Avec ce premier numéro, commence la parution de la Revue Internationale de notre Courant Communiste International.
La nécessité d'une telle publication est apparue clairement à tous les groupes constituant notre Courant au cours des longues discussions qui ont précédé et préparé la Conférence Internationale du début de cette année. En prenant la décision de la publication d'une même revue en Anglais, Français et Espagnol, la Conférence a non seulement franchi un pas décisif dans le processus d'unification de notre Courant, mais a encore posé les jalons pour le regroupement nécessaire des révolutionnaires.
Concentrer les faibles forces révolutionnaires dispersées par le monde est aujourd'hui, dans cette période de crise générale, grosse de convulsions et de tourmentes sociales, une des tâches les plus urgentes et les plus ardues qu'affrontent les révolutionnaires. Cette tâche ne peut être entreprise qu'en se plaçant d'emblée et dès le départ sur le plan International. Ce souci est au centre des préoccupations de notre Courant. C'est à ce souci que répond également notre Revue, et en la lançant nous entendons en faire un instrument, un pôle pour le regroupement International des révolutionnaires.
La revue sera nécessairement et avant tout l'expression de l'effort théorique de notre Courant, car seul cet effort théorique dans une cohérence des positions politiques et de l'orientation générale, peut servir de base et assurer la condition première pour le regroupement et l'intervention réelle des révolutionnaires.
Tout en maintenant son caractère d'organe de recherche et de discussion indispensable pour la clarification des problèmes qui se posent au mouvement ouvrier, nous n'entendons nullement en faire une revue de marxologie si chère aux universitaires distingués. Notre Revue sera avant tout une arme de combat solidement ancrée sur les positions fondamentales de classe, les positions marxistes révolutionnaires, acquises par et dans l'expérience de la lutte historique de la classe contre toutes les tendances "gauchistes", confusionnistes, "innovatrices" (de Marcuse à Invariance et ses succédanés) tant répandues aujourd'hui, et qui encombrent gravement la voie de la reprise des luttes du prolétariat et entravent l'effort vers la reconstitution de l'organisation révolutionnaire de la classe.
Nous n'avons pas la prétention d'apporter un Programme en tous points achevé. Nous sommes parfaitement conscients de nos insuffisances qui ne peuvent être comblées que par l'effort incessant des révolutionnaires vers une plus grande compréhension et une plus haute cohérence au cours même du développement de la lutte de la classe et de ses expériences.
A cet effort que nous entendons poursuivre au travers de notre Revue, nous convions également les groupes révolutionnaires qui ne font pas partie organisationnellement de notre Courant international mais qui manifestent les mêmes préoccupations que nous, de s'y associer en multipliant et resserrant les contacts, les correspondances et éventuellement par l'envoi de critiques, de textes et d'articles de discussion que la Revue publiera dans la mesure du possible.
D’aucuns pensent que c'est là une action précipitée. Rien de tel. On nous connaît assez pour savoir que nous n'avons rien de ces braillards activistes, dont l'activité ne repose que sur un volontarisme autant effréné qu'éphémère. Mais il est tout autant nécessaire de rejeter énergiquement toute tendance à la formation des "petits cercles" qui se contentent de se réunir et à la rigueur de publier de temps en temps de petits papiers destinés bien plus à leur propre satisfaction qu'à une volonté de participation et d’intervention dans la lutte politique de la classe ouvrière. Une lutte implacable doit être menée contre cet esprit localiste, étroit de petites sectes familiales sécurisantes. Ne peut être considéré comme révolutionnaire que le groupe qui comprend la fonction militante dans la classe et l'assume effectivement.
Contre ceux qui ne font que dénigrer la notion de militant, des Situationnistes d'hier à Invariance dans toutes ses variantes d'aujourd'hui, nous n'avons qu'un peu de mépris et beaucoup d’indifférence à leur opposer. Chacun occupe sa place : les uns dans la lutte, les autres en marge, et c’est bien ainsi.
Nous laissons volontiers aux contestataires désabusés de la petite bourgeoisie en décomposition le plaisir de se gratter le nombril. Pour nous, militants, combattants de la classe, la Revue est une arme de la critique préparant le passage à la critique par les armes.
Ce premier numéro est entièrement consacré aux principaux textes de discussion de la Conférence Internationale. Tous les textes n’ont pu trouver place dans ce numéro, déjà par trop volumineux. Les débats soulevés sont loin d’être clos ; ils se poursuivront dans les prochains numéros, qui paraîtront trimestriellement. Il nous est pour le moment impossible d’assurer une publication plus fréquente. Cela sera en partie pallié par des brochures en diverses langues que nous nous proposons de publier.
Un grand pas vient d’être fait.
<<>>A tous les Révolutionnaires nous demandons leur soutien actif. > <<>> >
<<>>La Rédaction>
Depuis plusieurs années, Révolution Internationale (France), Internationalism (USA) et World Revolution (Angleterre) organisent des rencontres et conférences internationales afin de développer la discussion politique sur les perspectives de la lutte et de favoriser une plus grande compréhension des positions de classe aujourd’hui. Cette année, en plus des groupes déjà cités, deux nouveaux groupes de notre courant ont assisté à la Conférence Internationale : Accion Proletaria (Espagne) et Rivoluzione Internazionale (Italie) et nous avons accueilli également une délégation d’Internacionalismo, le groupe de notre Courant au Venezuela. Cette conférence était principalement orientée sur la nécessité d’organiser l’intervention et la volonté d’action des révolutionnaires dans un cadre international.
Même lorsque notre courant n'était constitué que d’un ou deux groupes dans différents pays (à la fin de la période de réaction et au début de la nouvelle période qui s'ouvre en 1968), la nature de la lutte prolétarienne et les positions de classe que nous défendions nous ont imposé une cohérence politique internationale. Aujourd'hui, face à l'aggravation de la crise et à la montée des luttes, cette unité politique fondamentale et les années de travail commun nous ont permis de créer un cadre organisationnel international pour notre courant, afin de concentrer nos efforts dans plusieurs pays.
Dans le contexte de la confusion politique actuelle et vu les forces très faibles des révolutionnaires, nous estimons qu'il est très important d’insister sur la nécessité, toujours existante en période de montée des luttes, de travailler vers un regroupement des révolutionnaires. Pour cette raison, nous avons invité des groupes dont les positions politiques les rapprochent de notre courant : Pour une Intervention Communiste (France), Revolutionary Workers' Group (USA), Revolutionary Perspectives (Grande-Bretagne) à participer à notre conférence. La confrontation des idées entre notre courant et ces groupes a aidé à clarifier les analyses et les orientations que défendent les différents groupes face aux tâches politiques actuelles.
Pendant les longues années qu'a duré la période de reconstruction d’après guerre, les marxistes révolutionnaires ont répété que le système capitaliste, entré dans sa période de décadence depuis sa première guerre mondiale, ne "prospérait" provisoirement que grâce aux divers palliatifs de la reconstruction, des mesures étatiques, de l'économie d'armement et qu'éventuellement les contradictions inhérentes au système vont éclater clairement dans une crise ouverte encore plus profonde que celle de 1929. Aujourd’hui, la crise n’est plus un mystère pour personne et la réalité du système en faillite a balayé de la scène les bourgeois exaltés et les marxologues érudits comme Socialisme ou Barbarie qui ont cru voir "la fin des crises", le "dépassement du marxisme" ou comme Marcuse, l’embourgeoisement du prolétariat. Notre courant analyse depuis 7 ans les péripéties de la crise qui va s’approfondissant : dans ce cours général, l’année 1974 a marqué une dégradation qualitative et quantitative de la situation économique du capitalisme (à l'Est comme à l’Ouest) et a montré la nature éphémère et trompeuse des mini reprises de 1972.
L'inflation, le chômage, les crises monétaires et les guerres commerciales, la chute des valeurs à la Bourse et les taux de décroissance des économies avancées, sont les signes de la crise générale de surproduction et de saturation des marchés qui mine le système capitaliste mondial à ses racines.
Contrairement à 1929, le Capitalisme aujourd'hui essaye autant que possible de pallier aux effets de la crise au moyen des structures étatiques. Malgré l'intensification des rivalités inter impérialistes (comme le montre la guerre continuelle en Indochine, les affrontements au Moyen-Orient et à Chypre) et le raffermissement des blocs impérialistes, le cours vers la guerre, inhérent aux crises économiques du capitalisme décadent, ne peut pas aboutir à la guerre généralisée aujourd'hui tant que la combativité de la classe ouvrière continue à se maintenir et à se développer. A la conférence, les groupes de notre courant ont élaboré la perspective défendue dans notre presse à savoir que la lutte de la classe ouvrière va s'intensifier dans une résistance à la crise et va poser l'alternative Socialisme ou Barbarie sur la scène historique après 50 années de recul.
La bourgeoisie vit une période de bouleversements et de crises politiques profondes. Dans une telle situation, elle cherche à mettre en avant son masque de "gauche" pour mieux embrigader la classe ouvrière, que ce soit à travers le parti Travailliste et le "contrat social" en Angleterre, les partis social-démocrate en Allemagne et ailleurs, ou le PS et le PC au Portugal, et bientôt en Espagne et en Italie et leurs tentatives en France. Dans la crise actuelle, une des armes les plus dangereuses de la classe capitaliste est sa capacité de désarmer la classe ouvrière à travers les mystifications réchauffées des fractions de "gauche" de la bourgeoisie. Economiquement, toutes les fractions de la bourgeoisie seront amenées à préconiser, d'une façon ou d'une autre, des mesures d’étatisation pour renforcer le capital national. Mais politiquement, surtout dans les aires où la crise frappe déjà très fort, c'est de ses partis de gauche dont la bourgeoisie a besoin pour pouvoir appeler à l'unité nationale et au travail gratuit le dimanche. Ces partis auront leur place au soleil capitaliste (soit dans le gouvernement, soit dans une opposition "constructive"), du fait qu'ils peuvent encore, ainsi que les syndicats, prétendre pouvoir encadrer la classe ouvrière et sa lutte.
Face à cette analyse, le PIC nous a semblé sous-estimer le poids des mystifications de gauche sur la classe ouvrière lorsqu'il supposait que ces mystifications n'ont plus tellement d'effet. Bien au contraire, nous croyons qu'une compréhension plus objective de la situation nous démontre que "l’antifascisme" et "l'unité nationale" sont encore loin d'être épuisés à l'heure actuelle. Bien que la classe manifeste une combativité croissante, il ne faut pas sous-estimer la marge de manœuvre de la classe ennemie. La bourgeoisie ne peut plus tenir dans certains pays comme l'Espagne ou le Portugal uniquement grâce à la répression de la droite, mais a besoin de recourir à la gauche, qui se montrera, au niveau de la mystification et du massacre des ouvriers, autrement plus efficace dans ces pays comme ailleurs.
La lutte de classe aujourd'hui surgit comme une résistance à la détérioration des conditions de vie produite par la crise et imposée aux ouvriers. C'est pour cette raison que notre courant a repoussé l'analyse du RWG qui disait que les luttes ''revendicatives" sont actuellement une impasse pour la classe. Au contraire, dans une période de crise et de montée des luttes, les luttes dites "revendicatives" s’inscrivent dans tout un processus de maturation de la conscience, de la combativité et de la capacité d'organisation de la classe. Les révolutionnaires doivent analyser le développement des luttes et contribuer à leur généralisation et au développement d'une conscience plus claire des buts historiques de la classe. En rejetant les manœuvres trotskistes qui fixent la classe dans des revendications partielles et mystificatrices dans un capitalisme décadent, les révolutionnaires ne doivent pas rejeter en même temps le potentiel de dépassement implicite dans les luttes actuelles.
L’analyse de la crise et de son évolution détermine en grande partie les perspectives que voient les révolutionnaires pour la lutte de classe. A la conférence internationale, notre courant a défendu la thèse selon laquelle la crise profonde du système se développe relativement lentement, bien qu'avec de brusques aggravations - un développement en dents de scie dans un cours s'approfondissant. La lutte de classe se manifeste d'une façon sporadique et épisodique laissant voir toute une période de maturation de la conscience à travers les confrontations importantes entre le prolétariat et la classe capitaliste. Cette analyse n’a pas été entièrement partagée par les autres groupes présents à la conférence. "RP", se basant sur d'autres explications économiques (rejetant la théorie luxembourgiste) voit la crise comme un long processus plutôt lointain ; pour eux, la lutte de classe est strictement déterminée par les données économiques et puisque la crise catastrophique est pour demain, un appel à la généralisation des luttes aujourd'hui n'est que volontarisme. Le "PIC", par contre, croit déjà voir aboutir la crise économique sous la forme d'un danger immédiat de guerre mondiale (lançant un "cri d’alarme" à propos des récents évènements diplomatiques au Moyen-Orient) ou celle des confrontations de classe qui puissent déjà trancher aujourd'hui l’évolution de l'histoire. Nous avons critiqué ces deux cas d’exagérations en mettant l’accent sur le fait que les révolutionnaires doivent pouvoir analyser une situation contingente au sein d’une période générale, sans tomber dans une sous ou surestimation qui mène soit à s'agiter dans le vide, soit à rester en marge de la réalité actuelle de la crise et de la lutte de classe.
Le moment n'est pas encore venu pour se lancer dans un travail d'agitation et les tentatives du PIC qui propose des campagnes (voir dans notre journal RI) en dehors de toute capacité pratique, entre autres, n'ont pas trouvé grand écho. D'un autre coté, après les rapports d'activité des différentes sections de notre courant et des autres groupes, les camarades du courant ont constaté la nécessité d’élargir notre travail d'intervention et de publication dans tous les pays d'une façon plus organisée et systématique. Surtout en assumant collectivement la responsabilité politique d'intervention dans des pays où le courant n'a pas encore de groupe organisé et en s'orientant vers la publication de journaux dans des pays où ceci serait possible. Pour nous, il est inutile de poser la question de l'intervention comme une abstraction : pour ou contre. La volonté d’action est la base même de toute formation révolutionnaire. La question est de ne pas se payer de mots en criant "intervention" à tue tête sans se préoccuper de la situation objective précise, en négligeant la nécessité même de se donner les moyens d'intervenir à travers l'organisation des révolutionnaires à l'échelle internationale. Nous devons plutôt voir que l'ampleur de l'intervention des révolutionnaires peut varier selon les nécessités de la situation mais tous les cris pour l’intervention ne peuvent pas combler le vide : l’absence d'une organisation des révolutionnaires. La question du niveau d'intervention est un problème d'analyse et d'appréciation du moment, tandis que la question d'organisation est un principe du mouvement ouvrier, un fondement sans lequel toute prise de position révolutionnaire reste lettre morte. C'est pour cette raison que nous avons rejeté la proposition d'Accion Proletaria de poser la question d’intervention comme une question préalable à la nécessité de s’organiser
Le travail militant est par définition un travail collectif : ce ne sont pas des individus qui assument une responsabilité personnelle au sein de la classe mais des groupes basés sur un corps d'idées qui sont appelés à répondre à la tache des révolutionnaires : aider à clarifier et à généraliser la conscience de classe. A la conférence internationale comme dans nos revues, nous avons insisté sur la nécessité de bien comprendre les raisons des surgissements de groupes au sein de la classe et les responsabilités qui en découlent. Après 50 années de contre-révolution c’est la rupture complète de toute continuité organique dans le mouvement ouvrier : la question d'organisation reste une des plus difficile à assimiler par de nouveaux éléments.
Un groupe révolutionnaire est basé fondamentalement sur les positions de classe et on ne saurait justifier le travail en groupes séparés que par une divergence de principe. Loin d'idéaliser ou de vouloir perpétuer l'état actuel d’éparpillement des efforts, les révolutionnaires dans notre période de montée des luttes doivent pouvoir distinguer les questions secondaires d'interprétation ou d’analyse des questions de principe, et mettre toutes leurs forces dans l’effort de regroupement autour des positions de principe en surmontant les tendances à la défense de sa "boutique" et de sa "liberté" d'isolement.
Depuis les débats de la 1e Internationale, c'est devenu un acquis dans le mouvement marxiste que l'organisation des révolutionnaires doit tendre vers une centralisation des efforts : Face aux bakouniniens et aux fausses théories du fédéralisme petit-bourgeois, les marxistes ont défendu la nécessité de la centralisation internationale du travail militant : nous n'avons fait que mettre ce débat à jour en dégageant l'idée de la centralisation des déviations léninistes (centralisme démocratique) ou bordiguistes (centralisme organique). Nous avons voulu insister sur la nécessité d'un cadre cohérent organisationnel pour le travail des révolutionnaires contrairement aux diverses théories des groupes "anti-groupes", des "libertaires" et autres formules anarchisantes en vogue actuellement. Le RWG était assez sceptique sur l’effort d'organiser un courant international ; ce groupe, outre les divergences secondaires qui nous séparent, semble être traumatisé par les aberrations de la contre-révolution (surtout le trotskisme) sur la question de l’organisation. En voulant prendre le contre-pied de la contre-révolution les militants risquent de tomber dans une idéalisation de l'actuelle fragmentation et confusion du milieu révolutionnaire et de ne jamais pouvoir dépasser les erreurs et les fétichismes organisationnels du passé d'une façon positive.
Si l'on regarde le développement du mouvement prolétarien dans l'histoire, on constate que la formation du parti de la classe suit les périodes de montée des luttes. Aujourd'hui, à notre époque où la lutte se développe à travers la résistance à la crise économique, la formation des noyaux du futur parti suit un chemin de lente maturation. L’effort de notre courant pour se constituer en pôle de regroupement autour des positions de classe s’inscrit dans un processus qui va vers la formation du parti au moment des luttes intenses et généralisées. Nous ne prétendons pas être un "parti" et nous nous gardons bien de surestimer la portée de nos efforts d’organisation dans la période actuelle. Cependant, le parti de demain ne sortira pas un beau jour du néant ; au contraire, l’expérience nous montre que la cohérence politique sert comme pôle de regroupement essentiel pour les éléments révolutionnaires du prolétariat dans le moment des surgissements décisifs.
Le regroupement des révolutionnaires s’effectue autour des frontières de classe et les perspectives révolutionnaires de base ; les questions politiques secondaires ne sauraient entraver un processus général vers une concentration des forces face aux exigences de la situation actuelle et à venir. Ceux qui sont pour un regroupement "en théorie" et en paroles et plutôt pour un lointain avenir, tout en élevant des questions secondaires au même niveau que des frontières de classe pour justifier leurs réticences ou confusions, ne font que retarder ce processus et font obstacle à la prise de conscience nécessaire.
Nous pensons que c’est essentiel aujourd’hui de faire le premier pas vers une plus grande organisation internationale des révolutionnaires, de traduire notre internationalisme en termes organisationnels pour solidifier notre travail. C’est cela que la conférence s’est donnée comme tâche principale. La conférence internationale cette année se distingue des autres dans la mesure où nous avons voulu rendre les militants plus conscients des moyens nécessaires pour assurer la discussion sur l’organisation et la situation actuelle en solidifiant les liens politiques et les fondements théoriques de notre courant.
Nous n’avons pas pu aborder la question de la période de transition, en discussion actuellement dans le courant, à la conférence faute de temps. Mais nous avons pensé important de publier ici les documents préparés pour la conférence à ce sujet. Le lecteur pourra constater que cette question théorique est loin d’être tranchée tant au sein du courant, que dans le mouvement ouvrier en général. Cependant ce débat offre un grand intérêt, même inachevé, pour les révolutionnaires qui essaient de dégager les grandes lignes pour l’orientation du mouvement de demain.
La conférence a terminé son travail avec la formation du Courant Communiste International (qui comprend Révolution Internationale, World Revolution, Internationalism, Internacionalismo, Accion Proletaria, et Rivoluzione Internazionale), et par la décision de publier une Revue Internationale en anglais, français et espagnol pour mieux diffuser et développer les positions de notre courant.
JA, pour le Courant Communiste International
Les textes que nous publions ici font partie des documents présentés à la conférence internationale. Les trois premiers sont des rapports préparés pour la conférence, les autres ont été des contributions écrites à la discussion. Nous n'avons pas eu le temps de présenter le rapport sur la période de transition, ni d'en discuter, à la conférence même, mais nous avons décidé de publier ces textes tout de suite pour continuer le débat ouvert sur ce sujet. Notre courant n'est pas arrivé à une homogénéité sur cette question complexe et de toute façon, contrairement à d'autres groupes (dont Revolutionary Perspectives), nous pensons que ce n'est pas aux révolutionnaires de créer des frontières de classe là où l'expérience de la classe elle-même n'a pas tranché. Alors que certains éléments révolutionnaires se montrent incapables d'assumer leurs tâches dans la situation actuelle, ils sont déjà en train de se lancer dans des absolus sur une question aussi complexe que celle de la période de transition. Nous pensons préférable de publier ces textes pour contribuer à la clarification sans prétendre résoudre tous les problèmes. Nous publions ici également une contribution de Revolutionary Perspectives sur la période de transition - des extraits choisis par eux d'un texte plus long - qui montre leurs divergences avec certains de nos camarades à ce sujet.
"Une nouvelle époque est née ! L'époque de la dissolution du capitalisme, de sa désintégration interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat". (Plate-forme de l'Internationale Communiste, 4 mars 1919)
Presque 54 ans après avoir été prononcés, ces mots résonnent à nouveau avec puissance et viennent hanter le capitalisme mondial. Le capitalisme décadent suant sang et boue de tous ses pores est à nouveau mis au banc d'accusation de l'humanité. Les accusateurs ? Des millions de prolétaires massacrés durant deux générations par le capital, ajoutés à tous ceux qui ont péri depuis le début du capitalisme ; tous se tiennent là, silencieux et sévères - ils sont la classe ouvrière internationale. La sentence ? Elle a été prononcée depuis que le prolétariat à ses débuts s'est dressé contre l'exploitation capitaliste. On la trouve dans les tentatives de Babeuf, Blanqui, la Ligue des Communistes qui préparaient déjà le prolétariat pour son assaut final. On la retrouve encore dans le travail de la première, seconde, et troisième Internationales, et dans celui que la Gauche Communiste nous a laissé en héritage. L'accusé est vraiment condamné -- sa sentence de mort a simplement été repoussée ; l'humanité elle-même ne peut plus tolérer d'autre délai !
Ces dernières années ont confirmé l'analyse que notre courant a commencé à faire en 1967/68 - et sur la base de la crise historique, et sur celle de l'actuel déploiement de la crise.
D'une façon concrète, les douze derniers mois furent la preuve irréfutable des perspectives que nos camarades américains présentaient il y a un an à la conférence. Les perspectives qu'a esquissées Internationalism pour notre courant comprenaient trois alternatives fondamentales à la crise du capitalisme, et chacune était susceptible d'être mise en œuvre simultanément à plus ou moins grande échelle. C'était : la tentative de rejeter la crise sur d'autres états capitalistes, sur les secteurs faibles du capital (petite bourgeoisie et paysannerie comprises) et sur le prolétariat.
Nous n'entrerons pas ici dans les détails des manifestations spécifiques de la crise (ce qui requerrait un exposé systématique, nation par nation ; l'excellente série d'articles parus dans les derniers numéros de Révolution Internationale est un exemple de la manière dont nous devons traiter ces problèmes). Nous voulons ici faire ressortir les principaux aspects de la crise conjoncturelle actuelle, en d'autres termes tracer les tendances générales de façon à replacer la crise dans une perspective historique intégralement liée au niveau de la lutte de classe internationale.
Avec la saturation des marchés qui condamne à tout jamais le capitalisme à des cycles de barbarie croissante, c'est de façon objective et matérielle que s'ouvre pour l'humanité la perspective de la révolution communiste. Mais elle est possible depuis 60 ans, et l'échec des tentatives communistes passées de renverser le capital a signifié que la continuation du capitalisme ne pouvait se faire qu'à travers des cycles de crises, de guerres et de reconstructions.
Le plus grand "boom" du capitalisme, la reconstruction qui a résulté de la profondeur de la destruction et de l'auto-cannibalisation menées à bien par le capitalisme en 39/45, a duré plus de 20 ans. Mais un ''boom' en période de décadence n'est que le gonflement d'un corps vide. Entre 1848 et 1873, la production industrielle mondiale a été multipliée par 3,5. Le PNB a augmenté en moyenne de 5% (certains pays, comme le Japon, ont vu doubler cette augmentation). Cela n'a pas pour autant mis en échec l'inflation mondiale, et les prix aujourd'hui en Grande-Bretagne sont à peu près 7,5 fois plus élevés qu'en 1945. Plus encore, l'économie des pays du Tiers-Monde n’a fait qu'empirer, et ce secteur énorme du capital mondial sombre d'année en année dans un gouffre de dettes, de chômage, de militarisme, de despotisme et de pauvreté.
Depuis les années 60, la crise s'est manifestée par des effondrements monétaires et la récente apparition de l'inflation galopante (les deux caractéristiques de presque tous les pays industriels). Le système monétaire international adopté aux accords de Bretton Woods en 1944, qui établissait des taux d'échange fixes par rapport au dollar et au cours de l'or, est maintenant relégué aux archives. Les grands druides du Fond Monétaire International orientent aujourd'hui tous leurs efforts dans le seul but de s'assurer qu'aucune épidémie n'est à craindre à la suite des inévitables morts qui jalonneront la période à venir. Une tâche désespérée ! Il n’existe pas de filet qui permette de résister à l'effondrement du colosse capitaliste. L'inflation entraîne inévitablement la récession, les faillites, les banqueroutes, les licenciements et les diminutions de profit. Ce sont les inévitables aspects du système de production capitaliste aujourd'hui, et ne sont que des moments de l'attaque permanente que mène le capitalisme décadent contre la classe ouvrière. Mais la continuation de la spirale inflationniste ne peut s'achever que par la paralysie de tout le marché mondial, par un effondrement international avec toutes ses conséquences propres à effrayer la bourgeoisie.
Bien que la période 1972/73 ait semblé marquer un relatif équilibre de l’économie mondiale, elle n'était qu'une courte accalmie pour les plus grandes puissances impérialistes aux dépens de leurs faibles rivales. L'intensification des guerres commerciales non déclarées, les dévaluations des cours, et la lente désintégration des unions douanières prouvent que cette période n'était qu'une tentative des pays capitalistes avancés pour atteindre un certain degré d'équilibre avant une détérioration plus grave, à l'échelle internationale. 1914 et maintenant 1975 annoncent un effondrement plus catastrophique encore, et la fin de la période faste qu'ont connue certains capitaux nationaux pendant ces deux dernières années.
Aujourd'hui, l'économie mondiale est plongée dans une profonde récession. En 1974 la croissance ne pouvait que diminuer et le commerce international s’est ralenti. Le PNB des USA a diminué de 2% en 73 et continue à baisser. Celui de la Grande-Bretagne stagne et celui du Japon a enregistré une baisse de 3%. Dans de nombreux pays, la panique grandit avec la chute de beaucoup de petites et moyennes entreprises. Eh Grande-Bretagne, c’est une maladie chronique qui touche même de grandes entreprises et même des multinationales (compagnies de transport, compagnies maritimes, d'automobiles, etc.). Les secteurs clé tels que le bâtiment, la construction, les compagnies aériennes, l'électronique, l'automobiles, le textile, la machine-outil et l'acier se trouvent confrontés à des difficultés grandissantes dans la période actuelle. L'augmentation des prix du pétrole est venu s’ajouter aux problèmes insolubles d'un capitalisme en récession, ajoutant un déficit global de 60 milliards de dollars en une année à la balance des paiements. A travers les mécanismes chancelants du FMI, les "druides" du capital tentent de "recycler" certains des profits venant des pays producteurs de pétrole, comme si de telles mesures "déflationnistes" pouvaient servir à autre chose qu'à faire entrer le pétrole dans la spirale inflationniste. Les dettes des compagnies industrielles ont doublé depuis 1965 et, depuis 1970, les taux de croissance des pays capitalistes n'ont cessé de diminuer ou de montrer clairement leur nature de création artificielle de dépenses déficitaires. Les prévisions pour 1975 ne vont pas au delà d'un maigre taux de croissance annuel de 1,9% pour les pays de l'OCDE (USA compris).
Bien que la situation soit critique pour le capitalisme mondial, différents mécanismes d'intervention de l'Etat ont aidé à amoindrir la crise en répandant immédiatement les pires conséquences (comme les licenciements massifs). Cela a été accompli grâce à des subventions - parfois massives - et le financement des déficits par le canal du système bancaire. Ces mécanismes sont absolument inaptes à aider à la réalisation de la plus-value globale dont le capital a besoin pour accumuler. La seule source qui peut offrir de tels revenus, ce sont des programmes d'austérité sévères (tels que les blocages de salaires, la réduction des services sociaux, les impôts, etc.). Tous ces procédés, qui ne sont que des mesures visant à colmater les brèches, intensifient au contraire la crise, soit en la déplaçant sur le terrain politique (c'est-à-dire la lutte des classes), soit en accélérant le tourbillon inflationniste, aujourd'hui irrésistiblement engagé. Tous les mécanismes habituels mis en place par le capitalisme pour "enrayer" la crise constituent la suite logique de la lutte désespérée que mène le capitalisme décadent contre sa propre décomposition depuis le début du siècle. Comme nous l'écrivions précédemment :
"Les causes profondes de la crise actuelle résident dans l'impasse historique dans laquelle se trouve le mode de production capitaliste depuis la première guerre mondiale : les grandes puissances capitalistes se sont partagé entièrement le monde et il n'existe plus de marchés en nombre suffisant pour permettre l'expansion du capital ; désormais, en l'absence de révolution prolétarienne victorieuse, seule capable d'en finir avec lui, le système se survit grâce au mécanisme crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise, guerre, etc." (Surproduction et inflation, RI n°6).
Quand l’actuel ministre de l’agriculture américain a récemment rendu compte de la crise de l'agriculture américaine, il a admis : "Le seul moyen pour que nous ayons une pleine production agricole dans ce pays est d'avoir un marché d'exportation puissant. Nous ne pouvons pas consommer à l'intérieur du pays l'entière production de notre agriculture". Ce fidèle chien de garde aboyait pour une fois de façon honnête, à l'unisson avec tous ses collègues allemands, japonais, anglais, russes ou français. Chaque capital national du monde tente de pénétrer les marchés des autres. Comme Midas, ils sont saturés d'or, mais incapables de manger ne serait-ce qu'un croûton de pain ! L'insatiable soif de réalisation de plus-value ne peut être étanchée. Ainsi, les dirigeants russes ont cherché les statuts nationaux les plus favorables [1] [3] pour pénétrer les marchés des USA et pour acquérir ce qui leur manque (technologie, crédits, etc.) de façon à augmenter leur propre capacité productive et leur compétitivité sur le marché mondial. De même, les secteurs du capital américain qui comprennent le mieux dans quel état pitoyable se trouve le capital des USA, cherchent désespérément à pénétrer les marchés russes. Ces tentatives fusent toujours et de partout, pareilles à l’insatiabilité de Midas ; ce pauvre homme n'était qu'un propriétaire d'esclaves - ces capitalistes, pour leur part, sont véritablement des vampires ! Ayant saigné leurs victimes à blanc, ils se précipitent sur d'autres victimes, juste pour s’apercevoir que d'autres étaient sur les lieux avant eux !
La crise conjoncturelle actuelle contient un important facteur, inhérent au capitalisme décadent : la tendance au capitalisme d'Etat. Le crash et la crise de 1929 furent un effondrement catastrophique survenant soudain après des années de stagnation et de vaines tentatives de ressaisissement des pays capitalistes avancés, malgré, l' importante croissance des années avant 14. La tendance au capitalisme d'Etat déjà présente en 29, n'était cependant pas suffisamment développée pour servir de tampon aux crises mondiales.
Après la seconde guerre mondiale, la tendance au capitalisme d'Etat a été consciemment et délibérément adoptée par beaucoup de gouvernement capitaliste et appliquée de façon non officielle par tous les autres. L'économie de gaspillage (armement, etc.), largement financée par les dépenses inflationnistes, était considérée comme une solution à beaucoup de problèmes de stagnation et de surproduction. La production structurelle de gaspillage, ou plus précisément la consommation de la plus-value, devint une caractéristique économique indéniable après 1945, et c'est ce facteur qui est fondamentalement à la base de la soi-disante ''prospérité" de la période après-guerre. Les pays détruits par la guerre accusèrent de "miraculeuses" remontées (Allemagne, Italie, Japon), ce qui permit aux vainqueurs de reconstruire et de réorganiser un marché mondial détruit et mis en pièces par la guerre. Le marché mondial apportait à nouveau un regain de vie au prix de 55 millions de victimes. Un autre préjudice qu'a apporté cette période (préjudice beaucoup moins vital), c'est que beaucoup de Cardans, quittant définitivement le terrain marxiste et croyant au miracle, ont proclamé la "fin" des crises économiques. En fait, ce "préjudice" fut un bienfait pour la sociologie bourgeoise, tout est bien qui finit bien. Mais bien peu de miracles semblent survivre aux premières attaques de la crise grandissante. Le rythme et l'intensité de la crise actuelle semblent confirmer les analyses que notre tendance a faites il y a 9 ans. Le "boom" des années d'après guerre est terminé, disions-nous, et le système capitaliste mondial entre dans une longue, période de crise qui se développera encore. Les points de repère (en étroite relation les uns avec les autres) qui nous avaient servi à apprécier le rythme de la crise apparaissent simultanément et de plus en plus intensément :
1° - La chute massive du commerce international
2° - Les guerres commerciales ("dumpings", etc.) entre capitaux nationaux
3° - Les mesures protectionnistes et l'effondrement des unions douanières
4° - Le retour à l'autarcie
5° - Le déclin de la production
6° - L'accroissement considérable du chômage
7° - Les attaques portées au salaire réel des ouvriers, à leur niveau de vie
A certains moments, la convergence de plusieurs de ces points peut provoquer une dépression importante dans certains pays, tels que l'Angleterre, l'Italie, le Portugal ou l'Espagne. C'est une éventualité que nous ne nions pas. Toutefois, bien qu'un tel désastre ébranle irréparablement l'économie mondiale (les investissements et actions britanniques à l'étranger comptent à eux seuls pour 20 milliards de dollars), le système capitaliste mondial pourra encore se maintenir, tant que sera assuré un minimum de production dans certains pays avancés tels que les USA, l'Allemagne, le Japon ou les pays de l'Est. De tels évènements tendent évidemment à porter atteinte au système tout entier, et les crises sont inévitablement aujourd'hui des crises mondiales. Mais pour les raisons que nous avons exposées plus haut, nous avons lieu de croire que la crise sera étalée, avec des convulsions, en dents de scie, mais son mouvement ressemblera plus au mouvement rebondissant d'une balle qu'à une chute brutale et soudaine. Même l'effondrement d'une économie nationale ne signifierait pas nécessairement que tous les capitalistes en faillite vont aller se pendre, comme le disait Rosa Luxemburg dans un contexte légèrement différent. Pour qu'une telle chose arrive, il faut que la personnification du capital national, l'Etat, soit détruit : il ne le sera que par le prolétariat révolutionnaire.
Au niveau politique, les conséquences de la crise sont explosives et vont très loin. Avec l'approfondissement de la crise, la classe capitaliste mondiale va attiser les flammes de la guerre. Les "petites" guerres sans fin des 25 dernières années continueront (Viêt-Nam, Cambodge, Chypre, Inde, Moyen-Orient, etc.). Toutefois, à mesure que la décomposition chronique du Tiers-monde gagne les centres du capitalisme en période de crise, l'appel à la guerre fuse avec ces deux autres cris de guerre de la bourgeoisie : AUSTERITE et EXPORTER, EXPORTER ! Cette attaque à la classe ouvrière signifie que la bourgeoisie essaie de faire payer entièrement la crise au prolétariat, avec sa sueur et dans sa chair. Dans de telles conditions, le niveau de vie de la classe ouvrière, déjà brutalement diminué par l'inflation, va être encore réduit par l'austérité et l'effort sur l'exportation. La démoralisation psychologique entraînée par la perspective d'une guerre aide à fragmenter différents secteurs du prolétariat et les prépare à accepter une économie de guerre, avec toutes les conséquences qu'elle implique pour la future révolution prolétarienne. La bourgeoisie sent que l'unique solution à ses crises est d'avoir un prolétariat vaincu, un prolétariat incapable de résister aux cycles infernaux du capitalisme décadent. Donc incapable de résister à l'intensification systématique du taux d'exploitation, la considérable augmentation du chômage, comme c'est le cas en Angleterre, en Allemagne, aux USA, etc. On essaie aussi d'appliquer d'autres mesures draconiennes, telles que des réductions de salaire "volontaires", la semaine de trois jours, des semaines entières de chômage technique, l'expulsion des travailleurs "étrangers", les cadences, le freinage des services sociaux. Il n'est pas besoin de dire que ces mesures sont quotidiennement glorifiées dans les "medias" bourgeoises (presse, TV, journaux, etc.).
Mais, en dépit de leur sévérité, ces mesures ne sont rien en comparaison de ce que peut encore nous faire la bourgeoisie. Il n'est pas de crime, pas de monstruosité, pas de mensonge, pas de tromperie qui fasse reculer la classe capitaliste dans sa campagne lancée contre son mortel ennemi : le prolétariat. Si la bourgeoisie, au stade où nous en sommes, n'ose pas massacrer le prolétariat, c'est parce qu'elle hésite et qu'elle a peur. Le prolétariat, ce géant qui s'éveille, sort de la période de reconstruction sans être vaincu, et projette l'image d'une classe qui n'a rien à perdre et un monde à gagner. La lutte sera longue et dure à l'échelle mondiale avant que la bourgeoisie puisse imposer son ultime solution capitaliste : une nouvelle guerre mondiale.
Ceci explique l'hésitation que manifestent certaines sections de la bourgeoisie dans leurs rapports avec le prolétariat. Certains, effrayés par les dangers du chômage massif qu'entraîne une récession croissante, essaient d'augmenter la demande de consommation en réduisant les impôts individuels (Ford a proposé d'enlever 16 millions de dollars de taxes) ou en redorant la vieille production d'armement. Mais toutes ces mesures "anti-inflationnistes" finissent par aggraver le poids de l'inflation, et en fin de compte ne font qu'accélérer la tendance à la chute. Confrontée au déclin de la production qui accompagne l'inflation galopante, et incapable de réduire la baisse de son taux de profit, vu l'absence de marché, la bourgeoisie sera finalement contrainte d'affronter le prolétariat dans une lutte à mort.
Mais la bourgeoisie a aussi développé sa confiance en elle-même dans le "boom" d'après-guerre. Les platitudes pleines d'autosatisfaction des Daniel Bells, Bookchins et Cardan sur un capitalisme "moderne" libéré des crises, prennent leurs racines dans le fumier de la période de croissance et de reconstruction. Se raccrochant à l'Etat, cet appareil qui a directement supervisé la période de reconstruction, et dont les techniques d'intervention se sont perfectionnées en 60 ans de décadence, la bourgeoisie peut perdre l'assurance qu'elle avait pendant la période de reconstruction, elle peut même être prise de panique et de désespoir, elle n'est pas pour autant vaincue. Tant qu'elle pourra compter sur les mystifications de "l'unité nationale", sa confiance en elle-même pourra rester intacte. Mais les rapports entre classes tendent en période de crise à se durcir, et à prendre un caractère inconciliable.
Dans de telles conditions, l'Etat doit apparaître comme "impartial", de façon à mieux mystifier la classe ouvrière. Les interventions de l'Etat dans de tels moments doivent atténuer les insolubles culs-de-sac politiques et sociaux que la bourgeoisie a à affronter ; l'Etat doit donner l'impression qu'il agit au nom de "tous", patrons, petit-bourgeois, et travailleurs. Il doit donner l'apparence de posséder les nobles attributs d'un "arbitre" et ainsi obtenir la légitimité nécessaire pour écraser la classe ouvrière et maintenir les rapports de production existants.
Les fractions de gauche du capital (staliniens, sociaux-démocrates, les syndicats et leurs soutiens "critiques" trotskystes, maoïstes ou anarchistes) se préparent à assumer cette tâche, à assumer le rôle de gardien de l'Etat. Ils sont les seuls à pouvoir se poser comme les représentants de la classe ouvrière, des "petits", des "pauvres". C'est parce qu'une classe ouvrière n'est pas défaite qu’elle doit être amadouée si on veut qu'elle accepte les diminutions de salaire et autres mesures, que seule la gauche peut constituer un moyen réel d'introduire une plus grande centralisation étatique, les nationalisations et le despotisme, comme le montrent les exemples du Chili d'Allende ou du Portugal.
Dans un capitalisme en décadence, la tendance est aux crises et à la guerre, et il n'y a aucune force dans la société qui puisse mettre fin au cycle meurtrier de la barbarie, si ce n'est le prolétariat. A première vue, il semble que, dans l'immédiat, la guerre soit le seul chemin qui soit offert à la bourgeoisie. Le fait que le prolétariat n'ait pas d'organisation permanente de masse pourrait être le signe qu'il est sans défense contre l'orage de chauvinisme qui précède une nouvelle guerre mondiale. Mais la bourgeoisie sait que cela n'est pas vrai. Elle sait à travers ses syndicats que le prolétariat reste une classe révolutionnaire en dépit de l'absence d'organisation prolétarienne de masse. Les syndicats connaissent ce fait élémentaire depuis longtemps, et leur rôle est d'étouffer dans l'œuf tout mouvement ouvrier autonome. Dans toute mobilisation autonome du prolétariat, ils voient pointer l'hydre de la révolution. Et c'est là le principal obstacle aux desseins criminels de la bourgeoisie ! Avant que la bourgeoisie puisse mobiliser avec succès pour la guerre, il faut que la classe ouvrière soit vaincue. Jusque là, il faut être très prudent. En fait, la bourgeoisie éprouve de la difficulté à mobiliser le prolétariat derrière des mots d'ordre "d'austérité" et de "allons-y tous ensemble". Politiquement, les fascistes et antifascistes n'ont pas mieux réussi que la police du capital. Les nouvelles idéologies que secrète le capitalisme semblent trouver une résonance stable dans les rangs de la petite-bourgeoisie, mais pas dans la classe ouvrière. Ce n'est pas un hasard si les idéologies réactionnaires telles que la croissance zéro, la xénophobie, la libération sexuelle et ses contreparties (telles que le renforcement du mariage et "moins de sexe") ainsi que d'autres, semblent être concentrées la plupart du temps parmi des couches petite-bourgeoises. Aujourd'hui, il est clair qu'il n'y a plus un seul moyen de justifier rationnellement au prolétariat la continuation des rapports sociaux capitalistes.
Le fait que la classe ouvrière n'ait pas d'organisation permanente de masse aujourd'hui a plusieurs conséquences. La classe ouvrière n'est pas encombrée des énormes organisations réformistes de son passé comme c'était le cas en 14-23. Les leçons de la période actuelle peuvent donc être assimilées plus vite qu'elles ne l'étaient pendant et après la première guerre mondiale. La conscience que seules les solutions communistes peuvent donner un sens aux luttes salariales et pour les conditions de vie, peut apparaître de façon plus aiguë et plus claire depuis que toute "victoire" économique est immédiatement rongée par la crise. Comme le disait Marx, l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre. Si le prolétariat affronte la crise sans organisation réformiste permanente de masse, ce fait a inévitablement des corollaires positifs.
Tant que la crise ne s'est pas approfondie au point de provoquer inévitablement le renversement révolutionnaire du capitalisme, tant que le prolétariat tout entier ne se pose pas la révolution comme but immédiat, toutes les institutions temporaires surgies de la lutte de classe (comités de grève, assemblées générales) sont inévitablement intégrées ou récupérées par le capital si elles essaient de devenir permanentes. Ceci est un processus objectif inévitable, un des traits de la décadence du capitalisme. La classe ouvrière se trouvera tôt ou tard confrontée au fait que tout comité de grève, toute "commission ouvrière" tend aujourd'hui à devenir un organe du capital. Déjà, les ouvriers de Barcelone et du nord de l'Espagne semblent avoir pris pleinement conscience de ce fait. En Angleterre, des milliers d'ouvriers se méfient presque instinctivement des comités de grève dominés par les shop stewards. Aux USA, les ouvriers tolèrent les dirigeants syndicaux de gauche ou radicaux mais seuls des imbéciles pourraient voir dans cette tolérance une loyauté permanente au syndicalisme, ou une conséquence des luttes salariales.
Les ouvriers luttent chaque jour, et plus encore dans les moments de crise, parce que le prolétariat comme classe ne peut jamais être intégré au capitalisme. Il en est ainsi parce que le prolétariat est une classe exploitée et que c'est la seule classe productive dans la société capitaliste. En conséquence, le prolétariat ne peut que se battre pour s'affirmer contre les conditions intolérables que le capitalisme l'oblige à supporter. Il importe peu de savoir ce que le prolétariat pense de lui-même à court terme, l’important est ce qu'il est. Et c'est cette réalité objective qui fera la conscience communiste de la classe ouvrière. Laissons les modernistes, rire de cela. Pour sa part, le prolétariat n'a pas d'autre chemin à prendre, pas d'autre moyen d'apprendre que celui tracé par le Golgotha de la société bourgeoise.
Le prolétariat a besoin du temps offert par la période de crise pour être capable de lutter et de comprendre sa position dans la société mondiale. Cette compréhension ne peut venir tout d'un coup à l'ensemble de la classe. La classe ira à des confrontations de nombreuses fois dans la période à venir, et de nombreuses fois elle devra reculer, apparemment vaincue. Mais en fin de compte, aucun mur ne peut résister aux assauts continuels de la vague prolétarienne, encore moins quand le mur se désintègre lui-même. Mais pendant que le prolétariat utilisera la nature étalée de la crise, la bourgeoisie, elle, utilisera toutes ses cartes pour plonger dans la confusion, défaire et vaincre les efforts de la classe ouvrière. Le destin de l’humanité dépend de l'issue finale de cette confrontation. Mais tandis que la bourgeoisie fera tout ce qu'il est possible pour affaiblir les tendances prolétariennes vers un regroupement mondial, le prolétariat renforcera la capacité à établir une continuité directe dans sa lutte, en dépit de toutes les divisions et mystifications des syndicats, de la gauche, des gouvernements, etc. Il n'y a pas d'organisation capitaliste qui puisse résister à une vague quasi continuelle de grèves et d'auto-activité du prolétariat sans être démoralisée. Ainsi la classe toute entière commencera à se réapproprier la lutte communiste et à approfondir sa conscience globale dans des affrontements réels. Le temps des actions de masse de la classe va continuer, et elle aura à son actif de plus en plus de leçons et de mémoire. Ceci n'est pas à négliger, puisque les seules armes de l'arsenal prolétarien sont sa conscience et sa capacité à s'organiser de façon autonome.
Les communistes ne peuvent que se réjouir de l'approfondissement de la crise. La possibilité de la révolution communiste apparaît une fois de plus au niveau conjoncturel comme l'expression de la décadence historique de la société bourgeoise. Nos tâches vont nécessairement devenir plus larges et plus complexes et le processus menant à la formation du parti sera directement accéléré par notre activité présente. Le développement graduel de la crise dans cette période nous permettra aussi de mieux nous regrouper, de galvaniser nos forces internationalement. La tendance indiscutable des groupes communistes aujourd'hui est d’abord et avant tout de rechercher un regroupement international des forces. Les regroupements internationaux ne sont pas des stades formels antérieurs du regroupement international. Formaliser ainsi le déroulement du regroupement dans un schéma stérile et localiste signifierai revenir aux conceptions social-démocrate de "sections nationales" et autres gradualismes de gauche. Ce n'est que globalement que nous pouvons mener" à bien notre travail de préparation, approfondir notre compréhension théorique et défendre notre plate-forme dans les luttes de la classe ouvrière.
Notre courant va se trouver de plus en plus systématiquement confronté à un immense amoncellement de travail organisationnel, tel que la contribution à la formation et au renforcement des groupes communistes futurs. En liaison étroite avec ceux-ci, notre courant devra être capable d'intervenir avec plus de cohésion et de façon internationale sur tous les évènements qui vont surgir dans la période à venir. Mais notre fonction spécifique n'est plus d'"organiser techniquement" les grèves ou autres actions de la classe, mais de mettre patiemment et avec force, de la façon la plus claire possible, l'accent sur les implications de la lutte autonome du prolétariat, et sur la nécessité de la révolution communiste. Nous sommes là pour défendre les acquis programmatiques de tout le mouvement ouvrier et cette tâche ne peut être approfondie que par un travail militant et uni partout où la classe manifeste une mobilisation pour ses propres intérêts et lorsque ces intérêts sont directement menacés par les attaques du capital.
Les perspectives que Révolution Internationale avait présentées pour notre courant en janvier 1974 ne rendaient pas compte de cet aspect primordial, l'auteur ne voyant pas clairement nos besoins organisationnels et minimisant de ce fait leur importance. Cela peut être attribué à la relative immaturité de notre courant, en ce qui concerne les implications concrètes de notre activité, pour la classe comme pour nous-mêmes. Aujourd'hui, nous pouvons considérer la question du regroupement et du parti sur des bases plus solides. Pour nous, un accord programmatique doit s'accompagner d'un accord organisationnel, une tendance à l'action à l'intérieur du cadre du regroupement mondial. Loin de nous les "activistes" qui veulent "intervenir" sans avoir une claire compréhension de ce qu'est un regroupement global. La construction d'un courant communiste international est une épreuve amère pour de tels activistes. L'accord sur ce point doit être prouvé dans les actes et l'attitude, pas seulement en paroles. Notre courant a déjà rencontré beaucoup de sectes qui, comme les centristes d'hier, sont "en principe" pour un regroupement communiste (un sentiment louable comme l'est un accord "de principe" sur la fraternité entre les hommes ou la justice éternelle). Mais, en pratique ces sectes sabotent le regroupement ou tout mouvement significatif vers lui, en invoquant des points secondaires ou des trivialités qui les différencient de nous.
De même que notre courant n'a que faire des modernistes qui annoncent à la classe ouvrière son intégration au capital, de même nous n'avons pas besoin de confusionnistes qui, dans la pratique, n'appellent qu'à la démoralisation et à la dispersion localiste. C'est le fait de notre évolution si notre Conférence n’attire pas de tels éléments. Le processus de regroupement a commencé en 70, mais notre courant a déjà polarisé de nombreux groupes ou tendances qui, depuis, se sont en majorité décomposés organisationellement et théoriquement. Dans ceux-ci sont inclus des groupes en rupture avec S ou B, des dilettantes du genre Barrot, et de semblables lumières du modernisme. Aujourd’hui, notre courant a déjà parcouru un long chemin, et nous pouvons être certains que, sous beaucoup d’aspects, la route à faire sera plus dure et plus difficile encore. Mais en ce qui concerne la période passée de clarification des points théoriques essentiels, de base, nous pouvons conclure que cette période tire à sa fin. Le spectacle des sectes "d’ultragauche" d’aujourd’hui, s’enfonçant dans le modernisme et l’oubli, est une confirmation tragique mais inévitable de ce pronostic.
WORLD REVOLUTION
Janvier 1975
[1] [4] C’est-à-dire : des accords préférentiels pour l'exportation aux USA.
La conférence de janvier se donne, entre autres buts, celui de se donner les moyens d'organiser et centraliser, au niveau international, l'activité des différents groupes du courant international.
Cet acte se veut consciemment un pas vers la formation d'une organisation internationale achevée.
Pour comprendre sa signification, il faut répondre à trois questions principales :
L'organisation politique est un ORGANE de la CLASSE, engendré par elle pour remplir une fonction spécifique : permettre le développement de sa conscience de classe. L'organisation politique n'apporte pas cette conscience de "l'extérieur"; elle ne CRÉE pas non plus le processus de cette prise de conscience. Elle est au contraire un PRODUIT de ce processus en tant qu'instrument INDISPENSABLE à son développement. D'un certain point de vue, on peut considérer que l'organisation politique est aussi nécessaire à l'élaboration collective de la conscience de classe que l'expression orale et écrite l'est pour le développement de la pensée individuelle.
Deux tâches principales peuvent être distinguées dans la fonction générale de l'organisation politique du prolétariat : .
II La classe ouvrière n'est pas la seule classe à exister internationalement. La bourgeoisie et les diverses classes paysannes se retrouvent dans tous les pays. Mais le prolétariat est la seule classe qui puisse s'organiser et agir COLLECTIVEMENT au niveau international car elle est la seule qui ne possède pas d'intérêts nationaux. Son émancipation n'est possible qu'à condition d' être mondiale.
C'est pourquoi son organisation politique tend inévitablement à être CENTRA LISEE et INTERNATIONALE.
Le prolétariat crée son organisation politique à son image.
Qu'il s'agisse da sa tâche d'analyse politique ou qu'il s'agisse de son intervention, l'organisation politique prolétarienne a affaire à une réalité mondiale. Son caractère centralisé et international n'est pas le résultat d'une exigence éthique ou morale, mais une condition NECESSAIRE de son efficacité et donc de son EXISTENCE.
III. Le caractère international de l'organisation politique prolétarienne s'affirme tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier: Dès 1817, la Ligue des Communistes, avec son mot d'ordre :"Prolétaires de tous les pays, unissez vous. Les prolétaires n'ont pas de patrie" proclame sa nature d’organisation internationale. A partir de 1864, les organisations politiques prennent la forme des "Internationales". Jusqu'au triomphe de la contre-révolution stalinienne et du "socialisme dans un seul pays", seule la faillite de II° Internationale interrompt véritablement cette continuité internationaliste.
La deuxième Internationale, en correspondant à la période de stabilité des grandes puissances industrielles, souffre inévitablement, dans son internationalisme, de l'enfermement des luttes prolétariennes dans le cadre des réformes , l'horizon du combat, prolétarien subit objectivement un rétrécissement nationaliste. Aussi, la trahison de la II° Internationale ne fut pas un phénomène isolé, inattendu. Elle fut la pire conséquence de 30 ans d’enfermement des luttes ouvrières dans les cadres nationaux. En fait, dès ses premières années, 1a II° Internationale marque, sur le terrain de 1'internationalisme, un recul par rapport à l’AIT. Le parlementarisme, le syndicalisme, la constitution des grands de masse, en somme, toute l'orientation du mouvement ouvrier vers des luttes pour des réformes, ont contribué à fractionner le mouvement ouvrier mondial suivant les frontières nationales. La tâche révolutionnaire du prolétariat ne peut se concevoir et se réaliser qu'à l'échelle internationale. Autrement elle n' est qu'une utopie. Mais, du fait même que le capital existe divisé en nations, les luttes pour la conquête des réformes (lorsqu'elles étaient possibles), ne nécessitaient pas du terrain international pour aboutir. Ce n’est pas 1e capital mondial qui décidait d’accorder telle ou telle amélioration au -prolétariat de telle ou telle nation. C'est dans chaque pays, et dans sa lutte contre sa propre bourgeoisie nationale, quo les travailleurs parvenaient à imposer leurs revendications.
L’INTERNATIONALISME PROLETARIEN N’EST PAS UN SOUHAIT MORAL ? NI UN IDEAL ABSTRAIT ? MAIS UNE NECESSITE QUI LUI IMPOSE LA NATURE DE SA TACHE REVOLUTIONNAIRE.
C’est pourquoi la première guerre mondiale, en marquant la non viabilité historique des cadres nationaux et la mise à l’ordre du jour de la tâche révolutionnaire prolétarienne, devait entraîner dans le mouvement ouvrier, après la faillite de la II° Internationale, la plus énergique réaffirmation de l'internationalisme prolétarien. C'est ce que fit d' abord Zimerwald et Kienthal ; c' est ce qui imposa ensuite la constitution de la nouvelle internationale : L’Internationale Communiste.
La troisième internationale se fonda au début même de « l’ère de la révolution socialiste » et sa première caractéristique devait être inévitablement son internationalisme intransigeant. Sa faillite fut marquée par son incapacité à continuer à assumer cet internationalisme. Ce fut la théorie du socialisme en un seul pays.
Depuis lors, ce n'est pas par hasard qui le mot internationaliste se retrouve dans le nom des principales réactions organisées à la contre-révolution stalinienne. Décadence capitaliste est synonyme de mise à 1'ordre du jour de la révolution prolétarienne et REVOLUTION PROLETARIENNE est synonyme d'INTERNATIONALISME.
IV. Si de tous temps les organisations politiques prolétariennes ont affirmé leur nature internationale, aujourd'hui cette affirmation est plus que jamais la PREMIERE CONDITION d'une organisation prolétarienne.
C'est ainsi qu'il faut comprendre l'importance et la signification profonde de l'effort internationaliste de notre courant.
POURQUOI S'ENGAGER DANS UN TEL PROCESSUS MAINTENANT ?
I. Lorsque l'on regarde le développement de notre courant international on ne peut pas ne pas être frappé par la faiblesse de notre importance numérique. Par le passé, même dans des circonstances particulièrement défavorables les organisations internationales étaient d'une ou d'autre façon l'aboutissement, le couronnement de diverses activités nationales. A regarder notre courant, on constate une -tendance inverse : l'existence internationale apparaît plutôt comme un point de départ pour 1es activités nationales que comme un résultat de celles-ci. Tous les groupes du courant se sont conçus comme partie intégrante d'un courant international avant même d'avoir publié le premier numéro de leur publication nationale !
On peut mettre en relief deux raisons principales de cet état de choses :
- la rupture organique produit de 50 ans de contre-révolution qui, par l’affaiblissement qu'elle a provoqué dans le mouvement révolutionnaire, oblige les révolutionnaires, dès le départ de 1a reprise des luttes de classe, à concentrer leurs faibles forces pour accomplir leur tâche ;
- la disparition définitive, après 50 ans de décadence capitaliste, de toute illusion sur les possibilités d'action réellement nationale .
Si le point de départ de notre courant a été l'activité internationale, c'est donc d'abord parce qu'il est l’expression concrète d'une situation historique particulière.
II.
En fait, par la création d'un bureau international, nous ne nous engageons pas maintenant clans le processus de formation de l'organisation internationale. Ce processus existe dès le début des différents groupes du courant. Nous ne faisons en réalité qu’assumer consciemment ce processus en passant du stade d’une certaine spontanéité passive et anarchique à l’égard des conditions objectives du travai1 révolutionnaire â celui de l'organisation consciente qui se crée par sa propre volonté des conditions optimales pour le développement de ce processus.
Il y a à la base de toute activité collective une spontanéité (réactions non préméditées à des conditions objectives et communes). Le passage à l’organisation est lui-même un produit spontané de cette activité, mais l’organisation n’en est pas moins un DEPASSEMENT (non une négation) de la spontanéité. Tout comme dans l’activité collective de l’ensemble de la classe, dans l’activité des révolutionnaires, l’organisation crée des conditions pour que :
1° surgisse la conscience des conditions pour que :
2° se forgent, de ce fait, les moyens pour agir consciemment et volontairement sur le développement de ce processus.
C’est ce que nous faisons en créant ce bureau international et en nous orientant vers la constitution de l’organisation achevée.
III
La rupture organique qu’a subit le mouvement révolutionnaire depuis la dernière vague des années 20, pèse sur les révolutionnaires non seulement sur les difficultés qu’inévitablement ils éprouvent à retrouver les acquis des luttes passées, mais aussi par l’influence trop importante qu’a acquise dans leurs rangs la vision petite bourgeoise estudiantine. Le mouvement étudiant, qui marque de façon si spectaculaire les premières manifestations de l’entrée du capitalisme en crise et de la reprise de la lutte prolétarienne, empoisonne encore par sa conception du monde, les jeunes groupes révolutionnaires (il poivait, d’ailleurs, difficilement en être autrement).
Une des manifestations majeures de cette faiblesse se concrétise dans les problèmes d’organisation. Toutes les tares du milieu universitaire pèsent souvent d’un poids gigantesque sur le mondes des révolutionnaires : difficulté à concevoir la pensée théorique comme un reflet du monde concret divisé en classes antagoniques (ce qui se traduit par toutes sortes de jalousies vis-à-vis de « sa » petite pensée « à soit » de ce que l’on croit être une chapelle théorique que l’on prétend sauvegarder comme une thèse universitaire), difficulté à saisir l’activité théorique comme moment de l’activité générale et instrument de celle-ci, difficulté à comprendre l’importance de l’activité pratique, de l’activité consciemment organisée, bref, incapacité de faire sienne dans toute sa profondeur et dans toutes ses implications, la vieille devise marxiste : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit maintenant de le transformer ».
C’est cette incompréhension qui s’exprime dans les critiques qu’ont pu naguère formuler, vis-à-vis de notre courant des éléments tels que ceux de la tendance « ex-LO » dans RI.
Pour ces éléments, notre courant international serait une invention artificielle et l’effort organisationnel pour le constituer du pur volontarisme. Les arguments d’une telle position se résument, en général, à deux idées :
1- il y aurait « volontarisme » parce qu’il existe une volonté de construire une organisation alors que cette dernière ne peut être qu’un produit naturel d’un processus objectif indépendant de la volonté des quelques individus du courant.
2- Il y aurait « artificialité » parce que les luttes de la classe n’ont pas encore franchies le « saut qualitatif » qui transformerait les luttes « revendicatives » en luttes « révolutionnaires », « communistes ».
Derrière ces deux idées à consonance marxisantes se cache en fait une incapacité totale à assumer le fondement essentiel du marxisme : la volonté d’agir consciemment pour la transformation révolutionnaire du monde.
Contre tous les courants idéalistes, le marxisme affirme l’insuffisance de la volonté humaine ; les hommes ne transforment 1e monde quand i1 et comme ils veulent. La concrétisation de toute volonté subjective dépend de l'existence de conditions objectives favorables, effectivement indépendante de cette volonté. Mais rien n'est plus contraire au marxisme que de transformer l'insuffisance de la volonté en une négation de la volonté tout court. Ce serait identifier le marxisme à son antagoniste philosophique principal : le positivisme empiriste et fataliste. Le marxisme ne fait la critique du volontarisme que pour mieux affirmer l'IMPORTANCE DE LA VOLONTE. En affirmant la nécessité des conditions objectives pour la concrétisation de la volonté humaine, le marxisme souligne surtout le caractère nécessaire de cette volonté.
L'idée qu'une organisation révolutionnaire se construit VOLONTAIREMENT, CONSCIEMMENT , AVEC PREMEDITATION, loin d' être une idée volontariste est au contraire un des aboutissements concrets de toute praxis marxiste. .
Comprendre la nécessité de conditions objectives pour commencer à construire le parti révolutionnaire ne signifie pas que cette organisation soit un produit automatique de ces conditions . Cela implique en réalité comprendre l'importance de la volonté subjective au moment où ces conditions sont historiquement données .
Voyons ce qu'il en est maintenant de l’accusation d’artificialité.
D'après nos "anti-organisationnels" les conditions objectives qui président au début du processus de construction du parti révolutionnaire ne sont autres que le début de la lutte ouvertement révolutionnaire du prolétariat ; destruction de l'Etat capitaliste , voir même instauration de rapports de production communistes.
Le parti révolutionnaire n’est pas un organe décoratif qui vient embellir le tableau que présente l’éclatement spontané d’une lutte révolutionnaire. Il est au contraire un élément vital et puissant de cette lutte, un instrument indispensable de la classe. Si la révolution russe est la preuve positive du caractère indispensable de cet instrument, 1a révolution allemande en est la preuve négative. L'incompréhension par la tendance de Rosa Luxemburg de la nécessité de commencer la construction du parti AVANT les premiers éclats de la lutte révolutionnaire a lourdement pesé sur l’évolution des événements.
Comprendre la nature d’INSTRUMENT INDISPENSABLE du Parti pour la lutte révolutionnaire c’est comprendre la nécessité d’agir en vue de sa constitution dès que commence à mûrir les conditions d’un affrontement révolutionnaire.
En fait, ne pas saisir l’importance de la construction de l’organisation politique mondiale du prolétariat alors que mûrissent les conditions d’un affrontement révolutionnaire, c’est ne pas comprendre l’importance du rôle de cette organisation.
Il n’existe pas d’indice infaillible pour mesurer la montée des luttes de classe. Dans certaines circonstances, même la diminution du nombre d’heures de grève peut cacher un mûrissement de la conscience révolutionnaire. Nous possédons, cependant aujourd’hui deux indices qui permettent d’avoir la certitude que nous sommes entrés depuis 1968 dans un cours révolutionnaire :
1- l’approfondissement de plus en plus accéléré de la crise.
2- L’existence d’une combativité intacte dans la classe ouvrière mondiale qui manifeste du fait que, au fur et à mesure, que la bourgeoisie peut de moins en moins continuer à gouverner comme avant, le prolétariat peut et vent de moins en moins vivre comme avant. C'est-à-dire que les conditions d’une situation révolutionnaire mûrissent irréversiblement.
Dans ces conditions, le travail de construction de l’organisation politique, n’est pas un souhait artificiel, mais une nécessité IMPERIEUSE.
IV – pour les révolutionnaires, le danger actuel n’est pas d’être en avance mais d’être en retard.
COMMENT DOIT ETRE CONÇU LE ROLE DU COURANT INTERNATIONAL DANS LE PROCESSUS DE CONSTITUTION DU PARTI MONDIAL DU PROLETARIAT.
I – Pour bien comprendre l’importance et la signification de ce que nous faisons en constituant un bureau international, il nous faut poser le problème du rapport qui existe entre le courant international et tout groupe surgissant sur des positions de classe.
Nous avons souvent affirmé qu’une des tâches des révolutionnaires était de constituer un pôle de regroupement de l’avant-garde prolétarienne. Il nous faut aujourd’hui comprendre que nous avons à constituer l’axe, le « squelette » du futur parti mondial du prolétariat.
II
– DU POINT DE VUE THEORIQUE, du fait qu’elle rassemble l’essentiel de l’expérience historique du prolétariat, la plate-forme du courant constitue le point de ralliement de tout groupe qui se situe sur le terrain de la lutte historique du prolétariat.
– Contrairement à ce qu’affirmait la tendance ex-LO dans un de ses textes, il n’y a pas « plusieurs cohérence possibles » pour englober les positions de classes. En dernière instance, la cohérence théorique n’est pas une question de syllogisme, ni de pure logique dans les raisonnements. Elle est l’expression d’une cohérence objective matérielle qui est UNIQUE : celle de la pratique de la classe.
– C’est parce qu’elle synthétise cette expérience pratique que notre plate-forme est le seul cadre possible pour l’activité d’une organisation révolutionnaire.
