Assassins Le capitalisme, ses Etats, sa bourgeoisie, ne sont rien d’autres que des assassins. Des dizaines de milliers de personnes viennent de mourir de par la faute de ce système inhumain.
Mardi, à 16h53, heure locale, un séisme de magnitude 7 sur l'échelle de Richter a ravagé Haïti. La capitale Port-au-Prince, bidonville tentaculaire comptant près de deux millions d’habitants, a été purement et simplement rasée. Le bilan est terrible. Et il s’alourdit encore d’heure en heure. Quatre jours après la catastrophe, en ce vendredi 15 janvier, la Croix-Rouge dénombre déjà de 40 000 à 50 000 morts et «une quantité énorme de blessés graves». D’après cette association caritative française, au moins trois millions de personnes ont été touchées directement par le tremblement de terre . En quelques secondes, 200 000 familles ont perdu leur «maison», souvent faites de bric et de broc. Les grands bâtiments se sont aussi effondrés comme des châteaux de cartes. Les routes, déjà délabrées, l’aéroport, les vieilles lignes de chemin de fer,… rien n’a résisté.
La raison de ce carnage est révoltante. Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde, 75 % des habitants y survivent avec moins de 2 dollars par jour et 56 % avec moins de 1 dollar ! Sur ce bout d’île frappé du sceau de la misère, rien, évidemment, n’a été construit pour faire face aux tremblements de terre. Pourtant, Haïti est une zone sismique connue. Tous ceux qui prétendent aujourd’hui que cette secousse a été d’une violence exceptionnelle et imprévisible mentent. Le professeur Eric Calais, lors d'un cours de géologie donné dans ce pays en 2002, affirmait ainsi que l'île est traversée par « des failles capables de magnitudes 7.5 à 8 » . Les autorités politiques d'Haïti étaient elles aussi officiellement informées de ce risque comme le prouve cet extrait tiré du site du Bureau des Mines et de l’Energie (qui dépend du ministère des travaux publics) : « chacun des siècles passés a été marqué par au moins un séisme majeur en Hispaniola (Nom espagnol de cette île séparée aujourd’hui en deux pays, Haïti et la République Dominicaine, NDLR) : destruction de Port au Prince en 1751 et 1771, destruction de Cap Haïtien en 1842, séismes de 1887 et 1904 dans le nord du pays avec dégâts majeurs à Port de Paix et Cap Haïtien, séisme de 1946 dans le nord-est de la République Dominicaine accompagné d’un tsunami dans la région de Nagua. Il y a eu des séismes majeurs en Haïti, il y aura donc des séismes majeurs dans le futur à l’échelle de quelques dizaines ou de la centaine d’années : c’est une évidence scientifique. » (souligné par nous). Et alors, face à cette «évidence scientifique», quelles ont été les mesures prises ? Aucune ! En mars 2008 encore, un groupe de géologues avait alerté sur un risque majeur de séisme de grande amplitude dans les deux ans à venir et certains scientifiques avaient même tenu une série de réunions en mai de la même année à ce sujet avec le gouvernement haïtien . Ni l’Etat haïtien, ni tous les Etats qui aujourd’hui versent des larmes de crocodiles et lancent des appels à la « solidarité internationale », Etats-Unis et France en tête, n’ont pris la moindre mesure préventive pour éviter ce drame prévisible. Les bâtiments construits dans ce pays sont si fragiles qu’ils n’ont d’ailleurs même pas besoin d’un séisme pour s’effondrer : « en 2008, déjà, une école de Pétionville avait enseveli, sans aucune raison géologique, près de 90 enfants » .
Maintenant qu’il est trop tard, Obama et Sarkozy peuvent bien annoncer une «grande conférence internationale» pour «la reconstruction et le développement», les Etats chinois, anglais,,allemand ou espagnol peuvent bien envoyer tous leurs colis et leurs ONG, ils n’en resteront pas moins des criminels aux mains couvertes de sang.
Si Haïti est aujourd’hui si pauvre, si sa population est dénuée de tout, si les infrastructures sont inexistantes, c’est que depuis plus de 200 ans, la bourgeoisie locale et les grandes bourgeoisies espagnole, française et américaine se disputent les ressources et le contrôle de ce petit bout de terre. A travers son quotidien The Guardian, la bourgeoisie britannique ne manque d’ailleurs pas d’épingler la responsabilité criante de ses rivaux impérialistes : « Cette noble "communauté internationale" que l’on voit aujourd’hui se bousculer pour apporter son “aide humanitaire” à Haïti est en grande partie responsable des maux terribles qu’elle s’efforce aujourd’hui d’atténuer. Depuis le jour où, en 1915, les Etats-Unis ont envahi et occupé le pays, tous les efforts […] ont été violemment et délibérément sabotés par le gouvernement américain et ses alliés. Le propre gouvernement d’Aristide […] en a été la dernière victime, renversé en 2004 par un coup d’Etat bénéficiant d’un soutien international, au cours duquel plusieurs milliers de personne ont perdu la vie […] A vrai dire, depuis le putsch de 2004, c’est la communauté internationale qui gouverne Haïti. Ces pays qui se précipitent maintenant à son chevet ont pourtant systématiquement voté, ces cinq dernières années, contre toute extension du mandat de la mission de l’ONU au-delà de sa vocation principalement militaire. Les projets qui prévoyaient d’utiliser une fraction de cet “investissement” afin de réduire la misère ou favoriser le développement de l’agriculture se sont trouvés bloqués, conformément aux tendances à long terme qui continuent de présider à la distribution de “l’aide” internationale. »
Et il ne s’agit là que d’une toute petite partie de la vérité. Les Etats-Unis et la France se battent pour le contrôle de cette île à coup de putsch, de manœuvres et de corruption de la bourgeoisie locale depuis des décennies, favorisant ainsi le développement de la misère, de la violence et de milices armées terrorisant en permanence hommes, femmes et enfants !
Le cirque médiatique actuel autour de la « solidarité internationale » est donc insupportable et répugnant. C’est à l’Etat qui fera la plus grande publicité autour de «ses» ONG, autour de «ses» colis. C’est à celui qui fera la plus belle image des vies que « ses » sauveteurs auront extirpé des gravats. Pire encore, sur les décombres et les cadavres, la France et les Etats-Unis continuent de se livrer une guerre d’influence sans merci. Au nom de l’humanitaire, ils envoient sur zone leur flotte militaire et essayent de prendre le contrôle des opérations prétextant la « nécessité d’une coordination des secours par un chef d’orchestre ».
Comme à chaque catastrophe, toutes les déclarations d’aide sur le long terme, toutes les promesses de reconstruction et de développement, resteront sans lendemain. Depuis dix ans, suite à des tremblements de terre, il y a eu :
15 000 morts en Turquie, en 1999.
14 000 morts en Inde, en 2001.
26 200 morts en Iran, en 2003.
210 000 morts en Indonésie en 2004 (le séisme sous-marin avait engendré un gigantesque Tsunami qui avait fait des victimes jusque sur les côtes africaines).
88 000 morts au Pakistan, en 2005.
70 000 morts en Chine, en 2008.
Chaque fois, la « communauté internationale » s’est émue et a envoyé de misérable secours ; mais jamais de véritables investissements n’ont été réalisés pour améliorer durablement la situation, en construisant des bâtiments antisismiques par exemple. L’aide humanitaire, le soutien réel aux victimes, la prévention ne sont pas des activités rentables pour le capitalisme. L’aide humanitaire, quand elle existe, ne sert qu’à dresser un rideau de fumée idéologique pour faire croire que ce système d’exploitation peut être humain, quand elle ne constitue pas directement un alibi pour justifier l’envoi de forces militaires et gagner de l’influence dans une région du monde.
Un seul fait révèle toute l’hypocrisie bourgeoise de l’humanitaire et de la solidarité internationale des Etats : le ministre français de l’immigration, Eric Besson, vient de décréter qu’il suspendait « momentanément » les reconduites de personnes en situation irrégulière vers Haïti ! Tout est dit.
L’horreur qui frappe la population vivant en Haïti ne peut que soulever un immense sentiment de tristesse. La classe ouvrière va, comme lors de chaque hécatombe, réagir en répondant présent aux différents appels aux dons. Elle montrera une nouvelle fois par-là que son cœur bat pour l’humanité, que sa solidarité ne connaît pas les frontières.
Mais surtout, une telle horreur doit nourrir sa colère et sa combativité. Les véritables responsables des 50 000 morts ou davantage en Haïti ne sont pas la nature ou la fatalité mais le capitalisme et ses Etats, qui sont autant de charognards impérialistes.
Pawel, (15 janvier 2010)
Sur le site de Libération (quotidien français), https://www.liberation.fr/monde/0101613901-pres-de-50-000-morts-en-haiti... [1]
Sur le blog « sciences » de Libération (https://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/01/s%C3%A9isme-en-ha%C3%A... [2]).
Voir article en espagnol Científicos alertaron en 2008 sobre peligro de terremoto en Haití sur le site Yahoomexico (Assiociated Press du 15/01/2010)
Sur le site de Courrier International (https://www.courrierinternational.com/article/2010/01/14/requiem-pour-po... [4]).
Sur le site de PressEurop (https://www.presseurop.eu/fr/content/article/169931-bien-plus-quune-cata... [5]).
Nous publions ci-dessous une lettre du Noyau de discussion internationaliste de l’Équateur, qui est un témoignage de solidarité avec les travailleurs de « Luz y Fuerza del Centro » du Mexique. Cette lettre fait suite à deux autres messages de solidarité envoyés par deux groupes du Pérou (voir : https://fr.internationalism.org/icconline/2009/solidarite_avec_les_travailleurs_de_luz_y_fuerza_del_centro_au_mexique.html [7])
Chers camarades,
Un peu plus d’un mois s’est passé depuis que, dans la nuit du 10 octobre, la bourgeoisie mexicaine, grâce à son bras armé que sont ses forces de sécurité de l’État capitaliste et avec l’aide de ses agents au sein du mouvement prolétarien, déguisés en syndicats de toutes couleurs, a commis une de ces actions qui lui sont propres : malmener, piétiner et affaiblir la force de ce mouvement à coups de bâton, avec parfois des charges à cheval sabre au clair, usant de la ruse dans les négociations et les allers et retours des « fervents » et si « sacrifiés » dirigeants syndicaux, qui cachent cacher leurs intentions réelles avec des mensonges par tonnes : pour défendre les intérêts de leurs maîtres.
Le prolétariat a vécu des événements comme celui du 10 octobre au Mexique depuis toujours, depuis qu’il a commencé à se lever contre l’avidité du profit, contre l’extraction de valeur de la part de la bourgeoisie ; rappelons-nous le « Dimanche sanglant » du 9 janvier 1905 dans les rues de Saint-Petersbourg, dans la Russie tsariste, qui fut le signe avant coureur de l’Octobre rouge de 1917 ; en Equateur aussi, au siècle dernier, le 15 Novembre 1922, des centaines d’ouvriers qui protestaient pour obtenir des améliorations de leurs conditions de vie furent abattus à coups de sabre et jetés au fleuve Guayas qui débouche sur le port de Guayaquil ; et plus près de notre époque, en 1979, le massacre des travailleurs agricoles du sucre de l’entreprise sucrière Aztra, dans la province du Cañar, où plus de deux cents ouvriers furent jetés dans des canaux où ils furent mitraillés par les force de l’ordre : c’est d’ailleurs ainsi que la « démocratie » a débuté, une autre manière de domination de la bourgeoisie.
Si on regarde attentivement l’histoire de la lutte de classe et si on note tous les combats que la classe a menés depuis des siècles, la liste serait aussi grande qu’est grande la nécessité pour l’humanité d’atteindre des jours meilleurs. Mais cela ne servirait à rien si on ne faisait que se souvenir et se lamenter de tels événements ; on ne pourrait pas en tirer grand-chose. En agissant ainsi, on ne ferait pas mieux que les syndicalistes, les partis de gauche du capital ou ces gauchistes de toute engeance qui aiment tant les commémorations pompeuses de telle ou telle date significative des luttes de la classe ouvrière. Ces agents idéologiques ou institutionnels du capital ne connaissent en rien l’essence du marxisme, ils ne sont en rien intéressés à tirer des leçons de ces luttes ; pour eux, le marxisme ce n’est que des phrases vides, des slogans bons à être répétés dans les discours, pour eux le marxisme n’est qu’un ornement idéologique. Nous, par contre, nous devons faire ressortir les malheurs, nous devons regarder les faits en face, sans fard, nus, pour ainsi comprendre et assimiler ce qu’ils nous laissent comme enseignement. Nous devons être courageux face à l’adversité et puiser avec ténacité dans la réflexion, favoriser le débat et l’éclaircissement avec ceux qui luttent, avec les camarades qui se sont affrontés aux expéditions punitives, avec ceux qui ont perdu leur poste de travail, avec les travailleurs d’autres lieux, d’autres entreprises, d’autres villes et d’autres pays.
Frères prolétariens, vous n’êtes pas seuls. Ici aussi [en Equateur], au mois de septembre, nous avons vécu des moments de protestation similaires au niveau national pour les mêmes raisons : défense des salaires, des postes de travail, d’une vie digne, des indemnisations justes, etc.; mais ces syndicalistes, transfuges de profession, ont adroitement amené les travailleurs vers les chemins du parlement, des lois, des avocats, etc..; les problèmes sont les mêmes ; il faut sauter par-dessus le mur que la bourgeoisie a construit devant nous : le syndicat, les partis de la gauche du capital et les gauchistes, le parlement, les gouvernements, les nations.
Camarades, permettez-nous de vous dire que nous sommes de tout cœur avec vous, pleinement solidaires. Nous voulons approfondir la réflexion sur tous les éléments théoriques et pratiques que nous a légués la lutte de la classe ouvrière dans le monde entier. Nous pensons que, de cette manière, en comprenant votre souffrance à la lumière de la lutte de classe, nous pourrons transmettre les enseignements tirés à nos camarades prolétariens de cette partie de la planète. Nous sommes loin de vous, camarades, mais nous voulons vous dire de ne pas vous décourager. Le futur vous appartient, même si le chemin est plein d’embûches, mais, ensemble et solidaires, au feu de la lutte de classe, nous en sortirons victorieux et c’est l’humanité tout entière qui en sortira victorieuse. En reprenant le Manifeste communiste élaboré par Marx et Engels à la demande des leurs camarades de la Ligue des communistes en novembre 1847, « Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. »
En ce sens, nous sommes convaincus que seul le débat, la réflexion et l’éclaircissement feront en sorte de concentrer la force suffisante pour faire effondrer les murs que les forces de la bourgeoisie érigent devant nous pour ainsi pouvoir construire nous, pour l’humanité toute entière, une société humaine, le communisme.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
NDIE (Núcleo de Discusión Internacionalista de Ecuador, noyau de discussion internationaliste de l’Equateur)
Guayaquil, Novembre 2009
Le Groupe Révolution Prolétarienne (GPR) d'Autriche nous demande de publier la nécrologie de leur camarade Robert, décédé le 7 décembre dernier. Le CCI a appris avec la plus grande consternation le décès soudain de Robert. Nous voulons ici exprimer à ses proches, et en particulier à sa compagne, notre plus profonde solidarité.
Avec le décès de Robert, le CCI perd également un ami proche de longue date. Grâce à son ouverture, sa volonté de clarification politique et sa grande patience, il a joué un rôle important dans l’apparition d'un pôle de camarades qui, à la fin des années 1980 dans la zone de langue allemande, se sont rapprochés des positions de la Gauche Communiste. Particulièrement en Suisse, où une section du CCI naquit ultérieurement de ce processus.
Robert n'a pas emprunté la même voie. Cependant Robert, et les autres camarades du GPR, sont restés vis-à-vis du CCI de tout proches compagnons et amis politiques dans lesquels nous avons la plus pleine confiance.
L’une des plus grandes qualités de Robert était sa conduite solidaire et son attitude conséquente contre tout esprit de concurrence entre les différentes organisations de la Gauche Communiste.
Le CCI regrette Robert.
Notre camarade Ro a tragiquement quitté la vie dans la nuit du 6 au 7 décembre 2009. Il était l‘un des membres fondateurs du groupe, qui s’appelait alors en 1983 Groupe des Communistes Internationalistes (Gruppe Internationalistische Kommunisten / GIK) et qui poursuivait la tradition politique et théorique du Groupe Autonome Politique Communiste (Autonome Gruppe Kommunistische Politik / AGKP) qui a pris fin par son autodissolution. Ses membres fondateurs convergeaient sur le fait que l’acquis politique et théorique de l’AGKP avait été de s’extraire du chaos de l’extrême gauche capitaliste du mouvement de 68 finissant et de s’être doté de positions politiques communistes de gauche. Le matériel théorique-politique de la Gauche Communiste apparaissait aux membres fondateurs comme la seule orientation politique possible pour qui veut se placer sur le terrain de classe politique du prolétariat, concourir à en faire progresser la cause et le développement de son autonomie politique et organisationnelle comme condition de ses futurs triomphes. Seul le courant de la gauche communiste a réussi à résister politiquement à l’horrible contre-révolution qui s’est exprimée par le contrôle politique presque complet sur la classe ouvrière par la social-démocratie, le stalinisme, le maoïsme et le courant principal du trotskisme, pour nous transmettre les enseignements politiques tirés de cette contre-révolution gigantesque. Ro et ses camarades de combat se sentaient investis de la responsabilité de veiller à défendre face à la classe ouvrière en Autriche la théorie révolutionnaire défendue en première place contre la contre-révolution stalinienne par les Communistes de Gauche et à offrir, à la mesure de leurs moyens, aux travailleuses et aux travailleurs la possibilité de renouer avec leur tradition révolutionnaire.
Comme nous provenions tous du cercle de sympathisants de l’AGKP, il nous incombait la tâche de nous approprier de façon critique et sur la base d’un examen approfondi l’ensemble du matériel théorique de l’AGKP et, pour autant qu’il nous ait semblé insuffisant, de le développer par l'étude des leçons tirées par la Gauche Communiste, afin de mettre le groupe sur des bases politiques aussi solides que possible. Comme dans les années quatre-vingts des attaques massives contre la classe ouvrière eurent lieu avec la restructuration de l'industrie (mot d’ordre VÖST), le groupe s'est trouvé confronté à la tâche de soutenir par une intervention politique au moyen de tracts, etc. les luttes des travailleuses et des travailleurs bourgeonnant çà et là. Le difficile travail théorique, les discussions avec le milieu révolutionnaire, les positions politiques graduellement mûries pour leur formulation dans une plate-forme propulsèrent le camarade Ro au premier rang. Le GIK, qui suite à un changement de nom ultérieur s’appelle aujourd'hui Groupe Prolétarien Révolution, est redevable à la méticulosité de Ro pour s’interroger, s'informer, analyser et à sa recherche rigoureuse de la clarté, du fait qu’il possède une plate-forme cohérente (que nous nommons lignes directrices) reposant clairement sur les acquis du marxisme et des expériences historiques de la lutte des classes et de son analyse. Ro laisse derrière lui dans un état de solidité théorique le GPR qu'il a marqué de façon prépondérante par son infatigable engagement et dont il a élaboré de manière décisive les outils politiques. La perte que représente la mort de Ro est immense. Le groupe perd l’un de ses camarades les plus passionnés, qui, par son jugement politique éprouvé, sa perspicacité politique, son expérience politique, ses analyses et l’examen infatigables des événements politiques ont enrichi le groupe et son travail politique. Nous espérions tous son retour une fois surmontée la maladie et nous nous réjouissions du recouvrement de sa présence intellectuelle. Nous regrettons la perte du camarade Ro lourde de conséquences pour notre pratique politique.
Nous sollicitons les groupes du milieu révolutionnaire de la classe ouvrière pour partager avec nous le deuil du départ du camarade Ro et pour nous soutenir solidairement dans la poursuite de notre travail politique en vue de l’émancipation, sans doute encore lointaine, de la classe ouvrière de l’ exploitation économique et du joug politique de la bourgeoisie. Nous les en remercions.
GPR.
Pour faire suite à notre précédent article [12] sur les journées de discussion que le CCI a organisées à Lille en octobre dernier, nous abordons maintenant la première session de ce week-end consacré à Darwin et à la nature humaine, en publiant l'introduction et le compte-rendu synthétique de la discussion qui l'a suivie.
Nous rappelons que ces deux textes ont été produits par des participants à la réunion, ce qui nous donne l'occasion de saluer leur contribution et leur engagement actif dans la réussite de ces rencontres. Hormis certains détails, nous sommes globalement en accord avec ces textes et quoiqu'il en soit, ce qui importe avant tout est leur capacité à refléter la richesse d'une discussion qui a permis à chaque participant, qu'il soit intervenu ou non, d'y trouver matière à réfléchir et à approfondir sa conception de la nature humaine. Car ce qui peut apparaître dans un premier temps comme étant une question scientifique éloignée des besoins de la lutte de classe, est en fait un élément essentiel pour fonder la nécessité et la possibilité d'une société communiste. C'est en effet en comprenant mieux la nature humaine, l'existence d'instincts sociaux et leur rôle dans le développement de la civilisation, que l'on peut mieux définir en quoi le capitalisme constitue intrinsèquement une entrave au progrès de l'espèce humaine et le communisme le cadre indispensable de son émancipation.
CCI
L’année 2009 a été l’année Darwin : anniversaire de sa naissance il y a 200 ans en 1809, et anniversaire de son livre le plus connu De l’origine des espèces écrit il y a 150 ans en 1859. Beaucoup de revues et magazines ont mis à l’honneur Darwin et sa théorie très connue de la sélection naturelle.) La bourgeoisie s’est intéressée très tôt à cette théorie mais s’est empressée de la dénaturer. Qui n’a pas eu un cours ou lu un article ou vu une émission sur la théorie de la sélection naturelle qui réduise celle-ci au fait que la sélection naturelle serait “la sélection des individus les plus forts”. Il ne reste plus qu’à savoir pourquoi la bourgeoisie et ses savants s’échinent tellement à détourner cette théorie. Il est clair que la réponse principale tient dans le fait que la didactique darwinienne pose directement la question de la nature humaine et se trouve être un enjeu de taille pour l’assise idéologique de la société capitaliste naissante.
Mais alors qu’est-ce que cette conception de la science et du monde apporte-t-elle vraiment ? Comment la bourgeoisie tente-t-elle de détruire les réels apports de Darwin ? Et enfin comment résoudre cette question de la nature humaine ?
La théorie de la sélection naturelle
Darwin, fils de médecin, arrêta ses études de médecine pour suivre une carrière de naturaliste. Il fit un voyage exploratoire de 5 ans autour du monde durant lequel il observa de nombreuses espèces animales et végétales : il remarqua de nombreuses ressemblances entre différentes espèces vivantes ou fossiles. Il étudia grâce à de nombreuses enquêtes auprès des éleveurs et des horticulteurs les modalités de création de nouvelles espèces. De ces observations, il en déduisit que si les éleveurs ou horticulteurs réussissaient à faire varier des espèces et à utiliser ces variations pour créer de nouvelles espèces c’est que ces espèces renfermaient naturellement en elles la capacité de varier : c’est la variabilité. Donc les espèces naturelles peuvent également varier mais alors comment et pourquoi cela se produit-il ? Comment ? Par la sélection naturelle (non exercée par l’homme) qui sélectionne les individus les plus aptes à survivre dans un environnement donné. Pourquoi ? C’est là que la loi de Malthus entre en jeu : après avoir lu les travaux de Malthus, Darwin comprend qu’appliqués aux espèces animales et végétales, ils permettaient de combler certains manques pour ancrer sa théorie dans la réalité de l’évolution. Pourquoi cette sélection ? Tout simplement parce qu’il naît plus d’individus pour chaque espèce qu’il ne peut en survivre.
La fin du “fixisme” et de la théologie scientifique
Résoudre ces questions et expliquer le mécanisme de l’évolution permet à la science de sortir du joug du fixisme qui veut que chaque espèce ait été créée par Dieu et qu’elles aient toujours existé à l’identique de ce qu’elles sont aujourd’hui. C’est ce que montre très bien Pannekoek dans sa brochure Marxisme et Darwinisme : des scientifiques tels que Lamarck avaient déjà élaboré des théories transformistes pour comprendre la variabilité des espèces animales et végétales, seulement ne pouvant prouver ni expliquer le mécanisme qui fait que les espèces animales et végétales naissent à partir d’espèces anciennes ces théories étaient restées à l’état d’hypothèse et Dieu restait le créateur de cette variabilité. Un des apports majeurs de Darwin est d’avoir démontré que les espèces d’aujourd’hui sont le fruit d’une longue évolution qui s’est faite au moyen de la sélection naturelle dans le cadre de la lutte pour l’existence : il introduit donc dans les sciences du XIXe siècle, gouvernées par les classifications, le principe de l’évolution et détruit non sans heurt le joug de la religion.
Darwinisme et marxisme
Qu’est-ce que cela apporte aux marxistes et au mouvement ouvrier ? Pannekoek, révolutionnaire du début du XXe siècle, montre à quel point les deux théories et méthodes sont liées : « Il apparaît donc que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes qui s’appliqueraient chacune à leur domaine spécifique, sans aucun point commun entre elles. En réalité, le même principe sous-tend les deux théories. » Un siècle plus tard, Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International écrit en parlant des théories de Marx, Darwin et Freud : « La combinaison de ces multiples perspectives dans l’élaboration d’une théorie générale du devenir de la civilisation constitue, en effet, l’une des tâches scientifiques du matérialisme aujourd’hui. » Engels avait d’ailleurs écrit à Marx : « Ce Darwin, que je suis en train d'étudier, est tout à fait sensationnel. On n'avait jamais fait une tentative d'une telle envergure pour démontrer qu'il y a un développement historique dans la nature. » ( Lettre d’Engels à Marx, 11 décembre 1859). L’apport de Darwin est en fait le même que celui de Marx, c’est celui d’un raisonnement dialectique introduisant l’évolution dans la méthode d’analyse et permettant ainsi de comprendre la monde sous un jour nouveau : celui d’un monde en constante évolution. Tout comme chaque espèce n’est pas éternelle mais se transforme, le capitalisme non plus n’est pas une fin en soit.
De ce fait se pose alors cette question fondamentale : si l’espèce humaine est le fruit d’une évolution, est-elle soumise au principe de la sélection naturelle ? Darwin mettra onze ans pour aborder cette question dans son œuvre méconnue et pourtant majeure : La filiation de l’homme. Pendant ce temps, les savants de la bourgeoisie victorienne soumis à l’idéologie puissante d’un capitalisme fleurissant ont su voir l’intérêt qu’ils pouvaient tirer à combler ce vide “à leur manière”.
Malheureusement cette mystification est encore très présente aujourd’hui et joue de tout son poids dans les rangs de la classe ouvrière.
Le darwinisme dénaturé
Le principal inspirateur du « darwinisme social » est Spencer (1823-1903) qui appliqua alors la théorie de la sélection naturelle à l’homme telle quelle, en proposant une relecture au passage. Il a traduit “lutte pour l’existence” (qui est d’ailleurs la seule force considérée pour expliquer la naissance de nouvelles espèces) par “concurrence interindividuelle généralisée”, selon l’expression de P. Tort et “sélection naturelle” par “survie des plus aptes”. Il étayera sa théorie d’exemples tirés du monde animal très critiqués par Pannekoek : « Ce n’est pas aux prédateurs, qui vivent de façon séparée et qui sont les animaux modèles des darwinistes bourgeois, que l’homme doit être comparé, mais à ceux qui vivent socialement. » Ainsi le système capitaliste naissant est à l’image de la nature et les moins adaptés doivent être éliminés sans égards et sans secours. Il est clair que Darwin est encore lu aujourd’hui à travers les lunettes de Spencer, lunettes en faveur de l’esprit de concurrence qui régnait chez les acteurs et les soutiens de l’industrie anglaise de l’époque victorienne. Processus fort bien démontré par Pannekoek qui décrit très clairement l’erreur faite par ces penseurs : « Ils ont déduit des lois qui gouvernent le monde animal, où la théorie darwinienne s’applique, ce qui est en conformité avec cette théorie, et dès lors l’ordre naturel qui doit durer toujours. »
Une frange de la bourgeoisie est allée plus loin dans le détournement de l’œuvre de Darwin avec Galton le penseur précurseur du racisme scientifique. L’eugénisme était hostile à la reproduction des pauvres, des handicapés physiques et mentaux, pensée comme un obstacle à l’augmentation numérique des hommes supérieurs. Alors que Spencer prône un libéralisme total (aucune intervention pour venir en aide aux pauvres et aux désœuvrés), Galton prône une intervention cœrcitive et limitative des naissances. On sait par la suite comment le nazisme poussera cette théorie à l’extrême et s’en servira de cautionnement scientifique.
Le démenti de Darwin
Darwin a répondu lui-même à ces lectures dévoyées de son œuvre et à son extrapolation erronée.
Darwin a démenti Galton bien avant que celui-ci ne dénature sa pensée en affichant un anti-racisme engagé dès ses premiers textes : « À mesure que l’homme avance en civilisation, et que les petites tribus se réunissent en communautés plus larges, la plus simple raison devrait aviser chaque individu qu’il doit étendre ses instincts sociaux et sa sympathie à tous les membres de la même nation, même s’ils lui sont personnellement inconnus. Une fois ce point atteint, seule une barrière artificielle peut empêcher ses sympathies de s’étendre aux hommes de toutes les nations et de toutes les races. Il est vrai que si ces hommes sont séparés de lui par de grandes différences d’apparence ou d’habitudes, l’expérience malheureusement nous montre combien le temps est long pour que nous les regardions comme nos semblables. » Il n’est pas nécessaire d’en dire plus.
Contre Spencer, il écrit : « L’aide que nous nous sentons poussés à apporter à ceux qui sont privés de secours est pour l’essentiel une conséquence inhérente de l’instinct de sympathie, qui fut acquis originellement comme une partie des instincts sociaux, mais a été ensuite, de la manière dont nous l’avons antérieurement indiqué, rendu plus délicat et étendu plus largement. » Darwin rappelle ce qui a manqué à la lecture de Spencer : la nature sélectionne également des instincts et chez l’homme comme pour l’ensemble des animaux sociaux a sélectionné les instincts sociaux et c’est bien ce qui pose problème à la bourgeoisie car cela ne rentre pas dans son cadre d’analyse et sa doctrine.
D’autres lectures de Darwin
Même si certains révolutionnaires sont tombés dans le piège de vouloir contrer ces théories en utilisant la même démarche que ces penseurs bourgeois, c’est-à-dire en voulant démontrer que c’est le communisme qui est le système social naturel à l’humanité, d’autres ont très bien compris son œuvre, comme Pannekoek déjà cité. Fervent défenseur des apports de Darwin, il montre l’importance de la question de la sociabilité de l’homme très présente dans la deuxième œuvre de Darwin : La Filiation de l’Homme qui détruit point par point les théories du darwinisme social. Pannekoek s’appuyant sur Kautsky écrit : « Quand un certain nombre d’animaux vivent en groupe, en troupeau ou en bande, ils mènent en commun la lutte pour l’existence contre le monde extérieur ; à l’intérieur la lutte pour l’existence cesse. […] C’est grâce à cette force unie que les herbivores sans défense peuvent contrer les prédateurs. » C’est du fait de cette nuance très importante qu’il est impossible d’appliquer la théorie de la sélection naturelle de manière schématique : elle relève plus d’une dialectique de la nature que d’une loi immuable. Certains spécialistes aujourd’hui, comme Patrick Tort, vont plus loin et parlent d’un “effet réversif de la sélection naturelle” qui peut se résumer par cette simple phrase : la sélection naturelle sélectionne des instincts sociaux excluant des comportements éliminatoires. La sélection naturelle par la voie des instincts sociaux a sélectionné la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. Selon P. Tort, Darwin réconcilie donc nature et culture. Je ne détaille pas plus nous aurons l’occasion d’y revenir dans le débat.
Alors au regard de ces lectures de Darwin, qu’en est-il de la nature humaine ?
Au regard des différents ouvrages cités jusqu’à maintenant, on peut se demander s’il y a une nature humaine, une faculté propre à l’homme et à lui seul. N’est-il pas vain d’entamer une telle entreprise ?
Une vision bourgeoise à combattre
Quand on pose cette question, on pose en fait une question relativement compliquée. La bourgeoisie nous enfonce dans la tête depuis notre plus jeune âge que l’homme est par nature violent, guerrier, individualiste, opportuniste pour justifier idéologiquement ses échecs et les horreurs que son système a engendrés ainsi que pour inhiber la confiance de la classe ouvrière dans le fait qu’elle est capable de s’unir pour lutter contre ce système d’exploitation de l’homme par l’homme. Mais je pense qu’il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et vouloir démontrer à tout prix que l’homme est par nature solidaire, altruiste, bon et pacifique car cette démarche n’est pas scientifique mais doctrinale et ne permet pas de comprendre l’homme. Cette démarche mène inéluctablement à une mauvaise compréhension du monde et de la nature dans son ensemble. Il est nécessaire de détruire cette pensée dans les rangs de la classe ouvrière car elle est un obstacle réel aux luttes prolétariennes en sapant la confiance de la classe ouvrière en elle-même et banalisant les pensées “no future” : puisque l’homme est naturellement mauvais, il ne s’en sortira jamais et devra supporter ce système éternellement.
La fin de ce concept
En ce qui me concerne, je pense qu’il n’y a pas de nature humaine. L’homme n’est rien par nature, ni bon ni mauvais. L’homme s’explique par le matérialisme historique et la théorie de l’évolution des espèces. P. Tort écrit page 154 de son livre L’effet Darwin : « Entre les facultés humaines et les ébauches animales dont elles dérivent par le jeu des avantages sélectifs, il ne peut y avoir, suivant la formule consacrée, qu’une différence de degré et non de nature. » L’homme est un animal comme les autres : il diffère de la girafe comme celle-ci diffère du singe. À vouloir chercher le propre de l’homme, on adopte une démarche vouée à l’échec dans la compréhension de l’homme car on le prive de ses origines. Il n’y pas de rupture entre nature et culture mais bien une dialectique : la morale, le langage ne sont que le résultat de la sélection naturelle qui a sélectionné les instincts sociaux qui ont amené l’homme a développé le langage, la morale base des civilisations. L’homme n’est pas par nature solidaire, simplement dans sa lutte pour l’existence la protection des plus faibles et l’entraide fut un avantage et donc sélectionné. Il ne s’agit pas de trouver en quoi l’homme est unique mais en quoi dans son origine animale il développe des différences qui le mènent à cette condition d’homme contemporain.
Les différences humaines
L’homme se distingue par l’ampleur de ses facultés qui se trouvent développées de manière beaucoup plus importantes que chez les animaux sociaux. A quoi cela tient-il ? Est-ce comme le dit Pannekoek le fait que l’homme fortement démuni dans ses facultés physiques a développé des instincts sociaux beaucoup plus complexes pour être mieux armé et ainsi des outils, prolongement des organes animaux remplissant cette fonction, absents chez l’homme ? Est-ce la nécessité d’un langage élaboré pour communiquer dans des groupes comptant de plus en plus de membres fonction nécessaire pour faire face aux éventuels prédateurs et qui aurait conduit l’homme à un niveau de cognition très élevé menant à une conscience très élaborée de lui-même et des autres ?
Développer la question qui je pense favorisera le débat : comment comprendre que des études récentes démontrent que la sélection naturelle a favorisé au sein de l’espèce humaine le développement de comportements d’entraide et d’altruisme, alors qu’on assiste aujourd’hui à un développement puissant de comportements individualistes ? A la sélection naturelle ne superpose-t-il pas une sélection sociétale ?
La discussion qui a suivi la présentation a abordé les sujets suivants :
1) L’apport de la théorie de Darwin
2) Darwinisme et marxisme
3) L’interprétation de la théorie de Darwin par la bourgeoisie
4) Qu’est ce que la sélection naturelle ?
5) Peut-on parler d’une nature humaine ?
6) Concurrence et altruisme
7) Intérêt de la discussion
1) L’apport de la théorie de Darwin
De nombreuses interventions ont souligné le caractère novateur, pour son époque, de cette théorie. En effet, elle est révolutionnaire (même si avant Darwin d’autres scientifiques avaient commencé à appréhender la question) parce qu’elle remet totalement en cause les croyances, les principes donnés jusque-là comme intangibles et imposés à l’ensemble de la société comme une vérité indiscutable.
Quelles étaient ces vérités ? Le monde vivant, plantes, animaux, est fixe, ne se transforme pas. Il est le produit de la volonté d’un créateur. La théorie de l’évolution va donc constituer une rupture totale et complète avec les théories fixistes, créationnistes, téléologiques dominantes à l’époque. Elle met en évidence qu’il existe un mécanisme, celui de la sélection naturelle, pour expliquer comment des espèces nouvelles peuvent être issues d’autres espèces. Avec la théorie de Darwin, une première explication scientifique du monde qui nous entoure est exposée : Le monde évolue sous l’action conjuguée de plusieurs facteurs.
2) Darwinisme et marxisme
Cette théorie est du point de vue de la méthode proche du marxisme parce que l’une comme l’autre, en ayant une démarche scientifique fondée sur aucun a priori, aucun préjugé, emploie une méthode matérialiste. Peut-on en conclure que Darwin est marxiste et que le darwinisme est une conception prolétarienne ?
La théorie de Darwin n’est pas dirigée contre la bourgeoisie. Elle n’a pas de but politique car son dessein n’est pas de chercher à établir des frontières de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie. Lorsque Darwin expose sa théorie, la bourgeoisie applaudit des deux mains parce qu’elle comprend qu’elle peut s’en servir contre les anciennes classes. Ainsi la classe montante va s’approprier cette théorie, comme d’autres théories scientifiques à l’époque, et va s’en servir pour saper les bases idéologiques de l’ancien régime. Ces bases politiques étant assises sur la notion de “droit divin” n’ont aucun fondement, le pouvoir qui en découle n’a donc aucune légitimité.
La discussion a par ailleurs réaffirmé qu’il n’y a pas de science bourgeoise ou prolétarienne. Il y a une classe sociale, le prolétariat, qui se nourrit des travaux des scientifiques afin d’enrichir sa compréhension du monde pour pouvoir se donner les moyens de le transformer.
3) L’interprétation de la théorie de Darwin par la bourgeoisie
Comme toutes les classes exploiteuses qui l’ont précédée, la bourgeoisie, pour maintenir sa domination, s’est forgée sa propre idéologie. Ce fut le deuxième aspect développé par la discussion. La bourgeoisie a dévoyé l’interprétation faite par Darwin de l’évolution et l’a réduit à l’échelle de la seule compétition entre les individus. La compétition pour la bourgeoisie est liée de manière intime et nécessaire à la nature humaine. Ainsi elle brouille les consciences et fait de l’homme, un être violent, guerrier, un assoiffé de pouvoir, etc,…
La conception de l’évolution sera utilisée sur le plan politique, en la vidant totalement de son contenu, par les défenseurs du « darwinisme social ». Selon cette théorie, la sélection est l’état naturel des relations sociales et le moteur de l’évolution humaine. Ainsi on justifie la hiérarchisation de la société et l’on peut aller jusqu’à prôner l’élimination des plus faibles.
Pour le marxisme, il n’y a aucune cause naturelle, mais des causes matérielles que l’on trouve au sein des rapports de production. Ce sont ces rapports qui conditionnent les rapports sociaux et qui engendrent des rapports de concurrence. En ce sens ces formes ne sont pas immuables comme voudrait nous le faire croire la bourgeoisie, elles peuvent être dépassées seulement par l’instauration d’une société communiste.
4) Qu’est-ce que la sélection naturelle ?
L’évolution ne s’est pas opérée grâce à l’usage et à l’utilisation intense de certains organes. Ainsi la girafe n’a pas développé un long cou parce qu’elle devait chercher de la nourriture sur les plus hautes branches. Son cou s’est développé par sélection, en éliminant dans la population des girafes celles dont le cou n’était pas adapté, et conservant et étendant à l’ensemble de la population des girafes le trait, le caractère d’un long cou nécessaire à la survie de l’espèce. L’évolution ne se fonde donc pas seulement sur le hasard, elle se manifeste aussi par une sélection des caractères favorables qui s’étendent au groupe entier.
La transmission se fait via les individus, les parents transmettent à leurs enfants, leurs particularités, mais en même temps ces enfants ne sont pas “une copie conforme de leurs parents”, ils divergent de leurs ascendants. Sans cette variation, il serait totalement impossible qu’il puisse y avoir un processus évolutif par lequel, grâce à des divergences grandissantes, une nouvelle espèce apparaîtrait.
La théorie de Darwin de la descendance modifiée par la sélection naturelle fait de l’homme non pas un être à part, mais un être qui se rattache au monde animal. Bon nombre de capacités considérées comme propres à l’homme ont été démontrées chez les animaux. La fabrication d’outils, la notion du beau, des formes de compassion sont quelques exemples parmi d’autres du lien qui unit l’homme aux animaux.
5) Peut-on parler de l’existence d’une nature humaine ?
Peut-on défendre la pertinence d’une classification du monde vivant ? La discussion a montré qu’il y avait des nuances ou des divergences sur ces questions.
a) Le premier point de vue a défendu l’idée selon laquelle il n’y a pas de nature humaine. Cela n’implique pas qu’il n’y a pas de différences entre les hommes et les animaux. Il n’y a qu’une différence de degré, et dire qu’il y a une nature humaine, c’est rechercher une faculté qui serait propre à l’homme et à lui seul. Comme l’expose Patrick Tort dans son livre, L’effet Darwin : « À vouloir chercher le propre de l’homme, on adopte une démarche vouée à l’échec dans la compréhension de l’homme, car on le prive de ses origines. »
b) Une deuxième intervention a insisté sur l’idée selon laquelle les espèces, les classifications, sont une réalité en tant que concept mais n’ont pas de réalité scientifique. Il y un caractère arbitraire dans les notions de race et d’espèce dont il faut se débarrasser. Ainsi catégoriser divers groupes humains sur la base de la race, c’est scientifiquement aberrant. Les progrès de la génétique aujourd’hui conduisent à rejeter toute classification raciale et doivent servir à pourfendre tout le contenu inégalitaire contenu dans les théories racistes.
c) Un troisième point de vue s’est exprimé au cours de la discussion et a défendu l’existence d’une nature humaine. L’homme s’est extrait du monde animal et s’en est distingué. Au cours de son évolution, il a développé des facultés propres. Ainsi il a eu la capacité de développer des outils d’une très haute technicité, il a eu la capacité d’exprimer et de communiquer sa pensée aux moyens de signes vocaux ou graphiques ou bien encore la capacité de prendre conscience de sa propre existence. Il a effectué au cours de son évolution un pas qualitatif très important qui ne fait pas de lui l’être suprême mais l’être qui a une responsabilité sur ce qui l’entoure.
d) Autre insistance présente dans la discussion : l’une des bases essentielles contenue dans la théorie de la transformation, c’est l’idée qu’il y a un processus continu qui s’oppose donc à toute idée de rupture. Ainsi l’homme et l’animal ont des caractères communs. Le processus a donc été continu, il n’y a pas eu de rupture entre le point de départ constitué par l’apparition de la cellule et le stade actuel celui de l’homme.
e) La notion d’espèce a une réalité. L’espèce se définit par l’ensemble des individus, animaux ou végétaux semblables par leur aspect, leur habitat, féconds entre eux mais stériles avec tout autre individu d’une autre espèce. La science tient des principes jusqu’au moment ou la réalité décrite jusque là est remise en cause par de nouvelles découvertes. Les notions d’espèce et de race ne sont évidemment pas des critères absolus, leurs frontières peuvent avoir un certain flou ; elles ont un sens pratique et efficient pour définir un état, une chose.
6) Concurrence et altruisme
Pour essayer de comprendre la question, il faut la poser en n’omettant pas de faire le lien entre la biologie évolutive (analyse du monde vivant et de son évolution) et l’étude de la dimension sociale de l’homme (l’anthropologie). En effet la sélection naturelle ne se limite pas à sélectionner des variations organiques. Elle sélectionne aussi des instincts individuels et collectifs qui sont fondamentaux pour expliquer le processus qui conduit à la civilisation.
Ainsi l’évolution se caractérise par le passage d’un “état de nature” régi essentiellement par la loi de la sélection naturelle à un état “civilisé” dans lequel se développent des conduites s’opposant aux lois de la sélection naturelle. La disposition de caractère qui pousse à s’intéresser aux autres, à se montrer généreux et désintéressé est l’essence même de l’homme. Mais elle n’est pas seulement innée, elle est aussi le produit de la structure sociale, des règles qu’il se donne et qui conduisent à respecter les autres hommes. Au vu de toutes les expériences scientifiques qui ont été menées (tests sur de jeunes enfants, études sur des peuplades), il est démontré qu’il existe à la base, des sentiments altruistes, des comportements sociaux chez l’homme.
7) Intérêt de la discussion
Le débat avait au XIXe siècle une fonction essentielle, celle de lutter contre toutes les interprétations religieuses du monde. Il y avait une véritable guerre entre les tenants d’une vision idéaliste du monde et les tenants d’une vision matérialiste. Aujourd’hui avec la crise du capitalisme, la bourgeoisie a besoin de lancer des campagnes idéologiques notamment sur la théorie de Darwin. Marx et les marxistes ont à l’époque répondu à toutes ces questions, il faut donc recentrer le débat par rapport à cette question.
Conclusion : Du débat, il est bien ressorti que la théorie de Darwin était novatrice. Elle pose pour principe, un principe dynamique, un principe d’évolution du vivant en montrant quel est le moteur de cette évolution. La question de la nature humaine (existante ou pas) est une question importante, elle doit nous permettre de mieux appréhender quels seront les enjeux qui détermineront les rapports entre l’individu et la société communiste. La discussion n’a malheureusement pas suffisamment abordé les questions des instincts sociaux et de la morale.
Le 14 décembre 2009, des milliers d’ouvriers des entreprises de Tekel [1] de douzaines de villes en Turquie ont quitté leurs maisons et leurs familles pour monter sur Ankara. Ces ouvriers ont fait ce voyage pour lutter contre les horribles conditions auxquelles les contraint l’ordre capitaliste. Cette lutte exemplaire qui dure depuis près de deux mois à présent est portée par l’idée d’une grève permettant à tous les ouvriers d’y participer. Ce faisant, les ouvriers de Tekel ont commencé à mettre en œuvre et à être porteur d’un mouvement pour l’ensemble de la classe ouvrière dans tout le pays. Ce dont nous essayons de rendre compte ici est l’histoire de ce qui s’est passé dans cette lutte. On ne doit pas oublier que ce compte-rendu ne concerne pas les seuls ouvriers de Tekel mais les ouvriers du monde entier. Nous remercions chaleureusement les ouvriers de Tekel pour avoir rendu possible l’écriture de cet article en poussant les luttes de notre classe en avant et en nous expliquant ce qui s’y passait.
Nous pensons qu’il faut d’abord expliquer pourquoi les ouvriers de Tekel se sont lancés dans cette lutte. Les ouvriers de Tekel sont entrés en lutte contre la « politique du 4-C » de l’Etat turc. Ce dernier a placé des milliers d’ouvriers en plus de ceux de Tekel sous les conditions de travail du « 4-C ». Ces conditions sont celles qui attendent déjà des centaines de milliers d‘ouvriers, ceux du secteur du sucre en étant les prochaines victimes. A côté de cela, de nombreux secteurs de la classe ouvrière ont fait l’expérience d’attaques similaires sous d’autres appellations et de telles attaques attendent ceux qui n’en ont pas encore été frappées. Qu’est donc que ce « 4-C » ? Il s’agit de fait d’une pratique de « protection » mise en avant par l’Etat turc lorsque le nombre d’ouvriers qui ont perdu leur travail à cause des privatisations a augmenté. Cela implique d’abord, avec une sérieuse baisse de salaire, que les ouvriers du secteur public soient mutés dans différents autres endroits et secteurs de l’Etat dans les pires conditions. La pire d’entre elles introduite par le « 4-C » est qu’elle donne à l’Etat-patron un pouvoir absolu sur les ouvriers. Ainsi, le salaire, qui est fixé par l’Etat et qui est déjà massivement réduit, est simplement un prix maximum. Il peut être réduit arbitrairement par les dirigeants des entreprises d’Etat. De plus, les heures de travail sont complètement déréglementées et les directeurs d’usine ont arbitrairement le droit de faire travailler les ouvriers aussi longtemps qu’ils veulent, jusqu’à « la fin de la tâche qui leur est assignée ». En retour, les ouvriers ne touchent rien pour ce travail supplémentaire. Avec cette politique, les patrons ont le pouvoir de virer les ouvriers arbitrairement, sans qu’il y ait une quelconque compensation salariale. La période où les ouvriers peuvent travailler varie de trois à dix mois par an, rien ne leur étant payé durant les mois où ils ne travaillent pas, la durée de travail étant une fois encore arbitrairement décidée par les patrons. Malgré cela, il est interdit aux salariés de trouver un deuxième travail pendant les périodes où ils ne travaillent pas ou pendant leurs vacances. Les remboursements de sécurité sociale n’existent plus pour eux et toute assurance médicale leur est supprimée. Les privatisations, tout comme la politique du « 4-C », ont commencé depuis longtemps. Dans les entreprises de Tekel, seuls les départements de l’alcool et de la cigarette étaient privatisés, et ce processus a conduit les usines de tabac à fermer. Nous pensons qu’il est clair que le problème n’est pas seulement celui des privatisations. Il est évident qu’aussi bien le capital privé, qui prend le travail des ouvriers, que l’Etat, qui est le capital d’Etat, veulent surexploiter les ouvriers en les soumettant aux pires conditions d’exploitation et qu’ils joignent leurs forces dans cette attaque. En ce sens, on peut dire que le combat des ouvriers de Tekel est né des intérêts de classe de tous et est l’expression de la lutte contre l’ordre capitaliste tout entier.
Il faut encore expliquer la situation du mouvement de la classe ouvrière en Turquie dans la période où les ouvriers de Tekel ont déclenché leur lutte. Le 25 novembre 2009, une journée de grève était organisée par le KESK, le DISK et le Kamu-Sen [2]. La semaine où les ouvriers de Tekel se sont rendus à Ankara, deux autres luttes ouvrières étaient en cours. La première était des manifestations de pompiers qui devaient perdre leur emploi début 2010, la seconde était une journée de grève des cheminots contre le licenciement de certains collègues pour leur participation à la grève du 25 novembre. La police anti-émeutes, devant la montée des luttes, attaqua brutalement les pompiers et les cheminots. Les ouvriers de Tekel ne furent pas traités de façon différente. Jusqu'à 50 cheminots ont perdu leur emploi pour avoir participé à la grève. Plusieurs ouvriers ont été arrêtés et placés en garde à vue. Les pompiers allaient mettre du temps avant de se remettre de ces attaques, et malheureusement les cheminots n’ont pas entrepris de faire un retour si loin sur le terrain de la lutte de classe. Ce qui a poussé ceux de Tekel aux avant-postes de la lutte en décembre est le fait qu’ils se sont organisés pour se défendre contre les mesures répressives de l’Etat et qu’ils ont su garder leur lutte vivante et active.
Comment la lutte de Tekel commença-t-elle ? Il y avait déjà une forte minorité qui voulait se battre, dès le 5 décembre, lors d’une cérémonie présidée par Tayyip Erdogan [3]. Les ouvriers de Tekel, avec leurs familles, apostrophèrent à l’improviste Erdogan pour lui demander ce qui allait leur arriver. Ils interrompirent son discours en disant : « Les ouvriers de Tekel attendent que vous leur donniez de bonnes nouvelles par rapport à nos revendications » Erdogan répondit : « Il y a malheureusement une espèce d’individus qui s’est répandue en Turquie. Ce sont des fainéants qui veulent gagner de l’argent sans faire aucun travail, en se prélassant. L’ère où l’on gagnait de l’argent en se la coulant douce est terminée (…) Ils pensent que l’Etat est une vache à lait inépuisable et que quiconque n'en profite pas n’est qu’un porc. Voici comment ils posent le problème. Nous ne tolérerons plus cette mentalité et ce genre de situation. Si vous n’êtes pas d’accord pour accepter les règles du 4-C, vous êtes libres de créer vos propres entreprises. Nous avons dit cela aussi. Nous avons eu un accord avec vos syndicats. Je leur avais parlé et je leur avais dit : ‘Vous avez du temps. Mais faîtes ce qui est nécessaire pour faire adopter notre point de vue.’ Comme nous avons eu leur accord, eh bien là, le processus de négociation s'est terminé et nous avons laissé passer encore un ou deux ans. Mais certains sont encore ici pour dire des choses comme nous voulons garder notre travail et continuer comme avant, nous voulons garder les mêmes droits. Non, nous avons déjà négocié ces choses-là. 10 000 ouvriers de Tekel nous coûtent quarante milliards par mois. » [4] Erdogan n’avait pas idée des ennuis qu’il allait s’attirer. Les ouvriers, qui, pour la plupart avaient soutenu le gouvernement auparavant, étaient à présent en colère. La question de comment lancer une lutte était discutée sur les lieux de travail. Un ouvrier d’Adiyaman [5] explique le processus dans un article qu’il a écrit, publié par un journal gauchiste : « Ce processus a stimulé les collègues ouvriers (…) Ils ont commencé à voir le vrai visage du Parti de la Justice et du Développement (AKP) à cause des mots d’insultes prononcées par le Premier ministre. La première chose qu’ils firent a été de cesser d’être membre du parti. Dans les discussions qui démarraient sur les lieux de travail, nous avons décidé de protéger notre travail tous ensemble. » [6] Le syndicat [7] avec lequel Erdogan disait avoir passé un accord, et qui n’avait fait aucune action sérieuse pour les défendre, appela à un rassemblement à Ankara. En conséquence, les ouvriers prirent la route vers la capitale.
Les forces d’Etat avaient préparé une attaque sournoise contre les ouvriers dès le début. La police anti-émeutes arrêta les bus qui transportaient les ouvriers, déclarant qu’elle ne pouvait laisser passer les ouvriers des villes kurdes où les usines Tekel sont concentrées, mais que ceux des régions de l’Ouest, de la Méditerranée, du Centre anatolien et de la mer Noire pouvaient passer. Cela avait pour but de dresser les ouvriers kurdes et les autres les uns contre les autres, et donc de diviser le mouvement sur des bases ethniques. Cette manœuvre déchira en réalité deux masques de l’Etat : celui de l’unité et de l’harmonie et celui de la réforme kurde [8]. Mais les ouvriers de Tekel ne sont pas tombés dans ce piège de la police. Les ouvriers de Tokat en tête [9], ceux venant d’en-dehors des villes kurdes protestèrent contre cette position de la police, et insistèrent avec détermination pour que tous entrent dans la ville ensemble et que pas un ne reste derrière. La police ne sachant pas quelle position le gouvernement risquait finalement d’adopter, finit par permettre aux ouvriers d’entrer en ville. Cet incident a fait en sorte que des ouvriers de différentes villes, différentes régions et ethnies tissent des liens profonds sur un terrain de classe. Suite à cet évènement, les ouvriers des régions de l’Ouest, de la Méditerranée, de l’Anatolie centrale et de la mer Noire devaient exprimer le sentiment que la force et l’inspiration transmises par la résistance, la détermination et la conscience des ouvriers kurdes avaient largement contribué à leur participation à la lutte, et aussi qu’ils avaient beaucoup appris des ces ouvriers. Les ouvriers de Tekel avaient remporté leur première victoire en entrant dans la ville.
Le 15 décembre, les ouvriers de Tekel ont démarré leur manifestation de protestation en face du quartier général du Parti de la Justice et du Développement à Ankara. L’un d’entre eux présent ce jour-là explique : « Nous avons marché sur le quartier général du Parti de la Justice et du Développement. Nous avons allumé un feu le soir et attendu en face de l’immeuble jusqu’à 22 h. Quand il se mit à faire trop froid, nous sommes allés au gymnase Atatürk. Nous étions 5000. Nous avons sorti nos tapis et des cartons pour y passer la nuit. Au matin, la police nous a repoussés vers le parc Abdi Ipekçi et nous a encerclés. Certains de nos camarades ont marché à nouveau vers le bâtiment du parti. Alors que nous attendions dans le parc, nous voulions aller à la rencontre de nos camarades et ceux qui étaient face à l’immeuble désiraient nous rejoindre : la police nous attaqua avec des tirs de gaz lacrymogène. Nous avions marché quatre heures. Nous avons passé la nuit dans le parc, sous la pluie. » [10] L’attaque la plus brutale de la police eut lieu le 17 décembre. Celle-ci, agissant évidemment sur ordre et peut-être afin de cacher le fait qu’elle n’avait pas pu empêcher les ouvriers kurdes d’entrer en ville, attaqua les ouvriers à l’intérieur du parc avec une grande violence et une véritable haine. Le but était de disperser les ouvriers. Cette fois-ci encore, il y avait quelque chose que les forces de l’ordre n’avaient pas prévu : la capacité des ouvriers à s’auto-organiser. Ces derniers, dispersés par la police, s’organisèrent sans l’aide d’aucun bureaucrate syndical et se réunirent dans une manifestation massive face au siège du Türk-Is [11] l’après-midi. Le même jour, n’ayant pas d’endroit où rester, ils occupèrent deux étages du bâtiment. Les jours suivant le 17 décembre, des manifestations eurent lieu dans la petite rue en face du siège du syndicat Türk-Is, au centre d’Ankara.
La lutte entre les ouvriers de Tekel et les syndicats du Türk-Is a marqué les jours suivant cette date jusqu’au Nouvel An. De fait, même au début de la grève, les ouvriers n’avaient pas confiance dans les dirigeants syndicaux. De chaque ville, ils avaient envoyé dans toutes les négociations deux ouvriers avec les syndicalistes. Le but était de faire en sorte que tous soient informés de ce qui se passait réellement. A la fois Tek Gida-Is et Türk-Is, ainsi que le gouvernement, attendaient que les grévistes renoncent au bout de quelques jours face à la fois au froid glacial de l’hiver d’Ankara, à la répression policière et aux difficultés matérielles. Évidemment, les portes de l’immeuble du Türk-Is furent immédiatement fermées un court moment pour empêcher les ouvriers d’y pénétrer. Contre cela, ces derniers réclamèrent avec succès que les femmes puissent se reposer dans l’immeuble et utiliser ses toilettes. Les ouvriers n’avaient pas l’intention de repartir. Un sérieux soutien leur fut apporté par la classe ouvrière d’Ankara et surtout par des étudiants des couches prolétariennes devant les difficultés matérielles. Une partie peut-être réduite mais néanmoins significative de la classe ouvrière d’Ankara se mobilisa pour accueillir les ouvriers chez eux. Au lieu de renoncer et de repartir, les ouvriers de Tekel se rassemblèrent chaque jour dans la petite rue en face de l’immeuble du Türk-Is, et commencèrent à discuter de comment faire avancer leur lutte. Il ne fallut pas longtemps pour réaliser que la seule solution pour dépasser leur isolement était d’étendre leur lutte au reste de la classe ouvrière.
Dans ce contexte, les ouvriers combatifs de toutes les villes qui avaient vu que le Tek Gida-Is et le Türk-Is ne faisaient rien pour eux essayèrent d’établir un comité de grève avec pour but principal de transmettre leurs revendications aux syndicats. Parmi ces revendications se trouvait la mise sur pied d’une grande tente pour les grévistes afin de célébrer collectivement le Nouvel An, ainsi que l'organisation d’une manifestation devant l’immeuble du Türk-Is. L’exécutif des syndicats s’opposa à cette initiative. Leur argument était qu’après tout, quel besoin avaient-ils des syndicats si les ouvriers se portaient en avant et prenaient le contrôle de leur lutte dans leurs propres mains ?! Cette attitude contenait derrière une menace à peine voilée : les ouvriers qui étaient déjà seuls craignaient d’être encore plus isolés si les syndicats leur retiraient leur soutien. Le comité de grève fut donc supprimé. A présent se posait la question de la volonté des ouvriers de conserver le contrôle de la lutte. Rapidement, ils s’efforcèrent de former des liens avec les ouvriers des usines du sucre qui se heurtaient déjà aux mêmes conditions du 4-C et allèrent vers les ouvriers des environs et dans les universités où ils étaient invités à expliquer leur lutte. En même temps, ils continuaient leur lutte contre la direction du Türk-Is qui n’était en aucune façon derrière eux. Le jour où le comité exécutif du syndicat se réunit, les ouvriers forcèrent les portes du quartier général syndical. La police anti-émeute fut mobilisée pour protéger le président du syndicat Mustafa Kumlu face aux ouvriers. Ceux-ci criaient des mots d’ordre comme : « Nous liquiderons qui nous trahit », « Le Türk-Is à son devoir, vers la grève générale », « Kumlu, démission ». Kumlu n’osa pas se montrer jusqu’à ce qu’il ait annoncé une série d’actions, y compris lancer des appels à la grève et accepter les manifestations hebdomadaires face au bâtiment du syndicat. Il avait peur pour sa vie. Même après cette déclaration de Kumlu, les ouvriers ne le croyaient toujours pas. Un ouvrier de Tekel venant de Diyarbakir [12] déclara dans une interview : « Nous ne suivrons aucune décision prise par la direction syndicale pour arrêter la grève et nous faire repartir. Et si une décision d’arrêter la grève sans rien gagner est prise comme l’an dernier, nous pensons à saccager l’immeuble du Türk-Is et à y mettre le feu » [13]. Il exprimait le sentiment de nombreux autres ouvriers de Tekel. Le Türk-Is revint sur son plan d’action lorsque la première grève d’une heure connut un taux de participation de 30% pour tous les syndicats. Les leaders syndicaux furent tout autant terrifiés que le gouvernement lui-même à l’idée de voir la lutte se généraliser. Après la chaleureuse manifestation du Nouvel An devant l’immeuble du Türk-Is, un vote à bulletins secrets fut organisé parmi les ouvriers pour décider s’ils continuaient ou retournaient chez eux. 99% votèrent pour la poursuite de la grève. Dans le même temps, un nouveau plan d’action, suggéré par le syndicat, commença à être mis en discussion : après le 15 janvier, il devait y avoir un sit-in de trois jours, suivi par une grève de la faim de trois jours et un jeûne complet de trois jours. Une manifestation avec une participation massive devait également avoir lieu, comme l’administration du Türk-Is le promettait. Les ouvriers pensaient au départ qu’une grève de la faim était une bonne idée. Étant déjà isolés, ils ne voulaient pas être oubliés et ignorés et pensaient qu’une grève de la faim pouvait éviter cela. Ils pensaient être embourbés face au Türk-Is et ressentaient le besoin de faire quelque chose. Une grève de la faim pouvait agir comme intimidation aussi pour le syndicat, pensaient-ils.
Un des textes les plus significatifs écrits par les ouvriers de Tekel a été publié ces jours-là. Il s’agit d’une lettre écrite par un ouvrier de Batman [14] aux ouvriers des usines de sucre : « A nos sœurs et frères ouvriers honorables et travailleurs de l’usine de sucre. Aujourd’hui, la lutte remarquable que les ouvriers de Tekel ont développée est une chance historique pour ceux dont les droits ont été retirés. Pour ne pas rater cette chance, votre participation dans notre lutte nous rendrait plus heureux et plus fort. Mes amis, j’aimerais spécialement indiquer que depuis longtemps les syndicalistes vous promettent l’espoir qu’ils « vont s’occuper de cette affaire ». Cependant, comme nous sommes passés par ce même processus, nous savons bien que ce sont de gens aisés qui n’y ont aucun intérêt vital à défendre. Au contraire, vous êtes ceux auxquels les droits seront enlevés et dont le droit au travail sera retiré. Si vous ne prenez pas part à la lutte aujourd’hui, demain sera trop tard pour vous. Cette lutte ne sera victorieuse que si vous êtes dedans et nous n’avons aucun doute ou manque de confiance en nous-mêmes pour nous en occuper. Parce que nous sommes sûrs que si les ouvriers sont unis et agissent comme un seul corps, il n’y a rien qu’ils ne puissent réussir. Avec ces sentiments, je vous salue avec ma plus profonde confiance et mon plus profond respect au nom de tous les ouvriers de Tekel. » [15] Cette lettre n’appelait pas seulement les ouvriers du sucre à rejoindre la lutte ; elle exprimait aussi très clairement ce qui s’était passé pour ces ouvriers de Tekel. En même temps, elle exprimait la conscience partagée par nombre d’entre eux qu’ils ne se battaient pas que pour eux-mêmes mais pour la classe ouvrière tout entière.
Le 15 janvier, d’autres ouvriers de Tekel vinrent à Ankara pour participer au sit-in mentionné précédemment. A présent, ils étaient presque 10 000 sur la place Sakarya. Certains membres de leurs familles étaient venus avec eux. Les ouvriers avaient pris des jours de congés maladie et des vacances pour venir à Ankara et la plupart d’entre eux devaient revenir plusieurs fois pour renouveler leurs permis de vacances. Presque tous les ouvriers de Tekel étaient présents [16]. Une manifestation avec une large participation fut planifiée pour le samedi 16 janvier. Les forces de l’ordre craignaient cette manifestation car elle pouvait faire naître la généralisation et l’extension massive de la lutte. La possibilité que des ouvriers arrivent le samedi pour la manifestation en passant la nuit et tout le dimanche avec les ouvriers de Tekel pouvait conduire à la construction de liens forts et massifs. Aussi, la police insista pour que la manifestation démarre le dimanche, et le Türk-Is, dans une manœuvre typique, affaiblit un peu plus la manifestation en faisant en sorte que les ouvriers des villes kurdes ne viennent pas. Il avait été aussi calculé que passer deux nuits dans l’hiver glacé d’Ankara, sans bouger en sit-in dans la rue, briserait la résistance et la force des ouvriers. On vit lors de la manifestation du 17 janvier que ce calcul était une sérieuse erreur.
Celle-ci commença dans le calme. Les ouvriers qui se rassemblaient à Ankara et plusieurs groupes politiques commencèrent à 10 h à marcher de la gare vers la place Sihhiye. Dans la manifestation, sous le regard de dizaines de milliers d’ouvriers, d’abord un ouvrier de Tekel, puis un pompier et un ouvrier du sucre prirent la parole sur une estrade. L’explosion de colère n’eut lieu qu’après lorsque Mustafa Kumlu s’installa après les ouvriers à la tribune. Kumlu, qui ne s’est jamais préoccupé de la lutte ni des conditions de vie des ouvriers de Tekel fit un discours complètement modéré, conciliateur et vide. Le Türk-Is avait fait un effort particulier pour garder les ouvriers à distance de l’estrade et avait mis au devant des ouvriers métallurgistes, qui n’étaient pas du tout au courant de ce qui se passait face à celle-ci. Mais ceux de Tekel, leur demandant de les laisser passer, s’arrangèrent pour venir directement devant la tribune. Tout au long du discours de Kumlu, ils firent de leur mieux pour l’interrompre avec leurs mots d’ordre. La dernière offense à l’égard des ouvriers fut l’annonce qu’après Kumlu, ce serait Alisan, un chanteur de pop qui n’avait rien à voir avec le mouvement, qui allait donner un concert. Les ouvriers investirent l’estrade, commençant à crier leurs mots d’ordre et malgré le fait que les chefs syndicaux baissaient la sono, les ouvriers qui étaient venus à la manifestation reprirent le micro. Pour cette fois, le syndicat perdit complètement le contrôle. C’était les ouvriers qui l’avaient. Les chefs syndicaux, se ruant sur l’estrade, commencèrent à faire des discours radicaux d’un côté et à essayer de l’autre d’en chasser les ouvriers. Comme cela ne marchait pas, ils essayèrent de les provoquer les uns contre les autres et s’en prirent aux étudiants et aux ouvriers qui venaient les soutenir. Les syndicalistes tentèrent encore de diviser les ouvriers qui étaient à Ankara depuis le début de la lutte de ceux qui étaient arrivés récemment, et ils essayèrent de cibler ceux qui venaient offrir leur aide. A la fin, les chefs syndicaux tentèrent de faire descendre ceux qui occupaient l’estrade, et convainquirent l’ensemble de retourner rapidement devant l’immeuble du Türk-Is. Le fait que les discours concernant les grèves de la faim et les jeûnes complets étaient mis en avant pour faire tomber les mots d’ordre sur la grève générale est, selon nous, intéressant. En aucun cas retourner vers l’immeuble du Türk-Is n’était assez pour éteindre la colère des ouvriers. Des mots d’ordre comme « Grève générale, résistance générale », « Türk-Is ne doit pas abuser de notre patience » et « Nous liquiderons qui nous trahit » étaient à présent criés devant le bâtiment. Quelques heures plus tard, un groupe d’environ 150 ouvriers se mit à casser la barricade dressée par les bureaucrates devant les portes du bâtiment et l’occupèrent. Les ouvriers de Tekel qui cherchaient Mustafa Kumlu dans l’immeuble commencèrent à crier « Ennemi des ouvriers, larbin de l’AKP » lorsqu’ils atteignirent la porte de Kumlu. Après la manifestation du 17 janvier, les efforts pour mettre en place un autre comité de grève resurgirent parmi les ouvriers. Ce comité était constitué d’ouvriers qui ne pensaient pas qu’une grève de la faim était une façon adaptée pour faire avancer la lutte et qu’il fallait au contraire étendre celle-ci. L’effort pour le former était connu de tous les ouvriers et soutenu par une très grande majorité. Ceux qui ne le soutenaient pas activement, n’étaient pas non plus contre. Parmi les tâches assignées au comité, plutôt que de transmettre leurs revendications aux syndicats, l’objectif fut de mettre en œuvre la communication et l’auto-organisation dans les rangs ouvriers. Comme le précédent comité de grève, celui-ci était entièrement composé d’ouvriers et complètement indépendant des syndicats. La même détermination d’auto-organisation permit que des centaines d’ouvriers de Tekel puissent se joindre à la manifestation des employés du secteur de la santé qui était en grève le 19 janvier. Le même jour, alors qu’il avait été permis à seulement une centaine d’ouvriers de participer à une grève de la faim de trois jours, 3000 ouvriers les rejoignirent, malgré le sentiment général parmi les ouvriers que cette grève de la faim n’était pas le moyen le plus approprié pour faire avancer la lutte. La raison qu’ils invoquaient était qu’ils ne voulaient pas laisser leurs camarades faire cette grève de la faim seuls, qu’ils voulaient, par solidarité, s’engager avec eux et partager ce qu’ils allaient traverser.
Bien que les ouvriers de Tekel aient fait des réunions régulières entre eux selon les villes d’où ils venaient, une assemblée générale avec tous les ouvriers participants n’avait pas été possible. Cela étant dit, depuis le 17 décembre, la rue face à l’immeuble du Türk-Is avait pris le caractère d’une assemblée générale informelle mais régulière. La place Sakkarya, ces jours-là, était pleine de centaines d’ouvriers de différentes villes, discutant comment développer la lutte, comment l’étendre, quoi faire. Une autre caractéristique importante de la lutte fut comment les ouvriers des différentes régions ethniques réussirent à s’unir contre l’ordre capitaliste malgré les provocations du régime. Le mot d’ordre « Ouvriers kurdes et turcs tous ensemble », lancé dès les premiers jours de la lutte, l’a exprimé très clairement. Dans la lutte de Tekel, de nombreux ouvriers de la région de la mer Noire dansèrent le Semame, et de nombreux kurdes firent la danse d’Horon pour la première fois de leur vie. [17] Un autre aspect significatif de l’approche des ouvriers de Tekel a été l’importance qu’ils donnèrent à l’extension de la lutte et à la solidarité ouvrière, et cela non pas sur la base étroite du nationalisme mais sur celle incluant le soutien mutuel et la solidarité des ouvriers du monde entier. Aussi, les ouvriers de Tekel évitèrent que des factions de la classe dominante dans l’opposition se servent de la lutte pour leurs propres buts car ils n’avaient aucune confiance en elles. Ils furent attentifs à comment le Parti Républicain du Peuple [18] (CHP, Cumhuriyet Halk Partisi) attaquait les ouvriers qui étaient licenciés de Kent AS [19], comment le Parti du Mouvement Nationaliste [20] (MHP, Milliyetçi Hareket Partisi) a joué son rôle dans l’aggravation de la politique étatique et anti-ouvrière. Un ouvrier a exprimé cette conscience très clairement : « Nous avons compris ce que nous sommes tous. Ceux qui ont voté pour la loi de privatisation nous disent aujourd’hui comment ils comprennent notre situation. Jusqu’ici, j’ai toujours voté pour le Parti du Mouvement Nationaliste. Ce n’est que dans cette lutte que j’ai rencontré des révolutionnaires. Je suis dans cette lutte parce que je suis un ouvrier. Les révolutionnaires sont toujours avec nous. Le Parti du Mouvement Nationaliste et le Parti Républicain du Peuple font cinq minutes de discours ici et puis s’en vont. Ils y en avaient parmi nous qui les chérissaient lorsqu’ils sont venus ici. A présent, la situation n’est plus la même. » [21] L’exemple le plus frappant de cette conscience s’est vu lorsque les ouvriers de Tekel ont empêché de parler des fascistes de l’Alperen Ocakları [22], la même organisation qui avait attaqué les ouvriers de Kent AS qui manifestaient dans le Parc Abdi Ipekçi parce qu’ils étaient Kurdes. La lutte de ceux de Tekel a également constitué un important soutien aux pompiers qui avaient été brutalement attaqués après leur première manifestation en leur redonnant le moral pour reprendre la lutte. De façon générale, les ouvriers de Tekel ont donné l’espoir non seulement aux pompiers mais à tous les secteurs de la classe ouvrière en Turquie qui veulent entrer en lutte. Ils ont fait en sorte de permettre à tous les ouvriers de participer à la grève. C’est pourquoi aujourd’hui, ils se tiennent fièrement à l’avant-garde de la classe ouvrière en Turquie. Ils ont permis aux ouvriers de Turquie de sortir du sommeil où ils étaient depuis des années en les faisant rejoindre les luttes ouvrières du monde entier. Ils représentent les graines de la grève de masse, comme celles qu’on a vu secouer le monde ces dernières années de l’Egypte à la Grèce, du Bangladesh à l’Espagne, de l’Angleterre à la Chine.
