Extraits de Bilan nos 2 – 12 – 13 – 14 – 33 (1933 à 1936)
Présentation
Depuis longtemps nous caressions le projet de faire connaître ce, que fut "Bilan", organe de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste, publié durant la période peut être la plus noire de l'histoire du mouvement ouvrier, cette période qui va du triomphe d'Hitler en Allemagne à la deuxième guerre impérialiste mondiale. Mais toute la force de notre désir et de notre volonté ne suffisait cependant pas pour venir à bout des difficultés rencontrées, difficultés qui pour nos faibles forces numériques et nos moyens très limités se présentaient comme insurmontables.
"Bilan", petite revue des années 30 totalement inconnue du public et à peine moins des militants d'extrême gauche, n'ayant pas derrière elle des noms prestigieux comme Pannekoek Trotsky, Rosa Luxembourg, n'était pas commercial et n'intéressait pas les grandes maisons d'édition ni davantage les Editions dites de Gauche. Elle ne pouvait guère plus intéresser le mouvement étudiant des années 60 plongé dans la contestation et l'anti autoritarisme, se nourrissant de Marcuse, découvrant la révolution sexuelle avec Reich, prenant comme idoles Castro et Che Guevara, se vautrant dans un racisme anti-racisme noir pourri de mystifications, de "Libération nationale", de tiers-mondisme et de soutien de la guerre "libératrice" du Viêt-Nam. Et en effet, que pouvaient ces SDS d'Allemagne, des Etats-Unis et d'ailleurs, eux qui n'avaient qu'un léger mépris pour la classé ouvrière, totalement intégrée dans le capitalisme à les entendre, que pouvaient-ils chercher et trouver dans "Bilan" sinon des "vieilleries marxistes" comme la notion de lutte de classes et du Prolétariat sujet historique de la Révolution Communiste. La barbe du "Che" et le sexe de Reich sont choses autrement plus attrayantes pour ces enfants révoltés de la petite-bourgeoisie en décomposition, que la prosaïque lutte de classe des ouvriers et les écrits de "Bilan" qui étaient entièrement consacrés à cela.
Plus étonnant et moins compréhensible à première vue pourrait être le silence complet du P.C.I. (bordiguiste) au sujet de "Bilan". Si "Bilan" et la fraction italienne d'avant la guerre de 1940 se réclamaient de la Gauche Communiste Italienne dont ils étaient la continuation, il ne semble pas que le Parti Communiste Internationaliste (Bordiguiste) fondé en Italie après la guerre, veuille se souvenir de ce que fut la gauche italienne en exil après son exclusion du Parti et de l'IC. Il est aussi fier de cette fraction de gauche dans l'émigration, que l'on peut l'être d'un bâtard dans une bonne famille bourgeoise. On préfère en parler le moins possible. Pendant les 30 années d'existence de ce parti et malgré les nombreuses publications régulières, le nombre d'articles republiés de "Bilan" peut se compter sur les doigts d'un manchot. Pourquoi cela et pourquoi ce silence gêné ? Il suffit de feuilleter un tant soit peu "Bilan" pour en saisir immédiatement la raison, qui réside dans la différence d'esprit qui sépare l'un de l'autre.
Autant les "balbutiements" (comme disait "Bilan" de lui-même) de l'un se veulent et sont un examen critique des positions erronées et des analyses incomplètes ou incorrectes de la IIIème Internationale, critique vivante faite à la dure lumière de l'expérience et des défaites de Prolétariat et constituent ainsi une contribution importante à la compréhension au dépassement et à l'enrichissement de la pensée communiste, autant l'oeuvre "achevée et invariable" du P.C.I. se veut être la "conservation". En vérité, elle se trouve engagée dans la voie d'un retour pur et simple aux pires erreurs de la IIIème Internationale (telles les questions syndicale-parlementaire-libération nationale-dictature du prolétariat identifiée à la dictature du Parti-etc..) que le P.C.I. revendique intégralement en poussant l'exagération jusqu'à l'absurde.
Là où l'un s’efforçait d'aller de l'avant, l'autre marche résolument en arrière. Loin de diminuer l’écart ne fait que s'accentuer avec les années. C'est uniquement là que réside la raison de la mauvaise volonté du P.C.I. pour ce qui concerne la réédition des écris de "Bilan". Mais rien ne sert de se désespérer. Nous sommes convaincus qu'avec le développement de la lutte de classe et l'activité révolutionnaire "Bilan" retrouvera sa place méritée dans le mouvement et auprès des militants désireux de mieux connaître l'histoire et le cheminement de l'élaboration de la pensée révolutionnaire. Le peu que nous avons publié de "Bilan" nous à valu un nombre important de lettres de nos lecteurs insistant sur l'intérêt certain d'en publier davantage»
Pour répondre à cette demande, en attendant qu'une édition complète de "Bilan" puisse voir le jour, la Revue Internationale entreprend dès maintenant la publication d’un plus grand nombre d'articles et extraits de cette revue. Dans la mesure du possible, nous tacherons de grouper les articles par sujet afin de donner aux lecteurs l’idée la plus complète de l'orientation; la recherche et les positions politiques pour lesquelles combattaient la Gauche Communiste et la revue "Bilan".
La revue "Bilan", ce sont 46 numéros: parus (1478 pages). Le premier numéro est de novembre1933, le dernier de janvier 1938. Commencée comme "Bulletin théorique de la Fraction de gauche du Parti communiste d'Italie", elle arrête sa publication pour être remplacée par la revue « Octobre », organe du Bureau International des Fractions de gauche. Exclue du PC et de l’IC au Congrès de Lyon en 1926 la Fraction de gauche s e reconstituera au début de 1929 et publiera le journal "Prometeo" en langue italienne et un bulletin d’information en français qui bien plus que d'information sera une publication théorique., .
Etroitement mêlée au mouvement Communiste International, la Fraction dans l'émigration prendra une part active dans ce mouvement surtout en France et en Belgique, participera de toutes ses forces à la lutte contre 1a dégénérescence et les trahisons de la III° Internationale et de ses partis définitivement dominés par le stalinisme. A ce titre, elle sera en liaison étroite avec tous les courants et groupes de gauche éjectés tour à tour dé ce que fut 1!Internationale Communiste, se débattant dans un terrible désarroi et dans une immense confusion produite par 1’ampleur de la défaite de la première grande vague révolutionnaire et la démoralisation qui en suivie.
Une tentative de rapprochement avec l’opposition de gauche; de Trotski devait tourner court, montrant la nature d'orientations fondamentalement divergences qui séparaient ces deux courant. Là ou le trotskisme se concevait; comme une simple opposition luttant pour le "redressement" et donc toujours prêt à réintégrer le PC en renonçant à l'existence organique autonome, la gauche Italienne voyait une différence de principe programmatique "qui ne pouvait se résoudre que par la constitution, d'organismes communistes indépendants : les Fractions luttant pour la destruction totale du courant contre révolutionnaire stalinien.
La discussion sur l'analyse de la situation en Allemagne, sa perspective et la position à prendre par les révolutionnaires devaient définitivement rendre incompatible tout travail en commun. Face à la menace de la montée du fascisme hitlérien, Trotski préconisait un large "Front unique" ouvrier entre le P.C. stalinien et la social-démocratie, C’est dans ce front unique entre les contre révolutionnaire d'hier et les contre-révolutionnaire d'aujourd'hui que Trotski voyait la force capable de barrer la route au fascisme, effaçant ainsi le problème fondamental de la nature de classe des forces en présence et le fait que la lutte contre le fascisme n'a aucun sens pour le prolétariat, séparée de la lutte générale de classe contre la bourgeoisie , et le système capitaliste.
Jonglant avec des images "brillantes", Trotski disait que le Front Unique pouvait se faire même "avec le diable et sa grand-mère", démontrant non moins brillement qu'il perdait jusqu'à la notion même de terrain de classe de la lutte du prolétariat. Lancé dans sa virtuosité verbale, Trotski, "sous le nom de Grouroy, allait jusqu'à soutenir que la "Révolution Communiste peut bien triompher même sous la direction de Thaelman" (sic). Désormais, il devenait évident que le chemin emprunté par Trotski devait le mener d'abandon en abandon des positions communistes directement vers la participation à la 2éme guerre impérialiste, au nom bien entendu de "la défense de l'URSS".
Diamétralement opposé devait être le chemin de la Fraction de gauche italienne. Le désastre qu'était pour le prolétariat le triomphe du fascisme rendu possible et inévitable par les catastrophiques défaites successives du prolétariat que lui ont infligé et fait subir la Social-démocratie d'abord et le stalinisme ensuite ouvrait largement la voie à la solution capitaliste à la crise historique de son système : une nouvelle guerre-impérialiste mondiale. Cette perspective, les révolutionnaires ne pouvaient la contrarier qu'en s'efforçant de regrouper le prolétariat sur son terrain de classe, en se maintenant eux-mêmes fermement sur les principes programmatiques du Communisme. Pour cela, il était de première urgence de réaliser la principale tâche consistant à soumettre à un examen critique minutieux toute l'expérience de la récente période écoulée débutant avec la grande vague révolutionnaire qui avait interrompu la première guerre mondiale et ouvert d’immenses espoirs à la classe ouvrière pour son émancipation définitive. Comprendre les raisons de la défaite, étudier les causes, faire le bilan des acquis et des erreurs, tirer les leçons et sur ces bases élaborer les nouvelles positions programmatiques politiques, était indispensable pour permettre à la classe de repartir mieux armée demain et donc plus capable d’affronter sa tâche historique de la Révolution Communiste. C'est cette formidable tâche que se proposait d'entreprendre "Bilan" — comme son nom l'indique — et c'est pour se joindre à lui pour l'accomplissement de cette tâche que Bilan invitait toutes les forces communistes qui avaient survécu à la débâcle de la contre-révolution.
Peu de groupes ont répondu à cet appel, mais aussi peu de groupes ont réussi à résister à ce terrible rouleau compresseur qu'était cette période de réaction et de préparation à la IIéme guerre mondiale. Ces groupes allaient s'amenuisant d'année en année. Toutefois, "Bilan", maintenu par le dévouement de quelques dizaines de membres et de sympathisants, avait toujours, dans le cadre strict des frontières de classe, ses colonnes ouvertes à des pensées divergentes dès siennes. Rien ne lui était plus étranger que l'esprit de secte ou la recherche d'un succès immédiat de chapelle et c'est pour cela qu'on trouve souvent dans "Bilan" des articles de discussion et de recherche émanant de camarades de la Gauche Allemande, Hollandaise, et de la Ligue des Communistes de Belgique. "Bilan" n'avait pas la prétention stupide d'avoir apporté une réponse définitive à tous les problèmes de la révolution. Il avait conscience de balbutier souvent, il savait que les réponses "définitives" ne peuvent être que le résultat de l'expérience vivante de la lutte de classe de la confrontation et la discussion au sein même du mouvement. Sur bien des questions, la réponse donnée par "Bilan" restait insatisfaisante, mais personne ne, saurait mettre en doute le sérieux, la sincérité. la profondeur de son effort et par dessus tout la validité de sa démarche, la justesse, de son orientation et la fermeté de ses, principes, révolutionnaires. Il ne s’agit pas seulement de rendre hommage à ce petit groupe qui a su maintenir ferme le drapeau de la révolution dans la bourrasque contre-révolutionnaire, mais encore d'assimiler ce qu'il nous a légué, en faisant notre son enseignement et son exemple, et de poursuivre cet effort avec une continuité qui n'est pas une stagnation mais un dépassement.
Ce n'est pas par hasard que nous avons choisi pour cette première publication une série d'articles se rapportant aux événements l’Espagne. Plus qu'une analyse de la situation proprement espagnole, l'examen de ces événements avait une portée générale et constituait la clé pour la compréhension de l'évolution de la situation mondiale des forces de classe en présence, des différentes formations politiques en leur sein et leurs forces effectives, leurs orientations et options politiques et par dessus tout offrait une vision crue de 1'immensité de la tragédie dans laquelle était projeté le prolétariat international et le prolétariat espagnol en premier lieu.
L'Espagne est de nouveau, aujourd'hui le centre de la situation internationale immédiate. S’il est absolument juste et nécessaire de mettre bien en évidence la différence qui sépare les événements d'Espagne des années 30 (lesquels s'inscrivaient dans la suite d'une longue série de défaites du prolétariat tendant inexorablement à l'intégration du prolétariat dans la guerre impérialiste) de la période actuelle de reprise de la lutte et de montée de la combativité ouvrière, il n'est pas moins important de souligner ce qu'il y a de commun entre les deux situations. Ce "commun" consiste dans le rôle décisif que l'Espagne est appelée à jouer dans l'évolution de la lutte de classe du prolétariat mondial. Par un concours historique particulier, l'Espagne se trouve, pour la seconde fois, être à là charnière de deux périodes. En 1936 — dernier soubresaut d'un prolétariat dont le massacre marquera le point culminant de la longue chaîne de défaites du prolétariat international et ouvrira toute grande la voie à la guerre mondiale. Aujourd'hui — ouvrant la perspective de grandes convulsions sociales dans les autres pays de l'Europe. L'Espagne se trouve donc à nouveau être une plaque tournante de la situation, un point de départ, et sera probablement aussi décisive aujourd'hui pour là période à venir qu'elle le fut dans les années 30. Banc dressai, l'Espagne va servir de test de la plus haute signification. Le capitalisme mondial, et en premier lieu les neuf de l'Europe, fera peser de tout son poids son intervention dans la situation en appuyant à fond les forces de l'ordre "démocratique", seules forces aptes à faire barrage à l'irruption de la classe ouvrière. Dans cette stratégie de classe, le capitalisme fera avancer son aile gauche à la tête de laquelle se placeront les différentes forces politiques agissant dans la classe ouvrière PC - PS et autres gauchistes. Déjà les batteries de la gauche sont mises en placé et les préparatifs fiévreusement organisés.
Le prolétariat trouvera de nouveau face à lui, dans les semaines à venir en Espagne, les mêmes forces qui en 36 ont magistralement réussi à le dévoyer d'abord, et à le saigner à blanc ensuite. Ces forces utiliseront à fond leur expérience acquise des événements de 36 comme arme contre le prolétariat, arme qu'ils n'ont fait que perfectionner depuis. Leur plus grande tromperie consiste à prêcher hypocritement aux ouvriers, au nom de la "réconciliation nationale", d'"oublier le passé". C'est à dire oublier les leçons de la sanglante expérience faite par les ouvriers.
L'histoire de la lutte de classe ouvrière est jalonnée de défaites. Parce qu'inévitables, ces défaites sont la douloureuse école par laquelle le prolétariat passe obligatoirement. Dans un certain sens et jusqu'à un certain point, elles sont la condition de la victoire finale. À travers elles, la classe prend conscience d'elle-même, de son but, de la voie qui y mène. Le prolétariat apprend ainsi à corriger ses erreurs, à reconnaître les faux prophètes, à éviter les impasses, à mieux s'organiser et mesurer plus exactement les rapports de forces à un moment donné. Classe dépourvue d'autres pouvoirs dans la société, son expérience est 1' atout majeur de son pouvoir et cette expérience est constituée en grande partie des leçons assimilées de ses défaites.
"Bilan" constatait amèrement l'état d'isolement auquel il était réduit chaque jour davantage, et qu'il considérait à juste titre comme une des manifestations de la tragique défaite du prolétariat, alors que l'hystérie guerrière gangrenait de plus en plus le corps et le cerveau des ouvriers. Comme tous les grands événements décisifs, la guerre d'Espagne ne laissait pas de place à des attitudes floues. Le choix était tranché et franc : avec le capitalisme dans la guerre ou avec le prolétariat contre la guerre. L'isolement auquel était condamné "Bilan" était alors le prix inévitable de sa fidélité aux principes du communisme et c'était aussi son mérite et son honneur, alors que tant de groupes communistes de gauche se sont laissé happer dans l'engrenage de l'ennemi de classe.
A l'encontre de "Bilan", nous avons aujourd'hui la ferme conviction qu'en reprenant les mêmes positions de classe, nous n'aurons pas à aller à "contre-courant", mais à nous trouver dans le flot de la nouvelle vague de la Révolution Communiste et de pouvoir contribuer à sa montée.
M. C.
I- Massacre des travailleurs en Espagne
Présentation
Dès les premiers mois de son existence la République en Espagne montrera qu'en fait de massacre des ouvriers elle n'avait rien à envier aux régimes fascistes. La seule différence est probablement que là où le fascisme massacre les ouvriers clairement en tant qu'ouvriers et révolutionnaires, la "démocratie" les massacre en ajoutant en plus l'infamie de les accuser d'être des "provocateurs", agents de la "réaction", de la monarchie ou du fascisme. Dès le début "Bilan" mettra ce fait en évidence contrairement à tous "ceux qui s'emploieront à entraîner les ouvriers dans la "défense de la République".
Extraits (Bilan n°2 Décembre 1933).
Combien seront-ils ?
Impossible de connaître un chiffre : même approximatif du nombre des victimes
tombées dans l’orgie de sang, digne cérémonie pour l’ouverture des Cortès de la
"République des travailleurs d'Espagne" : Droite agraire et
monarchiste,, droite républicaine, gauche radicale, parti socialiste, gauche
catalane dans un front unique admirable, manifestent leur satisfaction de cette
victoire de "l'ordre". La classe ouvrière espagnole ayant abandonné les
mauvais pasteurs - que seraient "en l'occurrence, les anarchistes de la
fédération Anarchiste Ibérique- de Macia, "le libérateur de la Catalogne" à Maura,
de Lerroux à Prieto rendent l'hommage
voulu et opportun à la "sagesse des travailleurs espagnols". Bien
sûr, il ne s'agit pas d'un mouvement ouvrier étouffé par les mitrailleuses et
les canons, mais tout simplement, ah! Combien simplement, d'une sorte
d'épuration faite par la bourgeoisie dans l'intérêt des travailleurs. Une fois
l'ulcère extirpé, la sagesse, la sagesse innée, reviendrait et les
travailleurs s'empresseraient de remercier les bourreaux qui les auraient
délivrés des mesures anarchistes..
Ah! qu'on l'établisse, mais qu'on1'établisse sans tarder le bilan des victimes qu'a à son actif la République des Azana-Caballero, aussi bien que celle des nouvelles Cortès, et bien mieux que mille controverses théoriques, on parviendra à établir la signification , de la "République" et de la soi-disant révolution démocratique de 1931.Ce bilan pâlira devant 1'oeuvre de la monarchie et finira par montrer au prolétariat qu'il n' y a, pour lui, aucune forme d'organisation bourgeoise qu'il puisse défendre. Qu’il n'y a pas de "moindre mal" pour lui, et tant que l'heure n'est pas venue pour livrer sa bataille insurrectionnelle, il comprendrait qu'il ne peut défendre que les positions de classe qu'il a conquises et qu'on ne peut confondre avec les formes d'organisation et de gouvernement de l'ennemi, fussent-elles les plus démocratiques. Les travailleurs espagnols viennent encore une fois d'en faire l'expérience, comme le prolétariat des pays du "paradis démocratique" ou du fascisme.
"Mouvement anarchiste! " C'est ainsi qu'est caractérisé ce soulèvement étouffé dans le sang. Et évidemment, les formation de la gauche bourgeoise, les socialistes aussi bien que le libéral Macia, diront que parmi ces "meneurs" anarchistes, se trouvaient les "provocateurs" de la monarchie : ainsi 1eur "conscience" républicaine trouvera une nouvelle sérénité et leur âme restera sans tâche. Mais le prolétariat reconnaît les siens et il sait que ce ne sont pas des provocateurs que la gendarmerie a étendu sur le sol, mais ses fils les plus valeureux qui s'étaient révoltés contre l'oppression du capitalisme républicain.
II- L’écrasement du prolétariat espagnol.
Présentation
Devant les massacres toujours plus massifs que perpétue la République au nom de la "défense de la Démocratie", Bilan pose en termes extrêmement clairs la question de la signification des régimes dits démocratiques. La Démocratie est-elle une étape sur la voie vers le développement de 1a révolution, comme le prétendent la gauche et les gauchistes qui appelait les ouvriers à la soutenir et la défendre, ou bien n'est-elle que l'arme momentanément la plus appropriée du capitalisme pour dévoyer le prolétariat afin de mieux l’écraser ? Les 2 millions de morts et les 40 années du Franquisme ont apporté une réponse tragique mais définitive à cette question confirmant pleinement le cri d'alarme et la mise en garde de Bilan dès avant les événements de 1936.
Extraits (Bilan n° 12 Novembre 1-934)
Deux critères existent pour la compréhension des événements : deux plates-formes opposées sur lesquelles s1effectue la concentration de la classe ouvrière. C'est ainsi seulement que nous pourrons analyser les dernières hécatombes où ont péri des milliers de prolétaires de la péninsule ibérique, fusillés, mitraillés, bombardés par la "République des travailleurs espagnols". Ou bien la République, les libertés démocratiques, ne sont qu'un puissant diversif que l'ennemi soulève quand il lui est impossible d'employer la violence et la terreur pour écraser le prolétariat. Ou bien, la République et les libertés démocratiques représentent un moindre mal et même une condition favorable à la marche victorieuse du prolétariat qui aurait pour devoir de les appuyer en vue de favoriser son attaque ultérieure pour sa délivrance des chaînes du capitalisme.
Le terrible carnage de ces derniers jours en Espagne devrait exclure la petite combine du "dosage" suivant laquelle la République est bien une "conquête ouvrière" à défendre, mais sous "certaines conditions" et surtout dans la "mesure" où "elle n'est pas ce qu'elle est", ou la condition qu'elle "devienne" ce qu'elle ne peut pas devenir, ou enfin, "si" loin d'avoir la signification et les objectifs qu'elle a, elle se dispose à devenir l'organe de domination de la classe des travailleurs. Ce petit jeu devient également très difficile pour ce qui concerne les situations ayant précédé 1a guerre civile en Espagne où le capitalisme a donné la mesure de sa force contre le prolétariat. En effet, depuis sa fondation, en Avril 31 et jusqu'en décembre 1931, la "marche à gauche" de la République Espagnole, la formation du gouvernement Azana-Caballero-Lerroux, son amputation en décembre 1931 de l'aile droite représentée par Lerroux, ne détermine nullement des conditions favorables à l'avancement des positions de classe du prolétariat ou à la formation des organismes capables, d'en diriger la lutte révolutionnaire. Et il ne s'agit nullement de voir ici ce que le gouvernement républicain et radical-socialiste aurait dû faire pour le salut de la révolution communiste, mais il s’agit de rechercher si oui ou non, cette conversion à gauche ou à l'extrême gauche du capitalisme, ce concert unanime qui allait des socialistes jusqu'aux syndicalistes pour la défense de la République, a crée les conditions du développement des conquêtes ouvrières et de la marche révolutionnaire du prolétariat ? Ou bien encore, si cette conversion à gauche n’était pas dictée par la nécessité, pour le capitalisme, d'enivrer les ouvriers bouleversés par un profond élan révolutionnaire, afin qu’ils ne s'orientent pas vers la lutte révolutionnaire, car le chemin que la bourgeoisie devait emprunter en octobre 1934 était trop risqué en 1931 et les ouvriers à cette époque, auraient pu vaincre à un moment où le capitalisme ne se trouvait pas dans la possibilité de recruter les armées de la répression féroce ?
D'autre part, le séparatisme catalan ou basque que l'on avait considéré comme une brèche ouverte dans l'appareil de domination de l'ennemi, brèche qu'il fallait élargir jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes pour faire progresser ensuite le cours de la révolution prolétarienne, n'avait-il pas donné la mesure de sa force en érigeant une République Catalane pour quelques heures (qui s'effaça lamentablement sous les coups du même général Batlet que Companys conviait à la défense de la Catalogne proclamant son indépendance). Et aux Asturies, les forces de l'armée, de la police, de l'aviation ne se sont-elles pas jetées pendant des semaines contre les mineurs et les ouvriers, privés de tout guide dans leur lutte héroïque ? Le séparatisme basque, qui n'avait fait qu’annoncer la tourmente qui approchait par ses protestations des derniers mois, laissera écraser les luttes des Asturies et au surplus les bataillons de la terreur gouvernemental seront dirigés par un séparatiste qui fera sans doute demain un nouveau serment de fidélité à la République et aux autonomies régionales.
De 1930 à 1934 une cohérence d'acier établit la logique des événements. En 1930, Berenguerest appelé par le roi ALphonse XIII qui espère pouvoir répéter la manoeuvre de 1923, lorsqu'il parvint à contenir dans le cadre de la légalité monarchique les conséquences des désastres marocains. En 1923 Primo de Rivera est substitué à Bérenguer considéré comme responsable du désastre marocain, et cette modification gouvernementale permit d'éloigner l'attaque des masses qui devaient évidemment faire tous les frais de l'opération gouvernementale se concluant par 7 années de dictature agrarienne-cléricale. Mais en 1930, la situation économique était profondément bouleversée par l'apparition de la crise et il ne suffisait plus d'avoir recours à des simples manoeuvres gouvernementales. En février 1931, les conditions étaient déjà mûres pour des mouvements prolétariens et la menace existait d'une grève des cheminots : alors il faut avoir recours aux grands coups de théâtre et on offre aux masses les têtes de Bérenguer et du roi. Sur l'intervention du monarchiste Guerra, et en accord avec le républicain Zamora, le départ du roi est organisé avant la sortie des ouvriers des usines. Le mouvement de dilatation vers la gauche continue jusque, fin 1931 et c'est uniquement ainsi que l'on mettra les masses devant une difficulté extrême pour se forger l'organisme de la victoire : son parti de classe. Il n'était pas possible de supprimer les conflits de classe, le capitalisme ne pouvait que mettre ces conflits dans de telles conditions qu'ils ne puissent aboutir qu'à la confusion sans issue. Et la République sert ce but. Au début de 1932, le gouvernement de gauche fait son premier essai et passe à l'attaque violente contre la grève générale proclamée par les syndicalistes. A ce moment la concentration du capitalisme se fait autour de son aile gauche et le réactionnaire Maurra pourra faire plébisciter le gouvernement Azana-Caballero par les Cortes républicains.
L'élan des masses, produit des circonstances économiques, après s'être égaré dans les chemins de la République et de la démocratie, fut brisé par la violence réactionnaire du gouvernement radical-socialiste et il en résulta une conversion opposée de la bourgeoisie vers son aile droite ; nous aurons en Août 1932 la 1° escarmouche de Sanrurjio pour la concentration des forces de la droite. Quelques mois après, en décembre 1933, c'est le carnage des ouvriers lors de la nouvelle grève décidée par les syndicats au moment où les élections fournissent l'occasion pour déplacer à droite l'orientation de la République Espagnole. Par conséquent octobre 1934 marque la bataille frontale pour anéantir toutes les forces et les organisations du prolétariat espagnol. Et, triste et cruel épilogue des errements syndicalistes, en présence d'un tel carnage, nous verrons l'abstention de la Confédération du Travail Anarchiste qui considère ne pouvoir se mêler à des mouvements politiques.
Gauche-droite, république-monarchie, appui à la gauche et à la république contre la droite et la monarchie en vue de la révolution prolétarienne? Voilà les dilemmes et les positions qu'ont défendus les différents courants agissant au sein de la classe ouvrière. Mais le dilemme était autre et consistait dans 1'opposition : capitalisme-prolétariat, dictature de la bourgeoisie pour l'écrasement du prolétariat ou dictature du Prolétariat pour l'érection d'un bastion de "la révolution mondiale en vue de la suppression des Etats et des classes.
Bien que l'économie espagnole ait pu bénéficier des avantages conquis pendant la guerre par sa position de neutralité détenue, la structure de ce capitalisme offrait une résistance très faible aux contrecoups de la crise économique. Un secteur industriel trop limité en face d'une économie agraire très étendue et encore dominée par des forces et des formes de production non industrialisées. De tels fondements expliquent pourquoi les régions industrielles sont le théâtre de mouvements séparatistes dépourvus d'issue et qui doivent acquérir me signification réactionnaire du fait que la classe au pouvoir est quand même le capitalisme étendant sur tout le territoire l'emprise des organismes bancaires où se concentrent — autour des grands magnats — les produits de la plus value des prolétaires et du sur-travail des paysans. Une telle base économique laisse entrevoir la perspective qui s'ouvre devant la classe ouvrière espagnole qui se trouve dans des conditions analogues à celles connues par les ouvriers russes : en face d'une classe qui ne peut établir sa domination que par une dictature de fer et de sang, et il ne pourra battre cette domination féroce que par le triomphe de son insurrection.
Et la tragédie espagnole, tout comme celle d'Autriche se déroulera dans l'inattention du prolétariat mondial immobilisé par l’action contre-révolutionnaire des centristes et des socialistes. Une simple offre de la part de l'IC qui sera même refusée par l'Internationale social-démocrate prétextant que le moment favorable était déjà passé. Comme si après la victoire de Hitler, quand le moment favorable était aussi passé, l'Internationale social-démocrate n'adressait pas des propositions d'action commune à l'IC! Mais la pourriture et la corruption des organismes qui osent encore se proclamer ouvriers sont telles que sur les cimetières des prolétaires, les traites d'hier et de demain ne feront qu'esquisser une manoeuvre leur permettant de continuer leurs entreprises de trahison, jusqu'au jour où les ouvriers parviendront à balayer, avec la classe qui les opprime, toutes les forces qui les trahissent. Les milliers d'ouvriers espagnols ne sont pas morts en vain, car du sang dont s'est mouillée la République espagnole germera la lutte pour la révolution communiste, abattant toutes les diversions que l'ennemi ne cessera d'opposer à là marche, libératrice de la classe ouvrière.
III - Appel à la solidarité ouvrière internationale.
Présentation
Dans sa férocité sanguinaire, la République ne se contentait pas de massacres en bloc, il lui fallait encore des assassinats exemplaires individuels pour 1"exemple". Le vibrant appel à la solidarité internationale de classé lancé par la faible voix de Bilan fut facilement étouffée par les vacarmes de ceux qui allaient découvrir les "vertus" de la République et de la Démocratie pour la défense desquelles on allait faire massacrer par millions les ouvriers dans la guerre "anti-fasciste".
Faut-il signaler que pour sauver les ouvriers qui allaient être fusillés un à un par la République, il ne se trouvait ni gouvernements démocratiques, ni partis de gauche, ni "Droit de l’Homme", ni Pape, pour protester. Il est vrai que Bilan n'avait pas songé à faire appel à eux et à leurs sentiments humanitaires,
Extraits (Bilan n°13 Décembre 1934)
Le canon s!est tu en Espagne. Des milliers de prolétaires ont été massacrés impitoyablement : voilà le bilan que la bourgeoisie peut étaler à côté des massacres de février en Autriche, des décapitations en Allemagne.
Le prolétariat mondial gît écartelés sur le sol et son sang généreux est souillé par les bottes des satrapes de la bourgeoisie qui viennent d'imposer l'ordre à coups d'obus. De l'est à ouest règne la terreur bestiale des classes dominantes qui font rouler des têtes, fusiller pour étrangler la lutte révolutionnaire des ouvriers.
C'est d'abord aux lutteurs des Asturies que nous voulons rendre hommage. Ils ont combattu jusqu'à la mort, sacrifié femmes, enfants pour leur classe, pour la révolution, mais sans guide, ils ont succombé. Comme ils comprendront les mineurs d'Oviedo, ce que signifie construire pacifiquement le socialisme en Russie, eux qui se sont vus déchirés par les bombes, déchiquetés par les baïonnettes des légions marocaines. Le 17ème anniversaire de l’U.R.S.S. est pour ces ouvriers, un "de profondis" ; car en pleurant ses morts, le prolétariat espagnol sentira aussi qu'il ne peut compter que sur sa lutte, celle du prolétariat mondial, dont la Russie s'est détachée.
Après son orgie de sang dans les Asturies, la bourgeoisie a voulu faire assassiner par ses Cours militaires des ouvriers révoltés afin de symboliser le destin de ceux qui oseraient à nouveau prendre les armes pour leur émancipation,,
Le 7 novembre ; José Laredo Corrales et Guerra Pardo ont donc été fusillés pour l'exemple ; l'un à Gijen l'autre à Leon. D'autres suivront si la solidarité internationale des prolétaires ne se manifeste vigoureusement»
IV – Quand manque un Parti de classe… A propos des événements d’Espagne.
Présentation
Petite histoire de l'Espagne et du "noble" rôle joué par les socialistes de droite et de gauche, de Prieto à Largo Caballero. Une leçon parmi tant d'autres que les ouvriers ne devraient jamais oublier,
Extraits (Bilan n° 14 Janvier 1935)
Après la guerre, favorisée par 1’essor économique qui se manifesta dans tous les pays, y compris l'Espagne restée neutre, la social-démocratie n’en soutint pas moins directement - pour collaborer par après - la dictature de Primo de Rivera. A la chute de ce dernier, comme elle était l'unique organisation organisée nationalement (les formes républicaines de l'ancienne ou de la dernière couvée existaient localement), elle gagna une influence supérieure à sa puissance réelle : 114 députés aux élections à la Constituante. Ce fait lui permit d'ailleurs de se poser en agent central nécessaire pour sauver l'ordre capitaliste dans les moments dangereux et de consolider, par après, l'ordre d'où la contre-offensive put se jeter sur le prolétariat.
Pendant la dictature de Primo de Rivera établie en 1923, et sous le gouvernement de transition Bérenguer qui lui succéda en janvier 1930, s'opéra un morcellement des deux partis 'historiques" de la bourgeoisie, ouvrant 1'ère des partis se réclamant des classes moyennes : différents groupements républicains ne se distinguant pas très clairement les uns des autres et se situant aux côtés du parti radical de Lerroux et du parti radical-socialiste créé par la gauche du parti radical.
Ce qui caractérise cette période, c’est entre autres le pacte de San Sébastian d'août 1930, conclu entre les différents partis catalans et les partis anti-monarchistes (socialistes, radicaux-socialistes, radicaux, droite républicaine) et qui devaient régler l'épineuse question de l'autonomie de la Catalogne et des provinces basques ; c'est la tentative prématurée de décembre 1930 avec le soulèvement de la garnison de Jaca et la proclamation de la République à Madrid.
Le capitalisme possède une souplesse remarquable qui lui permet de s'adapter aux situations les plus difficiles ; les bourgeois espagnols, d'abord monarchistes, comprirent bientôt qu'il était plus utile momentanément d'abandonner pacifiquement le pouvoir aux "mains amies" des socialistes et des républicains plutôt que de risquer une résistance pouvant mettre un danger leurs intérêts de classe. D'ailleurs toutes les divergences politiques qui se firent jour dans les formations républicaines se rattachèrent à la consolidation de son pouvoir.
Par là même, du jour au lendemain, de monarchiste elle devint républicaine et lorsque les élections municipales du 12 avril 1931donnèrent aux partis d'opposition anti-monarchistes une majorité — ils gagnèrent 46 sur 50 chefs-lieux de province — il se vérifia un changement pacifique du décor politique et l'abdication d'Alfonso XIII eut lieu. A sa place succéda un gouvernement provisoire comprenant les signataires républicains et socialistes du manifeste de décembre 1930.
Dans le premier gouvernement de coalition, les socialistes occupèrent le ministère du Travail, de la Justice et des Finances — ces deux derniers après échange avec ceux de l'Instruction et des Travaux Publics.
En trente mois de coalition gouvernementale, les socialistes avalisèrent et couvrirent tous les crimes et forfaitures de la bourgeoisie "libérale", la répression des mouvements d'ouvriers et de paysans dont les massacres d'Arnedo et Casas Viejas, la loi de Défense de la République la loi sur l'Ordre Public, la loi réactionnaire sur les associations, la mystification de la loi agraire.
La Social-Démocratie eut surtout pour fonction historique de maintenir les illusions démocratiques parmi les ouvriers, empêcher ainsi leur radicalisation et éventuellement étouffer leur élan révolutionnaire.
A ce propos, il convient de remarquer que pour l'Espagne on a trop parlé de "révolution", particulièrement lorsqu'il s'agissait d'une simple manoeuvre de la bourgeoisie et exagéré les possibilités d'une "révolution prolétarienne" surtout que le manque d'un parti de classe et 1' influence négative de 1'anarco-syndica-lisme avait miné les chances de succès.
Quand la social-démocratie reçut le coup de pied de l'âne, c'est à dire quand le capitalisme se sentit assez puissant que, pour se passer de ses bons services, les socialistes qui avaient renforcés leur démagogie verbale proportionnellement à leur perte d'influence au sein du gouvernement, enfantèrent une "gauche" qui se força de maintenir le drapeau de la trahison parmi les prolétaires. Et Largo Caballero, le ministre de Casas Vieja menaça la bourgeoisie de la dictature prolétarienne et d'un régime sovietiste.
C'est vraiment une loi d'airain que celle qui détermine la social-démocratie à concentrer le prolétariat autour des mots d'ordres démocratiques, a passer ensuite à l'opposition "gauchiste" pour préparer enfin la trahison de demain pendant que les partis de la classe moyenne s'intègrent dans la réaction qui passe à l'attaque. Et les événements se déroulent alors avec une vitesse et une logique implacable.
Ainsi en Espagne, au gouvernement, carteliste succède, pour procéder à de nouvelles élections, un gouvernement radical de transition, qui après les élections de novembre 1933 où se vérifia la débâcle des socialistes, fit place à un gouvernement radical orienté vers la droite et dirigé par Lerroux lui-même. Mais la bourgeoisie ne se sentait pas encore en état de passer à l'offensive violente et Samper remplaça Leroux. Mais déjà les leviers de commandes étaient entre les mains des partisans ouverts de la réaction.
Les faits sont connus : en réponse à la reconstitution d’un gouvernement Lerroux où les ministères les plus importants, celui de la Justice, de l'Agriculture, du Travail étaient aux mains de populistes catholiques (donc du parti le plus réactionnaire de la péninsule ibérique), les socialistes proclamèrent la grève générale pour le 5 Octobre. Il s'agissait d'une grève "légale" devant provoquer la chute de Lerroux et lui substituer l'ancienne coalition républicaine-socialiste.
Comme en 1922 en Italie, où la grève décidée par l'Alliance du Travail devait écarter le "danger fasciste" de M.Mussolini pour lui substituer un "gouvernement meilleur" celui de Turati-Modigliani, en Espagne la social-démocratie lutta contre le "danger fasciste" et pour reconstituer un gouvernement de coalition républicain-socialiste. Mais cette dernière phase - à laquelle il faut rattacher la comédie de la proclamation de l'Etat catalan- fut de courte durée et la 2° phase se détermina de la lutte du prolétariat non atteint par des déviations séparatistes qui auraient pu se manifester surtout en Catalogne et dans les provinces basques, lutte qui se développa surtout dans le bassin houiller des Asturies où se vérifia la véritable unité ouvrière autour de la lutte armée pour le pouvoir.
Le gouvernement finit par concentrer contre les "Asturies rouges" toute une armée, de 30 000 hommes avec des moyens de destruction ultras-modernes : aviation de bombardement, chars d'assauts, etc.; les troupes les plus sûres furent employées pour maîtriser la rébellion : la légion étrangère, cette lie de la société et les tirailleurs marocains furent employés pour mater l'insurrection. On sait aujourd'hui que cette précaution ne fut pas vaine : à Allicante les marins eux-mêmes donnèrent l'assaut à l'arsenal, à Oviedo, 900 soldats quoique assiégés, refusèrent de tirer sur les ouvriers marchant à l'assaut de la caserne.
D'ailleurs certaines garnisons dans la province de Léon où il y eut des combats acharnés, durent être transportées d'urgence dans des régions plus tranquilles.
Mais à la fin, isolés pendant que le reste de l'Espagne ne bougeait, les héros des Asturies finirent par être écrasés non vaincus parce qu'encore aujourd'hui subsistent dans les montagnes,des groupes de rebelles qui continuent la lutte.
En Espagne : bourgeoisie contre prolétariat
Présentation
C’est avec beaucoup d'intérêt qu'on lira ce long article dans lequel Bilan tente une analyse serrée de l'évolution du capitalisme espagnol. Si le retard du développement du capitalisme espagnol explique bien des particularités, ce n'est cependant pas à partir de ces particularités qu'il faut analyser les événements en Espagne, mais avant tout à partir de la période historique du Capitalisme de la crise générale du système qui sévit dans le monde entier et que ce n'est qu'ainsi qu'on peut comprendre la situation présente et les convulsions sociales qui se déroulent.
Le fond de ces événements n'est pas une révolution bourgeoise démocratique contre un prétendu féodalisme mais la lutte entre le Capitalisme en pleine crise et le Prolétariat. Bilan rejette catégoriquement les références que certains font abusivement aux écrits de Marx et Engels et devant servir à justifier un nécessaire soutien de la République démocratique par les ouvriers en Espagne.
A comparer les écrits de Bilan sur ce point avec les positions défendues par le "Prolétaire", organe du PCI, concernant les soi-disant "révolutions démocratico-bourgeoises" dans les pays sous-développés on est frappé par l'énorme régression que représente ce dernier. Le "Prolétaire" feint d'ignorer l'aire historique pour ne voir que des aires géographiques. C'est ainsi qu'il continue à parler de révolution démocratico-bourgeoise dans les pays sous-développés où il distingue des classes "progressives" en lutte contre les classes réactionnaires. C'est ainsi que le "Prolétaire" voyait la guerre entre le Sud et le Nord Viêt-Nam, de même que la lutte entre Pinochet et Allende. A ce dernier il n'avait d'autres reproches à adresser que son indécision lui donnant dans sa grande sagesse, comme exemple à suivre, la fermeté des Jacobins. -
- Les arguments des Bordiguistes concernant le Chili et autres pays sous-développés auraient été parfaitement valables pour l'Espagne en 1936, qui était alors autant un pays sous-développé. Voilà ce que répond par avance Bilan, à ce genre d' arguments : "MAIS OCTOBRE 1917 EST LA POUR NOUS INDIQUER QUE LA CONTINUATION DE L’OEUVRE DE MARX: NE CONSISTE PAS A REPETER, EN UNE SITUATION PROFONDEMENT DIFFERENTE LES POSITIONS QUE NOS MAITRES DEFENDIRENT A LEUR EPOQUE EN ESPAGNE, COMME D'AILLEURS DANS TOUS LES AUTRES PAYS, LES FORCES DEMOCRATIQUES DE LA GAUCHE BOURGEOISE ONT DEMONTRE ETRE NON UN ECHELON POUVANT CONDUIRE A L'ETAPE DE LA VICTOIRE PROLE TARIENNE, MAIS LE DERNIER REMPART DE LA CONTRE-REVOLUTION".
L'article qui suit est écrit fin Juillet 1936 les jours mêmes du soulèvement franquiste et de la riposte ouvrière. Il manque alors encore à Bilan des informations sur la tournure que prenaient les événements. Mais il perçoit d'emblée le danger d'embrigadement des ouvriers derrière la défense de la République contre lequel il met en garde de toutes ses forces le Prolétariat d'Espagne et des autres pays.
Il est à souligner dans cet article le souci manifesté par Bilan, face aux événements d'Espagne prélude de la guerre impérialiste mondiale, pour le regroupement des noyaux révolutionnaires dispersés. Si le regroupement des révolutionnaires est ressenti comme un besoin pour résister dans une période de recul, il est une nécessité impérieuse dans une période de montée de la lutte. Il est absolument nécessaire d'insister sur ce point à 1'encontre de bien des groupes qui faute de l'avoir compris préfèrent le maintien de leur isolement au nom de "leur" autonomie de "leur" liberté de mouvement.
Extraits (Bilan N°33, Juillet-Août 1936)
La structure du capitalisme espagnol
La structure économique de la société espagnole surtout avant l'avènement de la République en avril 1931, par ses caractères extrêmement retardataires pourrait donner l'impression que la bourgeoisie n'y a pas encore conquis le pouvoir et que, dès lors, nous pourrions assister à la répétition du schéma des révolutions bourgeoises du siècle passé. Toutefois, avec cette variante d'une importance fondamentale pour les perspectives ultérieures que -à la suite de la nouvelle situation historique où le capitalisme n'a plus un rôle progressif mais est entré dans la phase de son déclin- le prolétariat pourrait écarter le capitalisme, substituer au triomphe de ce dernier l'avènement de la dictature de la classe ouvrière. Pourtant, il n’en est nullement ainsi, car l'Espagne appartient aux pays bourgeois les plus vieux et si nous n'avons pas assisté à un schéma analogue à celui qui conduisit le capitalisme au pouvoir dans les autres pays, cela dépendit uniquement des conditions exceptionnelles favorables dans lesquelles put s'affirmer et éclore la bourgeoisie espagnole. Possédant un immense empire colonial, ce capitalisme put évoluer sans grandes secousses intérieures, put même les esquiver justement parce que la base de sa domination ne consistait pas -ainsi qu'il en était pour les autres capitalismes- en une modification radicale des fondements de l'économie féodale pour l'installation de la grande industrie dans les villes et la libération des paysans du servage, mais l'adaptation de tout ce système aux exigences d'un capitalisme possédant des positions territoriales immenses pour investir ses capitaux et pouvant, dès lors, freiner la course à l'industrialisation de l'économie. Il est suggestif de remarquer que les anciennes colonies espagnoles ont été perdues par cette bourgeoisie au moment même où elles entraient dans le cyclone des transformations industrielles, La noblesse et le clergé détenaient en même temps les grandes propriétés terriennes, les actions bancaires et industrielles e"f la Compagnie des Trams de Madrid, ainsi, d’ailleurs que la partie des mines des Asturies soustraite au capital étranger étaient contrôlées, avant 1931, par les Jésuites,
Cette structure sociale archaïque fut profondément éclaboussée lors de la guerre, qui provoqua également une intensification accentuée de l'industrialisation de l'Espagne, surtout en Catalogne, où se développa fortement une puissante industrie de transformation. Mais ce développement se fit par îlots, au Nord, à Barcelone et à Madrid, le restant de 1'Espagne restant à peu près dans les conditions précédentes. Toutefois, la nécessité se fit immédiatement sentir de solutionner dictatorialement le problème social et, en 1923, Primo de Rivera prit le pouvoir, où il fut porté particulièrement par les cercles industriels de Barcelone dirigés par Cambo, alors qu'Alphonse XIII était plutôt enclin à conduire à terme 1'entreprise marocaine, malgré la cuisante défaite qu'y avaient essuyé ses troupes. L'expérience Primo de Rivera, bien que nullement comparable au fascisme italien ou allemand, s'explique déjà par la nécessité d'empêcher l'intervention autonome du prolétariat dans les luttes sociales et il est connu que c'est sous son gouvernement que se développèrent les institutions d'arbitrage des conflits du travail : Largo Caballero, celui qui est aujourd'hui qualifié de Lénine espagnol (l'insulte au grand mort est fort facile et il ne suffisait pas de consacrer Staline continuateur de Lénine) fut alors conseiller d’Etat, les organisations socialiste purent subsister et même la CNT anarchiste vivota.
En 1930, lorsque Primo de Rivera tomba comme un fruit pourri, la bourgeoisie espagnole crut pouvoir continuer avec le même système et c'est encore un général qui en prit la place, mais cette fois, dans une autre direction politique : il ne s'agissait plus de solutionner les questions sociales à 1’aide d'interventions étatiques mais d'essayer de canaliser les masses ouvrières vers un régime à tendance libérale et démocratique, la crise économique mondiale avait éclaté et il n'était plus possible de contenir l'effervescence sociale dans les cadres d'un autoritarisme de type militaire.
Les considérations qui précèdent nous permettent de définir en quelques phrases la nature même de 1a structure sociale en Espagne. Il s’agit bien d'un régime capitaliste où toute perspective est exclue d'une répétition des événements qui accompagnèrent la victoire bourgeoise dans les autres pays : loin de répéter les jacobins de 1793, ou les bourgeois de février 1848, évoluèrent vers les Cavaignac de Juin, les Azana Caballero s’acheminèrent plutôt vers le rôle des Noske avec toutefois une différence profonde, résultant de la particularité de la situation espagnole. Ce capitalisme entre dans la crise économique mondiale non seulement dépourvu de bases de manoeuvres sur l'échelle internationale où les marchés absorbent des quantités toujours inférieures des produits agricoles exportes, mais aussi avec une charpente économique qui est la moins apte à résister aux contrecoups de la crise économique. Il en résulte que de formidables mouvements sociaux ne pouvaient absolument pas être évités et, comme il en avait été le cas pour Primo de Rivera, dont la chute semblait avoir été provoquée par la faillite de l'Exposition de Barcelone, c'est encore un élément d'ordre secondaire dans le domaine historique qui est le présage des grands événements qui mûrissent : en octobre 1930, le pacte de St Sébastien est scellé pour fonder 1a République sous le guide du .monarchiste Zamora et le 4 avril 1931, par l'intermédiaire de Romanones, Alphonse XIII abdique à la suite des élections communales qui conduisirent à la proclamation de la République. Ainsi, les événements qui suivirent en 1931, 1932, 1933 permettent de bien expliquer la réalité sociale et la signification de l’avènement de la République. Cette dernière représentait, au point de vue du mouvement social et de sa progression, un élément absolument accessoire, elle ne pouvait nullement être comparée à l'avènement des Républiques bourgeois du siècle passé ; par contre elle représentait uniquement une nouvelle forme de la domination bourgeoise, une tentative nouvelle du capitalisme espagnol de faire face à ses nécessités.
Jamais une répression plus féroce ne s'exerça contre le mouvement ouvrier, que celle qui se déchaîna en 1931 et 1932 sous les gouvernements de gauche avec participation socialiste. Il est évident que la cause fondamentale de cette répression réside dans l'éclosion puissante des luttes ouvrières, mais ceux qui accouplent 1'ascension du mouvement ouvrier avec la prise du pouvoir par des gouvernement gauche feraient bien de réfléchir aux événements qui suivirent la proclamation de la République et qui prouvent à l’évidence que l'avènement de cette dernière ne représente en définitive que la forme la plus appropriée pour employer la formule dont se servit Salengro au Sénat français quand il disait que le gouvernement s'engageait avec tous les moyens appropriés à faire cesser l'occupation des usines pour la défense des intérêts de la bourgeoisie. Il n'y a donc pas de relation directe entre République et mouvement ouvrier, mais opposition sanglante ainsi que les événements devaient le prouver.
En présence, d'une structure sociale si arriérée, qui peut être comparée à celle de la Russie tsariste, se pose cette interrogation : comment d'une toile sociale si bigarrée, en face d'une bourgeoisie impuissante à trouver des solutions aux problèmes angoissants que la crise économique pose devant elle, comment s'est il fait qu'à l'instar de la Russie, de ce milieu social, particulièrement favorable, des noyaux marxistes ne se soient pas formés de la puissance de l'envergure des bolcheviks russes ? La: réponse a cette question nous partit consister dans, le fait que la bourgeoisie russe se trouvait sur une ligne d'ascension alors que la bourgeoisie espagnole, qui s'était affermie depuis des siècles traversait une phase de décadence putréfiée. Cette différence de position entre les deux bourgeoisies reflétait d'ailleurs une différence de position des deux prolétariats et le fait que le prolétariat espagnol se trouve dans l'impossibilité de faire surgir de ses mouvements gigantesques le parti de classe indispensable à sa victoire, nous semble dépendre de la condition d’infériorité absolue où se trouve, ce pays que le capitalisme a condamné à rester au rancart de l'évolution politique et sociale, actuelle.
L'anachronisme que représente le capitalisme espagnol, sa structure extrêmement retardataire, l'impossibilité où se trouve la bourgeoisie d'apporter une solution aux problèmes complexes et embrouillés de la structure économique du pays, cela nous semble expliquer les puissants mouvements qu'a connus l'Espagne depuis cinq ans, le fait que le prolétariat s'est trouvé dans l'impossibilité de fonder son parti et que ses mouvements paraissent être des convulsions sans issues plutôt que des événements pouvant aboutir à la seule expression digne des preuves d'héroïsme qu'ont données les ouvriers espagnols : la révolution communiste. C’est dans ce sens que nous croyons devoir interpréter la phrase de Marx de 1854 quand il disait qu'une révolution qui demanderait trois jours en un autre pays d' Europe, demanderait neuf ans en Espagne.
L'avènement de la république espagnole
Marx, après les événements de 1808 -1814, Engels à propos de ceux de 1873, préconisaient pour l'Espagne, le même système de règles de tactique qu'ils appliquèrent d'ailleurs en Allemagne. Ils conseillèrent aux socialistes des autres Pays, la position consistant à inoculer, au cours des révolutions bourgeoises, le virus de la lutte prolétarienne pour faire évoluer les situations à leur point terminal : la victoire de la classe ouvrière. Mais Octobre 1917 est là pour nous indiquer que la continuation de l'oeuvre de Marx ne consiste point à répéter, en une situation profondément différente, les positions que nos maîtres défendirent à leur époque. En Espagne, comme d'ailleurs dans tous les autres pays, les forces démocratiques de la gauche bourgeoise se sont démontrées être non un échelon pouvant conduire à l'étape de la victoire prolétarienne, mais le dernier rempart de la contre-révolution, Marx, en 1854, écrivait que la Junte Centrale aurait dû apporter des modifications sociales a la société espagnole.
Si elles ne se vérifiaient pas à l'époque, cela est peut-être imputable à des erreurs de tactique, mais la République de 1931 avait une tout autre fonction que la Junte de 1808 : cette dernière avait un caractère progressif, alors que la République a représenté l'arme de la plus féroce réaction contre le mouvement ouvrier. Il en est de même pour les positions de Engels à l'égard de la République de 1873, où il entrevoyait la possibilité, pour un groupe parlementaire ouvrier, d'agir habilement pour déterminer à la fois la victoire de Pi y Margall contre la droite et de déterminer aussi l'évolution de la gauche vers l'adoption des revendications ouvrières. Au sein des Cortes Constituante de 1931 et des autres qui suivirent, le groupe "ouvrier" n'a nullement fait défaut, mais puisque sa base prenait ses racines sur un tout autre terrain social, sur celui ou cela, la signification réelle de la République en tant qu'expression sanglante de la répression ouvrière, le groupe ouvrier ne pouvait être qu'un outil entre les mains de l'ennemi.
Dans les situations nouvelles, le regroupement des prolétaires ne pouvait se faire que sur la base du double appela pour les revendications partielles quant à l'agitation et finales quant à la propagande de la classe ouvrière. Aucune possibilité n'existant pour cramponner les conquêtes partielles de la classe ouvrière à l'expression de la République qui aurait évolué vers une transformation progressive de la société espagnole, et serait devenu favorable aux masses. Les années, 1931-1932-1933 ont connu, en même temps qu'une réaction sanglante contre les mouvements grévistes des ouvriers et des paysans, une évolution toujours plus à gauche du gouvernement passant du bloc Azann-Caballero-Leroux, à l'exclusion des radicaux. L'accentuation à gauche du gouvernement était le signal d'une forte répression anti-ouvrière.
Engels critique avec raison Bakounine et les Alleanzistes de l'époque, lesquels préconisaient la lutte immédiate pour l'affranchissement des travailleurs sur la base de l'extension des mouvements revendicatifs. La position marxiste interdit à la fois de lancer le mot d'ordre : de l'insurrection lorsque les conditions n’ en existent pas, tout autant qu'elle interdit de soulever le mot d'ordre de la lutte pour la République ou pour sa réforme au moment où l'analyse historique prouve que la République est devenue la forme essentielle de domination d'un prolétariat qui se trouve, de part l'évolution des situations historiques, dans les conditions de pouvoir soulever, comme revendication étatique, uniquement la dictature du prolétariat, au travers de l'insurrection et de la destruction de' l'état ennemi.