III
- DU POINT DE VUE ORGANISATIONNEL. Bordiga soulignait à juste titre que le Parti, loin d’être uniquement une doctrine, était aussi une VOLONTE. Cette volonté ne consiste pas en un voeux pieux ni en un souhait « sincère ». Elle est une détermination persévérante d’intervention révolutionnaire. Et, comme nous l’avons vu, cette intervention est synonyme d’organisation et donc, d’expérience organisationnelle.
- Il existe un ACQUIS ORGANISATIONNEL tout comme il y a ACQUIS THEORIQUE, et l’un conditionne l’autre de façon permanente.
- L’activité organisée n’est pas un phénomène immédiat, donné d’emblée, spontanément. Elle est le résultat d’une expérience et d’une conscience qui ne se confondent pas avec celle d’un ou de plusieurs individus. Elle résulte uniquement d’une PRAXIS collective d’autant plus riche et complexe à acquérir qu’elle set justement collective.
- C’est pourquoi du temps où il existait de grandes organisations révolutionnaires une scission était un événement que l’on hésitait longtemps à produire.
La continuité organique qui reliait les organisations révolutionnaires depuis 1847 n’était pas une simple « tradition » ou un fait du hasard. Elle exprimait, comme reflet de la continuité de la lutte prolétarienne, la nécessité de conserver l’acquis organisationnel que possédait l’organisation politique prolétarienne.
- C’est pourquoi les organisation internationales du prolétariat se sont toujours constituées autour d’un axe, autour d’un courant qui non seulement défendait de la façon la plus cohérente les acquis théoriques du prolétariat, mais qui possédait aussi une expérience pratique, organisationnelle suffisante pour servir de pilier à la nouvelle organisation.
- Ce rôle fut joué par le courant de Marx et Engels pour la 1° Internationale, par la Sociale Démocratie pour la 2°Internationale, par le Parti Bolchevik pour la 3°Internationale.
- Si le mouvement ouvrier n’avait connu la rupture de 60 ans qui le sépare aujourd’hui le l’Internationale Communiste, c’est sans doute « la Gauche » de celle-ci (« Gauche italienne », « Gauche allemande ») qui auraient cette fois-ci assumé cette tâche. Du point de vue des positions politique, il ne fait aucun doute que la prochaine Internationale sera une continuité de cette Gauche ; mais du point de vue organisationnel, cet axe est à construire.
- Depuis la récente reprise des luttes de la classe, notre courant international a assumé une pratique organisationnelle avec les positions de classe du prolétariat. C'est-à-dire que sa praxis est devenue, avec toutes ses faiblesses et erreurs, patrimoine de la lutte prolétarienne. Le courant a ainsi créé une nouvelle source de continuité organique, en étant la seule organisation à avoir assuré une CONTINUITE dans sa pratique au sein du cadre que constituent les positions de classe.
IV
- le courant international qui aujourd’hui franchit un pas vers sa centralisation doit donc, et peu effectivement considérer comme sa tâche essentielle, celle de constituer cette axe, indispensable pour la formation de la prochaine Internationale, le Parti mondial du prolétariat.
- Ceux d’entre nous qui verrez dans cette affirmation pure mégalomanie ne serez pas des modestes mais des irresponsables. Le courant international se suiciderait s’il n’était capable d’assumer, dans toute son ampleur, ce qu’il est objectivement.
C'est toujours avec une grande prudence que les révolutionnaires ont abordé la question de la période de transition. Le nombre, la complexité et surtout la nouveauté des problèmes que devra résoudre le prolétariat empêchent toute élaboration de plans détaillés de la future société, et toute tentative en ce sens risque de se convertir en carcan pour l'activité révolutionnaire de la classe, Marx, par exemple, s'est toujours refusé à donner des "recettes pour les marmites de l'avenir". Rosa Luxembourg de son côté, insiste sur le fait que sur la société de transition, nous ne disposons que de "poteaux indicateurs et encore de caractère essentiellement négatif".
Si les différentes expériences révolutionnaires de la classe (Commune de Paris, 1905, 191723) et l'expérience même de la contre-révolution ont pu permettre de préciser un certain nombre de problèmes que posera la période de transition, c'est essentiellement sur le cadre général de ces problèmes que portent ces précision et non sur la façon détaillée de les résoudre. C'est ce cadre qu'il s'agira de dégager ici.
1. Nature des périodes de transition.
A - L'histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de classes sociales fixes, et s'appuient sur des super structures appropriées. L'histoire écrite connaît comme sociétés fixes la société esclavagiste, la société "asiatique", la société féodale et la société capitaliste.
B – Ce qui distingue les périodes de transition de ces périodes de société stables, c'est la décomposition des anciennes structures sociale et la formation de nouvelles structures, toutes deux liées à un développement des forces productives et qu'accompagnent l'apparition et le développement de nouvelles classes, idées et institutions correspondant à ces nouvelles classes.
C – La période de transition n'a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l'ancien et le nouveau. C'est la période pendant laquelle se développent lentement, au détriment de l'ancien, les germes du nouveau mode de production jusqu'au point de le supplanter et de constituer le nouveau mode de production dominant.
D – Entre deux sociétés stables, et cela sera aussi vrai entre le capitalisme et le communisme que cela était dans le passé, la période de transition est une nécessité absolue. Cela est du au fait que l'épuisement des conditions de l'ancienne société ne signifie pas nécessairement et automatiquement le maturation et l'achèvement des conditions de la nouvelle société. En d'autres termes, le dépérissement de l'ancienne société n'est pas automatiquement maturation de la nouvelle mais seulement condition de cette maturation.
E – Décadence et période de transition sont deux choses bien distinctes. Toute période de transition présuppose la décomposition de l'ancienne société dont le mode et les rapports de production ont atteint la limite extrême de développement. Par contre, toute décadence ne signifie pas nécessairement période de transition, qui est un dépassement vers un mode de production plus évolué.
Par exemple la stagnation du mode asiatique de production n'a pas ouvert la voie au dépassement vers un nouveau mode de production. De même pour la Grèce antique qui ne disposait pas des conditions historiques au dépassement de l'esclavagisme. De même pour l'ancienne Egypte.
Décadence signifie épuisement de l'ancien mode de production social. Transition signifie surgissement des forces et conditions nouvelles permettant de dépasser et de résoudre les contradictions anciennes.
2. Différences entre la société communiste et les autres sociétés.
Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut s'appuyer sur une idée fondamentale : toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Il faut donc d'abord mettre en relief les différences fondamentales qui distinguent la société communiste de toutes les autres.
A – Toutes les sociétés antérieures (à l'exception du communisme primitif qui appartient à la préhistoire) ont été divisées en classes.
- Le communisme est une société sans classes.
B – Les autres sociétés sont basées sur la propriété et l'exploitation de l'homme par l'homme.
- Le communisme ne connaît aucun type de propriété individuelle ou collective, c'est la communauté humaine unifiée et harmonieuse.
C – Les autres sociétés dans l'histoire ont pour fondement l'insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes. Ce sont des sociétés de pénurie. C'est pour cela qu'elles sont dominées par des forces naturelles et économico-sociales aveugles. L'humanité est aliénée à la nature, et par suite, aux forces sociales qu'elle-même a engendrées dans son parcours.
- Le communisme est le plein développement des forces productives, par rapport aux besoins des hommes, l'abondance de la production capable de satisfaire les besoins humains. C'est la libération de l'humanité de la domination de la nature et de l'économie. C'est la maîtrise consciente de l'humanité sur ses conditions de vie. C'est le monde de la liberté, et non plus le monde de la nécessité de son histoire passée.
D – Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées. Cela est dû au fait que toutes sont fondées sur la propriété privée et de l'exploitation du travail d'autrui. C'est pour cela que la nouvelle société de classe peut et doit naître et se développer au sein de l'ancienne.
C'est pour cette raison qu'elle peut, une fois triomphante, contenir et s'accommoder des vestiges de l'ancienne société défaite, des anciennes classes dominantes et même associer celles-ci au pouvoir.
C'est ainsi que dans le capitalisme il peut encore subsister des rapports esclavagistes ou féodaux, et que la bourgeoisie partage, pendant une longue période le pouvoir avec la noblesse.
- Toute autre est la situation dans la société communiste. Celle-ci ne supporte en son sein aucune survivance économico-sociale de la société antérieure. Tant que de telles survivances subsistent, on ne saurait parler de société pour des petits producteurs ou des rapports esclavagistes par exemple. C'est cela qui rend si longue la période de transition entre capitalisme et communisme. Telle le peuple hébreu devant errer quarante années dans le désert pour se libérer de l'esprit forgé par l'esclavagisme, l'humanité aura besoin de plusieurs générations pour se libérer des vestiges du vieux monde.
E - Toutes les sociétés antérieures, en même temps que fondée sur la division en classes, sont nécessairement basées sur des divisions géographiques régionales ou politiques nationales. Cela est dû surtout aux lois du développement inégal qui veulent que l'évolution de la société, tout en suivant partout une même orientation, se fasse de façon relativement indépendante et séparée dans ses différents secteurs avec des décalages de temps pouvant atteindre plusieurs siècles. Ce développement inégal est lui-même du au faible développement des forces productives : il existe un rapport direct entre ce degré de développement et l'échelle sur laquelle il se réalise. Seules les forces productives développées par le capitalisme à son apogée permettent pour la première fois dans l'histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde.
- L'instauration de la société communiste a immédiatement le monde entier pour théâtre. Le communisme pour être fondé, exige une même évolution, dans le temps dans tous les pays à la fois. Il est universel d'emblée ou il ne peut pas être.
F – Pour être fondée sur la propriété privée, l'exploitation, la division en classes et en zones géographiques différentes, la production des sociétés antérieures tend nécessairement vers la production de marchandises avec tout ce qui s'ensuit de concurrence et d'anarchie dans la distribution et la consommation seulement régulée par la loi de la valeur à travers le marché et l'argent.
- Le communisme ne connaît pas l'échange ni la loi de la valeur. Sa production est socialisée dans le plein sens du terme. Elle est universellement planifiée selon les besoins des membres de la société et pour leur satisfaction. Une telle production ne connaît que des valeurs d'usage dont la distribution directe et socialisée exclut l'échange, marché et argent.
G – Pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagoniques, toutes les sociétés antérieures ne peuvent exister et survivre que par la constitution d'un organe spécial, en apparence au-dessus des classes dans le cadre de sa conservation et des intérêts de la classe dominante : l'ETAT.
- Le communisme ne connaissant aucune de ces divisions n'a pas besoin d'Etat. Plus, il ne saurait supporter en son sein un organisme de gouvernement des hommes. Dans le communisme, il n'y a de place que pour l'administration des choses.
3. Caractéristiques des périodes de transition
La période de transition vers le communisme est constamment imprégnée de la société d'où elle sort (la préhistoire de l'humanité) et de celle vers quoi elle tend (l'histoire toute nouvelle de la société humaine). C'est ce qui va distinguer de toutes les périodes de transition antérieures.
A LES PERIODES DE TRANSITION ANTERIEURES
Les périodes de transition jusqu'à ce jour ont en commun leur déroulement dans l'ancienne société, en son sein. La reconnaissance et la proclamation définitive de la nouvelle société sanctionnée par le bond que constitue la révolution, se situe à la fin du processus transitoire proprement dit. Cette situation a deux causes essentielles :
1° - Les sociétés passées ont toutes un même fondement économico-social, la division en classe et l'exploitation qui font que la période de transition se réduit à un simple changement ou transfert de privilèges et non à la suppression des privilèges
2° - Toutes ces sociétés subissent aveuglément les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives (règne de la nécessité). La période de transition entre deux d'entre elles connaît par conséquent un développement économique aveugle.
B – LA PERIODE DE TRANSITION VERS LE COMMUNISME
1° - C'est parce que le communisme constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute divisions en classes que la transition vers cette société exige une rupture radicale dans l'ancienne société et ne peut se dérouler qu'en dehors d'elle.
2° - Le communisme n'a pas un mode de production soumis à des lois économiques aveugles opposées aux hommes mais est basé sur une organisation consciente de la production que permet l'abondance des forces productives que l'ancienne société capitaliste ne peut atteindre.
C CE QUI DISTINGUE LA PERIODE DE TRANSITION VERS LE COMMUNISME
Comme conséquence de ce qui vient d'être vu, on peut tirer les conclusions suivantes :
- La période de transition au communisme ne peut s'ouvrir qu'en dehors du capitalisme. La maturation des conditions du socialisme exige au préalable la destruction de la domination politique, économique et sociale du capitalisme dans la société.
- La période de transition au communisme ne peut s'engager immédiatement qu'à l'échelle mondiale.
- A l'inverse des autres périodes de transition, les institutions essentielles du capitalisme : l'Etat, la police, l'armée, la diplomatie ne peuvent être utilisées telles quelles par le prolétariat. Elles sont immédiatement détruites de fond en comble.
- Par suite, l'ouverture de la période de transition se caractérise essentiellement par la défaite politique du capitalisme et par le triomphe de la domination politique du prolétariat.
"Pour convertir la production sociale en un large et harmonieux système de travail coopératif, il faut des changements sociaux généraux, changements dans les conditions générales de la société qui ne peuvent être réalisée que par le moyen de la puissance organisée de la société – le pouvoir de Etat – arraché aux mains des capitalistes et des propriétaires fonciers et transféré aux mains des producteurs eux-mêmes".
Marx, Instructions sur les coopératives aux délégués du Conseil Général au premier congrès de Genève de l'AIT.
"La conquête du pouvoir politique est devenu le premier devoir de la classe ouvrière".
Marx, Adresse Inaugurale de l'AIT.
4. Les problèmes de la période de transition
A - La généralisation mondiale de la révolution est la condition première de l'ouverture de la période de transition. A cette généralisation est subordonnée toute la question des mesures économiques et sociales dans lesquelles il faut particulièrement se garder de "socialisations" isolées dans un pays, une région, une usine ou un groupe d'hommes quelconque. Même après un premier triomphe du prolétariat, le capitalisme poursuit sa résistance sous forme de guerre civile. Dans cette période, tout est subordonné à la destruction de la force du capitalisme. C'est ce premier objectif qui conditionne toute évolution ultérieure.
B – Une seule classe est intéressée au communisme : le prolétariat. D'autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que le prolétariat livre au capitalisme, mais ne peuvent jamais, en tant que classes, devenir les protagonistes et porteurs du communisme. C'est pour cela qu'il faut mettre en valeur une tâche essentielle : la nécessité pour le prolétariat de ne pas se confondre ou se dissoudre avec les autres classes. Dans la période de transition, le prolétariat, comme classe révolutionnaire investie de la tâche de créer une nouvelle société sans classe, ne peut assurer cette marche en avant uniquement qu’en s’affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société. Lui seul a un programme du communisme qu’il tente de réaliser et comme tel, il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute la forme armée : il a le monopole des armes.
Pour ce faire, il se donne des structures organisées, les Conseils Ouvriers basés sur les usines, et le parti révolutionnaire.
La dictature du prolétariat peut donc se résumer les termes suivants :
- le programme (le prolétariat sait où il va)
- son organisation générale comme classe
- la force armée
C – Les rapports entre le prolétariat et les autres classes de la société sont les suivants :
1° Face à la classe capitaliste et aux anciens dirigeants de la société capitaliste (députés, hauts fonctionnaires, armée, police, église), suppression totale de tout droit civique et exclusion de toute vie politique.
2° Face à la paysannerie et le petit artisanat, constitués de producteurs indépendants et non salariés, et qui constitueront la majeure partie de la société, le prolétariat ne pourra pas les éliminer totalement de la vie politique, ni d’emblée de la vie économique. Il sera nécessairement amené à trouver un modus vivendi avec ces classes tout en poursuivant à leur égard une politique de dissolution et d’intégration dans la classe ouvrière.
Si la classe ouvrière doit tenir compte de ces autres classes dans la vie économique et administrative, elle ne devra pas leur donner la possibilité d’une organisation autonome (presse, partis, etc.). Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d’administration soviétique territorial. Elles seront intégrées dans la société comme citoyens et non comme classes.
A l’égard des couches sociales qui dans le capitalisme actuel occupent une place particulière dans la vie économique comme les professions libérales, les techniciens, les fonctionnaires, les intellectuels (ce qu’on appelle la "nouvelle classe moyenne") l’attitude du prolétariat sera basée sur les critères suivants :
- Ces classes ne représentent pas une homogénéité : dans leurs couches supérieures ; elles sont fondamentalement intégrées à une fonction et à une mentalité capitalistes, alors que dans leurs couches inférieures, elles ont la même fonction et intérêts que la classe ouvrière.
- Le prolétariat devra agir avec ces couches dans le sens du développement de cette séparation.
D - La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir nécessairement en son sein cette institution propre à toutes les sociétés divisées en classes : l'ETAT
Avec toutes les amputations et mesures de précautions dont on peut entourer cette institution (fonctionnaires élus et révocables, rétributions égales à celles d’un ouvrier, unification entre le délibératif et l'exécutif, etc.) qui font de cet état un demi-état, il ne faut jamais perdre de vue sa nature historique anti-communiste et donc anti-prolétarienne et essentiellement conservatrice. L’Etat reste le gardien du statu quo.
Si nous reconnaissons l'inévitabilité de cette institution dont le prolétariat aura à se servir comme d'un mal nécessaire
- pour briser la résistance de le classe capitaliste déchue
- pour préserver un cadre administratif et politique uni à la société à une époque où elle est encore déchirée par des intérêts antagoniques
Nous devons rejeter catégoriquement l’idée de faire de cet état le drapeau et le moteur du communisme. Par sa nature d’état ("nature bourgeoise dons son essence" Marx), il es essentiellement un organe de conservation du statu quo et un frein au communisme. A ce titre, il ne saurait s'identifier ni au communisme, ni à la classe qui le porte avec elle : le prolétariat qui, par définition, est la classe la plus dynamique de l'histoire puisqu'elle porte la suppression de toutes les classe y compris elle-même. C’est pourquoi tout en se servant de l'Etat, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l'Etat, mais sur l’Etat. C'est pourquoi également, le prolétariat ne peut reconnaître aucun droit à cette institution à intervenir par 1a violence au sein de la classe ni à arbitrer les discussions et l’activité des organismes de la classe : Conseils et parti révolutionnaire.
E - Sur le plan économique, la période de transition consiste en une politique économique (et non plus une économie politique) du prolétariat en vue d'accélérer le processus de socialisation universelle de la production et de la distribution. Ce programme du communisme intégral à tous les niveaux, tout en étant le but affirmé et poursuivi par la classe ouvrière, sera encore dans la période de transition, sujet dans sa réalisation à des conditions immédiates, conjoncturelles, contingentes, qu’il serait du pur volontarisme utopique de vouloir ignorer. Le prolétariat tentera immédiatement d'obtenir le maximum de réalisations possibles tout en reconnaissant la nécessité d'inévitables concessions, qu'il sera obligé de supporter. Deux écueils menacent une telle politique :
- l’idéaliser : en la présentant comme communiste alors qu'elle n'en a rien.
- nier sa nécessité au nom d'un volontarisme idéaliste.
5. Quelques mesures de la période de transition
Sans vouloir établir un plan détaillé de ces mesures, Nous pouvons dès maintenant en établir les grandes lignes :
A - Socialisation immédiate des grandes concentrations capitalistes et des centres principaux pour l'activité productive.
B - Planification de la production et de la distribution, les critères de la production devant être la satisfaction maximum des besoins et non plus l’accumulation.
C - Réduction massive de la journée de travail
D - Elévation substantielle du niveau de vie.
E - Tentative vers la suppression des rémunérations salariales et de leur forme argent.
F - Socialisation de la consommation et de la satisfaction des besoins (transports, loisirs, repos, etc.)
G - Orientation des rapports entre secteurs collectivisés et secteurs de production encore individuels (et tout particulièrement à la compagne) vers un échange organisé et collectif au travers de coopératives supprimant ainsi le marché et l'échange individuel.
REVOLUTION INTERNATIONALE
La nature, spécifique de la révolution prolétarienne
La nécessité qui presse les communistes à se battre pour le maximum de clarté et de cohérence en ce qui concerne les tâches révolutionnaires du prolétariat, vient de la nature unique de la révolution prolétarienne. Alors que la révolution bourgeoise (Grande Bretagne, France, etc.) constituait, fondamentalement, le couronnement politique de la domination économique bourgeoise sur la société qui s'était étendue progressivement et fermement sur les vestiges de la société féodale décadente, le prolétariat ne détient aucun pouvoir économique au sein du capitalisme, et, en période de décadence, aucune organisation permanente qui lui soit propre. Les seules armes qu'il puisse utiliser sont sa conscience de classe et sa capacité à organiser sa propre activité révolutionnaire. Et une fois le pouvoir arraché des mains de la bourgeoisie, s'ouvre devant lui l'immense tâche de construire consciemment un nouvel ordre social.
La société capitaliste, comme toutes les sociétés de classe, a grandi indépendamment de la volonté des hommes, à travers un lent processus "inconscient", régi par des lois et forces qui n'étaient pas sujettes au contrôle humain. Et la révolution bourgeoise s'est simplement chargée de chasser les superstructures féodales qui empêchaient ces lois de se généraliser. Aujourd'hui, c'est la nature même de ces lois, leur caractère aveugle, anarchique, marchand, qui menace de mener la civilisation humaine à la ruine. Mais en dépit du caractère apparemment immuable de ces lois, elles sont, en dernière instance, uniquement l'expression de rapports sociaux que les hommes ont créés. La révolution prolétarienne signifie un assaut systématique contre les rapports sociaux existants liés aux lois impitoyables du capital. Elle ne peut être qu'un assaut conscient car c'est précisément le caractère inconscient et incontrôlé du capital que la révolution tente de détruire; et le système social que le prolétariat construira sur les ruines du capitalisme, constitue la première société dans laquelle le genre humain exercera un contrôle rationnel et conscient sur les forces productives et sur toute l'activité sociale humaine.
Ce qui force le prolétariat à affronter et à détruire les rapports sociaux du capital -travail salarié, production marchande généralisée- c'est que ces derniers sont rentrés en conflit ouvert avec les forces productives, que se soient les besoins matériels du prolétariat ou les forces productives de la société humaine dans son ensemble. La décadence des rapports sociaux qui dominent le prolétariat l'amène à se donner pour première tache, à notre époque, la destruction de ces rapports et l'instauration de nouveaux. Il n'a donc pas pour tâche de réformer, réorganiser ou gouverner le capital mais de le liquider pour toujours. La décadence signifie simplement que les forces productives ne peuvent plus se développer dans l'intérêt de l'humanité tant qu'elles restent sous le joug du capital, et qu'un développement réel ne peut avoir lieu que dans des rapports de production communistes.
Le matérialisme historique ne laisse aucune place à un mode de production transitoire entre capitalisme et communisme.
"Ce à quoi nous avons à faire, c'est à une société communiste non pas telle qu'elle s'est développée sur ses bases propres, mais au contraire telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste. Ce qui veut dire qu'elle est encore à tous égards, économiquement, moralement et intellectuellement, marquée des empreintes de la vieille société dont elle naît" (Marx, Critique du Programme de Gotha.).
Nous avons à faire ici à une période de transition dans laquelle le communisme émerge, dans les violentes douleurs de l'accouchement, de la société capitaliste, un communisme en lutte constante contre les vestiges de l'ancienne société, un communisme qui s'efforce sans cesse de développer ses propres fondations, les fondations d'une étape plus avancée du communisme, du règne de la liberté, de la société sans classe.
La guerre civile révolutionnaire.
Mais le mouvement vers l'abolition des classes est un mouvement dirigé consciemment, et la conscience qui le guide vers son but final, n'appartient qu’à une seule classe communiste, le prolétariat. Le communisme n'est pas une simple impulsion inconsciente ayant pour but la négation des rapports marchands, et qui découvrirait, par hasard, que l'Etat capitaliste est leur gardien, qu'il faut le détruire pour réaliser le communisme. Le communisme est un mouvement du prolétariat qui met en place un programme politique; ce programme reconnaît clairement à l'avance dans l'Etat bourgeois le défenseur des rapports sociaux capitalistes; ce programme défend systématiquement que la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie est une condition préalable de la transformation communiste. En cela, la révolution prolétarienne se déroule selon un schéma contraire à celui de la révolution bourgeoise : la révolution sociale entreprise par le prolétariat ne peut prendre son envol qu'après la conquête politique du pouvoir par la classe ouvrière. Puisque le capital est un rapport mondial, la révolution communiste ne peut se développer qu'à l'échelle mondiale. La nature globale du prolétariat et de la bourgeoisie fait que la prise du pouvoir par les ouvriers d'un pays entraîne une guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. Jusqu'à ce qu'elle soit victorieuse; jusqu’à ce que le prolétariat ait conquis le pouvoir mondialement, nous ne pouvons parler réellement d'une période de transition, encore moins d'une transformation communiste.
Pendant la période de guerre civile mondiale, la production, même lorsqu’elle est sous la direction du prolétariat, n'est pas une production principalement axée sur les besoins humains, ce qui sera le sceau de la production communiste. Pendant cette période, la production, comme tout le reste, est subordonné aux nécessités de la guerre civile, à la nécessité impérieuse d'étendre et d'enraciner la révolution internationale. Même si le prolétariat peut faire disparaître bien des caractéristiques formelles des rapports capitalistes, tout en s'armant et en produisant pour la guerre civile, on ne pourrait appeler communisme pur et simple une économie orientée vers la guerre. Tant que le capitalisme existera quelque part dans le monde, ses lois continuent à déterminer le contenu réel des rapports de production partout ailleurs.
Même si le prolétariat d'un pays se débarrasse de la forme du travail salarié et commence à rationner tout ce qu'il produit, sans aucune espèce d'intermédiaire monétaire, le rythme de la production et de la distribution dans ce bastion prolétarien reste encore à la merci de la domination du capital global, de la loi de la valeur globale. Au moindre reflux du mouvement révolutionnaire, ces mesures seraient rapidement minées et commenceraient à revenir à des rapports salariaux capitalistes dans toute leur brutalité, sans que les prolétaires aient jamais cessé d'être une partie de la classe exploitée. Prétendre qu'il est possible de créer des îlots de communisme quand la bourgeoisie détient encore le pouvoir à l'échelle mondiale, c'est tenter de mystifier la classe ouvrière et de la détourner de sa tâche fondamentale - l'élimination totale du pouvoir bourgeois.
Cela ne veut pas dire pour autant que sa lutte pour le pouvoir politique, le prolétariat s'abstient de prendre des mesures économiques dont le but est de saper la puissance du capital. Encore moins que le prolétariat n'a à prendre en mains l'économie capitaliste et l'utiliser à ses propres desseins. Tout comme la Commune de Paris a prouvé que le prolétariat ne peut s'emparer de la machine d'Etat capitaliste, la révolution russe a révélé qu'il était impossible à la classe ouvrière de se maintenir indéfiniment "à la tête" d'une économie capitaliste. En dernière analyse, cela veut dire que le prolétariat doit s'engager dans un processus de destruction du capital global s'il veut garder le pouvoir quelque part, mais que ce processus commence sur le champ : la classe ouvrière doit être consciente que sa lutte contre le capital a lieu à tous les niveaux (même si elle n'est pas uniforme) parce que le capital est un rapport social global.
Dès que le prolétariat aura pris le pouvoir en un endroit, il sera forcé d'entreprendre l'assaut des rapports capitalistes de production, premièrement pour lutter contre l'organisation globale du capital, deuxièmement pour faciliter la direction politique de la zone qu'il contrôle, troisièmement pour jeter les bases d'une transformation sociale bien plus développée qui succèdera à la guerre civile. L'expropriation de la bourgeoisie à un endroit produira des effets profondément désintégrateur sur l'ensemble du capital mondial si elle a lieu dans un centre important du capitalisme, et ceci approfondira en conséquence la lutte de classe mondiale; le prolétariat devra se servir de toutes les armes économiques qu'il a à sa disposition. Si l'on considère la seconde raison (qui n’est pas de moindre importance), il est impossible d'imaginer l'unification et l'hégémonie du prolétariat s'il n'entreprend pas un assaut radical de toutes les divisions et les complexités qu'impose la division capitaliste du travail. Le pouvoir politique des ouvriers dépendra de leur capacité à simplifier et, à rationaliser le processus de production et distribution, et cette question n'est pas secondaire. Cette rationalisation est impossible dans une économie totalement dominée par les rapports marchands. Un des principaux moteurs qui pousse le prolétariat à produire des valeurs d'usage, et qu'une telle méthode de production convient bien mieux aux tâches qu'il a à affronter durant la crise révolutionnaire - telles que l'armement général des ouvriers, l'urgence du rationnement du ravitaillement, la direction centralisée de l'appareil productif, etc. En fin de compte, du moment que la révolution est mondialement victorieuse, ces mesures rudimentaires de socialisation peuvent trouver une continuité dans la véritable réorganisation positive de la production, qui a lieu après la victoire, pour autant qu'elles aident à neutraliser et à ruiner la domination des rapports marchands, diminuant ainsi les tâches "négatives" du prolétariat pendant la période de transition.
La profondeur de l'extension de ces mesures dépendra de l'équilibre des forces dans une situation donnée, mais on peut prévoir qu'elles seront plus poussées là où le capitalisme a déjà permis d'avancer dans le processus de socialisation matérielle. Donc la collectivisation des moyens de production ira sûrement bien plus vite dans les secteurs où le prolétariat est plus concentré - dans les grandes usines, les mines, les docks, etc. De même, la socialisation de la consommation aura lieu bien plus facilement dans les zones partiellement socialisées : transports, logement, gaz, électricité et d’autres secteurs peuvent fonctionner gratuitement presque immédiatement, seulement sujets à la totalité des réserves contrôlées par les ouvriers. La collectivisation de ces services empièterait profondément sur le système salarial. Tout comme pour la distribution directe d'articles individuels de consommation, la suppression totale des formes monétaires, il est difficile de dire jusqu'où ce processus peut aller tant que la révolution reste circonscrite à une région. Mais nous pouvons dire qu'il faut attaquer au maximum la forme salariale, et il n'y a pas de doute sur le fait que les ouvriers ne seront pas disposés à se payer eux mêmes en salaires, une fois qu'ils 'auront pris le pouvoir. Pour être plus concrets, nous sommes pour des mesures qui tendent à régir la production et la distribution en termes sociaux, collectifs (des mesures comme le rationnement, et l'obligation universelle au travail telles que les Conseils Ouvriers les revendiquaient) plutôt que pour des mesures qui nécessitent le calcul de la contribution de chacun au travail social. Le système de bons sur la base du temps de travail tendrait à diviser les ouvriers capables de travailler de ceux qui ne le sont pas (situation qui pourrait fort bien s'étendre dans, une période de crise révolutionnaire mondiale) et pourrait de surcroît creuser un fossé entre les prolétaires et les autres couches, entravant le processus d'intégration sociale. Ce système de requerrait une supervision bureaucratique énorme du travail de chaque ouvrier, et dégénèrerait bien plus facilement en salaires-monnaie à un moment de reflux de la révolution (ces reculs peuvent avoir lieu tant pendant la guerre civile que pendant la période de transition elle même).
Un système de rationnement sous le contrôle des Conseils Ouvriers se prêterait bien plus facilement à une régulation démocratique de toutes les ressources d'un bastion prolétarien, et encouragerait les sentiments de solidarité à l'intérieur de la classe. Mais nous n'avons pas d'illusion : ce système, pas plus qu'un autre, ne peut représenter une "garantie" contre un retour à l'esclavage salarié dans sa forme la plus brute. Fondamentalement, la soumission au temps, à la rareté, à la pression des rapports marchands globaux existe encore - elle est simplement supportée par l'ensemble du bastion prolétarien comme une sorte de salariat collectif. Tout système temporaire de distribution reste ouvert aux dangers de la bureaucratisation et de la dégénérescence tant que les rapports marchands existent - et les rapports marchands (la force de travail comme marchandise incluse) ne peuvent totalement disparaître tant que les classes n'ont pas cessé d'exister, car la perpétuation des classes veut dire perpétuation de l'échange. On ne peut en aucune façon prétendre qu'une telle méthode de distribution, durant les premières étapes de la révolution, ou pendant la période de transition elle-même, suit le principe de "à chacun selon, ses besoins", ce qui ne peut être achevé que dans une étape très avancée du communisme.
L'assaut contre la forme salariale va de pair avec l'assaut contre la division capitaliste du travail. En tout premier lieu, les divisions que le capital impose dans les rangs même du prolétariat, doivent être impitoyablement dénoncées et combattues. Les divisions entre qualifiés et non qualifiés, hommes et femmes, entre secteurs prolétariens, employés et chômeurs, doivent être combattues au sein des organes de masse de la classe, comme seule voie pour cimenter l'unité de la combativité ouvrière.
De même, le prolétariat, dès le début, met en route un processus d’intégration des autres couches sociales dans ses rangs, commençant par les couches semi-prolétariennes qui auront montré leur capacité à soutenir le mouvement révolutionnaire des ouvriers. On peut envisager l'intégration rapide de certaines couches qui ont déjà prouvé leur capacité à combattre collectivement contre leur exploitation, par exemple de grands secteurs d'infirmières et d'ouvriers à cols blancs.
Mais il faut insister sur le fait que tous ces empiètements sur les rapports marchands et la division capitaliste du travail ne sont en fait que des moyens pour arriver à un but auquel ils doivent être strictement subordonnés : l'extension de la révolution mondiale. Bien qu'il ne se dérobe pas à la tâche de s'attaquer dès le début aux rapports marchands, le prolétariat doit voir quelle illusion et quel piège comporte l'idée de créer des îlots de communisme dans une région ou dans une autre. Bien qu'il commence à intégrer des classes non-exploitrices dans ses rangs, le prolétariat doit être constamment sur ses gardes contre toute dilution dans des couches qui ne peuvent, dans leur ensemble, partager les buts communistes de la classe ouvrière, et qui peuvent constituer dans ses rangs une cinquième colonne dangereuse aux premiers signes de recul de la vague révolutionnaire. L'unification des ouvriers du monde entier doit prendre le pas sur les tentatives de commencer à réaliser la communauté humaine. Toutes ces tentatives de socialisation ne sont en réalité que des mesures pour combler des brèches, pour répondre à certaines situations urgentes. Elles peuvent faire partie de l'assaut contre les rapports marchands, mais en aucun cas ne représentent "l'abolition" de toutes les catégories capitalistes. Le véritable dépassement positif de ces rapports marchands ne peut être fait qu'après l'abolition mondiale de la bourgeoisie, après la construction de la dictature prolétarienne internationale. C'est là que la période de transition à proprement parler commence.
La période de transition
Nous ne pouvons nous étendre ici sur les tâches qu'aura à accomplir le prolétariat pendant cette période. Nous ne pouvons que les mettre en relief brièvement afin d'insister sur l'immensité du projet prolétarien. En libérant les forces productives des entraves du capital, en liquidant le système du travail salarié, les frontières nationales, le marché mondial, le prolétariat devra établir un système mondial de production et de distribution organisé dans le seul but de la satisfaction des besoins humains. Il devra diriger le nouveau système productif vers la restauration et la renaissance d'un monde ravagé par des décades de décadence capitaliste et de guerre civile révolutionnaire. Nourrir et habiller les zones pauvres du monde, éliminer la pollution et les productions inutiles, réorganiser l'infrastructure industrielle globale, combattre les innombrables aliénations léguées par le capitalisme, qui sévissent aussi bien dans le travail que dans la vie sociale toute entière, voilà qui constitue simplement les premières tâches. Ce ne sont là que les conditions nécessaires à construction d’une nouvelle civilisation, d'une nouvelle culture, d'une nouvelle humanité dont la splendeur peut difficilement être imaginée de ce côté-ci du capitalisme, et qui ne peut être envisagée, principalement, qu'en termes négatifs : l'élimination de l'antagonisme économie-société, du travail et du loisir, de l'individu et de la société, de l'homme et de la nature, etc. Et pendant tout le temps où le prolétariat établit les fondations de ce nouveau mode de vie, il doit progressivement intégrer toute l'humanité dans ses rangs, au travail associé, créant ainsi la communauté humaine sans classe - non sans garder de "s'abolir" trop rapidement, sans s'assurer qu'il n'y a plus la moindre possibilité de revenir au rapport marchandise généralisé, et donc au capitalisme. La période de transition sera le terrain d'une lutte titanesque pour maintenir un mouvement irréversible vers la communauté humaine contre les vestiges de l'ancienne société.
Ceux qui peignent la période de transition comme une étape sans problème pouvant être rapidement dépassée par le prolétariat, se préparent à décevoir non seulement eux-mêmes, mais la classe dans son ensemble. Nous ne savons pas combien de temps va durer cette période. Ce que nous savons, c’est qu'elle posera des problèmes d'une nature et d'une importance sans précédent dans l'histoire de l'humanité, que la tâche qu'aura à accomplir le prolétariat est plus vaste que dans toute autre époque, et que penser que cette tâche pourra s’accomplir en un jour est au mieux une utopie, et au pire une mystification réactionnaire. Ce dont nous pouvons être surs, c'est que la période de transition ne permettra pas au prolétariat ni à la transformation sociale de stagner.
Tout arrêt dans la révolutionarisation de la production sociale signifierait danger immédiat de retour au capitalisme, et donc finalement à la barbarie. A aucun moment le prolétariat ne pourra se reposer sur ses lauriers et attendre que le communisme arrive tout seul. Ou bien le prolétariat se bat pour un plus haut degré de communisme, en constant état de mouvement lui-même basé sur la généralisation des rapports communistes, ou bien il se retrouve dans la situation d'une classe exploitée, mobilisée pour quelque catastrophe finale.
La forme que prendra la dictature du prolétariat.
C'est une évidence de préciser que les révolutionnaires ne peuvent définir à l'avance les formes organisationnelles précises dont se servira le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste. Il est impossible de prévoir tous les divers problèmes organisationnels et pratiques que la classe ouvrière aura à affronter dans le monde entier, problèmes qui ne seront en fin de compte résolus que par la classe elle même dans sa lutte révolutionnaire. La créativité que manifestera la classe sera certainement supérieure à ses manifestations antérieures, et dépassera toutes les prévisions que pourraient faire les révolutionnaires aujourd'hui.
Néanmoins, les révolutionnaires ne peuvent en aucune façon se dérober à la discussion de la question des formes et des structures de la dictature du prolétariat. Agir ainsi reviendrait à renier toute l'expérience de la classe révolutionnaire à notre époque, expérience qui a permis de dégager certaines leçons que le prolétariat ne peut se permettre d'ignorer. Oublier ces leçons, surtout celle de la Russie, c'est laisser la porte ouverte à une répétition des erreurs passées. Ce n’est pas par hasard si la "gauche" capitaliste (Stalinistes, Trotskystes etc.) est incapable d’analyser les erreurs passées ou de définir un programme clair de ce qu'ils appellent la "révolution". Derrière cette ambiguité, cette réticence à "planifier en détail", se cache une position de classe qui s'opposera plus tard à l'activité révolutionnaire autonome de la classe ouvrière. Ces gauchistes "pratiques", "réalistes", se cachent souvent derrière la réticence souvent manifestée par Marx à spéculer sur les formes organisationnelles de la dictature du prolétariat. Mais cette résistance était le reflet de son époque, d'une époque où les conditions matérielles nécessaires à la révolution communiste n'existaient pas encore.
Toute prévision que pouvaient faire Marx ou Engels sur la forme de la dictature prolétarienne était déterminée par la maturité de la classe, par la façon dont elle se présentait, comme force capable de prendre en main la direction de la société. Mais dans la période ascendante du capitalisme, où le prolétariat était encore restreint et informe, la possibilité de prendre le pouvoir était extrêmement limitée, et de toute façon, le pouvoir n'aurait pu être maintenu dans cette période. Néanmoins, il y avait eu assez d'expériences de surgissements prolétariens pour permettre à Marx de définir certains points essentiels sur la nature du pouvoir prolétarien. Parce qu'ils se basaient sur la méthode du matérialisme historique, ils étaient capables de tirer les leçons des expériences qu'ils vivaient et de reconsidérer certaines conceptions fondamentales sur la nature de la prise de pouvoir par la classe ouvrière. C'est ainsi que l'expérience de l'insurrection de 1848 et plus encore de la Commune de Paris de 1871, les a amena à abandonner la perspective élaborée dans le Manifeste Communiste, perspective selon laquelle le prolétariat devait s'organiser pour s'emparer de la machine d'Etat bourgeoise. Après cette expérience, il était clair que le prolétariat ne pouvait que détruire cette machine et construire ses propres organes de pouvoir, qui pouvaient seuls servir les buts communistes.
En tirant cette leçon, Marx et Engels poursuivaient la tâche communiste fondamentale d'appuyer le programme politique prolétarien sur la seule base des expériences historiques de la classe, et c'est encore la seule façon d'élaborer le programme communiste aujourd'hui. Mais aujourd'hui nous vivons une époque de décadence du capitalisme et donc de possibilité de révolution sociale prolétarienne, et nous pouvons et devons tirer les conséquences de l'expérience de la classe à notre époque, particulièrement de la grande vague révolutionnaire de 1917-1923, en particulier en ce qui concerne la tâche d'élaborer des points organisationnels de ce programme, ce qui était impossible à Marx et Engels.
Engels décrit la Commune comme la forme même de la dictature du prolétariat. Marx l’appelle "la forme politique de l'émancipation sociale du travail". Mais alors que la Commune donne des leçons qui restent valables (nécessité de détruire l'Etat bourgeois, d'armer les ouvriers, d'assurer un contrôle direct sur les délégués, etc.), elle ne peut être considérée aujourd'hui comme le modèle de la dictature. La Commune a été l’expression d'une classe ouvrière jeune qui, non seulement n'était pas une classe mondiale, mais qui même dans les centres urbains du capitalisme, était fragmentée et pas encore distincte tout à fait d'autres classes urbaines comme la petite bourgeoisie. Ce fait se vit clairement reflété dans la Commune. Malgré son aspiration, à une "république sociale universelle", la Commune ne pouvait pas s'étendre à l'échelle mondiale. Les membres des organes centraux de la Commune étaient des Jacobins aussi bien que des Proudhoniens ou des communistes, et leur base électorale était circonscrite à l'enceinte de Paris, selon le système du suffrage universel : il n'y avait pas de représentation distinctement prolétarienne ou industrielle. De plus, et surtout, la Commune n'aurait pas pu entreprendre une transformation socialiste parce que les forces productives n'étaient pas suffisamment développées, pour mettre à l'ordre du jour aussi bien la possibilité que la nécessité immédiate du communisme. A la fin de la période ascendante du capitalisme, 1'extension du capitalisme au niveau global ainsi que sa concentration, avaient déjà fait tomber en désuétude beaucoup d'évènements caractéristiques de la Commune. Cependant aucun révolutionnaire des années 1890 et début 1900 ne pu parvenir à une vision claire du dépassement possible de la Commune, modèle de dictature prolétarienne, et les perspectives qu'ils ont émises sur le sujet sont nécessairement restées vagues.
Il faut le répéter, c'était l'expérience concrète de la classe elle-même qui devait apporter une réponse au problème. Ainsi, en Russie en 1905 et 1917, et durant toute la vague révolutionnaire qui suivit dans d'autres pays, le Soviet ou Conseil Ouvrier apparut comme l'organe de combat de la lutte révolutionnaire. Les Conseils, assemblées de délégués élus et révocables des secteurs industriels furent d'abord et avant tout l'expression de l’organisation collective du prolétariat unifié sur son propre terrain de classe et apparurent ainsi comme une forme du pouvoir prolétarien plus développée que celle de la Commune de Paris. Dès que l'union mondiale des Conseils Ouvriers apparut comme le but immédiat de la révolution prolétarienne, le mot d’ordre "tout le pouvoir aux Soviets" marqua une frontière de classe entre les organisations prolétariennes et les organisations bourgeoise. Aucune organisation prolétarienne ne pouvait plus rejeter le pouvoir des Soviets comme la forme de dictature prolétarienne. Depuis lors, tous les mouvements insurrectionnels de la classe depuis là Chine de 1927 jusqu'à la Hongrie de 1956, ont tendu à s'exprimer sous la Forme d'organisation en Conseils, et, malgré toute la faiblesse de ces mouvements, rien n'a fondamentalement changé dans la lutte de classe qui puisse justifier que les Conseils n'apparaissent pas dans la prochaine vague révolutionnaire comme la forme concrète d'organisation du prolétariat.
On est aujourd'hui assailli par une foule de modernistes et "innovateurs" (Invariance, Négation, Communismen) qui prétendent que les Conseils Ouvriers ne font que reproduire la division capitaliste du travail et qu'ils ne sont donc pas des instruments appropriés pour une révolution communiste qu'ils définissent comme le renversement immédiat de toutes les catégories de la Société capitaliste. Le point de vue de classe de ces tendances trahit la nature non dialectique et antimarxiste de leur conception de la révolution. Pour eux, la classe ouvrière n'est qu'une fraction du capitalisme qui ne peut être une partie du "sujet révolutionnaire" ou du "mouvement communiste" qu'en se niant immédiatement dans une "humanité" universelle.
La vision marxiste de la révolution, elle, ne peut être que celle du prolétariat s'affirmant comme la seule classe communiste avant d'intégrer l'ensemble de l'humanité dans le travail associé, mettant ainsi fin à sa propre existence de classe séparée. Les Conseils Ouvriers sont les instruments appropriés à l'auto affirmation du prolétariat contre le reste de la société, autant qu'au processus d'intégration des autres couches sociales dans les rangs du prolétariat, qu'à la création d'une communauté humaine. Ce n'est que lorsque cette communauté est définitivement réalisée que les Conseils Ouvriers disparaissent. Reliés, de ville en ville à travers le monde, les Conseils ouvriers seront responsables des tâches militaires, économiques et idéologiques de la guerre civile et de la direction de la transformation économique dans la période de transition. Dans cette période, les Conseils étendront constamment leur base sociale au fur et à mesure qu'ils intègreront de plus en plus 1'humanité aux rapports de production communistes.
Mais le fait d'affirmer la nécessité de la forme conseil n'empêche aucunement les révolutionnaires d'aujourd'hui de critiquer les mouvements précédents de conseils, ou les tendances politiques produites ou inspirées de ces mouvements. Cette critique est absolument indispensable si la classe ouvrière veut éviter de refaire les erreurs du passé; et elle ne peut que se fonder sur les amères leçons que le prolétariat a tirées de ses luttes les plus combatives de l'époque.
On peut en résumer ainsi les leçons les plus importantes.
1. - Le pouvoir politique est exerce a travers les conseils ouvriers eux-mêmes et non au moyen d'un parti.
En Russie et partout ailleurs, dans le passé, il était acquis que la dictature du prolétariat s'exerçait au moyen du parti communiste, ce dernier constituant le "gouvernement", une fois qu'il avait la majorité dans les soviets, comme dans les parlements bourgeois. Plus encore, on choisissait les délégués des soviets sur les listes de partis, et non dans les assemblées d'ouvriers où ils seraient élus et mandatés pour en accomplir lès décisions (et souvent les délégués ne venaient pas du tout des usines mais étaient des représentants des partis ou de syndicats). Ce fait en lui-même était une concession directe aux formes bourgeoises de représentation et de parlementarisme, et tendait à laisser le pouvoir entre les mains "d'experts" en politique, plutôt qu'à la masse des ouvriers eux-mêmes ; mais ce qui est plus grave encore, c'est l'idée que le parti exerce le pouvoir et non la classe dans son ensemble (une idée du mouvement ouvrier de l'époque); elle est devenue le porteur direct de la contre-révolution et utilisée par le parti bolchevik décadent pour justifier ses attaques contre la classe dans son ensemble après la faillite de la vague révolutionnaire. L'identification du pouvoir du parti à la dictature du prolétariat revêtit les bolcheviks d'une parure idéologique qui servit rapidement de couverture à la dictature du capital lui-même. L'expérience russe a définitivement réfuté la vieille idée social-démocrate selon laquelle c'est le parti qui représente et organise la classe.
Dans les soviets du futur, les décisions les plus importantes concernant la direction de la révolution doivent être pleinement discutées et élaborées dans les assemblées générales de la classe à la base dans les usines et autres lieux de travail, de sorte que les délégués des soviets servent essentiellement à centraliser et à exécuter les décisions de ces assemblées. Ces délégués seront souvent des membres du parti, ou d'autres fractions, mais ils seront élus en tant qu'ouvriers et non en tant que représentants d’un parti quelconque. Il se peut même qu'à un moment donné, la majorité des délégués soient les membres du parti communiste, mais cela ne comporte en soit pas de danger, tant que le prolétariat dans son ensemble participe activement à ses organes unitaires de Classe et en garde le contrôle. En dernière analyse, cela ne peut être assuré que par la radicalisation et l'énergie des ouvriers eux-mêmes, par le succès de la transformation révolutionnaire qu'ils ont entre les mains; mais certaines mesures formelles devront être prises pour parer au danger de voir se former une élite bureaucratique autour du parti ou de n'importe quel corps.
Parmi ces mesures, la révocabilité constante des délégués, la rotation des tâches administratives, accès égal des délégués et de n'importe quel autre ouvrier aux valeurs d'usage, et en particulier, séparation complète du parti et des fonctions "étatiques" des conseils. Ainsi, par exemple, ce sont les conseils ouvriers qui contrôlent les armes et se chargent de la répression des éléments contre-révolutionnaires, et non une partie ou une commission particulière du parti.
Le futur parti communiste n'aura pas d'autres armes que sa propre clarté théorique et son engagement politique envers le programme communiste. Il ne peut pas rechercher le pouvoir pour lui-même, mais doit lutter au sein de la classe pour l'application du programme communiste. En aucun cas, il ne peut forcer la classe dans son ensemble à mettre ce programme en pratique, pas plus que le mettre en pratique lui-même, car le communisme n'est crée que par l'activité consciente de la classe dans son ensemble. Le parti ne peut que chercher à convaincre la classe dans son ensemble de la justesse de ses analyses à travers le processus de discussion et d'éducation active qui a lieu dans les assemblées et les conseils de la classe, et il dénoncera sans pitié toute tendance auto proclamée révolutionnaire qui voudra s'arroger la tâche d'organiser la classe et de se substituer au sujet révolutionnaire.
2. - Les conseils ne sont pas des organes d'autogestion
Quelle que soit la situation révolutionnaire future, nous aurons les héritiers de la contre-révolution russe, trotskystes, staliniens et autres pour revendiquer la subordination des conseils ouvriers à un parti-Etat tout puissant qui guiderait et éduquerait la masse amorphe des ouvriers et centraliserait le capital entre ses mains. Les communistes devront se tenir au sein de leur classe et combattre ces conceptions bec et ongles. Mais l'expérience amère qu'a eu le prolétariat du capitalisme d'Etat en Russie et ailleurs, et son expérience de la nature réactionnaire des nationalisations en général peut très bien rendre la classe beaucoup plus réticente aux appels à la nationalisation qu’elle ne le fut dans les moments révolutionnaires du passé. Mais il ne fait aucun doute que la bourgeoisie trouvera d'autres cris de ralliement pour tenter de lier les ouvriers à l'Etat bourgeois et aux rapports de production capitalistes; l'un des plus pernicieux pourrait être le mot d'ordre "d'autogestion ouvrière"; il peut trouver un écho dans les mystifications corporatistes localistes et syndicalistes qui existent dans la classe. Les expériences du passé en ont donné bien des exemples. En Italie, en Allemagne, pendant la première grande vague révolutionnaire, on trouvait chez les ouvriers une forte tendance à s'enfermer tout simplement dans leur usine et à tenter de gérer "leur usine" sur une base corporatiste, à ramener l'organisation des conseils au niveau de chaque usine plutôt que de créer des organes spécifiquement destinés au regroupement et à la centralisation des efforts révolutionnaires de tous les ouvriers.
Aujourd'hui, l'idée d'autogestion se présente déjà comme un dernier recours à la crise du capitalisme et nombreuses sont les fractions de gauche du capital des social-démocrates aux trotskystes et divers libertaires qui préconisent des "conseils ouvriers" émasculés. L'avantage d’un tel mot d’ordre pour la bourgeoisie réside en ce qu'il sert à conduire le prolétariat à participer activement à sa propre exploitation et à son propre écrasement sans mettre en question le pouvoir de l'Etat capitaliste, ni les rapports de production marchands. C'est ainsi que la république bourgeoise espagnole a pu récupérer bien des cas d'autogestion et les mettre au service de son effort de guerre contre sa rivale capitaliste, la fraction de Franco ([1] [11]).
L’isolement des ouvriers dans les "conseils" composés de simples unités productives ne fait que maintenir les divisions imposées par le capitalisme et amène à la défaite certaine de la classe (Voir cardan : Sur le contenu du socialisme et les conseils ouvriers et les bases économiques de l’autogestion de la société, comme modèle parfait de la défaite).
De telles méthodes d’organisation détournent les ouvriers de leur but premier : détruire l'Etat capitaliste, et permettent ainsi à l'Etat de relancer son offensive contre une classe ouvrière fragmentée. Elles servent ainsi à perpétuer l'illusion "d'entreprises autonomes" et du socialisme qui consisterait en un libre échange entre collectivités d’ouvriers, alors que la véritable socialisation de la production exige la suppression des entreprises autonomes en tant que telles et la soumission de tout l'appareil productif à la direction consciente de la société, sans l'intermédiaire de l'échange. ([2] [12])
Dès que la classe ouvrière commence à s'emparer de l'appareil productif (et la prise des usines doit être considérée comme un moment de l'insurrection), elle commence à entreprendre la lutte pour soumettre la production aux besoins humains. Ceci n'implique pas seulement une production de valeurs d'usage, mais aussi de profondes transformations dans l'organisation du travail, de sorte que l'activité productive elle-même tend à devenir une partie de la consommation dans le sens le plus large. Certaines mesures allant dans ce sens devront être prises immédiatement, comme par exemple la réduction de la journée de travail (en fonction des besoins de la révolution), la rotation des tâches et l'élimination des rapports hiérarchiques à l'intérieur de l'usine par la participation égale de tous les ouvriers qualifiés ou non qualifiés, manuels ou techniques, hommes ou femmes, aux assemblées et comités d'usine. Mais la mystification de l'autogestion ne s'arrête pas à l'idée d'unités de production "autonomes". Elle peut s'étendre au niveau national, si l'on imagine des conseils ouvriers planifiant de concert l'accumulation "démocratique" du capital national. On peut aussi 1'associer à l'idéal d'un bastion "communiste" se suffisant à lui-même qui tenterait d'abolir formellement le travail salarié et le commerce dans un seul pays - illusion entretenue par beaucoup de communistes de conseils dans les années 20-30, et qui réapparaît de nouveau sous diverses formes dans les idées des "innovateurs" du marxisme qui demandent la création immédiate de la "communauté humaine". Toutes ces idéologies sont liées par un rejet commun de la nécessité pour le prolétariat de détruire l'Etat-bourgeois à l'échelle mondiale avant que toute socialisation réelle puisse être entreprise. Contre toutes ces confusions il faut affirmer que les Conseils Ouvriers sont d'abord et avant tout des organes de pouvoir politique qui doivent servir à unifier les ouvriers non seulement pour l'administration de l'économie mais pour la conquête du pouvoir à l'échelle mondiale.
3 - Les conseils ouvriers ne sont pas une fin en soi
La conquête internationale du pouvoir par la classe ouvrière n'est que le début de la révolution sociale : Dans la période de transition, les conseils ouvrier sont les moyens qu'emploie le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste de la société. Si les conseils ouvriers deviennent une fin en soi, cela veut simplement dire que le processus de révolution sociale s'arrête et qu'on assiste à un début de retour au capitalisme. Bien que les Conseils Ouvriers soient les instruments positifs de l'abolition de l'esclavage salarié et de la production marchande, ils peuvent devenir l'enveloppe vide dans laquelle une nouvelle bourgeoisie pourra s'implanter pour exploiter la classe ouvrière.
Il ne peut y avoir aucune garantie, ni dans la période de transition, ni dans la période d'insurrection révolutionnaire elle-même, de la continuité du processus révolutionnaire jusqu'au triomphe du communisme. La meilleure volonté des minorités révolutionnaires ne peut suffire à empêcher la dégénérescence de la révolution qui dépend d'un changement matériel du rapport de force entre les c1asses. Entre le moment où les Conseils sont révolutionnaires et le moment où ils sont définitivement devenus des appendices du capital, il existe un moment d'équilibre instable où il est encore possible de réformer les Conseils de l'intérieur : mais ce n'est qu'une possibilité relativement restreinte. Si cette tentative échoue, les révolutionnaires doivent quitter les Conseils, et appeler à la formation de nouveaux Conseils en opposition aux anciens, en d'autres termes à une seconde révolution. A cet égard, nous avons l'exemple des petites fractions communistes de Russie qui ont refusé de collaborer aux Soviet morts des premières années 20, et appelaient au renversement de l'Etat "Bolchevik" (voir le Groupe Ouvrier de Miasnikov en 23) -ou celui de la Gauche Allemande qui abandonna les organisations d’usine réformistes aux machinations sordides du KPD et des partis Social-démocrate.
La question de l'état.
Le Problème de l'Etat dans la période de transition et de ses relations avec le prolétariat est si complexe que nous devons traiter cette question séparément, bien qu'elle soit en relation étroite avec les leçons tirées des révolutions précédentes, au sujet de la forme de la dictature du prolétariat et du rôle des Conseils Ouvriers.
Tant que les classes existent, nous ne pouvons parler de l'abolition de l'Etat. L'Etat continue à exister pendant la période de transition, parce qu'il reste encore des classes dont les intérêts directs ne peuvent être concilié : d'un côté le prolétariat communiste, de l'autre les autres classes, vestiges du capitalisme, qui ne peuvent avoir aucun intérêt matériel dans la communisation de la société (paysans, petite bourgeoisie des villes, professions libérales) comme l'écrit Engels dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat : "L'Etat n'est en aucune façon un pouvoir imposé de l'extérieur à la société… C'est un produit de la société à un certain niveau de développement est un constat du fait que la société s'est engagée dans d'insolubles contradictions, qu'elle est prisonnière d'antagonismes incompatibles, qu'elle est incapable de résoudre. Mais pour que ces antagonismes, ces classes en conflit avec les intérêts économiques, ne se consument pas eux-mêmes et avec eux la société tout entière dans une lutte stérile, apparaît la nécessité d'un pouvoir apparemment au dessus de la société pour modérer le conflit, le maintenir dans les limites de "l'ordre" ; et ce pouvoir issu de la société, mais se plaçant au dessus d'elle et de ce fait tendant constamment à se conserver lui-même, c'est l'Etat."
Il est important de ne pas réduire le phénomène de l'Etat à une simple conspiration de la classe dominante pour garder le pouvoir. L'Etat n'a jamais agi par la seule volonté d'une classe dirigeante, mais a été l'émanation de la société de classe en général, et par ce fait, est devenu l'instrument de la classe dominante.
"L'Etat surgit du besoin de contenir les antagonismes de classe, mais en même temps qu'il surgit au milieu du conflit entre ces classes, la règle veut qu'il soit l'Etat de la classe la plus puissante, de la classe qui domine économiquement et qui par l'intermédiaire de l'Etat, s'assure la domination politique" (ibid.).
Dans la période de transition communiste, l'Etat surgira inévitablement, pour empêcher que les antagonismes de classe ne fassent voler cette société hybride en éclats. Le prolétariat, en tant que classe dominante, utilisera l’Etat pour maintenir son pouvoir, et défendre les acquis de la transformation communiste qu'il accomplit. Ce qui est sûr c'est que cet Etat sera différent de tous les Etats du passé. Pour la première fois, la nouvelle classe dominante "n’hérite" pas de l'ancienne machine d'Etat pour s'en servir à ses fins propres mais renverse, détruit, anéanti l'Etat bourgeois, et construit de façon systématique ses propres organes de pouvoir. Et ceci parce que le prolétariat est la première classe exploitée de l’histoire à être révolutionnaire et qu'elle ne peut pas être une classe exploiteuse. Ainsi, elle n'utilise pas l'Etat pour exploiter les autres classes, mais pour défendre une transformation sociale qui anéantira à jamais l'exploitation, qui abolira tous les antagonismes sociaux, et conduira ainsi à la disparition de l'Etat. Le prolétariat ne peut pas être une classe qui domine économiquement. Sa domination ne peut être que politique.
Dans les écrits de Marx, Engels, Lénine et beaucoup d'autres, on trouve souvent l’idée que dans la période de transition "l'Etat ne peut être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat, que, l’Etat n'est que le prolétariat armé "organisé en classe dominante", et que cet Etat "prolétarien" n'es déjà plus un Etat dans le vieux sens du terme. Mais une analyse plus approfondie de la nature de l'Etat, basée sur les critiques de l'Etat de Marx et Engels les plus profondes, et sur l'expérience historique de la classe, amène à la conclusion que l'Etat de la révolution est autre chose que le prolétariat armé, que le prolétariat et l'Etat ne sont pas identiques.
Voyons les principales raisons qui nous permettent d’affirmer ceci.
1. - Dans la période insurrectionnelle elle-même, la période de guerre civile révolutionnaire, les perspectives élaborées par Marx, Engels et Lénine, peuvent conserver une certaine valeur. Dans cette phase, la principale tâche de la classe ouvrière, de la dictature du prolétariat qui s'exprime dans les Conseils Ouvriers, est en effet une fonction "étatique" : l'élimination violente de l'ennemi de classe, la bourgeoisie. Au début de l'insurrection, quand la masse des ouvriers détient les armes, et que l'assaut révolutionnaire contre la bourgeoisie est à son point culminant, les délégués des Conseils Ouvriers ne fonctionnent que comme instrument de la volonté de classe. Il n'y a alors que peu ou pas de conflit entre les assemblées de base des ouvriers et les organes centraux qu'ils élisent. Il est alors facile d'identifier le prolétariat armé et l’Etat. Mais même dans cette phase, il est dangereux de faire une identification. Si la vague révolutionnaire rencontre de sérieux obstacles ou entrave l'action des délégués ouvriers mandatés pour traiter avec le monde extérieur, (que se soient les paysans qui. fournissent la nourriture ou les Etats capitalistes prêts à échanger avec le pouvoir ouvrier) ([3] [13]), il sera nécessaire de recourir à certains compromis comme demander aux ouvriers de travailler plus ou réduire leur l'action. Les délégués commenceront alors à apparaître comme des agents extérieurs aux ouvriers, comme des fonctionnaires d'Etat dans le vieux sens du terme, comme des éléments se situant au-dessus des ouvriers, et contre eux.
A ce stade, les délégués ouvriers et les organes centraux sont à mi-chemin entre être les négociateurs entre ouvriers et capital mondial, et devenir définitivement les agents du capital mondial et par conséquent de la contre-révolution capitaliste à l'intérieur du bastion prolétarien, comme cela était le cas des bolcheviks en Russie. L'équilibre entre les deux est instable. La seule chose qui puisse faire pencher la balance en faveur des ouvriers, c'est une plus grande extension de la révolution mondiale, offrant un nouvel espace aux ouvriers cernés par le capital, et au secteur socialisé qu'ils ont crée.
L'instauration de mesures formelles n'est pas suffisante pour empêcher cette dégénérescence de prendre place, puisqu'elle est la conséquence directe des pressions du marché mondial. Mais il est tout de même primordial que les ouvriers soient préparés à une telle éventualité, pour qu'ils puissent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour la combattre. C'est pourquoi il est important que le prolétariat ne soit pas identifié à l'Etat, ni même à l'appareil qu'il met en place pour servir de médiateur entre les classes non exploitantes et le bastion prolétarien, ni non plus aux organes centraux chargés des relations avec l'extérieur, ou à toute autre institution, parce qu'il y a toujours une possibilité qu'une institution, même créée par la classe ouvrière, soit intégrée au capital, alors que la classe ouvrière, elle, ne peut jamais être intégrée, ne peut jamais devenir contre-révolutionnaire.
Identifier le prolétariat à l'Etat, comme l'ont fait les bolcheviks, amène à un moment de reflux, à la situation désastreuse où l'Etat, en tant "qu'incarnation" de la classe ouvrière, peut tout se permettre pour maintenir son pouvoir, alors que la classe ouvrière toute entière reste sans défense. C'est ainsi que Trotski déclarait que les ouvriers n'avaient pas le droit de faire grève contre "leur" propre Etat, et que le massacre de l'insurrection de Kronstadt a pu être justifié puisque toute rébellion contre "l'Etat ouvrier" ne pouvait qu'être contre-révolutionnaire. Il est sûr que ces évènements n'étaient pas dus au seul fait que la classe ouvrière était identifiée à l'Etat, mais aussi au recul matériel de la révolution mondiale. Néanmoins, cette mystification idéologique a servi à désarmer les ouvriers face à la dégénérescence de la révolution. A l'avenir, l'autonomie et l'initiative de la base ouvrière vis à vis des organes centraux devront être assurées et renforcées par des mesures positives, telles que renoncer à toute méthode violente au sein du prolétariat, donner le droit de grève aux ouvriers, aux assemblées de base la possession de leurs propres moyens de communication et de propagande (presse, etc.), et par dessus tout, la détention des armes par les ouvriers, dans les usines et dans les quartiers, de façon à ce qu'ils soient en mesure de résister à toute incursion de la bureaucratie, si nécessaire.
Nous n'invoquons pas ces mesures de précaution par manque de confiance dans la capacité du prolétariat à étendre la lutte et à socialiser la production, seules garanties contre la dégénérescence, mais parce que le prolétariat doit être prêt à toute éventualité et ne pas s'exposer aux déceptions que procurent les fausses promesses du genre "tout ira bien". La révolution aura peu de chance de résister aux obstacles si le prolétariat n'est pas près à les affronter.
2. - Contrairement à certaines prévisions de Marx, la révolution socialiste ne se produira pas dans un monde où la vaste majorité de la population est prolétarienne. Si tel était le cas, on pourrait peut-être imaginer que l'Etat disparaisse presque immédiatement après la destruction de la bourgeoisie. Mais une des principales conséquences de la décadence du capitalisme est qu'il n'a pu intégrer directement la majorité de l'humanité dans les rapports sociaux capitalistes, même s'il l'a entièrement soumise aux lois tyranniques du capital.