Cette lutte exemplaire (honorable ?) est toujours en cours, et nous pensons qu’il n’est pas encore temps d’en tirer toutes les leçons. Avec l’idée d’une grève de la faim et d’un jeûne total poussée en avant d’un côté, et de l’autre celle d’un comité de grève mis en œuvre par les ouvriers qui ne trouvent pas adaptée la grève de la faim pour la lutte et veulent au contraire l’étendre, avec les bureaucrates du Türk-Is qui font partie de l’Etat d’un côté et de l’autre les ouvriers qui veulent une grève générale, il est difficile de prévoir ce qui attend cette lutte, où elle ira, quels résultats elle obtiendra. Ceci étant dit, nous devons mettre l’accent sur le fait que, quelle qu’en soit l’issue, l’attitude remarquable des ouvriers de Tekel laissera des leçons inestimables pour toute la classe ouvrière.
Gerdûn (20 janvier 2010)
1. Tekel est la compagnie qui a eu le monopole d’Etat de toutes les entreprises de production d’alcool et de tabac.
2. Respectivement, la Confédération de Gauche des Syndicats des Ouvriers du Secteur Public, la Confédération des Syndicats Ouvriers Révolutionnaires, et la plus importante, la Confédération des Syndicats des Employés du Public, connu pour ses sympathies pro-fascistes.
3. Premier ministre, également dirigeant du Parti de la Justice et du Développement ou AKP (AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi).
4. https://www.cnnturk.com/2009/turkiye/12/05/erdogana.tekel.iscilerinden.p... [16]
5. Ville du Kurdistan turc.
6. https://www.evrensel.net/haber.php?haber_id=63999 [17]
7. Tek Gıda-İş, Syndicat des Ouvriers de l’Alimentaire, de l’Alcool et du Tabac, membre de la centrale syndicale Türk-İş.
8. La "réforme kurde" est une tentative de l'Etat turc de trouver une solution au problème posé par la guérilla kurde dans l'Est du pays, en assouplissant les lois anti-kurde (par exemple en levant les interdictions contre l'utilisation de la langue kurde). Cette "réforme" a récemment pris du plomb dans l'aile avec l'interdiction en décembre 2009 du parti kurde DTP (voir aussi l'article sur notre site en anglais: https://en.internationalism.org/icconline/2009/10/turkey [18]).
9. Région connue traditionnellement pour son nationalisme et son soutien au parti au pouvoir.
10. https://www.evrensel.net/haber.php?haber_id=63999 [17]
11. Confédération des syndicats turcs, la plus ancienne et la plus grande confédération de syndicats en Turquie qui a une histoire tout à fait infâme, ayant été formée sous l’influence des Etats-Unis dans les années 1950 d’après le modèle de l’AFL-CIO, et saboteur depuis des luttes ouvrières.
12. Connue pour être la capitale non-officielle du Kurdistan, Diyarbakır est une métropole du Kurdistan turc.
13. https://www.kizilbayrak.net/sinif-hareketi/haber/arsiv/2009/12/30/select... [19]
14. Ville du Kurdistan turc.
15. https://tr.internationalism.org/ekaonline-2000s/ekaonline-2009/tekel-isc... [20]
16. Environ 9000 sur les 10 000 de l’entreprise.
17. Le Şemame est une danse kurde très connue, et le Horon une autre également très connue de la région de la mer Noire de Turquie.
18. Le parti nationaliste de gauche, kémaliste, sécuritaire, membre de l’Internationale socialiste, extrêmement chauvin.
19. Les ouvriers de la municipalité d’İzmir, une métropole de la côte de la mer Egée. Ces ouvriers ont été licenciés par le Parti Républicain du Peuple qui contrôlait la municipalité où ils travaillaient et ensuite brutalement attaquées par la police alors qu’ils manifestaient contre le dirigeant du parti.
20. Le principal parti fasciste.
21. https://www.kizilbayrak.net/sinif-hareketi/haber/arsiv/2009/12/30/select... [19]
22. Gang meurtrier lié au Grand Parti d'Union (BBP, Büyük Birlik Partisi), une scission fasciste radicale du Parti du Mouvement Nationaliste.
Le 2 février dernier, un élève de 14 ans est passé à tabac par une bande d’adolescents dans la cour du lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine. Blessé à coups de couteau, il sera hospitalisé d’urgence. Immédiatement, les 180 enseignants de cet établissement scolaire de la région parisienne, à la fois choqués et ulcérés, arrêtent les cours et exercent leur « droit de retrait » 1.
Depuis lors, ces enseignants continuent de manifester leur colère. Ils refusent de reprendre le travail malgré les pressions qui s’exercent sur eux de toutes parts. Le Recteur et l’Inspecteur d’Académie ne cessent de répéter en chœur aux médias qu’ils ont à faire à des « irresponsables », qu’il est parfaitement « inacceptable » que des enseignants laissent leurs élèves désœuvrés. Les plus hautes sphères de l’Etat menacent elles aussi d’abattre leur foudre sur cette poignée de travailleurs. Le gouvernement considère ainsi que ces enseignants n’exercent pas un « droit de retrait » face à un danger mais un « droit de grève ». Les journées de fermeture de l’établissement ne seront donc pas payées. Les salaires, déjà maigres, vont être probablement largement amputés ! Pour autant, jusqu’à maintenant, ces 180 enseignants ne se sont pas laissés impressionner. Ils semblent déterminés à « se faire entendre ». Leurs conditions de travail sont devenues totalement insupportables et intolérables. Il faut dire que sur cet immense complexe scolaire de 36 hectares et 1500 élèves, il n’y a que 11 surveillants ! Ces 11 salariés doivent gérer les entrées et les sorties des élèves, s’occuper de la cour, des permanences (de plus en plus surchargées puisqu’il n’y a presque plus d’enseignants remplaçants), calmer les élèves dissipés exclus des cours, surveiller la cantine, gérer les absences et les retards, prévenir les familles, accompagner les malades à l’infirmerie et souvent les réconforter… Sans tout ce travail éducatif, absolument nécessaire, l’ambiance générale d’un établissement se dégrade très vite, les incidents se multiplient et les enseignants sont confrontés à des classes de plus en plus ingérables. C’est pourquoi les enseignants de Vitry réclament 11 surveillants supplémentaires, soit le minimum pour que l’établissement fonctionne correctement.
Pour que leur revendication soit satisfaite, ils ont multiplié les « actions ». Ils ont ainsi d’abord envoyé une délégation au rectorat de l’Académie de Créteil puis, devant le mutisme de la hiérarchie, ils ont réalisé une série de manifestations devant ces bâtiments. Le Recteur ne voulant toujours rien entendre, ils ont ensuite décidé d’en appeler directement au ministre de l’Education Nationale, Luc Chatel, en se mobilisant devant le ministère… sans plus de résultat. Plus exactement, ce Monsieur a consenti à « faire un geste » en proposant 3 postes supplémentaires de surveillants et 6 postes de médiateurs de la vie scolaire. Les professeurs ont légitimement rejeté cette « offre » car, comme ils l’expliquent eux-mêmes, «Les médiateurs ne sont pas formés, ils disposent d’un statut précaire [CDD de six mois renouvelable, ndlr] et ne font que vingt heures par semaine au lieu de trente-cinq comme les surveillants. » 2 Ils réclament aujourd’hui un débat public et télévisé avec le ministre.
Où mènent toutes ces actions ? Elles révèlent sans aucun doute la détermination de ces enseignants. Leur colère est légitime et fondée. Mais en cherchant ainsi à « se faire entendre » de l’Inspecteur, du Recteur, du Ministre, en cherchant l’appui des parlementaires et des élus, que peuvent bien gagner ces travailleurs ? Est-ce là réellement la meilleure façon de mener la lutte, d’endiguer la dégradation continuelle de nos conditions de vie et de travail ? Ne s’agit-il pas là, au contraire, d’une impasse ?
L’isolement, la lutte chacun « dans son coin » est toujours un piège pour les travailleurs. Aussi courageux et nombreux soient-ils, des salariés d’une seule boîte (ou d’un seul établissement scolaire) ne font pas le poids face à un patron (ou à un recteur) car celui-ci a toujours caché l'État derrière lui ou ouvertement à ses côtés !
Même quand c’est un secteur tout entier qui entre en grève, cela ne suffit généralement pas. Une lutte circonscrite à une branche d’industrie ou d’activité par exemple est, elle-aussi, condamnée à la défaite. Rappelons-nous du printemps 2003 ! Il y a 7 ans, contre la réforme des retraites de Fillon (déjà), tous les enseignants de France, du primaire et du secondaire, se dressaient comme un seul homme et descendaient dans la rue. Et pourtant, cette lutte a échoué car elle est restée circonscrite au seul secteur de l’Education Nationale. Elle n’est pas parvenue à entraîner derrière elle les autres parties de la classe ouvrière et n’a donc pas fait trembler la bourgeoisie et son Etat. A l’époque, la colère était pourtant très grande. En particulier dans l’Académie de Créteil, la mobilisation avait été extrêmement forte ; des collèges et des lycées avaient été fermés pendant des mois !
Seule l’extension de la lutte à l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière peut inquiéter la bourgeoisie. La preuve en positif cette fois-ci. En 2006, les étudiants sont parvenus à faire reculer le gouvernement qui a été contraint de retirer son Contrat Première Embauche, ce "Contrat Poubelle Embauche" comme le rebaptisèrent à l’époque les jeunes générations. Pourquoi ce recul ? Parce que peu à peu, au fil des semaines, une partie de plus en plus grande de la classe ouvrière se reconnaissait dans le combat des étudiants. De manifestation en manifestation, il y a avait de plus en plus de salariés de tous les secteurs, de chômeurs, de retraités… qui comprenaient que la précarité des jeunes c’était la précarité de tous !
Les enseignants de Vitry doivent tirer les leçons de cet échec de 2003 et de cette victoire de 2006. Il manque des surveillants dans ce lycée ? C’est la même chose dans tous les établissements scolaires ! Le gouvernement embauche de moins en moins, multiplie les contrats précaires (des surveillants comme des enseignants contractuels d’ailleurs) à l’Education Nationale 3 ? C’est la même chose dans tous les ministères et dans toutes les entreprises du privé ! Tous les travailleurs vivent la même réalité, dans les hôpitaux, les administrations, les usines. Ils subissent eux-aussi de plein fouet les réductions d’effectifs et les plans de licenciements. Alors, oui, il faut se battre, non pas pour « ses » postes ou « son » établissement, mais pour des embauches et contre la précarité, partout, à Vitry comme ailleurs.
Des enseignants en lutte sur le terrain pourraient nous répondre qu’en rendant ainsi public et médiatique leur lutte, ils mettent la pression sur le ministre et ont ainsi des chances d’avoir au bout du compte leurs 11 postes de surveillants. Il est vrai que nous ne savons pas encore quel est le plan de l’Etat. En fait, il doit y avoir une bonne raison pour que les médias aux ordres de la bourgeoise parlent effectivement autant de cette mobilisation des enseignants. Quand une lutte l’embarrasse, la bourgeoisie n’hésite pas à la cacher, à exercer un total black-out. Qui a ainsi entendu parler des grandes luttes qui ont lieu en Turquie en ce moment ? Personne ou presque. Si la bourgeoisie braque ses projecteurs médiatiques sur ce lycée de Vitry, c’est qu’elle a certainement une idée en tête. Il y a deux raisons. Soit elle ne va pas donner les 11 postes pour montrer aux yeux de tous les ouvriers que « la lutte ne paie pas », soit elle va satisfaire un peu leurs revendications localement pour mieux supprimer en catimini des milliers de postes dans les autres écoles.
Pour rompre leur isolement, pour lutter contre la dégradation des conditions de vie et de travail qui frappe toute la classe ouvrière et tous les secteurs, ces 180 enseignants doivent utiliser leur colère et leur combativité pour essayer d’entraîner à leurs côtés les autres exploités. Il faut aller, tous ensemble, dans les établissements scolaires voisins et expliquer aux collègues que cette lutte est aussi « leur » lutte. Les écoles toutes proches ne manquent pas. Il y a les collèges Gustave-Monod, Jean-Perrin, Lakanal, Danielle-Casanova, François- Rabelais ; les lycées privés Jean-Macé et Jean-Jacques-Rousseau. Mais pour ne pas rester enfermés dans le seul secteur de l’Education Nationale, comme en 2003, il faut aussi aller à la rencontre des travailleurs des autres branches, les hôpitaux ou les grandes administrations voisines, les entreprises… Dans le même département, il y a deux magasins Ikéa dont les salariés sont aussi en lutte. Aller les rencontrer, discuter, mettre en avant des revendications communes (et nous ne parlons pas là de simple rencontre entre délégués syndicaux, mais bien de délégations massives), voilà ce qui peut faire « tâche d’huile ». Il y a aussi, sur la même commune, l’usine Sanofi qui est touchée par un vaste plan de restructuration et dont le personnel manifestait il y a deux mois encore.
Essayer d'étendre ainsi la lutte, géographiquement, de proche en proche, signifie tenter de briser le corporatisme imposé par les syndicats. Toutes les actions de ces derniers, ou presque, enferment les travailleurs dans « leur » boîte, « leur » corporation. Par exemple, les syndicats d’enseignants ont appelé le 11 février une quarantaine d’établissements de la seule académie de Créteil à une journée de grève et ont organisé un rassemblement devant l’Assemblée nationale afin « d’interpeller et de faire pression sur les parlementaires ». Cette manifestation a rassemblé entre 1500 et 2000 personnes (enseignants, parents et élèves). Pour éviter ce type d’actions totalement stériles et démoralisantes, il faut pouvoir discuter collectivement de comment lutter au sein d’Assemblées Générales souveraines, organisées réellement par les travailleurs eux-même (contrairement à toutes ces AG bidons où les syndicats, qui président, ont déjà tout organisé et planifié à l’avance et où il ne reste plus qu’à choisir qui va faire les banderoles). C’est en de tels lieux, lors de tels débats ouverts entre travailleurs en colère que la décision d’aller tous ensemble au lycée, à l’hôpital, à l’usine la plus proche prend tout son sens et toute sa valeur. C’est en de tels moments de lutte qu’une véritable dynamique de classe peut être enclenchée.
Il ne s’agit pas là d’une recette miracle. Nous en avons bien conscience. Oser contredire les délégués syndicaux, même se confronter à leurs manoeuvres et essayer d’entraîner derrière soi les autres exploités à lutter, tout ça n’est pas chose facile. Pour mille tentatives, peut-être une seule sera efficace. Mais il s’agit là de la seule voie à emprunter, la seule qui permet de construire collectivement un rapport de force favorable à la classe ouvrière.
Plus encore, même si mener une telle lutte ne paye pas toujours comme elle l'a été en 2006, même si elle n’apporte rien sur le plan matériel, elle remonte le moral. Rien n’est plus vivifiant que d’essayer d’étendre la lutte de proche en proche, en allant massivement à la boîte, à l’usine, à l’administration d’à-côté. Il faut faire vivre la solidarité ouvrière, l’entraide, la lutte collective.
Ce n’est qu’en se battant tous ensemble et tous unis qu’on parviendra à résister efficacement aux attaques incessantes et de plus en plus brutales du capital !
PW (14 février)
1 Une loi de décembre 1982 a reconnu un droit d’alerte et de retrait au bénéfice du salarié « qui a un motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle il se trouve présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. » Ce droit de suspendre son activité professionnelle a été étendu depuis 1995 aux agents de la fonction publique dans l’exercice de leurs fonctions.
2 Site de Libération du 9 février (https://www.liberation.fr/societe/0101618167-vitry-les-profs-avancent-le... [23]).
3 Cette année, le nombre d’enseignants non titulaires employés par l’Education nationale a augmenté de 28% par rapport à l’année précédente dans le seul rectorat de Créteil
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru sur le site Internet du CCI en anglais depuis le 5 février. Il révèle que la colère et la combativité continuent d’animer le prolétariat en Grèce depuis un an comme le montre l’importante lutte de janvier-février 2009.
Cet article a aussi parfaitement anticipé ce qui se déroulerait le 10 février : une journée de grève suivie massivement par une classe ouvrière qui ne veut plus subir les violentes attaques de l’Etat et des syndicats manœuvrant pour diviser les ouvriers et stériliser le mécontentement grandissant. Comme nous l’écrivons dans la dernière partie de ce texte, les « attaques portées contre tous les secteurs ouvriers au même moment donnent aux ouvriers une réelle possibilité de mener une lutte commune pour des revendications communes ». Mais, pour y faire face, les syndicats se mobilisent. Ils ont programmé dès janvier 2010 « un projet de grève du secteur public et une marche sur le parlement pour protester contre les attaques contre les retraites par le syndicat ADEDY, le 10 février, une grève appelée par le PAME, le syndicat stalinien, le 11 février, et une grève du secteur privé appelée par le GSEE, le syndicat le plus important, ce qui représente 2 millions de travailleurs, le 24 février. Divisée de cette manière, la classe ouvrière ne va pas mettre l'Etat grec à genoux ».
Il y a un an, il y a eu trois semaines de luttes massives dans les rues de Grèce après l'assassinat par la police d'un jeune anarchiste, Alexandros Grigoropoulos. Mais le mouvement dans la rue, dans les écoles et les universités a eu de grandes difficultés à se coordonner avec les luttes sur les lieux de travail. Il n'y a eu qu'une seule grève, celle des enseignants du primaire qui, pendant une matinée, avait soutenu le mouvement. Même si ce fut une période de troubles sociaux massifs, incluant une grève générale, les liaisons n’ont finalement pas pu se faire.
Toutefois, en Grèce, les actions de travailleurs se sont poursuivies au-delà de la fin du mouvement de protestation jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, le ministre du Travail, Andreas Lomberdos, a été contraint d’adresser une mise en garde à la bourgeoisie internationale. Il a affirmé que les mesures nécessaires dans les trois prochains mois, pour sortir de l’eau la dette nationale dans la crise qui menace de jeter la Grèce hors de la zone euro, pourraient entraîner une effusion de sang. « Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour empêcher cela » a-t-il ajouté. Plus récemment, le mois dernier, le Premier ministre grec, dans un discours devant le Parlement, a déclaré que la crise de la dette nationale est « la première crise de souveraineté nationale depuis 1974 ». Le nouveau gouvernement socialiste parle de réunir tous les partis bourgeois et tente de constituer un gouvernement d’unité nationale d’urgence qui serait en mesure de suspendre des articles de la Constitution garantissant le droit de réunion publique, de manifestation et de grève !
Même avant que le gouvernement ait tenté de mettre en œuvre ses «réformes» (autrement dit, les attaques contre la classe ouvrière) pour réduire le déficit budgétaire de 12,7% à 2,8%, il y a eu une grande vague de luttes ouvrières. Lors de ces deux derniers mois, les dockers ont été en grève ainsi que les travailleurs de Telecom, les éboueurs, les médecins, les infirmières, les enseignants des écoles maternelles et primaires, les chauffeurs de taxi, les ouvriers de la sidérurgie et les employés municipaux ! A priori, toutes ces luttes semblent éclater chaque fois pour des raisons distinctes mais en réalité elles sont toutes des réponses aux attaques que l'Etat et le capital sont contraints de porter pour essayer de faire payer la crise aux travailleurs.
Avant que le programme d'austérité ait été mis en avant (et approuvé par l'Union Européenne), le Premier Ministre Papandreou avait averti qu'il serait « douloureux ». Et le 29 janvier, avant que le moindre détail en ait été annoncé, il y a eu, en réponse à l'actuel « programme de stabilité », une manifestation de colère de la part des pompiers et d’autres travailleurs du secteur public à Athènes.
Le plan gouvernemental sur trois ans prévoyait un gel total des salaires pour les travailleurs du secteur public et une réduction de 10% des quotas. On estime que cela équivaut à une diminution de salaire allant de 5 à 15%. Les fonctionnaires partant à la retraite ne seront pas remplacés, mais il y a aussi la perspective de l’augmentation de l'âge du départ à la retraite qui est présentée comme un moyen pour l'Etat d'économiser sur les charges de retraite.
Le fait que l'Etat est maintenant contraint de porter des attaques encore plus sévères contre une classe ouvrière déjà combative révèle la profondeur de la crise qui affecte la Grèce. Le ministre Lomberdos l’a précisé très clairement quand il a dit que ces mesures « ne peuvent être appliquées que de façon violente ». Cependant, ces attaques portées contre tous les secteurs ouvriers au même moment donnent à ces derniers une réelle possibilité de mener une lutte commune pour des revendications communes.
Si on examine attentivement ce que font les syndicats en Grèce, on peut voir que leurs actions ont pour objectif de maintenir les luttes divisées. Les 4 et 5 février, il y a eu une grève officielle de 48 heures des douaniers et des agents des impôts qui ont fermé les ports et les points de passage frontaliers, pendant que certains agriculteurs maintenaient leur blocus. L’Indépendant (5/2/10) a titré « Les grèves mettent la Grèce sur les genoux » et décrit l'action comme la « première manifestation d'une éruption attendue de grèves tapageuses ».
Cette « éruption attendue » de la grève comprend un projet de grève du secteur public et une marche sur le parlement pour protester contre les attaques contre les retraites par le syndicat ADEDY, le 10 février, une grève appelée par le PAME, le syndicat stalinien, le 11 février, et une grève du secteur privé appelée par le GSEE, le syndicat le plus important, ce qui représente 2 millions de travailleurs, le 24 février.
Divisée de cette manière, la classe ouvrière ne va pas mettre l'Etat grec « à genoux ». Le Financial Times du 5 février estimait que jusqu'à présent « les syndicats ont réagi modérément aux plans d'austérité du gouvernement, ce qui reflète un état d'esprit de disposition à faire des sacrifices pour surmonter la crise économique», mais identifie tout de même « une réaction violente des syndicats contre les programme d'austérité du gouvernement ». En réalité, les syndicats n'ont pas soudainement négligé leur soutien au gouvernement socialiste mais, avec la montée de la colère exprimée par la classe ouvrière, ils savent que s'ils ne mettent pas en scène quelques actions il y a la possibilité que les travailleurs commencent à démasquer la comédie syndicale. Pour le moment les syndicats ont affiché leur visage radical, rompu le dialogue sur les plans d'avenir pour les retraites et prévu des grèves d’une à deux journées à des dates différentes. Les syndicats se sont montrés vraiment désireux que les travailleurs fassent des sacrifices mais maintenant ils doivent tenir compte de la réaction de la classe ouvrière.
Pour les travailleurs, concernant le développement futur de leurs luttes, il est nécessaire qu’ils se méfient non seulement des syndicats mais aussi d'autres ‘faux amis’. Le KKE (parti communiste grec), par exemple, qui possède une certaine influence dans la classe ouvrière, qualifiait il y a un an les manifestants d' agents secrets de « mystérieuses forces étrangères » et de « provocateurs ». Maintenant, ils disent que « les travailleurs et les agriculteurs ont le droit de recourir à tous les moyens de lutte pour défendre leurs droits ». Les autres forces de gauche, comme les trotskistes, sont aussi là pour dévoyer la colère des travailleurs, en focalisant l’attention contre les fascistes ou d’autres forces de droite, ou contre l'influence de l'impérialisme américain - tout et n’importe quoi pour que les travailleurs ne prennent pas leurs luttes dans leurs propres mains et ne les dirigent contre le plus haut représentant du capital, l’Etat. Avec des grèves dans le pays voisin, la Turquie, qui se passent en même temps que les grèves en Grèce1, les syndicats et leurs alliés seront particulièrement attentifs à ce que tous les problèmes que rencontrent les ouvriers soient dépeints comme étant spécifiquement grecs et non comme l’expression de la crise internationale et irrémédiable du capitalisme.
Ce qui est caractéristique de la situation en Grèce, c'est la prolifération de divers groupes armés qui bombardent des bâtiments publics, mais qui ne font qu’ajouter un peu plus de violence au spectacle habituel, tout en favorisant davantage de répression de la part de l'Etat. Ces groupes, aux noms exotiques comme la Conjuration des Cellules du Feu, le Groupe de Guérilla des Terroristes ou de la Fraction nihiliste, n’offrent strictement rien comme perspective à la classe ouvrière. Les ouvriers ne peuvent construire leur solidarité de classe, prendre conscience de leur force et développer leur confiance en eux qu’à partir de leurs propres luttes, en développant leurs propres formes d'organisation, non en restant assis à la maison à regarder à la télévision des bombes placées par des gauchistes radicaux. Le bruit qui court à propos d’un meeting de masse de travailleurs discutant de la façon d'organiser leur propre lutte effraie plus la classe dirigeante que des milliers de bombes.
DD (5 février)
1 Lire notre article « Turquie : Solidarité avec la résistance des ouvriers de Tekel contre le gouvernement et les syndicats ! [26] »Nous publions ci-dessous un tract de la section du CCI en Espagne, largement diffusé lors des manifestations syndicales organisées le 23 février dans les principales villes du pays.
Au milieu d’un des hivers les plus rigoureux dont on se souvienne, ce sont les annonces du trio « Gouvernement-Patronat-Syndicats » pendant la première semaine de février qui nous ont glacé le sang : recul de l’âge de la retraite, coupes budgétaires, nouvelle réforme du travail, etc.
La semaine suivante, comme s’il s’agissait d’une douche écossaise, ces mêmes acteurs ont occupé la scène pour nous « tranquilliser », Zapatero disant que la réforme des retraites était « négociable », que les coupes budgétaires « ne toucheraient pas la protection sociale » et les syndicats comme le patronat se sont déclarés « satisfaits » de cette réforme du travail.
Quelle est la réalité ? Est-ce qu’on peut penser « qu’il n’y a pas encore le feu au lac » ? Ou, au contraire, devons-nous ressentir une grande inquiétude vis-à-vis de ce qui nous attend ?
Pour comprendre ce qui se passe, nous devons analyser la situation économique mondiale et ses perspectives d’évolution. Et celles-ci sont très négatives, contrairement aux insistants messages selon lesquels « on est en train de sortir de la crise ». Les taux de croissance sont en fait rachitiques : …le plus élevé est celui de la France… 0,6% ! (le journal Le Monde annonçant que « la reprise sera plus faible que prévu »).
En réalité, on est entré dans une nouvelle étape de la crise, suite et conséquence de l’étape précédente, caractérisée par une crise des déficits. En 2008, les Etats ont injecté dans le trou noir des banques des sommes pharamineuses, en poursuivant par des plans de sauvetage des industries clés, telles que l’automobile et le bâtiment, en Espagne. Ceci a conduit à un endettement colossal des Etats. Et à la tête de cet hyper-endettement se trouvent les Etats-Unis eux-mêmes, suivis par la Grande-Bretagne. En Europe, l’Irlande, l’Islande, le Portugal, l’Italie et, surtout, la Grèce et l’Espagne. Ces États, frappés par un déficit insupportable, sont au bord de la banqueroute.
Dans la zone euro, construite sur la base du pacte de stabilité qui interdit des déficits dépassant 3% du PIB, la crise est très grave, menaçant l’euro et tout le système qui le soutient.
Tout cela oblige à prendre des mesures dans les pays où le déficit est plus élevé : la Grèce et l’Espagne.
Et quelles mesures va prendre la bourgeoisie ? Dans le capitalisme, les seules mesures que le système peut envisager sont celles qui consistent à attaquer à fond les ouvriers et la majorité de la population travailleuse.
S’attendre à autre chose, s’attendre à ce que « les riches payent » ou que « les charges soient réparties équitablement », c’est croire aux contes de fées, croire que l’État est « neutre », qu’il « appartient à tous ». L’Etat, son gouvernement et les institutions qui le composent (partis d’opposition, syndicats, patronat, église, etc.) sont tous avec le capital, ils le défendent par tous les moyens, légaux et illégaux, de gré ou de force.
C’est ainsi que les « socialistes » grecs arrivés au pouvoir en octobre 2009 avec la promesse « d’augmenter la consommation des travailleurs pour sortir de la crise » ont fait exactement le contraire : ils ont baissé le salaire des fonctionnaires, ont annulé le treizième mois, réduit les retraites, augmenté la TVA...
Mais ces mesures en Grèce ne sont pas quelque chose d’isolé et de particulier. Dans un pays où « ça va mieux », comme la France, le gouvernement a lancé la proposition d’un nouveau coup de hache dans les retraites.
Zapatero s’égosille à dire que « L’Espagne, ce n’est pas la Grèce ». En effet, l’Espagne ne se trouve pas dans la même situation que la Grèce, pour la simple raison que, dans le pays ibérique, la situation est bien pire. Pourquoi, ? parce que l’Espagne est la quatrième économie de la zone euro, par la profondeur insondable de la spéculation immobilière, à cause d’un chômage débridé, par l’ampleur démesurée du déficit de l’Etat. Ainsi, les mesures annoncées maintenant, qui sont déjà une attaque en profondeur contre nos conditions de vie, ne constituent que le premier chapitre d’une longue chaîne d’attaques qui vont accabler nos vies avec son cortège de terribles fléaux : la misère, le chômage, le stress, l’épuisement, l’angoisse vis-à-vis de l’avenir.
Si, déjà, les souffrances au cours de ces deux dernières années ont été cruelles (il n’y a qu’à aller demander aux plus de quatre millions de chômeurs, aux milliers de familles qui ont perdu leur maison ou aux ouvriers qui doivent supporter des retards de salaire ou d’allocations de plus de 3 mois !), si, déjà, les mesures annoncées signifient un coup bien plus dur, ce qui va nous arriver demain sera bien pire.
Les syndicats ont accepté la réforme du travail ; ils ne se sont pas opposés aux coupes budgétaires et viennent de signer avec le patronat un gel de salaires, un accord qui comporte une clause de possibilité de décrochage qui permet au patron de jeter par-dessus bord ces accords « en cas de crise »…Tout cela est pour eux acceptable, mais, par contre, ils se sont mis à pousser des cris d’orfraie face à la retraite à 67 ans. Ils ont convoqué des manifestations pour ce 23 février.
Pourquoi cela ? Ce qu’ils cherchent, c’est à nous limiter et à nous enfermer dans une seule question, celle de la retraite, où le gouvernement aura beau jeu de faire semblant de reculer maintenant pour nous attaquer de plus belle un peu plus tard, dans quelques mois en utilisant le mécanisme plus discret du pacte de Tolède1 où, comme cela a été fait jusqu’à maintenant, on peut changer l’âge de la retraite, baisser les pensions, etc., sans publicité et en nous plaçant devant les faits accomplis.
Ils veulent ainsi nous dévoyer vers une « lutte » offrant un paquet cadeau aux syndicats pour qu’ils puissent redorer leur blason, pour nous faire momentanément ressentir l’illusion d’avoir gagné quelque chose... et nous réveiller après avec le cauchemar réel qu’on nous a fait avaler toutes les autres attaques avec la perspective d’autres supplémentaires.
Les plans que les syndicats ont considérés comme étant acceptables annoncent des coups très durs ! Le coup de massue des coupes budgétaires, nous le ressentirons à travers la baisse des emplois, les réajustements salariaux et de personnel dans les administrations publiques, dans le service détérioré des hôpitaux, celui des écoles, des transports... Le fer rouge de la réforme du travail, nous le ressentirons dans la généralisation des indemnités pour cause de licenciement qui vont être ramenées à 33 jours… et la voie est ouverte vers les 20 jours !2. Nous le ressentirons dans le fait que « la transformation des embauches à temps partiel en CDI » permet aux entreprises de nous faire travailler une journée complète avec le salaire d’une journée à temps partiel...
Et il y a un événement qu’on a fait passer comme une lettre à la poste, sans que personne ne rechigne : le décret-loi contre les contrôleurs aériens. D’abord, le gouvernement a lancé une campagne passablement dégueulasse de lynchage médiatique en présentant les contrôleurs comme des « privilégiés », qui vivraient comme des rois à ne rien foutre alors que leur travail est un des plus risqués et où la tension nerveuse est plus forte. À la suite de cette campagne, le décret-loi est un précédent dangereux qu’on utilisera sans le moindre doute contre d’autres secteurs.
Peut-on lutter en nous laissant entraîner derrière les syndicats ? Définitivement, non ! Leurs « mobilisations » ce n’est que se foutre de notre gueule ou une sinistre plaisanterie, si on veut être un peu plus délicat. Ils font la même chose depuis 40 ans : ils signent des deux mains tout ce que le gouvernement et le patronat leur demande de signer et, après, de temps à autre, ils organisent une « journée de lutte » décaféinée, qui ne sert qu’à semer le découragement et la division chez les ouvriers.
Une des raisons du fait que les gens ne réagissent pas, c’est justement du fait de l’action des syndicats. Ils se proclament « représentants des travailleurs », mais avec leurs accords avec le patronat et le gouvernement, avec leurs coups bas, leurs appels-bidon à se mobiliser, ils découragent et rendent désabusés et sceptiques beaucoup d’ouvriers.
Une autre cause qui rend difficile la lutte ouvrière est l’idéologie même que cette société sécrète, une idéologie faite d’individualisme, d’atomisation, de concurrence, de chacun pour soi et de guerre de tous contre tous. Ces virus pénètrent dans nos têtes et dans nos cœurs, en nous refermant sur nous-mêmes, en rendant difficiles la solidarité et la camaraderie qui sont le seul acier pour forger nos armes.
Cet individualisme est fomenté par les méthodes syndicales qui nous font suivre de façon passive et individuelle leurs appels, au lieu de nous rassembler, de nous réunir, de discuter et décider ensemble. Cette atomisation est développée par l’idéologie de l’attentisme électoraliste, avec l’espoir que grâce au vote isolé et individuel puisse apparaître le leader charismatique qui promet des « solutions » et qui ne fait autre chose que mener des attaques encore plus dures. Les partis du capitalisme, autant ceux de gauche que ceux de droite, lorsqu’ils sont dans l’opposition disent ce qu’ils ne feront jamais et, quand ils sont au gouvernement, font ce qu’ils n’avaient jamais dit.
C’est pour tout cela que la lutte des ouvriers doit être organisée, contrôlée et dirigée par les ouvriers eux-mêmes. C’est ainsi que se sont déroulées les luttes qui, dans les années 1970-76, se sont résolument opposées aux attaques du gouvernement franquiste à l’époque où les travailleurs n’avaient « personne qui les défendait ». Et il en a été de même tout au long de l’histoire : les grandes luttes des travailleurs dans le monde ont été organisées par eux-mêmes dans des assemblées et, lors des situations révolutionnaires, en conseils ouvriers.
La Première Internationale affirmait que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Le Manifeste communiste mettait en avant que le mouvement ouvrier ne peut être que le mouvement indépendant de la grande majorité au bénéfice de la grande majorité.
Les ouvriers qui prennent conscience de ces nécessités doivent se réunir, s’organiser, encourager les autres, impulser une lutte autonome de classe. Lors des manifestations convoquées par les syndicats, au lieu de suivre leurs consignes avec passivité, nous devons en profiter pour nouer des contacts, pour convoquer des assemblées générales où l’on puisse discuter de ce qui nous intéresse, de comment organiser notre défense.
La lutte ne passe pas par les convocations syndicales, mais par le fait que chaque fois qu’une lutte surgit, aussi petite soit-elle, on aille à la recherche de la solidarité et de l’extension de cette lutte aux autres travailleurs. Nous sommes tous touchés ! Ce serait une illusion de croire que, dans son secteur, dans son entreprise, dans sa corporation, on pourrait être à l’abri en nous protégeant de tout ce qui nous tombe dessus. Ce n’est qu’en brisant les prisons du secteur, de l’entreprise, de la région, de la race… que nous pourrons vraiment nous défendre. La solidarité et l’unité, voilà notre force.
Les travailleurs en Grèce ont commencé à protester contre les attaques qui leur tombent dessus. La solidarité avec eux pour résister aux mesures du « socialiste » Papandreou est une solidarité avec nous-mêmes, nous travailleurs en Espagne, parce que si le pouvoir arrive à imposer les mesures brutales prévues en Grèce, il se sentira encore plus fort et arrogant pour les imposer en Espagne. La solidarité internationale est notre force.
Peut-on vraiment croire que les sacrifices d’aujourd’hui vont permettre de faire un pas vers la prospérité demain ? Il suffit de regarder ce qui s’est passé depuis 40 ans : depuis 1967 le capitalisme s’enfonce de manière récurrente dans des crises de plus en plus graves dont les issues, toujours momentanées, ont signifié des sacrifices supplémentaires pour les travailleurs. Pour quel résultat ? Il y a 25 ans, plus de 90% des travailleurs étaient en CDI et aujourd’hui plus de 40% sont dans des emplois précaires. Pour les jeunes d’aujourd’hui, un travail en CDI leur paraît une chose sortie d’un musée ; il y a 25 ans, tous les travailleurs avaient une pension plus ou moins décente ; aujourd’hui, il est de plus en plus évident que les jeunes n’auront jamais de pension de retraite ; il y a 25 ans presque toutes les familles avaient un logement décent ; aujourd’hui, il y a de plus en plus de familles sans toit ou qui doivent s’entasser à plusieurs générations dans un même logement déjà exigu. Et cela n’arrive pas seulement à Haïti ou en Afrique, cela arrive à Londres, Madrid ou New York, au cœur même du monde dit « prospère » !
Le capitalisme n’a pas de solution à sa crise mortelle, ses mesures d’austérité ne débouchent que sur des mesures d’austérité supplémentaires. L’austérité ne produit que plus d’austérité, les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer ceux de demain.
En 2007, Zapatero avait dit « qu’il n’y avait pas de crise » ; en 2008, il a dit qu’il fallait supporter le chômage et les mesures de réajustement, parce qu’en 2009 on commencerait à voir des « bourgeons verts ». Aujourd’hui, en 2010, il y a bien plus de chômage et, en plus, on annonce un programme d’attaques sans précédent.
Il n’y a que la lutte, le développement de l’unité et de la solidarité en tant que travailleurs qui pourront nous ouvrir la voie vers une solution. Une solution qui sera celle que nous rechercherons à nous tous. Pour la simple raison que nous savons ce en quoi consistent les « solutions » des gouvernants et de ceux qui aspirent à le devenir : des promesses et des « sorties de crise » dans les discours et les campagnes électorales ; de la misère, du chômage et des coups bas dans la vie de tous les jours.
Accion proletaria, section du CCI en Espagne (19 février 2010)
1 Le pacte de Tolède de 1995 signé par le gouvernement d’alors (socialiste) avec les syndicats et l’opposition, voulait renforcer les retraites par répartition. Premier résultat : le calcul moyen a été allongé progressivement de 8 à 15 années de cotisations supplémentaires. Au-delà des « avantages » de ce pacte, on y établit que le gouvernement espagnol peut se permettre de réduire le montant des pensions, grâce à l'indexation des pensions sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, les fonds de pensions privés complémentaires ont été renforcés (passant en 15 ans de 2% à presque 30% !) avec tout ce que cela signifie d’aléatoire.
2 Actuellement, cette indemnisation est : 45 jours payés par année travaillée.
Nos lecteurs auront remarqué que notre site subit depuis plusieurs jours des pannes et des périodes de non disponibilité. Ceci est dû au fait que l'augmentation du traffic sur nos sites depuis plusieurs mois a fini par dépasser la capacité de notre serveur.
Nous sommes donc en train de transférer l'ensemble de nos sites sur un nouveau serveur ayant une capacité supérieure et de meilleures performances. Le travail de reconstruction des sites est toujours en cours, et nous contraindra de temps à autre à des arrêts pour en assurer la maintenance. Nous nous en excusons d'avance, et nous remercions les camarades pour leur patience !
Au cours des mois de janvier et février, le CCI a tenu, en France et en Allemagne, une série de Réunions Publiques (RP) sur le thème « Suicides au travail : Une seule réponse, la solidarité de la classe ouvrière ». Nous appelions à venir débattre avec le court texte suivant :
« Ces derniers mois, un “fait divers” a été très largement relayé par tous les médias : la vague de suicides au travail, qui a touché notamment des salariés de France Telecom. La souffrance sur les lieux de production qui pousse certains travailleurs à ces actes individuels de désespoir n’est pas un phénomène nouveau. Il est apparu à la fin des années 1980, au moment même où la bourgeoisie déchaînait sa campagne sur la “faillite du communisme” et la “fin de la lutte de classe”.
Comment comprendre cette nouvelle manifestation de la décomposition du capitalisme ?
Face à la dégradation des conditions d’exploitation et au poison du “chacun pour soi”, comment réagir ?
Nous invitons tous nos lecteurs à venir débattre de ces questions à nos prochaines réunions publiques. »1
L’article ci-dessous se propose de faire un court résumé des discussions qui ont eu lieu à Lyon, Marseille et Grenoble, discussions durant lesquelles de nombreux participants ont témoigné de leurs propres conditions de travail et de la souffrance grandissante éprouvée par leurs collègues ou leurs proches.
Lors de ces réunions, la « souffrance au travail » a été présente non seulement comme un sujet théorique mais aussi et surtout comme une expérience réelle et vécue durement.
Deux questions centrales ont animé les discussions :
L’approfondissement de la crise économique va-t-il développer le chacun pour soi ou au contraire entraîner une plus grande unité et le développement de la solidarité ? Ainsi, pour une jeune étudiante, « Ce qui me fait peur, c’est le chacun pour soi dans la société avec l’augmentation de la crise économique. Il y a aussi l’augmentation de la concurrence. Malgré tout, je ne suis pas pessimiste car je pense qu’il faut changer cette société mais c’est comme un gouffre devant nous ».
Que faire, comment résister a cette pression croissante, qui conduit même certains d’entres nous au pire, à se suicider sur leur lieu de travail ?
Les exemples de harcèlements sur les lieux de travail, donnés souvent avec beaucoup d’émotions, n’ont pas manqué. « Dans ma boite, il y a déjà eu plusieurs plans de restructuration. Nous subissons le harcèlement quotidiennement, beaucoup d’entre nous sont déprimés et pour le moment il n’y a pas de solidarité entre collègues. Actuellement, les gens sont comme paralysés mais je pense qu’avec le développement de la crise cela va forcer les gens à réagir ? » Il s’agit là d’un témoignage d’une jeune femme qui travaille depuis plusieurs années dans ce que l’on appelle le secteur de la « haute–technologie », soi-disant repaire de l’élite privilégiée des ingénieurs. En réalité, ces ouvriers aussi sont touchés par la crise ; ils subissent surtout une pression et des charges de travail insoutenables. Il n’est donc pas étonnant de voir la même idée de l’impact grandissant de la crise économique reprise par un jeune lycéen, futur prolétaire : « Je discute avec mes copains au lycée mais, pour le moment, ils ne sentent pas la crise. Pour eux, il y a encore un certain confort mais quand la misère va s’approfondir, eux-mêmes réagiront. »
Il a été aussi donné l’exemple des responsables de service qui subissent une pression terrible par leur patron et qui doivent la répercuter sur « leur » équipe, « Dans les entreprises publiques et malgré la différence qui existe entre les employés et les cadres, parfois des discussions s’instaurent entre nous, tellement il est manifeste qu’ils subissent aussi d’énormes pressions de la direction, ce qui se transforme souvent en dépression nerveuse. C’est l’exemple des suicides à France Télécom qui nous a fait comprendre cette réalité », c’est le témoignage d’une personne qui a su exprimer comment se développent des débuts de solidarité dans son service. Un des participants, qui a des copains à France Télécom, a ainsi expliqué la réalité « de la nouvelle méthode de management « Time to move » qui doit conduire tout le monde à bouger au bout de trois ans. Le chef a une prime de 3000 euros a chaque fois qu’il fait bouger quelqu’un. »
Est-il possible de revenir à des méthodes de management plus humaines ? Voilà ce que nous dit une étudiante d’une école de commerce : « Dans mon école, on nous parle de faire évoluer le management vers une ‘intelligence émotionnelle’, ce qui devrait permettre de recentrer l’humain, prendre en compte les capacités de chacun. » La réponse de la plupart des participants a été claire. Avec le développement de la crise économique, nous allons vers des méthodes de plus en plus brutales et nous savons tous que « les cellules psychologiques » mises en place par l’employeur sont comme un pansement sur une jambe de bois. Cette étudiante aimerait échapper quand elle travaillera au « métro, boulot, dodo » mais, là aussi, pas d’échappatoire et une autre jeune participante lui a répondu « Bien sûr, nous aurions tous envie de partir à la campagne élever des chèvres et lire Marx toute la journée mais il n’y a aucun moyen d’échapper individuellement au système capitaliste ; la population subit la société ».
Au cours de ces réunions, nous avons pu remarquer la présence de personnes avec de hauts niveaux d’études (médecins, ingénieurs) dont le discours ne déparerait pas avec celui d’ouvriers travaillant dans une usine ou dans certaines administrations. Car en réduisant leur niveau de vie et en subissant une dégradation de leurs conditions de travail, on assiste, à une vitesse accélérée, à la prolétarisation de ceux qui, il y a encore quelques années, pensaient être une « élite » n’appartenant en rien à la « classe ouvrière ».
Les participants ont affirmé clairement que seule la solidarité dans la lutte peut nous aider à sortir de l’isolement insupportable de chaque travailleur. Quelques pistes concrètes pour résister collectivement aux harcèlements et à la pression du capital ont été abordées : ne pas hésiter à réagir publiquement à des attitudes intolérables qu’elles soient adressées à nous ou à un autre collègue ; parler avec ses camarades de travail de ce qui nous arrive ; ne pas rester isolé dans son coin à subir seul les attaques…
La société capitaliste ne sait développer que la concurrence et le chacun pour soi, il faut y répondre par la solidarité, la confiance qui doit se développer entres ceux qui,, malgré de fausses apparences de diversité, subissent les mêmes détériorations de leurs conditions de travail.
Au cours de ces débats, le CCI a donné l’exemple de luttes d'ouvriers qui, au 19ème siècle, partaient spontanément devant l’attitude de harcèlement ou d’humiliations envers un de leur camarade. Depuis les années 2000, nous avons aussi vu des exemples de solidarité lors de certaines luttes, au moment du mouvement contre le CPE en 2006, à Vigo (en Espagne) en 2006 et aujourd’hui en ce début 2010, en Egypte, en Angleterre (lire à ces sujets nos différents articles sur les luttes à travers le monde de ces dernières années sur notre site Web). C’est bien dans ce sens qu’il faut aller.. Un intervenant a souligné qu’il a été particulièrement impressionné par les AG qui ont eu lieu à Caterpillar où tous les ouvriers étaient présents.
A l’intervention d’une personne syndicaliste qui a affirmé que « par rapport au manque de solidarité, les syndicats ont un grand rôle à jouer. Ils interviennent dans l’entreprise pour créer le lien social, c’est comme cela que l’on peut obtenir quelque chose. », les participants ont répondu en insistant sur le fait que ce sont les ouvriers eux-mêmes qui doivent prendre confiance et réagir spontanément avec les autres personnes dans l’atelier, le bureau, l’école, l’hôpital etc., qu’ils n’avaient pas besoin de soi-disant spécialistes de la lutte. Une autre jeune femme est intervenue pour dire : «Même si le ‘droit du travail ‘a été mis en place surtout après la Deuxième Guerre mondialel pour remettre la classe ouvrière au travail, ne devons-nous pas chercher à le conserver ? » Là aussi, ce sont les autres participants qui lui ont répondu. C’est une illusion de croire cela alors que la bourgeoisie et ses gouvernements travaillent depuis longtemps à vider le contenu des droits de celui qui travaille. Les prud’hommes, de plus en plus réduits à la portion congrue, ne sont pas les lieux les plus appropriés de défense de la classe ouvrière qui doit développer sa lutte unitairement et au grand jour (même si ponctuellement un travailleur peut tout à fait avoir recours aux prud’hommes). C’est aussi une question que se posait un jeune travailleur : « j’aime mon boulot mais il y a des aspects qui me dégoûtent comme la mise sous pression permanente.. Contrairement à ce que me dit ma grand mère qui me décrit une certaine humanité entre les travailleurs lorsqu’elle était en activité, aujourd’hui on voudrait surtout que l’on pense comme l’entreprise ».
Nous avons aussi dans la discussion montré que si une personne se suicide au travail, cela a un sens particulier, cela n’a pas la même signification que de se suicider chez soi. Elle exprime de la façon la plus radicale son refus des conditions de travail imposées. Le fait de « passer à l’acte » de plus en plus sur le lieu de travail est à lier à la détérioration de l’ensemble de la société. Pour un participant « Même si nous ne pouvons pas tirer une leçon particulière lorsque les gens se suicident au travail cela marque le déboussolement général de cette société ».
Pour conclure ces débats, comme à notre habitude, nous avons demandé aux camarades s’ils veulaient intervenir une dernière fois pour donner leur avis sur la réunion. La sérénité du débat et parfois son aspect émotionnel a été salué par les participants. Surtout, la nécessité d’aller dans le sens d’une réponse unie et solidaire était très largement partagée. La force de la classe ouvrière réside dans sa capacité à mener des luttes de plus en plus massives, en prenant peu à peu conscience de ce qu'elle est capable collectivement de construire : un monde sans exploitation, sans concurrence, sans harcèlement… le communisme !
CCI (12 février)
1 Nous avons développé notre analyse de ce « phénomène de société », comme disent les journalistes, dans un long article publié dans notre journal du mois de février. Cet article est disponible sur notre site web.
Nous avons reçu sur notre site en espagnol le 3 mars 2010, un commentaire relatif à la situation des habitants des quartiers ouvriers et populaires de l’agglomération de Concepción, à la suite du séisme de fin février. Contrairement à la propagande des médias à l’échelle internationale qui ont dénigré le comportement des populations locales en les désignant comme les auteurs de « scandaleux pillages », ce texte restitue la réalité des faits en mettant en avant l’esprit authentiquement prolétarien de solidarité et d’entraide qui a animé les ouvriers dans la redistribution des biens, tout en l’opposant à l’action prédatrice des gangs armés contre lesquels la population ouvrière a tenté de prendre en charge et d’organiser sa propre défense.
(De la part d’un camarade anonyme)
Il serait souhaitable que dans la mesure où vous [le CCI] avez ce moyen de diffusion [notre site Internet], vous rendiez compte de ce qui est en train de se passer à Concepción et ses environs1, ainsi que dans d’autres régions du Chili qui viennent d’être lourdement touchées par le séisme. On sait que dès les premiers instants, les gens ont mis en pratique le bon sens le plus évident en se rendant aux magasins de denrées alimentaires pour y prendre tout ce dont ils avaient besoin. Ceci est si logique, si rationnel, si nécessaire et inévitable qu’il apparaît comme quelque peu absurde d’en faire la critique. Les gens ont créé une organisation spontanée (surtout à Concepción) pour distribuer le lait, les couches pour bébé et l’eau, en fonction des besoins de chacun, en tenant compte, entre autre, du nombre d’enfants par famille. Le besoin de prendre les produits disponibles apparaissait si évidente, et si puissante la détermination du peuple à mettre en pratique son droit à survivre, que même les policiers finirent par aider les gens à sortir les vivres du supermarché Leader à Concepción, par exemple. Et quand on a essayé d’empêcher que les gens fassent la seule chose raisonnable, les installations en question furent simplement incendiées, pour la simple et logique raison qui fait que si des tonnes de denrées alimentaires vont finir par pourrir au lieu d’être logiquement consommées, il vaut mieux que ces aliments soient brûlés, évitant ainsi le danger des foyers supplémentaires d’infection. Ces « pillages » ont permis à des milliers de personnes de subsister pendant quelque temps, dans le noir, sans eau potable et sans le moindre espoir qu’un quelconque secours arrive.
Or, au bout de quelques heures, la situation a changé du tout au tout. Sur toute l’agglomération du Grand Concepción des bandes bien armées et roulant dans des véhicules de bonne qualité, ont commencé à mettre à sac non seulement les petits commerces, mais aussi les logements particulières et des pâtées de maison entiers. Leur objectif est de s’accaparer le peu de biens que les gens auraient pu récupérer dans les supermarchés, ainsi que les outils domestiques, l’argent ou tout ce que ces bandes peuvent trouver. Dans certaines zones de Concepción, ces bandes ont saccagé les maisons, elles y ont mis le feu, prenant la fuite aussitôt après. Les habitants, qui se sont trouvés au début sans la moindre défense, ont commencé à s’organiser pour pourvoir se défendre, en faisant des rondes de surveillance, en levant des barricades pour protéger les accès aux quartiers, et dans quelques quartiers en mettant en commun les vivres pour assurer l’alimentation de tous les habitants.
Avec ce bref rappel des faits survenus ces jours derniers, je ne prétends pas « compléter » les informations fournies par d’autres moyens. Je ne voudrais qu’attirer l’attention sur tout ce que cette situation critique contient d’un point de vue anticapitaliste. L’élan spontané des gens pour s’approprier de tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, leur tendance au dialogue, au partage, à chercher des accords et à agir ensemble, a été présent depuis le début de cette catastrophe. Nous avons tous pu voir dans notre entourage cette tendance communautaire naturelle sous différentes formes. Au milieu de l’horreur vécu par des milliers de travailleurs et leurs familles, cet élan pour la vie en commun a surgi comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres, nous rappelant qu’il n’est jamais trop tard pour redevenir nous mêmes.
Face à cette tendance organique, naturelle, communiste, qui a animé le peuple pendant ces heures d’épouvante, l’État a blêmi et s’est montré pour ce qu’il est : un monstre froid et impuissant. De même, l’interruption brutale du cycle démentiel de production et de consommation, a laissé le patronat à la merci des événements, à attendre, tapi, que l’ordre soit rétabli. C’est ainsi que la situation a ouvert une vraie brèche dans la société, par laquelle pourraient sourdre les sources d’un monde nouveau qui est déjà dans les cœurs des gens du commun. Il devenait donc urgent et nécessaire de rétablir à tout prix le vieil ordre de la rapine, de l’abus et de l’accaparement. Mais ça a été fait non pas à partir des hautes sphères, mais à partir du sol même de la société de classe : ceux qui se sont chargés de remettre les choses à leur place, autrement dit, d’imposer par la force les rapports de terreur qui permettent l’existence de l’appropriation privée capitaliste, ont été les mafias des narcotrafiquants enkystées dans les quartiers populaires, des arrivistes entre les plus arrivistes, des enfants de la classe ouvrière alliés avec des bourgeois au prix de l’empoisonnement de leurs frères, du commerce sexuel de leurs sœurs, de l’avidité consommatrice de leurs propres enfants. Des maffieux, autrement dit des capitalistes à l’état pur, des prédateurs du peuple, bien calés dans leurs 4x4 et armés de fusils, disposés à intimider et à dépouiller leurs propres voisins ou les habitants d’autres quartiers pour essayer de monopoliser le marché noir et obtenir de l’argent facile, autrement dit : du pouvoir. Le fait que ces individus sont des alliés naturels de l’État et de la classe patronale, est démontré par le fait que leurs méfaits indignes sont utilisées par les media pour faire pénétrer la panique dans les têtes d’une population déjà démoralisée, justifiant ainsi la militarisation du pays. Quel autre scénario pourrait être plus propice à nos maîtres politiques et patronaux, qui ne voient dans cette crise catastrophique rien d’autre qu’une bonne occasion de faire de juteuses affaires et des profits redoublés en pressant une force de travail dominée par la peur et le désespoir ?
De la part des adversaires de cet ordre social, c’est un non-sens que de chanter de louanges aux pillages sans préciser le contenu social de telles actions. Ce n’est pas du tout la même chose une masse de gens plus ou moins organisée, mais du moins avec un objectif commun, qui prend et distribue des produits de première nécessité pour survivre... et des bandes armées qui dévalisent la population pour s’enrichir. Le séisme de samedi 27 n’a pas seulement frappé très durement la classe ouvrière et a détruit les infrastructures existantes. Mais il a aussi sérieusement bouleversé les rapports sociaux dans ce pays. En quelques heures, la lutte de classe a surgi avec toute sa force devant nos yeux, trop habitués peut-être aux images de la télévision pour pouvoir bien saisir l’essentiel des événements. La lutte de classe est ici, dans nos quartiers devenus des ruines dans la pénombre, crépitant et crissant sous nos pas, sur le sol même de la société, où s’affrontent dans un choc mortel deux types d’êtres humains qui se retrouvent enfin face à face : d’un coté, les femmes et les hommes à l’esprit collectif qui se cherchent pour s’entraider et partager ; de l’autre les antisociaux qui les pillent et leur tirent dessus pour ainsi commencer leur propre accumulation primitive de capital. Ici, c’est nous, les êtres invisibles et anonymes de toujours, pris dans nos vies d’exploités, de nos voisins et de nos parents, mais disposés à établir des liens avec tous ceux qui partagent la même dépossession. Là bas, c’est eux, peu nombreux mais disposés à nous dépouiller par la force le peu ou le presque rien que nous pouvons nous partager. D’un coté le prolétariat, de l’autre, le capital. C’est aussi simple. Dans beaucoup de quartiers de ce territoire dévasté, à ces heures-ci du petit matin, les gens commencent à organiser leur défense face à ces hordes armées. À cette heure a commencé à prendre une forme matérielle la conscience de classe de ceux qui se sont vus obligés, brutalement et en un clin d’œil, à comprendre que leurs vies les appartiennent et que personne ne leur viendra en aide.
Message reçu le 3 mars 2010.
1 Le séisme a eu lieu le 27 février 2010 en pleine nuit, avec une magnitude de 8,8. Il provoqua la mort de près de 500 personnes, mais le tsunami qui l’a suivi en rajouta encore plus de morts. Il a touché beaucoup de villes chiliennes, dont la capitale, Santiago. Mais c’est dans la deuxième agglomération du pays, celle de Concepción (900 000 hab. pour l’agglomération), que les morts et les dégâts ont été les plus graves [NdT].
C’est avec la plus grande tristesse que nous devons informer nos lecteurs du décès de notre camarade Jerry Grevin (qui publiait également sous les initiales JG) aux Etats-Unis. Il a été pris d’une attaque cardiaque dans l’après-midi du jeudi 11 février et est décédé immédiatement. Pour tous les camarades, cela constitue un choc terrible et spécialement pour nos camarades américains qui travaillait avec lui quotidiennement.
De nombreux camarades ont connu Jerry depuis plus de trente ans et connaissaient son engagement et son dévouement à la cause du communisme qui commencèrent dans sa jeunesse avec sa participation très active au mouvement contre la guerre du Vietnam, avant de rejoindre le CCI dans les années 1970. Dans le CCI, le camarade a été au cœur de la vie de la section américaine, y compris pendant la difficile période que notre organisation a traversée dans les années 1990, et il a constitué une force dynamique et enthousiaste dans le récent développement de nos contacts aux Etats-Unis. Tous les camarades qui connaissaient Jerry se souviennent de sa joie de vivre et de son sens de l’humour devant les difficultés qu’amène inévitablement la vie. La perte du camarade Jerry n’est pas seulement une perte pour la section américaine, c’est une perte terrible pour tout le CCI et pour notre classe.
Nous publierons prochainement dans notre presse un texte plus long en hommage au camarade. Nous voulons en même temps faire part de notre solidarité aux camarades de Jerry, à sa famille et à ses amis, et de notre détermination à continuer le travail révolutionnaire dans lequel il croyait si passionnément.
Nous publions ci-dessous de larges extraits de la traduction d'un article [32] réalisé par Internationalism, section du CCI aux États-Unis, et diffusé sur notre site en anglais le 18 avril.
Le 4 mars 2010, après des mois de restrictions budgétaires draconiennes et de congés imposés dans le système d'enseignement supérieur à travers les États-Unis, diverses organisations, y compris un certain nombre d'organisations gauchistes, mais aussi anarchistes, ont appelé à une journée nationale d’action. Le slogan adopté était « sauvez l'éducation », une façon trompeuse de définir les questions en jeu, car il est utilisé pour maintenir le mouvement étudiant dans l'illusion du réformisme démocratique et aussi pour caractériser les coupes dans l'éducation publique comme « spécifiques » à ce secteur, comme si c'était le seul soumis à des attaques. C'est pourquoi il y a souvent une mauvaise définition de la question, comme si l’éducation était victime d’une émasculation politique. En fait, la crise de l'éducation est une conséquence directe de l'aggravation de la crise généralisée du capitalisme et la lutte des étudiants doit être comprise dans ce contexte. Le positionnement correct du mouvement étudiant dans un conflit de classe plus large est essentiel pour comprendre le dynamisme de la lutte alors que les contradictions du capitalisme s’exacerbent. Il est également important de comprendre les faiblesses, les limites, mais aussi les potentialités du mouvement étudiant, si l’on veut que ce potentiel se concrétise au maximum.
Personne ne sera surpris d’apprendre que la Californie est le théâtre des actions les plus nombreuses, les plus populaires et les plus préparées du mouvement étudiant. La Californie est le siège de trois systèmes d'enseignement supérieur : University of California (UC), California State University (CSU) et California Community College (CCC), le CCC étant le plus grand système d'enseignement supérieur au monde. Ces trois systèmes englobent respectivement 160 000, 433 000 et 3 000 000 d’étudiants, soit environ 10% de l’ensemble de la population de la Californie. La grave crise financière de l'État, avec un déficit de 20 milliards de dollars, a entraîné des restrictions que le gouvernement tente désespérément de conjurer en ne remboursant pas ses prêts. La situation en Californie est si grave que les grands dirigeants financiers, comme le directeur de la banque JP Morgan Chase, ont caractérisé la situation budgétaire de la Californie comme étant pire que celle de la Grèce. Cette situation a conduit « L'État du Soleil Brillant » à faire subir aux trois systèmes d'enseignement supérieur des réductions drastiques de plus en plus importantes. Pour l'année scolaire 2009-2010, il y a eu une réduction budgétaire totale de 1,7 milliard de dollars répartie de façon à peu près égale entre les trois systèmes, chacun d’entre eux devant trouver sa propre façon de s'y adapter. UC et la CSU ont augmenté leurs frais de scolarité de 30% et ont institué des réductions de salaires et de congés pour leurs employés, tandis que les campus du CCC ont réduit leur nombre de classes, au point que les étudiants ne peuvent pas s'inscrire dans les classes nécessaires au transfert ou à l'obtention d’un diplôme.
Cette situation est particulièrement toxique lorsqu'elle se combine avec la dette qui pèse souvent sur les diplômés de ces systèmes d'enseignement supérieur. La California Postsecondary Education Commission, une institution fédérale, a déclaré en 2007 que « la hausse des frais de scolarité et le coût élevé de la vie mettent la pression sur les familles à faible revenu et sur celles à revenu moyen, ce qui pousse les élèves et les parents à contracter des dettes importantes. » Il est à noter que ceci a été écrit en 2007, avant la crise financière, alors que depuis l’économie dégringole en spirale. Au moment du rapport, les dettes moyennes pour les diplômés des systèmes d'enseignement supérieur de Californie étaient de 12 459 $ pour une scolarité sur quatre années et de 9 214 $ pour une scolarité sur deux années. Ce n'est toutefois pas la fin de l'histoire, dans la mesure où, souvent, ces prêts sont encore aggravés par les prêts des parents des étudiants du premier cycle (PLUS), qui sont souscrits pour payer l'éducation de leurs enfants et qui se montaient respectivement en moyenne à 12 066 $ et 12 742 $. Cela permet de mieux percevoir le poids de la dette pour une multitude d'élèves dans le système éducatif de Californie.
C'est dans ce cadre que la nature de classe des attaques à l’encontre de l'éducation commence à prendre forme. La hausse du coût de l'éducation, qui se manifeste dans les fractions les plus vulnérables de la population étudiante comme le fardeau d’une dette croissante et les restrictions budgétaires aggravées par cette hausse forment le cadre des agressions généralisées et directes à l’encontre du niveau de vie de la classe ouvrière. Pour beaucoup, l’éducation fonctionnait comme un moyen de parvenir à une meilleure situation matérielle et le système public d'éducation en Californie fut jadis l'un des plus accessibles. Le mécanisme de la dette étudiante est utilisé pour incorporer la population étudiante dans l'appareil d'État et pour dissuader de prendre des mesures radicales. À bien des égards, les prêts aux étudiants d'aujourd'hui relèguent la condition d'étudiant à une forme moderne d'esclavage de la dette et cette condition tend à encourager la docilité. Alors que la crise du capitalisme s'approfondit, c'est la classe ouvrière qui est invitée à supporter le poids de ces mesures d'austérité pour résister à la tempête de la crise capitaliste. Cette opération se trouve répétée dans l’ensemble de l'économie. Comme la réalité de la crise assombrit les lunettes habituellement teintés de rose des économistes, même des plus optimistes, de la bourgeoisie, la classe ouvrière est de nouveau appelée à subir la force de la récession à travers des licenciements, des mises en congés, des réductions de salaire, et des suppressions de salaire social, comme l’illustre l’assaut actuel sur l'éducation publique.
Cette situation ne se limite pas aux États-Unis. Les mesures d'austérité sont annoncées dans tout le monde industrialisé. L'attaque de l'éducation en Californie est en lien direct avec les attaques portées contre la classe ouvrière à l'échelle mondiale..
Le mouvement étudiant de Californie se comprend mieux non pas comme une entité en soi mais comme une constellation de mouvements. Bien qu'il existe de nombreuses idées présentes dans le mouvement étudiant, la plupart des étudiants organisateurs sont inévitablement inexpérimentés et souvent leurs actions font le jeu des syndicats. Avec les restrictions budgétaires qui affectent directement les travailleurs, sur chaque campus séparément, les syndicats sont dans une position de force pour maintenir une influence solidement établie. Les étudiants sont mobilisés par les syndicats, souvent par groupes sur le campus, pour promouvoir une soi-disant solidarité « ouvrier-étudiant » et sont ensuite canalisés dans des actions visant à promouvoir le jeu syndical - d'où le slogan populaire dans les manifestations d'étudiants « Nous avons le pouvoir / Quel pouvoir? / Le pouvoir du syndicat ! » Au-delà de manifestations symboliques et inoffensives sur les campus isolés, les syndicats et leurs alliés dans la population étudiante font aussi la promotion de l'idéologie électoraliste qui invite les élèves à écrire à leurs députés à Sacramento et à faire pression pour une suppression des restrictions budgétaires. Ces demandes qui sont souvent formulées à partir d’une conception mystifiée de l'université et à travers la promotion de l'appareil syndical, empêchent la prise de conscience de la nature de classe de la crise elle-même. Les étudiants ignorent aussi bien le fait que l'État de Californie est tout simplement incapable de fournir le moindre financement dans le contexte d'un déficit massif et que le rétablissement des budgets des différents systèmes d'enseignement supérieur nécessiterait de l'État des réductions dans d'autres secteurs prétendument au service de la population : il n’y a rien à espérer du cadre étroit du chauvinisme syndical. Semblant se détacher de ce cadre, il y a un camp constitué de leaders étudiants qui appellent à une responsabilisation des syndicats, mais à travers l'utilisation d'une rhétorique très idéologiquement raciste qui vise en réalité à remplacer la classe par la race. Lors d'une récente réunion de défenseurs de cette idée,, l'un d'eux a parlé de « recadrer le débat afin de comprendre que l'idéologie anti-noir a créé du capital ». L'accent est celui d’une rhétorique "anti-noir", mais développée dans le cadre d’une hiérarchie des opprimés, elle est présentée comme une forme d'analyse de la crise de l'éducation, comme une « crise raciale ». Ce cadre est incroyablement réactionnaire et il aggrave les divisions au sein du mouvement étudiant selon des critères raciaux. Ce groupe est numériquement marginal, mais il est influent, dans sa capacité à exploiter les divisions encouragées par la classe dirigeante depuis plus d'un siècle.
Il y a cependant des étudiants qui s’en libèrent et reconnaissent cette dichotomie comme deux manifestations bourgeoises qui se disputent les restes d'un système malade... Ces étudiants fonctionnent en suivant une ligne de valeurs largement communiste-libertaire et leur faveur va à une variété de tactiques souvent décriées par les syndicats et leurs partisans comme étant trop "incendiaires". Les tactiques de lutte populaire qu’ils préconisent sont l’occupation de bâtiments et diverses formes de protestations conflictuelles comme le blocage des autoroutes. Un slogan adopté dans ce camp est « tout occuper, ne rien demander », et ils sont fortement influencés par le situationnisme. Ils s'inspirent également dans une certaine mesure des luttes étudiantes grecques dans ce qu’ils décrivent comme leur assaut contre la « marchandisation de la vie » (bien que, si l'on considère que les étudiants grecs se sont également décrits comme appartenant à la «génération 400 euros », nous ne pouvons que nous demander quel accès aux «marchandises» les étudiants de Californie ont vraiment !) Théoriquement, ce regroupement est le plus susceptible d’avoir compris la crise de l'éducation comme faisant partie de la crise permanente du capitalisme. La base de leur slogan est que le capital ne peut pas se permettre la moindre concession, la moindre réforme, et qu’il reste donc à prendre en charge ce qui existe et à le réorienter pour une utilisation par tous. Ce groupe, bien que très habile à faire sa publicité, est encore une très petite fraction au sein du mouvement étudiant.
Ces divisions sont profondes et sont un gros handicap pour la dynamique portée par le mouvement étudiant. Une forme populaire d'organisation apparue sur les campus est constituée par des assemblées générales à la composition variée. Dépendant souvent entièrement de qui les a réunies, elles sont dominées par l'un des camps présentés ci-dessus et il devient très difficile d’aller de l’avant en présentant une opinion dissidente. C'est encore dû à l'inexpérience des nombreux étudiants qui se sont impliqués dans ce mouvement, ce qui permet aux bureaucrates syndicaux les plus expérimentés et à leurs partisans de transformer ces espaces en des plates-formes pour leurs organisations.
Toutefois, de nombreux étudiants sont de plus en plus conscients de la présence d’éléments opportunistes au sein du mouvement. Comme les contradictions de la démocratie capitaliste sont progressivement démasquées par l'arrogance de ses représentants et par leur incapacité à faire la moindre concession, une grande partie de la discussion au sein des assemblées générales les plus libres s’est orientée vers les idées concernant la solidarité étudiants-travailleurs par-delà les syndicats et la législation. Une certaine ambivalence existe toujours sur la question des grèves et sur celle d’un engagement plus militant dans la classe ouvrière, mais il y a une augmentation notable de la radicalisation de la population étudiante depuis le 4 mars.
Il y a un intérêt accru pour toucher non seulement les travailleurs mais aussi les élèves et leurs enseignants des lycées et collèges. Le succès arraché avec le rassemblement du 4 mars à Oakland où plus de 1000 étudiants sont sortis de leurs écoles et ont participé à un rassemblement - de nombreux orateurs n’avaient encore jamais parlé devant un public, mais de façon vraiment encore enfantine, ils gueulaient dans des porte-voix des slogans contre la casse du système d'éducation public. Il y a beaucoup d'énergie potentielle au sein du mouvement étudiant en Californie parce que, malgré les efforts de ceux qui cherchent à masquer la nature de classe de la crise, il y a un nombre croissant d’étudiants qui rejette l'ensemble de ce discours et cherche d'autres explications. Il y a une compréhension croissante que le problème auquel sont confrontés les étudiants n'est pas un problème de mauvaise gestion, mais de profonde crise du système de production qui affecte le monde entier.
AS (5 avril)
La classe dirigeante, confrontée à une crise économique insondable, attaque de plus en plus brutalement les exploités.
Tous les partis politiques capitalistes conviennent que la seule façon de faire face au fardeau de la dette du Royaume-Uni est de procéder à des coupes sans précédent dans les services publics. Dans leurs efforts pour extraire la dernière goutte de profit de la force de travail des ouvriers, les patrons ont partout recours à l'intimidation. Cela est d'autant plus évident lorsque les travailleurs montrent qu’ils sont disposés à résister à l'attaque sur leurs conditions de vie et de travail.
Face à la menace d'une grève du rail à l'échelle nationale contre le projet de supprimer les emplois de 1500 travailleurs d'entretien des voies ferrées, Network Rail s’est mis d’accord avec les tribunaux pour déclarer que le scrutin en faveur de la grève était illégal. Aujourd’hui, ceci devient de plus en plus une réplique classique aux prochaines grèves nationales, surtout quand elles surviennent dans les secteurs économiques clé. La grève de British Airways (BA), prévue initialement à Noël, a elle aussi été retardée après que la Cour suprême eut trouvé des irrégularités dans la procédure de vote. Etant donné que de telles irrégularités peuvent être découvertes dans pratiquement n'importe quel vote de grève, l'utilisation des injonctions pour interdire la grève érode progressivement toute possibilité d'action de grève légale -en particulier parce qu'un autre facteur est pris en compte dans la décision du tribunal : l'impact ‘négatif’ pour "l'intérêt public" de la grève des chemins de fer.
Le bulletin de vote a été initialement rendu obligatoire par les lois ‘antisyndicales’ introduites dans les années 1980 sous le dernier gouvernement conservateur. Leur but essentiel était d'empêcher les travailleurs de prendre la décision de faire grève dans les réunions massives, où la solidarité de classe est la plus forte, de faire du vote de la grève un choix purement individuel, comme le vote aux élections, et d'amener des retards interminables qui peuvent saper la volonté de combattre des ouvriers. Tout comme les règles qui interdisent les piquets de grève et les grèves de solidarité, ces lois rendent déjà pratiquement impossible à toute forme efficace d’action de classe d’être dans la légalité. Mais loin d'être ‘antisyndical’, l’objectif de cette législation a toujours été de renforcer la capacité de la machine syndicale à contrôler les actions non-officielles et l'auto-organisation des travailleurs au niveau de l'atelier et de la rue. Maintenant, des restrictions légales similaires sont imposées même à des grèves syndicales officielles au niveau national. Face à la crise, la très démocratique classe dirigeante ne fait même plus semblant de prétendre que les syndicats sont indépendants. Ils se voient de plus en plus attribuer le même rôle que celui des syndicats des régimes staliniens ou fascistes comme étant ouvertement chargés de faire respecter l’ordre et la discipline au travail. L'acceptation par le syndicat RMT de ce cadre juridique s’est manifestée dans le fait qu’il a immédiatement annulé la grève.