Ces considération se trouveront confirmées par une analyse rapide des événements de 1931-1932-1933-1934, qui nous parait indispensable pour pouvoir passer à l'examen des situations actuelles et à une indication des positions autour desquelles le prolétariat international et espagnol peuvent faire germer des gestes de gloire des ouvriers ibériques une poussée vers la victoire de la révolution communiste.
Nous avons déjà indiqué que la proclamation de la République n'était, en définitive, qu'une signalisation d'événements bien plus importants et qui devaient jeter dans l'arène de la lutte de classes l'ensemble des ouvriers et des paysans espagnols. Commençons par remarquer que le capitalisme se hâta de fournir à Alphonse XIII le coupon du voyage pour prévenir la grève des cheminots, mouvement qui, parce qu'il aurait paralysé la vie économique, était de nature à avoir des répercussions profondes sur la situation du pays. Il est bien évident que la bourgeoisie espagnole n'avait nullement conscience des situations qui se seraient ouvertes au cours des années 1931-32 et1933 alors qu'en prévision de cela elle aurait eu recours au changement de forme de son régime : de monarchique en républicain. Le capitalisme est condamné à ne jamais pouvoir prévoir les situations qui se produiront : expression même des bases contradictoires de son régime, il ne peut faire qu'une chose : battre son ennemi de classe et donner aux différentes situations la solution qui puisse le mieux convenir à la défense de son privilège. Lorsqu'en Avril 1931, la proclamation de la République a parut une nécessité, la bourgeoisie espagnole n'hésita point a y recourir et ce fut d’ailleurs là une manifestation claire de prévoyance, car, en face de tous les mouvements qui suivirent, il aurait été bien risqué de s'y opposer par les méthodes brutales de la réaction : un appoint était nécessaire et celui-ci a été fourni par les gouvernements de la gauche avec l'appui des socialistes, le groupe le plus nombreux parmi les républicains "fidèles et sincères".
Immédiatement après la fondation du nouveau régime, la vague des grèves déferle dans tous le pays, notamment celles des Téléphones, de l'Andalousie, auxquelles firent suite les autres de Bilbao, de Barcelone (Bâtiment), de Valence, de Manresa, etc. Au cours de tous ces événements, les positions suivantes s'affirment : le gouvernement, présidé par Zamora, s'oriente de plus en plus vers la répression féroce; le ministre de l'Intérieur Maura, qui étendra au sol trente paysans à Séville, répondra aux interpellations que "rien n'arrive" et le vingt octobre de la même année, la "loi de défense de la République" sera votée pour interdire les grèves, pour imposer l'arbitrage obligatoire des conflits du travail au travers des Commissions Paritaires et mettre hors la loi les organisations syndicales qui ne donneraient pas un préavis de dix jours avant la déclaration d'une grève. En même temps, l'Union Générale des Travailleurs Socialistes organisera ouvertement le sarrazinage des mouvements décidés par la Confédération Nationale du Travail (anarcho-syndicaliste), si ce n'est qu'elle arrivera a préconiser la lutte armée contre les ouvriers organisés dans la C.N.T. Et il faut dire que cette politique des socialistes eut un certain succès puisqu'à part de rares occasions où les ouvriers des deux centrales firent cause commune, l'U.G.T. parvient à maintenir au travail ses affiliés. Lorsque cela n’aboutissait pas à l'échec des mouvements ouvriers, ils en étaient rendus extrêmement plus difficiles si ce n'est plus sanglants à cause de l'intervention de la Garde Civile.
De l'autre côté de la barricade se trouvent les syndicats de la C.N.T. autour desquels se polarise la lutte de la classe ouvrière. Mais les positions politiques des anarchistes ne pouvaient nullement correspondre aux nécessités de la situation et bien que ses militants aient souvent fait preuve de grand courage, les dirigeants, au point de vue politique, n'arrivèrent jamais à coordonner un plan d'ensemble susceptible de reconstituer l'unité du bloc ouvrier pour le mener à la victoire contre le patronat. La suite ininterrompue des grèves auxquelles aucune issue n'était préétablie finissait par fatiguer les masses se trouvant toujours dans l'impossibilité d'obtenir une sérieuse amélioration de leur sort, alors que des épisodes désespérés se produisaient en Catalogne et en Andalousie, où des Communes Libres étaient fondées pour l'organisation de la société libertaire. Il est à noter que ces mouvements extrêmes ne rencontraient même pas l'appui solidaire de la direction de la C.N.T., ainsi qu'il en fut le cas pour le délégué de la Commune libre de Figols "qui se rend à Barcelone afin de s'assurer l'appui du prolétariat de cette ville; et il en revient sombre et attristé; il n'avait pu obtenir aucune promesse de soutien pour le mouvement de Figols" ("Révolution Prolétarienne" de Février 1932, reportage de Lazarevitch). Loin de nous l'idée de critiquer la CNT parce qu'elle ne proclame pas encore une fois la grève générale. Si nous avons voulu revenir sur cet épisode, c’est uniquement pour montrer que la politique des dirigeants anarcho-syndicalistes ne pouvait aboutir qu'à embouteiller le mouvement général des ouvriers espagnols dont certains détachements étaient emportés vers des gestes désespérés réprimés avec cruauté avec l'appui inconditionné des socialistes.
La gamme des événements de 1931-32-33 nous présente donc un gouvernement de gauche s'appuyant solidement sur l'UGT alors que la classe ouvrière n'a d'autre position de défense que celle de confier son sort à la C.N.T. Ce point essentiel concernant le rôle de la C. N.T. et qui n'est nullement particulier aux seules années dont nous parlons, doit porter les communistes à examiner si, à l'envers des autres pays où le mouvement communiste a trouvé sa source dans les organisations syndicales et politiques socialistes, issues de la lutte et de la scission avec les anarchistes, en Espagne, par contre, il ne vérifiera pas que le mouvement syndical évoluant vers le communisme trouvera sa source dans les syndicats de la C.N.T. aussi bien que dans ceux de là U.G.T.
Les anarchistes qui n'avaient pas un plan d'ensemble pour les grandes batailles de classe qui se déroulaient, étaient dans le domaine politique en un état de confusion totale : bien qu'hostile à la République, à "tous" les partis, ils ne luttaient pas contre les mouvements séparatistes de l'extrême gauche bourgeoise ce qui déterminait évidemment les masses à reporter leur confiance sur ces mouvements d'où ont surgi des épisodes de courage indiscutables, mais qui ne peuvent avoir aucun rapport avec les intérêts de la classe ouvrière.
Sur le plan gouvernemental, ainsi, que nous l'avons dit, le glissement à gauche se faisait, au rythme correspondant à 1'extension des mouvements grévistes, mais la répression sévissait férocement et l'on en a arriva jusqu'à déporter des militants anarchistes. Déjà en août 1932, une manoeuvre en sens inverse se dessinait de la part de, la bourgeoisie; Sanjurjo tente, un coup de main à Madrid et à Séville et précédemment les élections supplétives de juin à Madrid marquent un succès pour le fils de Primo de Ridera. La conjuration de Sanjurjo échoue, la République est sauvée et les ouvriers en janvier 1933 à Barcelone, Valence, Cadix et en mai à Malaga, Bilbao, Saragosse, sentiront par les balles de la Garde Civile ce que leur en coûte de ne pas parvenir à diriger leurs coups contre la gauche bourgeoise au même titre que contre la droite.
Le 8 septembre 1933 AZMA donne sa démission et après un interrègne de 23 jours du gouvernement Leroux, Martinez Barrios procède à la dissolution des Cortès et cela, semble-t-il, en violation de l'article 75 de la constitution. Ce même Barrios, qui fut chargé de réaliser le passage de la gauche vers la droite en 1933, eut la même charge au début des événements actuels, mais cette fois-ci sans pouvoir y parvenir. Et c'est ainsi que se clôtura la première phase de la République Espagnole. Il s’agit de préciser un point qui aura une valeur pour ce qui concerne les derniers événements également. L’on est porté à considérer la République, aussi bien que les gouvernements de gauche, comme un fruit de la classe ouvrière, un fruit imparfait il est vrai, mais toujours une expression de la classe ouvrière en éveil. En même temps la bourgeoisie, en face des masses qui reprennent leurs luttes, qui n'aurait rien d'autre à faire que de confier son sort à un gouvernement de gauche. Enfin le personnel de cette gauche se tromperait deux fois : d'abord quand il se confie à la bourgeoisie qui se débarrassera de lui au moment opportun, ensuite de croire que les ouvriers, se contenteront de ses phrases et renonceront à la lutte pour les revendications qui leur sont propres. A notre, avis il ne peut nullement s'agir pour expliquer les événements politiques de la volonté de telle ou telle autre formation bourgeoise, mais il faut expliquer le rôle que jouent dans la lutte des classes, des institutions données en l'occurrence la République.
Or la République apparaît comme la forme spécifique de la répression antiouvrière, la forme qui correspond le mieux aux intérêts du capitalisme puisqu'elle peut ajouter à la répression sanglante l'appoint qui est représenté par l'U.G.T. et le parti socialiste. On pourrait objecter que le capitalisme aurait pu recourir à une autre forme de gouvernement et que s'il ne l'a pas fait, c'est uniquement parce que la pression des ouvriers l'obligeait à une conversion vers la gauche. Ce genre de discussion hypothétique n'a pas grand intérêt pour nous et nous semble même inconcluant, mais ce qui nous paraît être l'essentiel c'est que le capitalisme doit être combattu dans la forme gouvernementale qu'il se donne, la droite comme la gauche. Et les bases de classe, la lutte autonome et indépendante du prolétariat permettent de sortir du dilemme droite-gauche bourgeoise et de ne pas favoriser la droite quand on lutte contre la gauche, comme inversement de ne pas appuyer la gauche quand la lutte est menée contre la droite. La République Espagnole est ce qu'elle est et non pas ce que l'on aurait voulu qu'elle soit. Sa fonction de brutale opposition aux intérêts ouvriers prouve à l'évidence que sa source se trouve uniquement dans le camp bourgeois et que les ouvriers qui sont tombés sous les balles de la République ne doivent point souffrir l'affront d'en avoir été les porteurs, d'en avoir conçu la victoire.
Avant d'entamer l'examen de la situation actuelle au sujet de laquelle nous traiterons d'abord de la question agraire, il nous faudra dire quelques mots sur les événements de 1934, sur l'insurrection aux Asturies. La place nous manque pour traiter de cet événement d'une importance colossale et force nous est de nous borner en indiquer seulement la signification. Après les élections de droite et la répression violente de la grève de novembre 1933, les situations évoluent graduellement et progressivement avec la prédominance de la C.E.D.A., et le retour des forces qui avaient été écartées lors de l'avènement de la République. Les socialistes font une brusque conversion à gauche et reprennent contact avec des ouvriers dont ils dirigent même les grèves. En octobre 1934, en réponse à la constitution du gouvernement Lerroux avec quatre représentants de la CEDA, la grève générale est proclamée. Ses dirigeants évidemment ne se doutaient point de 1'extension qu'elle aurait prise dans les milieux les plus éprouvés de la classe ouvrière espagnole, des mineurs d'Asturie condamnés à des salaires de famine et qui voyant leurs dirigeants donner l'ordre du mouvement croient que l'heure enfin a sonné où, au contraire de ce qui était arrivé en 1932, lorsque 1'U.G.T. sabotait les agitations, il sera enfin possible de conquérir de moins misérables conditions de vie. L'insurrection reste malheureusement isolée et après l'écrasement violent, c'est tout au cours de l'année 1935 une action continuelle de répression contre la classe ouvrière, répression qui s'exerce par la voie légale, et par le recours aux formes extrêmes de la persécution.
Fin 1935, comme fin 1933, les problèmes insolubles de la situation espagnole arrivent à un nouveau noeud : la manifestation de Madrid de glorification de Azana marque qu'un nouveau tournant va s'ouvrir et en février 1936, c'est la victoire, électorale du Front Populaire.
Le problème agraire.
Nous nous sommes appliqués à démontrer que la proclamation de la République, en 1931, ne pouvait être placée sur un des deux plans classiques sur lesquels nous, sommes habitués à expliquer ces événements dans les autres pays : il ne s'agissait point d'une phase de la lutte de la bourgeoisie passant à l'attaque de la vertèbre féodale de l'économie agraire, puisque le capitalisme s'étant formé depuis des siècles en Espagne, justement sur l'adaptation de cette structure économique à une vie parasitaire rendue possible par l'extension des territoires contrôlés. Il ne s’agissait pas non plus d'une forme de résistance de la bourgeoisie à une attaque révolutionnaire du prolétariat, celui-ci se trouvant — à cause de la position de décadence putréfiée de ce capitalisme — dans l'impossibilité de faire jaillir d'un milieu social extrêmement bigarré son parti de classe, le seul personnage historique pouvant agir pour la victoire communiste, La République de 1931 représente donc une expression anticipée des formidables convulsions sociales qui éclateront immédiatement après et qui, du fait de 1'isolement du prolétariat espagnol au point de vue international, seront condamnées à choir en une tragique impasse. Il en sera de même pour la victoire du Front Populaire de février 1936. Mais, avant de considérer les événements actuels, il nous faudra parler rapidement de la question agraire et des questions économiques, ce qui nous permettra de constater que la gauche, l'extrême gauche, tout aussi bien que la droite et l'extrême droite bourgeoise, se sont trouvées dans l'impossibilité d’apporter une solution à ces problèmes dont le vacarme des réformes politiques projetées ne fait que cacher l'impossibilité où se trouve le capitalisme de modifier les bases économiques de la société espagnole. Le prolétariat, et lui seul, représente la classe capable de modifier la base même de l'économie espagnole et en dehors de cette modification aucune solution ne reste possible.
Tant au point de vue agraire qu'industriel, l'Espagne peut se partager en gros en deux parties, dont l'une, la moins étendue, est composée de formes de cultures et d'industries du type de celles formant l'assiette de la domination du capitalisme dans les autres pays. L'autre partie, par contre, est constituée par les immenses étendues de terre non cultivables en partie et où les paysans et ouvriers agricoles sont condamnés à une vie extrêmement misérable. Les paysans du littoral de l'Est sont soumis aux exactions fiscales d'un pouvoir central qui ne peut subsister qu'à la condition de mettre ces propriétaires dans l'impossibilité de réaliser des prix rémunérateurs pour leurs produits qui doivent être exportés à des conditions avantageuses pour battre la concurrence internationale. Les petits propriétaires seront obligés de vendre leurs produits n'importe comment, car il leur faut immédiatement des capitaux pour continuer à cultiver les terres. Les grands propriétaires prendront, eux aussi, une position d'hostilité envers l'Etat centralisateur qui ne Leur rapportera, en échange des fortes contributions fiscales à payer, aucun avantage sérieux. C'est là le terrain où germent les mouvements séparatistes qui s'étendent d'ailleurs aux autres parties de l'Espagne, au plateau central, où les grands propriétaires terriens soutirent aux paysans condamnés à l'esclavage, des rentes qui sont immédiatement dirigées vers les grandes banques et ne seront jamais utilisées pour défricher les terres ou acheter des machines agricoles, sans quoi aucune possibilité n’existerait de mettre en valeur ces terres. Dépecer ces immenses propriétés, c’est compliquer davantage le problème, car la culture mécanique ne peut se faire sur la base parcellaire, mais exige une grande étendue de terrain soumise à une direction unique. Nous avons déjà dit que les grands propriétaires n'ont d'autre rapport avec leurs terres que ceux tenant à l'encaissement de leurs rentes et ce en s'appuyant sur une hiérarchie de fermiers et sous-fermiers qui rendent encore plus angoissantes l'exploitation des paysans et des ouvriers agricoles. Ces grands propriétaires ne songent même pas à investir leurs capitaux dans les terres et ils ne voient évidemment pas d'un mauvais oeil une intervention étatique, qui accroisse leur puissance en les "expropriant" de terres dont le rendement est minime. La transformation de l'économie agraire est uniquement possible par son industrialisation et celle-ci ne peut être réalisée que par le prolétariat victorieux.
Pour l'industrie, nous assistons à des phénomènes analogues. Les mines de charbon des Asturies sont d'un rendement pauvre et les ouvriers sont forcés d'y travailler à des conditions de famine analogues à celles des ouvriers d'Andalousie et de l'Estremadure, tandis que les riches mines de minerai qui sont partiellement sous le contrôle de capitalistes étrangers, ne produisent que pour l'exportation. L'industrie de transformation de Catalogne, pour ce qui la concerne, ne sera pas acheminée vers le marché intérieur qui, par la capacité d'achat extrêmement réduite des masses, est incapable d'absorber ses produits mais travaillera presque exclusivement pour 1’étranger. Bien sûr, les données existent pour trouver, au sein même de l'Espagne, les éléments pour résoudre le problème économique. A cet effet, l'on peut même dire que les engrais nécessaires à la culture et à la mise en valeur des terres existent dans le pays. Mais cette transformation n'est possible qu'à la condition de bouleverser de fond en comble toute la structure sociale, d'extirper ce capitalisme parasitaire et d'y substituer la direction consciente du prolétariat agissant pour la construction, de la société communiste.
Lors de 1'avènement de la République, aussi bien, d'ailleurs, qu'après la victoire du Front Populaire, beaucoup de bruit a été fait autour de la réforme agraire, mais il s'agissait toujours de mesures destinées à agir sur le plan politique (expropriation et redistribution des terres). Cependant, puisque la solution ne peut pas être trouvée qu'au travers de l'industrialisation des terres, les projets étaient destinés à s'évanouir alors que les masses déchaînait des mouvements au terme desquels aucune amélioration réelle ne pouvait être conquise.
Certes, il y a une différence, entre les programmes économiques de la droite et de la gauche. La première agissant pour le maintien rigoureux de la structure sociale spécifique de 1'Espagne, la seconde voulant agir sur les manifestations extérieures juridiques et politiques de cette structure. Mais, puisque ni l'une ni l'autre ne peuvent aborder le fond du problème il est inévitable que les masses, voyant qu'aucune solution n'est donnée à leurs problèmes, traversent, après des périodes de luttes désespérées, d'autres périodes de découragement qui seront habilement exploitées par la droite qui au moins, assure sans discontinuité l'exploitation capitaliste que la gauche compliquera en faisant croire, que, sous sa direction, des possibilités de lutte existent, qu'une réforme vaêtre appliquée à la condition, toutefois, de combattre les grands propriétaires qui resteront toujours debout parce que la base même de l'économie espagnole ne sera nullement transformée. La République de 1931, aussi bien que le Front Populaire de 1936, ont agi dans la même direction et il n'est pas étonnant qu'en 1934 les conditions sociales se soient présentées pour permettre une victoire de la droite agraire, qu'en juillet 1936, Franco ait pu trouver dans les campagnes un écho favorable.
La genèse des événements actuels.
En avril 1936, une première escarmouche se vérifiera, à l'occasion des manifestations pour l'anniversaire de la République une "révolte" (pour nous servir de la terminologie du Front Populaire) éclate, à la suite de quoi des mesures de rigueur seront édictées par le gouvernement : Azana déclara à l'époque que "le gouvernement a pris une série de mesures, on a éloigné ou déplacé les fascistes qui se trouvaient au sein du commandement. Les droites sont prises de paniques, mais elles n'oseront pas relever la tête", (voir "Humanité" de 26 avril 1936). Au débat qui eut lieu aux Cortes, le porte-parole des centristes, en accord parfait avec ses compères socialistes, votera la confiance au gouvernement qui s'est engagé à dissoudre les "factions". Et 1'"Humanité" félicitera ce dernier pour sa lutte courageuse, Les promesses d'une réforme agraire se font alors plus précises, l'on parle de l'article 44 de la Constitution qui prévoit la nationalisation sans indemnités, Azana déclare que l'on ne devra pas s'arrêter à la distribution des domaines communaux, qu'il faudra envisager le partage de"baldios", les terrains, en friche que les grands propriétaires destinent uniquement à la chasse. Enfin il ne faut pas exclure la distribution des grands domaines en état de culture aux paysans. Entre temps le mouvement de gauche au sein du parti socialiste s'accuse : l’assemblée madrilaine du 23 avril se prononce pour la dictature du prolétariat et à la veille des derniers événements, une scission paraissait inévitable. Deux mois et demi sont passés après les événements d'avril, les masses qui avaient attendu une modification de leur sol, sont démoralisées à nouveau, c'est le moment que les droites croient propice, ces droites qui "n'oseraient pas relever la tête", déchaînent leur attaque prenant prétexte du meurtre du chef monarchiste Sotelo, qui avait été tué en représailles à 1'assassinat du lieutenant Castillo, Il s'agit maintenant non point d'analyser des événements sur lesquels les informations sont les plus contradictoires, mais de les expliquer, d'en indiquer la signification afin de préciser les positions de classe autour desquelles le prolétariat espagnol et international peuvent se regrouper pour empêcher qu'encore une fois l'impasse cruelle où se trouvent : les masses ne les jette à nouveau dans la démoralisation et que le capitalisme n’en profite pour une saignée qui représenterait un nouveau pas vers la mobilisation des travailleurs de tous les pays pour la préparation du conflit mondial. Nous nous bornerons surtout à préciser des positions politiques, nous réservant de passer à une analyse détaillée des événements lorsque les conditions le permettront.
La signification de la bataille en Espagne
La conception, partant de cette considération qui estime que puisque le capitalisme est à la tête de la société actuelle, il serait possible d'établir une discipline sociale lui permettant de diriger les événements à sa guise, cette conception n'a aucune correspondance avec la réalité politique et historique qui fait de la société capitaliste un milieu contradictoire par excellence où fermentent non seulement les contrastes fondamentaux de classe, mais aussi les oppositions entre les différentes couches intermédiaires, entre ces dernières et la bourgeoisie et enfin les rivalités entre groupes et individualités capitalistes. Bien sur la bourgeoisie voudrait régner dans la paix sociale, mais cette tranquillité lui est interdite par les bases même de son régime. Aussi force lui est de s'accommoder de toutes les situations et de se borner à y intervenir non pour éviter la manifestation des contrastes sociaux, mais pour faire refluer ces derniers vers le maintien de sa domination, vers la rupture de l'attaque prolétarienne, tendant à la destruction de son régime. Toutefois il ne faudrait pas en conclure que ces oppositions peuvent ébranler et menacer la vie et les bases du système. En dépit des apparences nous ne retrouvons pas la lutte que se font les militaires et le front populaire dans l'opposition de leurs programmes politiques où des couches sociales capitalistes quelle représente. Il serait d'ailleurs bien difficile de reconnaître d'un côté le bloc des industriels derrière Azana, dont le front comprend même des anarcho-syndicalistes et de l'autre côté, derrière Franco, les grands propriétaires terriens qui peuvent exploiter la désaffection des masses paysannes à l'égard du front populaire et affermir leur domination en Andalousie, en Estrémadure, des régions qui furent le théâtre de soulèvements puissants également sous la République,
Les événements sociaux sont déterminés par des antagonismes se reliant au contraste surgi entre l'évolution des forces de production et la forme de 1' organisation sociale existante. Ce qui plane aujourd'hui sur l'Espagne c'est 1'antithèse historique entre un régime bourgeois condamné à ne pas pouvoir donner de solution aux problèmes économiques et politiques qui se posent devant lui et un régime prolétarien qui ne peut pas poindre faute d'un parti de classe. Droite et gauche bourgeoise expriment les convulsions d'une société capitaliste clouée dans une impasse, mais la lutte de ces deux courants de la bourgeoisie n'est pas limitée à leur zone respective, elle englobe le prolétariat lui-même parce qu'en définitive, c'est uniquement ce dernier qui détient la clé de l'évolution historique. L'alternative ne réside point entre Azana et Franco, mais entre bourgeoisie et prolétariat; que l'un et l'autre des deux partenaires soit battu, cela n'empêche que celui qui sera réellement vaincu sera le prolétariat qui fera les frais de la victoire d'Azana ou de celle de Franco. Loin de pouvoir rester indifférent aux événements actuels, parce que la lutte se déroulerait entre deux fractions de la bourgeoisie, le prolétariat a pour devoir d'intervenir directement dans les situations parce que lui seul est l'enjeu des batailles et lui seul sera la victime des luttes actuelles.
Trotsky, dans son étude sur la "révolution espagnole, mit en évidence le caractère particulier de l'armée espagnole: où la spécialisation des corps correspondait à une diversification de positions politiques, l'artillerie par exemple prenant toujours une position d'avant-garde sur l'échiquier social...Cette remarque profondément juste de Trotsky nous permet de comprendre que si l'armée en Espagne détient une position particulière et n'est pas au dessus de la mêlée ou à l'écart de la lutte, que se livrent les partis politiques de la bourgeoisie : cela dépend de la structure sociale espagnole; où le capitalisme a pu ne pas briser par la violence, mais, s'identifier avec la persistance de la toile sociale, du féodalisme Rien, d'étonnant si les vedettes des batailles sociales d'envergure que nous vivons soient des généraux et que ces derniers trouvent la possibilité de jouer un rôle politique considérable. Cette remarque nous la faisons pour mettre en évidence que la sédition militaire ne relève point de phénomènes intérieurs à l'armée et pouvant se conclure par un rapide pronuncamiento qui, s'il ne réussit pas les tous premiers jours, est voué à un échec certain, mais qu'il s'agit d'une lutte sociale dont d'ailleurs nous avons indiqué les éléments quand nous avons parlé de l'activité sociale du gouvernement de Front Populaire et de la déception qu'il avait apporté parmi les masses des travailleurs et paysannes surtout.
Tout comme lors de la proclamation de la République qui fut le signal annonciateur des formidables événements de classe qui suivirent, il est à prévoir que l'éclosion de la lutte actuelle entre le Front Populaire et les généraux, n'est en définitive que le camouflage d'une lutte sociale bien plus importante et qui mûrissait dans le sous-sol de là société espagnole démantibulée par le double anachronisme d'un capitalisme impuissant a apporter la moindre solution, aux problèmes que la situation pose, d'un prolétariat qui ne parvient pas à fonder son parti de classe et qui est tout aussi impuissant à jeter l'épée de sa révolution dans un milieu social hérissé de contrastes sans issues.
La classe prolétarienne, qui fut jetée, par les situations, dans des luttes épiques au cours des années 1931-33, se trouvait sans doute à l'aube du nouveau soulèvement dont l'ampleur aurait été d'autant plus puissante que la crise économique avait aggravé les problèmes fondamentaux qui n'ont reçu d’évolution ni de là part des gouvernements de gauche, ni de ceux de droite qui se suivirent en 1934-35, ni, enfin, de la part du gouvernement de Front Populaire. Il y eut bien la réaction légale qui dura toute l'année 1935 après là défaite de l'insurrection des Asturies, mais cette répression ne prouvait pas suffire à écarter le prolétariat de la scène sociale : la classe ouvrière était à nouveau jetée dans l'arène par la vigueur accentuée que prenaient les questions économiques auxquelles aucune solution n'avait pas pu être apportée. C'est ici, qu'à notre, avis, se trouvé l’explication des événements actuels. Il faudra tout d'abord remarquer que la première réaction du gouvernement de Front Populaire à la sédition du Maroc consista en une manoeuvre tendant a établir un compromis avec Franco. Lorsque Quiroga démissionna, ce fut pour donner un premier gage à la droite, car on attribuait à ce Président du Conseil une phrase que l'on interprétait comme un encouragement de l'expédition punitive contre le monarchiste Sotelo.
Immédiatement après, ce fut Barrios ; le même qui, fin 1933, réalisa 1a conversion du régime de la gauche vers la droite et présida aux élections d'où surgit la victoire de la droite, qui essaya de constituer un ministère, ce même Barrios qui, après l'assassinat de Sorelo, déclarait que la situation était devenue impossible parce que les corps réguliers de la Garde Civile, pouvaient organiser des attentats. La tentative du compromis échoua, mais cela ne signifie point qule gouvernement emprunta directement, le chemin de l'armement des ouvriers, Giral essaya, dès la constitution de son cabinet de canaliser les masses derrière de vagues proclamations antifascistes et les bureaux d'enrôlement furent constitués quand il était déjà évident que les ouvriers des villes industrielles auraient opposé une réaction vigoureuse et seraient passés à la lutte armée. Une fois que cette dernière était devenue inévitable, la bourgeoisie sentit que la seule voie de son salut consistait dans la légalisation de cet armement. Cette légalisation juridique de l’armement ouvrier représentait la seule condition pour le désarmement politique des masses. Celles-ci incorporées dans l'Etat, le danger était écarté que les ouvriers profitent de l'emploi de l'instrument illégal par excellence, l'assaut de la forteresse sociale du capitalisme.
L'on pourrait supposer que l'armement des ouvriers contient des vertus congénitales au point de vue politique et qu' une fois matériellement armés, les ouvriers pourront se débarrasser des chefs traîtres pour passer aux formes supérieures de leur lutte. Il n’en est rien. Les ouvriers que le Front Populaire est parvenu à incorporer à la bourgeoisie puisqu'ils combattent sous la direction et pour la victoire d’une fraction bourgeoise, s'interdisent par cela même, la possibilité d'évoluer autour des positions de classe. Et ici il ne s'agit point de batailles débutant sous la direction de formations bourgeoises et qui peuvent évoluer sur les bases prolétariennes parce qu'à leur origine se trouvaient des revendications de classe. Ici il s'agit bien de ceci : les ouvriers prennent parti pour une cause qui n'est pas seulement la leur, mais qui s'oppose foncièrement à leurs intérêts. Et point n'est besoin de réfuter l'argument vulgaire des responsabilités éventuelles des ouvriers ou des capacités démoniaques des traîtres. Pour nous les ouvriers se trouvent dans 1'impossibilité de déterminer, autrement que par une minorité de leur classe forgeant le parti, les bases sur lesquelles la victoire sera possible et cela à cause dé 1'oppression que fait régner le capitalisme qui les exploite, les abrutit, leur enlève toute possibilité de se former une conscience de la réalité sociale et des voies à emprunter pour arriver à la victoire. Les masses, dans leur ensemble, peuvent arriver à une conscience parfaite de leur rôle mais cela dans des circonstances particulières nées d'événements historiques, lors des révolutions et c'est à ce moment que la maturation de leur conscience permettra la victoire sous la direction du parti de classe. Les ouvriers ne luttent jamais, de leur propre volonté, pour les traîtres, en l'espèce pour le Front Populaire; ils croient toujours se battre pour la défense de leurs intérêts et c'est uniquement le degré intermédiaire de la tension des situations qui permettra aux traîtres de coller aux luttes des masses un drapeau qui ne leur appartient, pas le drapeau de l'ennemi.
Tel qu'ils se sont embranchés, les événements semblent devoir exclure l'éventualité que les prolétaires espagnols arrivent à définir une frontière de classe dans les situations qu'ils vivent. Fort probablement nous assisterons à des exploits héroïques du type de ceux de 1932 ou du type encore plus avancé, mais, malheureusement, il ne s'agira là que d'un tumulte social, sanglant, incapable d'atteindre la hauteur d'un mouvement insurrectionnel. La documentation sur les événements est - au moment où nous écrivons cet article - absolument inexistante, mais ce qui nous permet de préciser les positions politiques que nous indiquons, c'est la disproportion énorme qui existe entre 1'armement de larges masses ouvrières et les bien rares épisodes d'une lutte de classe. Tout dernièrement, nous avons pu lire des appels, qui semblent d'ailleurs avoir été écoutés, des socialistes et des anarcho-syndicalistes engageant les ouvriers à reprendre le travail pour assurer la victoire gouvernementale.
Les considérations qui précèdent nous permettent d'affirmer que, même dans la seconde phase des événements, lorsqu'il s'agira de procéder au désarmement matériel des ouvriers, les perspectives révolutionnaires ne s’ouvriront malheureusement pas. Au cas d' une victoire gouvernementale, il sera facile de réduire les îlots de résistance des ouvriers qui ne voudraient pas rendre les armes et de les massacrer, comme le firent les gouvernements ZAMORA et AZANA-CABALLERO, en 1931-32, alors que les masses, dans leur ensemble, seront plongées dans l’ivresse de la victoire anti-fasciste, dans l'hypothèse opposée d'une victoire delà droite, les nouvelles qui nous, parviennent des zones occupées par les généraux prouvent bien comment on si prendra pour massacrer les ouvriers révolutionnaires.
Les considérations que nous avons exposées pourraient nous faire taxer de pessimistes. Les questions de l'optimisme ou du pessimisme n'ont d'intérêt pour les marxistes que si elles sont basées sur des positions de classe. Ainsi, le plus grand pessimiste prolétarien est certainement celui qui ergote le plus sur les perspectives révolutionnaires qui s'ouvrent sur la direction du Front Populaire, parce qu'il manifeste le pessimisme le plus noir quand au programme, prolétarien et le rôle historique des ouvriers. Par contre, le plus grand optimisme est celui qui se base uniquement sur la politique du prolétariat et exprime non seulement de la méfiance mais un opposition sans quartier contre les traîtres même lorsqu'ils se dissimulent sous le masque écarlate de l'armement des ouvriers. Il est connu que Marx qui, après une analyse historique de l'époque, était hostile aux insurrections en 1870 (voir lettre à Kugelman), leva l'étendard de la défense de la Commune contre tous ses détracteurs démocrates ou ses assassins républicains et réactionnaires. C’est que la lutte du prolétariat ne peut pas suivre le schéma préétabli par l'académicien, mais résulte du cours contradictoire de l'évolution historique. Les événements actuels en Espagne tout antiéconomiques qu'ils puissent apparaître au révolutionnaire de chaire, n'en sont pas moins, une marche dans le chemin de 1'émancipation du prolétariat mondial. Non en vain lés héros ouvriers seront tombés, non en vain, les femmes et les jeunes filles espagnoles auront écrit des pages de gloire où, bien au delà de toutes les proclamations du féminisme, se trouvent consacrées les revendications des exploitées qui donnent l'accolade aux ouvriers pour "monter à l'assaut du ciel" (Marx).
Mais à part cette considération ayant trait aux répercussions ultérieures des événements actuels, il s'agit d'indiquer sur quelle base ils pourraient évoluer pour déboucher sur la victoire prolétarienne, et sur quel terrain le groupement prolétarien pouvant prétendre au rôle de forgeron du parti de classe, doit se battre dès maintenant. Le dilemme pour ou contre le Front Populaire, tout séduisant qu'il puisse apparaître dans les circonstances actuelles, la hantise d' une victoire de la droite qui passerait à l'extermination des ouvriers, toute justifiée qu'elle puisse être pour des militants qui ont connu la répression féroce du fascisme, ne peuvent nous faire oublier que le prolétariat ne peut se poser le problème dans ces termes, car c'est le capitalisme qui reste le seul arbitre de choix de son personnel gouvernemental.. La seule voie de salut pour les ouvriers consiste dans leur regroupement sur des bases de classé : pour des revendications partiel1es pour défendre leurs conquêtes en même temps qu'ils se .baseront sur la force de persuasion,des événements eux-mêmes pour soulever comme seule solution gouvernementale possible celle de la dictature du prolétariat, pour lancer ce mot d'ordre de 1'insurrection lorsque les conditions favorables auront mûri .Une telle définition du problème peut, certes, affaiblir la cohésion et les possibilités de succès du gouvernement de Front Populaire, mais l'éventuelle victoire de la droite, qui pourrait en résulter serait sans lendemain, car la force du prolétariat se serait enfin constituée et la barrière serait dressée pour briser une fois pour toutes les forces de la réaction capitaliste, en évitant que, comme en Italie et plus particulièrement en Allemagne, les socialo-centristes fassent le lit de la répression sanglante de la droite. Cette position n'a évidemment rien à voir avec celle que défendirent en 1924 les centristes en Bulgarie et qui consistait à rester indifférents devant une lutte où s'affrontaient deux forces bourgeoises. Nous avons expliqué que le fond du conflit ne réside pas entre France et Azana, mais entre la bourgeoisie et le prolétariat, et nous en concluons par la nécessité pour le prolétariat d'intervenir avec impétuosité dans les situations actuelles, mais sur des bases de classe et uniquement sur elles.
Au point de vue international, les manifestations de solidarité des ouvriers des autres pays ne peuvent se relier avec le développement de la lutte du prolétariat espagnol qu'à la condition de rompre avec le Front Populaire qui prêche 1'intervention des armées en vue de faire échec aux manoeuvres des fascistes, ce qui représente un excellent terrain de mobilisation des masses pour la guerre. Ces manifestations de solidarité ne peuvent aboutir que "si" elles sont des mouvements se dirigeant simultanément contre les bourgeoisies respectives. C'est dans ce sens que notre fraction essaie de travailler parmi l'émigration italienne.
Enfin l'alerte sanglante d'Espagne où les ouvriers tombent pour les intérêts du communisme, même s'ils se trouvent sous la chape du Front Populaire, est un nouvel avertissement aux communistes de gauche de différents pays en vue de passer à la constitution d'un centre international où par une discussion approfondie des expériences des dernières années, les conditions seraient réalisées pour construire les prémisses de la nouvelle internationale de la révolution. Cette tragique signalisation que représentent les cadavres des ouvriers espagnols, sera-t-elle la dernière et auront-nous ensuite la guerre ? Mais même si le capitalisme pouvait encore retarder la cruelle échéance, rien n'expliquerait l'inertie qu'offrent différents groupements de la gauche communiste aux initiatives de notre fraction pour aborder l'oeuvre d'éclaircissement politique et pour asseoir sur des bases de fer l'organisme qui pourra diriger les luttes de la classe ouvrière pour la victoire de la révolution mondiale.
A la suite d'une erreur technique les Thèses sur la situation au Portugal sont incomplètes. En effet il leur manque l'introduction écrite au moment de leur adoption, le 01/11/75.
INTRODUCTION
Depuis le 21 septembre où ces thèses ont été écrites? L’évolution do la situation au Portugal a confirmé l'analyse qu'elles contiennent.
1° L'incapacité pour le gouvernement Azavedo de faire face à la crise économique? Sociale, politique et militaire traduit l'épuisement? Souligné dans les Thèses, des formules classiques de gestion de l'Etat "bourgeois? D’encadrement et de mystification de la classe ouvrière. Elle rend d'autant plus indispensable la mise sur pied d'une solution prenant pour axe les fractions los plus "gauchistes" de l'année, en particulier celles s'appuyant sur le COPCGH et utilisant les différents organes tels que les Commissions de travailleurs et de quartiers comme instruments d'encadrement de la classe, ouvrière.
2° Le fait que les seuls succès obtenus par le 6ème Gouvernement provisoire se situent sur le plan de 1’obtention d'une aide de la CEE et des USA alors que sur le plan intérieur celui-ci est encore plus inapte que le 5ème à stabiliser la situation, confirme que la crise de l'été soit momentanément et principalement dénouée sur des problèmes de politique étrangère. Le choix du principal protagoniste de l'offensive contre la fraction pro-PC de l'armée, Melo Antunos comme ministre des affaires étrangères n'est pas fait pour démentir cette vision.
L'élément nouveau étant survenu depuis cotte date? Et qui s'inscrit dans la perspective tracée par les thèses, est l'apparition des S.U.V. et des Comités de soldats qui, bien qu'expression de la décomposition de l'ensemble du corps social, ne constituent en rien à l'inverse des Comités de soldats de 1917-19, une manifestation révolutionnaire de classe. Bien au contraire, ces organes sont essentiellement un instrument de "démocratisation" de l'armée devant lui permettre de mieux exercer son rôle de répression contre, la classe ouvrière.
PRESENTATION
Ces thèses ont été écrites le 21 Septembre 1975 et leur introduction ainsi que les points 6 et 8 de la dernière thèse datent du 1e Novembre. Depuis cette date sont intervenus, au Portugal, des événements importants qui semblent, à première vue, démentir totalement la perspective tracée. En effet depuis le 25 Novembre, à la suite d'une mutinerie des parachutistes de Tancos, fraîchement convertis à la politique "gauchiste", on a assisté à une vigoureuse "reprise en main" qui s'est traduite par l'élimination totale des rouages de l'Etat de la fraction qui est présentée dans les thèses comme la plus apte à diriger la défense du capital national portugais : la fraction COPCON-CARVALLO. En fait, le limogeage de Carvallo, Fabiao, Cdutinho, l'arrestation de Dinis, de Almeda etc., signifient que l'extrême gauche a perdu ce qui constituait son point fort : le contrôlé des forces de répression et d'intervention. Bien que le sixième gouvernement reste pratiquement inchangé, c'est la droite, qui gouverne maintenant au Portugal dans la mesure où, dans ce pays, c'est l'armée qui exerce l'essentiel du pouvoir. Le fait que ce soient des corps d'extrême droite comme les commandos d'Amadora et la Garde Nationale qui aient "rétabli l'ordre", le 26 Novembre et soient depuis chargés de la répression indique qu'elle est la véritable coloration du pouvoir politique actuel. Le retour en force d'officiers spinolistes aux postes laissés vacants par les "gauchistes" démis ou emprisonnés, la libération d'un nombre important d'agents de l'ex PIDE confirment cette indication.
Donc, ce que démontre clairement la situation présente, c'est la validité de l'idée essentielle des thèses : "du point de vue" des rouages politiques de gestion de la société et d'encadrement de la classe ouvrière, l'expérience portugaise signe l'échec de la" démocratie" classique..." (Thèse N°4). En effet, cette dernière, représentée essentiellement par le PS et le PPD qui dominent aussi bien la Constituante que le gouvernement Azevedo, a besoin, pour asseoir son pouvoir, du concours de l'extrême droite, ce qui lui retiré toute possibilité de mystification de Ta classe ouvrière et de contrôle de celle-ci autre que la répression ouverte.
Au Portugal, la crise, tant économique que politique, est tellement catastrophique qu'il n'existe pas de voie moyenne pour l'affronter. Pour contraindre la classe ouvrière a accepter les terribles sacrifices seuls capables d'empêcher une banqueroute totale, les solutions extrêmes sont seules envisageables: une répression d'extrême droite à la Pinochet, immédiate et ouverte, préconisée par. Spinola et Jaime Néves chef des commandos, ou bien la solution d'encadrement "gauchiste" définie par le document du COPCGW d'Août 1975.
Pour le moment, c'est la première solution qui .semble prévaloir. Mais le Portugal n'est pas le Chili. Il ne s'agit pas d'un pays "lointain" et "exotique" où on peut se permettre de massacrer sans problème, des dizaines de millier de travailleurs : le prolétariat du Portugal "est autrement plus puissant que celui du Chili et, d'autre par£ la bourgeoisie européenne n'est pas prête à accepter qu'.une guerre civile prématurée ne vienne dévoiler le véritable enjeu de la lutte de classe aujourd'hui. C'est pour cela, et bien qu'une erreur grossière de la bourgeoisie soit toujours possible, que la solution politique qui prévaut en ce moment au Portugal, ne devrait pas se prolonger très longtemps. Avec la reprise de "la, lutte prolétarienne qui depuis l'été, avait été paralysée par l'écran de" fumée d'une "alternative gauchiste" et qui ne manquera pas de se développer face à l’"austérité" aujourd'hui mise en; place, sera de nouveau à l'ordre du jour, pour la bourgeoisie portugaise, l'utilisation de ses formes les plus "radicales" de gouvernement, seules aptes à dévoyer la combativité ouvrière.
Le 3 Janvier 1976
ENSEIGNEMENTS DE LA SITUATION AU PORTUGAL
1 — Le Portugal constitue une illustration flagrante du fait que dans la période de décadence du capitalisme il n'y a pas de place pour un réel développement économique des pays sous-développés y compris les mieux lotis d’entre eux. Grande puissance coloniale, ce pays ne réussit pas, malgré sa part appréciable du gâteau impérialiste, à assurer au cours du 20ème siècle, le décollage de son économie, à tel point qu'il réussit le rare exploit, à la veille du 25 avril 1974, d'être à la fois le pays le plus-pauvre d'Europe, hormis la Yougoslavie, et le dernier à détenir des colonies.
D'abord conséquence de sa faiblesse économique, le retard avec lequel le Portugal donne l'indépendance à ses colonies se meut en un handicap très sévère pour son capital (dépenses d'armement, d'administration coloniale, immobilisation pendant quatre années des travailleurs potentiels, (émigration politique) à tel point qu'en 1974 le Portugal présente la plupart des caractéristiques d'un pays du Tiers-Monde :
- P.I.B. annuel par tête : 1250 $ (Grèce : 1790; France : 4900),
- secteur agricole très important (29% de la population active, France : 12%, Grande-Bretagne:3%)
- existence d'une structure agraire archaïque comprenant essentiellement des latifundia (moins de 1% des exploitations couvrent 39% des terres et des propriétés minuscules (92% des exploitations couvrent 33% des terrés) ayant dans les deux cas des rendements extrêmement, faibles.
- concentration très grande d'une industrie récente en deux zones, Porto et Lisbonne-Setubal, à côté d'une petite industrie archaïque et peu compétitive (32 000 entreprises de moins de 100 salariés contre 156 de plus de 500).
2 — La crise ouverte du capitalisme qui commence vers 1965-67 heurte de plein fouet le Portugal à partir de 1973 compte tenu :
- de la faiblesse structurelle de son économie de moins en moins compétitive,
- du poids de plus en plus écrasant des guerres coloniales,
- du chômage qui se développe parmi les travailleurs, émigrés qui, soit rentrent dans leur pays d’origine, soit cessent les envois de devises. En même temps que la crise qui se caractérise en 1973 par le taux d'inflation le plus élevé d'Europe, la lutte de classe, après l'épuisement de la vague de 1968-70 reprend avec une intensité accrue au début 1974 (Timex, -Lisnave, TAP, etc.)
3 — Le putsch du 25 avril correspond de la part des fractions les plus lucides de la classe bourgeoise, à une tentative de remise en ordre de l'économie nationale devant nécessairement passer:
- par la liquidation de l'hypothèque coloniale,
- par une : mise au pas de la classe ouvrière.
C'est 1'armée qui est l'agent de cette politique dans la mesure où c est pratiquement la seule force organisée de la société (en dehors du parti unique salazariste) et qui, en plus:
- est directement mise en contact avec la vanité d'une solution militaire dans les colonies,
- a suffisamment de distance avec les intérêts capitalistes particuliers liés au régime; de Salazar-Caetano pour avoir une vue globale des intérêts du capital national.
Si, au départ, le putsch se fait en accord avec les grands groupes privés (Champalimaud, CUF, etc.) dont Spinola est le principal représentant au sein de la Junte, la dynamique propulsée par les besoins objectifs de 1' économie nationale, conduit l'armée à prendre de plus en plus de mesures dans le sens du capitalisme d'Etat.
Celle-ci s'identifie d'autant plus à cette forme de capitalisme :
- qu'elle n'est pas liée directement à la propriété privée, surtout depuis que les guerres coloniales l’ont obligée à faire appel à toute une série de cadres issus de la petite-bourgeoisie intellectuelle ;
- que la-structure centralisée, hiérarchique et monolithique s’apparente à celle du capitalisme d’Etat.
C'est à travers une série de crises et de tentatives plus où moins effectives, de putsch des fractions classiques du capital que se fait cette évolution : juillet; 74, septembre 74, mars 75.
Même si, au départ, elles expriment une résistance des fractions anachroniques du capital, ces différentes crises viennent chaque fois à point nommé pour briser une offensive ouvrière (grèves de mai-juin, grèves, d'août-septembre en particulier à la TAP, mouvements de février mars) en défoulant le mécontentement contre les "fascistes" et les "réactionnaires" dont on se complet à exagérer l'importance; .pour renforcer lés mesures économiques et politiques de capitalisme d'Etat (renforcement de la "gauche" du MFA. et élimination des fractions de "droite" comme Spinola, nationalisations présentées comme de "grandes victoires" ouvrières, réforme agraire, etc.). C'est à travers ces différentes crises, que se manifeste de plus en plus ouvertement le poids de l'armée dans la conduite de l'Etat et que se renforce la fraction; pro-PCP de celle-ci. La concordance des politiques du PCP et de 1’armée s'explique par lé fait que ce parti représenter une des fractions les plus dynamiques du capitalisme d'Etat et qu'il est au départ le mieux armé pour contrôler la classe ouvrière. Cette concordance exprime également une tentative menée par le capital portugais de se soustraire partiellement, sur le plan économique et politique, de l'influence, du bloc occidental en se rapprochant du bloc de l'Est. Effectivement, même si le PCP, comme l'ensemble des partis staliniens, est avant tout un parti national, il n’en exprime pas moins, dans la division du monde en blocs impérialistes par rapport auxquels doit se déterminer chaque capital national, une tendance du capital portugais à se placer sous l'orbite russe ou du moins, à s'éloigner de l'orbite américaine,
4— Des objectifs que se fixait le coup d'État du 25 avril, seul celui de la décolonisation a été atteint9 Et encore, le résultat obtenu n'est pas particulièrement positif pour le capital portugais puisqu'il se traduit par un abandon de son influence au bénéfice des grands blocs impérialistes (particulièrement en Angola, colonie la plus riche) et qu'il aboutit au rapatriement d'un demi-million de colons complètement in-intégrables dans une économie métropolitaine en complète déconfiture. En effet, malgré l'ensemble des mesures de capitalisme d'Etat.et les flots de démagogie antifasciste ou "révolutionnaire" du gouvernement, jamais l'économie portugaise ne s'est portée aussi mal et à aucun moment la classe ouvrière n'a pu être réellement remise au pas, ni enrôlée dans "la bataille de production" dont les staliniens et leur intersyndicale se sont faits les incessants propagandistes.
Pour le capital portugais, le problème posé depuis le 25avril reste entier :
- comment assainir l'économie nationale ?
-comment encadrer la classe ouvrière ?
Quels que soient les détours ou les hésitations dans la mise en œuvre de cette politique, la seule issue possible réside en une étatisation croissante de l'économie, en une concentration toujours plus grande du pouvoir économique et politique. En effet, seule une telle politique peut préserver un peu de cohésion dans une économie et un corps social en pleine anarchie, au bord de la dislocation, et également se présenter comme "révolutionnaire" aux yeux du principal ennemi du capital : le prolétariat.
En ce sens, plus que jamais, au Portugal comme partout dans un monde plongé dans des convulsions économiques et sociales croissantes, l'heure est au capitalisme d'Etat. En ce sens, seules peuvent avoir un avenir les formations politiques qui représentent de façon la plus dynamique cette tendance. Celles qui s'accrochent à des formes anachroniques du capitalisme ou à des formes moins évoluées de capitalisme d'Etat comme le PPD ou le PS et ceci l'en s'appuyant essentiellement sur la petite-bourgeoisie liée à la propriété, ne peuvent que régresser sur la scène-politique en même temps que les structures politiques (élections, constituante, partis démocratiques), elles-mêmes anachroniques, à travers lesquelles elles s'expriment.
Comme dans la plupart des pays du Tiers-Monde, l'armée représente, au Portugal, le principal agent du capitalisme d'Etat et en son sein, la frac-tien qui est appelée à jouer un rôle croissant est celle qui est la plus concentrée, la plus opérationnelle et en thème temps la plus lucide : le COPCON. Dans son orbite, les deux autres grandes tendances du capitalisme d'Etat -le PCP et les gauchistes- sont appelées à conserver, quoi qu'il arrive, un rôle important dans l'appareil d'Etat dans la mesure où ces deux forces assument l'essentiel du contrôle de la classe ouvrière.
Du point de vue des rouages politiques, de gestion de. la société et d'encadrement de la classe ouvrière, l’expérience portugaise signe l'échec de la "démocratie" classique tant du point de vue de la technique de mystification électorale que de l'utilisation des partis comme gérants de l'Etat, De force essentielle de l'Etat auquel l’armée est inféodée, les partis deviennent des appendices de l'armée dans la direction de celui-ci. De même, le mode d'encadrement syndical se révèle de plus en. plus incapable de contrôler une classe ouvrière qui n'a pas connu des décennies d'opium "démocratique" et syndicaliste, A la place de ces techniques en voie d'épuisement, l'unique solution pour le capitalisme d'Etat portugais passe par un encadrement direct de l’armée sur la classe ouvrière à travers des organes de "base" comme les "commissions, de travailleurs", de locataires, de quartiers, chargées de prendre à leur compte l'administration des localités et la gestion des entreprises. A la démocratie classique électoraliste, le capitalisme d'Etat substitue de plus en plus une "participation" "apartidaire" des ouvriers à leur exploitation et à leur oppression. L’"autogestion" et le "contrôle ouvrier" ont de beaux jours à vivre au Portugal et c'est justement ce qu'exprime le document du COPCON du mois d'août 75. De telles nécessités objectives outre qu'elles ne peuvent signifier que l'écartement du PS et du PPD de tout pouvoir effectif, se traduisent par un renforcement de la tendance capitalisme d’Etat la plus liée aux techniques d'encadrement "à la base" au détriment de celle s'appuyant sur le syndicalisme classique. Le "soutien critique" des gauchistes au PCP risque de se convertir de plus en plus en un "soutien critique du PCP aux gauchistes,
5 — Dans le cadre d'une telle analyse, la situation politique actuelle au Portugal semble incompréhensible. En effet, si on admet que le PC représente une forme plus adaptée que le PS aux besoins actuels de l’économie portugaise, on .comprend mal son recul face à celui-ci à la suite de la longue crise de l'été passé. Ce qui se serait compris plus facilement, c’est que le nouveau gouvernement soit plus "gauchiste" que le précédent et non plus "social-démocrate". Tel n'est pas le cas.
En fait, c'est à moyen ou à long terme que s'expriment les besoins objectifs, tant économiques que politiques du capital. Et en ce sens, celui-ci sera obligé de faire appel aux formes d1organisa ion économique, aux mystifications et modes d'encadrement du prolétariat les plus .appropriés ainsi qu'aux forces et formations politiques qui en sont les agents et les véhicules. Mais c'est à travers toute une série de soubresauts apparemment contradictoires que peuvent être appelées à se dégager ces tendances à long terme. Et ceci pour plusieurs raisons :
1 — contrairement au prolétariat dont la prise de contrôle sur la société est nécessairement un acte lucide et conscient, ses propres préjugés de classe interdisent à la classe capitaliste une pleine conscience de son activité politique. En ce sens, c'est souvent à travers des louvoiements et des affrontements entre ses fractions les plus lucides qu'elles est amené à adopter l'orientation-la plus, apte à la défense de ses intérêts;
2 —.le jeu politique bourgeois est par excellence celui où "tous les coups sont permis", où les allies d’aujourd’hui peuvent devenir les adversaires de demain, où les combinaisons les plus surprenantes, apparemment "contre nature", peuvent se faire jour pour faire face à telle nécessité immédiate et circonstancielle et se dénouer quand cette nécessité a disparu;
3 — la profondeur de la crise actuelle s'exprime, dans tous les pays du monde, par le caractère contradictoire des mesures que la bourgeoisie tente de prendre pour la résoudre ou l’atténuer. Ce qui vaut pour le choix des plans économiques prisonniers de l'alternative implacable, récession/inflation, vaut seulement pour le choix des diverses solutions politiques : contradiction .entre la nécessité de jouer le plus vite possible les cartes de gauche afin de paralyser l'élan prolétarien à son début et la nécessité de ne pas user trop vite cette carte, contradiction entre, d'une part, le nécessaire renforcement des blocs imposé par l1approfondissement de la crise et la montée des tensions inter impérialistes et, d'autre part, la mise en avant d'une politique "d'union nationale" contre "l'impérialisme" capable d'entraîner le prolétariat derrière le char de son capital national, etc. Obligée de parer au plus pressé, la bourgeoisie adopte un jour une mesure dans un sens pour la remettre en cause le lendemain quand se déplace l'urgence des contradictions qui l'assaillent. C'est pourquoi, dans un pays, la conduite de la politique apparaît d'autant plus heurtée et contradictoire que la crise y est profonde.