Le prolétariat n'est qu'une minorité de la population à l'échelle mondiale. Le problème que pose ce fait à la révolution prolétarienne ne peut disparaître par la magie des invocations des situationnistes ou autres' "modernistes", qui incluent dans le prolétariat tous ceux qui se sentent "aliénés", ou sans ou sans contrôle sur leur vie. Il y a des raisons matérielles qui font du prolétariat la seule classe communiste : sa nature d'associés au niveau mondial, sa place au centre de la production capitaliste, la conscience historique qui lui vient de la lutte de classe. C'est le fait que les autres couches ou classes n'ont pas ces caractéristiques qui rend nécessaire la dictature du prolétariat, et l'affirmation qu’il fait de ses buts communistes, face à toutes les autres couches de la société. Dans le processus de conquête du pouvoir lui-même, le prolétariat se trouvera confronté avec une énorme masse de couches non prolétariennes, non bourgeoises, qui peuvent avoir un rôle à jouer dans la lutte contre la bourgeoisie, qui peuvent éventuellement soutenir le prolétariat, mais ne peuvent, en tant que classe, avoir un quelconque intérêt dans le communisme.
Vouloir se dispenser de la période de transition, en intégrant immédiatement toutes les autres couches au prolétariat, est une idée qui relève soit d’une fantaisie sans espoir, soit d'une tentative consciente saper l’autonomie de la classe. La tâche est si énorme qu'elle ne peut être réalisée en un jour, fut-ce en portant un grand coup. Et toute tentative allant dans ce sens n'aboutirait pas à la dissolution des autres classes dans le prolétariat, mais à la dissolution du prolétariat dans le "peuple" mystique du radicalisme bourgeois. De telles tentatives diluerait la force du prolétariat en rendant impossible toute autonomie d'action. La condition première de cette autonomie, c'est que l’intégration se fasse en termes prolétariens, et soit soumise à l'extension de la révolution mondiale.
De même, vouloir donner à ces couches une représentation égale dans les Consei1 ouvriers, sans les avoir dissoutes en tant que couches, c'est-à-dire les avoir transformées en ouvriers, affaiblirait définitivement l'autonomie de la classe ouvrière. Tout au plus, le prolétariat peut permettre à ces couches ou classes de siéger dans des organismes parallèles de pouvoir, analogues aux Conseils Ouvriers.
En même temps, la classe ouvrière ne peut se contenter d’agir par la répression envers ces classes, et de leur ôter tout moyen d'expression. L'exemple de la Russie, où le prolétariat a été contraint pendant toute la période de "communisme de guerre" à une guerre civile contre la paysannerie, atteste de façon éloquente de l'impossibilité pour le prolétariat d'imposer sa volonté sur le reste de la société par la seule force armée. Un tel projet représenterai un terrible gâchis de vies et d'énergie révolutionnaire, et contribuerait de façon sûre à l'échec de la révolution. La seule guerre civile qui ne peut être évitée est celle qui doit être menée contre la bourgeoisie. La violence envers les autres classes ne devrait être employée qu'en dernière instance. De plus, le prolétariat, dans la production et la distribution de façon communiste, devra compter non seulement avec ses besoins mais avec ceux de la société toute entière, ce qui signifie que des institutions sociales adaptées à l'expression des besoins de tous seront nécessaires.
Donc le prolétariat devra permettre au reste de la population (à l’exclusion de la bourgeoisie) de s'organiser et de former des organes qui peuvent représenter ses besoins face aux Conseils Ouvriers. Cependant, la classe ouvrière ne permettra pas à ces autres couches de s'organiser spécifiquement en tant que classes ayant des intérêts économiques particuliers. Tout comme ces autres couches ne sont intégrées au travail associé qu'en tant qu'INDIVIDUS, le prolétariat ne leur permet de s'exprimer qu'en tant qu’individus au sein de la société civile. Ceci implique que les organes représentatifs au moyen desquels ils s'expriment, à la différence des Conseils .ouvriers, se fondent sur des unités et des formes d'organisation territoriales. C'est-à-dire, par exemple, à la campagne, les assemblées de village pourraient envoyer des délégués aux conseils de district rural et régional; et dans les villes, les assemblées de quartier pourraient envoyer des représentants aux conseils communaux de ville. Il est important de noter que les ouvriers (en tant que représentants des quartiers ouvriers) seront présents au sein de ces organes, et que des mesures devront être prises pour mener à bien la domination prolétarienne, même au sein de ces organes. Donc, les conseils ouvriers doivent insister sur le fait que les délégués de la classe ouvrière ont des droits de vote prépondérants, que les quartiers ouvriers ont leurs propres unités de milice, enfin que ce sont les délégués communaux de la classe ouvrière qui assurent la plus grande part des liaisons et de la discussion avec les conseils ouvriers.
L’existence même de ces organes en rapport régulier avec les conseils ouvriers crée constamment des formes étatiques au sens où l'entendait Engels plus haut, quel que soit le nom qu'on donne à un tel appareil. Pour cette raison, l'Etat dans la période de transition est lié aux Conseils Ouvriers et au prolétariat armé tout entier, mais non identique à eux. Car, comme le dit Engels, l'Etat n'est pas seulement un instrument de violence et de répression, (fonction qui sera, espérons-le, réduites au maximum après la défaite de la bourgeoisie) ; il est aussi un instrument de médiation entre les classes, un instrument servant à contenir la lutte de classe dans les limites nécessaires à la survie de la société. Ceci n'implique en aucune façon que cet Etat puisse être "neutre" ou "au-dessus des classes" (bien qu'il puisse apparaître souvent comme tel). Les médiations et négociations effectuées sous le contrôle de l'Etat sont toujours faite dans l'intérêt de la classe dominante, servent toujours à perpétuer sa domination. L'Etat dans la période de transition doit être utilisé comme instrument de la classe ouvrière.
Le prolétariat ne partage le pouvoir avec aucune autre couche ou classe. Il devra s’approprier le monopole du pouvoir politique et militaire, ce qui signifie concrètement que les ouvriers devront avoir le monopole des armes, le pouvoir de décision suprême sur toutes les propositions de tout organe de négociation, un maximum de représentation dans tous les corps étatiques, etc. Le prolétariat devra garder une vigilance constante envers cet Etat pour que cet instrument, surgi de la nécessité d'empêcher l'éclatement de la société transitoire, reste dans les mains de la classe ouvrière, et ne devienne pas le représentant des intérêts d'autres classes, l'instrument d'autres classes contre le prolétariat. Aussi longtemps que les classes existent, aussi longtemps qu'il y a échange et division du travail social, l'Etat se maintient. Mais aussi, comme tout autre Etat, il tend, selon les mots d'Engels, à "s'auto conserver", à devenir un pouvoir au-dessus de la société, et donc du prolétariat.
Le seul moyen qu'a le prolétariat d'empêcher que cela se produise, c'est de s'engager dans un processus continu de transformation sociale, de mettre en place de plus en plus de mesures tendant à saper les assises matérielles des autres classes, de les intégrer aux rapports de production communistes. Mais avant qu'il n'y ait plus de classe, le prolétariat ne peut dominer les organes surgis pendant la période de transition qu'en comprenant clairement leur nature et leur fonction. Nous utilisons le terme "Etat" pour caractériser cet appareil destiné à servir de médiateur entre les classes dans la période de transition, dans un contexte de domination politique du prolétariat. Le mot lui même a peu d'importance. Ce qui est important, c'est de ne pas confondre cet appareil et les Conseils Ouvriers, organes autonomes dont la fonction et l'essence ne sont pas les compromis et les négociations, mais la révolution sociale permanente.
3. - Ceci nous amène à notre dernier point. La nature même de l'Etat est d'être une force conservatrice, un héritage de millénaires de société de classe. Sa fonction même est de préserver les rapports sociaux existants, de maintenir l’équilibre des forces entre les classes, en un mot le statu quo. Mais, comme nous l’avons dit, le prolétariat ne peut pas s'en tenir à un statu quo. Tout ce qui n'est pas mouvement au communisme est retour au capitalisme. Laissé à lui-même, 1’Etat ne "s'évanouira" pas de lui-même, mais au contraire tendra à se préserver, voire à renforcer sa domination sur la vie sociale. L'Etat ne disparaît que si le prolétariat est capable de porter plus loin la transformation sociale, jusqu'à l'intégration de toutes les classes dans la communauté humaine. L'établissement de cette communauté sape les fondements sociaux de l'Etat : "l'antagonisme irréductible des classes", maladie sociale dont le seul remède est l'abolition des classes.
Seul le prolétariat contient en lui-même les bases des rapports sociaux communistes, seul le prolétariat est capable d'entreprendre la transformation communiste. L'Etat peut au mieux aider à conserver les acquis de cette transformation, (et au pire y faire obstacle) mais il ne peut, en tant qu'Etat, se charger de cette transformation. C'est le mouvement social du prolétariat tout entier qui par son activité créatrice propre anéantit la domination du fétichisme de la marchandise et construit de nouveaux rapports entre les êtres humains.
Le mouvement ouvrier, de Marx et Engels à Lénine et même aux Gauches Communistes a été marqué par la confusion selon laquelle la prise en main des moyens de production par l'Etat a quelque chose à voir avec le communisme, selon laquelle étatisation = socialisation. Comme Engels l'écrit dans l'Anti-Dühring :
"Le prolétariat s'empare du pouvoir d'Etat et transforme en premier lieu les moyens de production en propriété d'Etat. Mais en agissant ainsi il met un terme à son existence en tant que prolétariat, à toute différence ou antagonisme de classe. Il met aussi un terme à l'Etat en tant qu'Etat".
Marx et Engels pouvait établir de telles perspectives, malgré leur analyses contradictoires (et profondes) de l'impossibilité pour le prolétariat d'utiliser l'Etat dans l'intérêt de la liberté, parce qu'ils vivaient une période d'ascendance du capitalisme. En effet, dans cette période dominée par l'anarchie du capitalisme "privé", les crises de surproduction à l’intérieur des frontières nationales, l'organisation de la production par l'Etat, même un Etat national, pouvait apparaître comme un mode d'organisation économique extrêmement supérieur. Les fondateurs du socialisme scientifique n'ont jamais complètement échappé à l'idée d'une transformation socialiste pouvant prendre place à l'intérieur d'une économie nationale, ou d'une étatisation pouvant être un "pont" vers le socialisme ou même un équivalent à la socialisation elle-même. Ces illusions et confusions ont imprégné la Social-Démocratie et les tendances communistes qui rompirent avec elle après 1914, et n'ont été rejetées du mouvement communiste que par l'expérience russe, la crise de surproduction globale du capital, la tendance générale au capitalisme d'Etat propre à la décadence. Mais les confusions qui restent au sujet de l'étatisation qui aurait "quelque chose de socialiste" demeurent encore une mystification qui pèse comme un poids mort sur la classe ouvrière, et doivent être combattues avec énergie par les communistes.
Aujourd’hui, les révolutionnaires peuvent affirmer que la propriété étatique reste une propriété privée tant que les producteurs sont dépossédés, que l'étatisation des moyens de production ne met un terme ni au prolétariat, ni aux antagonismes de classe, ni à l'Etat, et que les perspectives d'Engels ne se sont pas vérifiées. Ni la nationalisation, ni l'étatisation par un état, fut-il mondial, dans la période de transition ne seront un pas vers la propriété sociale qui, en un sens, équivaut à l'abolition de la propriété elle-même. En expropriant la bourgeoisie, le prolétariat n'est pas en train d'instituer une propriété privée quelconque, pas même une propriété "prolétarienne". Il n'existe pas "d'économie prolétarienne" où les moyens de production seraient la propriété privée des seuls ouvriers. Le prolétariat, en prenant le pouvoir, socialise la production : ceci signifie que les moyens de production et de distribution tendent à devenir la "propriété" de la société toute entière. Le prolétariat "détient" cette propriété dans la période de transition, dans l'intérêt de la communauté humaine dont il jette les bases. Ce n'est pas sa propre propriété, parce que par définition, le prolétariat est une classe sans propriété. Le processus de socialisation de la société se réalise à condition que le prolétariat intègre à lui la société, devenant un avec la communauté humaine communiste, une humanité sociale qui naîtra à la vie pour la première fois. Une fois encore, le prolétariat utilisera l'Etat pour réguler l'accomplissement de ce processus, mais le processus lui-même non seulement se déroule indépendamment de l'Etat mais encore participe activement à la disparition de l'Etat.
Nous, communistes nous ne sommes pas "partisans" de l'Etat. Nous ne le brandissons pas non plus comme l'incarnation du mal, comme le font les anarchistes. En analysant les origines historiques de l'Etat, nous ne faisons que reconnaître l'inévitabilité des formes étatiques qui surgissent dans la période de transition et, en la reconnaissant, nous aidons la classe à se préparer à sa mission historique. LA CONSTRUCTION D'UNE SOCIETE SANS CLASSE, ET DONC LIBEREE A JAMAIS DE L'EMPRISE DE L'ETAT.
WORLD REVOLUTION.
Notes en supplément sur la question de l’Etat.
Ce texte exprime la vision de World Revolution, dans son ensemble, mais il n'est pas un programme achevé ou une "solution" aux problèmes de la période de transition; la discussion sur la période de transition doit rester ouverte entre les révolutionnaires, à l'intérieur d'un cadre délimitant les frontières de classe. Elle ne pourra être résolue concrètement que par l'activité révolutionnaire de la classe toute entière. Il s'ensuit qu'à l'intérieur de ce cadre différentes conceptions et définitions de l'Etat peuvent exister dans une tendance révolutionnaire cohérente.
Les frontières de classe sur la question de l'Etat sont les suivantes:
1. - La nécessité de détruire complètement l'Etat bourgeois à l'échelle mondiale.
2. - La nécessité de la dictature du prolétariat :
- le prolétariat est la seule classe révolutionnaire.
- l'autonomie du prolétariat est une condition nécessaire à la révolution communiste
- le prolétariat ne partage le pouvoir avec aucune autre classe. Il a le monopole du pouvoir politique et militaire.
3. - Le pouvoir est exercé par le prolétariat tout entier, organisé en Conseils et non par le parti.
4. - Tout rapport de force, toute violence à l'intérieur du camp prolétarien doivent être rejetés. La classe dans son ensemble doit avoir le droit de grève, le droit de porter les armes, d'avoir une pleine liberté d'expression, etc.
5. - La dictature du prolétariat doit rendre effectif le contenu social de la révolution : abolition du travail salarié, de la production marchande, des classes et construction de la communauté humaine mondiale.
[1] [14] Nous ne devons pas cependant oublier la nature bureaucratique et étatique de la plupart de la soi-disant collectivisation faite sous les auspices de la CNT anarchiste, et l'hostilité de celle-ci envers tout mouvement indépendant de la part de la classe, comme en témoigne la collaboration de la CNT à ta république lorsque celle-ci est venue demander par les armes aux ouvriers de rendre la Centrale des Téléphones en 1937. En fait, toutes les tentatives des ouvriers de "gérer" le capital se terminent nécessairement par le despotisme normal de la production capitaliste sur la société entière et sur chaque usine. Le soi-disant "capitalisme ouvrier" est impossible.
[2] [15] Ceci ne signifie pas que les ouvriers révolutionnaires devront tolérer des contremaîtres ou des régimes despotiques à l'intérieur de l'usine. Pendant tout le processus révolutionnaire, les comités d'usine élus et responsables devant l'assemblée générale de l'usine prendront en charge le fonctionnement quotidien de l'usine. Plus encore, les plans de production généraux auxquels se réfèreront les comités d'usine, seront décidés par les conseils ouvriers composés de délégués et donc par la classe ouvrière toute entière.
[3] [16] Nous ne nous opposons pas par principe à tout commerce ou compromis entre le prolétariat et d'autres classes non exploiteuses au cours de la guerre civile, ni même entre les bastions prolétariens et les sections de la bourgeoisie mondiale, si cela est nécessaire. Mais nous devons éclaircir les points suivants :
1) Le prolétariat doit savoir faire la distinction entre les compromis imposé par une situation difficile, et ceux qui sont une capitulation ouverte relevant d’une trahison de classe. Il doit être conscient du danger que représente tout compromis, et prendre des mesures pour les contrer. Toute tentative d'instaurer ou d’institutionnaliser un quelconque échange permanent avec la bourgeoisie est une entorse aux frontières de classe, une trahison de la guerre civile.
2) Dans les zones contrôlées par les Conseils ouvriers, il surgit un Etat qui a la tache de servir d'intermédiaire entre le prolétariat et les autres classes exploiteuses (cf tous les Congrès russes de Conseils d'ouvriers, de paysans, de soldats, après 17. Voir aussi plus loin). Mais le prolétariat ne peut se servir de cet Etat comme médiateur avec son ennemi de classe irréductible : la bourgeoisie. Toute négociation tactique avec les acteurs de la bourgeoisie en dehors du bastion prolétarien est la tâche directe des seuls conseils ouvriers, et doit être strictement supervisée par la classe ouvrière toute entière et ses assemblées générales.
Nous considérons ce texte comme un outil de travail et non comme quelque chose de complet ou d’achevé. Certaines positions sont seulement affirmées, d'autres esquissées. Cependant nous sommes convaincus qu'il pourra constituer une base pour une discussion correcte sur la "période de transition".
Dans "l'Idéologie Allemande", Marx écrivait : "La révolution n'est pas nécessaire uniquement parce que la classe dominante ne peut pas être abattue autrement, mais aussi parce que c'est seulement dans une révolution que la classe qui l'abat peut "réussir à se débarrasser de toute la saleté qu'elle hérite et devenir capable de jeter les bases de la société nouvelle".
Cependant l'insurrection prolétarienne, l'affrontement et l'attaque armée contre le pouvoir bourgeois, nécessités indispensables, ne sont que les premiers pas inévitables d'un PROCESSUS DYNAMIQUE qui doit conduire, en fin de compte, au triomphe du communisme de la société sans classe dans laquelle "le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous".
La révolution prolétarienne est une "révolution politique à âme sociale. La révolution est un acte politique. Le socialisme ne peut être réalisé sans révolution. Il nécessite cet acte politique dans la mesure où il a besoin de détruire et de dissoudre. Mais il se débarrasse de son enveloppe politique dès le début de son activité organisatrice, dès qu'il poursuit son but propre, dès que se révèle son âme."
L'acte politique est donc l'irruption victorieuse d'une classe née et forgée dans les entrailles même du capitalisme, l'affirmation de cette classe qui en s'émancipant émancipera toute l'humanité.
Le prolétariat, en s'érigeant en nouvelle classe dominante à travers révolution, ne vise pas à instaurer un nouveau rapport d'oppression d'une classes à une autre mais à supprimer toutes les conditions inhumaines de vie la société actuelle et qu'elle résume dans sa propre condition."
L'abattement du pouvoir bourgeois n'est pas DEJA LE COMMUNISME, mais est uniquement le premier pas d'un processus plus ou moins long et difficile. "Entre la société capitaliste et la société communiste il y a la période de la transformation révolutionnaire de l'une en l'autre. Il lui correspond aussi une période politique transitoire dont l'Etat ne peut être autre que la dictature révolutionnaire du prolétariat" (Marx, Critique du Programme de Gotha).
Dans l'histoire du mouvement communiste, le prolétariat est parvenu à deux reprises à abattre l'Etat bourgeois, à mettre sa dictature à l'ordre du jour: la Commune de Paris et la révolution russe.
Ces deux expériences ont été défaites, la première directement par la force des armes dans un massacre généralisé, la seconde dans des bains de sang non moins important, mais moins "visibles", dans une lente dégénérescence des objectifs initiaux, étouffée dans sa potentialité par l'absence de la révolution en Occident, condamnée à assumer des tâches qui n'étaient pas les siennes, la combativité prolétarienne se voyant réduite à une résistance toujours plus passive : dans le cas de la Russie ce fut un recul lent (et donc moins évident que pour la Commune de Paris), réalisée au nom du communisme (et ce fut là la pire tragédie), qui conduisit à la honte du stalinisme. "Il était facile de faire la révolution en Russie. Il était difficile de la continuer". (Lénine)
La résolution de "l'énigme" russe, des motifs de sa dégénérescence ont amené des groupes de révolutionnaires à tenter de résoudre les problèmes posés par la "période de transition", mais ils étaient trop liés à l'expérience russe où la question du pouvoir prolétarien et de la voie au communisme ne pouvait être que posée, jamais résolue.
Contrairement à ce que pensaient, en révolutionnaires, Lénine et Trotski, il était impossible de résister seuls pendant des décennies et des décennies dans les tranchées de la révolution : la dictature du prolétariat est la manifestation de sa combativité ou elle ne représente rien.
Kronstadt et les agitations de Petrograd montrent les premiers signes de la scission qui s'établissait entre les exigences immédiates de la classe et un pouvoir encore prolétarien qui Cherchait à résister.
Le drame de la révolution russe ne peut être compris en dehors de ce cadre qui condamnait à l'impuissance le parti bolchevik et un Lénine (qui avait pourtant, écrit "L' Etat et la Révolution") qui devait maintenant admettre : "La machine fuit des mains de celui qui la conduit: on dirait qu'il y a quelqu'un d'assis au volant et qui conduit cette machine, mais que cette dernière suit une direction différente à celle voulue, comme si elle était guidée par une main secrète, illégale. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou à tous les deux ensembles. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par celui qui est au volant, quelque fois elle va plutôt dans le sens contraire." (Rapport politique du C.C. au parti, 1922). "Seule la lutte décidera (en fin de compte) de combien nous pourrons avancer, seule elle décidera de quelle part de cette très haute tâche, de qu’elle part de nos victoires nous pourrons définitivement consolider. Qui vivra, verra." (1921, Pour le IV anniversaire de la Révolution d'octobre).
Tout le déroulement des évènements en Russie a conduit à parler "d'Etat Ouvrier" ou "d'Etat prolétarien".
Il faut préciser que dans les années 20 ces expressions étaient synonymes de "dictature du prolétariat". L’Etat prolétarien dont on parlait alors était un : "…nouvel appareil tout à fait différent de celui actuel, non seulement parce qu'il n'y aura plus besoin de la distinction existante dans l'Etat bourgeois entre appareil représentatif et appareil exécutif, mais surtout du fait des différences fondamentales de structures, conséquences elles-mêmes de l'opposition dans les tâches historiques à accomplir et sur lesquelles les révolutions prolétariennes depuis la Commune de Paris jusqu'à la république russe des soviets, ont jeté une lumière décisive. ("Il Communista", février 1921)
Par la suite, ces synonymes" sont allés en s'autonomisant jusqu'à ce qu'on parle de "faire à la place de la classe" et d'une classe qui ne "comprenait pas que "tout était fait dans ses intérêts".
Les écrits sur le dépérissement de l'Etat-commune prenaient une résonance sinistre face à la croissance de cette force anonyme représentant du capital. Marx a laissé, après la Commune de Paris, des écrits mémorables dans lesquels il exprimait, de la meilleure façon possible, l'essence et la nature de la révolution communiste et de la dictature du prolétariat. Nous devons revenir à lui pour fonder sur ces bases notre perspective.
Marx, en corrigeant ce qu'il avait écrit 25 ans auparavant, écrivait : "La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l'Etat telle qu'elle est, pour la faire fonctionner à son profit. En fait l'appareil d'Etat est bourgeois en tant que tel et non uniquement parce que ses rouages sont aux mains de la bourgeoisie. L'Etat n'est pas un instrument neutre, mais de classe. Cependant, ce qui en fait un appareil bourgeois ce n'est pas à l'origine bourgeoise du personnel qui le dirige, mais bien sa propre nature d'appareil opposé au reste de la société."
La révolution communiste donne vie, au cours de son affirmation, à des institutions qui diffèrent de celles de la bourgeoisie de par LEURS PRINCIPES MEMES : telles sont la Commune et les soviets.
La Commune a été : "La forme politique enfin trouvée dans laquelle pouvait, s'accomplir l'émancipation économique du travail".
La lutte de classe ne finit pas avec la victoire politique de la classe : "La Commune ne supprime pas la lutte des classes (…) Elle crée le climat le plus rationnel dans lequel cette lutte peut se déroule à travers diverses phases de la façon la plus rationnel le et la plus en accord avec l'essence humaine (…) Elle ouvre la porte à l'émancipation du travail, sa grande finalité".
La classe à qui on a ôté le pouvoir ne peut pas être aboli par décret; elle survit, elle cherche à se réorganiser politiquement. Le prolétariat ne partagera le pouvoir avec personnelle, il exercera sa dictature pour combattre tous ceux qui s'opposent aux mesures qui minent le privilège économique
Le premier pas de la dictature du prolétariat vers l'abolition du salariat consistera dans l'obligation pour tous de travailler (généralisation de la condition du prolétariat) et dans l'action, simultanée pour une réduction sensible du temps de travail. C'est déjà la fin de la séparation entre travail manuel et travail intellectuel.
L'avancement de ce processus en termes réels, matériels, est vital pour le pouvoir prolétarien; le renforcement de ce dernier est simultanément prémisse et garantie du progrès vers le but final : le communisme. "Le communisme, abolition positive de cette aliénation de l'homme par lui-même que constitue la propriété privée, donc conquête effective de l'essence humaine par l'homme et pour l'homme; donc retour complet "conscient, atteint à travers l'entière richesse du développement passé, de l'homme pour lui-même en tant qu'homme social, c'est-à-dire en tant qu’homme humain. Ce communisme est (…) la véritable solution de la contradiction entre existence et essence, entre réalité objective et conscience subjective, entre liberté et nécessité,-entre individu et espèce. Le communisme c'est la solution de l'énigme de l'histoire et il se considère comme tel."
Sur la base de ce que nous venons d'exposer nous critiquons :
- AUSSI BIEN la position d'après laquelle c'est le parti qui prend le pouvoir, dirige et se confond avec l'Etat du fait qu'il possèderait une claire vision de la perspective révolutionnaire, etc, etc.
- Que la position qui parle de l'Etat prolétarien comme d'un instrument, expression de la classe, mais qui conserve toutes les caractéristiques de l'Etat, et où seul le nom et la direction changent.
- Que la position d'après laquelle, à côté de la dictature du prolétariat est nécessaire un Etat, compromis provisoire dans une société divisée en classes antagonistes.
Nous revendiquons, après la destruction du pouvoir bourgeois, la DICTATURE DU PROLETARIAT, dictature de la classe ouvrière victorieuse qui ôte par la force tout droit aux autres classes et n'admet aucune sorte de médiations, moment politique et social qui vit et s'alimente dans la prise de conscience de masses toujours plus larges.
RIVOLUZIONE INTERNAZIONALE.
Décembre 1974.
LA PERIODE DE TRANSITION
L'Etat
Tout d'abord, quelques remarques pour situer la question.
Historiquement parlant, l'Etat apparaît comme un organe de la classe dominante, bien qu'il apparaisse souvent comme siégeant au-dessus de la société, médiateur entre les classes, comme Engels l'écrit dans Socialisme utopique et socialisme scientifique :
"L'Etat était le représentant officiel de la société dans son ensemble ; son rassemblement dans une incarnation visible. Mais il l'était dans la mesure où l'Etat était celui de la classe qui elle même représentait à ce moment donné, la société dans son ensemble."
Donc, dès que l'Etat devient le "représentant réel de l'ensemble de la société" (nous soulignons), dès qu'il n'existe plus de classe à soumettre, alors l'Etat "lui-même n'a plus de raison d'être".
Cependant, c'est une erreur anarchiste de prétendre qu'une fois l'Etat-bourgeois détruit, le communisme peut apparaître automatiquement. Le prolétariat doit d'abord détruire l'Etat bourgeois et mettre en place sa propre forme de domination de classe. A cet égard seulement, l'Etat prolétarien ne se distinguera pas des autres Etats dans l'histoire. Mais à d'autres égards la dictature du prolétariat se démarquera tout à rait des autres formes d'Etat. Quantitativement parlant, ce sera le premier Etat dans l'histoire à exprimer les intérêts historiques de la majorité sur la minorité, et qualitativement, le prolétariat comme classe n'aura aucune forme spécifique de propriété à défendre. C'est cette dernière différence qui explique pourquoi l'Etat prolétarien n’est plus un Etat au sens propre du terme (Le Marxisme et l'Etat, Lénine). L'Etat prolétarien continuera d'opprimer tous les éléments qui tenteront de faire revivre les rapports de propriété bourgeois. Lorsqu'ils seront dissous et définitivement vaincus, la dictature du prolétariat cessera d'exister. Nulle part, à notre connaissance Lénine, Marx et Engels dans leurs écrits ne conçoivent d'autre possibilité. Dans la Critique du Programme de Gotha et dans l'Etat et la Révolution ils dénient effectivement toute alternative d’un "Etat des peuples libres ou d'un front populaire. Il est vrai que Lénine (et c'est compréhensible dans le contexte de 1917, quoi qu'erroné) appelle à une alliance entre le prolétariat et la paysannerie mais il conclut encore que l'Etat doit rester "le prolétariat organisé en classe dominante (citant le Manifeste Communiste). Et l'expérience du prolétariat durant les dernières soixante année ne nous a pas donné de raison nouvelle de douter de cette idée. Et même, si nous avons pu voir quelque chose, ce sont des développements qui ont fait pencher 1’équilibre encore plus en faveur du prolétariat. Ici, nous pensons à la paysannerie dont nous faisons une analyse dans la section suivante.
La paysannerie
La question des rapports du prolétariat avec l'aire vitale de la production rurale a toujours été particulièrement épineuse. La révolution russe (1917-21) est un exemple du problème, bien que ses leçons doivent être replacées dans une véritable perspective historique. Lénine a toujours pris en considération l'immense masse de la paysannerie en Russie. Dans l'Etat et la Révolution il suggère que l'alliance des ouvriers et des paysans formera la base de la nouvelle société, bien qu'elle reste sous la dictature du prolétariat. Mais en fait, Lénine et les bolcheviks n'auraient pas pu établir des rapports de production communistes dans la Russie isolée. Les ouvriers russes, comme tout autre secteur du prolétariat mondial avaient besoin d'une révolution mondiale pour mener leurs buts à bien. Aussi, le décret sur les terres de Novembre1917, n’était pas un pas vers le communisme, mais une tentative de se gagner le soutien des moujiks afin d'aider la lutte du régime des soviets pour survivre. C'est seulement la perspective de la révolution mondiale qui pouvait empêcher cette mesure d'être complètement contre-révolutionnaire, ce que l'échec de la révolution mondiale révéla pleinement ensuite. Soyons clairs sur ce point. Si la même situation se reproduisait aujourd'hui, où le prolétariat soit entouré d'une gigantesque masse de paysans, le prolétariat de ce pays serait encore destiné à être défait en l'absence d'une l'évolution mondiale. Cependant, cela ne nécessite pas des révolutionnaires qu'ils se découragent.
Avec les techniques modernes de production capitaliste de nourriture, avec la concentration croissante de la production alimentaire mondiale dans les agricultures Capitalistes hautement développées, et l'existence par conséquent d'un prolétariat dans, cette branche comme dans toute autre industrie, dans une situation révolutionnaire, il n'y aura pas de nécessité stratégique de satisfaire le besoin qu'a le paysan d'avoir des terres, car l'expropriation des unités agricoles capitalistes suffira à assurer la base de l'existence du prolétariat mondial. Le Prolétariat rural de ces aires sera donc une simple partie de la structure soviétique comme n'importe quel ancien ouvrier salarié du capitalisme.
Reste la question du maintien de la révolution prolétarienne dans une nation moins développée, où une grande proportion de ruraux pauvres demande des terres comme base de subsistance. Nous devons être réalistes, et appliquer les leçons de la révolution russe. Aucun prolétariat dans aucun pays, ne peut instaurer seul le communisme, mais dans ces pays sous-développés, le prolétariat souffre de deux inconvénients majeurs :
A. -La dictature du prolétariat, ne peut y établir, ne serait-ce qu'un minimum de conditions pour le communisme à l'intérieur de frontières nationales, vue la nécessité de faire des concessions à la puissante mentalité paysanne.
B. -Ils ne se trouveront pas face à une économie qui représente une puissance significative dans le marché mondial capitaliste, et donc la possibilité d'un résultat positif de leur action, d'un dépassement de la crise est très réduite. La révolution Prolétarienne mondiale ne peut arriver à temps pour sauver un surgissement prolétarien isolé dans un tel pays. Si nous devons en conclure que la révolution ne peut être victorieuse que si l'effondrement des centres vitaux du capitalisme (USA, URSS, Europe) intervient rapidement, nous devons nous en accommoder. L'alternative de faire des concessions idéologiques à tout autre couche, dans tout pays conduirait à la confusion pour le prolétariat mondial, et ultérieurement à la contre-révolution.
Dans les pays capitalistes avancés, la question de la paysannerie ne se pose pratiquement pas puisque chaque fermier capitaliste emploie des ouvriers agricoles. En Grande Bretagne par exemple, il y a 329 000 ouvriers agricoles. Avec l'aide des soviets auxquels ils seront rattachés, ils mèneront à bien l’expropriation des terres et commenceront à intégrer l'agriculture à l'économie socialiste. Là où une paysannerie significative existe encore, le prolétariat devra évidemment établir avec elle la quantité et l'orientation de la production à l'intérieur d'un cadre contrôlé par le prolétariat. Mais aucune concession ne peut être faite aux formes petite-bourgeoises de propriété. D'un autre côté, le prolétariat devra inciter activement les paysans à former leurs propres organisations qui pourront devenir éventuellement la base de la collectivisation de la production agricole. Nous devons reconnaître que certaines tâche de la période de transition peuvent prendre plus de temps que d'autres, et ce dernier point exige la maintien de la vigilance de la dictature du prolétariat pour au moins une génération.
( …)La première partie de cet article sur la période de transition a déjà traité de la question de l'Etat et des formes politiques de la Dictature du Prolétariat ; dans cet article, on a fait seulement des commentaires en passant sur les fondements économiques de ces formes. Ici, nous traitons de leur contenu, et seulement entre parenthèses, de leurs manifestations politiques concrètes. Ce type de présentation ne s'explique pas parce que nous pensons qu'un aspect est plus important que l'autre, ni parce que nous pensons que ce sont deux expressions séparées; au contraire, comme nous l'avons dit clairement dans la première partie, nous parlons de la totalité d'une transformation avec des aspects inséparables et tous aussi essentiels les uns que les autres.
Economiquement, aussi bien que politiquement, la soi-disant période de transition s'ouvre pour la classe ouvrière quand un ou plusieurs Etats capitalistes sont renversés par la révolution, et ne se termine qu'après l'inauguration d'un système global de production et de distribution selon les besoins; plus on s'approche du communisme, moins la période de transition comporte de résidus du capitaliste; sa durée n'est évidemment pas courte, mais d'au moins une génération. Ce n'est pas un système statique, et "ses défauts inévitables dans la première phase de la société communiste" (Marx) sont progressivement dépassés.
(…)L'idée que la production dans les bastions prolétariens devrait être dirigée vers une "économie de guerre" communiste est confusionniste. Quoiqu’il y ait certainement des luttes armées et même des batailles rangées pendant la révolution communiste, il n'y aura aucune possibilité que les travailleurs puissent vaincre le capital dans une guerre civile globale. Sur ce terrain, la défaite du prolétariat serait rapide et amènerait à l'avènement de la barbarie. Ceci met en évidence d'une façon encore plus forte que la révolution communiste doit éclater plus ou moins simultanément dans plusieurs Etats capitalistes, y compris les puissances impérialistes militairement dominantes, ou aller à la défaite. Les ouvriers dans une région doivent certainement aider les surgissements communistes voisins, mais l'instauration des premières étapes d'une économie communiste est une arme plus puissante et plus efficace que n'importe quel soutien militaire apporté par un groupe d'ouvriers à un autre.
(…) On doit maintenant examiner les rapports d'un prolétariat victorieux dans une région donnée avec le marché mondial encore existant, et ré insister sur la non séparation du politique et de l'économique pendant la période de transition. Les communistes doivent appeler les organes de masse de la classe à mettre fin à tous les rapports économiques entre les zones isolées où les travailleurs ont pris le pouvoir, et le marché mondial bourgeois. D'abord, parce qu'à une époque de crise mondiale, cette mesure approfondira une telle crise en retirant des marchés et des matières premières aux sections de la bourgeoisie mondiale qui existent encore. L'impact de l'arrêt des exportations de pétrole par une Russie révolutionnaire, ou de la nourriture par une Amérique soviétique donnerait une impulsion puissante à l'élargissement de la révolution communiste et à sa résolution à l'échelle mondiale. Ici, les tactiques économiques hâtent le progrès politique de la révolution.
D'un autre côté, seuls les rêveurs peuvent s'imaginer que les capitalistes accepteront de commercer avec une dictature prolétarienne sans que celle-ci ne capitule politiquement devant le capital mondial. Par exemple, dans les accords de commerce seraient exigés les indemnisations des expropriations dans les bastions ouvriers, la mise en veilleuse des branches du mouvement communiste en dehors des aires déjà révolutionnaires, la reconnaissance diplomatique et l'échange, etc. En fait, tout ce qui s'est vu en Russie à partir de 1920 à peu près quand la NEP et le commerce extérieur allaient de pair avec le frontisme, le retour à la léga1ité des PC, la suppression du prolétariat russe comme élément de la force du travail du marché mondial, etc. La leçon de la révolution russe est que le mouvement communiste est une lutte pour tout ou rien, le communisme ne peut pas être introduit à la dérobée, ni défendu par des compromis, ou des manœuvres pour "gagner du temps". Sur cette question, la défense de toute autre politique que celles que nous avons soulignées est une frontière de classe qui sépare les communistes de ceux qui aujourd'hui font l'apologie de la contre-révolution dans le passé; et préparent la même chose pour l'avenir.
REVOLUTIONNARY PERSPECTIVES.
Janvier 75.
I. LA FORMATION DU PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (SPARTAKUSBUND)
Quand se fonde le Parti Communiste Allemand, entre le 30 décembre 1918 et le 1er janvier 1919, l'opposition révolutionnaire à la Social-Démocratie semble avoir trouvé une autonomie organisationnelle.
Mais le parti allemand, apparu au moment même où le prolétariat luttait déjà dans la rue les armes à la main et prenait pour peu de temps le pouvoir dans quelques centres, manifestera aussitôt soit le caractère hétérogène de sa formation, soit son incapacité à s’élever à une vision globale et complète et à affronter les taches pour lesquelles il s’était formé.
Quelles furent les forces qui s’unirent pour constituer le parti ?
Quels furent les problèmes sur lesquels aussitôt elles achoppèrent ?
Tenons-nous en aux moments qui semblent ici les plus intéressants, parce qu'ils sont capables de faire comprendre les erreurs et sont lourds de conséquences futures,
A- La trajectoire que prirent les évènements depuis le 4 août 14 fut hérissée de difficultés et de débandades. L'histoire du groupe spartakiste en est une démonstration. Son action de frein dans la clarification théorique et dans le développement du mouvement communiste est évidente.
Au temps de la "Ligue Spartakus" (Spartakusbund) — le groupe se dénommera ainsi en 1916 ; pendant toute l’année 1915, le nom du groupe fut "Internationale", du nom de la revue parue en avril 1915 —, toutes les décisions importantes furent caractérisées par les positions de Rosa Luxemburg.
A Zimmervald (5/8 septembre 1915), les allemands seront représentés par le groupe "Internationale", par le berlinois BORCHARDT représentant du petit groupe lié à la revue "Lichtstrahlen" ("Rayons de lumière") et par l’aile centriste proche de Kautsky. Seul Borchardt soutient les positions internationalistes de Lénine, tandis que les autres allemands soutiendront une motion rédigée dans les termes suivants :
"En aucun cas, il ne doit se dégager l’impression que cette conférence veut entraîner une scission et fonder une nouvelle Internationale."
A Kienthal (24/30 avril 1916), l’opposition allemande est représentée par le groupe "Internationale" (Bertha Thalheimer et Ernst Meyer), par l'"Opposizion in der Organisation" (centristes de Hoffmann) et –par les "Bremer Linksradikalen" (radicaux de gauche de Brème) avec Paul Frölich.
Les hésitations des spartakistes ("Internationale") ne sont pas tout à fait dissipées, encore une fois, ceux-ci seront plus proche des positions des centristes que de celles de la gauche (Lénine-Frölich). E. Meyer dira :
"Nous voulons créer la base idéologique (...) de la nouvelle Internationale, mais sur le plan de l’organisation, nous ne voulons pas nous engager étant donné que tout est encore en mouvement. "
C’est la position classique de Luxemburg pour qui la nécessité du Parti se situe plus à la fin de la Révolution que dans sa phase préparatoire et initiale ("En un mot, historiquement, le moment où nous devrons prendre la tête ne se situe pas au début mais à la fin de la Révolution").
Le fait le plus important est l’apparition sur le plan international des "Bremer Linksradikalen"([1] [18]). Déjà en 1910, le journal social-démocrate de Brème : la "Bremer BurgerseitLing" publiait des articles hebdomadaires de Pannekoek et de Radek, et c’est sous l'influence de la gauche hollandaise que se constitue à Brème le groupe autour de Knief, Paul Frölich et d’autres. A la fin de 1915, se constitueront les ISD (Internationale Socialisten Deutschland) nés de l’union des communistes de Brème avec les révolutionnaires berlinois qui publiaient la revue "Lichtstrahlen". La "Bremerlinke" devient indépendante de la Social-Démocratie, même sur le plan formel, en décembre 1916, mais déjà en juin de la même année, elle avait commencé la publication de "Arbeiterpolitik" ([2] [19]) qui sera l'organe légal le plus important de la gauche. Y paraîtront, outre ceux de Pannekoek et de Radek, les articles de Zinoviev, Boukharine, Kamenev, Trotski et Lénine.
"Arbeiterpolitik" montra aussitôt une conscience plus mûre de la rupture avec le réformisme, et l'on pouvait lire dans son premier numéro que le 4 août fut "la fin naturelle d’un mouvement politique dont le déclin avait été-préparé par le temps". D’"Arbeiterpolitik", surgirent les tendances qui faisaient la plus forte pression pour que soit discutée la question du Parti. La discussion du groupe de Brème avec les spartakistes fut difficile à cause de.la persistance de ces derniers à rester dans, la Social-Démocratie.
Le premier janvier 1907, à la Conférence nationale du groupe "Internationale", Knief critique, l’absence de perspectives claires, et même de toute résolution de rupture nette avec, le parti Social-Démocrate et de toute perspective de formation d'un parti révolutionnaire sur des bases radicalement nouvelles.
Tandis que le groupe spartakiste "Internationale" adhérait à la "Social-démocratische Arbeitergemeinschaft" (collectif de travail Social-Démocrate au Reichstag) et qu'apparaissaient des écrits comme :
"Lutte pour le Parti mais non contre le Parti... Lutte pour la démocratie dans le Parti, pour les droits de la masse, des camarades du Parti contre les chefs oublieux de leurs devoirs...Notre mot d’ordre n’est pas scission ou unité, nouveau ou vieux parti, mais la reconquête du Parti par la base grâce à la rébellion des masses. La lutte décisive pour le Parti est commencée".(Spartakus-Briefe, 30 mars 1916)
Dans "Arbeiterpolitik", on pouvait lire:
"Nous estimons que la scission, tant au niveau national qu’international, est non seulement inévitable mais une condition préalable de la réelle reconstitution de l'Internationale, du réveil du mouvement prolétarien des travailleurs. Nous estimons qu'il est inadmissible et dangereux de nous empêcher d’exprimer notre profonde conviction devant les masses laborieuses". (Abeiterpolitik, n°4),
Et Lénine dans "A propos de la brochure de Junius" (juillet 1916) écrivait :
"Le plus grand défaut de tous le marxisme révolutionnaire allemand, c’est l’absence d’une organisation illégale étroitement unie, une telle organisation serait obligée de définir nettement son attitude à l’égard de l'opportunisme comme du kautskysme. Seul le groupe des "Socialistes Internationalistes d’Allemagne" (ISD) reste à son poste, voilà qui est clair et sans ambiguïté pour personne".
L’adhésion des spartakistes à l’U.S.P.D. (date de fondation : 6/8 avril 1917), parti centriste qui n’était pas différent, sinon en proportions, de la Social-Démocratie et était lié à la croissante radicalisation des masses (et pour être plus clair, disons qu'en firent partie Haase, Ledebour, Kautsky, Hilferding et Bernstein) rendit encore plus durs et exaspérés les rapports entre les communistes de Brème et les spartakistes. Si en mars 1917, on lisait encore dans "Arbeiterpolitik" :
"Les radicaux de gauche se trouvent devant une grande décision. La plus grande responsabilité se trouve entre les mains du groupe "Internationale" en qui, en dépit des critiques que nous avons du lui faire, nous reconnaissons le groupe le plus actif et le plus nombreux le noyau du futur parti radical de gauche. Sans lui, nous devons en convenir franchement, nous ne pourrons — nous et l'ISD — construire dans un délai prévisible un parti capable d'agir. C’est du groupe Internationale qu’il dépend que la lutte des radicaux de gauche se mène ne un front ordonné sous un drapeau à eux, sinon en attendant en une petite armée, où bien que les oppositions à l’intérieur du mouvement ouvrier qui sont apparues dans le passé et dont la compétition est un facteur de clarification, mettent longtemps à se régler dans la confusion et d’autant plus lentement" . (Souligné par nous).
Devant l'adhésion du groupe spartakiste à l'USID, on pouvait y lire :
"Le groupe "Internationale" est mort… un groupe de camarades s'est constitué en comité d’action pour construire le nouveau parti".
En effet, en août 1917, se tint à Berlin une réunion de délégués de Brème, Berlin, Francfort et d'autres villes d'Allemagne, pour jeter les bases du nouveau Parti. A cette réunion, participa Otto Ruhle avec le groupe de Dresde. Dans le groupe spartakiste lui-même se manifestèrent des positions très proches des "Linksradikalen" qui n'acceptèrent pas les compromis organisationnels de la Centrale autour de Rosa Luxemburg. Ce fut d'abord l'opposition des groupes de Duisburg, Francfort et Dresde à l'adhésion de 'l'Arbeiterge-meinschaft" (l'organe du groupe de Duisburg, "Kampf " engagea une vive discussion contre cette adhésion); par la suite, d'autres groupes comme par exemple celui de Chemnitz avec Heckert qui était important, manifestèrent leur opposition à l'adhésion à l'USPD. Ces groupes partageaient pratiquement ce qu'exprimait Radek dans "Arbeiterpolitik". :
"L'idée de construire un parti avec les centristes est une dangereuse utopie. Les radicaux de gauche, que les circonstances s'y prêtent ou non, doivent, s'ils veulent remplir leur tâche historique, construire leur propre parti".
Liebknecht lui-même, plus lié au bouillonnement de la classe, exprimait sa propre position dans un écrit de prison (1917) dans lequel, cherchant à saisir les forces vives de la révolution, il distinguait trois couches sociales au sein de la Social-Démocratie allemande; la première était formée des fonctionnaires stipendiés, base sociale de la politique de la majorité du parti Social -Démocrate. La seconde était formée des travailleurs les plus aisés et les plus instruits. Tour eux, l'importance du danger de voir éclater un grave conflit avec la classe dominante n'était pas claire. Ils veulent réagir et lutter, mais ne sont pas décidés à franchir le Rubicon. Ils sont la base de la "Sorialdemocratische Arbeiterge-meinschaft", la troisième, enfin, "des masses prolétaires de travailleurs sans instruction. Le prolétariat dans son sens réel, strict. Seule cette couche, par son état actuel, n'a rien à perdre. Nous soutenons ces masses : le prolétariat".
B – Tout ceci démontre deux choses :
l) qu'une importante fraction du groupe spartakiste s'orientait dans la même direction que les radicaux de gauche, en se heurtant au centre minoritaire représenté par Rosa Luxemburg, Jogisches, Paul Levi.
2) Le caractère fédéraliste non centralisé du groupe spartakiste.
La Révolution Russe, les désaccords qui se manifestaient entre les spartakistes et la majorité de l'USPD à propos de cette révolution, poussèrent "Arbeiterpolitik" à reprendre les discussions avec les spartakistes ([3] [20]). Les communistes de Brème n'avaient jamais dissocié la solidarité avec la révolution russe d'avec l'exigence de former un Parti communiste en Allemagne. Pourquoi, se demandaient les communistes de Brème : la révolution avait triomphé en Russie ?
"Uniquement et seulement par le fait qu’en Russie, c'est un Parti autonome de radicaux de gauche qui dès le début porta le drapeau du socialisme et combattit avec l’emblème de la Révolution Sociale. Si l'on pouvait, avec bonne volonté, trouver encore à Gotha des raisons à l'attitude du groupe "Internationale", aujourd'hui, tout semblant de justification d'une association avec les Indépendants s'est évanoui. Aujourd'hui, la situation internationale rend encore plus urgente la nécessité de fonder un parti propre des radicaux de gauche.
"Nous avons de toute façon la ferme volonté de consacrer toutes nos forces à créer en Allemagne les conditions pour un "Linksradikalen Partei" (parti des radicaux de gauche). Nous invitons donc nos amis, nos camarades du groupe "Internationale", vue la faillite dans laquelle, depuis bientôt neuf mois, s'enfonce la fraction et le parti des Indépendants; vues les répercussions corruptrices du compromis de Gotha (lesquelles portent préjudice à l'avenir du mouvement radical en Allemagne([4] [21]), à rompre sans ambiguïté et ouvertement avec les pseudo socialistes indépendants et à fonder le propre parti des radicaux de gauche…" (souligné par nous) (Arbeiterpolitik, 15-12-1917).
Malgré tout, une année devra encore s’écouler avant la fondation du Parti en Allemagne, et tout cela alors que la tension sociale augmentait : des grèves de Berlin d'avril 17 à la révolte de la flotte pendant l'été, et à la vague de grèves de janvier 18 (Berlin, Ruhr, Kiel Brème, Hambourg, Dresde) qui dura pendant tout l'été et l'automne.
C - Voyons à présent quels autres groupes mineurs caractérisaient la situation allemande.
Nous avons écrit plus haut que les ISD regroupaient aussi le groupe berlinois autour de la revue "Lichtstrahlen". Le représentant le plus important en était Borchardt. Les idées qu'il développait dans la revue étaient violemment anti Social-démocrates, mais annonçaient déjà par leur orientation anarchisante la rupture avec les communistes de Brème. "Arbeiterpolitik" faisait observer que:
"A la place du parti, il (Borchardt) met une secte propagandiste à forme anarchiste".
Plus tard, les communistes de gauche le considérèrent comme un renégat et le baptisèrent "Julien l'Apostat".
A Berlin, Werner Möller (déjà adhérent aux "Lichtstrahlen" devint le plus assidu collaborateur d’"Arbeiterpolitik" puis son représentant. Il sera sauvagement tué de sang-froid par les hommes de Noske en janvier 19. A Berlin, le courant de gauche sera très fort, avec, entre autres, les Spartakistes (puis le KAPD) Karl Schroder et Friederich Wendel.
Le groupe de Hambourg occupe une place particulière dans l'opposition révolutionnaire à la Social Démocratie.
Il n'adhéra pas aux ISD jusqu'en novembre 1918, quand, sur une position de Knief, ceux-ci changèrent de nom pour devenir les IKD : Internationale Kommunisten Deutschland, le 23 décembre 18. Les chefs de file furent, à Hambourg, Henrich Laufenberg et Frits Wolffeim. Ce qui les distinguait des communistes de Brème fut une polémique plus acerbe contre les chefs, à tonalité syndicaliste et anarchiste.
"Arheiterpolitik" se maintenait, au contraire, sur des positions correctes lorsqu'il écrivait le 28 juillet 1918 : "La cause des "Linksradikalen", la cause du futur parti communiste allemand dans lequel; tôt ou tard, devront affluer tous ceux qui sont restés fidèles aux anciens idéaux, ne dépend pas de grands noms. Au contraire, ce qui est vraiment et doit être l'élément nouveau si nous devons un jour atteindre le socialisme, c'est que la masse anonyme prenne en main sa propre destinée : que chaque camarade pris individuellement y contribue de sa propre initiative, sans se préoccuper qu’il ait avec lui de "grands noms", (souligné par nous).
Ce qui distinguait aussi le groupe de Hambourg, c'était le caractère toujours plus ouvertement syndicaliste de son orientation politique, lequel venait en partie du militantisme de Wolffheim dans les IWW quand il avait vécu aux USA.
On peut dire que la meilleure expression de cette période de mouvement de la classe en Allemagne se trouvait, sans aucun doute, chez les communistes de Brème. Dire cela, veut dire aussi mettre en lumière toutes les tergiversations, les erreurs du groupe spartakiste (et donc de son meilleur théoricien, Rosa Luxemburg) en matière d'organisation, de conception du processus révolutionnaire, de la fonction à assigner au parti.
Il est clair que relever les erreurs de Rosa Luxemburg ne signifie pas qu'il faille rejeter ses batailles, sa lutte héroïque, mais cela permet de comprendre qu'à côté de sa vision prémonitoire dans sa lutte théorique contre Bernstein et Kautsky, elle défendait des positions que nous ne pouvons pas accepter.
Nous n'avons pas de dieux à vénérer, mais nous devons, par contre, faire face à la nécessité de comprendre les erreurs du passé pour pouvoir les éviter, à la nécessité de savoir tirer du mouvement prolétarien des indications utiles et non achevées, entre autres celles qui concernent la fonction et le rôle organisationnel des révolutionnaires.
Pour être à la hauteur de nos propres tâches, il s'agit aussi de comprendre le lien indissoluble qui existe entre l'activité des petits groupes lorsque la contre-révolution domine (et l’exemple du travail de "Bilan" et d'"Internationalisme" en est l'éloquente démonstration) et l'action du groupe politique quand les contradictions insurmontables du capitalisme poussent la classe à l'assaut révolutionnaire. Il ne s'agit plus alors de défendre les positions, mais, sur la base de ces positions en constante élaboration, sur la base du programme de classe, d'être capables de cimenter la spontanéité de la classe, d'exprimer la conscience de classe, d'unifier ses forces en vue de l'assaut décisif, en d'autres termes, de construire le parti, moment essentiel de la victoire prolétarienne.
Mais les partis ne se créent pas de toutes pièces, pas plus que les révolutions. Expliquons-nous. Les artifices organisationnels n'ont jamais servi à quoi que ce soit au contraire, ils ont même souvent servi la contre-révolution. S'autoproclamer Parti, se construire comme tel en période contre-révolutionnaire, est une absurdité, une erreur très grave qui dénote une incompréhension du fondement de la question, lorsqu'il n’y a aucune perspective révolutionnaire. Mais on peut considérer comme tout aussi grave le fait de laisser cette tache de côté, ou de la renvoyer au moment où ce sera déjà trop tard. Dans le cadre de notre étude, c'est ce second aspect qui présente le plus d'intérêt.
Celui qui parle d'une spontanéité qui résoudrait tous les problèmes fait, en fin de compte, l'éloge d'une spontanéité inconsciente et non du passage de la spontanéité à la conscience; il ne réussit ou ne veut comprendre que cette prise de conscience de la classe dons la lutte doit l'amener aussi à reconnaître la nécessité d'un instrument adéquat pour prendre d'assaut l'Etat, forteresse du capital.
Si la spontanéité de la classe est un moment que nous revendiquons, le spontanéisme — c'est-à-dire la théorisation de la spontanéité — tue la spontanéité, se traduit par des recettes toutes faites, par l'être-là-où-sont-les-masses, par le fait de ne pas savoir être contre le courent dans les moments d'arrêt et de reflux pour être "avec le courant" dans les moments décisifs. Les déviations de Luxemburg sur les questions organisationnelles se retrouvent aussi dans sa conception de la conquête du pouvoir et nous ajouterons que c'est inévitable étant donné l'étroite connexion entre ces deux questions : '
"La conquête du pouvoir doit se faire non d'un seul coup, mais par la marche progressive en nous enfonçant dans l’Etat bourgeois jusqu'à ce que nous occupions toutes les positions et les défendions becs et ongles". (cité par Prudhommeaux : Spartokus et la Commune de Berlin)
Mais malheureusement, ce n'est pas encore terminé. Tandis que Paul Frölich (représentant du groupe de Brème) lançait en novembre 1918 cet appel de Hambourg :
"C'est le début de la révolution allemande, de la révolution mondiale! Vive la plus grande action de la révolution mondiale! Vive la république allemande des ouvriers! Vive le bolchevisme mondial!"
Rosa Luxemburg, un peu plus d'un mois plus tard, au lieu de se demander pourquoi une attaque si massive du prolétariat allait être défaite, disait :
"Le 9 novembre, les ouvriers et les soldats ont détruit le vieux régime en Allemagne. (…) Le 9 novembre, le prolétariat s'est soulevé et il a secoué le joug infâme. Les Hohenzollern ont été chassés par les ouvriers et les soldats formés en conseils." (Prudhommeaux, cit.)
C'était comme une révolution qu'elle interprétait le passage du pouvoir des mains de l'équipe de Guillaume II à celles de Ebert-Scheidemann-Haase, et non comme une relève de la garde contre la révolution ([5] [22]).
L'incompréhension de la fonction, du rôle historique de la Social-Démocratie lui coûtera la vie, tout comme à Liebknecht et à des milliers de prolétaires. Le KAPD saura tirer des leçons de cette expérience (l'un des points sur lequel porte son opposition fondamentale à l'IC et au KPD, est son refus de tout contact avec l'USE); mais nous y reviendrons plus loin), ainsi que la Gauche Italienne. Bordiga écrivait le 6 février 1921 dans "Il communista", un article intitulé "La fonction historique de la social-démocratie" dont nous extrayons quelques passages :
"La Social-Démocratie a une fonction historique, en ce sens qu'il y aura probablement dans les pays de l'Occident, une période où les partis social-démocrates seront au gouvernement, seuls ou en collaboration avec les partis bourgeois. Mais là où le prolétariat n'aura pas la force de l'éviter, un tel intermède ne représentera pas une condition positive, nécessaire à l'avènement des formes et des institutions révolutionnaires ; il ne sera pas une préparation utile à ceux-ci, mais constituera une tentative désespérée de la bourgeoisie pour diminuer et dévier la force d'attaque du prolétariat, pour enfin l'écraser sons pitié sous les coups de la réaction blanche, au cas où il lui resterait assez de forces pour oser se révolter contre le légitime, l'humanitaire, le décent gouvernement de la social-démocratie".
"Pour nous, il ne peut y avoir d'autre transfert révolutionnaire du pouvoir, que des mains de la bourgeoisie dominante à celles du prolétariat, de même qu'on ne peut concevoir d'autre forme de pouvoir prolétarien que la dictature des conseils".
II LES BALBUTIEMENTS DU PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (Spartakusbund)
Nous avons commencé cette étude par le Congrès de formation du PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (30 déc. 1918 - 1er janv. 1919) et parcouru à rebours l'histoire de sa formation; nous reprenons maintenant la marche en avant à partir de ce point de départ.
A — Le congrès de formation cristallise, pour ainsi dire, deux conceptions et deux positions diamétralement opposées. D'une part, la minorité autour de Luxemburg, Jogiches, Paul Levi, qui regroupait les personnages les plus importants du nouveau parti, et qui, bien qu'étant une minorité, en assumait la direction (ses railleries et son quasi-refus de garantir l'expression des positions prépondérantes de la gauche — seul Frölich sera admis à la centrale — aboutiront quelques mois plus tard dans la Farce du Congrès de Heildelberg). D'autre part, la grande majorité du Parti: la rage et la potentialité révolutionnaire qu’expriment le groupe des IKD et une bonne partie des spartakistes, Liebknecht à leur tête. Les positions de la gauche triomphent à une écrasante majorité. Contre la participation électorale, pour la sortie des syndicats, pour l’insurrection.
Mais il leur manque une vision claire des tâches immédiates à affronter, de la préparation de l'attaque insurrectionnelle qui est aussi militaire, de la fonction centralisatrice et de direction du Parti. Une sorte de fédéralisme et d'indépendance régionaliste règne en maître. A Berlin, on ignore ou presque ce qui se passe dans la Ruhr, le centre ou le sud ; et vice-versa. La "Hôte Fahne" elle-même reconnaît, le 8 janvier 19, que "l'inexistence d'un centre chargé d'organiser la classe ouvrière ne peut plus durer ... Il fait que les ouvriers révolutionnaires mettent sur pied des organismes dirigeants en mesure de guider et d'utiliser l'énergie combative des masses". Et notons bien que l'on n'y parle que de la situation à Berlin !
La désorganisation croît encore et atteint son paroxysme après la mort de Luxemburg et de Liebknecht. Le parti, au moment où il v est réduit à la clandestinité et soumis à la terreur contrerévolutionnaire, se retrouve sans tête. Les Républiques Soviétiques qui surgissent un peu partout en Allemagne: Brème, Munich, Bavière, etc., sont une à une défaites, les combattants prolétariens anéantis. La vague prolétarienne, l’immense potentialité que contient la classe subissent un reflux. On ne peut pas ne pas citer intégralement la lettre que Lénine adressa, en avril 1919 à la République Soviétique de Bavière. Il est inutile de dire que la plus grande partie des "mesures concrètes" dont s'informait. Lénine, ne fut jamais prise.
SALUT A LA REPUBLIQUE SOVIETIQUE DE BAVIERE.
"Nous vous remercions de votre message de salutations et, à notre tour, nous saluons de tout cœur la République des Soviets de Bavière. Nous vous prions instamment de nous faire savoir plus souvent et plus concrètement quelles mesures vous avez prises pour lutter contre les bourreaux bourgeois que sont Scheidemann et Cie; si vous avez créé des soviets d'ouvriers et de gens de maison dans les quartiers de la ville; si vous avez armé les ouvriers et désarmé la bourgeoisie; si vous avez utilisé les dépôts de vêtements et d'autres articles pour assister immédiatement et largement les ouvriers, et surtout les journaliers et les petits paysans; si vous avez exproprié les fabriques et les biens des capitalistes de Munich, ainsi que les exploitations agricoles capitalistes des environs; si vous avez aboli les hypothèques et les fermages des petits paysans; si vous avez doublé ou triplé le salaire des journaliers et des manœuvres; si vous avez confisqué tout le papier et toutes les imprimeries pour publier des tracts et des journaux de masse; si vous avez institué la journée de travail de six heures avec deux ou trois heures consacrées à l'étude de l'art d'administrer par l'Etat ; si vous avez tassé la bourgeoisie à Munich pour installer immédiatement les ouvriers dans 11 les appartements riches ; si vous avez pris en main toutes les banques; si vous avez choisi des otages parmi la bourgeoisie ; si vous ayez établi une ration alimentaire plus élevée pour les ouvriers que pour les bourgeois; si vous avez mobilisé la totalité des ouvriers à la fois 11 pour la défense et pour la propagande idéologique dans les villages avoisinants. L'application la plus urgente et la plus vaste de ces mesures ainsi que d'autres semblables, faites en s'appuyant sur l'initiative des soviets d'ouvriers, de journaliers, et, séparément, de petits paysans, doit renforcer votre position. Il est indispensable de frapper la bourgeoisie d'un impôt extraordinaire et d'améliorer pratiquement, immédiatement et coûte que coûte la situation des ouvriers journaliers et petits paysans. Meilleurs vœux et souhaits de succès". Lénine
L'impréparation théorique, l'incapacité d'être à la hauteur de ses tâches que la situation requiert, provoqueront aux premiers signes de recul une scission dans le mouvement allemand. D'une part, on commencera à tourner les yeux en direction du bolchevisme, de la Russie victorieuse, à reprendre sa propagande, ses indications stratégiques et tactiques, pour tenter avec absurdité de les plaquer sur l'Allemagne. Pour donner un exemple : le cas de Radek est typique ; porte parole des communistes de Brème et de l'aile la plus intransigeante du mouvement, il sera, après le recul momentané de le lutte, pendant l'été 19, l'un des artisans avec Paul Levi, du congrès de Heidelberg (octobre 1919) où les conquêtes du Congrès de formation du parti seront répudiées au profit de l'usage, à nouveau de l'"instrument" électoral, des syndicats ultra réformistes où les communistes devraient développer leur activité, et pour finir, des "lettres ouvertes" et du front unique.
De quelle, valeur est alors l'appel à la centralisation, lorsque les événements prennent une voie contraire à celle du développement du mouvement spontané.
D'autre part, l'aile révolutionnaire qui refusa ce choix et sera bien plus féconde en conseils et indications, devra affronter, une fois constituée organisationnellement, un mur compact et des difficultés croissantes.
B - La révolution mondiale a-t-elle échoué a cause des insuffisances de la révolution russe ou bien la révolution russe a-t-elle échoué a cause des insuffisances de la révolution mondiale ?
La réponse n'est pas simple et demande la compréhension de la dynamique sociale de ces années. La révolution russe fut un magnifique exemple pour le prolétariat occidental. La 3ème Internationale fondée en Mars 1919 est un exemple de la volonté révolutionnaire des bolcheviks et fut, de leur part, une réelle tentative de s'appuyer sur les communistes européens. Mais les difficultés internes de la révolution russe qui surgirent dès la fin de la guerre civile et n'avaient pas de solution à l'intérieur du cadre russe, la défaite de la première phase de la révolution allemande, (janvier-mars 19), et celle de la République Hongroise des Conseils, ont convaincu les communistes russes que la perspective de révolution en Europe se serait éloignée. Selon eux, il ne s’agissait plus alors que de récupérer pour toute cette période, la grande masse des travailleurs, de convaincre les masses social-démocrates de la justesse des positions communistes, etc. On tendait à récupérer l'USPD en la voyant pour commencer comme l'aile droite du mouvement ouvrier et non comme la fraction de la bourgeoisie, plutôt qu’à mener une lutte théorique contre la sociale-démocratie Plutôt qu'à se mettre à l’écoute des couches la classe en fondant la nécessité d’attaquer et de démasquer la social-démocratie sur la volonté de lutte de celles là.
Nous pouvons donc dire que si les hésitations des communistes d'occident tendent à être funestes pendant toute une première phase (1918-19), ce fut l’Internationale Communiste elle-même qui devint un obstacle à l'éclosion — même tardive — de l'authentique avant-garde prolétarienne en Europe quand la situation y est encore révolutionnaire (et nous ne parlons que des années 1920-21, après lesquelles on peut parler pendant deux ans encore de réaction prolétarienne contre les assauts de la bourgeoisie - cf. Hambourg 1923- et encore après une seule véritable défaite du prolétariat par un massacre.)
Si le passage d'une situation à une autre se fait graduellement, nous pouvons malgré tout fixer comme moment qui manifeste le renversement de son cours, la dissolution du bureau d'Amsterdam par l'Internationale Communiste, et le texte de Lénine "Le Gauchisme, maladie infantile du communisme".