A BA, la majorité du personnel de cabine (hôtesses de l’air et stewards) est entrée dans une deuxième semaine de grève pour s’opposer au harcèlement moral et à l’intransigeance de la direction. BA a dépouillé de leurs « avantages voyage » 2000 membres du personnel de cabine en grève, « avantages » dont ils ont énormément besoin pour travailler, et a supprimé près de quinze jours de paye au personnel des vols long-courrier afin de les pousser à ne pas s’engager dans la grève. BA a aussi imposé un règlement disciplinaire qui empêche le personnel de cabine de communiquer avec les autres travailleurs ou avec les passagers, d'organiser des forums de discussion sur Internet ou même de faire une plaisanterie sous peine de licenciement ou de suspension. La plus grande crainte de BA est que le personnel de cabine étende la lutte à d'autres secteurs tels que celui des bagagistes ou des pilotes. Il a ainsi encouragé de façon inédite les actions pour briser la grève, surtout parmi les pilotes qui se sont vus « offrir » une formation comme personnel de cabine temporaire.
BA a aussi essayé de supprimer certains « privilèges » pour les cadres syndicaux, tels que des bureaux pour les délégués syndicaux et des congés pour activités syndicales. Cela a permis au syndicat Unite de présenter la lutte comme étant contre des tactiques ‘antisyndicales’. Les travailleurs de BA sont appelés à défendre leur droit démocratique de s'organiser en syndicats. Bob Crow, le leader de l'aile gauche du RMT, va dans le même sens après l'injonction : «Ce jugement ... tord les lois antisyndicales encore davantage en faveur des patrons" (The Guardian, 2 avril). Pour le RMT, la décision du tribunal était «une attaque contre l’ensemble du mouvement syndical» (ibid.). L'appel à défendre les syndicats contre cette attaque se trouve répétée à longueur de colonnes dans la presse de gauche.
En apparence, les luttes actuelles semblent être un exemple de syndicats combatifs menant la lutte contre des patrons intransigeants. Le syndicat Unite, avec sa filiale personnel de cabine BASSA, a tenté de susciter le soutien du syndicat US Teamsters et il a levé un trésor de guerre de 700.000 £, en imposant un prélèvement de 2% aux membres de Unite pour soutenir cette grève. Mais en y regardant mieux, on s’aperçoit que BASSA a déjà dit très clairement, alors qu’on le consultait, qu'il était prêt à accepter des réductions de salaires « afin de sauver des emplois ». Le directeur général de BA depuis 2005, Willie Walsh (personnalité irlandaise du monde des affaires surnommé « Willie le sabreur » - NDT), a déclaré tout net qu’il était en guerre et serait inflexible avec le personnel de cabine avec pour objectif de faire payer la récession actuelle aux travailleurs de BA. La réponse des syndicats de BA a été de concéder immédiatement une réduction des salaires. Ainsi, on a vu l'image écœurante de piquets de grève portant des pancartes syndicales officielles disant « nous avons accepté une réduction des salaires ».
Il ne fait aucun doute qu'il existe une réelle volonté chez les travailleurs de l'équipage de cabine de lutter contre ces attaques : lors d'une réunion massive, plus de 80% d'entre eux ont voté pour la grève. Toutefois, à moins que les travailleurs soient en mesure de dépasser les limites de la présente action et d’étendre la grève à d'autres travailleurs de BA et au-delà, il y a un réel danger qu’ils soient broyés dans une grève de longue haleine stérile similaire à celle récente chez les travailleurs des postes. Après que le Communication Workers Union (CWU - syndicat des postiers) ait épuisé les postiers dans une série de grèves qui étaient strictement divisées région par région et catégorie par catégorie, et isolées dans le secteur postal, l'accord final convenu entre le CWU et Royal Mail donne plus de raisons de douter que les syndicats offrent véritablement aux travailleurs les moyens de défense contre les attaques des patrons.
Les postiers recevront une augmentation de salaire de 6,9% sur trois ans, un versement totalisant 1400 £ lorsque toutes les modifications adoptées auront été apportées, et une semaine de 39 heures de travail. Tous les postiers savent qu’avec l'inflation (qui est appelée à s’aggraver encore plus), il s'agit clairement d'une diminution de salaire sur trois ans. En échange, le CWU a accepté le plan de modernisation à grande échelle mis en avant par Royal Mail, qui verra le nombre de postiers travaillant à plein temps réduit de 75%, les autres travaillant à temps partiel. L'introduction de nouvelles machines de tri qui a été au cœur du différend a entraîné d'importantes réductions d'emplois. La réponse du CWU a été de faire l’éloge du règlement en disant qu'il s'agissait d'une « bonne affaire pour ses membres, en particulier dans le climat financier actuel » Un représentant du CWU a également poursuivi en disant que « de nombreux travailleurs, en particulier dans le secteur public, sont confrontés à des gel des salaires, à des licenciements et même, dans le cas des membres de Unite à la British Airways, à la perspective de réductions de salaires. Nous pensons que l'opération envisagée pour nos membres de Royal Mail est comparativement très avantageuse » (BBC News, 23/3/10).
Compte tenu du fait que les grèves légales sont de plus en plus impossibles, les travailleurs seront de plus en plus confrontés à des campagnes pour qu’ils entrent dans l’enceinte des tribunaux sur le terrain procédurier, afin de rétablir le « droit démocratique de grève » à travers les syndicats. Ces campagnes rendront certainement difficile pour les travailleurs de prendre conscience du rôle véritable et de la nature des syndicats. En fait, la tendance pour les syndicats à devenir des rouages de l'Etat capitaliste remonte à loin et est irréversible. C'est cette réalité fondamentale qui, maintes et maintes fois, conduit les syndicats à diviser les luttes des travailleurs et à la fin à vendre des négociations pourries. Étouffer la lutte de classe et imposer l'austérité est devenu la tâche principale des syndicats dans la période du capitalisme d'Etat. Mais le grand avantage de la démocratie comme forme de domination de la bourgeoisie, c'est qu'il peut permettre un certain degré d'indépendance de l'appareil syndical, ce qui est vital pour entretenir l'illusion chez les travailleurs qu'il s'agit de leur propre organisation. Dans les régimes staliniens et fascistes, les travailleurs ont peu d'illusions sur les syndicats officiels et sont souvent contraints de prendre la lutte directement dans leurs propres mains. Un exemple excellent est donné par les assemblées de masse et les comités de grève révocables, qui sont apparus spontanément en Pologne pendant la grève de masse de 1980. En détruisant l’illusion que les travailleurs peuvent utiliser les syndicats existants pour organiser une résistance efficace, la bourgeoisie court le risque que les travailleurs des pays démocratiques en viennent à la conclusion que la seule façon d'avancer est de prendre les choses en mains, de défier la loi et les syndicats, et de s’auto-organiser pour mener et généraliser la lutte.
Melmoth / Amos, le 3 avril
Nous publions ci-dessous la traduction d'une prise de position sur les événements en Grèce de Proles and Poor’s Credit Rating Agency (Agence de Notation de Crédit pour les prolos et les Pauvres), un groupe se revendiquant du « Communisme Libertaire »1.
Ce texte rédigé le 14 mars a conservé toute son actualité. Tout ce qu'il contient s'est même amplifié. Aujourd'hui, la crise et les attaques frappent encore plus fort. La colère légitime est même en train d'exploser. En tirant des leçons de la lutte de janvier-février-mars 2010, en tentant de repérer les pièges tendus par la bourgeoisie, l'analyse de ce groupe communiste libertaire nous semble constituer une source d'information et de réflexion.
Nous partageons en effet l'essentiel de cette prise de position en particulier :
sa dénonciation du rôle de « saboteur de la lutte » du Parti Communiste et des syndicats GSEE et ADEDY,
la nécessité pour les ouvriers de développer une lutte autonome qui demeure entre leurs mains
la réaffirmation, avec leurs propres mots, que la classe ouvrière n'a pas de patrie, qu'elle mène un seul et même combat dans tous les pays et qu'il faut rejeter toute division nationale comme un piège mortel,
et la perspective historique d'un affrontement contre le capital et son plus haut représentant, l'État.
Néanmoins, nous devons signaler deux points de désaccords qui appartiennent au débat :
Les camarades du Proles and Poor’s Credit Rating Agency, s'ils décrivent parfaitement les actes de sabotage de la lutte de certains syndicats, semblent penser que les ouvriers peuvent construire d'autres syndicats, véritablement révolutionnaires. Pour le CCI, ce sont tous les syndicats, petits ou grands, « réformistes » ou « radicaux », qui constituent une entrave à la prise en main de la lutte par les ouvriers eux-même.
Une certaine attirance pour les attaques des vitrines de banques ou des commerces, pour les affrontements violents avec les forces de l'ordre bourgeois, transparaît de ce texte. Il est évident que ces actes, comme la violence des luttes en Grèce en général, témoignent du niveau de colère du prolétariat face aux attaques ignobles du capital. Il est aussi tout à fait évident que le développement des combats ouvriers signifiera dans l'avenir un affrontement de plus en plus direct, et parfois violent, avec l'Etat et son bras armé. Cela dit, de nombreux affrontements avec les « flics » (comme le disent ces camarades dans leur texte) et des actions de caillassages ou autres incendies de « symboles » (les banques, les commerces, …), sous leur apparente radicalité, sont souvent contre-productifs pour la lutte ouvrière2. D'ailleurs, la bourgeoisie, régulièrement, n'hésite pas à embaucher de faux-casseurs pour pourrir un mouvement en le faisant déraper dans la violence, qui plus est, en la médiatisant jusqu'à l'overdose pour faire peur et décourager la majorité des ouvriers à rejoindre la lutte3.
Dans un climat de terrorisme financier qui a été orchestrée depuis quelques mois par les médias, l'état d'urgence a été déclaré en Grèce, dans un effort du capital international et de l'État grec pour transformer le pays en un laboratoire d'un nouveau choc politique. La « dette publique » colossale et la « faillite imminente du pays » sont les expressions utilisées pour essayer de terroriser et discipliner le prolétariat et légitimer la diminution des salaires (direct et indirect) et donc mettre un frein à ses attentes et à ses exigences d’une façon exemplairement néolibérale pour respecter des proportions internationales.
Les mobilisations ont été plutôt tièdes à ce jour et elles ne correspondent certainement pas à la situation critique et à la férocité de ces mesures. Il existe un sentiment généralisé d'impuissance et de paralysie, mais aussi de colère qui ne peut trouver un débouché adéquat. Certes, il y a un mécontentement réel par rapport à la politique de choc que le gouvernement de PASOK met en place (réductions de salaires, réductions sur les allocations, augmentation des impôts directs et indirects, augmentation de l'âge de la retraite, intensification des contrôles de police, etc.). On peut relever ce mécontentement dans les conversations quotidiennes sur les lieux de travail ; toutefois, face à la dictature de l'économie et à l'omnipotence des « marchés », c’est un silence fragile qui prévaut. Le mantra « unité nationale » est une des armes favorites du gouvernement...
Les confédérations syndicales, la GSEE (l'organisation cadre des syndicats du secteur privé) et ADEDY, sont entièrement contrôlées par le gouvernement socialiste et font de leur mieux pour éviter une véritable résistance face à l'offensive actuelle. Le 10 février, il y a eu la première grève appelée par ADEDY avec une participation relativement faible des grévistes du secteur public. Nous allons essayer de donner ci-dessous une description de la manifestation à Athènes du 24 février lors de la première grève générale contre les mesures d'austérité qui a été appelée par la GSEE et ADEDY. Selon les estimations, il y a eu 2 millions à 2,5 millions de grévistes. Dans certains secteurs (ports, chantiers navals, raffineries de pétrole, industrie de la construction, banques et entreprises de service public), la participation variait entre 70% et 100%. Dans le secteur public (éducation, santé, services publics et ministères, bureaux de poste) la participation était plus faible et se situait entre 20% et 50%.
Cette manifestation a présenté deux caractéristiques principales. La première a été la participation notable de nombreux immigrants non seulement « sous le commandement » des organisations de gauche, mais aussi dispersés dans le corps de la manif. La deuxième caractéristique a été le combat de rue qui a eu lieu entre la police anti-émeute et des manifestants qui ne provenaient pas nécessairement du milieu anti-autoritaire-anarchiste. Dans de nombreux cas, ça a été un combat rapproché, car le gouvernement socialiste avait ordonné à la police anti-émeute d'utiliser moins de gaz lacrymogènes. Il y a eu des bris de devantures de banques, des pillages de commerces (librairies, grands magasins, supermarchés et cafés) et, bien que non généralisé, ils ont certainement donné un ton très différent de ce à quoi on pourrait habituellement s’attendre de la part de grèves et manifestations organisées par les deux syndicats GSEE-ADEDY. Un incident à la fin de la manif peut peut-être mieux exprimer ce changement de climat : comme les manifestants descendaient vers l’avenue Panepistimiou et Kolonaki, un quartier chic en plein cœur d'Athènes, ils ont vu qu’à l’intérieur de « Zonar’s », un café bourgeois traditionnel et très cher, des clients tirés à quatre épingles entrain de boire du champagne (!) et jouissant de leurs coûteuses boissons aromatisées. La foule en colère a envahi le café, brisé les vitres et, très vite, les pâtisseries ont été réparties entre eux à un prix beaucoup plus abordable !
Ces caractéristiques, à notre avis, montrent l'impact considérable de la révolte de décembre 2008 sur la manière de protester. Une approbation générale des actes de violence contre les flics et les institutions capitalistes comme les banques et les magasins était évidente lors de la manifestation. En fait, il y a eu de nombreux cas où les manifestants ont attaqué les flics pour les empêcher d'arrêter les « fauteurs de trouble ».
Enfin, il convient de mentionner un mouvement spectaculaire de la part du Parti Communiste (en fait, son front ouvrier appelés PAME) à la veille de la grève : ils ont squatté le bâtiment de la Bourse, tôt le matin, avec une bannière surréaliste et plutôt incompréhensible disant en anglais « La crise paie la ploutocratie ». Leur objectif était, d’après ce qu’ils disaient, de « montrer aux inspecteurs de la Commission européenne, à la Banque Centrale Européenne et au FMI où est l'argent » - comme s'ils ne le savaient pas.
Le 3 mars, le gouvernement socialiste a annoncé les nouvelles mesures pour le « salut de la nation », incluant une réduction de 30% des 13e et 14e mois de salaires des travailleurs du secteur public, une baisse de 12% des subventions salariales, une augmentation de la taxe sur l'essence, l'alcool et le tabac, ainsi qu’une réduction des dépenses de l'éducation et de la santé. Une fois de plus, l'initiative de la grève du 5 mars. ADEDY et GSEE ont suivi avec un arrêt de travail de 3 heures, tandis que d'autres syndicats (ceux des enseignants du primaire et du secondaire, et des transports publics) appelaient à une grève d’une journée. La manifestation de PAME a rassemblé autour de 10 000 personnes et s'est terminée avant que l'autre n’ait commencé. Les anti-autoritaires et les jeunes avaient une présence plus visible et l'atmosphère était tendue dès le début à la place Syntagma, près du Parlement, où le Parti Socialiste allait voter en faveur de nouvelles mesures.
Après un certain temps, le leader de la GSEE, Panagopoulos, a fait l'erreur d'essayer de parler à la foule avec pour seul résultat de voir quelques yaourts atterrir sur lui, puis un peu d'eau et de café et, enfin, des coups de poing. Il a été chassé et battu jusqu’à l'entrée du Parlement, puis protégé par la police anti-émeute. Bientôt une foule en colère se réunissait juste au pied de l'immeuble. Les gardes folkloriques du Parlement ont dû partir immédiatement et certains combats ont commencé opposant la population prise de rage et les escadrons anti-émeutes. Lorsque Glezos, un vieux membre de SYRIZ, âgé de 88 ans, un symbole de la résistance nationale contre l'occupation nazie, a tenté d'empêcher la police anti-émeute d'arrêter un jeune homme, il a été battu et aspergé au visage et alors les combats avec la police se sont généralisés. Environ trois cents personnes ou plus lançaient des pierres sur la police (surtout des anti-autoritaires, mais pas seulement eux) et les autres sont restés un certain temps, criant et proférant des jurons jusqu'à ce que la police anti-émeute ait fait une attaque massive pour essayer de disperser la foule. Un incident rafraîchissant s'est produit lorsque certaines personnes se sont emparées des micros de la Confédération et ont scandé des slogans contre l'esclavage salarié et les flics qui pouvaient être entendus sur toute la place dans les nuages de gaz lacrymogène. La manifestation a alors commencé à marcher vers le ministère du Travail, ce qui a été critiqué par de nombreux manifestants comme étant un effort de la part des syndicalistes pour relâcher la tension à proximité du Parlement. Cependant, les esprits étaient encore très échauffés et quand la manifestation eut atteint le bâtiment du Conseil d'État, des manifestants ont attaqué la brigade anti-émeute qui le gardait. Bientôt une foule énorme a commencé à jeter sur eux des pierres et divers objets, les chassant à l'intérieur du bâtiment. L'un d'eux, cependant, n'a pas réussi à entrer et a été capturé et presque lynché par la population en colère. L'incident, qui montre à la fois une acceptation de l'escalade de la violence, même de la part de gens qui habituellement réagissent différemment et une haine croissante contre la police, en particulier en ce moment, a duré un certain temps parce que les escadrons de soutien anti-émeute n'ont pas pu s'approcher à proximité à cause de l'intervention des travailleurs licenciés de la compagnie Olympic Airways. Ces travailleurs, peu de temps après les nouvelles mesures, ont annoncées, l'occupation de la Comptabilité Générale de l'État dans l'avenue Panepistimiou et ils ont bloqué le trafic jusqu'au 12 mars avec des voitures et des poubelles.
La conjoncture actuelle constitue un terrain idéal pour les activités du PC puisque la propagande du gouvernement lui-même et des grands médias sur l'imposition présumée de mesures sévères de la part de l'Union Européenne, des marchés internationaux et des spéculateurs, semble confirmer sa rhétorique sur « la sortie de la zone Euro » et la « résistance aux monopoles et au grand capital », qu'il ne cesse de répéter avec une dévotion toute religieuse depuis les années 1980. En tant que l'un des principaux représentants politiques de la classe ouvrière (en tant que classe du mode de production et de communication capitaliste) à l'intérieur de l'État grec et de ses institutions, le PC revendique la création d'une économie nationaliste 'populaire' dans laquelle la classe ouvrière apprécierait les mérites d'un capitalisme social-démocrate au parfum de stalinisme. En fait, les actions du PC assurent l'enfermement des luttes sociales dans les limites des institutions capitalistes et, qui plus est, dans les plus fétichisées d'entre elles, les élections et le Parlement, puisque, pour le PC, voter pour le parti et s'organiser en son sein constitue le point culminant de la lutte des classes.
La caractéristique la plus marquante de l'activisme du PC reste la séparation complète de la mobilisation de son organe syndical (PAME) du reste des prolétaires qui luttent. Les manifestations organisées par le PAME et le PC ne se font jamais avec les manifestations appelées par les autres syndicats ouvriers et les organisations étudiantes. Bien que nous ne soyons pas en mesure de savoir exactement ce qui se passe dans les appareils du PC comme du PAME en raison de leur mode d'organisation totalement secret, l'expérience que nous avons de notre participation dans les assemblées syndicales montre qu'ils exercent un contrôle total sur leur base. Nous sommes certains que les actions sont décidées par la direction du parti sans la moindre participation aux décisions de la base.
Il faut admettre que le niveau d'activité de la classe est faible : il n'y a pas plus de grèves de longue durée organisées simultanément dans de nombreux secteurs que de manifestations massives et combatives au quotidien. Dans ce contexte, les activités du PAME (occupations de bâtiments publics comme le Ministère de l'Économie et la bourse, des manifestations et des rassemblements massifs qui ne sont plus habituels pour le PC depuis au moins le milieu des années 2000) semblent impressionnantes, surtout quand ils réussissent les premiers à appeler à une grève ou à une manifestation obligeant GSEE et ADEDY à les suivre. Il est possible que derrière cette stratégie se trouve un plan pour diviser GSEE et ADEDY et créer une troisième confédération syndicale « indépendante ». Bien sûr, cela va sans dire que si la situation devient incontrôlable en allant au-delà de quelques grèves de 24 heures sur une base hebdomadaire, c'est-à-dire que, si les grèves de longue durée sort accompagnée d'une présence permanente du prolétariat et de l'activité militante dans la rues, le PC aura à nouveau à assumer le rôle de la police en sapant les grèves qu'il ne contrôle pas, en appelant ses membres à sortir dans la rue et en essayant de réprimer violemment toute activité radicale. Après tout, c'est sa pratique habituelle depuis la chute de la dictature, et ils ont fait exactement de même au cours de la rébellion de décembre 2008.
Le 5 mars, GSEE et ADEDY ont appelé à une autre grève de 24 heures le jeudi 11 mars, en réponse à un climat de mécontentement général encore passif devant les mesures d'austérité annoncées, en essayant de conserver un grain de légitimité. Il n'existe pas de chiffres précis disponibles pour connaître le niveau de participation à la grève, mais nous pouvons dire avec certitude qu'il a été plus élevé que le précédent (GSEE fait valoir que la participation à la grève a atteint 90%). Cela a également été prouvé par le nombre de manifestants qui était presque le double de celui de la manifestation du 24 février. Selon nos estimations, environ 100 000 personnes ont participé à deux manifestations du PAME et de GSEE-ADEDY (PAME , conformément à sa pratique habituelle, a organisé une manifestation distincte), même si les médias estiment ce nombre à environ 25 000. La composition de la foule était également légèrement différente, car il y avait plus d'étudiants universitaires, quelques élèves du secondaire et plus de jeunes travailleurs, tandis que les immigrants étaient cette fois absents. En outre, un grand nombre de manifestants dispersés dans la manifestation, venant de la quasi-totalité du milieu anti-autoritaire a participé à la manifestation de GSEE-ADEDY.
Une autre caractéristique distinctive de la manifestation a été la tactique différente de la police beaucoup plus offensive. Plus de cinq mille flics ont tenté d'empêcher une escalade de la violence prolétarienne en suivant de près la manifestation sur ses deux côtés. Leur objectif a été atteint dans une certaine mesure, car relativement moins de gens ne venant pas du milieu anarchiste-anti-autoritaire ont soutenu les combats de rues ou participé activement dans des affrontements avec la police. En outre, il convient de noter que cette fois la direction des confédérations syndicales n'ont pas simplement coopéré ouvertement avec la police mais ont donné des ordres spécifiques aux escadrons anti-émeutes pour arrêter les manifestants sur l'avenue Patision afin de prendre la tête de la manifestation et éviter d'éventuels conflits avec la base et une répétition des événements de vendredi dernier, où ils ont été accueillis par les huées qu'ils méritaient.
La composition de ces dernières manifestations est différente de celles de 2008 décembre, comme on pouvait s'y attendre. Les élèves du secondaire ne se sont pas du tout montrés, du moins d'une façon reconnaissable, à l'exception de quelques unes dans la dernière manifestation, mais les étudiants étaient présents dans les deux dernières manifestations étant donné qu'il y avait de plus en plus d'appels à des assemblées générales. En général, mis à part les étudiants, les précaires et le « lumpen », les éléments marginaux de la classe qui constituent la présence dominante dans les émeutes n'étaient naturellement pas présents, puisque la question, du moins pour le moment, est le terrorisme financier imposée par les mesures d'austérité qui menacent les travailleurs qui ont des emplois plus stables et plus à perdre. Aussi, ce qui demande quelque explication c'est plutôt l'inertie qu'a montré cette partie du prolétariat puisque ses mobilisations n'ont pas constitué jusqu'à présent un mouvement, ni n'ont été à la hauteur de la situation critique actuelle. Les grèves ont été appelées par les dirigeants des confédérations syndicales. Même là où les syndicats du premier degré ont appelé à une grève, aucune assemblées extraordinaires massive ne l'a précédée, ce qui signifie que la base n'a rien organisé. L'influence destructrice et paralysante des syndicalistes socialistes et le contrôle qu'ils ont encore sur les syndicats est encore le principal obstacle ce qui peut être illustré par l'exemple suivant. Les employés de l'Imprimerie Nationale occupaient le 5 mars le local parce que les nouvelles mesures prévoyaient une réduction de 30% supplémentaires du revenu des employés du Ministère de l'Intérieur. L'occupation était cependant fermée à toute personne qui « n'était pas employée au Ministère », et des camarades qui ont essayé de leur rendre visite nous ont dit qu'ils ont été effectivement expulsés. Les cadres du syndicat socialiste qui contrôlent le syndicat ont décidé à la hâte de mettre fin à l'occupation, sans même poser la question à l'assemblée avec l'argument que le gouvernement avait 'promis' de supprimer la réglementation particulière, une décision qui a été accueillie avec colère, mais qui n'a pas été annulée. L'occupation de la Comptabilité Générale de l'État par les travailleurs mis à pied d'Olympic Airways a eu la même triste conclusion. Ils sont pour la plupart des techniciens qui n'ont pas été payés depuis maintenant 3 mois après la privatisation d'Olympic Airways, ou bien des ouvriers licenciés à qui on avait promis d'être transférés sur d'autres lieux de travail. Le premier jour de l'occupation, ils ont gardé un cadre dirigeant en otage pendant plusieurs heures et le soir même, ils ont battu et chassé une escouade anti-émeute. Bien qu'ils aient été ouverts à la discussion et qu'ils semblaient déterminés à maintenir le blocus aussi longtemps que nécessaire, puisque, d'après leurs propres mots, ils n'avaient « rien à perdre », ils n'ont laissé entrer personne dans le bâtiment occupé. Après une occupation de 10 jours, leurs représentants socialiste (et de droite) ont décidé d'accepter la « promesse » du gouvernement de former un comité spécial pour examiner la question ! Dans ce cas, les syndicalistes socialistes ont agi comme courroie transmission des menaces du gouvernement contre les travailleurs et de celles du ministère public de les faire arrêter.
Comme nous l'avions déjà noté l'an dernier par rapport à l'incapacité de la rébellion de décembre 2008 de s'étendre aux lieux de travail, le manque de formes autonomes d'organisation et de nouveaux contenus de la lutte au-delà des exigences syndicaliste semblent peser lourdement sur les épaules des prolétaires dans une ère de terrorisme de la dette publique. Qui plus est, les limites de cette rébellion avec son caractère minoritaire sont encore plus évidentes aujourd'hui, et bientôt ceux qui en étaient restés en dehors découvriront probablement qu'il leur faudra en commencer une nouvelle pour se sortir de ce pétrin.
Proles and Poor's Credit Rating Agency, alias TPTG (le 14 mars)
1 Ce texte est disponible en anglais sur notre site [34] depuis le 5 avril 2010. Notre section en Grande-Bretagne a d'ailleurs déjà publié une prise de position de ce groupe lors des mouvements en Grèce de décembre 2008 dans le n°328 de World Revolution.
2 Ce que démontre tragiquement l’incendie de la banque Marfin à la suite de d’un jet de cocktail Molotov qui a tué trois de nos frères de classe, lors de la manifestation du 5 mai, alors que la direction avait interdit à ses employés de participer à la grève générale sous peine de licenciement et les avait enfermés dans des locaux non sécurisés. Voir le témoignage d’un employé de la banque sur le lien web en anglais. Ce texte a été également traduit en français sur le forum de la CNT-AIT [35].
3 Sur ces deux points, le syndicalisme et la violence prolétarienne, pour mieux connaître la position du CCI, nous conseillons la lecture de notre brochure "Les syndicats contre la classe ouvrière [36]"' ou notre article "Dans quel camps sont les syndicats ? [37]" et notre texte "Terreur, terrorisme et violence de classe [38]".
« Guayana (1) est une poudrière » : cette phrase est souvent répétée par les représentants de la bourgeoisie, dirigeants de partis politiques et syndicaux, qu’ils soient membres de l’opposition ou favorables au gouvernement Chavez ; c’est ainsi que les uns comme les autres parlent des luttes et mobilisations que mène la classe ouvrière à Ciudad Guayana (connue aussi comme la « Zone du fer »), exprimant le profond mécontentement vécu par la classe ouvrière vénézuélienne à cause des attaques répétées contre ses conditions de vie.
La région de Ciudad Guayana est une de plus grandes concentrations ouvrières du pays, avec plus de cent mille ouvriers qui travaillent dans les « Entreprises de base » (2qui produisent et traitent le fer, l’acier et l’aluminium ; il faut y ajouter un nombre important de travailleurs de PME sous-traitantes de ces grandes entreprises.
L’ensemble de la bourgeoisie vénézuélienne sait bien que Guayana est une zone à surveiller de près. Depuis les années 1960, le prolétariat guyanais a souvent montré sa combativité ; une des luttes les plus significatives eut lieu à la fin des années 1960, quand les travailleurs de l'aciérie SIDOR (Sidérurgies de l'Orénoque, une des plus importantes d'Amérique latine à cette époque) s’affrontèrent à l'État et à la principale centrale syndicale, la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV). A cette occasion, les travailleurs du fer, très en colère, parcoururent les six cent kilomètres qui séparent Guayana de Caracas pour protester face au siège de la CTV, dont les installations furent incendiées par les grévistes.
Le gouvernement de Chavez lui-même a fait directement l’expérience de cette combativité ouvrière en mai 2001, quand les mêmes travailleurs de SIDOR ont fait grève pendant 21 jours (3) pour affronter les patrons qui se refusaient à discuter les nouvelles conventions collectives. Cette situation a obligé le syndicat de l'aciérie SUTISS (4) et la CTV à unir leurs efforts pour que le conflit ne s’étende pas à d’autres entreprises de la région. L’impact du conflit fut tel que Chavez lui-même, pour montrer la face « ouvrière » de son gouvernement, n’eût d’autre recours que de se féliciter du succès de la grève.
A partir de 2002, tant à Guayana qu’au niveau national, le prolétariat a été infiltré progressivement par les réseaux de la bipolarisation politicienne du pays, grâce en partie à l'action des syndicats contrôlés par la CTV qui s'opposaient à Chavez, ainsi que par les syndicats qui soutenaient le projet chaviste (parmi eux les tendances trotskistes) et qui commençaient à se renforcer. La bourgeoisie a ainsi imposé une paix sociale, en amenant le prolétariat sur un terrain complètement étranger à celui de ses intérêts, en créant la division dans ses rangs et en affaiblissant la solidarité ouvrière.
Mais à partir de 2007, en même temps que les travailleurs du secteur pétrolier, le prolétariat de Guayana reprend les luttes, montrant les tentatives du prolétariat vénézuélien de retrouver son identité de classe à travers les luttes menées sur le terrain de ses propres revendications. Devant l'essor des luttes ouvrières, le gouvernement Chavez, appuyé par les syndicats, décrète à grands renforts de propagande la nationalisation de SIDOR en mars 2008. Le piège de la nationalisation, bien qu'il ait amoindri les mobilisations ouvrières pendant quelques mois, n'a toutefois pas mis un frein au mécontentement des travailleurs : ils maintiennent la pression lors de la signature des conventions collectives. Les travailleurs précarisés des entreprises de sous-traitance de l'aciérie se sont mobilisés pour rejoindre les rangs des travailleurs en CDI en lutte, mettant en avant des expressions de solidarité entre travailleurs fixes et précaires. Ces expressions de solidarité ont été immédiatement attaquées et fragilisées par le gouvernement et les syndicats. Des retraités de SIDOR, ainsi que des travailleurs des entreprises de l'aluminium, des mines de fer et du secteur électrique se sont ainsi mobilisés à plusieurs reprises en 2008, pour exiger la satisfaction de revendications et le paiement de salaires non versés (5).
Mais c’est en 2009 que les luttes manifestèrent le plus de virulence :
– en juillet, les travailleurs du secteur de l’aluminium ont lancé des mobilisations qui se sont prolongées pendant une semaine ; ils exigeaient le paiement de primes particulières de compensation, un important solde habituellement attribué aux travailleurs en milieu d'année. Le gouvernement a proposé de fractionner le paiement en plusieurs fois, provoquant la colère des travailleurs qui se sont mobilisés en assiégeant les bureaux de la CVG (Corporation vénézuélienne de Guayana), obligeant le gouvernement à payer ces intérêts en deux fois seulement ;
– quelques jours après cette mobilisation, le décès d'un travailleur de SIDOR lors d’un accident de travail a provoqué une grève de 24 heures dans les aciéries. Les travailleurs ont exigé des investissements majeurs de l’entreprise parce que l'accident était dû à un défaut de maintenance des installations ;
– ce même mois, les travailleurs de SIDOR se sont mobilisés dans la rue à Ciudad Guayana pour exiger le paiement de primes d’intéressement aux profits de l'entreprise, prime que reçoivent les travailleurs vers le milieu d'année et que l'entreprise n’avait pas répercutée sur les feuilles de paie ;
– en août, a commencé une grève à Ferrominera Orinoco (entreprise d’extraction de minerai de fer) qui s’est étendue durant seize jours à Ciudad Piar. La lutte s’est fortement implantée dans la colline San Isidro, où les travailleurs sont restés fermes sur leurs revendications de primes rétroactives et de renforcement de la sécurité, avantages contractuels concédés dans une convention collective récemment signée. Pendant seize jours, le gouvernement et la direction de l'entreprise ont maintenu un « black out » sur la grève. Un mois après furent incarcérés le secrétaire général du syndicat de Ferrominera et dix travailleurs ;
– en octobre, furent arrêtés plusieurs travailleurs et dirigeants syndicaux de la CVG, alors qu’ils manifestaient devant le ministère les Entreprises de base de Rodolfo Sanz, exigeant l'approvisionnement en bleus de travail et d’autres revendications contractuelles ;
– en décembre, les travailleurs de SIDOR ont lancé une grève de huit heures pour protester contre le retard du paiement des primes de fin d'année. Les travailleurs des Entreprises de base Carbonorca, Bauxilum et Alcasa ont aussi revendiqué contre le retard dans le paiement du salaire et des primes ;
– les coopérateurs de Ferrominera Orinoco et de Bauxilum ont manifesté toute l’année 2009, ainsi que les travailleurs précaires de Matesi, entreprise nationalisée par l'État vers le milieu de 2009.
Face à ces mobilisations ouvrières, qui ne purent être calmées ni par les bureaucrates du gouvernement ni par les syndicats, Chavez a dû jouer lui-même le pompier social : en mars 2009, depuis Ciudad Piar, il a fustigé les travailleurs des Entreprises de base en les accusant de vouloir « s’enrichir » et « d'être privilégiés », essayant de les discréditer aux yeux des autres travailleurs et aux habitants de la région, dans l'intention de les démoraliser comme il l'avait fait avec les pétroliers en 2002 (6). Mais cette menace n'a pas arrêté les manifestations, il a donc dû retourner à Guayana deux mois plus tard, cette fois « en faisant l'éloge » des travailleurs, tentant de les gagner au soutien du « Plan Guyane socialiste », qui prétend sortir de la crise les entreprises de la région.
La crise du capitalisme, contre laquelle Chavez a dit que le Venezuela était « blindé », a mis l'État dans une situation difficile, parce que la baisse des prix des matières premières qui a été observée à partir de 2008 a limité les recettes et a montré une réalité qu'on essayait de dissimuler : les Entreprises de base sont pratiquement en faillite, elles sont une lourde charge pour l'État à cause de la baisse de productivité provoquée par l'obsolescence et le manque d’entretien des infrastructures industrielles. Comme il fallait s’y attendre, ce sont les travailleurs qui héritent des pires conséquences de cette situation à cause du refus de l'État de revoir les conventions collectives qui régissent des salaires et les primes, à cause du retard dans le paiement des salaires y compris les menaces de licenciements. Tout comme le fait le reste de la bourgeoisie au niveau mondial, le gouvernement utilise la crise pour attaquer les conditions de vie des ouvriers et précariser leur force de travail. Enfin a été instauré depuis fin 2009 le rationnement dans les services d'électricité, afin de limiter la production de fer et d’aluminium, poussant une partie du personnel à prendre des congés forcés à cause des mesures de mise au chômage technique et créant une situation d’angoisse et d’insécurité parmi les ouvriers. Pressé par les mobilisations ouvrières, l'État a été forcé de renégocier quelques conventions collectives, mais le retard dans l'accomplissement des paiements est fréquent, ce qui est à son tour une source permanente de mécontentement dans la classe ouvrière.
On observe que la crise mondiale du capitalisme et ses effets au Venezuela sont devenus un facteur qui accélère les luttes ouvrières, puisqu'il réduit les recettes de l'État et par conséquent la marge de manœuvre de la bourgeoisie nationale, qui essaie inéluctablement de faire porter le poids de la crise sur le dos des prolétaires. Les syndicats des entreprises de Guayana, dans leur majorité pro-gouvernementaux, perdent rapidement leur crédibilité parmi les travailleurs. Les tentatives de retourner les masses de la région contre ces travailleurs (à travers les Conseils communaux) ont été un échec, ces masses étant dans leur majorité constituées par des familles d’ouvriers dont la survie dépend précisément de ceux qui, pour la plupart, travaillent précisément dans les Entreprises de base. A cause de la forte concentration ouvrière et de la résistance des prolétaires, il n’est pas facile pour la bourgeoisie de recourir au chômage massif, celui-ci pouvant provoquer une explosion ouvrière et des révoltes populaires.
Cette situation a provoqué une sorte d'impasse dans la région, où la bourgeoisie est incapable d’appliquer ses plans selon son bon vouloir et où le prolétariat n'a pas pour l’instant la force de s’imposer à l'État. C'est pourquoi Guayana est une « cocotte-minute » qui peut éclater à tout moment.
Guayana a été un laboratoire pour le chavisme, dans son intention de précariser la force de travail dans toute la région, vieille aspiration de la bourgeoisie vénézuélienne. Après avoir progressivement rogné sur les conditions de travail des travailleurs du secteur pétrolier, la bourgeoisie doit le faire à présent avec les travailleurs de la « Zone du fer » qui, selon elle, font partie « de l'aristocratie ouvrière » héritée des gouvernements sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens qui précédèrent celui de Chavez.
Au cours des années 90, on a voulu faire d'ALCASA (usine productrice d'aluminium) la première grande entreprise cogérée, qui servirait de modèle pour le reste des entreprises du pays. Le but réellement poursuivi était de précariser les conditions de travail des travailleurs de l'aluminium, en leur faisant accepter les prétendues « valeurs du socialisme », c'est-à-dire travailler plus et gagner moins ; quelque chose s’apparentant à « l’émulation socialiste » promue par les bourgeoisies des pays de l'ex-bloc « socialiste », dont le principal chantre à Cuba fût Che Guevara (7). Mais les ouvriers d'ALCASA n'ont pas avalé cette histoire, n'ont pas accepté la détérioration de leurs conditions de vie et la perte des acquis sociaux : la cogestion dans l'aluminium a tout simplement été un échec.
Le gouvernement tente de faire quelque chose de semblable avec le plan « Guayana socialiste », qui se base fondamentalement sur « le contrôle ouvrier de la production » par le biais des prétendus Conseils de travailleurs (8). Face à la crise des Entreprises de base, le chavisme emprunte le mot d’ordre trotskiste de « contrôle ouvrier », qui convient ponctuellement très bien à la bourgeoisie parce qu'il fait accepter aux travailleurs la dégradation de leurs conditions de travail pour tenter de sauver les entreprises. C’est ainsi que le Plan propose l'abolition « de la recherche d'une maximisation du profit individuel au niveau personnel… ». Ceux qui mènent ce processus sont le PSUV et les syndicats d’entreprises, qui tous adhèrent au projet chaviste.
Les syndicats trotskistes, à présent dissidents du chavisme, dénoncent ce Plan qui ne serait pas un « authentique contrôle ouvrier », l'État étant encore le patron. Ils contribuent en ce sens à tromper les travailleurs en continuant à défendre les intérêts du capital national, en leur proposant de sauver les entreprises à travers un « véritable » contrôle ouvrier des industries, c'est-à-dire par une véritable auto-exploitation des ouvriers eux-mêmes, dans laquelle les bureaucrates de l'État seraient remplacés par des ouvriers (de préférence bien évidemment de tendance trotskiste).
Mais les travailleurs n’avalent pas non plus facilement ces contes de fée : après qu’ait été promulgué le Plan en juin dernier, ils ont poursuivi les luttes et les mobilisations pour des revendications salariales. Cette situation a forcé l'État à signer quelques conventions collectives, et les syndicats pro-gouvernementaux ont tenté de dévoyer le mécontentement ouvrier vers une lutte contre la bureaucratie, qui selon eux « empêche la participation ouvrière ». Ils ont même soutenu des actions promues par des syndicats dissidents pour ne pas se décrédibiliser ! Ce contexte a été propice à des tendances syndicales « antichavistes », comme celle des trotskistes de CCURA (9), qui se présentent devant les ouvriers comme des syndicats non alignés derrière le gouvernement ou l'opposition. Leur action, et celle du syndicalisme tant chaviste que contrôlé par l'opposition, contribue à créer une situation de confusion, de division et d’absence de perspectives au sein de l'important bastion prolétarien de Guayana : il s’avère évident qu’ils font ensemble du bon boulot dans l’intérêt du capital national.
Devant l’obstination des ouvriers à continuer de lutter pour la défense de leurs propres intérêts, le gouvernement a continué à criminaliser les luttes, à incarcérer temporairement les travailleurs, à les menacer de licenciements, quand il ne recourt pas à la répression ouverte. Ces actions de l'État, accompagnées par l'action syndicale, ont fait que les manifestations ont diminué début 2010. On vit cependant en Guayana une situation tendue, de calme précaire, qui peut à tout moment exploser.
Les attaques de la bourgeoisie vénézuélienne contre le travail poussent le prolétariat de Guayana à se poser la question sur son terrain de classe, montrant qu’il n'est pas disposé à être passivement sacrifié sur l’autel du projet bourgeois « du Socialisme du xxie siècle ». Il semble que le prolétariat retrouve sa combativité avec l'accélération de la crise économique.
Le prolétariat de Guayana, ainsi que l'ensemble de la classe ouvrière, n'a pas d’autre choix : soit il continue sa lutte contre les attaques du capital (étatique ou privé), ou celui-ci s’impose avec la précarisation du travail et la paupérisation des travailleurs et de leurs familles. L'action des syndicats (ces faux amis, authentiques défenseurs du capital national), le corporatisme, le coopérativisme, le contrôle ouvrier et la cogestion, qui enferme les ouvriers dans « leur » entreprise, est un obstacle à la lutte, la déviant en dehors du terrain ouvrier. La riposte à ces obstacles que sèment la bourgeoisie, la lutte ouvrière elle-même, donne les moyens pour leur résister : assemblées générales où s’expriment tous les ouvriers, extension des luttes et recherche de la solidarité de classe non seulement dans les entreprises de Guayana mais au niveau national, et aussi international.
En Guayana sont réunies les conditions pour que soit développée et fortifiée la solidarité entre les travailleurs et la population, puisque la majorité des habitants ont des parents qui travaillent dans les entreprises de la région. Si malgré le harcèlement du gouvernement, des partis et des syndicats de toutes tendances, le prolétariat de Guayana parvient à se maintenir sur le pied de guerre en montrant sa force et en s’exprimant comme une classe unie, il sera un exemple pour les prolétaires du reste du pays. Ses luttes seront ainsi reliées et intégrées à celles qu’entame le prolétariat mondial en Grèce, en Espagne, en France et autres pays.
La tâche des minorités les plus politisées de la classe est d'intervenir de toutes leurs forces dans le processus de luttes entamé par le prolétariat en Guayana et dans tout le pays. Leur tâche est de dénoncer et de démonter les pièges et obstacles placés par la bourgeoisie sur le chemin du développement de la conscience de la classe ouvrière, en soulignant que le prolétariat guayanais et vénézuélien n'est pas seul dans cette lutte, qu’il fait partie du mouvement encore naissant qu’entame le prolétariat au niveau mondial.
Internacionalismo (6 mars 2010)
1 L’agglomération de Ciudad-Guayana est située dans l’état de Bolivar au Venezuela, avec une population proche du million d’habitants dont une grande partie est formée de familles ouvrières.
2 Il s’agit de grandes industries de base regroupées dans la CVG, un conglomérat d’État.
3 A cette époque, la participation du capital étatique dans l’aciérie était minoritaire, la majorité étant entre les mains du capital privé du consortium argentin Tchint.
4 Syndicat unique des travailleurs de l’industrie sidérurgique et similaires (SUTISS) alors contrôlé par le parti de centre-gauche la Cause R.
5 Voir l’article « L’Etat de Chavez attaque les travailleurs du fer [40] ».
6 Chavez ne put cacher alors sa colère contre les travailleurs : « Nous allons en profiter pour nettoyer les entreprises de la CVG. S’ils menacent de s’arrêter, qu’ils le fassent, je verrai alors ce que moi j’ai à faire ! J’ai déjà connu la grève de Pdvsa… celui qui fait grève dans une entreprise d’Etat s’en prend directement au chef de l’Etat » (Correo del Caroní, 07-03-2009).
7 Ce n’est pas par hasard si une des Missions du gouvernement se nomme « Che Guevara ». Comme elle le prêche sur son site internet, elle offre « un programme intégral de formation et de qualification dans des métiers productifs, destiné à impulser la transformation du modèle économique capitaliste en modèle socialiste ».
8 Organes institutionnalisés par le chavisme dans la classe ouvrière, soi-disant « inspirés » par le modèle des soviets russes !
9 Voir l’article “Venezuela – Courrier des lecteurs: Les travailleurs entrent en lutte, les syndicats la sabotent”, Internacionalismo no 58, avril 2010.
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par un ouvrier de Turquie qui a participé aux luttes de Tekel et qui a sympathisé avec la section du CCI dans ce pays. Nous adressons nos plus chaleureux remerciements à ce travailleur.
Les grèves de Tekel sont très peu connues au niveau international car un véritable black-out médiatique est orchestré par la bourgeoisie. La classe dominante préfère évidemment braquer ses projecteurs sur toutes les expressions de nationalisme (qu'elle-même engendre d'ailleurs le plus souvent) et passer sous un silence de plomb les manifestations de solidarité ouvrière entre travailleurs de différentes origines ethniques, culturelles, religieuses… Nous demandons donc à tous nos lecteurs de faire circuler autour d'eux toutes les informations disponibles sur cette lutte.
Nous devons aller partout où nous pouvons pour raconter aux gens la lutte de Tekel dans ses moindres détails. Pour cela, nous devons former un comité et nous unir à la classe. Notre tâche est plus difficile qu'il n'y paraît ! D'une part, nous avons affaire au capital, d'autre part, à la fois au gouvernement et aux leaders syndicaux. Nous devons tous lutter de la meilleure façon possible. Même si notre situation économique n'est pas bonne, même si nous sommes physiquement fatigués, si nous voulons la victoire, nous devons lutter, lutter, lutter !
Bien que j'aie été loin de ma famille pendant 83 jours, je ne suis resté à la maison que pendant une semaine. Je suis allé à Istanbul pour parler aux gens de la résistance de Tekel, sans même pouvoir voir ma femme et mes enfants. Nous avons eu de nombreuses réunions du comité informel des travailleurs de Tekel, notamment à Diyarbakir, Izmir, Hatay, et j'ai participé à de nombreuses réunions avec des camarades de la commission informelle à Istanbul. Nous avons eu des réunions à l'Université Mimar Sinan, une dans l'école hôtelière de Sirinevler, une dans le bâtiment du syndicat de l'Industrie, nous avons eu des discussions avec des pilotes et d'autres travailleurs de l'aéronautique du mouvement dissident Rainbow de Hava-Is (un syndicat), et nous avons rencontré des salariés de la magistrature. Nous avons également rencontré le président du Parti de la Paix et de la Démocratie d'Istanbul et lui avons demandé que les travailleurs de Tekel puissent parler à l'occasion du jour férié Newroz. Les réunions ont toutes été très chaleureuses. Notre requête auprès du PDP a été acceptée et ils m'ont demandé de participer aux manifestations de Newroz comme orateur. Comme je devais retourner à Adiyaman, j'ai suggéré qu'un camarade ouvrier d'Istanbul parle à ma place. Pendant que j'étais à Istanbul, j'ai rendu visite aux pompiers en lutte, aux ouvriers de Sinter Metal, aux travailleurs municipaux d'Esenyurt, aux grévistes du journal Sabah et de ATV, le dernier jour, aux travailleurs en lutte du Service des Eaux et des Égouts d'Istanbul (ISKI). Nous avons parlé avec ces ouvriers pendant une demi-journée sur comment nous pouvions faire grandir la lutte et nous leur avons aussi donné des informations sur la lutte de Tekel. Les ouvriers de ISKI m'ont d'abord dit qu'ils ont commencé leur lutte avec le courage qu'ils avaient acquis grâce aux travailleurs de Tekel. Pendant la semaine que j'ai passée à Istanbul, partout où j'allais, à la manifestation ou en allant visiter des lieux de lutte, j'entendais : « Nous avons eu du courage grâce à Tekel », ce qui me rendait des plus heureux. Le temps que j'ai passé à Istanbul a été très enrichissant pour moi aussi. Il y a eu aussi bien sûr des mauvaises choses : un de mes proches est malheureusement décédé mais j'ai décidé de ne pas partir et de rester toute la semaine comme prévu.
Pour parler des choses plus noires de cette période, 24 élèves, frères et sœurs de classe, ont été expulsés de leur lycée (Mehemetcik High School) pour avoir soutenu la lutte de Tekel. A Ankara aussi, une de nos sœurs de classe du Conseil de la Recherche Scientifique et Technologique de Turquie (TUBITAK), Aynur Camalan, a été abattue. Lorsque le capital nous attaque de cette façon, nous, ouvriers, sans aucune pitié, nous devons nous unir contre lui. Aussi, avons-nous fait deux annonces dans la presse à Adiyaman et avons montré que nos amis ne sont pas seuls. Nous nous sommes aussi préparés pour la manifestation du 1er avril. Ce que les leaders syndicaux voulaient, c'était aller à Ankara avec 50 personnes de chaque ville, avec un total de mille. En tant que comité informel, nous avons augmenté ce nombre de 50 à 180 seulement à Adiyaman, et je suis moi-même venu à Ankara avec dix autres ouvriers le 31 mars. Malgré toutes les déclarations des syndicats pour limiter le nombre à 50, nous avons réussi à aider 180 travailleurs à venir (c'est nous et non les syndicats qui avons couvert les frais), car nous savions comment les syndicats voulaient manipuler, comme il le faisaient auparavant. Nous avons eu des réunions avec de nombreuses organisations massives, des associations et des syndicats. Nous avons rendu visite à Aynur Camalan, l'ouvrière de TUBITAK, qui avait perdu son emploi.
Le 1er avril, nous nous sommes réunis dans Kizilay [le centre d'Ankara, la capitale de la Turquie, NDT], mais nous avons dû faire beaucoup d'efforts pour arriver jusqu'à la rue en face de Turk-Is, parce que 15 000 policiers gardaient le bâtiment. Que faisaient tous ces policiers devant nous et devant le syndicat ? Maintenant, nous devons demander à ceux qui se dressent contre nous, même quand nous parlons des dirigeants syndicaux, même lorsque nous disons que les syndicats devraient être remis en question : s'il y a une puissante barricade de 15 000 policiers entre nous et le syndicat, pourquoi les syndicats existent-ils ? Si vous me dites qu'il est tout à fait naturel que la police protège le syndicat et les dirigeants syndicaux, cela ne veut-il pas dire que le syndicat et les syndicalistes protègent le gouvernement et le capital ? Est-ce que les syndicats n'existent pas que pour maintenir les travailleurs sous contrôle pour le compte de capital ?
Le 1er avril, malgré tout, 35 à 40 d'entre nous ont réussi à franchir la barricade, un par un, pour se retrouver dans la rue en face de Turk-Is. Notre but était d'avoir une certaine majorité et de manœuvrer pour que nos autres amis nous rejoignent, mais nous avons échoué, malheureusement, notre majorité ne pouvait pas négocier avec 15 000 policiers. Le syndicat avait précédemment déclaré que seulement 1 000 d'entre nous devaient venir à Ankara. Avec le comité informel, nous avons réussi à augmenter ce nombre à 2 300. 15 000 policiers bloquaient la route à 2 300 personnes ! Nous nous sommes réunis dans la rue Sakarya. Nous étions prêts à y passer au moins la nuit, avec tous ceux qui étaient venus nous encourager. Dans la journée, nous avons été attaqués à deux reprises par la police avec des gaz au poivre et des matraques. Notre but était bien sûr de passer la nuit dans la rue en face du QG de Turk-Is, mais lorsque nous nous sommes heurtés à la police, nous sommes restés dans la rue Sakarya. Mais pendant la nuit, les syndicalistes ont silencieusement et sournoisement appelé nos camarades ouvriers à quitter la région. Nous nous sommes retrouvés une minorité. Les syndicalistes m'ont aussi demandé à deux reprises de quitter la zone, mais nous n'avons pas tenu compte de l'appel des dirigeants syndicaux et une certaine minorité d'entre nous est restée. Lorsque les sympathisants sont partis autour de 23h, nous avons dû nous aussi partir.
Il devait y avoir un communiqué de presse le 2 avril. Quand nous avons été sur le point d'entrer dans la rue Sakarya à environ 9h du matin, nous avons été attaqués par la police, qui a de nouveau utilisé des gaz au poivre et des matraques. Une heure plus tard, une centaine d'entre nous ont réussi à franchir la barricade et à faire un sit-in. La police n'arrêtait pas de nous menacer. Nous avons continué à résister. La police a finalement dû ouvrir la barricade et nous avons réussi à nous unir avec l'autre groupe qui était resté en dehors. Nous avons commencé à marcher vers Turk-Is, mais les dirigeants syndicaux ont fait leur annonce à la presse à 100 mètres du QG de Turk-Is. Sans tenir compte de notre insistance, les dirigeants syndicaux ne sont pas descendus dans la rue en face de Turk-Is. Le syndicat et la police se sont retrouvés main dans la main, et ainsi certains d'entre nous n'ont finalement pas pu aller là où nous voulions aller. Il y avait un point intéressant parmi les choses que les syndicalistes avaient dites. Ils avaient dit que nous reviendrions le 3 juin et resterions en face de Turk-Is pendant trois nuits. Il est intéressant de savoir comment nous parviendrons à y rester pendant 3 nuits, alors que nous n'avons même pas pu y rester une seule nuit. La police devait d'abord protéger les syndicalistes contre nous et les aider à s'échapper et alors nous nous sommes retrouvés seuls avec la police. Malgré les menaces et les pressions de la police, nous ne nous sommes pas dispersés et nous avons à nouveau été attaqués avec du gaz au poivre et des matraques et avons dû finalement nous disperser. Dans l'après-midi, nous avons eu une couronne noire faite par certains fleuristes pour condamner Turk-Is et le gouvernement, que nous avons laissé en face de l'immeuble de Turk-Is.
Chers frères et sœurs de classe, ce que nous avons comme question est : s'il y a 15 000 policiers qui forment une barricade entre le syndicat et les ouvriers, pourquoi les syndicats existent-ils ? Je déclare à tous mes frères et sœurs de classe, que si nous voulons la victoire, nous devons lutter ensemble. Nous, ouvriers de Tekel, avons allumé une étincelle et nous allons tous ensemble en faire une énorme boule de feu. Dans ce sens, pour exprimer mon respect pour vous tous, je tiens à terminer mon texte avec un poème 1:
La vapeur du thé s'envole alors que nos vies sont encore fraîches
Les vêtements forment une chaîne aussi longue que les routes, et il n'y a que le chagrin qui revient
Un Bol de riz, ils disent que notre nourriture a atterri sur nos maisons
Les désirs deviennent des routes, des routes, d'où vient le travail
La faim est pour nous, le froid est pour nous, la pauvreté est pour nous
Ils ont appelé le destin, vivre avec lui c'est pour nous
Nous qui nourrissent, nous qui avons faim, nous qui sommes nus à nouveau
Nous n'avons pas écrit ce destin, c'est nous qui allons le briser à nouveau
Nous, travailleurs de Tekel, disons que même si notre tête touche le sol, nous laisserons toujours un avenir honorable pour nos enfants.
Un travailleur de Tekel de Adiyaman
1 NDLR : il est toujours difficile de traduire un poème. Nous espérons ne pas trop avoir altéré ni le sens ni sa "musique".
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par l’organe du CCI en Italie, Rivoluzione Internazionale, en décembre 2009.
Avec la publication de Gomorra1 et sa diffusion au niveau international, Roberto Saviano est devenu le symbole de la lutte contre la Camorra et, plus généralement, contre la mafia, recevant des soutiens chaleureux non seulement d’une bonne partie des médias italiens et internationaux, mais aussi de beaucoup de gens qui, dégoûtés d’une classe politique de plus en plus clairement tricheuse et hypocrite, ont trouvé chez Saviano celui qui fait une dénonciation du crime organisé et, surtout, de ses multiples liens avec le monde politique et patronal. Saviano est aujourd’hui bien plus qu’un « littéraire », il est devenu une référence surtout pour beaucoup de jeunes qui ressentent le besoin de réagir face à toute cette pourriture, en particulier ceux qui subissent directement la dégradation économique et sociale croissante dans les régions méridionales de l’Italie.
Plus récemment, Saviano est aussi intervenu sur des questions plus générales dénonçant les exactions du régime iranien qui tue les manifestants, le régime castriste qui élimine un écrivain gênant et homosexuel, ou le régime stalinien et son goulag, et bien d’autres encore2 jusqu’à devenir le promoteur de l’Appel3 au Président du Conseil italien [Berlusconi, NDT] pour que soit retirée la loi sur le « processo breve »4, un appel qui a réuni cinq cent mille signatures.
Les faits dénoncés par Saviano dans ses écrits et ses interventions sont certainement vrais, comme le tableau qu'il dresse de la corruption, de la criminalité et de l'oppression. Il est vrai aussi que, du point de vue personnel, il est en train de payer très cher toutes ces dénonciations, surtout celles du livre Gomorra, qui l'obligent à mener une vie pire que celle d’un prisonnier. C’est pour cela que nous respectons la personne de Saviano parce que nous le considérons honnête, même si nous pensons qu’il se trompe sur la thérapie qu’il suggère pour combattre cette pourriture ambiante des affaires louches.
Pour Saviano, la mafia est fondamentalement un virulent parasite qui, à partir du sud de l’Italie, envahit et s’empare de l’Etat démocratique par la corruption des politiciens et des hommes d’affaire, en réussissant ainsi à s’infiltrer et à avoir un pouvoir tel qu’elle conditionne le sort de régions entières et même des politiques nationales. Ceci aurait été possible grâce, d’une part, au fait que la classe politique et l'État auraient sous-estimé la dangerosité de cet agent pathogène : « Tandis que la politique se désintéressait de la mafia, la mafia, elle, s’est intéressée à la politique en la cooptant systématiquement »5 et, d’une autre part, grâce à l’omerta complice des populations méridionales qui joueraient un rôle de spectateurs passifs par « peur » ou « auto-préservation », « sans croire ni exiger qu’un changement puisse surgir de leur propre territoire. (…) L’omerta n’est pas tant le fait de se taire, mais surtout de ne pas vouloir savoir. Ne pas savoir, ne pas connaître, ne pas comprendre, ne pas prendre position, ne pas prendre part. Voilà la nouvelle omerta »6.
A partir d’une telle vision, il est normal que la réponse appropriée, pour vaincre ce mal et redonner de la dignité à la nation et aux populations méridionales, soit la dénonciation, la mobilisation de la population pour qu’elle collabore avec l’État et les forces de l’ordre pour signaler et dénoncer les mafieux et leurs sales affaires : « La dénonciation du tueur pourrait être le seul moyen de racheter l’humanité des personnes toujours plus à l’aise dans la déshumanisation à laquelle elles sont contraintes et dans laquelle elles semblent s'être installées confortablement »7. Selon Saviano, en effet, « …nous devrons tous nous rendre compte du fait que ni les médias ni la magistrature ne seront en mesure de provoquer à elles seules le moindre changement jusqu’à ce que ce changement soit exigé et soutenu par la majorité des citoyens »8.
Beaucoup de gens ont sans doute découvert avec le livre Gomorra des faits effroyables et inimaginables. En tout cas, la grande majorité ne sait pas (parce que ça ne figure pas sur les livres d’histoire) que les États, dont l’État italien, ont très souvent utilisé la mafia autant sur le plan intérieur qu’international pour toutes sortes de sales boulots qu’ils ne peuvent pas faire en leur nom propre mais qui étaient déterminants pour redresser dans le sens souhaité des choix politiques et stratégiques de la plus haute importance pour la bourgeoisie. Voici juste quelques exemples :
Avec l’entrée en guerre des États-Unis en 1941, ce pays reconnaît l’importance stratégique de la mafia. Sur le plan interne, l'État américain devait éviter la création d’un front intérieur [pro-Mussolini] au sein de l’immigration d’origine italienne aux États-Unis. Par ailleurs, la mafia, qui contrôlait, entre autre, le syndicat des dockers et des routiers, secteur clé pour l’approvisionnement d’armes, est devenue un interlocuteur irremplaçable de l'État américain. La flotte américaine demanda à Washington l’autorisation de négocier avec la mafia et avec son capo Lucky Luciano qui se trouvait en prison, une autorisation que Roosevelt s’empressa de donner9. En outre, la mafia engagera ses syndicats dans l’effort de guerre en contrôlant d'une main de fer les travailleurs.
En 1943, le débarquement des troupes américaines en Sicile est réalisé grâce à une entente avec la mafia locale qui prépare le terrain en suivant les indications du capo mafieux italo-américain Luciano. Celui-ci, qui était condamné aux États-Unis à 50 ans de prison, sera mis en liberté grâce à cette collaboration et partira pour Naples où il organisera la contrebande de cigarettes et de drogue. Deux autres tireront profit de cette « aide » : le boss sicilien local Don Calogero Vizzini – qui sera “élu” maire de Villalba - et Vito Genovese, bras droit de Lucky Luciano, qui deviendra d’abord l’homme de confiance de C. Poletti (gouverneur militaire américain de toute l’Italie occupée) et ensuite, une fois rentré aux États-Unis, le principal chef mafieux de l’après guerre.
Le premier mai 1947, la bande de Salvatore Giuliano tire sur une foule désarmée d’ouvriers, paysans, femmes et enfants, à Portella della Ginestra, près de Palerme, pour ainsi en finir avec les luttes contre les grands propriétaires terriens et freiner l’avancée du Parti Communiste Italien (PCI) dans la région, ce qui n’est pas apprécié par le gouvernement ni par son allié, les États-Unis. Giuliano sera tué en 1950 par son lieutenant Pisciotta, lequel, à son tour, sera empoisonné en prison après avoir fait ses premières déclarations sur les liens entre Giuliano, la mafia et le ministre de l’Intérieur, Scelba, de la nouvelle et démocratique République italienne.
En 1948 les États-Unis veulent que ce soit la Démocratie Chrétienne (DC), sa fidèle alliée, qui gagne les élections pour ainsi contrôler ce bastion stratégique fondamental qu’est l’Italie contre le bloc russe. Tandis que les États-Unis financent avec 227 millions de dollars le gouvernement italien, la mafia, surtout Cosa Nostra, s’engage activement dans la campagne en finançant la DC et en donnant « des consignes » de vote.
Les années suivantes, Gladio et la Loge P2, des structures parallèles contrôlées par l’OTAN et la CIA avec la complicité des services secrets italiens, maintiennent le lien avec la mafia à différents niveaux. Ce système est à l’origine des nombreux attentats qui, des années 1960 aux années 1990, ont rythmé les étapes les plus délicates de la politique italienne autant en ce qui concerne les affrontements sociaux10 que par rapport aux choix différents au sein de la bourgeoisie italienne sur les alliances impérialistes.
Rien que ces quelques éléments11 peuvent nous faire comprendre que la mafia n’est ni un produit typiquement italien ou méridional, ni un corps étranger au système démocratique, mais, au contraire, elle en est une partie intégrante et fonctionnelle, en Italie mais aussi aux États-Unis, en Chine, au Japon, en Russie et plus généralement dans tous les pays de l’Europe de l’Est. Il faut en outre comprendre que le pouvoir que la mafia a réussi à développer, en Italie par exemple, n’est pas seulement le résultat de la puissance économique basée sur les affaires illicites et la quantité considérable de politiciens et de patrons facilement corruptibles d’Italie, mais c’est surtout le résultat des choix impérialistes bien précis et de l’importante immunité de ceux qui en bénéficient (excepté quelques arrestations juste pour sauver la face de la démocratie et de la légalité) pour les précieux services rendus et qui continueront à être rendus à la classe dominante.
Pour revenir à Saviano, sa vision peut se résumer à ceci : il y a les « bons » et les « méchants », les honnêtes et les malhonnêtes et il y a un État qui, même en fonctionnant mal, assure malgré tout une vie civilisée et démocratique. Il y a donc, à ses yeux, une partie pourrie de la société qui ne peut être éliminée qu’en s’appuyant et en soutenant cet État démocratique et une masse amorphe et abrutie dont le seul objectif est de ne pas avoir davantage de problèmes que ceux qu’elle a déjà.
Nous retrouvons cette même façon de voir dans l’intervention de Saviano dans l’émission Che tempo che fa du 11 novembre 2009 où, à propos de l’oppression subie en Iran, au Chili ou dans l’ancienne URSS, etc., il faisait implicitement ressortir une différence radicale entre ces États totalitaires et oppresseurs et les États démocratiques où l’on ne meurt pas et où l'on n’est pas mis à l’écart à cause de ses idées.
Saviano y a raconté, avec une juste indignation, l’histoire de deux jeunes filles tuées par l’État iranien simplement pour être descendues dans la rue pour manifester leur volonté de vivre dans une société plus libre. Mais où est la différence entre ces homicides d’État et celui de Carlo Giuliani lors du G8 à Gênes en 2001 ou les nombreux massacres d’ouvriers commis par l’État démocratique italien, cet État né de la Résistance et dont la constitution prétend que l’Italie est une République basée sur le travail, lors des manifestations et des grèves ?12 Quelle est donc la différence entre les atrocités de l’État soviétique (stalinien et non pas communiste comme le prétend Saviano) et l’extermination des 250 000 vies humaines lors du bombardement de Dresde en février 1945 ou le génocide de 200 000 personnes et l’horrible agonie infligée à des centaines de milliers de gens à cause des bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki le 6 et le 9 août 1945 ?
Et pourquoi « notre » État démocratique envoie-t-il ses soldats au combat en Afghanistan et en Iran, là où se retrouvent les intérêts des grandes puissances même si cela signifie mort et misère pour des milliers de personnes, comme ce fut le cas en Serbie et au Kosovo où les avions italiens se sont trouvés en première ligne pour les bombardements ?
L’erreur de fond de l’argumentation de Saviano est de considérer les choses à partir de l’individu ou d’une somme d’individus en dehors du contexte économique, social et politique dans lequel ils vivent, dans une époque historique déterminée. Le contexte où l’on vit est celui de la société capitaliste qui est fondée sur l’exploitation et la domination d’une classe sur la très grande majorité de l’humanité. Le moteur économique de cette société est le profit et la concurrence sans pitié dans chaque pays entre capitalistes individuels et, surtout, entre nations. L'État, ses lois et ses forces de l’ordre sont les instruments que chaque bourgeoise nationale se donne pour maintenir sa domination sur la société et défendre les intérêts économiques, politiques et militaires de sa nation dans la concurrence internationale. Dans une telle société, la vie des hommes ne peut pas être le centre des préoccupations ; il ne peut pas y avoir de l’espace pour les besoins de l’humanité, et quand nous parlons des besoins nous voulons parler autant des besoins économiques que de ceux dont parle justement Saviano : “la liberté,… la justic, la dignité de l’homme et j’ajoute aussi le droit au bonheur »13.
Les abus, l’oppression, la violence physique et morale, la corruption, l’absence d’éthique et de moralité, la tricherie criminelle ne sont pas l’apanage de tel ou tel individu ou clique au pouvoir, mais ils font partie intégrante de la nature-même de ce système capitaliste.
Si, aujourd’hui, la Campanie se retrouve empoisonnée par des tonnes de déchets toxiques venant des entreprises du Nord et enfouis par la Camorra, ce n’est pas à cause d’une dose particulière d’immoralité chez les responsables de ces entreprises, mais parce que celles-ci sont contraintes d’obéir à la loi du profit du capitalisme et donc d'utiliser la méthode la moins chère pour éliminer les déchets toxiques. Si l’appareil politique italien a utilisé pendant des décennies la mafia, les bombes et le mensonge, ce n’est pas parce que les politiciens d’alors étaient du genre fripouille, mais parce que cela correspondait aux intérêts de l’État, un État qui serait disposé à revenir pleinement à ces pratiques si c’était nécessaire.
Régime totalitaire ou démocratique, le fondement et la substance sont les mêmes. La démocratie n’est que l’instrument le mieux adapté pour faire accepter cet état des choses, grâce à l’illusion que si les citoyens demandent aux gouvernants une société meilleure, ils seront écoutés.
Ainsi, les appels à dénoncer les tueurs, à demander avec plus de force à l’État d’éliminer la mafia et la corruption, les appels aux chefs de l’État à « la défense du droit » ne marchent jamais, mais au contraire, sont devenus un moyen pour entretenir l’illusion selon laquelle il serait possible de vivre mieux dans ce système.
Le seul moyen de se libérer de toute cette pourriture, c’est de se débarrasser du capitalisme. Cela ne pourra pas être réalisé par la masse indifférenciée des citoyens, mais au contraire par la classe sociale dont les intérêts sont diamétralement opposés à ceux de la classe dominante et qui, elle, n’a vraiment rien à perdre : le prolétariat.
Eva (10/12/2009)
2 Lors de l’émission TV-RAI3 Che tempo che fa du 11 novembre 2009.
3https://www.repubblica.it/speciale/2009/firma-lappello-di-saviano/index.html [42]
4C'est-à-dire des « procédures courtes », un de ces tripatouillages juridiques à la sauce Berlusconi.
5“La camorra alla conquista dei partiti in Campania” (La Camorra à la conquête des partis dans la région de Naples), la Repubblica, 24 octobre.
6 “Il filmato-shock sconvolge il mondo, i vicoli restano indifferenti” [Le film-choc bouleverse le monde, les restaurateurs et leurs clients restent indifférents], la Repubblica, 1er novembre, en référence au film de l’assassinat d’un mafieux à Naples qui a circulé sur Internet.
7“In cinque minuti la banalità dell'inferno, ora sogno la ribellione del quartiere”, la Repubblica, 30 octobre.
8“Siamo tutti casalesi”, L’Espresso, 7 octobre, écrit à la suite de la tuerie d’immigrants perpétrée par la Camorra à Castel Volturno, province de Naples.
9Pour plus d’éléments, voir notre article « [43]Comment est organisée la bourgeoisie: « Le mensonge de l’Etat “démocratique”, II partie. L’exemple des rouages secrets de l’Etat italien [43] », Revue Internationale n.77 (III-1994).
10L’attentat meurtrier (16 morts et une centaine de blessés) qui a eu lieu en 1989 à Milan, sur la place Fontana (piazza Fontana) est un produit de cette collusion.
11On peut trouver à ce sujet des documents sur Internet, par exemple : la storia dell'eroina [44], In Sicilia si gioca la Storia d'Italia (Mafia CIA Vaticano)
12Outre le massacre déjà cité de Portella delle Ginestre, on peut se référer à « L'automne chaud 1969 en Italie, un moment de la reprise historique de la lutte de classe (I). », dans la Revue Internationale nº 140, janvier 2010.
13« Ecco perché non possiamo tacere » (Voilà pourquoi nous ne pouvons pas nous taire). Réponse au ministre Bondi, la Repubblica, 23 novembre 2009.
Nous publions ci-dessous la traduction d'une prise de position commune de trois groupes révolutionnaires sur la répression sanglante qui a frappé des mineurs grévistes au Pérou : el Grupo de Lucha Proletaria, l'Organización Anarco Punk et le Courant Communiste International.
Le 4 avril, dans le cadre des mobilisations menées par la Fédération Nationale des Mineurs Artisanaux du Pérou, les mineurs artisanaux des alentours de Chala et d'Arequipa coupent la route Panaméricaine et s’affrontent à la police, laquelle, armée jusqu’aux dents, se préparait à les déloger. Le résultat de ces affrontements a été officiellement de 6 mineurs tués (des sources syndicales parlent de 14 morts) et plus de 20 blessés. La répression fut brutale et sans discernement, touchant même le chauffeur d’une moto-taxi qui ne participait pas du tout à la protestation.
La première chose, et la plus importante face à ces événements, c’est d’exprimer sa solidarité envers ces travailleurs. Il y a eu dans différents lieux, des actes de solidarité qui ont débordé l’emprise syndicale. C’est ainsi qu’on peut exprimer la volonté de défendre nos vies et l’indignation pleinement justifiée contre la sauvagerie de la répression et l’hypocrisie démocratique avec laquelle elle est exercée.
Et, en même temps, cette hypocrisie démocratique avec laquelle la répression a été déchaînée doit nous pousser à analyser et à tirer des leçons des pièges idéologiques que ce conflit a mis en relief.
La région de Madre de Dios et celle aussi de la côte d’Arequipa ou la zone d’Ica, ont connu ces dernières années l’arrivée de familles entières qui survivent dans des taudis misérables, dont tous les membres, hommes, femmes et enfants, sont obligés de réaliser un travail épuisant à la recherche de minerais. C’est eux qui souffrent des maladies, eux qui crèvent dans les multiples accidents, qui subissent les maffias multiples qui les « protègent », eux dont la « récompense » est juste de quoi mal vivre, tandis que les profits des affaires minières s’accumulent entre les mains des capitalistes locaux, ou russes ou brésiliens, propriétaires des dragues gigantesques installées sur les rivières (qui, en plus, produisent une forte contamination). Ce sont de grands magnats qui exploitent ce qu’on appelle « l’industrie minière informelle ou artisanale ».
