle était aussi grave que celle de 1930”. Pour preuve, depuis l’ouverture de la phase actuelle de la crise à la fin de l’année 2007, la survie de l’économie mondiale tient en peu de mots : création monétaire accélérée et titanesque par les banques centrales et en tout premier lieu par celle des Etats-Unis. Ce qui a été appelé les “Quantitative Easing” nos 1 et 2 (2) ne sont que les parties visibles de l’iceberg d’une création monétaire massive. En réalité, la FED a littéralement inondé l’économie, les banques et l’Etat américain de nouveaux dollars et, par ricochet, l’ensemble de l’économie mondiale. Le résultat en a été la survie du système bancaire et une croissance mondiale ainsi maintenue sous perfusion permettant de contenir momentanément la dépression initiée il y a quatre ans. Cette dernière fait son grand retour sur la scène mondiale en cet été 2011. Une des choses qui effraie le plus la bourgeoisie, c’est le ralentissement brutal actuel de l’activité. La croissance de la fin de l’année 2009 et de l’année 2010 s’effondre.
Aux Etats-Unis le PIB est remonté, au troisième trimestre 2010 de 3,5 % depuis son point le plus bas de la mi-2009. Il restait toutefois inférieur de 0,8 % par rapport à son niveau d’avant fin 2007. Alors qu’il avait été prévu un taux de croissance annualisé de 1,5 % au premier trimestre 2011, le chiffre réel s’établit en réalité à 0,4 %. Pour le second semestre la croissance y était prévue de 1,3 % et sera en réalité toute proche de 0. C’est la même tendance qui se fait jour en Grande-Bretagne et dans la zone euro. L’économie mondiale s’oriente vers des taux de croissance en réduction, et même dans certains pays majeurs, comme les Etats-Unis, vers ce que la bourgeoisie appelle des taux de croissance négatifs. Et dans le même temps, dans ce contexte récessionniste, l’inflation ne cesse d’augmenter. Elle est officiellement de 2,9 % aux Etats-Unis mais de 10 % selon le mode de calcul de l’ancien directeur de la FED Paul Volcker. Pour la Chine, qui donne le ton de tous les pays émergents, elle s’élève annuellement à plus de 9 %.
En ce mois d’août 2011, la panique générale sur les marchés financiers traduit, entre autres choses, la prise de conscience que l’argent injecté depuis la fin 2007 n’aura pas permis de relancer l’économie et de sortir de la dépression. Par contre il aura, en quatre ans, exacerbé le volume de la dette mondiale au point que l’effondrement du système financier est de nouveau d’actualité, mais dans une situation économique bien plus dégradée qu’à la fin 2007. Actuellement, la situation économique est telle que l’injection de nouvelles liquidités est chaque jour nécessaire et vitale pour permettre, par exemple, à la Banque centrale européenne (BCE) d’acheter quotidiennement de la dette italienne et espagnole pour une somme d’environ 2 milliards d’euros, sous peine de voir ces pays s’effondrer. Mais il faudrait beaucoup plus pour éponger des dettes qui, pour l’Espagne et l’Italie (et ils ne sont pas les seuls), se chiffrent en centaines de milliards d’euros. L’éventualité d’une dégradation de la note de la France, actuellement “AAA”, serait vraisemblablement fatale à la Zone Euro. En effet, seuls les pays bénéficiant d’une telle note peuvent financer le fonds de soutien européen. Si la France ne le peut plus, c’est toute cette zone qui s’effondre. C’est dire que la panique de la première quinzaine du mois d’août n’est pas encore pas finie ! Nous sommes en train d’assister à la prise de conscience brutale par la bourgeoisie et ses dirigeants que le soutien nécessaire et continu à la croissance de l’activité économique – même modérée – devient impossible. Voilà les raisons profondes du déchirement de la bourgeoisie américaine sur la question du relèvement du plafond de sa dette. Il en va de même des soi-disant accords – proclamés en fanfare – des dirigeants de la zone euro sur le sauvetage de la Grèce, plans remis en cause quelques jours plus tard par certains gouvernements européens. L’incapacité des dirigeants de la zone euro à se mettre d’accord sur une politique ordonnée et consensuelle de soutien aux pays européens qui sont en situation de ne plus pouvoir faire face au remboursement de leurs dettes, ne relève pas que des antagonismes entre les intérêts mesquins des dirigeants de chaque capital national. Elle traduit une réalité bien plus profonde encore et plus dramatique pour le capitalisme. La bourgeoisie est tout simplement en train de prendre conscience qu’un nouveau soutien massif de l’économie, comme celui qui a été pratiqué entre 2008 et 2010, est particulièrement périlleux. Car il risque de provoquer tant l’effondrement de la valeur des Bons du Trésor des différents pays que celle de la monnaie de ces mêmes pays, y compris de l’euro ; effondrement qu’annonce, ces derniers mois, le développement de l’inflation.
La dépression est là et la bourgeoisie ne peut plus empêcher son développement. Voilà ce que cet été 2011 nous apporte. L’orage a éclaté. La première puissance mondiale autour de laquelle s’organise toute l’économie de la planète depuis 1945 est sur le chemin du défaut de paiement. Impossible à imaginer il y a encore quelques temps, cette réalité historique marque au fer rouge le processus de faillite de toute l’économie mondiale. Comme les Etats-Unis viennent de le démontrer publiquement, le rôle de locomotive économique qu’ils ont tenu depuis plus de soixante ans est maintenant révolu. Ils ne peuvent plus continuer comme avant, quel que soit le montant du rachat d’une partie de leur dette par des pays tels que la Chine ou l’Arabie Saoudite. Leur propre financement est devenu un problème majeur et, par conséquent, ils sont dorénavant dans l’incapacité de financer la demande mondiale. Qui va prendre la relève ? La réponse est simple : personne ! La zone euro ne peut qu’aller de crise en crise tant au niveau de la dette publique que privée, s’acheminant à terme vers l’éclatement de cette zone sous sa configuration actuelle. Les fameux “pays émergents”, dont la Chine, sont, quant à eux, complètement dépendants des marchés américains, européens et japonais. Malgré leurs coûts de production très bas, ces dernières années montrent qu’il s’agit d’économies qui se développent à travers ce que les médias dénomment une “économie de bulle”, c’est-à-dire un investissement colossal qui ne pourra jamais être rentabilisé. C’est le même phénomène que nous avons bien connu avec ce que les spécialistes et les médias ont appelé “la crise de l’immobilier” aux Etats-Unis et “la nouvelle économie” quelques années auparavant. Dans les deux cas, nous avons assisté à un effondrement. La Chine a beau augmenter le coût de son crédit, rien n’y fait. Des krachs guettent l’Empire du Milieu à l’image de ce qui se passe en Occident. La Chine, l’Inde, le Brésil, loin d’être les futurs pôles de croissance de l’économie, ne peuvent que prendre leur place dans le processus de dépression mondiale. L’ensemble de ces craquements majeurs dans l’économie vont constituer un facteur très puissant de déstabilisation et de désorganisation de celle-ci. La dynamique économique actuelle aux Etats-Unis et dans la zone euro propulse le monde vers des dépressions et des faillites se nourrissant les unes les autres, de manière de plus en plus rapide et profonde. Le répit relatif que nous avons connu depuis la mi-2009 s’effiloche à vitesse grand V.
Ce processus de faillite du capitalisme dans lequel l’économie mondiale est maintenant entrée pose aux exploités du monde entier des exigences qui vont bien au-delà de la nécessité de refuser de payer au quotidien les effets de cette crise majeure du système. Avec cette dernière, il ne s’agit plus seulement de licenciements massifs ou de diminution de nos salaires réels mais de la marche vers une généralisation de la misère, une incapacité croissante pour tous les prolétaires de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Cette perspective dramatique nous oblige à comprendre que ce n’est pas une forme particulière du capitalisme qui s’effondre, tel le capital financier par exemple, mais le capitalisme en tant que tel. C’est toute la société capitaliste qui est entraînée dans le gouffre et nous avec si nous nous laissons faire. Il n’y a aucune autre alternative que son renversement complet, que le développement de la lutte massive contre ce système pourrissant et sans aucun avenir. À la faillite du capitalisme, nous devons opposer l’alternative d’une société nouvelle dans laquelle les hommes ne produisent pas pour le profit de quelques-uns mais pour satisfaire les besoins humains, une société véritablement humaine, collective et solidaire. L’établissement d’une telle société est à la fois indispensable et possible.
TX (14 août)
1) On qualifie de dépression une longue période de chute de l’activité économique comme cela a été le cas dans les années 1930. Les medias nous parlent aujourd’hui d’un risque d’une nouvelle “récession”. Si nous pouvons qualifier la période dans laquelle nous sommes de dépression, c’est parce que la période de stagnation et de chute de la production dans laquelle nous nous trouvons n’a rien à voir, comme la suite de l’article le montre, avec la durée limitée de la période qui définit, d’après la classe dominante, une récession.
2) Les banques centrales créent toujours de la monnaie pour permettre à la masse de marchandises créées par le capital national de circuler ; l’augmentation de cette création de monnaie dépend donc en temps normal de la croissance de la production. En fait, depuis le début de l’aggravation de la crise en 2007, les banques centrales ont créé beaucoup plus de monnaie que ce qui était nécessaire à la circulation des marchandises (qui elle, de manière globale, a diminué pour les pays développés) car il a été très rapidement nécessaire pour elles d’acheter aux banques et aux Etats des créances qui ne pourraient pas être remboursées à leur valeur par les débiteurs. Malgré cette augmentation, parce qu’il était devenu évident que ni les banques américaines, ni l’Etat américain n’étaient capables de rembourser un grand nombre de dettes, il est apparu nécessaire à la Réserve Fédérale de définir elle-même qu’elle devait émettre plus de monnaie que ce que son statut et ses livres de comptes étaient censés lui permettre en vue de racheter ces créances “pourries”. C’est ainsi qu’à la fin 2009, elle a décidé qu’elle émettrait une somme supplémentaire de 1700 milliards de dollars (ce fut le Quantitive Easing – QE no 1) et qu’en novembre 2010, elle a décidé d’émettre, dans le même but, une nouvelle quantité d’argent (appelée QE no 2 et représentant un montant de 600 milliards de dollars).
En France, comme partout dans le monde, la crise économique est de plus en plus synonyme de pauvreté. Ainsi, fin août, un nouveau plan de 12 milliards d’Euros d’économies a été annoncé. Le Premier ministre, François Fillon s’est fendu d’un long discours pour enrober cette énième aggravation de l’austérité et faire croire à une répartition juste et équitable de “l’effort national”. Il n’en est rien, bien entendu. La hausse sur le prix du tabac, des alcools, des sodas et surtout de la taxation des mutuelles de santé vont inévitablement se répercuter lourdement sur les revenus les plus modestes. Ce qui a été présenté comme la mesure-phare de ce plan, la taxation exceptionnelle pour 2 ans de 3 % supplémentaires sur les plus hauts revenus, n’est que de la poudre aux yeux. Non seulement elle ne va représenter qu’une part ridicule (220 millions) des économies escomptées mais le battage publicitaire dont elle a bénéficié risque même d’être contre-productif tant cela frôle le ridicule. Qui peut croire à la sincérité de la déclaration, publiée dans le Nouvel Obs’, des 16 d’entre les plus grandes fortunes du pays (dont l’inénarrable Liliane Bettencourt) réclamant en chœur “d’être taxés plus” (à l’instar du milliardaire américain Warren Buffett). La ficelle est trop grosse : un article de Marianne daté du 20 août intitulé “Y a un truc”, lève d’ailleurs le lièvre, non sans humour : “Certains membres de la nomenklatura du business ont dû profiter de leurs vacances pour revoir le Guépard de Luchino Visconti et réfléchir à la fameuse phrase du comte de Lampedusa, proposant de tout changer pour que rien ne change.” L’article rapporte que le principal promoteur de cette campagne pour la “taxation exceptionnelle des nantis”, “Maurice Lévy, président de Publicis et patron de l’Association française des entreprises privées (le gratin du gratin) sait qu’il est des moments où il faut soulever le couvercle de la bouilloire pour éviter qu’elle n’explose (...) Il essaie de sauver ce qui peut l’être pour éviter le pire.” Et le pire, ce n’est pas pour la droite de perdre les élections prochaines, comme tous les médias et les politicards nous le laissent entendre, mais c’est le risque d’explosions sociales incontrôlées. La classe dominante est parfaitement consciente que le risque en France est particulièrement élevé. Comme le rapporte toujours l’article de Marianne : “Un autre parrain du capitalisme, Claude Bébéar, ex-PDG d’Axa, président de l’Institut Montaigne avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Dans un texte publié par le Figaro (...), il lançait : “Nous pouvons craindre bien plus qu’un énième krach : un rejet radical et violent du capitalisme””. On ne saurait être plus clair. D’ailleurs, c’est cette crainte qui explique aussi le caractère timoré des nouvelles mesures proposées par le gouvernement, bien en deçà des autres plans d’austérité en Europe face au coup d’accélérateur de la crise et à l’explosion de l’endettement : 93 milliards d’euros en Italie annoncés en deux temps, près de 100 milliards en Grande-Bretagne, 78 milliards en Grèce, 55 milliards en Espagne (malgré la pression sociale du mouvement des Indignés) ou encore en Allemagne où les économies à réaliser seront de 80 milliards en 3 ans. C’est pourquoi, dans sa présentation du plan français, Fillon l’a justifié en invoquant des “obligations économiques et sociales”. C’est que la bourgeoisie nationale redoute des réactions sociales très fortes dans un pays où non seulement existe une longue tradition de luttes (de la Commune de Paris à Mai 68) mais aussi où s’est affirmé ces dernières années une claire volonté de lutter massivement et de dépasser le carcan corporatiste et sectoriel comme l’ont prouvé la tenue de très nombreuses assemblées générales lors mouvement des étudiants contre le CPE en 2006 et l’apparition de comités interprofessionnels, autonomes et non syndicaux lors de la lutte contre la réforme des retraites en 2010. D’ailleurs, les déclarations de B. Thibault, Secrétaire général de la CGT dans Libération du 29 août dernier (à la veille d’être reçu par Fillon lui-même) sont édifiantes. Il appelle les autres syndicats à se mobiliser contre l’austérité le 11 octobre alors que cette énième journée d’action apparaît déjà pour beaucoup comme une simple parade stérile, une gesticulation d’ailleurs d’ores et déjà promise au spectacle lassant de la division syndicale (FO a fait savoir qu’elle était contre une mobilisation de rue, la CFDT s’est déclarée “pas très chaude”). En réalité, si certains syndicats prennent ainsi les devants pour jeter de l’eau sur le feu, tout en se partageant les rôles, il s’agit d’une manœuvre délibérée destinée à prendre les devants pour freiner toute possibilité d’élan de mobilisation massive, spontanée, et donc hors du contrôle syndical.
De fait, les travailleurs comme ceux réduits au chômage seront d’emblée confrontés à une rentrée plus dure que jamais avec :
– un chômage et une précarité qui se sont aggravés durant l’été (notamment avec l’amplification du phénomène de chômage de longue durée) ;
– l’enfoncement d’une part croissante de prolétaires dans la grande misère (1). L’été a une nouvelle fois fait plus de morts dans la rue que l’hiver alors que les centres d’hébergement du Samu social sont complètement débordés, au point que son président, l’ancien ministre Emmanuelli, a démissionné de son poste, écœuré par l’étranglement croissant des moyens budgétaires réservé aux sans-abri ;
– la suppression de 16 000 postes supplémentaires à la rentrée 2011 dans l’Education nationale (dont 9000 dans le primaire et 4800 dans le secondaire – alors qu’il y a 80 000 élèves de plus que l’an dernier dans les lycées et collèges). Les syndicats enseignants se sont d’ailleurs empressés d’organiser une journée de mobilisation spécifique dans ce secteur dès le 27 septembre ;
– de même sont particulièrement touchés le milieu hospitalier où les fermetures d’hôpitaux et de lits se multiplient, comme l’ensemble de la fonction publique, avec le non-remplacement systématique de plus d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ;
– un nouveau coup sur les retraites a été porté en catimini début juillet par le Conseil d’orientation des retraites avec l’aval du gouvernement qui légalisera une nouvelle mesure par décret d’ici la fin de l’année : le prolongement de la durée des cotisations à 166 trimestres (41 ans et demi pour tous les salariés nés après 1954 afin de pouvoir toucher une retraite à taux plein alors que la réforme de 2010 a entériné le recul de l’âge de la retraite à 62 ans). Ce qui était naguère présenté comme une mesure alternative au recul de l’âge légal fait désormais office de “double peine” : il s’agira désormais de travailler plus longtemps pour toucher moins de pension… Aujourd’hui, cela nous est présenté comme une “mesure d’ajustement technique” de la réforme alors que l’an dernier, promis, juré, on nous avait dit que la réforme dispenserait de toute autre retouche… d’ici 2020 !
Bref, nos conditions de vie sont en train de se dégrader brutalement. Et il ne faut pas avoir d’illusion, les présidentielles de 2012, quel qu’en soit le résultat, n’y changeront rien. Pendant les huit mois à venir, la bourgeoisie va tenter de nous abrutir sans discontinuer avec ses boniments électoraux. “Votez ! Votez ! Votez !”, tel va être le message que ses médias vont tenter de nous enfoncer de force dans le crâne. Mais il suffit de regarder en Espagne ou en Grèce pour constater que les Partis socialistes au pouvoir réservent le même triste sort aux populations. Que ce soit la gauche ou la droite qui gouverne, les mêmes attaques pleuvent sur nos têtes, la même crise économique fait ses ravages. Le seule voie dans laquelle nous devons résolument nous engager, c’est de nous préparer à nous mobiliser massivement sans attendre pour défendre pied à pied nos conditions de vie en développant, en élargissant, en unifiant et en organisant nous-mêmes nos combats contre le système capitaliste et son exploitation.
W (2 septembre)
1) Un rapport de l’INSEE vient d’établir officiellement que 8,2 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté en France en 2009, soit 13,5 % de la population (contre 7,8 millions l’année précédente), confirmant les effets ravageurs de la crise de 2008 sur les plus déshérités. Le Secours populaire prévoit que ces chiffres, sous-évalués, vont augmenter vertigineusement pour les années suivantes.
Le mouvement des Indignés en Espagne est riche en enseignements. Il révèle la montée progressive de la combativité des exploités face à l’incessante dégradation de leurs conditions de vie et l’avancée de la réflexion sur “Comment lutter ? Comment faire face collectivement à la crise économique et aux attaques du Capital ?”. Il a d’ailleurs fait des émules dans toute l’Europe, notamment en Grèce, mais aussi plus largement encore dans le reste du monde, jusqu’en Israël et au Chili.
Et les derniers événements de la fin juillet sont venus confirmer cette profondeur du mécontentement social et cette maturation de la conscience ouvrière. En effet, alors que les médias internationaux ont largement passé sous silence les manifestations qui ont frappé Madrid au cœur de l’été, préférant braquer leurs projecteurs sur la levée des derniers camps et proclamer la mort du mouvement, les militants du CCI présents sur place ont pu au contraire constater que les dizaines de milliers d’Indignés qui envahissaient les rues étaient animés d’une véritable volonté de poursuivre la lutte, conscients que la crise allait continuer de faire ces ravages et que la lutte devra donc nécessairement reprendre. Mais c’est surtout la qualité des discussions sur la véritable nature de la démocratie bourgeoise, le piège du réformisme, le sabotage du mouvement par “Démocratie Real Ya !” (DRY), l’importance des débats en assemblée… qui ont littéralement enthousiasmé nos camarades. Ils ont alors immédiatement réalisé un compte-rendu de leur intervention destiné à informer tous les militants du CCI de par le monde de ce qu’ils avaient vu et vécu. C’est ce texte que nous publions ci-dessous tel quel, presque dans son intégralité, ce qui explique son style très direct et parfois télégraphique.
Sur les rassemblements à Madrid en juillet
Vendredi 22 juillet : Les premiers cortèges arrivent des villes ouvrières de la banlieue de Madrid. D’après de nombreux témoignages, l’arrivée de ces marches a donné lieu à des assemblées massives et les gens étaient très heureux d’être ensemble avec des embrassades, chants et débats animés.
Samedi 23 : La place de la Puerta del Sol était remplie, ainsi que les rues adjacentes. Peut-être 10 000 personnes ou plus, très au-delà de ce qu’a rapporté la presse et la TV qui parlaient de “centaines d’Indignés”. Nous étions présents et nous avons diffusé notre supplément (1). Il a été très bien accueilli. Autour de nous se formaient des petits rassemblements. Il était frappant de constater l’envie de parler des gens qui s’exprimaient, de façon spontanée, contre le capitalisme et pour les assemblées comme l’instrument le plus précieux. L’assemblée générale a commencé après 10 heures du soir, elle était consacrée entièrement au récit des marches. Il y a eu des moments très émouvants puisque les orateurs étaient enthousiasmés, presque tous ont parlé de révolution, de dénonciation du système, de radicalité (dans le sens “d’aller aux racines des problèmes” comme a précisé l’un d’eux).
Dimanche 24 : Dans la matinée, au parc du Retiro, il y avait des assemblées thématiques : coordination internationale, coordination nationale, action politique, moyens informatiques… Au sein de la coordination internationale, il y avait des éléments d’Italie, de Grèce, de Tunisie, de France et aussi des jeunes espagnols émigrés. Il a été proposé la convocation d’une journée européenne des Indignés, mais il y a eu aussi deux interventions parlant d’une “journée mondiale” ayant comme axe “la lutte contre les coupes dans les budgets sociaux qui aujourd’hui tombent partout”. L’un de nous est intervenu en insistant sur cette convergence des problèmes qui nous affectent. Un autre a présenté une initiative surgie à Valence d’une “journée internationaliste de débat sur le 15 M” où sont convoqués des collectifs non seulement de l’Espagne mais aussi d’autres pays (2). Cette initiative a été explicitement soutenue par le modérateur de l’assemblée.
Ceci dit, dans l’assemblée générale qui a suivi, il y a eu des manipulations. Elle était seulement centrée sur les rapports de chaque assemblée “thématique” empêchant les interventions “libres”. De surcroît, les rapports des porte-parole étaient trop longs. Le rapport sur le comité de coordination internationale a été relégué à la dernière place et beaucoup de participants étaient partis. Le rapporteur –que nous n’avions pas vu dans le comité- n’a pas soufflé mot sur la journée proposée. Nous n’avons pu intervenir pour le corriger.
Dans l’après-midi a eu lieu la manifestation qui a été très massive (100 000 personnes). L’ambiance était très animée, la diffusion de notre presse a été un succès avec beaucoup de discussions. A un moment donné, la police faisait un barrage dans le Paseo de La Castellana. Les manifestants, au lieu de s’affronter, les ont encerclés en se divisant sur plusieurs rues adjacentes et en se regroupant après. Le dispositif policier a viré au ridicule pitoyable puisque il s’est retrouvé entouré de tous les côtés sans possibilité de réagir (3).
Dans la soirée, il y avait une assemblée “thématique” sur “Etat et économie”. Un Catalan qui sentait l’idéologie d’ATTAC à plein nez, s’est fait remarquer par un très long discours de 30 minutes, dans lequel il disait qu’il faudrait un “système coopératif”, que l’Etat “disparaîtrait” sous le poids “des marchés” et qu’aussi les nations étaient “écrasées”. Il a présenté l’Etat et la nation comme des “alternatives révolutionnaires face au capitalisme, aujourd’hui. Ce qui est révolutionnaire, c’est de défendre l’Etat et la nation”. Un certain nombre d’interventions, dont les nôtres, ont combattu vigoureusement ces propos.
Lundi 25 : Il y avait un forum débattant de plusieurs sujets : écologie, féminisme, politique, coopératives… Nous avions prévu de mettre une table pour vendre la presse et participer à un de ces forums. Nous avons choisi celui qui a abordé le sujet Pour ou contre une nouvelle constitution.
Une femme a fait une longue présentation. Elle parlait d’une évolution de la démocratie “représentative” vers une démocratie “participative” dont les assemblées étaient le fer de lance. Il devrait y avoir des assemblées pour tout : pour choisir les candidats des partis politiques, pour élire les leaders syndicaux, pour approuver les budgets municipaux… Cela ferait d’après ses paroles “un nouvel ordre, un ordre assembléiste”. Tout cela, elle l’a présenté comme un nouvel apport à la “science politique” (sic)…
L’assemblée ne s’est pas laissée impressionner par cette “découverte”. Un jeune a dit franchement que le problème était le capitalisme et qu’il était impossible de le “réformer” ou de le “démocratiser”. Un autre a parlé de révolution et a demandé de revenir aux enseignements de Lénine pour former un parti révolutionnaire. Cela a provoqué la colère d’un anarchiste qui, tout en défendant le besoin de détruire l’Etat et d’instaurer le pouvoir des assemblées (ou Soviets, a-t-il ajouté) a dit que Lénine voulait former un parti sans ouvriers, seulement avec des intellectuels. Un autre intervenant a dit qu’il faut un parti révolutionnaire qui ne participe pas au jeu électoral ni parlementaire mais “qui accepte seulement la loi des assemblées.”
D’autres interventions ont dénoncé la proposition d’une nouvelle constitution. “En 1978, ils nous ont trompés. Pourquoi tomber aujourd’hui dans la même erreur ?”. Un jeune de Ciudad Real a parlé de “double pouvoir” : le pouvoir des assemblées et le pouvoir de “ce qu’on appelle la démocratie”, il a ajouté que nous devions avoir “une stratégie pour parvenir à faire triompher le premier”. Une fille a développé l’idée suivante : “on veut concilier assemblées et constitution mais cela est impossible, les assemblées n’ont rien à voir avec la constitution, elles sont en totale opposition.” Parfois, il y avait des interventions en défense d’une nouvelle constitution, mais un type qui au début a lu un long texte sur un “projet de nouvelle constitution rédigé par un groupe de Grenade” est revenu en arrière dans une deuxième intervention en disant qu’il n’avait été que le porte-parole du groupe mais qu’il préférait “le pouvoir des assemblées”. Les interventions sur l’impossibilité de réformer le capitalisme ont été très applaudies ainsi que le besoin de ne pas parler de démocratie en général mais de l’Etat. Un de nos camarades est intervenu en précisant que l’Etat était l’organe de la classe dominante, qu’il constituait son appareil répressif et bureaucratique avec ses troupes, ses forces de police, ses tribunaux et ses prisons, tout cela masqué par sa façade démocratique : “Nous, les exploités, nous avons seulement l’instrument des assemblées pour nous unifier, pour penser collectivement et décider ensemble, le pouvoir aux assemblées – même s’il s’agit d’un long combat – n’est pas une utopie si ce combat s’inscrit dans un processus mondial.” Plusieurs personnes sont venues nous féliciter de cette intervention.
Sentant le vent tourner, le Catalan de la veille a retourné sa veste : il s’est prononcé pour “tout le pouvoir aux assemblées” et pour un “gouvernement mondial” et que “dans ce cadre, on aurait assez de force pour établir des nouvelles constitutions” (sic). Un discours “marxiste”, ça ? Peut-être, mais alors “tendance Groucho” (4) !
Dans l’après-midi, nous sommes allés à Móstoles – une ville industrielle de la banlieue de Madrid – pour visiter la coordination d’assemblées du Sud, celle ayant convoqué la manifestation du 19 juin. En fait il s’agissait du local d’un collectif très combatif et ayant participé au 15 M avec une démarche de classe. Un jeune, qui y avait participé très activement nous a manifesté sa joie sur ce mouvement du 15 M et a discuté avec nous sur l’analyse qu’il en a faite : la dénonciation de la démocratie, les magouilles de DRY sur lesquelles il a apporté des éléments très concrets, la perspective révolutionnaire, le réveil du prolétariat, la piège de l’immédiatisme, le besoin d’une prise de conscience… Le seul point sur lequel il était en désaccord avec nous était l’analyse sur l’Espagne de 1936 qu’il voyait comme une révolution autogestionnaire. Il était très content de nous accueillir et on a décidé l’envoi de notre presse au local et aussi il va proposer au collectif la participation à la Rencontre d’octobre à Valence.
Quelques réflexions
Ces 3 journées ont été très intenses, révélant un mouvement d’une grande profondeur.
Il semblerait que le mouvement garde des énormes réserves de mécontentement mais aussi d’autres aspects très importants : une envie de discuter et de se clarifier, un goût pour être ensemble, une recherche permanente de liens…
Dès le début, DRY et ses satellites, ont fait tout leur possible pour enfermer le mouvement dans le carcan d’une série de “revendications concrètes” –le fameux catalogue de revendications démocratiques. Il y a toujours une résistance sourde dans une large frange et une opposition frontale de la part d’une grosse minorité.
Cela dit, deux mois sont passés et “l’affrontement entre les classes” n’est pas encore à l’ordre du jour5. Est-ce que cela représente une faiblesse ? Est-ce le signe d’un essoufflement du mouvement ? Si nous passons en revue les raisons de l’essoufflement des mouvements de classe de ces dernières décennies, nous voyons qu’une de ses causes, c’est la défaite physique mais la cause la plus fréquente a été la défaite idéologique. Dévoyée sur un terrain étranger, la classe s’est trouvée enfermée dans un combat qui la désintégrait, ce qui a fini par provoquer une profonde démoralisation. Mais l’essoufflement du mouvement de l’automne en France 2010 n’a répondu exactement à aucune de ces deux causes. Cela est principalement dû au constat que le gouvernement n’allait pas céder malgré la massivité et, face à cela, à la difficulté pour développer des embryons d’assemblées qui se confrontent aux syndicats. Ce que nous trouvons en Espagne, c’est une caractéristique un peu plus “inédite” encore et certainement un peu déboussolante pour certaines minorités politisées mais aussi pour la bourgeoisie elle-même : le mouvement évite l’affrontement frontal et se consacre à un travail de réflexion et de développement de liens, de solidarité… On pourrait dire que le mouvement préfère préparer les affrontements inévitables en “accumulant des forces”.
D’un coté, une certaine conscience émerge par rapport à l’ampleur des enjeux qui se dressent à l’horizon le plus immédiat (6). Mais il y a aussi une certaine conscience sur la faiblesse de la classe, sur son manque de confiance en elle, sur la nécessité de récupérer son identité de classe ; en résumé, sur le manque de maturité pour entamer une réponse aux graves attaques en cours et à la dégradation des conditions de vie dont on pâtit.
Dans ce contexte, cette tentative “d’accumulation de forces” est aussi l’expression d’une certaine clairvoyance. Il s’agit sans doute d’une phase nécessaire et inévitable dans une période contenant en perspective des vastes affrontements de classes. Le mouvement du 15 M reprend et développe toute une série de traits déjà présents à l’état embryonnaire dans le mouvement de 2006 contre le CPE : les assemblées, l’irruption des nouvelles générations, l’attention aiguë aux facteurs subjectifs et éthiques, la volonté de créer des liens, d’entamer une bataille consciente…
Lorsqu’on regarde avec un peu de recul les journées de Madrid, une série de constats sont frappants :
– on parle très naturellement de “révolution”, du fait que le problème posé, c’est “le système” ;
– “tout le pouvoir aux assemblées” commence à sortir des rangs d’une petite minorité pour devenir plus étendu et populaire (7).
– la poussée vers “l’extension internationale” des assemblées est très remarquable, comme le montre la proposition de plus en plus populaire d’une “journée mondiale d’assemblées”.
C’est vrai que tout cela a lieu au milieu d’une énorme confusion. Dans la bouteille “révolution”, on met toute sorte de breuvages : autogestion, coopératives, nationalisation de la banque… Sur l’internationalisation, on pourrait raconter une conversation avec un jeune de Valence : il nous reprochait nos dénonciations acerbes de DRY et apportait comme réfutation la proposition de la DRY d’une “journée européenne de lutte qui pourrait devenir mondiale”. Mais en même temps, il ajoutait : “ce qui me pose problème, c’est le contenu de cette journée. Si l’objectif est la démocratie, pourquoi est-ce qu’aucun pays n’a une véritable démocratie ?”
Le prolétariat souffre du poids de l’idéologie dominante, dans les assemblées sont présentes DRY et d’autres forces bourgeoises (8) relayées par les politiciens et les médias et le prolétariat compte avec des minorités communistes dont la taille et l’influence restent faibles. Dans ce contexte pourrait-on attendre autre chose qu’un débat qui a lieu au milieu d’une énorme confusion, avec une prolifération des théories les plus disparates, les propositions les plus saugrenues ? La conscience doit se frayer un chemin dans cette situation à la fois chaotique et vertigineuse.
Les collectifs prolétariens
Dans les assemblées, nous voyons que DRY – la tentacule de l’Etat en leur sein – se confronte à une résistance sourde et à une minorité de plus en plus active (9). Il faut différencier les deux secteurs : le premier, probablement plus large que ce qu’on pourrait croire, résiste passivement aux propositions de DRY, il le laisse faire, n’ose pas lui enlever les postes de commande, mais manifeste une résistance diffuse à ses propositions.
Par contre, une minorité mène un combat contre la politique démocratique, citoyenne et réformiste en y opposant une tentative de politique de classe, pour s’inscrire dans la perspective révolutionnaire de lutte contre le capitalisme et pour le pouvoir des assemblées.
Cette minorité tend à s’organiser en “collectifs” qui prolifèrent partout et développent un effort considérable de réflexion, à notre connaissance, notamment à Valence, Alicante ou Madrid, même si, pour le moment ces collectifs restent dispersés, éparpillés sans trop réussir à sortir d’un cadre d’action local.
CCI (1er aout)
1) Fait avec des extraits de l’éditorial de la Revue internationale n° 146 dédié au bilan du “mouvement 15 M” (qui est également disponible en français sur notre site).
2) A Valence fonctionne une “Assemblée des Égaux” regroupant 5 collectifs avec une forte composante anarchiste. Un collectif de jeunes a notamment proposé la tenue d’une Journée de Débat sur le 15 M pour septembre ou octobre. Nous avons soutenu cette proposition en ajoutant la possibilité d’inviter des collectifs au niveau international, ce qui a été approuvé. Il s’agit à notre avis d’une initiative importante.
3) La sensibilité envers la répression et la volonté de lui répondre massivement continue à être vivante dans le mouvement. Le 27 juillet, il y a eu une protestation devant le parlement et la police a durement frappé les participants. Dans l’après-midi, une manifestation spontanée de solidarité s’est formée regroupant 2000 personnes qui a parcouru le centre de la ville en criant “Si vous frappez l’un d’entre nous, c’est nous tous qui sommes frappés !”
4) Groucho Marx disait : “Voilà mes principes mais s’ils ne vous plaisent pas, j’en ai d’autres dans la poche”.
5) Comme nous expliquons dans l’article éditorial de la Revue internationale no 146, l’affrontement entre les classes a été présent dés le début mais pas d’une façon explicite ou sur un terrain directement politique ou économique mais plutôt sur des questions on pourrait dire plus “subjectives” : le développement de la conscience, la solidarité, la construction d’un tissu d’actions collectives.