Pour comprendre la crise de l'été passé et sa "solution" présente, il faut donc prendre en compte ces différentes considérations et faire intervenir non seulement les nécessités à long terme du capital portugais mais' également les nécessités plus circonstancielles et les manœuvres éventuelles que leur "solution" a pu provoquer entre les différences forces bourgeoises.
En l'occurrence, ce ne sont pas Seulement des données de politique intérieure qui; sont à l'origine réelle de la crise, même si c'est l'affaire "Republica" qui en est le détonateur, mais également des éléments de politique extérieure. Certes, plus la lutte de classe devient un facteur décisif dans la politique d'un Etat et plus celle-ci' se détermine en fonction de besoins internes mais cela ne signifie pas :
- que les besoins externes cessent d'exister ;
- que ceux-ci soient incapables de prendre momentanément le dessus à l'occasion d'une accalmie de la lutte de classe comme c'est le cas en juillet 75.
Début juillet, la fraction du MF A proche du PCP, dirigée par Vasco Gonzalves, exerce un pouvoir extrêmement important au sein de l'Etat : majorité au sein du gouvernement réel -le conseil de la révolution- ainsi que dans le gouvernement civil, contrôle de l'essentiel des moyens d'information et de propagande, (en particulier la 5° division), contrôle de l'Intersyndicale. Il s’agit là d'une solution inadaptée-aux besoins du capital portugais, et cela à deux titres:
- la force du PCP et de son intersyndicale va en décroissant au sein de la classe ouvrière ;
- le Portugal doit abandonner toute perspective de désengagement du bloc occidental tant du point de vue économique que militaire. L’échec des tentatives commerciales en direction de l'Europe de l’Est dont l'économie, très faible, offre peu de possibilités à celle du Portugal, les conditions mises à une aide éventuelle de la CE ainsi que les déclarations de Kissinger et la mise au point consécutive de l'URSS indiquent que la place du Portugal est au sein de l'Otan et de l'économie occidentale.
Même si le PCP continue de correspondre en partie au besoin du capitalisme d'État, sa place au sein de celui-ci doit nécessairement être réajustée au " bénéfice d'une autre fraction, à la fois plus "gauchiste", et moins liée à une politique extérieure pro-russe.
On assiste donc à une lutte dont l'a-prêté et la durée ainsi que la désorganisation qu'elle provoque dans l'Etat traduit la solidité des trois forcés qu'elle oppose : les restes du capitalisme classique, "démocratique", pro-atlantiste regroupées derrière le PS, le PPD, et en partie, la fraction Antunes de 1'armée; la fraction Gonzalves -PCP, pro-russe, la fraction COPCON appuyée sur les gauchistes, "réaliste" en politique extérieure (son slogan sera : "contre les impérialismes, indépendance nationale).
C'est au sein de l'armée que se produit l'affrontement décisif dans la mesure où celle-ci exerce l'essentiel du pouvoir. Et c'est la fraction Melo An tunes, prônant l'ouverture vers 1'Europe, qui y mène le combat le plus décidé contre la fraction Gonçalves, Le succès du document Antunes est le fruit de la conjonction de tous ceux qui se retrouvent contre Gonçalves pour des raisons de politique extérieure ou intérieure. Ce succès momentané et circonstanciel de la fraction Antunes propulse celle-ci au sein du MF A et lui fait acquérir, dans cet organe, la position dominante au détriment de la fraction PC-Gonçalves (qui s'y maintient avec relativement de force) et avec la neutralité de la fraction COPCON-Carvalho qui reste la plus lucide quant aux intérêts réels du capital portugais.
En ce sens l'actuelle "victoire" du PS et du PPD, expression circonstancielle des besoins du capital portugais en politique extérieure et du réajustement du poids de la fraction PCP ne doit pas cacher les faits :
- que c'est l'armée qui est restée le cadre décisif du conflit et donc se maintient comme unique source du pouvoir réel môme si on reparle actuellement de "ranimer" la Constituante ;
- que le cours vers le capitalisme d'Etat ne peut pas être réellement remis en cause ;
- que les problèmes de politique extérieure sur lesquels s'est joué en bonne partie le conflit (cf., Antunes aux affaires étrangères) ne sauraient rester longtemps au premier plan face à une reprise de la lutte de classe ;
- que l'actuel gouvernement ne possède pratiquement aucun pouvoir de mystification sur la classe ouvrière.
En fait, la fraction la plus forte militairement au sein de l'armée et la plus lucide, le COPCON-Carvalho, s'est servie des fractions "démocratiques" du Capital (Antunes dans l'armée et PS-PPD en dehors) uniquement en vue d'amoindrir la fraction PCP en évitant au maximum de faire cette tâche par elle-même (exception faite de l'occupation des locaux de la 5° division par le COPCON et la lettre de Carvalho à Gonçalves lui enjoignant "amicalement" de démissionner). Cette prudence s'explique par le fait que cette fraction devra compter sur 1' appui de la fraction PCP pour gouverner et qu'elle ne pouvait compromettre cette alliance nécessaire par une attaque trop ouverte.
En apportant un "soutien extrêmement critique" (Carvalho) à l'actuel gouvernement, la fraction Carvalho laisse celui-ci et les forces politiques qui le dominent (Antunes, PS, PPD) prendre la responsabilité des mesures d'austérité draconiennes que le capital portugais doit adopter de façon urgente et qui ne manqueront pas d'accélérer l'usure de ces forces au bénéfice de cette même fraction.
Par conséquent, ce gouvernement ne saurait rester longtemps en place et, assez rapidement, la solution préconisée par le COPCON et les gauchistes d'un pouvoir militaire utilisant une "assemblée nationale populaire" des différentes structures populaires de base comme moyen d'encadrement de la classe, sera à l'ordre du jour.
6 — Plus généralement, il est clair que l'activité autonome de la classe ne peut se manifester que dans le cadre des Comités d'usine et des Conseils ouvriers et, que ceux-ci ne peuvent survivre que comme organes au service de la classe. Il ne s'agit donc par là de simples "formes" sans importance comme le prétendent les bordiguistes. Cependant la simple existence de ces organes ne leur confère pas automatiquement, comme le pensent les conseillistes un mode d'activité conforme aux intérêts du prolétariat. L'expérience, entre autres, des Conseils ouvriers allemands en 1918 le montrait déjà. La situation au Portugal tond à le confirmer aujourd'hui dans le cas de celles des commissions qui ne sont pas de simples créations de gauchistes, mais qui ont surgi spontanément au cours des luttes. Il ne suffit donc pas aux révolutionnaires d'exalter de façon béate ces organes autonomes mais il leur revient la tâche fondamentale de défendre, au sein de ceux-ci, les positions communistes afin d'en faire un instrument véritable de la lutte prolétarienne.
7 — Du point de vue de sa localisation géographique à la périphérie de l'Europe comme de son importance économique, le Portugal n'est pas appelé à jouer un rôle fondamental dans les affrontements de classe qui se préparent. Néanmoins, dans la mesure où c'est aujourd'hui le pays d'Europe où, d'emblée, compte-tenu de sa faiblesse structurelle, les problèmes économiques et politiques ont été posés avec le plus d'acuité, le Portugal constitue un champ d'expérimentation des différentes armes de la bourgeoisie contre le prolétariat mondial et par suite un terrain d'analyse très riche pour la prise de conscience de ce dernier« Les enseignements essentiels de la situation portugaise sont les suivants :
1° — Le capitalisme d'Etat se confirme comme la seule option capable de faire, face à la crise tant pour empêcher la dislocation totale de l'économie que pour mystifier la classe ouvrière. La situation actuelle confirme la nécessité pour le capital de mettre en place un mode d'encadrement de la classe ouvrière avec lequel elle s'identifie au maximum et qui est le seul capable de lui imposer une certaine "discipline".
2° — La mystification antifasciste continue d'être une des armes les plus efficaces du capital et celui-ci 1'utilisera jusqu'au bout partout où cela sera possible. L'actuelle campagne pour la grâce des condamnés à mort Espagnols qui se développe tant en Espagne que dans d'autres pays confirme amplement ce fait. Le rôle des révolutionnaires sera de dénoncer impitoyablement ces mystifications et tous ceux qui les entretiennent.
3° — La présente situation au Portugal fait apparaître que là où elles n'ont pas pu se développer pleinement les institutions classiques d'encadrement de la classe -syndicats classiques et démocratie parlementaire- sont rapidement dépassées quand la lutte de classe s'approfondie. C'est là un phénomène qui s'était déjà manifesté en Russie en 1917* Mais se qui exprime l'impuissance actuelle de ces institutions au Portugal va au-delà des conditions spécifiques à ce pays. Après un demi-siècle ou plus pendant lequel se sont perpétuées ces institutions non plus sur la base de la fonction pour, laquelle elles avaient surgi dans l'histoire mais comme simple instrument de mystification, celles-ci sont maintenant en partie usées pour 1'accomplissement de cette seconde fonction. Les parties qui sont attachées à ces formes d'encadrement de la classe, les P.S et les P.C sont eux-mêmes atteints par cette usure, d'autant plus qu'ayant accompli l'essentiel de leurs fonctions au cours de la période de plus profonde contre-révolution ils ne sont pas nécessairement bien préparés pour affronter la situation nouvelle que représente la reprise de la classe.
4° — Comme déjà maintenant au Portugal, face à l'usure des formes classiques d'encadrement le capital tendra de plus en plus à utiliser les organes que la classe se sera, donnés au cours de sa lutte pour en faire des institutions d'étouffement de cette lutte. Il ne fera là que reprendre.une méthode qui a déjà fait ses preuves pendant la période de décadence : la récupération des organes et institutions de la classe qu'il ne parvient pas à combattre de front. Il en a été ainsi des syndicats .à une époque, puis plus tard des conseils ouvriers que la vague révolutionnaire des années 17-23 avait fait surgir. Avec le développement de la lutte de classe cette méthode sera sans doute employée à grande échelle et les révolutionnaires eux-mêmes devront prendre garde à ne pas tomber dans le piège des nouveaux "conseils ouvriers" ou des nouveaux "soviets",
5° — Une des formes la plus courante que revêtira cette récupération sera sans doute, à l'image du Portugal l'utilisation de ces organes comme instruments de "l'autogestion" et du "contrôle ouvrier", d'autant plus que ces formules apparaissent, d'une part, comme une variété plus "à gauche" du capitalisme d'Etat, et, d'autre part, s'accommoderont bien du cortège de faillites qui accompagnera la crise.
Donc à la place des formes classiques de "participation" médiatisée à la gestion de la société à travers syndicats et parlements, les travailleurs seront de plus en plus conviés à une "participation" beaucoup plus directe à leur exploitation et à leur oppression,
6° — Compte-tenu de cet ensemble de faits les différentes variétés gauchistes: "antifasciste", "anti-impérialiste", moins liées aux modèles classiques d'encadrement que les partis de gauche officiels seront appelés à jouer un rôle fondamental comme rabatteurs pour le compte de ces partis quand ce ne sera pas comme force de rechange. Là encore, le rôle des révolutionnaires sera de dénoncer avec la plus grande rigueur tous ces courants et d'annoncer clairement à la classe la fonction répugnante qu'ils seront amenés à accomplir.
8 — L'appel à des modes d'encadrement "à la base" et populistes de la classe ainsi que la mise en avant des gauchistes posera à terme, pour le capital, au fur et à mesure où il sera obligé d'y recourir, le problème de l'épuisement de ces moyens de mystification. Cet épuisement ouvrira alors la possibilité d'une claire prise de conscience par le prolétariat de ses véritables intérêts de classe. Derrière l'épuisement des formules classiques d'encadrement de la classe qui est déjà avancé aujourd'hui au Portugal et qui, demain, à des rythmes différents suivant les pays, tendra à se généraliser, se profile donc la perspective de l'organisation autonome de la classe luttant pour ses intérêts historiques et donc de son affrontement direct avec la bourgeoisie. Ce fait doit être pleinement compris par les révolutionnaires afin qu'ils mettent tout en œuvre dans le but d'être à la hauteur, du point de vue de leur organisation et de leur intervention, des responsabilités que cette perspective leur confère.
C.G.
Appel de la conférence de fondation du groupe "Internationalisme", section belge du Courant Communiste International.
Après plusieurs mois de discussions amenant à un accord sur les frontières de classe, positions politiques fondamentales issues se la lutte du prolétariat, trois groupes, le Révolutionnaire Raden Socialisten (d'Anvers), le Vrije Raden Socialisten (de Gand) et le Journal de Luttes de Classe (de Bruxelles), ont décidés de se dissoudre en tant que groupe séparés pour former une seule organisation en Belgique, appelée Internationalisme.
Vu la période actuelle de crise aigüe précédant soit l'émergence de la révolution prolétarienne, soit le prolongement de la barbarie capitaliste dans une troisième guerre mondiale, les révolutionnaires ont comme tâche, la constitution d'une organisation, centralisée au niveau international, en vue de généraliser les luttes communistes et la conscience révolutionnaire au sein de la classe ouvrière,
La conférence, considérant que :
- la destruction du capitalisme comme mode de production transitoire est 1'œuvre du prolétariat lui-même, seule classe historiquement contrainte et en mesure de s'organiser pour abattre le capitalisme.
- le prolétariat ne dispose pour cette tâche que de sa conscience et dé son organisation.
- l'organisation politique du prolétariat contribue à la prise de conscience de la classe, et les conseils, expression de son unité, sont 1'instrument de sa prisé de pouvoir et de sa dictature.
- la destruction du capitalisme n'est pas un problème local ni national, mais -parce que le capitalisme est un système mondial et le prolétariat- une classe mondiale embrasse tous les pays du globe et nécessite pour cet anéantissement le concours théorique et pratique des forces révolutionnaires les plus avancées,.
Appelle tous les révolutionnaires et groupes révolutionnaires en accord sur les .frontières de classe à se regrouper autour d'un pôle révolutionnaire cohérent et organisé de façon mondiale.
C'est vers-la constitution de ce pôle que tendent actuellement les plus grands efforts des groupes qui constituent le Courant Communiste Internationale C'est donc avec lui et autour de lui que nous appelons tous les révolutionnaires conséquents et responsables devant leur classe à unir leurs efforts et à .s'organiser en vue d'en faire l'outil indispensable au triomphe de la révolution communiste.
VIVE LA REVOLUTION MONDIALE
PRESENTATION
Depuis le moment où ces thèses ont été écrites (19-10-75) des événements politiques importants se sont produits en Espagne qui, sans remettre en cause les perspectives générales tracées par celles-ci, demandent qu'elles soient actualisées.
Les thèses situent une des causes de "l'incapacité de la bourgeoisie espagnole à se doter de moyens politiques adaptés à la tâche d'encadrement et d'affrontement du prolétariat autres que sanglants" dans "une paralysie à caractère quasi-religieux devant la personne de Franco, qui,, tant qu'il est en vie, constitue l'unique ciment et raison d'être des forces complètement anachroniques qui le soutiennent" (thèse n°5). L'agonie et la mort de Franco, en éliminant une des causes de la paralysie de la bourgeoisie espagnole ont débloqué la situation. Elles ont jeté dans un total désarroi ces: forces anachroniques mentionnées dans les thèses et qui se regroupaient en partie dans l'armée et surtout dans la police. Celle-ci, au cours de "l'in ter-règne", a essayé de compromettre toute perspective de "démocratisation", en se livrant à une répression systématique et en particulier en remettant en prison Marcelino Camacho, dirigeant stalinien des commissions ouvrières, quelques jours après sa libération. Mais c'était là le chant du cygne.des "ultras". Ceux-ci se sont laissés lier les mains par le maintien de Arias Navarro à la tête du gouvernement et ont dû recevoir sans broncher une mise en garde solennelle du ministre de l'intérieur, le nouvel "homme fort" du régime, Fraga Iribarne : "Que m'entendent bien ceux qui s'attribuent des fonctions, que personne ne leur reconnaît, de gardiens pour leur propre compte et de leur propre chef; nous n'aurons d'autres amis ni d'autres ennemis que ceux de l'Etat" (20 Déc.)
La mort de Franco vient donc nuancer la perspective tracée dans la thèse n°10 : "Malgré la "prise en charge" de la situation espagnole par la bourgeoisie mondiale, il est peu probable que la transition en Espagne puisse encore se faire dans le calme". Aujourd'hui, forte de l'appui de toute cette bourgeoisie mondiale (à preuve 1' afflux au couronnement de Juan Carlos de chef s d'Etat qui avaient 'manqué" les obsèques de Franco) et particulièrement de la bourgeoisie américaine, la bourgeoisie espagnole a enfin mis sur rails, après deux tentatives infructueuses à la fin des années 60 et au début de 74, le délicat processus d'ouverture ("apertura") qui doit lui permettre d'aboutir à une "véritable démocratie". Et qu'elles soient au gouvernement ou dans l'opposition, les principales fractions de cette bourgeoisie font tout leur possible et de façon concertée (cf. le diner en tête à tête le 15 décembre de Fraga Iribarne et de Tierno Galvân, un des dirigeants de la Junte Démocratique) pour que cette transition se fasse dans le calme.
Ainsi, la politique des "petits pas" vers la démocratie menée par le gouvernement actuel a un double objectif :
- assurer "une continuité suffisante dans les structures étatiques pour éviter une désorganisation et des bouleversements comme ceux du Portugal
- permettre que le mécontentement et la combativité du prolétariat soient dévoyés vers un "approfondissement" et une. accélération de la démocratisation.
L'opposition, de son côté, s'est unifiée sur la base d'un tel dévoiement des luttes ouvrières. Le chef du PSOE, Felipe Gonzalez ne se gêne pas pour déclarer : "Le pays veut la démocratie sans la violence, c'est pourquoi nous sommes prêts à un compromis. Il faut faire un effort de réalisme" (L'Expansion, Déc. 75). Les thèmes vers lesquels la gauche peut tenter de détourner la combativité de la classe ne manquent pas et ils seront probablement tour à tour tous utilisés l’amnistie, liberté de la presse, "droit" de grève, suffrage universel, référendum constitutionnel, etc.
Et quand tous ces thèmes auront été usés il lui restera encore 1'épouvantail du "retour du fascisme". En Espagne, comme partout ailleurs, la gauche au pouvoir ne se privera pas de dénouer les ouvriers en lutte comme "agents du fascisme", de la "réaction", de la "droite" etc., afin de pouvoir mieux les réprimer, C'est en ce sens que les présentes thèses gardent toute leur actualité.
PERSPECTIVES
1 — Avec des taux de croissance de plus de 10% au cours des années 60, 1’économie espagnole est après celle du Japon celle qui a su le mieux profiter des dernières possibilités offertes par la reconstruction d’après-guerre. Ces progrès spectaculaires en ont fait en peu d"'années une des économies d'Europe les plus modernes et concentrées tout en laissant en vie toute une série de secteurs archaïques dans 1'agriculture, le commerce, l'artisanat et la petite industrie. Jointe aux structures politiques rigides du franquisme, la persistance de ces secteurs archaïques' a été la cause de l'apparition de tensions et de contradictions que le développement de la crise mondiale met aujourd'hui à nu.
2 — Enfant prodige de l'économie européen ne, le capitalisme espagnol tend aujourd'hui à devenir un de ses parents pauvres. Avec une baisse de la production industrielle de 8 % une inflation de presque 20 %, et un doublement du chômage, l'Espagne est entrée cette dernière année de plein pied dans la crise* L'existence d'une forte émigration dans les pays plus développés également frappés par la crise et la place importante du tourisme dans l'économie espagnole ont contribué de manière très sensible à l'aggravation de la situation de celle-ci .
3 — Riche d'une tradition ancienne de combativité et de solidarité, payant le boom de "son" économie nationale par une exploitation féroce, le prolétariat espagnol s'est lancé, dès les premières agressions de la crise, vers la fin des années.60, dans des luttes très dures et résolues. Celles-ci ont atteint leur point culminant pendant l'hiver 74-75, quand ce sont des concentrations industrielles ou des provinces entières qui ont participé à des mouvements souvent violents et qui ont placé le prolétariat espagnol, malgré la répression systématique qu'il doit affronter, au premier rang mondial pour les grèves. L'aggravation très importante des conditions de vie des travailleurs depuis l'hiver dernier, aggravation liée au déferlement de la crise, ouvre la perspective d'affrontements considérables entre ce prolétariat et sa bourgeoisie0
4 — Pour faire face à cette perspective de luttes, la bourgeoisie espagnole est particulièrement démunie :
— Le régime actuel est honni par les populations ouvrières qui voient en lui le symbole de leur écrasement de 36-39, et de leur répression ultérieure. Il ne présente aucune possibilité de mystification et de détournement "de l'intérieur "des luttes.
— Ce régime est complètement caduc, sénile et incapable de se réformer par lui-même pour affronter la nouvelle situation; en particulier, après plusieurs tentatives, il s’est avère incapable d'assurer une transition "institutionnelle" vers la démocratie pourtant appelée par les vœux d'une partie croissante de la bourgeoisie et qui est seule capable de détourner la lutte de classe La violence aveugle avec laquelle le régime franquiste a frappé les militants gauchistes du FRAP et de l'ETA est la manifestation de l'impasse mortelle dans laquelle il se trouve. Sa fin imminente le fait ressembler à une bote aux abois.
5— L'incapacité de la bourgeoisie espagnole à se doter de moyens politiques adaptés à la tâche d'encadrement et l'affrontement du prolétariat, autre que sanglent, réside dans plusieurs causes :
— Une paralysie de la bourgeoisie face aux mesures urgentes que la situation impose, occasionnées par la peur de réveiller les démons qui sommeillent. En d'autres termes, la menace prolétarienne est devenue trop forte pour que la bourgeoisie prenne en charge les mesures capables de l’affronter.
— Une paralysie à caractère quasi-religieux devant la personne de Franco, qui, tant qu'il est en vie, constitue l'unique ciment et raison d'être des forces complètement anachroniques qui le soutiennent.
— La relative faiblesse des partis politiques démocratiques, faiblesse liée à la situation encore partiellement ... arriérée ce l'économie espagnole et aux 36 années d'illégalité dans laquelle sont restés ces partis.
6 — Contrairement au Portugal, l'armée ne peut constituer en Espagne un levier de transformation politique dans la mesure où cette force sociale ne constitue pas la seule force sociale organisée au sein d'un capitalisme relativement développé et puissant.
— n'est pas une armée coloniale confrontée à une situation lui permettant de prendre conscience des intérêts véritables du capital national.
— recrute ses cadres dans les catégories sociales les plus proches du régime, compte tenu de son rôle limité au maintien de l'ordre intérieur.
— constitue le meilleur soutien du régime et que le maintien de son poids prépondérant au sein de l'Etat comme le maintien des privilèges du personnel militaire en service actuellement sont liés à la survie de ce régime.
En ce sens, les mouvements de contestation qui se développent au sein de l’armée espagnole, même s'ils sont utilisés par la bourgeoisie pour développer le mythe d'une "armée démocratique", comme c'est leur seule fonction, sont condamnés à conserver un rôle politique secondaire et ne peuvent en aucune façon jouer un rôle semblable à celui du "mouvement des capitaines".
C'est pour ces mêmes raisons que les Partis démocratiques classiques et particulièrement ceux regroupés derrière la "junte démocratique" sont appelés, malgré leur relative faiblesse, à jouer un rôle important, plus qu'au Portugal, ainsi par conséquent, que les formes classiques d'encadrement et de mystification de la classe, syndicats et élections. En ce sens, les cartes gauchistes seront probablement utilisées Plus tard qu'au Portugal et assumeront pour un bon moment, plutôt que de relève, un rôle de rabatteurs pour la gauche classique.
7 - Une autre différence avec le Portugal réside dans la position de ces deux pays sur l'échiquier international, et particulièrement dans le domaine de la lutte de classe. Par le poids de son industrie, de son prolétariat, de la combativité de celui-ci, par sa position géographique beaucoup plus proche des centres vitaux eu capitalisme européen, l'importance de la situation en Espagne est beaucoup plus grande que celle du Portugal.
Cette dernière avait essentiellement une valeur de champ de manœuvre et d’expérimentation des différentes solutions de rechange de la bourgeoisie face à la crise et aux luttes ouvrières. Au même titre que la Russie de 1917, parce que c'est un des "maillons faibles" du système, l'importance du développement de la situation en Espagne dépasse de loin celle d'un exemple pour acquérir un poids effectif et décisif sur le développement de la lutte de classe dans le reste de l'Europe.
8 — Le rôle fondamental de la situation en Espagne sur le terrain international de l'affrontement entre classes et l’incapacité de la bourgeoisie espagnole à faire face aux nécessités objectives de la défense de ses intérêts (incapacité qui s'est manifestée en particulier par les cinq exécutions du 27 septembre) ont conduit la bourgeoisie mondiale à prendre en charge elle même la "régularisation" de la situation espagnole.
L'histoire enseigne que le seul moment où les différentes bourgeoisies nationales peuvent laisser de côté leurs rivalités économiques et impérialistes, c’est quand leur propre existence est mise en cause par la lutte de classe.
C'est ce qu'aujourd'hui les différentes fractions nationales de la classe bourgeoise, fortes de leur expérience passée, sont en train de réaliser de façon préventive par rapport à l'Espagne en prenant des mesures effectives de pression sur ce pays (décisions de la CEE) et en orchestrant de grandes campagnes de dénonciation de son régime politique.
Encore plus qu'elles ne servaient à défouler le mécontentement des travailleurs européens et à détourner leurs luttes, les récentes campagnes antifascistes avaient pour fonction de signifier à la bourgeoisie espagnole le soutien assuré par la bourgeoisie des autres pays aux fractions démocratiques, comme seules aptes à faire face aux besoins politiques du capital en Espagne et dans le reste de l'Europe.
9 — Dans ces grandes manœuvres du capital il n'est pas surprenant de retrouver, aux côtés du Pape, de la gauche traditionnelle et des gaullistes comme Alexandre Sanguinetti, ces éternels jusqu’'auxboutistes des causes anti-prolétariennes que sont les gauchistes parmi lesquels les anarchistes font autant de bruit que le leur permettent leurs faibles forces.
Plus tragique est le fait que le désespoir de certains éléments de la petite-bourgeoise et même du prolétariat les mette à la merci des menées contre-révolutionnaires du FEAP et de l'ETA ou autres mouvements nationalistes, qui les utilisent comme instruments d'un terrorisme qui d'une part constitue un moyen de dévoiement de la lutte de classe , d'autre part permet de justifier une répression sanglante , et enfin: fournit en martyrs frais ,1a propagande répugnante de la gauche et des gauchistes; propagande d' autant plus répugnante que la tâche à laquelle elle est attelée n'est autre que la préparation des équipes ministérielles qui auront pour tâche d’assurer un éventuel massacre du prolétariat espagnole,
10 — Malgré la "prise en charge" de la situation 'espagnole par la bourgeoisie mondiale (y compris celle des USA par Allemagne et Hollande interposées) il est peu; probable que la transition en Espagne puisse encore se faire dans le calme. C'est donc "à chaud", particulièrement comme produit des luttes ouvrières que les partis démocratiques et particulièrement la junte du même nom accéderont au pouvoir. Dans une telle situation, il est également probable qu'une très grande violence se développera contre les tenants de 1’ancien régime, violence qui sera prise en charge par la gauche, et les gauchistes; au nom encore une fois de l'antifascisme, ils essaieront de polariser le prolétariat.sur un terrain bourgeois et de le détourner de ses luttes.
11 — Comme en 1936, en raison des violences, qui s'y préparent, et de la situation historique de laquelle elle sort, l’Espagne est appelée à constituer à nouveau un des thèmes principaux de dévoiement des luttes, du prolétariat européen. Les actuelles campagnes antifascistes, bien que pour le moment elles aient surtout pour fonction d'aider la bourgeoisie espagnole a se débarrasser d'un régime inadapté aux besoins du capital, font partie des préparatifs bourgeois pour renforcer le mythe qu'elle utilisera à fond au plus chaud des affrontements de classe : celui de "la menace fasciste".
La différence avec les campagnes de 36, c'est que les présentes ont surtout pour fonction d'entraver un développement ascendant de la lutte prolétarienne afin de mieux pouvoir la réprimer le moment venu, alors que les précédentes se situaient après 1’écrasement du prolétariat mondial et avaient pour tâche de mobiliser celui-ci dans la guerre impérialiste. En 1925, en face d'un prolétariat complètement désemparé, le fascisme avait une existence réelle et cela permettait d’autant mieux l'embrigadement de la classe prolétarienne. Aujourd'hui la "menace fasciste" doit être construite de toutes pièces et un prolétariat en plein réveil aura beaucoup plus de difficultés à avaler une telle couleuvre, mais le relatif succès avec des conditions moins propices de la mystification antifasciste autour du Portugal, montre qu'il ne faut pas négliger celle qui se développera autour de l'Espagne.
12 — Dans cette perspective, les .révolutionnaires doivent mettre au premier plan de leur activité la dénonciation la plus claire et systématique possible de la mystification antifasciste. Ils doivent; dénoncer 1a gauche candidate au rôle de bourreau du prolétariat et particulièrement les chiens de garde gauchistes, qui essai et essaieront de la battre sur son terrain dans l'hystérie antifasciste. Ils doivent, pour leur part, veiller à ne faire aucune concession aux campagnes antifascistes et affirmer clairement la fonction contre-révolutionnaire de tous les courants politiques qui, même de façon critique, participent et participeront à ces campagnes.
REVOLUTION INTERNATIONALE 19. 10. 1975.
Le Courant Communiste International salue la constitution du groupe unifié en Belgique et son intégration dans le C.C.I. Il voit dans ce fait une manifestation de la situation mondiale d'approfondissement de la crise ressentie plus fortement chaque jour par les éléments révolutionnaires qui tendent à regrouper leurs forces sur le plan national et international afin de pouvoir efficacement assumer les responsabilités qui sont les leurs dans lai lutte internationale du prolétariat.
L'importance de la constitution de la section du C.C.I. en Belgique est à souligner pour plus d'une raison :
- l'importance de ce pays hautement industrialisé dont le prolétariat a une longue tradition de lutte de classe.
- sa place géographique qui en fait une plaque tournante de l'Europe.
- 1'inclusion d’un important secteur ouvrier qui permettra le développement de notre propagande vers les pays de langue flamande.
Aussi, le C.C.I. est convaincu de la place qu'est appelée à occuper la section en Belgique dans le cadre-de l'ensemble de son travail.
Le C.C.I. estime qu’une attention particulière doit être accordée par les révolutionnaires à l’expérience que constitue le processus d'unification des groupes en Belgique. L’esprit qui a été constamment présent dans ce processus se fondait sur une véritable volonté révolutionnaire consciente de la nécessite du regroupement organisationnel dans le cadre des principes fondamentaux de l’orientation révolutionnaire.
Le C.C.I., dans son ensemble, doit s'imprégner de cette riche et positive expérience dans la poursuite de son travail pour le regroupement des révolutionnaires. Cette expérience est une illustration de la nécessité entre le monolithisme stérile et l’éclectisme empirique, produites de la longue période de recul et qui pèsent lourdement aujourd'hui sur les éléments révolutionnaires.
RESOLUTION ADOPTEE PAR LE C.C.I.
INTRODUCTION A LA LETTRE A "DIVERSION",
La lettre qui suit fut adressée à un groupe argentin qui, se réclamant de l’essentiel des conceptions de l’"INTERNATIONALE SITUATIONNISTE", nous a fait parvenir des extraits du premier numéro à paraître, de leur revue : "DIVERSION". A travers la critique de ces documents, elle est donc amenée à traiter de ce qu’on a voulu appeler le "situationnisme".
Le "situationnisme" fut l'expression la plus radicale du mouvement étudiant qui, réagissant aux premiers symptômes de la crise économique mondiale secoua les principaux pays occidentaux à la fin des années
Préconisant la "fin de l'université", la destruction radicale de l’Etat bourgeois avec ses syndicats et ses "partis ouvriers" staliniens, trotskistes et autres dérivés, se revendiquant du "pouvoir international des "Consei1s Ouvriers", il tranchait d'avec le gauchisme universitaire qui réclamait "la modernisation de l'université", l'instauration de "gouvernements démocratique" formés par les "partis ouvriers" du capital, et ne mettait derrière le mot révolution que la revendication de capitalisme d'Etat.
Mais 1'"Internationale Situationniste" ne survécut pas au mouvement qui l’avait portée au sommet de sa gloire. Avec la fin de la contestation estudiantine, l’IS se dissout dans une série de scissions et d'exclusions réciproques portant sur la problématique qui lui était en fait la plus spécifique, à savoir les problèmes du petit-bourgeois intellectuel, sincèrement révolté entre la société capitaliste, mais impuissant a envisager les problèmes de 1’humanité autrement qu'à travers ceux de sa petite individualité, ceux de la ''misère de sa vie quotidienne". Incapables tout comme les socialistes utopistes du XIX° siècle dont ils aimaient tant se réclamer, de reconnaître réellement dans la classe ouvrière la seule force révolutionnaire de la société ; les situationnistes ont fini par s'user dans les impasses mesquines et nombrilistes de la recherche de l'auto "désaliénation".
Cependant, par ses positions contre le syndicalisme, le parlementarisme, le frontisme, le nationalisme, le capitalisme d'Etat présenté comme socialisme, le situationnisme fait encore illusion aujourd'hui dans des noyaux cherchant à se transformer en facteurs actifs de la révolution communiste. Mais, tout comme il y a sept ans, son incompréhension des fondements mêmes du marxisme le déterminisme économique et le rejet de toute possibilité d'activité révolutionnaire en dehors de la lutte historique de la classe ouvrière — fait du "situationnisme" cette théorie de la petite bourgeoisie révoltée, une impasse réactionnaire pour toute démarche vers l'activité révolutionnaire.
C'est ce que nous avons voulu mettre en évidence dons cette lettre à "Diversion".
LETTRE A "DIVERSION" (Argentine).
Le texte de Maria Teresa et de Daniel commence par dire :
"La lutte que nous avons engagé contre le vieux monde, la réalisation de moments qui ne soient pas morts entre dans une phase nouvelle. La société spectaculaire-marchande se divise et affaiblit ses forces dans cette période historique. La "diversion" surgit et sa force va grandissante. Et le lecteur attentif constate qu'il ne parvient pas réellement à comprendre ce que les auteurs ont voulu exprimer dans ces lignes. Il lit dans le texte, toujours attentif, jusqu'à la dernière ligne, dans l’espoir d’un éclaircissement. Mais la seule conclusion à laquelle il puisse parvenir en fin du dernier paragraphe, c’est que son incompréhension est due en réalité à l'incohérence des idées qui les rend si obscure.
Voyons point par point :
LE SUJET DE L’HISTOIRE.
"Il est dit, dans 1e dernier paragraphe : "la poursuite cohérente de la réalisation du pouvoir international dés Conseils Ouvriers". Et le texte commence par "La lutte que nous avons engage centre le vieux monde". Qui çà nous? Si l'on considère que "le pouvoir international des Conseils Ouvriers" est l’actuelle finalité historique, un moment de la lutte pour détruire le vieux monde, On doit logiquement admettre que la classe ouvrière seule est le réel sujet de cette lutte. (A moins de supposer que ce pouvoir international soit donné à la classe ouvrière par une autre classe ou par un groupe d’individus, comme le croient, ou croient le croire, les léninistes de tous poils — ce qui est supposé ne pas être votre cas).
On est donc amenés à se demander : pourquoi, dans tout le reste du texte, il n’est jamais plus question ni de la classe ouvrière, ni de 1a lutte quelle mène depuis 150 ans, pourquoi rien n'est déduit, absolument rien, de toutes les expériences que la classe révolutionnaire a dégagé tout au long de sa lutte contre 1e vieux monde, le monde capitaliste, et qu' elle a payé si, cher ?
Si l'on est réellement convaincu que, dans la société actuelle la classe ouvrière est le sujet de l’histoire, il faut écrire, au lieu de "la lutte que nous avons engagé contre 1e vieux monde", "la lutte que la classe ouvrière à engagé contre le vieux monde depuis plus do 150 ans".
Ce qui alors devient incompréhensible, c'est, le passage, sur la "réalisation de moments qui ne soient pas morts". Elle prête à croire que la lutte du prolétariat depuis ses débuts "est faite de la réalisations de moments qui ne soient pas morts". On peut supposer que ces derniers sont des moments de "vie réelle", c’est à dire des moments; dans lesquels l’homme, ou plutôt dans ce cas les ouvriers, ont pu développer sans entraves et harmonieusement leurs capacités. Mais,
— premièrement seuls les réformistes récalcitrants peuvent croire que cela est possible "momentanément" et dans le cadre de cette société. "Réalisé" dans cette société, c’est la mystification de base qu’utilisent les réformistes. La vérité des révolutionnaires, c’est que la destruction de cette société est indispensable pour pouvoir en réaliser une autre plus humaine, et que c’est donc qu’il faut commencer. Une des particularités ode la révolution prolétarienne réside dans le fait que c'est la première fois dans l’histoire qu’une révolution sera faite par une classe exploitée, ce qui implique que pour la première fois dans l’histoire, il est impossible de faire surgir la nouvelle société à l'intérieur de la vieille (comme la féodalité put surgir dans la société esclavagiste, et plus tard la bourgeoisie put apparaître dans le monde féodal. Il n'y a pas aujourd'hui d'arrangement politico-économique possible entre la classe dominante et la classe révolutionnaire, parce que ce ne sont pas deux classes exploiteuses qui s'affrontent, mais bien la classe exploitée et la classe exploiteuse. C'est donc une conception parfaitement réformiste et tristement étriquée que vous défendez en écrivant :
"La fausseté de la séparation entre "travail manuel et travail intellectuel "doit être démontrée en nous mène. Notre expérience nous a démontré que dans le chemin "pour devenir humains, nous devons développer nos aptitudes, été capables de souder un tuyau aussi bien que ranger une cuisine, savoir parler plusieurs langues ou exercer des médecines traditionnelles" (indigènes, massages, herbes, acupuncture, etc.)
La séparation entre travail manuel et intellectuel n'est ni faussé ni juste. Elle est une nécessité de cette société, au "même titre que sa disparition le sera dans la future société. Son élimination n’est pas un problème individuel, pour la bonne raison que son existence ne l'est pas et ne le fut jamais. Nous ne pourrons l'éliminer qu'à l'échelle mondiale uniquement, car ce n’est qu'à l'échelle mondiale que son élimination répondra à une nécessité objective, et donc à une possibilité. C'est une triste et pauvre illusion que de penser que "souder des canalisations" entre deux lectures philosophiques contribue un tant soit peu à éliminer la division entre travail manuel et intellectuel! Le prolétariat ne lutte pas pour créer d'illusoires moments individuels pendant lesquels s'éliminerait cette division. Sa lutte, bien au contraire, a pour but la création des conditions matérielles concrètes (la dictature politique des Conseils Ouvriers dans le monde entier) qui permettront de commencer à établir les bases d'une société nouvelle dans laquelle cette division pourra et devra disparaître, non pas momentanément, mais de façon, définitive.
— deuxièmement : le moteur de l'action des classes, et donc celui de la classe ouvrière, n'est pas constitué spécifiquement par une "critique de la vie quotidienne" ou par la quête de "moments non morts". Dans la société actuelle, comme dans toutes les sociétés du passé, la "vie quotidienne" a toujours été aine vie inhumaine, non seulement pour les classes exploitées, mais aussi pour tous les hommes. Il ne fait aucun doute que tous les hommes, en fin de compte, cherchent des améliorations, l'humanisation de leur vie quotidienne, et cela est aussi vrai pour les bourgeois que pour les prolétaires. Les individus aujourd'hui bourgeois auront une vie plus humanisée, seront plus heureux dans la future société. On se demande alors pourquoi les uns luttent pour la destruction de la société actuelle tandis que les autres œuvrent à sa perpétuation. Considérée du point de vue de la problématique de la vie quotidienne, cette réalité reste incompréhensible. En outre, si l'on pousse de façon cohérente la problématique qui fait de la lutte contre l'aliénation individuelle de la vie quotidienne le moteur de la lutte révolutionnaire, il faut bien vite en arriver aux conclusions suivantes :
1° la révolution n'est pas une question de classé, c'est à dire d'hommes déterminés par leur situation économique au sein d'un mode de production, mais bien plus une question d'individus plus ou moins aliénés (ce n'est pas un hasard, s'il n'est presque jamais parlé de "classes" dans vos textes, pas plus que dans ceux de l'IS).
2° Les individus les plus révolutionnaires seraient les petits-bourgeois intellectuels, parce que leur vie est la plus "irréelle" et aussi parce que leurs préoccupations personnelles sont les plus favorables à la réflexion sur tous ces problèmes d'ennui et "d’absurdité de l'existence" (un groupe social sans position réelle dans le mode de production est bien sûr le plus sujet aux angoisses "existentielles" caractéristiques d’une classe sans passé ni devenir historique). "Ce n'est pas du tout par hasard que vous écrivez : "la possibilité de réalisation de l'histoire de l'humanité se trouve dans l'union indissoluble des luttes des groupes qui veulent être révolutionnaires et du mouvement toujours inachevé — dans cette préhistoire — de la rage des déclassés ; dans, l'addition totale de leurs talents et volonté dans le combat contre le " spectacle dominant".
Si vous voulez croire, avec les anarchistes, que l'histoire humaine est le produit de 1'"addition totale des talents et volonté" d'individus qui "veulent" et d'hommes "déclassés", c'est votre affaire. Mais expliquez alors quel besoin vous avez de parler du "pouvoir international des Conseils ouvriers."
Le pouvoir des Conseils Ouvriers suppose les ouvriers organisés en tant que classe. Dire que ce pouvoir constitue le chemin vers la société sans classe revient à dire que la réalisation de l'histoire de l'humanité sera le fait de la lutte de la classe ouvrière.
La problématique de la vie quotidienne peut sembler permettre la critique globale de tous les Etats actuels, URSS, Chine ou USA, sans avoir à assumer la tache pénible de la démonstration économique, scientifique, qu’ils sont tous des formes que prend le capitalisme à un stade plus ou moins avancé de son évolution vers la forme la plus décadente du système : le capitalisme d'Etat.
Mais la critique de la vie quotidienne, en réalité, à force de tout englober (toutes les classes, toutes les époques de 1’histoire) n'englobe que le vide, elle n’est faite que de mots creux, qui parviennent tout juste à cacher l'essentiel (la lutte des classes), poussant ses adeptes à perdre leur temps dans des traités sur "le parfait self-made free man".
— troisièmement : le "chemin pour devenir humains" dont vous parlez et que tout individu (quelle que soit son origine de classe) peut chercher, ne peut pas être un chemin "d'auto-purification solitaire", d'"auto-désaliénation individuelle"; être humain revient à s'assumer en tant qu'être humain, c'est à dire faisant partie intégrante de l’humanité et implique donc, avant tout, d'assumer l'histoire de l'humanité en s'intégrant en tant que facteur conscient et actif dans cette évolution historique de 1' espèce.
Pour l'instant, au sein de cette dernière étape de la "préhistoire de l'humanité", "règne et domination de la nécessité", 1'"histoire de l'humanité est toujours l'histoire de la lutte des classes"; dans ce contexte, être humain revient à être un facteur actif dans la lutte d'une classe déterminée, la classe-révolutionnaire : la lutte de la classe ouvrière pour la défense de ses propre intérêts, qui aujourd'hui se confondent avec les intérêts de .l'humanité entière.
Les idées ne sont pas le fruit d'autres idées, elles sont, des produits de la vie pratique des hommes et celle -ci ne peut être que sociale. Dans une société divisée en classes, les idées révolutionnaires ne peuvent être que le produit de la pratique historique de la classe révolutionnaire.
Lorsque dans votre texte vous faites référence à ce que doit être l'organisation des révolutionnaires (la quasi totalité du texte traite de ce sujet) et aux convictions qui doivent l'animer, vous ne faites jamais référence à la pratique historique de la classe révolutionnaire. C'est pour cela que votre texte est, dans le pire sens du terme, idéologique, idéaliste. Au lieu de prendre pour point de départ la pratique historique de la classe pour parvenir à définir ce que doit être un de ses instruments —1'organisation des révolutionnaires —, et à partir de son rôle et sa fonction, ensuite, définir comment doivent agir les individus qui y adhèrent, au lieu de prendre ce processus d'analyse réellement matérialiste, vous poursuivez un processus inverse (celui-là même que Marx a critiqué dans les "Thèses sur Feuerbach" et qu'il qualifiait de matérialisme "intuitif", "vulgaire"), prenant pour point de départ et comme ultime point de vue l’individu, considéré hors de la pratique sociale, extérieur aux classes.
Ainsi, alors que la classe ouvrière mondiale réapparaît plus forte que jamais dans tous les recoins de la planète, après cinquante ans de contre-révolution triomphante, alors que cette réapparition est engourdie par un demi-siècle d'obscurantisme stalinien, social-démocrate, qui parle de socialisme de nationalisations et autres pièges que le capital mondial tient toujours tendus, alors que la classe ouvrière affronte la dure tâche de se réapproprier son expérience historique révolutionnaire, vous perdez les 3/4 de votre première publication et de votre temps en bavardages d'auto-désaliénation au moyen de lampes à souder, d'herbes indigènes et autres "diversions" de votre médiocrité quotidienne.
Il est effectivement important de dénoncer tous ceux qui testent de confondre capitalisme d'état et socialisme, tous ceux pour qui "la révolution" n'implique pas une transformation radicale dans tous les rapports humains. Cependant, baser notre critique sur ce dernier aspect est en fin de compte secondaire car permettant trop de confusions du simple fait qu'il épargne et laisse de côté l'essentiel : la lutte de classe et il est révélateur de constater à quel point les sociaux-démocrates européens sont loin de l'ignorer, et en particulier en France, où leurs slogans préférés depuis quelques années sont : "changer la vie" et "socialisme autogestionnaire". Et ce n'est pas pure démagogie : le premier slogan permet de diluer le prolétariat dans le "Peuple", c’est-à-dire 1’ensemble des classes posant problèmes et solutions à l’échelle des INDIVIDUS. Le second mot d'ordre a pour but d’enfermer la classe dans ses usines, en faisant jouer les ouvriers à la "gestion de leur propre exploitation", de leur propre misère, pendant que le Capital conserve les rênes du pouvoir central face à une classe atomisée, auto-divisée, auto castrée. L'expérience de 1920 en Italie, où la classe ouvrière se laissa enfermer dans ses usines en jouant al1 auto-exploitation, pendant que le gouvernement de Giolitti (lequel n'interrompit même pas ses vacances pour mener à nier 1’opération), avec l’appui. des syndicats, s'emparait sans coup férir avec sa police de toute la ville, est un clair, et parfait exemple du contenu et des dangers de toute la mystification autogestionnaire et de la "vie quotidienne".
Dans la période actuelle, le prolétariat — la classe ouvrière — est le seul sujet de 1'histoire. Toute idéologie, toute conception qui ne prend pas la classe ouvrière comme axe essentiel de la lutte révolutionnaire, se situe du fait hors de 1' histoire, hors du terrain réel de la révolution. C'est essentiellement pour cela qu'elles peuvent si facilement devenir des instruments de la contre-révolution.
Là PERIODE HISTORIQUE ACTUELLE
Revenons au premier paragraphe du texte qui, en fin de compte, résume l'essentiel des faiblesses du texte entier.
Il y est affirmé que "la lutte... contre le vieux monde entre dans une nouvelle phase". "La société. spectaculaire—marchande se divise et affaiblit ses forces dans cette période historique". "La DIVERSION surgit et sa force va grandissante".
Laissons de côté ce qui concerne la DIVERSION, que vous définissez comme étant "le dépassement de la séparation entre le jeu et la vie quotidienne", puisque la première partie de cette lettre ébauche la critique de ce genre de concept. Ecartons aussi cette formule qui désigne le Capital :"société spectaculaire-marchande", car le terme "spectaculaire" qu'aimait tant à employer l.'I.S. est des plus confusionniste et l'Association "spectaculaire-marchande", au lieu de préciser la spécificité historique de la société actuelle (ce qui distingue le capitalisme des autres formes sociales dans l’histoire) ne fait que la diluer.
Ces deux points étant écartés, nous sommes totalement d'accord pour dire que la lutte historique de la classe ouvrière entre dans une "nouvelle phase" et que le système capitaliste "se divise et affaiblit ses forces". Il n'empêche que tout ceci, aujourd’hui, ne dépasse pas le stade de la constatation banale telle qu'elle peut apparaître sur la couverture du "Time Magasine". L'important est de dégager :
1° pourquoi se développent ces deux phénomènes et pourquoi aujourd'hui ;
2° en quoi consiste cette nouvelle phase de la lutte révolutionnaire.
Votre texte ne donné aucune réponse suffisante à ces deux préoccupations essentielles.
A la question "pourquoi la société capitaliste se divise et affaiblit ses forces" de façon générale, la seule réponse que vous donnez se trouve dans la bande dessinée qui s’appelle "Dialectique de l'Etat, dialectique de la pourriture". Le "super-héros" de cette historiette dit : "Une légère régression suffit, un grain de sable dans les systèmes, pour qu'éclate la crise; ou pour mieux dire, pour qu'elle révèle sa réalité immédiate. Au moindre prétexte — récession économique, brutalité policière, émeute de football, règlement de comptes — la violence sociale reprendra son escalade !"
Qu'est-ce que la "violence sociale"? Est-elle l'exploitation et l'oppression quotidienne ? Est-elle la lutte révolutionnaire du prolétariat ? Le terrorisme d'individus désespérés ? Celui de factions de la bourgeoisie luttant pour prendre le pouvoir ? Afin que la phrase suivante dans l'historiette — "le moment n'est.pas venu ... de s'engager consciemment dans un travail pour favoriser l'évolution de la révolution internationale" (?) — prenne un sens, nous allons : supposer qu'il s'agit de la lutte de la classe révolutionnaire contre le vieux monde.
Cette idée est alors complètement fausse. Depuis des décennies, les fameux "moindres prétextes" dont vous parlez, se sont produits des dizaines de fois (récessions économiques), des milliers (émeutes de football), des millions de fois (règlements de comptes), sans que la lutte révolutionnaire "reprenne son escalade". En outre, d'où avez-vous pu sortir cette idée qui vous fait dire qu'une "légère régression" SUFFIT pour faire éclater la crise permanente dans laquelle est plongée la société? De quel monde parlez-vous donc ? De celui qui apparaît dans l’historiette de science-fiction ou de celui dans lequel nous vivons ?
Si nous considérons un individu pris isolément, il est juste de dire que sa prise de conscience de la crise dans laquelle vit .l'humanité depuis plus de cinquante ans peut être provoquée par n'importe quelle cause : révolte contre le père, problèmes affectifs, crise de religion, lecture de textes, etc… Mais il serait absurde de confondre le monde personnel de chacun et le monde social réel. La vie individuelle est déterminée par la vie sociale, mais la vie de la société n’est pas le produit de l'addition des vies individuelles— comme le prétend l'idéalisme. La révolution prolétarienne a déjà éclaté plus d'une fois dans l'histoire, et qui n'en a pas une ignorance totale sait que ce qui la fait surgir en tant que mouvement apparent est déterminé par :
1°) une condition nécessaire (ce qui ne signifie pas suffisante) : une crise économique suffisemment profonde. Elle seule peut forcer toutes les classes (couches sociales d'hommes déterminés non par leurs idées, ni par la couleur de leur peau, ni par leurs coutumes, etc., mais avant tout par leur situation à l'intérieur du rapport social de production), et en particulier le prolétariat, à tenter d'agir selon leurs intérêts spécifiques. La crise économique du système, met en évidence la NECESSITE de réorganiser différemment la société, puisque jusqu'à présent, le squelette de la société reste l’économie.
2°) une condition suffisante : la classe ouvrière ne se trouve pas dans une période historique de défaite lorsqu'éclate la crise (comme cela pouvait être le cas dans les années 1929-46, quand la classe ouvrière mondiale gisait sous la botte de la contre-révolution triomphante, de Moscou à Madrid et de Canton à Berlin en passant par Turin).
Voilà les conditions générales qui peuvent être déduites de l'expérience historique d'un siècle et demi de luttes ouvrières. Ce sont les conditions pour qu'éclaté ouvertement lai révolution prolétarienne, mais elles ne suffisent pas pour attester son triomphe. Celui-ci dépend de mille autres facteurs qui influent sur le rapport de force entre le prolétariat et le capital — mais ce n'est pas le sujet de la discussion pour le moment.
On peut en tous cas dégager que les conditions de cette explosion, nécessaires pour que la révolution prolétarienne "reprenne son escalade", n'ont rien de commun avec les "moindres prétextes" dont vous parlez. Selon votre conception de la révolution sociale, la force révolutionnaire est toujours présente, éternellement, toujours prête à détruire le vieux monde au nom du monde à venir. Avouons qu'elle fait étrangement penser au désir de communisme des chrétiens primitifs. Sur quoi vous basez-vous pour affirmer la nécessité et la possibilité de la révolution prolétarienne internationale? Sur l'indignation que peuvent provoquer les injustices? Sur 1’aliénation exagérée de la vie quotidienne? Pensez-vouer réellement que Mai 68 en France et l'Automne 69 en Italie, Décembre 70 en Pologne, les luttes du Ferrol, de Pampelune ou de Valladolid en Espagne, la généralisation de grèves sauvages en Angleterre en 72, le "Cordobazo" et le "Mendozazo" en Argentine etc., soient le produit spontané mondial de la renaissance de l'idée de justice en soi? Pensez-vous que c'est par pur hasard si les luttes ouvrières se sont développé internationalement peu près 1;entrée dans une nouvelle crise de l'économie capitaliste (seconde moitié des années 60), lorsque s'est achevée la "prospérité" de la reconstruction (due aux dégâts produits par la seconde guerre mondiale) aux sons agressifs des clairons des pays "reconstruits" qui cessaient d'être un marché pour les USA, tout en commençant à nécessiter pour eux-mêmes des marchés pour écouler leurs marchandises.
Aujourd'hui, à nouveau, le capitalisme referme le cycle de survie qui est le sien depuis la première guerre mondiale : CRISE-GUERRE - RECONSTRUCTION - CRISE etc.
Pour faire face à la crise dans laquelle s'enfonce toujours plus le capitalisme décadent, l'humanité ne dispose aujourd'hui que de deux solutions :
- la solution prolétarienne, la révolution, qui détruira le système capitaliste et instaurera le socialisme, mettant ainsi fin à la préhistoire de l'humanité ;
- la solution capitaliste, si le prolétariat est vaincu dans sa tentative révolutionnaire, c'est à dire une troisième guerre mondiale qui relancerait le cycle de reconstruction et la perspective d'une nouvelle crise qui reposera le même problème.