Et ces travailleurs ne sont pas seulement les victimes des balles de la police mais aussi de la manipulation et des tromperies de l’action combinée des syndicats, du patronat et du gouvernement, des médias et des autres institutions bourgeoises, qui les ont entraînés à lutter pour la défense d’intérêts qui ne sont pas les leurs : la dérogation du décret « DU 012-2010 » approuvé par le gouvernement pour réguler l’industrie minière informelle.
Les mineurs sont tombés dans le piège de la lutte d’intérêts entre deux secteurs de la bourgeoisie : « l’industrie minière formelle » et « l'industrie minière informelle ou artisanale ». L’exacerbation de la crise économique mondiale a des effets partout dans le monde, le Pérou évidemment y inclus, et dans tous les secteurs économiques, dont l’industrie minière qui est la principale activité économique du pays. C'est pourquoi cette lutte d’intérêts est de plus en plus acharnée. Une série d’exploitations, de recherches et de projets miniers ont dû être abandonnés sans rémission, face aux effets négatifs de la crise capitaliste. Et c’est maintenant, alors que la bourgeoisie gouvernementale a recruté les meilleurs lobbyistes dans l’Assemblée nationale pour y mener la guerre pour ses intérêts : « réguler l’activité minière informelle » qui est un concurrent face à la grande industrie minière, en mettant en avant, entre autres arguments, que les mineurs informels « ne payent pas d’impôts », « qu’ils engendrent trop de contamination », « qu’ils exploitent les enfants ». En fait, la cause de ce conflit sanglant c’est le marché, mais il n’y a que le sang ouvrier qui se répand.
L’intérêt de l'État péruvien pour réguler l’industrie minière informelle n’a rien à voir avec la lutte contre la pollution de l’environnement, ni avec l’élimination de l’exploitation des enfants – comme il le prétend dans ses discours hypocrites – mais avec quelque chose de plus prosaïque : recueillir des impôts d’une activité qui n’en payait pas jusqu’à maintenant. L’intérêt des patrons de l’industrie minière formelle, qui ose, avec un cynisme rare, brandir ces arguments écologiques ou de « défense des enfants » (eux qui contaminent sans vergogne et exploitent "leurs" travailleurs en se moquant de savoir si leurs enfants vivent dans la misère ou crèvent de faim), est également inavouable : il s’agit d’éliminer ou du moins réduire des concurrents pour essayer d’accroître leur part de marché.
De l’autre côté, l’intérêt de la dite « industrie minière informelle » est que tout reste en l’état actuel.
Que le décret « DU 012-2010 » soit appliqué ou abrogé, que les mineurs soient exploités par un patron « formel » ou « informel », ne va pas apporter la moindre amélioration. Rappelons-nous l’affaire de la Minera Yanacocha à Cajamarca [gigantesque mine d’or, une affaire tout ce qu'il y a de plus légal, NDT] où les maladies et la mort ont proliféré dans des conditions d’exploitation terribles !
L’affaire du décret, de son vote favorable ou de son rejet, est une bagarre entre capitalistes. Dans cette bagarre, les travailleurs n’ont rien à gagner et tout à perdre.
Nous, travailleurs, que nous soyons des mineurs ou de n’importe quel autre secteur, au Pérou ou ailleurs dans le monde, nous ne pouvons pas y laisser notre peau pour défendre des intérêts qui ne sont pas les nôtres, mais ceux de nos exploiteurs.
De même, nous ne pouvons pas accepter le terrain de division qui depuis le début du conflit a été choisi par les syndicats. Ils ont tout fait pour que les mineurs « informels » luttent seuls et isolés, tandis qu’ils fomentaient la passivité et l’idée de « ne pas se mêler » chez les mineurs de l’industrie « formelle », sans oublier le lynchage médiatique qu’a dû subir le « secteur informel » et qui l’a séparé encore plus du reste de la classe et de la population en général. Nous avons déjà dénoncé l’amalgame abject répandu par les médias, les politiciens et autres, qui ont présenté les familles minières comme des « barbares destructeurs de l’environnement », « des gens sans-cœur qui exploitent leurs propres enfants », tout cela pour occulter que ce sont les capitalistes et les mafias du « secteur informel » qui contaminent et polluent, que ce sont eux qui imposent des salaires si bas qu'ils obligent ces familles à employer leurs enfants pour gagner de quoi survivre.
Ce terrain de division et d’isolement a empêché d’aller plus loin dans les actions solidaires et indignées des autres travailleurs face au massacre perpétré sur l’asphalte de la route Panaméricaine.
Même si aucun journal ni la télévision ne parlent plus de ces morts, qui sont les nôtres, le moment est arrivé, pour leur rendre le meilleur hommage, de tirer les leçons de ces événements tragiques, de comprendre les pièges qui ont été tendus et qu’on va continuer à tendre tant que nous, les prolétaires, nous ne serons pas capables de nous défendre avec les seules et véritables armes de notre combat : l’unité, la solidarité et la lutte commune contre toute exploitation, au-delà de toutes les divisons en secteur, branche ou nation, face à des patrons privés ou d’État, d’ici ou étrangers, « formels » ou « informels ».
Pour l’organisation et la lutte autonomes de la classe ouvrière mondiale !
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Grupo de Lucha Proletaria ; Organización Anarco Punk ; Courant Communiste International (avril 2010).
Durant toute une journée, les médias ont été euphoriques : la France va organiser la Coupe d'Europe de football en 2016 (nommée Euro 2016) !
Et alors ? Pourquoi se réjouir ? Il suffit d'écouter Nicolas Sarkozy pour le comprendre. Juste avant que l'UEFA ne révèle officiellement son choix, le président français est venu plaider pour son pays. Il a affirmé à la tribune : "Nous, nous pensons en France que le sport, c'est une réponse à la crise. C'est justement parce qu'il y a une crise, qu'il y a des problèmes, qu'il faut mobiliser tout un pays vers l'organisation de grands événements […] C'est une décision pour nous stratégique qui engage tout le pays face à la crise […] c'est un engagement de tout un peuple. […] Il n'y a pas la gauche et la droite, il n'y a pas le Sud et le Nord, il n'y a pas l'Est et l'Ouest, il y a tout un pays mobilisé pour avoir cet événement ! […] Si vous nous donnez l'Euro 2016, vous nous ferez plaisir".
Traduction : la crise frappe fort et la bourgeoisie française compte sur le foot pour distraire les ouvriers, leur faire oublier quelque temps la dureté de leur quotidien. Voilà pourquoi avoir obtenu « l'Euro 2016 » a fait "plaisir" à Sarkozy et consorts.
Du temps de l’empire romain, César calmait déjà le peuple en lui offrant "du pain et des jeux". Il ne reste plus aux Césars modernes que les jeux.
Françoise (le 4 juin)
Nous publions ci-dessous la traduction d’une prise de position publiée par Internationalism US, organe du CCI aux États-Unis.
Vers 10 heures, le mardi 20 avril 2010, une explosion a ébranlé la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon à environ 50 milles au large de la côte de la Louisiane. L'installation a finalement coulé le jeudi 22 avril, causant le pire déversement de l'histoire en laissant s'échapper chaque jour des millions de litres de pétrole et de gaz méthane. A l'heure où nous écrivons, cela fait presque un mois que cela dure et continuera pour un temps encore indéterminé. Les dommages incalculables pour l'environnement sont le cadet des soucis de la bourgeoisie, qui nous convie au spectacle quotidien d'un jeu véritablement répugnant qui consiste, pour les différentes parties - BP Oil, Halliburton, Transocean, la Garde Côtière, le gouvernement fédéral – à se renvoyer la responsabilité pour essayer de sauver ce qui reste de leur réputation déchirée en lambeaux. Cette nappe de pétrole s'ajoute à la longue liste des catastrophes écologiques causées par l'aveuglement du capitalisme et par la dévastation insupportable de la planète alors que le capitalisme recherche indéfiniment les moyens les moins coûteux de maintenir un avantage compétitif dans le sillage de son autre catastrophe, la pire crise économique de son histoire. Cette catastrophe nous rappelle également ce que nous réserve l'avenir par rapport à la sécurité des ouvriers sur leur travail. L'explosion de la plate-forme a tué onze ouvriers et survient après la récente explosion de la mine de charbon en Virginie Occidentale qui a tué 24 ouvriers.
Lorsque nous jetons un regard sur ce qu'implique l'enfer capitaliste d'aujourd'hui - pertes de vies humaines, mutilation écologique, cupidité du commerce, accentuation de la fièvre des guerres commerciales - il est impossible de ne pas arriver à la conclusion que le capitalisme vit de terribles convulsions qui signent sa faillite historique. Au niveau de l'impact sur l'environnement et de la vie des populations locales, les dommages sont incommensurables. L'agence de « prévention des désastres » mise en place par l'État capitaliste sous la forme du Service de Gestion des Minerais a été reconnue comme étant une structure totalement corrompue et parfaitement inapte. Alors que sa fonction aurait dû être de s'assurer que les opérations de forage étaient sans danger pour l'environnement et que l'équipement utilisé était sans danger pour les vies humaines, elle recevait de substantielles royalties de la part des compagnies pétrolières, une pratique mise consciemment en place afin de permettre de bas coûts de production prioritaires par rapport aux considérations d'environnement et de vies humaines. En fait, le gouvernement fédéral engraisse ses coffres avec les royalties des compagnie pétrolières et achète le pétrole à bas prix, pendant que les compagnies chargent le fardeau économique sur les épaules de leurs ouvriers en réduisant les coûts et en faisant de plus en plus abstraction des mesures les plus élémentaires de sécurité. Ceci rappelle inévitablement une de ces autres émanations catastrophiques du capitalisme : la dévastation provoquée par l'ouragan Catherina et sa FEMA (Agence Fédérale des situations d'urgence ndt), elle aussi pourrie jusqu'à la moelle. La faillite totale de telles structures mises en place par l'État capitaliste est si évidente que le président Obama a décidé de diviser en deux organismes le MMS. L'un d'entre eux rassemblera maintenant les fonds tandis que l'autre dirigera les opérations. Voila comment le capitalisme essaye de sauver la face et de faire le ménage. Hier comme aujourd'hui, et demain, il ment comme un arracheur de dents par rapport à sa propre responsabilité et aux promesses du genre "plus jamais ça".
Les autres escrocs sans vergogne, tels le géant du pétrole BP lui-même, mais aussi les sous-traitants comme Transocean et Halliburton, nous nourrissent quotidiennement d'un jeu véritablement répugnant qui consiste à se blâmer mutuellement par rapport au désastre. BP est tellement confiant dans la force de sa stature économique qu'il a même plaidé en faveur d'une augmentation de la responsabilité habituelle du gouvernement fédéral imposée dans ces cas-ci. Alors que la sanction maximum appliquée est de 75 millions de dollars, BP a plaidé pour 89 millions. Il n'a cependant pas dit que ses revenus pour le premier trimestre de 2010 se situaient dans les milliards. La responsabilité supplémentaire que BP s'est attribuée à lui-même est comparable à une augmentation de notre facture de TV d'environ 5 dollars par mois pendant seulement deux ou trois mois de l'année. Halliburton, pour sa part, se moque des « sévères » pénalités que l'État capitaliste lui infligera parce qu'elle sait que son assurance lui payera environ trois fois autant que ce qu'elle aura perdu. Et que dire sur le nettoyage de l'environnement ? Eh bien, la Garde Côtière utilise des barrières flottantes de protection ! C'est comme si on utilisait des Kleenex pour essayer d'éponger l'eau d'une maison inondée ! Ces opérations sont, elles aussi, tellement insatisfaisantes que les riverains de la Nouvelle-Orléans prévoient que la nappe de pétrole se répandra sur le rivage au cours de la prochaine saison des ouragans, ce qui causera encore plus de dévastation à un secteur déjà appauvri et souillé. Quant au ' »espect des vies humaines », l'explosion de la plate-forme pétrolière a constitué une nuit de terreur pour les hommes travaillant à l'installation, et elle a provoqué une attente anxieuse de la part de leurs familles. Pendant les opérations de sauvetage exécutées sous la surveillance de la Garde Côtière, plusieurs travailleurs du pétrole embauchés par la compagnie suisse Transocean (qui était propriétaire de l'installation) ont été pris à bord d'un bateau de sauvetage, qui est resté environ 12 heures à regarder la plate-forme brûler, avant de retourner sue le rivage, ce qui a pris encore 12 heures supplémentaires. Un des ouvriers a dit « Ils nous ont gardé là jusqu'à 11h30 le lendemain matin, nous laissant regarder nos copains en train de brûler. Nous avons compté qu'il y avait plus de 25 bateaux. Il n'y avait aucune raison pour nous garder là. » Ils ont été attirés de côté pour subir des entrevues enregistrées sur bande avant d'avoir la permission de voir leurs familles et ils n'ont pu entrer en contact avec leurs familles ni par radio ni par téléphone. Ce dernier désastre se produisant à la suite de le récente explosion dans la mine de charbon de la Virginie Occidentale, il est évident que les autorités ont voulu interroger les ouvriers du pétrole avant qu'ils puissent parler avec n'importe qui pour empêcher que ne naisse le moindre soupçon par rapport à la vérité de « l'accident ».
Tout ceci est suffisant pour accuser ce système moribond, décadent, en pleine décomposition dans lequel nous vivons. Mais l'histoire ne finit pas là. La quantité de pétrole qui se déverse dans le Golfe du Mexique se révèle être au moins 10 fois supérieure aux évaluations officielles. Selon les experts, la nappe de BP est déjà bien plus importante que celle causée par l'accident du Exxon Valdez en Alaska en 1989, où au moins 250 000 barils de pétrole avaient été répandus, et dont on peut encore trouver des restes aujourd'hui, 21 ans après. Les évaluations scientifiques, plus précises que les mensonges colportés par BP dans ses tentatives de limiter sa responsabilité et de redorer son image de géant du pétrole « responsable en termes d'environnement », estiment que la quantité de pétrole et de gaz qui se déverse se situe entre 56 000 et 100 000 barils par jour. Et BP ose continuer à proclamer qu'il ne se répand que la quantité de 5 000 barils par jour!
Il est assez évident que BP a une longue histoire de violations des règles élémentaires de sécurité derrière elle, mais elle a aussi de nombreux complices, les États-Unis étant leur plus puissant. L'une des plus grandes raffineries des États-Unis a explosé en mars 2005 entraînant 15 décès, blessant 180 personnes et contraignant des milliers de riverains à rester abrités dans leurs maisons. L'accident est arrivé comme le point culminant d'une série d'accidents moins sérieux à la raffinerie, et les problèmes mécaniques n'ont pas été abordés par la direction. L'entretien et la sécurité de l'usine avaient été abandonnés pour des raisons économique, la responsabilité se reposant finalement sur l'exécutif de Londres. Il y a eu plusieurs enquêtes sur le désastre, et la compagnie a finalement plaidé coupable pour délit de violation du Clean Air Act,. Elle a été condamnée à 50 millions de dollars d'amende et soumise à trois années "d'épreuve". Le 30 octobre 2009, la Sécurité au Travail des États-Unis et l'Administration des Risques (OSHA) ont frappé BP d'une amende supplémentaire de 87 millions de dollars - la plus grosse amende de l'histoire d'OSHA - pour n'avoir pas supprimé les risques en matière de sécurité indiqués dans l'explosion de 2005. Les inspecteurs ont trouvé 270 violations à la sécurité qui avaient été précédemment citées mais non précisées et 439 nouvelles violations. Le cynisme capitaliste n'ayant pas de limite, BP fait évidemment appel !
La liste de violations par BP est certainement sans fin, et la liste de conflits entre BP et le gouvernement des États-Unis est d'une longueur impressionnante. On doit alors se demander pourquoi un escroc environnemental tel que BP est autorisé par les États-Unis à avoir 40% de son marché dans ce pays. En fait, en permettant que les sauvegardes de l'environnement et de sécurité soient très molles, les États-Unis sont le principal complice des désastres causés par BP. Il est certainement économiquement très "convenable" que les États-Unis puissent acheter leur propre pétrole à une compagnie qui le produit à bas prix. Les États-Unis lui permettent de sous-traiter des parties de son travail - comme BP l'a fait dans ce cas-ci avec Transocean et Halliburton - et BP opère dans les eaux territoriales américaines. Son record en matière de méfaits, de réduction des coûts, d'utilisation d'équipement usagés ou fonctionnant mal et son mépris pour la sécurité des ouvriers permettent à BP de produire à des coûts effectivement très bas ! L'inconvénient est néanmoins sérieux : c'est que les États-Unis sont technologiquement désavantagés en ce qui concerne la modernisation de leur propre appareil d'extraction et de production de pétrole dans le contexte d'un besoin accru de sources d'énergie aux meilleurs prix disponibles, c'est à dire le pétrole. C'est ce qui se trouve au cœur de la présente réforme de la loi sur l'énergie proposée par l'administration Obama. Dans le contexte de la crise économique, les États-Unis doivent désespérément gagner un avantage concurrentiel sur le marché mondial. Les conflits ont aussi impliqué les États-Unis et la Grande-Bretagne par rapport au pipeline de Bakou-Tbilisi-Ceyhan, par exemple, une épine dans le pied américain, alors qu'ils essayent de gagner le contrôle de ressources dont les pays européens et la Chine ont besoin. C'est pourquoi nous serions dans l'erreur de croire que les actions des agences américaines qui visaient à pénaliser les pires comportements de BP sont le fruit du souci de l'État par rapport à la sécurité de l'environnement et des vies humaines. Au contraire, les États-Unis utilisent ces désastres environnementaux pour faire reluire leur image de champion de la protection de l'environnement et pour affirmer leur autorité dans un domaine d'industrie qui est essentiel à leur compétitivité sur le marché mondial, transformant véritablement de tels désastres en des armes pour mener leurs propres guerres commerciales contre d'autres pays, dans le cas de BP, contre la Grande-Bretagne.
Face à cette dernière catastrophe environnementale, l'État capitaliste essaye frénétiquement de projeter une image d'intégrité et d'efficacité, mais il ne peut pas empêcher que cette image soit… polluée - aucun jeu de mot - par ses actions très contradictoires. À titre d'exemple, une cour d'appels fédérale a récemment rejeté l'approbation du gouvernement fédéral du forage exploratoire que Shell prévoit dans les mers des Tchouktches et de Beaufort au large de la côte d'Alaska. La cour a exigé que le « Minerals Management Service » fédéral, l'agence même qui se trouvait sous le feu, réponde à son obligation de prendre en compte la menace potentielle pour la faune et le risque de désastre avant son approbation du projet de Shell dans l'Océan Arctique.
Chris Krenz, chef du projet arctique pour Oceana, un des plaignants et appartenant à une organisation à but non lucratif des océans, a dit « Les compagnies ont ponctionné le pétrole facile au large de nos côtes. Maintenant, ils repoussent les limites et augmentent les risques en se dirigeant vers les eaux profondes du golfe et le lointain et impitoyable Arctique ». Il a dit que BP n'était pas prête de s'occuper de la tragédie d'une nappe dans le golfe et que « Shell aura encore bien moins de ressources pour faire face à un accident dans l'Arctique. » Néanmoins, la cour d'appel fédérale, une émanation de l'État capitaliste, est disposée à ce que se fasse un forage en eau plus profonde à la recherche du pétrole domestique, bien que les composantes clé de la sécurité ne soient évidemment pas présentes. Alors que se déverse le pétrole dans le Golfe du Mexique, les opérations de Shell sont programmées pour démarrer cet été ! C'est vraiment beaucoup pour un État capitaliste qui promet de "s'assurer que les désastres ne se reproduiront plus jamais" !
Les États-Unis, comme tous autres États capitalistes, savent parfaitement que la dépendance à l'égard du pétrole ne sera pas éliminée de sitôt dans les conditions capitalistes actuelles, et d'autant moins à l'heure de sa crise économique la plus aiguë. Le pétrole est la seule source d'énergie qui peut leur donner un avantage concurrentiel, indépendamment du coût environnemental ou humain. Mais ils ne peuvent pas prendre de tels risques à visage découvert devant la classe ouvrière. C'est la raison pour laquelle la réponse immédiate par l'administration d'Obama a été de mettre un moratoire sur l'interdiction du forage en mer qu'il avait juste promis le mois d'avant. Pendant sa campagne présidentielle, Obama a fait croire à l'électorat qu'il était en grande partie opposé à augmenter le nucléaire, pétrole, gaz naturel et approvisionnements en énergie de charbon qui actionnent l'économie des États-Unis. Il a également promis des investissements dans des sources renouvelables d'énergie et une expansion des technologies 'green' Mais aussitôt élu, il a 'convenu' que les États-Unis ne pouvaient mener une telle réforme de leur économie sans perdre de compétitivité sur l'arène mondiale.
Le capitalisme ne sera jamais le « green ». Sa négligence pour l'homme et la nature éclate chaque jour un peu plus avec force. Cet événement expose une nouvelle fois la faillite et l'irrationalité du capitalisme aux yeux de la classe ouvrière. Il stimule aussi la réflexion sur le futur du capitalisme et de l'humanité. Il est grand temps que nous détruisons le capitalisme, avant qu'il nous détruise.
Ana, 22 mai 2010
C’est bien au passé qu’appartiennent ces images d’Epinal où le surpoids apparaissait comme un signe de santé et de prospérité. L’embonpoint était alors l’expression corporelle de « l’abondance de nourriture ». Les États-Unis, un pays avec une grande quantité de personnes « fortes », apparaissaient devant nos yeux comme un symptôme des pays développés.
Aujourd’hui, l’obésité apparaît pour ce qu’elle est : une épidémie ! Des prétendus "spécialistes" nous expliquent que cette obésité est causée par l’analphabétisme, par des problèmes génétiques, par la sédentarisation et le "confort", ou parce que les gens sont mal informés, etc. Il n’en est rien : l’obésité, autant que la famine, est une maladie étroitement liée à l’avancée implacable de la misère dans le monde.
Pendant les années 1980, on a pu voir ces images dramatiques de la famine en Afrique, celles des enfants squelettiques avec des ventes gonflés. Les années 1980 sont aussi connues comme ceux de « la décennie perdue pour l’Amérique Latine ». Les années 1990 ont connu l’implosion du bloc de l’Est et la fin des « miracles économiques » dans les pays en voie de développement. Le nouveau millénaire nous a apporté, depuis 2008, la pire crise de l’histoire du capitalisme. Plus de 40 ans de crise mondiale ont apporté du chômage et des conditions de vie de plus en plus mauvaises pour des millions de travailleurs dans le monde, autant dans les pays développés que dans les pays dits « émergents ». Ces quatre décennies d’attaques contre les salaires, de misère sans fin, ont provoqué une augmentation des prix des aliments. La faim plane sur beaucoup de régions de la planète mais, à côté d’elle, il est apparu un autre phénomène lié à la nutrition déficiente et de mauvaise qualité qui menace la population : l’obésité. La faim et l’obésité sont les deux faces d’une même réalité de misère.
La crise mondiale du capitalisme est accompagnée de changements drastiques dans l’alimentation des travailleurs. Les attaques sans répit aux conditions de vie et de travail des travailleurs (salaires, pensions de retraites en baisse avec plus d’annuités pour en « jouir », moins de services…) se répercutent sur tout ce qui est nécessaire pour survivre, en particulier sur les dépenses d’alimentation. C’est pour cela que sont apparues ces dernières années toutes sortes de chaînes de restauration rapide et bon marché. Il fallait que les populations pauvres puissent se nourrir pour pas cher. Et le « pas cher » est devenu de plus en plus mauvais. On ne peut pas savoir les conséquences qu'auront tant d’années de consommation d’une nourriture industrialisée (dont le seul critère est le profit) sur la santé humaine.
La nourriture industrialisée bon marché est saturée de graisses et de sucres et elle ne contient que très peu d’éléments vraiment nutritifs, et ceci sans parler des agents cancérigènes contenus dans les conservateurs. Après deux générations soumises à ces pratiques alimentaires forcées, il y a de plus en plus d’enfants et d’adultes obèses. Ces 30 dernières années, les prix des nourritures caloriques ont baissé et leur consommation augmentée (sodas, sucreries diverses, gâteaux). La crise du capitalisme nous contraint à vivre à la limite de la santé, à la limite de ce qui est nécessaire pour la reproduction de la force de travail. L’obésité n’est pas un « choix », elle n’est pas non plus due à « pas de chance » ou le résultat des « mauvaises habitudes »… elle est une conséquence directe de la pauvreté, de l’impossibilité pour les masses ouvrières d’accéder à une alimentation de qualité. Les travailleurs sont obligés de mal manger parce qu’avec leur salaire, ils n’arriveront jamais à acheter des fruits et des légumes frais, à acheter des produits organiques ou des protéines de qualité, parce que les rythmes de travail ne laissent pratiquement aucun temps libre pour faire un minimum d’exercice. Beaucoup de postes de travail ne prévoient même pas le temps pour manger et les employés doivent consommer leur nourriture pendant les temps de transport, autrement dit, avec du stress et le plus rapidement possible. Pour beaucoup d’ouvriers, leurs sources caloriques ont pour seule origine les sodas sucrés sans le moindre élément nutritif. Et le phénomène des dernières décennies a été l’augmentation sans limites de la nourriture « poubelle »1, celle des « fast food », un mélange de graisse recyclée et des farines raffinées : ça "remplit l’estomac" mais sa consommation quotidienne accélère l’obésité et, par conséquent, le risque de subir d’autres maladies (hypertension artérielle, diabètes, ostéoporose, cancer du colon, etc.). L’alimentation à laquelle la crise condamne la majorité de la population mondiale est en train d’entraîner, à côté de la famine, de nouveaux fléaux sur les classes opprimées.
L’OMS, la FAO et l’OPS (Organisation Panaméricaine de la Santé) ont commencé à mettre en marche des plans contre le « syndrome métabolique », ce qui est l’euphémisme utilisé par la bourgeoisie pour nommer l’obésité. Selon la FAO, l’année dernière, il y avait 53 millions d’affamés en Amérique Latine et les Caraïbes, autrement dit des personnes qui mangent n’importe quoi, de très mauvaise qualité et dans des conditions d’hygiène douteuses. D’après l’OMS, il y a 300 millions de personnes dans le monde qui souffrent d’obésité. Au Mexique (qui a pris aux États-Unis la peu enviable première place au podium de l’obésité), pendant les 5 prochaines années, la charge financière pour s’occuper des obèses et des maladies qui en résultent sera supérieure à 100 milliards de pesos, autrement dit bien plus que ce ronflant « programme de lutte contre la pauvreté » qu’on nous a promis ! On est là dans une contradiction insurmontable. C’est un cercle vicieux qui montre l’impasse dans lequel se trouve une société basée sur l’exploitation, un exemple supplémentaire de sa décadence.
Des pays comme le Guatemala, la Bolivie et l'Équateur, affichent des indices très élevés de dénutrition enfantine (enfants de moins de 5 ans). Le Pérou a un taux de dénutrition de 35%, sauf pour la capitale. Au Mexique, ce même indice est de 77% ! 70% des adultes de plus 20 ans y sont en surpoids. Les plans des organismes gouvernementaux et les « non gouvernementaux » essayeront d’éviter par tous les moyens des dépenses gigantesques dans la santé. La préoccupation de la bourgeoisie n’est pas la santé des personnes. Voilà les deux choses qui la préoccupent :
La diminution réelle des capacités productives de la population à exploiter. Les enfants d’aujourd’hui constituent la force de travail de demain et, à leur majorité, ils auront des problèmes de santé. Ceci n’est pas une bonne chose pour la productivité et la compétitivité. Le capitalisme possédera une force de travail avec des problèmes énormes de surpoids.
Les grosses dépenses médicales entraînées par les soins d’une population obèse vont encore alourdir les coûts de santé publique dans un système de plus en plus incapable de les financer. Déjà, l’infrastructure sanitaire du capitalisme est au bord de l’asphyxie, son efficacité est limitée, et une épidémie d’obésité ne ferait, sans jeu de mots, que devenir un poids énorme.
La bourgeoisie ne peut pas humaniser la vie, elle ne peut pas améliorer les conditions d’existence des ses exploités. Toute la déshumanisation de ce système, les angoisses et les dépressions qu’il provoque, l’atomisation des individus, les guerres, la famine et maintenant l’obésité…, sont autant de raisons pour pousser à sa destruction. Maintenant les propagandistes du capital appellent à « améliorer les habitudes alimentaires », à « réduire son poids » pour faire de la prévention, à éliminer la "mal-bouffe" des écoles... Pas un mot sur l’augmentation salariale ! Rien pour améliorer les conditions matérielles des opprimés ! Ils discourent sur les habitudes, les recettes de saison ou les maux congénitaux... Mais ils cachent la véritable cause de la dégradation alimentaire de l’humanité : la crise d’un système qui ne vit que pour le profit.
Marsan, 8 avril 2010
1 En France, le terme équivalent le plus répandu serait "la mal-bouffe".
Face à l’attaque inouïe que le gouvernement socialiste espagnol a lancé contre les travailleurs, nos camarades du CCI en Espagne ont élaboré un tract, traduit ci-dessous, pour le distribuer le plus largement possible dans la mesure de nos forces.
Comme les lecteurs le constateront, la bourgeoisie espagnole orchestre là-bas les mêmes attaques, les mêmes pièges idéologiques, les mêmes tentatives de divisions public-privé, les mêmes manifestations-balades stériles qu'en France.
Nous encourageons nos camarades en Espagne ou d’ailleurs, qui sont d’accord avec nos positions, à diffuser ce tract autour d'eux (disponible ici [49] au format pdf ).
Mercredi 12 mai, le gouvernement espagnol de Zapatero a annoncé le « réajustement » le plus dur de l’histoire de la démocratie. Mais ce n’était pas une surprise. En février, lorsque le même Zapatero annonça les premiers grands coups (baisse des pensions de retraite, reforme du code du travail etc.), nous avions dit : « les mesures annoncées maintenant, qui sont déjà une attaque en profondeur contre nos conditions de vie, ne constituent que le premier chapitre d’une longue chaîne d’attaques qui vont accabler nos vies avec son cortège de terribles fléaux : la misère, le chômage, le stress, l’épuisement, l’angoisse vis-à-vis de l’avenir...»1. Par ailleurs, même un journal aussi pro-gouvernemental qu’El País reconnaît sans ambages qu’on peut s’attendre encore à de nouvelles mesures de réajustement.
Zapatero et consorts disaient que « la reprise arrive », en claironnant la proximité du « bout du tunnel ». La réalité est qu’on est entré dans une nouvelle étape supérieure et bien plus grave de la crise mondiale du capitalisme, celle qui se caractérise par l’insolvabilité des États. Il n’est pas facile de savoir à quel rythme cela va empirer, les capitalistes eux-mêmes ni leurs serviables gouvernements ne le savent pas ! Mais tout le monde sait que ces mesures entraîneront de nouvelles chutes et récessions, de nouvelles baisses de la production…
Ces mesures sont imposées par la nécessité d’éviter l’effondrement de l’Euro, ce qui entraînerait des dangers énormes de déstabilisation pour toute l’économie mondiale. Et, en même temps, c’est le seul moyen qu’ont les États pour pouvoir continuer à s’endetter, continuer à demander « aux marchés » des sommes pharamineuses qu’il faudra rembourser plus tard.
Le capitalisme – malade d’une crise incurable – essaye de fuir sans relâche ses propres contradictions par une course folle vers toujours plus d'endettement.
Les gouvernements, tels des bateaux ivres, naviguent à vue sans savoir où ils vont. Mais, par contre, pour faire avancer leurs bateaux, leurs coups tombent toujours sur les mêmes dos, ceux des rameurs : les travailleurs et la majorité travailleuse de la population ! Voilà la seule chose qu’ils savent et qu’ils peuvent faire.
Les Plans d’austérité prolifèrent dans tous les pays : l’Islande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Irlande... Le nouveau gouvernement anglais a comme priorité absolue celle d’imposer des coupes de 70 milliards de livres. En France, en Italie et en Allemagne, de durs réajustements, comme ils disent, sont aussi annoncés.
Tous les travailleurs sont attaqués, nous devons tous nous unir par-dessus toutes ces divisions de secteur, d’entreprise, de nationalité (de la région ou de la nation).
Les gouvernements, les oppositions diverses, le patronat et les syndicats, s’efforcent, tous, de semer dans nos rangs le poison de la division. Ils ne savent pas très bien quoi faire face à la crise, mais, par contre, ils ont une large et infâme expérience pour mener des manœuvres de division en tout genre.
En Grèce, la propagande de tous les partis et des syndicats montre de son doigt accusateur carrément les ouvriers allemands parce qu’ils « ne veulent pas les aider ». Et, en contrepartie, en Allemagne, la campagne est centrée sur le rejet que doivent avoir les ouvriers allemands, qui ne doivent pas payer avec leurs efforts les « excès » des travailleurs grecs !
Ici, en Espagne, on nous dit que Zapatero s’est mis à genoux devant l’Union Européenne, qu’il n’a pas eu le courage de défendre une « position nationale ». Rajoy [chef de l’opposition de droite, NDT] demande des élections anticipées et qu’on vote pour lui, parce que, lui, « a la solution », une solution nationale et espagnole, sans doute dans la bouche d’un Rajoy, une solution pour une Espagne « une, grande et libre » [slogan franquiste, NDT].
Ces « sorties nationales de la crise » ne sont pas seulement une vulgaire mystification, elles sont surtout un moyen pour diviser les travailleurs, de les empêcher de voir que la seule sortie possible de la crise est l’unité et la solidarité internationales de tous les travailleurs, le développement des luttes qui s’orientent vers leur unification internationale.
Mais les manœuvres de divisions ne portent pas seulement aussi loin dans le futur. Zapatero a ainsi annoncé que ces mesures « seraient limitées » aux fonctionnaires publics, aux pensions et aux bénéficiaires du chèque-bébé, en donnant l’impression que les travailleurs du secteur privé ou les chômeurs ne seraient pas touchés par ces mesures. Pour renforcer la manœuvre, les syndicats limitent leurs mobilisations aux fonctionnaires et Rajoy, quant à lui, rejette le gel des pensions et les coupes salariales aux fonctionnaires. De leur côté, les deux quotidiens principaux d’Espagne, qui sont à couteaux tirés la plupart du temps, sont de concert pour sortir chacun son « sondage » coïncidant avec l’autre, avec des titres proclamant que « plus de 50% des citoyens sont favorables à la réduction salariale des fonctionnaires ».
Autrement dit, ils veulent laisser les travailleurs de la fonction publique seuls et bien isolés, en les présentant comme boucs émissaires pour ainsi leur assener un bon coup et, par la suite, continuer avec les autres secteurs : les travailleurs du privé, les chômeurs, les étudiants, etc. Ils veulent que chaque ouvrier, individuellement, se réfugie derrière l’idée suicidaire qui consiste à se dire : « tout ceci ne m’est pas destiné, ne me concerne pas ».
Mensonge ! Est-ce que les syndicats n’ont pas déjà établi avec le patronat des accords pour réajuster les salaires et permettre aux patrons d’utiliser sans limites cette loi de la jungle concrétisée dans la possibilité du « décrochage salarial », par rapport aux conventions collectives qu’eux-mêmes ont signées ? Est-ce qu'il n’y aura pas, par hasard, pour tout le monde, des hausses de la TVA ? Est-ce qu’il n’y a pas déjà des quantités d’ouvriers affectés par les retards de payement de leur salaire ? Est-ce qu’on n’est pas en train de préparer une énième nouvelle reforme du code du Travail ? Est-ce qu’on oublie que des coupes énormes vont avoir lieu dans les communes et les régions ? Est-ce qu’on n’a pas entendu qu’on va réduire les préretraites ? Il suffit de lire ce qu’El País est quelque part forcé de reconnaître dans son édition de dimanche 16 mai : « les réajustements de salaire vont s’étendre au secteur privé ».
Nous ne devons pas tomber dans ce piège ! L’attaque est globale et frontale ! Salaires, pensions, allocations chômage, précarité, santé, éducation, conditions de travail, …tout est menacé par cet Attila des plans d’austérité !
Alors que les travailleurs doivent se serrer la ceinture, alors que la misère et la pauvreté se répandent telles une plaie sur beaucoup de quartiers de New York, Londres, Paris, Madrid ou Athènes, qui ressemblent de plus en plus à ceux du Tiers monde, nous voyons que le salaire annuel des dirigeants des entreprises de l’IBEX [équivalent du CAC 40, NDT] atteint un million d’euros (300 fois le salaire minimum) et les banquiers partent à la retraite avec des revenus de plus de 85 millions d'euros.
Cela fait que Monsieur Cayo Lara d’IU [chef de file de la Izquierda Unida, Gauche Unie, coalition autour du Parti Communiste Espagnol, NDT] nous propose « pourquoi ne pas mettre en place des mesures pour que les profits bancaires se consacrent à ouvrir une issue sociale à la crise ? » (Interview dans El País, 16 mai 2010).
Certes, il est intolérable que les grands chefs économiques et politiques du capitalisme s’enrichissent de cette manière insolente alors que partout prolifèrent pauvreté et souffrance. Mais ça, c’est la loi du capitalisme ! Sous le capitalisme, il ne peut pas y avoir « d'issue sociale où les charges seraient reparties équitablement ». Au fur et à mesure que la crise avance, la tendance, déjà dénoncée par Marx il y a un siècle et demi, ne fait que s’intensifier : d’un côté l’accumulation des richesses pharaoniques entre les mains d’une minorité de plus en plus petite, de l’autre une pauvreté de plus en plus grande qui n’arrête pas de se répandre. Sous le capitalisme la misère de la grande majorité est la condition de la richesse de la petite minorité.
Sous le capitalisme, les « issues sociales » sont impossibles comme l’est aussi la « protection des plus défavorisés » ou le « bien-être pour la majorité ». Où on en est la promesse démagogique de Zapatero selon laquelle « on ne toucherait pas aux acquis sociaux » ? Le capitalisme tend toujours vers l’appauvrissement de la grande majorité. Tout ceci n’a pas de solution sous le capitalisme. La seule solution est de le détruire.
La « riposte proportionnée » annoncée par les Commissions ouvrières (CO) et l’Union générale des travailleurs (UGT), les deux syndicats majoritaires, est celle de manifester le 20 mai et une grève pour le 2 juin limitée exclusivement aux fonctionnaires. Ceci a provoqué une indignation justifiée chez beaucoup de travailleurs qui considèrent ces « actions » comme une arnaque pour les diviser.
Ce n’est pas un hasard si Zapatero, qui a reçu de suite les leaders syndicaux avant même de recevoir ses amis du patronat, s’est empressé de « respecter les protestations des syndicats » ! Les leaders « socialistes » n’arrêtent pas de « saluer » le comportement responsable des syndicats !
Cet enthousiasme suspect, ces entretiens privés, font que beaucoup de travailleurs pensent à juste titre que le capitalisme ne planifie pas seulement ses attaques, mais qu’il planifie aussi un succédané de riposte, une espèce d’occupation préventive du terrain social de la part des syndicats, pour gâcher notre lutte, nous affaiblir, nous diviser, nous amener dans l’impasse.
Rappelons-nous cette singerie du 23 février lorsque les syndicats ont monté des manifestations « contre les réductions des pensions de retraite »… et maintenant que le sieur Zapatero annonce un gel brutal des pensions en se foutant, sur la forme et sur le fond, du Pacte de Tolède2, les syndicats limitent leur action « aux fonctionnaires » !
Face à cette occupation du terrain, face à toute cette planification préventive de la part de l’État capitaliste, que pouvons-nous faire, nous, les travailleurs ?
Il est clair que nous avons besoin d’une lutte qui se déroule en dehors de ces terrains piégés où on nous oblige à jouer un match où l’arbitre siffle contre nous et où certains qui s’habillent avec « notre maillot » ne pensent qu’à mettre des buts contre notre camp.
Les luttes doivent surgir des lieux de travail eux-mêmes, par la décision et le contrôle des assemblées générales de tous, et ouvertes à tous les travailleurs quel que soit leur secteur ou leur entreprise, etc. Les luttes, pour qu’elles montent en force, doivent s’étendre, occuper la rue avec des manifestations et autres rassemblements.
Les fonctionnaires doivent rejeter la prison de l’isolement que les syndicats leur ont concoctée. Aux endroits où ils disposeront d’un minimum de forces, ils devraient organiser des assemblées ouvertes aux travailleurs des autres secteurs, aux étudiants, à ceux qui préparent des concours qui viennent d’être affectés par la sévère réduction de l’Offre publique d’emploi3. Les travailleurs des autres secteurs doivent laisser de côté le préjugé qui ne sert qu’au capitalisme, sur le « fonctionnaire paresseux et privilégié » et prendre conscience du fait que l’attaque qui vient d’être lancée est une attaque contre tous.
Il faut que tous ceux qui ont conscience de l’escroquerie syndicale, ceux qui comprennent la nécessité impérieuse de lutter, se regroupent pour impulser des propositions d’action. Nous ne pouvons pas nous lamenter ni rester passifs. Ne laissons pas les manifestations syndicales entre les mains de ceux qui les convoquent, utilisons-les pour y établir des contacts avec d’autres travailleurs, pour impulser des réunions pour y discuter sur comment lutter. Ne laissons pas nous imposer une parodie de lutte, faisons tout pour développer une lutte véritable.
La société capitaliste mondiale va vers des convulsions de plus en plus graves, vers une misère insondable, vers le chômage et la barbarie. La situation est grave et pourtant les travailleurs sont pour l'heure encore loin de posséder une force sociale internationale pour opposer une issue révolutionnaire qui puisse un jour en finir avec tant de souffrance sans fin. Mais, déjà, ici et maintenant, il faut que nous luttions avec le peu de forces dont nous disposons. Conscience, solidarité, unité : voilà nos leviers.
Tract rédigé et diffusé par Action Proletaria, section du Courant Communiste International en Espagne (16 mai 2010 ).
1 Voir, “En Espagne, le capital et son État nous attaquent sur tous les fronts [50]” (mars 2003)
2 Le pacte de Tolède de 1995 signé par le gouvernement d’alors (socialiste) avec les syndicats et l’opposition, voulait renforcer les retraites par répartition. Premier résultat : le calcul moyen a été allongé progressivement de 8 à 15 années de cotisations supplémentaires. Au-delà des « avantages » de ce pacte, on y établit que le gouvernement espagnol pouvait dorénavant se permettre de réduire le montant des pensions, grâce à l'indexation des pensions sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, les fonds de pensions privés complémentaires ont été renforcés (passant en 15 ans de 2% à presque 30% !), avec tout ce que cela signifie d’aléatoire. Eh bien, même les « avantages » (l’indexation des retraites et l’âge de départ) de ce pacte signé pour soi-disant sécuriser le système deviennent du « papier mouillé » comme on dit en Espagne !
3 Lire en espagnol : « Una miserable Oferta Pública de Empleo que profundiza el desempleo [51] ».
Un certain nombre d'ouvriers combatifs des dernières luttes en Turquie, incluant les ouvriers de National Tobacco and Alcohol Monopoly (TEKEL), ceux du Service des Eaux et des Égouts d'Istanbul (ISKI), les pompiers, les ouvriers de Sinter Metal, le personnel de la municipalité d'Esenyurt, les ouvriers du bâtiment Marmaray, les éboueurs, le personnel du Conseil de Turquie pour la Recherche Scientifique et Technologique (TUBITAK) et les travailleurs de ATV-Sabah News Corporation, se sont rassemblés et ont établi un groupe ouvrier appelé la Plate-forme des Ouvriers en Lutte. Un groupe d'ouvriers de TEKEL a travaillé à la création d'un comité afin d'essayer de tirer les leçons de la lutte dans laquelle ils ont été impliqués et la Plate-forme des Ouvriers en Lutte est une étape importante dans cet effort pour créer des liens avec les autres travailleurs, en particulier ceux qui luttent contre les termes et les conditions que le 4-C1 a récemment introduit, qui est essentiellement une attaque généralisée contre tous les travailleurs du secteur public, avec la réduction des salaires, l'autorisation de transfert des ouvriers, l'obligation de faire des heures supplémentaires non rémunérées, le droit pour la direction de mise à pied temporaire de travailleurs, et la permission de licenciements arbitraires.
Les ouvriers de cette plateforme lancent un appel pour obtenir de l'argent pour apporter une aide à cette lutte. Nous tenons à souligner qu'ils ne demandent pas de l'argent pour se nourrir pendant une grève. Bien que ce type de solidarité puisse être important, très souvent, il n'arrive jamais aux grévistes effectivement en lutte, et même quand c'est le cas, il ne peut guère soulager les souffrances des dizaines de milliers de familles touchées par une grande grève. Ce qu'ils attendent est que l'argent leur permettre d'organiser les activités nécessaires à la lutte. La Turquie est un très grand pays (voyager à travers la Turquie c'est comme voyager de Londres à Varsovie), et TEKEL, par exemple, est une entreprise avec des travailleurs dans tout le pays. Voyager pour aller à des réunions coûte de l'argent, tout comme le fait d'organiser des choses comme la distribution de tracts, l'affichage, et les réunions publiques. L'argent est quelque chose dont les ouvriers manquent après une longue lutte dans l'un des pays les plus pauvres d'Europe.
Ne soyez pas découragé si vous ne pouvez pas vous permettre beaucoup. Rappelez-vous que la Turquie est l'un des pays les plus pauvres en Europe, et que même un peu d'argent peut faire beaucoup, par exemple le prix d'un paquet de cigarettes et une bière en Europe peuvent être suffisants pour envoyer un salarié à une réunion dans une autre ville.
1 Nom administratif de la dernière réforme du régime des fonctionnaires.
Nous venons de recevoir deux documents de nos camarades de la Liga por la Emancipación de la Clase Obrera, du Costa Rica, un groupe qui participe activement au débat et à la collaboration internationale entre groupes prolétariens.
Le premier document est une prise de position sur la répression qui s’abat à la fois sur les ouvriers, les étudiants et tous les laissés-pour-compte de la part d’un Etat qui se vente d’être « le plus démocratique » et de constituer une « exception » dans cette région centre-américaine si agitée. En réalité, comme nos camarades le démontrent, au Costa Rica, la dictature capitaliste s’exerce avec autant de brutalité que dans d’autres pays de plus « mauvaise réputation ».
Le deuxième document représente les Positions de Base de la LECO qui nous semblent concrétiser un effort de réflexion et de synthèse qui pourrait servir à d’autres groupes et collectifs internationalistes de par le monde. De la Déclaration de nos camarades le passage suivant est à souligner : « À l’heure actuelle, la LECO est une organisation sœur des différents regroupements du milieu prolétarien internationaliste au niveau mondial, avec lesquels nous menons des débats, et avec lesquels nous sommes arrivés à défendre des prises de position communes. Ceci parce que nous pensons qu’il est d'une importance vitale aujourd’hui d’élargir ce milieu pour développer un débat internationaliste. »
CCI 26-5-10
Pendant ces dernières semaines, nous avons constaté que le gouvernement du Costa Rica a utilisé la répression pour intimider toutes les manifestations ouvrières qui se sont déroulées. Ceci fait partie d’une dynamique générale propre au capitalisme qui, poussé par la crise endémique qui le ronge, cherche à faire porter le poids de la crise sur le dos des travailleurs. Son but est d'empêcher la classe ouvrière de prendre confiance en elle-même et de la maintenir désunie.
La répression et les menaces sont les instruments majeurs de la démocratie, qui est comme une décoration avec laquelle la bourgeoisie essaye d'enrober ses massacres. Le gouvernement annonce qu’il ne tolérera pas le moindre incident du genre « blocage des routes », ni, comme ceux qui nous gouvernent le déclarent toujours, que la paix soit altérée. A travers ce discours, il se prépare à réprimer n’importe quelle lutte qui essaye de s'opposer aux plans de « réajustement » du pouvoir face à la crise. C’est la seule dynamique qu’ils connaissent, que ce soit le gouvernement précédent d’Arias ou l’actuel de Chinchilla ou n’importe quel autre fraction susceptible de parvenir au pouvoir. Voilà la seule dynamique qui prévaut actuellement dans tous les pays de la planète.
On a vu la provocation de la police quand elle a pénétré dans les campus universitaires et qu'elle a fini par charger les étudiants. On a vu les arrestations par milliers lors des manifestations à Puerto Limón [Port principal du Costa Rica sur l’Atlantique]. Et enfin, les étudiants et d’autres manifestants ont été frappés avec brutalité au cours de la marche de protestation qui s’est déroulée le jour de la passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau président de la République.
Ces événements sont la face cachée de la démocratie. Le capitalisme a utilisé le discours démocratique pour, dans des périodes de « tranquillité », organiser des défilés et des fêtes, et, au moment des conflits, réprimer brutalement.
La brutalité de la police dans ce pays est bien connue, le discours sur le pays « de la paix »1 ne sert qu’à alimenter le nationalisme et les discours de la bourgeoisie et de ses laquais. La répression se vit quotidiennement au Costa Rica, répression qui s'exerce sur les vendeurs à la sauvette comme sur les travailleurs précaires, sur les exploités comme sur les laissés-pour-compte.
Le discours officiel est celui de renforcer la police contre le trafic de drogue, contre le terrorisme. Mais ce n’est qu’un prétexte pour une militarisation de la société comme le fait le reste de la bourgeoisie au niveau mondial.
Le prolétariat doit rejeter cette militarisation, cette répression dont le but principal est celui de diviser et d’utiliser tous les moyens pour que la classe ouvrière n’arrive pas à prendre conscience et agisse en conséquence. La classe ouvrière commence à perdre sa confiance en la démocratie, elle commence à s’éveiller en voyant son vrai visage, celui de la guerre, la misère et la répression. La situation du capitalisme ne fera qu’empirer et il n’y a que les méthodes de guerre dont dispose la bourgeoisie pour essayer de freiner sa chute au niveau mondial.
Liga por la Emancipación de la Clase Obrera
Mai 2010
emancipació[email protected] [52]
https://internacionalismo-leco.blogspot.com/ [53]
La Ligue pour l’émancipation de la classe ouvrière est un groupe marxiste qui se revendique de l’internationalisme prolétarien.
Nous considérons la classe ouvrière comme la seule capable de faire la révolution et de guider l’ensemble des exploités. La classe ouvrière est composée essentiellement de ceux qui vivent de leur salaire et des chômeurs, de tous ceux qui subissent dans leur chair les calamités de l’exploitation.
Nous considérons que le capitalisme, de la même manière que les systèmes d’exploitation qui l’ont précédé, a vécu une période d’ascendance et une période de décadence. La décadence a obligé le prolétariat à mettre en avant une nouvelle tactique, face à une nouvelle réalité historique où les méthodes de lutte du passé ont été dépassées.
Nous nous réclamons des apports de la Gauche communiste qui est restée fidèle à l’internationalisme prolétarien au milieu d’une période de persécution et, surtout, de détournement de la lutte communiste.
Nous considérons que le prolétariat ne doit défendre aucun drapeau national, nous pensons qu’il n’y a rien de progressiste dans aucune lutte nationale dans la période historique actuelle.
Nous considérons que les syndicats ne sont plus des outils de la lutte prolétarienne depuis que le capitalisme est entré en décadence.
De la même manière que pour les syndicats, la lutte parlementaire est depuis l’entrée en décadence du capitalisme, un terrain totalement contrôlé par la bourgeoisie où aucun intérêt prolétarien ne peut y être défendu, même pas une participation critique.
Nous ne croyons pas du tout dans les « Etats ouvriers » comme les appellent les trotskistes. Nous considérons que des pays comme Cuba, la Chine etc. sont et ont toujours été aussi capitalistes que le reste, que le patron soit l’État ne change rien au rapport d’exploitation.
Nous pensons que les conseils ouvriers sont les organes de lutte et d’organisation de la classe, mais en attendant que ce soit la classe elle-même qui puisse les instaurer, celle-ci s’organise en assemblées ouvertes de travailleurs, qui puissent intégrer des travailleurs d’autres branches, des étudiants, des chômeurs. C’est ainsi que la classe ouvrière a pu agir lors de certaines luttes, ces derniers temps de reprise de la lutte de classe.
À l’origine, la LECO défendait des positions trotskistes, mais nous avons commencé à nous opposer à la position pro-parlementaire et pro-syndicale du trotskisme, à son activisme et, en général, au programme défendu par la prétendue « Quatrième Internationale » que nous avons considéré comme un programme social-démocrate. Nous sommes arrivés à prendre contact avec des camarades d’autres pays, comme ceux du CCI, avec des positions similaires aux nôtres, de sorte que nous avons pu ainsi clarifier nos positions. À l’heure actuelle, la LECO est une organisation sœur des différents regroupements du milieu prolétarien internationaliste au niveau mondial, avec lesquels nous menons des débats, et avec lesquels nous sommes arrivés à défendre des prises de position communes. Ceci parce que nous pensons qu’il est d'une importance vitale aujourd’hui d’élargir ce milieu pour un débat internationaliste, parce que la classe ouvrière a commencé à reprendre ses forces et parce que des éléments et des groupes surgissent dans différents lieux qui se donnent pour tâche de se rapproprier la théorie et le combat révolutionnaires. Nous pensons que, malgré les positions différentes qu’on peut avoir par rapport à d’autres regroupements prolétariens et internationalistes, on peut toujours mener des débats qui vont dans le sens du développement de la conscience au sein de notre classe.
1 Des discours qui font sans doute référence au fait que le Costa Rica se vante d'être le seul pays au monde à ne pas avoir officiellement d’armée (NdT)
Vendredi 5 février a eu lieu la deuxième réunion publique du CCI dans la ville de Quito, sur le sujet : « Qu’est-ce le marxisme ? » C’est un sujet qui préoccupe les camarades qui réfléchissent sur la perspective que le capitalisme peut nous offrir et sur la question de savoir s’il existe une alternative révolutionnaire :
- Est-ce que la théorie marxiste permet de mener une critique et une réflexion pour mettre en avant une perspective révolutionnaire ?
- Est-ce une arme de combat ?
- Les principes défendus par le marxisme, sur la nature révolutionnaire de la classe ouvrière, sur la perspective du communisme, sur l’internationalisme, etc., peuvent-ils être les bases pour le développement d’un processus révolutionnaire et pour intervenir en son sein ?
La bourgeoisie est consciente du fait que le marxisme suscite l’intérêt de ces minorités, expression de l’effort de la classe ouvrière pour comprendre la situation et organiser sa lutte ; ainsi, elle fait tout son possible pour qu’on parle de Marx et de ses œuvres comme d’un sujet sans lien avec la lutte de la classe ouvrière, comme l’œuvre d’un « économiste » dans le meilleur des cas et, dans le pire, comme celle d’un visionnaire doctrinaire.
Le public présent à la réunion a été l’expression de l’intérêt que celle-ci suscitait. Y sont venus des camarades qui connaissent bien nos positions et d’autres qui les entendaient pour la première fois. Il y avait des sympathisants du milieu anarchiste et aussi des militants de la cause indigéniste en Équateur. Sur notre invitation expresse, une délégation du Noyau Prolétarien au Pérou (NPP) est aussi venue ; et, enfin, quelques éléments du groupe qui nous avait envoyé sur notre site Web le texte « La réforme n’est pas la révolution », les Comunistas Integrales (communistes intégraux).
Le débat fut très animé et fraternel. Pratiquement tous les présents sont intervenus pour présenter leurs positions et soutenir ou réfuter ce qui était affirmé dans d’autres interventions. Les réunions de débat au sein de notre classe ne doivent surtout pas être comme ces conférences universitaires ou leurs prétendus « colloques » auxquels on nous a habitués, où un conférencier ne fait qu’un monologue pendant toute la réunion, et à la fin on permet qu’on pose quelques questions qui servent d’excuses pour finir le monologue. Il n’y a pas là de débat qui vaille, mais la répétition jusqu’à la nausée des positions d’un intellectuel ou d’un parti politique. Pour qu’une véritable discussion puisse avoir lieu, il faut que la confrontation de positions, l’argumentation, la réflexion, avec la participation active des présents, puisse se développer.
Les communistes intégraux, au début de la réunion, ont exprimé certains préjugés sur le supposé dogmatisme et l’étroitesse d’esprit de beaucoup de groupes qui se revendiquent du « marxisme »[1] [54]; mais la réunion a fini par les gagner au débat et ces camarades ont écouté et argumenté et, à la suite de la rencontre, ils ont continué avec les autres à discuter dans une ambiance fraternelle lors d’un repas avec beaucoup de présents.
La délégation du NPP, tel qu’eux-mêmes l’ont dit, a eu autant d’impact sur la réunion qu’ils ont été « impactés » par elle. La présence de camarades d’un autre pays, venus expressément débattre avec les minorités qui surgissent en Équateur, leur volonté d’argumenter et de transmettre leur propre expérience, démontraient dans la pratique de ce que veut dire débat international, et regroupement des minorités que la classe fait naître.
La discussion a fait ressortir plusieurs sujets :
Les camarades qui étaient intervenus dans les questions indigénistes ont, d’emblée, proposé qu’il fallait aborder les questions en partant de la situation en Équateur, qu’il fallait être plus concrets : « Nous sommes venus à la recherche de perspectives…Il vaut mieux voir les choses depuis l’Équateur pour pouvoir ainsi parler du marxisme : quelles sont les luttes qui se déroulent et se sont déroulées en Équateur ?»
Cette proposition a déchaîné un véritable flot d’interventions en défense de l’internationalisme comme un principe de base du prolétariat. Personne ne niait la nécessité d’être concrets et d’analyser la lutte de classe en Équateur, mais on a insisté sur la nécessité de l’aborder à partir d’une analyse internationale du rapport des forces entre les classes.
Il a été dit qu’une des plus grandes erreurs des années passées avait consisté à considérer la situation en Amérique latine avec un prisme régional, ce qui avait conduit à « l’anti-impérialisme » et à la guérilla, etc., alors que les minorités qui surgissent à l’heure actuelle le font en tant qu’expression de la classe ouvrière, en se basant sur une vision internationaliste.
Ce sont ces camarades eux-mêmes qui ont nié défendre le nationalisme, mais ils ont insisté sur leurs préoccupations concernant la question de quoi faire dans l’immédiat, montrant ainsi qu’ils cherchaient à prendre vraiment une position sur le terrain prolétarien, défendant l’internationalisme, sans renoncer à débattre sur ses convictions : « Je ne défends pas le nationalisme, c’est partout qu’il y a de la souffrance. Mais nous voudrions que les choses soient vues à partir de nous-mêmes, non pas à partir d’une putain de critique, mais à partir de la pratique concrète ».
Il s’est faite alors une critique de l’immédiatisme qui, sous l’apparence d’être « concret et efficace », conduit en réalité vers des choix politiques de la bourgeoisie, parce que ce qui est pratique et concret dans le totalitarisme étatique, c’est l’occupation de tout le terrain par les forces de la bourgeoisie. Une réflexion et une intervention internationalistes n’excluent pas du tout les pratiques concrètes d’être partie prenante dans les luttes et dans la dénonciation des manœuvres de la bourgeoisie, mais elles partent d’une analyse du rapport de force entre les classes et de la perspective.
Les conclusions ont mis également en avant la défense de l’internationalisme : « On a mis en avant le caractère international et révolutionnaire du prolétariat, sujet de la lutte révolutionnaire et porteur de la conscience de classe nécessaire à la révolution ». Les camarades qui avaient posé la question « nationale » n’avaient jamais entendu parler du marxisme et de l’internationalisme qu’à travers les voix de leurs plus grands ennemis : les staliniens, les maoïstes et les gauchistes de tout poil. Aussi, à la fin, ceux-là et tous les autres participants ont exprimé leur volonté passionnée de mieux connaître les positions et la méthode de la Gauche communiste.
Il y a eu des interventions avec des points de vue divers qui ont posé la question sur quelle position prendre face à la lutte des indigènes, ou celle des femmes : quelques unes des femmes présentes à la réunion avaient participé auparavant à des mouvements féministes ; d’un autre coté, les interventions des Communistes Intégraux avaient tendance à considérer comme prolétariens toute couche ou secteur social, et même des individus isolés qui manifesteraient leur opposition au capitalisme.
Mais tel que le Manifeste Communiste le dit et beaucoup d’interventions ont repris, de toutes les classes et couches qui s’opposent au capitalisme, seul le prolétariat est révolutionnaire, et ceci non pas par le caprice d’un tel ou tel autre, ni à cause d’une quelconque vision messianique de notre classe, mais par son rôle bien concret dans le processus de production ; il a été dit que d’autres secteurs tels que les petits propriétaires peuvent être aussi opprimés par les grands capitaux, mais leur lutte contre ceux-ci n’est que l’expression de la concurrence capitaliste ; ou les paysans qui résistent pour ne pas devenir des prolétaires, ou les indigènes qui vivent dans des communautés marginalisées..., leurs luttes ne se posent pas en termes de confrontation et de dépassement du capitalisme, mais d’une tentative de s’en isoler, quand ce n’est pas de s’y intégrer pleinement.
Lors de cette réunion, plusieurs personnes ont donc défendu la position comme quoi seul le prolétariat, qui est une classe résultant du développement historique (une classe qui concrétise le travail associé et la nature sociale de l’humanité et dont l’exploitation est la négation de toute humanité, qui transforme les être humains en marchandise), en revendiquant ses nécessités humaines, nie les rapports marchands, par conséquent, il nie l’appropriation du travail d’autrui et la propriété privée des moyens de production pour ouvrir la voie à leur appropriation collective sociale. Seule la lutte du prolétariat porte en elle une alternative au mode de production capitaliste.
Pour toutes ces mêmes raisons, on a affirmé que la lutte ouvrière englobe également la lutte contre toute forme d’oppression et d’aliénation. Dans ce sens, la lutte partielle contre l’oppression des femmes ou contre l’aliénation religieuse, ne met pas en question la cause matérielle, réelle, de ces aliénations ; c’est une lutte idéologique, sur le terrain de la conscience personnelle ; tandis que la lutte révolutionnaire du prolétariat affronte les causes, dans la pratique, de ces oppressions.
« Cette propriété privée matérielle, immédiatement sensible, est l'expression matérielle sensible de la vie humaine aliénée. Son mouvement - la production et la consommation - est la révélation sensible du mouvement de toute la production passée, c'est-à-dire qu'il est la réalisation ou la réalité de l'homme. La religion, la famille, l'État, le droit, la morale, la science, l'art, etc., ne sont que des modes particuliers de la production et tombent sous sa loi générale. L'abolition positive de la propriété privée, l'appropriation de la vie humaine, signifie donc la suppression positive de toute aliénation, par conséquent le retour de l'homme hors de la religion, de la famille, de l'État, etc., à son existence humaine, c'est-à-dire sociale. L'aliénation religieuse en tant que telle ne se passe que dans le domaine de la conscience, du for intérieur de l'homme, mais l'aliénation économique est celle de la vie réelle - sa suppression embrasse donc l'un et l'autre aspects. »
«...or celle-ci [l'émancipation universelle de l'homme] y est incluse parce que tout l'asservissement de l'homme est impliqué dans le rapport de l'ouvrier à la production et que tous les rapports de servitude ne sont que des variantes et des conséquences de ce rapport ». (K. Marx, Manuscrits de 1844, économie politique et philosophie)
Beaucoup de camarades ont exprimé simplement et avec clarté comment ils comprenaient ces questions aussi compliquées en apparence. En fait, on pourrait affirmer que ce fut là l’un des points forts de la réunion : la majorité des participants ont exprimé leur confiance dans le prolétariat et dans sa nature révolutionnaire.
Nous ne pouvons pas ne pas citer quelques-unes des interventions [2] [55], telles que celle-ci : « J’ai fini par m’identifier avec le prolétariat, ainsi que les gens de ma famille, même ceux qui font des études, ils sont tous des salariés. Je n’ai que ma ’main-d’œuvre’ pour gagner ma vie. Le marxisme n’exclut pas, il exprime la totalité de la transformation, les enfants des indiens deviennent des salariés quand ils viennent en ville et même dans la campagne il y a des salariés. Des prolétaires, il y en a partout dans le monde, ils sortent de leur communauté et se prolétarisent et ils n’ont rien d’autre. Je suis ici pour la transformation du tout, non pas pour des revendications partielles, mais pour changer le monde. C’est pour ça que je suis ici. ».
D’autres interventions ont insisté sur ces questions :
« C’est à partir du moment où nous nous reconnaissons en tant qu’exploités que nous pouvons lutter. Ce débat et la souffrance que nous endurons, voilà ce qui nous amène à nous reconnaître et à lutter en tant qu’être conscients. Je défends le marxisme, parce que c’est la critique de l’expérience.»;
« Les stratégies basées sur les ethnies sont faites pour nous nier, ce sont de fausses identités ».
Le NPP contribua en apportant sa propre expérience : « Nous n’avons pas pu défendre ici nos positions, nous avons besoin de plus de temps pour les exposer. Nous sommes une même classe qui lutte. Nous avons été trompés par le maoïsme, par Mariátegui. Il y a des entraves comme la race, l’indien, la femme. Nous voulons réaliser un travail pour changer le système et pour cela nous devons voir la réalité en face. Il faut rompre avec tous les groupes qui ont trahi.»
Les conclusions sont aussi allées dans ce même sens :
« La discussion conclut qu’il est nécessaire de regarder les choses d’un point de vue propre à la classe ouvrière, qui reprenne l’expérience de sa trajectoire historique des luttes, qui analyse la réalité pour aller dans le sens du changement que nous voulons. Nous et quelques autres camarades appelons ce point de vue « marxisme », d’autres préfèrent l’appeler « théorie révolutionnaire. » [3] [56]
Les préventions des Comunistas Integrales (CI) face au prétendu dogmatisme sous lequel se présentait la réunion (et en général les positions du CCI) ont entraîné que celle-ci a débuté avec une intervention liminaire des CI qui consistait dans la lecture d’un article du numéro 2 de leur publication Cuadernos de la negación [4] [57] (éditée en Argentine): « ¿Comunismo? ¿Anarquía? » (Communisme ? Anarchie ?)
Les parties de la critique qui ont été reprises par la suite dans la discussion ont été celles qui font référence aux différents « ismes » qui ont fait du marxisme une idéologie « de gauche », alors qu’il est une arme de la lutte révolutionnaire, et à la question du communisme « intégral ».
En fait, cette intervention provoqua une certaine perplexité chez les présents à la réunion. Alors qu’elle se présentait formellement comme une critique radicale, une espèce de déclaration qui devrait servir pour bien séparer le terrain de la réunion et le terrain où se situaient les Communistes Intégraux, en réalité cette déclaration dirigeait ses tirs contre des positions qui non seulement n’ont jamais été celles du CCI mais qui, évidemment, n’ont pas été du tout mises en avant dans la présentation, et au contraire y ont été combattues expressément : « Le marxisme n’est pas une simple analyse économique, ce à quoi le ‘marxisme universitaire’ et la majorité des auteurs bourgeois essayent de le réduire... Le marxisme n’est pas non plus une doctrine qui a réponse à tout. Il ne prétend pas pontifier sur tout du ciel et de la terre. C’est ça que veulent nous ‘vendre’ les régimes staliniens des Staline, Mao, Castro, etc., qui imposent un ‘marxisme’ au nom duquel ils dictent tout ce qu’on doit faire depuis le lever jusqu’au coucher, pour mieux nous soumettre avec leur main de fer à leur régime d’exploitation... Le marxisme n’a rien à voir avec ces idéologies de capitalisme d’État, avec ce nationalisme, ce contrôle et cette manipulation des masses défendus par ces organisations de gauche et d’extrême gauche qui exhibent jusqu’à la nausée leur étiquette ‘marxiste’ sans avoir vraiment lu la moindre ligne de Marx ».[5] [58]
Ce n’était donc pas contre le CCI, ni contre cette réunion publique qu’il fallait tirer et blesser à mort. Il ne nous reste qu’à dire la fameuse expression : « les morts que vous tuez jouissent d’une bonne santé ».[6] [59]
On s’est aussi référé au communisme comme combat permanent dans la pratique, comme « mouvement réel », ce qui signifie aussi combat « intégral » contre tous les aspects de l’exploitation.
Face à cela, la discussion a mis en avant que le communisme en tant que combat permanent dans la pratique est considéré, notamment par certaines tendances du milieu anarchiste, comme s’il s’agissait d’une attitude personnelle qui part de la vie de chacun et qui se pose en tant que recherche d’une vie quotidienne libérée qui irait du rejet de l’exploitation (et par conséquent du travail salarié) jusqu’à la « libération » de l’aliénation dans les relations sociales, en passant par une lutte quotidienne faite de sabotages de banques ou de firmes commerciales, etc.
Il y a eu pas mal d’interventions qui ont argumenté sur le fait que le marxisme se conçoit aussi comme un mouvement réel et permanent, mais dans un sens différent. Dès que Marx et Engels ont adhéré au combat du prolétariat, ils ont posé clairement cette question. Ils ont mis en avant lors de certaines participations au mouvement ouvrier que, de fait, leur évolution de la démocratie radicale jusqu’à la lutte de la classe ouvrière vers le communisme ne fut pas du tout un geste romantique ou idéaliste, mais quelque chose de profondément matérialiste, le résultat de la compréhension du fait que seule la lutte de la classe ouvrière pouvait mettre en avant une perspective communiste.
«Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. Du reste, la masse d'ouvriers qui ne sont qu'ouvriers — force de travail massive, coupée du capital ou de toute espèce de satisfaction même bornée — suppose le marché mondial ; comme le suppose aussi du coup, du fait de la concurrence, la perte de ce travail en tant que source assurée d'existence, et non plus à titre temporaire. Le prolétariat ne peut donc exister qu'à l'échelle de l'histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l'action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu'en tant qu'existence "historique universelle" » [7] [60] (Souligné par nous)
Ces camarades ont dit qu’ils comprenaient et partageaient la nature historique et mondiale de la lutte révolutionnaire. Certes, cette lutte doit se concrétiser dans des combats politiques, des grèves, des manifestations, dans des discussions et dans la réflexion, mais si on perd de vue cette unité entre lutte immédiate et lutte historique, les deux finissent par être opposées, tombant d’un coté dans le « réformisme » pour lequel « le mouvement est tout, le but n’est rien » ou, de l’autre coté, dans l’utopisme, pour lequel le communisme n’est qu’une chimère.
L’autre question qui se dégage de ce qui est dit précédemment et qui a été aussi discutée dans cette réunion, c’est que la lutte révolutionnaire est collective, une lutte de classe ; et qu’il est vrai que dans la lutte du prolétariat pour ses besoins immédiats, c’est toujours en germe que se trouve la perspective révolutionnaire, parce que c’est une lutte associée, collective et solidaire. Par contre, si on conçoit cela pour chaque prolétaire pris individuellement, sur le terrain où chacun est une victime de la pression de l’idéologie bourgeoise, sur le terrain de la concurrence, alors cette lutte pour les besoins immédiats, pour « se débrouiller », ne conduit pas à la lutte révolutionnaire, mais souvent à l’idée de « se chercher son petit nid » au sein du capitalisme. Aussi, tout le long du débat, on a mis en avant que le fait de se vouer à la lutte pour le communisme ne signifie pas du tout faire un sacrifice, mais, au contraire, essayer de mener la vie la plus humaine possible, en combattant contre l’aliénation ; mais cela ne signifie pas du tout que l’on puisse mener une vie facile dans le capitalisme, et le meilleur exemple c’est Marx lui-même [8] [61].
Par rapport au communisme « intégral », il faut dire que le marxisme n’a jamais tourné le dos à aucun problème humain. Ainsi que la présentation l’a dit : « Le marxisme ne se limite pas du tout, ni à la politique, ni à l’économie. Marx fit sienne la sentence du dramaturge romain Térence, esclave affranchi : ’rien de ce qui est humain m’est étranger’. Et cela, non pas pour établir des lois, des doctrines ou des règlements pour enchaîner les exploités, mais pour les inciter à la réflexion, à la recherche, à trouver leurs critères propres, autant collectifs qu’individuels ».[9] [62]
Mais le marxisme, ainsi que différentes interventions l’ont mis en avant, ne part pas des besoins, ou des problèmes concrets tels qu’ils se posent au sein de la vie aliénée du capitalisme, parce que dans ce cadre, ils sont complètement déformés, mais il part de la critique radicale du capitalisme, de la lutte révolutionnaire, pour comprendre dans ce cadre les besoins humains.
Une autre question qui a été posée par une intervention des Communistes Intégraux, étant donnée la présence d’éléments anarchistes, a été celle du marxisme-anarchisme. Le sujet a été largement traité : il a été affirmé que le prolétariat n’est pas nécessairement marxiste par nature et que, dans l’histoire du mouvement ouvrier, l’anarchisme a exprimé à différentes occasions le choix politique de larges secteurs de la classe ouvrière.
On a surtout mentionné l’exemple de la 1ère Internationale, où le courant proudhonien représentait une tradition historique dans le mouvement ouvrier, reliée à ses origines. Il a été dit aussi que face à la Première Guerre mondiale, malgré le fait que des minorités telles que Kropotkine et ceux qui signèrent le Manifeste des 16 aient soutenu la guerre, de même que certains courants anarcho-syndicalistes comme la CGT (qui se sont ainsi joints à l’ignominie de la trahison de la social-démocratie), une majorité de groupes anarchistes dénoncèrent la nature impérialiste de cette guerre et se sont impliqués dans la lutte révolutionnaire, tels que la CNT espagnole ou la FORA argentine, etc.
De fait, aussi bien en Allemagne qu’en Russie ou en Hongrie, des fractions anarchistes se sont jointes à la formation du parti révolutionnaire et la CNT elle-même participa à la Troisième Internationale.
On a conclu en disant que la différence essentielle entre l’anarchisme internationaliste [10] [63] et le marxisme n’est pas dans leur nature de classe, mais dans la méthode pour analyser et intervenir dans la réalité. Sur ces différences de méthode, nous, qui défendons le marxisme, considérons que celui-ci se construit sur une analyse matérialiste historique, dialectique, qui envisage les conditions de la révolution en fonction de l’évolution des contradictions du capitalisme et les conditions subjectives de la prise de conscience au sein de la classe ouvrière, tandis que l’anarchisme considère que la révolution est possible toujours et en toute circonstance et qu’il suffit de la volonté d’action [11] [64].