6) Des énormes attaques – notamment dans le secteur de la santé et celui de l’éducation avec beaucoup de licenciements – vont tomber après septembre (en Catalogne, elles tombent d’ores et déjà)
7) Dans la rue Alcalá, très près des Cortes (du Parlement) un graffiti réclame : “Tout le pouvoir aux assemblées !”. En fait, la tentative d’écrire ce message a provoqué l’intervention de la “commission de respect” – une sorte de police intérieure crée par DRY – qui a jugé une telle écriture “trop violente” et a encerclé les 3 jeunes “coupables”, mais un groupe nombreux de manifestants a encerclé à son tour les “commissionnés” pour leur demander de laisser “s’exprimer” les jeunes.
8) A coté de DRY, il y a IU (Gauche Unie, front créé par le stalinisme), UPYD (un parti de centre libéral), MPPC (un mouvement républicain), ainsi que plusieurs groupes gauchistes, notamment trotskistes.
9) A Valence sont apparu des graffitis proclamant “DRY ne nous représente pas”, ce qui retourne contre DRY un de ses propres slogans très répandu vis à vis des politiciens : “Ils ne nous représentent pas”.
Depuis quelques semaines, au milieu des panneaux publicitaires L’Oréal, Décathlon, Dior, etc., une nouvelle affiche de l’Unicef a fait son apparition : “Urgence malnutrition : 2 millions d’enfants menacés par la crise nutritionnelle dans la Corne de l’Afrique !” Cette fois, les spécialistes de la “com” n’hésitent pas à exhiber des photos de désespoir sur lesquelles on peut voir une mère exténuée qui tient dans ses bras un enfant malade, sans doute mal nourri. Mais là, nous dit-on, c’est pour la bonne cause. A l’instar de ses consœurs publicitaires qui attirent notre œil de consommateur potentiel, son objectif est clair : d’une part, tout en nous poussant à mettre la main à la poche et nous délester de quelques Euros, cela donne l’illusion que l’Etat “démocratique” (comme il se nomme lui-même) met en place des structures afin que nous tous, en bons “citoyens”, nous puissions venir en aide aux plus démunis. Une grave illusion que nous nous devons de dénoncer. D’autre part, cela contribue d’une manière tout à fait insidieuse et méprisable à nous faire passer pour des privilégiés. Des épargnés de la misère qui passent leur temps à se plaindre pour si peu : pour les quelques mesures de rigueur que prennent “courageusement” la plupart des gouvernants des pays centraux. Cette campagne est encore une farce ignoble ! Alors, que faire ?
Il est vrai que la situation en Somalie, Djibouti, Ethiopie, Kenya et Erythrée qui constituent la corne de l’Afrique, est particulièrement dramatique et révoltante. Une sécheresse d’une ampleur inédite (1) s’abat impitoyablement sur la région déjà en proie à la guerre depuis plus de deux décennies. Dans une interview parue dans le Figaro.fr, Andrée Montpetit, conseillère qualité de l’ONG Care en Ethiopie, confie : “J’entends des choses que je n’ai jamais entendues avant. Un villageois de Dambi, dans la région de Morena, m’a expliqué vendredi que même les chameaux mouraient de soif, alors que lors de la grande sécheresse de 1991 les chameaux avaient tenu le coup. Toujours à Borena, il faut marcher six heures aller-retour pour avoir accès à un point d’eau. C’est du jamais vu. Il n’y a ni eau, ni herbe, les vaches tombent comme des mouches.” L’ONU estime à plus de 12 millions le nombre de personnes en situation de détresse. En Somalie, la situation est insoutenable. Avec la guérilla qui oppose depuis 2006 l’armée éthiopienne aux 7000 combattants Chabab, le mouvement de la jeunesse des tribunaux islamiques qui contrôle 80 % de la Somalie et impose une application extrémiste de la Charia, c’est plus de 9 millions d’habitants qui vivent l’enfer au quotidien. Crevant la bouche ouverte dans des conditions abjectes, souffrant de maladies dans une chaleur atroce, sans eau pour se laver. Quant à l’aide humanitaire, les ONG elles-mêmes, dénoncent le manque de moyens mis en œuvre. Pire encore, lorsque l’aide arrive enfin, elle est souvent bloquée ou détournée par les rebelles islamistes qui combattent le gouvernement de transition, ou à l’inverse, par l’armée somalienne pour les mêmes raisons militaires. “Dernier exemple en date, vendredi passé [le 12 août], le pillage de deux camions d’aide alimentaire par des soldats somaliens, juste avant une distribution de nourriture à des familles affamées dans un quartier de la capitale. La fusillade qui s’est ensuivie à fait cinq morts” (2). On ose à peine imaginer ce que sont devenues ces familles affamées, terrées dans des quartiers de Mogadiscio. Tout comme des milliers d’autres familles ayant fui la capitale, entassées dans les tentes des camps de réfugiés, sous un soleil de plomb, et avec juste ce qu’il faut d’eau et de nourriture pour survivre encore un jour de plus. “Mahieddine Khelladi, directeur exécutif de l’ONG Secours islamique, préfère parler de “risque important” de détournement : ‘Dans un hôpital que j’ai visité auquel on avait envoyé des médicaments, la pharmacie était vide” , raconte-t-il” (3). Et ce n’est pas l’intervention des grandes puissances qui va améliorer le sort de ces malheureux, bien au contraire ! “Depuis l’effondrement du gouvernement en 1990, les Etats-Unis occupent une partie du terrain militairement. Cela c’est fait en 1992 à travers l’opération baptisée Restore Hope (“Restaurer l’espoir” – sic !). A la même époque, tout le monde se souvient des images diffusées partout de Bernard Kouchner arrivant en Somalie avec des sacs de riz sur les épaules, suivi de près, discrètement, par quelques contingents de l’armée française !”, écrivions-nous en février 2010, dans un article intitulé : “Au Yémen, en Somalie, les grandes puissances accentuent le chaos”. Ne visant que la défense de leurs intérêts capitaliste dans cette zone géostratégique d’une importance majeure (4), les grandes puissances n’ont que faire du sort des pauvres habitants. En fait, l’exacerbation des tensions impérialistes dans la région est un facteur aggravant qui pousse, entre autres choses, les groupes armés à recruter des combattants de plus en plus jeunes. “Selon un récent rapport d’Amnesty International, les Chabab, qui ont perdu beaucoup d’hommes depuis le début de l’année, en sont réduits à recruter de plus en plus d’enfants” (5).
Des œdèmes aux joues et aux paupières, la peau amincie, vernissée, craquelée ou sanguinolente, le ventre démesurément gonflé : syndrome de malnutrition, ou bien encore les traits du visage marqués par la guerre, les yeux noirs et plein de haine, une mitrailleuse entre les mains, voici désormais le visage des enfants du “berceau de l’humanité”. Le visage, qu’ont sculpté quelques décennies de barbarie capitaliste. Des milliers d’années d’évolution sont remises en cause par la survie de ce système totalement cynique. Il ne faut pas s’y tromper : ce qui se passe en Afrique et dans les pays en proie à la guerre et à la misère n’est que le reflet du sort que le capitalisme réserve à toute l’humanité. Nul gouvernement, nulle ONG ou force armée ne peut enrayer cette dynamique destructrice dictée par les lois du profit et des intérêts impérialistes. Dans les pays centraux, l’inflation galopante et les cures d’austérité à répétition en sont les prémices. Seul le renversement du capitalisme, œuvre de la majorité en recherche d’une solidarité authentique, pourra libérer l’humanité des griffes de ce système moribond.
Maxime (27 août)
1) L’ONU parle de “la pire sécheresse depuis 60 ans”.
2) Courrier international no 1085, du 18 au 24 août 2011.
3) Selon le quotidien 20 Minutes du 22 août 2011, “Somalie : l’aide humanitaire détournée ?”.
4) Le Golfe d’Aden, voie maritime vers la mer Rouge et les champs pétroliers du Golfe persique et traversé par la moitié de la flotte mondiale des porte-conteneurs et 70 % du trafic total des produits pétroliers qui passent par la mer d’Arabie et l’Océan Indien. Nous incitons nos lecteurs à se référer à notre article cité plus haut pour comprendre les enjeux de cette zone géostratégique.
5) Courrier international no 1085.
Après six mois de combats, les “rebelles” libyens fêtent leur victoire contre le tout-puissant Kadhafi, provocateur qui narguait depuis 42 ans les démocraties occidentales et leurs dirigeants, jouant au chat et à la souris avec ces derniers. Des démocraties qui, après avoir, bon an mal an, essayé de s’attirer les bonnes grâces du “Guide” libyen, ont apporté leur soutien militaire le plus actif au Conseil national de transition de Libye, dès lors que la véritable révolte populaire contre le régime de la “Jamahyria” du dictateur libyen s’est transformée en sinistre lutte de chefs de tribus occasionnellement ligués contre ce dernier (voir RI no 421). Des démocraties qui ont orchestré et dirigé toutes les opérations des “rebelles”. Combien de morts et de blessés, d’estropiés à vie, dans cette guerre de fractions bourgeoises que les médias aux ordres ont cherché à faire passer pour la continuation des “révoltes arabes du printemps” ? Depuis des mois, pas un seul chiffre clair du nombre de victimes de ces tueries n’est encore sorti dans une presse qui, pourtant, pour mieux justifier l’intervention de l’OTAN, n’a cessé durant les premiers mois d’étaler les massacres provoquées par les forces kadhafistes. Depuis la première Guerre du Golfe, on nous ressert ce mensonge infect et grossier des “frappes ciblées”, qui ne tuent que les “méchants” et pas les civils, alors que des milliers d’exemples ont prouvé le contraire. Or, selon ses propres estimations, l’OTAN a effectué 20 000 sorties aériennes et 8000 missions de frappes “humanitaires” depuis le 31 mars. Et là, alors que l’OTAN a bombardé les villes pour “préparer la voie aux rebelles”, 9 morts seulement sont reconnus officiellement. Or, malgré le black-out opéré, des quartiers et des villages entiers ont été rasés dans différentes batailles, comme à Tripoli et dans les autres villes “libérées”, comme encore avec le pilonnage en règle de Syrte et de sa population, qui subit à l’heure actuelle un vrai massacre, “coupable” du fait que l’armée loyaliste s’y trouve, et peut-être Kadhafi lui-même. De plus, une catastrophe humanitaire se profile : à Tripoli, il n’y a plus d’eau, plus d’électricité, plus d’approvisionnement de nourriture, tandis que les cadavres pourrissent. C’est cela, la “libération” libyenne.
Les forces de l’OTAN ne se sont d’ailleurs pas contentées de bombarder, soi-disant pour “couvrir” les rebelles, mais elles ont également envoyés des forces sur le terrain. Cinq cent commandos britanniques y opéraient, et des centaines de français. Et non seulement cela, mais elles ont armé les forces militaires anti-Kadhafi : la France a reconnu avoir largué comme “moyens d’autodéfense” (sic) des armes telles que des lance-roquettes, des fusils d’assaut, des mitrailleuses et des missiles anti-char ! Sans compter la présence de certaines forces de la CIA, et cela bien que les Etats-Unis se soient prétendument retirés de l’intervention militaire.
Dans cette guerre où le mensonge, la désinformation généralisée, l’inhumanité et le mépris envers les “peuples” ont été les maîtres-mots, l’hypocrisie meurtrière tant des chefs tribaux libyens que des grandes ou moyennes puissances a montré qu’elle était une marque de fabrique de l’après-Kadhafi. Personne ne regrettera bien sûr cet odieux dictateur sanguinaire qui depuis des mois exhorte la population à se sacrifier et abrite ce qui lui reste de pouvoir derrière de véritables boucliers humains pris en otage, mais la suite des événements ne peut être qu’à la mesure de la cacophonie nationale et internationale qui a dominé, et dominera encore plus, derrière les discours de façade. Une fois de plus, après l’Irak, l’ex-Yougoslavie, l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, etc., “l’aide internationale” aux “opprimés” ouvre la voie royale à une situation de chaos qui n’aura pas de fin. Jamais dans l’histoire autant de pays, de régions n’ont été la proie permanente de la guerre et des attentats, de la destruction humaine et matérielle : la Libye vient se joindre dès à présent à ce concert mondial de l’enfer impérialiste.
En effet, on nous raconte que les “combattants de la liberté” du Conseil national de transition vont maintenant oeuvrer à l’établissement d’un régime de “stabilité, de démocratie et de respect”, avec le soutien de la communauté internationale prête à dégeler (au compte-gouttes) les avoirs libyens pour financer le nouveau régime. Cette coalition (qui prévoit des élections pour dans… 20 mois) est un ramassis plus qu’hétéroclite composé de chefs de tribus, d’islamistes militants et d’anciens membres éminents du gouvernement de Kadhafi. Le chef du Conseil militaire du CNT est lui-même un ex-djihadiste, proche d’Al-Qaïda, au passé afghan et américain plus que trouble ; le président du CNT était encore récemment le ministre de la Justice de ce régime exécré, celui qui avait condamné à mort les infirmières bulgares ; le Premier ministre est un ami d’enfance du dictateur déchu...
La brève histoire du CNT montre de surcroît déjà une ombre au tableau, celle de l’assassinat de Younès, chef d’état-major, et chef d’une puissante tribu, tué fin juillet dans des conditions obscures. Tous ces ingrédients, auxquels il faut ajouter les rivalités tribales ancestrales que le “Guide vert” avait réussi à faire taire, sont donc réunis pour voir se développer une foire d’empoigne générale. Et si cela ne suffisait pas, la curée à laquelle vont se livrer les rapaces européens, américains et arabes (comme le Qatar ou la Jordanie, ou même encore l’Algérie), chacun pour défendre leur part du gâteau de ce pays pétrolier, ne pourra qu’aggraver l’instabilité.
La France, dont le chef d’Etat bombe le torse et hausse les talonnettes plus que jamais, s’auto-proclamant sauveur du peuple libyen, a organisé avec la Grande-Bretagne la “Conférence internationale de soutien à la Libye nouvelle” à Paris, le 1er septembre. Belle image trompeuse, car derrière l’unité de façade des 60 délégations représentant les “amis de la Libye”, c’est en fait un avenir plein de nuages qui s’annonce. La manne pétrolière libyenne est en soi un enjeu de taille. Paris et Londres, se targuant de leur soutien actif à la rébellion, prétendent ainsi obtenir des contrats préférentiels avec le nouveau “gouvernement”, tout comme les Etats-Unis, déjà présents sur place avec deux compagnies pétrolières. Sarkozy aurait semble-t-il négocié l’attribution à l’Etat français de 35 % du brut libyen, en échange de ses bons et loyaux services à l’égard du CNT.
Mais derrière eux se pressent des pays comme l’Italie, l’Allemagne, la Russie et la Chine. Que ce soit avant ou pendant le conflit, on a vu ces derniers montrer une opposition plus ou moins ouverte. L’Italie, dont 21 % des exportations étaient destinées à l’ancien gouvernement libyen (contre 4 % pour la France) et qui craint de voir ses accords pétroliers existants révisés à la baisse, n’a cessé d’essayer de contrecarrer l’intervention (“pour des raisons humanitaires” !), avant comme après la résolution 1973 de l’ONU du 31 mars, tout en étant bien forcée d’y participer de crainte de tout perdre. En effet, comme l’a dit le porte-parole du CNT à cette conférence, “le peuple libyen sait qui a soutenu sa bataille de liberté et qui ne l’a pas fait”. Le message est clair envers la Russie et la Chine, mais les jeux ne sont pas faits.
Car le territoire de la Libye lui-même est un enjeu de taille, non seulement pour le pétrole mais aussi en ce qui concerne le contrôle géographique de la région. Tout d’abord, la mission de l’OTAN est supposée durer jusqu’à la fin septembre et il est clair qu’il fallait accélérer le départ de Kadhafi (ou sa mort – sa tête étant très chèrement mise à prix – comme l’ont préconisé Juppé, BHL et autres) afin que les forces militaires des pays qui ont participé aux opérations trouvent un prétexte pour s’installer, histoire de “stabiliser” le pays. Un document de l’ONU prévoit l’envoi – officiel cette fois – d’une force militaire et policière, “pour le désarmement de la population”, dans le cadre de “l’établissement d’un climat de confiance”.
C’est donc clair, l’ONU et ses protagonistes principaux ne vont pas lâcher le morceau : “Le mandat de “protection des civils” du Conseil de sécurité appliqué par les forces de l’OTAN ne prend pas fin avec la chute du gouvernement Kadhafi.” Si la foire d’empoigne au sein du repaire de brigands du CNT est assurée, celle des grandes puissances qui vont venir du même coup attiser les tensions est tout aussi certaine. Les quarante, et surtout les dix dernières années nous ont montré ce que cela voulait dire : tirer la couverture à soi et jouer des dissensions entre les différentes fractions en présence, et on sait qu’elles sont nombreuses dans ce pays resté fondamentalement tribal. Mais les vieilles puissances impérialistes comme la France ou la Grande-Bretagne, tout comme les Etats-Unis, ont une expérience notoire pour semer la zizanie et diviser pour mieux régner. Excepté qu’ici, personne ne va régner sinon le chacun pour soi le plus explosif.
L’instabilité permanente à venir de la Libye est un nouvel exemple de la folie du système capitaliste.
Wilma (3 septembre)
“Il va y avoir un krach et la chute sera violente”. “Absolument personne ne croit aux plans de sauvetage, ils savent que le marché est cuit et que la bourse est finie”. “Les traders se foutent de comment on va redresser l’économie, notre boulot est de faire de l’argent avec cette situation”. “Je me couche tous les soirs en rêvant d’une nouvelle récession”. “En 1929, quelques personnes étaient préparées à faire de l’argent avec le krach et tout le monde peut faire cela aujourd’hui, et pas seulement les élites”. “Cette crise économique est comme un cancer”. “Préparez-vous ! Ce n’est pas le moment d’espérer que les gouvernements règlent les problèmes. Les gouvernements ne dirigent pas le monde, c’est Goldman Sachs qui dirige le monde. Cette banque se fiche des plans de sauvetage”. “Dans moins de 12 mois je prédis que les économies de millions de gens vont disparaître, et ce ne sera que le début...”. Ces propos ont été tenus lundi 26 septembre sur la BBC par le trader londonien Alesio Rastani. Depuis, la vidéo tourne en boucle sur Internet en créant un véritable buzz [1]. Nous partageons évidemment la noirceur de la perspective tracée par cet économiste. Sans nous aventurer à établir des échéances aussi précises que lui, nous pouvons cependant affirmer sans craindre de nous tromper que le capitalisme va continuer de plonger, que la crise va s’aggraver et être de plus en plus ravageuse, et que les mille souffrances de la misère vont s’abattre sur une frange toujours plus large de l’humanité.
Cette déclaration d’Alesio Rastani vient surtout alimenter l’un des plus gros mensonges de ces dernières années : la planète serait en faillite à cause de la finance… et seulement à cause de la finance. “C’est Goldman Sachs qui dirige le monde”. Et toutes les voix altermondialistes, de gauche et d’extrême-gauche de s’écrier alors en chœur : “Quelle horreur ! Voilà la cause de tous nos maux. Nous devons reprendre le contrôle de l’économie. Nous devons mettre au pas les banques et la spéculation. Nous devons lutter pour un Etat plus fort et plus humain !”. Ce discours est incessant depuis la faillite du géant bancaire américain Lehman Brothers en 2008. Aujourd’hui, même une partie de la droite classique s’est emparée de cette critique “radicale” de la “finance sauvage” et clame la nécessité à revenir à plus de morale et plus d’Etat. Cette propagande n’est qu’un rideau de fumée idéologique désespéré pour occulter la cause réelle du cataclysme en cours : la faillite historique du capitalisme. Ce n’est pas une nuance ou une simple affaire de terminologie. Accuser le libéralisme ou accuser le capitalisme est fondamentalement différent. D’un côté, il y a l’illusion que ce système d’exploitation peut être réformé. De l’autre, il y a la compréhension que le capitalisme n’a pas d’avenir, qu’il doit être détruit de fond en comble et remplacé par une nouvelle société. Nous comprenons donc pourquoi la classe dominante, ses médias et ses experts déploient autant d’énergie à pointer du doigt l’irresponsabilité de la finance en l’accusant de tous les déboires économiques actuels : ils cherchent à épargner leur système et à détourner la réflexion en cours sur la nécessité d’un changement radical et donc d’une révolution.
Depuis quatre ans, à chaque krach boursier éclate une affaire de trader véreux. En janvier 2008, le “scandale Jérôme Kirviel” fait la Une des journaux. Il est jugé responsable de la déroute de la Société générale (banque française) pour avoir perdu 4,82 milliards d’euros suite à de mauvais placements. La vraie raison de cette crise, l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis, est reléguée au second plan. En décembre 2008, l’investisseur Bernard Madoff est mis en examen pour une arnaque de 65 milliards de dollars. Il devient le plus grand escroc de tous les temps et fait ponctuellement oublier la faillite du géant bancaire américain Lehman Brothers. En septembre 2011, le trader Kweku Adoboli est accusé d’une fraude de 2,3 milliards de dollars à la banque suisse UBS. Cette affaire tombe, par le “plus grand des hasards”, en pleine nouvelle déconfiture économique mondiale.
Evidemment, tout le monde sait que ces individus sont des boucs-émissaires. La ficelle tirée ici par les banques pour justifier leurs déboires est un peu trop grosse pour ne pas être vue. Mais cette propagande médiatique intense permet de focaliser toutes les attentions sur le monde pourri de la finance. L’image de ces requins de spéculateurs, sans foi ni loi, est en train de s’incruster dans nos esprits jusqu’à devenir obsédante et embrumer notre réflexion.
Alors, prenons un instant de recul et réfléchissons : comment ces faits-divers peuvent-ils expliquer en quoi que ce soit les menaces de faillite qui planent sur l’économie mondiale ? Aussi révoltantes que puissent être ces magouilles de plusieurs milliards de dollars quand des millions de personnes meurent de faim à travers le monde, aussi cyniques et honteux puissent être les propos tenus par Alesio Rastani sur la BBC quand il dit espérer un krach boursier pour spéculer et s’enrichir, il n’y a là rien qui justifie en profondeur l’ampleur de la crise économique mondiale qui touche actuellement tous les secteurs et tous les pays. Les capitalistes, qu’ils soient banquiers ou capitaines d’industrie, sont depuis toujours à la recherche du profit maximum sans jamais se soucier du bien-être de l’humanité. Il n’y a là rien de nouveau. Le capitalisme est un système d’exploitation inhumain depuis sa naissance. Le pillage barbare et sanguinaire des populations d’Afrique et d’Asie au xviiie et au xixe siècles en constitue une preuve tragique. La voyoucratie des traders et des banques n’explique donc rien de la crise actuelle. Si les escroqueries financières entraînent aujourd’hui des pertes colossales et mettent parfois en péril l’équilibre des banques, c’est en réalité à cause de leur fragilité induite par la crise et non l’inverse. Si, par exemple, Lehman Brothers a fait faillite en 2008, ce n’est pas à cause de l’irresponsabilité de sa politique d’investissement mais parce que le marché de l’immobilier américain s’est effondré lors de l’été 2007 et que cette banque s’est retrouvée avec des monceaux de créances sans aucune valeur. Avec la crise des subprimes, les ménages américains endettés se sont révélés être insolvables et tout le monde a alors pris conscience que les prêts accordés ne seraient jamais remboursés.
Les agences de notation sont, elles aussi, sous le feu croisé des critiques. Fin 2007, elles étaient taxées d’incompétence pour avoir négligé le poids des dettes souveraines des Etats. Aujourd’hui, elles sont accusées au contraire de trop pointer du doigt ces mêmes dettes souveraines de la zone euro (pour Moody’s) et des Etats-Unis (pour Standard & Poor’s).
Il est vrai que ces agences ont des intérêts particuliers, que leur jugement n’est pas neutre. Les agences de notation chinoises ont ainsi été les premières à dégrader la note de l’Etat américain, et les agences de notation américaines sont plus sévères envers l’Europe qu’envers leur propre pays. Et il est aussi vrai qu’à chaque dégradation, les financiers en profitent pour spéculer, ce qui accélère la dégradation des conditions économiques. Les spécialistes parlent alors de “prophéties auto-réalisatrices”.
Mais la réalité, c’est que ces toutes agences sous-estiment volontairement la gravité de la situation ; les notes qu’elles attribuent sont bien trop élevées au regard de la capacité réelle des banques, des entreprises et de certains Etats à pouvoir un jour rembourser leurs dettes. L’intérêt de ces agences est indéniablement de ne pas trop critiquer les fondamentaux économiques pour ne pas créer d’affolement, car l’économie mondiale est la branche sur laquelle elles sont toutes assises. Quand elles décôtent, c’est qu’elles y sont contraintes pour conserver un minimum de crédibilité. Nier totalement la gravité de la situation de l’économie mondiale serait grotesque et personne n’y croirait ; il est plus intelligent, du point de vue de la classe dominante, de reconnaître certaines faiblesses pour mieux amoindrir les problèmes de fond de son système. Tous ceux qui accusent les agences de notation aujourd’hui savent tout cela parfaitement. S’ils dénigrent la qualité du thermomètre, c’est pour éviter toute réflexion sur l’étrange maladie qui touche le capitalisme mondial, de peur que l’on ne s’aperçoive qu’il s’agit là d’une maladie dégénérescente et incurable !
Ces critiques des traders et des agences de notation appartiennent à une entreprise de propagande beaucoup plus vaste sur la folie et l’hypertrophie de la finance. Comme toujours, cette idéologie mensongère s’appuie sur une parcelle de vérité. Car il faut bien l’avouer, le monde de la finance est effectivement devenu ces dernières décennies un monstre gigantesque, presque obèse, qui est peu à peu gagné par l’irrationalité.
Les preuves sont légions. En 2008, le total des transactions financières mondiales s’élevait à 2 200 000 milliards de dollars, contre un PIB mondial de 55 000 milliards [2]. L’économie spéculative est donc environ 40 fois plus importante que l’économie dite “réelle” ! Et ces milliards ont été au fil des ans investis de manière de plus en plus folle et auto-destructrice. Un exemple est à lui seul édifiant : la VAD (vente à découvert). De quoi s’agit-il ? “Dans le mécanisme de vente à découvert, nous commençons par vendre une valeur que nous ne possédons pas pour la racheter plus tard. Le but du jeu est bien évidemment de vendre une valeur à un certain prix et de la racheter à un prix inférieur pour encaisser la différence. Comme nous le voyons, le mécanisme est complètement opposé à celui d’un achat suivi d’une vente” [3]. Concrètement, la VAD entraîne d’immenses flux financiers spéculatifs sur certaines valeurs en pariant sur leur baisse, ce qui parfois peut entraîner la faillite de la cible. C’est aujourd’hui ce qui fait scandale. De nombreux économistes et politiciens nous expliquent qu’il s’agit même là du principal problème, de LA cause de la faillite de la Grèce ou de la chute de l’euro. Leur solution est donc simple : interdire les VAD et tout ira de nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il est vrai que ces ventes à découvert sont une pure folie et qu’elles accélèrent la destruction de pans entiers de l’économie. Mais justement, elles ne font que “l’accélérer”, elles n’en sont pas la cause ! Il faut que la crise économique fasse déjà rage pour que ces ventes soient avantageuses à une si grande échelle. Le fait que les capitalistes parient de manière croissante sur la baisse et non plus sur la hausse des marchés révèle en réalité la défiance totale qu’ils ont eux-mêmes sur l’avenir de l’économie mondiale. C’est aussi pourquoi il y a de moins en moins de stabilité et d’investissement au long-cours : les investisseurs font “des coups” sur le très court terme, sans aucun souci de la pérennité des entreprises et des usines car, de toute façon, il n’y a presque plus de secteurs industriels sûrs et rentables sur le long terme. Et c’est là, qu’enfin, nous commençons à toucher du doigt le vrai cœur du problème : l’économie dite “réelle” ou “traditionnelle” est plongée dans un profond marasme depuis des décennies. Les capitaux fuient cette sphère qui est de moins en moins rentable. Le commerce mondial étant saturé de marchandises invendables, les usines ne tournent plus suffisamment et n’accumulent plus assez. Résultat, les capitalistes investissent leur argent dans la spéculation, le “virtuel”. D’où l’hypertrophie de la finance qui n’est qu’un symptôme de la maladie incurable du capitalisme : la surproduction.
Ceux qui luttent contre le libéralisme partagent ce constat d’état de délabrement de l’économie réelle. Mais ils ne l’attribuent pas un seul instant à l’impossibilité pour le capitalisme de continuer à se développer ; ils nient que ce système soit devenu décadent et s’enfonce dans son agonie. Les tenants de l’idéologie alter-mondialiste attribuent la destruction de l’industrie depuis les années 1960 à de mauvais choix politiques et donc à l’idéologie ultra-libérale. Pour eux, comme pour notre trader Alesio Rastani, “c’est Goldman Sachs qui dirige le monde”. Ils luttent donc pour plus d’Etat, plus d’encadrement, plus de politique sociale. Partant de la critique du libéralisme, ils en viennent à nous refourguer une autre camelote tout aussi frelatée, l’étatisme : “Avec plus d’Etat pour encadrer la finance, nous pourrons construire une nouvelle économie, plus sociale et prospère.”
Le “plus d’Etat” ne permet en rien de régler les problèmes économiques du capitalisme. Répétons-le, ce qui mine fondamentalement ce système, c’est sa tendance naturelle à produire plus de marchandises que ses marchés ne peuvent en absorber. Depuis des décennies, il parvient à éviter la paralysie de son économie en écoulant sa surproduction dans un marché créé artificiellement par l’endettement. En d’autres termes, le capitalisme survit à crédit depuis les années 1960. C’est pourquoi aujourd’hui, les particuliers, les entreprises, les banques, les Etats, croulent tous sous une gigantesque montagne de créances et que la récession actuelle est nommée “la crise de la dette”. Or, depuis 2008 et la faillite de Lehman Brothers, que font les Etats, à travers leurs banques centrales, Fed et BCE en tête ? Ils injectent des milliards de dollars pour éviter les faillites. Et d’où viennent ces milliards ? De nouvelles dettes ! Ils ne font donc que déplacer l’endettement privé vers la sphère publique et ainsi préparer de futures faillites d’Etat, comme nous le voyons avec la Grèce dés aujourd’hui. Les bourrasques économiques à venir risquent d’être d’une violence inouïe [4].
“Mais s’il ne règle pas la crise, l’Etat pourrait tout de même nous protéger, être plus social”, nous disent tous les choeurs de la gauche. C’est oublier un peu vite que l’Etat est et a toujours été le pire des patrons. Ainsi, les nationalisations n’ont jamais été une bonne nouvelle pour les travailleurs. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’importante vague de nationalisations avait pour objectif de remettre sur pied l’appareil productif détruit en augmentant les cadences de travail. A l’époque, Thorez, secrétaire général du Parti communiste français et alors vice-président du gouvernement dirigé par De Gaulle, lança à la face de la classe ouvrière en France, et tout particulièrement aux ouvriers des entreprises publiques : “Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront”, ou encore : “Retroussez vos manches pour la reconstruction nationale !”, et : “La grève est l’arme des trusts”. Bienvenu dans le monde merveilleux des entreprises nationalisées ! Il n’y a ici rien d’inattendu ni d’étonnant. Les révolutionnaires communistes ont toujours mis en évidence, depuis l’expérience de la Commune de Paris de 1871, le rôle viscéralement anti-prolétarien de l’État. “L’État moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble.” Friedrich Engels a écrit ces lignes en 1878, ce qui montre que, déjà à l’époque, l’Etat commençait à étendre ses tentacules sur l’ensemble de la société, à saisir d’une poigne de fer la direction de toute l’économie nationale, des entreprises publiques comme des grandes sociétés privées. Depuis lors, le capitalisme d’Etat n’a fait que se renforcer ; chaque bourgeoisie nationale est en rang et au garde-à-vous derrière son Etat pour mener à bien la guerre commerciale internationale sans merci que ce livrent tous les pays.
Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (ou Brics) ont connu ces dernières années un succès économique retentissant. La Chine en particulier est considérée aujourd’hui comme la deuxième puissance économique mondiale, et nombreux sont ceux qui pensent qu’elle ne tardera pas à détrôner les Etats-Unis. Cette réussite flamboyante fait espérer aux économistes que ce groupe de pays pourrait devenir la nouvelle locomotive de l’économie mondiale, comme le furent les Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Dernièrement, face aux risques d’explosions de la Zone euro embourbée dans la crise des dettes souveraines, la Chine a même proposé de renflouer en partie les caisses italiennes. Les altermondialistes voient là une raison de se réjouir : la suprématie américaine de l’ultra-libéralisme étant vécue comme l’un des pires fléaux de ces dernières décennies, la montée en puissance des Brics permettrait l’avènement futur d’un monde plus équilibré et juste. Cet espoir commun de voir les Brics se développer, qu’expriment tous les grands bourgeois et les alter-mondialistes, n’est pas seulement comique, il révèle aussi qu’ils sont tous également profondément attachés au monde capitaliste.
Cet espoir va vite être déçu car il y a dans toute cette affaire de “miracle économique” un air de déjà-vu. L’Argentine et les tigres asiatiques dans les années 1980-1990 ou, plus récemment, l’Irlande, l’Espagne et l’Islande, ont été eux aussi mis en avant, en leur temps, comme des “miracles économiques”. Et comme tout miracle, cela s’est révélé être une supercherie. Tous ces pays devaient leur rapide croissance à un endettement totalement débridé. Ils ont donc connu le même sort : récession et faillite. Il en sera de même pour les Brics. Déjà, les inquiétudes grandissent sur l’endettement réel des provinces chinoises, sur le ralentissement de la croissance et la montée de l’inflation. Le président du fonds souverain China Investment Corp, Gao Xiping, vient d’ailleurs de déclarer : “Nous ne sommes pas des sauveteurs, nous devons nous sauver nous-mêmes”. Nous ne saurions être plus clairs !
Le capitalisme ne peut plus être réformé. Etre réaliste, c’est admettre que seule la révolution peut éviter la catastrophe. Le capitalisme, comme l’esclavagisme et le servage avant lui, est un système d’exploitation condamné à disparaître. Après s’être développé et épanoui durant deux siècle, aux xviiie et xixe siècles, après avoir conquis la planète, le capitalisme est entré en décadence avec fracas en déclenchant la Première Guerre mondiale. La Grande dépression des années 1930 puis l’effroyable boucherie de la Seconde Guerre mondiale sont venues confirmer l’obsolescence de ce système et la nécessité, pour que l’humanité survive, de mettre à bas ce système social moribond. Mais depuis les années 1950, aucune crise aussi violente que celle de 1929 n’a éclaté. La bourgeoisie a appris à limiter les dégâts et à relancer l’économie ; ce qui laisse croire aujourd’hui à certains que la nouvelle crise que nous traversons n’est qu’un énième et nouvel épisode de ces multiples tremblements et que la croissance ne tardera pas à revenir, comme elle le fait depuis 60 ans et plus. En réalité, les récessions successives en 1967, 1970-71, 1974-75, 1991-93, 1997-1998 (en Asie) et 2001-2002 n’ont fait que préparer le drame actuel. En effet, chaque fois, la bourgeoisie n’est parvenue à relancer l’économie mondiale qu’en ouvrant toujours plus grandes les vannes du crédit. Elle n’est jamais parvenue à régler le problème de fond, la surproduction chronique ; elle n’a donc fait que repousser les échéances à coup de dettes et aujourd’hui, le système entier est étouffé sous les créances : tous les secteurs, tous les pays sont surendettés. Cette fuite en avant touche donc à sa fin. Est-ce à dire que l’économie va se bloquer, que tout va s’arrêter ? Evidemment non. La bourgeoisie va continuer à se débattre. Concrètement, aujourd’hui, la classe dominante n’a le choix qu’entre deux politiques qui sont comme la peste et le choléra : austérité draconienne ou relance monétaire. La première mène à la récession violente, la seconde à l’explosion d’une inflation incontrôlable.