Si on peut aujourd’hui dire que 1'alternative est à nouveau "socialisme ou barbarie", ce n'est pas en fonction d'un éternel principe de "justice" qui guiderait 1'évolution de l'humanité, même si on peut 1'opposer au cycle capitaliste. L'histoire nous apprend (et l'actualité nous le confirme) que la crise économique du système capitaliste impose la Barbarie de la guerre impérialiste, la destruction généralisée, et met à l'ordre du jour, d'autre part, la réaction d’une des classes exploitées, la classe ouvrière. Cette dernière, de par sa position de classe EXPLOITEE et ASSOCIEE dans la production, est porteuse, dans son opposition, et sa résistance à l'exploitation et à l'oppression du capital, de la solution socialiste la société nouvelle.
On ne peut comprendre 1es événements mondiaux actuels que sur cette base, et sur elle seule se fonde de façon sérieuse la perspective révolutionnaire internationale.
En fait, l'essentiel de cette discussion se résume, en un point : êtes-vous, oui ou non, marxistes ? "L’Internationale Situationniste", qui héritait pour une grande part de la tradition de "Socialisme ou Barbarie" ne l'était pas: (bien que jamais elle n'osa clairement 1'avouer). Elle se contenta de répondre, comme souvent, par des plaisanteries et des pseudos clins d’œil pour "pseudo-initiés", dans le genre : "Marx a fondé l'IS en 1864" ou "Comme le disait Marx, nous ne sommes pas marxistes".
Tout comme "S ou B", l'IS est une partie du tribut que le mouvement révolutionnaire a du payer à la contre-révolution stalinienne et a la plus gigantesque mystification de l'histoire : celle qui présente le marxisme comme étant le support théorique du capitalisme d'Etat.
Notre tâche aujourd'hui consiste à nous réapproprier l'expérience de notre classe, et le marxisme en fait partie intégrante, essentielle. Pour ce faire, il est nécessaire d'abandonner certaines attitudes puériles, en particulier celle de croire que ce qui est révolutionnaire est défini en réaction inverse à ce qui est contre-révolutionnaire. La théorie prolétarienne, les conceptions révolutionnaires, ne sont pas l'inverse de la contre-révolution, mais bien les résultats de la pratique historique de la classe révolutionnaire.
Rompre avec la tradition révolutionnaire du militantisme parce que les staliniens créèrent un militantisme qui correspondait à leurs fins contre-révolutionnaires, rompre avec l'idée de PARTI parce que les partis actuels sont tous dans le camp de la bourgeoisie, rompre avec les enseignements de l'expérience du prolétariat russe en 17 et du parti bolchevik parce que celui-ci y incarna la contre-révolution, toutes ces ruptures ne font rien d'autre que prendre le contre-pied symétrique de la contre-révolution.
Ce qui distingue la lutte prolétarienne des luttes des autres classes exploitées; c'est précisément que c'est la seule qui puisse s'affirmer POSITIVEMENT, car elle apporte une solution au devenir historique, alors que les autres, (petits-paysans, petits commerçants) ne parviennent difficilement et ce, dans le meilleur des cas, qu'à une REBELLION purement négative : elles s'affirment contre 1'évolution du capitalisme sans être à même d'apporter là perspective d'un autre type d'évolution. Dans ce sens, seul le prolétariat est à même d'engendrer une pensée, une conception du monde réellement autonome, par rapport à l'idéologie dominante. Le prolétariat, SEUL, peut NIER le capitalisme, parce que lui SEUL peut le-dépasser.
C'est à partir de ce point de vue que nous pouvons nous situer, et non à partir de la simple antithèse systématique de la contre-révolution,
Quant à la seconde question : quelle est, cette "nouvelle phase" dans laquelle entre la lutte du prolétariat, c'est encore dans 1'historiette de bande dessinée que nous avons cru devoir trouver la réponse. Il y est dit: Si le prolétariat ne se dissout pas bientôt, mettant ainsi fin à la société de classes, à la société de survie, au système spectaculaire-marchand, à la perspective de pouvoir. S'il n'établit pas l'autogestion généralisée, l'harmonie sociale basée sur les assemblées souveraines, le risque existe que le mal de la survie généralise le réflexe conditionné de la mort.
La question se pose d'abord : qu'entendez-vous par "si le prolétariat ne se dissout pas bientôt" ?
Il est juste dé dire que la disparition de la société divisée en classes, accélérera la disparition, la dissolution du prolétariat. "Ceci n'est cependant pas le début de la lutte révolutionnaire, mais bien son ultime conséquence, car l'élimination des classes n'implique pas seulement la destruction du pouvoir de la bourgeoisie, mais aussi l'élimination de tous les vestiges économiques de la société capitaliste, et en particulier de la marchandise ce qui implique l'élimination AU NIVEAU MONDIAL de toute échange, ce qui à son tour implique que les richesses de la société soient suffisantes PARTOUT DANS LE MONDE, ce qui ne pourra être possible qu'après un certain temps de domination, par les producteurs, des moyens de production.
La période de transition entre capitalisme et communisme n'est rien d'autre que la période durant laquelle le prolétariat va s'étendre à l'ensemble de la population du globe. Non pas en s'auto-dissolvant dans les autres couches sociales, mais au contraire en intégrant en son sein ces dernières. Le prolétariat ne cessera pas d'exister parce que les prolétaire d'aujourd'hui décideront demain de ne plus l'être, mais parce.que 1'ensemble de la population se sera intégré au prolétariat» Le processus de dissolution de la classe ouvrière se confond avec le processus de son extension.
Ce processus est à la fois conscient, politique et économique, et sa fin est celle de la politique et de l'économie.
Afin de pouvoir dissoudre les classes, le prolétariat doit avant tout prendre les moyens concrets de le faire, et le premier de ceux-ci n'est rien moins que la prise de pouvoir politique et l'exercice de sa dictature, Pour pouvoir se nier, le prolétariat doit donc commencer par s'affirmer en tant que classe autonome face à toutes les autres couches de la société, parce qu'il est la seule force réellement révolutionnaire.
La phase dans laquelle entre aujourd'hui la lutte révolutionnaire n'est donc pas celle qui doit conduire le prolétariat à une "dissolution proche", mais au contraire celle qui doit accélérer le processus de prise de conscience de ses intérêts de classe, la nécessité d'agir en tant que classe unie mondialisent et autonome face au reste de là société, la prise de conscience qu'elle est la classe qui porte en elle l'avenir de l'humanité.
Le mouvement ouvrier est aujourd'hui dans la phase d'apprentissage d'auto-organisation, c'est à dire qu'il apprend à s'organiser dans ses propres assemblées et à les coordonner par le moyen des Conseils de délégués élus et révocables, à la plus grande échelle possible, hors des syndicats et contre eux.
Nous avons déjà parlé des dangers qu'impliquent les idéologies du type de "l'autogestion généralisée". Une des principales tâches, des révolutionnaires est aujourd'hui de dénoncer toutes les mystifications que la bourgeoisie tente de faire accepter dans tous lès pays au prolétariat, pour lui faire prendre en charge la gestion de la banqueroute du système, pour le diviser en l'enfermant dans les "usines autogérées", et surtout pour le dévier des impératif s politiques de sa lutte historique, la prise de pouvoir à l'échelle mondiale. .
Toute critique porte en elle le danger de déformation de l'idée critiquée. Nous espérons l'avoir évité dans cette lettre, et nous attendons votre réponse au plus tôt. Les années que nous vivons sont celles dont Marx disait qu'elles résumaient des époques entières. Et, comme vous le dites dans votre texte : "Etre révolutionnaires, c'est marcher au rythme de la réalité".
Saluts communistes, pour le SI du CCI,
R. Victor (cette lettre est traduite de l'espagnol)
I n t r o d u c t i o n
Ce texte est une lettre adressée au groupe suédois "Arbetarmakt" dans le contexte de l'effort de discussion et de prise de contact internationaux que poursuit notre Courant. Récemment, Arbetarmakt a publié en anglais un texte résumant l'orientation politique du groupe défendue dans son journal en suédois d'où il se dégage un curieux mélange d’aspects positifs de la tradition "conseilliste" et d'un certain Tiers-mondisme, ce mélange n'est d'ailleurs pas étranger à ceux qui prétendent être les continuateurs de la gauche hollandaise, comme nous 1'avons montre dans un article dirigé contre les conceptions de Daad en Gedachte dans le n°2 de la Revue Internationale ([1] [11])
Cependant, le texte d’orientation d’Arbetarmakt présente un intérêt dans la mesure où il exprime un effort commun à beaucoup de groupes 'actuellement vers; la clarification des idées politique. C'est dans cette optique que nous avons voulu contribuer à ce processus. Bien que nous n'ayons pas reçu de réponse, nous pensons que notre lettre dans la: mesure où elle soulève des questions telles que la "libération nationale" aujourd'hui, le capitalisme d'Etat, etc., a une portée générale, c'est pourquoi nous la publions,
Votre "texte de présentation" tente de définir l'orientation politique de votre organisation dans la lutte de .classe» En ce sens, ce texte soulève des points importants : la nécessité des conseils ouvriers et de l'activité autonome de la classe, l'importance de l'expérience acquise par la classe ouvrière tout au long de son histoire, la dénonciation de la "gauche" du capital et des pays dits "socialistes". Vous rejetez la conception léniniste du parti tout en reconnaissant la nécessité de l'organisation des révolutionnaires dans notre période de montée des luttes. En ce qui concerne ces points, notre Courant défend des positions très proches des vôtres.
Nous voulons cependant commencer certains aspects de votre plateforme qui demandent à être clarifiés ou précisés davantage.
Par exemple, votre document ne parle même pas de la crise économique qui bouleverse le monde capitaliste actuellement de l'ouest à l'est. De même que toutes les formes d'organisation sociale : antérieures basées sur l'exploitation, le capitalisme n'est pas éternel. Il est déchiré par la contradiction entre le développement. des forces; productives et les limites étroites des rapports sociaux, contradiction liée aux lois économiques du système. Durant la plus grande partie du 20° siècle, le capitalisme a fonctionné à travers le cycle infernal de crise-guerre-reconstruction-crise, démontrant par là sa faillite historique en tant que système. En l'absence de victoire de l'a révolution prolétarienne, le capitalisme en déclin ne peut que perpétuer ce cycle exprimé dans une autarcie croissante, une économie de guerre permanente, une crise économique de plus en plus profonde et 1'exacerbation des conflits inter-impérialistes qui menacent d'une autre guerre mondiale. La seule alternative possible dans le capitalisme décadent est le socialisme ou la continuation de la barbarie.
Pendant les années d'apparente "prospérité", basée sur la reconstruction des économies détruites par la guerre, certains courants politiques ont pris ce "boom" apparent pour la réalité du système capitaliste qui aurait soi-disant échappé à la logique de ses propres lois économiques. Cardan par exemple parlait d'un capitalisme "sans crise", et il a rejeté le marxisme comme théorie désormais inappropriée et "démodée". Pour sa part, Marcuse parlait de l'intégration de la classe ouvrière dans le capital et du besoin de trouver un "nouveau" sujet révolutionnaire dans les couches marginales. L'analysé de la "société de consommation" est devenue très à la mode? et parmi tous les bavardages sur la "société du spectacle" dont l'ennui provoquerait, on ne sait comment, la révolution2 la classe ouvrière, seule classe capable d'être le fossoyeur du capitalisme, a été mise au panier.
Mais, arrivée aux années 60, les choses ont changé. Les symptômes de la crise permanente du système sont réapparus avec la fin de la période de reconstruction. Aujourd'hui aucun doute ne peut: subsister sur la crise : inflation galopante, crise monétaire, chômage menace de désorganisation économique. C’est cette situation objective qui a déterminé la résistance de la classe ouvrière à la dégradation de ses conditions de vie, de l'Italie en 69 à la Pologne 71, en Amérique du Sud,...dans toute l'Europe, de la Scandinavie à l'Espagne et du Portugal. La poussée de la crise a détermine de nouveau un développement de la conscience de classe dans la classe ouvrière et la réémergence de groupes révolutionnaires au sein de la classe.
Nous estimons qu'il ne suffit pas de parler des aspirations révolutionnaires de la classe ouvrière sans les voir dans le contexte de la possibilité concrète et de. la nécessité historique de la transformation révolutionnaire du capitalisme en déclin. Sinon, on peut tomber très facilement dans des notions dangereusement simplistes," à savoir que la crise n'est autre chose que le résultat de machinations des capitalistes individuels, des conspirations de Rockefeller, ou des "cheiks arabes", ou d'autres variations sur le même thème qui aucunes ne tiennent compte des aspects généraux de l'ensemble d'un système mondial en crise. Les révolutionnaires peuvent avoir dés analyses différentes sur le fonctionnement de1a loi de la valeur sur le plan théorique, mais la réalité de la crise économique ne peut pas être niée et on doit en tenir compte de façon cohérente. Cette dimension manque dans votre texte.
L'explication des manifestations de la crise est essentielle pour le développement d'une orientation révolutionnaire cohérente -pour une: analyse qui est une contribution à la lutte de classe- et non pas un ramassis, de différentes positions sans lien les unes avec les autres. Et une telle analyse doit avoir une dimension historique qui inclut les acquis de la lutte de classe antérieure et la contribution du marxisme révolutionnaire.
La cohérence politique et l'effort pour comprendre les acquis du passé sont particulièrement importants par rapport à la question de l'internationalisme prolétarien-et des luttes de libération nationale. Dans sa phase ascendante, le capitalisme était une force sociale progressive vis-à-vis des vestiges du féodalisme et les nations qui se constituaient, étaient le cadre même pour le développement du capitalisme. Dans la mesure où le capitalisme représentait alors un mode de production historiquement progressif, le prolétariat luttait aux côtés de la bourgeoisie contre les éléments réactionnaires. Cela ne veut pas dire cependant que la lutte de classe contre l'exploitation capitaliste n'existait pas. Au contraire, le prolétariat construisait ses organisations: de classe et luttait pour ses intérêts tout au long de cette période. Mais la révolution n'était pas une possibilité historique immédiate, les marxistes et le mouvement ouvrier soutenaient la formation de nouvelles nations dans la mesure ou elle pouvait favoriser le développement des forces productives et donc, accélérer l’accomplissement des tâches historiques du capitalisme. C’était le critère, principal de Marx et Engels quand ils soutenaient d'une part les mouvements en Pologne par exemple, et d1 autre part quand ils supposaient à la formation d’un Etat "sudiste" aux Etats-Unis pendant la guerre de sécession. On ne trouve nulle part dans le marxisme à cette époque la formulation d'un droit abstrait d’"auto-détermination" des nations ou " des peuples" qui constituerait "un pas vers le socialisme", formulations si chères à. nos tiers-mondistes d’aujourd’hui.
Avec le commencement de la décadence du capitalisme, le programme révolutionnaire est devenu la seule réponse possible à la décomposition de la société capitaliste. La bourgeoisie a cessé d'être une classe progressive, essentielle pour le développement des forces productives; seul le socialisme peut sauver l'humanité de la barbarie et de la destruction. Dans l'incapacité générale du système à résoudre ses contradictions internes, les révolutions bourgeoises sont devenues caduques.
Le parti bolchevik a défendu d'une façon intransigeante la position internationaliste pendant la première guerre mondiale et a participé activement à la révolution russe, l'une des plus grandes expériences de la classe ouvrière. Mais il n'a pas complètement compris les nécessités de la nouvelle période de décadence. En particulier, après le 2° congrès de l'IC en 1921, il a imposé à l'ensemble du mouvement ouvrier sa conception du potentiel "révolutionnaire" des luttes pour l'indépendance nationale. En effet, cette, question était si difficile à comprendre que même dans la tradition du conseillisme, des hésitations et des ambiguïtés persistaient à cette époque sur la "libération nationale". Ces ambiguïtés sont reprises sous des formes beaucoup plus ouvertes par ceux qui prétendent être les continuateurs du conseillisme (Daad en Gedachte par exemple).
Malgré votre désir de rejeter le "léninisme" sur certaines questions de la théorie révolutionnaire, vous ne faites qu'accepter et continuer le léninisme quant à la libération nationale. Notre Courant reconnaît les contributions du parti bolchevik dans l'histoire, mais la théorie de Lénine sur la libération nationale n'a pas soutenu l’épreuve de l'histoire. Qu'est-ce que les 50 dernières années nous ont montré au sujet des luttes "libérations nationales". Après tout, nous ne sommes plus dans le domaine de la spéculation sur les "possibilités" futures -nous avons des années d'expérience pour nous rendre compte.
Dans notre époque de décadence, c'est la domination suprême de l'impérialisme, l'impérialisme de tous les pays, des petits comme des grands. Tous les pays se font concurrence pour une part du marché mondial déjà partagé et de toutes façons, insuffisant pour les besoins de la production. Bien entendu, les grandes puissances capitalistes sont mieux armées dans cette lutte constante. Dans ce contexte de rivalités inter impérialistes, l'autonomie nationale est une utopie. Aucun pays ne peut se libérer d'un bloc sans l'aide d'un autre sous la domination militaire et économique duquel il tombe inévitablement.
Les luttes de "libération nationale" sont le théâtre de guerres locales et de confrontation entre les grands blocs impérialistes. Dans votre désir de lutter contre l'impérialisme, vous semblez ne pas comprendre que l'impérialisme n'est pas une question de "mauvaise politique" d'un pays ou d'un autre. L'impérialisme, c'est le mode de vie de tous les pays du système dans son ensemble, dans l'ère de la décadence. Identifier l'impérialisme à la barbarie d'un bloc en particulier, c'est donner implicitement son soutien à l'autre bloc. On peut demander où est le contenu "idéologique", "anti-impérialiste" des luttes qui ont vu l'impérialisme américain et chinois soutenir le Pakistan, et l'impérialisme russe le Bengladesh? Chacun luttait pour ses propres intérêts tout comme la bourgeoisie locale défendait ses intérêts dans cette lutte et la population de cette région a été utilisée comme chair-à-canon pour être laissée ensuite à la famine. Où est le contenu "révolutionnaire" dans le fait que l'impérialisme chinois et français aient soutenu le Biafra pour trouver une petite ouverture en Afrique, tandis que l'impérialisme russe a soutenu le gouvernement fédéral du Nigeria ? Ou encore, aujourd'hui, quand l'impérialisme chinois et américain soutient le régime Marcos aux Philippines, tandis que les intérêts de l'impérialisme russe le poussent à tenter d'appuyer les rebelles musulmans ? Ou encore en Angola, où les russes soutiennent le MPLA et les intérêts chinois et américains sont derrière Holden Roberto et le FNLA.et l’UNI TA ? Dans la situation angolaise, il y a de quoi faire réfléchir même le plus aveugle des adeptes de la libération nationale (cf. brochure d'Internationalism-World Révolution). Tout comme les révolutionnaires du passé ont appelé à la transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe, les révolutionnaires aujourd’hui doivent dénoncer ces guerres impérialistes localisées et appeler à la lutte de classe.
Vous prétendez que les luttes de "libération nationale" amènent une "vie Meilleure aux gens", mais comment peut il y avoir de "vie meilleure" sous le capitalisme, sinon en le détruisant? Ou est-ce que vous voulez dire qu'un changement de personnel changera l'exploitation ? Le développement des forces productives à l'échelle mondiale est impossible aujourd'hui -le décalage entre les pays développés et sous-développés se creuse chaque jour davantage, et la misère du Tiers-Monde, aggravée par la guerre, la famine, le chaos économique et les régimes capitalistes d'Etat qui intensifient 1'exploitation, atteint des degrés inimaginables. Le capitalisme a été capable de créer un marché mondial (en détruisant les économies précapitalistes) mais il est actuellement incapable d'intégrer les populations du Tiers-Monde dans le processus de production comme le montrent les bidonvilles de chômeurs un peu partout dans le Tiers-Monde. Dans .certains cas, avec la dépendance économique par rapport aux grandes puissances et une exploitation féroce de la force de travail, certains pays (tels que Cuba, la Chine) ont pu développer une économie de guerre massive et une exploitation intensive de la force de travail avec un taux de productivité très bas.
Ces résultats sont des témoignages tragiques de la misère dés conditions de vie de la classe ouvrière dans ces zones et de la réalité du soi-disant "développement" dans le capitalisme décadent sous toutes ses formes. En Chine, un "petit" haut-fourneau derrière la maison ne représenté guère un développement des forces productives; il n'est qu'une manifestation de l'irrationalité générale des efforts autarciques vers le développement national dans une période de déclin.
Ces nouveaux régimes de "libération", payés dans le sang des ouvriers et de la population en général, qu'est-ce qu’ils signifient pour la lutte de classe ? L'indépendance" veut dire eh réalité être dominé par une puissance impérialiste ou une autre; les gouvernements "libéré " sont obligés d'aller vers le capitalisme d'Etat, comme seul moyen de défendre leur capital national relativement faible. Ceci veut dire, en termes clairs, une intensification de l’exploitation, y inclus la militarisation du travail et l'interdiction des grèves. Le Frelimo proclame qu'il n'y aura pas déplace pour les grèves dans le nouveau Mozambique et que la "paresse" sera sévèrement punie. Voilà la réalité de la "vie meilleure" promise à la classe ouvrière. Il est particulièrement ironique sinon répugnant de voir des groupes politiques aux Etats-Unis et en Europe qui écrivent sur le sabotage de la production des ouvriers de Turin ou de Détroit, mais qui pensent différemment du travail forcé s'il se fait au nom de la "libération nationale", très loin, quel-part dans le monde où cela ne leur coûte rien.. Les gouvernements qui se succèdent au Portugal, proclament tous qu'à cause de la crise économique, tout le monde doit travailler pour la "patrie" et éviter l'agitation et les grèves. Les gouvernements de "gauche" n'ont pas hésité à envoyer l'armée pour, briser les grèves (cf.; la grève de la TAP) tout comme au Chili. Les gauchistes au Portugal appellent-ils à la lutte de classe contre le capital sous tous ses masques ? Ah, mais ce serait "injuste" pour le capital national en difficultés et pour les fractions de la bourgeoisie soi-disant "radicales" (tels Carvalho ou Gonçalves) qui pourraient "faire mieux.
Mais le prolétariat n'a pas de patrie et ces "gauchistes" font un travail précieux pour le capital par leur "soutien critique" à un gouvernement ou à un autre et par leur verbiage radical.
La révolte des ouvriers polonais a montré au monde entier que la crise touche également les régimes de capitalisme d’Etat et que, dans ces conditions, la classe ouvrière luttera directement contre le mythe et la réalité du "paradis ouvrier", contre la bourgeoisie, et non pas en laissant embrigader dans une lutte antirusse ou nationaliste. De la même façon, les grèves des ouvriers dans les industries nationalisées de la métallurgie ; au Venezuela, les grèves au Pérou, en Colombie, en Egypte, les grèves des ouvriers du cuivre qui devaient faire face aux mitraillettes du régime Allende au Chili, ont toutes mis en évidence la frontière de classe que constitue l’"unité nationale" et les "mouvements nationaux". Les révolutionnaires, où se trouvent-ils ? Du côté de la lutte de classe dans ces pays, ou du côté de la bourgeoisie dans ses efforts pour mobiliser les ouvriers dans le nationalisme et l’"anti-impérialisme" intéressé, de la bourgeoise locale qui veut créer, les conditions d'une exploitation plus efficace ? Le besoin d'exprimer notre solidarité avec nos frères de classe partout dans le monde et d’agir en fonction d'elle ne se réalise absolument pas à travers un quelconque soutien du Frelimo, de l'armée de "libération" au Viêt-Nam, des guérillas palestiniennes ou de l'IRA, pas plus à travers ces mouvements qu'à travers l'ONU, l'Alliance pour le Progrès, ou le sionisme. Notre solidarité s'exprime dans la solidarité avec les luttes ouvrières et les intérêts de classe du prolétariat dans tous les pays. Le programme révolutionnaire communiste est la seule voie de sortie pour arrêter les massacres du Tiers-Monde. Le socialisme ne peut pas être crée dans un seul pays, qu'il soit sous-développé ou développé. Les luttes de classe des ouvriers du Tiers-Monde trouvent un écho dans les luttes de classe d'Europe et de tous les pays développés, et c'est là que réside l'espoir révolutionnaire.
Vous écrivez : "Vive l'Internationalisme prolétarien" et, ensuite, vous appelez au soutien des mouvements nationaux dans le Tiers-Monde" ; en réalité, cela revient au même que d'appeler au soutien de l'Union sacrée, à l'Unité nationale, à l'arrêt des grèves; que d'appeler au soutien du PC, des gauchistes dans tous les pays d'Europe. Le nationalisme est un chemin qui mène à la défaite quelle que soit sa justification idéologique.
Le Tiers-mondisme a connu une vogue parmi les gauchistes des pays: développés, parce qu'il est un moyen tellement facile de se soulager d'un sentiment de "culpabilité", et de trouver une satisfaction émotionnelle. Il y a quelques années, quand la classe ouvrière européenne et américaine n'était pas activement en lutte, il pouvait sembler que le seul "espoir" était de chercher ailleurs, dans le "peuple" et non dans le prolétariat. Mais aujourd'hui, quand la crise est une réalité tangible partout dans le monde et quand la lutte de classe se réveille après des années de contre-révolution, il est largement temps de réévaluer les implications d'une telle position. L'autosatisfaction que constituent les bavardages sur une "vie meilleure" au Viêt-Nam ou au Cambodge, dans le contexte d'une génération entière de morts pour, la guerre impérialiste, c'est une caricature de la pensée révolutionnaire.
Nous estimons, que cette question de la "libération nationale" aujourd'hui est l'un des points cruciaux que nous voudrions discuter avec votre groupe(*). Nous regrettons de ne pas pouvoir lire votre journal en suédois, mais nous espérons recevoir plus de traductions de vos textes en .anglais ou en d'autres langues.
Votre vision de l'impérialisme aujourd’hui est liée à vos positions sur la nature des régimes en Russie, en Chine et dans les pays de l'Est. Il est très difficile d'élaborer une perspective révolutionnaire si vos analyses ne définissent pas le système capitaliste comme un ensemble. Vous écrivez : "Toutes les aires du monde ne sont pas dominées par le système capitaliste". Selon vos analyses, le monde est divisé en "régimes capitalistes" et "régimes non-capitalistes, bureaucratiques". Comment est-il alors possible de défendre et d'expliquer un seul et même programme révolutionnaire pour deux systèmes sociaux différents ? Vous écrivez : "La lutte de classe continue". Mais quelles sont les classes ? Quelle est la base matérielle de cette bureaucratie soi disant "non-capitaliste" et quelles sont les contradictions objectives de ce système ?
Vous dites que la Russie et la Chine ont des "économies planifiées", mais la planification en soi n’a jamais constitué une définition d'un système social. La planification économique centralisée de l'Etat, à un degré plus ou moins grand, est en vigueur en France, en Grande Bretagne, en Espagne, en fait dans tous les pays aujourd'hui, y inclus les Etats-Unis et le Canada. La nationalisation et la planification sont devenues des parties intégrantes du capitalisme décadent partout dans le monde et cette tendance va s'accélérer au fur et à mesure que la crise s'approfondit.
Même si nous suivons la logique de vos propres arguments, la nature du "bureaucratisme" russe ou chinois est claire si nous ne restons pas aveuglés par les apparences. Quel est ce système que vous définissez comme créant un prolétariat, dont la classe dominante contrôle les moyens de production, où existe le salariat, dont le but est d'élargir la production nationale en vue de l'accumulation, ce système qui participe à la concurrence sur le marché mondial. C’est le capitalisme et le fonctionnement de la loi de la valeur.
Les régimes de Russie, de Chine et des pays de l'Est sont des expressions de la tendance au capitalisme d'Etat qui domine le système capitaliste partout dans le monde actuel, à un degré plus ou moins grand. La Russie ou la Chine sont des expressions plus extrêmes de ce besoin de concentrer le capital national entre les mains de l'Etat. Et la bureaucratie en Russie et en Chine joue le même rôle dans la production que la bourgeoisie "privée" traditionnelle : elle est le fonctionnaire du capital. La forme juridique que peut prendre le capitalisme, que ce soit entre les mains de l'Etat ou entre les mains d'individus, n'est qu'une question secondaire. La question primordiale est le rôle d'une classe sociale par rapport aux moyens de production.
La Russie, la Chine ou d'autres exemples extrêmes d'organisation capitaliste d'Etat, sont impérialistes à cause de la nature même du capitalisme à notre époque. Dans votre analyse, ce point reste dangereusement flou. Et les lecteurs peuvent conclure que ces pays pourraient mener des luttes "anti-impérialistes" comme le prétendent les staliniens, les trotskystes et autres maoïstes. Tout comme les théories de l'Etat ouvrier, ou de l'Etat ouvrier dégénéré, etc., votre théorie peu explicite d'un "autre système" laisse la porte ouverte à de dangereuses mystifications. Bien que vous appeliez à la révolution prolétarienne dans cet "autre" système bizarre, la définition du prolétariat lui-même est sapée par cette analyse inconséquente. Les conclusions peuvent être justes', mais il n'y a pas de logique. Il y a eu bien des théories qui ont tenté d'expliquer la Russie ou la Chine sans se référer au capitalisme d'Etat. On peut, en particulier, signaler les écrits de Chaulieu alias Cardan dans "Socialisme ou Barbarie", qui a proclamé que la Russie et, plus tard, la Chine constituent un "troisième système", ni socialiste ni capitaliste. Cette théorie l'a amené à abandonner le prolétariat en tant que classe révolutionnaire internationale (cf. son œuvre sous le nom de Coudray ("La Brèche") et à adopter l'idée des "dirigeants-dirigés" comme la division fondamentale de la "nouvelle" société "libérée des crises", dont les racines matérielles restent un mystère. Ce qui est plus fondamental encore, c'est que l'idée d'un "troisième système" implique le rejet de l'acquis marxiste essentiel selon lequel le socialisme, la fin de tout rapport de propriété et de la loi de la valeur, la fin- de la production marchande et du salariat, peuvent résoudre les contradictions inhérentes au capitalisme.
En rejetant toutes les spéculations sur la Russie et la Chine qui ont dominé pendant la période de contre-révolution, et en défendant la conception du capitalisme d'Etat, notre Courant souligne le fait que l'étatisation est une tendance générale dans le capitalisme décadent depuis la 1° Guerre Mondiale. Quelle que soit leur étiquette idéologique : stalinisme, fascisme ou "démocratie", les mesures de capitalisme d'Etat, à un degré plus ou moins grand, sont la tendance fondamentale dans .tous, les pays. Avec l’approfondissement de la crise, la bourgeoisie de tous les bords accélérera cette tendance et il est important que les révolutionnaires fassent l’effort de clarifier cette question dans les pays avancés ainsi que dans, les pays sous-développés. La bourgeoisie tentera de récupérer les luttes prolétariennes à travers les nationalisations, l’autogestion, des "New Deal" ou des "Fronts Populaires", en défense du capital national au moyen de l'étatisation intensifiée et de la "pacification" de la classe ouvrière.
De façon générale, s'il fallait résumer l'axe principal du travail de notre Courant, ce serait l'insistance que nous mettons sur la seule classe révolutionnaire dans le capitalisme, à l'Est comme à l'Ouest, le prolétariat. Aujourd'hui, avec la crise et le réveil de la lutte de classe internationale, parler des mouvements marginaux n'est qu'un détournement de la lutte de classe. Les théories sur la "société de consommation" que vous mentionnez dans votre texte semblent des absurdités vides de tout sens lorsqu'aujourd’hui, le problème crucial pour 1a classe ouvrière est l'inflation, le chômage et le maintien d'un niveau de vie minimum. Dans le contexte d'un chômage de presque 10% aux Etats-Unis, 12% au Danemark par exemple, pour ne pas parler de la baisse du pouvoir d'achat produit par l'inflation galopante, comment peut-on prendre au sérieux l'idée que la société capitaliste existe pour faire "consommer" la classe ouvrière ?
La classe ouvrière est le seul sujet de la révolution dans la société capitaliste, et ce n'est qu'à travers son activité autonome, le développement de sa conscience révolutionnaire et son organisation de classe dans les conseils ouvriers que le socialisme peut éventuellement devenir une réalité tangible. En ce sens, notre Courant a toujours défendu la position selon laquelle le parti révolutionnaire de la classe ouvrière ne peut pas se substituer à la classe dans son ensemble. Nous rejetons la conception léniniste qui dit que ce parti doit' prendre le pouvoir "au nom de la classe". Les organisations politiques de la classe existent pour contribuer à l'approfondissement et à la généralisation de la conscience de classe, pour présenter "les buts fondamentaux et les moyens d'y parvenir".
Nous ne comprenons pas bien votre référence à la nécessité de 1'"autonomie" de la classe par rapport à ses organisations politiques. Bien que ces organisations ne puissent pas assumer les tâches de la classe ouvrière dans son ensemble, elles sont une émanation de la classe pour remplir le rôle vital de contribution à la clarification de la conscience de classe dans...la lutte. Quand nous parlons de l'autonomie; de la classe ouvrière, ce n'est pas une autonomie qui séparerait le tout d'une partie de ce tout, mais plutôt 1'autonomie de la classe par rapport à toutes les autres classes. Le refus de se [12] joindre aux Fronts Populaires, antifascistes, de "libération nationale" et aux côtés des éléments de la bourgeoisie, le refus de diluer les intérêts prolétariens dans l’amalgame du "peuple" c'est là l'autonomie du mouvement prolétarien qui est essentielle au processus révolutionnaire«
Bien que nous rejetions le parti léniniste, nous ne sommes, pas d'accord pour rejeter tout besoin d'une organisation des révolutionnaires tout comme votre groupe, nous voyons la nécessité d'un regroupement international des révolutionnaires aujourd'hui, basé sur une plateforme politique, cohérente. Nous essayons de contribuer à ce but par l'unité créée entre nos sections dans; différents pays. Au niveau actuel de lutte de classe, nous estimons que les contributions des révolutionnaires organisés peuvent être un facteur important pour aujourd'hui et pour la formation future d'un parti prolétarien international sur une base programmatique claire.
Nous ne prétendons pas avoir découvert toutes les réponses, ni avoir trouvé là "vérité éternelle". Nous essayons de baser notre intervention sur l'héritage du communisme de gauche, et sur l'analyse la plus large possible des acquis de la lutte de classe. Nous sommes extrêmement intéressés à contribuer au débat international et à la clarification des idées qui doit se faire parmi les révolutionnaires dans la classe. Nous espérons pouvoir lire plus de vos publications bientôt et que cette lettre sera considérée comme une contribution à une correspondance suivie entre nos groupes.
Fraternellement, J.A., pour le CCI. Août 75. (Lettre traduite de l'anglais)
[1] [13] Le Conseillisme au secours du Tiers-mondisme p.45-53. Lettre à "ARBETARMAKT" (Workers1 Power League - Suède)
Ce numéro de la Revue Internationale est entièrement consacré à la publication des documents du premier Congrès du Courant Communiste International. Nous publions ces documents dans le but de concrétiser publiquement ce que nous entendons par regroupement international des révolutionnaires, et d'encourager la réflexion des militants partout où ils se trouvent.
QUELLES EST LA FONCTION D'UNE ORGANISATION REVOLUTIONNAIRE ? SUR QUELLE BASE SE CONSTITUE-T-ELLE ? COMMENT ANALYSER LA PERIODE ACTUELLE ET LES PERSPECTIVES DE LUTTE ?
Voilà les questions qui préoccupent les révolutionnaires depuis le début de la lutte prolétarienne et qui étaient au cœur des discussions de ce premier Congrès du CCI.
En effet, ces questions cristallisent toute la difficulté des révolutionnaires dans notre période : d'une part pour définir les positions de classe à travers l'expérience de la lutte ouvrière dans l'histoire et d'autre part pour savoir comment agir et dans quel cadre organisationnel. Lorsqu’aujourd'hui, après plus de 50 ans de contre-révolution, la réapparition de la crise permanente du système fait surgir des éléments révolutionnaires, ces éléments ressentent inévitablement les effets de la rupture organique avec tous les courants et organisations que le mouvement ouvrier a fait naître par le passé. Aujourd'hui, il n'existe plus aucun lien vivant, organisationnel avec la Gauche Communiste des années 20, 30 et 40 qui a essayé de préserver et de faire avancer la théorie révolutionnaire pendant les années de défaite et de guerre mondiale. Ce lien organique étant rompu, la plupart des petits noyaux révolutionnaires qui se forment maintenant surgissent de façon isolés, éparpillés géographiquement; leur formation étant le plus souvent déterminée par des événements locaux et immédiats. Ils ont le pi plus grand mal à se situer dans un contexte politiquement et historiquement cohérent, à comprendre ce qu'ils représentent et les forces sociales qui les ont fait surgir. La rupture de 50 ans a créé tout un terrain propice à la confusion et jonché de difficultés : comment comprendre que les effets locaux et conjoncturels de la crise se rattachent à la crise mondiale, permanente du capitalisme depuis la première guerre mondiale
—comment comprendre que la lutte aujourd'hui n'est que la reprise et la continuation de la lutte historique du prolétariat ;
— comment œuvrer dans le sens d'un regroupement des révolutionnaires sur la base des positions de classe.
Le CCI est loin d'être la seule organisation à essayer de donner une réponse à ces questions; depuis la fin des années 60, il y a tout un bourgeonnement dans la classe qui fait naître des noyaux révolutionnaires un peu partout dans le monde comme expression d'un processus de prise de conscience. Mais si ces petits noyaux ne se situent pas rapidement sur un terrain de classe, s'ils ne situent pas leur activité dans un cadre international cohérent, ils risquent d'être vite épuisés dans la confusion et l'isolement, surtout dans notre période. Car aujourd1hui, c'est lentement que se fait le mûrissement de la lutte de classe, sous la poussée de la crise économique, contrairement à d'autres périodes où la guerre générale politisait immédiatement et internationalement le mouvement ouvrier. Dans ce contexte, les révolutionnaires doivent savoir travailler à longue haleine, regroupant leurs forces pour défendre une orientation politique d'ensemble, l’orientation de la lutte, ceci à travers et au delà des soubresauts, des flux et des reflux qui marquent cette lutte et des manifestations conjoncturelles de la crise. Dans le développement de cet effort, les révolutionnaires doivent avant tout se garder de deux écueils : l’immédiatisme et le modernisme,
L'immédiatisme est un danger particulier aujourd'hui quand la lutte de classe se développe par à-coups, en dent de scie, avec des moments de lutte intense suivis par des périodes d'accalmie provisoire, l'immédiatisme ne voit la lutte qu'au jour le jour et se perd dans une impatience activiste, typique de ceux qui viennent du gauchisme. Il voit ce développement de la montée des luttes de façon linéaire, mécaniste et il est entièrement déterminé par les flux et reflux des luttes locales, incapable de tracer une perspective globale. Tout le mouvement étudiant, le mouvement du "22 mars", le SDS allemand et américain, tout le "ras-le-bol" petit-bourgeois n'a rien laissé, sauf la démoralisation quand arrive inévitablement une retombée momentanée des luttes. Du grand triomphalisme des "campagnes" du moment, on tombe alors dans le pessimisme. Un activisme disproportionné par rapport à la réalité non seulement épuise les militants et fait la caricature du vrai travail révolutionnaire, mais encore il empêche les éléments révolutionnaires d’accomplir la tâche qui leur incombe, celle de la consolidation des acquis, du regroupement des forces sur la base d'une cohérence et d'une continuité politique.
Les révolutionnaires ne devraient pas se laisser emporter par l'impact immédiat des convulsions sociales. Il faut qu'ils puissent contribuer à une orientation générale sur l'évolution de la lutte à long terme, vers où va la lutte. Il faut surtout qu'ils comprennent que, après 50 ans de défaite?, la classe ouvrière ne sautera pas à pieds joints dans l'histoire. Il y aura inévitablement toute une période pendant laquelle les ouvriers auront à se débarrasser peu à peu des mystifications de la gauche du capital qui s’emploie de toutes ses forces à 1’embrigadé.
Le deuxième écueil ,1e "modernisme", est bien souvent le simple contre-pied d'un activisme fiévreux. Il correspond alors au creux de la vague, et amène au repli sur soi, à la théorisation de la démoralisation qui peut aller jusqu'à l'abandon de la conception du prolétariat comme classe révolutionnaire. Tel a été le cas d'Invariance et d'autres "modernistes" qui ont fui la réalité dans les hautes sphères de la "philosophie" marginaliste. C’est cette même fuite devant la réalité de la lutte longue et tourmentée de la classe ouvrière, qui dans de telles circonstances, produit des actes de terrorisme désespéré.
Pour la classe ouvrière, le manque de clarté sur ces deux écueils, ces deux aspects extrêmes, 1'immédiatisme et le modernisme, fait perdre énormément d'énergies révolutionnaires. La plupart des petits noyaux qui ont surgi depuis 1968 ce sont perdus. Au lieu d'éclairer le chemin de la classe, soit ils disparaissent, soit ils se transforment: en entraves au développement de la conscience. C'est pour éviter à des éléments révolutionnaires de se débattre seuls face aux confusions, pour éviter qu'on soit obligé à chaque fois de refaire les erreurs du passé, qu'il faut œuvrer dans le sens de la discussion et du regroupement international des révolutionnaires. Nous savons que les idées révolutionnaires surgissent du sol même de la lutte de classe, mais combien difficile est la voie vers la formation d'une organisation des révolutionnaires aujourd’hui. On n'est pas révolutionnaire parce qu'individuellement on a "des idées", mais parce que collectivement on travaille à remplir la tâche des révolutionnaires au sein de la classe. L'organisation des révolutionnaires, instrument de la réflexion et de l'activité collective internationale, requiers une volonté consciente de la part des militants. Le grand danger, c'est que nos efforts restent éparpillés, isolés dans une ville ou dans un pays, au point que les révolutionnaires soient incapables, aujourd'hui et demain d'assumer leur fonction. C'est pour cette raison que nous insistons tant sur la nécessité de regroupement.
Le CCI a aussi eu à lutter en son sein contre ces tendances activistes ou modernistes... il y a des éléments du PIC et de feu "Une Tendance Communiste" qui sont sortis de nos rangs en France. Il n'y a jamais de garanties "d'immunisation" absolues contre la con fusion et la pénétration des idées bourgeoises. Mais le CCI a fait tous les efforts pour surmonter ses faiblesses, pour orienter son travail sur la voie de la persévérance et de la continuité à long terme, contre le triomphalisme immédiatiste et le pessimisme des sceptiques. Dans ce sens, ce premier Congrès de notre Courant, cette année, couronne et affermit tout un travail patient et méthodique de sept ans vers la formation d'une organisation internationale des révolutionnaires autour d'une plateforme de classe.
Ceux de nos lecteurs qui nous suivent depuis un certain temps peuvent mieux se rendre compte dû chemin qu'a fait le CCI depuis les premières rencontres et discussions internationales et la proposition d'un réseau international de correspondance à travers les rapports des conférences internationales en France et en Angleterre publiés dans notre presse. L'année dernière sur l'initiative de Révolution Internationale, Internacionalismo (Venezuela), Internationalism (USA) World Révolution (G.B.), Rivoluzione Internazionale (Italie) et Accion Proletaria (Espagne) qui se réclament de la même orientation politique générale ont participé à une conférence internationale qui devait jeter les premières bases de la constitution d'une organisation internationale. Nous basions notre regrouperait sur l'analyse de la crise générale dans laquelle est plongé le capital mondial, débouchant inévitablement sur l'affrontement entre le Capital et le Prolétariat. Dans cette situation, les révolutionnaires ne peuvent aider le développement et la généralisation de la conscience qu'en s'organisant internationalement.
Quand le CCI a décidé de s'engager dans cette voie, (voir les travaux de la conférence 1975 publiés dans la revue internationale n°1), il y avait des critiques qui nous parvenaient de la part de certains groupes politiques. Pour le PIC en France, par exemple, le regroupement des révolutionnaires dans une organisation internationale unie n'était que "du vent" de notre part — il voyait la question d'intervention des révolutionnaires sans comprendre que l'intervention implique un cadre organisationnel international capable d'assumer un travail global, mais d'une façon immédiatiste et disproportionnée, Workers'Voice et Revolutionary Perspectives (Angleterre) étaient d'accord sur le fait que les révolutionnaires doivent se regrouper internationalement, mais ce n'était pas pour aujourd'hui. Il fallait d'autant plus attendre le mythique jour J, que la crise n'était pas encore d'actualité brûlante selon RP. Pour le Revolutionary Workers Group (USA), les questions d'organisation relevaient tout simplement d'une préoccupation de "bureaucrates" selon le modèle trotskyste.
Nous pensons que les événements qui ont eu lieu depuis la conférence de janvier 1975, confirment les analyses que nous avons élaborées alors, Sur le plan organisationnel, certaines constatations s'imposent : le PIC continue à s'agiter dans un vide sectaire, voyant les interventions du CCI dépasser de loin ses capacités isolées; RP et WR ont accompli un regroupement inachevé, limité sur le terrain purement local, en Angleterre, (Communist Workers Organisation) attribuant on ne sait quelles idées confuses au CCI, qu'ils taxent de "contre-révolutionnaires ". Ils se renferment jalousement dans leur isolement. Le RWG, incapable de s'intégrer à un travail cohérent et organisé a abouti à 1'autodissolution. Il est possible, comme le disent certains, que le fait que le CCI continue depuis 7 ans à se développer ne constitue pas une preuve en soi, mais il est encore plus vrai que disparaître dans la confusion n'apporte aucune contribution positive aux grands problèmes actuels du mouvement.
Le CCI ne tire aucun "orgueil" de petite chapelle de ses expériences et de ses polémiques, il s'agit de défendre et de concrétiser la nécessité du regroupement sur la base des positions révolutionnaires. C'est cette ORIENTATION que nous défendons et c'est pour œuvrer dans ce sens AVEC TOUTES LES FORCES REVOLUTIONNAIRES, pour encourager tous les révolutionnaires à partager ce souci, que nous pensons constituer une contribution effective au mouvement révolutionnaire.
En 1976, une année après la décision de constituer un Courant International organisé, le CCI a convoqué son premier Congrès pour faire un examen et un bilan du travail effectué et pour achever le travail de constitution du CCI. Le Congrès a constaté qu'en un an, le Courant a diffusé plus de 35 publications en 5 langues, a admis une nouvelle section en Belgique et a centralisé ses interventions et activités au niveau international.
La discussion au Congrès était centrée sur quatre thèmes principaux :
— Premièrement, l'adoption d'une plateforme politique internationale qui affirme les positions de classe0 On ne peut jamais trop insister sur le fait qu'une organisation révolutionnaire ne peut se constituer que sur la base des principes politiques cohérents; contre les tentatives de constitution de groupes "révolutionnaires" sur la base d'un pot-pourri de positions contingentes et contradictoires, le CCI défend la nécessité d'une cohérence historique, d'une plateforme basée sur les acquis des luttes passées.
Nous savons bien qu'une plateforme révolutionnaire n'est jamais achevée, d’autant plus que la classe est aujourd'hui en plein mouvement. Mais nous sommes convaincus que les positions de classe contenues dans cette plateforme tranchent par rapport aux enseignements du passé et que ces positions représentent par conséquent, le seul point de départ pour aller de l'avant à l,:avenir face à des problèmes nouveaux» La plateforme affirme les positions fondamentales du CCI mais elle ne présente pas une explication détaillée de tous ses aspects. Elle est conçue comme la base de l'action et de l'intervention dans la classe dans cette période de montée de luttes0
Cette plateforme que nous publions dans ce numéro 5 de la Revue Internationale, reprend les positions défendues dans les textes d'orientation de tous les Croupes qui maintenant constituent le CCI, mais c'est pour la première fois que nous avons une plateforme internationale de l'ensemble qui sera la base de toute adhésion au CCI dans n'importe quel pays.
Le deuxième axe du Congrès était la discussion sur le rôle et le fonctionnement d'une organisation révolutionnaire0 Tout d'abord, nous rejetons la conception léniniste selon laquelle le travail des révolutionnaires est de constituer des partis de masse, appelés à prendre le pouvoir. Nous rejetons également l'idée des "spontanéistes" qui nie toute fonction de l'organisation des révolutionnaires. L'organisation est forcément un organisme minoritaire dans la classe qui a pour seule fonction le développement et la généralisation de la conscience de classe.
Nous affirmons que le travail révolutionnaire ne peut se faire que dans un cadre international d'emblée. Contre la pratique de la II° Internationale qui concevait l'organisation internationale comme simple "chapeautage" de partis nationaux, nous pensons essentiel de créer un corps organisationnel uni à l'image de l'unité historique du prolétariat.
Notre travail reste une activité collective et centralisée sur le plan international. En ce sens, le Congres annuel constitue l'assemblée générale du CCI, le lieu de prise de décisions sur les perspectives générales pour l'ensemble du Courant.
Tous les points ci-dessus trouvent une formulation plus précise dans les statuts internes de l'organisation internationale :
— Le CCI a également voté un Manifeste, émanation du Congres, qui trace les grandes lignes de la lutte de classe depuis les 50 dernières années et met 1' accent sur la gravité de l'enjeu des affrontements qui se préparent. Ce document publié dans plusieurs langues dans toute notre presse locale présente la perspective du CCI face aux possibilités historiques qui s'ouvrent devant le prolétariat mondial.
— Sur la base des acquis du passé et de notre analyse de la période actuelle, le Congrès a fait l'examen plus précis de l'évolution de la crise dans la conjoncture présente et de la situation internationale en 1975-76.
Nous publions donc ces travaux et la plateforme en les soumettant à la réflexion et à la critique des militants engagés dans la lutte pour la révolution Communiste.
Après la plus longue et profonde contre-révolution de son histoire, le prolétariat retrouve progressivement le chemin des combats de classe. Conséquence à la fois de la crise aigue du système qui se développe depuis le milieu des années 1960 et de l'apparition de nouvelles générations ouvrières qui subissent beaucoup moins que les précédentes le poids des défaites passées de la classe, ces combats sont d'ores et déjà les plus étendus qu'elle ait menés. Depuis le surgissement de 1968 en France, c'est de l'Italie à l'Argentine, de l'Angleterre à la Pologne, de la Suède à l'Egypte, de la Chine au Portugal, des Etats-Unis à l'Inde, du Japon à l'Espagne, que les luttes ouvrières sont redevenues un cauchemar pour la classe capitaliste.
La réapparition du prolétariat sur la scène historique vient condamner sans appel toutes les idéologies produites ou permises par la contre-révolution qu'il a dû subir et qui tendaient à lui nier sa nature de sujet de la révolution. Ce que redémontre magistralement l'actuelle reprise de la lutte de classe, c'est que le prolétariat est la classe révolutionnaire a notre époque et la seule.
Est révolutionnaire toute classe dont la domination sur la société est en accord avec l'instauration et l'extension, au détriment des anciens rapports de production devenus caducs, des nouveaux rapports de production rendus nécessaires par le degré de développement des forces productives. Au même titre que les modes de production qui l'ont précédé, le capitalisme correspond à une étape particulière du développement de la société. Forme progressive de celle-ci, à un moment de son histoire, il crée, par sa généralisation, les conditions de sa propre disparition. La classe ouvrière, par sa place spécifique dans le procès de production capitaliste, par sa nature de producteur collectif de l'essentiel de la richesse sociale, privé de toute propriété sur les moyens de production qu'il met en œuvre et donc n'ayant aucun intérêt qui l'attache au maintien de la société capitaliste, est la seule classe de la société qui puisse, tant objectivement que subjectivement, instaurer le nouveau mode de production qui doit succéder au capitalisme : le communisme. Le resurgissement actuel de la lutte prolétarienne indique, qu'à nouveau la perspective du communisme, de nécessité historique, est devenue également une possibilité.
Cependant, l'effort que doit faire le prolétariat pour se donner les moyens d'affronter victorieusement le capitalisme est encore immense. Produits et facteurs actifs de cet effort, les courants et éléments révolutionnaires qui sont apparus depuis le début de la reprise prolétarienne portent donc une énorme responsabilité dans le développement et l'issue de ces combats. Pour être à la hauteur de cette responsabilité ils doivent s'organiser autour des frontières de classe qui ont été tranchées de façon définitive par les expériences successives du prolétariat, et qui doivent guider toute activité et intervention en son sein.
C'est à travers l'expérience pratique et théorique de la classe que se dégagent les moyens et les buts de sa lutte historique pour le renversement du capitalisme et pour l'instauration du communisme. Depuis le début du capitalisme, l'activité du prolétariat est tendue vers un effort constant pour, à travers son expérience, prendre conscience de ses intérêts de classe et se dégager de l'emprise des idées de la classe dominante, des mystifications de l'idéologie bourgeoise. Cet effort du prolétariat est marqué par une continuité qui s'étend tout au long du mouvement ouvrier depuis les premières sociétés secrètes jusqu'aux fractions de gauche qui se sont dégagées de la III° Internationale. Malgré toutes les aberrations et toutes les manifestations de la pression de l’idéologie bourgeoise que pouvaient receler leurs positions et leur mode d'action, les différentes organisations qui se sont succédées constituent autant de maillons irremplaçables de la chaine de la continuité historique de la lutte prolétarienne, et le fait de succomber à la défaite ou à une dégénérescence interne, n'enlève rien à leur contribution fondamentale à cette lutte. Aussi, l'organisation des révolutionnaires qui se reconstitue aujourd'hui comme manifestation de la reprise générale du prolétariat après un demi-siècle de contre-révolution et de rupture dans le mouvement ouvrier, se doit absolument de renouer avec cette continuité historique afin que les combats présents et futurs de la classe puissent s'armer pleinement des leçons de son expérience passée, que toutes les défaites Partielles qui jalonnent son chemin ne restent pas vaines mais puissent constituer autant de promesses de sa victoire finale.
Le Courant Communiste International se revendique des apports successifs de la Ligue des Communistes, des Première, Deuxième et Troisième Internationales, des fractions de gauche qui se sont dégagées de cette dernière, en particulier des gauches Allemande - Hollandaise et Italienne. Ce sont ces apports-essentiels permettant d'intégrer l'ensemble des frontières de classe dans une vision cohérente et générale qui sont présentés dans la présente plateforme.
I - LA THEORIE DE LA REVOLUTION COMMUNISTE.
Le marxisme est l'acquis théorique fondamental de la lutte prolétarienne. C’est sur sa base que l’ensemble des acquis du prolétariat s'intègrent dans un tout cohérent.
En expliquant la marche de l'histoire par le développement de la lutte de classe, c'est-à-dire de la lutte basée sur la défense des intérêts économiques dans un cadre donné du développement des forces productives, et en reconnaissant dans le prolétariat la classe sujet de la révolution qui abolira le capitalisme, il est la seule conception du monde qui se place réellement du "point de vue de cette classe. Loin de constituer une spéculation abstraite sur le monde il est donc, et avant tout, une arme de combat de là classe. Et c'est parce que le prolétariat est la première et seule classe de l'histoire dont l'émancipation s'accompagne nécessairement de l'émancipation de toute l'humanité, dont la domination sur la société n'implique pas une nouvelle forme d'exploitation mais l'abolition de toute exploitation, que le marxisme est seul capable d'appréhender la réalité sociale de façon objective et scientifique, sans préjugés ni mystifications d'aucune sorte.