Sur ce point, le NPP a fait aussi une contribution remarquable : « Nous luttons tous pour le communisme, cependant, oui, le programme, qui est historique, est fondamental. Le capitalisme est toujours, dans son essence, le même depuis qu’il a surgi, mais il y a eu des étapes différentes et une condition pour en finir c’est sa décadence. Je vous invite à étudier, à comprendre, et examiner le programme. Nous, au Pérou, soumettons tout à la critique, nous nous méfions de tout, nous étudions à partir de l’histoire. Il faut débattre, il faut lutter en tant que classe pour le communisme. »
S’il y a déjà quelque chose à bien remarquer de cette réunion riche en débats, c’est justement cela : la volonté de discuter, d’y participer. Il y a eu, comme quelqu’un l’a dit, « une véritable déferlante de participations et de réflexions enthousiasmantes et profondes ». Personne ne voulait partir et arrêter la discussion. On a invité les présents à une journée de discussion pour le lendemain et la plupart d’entre nous sommes allés manger ensemble dans une ambiance fraternelle de partage et de débat. Certains camarades qui n’on pas pu rester, ont voulu exprimer qu’ils se sont sentis à l’aise dans la discussion, et qu’ils reviendraient. Personne ne s’est senti gêné pour exprimer ses préoccupations telles qu’elles se présentaient et c’est ainsi, de la manière la plus simple souvent, que des sujets très profonds ont pu être traités. Cette humilité, animée en même temps de courage et de volonté d’aller au cœur des questions, ce qui est le propre du prolétariat, a créé un moment enthousiasmant de vie collective. C’est ainsi que le NPP l’a exprimé : « Nous sommes impressionnés et nous porterons ce débat à nos camarades. Il faut renforcer les liens entre les minorités pour la révolution. C’est en tant que prolétaires que nous sommes venus du Pérou.»
On a essayé de refléter cet état d’esprit dans des conclusions de la réunion qui sont tout juste une ébauche de ce qui s’est réellement passé, mais du moins elles ont servi à ce que tous les participants s’y sentent représentés :
- « Il est à remarquer à quel point le débat est un instrument du prolétariat sur son chemin vers la clarification, le développement et le renforcement de sa conscience de classe nécessaire pour l’assaut révolutionnaire et le triomphe de la perspective communiste »,
- « Il est à souligner le fait que cette réunion a été fortement marquée par un intérêt spécifiquement prolétarien : celui de réfléchir sur la réalité en vue d’une transformation sociale qui, pour tous les présents, apparaît comme une nécessité évidente »,
- « Nous affirmons le besoin pour nous, prolétaires, du débat, de la clarification et de l’approfondissement, lesquels ne peuvent être que le résultat d’une action collective, le besoin du développement d’un milieu de discussion réellement collectif, fraternel, honnête et engagé pour la transformation de la société. Autrement dit, notre réflexion a comme point de départ la conviction militante de la lutte ».
Sans le moindre doute, cette réunion a répondu à toutes ces attentes.
CCI, 8 mars 2010
[1] [65] Ceci est quelque part compréhensible si l’on considère que les groupes staliniens et trotskistes et leur satellites gauchistes se plaisent à se nommer « marxistes », alors qu’en vérité ils défendent, avec un style d’opposition « radical », des alternatives à l’intérieur de l’État bourgeois. En ceci, ils représentent tout ce contre quoi Marx et les courants qui sont restés fidèles à ses apports ont toujours lutté.
[2] [66] Ce compte-rendu a été fait à partir des notes prises lors de cette réunion publique. Il se peut donc qu’il y ait des imprécisions.
[3] [67] Cette déclaration finale correspond aux concordances auxquelles on est arrivés à la suite du débat sur marxisme et anarchisme dont nous parlons plus loin.
[4] [68] Cahiers de la Négation. On peut trouver cette revue sur le Web, https://negacion.entodaspartes.net/ [69]
[5] [70] Il s’agit d’une citation tirée d’une présentation écrite pour être lue. Certains camarades nous ont demandé qu’on la publie en tant qu’article ; mais pour qu’elle soit compréhensible il faudrait l’adapter ; pour le moment, nous espérons que ces extraits pourront faire l’affaire…
[6] [71] Cette phrase a été attribuée à la pièce Don Juan Tenorio de l’auteur romantique espagnol Zorrilla. En fait, elle ne figure pas comme telle dans l’original. Il y a toute une polémique savante pour savoir s’il s’agit d’une « interprétation » de l’œuvre ou si ça appartient à une autre.
[7] [72] L’idéologie allemande (1845-46). https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm [73]
[8] [74] Marx a subi pendant toute sa vie une situation économiquement précaire, de bannissement et parfois même de grande misère.
[9] [75] Voir note 2.
[10] [76] Nous employons ce terme générique pour nous référer aux courants et aux groupes anarchistes qui sont restés fidèles au prolétariat ; il y a aussi et il y a eu des groupes anarchistes qui n’ont jamais été une expression ouvrière.
[11] [77] Tout le long de la discussion, les Comunistas Integrales ont mis en avant le fait que pour eux la question de la période de transition du capitalisme au communisme était une divergence importante. Pour eux, le développement des forces productives que le capitalisme a atteint permettrait, juste après la révolution, l’existence d’une société d’abondance sans qu’une période de transition soit nécessaire. Cette réunion n’était pas le lieu pour discuter de ces questions, et, par conséquent, ce compte-rendu non plus. Pour connaître notre position sur la période de transition, voit la Revue Internationale nº 11, https://fr.internationalism.org/node/1813 [78]
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article de Communist Internationalist, organe de presse du CCI en Inde.
Deux cent cinquante mille travailleurs du jute, dans la région de Calcutta, sont entrés en grève début décembre 2009 pour obtenir de meilleurs salaires, le même statut à durée indéterminée que celui du plus grand nombre de travailleurs sous contrat, des prestations de retraite et d'autres questions liées à leurs conditions de vie et de travail. Avant tout, ils se sont mis en grève pour obtenir leurs arriérés de salaire, pour contraindre les patrons à leur octroyer une assurance-santé, des fonds de prévoyance et pour supprimer des amputations qui avaient été prélevées sur leurs salaires avec l'accord du gouvernement. Le 12 février 2010, après deux mois de grève, la cabale des syndicats a ordonné aux travailleurs de retourner au travail sans qu'ils aient pu obtenir des concessions du patronat. De plus, ce recul a ouvert la voie à d'autres attaques contre la classe ouvrière.
Cette grève des travailleurs du jute n'est pas la première. Ces derniers se sont souvent mis en grève. Il y a eu des grèves importantes en 2002, en 2004, une grève de 63 jours en 2007 et 18 jours de grève en 2008. La plupart des efforts des travailleurs pour résister aux attaques ou obtenir quelques concessions ont été déjouées par les patrons et les syndicats.
Les origines de ces efforts désespérés des travailleurs du jute de se battre encore et encore se trouvent dans leurs dures conditions de travail et dans les efforts des syndicats staliniens et des autres syndicats et partis pour utiliser la violence et la répression contre les travailleurs. La plupart des usines de jute sont ainsi confrontées à des troubles sociaux récurrents.
Les travailleurs du jute ont des salaires extrêmement bas. Même les travailleurs en contrat à durée indéterminée obtiennent seulement autour de 7000 roupies (150 $) par mois. Dans chaque usine, plus d'un tiers des travailleurs sont temporaires ou contractuels et reçoivent moins de la moitié du salaire des travailleurs en contrat à durée indéterminée, soit environ 100 roupies (2.2 $) par jour. De plus, ces travailleurs sous contrat sont payés uniquement les jours où ils travaillent. La plupart de ces travailleurs temporaires ont passé toute leur vie active dans la même usine, sans jamais obtenir un contrat à durée indéterminée, puisque cela ne convient pas aux patrons. Souvent, les travailleurs, permanents et temporaires, ne reçoivent pas le paiement intégral de leur salaire et de leurs primes tous les mois. Lorsque les retards de salaires et d'indemnités s'accumulent ceux-ci ne sont parfois pas payés pendant des années. Même les déductions légales du salaire des travailleurs que les patrons font pour l'assurance maladie et les fonds de prévoyance ne sont parfois pas déposées auprès des autorités compétentes. Même lorsque les conventions collectives ont été signées, celles-ci ne sont pas honorées par les patrons. Les employeurs ont purement et simplement recours au lock-out et au non-paiement des salaires pour contraindre les ouvriers à être plus productifs. Les patrons ont pu agir ainsi en toute impunité en raison de la collusion avec le gouvernement du Front de Gauche, les syndicats staliniens et les autres syndicats. Le gouvernement, qui est partie prenante de la plupart des accords, refuse d'appliquer sa propre législation du travail.
Cela a donné naissance à une colère profonde des ouvriers du jute à l'égard des syndicats qui, à plusieurs reprises, s’est traduite par des grèves. L'une des expressions les plus radicales de cette colère a été la lutte des travailleurs du jute aux usines de Victoria et de Kanoria à Calcutta au début des années 1990. A cette époque, les ouvriers en grève ont attaqué et détruit les bureaux des syndicats de gauche comme de droite et agressé leurs dirigeants syndicaux. Les travailleurs de Kanoria ont boycotté tous les syndicats existants et occupé l'usine pendant plusieurs jours.
Mais le Bengale occidental a longtemps été aussi une jungle gauchiste qui n'a pas seulement été gérée pendant 30 ans par des hyènes staliniennes mais qui a de nombreux partis gauchistes, groupes, ONG et « intellectuels » d'opposition. Les efforts des travailleurs des usines Victoria et Kanoria pour défier les syndicats ont été rapidement dévoyés par ces gauchistes d'opposition et diverses autres personnes qui ont démobilisé les travailleurs avec des slogans mystificateurs. Cela a été une tragédie permanente pour les travailleurs du jute au Bengale Occidental et cela souligne la nécessité du développement d’un courant prolétarien au milieu des luttes ouvrières.
Une vingtaine de fédérations syndicales ont été contraintes d'appeler à la grève actuelle le 14 décembre 2009 sous la pression grandissante des travailleurs du jute après l'échec de cinq cycles de négociations tripartites impliquant les dirigeants de la section du Bengale occidental du Parti Communiste d'Inde (Marxiste) [CPI(M)], leaders du Front de Gauche actuellement au gouvernement. Les travailleurs en grève, non seulement exigeaient de meilleurs salaires, mais surtout les arriérés de salaires et le dépôt des cotisations déduites de leur salaire depuis longtemps. En moyenne, les arriérés dus à un travailleur vont jusqu'à 37 000 roupies ce qui équivaut à six mois de salaire. Une telle retenue à la source est purement du vol. En outre, en raison du non enregistrement des cotisations, les travailleurs se voient souvent refuser les soins de santé et les prestations de retraite.
Comme la grève se poursuivait, l'Etat du Bengale et le gouvernement central ont été soumis à la pression des employeurs pour qu'ils interviennent. D'après Business Standard, les groupes d'affaires ont craint que la grève puisse entraîner un regain de combativité dans d'autres secteurs ouvriers qui avaient été touchés par la dégradation de l'économie de l'Inde. En outre, les patrons perdaient de l'argent. Selon Business Standard, du 16 février 2010, la grève de 61 jours a eu un coût total de 22 milliards de roupies (475 millions de $ US).
Le gouvernement à New Delhi, le gouvernement de l'Etat dirigé par le CPI(M), les autres partis politiques et les syndicats ont collaboré pour saper la grève.
Comme dans un spectacle, tous les partis politiques ont joué à soutenir les travailleurs en grève tout en conseillant en même temps aux syndicats de les contrôler de sorte que les travailleurs restent dans des limites revendicatives 'raisonnables'. Le Premier Ministre du Bengale occidental, Buddadeb Battacharjee, dont le parti contrôle le plus important syndicat des travailleurs du jute, le syndicat Bengal Chatkal Mazdoor (BCMU), a conseillé à Gobinda Guha, leader du BCMU, ne pas reprendre l'ensemble des revendications des travailleurs. Guha lui-même déclaré à la presse: « Le Premier Ministre a écouté nos revendications lorsque nous l'avons rencontré et a dit qu'il serait difficile de tout obtenir ... »
Le parti politique qui a conseillé à ses syndicats d'agir en tant que briseurs de grève contre les ouvriers grévistes était le Trinamul Congress (TMC), bien qu'il se soit pendant longtemps revendiqué comme l'adversaire de la politique libérale du CPI(M). Le TMC a proclamé qu'il ne souscrivait pas aux méthodes « d'interruptions du travail ». Son leader, Mamata Banerjee, essaie déjà de recruter des briseurs de grève pour son parti en sollicitant de l'argent des grandes entreprises.
Le rôle des syndicats devient évident lorsqu'une lutte ouvrière se généralise. On les voit empêcher les contacts entre travailleurs de différentes usines, falsifier leurs revendications, faire usage du mensonge et de la calomnie pour faire retourner les ouvriers au travail.
La grève actuelle, malgré la colère bouillonnante des travailleurs, a été contrôlée dès le début par les syndicats. En outre, les syndicats ont réussi à maintenir les travailleurs du jute isolés des autres travailleurs de Calcutta et à les amener à être passifs en leur promettant qu'eux, les syndicats, allaient négocier pour que leurs revendications soient satisfaites.
En réalité, les accords conclus entre les patrons, les syndicats et le gouvernement ont été une totale capitulation sous tous les aspects. Non seulement les travailleurs ont obtenu une augmentation de salaire dérisoire, mais même sur leurs arriérés de salaires impayés, il leur a été proposé un rattrapage sous la forme de versements échelonnés sur plusieurs mois. Enfin, une partie de leur salaire actuel, consistant en une prime de "vie chère", ne sera pas versée sur leur salaire mensuel, mais seulement sur une base trimestrielle.
En outre, les syndicats ont convenu d'appliquer une clause de non-grève pour les trois prochaines années. M. Guha, le leader de BCMU, a déclaré aux médias : « Il n'y aura pas de grève dans les trois prochaines années. » Cette garantie donne aux employeurs les mains libres pour porter de nouvelles attaques sur les emplois, les salaires et les conditions de vie des travailleurs du jute.
Cette trahison des syndicats a laissé les travailleurs, qui n'avaient rien obtenu pendant cette période de grève, emplis de frustration et de colère.
Quelques jours après la fin de la grève, cette colère a explosé chez les travailleurs qui ont violemment attaqué les syndicats et les patrons.
Le jeudi 4 mars, l'une des usines de jute Jagaddal Jute Mill dans le district North 24 - Parganas a commencé une nouvelle offensive contre les travailleurs. Elle a essayé de transférer le travail accompli par les travailleurs permanents vers des travailleurs contractuels. Les travailleurs ont résisté spontanément, en ignorant les dirigeants syndicaux locaux et ont mis en échec la tentative des patrons. Pour intimider et écraser les travailleurs et introduire plus de coups de canif dans les contrats de travail, le lendemain matin, alors que les travailleurs arrivaient pour le poste du matin à 6h, la direction a fermé les grilles devant les travailleurs et a déclaré la suspension du travail.
Cela a provoqué une onde de choc et de colère parmi les milliers de travailleurs employés par Jagaddal Jute Mill qui étaient restés sans salaire tout au long de la période de grève qui venait de prendre fin. Sans attendre les syndicats et sans rien leur demander, les travailleurs ont décidé de partir en manifestation pour protester contre cette attaque par les patrons. Ils ont exigé que la suspension soit immédiatement retirée et que les travailleurs soient autorisés à se rendre au travail.
Pendant cette période, un travailleur de 56 ans, Biswanath Sahu, est mort d’une crise cardiaque à la suite du choc moral reçu. Cela a naturellement rendu les travailleurs furieux au point qu'ils s'en sont pris à un directeur. Mais la colère principale des travailleurs a été à l'encontre des syndicats. Ils étaient convaincus que les deux syndicats de l'usine, CITU et INTUC, étaient de connivence avec les patrons dans cette dernière attaque à leur encontre et dans la fermeture de l'usine. Les ouvriers en colère ont saccagé les bureaux de CITU et d’INTUC. Ils ont attaqué la maison de M. Singh Barma, leader du syndicat INTUC. Le leader du syndicat CITU, M. Omprakash Rajvar, a été frappé pour avoir défendu la direction. Plus tard, les dirigeants syndicaux et le directeur du personnel n'ont été sauvés de la colère des travailleurs que grâce à l'arrivée d'un important contingent de policiers qui a violemment réprimé les ouvriers à coups de matraques.
Bien que nous croyions que cette violence n'a pas fait avancer la lutte de la classe ouvrière, il ne fait aucun doute que la violence de masse qui s'est manifestée à Jagaddal Jute Mill a exprimé la colère des travailleurs contre les patrons et les trahisons des syndicats.
L'industrie du jute a déjà été en difficulté et maintenant, comme tous les autres secteurs, elle ne peut échapper à l'impact de l'intensification de la crise mondiale. Les propriétaires d'usines sont déterminés, non seulement à maintenir leurs profits, mais à les accroître constamment et ils ne peuvent y parvenir que par une exploitation intensifiée et des attaques sur les conditions de vie et de travail des ouvriers. Les travailleurs du jute ont une très longue tradition de lutte. Ils ont souvent mené des luttes combatives et héroïques. Mais comme le montrent leur grève récente et les nombreuses grèves précédentes, les travailleurs du jute ne peuvent se défendre et faire avancer leurs luttes qu'en s'unissant à d'autres travailleurs appartenant à d'autres secteurs et industries. En outre, leur méfiance à l'égard des syndicats ne peut pas se limiter à la passivité ou prendre la forme d'une violence anarchique. Ils doivent développer une conscience claire du rôle perfide des syndicats et essayer de prendre leurs luttes hors du contrôle des syndicats et dans leurs propres mains. C'est la seule façon d'aller de l'avant.
Nero (2 mai 2010)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
Depuis la débâcle des élections présidentielles de 2000, qui ont vu l'entrée en fonction de la souvent incompétente et maladroitement belliqueuse administration Bush, Internationalism a régulièrement souligné la difficulté croissante de la classe capitaliste américaine à manipuler son appareil électoral afin de parvenir à un résultat politique optimal pour servir les intérêts de l'ensemble du capital national.
Toutefois, avec l'élection de Barack Obama en 2008, la bourgeoisie américaine semblait enfin avoir rejeté les années Bush loin derrière elle. La nouvelle administration était censée relancer la confiance dans le processus démocratique et électoral, redonner vie à la réputation des États-Unis dans l'arène mondiale et adopter une politique et une législation qui permettent de résoudre les problèmes urgents auxquels est confronté le capital national, que l'administration Bush avait soit ignorés, soit bâclés.
Pourtant, même avant la victoire électorale d'Obama, un nouveau mouvement politique a commencé à émerger, déterminé à faire dérailler son élection et à entraver ou à démolir son administration s'il prenait le pouvoir. Ce mouvement a évolué aujourd'hui sous la forme d'un parti politique soi-disant "alternatif'' : le dénommé "Tea Party". Dans cet article, nous traiterons successivement de l'apparition de ce phénomène au cours de la campagne présidentielle puis au cours de la première année de l'administration Obama et, enfin, nous tenterons de tirer quelques conclusions préliminaires sur l'importance de ce mouvement dans la vie de la bourgeoisie américaine.
A l'origine, émanant de la frange la plus à droite du spectre politique américain (comme les groupes blancs de milices racistes, les activistes anti-impôts hyper-liberaux, les diverses composantes du fondamentalisme chrétien, les activistes anti-immigration et diverses variantes d'autres mouvements d'extrême droite), des rumeurs calomnieuses – qui se sont propagées via les radios de droite et Internet - commencent à circuler pendant la campagne présidentielle, selon lesquelles Obama était en réalité un agent des musulmans, envoyé pour prendre le contrôle du gouvernement fédéral et entraîner subrepticement la capitulation de l'Amérique devant les terroristes. D'autres rumeurs tout aussi ridicules affirmaient que l'élection d'Obama en tant que président était illégitime car en réalité il serait né en Indonésie, violant l'exigence de la Constitution selon laquelle le président doit être un citoyen américain 'de naissance'. Ces proclamations bizarres de la frange d'extrême droite commencent à exercer un sérieux poids dans la campagne électorale de 2008, dans la mesure où le Parti Républicain encourage tacitement ces rumeurs avec la pleine coopération de médias à scandale. Malgré l'évidence qu'Obama était né à Hawaï et les nombreuses déclarations visant à réaffirmer sa foi chrétienne, les sondages d'opinion effectués dans le mois précédant l'élection ont toujours montré qu'un pourcentage significatif de l'électorat croyait qu'Obama était vraiment musulman ou une personne née à l'étranger et donc inéligible à la présidence.
Comme la campagne électorale de 2008, qui s'était échauffée au cours de l'été, retombait, le candidat de la droite républicaine, John McCain, et sa colistière Sarah Palin, gouverneur ultra-libéral de l'Alaska – une débutante souvent politiquement peu fiable – ont redonné vie à ces proclamations, ce qui a immédiatement orienté la campagne électorale vers une succession de coups bas polémiques. A partir de l'été jusqu'à l'élection en novembre, la ligne officielle républicaine a attaqué Obama en tant que 'socialiste' et 'marxiste' qui, pendant ses activités quotidiennes 'd'activiste communautaire' dans les zones urbaines de Chicago, s'était associé à des terroristes de la Nouvelle Gauche. Juste au moment où le système bancaire américain s'effondrait dans le sillage de la débâcle du marché immobilier et des 'subprimes', la campagne présidentielle était définie par le Parti Républicain comme une tentative de Barack Obama de se faire le promoteur d'un 'gouvernement fortement socialiste'!
Cependant, Obama a toujours bénéficié du soutien d'une fraction déterminée très importante de la classe dirigeante américaine, qui avait reconnu l'impérieuse nécessité d'une rupture avec l'ère Bush. Cette fraction a été aidée dans ses efforts pour gagner de nombreux éléments plus incertains par le quasi-effondrement du système bancaire américain, à peine quelques semaines avant l'élection. Cela a changé le débat dans la campagne, donnant à Obama l'élan ultime pour remporter l'élection. Ce canard boiteux, l'administration Bush, avait orchestré un renflouement massif de Wall Street et des banques par le gouvernement fédéral, qui avait prévenu un résultat catastrophique sur le court terme. Cependant, ce renflouement s'était avéré extrêmement impopulaire auprès du grand public et un thème 'Wall Street contre Main Street' est apparu dans la campagne présidentielle, ce qui a donné un avantage certain au démocrate Obama (en dépit, d'ailleurs, de son soutien ouvert au renflouement). Face à la prise de conscience qu'une crise économique aux proportions incalculables les attendait, de nombreux citoyens - qui, autrement, auraient pu soutenir McCain et Palin pour des motifs culturels et sociaux – se sont pincés le nez et ont décidé de voter pour le démocrate et pour qu'il soit bientôt le premier président 'Afro-Américain'.
Pendant que les fractions dominantes de la bourgeoisie célébraient la victoire d'Obama en novembre et son intention déclarée de résoudre de nombreux problèmes urgents auxquels était confronté l'Etat américain (comme par exemple le système de soins et de santé qui a des coûts élevés pour de moins bons résultats par rapport aux autre pays industrialisés), la droite complotait son prochain renversement. Quelques semaines après son investiture est apparu un nouveau défi pour Obama et les démocrates, né sur le fumier idéologique des arguments mensongers de la propagande anti-Obama déversés pendant la campagne présidentielle : le dénommé 'Tea Party'.
Le Tea Party se vante de son appel 'populaire' pour s'opposer ouvertement au renflouement de Wall Street et punir les banquiers avides tout en luttant en même temps contre la croissance du gouvernement fédéral, qui crée des dépenses à des fins électoralistes et augmente les impôts, et de s'opposer au « socialisme » et au « marxisme » de la nouvelle administration Obama. Sous l'impulsion des radios de droite et de la 'blogosphère' Internet, et même avec la légitimité accordée par les politiciens républicains, y compris Sarah Palin, le Tea Party s'est transformé au cours de la dernière année en une force politique sérieuse de la politique américaine.
Il a été dit que son idéologie a joué un rôle majeur dans la victoire des républicains dans la course sénatoriale au Massachusetts en février 2010, qui a vu le siège occupé depuis longtemps par Edward 'Ted' Kennedy passer dans des mains républicaines, ce qui a coûté aux démocrates la majorité au Sénat américain. De même, les candidats de la droite républicaine ont récupéré ses thèmes idéologiques dans la perspective des élections au Congrès en 2010. Quelques candidats inspirés par le Tea Party ont lancé des défis préliminaires pour déloger des républicains bien établis, y compris le candidat aux présidentielles de 2008, John McCain.
Cependant, le mouvement Tea Party est des plus célèbres aujourd'hui pour le rôle de premier plan qu'il a joué dans la politique et le cirque médiatique autour des efforts d'Obama sur la « réforme » des soins de santé, qui a dominé la politique intérieure américaine pendant des mois. Le Tea Party a été à l'initiative des manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays, pour protester contre ce qu'il considère comme une 'prise de contrôle par le gouvernement' des soins de santé énoncés dans le plan d'Obama pour contraindre tout le monde à acheter une assurance de santé privée, ayant un but lucratif pour les compagnies d'assurance et un coût global, qui, selon eux, aggravera la dette nationale. Ces manifestations sont souvent couvertes de slogans provocateurs dénonçant « l’Obamanisme » et attisant la peur de la législation qui serait censée créer des « panneaux de la mort », qui permettraient aux bureaucrates du gouvernement de décider quand il faut « tirer la chasse d'eau » sur des personnes âgées et sur des malades en phase terminale. Face à la pression de la base de l'aile droite du parti maintenant dominé par l'idéologie Tea Party, les congressistes et les sénateurs républicains ont repris de nombreux slogans du Tea Party, qui désignent la législation de la « réforme » des soins de santé comme 'la perte de la liberté' en Amérique.
Maintenant que la législation sur la santé a été adoptée, les républicains s'engagent à la faire abroger à la première occasion, tandis que la base activiste du Tea Party adresse des menaces de mort aux membres démocrates du Congrès, fracasse les fenêtres du bureau du Parti Démocrate et fait le vœu de « résister » à une législation qu'elle appelle une « atteinte à la liberté » par « tous les moyens nécessaires ». Pendant ce temps, les dirigeants démocrates protestent contre le « déclin du sens civique » dans la politique, condamnent leurs collègues républicains pour n'avoir pas suffisamment dénoncé la rhétorique dangereuse de la droite, et expriment leurs craintes pour leur propre sécurité. La politique intérieure américaine a pris, ces jours-ci, un virage particulièrement brutal et hideux, retournant aux pires moments des années 1960-70. Bien que ne s'attendant pas ouvertement à la réapparition du fascisme dans un avenir proche, un député démocrate a prédit un virage dangereux dans la politique américaine, et il pense que les démocrates devraient essayer de faire passer la « réforme » sur l'immigration de la même manière qu'ils ont fait la législation sur les soins de santé1.
Ainsi, quelle signification devraient donner la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires à l'évolution tourmentée du Tea Party et de son idéologie particulièrement éclectique et souvent contradictoire ?
Une analyse beaucoup plus approfondie est nécessaire pour bien comprendre l'évolution de la politique américaine, dans quelle mesure la décomposition a infesté la vie politique de la bourgeoisie et les effets complexes des campagnes idéologiques bourgeoises sur le mécontentement et la résistance de la classe ouvrière. Toutefois, il est possible d'offrir une analyse préliminaire du phénomène Tea Party d'une perspective politique prolétarienne et d'en tirer certaines implications par rapport à la lutte ouvrière contre le capital.
Le Tea Party reflète une décomposition bien réelle de l'idéologie bourgeoise confrontée à une incapacité croissante de cette classe à gérer ses propres affaires politiques. Confronté sur sa droite au Tea Party et à l'infiltration dans ses rangs de nombreux activistes de ce parti, le Parti Républicain est de plus en plus l'expression d'une idéologie d'extrême-droite qui cherche à ôter toute sa force au gouvernement fédéral en ramenant le pouvoir au niveau de chaque Etat. Cette idéologie est fermement opposée à la politique économique keynésienne pour répondre à la crise, y compris à l'extension des prestations de chômage pour les travailleurs licenciés.
Bien que cette idéologie ait une longue histoire dans la vie de la bourgeoisie américaine qui remonte à la guerre de Sécession et au débat sur l'esclavage (ou même plus loin puisque l'accent sur 'les droits des Etats' remonte à la fondation de la République), aujourd'hui elle est totalement incompatible avec le rôle des Etats-Unis en tant que seule superpuissance impérialiste restante et les besoins de l'Etat national pour mettre en œuvre une politique visant à gérer l'approfondissement toujours croissant de la crise économique2. Bien que cette idéologie ait pu auparavant être déployée de façon stratégique par des éléments du Parti Républicain pour atteindre des objectifs politiques immédiats, sans intention de les mener jusqu'à leur conclusion, cette idéologie de droite assume de façon croissante son caractère propre et autonome, malgré les besoins pratiques immédiats de l'Etat national.
Dans une certaine mesure, la politique intérieure américaine est de plus « idéologisée » de telle sorte qu'elle a une incidence négative sur la capacité de l'Etat à gérer efficacement les intérêts du capital national. Cela reflète à la fois la difficulté, qui va en s'approfondissant, de l'Etat américain sur la scène internationale et l'aggravation de la décomposition sociale qui se révèle dans le « chacun pour soi » de la vie sociale et politique et l'épanouissement des idéologies rétrogrades illustré par la droite chrétienne et le mouvement Tea Party3.
Malgré la réalité d'un Tea Party comme force politique et son infiltration dans les rangs du Parti Républicain, la bourgeoisie américaine - à travers son appareil médiatique - est parfaitement capable d'exploiter ce mouvement de plusieurs façons pour désamorcer le mécontentement de la classe ouvrière par rapport à la crise économique. Tout d'abord, les images permanentes des médias montrant des rassemblements de supporters enragés du Tea Party qui arborent fièrement des T-shirts et des pancartes agrémentés de phrases hautes en couleur, comme «le Marxisme est une Obamanation » et « je n'ai pas voté pour le socialisme », sont dans la simple continuité de la longue campagne idéologique contre le marxisme, le communisme et le mouvement ouvrier qui ont été identifiés une fois pour toutes avec le totalitarisme stalinien. Aujourd'hui, la campagne identifie le marxisme avec la politique keynésienne capitaliste d'Etat d’Obama. L'objectif est ici d'associer la politique prolétarienne avec le capitalisme d'Etat et les cadeaux d'entreprises pour détourner la classe ouvrière de son propre terrain de classe et vers une attaque simpliste contre « l'Etat » au nom d'une mythique « liberté » primordiale américaine, faisant référence à la proclamation d’Indépendance de 1776.
Deuxièmement, et de façon complémentaire par rapport à l'objectif premier, la campagne médiatique autour du Tea Party cherche à attiser la peur chez ceux qui rejettent cette idéologie, mais qui restent en colère et préoccupés par la crise économique. Le but ici est d'enrôler ces travailleurs autour d'une défense de l'Etat fédéral, d'une politique autour du capitalisme d'Etat, d'une idéologie démocratique et d'une défense de l'administration Obama, soi-disant menacée par une tendance de plus en plus agressive, raciste et tout à fait irrationnelle et proto-fasciste au sein du Tea Party.
Bref, que celui-ci soit présenté comme une grande menace ou une force positive pour la liberté, les travailleurs vont être appelés à prendre parti dans une lutte de plus en plus acharnée entre des factions de la bourgeoisie qui, en termes historiques, sont également anti-ouvrières et réactionnaires. Il s'agit d'un piège dangereux qui ne peut être désamorcé par les travailleurs que s'ils développent leurs luttes4.
Avec son individualisme fervent, son opposition au bien-être social et aux immigrés, l'idéologie du Tea Party constitue essentiellement un rejet de la solidarité sociale, qui est le sang de la vie de la classe ouvrière qui combat sur son propre terrain de classe, pour la défense de ses propres conditions de vie et de travail5. Cela seul peut fournir l'antidote nécessaire à tous les poisons idéologiques émanant de ce système social à l'agonie.
Henk (10 avril)
1 House Democratic Majority Whip, James Clyburn (Democrat, South Carolina) on 'Hardball With Chris Matthews' MSNBC. 24 mars 2009.
2 Bien que l'on pourrait faire valoir que l'argumentation républicaine au sujet de la dette nationale reflète une prise de conscience croissante bien réelle au sein de la bourgeoisie que la tactique keynésienne, si elle peut apporter un soulagement à court terme, ne fait que creuser un tombeau encore plus profond pour l'économie nationale sur le long terme.
3 Il faut faire attention de ne pas exagérer ce phénomène. Malgré le fait que pas un seul républicain n'a voté pour la législation, l'Etat a encore été capable de faire passer la 'réforme' des soins de santé par d'autres procédures parlementaires, en évitant la perspective d'une obstruction républicaine au Sénat. En outre, malgré l'opposition du sénateur républicain Jim Bunning, particulièrement rétif, du Kentucky, l'État a trouvé un moyen de faire passer une série d'extensions 'miraculeuses' de dernière minute de prestations chômage (chargées évidemment sur la carte nationale de crédit !).
4 Ironie du sort, malgré le vitriol qu'ils ont déversé sur le 'socialisme' et la 'prise en charge des soins de santé par le gouvernement', de nombreux partisans du Tea Party ont bénéficié d'une couverture par l'assurance-maladie, ce qui a conduit à la vision bizarre de manifestants arborant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Gouvernement, bas les pattes de mon assurance-maladie ! »
5 En conséquence, une grande partie de la campagne médiatique concernant le Tea Party est d'identifier la solidarité sociale, la compassion et l'empathie pour les autres avec l'État, comme si seul un Etat fort pouvait garantir ces valeurs contre la menace émanant d'une droite de plus en plus belliqueuse et sociopathe.
Dans le premier article [26] que nous avons publié sur la lutte de Tekel, nous avons donné un compte-rendu de son évolution jusqu'au 20 janvier. Dans cet article, nous allons continuer à partir de là où nous nous sommes arrêtés, et essayer de rendre compte de ce qui s'est passé à partir de l'établissement du camp des travailleurs de Tekel dans le centre d'Ankara, jusqu'au 2 mars, lorsque les travailleurs ont quitté Ankara. Ce qui constitue un épisode historique important pour l'ensemble de la classe ouvrière. Nous remercions très chaleureusement les travailleurs de Tekel pour avoir rendu possible la rédaction de cet article en nous expliquant ce qu'ils ont vécu, leurs expériences et leurs pensées et avoir permis à ces expériences d'éclairer à la fois la route du futur développement de la lutte de Tekel et de celui des luttes à venir de notre classe.
Nous avions conclu notre premier article en mettant en évidence les efforts des travailleurs pour former un comité. Du début de la lutte jusqu’au 20 janvier, il y avait eu quatre ou cinq tentatives pour former un comité, et il y a eu autant de tentatives dans le processus qui a suivi. D’un autre côté, il n'était pas possible pour ces comités de commencer à fonctionner. À l'heure actuelle, il existe un groupe d'ouvriers combatifs de chaque ville, régulièrement en contact entre eux et discutant sans cesse sur la façon de faire aller la lutte de l'avant. Cependant, ce groupe n'a pas encore réussi à devenir un comité officiel reconnu par tous les travailleurs.
Un des premiers problèmes que nous pouvons mettre en évidence pour tenter d'expliquer les raisons de cette situation est le manque de communication entre les travailleurs. Certes, ces derniers sont toujours ensemble et ils discutent en permanence, mais d’un autre côté ils n'ont pas été en mesure d'établir un organe, comme une assemblée générale, qui leur permettrait de se réunir et de discuter tous ensemble de manière organisée. Comme nous allons essayer de l'expliquer plus loin dans l'article, le fait que les travailleurs de chaque ville aient dressé chacun leurs propres tentes et aient passé la plupart de leur temps à l'intérieur de ces tentes a également contribué à ce problème. On pourrait dire que cette séparation physique a bloqué la communication. Un problème général plus important a été que la majorité des travailleurs n'ont pas voulu mettre en place une alternative aux appareils syndicaux ou ont hésité à le faire. Beaucoup de syndicalistes ont été respectés pour la seule raison qu'ils étaient des syndicalistes. Leurs discours ont été préférés à ceux des ouvriers les plus combatifs et les plus déterminés. Cela a conduit à un très grave problème qui a consisté dans le fait que les ouvriers n'ont pas réussi à mettre en oeuvre leurs propres décisions. La dépendance psychologique des travailleurs à l'égard des responsables syndicaux a empêché l'émergence de comités de travailleurs en dehors des syndicats.
Ce qu'un camarade ouvrier d'Adıyaman nous a dit confirme cette observation : « Si les questions avaient été discutées dans les tentes, et que chaque tente avait envoyé quelques personnes, le comité se serait formé de lui-même. Dans une telle situation, personne n'aurait pu s'y opposer. Cela aurait été impossible. Nous avons essayé de mettre cette question en avant, mais sans grand succès: peu de personnes croyaient qu'il était nécessaire de s'unir. Le manque de communication a été un gros problème, par exemple, il aurait dû y avoir une tente pour centraliser les communications dès que les tentes ont été dressées. Si nous avions fait cela, le comité se serait lui aussi créé. »
En général, les ouvriers expriment ouvertement leur manque de confiance envers les syndicats, mais leurs hésitations empêchent qu'une alternative au syndicalisme se construise. Bien que cela semble être une situation contradictoire, cela montre en fait que le syndicat a toujours une influence sérieuse sur les travailleurs. Les travailleurs, même s'ils n'ont pas confiance dans les syndicats, continuent à s'accrocher à eux et à penser qu'ils peuvent faire entendre leur voix en leur sein.
Quant aux responsables syndicaux, ils sont, évidemment, très troublés par la mention même du mot comité. Ils sont bien conscients du fait que si un comité se mettait en place, ils perdraient tout contrôle, et la masse des ouvriers ne serait plus entre leurs mains. Pourtant, ce n'est pas une question réglée pour les ouvriers. Les tentatives pour former le comité se poursuivent, malgré les problèmes que cela pose aux travailleurs et malgré que cela soit très inquiétant pour les dirigeants syndicaux.
Si nous revenons à la façon avec laquelle les événements se sont déroulés, le 14 janvier, presque tous les travailleurs de Tekel et leur famille de presque toutes les villes ayant une usine Tekel se sont réunis à Ankara pour un sit-in d'une durée de trois jours. Les travailleurs ont allumé des feux pour se réchauffer au cours des nuits. Le troisième jour, il y a eu de fortes pluies. Les travailleurs ont dû tendre des bâches de nylon au-dessus des rues dans lesquelles ils dormaient. C'est ainsi qu'a vu le jour la ville des tentes ouvrières au centre d’Ankara. La mise en place des tentes s'est faite de façon très spontanée, comme dans beaucoup d'autres aspects de la lutte. En fait, les travailleurs avaient demandé une tente de lutte pour être installés devant le siège de Türk-Is, ce qui a été l'une des revendications qui se sont développées avec les efforts initiaux pour former un comité, mais le syndicat avait fait obstacle à cette initiative. Les tentes ont été finalement mises en place, mais parce que les conditions météorologiques les ont rendues nécessaires. Une fois les tentes montées, le syndicat a donné son appui. La raison pour laquelle les tentes ont été séparées en fonction des villes d'où provenaient les ouvriers était que ces derniers voulaient empêcher des policiers en civil ou des provocateurs de s'infiltrer dans les tentes, et de se prémunir contre une dispersion possible en permettant à chacun de contrôler les entrées. À cause du froid, il a été amené des feuilles de nylon supplémentaires. Parce que les feux qu'ils avaient allumés à l'extérieur produisaient beaucoup de suie et de fumée, les ouvriers ont dû apporter des poêles. Finalement, il y a eu une vivante, respirante ville de tentes au milieu d'Ankara.
Le 17 janvier, après le sit-in, il y avait eu une manifestation massive des travailleurs de Tekel avec beaucoup de personnes de différentes villes qui étaient venues pour les soutenir. Les ouvriers de Tekel, conscients qu'ils ne pouvaient gagner que par une extension de la lutte, ont poussé la Confédération syndicale Türk-Is à déclarer une grève générale. Les ouvriers, à la suite du discours de Mustafa Kumlu, le président de Türk-Is, qui n'avait même pas mentionné la grève générale, ont d'abord occupé la tribune où les syndicalistes s'adressaient à plus de cent mille manifestants, puis ils ont occupé le siège de Türk-Is. Cela a amené Mustafa Turkel, le président de Tek-Gida Is, le syndicat de Tekel, de prendre ses distances par rapport à Kumlu et à se plaindre de la façon avec laquelle il était isolé au sein de Türk-Is, et de ce que les autres syndicats au sein de la confédération, ainsi que les autres confédérations, n'avaient pas apporté le moindre soutien.
D'après le calendrier, une grève de la faim de trois jours devait faire suite à cette manifestation. Après ces trois jours de grève de la faim, une grève de la faim illimitée devait commencer. Malgré le fait qu'ils pensaient que la grève de la faim était le dernier des chemins à prendre, les grévistes disaient que dans cette situation, leurs cadavres auraient plus de valeur que leur vie, que la rémunération que leur famille recevrait s'ils mouraient serait plus élevée que le salaire auquel ils étaient condamnés. Ceci n'était pas une idée extrême développée par une seule personne. Il s'agissait de la seule réponse possible pour quiconque se souciait de ce que les ouvriers en grève de la faim obtiendraient pour les travailleurs. D'autre part, alors que ce que les travailleurs disaient là-dessus était une réalité, cet argument n'a pas réussi à réfuter l'idée que la grève de la faim n'était pas la meilleure façon d'agir. Le 19 janvier, une grève de la faim avec un nombre de participants limité à 140 a commencé.
Dans les jours suivants, Türk-Is et les confédérations syndicales gauchistes, la KESK et la DISK, ont annoncé leur plan d'action conjoint. La décision de commencer à travailler une heure plus tard le 22 a été prise, et un plan pour organiser les démonstrations quotidiennes de soutien et les manifestations a été mis en avant. Le 21, Türk-Is, la KESK, la DISK ainsi que les confédérations plus à droite Kamu-Sen, MEMUR-Sen et Hak-Is se sont réunies et ont annoncé que si le gouvernement ne résolvait pas la question le 26, ils utiliseraient 'le pouvoir issu de la production' et annonceraient la date de la grève de solidarité qu'ils organiseraient. Le Premier ministre Erdogan a invité Kumlu, le président de Türk-Is, à une réunion le jour même. Après la réunion, le gouvernement a mandaté Mehmet Simsek, ministre des Finances, pour trouver une solution nouvelle. Simsek n'était autre que l'homme qui avait dit: «Si notre gouvernement a commis une erreur, c'est d'avoir été trop compatissant envers nos ouvriers qui vont perdre leur emploi en raison de la privatisation». Il déclare maintenant qu'il souhaiterait rencontrer à nouveau la délégation de Türk-Is une fois qu'il aurait trouvé la nouvelle solution. Ce processus devait prendre cinq journées. Face à cette situation incertaine et tenant compte des suggestions des médecins, les travailleurs ont mis fin à la grève de la faim qui durait depuis trois jours. Le 26, arriva la réponse négative du gouvernement. La série de négociations devait se poursuivre jusqu'au 1er février. Ce fut, à bien des égards, une politique de blocage. En fin de compte, le gouvernement n'a pas remplacé le 4-C1, mais lui a apporté certains aménagements. Le temps maximal du travail, qui avait été précédemment porté à 11 mois, serait maintenant mieux payé, l'indemnité d'ancienneté était donnée ainsi que le droit à 22 journées de vacances. Les travailleurs ont répondu en disant « Nous ne voulons pas d'un 4-C maquillé. »
Comme les négociations n'ont pas apporté de résultat, la grève de la faim a repris le 2 février. Les six confédérations syndicales, Türk-Is, Hak-Is, DISK, MEMUR-Sen, Kamu-Sen et KESK, se sont réunies à nouveau, et ont déclaré «une action générale dans laquelle ils utiliseraient leur pouvoir issu de la production ». Cette décision n'a bien sûr pas été prise en raison de l'initiative des syndicats eux-mêmes, mais en raison de la pression venant des travailleurs. Les travailleurs ont montré à quel point ils étaient déterminés à s'engager dans une grève générale lors de la manifestation du 17 janvier, en occupant à la fois la tribune et le siège du Türk-Is. Ils ont aussi tenté d'abattre les portes de l'immeuble. Les travailleurs ont réclamé pendant trois heures la démission de Kumlu, et Mustafa Turkel a été contraint de faire un discours très critique à l'égard de Türk-Is, appelant les autres syndicats à prendre une décision en faveur d'une action générale. La décision des syndicats était donc très clairement le résultat de la pression provenant de la base. Les syndicats avaient fait de leur mieux pour retarder les travailleurs avec les négociations. Maintenant, les confédérations devaient finalement déclarer la grève générale.
Faisant suite à cette décision, Erdogan, après avoir dit que les manifestations des travailleurs avaient « dépassé leur objectif », a déclaré: «Eh bien, excusez-nous. Nous avons fait le maximum de ce qui devait être fait. Cela s'est transformé en une campagne ouverte contre le gouvernement, plutôt que de demander plus de droits. Nous sommes dépositaires. Nous sommes les dépositaires de l'argent des orphelins nouveau-nés» et il a ajouté que les salaires des travailleurs de Tekel avaient été payés, que l'indemnité d'ancienneté était désormais sur leur compte en banque, et que s'ils reprenaient le travail dans le mois, ils pourraient commencer à travailler conformément à la législation du 'personnel temporaire', en d'autres termes sous le régime du 4-C. Le délai d'application du travail dans les conditions du 4-C était donc raccourci. Il s'agissait d'une menace de chômage à peine voilée à l'encontre des travailleurs. Cela ne voulait pas dire qu'Erdogan hésitait à faire des menaces ouvertes. Après avoir déclaré que la manifestation ouvrière en face de Türk-Is était illégale et après l'avoir définie comme une occupation, il a déclaré: «Nous allons faire preuve de patience jusqu'à la fin du mois. Par la suite, nous prendrons toutes les mesures légales. (...) Parce que cet événement est devenu un abus manifeste de la part de groupes idéologiques et d'extrémistes. Regardez leurs bannières. Regardez leurs slogans. Ils utilisent un ton effronté et impudent, prenant pour cible moi-même et mon parti. Les travailleurs sont manipulés ». Le gouverneur d'Ankara, Kemal Onal a décidé de sauter dans le train en marche à la suite de ces déclarations. Il a proféré lui-même une menace : juste avant l'action de solidarité générale organisée au nom des travailleurs de Tekel, il a déclaré qu'elle était illégale pour les travailleurs et les fonctionnaires travaillant dans les entreprises. Des plaintes devaient être portées contre tous ceux qui y participeraient.
D'un autre côté, le fait que les syndicats aient déclaré une grève générale ne signifie pas qu'ils n'avaient pas l’intention d'aller dans un sens opposé à celui de la grève générale et de construire une barrière contre elle. Beaucoup de syndicats pro-gouvernementaux au sein de la confédération Türk-Is étaient opposés à la décision de grève générale. Les confédérations MEMUR-Sen et Hak-Is ont décidé à la dernière minute de ne pas y participer. Quant à Türk-Is dans son ensemble, il n'a décidé que de participer aux manifestations d'Ankara décidées par les responsables syndicaux. Il s'en est suivi que la base qui voulait participer était bloquée, et que les travailleurs de différents secteurs et villes n'ont pas pu se réunir. Il y avait peut-être 30 à 40 000 manifestants ce jour-là, mais ce nombre aurait pu être bien au-dessus de 100 000. Les syndicats ont tenté de limiter le nombre. La participation à la grève des autres syndicats n'était pas, elle non plus, au niveau souhaité. Bien qu'il ne faille pas la généraliser par rapport à l'ensemble de la classe, la participation des ouvriers de Tekel était d'environ 90%, soit environ 9 000 sur les 10 857 employés. Ce même jour, il y a eu des manifestations en soutien aux travailleurs de Tekel dans d'autres villes.
Ce n'était pas une véritable grève générale. Elle était trop limitée, trop insuffisante. La puissance de la grève générale vient de la menace d'arrêter la vie elle-même en utilisant la puissance de production qu’ont les travailleurs. Or, le 4 février, il n'était pas vraiment possible, pour quelqu'un qui n'avait pas été averti par les syndicats, de se rendre compte qu'il y avait effectivement une grève qui se déroulait. Cela avait été au moins partiellement reconnu, même par certains présidents de la confédération. Sami Evren, le président de la KESK, a déclaré : «Le mouvement commencé par les travailleurs de Tekel s'est transformé en une manifestation de grande solidarité dans toute la Turquie. Il était socialisé. Tel est le succès du mouvement, mais le fait d'utiliser le pouvoir provenant de la production a conduit aussi à des échecs dans certains endroits. Il y a eu ici des insuffisances et cela doit être reconnu. » Le président du DISK, Suleyman Celebi, a également proclamé : « Il y a eu des actions de débrayage dans 81 villes. Il est vrai que ces actions à Istanbul et Ankara ont été en dessous de ce qu'on attendait, mais on ne peut pas dire que cela ait affecte le succès général de l'action de solidarité ».
Le même jour, le gouvernement prenait des contre-mesures. La nouvelle loi sur l'emploi du « personnel temporaire », le 4-C, était publiée au Journal Officiel. Le nombre des employés concernés par le 4-C était annoncé : 36 215 pour l'année 2010. Tekel était incluse dans la loi. Cette loi non seulement abolit le droit des travailleurs à se faire payer par l'assurance chômage pendant huit mois, mais elle vise aussi à faire travailler les ouvriers pour un salaire très bas sous la menace du chômage. Le 16 février, Tek Gida-Is portait plainte contre le délai d'un mois pour l'application du 4-C. Si la loi était annulée, les travailleurs de Tekel seraient en mesure d'obtenir leurs indemnités de chômage pendant huit mois, soit le double du salaire minimum, et le 4-C pourrait être appliqué à la fin de cette période. La majorité des ouvriers qui, jusqu'au 4 février, poussait à la grève générale, était maintenant dans l'attente de la décision des tribunaux.
Ce qui a poussé les ouvriers à continuer la lutte jusqu'au 4 février a été la tentative de pousser les confédérations à déclarer la grève générale, afin d'élargir la lutte. Le fait que ces attentes ne se soient pas concrétisées, qu'il n'y aurait pas de véritable grève générale, a changé le cours de la lutte. Maintenant, l'accent était mis sur la période d'un mois imposée pour la mise en application du 4-C. Lorsque la mise en avant du caractère légal prend le dessus, cela signifie en général que la lutte s'affaiblit. L'exemple de Tekel n'a pas fait exception. Le rôle des syndicats, à la fois par rapport à l'affaiblissement de la lutte et à la focalisation sur le processus légal, ne peut pas être sous-estimé. Pour le dire crûment, les travailleurs étaient devenus un problème pour eux. Ils pensaient que le meilleur moyen était de les renvoyer chez eux, de mettre sur les rails la procédure juridique et c'est ce à quoi ils ont travaillé. De toutes façons, ce processus d'attente signifiait aussi pour les travailleurs une prise de risque. Après tout, ils étaient menacés par le chômage et poussés vers l'acceptation du 4-C, mais il y avait aussi une limite fixée pour tout cela. Ils perdraient la possibilité de l'application du 4-C dans le délai d'un mois. Quant aux syndicalistes, alors que la plupart ne pouvaient pas défendre ouvertement le 4-C, ils disaient des choses comme «Nous ne pouvons ni vous dire de l'appliquer, ni de ne pas l'appliquer ». Il a même couru le bruit que certains syndicalistes auraient dit «La mise en application du 4-C est la chose la plus logique à faire ». Bien sûr, ils ne pouvaient pas oser dire ces choses lorsque les ouvriers combatifs se trouvaient à proximité, car ils savaient que cela se serait traduit par une vigilante argumentation à leur encontre, ce qui les aurait finalement obligés à fuir.
La question qui a dominé les jours suivants a été celle de l'indemnité d'ancienneté des travailleurs déposée sur leur compte bancaire, et la question de savoir si les travailleurs allaient ou non l'utiliser. Erdogan a déclaré : «Les travailleurs ont obtenu leur compensation, ceux qui sont restés ici ne sont pas des travailleurs». Toutefois, les ouvriers en lutte avaient décidé de ne pas retirer leur rémunération puisque faire cela signifierait d'une certaine façon accepter le 4-C. Cependant, parce que certains avaient des dettes, il y a eu des déductions automatiques sur leur compte bancaire qui donnaient l'impression que les travailleurs utilisaient leur compensation, ce qui était une ruse de la part du gouvernement pour discréditer les travailleurs. Il s'est passé la chose suivante : le gouvernement, par l'intermédiaire du Ministère des Finances, a donné l'ordre à l'administration de la Vakif Bank General d'ouvrir un nouveau compte au nom des travailleurs. La banque, sans en informer les travailleurs, a retiré 25 TL (TL: Livre Turque, ndt) à chaque travailleur, et transféré l'équivalent sur ce compte, ce qui donnait à croire que les travailleurs avaient utilisé leur indemnité. Après cela, les syndicats ont déposé une nouvelle action en justice par rapport à cette question.
Les travailleurs ont commencé une grève de la faim de trois jours, le 2 février. La grève de la faim était finie le 5 février. Toutefois, le jour où la grève de la faim se finissait, 100 ouvriers de Tekel lançaient une grève de la faim illimitée. Le président de Tek Gida-Is, Mustafa Turkel, annonçait que la grève de la faim illimitée était terminée le 11 février. Il a également appelé les 16 travailleurs qui poursuivaient la grève de la faim malgré la décision des syndicats à l'arrêter. Ensuite, il a réitéré son appel directement auprès de ces travailleurs, mais il a reçu comme réponse de la part d'un gréviste déterminé qu'ils allaient poursuivre leur grève de la faim de par leur propre volonté. Ce même ouvrier combatif a été appelé à l'extérieur par un autre travailleur qui affirmait qu'il voulait lui parler. Lorsque le gréviste de la faim est sorti il lui a été demandé d'arrêter sa grève et il a été attaqué. Le travailleur qui l'agressait était une personne connue pour avoir défendu les syndicats contre d'autres camarades ouvriers et était considéré comme un élément déséquilibré. Depuis, nous n'avons pas eu d'information détaillée sur cet événement, nous n'avons aucune prétention de pouvoir connaître les liens possibles de l'attaquant. Il est possible qu'il s'agisse d'une initiative de la direction syndicale pour pousser ce travailleur à cette attaque contre le camarade qui faisait la grève de la faim. Cependant, indépendamment du fait de savoir s'il a été recruté par la direction syndicale pour réduire au silence ce gréviste de la faim dissident, ou qu'il ait agi ainsi pour faire de la lèche auprès des syndicalistes, le syndicat en est responsable directement ou indirectement. Car si n’importe quel ouvrier peut attaquer un camarade en grève de la faim dans le but de faire de la lèche auprès des syndicats, la raison en est que la bureaucratie syndicale a des intérêts séparés et opposés à ceux des ouvriers, et cela signifierait qu'il aurait tenté de se faire bien voir auprès des syndicalistes en servant leurs intérêts. Cet exemple montre ouvertement, alors que la question principale pour les travailleurs en lutte est celle de savoir comment nous pouvons gagner la lutte, que les syndicats poursuivent des intérêts bureaucratiques et agendas politiques totalement étrangers. Cette situation, loin d'être surprenante, est importante dans le sens où elle constitue un exemple frappant de la nature contre-révolutionnaire des syndicats aujourd'hui.
En tout cas, à la suite de cet événement, les négociations avec M. Erdogan se poursuivent. Etant donné qu'un compromis n'a pas été réalisé à la suite de ces négociations, Hak-Is a cessé d'agir conjointement avec les autres confédérations. Le 12 février, Türk-Is, Kamu-Sen, KESK et DISK se sont réunis à nouveau. Lors de cette réunion, il a été décidé de poursuivre les négociations avec le gouvernement, d'intenter un procès pour obtenir que le 4-C soit annulé et que les organisations locales des confédérations viennent à Ankara et restent avec les travailleurs de Tekel en face de Türk-Is pendant la nuit du 20 février. Le 16, les confédérations ont annoncé leur plan d'action commun : le 18 février, des banderoles disant : «La lutte des travailleurs de Tekel est notre lutte» et «Non au travail dangereux et non réglementé » devaient être placées dans tous les bureaux des syndicats des quatre confédérations. Le 19 février, il devait y avoir d'autres sit-in et des communiqués de presse dans toutes les villes et le 20, une manifestation de solidarité à Ankara. Ceux qui venaient de l'extérieur de la ville devaient se réunir sur la place Kolej, marcher vers la place Sakarya et rester toute la nuit avec les travailleurs de Tekel.
Les ouvriers de Tekel venant d'Adana ont lancé l'appel suivant pour la manifestation du 20 février, soulignant l'importance de l'extension de la lutte : «Nous voulons que tous ceux qui sont contre cet ordre mauvais en Turquie soutiennent notre mouvement. Ce n'est plus seulement par rapport à nous. Cela concerne la majorité, les opprimés. Nous espérons fermement que nous allons gagner. Nous avons allumé un feu, et la population doit poursuivre à partir de ce que nous avons fait. C'est notre avenir, l'avenir de nos enfants que nous défendons, l'avenir de la classe ouvrière en Turquie. Nous avons montré la direction, c'est à eux de finir. Nous ne devons pas sortir d'ici sans avoir ce que nous méritons, mais la population doit se réveiller et nous soutenir, avec leur famille, leurs enfants, avec tout le monde ».
Le 11 février, Tek-Gida-Is a déclaré la fin de la grève de la faim, mais 16 travailleurs ont continué. Le 12 février, un travailleur a été hospitalisé, et cinq travailleurs de plus ont rejoint la grève de la faim à la suite de cet évènement. Ces travailleurs ont terminé leur grève de la faim en déclarant qu'ils avaient «fini la grève de la faim de par leur propre volonté, et n'hésiteraient pas à recommencer si ils le jugeaient nécessaire».
La manifestation de solidarité a eu lieu le 20 février, avec la participation des syndicats, des partis politiques et des organisations de masse. Les travailleurs de l'entreprise de logistique Balnak qui avaient perdu leur emploi à peu près à la même époque où commençait la lutte de Tekel étaient également présents. Comme prévu, tous se sont réunis sur la place Kolej le matin et ont marché jusqu'à la place Sakarya, pleine de manifestants. C'était devenu un véritable carnaval, et les manifestants ont complètement changé l’aspect de la place. D'un autre côté, les travailleurs étaient en général encore dans leur tente quand les manifestants se sont trouvés sur la place. Il y a toujours eu de la circulation entre ces deux endroits très proches, mais la séparation est restée. Plus tard dans la nuit, les gens étaient fatigués, et les rues étaient pleines de manifestants qui dormaient dans des cartons. Le lendemain, un rassemblement a eu lieu et la manifestation s'est terminée avec un communiqué de presse. Ensuite, ceux qui étaient venus de l'extérieur de la ville ont commencé à rentrer chez eux. Cette manifestation a été importante dans la mesure où elle a donné un coup de pouce au moral des travailleurs de Tekel, et où elle a exprimé la solidarité de classe. Toutefois, à cause de la décision des syndicats de n'envoyer que des fonctionnaires, le nombre des travailleurs venant d'autres secteurs a été faible, mais la plupart des travailleurs de Tekel qui n'étaient pas à ce moment à Ankara se sont rassemblés dans la ville. Malgré tous ces aspects négatifs, le fait d'avoir été soutenu a beaucoup compté pour les travailleurs. Les ouvriers dans les tentes auxquels nous avons rendu visite dans la nuit avaient en général un sentiment positif par rapport à la manifestation et disaient qu'elle leur avait donné le moral.
Le 23 février, les quatre confédérations se sont à nouveau rassemblées. Elles ont pris la décision d'organiser une autre action générale le 26 mai dans le cas où le gouvernement ne ferait aucune concession. Planifier une action générale trois mois plus tard n'était rien moins que se moquer ouvertement des ouvriers. La décision était déjà sur Internet avant d'être annoncée. Ceux qui l'avaient lue informaient les autres, ceux qui ne pouvaient pas croire ce qu'ils avaient entendu allaient vérifier eux-mêmes. Personne ne voulait croire cette nouvelle. Les représentants des différentes branches n'avaient pas été informés de la décision, disaient que la nouvelle était fausse, et ils réagissaient vivement à l'égard de ceux qui les questionnaient à ce sujet. Après l'annonce, les travailleurs se sont réunis et ont commencé à crier des slogans contre Türk-Is et Kumlu. A ce moment critique, Turkel a montré ouvertement son vrai visage. Il a crié aux ouvriers: «Si vous continuez à crier, Kumlu démissionnera, je démissionnerai ensuite ». Cela ne posait pas vraiment beaucoup de problèmes aux ouvriers.
Mustafa Turkel, le président de Tek Gida-Is, démissionna de son poste de secrétaire général qu'il occupait au sein de la confédération de Türk-Is le 24 février. Il a annoncé qu'il allait donner toutes les explications nécessaires sur les raisons de sa démission le 2 mars. C’était aussi la dernière date possible pour que les travailleurs appliquent le 4-C, selon le gouvernement, et aussi la date où le gouvernement avait menacé les ouvriers de détruire la ville de tentes. Turkel n'a pas vu la nécessité d'expliquer aux travailleurs pourquoi il avait démissionné. En ne donnant aucune explication, il sapait ouvertement la lutte des ouvriers de Tekel qui durait depuis plus de deux mois. Pourquoi quelqu'un qui a démissionné refuse-t-il d'expliquer pourquoi il a démissionné ? Qu'est-ce que cela signifie, disparaître dans une ambiance où le gouvernement menaçait les travailleurs à la fois de les mettre au chômage et de les attaquer ? Serait-il exagéré de dire qu'il attendait le 2 mars pour partir, pour que les eaux soient à nouveau claires ?
Cette situation d'incertitude a naturellement conduit à des confusions par rapport à la démission de Turkel. Il pourrait avoir démissionné parce que les travailleurs avaient demandé la démission de Kumlu, mais aussi parce qu'il n'avait pas de soutien au sein de Türk-Is. Les travailleurs envisageaient les deux possibilités. Un travailleur de Tekel de Adıyaman a évalué la situation comme suit: « Cela peut être interprété de deux manières. Si cela se produit comme la presse l'a présenté, si le président de Tek-Gida-Is a démissionné en réaction contre les travailleurs, je pense que c'est erroné. Il ne peut pas se payer un tel luxe. Personne n'a le droit de saboter ce processus. Nous avons lutté pendant 71 jours. Il y aura certainement ceux, parmi les 12 mille travailleurs, qui ne pourront pas contrôler leurs nerfs et qui réagiront. D'autre part, Turkel a démissionné de son poste de Secrétaire général de Türk-Is, non pas de sa position en tant que président de Tek-Gida-Is. Je pense que cette démission peut aussi être une réaction contre les décisions prises hier par les confédérations. Si tel est le cas, s'il s'agit d'une réaction contre Türk-Is ou les autres confédérations disant : 'vous nous laissez seuls', alors nous embrasserons notre président de tout notre cœur. Je ne veux pas croire qu'il a démissionné par réaction contre les travailleurs, comme cela a été présenté dans la presse. Je tiens à penser qu'il s'est agi d'une réaction contre la bureaucratie de Türk-Is. Je ne pense pas que les réactions affichées à son encontre par quelques camarades représentent le sentiment général. Il n'aurait pas démissionné à cause du slogan 'Turkel démission' crié par quelques-uns. Il pourrait y avoir d'autres raisons. Dès le début, nous avons réagi par rapport à Kumlu, pour sa relation étroite avec le gouvernement et son manque de sincérité. Mais nous croyons en Turkel depuis le début. Nous devrions attendre l'explication du président. » Un travailleur Tekel d'Istanbul a évalué la situation comme ceci: « Nous sommes une famille. Il peut y avoir des débats entre nous. S'il a démissionné à cause des réactions des travailleurs, il n'a pas fait le bon choix. S'il l'a fait en réaction à la bureaucratie de Türk-Is, il a eu raison. S'il l'a fait à cause de la réaction des travailleurs, ce n'était rien qu'un prétexte pour s'enfuir. Il n'a pas le droit de quitter les travailleurs et de prendre la fuite. Mais qu'il reste ou qu'il parte, la lutte va se poursuivre. En fait, il nous a menacé pendant chacun des 71 jours, comme un mari menace sa femme. Mais nous sommes restés patients, indivisibles. Maintenant, une telle réaction contre les travailleurs est, d'après moi, une excuse pour s'enfuir, si bien sûr il a démissionné à cause de cela. On n'a pas le droit de dire 'je ne jouerai plus', comme un gamin. En tant que travailleurs, tout ce que nous voulons c'est qu'ils accomplissent leur devoir syndical et non pas qu'ils nous grondent. Il était tout naturel pour nous de réagir contre les décisions des confédérations, et je pense vraiment que cela incluait tous les travailleurs, que cette réaction a été commune à tous les travailleurs. Les réunions ouvrières devaient avoir lieu dans la matinée. Pourtant, il a été dit que Turkel avait une réunion urgente, et que les réunions des travailleurs devaient être reportées l'après-midi. Un peu plus tard sa démission a été annoncée. Où Turkel est-il allé? A qui a-t-il parlé? Qu'est-ce qui s'est passé à cette réunion? Nous ne le savons pas. » Turkel avait déjà dit qu'il était opposé à la réaction des travailleurs à l'encontre de Kumlu, et qu'il démissionnerait au cas où l'incident se renouvellerait. Les syndicalistes pensaient que la démission de Turkel avait été causée par la réaction des travailleurs. À la suite de cela, Mustafa Akyurek, le Secrétaire Général pour l'Education de Tek Gida-Is, a dit que les déclarations selon lesquelles la décision de démissionner de Turkel était due à son désaccord avec la bureaucratie de Türk-Is étaient fausses, et que cette décision était motivée par les réactions des ouvriers.
Le 23 février, treize travailleurs sont morts dans une mine de Balikesir à cause d'un coup de grisou. C'était le troisième meurtre sur un lieu de travail qui avait eu lieu en raison de l'insécurité des conditions de travail depuis 2006. Avant la mort de ces 13 ouvriers, dix-sept avaient été tués dans une explosion précédente, et trois dans la première. Les travailleurs de Tekel qui en ont entendu parler ont ressenti une grande douleur. Leurs frères de classe défunts avaient déjà été soumis à l'insécurité des conditions de travail. Maintenant, c'était eux que le gouvernement tentait de soumettre aux mêmes conditions. Il était impossible de ne pas ressentir cette colère et cette douleur de classe. Un ouvrier d'Adiyaman explique ce qui s'est passé de la façon suivante: « Pour ce qui est de ressentir ce que les défunts étaient pour nous, pour ce qui est de faire preuve de solidarité, il y avait une participation de 100%. Tout le monde la ressentait cette douleur. Nous avons préparé des bannières, des rubans noirs, nous avons fait un communiqué de presse. C'était très important pour la solidarité de classe ». Les mineurs ont été commémorés lors de la désormais régulière et quotidienne manifestation nocturne à la torche et il y a eu une minute de silence en l'honneur des mineurs décédés. La proclamation « longue vie à la solidarité de classe » est devenue le slogan de la journée.
Le lendemain matin, le 25, les travailleurs se sont encore réveillés avec une autre mauvaise nouvelle. Un camarade de Tekel, Hamdullah Uysal, avait été tué à Ankara dans un accident de la circulation.
Hamdullah Uysal, né à Amasya, avait travaillé en tant qu'ouvrier de Tekel à Samsun. Il avait 39 ans et avait deux enfants, l'un d'entre eux handicapé. Il avait participé à la grève de la faim. Les ouvriers de Tekel avaient subi d'autres pertes pendant la lutte, certains avaient des mères ou des pères et d’autres des enfants qui sont décédés, mais c'était la première fois qu'un travailleur de Tekel décédait pendant la lutte. Hamdullah Uysal était un ouvrier combatif qui s'était impliqué dans la lutte depuis le début. Il était allé à Ankara dès le début de la lutte et il n'était retourné que deux fois dans sa ville natale. Les ouvriers le considéraient comme un martyr de la guerre de classe. La façon dont l'accident s'était produit avait aussi entraîné la colère de classe des travailleurs. Uysal avait été touché par une jeep conduite par un conducteur ivre à 5h30 du matin en allant à la prière matinale. Il y avait de la colère contre cette personne et la classe qu'elle représentait. Les travailleurs faisaient référence au meurtrier comme 'un type riche avec une jeep'.
Parce que les ouvriers voyaient Uysal comme un martyr de la lutte et parce qu'ils estimaient que la ville de tentes en face de Türk-Is était comme leur maison à eux tous, ils ont voulu faire ses funérailles dans la ville de tentes, y faire une cérémonie, puis envoyer Uysal chez lui. Ils ont parlé à la femme de Uysal, qui a déclaré : «La rue en face de l'immeuble de Türk-Is était comme sa maison, la tente en face de Türk-Is était sa maison, il aurait voulu cela. Faisons la cérémonie devant Türk-Is et puis envoyons-le chez lui ».
Ainsi, 400 à 500 travailleurs se sont rendus à l'institut médico-légal à Kecioren, où le corps de Uysal avait été déposé. En fait, tout le monde voulait y aller, mais les ouvriers ont décidé de limiter le nombre afin de ne pas laisser les tentes inoccupées, car le gouvernement n'arrêtait pas de cracher ses menaces de détruire les tentes. Les travailleurs craignaient que le gouvernement puisse attaquer et détruire les tentes aussitôt qu'ils auraient quitté la place Sakarya. Ainsi, certains ont dû rester et attendre en face de Türk-Is que le corps y soit transporté.
Les travailleurs de Tekel qui sont allés à l'institut médico-légal ont tenté de prendre le corps. Ils ont dû attendre pendant des heures, et se sont entendus dire que le frère et l'oncle de Uysal viendraient chercher son corps. En fin de compte, un parent de Uysal qui était lui-même un travailleur de Tekel est venu, mais le corps ne lui a pas été donné, à lui non plus. Finalement, un 'oncle' est apparu, qui prétendait être le mari de la tante d'Uysal. L'institut a déclaré que le corps devait lui être donné. Les ouvriers qui savaient que les corps ne sont remis qu'à la plus proche famille n'ont pas gobé cette histoire 'd'oncle'. En fait, ils soupçonnaient que 'l'oncle' pouvait être un flic en civil. Leurs soupçons ont été confirmés lorsque cet 'oncle' a dû finalement admettre qu'il était bien un policier infiltré. Aussi, les travailleurs ont commencé à insister pour récupérer le corps. La police ne le leur permettait toujours pas. Ils ont attendu pendant des heures et ils ont aussi tenté l'impossible pour appeler la famille d'Uysal, mais en vain. Enfin la famille d'Hamdullah Uysal est arrivée, et aussitôt la police d'Ankara et le gouverneur les a mis sous pression. La police d'Ankara qui les a arrêtés sur la route a tenté de contraindre la famille de signer un document reconnaissant que le corps serait transporté à la maison d'Uysal sans qu'il y ait une cérémonie à Ankara. La pression a continué à se faire ressentir à l'institut. Enfin, la famille a dû céder et accepter de conduire le corps à la maison sans cérémonie à Ankara.
Pendant ce temps, les travailleurs qui attendaient devant l'institut médico-légal se sont entendus dire qu'on leur donnerait le corps. Aussi, les travailleurs sont entrés dans l'ambulance qui transportait le corps de Uysal. Toutefois, un groupe qui s'était rendu compte que l'ambulance prenait une direction différente de celle qui était prévue a immédiatement bloqué la route. La police est alors arrivée pour se mettre entre les travailleurs qui étaient restés à l'arrière et ceux qui essayaient d'arrêter l'ambulance. Les travailleurs qui étaient restés à l'arrière ont essayé de venir en aide à ceux qui étaient devant l'ambulance, mais la police les a attaqués avec des gaz lacrymogènes et les a dispersés, puis elle a formé une seconde barricade. La police a alors attaqué le petit groupe qui bloquait la route à l'ambulance et les expulsa tous. Ils ne voulaient pas lâcher ces ouvriers. Le plus grand groupe de travailleurs a cependant réussi à se rassembler de nouveau et a commencé à essayer de s'unir avec leurs camarades, mais sans succès, et la police a fini par réussir à s'emparer de l'ambulance en attaquant férocement les travailleurs.
Pendant ce temps, les ouvriers qui attendaient en face de Türk-Is ont essayé d'aller à Mithat Pasha Street et de déposer des fleurs là où il était mort, mais la police les en a empêchés. Elle a aussi dispersé les travailleurs qui s'étaient réunis sur la place Sakarya pour aider leurs camarades à l'institut médico-légal. En face de la barricade de la police, dans la rue Mithat Pacha, les travailleurs criaient «Vous avez peur de nos morts». Des slogans tels que «Tayyip l'assassin» et «L'assassin AKP doit répondre devant les travailleurs » ont également été criés. Malgré tous les efforts de la police, un groupe de travailleurs a réussi à déposer des fleurs à l’endroit où Hamdullah Uysal avait été tué.
Les travailleurs de retour de l'institut médico-légal sont allés directement à Mithat Pasha Street. La police a formé encore une autre barricade afin d'empêcher les travailleurs de traverser massivement la rue. Les travailleurs sont cependant parvenus à franchir le barrage et ont commencé un sit-in dans la rue. Les travailleurs qui étaient en face de Türk-Is ont aussi commencé à venir. Ils ont tous ensemble participé à un long sit-in de 20 à 25 minutes, criant des slogans à la mémoire de Hamdullah Uysal. La police a encerclé les travailleurs au cours de cette manifestation. Finalement, les travailleurs sont retournés dans leurs tentes.
Le syndicat n'a jamais, pendant tout ce temps, pris position au côté des travailleurs. Il était absent lorsque la police a attaqué les travailleurs qui étaient en face de l'institut médico-légal. Lorsque les travailleurs en face de Türk-Is ont voulu aller aider leurs camarades, les syndicalistes ont seulement essayé de les calmer et de les faire rentrer dans leur tente.