Retournons aux vicissitudes du Parti Communiste Allemand; le 17 août 1919 une conférence nationale est convoquée à Francfort, L'attaque de Lévi dirigée contre la Gauche est un échec; mais, en octobre de la même année, à Heildelberg, elle a en quelque sorte des résultats. Dans un congrès clandestin avec une maigre représentation de l'ensemble du district, au complet insu de quelques-uns, la scission est décidée en pratique avec le changement des positions programmatiques de janvier. Au point 5 du nouveau programme que se donne le Parti, il est écrit :
"La révolution qui ne se fait pas d'un seul coup mais est la longue et persévérante lutte d'une classe opprimée depuis dès millénaires, et par conséquent non pleinement consciente de sa mission et de sa force, est sujette au flux et au reflux. (souligné par nous)
Et Lévi, peu après, soutiendra que la nouvelle vague révolutionnaire surgirait en … 1926 !
Mais la décision d'expulser les gauchistes, les "aventuristes", ne fut pas prise officiellement, et c'est en 1920, au III° Congrès du KPD, qu'elle sera résolue. La gauche, après Heildelberg, cherche à se structurer en KPD O (O=Opposition) de sorte qu'à la fin des premiers mois de 1920, on avait pratiquement deux organisations du KPD : le KPD S et le KPD O. Tout ceci dans une situation extrêmement chaotique. Les informations qu'ils réussissaient à faire parvenir à Moscou étaient infimes et fragmentaires. Lénine dans "Salut aux Communistes italiens, français et allemands", daté du 10 octobre 1919, écrivait :
" Des communistes allemands, nous savons seulement qu'il existe une presse communiste dans beaucoup de villes. Il est normal que dans un mouvement qui s'étend rapidement, qui subit des persécutions aussi acharnées, surgissent des dissensions assez âpres. C'est une maladie de croissance. Les divergences au sein des communistes allemands se réduisent, pour autant que je puisse en juger, au problème de l’"utilisation des possibilités légales", de l'utilisation du Parlement bourgeois, des syndicats réactionnaires, de la loi sur les conseils qu'ont dénaturé scheidemanniens et kautskystes, de la participation à ces institutions ou à leur boycott".
Et il concluait à l’utilisation en donnant raison à Lévi.
Mais le problème central, qui se manifestera quelques mois après, sera :
- ou lutte révolutionnaire illégale et préparation militaire ;
- ou activité légale dans les syndicats et au Parlement.
C'est le terme de la confrontation entre les deux "lignes" du KPD.
Le centre de l’Opposition se situa pendant quelques temps à Hambourg. Mais rapidement, Laufenberg et Wolffhein commencèrent à être discrédités. Ce sont eux qui commencèrent à élaborer la théorie du national-bolchevisme selon laquelle la défense de l’Allemagne contre l'Entente était un devoir révolutionnaire à remplir, même au prix de l'alliance avec la bourgeoisie allemande ([6] [23]). C'est alors Brème qui fonctionnait déjà comme centre d'informations qui devint le point de référence du communisme de gauche. Le "centre d'information" de Brème lutta sur deux fronts jusqu'au début de 1920 : contre la Centrale du Parti et contre Hambourg. Brème ne chercha pas à scissionner, mais tenta de mettre en discussion les résultats du Congrès de Heidelberg, mais la Centrale de Lévi s'opposa à toute discussion aidée en cela par la lutte contre le "national-bolchevisme" des hambourgeois. La tentative du putsch militaire de Kapp, en donnant aux divergences un contenu "pratique" mit fin à toute discussion. Voyons la riposte prolétarienne à cette tentative de putsch, et le comportement des diverses organisations :
"Dans la Ruhr la Reichswehr n'a pas immédiatement clarifié sa position envers Kapp et étant donné que tous, de l'ADGE ([7] [24]) et la social-démocratie aux centristes et au KPD (S), lancèrent le mot d'ordre de grève générale (bien que la centrale du KP fut un peu hésitante dans les premiers jours,),, la situation aurait eu des possibilités révolutionnaires, si la direction des syndicats et des partis parlementaires avait été brisée; en effet, de nombreuses zones comme la Ruhr en Allemagne centrale n' avaient pas connu les grandes défaites ouvrières des années précédentes, comme celles qui s'étaient produites à Berlin Munich Brème Hambourg etc.
Dans la Ruhr, il y avait une forte tension entre la Reichswehr et les prolétaires, et ce fut la situation engendrée par les Kapp-putsch, qui provoqua immédiatement l'armement des prolétaires en grève (le fait, que de nombreux ouvriers combatifs eussent réussi à se libérer de la domination de l'ADGB en adhérant à la Fau, avait aussi son importance). A cause du caractère démocratiste et constitutionnaliste de la grève générale, les Indépendants et de nombreux sociaux-démocrates ne purent, dans les premiers jours, que tenter de modérer l'agressivité prolétarienne, bien que sans succès dans la première période d'avancée. Le développement de la situation fut le suivant:localement, dans chaque ville, indépendamment des syndicats, se formèrent des troupes de prolétaires qui prenaient les armes contre les soldats de la Reichswehr. Les villes insurgées se réunirent et marchèrent contre les villes encore aux mains de .l'armée, pour soutenir les ouvriers locaux.
Pendant qu'une partie de l'"Armée Rouge" de la Ruhr, comme elle s'appelait, repoussait la Reichswehr hors de la Ruhr, en formant un front parallèle au Lippe, d'autres groupes d'ouvriers prenaient une à une les villes de Remscheid, Essen, Dusseldorf, Mulheim, Duisburg, Hamborn et Dinkslaken, et repoussaient la Reichswehr le long du Rhin jusqu'à Wesell dans une courte période, entre le 18 et le 21 mars.
Le 20 mars, l'AGDB, après l'échec du putsch déclara la grève générale terminée et le 22 mars, la SD et l'USPD firent de même. Le 24 mars, des représentants du gouvernement social-démocrate, de la SD, de l'USPD et d'une partie du KPD conclurent un accord à Bielefeld, qui proclama le cessez-le-feu, le désarmement des ouvriers et la liberté pour les ouvriers qui avaient commis des actes "illégaux".
Une grande partie de l'Armée Rouge n'accepta pas l'accord et continua la lutte.
Le 30 mars, le gouvernement social-démocrate et la Reichvehr adressèrent un ultimatum aux prolétaires: accepter immédiatement l'accord ou bien la Reichwehr dont la force avait au moins quadruplé, grâce à l'arrivée de corps-francs venant de la Bavière, de Berlin, de l'Allemagne du Nord et de la Baltique, commençait une nouvelle offensive.
La coordination entre les diverses troupes ouvrières étaient désormais minimes à cause de la trahison des Indépendants, le centrisme du KPD (S) et des syndicalistes et la rivalité entre les trois centrales militaires de l'Armée Rouge.
La Reichwehr et les nombreuses troupes blanches ouvrirent une vaste offensive sur tous les fronts : le 4 avril, Duis burg et Mulheim tombèrent, le 5, Dortmund et le 6, Gelsenkirchen.
Une terreur blanche très dure commença; elle fit des victimes non seulement parmi les ouvriers armés, mais aussi parmi leurs, familles qui furent massacrées, et parmi de jeunes ouvriers qui avaient aidé les combattants blessés à l'arrière du front.
L'Armée Rouge de la Ruhr encadra entre 80.000 et 120.000 prolétaires, elle parvint à organiser une artillerie et une petite aviation. Le développement des luttes a formé ses trois centres militaires:
a - Hagen dirigée par l'USPD, accepta sans hésitation l'accord de Bielefeld.
b - Essen, dirigé par le KPD et par la gauche Indépendante: il fut reconnu comme Centrale Supérieure de l'armée le 25 mars. Quand le gouvernement social-démocrate mit les ouvriers devant son ultimatum du 30 mars, cette centrale donna le mot d'ordre très ambigu de retour à la grève générale (alors que les ouvriers étaient armés et en lutte!)
c - Mulheim, dirigé par les communistes de gauche et des syndicats révolutionnaires. Il suivait complètement la Centrale militaire de Essen, mais lorsque celle-ci réagit de façon centriste à l'accord de Bielefed la Centrale de Mulheim donna le mot d'ordre "luttez jusqu'au bout".
Les trois centrales de l'USPD, du KPD(S) m et de la FAUD(S) ([8] [25]) eurent en commun la position tout à fait ignoble, à savoir qu'elles considéraient ces luttes comme "aventuristes".
Aucune centrale nationale ne prit la direction des luttes : le mouvement prolétarien local montra toute sa volonté de centralisation, à l'intérieur des limites de ses n forces locales.
Même en Allemagne Centrale, les prolétaires s’armèrent et, sous la direction du communiste M.Hoelz, de nombreuses villes autour de Halle s'insurgèrent, mais le mouvement ne put aller plus loin, car le KPD(S) très fort à Chemnitz où il était la parti le plus grand, se contenta d’armer les ouvriers en accord avec les sociaux-démocrates et les Indépendants et d'attendre le retour de Ebert au gouvernement.
Brandler, qui dirigeait le conseil ouvrier de Chemnitz, conçut son rôle de dirigeant comuniste local comme consistant à éviter que des luttes n’éclatent entre les communistes de Hoelz qui voulaient s'armer avec les nombreuses armes abandonnées par la Reichwehr à Chemnitz et aux alentours, et les sociaux-démocrates, qui furent tout le temps prêts à attaquer les révolutionnaires, tentant plusieurs fois de lancer la Heimwehr (groupes blancs armés de la bourgeoisie locale) contre eux.
Le centrisme du KPD(S) fut pleinement révélé par le fait que, alors que les ouvriers étaient en lutte, la Centrale de Lévi donna, le 26 mars, le mot d'ordre d'opposition loyale en cas de gouvernement "ouvrier" entre les sociaux-démocrates et les Indépendants. "Die Rote Fahne", organe " central du KFD (S) écrivait (n°32, 1920) : "L'opposition loyale, nous la comprenons ainsi : aucune préparation à la prise de pouvoir armé, liberté naturelle pour l'agitation du Parti, pour son but et ses solutions". L e KPD abdiquait officiellement ses buts révolutionnaires, le faisant à un moment où plus que jamais, le prolétariat allemand avait besoin du Parti Communiste révolutionnaire.
C'est donc un résultat historique naturel que les communistes de gauche, devant la trahison de la section de la IIIème Internationale, aient formé le mois suivant (avril 1920) le KAPD, Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne".
Il semble ici que ce long extrait de "La gauche Allemande et la question syndicale dans la IIIème Internationale" (travail par lequel une importante partie du PCI a rompu avec lui en 1972) n'appelle aucun commentaire.
Au cours de ces mois, un autre événement important survient l'abandon du KPD (O) par la Bremerlinke et son retour au sein du KID (S) où elle jouera un rôle d'opposition interne avec Frölich et Karl Becker (nous verrons par la suite sa position au cours des années suivantes et en particulier au printemps 1921). Nous ne possédons pas tous les éléments pour comprendre et porter un jugement sur ce qui fut un coup très rude pour le communisme de gauche et un grand succès pour la direction de Lévi. Ce qui influença certainement la décision du groupe de Brème, ce fut le sentiment de fidélité à l'IC (qui donnais on soutien au KH) S tout en émettant de fortes réserves) et sa nette opposition au groupe de Hambourg avec Laufenberg et Wolffheim.
Nous avons omis jusqu'ici de parler des syndicats, des Conseils et des Unions qui furent les points centraux du débat et des divergences au sein du mouvement allemand. La complexité de la question, nous a invité à déblayer d'abord les autres points pour pouvoir ensuite traiter (succinctement) de façon la plus claire possible, la "question syndicale". C'est ce que nous chercherons à faire dans un prochain texte.
S.
[1] [26] Les historiens et l‘historiographie ont utilisé le terme de "Linksradikalen" pour désigner des groupes comme celui de Brème ou celui de Hambourg, puis ensuite ceux du KAPD et les Unions. Le terme "Ultralinke" fut au contraire employé pour désigner l'opposition de gauche (Priesland-Fischer-Maslov) au cours des années suivantes au sein du KPD.
[2] [27] Pour la publication d’"Arbeiterpolitik", il y eut même une souscription parmi les ouvriers des chantiers navals de Brème.
[3] [28] Sur l'interprétation des événements russes, il existait toutes sortes de divergences entre les communistes de Brème et les Spartakistes. Citons seulement la question de l'usage de la "terreur révolutionnaire". Pour le groupe de Brème, Knief critiqua durement la position de Luxemburg sur son refus d'utiliser la terreur de classe dans la lutte révolutionnaire.
[4] [29] C'est à Gotha que les Spartakistes adhèrent à l'USPD.
[5] [30] Au IV° Congrès de l'IC (nov. 1922), Radek reprendra cette position en disant qu'on devait remercier la Social-démocratie "d'avoir fait le plaisir d'abattre le Kaiser".
[6] [31] La position "national-bolcheviste" sera reprise sans soulever autant de scandales par le KPD en 1923. Brandi er et Thalheimer firent des déclarations du style :
"Dans la mesure où elle mène une lutte défensive contre l'impérialisme, la bourgeoise allemande joue dans la situation qui s'est créée, un rôle objectivement révolutionnaire, mais en tant que classe réactionnaire, elle ne peut .utiliser les seules méthodes qui permettraient de résoudre le problème".
"Dans ces circonstances, la condition de la victoire prolétarienne est la lutte contre la bourgeoisie française et sa capacité de soutenir la bourgeoisie allemande dans cette lutte, en assumant l'organisation et la direction de la lutte défensive sabotée par la bourgeoisie".
Et dans "Imprekor" de juin 1923, on lisait :
"Le national-bolchevisme n'aurait été en 1920 qu'une alliance pour sauver, les généraux qui immédiatement après leur victoire auraient balayé le PC. "Aujourd'hui, il signifie que tous sont convaincus qu'il n'y a d'autre salut qu'avec les communistes. Aujourd'hui, nous sommes la seule solution possible. Le fait d’insister avec force sur l’élément national Allemagne est un acte révolutionnaire tout comme le fait d’insister sur l’élément national dans les colonies", (souligné par nous).
[7] [32] ADGB : Syndicat allemand : Allgemeiner Deutscher Gewerkschafs Bund. Avant juin 1919, il s'appelait Freien Gewerkshaften.
[8] [33] Freie Arbeiter Union Deutsclands (syndikalisten). Organisation Syndicale fondée en décembre 1919.
Toute thèse conçue sur le plan national étudie la situation de 1’Italie contemporaine "in vitro", par le décalage, l'inégalité de développement entre le nord industriel et, le Mezzogiorno caractérisé par une agriculture fondée sur le système des tenures et des latifundia, région où au début de ce siècle le revenu était moitié moindre de celui des provinces septentrionales. C'est notamment celle de l'élève de B. Croce, de 1'interventiste de 14, du révisionniste qui décrète qu'Octobre a infirmé l'analyse fournie par Marx : A. Gramsci dont hérite la "nouvelle gauche", et que l'hagiographie s'évertue à présenter comme le théoricien le plus puissant et le plus original du marxisme dans le monde non-russe ([1] [36]).
Là-dessus, le marxisme ne saurait être plus clair ; si les terres méridionales, prisonnières d'un carcan semi-féodal, constituent l’un des principaux foyers d'émigration, alors que le réservoir de richesses de la plaine alluviale du Pô est l'objet d'un soin particulièrement attentif de la part du capitalisme, cela tient fondamentalement aux conditions du marché mondial et, à la division internationale du travail qui s'ensuite Illustrant cette vision, nous dirons que cette émigration dépeuplant les provinces méridionales a correspondu à la crise mondiale et à la grande dépression agricole de la fin du siècle. L'adoption du protectionnisme fut l'acte de naissance du capitalisme italien, favorisant les agrariens de la plaine du Pô et fournissant aux propriétaires absentéistes un revenu assurée Quand en Louisiane sont découverts de nombreux gisements de soufre, c'est la ruine pour la Sicile qui, longtemps fut seule à l'extraire de son sous-sol.
Le capitalisme italien surgit "post festum" dans une arène où le partage du monde était déjà pratiquement achève. A ce capitalisme dénué des droits d'ainesse, allaient échoir les bas morceaux dont ne voulaient pas s'encombrer les Puissances, non qu'elles fussent en la matière des philanthropes à toute épreuve, mais en considération d'un budget colonial qui aurait immanquablement entrainé une lourde charge pour la métropole0 Mais elle, l'Italie continuera inlassablement à revendiquer de nouveaux domaines d'expansion pour se hisser à leur niveau. Dans une situation conjoncturelle défavorable à l'impérialisme italien, on verra germer la semence du nationalisme définissant l'Italie comme "la grande prolétaire des nations". Sur ce chemin, Mao a trouvé des prédécesseurs en la personne des Crispi, Corradini ou Mussolini, autre timonier, ce qui dans la langue de Dante se dit "Duce".
Au moment même de rivalités impérialistes croissantes, l'Italie mit en chantier son économie de guerre avec l'espoir de s'en servir bientôt dans sa propre politique de conquête territoriale De la sorte, elle se préparait à conquérir une partie des zones tierces recelant les principales sources de matières premières faisant cruellement défaut à l'économie métropolitaine. C'est dire aussi que les travailleurs italiens, contrairement à leurs frères de classe anglais, belges, français ou hollandais ne participèrent, en quoi que ce soit, à un quelconque partage des provendes impérialistes„
Le développement de certaines industries, en particulier de la sidérurgie, de la chimie, de l’aéronautique, des constructions navales, marque sa progression de succès qui vont impressionner jusqu'aux plus blasés des experts des vieilles citadelles impérialistes. L'effort de guerre italien, qui porte aussi les lignes du réseau ferroviaire de 8200 km en 1881, à 17 038 en 1905, tous les ingénieurs, financiers, plumitifs et politiciens qui visitèrent la péninsule à cette époque le saluent unanimement.
Devant beaucoup pour son développement à l'afflux de capitaux français investis massivement dans l'économie italienne à partir de 1902, et à la forte participation bancaire helvète et germanique, l'Italie construit dans le nord du pays de puissantes centrales hydro-électriques. Cet effort va lui permettre de suppléer aux insignifiantes extractions charbonnières du Val d'Aoste, et d'électrifier les lignes de chemin de fer, lesquelles permettront ultérieurement d'amener sur le théâtre des opérations militaires la chair à canon, mais verront aussi de formidables soulèvements de soldats et de grèves chez les cheminots qui furent déclarées illégales. Au cours de cette brève période de redressement économique, 1'assiette politique passera des mains des armateurs et négociants sardes et génois -le commerce entre l'Italie et l7Empire Ottoman avait augmenté de 150% entre 1896 et 1906- dans celles des chefs d'entreprises de Lombardie et Piémont.
La difficulté de trouver des territoires extra-capitalistes non occupés avait donc conduit au développement d'une grosse économie de guerres Dans les premières années du siècle, les dépenses militaires continuaient à dévorer de plus belle un quart du budget. De mai 1915 à octobre 17, la production mensuelle de mitrailleuses passe de 25 à 800, celle des canons de 80 à 500, la fabrication des obus de 10 000 à 85 000 par jour. Alors qu'en mai 1915, l'Italie ne possédait presqu'aucun lance-bombes, elle en détiendra 2 400 à la veille de Caporetto. Fin décembre 1914, l'Italie pouvait aligner 1 million et demi d’hommes.
Cependant, alors qu'au Parlement se votaient les commandes de matériel à 1’industrie lourde, et les crédits de défense, dans la plupart des centres industriels, les masses d'ouvriers en bleu ou en uniforme se mettent à déferler dans les rues pour réclamer du pain et du travail. Pas une ville qui ne fut paralysée par la grève générale, pas un centre industriel qui ne fut pas envahi par le flot révolutionnaire montant. A Naples, l'année 1914 commence sur une émeute contre l'augmentation des loyers; en mars, les cigariers des manufactures de tabacs de l'Etat commencent une longue grève qui durera deux mois. Courageux comme toujours, le prolétariat d'Italie réagit par sa violence de classe aux tueries de ses combattants. Le 7 juin, il s'empare durant sa "semaine rouge" d'Ancône où il abolit immédiatement les impôts, il ne protestait pas platoniquement contre les compagnies disciplinaires dans l'armée en signant un quelconque "Appel des Cent", mais en s'emparant du pouvoir. A Bologne, à Ravenne la " République Rouge" est proclamée, la grève générale s’étend à toute la péninsule coupant irrémédiablement l'Italie en deux camps. Salandra, appelé au pouvoir pour liquider les séquelles de la guerre coloniale de Lybie, devra utiliser 100 000 hommes de troupe pour rétablir l'ordre.
Rendons un vibrant hommage aux militants anarchistes ([2] [37]) qui payèrent de leur personne "se moquant avec raison des pédants bourgeois qui leur font le calcul du coût de cette guerre civile en morts, blessés et sacrifices d'argent" (Marx),
LA LUTTE CONTRE LA GUERRE
L'Italie monarchiste et démocratique était entrée en guerre pour reconquérir les pays africains perdus après le désastre militaire total d'Adua face aux armées abyssines, mars 1896. Elle essayait de rétablir des droits sur la Lybie, droits rognés par une série de traités, franco-anglais, et, de se gagner quelques possessions en Mer Rouge. Le déchaînement du premier conflit mondial où se jouait le partage impérialiste du monde -et non la lutte peur la "liberté", thème mensonger de la social-démocratie parut à la classe dominante italienne le moyen de s'annexer les régions irrédentes soumises à l’autorité autrichienne : Trentin, le débouché de Trieste, l'Istrie et la Dalmatie, ou à l'administration française : Corse et Tunisie. Plus d'un million de résidents italophones retrouveraient l'hospitalité de la mère-patrie.
Cette conflagration, dans laquelle l'Italie se devait: d'entrer de plain-pied pour ne pas être reléguée pour toujours à ce rang secondaire auquel elle essaie d'échapper depuis sa formation nationale, n'épargna qu'une année de désolation et de souffrance à la classe ouvrière et aux paysans italiens. La tardive entrée italienne dans le conflit embrasant le monde, traduisait d'une part les difficultés rencontrées par la bourgeoisie pour leur faire mordre à l'appât interventiste, d'autre part son hésitation à choisir entre les offres austro-allemandes et celles des Alliés. C'est pourquoi, la diplomatie de Rome consistait à jouer sur deux tableaux en conduisant deux tractations parallèles. Aux Autrichiens, elle réclamait, outre le Trentin, de pouvoir porter ses prochaines frontières jusqu'à la rive occidentale de l'Isonzo, de prendre Trieste et le Carso, les îles Curzalori au centre des cotes Dalmates, enfin la prépondérance italienne sur 1'Albanie. L'Entente sera plus généreuse : en entrant en guerre à ses côtés, sous le délai d'un mois, elle recevrait le Haut-Adige, le Trentin, les Alpes juliennes, Trieste et l'Albanie, plus des assurances sur la zone turque d'Adalia et, verrait confirmée sous occupation du Dodécanèse. L'Angleterre lui consentirait un prêt de 50 millions de livres (1,25 milliard de lires).
L'Italie se vendait donc au plus offrant, soit à l’entente, soit à l'Allemagne à laquelle elle était liée depuis 1882. La partie étant excessivement serrée, côté allemand le Reichstag délégua à Rome le député socialiste Sudekum, type du social-chauvin dépourvu de tout scrupule selon Lénine, chargé de faire respecter les engagements politiques et économiques de l'Italie auprès des signataires de la Triplice. De son coté, le gouvernement français chargea le député socialiste Cachin d'acheter le concours militaire italien par Mussolini interposée. Pour marquer la valeur relative que les Empires Centraux accordaient à l'Italie, l'Autriche trouva excessives les exigences formulées par Rome et, par conséquent inacceptables. Refus de toute cession de territoires appartenant aux Habsbourg, de les laisser occuper par l'Italie, de les étendre au-delà de la partie méridionale du Trentin. Alors, le 26 avril 1915 Sonnino signait le Pacte de Londres; le 4 mai la Triplice était dénoncée par l’Italie.
Le voyage de Cachin et Jouhaux pour faire entrer l'Italie dans la mêlé s'avérait payant pour l'impérialisme française. L'argent français s'ajoutait aux subsides des industriels intéressés par l'intervention, la FIAT, 1'ANSALDO, 1’EDISON… pour tomber dans les caisses du "Popolo d'Italia". Dans ces colonnes, Mussolini exaltait la "guerre libératrice" qui "doit avant tout effacer l'ignoble légende que les Italiens ne se battent pas; elle doit annuler la honte de Lissa et de Custoza ([3] [38]), elle doit démontrer au monde que l'Italie est capable de faire une guerre, une grande guerre. Il faut le répéter, une grande guerre. ("Popolo d'Italia", 14/01/1915).
Ment dans les intérêts de la bourgeoisie celui qui fait décrire à sa plume des scènes d'enthousiasme "des radieuses journées de mai" de la part des travailleurs italiens. Du même coup, il efface le rôle joué par la social-démocratie dans une guerre qui se livrait pour la domination économique et politique de contrées où pouvait s'installer le capital financière En fait, il n'y eut pas de classe ouvrière marchant allègrement au massacre la fleur au fusil et l'hymne national aux lèvres. Ni les prolétaires, ni les paysans, à qui pourtant on avait présenté la guerre comme leur affaire inaliénable, ne crurent aux harangues patriotiques que leur déversaient les officines de l'Etat, pas plus qu'aux promesses d'un avenir meilleur une fois la victoire remportée sur 1'ennemie
Aux premiers contacts avec la réalité peu glorieuse de la guerre, le sentiment défaitiste se raviva, car de plus, à l'action de transformer la guerre impérialiste en guerre civile se dévouaient corps et âme jeunes socialistes et jeunes anarchistes. La seule différence existant entre les uns et les autres consistait en ceci, que si les premiers savaient parfaitement qu'une semblable transformation est conditionnée par le fait que le capitalisme était arrivé au bout de ses contradictions en tant que système de production, les seconds croyaient pouvoir l'accomplir au gré de leur volonté de partie Mais, les uns comme les autres remplirent le devoir élémentaire du socialisme dans la guerre, à savoir la propagande pour la lutte de classée
Les années d'hostilité se caractériseront par une lame de fond faite de grèves contre les conséquences désastreuses de l'économie de guerre, de démonstrations de soldats dans les villes de garnison, et de soulèvement d'ouvriers agricoles. Pendant toute la durée du conflit impérialiste, éclatèrent sans se relâcher, de graves troubles sociaux. Les ouvriers exigeaient une paix immédiate et la démobilisation générale pour retrouver leur foyer. L'armée hésitait, et, par milliers les soldats désertèrent leurs postes de combat. Vers la fin d'octobre 17 l'aube de la guerre civile se leva sur les charniers de l'Isonzo; le front se débanda dans une zone de bataille de première importance. La conclusion du manque d'ardeur guerrière des soldats italiens, qui pour sûr n'avaient rien retenu de la leçon mussolinienne, fut l'écroulement du front à Caporetto. Par vagues successives, 350 000 hommes jetant armes et barda, abandonnaient le champ de bataille face à la percée des autre-allemands dont les éléments en première ligne faisaient usage de gaz mortels. Les réservistes Italiens envoyés pour stopper l'offensive et arrêter les déserteurs refusèrent à leur tour de monter en ligne.
Pour les progrès ultérieurs de la révolution, cette défaite qui était celle de la bourgeoisie réactionnaire italienne ouvrait de grandes perspectives. La débâcle de Caporetto ébranla le mécanisme gouvernemental italien : la voie révolutionnaire était définitivement déblayée. Sorti des poitrines meurtries de centaines de milliers de soldats, depuis les charniers de Galicie parcourus de ruisseaux de sang jusqu'aux tranchées de l'Isonzo, le cri de défaitisme révolutionnaire était enfin victorieux de la soldatesque. A des milliers de kilomètres plus loin, ouvriers, soldats et marins révolutionnaires s'emparaient à Petrograd du Palais d'Hiver, l’effondrement de l'armée italienne, le désordre qui atteignit de plein fouet les organes de l'Etat ouvrirent une profonde crise politique, de celles dont on ne se relève pas. La dépendance italienne vis à vis de l'Entente s'accentua puisque le généralissime Foch et le général en chef anglais Roberston imposèrent le remaniement profond du Haut-Commandement italien.
Au lendemain de la débandade de la IIe Armée, mettant l'ennemi à une journée de marche de Venise, la bourgeoisie associe l'exaltation du zèle patriotique aux solennels appels du roi à tous les hommes d'ordre. Coûte que coûte il fallait opposer un front uni à la "subversion bolchevique", car elle avait compris que si la machine de guerre s'arrêtait "la foule des ouvriers des usines d'armement restera sans travail : la faim et le froid la feront se réunir à la masse des fuyards. Ce sera la révolte, puis la Révolution". ([4] [39]) Pour la centrale syndicale, la CGIL, Rigola déclarera : "Lorsque l'ennemi piétine notre sol, nous avons un seul devoir, résister!". Trêves et Turati feront entendre un son de cloche identique, plus pernicieux : "La défense de la patrie n'est pas le reniement du socialisme!". Ils étaient bien les alliés de tout le bloc bourgeois, les commis de leur impérialisme.
Dans toute la péninsule, des propagandistes gouvernementaux se répandent en discours vengeurs afin d'exciter la vindicte contre le "poison caporetiste", pour relever le moral de la population, et stimuler la conscience professionnelle des travailleurs. Le mot d'ordre patriotique "Résister, résister, résister" draina dans les caisses de l'Etat plus de 6 milliards de lires sonnantes et trébuchantes. Comment regonfler le moral d’une troupe qui manifestait son refus de la boucherie? C'était bien simple l'armée fut réorganisée avec une bonne pincée de démocratisation, celle-ci octroyant des permissions régulières et, améliorant l'ordinaire du soldat. Niti, qui se trouvait alors ministre des Finances, créa 1'"Œuvre Nationale des Combattants" en vue de faciliter 1'acquisition de terre par les paysans après leur démobilisation.
Les militants internationalistes, inculpés de haute trahison, furent soumis, à de furieuses représailles, traînés devant les cours martiales, envoyés muni militari en première ligne. Ils n'avaient pas fait que souhaiter la défaite de leur gouvernement, mais s’étaient préparés aux tâches nouvelles : reconstruire une Internationale. Alors, les anarchistes -Malatesta en tête- savaient que la guerre est en permanente gestation dans l'organisme social capitaliste, qu'elle est la conséquence d'un régime qui a pour base l'exploitation de la force de travail, qu'il n'y a plus de guerre qu'impérialiste. Tous, socialistes comme libertaires, devaient donc goûter les châtiments de la démocratie. Eux chassés et martyrisés, déjà quelques députés du Parti Socialiste commencent à participer au travail de certaines Commissions Parlementaires, marchaient à grandes enjambées vers leur complète fusion avec le Royaume qu'ils avaient bon espoir de voir accéder aux premières loges de 1'impérialisme.
Très justement, Gorter a exprimé l'idée que la bourgeoisie grâce à sa propre décomposition, sachant flairer une autre, pourriture morale, devina immédiatement la corruption profonde de la social-démocratie. Dès le début des hostilités, Le P.S.I., avait surtout cherché à éviter tout ce qui pouvait contribuer à détourner l'Italie de la neutralité, si besoin était par la grève générale. L'amour des socialistes italiens pour la neutralité leur fit rencontrer la délégation socialiste suisse à Lugano en octobre 14. C'est d'une souris qu'allait accoucher la montagne, elle lancera au monde un message de paix et de concorde; elle essaiera de renouer les contacts avec les minoritaires neutralistes des partis socialistes? Elle adressera un fraternel avertissement (sic) aux camarades des pays en guerre pour la lutte en faveur de l'armistice; elle sera décidée à faire pression sur les gouvernants pour leur imposer une action pacifiste. Tout le maximalisme italien, qui tenait entre ses mains les destinées du P.S.l., est là.
La tactique du P.S.I. a uniquement consisté à freiner la lutte de classe pour toute la durée de la guerre sous le couvert de l'hypocrite : "Ni saboter, ni participer!", ce qui dans les faits revenait à fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de la lutte de classe internationale. On notera que cette position, on ne peut plus ambiguë, était partagée par les milieux d'affaires giolittiens et, par le Vatican protecteur de l'Empire catholique autrichien. Tout comme les socialistes de la neutralité, Benoit XV lance sa fameuse circulaire invitant les Puissances à négocier une paix honorable, sans annexion, ni indemnités. En un mot, comprenant avec une crainte justifiée que de la guerre ne surgisse la révolution prolétarienne, le P.S.I. lutte tout simplement contre la Révolution en luttant contre la guerre.
En dépit de ses efforts pour constituer l'Union Sacrée, la bourgeoisie italienne n'était pas parvenue à étrangler la lutte de classée Pendant l'été 17, Turin s'était couvert de barricades en cette deuxième année de guerre totale. Le 21 août, le pain et les vivres courantes ayant fait défaut, bien que le préfet se soit décidé la rage au ventre de faire distribuer de la farine aux boulangers, les ouvriers de plusieurs usines avaient arrêté leur travail pour se rendre en cortège à la Chambre du Travail; mais, ils se heurtèrent aux forces de l'ordre l'arme aux pieds. Dès cet instant, poussé par sa propre dynamique, la grève démontre qu'elle ne consiste pas en un simple débrayage pour l'amélioration des conditions de vie. Elle se transforme vite en lutte frontale, puisqu'après avoir fraternisé avec les soldats du régiment "Alpini", les travailleurs mal armés se battent cinq jours durant avec des troupes d’élite ne reculant pas à mettre en batterie, mitrailleuses et tanks. Tel fut le grandiose soulèvement de Turin qui ne retrouvera son calme -et encore fut-il des plus précaires- qu'aux lendemains d'une répression faisant 50 morts et 200 blessés.
C'est vers la fin de 1916 que, pour prévenir l'éclatement des grèves sauvages à un moment où la production de guerre devait tourner à son plein rendement, la bourgeoisie avait institué des Comités de Mobilisation Industriels. Sans hésitation aucune, les syndicats avaient accepté de collaborer à la construction de cette digue du capitalisme d'Etat; des municipalités réputées "rouges", notamment Bologne, Reggio d'Emilia, Milan, s'arrangent pour humaniser la guerre, et dans un bel élan de charité viennent panser les blessures : ravitaillement, aide aux familles des militaires, etc. Les Commissions Internes, composées exclusivement de travailleurs en règle avec leur timbre syndical, reçurent pour mission de désamorcer la tension dans les ateliers. Elles devenaient des institutions permanentes qui se voyaient confier, entre autres choses, le droit de traiter d'un problème aussi important que celui du salaire au rendement ou, le licenciement des ouvriers. Ce sont ces structures de collaboration ouverte, présente dans chaque usine dès février 19, que les Ordinovistes prendront comme support de la "praxis révolutionnaire", le "germe soviétique" de la dictature prolétarienne, le moyen par excellence d'organisation autonome de la classe sur les lieux de travail. Quant à la classe, elle dut se battre encore, avec cet organe d'autorégulation du capital.
Les socialistes majoritaires n'ont pas été les seuls à suivre la politique nationaliste de leur bourgeoisie. Ce sont aussi les soréliens et anarcho-syndicalistes (au moins un important contingent), les militants qui se rallient à leur bourgeoisie, naguère si combattue, ne se comptent plus. Le vétéran A. Cipriani ne déclare-t-il pas que si ses 75 ans le lui permettaient, il serait dans les tranchées de la "démocratie" à combattre "la réaction militariste germanique". C'est le même scénario de capitulation de la social-démocratie au moment de la grande épreuve historique de la guerre qui se répétait presque ponctuellement outre-Alpes. Un pareil krach général de l'Internationale faisait dire à R. Luxembourg que la social-démocratie s'était placée au service de sa bourgeoisie parce qu'à dater du 4 août 14 et jusqu'à la signature de la paix, "la lutte de classe n'était profitable qu'à l'ennemi d'en face". En Italie aussi les organisations vont demander aux travailleurs de renoncer à faire grève, à retarder à plus tard leur lutte de classe pour ne pas saper les forces de l'Etat démocratique, pour ne pas compromettre les chances d'une paix rapide. Pendant que se tenaient ses propos mensongers, les bénéfices de 1'industrie lourde italienne levaient comme des champignons après la pluie, et les cadavres s'empiler les uns sur les autres jusqu'à faire des montagnes.
Des groupes d'anarchistes et de soréliens lançaient les fascis pour "la Révolution européenne contre la barbarie, le militarisme allemand et la perfide Autriche catholique et romaine".
Exemple après exemple, le ralliement de pans entiers de la social-démocratie à la bourgeoisie en guerre, l'attitude ultra-chauvine des organisations a été un phénomène mondial dont les racines ont poussé dans le changement définitif de la période du capitalisme, et non dans l'explication personnaliste qui veut que ce soit la trahison des chefs. Des dizaines d'années de développement du P.S.I. ne se sont pas écoulées sans dommages pour le programmée, il était devenu tout puissant sur le plan matériel avec entre ses mains 223 des 230 communes d'Emilie, des centaines de syndicats, ligues paysannes, coopératives et Bourses du Travail0 Mais cette puissance "terrestre" était un poids mort pour le prolétariat, l'œuvre extrêmement importante accomplie était terminée.
Bien évidemment, le passage de la social-démocratie italienne dans le camp bourgeois ne s'est pas fait brusquement du jour au lendemain0 Déjà, dans les années 1912, à une époque où en contrepartie de l'abandon de ses visées sur le Maroc et l'Egypte, l'impérialisme italien était autorisé par les anglo-français à jeter son dévolu sur la Tripolitaine et, préparer la conquête du Dodécanèse et de Rhodes, le Parti alors vieux de 22 ans avait été secoué par la question coloniale. Considérant que l'établissement de 2 millions d'Italiens continentaux dans les contrées désertiques de Tripolitaine et Cyrénaïque offrirait une chance exceptionnelle d'écouler une masse importante de chômeurs et, de remettre la main sur cette ancienne colonie romaine, les députés socialistes Bissolati. Procéda et Bonomi -celui-là nous le retrouverons plus loin en aussi bonne compagnie- s'étaient déclarés des partisans convaincus de l'expansionnisme italien. Dans le Proche-Orient, les Balkans et les Echelles, celui-ci devait et avait à prendre la relève de cet "homme malade", l'ottoman. Tout ce joli monde de politiciens clamait du haut de la tribune parlementaire et des estrades de meetings que les socialistes ne pouvaient pas décemment abandonner aux adversaires de droite le monopole du patriotisme. Et, ironie de l'histoire, c'est le futur Duce qui fera expulser du Parti les éléments bellicistes, les francs-maçons comme "ennemis de classe" pour leur attachement immodéré à la cause de la démocratie réformiste et leur sympathie apportée à la collaboration.
Il avait donc fallu au Parti s'amputer de ces membres gangrenés et, mettre en place un nouveau centre dirigeant capable de défendre la position de classe sur la question coloniale. Contre les partisans de la conquête, la Gauche lancera "Pas un homme, pas un sou pour les aventures africaines!". Las, les tendances expansionnistes affirmées à l'intérieur du mouvement ouvrier avaient, en fait, des causes plus profondes que ne pouvaient l'apprécier ceux qui y avaient porté le fer rouge dans l'espoir d'une prompte guérison. Lorsqu'à Monza en juillet 1900, surgit l'arme à la main l'ouvrier anarchiste Bresci pour venger les combattants prolétariens du Milan de 1898, les journaux socialistes paraissent avec les signes de deuil ostentatoires habituels. Les socialistes pleuraient Humberto 1°, le roi-boucher. Ainsi, nous pouvons dire que pendant la durée de la première guerre mondiale, le Parti italien a signé un nouveau répit avec la Maison de Savoie et, par accord tacite, a placé sans ambages, sa cause dans le giron de l'Etat. Au lieu donc d'appeler à la lutte de classe contre le militarisme, à la solidarité internationale, il soutenait qu'après les nécessaires sacrifices imposés par la cause nationale, une longue période de prospérité capitaliste s'ouvrirait avec son cortège bienfaisant de réformes sociales. Il aurait suffi à un gouvernement issu de la volonté populaire de légiférer loin des tumultes grossiers de la rue pour procéder à de vastes, très vastes réformes.
Mieux que par le passé, l'Etat subventionnerait les caisses d'assurances contre les accidents du travail, réglementerait les conditions d'embauché des femmes et des enfants, étendrait à de nouvelles couches de travailleurs le repos hebdomadaire, faciliterait la participation des salariés aux bénéfices d’entreprise. Donc, les mesures de législation sociale, prises vers les années 1903-1906 au moment de la brève stabilité économique italienne s’en seraient trouvées fortifiées et agrandies. Le chef de la bourgeoisie industrielle et commerciale, Giolitti, venait prêter main-forte aux discours endormeurs des socialistes de la Chambre, pour dire qu'il fallait aller "à gauche, toujours plus à gauche". Au sortir de la guerre, ce n'était pas ce tableau d'un touchant idyllisme social, espéré par la bourgeoisie et son commis social-démocrate, qui pouvait représenter la situation réelle italienne.
SITUATION CATASTROPHIQUE
La fin des hostilités intervenue le 04/11/18 ne fit pas bénéficier l’impérialisme de grandes conquêtes. Une fois la guerre finie, les pays de l'Entente se montrent fort chiches en compensations promises0 Jouant à fond sur l'imprécision de l'article 13 du Pacte de Londres, la France refuse la cession de toute la Dalmatie, préférant qu'à l'exemple de Danzig, Fiume soit érigée "ville libre" sous la tutelle de la S.D.N. De plus, l'Angleterre et la France autorisent les troupes grecques de Vênizélos à occuper Smyrne en lieu et place des Italiens et, il est hors de propos que Rome obtienne un mandat sur le Togo ex allemand. L'acquisition au nord et à l'est de nouvelles frontières, la conquête du versant adriatique de l'Istrie, du port de Zadar avec un étroit hinterland autour de la ville, plus quelques îlots, son protectorat sur l'Albanie, la souveraineté italienne sur le Dodécanèse ne résolvent pas pour autant le problème des débouchés pour l'économie italienne.
La disparition du puissant rival autrichien, qui doit lui céder la quasi totalité de sa flotte marchande, remplacé par une poussière d'Etats croupions, ne lui évite pas la confrontation avec sa plus grande crise historique depuis 1' achèvement de l'unité nationale.
Pour le grand capital, l'industrie lourde avait constitué un champ d'accumulation de plus en plus vaste : non seulement l'Italie put garantir sa production d'armes et de projectiles, mais elle exporta chez ses alliés des véhicules et des avions. Sur son chemin, elle rencontrera l'hostilité "pacifiste" des industries traditionnelles qui l'avaient précédée dans la genèse du capitalisme italien. Elle doit se reconvertir quand sonne l'heure de la réconciliation, quand à la guerre brutale se substitue la compétition commerciale. La solution est alors toute trouvée : les magnats des trusts ANSALDO, BREDA, MONTECATINI licencient car il est de plus en plus difficile de valoriser les énormes capitaux investis jusqu'à l'hypertrophie dans les industries de "défense nationale"« La production de fonte tombait de 471 188 tonnes en 1917 à 61 391 en 1921 et, dans le même temps, celle de l'acier, de 1 333 641 tonnes à 700 433. La FIAT, qui avait assemblé 14 835 véhicules en 1920, n'en construisait plus que 10 321 une année plus tard. Le déficit de la balance commerciale se trouvait être multiplié de près de 5% par rapport à 1914; l'Amérique réduisait l'immigration de 800 000 en 13 à moins de 300 000 en 1921- 1922; l'Angleterre diminuait d'un fiers ses exportations de charbon.
Alors que l'étau de la crise se resserrait à vue d'œil, naissait le nouveau gouvernement présidé par Nitti, avant tout pour relever les ruines de la guerre. Tout le commerce extérieur italien était à reconstituer ce qui représentait un travail au-dessus des forces réelles du pays puisqu'à ce moment, la dette publique atteint quelque 63 milliards, dont les 2/3 ont été affectés aux frais de guerre.
Par la pression fiscale, la création d'impôts supplémentaires et, surtout par l'écrasement des salaires, l'Etat avait fait supporter aux classes laborieuses la politique guerrière; le régime fiscal italien était devenu un des plus lourds du monde0 Le cabinet Nitti, qui va continuer dans cette voie, prend le 24/11/l9 les dispositions fiscales suivantes :
— impôts de 18% sur les revenus du capital,
— impôts de 15% sur les revenus mixtes du capital et du travail,
— impôts étages de 9 à 12% sur les salaires.
En même temps, il instituait de nouvelles taxes à la consommation Ce qui achevait d'assombrir la situation, c'était le manque de matières premières, de combustible. Le rythme de la production s'effondrait, les masses de chômeurs se faisaient plus importantes; les possibilités d'émigration, par où en 1913 s'étaient écoulés 900 000 travailleurs et paysans, se tarissaient. La bourgeoisie Italienne ne peut pas réadapter son économie aux nouveaux besoins du marché mondial, puisque des concurrents mieux outillés y font régner leur loi. La dette publique augmentant de 1 milliard par mois, ainsi que l'écrivait Nitti dans une lettre d'octobre 19 à ses électeurs, comptait parmi les sept plaies du pays s elle doit 14,5 milliards de lire à ses allies.
La "victoire mutilée" rendit tout à fait impossible la politique de concorde nationale que le social-patriote Cachin avait soutenu des subsides du gouvernement française Les grèves du début .le 1920 firent 320 morts.
LES LUTTES QUI PRECEDENT LES OCCUPATIONS
On ne peut vraiment comprendre les grèves en masse qui submergent l'Italie qu'en les incluant dans la courbe de la crise générale du capitalisme, ouverte en 1914, et de l'éruption prolétarienne qui lui a répondu dans la quasi-totalité de l'Europe. Comme son aînée russe, le surgissement en Italie n'a été qu'un moment de la révolution mondiale née de la misère et des indicibles horreurs engendrées par le militarisme C'est pour le pain et le retour aux foyers que, tel un volcan, se sont soulevés les travailleurs italiens affamés et sanguinolents. Depuis 1913, leur salaire réel avait baissé de 27% et la guerre a coûté au prolétariat 651 000 morts et 500 000 mutilés.
D'abord en Romagne, puis en Ligurie, en Toscane jusqu'à la pointe de la botte, les masses crevant de faim prennent d'assaut les magasins d'alimentation. C'est alors que les Chambres de Travail jouent pleinement leur rôle de chien de garde. Pris de panique, les commerçants qui, par la rétention des marchandises espéraient pouvoir jouer à la hausse, déposent les clés de leurs sacro-saintes boutiques entre les mains des chefs syndicaux. En revanche, ceux-ci leur assurent une protection que l'Etat est incapable de donner car, à ce moment il ne dispose pas d'assez de forces pour intervenir partout où la sauvegarde de la propriété privée 1'exige. Les grèves devinrent si fortes que l’Etat fut contraint d'importer du blé et, d'appliquer le "prix politique du pain" avec des subventions lui coûtant 6 milliards par an. Quand en juin 1920, le troisième ministère Nitti décide de s'attaquer au prix politique du pain, il provoque immédiatement des troubles tels qui l'obligent à présenter sa démission. La peur d'un renversement révolutionnaire était si justifiée que la Chambre repoussera maintes fois les propositions d'augmenter le prix du pain. Il lui faudra attendre le reflux de 21 pour passer à l'attaque, et c'est le neutraliste, l'homme de "gauche" Giolitti qui abattra la besogne de s'attaquer au prix politique du pain.
Dans les campagnes, commencent les occupations de latifundia. Ce sont essentiellement des mouvements de démobilisés, ayant définitivement perdu confiance dans les anciennes promesses de l'Etat sur un éventuel partage des terres. En Italie, toutes les propositions faites sur la question agraire par les réformateurs de l'ère libérale ou certains éléments éclairés de l'Eglise catholique ne firent bien entendu, que jeter de la poudre aux yeux. L'idée de créer des associations agricoles rassemblant en un seul domaine communautaire, les petites parcelles germa dans l'esprit de quelques uns parmi les philanthropes des années post-risorgimentales. II y eut un vaste élan vers cette proposition qui faisait dépendre le futur sort des paysans de la culture à compte commun et, le partage des récoltes proportionnellement à l'apport de chacun en terre, bétail, matériel. Les fermiers les plus grugés par le régime de la propriété foncière mirent leurs espoirs dans la libre association proposée, à son tour, par la social-démocratie.
C'est ainsi que les associations coopératives prirent leur essor dans l’enthousiasme général, et de celui des fermiers qui y voyaient le remède propre à adoucir leur misère matérielle et, de celui des socialistes tant leur paraissaient évidentes les possibilités offertes pour en faire une forme de production transitoire tendant progressivement à la réalisation du socialisme.
Ils auraient dû comprendre beaucoup de choses en voyant l'Etat soi-même réaliser des communes rurales, le clergé catholique organiser la coopération agricole en diocèses régionaux. Mais déjà le programme minimaliste de réformes à obtenir à l'intérieur du capitalisme avait accompli son œuvre. Par sa pratique, limitée aux conditions particulières et nationales de l'Italie, par ses mœurs mêmes la démocratie socialiste devenait toujours plus le représentant du capitalisme. La solution de la question agraire n'était plus enracinée dans la socialisation du sol pour que "la terre étant à personne, les fruits soient à tous" (Babeuf), mais la libération du métayer plié en deux sur la parcelle à qui il consacre toute son énergie. Elle pouvait ainsi se résoudre sans que le prolétariat triomphe dans sa lutte historique et organise la satisfaction des besoins de l'espèce humaine sur des bases libérées de tout critère mercantile; la terre et les instruments de travail n'avaient pas besoin de passer à l'ensemble de la société.
Dans la plaine du Pô, à culture intensive enregistrant des rendements en blé de 15 à19 quintaux à l'hectare, avec des pointes de 27 et 30, le parti socialiste avait organisé les journaliers sur la base de la coopérative agricole. Le maitre-mot des régisseurs était d'augmenter la productivité pour concurrencer les coopératives dû Parti Populaire Catholique. A Bologne, à Ravenne, à Reggio d'Emilia, d'où est parti le mouvement coopératif, les Chambres du Travail contrôlent toute la vie économique de leur province et, suprême victoire ouvrière, décident du prix des denrées qu'elles distribuent par le canal des Coopératives. A ce train, la classe ouvrière italienne allait pouvoir pacifiquement exproprier la bourgeoisie en la persuadant de l'inanité de son pouvoir. Tel était-du moins l'état d'esprit des dirigeants socialistes fiers d'avoir pu administrer la preuve concrète que leur programme ne relevait pas d'une vue de 1?esprit.
Remontant à Owen et aux pionniers de Rochdale, Lénine disait au sujet de la conception coopérative : "s’ils ont rêvé de réaliser la démocratie socialiste du monde sans tenir compte d'un point si important, qui est la lutte de classe, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, le renversement de la domination des exploiteurs". C'était exactement le cas pour les dirigeants italiens qui se proposaient d'aller vers de nouveaux rapports sociaux en les rendant possibles immédiatement.
La coopération ne résout rien puisque le socialisme ne peut s'enraciner au sein des rapports de production de la vieille société capitaliste pour devenir, à son tour, une force économique. Sur tout le territoire italien, où la concurrence se fait durement sentir, tout d'abord sur le blé et le maïs, la lutte agraire devint très intense. Et comme cette lutte désespérée n'arrivait pas à enrayer le déclin des petits producteurs paysans et, qu'évidemment elle était punie d9une violente répression de l'appareil d'Etat, la seule issue qui s'offrait, était l'échappatoire de l'émigration vers les métropoles américaines et les régions caféières du Brésil.
PREPARATIFS BOURGEOIS DE GUERRE CIVILE
Trois mois s'étaient à peine écoulés depuis sa formation à la Chambre, (16/11/19) que le ministère Nitti, qui par ailleurs a lancé le mot d'ordre "Produire plus, consommer moins!", décide d'équiper un corps de police auxiliaire, la Garde Royale0 Ce nouveau détachement armé, fort de dizaines de milliers d’hommes sera équipé de pieds en cap pour faire régner l'Ordre bourgeois de plus en plus battu en brèche. Avant même que le fascisme ne fasse peser la terreur brune, des centaines de travailleurs et de cafone tomberont sous les balles de la Garde Royale. Inutile d'ajouter que ce renforcement démocratique de l’appareil d'Etat donnera pleine satisfaction à la bourgeoisie. En avril 20, la troupe tire sur les grévistes de Décima pour laisser 9 ouvriers raides morts sur le pavé, la commémoration du 1° Mai se solde par une quinzaine de morts; le 26 juin il y aura 5 morts dans le soulèvement d'Ancône contre l'expédition des troupes italiennes pour aller occuper l'Albanie. Sous la direction des anarchistes, la révolte s'étend aux Marches et à la Romagne. A Mantoue, travailleurs et soldats envahissent la gare, arrachent les rails pour stopper les trains de la Garde Royale, pour bloquer ceux destinés à la guerre contre les Soviets, chargés d'armes et de munitions, frappent tous les officiers, donnent assaut à la prison qu'ils détruisent par le feu après en avoir libéré les-détenus. En un an, d'avril 19 à avril 20 la mitraille démocratique hachera menu 145 travailleurs et blessera 444 autres dans toutes les régions d'Italie. Mais chaque fois que des morts jonchent lé pavé, les travailleurs continuent la lutte en proclamant la grève générale, celle des postiers, celle des cheminots, celle de Milan, doublement désavouée par le P.S. et la C.G.T., dont les représentants élus au suffrage-universel préfèrent quitter la séance inaugurale de la nouvelle Chambre aux cris de : "Vive la République". Dans les Pouilles, les journaliers se battent pour obtenir la paye de leurs journées de travail et il y aura 6 morts du côté des bracciantes et 3 parmi les propriétaires terriens.
La chute des Hohenzollern, l'éclatement consécutif de l'Empire austro-allemand, la Révolution mondiale ébranlant d'abord l'Europe orientale et centrale, agirent comme autant de ferments dans une Italie de plus en plus fiévreuse. Il n'y aura que le prolétariat italien à concrétiser sa solidarité avec les Soviets russes et hongrois par la grève générale, il sera le seul à saboter dans son pays l'intervention armée des puissances alliées en faveur de Koltchak.
Au fur et à mesure que se développait le mouvement de lutte du prolétariat, la classe dirigeante ressentait le besoin de s'armer en conséquence. En mars 1920, les industriels regroupés dans une Confédération générale de l'Industrie signent à Milan un accord aux termes duquel chaque partie contractante s'engage de toutes ses forces à liquider le "bolchévisme italien" et en priorité les militants qui avaient observé la seule et unique position de classe pendant la guerre impérialiste : le défaitisme révolutionnaire. Non sans raison, les tenants de l'Ordre voyaient en eux le noyau du parti révolutionnaire qui appelait le prolétariat à la lutte contre le gouvernement de Sa Majesté, à se regrouper sous le drapeau de la guerre civile pour le renversement de la dictature démocratique bourgeoise. Le 18 août, se constitue sur un modèle identique la Confédération générale de l'Agriculture qui rallie autour de son programme toutes les formes de la grande, moyenne et petite exploitation agricole, toutes intéressées à un même titre à mettre fin aux occupations de terre. Tous et toutes veulent la tête des "caporétistes", des "rouges" considérés comme les agents stipendiés de 1'ennemi. Tous les moyens pour empêcher la propagande communiste de se frayer un chemin seront employés sans vergogne. Nous verrons plus loin leur rôle dans la venue au pouvoir du fascisme.
LES OCCUPATIONS D'USINES
En août 20, le prodrome de ce qui allait devenir le mouvement d'occupation des fabriques fut 1'obstructionnisme. Celui-ci était généralement appliqué en réponse à tout lock-out patronal, en tant que tactique consistant à remplacer, selon les stratèges de la F.I.O.M., la grève dont on s'est tellement servi, qu'elle est caduque. Un des arguments favoris de la propagande des délégués consistait à dire que la crise était beaucoup moins grave que ce que prétendaient les sirènes du patronat. Puisque l'économie nationale pouvait supporter les augmentions de salaires, du fait que les marchandises pouvaient s'écouler sur un marché en reconstitution, les ouvriers devaient forcer la porte des usines de façon à y poursuivre la production. Pas moins de 280 établissements métallurgiques de Milan furent occupés et sont témoins d'une gestion ouvrière qui donne aux syndicalistes l'espoir d'une participation des socialistes au pouvoir.
En la circonstance, les syndicalistes furent d'habiles propagandistes de l'économie gradualiste» On entendait par là que les travailleurs fassent la preuve éclatante du sens de leur responsabilité : qu'ils respectent scrupuleusement la propriété devenue "commune", qu'ils acceptent par discipline prolétarienne de se serrer la ceinture et de retrousser leurs manches. Pour produire à meilleur coût que sous le contrôle patronal, la classe ouvrière devait s'armer de connaissances techniques, administratives, remplaçant au pied levé les techniciens qui, sur l'ordre de l'administration, ont quitté leurs lieux de travail. En quelque sorte, elle est appelée à gouverner un Etat qui doit soigneusement réfléchir la structure économique du pays réel.
Aussitôt, la Gauche engagea la lutte contre l'idéologie gestionnaire qui au lieu de poser le problème au niveau politique central l’enfermait, le réduisait et en définitive l'émasculait sur la seule usine :
"Nous voudrions éviter que ne pénètre dans les masses ouvrières la conviction qu'il suffit sans plus de développer l'institution des Conseils pour s'emparer des usines et éliminer les capitalistes. Ce serait une illusion extrêmement dangereuse (…) Si la conquête du pouvoir politique n'a pas lieu, les Gardes Royales, les carabiniers se chargeront de dissiper toute illusion, avec tout le mécanisme d'oppression, toute la force dont dispose la bourgeoisie, l'appareil politique de son pouvoir". A. Bordiga.
Cette vigoureuse et prémonitoire mise en garde contre 1'illusionnisme gestionnaire achoppait sur la propagande de l'"0rdino Nuovo" mettant au premier plan le contrôle ouvrier et l'éducation technologique du prolétariat pour lui permettre de gérer les usines. Dans l'usine, l'ouvrier peut se forger une conception communiste du monde, et de là renverser le système économico-politique bourgeois pour y substituer l'Etat des Conseils Ouvriers. Le système des Conseils est supérieur à la forme syndicale et partiste car il fait de chaque travailleur de l'entreprise, technicien ou lampiste, un sélecteur à la Commission.
Ouvrière (Rapport de juillet 20 au Comité Exécutif de l’I.C.), et encore cet électeur s'exprimant non à main levée, mais dans le secret petit-bourgeois du bulletin de vote. Devant la grandeur de leur tâche, les travailleurs ne doivent-ils pas faire taire leur égoïsme et accepter de nouvelles innovations productives puisqu'elles peuvent augmenter leurs capacités productives, donc leur poids dans la Nation ? Les travailleurs doivent cesser de façon brouillonne comme ils l'avaient fait durant toutes ces dernières années « Maintenant, ils peuvent parvenir à quelque chose de palpable, ils doivent faire tourner les usines dans la plus totale démocratie ouvrière des réformistes aux anarchistes. Il n’y aura pas de rupture de continuité lorsque ce groupe sera, peu après, chargé d'appliquer les mesures de bolchévisation au sein du jeune Parti Communiste comme fourrier de la contre-révolution stalinienne.
Une nouvelle fois la Gauche devait réaffirmer son entière opposition au culturalisme cher aux vieux partis de la II° Internationale ainsi qu'au tout jeune "Ordino Nuovo"; quant au P.S., il faisait faire ménage à trois à son drapeau qui arborait tout à la fois la faucille, le marteau et le livre,. Elle butait en outre sur le parlementarisme puisqu'en pleine explosion révolutionnaire, le Parti Socialiste décidait sa participation aux élections pour le Parlement, et donnait aux travailleurs la consigne habituelle d'y participer en masse (16/11/ 19), convaincu que le vote à la proportionnelle qui vient d'être adopté, lui assurera une confortable majorité. Et, en effet, avec 1 840 000 voix, les socialistes auront 156 représentants à la Chambre, quelques mois plus tard 2 800 communes. Lénine se félicitait de l’"excellent travail" que cela représentait par rapport à la situation internationale, espérant que l'exemple serve aussi pour les communistes allemands, (Lettre à Serrati du 29/10/l9). L'Internationale Communiste salue le résultat comme un grand succès. Que font les députés et maires socialistes qui puissent le justifier ? Comme avant la guerre, ils se consacrent à réclamer des travaux publics à l'Etat, à constituer des syndicats et des coopératives, bref, à administrer les affaires de la cité. Ainsi, l'Italie achèvera sous la conduite des socialistes sa révolution nationale laissée en plan par le Risorgimento. On veut à la fois la Constituante et les Soviets, la dictature du prolétariat et la lutte sur le terrain électoral. C'était donc une façon très habile de ménager la chèvre et le chou. Ce qui fit dire à la Gauche qu’aux heures décisives, la bourgeoisie se défend de la Révolution prolétarienne en utilisant la méthode démocratique.
La toute première occupation d'usine arbora sur la cheminée le drapeau tricolore. Elle se produisait dans une petite ville du bergamasque, Dalmine, sous l'impulsion du syndicat d'obédience fasciste, l’"Union Italienne du Travail", avec les chauds encouragements du "Popolo d'Italia" qui écrivait dans ses colonnes :
"L'expérience de Dalmine a une valeur très haute ; elle indique la capacité du prolétariat à gérer directement la fabrique".
A. la lecture de ces quelques lignes, suivies d'autres aussi révélatrices, partis politiques, syndicats et gauchistes trouvaient des accents analogues à celui de .leur frère ennemi pour saluer la gestion ouvrière0 Loin de désapprouver alors les revendications des grévistes, Mussolini s'était rendu en personne dans la totalité pour encourager de la voix et du geste la résistance ouvrière aux "abus patronaux". Les travailleurs de chez Gregorini-Franchi avaient continué, pendant trois jours, d’assumer le bon fonctionnement de l'entreprise dans tous ses départements, devant le refus de la direction à leur accorder la semaine anglaise pour Mussolini, la classe ouvrière était digne de succéder à la bourgeoisie dans la gestion de la production puisqu'elle avait abandonné la grève traditionnelle, si nuisible à la Nation,
Un an plus tard, cette première occupation fut suivie de tentatives généralement éphémères de gestion ouvrière : à Sestri-Ponente dans la banlieue génoise le 10 février 20; aux chantiers de l'ANSALDO de Viareggio le lendemain, à Ponte Canavèse et Torre Pellice le 28 février dans les établissements d'usinage du bois à Asti le 2 mars, aux Etablissements Spadaccini à Sesto le 4 juin; aux Ateliers de mécanique Miani-Sivestri à Naples, dans le trust sidérurgique ILVA à Naples, le 10 juin. Ces grèves avec occupation, qui se répétaient régulièrement, portaient une forme d'organisation, le Conseil Ouvrier, unissant la plupart des travailleurs indépendamment de leurs convictions politiques dans la lutte contre le capitalisme. Toutefois, comme ce mouvement ne trouva jamais suffisamment de force nécessaire pour dépasser les bornes du contrôle des usines isolées pour aller à l'affrontement avec l'Etat, comme ses protagonistes se grisèrent d'éphémères et artificiels succès immédiats., il pourrit sur place. C'est pourquoi, sans tirer une seule cartouche, la bourgeoisie put reprendre son bien; pour en déloger les occupants, elle se servira de la F.I.O.M qui à plusieurs reprises a déclaré que son objectif était le seul contrôle ouvrier sur la production, qu’elle n'avait pas l'intention d’aller plus loin, qu'elle évacuera les usines, ce droit reconnu par la Chambre. Les dirigeants de la Banca Commerciale assurent la F.I.O.M de sa neutralité bienveillante; le préfet de Milan s'offre pour arrondir les angles entre industriels et syndicalistes; Mussolini rend visite au secrétaire de la F.I.O.M, Buozzi, pour lui déclarer que les occupations ont tout le soutien des fasci; le directeur du "Corriere délia Sera" se précipite chez le "camarade" Turati pour conseiller aux socialistes d'aller au gouvernement; le président de la FIAT, Agnelli, veut donner un plus grand rôle aux syndicats.
Pourtant, les exemples de préparatifs fébriles d'armement, de constitution de groupes de combat furent nombreux qui nous montrent que la fraction la plus consciente de la classe était décidée, non à faire tourner les usines comme le conseillait la C.G.I.L., mais à se battre le fusil à la main. A la Fiat de Turin, les chefs freinent les groupes qui ont transformé des camions en auto mitrailleuses blindées pour une sortie en force dans la ville. Une fois les armes introduites ou fabriquées dans les usines pendant l'occupation, découvertes et saisies par la police, la F.I.O.M avait les mains libres pour signer "son meilleur concordat", la reconnaissance des Commissions Ouvrières. Enfin, arriva le moment de négocier la défaite des travailleurs avec la Confinastria. La C.G.I.L accepta la réduction des horaires de travail pour toutes les catégories de travailleurs et d'employés. C'était encore une victoire contre l’"égoïsme", puisque la misère n'est rien si elle est bien partagée par les damnés, une marque de solidarité agissante entre tous les travailleurs. Le compromis arriva à ce résultat que tous les travailleurs se trouvaient devant des salaires très réduits.
Maintenant le fruit était mûr, la bourgeoisie pouvait intervenir en toute quiétude. Au lieu de commettre l'erreur d'utiliser la répression ouverte -ce que voulaient le Confindustria et la Confragricultura - Giolitti agit en homme de savoir, en défenseur adroit dos intérêts à long terme du capitalisme. Devant lui, deux choix se présentaient : soit utiliser les forces répressives pour faire cracher le canon sur les métallurgistes piémontais, les typographes romains les marins et dockers de Trieste, jusques et y compris les peu farouches instituteurs, soit attendre que la faim fasse ses effets. Et Giolitti garda tout son sang-froid, il misa sur celle-ci et sur la besogne de sape des syndicats. Fort de sa vieille expérience face à l'agitation sociale, sa tactique fut une nouvelle fois le mouvement se développer, puis refluer de lui-même„ Qui peut dire que de ne pas avoir misé sur la répression systématique ne lui a pas réussi avec un rare bonheur ?
BILAN POLITIQUE
Les Comités de Fabrique ont prouvé que le prolétariat ne pouvait pas surgir sur le terrain économique, ni investir la société tout entière à partir des positions occupées dans les usines, celles-ci modifieraient-elles le droit à la propriété et au commandement. L'expropriation des capitalistes sera seulement accomplie par une révolution prolétarienne. Le prolétariat doit donc se constituer en parti politique, non pas dans l'horizon bourgeois de la nation, mais internationalement. Dès le début de son activité révolutionnaire, il doit œuvrer à la formation du Parti Mondial, dont, le caractère intrinsèque ne se mesure pas à l'aune des réalisations économiques, mais à défaire l'Etat par les armes. Ainsi le problème posé, nous sommes en mesure de comprendre pourquoi la Commune de Paris qui ne peut que décréter au niveau social que bien peu de choses, en regard de ce qu'a accompli le capitalisme dans sa période ascendante, est une véritable révolution prolétarienne, la première dans l'Histoire.