Par conséquent, bien qu'il ne soit pas un système ni un corps de doctrine fermé, mais au contraire une théorie en élaboration constante, en liaison directe et vivante avec la. Lutte de classe, et bien qu'il ait bénéficié des manifestations théoriques de la vie de la classe qui l'ont précédé, il constitue, depuis le moment où ses bases ont été jetées, le seul cadre. à partir et au sein duquel la théorie révolutionnaire peut se développera
II -LES CONDITIONS DE LA REVOLUTION PROLETARIENNE.
Toute révolution sociale est l'acte par lequel la classe porteuse des nouveaux rapports de production établit sa domination politique sur la société La révolution prolétarienne n'échappe pas a cette définition mais ses conditions et son contenu diffèrent fondamentalement des révolutions du passé.
Celles-ci, parce qu'elles se trouvaient; à la charnière de deux modes de production dominés par la pénurie avaient pour fonction de substituer la domination d'une classe exploiteuse à celle d'une autre classe exploiteuse : ce fait s'exprimait par le remplacement d'une forme de propriété, par une autre forme de propriété, d'un type de privilèges par un autre type de privilèges.
La révolution prolétarienne, par contre, a pour but de remplacer des rapports de production basés sur l'abondance. C'est pour cela qu'elle signifie la fin de toute forme de propriété, de privilèges et d’exploitation.
Ces différences confèrent à la Révolution prolétarienne les caractéristiques suivantes, que la classe ouvrière-se doit, comme condition de son succès, de comprendre et de maîtriser :
a — Elle est la première forme de révolution à caractère mondial, qui ne puisse atteindre ses buts qu'en se généralisant à tous les pays, puisqu1avec la propriété privée elle doit abolir l'ensemble des cadres sectoriels, régionaux et nationaux liés à celle-ci. C’est la généralisation de la domination du capitalisme à l'échelle mondiale qui permet que cette nécessité soit aussi une possibilité.
b — La classe révolutionnaire, pour la première fois dans l'histoire, est en même temps aussi la classe exploitée de l'ancien système et, de ce fait, elle ne peut s'appuyer sur un quelconque pouvoir économique dans la conquête du pouvoir politique. Bien au contraire, à l'encontre de ce qui a prévalu dans le passé, la prise du pouvoir politique par le prolétariat précède nécessairement la période de transition pendant laquelle la domination des anciens rapports de production est détruite au bénéfice de celle des nouveaux.
c — Le fait que, pour la première fois, une classe de la société soit en même temps classe exploitée et classe révolutionnaire implique également que sa lutte comme classe exploitée ne peut à aucun moment être associée ou opposée à sa lutte comme classe révolutionnaire. Au contraire, comme le marxisme l'a, depuis le début affirmé contre les théories proudhoniennes et petites-bourgeoises, le développement de la lutte révolutionnaire est conditionné par 1' approfondissement et la généralisation de la lutte du prolétariat comme classe exploitée.
III - LA DECADENCE DU CAPITALISME
Pour que la Révolution Prolétarienne puisse passer du stade de simple souhait ou de simple potentialité et perspective historique au stade d'une possibilité concrète, il faut qu'elle soit devenue une nécessité objective pour le développement de l'humanité. C'est cette situation historique qui prévaut depuis la-première guerre mondiale : depuis cette date a pris fin la phase ascendante du mode de production capitaliste qui commence au 16ème siècle pour atteindre son apogée à la fin du 19ème. La nouvelle phase ouverte dès lors est celle de la décadence du capitalisme.
Comme pour toutes les sociétés du passé, la première phase du capitalisme traduisait le caractère historiquement nécessaire des rapports de production qu'il incarne, c'est-à-dire de leur nature indispensable pour l'épanouissement des forces productives de la société. La seconde, au contraire, traduit la transformation de ces rapports en une entrave de plus en plus lourde à ce même développement.
La décadence du capitalisme est le produit du développement des contradictions internes inhérentes à ce mode de production, et qu'on peut définir comme suit :
Bien que la marchandise ait existé dans la plupart des sociétés, l'économie capitaliste est la première qui soit basée fondamentalement sur la production marchandises. Aussi l'existence de marchés sans cesse croissants est-elle une des conditions essentielles du développement du capitalisme. En particulier, la réalisation de la plus-value produite par l'exploitation de la classe ouvrière est indispensable à l'accumulation du capital, moteur essentiel de la dynamique de celui-ci. Or, contrairement à ce que prétendent les adorateurs du capital, la production capitaliste ne crée pas automatiquement et à volonté les marchés nécessaires à sa croissance. Le capitalisme se développe dans un monde non capitaliste, et c'est dans ce monde qu'il trouve les débouchés qui permettent ce développement. Mais en généralisant ses rapports à l'ensemble de la planète et en unifiant le marché mondial, il a atteint un degré critique de saturation des mêmes débouchés qui lui avaient permis sa formidable expansion du 19ème siècle. De plus la difficulté croissante pour le capital de- trouver des marchés où réaliser sa plus—value, accentue la pression à la baisse qu'exerce sur son taux de profit l'accroissement constant de la proportion entre la valeur des moyens de- production et celle de là for-' ce de travail qui les met en œuvre. De tendancielle, cette baisse du taux, de profit devient de plus en plus effective, ce qui entrave d'autant le procès d'accumulation du capital, et donc le fonctionnement de l'ensemble des rouages du système.
Après avoir unifié et universalisé 1' échange marchand en faisant connaître un grand bond au développement de l'humanité, le capitalisme a donc mis à 1' ordre du jour la disparition des rapports de -production fondés sur l'échangée Mais tant que le prolétariat ne s'est pas donné les moyens d'imposer cette disparition, ces rapports de production se maintiennent et entraînent l'humanité dans des contradictions de plus en plus monstrueuses.
La cri.se [15] de surproduction, manifestation caractéristique des contradictions du mode de production capitaliste mais qui, dans le passé, constituait un palier entre chaque phase d'expansion du marché, battement de cœur d'un système en pleine santé, est devenue aujourd'hui permanente. C'est effectivement de façon permanente que sont sous-utilisées les capacités de l'appareil productif et que le capital est devenu incapable d'étendre sa domination ne serait-ce qu'au rythme de la croissance de la population humaine. La seule chose que ,1e capitalisme puisse aujourd'hui étendre dans le monde, c'est la misère humaine absolue, comme celle que connaissent les pays du tiers monde.
La concurrence entre les nations capitalistes, ne peut, dans ces conditions que devenir de plus en plus implacable. L'impérialisme, politique à laquelle est contrainte, pour survivre, toute nation quelle que soit sa taille, impose à l’humanité d'être plongée depuis 1914, dans le cycle infernal de crise-guerre-reconstruction-nouvelle crise, où une production d'armement chaque jour plus monstrueuse devient de plus en plus le seul terrain d'application de la science et d'utilisation des forces productives. Dans la décadence du capitalisme, l'humanité ne se survit que sur la base de destructions et d'une automutilation permanentes9
A la misère physiologique qui frappe les pays sous développés, fait écho dans les pays développés une déshumanisât ion extrême, jamais atteinte auparavant, des relations entre les membres de la société, et qui a pour' base l'absence totale de perspectives que le capitalisme offre à l'humanité, autres que celle de guerres de plus en plus meurtrières et d'une exploitation de plus en plus systématique, rationnelle et scientifique. Il en découle, comme pour toute société en décadence, un effondrement et une décomposition croissante des institutions sociales, de l'idéologie dominante, de l'ensemble des valeurs morales, des formes d'art et de toutes les autres manifestations culturelles du capitalisme. Le développement d'idéologies comme le fascisme ou le stalinisme marquent le triomphe croissant de la barbarie en l'absence du triomphe de l'alternative révolutionnaire.
IV - LE CAPITALISME D'ETAT
Dans toute période de décadence, face à l'exacerbation des contradictions du système, l’Etat garant de la cohésion du corps social et de la préservation des rapports de classe dominante, tend à se renforcer jusqu'à incorporer dans ses structures l’ensemble de la vie de la société. L’hypertrophie de l'administration impériale et monarchie absolue ont été les manifestations de ce phénomène dans la décadence de la société esclavagiste romaine et dans celle de la société féodale.
Dans la décadence capitaliste la tendance générale vers le capitalisme d'Etat est une des caractéristiques dominante de la vie sociale. Dans cette période, chaque capital national, privé de toute base pour un développement puissant, condamné à une concurrence impérialiste aigüe est contraint de s'organiser de la façon la plus efficace pour à l'extérieur, affronter économiquement et militairement ses rivaux et, à l'intérieur, faire face à une exacerbation croissante des contradictions sociales. La seule force de la société qui soit capable de prendre en charge l'accomplissement des tâches que cela impose est 1' Etat.
Effectivement, seul l'Etat :
- Peut prendre en main l'économie nationale de façon globale et centralisée et atténuer la concurrence interne qui l'affaiblit afin de renforcer sa capacité à affronter, comme un tout, la concurrence sur le marché mondial.
- mettre sur pied la puissance militaire nécessaire à la défense de ses intérêts face à 1'exacerbation des antagonismes internationaux.
- enfin, grâce, entre autres, aux forces de répression et à une bureaucratie de plus en plus pesantes; raffermir la cohésion interne de la société menacée de dislocation par la décomposition croissante de ses fondements économiques, imposer par une violence omniprésente le maintien d'une structure sociale de plus en plus inapte à régir spontanément les relations humaines et acceptée avec d'autant moins de facilité qu'elle devient, de plus en plus, une absurdité du point de vue de la survie même de la société.
Sur le plan économique, cette tendance jamais totalement achevée vers le capitalisme d'Etat, se traduit par le passage aux mains de l'Etat de tous les leviers de l'appareil productif Cela ne signifie pas que disparaissent la loi de la valeur, la concurrence où l'anarchie de la production, qui sont les caractéristiques fondamentales de l'économie capitaliste. Elles continuent de s'appliquer à l'échelle mondiale où les lois du marché continuent de régner et déterminent donc les conditions de la production à l'intérieur de chaque économie nationale aussi étatisée soit-elle. Dans ce cadre, si les lois de la valeur et de la concurrence semblent être "violées" c'est afin qu'elles puissent mieux s'appliquer. Si 1'anarchie de la production semble refluer face à la planification étatique, elle en ressurgit d'autant plus violemment à l'échelle mondiale particulièrement à l'occasion des crises aigues du système que le capitalisme d'Etat est incapable de prévenir. Loin de constituer une "rationalisation" du capitalisme, son étatisation n'est donc qu’une manifestation de son pourrissement.
Cette étatisation se fait, soit de façon graduelle, par fusion des capitaux "privés" et du capital d'Etat comme c'est plutôt le cas dans les pays les plus développés, soit par des sauts brusques sous forme de nationalisations massives et totales, en général là où le capital, privé est le plus faible.
Effectivement, si la tendance vers le capitalisme d'Etat se manifeste dans tous les pays du monde, elle s'accélère et éclate avec plus d'évidence quand, et où, les effets de la décadence se font sentir avec le plus de violence historiquement durant les périodes de crise ouverte ou de guerre, géographiquement dans les économies les plus faibles. Mais le capitalisme d'Etat n'est pas un phénomène spécifique des pays arriérés. Au contraire, bien que le degré d'étatisation formelle soit souvent plus élevé dans le capitalisme sous-développé, la prise en main véritable par l'Etat de la vie économique est généralement encore plus effective dans les pays les plus développés, du fait du haut degré de concentration du capital qui y règne.
Sur le plan politique et social, la tendance vers le capitalisme d'Etat se traduit par le fait que, sous les formes totalitaires les plus extrêmes comme le fascisme ou le stalinisme ou sous les formes qui se recouvrent du masque démocratique, l'appareil d'Etat, et essentiellement 1' exécutif, exerce un contrôle de plus en plus puissant, omniprésent et systématique sur tous les aspects de la vie sociale. A une échelle bien supérieure à celle de la décadence romaine ou féodale, l'Etat de la décadence capitaliste est devenu cette machine monstrueuse, froide et impersonnelle qui a fini par dévorer la substance même de la société civile.
V -LES PAYS DITS SOCIALISTES
En faisant passer le capital aux mains de l’Etat, le capitalisme d'Etat crée 1' illusion de la disparition de la propriété privée des moyens de production et de l'élimination de la classe bourgeoise, -La théorie stalinienne de la possibilité du "socialisme en un seul pays" ainsi que le mensonge des pays dits "communistes "socialistes", ou en voie de le devenir, trouvent leur fondements dans cette apparence mystificatrice.
Les changements provoqués par la tendance au capitalisme d'Etat ne se situent pas au niveau réel des rapports de production, mais au niveau juridique des formes de propriété. Ils n’éliminent pas le caractère réel de propriété privée des moyens de production, mais leur aspect juridique de propriété individuelle. Les travailleurs restent "prives" de toute emprise réelle sur leur utilisation, ils demeurent entièrement séparés d'eux. Les moyens de production ne sont "collectivisés" que pour la bureaucratie qui les possède et qui les gère collectivement.
La bureaucratie étatique qui assume la fonction économique spécifique d'extirpation du surtravail du prolétariat et d'accumulation du capital national constitue une classe. Mais ce n'est pas une nouvelle classe. Par sa fonction, elle n'est autre que la vieille bourgeoisie dans sa forme étatique. Au niveau de ses privilèges, ce qui la distingue, ce n'est pas l'importance de ceux-ci ,mais la façon dont elle les détient : au lieu de percevoir ses revenus sous forme de dividendes du fait de la possession individuelle de parts du capital, elle les perçoit du fait de la fonction de ses membres sous forme de "frais de fonction", de primes et de rémunérations fixes à apparence "salariale", dont le montant est souvent des dizaines ou des centaines de fois supérieur au revenu d'un ouvrier.
La centralisation et la planification de la production capitaliste par l'Etat et sa bureaucratie, loin d'être un pas vers l'élimination de l'exploitation n'est rien d'autre qu'un moyen pour tenter de la rendre plus efficace.
Sur le terrain économique, la Russie, même pendant le court laps de temps où le prolétariat y a détenu le pouvoir politique, n’a pu se désengager pleinement du capitalisme. Si la forme du capitalisme d'Etat y est apparue aussi tôt d'une façon aussi développée, c'est que la désorganisation économique causée par la défaite de la première guerre mondiale, puis par la guerre civile, y ont porté au plus haut degré les difficultés- de survie d'un capital national dans le cadre de la décadence capitaliste.
Le triomphe de la contre-révolution en Russie s'est fait sous le signe de la réorganisation de l'économie nationale avec les formes les plus achevées de capitalisme d'Etat, cyniquement représentées pour la circonstance comme "prolongements d'Octobre" et "construction du socialisme". L'exemple a été repris ailleurs : Chine, pays de l'Est, Cuba, Corée du Nord, Indochine, etc. Il n'y a cependant rien de prolétarien, encore moins de communiste, dans tous ces pays, où, sous le poids de ce qui restera comme un des plus grand mensonge de l’histoire, règne, sous ses formes les plus décadentes, la dictature du capital. Toute défense, même "critique" ou "conditionnelle" de ces pays est une activité absolument contre-révolutionnaire.
VI - LA LUTTE DU PROLETARIAT DANS LE CAPITALISME DECADENT»
Depuis ses débuts, la lutte du prolétariat pour l'a défense de ses intérêts propres porte en elle la perspective de la destruction du capital et de l'avènement de la société communiste.
Mais le prolétariat ne poursuit pas le but ultime de son combat par idéalisme, guidé par une inspiration divine. S'il est amené à s'attaquer à ses tâches communistes c'est que les conditions matérielles dans lesquelles se déroule sa lutte immédiate finissent par l'y contraindre, toute autre forme de combat aboutissant à un désastre.
Tant que la bourgeoisie parvient, grâce à l'expansion gigantesque de ses richesses dans le monde entier au cours de la phase ascendante du capitalisme, à accorder de véritables réformes de la condition prolétarienne, la lutte ouvrière ne peut trouver les conditions objectives nécessaires à la réalisation de son assaut révolutionnaire.
Malgré la volonté révolutionnaire, communiste, affirmée dès la révolution bourgeoise par les tendances les plus radicales du prolétariat, le combat ouvrier se trouve, au cours de cette période historique, cantonné aux luttes pour des réformes.
Apprendre à s'organiser pour arracher des réformes politiques et économiques à travers le parlementarisme et le syndicalisme devient à la fin du 19ème siècle un des axes essentiel de l'activité prolétarienne. On trouve ainsi dans des organisations authentiquement ouvrières, côte à côte, des éléments "réformistes " (ceux pour qui toute lutte ouvrière doit uniquement être une lutte pour des réformes) et les révolutionnaires (ceux pour qui les luttes pour des réformes ne peuvent constituer qu'une étape, un moment du processus qui mène aux luttes révolutionnaires).
Ainsi, pouvait-on voir également dans cette période le prolétariat appuyer certaines fractions de la bourgeoisie contre d'autres, plus réactionnaires, dans le but d'imposer des aménagements de la société en sa faveur, ce qui correspond objectivement à l'accélération du développement des forces productives»
L'ensemble de ces conditions se transforme radicalement dans le capitalisme décadent. Le monde est devenu trop étroit pour contenir le nombre de capitaux nationaux existants. Dans chaque nation, le capital est contraint d'augmenter sa productivité, c'est-à-dire l'exploitation des travailleurs;, jusqu'aux limites les plus extrêmes.
L'organisation de l'exploitation du prolétariat cesse d'être une affaire entre patrons d'entreprises et ouvriers, pour devenir celle de l'Etat et de mille rouages nouveaux crées pour l'encadrer, gérer, vider en permanence de tout danger révolutionnaire, la soumettre à une répression aussi systématique qu'insidieuse.
L'inflation, devenue un phénomène permanent depuis la première guerre mondiale, ronge toute "augmentation de salaires". La durée de temps de travail stagne ou ne diminue que pour compenser des augmentations du temps de transport ou pour empêcher la totale destruction nerveuse des travailleurs soumis à des rythmes de vie et de travail sans cesse croissants.
La lutte pour des réformes est devenue une utopie grossière. Contre le capital, la classe ouvrière ne peut mener en fin de compte qu'une lutte à mort. Elle n'a plus d'autres alternative qu'accepter d' être atomisée en une somme de millions d'individus écrasés et encadrés, ou bien se battre en affrontant l'Etat lui-même, en généralisant des luttes de la façon la plus étendue, en refusant de se laisser enfermer dans le cadre purement économique ou dans le localisme de l'usine ou de la profession, en se donnant comme forme d'organisation les embryons de ses organes de pouvoir : les conseils ouvriers .
Dans ces nouvelles conditions historiques, beaucoup des anciennes armes du prolétariat sont devenues inopérantes. Les courants politiques qui en préconisent l'usage ne le font que pour mieux T'enchaîner à l'exploitation, pour mieux briser toute volonté de combat.
La distinction faite dans le mouvement ouvrier du 19ème siècle entre programme maximum et programme minimum a perdu tout son sens. Il n'y a plus de programme minimum possible. Le prolétariat ne peut développer ses luttes qu'en les inscrivant dans la perspective d'un programme maximum : la révolution communiste.
VII - LES SYNDICATS : ORGANES DU PROLETARIAT HIER, INSTRUMENT DU CAPITAL AUJOURD' HUI.
Au 19ème siècle, dans la période de plus grande prospérité du capitalisme, la classe ouvrière s'est donné, souvent au prix de luttes acharnées et sanglantes des organisations permanentes et professionnelles destinées à assurer la défense de ses intérêts économiques : les syndicats. Ces organes ont assumé un rôle fondamental dans la lutte pour des réformes et pour les améliorations substantielles des conditions de vie des travailleurs que le système pouvait encore accorder. Ils ont également constitué des lieux de regroupement de la classe, de développement de sa solidarité et de sa conscience, dans lesquels les révolutionnaires intervenaient activement pour en faire " des écoles du communisme". Donc, bien que l’existence de ces organes ait été liée de façon indissoluble à celle du salariat et que, dès cette période, ils se soient souvent déjà bureaucratisés de façon importante, ils n'en constituaient pas moins d'authentiques organes de la classe dans la mesure où l'abolition du salariat n'était pas à l'ordre du jour.
En entrant dans sa phase de décadence, le capitalisme cesse d'être en mesure d’accorder des réformes et des améliorations en faveur de la classe ouvrière. Ayant perdu toute possibilité d'exercer leur fonction initiale de défenseurs efficaces des intérêts prolétariens et confrontés à une situation historique où seule l'abolition du salariat, et donc leur propre disparition, est à l'ordre du jour, les syndicats sont devenus, comme condition de leur propre survie, d'authentiques défenseurs du capitalisme, des agences de l'Etat bourgeois in milieu ouvrier — évolution qui a été fortement favorisée par leur bureaucratisation antérieure et par la tendance inexorable de l'Etat de la période de décadence à absorber toutes les structures de la société.
La fonction anti-ouvrière des syndicats s'est manifestée pour la première fois de façon décisive au cours de la première guerre mondiale où, aux côtés des partis sociaux-démocrates, ils ont participé, à la mobilisation des ouvriers dans la boucherie impérialiste. Dans la vague révolutionnaire qui a suivi la guerre, les syndicats ont tout fait pour entraver les tentatives du prolétariat de détruire le capitalisme. Depuis lors, ils ont été maintenus en vie, non par la classe ouvrière, mais par l'Etat capitaliste pour le compte duquel ils remplissent des fonctions très importantes :
— participation active aux tentatives de l'Etat capitaliste de rationaliser l'économie, réglementation de la vente de la force de travail, et intensification de l'exploitation ;
— sabotage de la lutte de classe de l'intérieur, soit en détournant les grèves et les révoltes vers des impasses catégorielles, soit en affrontant les mouvements autonomes par la répression ouverte.
Du fait que les syndicats ont perdu leur caractère prolétarien, ils ne peuvent pas être reconquis par la classe ouvrière, ni constituer un terrain pour 1'activité des minorités révolutionnaires. Depuis plus d'un demi-siècle les ouvriers, ont éprouvé de moins en moins d'intérêt à participer à l'activité de ces organisations devenues corps et âme des organes de l’Etat capitaliste. Leurs ce, luttes de résistance contre la dégradation de leurs conditions de vie ont tendu à prendre la forme de "grèves sauvages" en dehors.... et contre les syndicats dirigées par les assemblées générales de grévistes et, dans les cas où elles se sont généralisées, coordonnées par des dû comités de délégués élus et révocables par les assemblées, ces luttes se sont immédiatement situées sur un terrain politique, dans la mesure où elles ont dû se confronter à l'Etat sous la forme de ses représentants dans l'entreprise : Leu les syndicats. Seule la généralisation et la radicalisation de ces luttes peuvent permettre à la classe de passer à un assaut ouvert et frontal contre l'Etat capitaliste. La destruction de l’Etat bourgeois implique nécessairement la destruction des syndicats.
Le caractère anti-prolétarien des anciens syndicats ne leur est pas conféré par leur mode d'organisation propre, par profession ou branche industrielle, m par l'existence de "mauvais chefs", mais bien par l'impossibilité, dans le renvoi de actuelle, de maintenir en vie des organes permanents de défense véritable des intérêts économiques du prolétariat. Par conséquent, le caractère capitaliste de ces organes s'étend à toutes les "nouvelles" organisations qui se donnent des fonctions similaires et ceci quel que soient leur modèle organisatif et les intentions qu’elles proclament. Il en est ainsi des "syndicats révolutionnaires" ou des "shop stewards"' comme de 1’ensemble des organes (comités ou noyaux ouvriers, commissions ouvrières) qui peuvent subsister à l'issue d'une lutte, même opposée aux syndicats, et qui tentent de reconstituer un "pôle authentique" de défense des intérêts immédiats des travailleurs. Sur cette base, ces organisations ne peuvent pas échapper à 1'engrenage de l'intégration effective dans l'appareil d' tes Etat bourgeois, même à tire d'organes non officiels ou illégaux.
Toutes les politiques "d'utilisation", de "rénovation" ou de "reconquête" d'organisations à caractère syndical, en ce qu'elles conduisent à revigorer des institutions capitalistes souvent déjà désertées par les travailleurs, sont foncièrement favorables à la survie du capitalisme. Apres plus d’un demi-siècle d'expérience jamais démentie du rôle anti-ouvrier de ces organisations, les courants qui préconisent encore de telles politiques se trouvent sur le terrain de la contre-révolution.
VII - LA MYSTIFICATION PARLEMENTAIRE ET ELECTORALE.
Dans la période d'apogée du système capitaliste, le parlement constituait la forme la plus appropriée de l'organisation de la vie politique de la bourgeoisie. Institution spécifiquement bourgeoise, il n'a donc jamais été un terrain de prédilection pour l'action de la classe ouvrière et le fait pour celle-ci de participer à ses activités ou aux campagnes électorales recelait des dangers très importants que les révolutionnaires du siècle dernier n'ont jamais manqué de dénoncer. Cependant, dans une période où la Révolution n'était pas à l'ordre du jour et où le prolétariat pouvait arracher des réformes à son avantage à l'intérieur du système, une telle participation lui permettait à la fois de faire pression en faveur de ces réformes, d' utiliser les campagnes électorales comme moyen de propagande et d'agitation autour du programme prolétarien et d’employer le Parlement comme tribune de dénonciation de l'ignominie de la politique bourgeoise . C'est pour cela que la lutte pour le suffrage universel a constitué, tout au long du 19ème siècle, dans un grand nombre de pays, une des occasions majeures de mobilisation du prolétariat.
Avec l'entrée du système dans sa phase de décadence, le Parlement cesse d'être un organe de réformes. Comme le dit l’Internationale Communiste (2°Congrès) : "le centre de gravité de la vie politique est sorti complètement et définitivement du Parlement". La seule fonction qu'il puisse assumer, et qui explique son maintien en vie, est "une fonction de mystification. Dès lors, prend fin toute possibilité, pour le prolétariat de l'utiliser de quelque façon que ce soit. En effet, il ne peut conquérir des réformes devenues impossibles à travers un organe qui a perdu toute fonction politique effective» A l'heure où sa tâche fondamentale réside dans la destruction de l'ensemble des institutions étatiques bourgeoises et donc du Parlement, où il se doit d'établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société bourgeoise, sa participation aux institutions parlementaires et électorales aboutit, quelles que soient les intentions affirmées par ceux qui la préconisent, à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes .
La participation électorale et parlementaire ne comporte actuellement aucun des avantages qu'elle pouvait avoir au siècle dernier. Par contre, elle cumule tous les inconvénients et dangers, et principalement celui de maintenir vivaces les illusions sur la possibilité d'un "passage pacifique ou progressif au socialisme" à travers la conquête d'une majorité parlementaire par les partis dits "ouvriers",
La politique de "destruction de l'intérieur" du Parlement à laquelle seraient sensés participer les élus "révolutionnaires" s'est révélée, de façon catégorique, n'aboutir qu'à la corruption des organisations politiques qui l'ont pratiquée et à leur absorption par le capitalisme.
Enfin, l'utilisation des élections et des parlements comme instruments d'agitation et de propagande, dans la mesure où elle est essentiellement affaire de spécialistes, où elle privilégie le jeu des partis politiques au détriment de l'activité propre des masses, tendra préserver les schémas politiques de la société bourgeoise et à encourager la passivité des travailleurs. Si un tel inconvénient était acceptable quand le Révolution n'était pas immédiatement possible, il devient une entrave décisive à l'heure où la seule tâche qui soit historiquement à l'ordre du jour pour le prolétariat est justement celle du renversement du vieil ordre social et l'instauration de la société communiste qui exigent la participation active et consciente de l'ensemble de la classe.
Si, à l'origine, les tactiques de "parlementarisme révolutionnaire" étaient, avant tout, la manifestation du poids du passé au sein de la classe et de ses organisations, elles, se sont; avérées, après une pratique aux résultats désastreux pour la classe, une politique foncièrement contre-révolutionnaire. Les courants qui la préconisent, au même titre que ceux qui présentent le Parlement comme instrument de la transformation socialiste, de la société, se situent aujourd'hui, de façon irréversible dans le camp de la bourgeoisie»
IX - LE FRONTISME, STRATEGIE DE DEVOTEMENT DU PROLETARIAT
Dans la décadence capitaliste, quand seule la Révolution Prolétarienne constitue un pas en avant de l'Histoire, il ne peut exister aucune tâche commune, même momentanée, entre la classe révolutionnaire et une quelconque fraction de la classe dominante, aussi "progressiste", "démocratique" ou "populaire" qu' elle puisse se prétendre. Contrairement à la phase ascendante du capitalisme, sa période de décadence ne permet effectivement à aucune fraction de la bourgeoisie de jouer un rôle progressiste. En particulier, la démocratie bourgeoise qui, contre les vestiges des structures héritées de la féodalité, constituait, au siècle dernier, une forme politique progressive, a perdu, à l'heure de la décadence, tout contenu politique réel. Elle ne subsiste que comme paravent trompeur au renforcement du totalitarisme étatique et les fractions de la bourgeoisie qui s'en réclament sont aussi réactionnaires que toutes.les autres, De fait, depuis la première guerre mondiale, la "démocratie" s'est révélée comme un des pires opiums pour le prolétariat. C'est en son nom, qu'après cette guerre, a été écrasée la révolution dans plusieurs pays d'Europe, c'est en son nom et contre le "fascisme", qu'ont été mobilisés des dizaines de millions de prolétaires dans la seconde guerre impérialiste. C'est encore en son nom, qu'aujourd'hui, le capital tente de dévoyer les luttes prolétariennes dans les alliances "contre le fascisme", "contre la réaction", "contre la répression", "contre le totalitarisme", etc. coproduit spécifique d'une période où le prolétariat a déjà été écrasé, le fascisme n'est absolument pas à l'ordre du jour à l’heure actuelle et toute propagande sur le "danger fasciste" est parfaitement mystificatrice. D'autre part, il ne détient pas le monopole de la répression, et si les courants politiques démocratiques ou de gauche l'identifient avec celle-ci, c'est qu'ils tentent de masquer qu'ils sont eux-mêmes des utilisateurs décidés de cette même répression a tel point que c'est à eux que revient l'essentiel de l'écrasement des mouvements révolutionnaires de la classe.
Au même titre que les "fronts populaires" et "antifascistes", les tactiques de "front unique" se sont révélées de redoutables moyens de détournement de la lutte prolétarienne. Ces tactiques, qui commandent aux organisations révolutionnaires de proposer des alliances aux partis dits "ouvriers" afin de les "mettre au pied du mur" et de les démasquer, ne reviennent, en fin de compte, qu'à maintenir des illusions sur la véritable nature bourgeoise de ces partis et à retarder la rupture des ouvriers avec eux,
L’"autonomie" du prolétariat face à toutes les autres classes de la société est la condition première de l'épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu'à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe. Tout courant politique qui tente de lui faire quitter ce terrain appartient au camp, de la bourgeoisie.
X - LE MYTHE CONTRE-REVOLUTLONNAIRE DE LA " LIBERATION NATIONALE"
La libération nationale et la constitution de nouvelles nations n'a jamais été une tâche propre du prolétariat, Si, au siècle dernier, les révolutionnaires ont été amenés à appuyer de telles politiques, ce n'est donc.pas avec des illusions sur leur caractère exclusivement bourgeois ni au nom du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Un tel appui reposait sur le fait que, dans la phase ascendante du capitalisme, la nation représentait le cadre approprié au développement du capitalisme et toute nouvelle édification de ce cadre, en éliminant les vestiges contraignants des rapports sociaux précapitalistes, constituait un pas en avant dans le sens d' une croissance des forces productives au niveau mondial et donc dans le sens de la maturation des conditions matériel les du socialisme.
Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, et au même titre que l'ensemble des rapports de production capitalistes, la nation devient un cadre trop étroit pour le développement des forces productives. Aujourd'hui, la constitution juridique d’un nouveau pays ne permet aucun réel pas en avant dans un tel développement que les pays les plus anciens et les plus puissants sont eux-mêmes incapables d'assumer. Dans un monde désormais divisé et partagé entre blocs impérialistes, toute lutte de "libération nationale", loin de constituer un quelconque mouvement progressif, se résume en fait à un moment de l'affrontement constant entre bloc rivaux dans lesquels les prolétaires: et paysans enrôlés, volontairement ou de force, ne participent que comme chair à canon,
De telles luttes "n'affaiblissent" aucunement 1'Impérialisme puisqu'elles ne remettent pas en cause sa base : les rapports de production capitalistes. Si elles affaiblissent un bloc impérialiste c'est pour mieux en renforcer un autre et, la nation ainsi constitué devient elle-même impérialiste puisqu'à l’heure de la décadence, aucun pays, grand ou petit, ne peut s'épargner une telle politique.
Si, dans le monde actuel, une "libération nationale réussie" n'a d'autre signification que le changement de puissance de tutelle pour le pays concerné, elle se traduit la plupart du temps, pour les travailleurs, en particulier dans les nouveaux pays "socialistes", par une intensification, une systématisation, une militarisation de l'exploitation par le capital étatisé qui, manifestation de la barbarie actuelle du système, transforme la nation "libérée" en véritable camp de concentration. Loin d'être, comme le prétendent certains, un tremplin pour la lutte de classe du prolétariat du tiers-monde, ces luttes, par les mystifications "patriotiques" qu'elles colportent et l'embrigadement derrière le capital national qu'elles impliquent, agissent toujours comme frein et dévoiement de la lutte prolétarienne souvent acharnée dans ces pays. L’histoire a amplement montré depuis plus d'un demi-siècle et contrairement aux affirmations de l'Internationale Communiste, que les luttes de "libération nationale" n'impulsent pas plus le combat de classe des prolétaires des pays avancés que celui des prolétaires des pays sous-développés. Les uns comme les autres n'ont rien à attendre de ces luttes ni aucun "camp à choisir". Dans ces affrontements le "seul" mot d'ordre des révolutionnaires ne peut être, contre la version moderne de la "défense nationale" que représente "l'indépendance nationale" que celui qui fut déjà adopté par eux dans la première guerre mondiale : "défaitisme révolutionnaire : transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Toute position de "soutien inconditionnel" ou "critique" à ces luttes est aussi criminelle que celle des "social-chauvins" de la première guerre mondiale et donc parfaitement incompatible avec une activité communiste.
XI - L’AUTOGESTION AUTO-EXPLOITATION DU PROLETARIAT
Si la nation est devenue un cadre trop étroit pour les forces productives actuelles, ceci est encore plus vrai pour 1' entreprise qui n'a jamais connu d'autonomie véritable par rapport aux lois générales du capitalisme et dont la dépendance par rapport à celles-ci et à l'Etat ne peut aller qu'en s'accentuant dans la décadence capitaliste. C'est pour cela que "l'autogestion", c'est-à-dire la gestion des entreprises par les ouvriers au sein d'une société qui reste capitaliste, si elle était déjà une utopie petite-bourgeoise au siècle dernier quand elle était préconisée par les courants proudhoniens, est aujourd'hui une pure mystification capitaliste.
— arme économique du capital, elle a pour finalité de faire accepter par les travailleurs le poids des difficultés des entreprises frappées par la crise en leur faisant organiser les modalités de leur propre exploitation,,
— arme politique de la contre-révolution, elle a pour fonction :
- de diviser la classe ouvrière en l'enfermant et l'isolant usine par usine, quartier par quartier, secteur par secteur ;
- d'attacher les travailleurs aux préoccupations de l'économie capitaliste qu'ils ont au contraire pour tâche de détruire ;
- de détourner le prolétariat de la première tâche qui conditionne son émancipation ; la destruction de 1'appareil politique du capital et l'instauration de sa propre dictature au niveau mondial.
C'est effectivement à ce seul niveau que le prolétariat pourra .prendre en charge la gestion de la production, mais alors, il ne le fera pas dans le cadre des lois capitalistes mais en détruisant celles-ci.
Tous les courants politiques qui, même au nom de "1'expérience, prolétarienne" ou de "l'établissement" de nouveaux rapports entre travailleurs", défendent 1' autogestion, se font en fait les défenseurs objectifs des rapports de production capitalistes.
XII - LES LUTTES "PARCELLAIRES", IMPASSE RE ACTIONNAIRE.
La décadence du capitalisme a accentué la. Décomposition de toutes ses valeurs morales et "une dégradation profonde de tous les rapports humains9
Cependant, s'il est vrai.que la Révolution Prolétarienne engendrera de nouveaux rapports dans tous les domaines de la vie, il est erroné de croire que l'on peut y contribuer en organisant des luttes spécifiques sur des problèmes parcellaires tels le racisme, la condition féminine, la pollution, la sexualité et autres aspects de la vie quotidienne.
La lutte contre les fondements économiques du système contient la lutte contre les aspects superstructures de la société capitaliste, mais la réciproque est fausse.
Par leur contenu même, les luttes "parcellaires", loin de renforcer la nécessaire autonomie de la classe ouvrière, tendent au contraire à la diluer dans la confusion de catégories particulières ou invertébrées (races, sexes, jeunes, etc.) totalement impuissantes devant 1'Histoire. C’est pourquoi elles constituent un authentique instrument de la contre-révolution que les gouvernements bourgeois ont appris à utiliser efficacement.
XIII - LA NATURE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE DES PARTIS "OUVRIERS"
L'ensemble des partis ou organisations qui aujourd'hui défendent, même conditionnellement ou de façon critique, certains Etats ou certaines fractions de la bourgeoisie contre d'autres, que ce soit -au nom du "socialisme", "de la démocratie, de l’antifascisme, de "l’indépendance nationale", du "front unique" ou du "moindre mal", qui participent, de quelque façon que ce soit, au jeu bourgeois, des élections, à l'activité anti ouvrière du syndicalisme ou aux mystifications autogestionnaires, sont des agents du capitale. Il en est ainsi, en particulier des partis "socialistes" et "communistes".
Les premiers ont perdu toute substance; prolétarienne en s'engageant dans la "défense nationale" au cours de la première guerre mondiale et se sont illustrés après celle-ci comme bourreaux du prolétariat révolutionnaire.
Les seconds sont, à leur tour, passés dans le camp du capital, en reniant l'internationalisme qui avait justement été à l'origine de leur rupture avec les partis socialistes, A travers, "le socialisme en un seul pays" d'abord et qui marque ce passage définitif à l'ennemi de classe puis la participation aux efforts d'armement de leur bourgeoisie, aux "fronts populaires", à la "résistance" durant la seconde guerre mondiale et à la "reconstruction nationale" après, celle-ci y ces partis se sont confirmes de plus en plus comme de fidèle serviteurs du capital national, et comme la pure incarnation de la contre-révolution.
L'ensemble des courants maoïstes, trotskistes ou anarchistes qui, soit sont directement issus de ces partis bourgeois, soit défendent un certain nombre de leurs, positions (défense des pays dits "socialistes" et alliances "antifascistes"…) appartiennent au même camp qu’eux : celui du capital. Le fait qu'ils aient moins d'influence ou qu'ils utilisent un langage plus radical, n’enlève rien au fond bourgeois de leur programme mais en fait d'utiles rabatteurs ou suppléants de ces partis.
XIV - LA PREMIERE GRANDE VAGUE REVOLUTIONNAIRE DU PROLETARIAT MONDIAL
En ponctuant l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, la première guerre mondiale indique que l.es conditions objectives de la révolution prolétarienne sont mûres.
La vague révolutionnaire qui, en réponse à la guerre et à ses séquelles, surgit, et, se répand en. Russie et; en Europe, marque de son empreinte les deux Amériques et se répercute comme un écho jusqu’en Chine, constitue donc la première tentative du prolétariat mondial d’accomplir sa tâche historique de destruction du capitalisme. Au plus fort de sa lutte entre 1917 et 1923, le prolétariat se saisit du pouvoir en Russie, se lance-dans des insurrections de masses en Allemagne et secoue, jusque dans ses fondements l'Italie, la. Hongrie et l'Autriche. Bien que moins puissamment, il ne s’en manifeste pas moins et de façon acharnée, dans le reste du monde, comme par exemple en Espagne, en Grande-Bretagne, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Finalement, l'échec tragique de cette vague révolutionnaire est ponctuée, en 1927, par l'écrasement de l'insurrection prolétarienne en Chine, à Shanghai et à. Canton, qui vient conclure une longue série de combats et de défaites de la classe au niveau international. C’est pour cela que la Révolution d'Octobre 17 en Russie ne peut se comprendre que comme une des manifestations de cet immense mouvement de la classe, et non, comme une "révolution bourgeoise", "capitaliste d'Etat", "double", ou encore "permanente", imposant au prolétariat l’accomplissement de tâches "démocratiques" à la place d'une bourgeoisie incapable de les assumer.
C'est également à l'intérieur de cette vague révolutionnaire que s'inscrit la création, en 1919, de la Troisième Internationale (Internationale .Communiste) qui rompt organisâtionnellement et politiquement avec les partis de la Seconde dont la participation à la Guerre impérialiste a signé le passage dans le camp de la bourgeoisie. Le parti bolchevik, partie intégrante de la Gauche Révolutionnaire qui s'est dégagée de la 2° Internationale, par ses positions politiques, claires condensées dans les mots d'ordre "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !" "Destruction de l'Etat bourgeois!" et '"Tout le Pouvoir aux Soviets !" ainsi que par sa participation décisive à: la création de la Troisième Internationale, apporte une contribution fondamentale au processus révolutionnaire et constitue, à ce moment, une authentique
Toutefois, si la dégénérescence tant de la révolution en Russie que de la 3ème Internationale a été essentiellement la conséquence de l'écrasement des tentatives révolutionnaires dans d’autres pays et de 1'épuisement général de la vague révolutionnaire, il faut également prendre considération le rôle joué parle parti Bolchevik, parce que pièce maîtresse de l'Internationale Communiste du fait de la faiblesse des autres partis, dans ce processus de dégénérescence et dans les échecs internationaux du prolétariat. Avec, pour exemples, l’écrasement du soulèvement de Kronstadt, la mise en avant contre la gauche de la 3ème Internationale, des politiques de "conquête des syndicats", de "parlementarisme" révolutionnaire" et de "front unique", son influence et sa responsabilité dans la liquidation de la vague révolutionnaire ont été à la mesure de celles qu'il avait assumées dans le développement de cette vague.
En Russie même la contre-révolution ne venait pas seulement "de l'extérieur" mais aussi "de l'intérieur" et en particulier des structures de l'Etat mises en place par le Parti Bolchevik devenu parti étatique. Ce qui, pendant Octobre 1917, ne constituait que des erreurs graves mais s'expliquant aussi bien par l'immaturité du prolétariat en Russie que par celle du mouvement ouvrier mondial face au changement de période, devait, dès lors, servir de paravent et justification idéologique de la contre-révolution, et agir comme facteur emportant de celle-ci. Cependant, le déclin de la vague révolutionnaire du premier après-guerre comme de la révolution en Russie, la dégénérescence de la 3° Internationale comme du parti bolchevick et le rôle contre-révolutionnaire, finalement joué pair ce dernier à partie d'un certain moment, ne peuvent être compris qu'en considérant cette vague révolutionnaire et la 3° Internationale, y induis leur composante en Russie; comme d'authentiques manifestations du mouvement prolétarien, toute autre interprétation constituant un facteur considérable de confusion et interdisant aux courants qui la défendent un réel accomplissement de tâches révolutionnaires.
Même si, et d’autant plus qu'il ne subsiste aucun "acquis matériel" de ces expériences de la classe, ce n'est qu'à partir de cette compréhension de leur nature qu'on peut et doit dégager leurs acquis théoriques réels, d'une importance considérable. En particulier, seul exemple historique de prise de pouvoir politique par le prolétariat (hormis la tentative éphémère et désespérée de la Commune en 1871 et les expériences avortées de Bavière et de Hongrie en 1919), la Révolution d'Octobre 17 a apporté des enseignements précieux dans la compréhension de deux problèmes cruciaux de la lutte prolétarienne : le contenu de la Révolution et la nature de l'Organisation des révolutionnaires.
XV -LA DICTATURE DU PROLETARIAT
La prise du pouvoir politique par le prolétariat à l’échelle mondiale, condition préliminaire et première étape de la transformation révolutionnaire de la société capitaliste, signifie, en premier lieu, la destruction de fond en comble de l^FP5£Giï^d^Êtat_boûrgêôïs7
En effet, comme c'est sur celui-ci que la bourgeoisie assoit la perpétuation de sa domination sur la société, de ses privilèges, de l'exploitation des autres classes et,: particulièrement de la classe ouvrière, cet organe est nécessairement adapté à cette fonction.et ne peut convenir à cette dernière classe qui n'a aucune privilège ni exploitation à préserver. En d'autres termes, il n'existe pas de "voie pacifique vers le "socialisme" : à la violence de classe minoritaire et exploiteuse exercée ouvertement ou hypocritement, mais de façon de plus en plus systématique par la bourgeoisie, le prolétariat ne peut qu'opposer sa propre violence révolutionnaire de classe.
Levier de la transformation économique de la société, la dictature du prolétariat, c'est-à-dire l'exercice exclusif du pouvoir, politique par celui-ci, aura pour tâche fondamentale d'exproprierez classe exploiteuse en socialisant ses moyens de production et d’étendre progressivement au secteur socialisé à l'ensemble des activités productives. Fort de son pouvoir politique, le prolétariat devra s'attaquer à l'économie politique bourgeoise en menant une politique économique dans le sens de l'abolition du salariat et de la production marchande, dans celui de la satisfaction des besoins de l'Humanité.
Pendant cette période de transition du capitalisme au Communisme, il subsiste des classes et couches sociales non-exploiteuses autres que le prolétariat et qui assoient leur existence sur le secteur non socialisé de l'économie. De ce fait, la lutte de classe se maintien comme manifestation d'intérêts économiques contradictoires au sein de la société. Celle-ci fait donc surgir un Etat destiné à empêcher que ces conflits ne conduisent à son déchirement. Mais avec la disparition progressive de ces classes sociales par l'intégration de leurs membres dans le secteur socialisé, donc avec l'abolition de toute classe sociale, l’Etat lui-même sera appelé à disparaître.
La forme revêtue par la dictature du prolétariat sera celle des Conseils Ouvriers, assemblées unitaires et centralisées à l'échelle de la classe, avec délégués élus et révocables, permettant l'exercice effectif, collectif et indivisible du pouvoir par l'ensemble de celle-ci. Ces conseils devront avoir le monopole du contrôlé des armes comme garant du pouvoir politique exclusif de la classe ouvrière.
C'est la classe ouvrière dans son ensemble qui seule peut exercer le pouvoir dans le sens de la transformation communiste de la société, contrairement aux autres classes révolutionnaires du passé, elle ne peut donc déléguer son pouvoir à une quelconque institution ou minorité y compris là minorité des révolutionnaires elle-même. Ceux-ci agissent au sein des Conseils, mais leur organisation ne peut se substituer à l'organisation unitaire de la classe dans l'accomplissement de la tâche historique de celle-ci.
De même, l'expérience de la révolution russe a fait apparaître la complexité et .la-gravité du problème posé par les rapports entre la classe et l'Etat de la période de transition. Dans la période qui vient, le prolétariat et les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème, mais se devront d'y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre.
La dictature du prolétariat implique l'absolue soustraction de celui-ci à toute soumission, en tant que classe, à des forces extérieures ainsi qu'à tout établissement de rapports de violence en son sein. Dans 1a période de transition, le prolétariat est la seule classe révolutionnaire de la société. Sa conscience et sa cohésion, ainsi que son action autonome, sont les garanties essentielles de l'issue communiste de sa dictature.
XVI - L'ORGANISATION DES REVOLUTIONNAIRES,
a— Organisation et conscience de.la classe
Toute classe luttant contre l'ordre social de son époque, ne peut le faire efficacement qu’en donnant à sa lutte une forme organisée et consciente. Ceci était déjà valable, quel que puisse être le degré d'imperfection et d'aliénation de leurs formes d'organisation et de conscience, pour les couches comme la paysannerie ou celle des esclaves qui ne portaient pas en elles le devenir socialo Mais cette nécessité s’applique encore plus aux classes historiques porteuses des nouveaux rapports de production rendus nécessaires par l'évolution de la société. Le prolétariat est, parmi celles-ci, la seule classe qui ne dispose, dans l'ancienne société d'aucun pouvoir économique, ne prélude à sa future domination. De ce fait, l’organisation et la conscience sont des facteurs encore bien plus décisifs de sa lutte,,
La forme d'organisation que se donne la classe dans sa lutte révolutionnaire et pour l'exercice de son pouvoir politique est celle des Conseils Ouvriers. Mais si c'est l'en semble de la classe qui est le sujet de la Révolution et qui se regroupe donc dans ces organes au moment de celle-ci, cela n’en signifie pas pour autant que le processus de sa prise de conscience soit simultané et homogène.
La conscience de la classe se forge à travers ses luttes, elle se fraye un chemin difficile à travers ses succès et ses défaites. Elle doit faire face aux divisions et aux différences catégorielles ou nationales qui constituent le cadre "naturel" de la société que le capitalisme a intérêt à maintenir au sein de la classe.
b — Les révolutionnaires et leur fonction
Les révolutionnaires sont les éléments de la classe qui, à travers ce Processus hétérogène, se hissent les premiers à une "intelligence nette des conditions de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien" (Manifeste Communiste) et, comme dans la société capitaliste, "les idées dominantes sont les idées de la classe dominante", ils constituent forcement une minorité de la classe.
Sécrétion de la classe, manifestation du processus de sa prise de conscience, les révolutionnaires ne peuvent exister comme tels qu'en s'organisant et devenant accomplir cette tâche et de façon indissociable, l'organisation des révolutionnaires :
- participe à toutes les luttes de la classe dans lesquelles ses membres se distinguent comme les éléments les plus déterminés et combatifs.
- y intervient en mettant toujours au premier plan les intérêts généraux de la classe et les buts finaux du mouvement.
- pour cette intervention, et comme partie intégrante de celle-ci, elle se consacre de façon permanente au travail de réflexion et d'élaboration théorique, travail qui seul permet que son activité générale s'appuie sur toute l'expérience passée de.la classe et sur ses perspectives d'avenir ainsi dégagées.
c — Les rapports entre la classe et l'organisation des révolutionnaires.
Si l'organisation générale de la classe et l'organisation des révolutionnaires participent d'un même mouvement, ce n’en sont pas moins deux choses distinctes.
La première, l'organisation des Conseils, regroupe1' ensemble de la classe : le seul critère d'appartenances est d’être un travailleur.
La seconde, par contre, ne regroupe que des éléments révolutionnaires de la classe. Le critère d'appartenance est, non plus sociologique, mais politique : l'accord sur le programme et l'engagement de le défendre. En ce sens, peuvent faire partie de l'avant-garde de la classe des individus qui n'en font pas partie sociologiquement mais qui, rompant avec leur classe d'origine, font leurs les intérêts historiques du prolétariat.
Cependant, si la classe et l'organisation de son avant-garde sont deux choses bien distinctes, elles ne sont pas pour cela séparées, extérieures l’une à l’autre ou même opposées comme le prétendent d'une part les courants "léninistes" et, d'autre part, les courants conseillistes-ouvriéristes.
Ce que ces deux conceptions veulent ignorer, c'est que, loin de s'affronter, ou de s'opposer, ces deux éléments -la classe et les révolutionnaires- sont en fait complémentaires dans un rapport de tout et de partie du tout. Entre la première et les seconds, il ne peut jamais exister de rapports de force puisque "les communistes n'ont point d'intérêt qui les séparent du prolétariat en général" (Manifeste Communiste).
Comme partie de la classe, les révolutionnaires ne peuvent, à aucun moment, se substituer à celle-ci, ni dans ses luttes au sein du capitalisme ni, à plus forte raison, dans le renversement de celui-ci ou dans l'exercice du pouvoir. Contrairement à ce qui prévalait pour les autres classes historiques, l'œuvre que doit mener à bien le prolétariat ne se suffit pas de la conscience d'une minorité aussi éclairée soit-elle, mais exige la participation constante et une activité créatrice de tout instant de la classe dans son ensemble.
La conscience généralisée est la seule garantie de victoire de la Révolution prolétarienne et, comme elle est essentiellement le fruit de l'expérience pratique, l'activité de l’ensemble de la classe est irremplaçable. En particulier, l'usage que la classe doit nécessairement faire de la violence ne peut-être une activité séparée du mouvement général de la classe. En ce sens, le terrorisme individuel ou de groupes isolés, est absolument étranger aux méthodes de la classe et constitue au mieux une manifestation de désespoir petit-bourgeois quand il n'est pas simplement une méthode cynique de lutte de fractions de la bourgeoisie entre elles.
L'auto-organisation des luttes de la classe et l'exercice du pouvoir par elle-même n'est pas une des voies vers le communisme, qu'on pourrait mettre en balance avec d'autres, C'EST L'UNIQUE VOIE.
d — L’autonomie de la classe ouvrière
Cependant, le concept d'"autonomie de la classe" tel qu'il est compris par les courants ouvriéristes et anarchistes, et qu'ils opposent aux conceptions substitutionnistes, acquiert chez eux, un sens réactionnaire et petit-bourgeois. Outre que "l'autonomie" se réduit bien souvent chez eux à leur propre autonomie de petite secte prétendant représenter la classe ouvrière au même titre que les courants substitutionnistes qu'ils dénoncent, leur conception comporte deux aspects principaux :
- le rejet de la part des travailleurs des partis et organisations politiques quels qu'ils soient
- L'autonomie de chaque fraction de la classe ouvrière (usines, quartiers, régions, nations, etc.) par rapport aux autres : le Fédéralisme.
Actuellement de telles notions sont, dans le meilleur des cas, une réaction primaire contre le bureaucratisme stalinien et le développement du totalitarisme étatique et, dans le pire, l'expression politique de l'isolement et de la division propre à la petite bourgeoisie. Mais dans les deux cas, elles traduisent l'incompréhension totale de trois aspects fondamentaux de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
- l'importance et la priorité des tâches politiques de la classe (destruction de l'Etat capitaliste, dictature mondiale du prolétariat) ;
- l'importance et le caractère indispensable de l'organisation des révolutionnaires au sein de la classe ;
- le caractère unitaire, centralisé et mondial de la lutte révolutionnaire de la classe.
Pour nous, marxistes, l'autonomie de la classe signifie son indépendance par rapport aux autres classes de la société. Cette autonomie constitue une CONDITION INDISPENSABLE pour l'action révolutionnaire de la classe dans la mesure où le prolétariat est aujourd'hui la seule classe révolutionnaire. Elle se manifeste tant sur le plan organisationnel (organisation des Conseils) que sur les plans politiques et programmatiques et donc, contrairement à ce que pensent les courants ouvriéristes, on étroite liaison avec son avant-garde communiste.
e — L’organisation des révolutionnaires dans les différents moments de la lutte de classe.
Si l'organisation générale de la classe et l'organisation de révolutionnaires sont deux choses différentes quand à leur fonction, elles le sont également quand aux circonstances de leur apparition, Les Conseils n'apparaissent que dans les périodes d’affrontements révolutionnaires, quand toutes les luttes de la classe tendent vers la prise du pouvoir. Par contre, l'effort de prise de conscience de la classe existe constamment depuis ses origines et existera jusqu'à sa disparition dans la société communiste. C'est en ce sens qu'il existe en toutes périodes des minorités révolutionnaires comme expression de cet effort constant. Mais l'ampleur, l'influence, le type d'activité et le mode d'organisation de ces minorités sont étroitement liés aux conditions de la lutte de classe.