La mort de Hamdullah Uysal a montré une fois de plus à quel point les forces de l'ordre avaient peur des travailleurs. La police et le gouverneur avaient fait de leur mieux pour empêcher les ouvriers de faire leurs adieux à leur camarade décédé, mais leurs efforts ont été vains. Les ouvriers réussissant à percer le barrage de police et faisant un sit-in dans la rue où Uysal était mort, bloquant tout le trafic dans la rue, même pendant seulement 20 à 25 minutes, fut peut-être le plus bel hommage des ouvriers de Tekel à leur camarade décédé.
La mort de Uysal a bouleversé les ouvriers de Tekel, mais elle a également aidé ceux qui étaient encore dans leur ville de résidence à comprendre la gravité de ce qui se passait. Une des choses que Hamdullah Uysal nous a laissé a été son appel à l'extension de la lutte au reste de la classe: «Ici, tout ce qui est gagné par la classe ouvrière sera une boussole pour les mouvements de la classe ouvrière de demain et d'après-demain. Joignez-vous à notre lutte, sauvez votre avenir. »
Le lendemain, 25 travailleurs de Tekel se sont rendus au siège de l'AKP à Ankara. Ils sont entrés dans le bâtiment avec l'intention d'y accrocher une bannière avec une photo de Hamdullah. Les forces de sécurité privées ainsi que la police ont attaqué les ouvriers dans le bâtiment. Cela a cependant poussé le groupe de travailleurs rassemblés à l'extérieur à aller à l'intérieur, mais eux aussi ont été attaqués et beaucoup de travailleurs ont été blessés. 19 travailleurs ont été placés en détention. Les slogans « AKP assassin, Tayip assassin » ont fusé et les travailleurs ont expliqué comment le gouvernement était responsable de la mort de Hamdullah Uysal. Ceux qui étaient restés à l'arrière ont bloqué les véhicules de police qui venaient d'embarquer des ouvriers en criant :
« Tekel est partout, la lutte est partout », « La répression ne peut pas nous décourager ». Malheureusement, ils n'ont pas réussi à empêcher leurs collègues d'être embarqués.
Apprenant la nouvelle que certains travailleurs avaient été placés en garde à vue, un groupe d'ouvrières de la tente d'Izmir est allé au quartier général de la police. Les ouvriers avaient été placés en garde à vue sous le prétexte qu'ils avaient été repérés dans l'immeuble. Un autre groupe de travailleurs qui était en face de Türk-Is a fait pression sur les syndicats pour qu'ils envoient leurs avocats. L'événement avait eu lieu en l'absence de toute initiative syndicale, mais sous la pression ouvrière, ils ont fini par aller au QG de la police avec leurs avocats. Le lendemain, les travailleurs ont attendu devant le palais de justice de 10h à 21h jusqu'à ce que leurs camarades soient libérés. Les travailleurs sont restés en garde à vue pendant environ 40 heures. 15 travailleurs ont été libérés dans l'après-midi. Quatre autres, qui avaient été accusés de «dégradation de biens publics et de désobéissance à un officier de police », ont eu un procès et ont été libérés le soir même. Ils sont retournés dans la ville de tentes avec leurs camarades et des sympathisants qui les avaient attendus.
Le 1er mars, le tribunal a tranché en faveur de la poursuite intentée contre le délai d'un mois pour l'application du 4-C pour les travailleurs de Tekel. Les ouvriers ont célébré la décision. Trois à quatre jours auparavant, les ouvriers combatifs avaient essayé de mettre en garde les autres en leur expliquant qu'il ne s'agissait pas d'une victoire, mais leur mise en garde ne fut pas écoutée. Ce faux sentiment de victoire devait saboter, dès le jour suivant, l'unité ouvrière.
Le 2 mars, Mustafa Turkel annonçait que les manifestations d'Ankara étaient terminées, il appelait au démontage des tentes et annonçait un retour fixé au 1er avril. Cela a divisé les ouvriers entre ceux qui s'opposaient à la décision du syndicat de mettre fin à la lutte et ceux qui ne s’y opposaient pas. Ceux qui s'opposaient à ce démontage ont scandé des slogans comme « Les tentes sont notre honneur. Nous ne vous laisserons pas toucher à notre honneur». Les autres répondaient en criant «Turkel est notre honneur ». Ceux qui s'opposaient à la décision du syndicat et ceux qui la soutenaient étaient maintenant opposés les uns aux autres. Quelques tentes avaient été démontées avant même que le discours de Turkel ne soit terminé. Il n'a été laissé aucun temps aux ouvriers pour qu'ils puissent avoir une discussion générale. Aussi, les travailleurs qui s'opposaient à la décision du syndicat ont discuté entre eux et ont décidé d'agir autour d'une autre stratégie. Le syndicat cherchait l’opposition entre les travailleurs qui refusaient la décision et ceux qui lui étaient favorables et à isoler ceux qui s’opposaient à lui, en essayant de les pousser hors du processus. Le syndicat avait l'intention de mettre les ouvriers fauteurs de trouble en dehors de la manifestation du 1er avril, de les isoler des autres travailleurs et de prendre le reste des travailleurs complètement sous son contrôle. Toutefois, les ouvriers combatifs ne sont pas tombés dans le piège du syndicat et, afin d'éviter d'être repoussés par leurs camarades, ils ont arrêté de s'opposer à la décision du syndicat. Ceux qui s'opposaient à la décision de démonter les tentes étaient majoritaires dans les tentes de Adiyaman, Izmir, Istanbul et Diyarbakir. Ils ont accepté la décision après en avoir discuté entre eux.
En fait, les syndicats avaient prévu bien à l'avance de faire démonter les tentes : ils avaient fait une propagande dans ce sens pendant environ 20 jours. Les représentants syndicaux avaient fait des discours dans les tentes pour tenter de convaincre les gens de les démonter. Le jour où les travailleurs attendaient devant le palais de justice pour leurs camarades placés en garde à vue, les syndicats avaient fait des réunions de section, et avaient avancé l'idée de démonter les tentes. Tout ce travail a été payant pour eux : lorsque la décision a finalement été annoncée, elle a été soutenue par la majorité. Un des camarades ouvriers à qui nous avions parlé avant que les tentes ne soient démontées, quand on lui a demandé s'il s'attendait à une attaque de la police, nous avait répondu qu'il n'y aurait pas besoin d'une attaque, puisque les syndicats avaient de toutes façons tout pris en charge. Cela montre en soi à quel point les syndicats et le gouvernement ont ouvertement coopéré. Mais malheureusement, les syndicats ont semblé pour beaucoup de gens être du côté des travailleurs. C'était pour ainsi dire une attaque sournoise. Parmi les ouvriers heureux et tristes à la suite du démontage de la ville de tentes, certains étaient en colère. L'un d'entre eux à qui nous avons parlé a résumé la situation en disant que tout commence avec le syndicat qui embrouille les choses et tout finit de même.
La lutte de Tekel a été comme un long cri qui a mis un terme au silence de la classe ouvrière en Turquie depuis le début des années 90. La lutte a également mis en avant une méthode de lutte entièrement nouvelle. La formation d'une ville de tentes, avec des ouvriers en lutte y vivant les 24 heures de la journée a été quelque chose de complètement nouveau. Comme nous l'avons souligné au début de l'article, cela avait des aspects positifs. Cela a permis aux ouvriers de développer l'auto-organisation entre eux. Mais cela a aussi eu des effets négatifs. Après un certain temps, les tentes ont conduit à un certain alanguissement. Cette langueur a emprisonné dans les tentes la plupart des travailleurs. Le problème du manque de communication des ouvriers entre eux s'est manifesté. De toute façon, avec ses aspects positifs et négatifs, les tentes ont été une expression de la lutte, et en sont aussi devenues le symbole.
La fin de la ville de tentes ne veut pas dire, pour les ouvriers militants, l'arrêt de la lutte. Un groupe, composé de quelques ouvriers de chaque ville, a décidé de rester en contact et de coordonner la poursuite de la lutte dans les villes au cours du mois suivant. Organiser le retour à Ankara le 1er avril, maintenir la question au chaud et rendre visite aux travailleurs d'autres luttes a constitué la stratégie des ouvriers combatifs depuis la fin de la ville de tentes. Alors que le démontage des tentes semblait être la défaite de la lutte, le fait que les ouvriers combatifs de Tekel aient commencé à travailler à une unification des luttes actuelles et à l'extension de la lutte au reste de la classe peut conduire à des développements très importants non seulement pour les ouvriers de Tekel mais aussi pour toutes les luttes de classe en Turquie en général.
Sude (31 mai)
1Sur la loi du 4-C, voir notre article précédent [26].
Depuis l’implosion de l’URSS, la guerre est revenue au premier plan dans cette partie du monde. Qu’il s’agisse de la situation en Tchétchénie, du déchaînement du militarisme entre la Géorgie et la Russie en 2008, ou de la tendance larvée dans plusieurs régions du Caucase à déraper vers le chaos, tous ces drames posent à la classe ouvrière et aux minorités politiques qui se réclament de son combat, la question de leur réaction envers la guerre impérialiste et les campagnes nationalistes permanentes.
Dans un forum en Ukraine en juillet 2009 dans lequel intervenait le CCI, une partie des discussions a abordé ce que la classe devrait faire en de telles circonstances. Différentes positions qui prétendent représenter les intérêts de la classe ouvrière, aux contenus très différents et parfois complètement antagoniques, y ont été développées. Nous laissons momentanément de coté (pour la traiter ultérieurement) la défense par de nombreux courants trotskistes et certains groupes anarchistes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui prétend permettre de lutter contre l’impérialisme. Nous allons examiner les propositions faites au prolétariat contre les abominations de la guerre consistant à solliciter son soutien en faveur des actions pour la paix. Ainsi, lors du forum, partant du constat qu’« aucun conflit récent, que les autorités ont essayé de résoudre par la force, n'a jamais été réglé ; ni en Afghanistan, ni en Yougoslavie, en Irak ou en Tchétchénie », les participants, à l’exception de notre organisation qui s’est exprimée contre, ont majoritairement soutenu l’initiative du Moscow Helsinki Group for Northern Caucasus pour la création d’un ‘Centre Civil International pour le Rétablissement de la Paix’ à Grozny en Tchétchénie, « une structure spéciale, engagée dans l’investigation sur les causes du conflit »i pour élaborer des techniques internationales pour résoudre les ‘conflits gelés mais non réglés’.
Naturellement, l’aspiration à la paix existe au sein du prolétariat, d’autant plus que c’est la classe ouvrière qui paie toujours le prix le plus élevé de la guerre dans ses conditions d’existence et dans son sang. Comme classe dépourvue de toute propriété et de tout moyen de production dans la société capitaliste, le prolétariat ne dispose dans sa lutte que des armes de sa conscience et de son organisation. Dans son combat contre l’exploitation et contre la barbarie guerrière, il est pour lui vital de penser et d’agir de façon autonome pour défendre ses intérêts de classe spécifiques : la condition sine qua non pour s’affirmer contre l’Etat capitaliste comme force révolutionnaire agissant pour la défense de ses propres intérêts et comme classe porteuse de la perspective d’une nouvelle société, c’est d’accéder à une conscience claire des buts finaux de sa lutte et des moyens pour les atteindre : dans cette perspective, lui est-il possible d’intégrer à sa lutte les initiatives pacifistes et de leur apporter son soutien ? Lui est-il possible de faire progresser sa cause en prenant pour alliés ceux qui prétendent agir pour la paix ?
Suivons la logique des buts que poursuit la proposition pacifiste et examinons ce que peut en retirer la classe ouvrière dans son combat.
La paix, quelle paix ? Cette paix n’est absolument pas émancipatrice, c’est celle de la « normalisation » par la terreur imposée par la clique Kadyrov-Poutine. Elle s’établit sur les cadavres des 200 000 à 300 000 victimes des bombardements intensifs de Grozny en 1999-2000 et livre la population à l’arbitraire et aux rivalités meurtrières des clans mafieux des « Kadyrovtsy » et des forces du ministère de l’intérieur. La déstabilisation qu’a provoquée ce « conflit, longtemps circonscrit à la République même, [qui] a fini par développer des métastases dans les républiques voisine [et] semble se déplacer vers des républiques voisines, russe, l’Ingouchie et le Daghestan, »ii ne fait que préparer d’autres convulsions. La « normalisation » a conduit à une recrudescence de la violence dans toutes les républiques du Caucase, y compris là où il n’y a jamais eu historiquement de troubles antirusses par le passé. Depuis l'été 2009, les attentats, les embuscades et les fusillades se multiplient partout et sont devenus quotidiensiii à tel point que certains voient l’imminence d’une troisième guerre de Tchétchénie. Cette « paix » n’est rien d’autre que la paix des cimetières et ressemble plutôt à un état de guerre permanent !
Améliorer le sort des populations sur place ? La seule ‘amélioration’ possible dans le cadre de tout état national, pour les populations et les ouvriers, du fait de la crise économique et de la guerre au niveau international comme au niveau local se traduit par l’exploitation féroce, des sacrifices toujours plus grands imposés par la classe dominante pour la défense des intérêts du capital national, leur prise en otage par les différentes cliques bourgeoises dans leurs affrontements sanglants. De plus « en dépit d’une reconstruction de façade, la Tchétchénie est toujours en ruines, mise en coupe réglée par le clan Kadyrov, et le conflit (…) a engendré une génération de desperados qui n’ont rien connu d’autre que la guerre, des vagues de réfugiés et la diffusion d’un islam radical. (…) les infrastructures sont détruites, une génération entière de Tchétchènes n’a pas connu autre chose que le chaos et n’a pas été scolarisée. »ivUne partie de ces jeunes sans perspective condamnés au chômage continue à rejoindre les maquis de « boeviki » dans les montagnes. Le capital ne sera pas plus mesure ici qu’ailleurs d’apporter une solution au problème social à l’intérieur de ses seules frontières nationales !
Servir de ‘think tank’ pour la paix ? En quoi ce rôle revendiqué par le Centre se différencie-t-il de celui des organismes internationaux, tels l’ONU et autres ONG, avec l’effet que l’on sait ? L’histoire des 80 dernières années nous montre à quel point la Société des Nations, puis l’Organisation des Nations Unies ont non seulement été impuissantes à rétablir la « paix » où que ce soit, mais n’ont servi que de couverture idéologique aux nations instigatrices des guerres pour ensanglanter le monde. Peut-on s’imaginer qu’à jouer les bons offices à la manière de ces repaires de brigands impérialistes, sous le seul prétexte d’agir ‘local’ parce qu’« il n'est pas réaliste de traiter de Bruxelles ou de New York les problèmes des zones de conflit dans la région du Caucase du nord »v il puisse parvenir à un autre résultat ? C’est se condamner par avance à n’être que la marionnette aux mains d’intérêts qui ne sont pas ceux du prolétariat et à opérer contre les intérêts de ce dernier.
Permettre un arbitrage entre les protagonistes de la guerre ? Dans ce monde de gangsters bourgeois qui s’entredéchirent, où seule règne la loi du plus fort, il ne résulte que de la loi du vainqueur, du diktat du grand parrain qui impose ses conditions à tous les autres maffieux. Faire miroiter aux autorités de Grozny que la création du Centre est « une opportunité unique de montrer au monde qu’elles entreprennent tous les efforts pour mettre un terme au conflit, et qu’elles agissent pour le développement pacifique de la région » vi, constitue une belle proposition d’allégeance, et leur offre à bon compte la respectabilité dont elles ont bien besoin pour couvrir leurs crimes perpétrés au nom de la ‘paix’ et de la lutte contre le terrorisme !
Agir conjointement avec les autorités et les organisations publiques ? « Soumis aux présidents d’Ingouchie, de Tchétchénie et du Daghestan », le projet de Centre propose de s’acoquiner avec les sanguinaires cliques de Poutine, les bandes criminelles de Kadyrov et du soudard Beck-Evkurov, installées pour garantir par tous les moyens l’emprise impérialiste de la Russie sur le Caucase. Il racole en faveur d’une clique hystériquement belliciste qui défend que « la Russie doit se doter d’une stratégie militaire pour résister aux Etats-Unis et aux autres puissances occidentales, qui impulsent le désordre dans le Caucase du nord pour détruire la Russie » qui « devrait attaquer la Géorgie et l’Ukraine afin d’éradiquer pour de bon cette affliction qui touche la Russie » !vii Il n’y a aucun terrain commun possible entre la classe ouvrière et cette racaille nationaliste !
Décidément, le prolétariat n’a vraiment rien à gagner à soutenir ce type d’initiative pacifiste, mais tout à y perdre : non seulement elle condamne les ouvriers à l’impuissance mais elle ne fait que les pousser à pactiser avec l’Etat capitaliste, les amener poings et pieds liés à se soumettre au nationalisme de ses exploiteurs et à les faire entrer dans le jeu impérialiste de la bourgeoisie !
D’ailleurs, dans tous les moments cruciaux de la guerre impérialiste, le prolétariat a été confronté à la mystification pacifiste pour récupérer la crainte et l'aversion des ouvriers face à la guerre afin d’empoisonner leur conscience et les amener à soutenir un camp bourgeois contre un autre. Ainsi, par exemple, les gigantesques manifestations pacifistes de l’été 1914 à Paris n’ont-elles servi qu’à illusionner et démoraliser le prolétariat face au danger de guerre pour lui faire accepter son sacrifice dans les tranchées comme une fatalité. L’expérience du mouvement ouvrier montre que le pacifisme constitue le meilleur complice du bourrage de crâne belliciste. Il fait partie, comme chaque fois que la bourgeoisie a eu besoin de faire accepter aux prolétaires sa logique meurtrière, d'un partage du travail entre différentes fractions du capital.
La lutte pour la paix sans lutter pour la destruction du capitalisme a toujours constitué une tromperie maintes fois dénoncée par les révolutionnaires. La lutte contre l’impérialisme ne passe que par la lutte contre le système capitaliste dont il est indissociable. La classe ouvrière, lors de la Première Guerre mondiale, a fait la preuve d’une telle aptitude en Russie en 1917, en Allemagne en 1918 : en développant sa perspective révolutionnaire et ses organes de luttes, les conseils ouvriers, elle s’est affirmée comme la seule force capable de mettre un terme aux carnages guerriers perpétrés par la bourgeoisie et à offrir une perspective à la société humaine.viii Mais elle n’a pu faire aboutir son combat, non pas en le menant avec les "pacifistes" mais malgré et contre eux. A partir du moment où il devint clair que seule la lutte révolutionnaire permettait d'arrêter la boucherie impérialiste, les prolétaires de Russie et d'Allemagne se sont trouvés confrontés non seulement aux "faucons" de la bourgeoisie mais aussi et surtout aux pacifistes de tout poil (socialistes-révolutionnaires, sociaux-patriotes, etc.) qui, armes à la main, ont défendu le monde capitaliste au nom de ce qui leur est le plus cher : rendre inoffensive pour le capital la révolte des exploités contre la guerre.
Les seuls alliés sur lesquels la classe ouvrière peut compter dans son opposition à la guerre ce sont sur ses frères et sœurs de classe de chaque côté des frontières nationales, culturelles et religieuses, et la seule communauté d’intérêt c’est celle qu’elle partage avec eux, dans la lutte contre l’exploitation et pour la création d’une société véritablement humaine, débarrassée du profit capitaliste et de la guerre. C’est ce qu’a proclamé par exemple le KRAS (Confédération révolutionnaire des anarcho-syndicalistes) dans sa prise de position internationaliste lors de la guerre en Géorgie : « Ces combats n'apporteront rien aux travailleurs, qu'ils soient Géorgiens, Ossètes, Abkhazes ou Russes, rien d'autre que du sang et des larmes, d'incalculables désastres et privations. (…) Nous ne devons pas tomber sous l'influence de la démagogie nationaliste qui nous demande l'unité avec « notre » gouvernement et déploie le drapeau de la « défense de la patrie ». L'ennemi principal des gens simples n'est pas le frère ou la sœur de l'autre côté de la frontière ou d'une autre nationalité. L'ennemi, c'est les dirigeants, les patrons de tout poil, les présidents et ministres, les hommes d'affaire et les généraux, tous ceux qui provoquent les guerres pour sauvegarder leur pouvoir et leurs richesses. Nous appelons les travailleurs en Russie, Ossétie, Abkhazie et Géorgie à rejeter le joug du nationalisme et du patriotisme pour retourner leur colère contre les dirigeants et les riches, de quelque côté de la frontière qu'ils se trouvent. »ix Cette position correspond aux intérêts immédiats comme historiques de la classe ouvrière.
Cependant, tout en disant partager cette position internationaliste, certains participants au forum ont été perméables à des arguments dénigrant celle-ci comme « dogmatique » et « superficielle ». Cédant aux arguments qu’il faut « oser s’impliquer sur le terrain » et de « faire des choses pratiques pour changer les choses, d’agir même petitement, pour la paix » ils ont appuyé la proposition de création de Centre pour la paix. Considérant la position internationaliste « valable en principe », celle-ci, selon eux, « n’est pas formellement applicable à la Tchétchénie » et ne voient pas de contradiction à appuyer l’initiative du Centre, même si « elle ne peut fournir de réponse définitive sur le fond ». En s’engageant dans cette logique, les camarades se rendent-ils compte qu’ils répudient complètement leur dénonciation des Etats capitalistes et du nationalisme pour se retrouver à cautionner et à préconiser la collaboration avec ceux qu’ils condamnent (et donc à leur prêter main forte) ? Contrairement à ce que pensent ces camarades, cette initiative pacifiste ne forme pas pour le prolétariat une voie possible complémentaire à la lutte des classes ‘en attendant mieux’ ni ne créent ou préparent une dynamique pour sa lutte, mais le détourne de la lutte des classes et des buts du mouvement ouvrier. En répandant la mystification de l’existence au sein du monde bourgeois « d’une solution pour la paix », le pacifisme ne trompe pas seulement les ouvriers otages directs de la guerre sur place, mais également les prolétaires de tous les autres pays sur la signification des guerres, sur leurs responsabilités et les moyens de s’y opposer vraiment.
L’un des principaux arguments qui a permis d’emporter leur adhésion affirme que « se revendiquer de l’unité de la classe ouvrière n’a aucun sens alors qu’il n’y a pas de classe ouvrière en Tchétchéniex, comme partout ailleurs dans le Caucase ». Poser ainsi cette question sous l’angle uniquement national pose un important problème de méthode pour aborder le combat de la classe ouvrière et la perspective qu’elle renferme. C’est négliger, que pour la classe exploitée, par définition internationale du fait des conditions universelles qui lui sont imposées par le capitalisme au niveau mondial, la dimension de son combat (ainsi que toutes les questions qui s’y rattachent) est d’abord internationale. Si effectivement le drame de la Tchétchénie n’a pu avoir lieu qu’en raison de la faiblesse du prolétariat, incapable d’opposer un frein à la barbarie capitaliste, les révolutionnaires doivent avoir la lucidité de reconnaître qu’il n’existe pas de solution locale ou immédiate au drame de la guerre impérialiste. Le problème de la guerre se pose à la classe ouvrière d’un point de vue international, non pas local et d’un point de vue historique, non pas immédiat. Les révolutionnaires ont la responsabilité d’indiquer à leur classe la direction dans laquelle elle doit engager sa lutte. Pour cela, ils doivent s’appuyer sur la classe ouvrière au plan mondial, en particulier sur ses fractions les plus fortes et les plus expérimentées dans les grands pays d’Europe et d’Amérique, pour préparer à l’échelle internationale le développement politique de sa force et de son action afin qu’elle impose, par l’essor de sa lutte, la seule alternative viable aux guerres impérialistes, le renversement du système capitaliste par la révolution prolétarienne et l’instauration du Communisme au plan mondial.xi
Il est très important pour les internationalistes de tous les pays compte tenu de la prolifération des conflits militaires et de la domination de l’idéologie impérialiste pro-russe, que s’élève une voix internationaliste en ex-URSS. Dans la situation présente, ce n'est pas le succès immédiat qui importe. Il s'agit plutôt de parvenir à rester fermement à contre-courant de l’opinion publique et y compris, le cas échéant, de l'atmosphère empoisonnée régnant au sein de sa propre classe, pour être capable de s’opposer à la guerre et surtout de se lier aux réactions de classe du prolétariat. Séparée de la lutte des classes, la lutte contre la guerre ne peut que s’enliser dans un mouvement interclassiste, impuissant. Depuis 2008, l’aggravation sans précédent de la crise économique ne peut que provoquer la riposte du prolétariat et, à terme, des luttes massives, en Russie comme au niveau international. La lutte internationale de la classe ouvrière face à la crise de l'économie mondiale a le potentiel de devenir un mouvement apte, par un processus de politisation croissante, à intégrer la question de la lutte contre la guerre à la lutte des classes : c’est le même système qui l’exploite, la condamne à la misère et qui provoque les guerres et perpètre les massacres qui ensanglantent le monde et qui doit être détruit.
Svetlana
i International peacemaking centre to be set up in Northern Caucasus, May 23, 2009, "Caucasian Knot",
ii www.vie-publique.fr/eclairage [80]
iii Depuis la tenue du forum, « Entre juin et août (2009), 436 personnes ont été tuées, contre 150 pendant les mêmes mois en 2008. Et le nombre d’attentats a bondi de 265 à 452. (…) Des hauts fonctionnaires sont mitraillés à l’arme automatique, pris pour cible par des snipers (…) ou attaqués avec des véhicules bourrés d’explosifs. (…). Et les attentats- suicide sont de retour en Tchétchénie après une pause de plusieurs années. » https://www.nytimes.com/2009/08/30/world/europe/30chechnya.html?pagewanted=1&_r=3&hp [81]
iv www.vie-publique.fr/eclairage [80]
v Peacekeeping Center is proposed to establish in the North Caucasus, May 23, 2009, “Islamic News”.
vi Idem
vii Dixit Kadyrov [82] en décembre 2009.
viii Voir notre article, К 90-летию революции в Германии [83].
ix Prise de position du KRAS : NON À LA NOUVELLE GUERRE CAUCASIENNE ! Été 2008
x C’est faire peu de cas des ouvriers employés dans l’industrie du pétrole et du bâtiment !
xi Voir l’article Почему пролетариат есть коммунистический класс [84].
La traduction publiée ci-dessous est aussi disponible sur notre site en espagnol [86].
Nous saluons évidemment cette lette qui est une expression vivante de ce qu’est la solidarité ouvrière !
Bonjour camarades !
Nous vous écrivons ce texte depuis le district 43 de La Poste de Madrid. Nous sommes en tant que facteurs toute la journée dans la rue ; en tant que travailleurs, comme n’importe qui d'entre nous, nous habitons à des kilomètres de notre lieu de travail [ce sont d’ailleurs les patrons qui ont imposé les délocalisations, en obligeant les travailleurs à faire des déplacements de plus en plus éloignés et éreintants], ; c'est nous qui souffrons et payons, en tant que secteur public, le festin auquel le gouvernement a invité les banques ; nous sommes en train d’être privatisés, nous sommes aussi des travailleurs parfois en CDI, mais surtout précaires et à contrat discontinu, et, comme vous, travailleurs du métro, nous ne sommes même plus des fonctionnaires. Nous voulons vous envoyer notre soutien le plus déterminé, nous voulons que vous sachiez que nous sommes nous aussi obligés d’aller au boulot en bus en empruntant de plus longs trajets1, mais nous avons retrouvé le sourire aux lèvres pour la simple raison que vous avez démontré qu’on peut arriver à se défendre, qu’il n’y a pas de raison pour que nous soyons toujours et sans fin des victimes écrasées par cette pourriture de monde, vous nous avez rendu un peu de notre dignité perdue depuis si longtemps.
Nous voulons que vous sachiez que nous, qui parlons tous les jours avec des centaines de personnes à cause de nos postes de travail, savons parfaitement que l’image de votre mouvement n’est pas celle que donnent les médias : il y a des gens mécontents, mais il y en a aussi beaucoup que votre mouvement a rempli d’espoir, il y a des discussions partout dans les bus, dans les rues, dans les bars, il n’y a pas du tout une seul et unique réaction de condamnation unanime de votre grève.
Nous sommes avec vous, parce que vous nous donnez de l’espoir. Dans notre district, pendant notre travail, on peut entendre des commentaires : « C’est toujours les mêmes qui paient », auxquels d’autres répondent : « ça, c'est une lutte qui a des c... » ; il y en a qui disent : « Voilà ce que c’est qu’une véritable grève et non pas ces arrêts de travail bidon d’une journée ». Vous êtes en train de nous montrer la voie.
Nous apprenons avec vous. Des leçons comme, par exemple : les grèves se décident à main levée par les travailleurs, on ne décide pas à notre place, nous en avons plus que marre de nos syndicats, marre et plus que marre des mille et une fois où ils nous ont vendus et trahis.
Ainsi, nous finirons notre lettre en vous disant que nos cœurs battent plus vite depuis lundi, que nous sommes là pour faire front avec vous, que nous défendons votre grève partout où nous allons.
Ne vous laissez pas intimider, nous savons bien qu’Aguirre ou Zapatero, la COPE ou Prisa2, ont des intérêts à l’opposé des nôtres, on sait qu’ils ont l’habitude de nous attaquer. Ils savent ce qu’ils veulent, ils savent que des milliers de travailleurs ont le regard posé sur vous, parce vous êtes l’AVENIR et non pas le futur grisâtre qu’ils veulent nous vendre.
Si vous avez besoin de nous, sachez que nous sommes là ; en attendant nous continuerons à vous défendre face à tous ceux qui oseront vous dénigrer.
FACTEURS ET FACTRICES DU DISTRICT 43
1er JUILLET 2010.
1 Ces postiers font peut-être ici référence au fait que pendant la grève, le gouvernement a mis en place un service de bus alternatif pour transporter les gens dans des conditions que le pouvoir a exploitées jusqu’à plus soif contre les grévistes du métro.
2 La COPE est la radio de droite et Prisa l’entreprise de communication de gauche (El País, …)
Les deux traductions ci-dessous ont d’abord été publiées sur notre site en langue espagnole [87].
Ils font écho à notre article « Espagne : Solidarité avec les travailleurs du métro de Madrid [88] » publié dans Révolution internationale nº 415 de septembre 2010.
Présentation du CCI
Nous publions ci-dessous un commentaire écrit par les camarades du CREE (Colectivo Revolucionario Espartaquista Estudiantil) sur la grève du métro de Madrid de la fin juin, une grève déclenchée en riposte aux réductions salariales généralisées et imposées par les différentes administrations gouvernementales quelle que soit leur couleur politique, et dans ce cas concret par celle de la région de Madrid.
Nous voulons, en premier lieu, saluer ce texte parce qu’il met au centre de la lutte l’activité des travailleurs eux-mêmes, leur effort pour la prendre en charge, pour avoir confiance en leur propres forces, en essayant de dépasser la forme de « lutte » syndicale, qu’elle soit radicale ou pas, parce qu’elle restera toujours emberlificotée dans les filets de la légalité bourgeoise.
Cette prise de position du CREE sur la grève du métro doit servir, à notre avis, à ce que d’autres camarades et d’autres collectifs prolétariens puissent aussi débattre sur cette question, sur la préparation de nouvelles luttes, pour la recherche de la confiance dans nos propres forces ; voilà un débat que nous devons tous encourager. Et dans ce sens, nous voudrions déjà faire deux remarques concernant le texte du CREE qui pourront servir à stimuler cette discussion :
1) La force d’une lutte n’est pas basée nécessairement sur une radicalité de la grève définie en tant que blocage de la production ou des services, mais dans la recherche d’une unité qui doit se forger avec l’extension et la solidarité, dans le développement d’un rapport de forces face à l’État bourgeois. Dans la période actuelle, avec l'accumulation de stocks invendables, l’arrêt de la production dans telle ou telle usine ne signifie pas forcément une menace pour la bourgeoisie, surtout, si elle n’est pas accompagnée de la solidarité et de l’unité de la classe telles qu'elles étaient conçues dans les expériences passées. Lors des grèves dans les services, comme on a pu le constater lors de celle du métro madrilène, le blocage total du service s’est retourné contre les travailleurs, dans la mesure où cette lutte est restée isolée. Lors de cette grève, le fait d’aller contre le service minimum exprimait la volonté et la tentative de briser le carcan dans lequel la loi de l’Etat et des syndicats essaye d’enfermer et d’isoler les luttes. Mais dans la recherche d’une lutte efficace, une lutte qui possède la force d’imposer les revendications, le fait de rester figés dans le mot d’ordre de ne pas respecter le service minimum, le mot d’ordre de grève totale mais dans l’isolement, n’a pas été la force de la lutte mais sa faiblesse ; cela a prêté le flanc au fait que la propagande de la bourgeoisie a réussi à opposer les intérêts des autres travailleurs et de la population à ceux des ouvriers du métro de telle sorte que ceux-ci sont restés isolés.
2) Une autre précision que nous voudrions apporter concerne ce que les camarades du CREE appellent le Front unique prolétarien. Même si nous comprenons qu’avec cette expression, les camarades du CREE appellent à l’unité de la classe ouvrière, à notre avis, le concept de « front unique » fait référence à une unité qui se construit sur la base d’organisations et dans le cas qui nous occupe, des syndicats ; autrement dit, on fait référence à l’unité syndicale. Mais l’unité de la classe ouvrière est le produit de sa solidarité, de sa nature de classe, du fait qu’en son sein il n’existe pas d’intérêts divergents ; tandis que l’unité syndicale est le produit des magouilles et des arrangements pour la distributions de privilèges et des « places », etc., souvent avec l’objectif de tromper la classe ouvrière et d'empêcher précisément que celle-ci construise sa véritable unité dans des assemblées générales ouvertes et avec les organes issus de ces assemblées et révocables à tout moment.
CCI - 16 août 2010
Les caisses de l’État grec ont reçu il y a quelques mois un apport non négligeable de milliards d’euros de la part du FMI et une aide de la BCE pour pallier à la crise de la dette que ce pays a cumulé pendant la période de prospérité économique. Ce n’était évidemment pas le pays le plus puissant, ni le plus riche, même pas le plus intéressant médiatiquement de tous les pays qui composent l’Union Européenne ; mais il était au bord de la banqueroute et il fallait le sauver coûte que coûte pour empêcher que l’Euro ne se trouve plongé dans un coma profond. A partir de ce moment-là, tel un château de cartes construit avec des mains tremblantes, d’autres pays ont commencé à chuter. L’alarme a sonné pour la Hongrie : le feu y a été éteint paraît-il. L’État espagnol, quant à lui, est depuis des mois le point de mire des spéculateurs, qui ont déjà fait un assaut contre lui. L’Italie ne parvient pas à renverser sa situation d’hyper-endettement. Nous nous trouvons dans cette nouvelle période de la crise, marquée par l’endettement des Etats, pressés par l’urgence du paiement des crédits qui arrivent à échéance. L’État capitaliste est en manque de ressources, et c’est maintenant la classe ouvrière (avec cette rengaine suivant laquelle « nous sommes tous fautifs ») qui va servir de caution au remboursement des dettes. Les différentes politiques d’austérité qui parcourent la planète du Nord au Sud ne fonctionnent qu’avec cette logique.
24 juin, en France, des dizaines de milliers de personnes ont parcouru les rues pour protester contre les réformes imposées par l’administration Sarkozy, incluses dans un plan d’austérité si particulier qu’il ne dit pas son nom. 25 juin en Italie : des centaines de milliers de personnes se mobilisent contre les réductions des budgets publics, le gel salarial et la réforme des retraites. 29 juin, en Grèce : énième grève générale qui débute le même jour où commencent les discussions au parlement sur la nécessité d’imposer de nouvelles mesures qui puissent permettre au pays de respecter les conditions imposées au moment de l’octroi des crédits quelques mois auparavant par le FMI. Ce même jour, lors d’une assemblée générale, les travailleurs du métro de Madrid décident d’appeler à une grève totale où l’on n’accepte pas le service minimum imposé par la région de Madrid.
En balançant par-dessus bord une convention collective qui va jusqu’en 2012 et donc sa propre légalité, le pouvoir exécutif régional madrilène, décide d’imposer une réduction salariale de 5% aux travailleurs du métro, en s’alignant sur les mesures imposées aux salaires de tous les fonctionnaires par le gouvernement central de Zapatero (voilà donc enfin trouvée la « différence » que certains proclament entre la « gauche » et la droite). Au delà de la réduction salariale imposée, les luttes ont surgi comme réponse justement, à la rupture unilatérale de ce qui avait été signé lors de la convention collective, ce qui voulait dire rupture de la négociation traditionnelle sur les conditions de travail, en fomentant ainsi une négociation au cas par cas. À la suite de cela, une grève fut donc décidée pour protester. La région décida alors d’exiger 50% de service minimum. Et les travailleurs, dans une action courageuse que l'on n’a pas vu depuis longtemps, décidèrent en assemblée de ne pas respecter ledit service minimum. Les 29 et 30 juin, dans Madrid aucun métro n’a circulé, malgré le fait que le ministère de l’Intérieur ait mis des milliers de policiers à la disposition de la région. Les piquets de grève réussirent à mener à bien avec succès leur action malgré les pressions du patronat et de la région de Madrid.
Dans la mesure où aujourd’hui il nous est très difficile de comprendre ce qui se passe, si ce n’est par le biais des moyens de (des)information, beaucoup de gens sur tout le territoire espagnol ont ressenti comme une agression ce qui n’était qu’une action de légitime défense de la classe ouvrière face à un nouveau « decretazo »1 qui sapait ses conquêtes historiques. Les mass media, s'en sont donnés à cœur joie dans une protestation unanime contre ce prétendu « acte de vilénie » de ces « travailleurs privilégiés » du métro, en n’hésitant pas à criminaliser toutes leurs revendications et en y mettant tous les moyens à leur disposition. En premier lieu, ces média ont ignoré le besoin d’approfondir les causes du conflit social pour ainsi donner aux lecteurs une vision un peu plus complète et moins simpliste de la situation réelle. Les problèmes des usagers du métro à la recherche de nouveaux moyens de transports pour se déplacer étaient bien plus importants que les assemblées ouvrières. Les voix des usagers mécontents étaient bien plus importantes que celles des travailleurs mécontents qui voyaient comment leurs droits étaient bafoués. Pas question de traiter d'une convention collective dont laquelle se moquait la présidente de la région, mais d’une « simple » réduction de salaire face à laquelle ces malotrus de travailleurs du métro de Madrid trépignaient comme des enfants gâtés en réclamant le maintien de leurs « privilèges ». Pour charger la mule, les media n’ont pas hésité à identifier les travailleurs d’une entreprise privée avec les fonctionnaires publics. Ils ont répété jusqu’à la nausée qu’ils étaient des fonctionnaires auxquels il fallait appliquer la même mesure qu’aux autres, et que, par conséquent, leur lutte était injustifiée. Ils se moquaient d’utiliser là un mensonge patent, il s’agissait surtout d’éviter que l’exemple ne s’étende. Voilà comment agissent les messagers des la Société de la (des)Information.
En deuxième lieu, ils n’ont pas hésité à fabriquer l'image d’une grève totalement incontrôlée, en utilisant l’adjectif « sauvage ». Il aurait suffi que quelqu’un d’une rédaction se soit renseigné un tant soit peu pour savoir que « sauvage » veut dire toute grève appelée par les travailleurs sans compter avec (et presque toujours contre) les syndicats. Une grève n’est pas sauvage parce qu’elle n'a pas tenu compte du service minimum imposé. Une grève n’est pas une grève s’il y a du service minimum, ce n’est qu’une pantomime.
La campagne hystérique de harcèlement et de criminalisation menée aussi bien par les media que par les différentes organisations et partis politiques bourgeois réussit à créer un malaise chez les ouvriers en grève, qui ont fini par se soumettre à la pression exercée par les appareils du gouvernement et des média. C’est ainsi qu’on comprend que les mobilisations ultérieures aient respecté un service minimum parfaitement abusif. Oui, le patronat a accepté de s’asseoir à la table du dialogue le 10 juillet. Mais, au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas le moindre accord et il y a toujours la menace de 2000 mises à pied disciplinaires pour non-respect du service minimum les 29 et 30 juin. La réduction de 5% est passée à 1,5%, mais les travailleurs restent sanctionnés et la Convention collective est passée à la trappe.
La grève des travailleurs du métro de Madrid est un exemple. C'est un exemple pour tous les travailleurs d’Espagne. La conscience de l’union et la solidarité de classe a été plus forte que les estampilles des syndicats, qui ont été contraints de créer sous leur sigle des organes de lutte collectifs, même si ceux-ci sont antagoniques aux nôtres. On a récupéré la méthode par excellence de l’organisation ouvrière : les assemblées générales, le germe des futurs conseils ouvriers, là où les ouvriers s’expriment et prennent des décisions, des organes de la véritable démocratie ouvrière. De plus, on y a confronté de manière directe ce que veut dire l’amputation du droit de grève, passant outre le service minimum, ce qui a été l’expression légitime de la nature de la grève : la condition requise pour qu’une revendication aboutisse est celle d’arriver à ce que le blocage de ton activité ait une répercussion suffisante.
On doit tenir compte cependant du fait que la solidarité de la classe ouvrière, condition sine qua non pour faire aboutir les revendications ouvrières et ainsi affronter l’isolement que les forces bourgeoises essayent toujours d’imposer, a été faible et insuffisante, même si elle a existé de façon minoritaire. Et ceci non pas seulement à cause du bombardement idéologique auquel on nous a soumis, mais aussi parce que la propagande a été négligée de la part des travailleurs du métro madrilène, de sorte que l’activité des piquets d’information n’est pratiquement pas sortie des sous-sols. La nécessité impérative de sortir dans la rue et de combattre les calomnies qui y circulaient a été encore plus à l’ordre du jour que jamais, mais elle a été délaissée et à cause de cela, on n’a pas pu obtenir le véritable soutien des autres branches de travailleurs. Si on avait réussi à se lancer dans cette activité de propagande, peut-être qu’aujourd’hui on pourrait parler d’une table de négociations favorable aux travailleurs et même de quelque chose de plus grand encore.
Et c’est justement pour cela, parce que le soutien n’a pas pu être obtenu et qu’il n’y a pas eu de grèves de solidarité, que les ouvriers du métro n’ont pas tardé à se sentir coupables, presque comme s'ils étaient de véritables bandits, se soumettant très tôt à la grève avec un service minimum imposé, ce qui n’a servi qu’à étouffer leurs revendications. La mobilisation s’est, dès lors, affaiblie et on n’a rien pu faire pour retrouver les revendications initiales de respect de la convention collective. Le mot d'ordre « Nous allons faire exploser Madrid » a fait un "flop", mais il ne faut pas perdre courage. Madrid n’est qu’un premier pas dans la récupération des meilleures traditions de la lutte ouvrière dans cette nouvelle période de montée de la combativité prolétarienne. Le Front unique prolétarien que le CREE défend a trouvé une concrétisation dans cette lutte sans qu’il fût nécessaire d’en faire la propagande. Ceci nous encourage à continuer à travailler parce que nous sommes sur la bonne voie. Nous envoyons d’ici notre soutien aux travailleurs madrilènes du métro, qui nous ont donné une première leçon importante de la façon dont la classe ouvrière pourra un jour s’affronter à l’ordre social bourgeois qui nous est imposé.
1 Le CREE fait ici référence au décret du gouvernement Zapatero sur les mesures d’austérité mises en pratique en mai 2010. Le fait d’utiliser le terme dérivé plus populaire « decretazo » veut dire quelque chose comme recevoir un coup de décret derrière la tête.
De spectaculaires nouvelles ont été relayées dans la presse : le rapprochement avec le gouvernement Yanoukovitch et la signature d’un accord permettant la présence de bases militaires russes à long terme en Ukraine ; la signature d’un contrat avec Ankara pour la construction d’une centrale atomique russe à Akkuyu au sud de la Turquie ; la visite « fraternelle » de Medvedev en mai en Syrie et les rumeurs que l’élimination du gouvernement de Bakiev au Kirghizistan serait complètement en faveur de Moscou. Cette succession d’événements a produit la forte impression que l’impérialisme russe gagne de plus en plus du terrain. Est-ce bien vrai?
Sans doute, la situation des années 1990 est-elle révolue. La Russie avait connu alors un affaiblissement énorme. Elle avait perdu tous ses anciens états satellites, et, à l'intérieur, sous Eltsine, s’était ouverte une ère de fonctionnement ouvertement mafieux après 1989. L'État russe était soumis à l’urgence de replacer les affaires intérieures et extérieures sous le contrôle de son appareil. L’arrivée au gouvernement de la fraction bourgeoise autour de Poutine en 2000 était significative de l’effort de restaurer les forces de l'État en Russie et au profit de sa politique impérialiste.
Mais est-ce que pour autant les succès remportés par la Russie autorisent à parler d’une marche en avant victorieuse de l’impérialisme russe ? Certainement pas ! En réalité, la Russie se trouve aujourd'hui dans une lutte désespérée contre l’instabilité dans la région de l’ex-bloc de l’Est. La perte de contrôle et l’instabilité constituent une tendance générale dont surtout les USA, premier gendarme du monde, souffrent le plus fortement. Il n’est pas possible à la Russie, qui aspire à maintenir son rôle de leader dans la région, de durablement profiter de l’affaiblissement des USA parce qu’elle elle ne peut pas non plus échapper à cette dynamique internationale du « chacun-pour-soi ».
A première vue, le renversement du gouvernement au Kirghizistan en avril 2010 peut sembler un point marqué par la Russie dans le jeu impérialiste : la clique gouvernementale de Bakiev ayant rompu la promesse faite à la Russie de fermer la base militaire américaine installée dans le pays, on peut facilement penser que la nouvelle clique gouvernementale d’Otunbaïeva s’installe au pouvoir avec le soutien officieux de la Russie pour prendre sa revanche sur Bakiev qui a manqué à sa parole. Mais la situation au Kirghizistan se présente de façon beaucoup plus complexe. Il n’est pas possible de la réduire à une lutte entre fractions bourgeoises interposées inféodées à la Russie et aux USA, comme on l’a classiquement connu dans nombre de pays du Tiers-monde lors de la guerre froide. Et il est faux de s’imaginer qu’avec le renversement du gouvernement Bakiev la mise est remportée par l’impérialisme russe pour un bon bout de temps, et que la situation va se calmer.
Ce qui se manifeste au contraire au Kirghizistan, c’est une extension du chaos et des luttes entre cliques nationales. L’impérialisme russe est loin de sortir « grand vainqueur » de la situation. Avec les tensions au Sud du pays, dans la région de Djalalabad et Och, une instabilité ouverte se développe aux portes de la Russie dans un pays-frontière avec la Chine - un impérialisme de plus en plus agressif. Le Kirghizistan constitue déjà une importante voie d'accès des produits chinois sur le marché de la CEI. Mais même si la Russie et la Chine sont fondamentalement d’implacables rivaux impérialistes pour gagner de l’influence au Kirghizistan, ils ont dans cette région un souci commun : la crainte que des conflits incontrôlables entre cliques régionales qui se manifestent par des pogromes ethniques, comme actuellement au Kirghizistan, s’étendent aussi à d'autres républiques voisines multiethniques. Et sans doute, même les USA ne vont pas accepter que leur présence militaire au Kirghizistan soit remise en question! Finalement le Kirghizistan forme un pays de plus en plus difficile à gouverner du fait de l’absence d’une bourgeoisie nationale unie. Et il forme maintenant exactement un exemple du danger de perte de contrôle que craignent les grandes puissances impérialistes. Les événements sanglants de juin a Och ont montré clairement la situation délicate de l’impérialisme russe : appelé à l’aide militairement par le gouvernement de Otunbaïeva pour juguler le chaos, la Russie hésite et ne veut pas s’enliser dans un second Afghanistan. Indépendamment de la question des cliques locales au pouvoir, il est pour la Russie, fortement ébranlée par la crise économique, difficile, du fait des coûts financiers énormes à engager que cela suppose, d’intervenir pour maintenir son influence. Mais cette politique indispensable aux intérêts du gendarme impérialiste régional se prépare à être sabotée aussi par les autres rivaux régionaux de la Russie : ce n’est pas par hasard si un petit requin impérialiste régional comme le gouvernement de Loukachenko en Biélorussie a immédiatement essayé de pousser les feux par l’asile offert à Bakiev déchu.
Sans aucun doute, les élections de février 2010 en Ukraine ont mis au pouvoir une fraction de la bourgeoisie plus ouverte envers la Russie. En avril, l’Ukraine a contracté un accord significatif avec la Russie garantissant jusque 2042 la présence militaire russe à Sébastopol et de massives remises économiques pour les livraisons de gaz russe à l’Ukraine jusque 2019. En juin, l’Ukraine a pris la décision de stopper les plans d’entrée dans l’OTAN, portés surtout par l’ex-gouvernement de Youchtchenko. Les relations avec l’Ukraine sont loin de permettre à la Russie de pavoiser et montrent le dilemme qui se présente à la Russie.
Même si l’Ukraine est fortement ébranlée par la crise économique et a besoin d’assouplissements financiers immédiats, l'État ukrainien ne se réfugie ni définitivement dans les bras puissants du grand frère – ni sans contreparties offertes par la Russie. La Russie doit rémunérer le bon-vouloir temporaire du gouvernement de Yanoukovitch à coups de milliards de réductions négociées du prix du gaz, ceci seulement pour maintenir sa présence militaire dans le port de Sébastopol. Mais les véritables ambitions et nécessités impérialistes de la Russie envers l’Ukraine sont beaucoup plus importantes que ce qui vient d’être fixé avec le nouveau gouvernement. Du point de vue géographique, l’Ukraine représente un lieu de passage pour l’exportation du gaz russe vers l’occident, dont l’économie russe dépend énormément. Pour éviter cette dépendance vis-à-vis de l’Ukraine (et même de la Biélorussie) la Russie est obligée d’entreprendre des projets de contournement très onéreux comme le pipeline Northstream.
Pour la Russie, une relation stable à long terme avec l’Ukraine est une nécessite, pas seulement sur le terrain économique du transport du gaz, mais surtout sur le terrain géostratégique pour sa protection militaire. Mais l’Ukraine, avec sa bourgeoisie très divisée, ne forme pas du tout un partenaire stable et le gouvernement de Yanoukovitch n’offre aucune garantie à long terme. Si la fraction autour de Timochenko reconquiert le gouvernement, de nouvelles frictions ne se feront pas attendre. Pour la bourgeoisie ukrainienne, fondamentalement mue par ses intérêts nationaux propres, l’orientation de sa politique présente n’a rien à voir avec une profonde histoire d’amour avec la Russie. Ce sont la faiblesse de l'Union européenne, qui fait que le rapprochement avec celle-ci n’est aujourd’hui pas encore une option pour la bourgeoisie ukrainienne, l’urgence économique et la chasse à l’énergie la moins chère, qui la poussent à ce cours typique de l’impérialisme d’aujourd’hui : caricaturalement immédiatiste, instable et dominé par le chacun pour soi.
Même si, lors de la guerre contre la Géorgie en 2008, l’impérialisme russe a gagné du terrain et contrôle de nouvelles zones géographiques, comme l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, et si leur enlisement en Irak et en Afghanistan n’a pas permis aux États-Unis d’intervenir en faveur de leur « amie », la Géorgie, la situation de la Russie ne s’est nullement consolidée dans le Caucase. La Russie n’a pas pu vraiment mettre à profit l'affaiblissement américain. Cette guerre a fondamentalement été le signe d’une nouvelle étape dans les confrontations impérialistes, parce que, pour la première fois depuis l’effondrement des blocs en 1989, les vieux rivaux USA et Russie s’affrontaient à nouveau directement.
Mais cette guerre a aussi montré clairement qu’il est complètement faux de penser dans la situation actuelle de l’impérialisme qu’une guerre produise automatiquement un vainqueur et un vaincu. Finalement cette guerre n’a produit que des perdants. Non seulement du côté de la classe ouvrière (qui est dans chaque confrontation impérialiste le perdant de tous les côtés !) mais aussi parmi les impérialismes impliqués. La Géorgie est affaiblie ; les États-Unis ont perdu de leur influence dans la région et massivement de leur prestige de « big brother » sur qui on peut compter ; la Russie est confrontée à une aggravation du chaos impossible à maîtriser dans le Caucase.
Outre la nécessité de défendre ses intérêts économiques et stratégiques immédiats, l’agressivité de l’impérialisme russe possède aussi une dimension historique. Fondée sur une extension territoriale permanente depuis les premiers temps du tsarisme, la Russie est aujourd'hui rejetée dans ses limites territoriales du 18ème siècle – ravalée à une situation d’affaiblissement historique que la bourgeoisie ne peut pas accepter.
Dans beaucoup de régions du Caucase, territoires officiels de la Fédération de Russie, comme le Daghestan ou l’Ingouchie, les forces armées de l’impérialisme russe jouent plus le rôle d’une force d’occupation que d’un appareil d'État à l’autorité bien enracinée. Mais la situation dans cette région se présente encore une fois d’une façon plus complexe : la police et l’armée russe agissent de façon extrêmement brutale, mais finalement impuissante contre les multiples clans locaux qui s’affrontent.
Les attentats en mai dernier à Moscou, non loin du siège des services secrets et à Stavropol montrent clairement que des actes terroristes provoquent directement l’autorité de l’appareil d'État russe. Les efforts actuels d’augmenter les prérogatives des services secrets russes (le FSB) ne sont pas un signe de la force mais de la peur de la bourgeoisie. La situation dans le Caucase du Nord où la Russie se trouve en état de guerre quasi-ouverte sur son propre territoire national – c'est-à-dire face à une situation de perte de contrôle risquant en permanence de s’étendre et de servir d’exemple pour entrainer d’autres cliques locales dans la contestation – recèle une dynamique d’affaiblissement pour la Russie. Une telle situation forme une spécificité de la Russie, que les autres grands rivaux impérialistes comme les USA, l’Allemagne ne connaissent pas ou bien à un moindre degré, comme la Chine. Même si l’impérialisme russe s’efforce de surmonter la crise historique qu’il a connu avec l’effondrement de l’organisation stalinienne du capitalisme d'État, le développement des forces centrifuges dans sa zone d’influence historique demeure et s’aggrave toujours plus.
Toute la situation dans la zone d`influence de la Russie forme un exemple typique de l’impasse et de l’irrationalité du capitalisme. Même en se militarisant toujours davantage, la bourgeoisie n’est plus en mesure de contrôler son propre monde.
Mario (29. 6. 2010)
Depuis de nombreuses décennies deux gangs rivaux de la classe capitaliste sont occupés à répandre le sang de la population exploitée de Jammu et du Cachemire, au nom de « l'unité nationale», d'une part et de la «libération» du Cachemire, d'autre part. Aussi, cela fait longtemps que cette «vallée des roses» s'est transformée en vallée de la mort, de la dévastation, de la misère et du chaos. Des centaines et des milliers de personnes ont été violemment déracinées et contraintes de fuir le Cachemire soit par le biais d'un processus de nettoyage ethnique à l'encontre des hindous du Cachemire soit en terrorisant la population musulmane en recherche de subsistance. Les séparatistes et l'Etat Indien ont toujours essayé de nier l'existence même de la classe ouvrière et d'étouffer ses luttes avec la mystification selon laquelle il n'y aurait qu'une seule lutte au Cachemire, celle qui oppose ces deux gangs sanglants.
Et pourtant, le fait est que la classe ouvrière au Cachemire a tenté résolument de s'affirmer, en particulier au cours des deux dernières années, et qu'elle a mené un certain nombre de grèves et de luttes importantes.
Le cycle actuel des luttes des ouvriers au Cachemire peut être vu comme une suite logique de leur combat en 2008. En mars 2008, la JKSRTC (Corporation d'Etat des Transports Routiers de Jammu et du Cachemire) déclarait qu'elle faisait des pertes parce qu'elle avait trop d'ouvriers. Le gouvernement déclarait son intention de réduire le nombre des salariés et annonçait un VRS (Projet de Retraite Volontaire). Mais il n'y a pas eu beaucoup de volontaires pour le VRS en dépit des tactiques coercitives. Le gouvernement a déclaré qu'il ne pouvait pas payer les années de COLA [Indemnité de Vie Chère] et d'autres arriérés de salaires. Face à ces attaques sur leurs emplois et au refus des patrons de payer leurs arriérés de salaires, les travailleurs ont essayé de développer leurs luttes. Sentant la colère des travailleurs, les syndicats de transport ont essayé de stériliser leur mécontentement en le canalisant dans une lutte rituelle: une marche de deux heures jusqu'aux bureaux du gouvernement, etc La direction et les syndicats ont alors réussi à mettre le couvercle sur ce mécontentement, d'abord en faisant la «promesse» d'examiner les revendications des travailleurs et ensuite en faisant semblant donner crédit à ces promesses.
Un an plus tard, la menace du VRS devenait plus urgente. En même temps, rien n'était sorti des promesses de la direction. Au lieu de cela les travailleurs n'ont pas été payés pendant des mois. Leurs arriérés de salaires s'accumulaient. La situation économique s'était aussi aggravée avec une inflation sur les produits alimentaires qui restait supérieur à 16%. Cela a provoqué une nouvelle vague de colère et de combativité chez les travailleurs du transport. Vers le milieu 2009, il y a eu un certain nombre de grèves et de manifestations courtes de la part des travailleurs de la JKSRTC. Mais les ouvriers de la SRTC n'ont pas réussi à unifier leur mouvement et à le transformer en une grève plus importante. Ils se sont trouvés isolés des autres secteurs des salariés de l'Etat. Une fois de plus, les syndicats ont réussi à affaiblir les travailleurs et à diluer leur colère au moyen de rituels stériles et théâtraux. Par exemple, au lieu d'encourager une grève combative, les syndicats ont demandé aux salariés d'amener leurs enfants aux manifestations avec des pancartes: « payez le salaire de mon papa! ». Cela peut paraître touchant pour un petit bourgeois sentimental, mais elle n'avait aucun impact sur les patrons. De façon similaires d'autres agitations futiles ont été utilisées par les syndicats pour affaiblir la détermination des ouvriers et stopper l'élan vers une grève plus importante.
Mais les salariés de la SRTC n'ont pas été les seuls à tenter de résister aux attaques des patrons. Bien que l'agitation des travailleurs de la SRTC ait exprimé une plus grande volonté de se battre, d'autres secteurs des salariés de l'Etat ont fait face aux mêmes attaques. Tous les salariés du gouvernement ont remboursé les années accumulées que le gouvernement ne payait pas. Pour eux, l'agitation récurrente des ouvriers du transports a agi comme une impulsion et un point de ralliement.
Depuis Janvier 2010, les salariés du gouvernement de Jammu et du Cachemire ont essayé d'unifier leur lutte autour de revendications communes: le paiement des arriérés de salaires, de meilleurs salaires et la régularisation des travailleurs permanents et temporaires de l'Etat. Ces luttes ont été rejointes par les salariés permanents et temporaires ainsi que par les enseignants. Bien que les syndicats aient réussi à conserver le contrôle, cela a été une expression de la force de la mobilisation des salariés et de leur détermination à combattre au point que les syndicats ont dû appeler à une ou deux journées de grève en janvier 2010. Quatre cent cinquante mille salariés d'Etat se sont impliqués dans ces luttes. Bien que les syndicats aient tout tenté, ils n'ont pas été vraiment en mesure d'arrêter l'élan vers des luttes plus combatives.
Ceci est apparu clairement lorsque les salariés du gouvernement d'Etat ont à nouveau commencé à pousser à la grève. La grève des 450 000 salariés a commencé le 3 avril 2010. Les revendications des salariés étaient toujours les mêmes: de meilleurs salaires, le paiement des arriérés de salaires qui s'élevait maintenant à près de 4300 millions de roupies et la régularisation des salariés permanents et temporaire. Depuis le 3 avril les transports publics a été arrêtés, les salles de classe des écoles gérée par l'Etat ont été verrouillées et toutes les administrations ont été fermées. Même les bureaux du gouvernement du district ont été fermés et l'administration a été paralysée.
Face à cette grève déterminée menée par tous ses salariés, l'Etat a commencé à montrer son vrai visage: le visage hideux de la répression.
L'Etat a visé en premier lieu ce qu'il pensait être les secteurs les plus vulnérables des salariés. Le gouvernement a mis en garde les permanents et les contractuels que dans le cas où ils continueraient leur grève, ils perdraient leur droit à être régularisés. Les journaliers auraient à subir les mêmes conséquences s'ils prenaient part à la grève. Mais les menaces n'ont pas pu briser la grève.
Pour accélérer la répression, le 5 avril 2010, le gouvernement de Jammu & Kashmir a invoqué le Essential Services Maintenance Act (ESMA) (je suppose équivalent du service minimum, ndt) contre les employés de l'Etat en grève. Le ministre des Finances a déclaré que le gouvernement a été contraint par les employés à invoquer l'ESMA et que les employés en grève subiraient un an d'emprisonnement. Un autre ministre a accusé les employés de « prendre la société en otage ».
Mais le gouvernement de J&C n'est pas le premier ni le seul à invoquer cette loi draconienne contre les salariés en grève et à user de la menace et du chantage pour briser les grèves. Ces derniers mois le gouvernement central et différents gouvernements des Etats ont montré un égal empressement à recourir à la répression contre les actions de grève par différents secteurs de la classe ouvrière dans différentes parties du pays. Ils ont tous été également impitoyables dans la répression des actions de grève. Tout cela pour montrer la peur qu'a la bourgeoisies de la classe ouvrière et de ses luttes.
Le gouvernement de J&C n'est pas resté les bras croisés après avoir invoqué l'ESMA. Il a continué à semer la divisions parmi les salariés et à faire subir une nouvelle répression aux salariés en grève. Les processions et les manifestations des salariés en grève ont été dispersées par la police. Le 10 avril, treize salariés en grève ont été arrêtés. Lorsque les salariés ont essayé de marcher vers le centre-ville de Srinagar pour s'opposer à l'arrestation de leurs camarades, la police a tenté de briser la marche en chargeant à la matraque. Cela s'est traduit par des affrontements entre les grévistes et la police. Malgré cela de nombreux salariés ont réussi à atteindre Lal Chowk, où encore plus de salariés ont été arrêtés.
Étant donné la réputation de Lal Chowk, à Srinagar, en tant que site ayant connu un certain nombre de coups de feu entre l'Etat indien et les gangs séparatistes, les affrontements entre la police et les travailleurs en grève y étaient évidemment exceptionnels. Cette contre-attaque des travailleurs de l'Etat était comme une affirmation que, parmi toutes ces guerres de gangs de différentes factions de la bourgeoisie, les salariés ont été en mesure de préserver leur identité de classe et sont capables de se battre pour leurs intérêts de classe.
Alors que les employés tentaient de renforcer leur grève et de résister à la répression du gouvernement de l'État, les syndicats étaient occupés à diviser les salariés. C'est ce qu'ils firent sous l'apparence de contribuer à la grève. Il y a de nombreux syndicats parmi les différents secteurs des salariés de l'Etat: les syndicats du personnel du secrétariat, de la JCC, des «Comités d'Action des Salariés » [EJAC], le syndicat des ouvriers du transport, etc. Alors que les salariés étaient déjà en grève depuis plusieurs jours, chacun de ces syndicats ont commencé à présenter leurs plans d'action distincts, travaillant ainsi à diviser les salariés et à affaiblir l'élan de leur lutte. JCC a déclaré une nouvelle grève de 7 jours. Un autre a déclaré un autre programme. Au milieu de tous ces efforts de division et de répression de l'Etat, les salariés ont été en mesure de maintenir leur grève pendant 12 jours.
À la fin des 12 jours, l'un des syndicats, EJAC, s'est déclaré satisfait par sa conversation avec le Premier Ministre et par les promesses du gouvernement. Il a ordonné aux salariés de retourner au travail. Ainsi, après 12 journées de grève, les salariés devaient une nouvelle fois se contenter des promesses des patrons et retourner au travail sans aucun gain matériel.
La grève d'avril de 450 000 salariés de l'Etat de J & K a été une lutte majeure des ouvriers dans l'État depuis de nombreuses années. Située au milieu de l'extension mondiale de la combativité ouvrière, elle a été un produit de l'accumulation de la colère chez différents secteurs de salariés de l'État au fil des ans. Sa route a été tracée par la répétition de courtes grèves et luttes de la part des travailleurs du transport, les employés de banque et d'autres secteurs. Face aux idéologies totalitaires et violents de l'Etat indien et des séparatistes, la grève a été une affirmation puissante de l'identité de classe de l'unité de la classe ouvrière. En dépit de ses faiblesses majeures, cette grève a montré une perspective différente de celle montrée par la bourgeoisie. Alors que toutes les factions de la bourgeoisie au Cachemire représentent une perspective de haine diabolique, de divisions violentes, de meurtres au quotidien, de terreur et de barbarie, la classe ouvrière a pour le moins montré que des travailleurs de religions et de régions différentes peuvent combattre ensemble, dans la solidarité , pour des intérêts de classe communs.
Le recul que la grève a subi tend à montrer que, la prochaine fois que les ouvriers de l'Etat de J & C entreront en lutte, ils devront rejeter à la fois les idéologies séparatistes et d'unité par la répression, comme ils viennent de le faire. En outre, ils auront à déjouer les manoeuvres des syndicats et réaliser que les syndicats ne sont pas leurs amis. Les salariés auront à prendre leur lutte en mains et les mener par eux-mêmes. C'est la seule façon de mener une lutte efficace.
Mais pour eux, mettre un terme à une vie de pauvreté, de terreur, de violence et de peur, ils devront développer leur lutte dans un combat pour la destruction du capitalisme et de son cadre national et pour le communisme et la communauté humaine.
Akbar (10 mai 2010)
Nous publions ci-dessous une brève chronologie des différents événements et étapes du mouvement de lutte contre la réforme des retraites qui se développe en France depuis des mois.
Nous compléterons ce listing au fur et à mesure des nouvelles.
Ce mouvement est déjà riche en enseignements pour le prolétariat mondial. Face aux mensonges propagandistes de l'Etat, des médias français et de la presse internationale, les témoignages et les différentes informations sur la lutte doivent impérativement circuler, être diffusés le plus largement possible, ici comme dans tous les pays. Nous encourageons donc tous nos lecteurs à compléter la chronologie ci-dessous (forcément très parcellaire et incomplète) en utilisant notre forum de discussion (nous nous efforcerons, dans la mesure de nos forces, de traduire ces textes dans les principales langues).
L'intersyndicale (qui regroupe presque la totalité des syndicats français, des plus ouvertement 'collaborationnistes' avec le gouvernement aux prétendus 'radicaux') appelle à une première Journée d'Action.
800 0001 manifestants descendent dans la rue. L'atmosphère est plutôt atone, la résignation domine. Il faut dire que la réforme des retraites est préparée depuis de longs mois, et même de longues années. Les politiques, les médias, les "spécialistes" en tous genres n'ont eu en effet de cesse de répéter que cette réforme était indispensable, incontournable, qu'il en allait de la survie même du "régime par répartition" et de "l'équilibre budgétaire national". D'ailleurs le mot d'ordre des syndicats n'est pas "retrait de l'attaque sur les retraites" mais "aménagement de la réforme". Ils appellent à se battre pour "plus de négociations" Etat-Syndicats et pour une réforme "plus juste, plus humaine".
Bref, tous, Etat, Patrons, Syndicats, affirment que ce sacrifice est "une nécessité salutaire". Face à ce rouleau compresseur, le mécontentement est grand, mais les têtes basses.
Rebelote. On prend les mêmes et on recommence. L'intersyndicale appelle à une seconde Journée d'Action selon les mêmes modalités et mots d'ordre.
Il y a une très légère hausse des participants (1 million) mais l'atmosphère est toujours marquée par le manque d'espoir.
Les syndicats pensent porter l'estocade, le coup de grâce… au mouvement. Une troisième Journée d'Action est programmée. Compte tenu de l'ambiance relativement morose des deux précédentes, cette journée de veille de vacances doit être une sorte de "manifestation enterrement". La mécanique est bien huilée : une Journée d'Action de même ampleur que les précédentes signifierait que "l'affaire est pliée". Avec les deux mois de congés d'été qui suivent, le but est de faire perdre toute miette d'espoir sur un quelconque possible développement de la lutte. Les syndicats avaient même déjà, certainement, préparés leur discours : "Nous avons essayé, mais la combativité n'est pas suffisamment présente dans les rangs ouvriers". Découragement garanti !
Cette technique a déjà été éprouvée maintes fois par le passé, souvent avec réussite. Mais… patatras… le jour-dit, le 24 juin, 2 millions de travailleurs, de chômeurs, de précaires descendent dans la rue !
Au-delà de la massivité, l'ambiance, elle aussi, change : la colère, le ras-le-bol sont grandissants. Depuis l'accélération de la crise en 2008, la pauvreté et l'injustice ne cessent de croître. Cette réforme des retraites devient le symbole de cette dégradation brutale des conditions de vie.
La Journée d'Action du 24 juin a regonflé le moral du prolétariat. L'idée qu'une lutte d'ampleur est possible gagne du terrain. Les syndicats sentent évidemment eux aussi le vent tourner, ils savent que la question "Comment lutter ?" trotte dans les têtes. Ils décident donc d'occuper immédiatement le terrain et les esprits, il n'est pas question pour eux que les prolétaires se mettent à penser et à agir par eux-mêmes, en dehors de leur contrôle. Ils annoncent donc dés le lendemain du 24 juin une nouvelle Journée d'Action pour la rentrée (le 7 septembre).
Pour être bien sûrs d'endiguer la "réflexion autonome", ils vont jusqu'à faire passer des avions au-dessus des plages tirant des banderoles publicitaires appelant à la manifestation du 7 septembre !
Mais un autre événement, un fait-divers, vient durant l'été alimenter la colère ouvrière : « l’affaire Woerth » (il s'agit d'une connivence entre les hommes politiques actuellement au pouvoir et l'une des plus riches héritières du capital français, Madame Betancourt, patronne de l'Oréal, sur fond de fraudes fiscales et d'arrangements illégaux en tous genres). Or, Eric Woerth n'est autre que le ministre chargé de la réforme des retraites. Le sentiment d'injustice est total : la classe ouvrière doit se serrer la ceinture pendant que les riches et les puissants mènent "leurs petites affaires".
Cette Journée d'Action s'annonce d'emblée comme très suivie. Pourtant, c'est la première fois qu'une manifestation est organisée si tôt dans l'année scolaire. Avant même le 7 septembre, devant l'ampleur de la grogne dans les rangs des prolétaires, les syndicats promettent d'organiser sans attendre une nouvelle manifestation un samedi pour que "tout le monde puisse participer".
Le 7 septembre : 2,7 millions de manifestants. La coupure de l'été n'y aura donc rien fait, la rentrée s'annonce chaude et part sur les mêmes bases qu'elle a fini. Des appels à la grève reconductible commencent à fleurir.
Face à l'ampleur de la grogne et à la massivité de la mobilisation, l'intersyndicale réagit immédiatement :elle annule, mine de rien, la manifestation du samedi, écarte la possibilité d'une grève reconductible et annonce dans la foulée une nouvelle Journée d'Action pour dans… 15 jours (le 23 septembre) ! Il s'agit de casser la dynamique, de temporiser. Ce "sens de la responsabilité" de l'intersyndicale sera d'ailleurs salué par les plus hauts représentants de l'Etat français.
3 millions de manifestants dans les rues ! Le mouvement enfle donc encore. Pour la première fois, les cortèges hésitent à se disperser. Plus exactement, dans de nombreuses villes, quelques dizaines de personnes par-ci, quelques centaines par-là, restent discuter à la fin de la manifestation. Des tracts d'interprofessionnelles commencent à appeler à la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes2. Dans quelques villes, la CNT AIT organise des Assemblées Populaires pour "libérer la parole" (le CCI se joindra ensuite à cette excellente initiative). A partir de ce moment, ces assemblées de rue auront un succès certain, parvenant à regrouper chaque semaine plusieurs dizaines de participants, notamment à Toulouse3.
Cette volonté de s'auto-organiser exprimée par des minorités révèlent que l'ensemble de la classe commence à se poser des questions sur la stratégie syndicale, sans oser tirer encore toutes les conséquences de leurs doutes et questionnements.
Première manifestation organisée un samedi. Il n'y a pas d'évolution réelle du nombre de participants. Seulement, au sein de ces 3 millions de manifestants, se retrouvent côte à côte, avec les "coutumiers du pavé", des familles et des travailleurs du privé ne pouvant habituellement se mettre en grève.
Plusieurs tentatives d'organiser des Assemblées de rue en fin de manifestation échouent :
A Paris, un tract est distribué par l'interprofessionnelle Turbin (du nom de son mail, [email protected] [91]) appelant à se rassembler sous ses banderoles ("La meilleure retraite, c'est l'attaque" et "Prenons nos luttes en main"), sous un kiosque, au point d'arrivée du cortège. Preuve que cette information a bien circulé, au point de rendez-vous seront effectivement présents des dizaines… de policiers (avec une caméra !). Faute d'endroit adapté pour mener une discussion, l'assemblée ne peut se tenir. Le cortège de l'interprofessionnelle décide alors de continuer la manifestation. Une cinquantaine de personnes repartent et agrègent sous leurs banderoles, en une heure, près de 300 personnes.
A Tours, le comité "Pour l'Extension des luttes" appelle par tracts à "garder la rue".
A Lyon, quelques dizaines de manifestants expriment le souhait de ne pas se quitter immédiatement, de rester là pour discuter, en assemblée de rue, et réfléchir collectivement à comment poursuivre et développer le mouvement. Ce sont les sonos de la CGT (principal syndicat français) qui seront finalement fatales à cette initiative, le bruit assourdissant empêchant tout réel débat.
Ces tentatives avortées révèlent à la fois l'effort de notre classe à prendre SES luttes en main et les difficultés encore présentes dans la période actuelle (principalement le manque de confiance en eux-mêmes qui inhibe les exploités).
Par contre, à Toulouse, les assemblées populaires continuent à se tenir. L'initiative prend même de l'ampleur puisque la CNT-AIT et le CCI, à la fin de la manifestation, plantent une banderole sur le lieu d'arrivée, sur laquelle on peut lire « SALARIES, CHÔMEURS, ETUDIANTS, RETRAITES, PRENONS NOS LUTTES EN MAINS ! », et organisent dessous une assemblée de rue. Ce débat regroupe quelques dizaines de personnes.