Dorénavant, l’alternance de courtes phases récessives et de longues périodes de reprise financées à coups de crédits est une époque définitivement révolue : le chômage va exploser et la misère comme la barbarie vont se répandre de façon dramatique. S’il y aura, de temps à autres, des phases de relance (comme ce fut le cas en 2010), ce ne seront que des “bouffées d’oxygène” de très courte durée auxquelles succéderont de nouveaux cataclysmes économiques. Tous ceux qui prétendent le contraire sont comme ce suicidaire qui, après avoir sauté du haut de l’Empire State Bulding, disait à chaque étage que “jusqu’ici, tout va bien”. N’oublions pas qu’au début de la Grande dépression de 1929, le président américain Hoover affirmait lui-aussi que “la prospérité est au coin de la rue”. La seule véritable incertitude est de savoir comment va s’en sortir l’humanité. Va-t-elle sombrer avec le capitalisme ? Ou va-t-elle être capable de construire un nouveau monde de solidarité et d’entraide, sans classes ni Etat, sans exploitation ni profit ? Comme l’a écrit Friedrich Engels il y a déjà plus d’un siècle : “La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie” ! Les clés de ce futur sont entre les mains de toute la classe ouvrière, de ses luttes unissant travailleurs, chômeurs, retraités et jeunes précaires.
Pawel (29 septembre)
1. Source : www.dailymotion.com/video/xlcg84 [80]
2. Source : www.jacquesbgelinas.com/index_files/Page3236.htm [81]
3. Source : www.abcbourse.com/apprendre/1_vad.html [82]
4. Le “plus d’Europe” ou le “plus de gouvernance mondiale” est évidemment tout autant une impasse : qu’ils soient seuls ou à plusieurs, les Etats n’ont aucune solution réelle et durable. Tout juste leur union permet-elle de ralentir un peu l’avancée de la crise alors que leurs divisions l’accélèrent.
Le mouvement des Indignés est remarquable par la volonté qui l’anime de favoriser partout le débat dans des assemblées générales de rue, et par ce sentiment largement partagé de faire face dans tous les pays aux même attaques, à la même exploitation, à la même misère. Ce n’est pas un hasard si, parti d’Espagne, ce mouvement a gagné la Grèce, Israël et même le Chili !
D’ailleurs, en juillet, en Espagne, de nombreux intervenants avaient mis en avant l’importance de cette extension internationale des luttes et s’étaient interrogés sur les moyens de créer plus de liens et d’unité entre exploités par-delà les frontières. La DRY (Démocratie réelle maintenant), qui essaye depuis le début de noyauter la lutte et les débats pour endiguer toute réflexion trop radicale, contestataire et révolutionnaire à son goût, a alors immédiatement proposé sa vision de la lutte internationale : une “marche pacifiste” à travers l’Europe, de l’Espagne jusqu’à Bruxelles, pour demander aux membres du Parlement européen “la démocratie directe en Europe”, dénoncer “le monopole des technocrates non élus, des oligarchies politiques qui détiennent tous les pouvoirs” et exiger “leur départ” (1).
Cette marche partie de Madrid le 24 juillet, pour une arrivée prévue à Bruxelles le 8 octobre, a fait escale le 17 septembre à Paris. Certains militants du CCI se sont rendus aux rassemblements et débats organisés. L’un d’eux livre ci-dessous son témoignage.
Le samedi 17 septembre, la marche des “Indignés” espagnols, organisée par DRY, est arrivée à Paris. Le rendez-vous du rassemblement censé accueillir les marcheurs était prévu à 18 heures place de la Bastille, où une AG devait également se tenir. Mais à 18 heures 30, il n’y avait toujours aucun signe “d’indignation” devant l’Opéra. Le porte-parole de DRY annonce alors qu’en attendant l’arrivée des marcheurs, ils ont fait venir une fanfare et une petite troupe de théâtre.
Cette fanfare nous a joué un air tout à fait original, mélangeant la Marseillaise avec l’Internationale ! Un badaud qui passait par là a demandé aux musiciens-compositeurs pourquoi ils avaient fait un tel melting-pot avec l’hymne national de la bourgeoisie française et l’hymne révolutionnaire du mouvement ouvrier. Réponse : “Ces deux chants révolutionnaires ne sont plus d’actualité. En attendant de trouver un autre chant révolutionnaire correspondant à la “troisième voie” dont on a besoin aujourd’hui, on a mélangé les deux.”
Autrement dit, pour DRY, il est clair que ce n’est pas la lutte de classe, la révolution prolétarienne mondiale, qui constitue aujourd’hui la seule alternative à la faillite du capitalisme, mais une “troisième voie” : celle de l’union sacrée de tous les “citoyens”, qu’ils soient exploiteurs ou exploités !
Cette “troisième voie” préconisée par les altermondialistes de DRY n’a rien de bien nouveau. C’est celle qui prétend qu’il ne faut pas renverser le capitalisme mais le réformer en semant l’illusion qu’un système basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme pourrait devenir “éthique” si tous les “citoyens” du monde se serraient les coudes pour construire un autre monde : un “capitalisme à visage humain” !
Rien de bien nouveau non plus dans cette ébauche d’un nouvel hymne révolutionnaire. Le métissage de la Marseillaise avec l’Internationale par la fanfare de DRY n’est rien d’autre qu’une resucée de l’idéologie contre-révolutionnaire du parti stalinien français (le PCF) qui, dans ses heures de gloire, avait mêlé le drapeau rouge de l’Internationale avec le drapeau tricolore en embrigadant des dizaines de millions de prolétaires dans la Seconde Guerre mondiale derrière la défense du capital national et de la “patrie du socialisme” (l’URSS).
Rien d’étonnant non plus dans ces propos très “démocratiques” tenus par l’animateur du “débat” de la Bastille : “Ici, c’est la démocratie horizontale. Tout le monde peut s’exprimer et dire tout ce qu’il a sur le cœur sauf… les provocateurs qui viennent ici pour foutre la merde !” (Suivez mon regard, je ne vise personne !).
Qui sont les “fouteurs de merde” ? Ce porte-parole de DRY (mal décrotté du stalinisme) n’a pas osé dire (mais cela va sans dire !) que les “fouteurs de merde” sont bien sûr ceux qui ne sont pas d’accord avec l’idéologie réformiste et la politique de DRY !
L’animateur du “débat” place de la Bastille a également affirmé que ce mouvement des Indignés en Espagne n’est pas un mouvement “anti-système”, mais un mouvement revendiquant un système “qui fonctionne” (avec bien sûr des banques “éthiques” ou “coopératives”).
Rien n’est plus mensonger ! Le mouvement des Indignés en Espagne ne s’est pas limité à son encadrement et sa tentative de récupération par ATTAC et DRY. Il ne s’est pas limité à l’Espagne, mais a surgi également en Grèce par exemple. C’était un mouvement social massif de protestation contre la faillite du capitalisme et donc un mouvement “contre le système”, n’en déplaise à tous les récupérateurs et saboteurs “altermondialistes” de la gauche du capital ! Un mouvement qui a fait écho aux révoltes sociales massives en Tunisie et en Egypte. Un mouvement dont l’onde de choc se répercute aussi en Israël aujourd’hui. De tout cela, les animateurs du “débat” à la Bastille n’ont pas pipé mot !
Lors de son speech au micro, le porte-parole de DRY (dont les propos sentaient à plein nez le programme du parti de gauche de Mélanchon !), nous a encore dit textuellement que “l’indignation doit être l’affaire de TOUS, et pas seulement des pauvres, des chômeurs, etc.” Autrement dit, les “riches citoyens-exploiteurs” sont aujourd’hui conviés par DRY à participer aux AG pour exprimer eux aussi, en tant que “citoyens” et hommes de bonne volonté, “tout ce qu’ils ont sur le cœur” (contrairement aux “provocateurs qui viennent pour foutre la merde”).
Plus grotesque, tu meurs !
La seule “indignation” que nos citoyens-exploiteurs peuvent exprimer, c’est celle de la matraque et de la répression face à “l’indignation” des pauvres, des chômeurs et des exploités ! C’est ce qu’on a vu en Espagne lors de la répression brutale du mouvement au printemps dernier. C’est ce qu’on a vu aussi ce jour-là à Paris où nos bons “citoyens-exploiteurs” ont montré “tout ce qu’ils avaient sur le cœur” en envoyant leurs CRS, leurs matraques et leurs bombes lacrymogènes contre les Indignés tout simplement parce que ces derniers avaient décidé de tenir leur AG devant la Bourse (comme “action symbolique contre les banques”, à Paris comme à New York).
Les bureaucrates de DRY qui dirigent et contrôlent aujourd’hui le mouvement des Indignés savent très bien que la classe des “citoyens”-exploiteurs est incapable de “s’indigner” contre son propre système (et qu’elle ne peut pas renoncer à ses privilèges).
En organisant cette marche de Madrid à Bruxelles (dont l’objectif est d’aller gentiment demander à l’Assemblée européenne de nous accorder une “démocratie réelle maintenant” !), les organisateurs ne font rien d’autre que le sale boulot classique de toutes les forces d’encadrement (partis de gauche et syndicats) au service de la préservation de l’ordre social capitaliste : épuiser la combativité des “indignés”, défouler leur “indignation” et dévoyer leur révolte contre le capitalisme dans une impasse afin de les livrer pieds et poings liés à la répression.
Cette marche européenne des Indignés est une pure mascarade organisée par DRY et destinée à ridiculiser le mouvement : elle s’apparente davantage à une marche de pénitents sur les chemins de Compostelle qu’à une manifestation de protestation contre le capitalisme !
Quant aux informations données par les organisateurs du rassemblement à la Bastille, c’était de la même eau que celles des commentateurs du Tour de France à la télé ! Avec les mêmes trémolos dans la voix, destinés à nous tenir en haleine, les ténors de DRY ont passé leur temps à raconter les différentes étapes de la marche des Indignés vers Bruxelles, la sympathie de la population dans les petits villages qu’on leur a fait traverser (au fin fond de la France profonde) soit disant pour… étendre le mouvement de l’autre côté des Pyrénées et en Europe !
Dans tous les pays du monde, les exploités ressentent de plus en plus ce besoin d’unité et de solidarité internationale, au-delà des frontières. Mais pour que leur indignation se transforme en force motrice capable de construire un autre monde débarrassé des lois barbares du capitalisme, ils devront nécessairement développer tous les lieux de débat et déjouer les pièges de leurs faux amis.
Linus (29 septembre)
1) Source : https://roadtobrussels.blogspot.com/
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La grève des enseignants du 27 septembre a montré au moins une chose : il y a un réel mécontentement dans la classe ouvrière, qui n’est pas prête à accepter tous les sacrifices qu’on lui met sur le dos depuis des années, et dont le rythme ne semble pas prêt de ralentir, période électorale ou pas. Le taux de grévistes a ainsi été très élevé. Le fait que les enseignants du privé se soient joint à ceux du public a beaucoup participé à cette affluence, et constitue aussi un signe de la colère grandissante.
Cependant cette colère a aussi été circonscrite dans le milieu des profs. Car il n’y a pas qu’eux qui ont besoin et envie d’exprimer leur résistance aux attaques incessantes sur leurs conditions de travail et de vie. Tous les secteurs de la classe ouvrière sont touchés, tous contiennent une vraie colère.
C’est d’ailleurs pour cela que le 11 octobre, deux semaines seulement après les enseignants, ce sont tous les autres secteurs qui sont appelés à défiler.
Pourquoi pas tous en même temps, tous le même jour ? C’est l’éternelle question. En séparant certains secteurs, souvent les plus combatifs, du reste de la classe ouvrière, les syndicats rompent l’unité indispensable à tout mouvement social. De plus, la multiplication de “journées d’action”, qui ont émaillé le début de cette décennie et qui continue ce 11 octobre, n’apporte pas grand chose sinon la sensation de faire grève pour rien. Une action stérile dont la répétition conduit au sentiment d’impuissance, à l’épuisement, au découragement.
Ceux qui sont à l’origine de ces mouvements et mobilisations, les syndicats, sont-ils idiots au point de ne pas s’en rendre compte ? Certainement pas. Ils maîtrisent au contraire parfaitement leur sujet (il faut dire qu’ils ont de l’entraînement !). Ils savent parfaitement que face aux salves d’attaques dont elle est la victime, la victoire de la classe ouvrière passe par une riposte massive et unie. Mais leur objectif n’est pas la victoire de la classe ouvrière, c’est la victoire de la bourgeoisie. Et en baladant les ouvriers dans des grèves répétées et sans lendemain, et parfois corporatiste, ils parviennent pour le moment à laisser échapper la pression ouvrière sans risquer d’être dépassés.
La période électorale est aussi un moment pour la bourgeoisie de développer son discours démocratique (exprimez vous dans les urnes, pas dans la rue !) et les illusions de l’alternance. Beaucoup d’ouvriers sont excédés par la méthode de Sarkozy et espèrent que sa défaite face à la gauche pourra changer la donne. C’est une illusion car on a déjà pu vérifier la capacité de la gauche à attaquer la classe ouvrière. Et la situation économique est telle que la bourgeoisie n’a objectivement pas d’autre solution que de s’en prendre à la force de travail. Certes, si la gauche arrive au pouvoir en 2012, elle n’appliquera pas la même méthode que Sarkozy. Il est unique, grand bien lui fasse ! Mais n’ayons pas le moindre doute sur une chose : les attaques au final seront les mêmes, quel que soit le discours qui les accompagnera. D’ailleurs, nos frères de classe en Grèce et en Espagne sont depuis des mois dans la rue pour faire face aux mêmes attaques, à la même dégradation brutale des conditions de vie, aux mêmes mesures d’austérités prises là-bas par des gouvernements… socialistes !
La classe ouvrière a tout à perdre en accordant sa confiance aux syndicats et aux partis bourgeois. Mais alors, comment réagir ?
Il faut prendre ses luttes en main. Développer les assemblées générales, y discuter et y mettre en oeuvre des décisions collectives, des mandats vérifiables et vérifiés. Faire confiance oui, mais en nous-mêmes et seulement en nous-mêmes, en tant que classe unie autour d’une situation sociale commune et d’intérêts fondamentaux communs. Ce n’est pas quelque chose d’infaisable, une mission trop importante. Il y a un an, lors du mouvement sur les retraites en France, des initiatives autonomes ont vu le jour. Des assemblées générales interprofessionnelles, non syndicales, animées de vrais débats libres (parfois au mégaphone en fin de manif), ont été organisées par les manifestants eux-mêmes. A Toulouse, le slogan “Libérons la parole” de la CNT-AIT a été repris par plusieurs dizaines de personnes qui ont effectivement pris leur lutte en main et ont poussé à la discussion la plus large possible sur “Comment lutter ? Comment nous organiser ? Comment nous unir ?”. Même si elles ont gardé un caractère minoritaire, leur capacité à réunir, à déjouer les pièges des syndicats et des gauchistes qui ont tenté de les noyauter, et le fait même que les syndicats et les gauchistes aient tenté de les saboter, sont autant de signes qu’il s’agit là de la bonne réponse face aux attaques.
Et ce qui s’est passé en France à petite échelle lors du mouvement contre les retraites en 2010 a pris une toute autre ampleur les mois suivants en Espagne, en Israël et ailleurs, lors du mouvement des Indignés. Là, ce sont par milliers que les travailleurs et les chômeurs, les jeunes précaires et les retraités ont tenu des assemblées générales massives de rue. Et ce n’est là qu’un début, car la dynamique internationale de notre classe est clairement vers la massification de ses luttes prises en main par les travailleurs eux-mêmes. C’est en poursuivant sur ce chemin que petit à petit, la classe ouvrière trouvera les moyens et la force de repousser la bourgeoisie et de réfléchir à ses propres solutions à la crise du système.
GD (30 septembre)
Si l’été n’a pas été très ensoleillé cette année, il y a eu tout de même de beaux feux d’artifice… d’affaires politico-judicaires qui ont éclaboussé l’UMP comme le PS. Et le spectateur de s’écrier : “Oh ! la belle bleue… oh ! la belle rose…”
Cette rentrée de septembre 2011 est aussi dominée par les scandales à feuilletons et les coups-bas. Il y en a pour tous les goûts. Un véritable spectacle décadent fait d’orgie, de corruption et de coups de poignard dans le dos. Toutes ressemblance avec la fin de règne des maîtres de la Rome antique n’est absolument pas fortuite !
A notre gauche, c’est “OK Corral” : “je te flingue, tu me flingues”. Pour se faire mousser avant les primaires socialistes, Arnaud Montebourg – rejoint par Ségolène Royal – a joué les Monsieur Propre en sortant de son chapeau un rapport sur les pratiques mafieuses du socialiste Guérini. Il n’y a là aucune révélation, aucun scoop puisque la corruption ambiante et la voyoucratie au sein du PS dans le sud-est de la France sont ultra-connues depuis Gaston Defferre (patron du PS marseillais, maire de la ville phocéenne et ami intime des gangsters et de la “French Connection” de l’après-guerre aux années 1980). Mais en réalité, Montebourg visait là une autre cible : cette affaire lui a aussi permis de pointer du doigt la responsable nationale du PS, Martine Aubry. Sentant le piège, celle-ci a répondu : “Il n’y a rien dans ce rapport. Pas un élément concret, précis, pas un fait.” Autrement dit, “circulez, il n’y a rien à voir”. Cet affrontement larvé a alimenté d’autant plus les dissensions que ce parti est de plus en plus éclaté.
Pour ce qui est de DSK, saigné comme un poulet sur l’autel des magouilles politiciennes, bien qu’on ne sache pas qui a porté le coup mortel, il est de plus en plus certain qu’il a été l’objet d’une attention particulière ; autrement dit, coupable ou pas d’agressions sexuelles, que ce soit à New-York, au FMI ou à Paris, il était attendu au tournant. Ses mœurs sordides auraient pu être passées une nouvelle fois sous silence, comme c’est d’ailleurs le cas en permanence pour tant d’autres puissants de ce monde, mais cette fois certains ont au contraire décidé de faire le maximum de bruit et de publicité pour le dégommer. Qui ? L’histoire le dira peut-être.
A notre droite, cela vaut aussi son pesant de “Terminator” en 3D et en blueray. L’omniprésident Sarkozy, malgré tous ses récents efforts pour se donner une stature internationale et au-dessus de la mêlée des “connards” (1) de l’UMP, voit se resserrer un étau implacable sur nombre d’aspects de son activité politique passée et présente qui le ramène irrésistiblement dans ses talonnettes hexagonales. On a pour se mettre en appétit la suite de l’affaire Woerth-Bettencourt et les enveloppes distribuées gracieusement à Nicolas Sarkozy en personne par une femme vieillissante perdant prétendument la tête, pour payer la campagne électorale présidentielle sarkozyenne de 2007. Suivent à présent les valises de billets qui ont servi à financer la campagne de Balladur : celles-ci ne venait pas de Neuilly mais de Karachi en 1995 ! Ces valises ont été ramenées par un intermédiaire professionnel de vente d’armes, Takieddine, qui les refilait via la Suisse à l’ami (et témoin de son mariage avec Carla) de Sarkozy, Nicolas Bazire. Résultat tragique de ce tripatouillage, il est hautement probable que l’ISI (2) pakistanaise a fait sauter 14 personnes en 2002 (dont 11 Français) pour d’obscures raisons d’accords de ventes d’armes et de dessous de table. Dans cette sombre affaire de ventes de sous-marins, où il n’y a de clair que les tripatouillages en tous genres, sont impliqués non seulement Sarkozy mais aussi Balladur, de Villepin et bien sûr Chirac. Lequel est atteint “d’anosognosie”, de pertes de mémoires, ce qui lui a permis d’éviter un procès dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Mais ces trous de mémoires, apparemment très sélectifs, ne l’ont pas empêché de démentir ces accusations de valises pleines d’argent circulant au sein de la droite ; il se souvient là très bien qu’il n’en a jamais vu ni même jamais entendu parlé ! D’ailleurs, cet homme qu’on nous présente presque gâteux va participer en décembre à un colloque sur sa “politique extérieure” à Sciences Po ! Il faut croire qu’il sera alors guéri.
Que Chirac et Sarkozy sont ennemis, c’est une certitude. Mais une autre chose est certaine : ils emploient les mêmes procédés crapuleux, en particulier en Afrique où, décidément, contrairement aux promesses, la fin de la Françafrique n’est pas pour demain. Les déclarations fracassantes de M. Bourgi, autre porteur de valises mais en provenance d’Afrique cette fois-ci (et à l’en croire pour le compte de Chirac et de Villepin), n’ont fait que renvoyer dos à dos les politiques africaines de Chirac et de Sarkozy, comme elles ont rappelé celle de Mitterrand et de la gauche en leur temps.
Enfin, n’omettons pas Christine Lagarde, toute fraîche présidente du FMI (parce qu’elle parle anglais) qui traîne l’affaire Tapie/Crédit lyonnais comme un boulet. Elle se dit victime d’un acharnement injuste. Après tout, elle n’a “que” pesé de tout son poids, quand elle était ministre de l’Economie, en faveur d’un “arrangement” (litigieux certes) permettant à “Nanard” d’être quelque peu “dédommagé” (en palpant 45 millions d’euros !).
La liste de tous ces déballages, de toutes ces affaires plus scabreuses les unes que les autres, pourrait être infinie. Aujourd’hui, on ne sait plus qui balance qui, tellement ses affaires sont douteuses. Comme dit Hortefeux : “ça balance” dans tous les commissariats. A propos de commissariats, la dernière affaire à la Une est elle-aussi très révélatrice de la décomposition qui touche toutes les hautes sphères de l’Etat : cette fois-ci, c’est un membre éminent de la Police judiciaire de Lyon, donc un représentant et défenseur appointé de “l’ordre” bourgeois, qui est mis en examen avec d’autres collègues et magistrats pour des faits de corruption “sans précédent connu” (3) en France. Depuis 20 ans, au vu et au su de tous, les grands patrons de la police lyonnaise fricotait avec la mafia, en touchant au fric facile, à la drogue dure, aux belles voitures et aux femmes de petite vertu.
Chaque affaire semble en révéler une autre, à la façon des poupées gigognes, mais sans qu’il y ait là de fin. Dans le capitalisme, comme le dit la chanson du chanteur Mano Solo, “Il y a toujours plus profond que le fond.”
Ces innombrables affaires judiciaires, bien qu’elles soient écœurantes voire révoltantes, ne doivent pas nous étonner. L’effet “règlement de comptes” pour gagner la campagne électorale à tout prix et ainsi “aller à la soupe”, selon l’expression consacrée, y est certes pour beaucoup. Mais cela révèle aussi un mal beaucoup plus profond. Pour preuve, il ne s’agit pas d’un phénomène franco-français, il est généralisé à tous les Etats du monde, petits ou grands. Il suffit de passer les Alpes et de se rendre dans l’Italie de Berlusconi pour s’en rendre compte. L’image des ces “républiques bananières” dont se moquaient les beaux esprits de la classe dominante est en fait leur propre reflet. Elle est l’expression d’une bourgeoisie dont le mode de fonctionnement fondamental et le credo sont l’exploitation et l’appât du gain, la quête permanente et fébrile du profit, par n’importe quel moyen. Le vol et la spoliation, le meurtre individuel ou de masse, la corruption, le mensonge, la menace constante et la répression forment les moindres outils de cette classe dont le mot d’ordre préféré est : “L’homme est un loup pour l’homme.” Donc, mort aux plus faibles et aux plus démunis ! Et c’est ce qu’elle fait, contre la classe ouvrière et contre les classes non exploiteuses, mais aussi en son sein. Ce qui est significatif en revanche des “affaires” qui explosent avec une telle virulence aujourd’hui, c’est qu’elles témoignent d’un nouvel enfoncement dans la décomposition du capitalisme, auquel l’aggravation de la crise économique ne peut être étrangère. D’ailleurs, c’est justement cette absence d’avenir du système capitaliste qui renforce le chacun pour soi au sein de la classe dominante. “Sauve qui peut et Dieu pour tous !” est sa nouvelle maxime. Même si, sous de nombreux aspects, cette litanie permanente de scandales permet d’occuper le gogo et les rédactions des journaux, on ne peut qu’être frappé par le sentiment de dégoût que tout cela provoque.
Il reviendra à la lutte de la classe ouvrière de transformer ce dégoût en une force capable de balayer tous ces malfrats et de renverser ce système capitaliste en pleine déliquescence.
Wilma (30 septembre)
1) Propos de Sarkozy lui-même cité dans le Canard enchaîné du 28 septembre 2011.
2) Service de renseignement pakistanais, véritable Etat dans l’Etat, à l’origine de la création des groupes talibans pour lutter contre l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979.
3) Jean-Marc Berlière, historien de la police (interviewé par atlantico.fr)
Le texte ci-dessous s’appuie en grande partie sur un article [85] d’Internacionalismo, organe de presse du CCI au Venezuela, publié sur notre site en espagnol cet été. Les faits que nous rapportent ici nos camarades montrent une nouvelle fois que dans tous les pays la même crise économique et les mêmes mesures d’austérité font rage. Les fractions au pouvoir peuvent bien se prétendent “libérales”, “progressistes” ou “révolutionnaires”, le même capitalisme sauvage et barbare attaque les travailleurs aux quatre coins du globe.
L’Etat de Chavez nie en bloc l’existence de la crise économique au Venezuela, mais cela n’empêche pas la dure réalité d’y frapper impitoyablement la population. La politique “socialiste” menée dans ce pays ne fait pas moins de dégâts que le “libéralisme” américain. Et il n’y a là rien d’étonnant puisqu’il s’agit en réalité, dans les deux cas, du même capitalisme d’Etat ; seul le masque change. Au Venezuela, le capitalisme d’Etat est seulement plus caricatural qu’ailleurs et… moins performant puisqu’il réussit le tour de force d’affaiblir autant le capitalisme privé que le capital étatique.
Le pays doit aujourd’hui importer pratiquement tous les biens de consommation courante, ce qui est assez paradoxale pour un pays qui prétend développer une “révolution” continentale en exportant son label “Socialisme du xxie siècle”. Mais il y a encore plus ironique : pour la galerie, Chavez mène des affrontements permanents avec les Etats-Unis désignés comme le grand Satan capitaliste mais, dans les coulisses, les deux Etats entretiennent des liens économiques très étroits. Les Etats-Unis sont ainsi le principal client commercial du Venezuela (1).
Les chiffres officiels eux-mêmes et ceux de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine) et du FMI, sont tous obligés de reconnaître la gravité de la crise économique du pays : le Venezuela et Haïti (l’un des pays les plus pauvres au monde !) ont été les seuls d’Amérique latine et des Caraïbes à ne pas avoir eu de croissance en 2010. Il s’agit même pour le Venezuela de la troisième année de décroissance du PIB. Le pays a l’inflation la plus élevée de la région et une des plus élevées du monde : pour chacune des trois dernières années, elle a été de 27 % en moyenne et on estime que, pour 2011, elle dépassera 28 %. Voilà des taux d’inflation qui transforment en “sel et eau” les salaires et les pensions des travailleurs, ainsi que les aides que l’Etat octroie par le biais des plans sociaux !
Evidemment, le Venezuela subit là la crise économique mondiale. Mais les mesures prises par Chavez n’ont rien à envier à celles des droites les plus “dures et réactionnaires” de la planète :
Les revenus pétroliers, qui ont portant augmenté considérablement en 2011 suite à la crise libyenne, ne sont pas suffisants pour assouvir la voracité de l’Etat ; ils se volatilisent dans des budgets “alternatifs” au budget national, manipulés directement et de façon arbitraire par l’Exécutif (avec l’excuse de rendre plus agile “l’investissement social”). Voilà une forme de gestion du régime qui a facilité la création d’un vaste réseau de corruption qui embrasse plusieurs niveaux de fonctionnaires publics et militaires.
Alors qu’une bonne partie des travailleurs survit avec tout juste un peu plus du salaire minimum (équivalent à 150 $ par mois), la haute bureaucratie de l’État, autant civile que militaire, touche de très hauts salaires et “profits” pour ainsi garantir sa loyauté au régime.
Les dépenses militaires ont continué d’augmenter, avec l’excuse de contrer la menace d’invasion de “l’impérialisme yankee” pour s’emparer des ressources énergétiques.
Et comme les autres économies du monde, le Venezuela voit l’endettement de l’État exploser. Cette dette de 150 milliards de dollars, un peu plus du 40 % du PIB, est aujourd’hui encore gérable mais les experts en économie signalent que si elle continue d’augmenter au rythme actuel, il y a un risque de défaut de paiement (impossibilité de rembourser le service de la dette) dans les trois ans ! Ainsi, le Venezuela pourrait se retrouver dans une situation identique à celle de la Grèce, situation qui a exigé le secours de l’Union européenne et entraîné une politique d’austérité inouïe.
Voici la réalité de la politique “socialiste” de Chavez :
– dévaluation du bolivar [monnaie nationale] de 65 % en janvier 2011, après une autre de 100 % au début de 2010 ;
– agression permanente contre les salaires et les aides sociales ;
– réduction drastique des plans d’alimentation et de santé ;
– augmentation des tarifs électriques avec la justification de stopper “le gaspillage d’électricité”, ce qui va affecter dramatiquement le coût de la vie ;
– augmentation des prix de l’essence, de la TVA et divers autres impôts.
A cause de l’inflation, les salaires ont souffert d’une forte détérioration. D’après la CEPAL et l’Organisation internationale du travail (OIT), les salaires des travailleurs vénézuéliens sont tombés, en termes réels, de plus de 8 % le premier trimestre de cette année par rapport à la même période en 2010. Comme dans beaucoup d’autres pays, l’emploi précaire n’a fait qu’augmenter autant dans le public que dans le privé : selon une étude récente réalisée par l’Université catholique “Andrés-Bello”, 82,6 % de la force de travail vénézuélienne a un emploi précaire. Bref, malgré la détermination du régime chaviste à maquiller les chiffres, la réalité est que la pauvreté continue de s’aggraver.
Au niveau social, même les “Missions”, ces plans sociaux inventés par le chavisme pour essayer de faire croire aux “conquêtes du socialisme” en distribuant des miettes aux secteurs le plus paupérisés, ont été réduits. Aujourd’hui, les plans de santé, d’éducation, de distribution d’aliments, etc., sont en train d’être abandonnés ou sont très affaiblis. C’est un fait que la totalité des services publics se dégrade à grande vitesse. Voilà une réalité qui vient s’ajouter à la pénurie quasi permanente de plusieurs produits alimentaires de base, à l’augmentation constante des prix alimentaires et des produits de première nécessité.
Le plus révoltant est sans nul doute le fait que, comme toujours sous le capitalisme, cette terrible réalité quotidienne est subie par les prolétaires et les secteurs les plus pauvres alors que les grands caciques du régime et leurs proches vivent dans la plus grande opulence. Toute ressemblance avec certains pays arabes ou africains n’est pas du tout fortuite !
Mais il y a quelques rayons de soleil qui percent les nuages et qui sont source d’espérance pour l’avenir. Le prolétariat au Venezuela participe lui-aussi à la poussée, lente mais perceptible, de la combativité à l’échelle internationale. La bourgeoise vénézuélienne ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a suspendu temporairement une grande partie de ses attaques après avoir vu les travailleurs se dresser en Bolivie. En effet, en décembre dernier, dans cet autre pays d’Amérique latine, le gouvernement d’Evo Morales, après avoir décrété l’augmentation du prix de l’essence, a dû revenir en arrière face à l’ampleur des protestations qui ont mis à mal sa popularité.
Au Venezuela, le prolétariat de l’industrie pétrolière, qui avait subi un dur contrecoup avec le licenciement de presque 20 000 employés en 2003, a mené des mobilisations contre le non-respect de la convention collective. Il y a eu aussi des mobilisations des employés publics, dans le secteur de la santé et de l’administration centrale, pour exiger des augmentations de salaire et des améliorations des conditions de travail.
Plus importantes encore sont les luttes menées depuis plus de deux ans par les ouvriers de la Zone du fer dans la Guyane vénézuélienne, au Sud du pays, région où se concentrent une vingtaine d’entreprises de l’industrie lourde d’Etat et plus de 100 000 travailleurs. Pour essayer de mystifier les travailleurs de cette zone et dévoyer leur combativité, le gouvernement a essayé de mettre en place plusieurs schémas de production “socialiste” : après avoir essayé “l’autogestion” dans l’ALCAS (entreprise productrice d’aluminium), et avoir nationalisé la sidérurgique Sidor, il essaye maintenant d’introduire le “contrôle ouvrier” de la production.
Tout cela montre l’augmentation significative des protestations sociales en 2011 qui, sans le moindre doute, vont dépasser les 3000 actes de protestation comptabilisées en 2010, qui avaient pourtant elles-mêmes déjà battu tous les records des années précédentes. Ceci entraîne une importante érosion dans le soutien à Chavez, étant donné que ces protestations ont surtout lieu au sein des couches les plus appauvries, qui étaient la base principale de soutien de ce régime. Un exemple récent et dramatique de ces protestations a été celle des familles des prisonniers de plusieurs prisons du pays, qui ont été impitoyablement réprimées par les forces de l’Etat lorsqu’elles ont manifesté contre l’entassement des prisonniers et la répression au sein même des établissement. La barbarie que l’on vit dans les prisons n’est que l’extension de celle que l’on vit, quotidiennement, dans le pays tout entier, surtout dans les quartiers pauvres. Ce pays cumule plus de 140 000 assassinats durant les 12 années de “révolution bolivarienne”. Et Chavez, avec un aplomb indécent, ose appeler tout cela la “jolie révolution” !
Les luttes et les mobilisations menées par le prolétariat sont le meilleur démenti à la prétendue “révolution” que dirigent les nouvelles élites bourgeoises qui gouvernent le Venezuela. Seule la résistance des travailleurs contre les attaques de l’État, dans la défense de leurs conditions de vie, en se basant sur des assemblées qui tendent à unifier les travailleurs de différents secteurs, pourront devenir une référence pour ces masses paupérisées qui commencent déjà à perdre leurs illusions sur les propositions des chavistes comme de l’opposition.
Et ainsi, ces mouvements s’inscriront dans le sillon ouvert par les prolétaires et les masses exploitées d’Afrique du Nord, de Grèce ou d’Espagne, avec le mouvement des “Indignés”.