Dans les périodes d'activité intense de la classe, ces minorités ont une influence directe sur le cours pratique de cette activité. On peut alors parler de parti pour désigner l'organisation de cette avant-garde. Par contre, dans les périodes de recul, ou de creux de la lutte de classe, les révolutionnaires n’ont plus une influence directe sur le cours immédiat de l'Histoire. Seules peuvent subsister des organisations à la taille beaucoup plus redite dont la fonction ne errait plus être d’influencer le mouvement immédiat, mais d'y résister, ce qui les conduit à lutter à contre-courant d’une classe paralysée et entraînée par la bourgeoisie sur son terrain (collaboration de classe, "union sacrée", "résistance", "antifascisme", etc.). Leur tache essentielle consiste alors, en tirant les leçons des expériences antérieures, à préparer le cadre théorique et programmatique du futur parti prolétarien qui devra nécessairement ressurgir dans la prochaine montée de la classe. D’une certaine façon, ces groupes et fractions qui, au moment du recul de la lutte se sont dégagés du parti en dégénérescence ou lui ont survécu, ont pour rôle de constituer le pont politique et organisationnel jusqu'à son prochain resurgissement.
f — Le mode d’organisation des révolutionnaires.
La nature nécessairement mondiale et centralisée de la Révolution Prolétarienne confère au parti de la classe ouvrière ce même ce même caractère mondial et centralisé, et les fractions ou groupes qui travaillent à sa reconstitution tendent nécessairement vers une centralisation mondiale. Celle-ci se concrétise par l'existence d'organes centraux investis de responsabilité politiques entre chacun des congrès devant lesquels ils sont responsables.
La structure que se donne l'organisation des révolutionnaires doit tenir compte de deux nécessités fondamentales :
- permettre le plein développement de la conscience révolutionnaire en son sein et donc de la discussion la plus large et approfondie de toutes les questions et désaccords qui surgissent dans une organisation non monolithique.
- assurer, en même temps, sa cohésion et son unité d’action en particulier par l'application, par toutes les parties de l'organisation, des décisions adoptées majoritairement.
De même, les rapports qui se nouent entre les différentes parties et différents militants de l'organisation porte nécessairement les stigmates de la société capitaliste et, ne peuvent donc constituer un îlot de rapports communistes au sein de celle-ci. Néanmoins, ils ne peuvent être en contradiction flagrante avec le but poursuivi par les révolutionnaires et ils s'appuient nécessairement sur une solidarité et une confiance mutuelle qui sont une des marques de l'appartenance de l'organisation à la classe porteuse du communisme.
L’EQUILIBRE ECONOMIQUE
Le fragile équilibre économique du capital mondial a été irrémédiablement brisé l’année passée. Le Tiers-monde a sombré encore plus dans l'appauvrissement et le déclin tandis que les prix des matières premières dont dépendent ces économies se sont effondrés. Pour prendre un exemple, l’indice des prix mondiaux des métaux recueilli par l’"Economist" a chuté de 245,8 en mai 1974 à 111,8 en septembre 1975 -une chute qui a pratiquement ramené l'indice au niveau prévalant en 1970. Même les apparents eldorados de ces dernières années, les Etats producteurs de pétrole comme 1!Iran et Arabie Saoudite ont dû rogner vigoureusement dans 1eurs à ambitieux projets de développement.
Dans les métropoles capitalistes, la crise a rapidement dépassé ses premières manifestations comme crise monétaire même si les répercutions de la dislocation du système monétaire international et l’inflation galopante gagnent en intensité.
Maintenant, la crise se manifeste dans le procès de production des valeurs matérielles lui-même. Le jugement selon lequel nous sommes pleinement et clairement dans une crise générale de surproduction est aujourd'hui incontestable.
Aux U.S.A, 31?S des capacités de production restent inactives aujourd' hui 5 au Japon, plus d'un cinquième de la capacité industrielle reste inemployé. Avec une capacité de production annuelle de douze millions de voitures, l'industrie automobile européenne ne va pas produire plus de huit millions de véhicules en 1975.
Le tableau qui suit montre l'ampleur de l'affaissement de la production industrielle, qui a été sans précédent depuis la crise des années 1930.
Production - variation en pourcentage du second quart de 1974 au second quart de 1975.
Le déclin de la production est maintenant ressenti dons le bloc de l’Est également, où les planificateurs russes ont dû admettre en décembre que la production a seulement augmenté de 4$ au lieu des 6,5$ prévus. Ce dernier chiffre étant lui même un objectif qui avait été, deux ans auparavant, sérieusement révisé en baisse quand les bureaucrates ont découvert qu’ils devaient "planifier" les effets destructeurs d'une crise qui rend risible toute tentative de planification capitaliste.
Le fléchissement de la croissance du commerce mondial, qui a suivi le "boom" inflationniste de 72-73, a produit eh 75 la première diminution en volume du commerce mondial depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les profits, qui sont 1'indice le plus précis de la santé de l'économie capitaliste, ont chuté de manière encore plus catastrophique eue la production et le commerce mondial, An Japon, lès bénéfices des sociétés ont chuté de 47 $ durant les six premiers mois de 1975. Les sommes substantielles mises en épargne, pendant les années du "boom" sont maintenant incorporées dans les bilans, les profits ont en fait diminué de 70 $ environ. Un quart des compagnies répertoriées à la bourse de Tokyo ont fonctionné à perte cette année. En Allemagne, les grands trusts chimiques qui avaient lancé le "miracle économique" ont vu leurs énormes bénéfices se dissoudre: Bayer a vu ses bénéfices pour 6 mois diminuer des 2/3, BASF de moitié. En Grande-Bretagne, beaucoup parmi les plus importantes entreprises ont dû se mettre sous l'aile protectrice de 1' Etat pour éviter la fermeture ou la faillite : Burmah Oil, Ferranti, Alfred Herbert, British Leyland, Chrysler U.K., et toute l'industrie de construction navale.
Le Trésor estime que le taux de profit du capital placé dans l'industrie britanniques est tombé de 11,5 $ à 4,5 en 1974. En Italie, pratiquement tous les grands groupes industriels (étatisés ou "privés") perdent de l'argent et sont étouffés par le paiement des énormes intérêts des dettes contractées les années passées pour rester à flot. Le gouverneur de la Banque Centrale a recommandé que la part de dette de l'industrie envers les banques soit convertie en actions, ce qui constituerait de fait une nationalisation car les grandes banques sont propriété de l'Etat. De son côté> la Fédération des patrons, la Confindustria, a demandé d'urgence un moratoire d’un ou deux ans sur le paiement des intérêts comme étant le seul moyen de sauver 1’économie italienne.
Aux Etats-Unis, qui furent les architectes de l'équilibre économique provisoire établi après la IIème Guerre Mondiale aussi bien que les principaux bénéficiaires du repartage du marché mondial affecté par le carnage impérialiste, les profits dans toutes les industries de base se sont écroulés comme un château de cartes sous l'impact de la crise.
LE STATU-QUO ENTRE LES CLASSES.
L'effondrement de l'équilibre économique, si soigneusement reconstruit à la suite de la boucherie inter-impérialiste de 1939-45, a déjà sévèrement perturbé le fragile statuquo social qui reposait sur lui et qui ne pourra lui survivre. Avec le profond déclin de la production, du commerce mondial et du profit, le capital se débarrasse lui-même de cette partie de la force de travail qui devient superflue. A travers le monde, une immense armée de chômeurs, à la croissance rapide, atteste le seul futur que le capitalisme décadent peut la misère de plus offrir au prolétariat en plus profonde.
La croissance massive du chômage les années passées a déjà sonné comme un avertissement aux oreilles de la bourgeoisie dont les représentants les plus intelligents voient dans cette masse de prolétaires amers un des éléments qui menace de s'unir dans l'armée de la révolution mondiale.
Les statistiques officielles ne donnent en fait qu'une pâle indication de 1' extension du chômage dans les nations capitalistes dominantes. Aux USA, comme 1'attestent même des politiciens et économistes bourgeois, un calcul plus précis du nombre de chômeurs montrerait que ce sont plus de 10 millions de travailleurs qui sont privés par la crise de leur moyen d'existence. Une étude de la Banque d'Angleterre qui essaie d'unifier les calculs en ajustant les différences dans les méthodes de calcul utilisées par différents gouvernements, montre qu'en France il y avait déjà 1.150.000 chômeurs en avril (Financial Times, 20 juin 1975), un nombre qui a certainement dû s'accroître depuis. En Allemagne, le chiffre officiel ne tient pas compte des 300.000 travailleurs immigrés expulsés depuis mars 74 et du million de travailleurs inemployés à temps partiel. Les statistiques japonaises sur le chômage ignorent les travailleurs saisonniers qui ont été licenciés, ne tiennent pas compte-du chômage partiel ces travailleurs qui ont été contraints de quitter "volontairement" leur travail ou de "prendre des vacances" imposées qui cachent les fermetures temporaires. Une estimation plus réaliste du nombre de chômeurs véritable au Japon devrait au moins se situer vers 2 millions. Sur la base d'estimations raisonnables et précises des gens sans travail en Europe de l'Ouest, Amérique du Nord, Australie et Japon, il y a aujourd'hui au moins une masse grandissante de 21 millions de chômeurs.
La croissance énorme du nombre de chômeurs est seulement l'un des signes de la détérioration du niveau de vie de la classe ouvrière. D'un côté une part croissante du prolétariat doit faire face à la perspective d'être jetée sur le pavé par la bourgeoisie qui cherche à licencier les ouvriers en rapport avec la contraction des marchés avec l'espoir de rétablir un taux de profit plus élevé en extorquant encore plus de plus-value d'un plus petit nombre d'ouvriers. De l'autre côté, ces travailleurs qui n'ont pas été expulsés du procès dé production et que la crise condamne à une intensification incessante de l'exploitation dans les usines, ont vu leur salaire réel sévèrement amputé par la prodigieuse augmentation des prix des biens de consommation. Dans beaucoup de pays, en dépit de la croissance du chômage, les prix de consommation (alimentation, loyer, vêtement) augmentent encore plus vite qu'en 1974 :
A travers l'Europe Occidentale, 1'Amérique du Nord, l'Australie et le Japon, les prix de consommation ont augmenté à la moyenne de 11% entre août 74 et août 75.
Le prolétariat dans les pays de l'Est a aussi commencé à ressentir tout l'impact de la crise mondiale. En Yougoslavie, il y a plus d'un demi-million de chômeurs, tandis que l'augmentation du coût de la vie a été de 30fi l'année passée. En Russie et dans les autres pays de l'Est, même si le chômage peut être caché, rien ne peut dissimuler aux travailleurs l'augmentation palpable du taux d'exploitation qu'imposent 1eurs patrons capitalistes. De plus, le prolétariat est soumis à une augmentation dévastatrice et continuelle des prix des produits de consommation alors qu'au même moment il y a une pénurie massive et grandissante des produits de première nécessité. En décembre, les travailleurs polonais se sont vu annoncer "qu’une politique flexible des prix" remplacera le blocage des prix sur les produits d'alimentation de base. Quelques prix d'alimentation sont gelés depuis l'insurrection ouvrière de 1970 - 71, mais le seul résultat de ce blocage des prix est depuis longtemps de produire une pénurie accrue pour ces produits. L'effet de la planification capitaliste en Pologne, qui a permis l'exportation de quelques rares produits d'alimentation à l'étranger, peut se voir aussi dans le problème du logement où il y a maintenant une liste d'attente pour les appartements de plus d'un million et demi de familles. En décembre aussi, la Hongrie a annoncé la troisième augmentation importante des prix cette année sur un grand nombre de produits d'alimentation et de consommation.
Sous la poussée de la crise mondiale qui s'approfondie, avec la paupérisation grandissante du prolétariat qui en découle, le statuquo entre les classes qui a déjà commencé à se fissurer avec la venue de la crise à la fin des années 60, est brisé. L'année passée, la lutte de classe s'est intensifiée et généralisée, confirmant l'analyse de notre courant selon laquelle la perspective qui s'ouvre avec la crise est celle de la guerre de cl asse, de la révolution prolétarienne.
Au Pérou, en février 1975 les émeutes et les batailles de rue de Lima contre lesquelles la junte militaire de "gauche" a répondu par une répression sauvage causant la mort de centaines de personnes, l'arrestation de milliers de manifestants, et par la déclaration de l'état d'urgence furent» le sommet d'une importante vague de grèves : en août 1974, 15 000 mineurs du Centromin-Pérou, propriété de l'état se mettent en grève; en décembre 25 000 mineurs de cuivre se mettent en grève. Au Venezuela, durant l'hiver 1975, les mineurs, dans les mines de fer récemment nationalisées, lancent une grève dure. En Argentine, des dizaines de milliers de travailleurs sont en grève de Villa construction à Cordoba, de Rosario à Buenos Air es f du printemps à l'été. La vague d'occupation d'usines et la défense armée des quartiers ouvriers face à la répression brutale de l'armée et de la police, marquent la combativité grandissante du prolétariat en réponse à la crise.
En Chine, l'année 1975 a vu une vague de luttes ouvrières en réponse aux mesures d'austérité; l'Etat a réagi en envoyant des troupes dans les régions concernées pour briser les grèves et restaurer la production. En Septembre on a annoncé que 10 000 soldats ont été envoyés à Hengchow pour restaurer la production dans treize usinés. La très large utilisation de l'armée dans les mines de charbon, les centres sidérurgiques et de nombreuses autres industries donne une indication de l'étendue de la réponse du prolétariat chinois contre, à la fois, la détérioration de son niveau de vie et celle des conditions de travail que l'Etat veut lui imposer.
En Europe de l'Est, 1975 a aussi apporté de nouvelles évidences de la résistance prolétarienne aux attaques de la crise du capital mondial. Les grèves le ralentissement du travail, les actions de protestation et les sabotages ont augmenté partout. En Pologne, l'Etat a réagi en novembre, de lourdes amendes contre l'absentéisme ont été introduites et toute une série d'autres mesures disciplinaires sont annoncées comme prochaines. Avec en mémoire l'insurrection de1970 encore présente dans leurs pensées, les leaders politiques et les syndicats officiels ont fait une tournée des usines pour convaincre les travailleurs que les "conquêtes" des années passées peuvent être misés en danger par une "agitation stérile".
En Europe de l'Ouest, 1975 a amené une dramatique poussée de l'importance et de 1'intensité des grèves, terminant ainsi l'accalmie relative dé 1973-74 qui avait succédé à la vague de grèves débutant en 68. L'hiver dernier, des centaines de milliers d'ouvriers espagnols ont entrepris des grèves massives En janvier et février, la vague de grèves s'étend de Pampelune à Barcelone dans le nord, à travers la région de Madrid, vers 1'Andalousie au sud. En mars, les faubourgs industriels, de Bilbao sont le théâtre de grèves très dures, tandis qu'en avril, la vague culmine un moment avec la grève des 3000 ouvriers de la Casa Renault à Valladolid
En Italie, la fin du mois d'avril voit une grève sauvage des conducteurs du réseau de transports de Milan (ATM) qui était dirigée aussi bien contre les syndicats que contre les employeurs. En France, pendant le: printemps, la classe ouvrière a répondu aux licenciements et à la fermeture des usines dans l'industrie automobile, la sidérurgie, métallurgie, les journaux, les transports et les services publics par une vague de grèves que les syndicats ont provisoirement réussi à contenir mais avec de plus en de difficultés. En avril, plus de 50 usines étaient occupées tandis que le nombre de grévistes s'élevait à 100 000 par jour.
Aux Etats-Unis, l'été dernier, une grève sauvage des mineurs de charbon de la Virginie de l'Ouest, dirigée contre la collusion des syndicats et des propriétaires, s'est étendue en quelques jours, jusqu'à englober 80 000 des 125 000 mineurs de charbon du pays. Les efforts combinés des syndicats, des patrons, des cours de justice et de la police ont été nécessaire pour mettre fin à la grève qui a duré un mois et qui a complètement paralysé l’industrie du charbon.
Les années écoulées, la lutte de classe a continué à se développer, se répandant de pays en pays, touchant de plus en plus de secteurs industriels et incluant un nombre grandissant de travailleurs. Cependant, en dépit de leur extension et de leur intensité, qui témoigne de la combativité d'une génération de travailleurs qui n'a pas connue la défaite, ces luttes ont seulement ouvert une brèche mais n'ont pas encore brise les remparts corporatistes nationaux, et syndicaux, qui constituent les derniers bastions du capital contre la tempête prolétarienne menaçante. Une accalmie s'est momentanément installée sur le champ de bataille de classe pendant laquelle le prolétariat assimile les leçons de sa lutte récente et la bourgeoisie se prépare à affronter la classe ouvrière. Le calme avant le nouveau soulèvement qui germe déjà profondément dans le tréfonds de la société bourgeoise en déclin coïncide avec les bavardages concernant une reprise économique.
LA REPRISE : REALITE OU MYTHE?
Le prestigieux Economist de Londres a signalé une augmentation de la production commençant le printemps dernier au Japon, et cet été aux Etats-Unis et en Allemagne de l'Ouest, comme le signe annonciateur d’une reprise, ceci après la pire dépression depuis celle des années 30 :
"Les six plus importantes nations industrielles : USA, France, Japon, RFA, Grande-Bretagne et Italie, représentant environ à elles toutes 80% de la production industrielle. Après qu'elles se soient rencontrées au sommet de Rambouillet, chacune voit des hirondelles dans son ciel, et espère qu'elles sont le signal du printemps qui s'annonce. (15 nov. 75, p.
Ainsi l’Economist prévoit d'une manière très optimiste une élévation de leur PNB à toutes les six pour 1976, dans le cas des Etats-Unis et du Japon, une croissance solide de 6 $. Les cercles dirigeants aux USA parlent d'une manière encore plus confiante ; plus de doutes à ce sujet : la reprise des 11 affaires est vigoureuse, plus vigoureuse même que les optimistes ne l'attendaient" (borness Week, 3 nov.1975, p. 19).
Une partie non négligeable de la bourgeoisie partage le point de vue du premier ministre français Chirac, disant "on commence à voir le bout du tunnel".
Les marxistes n'ont jamais affirmé que dans une crise généralisée de surproduction, qui avec les périodes de guerre impérialiste et de reconstruction nationale constitue le cycle barbare du capitalisme décadent, la production baisse constamment, suivant une ligne droite descendante. Une crise sera toujours ponctuée par de faibles et courts sursauts de la production ou même par une augmentation conjoncturelle pour un capital particulier (national). Cependant, seule la bourgeoisie peut confondre une telle pause dans le déclin de la production avec les signes d'une reprise. Le prolétariat a appris une cruelle leçon selon laquelle à une époque de capitalisme décadent, la seule "reprise" qu'après une crise générale de surproduction la société bourgeoise peut avoir se situe après le carnage d'une nouvelle guerre mondiale.
Tandis que l'Etat capitaliste a assumé de manière croissante l'ensemble de chaque économie nationale depuis la crise mondiale des années 30 sans éliminer l'anarchie de la production qui est le stigmate du système capitaliste, la tendance générale vers le capitalisme d'Etat a rendu possible le tassement de la crise. Mène si l'appareil du capitalisme d'Etat a permis d'éviter un effondrement total de la production par le recours au programme inflationniste, le produit inéducable de l'inflation avec ses déficits budgétaires massifs, représente par la suite un affaiblissement de la compétitivité du capital national sur le marché mondial et une tendance prononcée vers une hyperinflation. Une telle situation nécessitera alors une déflation énergique pour éviter un effondrement de l'économie, qui produirait rapidement une crise de liquidités, une avalanche de banqueroutes et une nouvelle chute de la production. De plus, de là manière que la déflation, d'une part produit un effondrement industriel, d'autre part ne fait que ralentir, sans l'arrêter l'inflation galopante, les programmes inflationnistes ne font que ralentir le déclin de la production sans pouvoir renverser la tendance, et de plus produit un boom de l'inflation. Bieri avant que la déflation puisse arrêter l'inflation galopante, elle produirait un effondrement général du système à travers l'asphyxie. Bien avant que la relance puisse éliminer la sous-utilisassions, des capacités industrielles, elle produirait l'hyperinflation et donc l’écroulement de la production. L'économie mondiale est aujourd'hui condamnée à osciller entre des poussées d'inflation et de dépression de plus' en plus dures quelque soit le plan que l'Etat capitaliste adopte.
La reprise, dont la bourgeoisie elle-même essaie de se convaincre de la réalité est condamnée à être morte née. Les signes d'une reprise apparente sont dus à deux facteurs :
- D’abord, une halte temporaire d'une sévère politique de déstockage que l'industrie a entreprise depuis plus d'une année pour, faire face aux marchés sur saturés; et l'élan qui en découle dans la production quand l'industrie recomposées stocks dégarnis.
- Ensuite, la diminution des taxes et 1' accroissement, des dépenses publiques que les différents Etats leadeurs du capitalisme ont entrepris dans un effort désespéré pour soutenir la production et éviter un chômage encore plus important (avec le soulèvement social qui en serait le résultat inévitable).
Aucun de ces facteurs ne fournit les bases pour une reprise réelle. La reconstitution des stocks sera rapidement achevée dès que ceux-ci se heurteront aux réalités du marché mondial rétréci, et sans un nouvel élan, une nouvelle période de liquidation des stocks devra commencer. Le déficit budgétaire sans précédent qui a été nécessaire pour financer les différents programmes de relance, a déjà atteint le point où il provoque une forte-inflation sans pour autant, diminuer rapidement.
Estimation des déficits budgétaires pour l'année fiscale en cours :
Dans les pays capitalistes dominants, 1'année qui vient va se caractériser par un effort systématique pour réduire le déficit budgétaire en rognant sur les dépenses publiques et en faisant un nouveau saut dans la déflation. Ainsi la "reprise" va-t-elle nécessairement entrer en collision avec la diminution des dépenses publiques. Quand aucun accroissement effectif de la demande globale n'est concevable, quand les industries du monde entier amputent leurs dépenses, quand les "économies planifiées" planifient toutes la baisse de leur croissance industrielle, la nature erronée de la reprise pour laquelle est fait un si grand battage, devient évidente.
LA REPONSE DE LA BOURGEOISIE A LA CRISE.
Pour être compétitive sur un marché mondial saturé, chaque fraction nationale du capital doit essayer de réduire le prix de ses marchandises afin d'affronter ses concurrents sur le marché. Cependant, face à la chute du profit, elle doit réduire ses investissements dans de nouveaux outillages ou de nouvelles machines qui permettraient d'élever la productivité du travail et de vendre moins cher que ses concurrents. De plus, les coûts de production liés au capital constant qui est utilisé, sont relativement rigides et résistants à toute diminution si le coût des matières premières (capital circulant) tend à baisser quelque peu, le fardeau de l'outillage et des machines inoccupées (capital fixe) croix à un taux de plus en plus élevé. Il n'y a qu'un seul moyen par lequel chaque capital national pout essayer de rendre sa production plus compétitive : en faisant supporter au prolétariat le poids de la crise.
L'assaut massif contre la classe ouvrière que mène actuellement la bourgeoisie prend deux formes. D'abord, celle d'une détérioration des conditions de travail du prolétariat de manière à élever le taux de profit sans faire aucun nouvel investissement dans le capital constant : réduction massive de la force de travail d'un côté, intensification du travail et allongement des horaires pour les travailleurs qui restent, de l'autre ([1] [16]). Ensuite, une forte réduction du niveau de vie du prolétariat, une attaque directe contre les salaires des ouvriers. Les salaires qui représentent l'équivalent du coût de production et de reproduction de la force de travail (et rendent aussi possible pour un ouvrier de fonder une famille, une nouvelle génération de prolétaires) sont dans les conditions prédominantes de capitalisme d'Etat "payé" de deux façons. Une partie est directement payée au travailleur par son employeur sous la forme de sa paye ; la deuxième partie est donnée au travailleur à la fois par son employeur et par l'Etat sous forme de "services sociaux". Les mesures d'austérité draconiennes (blocage des salaires, politique des revenus, diminution des services sociaux) que la bourgeoisie essaye maintenant d'imposer partout, ont pour objet l'amputation impitoyable des salaires des ouvriers sous ces deux formes.
Toutefois, confrontée à une classe ouvrière combative qui n'a pas connu la défaite, la bourgeoisie doit procéder avec la plus grande dextérité, elle n'ose pas encore imposer sa volonté à la classe ouvrière à travers la répression violente, de peur de provoquer l'affrontement de classe pour lequel elle n'est pas encore prête. Aussi, la bourgeoisie doit d’abord essayer de dévier le prolétariat de son terrain de classe, de le mystifier, de le diviser et de le dissoudre dans le "peuple" ([2] [17]). Ce que la bourgeoisie doit imposer à tout prix, c’est l’unité nationale. Ceci signifie que la gauche va être amenée à "gérer" la crise, à imposer des mesures d'austérité à la classe ouvrière, à convaincre les ouvriers que l'Etat est "leur" Etat et qu'ils doivent faire les sacrifices nécessaires dans son intérêt. Nous allons voir apparaître une floraison d'idéologies nationalistes antifascistes, anti-impérialistes; au niveau le plus élevé de l'appareil d'Etat capitaliste. Toute "opposition à l'Etat sera décrite comme aidant objectivement le toujours menaçant "danger fasciste" que le "peuple démocratique" doit écraser avec son "Etat populaire". La fraction consciente de .la clause, les militants ouvriers et les révolutionnaires seront dénoncés par tous les organes de propagande comme des "agents, fascistes" et des "instruments de la réaction". Avant que chaque fraction nationale de la bourgeoisie puisse espérer atténuer les effets dévastateurs de la crise mondiale et essayer de rafistoler 1'équilibre économique chancelant, elle doit d'abord restaurer 1'équilibre entre les classes. C'est cela qui constitue l'objectif politique du capitalisme d'Etat. La crise économique du capital agonisant a aujourd'hui poussé a un point crucial la profonde crise politique de la classe dirigeante.
LA LUTTE DE CLASSE
A cause de la nature convulsive de la crise qui échappe même au tentaculaire Etat capitaliste et à cause des sacrifices grandissants que l'Etat doit demander, la possibilité de restaurer, ne serait-ce que le plus ténu des statu quo social, s'évanouit, et l'éclatement d'une nouvelle et encore plus puissante vague de lutte de classe devient effectivement certaine.
A quelque moment que la prochain vague de grèves surgira, les travailleurs, s’ils veulent éviter que leur lutte soit, dirigée dans une impasse, devront immédiatement briser le contrôle que les syndicats ont de plus en plus difficilement maintenu sur les luttes des ouvriers. La rupture avec les syndicats prendra son expression concrète dans la formation d'Assemblées Générales dans les usines, qui auront le contrôle de la lutte et dans la création do Comités de Grève élus et révocables. Cependant, il est clair que même la grève la plus militante, et la plus combative, si elle veut éviter d'être isolée et finalement écrasée, doit dépasser rapidement le caractère corporatiste et local.que la structure même du système capitaliste essaie de lui imprimer dès sa naissance. Ce qui est nécessaire, c'est la GENERALISATION de la lutte : son extension aux autres usines, aux autres branches d'industrie et aux autres villes. Ce processus s'accompagnera de la constitution de Comité de Coordination, consistant en délégués des différentes usines, qui seront les embryons à partir desquels les Conseils Ouvriers prendront forme.
L'expérience des soixante années passées a amplement démontré que mené les vagues de grèves de masse les plus généralisées dans lesquelles les ouvriers ont occupé les usines dans les principales villes industrielles (Allemagne 18-19, Italie 20, Espagne 36) sont condamnées à la défaite si la POLITISATION de 1a lutte, 1'attaque de l’Etat bourgeois n’apparaît pas. Tant qu'ils n'auront pas complètement détruit l'Etat bourgeois? Les travailleurs ne pourront être vraiment les maîtres du procès de production. C'est avec, la politisation de la lutte que les Conseils Ouvriers les organes politico-militaires et non simplement économiques du prolétariat, font leur apparition.
Même dans la première petite apparition d'un mouvement ouvrier autonome, lorsque les luttes commencent a briser le cadre étroit des syndicats et à se généraliser, la gauche de 1'appareil politique du capital vient aussi au devant pour appeler à la nécessité de la "politisation" de la lutte qui germer quand 20 000 travailleurs défilent dons les rues, manifestant contre le chômage, les licenciements, les heures supplémentaires obligatoires, comme l'ont fait les ouvriers de Lisbonne en février 75; quand les travailleurs occupent leurs lieux de travail, dénoncent les syndicats et envoient les délégués dans d'autres usines pour coordonner la lutte, comme l'ont fait les travailleurs de la TAE au Portugal, il y a un peu plus d'un an, la gauche terrifiée par ce qui n'était que le début d'une lutte de classe réelle, soutient des grèves et des arrêts de travail officiels pour monter la haine du prolétariat envers le fascisme" et sa confiance dans l'Etat "démocratique". Quand la gauche préconise la transformation de la lutte économique en lutte politique, c'est pour défendre en vérité la transformation de la lutte du prolétariat en lutte pour la défense de l'Etat capitaliste et la préservation de l'ordre bourgeois! La lutte pour des salaires plus élevés, contre les licenciements, etc., est indiscutablement une lutte pour les travailleurs, la base et le sol réel sur lesquels: une lutte révolutionnaire se développe. Les grèves antifascistes et démocratiques, défendues par la gauche, ne sont sans conteste que des grèves contre la classe ouvrière des grèves dirigées à la fois contre les intérêts de classe historiques et immédiats du prolétariat. Dans leurs appels aux grèves antifascistes et démocratiques, les staliniens, maoïstes, trotskystes, anarchistes et socialistes de gauche se révèlent une fois de plus les héritiers directs et légitimes de la social-démocratie d'août 1914 : des instruments enthousiastes et les agents actifs de l'ordre bourgeois chancelant, les bourreaux du prolétariat.
Confrontée à un mouvement de classe autonome qu'elle ne peut simplement ignorer, la bourgeoisie dans un premier temps ne peut agir que d'une seule façon : essayer de détourner à tous prix le prolétariat d'une attaque directe contre l'Etat capitaliste. Toute concession économique peut être faite et sera faite, tant que l'appareil d'Etat bourgeois reste intact, que les usines continueront de tourner, même à perte, elles peuvent mène être "données" aux ouvriers un réseau de "Conseils" d'usine sera toléré ou même encouragé; les augmentations salariales seront accordées et en même temps le gouvernement évoluera de plus en plus à gauche comme le caméléon prenant la couleur rouge pour se protéger quand il est en danger.
Si face à une vague montante de grèves, la bourgeoisie semble céder dévouant toute son énergie à la défense de son appareil d’Etat, sa stratégie est d'attendre que la rage du prolétariat s'épuise d'elle-même et se consume à travers les frustrations et les responsabilités de la gestion des usines, dans la société capitaliste, et ensuite d'agir pour rétablir son autorité et son contrôle direct dans la production elle-même. Cependant, la combativité des travailleurs n'est pais le seul facteur qui affectera la réponse de la bourgeoisie à la vague de grèves de masse qui arrive. La profondeur même de la crise enlève à la bourgeoisie toute marge de manœuvre réelle : si d'un côté des concessions doivent être faites, de l'autre la nature catastrophique de la crise exige qu'elles soient vite retirées. L'Etat capitaliste devra agir promptement pour restaurer l'ordre dans les usines et gagner la "bataille de la production" de peur que les ressources du capital mondial ne soient complètement épuisées et sa compétitivité sur le marché mondial définitivement atteinte.
Dans son effort pour restaurer la production sur une base rentable et imposer sa volonté au prolétariat après qu'une vague de grèves se soit temporairement calmé, la bourgeoisie peut avoir recours soit à la mystification, soit à la répression violente. La plus extrême prudence face à-une classe ouvrière pas encore vaincue doit dicter le choix des mystifications utilisées par la bourgeoisie : organes de "démocratie populaire" autogestion, comités de base, etc.. Toutefois, la nature des sacrifices que 1'Etat capitaliste doit imposer et la forte combativité des ouvriers face à la crise sont telles que même les mystifications gauchistes que maintenant la bourgeoisie trouve plus concrètes, perdent vite leur pouvoir d'influence et de mobilisation sur la classe. Donc, si la tentative de restauration de 1'équilibre économique en mettant les fusils dans les reins des prolétaires détruirait complètement les derniers lambeaux du statu quo social et précipiterait la guerre de classe à outrance, 1’incapacité de la bourgeoisie à restaurer le statu quo social à travers la mystification détruira entièrement toute possibilité de rafistoler même temporairement l'équilibre économique. Tel est le dilemme auquel la bourgeoisie se trouve confrontée à l'aube d'une nouvelle offensive prolétarienne.
LE RAPPORT DE FORCE INTERNATIONAL.
La crise, qui a d'une manière si dévastatrice brisé le statuquo économique et social du capital mondial a aussi sévèrement disloqué l'équilibre international. Face à la faillite d'une économie, chaque fraction nationale du capital est confrontée à la nécessité de rogner dans ses importations et d'encourager les exportations. En d'autres termes "exporter ou mourir" ! Déjà, dans le cadre d’un marché mondial sursaturé, chaque capital national peut seulement améliorer sa balance commerciale aux dépens de celle de ses rivaux car il est, évident que tous les pays ne peuvent importer moins et exporter plus au même moment. La manifestation concrète de la rupture de 1’équilibre international provisoirement établi après la IIème guerre mondiale réside dans la tendance prononcée vers les guerres commerciales, l'autarcie, le nationalisme économique, le protectionnisme et le dumping qui deviennent partie intégrante de la vie quotidienne du capital depuis la. fin.des années 60. A cela on doit ajouter la tendance très significative aux affrontements inter-impérialistes localisés qui se déplacent des pays delà périphérie du monde capitaliste (Indochine, Cachemire, Bengale) vexe les centres vitaux (Moyen-Orient, bassin méditerranéen, régions d'Afrique situées sur les principaux axes de commerce liant l'Europe à l'Asie et aux Amériques).
A mesure que la crise s'approfondit, ces dernières années que le commerce devient plus difficile, et les conflits localisés encore plus féroces, la nécessité d’imposer une nouvelle re division du marché mondial, 1a nécessité de l'élimination violente des concurrents s'imposera avec une logique implacable à chacun des blocs impérialistes. Depuis plus de soixante ans, le marxisme insiste sur le fait qu'en dernière instance, la bourgeoisie a seulement une réponse à la crise : la guerre mondiale impérialiste. Il n’est pas question ici d'une théorie sur la conspiration de généraux bellicistes, mais de la reconnaissance de la tendance inéluctable à laquelle la société bourgeoise pourrissante dans son ensemble, pacifiste ou chauvine, devra se plier :
"Dans la phase décadente de l'impérialisme, le capitalisme peut seulement diriger les contradictions de son système dans une direction : la guerre. Quel que soit le chemin qu'il suive, quels que soient les moyens qu'il essaie d'utiliser pour surmonter la crise, le capitalisme est irrésistiblement poussé vers sa destinée de guerre. L'humanité: peut échapper à. un tel aboutissement au travers de la révolution prolétarienne" (Mitchell, "Bilan" 1934).
Cependant, relativement en dehors du fait que la crise n’a pas encore atteint une acuité qui contraindrait la bourgeoisie à entreprendre une nouvelle guerre impérialiste, il y a une raison beaucoup plus déterminante pour laquelle nous insistons aujourd'hui sur le fait que ce n'est pas la guerre impérialiste mondiale mais la guerre de classe, la révolution prolétarienne qui est à l'ordre du jour. Pour lancer une guerre mondiale, le capital, doit avoir un prolétariat suffisamment écrasé et mystifié pour que celui-ci puisse accepter les sacrifices ultimes dans l'intérêt de la "défense nationale". Aujourd'hui, c’est un prolétariat militant et combatif qui affronte la bourgeoisie et lui barre le chemin vers la guerre. Avant que le capital puisse imposer sa "solution" à la crise, il devra d'abord battre et écraser le prolétariat. Ou la présente crise se terminera par la solution bourgeoise de la guerre mondiale ou la solution prolétarienne de la révolution communiste sera décidée par l'aboutissement de la bataille de classe décisive qui sera allée de l'avant.
Bien que la guerre mondiale ne soit pas maintenant a l'ordre du jour et bien que la bourgeoisie soit occupée par la lutte de classe, avec l’approfondissement inexorable de la crise, les antagonismes inter-impérialistes se font de plus en plus aigus. Pour avoir une idée claire du moyen par lequel les tensions internationales se feront plus aiguës dans les années qui viennent, nous devons considérer à la fois l'équilibre interne dans les blocs russes et américains, et l'équilibre entre ces deux blocs impérialistes.
Certains faits semblent récemment indiquer la désintégration des deux blocs impérialistes, la destruction de leur unité et de leur cohésion. La tendance aux guerres commerciales, la montée du nationalisme économique et même la tendance générale du capital à se centraliser dans les mains de chaque Etat national, tout cela semble être annonciateur de la dissolution des grands blocs impérialistes. Bien sur, des faits tels que la décision de la province canadienne du Sashatchewan de nationaliser 1’industrie de la potasse à capitaux américains, les limitations du Canada sur l'exportation de pétrole vers les Etats-Unis, la nationalisation par le Venezuela des gisements de pétrole et de fer (là aussi, le capital était surtout américain) et le recours de la Grande-Bretagne au contrôle des importations attestent du nationalisme véritable et des tendances à l'autarcie parmi les pays qui constituent le bloc américain. Des tendances similaires sont apparentes dans les relations des Etats roumains et indochinois avec la Russie.
De telles tendances qui devraient si elles étaient dominantes, mener à l'éclatement des blocs, sont cependant contrecarrées par la tendance beaucoup plus forte et profonde vers le renforcement de chaque bloc impérialiste sur la base d'un accroissement de la domination indiscutable d'un Etat capitaliste à l’échelle d'un continent : USA et Russie. Ainsi, à l'intérieur de chaque bloc, toutes les puissances plus faibles, malgré leurs efforts pour continuer une politique nationale agressive, sont contraintes par leur faiblesse sur le marché mondial s'adapter leur politique aux besoins du pouvoir impérialiste dominant. Finalement, le nationalisme économique et les tendances autarciques des petits pays sont condamnés à n’être guère plus qu'un rideau de fumée idéologique utilisé pour obtenir le soutien populaire aux mesures d'austérité extrêmement dures que l'étau du capital russe ou américain impose aux pays dominés.
Le capital russe et le capital américain ont tous deux répondu aux premiers assauts de la crise en en exportant les pires effets sur leurs satellites plus faibles. Ainsi la fameuse "crise du pétrole" provoquée par 1'argumentation des prix qui a accompagné la guerre du Yom Kippour fut un écran de fumée cachant la réalité d'un transfert massif de richesses de l'Europe de l'Ouest et du Japon vers les Etats-Unis par le biais de l'Iran et des producteurs arabes. Dépendant militairement et financièrement des USA, incapables d'avoir une activité indépendante au Moyen-Orient, l'Europe et le Japon ont du accepter un arrangement par lequel des milliards de dollars affluèrent dans les trésoreries de l'OPEP et furent ensuite "administrés" par Wall Street ou utilisés pour acheter a l'Amérique du matériel militaire, des biens d’équipement, des produits agricoles, ceci améliorant la balance commerciale américaine, En plus de ce considérable transfert de richesses aux USA, les produits européens ou japonais sont devenus moins compétitifs sur le marché mondial car leurs prix ont au répercuter la forte augmentation du prix du pétrole vis-à-vis duquel leur économie est totalement dépendante. Le capital américain a été le bénéficiaire de ce "handicap" supplémentaire auquel ses concurrents ont été soumis.
L'étendue du bouleversement qu'a subi 1'équilibre à l'intérieur du bloc occidental, reflétant ainsi le rôle dominant dû plus en plus grand et de moins en moins contestable des USA se voit dans la comparaison des balances commerciales les pays de ce bloc. Les USA, d'un déficit commercial de 5,3 milliards de dollars en 1974 sont parvenus à un surplus commercial de 11 milliard de dollars en 75. La plus grande partie des 15 milliards d'exportation en plus en 1975 par rapport à 74, qui ont seulement pu atténuer les effets de la crise aux Etats-Unis, proviennent directement ou indirectement et à leurs dépens des pays clients des USA. L! acceptation britannique à la conférence de Rambouillet du dictât américain sur le contrôle dés importations, la soumission de la France aux USA à propos du rôle de l’or, la tolérance de l’Allemagne de l'Ouest qui a une monnaie surévaluée à une période de baisse des exportations et l'acquiescement de Tokyo aux "recommandations" américaines concernant les investissements 'étrangers au Japon, tout cela indique le caractère insoutenable de la théorie de l'effritement des blocs.
A l'intérieur du bloc de l’Est, l'équilibre s'est aussi modifié; reflétant la domination incontestable de la Russie sur ses "partenaires". Durant les deux années passées, 1' URSS a imposé des augmentations successives des prix du pétrole et d'autres matières premières aux Etats dépendants, demandant récemment qu'ils fournissent en plus des capitaux pour des projets éléphantesques d'investissements en Sibérie.
La totale impuissance des Etats les plus faibles à résister à la demande des capitalismes d'Etat dominant le monde est aujourd'hui manifeste. Et même si un pays, réussit vraiment à assurer son "indépendance" et à rompre avec un bloc impérialiste, il est condamné par la structure même du capitalisme décadent à tomber immédiatement sous la domination du bloc impérialiste rival. Ceci a été le destin de l’Egypte qui s’est elle-même dégagée de l’hégémonie de Moscou pour ,tomber finalement sous sa domination de Washington, Ainsi, ce qui est en cause ici, ce n'est d'aucune façon l'effritement des blocs impérialistes, mais plutôt la manifestation d'une rivalité inter-impérialiste plus dure entre les blocs.
Cependant, le fait que la Russie et les USA aient accru leur contrôle sur leurs blocs respectifs ces deux dernières années a seulement rendu momentanément possible l'atténuation des pires effets de la crise. Quelques soient les espoirs que l'URSS et les USA ont mis sur leurs blocs pour absorber une masse toujours plus grande de leurs marchandises; leur perspective de succès sur le plan de l'exportation, sont excessivement faibles. Les plus petits pays du bloc américain, déjà paralysés par la crise, ne seront pas capables de continuer à absorber les marchandises américaines au niveau actuel dans 1'année qui vient. En 1976, quand la demande effective en Europe va décliner et que la tentative d’éviter une faillite économique totale conduit à des efforts frénétiques pour limiter les importations, la balance commerciale des Etats-Unis va gravement se détériorer. De manière similaire, les planificateurs russes qui essaient désespérément d’augmenter leur commerce extérieur de 13,6% cette année la majeure partie vers leurs "alliés" européens devront aussi lutter contre la contraction de la demande, et dans ce domaine comme dans bien d'autres, ils ne parviendront sûrement pas à atteindre leur but.
De la même manière que dans les deux années passées, le statu quo à l'intérieur de chaque bloc a basculé en faveur du pouvoir impérialiste dominant, l’équilibre entre les blocs a aussi basculé en faveur des américains aux dépend du bloc russe! Ce n'est pas dans des zones d’une importance relativement faible comme le Viêt-Nam, mais dans des zones qui, par leur proximité des centres industriels du capital mondial et par leur richesse en matières premières, par leur marché et leur situation stratégique dominant les voies du commerce mondial, sont vitales pour les blocs impérialistes, que la rupture dramatique de l'équilibre des puissances peut être clairement vue.
Les gains significatifs que l’impérialisme russe a réalisés au Moyen-Orient durant les années 60 ont été réduits durant ces deux dernières années. La contre-attaque de l'impérialisme américain dans cette région cruciale a déjà ramené l'Egypte et le Soudan dans l'orbite occidentale. Pendant l'année passée, un solide axe Téhéran-Djeddah-Amman-le Caire-Washington a été bâti, ce qui avec son client israélien assure la domination américaine au Moyen-Orient. Les énormes ventes d'armes à l'Iran, la livraison d'un nouvel équipement militaire à Israël, le projet d'une industrie arabe d'armement liée au bloc américain qui a été entrepris par l'Egypte, l'Arabie Saoudite, le Qatar et les émirats arabes unis constituent des moments significatifs de la construction militaire en cours que les USA ont entrepris avec succès dans cette région. Les fruits de cette politique belliqueuse sont déjà apparents avec la fin de la rébellion du Dhofar soutenu par l'Urss contre le sultan pro-occidental d'Oman, qui a été écrasée avec l'aide des troupes iraniennes et l'armement sophistiqué Anglo-américain.
En réponse à ce basculement de l'équilibre international en faveur du bloc américain, l'impérialisme russe a lancé une offensive réfléchie pour expulser les USA d’un certain nombre de positions près des centres nerveux du capital mondial. En Yougoslavie, les "kominformistes" pro-russes et anti-titistes et les groupes nationalistes croates ont considérablement accru leurs activités ces derniers mois. Une initiative russe en Yougoslavie, avec ses facilités navales dans la mer Adriatique et sa proximité de l'Italie, prend forme. Le bloc américain a pris des mesures pour contrecarrer la poussée russe dans les Balkans avec le projet du régime grec d'un pacte des Balkans qui serait basé sur les régimes albanais, yougoslaves, grecs et turcs, tous antirusses, et qui cherchera à miner l'influence russe en Roumanie.
L'impérialisme russe essaie aussi de récupérer le terrain perdu au Moyen-Orient par son intervention au Liban. L'aide militaire est acheminée pari l'Irak- une des places forte qui reste à Moscou dans la péninsule arabique, pour les FORCES UNIES d’Ibrahim Koleilat qui sont engagées dans une lutte sanglante pour le contrôle de cette région importante du littoral méditerranéen. Les Etats-Unis en même temps qu'ils soutiennent les forces phalangistes, essaient au travers de la Ligue Arabe, de l'Egypte, de la Syrie, et de l'OLP de restaurer le statu quo au Liban. Si cela échoue, et dans l'éventualité d'un effondrement complet de l'Etat libanais pro-occidental, les Etats-Unis pourraient intervenir pour conserver les positions stratégiques, ou bien au travers d’une invasion israélienne, ou bien par la partition du Liban d'où un Etat chrétien totalement dépendant du bloc américain pourrait émerger.
Les impérialismes russe et américain s’affrontent autour de la corne de 'Afrique et du détroit vital de Bab-el-Mahdeb qui contrôle l'accès à la mer Rouge et par lequel le commerce entre l'Europe et l'Asie passera avec la réouverture du canal de Suez. Tandis que les russes essaient désespérément de briser la domination américaine sur cette région au travers de leur soutien au front de libération de l'Erythrée et par l'importante implantation militaire en Somalie, quand la lutte dans cette région dû monde va s'intensifier, les américains peuvent réagir de trois façons:
1- Soutenir le régime militaire en Ethiopie s'il apparaît capable de contrôler la situation et d'être un chien de gardé loya1 de l'impérialisme américain.
2- Créer un état Afar dépendant à partir de la province éthiopienne de Wollo et du territoire français des Afar et des Issas pour surveiller l'importante route du commerce.
3- En trouvant un terrain d'entente avec l'aile "modérée" du FLE et avec les arrières arabes "amis" l'Egypte et le Soudan, pour soutenir la création d'un Etat érythréen qui garantirait la domination américaine sur la région.
De l'autre côté de l'Afrique, le Maroc et l'Algérie sont au bord de la guerre pour le phosphate de l'ancienne et riche colonie espagnole du Sahara. Tandis que les troupes marocaines assurent leur contrôle sur la région, le Front Polisario soutenu par l'Algérie a lancé une guerre de guérilla contre l'armée du roi Hassan, au même moment l’Algérie a massé le gros de ses troupes à la frontière saharienne, et l'Algérie et la Lybie ont de manière répétée averti que l'annexion du Sahara Occidental par le Maroc serait inacceptable pour eux. Derrière le Maroc et l'Algérie, se cachent les des grands blocs impérialistes, dont les aides et les armements seuls peuvent rendre une guerre possible. Derrière la question des matières premières, c'est la situation stratégique de l'ancienne colonie espagnole qui est du plus grand intérêt pour les USA et la Russie. Les Etats-Unis espèrent faire échec aux ambitions navales de la Russie dans l'Atlantique grâce à l’incorporation du Sahara au Maroc, son "ami" de l'autre côté, un Sahara Indépendant" qui "dépendrait du soutien de l'Algérie et de la Russie, fournirait à la Russie sa première bise sur l'Océan Atlantique.
Les besoins de la Russie pour une telle base deviennent visibles quand sa flotte de guerre traverse l'Atlantique vers l'Angola où une puissante force d'intervention américaine est concentrée. C'est en Angola que la boucherie inter-impérialiste atteint, actuellement son sommet : les "fronts de libération" rivaux, largement équipés avec les plus modernes instruments de mort par leurs maîtres américains et russes ont transformé le pays en véritable boucherie. En Angola, 1' URSS, au travers du MPLA et d’un corps expéditionnaire cubain, les USA avec le FNLA, 1'UNITA et des contingents de troupes sud africaines, se battent pour l'Angola riche en matières premières (pétrole, fer, diamants, etc..) pour le contrôle du transport du cuivre et de l'uranium provenant du Zaïre et de la Zambie qui passe par les ports angolais et pour la domination des joutes commerciales qui lien l'Europe à l'Afrique du Sud et traversent l'Atlantique sud entre l'Europe et l’Amérique du Sud.
La Chine, une puissance impérialiste mineure essayant vainement de construire seule un bloc, est condamnée par sa faiblesse à chercher le soutien de l'un des deux blocs impérialistes. Si pour l'instant la Chine est l'alliée des USA contre la Russie et essaie énergiquement de contrecarrer la poussée expansionniste de Moscou en Asie du Sud et en Extrême-Orient, un renversement d'alliance dicté par les circonstances n'est pas à exclure.
LA GUERRE DE CLASSES
L’effondrement de l'économie du statu quo social et de l'équilibre international du capital mondial face à la crise générale de surproduction a amené l'ordre bourgeois déclinant au bord d'une guerre de classe généralisée. Aujourd'hui, le Portugal et 1’Espagne sont devenues les arènes décisives où le prolétariat et la bourgeoisie mesurent leurs forces et se préparent pour les luttes gigantesques qui vont venir ; c'est sur la base des leçons tirées des événements qui se déroulent maintenant dans la péninsule ibérique que la classe ouvrière et son avant-garde communiste s'armera pour la lutte violente qui s'annonce pour la destruction de l'Etat capitaliste et l'établissement de la dictature des Conseils Ouvriers.
Au Portugal, face à une vague de grèves de masse, la bourgeoisie a réussi à détourner la classe ouvrière d'un assaut direct contre l'Etat capitaliste grâce aux mystifications nationalistes, démocratiques et antifascistes qui ont accompagné le mouvement de gouvernements successifs vers la gauche entre 1974 et 75. Cependant, le cinquième gouvernement, dans lequel les staliniens et le COPCON ont joué le rôle principal, a complètement échoué dans "la bataille de la production", pour restaurer l'ordre et la discipline dans les usines et pour imposer les sacrifices nécessaires au prolétariat. Toutefois, la fragmentation et la dramatisation momentanée que les mystifications de la démocratie, de l'unité nationale et de l'antifascisme ont amené dans la classe, ont suffi pour produire un creux momentané dans la lutte de classe et c'est a ce creux que le sixième gouvernement correspondait. La combinaison de l'effondrement économique qui menace et d'une classe ouvrière pas encore défaite, va toutefois- bientôt relancer une nouvelle vague de grèves. Face à une bourgeoisie qui évolue toujours plus à gauche, en réponse à un nouveau surgissement de la classe, il est impératif que les révolutionnaires dénoncent sans merci les programmes de démocratie populaire, d'autogestion, de comités de base, et de quartiers par lesquels la bourgeoisie essaiera de contenir la poussée violente du prolétariat et de créer ainsi les bases de sa contre-attaque à venir.
Maintenant, encore plus que le Portugal, c'est l’Espagne qui est devenue le banc d'essai des oppositions de classe. Pays industriel avancé qui par son histoire de militantisme prolétarien et sa proximité de la France et de l'Italie, peut allumer la flamme révolutionnaire en Europe, l'Espagne est devenue l'objet de préoccupation de la bourgeoisie qui tente désespérément de mettre en place son arsenal de mystifications avant 1'explosion de la poudrière. La vague de grèves qui vient quasiment de paralyser Madrid indique l'ampleur de l'explosion à laquelle le capital aura bientôt à faire face.
La préparation des révolutionnaires pour l'intervention dans la lutte de leur classe dans cette bataille cruciale demande une compréhension complète de là marche vers la gauche que la bourgeoisie espagnole, sous les exhortations de ses maîtres européens et américains, entreprend maintenant. C'est sur les champs de bataille de la classe que les analyses, les perspectives et l'orientation pratique pour la lutte qui émergeront à ce Congrès du Courant Communiste International seront vérifiées dans l'année qui vient.
Mc Intosh, décembre 1975- janvier 1976
[1] [18] Au milieu d'une crise, le capitalisme décadent a recours aux méthodes barbares d'extraction de la plus-value qui caractérise son enfance : la plus-value absolue. C'est la seule caractéristique de sa jeunesse que le capital, dans les affres de l'agonie, peut reprendre.
[2] [19] Le mot le plus odieux du vocabulaire bourgeois!
1 — La crise, qui a commencé à toucher, depuis 1965, les pays développés et dont le cours s'est brutalement accéléré depuis fin 1973, n’est ni une crise de civilisation, ni une crise monétaire, ni même une crise de matières premières, ou de "restructuration" mais la crise du système capitaliste mondial.
2 — L'extension du chômage qui accompagne la baisse généralisée de la production mondiale et dont l'ampleur est comparable à 1929, la multiplication des famines et des épidémies dans certains pays du tiers monde, les "crises" agricoles jusque dans les pays les plus développés sont les symptômes les plus clairs que la maladie actuelle qui ébranle le capital mondial à un rythme accru n'est pas une simple "dépression" momentanée, conjoncturelle ou cyclique mais la convulsion d'un système à l'agonie.
3 — Cette seconde crise ouverte du système capitaliste confirme avec éclat la thèse défendue par les révolutionnaires depuis presque 60 ans. A là suite de 1' Internationale communiste, que la période ouverte par la première guerre mondiale est la phase de déclin d'un mode de production parvenu au terme de sa trajectoire historique. Dans cette phase, la crise mondiale est le reflet de l'état de décomposition d'un système entré en décadence.
4 — Les tentatives répétées du capitalisme avec la fin de la période de reconstruction qui a suivi les destructions du second conflit impérialiste, d' échapper à la crise ouverte en rejetant les premiers symptômes dans les zones arriérées et en cherchant dans les guerres locales, en particulier dans la guerre du Vietnam, un exutoire à ses propres contradictions, se soldent aujourd'hui par un cuisant échec. Par un effet de boomerang, elles n'ont fait qu'accentuer en retour les effets destructeurs du choc de la crise.
5 — Contrairement à 1929, où un krach généralisé signifiait le début de la phase de crise ouverte, la crise actuelle se caractérise non plus par un effondrement-brutal mais par un étalement prolongé dans le temps. La bourgeoisie, poussée par son propre instinct de conservation de classe a tiré les leçons de la précédente crise en accélérant le phénomène tendanciel de prise en charge par l'Etat de l'ensemble de l'économie. L'injection de capital fictif, sous forme d'une inflation généralisée, dans les cellules nécrosées du capital, a permis et permet encore de freiner la chute du système jusqu'à un effondrement final.