Seule la Gauche qui avait commencé son travail de fraction dès les années 1912-1914 dans la lutte contre le blocardisme, la politique d'appui socialiste à la bourgeoisie italienne, qui s'orienta vers la dénonciation du culte électoral, sortit la tête haute de la tourmente. Mille et mille fois, elle incita le généreux prolétariat d'Italie à passer outre les anciens chefs imbus de leurs dangereuses méthodes d'action collaboratrice traditionnelle. Seule contre tous, elle appela les forces conscientes et combattantes du prolétariat à se défaire des liens criminels, l'emprisonnant derrière les grilles des usines, pour se constituer en Parti de classe, car c'était précisément en se paralysant sur le terrain morcelle des usines que la classe ouvrière d'Italie préparait sa propre tombe. Contre les courants nombreux qui firent miroiter la possibilité de s'emparer des moyens de production et d'échange sans procéder à la destruction préliminaire de l'appareil de l'Etat bourgeois, elle mit en évidence que :
"Selon la saine conception communiste, le contrôle ouvrier sur la production ne se réalisera qu'après la mise en pièces du pouvoir bourgeois si le contrôle de la marche de chaque entreprise passe à tout le prolétariat unifié dans l'Etat des Conseils. La gestion communiste de la production sur toutes ses branches et unités de production sera assurée par les organes collectifs rationnels représentant les intérêts de tous les travailleurs associés dans l'œuvre de construction du "Communisme". (Thèses de la Fraction Communiste Abstentionniste du Parti Socialiste Italien). (Mai 1920)
Elle se risqua, et c'était sa tâche révolutionnaire la plus urgente, à affronter les tabous ambiants de la grève gestionnaire expropriatrice, pour remettre en place le primat politique : la constitution du prolétariat en partie Alors que les endormeurs incitaient les travailleurs en grève à se pencher avec application sur leurs établis, à connaître la valeur du capital engage dans la production, à voir comment augmenter le rendement du travail, le langage de la Gauche posa le seul vrai problème, sans détours ni arguties démocratiques : "Prendrons-nous le pouvoir ou prendrons-nous les usines ?". Que n'ont-ils pas fulminé Gramsci et son équipe à l'énoncé de cette vérité première. Votre parti est une conception sectaire, hiérarchique de la Révolution, nous nous lui opposons une vision unitaire, large et libertaire.
Que de louanges à l'unité n'ont-ils pas entonnées dans la crainte morbide de la scission. Unité avec la majorité maximaliste unitaire de Seratti voulant faire du Parlement et des Communes des foyers actifs de propagande révolutionnaire; unité avec les réformistes de Turati adversaire des Conseils turinois et de 1;' Internationale Communiste; unité avec les syndicalistes épurés des éléments extrême-droitiers. D'où le nom du prochain quotidien du parti, l’"Unità". Ouverture rassurante en direction des catholiques intellectuels organisés dans le Parti Populaire :
"En Italie, à Rome, il y a le Vatican, il y a le pape. L'Etat "libéral a dû trouver un système d'équilibre avec la puissance "spirituelle de l'Eglise; l'Etat ouvrier devra lui aussi en "trouver un".
L'effort de la Gauche pour constituer le parti purement communiste en partant de la renonciation à la participation électorale n'était, aux yeux de Gramsci, que "particularisme halluciné"; lui aurait voulu le redressement du P.S.I. qui, "de parti parlementaire petit-bourgeois doit devenir le parti révolutionnaire". Les "Neuf points" publiés sous le titre "Per un rinnovamerto du P.S." dans l’Ordino Nuovo du 8 mai 1920 correspondaient à ce que désiraient les dirigeants de l'Internationale Communiste : une épuration progressive de l'aile droite soit, une scission. Avant Livourne, Lénine avait déclarés :
"Pour diriger victorieusement la révolution et pour la défendre le parti italien doit encore faire un certain pas vers la gauche (sans se lier les mains) et sans oublier que, par la suite les circonstances pourront très bien exiger quelques pas vers la droite".
Le pas à gauche ayant été fait à Livourne, les circonstances de la lutte contre l'offensive réactionnaire exigeaient "quelques pas vers la droite". Au IV° congrès de l'I.C. fut arrêtée la fusion du P.C.I. et du P.S.I.
R.C.
[1] [40] Voir la présentation que donne le trotskyste P. Broué du livre d'A. Léonetti.
[2] [41] E. Malatesta, le héros de l'équipée du Benevento d'avril 1877, était un des éléments révolutionnaires conscients de la gravité de la situation : "si nous laissons passer le moment favorable, nous devrons ensuite payer par des larmes de sang la peur que nous faisons maintenant à la bourgeoisie".
[3] [42] Lissa et Custoza étaient les batailles perdues contre les Autrichiens dans la première guerre pour 1'indépendance italienne en 1866 qui marque aussi le retour de la Vénétie au Royaume d'Italie.
[4] [43] Lettre du lieutenant-général Oscar Raffi, commandant de corps d'armée, à Giolitti au lendemain de Caporetto datée du 5 nov. 1917.
Dans le n°13 de la revue anglaise Workers ' Voice, a été publié une "déclaration" (statement), signée par Worlkers’ Voice qui rompt tout contact et tout rapport avec le CCI. Ceci peut surprendre nos lecteurs et les militants révolutionnaires qui partagent notre orientation politique, d'une part parce que Workers'Voice a poursuivi une discussion très étroite avec notre courant pendant deux ans, d'autre part, parce que 1e idée de "rompre tout contact" est pour le moins invraisemblable entre des groupes révolutionnaires.
Dans sa déclaration, Worker'Voice réaffirme son accord avec les positions de classe essentielles qui sont la base de notre courant et de Workers'Voice. Mais, malgré cet accord sur les principes, Workers'Voice annonce qu'il rompt toute discussion avec nous à cause d'un désaccord :
I - sur le regroupement des révolutionnaires aujourd'hui.
II - sur la question de l'Etat dans la société postrévolutionnaire, la période de transition.
Avant d'entrer dans les détails de cette déclaration, il faut préciser tout de suite que Workers'Voice doit assumer toute la responsabilité politique de la rupture, c'est Workers'Voice qui a pris la responsabilité de supprimer même le minimum de relations avec notre courante Notre courant n'abandonne pas la discussion avec des groupes en évolution, surtout si leur orientation politique s'appuie sur les positions de classe qu'il est extrêmement important de développer et de diffuser au sein de la lutte de classe Ce sont de profondes divergences politiques et la mise en question des frontières de classe qui peuvent motiver la rupture de tout contact.; et l'arrêt de toute discussion entre des groupes. Nous ne discutons pas, par exemple, avec des organisations staliniennes ou trotskystes parce que "discuter" avec la contre-révolution n'a aucun sens, Or, bien qu'il existe d'importantes divergences entre Workers'Voice et notre courant, nous ne les avons jamais mises sur le même plan que celles que nous pouvons avoir avec la contre-révolution elle-même! A aucun moment nous n'avons tenté ni même souhaité de mettre fin à la discussion avec Workers'Voice. Au contraire, nous considérons que la rupture de Workers'Voice constitue une fuite devant les responsabilités des révolutionnaires dans leur tâche de clarification des positions de classe par la confrontation des idées.
Comment Workers'Voice justifie-t-il sa rupture?
I -- Sur le premier point qu'il soulève, Workers'Voice est d'accord pour dire que "les frontières de classe indispensables à tout regroupement international des révolutionnaires existent déjà". De plus, ces frontières de classe sont fondamentalement à la base de la constitution de notre courant et de Workers'Voice. Le problème que se pose Workers'Voice, c'est :
1- que ce n'est pas le bon moment pour un regroupement et notre courant précipite le processus
2- que notre courant exigerait un regroupement en soumettant les autres groupes "à nos conditions".
Les camarades de Workers'Voice sont de bien timides défenseurs du regroupement. Tout ce qu'ils trouvent à dire, et du bout des lèvres, c'est qu’ils "ne sont pas contre un regroupement, en principe". Mais pourquoi se donner tant de peine pour œuvrer à un regroupement des forces révolutionnaires? Pourquoi ne pas se contenter d'une multitude de petits groupes révolutionnaires (et à 1'extrême d'individualités), chacun s'attachant à "son propre travail" dans "son" petit coin du globe, chacun maître "chez soi", protégeant "son" groupe des "agressions" des autres ? Pourquoi ne pas réduire les rapports entre camarades à de flamboyantes insultes, à de tapageuses exclusions dans le style tant répandu des situationnistes ? Pourquoi notre courant a-t-il, au contraire, tant insisté pour que les camarades comprennent l'importance du problème du regroupement et de la consolidation des forces révolutionnaires sur la base d'un accord programmatique clair ?
Dans un monde où la crise du capitalisme mène peu à peu au chaos économique, et où le système est forcé d'augmenter ses attaques contre la classe ouvrière; dans un monde où la bourgeoisie se trouve de plus en plus confrontée à de profondes crises politiques, dans tous les pays, et doit utiliser de plus en plus un masque de "gauche" et la répression où la résistance de la classe ouvrière s'est exprimée de façon puissante bien que sporadique à l'échelle internationale ; où la lutte de classe se prépare à d'importantes explosions à venir, les forces révolutionnaires sont extrêmement limitées. La confusion créée par cinquante années de contre-révolution et de rupture, pesé et pèsera lourdement sur le mouvement ouvrier. Mais Workers'Voice a tout son temps pour continuer à tourner en rond; pour lui, rien ne presse! Pour lui, l'important, c'est de continuer à rester ce qu'il a toujours été, un groupe local que la "collection" de contacts internationaux intéresse tant qu'elle n'implique rien d'autre.
Quant au problème que pose Workers'Voice concernant la soumission à "nos conditions" nécessaire pour rejoindre notre courant, nous considérons que la seule raison politique valable pour refuser de se joindre à d'autres groupes, c'est une différence entre les positions de classe fondamentales (incluant la position sur la nécessité de l'organisation et sur les moyens de la réaliser)« Notre seule "condition" est en fait un accord politique et théorique profond et solide C'est la seule interprétation possible qu'on puisse donner au "sous nos conditions". Apparemment, Workers'Voice a peur d'un "rassemblement artificiel oui ne signifierait rien et avertit notre courant du danger qui consisterait de perdre nos efforts encore limités vers une unité internationale pour la constitution d'un partie. Nous ne pouvons que remercier Workers'Voice de nous donner un conseil que nous-mêmes avons formulé et défendu depuis des années. Nous ne considérons pas notre courant international comme un parti bien que nous soyons convaincus qu'il constitue une contribution nécessaire à celui-ci. Aujourd'hui, le parti du prolétariat ne se formera que lorsque la lutte de classe se sera intensifiée et généralisée à l'échelle internationale. Mais le processus de clarification politique et organisationnelle qui mène à la constitution du parti, commence avec la période de montée des luttes, avec le début de la crise ouverte. Ce fait objectif est la cause fondamentale du surgissement de groupes révolutionnaires depuis 1968, tant Workers'Voice, que notre courant, et que tant d'autres. Le processus de prise de conscience de la classe ouvrière s'exprime aussi dans l'effort des groupes révolutionnaires pour devenir un facteur actif au sein de la lutte de classe. Notre effort actuel pour constituer un pôle de regroupement des forces révolutionnaires, aura une influence sur l'activité et l'organisation de demain. Bien que nous ne soyons pas arrivés à une étape où la formation du parti est nécessaire, ceci ne signifie pas que les révolutionnaires doivent rester isolés dans leur coin, inactifs et prisonniers du localisme.
Si l'on n'encourage pas la discussion internationale et si l'on ne tend pas à regrouper les forces qui parviennent à un accord politique, on condamne tous les programmes révolutionnaires à rester des paroles en l'air.
Il est possible que le problème réel qui se pose entre Workers'Voice et notre courant, réside dans une conception profondément différente de la nécessité de l'organisation et des moyens d'y parvenir0 Hais ces divergences ne peuvent être clarifiées (sinon surmontées) que par la discussion « De toutes façons, des désaccords sur le moment où peut avoir lieu un regroupement et sur la mise en pratique organisationnelle de l'internationalisme ne constituent pas -une raison de principe pour rompre tout contact entre les groupes révolutionnaires0 Hais il est toujours plus facile d'éluder les problèmes que de les approfondir.
II - Quant au deuxième point que Workers'Voice soulève pour justifier sa rupture avec notre courant, la question de la période de transition, Workers'Voice proclame que "Révolution Internationale considère qu'il existera un Etat pendant la période de transition qui sera indépendant de la classe". Après avoir un peu brodé sur ce thème, la déclaration conclut que cette position nécessite une rupture totale avec nous, car elle confirme de façon criante notre passage dans le camp de la contre-révolution.
Il faut tout de suite éclaircir cette question. Ni R.I., ni aucun des groupes de notre courant n'a publié ou exprimé une telle position. Dire que l'Etat pourrait exister indépendamment de la classe (des Conseils ouvriers) dénierait complètement tout sens à la dictature du prolétariat:; une telle conception n'est pas marxiste et nous la rejetons. Quiconque lit le n°1 de notre revue Internationale (paru en avril) où plusieurs articles de notre courant sur la période de transition sont publiés, est en mesure de voir que nos analyses théoriques ne défendent à aucun moment une telle conception. Il est regrettable que la peur du ridicule n'empêche pas Workers'Voice de publier des affirmations complètement fausses.
La question du déroulement de la période de transition est en discussion dans tous les groupes de notre courant, et comme nos publications le montrent, nous sommes loin d'avoir atteint une unanimité sur ce problème,, Nous ne pensons pas que toutes les questions qui surgiront pendant la période de transition, puissent être résolues de façon décisive dans l'immédiat et pour toujours, ni par nous, ni par quiconque, avant même que la pratique de la classe n'ait tranché.
Que Workers'Voice puisse prendre une mesure aussi draconienne que de rompre tout contact avec notre courant et nous dénoncer comme contre-révolutionnaires, en se basant sur une telle version incohérente et tronquée, ne fait que prouver la faiblesse et le manque de sérieux des éléments révolutionnaires qui sont confrontés aujourd'hui à un problème aussi difficile et complexe que celui de la période de transition.
Pour traiter la question de l'Etat dans la période de transition, il nous faut d'abord distinguer la conception marxiste de la conception anarchiste. Les anarchistes ignorent les lois économiques du capitalisme et l'évolution de l’histoire. Contrairement à eux, les marxistes ont affirmé qu'entre la société capitaliste et le communisme a lieu une période de transition t pendant cette période, la lutte du prolétariat contre les vestiges de la loi de la valeur se poursuit pour assurer la suppression définitive de la bourgeoisie et pour intégrer les couches et les classes non exploiteuses qui subsistent, dans les nouveaux rapports de production, en tant que producteurs librement associés, donc pour mener à terme le processus de transformation sociale sous la domination politique du prolétariat. Ce processus s'achèvera avec la réalisation d'une société sans classes.
Mais pendant la période de transition, c'est-à-dire jusqu’a ce que ce but soit atteint, la société reste divisée en classes. (Même après la défaite militaire et l'expropriation de la bourgeoisie, subsistent les paysans, les couches moyennes, etc., face au prolétariat)0 De cette société encore divisée en classes surgira nécessairement un Etat. Contrairement à la conception anarchiste qui voit dans l'Etat une personnification de tous les démons du mal, et pense que la seule volonté suffit à la faire disparaître, les marxistes affirment que l'Etat est une expression des rapports sociaux et ne peut être éliminé que par la transformation consciente des bases matérielles de ces rapports sociaux, de ces divisions, c'est-à-dire, par la réalisation du programme communiste de la classe-ouvrière.
Une fois reconnue 1'inévitabilité de l'Etat pendant la période de transition, la question se pose ainsi : comment comprendre l'Etat de la période de transition dans le contexte de la dictature du prolétariat ?
Au sein du courant marxiste, les bolcheviks ont proposé une ''solution'' : d'une part l'identification complète du prolétariat et de l'Etat, la création d'un Etat "ouvrier" ; d’autre part, 1’identification de la classe avec le parti, la création d'une bureaucratie de parti à laquelle est "confiée" la direction de l'Etat. L’expérience historique de la révolution russe doit nous amener à rejeter cette "solution" du problème de l'Etat de la période de transition.
Tirant les leçons de l'expérience historique du prolétariat, nous disons :
- premièrement, que l'Etat ne peut pas être pris en charge par un parti, le rôle du parti n'étant pas de prendre le pouvoir au nom de la classe ouvrière, de se substituer à 1’ensemble de la classe.
- deuxièmement, que c'est l'existence de classes pendant la période de transition qui détermine l'existence d'un Etat et non un besoin quelconque du prolétariat de créer un Etat.
Si le monde n'était composé que par la classe ouvrière après la révolution il n'existerait pas d'Etat. Il y aurait une "administration des choses" et non un "gouvernement des hommes". La question se pose donc ainsi s si l'Etat surgit de l'existence d'une société encore divisée en classes, est-ce que le prolétariat identifie ses buts historiques de transformation sociale avec les tâches de l'appareil d'Etat ?
Le prolétariat ne doit pas laisser exister un Etat indépendamment de lui. En fait, l'Etat doit être subordonné aux intérêts du prolétariat, autant que les rapports de force entre le prolétariat et le reste de la société postrévolutionnaire le permettent. Nais l’Etat n'a jamais été un instrument de transformation sociale dans l'histoire, et encore moins dans la période de transition. Le programme communiste ne peut être défendu et mené à bien que par des instruments internationaux spécifiques du seul prolétariat. En d'autres termes, les ouvriers doivent-ils reconnaître "une autorité de l’Etat sur leurs décisions s'ils considèrent qu'elle ne va pas dans le sens de leurs intérêts de classe ? Si la réponse est oui, Trotski avait raison de militariser le travail, et d'interdire les grèves contre le gouvernement "ouvrier", ces grèves étant alors réactionnaires et inadmissibles. Si l'Etat constitue pleinement l'instrument de la réalisation du programme communiste, en quoi les bolcheviks avaient- ils tort de vouloir utiliser cet Etat contre les ouvriers si nécessaire (en laissant de côté le fait que l'identification de l'Etat et de la classe prenait la forme du parti) ?
Il nous semble important d’insister sur le fait que la classe ouvrière doit conserver ses propres organisations de classe, indépendamment de ce que seront les formes étatiques II est fondamental que les ouvriers veillent à ne pas se laisser diluer dans les couches non-prolétariennes et résistent à toute tendance à leur faire reconnaître une quelconque autorité étatique suprême. Contrairement à Workers'Voice, nous ne disons pas que l’Etat, c'est la classe, ni que la classe est l’Etat, mais que ce semi-Etat hérité de la société de classes doit être utilisé par le prolétariat, sans que il s’identifie à lui ni qu'il se laisse dominer par lui.
Identifier totalement l'Etat à la classe, s'est ouvrir le chemin à Kronstadt. Ce problème semble échapper complètement à Workers'Voice, ce qui l’amène à engager un faut débat avec nous, nous ne disons pas que l’Etat doit être indépendant de la classe ouvrière, mais qu'au contraire, la classe ouvrière en maintenant sa domination sur l’Etat, doit conserver intacte son organisation de classe internationale spécifique, La classe ouvrière est la seule classe dans la société- postrévolutionnaire qui s'organisa en tant que classe : la dictature du prolétariat. Les individus des autres couches sociales seront représentés, individuellement sous une forme de soviets territoriaux au sein de l'Etat. Bien que l’Etat est une autorité sur toutes les autres couches de la société, il ne doit pas avoir une autorité sur les conseils ouvriers, quelles eue soient les contingences de la situation L’Etat surgit des nécessités de la société postrévolutionnaire encore divisée en classes, mais le prolétariat doit défendre son autonomie de classe. Prenant garde au maximum aux dangers qui résident dans l'Etat et eu rejetant toute mystification d'un Etat "ouvrier",
Nous ne prétendons pas avoir, résolu tous les problèmes, ni avoir trouve "LA" réponse à ces questions difficiles: mais nous rejetons l'idée de rompre prématurément tout débat, sous le prétexte absurde de notre passage dans le camp de la contre-révolution, accusation que Workers'Voice s’érigeant en juge de paix, nous assène.
Que peut conclure la classe face au spectacle de deux groupes qui partagent les mêmes positions de classe -notre courant et Workers'Voice - ''rompant leurs relations" sur des questions qui, au mieux, restent à débattre au sein de la classe elle-même, et, au pire, ne sont qu'un pot pourri de suppositions et de fausses accusations.
La dernière des choses dont le mouvement ouvrier a besoin, c'est de confusionnistes, et de ce genre de "tactiques de rupture" ! Nous espérons que Workers'Voice reconsidérera sa décision hâtive et sans fondement. Les positions et le travail de Workers'Voice ont constitué une contribution positive au mouvement ouvrier, mais si Workers'Voice, se fait le porteur de la confusion, il vaut pour la lutte ouvrière qu'ils disparaissent aussi vite que possible. Si Workers'Voice ne supporte plus de discuter les positions d’une façon principielle, et d’ouvrir son esprit; si l’hostilité continue de servir d’écran de fumée pour cacher un localisme et une jalousie de petit cercle ; il vaut mieux que le groupe disparaisse et laisse la place à des expressions de la classe ouvrière capables d’évoluer.
J.A., pour le Courant Communiste International.
Le "Spartacusbond", groupe hollandais dans la tradition du communisme de conseils, a récemment publié deux numéros d'un "bulletin de discussion internationale" en anglais. Il est extrêmement encourageant que le "Spartacusbond" ait voulu rendre ses idées plus accessibles à ceux qui ne comprennent pas le hollandais et se soit activement préoccupé de .participer aux discussions et débats internationaux.
Les deux numéros du bulletin de discussion internationale de Spartacusbond ont été consacrés à. la critique de notre courant international : le premier est une réponse à un article sur le regroupement international paru dans Internationalism n°5 (USA), le second applaudit l’éloignement de "Workers’ Voice" de notre courant et critique un article sur le KAPD paru dans RI n°6 et Internationalism n°5.
L'article d’Internationalimm n°5 sur la conférence internationale de 1974, mettait l'accent sur la nécessité du regroupement des révolutionnaires en cette période de lutte montante de la classe aujourd'hui. Dans le passé, cinquante années de .contre-révolution, la défaite des efforts révolutionnaires de la classe ouvrière, la mobilisation pour la guerre mondiale et la léthargie due aux années de reconstruction, ont eu des conséquences sur les groupes révolutionnaires qui tentaient de garder vivante la flamme de la théorie révolutionnaire pour contribuer à la lutte future. La conséquence inévitable de cette longue période de défaite et de chaos, fut l’atomisation et l'isolement des groupes révolutionnaires. Mais il ne faut pas faire de nécessité, vertu. La fragmentation, l'isolement des révolutionnaires, au niveau international sont inévitables dans la défaite, mais aujourd'hui, alors que la perspective de la révolution resurgit dans les luttes de la classe ouvrière dans le monde entier, cet isolement des révolutionnaires n'est plus inévitable. Au contraire, notre nouvelle période de lutte de classe a réanimé -et réanimera- la conscience de la classe ouvrière qui s'est déjà manifestée avec 1;apparition de groupes et cercles-révolutionnaires dans le monde entier.
L'objet de 1'' article d'Intemationalism était de mettre en avant l’idée que :
— les groupes révolutionnaires doivent faire l’effort de comprendre et défendre les principes d'une orientation révolutionnaire aujourd'hui: ils doivent fonder leur activité sur des positions de classe claires?
— ceci ne peut être mené a bien qu'en comprenant la dynamique historique de la lutte de classe aujourd'hui et en tirant les leçons des luttes des ouvriers dans le passé par la discussion et la confrontation internationale des idées ;
— la discussion internationale doit se situer dans le cadre d'une éventuelle unification de nos efforts, si un accord, sur les principes fondamentaux est acquis, pour pouvoir contribuer au développement de la conscience de classe au sein du prolétariat aujourd'hui par la participation active aux luttes de la classe.
Mais là où nous écrivons "regroupement des révolutionnaires"!, le Spartacus-bond voit le parti bolchevik montrer la tête une fois encore. "Nous nous demandons si les groupes présents à la conférence internationale veulent réellement former un parti bolchevik" (Bulletin n°1, p.3). Pour le Spartacusbond, apparemment toute organisation est un parti, et tout parti est bolchevik. Ce syllogisme renferme en fait une condamnation de tout travail révolutionnaire aujourd7hui… par peur que les démons du passé n'aient pas été exorcisés.
En premier lieu, il est surprenant que le Spartacusbond pense nécessaire de demander si nous nous orientons vers un parti bolchevik ou non. S'il a lu notre presse, il doit sûrement se rendre compte que la plateforme politique sur laquelle est fondée notre activité dans plusieurs pays, est claire et non équivoque sur le rejet de la conception bolchevik du parti, à la fois dans le rapport parti-classe et dans sa structure interne. Une des prémisses de base pour tout travail révolutionnaire aujourd'hui est le rejet de la conception Bolchevik du parti; sans cette base, aucun progrès dans la discussion n'est possible. Dès ses débuts, notre courant: a dépendu 1’idée que :
I- La conception léniniste de la conscience de classe apportée "de l'extérieur", par des éléments "intellectuels", est complètement fausse, Il n'y a pas de séparation entre l'être et la conscience, entre le prolétariat comme classe économique et son but historique du socialisme, entre la classe et ses luttes. Les organisations politiques des révolutionnaires sont une manifestation du développement de la conscience dans la classe; elles sont une émanation de la classe ouvrière.
La conscience n’est pas circonscrite au parti, elle existe dans l'ensemble ne la classe mais de façon ni homogène, ni simultanée, Le bue de ceux gui ont pris conscience plus vite que d'autres dans la classe est de s'organiser en vue de contribuer à la généralisation de la conscience de l'ensemble de la classe Le parti n'est pas le dépositaire exclusif de la conscience tel que la conception ultra léniniste des Bordiguistes le voudrait; il est simplement une intervention organisée qui tend à une plus grande clarté et une plus grande cohérence des perspectives de classe, peur contribuer ainsi activement au processus de développement de la conscience dans la classe. Le parti n’est en aucune manière un absolu éternel mais un effare constant pour renforcer la conscience du prolétariat.
II- La conception léniniste, partagée par presque tous les révolutionnaires a l'époque a un degré ou à un autre:, selon laquelle le parti doit prendre le pouvoir "au nom de la classe" : doit être rejetée. L’expérience historique de la révolution russe montre que cette conception ne mène qu’au capitalisme d’Etat, pas au socialisme.
La classe ouvrière DANS SON ENSEMBLE est le sujet de la révolution et ce n’est pas une minorité de la classe ou venant de l’extérieur aussi éclairée soit-elle ou pense-t-elle être qui peut lui "apporter" le socialisme Le socialisme n'est possible que par l’activité consciente, autonome de la classe ouvrière, qui apprend par sa pratique et sa lutte.
Le rôle du parti n'est en aucune façon d'exercer le pouvoir sur les ouvriers, ni d'assumer le pouvoir d'Etat. Le rôle du parti est de contribuer à la conscience de classe, à la compréhension des intérêts généraux et du but historique de la lutte. Les conseils ouvriers sont l'instrument de la dictature du prolétariat et non le parti.
III- Avec Marx, en rejetant la notion anarchiste de "fédéralisme" dans l’organisation révolutionnaire, notre courant soutient que la centralisation internationale des organisations révolutionnaires n’implique en rien le rejet de la démocratie dans le cadre des principes politiques du groupe. Un groupe politique n'est pas un monolithe sur le modèle stalinien et ne peut l'être parce qu5il doit exprimer les débats et discussions réelles du mouvement ouvrier. Les militants n’ont pas simplement le "droit", ils ont le devoir d'exprimer et de clarifier toutes les divergences librement dans l'organisation, dans le cadre des principes politiques. Les Bolchevicks ont construit le parti comme un appareil quasi-militaire parce que le but était envisagé comme la prise du pouvoir par le partie. Tel n’est PAS le but du parti prolétarien et par conséquent, sa structure interne doit être appropriée aux besoins de clarification politique pour laquelle il est crée au sein de la classe.
Tels étaient et sont, en résumé, les principes sur lesquels tous les groupes de notre courant sont basés. Demander si nous ne deviendrons pas tout simplement un autre parti Bolchevik, montre que soit le Spartacusbond ne connaît pas nos principes, soit il pense que quelque "destin fatal" nous transformera en notre contraire, parce que, malgré tout ce que nous disons ou faisons, Spartacusbond voit en nous l'invisible stigmate de la mort, nous pouvons seulement dire que le Spartacusbond n’a pas le monopôle d'être sincèrement opposé à la conception léniniste du parti, qu'en rejetant les conceptions léninistes sur la question du parti, il n'est pas nécessaire d'aboutir aux idées du Spartacusbond.
Le véritable problème est que notre courant est en train de former une organisation internationale. Pas un parti, parce qu’un parti ne peut se former que dans une période de lutte de classe intense et généralisée, mais nous construisons une base politique et organisationnelle en vue d’un regroupement internationale Voilà le hic! En rejetant la conception léniniste de 1‘organisation, le Spartacusbond rejette TOUTES les formes d1'organisation internationale. "Nous combattons toute idée de la nécessité d’un parti dans la lutte de classe" (Bulletin n°2, p.3) et de plus : "Leur présentation (celle CCI) estompe la différence et l'opposition entre parti et classe" (bulletin n°1, p.1). Les léninistes voient le parti comme extérieur et au-dessus de la classe, et le Spartacusbond admet cette définition comme inévitable et juste, et par conséquent rejette tout parti. Le raisonnement est le même, seules les conclusions changent.
Tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier, des organisations politiques se sont formées, groupant ceux des individus qui défendent une orientation donnée dans la lutte de classe Depuis Babeuf, en passant par les sociétés secrètes, la Ligue des Communistes et la Première Internationale, les premières années du mouvement ouvrier foisonnent d’activité et de débats politiques. Graduellement, à travers 1’expérience de la lutte elle-même, la perspective et le rôle de ces organisations politiques sont confrontées à. la réalité et beaucoup d'aspects sont clarifiés ou rejetés. Les sectes de conspirateurs, les conceptions putschistes sont abandonnées, et le rôle du parti comme contribution au développement de la conscience de classe s'est clarifié par les leçons positives et négatives des Deuxième et Troisième Internationales. Pendant cette période, les marxistes et Marx lui-même ont combattu le refus Proudhonien de s'organiser politiquement aussi bien que la résistance anarchiste à la centralisation, pour mettre l'accent sur la nécessité pour les révolutionnaires de mettre en avant une idée claire des "buts finaux de la lutte et des moyens d’y parvenir".
Il est vain de prétendre que la généralisation de la conscience dans la classe ouvrière ne s’est pas manifestée par la croissance et l'unification de groupes révolutionnaires. Le Spartacusbond ne le prétend pas. Il spécifie simplement qu'AUJOURD'HUI ces types d'organisations sont devenus non seulement inutiles mais encore un véritable obstacle au mouvement de la classe ouvrière.
Pourquoi ? Le développement de la conscience de classe si essentiel à la lutte prolétarienne est--il miraculeusement devenu un processus homogène et automatique dans la classe ? N’y-a-t-il plus aucune nécessité pour les éléments qui voient plus clairement les choses plus tôt de s'unir pour propager leurs analyses et leurs perspectives ? La réponse à ces deux questions est non. Même le Spartacusbond le reconnaît : "il n’y a pas de doute que ceux qui parviennent à cette clarté (sur la nécessité des conseils ouvriers) ressentiront le besoin de propager leurs expériences sur tout terrain de lutte. Mais dès qu'ils prétendent lancer un parti ou une internationale considéré comme leader de la classe, ils retombent dans les idées et les modèles organisatinnels du passé" (bulletin n°2, p.3).
Il y a la une contradiction claire. Si ceux qui parviennent à se clarifier vont inévitablement vouloir s'organiser pour propager leur clarification, vont-ils alors contribuer positivement à la lutte eu non ? La réponse semble être : si c'est un groupe informel d'individus isolés, ils peuvent dire sans crainte ce qu'ils ont à dire; mais dès qu’ils tentent de s'organiser dans une organisation internationale, et d'élargir effectivement leur influence, alors ils sont un obstacle selon le Spartacusbond. Aussi longtemps que les groupes sont: inefficaces, isolés et flous, le Spartacusbcnd approuve leur existence. Mais dès qu'ils tendent vers une cohérence politique et organisationnelle, ils sont censés devenir néfastes. Nous pouvons nous demander, pourquoi le Spartacusbond existe ? Pour s'organiser lui-même afin de dire aux autres de ne pas s'organiser ? Pour le Spartacusbond, dès qu'un groupe essaye de développer quelque influence pour ses idées, il devient inévitablement "leader" (c'est-à-dire, le modèle Bolchevik). Dans cette logique, notre seul espoir est de nous condamner nous-mêmes à nous contraindre à l’impuissance.
Le Spartacusbond prétend se réclamer de la tradition communiste de Conseils de Ho11onde. Faut-il lui rappeler que les communistes de conseils avec Gorter essayèrent de former une IV° Internationale dès les années 20 ? Est-ce que cela signifie que Gorter était devenu le disciple hollandais de Lénine ? Un bolchevik qui se serait ignoré ? Un effort semblable fut tenté par le groupe communiste de conseil hollandais (a prés la rupture avec le Spartacusbond) en 1947. Ce groupe encouragea l’initiative des communistes de conseils belges qui appelèrent à une conférence internationale et le groupe hollandais participa activement en 1943 à cette conférence des différents groupes de la gauche communiste. N'est-ce pas là la véritable tradition du communisme de conseils plus que la non-participation et la condamnation par le Spartacusbond des regroupements internationaux aujourd'hui?
Cependant, le débat est plus profond : quel est le rôle des révolutionnaires? Est-ce simplement de propager leurs expériences actuelles en tant qu'individus, comme le sous-entend la phrase citée plus haut, ou est-ce de distiller l'expérience de toutes les luttes de la classe ouvrière dans l'histoire, d'enrichir les luttes présentes des leçons du passé ? Pour le Spartacusbond, le passé est effacé d’un coup de balai anti-léniniste. La révolution Russe était simplement une révolution bourgeoise et les Bolcheviks, un parti capitaliste d'Etat "par essence" dès le début.
Les conceptions erronées des Bolcheviks sont la reprise d'éléments de la Social-démocratie., Par conséquent, la II° Internationale doit tout autant être rejetée. On aboutit à un pot-pourri, à une approche incohérente, moraliste de l'histoire. Pourquoi donc analyser à la fois les luttes passées et la défaite, lors qu'il est beaucoup plus facile de les rayer d'un trait de plume.
La révolution russe, selon Spartacusbond, a été une révolution bourgeoise. Mais à l’"Ouest" (Europe de l'Ouest), la révolution était a l'ordre du jour du fait des changements objectifs du système capitaliste (la période de décadence, le début du cycle crise-guerre-reconstruction) et cela a fait surgir des soulèvements révolutionnaires en Allemagne et partout. Le Spartacusbond se rend compte qu'une nouvelle période de lutte, de lutte révolutionnaire, a commencé à cette époque, parce qu'il soutient correctement que les syndicats ne sont plus, dès cette époque, des organisations adéquates de la lutte de la classe ouvrière, Nous nous trouvons alors avec cette contradiction absurde que le capitalisme était mûr pour la révolution prolétarienne en "Europe de l'Ouest", mais pas en Russie, où la bourgeoisie comme classe historique était encore capable d'avancer vers sa révolution bourgeoise ; Le capitalisme cesse d'être un système qui domine le monde et devient une question de régions géographiques : ici, la révolution prolétarienne est a l'ordre du jour ; là, la bourgeoisie commence sa tâche. Ici, les ouvriers tentent de prendre le pouvoir, tandis que là leurs camarades ouvriers combattent le "féodalisme" russe? Et les ouvriers de l'Europe de l'Ouest qui poussent en avant les luttes contre l'ordre bourgeois sont, au même moment, si peu conscients qu'ils rejoignent la Troisième Internationale et prennent la révolution "bourgeoise" en Russie pour l'avant-garde de leur propre révolution! C'est une logique complètement incohérente, une vision d’Alice au Pays des Merveilles de l’histoire. Où le programme révolutionnaire, socialiste est une possibilité mondiale ou il est simplement une aventure utopique de l'Europe de l'Ouest. Comment le Spartacusbond explique-t-il l'existence de conseils ouvriers, organisation de la classe pour l’assaut révolutionnaire contre l'ordre capitaliste, au sein d'une révolution "bourgeoise" en Russie? Nous l'abandonnerons aux contorsions théoriques d'une argumentation illogique. Mais la révolution Russe reste un livre fermé à ceux qui sont tellement obsédés par la défaite qu'ils doivent simplement nier tout caractère prolétarien à l'expérience russe. Ceci amène inévitablement ou rejet de toute racine prolétarienne de la Troisième Internationale. L'histoire devient une énigme où chacun tourne en rond en faisant des choses incompréhensibles. Pour le Spartacusbond toute leçon du passé est inutile parce que la plus importante des luttes des ouvriers est "bourgeoise"; 1'histoire prolétarienne devient un immense vide.
Il est compréhensible que le Spartacusbond voit la contribution des révolutionnaires comme simplement la propagation de "leurs expériences" de façon immédiatiste et sans dimension historique. Il a une difficulté regrettable à renouer avec le passé tel qu'il était. Dans l'article sur le KAPD paru dans Internationalism n°5, Hembé cite l’intervention de Jan Appel (Hempel) au 3° Congrès de la Troisième Internationale, pour montrer que le KAPD n’était pas anti-parti comme le furent plus tard certains communistes de conseils. Le KAPD s'opposa à la politique Bolchevik dans l'Internationale Communiste et combattit l'idée de la prise du pouvoir d'Etat par le parti "au nom de la classe". Niais il ne rejeta pas le parti comme contribution nécessaire à la conscience de classe.
"Le prolétariat à besoin d'un parti-noyau ultra-formé. Chaque communiste doit être individuellement un communiste irrécusable… et il doit pouvoir être un dirigeant sur place. Dans ses rapports, dans les luttes où il est plongé, il doit pouvoir tenir bon et, ce qui le tient, c'est son programme. Ce qui le contraint à agir, ce sont les décisions prises par les communistes. Et là règne le plus stricte disciplinée. Là, on ne peut rien changer, ou ben, on sera exclu ou sanctionné" (…) JAN APPEL
Le Spartacusbond "veut exprimer son indignation sur le fait qu’Internationalism abuse du nom de J. Appel pour tenter d’enchaîner à nouveau la classe ouvrière" (Bulletin n°2, p.5).
Avant tout, le Spartacusbond pense nécessaire de prouver que le KAPD est "leur" tradition et que notre courant n'a rien à faire en citant le KAPD pour soutenir nos idées. Il en est réduit à "douter de l'exactitude de la citation", ce qui est une tactique puérile, puisque personne du KAPD ni Appel lui-même, que ce soit à l'époque, un peu plus tard ou aujourd'hui, n'a jamais protesté que ces discours étaient falsifiés. Les lecteurs peuvent se référer au livre sur La Gauche Allemande, La Vecchia Talpa., Invariance, La Vieille Taupe pour savoir si Internationalisrri a correctement transcrit cette citation des interventions du KAPD.
Mais le Spartacusbord va plus loin. "Le fait est qu'il (Appel) quitta l'Internationale Communiste et qu’après cela comme membre du KAPD rejoignit la lutte théorique et pratique de la classe ouvrière allemande" (bulletin n°2, p.5). Cette phrase implique qu'après avoir fait son discours, Appel se rendit compte de son erreur et rejoignit le KAPD. En fait, Appel parlait comme délégué du KAPD à l’Internationale Communiste et exprimait les idées de son organisation qui n'a jamais démenti ses discours. Appel n'attendit pas 1921 pour prendre part aux luttes de la classe ouvrière allemande et il en fit partie dès la Première Guerre Mondiale. Il est encore actif dans le mouvement révolutionnaire, participa à notre conférence internationale et contribue à notre organisation. Nous n'aurions pas relevé cette question si le Spartacusbond avait estimé nécessaire de manifester bruyamment son "indignation" et de nous accuser publiquement de falsification dans notre presse. C'est certainement une accusation qui peut-être retournée contre les accusateurs. Laissant de coté la polémique, il est révélateur que ceux dont la vision historique est limitée à l'obsession du parti léniniste ont des difficultés à comprendre le contenu des expériences du passée
Mais de quel droit le Spartacusbond prétend-il que notre courant veut "enchaîner à nouveau la classe ouvrière"? Outre les principes auxquels nous avons déjà fait allusion, le Spartacusbond nous reproche d'essayer de comprendre les contributions positives des Bolcheviks. Notre courant a en effet affirmé que les positions claire et in équivoques des Bolcheviks contre la Première Guerre impérialiste mondiale furent un appel retentissant à la classe ouvrière et rallièrent la gauche internationale qui maintint une position internationaliste à l'époque. Les positions du Parti Bolchevik sur cette question et sur la nécessité de rompre avec la II° Internationale influencèrent profondément le mouvement de la gauche communiste allemande, entre autre. La position Bolchevik contre tout compromis avec le gouvernement démocratique bourgeois de Kerenski et l'appel pour "tout le pouvoir aux soviets" sont des contributions extrêmement positives à la pratique révolutionnaire. Quoique nous ne puissions pas approfondir ici l'expérience Russe, nous voulons simplement faire observer que ces positions méritent l'attention et l'analyse des révolutionnaires et ne peuvent pas simplement être éliminées par l’idée de Spartacusbond de "l’essence" du Bolchevisme ou en prétendant que tout ceci n'était qu’une manœuvre machiavélique pour tromper les ouvriers.
Partager la contribution positive des Bolcheviks sur ces questions, ne peut en aucune manière être interprète comme une apologie de la position Bolchevik sur le parti ou sur d’autres aspects de la lutte de classe. Si les Bordiguistes font l'apologie de chaque phrase ou mot de Lénine, le Spartacusbond prend le contre-pied, jette l'enfant avec l'eau sale et condamne tout ce que les bolcheviks ont pu dire. Il est dommage que l’histoire prolétarienne ne puisse concorder avec les analyses simplistes du "tout bon ou tout mauvais" que le Spartacusbond avance.
Nous sommes entièrement d'accord avec le Spartacusbond que les conseils ouvriers sont l'instrument essentiel du pouvoir prolétarien, les organisations unitaires de la classe, et de la démocratie prolétarienne pour la lutte révolutionnaire et, la venue du socialisme Nous sommes d’accord également que l’existence de partis est un vestige d'une société divisée en classe, Malheureusement, le fait que le prolétariat soit une classe exploitée signifie que le pouvoir des "idées dominantes", l'idéologie bourgeoise retarde et repousse le développement homogène et simultané de la conscience de classe dans le prolétariat. Par conséquent, il est inévitable et nécessaire que ceux qui peuvent voir les racines de la lutte plus clairement s'organisent et essayent de propager ces idées dans la classe Le but ne peut être servi en restant des individus isolés et inefficaces ou des groupes locaux, pas plus que les activités doivent être limitées à dire aux ouvriers "formez des conseils ouvriers" ou réduites à 1’idée ridicule de dire aux autres révolutionnaires "ne vous organisez pas ".
La classe ouvrière n'a pas besoin des révolutionnaires pour être poussée à former des conseils ouvriers. Dans les périodes révolutionnaires, les ouvriers l'ont fait sans qu'on leur donne des conseils sur les mécanismes de cette opération. Dans le passé, quand la classe ouvrière était inexpérimentée, les révolutionnaires jouaient un rôle important en encourageant la formation des organisations de lutte économique, les syndicats. Aujourd'hui, la période est différente et la forme des conseils ouvriers est beaucoup moins le résultat de l’agitation révolutionnaire qu’un mouvement relativement spontané de la classe en réponse aux conditions objectives.
La tache de l'organisation révolutionnaire est beaucoup plus une question de clarification des perspectives pour la lutte, de définition des buts et de dénonciation claire des dangers des luttes corporatistes et partielles.
Il n’y a pas opposition entre les conseils ouvriers et le parti, entre le tout et l'une de ses parties. Chacun a un rôle à jouer dans la vie de la classe
Le rejet par le Spartacusbond de tout rôle d’une organisation révolutionnaire internationale sans parler d’un parti n’est pas une continuation des idées centrales du KAPD; il reflète les idées de la fraction Ruhle qui quitta le KAPD et ces idées furent partiellement développées dans les années 30 pendant la période de défaite et de démoralisation,, Malgré les nombreuses contributions du communisme de conseils pour renforcer l’idée de l'importance des conseils ouvriers, les théories de certaines de ses tendances et notamment le Spartacusbond reste inachevées et partielles. Celui-ci reste prisonnier de la dynamique léniniste en en prenant simplement le contre-pied : au lieu de dire "le parti est tout" on dit, "le parti né est rien".
"Bien sûr, il n'y a pas d'objection à l'étude et à la coopération internationale des groupes qui prétendent stimuler la lutte autonome des ouvriers. Mais ces groupes ne peuvent pas créer un nouveau mouvement international de la classe ouvrière" (Bulletin n°2, p. 4).
Ceci signifie qu'aussi longtemps que les groupes révolutionnaires "étudient" et "coopèrent", ils font partie de la classe. Mais dès qu'ils veulent porter 1a "coopération" de groupes locaux ou nationaux au niveau d'une organisation internationale principielle ayant une fonction active dans la classe, ils cessent d'en faire partie et le Spartacusbond condamne alors leurs efforts. Chaque pays pour lui-même, chaque groupe pour lui-même -par dessus tout, ne pas s'unir parce que le regroupement fera de vous des "leaders" et des "léninistes". Apparemment, non seulement le pouvoir corrompt, mais aussi l'organisation. Cette incohérence fondamentale est théoriquement insoutenable. Mais plus fondamentalement, l'influence de cette peur et de cette résistance au regroupement affaiblit le mouvement ouvrier et ralentit les efforts de la nouvelle génération de révolutionnaires pour créer toute réponse organisationnelle aux nécessités de la nouvelle situation d'aujourd'hui.
J.A.
Les conseillistes d'aujourd'hui tels que les groupes hollandais Spartacusbond et Daad en Gedachte se distinguent principalement par leur confusionnisrne menchevik qui atteint un niveau invraisemblable sur la question de la révolution russe.
Les communistes de conseils qui, luttaient de façon militante pour la clarification des positions de classe face à la contre-révolution, et qui écrivaient pour l’"International Council Correspondance" et d’autres revues communistes, n'étaient absolument pas mencheviks. Leurs racines étaient totalement prolétariennes. Dans la démoralisation et la confusion provoquées par la défaite de la révolution mondiale, ils tentèrent de comprendre les raisons de ce tournant, dans un cadre prolétarien en défendant parfois des conceptions erronées. Mais confrontés pendant des années au déclin du mouvement prolétarien, ils subirent, eux aussi, le contrecoup de la défaite. Cette période de recul était bien différente de celle de la montée de la révolution prolétarienne quand ils faisaient corps avec la vague apparemment irrésistible des années "'7-23o Le menchevisme quant à lui n’a pas été à la hauteur de ces événements historiques; il combattit la révolution prolétarienne du début à la fin.
UNE "REVOLUTION BOURGEOISE" OU LE "RENARD ET LES RAISINS".
Tout comme le renard de la .table tournait le des aux grappes de raisins qu'il ne pouvait atteindre en grommelant qu'elles devaient être de toute façon pourries, les conseillistes d'aujourd'hui tourne le dos à la révolution d7Octobre. Comme nous l'avons dit, les communistes de gauche allemands et hollandais qui, dans les années 30, commencèrent à élaborer une théorie de la ''révolution bourgeoise'' pour expliquer la contre-révolution eu Russie, constituaient un authentique courant communiste. Ceci malgré leurs affirmations erronées quant à la nature de la révolution russe. Par contre, les "conseillistes" d’aujourd’hui ne sont que des vestiges du passé, renforçant les défauts des gauches allemande et hollandaise des années 30 et ajoutant encore a la confusion. Il est révélateur qu’ils ne partagent en rien l'ardeur, la créativité et la cohérence qui distinguaient les gauches allemande et hollandaise du début ; bref, aucune de leurs qualités.
Les révolutionnaires du KAPD et ceux d’autres groupes d’accord sur leurs positions agissaient comme des militants communistes et soutenaient la révolution d’Octobre parce qu'ils la voyaient clairement comme moment de l’épanouissement de la révolution mondiale. Ce qu’ils dirent plus tard, pendant la période de reflux, est autre chose. Avec la démoralisation et le repli, inévitablement, les minorités communistes ne voyaient pas clair et faisaient des erreurs puisque la classe avait subi une défaite historique.
Mais soyons clairs sur ce point :Spartacusbond, Daad en Gedachte et Cie ramassent dans les poubelles de l’"histoire" toute la confusion et la démoralisation de ce que fut autrefois une fraction révolutionnaire vivante. Voilà toute la différence.
Examinons quelques affirmations du Spartacusbond d'aujourd'hui, qui montrent clairement une complète régression par rapport à des positions révolutionnaires ;
"La IIIe Internationale provenant de la structure politiquement et économiquement arriérée de la révolution russe qui était en fait une révolution bourgeoise, était une structure organisationnelle du passé, au moins pour l'Europe de l'Ouest" (Spartacusbond n°2, p.3).
Plus loin :
"Le déclin de la révolution fut le résultat de la structure de la "Russie et des idées socialistes d'Etat qui existaient dans le bolchevisme dès le début et qui ne pouvaient aboutir qu’au capitalisme d'Etat" (ibid. p.3).
Cajo Brendel, conseilliste de Daad en Gedachte pense aussi que 3a révolution d’Octobre était une révolution bourgeoise.
"Pendant un certain temps, la révolution russe (bourgeoise) somblait avoir de grandes conséquences pour des développements bourgeois semblables, en Asie et en Afrique" (Thèses sur la révolution Chinoise, Solidarity Pamplet 86, Londres 1974, p.3).
En voyant la dégradation répugnante du Marxisme et des besoins de la révolution mondiale perpétrée par Moscou et le Kominterm, les gauches allemande et hollandaise réagissaient de façon, souvent confuse. Certains, comme Gorter et Pannekoek commençaient à dire que ce qui était arrivé en Russie était inévitable, du fait de l'était d: arriération de ce pays. Otto Ruhle et beaucoup d'autres, affirmaient ouvertement que la Russie avait connu une "révolution bourgeoise". Selon Pannekoek, même "Matérialisme et Empiriocriticisme" de Lénine était l'expression philosophique du niveau économique arriéré du développement de la bourgeoisie en Russie, et le Bolchevisme était alors supposé être une forme "hybride", particulière, du mouvement jacobin bourgeois, historiquement "obligé" d'instaurer le capitalisme d’Etat en Russie.
Suivant cette logique et y ajoutant sa propre imagerie philistine, Brendel qualifie les Bolcheviks d'"idéalistes politiques" (id. p.2; voués à s'éveiller"…subitement et horriblement…." aux réalités du capitalisme d'Etat. Paul Mattick, autre vestige conseilliste, pense la même chose :
"Pour les bolcheviks, rester au pouvoir dans ces conditions objectives réelles signifiait accepter le rôle historique de la bourgeoisie, mais avec des institutions sociales et une idéologie différentes". (P. Mattick, "Workers 'C'ontrol in the New Left").
Selon Mattick, avec la nécessité objective de la révolution bourgeoise coexistait une vague révolutionnaire (déclenchée par le 1° Guerre Mondiale) qu'il décrit comme "trop faible".
En conclusion, tout ce qui est arrivé en Russie était inévitable du fait de l'arriération économique de la Russie, du fait de l’idéologie capitaliste d'Etat des Bolcheviks et de l'extrême faiblesse du prolétariat mondial. Le contenu réel de ces affirmations peut être résumé ainsi : "Tout est mal qui finit mal".
LE MENCHEVISME RESSUSCITE
En défendant la Révolution Russe contre les Mencheviks et les renégats kautskystes, Luxembourg et les communistes occidentaux qui soutenaient les Bolcheviks défendaient la position que le capitalisme était entré en 1914 dans sa période de déclin tant attendue par les révolutionnaires. Par conséquent, la Révolution Russe était un maillon de la chaine des révolutions communistes prolétariennes naissantes. La guerre impérialiste avait donné le coup mortel à la période ascendante de développement du système capitaliste. Par là même, la révolution communiste, le programme maximum, était immédiatement à l'ordre du jour pour l’humanité. La classe ouvrière se trouvait désormais en face des seules alternatives; socialisme ou barbarie, la spirale du cycle guerre-reconstruction-crise-guerre venait d’apparaître dans l'histoire dans toutes ses conséquences meurtrières, montrant que notre époque était aussi l'époque de la révolution prolétarienne mondiale.
Parler, dans de telles conditions, de "révolutions bourgeoises" ou d'"étapes capitalistes nécessaires" avant la révolution communiste, alors que le capitalisme dans son ensemble montrait les symptômes mortels de la décadence, fut le sommet du crétinisme kautskyste. Kautsky et les mencheviks s'opposèrent à la Révolution d'Octobre en prétendant que le développement économique arriéré de la Russie pouvait seulement permettre une république bourgeoise. "Théoriquement, cette doctrine…aboutit à la découverte "marxiste" originale qu'une révolution socialiste est l'affaire nationale, quasiment domestique, de chaque Etat moderne en particulier" (R. Luxembourg "Révolution Russe", Maspero p.56). Mais les marxistes de cette époque comprirent que le développement bourgeois était impossible dans le cadre de la société bourgeoise décadente. Et ceci pour tous les pays, de la Russie au Paraguay.
L'interdépendance économique mondiale du capital, qui intègre tous les pays en un seul organisme : le marché mondial (Luxembourg), ne laisse aucune place pour les théories des "cas particuliers" si prisées par les gauchistes de tous bords. Dès 1905-1906, Parvus et Trotsky entrevirent cette réalité, après l'expérience de la Révolution Russe de 19058. Lénine et Luxembourg défendirent fermement cette vision en 1917 et comprirent que la prise du pouvoir par le prolétariat russe ne pouvait être que le prélude à la révolution socialiste mondiale Il ne s'agissait plus pour les ouvriers russes de prendre le pouvoir pour "parachever la révolution bourgeoise", même en passant ; la crise du capitalisme mondial ne permettait plus qu'une chose, la lutte directe et sans relâche vers le socialisme.
Les arguments de Kautsky, Plekhanov, Martov et des divers doctrinaires du national capitalisme, furent complètement balayés par la vague révolutionnaire de 1917-23. Le fait que cette vague fut finalement écrasée n'altère en rien cette conclusion. Si les échecs de la révolution prolétarienne dans la période de décadence sont toujours dus à 1'"arriération économique", il ne reste alors aucun espoir pour le communisme. Le déclin capitaliste signifie précisément que les forces productives sont de plus en plus freinées et bloquées par les rapports de production capitaliste. En d'autres termes, le capitalisme en décadence ne peut que stagner et entraver le développement des capacités productives de l'humanité; il ne peut globalement que maintenir un état d'arriération économique.
Les raisons de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23 sont trop complexes pour en discuter ici. On doit simplement constater que les réponses simplistes des mencheviks sur l’"arriération" de la Russie ne font qu’obscurcir la question. Les racines des défaites de la période de révolution prolétarienne se trouvent principalement dans le niveau de la conscience du prolétariat, qui, à son tour, permet d'expliquer les facteurs subjectifs tels que 1'attachement aux anciennes formes du mouvement ouvrier, l’insuffisante clarification du programme communiste, facteurs qui peuvent à certains moments paralyser la classe dans son ensemble et permettre au capital de reprendre le dessus. Les problèmes subjectifs de la classe prennent ainsi un aspect social concret qui peut devenir un obstacle objectif par moments. Mais le déterminisme mécaniste des kautskystes ne parle pas de ce processus, qui ressemblerait plus à un processus "organique" que mathématique.
Par conséquent; ce fut une régression théorique de la part de ceux des communistes de gauche qu'on appela plus tard les "communistes de conseils" de ressortir les arguments mencheviks sur la "nature bourgeoise:" inévitable de la Révolution Russe. Les militants, en agissant: de la sorte, se retournaient contre leur propre passé et contre une des plus grandes expériences de la classe ouvrière. Il est bien sûr vrai que la révolution russe fut noyée dans le sang par la contre-révolution mondiale qui se manifesta dans l’"Etat ouvrier" en Russie. Ce fut d’autant plus douloureux que les bolcheviks furent eux-mêmes les artisans de la dégénérescence. Mais ceci ne remet pas en question la nature prolétarienne de la Révolution d'Octobre dont la défaite signifia une monstrueuse débâcle de la classe ouvrière mondiale. Seuls la stupidité ou le dédain peuvent faire froncer les sourcils et voir une "révolution bourgeoise" dans ce carnage. Alors que les "révolutions bourgeoises1' émanent de la chair et du sang de millions de prolétaires conscients écrasés, ou d’un autre point de vue, alors que les "révolutions bourgeoises" sont ce que les prolétaires nomment simplement des contre-révolutions, comment peut-on considérer que Noske, Scheidemann, Staline, Mao, Ho, Castro et bien, d'autres sont des "révolutionnaires" bourgeois? Seuls les impudents ou les bornés peuvent oser compare: Cromwell, Robespierre. Saint-Just, Garibaldi, Marat ou William Blake a ces avortons sanglants de la décadence capitaliste que sont Staline, Mao ou Castro.
Mais les gribouilleurs comme Brendel excellent en impudence. Leurs bruyantes affirmations concernent la révolution prolétarienne contrastent de façon saisissante avec la superficialité de ces affirmations :
"La Révolution Chinoise a de façon générale (pas en détails) le même caractère que celle de Russie en 1917. Il y a certes des différences entre Moscou et Pékin, mais la Chine comme la Russie est sur la voie du capitalisme d'Etat, Tout comme Moscou, Pékin poursuit une politique étrangère qui s'intéresse peu à la révolution ailleurs en Asie (pas même à la révolution des classes moyennes)". (id. p.3)
Avec une celle logique la révolution et la contre-révolution, sont identiques, Lénine et Trotsky sont les mêmes que Mao et Chou En Laï. L'aspect le plus réactionnaire de cette sauce "'révolutionnaire" est qu’il dénigre implicitement et sème la confusion sur un moment complexe extrêmement riche du mouvement ouvrier, Brendel, avocat du développement éternel du capitalisme, se croit capable de juger ceux qu'il appelle, de façon paternaliste, les "idéalistes politiques".
Il compare les Bolcheviks à Mao, l'héritier de Staline et le demi-dieu auto-pro-clamé de 300 millions d'êtres humains. En se lavant rapidement les mains, notre Ponce-Pilate ne comprend pas ce qu'est la responsabilité historique au cours de la Révolution Russe. Pour lui, ce qui devait être, fut. Mais, ce n’est pas l'immaturité de la Russie qui a été prouvée par les événements de la guerre et de la Révolution Russe, dit Rosa Luxembourg, "mais l'immaturité du prolétariat allemand pour remplir ses taches historiques". Mais Brendel, bien sûr, n'est pas d'accord. Dans ses contorsions lui aussi, comme Kautsky et les mencheviks, tombe dans le bourbier que le mouvement ouvrier a laissé derrière lui pour ceux qui ne seront jamais "mûrs" pour comprendre la révolution communiste.
DES ROLES EN QUETE D'ACTEURS
Brendel parle facilement de toutes sortes de révolutions de la classe moyenne, capitaliste d'Etat, bourgeoise et même paysanne. Tout sauf de la révolution prolétarienne, qui reste pour lui un livre fermé par sept sceaux. Selon lui, la révolution bourgeoise est inévitable dans les aires arriérées et le drame se poursuit désespérément en quête d'acteurs. Ainsi : "Ni en Russie, ni en Chine, le capitalisme ne pouvait triompher sauf sous sa forme bolchevick. (id. p.11).
Mais sa conception menchevik ne s'exprime aussi ouvertement nulle part mieux qu'ici :
"En Russie comme en Chine les révolutions ont à résoudre les mêmes tâches politiques et économiques. Elles doivent détruire le féodalisme et libérer les forces productives dans 1'agriculture des entraves qui emprisonnent les relations. Elles doivent aussi préparer une base pour le développement industriel. Elles doivent détruire l’absolutisme et le remplacer par une force ce gouvernement et par un appareil d'Etat qui permette la résolution des problèmes existants. Les problèmes économiques et politiques étaient ceux de la révolution bourgeoise; c'est-à-dire de la révolution qui doit faire du capitalisme un mode de production dominant". (id., p.10).
Le message est clair : le prolétariat "doit" se fragmenter en unités nationales distinctes qui, à leur tour, ont chacune leur voie de développement particulière, séparée du marché mondial et de l'économie mondiale. Chaque capital national est autarcique et 1’accumulation peut très bien se dérouler dans les limites capitalistes. Les seules limites de cette saine accumulation seraient une soudaine révolte des "dirigés contre les dirigeants" (à la Cardan-Solidarity) ou une éventuelle "baisse du taux de profit" (à la Grossmann-MatticK).La chose importante est la conception qu'à Brendel de la révolution prolétarienne : une conception bourgeoise, nationale, localiste. Mais comment le prolétariat mondial peut-il s'affirmer comme classe, unifiée. Comment est-ce possible si chaque prolétariat est confronté à des conditions nationales fondamentalement différentes? Qu'est-ce qui unifiera matériellement la lutte de classe montante pour le socialisme mondial? Brendel et les autres journalistes du conseillisme se taisent sur ce point gardant leurs forces pour lancer leurs incantations sur les conseils ouvriers ou l’autogestion".
Brendel lui-même ne se pose même pas la question. Par exemple, selon lui, les luttes ouvrières chinoises de 1927 furent vaincues non parce qu'elles étaient à la merci de la contre-révolution mondiale (déjà triomphante en Russie, en Allemagne, en Bulgarie, en Italie, etc.) mais à cause du nombre "insignifiant" d'ouvriers! Mais laissons Brendel dire lui-même ce qu'il pense :
"Certains prétendent que les soulèvements étaient des tentatives du prolétariat chinois pour influencer les événements dans une direction révolutionnaire. Ce ne fut pas le cas. Vingt deux ans après les massacres dans ces deux villes chinoises, le Ministre Chinois des Affaires Sociales annonçait qu'il y a en Chine quatorze villes industrielles et seulement un million d’ouvriers industriels sur une population de quatre à cinq cent millions d’habitants c'est-à-dire que les ouvriers industriels forment moins de 0,25% de la population. En 1927 ces chiffres étaient encore plus bats.
"Avec un prolétariat insignifiant comme classe en 1949, il semble improbable (sic) qu'il ait pu engager une activité révolutionnaire de classe vingt deux ans plus tôt. Le soulèvement de "Shanghai de mars 1927 était un soulèvement populaire dont le but était de soutenir 1' armée du Nord de Chang Kai Check. Les ouvriers n'y jouèrent un rôle que parce que Shanghai était la ville la plus industrielle de Chine où se trouvait un tiers du "prolétariat- chinoise Le soulèvement fut plus "radical-démocratique" dans sa nature que prolétarien et s'il fut écrasé dans le sang ce fut parce que Chang Kai Check combattait le j'jacobinisme et non parce qu'il avait peur du prolétariat. La "Commune de Canton" comme on l'appelle, ne fut rien de plus qu’une aventure provoquée par les Bolcheviks Chinois en vue de réussir ce qu'ils avaient raté à Wu Nan.
"Le soulèvement de Canton de décembre 1927 n’avait pas de perspective politique et n'exprimait pas plus la résistance du prolétariat que le KTT (Parti Communiste Chinois) exprimait des aspirations prolétariennes. Borodine, le porte-parole du gouvernement Russe, disait qu'il était venu en Chine pour combattre pour une idée ; ce fut pour des idées politiques semblables que le KTT sacrifia les ouvriers de Canton. Les ouvriers ne mirent jamais sérieusement en question Chang Kai Check et l'aile droite du KMT, la seule opposition sérieuse, systématique et continue vint des paysans". (id., p.15).
Il est complètement faux d'accuser les ouvriers chinois de ne s'être jamais "sérieusement opposés" au capital chinois. Toute action autonome du prolétariat combat le capitalisme, même si dans les premières étapes les ouvriers ne sont pas conscients de leurs propres buts finaux et de leur force potentielle. Mais le capital l'est et c'est pourquoi Chang Kai Check, Staline, Boukharine, et Borodine aidèrent à l'étranglement de la révolution Chinoise. Quel critère utilise notre Ponce Pilate pour affirmer bêtement l'inexistence d’"opposition" prolétarienne ? Est-ce que le Soviet de Petrograd de février 1917, contrôlé par les mencheviks et les libéraux, s'"opposait" au capital russe? La réponse de. Brendel serait : "non". En fait, selon lui, les ouvriers ne peuvent pas penser à s'opposer .au capitalisme parce qu'ils sont voués au capitalisme d'Etat, au "Jacobinisme", etc.
Les ouvriers chinois de Shanghai, Hankéou et Canton se sont soulevés par milliers, ont crée des comités de grève et des détachements armés qui, par leur nature même, étaient destinés à s'affronter non seulement à Chang Kai Check mais aussi au Parti Communiste Chinois, si la classe arrivait à survivre politiquement et à rejoindre la lutte de classe mondiale. Mais comme il n'y avait pas de révolution mondiale à laquelle se relier, aucune perspective ne s'ouvrait pour les soulèvements du prolétariat chinois. Le mouvement prolétarien en Chine fut étranglé définitivement par la réaction politique mondiale en 1927 et non par sa faiblesse "numérique". La place du prolétariat dans l'économie et son caractère de classe international sont, avec sa conscience, la seule base réelle de sa lutte. Les calomnies de Brendel contre le prolétariat ont une résonance dangereuse. Il est contre les "aventures" tant qu'elles sont prolétariennes. Mais quand il parle de la paysannerie, il se montre sous son vrai jour. C'était donc pour lui la paysannerie qui représentait…" la seule opposition sérieuse, systématique et continue" au Kuomintang. Là, il n'est pas question d'aventures !