D’après Internacionalismo (30 juillet)
1) Les exportations aux Etats-Unis ont même augmenté de 27,7 % pendant le premier trimestre 2011 par rapport à la même période de 2010. Elles représentent aujourd’hui 49 % du total des exportations du Venezuela.
Notre camarade Claude est décédée en juillet 2011 d’insuffisance respiratoire, à l’âge de 60 ans.
C’est dans les années 1970 qu’elle avait fait ses premières expériences politiques, dans l’ambiance agitée de la période post-68 à l’université de Vincennes où elle milite d’abord dans les rangs de la LCR. Comme beaucoup d’étudiants de cette université, déjà à l’époque, elle doit occuper successivement différents emplois temporaires pour subvenir à ses besoins en même temps qu’elle effectue des études de psychologie. C’est en compagnie d’autres étudiants, notamment en provenance de cette université, qu’elle participe à un groupe de discussions politiques et qu’elle découvre les positions du CCI, les discute et les approfondit jusqu’au moment où elle décide de rompre avec le trotskisme et la LCR. Elle rejoint alors le CCI en septembre 1975, en même temps que l’essentiel des éléments du groupe de discussion en question. Elle militera dans la section en France du CCI jusqu’en 1990, les deux années précédentes ayant été celles d’un relatif isolement de sa part vis-à-vis de l’organisation, alors qu’elle avait déménagé dans l’île de la Réunion.
Lorsqu’elle décide de revenir vivre en métropole, en 1992, c’est en partie afin de pouvoir être associée de plus près aux activités du CCI. Après toute une période de galère, lorsqu’elle se réinstalle en France, elle participe à certaines activités (d’intervention en particulier) aux côtés du CCI, puis se pose alors à elle la question de réintégrer les rangs de notre organisation et des discussions ont lieu en ce sens. Elle hésite cependant à franchir le pas, en raison en particulier de la dégradation rapide de son état de santé qui la handicape, physiquement et moralement. De ce fait, en dépit d’une implication croissante et d’un engagement sans faille à nos côtés et bien que sachant qu’elle était la bienvenue en notre sein, elle ne pourra jamais formellement redevenir membre de notre organisation.
Quoi qu’il en soit, depuis que nous la côtoyons soit comme membre, soit en tant que très proche sympathisante, nous pouvons témoigner de son très grand attachement au combat de la classe ouvrière, à la révolution et au CCI, comme en avait attesté son soutien à notre organisation dans des combats politiques à la fin des années 1990-début des années 2000. C’est donc à une militante convaincue et dévouée de la cause du prolétariat à qui nous rendons aujourd’hui hommage.
Nous avons bien sûr des souvenirs concernant la militante et la femme de cœur qu’elle était, spontanée, vive, intelligente, dotée d’une très grande générosité et d’une profonde sensibilité, n’hésitant jamais à rendre service de façon désintéressée.
Dans la vie de l’organisation, lorsque la camarade était persuadée de quelque chose, elle ne le gardait pas pour elle et pouvait même faire preuve d’une certaine opiniâtreté dans la défense de ses idées, surtout dans une première période de sa vie militante. Ce qui ne l’a pas empêchée d’apprendre à écouter, de savoir enrichir son point de vue grâce à la discussion. Elle a aussi bien sûr participé en notre sein à des combats politiques d’une certaine âpreté mais n’en a pas pour autant nourri de rancunes envers qui que ce soit.
Ce qui a le plus frappé certains d’entre nous, qui ont souvent eu l’occasion d’intervenir à ses côtés dans des manifestations, c’est sa capacité à établir le contact pour susciter la discussion parmi les ouvriers, dans des contextes parfois difficiles d’indifférence ou d’hostilité. Il lui arrivait ainsi, maintes fois, de poursuivre la discussion avec de petits groupes jusqu’à la fin de la manifestation tout en diffusant notre presse. Elle savait se mettre à la place de l’autre et trouver les mots simples et convaincants qui interpellent et accrochent, sans rien concéder à ses convictions. Personne n’était indifférent à la chaleur humaine qui enveloppait ses paroles. La camarade était connue pour sa très grande sensibilité humaine, parfois exacerbée.
Toutes ces qualités ne sont pas passées inaperçues de ses proches parmi lesquels figuraient des militants bien sûr, mais aussi des membres de sa famille, des collègues et des amis, envers lesquels elle a toujours manifesté une fidélité à toute épreuve et une grande loyauté.
A ceux-là, nous nous joignons pour t’adresser un dernier salut, Claude. Tu laisses dans nos cœurs un grand vide et nous conserverons de toi une magnifique image.
CCI
La première partie [88] de cet article, consacrée à l’étude du rapport de l’Homme à la nature, montrait que “L’espèce humaine a toujours été amenée pour vivre à transformer la nature. Mais le Capital pose aujourd’hui un nouveau problème : ce système ne produit pas pour satisfaire les besoins de l’humanité mais pour le profit.”
Cette seconde partie aborde le rôle qu’a joué le charbon, le pétrole puis le nucléaire sous l’ère capitaliste et s’interroge sur la place de l’énergie dans la société future.
La révolution industrielle a aussi été une révolution de l’énergie, ce qui a permis à la société d’aller au-delà des frontières imposées par “l’économie organique” qui la cantonnait à la croissance saisonnière des ressources d’énergie naturelles pour assouvir la plupart de ses besoins. L’utilisation principale du charbon allait de pair avec les changements du mode de production et l’émergence de la bourgeoisie.
Dans l’économie organique qui a prédominé depuis la révolution néolithique jusqu’à l’adoption à grande échelle du charbon, la puissance humaine et animale ainsi que celle du bois furent les principales sources d’énergie. En 1561-70, elles représentaient respectivement 22,8 %, 32,4 % et 33 % de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. Le vent et l’énergie hydraulique faisaient tout juste plus de 1 % combinés ensemble alors que le charbon comptait pour 10,6 %.
L’abondance du bois en Europe lui donna un avantage sur les sociétés où il était rare, mais le développement de la production épuisa ces ressources et enraya la croissance. Ainsi en 1717, un haut-fourneau du Pays de Galles n’était pas allumé depuis quatre ans après sa construction que le bois et le charbon venaient déjà à manquer. Avant le xviiie siècle, il a été calculé qu’un haut-fourneau standard travaillant deux ans sans interruption exigeait la coupe de 2000 hectares de forêt.
En Galles du Sud, bien connu pour ses mines de charbon, les premières étapes de la révolution industrielle ont témoigné du développement des aciéries et ont conduit à la déforestation de vallées qui étaient autrefois densément boisées. La croissance de la demande en bois amena des augmentations de prix et des famines. Dans certaines parties de France, il n’y avait pas assez de bois pour les fours à pain et, dans d’autres, il est raconté que “les pauvres vivaient sans feu”.
Les limites à la production imposée par l’économie organique ne peuvent être considérées qu’en calculant la quantité de troncs qui aurait été nécessaire pour réaliser une consommation conséquente d’énergie à partir du charbon. Le bois n’est pas une source d’énergie aussi efficace que le charbon, car deux tonnes de bois sont nécessaires pour produire la même énergie qu’une tonne de charbon. Une acre de bois (0,4 hectare) peut produire environ l’énergie équivalente d’une tonne de charbon en un an. En 1750, 4 515 000 tonnes de charbon ont été extraites en Angleterre et au Pays de Galles. Pour produire la somme équivalente d’énergie, utiliser le bois aurait demandé 13 045 000 tonnes, c’est-à-dire 35 % de la surface boisée (11,2 millions d’acres). Un demi-siècle plus tard, la production avait atteint 65 050 000 tonnes, ce qui revient à pas moins de 150 % de la même surface (48,1 millions d’acres).
Une des clés de la domination britannique sur le monde a été qu’elle avait des réserves de charbon qui étaient accessibles en utilisant la technologie existante. Cela a pu créer l’impulsion pour développer les moyens de production afin de permettre l’extraction de charbon à des niveaux plus profonds.
Avant l’utilisation à grande échelle du charbon, l’énergie utilisable était essentiellement déterminée par la quantité d’énergie solaire déterminant la croissance des plantes et donc la quantité de nourriture et de bois. Ce cycle naturel semblait imposer une limite insurmontable. La pauvreté et la misère généralisée semblaient éternelles, inaltérables, une donné de la vie. L’extraction à grande échelle du charbon et aussi du pétrole a brisé cette barrière.
L’avancée de la révolution industrielle est souvent mesurée en tonnes de minerai de charbon, en tonnes d’acier produites et en kilomètres de chemin de fer posés. Mais elle peut aussi être mesurée par l’augmentation de l’énergie utilisée. En 1560, le charbon comptait pour à peine plus de 10,6 % de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. En 1850, il compte pour 92 %. Durant cette période, la consommation d’énergie fut multipliée par 28 !
L’industrie du pétrole s’est développée graduellement pendant le xxe siècle. En 1929, le commerce du pétrole avait augmenté de 1,170 million de dollars, les principaux exportateurs étant les Etats-Unis, le Venezuela et les Antilles néerlandaises, bien que des raffineries aient aussi été établies au Barheïn et en Arabie Saoudite par les Etats-Unis, en Irak et au Liban par des entreprises britanniques et européennes.
Cependant, ce fut seulement après la Seconde Guerre mondiale que le pétrole est devenu la production d’énergie dominante, comptant pour 46,1 % de la production mondiale d’énergie en 1973, bien qu’il soit descendu en 2008 à 33,2 %.
L’utilisation croissante de l’énergie a été un trait marquant de l’industrialisation partout dans le monde. Elle exprime non seulement la poussée de l’échelle de la production et l’impact de la croissance de la population, mais aussi le développement de la productivité. Entre 1973 et 2008, la consommation totale d’énergie a augmenté de 80 %.
La révolution en forme et en quantité d’énergie offerte à l’humanité a dopé la révolution industrielle et a ouvert la porte à la possibilité de passer du règne de la volonté à celui de l’abondance. Mais cette révolution a été conduite par le développement du capitalisme dont le but n’est pas la satisfaction des besoins humains mais la croissance du capital sur la base de l’appropriation de la plus-value produite par une classe ouvrière exploitée.
Le capitalisme n’a pas d’autre critère pour utiliser l’énergie, pour détruire les ressources finies, que celui du coût de production qu’il représente. L’augmentation de la productivité pousse à exiger plus d’énergie, aussi les capitalistes (autres que ceux impliqués dans l’industrie du pétrole) sont amenés à essayer de réduire le coût de cette énergie. D’un côté, ceci conduit à une utilisation prolifique de cette énergie à des fins irrationnelles, telles que le transport des mêmes marchandises en tous sens à travers le monde, et à la multiplication sans fin de marchandises qui ne représentent aucun besoin humain mais servent uniquement de moyens pour extraire et réaliser la plus-value. De l’autre, ceci conduit à ce que des millions d’êtres humains ne puissent accéder à cette ressource et à ces produits parce qu’ils ne présentent pas assez d’intérêt financier pour les capitalistes. Cela s’illustre au Niger où Shell pompe des milliards de dollars de pétrole alors que la population locale en est privée ou bien risque sa vie pour en prendre illégalement dans les pipelines. Le prix est aussi payé par ceux qui travaillent dans les industries énergétiques et dont l’organisme est miné ou empoisonné par l’environnement dans lequel ils vivent, des eaux toxiques polluées de la Tamise qui ont caractérisé le xixe siècle à Londres jusqu’au réchauffement de la planète qui menace aujourd’hui le futur de l’humanité.
La possibilité d’utiliser la fission ou la fusion nucléaires pour produire de l’énergie est connue depuis environ un siècle, mais c’est seulement après la Seconde Guerre mondiale qu’elle a pu être menée à bien.
L’après-guerre est dominé par la rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS, et la course aux armements. Cependant, le développement de l’énergie nucléaire n’est pas seulement inextricablement lié à celui des armes nucléaires.
Au début des années 1950, le gouvernement américain était inquiet de la réaction du public au danger de l’arsenal nucléaire qu’il avait mis en oeuvre et à la stratégie de la “première frappe” qui avait été proposée. Sa réponse fut d’organiser une campagne connue sous le nom d’Opération Candor pour gagner l’opinion grâce à des messages dans les médias (y compris des bandes dessinées) et par une série de discours du président Eisenhower qui ont culminé dans l’annonce à l’assemblée générale de l’ONU du programme “des Atomes pour la paix” pour “encourager l’investigation au niveau mondial de l’utilisation la plus efficace en temps de paix des matériaux fissibles”. Le plan incluait une information et des ressources partagées, avec les Etats-Unis comme l’URSS, créant de façon conjointe un stock de matériau fissible. Dans les années qui ont suivi la course aux armements, des armes nucléaires se sont répandues chez d’autres puissances, souvent sous le prétexte de développer un programme civil nucléaire, comme en Israël et en Inde. Les premiers réacteurs produisaient de grandes quantités de matériel pour les armes nucléaires et une petite quantité pour une électricité très dépensière. Le partage de la connaissance en matière de nucléaire fit alors partie des luttes impérialistes au niveau mondial ; ainsi, à la fin des années 1950, la Grande-Bretagne soutint secrètement Israël avec de l’eau lourde pour le réacteur construit grâce à l’assistance française. En dépit des discours sur “cette énergie moins chère”, la puissance nucléaire n’a jamais rempli cette promesse et a eu besoin du soutien de l’Etat pour couvrir son coût réel. Là où des compagnies privées construisent et dirigent des usines, il existe habituellement des subsides ouverts ou cachés. Par exemple, la privatisation de l’industrie nucléaire en Grande-Bretagne a avorté lorsque Thatcher dans les années 1980 l’a attaquée parce que le capital privé reconnaissait qu’il y avait des risques et des coûts non quantifiables. Ce n’est qu’en 1996, alors que les vieux réacteurs Magnox, qui avaient déjà besoin d’être mis au rancart, ont été exclus de l’accord, que les investisseurs privés avaient préparé un contrat pour acheter British Energy à un prix cassé de 2 milliards de livres. Six ans plus tard, la compagnie devait être cautionnée d’un prêt du gouvernement de 10 milliards de livres.
Alors que les avocats du nucléaire arguent aujourd’hui qu’il est meilleur marché que d’autres sources d’énergie, ceci reste une affirmation discutable. En 2005, l’Association mondiale du nucléaire (World Nuclear Association) statuait sur le fait que : “Dans la plupart des pays industrialisés aujourd’hui, de nouvelles usines nucléaires offrent la façon la plus économique de créer de l’électricité à bas coût sans considération des avantages géopolitiques et environnementaux que confère l’énergie nucléaire” et publiait une série de statistiques pour soutenir la demande selon laquelle la construction, le financement, la mise en oeuvre et les coûts que représentent les déchets ont tous été réduits. Entre 1973 et 2008, la proportion d’énergie provenant des réacteurs nucléaires est montée de 0,9 % à un total global de 5,8 %.
Un rapport publié en 2009, demandé par le gouvernement fédéral allemand, fait une évaluation de loin plus critique de l’économie du nucléaire et questionne l’idée d’une renaissance du nucléaire. Ce rapport montre que le nombre de réacteurs a chuté ces dernières années en contradiction avec les projets plus larges d’augmentation tant des réacteurs que de l’énergie produite. L’augmentation de puissance générée qui a eu lieu durant cette période est le résultat de la rentabilité des réacteurs existants et de l’extension de leur vie opérationnelle. Le rapport continue en argumentant qu’il existe une incertitude sur les réacteurs couramment décrits comme étant “en construction”, un certain nombre étant dans cette position depuis plus de 20 ans. Le nombre de ceux en construction est tombé d’un pic de 200 en 1980 à moins de 50 en 2006.
Au regard de l’économie du nucléaire, le rapport montre le haut niveau d’incertitude dans toutes les zones incluant le financement, la construction et l’entretien.
Il montre que l’Etat reste central pour tous les projets nucléaires quels que soient ceux auxquels ils appartiennent ou qui les dirigent. Un de ces aspects tient dans les formes variées des subsides fournis par l’Etat pour soutenir les coûts du capital investis dans l’entretien comme dans les démantèlements des usines, ainsi que le soutien des prix. Un autre a été la nécessité pour l’Etat de limiter la responsabilité de l’industrie afin que le secteur privé en accepte les risques. En 1957, le gouvernement américain a marqué le pas lorsque les compagnies d’assurance refusèrent de couvrir les risques car il leur était impossible de les quantifier.
Les dangers de l’énergie nucléaire sont aussi fortement débattus que les coûts. Cela est particulièrement le cas du désastre de Tchernobyl dont l’estimation des victimes varie largement. Un rapport de l’OMS considère que 47 des 134 ouvriers irradiés au cours de l’intervention d’urgence sont morts des suites de la contamination en 2004 et estime qu’il y aurait à peine moins de 9000 morts de plus par cancer provoqué par la catastrophe. Un rapport de scientifiques russes publié dans les Annales de l’Académie des sciences de New-York pense que, de la date de l’accident jusqu’en 2006, ce sont 985 000 morts de plus qu’il faut compter, des cancers à toute une série d’autres maladies.
Pour tous ceux qui n’ont pas la connaissance scientifique et médicale des spécialistes, il est difficile de s’y retrouver mais, ce qui est moins douteux, c’est le niveau massif de secret et de falsification en cours, comme c’est aujourd’hui le cas sur l’accident de Fukushima. Pour revenir à Tchernobyl, le gouvernement russe n’a pas rapporté l’accident pendant plusieurs jours, laissant la population locale continuer à vivre et à travailler au milieu des radiations. Mais il n’y a pas qu’en Russie. Le gouvernement français a minimisé les niveaux de radiation qui atteignait le pays, disant à la population que le nuage radioactif qui s’étendait sur toute l’Europe n’était pas passé sur la France, tandis que le gouvernement britannique rassurait le pays en affirmant qu’il n’y avait aucun risque pour la santé, rapportant des niveaux de radiation 40 fois plus bas que ceux de la réalité, mettant cependant plus tard des centaines de fermes en quarantaine. Jusqu’en 2007, 374 fermes sont encore restées sous contrôle spécial.
L’énergie nucléaire est mise en avant par divers gouvernements comme la solution “verte” aux problèmes associés aux combustibles fossiles. C’est en majeure partie un écran de fumée qui cache les motifs réels qui tournent autour de l’épuisement possible du pétrole, de l’augmentation de son coût et des risques associés à une dépendance des ressources énergétiques hors de contrôle des Etats. Cette façade “verte” s’estompe à mesure que la crise économique conduit les Etats à revenir au charbon (1) et à baisser les coûts des nouvelles sources de pétrole en exploitation, la plupart d’entre elles physiquement difficiles d’accès, ou qui demandent des processus qui polluent et salissent l’environnement, comme les suies.
Les produits énergétiques ont aussi été un facteur dans les luttes impérialistes ces dernières années et elles le seront encore plus dans la période à venir.
Les régimes staliniens qui se sont appropriés et ont sali le nom du communisme ont tous partagé le comportement du capitalisme dans l’utilisation du nucléaire et ont agi avec un mépris total de la santé de la population comme de l’environnement. Cela est vrai pour l’URSS d’hier comme pour la Chine d’aujourd’hui, nourrissant la confusion largement répandue sur le fait que le communisme pousse à une industrialisation forcée qui ne tient pas compte de la nature.
Contrairement à ces fausses idées, Marx se sentait très concerné par la nature, tant au niveau théorique de la relation entre l’humanité et la nature, qu’au niveau pratique quand il écrit sur le danger de l’épuisement des sols par l’agriculture capitaliste et sur l’impact de l’industrialisation sur la santé de la classe ouvrière : “En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur.” (2)
Nous ne pouvons pas prévoir la “politique énergétique” du communisme, mais partant du fait fondamental que la production se fera pour les besoins humains et non pour le profit, nous pouvons prédire que le modèle de l’utilisation de l’énergie changera de façon significative et nous pouvons en mettre en avant certains aspects généraux :
– nous pouvons anticiper une vaste réduction dans la production des choses non-nécessaires et dans les transports ;
– de même, il y aura une réduction des voyages non-nécessaires vers les lieux de travail, en même temps que les communautés prendront des proportions plus humaines, le divorce entre la ville et la campagne seront alors dépassés ;
– la créativité et l’intelligence seront dirigées vers les besoins humains, et on peut donc anticiper des développements significatifs dans les ressources d’énergie, spécialement renouvelables, tout comme dans la mise en perspective de moyens de production, de transports et d’autres équipements et de machines pour les rendre plus efficaces, et cela à long terme.
Parce qu’une société communiste aura le souci du long terme, ceci implique de grandes réductions dans l’usage des sources d’énergie non-renouvelables de façon à ce qu’elles puissent servir aux futures générations. Il faut noter que même l’uranium utilisé par le nucléaire est une source d’énergie non-renouvelable et ne brise donc pas la dépendance envers les ressources finies. Ceci implique que l’énergie renouvelable sera fondamentale pour la société communiste mais, parce que la créativité et l’intelligence de l’humanité se libéreront des chaînes actuelles, cela n’entraînera pas un retour aux privations des anciennes économies organiques.
Il ne nous appartient pas de dicter au futur les décisions qui seront prises sur cette question. Mais ce que nous avons dit ci-dessus implique une réduction significative de l’utilisation de l’énergie et des changements dans les formes d’énergie à la lumière d’une intelligence scientifique en éveil. Les dangers potentiels du nucléaire et le fait que dépenser du pétrole et contaminer la terre représentent un risque pour des centaines de milliers d’années suggère que l’énergie nucléaire n’ait pas de place dans une société dirigée vers le bien commun, les futures générations et la planète dont nous dépendons.
North (19 juin)
1) Le charbon est passé de 24,5 % des sources d’énergie totale en 1973 à 27 % en 2008. Source : International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p. 6.
2) Marx, le Capital , Vol. I, Chapitre XV ter, “Machinisme et grande industrie”, Section 10, “Grande industrie et agriculture” .
Malgré les gesticulations d’un Sarkozy se présentant ensuite lors d’une interview devant les caméras de la télévision française en “sauveur... du monde” (rien de moins !), “un accord a minima”, comme titrait le quotidien le Monde du 28 octobre, arraché dans la nuit du 26 au 27 lors du sommet européen de Bruxelles, ne va pas “sauver” l’Europe ni même la Grèce. Derrière les rodomontades pleines de suffisance du président français, futur candidat à sa réélection, qui s’attribue sans vergogne une bonne part du mérite d’avoir évité une catastrophe, la barre du gouvernail du navire européen en pleine tempête a été à l’évidence tenue d’une main ferme par la bourgeoisie allemande derrière sa chancelière Angela Merkel. Mais au contraire d’un succès, ces manœuvres à court terme sont l’expression même – au-delà du rebond des places boursières lié au à un soulagement très momentané après s’être retrouvées au bord du précipice – de l’impuissance des Etats et de leurs organismes financiers. Du FMI à la BCE, censés réguler le marché et endiguer la déferlante de la crise économique mondiale, l’emballement de l’endettement, la menace de récession, les paniques financières et monétaires sont bel et bien là et révèlent la faillite réelle du système capitaliste aux abois. En fait, la réalité que le monde des capitalistes s’obstine à cacher, c’est que la faillite avérée de la Grèce ouvre la voie de la banqueroute dans laquelle sont déjà engagés les autres Etats développés, à commencer par ceux d’Europe. Il n’y a pas de bons et de mauvais élèves, tricheurs ou truqueurs comme le prétend Sarkozy. C’est le système capitaliste tout entier et tous les Etats, qui vivent désormais à crédit, dans le surendettement, qui sont amenés à tricher et à transgresser en permanence les propres lois qu’ils se fixent sur le marché mondial pour pouvoir perpétuer leurs rapports d’exploitation.
Que traduit réellement cet accord péniblement obtenu aux forceps ?
• Un effacement de 50 % de la dette grecque à hauteur de 106 milliards d’euros, partis en fumée, qui va contraindre les banques européennes créancières de l’Etat grec à faire une croix définitive sur le remboursement de leurs prêts et à se recapitaliser. Cela alors même que les Etats les contraignent pour l’instant à ne pas compter sur les fonds publics pour les renflouer, ce qui va les fragiliser davantage et sera le prélude à un effondrement brutal en cascade ; car la plupart d’entre elles sont déjà dans le rouge, comme la Société générale, BNP-Paribas ou le Crédit agricole, pour ne citer que les banques françaises. Ces mesures ne parviendront pas davantage, contrairement à ce que tous prétendent, à “sauver le soldat grec” qui est un train de s’enfoncer dans un marasme sans fin. L’Espagne, qui a vu récemment sa notation abaissée de deux crans par l’agence Moody’s, va continuer à s’enliser ; de même que les autres pays déjà désignés “à risque élevés” : l’Irlande, le Portugal ou l’Italie, cette dernière de surcroît plombée par la fragilité politique et l’impopularité d’un Berlusconi menacé par ses alliés gouvernementaux eux-mêmes malgré un cahier des charges rédigé in extremis à la hâte par les condotttieri à la solde du pouvoir. Mais cette liste ne peut que s’étendre rapidement, notamment à la France, pilier fragile de l’Europe aux côtés de l’Allemagne.
• Le relèvement d’un FESF (Fonds européen de stabilité financière), structure jusque-là famélique (servant à gérer les versements dans un pot commun des Etats réputés les plus riches destiné à éponger les dettes des nations européennes les plus faibles) à hauteur de 1000 milliards d’euros. Cela passe par la création d’une “structure bis” qui sera alimentée par des Etats émergents à commencer par son plus gros contributeur, l’Etat chinois, mais aussi l’Inde, la Russie, l’Afrique du Sud (le Brésil qui avait publiquement lancé ses offres de service semble se rétracter). C’est donc par l’intermédiaire d’un nouveau montage financier qui n’est qu’un tour de passe-passe juridique pour éviter l’humiliation d’une mainmise directe de ces fameux pays émergents sur le chantier déjà plein de lézardes de la fière puissance européenne. Ce qui signifie une interdépendance croissante d’économies concurrentes alors que la Chine, qui détient déjà 360 milliards d’euros d’avoirs sur les dettes souveraines européennes, est elle-même fortement dépendante des fluctuations des Bons du Trésor américain. On assiste donc à l’élévation d’un véritable château de cartes qui ne peut que menacer de s’écrouler en cas d’aggravation d’une récession américaine, qui est déjà imminente.
• Cela annonce une terrible accélération des plans d’austérité, des attaques frontales que les prolétaires et les couches sociales les plus défavorisées vont prendre sur la tête une fois encore de plein fouet. Alors qu’en Grèce, le gouvernement bombarde la population et particulièrement les prolétaires à coups de plans d’austérité toujours plus draconiens et rapprochés qui la plonge dans une misère d’ores et déjà dramatique, surtout chez les jeunes générations plongées dans une précarité extrême et privées d’avenir. Quant à l’Italie, elle s’est entre autres mesures engagée à reporter l’âge légal de la retraite à 67 ans pour tous les salariés (contre 65 ans actuellement) d’ici 2026. L’Espagne qui connaît déjà un taux de chômage dépassant 20 % de la population active, qui a déjà prolongé à 67 ans l’âge du départ légal à la retraite et n’en finit pas de patauger dans la crise de son secteur immobilier va encore intensifier la précarisation du travail alors que les secteurs les plus vitaux des services publics sont déjà sérieusement grippés comme l’éducation nationale et la santé à cause du manque de moyens budgétaires et de la pénurie de personnel qui ont entraîné une large mobilisation d’une part à Madrid (pour les enseignants) et à Barcelone (pour le milieu hospitalier) et des manifestations de solidarité importante des autres ouvriers (40 000 personnes à Madrid). Un sérieux tour de vis est prévu en France, sous la menace directe d’une dégradation et de la perte de son triple A par les agences de notation. L’annonce d’une hausse de la TVA très impopulaire, et en pleine période électorale, qui va toucher les produits alimentaires de première nécessité et la restauration (alors qu’en 2007 le candidat Sarkozy avait promis qu’il n’augmenterait pas les impôts), une nouvelle hausse probable de la CSG et une nouvelle limitation du remboursement des dépenses de santé comme une taxation supplémentaire des mutuelles (alors que la hausse des dépenses d’assurance-maladie devrait atteindre 2,8 % en 2012) sont dans le premier wagon du train de mesures qui va suivre. Ce que Sarkozy appelle des “mesures courageuses”, des “réformes nécessaires” au lieu de rigueur et d’austérité pour faire entre 6 à 8 milliards d’économies sur le budget. Les indemnités de licenciements pourraient elles aussi être taxées. Un ralentissement de l’appareil productif est annoncé, notamment dans le secteur de l’automobile dont les ventes un temps dopées artificiellement par des mesures provisoires comme les “primes à la casse” sont en chute libre contraignant Renault et PSA à mettre leurs ouvriers au chômage technique au moins pour les deux derniers mois de l’année et surtout à annoncer un plan de 6800 suppressions d’emplois en Europe en 2012. Tandis que le taux de chômage continue à grimper, touchant désormais officiellement près de 4, 2 millions de personnes dans l’Hexagone (près de 4,5 millions avec les DOM) (+ 0,9 % en septembre pour ceux reconnus “activement demandeurs d’emplois”). Mais plus significativement encore, le plongeon ne va pas épargner le pays salué comme un “modèle” et qui fait figure de locomotive économique de l’Europe, l’Allemagne, qui vient de réviser à la baisse sa prévision de taux de croissance pour 2011 pour atteindre un très modeste 1 %, après des années de rigueur budgétaire stricte et au prix d’un gel des salaires depuis plusieurs années.
Il ne fait aucun doute que l’avenir s’annonce menaçant partout et que ce ne sont pas les banques qui vont payer la note de la crise mais bien la population, contrairement à ce que raconte l’omniprésident français qui a eu le culot d’affirmer dans son interview : “Si les accords sont respectés, si on adopte les mesures nécessaires, il n’y aura rien à payer !” Bien sûr que si, et ce seront toujours les mêmes à qui on demandera partout des sacrifices de plus en plus lourds, y compris dans les pays les plus développés au cœur du capitalisme (voir les exemples aux Etats-Unis dans notre article en p. 2) où il est révélateur que ce système n’arrive plus à subvenir aux besoins les plus élémentaires (de quoi se nourrir, se loger, se soigner…) d’une part croissante de la population, qu’elle soit au chômage ou en activité, à procurer du travail pour les jeunes, à assurer une retraite pour les vieux... Les prolétaires ne doivent pas se faire d’illusions, ni sur un changement d’équipe gouvernementale qui sera de toutes façons contrainte d’appliquer les mêmes mesures avec une rigueur féroce, ni sur une embellie de relance économique. Les solutions miracles n’existent pas pour sortir de cette impasse, qu’il s’agisse même de la taxation des banques, de celle des spéculateurs, ou encore de celle des hauts revenus.
Dans cette situation, les prolétaires n’ont rien à attendre de ce système qui les mène dans le mur. Ils sont de plus en plus nombreux à savoir partout dans le monde que les sacrifices grandissants qu’on leur demande ne les tirent que vers le bas. Ils vont être précipités dans une misère toujours plus inacceptable, ressentant dans leur chair des conditions de vie et de travail de plus en plus insupportables et intolérables. La classe ouvrière a une histoire, celle de ses innombrables luttes, qui démontre qu’à travers leur développement et leur prise en mains, elle peut, à travers la riposte nécessaire pour se défendre contre les attaques capitalistes, être porteuse des intérêts d’une humanité qui ne sera libérée que par le renversement de ce système, par l’abolition des rapports d’exploitation et l’instauration d’une autre société basée non plus sur le profit mais sur les besoins humains. A-t-elle les moyens de réaliser cette tâche qui paraît aujourd’hui titanesque ? Oui ! Même si beaucoup pensent que ce n’est pas réalisable, qu’une telle société reste une utopie. Les minorités révolutionnaires doivent réaffirmer et faire comprendre à l’ensemble de leur classe qu’elle seule est porteuse d’un avenir pour l’humanité, qu’elle ne peut compter que sur ses propres forces, sur la prise de conscience que, partout dans le monde, elle est poussée pour se défendre à mener le même combat face à ce monde pourrissant sur pied. Mais cela passe par la perte de toute illusion de pouvoir réformer les banques, l’Etat et le système capitaliste. Malgré ses faiblesses et ses limites qui viennent principalement du fait que la classe ouvrière ne s’y manifeste pas en tant que telle et reste à la traîne des illusions démocratiques que véhicule la bourgeoisie, la mobilisation des jeunes Indignés partie d’Espagne (1) est déjà porteuse de cet espoir avec quelques germes essentiels de cette maturation. Elle participe de ce combat en ce qu’elle se conçoit déjà comme partie d’un mouvement international qui n’a pas de frontières et qui fait tâche d’huile de façon significative dans le monde entier sur la base et le principe, comme les assemblées ouvrières, d’un fonctionnement en assemblées générales ouvertes à tous, où se mènent les débats et où toutes les décisions se discutent et sont prises collectivement. Ce n’est qu’un début.
W (29 octobre)
1) Le 15 octobre, lors de la journée mondiale des Indignés, la mobilisation en Espagne a atteint des records et il y a eu de nombreuses discussions où participaient des ouvriers et où le la remise en cause capitalisme était au cœur des débats. Nous y reviendrons ultérieurement.
Les lecteurs ont sans doute suivi les événements autour du mouvement Occupation de Wall Street (OWS). Depuis la mi-septembre, des milliers de manifestants occupent Zuccotti Park à Manhattan, à quelques blocs de Wall Street. Les manifestations se sont maintenant étendues à des centaines de villes à travers l’Amérique du Nord. Des dizaines de milliers de personnes ont pris part à des occupations, à des manifestations et à des assemblées générales qui ont montré une capacité d’auto-organisation et de participation directe à des activités politiques jamais vues aux Etats-Unis depuis de nombreuses décennies. Les exploités et la population en colère ont fait entendre leur voix, montré leur indignation contre les maux du capitalisme. L’impact international de l’OWS à travers le monde ne doit pas non plus être sous-estimée : des manifestations ont eu lieu dans les centres les plus importants du capitalisme mondial, brandissant des slogans et des expressions de ras-le-bol qui font écho à ceux jaillis à travers l’Europe et l’Afrique du Nord.
Toutefois, l’avenir du mouvement semble incertain. Alors que de nombreux manifestants jurent de poursuivre indéfiniment leur occupation, il devient de plus en plus clair que l’énergie spontanée initiale du mouvement est en reflux, comme le montrent ses assemblées générales, de plus en plus transformées en chambres d’écho passives des “groupes de travail” et des “comités”, dont beaucoup semblent être dominées par des militants professionnels, des gauchistes, etc. La situation reste instable, mais nous pensons qu’elle a atteint un certain niveau de développement qui nous permet maintenant de tenter de faire une première évaluation de son sens et d’identifier certaines de ses forces et de ses faiblesses.
Le CCI a pu participer à ces événements à New York, où plusieurs militants et sympathisants proches ont fait un certain nombre de voyages pour aller à Zuccotti Park parler avec les occupants et participer aux assemblées générales. Par ailleurs, des sympathisants du CCI nous ont envoyé des comptes-rendus sur leurs expériences dans ces mouvements dans leurs villes. Une discussion animée a également commencé sur le forum de discussion de notre site (1). Cet article est une contribution à ce débat, et nous encourageons nos lecteurs à se joindre à la discussion.