6 — Néanmoins, la mise en place de ces paliers successifs dans la descente au fond de la crise n'a fait qu'amplifier en sur face ce que le capitalisme tentait de conjurer dans le temps. Aujourd'hui, quels que soient l'hémisphère, le continent, la nation, la crise a jeté sa chape de plomb sur l'ensemble du monde. Les divers "miracles économiques" avec leurs régulières et rapides courbes de croissances ne sont plus que des fantômes qui hantent la mémoire de la classe dirigeante. La tâche sombre du tiers monde en crise permanente dans les années de reconstruction a fini par envahir l'ensemble de la scène économique mondiale.
6 bis — L'économie mondiale -malgré l'extension de l'appareil du capitalisme d' Etat dans chacune de ses cellules nationales- est condamnée désormais à subir les oscillations dé plus en plus rapprochées de l'hyperinflation et de la déflation brutale. Cette courbe sinusoïdale dans l'utilisation de plus en plus frénétique de capital-monnaie ne fait que traduire 1'asphyxie progressive qui gagne l'économie mondiale sous la double forme de la surproduction et de déficits budgétaires de plus en plus massifs et dont la conjonction ne peut qu'entrainer à la longue l'effondrement brutal.
7 — Les pays du bloc russe, les multiples et pittoresques variétés de "socialisme" qui, aux dires de la "gauche" et des gauchistes, ne pouvaient connaitre les affres de la crise grâce à leur planification prétendument "scientifique", "socialiste" ont en 1975 plongé eux aussi dans la crise. Ce retard dans la crise qui s'explique par les mécanismes mis en place, les manipulations permanentes exercées par le "capital idéal : l'Etat" met ces pays brutalement et à l'improviste dans une situation de moindre résistance au choc d'une crise amplifiée par la masse des pays atteints.
8 — La crise des pays de l'Est est la confirmation éclatante de la thèse marxiste selon laquelle le capitalisme entré en décadence est dans l'incapacité de se résoudre ses contradictions. Le "capitalisme d'Etat" n'est pas une "solution" à la crise, comme le soutiennent et les staliniens et les tenants des théories conseillistes qui y voient du "socialisme d'Etat". L'échec de cette "solution" prive aujourd'hui la bourgeoisie d'une de ses mystifications les plus puissantes.
9 — Les révolutionnaires ne peuvent que dénoncer avec la plus grande énergie les mystifications de "reprise" mises aujourd'hui en avant par la bourgeoisie, que ce soit sous forme de "plans de relance" ou de nationalisations. Leur propagande au sein de leur classe doit être axée sur le fait que dans le cadre du système capitaliste décadent les soi-disant "solutions" ne sont que des replâtrages qui signifient attaque de son niveau de vie et aggravation constante de ses conditions d'existence.
10 — Aujourd'hui, comme il y a 50 ans, la seule alternative est : guerre ou révolution. Sur un marché hyper saturé, où chaque capital national a besoin pour survivre d'exporter ses propres marchandises au détriment des autres capitaux qui le concurrencent, il ne peut y avoir d'autre "solution" que celle de la force. La projection brutale du prolétariat dans la réalité de la crise dont l'issue ne peut être que son utilisation comme chair à canon d'un troisième conflit impérialiste qui pourrait bien signifier pour l'humanité une chute irrémédiable dans la barbarie comme l'ont montré les 2 guerres précédentes, met à l'ordre du jour la nécessité de la révolution communiste permettant à l'humanité de passer du règne de la nécessité dans le règne de la liberté.
11 — Contrairement à l'entre-deux-guerres, la tendance actuelle n'est pas à la guerre impérialiste. Le prolétariat a manifesté depuis la fin de la période de reconstruction une combativité décuplée par l’approfondissement de la crise. Seul un écrasement brutal du prolétariat ou des défaites répétées pourraient inverser la tendance actuelle à la révolution en tendance à la guerre impérialiste. Aujourd' hui, la coïncidence de la crise avec un essor des luttes prolétariennes met à l’ordre du jour la révolution prolétarienne, dans les conditions telles que Marx les avaient envisagées et non pas au sortir d'une guerre impérialiste comme ce fut le cas de la vague révolutionnaire passée, dont le déclenchement pouvait signifier la disparition du mouvement prolétarien.
12 — Comme l'ont montré les deux grands conflits impérialistes, pour la bourgeoisie il ne peut y avoir d'autre perspective que celle de la guerre. Si la guerre impérialiste, dont les destructions généralisées à l'ensemble de la planète, entraînent une régression des forces productives, ne saurait être un remède au déclin du capitalisme qu'elle accélère chaque fois plus, pour le capital elle est son unique sortie de secours. En aucun cas elle ne peut résoudre le problème de la crise : elle est la continuation de la crise avec d'autres moyens.
13 — Si le cours actuel n'est pas celui de la guerre, c'est néanmoins par le biais des "luttes de libération nationale" ou des guerres locales que le capital teste et perfectionne tout son arsenal de mort dans le cadre de ses préparatifs permanents à l'éventuel d'un troisième conflit mondial.
14 — La fin de la guerre du Vietnam ne marque pas le début d'une ère de "paix armée" entre les deux blocs que viendrait sanctionner des conférences d'Helsinki. L'industrie d'armements' est le seul secteur de l'économie qui dans la crise actuelle connaît un développement rapide et fiévreux. L'année 75 a été celle du plus formidable programme d'armement qu'ait connu l'humanité loin d'établir, comme le prétendent d'attardés descendants de Kautsky, l'ère d'un condominium russo-américain, elle marque 1'accélération d'une course aux armements, dont la seule limite est la combativité- accrue du prolétariat.
15 — Si les deux blocs impérialistes continuent à jauger leurs forces dans les zones marginales du capitalisme, c'est aujourd'hui à proximité des zones vitales du système que se déplacent les conflits inter-impérialistes. Le Bassin méditerranéen, où la Russie et les USA s'affrontent au travers de la guerre civile, tend à devenir "la poudrière du monde capitaliste". Le développement de la guerre en Angola, les incidents de frontière entre l'Inde et la Chine d'une part, entre celle-ci et la Russie d'autre part, sont le signe que pour des raisons à la fois stratégiques et économiques les deux grands impérialismes concentrent leurs forces dans une périphérie toujours plus proche des pôles industrialisés du capital.
16 — La multiplication de guerres locales entre pays d'un même bloc (Grèce et Turquie) ou l'apparente "indépendance nationale" accordée aux pays de l'Asie du Sud-est par les deux grandes puissances impérialistes ne signifient pas un affaiblissement des blocs constitués autour de l'URSS et des USA. De tels phénomènes montrent que chaque camp a renforcé sa mainmise politique dans sa zone d'influence au point de ne plus avoir besoin de recourir à des interventions militaires directes. L'apparent développement des forces centrifuges qui s'exercent au sein de chaque bloc et qui trouvent leur origine dans les tentatives désespérées de chaque bourgeoisie nationale de trouver un moyen de résoudre seule "sa" propre crise, n'est qu'une résistance anachronique à la force centripète qui pousse chaque capital national dans le giron de son bloc impérialiste respectif. Aujourd'hui le mot d'ordre de chaque bourgeoisie ne peut plus être "chacun pour soi" comme dans la période de reconstruction, mais "coulons tous ensemble". L'effrontément d'un seul pays industrialisé pouvant entraîner la chute de tous les autres et la nécessité de renforcer les blocs dans la perspective d'une guerre mondiale imposent de plus en plus une discipline de fer au sein de chaque camp.
17 — Dans le jeu des forces des grandes puissances impérialistes qui avancent leurs .pions respectifs sur l'échiquier mondial, ce sont les Etats-Unis qui ont marqué le plus de points aux dépens de la Russie qui a du en partie se replier sur son "glacis" dont elle a renforcé la cohésion et la discipline, même si la politique extérieure reste axée sur la recherche fébrile de nouveaux points d'appui stratégiques. La Chine comme troisième puissance impérialiste, joue un rôle identique à celui de la Russie d'avant 14 : cherchant à se constituer des zones d'influence en Asie et en Afrique, sa faiblesse économique l'empêche de pouvoir mener par ses propres forces une politique d'expansion. Comme la Russie tzariste elle est destinée à fournir le gros de la chair à canon au profit d'un bloc dans un troisième conflit impérialiste. Si actuellement elle s'est alliée avec les USA contre la Russie, l'histoire de ces cinquante années montre qu'un renversement d'alliance est toujours possible.
18 — La thèse répandue par les gauchistes de l'affaiblissement de l'impérialisme US sous les coups des "luttes de libération nationale" est un pur instrument de mystification et une tentative d'embrigader les prolétaires dans le camp russe. Son corollaire de l’"effritement des blocs" quand il n'est pas une apologie voilée du nationalisme sous la forme de 1'"indépendance nationale" est une dangereuse sous-estimation, des préparatifs de guerre du capital menant soit à l'attentisme soit au pacifisme.
19 — Face à la reprise de la lutte de classe du prolétariat dont le développement est .une menace mortelle pour le capital, celui-ci ne peut que globalement renforcer ses préparatifs et sa cohésion pour ne plus former qu'un seul bloc dans la perspective du surgissement dé la révolution prolétarienne. Face à la bourgeoisie qui est amenée à prendre les mesures les plus extrêmes pour sortir d'une crise dont le prolongement signifierait son propre arrêt de mort, le prolétariat ne peut qu' être amené à comprendre l'immensité de la lutte sans merci qu'il devra mener contre son ennemi mortel
20 — Le krach de 1929 pouvait faire croire aux révolutionnaires dans le passé que la crise constituait un facteur de démoralisation du prolétariat ouvrant le cours fatal vers la guerre. Au contraire, la crise actuelle est une véritable école de combat du prolétariat, dont les craintes se dissolvent dans le feu de la lutte de classe. Dans la période actuelle, l'approfondissement de La crise sous les coups répétés de la lutte de classe internationale ne peut qu'accélérer le cours de celle-ci, renforçant, en cohésion et en force les rangs prolétariens, condition même de son passage à un stade qualitativement supérieur au niveau de sa conscience et son" organisation. Le géant endormi par cinquante ans de contre-révolution a ressurgi sur la scène historique, avec de nouvelles forces, galvanisé par la crise. De l'Espagne à l'Argentine, de l'Angleterre à la Pologne, quel que soit le nom que se donne le système qui l'exploite, le prolétariat est de nouveau le spectre qui hante le monde.
21 — Alors qu'aux explosions ouvrières de 68-71 en Europe avait succédé un certain reflux des luttes, l'année 1975 a marqué une nouvelle étape dans la lutte de classe du prolétariat, sous la forme d'une résistance farouche aux assauts du capital (chômage massif, diminution rapide de l'ancien niveau de "vie") une fois le premier effet de stupeur dissipé. Le cours de la lutte de classe est aujourd'hui à un tournant décisif. L'irruption de la lutte de classe encore lente et sporadique, de quantitative et ponctuelle, tend à se hisser de .plus en plus à un stade qualitativement supérieur en gagnant en extension et en profondeur ce qu’elle a perdu en masse momentanément. Alors que le renouveau des luttes ouvrières se faisait jusqu'ici dans les pays où la tradition de lutte de classe. était plus solidement enracinée, leur extension à l'ensemble du monde est le signe avant-coureur de leur généralisation en masse.et donc l'embryon de la formation des l'armée mondiale du prolétariat.
22— C'est néanmoins vers l'Espagne, compte tenu .de l'intensité et de la radicalité des luttes menées par la classe ouvrière de ce pays, que se concentre aujourd'hui l'attention des révolutionnaires. Alors qu'en 36 l'Espagne s'était vite transformée en un banc d'essai pour la seconde guerre mondiale impérialiste, elle est appelée dans la période actuelle à jouer un rôle décisif au niveau international pour les deux forces en présence : bourgeoisie et prolétariat. Véritable laboratoire du combat titanesque auquel se préparent les deux classes antagonistes, les révolutionnaires devront tirer toutes les leçons des événements cruciaux appelés à s'y dérouler et dont le poids pèsera lourd dans le surgissement ou l'étouffement de la révolution mondiale.
23 — Cependant en raison :
- du caractère encore graduel et relativement lent du rythme de la crise;
- du poids de 50 ans de contre-révolution, où le prolétariat a connu les plus sanglantes défaites de son histoire, perdant jusqu’a son instinct le plus élémentaire de classe; la reprise des luttes se manifeste encore sur le terrain économique de la résistance au capital. Même lorsque ces luttes se hissent au niveau de la grève de masse posant immédiatement le problème de leur affrontement à l'Etat, elles prennent une forme saccadée, suivant un tracé irrégulier, une apathie apparente suivant souvent de grandes irruptions prolétariennes. Le prolétariat ne semble pas encore prendre pleinement conscience de la richesse des enseignements contenus dans ces luttes qu'il a menées, même si ses expériences généralisées sont partout les mêmes. Malgré l'apparition sporadique de noyaux politiques au sein du prolétariat, là où la lutte de classe connaît son plus haut degré de développement, la classe n'a pas pu et ne peut encore prendre spontanément conscience de la nécessité de passer du terrain économique au terrain politique de l'offensive généralisée contre le capital, de la lutte parcellaire à la lutte globale qui s'accompagne nécessairement de l'apparition de l'organisation unitaire, économique et politique, de l'ensemble de la classe : les conseils ouvriers.
24 — Dans le monde entier les leçons qui commencent déjà à se graver dans le cœur et le cerveau de la classe sont partout les mêmes, du pays le plus arriéré au plus développé. :
- résistance acharnée aux effets de la crise par la généralisation de la lutte de classe;
- autonomie de la classe par l'affrontement avec .les syndicats, bras armé du capital au sein de l'usine;
- nécessité de la lutte directe politique par l'affrontement violent avec l'Etat..
25 — L'apparition et le développement dans le feu de la lutte, d'assemblées ouvrières rassemblant l'ensemble des travail leurs d'une ou de plusieurs usines sur un objectif revendicatif donné, expriment les balbutiements de la classe révolutionnaire cherchant à tâtons la voie de son autonomie Dans la conjoncture actuelle, où le niveau de la lutte de classe demeure encore relativement modeste, ces organisations ne peuvent être autre chose que des embryons de l'organisation unitaire de la classe. En tant que tels, en l'absence d'une lutte permanente de la classe, ils sont amenés soit à disparaître avec la retombée de la lutte, soit à se transformer en syndicats et donc en de nouveaux instruments de mystifications.
26 — La paralysie croissante et chronique ce l'appareil politique du capital qui si manifeste aujourd'hui dans les pays dent l'économie est à mi-chemin entre 1' arriération et le développement industriel, comme au Portugal et en Argentine, ust la préfiguration de l'Etat de décomposition avancée tant économiquement que socialement qui est appelé à devenir le mode d’existence de l'ensemble du capitalisme, avec l'accélération de la crise et de la lutte de classe. Gomme l'ont montre les révolutions passées, la révolution prolétarienne est la conjonction de l’impossibilité pour la bourgeoisie de gouverner désormais de manière stable et le refus croissant des ouvriers de vivre comme auparavant.
27 — Face au prolétariat dont l'audace et la combativité n'ont cessé de s1affirmer toujours plus, la bourgeoisie a de moins en moins la capacité et la cohésion suffisantes pour écraser le prolétariat et l'embrigader dans une troisième guerre impérialiste. Sa ligne d'action est aujourd’hui d'éviter toute lutte frontale avec son ennemi mortel, laquelle ne pourrait que précipiter le cours de la lutte de classe vers la révolution. La mystification, c'est-à-dire toute la stratégie de dévoiement, de division, de démoralisation du prolétariat, est la seule arme réelle dont dispose et use la bourgeoisie aujourd'hui. Plus encore que tout l'arsenal répressif, de guerre civile déjà mis au point, les diverses mystifications utilisées par le capital pour empêcher, ou du moins freiner la prise de conscience révolutionnaire du prolétariat, sont dans la période actuelle l'arme la plus efficace et la plus dangereuse de son arsenal. Néanmoins, la bourgeoisie est parfaitement consciente qu'au bout du compte l'affrontement direct est inévitable, les mystifications mises en place n'ayant d'autres sens que de gagner du temps pour affronter le prolétariat dans les conditions les plus favorables pour elle.
28 — Seule force apte à détourner les ouvriers de leur terrain de classe, les partis de gauche, dont la venue au pouvoir est inéluctable et nécessaire pour le capital, constituent la seule solution de rechange aux partis classiques incapables toujours plus d'exercer un contrôle quelconque sur la classe ouvrière. Leur capacité d'apparaître vis-à-vis des ouvriers comme "leurs partis", leur confère un rôle de tout premier plan pour inciter la classe à se sacrifier sur l'autel de la défense de "son gouvernement populaire", de " son économie socialiste". Même là où l'instabilité ou l'archaïsme de l'appareil politique du capital, ou bien une défaite locale du prolétariat ont amené le remplacement de la gauche par la droite, parce que les solutions politiques de la bourgeoisie ne peuvent être que globales, la nécessité de la "solution" de gauche s'impose face à un prolétariat qui ne peut être battu ou du moins paralysé que globalement et universellement.
29 — Néanmoins, aux solutions classiques des partis de gauche, dont la capacité de mystification a commencé à s'user au bout de cinquante ans de contre-révolution, devront se substituer de plus en plus des fractions plus "radicales" dans leur fonction de dévoreurs de la classe ouvrière. Ils constituent l'ultime carte de mystification que la bourgeoisie met soigneusement en réserve au moment où l'affrontement global prolétariat-bourgeoisie de vient inévitable. Cependant, la gauche et les gauchistes, comme n'importe quelle fraction du capital, ne peuvent résoudre la crise; leur venue ne peut que freiner mais non empêcher la conflagration finale entre les deux classes.
30 — Aujourd'hui comme hier, l'arme utilisée par la gauche face au prolétariat, qui conserve encore des illusions léguées par cinquante ans de contre-révolution qu'il a dû traverser, est celle du frontisme. Toutes les variétés d'antifascisme, d'anti stalinisme sont autant de manœuvres systématiques du capital pour faire lâcher au prolétariat sa propre boussole de classe. Les révolutionnaires doivent mettre en garde le prolétariat contre toutes les illusions de type démocratique qui, comme par le passé, ne pourraient le mener qu'à un nouveau massacre, et dénoncer sans relâche tous les partis qui se font les propagandistes de tous les "anti" démocratiques,
31 — Ni le "fasciste" ni la "dictature" ne peuvent être aujourd'hui à l'ordre du jour, la bourgeoisie renforçant à l'est comme à l'ouest son arsenal démocratique face au prolétariat, ce thème ne peut p prendre dans la période actuelle toute la place qu'il tenait en période de contre-révolution. Enfermer le prolétariat dans le cadre de l'usine par l'autogestion, ou laisser croire aux ouvriers que la "solution" à la crise se trouve dans 1'"indépendance nationale" contre les "multinationales" ou "l'impérialisme" deviennent aujourd'hui les mystifications majeures utilisées par le capital pour empêcher toute autonomie de classe, toute prise de conscience généralisée en tentant d'atomiser, de dissoudre les intérêts de la classe dans ceux de "la nation toute entière"0
32 — C'est donc une "intelligence" de la situation, aiguisée par l'enjeu de la bataille, qui est sa propre existence en tant que classe, qui a permis à la bourgeoisie de manœuvrer cette année encore de main de maître, pour éviter tout affrontement direct avec le prolétariat. Même si la bourgeoisie sur le plan local (Portugal, Espagne) n'a pas su manœuvrer avec toute l'habilité recuise, globalement elle a réussi à affronter les réactions prolétariennes à la crise et la crise elle-même par de multiples plans d'ensemble, sans subir aucun recul, même si déjà le prolétariat commence à se libérer de plus en plus des illusions ou des mystifications qui lui sont imposées par la classe, dominante,
33 — Les révolutionnaires ne peuvent que mettre en garde le prolétariat contre toute sous-estimation des forces et capacités de manœuvrer son ennemi de classe. Plus que par le passé, face à une bourgeoisie forte de plus d'un siècle et demi d'expériences dont elle a su tirer les leçons, la cohésion, l'organisation du prolétariat au niveau mondial sont une impérieuse nécessitée Les révolutionnaires doivent, par leur participation active dans toutes les luttes que mène le prolétariat contre le capital, montrer qu'aujourd’hui face à un adversaire aguerri- le moindre recul pourrait avait des répercussions catastrophiques, s'il n'est pas à même de tirer les leçons de ses luttes par le développement de son organisation autonome de classe,,
34 — Le CCI invite tous les groupes ou individus révolutionnaires à se regrouper dans une même organisation de combat, à concentrer et non à disperser leurs forces. Les révolutionnaires, plus que par le passé, alors que l'alternative est le triomphe du communisme ou la chute irrémédiable dans la. Barbarie par un 3° holocauste mondial, doivent prendre conscience des lourdes responsabilités historiques qui pèsent sur leurs épaules. Le moindre retard dans leur organisation ou le refus de s'organiser ne pourrait être qu'un abandon de leurs tâches au sein de la classe d'intervention de manière organisée comme la fraction la plus décidée du mouvement de lutte de classe du prolétariat mondial. Si les révolutionnaires n'arrivaient pas à être à la hauteur des tâches pour lesquelles la classe les a sécrétées, ils ne pourraient que porter une lourde responsabilité en cas de défaite de leur propre classe. Dans les formidables batailles qui se préparent, l'intervention organisée et décidée des révolutionnaires aura un poids qui au moment décisif peut faire pencher la balance des forces dans le sens de la victoire du prolétariat mondial sur le capital mondial.
PRESENTATION
Au premier Congrès du Courant Communiste International, outre la plate-forme, ont été adoptés des statuts qui viennent sceller et cimenter l'existence de l'organisation unie. Nous publions ici un article basé sur le rapport introductif à la discussion sur les statuts et qui tente de dégager les grandes lignes qui ont présidé à la rédaction des actuels statuts de l'organisation.
Si, en filigrane des statuts que se sont données les différentes organisations politiques de la classe, on peut lire les principes généraux, programmatiques, qui président à leur constitution, on y décèle bien plus encore, les conditions particulières dans lesquelles elles sont affirmées. Alors que le programme du prolétariat, même s'il n'est pas 'Invariant", comme le prétendent certains, et s'il bénéficie des apports successifs de l'expérience de la classe, n'est pas quelque chose de circonstanciel, qu'on peut remettre en cause à chaque détour de la lutte, la façon dont les révolutionnaires s'organisent pour défendre ce programme est éminemment liée, tant aux conditions pratiques que ceux-ci affrontent, qu'au moment historique où se situe leur activité. Loin de constituer de simples règles neutres et intemporelles, les statuts sont donc un reflet signifiant de la vie même de l'organisation politique, et qui change de forme quand les conditions de cette vie se transforment. A travers les statuts des quatre principales organisations principales que s'est données le prolétariat (Ligue des communistes, première, deuxième et troisième Internationales), c'est l'évolution et la maturation mêmes du mouvement de la classe qu'on peut suivre.
LA LIGUE DES COMMUNISTES (1847)
Des statuts de la Ligue des Communistes on peut dégager trois caractéristiques essentielles :
— l'affirmation du principe d'unité internationale du prolétariat ;
— une forte insistance sur les problèmes de clandestinité ;
— les vestiges du communisme utopique.
1° L'AFFIRMATION DU PRINCIPE D'UNITE INTERNATIONALE DU PROLETARIAT
En tête des statuts de la Ligue se trouve sa célèbre devise : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !". Dès les premiers balbutiements de la classe, l'internationalisme apparaît d'emblée comme une des pierres de touche de son programme. De même l'organisation que se donnent ses éléments les plus conscients, les communistes, est unitaire au niveau international et ses statuts s'adressent non pas à des sections territoriales particulières (régionales ou nationales), mais à l'ensemble des membres de l'organisation.
Cependant, dans l'existence des statuts uniques, régissant l'activité de chaque membre à l'échelle internationale, on ne doit pas seulement voir, dans le cas de la Ligue, une manifestation puissante de son internationalisme. En fait, la Ligue est avant tout une société secrète comme il en existe tant d'autres à l'époque. Elle regroupe essentiellement des ouvriers et des artisans allemands, pour la plupart émigrés à Bruxelles, Londres et Paris et ne comporte pas, par conséquent, des sections nationales effectives, liées à. la vie politique du prolétariat des différents pays. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que la Ligue ne regroupe qu'une petite partie des forces vives du prolétariat de l'époque : les courants proudhoniens et blanquistes, pour ne parler que de ceux-ci, très influents en France, n1en font pas partie. La Ligue reste une petite organisation dont les membres sont souvent liés par les vestiges des vieilles relations de compagnonnage. Il faut d' ailleurs noter que les "tours" d'apprentissage de la profession, que les ouvriers de l'époque ont l'habitude de faire, jouent un rôle important dans la diffusion des idées de la Ligue et dans le développement de son organisation.
Concernant le champ d'application territorial des statuts de la Ligue, il faut enfin, remarquer que c'est sur cette base territoriale qu’elle est clairement organisée : les commîmes de la Ligue existent, par localités et sont regroupées en secteurs géographiques et non pas sur une base professionnelle ou d'activité industrielle. C'est là une caractéristique d'une organisation de type parti en opposition à celles de type syndical. D'emblée, la Ligue a donc compris la nécessité pour la classe d'organisations de ce premier type mais cela ne correspond pas encore au degré de maturation de celle-ci à l'époque.
2° L'INSISTANCE SUR LES PROBLEMES DE CLANDESTINITE
Dans l'Europe de 1847 marquée de sceau du "Congrès de Vienne" symbole de la réaction féodale, les libertés bourgeoises sont encore fort peu développées et le programme de la Ligue la contraint à l'illégalité. Cela explique en bonne parie les dispositions prévues dans les statuts pour assurer sa clandestinité :
— "garder le silence sur l'existence de toute affaire de la Ligue". (Art. 2, point f)
— "être admis à l'unanimité dans une commune". (Art. 2, point g)
— "les membres portent des noms d'emprunt". (Art, 4)
— "Les diverses communes ne se connaissent "pas entre elles, et n'échangent pas de "correspondance entre elles". (Art, 8)
Cependant, si les conditions policières de cette période expliquent la nécessité d'un certain nombre de mesures, il faut également voir dans celles-ci la manifestation du caractère de société secrète de la Ligue hérité des différentes sectes conspiratives qui l'ont précédée et dont elle est issue (Société des Saisons, Ligue des Justes, etc.). Ici encore, l'immaturité du prolétariat de l'époque est transcrite dans les dispositions organisationnelles de la Ligue. Mais elle l'est encore plus dans :
3° LES VESTIGES DU COMMUNISME UTOPIQUE
Les statuts de la Ligue portent la marque des origines de celle-ci dans les sociétés secrètes, tant du point de vue d'une certaine verbosité que du rituel qui marque l'admission d'un nouveau membre : "Tous les membres sont égaux et frères, et se doivent donc aider en toute circonstance" (art. 3).
Où retrouve là l'ancienne devise de la Ligue des Justes d'où est issue la Ligue des Communistes : "Tous les hommes sont frères" mais, par ailleurs, l'idée de la nécessaire solidarité entre les membres de 1'organisation n'est pas un vestige d'une époque révolue. Au contraire, contre les déformations subies dans les partis de la IIème et IIIème Internationales où l’arrivisme, le carriérisme et le jeu des rivalités professionnelles ont été une des manifestations de la dégénérescence, nous avons jugé nécessaire d'écrire dans la plateforme du CCI : " (les rapports entre militants de l'organisation).. ne peuvent être en contradiction flagrante avec le but poursuivi par les révolutionnaires et ils s'appuient nécessairement sur une solidarité et une confiance mutuelle qui sont une des marques de l'appartenance de l'organisation à la classe porteuse du communisme".
Dans les statuts de la Ligue on trouve aussi :
"(les adhérents doivent) faire profession de communisme" (art. 2, point c) et, dans l'article 50, la description du rituel qui doit accompagner toute admission : " Le président de la commune donne lecture au candidat des articles 1 à 49, les explique, met particulièrement en évidence dans une brève allocution les obligations dont se charge celui qui entre dans la Ligue, et lui pose ensuite la question : "Veux-tu, dans ces conditions, entrer dans cette Ligue ?" ..."
Là encore, on trouve donc des restes des origines sectaires de la Ligue. Cependant, ces dispositions contiennent une autre idée fondamentale et qui, elle, ne porte pas la marque de l'époque : celle du nécessaire engagement des membres de l'organisation, laquelle ne peut être composée de dilettantes. Rappelons que c'est sur ce problème que s'est faite la scission entre bolcheviks et menchéviks en 1903.
La Ligue constituait une étape importante dans le développement du prolétariat. Elle lui a légué des acquis fondamentaux, en particulier son "Manifeste" qui est probablement le texte le plus important du mouvement ouvrier. Mais elle n'a pu réellement constituer le regroupement des forces vives du prolétariat mondial, tâche que l'AIT allait assumer dans la période suivante.
2° - L'ASSOCIATION INTERNATIONALE Ces TRAVAILLEURS (1864)
Les statuts de l’AIT ont joué un rôle politique fondamental dans le développement et l'activité dé l'organisation. A travers leur évolution, les discussions à leur sujet, la façon dont ils ont été appliqués, c’est toute une étape fondamentale de la vie de la classe qu'on retrouve de façon condensée.
La forme de ces Statuts appelle un certain nombre de remarques préliminaires.
En premier lieu, les "considérants" constituent le véritable programme de l'AIT, Les statuts et la plateforme de l’organisation sont confondus. Ceci était également valable pour les statuts de la Ligue des Communistes dont le premier article indiquait:
"Le but de la Ligue est le renversement de la bourgeoisie, la domination du prolétariat, l'abolition de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classe, et l'instauration d'une société nouvelle, sans classes et sans propriété privée".
La possibilité d'insérer le programme de l'organisation dans |les statuts existe au début du mouvement ouvrier quand ce programme se résume à quelques principes généraux sur le but à atteindre. Pais au fur et à mesure que se développe l'expérience de la classe, et que se précise ce programme, non pas tant sur le but ultime, qui a été défini dès les débuts du mouvement ouvrier, mais sur les moyens de l'atteindre, il devient de plus en plus difficile de l'intégrer dans les statuts. Les considérants des statuts de l'AIT sont déjà plus développés que l'article premier de ceux de la Ligue mais en quelques points ils établissent l'essentiel du programme prolétarien de cette époque: auto-émancipation du prolétariat, abolition des classes, base économique de l'exploitation et de l'oppression des travailleurs, nécessité de moyens politiques pour abolir celles-ci, nécessité de la solidarité, de l'action et de l'organisation à l'échelle internationale. Ces considérants constituent donc les bases de l'unification des éléments les plus avancés de la classe de cette époque,
Deuxième remarque qu’on peut faire sur ces statuts, c'est de signaler le reste de verbalisme qu'ils contiennent encore:
"La base de leur conduite envers tous les hommes (doit être) la vérité, la justice, la morale..." "Pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits". Dans une lettre du 29 novembre 1864? Marx, le rédacteur de ces statuts, s'en explique:
"Par politesse pour les français et les italiens qui emploient toujours de grandes phrases, j'ai dû accueillir dans le préambule des statuts quelques figures de style inutiles".
En fait l'Internationale regroupait toute une série de courants de la classe : proudhoniens, Pierre-Leroux, marxistes, Owenistes et même Mazziniens et, d'une façon atténuée, cela se reflétait dans ses propres statuts qui devaient pouvoir satisfaire ces courants hétéroclites.
La troisième remarque porte sur le caractère hybride de l'AIT, à la fois parti politique et organisation générale de la classe (ou tendant à l'Être) regroupant aussi bien des organisations professionnelles (sociétés ouvrières, de secours mutuel,..) que des groupes politiques (comme la trop célèbre "Alliance de la Démocratie Socialiste" de Bakounine). C'est là une manifestation du caractère immature de la classe de cette période. Ce n'est que progressivement que la question s'est clarifiée sans jamais, toutefois, être résolue. On peut suivre cette clarification à travers l'évolution des statuts et des règlements spéciaux adoptés par les Congrès successifs. Par exemple l'article 3 des statuts se transforme entre 1864 (constitution) et 1866 (1er Congrès). La phrases "(le Congrès) sera composé de représentants de toutes les sociétés ouvrières qui auront adhéré" est devenue "Tous les ans aura lieu un Congrès ouvrier général composé de délégués de£ branches de l'Association". On voit donc l'AIT, de rassemblement de sociétés ouvrières, se structurer en branches sections, etc.
En fait, les statuts ainsi que les amendements et compléments qui leur ont été apportés, ont été eux-mêmes un instrument de clarification et de lutte contre les tendances confusionnistes et fédéralistes. On peut citer le cas des règlements spéciaux adoptés au Congrès de Genève en 1866 et dont l'article 5 stipules "Partout où les circonstances le permettront, des conseils centraux groupant un certain nombre de sections seront établis".
Ainsi, les règles de fonctionnement se font un outil actif et dynamique du processus de centralisation de 1’Internationale. La nécessité de cet effort de centralisation est mise en relief, à contrario, par la façon dont les statuts ont été traduits par les sections françaises :
-"Le conseil central fonctionne comme agence internationale" devient "établira des relations" (art.6)
-"Sous une direction commune" devient "dans un môme esprit" (art.6)
-"Conseil Central International" devient "Conseil central" (art.7)
-"Organes nationaux centraux" devient "organe spécial" (art.7)
-"Les sociétés ouvrières qui adhèrent à l'Association Internationale continueront à garder intacte leur organisation existante" devient "n'en continueront pas moins d'exister sur les bases qui leur sont particulières" (art.10)
Cette lutte contre les courants petit-bourgeois trouvera sa conclusion au Congrès de La Haye en 1872 qui adoptera l'article 7a des statuts : "Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes. Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême l’abolition des classes. La coalition des forces ouvrières, déjà obtenue par la lutte économique, doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs".
Ainsi, le dernier Congrès de l'AIT jetait des bases claires pour la poursuite de la lutte du prolétariat :
- nécessité de l'activité politique de la classe et non seulement économique.
- nécessité de la constitution d'un parti politique distinct des multiples "sociétés ouvrières" et autres organes exclusivement économiques.
Cet effort de clarification de l’AIT devait trouver son terme a ce Congrès par le départ des anarchistes regroupés autour de "l'Alliance" de Bakounine et devenus inassimilables. Ce terme était marqué par le fait que l'Internationale en revenait, du point de vue programmatique, aux positions de la Ligue. Mais, alors que celle-ci était encore en bonne partie une secte, ne regroupant qu'une toute petite minorité d'éléments de la classe et sans influence majeur sur celle-ci, l'Internationale avait dépassé les sectes et regroupé les forces vives du prolétariat mondial autour d'un certain nombre de points fondamentaux dont le moindre n'était pas 1'Internationalisme.
A la différence de la Ligue, l’AIT était donc une véritable organisation internationale ayant une activité et un impact effectifs au sein de la classe, C'est pour cela, qu’à l’opposé de la Ligue dont les statuts s’adressaient directement aux membres de Inorganisation, que 1’Internationale s’est structurée en sections nationales puisque c'est d’abord dans ce cadre national que le prolétariat est confronté à la bourgeoisie et à son Etat.
Cependant, cela n'affaiblissait pas le caractère puissamment centralisé de l'organisation dans laquelle le Conseil Général de Londres a joué un rôle fondamental tant dans la lutte contre les tendances confusionnistes et sectaires ([1] [22]) que dans les prises de position face aux événements fondamentaux de la vie politique. On se souvient par exemple que les deux textes sur la guerre -franco-prussienne de 1870 et celui sur la Commune de 1871, œuvres de Marx, ont été publiés comme adresses du Conseil Général et donc prises de positions officielles de l'Internationale,
L'AIT est morte en 1876, comme résultat du reflux du mouvement ouvrier après l’écrasement de la Commune, mais aussi comme manifestation du fait, qu'après une série de convulsions économiques et politiques de 1847 à 1871, le capitalisme. A connu après cette date, la période de plus grande prospérité et stabilité de toute son histoire.
3° - L'INTERNATIONALE SOCIALISTE (1889)
Au moment de la fondation de la IIème Internationale, le capitalisme est donc à son apogée; ce qui se répercute immédiatement tant dans le programme de la IIème Internationale que dans son mode d'organisation. Ainsi, on lit à l'ordre du jour du 1er Congrès :
1- Législation internationale du travail, Réglementation légale de la journée de travail. Travail de jour, de nuit, des jours fériés, des adultes et des enfants,
2- Surveillance des ateliers de la grande et petite industrie, ainsi que de l'industrie domestique,
3- Voies et moyens pour obtenir ces revendications,
4- Abolition des armées permanentes et armement du peuple.
On peut donc constater que les préoccupations des partis qui composent l'Internationale sont tournées vers l'obtention de réformes dans le cadre du système.
Sur le plan organisationnel, le moins que l'on puisse dire c'est que cette Internationale ne ressemblait pas du tout à la précédente. En effet pendant plus de dix ans, elle n’a existé que par ses Congrès. Jusqu’en 1900 il n'a existé aucun organe permanent chargé de faire exécuter les décisions de ceux-ci. La préparation et l’organisation des Congrès étaient laissées aux partis des pays dans lesquels ils devaient se tenir. Ce n’est qu'au Congrès de Paris, en 1900 que le principe de la création d'un "Comité permanent international" est retenu et que celui-ci se constitue fin 1900 sous le nom de Bureau Socialiste International (BSI). Celui-ci est composé de deux délégués par pays et nomme un secrétariat permanent.
Jusqu’en 1905 le BSI reste relativement effacé. Et ce n’est qu'en 1907 au Congrès de Stuttgart que sont adoptés statuts et règlements pour les Congrès et le BSI. Mais, môme au moment critique du début de la 1ère guerre mondiale, le BSI réuni le 29 juillet ne prend aucune décision et se rallie à la solution proposée par Jaurès :
"Le BSI formulera la protestation contre la guerre, le Congrès souverain décidera".
Ce Congrès de l'Internationale ne devait jamais se réunir car celle-ci mourut dans la tourmente de la guerre ses principaux partis étant passés à la "défense nationale" et à "l'union sacrée" avec la "bourgeoisie de leurs pays respectifs.
Jusqu'au bout, l'Internationale Socialiste était donc restée une fédération de partis nationaux? C’est ce que traduit la forme du BSI qui n'est pas l'expression collective d'un corps unitaire mais la somme des délégués mandatés par les partis nationaux. Comment expliquer ce relâchement considérable par rapport à la centralisation de l'AIT? Essentiellement par les conditions historiques de la lutte prolétarienne de cette époque. L’éloignement de la perspective de la révolution, qui au milieu du 19ème siècle, au milieu de différents soubresauts du capitalisme, avait paru imminente, la nécessité par suite, de consacrer l'essentiel des luttes à l'obtention de réformes, avait conduit le prolétariat à développer son organisation sur le plan national qui-était celui dans lequel il pouvait obtenir ces réformes.
La IIème Internationale constitue l'étape du mouvement ouvrier où celui-ci se développe en grands partis de masse devenant des forces effectives sur le terrain politique des différents pays. Mais les conditions de prospérité capitaliste, dans laquelle elle a vécu, ont favorisé chez elle le développement de l'opportunisme et un relâchement de 1’Internationalisme qui devaient lui coûter la vie en 1914.
Par ailleurs, l'Internationale Socialiste a parachevé l'œuvre entreprise par l'AIT, de clarification de la distinction entre l'organisation générale de la classe et l'organisation des révolutionnaires.
Bien qu'elle ait été bien souvent à l'origine des syndicats (surtout en Allemagne), la IIème Internationale prend progressivement ses distances avec le mouvement syndical du point de vue organisationnels après une série de débats, la séparation organique est consommée en 1902 par la création d'un "Secrétariat International des Organisations Syndicales". Même si on ne peut assimiler complètement les syndicats à l'organisation générale de la classe et les partis de la IIème Internationale à la minorité révolutionnaire, telles qu'elles sont apparues dans la période suivante, la distinction entre syndicats et partis politiques.
4° - L'INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919)
Dans les 30 années qui séparent la fondation de la IIème Internationale et celle de la IIIème, des événements d'une importance considérable pour le mouvement ouvrier sont intervenus. De système à l'apogée, le capitalisme est devenu un système en décadence ouvrant ainsi "l'ère des guerres et des révolutions". La première grande manifestation de cette décadence, la guerre impérialiste de I914-18 a, en même temps, signé la mort de l'Internationale Socialiste et permis l'éclosion de l'Internationale Communiste dont la fonction n'est plus d'organiser la lutte pour des réformes, mais de préparer le prolétariat à la révolution. Tant du point de vue programmatique qu'organisationnel, la IIIème Internationale s'oppose à la seconde. Plus de distinction entre "programme minimum et programme maximum": "L'Internationale se donne pour but la lutte armée pour le renversement de la bourgeoisie internationale, et la création de la république Internationale des Soviets, première "étape" dans la voie de la suppression complète de tout régime gouvernemental". (Préambule des statuts de l'IC, 1920). Et pour cela, l'organisation de l'avant-garde de la classe ne peut être que mondiale et centralisée.
Cependant, si l'IC a rompu fondamentalement avec la seconde, elle ne s'est pas entièrement dégagée d'elle, Ainsi elle conserve, en leur donnant un sens qui se veut "révolutionnaire", les vieilles tactiques syndicales et parlementaires et, plus tard, frontistes. De même, sur le plan organisationnel, elle conserve un certain nombre de vestiges de 1'époque antérieure. Ainsi l'article 4 des statuts, indiques "L'instance suprême de l'IC n'est autre que le Congrès Mondial de tous les partis et organisations affiliées", ce qui laisse encore une possibilité d'ambiguïté sur l'aspect de l'Internationale comme somme de partis. Par ailleurs, autre vestige de la IIème Internationale, les articles 14, 15 et 16 des statuts de l'IC prévoient des relations spéciales avec les syndicats, le mouvement de la jeunesse et le mouvement des femmes.
Cependant, le caractère "fortement centralisé" de l'organisation est bien souligné :
Article 5: "Le Congrès international élit un comité exécutif de l'Internationale Communiste, qui devient l'instance suprême de l'I.C. durant les intervalles qui séparent les sessions du Congrès mondial.
Article 9 : "Le Comité Exécutif de l'IC a le droit d'exiger des partis affiliés que soient exclus tels groupes ou tels individus qui auraient enfreint la discipline prolétarienne. Il peut exiger l’exclusion des partis qui auraient violé les décisions du Congrès mondial".
Article 11 : " Les organes de la presse de tous les partis et organisations affilié à l'I.C. doivent publier tous les documents officiels de l'I.C. et de son Comité Exécutif".
Cette centralisation est l'expression directe des tâches du prolétariat à cette époque. La révolution mondiale implique qu’autant le prolétariat que son avant-garde doivent s'unifier à l'échelle mondiale. Comme dans la première Internationale, les éléments qui se .revendiquent d'une plus grande "autonomie" des sections (comme en France), sont en fait ceux qui véhiculent le plus d'idéologie bourgeoise. Et c'est la gauche italienne qui, par la bouche de Bordiga, propose la création d'un parti mondial. Donc, si c'est en partie à travers cette centralisation qu'ont été véhiculés un certain nombre de germes de la dégénérescence ultérieure, il ne faut pas perdre de vue que la centralisation est, dans la période actuelle, une condition indispensable pour l'organisation des révolutionnaires .
5° LES STATUTS DU CCI.
a) Leur forme:
Comme on l'a vu an début de ce texte, les statuts des différentes organisations politiques de la classe ont été, en même temps qu'instruments de la lutte politique, des miroirs fidèles des conditions dans lesquelles celle-ci devait lutter. Et en particulier, ils portaient en eux les faiblesses et l'immaturité du prolétariat des différentes époques. Les statuts du CCI n'échappent pas à la règle. Ils sont un produit de leur époque, et c'est parce que le mouvement général de la classe a progressivement surmonté son immaturité qu'ils peuvent aujourd’hui, à leur tour, dépasser les faiblesses des statuts que nous avons passé en revue.
Par exemple, dans les statuts du C.C.I., il n'est plus fait référence à l'idée que "tous les hommes sont frères" ou qu'il n'y a "pas de devoir sans droit". Ils établissent, contrairement à l'A.I.T. ou aux débuts de la seconde Internationale, une distinction nette entre la classe et les révolutionnaires. N'ayant plus pour tache d’unifier les différentes sectes et de clarifier progressivement le programme prolétarien, ils ne sont pas des statuts-programme comme l'étaient ceux de l'A.I.T. Ils ont également abandonné toute conception fédéraliste comme celle de la seconde Internationale. Enfin, ils ne prévoient pas 1'existence d'organisation syndicale annexe, d'organisât ion de jeunes ou de femmes comme ceux de la troisième Internationale.
Compte tenu de toute l'expérience du mouvement ouvrier et des tâches que le CCI doit assumer dans la période actuelle, les caractéristiques essentielles de ces statuts sont une forte insistance sur le caractère unifié et centralisé mondialement de l'organisation mais qui n'exclut pas le maintien de l'existence de sections par pays comme manifestation du fait que c'est à ce niveau que, dans les luttes qui viennent, le prolétariat sera d'abord confronté à la bourgeoisie et que les révolutionnaires seront appelés à agir. C'est pour cela que ces statuts s'adressent à des sections de pays et non à des individus.
Par ailleurs, compte-tenu de l'expérience delà dégénérescence de la troisième Internationale, où les mesures administratives ont été l'instrument utilisé contre les fractions révolutionnaires, il était utile d'insérer dans les présents statuts des points précisant les conditions dans lesquelles peuvent et doivent s'exprimer les divergences au sein de l’organisation.
Par conséquent, les statuts, se. .-subdivisant en un certain nombre de parties qu'on peut identifier de la façon suivante :
-Préambule indiquant la signification du Courant et faisant référence à la base programmatique de celui-ci : la plateforme à laquelle il n’a pas pour fonction de se substituer ;
-L'unité du courant ;
-Le Congrès comme expression de cette unité ;
-Le rôle centralisateur de l'organe exécutif ;
-La façon centralisée de concevoir les rapports avec l'extérieur, les finances, et les publications ;
-La vie de 1'organisation ;
b) Leur signification:
L'adoption par le C.C.I. revêt une importance considérable à l'heure où s'approfondit inexorablement la crise du capitalisme et le mouvement de la classe. Elle est la manifestation du fait que les révolutionnaires se sont dotés d'un instrument fondamental de leur activité : leur organisation mondiale. II faut à ce propos signaler le fait que pour la première fois de l'histoire du mouvement ouvrier, l'organisation internationale né vient pas chapeauter des sections nationales existant au préalable, mais au contraire que ces sections sont le résultat de l'activité du Courant International lequel s'est constitué pratiquement d'emblée à cette échelle,,
Contrairement au passé, la constitution effective de l'organisation mondiale intervient avant que le prolétariat ne se soit lancé dans ses combats décisifs : en 1919 l'Internationale est fondée alors que le plus fort du mouvement est déjà passé. Certains groupes révolutionnaires sont d'accord avec nous sur le caractère nécessairement mondial de l'organisation des révolutionnaires, mais prétendent en même temps que le moment n'est pas encore venu et qu'il faut attendre ces combats décisifs, la création d'une organisation mondiale aujourd'hui étant "volontariste". Cette temporisation n'est en fait qu'une manifestation de leur localisme, de leur jalousie de petite chapelle et cet "après" qu'ils proposent risque de vouloir dire "trop tard", Les révolutionnaires ne doivent pas faire vertu des faiblesses du passé.
L'organisation des révolutionnaires qui se reconstitue difficilement aujourd’hui après.la rupture organique du lien avec les fractions communistes, conséquence d'un demi-siècle de contre-révolution, porte encore de graves faiblesses qui ne pourront être surmontées qu'à travers toute une expérience longue et difficile. Par contre, le fait que, dès maintenant, la classe puisse se doter d'une organisation mondiale de ses éléments révolutionnaires est un élément extrêmement positif qui vient en partie compenser ces autres faiblesses et pèsera certainement d'un poids très lourd sur l'issue des combats gigantesques qui se préparent.
C
G
[1] [23] "L’histoire de l’Internationale a été une lutte continuelle du Conseil Général contre les sectes et les tentatives d'amateurs qui tentaient sans cesse de se maintenir contre le mouvement réel de la classe ouvrière au sein de l’Internationale elle-même" (Marx, lettre à Bolte, 23 novembre 1871)
Bilan nos 34 – 35 – 36 – 37 (1936).
Présentation des textes de "Bilan"
En republiant les textes de "Bilan" (organe de la Fraction italien ne de la Gauche communiste) concernant les événements de 1936-39 en Espagne, nous n'entendons pas faire oeuvre d'historiens soucieux de donner des descriptions détaillées et chronologiques de leur déroulement. Il existe aujourd'hui, à ce sujet, des dizaines de livres d'histoire souvent fort bien documentés, que le lecteur à la recherche d'une documentation pourrait largement mettre à profit. Notre objectif est tout autre. Si l'histoire de l'humanité est toujours l'histoire de la lutte des classes, les luttes d'hier ne se présentent pas au prolétariat comme un "passé" figé, mort, mais comme des moments toujours vivants de sa lutte historique pour la transformation révolutionnaire de la société, de sa lutte toujours présente. Non seulement le contenu, le but, de cette lutte demeurent toujours les mêmes mais encore les configurations politiques fondamentales, les forces politiques en présence, leurs poids et les positions qu'elles occupent et défendent ont à peine varié. La compréhension de ses luttes d'hier constitue pour le prolétariat, seule classe révolutionnaire dans la société capitaliste, un effort nécessaire et incessant de connaissance toujours plus approfondie du contenu et des moyens de la lutte qu'il mène; de saisir et de surmonter ses défaillances et ses erreurs, de connaître et éviter les impasses et les déviations, de forger sa conscience et ses armes pour les batailles futures et sa victoire finale.
Les textes de "Bilan" gardent un intérêt énorme et cela, non seulement parce que les positions défendues par la Gauche italienne étaient la seule réponse juste de classe aux problèmes auxquels se heurtait le prolétariat espagnol il y a 40 ans mais encore parce que les mêmes problèmes restent au centre des luttes actuelles du prolétariat espagnol et international. Il ne s'agit pas de distribuer de satisfecit à un groupe révolutionnaire dans le passé dont par ailleurs nul révolutionnaire ne saurait ignorer son apport mais de saisir de ses positions qui ont largement soutenu l'épreuve du feu de l'expérience et qui doivent nous servir de fil conducteur dans les affrontements présents et futurs de la classe ouvrière.
La force de l'analyse que fait "Bilan" sur la situation en Espagne, réside avant tout, dans le fait qu'il place cette situation particulière dans un contexte mondial et historique. Une erreur devenue commune et qu'on retrouve jusque dans les rangs des Communistes de Gauche, consiste à analyser des situations en partant du pays, isolément, en soi. Une telle démarche qui se veut "marxiste", déterministe, concrète, mène inévitablement aux pires aberrations. Le "développement inégal" du capitalisme dont parlait Marx et ses implications sur, 1a lutte de classe avait toute son importance et jouait pleinement au début du capitalisme et dans sa période ascendante. Le capitalisme naît dans une économie régionalisée de laquelle il se dégage lentement. Dans de telles conditions, 1e poids des particularités régionales ou nationales pèse encore d'une façon prépondérante sur l'évolution tant locale que générale. Mais au fur et à mesure que le capitalisme se développe et crée le marché mondial, les spécificités locales, tout en subsistant perdent en importance et cèdent devant les lois générales du capitalisme en tant que système mondial qui impose sa domination à tous les pays et à chaque pays pris isolément. On peut ainsi donner comme formulation générale : plus le capitalisme s'est développé comme système, plus les pays individuels se trouvent dépendants de l'évolution du système comme un tout et moins jouent les caractères particuliers de chaque pays dans l'analyse de leur développement propre.
C’est dans la période de décadence, quand le système capitaliste comme un tout, entre dans le déclin, suite au développement de ses contradictions devenues insurmontables que se manifeste le plus hautement cette unité mondiale du système. Il est alors aberrant, sous prétextes de la loi du "développement inégal", d'axer l'analyse en partant des particularités propres à chaque pays et du degré de développement capitaliste qu'il aurait atteint. Nombreuses sont ces analyses "marxistes" qui partant de l'état arriéré de l'économie russe pris isolement, arrivent à rejeter jusqu'à la possibilité même d'une révolution socialiste, et à nier en conséquence toute signification prolétarienne à la Révolution d’Octobre 1917. C!est là une démarche typiquement menchevik en dernière analyse elle consiste à appliquer à la crise du capitalisme et à la Révolution prolétarienne le schéma et les normes qui présidaient à la Révolution bourgeoise. C’est à ce schéma, que l'Internationale Communiste de Boukharine-Staline se référait pour justifier sa politique de bloc des classes en Chine, en redécouvrant la Révolution bourgeoise-démocratique, 10 ans après la Révolution d'Octobre. Cette démarche sert de plateforme commune, aussi bien à eaux qui combattaient pour la dévolution Prolétarienne en Allemagne mais niaient sa possibilité en Russie, qu'à ceux qui ont inventé une théorie de "Révolution double" (à la fois bourgeoise et prolétarienne), qu'à ceux qui continuent à voir un mouvement progressiste dans les guerres de "libération nationale" et persistent à voir à l'ordre du jour de l'histoire des Révolutions dérnocratico-bourgeoises pour les pays sous-développês et coloniaux en même temps qu'ils bavardent volontiers sur la Révolution prolétarienne dans les pays industrialisés.
La première difficulté, 1e premier obstacle auquel se heurtait "Bilan" à propos des événements en Espagne, consistait dans la démarche de tous ceux qui mettaient en avant le "cas particulier" de l'Espagne, qui parlaient de "féodalisme et de lutte contre le "féodalisme réactionnaire". L'état arriéré de l'économie Espagnole devenant une chose en soi, servait ainsi de justification à toutes les compromissions et ouvrait la porte à toutes les trahisons. Replaçant l'Espagne dans l'économie mondiale, "Bilan" démontrait la nature capitaliste de ce pays, que ce n'est que dans ce cadre, d'une économie capitaliste mondiale en crise que devait et pouvait être comprise la situation de l'Espagne.
Non moins important était de situer la lutte du Prolétariat espagnol dans le contexte de l'évolution générale mondiale de la lutte du Prolétariat. Dans quel cours se trouve le Prolétariat dans la décennie de 1939 : dans un cours de montée de la lutte révolutionnaire ou dans celui, où après avoir subi des défaites profondes , démoralisé , il s'est laissé intégrer dans la défense nationale, au nom de la défense de la démocratie et de 1!antifascisme, débouchant inévitablement dans la guerre impérialiste? Trotsky qui avait vu et dénoncé dans le victoire d'Hitler en Allemagne l'ouverture d'un cours vers la guerre, change complètement de perspective avec l'avènement du Front Populaire en France et en Espagne et annoncera en gros titre en 1936 que "La Révolution a commencé en France". Tout autre sera l'analyse de "Bilan" qui non seulement ne verra pas dans le triomphe du Front populaire un renversement du cours vers la guerre mais au contraire le considérera comme un renforcement de ce cours, une réplique adéquate dans les pays "démocratiques" l'hystérie guerrière de l'Allemagne et de l'Italie, un moyen, et des plus efficaces, pour faire quitter au prolétariat son terrain de classe, pour le mobiliser autour de la défense de la "démocratie" et de l'intérêt national, préparation nécessaire pour le mener à la guerre impérialiste.