La logique suit son cours majestueusement :
"Après vingt ans d'efforts, les masses paysannes ont enfin découvert comment s'unir en une force révolutionnaire. Ce ne fut pas la classe ouvrière encore très faible qui amena la chute de Chang Kai Check mais les masses paysannes organisées en armées de guérilla avec une démocratie primitive. Ceci montre une autre différence fondamentale entre les révolutions Chinoise et Russe. Dans la révolution russe les ouvriers étaient à la tête des évènements de Petrograd, Moscou et Kronstadt et la révolution rayonnait de la ville vers les campagnes. Ce fut le contraire en Chine. La révolution rayonnait de la campagne vers les villes" (id, p.16)
Ce n'est plus une question de révolution prolétarienne luttant contre le capitalisme ; non, c'est une question de révolutions en l'air, en général, des pièces en quête d'auteurs et d'acteurs. L'idée que les paysans étaient organisés en armées de guérilla avec une démocratie primitive" n’est rien de plus qu'une apologie cynique du maoïsme digne d'écrivains du genre d'Edgar Snow. "En Chine comme en Russie, ce n'est pas le parti qui montrait le chemin aux paysans, c'étaient les paysans qui montraient le chemin au parti" (id., p.17).
La logique de cette position est claire même si elle n'est pas explicite : si les masses paysannes montrent le chemin à la bureaucratie, alors il s'ensuit que la bureaucratie peut être contrôlée par la base. Les communistes doivent donc soutenir cette bureaucratie contre d'autres fractions capitalistes qui ne permettent pas un tel contrôle (par exemple contre Chang Kai Check) ! Le mouvement marxiste du 19° siècle pendant la période ascendante du capitalisme n'hésita pas à le faire en soutenant les luttes de libération nationale authentiques ; il soutenait la lutte des démocrates petit-bourgeois ou de fractions capitalistes avancées contre les réactionnaires ou les absolutistes. Le bavardage moraliste de Brendel et Cie ne se montre pas aussi franc. La vérité est que les paysans chinois furent mobilisés par le PCC de Mao pendant et après la guerre sino-japonaise comme chair à canon pour le partage impérialiste du monde. Pendant la seconde guerre mondiale, le PCC de Mao n'était que l'allié de la fraction démocratique impérialiste luttant contre l'impérialisme fasciste. Brendel n'est du genre à s'opposer à une telle guerre. En Chine, il aurait pris parti pour les "armées de guérilla démocratiques de paysans" (sic). En d’autres termes, il aurait pris parti pour les alliés comme tous les libéraux et staliniens.
Notre Ponce Pilate a montré cependant qu'il n'aime pas que les choses soient dites si explicitement, que les conclusions soient tirées si clairement. Mais les traditions du mouvement ouvrier le réclament, c'est le seul moyen pour le prolétariat d'affirmer son programme révolutionnaire contre tous les confusionnistes, contre tous les scribes révolutionnaires.
Nous avons vu comment le menchevisme, ancien ou nouveau, mène inévitablement à la capitulation face aux différentes fractions capitalistes. Il n'y a rien de neutre dans la lutte de classe, et ces philistins mettent en garde sur le fait que "rien n'est blanc ou noir mais que le gris existe aussi" ignorent ce fait que pour apprécier la gradation des couleurs, il faut d'abord savoir ce qu'est le blanc et ce qu'est le noir. On trouve une autre manifestation de cette confusion réactionnaire dans cet extrait de Solidatity, groupe influencé par le "conseillisme" sous sa forme dégénérée :
"Même si les organisations tenues par les staliniens doivent parfois, pour des raisons tactiques ou locales, s'engager dans la lutte, même si ce n'est que pour se "présenter" comme les "leaders" de la lutte, les révolutionnaires ne doivent pas pour autant déserter cette lutte. Ce serait déserter une lutte dont les termes ont été déterminés par la classe. Déserter serait reconnaître que la lutte a été décidée par le "parti" et non "par la "classe". Une telle décision dans ces circonstances serait totalement réactionnaire". (Bob Potter. "Whose Victory ?" Solidarity Pamphlet 43°, Londres).
Ainsi, pour le sophiste Potter la "classe" "détermine" les "termes de la lutte". Ainsi, les partisans de Tito, la 8° Armée Britannique, les Rangers Américains au jour J; tout peut-être considéré comme "expression" de la " classe" "déterminant " ces luttes "antifascistes" en 1939-45, tout comme actuellement au Viêt-Nam la "classe" est censée "déterminer" la lutte contre Thieu et l'impérialisme américain. Cette apologie revient en fait à un nouveau-tour de passe-passe stalinien à bon marché. Elle signifie la complète dégénérescence de ces idées qui, malgré la prétention à soutenir la classe "à la base", capitule en fait face aux fractions capitalistes qui sont caractérisées comme expressions quoique déformées, de la classe.
Dans leur introduction de 1970 aux Thèses de Brendel, les Cardanistes de Solidarity Aberdeen, ont montré la subordination complète du "conseillisme" à l'idéologie gauchiste tiers-mondiste :
"Cependant, les luttes des peuples coloniaux sont une contribution au mouvement révolutionnaire. Le fait que les populations paysannes pauvrement armées aient tenu tête aux forces économiques de l'impérialisme moderne, ont brisé le mythe de la puissance rnilitaro-technologico-scientifique de l'occident. La lutte a révélé également à des millions de gens la brutalité et le racisme du capitalisme et en a amené beaucoup, particulièrement des jeunes et des étudiants, à lutter contre leurs "propres gouvernements. Mais le soutien- aux: peuples coloniaux "contre l'impérialisme, n'implique pas, cependant,, le soutien à telle ou telle organisation engagée dans la lutte". (Pamphlet n°3, p. 3)
La dernière phrase n'est pas dans la logique de ce qui précède mais sert seulement à apaiser quelque mauvaise conscience. Ces conceptions sont un résultat inévitable des années de stérilité et de confusion qui ont finalement pourri le mouvement conseilliste. Le menchevisme a été en fait ressuscité par le conseillisme (et les bordiguistes qui parlent de "révolutions coloniales", les ont rejoint au sixième acte de cette imposture). Selon la Bible, Jésus ressuscita Lazare et de toute évidence, personne ne s'est opposé à ce fait. Le cas eut été différent si Jésus eut ressuscité Hérode, Xerxes ou quelque despote sumérien assoiffé de sang. Ce genre de sauveur aurait rapidement mérité le mépris justifié de ses contemporains. Spartacusbond et Daad en Gedachte ont ressuscité le menchevisme : un fait non moins répugnant pour la classe ouvrière.
NODENS.
L’article que nous reproduisons à la suite a été publié en novembre 1933 dans le n°11 de "Masses" qui était un mensuel éclectique situé à la gauche de la social-démocratie française. Il a été écrit par A. Lehmann membre des "groupes communistes, ouvriers" allemands héritiers du K.A.P.D. Si nous le republions aujourd'hui, c'est pour permettre à nos lecteurs de situer le degré de clarification à laquelle était parvenue la gauche communiste qui s'est dégagée de la III° Internationale et le recul considérable représenté par les courants "conseillistes" ou "bordiguistes" qui s'en réclament aujourd’hui.
Cet article comporte un certain nombre de faiblesses, qui avaient cours parmi des éléments de la gauche allemande, dans la compréhension du fascisme et qui le conduit à considérer que le fascisme est appelé à s'étendre à tous les pays. S'il fait ressortir les conditions générales qui permettent le fascisme (période de déclin du capitalisme, existence d'une crise économique aiguë) il ne comprend pas les conditions particulières qui l'on fait apparaître en Italie et en Allemagne et nulle part ailleurs (défaite brutale de la classe ouvrière après un mouvement puissant, et mauvaise part dans la répartition du gâteau impérialiste).
Bien que moins précise dans la compréhension des conditions générales, la gauche italienne, à la même époque (après la 2° guerre, elle reprend à son compte l'aberration de la "mondialisation du fascisme"), a pu faire une analyse beaucoup plus juste de ces conditions particulières ce qui lui a permis de faire apparaître "l'antifascisme" comme le grand ennemi du prolétariat. On ne trouve pas dans ce texte, par contre, de dénonciation du danger antifasciste.
Autre faiblesse est celle de l'analyse de la dégénérescence de la révolution russe et de la IIIe Internationale.
Dans cet article, ces phénomènes sont présentés comme essentiellement des conséquences de la situation existant en Russie même (arriération, poids de la paysannerie) et non comme un produit du recul de la Révolution à l'échelle mondiale.
Malgré ces faiblesses, cet article comporte un nombre important de points forts qui encore aujourd'hui en font une analyse bien plus valable que celles de la plupart des groupes actuels se réclamant de "l’ultragauche", points forts qu'on peut énumérer ainsi :
Ces points constituent l'axe autour duquel s'est constitué aujourd'hui le Courant Communiste International. Il fait apparaître la continuité existant entre le mouvement révolutionnaire qui se développe actuellement et celui du passé, marquant l'unité historique de la lutte prolétarienne au-delà de la terrible période de contre-révolution dont nous sortons.
Un grand nombre de courants "modernistes" rejettent cette continuité. Ces courants veulent faire "du neuf" ...
Mais, aujourd'hui, en se refusant tout passé," ils s'interdisent tout avenir" (dans le camp prolétarien tout au moins). Pour notre part, nous savons qu'on ne pourra aller au-delà des acquis de la gauche communiste qu'en partant de ces acquis et non en les rejetant. C'est pourquoi, nous nous réclamons hautement de cette continuité.
Pour saisir les causes profondes du fascisme, il faut considérer le changement de structure du capitalisme qui s'est produit dans les dernières décades. Jusque dans les premières années du siècle s’est développé le capitalisme encore progressif où la concurrence jouait entre les éléments capitalistes privés ou les sociétés anonymes, le rôle de moteur du progrès économique. L'accroissement plus ou moins régulier de la productivité était absorbé assez facilement par les nouveaux débouchés ouverts dans la période de la colonisation par les méthodes de l’impérialisme actif. L'organisation politique correspondant à cette structure atomisée du capitalisme, était la démocratie bourgeoise qui donnait aux différentes couches capitalistes le moyen le plus approprié de régler leurs contradictions d’intérêts. La situation prospère du capitalisme permettait d’accorder aux ouvriers certaines concessions politiques et matérielles et créait dans la classe ouvrière les conditions du réformisme et l'illusion que le Parlement était un moyen de progrès pour la classe ouvrière.
Les possibilités d'une accumulation du capital toujours de plus en plus importante, qui s'étaient manifestées dans cette première phase, trouvèrent leur fin dans la concurrence de plus en plus acharnée des capitalismes nationaux qui se heurtaient dans les dernières tentatives possibles de conquête de nouveaux terrains d’expansion capitaliste., Ces rivalités causées par la restriction des débouchés aboutirent à la guerre mondiale. Les mêmes causes avaient aussi amorcé la transformation de la structure du capitalisme par la concentration progressive du capital avec prépondérance du capital financier. La guerre et ses conséquences accélérèrent ce processus. L’inflation surtout, par la dépossession des classes moyennes permit dans une grande échelle, le développement du capital monopoliste, l’organisation du capital dans de vastes trusts et cartels, horizontalement et verticalement, et qui dépassaient même le cadre national. Les différentes cruches du capitalisme perdirent leur caractère spécial (financier, industriel, etc.) pour se fondre dans une masse d'intérêts de plus en plus uniformisés.
Comme les domaines d'action de ces trusts et cartels dépassaient le cadre des Etats, le capitalisme se trouva dans la nécessité d'influencer la politique économique de l'Etat de la façon la plus rapide. La liaison entre les organes des intérêts économiques capitalistes et l'appareil d'Etat devint donc plus étroite, l'intermédiaire du parlement devint superflu.
Avec une telle structure, le capitalisme n'a plus besoin du parlementarisme qui ne subsiste dans une première période que comme une façade derrière laquelle s'accomplit la dictature de ce capital monopoliste, Cependant, ce parlementarisme a encore pour la bourgeoisie l'utilité de maintenir les masses prolétariennes dans les illusions réformistes formant ainsi pour la dictature du capital, une base politique sur laquelle elle peut s'appuyer. Mais l'aggravation de la crise mondiale, l'impossibilité d'ouvrir de nouveaux débouchés enlèvent peu à peu tout intérêt pour la bourgeoisie dans le maintien de cette façade parlementaire. La dictature directe et avouée du capital monopoliste devient une nécessité pour la bourgeoisie elle-même. Il se montre que le système fasciste est la forme du gouvernement la mieux appropriée aux besoins du capital monopoliste. Son organisation économique est la plus favorable pour la solution des contradictions internes de la bourgeoisie, tandis que son contenu politique permet à la bourgeoisie de s'appuyer sur une nouvelle base qui remplace ainsi le réformisme devenu de plus en plus incapable de maintenir les illusions des masses.
L'impossibilité pour la bourgeoisie de conserver le réformisme comme base politique, résulte de l'aggravation considérable des oppositions de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat. Depuis la guerre, le réformisme n'était plus en Allemagne qu'un jeu stérile. Chaque jour la classe ouvrière allemande perdait un peu plus de ce qui restait des "conquêtes" du réformisme. Le prestige du réformisme sur les masses ne subsistait que grâce à une puissante organisation bureaucratique. Mais les dernières attaques les plus violentes contre le niveau de vie des ouvriers, jetant ceux-ci dans la misère la plus insupportable sapait rapidement l'influence du réformisme dans les masses ouvrières et mettait à nu les oppositions de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Parallèlement à ce processus au sein de la classe ouvrière se produisait dans les différentes couches de la petite bourgeoisie, un processus de radicalisation. Les paysans étaient endettés, réduits à la misère et passaient par endroit à des actions terroristes. Les commerçants ressentaient les contrecoups de l'appauvrissement des masses et de la concurrence des grands magasins et des coopératives. Des intellectuels désorientés par l'incertitude du lendemain, des étudiants sans avenir, des anciens officiers déclassés étaient tournés vers toute possibilité aventurière. Des employés prolétarisés et frappés par le chômage et des fonctionnaires licenciés étaient prêts à se laisser entraîner par une démagogie radicale. Un anticapitalisme vague et utopique se développait dans ces couches hétérogènes dépossédées par la grande bourgeoisie. Leur anticapitalisme était réactionnaire, puisqu'il voulait rétablir une étape périmée du capitalisme. Ainsi, ils devenaient malgré leur radicalisme, un facteur conservateur et avec cela un instrument facile dans les mains du capitalisme monopoliste. En réalité, pour cette masse petite-bourgeoise radicalisée et inconsciente, incapable de jouer un rôle indépendant dans l'économie, placée devant l'antagonisme croissant contre le prolétariat et la bourgeoisie, la question était de faire un choix entre l'un et l'autre. Il lui fallait choisir entre le capital monopoliste -cependant responsable de sa situation désespérée- et le prolétariat facteur révolutionnaire historique. La haine de la révolution prolétarienne qui supprimerait les classes, l'attachement aux privilèges des classes petite-bourgeoises -privilèges qui cependant n'étaient plus qu'un souvenir- jeta ces classes moyennes radicalisées dans les bras du capital monopoliste, fournissant ainsi à celui-ci la base sociale suffisamment large, susceptible de remplacer dans ce rôle le réformisme qui menaçait d'autre part de s'effondrer.
La synthèse de ces deux aspects contradictoires du fascisme : dépendance du capital monopoliste et enrôlement des masses petite-bourgeoises s'opéra sur le plan politique dans le développement du parti national-socialiste. Ce parti se développa grâce à une démagogie effrénée et aux subsides de l’industrie lourde. Sur le plan idéologique, ce parti exprimait le désespoir des masses petite-bourgeoises par un langage radical et révolutionnaire, allant même jusqu'à la propagande pour certaines formes d'expropriations (banques, juifs, grands magasins), sa liaison avec le capital monopoliste s'exprimait par la propagande pour la collaboration des classes, pour l'organisation corporative hiérarchisée contre la lutte de classe et le marxisme.
L'inconsistance du contenu idéologique de la démagogie nazi se manifeste dans la propagande raciste. Le mécontentement des masses était détourné contre le traité de Versailles, bouc émissaire du capitalisme et contre les juifs considérés comme représentants du capital international et comme promoteurs de la lutte de classe. Ce tissu de stupidités incohérentes ne pouvait trouver prise que sur l’esprit des petits bourgeois, que leur rôle secondaire dans l'économie rendait incapable de comprendre la moindre des choses aux faits économiques et aux événements historiques dans lesquels ils étaient plongés.
Les paysans et les petit-bourgeois radicalisés formèrent toujours la grande masse du parti national-socialiste. Ce ne fut qu'à mesure que la subordination au capital monopoliste devint plus claire que la bourgeoisie elle-même vint renforcer les cadres nazis et lui fournit des officiers et des chefs. Mais jusqu’à l'avènement d'Hitler au pouvoir, il fut impossible au parti national-socialiste de mordre sérieusement sur la classe ouvrière, ainsi qu'en témoignent les élections aux conseils d'entreprises. Jusqu'à la fin, les nazis eurent toujours beaucoup de difficultés pour pénétrer dans les bureaux de pointage des chômeurs (Stempelstelle), seulement quelques centaines de milliers de mercenaires purent être recrutés pour les S.A. et les S.S. parmi les employés en chômage et le lumpen prolétariat, cependant qu'il y avait des millions de chômeurs sans aucun moyens d'existence.
Mais si la classe ouvrière ne se laissa pas, ou presque pas, contaminer par la démagogie fasciste, elle n'en fut pas moins incapable de s'opposer au développement du parti national-socialiste. Elle ne réussit pas à dissocier le bloc de classes réactionnaires en formation. Les tentatives des grands partis ouvriers d'utiliser telle ou telle divergence apparente entre le capital monopoliste et les nationaux-socialistes. Surtout le prolétariat ne comprit pas que la partie se jouait non entre la démocratie et le fascisme, mais en réalité entre la révolution prolétarienne et le fascisme. C'est donc l'incapacité révolutionnaire du prolétariat qui permit le développement politique du fascisme et l'avènement d'Hitler.
Pour voir comment cela fut possible, il faut examiner en détails le contenu idéologique et tactique des principales tendances du mouvement ouvrier.
Le réformisme s'était développé parmi la classe ouvrière dans la période de montée du capitalisme. Ces racines se trouvaient dans la possibilité pour la bourgeoisie d'accroître rapidement l'appareil de production, cette production accrue étant en général facilement écoulée dans les débouchés nouveaux. Il en résultait pour la classe ouvrière un rapide développement en nombre et en puissance. La bourgeoisie avait besoin pour assurer le développement accru de la production d'une classe ouvrière docile et satisfaite. Elle pouvait facilement obtenir ce résultat en abandonnant à la classe ouvrière une faible partie des profits toujours plus élevés que lui assurait le développement de l'impérialisme. Mais même lorsque la bourgeoisie ne voulut plus -et fut impuissante à accorder à la classe ouvrière une puissance importante- et put remplir son rôle en arrachant à la classe ouvrière tous les avantages accordés autrefois, même alors le réformisme conserva dans la classe ouvrière une puissance importante et put remplir son rôle comme base politique du capitalisme. Cela tient à l'organisation politique syndicale et étatique du réformisme qui s'étant développé pendant les années de prospérité subsista tant qu'elle fut d'un intérêt quelconque pour le capitalisme. L'organisation politique (social-démocratie) avait pour méthode essentielle la pratique parlementaire. Son action avait pour but de faire croire aux ouvriers qu'ils devaient attendre paisiblement, toute amélioration de leur sort qui serait décidée par le parlement, suivant les principes démocratiques. Toutes les fois que la social-démocratie prit la part la plus active dans le massacre des ouvriers révolutionnaires, elle justifia ses trahisons en se présentant comme défenseur de la démocratie. L'organisation syndicale se donnait comme but la discussion avec les entrepreneurs des contrats de tarifs, en utilisant en dernier ressort l'arbitrage de l'Etat. Elle excluait la grève tant qu'elle pouvait le faire et, en cas de grèves spontanées, elle s'efforçait de ramener les ouvriers au travail par toutes les manœuvres possibles, même parfois en s'associant à la direction de la grève. Les bureaucrates syndicaux nombreux, bien payés, embourgeoisés, régnaient sur les ouvriers par le moyen de la gestion des institutions d'assistance de toute sorte (maladie, chômage, etc.). La participation à ces institutions et aux différents avantages syndicaux retenaient les ouvriers dans l'obéissance et permettait la persistance du pouvoir des bureaucrates malgré les trahisons répétées et toujours plus cyniques.
Parallèlement au développement de la bureaucratie syndicale, s'était développée dans l'appareil d'Etat une bureaucratie spéciale pour l'application des lois sociales, de l'assistance, des secours de chômage, etc. Il faut reconnaître dans cet organisme et sa fonction une forme auxiliaire du réformisme, qui d'ailleurs trouvait son origine dans la conjonction du réformisme parlementaire et du réformisme syndical. Ce réformisme étatique contribuait également au même rôle de maintient de la classe ouvrière dans l'ordre, l'obéissance et l'illusion.
Ainsi le réformisme persistait dans son organisation quoique ayant perdu ses racines économiques. L'idéologie du réformisme subsistait dans la classe ouvrière par survivance, mais peu à peu, elle s'effritait sous l'action de l'aggravation de l'exploitation et de la misère du prolétariat. Lorsque le prolétariat se trouva réduit à lutter pour ses intérêts les plus élémentaires, il ne parut plus possible à la bourgeoisie de maintenir cette organisation pratique de la collaboration des classes sur les bases de l'idéologie réformiste. L'organisation pratique devait être maintenue à tout prix, mais l'idéologie avait besoin d'être changée, la bourgeoisie remplaça alors résolument le réformisme par le fascisme. Les syndicats furent d'abord intégrés purement et simplement dans le fascisme. Il ne pouvait pas être question de résistance de la part des bureaucrates puisque la réalité de l'organisation réformiste de collaboration de classe était conservée : seule était rejetée, comme un oripeau inutilisable l'idéologie réformiste. Le remplacement du réformisme par le fascisme comme soutien, du capitalisme se produisit donc de la façon la plus simple et si la bourgeoisie n'avait pas eu besoin d'hommes nouveaux, elle aurait pu conserver les services des bonzes qui ne demandaient pas mieux.
Il s'est montré dans cette circonstance que les syndicats n'étaient pas une organisation qui puisse être utile à la classe ouvrière et que cela résultait non pas d'une mauvaise direction, mais de la structure et du but même des syndicats comme organes de représentation des intérêts corporatifs dans le cadre du capitalisme; de telles organisations deviennent donc nécessairement un organe du fonctionnement normal du capitalisme et ne peuvent donc pas être utilisés dans des buts révolutionnaires.
Le développement de la révolution russe depuis octobre 1917 a été conditionné par la contradiction entre un prolétariat très concentré, mais peu nombreux et une immense paysannerie arriéré. L'industrie russe était en général très moderne techniquement, mais sa structure économique présentait des lacunes car elle avait été organisée par le capital étranger pour des buts de guerre ou d’exportation Après l'effondrement du tsarisme, la bourgeoisie ne put pas stabiliser le pouvoir qui lui était tombé dans les mains, ne pouvant trouver aucun appui dans la paysannerie qui voulait la paix et la terre.
Le prolétariat audacieux et conscient s'empara du pouvoir d'état en octobre mais il se trouva devant des difficultés d'organisation énormes, en face d'une paysannerie arriérée et déjà satisfaite, vingt fois plus nombreuse que lui. La collectivisation des entreprises fut poursuivie par les ouvriers sur un rythme gigantesque, mais les tentatives d'organisation communiste de la répartition des produits se heurtèrent à la résistance passive et active de l'immense masse paysanne. La NEP fut un recul du prolétariat amené à composition par la paysannerie; cependant le prolétariat restait encore maître des leviers de commande de l'économie. Mais dans ce régime de compromis entre l'industrie collectivisée et l'agriculture parcellaire, la rivalité masquée, mais réelle, entre le prolétariat et la paysannerie fournit les bases du développement inouï de l'appareil d'Etat, de la spécialisation de cet appareil et de la suppression des pouvoirs des soviets. Les succès de la planification de l'économie accélèrent ce processus de cristallisation de la bureaucratie qui réussit à dominer peu à peu sans contrôle, en imposant des mesures de coercition économique, tant sur le prolétariat (rétablissement du travail aux pièces et de l'autorité des directeurs), que sur la paysannerie (concentration forcée des entreprises paysannes) et des mesures de domination politique (remplacement: des tribunaux populaires par des décisions de la police politique spéciale G.P.U.).
Un processus parallèle se poursuivit à l'intérieur du Parti communiste, organe dirigeant qui devint à la suite de crises successives, l'expression exclusive des nouveaux intérêts de classe de la bureaucratie Avec la disparition du pouvoir politique des soviets ouvriers, était disparu la dictature du Prolétariat à laquelle s'était complètement substituée la dictature de la Bureaucratie en temps que classe en formation.
La III° Internationale et les partis communistes dans tous les pays ont suivis leur structure les répercussions de cette transformation du régime en Russie. En particulier pour le parti allemand, la bureaucratisation et l'absence de démocratie intérieure étaient extrêmes. L'influence des masses ouvrières ne pouvait pas se faire sentir sur la politique du K.P.D. Sa stratégie et sa tactique lui était imposées suivant les intérêts de la bureaucratie soviétique. Jusqu’a la NEP, la politique extérieure soviétique avait été orientée vers la révolution mondiale, quoique avec des erreurs qui, par exemple avec Radek, eurent des conséquences désastreuses sur la révolution allemande. Maintenant la théorie du socialisme dans un seul pays met au premier plan l'édification de l'appareil industriel en Russie (cette édification industrielle étant baptisée socialisme), et par conséquent donne la plus grande importance à la stabilisation et à la politique de paix dans les relations extérieures. Avec la disparition de la dictature du prolétariat en Russie, disparait aussi l'intérêt du prolétariat mondial à considérer les développements de la situation en Russie comme l'axe de la révolution mondiale„
Les Intérêts de classe de la bureaucratie ont engendré la théorie du "parti dirigeant" qui est la négation de la possibilité d’une politique de la classe ouvrière qui soit indépendante des autres classes, en particulier des classes moyennes et, par conséquent, la racine de l’opportunisme. D'autre part, l'utilisation du prolétariat mondial pour les besoins changeants de la diplomatie soviétique engendrait une coupure toujours plus grande entre les masses et le K.P.D.
La conséquence essentielle, qui résume toute l'action de la bureaucratie soviétique a été la dégénérescence du caractère de classe du mouvement révolutionnaire. Au lieu d'une idéologie de classe, le K.P.D. répandait, tant par opportunisme que pour des raisons diplomatiques, une idéologie nationaliste (mot d'ordre de la libération nationale et sociale, théorie de l'oppression de la nation allemande par l'impérialisme). Le K.P.D. croyait en faisant cette manœuvre, introduire le désarroi dans les rangs petit-bourgeois des nationaux-socialistes. La réalité, il introduisit la confusion et le désarroi dans le prolétariat; il ne peut rien opposer idéologiquement au fascisme ascendant, et l'avènement du fascisme entraîna dans les rangs des nationaux-socialistes, des militants du K.P.D. trompés par leur propre mot d'ordre de confusion nationaliste.
L'incohérence des manœuvres bolcheviques (front unique tantôt avec les fascistes, tantôt avec les sociale-démocrates) les prétentions bureaucratiques à la dictature sur les masses, l'absence d'une idéologie prolétarienne condamnaient le K.P.D. a l'impuissance. Après avoir volé de "succès" en "succès" sur le plan électoral, le K.P.D. se trouva complètement isolé des masses quand il aurait voulu agir (manifestation des nazis devant la maison Liebknecht). Il n'est même pas possible de savoir s'il voulait agir vraiment et dans quel sens.
Les racines de cette incapacité sont les mêmes que celle de la social-démocratie. Elles résultent dans les deux cas de la pénétration des idéologies bureaucratiques dans les organisations. Ce sont les idéologies du parlementarisme (mot d'ordre : pour arrêter Hitler, votez pour Thaelmann), du syndicalisme (tentatives de conquête des syndicats) et de l'opportunisme qui consiste dans la pratique de manœuvres entre les classes et entre les différentes couches de la classe ouvrière.
La théorie du parti dirigeant et la pratique des manœuvres parlementaires syndicales et opportunistes se retrouvent dans les diverses oppositions bolcheviques. La K.P.D. (Brandler), les trotskistes et le S.A.P. ont la même idéologie fondamentale. Ils ne diffèrent que par des détails subtils et d'ailleurs changeants. Pour tous ces groupements, la tactique préconisée contre le fascisme était la même unité pour l'action du réformisme et du bolchévisme. Cette tactique ne fut pas appliquée, mais la classe ouvrière n'avait rien à espérer de 1' unité de l'incapacité avec la trahison.
Les perspectives ne peuvent se fonder que sur des expériences. Les expériences révolutionnaires sont déjà riches en enseignements depuis la Commune de Paris à la révolution d'octobre russe, en passant par la révolution de 1905 ; ces expériences contredisent formellement la tactique et la stratégie du bolchévisme; elles ont toujours montré que la classe ouvrière était capable dans des situations objectives déterminées, d'agir d'une façon indépendante comme classe, et que dans ces situations elle créait spontanément des organes pour l'expression et l'exercice de sa volonté de classe : conseils ouvriers ou soviets. Il faut voir comment sont nés et se sont développés ces organes en Allemagne. Les premières actions ouvrières surgies en 1917, contre la volonté des bureaucrates syndicaux intégrés dans le régime de guerre, ont engendré les "hommes de confiance révolutionnaires d'entreprise" (Révolutionare Betriebsobleute).
Les conseils d'ouvriers de 1918 furent la suite directe de ce mouvement. L’effondrement militaire de l'Allemagne donne prématurément des possibilités inouïes de développement à ces conseils, mais leur clarté politique n'était pas suffisante. La conscience la plus claire des nécessités révolutionnaires, représentée par le groupe Spartacus, n'était pas encore assez développée pour que le mouvement des conseils ; quelques illusions anarchistes et aussi des habitudes héritées d'une longue pratique réformiste. L'échec du mouvement des conseils en 1919 fut, pour une grande part, le résultat d'une conscience insuffisante de la nécessité de la dictature du prolétariat.
Dans la situation instable du capitalisme qui dura jusqu’à 1923, se manifesta la nécessité pour les ouvriers d'avoir des organisations révolutionnaires sur la base de la production et il naquit un peu partout en Allemagne des organisations d'entreprises, qui formées tout à fait spontanément en s'opposant aux syndicats contre-révolutionnaires, formèrent à ce moment un courant politique très important. Les tentatives révolutionnaires furent terminées en 1923 par l’action brutale de la Reichwehr écrasant les ouvriers déjà démoralisés par la tactique doublement absurde du Parti communiste qui proposait le front unique national aux fascistes de Reventlov contre l'impérialisme français et participait d'autre part, au gouvernement parlementaire de Saxe avec les social-démocrates.
Depuis 1924, la stabilisation passagère du capitalisme et l'absence de perspectives révolutionnaires entraîna la disparition des courants radicaux, permit un nouveau développement du réformisme appuyé sur l'appareil d'Etat et inaugura l'ère des "succès" parlementaires du bolchévisme. Cette consolidation apparente du réformisme et ces succès illusoires du bolchévisme n'empêchèrent pas, avec l'approche et le développement de la crise depuis 1929, la croissance du mouvement fasciste, et l'abaissement du niveau de vie de la classe ouvrière toujours de plus, en plus frappée par un chômage sans issue. Dans les masses naissaient en même temps, qu'une certaine méfiance dans les partis existants. une certaine effervescence tendant au front unique de classe, mais dans l'ensemble subsistait encore l'attente que les grandes organisations pourraient encore agir efficacement. L'avènement du fascisme sans aucune résistance, sonna le glas des illusions dos ouvriers.
Ainsi la pression des conditions économiques conduisit la bourgeoisie à détruire des organisations qui, cependant, étaient en fait seulement capables de freiner et de paralyser tout mouvement révolutionnaire de classe. Cet aspect dialectique de l'avènement du fascisme nous fait apercevoir à travers le déchaînement de la terreur et la dispersion de l'ancien mouvement ouvrier, les racines d'un progrès et les bases du mouvement rénové. La destruction des anciennes organisations ouvre de nouvelles perspectives pour un nouveau mouvement de classe. Le prolétariat se trouve débarrassé des partis soi-disant prolétariens, mais effectivement réactionnaires, des illusions paralysantes du réformisme politique et syndical et dû parlementarisme. Aussi les illusions bolcheviques sont ébranlées : la masse des prolétaires révolutionnaires ne croît plus qu'il soit nécessaire que toute son action soit dirigée par un parti de révolutionnaires professionnels au-dessus de la classe ouvrière; elle n'a plus confiance dans les méthodes de bluff de l'agitation bolchevique qui ne conduisent qu'à des actions stériles.
La pratique de la lutte illégale conduit les ouvriers à développer ces nouvelles formes de travail. Les ouvriers révolutionnaires forment à l'usine et dans les bureaux de pointage de petits groupes dans lesquels les provocateurs ne peuvent pas entrer. La diffusion des tracts couverts de mots d'ordre d'agitation et de bluff est remplacée par l'élaboration de matériel de discussion et d'éducation politique prolétarienne. Les bureaucrates du Parti communiste ne peuvent plus imposer des points de vue sans discussion.
Cependant ce travail de groupement et d'éducation de classe se fait encore de façon sporadique et avec une insuffisante clarté politique. Il est pourtant nécessaire que la clarté programmatique la plus grande possible soit le point de départ de tout travail. Les éléments révolutionnaires: des plus conscients, déjà rassemblés dans des noyaux formés par un travail tenace préparatoire, aideront ce processus de clarification et de rassemblement parmi les groupes qui sont nés des débris des anciennes organisations, mais sont encore à la recherche d'une nouvelle idéologie. Les noyaux communistes-ouvriers se sont développés, dans, la période d'aggravation de la crise. Par ces noyaux s'est réalisée la synthèse, de l'expérience de la lutte illégale des ouvriers radicaux pendant les différentes tentatives révolutionnaire depuis 1917 avec l'ardeur révolutionnaire de jeunes que le développement des événements avait éclairé sur la nécessité de rompre avec les méthodes du réformisme et du bolchévisme. Ils portent dans leur clarté idéologique les leçons du passé et dans leur volonté de lutte les espoirs de l'ouvrier.
Pendant la période précédent la terreur fasciste, dominée par les illusions réformistes et bolcheviques, ces noyaux étaient numériquement faibles en rapport aux grandes organisations de masse, mais ils étalent habitués à l'action de propagande illégale et leurs liaisons étaient solidement établies à travers toute l'Allemagne. Dégagés du sectarisme dans lequel s'étaient éperdus les débris, des organisations radicales depuis 1923, ils ont poursuivi leur action de propagande idéologique parmi les éléments les plus avancés au sein de la classe ouvrière. Grâce à leur habitude du travail illégal ils ont continué leur action malgré la terreur sans aucune interruption et n'ont subi que peu de perte. Sous le régime de terreur, ils se sont accrus de façon considérable, cependant que les grandes organisations, péniblement reconstituées, piétinent encore. Actuellement, la quantité de matériel diffusé en Allemagne par les noyaux communistes-ouvriers est comparable à celle de n'importe quelle autre organisation.
Ces noyaux qui doivent être l'armature idéologique du prolétariat, devront intégrer de nouveaux éléments pas à pas en évitant de diluer la clarté des principes. Tout nouveau noyau doit être intérieurement ferme et clair afin que n’éclate pas ultérieurement des contradictions masquées.
Dans la phase actuelle du capitalisme, la tactique des communistes est déterminée par son emploi dans une situation prérévolutionnaire ou révolutionnaire. Dans la situation actuelle prérévolutionnaire, la tâche est de créer les fondements d'un parti communiste révolutionnaire. Les noyaux communistes en formation doivent agir sur la classe ouvrière pour accélérer le développement des conditions de la lutte révolutionnaire : lutte pour la clarification de la conscience de classe, destruction de la vieille idéologie conservatrice, réformiste (ou bolchevique), compréhension de la nécessité de l'organisation de classe d'après le principe des conseils, propagande des méthodes révolutionnaires de lutte. Cette action au sein de la classe ne deviendra efficace que par la participation permanente à la pratique de la lutte pour l'existence du prolétariat sur tous les terrains, car les ouvriers n'apprennent réellement: que par l'expérience directe.
Dans la situation révolutionnaire le but est la destruction des positions des pouvoirs de la bourgeoisie par des actions de classe, la conquête des moyens de production, l'édification du pouvoir des conseils prolétariens sur les terrains économique et politique, et le commencement de la reconstruction socialiste de la société en général. Tous ces buts ne pourront se réaliser au cours de la révolution que par la liaison la plus étroite de la classe prolétarienne avec le parti révolutionnaire qui n'est autre que la partie la plus claire et là plus: active de la classe.
Le but du travail du parti ne peut être de s'élever au-dessus de la classe, à titre de chef, comme un Comité Central bolchevique, pour commander la révolution mais le parti révolutionnaire ne peut être qu'un levier du développement de l'activité propre du prolétariat.
Les forces actuelles du communisme de gauche doivent être conscientes qu'elles ne peuvent pas constituer à n'importe quel moment : le parti révolutionnaire, mais que c'est seulement au cours de la lutte révolutionnaire des masses qu'ils veulent développer, dans un nouveau travail de reconstruction, les bases de ce parti, "que la révolution ne peut vaincre sans un grand parti révolutionnaire". Mais inversement, dans une situation "devenant révolutionnaire", ce parti ne peut se développer, et s'ancrer largement dans la classe ouvrière!
La question fondamentale de la tactique révolutionnaire d'un noyau communiste dans la classe n'est pas : comment rassembler le plus, vite possible, le plus possible de puissance derrière l'organisation pour abattre l'adversaire grâce à l'intelligence supérieure de la direction de l'organisation? Non la question fondamentale est : comment dans chaque étape de la lutte pratique peuvent être développés et poussés en avant la conscience, l'organisation et la capacité d'action de la classe prolétarienne, de telle façon que la classe dans son ensemble puisse, en réciprocité avec le parti communiste révolutionnaire, accomplir sa tâche historique.
La tâche des noyaux communistes révolutionnaires est donc double : d'une part, la clarification idéologique comme fondement du développement du parti révolutionnaire; d'autre part, la préparation des bases des organisations d'entreprise par le rassemblement des ouvriers révolutionnaires de conscience évoluée. L'exploitation capitaliste, de plus en plus aigue obligera les ouvriers à défendre leur existence même, et à entrer dans la lutte, même dans les conditions les plus difficiles. Faute d'organisation, les ouvriers en lutte créeront des organes de direction de lutte comme par exemple, des comités d'action. Le rôle des noyaux d'entreprise sera de participer à ces mouvements, de les clarifier en leur donnant un contenu politique.et dé travailler à leur extension à l'échelle nationale et internationale.
Dans la mesure où ces luttes s'étendront, la classe ouvrière entrera dans la lutte pour le pouvoir politique. Ces organisations de lutte, devenues permanentes, prennent un caractère spécial : elles deviennent des organes pour la conquête du pouvoir prolétarien et enfin les seuls organes de la dictature du prolétariat. Ces conseils -organes issus directement de la base des usines, et des organisations de chômeurs et toujours révocables- auront un rôle double : les conseils politiques devront poursuivre l'écrasement de la bourgeoisie et l'affermissement de la dictature du prolétariat; les conseils économiques la transformation sociale de la production.
Ces principes d'organisation et ces perspectives de développement de l'activité de classe sont justifiés non seulement par l'expérience historique de la classe ouvrière, mais aussi par les perspectives du capitalisme.
Les perspectives du capitalisme sont dominées par l'approfondissement et l'élargissement de la crise dans le monde entier, il est maintenant visible pour tout le monde que la crise actuelle est de toute autre portée que les criées cycliques qui faisaient partie du fonctionnement normal du capitalisme. Il est clair que la crise actuelle est devenue une crise du régime même ou plutôt une étape de dégénérescence du capitalisme. Les tentatives faites pour surmonter la crise sont accompagnées à leur début de l'enthousiasme de la bourgeoisie (et de la social-démocratie), mais elles s'effondrent quelques mois après, comme c'est le cas actuellement pour l'expérience Roosevelt. Le capitalisme ne peut plus que modifier la répartition des débouchés, c'est-à-dire remplacer le secteur le plus éprouvé par la crise par tel autre secteur jusqu'alors moins atteint; mais il ne peut pas créer de nouveaux débouchés. Les tentatives de nouvelle répartition des débouchés n'ont finalement pour résultat que d'étendre à tous les pays et à toutes les branches de l'économie, les désastres de la crise, de soumettre les ouvriers du monde entier à une exploitation également aggravée et servir de prélude à l'extension du fascisme à de nouveaux pays.
Les tentatives de répartition nouvelle, des débouchés produisent dans le monde entier des violentes contradictions internationales. Les capitalismes nationaux se heurtent dans la politique douanière et monétaire la plus insensée. Les antagonismes deviennent de plus en plus aigus et les points de friction, les sources de conflit de plus en plus nombreux. Cette aggravation des rapports politiques internationaux réagit à son tour sur les conditions économiques qui l'ont engendrée et rendent ces conditions plus insurmontables. Il en résulte que le fascisme ne peut pas trouver la moindre base économique de stabilisation. C'est pourquoi, pour détourner l'attention des masses de leur propre misère, toujours croissante, il suscite à son tour de nouvelles difficultés internationales.
Ainsi l'impossibilité, pour le capitalisme, de surmonter les difficultés économiques et l'aggravation des contradictions sur le terrain international, ouvrait la voie au fascisme dans tous les pays et, cependant, excluent l'éventualité de la stabilisation du fascisme. La solution de cette contradiction dialectique ne peut être trouvée que dans la révolution prolétarienne. Cependant une solution peut être recherchée par la bourgeoisie dans une nouvelle guerre mondiale si le prolétariat ne prend pas l'initiative de l'action décisive. Mais la guerre mondiale elle-même n'est pas une solution et le dilemme qui se posera inéluctablement est celui prévu par Marx : Communisme ou barbarie.
Les perspectives révolutionnaires doivent donc être envisagées à l'échelle mondiale. Les fluctuations cycliques de la conjoncture, se produisant.sur le champ de la crise permanente du capitalisme dégénérescent, détermineront, dans les années qui viennent, des aggravations encore plus brutales et encore plus insupportables pour la classe ouvrière,
La nécessité, pour la classe ouvrière, de défendre ses intérêts les plus élémentaires produira inéluctablement les conditions d'une nouvelle époque de luttes à l'échelle mondiale.
En présence du développement mondial du fascisme, on ne doit pas considérer la situation des prolétaires d'Allemagne comme une situation spéciale, exigeant principalement des actions de solidarité avec des moyens plus ou moins utopiques; mais la question fondamentale qui se pose pour le prolétariat international est la suivante : comment utiliser au mieux les leçons politiques et organisations de l'expérience allemande pour que, dans une nouvelle époque de lutte, l'adversaire de classe trouve devant lui le prolétariat mondial mieux armé idéologiquement et organisatoirement .
La réponse est claire et découle de ce qui a été dit pour l'action en Allemagne. Les mêmes principes idéologiques et d'organisation doivent être, dès à présent, appliqués dans le monde entier par les communistes révolutionnaires qui ont su tirer les leçons de l'expérience récente de la honteuse trahison du réformisme et de l'effondrement du bolchevisme. Des noyaux de révolutionnaires clairvoyants doivent se constituer et s'attaquer opiniâtrement à la tâche de la clarification idéologique et de l'organisation nouvelle de la classe ouvrière.
Ces organisations nouvelles doivent établir leurs liaisons internationales pour jeter les bases de la formation de la IV° internationale par le même processus de la transformation des noyaux en parti qui doit se produire dans la conjoncture révolutionnaire.
Jeter dès maintenant le mot d'ordre de constitution de la IV° internationale est aussi inconséquent que de préconiser la constitution immédiate du nouveau "véritable parti de la classe ouvrière". En réalité, ce mot d'ordre des Trotskistes et du S.A.P. ne peut aboutir qu'à la reconstitution provisoire du bolchevisme, qu'à une internationale 3 et demi qui sera, comme un appendice honteux de la III° internationale, destinée à sombrer, comme celle-ci, dans le même fiasco.
Le prolétariat a autre chose à faire que de réaliser des caricatures historiques. Sa tâche est de vaincre la bourgeoisie et de réaliser le communisme. A nous de préparer les armes qui lui permettront de vaincre.
A. LEHMANN
Le second numéro de Forward, la revue du "Revolutionary Workers' Group" (RWG) ([1] [54]), contient une discussion internationale entre notre courant (Internacionalismo): "Défense du caractère prolétarien d'Octobre") et le RWG ("Les erreurs d'Internacionalismo au sujet de la Révolution russe"). Dans la critique de notre article, le RWG soulève d'importantes questions, mais sans dégager un cadre général permettant la compréhension globale de l'expérience russe.
Les révolutionnaires n'analysent pas l'histoire pour elle-même, ni pour trouver ce qu'ils auraient fait s'ils avaient étés là mais pour tirer, avec l'ensemble de la classe, les leçons de l'expérience du mouvement ouvrier afin de mieux comprendre le chemin à suivre dans les luttes de demain.
L'article de notre courant, "Défense du caractère prolétarien d'Octobre", sans avoir la prétention de faire une analyse exhaustive de la question complexe de la révolution russe cherche à clarifier un point essentiel : la révolution russe fut une expérience du prolétariat et non une révolution bourgeoise ; elle était partie intégrante de la vague révolutionnaire qui a secoué le capitalisme mondial de 17 aux années 20. La révolution russe ne fut pas une "action bourgeoise'' que nous pouvons donc tranquillement enterrer et ignorer dans nos analyses actuelles. Bien au contraire, il semble inconcevable que les révolutionnaires d'aujourd'hui, rejetant le stalinisme, rejettent du même coup l'histoire tragique de leur propre classe. Le rejet de tout caractère prolétarien de la révolution d'Octobre, qui souvent trouve ses adeptes chez ceux qui suivent la tradition conseilliste, est autant une mystification cachant là réalité des efforts révolutionnaires de la classe que celle des staliniens et trotskistes s'accrochant au soi-disant "acquis matériels" ou à l'"Etat Ouvrier" pour justifier la défense du capitalisme d'Etat russe.
Avec la reconnaissance du caractère prolétarien d'Octobre, on doit reconnaître que le parti Bolchevik, aux premiers rangs de la gauche marxiste internationale qui défendait des positions de classe révolutionnaire pendant la première guerre mondiale et en particulier en 17, était un parti prolétarien. Mais lors de la défaite des soulèvements ouvriers internationaux, le bastion russe, isolé, a subi une contre-révolution "de l’intérieur" ou le parti Bolchevik, de pilier de la gauche communiste internationale en 1919, a dégénéré en parti du camp bourgeois.
Voilà quelles sont les idées centrales qui ressortent de l’article d'Internacionalismo, malgré la traduction souvent pénible qu'en a fait Forward. Forward ne veut pas, en fait, discuter le problème de la nature prolétarienne d'Octobre, il est d'accord sur ce point, ce qui le préoccupe, c'est la nature contre-révolutionnaire des événements ultérieurs, bien que Internacionalismo ne traite le sujet que de façon secondaire. Il n'y a d'ailleurs pas d'article dans notre presse qui suffise, à lui seul à traiter tous les, problèmes de l'histoire. Malgré ce malentendu de départ c'est quand même avec étonnement que nous lisons :
Ces lignes semblent clairement indiquer que le chemin de la contre-révolution fut un processus dont les bases apparaissent avec l'étouffement du pouvoir des soviets et la suppression de l'activité autonome du prolétariat, un processus qui amena au massacre par l'Etat d'une partie de la classe ouvrière à Kronstadt. Le tout du vivant de Lénine.
Pourquoi la dégénérescence de la révolution russe a-t-elle eu lieu ? La réponse ne peut pas se trouver dans le cadre d'une nation, dans la seule Russie. De même que la révolution russe fut le premier bastion de la révolution internationale en 17, le premier d'une série de soulèvements prolétariens internationaux, de même sa dégénérescence en contre-révolution fut l'expression d'un phénomène international, le résultat de l' échec de l'action d'une classe internationale, le prolétariat. Dans le passé, las révolutions bourgeoises ont construit un Etat national, cadre logique pour le développement du capital, et ces révolutions bourgeoises pouvaient avoir lieu avec un siècle d'écart ou plus entre les différents pays. La révolution prolétarienne, au contraire, est par essence une révolution internationale, qui doit s'étendre jusqu'à intégrer le monde entier, ou être condamnée à une mort rapide.
La première guerre mondiale, terme de la période ascendante du capitalisme, a marqué le point de non-retour absolu pour le mouvement ouvrier du XIX° siècle et ses objectifs immédiats. Le mécontentement populaire contre la guerre a pris rapidement un caractère politique contre l'Etat dans les principaux pays d'Europe. Mais la majorité du prolétariat n'a pas été capable de rompre avec les vestiges du passé (adhésion à la politique de la II° Internationale qui était alors passée dans le camp de l'ennemi de classe) et de comprendre complètement toutes les implications de la nouvelle période. Ni le prolétariat dans son ensemble, ni ses organisations politiques, ne comprirent pleinement les impératifs de la lutte de classe dans cette nouvelle période de "guerre ou révolution", de "socialisme ou barbarie". Malgré les luttes héroïques du prolétariat à cette époque, la vague révolutionnaire fut écrasée par le massacre de la classe ouvrière européenne. La révolution russe était le phare qui guidait toute la classe ouvrière à l'époque, mais cela n'enlève rien au fait que son isolement constituait un grave danger, même une brèche temporaire entre deux soulèvements révolutionnaires est pleine de dangers. Celle qui s'ouvrait en 1920 devenait un précipice.
Le contexte du reflux international et de l'isolement de la révolution russe garde la plus grande importance. Mais à l'intérieur de ce contexte, les plus graves erreurs des Bolcheviks ont joué leur rôle. Ces erreurs doivent être mises en relation avec l'expérience et les luttes de la classe ouvrière elle-même. Les erreurs ou les apports positifs d'une organisation de la classe ne tombent pas du ciel ni ne se développent arbitrairement et par hasard. Ils sont, au sens large du terme, le reflet de la conscience de classe du prolétariat dans son ensemble.
Le parti Bolchevik fut contraint d’évoluer à la fois théoriquement et politiquement, en relation avec le surgissement du prolétariat russe en 17 et la perspective de mouvements internationaux, en Allemagne et ailleurs. Il a été aussi le reflet de l'isolement et de l’écrasement du prolétariat dans la période où grandissait la victoire de la contre-révolution. Que ce soient les bolcheviks, les spartakistes ou toute autre organisation politique de l'époque; confrontées aux tâches nouvelles de la période de décadence qui s’est ouverte avec la première guerre mondiale, leur compréhension incomplète a servi de base à des erreurs politiques très graves.
Mais le parti du prolétariat n’est pas un simple reflet passif de la conscience : il en est un facteur actif de développement et d’extension. Les bolcheviks, en exprimant clairement les buts de classe dans la période de la première guerre mondiale ("transformer la guerre impérialiste en guerre civile"), et pendant la période révolutionnaire (opposition au gouvernement démocratique bourgeois) "tout le pouvoir aux soviets", formation de l’IC, sur la base d’un programme révolutionnaire) ont contribué à tracer le chemin de la victoire. Malgré cela, les positions prises.par les bolcheviks dans le contacte du déclin de la vague révolutionnaire (alliance avec les fractions centristes à l’échelle internationale, syndicalisme, parlementarisme, tactique de front unique? Kronstadt) ont contribué à accélérer le processus .contre révolutionnaire à. l'échelle internationale autant qu’en Russie. Une fois disparu le creuset de praxis révolutionnaire sous, la contre révolution triomphante en Europe, les erreurs de la révolution russe furent privées do toute possibilité, d’évolution. Le parti Bolchevik était devenu l'instrument de la contre révolution.
Du fait de l'impossibilité de socialisme en un seul pays, la question de la dégénérescence de la révolution russe est avant tout une question de défaite internationale du prolétariat. La contre révolution a triomphé en Europe avant de pénétrer totalement le contexte russe "de l'intérieur". Ceci ne doit pas, répétons le, "excuser" les erreurs de la révolution russe ou du parti bolchevik. Pas ; plus que ces erreurs "n'excusent" le prolétariat de n’avoir pas su faire la révolution en Allemagne ou en Italie par exemple. Les marxistes n 'ont rien à faire d’" excuser" ou de ne pas "excuser" l’histoire Leur tâche est d’expliquer pourquoi ces événements ont eu lieu et d'en tirer les leçons pour la lutte prolétarienne à venir
Ce cadre générai international manque dans l’analyse du RWG qui débat de la "révolution et contre-révolution en Russie" (brochure du RWG) en termes presque exclusivement russes. Cette démarche peut sembler être une façon utile d’isoler théoriquement un problème particulier. Mais elle n'offre aucun cadre qui permette de comprendre pourquoi ces événements sont arrivés en Russie et elle mène à tourner en rond dans le vide sur le phénomène purement russe qui en ressort. Comme Rosa Luxemburg l’écrivait : "Le problème ne pouvait être que posé en Russie. Il ne pouvait être résolu en Russie".
Dans les limites de cet article, nous devins nécessairement nous borner à un aperçu d’ensemble du processus de dégénérescence, laissant de côté les détails des divers épisodes.
La révolution russe, fut d’abord et avant tout considérée comme la première victoire de la lutte internationale de la classe ouvrière. En mars 1919 les bolcheviks appelèrent au premier congrès d'une nouvelle Internationale pour marquer la rupture avec la social-démocratie traitre et pour réunir les forces de la révolution pour la lutte à venir. Malheureusement la révolution allemande avait déjà été écrasée en janvier 19, et la vague révolutionnaire refluait. Pourtant, malgré le blocus presque total de la Russie et les nouvelles déformées qui y parvenait du prolétariat de l'Ouest, la révolution mit toute son espérance dans la seule sortie possible, l’union internationale des forces révolutionnaire sous un programme qui fixait clairement les buts de classe :
Toile était la position en 1919 et * non les alliances ultérieures avec les centristes, ouvrant le parti et l’Internationale et finissant "front unique".
"Esclaves des colonies d'Afrique et d'Asie : le jour de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme le jour de votre délivrance. " (Manifeste de l'Internationale Communiste, 1919)
Et non l'inverse, comme le prônent les gauchistes aujourd'hui suivant, les formules contre-révolutionnaires sur la "libération nationale" issues de la dégénérescence de l'Internationale.
"Nous demandons à tous les ouvriers du monde de s'unir sous la bannière du communisme qui est déjà la bannière des premières victoires pour tous les pays! " (Manifeste)
Et non le socialisme en un seul pays :
Ces positions sont le reflet de l'énorme pas qu’avait franchit le prolétariat dans les années précédentes. Les positions que les bolcheviks mettaient alors en avant et défendaient étaient souvent en rupture nette avec leurs programmes antérieurs et constituaient un appel à la classe ouvrière toute entière, de reconnaître les nouvelles nécessités politiques de la situation révolutionnaire.
Mais en 1920, lors du second congrès de la même Internationale, la direction du parti bolchevik avait fait une volte face, retournant aux "tactiques" du passé. L’espoir de la révolution s’affaiblissait rapidement, et le parti Bolchevik défendait alors les 21 conditions d'admission à l'Internationale, incluant : la reconnaissance des luttes de libération nationale, de la participation électorale, de l'infiltration dans les syndicats, bref un retour au programme social-démocrate qui était complètement inadapté à la nouvelle situation. Le parti russe devint en effet la direction prépondérante de l’IC, et le bureau d'Amsterdam fut fermé. Et surtout, là direction bolchevik réussit à isoler les communistes de gauche : la gauche italienne avec Bordiga, les camarades anglais autour de Pankurst, et Pannekoek, Gorter et le KAPD (qui f ut exclu on troisième congres). Les bolcheviks et les forces dominantes de l’Internationale œuvraient en faveur d'un rapprochement avec les centristes, ambigus et traitres qu'ils dénonçaient seulement deux ans auparavant, et ils réussirent effectivement à saborder toute tentative de créer une basé de principes pour la création de partis communistes en Angleterre, en France ou ailleurs, grâce à leurs manœuvres et à leurs calomnies sur la gauche. Le chemin du "Front Unique" de 1922 au 4° Congrès et enfin de la défense de la patrie russe et du "socialisme en un seul pays" était déjà ouvert par ces actions.
L'affaiblissement de la vague révolutionnaire et le chemin vers la contre révolution est aussi claire vont marquer par la signature du traité secret de Rapallo avec le militarisme allemand. Quelle que soit l'analyse des points positifs et négatifs du traité de Brest-Litovsk par exemple, il fut fait en plein jour, après, un long débat au sein du parti bolchevik et fût présenté eu prolétariat mondial comme une chose imposée par une situation critique. Mais le traité de Rapallo, seulement deux ans après, était une trahison de tout ce qu'avaient défendu les bolcheviks, un traité militaire secret conclu avec l'Etat allemand.
Les germes de la contre-révolution se développaient, avec la rapidité, d'une période de bouleversaient historique, lorsque de très grands changements viennent en quelques années ou même en quelques mois. Et finalement toute vie a quitté le corps de l'Internationale quand La doctrine du "socialisme en un seul pays" fut proclamée.
L'histoire tourmentée de l'IC ne peut être réduite à un plan machiavélique des bolcheviks, qui auraient projeté de trahir la classe ouvrière aussi bien en Russie qu’internationalement. Cette notion infantile ne peut rien expliquer dans l'histoire. Mais la classe ouvrière n’a pas pu réagir pour redresser ses propres organisations à cause de la défaite et du reflux de la vague révolutionnaire; c’est cette même défaite qui a provoqué la dégénérescence définitive de des organisations et de leurs principes révolutionnaires.
Marx et Engels avaient constate qu'un parti ou une internationale ne pouvaient demeurer un instrument de la classe lorsqu'il y avait un cours général de réaction. Cet instrument de la classe ne peut demeurer une unité organisationnelle lorsqu'il n'y a plus de praxis de la classe, il est pénétré lui-même du reflux ou de la défaite, et éventuellement sert alors la confusion ou la contre-révolution. C’est pourquoi Marx a dissous la Ligue des Communistes après le reflux de la vague révolutionnaire de 1848 et a sabordé la Première Internationale (en l'envoyant à New-York) après que la défaite de la Commune de Paris ait marqué la fin d’une période. La III° Internationale, malgré son authentique contribution au mouvement ouvrier a souffert d'un long processus de corruption durant la période ascendante du capitalisme, où elle était de plus en plus liée au réformisme et donnait une vision nationale à chaque Parti. Son passage définitif dans le camp bourgeois survint avec la guerre de 1914, lorsqu'elle collabora à l'effort de la guerre impérialiste. Tout au long de cette période de crise pour la clause ouvrière, la tache continuelle d'élaboration théorique- et de développement de la conscience de classe incomba aux "fractions" révolutionnaires de la classe issues des anciennes organisations, qui préparaient le terrain pour la construction d'une nouvelle organisation.
La IIIe Internationale fut construite comme expression de la vague révolutionnaire des années qui suivirent la guerre mondiale, mais la défaite des tentatives révolutionnaires et la victoire de la contre révolution sonna son glas en tant qu'instrument de la classe. Le processus de contre révolution fut achevé (bien qu'il ait commencé avant) lors de la déclaration du "socialisme en un seul pays" ; la fin définitive de toute possibilité objective pour la subsistance des fractions révolutionnaires dans l'Internationale et la fin de toute une période.
L’idéologie bourgeoise peut pénétrer, dans une période de reflux, la lutte prolétarienne, à cause de la force des idées de la classe dominante dans la-société. Mais lorsqu’une organisation est définitivement passée dans le camp bourgeois, le chemin est fermé à toute possibilité de "régénérescence". De même qu'aucune fraction vivante exprimant la conscience de classe prolétarienne ne peut surgir d’une organisation bourgeoise, et ceci inclut aujourd'hui les staliniens, les trotskystes et les maoïstes (même si des individus peuvent être capables de faire la rupture) ; de même l'IC et tous les partis qui sont restés en son sein, furent
irrémédiablement perdus pour le prolétariat.
Ce processus est plus facile à voir avec le recul que nous avons aujourd'hui qu'il ne l'était malheureusement pour l'ensemble de la classe à l'époque, ou pour beaucoup de ses éléments les plus politises. Le processus de contre-révolution qui a condamné l'IC, a semé une terrible confusion dans le mouvement ouvrier pendant ces cinquante dernières années. Même ceux qui ont poursuivi la tache, d'élaboration théorique dans les sombres années 30 et 40, ceux qui restaient du mouvement de la gauche communiste, mirent longtemps à voir toutes les implications de la période de défaite. Laissons les modernistes arrogants ([2] [55]) qui ont "tout découvert" dans les années 74-75, apprendre aux ombres ce que l'histoire aurait du être.
La politique internationale des bolcheviks, leur rôle dans le processus de contre révolution internationale n'est pratiquement pas discuté dans la brochure de RWG "Révolution et contre révolution en Russie" et n'est que mentionné en passant dans le texte de Forward. Pour ces camarades, la contre révolution commence essentiellement avec la NEP (Nouvelle Politique Economique). La NSP fut, pour eux, "le tournant de l'histoire de l'Union Soviétique". La même année, le capitalisme fut restauré, la dictature politique vaincue et l'Union Soviétique devint un Etat ouvrier". (Révolution et contre révolution en Russie, p.7)
D'abord, il faut dire que quels que soient les événements dans le contexte russe, une révolution internationale ou un internationale ne meurent pas à cause d'une mauvaise politique économique dans un pays. Le lecteur cherchera en vain un cadre cohérent qui permette d'analyser la NEP ou les événements ultérieurs en Russie en général.
La dégénérescence de la Révolution sur le sol russe s'exprimait essentiellement par le déclin graduel mais mortel des Soviets et par leur réduction en un simple appendice du Parti-Etat bolchevik. L'activité autonome du prolétariat, la démocratie ouvrière à l'intérieur du système des soviets étaient la base principale de la victoire d'Octobre. Mais dès 1918, il apparaît clairement que le pouvoir politique des Conseils Ouvriers était en train d'être entamé et étouffé par l’appareil d'Etat. Le point culminant de la période de déclin des soviets en Russie fut le massacre d'une partie de la classe ouvrière à Kronstadt. Le RWG fixé sur la NEP, n'a même pas mentionné le massacre de Kronstadt par rapport à l’analyse de l'Etat russe. Ce fait n'est pas si étonnant. Kronstadt n'est mentionné dans aucun des deux textes principaux sur la Russie, pas plus que Rapallo. Il est peut être compréhensible que les camarades du RWG, récemment issus du dogme trotskiste, n’avaient pas encore compris, lorsqu'ils ont écrit ces articles, que Kronstadt n'était pas la "mutinerie contre-révolutionnaire" dont parlaient Lénine et Trotski. Ce qui est moins compréhensible, c'est qu'ils accusent nos camarades d'Internacionalismo de ne pas être capables de voir "la dégénérescence de la révolution du vivant de Lénine".
L’erreur fondement aie du parti Bolchevik en Russie était la conception selon laquelle le pouvoir devait être exercé par une minorité de la classe, le Parti. Ils croyaient que le parti pouvait apporter le socialisme à la classe et ils n'ont pas vu que c'était la classe dans son ensemble organisée en Soviets, qui était le sujet de la transformation socialiste. Cette conception du Parti prenant le pouvoir étatique existait dans toute la gauche, à un degré ou à un autre, même chez Rosa Luxemburg, jusqu'aux écrits du KAPD en 1921. L'expérience russe du parti au pouvoir, que le prolétariat payait de non sang, marque une frontière de classe définitive sur la question de la prise de pouvoir par un parti ou une minorité de la classe, "au nom de la classe ouvrière". A partir de cette expérience, la leçon de la non identification de l'Etat et du parti devint un signe distinctif des fractions révolutionnaires de la classe et encore plus loin que le rôle des organisations politiques de la classe est de contribuer à la conscience de la classe et non de se substituer à l'ensemble de la classe.
Les intérêts historiques de la classe ouvrière en tant que destructeur du capitalisme n'était pas toujours compris dès le départ, et ne pouvait pas l'être, le développement de la conscience politique de la classe étant constamment entravé par l'idéologie bourgeoise dominante. Marx écrivit, le manifeste communiste sans voir que le prolétariat ne pouvait pas s’emparer de l’appareil de l'Etat bourgeois pour s'en servir. L'expérience vivante de la Commune de Paris était nécessaire pour prouver de façon irréfutable que le prolétariat devait détruire l'Etat bourgeois pour pouvoir exercer sa dictature sur la société. De même, la question du rôle du Parti était en débat dans le mouvement ouvrier jusqu'en 17, mais l'expérience russe marque une frontière de classe sur ce point. Tous ceux qui-répètent ou théorisent la répétition des erreurs des bolcheviks sont de l'autre côté delà frontière de classe.
Ce que l'Etat Busse a détruit en affaiblissant les soviets, c'était la force mène du socialisme. En l'absence de l'activité autonome, organisée, de l'ensemble de la classe, tout espoir de régénération fut progressivement éliminé, la politique économique des bolcheviks était débattue, changée, modifiée, mais leur action politique en Russie fut fondamentalement un processus continu qui a creusé la tombe de .la révolution. Tout ce processus devient encore plus clair quand on lé voit dans le contexte de la défaite internationale du mouvement dont il faisait partie.
Une des premières, des plus importantes leçons qui doivent être tirées de l'expérience révolutionnaire de la période d'après la première guerre est que la lutte prolétarienne est avant tout une lutte internationale et que la dictature du prolétariat (que ce soit dans un secteur ou à l'échelle mondiale) est d'abord et avant tout une question politique.
Le prolétariat, à l'inverse de la bourgeoisie, est une classe exploitée et non exploiteuse. Elle n'a donc pas de privilège économique sur lequel appuyer son avenir de classe. Les révolutions bourgeoises étaient essentiellement une reconnaissance politique d'un fait économique accompli. La classe capitaliste était devenue la classe économique dominante de la société, bien avant le moment de sa révolution. La révolution prolétarienne, par contre, entreprend une transformation économique à partir d'un point de départ politique : la dictature du prolétariat. La clause ouvrière n’a aucun privilège économique à défendre dans l'ancienne société comme dans la nouvelle, et n’a que la capacité de s'organiser et sa conscience de classe, son pouvoir politique organisé en Conseils Ouvriers pour le guider dans la transformation de la société. La destruction du pouvoir bourgeois et l'expropriation de la bourgeoisie doit être victorieuse à l'échelle mondiale avant que toute transformation sociale réelle puisse être entreprise sous la direction de la dictature du prolétariat.