D’abord, nous devons reconnaître que le mouvement actuel d’occupation provient de la même source que toutes les révoltes sociales massives auxquelles nous avons assisté au cours de l’année 2011. Des mouvements en Tunisie et en Egypte à l’apparition des Indignés en Espagne, aux occupations en Israël et aux mobilisations contre l’austérité et l’anti-syndicalisme dans le Wisconsin et dans d’autres Etats, la frustration et le désespoir de la classe ouvrière, en particulier des jeunes générations durement frappées par le chômage (2).
Ainsi, nous voyons une continuité directe entre OWS et la volonté croissante de la classe ouvrière de se battre contre les attaques du capitalisme, à l’échelle internationale. Il est clair qu’OWS n’est pas une campagne bourgeoise pour faire dérailler et récupérer la lutte de classe. Au contraire, il s’agit du dernier acte d’une série de mouvements, en grande partie organisés à travers Internet et les médias sociaux en dehors des syndicats et des partis politiques officiels, à travers lesquels la classe ouvrière cherche à répondre aux attaques massives qui se déchaînent sur elle, dans la sillage de la crise historique du capitalisme. Le mouvement doit donc être accueilli comme un signe que le prolétariat en Amérique du Nord n’est pas totalement vaincu et qu’il n’est pas disposé à subir indéfiniment les attaques du capitalisme. Néanmoins, nous devons aussi reconnaître qu’il existe des tendances différentes dans le mouvement et qu’une lutte se déroule en leur sein. Les tendances dominantes ont une attitude très réformiste et les tendances les plus prolétariennes ont de grandes difficultés à trouver le terrain de classe de leur lutte.
Peut-être l’aspect le plus positif de la revendication de OWS a-t-il été l’émergence des assemblées générales (AG) comme des organes souverains du mouvement qui représente une avancée par rapport aux mobilisations dans le Wisconsin, qui, malgré leur spontanéité initiale, ont été rapidement prises en charge par les appareils syndicaux et par la gauche du Parti Démocrate (3). L’émergence des AG dans OWS représente une continuité avec les mouvements en Espagne, en France et ailleurs, et est la preuve de la capacité de la classe ouvrière de prendre le contrôle de ses luttes et d’apprendre des événements dans d’autres parties du globe. En effet, l’internationalisation des AG, comme forme de lutte, est l’une des caractéristiques les plus impressionnantes de la phase actuelle de la lutte des classes. Les AG sont, par-dessus tout, une tentative de la classe ouvrière pour défendre son autonomie en impliquant l’ensemble du mouvement dans les décisions prises et en veillant à ce que les discussions soient les plus larges possibles.
Cependant, malgré leur importance dans ce mouvement, il est clair que ces AG n’ont pas été en mesure de fonctionner sans de considérables distorsions et sans les manipulations des activistes professionnels et des gauchistes qui ont largement contrôlé les différents groupes de travail et comités qui étaient censés être nominalement responsables des AG. Ce poids a constitué une difficulté grave pour le mouvement dans le maintien d’une discussion ouverte et il a travaillé à empêcher que les discussions ne s’ouvrent à ceux qui n’occupaient pas, pour atteindre l’ensemble de la classe ouvrière. Le mouvement du 15 Mai en Espagne a également rencontré des problèmes similaires (4).
Au début de l’occupation, en réponse aux demandes persistantes des médias pour que le mouvement identifie ses objectifs et ses exigences, un comité de presse a été formé dans le but de publier un Occupy Wall Street journal. Un de nos camarades était présent à l’AG quand le premier numéro de ce journal, qui avait déjà été rédigé et diffusé auprès des médias par le comité de presse, a été critiqué. Le sentiment dominant de l’AG a été l’indignation devant le fait que ce journal ait été produit et diffusé auprès des médias, alors que son contenu ne reflétait pas le consensus du mouvement, mais semblait refléter un point de vue politique particulier. La décision a été prise de retirer la personne responsable de la production et de la diffusion du journal du comité de presse. Cette action a montré la capacité de l’AG d’affirmer sa souveraineté sur les comités et sur les groupes de travail. Il s’agit d’une expression embryonnaire du “droit de révocation immédiate”, à l’encontre d’un membre fautif du comité de presse, qui a été rapidement révoqué pour avoir outrepassé les limites de son mandat.
Cependant, une semaine plus tard, lors d’une AG qui s’était déroulée la veille de la menace d’expulsion, de la part du maire Bloomberg, des occupants du parc Zuccotti, notre camarade a trouvé une atmosphère totalement différente. Après cette révocation immédiate, l’AG n’a pratiquement pas eu de discussion constructive. La plus grande partie de l’AG a été occupée par les rapports des groupes de travail et des comités sans qu’il y ait de discussion. La seule discussion qui a été autorisée par les animateurs de l’AG a été au sujet d’une proposition par le Président du quartier de Manhattan de limiter le spectacle des percussionnistes du mouvement à deux heures par jour. Cette AG n’a jamais abordé la question de l’avenir du mouvement. Elle n’a même pas envisagé la question de savoir comment développer une stratégie et formuler des tactiques pour étendre le mouvement au-delà de ses limites actuelles et comment s’opposer à sa disparition presque certaine de Zuccotti Park.
Lors de cette AG, l’un de nos camarades a tenté de proposer que les occupants envisagent l’avenir en s’adressant, au-delà des limites du parc, à la classe ouvrière de la ville, auprès de qui ils étaient susceptibles de recevoir un accueil chaleureux. Il a été répondu à notre camarade que son intervention était hors sujet par rapport à la proposition de limiter les percussions et que le temps pour les interventions (arbitrairement fixé par les animateurs à une minute) avait été dépassé. Une autre proposition a été faite par un participant de former une délégation pour parler du mouvement à des étudiants de plusieurs écoles et universités de la région Sa proposition a également été rejetée et de nombreux manifestants ont indiqué qu’ils n’avaient aucun désir d’étendre le mouvement et que si les étudiants voulaient soutenir l’occupation, ils devaient venir à Zuccotti Park.
Comment, alors, peut-on expliquer la tendance des groupes de travail, des comités et des animateurs à assurer progressivement leur contrôle sur le mouvement, au fur et à mesure que le temps passe ?
Dès le début, le mouvement OWS s’est caractérisé par un certain esprit “anti-politique” qui a servi à étouffer la discussion, empêcher la polarisation des idées contradictoires et le développement des revendications de classe. Cela a été rendu possible par les gauchistes, les célébrités politiques et les politiciens de tous bords qui ont pu intervenir et parler au nom du mouvement, et ont permis aux médias de présenter le mouvement comme la première étape d’une “aile gauche” du Tea Party (5).
Le refus de presque tous les manifestants d’OWS d’aborder la question des objectifs et des exigences, ce qui représente à notre avis une réticence générale à examiner la question du pouvoir, se présente un peu comme une énigme pour les révolutionnaires. Comment pouvons-nous comprendre ce phénomène, qui a également été présent dans d’autres mouvements ? Nous pensons que cela découle, dans une large mesure, des facteurs suivants.
S’il est vrai que la principale force sociale derrière ces mouvements semble être la jeune génération de travailleurs, dont beaucoup sont nés après l’effondrement du stalinisme en 1989, il reste une crainte réelle de la part de la classe ouvrière de se réapproprier la question du communisme. Alors que Marx a souvent été intégré dans un processus de réhabilitation pour sa critique du capitalisme, il y a toujours une grande peur d’être associé à un système que beaucoup continuent à croire qu’il a “déjà été essayé et qu’il a échoué” et qui va à l’encontre de l’objectif d’établir “une véritable démocratie”. Alors que l’on a pu voir lors de ces occupations de nombreux écriteaux et slogans qui citaient Marx pour affirmer que le capitalisme est devenu intolérable, il reste une confusion totale sur ce qui peut le remplacer. D’un autre côté, dans une perspective à plus long terme “le poids des cauchemars du passé” constitue moins un obstacle pour ceux qui cherchent le contenu véritable du communisme, une nouvelle façon de penser à l’épanouissement de la société future.
En général, ces mouvements sont animés par la jeune génération des travailleurs. Bien que les travailleurs plus âgés, touchés par la destruction massive d’emplois qui s’est produite aux Etats-Unis depuis 2008 soient également présents dans les mouvements, sociologiquement, la force motrice de ces manifestations est constituée de prolétaires qui ont entre vingt et trente ans. La plupart sont instruits, mais beaucoup n’ont jamais connu dans leur vie un emploi stable. Ils sont parmi les plus profondément touchés par le chômage massif de longue durée qui hante désormais l’économie américaine. Peu d’entre eux ont une expérience du travail associé, si ce n’est d’une manière précaire. Leur identité n’est pas enracinée dans leur lieu de travail ou dans leur catégorie d’emploi. Bien que ces qualités sociologiques soient susceptibles de les rendre plus ouverts à une large solidarité abstraite, elles signifient également que la plupart d’entre eux n’ont pas l’expérience des luttes de défense des conditions de vie et de travail avec des exigences et des objectifs propres. Ayant été en grande partie exclus du processus de production, ils connaissent trop peu la réalité concrète pour défendre autre chose que leur dignité d’êtres humains ! La nécessité de développer des exigences spécifiques et des objectifs n’est donc pas si évidente. Dans un monde qui ne lui offre aucun avenir réel, il n’est pas surprenant que la jeune génération ait des difficultés pour penser concrètement à la façon de développer les luttes pour l’avenir. Ainsi, le mouvement se retrouve piégé dans un processus d’autocélébration de l’occupation pour elle-même, étant donné que le site d’occupation devient une communauté et, dans certains cas, même une maison (6). Un autre aspect qui ne peut être ignoré est le poids du discours politique post-moderniste, en particulier sur ceux qui sont passés par le cursus du système universitaire américain, qui instille la méfiance “traditionnelle” envers une politique de classe et son rejet.
Cela dit, nous ne pouvons pas “demander à l’enfant de se comporter en homme”. La simple existence d’assemblées générales est une victoire en soi, et ces AG constituent d’excellentes écoles où les jeunes peuvent développer leur expérience et apprendre à combattre les forces de la gauche de la bourgeoisie. Tout cela est vital pour les luttes à venir.
OWS reste obstinément coincé dans le contexte de la politique et de l’histoire des Etats-Unis. Les racines de la crise internationale et les mouvements sociaux dans d’autres pays sont rarement mentionnés. La croyance dominante du mouvement continue d’être que les immenses problèmes auxquels le monde est confronté sont tous, sous une forme ou une autre, la conséquence des comportements contraires à l’éthique des banquiers de Wall Street, aidés et encouragés par les partis politiques américains. La dérégulation des rapports entre les banques de dépôt et d’investissement, les gens peu scrupuleux qui laissent gonfler une bulle immobilière, l’influence grandissante sur l’Etat américain de la richesse des entreprises, l’immense écart entre les plus riches qui constituent un pour cent de la population et les autres, le fait que Wall Street est assis sur des milliards de dollars de liquidités excédentaires qu’elle refuse de réinvestir dans l’économie américaine, restent les principaux griefs du mouvement. Enfin, il faut identifier le problème principal qui est que “le capital financier non réglementé” a servi à maintenir des illusions sur la nature finalement altruiste de l’Etat bourgeois américain.
De toute évidence, l’éthique anti-politique du mouvement OWS a servi à l’empêcher d’aller au-delà du niveau du mouvement lui-même et a finalement seulement servi à reproduire le genre de domination politique qu’il craignait à juste titre. Cela devrait servir de leçon pour les mouvements futurs. Alors que le mouvement a le droit d’être sceptique par rapport à tous ceux qui cherchent à parler pour lui, la classe ouvrière ne peut se dérober devant la discussion ouverte et la confrontation des idées. Le processus de polarisation, de travailler sur des objectifs et des exigences concrets, aussi difficile soit-il, ne peut être évité si le mouvement va de l’avant. En fin de compte, un mouvement dominé par un éclectisme extrême des idées, selon lequel toutes les exigences sont “également valables” aura pour conséquence que seules les exigences qui sont acceptables pour la bourgeoisie progresseront. Les objectifs de re-régulation du capitalisme, de taxer les riches et de briser la mainmise de l’argent des entreprises sur le processus électoral sont en réalité des objectifs partagés par de nombreuses fractions de la bourgeoisie américaine ! Serait-ce un hasard si Barack Obama veut faire payer son plan de travail avec une surtaxe sur les millionnaires ? Il y a un fort risque que les principales fractions de la bourgeoisie puissent orienter ce mouvement dans une direction qui serve leurs propres intérêts contre la renaissance de la droite dans leur lutte de cliques. Cependant, en dernière analyse, l’incapacité totale de la bourgeoisie à résoudre sa crise mortelle signe la fin des illusions sur le “rêve américain”, remplacé par le cauchemar de l’existence, sous le capitalisme.
Avec toutes ses faiblesses, nous devons reconnaître les leçons profondes que les protestations d’OWS contiennent pour la poursuite du développement de la lutte des classes. L’apparition des AG, probablement pour la première fois depuis des décennies sur le sol de l’Amérique du Nord, représente une avancée majeure pour la classe ouvrière car elle cherche à développer son combat au-delà des limites tracées par la gauche bourgeoise et par les syndicats. Cependant, nous devons affirmer qu’un mouvement qui se replie sur lui-même plutôt que de chercher l’extension en direction de l’ensemble de la classe est voué à l’échec, que cet échec soit le résultat de la répression, de la démoralisation ou d’un encadrement derrière les campagnes de la bourgeoisie de gauche. Au stade actuel de la lutte de classe, nous sommes face à une situation où les secteurs de la classe ouvrière ayant le moins d’expérience du travail collectif se sont avérés être les plus combatifs. D’autre part, ceux ayant le plus d’expérience des luttes concrètes pour la défense de leurs conditions de vie et de travail restent encore très désorientés par les attaques du capitalisme et incertains sur la façon de riposter. Beaucoup sont simplement heureux d’avoir encore un emploi et ont reculé face au poids de l’offensive du capitalisme contre les conditions de vie et de travail.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, les campagnes persistantes de l’aile droite pour écraser les syndicats ont effectivement eu pour effet de revitaliser dans une certaine mesure le carcan syndical aux yeux des travailleurs et elles ont encore plus désorienté ce secteur de la classe ouvrière (7). En fait, dans la mesure où ce secteur de la classe ouvrière a participé au mouvement d’OWS, celle-ci s’est largement faite sous la bannière syndicale, mais avec des syndicats qui ont systématiquement oeuvré à isoler leurs membres des occupants. Il était clair que, sous l’influence des syndicats, les ouvriers étaient là pour soutenir les occupants, mais non pour les rejoindre ! C’est dans le mouvement de la lutte de la classe ouvrière pour défendre ses conditions de vie et de travail que les organes qui peuvent réellement mettre en œuvre la transition vers une société de producteurs associés – les conseils ouvriers – peuvent émerger. La classe ouvrière, dans ses luttes pour protéger son niveau de vie, constamment contrariées à cause de la persistance de la crise économique, prendra alors conscience que le capitalisme ne peut plus offrir aucune perspective. En conséquence, il lui apparaîtra que la société humaine ne peut plus désormais se développer que si elle est unifiée.
Cela dit, nous ne minimisons pas les difficultés énormes que la classe ouvrière va rencontrer aujourd’hui pour trouver son terrain de classe et développer la détermination de se battre contre les attaques du capitalisme. Dans une première étape, nous pensons que le mouvement d’OWS s’est laissé piéger sur le terrain idéologique bourgeois, cependant, celui-ci a déjà un immense mérite, car il donne un aperçu de la façon avec laquelle la classe ouvrière peut prendre le contrôle de sa propre lutte.
Internationalism (19 octobre 2011)
1) http :/en.internationalism.org/forum/1056/beltov/4515/occupy-wall-street-protests # comment-3866 [90].
2) Voir tous nos articles sur le mouvement indignado http ://en.internationalism.org/icconline/2011/september/indignados [91].
3) Bien que contrairement au Wisconsin, où, pour l’instant la menace d’une grève générale a été brandie, OWS représente une mobilisation beaucoup moins “massive”, car, à part pour un petit groupe de manifestants, la mobilisation n’est pas régulière.
4) http ://en.internationalism.org/iccon.
Voir “Real Democracy Now !’ : A dictatorship against the mass assemblies [92] , article line/2011/special-report-15M-spain/real-democracy-now.
5) Voir Pierre Beinhart, “Occupy Protests” Seismic Effects [93]” pour une déclaration sur la façon avec laquelle la gauche bourgeoise pense qu’OWS pourrait être utilisée pour faire les choux gras d’Obama.
http ://news.yahoo.com/occupy-protests-seismic-effect-062600703.htm [94].
6) Au cours des dernières semaines, les médias ont rapporté plusieurs cas de jeunes qui quittent leur travail peu rémunérés ou l’école pour participer à l’occupation.
7) Voir notre article [95] sur la récente grève de Verizon.
Source URL : http ://en.internationalism.org/icconline/2011/october/ows [96]
Les événements économiques qui se succèdent à vitesse accélérée depuis cet été 2011 montrent que la faillite du capitalisme qui s’est pleinement révélée en 2007-2008 avec la crise financière s’approfondit de plus en plus vite. Le capital ne peut plus faire face aux engagements financiers qu’implique l’accroissement sans fin de l’endettement qu’il a pratiqué pendant des décennies ; cet accroissement de l’endettement avait pour but d’écouler une production de plus en plus supérieure à la demande. Comme cette surproduction ne peut que se traduire par un taux de profit de plus en plus en baisse, en plus de l’endettement, les capitalistes ont, pendant ces décennies, tenté de diminuer leurs coûts, c’est-à-dire la rémunération des travailleurs qu’ils soient en activité, au chômage ou à la retraite. On sait que depuis la fin des années 1990, les revenus réels des ouvriers et de toutes les couches pauvres de beaucoup de pays développés ont stagné ou diminué. Par ailleurs, pendant des années, les capitalistes ont massivement provoqué la baisse des salaires en pratiquant la délocalisation des entreprises dans “les pays émergents”. Cette opération a permis une remontée momentanée des profits car les salaires étaient tellement bas dans ces pays que beaucoup ne pouvaient vivre que dans des bidonvilles ou, en Chine, dormir dans les “mingongs”, ces dortoirs dans l’usine qui ne sont faits que de lits en fer superposés.
Depuis 2007, les conditions de vie des exploités des pays développés se sont dégradées de manière beaucoup plus accélérée que précédemment. Le chômage augmente partout et, littéralement, explose dans certains pays. En Grèce, depuis le premier plan d’austérité d’avril 2010, le chômage est passé de 12 % à 16,5 % (1) de la population active ; en Espagne, le pays ayant connu un éclatement particulièrement violent de la bulle immobilière, ce taux est passé depuis 2008, de 9 à 21 %, ce qui veut dire qu’il touche officiellement plus de 4 200 000 personnes. Les chiffres sont bien plus élevés chez les jeunes : 42 % en Espagne, 33 % en Grèce et ce chiffre est de 25 % pour l’ensemble des autres pays, y compris pour le Suède que l’on nous présente aujourd’hui comme un modèle de sortie de crise (2) ; ces jeunes n’ont, bien souvent, pas droit à des allocations chômage car n’ayant pas travaillé. Il est donc facile de comprendre un phénomène qui s’est énormément développé ces dernières années : les jeunes ne peuvent plus avoir de logement et doivent habiter chez leurs parents.
Mais les parents, même s’ils ont un travail, peuvent de moins faire face aux besoins élémentaires de leur vie et de celle de leurs enfants : en Espagne, avec un salaire minimum de 748 euros (3) on ne peut même pas se loger dans un studio d’une grande ville car le loyer est en moyenne de 600 euros. Inutile de dire que lorsqu’on est chômeur, se loger normalement est devenu impossible puisque les indemnités de chômage varient en Espagne de 492 euros à 1384 euros et durent au maximum 24 mois. Alors, on est obligé de pratiquer la co-location, mais même ainsi, on ne peut pas se loger dans les grandes villes à moins de 250 euros. Au Portugal, les récentes mesures d’austérité viennent de supprimer les 13e et 14e mois pour les fonctionnaires, ce qui va amputer leur pouvoir d’achat de 20 %, alors que 20 % de la population a déjà un revenu mensuel inférieur à 450 €.
La capacité de faire face aux besoins immédiats de la vie est encore plus difficile en Grèce. Si le salaire minimum correspond à peu près à celui qui est pratiqué en Espagne, l’ensemble des salaires diminuent en ce moment au rythme de 10 % par an ; le dernier plan d’austérité a décidé de mettre au chômage technique 300 000 personnes ayant un emploi dans des organismes publics ou semi-publics, a organisé une baisse des salaires de la fonction publique de 25 % en moyenne (ce qui veut dire que certains verront leur salaire diminuer de 50 %) et a rendu imposables les revenus dépassant annuellement 5000 euros (4). En fait la difficulté de vivre des exploités de Grèce se trouve résumé dans un seul chiffre : la consommation des ménages a diminué de 20 % en moyenne depuis le début 2010 (5) ; et cela donne une idée du niveau de ressources misérables des prolétaires les plus pauvres.
Mais il n’y a pas que sur le vieux continent que les revenus que parvient à obtenir la population ne suffisent pas à vivre : aux Etats-Unis, en août 2011, 45,7 millions de personnes sur les 311 millions d’habitants que compte ce pays étaient contraintes, pour pouvoir survivre, d’aller chercher des bons alimentaires de 30 dollars par semaine versés par l’Administration (6). De plus en plus d’entreprises sont en train de mettre en œuvre des licenciements massifs ; citons à titre d’exemple les 30 000 suppressions d’emplois de Bank of America et les 6500 de Cisco, et la liste des entreprises qui licencient, tant aux Etats-Unis qu’en Europe est très longue.
On sait que durant l’été, les républicains et les démocrates se sont affrontés sur la question du relèvement de la dette des Etats-Unis, mais cela ne doit pas masquer le fait que chacun des deux partis prévoient des coupes très importantes dans les dépenses budgétaires, avec des dizaines de milliers de suppressions d’emplois. De plus, dans différents Etats de la fédération , les municipalités sont tellement endettées qu’un certain nombre d’entre elles se déclarent en faillite et mettent leur personnel au chômage : c’est de cette manière que 22 000 fonctionnaires de l’Etat du Minnesota ont été priés de rester chez eux et ne sont plus payés depuis le 4 juillet (7) ; c’est la même chose qui est arrivé aux fonctionnaires de Harrisburg – capitale de l’Etat de Pennsylvanie – et à ceux de la ville de Central Falls, près de Boston.
De telles conditions de vie sont imposées de plus en plus à la grande majorité de la population des pays développés. Si, déjà, le plan d’austérité mis en place en Grande-Bretagne a provoqué dans ce pays une diminution des salaires réels de 3 %, ce sont tous les pays européens (en dehors, pour le moment, de l’Allemagne) qui sont en train de mettre en œuvre de tels plans ou de les prévoir. Or, plus des plans d’austérité sont mis en œuvre et plus la demande est faible et, en conséquence, plus la surproduction devient massive entraînant une baisse des profits et, donc, de nouveaux plans d’austérité. Le bilan est la chute de la très grande majorité de la population dans une misère toujours plus profonde.
La faillite des collectivités locales des Etats-Unis entraîne la fermeture de toute une série de services, y compris dans le secteur de santé : beaucoup d’infirmières et de médecins ne peuvent plus renouveler leur contrat de travail. Cela signifie que la faillite du capitalisme, outre l’extension de la misère qu’elle provoque, est en train de bloquer le fonctionnement de la société. De la même manière qu’aux Etats-Unis, en Espagne, pour des raisons d’économie budgétaire, les hôpitaux de Barcelone ont décidé la fermeture pendant certaines heures de la semaine des services d’urgence et des blocs opératoires : en d’autres termes, si quand les habitants de cette ville tombent gravement malades ou sont sérieusement blessés, ils devront “choisir” leurs heures d’arrivée aux urgences !
En fait, ce blocage des mécanismes de fonctionnement de la société est beaucoup plus avancé en Grèce : selon certains témoignages, nombre d’entreprises ont fermé leurs portes car elles ne pouvaient plus payer leurs salariés, les employés de l’Etat ou proches de l’Etat ne sont plus payés depuis des mois, les écoles publiques ne reçoivent plus de manuels scolaires (8), etc.
De même que la misère s’étend, la désorganisation des institutions et des entreprises nécessaires à la survie de tous ne fait qu’empirer. Le capitalisme montre chaque jour un peu plus son incapacité à assurer la survie de l’humanité et de ses membres. Et c’est contre cette progression de la misère et du chaos social que des exploités ont engagé la lutte dans les pays arabes, en Grèce, en Espagne, en Israël, au Chili et dans bien d’autres pays.
Vitaz (26 octobre)
1) http ://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-taux-de-chomage-officiel-atteint-16-5-en-grece_266257.html [97]
2) http ://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-2012/Actualite/Royal-gonfle-les-chiffres-du-chomage-des-jeunes-397587/ [98]
3) http ://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/10/13/04016-20111013ARTFIG00498-le-salaire-minimum-est-juge-trop-eleve-en-grece.php [99]
4) http ://www.lepoint.fr/economie/grece-les-nouvelles-mesures-d-austerite-du-projet-de-loi-conteste-20-10-2011-1386811_28.php [100]
5) http ://cib.natixis.com/flushdoc.aspx ?id=60259 [101]
6) Le Monde 7-8 août 2011.
7) http ://www.rfi.fr/ameriques/20110702-faillite-le-gouvernement-minnesota-cesse-activites [102]
8) http ://www.info-grece.com/agora.php ?read,28,40283 [103]
Le dimanche 16 octobre 2011, vers 19h, alors même que les chances de victoire de sa pouliche Martine Aubry étaient déjà définitivement enterrées, Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris déclarait à la presse : “Ces primaires sont une victoire pour la démocratie.” Evidemment, cette petite phrase cache une réelle déception par ce que les professionnels de la communication appellent un “discours positif”. Mais pas seulement. Il y a derrière ces quelques mots désabusés, une vérité fondamentale dont leur auteur n’a sans doute pas bien mesuré l’importance.
A quoi ont servi les primaires, finalement ? A unir le PS ? On en doute, et nos doutes risquent fort de s’envoler très vite, sitôt les embrassades de ce dimanche oubliées. A moderniser l’image du PS ? C’est sûrement vrai même si ce n’est là qu’affaire de paillettes. A montrer la diversité existant au sein du PS ? Sûrement pas : après tout le parti n’a pas attendu les primaires pour voter son programme, censé être donc repris par tous.
Alors à quoi ont servi ces débats soporifiques, cette organisation gigantesque, ces millions de pièces de un euro versés par les “citoyens électeurs” ? A la base, à désigner le candidat qui représentera le PS aux présidentielles. Mais bien au-delà, les primaires ont aussi servi, tout comme aux Etats-Unis par exemple où le système existe depuis longtemps pour les deux grands partis de pouvoir, à remettre une couche, toute fraîche et brillante, à la mystification démocratique. Ce n’est d‘ailleurs pas tant l’intérêt pour les idées d’un PS qui n’a rien à dire que ce souffle démocratique est venu presque faire la pige à la coupe du monde de rugby, mais la mobilisation de près de trois millions de personnes exaspérées par Sarkozy et dont la perspective essentielle est de ne plus le voir à la tête du pays.
Mais cela, c’est en définitive au service de toute la classe bourgeoise. C’est bien pour cela que la droite a patiemment et sagement attendu la proclamation des résultats avant de sortir ses armes lourdes et entrer en campagne. L’UMP avait-elle à ce point besoin de connaître l’identité de son adversaire pour s’adonner, comme elle l’a fait deux jours après, à la démolition en règle du programme socialiste, particulièrement sur la question économique où Hollande ne brille certainement pas plus que les autres par l’innovation ou le scoop qui viendrait renverser la vapeur de l’enfoncement inéluctable dans la crise ? Comme on vient de le dire, le programme socialiste est connu depuis longtemps. Qu’il y ait des nuances entre François Hollande et Martine Aubry, certes, on veut bien l’admettre. Mais c’est le programme d’un parti de la bourgeoisie, qui ne pourra faire de toutes façons qu’une politique d’austérité, emballée sous forme de cadeau aux ouvriers, comme à l’époque où Martine Aubry faisait avaler la réforme sur les 35 heures comme une avancée sociale sans précédent. On connaît la suite : aux embauches promises ont succédé des cadences de travail de plus en plus exténuantes et des licenciements massifs, une précarisation généralisée et des suppressions de postes tous azimuts.
Si la droite a laissé se dérouler les primaires sans intervenir autrement que par de molles critiques, voire au contraire des réflexions sur l’intérêt de procéder de même dans son camp, c’est parce qu’en sa qualité de fraction bourgeoise responsable, elle avait tout intérêt à ce que la classe ouvrière se retrouve embringuée en partie dans ces primaires socialistes et surtout focalisant l’attention sur le suspense de leurs résultats de façon à donner du grain à moudre à l’idée qu’il faudra se mobiliser dans les présidentielles de 12012. Le discours plus “radical”, anti-pouvoir des banques et altermondialiste (ou “démondialiste” comme il l’a rebaptisé) de Montebourg comme sa rhétorique sur la nécessité dune opération “mains propres” et des 17 % des voix du premier tour qui en a fait l’arbitre le plus courtisé. L’idée même que des primaires apportent un surcroît de pouvoir au “peuple” en maîtrisant une étape supplémentaire en amont du processus électoral, ont permis de ramener vers les urnes et de ranimer surtout les illusions d’un électorat de gauche qui se lassait de l’image de corruption donné par l’ensemble de la classe politique et des querelles internes entre les éléphants du parti social-démocrate. La publicité tapageuse des médias pour ces “primaires” pendant un mois où elles ont servi d’écran de fumée pour masquer les attaques s’est révélée très intéressante pour toute la bourgeoisie : elle a permis d’occuper la scène plus tôt sur le terrain électoral et elle redore le blason d’une démocratie passablement terni, même cl’argument de l’alternance : alors même que de plus en plus d’électeurs doutent , à juste titre de la pertinence du choix entre droite et gauche, la bourgeoisie cherche à lui faire croire que, non, en dépit de l’évidence, tout n’est pas joué d’avance et que c’est à lui de choisir !
Maintenant, suite au battage médiatique des primaires, et à son réel succès, l’anti-Sarkozysme a pris une meilleure consistance et va pouvoir tenir le haut du pavé jusqu’en mai prochain. L’occupation du terrain médiatique par la campagne présidentielle permettra de détourner au mieux les consciences ouvrières de la réalité catastrophique de la situation qui amènera le pouvoir, qu’il soit de droite ou de gauche, porté désormais par Hollande, à taper toujours et encore plus fort sur la force de travail. Hollande l’a dit lors de la campagne des primaires : “Je vais redresser la situation mais ça va être dur.” S’il est élu, on peut lui faire confiance pour qu’il ne redresse rien du tout mais pour qu’il tienne la seconde partie de sa promesse. En résumé, que le PS revienne ou pas au gouvernement, on a vu qu’il restait plus que jamais un fidèle serviteur du capitalisme et un des ses meilleurs propagandistes.
GD (19 octobre)
Dans le courant du mois de septembre, une découverte sans précédent a secoué le monde scientifique et s’est rapidement propagée à travers les médias du monde entier. Dans le laboratoire de Gran Sasso dans les Abruzzes, une équipe de scientifique a observé des particules élémentaires appelées “neutrinos” (1), envoyés depuis l’accélérateur de particules du CERN, un laboratoire proche de Genève, situé à près de 730 km de là (2). L’expérience OPERA, qui s’est déroulée sur une durée de plus de 3 ans, consistait à étudier la propagation de ces particules, ainsi qu’à mesurer leur vitesse avec une précision de l’ordre de la nanoseconde (3).
Une fois les résultats vérifiés et revérifiés, l’expérience reprise depuis le début, les scientifiques durent admettre la réalité des faits : ces particules se déplacent à une vitesse légèrement supérieure à celle de la lumière. Cette découverte vient bouleverser les lois fondamentales de la physique, telle que la loi de la relativité (mise en évidence par Einstein) qui définit la vitesse de la lumière comme une constante universelle infranchissable. L’annonce de cette découverte a immédiatement été la proie des médias qui ne reculent jamais devant rien pour se lancer dans la surenchère du “scoop”. “Le neutrino a-t-il tué Einstein ?” “Einstein est contredit !” “Einstein est enfoncé !” Nous en passons, “des pires et des meilleures”, comme disait Coluche.
Cette vision de la science dont les différentes théories sont essentiellement concurrentielles et prêtes à s’éliminer les unes les autres comme des prédateurs en lutte mortelle permanente est typique de l’idéologie bourgeoise et fondamentalement inhérente à son mode de fonctionnement social. Cette découverte implique effectivement de remettre en cause les fondements même de la physique moderne. Il s’agit là bien sûr d’une découverte aux conséquences difficilement imaginables à l’heure actuelle. Nous pourrions joyeusement nous hasarder à développer des théories sur ce que cela induira dans notre perception de l’univers. Mais en quelques lignes et avec une approche totalement empirique, cela reviendrait à écrire un fabuleux article de science-fiction. Tel n’est pas notre but. Ce qui apparaît tout de suite et de manière très claire, et que toute la propagande capitaliste s’efforce de dénaturer et d’oblitérer, c’est que dans toute démarche scientifique, aucune théorie n’est gravée dans le marbre de manière permanente et incontestable.
La perception de la réalité scientifique est éminemment historique, en constante évolution. Une telle découverte, vient nous obliger à revoir nos conceptions antérieures et à les confronter à cette nouvelle représentation de la réalité. C’est ainsi que le dépassement des conceptions passées nous amène à de nouvelles questions et de nouveaux progrès scientifiques et techniques. Et ces progrès, à leur tour, nous permettent de dépasser certaines problématiques et d’en apporter de nouvelles, sans toutefois nier l’apport des précédentes… C’est ce caractère dialectique de l’évolution qui rend chaque étape, chaque progrès (aussi infime qu’il puisse être), absolument nécessaire en tant que maillon de la chaîne dans notre processus d’évolution.