Cette nouvelle Journée d'Action rassemble 3,5 millions de personnes en lutte ! Record battu !
Plus important encore, l'atmosphère est relativement effervescente. Les Assemblées Générales interprofessionnelles commencent à se multiplier, on peut en compter plusieurs dizaines dans toute la France. Elles regroupent chaque fois entre 100 et 200 participants. La politique de l'intersyndicale y est de plus en plus ouvertement critiquée, de nombreux tracts de ces interprofessionnelle affirment même qu'elle nous mène volontairement à la défaite4. Preuve de cette dynamique, à Toulouse, en plus des Assemblées Populaires organisées par la CNT AIT (et, dans une moindre mesure, le CCI), un appel est lancé pour organiser une assemblée de rue tous les jours devant la Bourse du Travail à 18 heures [elle continue à se réunir encore aujourd’hui, 20 octobre] et à lancer des appels par tracts.
La grève reconductible est finalement décidée par la majorité des syndicats. Compte tenu de ce marathon (le mouvement a commencé il y a 7 mois !) et des nombreux jours de grève posés par les travailleurs lors des Journées d'Action à répétition, cette grève reconductible arrive très tard. Les salaires des ouvriers sont déjà largement amputés. C'est en tout cas le calcul que font les syndicats. Et pourtant, ce mouvement, lui aussi, sera relativement bien suivi.
Chez les cheminots et les enseignants de la région parisienne, de nombreuses AG syndicales sont organisées. La division et le sabotage confinent d'ailleurs ici au ridicule. A la SNCF, les AG syndicales sont organisées par catégories (les roulants d'un côté, les contrôleurs de l'autre, les administratifs dans un autre coin encore) ; dans certains hôpitaux, chaque étage à sa propre AG ! De plus, elles ne sont absolument pas souveraines. Par exemple, Gare de l'Est, à Paris, alors que la reconduction de la grève doit être votée jeudi 14 au matin, les permanents syndicaux la vote entre eux la vielle, le mercredi. Cette stratégie a un double effet :
elle vide de son intérêt l'AG, les personnels ne s'y rendent donc pas puisque tout est déjà décidée ;
elle permet aux médias de présenter les votes de la reconduction de la grève comme le fruit d'une extrême minorité, ceci dans le but de rendre le mouvement impopulaire.
D'ailleurs, les syndicats tirent là sur leur plus grosse ficelle : paralyser les transports (à partir du 12 octobre, de nombreux trains ne circulent plus et le blocage des raffineries fait planer la menace de la pénurie d'essence) pour créer des tensions au sein de la classe ouvrière et dresser ceux qui veulent (doivent) aller travailler contre les grévistes.
Second samedi de manifestation. Une nouvelle fois, près de 3 millions de personnes se retrouvent à battre le pavé.
Le fait nouveau vient du côté de la jeunesse : les lycéens, entrés à leur tour dans la lutte quelques jours plus tôt, pointent le bout de leur nez au sein des cortèges.
Le lundi suivant, près de 1000 établissements sont bloqués et de nombreuses manifestations lycéennes spontanées voient le jour. L'UNL, principal syndicat lycéen (et non étudiant), qui a lancé ce mouvement, avoue lui-même être dépassé par l'ampleur de la mobilisation.
L'Etat exploite la présence de quelques jeunes casseurs dans les rangs lycéens pour réprimer très violemment certains "bloqueurs" et jeunes manifestants (un enfant de 17 ans a failli perdre un œil à la suite d'un tir de Flash-Ball à Montreuil, en banlieue parisienne). Les forces de l'ordre attisent d'ailleurs elles-mêmes la colère par de véritables "provocations policières". Le but est clair : faire dégénérer le mouvement en le faisant plonger dans la violence aveugle et l'affrontement stérile aux flics. Par-là même, l'Etat cherche à tout prix à rendre la lutte impopulaire, à faire peur aux jeunes, à leurs parents et à toute la classe ouvrière.
Les étudiants, qui avaient été au cœur du mouvement victorieux contre le CPE en 2006, semblent commencer à rentrer dans la danse. Quelques facultés (à Paris, Toulouse et Rennes notamment) annoncent leur blocage, mais cela demeure pour l'instant relativement minoritaire.
La menace du blocage des raffineries, qui planait depuis le 12 octobre, est effectivement mise à exécution. En général, sans même de décision en AG, les troupes de la CGT paralysent les sites, sous l'ordre de leur syndicat. Très vite, l'essence manque dans de très nombreuses stations (entre 1000 et 2000 selon les estimations).
La mobilisation croît aussi à la SNCF, de plus en plus de trains sont annulés.
Malgré cette paralysie des transports, le mouvement ne devient pas impopulaire. Même les médias, habituellement si doués pour passer à l'antenne des micro-trottoirs bidons où les "usagers" crient toute leur haine d'être coincés sans train dans une gare, doivent avouer cette fois que ces mêmes "usagers" sont solidaires du mouvement, qu'ils prennent leur "mal en patience" et qu'ils soutiennent pleinement les grévistes car "ils se battent pour tout le monde". Certaines AG syndicales et quelques interprofessionnelles décident même de soutenir les bloqueurs des raffineries (qui subissent de nombreux assauts, parfois brutaux, de la police pour "libérer les raffineries", "rétablir l'ordre" et "stopper les voyous" (dixit le Président de la République, Nicolas Sarkozy) en allant physiquement épauler les piquets.
Résultat, malgré la pénurie d'essence et le manque de trains, malgré les intimidations et la répression, 3,5 millions de manifestants sont encore et toujours dans la rue le 19 octobre. Cela montre la profondeur de la colère qui gronde dans les rangs ouvriers !
Face à l'ampleur de cette nouvelle mobilisation, l'Etat resserre encore un peu plus l'étau de la matraque et du Flash-Ball. En particulier, à Lyon, un déploiement massif de flics attend l'arrivée du cortège de manifestants. Véritable défi, ces agents attisent volontairement la haine chez les jeunes. Une poignée cède à cette provocation. La répression s'abat alors dans un déchaînement de violence, les flics tapant sur tout ce qui bouge : jeunes à "l'allure de casseurs" (des jeunes beurres à casquette quoi), ou jeunes tout court, mais aussi sur des têtes grises (le cortège de Sud aurait fait les frais de ce matraquage en règle). L'Etat a certainement senti qu'il avait été trop loin ce coup ci car certains ministres lancent des "appels au calme" (dirigés à leurs propres troupes en réalité). La manifestation parisienne s'est déroulée ensuite "sans heurts", comme l'a fortement souligné la presse).
Pour résumer, le mouvement se développe comme une lame de fond depuis 7 mois. La colère est immense. Les revendications contre la réforme des retraites tendent à passer au second plan : les médias reconnaissent que le mouvement se "politisent". C'est toute la misère, la précarité, l'exploitation, etc. qui sont ouvertement rejetées. La solidarité entre les différents secteurs, aussi, s'accroît. Mais, pour l'instant, la classe ouvrière ne parvient pas à prendre réellement en mains SES luttes. Elle le souhaite de plus en plus, elle s'y essaye de-ci de-là par des tentatives minoritaires, elle se méfie de façon croissante de l'intersyndicale, mais elle ne parvient pas encore réellement à s'organiser collectivement à travers des Assemblées Générales autonomes et souveraines, et donc en dehors des syndicats. C'est pourtant de telles AG qui avaient constituées le cœur du mouvement contre le CPE en 2006 et qui lui avaient donné sa force. La classe ouvrière semble encore manqué de confiance en elle. Le déroulement à venir de la lutte va nous dire si elle va parvenir à dépasser cette difficulté cette fois-ci. Ce sera sinon pour la prochaine fois ! Le présent est riche de promesses pour l'avenir des luttes.
A suivre…
CCI
1 Tous les chiffres de participation sont ceux donnés par l'intersyndicale. Entre les chiffres syndicaux et ceux de la police, il y a parfois un écart de 1 à 10 ! Les médias parlent d'ailleurs de "guerre des chiffres". Cette gué-guerre permet de faire croire à une opposition radicale entre les syndicats et l'Etat (alors qu'ils ne font que jouer d'un instrument différent au sein du même orchestre et au service de la même partition) et brouille les pistes. Personne ne sait vraiment combien de personnes participent aux manifestations. Nous avons toujours retenu les chiffres de l'intersyndicale, qui sont certainement tout de même les plus proches de la réalité, car cela permet de dégager les tendances, savoir si cela diminue ou augmente.
2 Des exemples de ces tracts sont publiés sur notre forum, sous le fil "Prenons nos luttes en main".
3 Voici, par exemple, l'un de ces appels à ces Assemblées populaires : "Cette rentrée est marquée par les manifestations massives attisées par la réforme des retraites. C’est par centaines de milliers que nous participons à ces rassemblements organisés par les syndicats. Combien y vont sans fatalisme ? Combien ne rentrent pas chez eux frustrés ? Les expériences passées ont amplement montré que ces journées d’action à répétition ne sont rien d’autre que de stériles promenades. Si nous ne réagissons pas, si nous ne prenons pas la parole pour décider ensemble de comment faire pour mener et développer notre lutte, l’ensemble des attaques contre nos conditions de vie - dont celle sur les retraites - nous seront imposées, et d’autres suivront. C’est pour cela que nous invitons à venir débattre pour briser l’atomisation à laquelle nous sommes contraints. Que se passe t-il lorsque ceux, forcés au silence et à l’isolement, s’assemblent et se mettent à parler ? Faut-il encore attendre le « bon contexte » ou une permission pour cela ? Retrouvons-nous le lundi 11 octobre à 13h sur les marches extérieures de l’Arche pour débattre, ensemble et maintenant, des façons de mener et de développer une réponse. Enrayons la dispersion ! Profitons de ce moment pour créer un réel lieu de discussion fraternel, ouvert à tous !."
4 Lire notamment le tract "ADRESSE A TOUS LES TRAVAILLEURS" signé "Des travailleurs et précaires de l’AG interpro de la Gare de l’Est". Ce tract affirme par exemple : "Laisser les Chérèque (CFDT), Thibault (CGT) et Cie décider à notre place, c’est se préparer à de nouvelles défaites" et "La forme que le mouvement prendra est notre affaire. C’est à nous tous de le construire sur nos lieux de travail avec des comités de grève, dans nos quartiers au travers d’Assemblées Générales souveraines. Ils doivent réunir le plus largement possible la population travailleuse, coordonnés à l’échelon nationale avec des délégués élus et révocable. C’est à nous de décider des moyens d’actions, des revendications… Et à personne d’autre."
Nos lecteurs réguliers et ceux qui connaissent nos positions seront certainement surpris de ce titre "Comment lutter ? Par une Résistance Populaire autonome". "Résistance populaire" ne fait en effet pas partie du vocabulaire utilisé par le CCI .
Mais au-delà de ces différences de terminologie, le texte publié ci-dessous, réalisé par la CNT AIT Toulouse (cntaittoulouse.lautre.net), défend clairement la prise en mains de la lutte par les ouvriers eux-mêmes et son développement massif à travers des AG souveraines ouvertes à tous, des assemblées de rue, des comités de grèves ou de lutte. Nous le soutenons donc pleinement.
Qui n’a pas constaté l’inefficacité des actions des syndicats- réformistes ? Depuis vingt ou trente ans, combien de « Journées nationales » ? Combien de promenades syndicales en centre ville ? Et pour quel résultat ? Pour des reculs qui succèdent aux reculs ! Si les syndicats-réformistes, année après année, nous envoient droit dans le mur, ce n’est pas un hasard ; c’est qu’en vérité ils ont une mission bien précise à remplir : « le maintien de la paix sociale ».
La raison en est simple : ils sont inféodés au Pouvoir, leurs staffs en sont même un rouage : comités d’entreprise, conseils d’administration, cogestion de l’assurance maladie, des caisses de retraites, des prud’hommes, de diverses mutuelles, fortes subventions directes reçues aux titres les plus divers (formation syndicale, congrès...) sans oublier l’argent de la corruption (celui des caisses noires de l’UIMM par exemple) etc.
Parallèlement, ils entretiennent l’illusion qu’ils nous défendent. Surtout ils ont la prétention de représenter l’ensemble des salariés, des chômeurs, de parler en leur nom, en notre nom à tous... alors qu’ils ne syndiquent plus aujourd’hui qu’un pourcentage ridicule de salariés. Une majorité écrasante se trouve en dehors de ces organisations. C’est la même chose pour les partis politiques. Toutes ces organisations nous abasourdissent d’innombrables doléances, de compassion sur la misère humaine et d’appels fictifs à l’unité. Elles jouent la bonhomie en façade mais transforment les luttes en champ clos de leurs rivalités. Leurs militants ne sont là que pour récupérer les luttes, les stériliser ou les détruire quand ils ne parviennent pas à les contrôler. Une fois le constat établi, la conclusion s’impose : il est nécessaire d’agir indépendamment d’elles !
Pour établir une convergence massive et efficace des luttes, dotons-nous d’outils de lutte mis en pratique à maintes reprises au cours de l’Histoire du mouvement ouvrier. Créons des comités d’action reposant sur ces principes : Les décisions se prennent en assemblées générales sous la forme de comités (comités d’usine, d’étudiants, de quartier, d’usagers...). Ces comités doivent pratiquer la démocratie directe : chacun d’entre nous (qu’il soit syndiqué de base ou non-syndiqué) est en mesure de donner son avis sur la conduite de la lutte, qui n’est certainement pas le monopole de qui que ce soit (fonctionnaires syndicaux ou autres professionnels, etc.). Contrairement à tous ces bureaucrates, nous pensons que ces assemblées doivent être un moment où nous devons nous laisser le temps de débattre pour arriver à prendre des décisions, décisions qui doivent être l’expression propre et consciente des personnes en lutte et non des décisions imposées par cette minorité rodée à la manipulation qui sait user de méthodes éprouvées (jouer sur les émotions, empêcher toute réelle discussion par une série de propositions et contre propositions dérisoires, monopoliser la parole, faire un empilement de revendications corporatistes, etc). Nous ne l’emporterons pas boîte par boîte, quartier par quartier, etc. Le Pouvoir sait donner à l’un pour reprendre à l’autre et ainsi user de la division. Ce que le Pouvoir concède en hausse salariale est repris aux consommateurs par l’inflation. Ce qu’il octroie aux travailleurs, il le récupère sur les usagers. D’autre part, n’oublions pas que les patrons compensent la hausse salariale en intensifiant la productivité (augmentation de la charge de travail pour rester compétitif).
Pour nous, il est clair que le cadre revendicatif doit se penser en fonction de la période actuelle : l’attaque est globale, la résistance doit l’être aussi. Sans nier les aspects catégoriels, les revendications doivent être unifiantes pour éviter la mise en opposition entre les salariés, les consommateurs, voire les usagers. Cela implique de défendre comme revendication essentielle la satisfaction des besoins fondamentaux pour tous (nourriture, logement, électricité, santé, culture, transports, etc...).
Pour que notre lutte soit victorieuse, employons des moyens efficaces, toujours adaptés à l’état du rapport de force. Nous avons par exemple à notre disposition : les barrages filtrants, les piquets volants sur les axes routiers, aux abords des grandes entreprises, des zones industrielles ; dans les quartiers populaires, aux entrées des grandes surfaces... Pour sensibiliser partout où c’est possible le plus grand nombre d’entre nous, organisons des cortèges tintamarres un peu partout et déployons des banderoles sur des lieux visibles, multiplions les interventions publiques, les tables de presse ; tout ce qui peut à court et moyen terme favoriser l’agitation et permettre la multiplication des comités d’action et des assemblées populaires autonomes, qui peuvent se lier en fonction des zones géographiques : quartiers, villes, villages... Attirons l’attention par des rassemblements visant les lieux stratégiques : Pôle Emploi, CAF, DDTE, palais de Justice, mairies, locaux de partis politiques, siège des médias, quartier résidentiel des élus... Ainsi, d’une part, nous occuperons le territoire pour favoriser la mobilisation de la population et amplifier la lutte, au-delà de tous les corporatismes qui divisent ; et d’autre part, nous maintiendrons la pression. Il faut chercher en effet à accentuer le rapport de force à notre avantage, ce qui doit s’inscrire dans la durée, en veillant toujours à ne pas épuiser notre énergie. Il faut affaiblir le plus possible l’ennemi. Bien sûr, d’autres moyens existent et ils seront à étudier le moment venu. A ce propos, l’Histoire du mouvement ouvrier est riche à plus d’un titre.
La crise du capitalisme va servir sans nul doute de prétexte à l’État pour accentuer son oppression envers nous. Face à la logique du Pouvoir, il est temps de s’insoumettre et de s’opposer à ses nombreuses violences et attaques. Nous ne nous apitoyons pas sur notre sort individuel mais luttons collectivement par l’action directe qui « est la lutte de classes vécue au jour le jour, c’est l’assaut permanent contre le capitalisme. » (Emile Pouget). La « Résistance Populaire Autonome » en est la concrétisation sur le plan pratique car elle n’est rien d’autre que le mouvement de masse qui rend coup pour coup à l’ennemi.
CNT AIT Toulouse
Les assemblées générales (AG) constituent le poumon de la lutte. C'est là que les ouvriers (travailleurs du privé et du public, chômeurs, retraités, étudiants précaires, lycéens-enfants de familles ouvrières…) peuvent véritablement s'approprier LEURS luttes, décider collectivement. C'est le véritable lieu de la démocratie ouvrière.
En étant non catégorielle et non corporatiste, en étant ouverte à tous les autres exploités, l'AG permet de solidariser les différents secteurs de notre classe, elle est le lieu où peut se construire la vie de la lutte et sa massification.
C'est pourquoi les syndicats concentrent tous leurs efforts pour… les saboter ! Le texte ci-dessous, réalisé par la CNT AIT du Gers (sia32.lautre.net), explique succinctement ce que doit être une AG réellement autonome et aux mains des grévistes et détaille les différents pièges classiques qui la guète.
On appellera assemblée générale la réunion ponctuelle, démocratique et décisionnelle de travailleurs, groupés hic et nunc selon un critère, qui peut être varié (appartenance à un syndicat, à une confédération, à un mouvement social). À aucun moment ces travailleurs ne peuvent être des délégués : le principe de l'AG est le vote par tête.
Il existe plusieurs types d'AG :
L'assemblée générale syndicale
L'assemblée générale intersyndicale
L'assemblée générale des travailleurs en grève
Par ailleurs, elle peut être professionnelle, ou interprofessionnelle.
L'AG est démocratique, et garantit donc un tour de parole, équitablement réparti dans le temps et les thèmes de discussion. Ce tour de parole est garanti par un mandat, celui du modérateur.
Cette parole doit aussi être cohérente avec un ordre du jour, fixé au début de la réunion; et qui ne comprend pas de points divers décisionnels.
L'AG est décisionnelle, et ces prises de décision s'opèrent par un vote à main levée, sans qu'il y ait retour sur décision, conformément à l'ordre du jour.
L'AG est pérenne, donne lieu à compte-rendu, effectué par un secrétaire désigné en début de séance, qui a charge de noter et diffuser les débats et décisions de l'AG. Elle prévoit la date et le lieu de la prochaine AG.
Monopolisation du débat : l'AG n'est pas démocratique. Le cas classique est le délégué syndical qui s'attribue d'autorité le rôle de modérateur, participe aux débats en répondant ou donnant systématiquement son avis. Une variante est un participant dans la salle qui monopolise la parole ou intervient trop souvent.
Manipulation du débat : l'ordre du jour n'est pas respecté. Lorsque le débat s'oriente précisément vers une action directe, ou un mouvement de grève reconductible, l'ordre du jour est violé et mélangé, afin de brouiller la clarté des débats, et de faire perdre le fil conducteur d'une AG, qui est de répondre à la question "Que faire, et comment?"
Non-démocratie de l'AG : le vote n'est pas respecté. Violant l'ordre du jour, on représente au vote plusieurs fois une décision déjà prise, jusqu'à épuisement des suffragants. Souvent, la manipulation intervient en fin de réunion, pour détruire sa cohérence et son offensivité.
Neutralisation de l'AG : l'AG, aussi riche soit-elle, n'a pas de suite. Souvent, l'AG de travailleurs grévistes est organisée pour faire chambre d'écho à la colère des travailleurs, et neutraliser leur révolte en transformant leur volonté d'action directe par un temps de parole stérile.
Soyons vigilants ! En AG, nous avons tous les outils en main pour savoir si elle est monopolisée, manipulée, neutralisée. Dans tous les cas, dénonçons les manquements aux conditions précédentes, car ils ont inévitablement pour but de bafouer notre présence, notre propos ou notre décision, bref, notre raison de faire grève!
"L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes"
SIA 32 (Membre de la CNT AIT).
Nous publions ci-dessous le court témoignage d’un camarade du sud de la France qui a assisté à une interpellation policière musclée d’un jeune lors de la manifestation du 12 octobre et, surtout, à la réaction spontanée et solidaire de manifestants qui se sont interposés à cette interpellation violente.
Manif 12 octobre 2010, à Toulouse. Vers le milieu de la manifestation, boulevard d’Arcole, à l’angle d’une ruelle menant vers Saint-Sernin. Une jeune fille est en train de tagger un slogan sur le mur, au passage de la manif. Un jeune homme s’approche d’elle, peut-être pour l’aider.
A ce moment-là, comme des éclairs sortant du cortège, 4 ou 5 jeunes individus, du genre petits malfrats, coiffure gominée et mal rasés, qui se précipitent sur le jeune homme et le mettent à terre en le frappant.
L’un essaie de lui tordre les bras, l’autre lui tient les jambes, un troisième lui tient la tête collée au sol avec le genou. Un autre donne l’impression de téléphoner. La jeune fille appelle au secours. Après un instant de flottement, des personnes sortent du cortège de la manif pour leur venir en aide. Cette réaction immédiate n’a été guidée que par le choc provoqué par une telle violence brutale.
Une soixantaine de personnes est sortie de la manif, en criant : « Arrêtez !», « Laissez-le ! » et ont entouré le groupe. Tous les présents ont vite compris que les individus en question appartenaient à la police, ne serait-ce qu'en voyant les menottes qu’ils essayent de mettre au gars par terre et, surtout au moment où l’un de ces individus, debout, a brandi sa plaque, menaçant,.
La soixantaine de personnes ont entouré le groupe de ceux qui paraissaient être des policiers, mais qui, abstraction faite de la carte et des menottes, auraient pu être des provocateurs.
Les gens ont exigé que le jeune qui était par terre soit libéré. « D’accord, ils ont fait un graffiti, c’est des choses des jeunes, mais ce n’est pas si grave ». Des gens disaient des vrais-faux policiers : « Vous êtes des provocateurs », « Ce sont des flics de la BAC », « Oui, mais des provocateurs ». « Laissez-le partir ». Refus de la part de ceux qui se sont donc identifiés (un seul) comme appartenant à la police.
Le ton monte. Les gens n’acceptent pas que ce soit la victime d’une agression violente et menée à plusieurs qui soit embarquée. Les policiers veulent menotter et amener le jeune homme à terre. Les gens les en empêchent. Les policiers essayent même de le trainer par terre vers la ruelle qui va vers Saint-Sernin. Deux d'entre eux qui sont debout sortent une espèce de matraque fine, menacent tout le monde et frappent. Le ton monte encore d’un cran, les cris, les accrochages se multiplient. Il est clair, maintenant, qu’on ne laissera pas ces individus amener le jeune homme. Face à la fermeté de la foule, les policiers déguisés en provocateurs sont obligés de se replier vers la direction de Saint-Sernin sans amener personne.
Cet événement soudain et rapide en marge de la manifestation contre la loi sur les retraites a montré le sens de la solidarité des personnes qui luttent contre les conséquences d’un monde régi par des lois de plus en plus inhumaines et qui n’ont pas pu supporter que des jeunes gens soient traités de la sorte par les suppôts déguisés de cette inhumanité, parce qu’ils étaient en train d’écrire un graffiti sur un mur.
12 octobre 2010
[Aux dernières nouvelles, la police s’est présentée tôt le matin du 13 octobre pour mettre la main sur ces jeunes dans un squat. Ils seraient accusés d’appel à rébellion ou quelque chose de ce genre…]
Lyon, mardi 19 octobre, nouvelle manifestation contre la réforme des retraites. Ce sont plus de 45 000 personnes qui sont présentes, dont des milliers de lycéens. Ceux-ci se regroupent dès le matin devant les lycées pour rejoindre en cortège la manif unitaire. Les flics omniprésents interviennent dès le début à divers endroits du centre ville contre les « débordements » qu'ils ont largement aidé à provoquer de par leur présence agressive.
Sur la place Bellecour, en plein cœur de Lyon, alors qu'une grosse partie de la manifestation est arrivée et arrive encore, les forces de l'ordre sont de plus en plus présentes. Quelques dizaines de jeunes leurs font ostensiblement face. Elles réagissent immédiatement et violemment, au milieu des milliers de manifestants : tirs de gaz lacrymogènes systématiques, charges flash-balls à la main ! Toutes les forces répressives sont mobilisées : flics en civil, éléments du GIPN… Ils utilisent des marqueurs orange pour marquer les manifestants. Des hélicoptères policiers survolent la place pour prendre des photos, signaler et orienter les flics au sol. Des navettes fluviales sont aussi postées sur le Rhône. Bref, tous les efforts sont déployés pour mater brutalement la jeunesse et, du même coup, saboter la fin de la manifestation !
Les affrontements vont durer jusque dans la soirée et pas seulement avec les jeunes : de nombreux manifestants répondent eux-mêmes à cette provocation policière et empêchent de manière physique des interpellations plus que musclées.
La question se pose immédiatement : pourquoi un tel niveau de répression, une telle disproportion de moyens policiers face à une situation somme toute assez classique ? A qui profite le crime?
A l'évidence, le pouvoir n'a pas "pété un câble" ! Avec le déchaînement de cette violence provoquée délibérément, il veut faire passer un message clair :
Faire peur à nombre de jeunes qui voudraient s'impliquer dans la lutte mais ne veulent pas subir une telle répression.
Faire peur à leurs parents, manifestants ou non, les dissuader de participer à de prochaines manifestations face à un tel niveau de répression policière.
Provoquer les lycéens et étudiants déjà en lutte et cristalliser leur mécontentement sur le seul terrain de la répression et de l'affrontement physique. Et ainsi tenter de faire oublier toutes les leçons de la lutte contre le CPE en 2006 où, justement, les jeunes avaient refusé de répondre à la provocation policière.
Dénaturer tout le questionnement en cours dans ce mouvement social contre la réforme des retraites et cristalliser sur l' « irresponsabilité » du seul Sarkozy en essayant de faire oublier le fond de notre colère face à la crise que nous impose le capitalisme.
Mais un tel déferlement de violence aboutit surtout à empêcher des centaines d'ouvriers et manifestants qui restent présents toujours plus nombreux Place Bellecour, à la fin des manifs, pour se retrouver, débattre, envisager la suite de la lutte et se demander collectivement comment lutter.
Jusqu'à ce jour, ce sont les multiples sonos syndicales hurlantes qui contribuaient à empêcher que se tiennent de véritables débats collectifs ou de véritables AG massives que l'ensemble des syndicats ont ouvertement refusé depuis le début du mouvement. Ce sont aujourd'hui des dizaines d'interpellations, de blessés chez les jeunes.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : cette répression, cette violence de l'Etat est directement adressée à l'ensemble de la classe ouvrière ! L'ORDRE DOIT REGNER ! Voilà le message de l'Etat !
- Nous devons y répondre mais pas sur le terrain de cette confrontation que nous imposent les flics :
- Nous devons d'abord affirmer notre solidarité entière aux lycéens ou étudiants réprimés et tabassés !
- Nous devons ensuite réfléchir au pourquoi de cette violence et en discuter directement dans toutes les AG qui se tiennent, à Lyon comme ailleurs!
Un témoin direct de ces évènements à Lyon, le 20 octobre.
Le 17 février 2010, le secrétaire à la Défense Robert Gates a approuvé, dans une note adressée au chef du Commandement Central David Petraeus, le nouveau positionnement de la mission américaine en Irak. Il a souligné que « l'Opération Iraqi Freedom », le nom militaire américain pour l'invasion de 2003 et l'occupation de ce pays pendant sept ans, « a pris fin et nos forces opèrent dans le cadre d'une nouvelle mission. » Six mois plus tard, le 19 août, les dernières brigades américaines de 'combat' avaient franchi la frontière irakienne pour entrer au Koweït, et douze jours après, c'est à dire plus de sept ans après que le président Bush ait fait une annonce similaire, le président Obama annonçait « la fin de notre mission de combat en Irak ».
Lors de la guerre du Golfe en 1991, la principale préoccupation de la bourgeoisie américaine était de renforcer son contrôle sur un bloc impérialiste dont les membres de second plan avaient perdu leur raison d'adhérer à la seigneurie américaine, après l'effondrement du bloc de l'Est et la diminution de la menace posée par la Russie. Avant cela, il lui était très facile d'impliquer, non seulement les pays de l'OTAN dans l'intervention militaire, mais aussi même l'URSS en train de s'effondrer, par le biais des sanctions de l'ONU. La décennie suivante a vu le renforcement de la tendance au «chacun pour soi» au niveau des tensions impérialistes, avec des puissances de deuxième et de troisième catégorie de plus en plus enhardis à défendre leurs propres intérêts (l'ex-Yougoslavie, le Moyen-Orient, l'Afrique). L'objectif des États-Unis en 1991 était donc d'établir un contrôle militaire de zones d'une importante stratégique en Asie et au Moyen-Orient qui pourraient être utilisées pour exercer une pression sur ses concurrents, petits et grands.
Les attentats du 11 septembre ont été l'occasion de lancer la 'guerre contre le terrorisme' et de justifier la première incursion en Afghanistan en 2001, mais l'élan n'a pas duré longtemps. En 2003, les Etats-Unis ont été incapables de mobiliser leur ancienne coalition pour la seconde mobilisation en Irak. La France et l'Allemagne, en particulier, bien que ne pouvant créer leur propre bloc impérialiste, se sont montrées réticentes pour suivre les Etats-Unis, voyant la 'guerre contre le terrorisme' précisément pour ce qu'elle était : une tentative des Etats-Unis de renforcer leur position en tant que superpuissance mondiale.
En 2007, il y a eu un changement notable dans la stratégie américaine en Irak, face à plusieurs difficultés. La première a été une contre-insurrection sanglante qui a finalement vu la mort de 4400 soldats américains, 36 000 blessés et plus de 100 000 civils irakiens (bien que certaines estimations avancent le chiffre de plus d’un demi-million, bien au-dessus des 'dizaines de milliers' mentionnés dans les principaux médias). La guerre en Irak devenait un véritable bourbier et le plus grand des désastres sur le plan des relations publiques, compte tenu de la non-existence «d'armes de destruction massive» utilisées pour justifier l'invasion. Le fantôme du Vietnam hantait les couloirs de Washington. Il y avait aussi le coût croissant de la guerre : même Obama admet qu'il a coûté plus d’un billion de dollars1, et qu'il a massivement contribué au déficit budgétaire et nui à la capacité de l'économie américaine de faire face à la crise économique. Le réveil des talibans en Afghanistan, expulsés par les forces américaines en 2001 mais non vaincus, et l'extension des attaques terroristes en Europe et en Asie soutenues par des éléments basés dans des régions frontalières d'Afghanistan et du Pakistan a été un autre souci.
Lorsque Kerry, qui s'était focalisé sur le ré-assemblage du vieux bloc impérialiste, s'est montré inéligible, l'Amérique a affirmé sa suprématie sur la région. La bourgeoisie a adopté cette stratégie, et le débat a commencé à se centrer sur le nombre de soldats nécessaires à un tel objectif. Rumsfeld se cramponnait à son projet d'une militarisation plus dégraissée, plus automatisée. Les démocrates, alliés avec certains éléments de la droite pour soutenir le 'pic', un déploiement temporaire de troupes supplémentaires en Irak pour maintenir l'ordre, défendre la jeune 'démocratie' et assurer le transfert des responsabilités militaires aux forces irakiennes. Ce fut la politique de Bush dans ses dernières années, et c'est maintenant celle d'Obama en Afghanistan.
La stratégie globale adoptée par la bourgeoisie américaine est demeurée essentiellement la même. Alors que l'administration Obama pourrait mettre davantage l'accent sur la diplomatie, il y a surtout une continuité de l'administration précédente. Comme l'a dit Obama dans son discours du 31 août, «... l'un des enseignements de nos efforts en Irak est que l'influence américaine dans le monde entier n'est pas fonction de la seule force militaire. Nous devons utiliser tous les éléments de notre puissance, y compris notre diplomatie, notre force économique, et le pouvoir de l'exemple de l'Amérique, pour garantir nos intérêts et soutenir nos alliés... Les Etats-Unis d'Amérique ont l'intention de maintenir et de renforcer notre leadership dans ce jeune siècle ... »
Est-ce que le retrait des forces américaines d'Irak signifie que le monde est maintenant un endroit plus sûr ? Loin de là ! Secrétaire à la Défense, Bob Gates, a été encore plus explicite qu'Obama : « Même avec la fin officielle de la mission de combat, l'armée américaine continuera à soutenir l'armée et la police irakiennes, à aider à développer la marine et la force aérienne de l'Irak, et à l'aider dans ses opérations de lutte contre le terrorisme. »
L''administration affirme publiquement qu'elle est largement satisfaite de l'état du gouvernement et de la société civile en Irak. Toutefois, l'Irak détient aujourd'hui le record pour le nombre de fois où un Etat-nation moderne ne réussit pas à avoir un gouvernement efficace. Bien que l'Irak semble suffisamment fort pour que les Etats-Unis l'occupent moins, ces derniers doivent encore renforcer l'Etat irakien en formant plus de militaires et de police. Les Etats-Unis laissent en Irak une armée de cinquante mille soldats 'non combattants', pour au moins un an. Ces forces lui permettront une domination sans rivaux sur le gouvernement irakien : aucune autre puissance n'a une telle force si près des centres du pouvoir irakien et si nécessaire pour que ce dernier continue d'exister. Il y a des similitudes avec l'approche américaine en Corée du Sud après la Seconde Guerre mondiale, où 40 000 soldats étaient stationnés pour maintenir une présence dans la région. Le fait d'avoir des bases militaires dans l'Irak moderne, même à une échelle beaucoup plus réduite, assurera aux États-Unis une certaine pression sur l'Iran et sur d'autres puissances régionales.
Il faut faire attention à ne pas avoir une vision trop superficielle de l'ascendance de l'administration. En réalité, il est fort possible que l'Irak se désintègre lorsque les États-Unis partiront, avec toutes les différentes parties qui contribueront à l'éclatement du pays, notamment les nationalistes kurdes, ou, tout simplement, qu'il se désintégrera dans la guerre civile. De même, la situation en Afghanistan est absolument catastrophique et montre tous les signes qu'elle va empirer, avec la désintégration du Pakistan et de la propagation de la guerre là-bas aussi.
Malgré ses déboires, la bourgeoisie américaine a au moins intégré le fait qu'elle existe dans un monde de tous contre tous, et elle a tiré des leçons précieuses sur la façon de faire la guerre et de mener une occupation aujourd'hui. Le retrait des troupes d'Irak ne signifie pas la fin de la guerre. D'une part, les troupes américaines auront une présence permanente dans le pays, et les Etats-Unis, la Turquie, Israël, la Russie, l'Iran, et l'Allemagne vont continuer à jouer leurs jeux d'influence impérialiste dans la région tout comme avant. D'autre part, les Etats-Unis seront désormais plus en mesure de concentrer leurs efforts sur l'Afghanistan, et ils auront libéré une certaine capacité pour intervenir ailleurs dans le monde. La fin de la guerre en Irak, entre les mains de l'impérialisme, est véritablement la continuation d'une guerre qui fait déjà rage, et le commencement de la guerre ailleurs. La conséquence logique de l'impérialisme, c'est la destruction de l'humanité. Face à cela, le défenseur de l'humanité, c'est le prolétariat, le porteur du communisme.
RW (10 novembre)
1 Soit mille milliards de dollars !
La première partie [94] de cette chronologie détaillait les événements qui se sont déroulés entre le 23 mars et le 19 octobre. Elle s'achevait provisoirement par ces quelques phrases :
"Le mouvement se développe comme une lame de fond depuis 7 mois. La colère est immense. Les revendications contre la réforme des retraites tendent à passer au second plan : les médias reconnaissent que le mouvement se "politisent". C'est toute la misère, la précarité, l'exploitation, etc. qui sont ouvertement rejetées. La solidarité entre les différents secteurs, aussi, s'accroît. Mais, pour l'instant, la classe ouvrière ne parvient pas à prendre réellement en mains SES luttes. Elle le souhaite de plus en plus, elle s'y essaye de-ci de-là par des tentatives minoritaires, elle se méfie de façon croissante de l'intersyndicale, mais elle ne parvient pas encore réellement à s'organiser collectivement à travers des Assemblées Générales autonomes et souveraines, et donc en dehors des syndicats. C'est pourtant de telles AG qui avaient constituées le cœur du mouvement contre le CPE en 2006 et qui lui avaient donné sa force. La classe ouvrière semble encore manqué de confiance en elle. Le déroulement à venir de la lutte va nous dire si elle va parvenir à dépasser cette difficulté cette fois-ci. Ce sera sinon pour la prochaine fois ! Le présent est riche de promesses pour l'avenir des luttes."
Alors, comment à finalement évolué le mouvement ?
La question du blocage des raffineries occupe, à partir de la mi-octobre, tous les esprits.
Les médias et les politiques braquent leurs projecteurs sur la pénurie d'essence, sur la "galère des automobilistes" et le bras de fer entre les bloqueurs et les forces de l'ordre. Dans toutes les AG (syndicales ou non), les débats ne tournent plus que presque exclusivement autour de "comment aider les travailleurs des raffineries ?", "comment exprimer notre solidarité ?", "que pouvons-nous bloquer à notre tour ?"… Et dans les faits, quelques dizaines de travailleurs de tous secteurs, de chômeurs, de précaires, de retraités se rendent effectivement chaque jour devant les portes des 12 raffineries paralysées, pour "faire nombre" face aux CRS, apporter des paniers-repas aux grévistes, un peu d'argent et de chaleur morale.
Cet élan de solidarité est un élément important, il révèle une nouvelle fois la nature profonde de la classe ouvrière.
Néanmoins, malgré la détermination et les bonnes intentions des grévistes et de leurs soutiens, de façon plus générale, ces blocages participent non au développement du mouvement de lutte mais à sa décrue. Pourquoi ?
Ces blocages ont été initiés et sont contrôlés entièrement, de bout en bout, par la CGT (principal syndicat français). Il n'y a pratiquement aucune AG permettant aux travailleurs des raffineries de discuter collectivement. Et quand une assemblée a tout de même lieu, elle n'est pas ouverte aux autres travailleurs ; ces "étrangers" venus participer aux piquets ne sont pas invités à venir discuter et encore moins participer aux décisions. L'entrée leur est même interdite ! La CGT veut bien de la solidarité… platonique… point barre ! En fait, sous couvert d'une action "forte et radicale", la CGT organise l'isolement des travailleurs très combatifs de ce secteur de la raffinerie.
Les piquets restent d'ailleurs "fixes" et non pas "volants" : il serait pourtant bien plus efficace pour entraîner un maximum de travailleurs dans la lutte d'organiser des "piquets volants", allant d'entreprises en entreprises, pour créer des débats, des AG spontanées… C'est exactement ce genre d'extension dont les syndicats ne veulent pas !
A la veille des vacances de la Toussaint, les principaux syndicats lycéens et étudiants (l’UNL, la Fidl et l’Unef), appellent à manifester. Il faut dire que la colère de la jeunesse est de plus en plus forte. Et ils sont effectivement plusieurs milliers à descendre dans la rue ce jour-là.
Le texte de loi sur les retraites franchit toutes les étapes de la "démocratie", du sénat à l'assemblée.
Nouvelle journée de mobilisation appelée par l'intersyndicale. 1,2 millions de participants, prêt de trois fois moins que la manifestation précédente du 19 octobre. La décrue est brutale et la résignation commence à regagner du terrain.
De plus, cette journée d'action se déroule en plein milieu des vacances scolaires. Les lycéens qui avaient commencé à se joindre au mouvement (et qui ont été partout violemment réprimés1) sont donc très largement absents.
Jusqu'à lors, les syndicats avaient tout fait pour, soit réduire le nombre des AG, soit les fermer aux autres secteurs. Mais maintenant que le mouvement commence son reflux, ils tentent d'organiser des "rencontres nationales" des différentes Interprofessionnelles de l'hexagone. L'appel de ces "Syndicalistes unitaires" ose même affirmer :
"La lutte contre la réforme des retraites arrive à un moment décisif. Alors que le gouvernement et les médias nous annoncent la fin de la mobilisation, des actions de blocage et de solidarité sont menées dans tout le pays, dans un cadre interprofessionnel, souvent organisées à partir d’Assemblées Générales interpros. Cependant, au-delà de cette structuration au niveau local, il n’y a pas ou très peu de communication entre les AG Interprofessionnelles, de façon à se coordonner à une échelle plus large. Or, si nous voulons donner un coup d’arrêt à la politique gouvernementale, il faudra se structurer davantage et coordonner nos actions. Il s’agit pour les travailleurs, chômeurs, jeunes et retraités mobilisés de se doter d’un outil pour organiser leur propre lutte au-delà de l’échelle locale. C’est pourquoi l’Assemblée générale de Tours, réunie le 28 octobre 2010, se propose d’organiser et d’accueillir une rencontre interprofessionnelle de mandatés des Assemblées Générales qui se tiennent dans tout le pays."2
Il s'agit là d'une mascarade. Ceux-là même qui n'ont eu de cesse de nous diviser, appellent maintenant, après la bataille, à "structurer davantage et coordonner nos actions". Eux qui nous ont dépossédé intentionnellement de NOTRE lutte, appellent maintenant les travailleurs, après la bataille, à "organiser leur propre lutte". Des participants d'interpro non-syndicales (telle que celle de la Gare de l'Est – Paris) et des militants du CCI se sont rendus à cette "rencontre nationale". Tous soulignent la manipulation syndicale, le verrouillage des débats et l'impossibilité de mettre en question le bilan de l'action de l'intersyndicale. Le NPA et Alternative Libertaire (deux groupes gauchistes, l'un 'trotskiste', l'autre 'anarchiste'), semblent très actifs au sein de cette coordination nationale.
Nouvelle journée de mobilisation : 1,2 million de manifestants battent une nouvelle fois le pavé. Cela fait maintenant huit mois que ce type de manifestations se succèdent les unes aux autres. Pourtant, plus personne ne croit plus à la possibilité d'un quelconque retrait, même partiel, de l'attaque. Preuve en est de la profondeur de la colère ! Les travailleurs ne luttent pas contre cette attaque mais pour exprimer leur raz le bol généralisé face à leur paupérisation.
La loi est votée et promulguée. L'intersyndicale appelle immédiatement à une nouvelle mobilisation le… 23 novembre ! Et encore, pour être bien sûre d'enterrer définitivement ce mouvement, l'intersyndicale propose une journée d' "actions multiformes". Concrètement, aucune consigne nationale n'est donnée. Chaque département, chaque section syndicale, chaque secteur fait le «type d'actions » qu'il lui plaît.
Quelques milliers de personnes seulement manifestent. A Paris, les syndicats orchestrent une "action symbolique" : faire le tour plusieurs fois du Palais Brongniard, siège de la Bourse avec le slogan « Encerclons le Capital ». Le but est atteint : c'est un fiasco décourageant. Cette journée est même rebaptisée "la manifestation pour rien". Dans ces conditions, la présence de 10 000 manifestants à Toulouse dénote que la colère gronde toujours. Ce qui est prometteur pour l'avenir et les luttes futures. La classe ouvrière ne sort pas abattue, rincée, épuisée de ce long mouvement. Au contraire, l'état d'esprit dominant semble être "on va voir ce qu'on va voir la prochaine fois".
Ce mouvement contre la réforme des retraites, avec ses manifestations massives, est donc terminé. Mais le processus de réflexion, lui, ne fait que commencer.
Cette lutte est en apparence une défaite, le gouvernement n'a pas reculé. Mais en fait, il est un pas en avant supplémentaire pour notre classe. Les minorités qui ont émergé et qui ont essayé de se regrouper, de discuter en AG Interpro ou en assemblée populaire de rue, ces minorités qui ont essayé de prendre en main leurs luttes en se méfiant comme de la peste des syndicats, révèlent le questionnement qui mûrit en profondeur dans toutes les têtes ouvrières.
Cette réflexion va continuer de faire son chemin et elle portera, à terme, ses fruits.
Il ne s'agit pas là d'un appel à attendre, les bras croisés, que le fruit mûr tombe de l'arbre. Tous ceux qui ont conscience que l'avenir va être fait d'attaques ignobles du capital, d'une paupérisation croissante et de luttes nécessaires, doivent œuvrer à préparer les futurs combats. Nous devons continuer à débattre, à discuter, à tirer les leçons de ce mouvement et à les diffuser le plus largement possible. Ceux qui ont commencé à tisser des liens de confiance et de fraternité dans ce mouvement, au sein des cortèges et des AG, doivent essayer de continuer de se voir (en Cercles de discussion, Comités de lutte, Assemblées Populaires ou "lieux de parole"…) car des questions restent entières :
Quelle est la place du "blocage économique" dans la lutte de classe ?
Quelle est la différence entre la violence de l'Etat et celle des travailleurs en lutte ?
Comment faire face à la répression ?
Comment prendre en main nos luttes ? Comment nous organiser ?
Qu'est-ce qu'une AG syndicale et une AG souveraine ?
Etc., etc.,…
CCI (le 6 décembre)
Une partie de ceux qui se réunissaient au sein de l'AG "Gare de l'Est – Ile de France"3 continuent de se voir et essayent de tirer un bilan général du mouvement. Ils ont par exemple produit et distribué ainsi le texte ci-dessous :
Des travailleurs et précaires de l'AG interpro Gare de l'Est et IDF
Depuis le début septembre, nous avons été des millions à manifester et des milliers à entrer grève reconductible dans certains secteurs (raffineries, transports, éducation, lycées, facs...) ou à participer à des blocages.
Aujourd'hui, ils nous annoncent tous que la lutte est terminée. Nous aurions « gagné la bataille de l’opinion ». Tout serait joué et, résignés, on n'aurait plus qu'à attendre 2012. Comme si, maintenant, la seule issue serait les élections. Il n’est pas question d’attendre 2012, pour « l’alternance ». Aujourd’hui, ce sont les partis de gauches qui mènent les attaques, en Grèce comme en Espagne, contre les travailleurs. Il n’y a rien de bon à attendre des prochaines élections.
Nous devons nous préparer dès maintenant à faire face aux prochaines attaques et à celles qui se poursuivent comme les milliers de licenciements et les suppressions de postes L’attaque sur les retraites est l’arbre qui cache la forêt. Aussi demander le retrait ne pouvait être que l’exigence minimale. Cela n’aurait pu suffire. Depuis le début de la crise, c’est ce gouvernement au service du patronat qui mène détruit nos conditions de vie et de travail alors qu’il verse des milliards aux banques et au privé.
Pendant que des centaines de milliers de vieux travailleurs survivent avec moins de 700 euros par mois, et des centaines de milliers de jeunes vivotent avec le RSA, quand ils l’ont, faute de travail. Pour des millions d’entre nous, le problème crucial, c’est déjà de pouvoir manger, se loger et se soigner. Avec l’aggravation de la crise, ce qui guette la majorité d’entre nous, c’est la paupérisation.
Parler dans ces conditions de « pérennité des retraites » comme le fait l’intersyndicale alors que le capitalisme en pleine putréfaction remet en cause toutes nos conditions de vie et de travail, c’est nous désarmer face à la bourgeoisie.
C’est à l’échelle internationale que les capitalistes mènent les attaques contre les classes ouvrières. C’est donc les trusts financiers et industriels (BNP, AXA, Renault…) qui nous pillent et veulent nous écraser. En Grèce, il n’y a presque plus remboursement des frais médicaux. En Angleterre ce sont plus de 500.000 licenciements de fonctionnaires. En Espagne c’est la casse des contrats de travail.
Comme nous, les travailleurs de Grèce d’Espagne, d’Angleterre, du Portugal sont confrontés aux mêmes attaques et luttent pour se défendre, même si nous n’avons pas toujours pas fait reculer nos gouvernements et patronat respectifs.
Pour autant, nous sommes encore des centaines de milliers à ne pas accepter cette issue et à garder en nous une profonde colère, une révolte intacte. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi notre combativité et notre mobilisation n'ont pas pu faire plier les patrons et leur Etat ?
Il aurait fallu, dès le départ, s’appuyer sur les secteurs en grève, ne pas limiter le mouvement à la seule revendication sur les retraites alors que les licenciements, les suppressions de postes, la casse des services publics, les bas salaires continuent dans le même temps. C'est cela qui aurait pu permettre d’entrainer d’autres travailleurs dans la lutte et d’étendre le mouvement gréviste et de l’unifier.
Seule une grève de masse qui s’organise à l’échelle locale et se coordonne nationalement, au travers de comités de grève, d’assemblées générales interprofessionnelles, de comités de lutte, pour que nous décidions nous-mêmes des revendications et des moyens d’action tout en contrôlant le mouvement, peut avoir une chance de gagner.
A aucun moment, l'intersyndicale n’a tenté de mener cette politique. Bien au contraire elle appelé à deux nouvelles journée d’action le 28 octobre et 6 novembre, alors que les secteurs en grève reconductible s’essoufflaient. Limiter le mouvement de grève reconductible à quelques secteurs et aux seules retraites ne pouvait qu’entraver le mouvement gréviste. Voilà pourquoi, nous n’avons pas été en mesure de faire reculer le gouvernement.
Nous ne pouvions rien attendre d’autre de la part d’un Chérèque (CFDT) qui défendait les 42 annuités, ou encore d’un Thibault (CGT) qui n’a jamais revendiqué le retrait de la loi ? Et ce n’est certainement pas le faux radicalisme d’un Mailly (FO), serrant la main d’Aubry en manif, alors que le PS vient de voter les 42 annuités qui ouvre une autre voie. Quant à Solidaires/Sud-Rail, il ne proposait que de suivre la CGT. Aucun d’entre eux ne voulait l’organisation indépendante des travailleurs pour que nous nous défendions et passions à l’offensive.
Aussi se sont-ils mis à la tête des luttes et ont enfourché le cheval de la grève reconductible pour éviter de se faire déborder. Ils ne voulaient pas faire reculer ce gouvernement. Tout au long du mouvement l’intersyndical cherchait seulement à apparaître comme un interlocuteur responsable auprès du gouvernement et du patronat afin de « faire entendre le point de vue des organisations syndicales dans la perspective de définir un ensemble de mesures justes et efficaces pour assurer la pérennité du système de retraites par répartition. » dans le cadre « d’un large débat public et une véritable concertation en amont ».
Mais quel dialogue peut avoir l’intersyndicale avec ce gouvernement qui matraque les infirmiers anesthésistes, les lycéens, déloge les travailleurs des raffineries et expulse les Roms et les travailleurs sans papiers, si ce n’est de négocier des reculs comme en 2003, 2007 et 2009. Cela fait des années qu’ils ont fait le choix de collaborer avec le patronat et leur Etat pour gérer la crise.
Empêcher la misère généralisée dans laquelle les classes dirigeantes veulent nous plonger, dépend de notre capacité à mener une lutte de classe pour nous accaparer les richesses produites et les moyens de production afin de subvenir aux besoins de toute la population au lieux de ceux d’une petite minorité.
Nous ne devrons pas hésiter à remettre en cause la propriété privée industrielle, financière et la grande propriété foncière. Pour nous engager dans cette voie, nous ne devons avoir confiance que dans notre propre force. Et certainement pas dans les partis de la gauche (PS, PCF, PG…) qui n’ont jamais remis en cause la propriété privée et dont les homologues mènent actuellement l’offensive contre les travailleurs en Espagne et en Grèce.
Dans cette lutte, les travailleurs doivent défendre les intérêts de tous les exploités y compris les petits paysans, marins pêcheurs, petits artisans, petits commerçants, qui sont jetés dans la misère avec la crise du capitalisme. Que nous soyons salariés, chômeurs, précaires, travailleurs avec ou sans papiers, syndiqués ou non et ce cela quelque soit notre nationalité, nous sommes tous dans le même bateau.
1 Lire par exemple le témoignage [95] d'un de nos lecteurs qui a vécu de l'intérieur les charges et les coups des CRS à Lyon.
2 www.syndicalistesunitaires.org/Appel-a-une-rencontre [96]
3 Pour les contacter : [email protected] [97]
Partout aux Etats-Unis ces derniers mois, il y a eu un certain nombre de grèves importantes. Le refus de la classe ouvrière d'accepter l'austérité s'exprime dans sa volonté croissante de lutte. Bien que ces luttes soient restées largement sous le contrôle des syndicats et aient, pour la plupart, abouti à une défaite, les révolutionnaires doivent saluer ces signes de combativité croissante dans la classe et les suivre de près. Avec la crise de la dette publique et les luttes contre l'austérité en Europe, les luttes majeures en Inde, en Afrique du Sud, en Amérique latine et en Chine, les grèves récentes aux Etats-Unis font partie d'une dynamique internationale, qui a commencé autour de 2003, où la classe ouvrière renoue avec la solidarité et la confiance en soi. Cette dynamique a été interrompue par la crise financière mondiale en 2008 (malgré des luttes impressionnantes en Grèce, en Grande-Bretagne, et dans d'autres pays), mais depuis le début de l'année, la classe ouvrière retrouve le chemin de la lutte de classes, et montre qu'elle n'acceptera plus l'austérité sans combattre.
Depuis le printemps dernier, les ouvriers ont fait grève à Philadelphie, à Minneapolis, dans les Etats de l’Illinois, de Washington et de New York, à l'échelle nationale dans l'industrie aéronautique, et, au moment où nous mettons sous presse, un mouvement de grève sauvage des dockers s'étend dans les villes portuaires de la côte Est. C'est de façon significative que ces luttes ont repris un grand nombre des questions centrales des grèves d'avant 2008 : la couverture santé, les allocations, les retraites, les licenciements, et la perspective générale de l'avenir que le capitalisme a à offrir. En 2003, par exemple, le mouvement de grève des ouvriers de l'épicerie, dans le sud de la Californie, se préoccupait principalement de la création de nouveaux volets de prestations de santé et de retraite pour les nouvelles recrues, et en 2005 la grève dans les transports de la ville de New York sur l'avenir d'un régime de retraite pour les nouveaux employés a exprimé une avancée majeure dans le développement de la solidarité intergénérationnelle dans la classe ouvrière sur ces mêmes questions.
Avec le début de la crise, les ouvriers se sont d'abord trouvés quelque peu paralysés, comme des chevreuils éblouis par des phares, avec la menace très réelle de chômage et de fermeture de l'usine. La décision de faire grève et d'affronter les patrons n'a pas été prise à la légère - personne ne peut se permettre d'être mis à pied dans un pays comptant plus de 10% de chômage officiel et plus de 16% de chômage réel1 - la plupart des ouvriers se sont retirés de la lutte de classe, en exprimant parfois l'espoir que la prochaine génération pourrait regagner le terrain perdu lorsque le moment sera plus favorable à la lutte.
Un autre facteur qui a retardé la réponse de la classe ouvrière aux attaques liées à la récente crise financière a sans aucun doute été la mystification démocratique et le formidable espoir que les gens ont ressenti avec la promesse de « changement » de l'administration Obama nouvellement élue. Le soir des élections, les électeurs ravis étaient dans la rue et célébraient l'événement en frappant sur des casseroles et des poêles. Au lieu de cela, ce que nous avons vu, depuis près de deux ans de présidence Obama, ce n'est nullement une baisse réelle du chômage, mais une économie réelle qui continue à stagner malgré des injections massives de crédits de l'Etat, une « réforme » du système de santé qui commence déjà par augmenter les cotisations des soins de santé des ouvriers et le retour de l'augmentation spectaculaire du coût de la vie, tandis que les employeurs continuent de profiter de la crise pour attaquer les salaires, les retraites, les allocations et poursuivre la réduction générale des effectifs. En général, les syndicats avaient placé leurs espoirs dans le nouveau régime Obama, misant sur le passage du désormais abandonné Employee Free Choice Act (La Loi sur le Libre Choix des Employés, note du traducteur), vendant la réforme du système de santé et promettant toutes sortes d'autres réformes, de la part de la nouvelle administration, qui seraient favorables aux ouvriers. Le mécontentement actuel des ouvriers ne peut plus être totalement canalisé vers les réformes gouvernementales et le cirque électoral : les ouvriers sont de plus en plus prêts à lutter pour défendre leur avenir.
Les premiers signes d'une lutte à une échelle massive se sont fait sentir au printemps, dans le secteur de l'éducation en Californie. Lorsque, avec la faillite de l'Etat, les frais de scolarité ont augmenté de 30% et que le personnel a été confronté à de graves attaques sur les conditions de vie et de travail, les étudiants ont occupé les universités, bloqué les routes et tenté de créer des assemblées et d'obtenir le soutien des enseignants, du personnel et d'autres parties de la classe ouvrière californienne2.
Mais ce n'était qu'un début. Peu de temps après, les infirmiers à Philadelphie se sont mis en grève contre les provocations des employeurs qui supprimaient les allocations de scolarité et instauraient une « gag clause » (clause limitative des libertés et des droits, note du traducteur) contre le fait de pouvoir critiquer l'administration de leur hôpital, et se sont attirés une grande sympathie de la part d’autres ouvriers dans toute la région. Début Juin, 12 000 infirmiers de 6 hôpitaux de Minneapolis-Saint Paul se sont engagés dans un arrêt de travail d'une journée et ont voté pour l'autorisation d'une grève illimitée, ce qui aurait été la plus grande grève des infirmiers de l'histoire des Etats-Unis. Là, les infirmiers se sont principalement battus pour la restauration des niveaux de dotation en personnel et pour que les ratios spécifiques infirmier-patients soient inscrits dans leur contrat de travail, alors que les hôpitaux cherchaient à institutionnaliser les bas niveaux de dotation de postes qu'ils avaient obtenu depuis le début de la récession de 2008. Après l'autorisation de grève, comme le contrat de travail arrivait à échéance, le syndicat des infirmiers (Minnesota Nurses Association) a accepté un arbitrage non contraignant du gouvernement fédéral et une période de réflexion de 10 jours, au cours de laquelle ils ont annoncé, plus d'une semaine à l'avance, leur plan pour une grève d'une journée, le 10 juin. Malgré la réelle combativité des infirmiers et leur volonté de défendre leurs conditions de travail, le syndicat a eu les mains libres pour mener la lutte, et immédiatement après cette grève d'une journée, il a annoncé un accord de principe qui abandonnait la revendication centrale sur la question des ratios obligatoires infirmier-patients, acceptait l'offre de salaires des hôpitaux, et n'apportait aucune modification aux plans de santé et d’allocations. Les gauchistes et les syndicalistes n'ont cessé dans tout le pays de saluer ceci comme une victoire majeure de la classe, mais la propre page Facebook des infirmiers a révélé une réelle insatisfaction devant l'abandon de la revendication centrale sans réelle contrepartie.3
Un mois plus tard, plus de 15 000 ouvriers de la construction de deux syndicats différents sont entrés en lutte, dans la région de Chicago, pour une augmentation de salaire nécessaire pour couvrir les coûts des dépenses de santé, compenser le chômage endémique et la diminution des heures de travail dans l'une des industries les plus durement touchées par la récession. Pour le seul mois de juillet, l'industrie de la construction de l'Illinois a perdu 14 900 emplois.4 Pendant la grève, une déclaration du président de la section syndicale 150 de l'International Union of Operating Engineers (IUOE)5, James Sweeney, signale que les membres de cette dernière ont vu leurs heures de travail réduites de 40%, et que sur 8500 membres, 1000 dépendent des banques alimentaires et 1200 ont perdu leur couverture santé.6 Au bout de 19 jours, les ouvriers ont mis fin à la grève, acceptant l'augmentation de salaire la plus basse en 10 ans sans compensation ni de la hausse du coût de la couverture santé, ni du chômage, ni de la diminution des heures de travail. Pourtant, malgré la mainmise des syndicats, de nombreux ouvriers d'autres métiers ont respecté les piquets de grève et ont lancé un projet de grève en solidarité. Fait intéressant, le Département des Transports de l'Illinois a menacé l'association des entrepreneurs de la construction de refuser de prolonger les délais pour les projets d'Etat, et a indiqué qu'il pouvait invoquer une clause d'interdiction de se mettre en grève contre les luttes futures. De même à Chicago, début septembre, les ouvriers de l'hôtel Hyatt ont organisé une grève d'une journée (tout comme l'avait fait le syndicat des infirmiers) pour protester contre les licenciements et ont demandé des concessions dans leur contrat de travail à venir.
L'été a également vu 700 ouvriers dans le Delaware entrer en grève pour la première fois contre Delmarva Power et Conectiv Energy contre des coupes dans les pensions de retraite et la suppression de la « couverture santé de retraite » pour les nouvelles recrues, retournant travailler après un vote sans majorité claire sur le contrat de travail et des appels répétés à un recomptage des voix. Les enseignants sont entrés en grève à Danville (Illinois), pour la réintégration des personnes licenciées au cours des dernières compressions budgétaires d'urgence et contre un contrat de travail incluant un gel de salaire et l'institution de primes fondées sur la performance des étudiants, et à Bellevue (Etat de Washington), pour les salaires et contre les programmes scolaires communs. A Bellevue aussi, les ouvriers de Coca-Cola ont organisé une grève d'une semaine concernant un nouveau contrat de travail les obligeant à payer 25% de toutes les cotisations santé, par opposition à leur précédent tarif forfaitaire ; mais ils sont retournés travailler après que la société eut annulé leur assurance maladie et que le syndicat eut déposé un recours collectif, insistant sur le fait qu'il valait mieux retourner au travail. A Bellevue se trouve aussi l'une des usines Boeing en grève cet été (des usines à St. Louis dans le Missouri et à Long Beach en Californie ont également fait grève), où les ouvriers sont retournés au travail après 57 journées sans aucune modification du contrat de travail proposé par la compagnie à l'exception d'une augmentation de 1$ de l'heure pour certains parmi les plus mal payés.
La plus longue grève de cet été (et peut-être celle qui a reçu le plus de sympathie du reste de la classe) a eu lieu à l'usine de compote de pommes Mott's à Williamson (Etat de New York) où la société a décrété, bien qu’elle eût fait des profits records, que le salaire qu'elle versait à ses 300 employés était non conforme aux normes de l'industrie et a exigé des réductions de salaire de 1,50 $ de l'heure dans le nouveau contrat de travail. La grève a attiré l'attention dans le pays en raison de l’attaque particulièrement sauvage et inutile de la part de l'entreprise et après une guerre d'usure de 16 semaines, isolante et démoralisante, le syndicat a « gagné » un contrat de travail qui maintenait les niveaux de salaire et de retraite pour les seuls employés en poste, mais qui supprimait les retraites à pensions déterminées pour toutes les nouvelles embauches, réduisait les paiements correspondants à la « couverture santé de retraite » et obligeait les ouvriers à payer 20% des cotisations santé et la moitié de toute augmentation au-delà des premiers 10%. Malgré le cri de « victoire » du syndicat, même les syndicalistes pur jus se sont demandés si la grève avait vraiment été un succès.7
Plus récemment, dans les derniers jours de septembre, les dockers à Camden (New Jersey) et à Philadelphie se sont engagés dans une grève non officielle de deux jours contre Del Monte qui avait transféré 200 emplois dans un port non syndiqué à Gloucester (New Jersey), grève qui a été rejointe par des dockers, depuis le New Jersey jusqu’à Brooklyn, qui ont refusé de franchir le piquet de grève officieux. Dès le début de la grève, la New York Shipping Association a obtenu une injonction d'un juge fédéral de Newark déclarant la grève illégale et, le deuxième jour de l'action, l'ILA8 a désavoué toute association avec les grévistes, appelant les délégués syndicaux à renvoyer les piquets de grève au travail, et promettant qu'elle avait convaincu les associations de transport maritime et les patrons d'industrie de la rencontrer une semaine plus tard pour « discuter » des postes supprimés.
Bien que tous ces mouvements de grève soient restés, soit essentiellement, soit complètement, dans le carcan syndical et, en tant que tels, aient été défaits (en général accompagnés d'une déclaration de « victoire » de la part du syndicat), le retour de la classe sur le chemin de la lutte contribue au regain de la nécessaire confiance et au réapprentissage des leçons des luttes passées. Cela mettra en relief, de façon saisissante, le rôle des syndicats. Etant donné que les « victoires » qu'ils sont capables de gagner par des grèves d'une journée avec préavis, des guerres d’usure isolées, l'arbitrage du gouvernement fédéral, des recours collectifs, et le reste des règles du jeu syndicales, se révèlent être des défaites, la classe ouvrière à travers ses luttes devra réapprendre les leçons de l'auto-organisation et de l'extension que la classe dirigeante s'est tellement efforcée de lui faire l'oublier. Ces luttes sont une expression du même mouvement international de la classe ouvrière qui a amené des grèves en Grande-Bretagne, en Espagne, en Turquie et en Grèce face aux mesures d'austérité étatiques, une grève à l'échelle nationale en Inde, des grèves sauvages dans les usines d'automobiles en Chine et des mouvements de grève importants en Amérique latine. Le retour à la lutte et le rétablissement de la solidarité, la préoccupation de l'avenir et la volonté de faire grève pour le défendre sont une expression du retour de la classe ouvrière internationale à sa lutte historique et devrait partout être salué comme tel par les révolutionnaires.
JJ, 10/10/10.
(Internationalism, organe du CCI aux Etats-Unis, n° 156, octobre 2010/janvier 2011)
1 Voir Internationalism n° 154, “Against Mass Unemployment, The United Struggle Of The Whole Working Class”, https://en.internationalism.org/inter/154/lead [98]
2 Voir Internationalism n° 154 et 155, “Students in California Fight Back Austerity Attacks” (https://en.internationalism.org/inter/154/california-students [32]) and “Lessons of the California Students Movement” (https://en.internationalism.org/inter/155/california-students [99]).
3 Lerner, Maura. “Deal Was ‘a Win for Both Sides.” Minneapolis Star-Tribune. 2 juillet 2010.
4 Knowles, Francine. “State Loses Jobs but Gains in Manufacturing.” The Chicago Sun-Times. 20 août 2010.
5 La section syndicale 150 de l’IUOE syndique des ouvriers de la construction des Etats de l’Illinois, de l’Indiana et de l’Iowa, NDT.
6 Citation du blog du Chicago Union News.
7 Voir Elk, Mike. “Was the Mott’s ‘Victory’ Really a Victory?” Huffington Post. 14 septembre 2010.
8 L’International Longshoreman’s Association (ILA) est un syndicat de dockers de voies navigables intérieures et de la côte atlantique des Etats-Unis et du Canada, NDT.
Le 22 novembre, le journal Daily Mail a publié sur son site Web un article "analysant" la réaction des lycéens et étudiants face à l'augmentation des frais de scolarité. Ce journal "accuse" nommément notre organisation d'être l'un des acteurs principaux des actions de blocage et d'occupation.
Nos camarades vivant en Angleterre ont évidemment immédiatement réagi. Nous publions ci-dessous la traduction de l'article du Daily Mail et la réponse de Worl Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
"Des étudiants combatifs ont uni leurs forces à des communistes français pour bloquer les entrées d'établissements secondaires anglais, exhortant les élèves ayant à peine 15 ans à se mettre en grève par rapport aux frais universitaires de scolarité.
Les partisans de l'utilisation de la 'force légitime' pour tenter d'arrêter la hausse des frais ont été rejoints par des membres du Courant Communiste International (CCI) pour mobiliser des enfants encore en âge scolaire.
Les activistes veulent diffuser des tracts dans les établissements scolaires de tout le pays, lors de la dernière journée d'action, prévue pour mercredi.
Plus de 20 000 jeunes se sont inscrits pour participer à une 'grève nationale’ le mercredi. La majorité sont des élèves ou, tout au plus, des étudiants en formation continue.
Le groupe de campagne Education Activist Network a tenu une réunion de planification de la contestation, samedi, à Birkbeck College, Londres.
Celle-ci a vu la participation d'au moins un membre du CCI.
Le CCI a une longue tradition d'action directe datant de la contestation étudiante de 1968 qui a paralysé la France.
Le chef de file de l’EAN est Mark Bergfeld, 23 ans, qui a soutenu l'utilisation de la 'force légitime' pour faire tomber le gouvernement et qui a appelé à 'dresser des barricades dans les écoles'.
M. Bergfeld, qui fréquente l'Université d'Essex, a déclaré lors de la réunion de samedi: ‘Ce que vous pouvez faire, c'est, entre aujourd'hui et le 24, donner des tracts à l'extérieur des écoles pour qu'ils sachent ce que nous faisons. Ainsi, ils pourront vous rejoindre ce jour-là.’
Étaient également présents des employés de la mairie et du Service de Santé, des enseignants et des professeurs d'université."
Notre première réaction à cet article dans le Daily Mail fut celle d'une hilarité générale. La seconde pensée fut « pas de publicité est une mauvaise publicité ». Mais la troisième fut : « Qu'est-ce qu'il y a derrière cela ? »
La théorie du complot du journalisme bourgeois, qui ne peut jamais envisager un véritable mouvement de révolte qui viendrait de la base mais qui doit toujours remonter à quelque Moriarty1 diaboliquement rusé, qui tisse sa toile dans l'ombre, a une longue histoire, remontant certainement à l'époque de Marx et de la Première Internationale. La presse capitaliste avait l'habitude de critiquer l'Association Internationale des Travailleurs parce qu'elle attisait tout acte de résistance à l'ordre bourgeois, de la plus petite grève locale à la puissante Commune de Paris, en 1871. L'Internationale avait une certaine influence à cette époque, bien sûr, mais ce n'était rien comparé à la version très exagérée, évoquée par les serviteurs de la classe dirigeante.
Nous sommes un groupe minuscule. Nous participons à la lutte de classe du mieux que nos forces le permettent et, oui !, nous avons été actifs dans un certain nombre de discussions, de réunions et de manifestations qui font partie du mouvement actuel des étudiants contre les frais de scolarité et l'abolition des paiements EMA. Nous étions en effet présents à la réunion de EAN citée plus haut. Nous sommes fiers d'être une organisation internationale (ce qui est évidemment différent d'en être une uniquement française) et on peut en effet faire remonter nos origines à l'énorme vague de grèves qui a secoué la France en mai 1968.
Mais nous n'avons pas la prétention d'être les organisateurs du mouvement actuel - nous ne pensons même pas que c'est notre rôle. Il n'y a toutefois guère de raisons de polémiquer avec le Daily Mail, parce qu'il se moque de savoir si, oui ou non, ses écrivaillons croient qu'ils ont vraiment découvert la puissance secrète derrière la rébellion actuelle de la jeunesse ouvrière au Royaume-Uni.
La véritable raison de cet article et d'autres similaires est ailleurs. Et il y a bien eu un certain nombre d'articles du même genre récemment : des groupes anarchistes, comme Solidarity Federation et Anarchist Federation ont été identifiés comme les organisateurs de l'occupation et du saccage du siège du Parti Conservateur, en novembre 2010, et après l'événement lui-même, un article particulièrement pernicieux a été publié dans le Daily Telegraph qui désigne un intervenant sur le forum Internet de Libcom, en le nommant, ainsi que son père, et en insinuant, sans aucune preuve, qu'il était directement responsable des dommages causés à Millbank.
Des 'exposés' de ce type visent à discréditer les révolutionnaires et les organisations révolutionnaires, à les faire paraître aussi sinistres et peu attractives que possible, et, finalement, à créer une atmosphère où elles peuvent être directement attaquées par les forces de l'ordre. Après tout, nous préconiserions 'la force légitime' et nous serions même prêts à attirer d'innocents écoliers dans nos projets diaboliques. Et bien sûr, nous serions des étrangers, alors pourquoi devrions-nous même être tolérés ici ?
Le 'kettling' (l'encerclement, ndt) de la manifestation étudiante du 24 novembre à Londres a été une démonstration de force flagrante visant à intimider un mouvement que la bourgeoisie n'est pas encore certaine de pouvoir contenir, notamment parce qu'il n'obéit pas aux règles habituelles de l'engagement que les syndicats et la gauche doivent normalement imposer. Les insinuations contre les anarchistes et les communistes sont une autre expression du même genre de réaction de la classe dirigeante. Elles correspondent à son besoin de bloquer un processus émergent de politisation chez les jeunes, une politisation qui menace d'aller bien au-delà de la fausse opposition offerte par la gauche capitaliste.
Il n'est pas ici nécessaire d'envisager un complot : ce genre de réaction est presque aussi «spontané » pour la classe dirigeante qu'une manifestation organisée sur Facebook. Mais il y a aussi de la conscience dans cela : nos dirigeants apprennent de ce qui s'est passé avant et de ce qui se passe ailleurs. Ils ont en face d'eux les images de la Grèce et de la France, par exemple, où, dans les récents mouvements contre l'austérité, nous avons vu des minorités petites, mais bien visibles, posant des questions très politiques : l'auto-organisation et l'extension des luttes, l'avenir que la société capitaliste nous réserve. Les étudiants en Grande-Bretagne soulèvent également la question de l'avenir et la classe dirigeante préfererait éviter qu'ils soient encouragés à se concevoir comme partie d'un mouvement allant dans la direction de la révolution.