La loi économique fondamentale de la société capitaliste, la loi de la valeur est la produit de l'ensemble du marché capitaliste mondial et ne peut en aucune façon et par aucun moyen être éliminée dans un seul pays (même dans un des pays, les plus développés) ou dans un ensemble de plusieurs pays, mais seulement à l'échelle mondiale. Il n'existe aucun échappatoire à ce fait même en le reconnaissant pieusement pour ensuite l'ignorer en parlant de possibilités d'abolir tout de suite l'argent et le travail salarié (qui sont corollaires de la loi de la valeur et du système capitaliste dans son ensemble) dans un seul pays. Les seules armes dont dispose le prolétariat pour mener à bien la transformation de la société qui suit et ne précède pas la prise de pouvoir par les Conseils Ouvriers internationalement sont :
La victoire du prolétariat ne dépend pas de sa capacité à "gérer" une usine ou même toutes les usines d'un pays. Gérer la production alors que le système capitaliste continue à exister condamne cette "gestion" à être la gestion de la production de plus-value et de l'échange. La première tâche de tout prolétariat vainqueur dans un pays ou un secteur n’est pas de se préoccuper de la façon de créer un "mythique îlot de socialisme" qui est impossible mais de donner toute l'aide possible à son seul espoir —la victoire de la révolution mondiale.
Il est de la plus grande importance de définir des priorités sur ce point. Les mesures économiques que prendra le prolétariat dans un pays, ou dans un secteur, sont une question secondaire. Dans le meilleur des cas, ces mesures ne sont que des mesures destinées à parer au pire et tendent à aller dans un sens positif : toute erreur peut être corrigée si la révolution avance. Mais si le prolétariat perd sa cohérence politique, sa force armée, ou si les Conseils Ouvriers perdent leur contrôle politique et leur claire conscience du sens dans lequel aller, alors il n’y a plus d’espoir de corriger les erreurs ou d'instaurer le socialisme. Aujourd'hui, de nombreuses voix s'élèvent contre cette conception; certaines de ces voix proclament qu'enfermer la lutte prolétarien ne sur le terrain politique n'est qu'un non-sens, une vieillerie réactionnaire. En fait, la conception selon laquelle la classe révolutionnaire est une classe définie objectivement, le prolétariat, est aussi pour eux une vieillerie et devrait céder la place à une "classe universelle" rassemblant tous ceux qui sont "opprimés", tourmentés psychologiquement ou ayant un penchant philosophique pour la révolution.
Les "rapports communistes", ou selon un groupe anglais du même nom la "pratique communiste" peuvent être réalisés immédiatement, il suffit que les "gens" le désirent. Pour eux, le plus important n'est pas la prise de pouvoir du prolétariat à l'échelle internationale et l'élimination de la classe capitaliste, mais l'instauration immédiate des soi-disant "rapports communistes" sous la poussée spontanée des "gens en général".
Les éléments purement abstraits et mythiques qui sous tendent cette théorie n’enlèvent rien au fait qu'elle peut parfaitement servir de couverture à l'idéologie "autogestionnaire". Face à l'accroissement du mécontentement de la classe ouvrière s'exprimant en mouvements de masse avec l'approfondissement de la crise capitaliste, une des réactions de la bourgeoisie pourra être de dire aux ouvriers; vos intérêts ne sont pas de vous lancer dans des problèmes "politiques" comme la destruction de l'Etat (bourgeois, mais de prendre les usines et de les faire marcher "pour vous-même", dans l'ordre. La bourgeoisie essaiera d'épuiser les ouvriers derrière un programme économique d'autogestion de l'exploitation et pendant ce temps la classe capitaliste et son Etat attendront pour cueillir les fruits. C'est ce qui s'est passé en Italie en 1920, ou "Ordino Nuovo" et Gramsci exaltaient les possibilités économiques qu'ouvraient les occupations d'usines pendant que la fraction de gauche, avec Bordiga, disaient que les Conseils Ouvriers, bien qu'ils aient leurs racines dans l'usine, doivent mener une attaque frontale contre l'Etat et le système DANS SON ENSEMBLE, ou mourir.
Les camarades du RWG ne rejettent pas la lutte politique. Ils se bornent à dire que le contexte politique et les mesures économiques sont également importants et cruciales. Dans un sens, ils ne font que répéter un truisme marxiste : le prolétariat, classe exploitée, ne se bat pas pour prendre le pouvoir politique sur la bourgeoisie dans le but de satisfaire une quelconque psychose de pouvoir, mais pour jeter les bases d'une transformation sociale par la lutte de classe et l'activité autonome et organisée de la seule classe révolutionnaire qui, en se libérant de l'exploitation libérera l'humanité toute entière de l'exploitation pour toujours. Mais les camarades du RWG n'ont aucune idée concrète de la façon dont peut se dérouler ce processus de transformation sociale. La révolution est un assaut rapide contre l'Etat, mais la transformation économique de la société est un processus qui se déroule à l'échelle .mondiale et qui est d'une extrême complexité. Pour mener à bien ce processus économique, le cadre politique de la dictature de la classe ouvrière doit être clair. Avant tout, il faut reconnaître que la prise de pouvoir du prolétariat ne veut pas dire que le socialisme peut être instauré par décret. Donc :
A partir du fait que nous affirmons que la dictature politique du prolétariat est le cadre et la condition préalable pour la transformation sociale, l’esprit simpliste (RWG) conclue: il semble qu'Internacionalismo nie la nécessité pour le prolétariat de mener une guerre économique contre le capitalisme" (Forward, p44)
Contrairement à ce que proclame Forward, tout n'est pas immédiatement d'égale importance, ou de mené gravité, pour la lutte révolutionnaire. Dans un pays où la révolution vient juste de triompher, les conseils ouvriers peuvent considérer nécessaire de travailler 10 ou 12 heures par jour pour produire des armes et du matériel à envoyer à leurs frères assiégés d'une autre région. Est-ce le socialisme? Pas si l’on considère que les principes de base du socialisme sont la production pour les besoins humains (et non pour la destruction) et la réduction de la journée de travail. Est-ce que cette mesure doit alors être dénoncée comme une proposition contre révolutionnaire? Evidemment non, puisque la première tâche et le premier espoir de salut de la classe ouvrière est d'aider l’extension de la révolution internationale. Ne devons nous pas alors admettre que le programme économique est soumis aux conditions de la lutte de classe et qu'il n’existe pas de moyen de créer un paradis économique ouvrier dans un seul pays? Dans tout ceci, nous devons insister sur le fait que tout affaiblissement politique du pouvoir des Conseils dans les prises de décision et l'orientation de la lutte serait fatal.
Les révolutionnaires mentiraient à leur classe s'ils la berçaient de rêves dorés pleins de lait, de miel et de miracles économiques, au lieu d'insister sur la lutte à mort et les terribles destructions que nécessite une guerre civile. Ils ne feraient que démoraliser leur classe en déclarant que les inévitables reculs économiques (dans un pays ou plusieurs) signifient la fin de la révolution. En mettant ces questions sur le même plan immédiat que la solidarité politique, la démocratie prolétarienne ou le pouvoir de décision du prolétariat, ils détourneraient la force décisive de la lutte de classe et compromettraient ainsi le seul espoir d'entamer-une-période de transition au socialisme à l'échelle mondiale.
Le RWG répond que "tout ne peut pas être pareil qu'avant, après la révolution" et met l'accent sur les tragiques conditions des ouvriers en Russie en 1921. Mais ils ne nous disent pas de quelles conditions ils parlent. Est-ce-que c'est que les organisations de masse de la classe ouvrière étaient exclues de toute participation effective à l’Etat Ouvrier"? Qu'on réprimait les ouvriers en grève à Petrograd ? S’ils parlent de ces conditions, ils touchent là le cœur de la dégénérescence de la révolution. Ou bien parlent-ils simplement de la famine? Ici encore, il est inutile à nos yeux de prétendre que les difficultés et les dangers de famine ne pourront pas exister après la révolution. Ou bien parlent-ils du fait que les ouvriers avaient encore à travailler dans les usines, que les salaires existaient encore (peut-on les abolir dans un seul pays ?) ainsi que l'échange? Bien que ces pratiques ne soient évidemment pas le socialisme, elles sont cependant inévitables à moins de prétendre pouvoir éliminer la loi de la valeur en un clin d'œil. Comme le dit le KWG, "un trait doit être tiré quelque part". Mais où? En mélangeant l'importance cruciale d'une cohérence politique et le pouvoir de la classe avec les reculs économiques, les problèmes de la lutte future se réduisent à une espérance de réalisation miraculeuse de nos vœux les plus sincères.
Le socialisme (ou les rapports sociaux communistes, ces termes sont utilisés ici de façon interchangeable) se définit essentiellement par l'élimination totale de toutes les "lois économiques aveugle" et surtout de la loi de la valeur qui régit la production capitaliste, élimination qui permettra de satisfaire les besoins de l'humanité. Le socialisme est la fin de toutes les classes (l'intégration de tous les secteurs non capitalistes à la production socialisée et le début du travail associé décident de ses propres besoins), la fin de toute exploitation. De toute nécessité d'un Etat (expression d’une société divisée), de l'accumulation du capital avec "son corolaire le travail salarié et de l'économie de marché. C'est la fin de la domination du travail mort (capital) sur le travail vivant. Donc le socialisme n'est pas une question de création dé nouvelles lois économiques, mais l'élimination des bases des anciennes lois sous l'égide du programme communiste prolétarien.
Le capitalisme n'est pas un méchant bourgeois avec uni gros cigare mais toute l'organisation actuelle du marché mondial, la division du travail à l'échelle mondiale, la propriété privée des moyens de production, y compris celle de la paysannerie, le sous-développement et la misère, la production pour la destruction, etc. Tout cela doit être extirpé et éliminé de l'histoire humaine pour toujours. Ceci nécessite un processus de transformation économique et social, à l'échelle mondiale de proportions gigantesques, qui prendra au moins une génération. Et c'est sur quoi il faut insister, c'est qu'aucun marxiste ne peut prévoir les détails de la nouvelle situation qu'aura à affronter le prolétariat après la révolution mondiale. Marx a toujours évité de "tirer des plans sur la comète" pour le futur et tout ce que peut apporter l'expérience russe c'est des lignes d'orientation très générales pour la transformation économique. Les révolutionnaires manqueraient à leur tâche si leur seule contribution était de rejeter la révolution russe pour n'avoir pris crée le socialisme en seul pays, ou de bâtir des rêvés sur la simultanéité de construction du cadre politique et de la transformation économique.
Le véritable danger du programme économique de la révolution c'est que les grandes lignes directives ne soient pas claires, qu'on ne sache pas quelles sont les mesures qui vont donner le sens de la destruction des rapports de production capitaliste (et donc vers le capitalisme) qui devront être appliquées dès que possible. C'est une chose de dire que dons certaines conditions ne pourrons être contraints de travailler de longues heures, ou ne pas être capables d'abolir immédiatement l'argent dans un secteur. C'en est une autre de dire que le socialisme signifie travailler plus durement ou encore pire que les nationalisations et le capitalisme d'Etat sont un pas en avant vers le socialisme. Ce n'est pas tant pour avoir mis la NEP en place afin de sortir du chaos du communisme de guerre que les bolcheviques doivent être blâmés mais bien pour avoir présenté les nationalisations ou bien le capitalisme d'Etat comme une aide à la révolution ou avoir prétendît que la "compétition économique avec l'Ouest" prouverait la grandeur de la productivité socialiste, un programme de transformation économique clair est une nécessité absolue, et aujourd'hui, après 50 ans de recul, nous pouvons voir plus clairement la question que les bolcheviks ou toute autre expression politique du prolétariat à l'époque.
La classe ouvrière a besoin d'une orientation claire de son programmé politique clé de la transformation économique, mais non de fausses promesses de remèdes immédiats aux difficultés ou de mystifications sur la possibilité d'éliminer la loi de là voleur sur décret.
Le RWG n'est pas le seul à insister sur la NEP, beaucoup de ceux qui viennent de rompre avec le "gauchisme", et particulièrement avec les diverses variétés trotskystes, font de même. Après avoir défendu la théorie insensée selon laquelle des "Etats ouvriers" existent aujourd'hui, la collectivisation dans les mains de l'Etat "prouvent" le caractère socialiste de la Russie actuelle, ils cherchent à présent "le point où le changement entre 17 et aujourd'hui a du se produire" (Forward, p.44) en Russie. C'est la question que posent toujours les trotskystes avec satisfaction : " à quel moment le capitalisme est-il donc revenu ?".
La NEP n'était pas une invention produite par le cerveau des leaders bolcheviks. Elle reprend, d'ailleurs, pour une large part, le programme de la révolte de Kronstadt. La révolte de Kronstadt met en avant une revendication politique-clé pour sauver la révolution: la restitution du pouvoir aux Conseils Ouvriers, la démocratie prolétarienne et la fin de la dictature bolchevik par l'Etat. Mais économiquement; les ouvriers de Kronstadt, poussés par la famine vers l'échange individuel avec les paysans pour obtenir de la nourriture, ont proposé un "programme" qui demandait tout simplement une régularisation de l'échange, placée sous la direction des ouvriers.
— une régularisation du commerce pour en finir avec la famine et la stagnation économique. Les chargements de nourriture envoyés aux villes russes étaient pris d'assaut par la population affamée et devaient être accompagnés par des gardes armés. Les ouvriers étaient souvent réduits à échanger des outils contre de la nourriture aux paysans. La situation était catastrophique et Kronstadt, aussi bien que les bolcheviks, ne pouvait rien proposer d'autre qu'un retour à une sorte de normalisation économique, qui ne pouvait être que le capitalisme.
L'attaque que fait le RWG à la NEP ne tient pas compte du contexte historique dans laquelle elle a été adoptée. Plus encore, il fait des confusions sur certains des points essentiels de la guerre économique contre le capitalisme qu'il prétend défendre.
1- "Si les événements poussaient à la restauration de la propriété capitaliste en Russie, comme cela était le cas en partie, ..." (Révolution et contre-révolution en Russie, p. 7) ; "la restauration du capitalisme signifiait la restauration du prolétariat en tant que classe en soi (?)…" (Idem, p. 17) ;"on se demande ce qu'il aurait fallu concéder de plus au capitalisme pour en arriver à sa restauration ?" (Forward, p. 46) (Nous soulignons).
Tout ceci est la claire preuve de la confusion qui est faite. La NEP n'était pas la "restauration" du capitalisme, vu que celui-ci n'avait jamais été éliminé en Russie. Le RWG fait plus loin la même confusion en ajoutant : "si la NEP n'était pas la reconnaissance des rapports économiques capitalistes normaux, c'est à dire légaux" (Révolution et contre révolution en Russie, p.7). Voilà qui est encore plus absurde : que les rapports capitalistes soient ou ne soient pas légaux, c'est à dire que leurs existences soient ou ne soient pas reconnues, n'est qu'une question juridique. Quelle "pureté" gagne-t-on à prétendre que la réalité n'existe pas? De toute façon, qu'elle soit reconnue légalement ou non ne change rien à la réalité économique. Si la NEP marquait un point décisif, ce n'est pas parce qu’elle réintroduisait (ou reconnaissait) l'existence des forces économiques capitalistes ; les lois fondamentales de l'économie capitaliste dominaient le contexte russe pare qu’elles dominaient le marché mondial. ([3] [56])
Ceci peut conduire certains à dire qu'ils savent que la Russie a toujours été capitaliste et que c'est bien la preuve qu'il n'y a pas eu de révolution prolétarienne. Jamais nous ne serons en mesure d'identifier une révolution prolétarienne si nous nous entêtons à la concevoir comme une transformation économique complète du jour au lendemain. Une fois de plus, nous revenons au thème du "socialisme en un seul pays" qui est suspendu, tel un nuage menaçant, au dessus de l'expérience russe, La NEP, avec ses nationalisations des industries-clés, fut un pas en avant vers le capitalisme d'Etat, mais elle ne fut pas un revirement fondamental du "socialisme" (ou d'un système autre que le capitalisme) vers le capitalisme.
2- "Elle (la NEP) représente réellement une trahison des principes, une trahison programmatique des frontière de classe" (Révolution et contre révolution, p. 7). Ceci est le cœur de l'argumentation, bien que cet argument soit la suite naturelle de ce qui précède. Personne n'est assez fou pour prétendre que la classe ouvrière ne peut jamais reculer. Bien que d'une façon générale, la révolution doive avancer ou périr, ceci ne peut jamais être pris unilatéralement et signifier que nous puissions avancer en ligne droite et sans problème.
La question qui se pose est alors la suivante : qu'est ce qu'un recul inévitable, qu'est-ce qu'une mise en danger des principes ? Le programme bolchevik, dans sa mesure où il faisait une apologie mystificatrice du capitalisme d'Etat, était un programme anti-prolétarien, mais l'incapacité d'abolir la loi de la valeur ou de l'échange dans un seul pays n'est en rien une "trahison des frontières de classe". Soit on distingue clairement ceci, soit on doit défendre la position selon laquelle le prolétariat aurait du en arriver au socialisme intégral en Russie. Ceci étant par définition impossible, les révolutionnaires n'auraient plus qu’à masquer l'incapacité d'appliquer le programme en mentant sur ce qui aurait réellement du être fait.
Des reculs sur le terrain économique seront certainement inévitables, dans nombre de cas (malgré la nécessité d’une orientation claire), mais un recul sur le terrain politique signifie la mort pour le prolétariat. C'est la différence fondamentale qu'il y a entre la NEP et le massacre de Kronstadt, entre la NEP et le traité de Rapallo ou les tactiques de "front unique".
Cette approche historique du "qu'auriez vous fait" est stérile par définition, l’histoire ne pouvant être changée ou "jugée" avec notre conscience (ou notre manque de conscience) actuelle. Toutefois, les naïves questions posées par le RWG montrent qu'ils n'ont pas compris la différence entre un recul et une défaite.
L'économie marchande? Jamais elle n’a été détruite internationalement, seul moyen de la faire disparaître, aussi personne n’a pu la restaurer en Russie —elle y a toujours existé. Le rouble? Encore une question absurde selon les analyses marxistes du capitalisme mondial et du rôle de l’argent, La décentralisation de l’industrie? Cette question politique remet fortement en question le pouvoir des Conseils Ouvriers et appartient à un autre domaine. Défendre les intérêts du capital russe? Ceci était clairement le glas qui sonnait la mort de la révolution elle-même.
" (la transformation économique) ne pouvait être accomplie par décret, mais le décret en est le premier pas". Si le RWG entend par décret le programme de la classe ouvrière, il ne nous reste plus qu’à "décréter" le communisme intégral immédiatement. Et après? Comment y arriverons-nous ? Nous devons : soit abandonner le combat, soit mentir et prétendre qu'il est possible d'arriver au socialisme dans des petites républiques socialistes.
Une révolution dans un pays comme l'Angleterre par exemple (qui est loin d'être un pays avec une économie arriérée, sous-développée comme la Russie), ne pourrait résister que quelques semaines avant d'être étouffée par la famine (dans le cas d'un blocus). Quel sens y aurait-il à parler d'une guerre économique toujours victorieuse contre le capitalisme, au milieu d'une agonie de famine à court terme ? La seule politique qui protège et défende un bastion révolutionnaire est là lutte révolutionnaire offensive à l'échelle internationale et le seul espoir est la solidarité politique de la classe, son organisation autonome et la lutte de classe internationale.
Le RWG, avec tous leurs bavardages sur la NEP, n'offre aucune suggestion pour une orientation valable de l'économie dans la lutte de demain. Dans quelle direction devrons nous aller, aussi loin que les circonstances de la lutte de classe nous le permettront ?
Ces points doivent être pris comme des suggestions pour l'orientation future, comme une contribution au débat qui se mène au sein de la classe sur ces questions.
Comme les camarades du RWG ne comprennent pas la situation russe, ils s'y perdent. Ils essaient d’offrir une orientation pour le futur en choisissant certains côtés des différentes fractions qui s'opposaient en Russie. Tout comme ceux qui rejettent complètement le passé et prétendent que la conscience révolutionnaire est née d'hier (avec eux, bien sûr), le RWG prend apparemment le contre-pied et répond à l'histoire dans ses propres termes. Ceci n'est pas un enrichissement des leçons du passé, mais un désir de le revivre et de "faire mieux", au lieu d'être une tentative de chercher ce qu'on peut en tirer aujourd’hui.
Le RWG écrit donc : "c'est notre programme, le programme de l'Opposition Ouvrière, qui prône l'activité autonome de la classe ouvrière contre le bureaucratisme, et les tendances à la restauration du capitale. Ceci révèle un manque de compréhension fondamentale de ce que signifiait réellement l'Opposition Ouvrière dans le contexte des débats en Russie. L'Opposition Ouvrière était un des nombreux groupes qui se sont battus contre l'évolution des événements dans los circonstances de dégénérescence en Russie. Loin de rejeter leurs efforts souvent courageux, il est cependant nécessaire de considérer leur programme.
L'Opposition ouvrière n'était pas contre le "bureaucratisme", mais contre la bureaucratie d'Etat et pour l'utilisation de la bureaucratie syndicale. Les syndicats devaient être l'organe de gestion du capital en Russie et non la machine du parti-Etat. L'Opposition ouvrière pouvait vouloir défendre l'initiative de la classe ouvrière, mais elle ne pouvait l'envisager que dans un contexte syndical. La véritable vie de la classe dans les soviets avait été presque entièrement éliminée en Russie en 1920-21, mais cela ne voulait pas dire que les syndicats, et non plus les conseils ouvriers, étaient les instruments de la dictature du prolétariat. C'est le même genre de raisonnement qui a amené les bolcheviks a conclure à la nécessité de revenir à certains aspects du vieux programme social-démocrate (infiltration dans les syndicats, participation au parlement, alliances avec les centristes, etc.) du moment que le programme du premier , congrès de l'I.C ne pouvait plus être facilement mis en pratique du fait des défaites en Europe. Même si les soviets étaient écrasés, l'activité autonome de la classe (sans parler de son activité révolutionnaire) ne pouvait plus s'exercer dans les syndicats dans la période de décadence du capitalisme. Tout le débat sur les syndicats reposait sur une fausse base : les syndicats auraient pu être substitués à l'unité de la classe dans les conseils ouvriers. En ce sens, la révolte de Kronstadt, appelant à la régénération des soviets, était plus claire sur la question. Pendant ce temps l'opposition ouvrière apportait son accord et son soutien à l'écrasement militaire de Kronstadt.
Il faut comprendre historiquement que dans le contexte russe, les arguments de ce débat tournaient autour de la façon de "gérer" la dégénérescence de la révolution, et que ce serait le summum de l'absurdité de faire sien un tel programme aujourd'hui. Plus encore, le RWG affirme : "mais nous sommes sûrs d'une chose : si le programme de l'Opposition Ouvrière avait été adoptée, le programme de l'activité autonome du prolétariat, la dictature prolétarienne en Russie serait morte (si elle était morte) en combattant le capitalisme et non en s'adaptant à lui. Et il y a des chances pour qu'elle ait pu être sauvée par la victoire de l'Ouest. Si ce programme de lutte avait été adopté, il n’aurait peut-être pas eu de retraite internationale. Il y aurait eu des chances pour que la Gauche Internationale ait prédominé dans l'I.C. " (Forward, p. 48-49)
Ceci prouve seulement qu'il y a une conviction persistante chez le RWG que si la RUSSIE avait fait mieux, tout aurait été différent. Pour eux la Russie est le pivot de tout. Ils prennent aussi sur eux d'affirmer; comme nous l'avons vu, que si les mesures économiques avaient été différentes, la trahison politique aurait été évitée, et non le contraire. Mais l'absurdité historique de cette hypothèse est montrée par: "Il y aurait peut-être eu des chances pour que la gauche internationale ait prédominé dans l'IC"
La Gauche Internationale dont nous présumons qu'ils parlent ne comprenait pas très clairement le programme économique à l'époque. Mais le KAPD, par exemple, se basait sur le rejet du syndicalisme et de sa bureaucratie. L'Opposition Ouvrière ne trouvait que peu ou rien à redire sur la stratégie bolchevik à l'Ouest, et servait toujours de tampon à la politique bolchevik officielle sur la question, y compris sur les 21 conditions du second congrès de l'IC (comme le fit Ossinsky). La vision de l'Opposition Ouvrière devenant le point de ralliement de la Gauche Internationale est une pure invention du RWG, parce qu’ils ne connaissent pas l'histoire dont ils parlent avec tant de légèreté.
Alors que le RWG dit que de "scruter là boule de cristal n'est pas une tâche révolutionnaire" (Forward, p°48), ils se perdent seulement quelques lignes avant dans les horizons infinis que l'Opposition Ouvrière aurait ouverts à la classe ouvrière. On pourrit dire qu'en plus d'éviter les boules de cristal, il serait bon de savoir de quoi on parle.
Notre but essentiel dans cet article n'est pas de polémiquer, encore qu'il soit indubitablement utile de faire la lumière sur certaine points. La tache essentielle des révolutionnaires est de tirer de l'histoire des points pour l'orientation de la lutte future. Le débat qui porte spécifiquement sur la question de savoir quand la révolution russe a dégénéré est moins important que :
C'est en ce sens que nous aimerions; apporter une contribution à une vision générale de l'héritage essentiel que nous a laissé l'expérience de la vague révolutionnaire d'après-guerre, pour aujourd'hui et pour demain ?
1. —Là révolution prolétarienne est une révolution internationale, et la première tâche de la classe ouvrière dans un pays est de contribuer à la révolution mondiale.
2. — Le prolétariat est la seule classe révolutionnaire, le seul sujet de la révolution et de la transformation sociale. Il est clair aujourd'hui que toute alliance "ouvriers-paysans" est à rejeter.
3. —Le prolétariat dans son ensemble, organisé en Conseils Ouvriers, constitue la dictature du prolétariat. Le rôle du parti politique de la classe n'est pas de prendre le pouvoir d'Etat, de "diriger au nom de la classe", niais de contribuer à développer et à généraliser la conscience de la classe, à l'intérieur de celle-ci. Aucune minorité politique de la classe ne peut exercer le pouvoir politique à sa place.
4. — Le prolétariat doit diriger son pouvoir armé contre la bourgeoisie. Bien que la principale façon d’unifier la société doive être d'intégrer les éléments non prolétariens et non exploiteurs dans la production socialisée, la violence contre ces secteurs peut être à certains moments nécessaires, mais elle doit être exclue comme moyen de résoudre les débats à l’intérieur du prolétariat et de ses organisations de classe. Tous les efforts doivent être faits, par le moyen de la démocratie ouvrière, pour renforcer l’unité et la solidarité du prolétariat.
5. — Le capitalisme d'Etat est la tendance dominante de l'organisation capitaliste en période de décadence. Les mesures de capitalisme d'Etat, y compris les nationalisations ne sont en aucune façon un programme pour le socialisme, ni une "étape progressive", ni une politique qui puisse "aider" la marche vers le socialisme.
6. — Les lignes générales des mesures économiques qui tendent à éliminer la loi de la valeur la socialisation de la production industrielle et agricole pour les besoins de l’humanité, mentionnée ci-dessus représentent une contribution à l’élaboration d'une nouvelle orientation économique pour la dictature du prolétariat.
Ces points, rapidement esquissés ici, n’ont pas la prétention de faire le tour de la complexité de l'expérience révolutionnaire, mais peuvent servir de points de repère pour une élaboration future.
Il y a beaucoup de petits groupes qui se développent aujourd'hui, comme le RWG, avec la reprise de la lutte de classe et il est important de comprendre les implications de leur travail et d'encourager les échanges d'idées dans le milieu révolutionnaire. Mais il y a un danger à ce que, après tout d'années de contre-révolution, ces groupes ne soient pas capables de s'approprier l'héritage du passé révolutionnaire. Comme le RWG, beaucoup de ces groupes pensent qu'ils "découvrent" l'histoire pour la première fois, comme si rien n'avait existé avant eux. Ceci peut amener des aberrations de ce genre : se fixer sur le programme de l'Opposition dans le vide, comme si on "découvrait" chaque jour une "nouvelle pièce du puzzle", sans placer les nouveaux éléments dans un contexte plus large. Sans connaître le travail de la Gauche Communiste (et être critique à son égard) (KAH), Gorter, Gauche Hollandaise, Pannekoek, "Workers Preadnaught", la Gauche italienne, la revue Bilan dans les années trente et Internationalisme dans les années quarante, le Communisme des Conseils et Living Marxisme autant que les Communistes de Gauche russes), et sans, le voir non comme des pièces séparées d'un puzzle, mais en le comprenant dans des termes généraux de développement de la conscience révolutionnaire de la classe, notre travail serait condamné à la stérilité et à l'arrogance du dilettant.
Ceux qui font l'effort indispensable de rompre avec le gauchisme devraient comprendre qu’ils ne sont pas seuls à marcher suit le chemin de la révolution, que ce soit dans l'histoire ou aujourd'hui.
Judith Allen.
[1] [57] RWG, PO Box 60161, 1723 V. Devon, Chicago Illinois, 60660, USA.
[2] [58] Voir WR n°23, "From Modernism Into the Void"
[3] [59] La politique de communisme de guerre dans le pays pendant la guerre civile, tant vantée par le RWG, n'était pas plus "non-capitaliste" que la NEP. L'expropriation violente des biens des paysans, bien qu'étant une mesure nécessaire pour l'offensive prolétarienne de l'époque, ne constituait en rien un "programme" économique (le pillage ?). Il est facile de voir que ces mesures temporaires, agissant par la force sur la production agricole, ne pouvaient durer indéfiniment. Avant, pendant et après le communisme de guerre, la base essentielle de la production restait la propriété privée. Le RWG a raison de souligner l'importance de la lutte de classe des ouvriers agricoles dans le pays, mais cette lutte n'anéantit pas automatiquement et immédiatement la paysannerie et son système de production, même dans le meilleur des cas.
La première partie de ce texte a paru dans le n°2 de la Revue Internationale du Courant Communiste International.
LE KOMINTERN ORGANISE LA DEFAITE
On allait à reculons : ressusciter l'ancienne social-démocratie, telle qu'elle était avant le krach de 14, avec ses révolutionnaires et ses opportunistes.
Il ne s'agissait donc plus d'écarter de l'Internationale les social-bellicistes et les socialistes gouvernementaux de la II° Internationale, adversaires jusqu' au bout de la guerre civile du prolétariat contre ses exploiteurs. En un mot, le Kominterm visait à rejeter par dessus bord 1’enseignement de la guerre impérialiste et de la révolution mondiale : 1'"absolue nécessité d'une scission avec le social-chauvinisme" ([1] [62]).
Or, le Programme d'Action du P.C.I. présenté au IV° Congrès Mondial de 1922 repoussait avec la dernière énergie le projet de fusion organisationnelle avec le P.S.I. que le Kominterm voulait péremptoirement pour le 15 février 23. Son refus reposait sur l'analyse amplement démontrée que la vraie fonction du maximalisme était de détourner, par une habile propagande électorale et syndicaliste, une importante partie des travailleurs de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir politique.
Dans les faits, fusionner signifiait la possibilité pour le P.S.I., dont une fraction les "terzinternazionalisti" se déclarait prête à accepter les conditions d'admission fixées au II° Congrès, primo de se remplumer par une opération d'escamotage de sa fonction, deuxio regagner aux yeux des travailleurs le prestige d’un parti disqualifié à tout jamais par les derniers événements„
A cette méthode de marchandage des principes conquis au feu de la lutte contre la social-démocratie, que le Kominterm préconisait pour attirer les girouettes maximalistes, la délégation italienne opposa qu'il fallait gagner au communisme les effectifs encadrés par l'appareil socialiste, en intervenant au premier rang de chacune des luttes engendrées par la situation économique. De la même manière, il fallait agir pour arracher aux autres partis à étiquette "ouvrière", les meilleurs éléments qui aspiraient à la dictature du prolétariat.
La thèse de travail, juste en partie, s'annihilait d'elle-même puisqu'elle préconisait l'agitation à partir d'organes bourgeois, tels les syndicats, les coopératives et mutuelles. Les motions du Comité Syndical Communiste avaient beau flétrir la "trahison d’Amsterdam", pouvaient rappeler tant et plus à la CGIL ses " devoirs de classe", n'empêche que celle-ci poursuivait sa route dans le sillage du capitalisme.
Le fait que des militants communistes eussent réussi à constituer leurs propres noyaux syndicaux reliés étroitement à la vie du parti ne changeait pas d'un pouce la dure réalité. Ils ne pouvaient arrêter la roue de l'histoire, c'est-à-dire empêcher les syndicats de s'incruster sur le terrain capitaliste, de se mouler dans les plis d'un tricolore indélébile.
Pour expérimenter la tactique de Front Unique Ouvrier, qu'elle accepta par discipline d'appliquer sur le seul terrain des revendications économiques immédiates, la Gauche participa à la grève générale nationale d'août 22, croyant qu'en y intégrant les non-syndiqués, l'Alliance du Travail s'approcherait ainsi de la forme Conseil Ouvrier. Tout cela renforçait, plusieurs types de préjugés que les travailleurs pouvaient avoir dans leur esprit dans un pays où s'enracinaient profondément les mythes soréliens : l'action syndicale, la grève générale et les illusions démocratiques. L'appel à la grève générale lancé par l'Alliance du Travail contenait dans sa proclamation tous les microbes bourgeois connus alors. L'Alliance conviait à la lutte contre la "folie dictatoriale" des fascistes, en insistant auprès des travailleurs contre le danger d'utiliser la violence nuisible "à la solennité de leur manifestation", pour la reconquête de la LIBERTE, "ce qu'il y a de plus sacré pour tout homme civilisé",
Inutile de préciser que pour le prolétariat italien, déjà si cruellement éprouvé ce fut une défaite supplémentaire qu’il ne pouvait éviter de ce fait que, dans un cours défavorable, il ne peut se maintenir sans relâche sur des positions de défensive: par rapport à 1920, le nombre de journées de grèves avait diminué de 70 à 80 %,
Dans un enchaînement de zigzags incohérents, le Kominterm tantôt encourageait les "terzini" à sortir du vieux P.S.I., tantôt leur intimait l'ordre brutal de s'y maintenir pour accomplir un travail fractionnel de noyautage. Comme les pourparlers de fusion, devant aboutir à la formation d'un parti portant le nom de "Parti Communiste Unifié d'Italie", traînaient en longueur, le Kominterm mena au pas de charge le procès de 1'"infantilisme de gauche".
La manne bénie tomba du ciel fasciste. En février 23, Mussolini ayant fait procéder à l'arrestation de Bordiga, de Grieco et de nombreux autres dirigeants appartenant à la Gauche, l'Exécutif Elargi de juin 23 pouvait désigner un C.E., provisoire avec Tasca et Graziadei, hommes de toute confiance, lequel ce sera du reste maintenu dans ses fonctions après la libération de l'ancienne direction élue à Livourne et à Rome ([2] [63]),
En Italie, comme en France avec Cachin, l'Internationale allait à la conquête des "masses" en prenant appui sur ces fameuses "planches pourries". Bien entendu, l'acrobatie impliquait la mise à l'écart des communistes, des fondateurs des sections nationales de l'I.C. ; de les traiter d'"opportunistes de gauche" pour leur intransigeance principielle.
Il se jouait, non un sordide jeu de manœuvres diverses pour le pouvoir dans les jeunes partis communistes, mais un drame aux dimensions historiques colossales : dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat, communisme ou fascisme. Hélas, le rideau rouge tomba sur la scène historique au désavantage du prolétariat.
La nouvelle ligne de conduite internationale fixée par Zinoviev, préférait voir dans la social-démocratie l'aile droite du prolétariat plutôt que l'aile gauche de la bourgeoisie. Elle passait l'éponge sur ce qui s'était passé : la social-démocratie, à la tête des vieilles organisations de l'époque réformiste avait rassemblé toutes ses forces en un front anti-prolétarien pour sauver le régime bourgeois la nuit du 4 août 14, avait donné à la réaction ses Noske, Scheidemann, ses Böhm et ses Peild pour l'écrasement de la République Hongroise des Conseils, un chancelier fédéral à l'Autriche en la personne de K,Renner, pour exciter les paysans contre les ouvriers.
Ainsi, le Kominterm finissait de désorienter complètement la classe ouvrière, semant sur son passage la confusion à pleines mains, avec sa tactique de "lettres ouvertes", de "mise au pied du mur", d'invitation à constituer des blocs électoraux de gauche, de fusion…. De son côté, l'ennemi de classe profitant d'un sérieux répit des luttes, arrivait à colmater l'hémorragie de son appareil.
L’ANTI-FASCISME DE GRAMSCI
Devenu représentant en titre de 1' I.C., dans le parti italien, peu de temps après que l'Exécutif Elargi ait relevé Bordiga de son poste dirigeant, Gramsci prépara la jeune formation communiste à la résistance antifasciste, conformément aux directives de 1'Internationale, Et de commencer à distinguer parmi la bourgeoisie quelles étaient les forces fascistes et les forces hostiles au fascisme, donc intégrables au bloc "historique", car le prolétariat italien pouvait devenir classe "hégémonique", en réussissant à créer un système d'alliance avec d'autres couches non-monopolistiques, (Thèses de Lyon, III° Congrès du P.C.I.).
A la suite du meurtre du député socialiste Matteotti, en juin 24, par les séides fascistes, les députés socialistes et communistes ont pris la "vigoureuse" décision de se retirer sur 1'Aventin. L'analyse, du nouveau groupe dirigeant le P.C.I. développait 1'idée qu'en Italie le parti devait rassembler autour de ses noyaux d’usine les plus larges masses anticapitalistes pour atteindre un objectif intermédiaire : récupérer les libertés fondamentales du citoyen. S 'il était exact d'affirmer que la dictature du prolétariat n'était plus à l'ordre du jour momentanément en Italie, par contre il était mensonger de déclarer que le rétablissement d'un régime de liberté bourgeoise faciliterait le prochain assaut révolutionnaire.
Par leur sortie du Parlement, socialistes et communistes, ceux de la tendance gramscienne surtout, espéraient pouvoir provoquer le renvoi de Mussolini, exactement comme si la présence de représentants d'un parti totalitaire à la Chambre des députés n'était qu'une souillure faite au respectable parlement bourgeois.
Ni plus ni moins, il s'agissait de supprimer toute référence à la notion de dictature du prolétariat pour y substituer le mot d'ordre à caractère transitoire: d'Assemblée Constituante. C'est sinon sur un gouvernement ouvrier identique à celui constitué en Saxe-Thuringe en 23, du moins sur la constitution de l'Assemblée Constituante que débouchait la ligne de Front Unique élaborée par Zinoviev. Avec empressement, s'attela à ce travail le duumvirat Gramsci-Togliatti. Leur analyse-était la suivante : l’"Aventin" qui a vu se constituer l'embryon d'un Etat de type démocratique dans l'Etat fasciste, est tout désigné pour servir de Constituante à une République fédérative des Soviets, à résoudre une politique étroitement nationale : l'unité italienne. Ce leitmotiv tenait une place de choix dans l'analyse de Gramsci, pour lui, le P.C.I. devait devenir ce parti qui, seul, réglerait de façon définitive le problème de l'unité nationale laissé en suspens par trois générations de bourgeois libéraux.
Telle a été la contribution de celui que les épigones autogestionnaires n'hésitent pas à qualifier du "plus radical révolutionnaire italien", lequel entendait d'abord; traduire les leçons de l'Octobre russe à sa façon, dans les conditions strictement italiennes. Ce rétrécissement provincial de la portée universelle de l'expérience du prolétariat international, ce refus de voir que le problème ne pouvait qu’être tranché par le glaive de la révolution mondiale ; étaient faits pour aligner Gramsci sur les lignes de défense du "socialisme en un seul pays" concocté par celui qui savait si bien préparer les plats épicés : Staline.
La thèse centrale défendue par Gramsci était que le fascisme dérivait de l'histoire italienne, de la structure économique de l'Italie en contraste avec la situation au niveau international. Il ne lui en fallait pas plus pour justifier la Constituante en tant qu'étape intermédiaire entre le capitalisme italien et la dictature du prolétariat. Ne disait-il pas qu’une classe à caractère internationale doit, en un certain sens, se nationaliser.
Il lui fallait une assemblée nationale constituante, où les députés de "toutes les classes démocratiques du pays", élus au scrutin universel, élaboreraient la future constitution italienne. Une Assemblée Constituante où, en compagnie des don Sturzo, le secrétaire du Parti Populaire Italien; des "figures" libérales comme Salvemini et Gobeti, des Turati, ils pourraient appliquer un régime "progressiste" pour la "jeune et libre" Italie.
Devant le V° Congrès mondial, A. Bordiga devait démolir la position adoptée par Gramsci qui voyait dans le fascisme une réaction féodale des propriétaires terriens. En ces termes, il s'adressa à une Internationale en passe d'adopter la théorie de la construction du socialisme en U.R.S.S.
"Nous devons repousser l'illusion selon laquelle un gouvernement de transition pourrait être naïf au point de permettre qu'avec des moyens légaux, des manœuvres parlementaires, des expédients plus ou moins habiles, on fasse le siège des positions de la bourgeoisie, c'est-à-dire qu’on s’empare légalement de tout son appareil technique et militaire pour distribuer tranquillement les armes aux prolétairee. C'est là une conception véritablement infantile ! Il n'est pas si facile de faire une Révolution !"
De fil en aiguille, sous couvert d'antifascisme, Gramsci amorça le rapprochement avec le Partiti d'Azione, de Guistizia è Liberta et, du Parti Sarde auquel il était lié de longue date, en tant qu’insulaire, depuis son adhésion aux thèses du manifeste antiprotectionniste pour la Sardaigne d'octobre 1913. Pour ne plus commettre ces "lourdes erreurs" de ce qu' ils osaient taxer d’"extrémisme abstrait et verbal" Gramsci-Togliatti rayèrent de la propagande communiste le seul terme résumant la situation avec exactitude : fascisme, eu communisme.
ORIGINE ET NATURE DU FASCISME
Des monceaux de paperasse à prétention scientifique se sont accumulés sur les bureaux des historiens, pour décrire l'originalité du phénomène fasciste. En elle-même, l'arrivée du fascisme au pouvoir, voilà un demi-siècle, n'a même pas droit au nom de coup d1Etat, idée brandie sans lésiner par le stalinisme et son antichambre gauchiste.
Le Parti National Fasciste entra au Parlement bourgeois grâce aux élections de mai 21, autrement dit par la voie la plus légale au monde. Il eut l'appui du très démocratique Giolitti qui, le 7 avril venait de dissoudre la précédente Chambre. Sur son ordre, les tracasseries .administratives et les poursuites judiciaires, visant des gens qu'il protégeait, cessèrent de suivre leur cours. Les fascistes purent alors agir à visage découvert, sûrs de l'impunité en hauts lieux. Ainsi, Mussolini siégeant à l’extrême-droite avec 34 autres députés fascistes disposait d'une tribune parlementaire. Le 21/06/21, il déclara rompre avec l'homme qui lui avait mis le pied sur l'étrier électoral, Giolitti. Or, l'homme du Dronnero restait, par l'intermédiaire du préfet de Milan, Lusignoli, en contacts étroits, avec le groupe parlementaire du P.N.F. De surcroît, cette connivence était double : Nitti ne craignant point, de recevoir, au vu et au su de chacun, le baron. Avezzana que lui envoyait Mussolini dans la perspective de former ensemble un grand ministère.
Ce qui est dit ici par L. Trotski : '' Le programme avec lequel le national-socialisme est arrivé au pouvoir -hélas!- rappelle beaucoup les grands magasins juifs dans une province perdue. Que n'y trouve-t-on pas?"([3] [64]) ; colle très bien au fascisme italien. A ce moment-là, le fascisme est un invraisemblable pot-pourri empruntent à droite et à gauche des idées absolument traditionnelles en Italie. Les parties constitutives de son programme étaient :
— l'anticléricalisme axé sur la confiscation des biens des congrégations religieuses. Au 1°Congrès des Fasci, à Florence le 9 oct.19, Marinetti avait proposé la dévaticanisation du pays dans des termes identiques, ou presque, à ceux tenus par Cavour quelque 34 ans plus tôt.
— Le syndicalisme d'inspiration sorélienne, vibrant d'exaltation débridée pour la "morale du producteur". Instruits de l'expérience des occupations, les fasci sentaient qu'il fallait, coûte que coûte, associer les syndicats ouvriers au fonctionnement technique et administratif de l'industrie.
— l'idéal d'une République éclairée, basant sa légitimité sur le suffrage universel avec scrutin de liste régional et représentation proportionnelles droit de vote et éligibilité pour les femmes et, rendant un culte bassement intéressé à la jeunesse, le fascisme réclamait l'abaissement de la limite d'âge à 18 ans pour les électeurs, à 25 pour les députés.
— l'antiploutocratisme menaçant de frapper le capital d'un impôt progressif (ce qu'il appelait "authentique expropriation partielle")? de réviser tous les contrats de fournitures de guerre et, de confisquer 85% des bénéfices acquis pendant celle-ci.
Plus un programme social est éclectique et riche en promesses, plus nombreux sont ses supporteurs. Dans les fasci commencèrent à affluer et y grouiller des gens de toutes espèces : arditti, francs-maçons, futuristes , anarcho-syndicalistes… Tous se trouvent un dénominateur commun dans le refus réactionnaire du capitalisme et de la décadence des institutions parlementaires» Dans la salle du San Sepolcro, mise à la disposition des fascistes par le Cercle des Intérêts Industriels et Commerciaux, le discours de Mussolini fera retentir cette formule : "Nous les fascistes, nous n'avons pas de doctrine préétablies, notre doctrine c'est le fait" (23/3/19).
Sur le plan électoral, le fascisme adopte, avec une évidente souplesse les tactiques les plus variées. À Rome, il présente un candidat sur la liste de l'Allianza Nazionale; proclame l'abstention à Vérone et à Padoue; compose le Bloc National à Ferrare et à Rovigo; s’allie aux anciens combattants à Trévise; à Milan il se paye le luxe de dénoncer la revendication de la "reconnaissance juridique des organisations ouvrières" dont les groupements de gauche ont fait leur cheval de bataille parce que, dit-il, il conduirait à leur "étranglement".
Tel était le premier fascisme qui ne pouvait prétendre, en quoi que ce soit, être une force politique indépendante sur des objectifs propres. Devant le P.N.F. se dressait une exigence de taillé : se débarrasser des thèmes qui ne conviennent plus du tout aux industriels et, que la classe dominante trouvait pour le moins déplacés dans la propagande d'un-parti qui aspirait à lui garantir l'ordre social. Elle avait tout lieu de se méfier d'un mouvement qui, pour s'attirer la masse des travailleurs et des paysans, faisait montre d’un spectaculaire mépris pour le conformisme social. Le fascisme devait muer et, il obtempéra aux ordres du capitalisme.
Ainsi, cet anticléricalisme ordurier, hier encore virulent dans ses attaques d'athéisme, fera bénir dans la nef de la cathédrale de Milan ses bannières par le cardinal Ritti, futur pape Pie XI ([4] [65]). Dès lors, il n'y eut plus aucune commémoration fasciste, aucune manifestation publique du fascisme qui ne reçut ses gouttes d'eau bénite. Apaisés par le Pacte de Latran (1929) par lequel le régime reconnaît au St. Siège la pleine propriété de ses biens et le dédommage par une indemnité de 750 millions de lires, plus des titres de rente à 5% d'intérêt pour un capital de 1 milliard de lires, les catholiques seront gré au fascisme d'avoir réintégré l'enseignement religieux dans les écoles publiques et feront de Mussolini, qui avait mis une sourdine à sa furia anticléricale, 1'"homme des destinées divines". Dans toutes les églises d'Italie, monteront les Te Deum pour le succès de l'entreprise de salut national fasciste.
Ce républicanisme ralliera la Couronne et la Monarchie; offrira le 9 mai 36 au Roi et à ses descendants le titre d'Empereur d'Ethiopie; donnera des postes officiels dans la diplomatie aux représentants de la dynastie régnante,
Cet antiparti anarchisant deviendra le Parti National Fasciste avec sa rigoureuse pyramide de quadrumvirs, de hiérarques et de podestats, comblera d'honneurs les dignitaires de l'Etat; enflera la bureaucratie d'Etat de nouveaux mercenaires et parasites.
Cet antiétatisme qui à sa première heure proclame l'incapacité de l'Etat à gérer les affaires nationales et les services publics, déclarera par la suite que tout est dans l'Etat. Le célèbre :
"Nous en avons assez de l'Etat cheminot, de l'Etat postier, de l'Etat assureur. Nous en avons assez de l'Etat exerçant ses fonctions aux frais de tous les contribuables italiens et aggravant l'épuisement des finances" du discours prononcé à Udine devant le Congrès des Fascistes du Frioul, le 20/ 9/22, laissera place au :
"Pour le fasciste, tout est dans l'Etat, et rien d'humain ou de spirituel n'existe, et à fortiori, n'a de valeur en dehors de l'Etat" de l'Encyclopédie Italienne.
Ce pseudo-ennemi des grosses fortunes des bénéfices de guerre et des affaires louches, particulièrement florissantes sous l'ère giolittienne, sera équipé de pieds en cap par les commandators de l'industrie et de l'agriculture et ce, bien avant la fameuse "marche sur Rome". Dès son lancement, la propagande du "Popolo d'Italie" fut régulièrement subventionnée par les grandes firmes de l'industrie d'armement et de fournitures de guerre intéressées à voir l'Italie basculer dans le camp interventiste : FIAT, ANSALDO, EDISON. Les chèques patriotiques versés par l'émissaire du ministère Guesde, M. Cachin, aidèrent eux aussi à sortir les premiers numéros du journal francophile.
Certes, au sein du P.N.F. naissaient des conflits allant, parfois, jusqu'à la dissidence comme ce fut le cas -provisoire- de certains faisceaux de province, notamment ceux conduits par les triunvirum Grandi et Baldo commandités, en partie, par la Confragricultura. Emboîtant le pas au président de l'I.C. -Zinoviev- Gramsci situera le fascisme : réaction des grands féodaux. D'abord apparu dans les grands centres urbains hautement industrialisés, c'est seulement ensuite que le fascisme a pu faire son entrée dans les campagnes sous la forme d'un syndicalisme rural d'allure plébéienne. Ses expéditions punitives partent bien des villes pour se porter dans les villages dont les squadristes se rendent maîtres après une lutte toujours sanglante. La vérité oblige à dire que ces luttes intestines entre fascistes exprimaient la contradiction entre les composantes petite-bourgeoises et anarchisantes du fascisme ruinées par la guerre et, la concentration économique dans les griffes de l'Etat, réponse adéquate aux intérêts généraux de la classe dominante.
Aussi, ceux parmi les "camarades" de la première heure qui se montrèrent uniquement capables de se vautrer dans les délices de Capoue ou de donner à tout venant du gourdin, ils goûtèrent, à leur tour, de la férule paternelle. Qui aime bien, châtie bien; et, après avoir tapé à gauche, le fascisme tapera à droite sur les têtes brûlées qui ne comprennent pas que le mouvement perdra les bénéfices de sa victoire s'il perd le sens de la mesure. Et la mesure ici, ce n'était rien d'autre que le taux de profit du capital.
Par-dessus la légende démocratique demeure le fait irréfragable que le fascisme n'a pas été une contre-révolution préventive faite avec l'intention consciente d'écraser un prolétariat qui tendait à démolir le système d'exploitation capitaliste. En Italie, ce ne sont pas les chemises noires qui mettent fin à la révolutions c'est 1'échec de la classe ouvrière internationale qui impulse jusqu'à la victoire du fascisme, non seulement en Italie, mais encore en Allemagne et en Hongrie, C'est seulement après l'échec du mouvement des occupations d'usines de l'automne 20 que la répression s'abat sur la classe ouvrière italienne, laquelle répression eut deux ailes marchantes : et les forces légalement constituées de l'Etat démocratique et, les squadres fascistes, fusionnant en un bloc monolithique, pratiquement toutes les ligues antibolchevistes et patriotiques.
C'est seulement après la défaite de la classe ouvrière que les faisceaux peuvent se développer pleinement grâce aux largesses du patronat et des facilités rencontrées auprès des autorités publique. Si à la fin de 19, les Fasci sont sur le point de sombrer dans le néant (30 fasci et un peu moins d'un millier d'adhérents), dans les derniers six mois de 20, ils s'enflent jusqu'à atteindre le nombre de 3200 fasci avec 300.000 inscrits.
C'est bien sur Mussolini que se portèrent le choix de la Confindustria et de la Confragricultura, de l'Association Bancaire, des députés et des deux gloires nationales, le général Diaz et l'amiral Thaon di Revel. C'est bien lui que le grand capital met en selle et non un d'Annunzio dont la bourgeoisie, unanime, annihilera la tentative nationaliste de Fiume à la Noël 20. Le poète des "Odes Navales" -Arme de proue et cingle vers le monde- reçut pour tout salaire celui de chanter en termes lyriques les médiocres conquêtes italiennes en terre africaine, entretenir la flamme nationaliste, et non pour finir de massacrer les travailleurs, A Mussolini ex-athée, ex-libertaire, ex intransigeant de Gauche, ex-directeur de l’Avanti, reviendra ce rôle.
Ainsi, pour le marxisme le fascisme ne recèle aucun mystère qu'il ne sa saurait pénétrer et dénoncer devant la classe.
LES SYNDICATS DE LA PERIODE FASCISTE
A partir des dernières semaines de 1920, l'offensive fasciste en direction des organisations et associations sous le contrôle du PSI redouble d'intensité,, De nouveau, la chasse aux bolcheviks fait, rage, les dirigeants socialistes sont molestés et, en cas de résistance, sont lâchement assassinés et les sièges des journaux socialistes, les Chambres du travail, les bâtiments des coopératives et des Ligues Paysannes sont incendiés, mis à sac, toujours avec le concours direct de l'Etat démocratique qui protège de ses propres fusils et mitrailleuses les escouades fascistes.
Investissant l'Etat, le fascisme conquiert du coup les rouages indispensables à cet Etat, il s'empare, si besoin est par la force, d'institutions étatiques qui précédemment ont satisfait pleinement la politique de la bourgeoisie impérialiste italienne.
Le fascisme marquera ostensiblement l'intérêt réel, qu'il porte aux syndicats en signant le 2 août 21, le Pacte de Pacification. Ce jour-là, il y avait réunis à Rome, les représentants du Conseil des Faisceaux, du P.S.I., des groupes parlementaires fasciste et socialiste, de la C.G.I.L., enfin De Nicola président de la Chambre, pour tomber d' accord pour ne plus livrer la rue aux "déchaînements de la violence, ni exciter les passions partisanes extrémistes" (art. 2). Les deux parties en présence s'"engagent réciproquement au respect des organisations économiques" (art. 4). Chacune reconnaît dans l'adversaire une force vive de la Nation avec laquelle il faut compter ; chacun convient d'en passer par là.
En avalisant le pacte de Pacification, toutes les forces politiques de la bourgeoisie, droite comme gauche, ressentent la nécessité d'enterrer définitivement la classe ouvrière sous un traité de paix civile. Pas encore tout à fait écrasée, celle-ci refluait sur des positions défensives, mais la résistance des masses travailleuses devenait au fil des jours, plus difficile. Malgré des conditions maintenant défavorables, le prolétariat italien continuait à se battre pied à pied contre une double réaction, légale et "illégale".
Turati, continuant à placer ses espoirs en un proche gouvernement de coalition soutenu par les "réformistes" se justifiait : "Il faut avoir le courage d'être un lâche! ". Le 10 août, la direction du P.S.I., celle-là même qui sera pressenti pour renforcer les rangs de la révolution par le Kominterm, approuvait officiellement le Pacte de Pacification. Alors, le lecteur du très anticlérical "Aventi" eut droit à un original feuilleton, "La Vie de Jésus" selon Pappini, pour faire passer la pilule.
Lé scénario de la comedia dell’arte se distribuait de la façon suivante: les premiers acteurs usent ouvertement de la force militaire contre un prolétariat affaibli et en retrait; les seconds exhortent celui-ci à ne rien faire qui puisse exciter l'adversaire, à ne rien entreprendre d'illicite qui serve de prétexte à de nouvelles attaques, et plus violentes, des fascistes. Combien de grèves suspendues par la C.G.I.L. en accord avec les instances du P.S.I. ? Impossible à dénombrer. Face à une offensive militaire et patronale faite à coups de licenciements et de réduction des salaires, choses allant de soi pour la F.I.O.M., soucieuse de plier les revendications à l’état objectif de la situation financière des entreprises, -tactique dite de 1'"articulation"- la gauche continuait son travail de sabotage des luttes.
Même cette Alliance du Travail portant haut les espoirs du P.C.I. acceptait le programma de sauvetage de l'économie capitaliste; déroutait les grèves, mettait un terme rapide aux agitations, ce que devait reconnaître et dénoncer vigoureusement les militants de la gauche.
Que doit faire alors le prolétariat? La réponse qui vient des organisations sociale-démocrates est simple, évidente : se rassembler une énième fois sur le terrain électoral, infliger la défaite des urnes aux fascistes, toutes choses permettant la formation d'un gouvernement antifasciste dans lequel pourraient entrer quelques chefs du P.S.I., Assuré d'obtenir un gros succès, Mussolini en personne réclamait cette "pacifique" confrontation :
"Ce spectre des élections est plus que suffisant pour aveugler les vieux parlementaires qui sont déjà en campagne pour obtenir notre alliance. Avec cet appât, nous ferons d'eux ce que nous voudrons. Nous sommes nés d'hier, mais nous sommes plus intelligents qu'eux" (Journal).
LA MARCHE SUR ROME
Tout était préparé de longue main pour une passation en douceur du pouvoir à Mussolini sous les auspices royaux vers la fin d'octobre 22. Dans la pantalonnade de la Marche sur Rome en wagons-lits, marche annoncée depuis les premiers jours de septembre par les meetings et défilés de chemises noires à Crémone, Mérano et Trente, les squadristes furent salués dans les gares par les représentants officiels de l'Etat. A Trieste, Padoue et Venise les autorités marchent au coude à coude avec les fascistes, à Rome l'intendance militaire ravitaille et héberge les chemises noires dans les casernes.
Installé, le fascisme demandera la collaboration loyale de la C.G.I.L. Le puissant syndicat des cheminots, bientôt suivi par d'autres fédérations, sera le premier à accepter l'appel à la trêve lancé par les fascistes. Ainsi, sans avoir eu recours à une insurrection armée, le fascisme put occuper les postes dans l'appareil d'Etat : Mussolini à la présidence du Conseil détient, en outre, les portefeuilles de l'Intérieur et des Affaires Etrangères; ses proches compagnons d'armes les autres importants ministères de la Justice, des Finances et des Terres Libérées.
Changement du personnel bourgeois dirigeant l'Etat, le fascisme put continuer de plus belle à donner des litres d'huile de ricin et du "manganello" aux cafones et ouvriers, matraque que les socialistes avaient tressée de leurs propres mains. L'Etat fasciste n'est donc que l'organisation que la bourgeoisie se donne pour maintenir les conditions de 1’accumulation face à une situation devenue telle que, sans une dictature ouverte, il n'y a plus guère d'espoir de gouverner par les moyens du parlementarisme.
ECONOMIE DE LA PERIODE FASCISTE
Qu'a fait le fascisme sinon accélérer un processus objectif rapprochant et fusionnant les organisations syndicales avec le pouvoir d'Etat bourgeois? Tant pour les syndicalistes et social-démocrates que pour les fascistes, la lutte de classe n'était-elle pas une lourde entrave à ceux qui recherchaient de solutionner les problèmes de l'économie nationale? Aussi le fascisme met les associations syndicales au service entier de la Nation comme elles-mêmes l'avaient fait de leur propre initiative lors de la récession économique d'après guerre. L'évangile social de solidarité entre les classes, c'étaient aussi bien les fascistes que les syndicats qui le professaient.
Formellement, l'économie à l'époque fasciste se fonde sur le principe corporatiste pour lequel les intérêts particuliers doivent se subordonner à l'intérêt général. A la lutte de classe, le corporatisme substitue l'union des classes et le bloc national de tous les fils de la patrie. Il essaie d'amener les travailleurs à se dépenser sans compter pour les intérêts suprêmes de 1'Italie. La Charte du Travail, adoptée en 27, reconnaît à l'Etat seul la capacité d'élaborer et d'appliquer la politique de main-d'œuvre, toute lutte factionnelle, toute intervention particulière en dehors de l'Etat sont exclues. Désormais, les conditions d'emploi et de salaire sont réglées par le contrat collectif qu'établit la Charte.
Le fascisme voulait bâtir un Parlement Economique dont la composition devait être donnée par élection de membres élus dans les corps de métier. Pour ces motifs, il attira dans sa sphère les principales têtes du syndicalisme d'obédience sorélienne. Dans ce projet, qualifié pour la circonstance d'"audacieux", ils voyaient la justification de leur apolitisme et de l'indépendance syndicale vis à vis de tout parti politique.
Aussi, le corporatisme s'applique en pleine période de crise mondiale en tant qu'intervention directe de l'Etat dans l'activité économique nationale, en même temps qu'il impose soumission et obéissance à la classe ouvrière. Est-ce là "l'unique solution pour développer les forces productives de l'industrie sous la direction des classes dirigeantes traditionnelles" se demandera le non-marxiste Gramsci ([5] [66]). Il échappe totalement à l'auteur de "La révolution contre le capital" que le capitalisme est en décadence, que le fascisme n'est que son mode de survie*
L'année 26 marquera le point de départ des grandes batailles économiques qui se font dans le but avoué de protéger le marché intérieur italien, limiter l'importation de produits alimentaires et d'objets manufacturés, de développer des secteurs jusqu'alors incapables de satisfaire les besoins intérieurs. Or, les résultats sont largement éclipsés par les conséquences négatives des prix supérieurs à ceux du marché mondial. Ainsi, recourir à des manipulations étatiques ne résolvait aucun des problèmes économiques d'un pays pauvre en ressources naturelles et, n'ayant participé à la curée impérialiste que pour en obtenir des territoires qui n’étaient ni des débouchés commerciaux ni le moyen de se débarrasser de son trop-plein de main-d’œuvre.
Le renforcement des droits douaniers, le contrôle draconien des changes, l'octroi de subventions, les commandes de l'Etat et, corrélativement le blocage des salaires, poursuivent la tendance prise durant la guerre. Alors, poussé par les nécessités, l’Etat était devenu bâtisseur d'usines, fournisseur de matières premières, distributeur de marchés d'après un plan général, acheteur unique de la production que dans certains cas il payait d'avance. Sous la pression des contingences, il était devenu le centre de gravité de cet énorme appareil productif impersonnel devant qui s'effacèrent les individus attachés aux règles de la libre-concurrence, l'esprit créateur des capitaines d'industrie. Pour ces raisons, les habitudes de la vie ''libérale", les pratiques "démocratiques" furent subjuguées par l'activité de cet Etat. De ces prémices pouvait éclore le fascisme.
Y a-t-il une entreprise sur laquelle plane l'ombre obscursissante de la faillite? L'Etat rachète la totalité des actions. Y a-t-il un secteur à développer plutôt qu'un autre? L'Etat donne ses directives impérieuses. Faut-il freiner les importations de blé? L'Etat oblige de fabriquer un type de pain unique dont il fixe le pourcentage de froment. Faut-il une lire surévaluée? L'Etat la met à la parité du franc malgré les avertissements des financiers. Il stimule la concentration des entreprises, il rend obligatoire la concentration dans la sidérurgie, il est propriétaire, il bloque l'immigration, il fixe les colons là où il entend "créer un système nouveau, organique et puissant de colonisation démographique en transportant tout l'équipement de (sa) civilisation"([6] [67]), il monopolise le commerce extérieur„
A la fin de 26, la plus importante partie de l'économie italienne va se retrouver entre les mains d'organismes étatiques ou paraétatiques: Istituto per la Ricostruzione (I.R.I.), Consiglio Nazionale delle Richerche (C.N.R.), Istitito Cotonière, Ente Nazionale per la Cellulosa, A Ziende Générale Italiane Petroli (A.Z.G.I.P.). Nombre de ces organismes ont donc pour raison d'être d'obtenir pour l'Italie des produits de remplacement : laine synthétique, soie artificielle, coton, etc. Tout ce programme d'autarcie économique, sur lequel s'extasièrent les beaux esprits, préparait l'Italie à la II° Guerre mondiale.
L'IMPERIALISME ITALIEN
Le capitalisme décadent, l'impérialisme qui ravage l'humanité ne peut, par une logique implacable, que produire des crises et des guerres, comme explosion des contradictions croissantes au sein du système capitaliste. Il suppose donc une bourgeoisie armée jusqu'aux dents. L'Italie fasciste ne pouvait pas renoncer à se jeter dans l'engrenage de la course aux armements sous peine de devoir renoncer à faire triompher ses "droits" impérialiste dans l'arène mondiale. Et ses "droits" forment un épais catalogue de revendications. Dans le droit fil de ses prédécesseurs, Mussolini veut faire de l'Italie une puissance redoutée dans le bassin méditerranéen, s'étendre toujours plus à l’Est vers les Balkans et 1'Anatolie.
L'armement que les E.U., la G.B. ou la France intensifiaient, tout en arborant le rameau d'olivier ; le souci majeur de se repartager le monde tout en donnant le change par de mielleuses paroles de "sécurité des nations d'arbitrage international" sous les auspices de la S.D.N., l'Italie fasciste ne craint pas d'annoncer, pour sa part, ce qu'ils seront la mobilisation de "huit millions de baïonnettes", de "beaucoup d'ailes et de beaucoup de torpilles".
"Le devoir précis et fondamental de l'Italie fasciste est précisément de préparer toutes ses forces armées de terre, de mer et d'air.
Alors quand -entre 1935 et 1940- nous aurons atteint un moment suprême dans l'histoire de l'Europe, nous serons en mesure de faire entendre notre voix et de voir nos droits finalement reconnus". Discours à la Chambre le 27 mai 1927 de Mussolini
Impérialiste elle-même, l'Italie savait de quoi il ressortait lorsque les autres membres de la S.D.N. s'engageaient "solennellement" à réduire leurs armements sous un contrôle international, quand le gouvernement des Etats-Unis essayait d'obtenir que tous les pays condamnent la guerre comme…illégale et s'engageassent à y renoncer pour régler leurs litiges (Pacte Kellog du 27/8/27). Pour Rome, tout ce pathos n'était que de la foutaise démocratique; la réalité est différente : le monde entier s'arme, et, nous aussi nous nous armons pour affronter la tempête qui couve sous les cendres de la première conflagration mondiale.