Cette vision, qui parait être la base de toute démarche scientifique honnête, ne fait pourtant pas partie de l’idéologie dominante. Du moins, c’est le constat que l’on peut faire lorsque l’on regarde les faits en face : à l’heure où l’on est parfaitement capable d’envoyer un engin robotisé pour explorer la surface de la planète Mars, les spécialistes de l’économie sont quasiment incapables de prévoir l’évolution de notre économie pour les quelques jours à venir… et par voie de conséquence, nous sommes incapables de subvenir aux besoins les plus élémentaires d’une partie croissante de la population mondiale ! Ceci pour une raison simple : selon l’idéologie de la classe dominante (l’idéologie capitaliste), le système actuel avec son idéal démocratique basé sur la réalisation de la plus-value, sur la concurrence et sur la compétition entre les individus, serait fondamentalement le système qui correspond le mieux aux caractères de l’espèce humaine, à la nature humaine, passée, présente et future. La pérennité du capitalisme seule est perçue comme une vérité absolue et incontestable. L’idéal politique de ce système : la démocratie capitaliste, serait la seule perspective vers laquelle l’humanité pourrait évoluer. Tout autre perspective étant automatiquement étiquetée “utopiste” voire même dangereuse, et pour cause ! Si la plus grosse partie de l’humanité, la classe exploitée, en venait à prendre conscience que les savantes équations des spécialistes de l’économie ont depuis bien longtemps cessé d’être un moteur pour le progrès humain… ; si aujourd’hui ces calculs de charlatans étaient dénoncés comme étant la base de l’extorsion de la plus-value qui justifie les immenses privilèges dont jouit une minorité d’exploiteurs ; si pour nous sauver nous-mêmes, nous parvenions à créer un monde sans Etats où l’activité de production serait organisée exclusivement en fonction des besoins humains et dans le respect des ressources naturelles… ; alors effectivement, la classe capitaliste serait complètement dépassée ; ses privilèges et son idéologie seraient profondément remis en cause. Dans une société fondée sur la solidarité et le progrès social, le rôle et la place des sciences seraient complètement différents de ceux que nous leur connaissons. Car ne nous y trompons pas : le monde scientifique n’échappe pas aux lois capitalistes et à son idéologie réactionnaire. Le milieu de la recherche est imprégné d’un esprit de concurrence féroce et permanent. La plupart du temps, les chercheurs sont en compétition les uns avec les autres, et les coopérations entre les différentes équipes trouvent rapidement leurs limites. La course pour les publications, la quête du prestige individuel, de la reconnaissance sociale et financière sont autant d’entraves qui freinent considérablement l’humanité dans sa marche vers la connaissance et le progrès.
Aujourd’hui, aucune découverte scientifique, aussi brillante qu’elle soit, ne pourra sortir l’humanité de la préhistoire obscure dans laquelle l’enferme un capitalisme à bout de souffle. La plus grande expérience qui se dresse désormais devant nous, n’est autre que la transformation en profondeur de la société, la seule alternative à la barbarie capitaliste qui puisse faire entrer l’humanité dans sa véritable histoire.
Maxime (23 octobre)
1) Il s’agit de la plus petite particule élémentaire connue à ce jour. Elle résulte de la collision entre deux protons, éléments qui constitue le noyau des atomes.
2) Cette distance représente la trajectoire la plus directe entre l’accélérateur du CERN et les détecteurs de Gran Sasso. La trajectoire des neutrinos traverse donc la croûte terrestre.
3) Soit un milliardième de seconde.
Le mois de septembre écoulé a été le théâtre de “révélations fracassantes” faites par l’un des acteurs de la “Françafrique”, Robert Bourgi, allant à la télévision française pour dire qu’il a été lui-même “porteur de valises” bourrées de billets et destinées au financement des partis politiques français. Comme l’ont dit certains médias, cette opération sent à la fois le règlement de comptes et la “fin de règne” du pouvoir en place.
Mais quelles que soient les motivations des véritables initiateurs de ce “déballage” à ciel ouvert, il ne reste pas moins que cette affaire est l’illustration d’un fait sordide et historique, à savoir la vraie “Françafrique” ou la “République des mallettes” (1) dans ses heures les plus abjectes, bref sous son manteau de “république bananière” à la française. Déjà laissons décrire le système par un de ses plus grands connaisseurs en l’occurrence le PDG de l’hebdomadaire Jeune Afrique, Béchir Ben Yahmed (2) :
“Il (le système) se perpétue depuis plus d’un demi-siècle, car il a pris naissance quelques années après les indépendances des pays africains, au Nord et au Sud du Sahara.
“Comme on le sait, ces indépendances ont été concédées par la France, bon gré mal gré, à partir de la fin des années 1950, et l’ancienne puissance métropole a tout naturellement voulu garder ces pays dans son orbite. Elle a alors instauré un système post-colonial de coopération et d’interdépendance, élaboré et régi pour l’Afrique subsaharienne, jusqu’à sa mort en 1997, par Jacques Foccart, choisi pour cette mission de confiance par le général de Gaulle.
“Pour les périodes où les gaullistes n’ont pas été au pouvoir, sous Giscard et Mitterrand, les rênes de ce système ont été confiées par ces deux présidents à des exécutants qui ont tout bonnement chaussé les bottes de Foccart.
“Baptisé “Françafrique”, entretenu par Charles Pasqua et d’autres, le système a réussi à survivre au xxe siècle ; il perdure à ce jour : de temps à autre affleure à la surface un incident de parcours qui montre que le “canard est toujours vivant”.
“Du côté africain, les instigateurs du système qui en sont vite devenu s– au sens littéral du terme- les “parrains”– ont pour nom Houphouët, Mobutu et Bongo (père). Ils ont disposé de sommes colossales et en ont utilisé une bonne part pour “lubrifier” leurs relations politiques, principalement, mais pas uniquement, en France (et en Belgique).
“Félix Houphoet-Boigny et Omar Bongo n’ont pas craint de dire ou de laisser entendre qu’ils avaient financé non seulement les hommes politiques français de droite et de gauche, mais aussi le leader de l’extrême-droite !
“En Afrique du Nord, l’ancien roi du Maroc, Hassan II, et l’ancien “Guide” de la révolution libyenne se sont adonnés à ce jeu d’argent et y ont inclus eux aussi, l’extrême-droite française”.
Voilà la vraie “Françafrique”, implacablement décrite, avec ses acteurs les plus divers venant de tous les horizons de l’appareil politique de la bourgeoisie sous la Ve République française.
Un système mafieux institutionnalisé sous De Gaulle et perpétué par tous ses successeurs de droite et de gauche. En clair, tandis que les uns se font financer leurs campagnes électorales ou “safaris africains”, les autres s’achètent ou se font construire des palais et des appartements de luxe en Europe, d’où l’appellation désormais célèbre de “biens mal acquis” (appartenant aux Bongo et compagnie). Une république de malfrats gouvernée alternativement par la droite et la gauche, ceux-là mêmes qui nous donnent sans cesse des leçons de “droit”, de “démocratie exemplaire”. Ce sont là d’odieuses pratiques d’autant plus criminelles que pendant ce partage des “butins africains” entre dirigeants français et africains, les populations, elles, crèvent de faim et subissent quotidiennement la misère et la violence des régimes mis en place ou protégés par l’ancienne puissance coloniale.
Mais ce qui est plus sordide dans ce système politique “françafricain” est le fait que celui qui gouverne la France aujourd’hui se trouve dans une position d’un grand cynisme en dénonçant régulièrement la “Françafrique” en public tout l’appliquant parfaitement en pratique, comme le montre le journal le Monde du 13/09/11) :
“Robert Bourgi a été formé à bonne école, celle de Jacques Foccart, grand architecte auprès du général de Gaulle, de ce système postcolonial dont il se prétend l’héritier. Son métier : vendre à des personnalités africaines des contacts auprès de hauts responsables français- ressemble à s’y méprendre à celui de ces “émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils inventent’, ceux-là mêmes dont le candidat Sarkozy avait ainsi annoncé la fin à Cotonou (Bénin) en 2006.
“Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, les affaires de cet intermédiaire discret ont été florissantes. A peine élu, le président de la République lui a remis la Légion d’honneur, en l’engageant à “ participer à la politique étrangère de la France avec efficacité et discrétion’. M. Bourgi sera l’émissaire officieux du président, l’homme des missions trop sensibles pour être confiées à ces légalistes de diplomates, qui le détestent. Il organise la rencontre entre M. Sarkozy et le président ivoirien, Laurent Gbagbo, à New York fin 2007, et fait intervenir Omar Bongo auprès de Nelson Mandela pour que Carla et Nicolas Sarkozy puissent être pris en photo, en 2008, avec l’icône sud-africaine”.
Et pour justifier son revirement, ou plutôt son hypocrisie sans bornes, Sarkozy invoque la fameuse “raison d’Etat” en expliquant que certains pays sont des amis de la France et “ils contribuent à son influence, cela ne sert à rien de se fâcher avec des alliés ( !)”. Donc exit l’époque où il déclarait ne pas vouloir serrer la “main des dictateurs”.
Cerné de plus en plus étroitement par ses rivaux sur le continent noir, l’impérialisme français n’a plus d’autre politique que reprendre ses accents interventionnistes et c’est bien cela qui explique sa récente intervention en Côte-d’Ivoire qui s’est traduite par le reversement sanglant du régime Gbagbo (3).
“En moins d’une décennie, le volume des échanges entre la Côte d’Ivoire et la Chine explose. D’une cinquantaine de millions d’euros en 2002, il oscille autour du demi-milliard d’euros en 2009. Favorisé par la crise économique en Occident et regorgeant de surplus commerciaux et de devises,, la Chine a supplanté la France et les Etats-Unis en Afrique. Le triomphe de la diplomatie économique chinoise, en Afrique de l’Ouest notamment, confirme la proximité géopolitique entre M. Gbagbo et la gérontocratie pékinoise. L’éviction de la France par la Chine en Côte-d’Ivoire et en Afrique est perçue par le Quai d’Orsay comme une gifle géopolitique inacceptable. Dès lors, la destitution de M. Gbagbo faisait partie des priorités stratégiques de la France”.
Donc, contrairement à la propagande véhiculée par les médias français, le renversement de Laurent Gbagbo n’avait aucun “objectif humanitaire”, mais avait pour seul but de défendre coûte que coûte les intérêts du capital français, gravement menacés par la Chine notamment. C’est d’ailleurs ce que confirme un autre organe de presse4 dénonçant au passage l’hypocrisie du président français :
“Nicolas Sarkozy avait proclamé urbi et orbi la fin de la Françafrique, mais, pour beaucoup, son implication directe et active dans la crise ivoirienne rappelle une fâcheuse ingérence digne de cette époque où la cellule africaine de l’Elysée décidait de l’avenir politique des rois nègres. (…) Mais, quelles que soient les motivations réelles et cachées de cette intervention française, dans sa finalité, elle ne diffère en rien de la Françafrique originelle, c’est-à-dire celle conçue par le général de Gaulle et mise en œuvre par son bras séculier, Jacques Foccart. (…) Le prix à payer par Alassane Ouattara, “président élu”, mais installé par la force Licorne, sera le même que celui réglé par les nombreux dictateurs portés au pouvoir par le mercenaire (français) Bob Denard (décédé en 2007) : servir d’abord les intérêts français, qu’incarnent les multinationales comme Total, Bouygues, Bolloré, et nous en passons. La Françafrique reste la Françafrique : la France-à-fric”.
Le problème est que les temps ont changé et que la France n’est plus en mesure de se faire obéir “au doigt et à l’œil” comme aux beaux jours de la France gaulliste et que le renversement du régime Gbagbo a laissé le chaos sanglant intact en Côte d’Ivoire. En effet, au lendemain du coup de force de la France en avril dernier, on constate que les mêmes bandes sont toujours armées et sèment terreur et massacres tous les jours, sans parler de l’état de déliquescence de l’armée officielle comme l’indique Jeune Afrique du 16/07/11 :
“(Le problème d’Ouattar) : En cause, les hommes en armes paradant dans Abidjan et sillonnant l’ensemble du pays. D’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient… Parmi eux, les militaires de carrière, républicains et disciplinés ont perdu la main. Seigneurs de guerre, combattants recyclés en chefs de gangs, miliciens ou soldats pro-Ouattara de la 25e heure, eux, règnent en maîtres. Sans les patrouilles de l’Onuci et de l’opération Licorne, le pire serait à craindre. Sidéré par une défaite militaire éclair, le gros de la troupe (50 000 hommes) des ex-Forces de défense et de sécurité (FDS) de Gbagbo a déserté. Beaucoup sont partis avec armes et bagages. Dans ces rangs à présent disséminés figurait également la soldatesque de Gbagbo, en partie tribalisée. Elle peut être considérée, aujourd’hui, comme une sorte de cellule dormante potentiellement dangereuse et difficilement recyclable. Exils pour les uns, poursuites judiciaires ou allégeances forcées pour les autres... La matrice de l’ancienne armée a, de fait, disparu.
“En face, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), créées par Alassane Ouattara avant l’assaut final sur Abidjan sur la base des ex-rebelles, sont incapables, pour l’instant, de justifier leur appellation, rongées de l’intérieur par l’indiscipline et un défaut de commandement sur lesquels prospèrent les fameux comzones. Ils ont fait la loi dans la Nord du pays depuis 2002. Ils dupliquent, sans vergogne et sans entrave, à Abidjan, leurs méthodes qui n’ont rien à voir avec le bréviaire du parfait soldat”.
Autrement dit, Sarkozy a beau se vanter d’avoir remis la “démocratie ivoirienne” sur les rails, la réalité nous montre que tout reste à faire pour instaurer la “paix” en Côte d’Ivoire.
Nous venons d’apprendre que le gangster libyen a été liquidé suite à une opération militaire téléguidée par les forces de l’OTAN impliquant notamment la France. Et tous les dirigeants des grandes capitales occidentales célèbrent hypocritement l’évènement en saluant la mort du “méchant dictateur libyen”.
Pourtant, Kadhafi a été un grand ami de la France jusqu’à tout récemment, comme le rappelle l’hebdomadaire le Canard enchaîné du 14/09/11 :
“Le soutien de Paris aux flics de Kadhafi (…) Cette généreuse collaboration a surtout consisté, pour les techniciens de la DRM et de la DGSE, à superviser, de juillet 2008 à février 2011 –début de la rébellion–, la mise au point des équipements d’espionnage électronique vendus à Kadhafi par des sociétés françaises (Amesys), américaines, chinoises et sud-africaines. Un matériel haut de gamme destiné à surveiller et à intercepter les communications téléphoniques ainsi que tout ce qui circule sur Internet. En clair, un savoir-faire français et international qui a permis aux chefs libyens de détecter des opposants, de les espionner, de les torturer, voire de les envoyer au paradis”.
Quel cynisme extraordinaire, quelle duplicité de l’Etat français !
Voilà le pouvoir français qui célèbre publiquement la mort du “tyran libyen” en s’appropriant au passage le rôle du “sauveur du peuple libyen”, alors que, jusqu’au début de la guerre civile, dans ce pays, il mettait son “savoir-faire” répressif au service de Kadhafi en lui facilitant ainsi “l’envoi au paradis” de ses opposants. Il faut se rappeler aussi que le “Guide libyen” n’était pas seulement un gros client du capital français pour l’achat d’armements, il fut également membre du “club” des dirigeants africains qui se sont attachés à financer les partis politiques français. De ce fait on comprend mieux pourquoi les dirigeants français ont tant de mal à se débarrasser de la “Françafrique” et aussi pourquoi tous avaient intérêt à liquider Kadhafi à bout portant pour éviter qu’il ne parle à la barre d un tribunal international.
Amina (23 octobre)
1) Titre de l’ouvrage de Pierre Péan.
2) Jeune Afrique, 24 sept. 2011.
3) Wilson Saintelmy, le Monde, 16 mars 2011.
4) L’Observateur Paaga, in Courrier international du 21/04/11.
Depuis le 21 septembre, l’île de Mayotte est le théâtre d’un soulèvement social contre la cherté de la vie, la misère et le chômage. Ce bout de terre de l’océan Indien n’a pas d’autre intérêt pour la France que sa situation géostratégique sur la sinistre route maritime de l’Est africain. Si l’île est devenue, en début d’année, le 101ème département français, sa structure sociale reste un avatar désuet de l’empire colonial : les indigènes survivent dans une misère effroyable au service des couches supérieures venues de la métropole (exploitants agricoles, hauts fonctionnaires, commerçants, etc.) qui ne manquent également pas d’exploiter le petit contingent des prolétaires métropolitains. Quelques élus locaux noirs servent d’alibi ethnique à la préfecture qui a placé le conseil général et plus de la moitié des 17 communes de l’île sous tutelle. Le tableau de cette véritable caricature coloniale ne serait évidemment pas complet si Mayotte ne comptait pas son régiment de légionnaires.
L’activité principale de l’Etat consiste dans une traque brutale des clandestins comoriens qui affluent à bord d’embarcations de fortune. Les cow-boys de la police aux frontières (PAF), appuyés par un radar et un hélicoptère flambant neuf, effectuent de régulières descentes musclées dans les bidonvilles pour rafler ceux qui ont échappé aux interceptions en pleine mer. Avec ses méthodes expéditives, la PAF a opéré pas moins de 26 000 “reconduites à la frontière” en 2010. Si “le combat est loin d’être gagné”, “c’est presque autant que pour tout le territoire métropolitain !”, s’est félicité Nicolas Sarkozy en 2009. Malgré le matraquage idéologique récurrent sur l’immigration clandestine, la brutalité des expulsions choque les Mahorais qui ont bien sûr de nombreux liens de parenté avec les habitants de l’ensemble de l’archipel des Comores.
Cette chasse irrite d’autant plus que les moyens financiers et matériels mis en œuvre pour traquer les clandestins tranchent avec l’extrême pauvreté de la majorité de la population de Mayotte. Les statistiques sont édifiantes : sur une population d’environ 200 000 habitants, seules 30 000 personnes ont un emploi. En d’autres termes, le salaire d’un travailleur, en moyenne de 80 % du salaire minimum de la métropole, fait souvent vivre plus de six personnes, alors que les revenus sociaux sont presque inexistants. Par exemple, le Conseil Général versera aux chômeurs de longue durée seulement 25 % du déjà misérable RSA à partir de 2012.
Si les revenus de la population sont très bas, les prix des marchandises, même les plus élémentaires, sont terriblement élevés. Les commerçants profitent en effet de l’isolement de l’île, accentué par des infrastructures portuaires et aéroportuaires obsolètes, pour gonfler les prix sans aucun scrupule. Depuis 2007, les prix ont grimpé de 40 % : le kilo d’ailes de poulets congelées, et souvent périmées, le plat principal sur Mayotte, coûte environ 30 euros, la bouteille de gaz se monnaye actuellement à 31 euros. Evidemment, les cas de malnutrition sont en augmentation, mais, par bonheur, le président Sarkozy a promis aux habitants une mise à niveau… sur vingt-cinq ans.
Dans ce contexte, un mouvement social contre la cherté de la vie a éclaté le mercredi 21 septembre à Mamoudzou, chef-lieu de l’île. Trois centrales syndicales et deux associations de consommateurs appelaient à bloquer les véhicules sur le rond-point dit “SFR”, nœud de la circulation sur l’île. Ces “opérations escargot” sont de véritables coupe-gorges syndicaux destinées à exposer les manifestants à la répression policière. En effet, dès l’aube, les gendarmes attendaient de pied ferme les 3000 manifestants. L’agressivité et les provocations policières firent monter d’un cran la colère des manifestants qui finirent par se diriger vers Mamoudzou afin d’éviter les confrontations stériles. Aussitôt, des élus locaux entrèrent en scène pour ramener la foule sur le rond-point afin de poursuivre le blocage de la circulation. Enumérant les délibérations du Conseil Général, un élu se fit interrompre par les manifestants : “On s’en fout ! Nous voulons une réponse à la cherté de la vie avec une baisse des prix du riz et des mabawas (ailes de poulets) !”. “L’opération escargot” finit par s’échouer aux portes de la préfecture où les syndicats étaient reçus de longues heures sans résultat sinon pour appeler à la grève la semaine suivante.
Le mardi suivant, visiblement insatisfaits de leur encadrement brouillon, les syndicats appelèrent à nouveau à bloquer la circulation mais à deux endroits différents. Le chef de la CFDT se félicitait d’ailleurs de la meilleure préparation de la manifestation avec un “service d’ordre interne”. Au même moment, les enseignants étaient appelés à manifester dans leur coin contre les suppressions de postes dans l’éducation nationale ; un saucissonnage en règle que les enseignants rompirent en réclamant de manifester avec le reste de la population. Les manifestants se rassemblèrent à nouveau au rond-point “SFR”. Jusque-là conciliants et discrets, c’est-à-dire satisfaits de l’encadrement du “service d’ordre” syndical, les gendarmes multiplièrent les provocations et les agressions. Les cailloux commencèrent à pleuvoir tandis que les gendarmes, soutenus par des renforts venus de l’île de la Réunion, évacuaient le rond-point avec brutalité et brûlaient les nombreux barrages routiers aussitôt surgi.
Le lendemain, les manifestations, que rejoignaient de nombreux travailleurs, reprirent à Mamoudzou, tandis que la grève se répandait à d’autres localités et entraînait de nombreux secteurs. Au rond-point “SFR”, la tension montait encore d’un cran entre la gendarmerie et les manifestants, excédés par les provocations policières. Avec le porte-voix de la police, les leaders syndicaux, qui s’employaient méthodiquement à provoquer des confrontations depuis les premières heures du mouvement, demandèrent aux grévistes de ne pas bloquer la circulation et de ne rien casser. Les combats reprirent presque aussitôt. Dans plusieurs autres villes, les manifestants érigeaient des barricades et les combats tournaient rapidement à l’émeute. Ce sont les jeunes qui représentent plus de la moitié de la population, qui se trouvaient aux avant-postes de la révolte : sans perspectives et victimes d’un chômage massif, ils ont exprimé toute leur rage derrière les barricades.
Le 30 septembre, alors que les émeutes se poursuivaient sur l’ensemble de l’île, Mayotte était totalement bloquée par la grève : stations-services et supermarchés fermés, administrations au ralenti, chantiers bloqués, routes barrées, transports au point mort, etc. Les manifestants de Mamoudzou et de Kawéni, sous l’impulsion des syndicats, obligèrent les commerçants à fermer leur boutique, particulièrement les moyennes et les grandes surfaces. Le blocage des supermarchés et des routes de Mayotte joue le même rôle que celui des raffineries pétrolières métropolitaines en 2010 pendant la lutte contre la réforme des retraites : il s’agit pour les syndicats de monter les travailleurs les uns contre les autres en déchaînant des campagnes médiatiques sur le thème de la “prise d’otage” d’autant plus facilement que de nombreuses personnes n’ont plus accès aux biens de première nécessité. De même, le blocage des routes entrave le déplacement des travailleurs et des délégations de grévistes vers les autres entreprises et les rassemblements, en favorisant l’enfermement corporatiste.
Débordés par les évènements, les syndicats avaient entamé, quelques jours plus tôt, la première d’une longue série de négociations avec les représentants locaux de l’Etat et du patronat afin d’étouffer le mouvement. En effet, dans la soirée, l’ensemble des syndicats, à l’exception de FO qui refusait de participer aux négociations, signèrent un “accord de sortie de crise” grotesque avec les enseignes de la distribution et le préfet : réduction du prix du riz et des boîtes de sardine de 10 % et du kilo d’ailes de poulets de 5 € pendant … un mois. Des manifestants, rassemblés devant la préfecture, accueillirent évidement la nouvelle sans enthousiasme et poussèrent les syndicats, qui venaient pourtant de signer l’enterrement du mouvement contre quelques miettes, à appeler à la poursuite de la grève. Le lundi 3 octobre, les syndicats tentèrent à nouveau de tuer le mouvement en annonçant un calendrier de négociation, produit par produit, sur un mois. Rien n’y faisait : la grève se poursuivit et s’étendait aussi rapidement que la méfiance envers les syndicats. Aux fenêtres de la préfecture, une manifestante interpella les syndicalistes au mégaphone : “Ne signez rien qui nous désavantagerait !” Comment ? Les syndicats pourraient donc signer des accords contraires aux intérêts des travailleurs ?
Le mardi 4 octobre, les émeutes cessèrent mais les rangs des grévistes et des manifestants étaient toujours plus importants, ce qui ne pouvait évidemment satisfaire ni les syndicats, ni l’Etat. Le lendemain, la police se déchaîna sur les manifestants faisant plusieurs blessés. Les échauffourées reprirent progressivement. Le même jour, un entrepôt de Kawéni fut “pillé” ; les sacs de riz furent placés sur la chaussée à la disposition des passants. Pendant ce temps, les négociations entre “les partenaires sociaux” débouchèrent sur un nouvel accord, tout aussi ridicule que le précédent.
Le vendredi 7 octobre, les syndicats, n’osant plus rien signer, “présentèrent” un nouvel accord aux manifestants rassemblés sur le parvis de la préfecture : nouveau refus catégorique de la population. Mais ouvertement satisfait de l’accord, les syndicats et le préfet décidèrent de “changer de méthode” pour expliquer au bon peuple que le poulet à 21€33 pendant un mois au lieu des 22€ de la première mouture de l’accord déjà rejeté, c’est une “avancée sur le fond”. Les “femmes mahoraises” furent donc convoquées sans grand succès à la préfecture. La veille et le jour même, des renforts de police et de gendarmerie avaient débarqué sur l’île en provenance de la Réunion et de la métropole pour mater le soulèvement, ce qui déclencha une nouvelle poussée de violence. Entre les arrestations arbitraires et les matraquages en règle, un petit garçon de 9 ans devait être transporté à l’hôpital de la Réunion pour une blessure grave au visage, suite aux tirs d’une grenade lacrymogène et de flash-ball.
Les manifestations, les grèves et les violences se poursuivirent plusieurs jours malgré l’intervention de la ministre de l’Outre-mer, Marie-Luce Penchard. Les syndicats et le préfet cherchaient manifestement à laisser pourrir la situation en bloquant les négociations sur la base de l’accord du 7 octobre et en simulant l’affrontement sur des points de détail.
Dans l’indifférence, Boinali Said, leader de la CFDT, annonçait, lundi 17 octobre, – ô joie ! ô allégresse ! ô félicité ! – sa candidature à l’élection législative de 2012. En fait, cette annonce annonçait la deuxième phase du pourrissement organisé du mouvement : devant leur impuissance à étouffer la combativité des travailleurs et des chômeurs contre la vie chère, les leaders syndicaux décidèrent en effet de reléguer les problèmes économiques au second plan en inscrivant la question du prix de la viande à l’ordre du jour des travaux de “l’observatoire des prix,” organe inutile issu des négociations : “c’est-à-dire en dehors de tout mouvement de grève”, ne s’empêcha pas de souligner le syndicaliste-candidat Boinali Said. Les syndicats et la gauche voulaient désormais donner au mouvement une “dimension intellectuelle” en déplaçant les discussions sur les questions ethniques et culturelles. Par la voix de Elie Domota, chef du LKP, charismatique leader de la grève générale en Guadeloupe, début 2009, qu’il avait menée dans la même impasse, les syndicats avaient déjà tenté de diviser les grévistes noirs et blancs autour des thèmes ethniques : “L’attitude du Préfet, de la Ministre des colonies et le black-out médiatique […] expriment clairement la volonté de l’Etat français de soumettre, par tous moyens, les Travailleurs et le peuple mahorais au diktat des importateurs-distributeurs. Domination économique, domination culturelle et répression : telles sont les méthodes employées dans les dernières colonies.” Et Salim Nahouda, leader de la CGT-Mayotte d’en rajouter une couche dans un entretien au Monde du 13 octobre : “Là où notre mouvement rejoint [celui du LKP], c’est sur nos revendications pour l’intégration des Mahorais dans la vie économique de l’île. Actuellement, ce sont des métropolitains qui occupent les postes à responsabilités, les Mahorais en sont éliminés.”
Le 19 octobre, un tragique évènement devait renforcer l’orientation ethnique du mouvement. Peu avant midi, la rumeur d’un meurtre perpétué par la PAF, mobilisée pour l’occasion contre les manifestants, se répandit dans l’île : Ali El Anziz, 39 ans, officiellement victime d’un “mauvais massage cardiaque” suite au brutal assaut des policiers sur une barricade. Le secouriste lui aurait brisé les côtes qui ont “embrochées le cœur”. La répugnante explication ne convainquit personne. La colère et l’écœurement de la population explosaient. Dans la soirée, les barricades se dressèrent à nouveau sur les routes, tandis que les appels à la grève se multipliaient. L’occasion était trop belle pour la gauche et les syndicats. Le lendemain, une marche regroupant 7000 personnes, essentiellement noires, se tint en hommage à Ali El Anziz.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, le mouvement social contre la cherté de la vie évolue très clairement vers des revendications identitaires et nationalistes alors même qu’un “médiateur”, nommé par le gouvernement français, a été dépêché pour venir désamorcer le conflit. S’il est impossible de deviner quelle orientation prendra désormais ce mouvement, des leçons, utiles à l’ensemble de la classe ouvrière internationale, peuvent déjà être tirées :
1. La gauche et les syndicats ne sont que des rouages de l’Etat capitaliste. Dans la lutte des Mahorais contre la vie chère et le chômage, ils ont été en première ligne pour canaliser le mouvement en favorisant les confrontations stériles et démoralisantes contre les forces de répression, en proposant des actions qui ont créé de la rancœur entre les exploités et en négociant en leur nom des accords ridicules. Les exploités doivent s’opposer à ces faux amis en prenant en main leur lutte, à travers des assemblées souveraines où les délégués sont mandatés et révocables à tout moment.
2. Les conflits comme les revendications ethniques, avatar du nationalisme, sont un poison pour les travailleurs. Le gouvernement des Comores ne vaut pas mieux que celui de la France. Noirs ou Blancs, tous les dirigeants du monde sont des exploiteurs ; Noirs ou Blancs, l’ensemble des exploités ont les mêmes intérêts de classe à défendre. Aux divisions ethniques, religieuses et culturelles, les prolétaires doivent opposer leur unité et leur solidarité de classe.
3. La seule façon de répondre aux brutalités de l’Etat et de sa police et la seule façon de défendre nos intérêts réside dans notre capacité à massifier nos luttes, c’est-à-dire à étendre le mouvement dans l’ensemble des secteurs, par-delà les frontières corporatistes et nationales. Malgré leur faiblesse matérielle et leur isolement géographique, les prolétaires mahorais en lutte doivent chercher la solidarité partout où cela est possible, dans tous les secteurs de l’économie, y compris dans les îles voisines.
V. (23 octobre)
L’anniversaire de la tragédie du 17 octobre 1961, c’est-à-dire celui du massacre de manifestants algériens, dont le nombre de victimes n’a jamais été clairement établi, a été l’occasion pour la bourgeoisie française d’essayer de solder une affaire très embarrassante pour son image démocratique. Il n’est pas étonnant que ces faits aient été occultés depuis plus d’une cinquantaine d’années !
Le gouvernement français, dans un contexte de fin de guerre coloniale, avait décidé d’isoler davantage le FLN (Front de libération national algérien) en le coupant au maximum de ses appuis sur le territoire. Au sommet de l’Etat, le général de Gaulle, quelques mois à peine avant de se présenter auréolé comme “l’homme providentiel de la décolonisation” à partir des accords d’Evian signés avec le FLN consacrant l’indépendance de l’Algérie, le premier ministre Michel Debré, le ministre de l’intérieur Roger Frey et, en bout de chaîne, le préfet de police de la Seine Maurice Papon (1) avaient décidé de durcir la chasse à l’homme contre les Algériens. Pour ce faire, une nouvelle unité spéciale, la “force de police auxiliaire”, pouvait démultiplier les exactions contre les immigrés algériens en toute impunité : arrestations arbitraires, tabassages, tortures, ratonnades et meurtres. Un couvre-feu discriminatoire était même décrété le 5 octobre par la préfecture exclusivement pour les Nord-Africains. Cette sinistre et ignoble pression sur les “musulmans de France”, déjà stigmatisés et méprisés, vivants pour la plupart misérablement dans des bidonvilles, devenait insupportable. En signe de protestation, une manifestation pacifique était décidée par le FLN. L’après-midi du 17 octobre, une foule de 30 000 personnes convergeait alors des banlieues vers le centre de Paris. Brutalement, les policiers chauffés à blanc encerclaient les manifestants. Comme le dira dans son témoignage Mohamed Ouchik : “A ce moment-là, l’étau s’est resserré sur les Algériens. La police prenait les Algériens et les jetaient dans la Seine” (2). Des coups de feux étaient tirés sur la foule, les coups de pieds, les coups de matraques pleuvaient, fracassant et explosant le crâne de civils sans défense. Selon bon nombre de témoignages, les matraques se brisaient sur les crânes tant la hargne et la sauvagerie policière étaient fortes. Les milliers d’arrestations, dignes des rafles les plus terribles de l’histoire, alimentaient des bus chargés conduits vers des stades. Des manifestants entassés dans des fourgons étaient dirigés vers le Palais des Sports de la Porte de Versailles. Parqués dans des conditions inhumaines, les Algériens arrêtés étaient roués de coups, passés à tabac, et parfois même torturés. Selon Joseph Gommenginger, ancien gardien de la Paix et témoin : “Au fur et à mesure que les cars arrivaient, ils (les Algériens, NDLR) étaient déchargés manu militari, projetés à terre, frappés par une double haie de gardiens de la paix qui se disaient comité d’accueil” (2). Plus tard dans la soirée, “plusieurs témoins ont vu un grand tas de corps sans vie, ramassés par la police devant le fameux cinéma le Grand Rex (II° arrrondissement), tandis que d’autres ont aperçu de long morceaux de tissus étendus sur des piles bosselées, le long de trottoirs ensanglantés de l’Opéra (IX° arrondissement) (...) En fait, les seuls objets en mouvement étaient ces cadavres qui, jetés des ponts de la ville, flottaient sur la Seine” (3).
Les estimations les plus fiables des historiens avancent les chiffres de 100 à 300 morts, sans compter les milliers de blessés qui ont résulté également de cette répression. Selon le point de vue des historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master, ces massacres constituent “dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale, la répression la plus violente et la plus meurtrière qu’ait jamais subit une manifestation de rue désarmée”. On comprend mieux pourquoi il fallait absolument faire disparaître des mémoires, au moins tout un temps, ce grand crime d’Etat.
Toute la bourgeoisie, de droite comme de gauche, a su jouer sa partition pour garantir l’omerta et la censure. Quelques mois à peine après le tragique événement, le 8 février 1962, les forces de l’ordre réprimaient encore une nouvelle manifestation. A la bouche de métro de la station Charonne, huit personnes perdaient la vie (étouffées ou le crâne fracassé). Une neuvième victime allait mourir peu après de ses blessures à l’hôpital. Contrairement au quasi silence qui a suivi le massacre du 17 octobre, les partis de gauche et les syndicats, relayés par les journaux (4) allaient cette fois fortement se mobiliser et polariser sur l’événement lui-même, au point d’en occulter les précédents crimes du 17 octobre. Ainsi, par exemple, c’est de façon délibérée que le journal le Monde, alors qu’il nous livre tant de détails aujourd’hui, pouvait se permettre d’écrire mensongèrement le 10 février 1962 à propos de Charonne : “C’est le plus sanglant affrontement entre policiers et manifestants depuis 1934.” Ce qui s’était passé le 17 octobre 1961 ? Probablement un... “détail”, qu’il fallait naturellement minorer !
Il ne faut pas se tromper, les mêmes bourgeois qui “s’indignent” aujourd’hui, sont ceux qui hier ordonnaient et cautionnaient les basses œuvres de la police, assuraient la censure. Aussi, les grandes déclarations et gestes symboliques des politiciens, comme ceux aujourd’hui de Bertrand Delanoë, amateur de plaques commémoratives, ou de François Hollande, filmé et photographié avec ses roses jetées dans la Seine depuis le pont de Clichy, ne sont que pure hypocrisie et propagande. Profitant de l’oubli de ce massacre et du jugement assez récent de Maurice Papon pour crime contre l’humanité, la bourgeoisie tente sinon de blanchir, au moins de dédouaner en partie l’état démocratique, notamment en pointant du doigt la responsabilité exclusive du gouvernement de l’époque, voire du seul Maurice Papon.