World Revolution (27 novembre 2010)
1 Moriarty est l'ennemi juré de Sherlock Holmes, grand criminel prêt à tous les complots et coups fourrés.
Toute une série de manifestations de haut en bas du pays: grèves des universitaires, dans la formation continue, étudiants des écoles supérieures et des lycées, occupations pour une longue liste d'universités, de nombreuses réunions pour discuter de la voie à suivre ... la révolte des étudiants et élèves contre la hausse des frais de scolarité et l'abolition des paiements EMA est toujours en marche. Les étudiants et ceux qui les soutiennent sont venus aux manifestations de bonne humeur, fabriquant leurs propres bannières et leurs propres slogans, certains d'entre eux rejoignant pour la première fois le mouvement de protestation, beaucoup d'entre eux trouvant de nouvelles façons d'organiser les manifestations. Les grèves, manifestations et occupations ont été tout sauf ces sages événements que les syndicats et les 'officiels' de la gauche ont habituellement pour mission d'organiser. Les débrayages spontanés, l'investissement du siège du parti conservateur à Millbank, le défi face aux barrages de police, ou leur contournement inventif, l'invasion des mairies et autres lieux publics, ne sont que quelques expressions de cette attitude ouvertement rebelle. Et le dégoût devant la condamnation des manifestants à Millbank par Porter Aaron, le président du NUS (Syndicat National des Etudiants) s'est tellement répandu qu'il a dû présenter ses plus plates excuses.
Cet élan de résistance à peine contrôlée a inquiété nos gouvernants. Un signe clair de cette inquiétude est le niveau de la répression policière utilisée contre les manifestations. Le 24 novembre à Londres, des milliers de manifestants ont été encerclés par la police quelques minutes après leur départ de Trafalgar Square, et malgré quelques tentatives réussies pour percer les lignes de police, les forces de l'ordre ont bloqué des milliers d'entre eux pendant des heures dans le froid. A un certain moment la police montée est passée directement à travers la foule. A Manchester, à Lewisham Town Hall et ailleurs, nous avons des témoignages de déploiements similaires de la force policière brutale. Après Millbank, les journaux ont tenu leur partition habituelle en affichant des photos de présumés 'casseurs', faisant courir des histoires effrayantes sur les groupes révolutionnaires qui prennent pour cible les jeunes de la nation avec leur propagande maléfique. Tout cela montre la vraie nature de la 'démocratie' sous laquelle nous vivons.
La révolte étudiante au Royaume-Uni est la meilleure réponse à l'idée que la classe ouvrière dans ce pays reste passive devant le torrent d'attaques lancées par le nouveau gouvernement (en continuité avec le précédent gouvernement) sur tous les aspects de notre niveau de vie: emplois, salaires, santé, chômage, prestations d'invalidité ainsi que l'éducation. Elle est un avertissement pour les dirigeants que toute une nouvelle génération de la classe exploitée n'accepte pas leur logique de sacrifices et d'austérité. En cela, les étudiants font écho aux luttes massives qui ont secoué la Grèce, la France et l'Italie, et qui menacent d'exploser en Irlande, au Portugal et dans de nombreux autres pays.
Mais la classe capitaliste, face à la pire crise économique de son histoire, ne se contente pas de pratiquer la politique de l'autruche devant nos exigences. S'ils font ces attaques, ce n'est pas par idéologie, mais c'est la logique matérielle même de leur système moribond qui les y oblige. Et pour les contraindre à faire même les concessions les plus temporaires, nous devons réaliser leur plus grande crainte: une classe ouvrière qui est organisée, unie et consciente de ce pourquoi elle se bat.
Ceci n'est pas une utopie. C'est déjà en train de prendre forme devant nous. La capacité d'auto-organisation peut être vue dans les initiatives des manifestants dans les rues, et l'insistance par rapport à la prise de décision collective dans les occupations et dans les réunions, dans le rejet de la manipulation par les candidats à la bureaucratie, quelle que soit leur prétention d'appartenir à la 'gauche'. La tendance à l'unification de la classe ouvrière peut être perçue quand les enseignants , les parents, les retraités, les travailleurs d'autres secteurs ou les chômeurs participent aux assemblées générales dans les bâtiments universitaires occupés ou rejoignent les manifestations d'étudiants, lorsque les étudiants vont à la rencontre des piquets de grève des travailleurs du métro. La conscience par rapport aux objectifs du mouvement peut être vue à la fois dans la formulation d'exigences claires pour aujourd'hui et dans la prise de conscience croissante que cette société ne peut pas nous offrir un avenir humain.
Mais nous devons également discuter de la façon avec laquelle nous devons poursuivre ces efforts, car ils ne sont qu'un début. A notre avis qui, nous le pensons, est basé sur l'expérience des luttes passées et présentes de la classe ouvrière, il y a des mesures concrètes qui peuvent être prises dès maintenant, même si leur forme exacte peut varier d'un endroit à l'autre :
David Cameron ne cesse de nous répéter que nous sommes tous dans le même bateau. Et il est certainement dans le même bateau que celui de sa classe et de son Etat et de ses partis, y compris le parti travailliste, tout autant que les libéraux-démocrates et les conservateurs. Tous sont dans la même embarcation pour sauver le système capitaliste, à nos frais. Mais nous, nous sommes liés à tous ceux qui sont exploités et opprimés par ce système, dans tous les pays du monde. Aujourd'hui, nous sommes unis pour nous défendre contre encore plus d'exploitation. Demain nous serons unis pour mettre un terme à l'exploitation.
(2 décembre 2010)
Tract diffusé dans les récentes luttes et manifestations par "World Revolution", organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
Le tract ci-dessous a été distribué lors de la grande assemblée tenue au King's College le lundi 15 novembre, sous l'égide de l'aile gauche des syndicats (Education Activists Network). Nous saluerions tous commentaires, toutes critiques, et surtout, proposition de distribution ou d'amélioration et de mise jour, dans la semaine qui précède le Jour de l'Action. Un camarade de la section du CCI de Toulouse, qui a été très actif dans le mouvement pour les comités de lutte et les assemblées, a pu prendre la parole lors de la réunion, et en dépit d'une attaque frontale de la part de la stratégie syndicale française, a été largement applaudi. Nous allons essayer de rassembler plus d'éléments sur cette réunion.
Pendant longtemps, il a semblé que la classe ouvrière en Grande-Bretagne était réduite au silence devant la brutalité des attaques lancées par le nouveau gouvernement : contrainte des personnes handicapées de retourner au travail, obligation pour les chômeurs de travailler pour rien, augmentation de l'âge de la retraite, coupes budgétaires féroces dans le secteur de l'éducation, des centaines de milliers d'emplois supprimés dans le secteur public, le triplement des frais de scolarité universitaire et l'abolition des EMA (indemnités pour frais de scolarité ) pour les étudiants de 16 à 18 ans ..., la liste est interminable. Les luttes ouvrières qui ont eu lieu récemment à British Airways, les employés du métro, chez les pompiers, ont toutes été maintenues dans un strict isolement.
Mais nous sommes une classe internationale et la crise de ce système est également internationale. En Grèce, en Espagne, et plus récemment France, il y a eu des luttes massives contre les nouvelles mesures d'austérité. En France, la réaction contre la 'réforme' de la retraite ont provoqué un mécontentement croissant dans la société mais surtout parmi les jeunes.
L'énorme manifestation à Londres du 10 novembre a montré que le même potentiel de résistance existe au Royaume-Uni. La taille de la manifestation, la participation des étudiants et des travailleurs de l'éducation, le refus de se limiter à une sage marche d'un point à un autre, tout cela exprime le sentiment qui va grandissant que nous ne pouvons accepter la logique d'agression de l'Etat contre nos conditions de vie. L'occupation temporaire du siège des conservateurs n'était pas le résultat d'un complot ourdi par une poignée d'anarchistes, mais le produit d'une colère beaucoup plus large, et la grande majorité des étudiants et des travailleurs qui ont soutenu la manifestation ont refusé de s'associer à la condamnation de cette action par la direction du NUS et par les médias.
Beaucoup l'ont dit : cette manifestation n'est qu'un début. Déjà une deuxième journée d'action et de manifestation est organisée pour le 24 novembre. Pour l'instant, ces actions sont organisées par des organismes 'officiels' comme le NUS qui ont déjà montré qu'ils font partie des forces de l'ordre. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas participer massivement aux manifestations. Au contraire, se rassembler en grand nombre possible est la meilleure base pour la création de nouvelles formes d'organisation qui peuvent exprimer les besoins réels de la lutte.
Avant de telles manifestations ou journées d'action, comment pouvons-nous aller de l'avant ? Nous avons besoin d'appeler des réunions et des assemblées générales dans les universités, les collèges et les écoles, ouvertes à tous les étudiants et travailleurs, à la fois pour renforcer le soutien aux manifestations et pour discuter de leurs objectifs.
L'initiative prise par quelques camarades pour former des 'blocs d'étudiants et travailleurs radicaux' dans les manifestations doit être soutenue, mais, dans la mesure du possible, ils devraient se réunir à l'avance pour discuter exactement sur comment ils entendent exprimer leur indépendance par rapport aux organisateurs officiels.
Nous avons besoin d'apprendre des expériences récentes en Grèce, où les occupations (y compris l'occupation du siège des syndicats), ont été utilisées pour créer un espace où les assemblées générales pouvaient avoir lieu. Et quelle a été l'expérience en France ? Nous avons vu une importante minorité d'étudiants et de travailleurs dans de nombreuses villes tenir des assemblées de rue non seulement à la fin des manifestations, mais sur une base régulière, alors que le mouvement allait de l'avant.
Nous devons aussi être clairs qu'à l'avenir, les forces de l'ordre ne se contenteront plus d'une approche toute en douceur, comme celle du 10 novembre. Ils seront équipés en conséquence et chercheront à nous provoquer dans des affrontements prématurés qui leur donneront un prétexte pour déployer leur force. Cela a été une tactique courante en France. L'organisation de l'auto-défense et de la solidarité contre les forces de répression a besoin d'être créée grâce la discussion et aux décisions collectives.
La lutte ne doit pas se faire seulement dans le secteur de l'éducation. La classe ouvrière tout entière est soumise aux attaques et la résistance doit être étendue de façon consciente, à la fois dans les secteurs publics et privés Contrôler nos propres luttes est le seul moyen de les étendre.
Courant Communiste International, 15/11/2010.
Dans l'article 'Le capitalisme mondial au tournant de la crise (1), dans 'Le prolétaire'n°497 de juil-oct 2010', il y avait déjà des données intéressantes qui semblent aller dans le sens du cadre d’analyse présenté dans le livre que nous commentons ci-dessous. On y constate aussi que, bien que la Chine soit «le premier producteur mondial d'électroménager, de composants électroniques, de matériaux de construction, le deuxième producteur dans la chimie (…) une caractéristique peu connue mais très importante de l'économie chinoise actuelle [est]: la domination du capital étranger sur les secteurs les plus dynamiques et les plus productifs de l'industrie».
Il arrive assez peu qu'un petit livre d'à peine 180 pages puisse donner autant d'informations et d'analyses qui permettent d'avoir un cadre clair sur un sujet aussi vaste que l'émergence économique de la Chine actuelle. Et pourtant, c'est bien le cas avec le livre de Bruno Astarian 'Luttes de classes dans la Chine des réformes (1878-2009)'.(2)
En fait comme le signale l'auteur lui-même l'essentiel du matériel du livre avait été élaboré avant la crise financière. Selon lui: «Il n'y a pas de pays, et dans chaque pays une classe capitaliste et son prolétariat, mais il existe un capital et un prolétariat mondiaux, segmentés en pays par des États, comme ils le sont en entreprises par des capitalistes».
«D'un point de vue temporel, ce texte vient trop tard où trop tôt : trop tard parce qu'il a été rattrapé par la crise mondiale... et trop tôt parce qu'il est certain que l'approfondissement de cette crise imposera de corriger et d'approfondir la réflexion...»
D'un point de vue théorique le livre pose de nombreuses interrogations, qui vont du capitalisme d'État à la révolution mondiale, en passant par le développement endogène du capital national à notre époque... et en analysant le fait que beaucoup de médias en Occident proclament que la Chine sera la prochaine puissance mondiale. C'est d’abord à ce questionnement qu'essaie de répondre ce livre.
D’emblée, il faut saluer le travail de recherche de l'auteur et son courage d'aller à l'encontre des idées reçues, comme celle qui affirme que la Chine monte inexorablement vers l'hégémonie mondiale. Il essaie de contrer ces affirmations souvent gratuites par une argumentation, chiffres à l'appui, sans pour autant alourdir le texte et en comprimant toutes ces informations dans 160 pages bien synthétisées en 6 chapitres clairs et lisibles.
Dans les chapitres 1 à 3, il analyse essentiellement la composition du capital chinois au sein du pays et sa place sur l’échiquier mondial entre les autres requins impérialistes.
En parcourant les différentes étapes depuis les réformes, l'auteur constate que les entreprises privées, qui se sont développées après les réformes de 1978, se sont trouvées étouffées par le manque de crédit et la reprise en main des autorités locales: «Ces quelques éléments n'augurent pas bien d'un développement 'endogène' d'un capitalisme chinois appelé à dominer le monde – voire le seul territoire chinois … L'hypothèse … d'un développement autocentré d'un petit capitalisme chinois en grand capitalisme national puis international est bloqué par la saturation du monde en capital. … Comment faire le recentrage de l'économie chinoise sur son marché intérieur … si la faiblesse des salaires urbains et celles des revenus agricoles est le principe même de la survie du capitalisme chinois dans la concurrence internationale» (p.21)
En ce qui concerne le fameux transfert technologique si 'redouté' par les médias occidentaux et le Japon, l'auteur constate que «depuis l'adhésion à l'OMC, la Chine a dû accepter que les investissements étrangers puissent se faire sans co-entreprise, de sorte que «la plupart des investissements étrangers basés sur la technologie se situent maintenant dans des entreprises entièrement contrôlées par l'étranger» (R & D, but mostly D, China Economic Quarterly, 2003, IV). Autant pour les transferts de technologie»(p.31). Il s'avère donc que là aussi les informations qu'on reçoit par la presse bourgeoise sont pour le moins exagérées: «Les médias placent la recherche chinoise en haut du tableau des pays scientifiques … Mais si on tient compte de la valeur qualitative de la recherche, la Chine tombe à la dixième place (Les Echos, 24 février 2009) (p.32).. Sur le vaste marché dont se vantent les médias il voit la aussi qu'il «est déjà proche de la saturation» (p.33). En fait: «Pour ne pas mourir, il va falloir se développer. Pour se développer, il va falloir investir. Pour investir, il va falloir du crédit. Or les entreprises privés n'en obtiennent pas, ou peu, des banques chinoises».(p.34)
Est-il donc étonnant que la seule compagnie qui fleurisse (Huawei, télécommunications, avec un personnel de 34.000 personnes dans le monde) «ne publie pas de comptes et est comme par hasard lié à l'armée (qui se soucie peu de la rentabilité de l'affaire) et a pu bénéficier en 2004 d'un crédit de 10 milliards de dollars de la China Development Bank (banque publique)». (p.36). Hors depuis l'entrée en décadence du capitalisme, les pays qui ont davantage dû investir dans leur secteur militaire au détriment des autres secteurs, ont toujours été les régimes impérialistes en position de faiblesse.
Il en arrive à la conclusion que bien qu'il y ait des essais de la part de l'État et du PCC de se mettre en valeur, ils sont tout à fait pris dans les étaux d'une contradiction insoluble :
Après avoir recherché comment est organisé le capitalisme endogène il en arrive à la conclusion que : «Les aides et protections dont bénéficient les entreprises chinoises publiques et privées semblent plus importantes et nécessaires qu'ailleurs.(...) Contrairement à l'image d'un capitalisme chinois triomphant, cet état de fait n'exprime-t-il pas plutôt une faiblesse? En plus l'auteur constate que «la crise actuelle accentue … le protectionnisme régional. La fragmentation du territoire et de l'économie entraine un surinvestissement systématique» et il en donne un exemple, cité du livre de Christian Milelli (3): «Dans le Delta de la Rivière des Perles (région de Canton/Shenzhen), on trouve cinq aéroports, sans aucune connexion entre eux, dans un rayon de 90 kilomètres» (32) (p.38). Pour lui, en se basant sur des données de Jean-Louis Rocca '4) , il est donc évident que : «le capitalisme chinois réformé … requiert cependant tant de protections et d'aides qu'on est en droit de parler d'un 'capitalisme peu conquérant', vivant de rentes et de monopoles locaux» (33) Il mentionne une autre auteur (Marie-Claire Bergère)(5) qui avait aussi souligné les effets peu prometteurs des réformes et de la vision à long terme, qui est court-circuitée par la corruption et des politiques à court terme : «l'amélioration de la rentabilité des entreprises de l'État après leur réforme est en partie due à la privatisation des logements et de la dānwèi [système] «qui garantissait à ses membres un travail, mais aussi leur logement, leur santé, la maternité, l'éducation des enfants, les retraites... Ces avantages pouvaient représenter jusqu'à 120% du salaire versé en argent» !!!! (p.11) … à peu près 250 milliards de dollars» (p.35). «Cet argent était censé être placé dans un fonds spécial de réserve. Il l'a rarement été, et est donc parti avec les dépenses courantes». On peut donc se demander où reste donc la marge de manœuvre du capital national chinois ? Et très logiquement l'auteur conclut : «Cette image est évidemment contradictoire avec le sentiment général en Occident que la Chine est la prochaine grande puissance du monde»
Il fait aussi le constat très juste que le battage sur la puissance de la Chine sert plutôt à faire du chantage envers le prolétariat occidental et japonais : «En revanche, on ne peut refuser à tous ces entrepreneurs privés et publics le compliment que leur adressent leurs collègues du monde entier en investissant en Chine : ils sont absolument féroces avec leurs prolétaires».(p.39)
Pour le reste il y a deux chapitres: sur les paysans et le système 'hừkŏu' (permis de résidence, attaché à un lieu précis), «document administratif qui permet à l'État chinois un fichage policier nécessaire pour que la dictature du PCC dispose d'un quadrillage policier». (p.48)
A travers des chiffres sur la productivité de la paysannerie apparaît une fois de plus comment cette situation est une preuve accablante des contradictions du capitalisme et de son incapacité d'intégrer l'ensemble de la population paysanne dans la modernisation de l'agriculture capitaliste. Tout au plus le capital chinois peut utiliser cette masse de paysans sous-productifs comme un chantage contre la classe ouvrière dans son ensemble, au moyen de salaires extrêmement bas pour les ouvriers migrants. «Si l'agriculture chinoise élevait sa productivité au niveau de la moyenne mondiale … cela libérerait pratiquement 300 millions de candidats à la prolétarisation !!!» (p.53) «Pour porter la surface moyenne des exploitations à un hectare, ce qui est très peu, mais le double de la situation actuelle), il faudrait expulser environ 150 millions de paysans, ce qui est énorme» (p.59). Sans être exhaustif, l'auteur se limite à citer plusieurs révoltes selon leurs raisons: à cause d'impôts excessifs, de confiscations de terres, des tarifs de bus, de la politique de l'enfant unique (qui est exécutée souvent de façon féroce), révoltes auxquelles participent chaque fois plusieurs milliers de paysans (p.61). Là il faut sans doute se référer à d'autres œuvres qui donnent des informations plus amples.
L’auteur nous donne des informations intéressantes sur ce sujet peu connu depuis les réformes de 1978. Il distingue d'abord les deux fractions du prolétariat chinois: le 'vieux' prolétariat des vieilles industries étatisées et les míngōng, les ouvriers et ouvrières surexploités venant de l'exode rural (pour l'essentiel des sans-papiers de l'intérieur), qui travaillent surtout dans des nouvelles industries, privées pour la plupart. Selon l'agence Xinhua le 16 juin 2007, il y en aurait 120 millions dans les grandes villes et 80 millions dans les petites, donc presque un tiers de la population active totale d'environ 750 millions (p.64). L'auteur fournit des données importantes à propos de cette surexploitation: durée hebdomadaire de 98 heures avec un jour de repos par mois(!), calcul scandaleux des salaires avec des heures non payées, considérées comme volontaires (!), systèmes d'amendes (!) pour baisser les salaires, frais de séjour pour des logements insalubres et une bouffe épouvantable, retard dans le payement des salaires pour empêcher que les travailleurs s'en aillent, etc... (pp. 68-71). Pourtant les ouvriers réagissent souvent et en dépit de la grave répression, forcent de temps en temps les patrons escrocs à reculer, obtiennent des hausses de salaires presque annuelles (+ 2,8 en 2004; +6,5% en 2005; + 11% en 2006) jusqu'en 2008, où le gouvernement a ordonné le gel des salaires minimaux (p.73). Mais ces travailleurs migrants doivent lutter durement pour chaque amélioration minimale, comme pour la scolarisation de à peu près 20 millions de leurs enfants qui se retrouvent en ville.
Les 'vieux' travailleurs du secteur public se sont battus surtout contre le démantèlement du système de dānwèi, l'unité du travail (qui garantissait emploi à vie, logement, scolarisation des enfants, etc..). Si pendant la première période de réformes le nombre de salariés a augmenté considérablement jusqu'en 1995, après il baisse de 113 à 64 millions en 2006 (!) (...) Du point de vue des travailleurs, cette évolution a été d'une rapidité, d'une brutalité et d'une profondeur difficilement imaginable en Occident. Elle a donné lieu à d'importants conflits sociaux» (pp. 83-84)
Ce sont précisément ces luttes contre la loi de 1995, qui met officiellement fin à l'emploi à vie, qui ont débouché sur «une nouvelle loi sur le contrat de travail en 2008, qui est plus favorable aux travailleurs que le précédent texte (de 1995), et dont les représentants de l'Union Européenne et des États-Unis ont essayé d'infléchir la rédaction» (!!!!) (p.85). Et encore, comme toujours, faut-il se méfier de son application réelle. Une autre donnée importante est: «qu'il ne semble pas avoir eu de concurrence massive entre les migrants et les licenciés des entreprises publiques»(p. 90).
Il est curieux que l'auteur ne mentionne aucune lutte avant et autour de la répression de Tian An Men, qu'on peut retrouver dans un excellent livre publié à Hong Kong en 1990, mais apparemment retiré sous pression de Beijing (2). En fait il n'y réfère qu'indirectement quand il traite de la répression «des 'syndicats libres', florissants en 1989, en citant Han Dongfeng, qui mentionne que la 'Beijing Workers Autonomous Federation'(…) fondée par les étudiants, n'avait pas d'adhérents ouvriers, car ceux-ci se méfiaient» (6) (p.132). En conséquence l'auteur ne mentionne que les luttes depuis 1997: Quand le gouvernement a décidé «de 'lâcher les petites pour maintenir les grandes entreprises'. Il y a eu alors une importante vague de luttes, parfois insurrectionnelles (... ) Certaines luttes cherchèrent à s'organiser durablement en fondant un syndicat à la base. Ce sont celles qui furent le plus durement réprimées (…) ces luttes importantes mais numériquement faibles par rapport aux millions d'ouvriers concernés par les restructurations ne parvinrent jamais à ébranler le pouvoir (…) Combiné à la répression, un semblant de prise en charge du chômage, l'apparition d'emplois dans le privé et les multiples combines de survie ont permis … de faire refluer la vague des luttes en défense de la dānwèi (pp. 10-101).
Cependant il y a eu d'importantes luttes insurrectionnelles: en février 1997, 20.000 mineurs licenciés à Yang-jiazhang (Liaoning), bloquant la ville plusieurs jours; en juillet 1997 de véritables émeutes éclatent dans le Henan et le Shandong; au même moment à Mianyang (Sichuan), 100.000 personnes se rassemblent; entre 1997 et 1998, de nombreuses révoltes dans le Heilongjiang et en 1988 à Pun Ngai à cause du retard de huit mois des salaires, etc... Beaucoup de ces conflits se terminent par des offres de mise à la retraite qui ne sont pas tenues (p.102).
Mais ensuite il y a eu des conflits beaucoup plus durs parce que les autorités ou les entreprises ne se tiennent presque jamais aux accords conclus: de 2000 à 2002, les travailleurs du pétrole du Nord-Est contre la restructuration et des dizaines de milliers de licenciements, une lutte qui dure plusieurs années; à Daqing (Heilongjiang) contre 80.000 licenciements allant jusqu'à des manifestations de 50.000 personnes et des blocages de trains vers la Russie et des manifestations de solidarité d'autres travailleurs du pétrole; à Fashun en 2001, quand 300.000 travailleurs du charbon, du ciment, etc. furent transformés en 'xiagang'(…) 10.000 d'entre eux tentèrent des barrages réguliers de routes et de voies ferrées pendant plusieurs semaines; en mars 2002 au complexe métallurgique Liaoyang Tiejehin où le non-respect des promesses et les mensonges provoquent des grèves et manifestations de solidarité allant jusqu'à 30 ou 80.000 personnes (...) suivies par une répression systématique» (pp.104-106).
«Aiqing Zheng signale que pour la seule année 1994, il y a eu 12.000 'conflits collectifs' du travail dans les entreprises publiques. Dans 2.500 cas, les ouvriers ont occupé les locaux, détruit des machines, pris en otage des dirigeants du parti ou de l'entreprise (7) . En 2002 la province de Anhui promulgua un règlement pour protéger les patrons, car plusieurs d'entre eux avaient récemment été assassinés» (p.107)
Un rapport du CLB (8) confirme que les luttes des travailleurs licenciés des entreprises de l'Etat et celles des travailleurs migrants sont «de plus en plus souvent rejointes par la lutte des salariés des entreprises d'Etat restructurées ou privatisées. Parfois aussi les travailleurs (cfr supra) payent durement leurs illusions de créer un syndicat, «même en pensant à se faire enregistrer à la FSC (Confédération Syndicale Unique) comme en 2004 à Xianyang (Shaanxi), où les meneurs sont arrêtés. Depuis 2005 on a aussi connu des grèves pour des augmentations de salaires, dans la Changha Lead-Zinc Mine et dans le textile: Feyia Textile Company à Huabei (Anhui) et Heze Textile Factory (Shandong), des entreprises d'Etat. Preuve que la 'vielle' classe ouvrière développe aussi des luttes plus offensives» (p.109-110).
L'auteur fournit encore quelques exemples de luttes de la 'nouvelle' classe ouvrière, qui démontrent que même en absence d'expérience historique, la colère des ouvriers provoque des luttes assez impressionnantes: «en 2004 à Dongguan, chez Stella International et chez Xing Ang Shoe Factory, dans les usines Xing Lai et Xing Peng les travailleurs, avec l'implication très active des femmes, ont obtenu une augmentation de leurs salaires, un conflit relaté par le CL qui déplore que dans les usines Xing Xiong et Xing Ang, ils n'aient pas eu de représentants, comme dans le autres deux usines, car cela aurait permis d'éviter les violences: 'Ces travailleurs non-organisés sont plus dangereux' car ils sont plus enclins aux débordements» [sic]; «en 2005 chez Uniden (Shenzhen) qui emploie 16.000 ouvrières à la fabrication de téléphones pour Wal-Mart [multinationale US très anti-syndicale], à cause de la non-tenue des promesses lors de la première grève, les ouvrières ont tenu une AG permanente (...) avec comité de grève élu de 29 membres, avec dix ouvrières arrêtées après la grève et condamnées à trois ans et demi de prison, mais amnistiées après une campagne internationale (!); été 2005 à Dalian avec une vague de grèves dans plusieurs usines ; en novembre 2007 chez Alco Holding à Dongguan contre l'augmentation des prix de la cantine; en janvier 2008 chez Maersk encore à Dongguan (au port de Machong) contre les amendes et chicaneries des gardes de l'usine. Selon Han Dongfen (6) il y a chaque jour au moins une grève de plus de 1.000 grévistes dans le Delta de la Rivière des Perles (source Radio Free Asia)» (pp. 112-118).
«Depuis la crise, le gouvernement estime qu'il y avait 20 millions de migrants au chômage depuis 2008 sur lee 200 millions de migrants en tout» (p.120). D'autres sources parlent de 30 millions et des nouveaux projets gouvernementaux de construction de villes intermédiaires (pour des millions de migrants) pour les occuper et en même temps pour empêcher qu'ils restent en ville ou qu'ils retournent à la campagne où ils causeraient des problèmes sociaux. Mais ce n'est qu'un déplacement temporaire du problème de l’impossibilité de les intégrer de façon durable dans la classe ouvrière.
Le livre traite aussi des luttes de la nouvelle classe ouvrière jusqu'à la crise de 2008 et s’arrête au moment du gel des salaires minimaux. Comme l'auteur le dit, il n'est pas toujours facile d'interpréter les sources qui utilisent souvent la notion d'«incidents de masse», qui «recouvrent les grèves, les manifestations, les émeutes, aussi bien en milieu urbain qu'à la campagne. C'est un indicateur très flou, qui donne une idée générale de la montée des luttes depuis quinze ans: 1993: 8.700; 1994: 12.000; 1998: 25.000; 1999: 32.000; 2000: 40.000; 2002: 50.000; 2003: 58.000; 2004: 74.000; 2005: 87.000; 2006: 90.000; 2007 (estim.) 116.000; 2008 (estim.): 127.000; 2009 (1er trim): 58.000» (p. 123). Donc une montée impressionnante.
Beaucoup d'éléments sont aussi fournis sur les moyens de luttes et «le relatif succès de la police à empêcher les ouvriers de sortir de l'usine pour chercher la solidarité de la population extérieure, le succès du gouvernement à acheter la paix sociale, le recours à la violence en l’absence de toute médiation sociale (…) En l'absence de données plus précises (…) on ne peut que conclure très provisoirement que le contexte de la lutte pousse plutôt les travailleurs à chercher à sortir des solidarités qu'à s'enfermer (…) une tendance (…) positive du point de vue d'un processus révolutionnaire éventuel» (p.125-126).
Pour notre part, nous exprimerons certaines réserves quand l’auteur traite de la question syndicale. Pour lui il «ne s'agit pas de savoir s’il faut être pour ou contre les syndicats libres. Les syndicats sont un rouage normal de la lutte des classes (..), mais il sont défavorables à la révolution (..) mais peut être, dans certaines circonstances, un instrument efficace de marchandage de la force de travail. En fait si on voit ce qu'a fait le syndicat 'libre' Solidarnosc à partir de 1980 pour saboter les luttes autonomes du prolétariat en Pologne, on ne comprend pas en se référent à l'histoire (mille fois confirmée) et aux luttes en Chine même, en quoi cela serait différent en Chine.
L'auteur conclut à juste titre que la crise réduit en miettes toutes les illusions: «il n'y a pas de place dans le monde pour une Chine dont la consommation ouvrière 'monte en gamme'. Sa place est celle de pourvoyeuse de plus-value absolue, d'ouvriers misérables, etc (…) il n'y a pas de place pour un nouveau club de sociétés multinationales qui domineraient le monde. Celui que constitue l'axe États-Unis-Union Européenne-Japon occupe déjà tout le terrain» (p.163).
Pour le futur des luttes, il souligne que chez le prolétariat chinois, «vivant dans un extrême précarité, en n’ayant pas d'illusion sur l'autogestion … il est probable que l'absence … de tradition ouvrière chez les travailleurs migrants est aussi un facteur favorable à un dépassement non économique de la crise … en plus de la place importante des femmes … qui ne reculent pas devant les nécessités de la lutte» (p. 167)
Et il finit par se poser quelques questions légitimes qui découlent de son analyse: «Le prolétariat chinois est-il le mieux placé pour comprendre que la liberté démocratique est la meilleure forme d'oppression? La réponse est non, bien sûr (…) La revendication d'un régime démocratique, y compris de la part du prolétariat, peut ainsi servir de vecteur important de la contre-révolution. Autrement dit, avec la crise qui s'approfondit, la révolte mondiale du prolétariat viendra peut-être de Chine, mais la révolution communiste viendra d'ailleurs, et sans doute d'une zone d'accumulation hautement développée» (p.170-171).
Espérons que ces commentaires inciteront de nombreux lecteurs à lire ce livre qui donne des éléments très valables de clarification dans les débats entre ceux qui réfléchissent au futur de la lutte des classes et aux questions qui se posent pour son internationalisation.
Dans Le prolétaire on constate que bien que «le prolétariat chinois est le plus nombreux du monde (…) la Chine n'a pas la possibilité comme l'ont eue les 'fabriques du monde' britanniques et américaines, d'anesthésier leurs prolétaires en leur concédant des hauts salaires et des conditions de vie supérieures à celles des ouvriers des autres pays, puisque c'est sur leur surexploitation forcenée que se fonde sa croissance (…) et les autorités chinoises … ont affirmé qu'une croissance inférieure à 6% mettait en péril la paix sociale. Mais cette croissance accélérée débouche inévitablement sur la surproduction … Cette surproduction frappera inévitablement la Chine, avec une force bien plus grande qu'en 2008. Et comme partout ce seront les prolétaires qui en feront les frais...» (9 ibidem)
Même si dans un premier temps beaucoup d'ouvriers combattifs gardent encore des illusions dans les 'syndicats libres', le fait qu'ils lancent des appels comme «Nous appelons tous les ouvriers à maintenir un haut degré d'unité et à ne pas laisser les capitalistes nous diviser» (10) révèle une base nécessaire pour dépasser aussi cette mystification comme le reste de leur frères et sœurs de classe dans le monde entier, condition pour pouvoir établir une vraie autonomie de classe, ouvrant la perspective d’une libération pour l'humanité entière.
JZ / 4.12.2010
(1) ISBN 962-7145-11-4: China, A moment of truth, Hong Kong Trade Union Education Centre, 1990.
(2) Bruno Astarian, Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009).: édité chez Acratie, septembre 2009. ISBN: 978-2-909899-34-3
(3) Christian Milielli, L'investissement direct japonnais en Chine, in Yunnan Shi et Françoise Hay (sous la dir.) : La Chine, forces et faiblesses d'une économie en expansion, p. 381)
'4) Jean-Louis Rocca, La condition chinoise
(5) Marie-Claire Bergère: Capitalismes et capitalistes en Chine, ed. Perrin, Paris 2007, p. 214.
(6) Han Dongfeng, Chinese Labour Struggles, New left Review, juillet-août 2005.
(7) Aiqing Zheng, Libertés et droits fondamentaux des travailleurs en Chine, L'Harmattan 2007, p. 171 sq.
(8) Communiqué du China Labour Bulletin, du 1er novembre 2004.
(9 ibidem) Le Prolétaire'n°n°497 de juil-oct 2010
(10) Cité de businessweek.com, dans RI n°415, Une vague de grèves parcourt la Chine, septembre 2010.
La librairie Gondolkodo Antikvàrium à Budapest a initié une série de débats publics sur les perspectives de la lutte de classe et a invité le CCI, le 5 novembre, à animer une discussion sur le thème "Crise économique mondiale et perspective de la lutte de classe".
Notre exposé introductif avait pour axes principaux la mise en évidence de :
l'extrême gravité de la crise dans tous les pays du monde signant la faillite irrémédiable du mode de production capitaliste
la dégradation inexorable des conditions d'existence du prolétariat et sa paupérisation croissante sur tous les continents;
le développement lent, heurté, mais incontestable des luttes ouvrières à l'échelle internationale;
les causes principales des difficultés actuelles du prolétariat à hisser ses combats à la hauteur des enjeux de la situation historique actuelle, et notamment ses difficultés à retrouver son identité de classe et à affirmer sa propre perspective révolutionnaire (suite aux campagnes de la bourgeoisie consécutives à l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens);
le rôle de sabotage des luttes des syndicats en Europe comme dans tous les pays;
le surgissement de minorités de la classe ouvrière à la recherche d'une perspective révolutionnaire face à l'impasse de plus en plus évidente du capitalisme.
C’est la première fois que nous avons pu participer à une telle rencontre en Hongrie et pour la plupart des personnes présentes, c’était aussi la première fois qu’ils rencontraient le CCI. La réunion a donc, presque inévitablement, pris un aspect « question/réponse », les participants cherchant à situer et à comprendre les idées et les analyses du CCI et plus largement de la gauche communiste. De notre côté, nous avons beaucoup apprécié la possibilité qui nous a été offerte de mieux comprendre les débats en cours dans le milieu révolutionnaire en Hongrie, et la façon dont les questions politiques sont posées.
La discussion s'est polarisée essentiellement sur la perspective révolutionnaire de la lutte de classe, et notamment autour des questions suivantes :
La révolution prolétarienne va poser le problème de l'affrontement violent avec la bourgeoisie. Le CCI développe-t-il une intervention en direction des soldats afin de les convaincre (comme le préconisait Engels) et de les agréger à la lutte révolutionnaire du prolétariat ?
Notre réponse a mis essentiellement en évidence les arguments suivants:
Il est évident que le renversement du capitalisme ne sera pas possible sans une décomposition des forces de répression. Mais ce processus ultime ne peut intervenir que dans une période où le rapport de forces entre la bourgeoise et le prolétariat mondial sera en faveur de la classe révolutionnaire, lorsque cette dernière sera suffisamment forte pour arracher le pouvoir à la bourgeoisie et ouvrir à toute la société la perspective du communisme. Dans une telle situation, les militaires, et même des membres de la police, seront amenées à choisir le camp le plus fort. Nous avons rappelé comment Trotsky, en 1917, est allé convaincre les cosaques, démoralisés, de ne pas se retourner contre la révolution. Nous avons également rappelé que, aujourd'hui, les soldats, dans les principales armées du monde, ne sont pas des ouvriers en uniforme embrigadés dans la guerre (comme c'était le cas lors de la première guerre mondiale), mais des engagés volontaires dans des armées de métier. De ce fait, les forces de répression ont pour objectif de maintenir l'ordre social capitaliste. Même si les soldats et les policiers sont salariés, ils n'appartiennent pas à la classe ouvrière, ils mettent leur force de travail au service du capital contre la classe ouvrière. Les organisations révolutionnaires n'ont donc pas pour vocation aujourd'hui de "convaincre" les forces de répression, mais de développer leur intervention afin de permettre au prolétariat d'affirmer sa propre perspective contre toute la classe dominante, contre l'État bourgeois et contre ses forces de répression dont la seule fonction est le maintien de l'ordre capitaliste.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un problème très grave : le capitalisme est en train de détruire l'environnement. Il y a une certaine urgence pour sauver la planète. Mais la classe ouvrière ne se mobilise pas autour de cette question. Elle est réformiste et veut seulement améliorer sa condition dans le système capitaliste. Elle n'a pas une conscience révolutionnaire. Aurons-nous le temps de construire le communisme avant que la planète ne soit détruite par la catastrophe écologique ?
A cette intervention, le CCI a répondu que la destruction de notre écosystème est effectivement un vrai problème pour le devenir de l'espèce humaine, et que le temps ne joue pas en faveur du prolétariat. Mais nous ne pouvons pas aller plus vite que la musique puisque la lutte du prolétariat se joue à l'échelle historique. La bourgeoisie elle-même est très inquiète. Elle a conscience du problème mais est incapable d'y remédier.
Le prolétariat (comme l'ensemble de, la population) est aussi très préoccupé, mais la question écologique (tout comme la question de la guerre) n'est pas un facteur de mobilisation des luttes ouvrières. Le prolétariat aujourd’hui se mobilise essentiellement à partir des questions économiques, des attaques immédiates de ses conditions matérielles d'existence. Ce n'est qu'en développant ses luttes contre la misère et l'exploitation qu'elle pourra développer sa conscience et englober dans sa lutte révolutionnaire toutes les autres questions (la guerre, l'écologie et tous les autres fléaux engendrés par le mode de production capitaliste).
D'autres participants sont intervenus pour critiquer certains aspects de notre analyse. L'un d'entre eux a affirmé qu'il n'était pas convaincu par la conception du CCI concernant la maturation actuelle de la conscience de classe. Il a donné comme argument que même s'il y a aujourd'hui des grèves, les masses prolétariennes sont passives et ne sont pas révolutionnaires.
Un autre intervenant a également affirmé que l'analyse du CCI de la conscience de classe n'est pas matérialiste car elle n'est pas basée sur les buts finaux du mouvement prolétarien : mettre la production au service de la société.
A ces objections, nous avons rappelé que notre exposé a souligné l'existence de luttes ouvrières significatives dans de nombreux pays du monde. Face aux attaques capitalistes, les masses ouvrières ne sont donc pas passives. En témoigne aujourd'hui encore la mobilisation du prolétariat en France contre la réforme du système des retraites où ce sont plus de 3 millions de prolétaires (salariés de tous les secteurs, précaires, chômeurs, étudiants, lycéens) qui sont descendus massivement dans la rue dans les manifestations. Nous avons également rappelé que les révolutionnaires doivent avoir une vision historique et faire preuve de patience. Un mouvement révolutionnaire international ne peut pas surgir du jour au lendemain du fait de l'immensité de la tâche du prolétariat. Nous pensons également qu’il faut se garder de toute vision idéaliste suivant laquelle la conscience révolutionnaire du prolétariat serait introduite subitement, ex nihilo, c'est-à-dire indépendamment d'une maturation des conditions matérielles et subjectives dans lesquelles vivent les masses prolétariennes. La conscience révolutionnaire des masses se forme dans un processus historique nécessairement lent et heurté qui ne peut se développer qu'à partir des luttes de plus en plus massives face aux attaques économiques du capital.
Face à l'argument suivant lequel le but du prolétariat serait la socialisation de la production, nous avons surtout mis en évidence qu'il fallait rompre avec la logique de la loi du profit. Il ne s’agit pas seulement de la question de l’appropriation sociale ou privée, mais surtout du but de la production et de sa distribution : production pour la satisfaction des besoins humains de tous au lieu de l’accumulation de valeurs d’échange, de l’argent (avec son corollaire : la misère et la paupérisation pour un nombre croissant de prolétaires).
D' autres participants ont posé les questions suivantes : quel est le but de la production communiste ? Comment concevez-vous l'organisation de cette production ?
Faute de temps, notre réponse n'a pu être que très succincte (car elle se réfère aux questions économiques posées par l'analyse du CCI de la période de transition du capitalisme vers le communisme). Nous avons simplement affirmé que le but de la production dans la société communiste est la satisfaction des besoins de toute l'humanité. Une production qui mettra fin au règne de la marchandise et du profit. Cette production de biens de consommation (et leur distribution) devra nécessairement être centralisée à l'échelle mondiale.
Un autre participant est intervenu pour affirmer que le mouvement de Mai 68 en France était un mouvement révolutionnaire car c'était un mouvement massif impliquant toute la classe ouvrière et les étudiants. Les usines et les universités étaient occupées, les manifestations étaient massives, les grévistes se sont affrontés aux forces de répression, etc.
Dans notre réponse, nous avons affirmé que Mai 68 en France, fut, certes, la plus grande grève de l'Histoire qui a ouvert une nouvelle période historique dans la lutte de classe. Mais ce n'était pas un mouvement révolutionnaire. Il n'y avait pas de conseils ouvriers et la question de la prise du pouvoir était loin d'être posée.
Enfin, un intervenant nous a posé la question suivante : comment se fait-il que, malgré votre critique du syndicalisme, le CCI ait noué des relations avec un groupe anarcho-syndicaliste comme la CNT en France ?
A cette question, tout à fait pertinente, nous avons apporté la réponse suivante.
Pour le CCI, le critère essentiel de l'appartenance au camp prolétarien est aujourd'hui la question de l'internationalisme. C'est la raison pour laquelle nous nous gardons de tout ostracisme, de toute attitude sectaire à l'égard de groupes qui ne partagent pas nos positions sur la question de l’anarcho-syndicalisme. Nos liens récents avec la CNT ne concernent que le groupe CNT-AIT de Toulouse (et non pas la CNT Vignolles) du fait de sa position clairement internationaliste et également de son attitude fraternelle à l'égard du CCI. Nous avons également rappelé que dans d'autres pays (tel la Russie par exemple), le CCI entretient également des rapports fraternels (au-delà des divergences) avec des groupes se réclamant du courant anarcho-syndicaliste.
Cette première réunion publique animée par le CCI à Budapest et organisé par la librairie G., fut très riche et animée. Malgré un certain scepticisme dans le débat sur les potentialités révolutionnaires du prolétariat, les participants qui ont pris la parole ont manifesté leur conviction que le capitalisme doit céder la place à un autre système social : le communisme. Toutes les interventions ont convergé dans le même sens : face à la gravité de la situation mondiale, l'avenir de la société humaine est plus que jamais entre les mains de la classe ouvrière.
Le débat s'est déroulé dans un climat très sérieux et fraternel où chacun a pu exprimer son point de vue, ses divergences, ses questionnements et préoccupations. C’est d’autant plus significatif dans un pays où la classe ouvrière a encore d'énormes difficultés à engager la lutte contre les attaques du capital, et qui est encore très fortement marqué par le poids de l'idéologie nationaliste et par les conséquences de l'effondrement des régimes staliniens, notamment par la subsistance d'idéologies réactionnaires (xénophobie à l'égard des minorités ethniques, exactions de groupuscules d'extrêmes droite…).
Nous tenons ici à remercier chaleureusement la librairie Gondolkodo Antikvàrium d'avoir pris l'initiative d'inviter le CCI à animer cette réunion publique.
Nous tenons également à remercier les organisateurs de cette réunion pour les traductions en deux langues qui ont permis à tous les participants de suivre l'exposé du CCI et à nous-mêmes de participer activement au débat.
Le fait que notre organisation ait pu, grâce à cette invitation, exposer publiquement ses analyses dans la capitale hongroise est, à notre avis, une nouvelle manifestation d’une maturation en profondeur de la conscience de classe. Cette maturation s'exprime aujourd'hui par l'existence de minorités et éléments politisés à travers le monde qui cherchent à nouer des liens pour rompre l'isolement et clarifier à la fois leurs divergences et leurs points d’accord.
CCI (8 novembre)
Le premier samedi après l'annonce de la révision gouvernementale des dépenses publiques, le 23 octobre, se sont déroulées un certain nombre de manifestations contre les coupes budgétaires, partout dans le pays, appelées par divers syndicats. Le nombre de participants, variant de 300 à Cardiff à 15 000 à Belfast ou 25 000 à Edimbourg, montre que les ouvriers en Grande-Bretagne sont profondément en colère, tout comme le sont les ouvriers en France.
Cependant, les manifestations syndicales ne fournissent pas un cadre viable pour lutter contre les coupes dans les emplois, les salaires et les services, bien au contraire. C'est pourquoi nous avons soutenu l'appel « à tous les anarchistes et ouvriers militants à se joindre à nous pour former un « Bloc Ouvrier Radical »1 dans la manifestation, non pour prier les bureaucrates syndicaux de prendre des mesures, mais pour faire valoir que nous luttons contre les coupes budgétaires en nous fondant sur les principes de solidarité, d'action directe, et de contrôle de nos propres luttes ». Ceci émane de la SF-IWA2 de Londres Sud (voir le site libcom.org).
Le problème avec l'approche des syndicats et de leurs partisans, c'est qu'ils polarisent la question sur les « coupes des conservateurs », accusés de creuser le déficit par le renflouement des banquiers, par la spéculation financière, alors que tout ceci ne constitue que les symptômes de la crise du capitalisme. Les coupes budgétaires ne seraient liées qu'à un certain choix politique opéré par un « gouvernement de millionnaires » (tract du SP) alors que « Le gouvernement aurait pu taxer les riches » (Karen Reissman, militante du domaine de la santé et membre du SWP3, lors du rassemblement à Manchester). Ces menteurs professionnels savent parfaitement qu'en réalité, jusqu'il y a 6 mois, le gouvernement travailliste, incluant des députés parrainés par des syndicats, imposait les mêmes coupes et les mêmes sacrifices. Les tracts distribués à la manif de Londres pouvaient même nous le rappeler - mais uniquement dans le but d'essayer de nous attirer à nouveau dans la version alternative des mêmes vieilles politiques derrière les syndicats ou quelque bloc électoral alternatif (par exemple, la TUSC4).
Après tous les discours radicaux sur l’action commune au TUC5 cette année, la campagne sur les coupes budgétaires s’est focalisée sur une manifestation prévue à la fin du mois de mars de l'année prochaine. Aussi, le message que nous entendons est « Nous devons bombarder le TUC et les dirigeants syndicaux de demandes pour agir maintenant » (d'après le NSSN6), « Poussons les dirigeants syndicaux à appeler à des grèves locales et nationales » (Socialist Worker7 en ligne). En premier lieu, si nous devons faire tous ces "bombardements", ces demandes et ces pressions en direction du TUC et des dirigeants syndicaux, cela soulève vraiment la question de savoir pourquoi nous avons besoin d'eux ; après tout, de très nombreux ouvriers se sont mis en lutte sans le moindre soutien d'un quelconque syndicat en Chine et au Bangladesh, et les ouvriers de Vestas sur l'île de Wight ont occupé l'usine sans appartenir au préalable à un syndicat.
La réalité est que les syndicats ne sont pas seulement inutiles pour l'organisation des luttes ; ce n'est pas simplement une question de « léthargie » de leur part comme le prétend le tract de la SF-IWA de Londres Sud. Non ! En fait, ils nous divisent volontairement et consciemment. Par exemple, ils ont maintenu séparés les stewards et hôtesses de l’air de British Airways et les ouvriers de la British Airports Authority alors même qu'ils luttaient au même moment. La manifestation de Londres a été un autre exemple de ce que font vraiment les syndicats. Appelée par les syndicats RMT, FBU et UCU, aux querelles incessantes, la manifestation n'a attiré que 2000 personnes, moins d'un dixième du chiffre atteint à Edimbourg. Il est clair que les syndicats n'ont pas mobilisé leurs membres, de peur de ce qui pourrait arriver si les grévistes s'unissaient dans les rues. C'est ainsi que nous comprenons l'appel de Bob Crow8 pour que le TUC agisse rapidement afin d’organiser une action de masse contre les coupes budgétaires, comme moyen d'empêcher les ouvriers de prendre leur lutte en main.
Le Bloc Ouvrier Radical a attiré entre 50 et 100 personnes, d'après les estimations parues sur le site libcom.org, démontrant qu'une minorité dans la classe ouvrière remet les syndicats en question, même ici où ils sont traditionnellement si forts. Ceux du Bloc ont fait des efforts pour faire entendre leur voix distinctive en amenant mégaphone, tracts et presse, bien que cela ait été difficile étant donné la myriade de groupes concurrents syndicaux, trotskistes et « anti-coupes ». A la fin, un camarade du CCI a discuté avec quelqu'un de l‘AF9 pour savoir si le Bloc devait essayer de prendre la parole, concluant qu'il le devait, la prochaine fois. La prochaine fois aussi, nous pourrons apprendre de l'exemple des récentes luttes en France où des anarchistes internationalistes et des communistes de gauche ont travaillé ensemble pour appeler à des réunions à la fin des manifestations où, au lieu d'écouter les discours syndicaux, les véritables enjeux de la lutte ont été discutés. Comme la SF-IWA le dit : « Nous ne pouvons pas mettre notre confiance en autre chose qu’en notre solidarité et notre capacité à nous organiser ».
World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne n°339, novembre 2010.
2 La Solidarity Federation - International Workers Association (SF-IWA ou SolFed) est la section en Grande-Bretagne de l’AIT anarchosyndicaliste, NDT.
3 Le Socialist Party (SP) et le Socialist Workers Party (SWP) sont des organisations trotskistes, NDT.
4 La Trade Unionist and Socialist Coalition (TUSC) est une alliance électorale regroupant principalement des organisations trotskistes (dont le SP et le SWP) et des syndicalistes, NDT.
5 Le Trades Union Congress (TUC) est une confédération affiliant la majorité des syndicats britanniques, NDT.
6 Le National Shop Stewards Network (NSSN) est un réseau national regroupant des délégués radicaux de différents syndicats, NDT.
7 Le Socialist Worker est le journal hebdomadaire du SWP, NDT.
8 Bob Crow est le secrétaire général du syndicat RMT et est membre du conseil général du TUC, NDT.
9 L’Anarchist Federation (AF) est une organisation anarchiste des îles britanniques, membre de l’Internationale des Fédérations Anarchistes, NDT.
A la fin de 2009, une lutte ouvrière a commencé en Turquie et s’est fait connaître bien au-delà de ses frontières, et en particulier parce qu’une délégation de grévistes est venue en Europe de l’ouest en juin et juillet 2010. Elle venait répercuter son expérience et tirer les leçons avec ceux qui étaient intéressés à le faire.
Un court récapitulatif : des milliers de travailleurs des entreprises de tabac et de liqueurs Tekel, précédemment étatisées, protestaient contre la privatisation de la compagnie et par-dessus tout contre les attaques qui y étaient liées, les baisses de salaire et les licenciements en particulier. Les travailleurs se sont rassemblés à Ankara, la capitale, pour protester et ont reçu nombre de marques de sympathie et de solidarité de la part de la population locale. De plus, ils cherchèrent le soutien de secteurs plus larges de la classe ouvrière – en particulier, dans les usines où des luttes étaient en cours dans tout le pays. Au cours de leurs manifestations et de leurs efforts pour étendre la lutte, les travailleurs de Tekel en vinrent à s’élever contre la résistance des syndicats, qui se sont révélés faire partie eux-mêmes de l’appareil d’Etat. Aux côtés des ouvriers en grève des autres entreprises d’Etat (par exemple, les dockers, les travailleurs de la construction et les pompiers), ils créèrent, à Istanbul, une plate-forme des ouvriers en lutte. A la manifestation du premier mai à Istanbul, qui regroupait 350 000 personnes sur la place Taskim, ils occupèrent le podium de la place et lurent une déclaration contre la complicité des syndicats avec l’Etat. Les dirigeants syndicaux furent éjectés du podium et envoyèrent la police contre les ouvriers. Malgré le soutien donné à la lutte de Tekel, celle-ci n’a pas abouti dans la mesure où la privatisation et les attaques ne furent pas retirées.
Cependant, ceux qui avaient combattu décidèrent que leur expérience devait être transmise à d’autres ouvriers, pas seulement en Turquie, mais au-delà des frontières. Pendant les luttes, des contacts avaient déjà été pris avec des gens politisés dans d’autres pays. C’était en particulier le cas en Allemagne, où se trouve le plus grand nombre d’ouvriers émigrés et où la lutte était suivie avec une sympathie toute particulière. Grâce au soutien de différents groupes du milieu anarchiste et de la Gauche communiste, une tournée a été rendu possible en Europe notamment en Allemagne et en Suisse. Une délégation des ouvriers de Tekel a pu se rendre dans dix villes en Allemagne et en Suisse dans lesquelles toutes sortes de personnes ont pu bénéficier des informations et des discussions qui avaient lieu, et que nous voulons rapporter ici.
Les villes visitées entre mi-juin et début juillet furent Hanovre, Berlin, Brunswick, Hambourg, Duisburg, Cologne, Dortmund, Francfort, Nuremberg, Zurich et Milan. Le CCI a fait en sorte que cette tournée en Europe soit rendue possible. La plupart des réunions ont été organisées par le Free ArbeiterInnen Union (FAU/Free Workers Union) et à Berlin, par le Cercle Révolutionnaire de Discussion tandis qu’à Zurich, le meeting était organisé par le groupe Karakok Autonomie. Ceux-ci et d’autres groupes se sont mobilisés et ont uni leurs forces pour la tenue de ces réunions. Le nombre de participants a oscillé entre 10 et 40. Il faut tenir compte qu’au même moment avait lieu la Coupe du monde de football en Afrique du Sud et que les matchs étaient souvent retransmis à la télévision à la même heure que celle des réunions. Les personnes qui sont venues étaient jeunes pour la plupart, mais pas exclusivement. Dans ces villes où vivent beaucoup d’ouvriers turcs et kurdes, la génération des parents des jeunes de 20-30 ans était aussi présente.
Un travailleur de Tekel a fait une présentation expliquant l’histoire de la lutte entre décembre 2009 et mai 2010. Il a raconté de manière vivante l’expérience des ouvriers en lutte, comment ils avaient essayé vainement de pousser les syndicats à déclarer une grève générale des travailleurs du secteur étatique, comment ils avaient occupé brièvement le siège du syndicat Turk-Is à Ankara et comment la police avait protégé les syndicats, comment ils avaient campé dans la ville d'Ankara, recevant la solidarité de la population locale. Il ont dit combien la lutte des ouvriers de Tekel avait permis de dépasser les divisions entre Kurdes et Turcs ou entre femmes et hommes, ou entre ceux qui avaient voté pour tel ou tel parti. Par exemple, la police avait arrêté les bus qui transportaient 8 000 ouvriers aux portes d’Ankara, prétextant ne laisser passer que ceux qui ne venaient pas des usines Tekel dans les zones kurdes. En réponse, tous les grévistes sont descendus ensemble des bus et ont commencé à marcher vers le centre qui était éloigné, au plus grand étonnement de la police. Pour elle, la division entre ouvriers kurdes et turcs ne pouvait être remise en question.
Les discussions qui ont suivi la présentation montraient que les participants étaient très intéressés par les luttes en Turquie. L’atmosphère était fraternelle, pleine de solidarité et d’empathie – certains camarades ont même pleuré. La plupart des participants se reconnaissaient dans le but des ouvriers de Tekel. Ceux qui, dans l’assemblée, ne connaissaient encore pas grand-chose de la lutte ont posé des questions concrètes, montrant qu’en Allemagne et en Suisse, on réfléchissait aussi sur ces luttes.
L’unité des travailleurs au-delà des différentes frontières visibles et invisibles était saluée dans presque toutes les discussions comme ayant été de la plus grande importance.
L’Etat turc a essayé de diviser les combattants. Mais ceux-ci ne l’ont pas permis. Au contraire, ils ont recherché la plus grande solidarité possible des autres secteurs de la classe. Ce n’est que de cette façon qu’a pu émerger un sentiment d’être forts, mais aussi créer un vrai rapport de force en notre faveur. La lutte en Turquie, il est vrai, n’a pas atteint le but qu’elle s’était fixée. Mais elle allait dans la bonne direction. Précisément, dans un pays où le nationalisme turc, kurde (mais aussi arménien) a été monté en épingle par l’Etat et toutes sortes de groupes, un tel développement de la tendance à l’unité est particulièrement remarquable.
Pour beaucoup, la question syndicale a été au centre de leur intérêt. Au niveau de l’expérience immédiate, il y avait un accord : le Türki-Is a joué dans cette lutte un rôle similaire à celui que nous connaissons si bien avec les syndicats dans d’autres pays. Il a essayé de rendre les ouvriers passifs, ne se mobilisant que sous la pression des travailleurs eux-mêmes et de façon à disperser les énergies. Au même moment, au printemps, il y avait des luttes en Grèce où les grandes confédérations syndicales jouaient le même rôle et se démasquaient comme étant les défenseurs de la classe dominante et de l’Etat. En Allemagne et en Suisse aussi, on connaît bien ce rôle des syndicats. Le public, aux réunions sur Tekel, était impressionné par la façon dont les ouvriers de Tekel et ceux qui avaient participé à leurs luttes s’étaient opposés aux syndicats et les avaient combattu ouvertement. Mais est-ce qu’ils n’auraient pas eu besoin de syndicat « à eux » ? Est-ce que la lutte de Tekel n’a pas réussi du fait du manque d'un tel syndicat ? Dans presque toutes les discussions que la FAU a organisées, la question était de savoir si un nouveau syndicat « révolutionnaire » ou « anarchiste » aurait pu être créé ou non. Dans quelques villes, à Duisburg par exemple, des camarades parmi ceux qui soutiennent la FAU théorisaient que Tekel avait été moins un mouvement de grève et plus un combat avec des manifestations de protestation. Ne serait-ce pas dû au fait qu’il manquait un syndicat prolétarien ? Le délégué ouvrier de Tekel qui avait fait la présentation ne partageait pas ce point de vue. Il fondait son argumentation sur sa propre expérience, montrant que les syndicats, du fait de leur rôle, prendraient en dernière instance le parti de l’Etat, même s’ils avaient été créés par les travailleurs ou les révolutionnaires et pouvaient au début répondre aux besoins immédiats de la lutte. Mais quelle autre possibilité avons-nous ? Comment pouvons nous organiser notre lutte ? La réponse donnée par l’ouvrier de Tekel était claire: les comités de lutte ou de grève. Tant que la lutte se mène, ils doivent être organisés par les travailleurs eux-mêmes avec des délégués révocables à tout moment. L’assemblée générale doit élire un comité de grève qui rend son mandat à l’assemblée. A l’opposé, toute représentation permanente et indépendante de la mobilisation de ceux qui se battent est condamnée à devenir un syndicat bureaucratique « normal ». Cette discussion ne s’est pas tenue partout avec la même clarté et la même profondeur. Mais à Brunswick par exemple, ces alternatives ont été posées de manière analogue et la majorité de ceux qui assistaient semblait convaincue par le point de vue du camarade. En d’autres mots, la majorité avait tendance à être d’accord sur le fait qu’on devait rejeter la possibilité de fonder des syndicats « révolutionnaires ». Cette discussion sur la question syndicale, à partir de l’expérience de la lutte de Tekel, nous semble d’autant plus importante et d’actualité que, comme nous le savons, il y a au sein du milieu anarcho-syndicaliste une controverse sur la tentative de se faire reconnaître par l’Etat comme un syndicat officiel (la FAU à Berlin est même allée au tribunal pour cela) ? Ce n’est pas que du point de vue marxiste, de la Gauche communiste, mais aussi du point de vue de l’anarcho-syndicalisme lui-même que cela apparaît comme contradictoire.
Une autre question qui a surgi dans les discussions menées dans les différentes villes, a été celle des occupations d’usine. Pourquoi les ouvriers n’ont-ils pas occupé les usines ? Pourquoi est ce qu’ils ne les ont pas fait tourner sans les patrons ? Ces questions étaient posées sur la base de certaines luttes ces derniers temps en Allemagne, Italie et Suisse, dans lesquelles les employés étaient confrontés au problème de fermeture d’usine. A Tekel, ce n’est pas exactement le cas puisque beaucoup d’usines n’allaient pas être fermées mais privatisées. Là, la production a continué sous la direction des patrons. Le délégué des ouvriers de Tekel soulignait néanmoins que les ouvriers ne se sont pas retranchés dans les usines Tekel isolées dans différentes parties du pays, mais s’étaient rassemblés pour aller à Ankara. Ce n’était qu’en rassemblant des milliers d’ouvriers qu’il était possible de faire émerger le sentiment d’être une force, ce qui était caractéristique de la lutte (même si elle ne s’est pas terminée sur une victoire matérielle)1.
Est-ce que cette série de réunions publiques nous a fait avancer ? Nous pensons que des avancées peuvent être identifiées à différents points de vue.
En premier lieu, le fait que différents groupes, en particulier la FAU, anarcho-syndicaliste, et le CCI de la Gauche communiste, aient collaboré à l’occasion de cette tournée, mérite d’être mentionné. La collaboration avec les anarchistes internationalistes est enracinée depuis longtemps dans notre tradition, mais ici et à cette occasion, quelque chose de nouveau s’est concrétisé et qui, à notre avis, n’est pas pure coïncidence. Le travail en commun accompli est un signe que le besoin d’unité sur une base prolétarienne se fait jour, un besoin de la classe de dépasser un certain égoïsme de groupe. Bien sur, nous nous connaissions déjà et nous avions déjà utilisé d’autres occasions pour discuter telle ou telle question. Mais une collaboration comme celle que nous avons eue au début de l’été de cet année était quelque chose de nouveau. La recherche de l’unité de la classe ouvrière, du dépassement des divisions, était dès le début, à la base de l’initiative de la tournée de ceux de Tekel. Ce voyage avait pour but de transmettre les expériences et les leçons d’une lutte par delà niveau local ou national. La dimension internationale était au cœur cette initiative. La question n’était pas de présenter une spécialité turque au monde comme quelque chose d’exotique, mais de voir les points communs au niveau international et d’en discuter. Comme on a pu s’en rendre compte, l’expérience des ouvriers de Tekel avec les syndicats et de comment ceux-ci ont réagi, n’est pas un fait isolé, mais une tendance prévue de long terme et qui se répète sans arrêt. Pendant les luttes du printemps en Grèce, les travailleurs s’en sont aussi pris aux syndicats et ont commencé à se dresser contre eux. En France, pendant la mobilisation contre la « réforme des retraites », des jeunes, surtout, se sont rassemblés dans différentes villes, appelaient à des assemblées à la fin des manifestations pour discuter la question suivante : comment pouvons nous développer notre lutte indépendamment des syndicats ? Comment pouvons nous dépasser les divisions au sein de la classe ouvrière entre les différentes professions, entre retraités et actifs, entre chômeurs et ceux qui ont encore un travail, entre précaires et ceux sur contrat ? Quel est le but de nos luttes ? Comment pouvons nous nous rapprocher du but d’une société sans classe ? En Italie, en juin et en octobre de cette année, deux assemblées d’ouvriers combatifs venus de toute l’Italie se désignant comme « coordinamenti » se sont tenues, dont une à Milan, regroupant une centaine de personnes pour discuter de questions similaires : comment dépasser les divisions au sein de la classe ouvrière, comment résister au sabotage des syndicats ? Comment aller au-delà de ce système capitaliste miné par la crise ?
Turquie, Grèce, France, Italie – quatre exemples qui montrent que la classe ouvrière en Europe, depuis le début de 2010, a commencé à sortir de l’état de léthargie dans lequel elle était plongée après la crise financière de 2008. La classe dans son ensemble ne se sent pas encore assez confiante en elle-même pour prendre ses luttes en main. Mais des minorités de la classe posent justement cette question et essaient d’avancer. Le fait que de telles discussions aient pris place simultanément en différents endroits est l’expression d’un besoin qui va au-delà des frontières. Le grand voyage de ceux de Tekel était une réponse à cette nécessité. La délégation de Tekel avait pour but de montrer la dimension internationale de nos luttes locales et des discussions. La solidarité est le sentiment qui exprime l’unité de la classe ouvrière. En de nombreuses occasions, pendant ces réunions, la question était posée : comment pouvons nous soutenir les luttes « à l’étranger » ? La réponse de l’ouvrier de Tekel était : en luttant vous-mêmes.
Les minorités politiques de la classe ouvrière ressentent que la lutte est mondiale et qu’elle doit être menée comme telle de façon consciente. Les rapports sur la solidarité avec la lutte de Tekel ont été une source d’inspiration pour les participants aux réunions. Et c’est notre intention de transmettre ce message du mieux que nous pouvons. Les minorités politiques et combatives de la classe sont des catalyseurs des futures luttes. La lutte de Tekel n’a pas eu lieu en vain, même si les licenciements n’ont pu être empêchés.
Novembre 2010.
1Les délégués de Tekel se sont rendus à Milan pour rencontrer un groupe d'ouvriers de l'INNSE (entreprise de fabrication de machines-outils et d'équipements pour les aciéries) en grève avec occupation de leur usine. Là aussi, les discussions ont porté les mêmes questions essentielles de la lutte : le rôle des syndicats et le débat sur la stratégie d'occupation des entreprises.
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[102]Le CCI publie une nouvelle brochure consacrée à mai 68 et la perspective révolutionnaire. Cette brochure est constituée d’un recueil d’articles publiés dans notre presse à l’occasion de la commémoration des 40 ans de Mai 68.
La première partie relate les événements qui se sont déroulés en France et à l’échelle internationale ainsi que leur signification historique.
La deuxième partie est constituée par un article publié dans notre Revue internationale no 136 sur les mouvements de la jeunesse scolarisée, notamment en Grèce en décembre 2008, et qui sont significatifs de l’entrée d’une nouvelle génération de la classe ouvrière sur la scène de l’histoire.
La troisième partie de cette brochure rassemble une série d’articles sur la perspective du communisme publiés également sur notre site Internet. Ces articles montrent pourquoi le communisme est devenu une nécessité et une possibilité matérielles face à la faillite de l’économie capitaliste.
Links
[1] https://www.liberation.fr/monde/0101613901-pres-de-50-000-morts-en-haiti-selon-la-croix-rouge
[2] https://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/01/s%C3%A9isme-en-ha%C3%AFti-les-causes.html
[3] https://www.bme.gouv.ht/alea%20sismique/Al%E9a%20et%20risque%20sismique%20en%20Ha%EFti%20VF.pdf
[4] https://www.courrierinternational.com/article/2010/01/14/requiem-pour-port-au-prince
[5] https://www.presseurop.eu/fr/content/article/169931-bien-plus-quune-catastrophe-naturelle
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
[7] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/solidarite_avec_les_travailleurs_de_luz_y_fuerza_del_centro_au_mexique.html
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/53/mexique
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/correspondance-dautres-groupes
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/45/autriche
[12] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/compte_rendu_des_journees_de_discussion_de_lille_ecologie.html
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/darwin
[15] https://fr.internationalism.org/files/fr/2010TekelTurkey.jpg
[16] https://www.cnnturk.com/2009/turkiye/12/05/erdogana.tekel.iscilerinden.protesto/554272.0/
[17] https://www.evrensel.net/haber.php?haber_id=63999
[18] https://en.internationalism.org/icconline/2009/10/turkey
[19] https://www.kizilbayrak.net/sinif-hareketi/haber/arsiv/2009/12/30/select/roeportaj/artikel/136/direnisteki-tek.html
[20] https://tr.internationalism.org/ekaonline-2000s/ekaonline-2009/tekel-iscisinden-seker-iscisine-mektup
[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/257/turquie
[22] https://fr.internationalism.org/files/fr/profs-ok.jpg
[23] https://www.liberation.fr/societe/0101618167-vitry-les-profs-avancent-leurs-pions
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[26] https://fr.internationalism.org/content/9723/turquie-solidarite-resistance-des-ouvriers-tekel-contre-gouvernement-et-syndicats
[27] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/295/grece
[28] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
[29] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[30] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[31] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/50/etats-unis
[32] https://en.internationalism.org/inter/154/california-students
[33] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/37/grande-bretagne
[34] https://en.internationalism.org/wr/2010/333/greece
[35] http://cnt.ait.caen.free.fr/forum/viewtopic.php?f=13&t=6236#p42325
[36] https://fr.internationalism.org/brochures/syndicats
[37] https://fr.internationalism.org/ri394/dans_quel_camp_sont_les_syndicats.html
[38] https://fr.internationalism.org/french/rint/14-terrorisme
[39] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/lanarchisme-internationaliste
[40] https://es.internationalism.org/node/2230
[41] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/54/venezuela
[42] https://www.repubblica.it/speciale/2009/firma-lappello-di-saviano/index.html
[43] https://fr.internationalism.org/rinte77/italie.htm
[44] https://www.youtube.com/watch?v=5Tg2My1iGeI&feature=related
[45] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/42/italie
[46] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[47] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/242/perou
[48] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/catastrophes
[49] https://es.internationalism.org/node/2872
[50] https://fr.internationalism.org/icconline/2010/en_espagne_le_capital_et_son_etat_nous_attaquent_sur_tous_les_fronts.html
[51] https://es.internationalism.org/node/2833
[52] mailto:emancipació[email protected]
[53] https://internacionalismo-leco.blogspot.com/
[54] https://es.internationalism.org/#_ftn1#_ftn1
[55] https://es.internationalism.org/#_ftn2#_ftn2
[56] https://es.internationalism.org/#_ftn3#_ftn3
[57] https://es.internationalism.org/#_ftn4#_ftn4
[58] https://es.internationalism.org/#_ftn5#_ftn5
[59] https://es.internationalism.org/#_ftn6#_ftn6
[60] https://es.internationalism.org/#_ftn7#_ftn7
[61] https://es.internationalism.org/#_ftn8#_ftn8
[62] https://es.internationalism.org/#_ftn9#_ftn9
[63] https://es.internationalism.org/#_ftn10#_ftn10
[64] https://es.internationalism.org/#_ftn11#_ftn11
[65] https://es.internationalism.org/#_ftnref1#_ftnref1
[66] https://es.internationalism.org/#_ftnref2#_ftnref2
[67] https://es.internationalism.org/#_ftnref3#_ftnref3
[68] https://es.internationalism.org/#_ftnref4#_ftnref4
[69] https://negacion.entodaspartes.net/
[70] https://es.internationalism.org/#_ftnref5#_ftnref5
[71] https://es.internationalism.org/#_ftnref6#_ftnref6
[72] https://es.internationalism.org/#_ftnref7#_ftnref7
[73] https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm
[74] https://es.internationalism.org/#_ftnref8#_ftnref8
[75] https://es.internationalism.org/#_ftnref9#_ftnref9
[76] https://es.internationalism.org/#_ftnref10#_ftnref10
[77] https://es.internationalism.org/#_ftnref11#_ftnref11
[78] https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-11-4e-trimestre-1977
[79] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/61/inde
[80] https://www.vie-publique.fr/eclairage
[81] https://www.nytimes.com/2009/08/30/world/europe/30chechnya.html?pagewanted=1&_r=3&hp
[82] https://www.telegraph.co.uk/expat/expatnews/6858882/Chechen-president-says-the-West-wants-to-destroy-Russia.html
[83] https://ru.internationalism.org/content/140/k-90-letiyu-revolyucii-v-germanii
[84] https://ru.internationalism.org/content/pochemu-proletariat-est-kommunisticheskiy-klass
[85] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/60/russie-caucase-asie-centrale
[86] https://es.internationalism.org/node/2892
[87] https://es.internationalism.org/cci-online/201008/2924/que-lecciones-podemos-sacar-de-la-huelga-del-metro-de-madrid
[88] https://fr.internationalism.org/content/espagne-solidarite-travailleurs-du-metro-madrid
[89] https://fr.internationalism.org/en/tag/7/304/tensions-imperialistes
[90] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/119/asie
[91] mailto:[email protected]
[92] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/59/irak
[93] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[94] https://fr.internationalism.org/icconline/2010/breve_chronologie_des_evenements_de_la_lutte_contre_la_reforme_des_retraites.html
[95] https://fr.internationalism.org/content/4379/temoignage-repression-lors-manifestation-du-19-octobre-2010-a-lyon
[96] http://www.syndicalistesunitaires.org/Appel-a-une-rencontre
[97] mailto:[email protected]
[98] https://en.internationalism.org/inter/154/lead
[99] https://en.internationalism.org/inter/155/california-students
[100] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/62/chine
[101] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/226/hongrie
[102] https://fr.internationalism.org/files/fr/mai_68.pdf
[103] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/mai-1968
[104] https://fr.internationalism.org/en/tag/approfondir/mai-1968