Les problèmes desquels dépend la vie d'une nation, le fascisme n'ignorait pas qu'ils sont des problèmes de force et non de justice; qu'ils se dénouent sous le fracas des armes et non par la grâce mythologique que prêtaient certains respectables idéalistes à la doctrine wilsonienne. Sur le "décalogue" qui leur étais remis, les jeunes miliciens pouvaient lire à la première phrase : "Qu'on sache bien qu'un véritable fasciste, particulièrement un milicien, ne doit pas croire à la paix perpétuelle". Dans les journaux, au cinéma, à une remise des diplômes universitaires, dans les concours sportifs se proclamait qu'après avoir gagné la bataille de 14-18, l'Italie devait reprendre sa marche .en avant.
Si l'importance du pouvoir d'Etat se place au centre de toute la vie sociale, le développement de ses bases guerrières (armée, flotte et aviation) s'accuse tout particulièrement à la veille de la seconde guerre. Même si on tient compte de la dévaluation de la lire, en 1939, l'Italie dépense deux fois plus qu'à la veille de la guerre d'Ethiopie ([7] [68]). Le Duce a prévenu toute la nation italienne de l’inéluctabilité de la guerre, de l'aggravation des conditions de vie du prolétariat. En sanctionnant d'un embargo commercial l'Italie pour avoir transgressé, dans l'agression de l'Abyssinie, les sacro-saints principes de l'institution genevoise, les 51 nations "démocratiques" permirent à Mussolini d'intensifier sa propre croisade contre les nations "nanties". A une hypocrite application des sanctions ne s'interdisant pas le commerce avec l'Italie du charbon, acier, pétrole et fer, c'est-à-dire tout ce qui était précisément indispensable à l'économie d'armements, le fascisme put répondre par la mobilisation facilitée des ouvriers autour de son programme ([8] [69]).
R.C. (à suivre)
[1] [70] Lénine "L'Impérialisme et la scission du socialisme" dans "Contre le Courant" T.II p.262 Bureau d'Editions.
[2] [71] Trotski qui écrivait : "Les Comités Centraux de gauche dans de nombreux partis furent détrônés aussi abusivement qu'ils avaient été installés avant le V° Congrès" dans 1'"Internationale Communiste après Lénine" aurait dû tourner 7 fois son stylo dans sa main".
[3] [72] "Qu'est-ce que le National-socialisme?" Trotski 10 juin 1933, T. III des "Ecrits" Suppléments à la Quatrième Internationale, 1959, P.397.
[4] [73] Elu par le conclave du 6-02-22, Pie XI sera tout à son affaire. Nonce apostolique en Pologne en 1913-21, donc pendant la guerre civile et l'offensive victorieuse de l'Armée Rouge, il vouait une haine inextinguible au prolétariat qui avait porté la main sacrilège sur cet Etat crée, le 11 nov. 1919 par Versailles, pour séparer la Russie des Soviets de la Révolution allemande.
[5] [74] "Il matérialismo storico e la filosofïa di B. Croce".
[6] [75] Plan du 17 mai 1938, Dès la fin de cette même année 20 000 paysans des Pouilles, de Sicile et de Sardaigne travaillent en Lybie sur 1880 entreprises rurales groupant 54000 HA en culture. En Lybie, le nombre total des Italiens atteint 120000; 93550 en Ethiopie etc., "L'Impérialisme colonial italien de 1870 à nos jours", J.L. Miège, S.E.D.E.S. 1968, p.250.
[7] [76] Budget Militaire en Millions de Lires : (J.L. Miège, S.E.D.E.S. 1968, p.250)
1933 : 4822
1934 : 5590
1935 : 12624
1936 : 16357
1937 : 13370
1938 : 15030
[8] [77] "Les ouvriers italiens sont donc mis devant le choix de l'impérialisme italien ou de celui de l'Angleterre qui essaie de se dissimuler au travers de la S.D.N. Ce n'est pas un dilemme qu'il pourrait enfourcher malgré les terribles difficultés actuelles, mais un dilemme entre deux forces impérialistes et, il n'est nullement étonnant qu'empêché du fait de la politique contre-révolutionnaire de ces deux partis, (partis "centristes" comme en disait alors dans la Gauche pour désigner le stalinisme et "socialiste") d'entrevoir leur chemin propre, forcés de faire un choix, ils se dirigent vers l'impérialisme italien, car dans la défaite de ce dernier, ils voient compromises leurs vies, la vie de leurs familles aussi bien d'ailleurs qu'ils voient s'accentuer le danger d'une plus forte aggravation de leurs conditions de vie". "Un mois; après l'application des sanctions" BILAN.
Cet article constitue une tentative d’analyse des événements de Kronstadt et des leçons à en tirer pour le mouvement ouvrier d’aujourd’hui et de demain, faite par un camarade du CCI. L’analyse se situe dans le cadre de l’orientation générale de notre courant. Les points essentiels pour comprendre l’héritage des événements de Kronstadt y sont donnés et peuvent se résumer ainsi :
1. – La révolution prolétarienne est, de par sa nature historique, une révolution internationale. Tant qu’elle est enfermée dans le cadre d’un ou même de plusieurs pays isolés, elle se heurte à des difficultés absolument insurmontables et est fatalement amenée à dépérir à plus ou moins brève échéance,
2. – Contrairement aux autres révolutions dans l’histoire, la révolution prolétarienne exige la participation directe, constante et active de l’ensemble de la classe. Cela veut dire qu’à aucun moment elle ne saurait supporter, sous peine d’ouvrir immédiatement un cours de dégénérescence, ni la “délégation” du pouvoir à un parti, ni la substitution d’un corps spécialisé ou d’une fraction de la classe, pour aussi révolutionnaires qu’ils soient, à l’ensemble de la classe.
3. – La classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire, non seulement dans la société capitaliste, mais également dans toute la période de transition, tant que subsistent encore des classes dans la société à l’échelle mondiale. C’est pourquoi l’autonomie totale du prolétariat par rapport aux autres classes et couches sociales demeure la condition fondamentale lui permettant d’assurer son hégémonie et sa dictature de classe en vue de l’instauration de la société communiste.
4. – L’autonomie du prolétariat – signifie que, sous aucun prétexte, les organisations unitaires et politiques de la classe ne sauraient se subordonner aux institutions étatiques, car ceci reviendrait à dissoudre ces organismes de la classe et amènerait le prolétariat à abdiquer de son programme communiste dont lui seul est l’unique sujet.
5. – La marche ascendante de la révolution prolétarienne n’est pas donnée par telle ou telle mesure économique partielle, pour importante qu’elle soit. Seul l’ensemble du programme, la vision et l’action politique et totale du prolétariat constituent cette garantie et incluent dans cette globalité les mesures économiques immédiatement possibles allant dans ce sens.
6. – La violence révolutionnaire est une arme du prolétariat face et contre les autres classes. Sous aucun prétexte, la violence ne saurait servir de critère ni d’instrument, au sein de la classe parce qu’elle n’est pas un moyen de la prise de conscience. Cette prise de conscience, le prolétariat ne peut l’acquérir que par sa propre expérience et l’examen critique constant de cette expérience. C’est pourquoi la violence au sein de la classe, quelle que soit sa motivation et possible justification immédiate, ne peut qu’empêcher l’activité propre des masses et finalement être la plus grande entrave à sa prise de conscience condition indispensable du triomphe du communisme.
Le soulèvement de Kronstadt en 1921 est une pierre de touche qui sépare ceux qui peuvent comprendre le processus et l’évolution de la révolution prolétarienne, grâce à leurs positions de classe, de ceux pour qui la révolution reste un livre fermé. Il met en relief de façon tragique quelques unes des leçons les plus importantes de toute la révolution russe, leçons que le prolétariat ne peut se permettre d’ignorer au moment où il prépare son prochain grand soulèvement révolutionnaire contre le capital.
Une approche marxiste du problème de Kronstadt ne peut que partir de l’affirmation qu’Octobre 1917 en Russie a été une révolution prolétarienne, un moment dans le déroulement de la révolution prolétarienne mondiale qui était la réponse de la classe ouvrière internationale à la guerre impérialiste de 1914-18. Cette guerre avait marqué l’entrée définitive du capitalisme mondial dans son ère de déclin historique irréversible, faisant par là de la révolution prolétarienne une nécessité matérielle dans tous les pays. On doit affirmer aussi que le parti bolchevik, qui était à la tête de l’insurrection d’Octobre, était un parti communiste prolétarien, une force vitale dans la gauche internationale après la trahison de la IIe internationale en 1914, et qu’il a continué à défendre les positions de classe du prolétariat pendant la Première Guerre mondiale et la période suivante.
Contre ceux qui décrivent l’insurrection d’Octobre comme un simple “coup d’État”, un putsch réalisé par une élite de conspirateurs, nous répétons que l’insurrection était le point culminant d’un long processus de lutte de classe et de maturation de la conscience de la classe ouvrière, que cela représentait la prise du pouvoir politique consciente par la classe ouvrière organisée dans les Soviets, ses comités d’usine et ses gardes rouges. L’insurrection faisait partie d’un processus de destruction de l’État bourgeois et d’établissement de la dictature du prolétariat ; et comme les bolcheviks l’ont passionnément défendu, sa signification profonde était qu’elle devait marquer le premier moment décisif de la révolution prolétarienne mondiale, de la guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. L’idée que l’insurrection avait pour but la construction “du socialisme dans la seule Russie” était loin de l’esprit des bolcheviks à ce moment-là, en dépit de nombre d’erreurs et de confusions en ce qui concernait le programme économique immédiat de la révolution, erreurs qu’ils partageaient alors avec le mouvement ouvrier tout entier.
C’est seulement dans ce cadre que l’on peut espérer comprendre la dégénérescence ultérieure de la révolution russe. Comme cette question est abordée dans un autre texte de la Revue du CCI (“La Dégénérescence de la Révolution russe”, (1) dans ce même numéro), nous nous limiterons ici à quelques remarques générales. La révolution commencée en 1917 n’a pas réussi à s’étendre internationalement, malgré les nombreuses tentatives de la classe dans toute l’Europe. La Russie elle-même était déchirée par une longue et sanglante guerre civile qui avait dévasté l’économie et fragmenté la classe ouvrière industrielle, colonne vertébrale du pouvoir des Soviets. Dans ce contexte d’isolement et de chaos interne, les erreurs idéologiques des bolcheviks ont commencé à exercer un poids matériel contre l’hégémonie politique de la classe ouvrière, presque aussitôt qu’ils eurent pris le pouvoir. C’était cependant un processus irrégulier. Les bolcheviks, qui recouraient à des mesures de plus en plus bureaucratiques en Russie même, pendant les années 1918-20, pouvaient encore contribuer à fonder l’Internationale Communiste en 1919, avec pour unique et clair objectif d’accélérer la révolution prolétarienne mondiale.
La délégation du pouvoir à un parti, l’élimination des comités d’usine, la subordination progressive des Soviets à l’appareil d’État, le démantèlement des milices ouvrières, la façon “militariste” toujours plus accentuée de faire face aux difficultés, résultats des périodes de tension de la période de guerre civile, la création de commissions bureaucratiques, étaient toutes des manifestations extrêmement significatives du processus de dégénérescence de la révolution en Russie.
Ces faits ne sont pas les seuls signes de l’affaiblissement du pouvoir politique de la classe ouvrière en Russie avant 1921, mais ce sont sûrement les plus importants. Bien que quelques-uns datent même d’avant la période de communisme de guerre, c’est la période de guerre civile qui voit le plein épanouissement de ce processus. Comme la rébellion de Kronstadt a été sous beaucoup d’aspects une réaction aux rigueurs du communisme de guerre, il est nécessaire d’être tout à fait clair sur la signification réelle de cette période pour le prolétariat russe.
Comme le souligne l’article sur La dégénérescence de la révolution russe, nous ne pouvons plus désormais entretenir les illusions des communistes de gauche de cette époque qui, pour la plupart, voyaient dans le communisme de guerre une “véritable” politique socialiste, contre la “restauration du capitalisme” établie ensuite par la NEP. La disparition quasi-totale de l’argent et des salaires, la réquisition des céréales chez les paysans ne représentaient pas l’abolition des rapports sociaux capitalistes, mais étaient simplement des mesures d’urgence imposées par le blocus économique capitaliste contre la république des Soviets, et par les nécessités de la guerre civile. En ce qui concerne le pouvoir politique réel de la classe ouvrière, nous avons vu que cette période était marquée par un affaiblissement progressif des organes de la dictature du prolétariat et par le développement des tendances et des institutions bureaucratiques. De plus en plus, la direction du Parti-État développait des arguments montrant que l’organisation de la classe était excellente en principe, mais que, dans l’instant présent, tout devait être subordonné à la lutte militaire. Une doctrine de l’“efficacité” commençait à saper les principes essentiels de la vie prolétarienne. Sous le couvert de cette doctrine, l’État commença à instituer une militarisation du travail, qui soumettait, les travailleurs à des méthodes de surveillance et d’exploitation extrêmement sévères. “En janvier 1920, le conseil des commissaires du peuple, principalement à l’instigation de Trotski, a décrété l’obligation générale pour tous les adultes valides de “travailler, et, en même temps, a autorisé” l’affectation de personnel militaire inemployé à des travaux civils”. (Paul Avrich, Kronstadt 1921, édition en anglais, Princeton 1970, pp. 26-27).
En même temps, la discipline du travail dans les usines était renforcée par la présence des troupes de l’Armée rouge. Ayant émasculé les comités d’usine, la voie était libre pour que l’État introduise la direction personnalisée et le système tayloriste d’exploitation sur les lieux de production, le même système que Lénine lui-même dénonçait comme “l’asservissement de l’homme à la machine”. Pour Trotski, “la militarisation de travail est l’indispensable méthode de base pour l’organisation de notre main-d’œuvre” (Rapport du IIIe Congrès des syndicats de toutes les Russies, Moscou 1920). Le fait que l’État était alors un “État ouvrier” signifiait pour lui que les travailleurs ne pouvaient faire aucune objection à leur soumission complète à l’État.
Les dures conditions de travail dans les usines n’étaient pas compensées par des salaires élevés ou un accès facile aux “valeurs d’usage”. Au contraire, les ravages de l’économie par la guerre et le blocus mettaient le pays tout entier au bord de la famine, et les travailleurs devaient se contenter des rations les plus maigres, souvent distribuées très irrégulièrement. De larges secteurs de l’industrie cessèrent de fonctionner, et des milliers d’ouvriers furent contraints de se débrouiller pour survivre. La réaction naturelle de beaucoup d’entre eux fut de quitter complètement les villes et de chercher quelques moyens de subsistance dans la campagne ; des milliers essayèrent de survivre en commerçant directement avec les paysans, troquant souvent des outils volés dans les usines contre de la nourriture. Quand le régime du communisme de guerre se mit à interdire l’échange individuel, chargeant l’État de la réquisition et de la distribution des biens essentiels, beaucoup de gens ne survécurent que grâce au marché noir qui fleurissait partout. Pour lutter contre celui-ci, le gouvernement établit des barrages armés sur les routes pour contrôler tous les voyageurs qui entraient ou sortaient des villes, pendant que les activités de la Tcheka pour renforcer les décrets du gouvernement se faisaient de plus en plus énergiques. Cette “Commission extraordinaire” établie en 1918 pour combattre la contre-révolution se comportait de façon plus ou moins incontrôlée, employant des méthodes impitoyables qui lui valurent la haine générale de tous les secteurs de la population.
Le traitement sommaire infligé aux paysans ne gagna pas non plus l’approbation universelle des ouvriers. Les rapports familiaux et personnels étroits entre beaucoup de secteurs de la classe ouvrière russe et la paysannerie tendaient à rendre les ouvriers sensibles aux plaintes des paysans sur les méthodes qu’utilisaient souvent les détachements armés envoyés pour la réquisition des céréales, surtout quand le détachement prenait plus que l’excédent des paysans et les laissait sans moyens de subvenir à leurs propres besoins, En réaction contre ces méthodes, les paysans cachaient ou détruisaient fréquemment leur récolte, venant par là aggraver la pauvreté et la pénurie dans tout le pays. L’impopularité générale de ces mesures de coercition économique allait être exprimée clairement dans le programme des insurgés de Kronstadt, comme nous allons le voir.
Si des révolutionnaires, comme Trotski, avaient tendance à faire des nécessités (imposées par la période) vertu, et à glorifier la militarisation de la vie économique et sociale, d’autres, et Lénine lui-même parmi eux, étaient plus prudents. Lénine ne dissimulait pas le fait que les Soviets ne fonctionnaient plus comme des organes du pouvoir prolétarien direct, et pendant le débat sur la question des syndicats en 1921 avec Trotski, il défendit l’idée que les travailleurs doivent se défendre eux-mêmes contre “leur” État, particulièrement depuis que la république des Soviets était selon Lénine, non plus seulement un “État prolétarien”, mais un “État des ouvriers et paysans” avec de profondes “déformations bureaucratiques”. L’Opposition Ouvrière et les autres groupes de gauche bien sûr, allèrent plus loin dans la dénonciation de ces déformations bureaucratiques que l’État avait subies dans la période 1918-21. Mais la majorité des bolcheviks croyaient fermement et sincèrement que tant qu’ils (comme parti du prolétariat) contrôleraient l’appareil d’État, la dictature du prolétariat existerait encore, mène si les masses laborieuses elles-.même semblaient temporairement être absentes de la scène politique. Cette position, fondamentalement fausse, devait inévitablement provoquer des conséquences désastreuses.
La crise de 1921
Tant que durait la guerre civile, l’État des Soviets conservait l’appui de la majorité de la population car il était identifié au combat contre les anciennes classes possédantes et capitalistes. Les privations très dures de la guerre civile avaient été supportées avec une bonne volonté relative par les travailleurs et les petits paysans. Mais après la défaite des armées impérialistes, beaucoup commençaient à espérer que les conditions de vie seraient moins sévères et que le régime relâcherait un peu son emprise sur la vie économique et sociale.
La direction bolchevique, toutefois, confrontée aux ravages de la production causés par la guerre, était assez réticente à permettre quelque relâchement dans le contrôle étatique centralisé. Quelques bolcheviks de gauche, comme Ossinsky, soutenaient le maintien et même le renforcement du communisme de guerre, surtout dans les campagnes. Il proposa un plan pour 1’"organisation obligatoire des masses pour la production”, (N. Ossinsky, Gosudarstvennca regulizovanie, Krest'ianskogo Khoziastva, Moscou 1920, pp. 8/9) sous la direction du gouvernement, pour la formation de “comités de semailles” locaux pour élargir la production collectivisée et pour des dépôts communs de semences dans lesquels les paysans seraient obligés de rassembler leurs “graines”, le gouvernement se chargeant de là distribution générale de ces graines. Toutes ces mesures – prévoyait-il – conduirait naturellement à l’économie “socialiste” en Russie.
Les autres bolcheviks, comme Lénine, commençaient à voir la nécessité d’un adoucissement, spécialement pour les paysans, mais dans l’ensemble, le parti défendait farouchement les méthodes du communisme de guerre. Le résultat fut que la patience des paysans commença à s’épuiser. Pendant l’hiver 1920-21, toute une série de soulèvements paysans s’étendit dans le pays. Dans la province de Tanbow, la région de la moyenne Volga, 1'Ukraine, la Sibérie occidentale et beaucoup d’autres régions, les paysans s’organisaient en bandes sommairement armées, pour lutter contre les détachements de ravitaillement et la Tcheka. Bien souvent, leurs rangs grouillaient de soldats de l’Armée rouge récemment démobilisés, qui apportaient un certain savoir-faire militaire. Dans certaines régions, d’énormes armées rebelles se formèrent, moitié forces de guérilla, moitié hordes de bandits. A Tanbow, par exemple l’armée de guérilla de A.S. Antonov comptait jusqu’à 50 000 hommes. Ces forces avaient peu de motivations idéologiques, si ce n’est leur ressentiment traditionnel de paysans contre la ville, contre le gouvernement centralisé et les rêves traditionnels de la petite bourgeoise rurale d’indépendance et d’autosubsistance. Ayant déjà affronté les armées paysannes de Makhno en Ukraine, les bolcheviks étaient hantés par la possibilité d’une jacquerie généralisée contre le pouvoir des Soviets. C’est pourquoi il n’est pas autrement surprenant qu’ils aient assimilés la révolte de Kronstadt à cette menace qui venait de la paysannerie. C’est sûrement l’une des raisons de la sauvagerie avec laquelle le soulèvement de Kronstadt fut réprimé.
Presque immédiatement après, une série de grèves sauvages beaucoup plus importantes se développa à Petrograd. Débutant à l’usine métallurgique Troubochny, la grève s’étendit rapidement, à beaucoup des plus grandes entreprises industrielles de la ville. Aux assemblées d’usine et dans les manifestations, des résolutions qui réclamaient une augmentation des rations de nourriture et de vêtements étaient adoptées, car la plupart des ouvriers avaient faim et froid. Allant de pair avec ces revendications économiques, d’autres, plus politiques, apparaissaient aussi : les ouvriers voulaient la fin des restrictions sur les déplacements en dehors des villes, la libération des prisonniers de la classe ouvrière, la liberté d’expression, etc. Les autorités soviétiques de la ville, Zinoviev à leur tête, répondirent en dénonçant les grèves comme “faisant le jeu de la contre-révolution” et placèrent la ville sous contrôle militaire direct, interdisant les assemblées dans les rues, et imposant un couvre-feu à 23 h. Sans aucun doute, quelques éléments contre-révolutionnaires comme les mencheviks ou les socialistes-révolutionnaires jouaient un rôle dans ces événements avec leurs propres visées politiques contre les bolcheviks dans leur soutien, mais le mouvement de grève de Petrograd était essentiellement une réponse prolétarienne spontanée aux conditions de vie intolérables. Les autorités bolcheviques, cependant, ne pouvaient admettre que les ouvriers puissent se mettre en grève contre l'"État ouvrier”, et taxaient les grévistes de provocateurs, de paresseux et d’individualistes. Elles cherchèrent aussi à briser la grève par des lock-out, des privations de rations, et l’arrestation, des porte-paroles des plus en vue et des “meneurs” par la Tcheka locale. Ces mesures répressives se combinaient avec des concessions : Zinoviev annonçait la fin du blocus des routes autour de la ville, l’achat de charbon à l’étranger pour faire face à la pénurie de combustible et faisait le projet de mettre fin aux réquisitions de céréales. Ce mélange de répression et de conciliation a conduit la plupart des travailleurs déjà affaiblis et épuisés à abandonner leur lutte dans l’espoir d’un futur meilleur.
Mais l’impact le plus important que le mouvement de grève de Petrograd devait avoir, fut celui qu’il eut sur la forteresse voisine, Kronstadt. La garnison de Kronstadt, un des principaux bastions de la révolution d’Octobre, avait déjà engagé une lutte contre la bureaucratisation avant les grèves de Petrograd. Pendant l’année 1920 et début 1921, les matelots de la flotte rouge dans la Baltique avaient combattu les tendances disciplinaires des officiers et les penchants bureaucratiques du POUBALT (section politique de la flotte de la Baltique – l’organe du Parti qui dominait la structure soviétique dans la marine). Des motions étaient votées par des assemblées de marins en février 21, déclarant “que le POUBALT ne s’est pas seulement séparé des masses, mais aussi des fonctionnaires actifs. Il est devenu un organe bureaucratique, ne disposant d’aucune autorité parmi les marins” (Ida Mett, La Commune de Kronstadt, p. 3).
Aussi, quand arrivèrent les nouvelles des grèves de Petrograd et de la déclaration de la loi martiale par les autorités, il y avait déjà un état de fermentation de révolte chez les marins. Le 28 février, ils envoyaient une délégation aux usines de Petrograd pour savoir ce qui se passait. Le même jour, l’équipage du croiseur Petropavlovsk se rassembla pour discuter de la situation et adopter la résolution suivante :
“Ayant entendu les représentants des équipages délégués par l’Assemblée générale des bâtiments pour se rendre compte de la situation à Petrograd, les matelots décident :
1- Etant donné que les soviets actuels n’expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans, d’organiser immédiatement des réélections aux soviets par bulletins secrets, en ayant soin d’organiser une libre propagande électorale ;
2 – D’exiger la liberté de parole et de la presse pour les ouvriers et les paysans, les anarchistes et les partis socialistes de gauche ;
3 – D’exiger la liberté de réunion et la liberté des organisations syndicales et des organisations paysannes ;
4 – D’organiser au plus tard pour le 10 mars 1921 une conférence des ouvriers sans parti, soldats et matelots de Petrograd, de Kronstadt et du département de Petrograd ;
5 – De libérer tous les prisonniers politiques des partis socialistes, ainsi que tous les ouvriers et paysans, soldats rouges et marins emprisonnés des différents mouvements ouvriers et paysans ;
6 – D’élire une commission pour la révision des dossiers des détenus des prisons et des camps disciplinaires ;
7 – De supprimer tous les Politotdiel (sections politiques) car aucun parti ne doit avoir de privilèges pour la propagande de ces idées ni recevoir de l’État de ressources dans ce but. A leur place, doivent être créés des cercles culturels élus bénéficiant des ressources provenant de l’État ;
8 – De supprimer immédiatement tous les détachements de barrage ;
9 – D’égaliser la ration pour tous les travailleurs, excepté dans les corps de métiers insalubres et dangereux ;
10 – De supprimer les détachements de combat communistes dans les unités militaires et faire disparaître le service de garde communiste dans les usines et fabriques. En cas de besoin de ces services de garde, de les désigner par compagnie dans chaque unité militaire en tenant compte de 1’avis des ouvriers ;
11 – De donner aux paysans la liberté d’action complète sur leur terre ainsi que le droit d’avoir du bétail qu’ils devront soigner eux-mêmes et sans utiliser le travail des salariés ;
12 – De demander à toutes les unités militaires ainsi qu’aux camarades Koursantys de s’associer à notre résolution ;
13 – Exiger qu’on donne dans la presse une large publicité à toutes les résolutions ;
14 – Désigner un bureau de contrôle mobile ;
15 – Autoriser la production artisanale libre n’utilisant pas de travail salarié”.
Cette résolution devint rapidement le programme de la révolte de Kronstadt. Le 1er mars, une assemblée de masse de 16 000 personnes se déroula dans la garnison, officiellement prévue comme une assemblée des premières et deuxièmes sections de croiseurs, et à laquelle assistait Kalinine, président de l’exécutif des soviets de toutes les Russies, et Kouzmine commissaire politique de la flotte de la Baltique. Bien que Kalinine ait été accueilli avec de la musique et des drapeaux, lui et Kousmine se retrouvèrent bientôt complètement isolés, dans l’assemblée. L’assemblée entière adopta la résolution du Petropavlovsk, à l’exception de Kalinine et de Kouzmine qui prirent la parole sur un ton très provocateur pour dénoncer les initiatives de “ceux” de Kronstadt, et se firent huer.
Le jour suivant, le 2 mars, était le jour où le Soviet de Kronstadt devait être réélu. L’assemblée du 1er mars convoqua en conséquence une réunion des délégués des navires, des unités de l’Armée rouge des usines et autres, pour discuter de la reconstitution du Soviet. 300 délégués se rencontrèrent donc le 2 mars à la maison de la Culture. La résolution de Petropavlovsk fut de nouveau adoptée et des projets pour les élections du nouveau soviet présentés dans une motion avec l’orientation vers “une reconstruction pacifique du régime des Soviets” (Ida Mett, op. cité). En même temps, les délégués formèrent un comité révolutionnaire provisoire (CRP), chargé de 1'administration de la ville et de l’organisation de la défense contre toute intervention du gouvernement. Cette dernière tâche était considérée comme tout à fait urgente du fait de rumeurs à propos d’une attaque immédiate par des détachements bolcheviques, et à cause des violentes menaces de Kalinine et Kouzmine. Ces derniers se montraient si intraitables qu’ils furent arrêtés en même temps que deux autres personnages officiels, Cet acte marquait une étape décisive vers la mutinerie déclarée, et fut interprété comme tel par le gouvernement.
Le CRP assuma rapidement ses tâches. Il commença à publier ses propres Izvestia, dont le premier numéro déclarait :
“Le parti communiste, maître de cet État, s’est séparé des masses. Il s’est montré incapable de sortir le pays du chaos. D’innombrables incidents se sont produits récemment à Moscou et à Petrograd, qui montrent clairement que le Parti a perdu la confiance des masses ouvrières. Le Parti néglige les besoins de la classe ouvrière, parce qu’il croit que ces revendications sont le fruit d’activités contre-révolutionnaires. En cela, le Parti commet une profonde erreur” (Izvestia du CRP, 3 mars 1921).
La réponse immédiate du gouvernement bolchevique à la rébellion a été de la dénoncer comme une partie de la conspiration contre-révolutionnaire contre le pouvoir des Soviets. Radio Moscou l’appelait “complot de la Garde blanche” et proclamait qu’il avait des preuves que toute l’affaire avait été organisée par les cercles émigrés â Paris, et par les espions de l’Entente. Bien que ces falsifications soient encore utilisées aujourd’hui, cette interprétation des événements n’a plus grand crédit de nos jours, même chez les historiens semi-trotskystes, comme Deutscher, qui admet que ces accusations n’ont aucun fondement dans la réalité. Bien sûr, tous les charognards de la contre-révolution, depuis les Gardes blancs jusqu’aux socialistes-révolutionnaires tentèrent de récupérer la rébellion et lui offrirent leur appui. Mais, excepté l’aide “humanitaire” par le canal de la Croix-Rouge russe contrôlée, par les émigrés, le C.R.P. rejeta toutes les avances faites par les forces de la réaction. Il proclamait qu’il ne luttait pas pour le retour de l’autocratie ou de l’Assemblée constituante, mais pour une régénération du pouvoir des Soviets, libéré de la domination bureaucratique : “Ce sont les Soviets et non l’Assemblée constituante, qui sont le rempart des travailleurs”, déclarait les Izvestia de Kronstadt. “A Kronstadt, le pouvoir est entre les mains des marins, des soldats rouges et des travailleurs révolutionnaires. Il n’est pas dans les mains des gardes blancs commandés par le général Kozlovsky, comme l’affirme mensongèrement Radio Moscou” (Appel du CRP, cité par Ida Mett, p. 22-23.).
Quand l’idée d’un simple complot se révéla être une fiction, des excuses plus élaborées furent avancées pour justifier la répression de Kronstadt qui suivit, par ceux qui s’identifient de façon non critique avec la dégénérescence du bolchevisme. Dans un texte “Hue and Cry over Kronstadt” (New Internationale, avril 1938), Trotski a présenté l’argumentation suivante : c’est vrai, Kronstadt a été un des bastions de la révolution prolétarienne en 1917. Mais pendant la guerre civile, les éléments prolétariens révolutionnaires de la garnison ont été dispersés et remplacés par des éléments paysans empreints de l’idéologie petite-bourgeoise réactionnaire. Ces éléments ne pouvaient absolument pas s’accommoder des rigueurs de la dictature du prolétariat et de la guerre civile, c’est pourquoi ils se révoltèrent pour affaiblir la dictature et s’octroyer des rations privilégiées. Le soulèvement de Kronstadt n’était rien de plus qu’une réaction armée de la petite bourgeoisie contre les épreuves de la révolution sociale et l’austérité de la dictature du prolétariat. Il poursuit en disant que les travailleurs de Petrograd, qui contrairement aux dandys de Kronstadt supportaient ces épreuves sans se plaindre, avaient été “dégoûtés” par la rébellion, sentant que les “mutins de Kronstadt étaient de l’autre côté des barricades” et c’est ainsi “qu’ils ont apporté leur soutien au pouvoir des Soviets”.
Nous ne voulons pas passer trop de temps à examiner ces arguments : nous avons déjà cité assez de faits pour les discréditer. L’affirmation que les insurgés de Kronstadt réclamaient des rations privilégiées pour eux-mêmes, peut être démentie simplement par le rappel du point 9 de la résolution du Pétropavlovsk, qui demandait des rations égales pour tous. De la même manière, le portrait des ouvriers de Petrograd apportant docilement leur soutien à la répression est complètement démenti par la réalité des vagues de grèves qui ont précédé la révolte. Bien que ce mouvement soit en grande partie retombé au moment où a éclaté la révolte de Kronstadt, des fractions importantes du prolétariat de Petrograd continuèrent à apporter un soutien actif aux insurgés. Le 7 mars, le jour où commença le bombardement de Kronstadt, les travailleurs de l’Arsenal tinrent un meeting qui élut une commission chargée de lancer une grève générale pour soutenir la rébellion. Les grèves continuaient à Poutilov, Battisky, Oboukov et dans les principales autres entreprises.
D’un autre côté, nous ne nierons pas qu’il y avait des éléments petit-bourgeois dans le programme et l’idéologie des insurgés et dans le personnel de la flotte et des armées. Mais tous les soulèvements prolétariens s’accompagnent de toute une quantité d’éléments petit-bourgeois et réactionnaires qui ne changent pas le caractère fondamentalement ouvrier du mouvement. Ce fut sûrement le cas lors de l’insurrection d’Octobre elle-même, qui avait le soutien et la participation active d’éléments paysans dans les forces armées et dans les campagnes. Le fait que les insurgés de Kronstadt avaient une large base ouvrière peut être prouvé par la composition de 1'assemblée de délégués du 2 mars, qui étaient, en grande partie, des prolétaires des usines, des unités de marine de la garnison, et de l’ensemble du CRP élu par cette assemblée, qui lui, était constitué de travailleurs et de marins de longue date qui avaient pris part au mouvement révolutionnaire au moins depuis 17 (voir la brochure d’Ida Mett pour la liste des membres de ce comité). Mais ces faits sont moins importants que le contexte général de la révolte ; celle-ci s’est produite dans le cours d’un mouvement de lutte de la classe ouvrière contre la bureaucratisation du régime, elle s’identifiait à cette lutte et se voyait comme un moment dans sa généralisation.
“Que les travailleurs du monde entier sachent que nous, les défenseurs du pouvoir des Soviets, protégeons les conquêtes de la révolution sociales Nous vaincrons ou nous périrons sur les ruines de Kronstadt, en nous battant pour… la juste cause “des masses prolétariennes” (Pravda de Kronstadt, p. 82)
En dépit du fait que les idéologues de la petite bourgeoisie, les anarchistes parlent de Kronstadt comme étant l’expression de leur révolte, malgré le fait que des influences anarchistes aient sans aucun doute existé dans le programme des insurgés et dans leur phraséologie, les revendications des insurgés n’étaient pas simplement anarchistes. Ils ne réclamaient pas une abolition abstraite de l’État, mais la régénération du pouvoir des Soviets. Ils ne voulaient pas non plus abolir les “partis” en tant que tels. Bien que beaucoup parmi les insurgés aient abandonné le parti bolchevik à cette époque, et quoiqu’ils aient publié beaucoup de résolutions confuses sur la “tyrannie communiste”, ils n’ont pas réclamé les “Soviets sans les Communistes”, comme on l’a souvent affirmé. Leur slogan était liberté d’agitation pour les différentes composantes de la classe ouvrière, et “le pouvoir aux Soviets, pas aux partis”. Malgré toutes les ambiguïtés inhérentes à ces mots d’ordre, ils exprimaient un rejet instinctif de l’idée du parti qui se substitue à la classe, ce qui a été un des principaux facteurs contribuant à la dégénérescence du bolchevisme”.
C’est l’un des traits caractéristiques de la rébellion, Elle ne présentait pas une analyse politique claire et cohérente de la dégénérescence de la révolution. De telles analyses cohérentes devraient trouver une expression au sein des minorités communistes, même si dans certaines conjonctures spécifiques, ces minorités peuvent être à la traîne de la conscience spontanée de la classe dans son ensemble. Dans le cas de la Révolution russe, cela a pris des décennies de réflexion ardue dans la Gauche Communiste internationale, pour arriver à une compréhension cohérente de ce qu’était sa dégénérescence. Ce que représentait le soulèvement de Kronstadt, c’était une réaction élémentaire du prolétariat à cette dégénérescence, une des dernières manifestations de masse de la classe ouvrière russe à cette époque. À Moscou, Petrograd et Kronstadt, les travailleurs ont envoyé un SOS désespéré pour sauver la révolution russe qui allait sur son déclin.
Nombre de discussions ont eu lieu à propos du rapport entre les revendications des rebelles et la NEP. Pour les staliniens impénitents de l’Organisation Communiste anglaise et irlandaise – B&ICO – (Problème du Communisme, n°3), la rébellion a dû être écrasée parce que son programme économique de troc et de libre échange était une réaction petite-bourgeoise au processus de “construction du socialisme” en Russie – le “socialisme” signifiant bien entendu, la centralisation la plus complète possible dans le cadre du capitalisme d’État. Mais en même temps B&ICO défend la NEP comme étape vers le socialisme ! A l’autre extrémité de l’éventail, 1'anarchiste Murray Bookchin, dans son introduction à l’édition canadienne de “La Commune de Kronstadt” (ed. Black Rose Book, Montréal 1971) dépeint le paradis libertaire qui aurait pu exister si seulement le programme économique des rebelles avait été appliqué :
“Une victoire ces marins de Kronstadt aurait pu ouvrir de nouvelles perspectives pour la Russie : une forme hybride de développement social avec le contrôle ouvrier sur les usines et le commerce libre des produits agricoles, fondé sur-une économie paysanne à petite échelle et des communautés agraires volontaires”.
Bookchin ajoute ensuite, curieusement, qu’une telle société n’aurait pu survivre que si un mouvement révolutionnaire avait abouti en même temps en Occident. Mais on peut se demander en quoi de tels rêves autogestionnaires de petits boutiquiers auraient pu représenter une menace pour le capital mondial !
De toute façon, toute cette controverse a peu d’intérêt pour des communistes. Étant donné l’échec de la vague révolutionnaire, aucune politique économique quelle qu’elle soit, que ce soit le communisme de guerre, les tentatives d’autarcie, la NEP ou le programme de Kronstadt, n’aurait pu sauver la Révolution. D’ailleurs beaucoup de revendications purement économiques présentées par les rebelles étaient plus ou moins incluses dans la NEP. En tant que programmes économiques, tous sont également inadéquats, et il serait absurde pour les révolutionnaires aujourd’hui de revendiquer le troc ou le libre échange corme mesures économiques adéquates pour un bastion prolétarien, même si, dans des circonstances critiques, il peut être impossible de les éliminer. La différence essentielle entre le programme de Kronstadt et la NEP était la suivante : alors, que cette dernière devait être instaurée par le haut, par la bureaucratie d’État naissante, en coopération avec les directions privées et capitalistes restantes, sans aucun rétablissement du pouvoir prolétarien, les insurgés de Kronstadt posaient comme préalable à toute marche en avant de.la révolution, la restauration du pouvoir authentique des soviets et un terme à la dictature étatique du parti bolchevik.
C’est le nœud du problème. Il est vain de discuter aujourd’hui pour savoir quelle politique économique était la plus “socialiste” à ce moment-là. Le socialisme ne pouvait pas être construit en Russie seulement. Les rebelles de Kronstadt le comprenaient peut-être moins que les bolcheviks les plus éclairés. Les insurgés, par exemple, parlaient de 1'établissement d’un “socialisme libre” (indépendant) en Russie, sans mettre 1'accent sur la nécessité de l’extension de la révolution à l’échelle mondiale avant que le socialisme ne puisse être instauré.
“Kronstadt révolutionnaire combat pour une espèce différente de socialisme, pour une république soviétique des travailleurs dans laquelle le producteur sera son propre maître et pourra disposer de son produit comme il lui semble bon” (Pravda de Kronstadt, p. 92).
L’évaluation prudente de Lénine sur les possibilités de progrès “socialistes” en Russie à cette époque, bien que l’ayant amené à des conclusions totalement erronées et lourdes de conséquences, était en fait une approximation plus conforme à la réalité que les espoirs illusoires de ceux de Kronstadt sur le sens révolutionnaire de communes autogérées au sein de la Russie.
Mais Lénine et la direction bolchevique, emprisonnés dans l’appareil d’État n’arrivèrent pas à voir ce que disaient en réalité les insurgés de Kronstadt, en dépit de leurs confusions et de leurs idées mal formulées : la révolution ne peut aller nulle part si les travailleurs ne la dirigent pas. La condition préalable fondamentale pour la défense et l’extension de la révolution en Russie était tout le pouvoir aux Soviets, en d’autres termes, la reconquête de l’hégémonie politique par les masses ouvrières elles-mêmes. Comme il 'est souligné dans le texte sur la “dégénérescence de la Révolution russe”, cette question du pouvoir politique est de loin la plus importante. Le prolétariat au pouvoir peut faire des progrès économiques importants, ou être obligé de supporter des reculs économiques sans que la Révolution soit perdue. Mais une fois que le pouvoir politique de la classe s’effrite, aucune mesure économique, quelle qu’elle soit, ne peut sauver de.la révolution. C’est parce que les rebelles de Kronstadt luttaient pour la reconquête de cet indispensable pouvoir politique prolétarien que les révolutionnaires d’aujourd’hui doivent reconnaître dans la lutte de Kronstadt une défense fondamentale des positions de classe.
La direction. bolchevique a réagi avec extrême hostilité à la rébellion de Kronstadt. Nous avons déjà évoqué le comportement provocateur de Kouzmine et Kalinine face à la garnison elle-même, les mensonges répandus par Radio Moscou qui disait que c’était une tentative contre-révolutionnaire de la Garde blanche. L’attitude intransigeante du gouvernement bolchevique élimina rapidement toute possibilité de compromis ou de discussion. L’avertissement péremptoire adressé par Trotski à la garnison demandait uniquement la réddition sans condition, et ne faisait aucune offre de concessions aux revendications des insurgés. L’appel à Kronstadt émis par Zinoviev et le comité de défense de Petrograd (l’organe qui avait placé la ville sous la loi martiale après la vague de grèves) est bien connu pour sa cruauté avec son ordre “vous tirez dessus comme sur des perdreaux” si les rebelles persistaient. Zinoviev organisa aussi le prise en otage des familles des insurgés, sous le prétexte de l’arrestation par le CRP d’officiels bolcheviques (aucun ne subit de tort). Ces actions furent dénoncées comme honteuses par les insurgés qui refusèrent de s’abaisser à ce niveau. Pendant l’assaut militaire lui-même de la forteresse, les unités de l’Armée rouge envoyées pour écraser la rébellion étaient constamment au bord de la démoralisation. Quelques-unes fraternisèrent même avec les insurgés. Pour “s’assurer” de la loyauté de l’armée, d’éminents dirigeants bolcheviques furent délégués par le Xe Congrès du parti, alors en session, pour aller conduire le siège, et parmi eux des membres de l’Opposition ouvrière qui tenaient à se démarquer du soulèvement. En même temps, les fusils de la Tcheka étaient braqués sur le dos des soldats pour s’assurer doublement qu’aucune démoralisation ne pouvait se propager.
Quand la forteresse tomba enfin, des centaines d’insurgés furent massacrés, exécutés sommairement ou rapidement condamnés à mort par la Tcheka. Les autres furent envoyés en camp de concentration. La répression fut systématiquement sans merci. Afin d’effacer toutes les traces du soulèvement, la garnison fut placée sous contrôle militaire. Le Soviet fut dissous, et une purge de tous les éléments dissidents s’effectua. Même les soldats qui avaient pris part à la répression de la révolte furent rapidement dispersés dans des unités différentes pour empêcher que les “virus de Kronstadt” ne se propagent. Des mesures analogues furent prises pour les unités “sujettes à caution” dans la marine.
Le développement des événements en Russie dans les années après la révolte rendent absurdes les déclarations disant que la répression de la rébellion était une “nécessité tragique” pour défendre la Révolution. Les Bolcheviques croyaient qu’ils défendaient la révolution contre la menace de la réaction, représentée par la Garde blanche, sur ce port frontalier stratégique. Mais quelles qu’aient pu être les idées des Bolcheviques sur ce qu’ils faisaient, en fait, en attaquant les rebelles, ils attaquaient la seule défense réelle que la révolution pouvait avoir : 1'autonomie de la classe ouvrière et le pouvoir prolétarien direct. En faisant cela, ils se sont comportés eux-mêmes comme des agents de la contre-révolution et ces actes ont servi à déblayer la route du triomphe final de la contre-révolution bourgeoise sous la forme du stalinisme.
La férocité extrême avec laquelle le gouvernement a réprimé le soulèvement avait conduit quelques révolutionnaires à la conclusion que le parti bolchevik était clairement et ouvertement capitaliste en 1921, exactement comme les staliniens et les trotskystes le sont aujourd’hui. Nous ne voulons pas entrer dans une longue discussion sur le moment où le parti est finalement passé irrémédiablement du côté de la bourgeoisie et, en tout cas, nous rejetons la méthode qui essaie d’enfermer la compréhension du processus historique dans un schéma rigide de dates.
Mais dire que le parti bolchevik n’était “rien d’autre que capitaliste” en 1921, c’est dire, en effet que nous n’avons rien à apprendre des événements de Kronstadt, sauf la date de la mort de la révolution. Les capitalistes après tout, répriment toujours les soulèvements ouvriers et nous n’avons pas “à l’apprendre” sans arrêt. Kronstadt peut seulement nous enseigner quelque chose de neuf si nous le reconnaissons comme un chapitre de l’histoire du prolétariat, comme une tragédie dans le camp prolétarien. Le problème réel auquel sont confrontés les révolutionnaires aujourd’hui, c’est comment un parti prolétarien a-t-il pu être amené à agir comme les bolcheviks à Kronstadt en 1921 ? Et comment pouvons-nous nous assurer que de tels événements ne se reproduiront plus jamais ? En somme, quelles sont les leçons de Kronstadt ?
La révolte de Kronstadt éclaire sous un jour particulièrement dramatique les leçons fondamentales de toute la révolution russe, qui sont les seuls “acquis” de la classe ouvrière qui restent de la révolution d’Octobre aujourd’hui.
I – LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE EST INTERNATIONALE OU N’EST RIEN
La révolution prolétarienne peut seulement réussir à l’échelle mondiale. Il est impossible d’abolir le capitalisme ou de “construire le socialisme” dans un seul pays. La révolution ne sera pas sauvée par des programmes de réorganisation économique dans un pays, mais seulement par l’extension du pouvoir politique prolétarien sur toute la terre. Sans cette extension, la dégénérescence de la révolution est inévitable, quel que soit le nombre de changements apportés dans l’économie. Si la révolution reste isolée, le pouvoir politique du prolétariat sera détruit soit par une invasion de l’extérieur, soit par la violence interne comme à Kronstadt,
II – LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT N’EST PAS CELLE D’UN PARTI
La tragédie de la révolution russe, et en particulier le massacre de Kronstadt, a été que le parti du prolétariat, le parti bolchevik a considéré que son rôle était de prendre le pouvoir d’État et la défense de ce pouvoir même contre la classe ouvrière dans son ensemble. C’est pourquoi, quand l’État s’autonomise par rapport à la classe, et se dresse contre elle, comme à Kronstadt, les bolcheviks ont considéré que leur place était dans l’État qui se battait contre la classe, et non avec la classe qui luttait contre la bureaucratisation de l’État.
Aujourd’hui, les révolutionnaires doivent affirmer comme un principe fondamental que le rôle du parti n’est pas de prendre le pouvoir au nom de la classe. Seule la classe ouvrière dans son ensemble, organisée dans ses comités d’usine, ses milices et ses conseils ouvriers, peut prendre le pouvoir politique et entreprendre la transformation communiste de la société. Le parti doit être un facteur actif dans le développement de la conscience prolétarienne, mais il ne peut pas créer le communisme “au nom” de la classe. Une telle prétention peut seulement conduire, comme cela a été le cas en Russie, à la dictature du parti sur la classe, à la suppression de l’activité du prolétariat par lui-même sous le prétexte que le “parti est mieux” ou plus clairvoyant.
En même temps, l’identification du parti à l’État, chose naturelle pour le parti bourgeois, ne peut qu’entraîner les partis prolétariens dans la corruption et la trahison. Un parti du prolétariat doit constituer la fraction la plus radicale et la plus avancée de la classe qui est elle-même la classe la plus dynamique de 1'histoire. Charger le parti du fardeau de l’administration des affaires de l’État, qui par définition peut seulement avoir une fonction conservatrice, c’est nier tout le rôle du parti et étrangler sa créativité révolutionnaire. La bureaucratisation progressive du parti bolchevik, son incapacité croissante à séparer les intérêts de classe révolutionnaire de ceux de l’État des soviets, sa dégénérescence en machine administrative, tout ceci est le prix payé par le parti lui-même pour ses conceptions erronées du parti qui exerce le pouvoir d’État.
III – PAS DE RAPPORT DE FORCE A L’INTÉRIEUR DE LA CLASSE OUVRIÈRE
Le principe qu’aucune minorité, aussi éclairée soit-elle, ne peut prendre le pouvoir sur la classe ouvrière, va de pair avec celui qu’il ne peut y avoir aucun rapport de force ou de violence au sein même de la classe ouvrière. La démocratie prolétarienne n’est pas un luxe dont on peut se dispenser au nom de “l’efficacité”, mais la seule garantie de la bonne marche de la révolution et de la possibilité pour la classe de tirer des enseignements à travers sa propre expérience. Même si des fractions de la classe ont manifestement tort, la “ligne juste” ne peut pas leur être imposée par une autre fraction, qu’elle soit majoritaire ou non. Seule une liberté totale de dialogue à l’intérieur des organes autonomes de la classe (assemblées, conseils, parti) peut résoudre les conflits et les problèmes de la classe. Ceci implique aussi que la classe entière puisse avoir accès aux moyens de communication (presse, radio, TV, etc.), garder le droit de grève et remettre en question les directives issues des organes étatiques.
Même si les marins de Kronstadt n’avaient pas compris certains aspects de la situation, la dureté des mesures prises par le gouvernement bolchevik a été totalement injustifiée. De telles actions peuvent détruire la solidarité et la cohésion à l’intérieur de la classe et engendrer la démoralisation et le désespoir. La violence révolutionnaire est une arme que le prolétariat est forcé d’utiliser dans son combat contre la classe capitaliste. Son usage contre les autres classes non exploiteuses doit être réduit au minimum, autant qu’il est possible, mais à l’intérieur même du prolétariat, elle ne doit avoir aucune place.
IV – LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT N’EST PAS L’ÉTAT
Au moment de la révolution russe, il y avait une confusion fondamentale dans le mouvement ouvrier, qui identifiait la dictature du prolétariat à l’État qui est apparu après le renversement du régime tsariste, c’est-à-dire le Congrès des délégués de toutes les Russies des Soviets, des travailleurs, soldats et paysans.
Mais la dictature du prolétariat, fonctionnant à travers les organes spécifiques de la classe ouvrière, comme les assemblées d’usine et les conseils ouvriers, n’est pas une institution mais un état de fait, un mouvement réel de la classe toute entière. Le but de la dictature prolétarienne n’est pas celui d’un État dans, le sens où l’entendent les marxistes ; l’État est cet organe de superstructure issu de la société de classes, dont la fonction est de préserver les relations sociales dominantes, le statu quo entre classes. La dictature du prolétariat au contraire a comme but unique la transformation des rapports sociaux et l’abolition des classes. En même temps, les marxistes ont toujours affirmé la nécessité de l’État dans une période de transition au communisme, après l’abolition du pouvoir politique bourgeois. C’est pourquoi, l’État russe soviétique, comme la Commune de Paris a été un produit inévitable de la société de classes qui existait en Russie après 1917.
Certains révolutionnaires rependent l’idée que le seul État qui puisse exister après la destruction du pouvoir bourgeois, sont les conseils ouvriers eux-mêmes. Il est vrai que les conseils ouvriers ont à assurer la fonction qui a toujours été une des principales caractéristiques de l’État, l’exercice du monopole de la violence. Mais appeler les conseils ouvriers à s’identifier à l’État à cause de cela, c’est réduire le rôle de l’État à celui d’un simple organe de violence et rien d’autre. Alors, avec de telles conceptions, l’État bourgeois aujourd’hui serait seulement composé de la police et de l’armée et pas du parlement, des municipalités, des syndicats et des innombrables autres institutions qui maintiennent l’ordre capitaliste sans usage immédiat de la répression. Ces institutions sont des organes de l’État car.ils servent à maintenir l’ordre social existant, les antagonismes de classe au sein d’un cadre acceptable. Les conseils ouvriers, au contraire, représentent la négation active de cette fonction de l’État, en ce qu’ils sont d’abord et avant tout des organes de transformation sociale radicale, pas des organes de statu quo.
Mais plus que cela, c’est un vœu pieu d’attendre que les seules institutions qui existeront dans la période de transition soient uniquement les conseils ouvriers. Une révolution ne suit pas les prévisions simplistes de certains révolutionnaires. L’immense bouleversement social de la révolution engendre toutes sortes d’institutions, pas seulement de la classe ouvrière sur les lieux de production, mais de la population toute entière qui était opprimée par la classe capitaliste. En Russie, les soviets et les autres structures d’organisation sociale de la population apparurent non seulement dans les usines mais partout, dans l’armée, la marine, les villages, les quartiers des villes. Ce n’était pas seulement le fait que “les bolcheviks commençaient à construire un État qui avait une existence séparée de l’organisation de masse de la classe” (Workers’ Voice n° 14). Il est vrai que les bolcheviks ont contribué activement à la bureaucratisation de l’État, en abandonnant le principe des élections et en instituant d’innombrables commissions en dehors des Soviets. Mais les bolcheviks eux-mêmes ne créèrent pas 1’“État soviétique”. C’était quelque chose qui est né du terrain même de la société russe après Octobre ; il est arrivé parce que la société devait donner naissance à une institution capable de contenir ses antagonismes de classe profonds. Dire que seuls les conseils ouvriers peuvent exister, c’est prêcher la guerre civile permanente, non seulement entre la classe ouvrière et la bourgeoisie (qui est bien sûr nécessaire) mais aussi entre la classe ouvrière et toutes les autres couches non exploiteuses aurait signifié une guerre entre les soviets d’ouvriers et ceux de soldats et paysans. Ceci aurait été évidemment une terrible perte d’énergie et une déviation par rapport à la tâche primordiale de la révolution : l’extension de la révolution mondiale contre la classe capitaliste. (2)
Mais si cet état des soviets était à un certain point de vue le produit inévitable de la société post-insurrectionnelle, nous pouvons mettre en évidence un grand nombre de graves défauts dans ses structures et son fonctionnement, après l’insurrection d’Octobre, tout à fait en dehors du fait qu’il était contrôlé par le parti.
a – Dans le fonctionnement réel de l’État, il y avait un abandon continuel des principes fondamentaux établis d’après les expériences de la Commune en 1871 et réaffirmés par Lénine dans L’État et la Révolution en 1917 : tous les fonctionnaires sont élus et révocables à tout instant, la rémunération des fonctionnaires de l’État égale à celle des ouvriers, l’armement permanent du prolétariat. De plus en plus de commissions et de bureaux sur lesquels la classe ouvrière n’aurait aucun contrôle sont apparus (conseils économiques, Tcheka, etc.). Les élections étaient sans arrêt remises, retardées ou truquées. Les privilèges pour les personnes officielles de l’État étaient progressivement devenus un lieu commun. Les milices ouvrières ont été-dissoutes dans l’Armée rouge, qui n’était elle-même., ni sous le contrôle des conseils ouvriers, ni des soldats du rang.
b – Les conseils ouvriers, les comités d’usine et les autres organes du prolétariat, représentaient une partie de l’appareil d’État parmi les autres (bien que les travailleurs eussent un droit de vote préférentiel). Au lieu d’avoir la garantie de l’autonomie et de l’hégémonie sur toutes les autres institutions sociales, ces organes tendaient de plus en plus, non seulement à être intégrés dans 1'appareil général de l’État, mais à lui être subordonnés.
Le pouvoir prolétarien, au lieu de se manifester par le canal des organes spécifiques de la classe, a été identifié à l’appareil d’État. Bien plus, le postulat spécieux qu’il était un État “prolétarien”, “socialiste”, a amené les bolcheviks à soutenir que les travailleurs ne pouvaient avoir aucun droit ou intérêt différent de ceux de l’État. En conséquence de quoi, toute résistance à l’État de la part des travailleurs ne pouvait être que contre-révolutionnaire. Cette conception profondément erronée a été au cœur de la réaction des bolcheviks vis-à-vis des grèves de Petrograd, et du soulèvement de Kronstadt.
A l’avenir, les principes de la Commune, de l’autonomie de la classe ouvrière ne doivent pas être posés que sur le papier, mais défendus comme condition fondamentale du pouvoir prolétarien sur l’État. À aucun moment, la vigilance du prolétariat vis-à-vis de l’appareil d’État ne peut se relâcher, parce que l’expérience russe et les événements de Kronstadt en particulier, ont montré que la contre-révolution peut très bien se manifester par le canal de l’État post-insurrectionnel et pas seulement par celui d’une agression bourgeoise “extérieure”.
En conséquence, afin de s’assurer que 1'État-commune reste un instrument de 1'autorité prolétarienne, la classe ouvrière ne peut identifier sa dictature à cet appareil ambigu et sujet à caution, mais seulement à ses organes de classe autonomes. Ces organes doivent sans relâche contrôler le travail de l’État à tous les niveaux, en exigeant le maximum de représentation de délégués des conseils ouvriers dans les congrès généraux des soviets, 1'unification autonome permanente de la classe ouvrière au sein de ces conseils et le pouvoir décisionnel des conseils ouvriers sur toutes les mesures préconisées et planifiées par l’État. Les travailleurs doivent par-dessus tout, empêcher l’État d’interférer politiquement ou militairement avec ses propres organes de classe ; mais, d’un autre côté, la classe ouvrière doit maintenir sa capacité à exercer sa dictature sur et contre l’État, par la violence si besoin en est. Cela signifie que la classe ouvrière doit garantir son autonomie de classe, grâce à l’armement général du prolétariat. Si pendant la guerre civile, il devient nécessaire de créer une “Armée rouge” régulière, cette force doit être complètement subordonnée politiquement aux Conseils ouvriers et dissoute dès que la bourgeoisie a été militairement vaincue. Et, à aucun moment, les milices prolétariennes dans les usines ne peuvent être dissoutes.
L’identification du parti et de l’État, de l’État et de la classe a trouvé sa conclusion logique à Kronstadt, quand le parti s’est mis du côté de l’État contre la classe. L’isolement de la révolution russe qui est devenu en 1921 un facteur dramatiquement déterminant de l’évolution de la situation en Russie, a rendu l’État, par définition, gardien du statu quo, celui de la stabilisation du capital et de 1'asservissement des travailleurs. Malgré toutes ses bonnes intentions, la direction bolchevique qui a continué à espérer l’aube salvatrice de la Révolution mondiale pendant plusieurs années encore, a été forcée d’agir, par son implication dans la machine de l’État, comme un obstacle à la révolution mondiale, et a été entraînée vers le triomphe final de la contre-révolution stalinienne. Quelques-uns parmi les bolcheviks les plus lucides commençaient à voir que ce n’était pas le parti qui contrôlait l’État, mais l’État qui contrôlait le parti. Comme disait Lénine lui-même :
“La machine est en train d’échapper aux mains de ceux qui la conduisent : on dirait qu’il y a quelqu’un aux commandes qui dirige cette machine, mais celle-ci suit une autre direction que celle qui est voulue, conduite par une main cachée.. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou aux deux à la fois. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par ceux qui sont censés la conduire et quelquefois, elle prend tout à fait la direction opposée”. (Rapport Politique du Comité Central du Parti en 1922).
Les dernières années de la vie de Lénine virent sa lutte sans espoir contre la bureaucratie naissante, avec des projets dérisoires comme celui d’une “Inspection des travailleurs et paysans” dans lequel la bureaucratie aurait été sous la surveillance d’une nouvelle commission bureaucratique ! Ce qu’il ne pouvait pas admettre, ou qu’il ne pouvait pas voir, c’était que le soi-disant “État prolétarien” était devenu purement et simplement une machine bourgeoise, un appareil de réglementation des rapports sociaux capitalistes et ne pouvait, en conséquence, n’être que fondamentalement inaccessible aux besoins de la classe ouvrière. Le triomphe du stalinisme n’était que la reconnaissance cynique de ce fait, l’adaptation finale et définitive du parti à son rôle de contremaître de l’État capitaliste,. Cela a été la signification réelle de la déclaration du “socialisme en un seul pays” en 1924.
Le soulèvement de Kronstadt a mis le parti devant un choix historique extrêmement grave : soit continuer à diriger cette machine bourgeoise et finir de cette façon comme un parti du capital, soit se séparer de l’État et être aux côtés de la classe ouvrière entière dans son combat contre cette machine, cette personnification du capital. En choisissant la première voie, les bolcheviks ont, en fait, signé leur arrêt de mort en tant que parti du prolétariat et ont donné de l’élan au processus contre-révolutionnaire qui s’est manifeste ouvertement en 1924. Après 1921, seules les fractions bolcheviques qui avaient commencé à comprendre la nécessité de s’identifier directement à la lutte des ouvriers contre l’État, pouvaient rester révolutionnaires et capables de participer au combat international des communistes de gauche contre la dégénérescence de la IIIe Internationale. Ainsi, par exemple, le “groupe ouvrier” de Miasnikov a pu jouer un rôle actif dans la grève sauvage qui s’étendit en Russie en août et septembre 1923. Ceci contrairement à l’Opposition de gauche, dirigée par Trotski, dont la lutte contre la fraction stalinienne se situait toujours à l’intérieur de la bureaucratie et ne faisait aucune tentative pour essayer de se rattacher à la lutte ouvrière contre ce que les trotskystes définissent comme un “État ouvrier” et une “économie ouvrière”. Leur incapacité initiale à se détacher de la machine État-Parti laissait prévoir l’évolution ultérieure du trotskysme en appendice “critique” à la contre-révolution stalinienne.
Mais les choix “historiques” sont rarement clairs au moment où ils doivent être faits. Les hommes font leur histoire dans dès conditions objectives définies et les traditions des générations passées pèsent “comme un cauchemar sur les cerveaux des vivants” (Marx). Ce poids cauchemardesque du passé écrasait les bolcheviks et seul le triomphe révolutionnaire du prolétariat occidental aurait pu rendre possible la suppression de ce poids et permettre aux bolcheviks, ou au moins à une fraction appréciable du parti, de réaliser quelles étaient leurs erreurs, et d’être régénérés par la créativité inépuisable du mouvement prolétarien international.
Les traditions de la social-démocratie, l’arriération de la Russie, en plus de tous les fardeaux du pouvoir d’État dans le contexte d’une vague révolutionnaire en reflux, tous ces facteurs devaient contribuer à faire prendre aux bolcheviks la position qu’ils ont eue à Kronstadt. Mais il n’y a pas que la direction bolchevique qui a été incapable de comprendre ce qui se passait à Kronstadt. Comme nous l’avons vu, l’Opposition ouvrière dans le parti s’était dépêchée dé se désolidariser des soulèvements et de participer à l’assaut de la garnison. Même quand 1'ultra-gauche russe alla au-delà des timides protestations de l’Opposition ouvrière et rentra dans la clandestinité, elle ne réussit pas à tirer les leçons du soulèvement et fit très peu de références à lui dans ses critiques au régime.
Le KAPD a critiqué la répression du soulèvement de façon incomplète et n’a pas cherché à soutenir la rébellion elle-même. En bref, peu de communistes comprirent alors la signification profonde du soulèvement et en tirèrent les leçons essentielles. Tout ceci témoigne du fait que le prolétariat n’apprend pas les leçons fondamentales de la lutte de classe d’un seul coup, mais seulement au travers d’une accumulation d’expériences douloureuses, de luttes sanglantes et d’intenses réflexions théoriques. Ce n’est pas la tâche des révolutionnaires aujourd’hui d’émettre des jugements moraux abstraits sur le mouvement ouvrier passé, mais de le voir comme un produit de ce mouvement, un produit capable de faire une critique impitoyable de toutes les erreurs du mouvement, mais un produit tout de même. Autrement, la critique du passé par les révolutionnaires actuels n’aurait aucune assise dans la lutte réelle de la classe ouvrière. Ce n’est qu’en voyant les protagonistes qui se faisaient face à Kronstadt comme les acteurs tragiques de notre classe, de notre propre histoire, que les communistes peuvent aujourd’hui prétendre au droit de dénoncer 1'action des bolcheviks et déclarer leur solidarité avec les insurgés. C’est seulement en comprenant les évènements de Kronstadt comme un moment du mouvement historique de.la classe qu’on peut espérer comprendre les leçons de cette expérience afin qu’elles soient appliquées dans la pratique présente et à venir de la classe. Alors seulement, nous pourrons assurer qu’il n’y aura plus jamais d’autre Kronstadt.
CDW, août 1975
1“La dégénérescence de la révolution russe (Réponses au Revolutionary Workers Group) [80]”, Revue Internationale n° 3, 4e trimestre 1975.
2Ceci n’implique pas que nous partagions la vision tant des bolcheviks que des insurgés de Kronstadt, du “pouvoir des ouvriers et des paysans”. La classe ouvrière, lors de la prochaine vague révolutionnaire, devra affirmer qu’elle est la seule classe révolutionnaire. C’est pourquoi, elle doit s’assurer qu’elle est la seule classe à s’organiser en tant que classe pendant la période de transition, dissolvant toute institution qui prétend défendre les intérêts spécifiques de toute autre classe. Le reste de la population aura le droit de s’organiser dans les limites de la dictature du prolétariat et sera représente au sein de l’État seulement en tant que “citoyens” par le canal des soviets élus territorialement. D’accorder des droits civils et le vote à ces couches ne leur attribue pas plus de pouvoir politique en tant que classe, que la bourgeoisie ne donne de pouvoir à la classe ouvrière en lui permettant de voter aux élections municipales et parlementaires.
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[56] https://fr.internationalism.org/rinte3/russie.htm#_ftn3
[57] https://fr.internationalism.org/rinte3/russie.htm#_ftnref1
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[60] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[61] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/lopposition-gauche
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[69] https://fr.internationalism.org/rinte3/fascisme2.htm#_ftn8
[70] https://fr.internationalism.org/rinte3/fascisme2.htm#_ftnref1
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[78] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/troisieme-internationale
[79] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/capitalisme-detat
[80] https://fr.internationalism.org/rinte3/russie.htm
[81] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/kronstadt