Une des tactiques de la bourgeoisie, outre les mensonges (ouverts ou “par omission”), c’est de cacher systématiquement ses propres crimes au moment des faits. Généralement, ce n’est que longtemps après que le public “découvre” les événements par des “révélations” qui sont en fait des informations connues de tous les journalistes depuis le début, mais qu’ils font mine d’exhumer à un moment choisi après les avoir soigneusement cachées. Au début, l’objectif du silence obligatoire est de prévenir toute forme de révolte pour maintenir l’ordre. Bien après, il s’agit de jouer la carte de la “transparence”, de la “démocratie”, pour pervertir et stériliser toute forme de réflexion et de questionnement possible de la part des ouvriers sur le sens politique des événements. C’est d’ailleurs le moment choisi pour graver dans le marbre la version officielle, celle qui figurera dans les manuels d’histoire, c’est-à-dire une version inoffensive pour l’état bourgeois et ses sbires, dédouanant le système d’exploitation barbare qu’est le capitalisme. Aujourd’hui, les révélations ne sont donc pas “neutres”. Elles s’inscrivent dans cette volonté de pourrir les consciences en redorant le blason d’une gauche lancée dans la campagne présidentielle. Cette gauche, héritière des Guy Mollet et Mitterrand (5), celle qui allait donner tous les pouvoirs au général Massu et à sa 10e division parachutiste pour la “bataille d’Alger”, celle qui a couvert les actes de torture systématiques et les milliers d’exécutions, c’est la même dont celle d’aujourd’hui est la digne héritière. Derrière toute la campagne idéologique et les cérémonies commémoratives se cache donc un objectif partagé, celui que révèle un député dans sa lettre adressée au président de la République : “Ma démarche ne procède pas d’une recherche de repentance de notre pays qui ne serait utile pour personne, mais d’une (...) reconnaissance qui rende la France plus forte et plus unie” (6).
Autrement dit, ce que vise toute cette campagne n’est autre que l’“union sacrée”, l’idéologie nationaliste destinée à empêcher toute véritable démarche critique.
Pourtant, les méthodes sanguinaires de l’Etat bourgeois doivent révéler au grand jour, une fois de plus, la nature barbare et le vrai visage de la bourgeoisie. Il ne s’agit pas simplement d’escrocs qui exploitent notre force de travail et nous réduisent à la misère, de spéculateurs ou de politiciens véreux sans scrupules, il s’agit aussi de véritables assassins prêts à massacrer ceux qui voudront renverser le système, l’ordre des exploiteurs, comme tous ceux qui dérangent leurs desseins.
WH, 22 octobre 2001
1) Maurice Papon a été un haut fonctionnaire de l’Etat français condamné en 1998 pour complicité de crime contre l’humanité pour des actes (il a contribué à la déportation des juifs) commis durant le régime de Vichy. Il est mort en 2007.
2) M. Ouchik était membre du FLN. Source : http ://www.ldh-toulon.net/spip.php ?article4638 [104]
3) www.nouvelobs.com/rue89 [105]
4) Le photographe de presse américain Elie Kagan s’est vu systématiquement refuser ses clichés par toutes les rédactions au motif qu’ils étaient un peu “trop choquants” !
5) “Lors du début de l’insurrection et rébellion nationaliste algérienne, les “socialistes” étaient au pouvoir en France et le gouvernement comprenait alors Guy Mollet, Mendès-France et le jeune F. Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur. Le sang de tous ces “authentiques démocrates” ne fit qu’un tour et les pleins pouvoirs sont confiés à l’armée en 1957 pour rétablir “l’ordre républicain”. Très vite les grands moyens sont employés, en représailles d’un attentat contre des colons ou l’armée, on rase des villages et des douars entiers, l’aviation mitraille systématiquement des caravanes. Deux millions d’Algériens, soit près du quart de la population totale, furent chassés de leurs villages et zones de résidence, pour être parqués à la totale merci de l’armée dans des “camps de re-groupements” où, selon un rapport de M. Rocard, alors inspecteur des Finances : “Les conditions sont déplorables et au moins un enfant meurt par jour”. Voir notre article “Les massacres et les crimes des grandes démocraties [106]” voir Revue internationale no 66, 1991.
6) Lettre du député de Seine-Saint-Denis Daniel Golberg, www.elmoudjahid.com/fr/actualites/17989 [107].
Il fut un temps, pas si lointain, où les révolutionnaires ne rencontraient que scepticisme ou raillerie lorsqu’ils affirmaient que le système capitaliste allait vers la catastrophe. Aujourd’hui, ce sont les plus chauds partisans du capitalisme qui le disent : “Le chaos est là, juste devant nous” (1) (Jacques Attali, ancien collaborateur très proche du Président Mitterrand, ancien Directeur de la BERD (2) et actuellement conseiller du Président Sarkozy). “Je crois que vous ne vous rendez pas compte que d’ici deux jours, ou une semaine, notre monde pourrait disparaître. C’est Armageddon… Nous sommes tout près d’une grande révolution sociale” (3) (Jean-Pierre Mustier, directeur de banque, anciennement à la Société Générale). Ce n’est pas de gaieté de cœur que ces défenseurs du capitalisme admettent que leur idole est moribonde. Ils en sont évidemment désolés, d’autant plus qu’ils constatent que les solutions qu’ils envisagent pour la sauver sont irréalistes. Comme le fait remarquer la journaliste qui rapporte les propos de Jean-Pierre Mustier : “Pour les solutions, on reste un peu sur sa faim.” Et pour cause !
Ce n’est certainement pas ceux qui, malgré leur lucidité sur les perspectives du capitalisme, considèrent qu’il n’y a pas d’autre système possible pour l’humanité qui peuvent proposer des solutions à la catastrophe qui s’abat aujourd’hui sur l’humanité. Car il n’y a pas de solution aux contradictions du capitalisme dans ce système. Les contradictions qu’il affronte sont insurmontables parce qu’elles ne découlent pas de sa “mauvaise gestion” par tel ou tel gouvernement ou par la “finance internationale” mais tout simplement des lois même sur lesquelles il est fondé (4). C’est uniquement en sortant de ces lois, en remplaçant le capitalisme par une autre société, que l’humanité pourra surmonter la catastrophe dans laquelle elle s’enfonce inexorablement.
Au même titre que les sociétés qui l’on précédé, l’esclavagisme et le féodalisme, le capitalisme n’est pas un système éternel. L’esclavagisme prédominait dans la société antique parce qu’il correspondait au niveau d’alors des techniques agricoles. Quand celles-ci ont évolué, exigeant une plus grande attention de la part des producteurs, la société est entrée dans une crise profonde (par exemple la décadence romaine) et il a été remplacé par la féodalisme où le serf était attaché à sa terre tout en travaillant sur celles du seigneur ou en cédant à ce dernier une partie de ses récoltes. A la fin du Moyen-Âge, ce système est devenu caduc plongeant la société dans une nouvelle crise historique. Il a été alors remplacé par le capitalisme qui n’était plus fondé sur la petite production agricole mais sur le commerce, le travail associé et la grande industrie, eux-mêmes permis par les progrès de la technologie (par exemple la machine à vapeur). Aujourd’hui, du fait de ses propres lois, le capitalisme est devenu caduc à son tour. à son tour, il doit céder la place.
Mais céder sa place à quoi ? Voilà LA question très angoissante que se posent tous ceux qui, de plus en plus nombreux, prennent conscience que le système actuel n’a plus d’avenir, qu’il emmène avec lui l’humanité dans le gouffre de la misère et de la barbarie. Ce serait se prétendre devin que de décrire dans ses moindres détails cette société future, mais une chose est certaine : elle devra en premier lieu abolir la production pour un marché et la remplacer par une production n’ayant comme seul objectif que la satisfaction des besoins humains. Aujourd’hui, nous sommes devant une véritable absurdité : dans tous les pays, l’extrême pauvreté progresse, la majorité de la population est contrainte de se priver de plus en plus, non pas parce que le système ne produit pas assez mais au contraire parce qu’il produit trop. On paye les agriculteurs pour qu’ils réduisent leur production, on ferme les entreprises, on licencie en masse les salariés, on condamne au chômage des proportions considérables de jeunes travailleurs, y compris lorsqu’ils ont fait de longues années d’études et, à côté de cela, on oblige les exploités à se serrer de plus en plus la ceinture. La misère et la pauvreté ne sont pas la conséquence d’un manque de main d’œuvre capable de produire, d’un manque de moyens de production. Elles sont les conséquences d’un mode de production qui est devenu une calamité pour l’espèce humaine. C’est seulement en rejetant radicalement la production pour le marché, en abolissant tout marché, que le système qui doit succéder au capitalisme pourra réaliser la devise : “De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins”.
Mais comment parvenir à une telle société ? Quelle force dans le monde est capable de prendre en charge un tel bouleversement de toute la vie de l’humanité ?
Il est clair qu’un tel bouleversement ne peut venir des capitalistes eux-mêmes ni des gouvernements existants qui TOUS, quelle que soit leur couleur politique, défendent le système et les privilèges qu’il leur procure. Seule la classe exploitée du capitalisme, la classe des travailleurs salariés, le prolétariat, peut mener à bien un tel bouleversement. Cette classe n’est pas la seule subissant la misère, l’exploitation et l’oppression. Il est de par le monde des multitudes de petits paysans pauvres qui eux aussi sont exploités et vivent dans une misère souvent bien plus cruelle que celle des ouvriers de leur pays. Mais leur place dans la société ne leur permet pas de prendre en charge l’édification de la nouvelle société, même s’ils seraient évidemment intéressés eux aussi par un tel bouleversement. De plus en plus ruinés par le système capitaliste, ces petits producteurs aspirent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire, à revenir au temps béni où ils pouvaient vivre de leur travail, où les grandes compagnies agro-alimentaires ne leur retiraient pas le pain de la bouche. Il en est autrement des producteurs salariés du capitalisme moderne. Ce qui est à la base de leur exploitation et de leur misère, c’est le salariat, c’est le fait que les moyens de production soient entre les mains de la classe capitaliste (sous forme de capitaux privés ou de capitaux d’État) et que le seul moyen de gagner leur pain et leur toit est de vendre leur force de travail aux détenteurs du capital. Ainsi, l’abolition de leur exploitation passe par l’élimination du salariat, c’est-à-dire l’achat et la vente de la force de travail. En d’autres termes, l’aspiration profonde de la classe des producteurs salariés, même si la majorité de ses membres n’en a pas encore conscience, est d’abolir la séparation entre producteurs et moyens de production qui caractérise le capitalisme et d’abolir les rapports marchands à travers lesquels ils sont exploités et qui justifient en permanence les attaques contre leur revenu puisque, comme dit le patron (et tous les gouvernements), “il faut être compétitif”. Il s’agit donc pour le prolétariat d’exproprier les capitalistes, de prendre en main collectivement l’ensemble de la production mondiale afin d’en faire un moyen de satisfaire réellement les besoins de l’espèce humaine. Cette révolution, puisque c’est de cela qu’il s’agit, va se heurter nécessairement à tous les organes que s’est donné le capitalisme pour établir et préserver sa domination sur la société, en premier lieu ses États, ses forces de répression mais aussi tout l’appareil idéologique destiné à convaincre les exploités, jour après jour, qu’il n’y a pas d’autre système possible que le capitalisme. La classe dominante est bien décidée à empêcher par tous les moyens la “grande révolution sociale” qui hante le banquier que nous avons cité plus haut et beaucoup de ses pairs.
La tâche sera donc immense. Les luttes qui se sont déjà engagées contre l’aggravation de la misère dans des pays comme la Grèce et l’Espagne (5) ne sont ainsi qu’une première étape, nécessaire, des préparatifs du prolétariat pour renverser le capitalisme. C’est dans ces luttes, dans la solidarité et l’union qu’elles permettent de développer, c’est dans la prise de conscience qu’elles favoriseront de la nécessité et de la possibilité de renverser un système dont la faillite sera tous les jours plus évidente, que les exploités forgeront les armes nécessaires à l’abolition du capitalisme et à l’instauration d’une société enfin libérée de l’exploitation, de la misère, des famines et des guerres.
Le chemin est long et difficile mais il n’y en a pas d’autre. La catastrophe économique qui se profile, et qui suscite tant d’inquiétude dans les milieux de la bourgeoisie, va signifier pour l’ensemble des exploités de la terre une aggravation terrible de leurs conditions d’existence. Mais elle permettra aussi qu’ils s’engagent sur ce chemin, celui de la révolution et de la libération de l’humanité.
Fabienne (7 décembre)
1) Le Journal du dimanche du 27/11/2011
2) Banque européenne pour la reconstruction et le développement.
3) www.challenges.fr/finance-et-marche/quand-l-ex-patron-de-jerome-kerviel-prevoit-l-apocalypse_1294 [109]
4) Lire notre article page 3, “La crise de la dette : Pourquoi ?” qui analyse ces lois et souligne les véritables racines de la crise historique du système capitaliste.
5) Lire notre article page 4 : “A propos de la mobilisation en Espagne : un pas vers l’internationalisme”.
L’économie mondiale connaît une débâcle que la classe dominante parvient de plus en plus difficilement à masquer. Les différents sommets internationaux à répétition censés chaque fois “sauver le monde”, des G20 aux multiples rencontres franco-allemandes, ne font en effet que révéler toujours un peu plus l’impuissance de la bourgeoise à ranimer son système. Le capitalisme est dans une impasse. Et cette absence totale de solution et de perspective est en train de raviver les tensions entre les nations ainsi qu’entre les cliques bourgeoises à l’intérieur de chaque pays, et de rendre de plus en plus instables les gouvernements. Des crises politiques sérieuses ont ainsi déjà éclaté :
• Au Portugal, le 23 mars dernier, le Premier ministre portugais, José Socrates, démissionnait devant le refus de l’opposition de voter un quatrième plan d’austérité afin d’éviter un nouvel appel à l’aide financière de l’Union européenne et du Fonds monétaire ;
• En Espagne, au mois d’avril, le Premier ministre José Luis Zapatero a dû annoncer par avance qu’il ne se représenterait pas en 2012, pour faire adopter son plan d’austérité ; mais ce plan d’austérité et les attaques très rudes contre les retraites, a été payé par la lourde défaite du PSOE aux législatives du 20 novembre, entraînant l’accession au pouvoir d’un nouveau gouvernement de droite conduit par Mariano Rajoy ;
• En Slovaquie, la Première ministre Iveta Radicova a été contrainte de saborder son gouvernement début octobre pour obtenir le feu vert du parlement à l’adoption d’un plan de secours pour la Grèce ;
• En Grèce, après l’annonce-surprise le 1er novembre, juste au lendemain du Sommet européen du 26 octobre, d’un projet de référendum qui a suscité un affolement et un gigantesque tollé des autres puissances européennes, Georges Papandréou a dû rapidement y renoncer sous la pression internationale et s’étant vu contesté, désavoué et mis en minorité dans son propre parti, le PASOK. Il s’est alors résigné à démissionner le 9 novembre et à passer la main à l’équipe Papademos ;
• En Italie, c’est le lâchage par ses pairs européens mais aussi par tous les acteurs du marché mondial, parce qu’il était jugé incapable de faire passer les mesures drastiques qui s’imposaient, qui ont poussé le très contesté président du conseil Silvio Berlusconi à se démettre de ses fonctions le 13 novembre alors que ni la rue ni les scandales à répétition n’avaient réussi à le faire tomber ;
• Aux Etats-Unis, la bourgeoisie américaine se déchire autour de la question du relèvement du plafond de la dette. Cet été, un accord bancal et éphémère a été trouvé in extremis. Et cette même question risque à nouveau de faire des ravages d’ici quelques semaines ou quelques mois. De même, l’incapacité d’Obama de prendre de réelles décisions, la division au sein du camp démocrate, la véhémence du Parti républicain, la montée en puissance de l’obscurantiste Tea Party… montrent à quel point la crise économique sape la cohésion de la bourgeoisie la plus puissante au monde.
Ces difficultés ont trois racines qui s’entremêlent :
1. La crise économique aiguise les appétits de chaque bourgeoisie nationale et de chaque clique. Pour prendre une image, le gâteau à se partager devient de plus en plus petit et la guerre pour arracher sa part de plus en plus haineuse. Par exemple, en France, les règlements de compte entre les différents partis et parfois au sein même de ces partis, à coups d’affaires de mœurs, de scandales financiers, de révélations de corruption et de procès retentissants, relèvent pleinement de cette compétition sans foi ni loi pour le pouvoir et les avantages qui en découlent. De même, les “divergences partielles de point de vue” (autrement dit, une fois le langage diplomatique décrypté, “l’affrontement ouvert de positions inconciliables”) qui s’expriment dans les grands sommets sont le fruit de la lutte à mort au sein du marché économique mondial en crise.
2. La bourgeoisie n’a aucune réelle solution pour enrayer la dégringolade de l’économie mondiale. Chaque fraction, de gauche ou de droite, ne peut donc proposer que des mesures vaines et irréalistes. Or, chacune de ses fractions ne voit pas l’inefficacité de ses propositions mais a pleinement conscience de l’impuissance de la politique de la fraction adverse. Chaque fraction sait que la politique de l’autre mène droit dans le mur. Voilà ce qui explique fondamentalement le blocage des décisions concernant l’élévation du plafond de la dette aux Etats-Unis : les démocrates savent que les options républicaines mènent le pays à la déroute… et réciproquement !
C’est pourquoi les appels lancés un peu partout, de la Grèce à l’Italie, de la Hongrie aux Etats-Unis, à “l’union nationale” et aux sens des responsabilités de tous les partis sont tous désespérés et illusoires. En réalité, face au bateau qui menace de sombrer, c’est plus que jamais le “sauve qui peut” qui prévaut dans la classe dominante, où chacun ne cherche avant tout qu’à sauver sa peau aux dépens des autres.
3. Mais toutes ces divisions n’expliquent pas elles seules l’instabilité actuelle des gouvernements. La colère des exploités ne cesse de croître face aux plans d’austérité successifs et les partis au pouvoir sont aujourd’hui totalement discrédités. Les oppositions, qu’elles soient de droite ou de gauche et même si elles n’ont aucune autre politique à proposer, se retrouvent donc les unes après les autres à leur tour au pouvoir lors de chaque élection. Et quand les échéances électorales sont trop lointaines, elles sont artificiellement précipitées par la démission du Président ou Premier ministre en place. C’est exactement ce qui s’est passé à maintes reprises ces derniers mois en Europe. En Grèce, si un référendum a été momentanément proposé, c’est parce que Papandréou et ses acolytes se sont faits éjecter du cortège de la fête nationale (le 28 octobre) à Thessalonique par une foule en colère !
En Grèce, ou en Italie avec le gouvernement Mario Monti, le discrédit des politiques est tel que les nouvelles équipes au pouvoir ont dû être présentées comme des “technocrates”, même si ces nouveaux représentants du pouvoir sont en réalité autant des “politiques” que leurs prédécesseurs (ils occupaient d’ailleurs déjà auparavant des postes importants au sein des gouvernements précédents !). Cela donne une indication du niveau de discrédit envers la classe politique dans son ensemble. Nulle part pour les populations et les exploités, il ne s’agit d’adhésion aux nouveaux gouvernants mais d’un simple rejet des gouvernants en place. Cela s’est vérifié à travers un taux d’abstention record atteint en Espagne qui est passé de 26 % à 53 % de la population en âge de voter en 2011... En France d’ailleurs, les sondages montrent que 47 % des électeurs n’ont pas l’intention de choisir entre les deux grands favoris au second tour des présidentielles de mai 2012 et se prononcent pour un “ni Sarkozy, ni Hollande” (1).
Il est donc de plus en plus flagrant pour tous que les changements de gouvernants ne changent rien aux attaques, que toutes les divisions qui traversent le camp de la bourgeoisie ne changent rien à son unanimité pour mener des plans d’austérité drastiques contre les exploités. Preuve en est, il y a peu encore, les périodes électorales et leurs lendemains étaient synonymes d’un relatif calme social. Aujourd’hui, il n’y a plus de “trêve des confiseurs”. En Grèce, il y a déjà eu une nouvelle grève générale et des nouvelles manifestations dès le 1er décembre. Au Portugal, le 24 novembre, avec la plus grande mobilisation dans l’ensemble du pays depuis 1975, de nombreux secteurs (écoles, bureaux de postes, agences bancaires et services hospitaliers) ont été fermés tandis que le métro de Lisbonne a été paralysé, les principaux aéroports fortement perturbés et les services de voirie n’ont pas été assurés. En Grande-Bretagne s’est déroulée le 30 novembre, les grèves les plus suivies et les manifestations les plus massives de tout le secteur public depuis janvier 1979 (près de 2 millions de personnes). En Belgique, le 2 décembre, les syndicats ont lancé une grève de 24 heures assez largement suivie contre les mesures d’austérité annoncées par le futur gouvernement Di Rupo, péniblement formé après 540 jours où le pays est resté officiellement “sans gouvernement”. Et la crise politique n’est pas près de s’achever car aucune des sources de tensions entre les différents partis bourgeois n’a été résorbée. En Italie, le 5 décembre, dès l’annonce du plan d’austérité draconien, les syndicats modérés UIL et CISL ont été contraints d’appeler… à une dérisoire grève symbolique… de 2 heures le 12 décembre.
Seule cette voie, celle de la lutte dans la rue, classe contre classe, peut effectivement s’opposer aux politiques drastiques qui attaquent nos conditions de vie. D’ailleurs, en France, alors que c’est une droite prétentieuse et arrogante symbolisée par son infatué président Sarkozy qui détient les rênes du gouvernement, la bourgeoisie nationale est en partie paralysée face à ce risque de “lutte de classe”. Sous la menace directe d’une dégradation de sa note économique qui est sa hantise et qui lui ferait perdre son statut de leadership en Europe aux côtés de l’Allemagne, ce gouvernement vient pourtant d’adopter un nouveau plan d’austérité bien loin d’être au niveau des autres Etats. Un exemple significatif est l’attaque sur les congés-maladie qui en constitue le volet le plus rude : le gouvernement a dû manœuvrer pour ne pas avoir l’air de mener une attaque trop frontale. Après avoir annoncé un jour de non paiement supplémentaire sur les salaires pour tous les travailleurs en cas d’arrêt maladie, elle a fait mine de lâcher du lest pour le secteur privé (où la règle était déjà de 3 jours de retenue sur salaire) et n’a maintenu la déduction d’une journée de carence que pour le secteur public (qui n’en avait aucune jusqu’à lors). Cela démontre que la bourgeoisie française, plus que tout autre, n’ose pas frapper aussi fort qu’ailleurs, en fonction de sa crainte de mobilisations prolétariennes d’envergure dans un pays qui a déjà historiquement été le détonateur d’explosions sociales en Europe en 1789, 1848, 1871 et 1968. Et le mouvement de la jeunesse précarisée en 2006, contre le CPE, face à laquelle le gouvernement français a dû reculer, à constitué une très efficace piqûre de rappel.
L’ensemble de cette situation inaugure une ère d’instabilité de plus en plus grande où les gouvernements ne peuvent que se décrédibiliser de plus en plus vite à cause des attaques à mener. Et dans ces crises politiques, derrière de précaires accords de façade ou des tentatives de replâtrage pour parer aux plus pressé, le “chacun pour soi”, les tensions et le déchirement entre fractions rivales comme entre pays concurrents ne peuvent que s’accentuer.
Nous, par contre, prolétaires en activité ou au chômage, à la retraite ou en formation, devons défendre partout les mêmes intérêts face aux mêmes attaques. A la différence de notre ennemi de classe qui s’entredéchire face à la crise, poussée par l’aiguillon de la concurrence, cette situation nous pousse, nous, les exploités, à riposter de manière de plus en plus massive, unie et solidaire !
WP (8 décembre)
1) Source : https://www.lexpress.fr/actualites/1/politique/presidentielle-ni-hollande-ni-sarkozy-pour-47-des-francais-selon-un-sondage_1056443.html
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La petite phrase de Montebourg sur l’Allemagne qui mènerait une politique “à la Bismarck” “pour imposer sa domination”, a fait couler pas mal d’encre et de pixels dans le monde des médias et des partis de tous poils. Chacun s’est renvoyé la balle de la “germanophobie”, Sarkozy surfant sur ce thème pour tacler une gauche qui n’a pas manqué de rappeler les propos de Sarkozy en 2007 déclarant, entre autres allusions anti-allemandes, que ce n’était pas la France qui avait “inventé la solution finale”…
Il n’y a d’ailleurs pas que la classe politique française qui exploite ce filon face à l’importance grandissante mais incontournable de l’Allemagne dans la tourmente économique actuelle en Europe. En Grande-Bretagne ou en Grèce aussi, certaines réactions sont vives. L’ultra-conservateur britannique Nigel Farage a ainsi lancé devant le parlement européen mi-novembre : “Nous vivons aujourd’hui dans une Europe dominée par l’Allemagne, soit précisément la situation que le projet européen était censé empêcher.” Ou encore le Daily Mail qui titrait déjà au mois d’août un article : “La montée du IVe Reich, comment l’Allemagne se sert de la crise financière pour conquérir l’Europe”. Tandis que la presse grecque qualifie carrément de “nouveaux QG de la Gestapo” les bureaux du responsable allemand de la “task force” économique de l’Union européenne à Athènes. Rien que ça ! De son côté, l’Allemagne n’a cessé de monter son opinion publique contre les Grecs accusés d’être des profiteurs, des tricheurs et des parasites tondant la laine sur le dos de la communauté européenne et du bon peuple allemand en particulier qui devait aujourd’hui se saigner aux quatre veines pour leur venir en aide.
Dans toutes les bourgeoisies nationales, chaque fraction tente de dévoyer la montée de la colère ou du mécontentement contre les plans d’austérité en essayant de rejeter la responsabilité de l’aggravation de la crise sur les autres.
Bref, chacun essaie de nous dresser les uns contre les autres tout en vantant et en exaltant les “valeurs du nationalisme”. Par exemple, en France, à travers la campagne électorale, on a assisté récemment à une véritable surenchère pour tenter de répandre et d’inoculer dans les têtes le poison du nationalisme. Cela va du candidat socialiste à la présidence de la république François Hollande, en visite dans l’usine Alstom du Creusot exhortant au “patriotisme industriel” devant un parterre d’ouvriers jusqu’au candidat “centriste” Bayrou reprenant à son compte le slogan “achetez français !” mis à la mode par le très stalinien Georges Marchais dans les années 1980 (1). De quoi tenir la dragée haute à la candidate du Front national, Marine Le Pen !
En fait, ce qui s’exprime ici et là, c’est le nationalisme inhérent au système capitaliste lui-même, celle d’une société fondée sur la concurrence la plus acharnée, qui n’a eu de cesse d’instiller massivement dans le cerveau des populations “nationales” le patriotisme, le chauvinisme, la défense de “son” pays, “l’intérêt national”. Les grands discours sur la “solidarité entre les peuples” ou sur “l’unité européenne” tenus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale n’ont toujours été que pure hypocrisie. Chaque bourgeoisie nationale ne défend toujours que ses intérêts contre toutes les autres Etats et au détriment de l’intérêt général de l’humanité dont elle n’a que faire.
Ce monde divisé en nations concurrentes, et se livrant une lutte à mort, n’est pas le nôtre ! C’est le leur ! Nous, prolétaires, n’avons aucun intérêt particulier, ni national à défendre. Partout, nous subissons la même exploitation, les mêmes attaques, la même crise capitaliste. Partout nous devons mener la même lutte, massive, unie et solidaire, par-delà les frontières. D’ailleurs, de l’Egypte à l’Espagne, d’Israël aux Etats-Unis les derniers mouvements de contestation vibrent clairement de cette fibre internationaliste de notre classe. Les prolétaires n’on pas de patrie, ils ont un monde à gagner ! “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”
Wilma (9 décembre)
1) Il s’agissait plus exactement de « Produire et acheter français ! ». Mais le PCF et la CGT n’en avaient pas l’exclusivité puisqu’à la même époque, le syndicat CFDT se faisaient aussi le chantre du mot d’ordre “Vivre et travailler au pays !”.
Nous publions ci-dessous de longs extraits d’un communiqué de nos camarades d’Acción Proletaria, envoyé initialement à toutes les sections du CCI pour nous informer du déroulement de la journée de mobilisation du 15 octobre. Il y apparaît clairement que la conscience ouvrière continue lentement mais sûrement à se développer. La colère, la combativité, la solidarité, le besoin d’unité dans la lutte, l’auto-organisation des assemblées générales, la prise en main de la nécessaire extension de la lutte… sont autant d’éléments de plus en plus présents dans les mouvements sociaux qui régulièrement animent les rues et lieux de travail espagnols. Mais il y a bien plus significatif encore quant à la profondeur de la réflexion de notre classe. Il est de plus en plus fréquent de lire des slogans sur les pancartes des manifestants ou d’entendre des interventions dans les débats affirmant la faillite mondiale du système capitaliste, la nécessité de trouver des solutions à l’échelle internationale, l’idée que les exploités mènent la même lutte face au même ennemi dans tous les pays. L’internationalisme prolétarien n’est pour l’instant encore qu’un vague sentiment mais, indéniablement, il a fait un nouveau petit pas en avant.
Le 15 octobre (15-O), il y avait un appel à une Journée mondiale de mobilisation pour “un changement global”. Des mobilisations étaient prévues dans 900 villes de 82 pays. En Espagne, il y a eu des manifestations dans près de 70 villes. Nous verrons plus loin leurs répercussions dans ce pays mais aussi au niveau mondial. En premier lieu, il est important de remarquer que la participation en Espagne a été plus forte que pour le mouvement du 19 juillet (19-J). A Madrid, environ 200 000 personnes, à Barcelone 300 000, à Valence 70 000, à Séville et Saragosse 45 000, Grenade 20 000…
Pour ceux qui ont pu participer au mouvement, cela a été vécu dans la même ambiance que celle du 19-J : disponibilité pour la communication, multitude de pancartes et d’affichettes portées à bout de bras, ambiance joyeuse, solidarité… La révolte contre les violentes coupes sociales décidées par les gouvernements régionaux et des appels à la grève générale, mais sans les syndicats, étaient très présents. À Bilbao, les manifestants ont convaincu des ménagères et des passants de se joindre au défilé au moment où celui-ci passait dans la zone commerciale de la Gran Vía. À Madrid, Saragosse et Barcelone, il y avait des manifestations qui partaient de banlieues ouvrières et qui marchaient en récupérant les gens de différents quartiers. À Barcelone, une de ces colonnes est passée devant un hôpital en grève occupé où une courte assemblée improvisée s’est déroulée. Dans d’autres cas, ces colonnes saluaient ceux qui occupaient des centres de santé ou des hôpitaux. Au moment où la manif de Barcelone est arrivée à l’Arc de Triomphe, une partie du cortège s’est écartée pour exprimer sa solidarité avec les travailleurs de l’Hôpital del Mar en lutte. Dans les Asturies, la présence de Llamazares, député d’IU (Gauche unie, autour du PC) fut très critiquée. Un manifestant déclarait : “Ceux qui sont la cause de l’indignation ne peuvent pas maintenant se trouver aux cotés des indignés. La solution était dans la rue, et elle est toujours dans la rue, c’est bien pour cela que le 15-M (15 mai) a commencé avec le slogan : ‘ils ne nous représentent pas’”.
Une fois encore les cris, les slogans, les affiches, ont démontré la créativité dont le mouvement est capable. Au désormais classique “On l’appelle démocratie mais ce n’en est pas une”, s’est ajouté dans beaucoup d’endroits : “C’est une dictature mais on ne la voit pas”. Bien d’autres slogans chargés de sens ont fait leur apparition. Voici quelques uns des plus significatifs :
– “Coupes sociales : voilà le terrorisme !”
– “Les Commissions ouvrières et l’UGT au service du pouvoir”
– “Non aux syndicats, oui aux assemblées !”
– “Ce mouvement n’a pas de frontières !”
– “Peuples du monde, unissez-vous !”
– “Nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes ceux d’en bas contre ceux d’en haut !”
– “Tout le pouvoir aux assemblées !”
À Madrid, la manifestation s’est terminée par la Neuvième symphonie de Beethoven, interprétée par un groupe de musiciens au chômage. Cette initiative provoqua une émotion intense chez les participants. À la suite de quoi, une assemblée générale a commencé “pour débattre les points suivants : pourquoi sommes-nous là ? Comment entamer le changement global ?, Quelle évolution après ce 15-O ?”. Cette assemblée a décidé d’occuper un hôtel abandonné pour que des familles expulsées puissent s’y installer. Le même genre d’initiative fut adopté à Barcelone dans un bâtiment vacant.
La genèse de la Journée fut la suivante : à la suite des manifestations du 19 juillet, l’Assemblée de Puerta del Sol à Madrid décida d’appeler à une Journée mondiale de lutte. Ceci reflétait un authentique sentiment internationaliste étant donné que cela coïncidait avec des manifestations de solidarité avec la Grèce. A Madrid, on scandait : “Résiste, Athènes ! Madrid se soulève !” L’accord de l’Assemblée paraissait ne pas se concrétiser, mais lors des Journées des 24-25 juillet, une Assemblée d’extension internationale a eu lieu à laquelle des éléments de différents pays ont assisté : des Français, des Belges, des Grecs, des Israéliens, des Anglais… mais aussi des étudiants de différentes nationalités présents en Espagne dans le cadre du programme Erasmus. Ce groupe d’extension internationale a pris contact avec de nombreux pays et a reçu le soutien des Indignés de Grèce et d’Israël. Depuis la fin août, DRY, soutenue à l’échelle internationale par ATTAC, paraît avoir pris le contrôle de l’initiative et, de fait, l’appel est dirigé “contre les banques” et non pas contre le capitalisme. On y quémande une “véritable démocratie”, que “les peuples possèdent la souveraineté” et tout cela est articulé autour d’une coquille vide : le fameux “changement global”. On peut dire qu’il y avait une dynamique vers la recherche de l’extension internationale, mais celle-ci – du moins momentanément – a été contrôlée et dévoyée vers des thèmes dépourvus de perspectives.
Il est clair que le triomphalisme manifesté par DRY, en parlant à la fin des manifs en Espagne de “la première manifestation mondiale de l’histoire” et du “grand succès”, voulait insuffler de l’euphorie sur un “triomphe” obtenu sur un faux terrain : celui de la “lutte contre les banques, pour une démocratie réelle” et non pas contre le capitalisme. Il s’agit bien là d’une fausse réponse, mais il faut rappeler que les préoccupations et l’inquiétude sont bien réelles : la plupart des travailleurs perçoivent, encore confusément, que nous assistons à un phénomène historique aux dimensions gigantesques. Il n’est pas exagéré de dire que le capitalisme est en train de vivre la pire crise économique de son histoire et ceci fait planer des doutes profonds sur l’avenir qu’il nous offre. Contre cette inquiétude générale et le germe d’internationalisme que l’on a vu poindre timidement à Madrid, la bourgeoisie a réussi à opposer une mobilisation sur le terrain empoisonné de la démocratie, mais aussi dans la lutte contre une partie du capitalisme préalablement diabolisée : les banques.
En septembre, l’exacerbation extrême de la crise pendant l’été et l’incroyable rafale d’attaques qui pleuvent sur les travailleurs ont rendu la confrontation inévitable. Les manifestations du 15-O ont fait ressortir les réserves importantes de combativité que la classe renferme. Elles ont montré que l’envie de s’unir, l’indignation et la volonté de lutter, sont intactes. Cependant, il est important de remarquer que ce processus, qui à terme devra aboutir à une confrontation avec les forces de la bourgeoisie, n’en est qu’à ses débuts.
Même si tout cela est révélateur des potentialités du mouvement, il faut rester lucide : d’un côté, le mouvement a suscité beaucoup de sympathie à Madrid, avec plus de 40 000 participants à la dernière manifestation de solidarité explicite avec les enseignants en grève ; mais la sympathie a été principalement canalisée vers le piège de “la défense de l’enseignement public contre la privatisation”, ce qui isole considérablement la lutte et, au final, l’affaiblit. Il y a quelque chose de plus évident encore : alors que les coupes sombres dans l’enseignement, la santé et le secteur social se sont généralisées à tout le pays, aucun mouvement de solidarité n’a été suscité dans le reste de l’Espagne et les tentatives pour mettre en avant cette question dans les assemblées du 15-M ont été vouées à l’échec ou sont tombées dans “la préparation d’une grève générale”. Même phénomène avec les occupations d’hôpitaux et de centres de santé à Barcelone : s’il est vrai qu’elles ont suscité une certaine solidarité au niveau local – et on a pu voir des actions conjointes entre le personnel sanitaire et les usagers –, aucune solidarité n’est apparue dans le reste de l’Espagne, laissant isolés les participant à la lutte.
Tout cela révèle les difficultés et la position de faiblesse dont souffre encore la classe exploitée malgré les progrès indiscutables qu’elle est en train de réaliser. Au niveau mondial, il est clair que cette dynamique n’est pas encore homogène dans la mobilisation. Mais s’il n’y a effectivement pas une situation de simultanéité des luttes, nous ne devons pas sous-estimer l’inquiétude et la réflexion qui parcourent ce mouvement. Il faut ne pas perdre de vue la “spécificité” du 15-M : ce ne fut pas à proprement parler une lutte directe, en réponse à une attaque particulière de la classe capitaliste. Il s’agit en fait d’une première expression massive d’indignation avec, simultanément, une réelle avancée vers le terrain collectif, le débat fraternel, la solidarité et la créativité des masses.
Acción Proletaria
(22 octobre)
“Grève historique de la fonction publique britannique”, les médias sont unanimes, le mouvement de grève du 30 novembre qui a rassemblé dans les rues près de 2 millions de personnes en Angleterre a connu un taux de participation record. Les écoles, les hôpitaux, les services municipaux, tout a tourné au ralenti durant 24 heures. Du jamais vu depuis les années 1970 ! La massivité de cette grève révèle l’ampleur de la colère qui anime les rangs de la classe ouvrière outre-Manche. Depuis 40 ans, les travailleurs vivant en Grande-Bretagne subissent presque sans mot dire une dégradation continue et intolérable de leurs conditions de vie. Cette passivité est la conséquence de l’écrasement de la combativité ouvrière sous la botte de Margaret Thatcher. Mais aujourd’hui, c’en est trop. Les coups de boutoirs de la crise, les attaques incessantes font exploser la colère. Depuis quelques années maintenant, des grèves et mouvement éclatent ainsi régulièrement. Les syndicats ont parfaitement conscience de cette situation. Ils veulent à tout prix éviter que les travailleurs n’entrent en lutte spontanément, hors de leur contrôle et de leur encadrement. La journée du 30 novembre a donc eu pour but de “lâcher de la vapeur pour éviter que la cocotte minute n’explose”. Dans de très nombreux pays, les syndicats utilisent d’ailleurs cette technique de faire se succéder les journées d’action les unes aux autres pour que la colère s’exprime de façon stérile, pour décourager et épuiser les plus combatifs.
Nous publions ci-dessous un tract que nos camarades vivant en Angleterre ont réalisé et distribué les jours précédents cette manifestation comme le jour-même au sein du cortège pour encourager la prise en mains des luttes par les travailleurs eux-mêmes.
Les syndicats prédisent deux ou trois millions de travailleurs en grève le 30 novembre, ceux de l’éducation, de la santé, du secteur public, des services civils, et plus encore. La préoccupation principale de la grève : l’avenir des retraites du secteur public, est un problème très réel car nous sommes tous appelés à travailler plus longtemps et à payer plus pour toucher moins de retraite. Et ce n’est que le début. En Grèce, les retraites existantes sont déjà amputées. La logique de ce système est de nous faire travailler jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Mais les pensions ne sont pas le seul problème et ce n’est pas non plus le seul secteur public qui est concerné. Le chômage monte en flèche : selon les derniers chiffres, il touche 20 % des jeunes. En fait, de plus en plus de jeunes travaillent pour pratiquement rien alors qu’il devient de plus en plus coûteux d’aller à l’université.
Les plans d’austérité du gouvernement prévoient des réductions dans toutes sortes de prestations sociales, et les salaires sont également l’objet d’attaques. Par exemple, les électriciens sont en lutte contre les nouveaux contrats de l’industrie du bâtiment impliquant une réduction de 30 % de leur rémunération.
Tout cela est le produit d’une crise économique qui n’a pas simplement commencé en 2007, qui n’a pas été provoquée par des banquiers cupides ou par des Grecs paresseux. C’est le point culminant d’une crise historique mondiale du système capitaliste ! La dépression d’aujourd’hui qui va en s’approfondissant est le retour de la même crise sous-jacente qui a éclaté dans les années 1930. Et les dirigeants de ce monde n’ont aucune solution à y apporter. S’ils prennent parti pour la “croissance”, celle-ci les plonge plus profondément dans l’endettement et l’inflation. S’ils prennent parti pour “l’austérité”, ils réduisent encore plus la demande, puisque la crise est déjà le résultat de l’engorgement des marchés.
La question qui se pose partout aux travailleurs, étudiants, retraités, et chômeurs n’est pas de savoir si nous devons résister. Si nous nous contentons d’accepter passivement ces attaques aujourd’hui, les patrons et l’Etat nous attaqueront encore plus brutalement demain. La question est de savoir comment riposter. Cette année, nous avons déjà eu deux grosses journées officielles d’action, le 26 mars et le 30 juin, mais ont-elles vraiment fait peur à nos dirigeants ? Le gouvernement a même suggéré que nous devrions faire une belle grève générale de 15 minutes, mais est-ce qu’un arrêt de travail de 24 heures, organisée du début à la fin par les appareils syndicaux, est un peu plus efficace ? En fait, ces gestes symboliques ont essentiellement pour effet de saper nos énergies et de nous faire sentir que nous avons perdu notre temps.
L’expérience de l’histoire a montré que la classe dirigeante ne commence à être sur ses gardes que lorsque la classe exploitée commence à prendre les choses en mains et à unir ses forces. Et l’expérience de cette dernière année a confirmé qu’il y a effectivement d’autres façons de se battre que de marcher du point A au point B, d’écouter les discours de quelques leaders connus, et de rentrer ensuite chez soi.
Partout dans le monde, du Caire à Barcelone, de New York à Londres, l’occupation et la défense des espaces publics, et l’organisation d’assemblées générales, ont montré la possibilité de moyens de lutte plus massifs et auto-organisés.
Au Royaume-Uni, les électriciens ont initié de nouvelles formes d’actions non-officielles, utilisant les manifestations pour appeler les autres travailleurs à rejoindre leurs grèves et tenant des discussions dans la rue ouvertes à tous. Ces mouvements soulignent la nécessité d’assemblées générales sur les lieux de travail, qui nous unissent par delà les divisions syndicales.
Le 30 novembre fournit une occasion pour les ouvriers qui viennent de nombreux secteurs différents de se rencontrer, de discuter et même de mettre en pratique les meilleures méthodes pour résister à l’offensive des patrons et de l’Etat . Mais nous avons besoin de rendre le débat aussi ouvert que possible, ce qui signifie qu’il faut rejeter les rassemblements passifs et, à leur place, organiser toutes sortes de réunions publiques où chacun peut s’exprimer. Et on ne peut pas tout concentrer sur une seule journée. Nous sommes confrontés à une période de crise prolongée, et donc à des assauts de plus en plus violents de nos conditions de vie et de travail. C’est pourquoi de nombreux travailleurs sont déjà sceptiques sur ce qui peut être obtenu le 30 novembre. Beaucoup d’autres, qui sont confrontés à des factures de plus en plus lourdes ou à la menace de licenciement, s’interrogent sur l’utilité des grèves et des occupations. Il est assez difficile de savoir comment résister quand votre entreprise est sur le point de couler. Le problème est multiplié des centaines de fois quand c’est l’ensemble des économies nationales qui semblent sombrer. Mais cela souligne que, non seulement nous devons trouver de meilleures façons de nous battre, mais que nous avons aussi besoin de développer une perspective à long terme. Le système capitaliste est à bout de souffle et ne peut nous offrir que la dépression, la guerre et le désastre écologique. Mais la classe ouvrière peut utiliser ses luttes pour devenir une véritable puissance sociale, pour développer sa compréhension politique du système actuel, et créer un avenir différent : une communauté mondiale où toute la production sera organisée pour les besoins humains et non pour les lois inhumaines du marché.
CCI (25 novembre)
Cet été, certains militants d’Internationalism, organe du CCI aux Etats-Unis, et quelques révolutionnaires qui sympathisent avec notre organisation, sont intervenus ensemble dans la grève des ouvriers de Verizon (opérateur de téléphonie numéro un du secteur en Amérique et exploitant environ 45 000 salariés). Nos camarades, du CCI ou non, ont tous travaillé en étroite collaboration dès le début (de l’échange d’idées pour écrire un tract jusqu’à sa diffusion, en passant par les discussions avec les grévistes et la réflexion après cette intervention). C’est justement cette discussion qui a essayé de dresser un premier bilan de cette intervention collective que nous publions ci-dessous. La lecture de ces notes montre, de façon saisissante, comment de part et d’autre de l’Atlantique (et en vérité partout dans le monde), les mêmes interrogations et difficultés se posent dans la lutte. En particulier, nos camarades se sont confrontés à cette grande question : comment révéler l’impasse des méthodes syndicales sans déclencher une réaction épidermique chez ceux qui croient sincèrement lutter pour l’intérêt de tous en suivant les ordres et consignes de leurs centrales ?
Quand nous dénonçons les syndicats, cela peut vraiment être assimilé à une attaque que livre contre eux l’aile droite de la bourgeoisie. Il peut être difficile, pour des gens qui n’ont jamais entendu auparavant les syndicats être attaqués sur leur gauche, de faire la distinction. En fait, on finit souvent par dire la même chose que l’aile droite (les syndicats vous prennent de l’argent, mais ne font rien pour vous, ils ne font que défendre leurs propres intérêts, etc.). Peut-être, étant donné le rapport entre les classes aux Etats-Unis, devrions-nous donc moins insister sur notre attaque contre les syndicats – ou du moins ne pas en faire le cœur de notre intervention – et nous concentrer plutôt au développement des revendications de classe. Bien sûr, les syndicats vont les saboter, mais les travailleurs doivent peut-être apprendre cela au cours de la lutte. Il est possible qu’une dénonciation trop forte des syndicats ne puisse que renforcer la tendance à s’identifier à eux. Les ouvriers n’arrivent pas encore à voir la différence entre les syndicats et eux-mêmes. Quand ils entendent qu’il y a des attaques contre les syndicats, ils pensent qu’ils sont eux-mêmes attaqués. Peut-être qu’il n’y a pas de perspective immédiate aux Etats-Unis de prise en main de leurs luttes par les ouvriers ? En ce sens, le Wisconsin était peut-être une véritable exception et nous avons vu comment les syndicats y ont pris rapidement le contrôle de la situation. La chose la plus importante n’est-elle pas que les ouvriers soient réellement en train d’essayer de lutter, et nous devrions peut-être nous concentrer sur la volonté de lutter plutôt que sur la dénonciation des syndicats ? Cela ne veut pas dire qu’on donne un blanc-seing aux syndicats, mais on ne devrait pas donner l’impression que notre principal but est de détruire les syndicats.
Personnellement, j’ai eu un moment vraiment difficile pour comprendre comment intervenir de façon adéquate, de manière à ce que, d’un côté, cela aide, développe et favorise la conscience de classe et que d’un autre, cela ne soit pas vraiment une dénonciation des syndicats que la grande masse des travailleurs ne comprend pas encore. Je ne sais pas non plus comment les ouvriers peuvent être d’accord pour faire ce qu’on a dit avant sans se poser la question de pourquoi tout cela devrait être fait en dehors du cadre syndical. C’est une énigme à laquelle je suis toujours confronté sur mon lieu de travail, où beaucoup de collègues sont d’accord avec les idées et les propositions, mais finissent toujours par dire quelque chose comme : c’est bien, allons proposer cela aux syndicats… En dernière analyse, les travailleurs ont besoin de sentir qu’ils peuvent faire ce qui précède (développer la lutte, etc.) sans les syndicats. C’est ce sentiment d’impuissance, mais aussi cette reconnaissance d’une identité de classe encore inexistante, je pense, que la classe n’a pas encore surmonté et développé. Et cela, comme nous le savons, se produit dans les luttes elles-mêmes. Je me demande si le tract n’aurait pas eu un impact tout différent si les trois premiers paragraphes n’avaient pas été là du tout, ou s’ils avaient été écrits à la fin, après avoir présenté ce que les travailleurs pouvaient réellement faire dans de telles circonstances.
Tous ces questionnements et ces sentiments sont très justes. Je pense souvent, que notre intervention se réduit à la chose suivante : les ouvriers ont besoin de se rassembler pour décider par eux-mêmes ce qu’il faut faire. Au delà de quelques orientations très générales, et la plupart sur ce qu’il ne faut pas faire, nous ne pouvons pas réellement dire aux travailleurs ce qu’il faut faire, ou réellement comment lutter, en dehors de quelques leçons de base de l’histoire. C’est réellement une situation difficile pour toute la Gauche communiste. Les ouvriers doivent le trouver par eux-mêmes. En tant que telle, notre intervention apparaît souvent comme négative, c’est-à-dire : “Nous ne savons pas exactement quelle est la réponse mais les syndicats ne l’ont sûrement pas, pourquoi n’allez-vous pas discuter entre vous de ce qu’il faut faire alors que les syndicats ne s’en occupent pas ?” En même temps, les syndicats semblent avoir des réponses concrètes qui ne se dévoilent être des illusions que très lentement. Cela demandera du temps et de l’expérience pour que les ouvriers brisent l’étreinte du syndicat. En ce moment même, les tentatives absurdes d’éléments de la bourgeoisie de détruire les syndicats ne semblent que renforcer ce mythe syndical. Les syndicats sont capables de jouer la carte de la victimisation. Ce n’est pas le meilleur moment pour faire une intervention qui condamne les syndicats en des termes aussi austères. En Europe ou ailleurs, c’est peut-être une autre histoire. J’entends bien la frustration qu’éprouve A quand les travailleurs semblent être d’accord avec quelques-uns de nos concepts de base, mais pensent encore qu’ils peuvent les réaliser à travers le syndicat. C’est comme quand vous avez une liste de doléances contre la société et qu’un type quelconque en costume-cravate vous dit d’écrire à votre député. C’est comme s’ils ne comprenaient pas que le cadre que vous mettez est fondamentalement différent. De fait, ils ne comprennent vraiment pas. Ce n’est que l’expérience qui leur apprendra. Nous ne pouvons réellement qu’espérer avoir semé des germes de doute, le creuset d’un paradigme différent parmi les éléments les plus ouverts et qui pensent à plus long terme, de façon à préparer le terrain pour la prochaine lutte. Nous n’en sommes encore qu’à un tout premier stade du retour à la lutte, un retour qui ne balise que très lentement le terrain de classe.
J’ai énormément apprécié votre aide pour l’intervention. Je pense que j’ai appris beaucoup et j’ai aussi été surprise par l’ouverture à la discussion et encouragée par la solidarité qu’ont montrée les autres travailleurs. En même temps, je suis vraiment d’accord avec ce que dit H. Pour le moment, les ouvriers pensent encore que “les syndicats se battent pour nous”. Je pense que dix ans d’endoctrinement peuvent éroder ce que les ouvriers ont appris de la dernière grève, surtout quand la majeure partie de la classe ne lutte pas et que – bien que la solidarité ait été appréciée comme nous l’avons vu –, la classe ouvrière a encore peur et reste conservatrice dans toutes ses tentatives de se défendre. Tant qu’il n’y aura pas de luttes plus fréquentes, il y a probablement peu de chance que nous convainquions beaucoup de monde de notre position sur les syndicats. Cependant, nous pouvons sans doute convaincre les ouvriers du fait que :
– la crise ne mène nulle part et il y aura davantage de luttes dans le futur ;
– chaque travailleur mérite de jouer un rôle actif dans ces luttes et de discuter de ce que sont exactement les revendications, et de comment se battre pour elles ;
– d’autres travailleurs sont intéressés par notre lutte et veulent nous aider et on peut donc discuter avec eux aussi ;
– ce que font les syndicats ne marche pas à long terme et ce que nous devons faire avec ces lutte, c’est d’en discuter, en dehors de la boîte, avec d’autres ouvriers, discuter des luttes des autres ouvriers – pour construire une sorte d’identité de classe ;
– ce n’est pas tel ou tel patron mais le système capitaliste tout entier qui attaque, non seulement les ouvriers de Verizon mais la classe ouvrière toute entière et nous devons répondre en luttant en tant que classe.
Il y a un tas de choses que nous pouvons dire aux ouvriers et J en a cité quelques-unes ici, mais je suis d’accord avec le fait que nous ne devons pas mettre en avant la dénonciation des syndicats quand on va dans les piquets de grèves, dans les marches de protestation ou dans les manifestations et autres. Je ne pense pas que nous devions cacher ou mentir à propos de nos positions, mais ce ne doit pas être la première chose qui sorte de notre bouche. Ce ne devrait pas être en première ligne de notre tract. Pour la presse, c’est une autre histoire. L’audience est différente. Quand nous intervenons dans un piquet, nous allons vers les ouvriers ; quand quelqu’un achète un journal ou prend le temps d’aller sur le site, il prend l’initiative d’en savoir plus sur nos positions. En théorie, notre presse n’est lue que par les éléments les plus avancés de la classe alors qu’un tract est beaucoup plus largement distribué. Je suis d’accord avec J qu’à ce stade, il est probablement plus important d’intervenir sur la question de la crise, en mettant en avant la perspective marxiste qui dit qu’il n’y a pas de solution à cette pagaille au sein du capitalisme ; quoi que fassent les ouvriers dans les syndicats, ils ne vont pas au-delà de l’horizon des alternatives bourgeoises, qui ne sont en réalité pas du tout des alternatives. Les travailleurs ont besoin de voir que réformer le système n’est pas possible, qu’aucune fraction de la bourgeoisie n’a de réponse : le futur est sinistre sans leur action indépendante. En théorie, la remise en question de l’hégémonie syndicale devrait suivre.
Discussion répercutée par le CCI (24 septembre 2011)
Plus de 40 000 morts, un nombre incalculable d’actes barbares allant du viol à la torture systématique banalisés par le contexte de guerre civile, voilà le bilan de la guerre qu’a entrepris depuis décembre 2006 le gouvernement mexicain présidé par Felipe Calderón entre cette date et avril 2011. Une guerre “sale” où la population civile vit sous la terreur des mafias, de la police, de l’armée et des groupes paramilitaires d’assassins à la solde des uns ou des autres. Et bien que la bourgeoisie mexicaine ou américaine tentent de présenter ce problème comme une particularité locale étrangère au capitalisme, la réalité démontre que les drogue et les crimes qui s’y rattachent et se répandent sont issus, comme c’est le cas pour n’importe quelle guerre dans le système de concurrence capitaliste, de la tentative de gagner des marchés et de la difficulté qu’éprouve la classe dominante à mettre de l’ordre dans cette compétitivité. Cette perte de contrôle politique de la bourgeoisie provient de l’explosion des rapports sociaux dominants et met à jour brutalement la progression de la décomposition du système.
Il est vrai que le poids de la décomposition est plus écrasant dans les pays moins développés, dans la mesure où la bourgeoisie est moins à même de contrôler ses différences. C’est ainsi que dans des régions comme la Colombie, la Russie ou le Mexique, la mafia se fond dans les structures gouvernementales, de telle façon que chaque groupe mafieux est associé avec un secteur de la bourgeoisie, transformant les structures mêmes de l’État en champ de bataille, étendant ainsi la lutte de “tous contre tous” qui pourrit l’ambiance sociale.
Ceci ne signifie évidemment pas que les pays industrialisés sont protégés du processus de décomposition. Même si la bourgeoisie de ces pays peut encore, pour l’instant, reporter certains aspects de la décomposition vers la périphérie et relativement agir de façon plus concertée pour amortir ses conflits, elle n’est cependant pas exempte de cette tendance dominante. Et si le problème du narcotrafic n’est pas encore devenu dans ces pays une lourde tare, c’est sur d’autres aspects qu’avance ce même processus, le problème du terrorisme par exemple. Ce qu’il est important de dégager, c’est que la progression de la décomposition, bien que dominant l’ensemble du système capitaliste même si elle ne se présente pas de façon homogène à cause des conditions particulières, implique que ce qui se vit dans des pays comme le Mexique montre la perspective vers laquelle se dirige la planète toute entière.
C’est sans le moindre doute l’avancée de la barbarie dominant l’actualité qui, ajoutée à la paupérisation accélérée par la crise, fait que le capitalisme est synonyme de misère et de guerre.
Au début des années 1990, nous disions que “parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique” ([1]). La raison en est la difficulté de la classe dominante à assurer son unité politique. Les diverses fractions qui divisent la bourgeoisie se confrontent non seulement sur le plan de la concurrence, mais aussi et surtout sur le plan politique et, dans les conditions actuelles où ont disparu les blocs, aucun “ennemi commun” ne vient permettre et justifier des alliances durables. Nous pouvons donc voir que l’Etat permet de rassembler contre la crise économique, mais ce n’est que sur des objectifs à court terme et même ainsi, l’accroissement de la concurrence provoqué par la crise fait que la dispersion des forces s’amplifie à son tour, poussant vers une lutte “de tous contre tous” et une indiscipline généralisée au niveau politique, empêchant que ne se perpétue l’ordre existant lors de la période de domination des blocs politiques qui se déterminèrent autour de la guerre froide.
L’entrée dans la décomposition ne s’est pas produite du jour au lendemain, une série de phénomènes propres à cette phase se retrouvent à des moments antérieurs du développement du capitalisme, mais c’est sans le moindre doute pendant la décadence du capitalisme qu’ils ont pris leur dimension majeure, et en particulier dans les dernières décades du xxe siècle, qu’ils sont devenus dominants. L’exemple du narcotrafic illustre parfaitement cette avancée.
Déjà pendant la période ascendante du capitalisme, au milieu du xixe siècle, l’importance du commerce de certaines drogues comme l’opium a crée des difficultés politiques qui favorisaient certaines guerres, mais les Etats étaient alors directement engagés et la classe dominante ne présentait pas de divisions là-dessus pour autant. C’est ce qui permet à la “guerre de l’opium” – déchaînée essentiellement par l’Etat britannique – d’être une référence dans l’histoire du capitalisme sans pour autant devenir un phénomène qui domine cette étape.
L’importance de la drogue et la formation de groupes mafieux ayant toute une vie souterraine se développent dans la phase de décadence du capitalisme, même si elles ne prennent pas ses dimensions actuelles dès le début. Il est vrai que c’est dans les premières décennies du xxe siècle que la bourgeoisie tente de limiter et d’ajuster par des lois et des règlements la culture, la préparation et le trafic de certaines drogues, mais ce n’est alors que dans le but de mieux contrôler cette marchandise.
Il est donc faux de penser que la “filière de la drogue” serait une activité répudiée par la bourgeoisie et son État. C’est la même classe qui se charge d’étendre sa consommation et d’en profiter. La méthamphétamine, par exemple, est une drogue qui fut inventée au Japon en 1919, qui développa sa production durant la Seconde Guerre mondiale et fut utilisée, autant par les armées des pays alliés que par les Japonais, afin d’atrophier les capacités de conscience des soldats et d’exacerber leurs comportements violents.
Les États parviennent sans trop de problèmes à maintenir leur contrôle de la drogue jusqu’au trois-quarts du xxe siècle. Ainsi, pendant la guerre du Vietnam dans les années 60, quelques dérivés de la cocaïne furent essayés sur les chiens d’attaque, puis l’héroïne fut distribuée parmi les troupes pour atténuer la démoralisation et profiter en même temps de la férocité qu’elle réveille. Cette utilisation par l’Oncle Sam développe la demande de drogue, et le gouvernement américain y répond en impulsant la production dans les pays de la périphérie et en utilisant même ses propres laboratoires.
Même si l’effet de dégradation sociale commence à prendre des dimensions inquiétantes aux États-Unis, la bourgeoisie n’y prête pas grand cas… Le président Nixon a beau proclamer la “guerre à la drogue” en 1971, il sait très bien que le gros de la production et de sa commercialisation sont sous son contrôle et celui des États nationaux à sa botte.
L’importance de la production et de la distribution de la drogue n’est pas encore significative quand le Mexique entre dans la seconde moitié du xxe siècle, mais déjà les instances gouvernementales la maintiennent sous un strict contrôle. Non seulement la police surveille et protège la mafia naissante (comme l’exemple de “Lola la Chata”, célèbre pourvoyeuse de drogue dans les années 1940 dans la ville de Mexico, qui maintint son monopole grâce à la protection de la police), mais les structures de l’Etat se confondent bien souvent avec celles des mafias. Un personnage comme Nazario Ortiz, par exemple, gouverneur de Coahuila (province du Nord du Mexique) et fondateur du Parti national révolutionnaire ([2]), secrétaire de l’Agriculture sous le gouvernement de Miguel Alemán (1946-52), profita largement de son investiture pour exercer librement la distribution de l’opium. La propre Direction fédérale de sécurité (DFS), chargée d’exercer les fonctions de “police politique” (c’est-à-dire la surveillance et l’extermination de la dissidence) est commandée par des militaires dont l’activité personnelle (obtenue comme prébende) est le négoce de la drogue.
Pendant les années 1980, c’est l’Etat américain qui anime une fois de plus le développement de la production et de la consommation de drogue. A partir du cas “Iran-contras” (1986), il apparaît que le gouvernement de Ronald Reagan, lorsqu’il fut confronté à une limitation du budget destiné à appuyer les groupes militaires d’opposition au gouvernement du Nicaragua (connus sous le nom de “contras”), utilise des fonds provenant de la vente d’armes en Iran mais, surtout, provenant du marché de la drogue (à travers la CIA et la DEA). Dans cet imbroglio, le gouvernement des Etats-Unis pousse les mafias colombiennes à amplifier leur production, et assure le soutien militaire et logistique aux gouvernements du Panama, du Mexique, du Honduras, du Salvador, de la Colombie et du Guatemala pour que la marchandise si convoitée puisse passer librement. La propre bourgeoisie américaine, pour “élargir le marché”, produit des dérivés de la cocaïne qui non seulement sont meilleur marché et donc plus faciles à commercialiser, mais sont en outre bien plus destructeurs.
Cette même pratique que le parrain américain utilise pour obtenir des fonds lui permettant de financer des aventures putschistes se répète en Amérique latine pour mener à son terme la lutte contre la guérilla. Au Mexique, la dite “guerre sale”, c’est-à-dire la guerre d’extermination que mène l’Etat pendant les années 1970-80 contre la guérilla – menée à bien par l’armée et des groupes paramilitaires qui avaient carte blanche pour assassiner, séquestrer et torturer – fut financée par des fonds qui provenaient de la drogue. Certains projets, tel l’Opération Condor, qui se présentaient comme des actions destinées à lutter contre la production de drogue, étaient de fait des actions pour affronter la guérilla et protéger les champs de culture de pavot, de coca ou de cannabis. Selon la journaliste Anabel Hernandez ([3]), c’était l’armée et la police fédérale qui, en collaboration avec les groupes mafieux, contrôlait les opérations en rapport avec la drogue.
Le contrôle de la production et de la commercialisation des stupéfiants est alors sous le contrôle des Etats, ce qui comme nous l’avons vu est une constante, mais il apparaît un changement qualitatif qui s’exprime par une croissante indiscipline entre les différentes fractions de la bourgeoisie qui composent l’appareil d’Etat. Le développement de la guerre froide fut associé au Mexique avec le pouvoir monolithique du PRI, qui depuis sa fondation en 1929 se donne la fonction d’agglutiner les différents groupes qui composent la bourgeoisie mexicaine et qui se sont consolidés à partir de la guerre interne de 1910-20, créant ainsi la dénommée “famille révolutionnaire” rendue cohérente par la distribution de bénéfices et autres fragments de pouvoir ; la classe dominante peut ainsi assurer une “harmonieuse” unité et une discipline de fer. Mais l’effondrement du bloc de l’Est, rompant le schéma international d’alignement des diverses forces impérialistes, répète la fracture au sein de chaque Etat, avec bien sûr des nuances nationales. Dans le cas du Mexique, cette fracture s’exprime par une dispute au grand jour entre les fractions de la bourgeoisie nationale, rendant inévitables le changement de parti au pouvoir et la décentralisation : de sorte que les pouvoirs locaux, représentés par des gouverneurs d’Etats et des présidents municipaux, assurent le contrôle régional, s’associant au gré des intérêts avec les mafias rivales, faisant ainsi croître l’importance de ces bandes et exacerbant leurs affrontements.
L’accélération de la barbarie déchaînée par le narcotrafic et la “guerre” qui lui est associée se traduit par la mort et la souffrance pour la majorité, de hauts profits pour quelques-uns… c’est une des grandes horreurs qu’a engendrée le capitalisme. Toute la classe dominante est sans aucun doute impliquée dans ce conflit, et elle-même en subit les conséquences, mais elle sait cependant en transférer les pires effets vers les travailleurs et, qui plus est, utiliser ses conséquences pour assurer son contrôle. Nous voyons ainsi que les masses de population qui ont abandonné les territoires par crainte ou sous la menace directe sont toujours des masses d’exploités ([4]). La bourgeoisie a profité de ce climat pour semer la terreur, paralyser tout mécontentement ou le dévoyer vers des ripostes désespérées.
Aveuglée par son monde mystifié, la bourgeoisie pense que ce problème peut se résoudre en rectifiant les politiques et les stratégies contre la drogue. Un exemple en est la “Global Comission on Drug Policy” qui, après avoir critiqué les politiques nord-américaines depuis les années 1970, propose de réviser et réformer la classification des drogues, pour pouvoir légitimer le contrôle de certaines et mieux contrôler leur production et distribution. D’autres propositions, venant aussi de secteurs non exploiteurs comme le Mouvement pour la paix ayant à sa tête Javier Sicilia ([5]), bien qu’étant une réelle expression du mécontentement et du rejet de la barbarie qui règne, n’expriment que le désespoir qui conduit vers des impasses. Sa déclaration du 4 juin (lors de la “caravane vers Ciudad Juarez”), le met en évidence, quand il affirme vouloir que son appel “… parvienne au cœur de la classe politique, au cœur des criminels et qu’ils transforment leur vie en fonction de l’être humain au service de tous. Ils ont la possibilité de changer s’ils changent leur cœur…”. De sorte que bien que sa douleur et sa colère soient indiscutablement réelles, comme le sont celles des gens qui accompagnent la caravane, cela n’aboutit qu’à faire confiance à cette même bourgeoisie pour semer l’illusion qu’elle pourrait résorber la pourriture engendrée par le système à travers des appels à la compassion.
La seule solution de la bourgeoisie pour limiter l’explosion de la barbarie est la consolidation d’une cohésion autour d’un des groupes mafieux et pouvoir ainsi marginaliser tous les autres. C’est ce qui se fit en Colombie pour diminuer les crimes et les attentats. La bourgeoisie, depuis son gouvernement, impulsa l’un des cartels parvenant ainsi à mieux contrôler la situation nationale… Mais ceci n’est pas une solution à la barbarie, c’est uniquement éloigner ses pires effets de l’une des régions pour la déchaîner dans d’autres pays. Dans le cas du Mexique, la bourgeoisie devra chercher à concilier les intérêts, mais plus on se rapproche de l’échéance électorale présidentielle de 2012 qui anime cette guerre, plus s’exacerbent les règlements de compte et la lutte “de tous contre tous”, laissant présager une accélération majeure des violences et des meurtres.
De sorte qu’il est impossible d’espérer que la bourgeoisie trouve une solution à la décomposition qui progresse et ronge le système, seule l’action révolutionnaire de la classe ouvrière pourra mettre fin au cauchemar actuel. Le choix qui se trouve devant l’humanité est plus que jamais résumé par la phrase de Engels qui n’a jamais été aussi actuelle : “Socialisme ou barbarie !”.
Tatlin, juin 2011
1.) “La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme [112]”, Revue internationale no 62, juin-septembre 1990.
2.) Le PNR fut fondé en 1929 sous le commandement du général Plutarco Elias Calles, puis changera son nom par Parti de la Révolution mexicaine (PRM) et enfin par Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), se maintenant comme parti gouvernant sous ses différentes appellations de 1929 jusqu’en 2000.
3.) Anabel Hernandez, Los Señores del narco (les Seigneurs du narcotrafic), Editions Grijalbo, México, 2010.
4.) Dans certains Etats du Nord comme Durango, Nuevo Leon et Tamaulipas, des zones entières sont totalement abandonnées, des “villes fantômes”. Les paysans ont été obligés de fuir en liquidant leurs terres ou en les abandonnant purement et simplement. La situation des ouvriers est encore plus grave, dans la mesure où leur mobilité se voit restreinte par l’absence de recours financiers. Des groupes de bourgeois qui ont aussi été menacés par les mafias ont la possibilité de transférer leurs capitaux vers le Texas ou vers des Etats du centre du pays.
5.) Javier Sicilia est un poète et journaliste de tendance sociale-chrétienne, dont le fils fut assassiné avec six autres jeunes par des tueurs liés à la drogue, tragédie qui motiva son appel à former un “Mouvement pour la paix”. Ce mouvement parcourt le pays en caravanes et a commencé des discussions avec le président Felipe Calderón et des gouverneurs d’Etats pour demander que s’achèvent les quadrillages militaires.
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[13] http://www.pmpress.org
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/230/libye
[15] https://www.slate.fr/story/34001/internationale-socialiste-dictateurs
[16] http://www.agn.netis-senegal.com/Laurent-Gbagbo-s-eclate-en-boite
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