Dans un tel contexte quelle pouvait être la perspective des luttes héroïques du prolétariat espagnol? Il est indéniable que le prolétariat d'Espagne donne, dans sa vigoureuse lutte surtout les premiers jours contre le soulèvement des armées de Franco, un magnifique exemple de combativité et de décision. Mais pour si grande que fut sa combativité le développement des événements devait vite démontrer qu'il n'était pas en son pouvoir d'aller seul à la victoire révolutionnaire dans un cours mondial de recul et de démobilisation de la classe ouvrière internationale.
La plupart des groupes communistes qui se situaient à la gauche du trotskysme jugeaient autrement. Rejetant ce qui leur paraissait du "fatalisme" de la part de "Bilan"' et ne se référant comme critère décisif qu'à la combativité des ouvriers d'Espagne, ils croyaient à la possibilité pour le Prolétariat espagnol de renverser le cours général de recul et engager ainsi un nouveau départ pour la Révolution. Entraînés davantage par un sentimentalisme révolutionnaire que par un raisonnement rigoureux, ils ne voient dans les événements d'Espagne une dernière onde de la grande vague révolutionnaire des années 17-20, un dernier soubresaut d'un prolétariat mondial s'engloutissant dans la marée de l'Union nationale et de la guerre, mais l'annonce d'un réveil de la Révolution, rejoignant ainsi la perspective de Trotsky. Rien d'étonnant que, s'accrochant à l'espoir d'un miracle qui ne pouvait venir,ils étaient amenés à voir comme conquête ouvrière ce qui n'était qu'un renforcement du capitalisme, comme les fameuses milices ou la participation au gouvernement, à fermer les yeux sur la réalité tragique dans laquelle le Prolétariat d'Espagne complètement désorienté était livré au pire massacre capitaliste, à se voir eux-mêmes sombrer politiquement et devenir les complices "critiques" et rabatteurs de la guerre, à l'instar des trotskystes et autres poumistes. Des événements tragiques du Prolétariat en Espagne 1936, nous devons retenir cette leçon précieuse : autant Octobre 17 nous montre la possibilité d'une victoire de la Révolution prolétarienne dans un pays capitaliste arriéré parce que portée par une vague générale de la Révolution, ce prolétariat ne fait qu'exprimer et annoncer, autant 1936 en Espagne nous montre qu'il est impossible à un prolétariat d'un pays sous développé quelle que soit sa combativité de renverser un cours général de contre-révolution triomphante. Cela n'a rien à voir avec un fatalisme et un croisement de bras. Comme l'écrira "Bilan" "La tâche de l'heure:était de ne pas trahir". En Espagne 36 ce n'était pas la victoire de la Révolution qui était en question mais essentiellement ne pas laisser le prolétariat se désarçonner, abandonner son terrain de classe et se laisser s’immoler sur l'autel au bénéfice de la contre-révolution, qu'elle se présente sous la forme fasciste ou démocratique. Si le Prolétariat espagnol ne pouvait faire triompher la révolution, il pouvait et devait rester fermement sur son terrain de lutte de classe, rejeter toute alliance et coalition avec des fractions de la bourgeoisie, se refuser aux mensonges d'une guerre antifasciste qui elle, oui contenait la fatalité de son écrasement et servait de prélude à 6 ans de massacres ininterrompus de millions de prolétaires dans la 2ème guerre impérialiste mondiale. Telle était la tâche de l'heure et le devoir premier des révolutionnaires que leur assignait "Bilan" en dénonçant de toutes ses forces cette fausse "solidarité" qui consistait à réclamer et envoyer des armes et des hommes en Espagne et qui ne pouvait avoir d'autre résultat que de prolonger et élargir la guerre au point de transformer la guerre capitaliste locale en guerre impérialiste générale.
La guerre d'Espagne devait encore rajeunir et développer un autre mythe, un autre mensonge. En même temps qu'on substituait à la guerre déclasses du prolétariat contre le capitalisme, la guerre entre "Démocratie et Fascisme, qu'on remplaçait les frontières de classes par des frontières territoriales, on défigurait le contenu même de la Révolution en changeant l'objectif central de la Révolution : Destruction de l'Etat bourgeois et prise du pouvoir politique par le Prolétariat en celui de soi-disantes mesures de socialisation et de gestion ouvrière des usines.
Ce sont surtout les anarchistes et certaines tendances se réclamant du Conseillisme qui se distinguaient à exalter le plus ce mythe, allant jusqu'à voir et proclamer dans cette Espagne républicaine, antifasciste et stalinienne la conquête de positions socialistes bien plus avancées que n'aurait atteint la Révolution d'Octobre.
Il n'est pas de notre intention d'entre ici dans une analyse détaillée de l'importance et de la signification de ces mesures. Le lecteur trouvera dans les textes de "Bilan" que nous publions une réponse suffisamment claire à ces questions. Ce que nous voulons mettre en évidence ici est que ces mesures mêmes si elles auraient été plus radicales qu'elles ne furent en réalité, n’auraient en rien changé le caractère fondamentalement contre-révolutionnaire du déroulement des événements en Espagne. Pour la bourgeoisie comme pour le prolétariat le point central de la révolution ne peut-être que celui de la conservation ou de la destruction de l'Etat capitaliste. Le capitalisme peut non seulement s'accommoder momentanément des mesures d'autogestion ou de soi-disant socialisations (lire mise en coopératives) des exploitations agricoles en attendant la possibilité de les ramener dans l'ordre à la première occasion propice (voir les récentes expériences au Portugal) mais elle peut parfaitement les susciter comme moyens de mystification et de dévoiement des énergies du Prolétariat vers des conquêtes illusoires afin de le détourner de l'objectif central qui est l'enjeu de la Révolution : la destruction de la puissance du Capitalisme, son Etat.
L'exaltation de prétendues mesures sociales comme le summum de la Révolution n'est qu'une radicalité de mots qui recouvre dans le meilleure des cas une même racine du vieux réformisme : 1a marche graduelle de la transformation sociale. Dans la réalité de l'Espagne 36, ce radicalisme de la phrase est plus que cela; elle fait sienne la mystification du capitalisme tendant à détourner le prolétariat de sa lutte révolutionnaire contre l'Etat. Victimes eux-mêmes, dans un premier temps de la mystification et des apparences, ces courants deviennent rapidement des complices de ce détournement, s'employant de leur mieux à brouiller la vision claire de la tâche première du Prolétariat dans la Révolution. A l'encontre de ces radicaux de la phrase et en total accord avec "Bilan" nous affirmons qu'une Révolution qui ne commence pas par la destruction de l'Etat capitaliste peut-être tout ce que l'on veut sauf une Révolution prolétarienne. Les événements d'Espagne 36 n'ont fait que confirmer tragiquement ce postulat révolutionnaire mis en évidence et appliqué en 1917 par le Parti bolchevique et qui était une des conditions décisives de la victoire d'Octobre
En 36 en Espagne le prolétariat a subi une de ses plus sanglantes défaites qui lui a valu 60 ans de répression féroce. Reflet de ce cours de défaites et de réaction triomphante, 1a Gauche Communiste réduite à de petits groupes qui trouvaient leur expression dans Bilan, avait douloureusement conscience de son isolement et de son impuissance dans l'immédiat. Tout comme le Parti Bolchevik et la poignée de révolutionnaires en 1917, elle restait fidèle au communisme en allant à contre-courant. Si la guerre et 40 années de contre-révolution triomphante avaient eu raison matériellement de son organisation, les enseignements du combat et des positions révolutionnaires de la Gauche Communiste des années 30 n'ont pas été perdus. Aujourd'hui avec la reprise de la lutte de classe et la perspective de son développement révolutionnaire, les communistes retrouvent et renouent le fil de cette continuité politique. En republiant les textes de "Bilan", nous entendons en faire des instruments pour un réarmement politique du prolétariat d'aujourd'hui et des leçons de la défaite d'hier forger les armes de la victoire finale de demain.
Au front impérialiste du massacre des ouvriers espagnols il faut opposer le front de classe du prolétariat international.
(Bilan n°34, Août-Septembre 1936)
La simple affirmation générale qu’actuellement, en Espagne, se déroule une bataille sanglante entre la bourgeoisie et le prolétariat, loin de permettre d'établir les positions et les forces politiques pouvant permettre la défense et la victoire du prolétariat, peut conduire au pire désastre et au massacre des travailleurs. Pour arriver à des conclusions positives il faut déterminer tout d'abord si les masses ont occupé leur retranchement spécifique de classe, se trouvent dans la possibilité d'évoluer, de faire sortir de leur sein les forces capables de briser l'attaque ennemie.
Plusieurs alternatives occupent, en ce moment, la scène politique. Commençons par celle soulevée par le Front Populaire et à laquelle les centristes ont donné une consécration "théorique". Il s'agirait d'une lutte à mort des "factieux, des rebelles, des fascistes" contre le "gouvernement légal, défendant le pain et la liberté"; le devoir du prolétariat serait, par conséquent, de défendre le gouvernement qui serait en définitive celui de la bourgeoisie progressive en lutte contre les forces de la féodalité. Les ouvriers qui auraient permis la victoire contre les représentants du régime féodal pourraient, par la suite, passer à la phase supérieure de la lutte pour le socialisme. Dans notre précédent numéro, nous avons mis en évidence que si, en Espagne, le capitalisme se trouvait dans l'impossibilité d'organiser une société du type des autres existantes en Europe, c'est bien une bourgeoisie qui détient le pouvoir et le seul protagoniste de la refonte du mécanisme économique et politique est le prolétariat et lui seul.
Le Front Populaire en Espagne, tout comme d'ailleurs dans les autres pays, se révèle être, même au cours des événements actuels, non pas une force dont les ouvriers pourraient se servir, mais une arme puissante de l'ennemi ayant pour fonction l'écrasement de la classe ouvrière. Qu'il suffise de réfléchir au fait que c'est bien sous son gouvernement qui a pu s'organiser méthodiquement toute l'action de la droite, dont les supports ne consistent pas seulement dans la conjuration (cet aspect le plus théâtral est quand même le moins important), à laquelle toute latitude a été donnée pour se préparer que, dans le domaine social, l'action du gouvernement de Front Populaire avait déterminé la démoralisation des masses paysannes, l'hostilité profonde des ouvriers s'acheminant à nouveau vers l'éclosion de grandes grèves du type de celle de 1931-32 et qui furent écrasées par la terreur dirigée justement par le gouvernement de gauche composé d' une équipe analogue à celle du Front Populaire d'aujourd'hui.
Même au début des événements actuels, l'orientation bien marquée du Front Populaire était celle d'aboutir à un compromis avec la droite, ainsi qu'en témoigne la tentative de constitution du gouvernement Barrios. Aussi Azana peut-il bien s'étonner du fait que Franco, tout en pouvant le faire sans le moindre risque, ne soit pas allé l'arrêter dès le premier jour. C’est qu'une grande inconnue planait sur la situation et le capitalisme tout en ayant décidé une première attaque frontale dans toutes les villes, ne savait point si son aile droite aurait pu obtenir immédiatement une victoire totale. En prévision de cela l'arrestation d’Azana a été réservée, et c'est bien l'action successive du Front Populaire qui a donné les plus grandes chances de succès à l'offensive capitaliste.
A Barcelone en premier lieu et dans les autres centres ouvriers aussi, l'attaque de la droite se heurta à un soulèvement populaire, lequel, parce qu'ils luttaient sans la moindre attache avec la machine étatique capitaliste et affirmaient leur base de classe, purent rapidement désagréger les régiments, où en correspondance avec les événements qui se déroulaient dans les rues, la lutte de classe éclata et les soldats se révoltèrent contre leurs chefs» A ce moment, le prolétariat s'acheminait directement vers un intense armement politique, d'où ne pouvait résulter qu’une offensive dirigée contre la classe capitaliste et vers le triomphe de la révolution communiste.
En conséquence de la riposte véhémente et puissante du prolétariat, le capitalisme sentit qu'il devait abandonner son premier plan d'attaque frontale et uniforme. En face d'ouvriers qui s'étaient insurgés, qui allaient acquérir une puissante conscience de classe, la bourgeoisie sentit qu'il n'y avait d'autre moyen de se sauver et de vaincre, qu'en chargeant le Front Populaire de diriger l'action politique des ouvriers. La tolérance de l'armement des masses s'accompagnait avec son encadrement, que Caballero veut aujourd'hui porter à sa perfection au point de vue technique au travers du "commandement unique", et avec une orientation politique spécifiquement capitaliste. A la première phase du faible armement matériel, mais de l'intense armement politique, succédait l'autre de l'accroissement des instruments techniques à la disposition d'ouvriers qui, progressivement, étaient transportés de leur base primitive de classe vers l'autre opposée et qui est celle de la classe capitaliste.
A Madrid, rapidement, moins facilement aux Asturies, par un procédé bien plus compliqué à Barcelone, le Front Populaire a pu obtenir son succès et les masses se trouvent actuellement englobées sous cette devise centrale : qu'elle soit Sacrée, la machine étatique du capitalisme, qu'elle fonctionne au plus haut rendement pour permettre la victoire contre la droite; l'écrasement des "factieux" étant le suprême devoir du moment.
Le prolétariat a déposé ses armes spécifiques de classe et a consenti au compromis avec son ennemi, au travers du Front Populaire. Aux frontières de classe, les seules qui auraient pu démantibuler les régiments de Franco, redonner confiance aux paysans terrorisés par la droite, d'autres frontières ont surgi, celles spécifiquement capitalistes, et l'Union Sacrée a été réalisée pour le carnage impérialiste, région contre région, ville contre ville en Espagne et, par extension, Etats contre Etats dans les deux blocs démocratique et fasciste. Qu'il n'y ait pas la guerre mondiale, cela ne signifie pas que la mobilisation du prolétariat espagnol et international ne soit pas actuellement achevée, pour son entrégorgement sous le drapeau impérialiste de l'opposition : fascisme-antifascisme.
Après les expériences italienne et allemande, il est extrêmement désolant de voir des prolétaires d'une haute préparation politique qui, en se basant sur le fait que les ouvriers sont armés, en concluent que, bien que le Front Populaire dirige ces armées, les conditions se seraient présentées, sans un bouleversement total de la situation, pour permettre la défense et la victoire de la classe ouvrière. Non, Azana et Caballero sont les dignes frères des socialistes italiens et allemands, ils en sont les émules parce que dans une situation extrêmement tendue ils sont parvenus à trahir les ouvriers, à qui ils ont laissé les armes uniquement parce qu'elles devaient servir une bataille de classe, non contre le capitalisme espagnol et international, mais à une bataille de classe contre la classe ouvrière d'Espagne et du monde entier sur le front de la guerre impérialiste.
A Barcelone la façade offusque la réalité. Parce que la bourgeoisie se retire provisoirement de la scène politique, parce que les bourgeois ne sont plus à la tête de certaines entreprises, l'on en arrive à considérer que le pouvoir bourgeois n'existe plus. Mais si ce dernier est vraiment inexistant, alors c'est l'autre qui aurait dû surgir : celui du prolétariat. Et ici la réponse tragique des événements est cruelle : toutes les formations politiques, mêmes les plus extrêmes, la CNT, proclament ouvertement qu'il ne faut nullement attenter à la machine étatique capitaliste à la tête de laquelle Compagnys serait même d'utilité pour la classe ouvrière. Notre avis à ce sujet est absolument net : deux principes s'opposent, deux classes, deux réalités : celle de la collaboration et de la trahison, l'autre de la lutte. A la tension extrême de la situation, correspondent aussi des forces extrêmes de la collaboration. Si en face d'une conflagration sociale du type de celle de Barcelone les ouvriers sont poussés non vers l'attaque contre la machine étatique capitaliste, mais vers sa sauvegarde, alors c'est la collaboration et non la lutte de classe qui triomphe. La voie pour l'éclosion de la lutte de classe ne se trouve point dans l'élargissement successif des conquêtes matérielles, tout en laissant debout l'instrument de domination de l'ennemi, mais dans la voie opposée qui connaît le déclenchement des mouvements prolétariens. La socialisation d'une entreprise tout en laissant intact l'appareil étatique est un maillon de la chaîne qui bloque le prolétariat derrière son ennemi aussi bien sur le front intérieur que sur le front impérialiste de l'antagonisme fascisme-antifascisme, alors que le déclenchement d’une grève pour la moindre revendication de classe et cela même dans une industrie "socialisée" est un anneau qui peut conduire à la défense et à la victoire du prolétariat espagnol et international.
Il est tout aussi impossible d'opérer un mélange entre le prolétariat et la bourgeoisie qu’il l'est entre les Fronts territoriaux actuels, les armées d'Union Sacrée et les frontières de classe, les armées de classe. La différenciation s'opère sur les questions fondamentales et non sur celles de détail. Il existe actuellement une opposition apparente entre le détail et l'essentiel, entre la composition, l'ardeur, le sacrifice, l'héroïsme des prolétaires enchaînés par le Front Populaire et la force politique, historique que représente ce dernier. Tout comme Lénine en avril 1917, nous devons opérer sur le noeud central du problème et c'est là que la seule différenciation politique "réelle" peut s'opérer. A l'attaque capitaliste on ne peut répondre que sur une base prolétarienne. Ceux qui négligent ce problème central se mettent délibérément de l'autre côté de la barricade et les prétendues réalisations sociales ne sont, en définitive, qu’une maille reliant les ouvriers à la bourgeoisie.
De la situation actuelle où le prolétariat est tenaillé entre deux forces capitalistes, la classe ouvrière ne peut passer à l'autre opposée qu'en empruntant le chemin conduisant à l'insurrection. Il n' y a pas évolution possible des armées actuelles de Catalogne, de Madrid, d'Asturies mais il faut la rupture brutale, sans la moindre équivoque. La condition essentielle pour le sauvetage de la classe ouvrière espagnole réside dans le rétablissement des frontières de classe qui sont opposées à celles territoriales actuelles. En Catalogne surtout, où les énergies prolétariennes sont encore puissantes, ces énergies doivent être mobilisées sur un plan de classe. Il faut faire échec au plan capitaliste qui consiste à écraser par la terreur les masses paysannes et à convoiter, par la corruption politique, les masses paysannes industrielles pour les diriger vers le même front de la victoire du capitalisme espagnol et international. Pas d'Union Sacrée, à aucun échelon de la lutte, à aucun instant de la bataille. Cet acte de la guerre impérialiste peut ne pas se relier avec l'éclosion immédiate de la conflagration mondiale. Dans ce cas, les batailles actuelles en Espagne, faute d'un bouleversement total de la situation, se dirigeront vers la victoire de la droite, car c'est à cette dernière que revient la fonction politique d'écraser par milliers les prolétaires, d'instaurer la terreur générale, totale, du type de celle qui a exterminé le prolétariat italien et allemand. La gauche, le Front Populaire a une fonction capitaliste différente et consistant à faire le lit à la réaction, un lit sanglant où sont déjà couchés des milliers de travailleurs espagnols et d’autres pays.
La classe ouvrière n'a que des forteresses de classes et ne peut vaincre du moment qu'elle est emprisonnée dans les forteresses ennemies que sont actuellement les fronts militaires. Les héroïques défenseurs d'Irun étaient condamnés d'avance, ils avaient été livrés au capitalisme par le Front Populaire qui était parvenu à les extirper de leur terrain de classe et en a fait la proie des armées de Franco.
La lutte armée sur le front impérialiste est la tombe du prolétariat. Il faut y opposer la lutte armée sur le terrain social. A la compétition pour la conquête des régions et des villes, il faut opposer l’attaque contre la machine étatique, et c'est uniquement de cette attaque que peut résulter la désagrégation des régiments de la droite, c'est ainsi seulement que le plan du capitalisme espagnol et international pourra être brisé. Autrement, avec ou sans l'acceptation du plan français de neutralité, avec ou sans le Comité de Coordination composé de fascistes, démocrates et centristes, (tous les pays importants y étant représentés), c'est l'orgie capitaliste qui triomphe et les marchands de canons de France, d'Angleterre, d’Allemagne, d'Italie, l'Etat Soviétique lui-même livreront les munitions aux deux Etats-majors, celui de Franco, l'autre de Caballero pour massacrer les ouvriers et les paysans en Espagne.
Dans tous les pays au mot d'ordre capitaliste, pour ou contre la neutralité, pour ou contre l'envoi de munitions à Franco ou au gouvernement, opposés des manifestations de classe, des grèves contre les transports légaux d'armes, des batailles dirigées contre chaque impérialisme. C'est à cette condition uniquement que la solidarité peut s'affirmer réellement pour la cause du prolétariat espagnol.
L'abattoir des prolétaires en espagne.
Extraits (Bilan n°35, Septembre-Oct. 1936)
Les fascistes attaquent en Espagne. Les traîtres à la classe ouvrière de tous les pays sont à leur place quand ils réclament de leurs gouvernements respectifs des envois d'armes et munitions au gouvernement "légal de la République". Mais autre chose serait de lancer un appel à la classe ouvrière de chaque pays afin qu'elle se mobilise dans une lutte acharnée contre ses capitalismes respectifs. Ce serait là de la lutte de classe, ce serait là la seule solidarité à manifester aux ouvriers espagnols. Une telle action, les traîtres ne pouvaient même pas la concevoir elle conduirait, en effet, à l'affaiblissement du capitalisme dans tous les pays et, par ricochet, arrêterait les chances de succès de l'attaque fasciste en Espagne. Cette directive n'appartient qu'à des groupes restreints de prolétaires qui s'amenuisent d'ailleurs de jour en jour si l'on considère que le parti d'unification marxiste, POUM, la CNT et la FAI s'insurgent contre la mystification du discours de M. Bloum à Luna-Parc et demandent aux ouvriers français, non de déclencher une lutte de classe contre leur impérialisme, mais d'imposer au gouvernement de Front Populaire de lever le blocus, pour neutraliser l'aide apportée par Hitler et Mussolini aux fascistes espagnols.
Si l'on réfléchit à l'opposition criante qui existe entre la première et la deuxième phase des événements, l'on comprend enfin la cruelle logique des situations actuelles. Le 19 juillet, le prolétariat s'insurge contre l'attaque fasciste et déclenche la grève générale. Le prolétariat est debout, le prolétariat est lui-même, il est la classe qui est capable d'arrêter l'offensive des fascistes, il lutte avec son arme spécifique : la grève. Lutte armée, oui, mais au service d'une revendication de classe. Et à ce moment il n'existe pas de gouvernement à côté des ouvriers, pas de républicain pas de séparatistes. Le prolétariat est terriblement fort parce qu'il est terriblement seul. Par après la situation est bouleversée. Autour des ouvriers espagnols il y a le gouvernement de Front Populaire et la sympathie de gouvernements puissants : français, anglais, russe, mais le prolétariat n'existe plus car, sorti de sa base primitive de classe, il a été cloué dans une base qui n'est plus la sienne, qui est le contraire de la sienne, celle de son ennemi de classe.
Et la tragédie commence. Les fascistes se renforcent dans la mesure même où les ouvriers se collent —au travers du gouvernement de Front Populaire- à leur bourgeoisie. A Barcelone la machine étatique capitaliste non seulement est laissée intacte, mais elle est sanctifiée lorsqu'on pousse les ouvriers à la faire fonctionner avec le maximum de rendement pour permettre la guerre militaire. Le renforcement de la machine étatique à Barcelone, à Madrid, à Valence avec son corollaire : le renforcernent de la même machine à Séville et Burgos, détermine des chances toujours plus favorables pour l'attaque fasciste.
Les traîtres dans les différents pays poussent les ouvriers à invoquer l'intervention des gouvernements respectifs. Quel serait le résultat ? Mais la leçon de 1914-18 est là : tragiquement éloquente. A supposer même qu'il ne s'en suivrait pas de conflit mondial, et que de meilleures conditions militaires pour les armées "loyales" permettent la victoire sur les généraux, les ouvriers espagnols qui auraient lutter sous la direction, les objectifs, le contrôle du gouvernement du Front Populaire, se trouveraient demain tout comme les ouvriers français et anglais en 1918 à devoir payer avec le renforcement de leur esclavage le prix de n'avoir pas su déjouer la tromperie ennemie. La manoeuvre du capitalisme, consistant à jeter les travailleurs les uns contre les autres, se serait bornée à l'Espagne, elle n'aurait pas embrasée le monde entier mais cela n’en aurait pas moins pour conséquence que le prolétariat espagnol aurait été le seul à en faire les frais.
Mais cette hypothèse n'est pas celle qui semble correspondre à l’évolution des terribles événements d’Espagne. Nos prévisions primitives semblent se confirmer. Le capitalisme était forcé de procéder à une sanglante conversion de son extrême gauche vers l’extrême droite. Le plan initial n'avait pas abouti : écraser d'un coup les masses dans toute l'Espagne. Pour y arriver la bourgeoisie avait besoin d'une force complémentaire à celle de l'attaque frontale des généraux. Cette force a été représentée par le Front Populaire.
De son front de classe primitif, les batailles de rues contre la bourgeoisie, les ouvriers ont été arrachés par le succès de la manoeuvre du Front Populaire qui les a jetés vers le Front opposé des frontières territoriales. Et progressivement, à chaque défaite sur le front territorial, la manoeuvre capitaliste a gagné de nouvelles forces agissant au sein des masses. La défaite d’Irun correspond à la formation du gouvernement d’extrème-gauche de Caballero, la chute de Tolède à l'entrée du POUM et des anarchistes dans la Généralidad de Barcelone. C'est ainsi que le capitalisme espagnol suffoquait toute réaction de classe.
Les ouvriers espagnols et du monde entier se souviendront de la douloureuse tragédie actuelle, ils l'ajouteront à celle de l'Allemagne, d'Italie, de Russie, des autres pays. L'ennemi capitaliste allonge la file de ses victoires contre le prolétariat, mais sur le terrain historique, il est définitivement condamné : pour se venger de son incapacité de mater l'éclosion des forces de production, il amoncelle des montagnes de cadavres d'ouvriers. De ces innombrables victimes jaillit la force invincible qui construira la société communiste. Les ouvriers d'Espagne se battent comme des lions, mais ils sont battus parce qu'ils sont dirigés par les traîtres dans l'enceinte de la forteresse ennemie sur les Fronts territoriaux. De leur défaite, jaillira la digue de fer de la lutte des classes contre laquelle aucune arme n'aura de puissance car les travailleurs, qui devraient la diriger contre leur frères, sauront s'en servir contre leur ennemi de classe pour la victoire de la révolution.
La consigne de l’heure : ne pas trahir.
Extraits (Bilan, n°36, Nov. 1936).
Une phrase suffit pour détruire de fond en comble notre position : quoi ? Alors que les ouvriers espagnols luttent d'arrache-pied contre l'attaque fasciste, se battent comme des lions contre un ennemi qui reçoit armes et munitions de Hitler et Mussolini avec la complaisance de Blum et de Eden quand ils dressent des barricades avec leurs corps pour arrêter l'avance des hordes fascistes, alors que, dans tous les pays, des centaines et des milliers d'ouvriers s'apprêtent à rejoindre le front de la bataille, votre position consiste à démoraliser les rangs des combattants, à faciliter l'invasion de l'ennemi fasciste, à démanteler les fronts où les prolétaires disputent, mètre par mètre, le terrain à Franco derrière qui se trouvent coalisés, les fascistes de tous les pays.
Seulement cette phrase n'est point un argument et si elle peut facilement, —à cause de son caractère démagogique— avoir raison de nous, elle ne représente guère une manifestation de solidarité aux ouvriers espagnols. Elle n'est, en définitive qu'un anneau de plus enchaînant les prolétaires, livrant ces derniers aux forces qui conduisent à l'échafaud leurs vies, leurs institutions et leur classe. Encore une fois, il ne s'agit pas —au cours des discussions entre les courants qui prétendent oeuvrer pour la libération des ouvriers du joug capitaliste— d'une bataille polémique tendant à écarter et à réduire au silence l'adversaire, ainsi que ses arguments. Il s'agit de présenter des positions politiques, de mobiliser des forces qui puissent déterminer la lutte, la défense et la victoire de la classe ouvrière contre l'ennemi capitaliste. C’est uniquement sur ce terrain que la diversification politique peut correspondre aux intérêts des ouvriers espagnols et de tous les pays : c'est sur ce front seulement que les énergies de la classe ouvrière peuvent se nouer pour construire le barrage de la défense et de la victoire.
Les flots de la démagogie peuvent nous noyer, mais le cruel développement des événements laissera non seulement debout l'ensemble de nos positions politiques, mais donnera la plus tragique des confirmations à ces dernières et cela parce que nous restons inébranlablement ancrés, dans les fondements de classe des masses prolétariennes et uniquement dans ceux-ci. Autant nous serions disposés à détruire jusqu'à la dernière syllabe de nos considérations si cela pouvait apporter une aide aux ouvriers espagnols, autant nous sommes forcés de voir l’opposition enragée des militants qui luttent contre nous, non un élément positif pour la résistance du prolétariat espagnol, mais une nouvelle manifestation de la victoire de la manoeuvre de l'ennemi capitaliste qui ne pouvait gagner cette nouvelle bataille qu'à la condition de pouvoir enchaîner à son char —avec la colossale mystification de l'anti-fascisme qui se révèle être, encore une fois, le lit du fascisme— jusqu'aux secteurs les plus avancés où résistaient les militants révolutionnaires.
C'est la plus tragique des confirmations du marxisme que celle qui se déroule aujourd'hui. Plus encore que dans les situations intermédiaires, dans des situations définitives, le sort de la classe ouvrière ne peut être sauvé que sur le front d'une politique de classe et uniquement d'elle, toutes les autres conduisant au pire massacre des ouvriers. La moindre compromission comporte en contre partie de l'illusion d'un appoint de la lutte, la lugubre certitude de la pénétration dans les rangs des ouvriers de la colonne ennemie qui en prépare méthodiquement la déroute.
Oui! Avant les événements d'Espagne existait une décision ferme, inébranlable: "nous ne marcherons pas, à aucun prix, d’aucune façon, quelle que soit l'embûche que l'on nous présentera. A l'ennemi qui nous appellerait aux armes pour battre le fascisme, nous répondrons par la proclamation de la lutte contre notre propre capitalisme. Les millions d'ouvriers tombés en 1914-18 croyaient combattre pour déraciner, dans le tsarisme ou le prussianisme, l'obstacle principal à l'affranchissement de la classe ouvrière. Mais, en réalité, ils sont tombés pour la sauvegarde du capitalisme, de son régime, pour construire —au travers de cette digue macabre des cadavres des ouvriers des deux camps— la barricade de la bourgeoisie contre l'assaut révolutionnaire des masses. Cet enseignement tragique, nous ne l'oublierons jamais, au grand jamais, et notre devise sera celle de battre chaque secteur du capitalisme pour faire crouler le système dans chaque pays et ,dans le monde entier".
Encore, à l'égard du pouvoir bourgeois la devise était tout autant ferme : "la leçon de 1914 nous a appris que, sous aucun prétexte, il ne faut collaborer avec la bourgeoisie. A l'appât que constitue l'idée de pénétrer dans l'Etat capitaliste afin de la faire servir au socialisme, ou pour repousser l'attaque de la réaction, les millions d'ouvriers tombés dans la lutte pour leur libération sont là pour nous dire que la collaboration avec la bourgeoisie c'est l'emprisonnement des ouvriers, leur perte, leur livraison à l'ennemi".
Les événements d'Espagne sont arrivés. Que reste-t-il des événements tragiques de 1914 ? L'on a commencé à parler de l’ouverture d'une situation révolutionnaire, mais immédiatement après l'on a ajouté que déclencher des luttes de classe?, passer à l'attaque contre l'Etat capitaliste, pour le détruire, pour fonder un pouvoir prolétarien, c'était réaliser, en fait, une condition favorable non pour les ouvriers, mais pour les fascistes qui attaquaient. De deux choses l'une : ou bien la situation révolutionnaire existe et il faut lutter contre le capitalisme, ou bien elle n'existe pas et alors parler de révolution aux ouvriers alors que malheureusement, il ne s'agit que défendre leurs conquêtes partielles, signifie substituer au critère de la nécessité d'une défensive mesurée pour empêcher le succès de l'ennemi, celle qui consiste à lancer les masses dans le gouffre où elles seront écrasées, "Les ouvriers croient lutter pour le socialisme"! Bien sûr, il n'en a jamais été autrement? Il en fut de même en 1914. Mais le devoir des militants est-il de se jeter parmi les ouvriers pour leur dire que le chemin du socialisme est celui qui se dirige vers la destruction du régime capitaliste ou celui qui encastre les ouvriers dans ce régime?
Mais, nous dira-t-on, nous ne sommes pas en 1914. En Espagne, ce ne sont pas deux armées impérialistes au service d' Etats antagonistes qui se heurtent, ou, dans un sens plus limité, ce n'est pas encore cela; actuellement, c'est le fascisme qui attaque, le prolétariat qui se défend. En participant à la lutte armée des ouvriers, en oeuvrant pour la victoire militaire contre le fascisme, nous ne répétons nullement les gestes de ceux qui conduisirent les ouvriers à la boucherie de 1914.
Ah! Oui la leçon de la derrière guerre était trop cruellement vive dans la mémoire des ouvriers ; le traquenard de la guerre sous le drapeau de l'antifascisme ne suffisait plus et les prolétaires, du moment qu'ils auraient vu l’entrée en lice des états capitalistes, auraient vite compris que c'eût été pour les intérêts de leurs ennemis et contre les leurs qu'ils se seraient battus et fait tuer. Avant la dernière guerre, les mouvements nationalistes de chaque pays se dressaient les uns contre les autres alors que le socialisme levait le drapeau de l'unification des peuples pour sauver la paix. Aujourd'hui, les mouvements de droite de tous les pays établissent une sympathie solidaire pour l'écrasement de la classe ouvrière de chaque pays et c'est là une réédition sous d'autres formes, d'une subsistance qui est la même que celle de 1914. Les formes différentes sont à la fois commandées par la tension extrême des situations et des rapports entre les classes, ainsi que par la nécessité où se trouve le capitalisme d'agiter devant les masses, pour les égarer, les tromper et les égorger, une autre enseigne sur le même drapeau, qui reste toujours celui de la sauvegarde et de la défense du régime capitaliste. Mais, nous a-t-on dit si souvent, les événements d'Espagne ne se déroulent pas encore, mais pourraient, demain, se dérouler sur la même ligne que ceux de 1914. Tant qu'ils n’en seront pas là, il faut défendre les territoires que le fascisme menace de sa conquête.
Mais le devenir n'est-il pas le réel. Peut-on demain être autre chose que le développement de ce que l'on est actuellement? Du moment que les ouvriers ont emprunté un certain chemin qui peut conduire à la guerre, ils se sont mis dans le chemin opposé à celui qui leur est propre et sont les victimes de forces qu'ils ne pourront plus déjouer parce qu'ils ont été désarmés politiquement par elles du moment que celles-ci les ont happés. Bien sur, le militant, un groupé déterminé pourraient se laver les mains au moment où plus aucun doute ne serait possible et que les Etats impérialistes antagonistes interviendraient ouvertement, mais la masse des ouvriers comment pourrait elle se désintégrer d'un tourbillon qui l'emporte? Au surplus, dès le premier jour des événements espagnols, n'était-il pas clair quelles différents Etats capitalistes tiraient les ficelles des situations pour permettre l'écrasement des ouvriers espagnols ; tous les Etats, les fascistes comme les démocratiques et l'Etat soviétique. Et, pour déloger ces Etats, y avait-il d'autres directives que celle de la lutte des celasses dans chaque pays ? Lancer le mot d'ordre de là "levée du blocus" n'était-ce pas précipiter le cours se dirigeant, vers la guerre impérialiste? N’était-ce pas suivre les traces de Jouhaux, de la Deuxième, de la Troisième Internationale, qui parviennent —avec succès d' ailleurs à suffoquer les mouvements de classe (les seuls qui puissent apporter une aide solidaire aux ouvriers espagnols). Pour accoupler les ouvriers à l'Etat capitaliste et pousser ce dernier vers ce même débouché de la guerre impérialiste ?
Notre position centrale consiste à faire découler de la thèse —que tout le monde semble admettre comme indiscutable- que le fascisme étant l'expression la plus cruelle du capitalisme, c' est uniquement par une attaque contre ce dernier que le prolétariat peut défendre ses intérêts et briser l'offensive ennemi. Et il est vraiment déconcertant de nous entendre dire que le déclenchement des luttes, de classe dirigées contre le capitalisme puisse favoriser ce dernier, A Barcelone, par rapport à Séville, il est évident que de bien plus amples possibilités existent aujourd'hui pour mener la lutte contre le capitalisme et il est incompréhensible que l'on emploie ces énergies, non pour la lutte contre la bourgeoisie, mais dans la direction opposée d'une intégration du prolétariat dans l'Etat capitaliste. Il nous revient que les anarchistes, pour justifier leur entrée dans le gouvernement Caballero affirment que c'était là le seul moyen pouvant permettre le réel armement des ouvriers saboté dès gouvernements précédents. Tout en devant faire la part de l'affolement dont sont victimes ceux qui se trouvent dans le tourbillon des événements, nous ne pouvons voir, dans cette thèse de la CNT, que la répétition de ce qu'ont toujours dit les réformistes et d'après quoi il fallait entrer dans l’appareil de l'Etat pour éviter qu'il serve aux intérêts du capitalisme : la tragédie espagnole ajoute une nouvelle note lugubre à celle de 1914.
"Le déclenchement des luttes de classe dans les régions non soumises au fascisme, aurait pour résultat de faciliter la chute et l'occupation des territoires par les hordes de Franco", L'on nous riposte cela pour prouver l'impossibilité d'appliquer les positions que nous défendions dès le début des événements. A part le fait que cela n'est nullement prouvé, reste cette autre considération que même si une position de classe peut avoir pour résultat de hâter le dénouement tragique d'événements qui se seraient, par cela même démontrés extrêmement préjugés pour, les ouvriers, au moins alors l'entrée des fascistes se ferait quand les énergies prolétariennes —ou au moins une parti d'entre elles- seraient encore sauvés et l'ennemi: n'aurait pu étrangler —au cours d'une lutte qui ne pouvait qu'aboutir à la défaite— les meilleures forces ouvrières en démoralisant les masses dans leur ensemble.
Immédiatement après que les ouvrirs se soient insurgés le 19 Juillet, le capitalisme espagnol a emprunté un double chemin pour étrangler la lutte de classe du prolétariat : dans les secteurs paysans, au travers de la terreur blanche, dans les centres ouvriers en englobant les masses dans l'appareil de l'Etat et en mettant à leur tête un état major qui devait inévitablement les conduire au massacre. Dès le début des événements, une double directive planait sur la situation d'un côté, celle du capitaliste gagnant chaque jour avantage les forces agissant au sein du prolétariat pour retenir les masses sur les fronts où elles sont massacrées ; de l'autre, celle des ouvriers qui, ayant emprunté leur chemin au cours de la première semaine, en ont été évincés par l'intervention de ceux-là mêmes à qui ils avaient confié leurs intérêts. Chaque, fois que les ouvriers auraient pu se redresser et reprendre leur chemin de classe, lors des défaites militaires, le capitalisme élargissait sa manoeuvre et passait du ministère Giral à celui de Caballero, et, enfin, à celui où se trouvent les anarchistes. Ainsi il agissait afin que le prolétariat ne puisse retirer les enseignements des défaites qu'il subissait et maintiennent sa confiance à ce qui ne pouvait le conduire qu'au massacre car, une fois intégré dans l'appareil de l'ennemi, on oeuvre non pour le prolétariat, mais pour le capitalisme.
Dans la situation extrêmement préjugée d’aujourd'hui, quand les chances de résistance et de victoire deviennent de plus en plus restreintes, les militants qui soulèvent la nécessité de reprendre le chemin de classe et de déclencher des luttes sur ce terrain sont exposés aux coups d'un appareil capitaliste qui à Valence et en Catalogne peut s'appuyer sur toutes les organisations agissant au sein du prolétariat. Les conditions semblent donc être remplies, comme en 1914, plus qu'en 1914, pour éviter que la moindre voir de classe ne s'élève parmi les ouvriers. Notre fraction qui, en Espagne, comme dans les autres pays, n'a négligé aucune possibilités concrètes —si modestes qu'elles pouvaient être- pour défendre ses positions, notre fraction qui s'est toujours laissée guider par la considération que pour mériter la confiance des masses, il faut rester sur le plan de la lutte de classe, que toute autorité conquise sur les ouvriers en entrant dans les fronts où ceux-ci ont été jetés par le capitalisme, est une autorité qui ne peut servir que la manoeuvre ennemie, notre fraction, dans un poignant isolement que les cadavres des ouvriers espagnols illuminent tragiquement, reste persuadée que ce qui ce creuse actuellement, ce n'est pas le tombeau du prolétariat, mais des idéologies et des forces qui, n'étant pas armées —au travers du marxisme— de la théorie de la classe prolétarienne ne pouvaient que conduire au massacre des masses ouvrières.
La hyène fasciste peut cyniquement dire qu’en face de cinquante mille de leurs assassins, les millions d'ouvriers n'ont pu résister et vaincre, mais cette hyène sait bien que cela a été uniquement possible parce que les ouvriers ont été extirpés de leur base de classe, parce que pour diriger leurs combats, se trouvaient les complices directs des Franco, les antifascistes de toutes les gradations.
La condition pour rester sur le chemin des ouvriers, à supposer qu'aucune possibilité n'existe plus pour bouleverser la situation à cause de la supériorité écrasante de l'ennemi, et de ne pas trahir, tout comme le fit Lénine en 1914.
La désertion des fronts militaires en Espagne, comme indication de classe pour l’ensemble des prolétaires, c'est de dissocier du capitalisme, c'est lutter contre lui, c'est se battre pour les ouvriers.
Dans tous les pays, lutter contre chaque capitalisme c'est se battre en solidarité avec les prolétaires espagnols.
Toute autre directive avec n'importe qu'elle étiquette : socialiste, centriste ou anarchiste, conduit à l'écrasement du prolétariat en Espagne et dans tous les autres pays.
La réalité d’un "gouvernement de façade".
Extraits ("Bilan" n° 37, Nov. Dec. 1936)
Combien de fois ne nous l'a-t-on pas dit ? Caballero et Companys ne sont que des façades. En réalité, les ouvriers ont le pouvoir en mains et ils dissimulent la réalité de crainte d'une intervention étrangère. 4 mois déjà que cette rengaine est servie aux prolétaires avec l'accompagnement de cette autre rengaine qu'il s'agit de répéter le schéma de l'affaire Kornilov. Décidément, la démagogie ne désarme jamais et les milliers de cadavres de travailleurs ne sont pas fait pour lui permettre de réfléchir ou de se réfréner.
Companys n'est qu'une façade, Caballero un simple paravent et cela suffirait pour donner l’échange aux Etats capitalistes. Ces messieurs prennent-ils vraiment les ouvriers pour des imbéciles? Car on a peine à croire que les anarchistes, le POUM, les socialo centristes se soient donnés tant de peine pour faire partie des gouvernements si telle avait la réalité. Depuis le plénum national des régionales de la CNT de septembre, celle-ci se démenait pour faire partie d'un gouvernement Caballero (baptisé Conseil), alors que le POUM n'avait de repos avant d'obtenir un portefeuille dans le Conseil de la Généralité de Catalogne.
Mais voyons les choses de plus près encore. La soi-disant façade de Madrid avait-elle oui ou non la direction des forces militaires de la "démocratie"? N'était-ce pas cet élément qui déterminait les anarchistes à demander à corps et à cris leur participation à cette façade ? Drôles de "révolutionnaires" qui disent que la révolution dépend de la guerre et qui donnent la direction de la guerre à M Caballero.
Mais lorsqu'on veut vraiment prouver que les gouvernements bourgeois du Front Populaire sont nuls et sans importance, il faut tout au moins prouver qu'en dehors d’eux existent des gouvernements véritables. Comme cela est quelque peu difficile on recourt à d'autres arguments : l'entrée des organisations ouvrières dans les ministères a modifié l'aspect et la nature de l'Etat. Certes, une apparence subsiste et elle fait ressembler l'Etat ancien à l'Etat nouveau comme une goutte d'eau à une autre. Mais cela n'est que la façade extérieure. Pas autrement résonnaient les réformistes lorsqu'ils participaient à des gouvernements de la bourgeoisie. Seulement le problème est de savoir qui se modifie : l'Etat bourgeois qui reçoit en son sein des "ministres ouvriers" ou ces derniers qui accèdent à des charges étatiques. Un demi-siècle de réformisme a résolu le problème et c'est Lénine qui a eu raison lorsqu’en Octobre 17 il est resté fidèle aux enseignements de Marx prônant la destruction violente et complète de l'Etat capitaliste.
Si l’on reste sur le terrain concret de l'expérience espagnole, il ne sera pas très difficile de prouver que la façade est la réalité de la situation, alors qu’inversement la soi-disant réalité des anarchistes et polémistes n'est qu'une grossière façade.
Que voulait la bourgeoisie espagnole ? En finir pour de longues années avec les mouvements ouvriers, mettant obstacle à la constitution d'un pouvoir stable assurant "pacifiquement" son exploitation sur les ouvriers et les paysans. Elle ne pouvait arriver à ses fins qu'aux travers d'un monstrueux massacre des ouvriers révoltés le 19 juillet, et dans la mesure où ces massacres devenaient une guerre sainte, une croisade anti-fasciste au cours de laquelle les travailleurs auraient cru lutter pour leur révolution.
Une condition essentielle devait être respectée : laisser intact le mécanisme de l'Etat bourgeois et le renforcer par l'apport des organisations ouvrières auxquelles étaient dévolus les rôles de propulsion, de Pierre l'Ermite, dans la guerre antifasciste. Bien sûr, l'on a collectivisé les usines expropriées par les ouvriers, l'on a partagé les grandes terres appartenant à des fascistes, mais toujours en conformité avec le maintien et le renforcement de l’Etat bourgeois qui peut croître et se développer dans une ambiance où les usines collectivisées sont devenues des usines militarisées où le prolétaire doit produire plus et plus qu'avant le 19 juillet et où il ne peut plus émettre la moindre revendication de classe. L'Etat bourgeois vit et se renforcé dans la mesure même où l'on jette une digue militaire pour empêcher les ouvriers de vivre et de se renforcer sur le terrain des luttes sociales. " Tous au front ou à l'usine" voilà la situation qui permet aux organisations bourgeoises et ouvrières de remplacer l'activité spécifique du prolétariat par l'activité spécifique de la bourgeoisie.
Ah! Si la révolution prolétarienne avait grondé en Espagne, les ouvriers auraient vite exigé que la clarté des situations se traduise dans les faits. Comment peut-on agir, appeler les ouvriers des autres pays à la rescousse lorsqu'on farde et dissimule ses gestes? Enfin, le passage du pouvoir des mains d'une classe entre celles d'une autre est la chose la moins conformiste et la moins traditionnelle qu'on puisse s'imaginer. Le problème des "façades" ne se pose pas un seul instant car il s'agit de bouleverser de fond en comble l'ancien état de choses et d’y substituer un nouveau.
La réalité est pourtant bien simple. Ceux qui demandent aux ouvriers d’applaudir la "façade" que seraient Companys et Caballero, sont les mêmes qui pensent que l'on peut faire la révolution prolétarienne avec la permission de la bourgeoisie démocratique et que l'on peut construire un pouvoir prolétarien en réformant l'Etat bourgeois. Ce sont ces intentions que le prolétariat doit considérer et non la réalité : cette vulgaire façade.
Si pourtant les faits ne dégageaient pas souvent de cruelles vérités, tout serait excellent : les ouvriers se feraient tuer sur les fronts, la législation économique et sociale de la "nouvelle société" se développerait petit à petit et Franco progresserait militairement. Mais il y a les faits qui font naître bien des inquiétudes parmi les ouvriers. Ainsi, la bourgeoisie catalane a jeté dernièrement un coup de sonde. Peut-être en proclamant la République indépendante de la Catalogne permettrait-on à Franco d'en finir plus vite avec Madrid. Le "complot" a été découvert : les coupables ont été punis (?) et tout est rentré dans l'ordre car les anarchistes ne veulent pas d'une "république médiévale". D'autre part, l'Avangardia —organe sous l'influence de la Généralité- s'est élevée dans son N° du 2 décembre contre l'indiscipline à l'arriêre garde. Puisque tous les partis et organisations ouvrières sont représentés dans les gouvernements, ceux qui agissent sans représentation au gouvernement doivent être considérés comme des fascistes. L'Etat "façade", comme on voit ne se porte pas trop mal. La bourgeoisie peut lancer des coups de sonde parmi le prolétariat et personne ne peut agir en dehors de l'Etat.
Jusqu'au POUM qui se lamente devant son pseudo "gouvernement ouvrier et petit bourgeois". Les ministres socialistes de Valence prétendent qu'un quart d'heure après avoir pris des décisions, leurs services les transmettent à Franco. Tout l'appareil ancien de la bourgeoisie est resté sur pied. Et quand les Cortes se réuniront à Valence, la stupéfaction sera générale. La C.N.T. décidera que ses ministres ne participeront pas aux discussions peut-être par décence. Mais elle laissera se jouer la comédie parlementaire sans souffler mot. Les anarchistes sont de grands hommes d'Etat qui comprennent la politique extérieure de Caballero et qui, pour rien au monde, ne voudraient l'aggraver. Le POUM permettra au représentant de son aile gauche de bavarder sur l'Etat bourgeois qui subsiste et sur la nécessité de baser la révolution non sur les Cortes mais sur des comités d'ouvriers, de paysans s1assemblant en Congrès, Quatre mois après juillet, il devra écrire que la bourgeoisie émet un geste symbolique qui signifie la préservation de la forme et du fond de l'Etat démocratique bourgeois,
La révolution est bien profonde en Espagne. N'étaient-ce les milliers d'ouvriers et paysans qui se font massacrer, l'on serait tenté de repousser seulement du pied, le verbiage des démagogues. Mais il s'agit de lutter et d'appeler les prolétaires de tous les pays à lutter pour aider à sortir le prolétariat ibérique du massacre. Déjà plus personne n'ose nier que l'intervention de plus en plus active de l'Allemagne, de l’Italie et de la Russie, fait des événements espagnols une phase de la guerre impérialiste. La résistance des républicains autour de Madrid accélère la tension de la situation internationale et clarifie l'aspect réel de la lutte. Seulement, l'intervention des ouvriers de tous les pays engageant la lutte contre leur propre bourgeoisie et l'intervention des ouvriers espagnols retournant leurs armes contre le gouvernement de "façade" de Valence, de Barcelone, comme contre Franco déchaînant leurs batailles revendicatrices, jalons d'une attaque générale contre l'Etat capitaliste, peuvent permettre au prolétariat mondial de retrouver le chemin de la révolution prolétarienne.
L'isolement de notre fraction devant les événements d’Espagne
Extraits ("Bilan" n° 36, OCT. NOV. 36)
A l!heure actuelle, selon l'enseignement des bolcheviks après 1914, nous tentons vainement de repérer les rares îlots marxistes qui devant le déchaînement de la guerre en Espagne, la vague mondiale de trahison et de revirement brusque, tiennent bon et malgré la meute enragée des traîtres d'hier et d'aujourd'hui, continuent à proclamer leur fidélité à l'action d'indépendance du prolétariat pour la réalisation de son idéal de classe.
Combien sont-ils ? Où sont-ils ? C’est là des problèmes auxquels les faits se chargent de répondre avec un laconisme sinistre. Il semble que tout a sombré et que nous vivions une lamentable époque de faillite de tout ce qui subsistait comme éléments révolutionnaires.
Notre isolement n'est pas fortuit : il est la conséquence d'une profonde victoire du capitalisme mondial qui est parvenu à gangrener jusqu'aux groupes de la gauche communiste dont le porte-parole a été jusqu'à ce jour Trotsky. Nous ne poussons pas la prétention jusqu'à affirmer qu'à l'heure actuelle nous restons le seul groupe dont les positions aient été confirmées sur tous les points par la marche des événements, mais ce que nous prétendons catégoriquement c'est que, bien ou mal, nos positions ont été une affirmation permanente de la nécessité d'une action indépendante et de classe du prolétariat. Et c'est sur ce terrain que s'est précisément vérifiée la faillite de tous les groupes trotskystes et semi-trotskys-tes.
A aucun prix et sous aucun prétexte nous ne voulons nous départir d'un critère de principe pour repérer les groupes avec lesquels il faut rechercher un terrain de travail commun et avec lesquels il faut constituer un centre de liaisons internationales en vue de jeter les fondements programmatiques de cette internationale que la vague réellement révolutionnaire de demain nous permettra de fonder. Ce critère consiste à rejeter impitoyablement ceux que les événements eux-mêmes ont liquidé ou qui agissent ouvertement sur le terrain de l'ennemi en tenant bien compte que tout accord avec ces catégories d'opportunistes sur le terrain où le prolétariat doit être d'une intransigeance brutale : le terrain de la formation des partis, peut compromettre pour toujours l'avenir de la classe ouvrière.
Ni en France, ni en Belgique les deux partis trotskystes ne représentent des organismes de la vie et de la lutte du prolétariat. Ici la base programmatique pour le nouveau parti est remplacée par la lutte entre le clan Naville et le clan Molinier et au moment où se déchaîne en France la vague des batailles grévistes de Juin, le nouveau parti se crée sur un compromis et avec des positions où l'aventurisme et la démagogie deviennent programme (armement des ouvriers, création de milices armées etç.) Après ces événements, c'est la liquidation du clan Molinier et ce seront les événements d'Espagne où -malgré l'avertissement de Trotsky traitant Nin de traître- l'on marche à toute peur derrière le POUM.
En Belgique, où le caractère ouvrier des groupes trotskystes est de loin plus accentué qu'en France, sous l'impulsion de Trotsky, c'est la rentrée dans le P.O.B. à laquelle résiste le groupe de Bruxelles, non pour des raisons de principe mais pour des considérations de "tactique" (en France la rentrée était justifiée mais pas en Belgique etc.). Au sein du P.O.B., c'est l'alliance des trotskystes orthodoxes avec l'ex-gauche du Ministre Spaak, décapitée de son chef et remplacé par Walier Bauge. Les circonstances où l'exclusion de "l'Action Socialiste Révolutionnaire" se situe, ne sont pas très brillantes : il s' agit d'une affaire électorale où le P.O.B. décida d'enlever Bauge de la liste de ses candidats à moins que ce dernier veuille n'accepter des conditions qui l'auraient liquidées comme gauchiste. Après des tentatives de marchandages la scission eut lieu et après les élections ce fut la campagne pour la création d'un parti socialiste révolutionnaire qui vient de se fonder avec le groupe Spartacus de Bruxelles. Au sujet de l'Espagne, c'est la même position qu'en France : L'envoi d'armes en Espagne, la lutte contre la neutralité, l'envoi de jeunes ouvriers sur les champs de bataille d'Espagne, etc .... II est donc évident qu'avec les groupes trotskystes le fossé antérieur a été transformé par les événements de l'Espagne en un gouffre qui est en réalité celui qui existe entre ceux qui luttent pour la révolution communiste et ceux qui se sont incorporés des idéologies appartenant au capitalisme.
Mais déjà l'année passée, au Congrès de notre fraction, nous avions exprimé notre inquiétude devant l'isolement de la fraction et avions passé en revue ceux qui auraient pu être sollicités pour un travail commun. Nous avions d'abord rejeté les propositions du groupe américain de la Class Struggle voulant convoquer une Conférence Internationale pour y élaborer, le programme d'une Nouvelle Internationale. Nous y avons opposé la notion plus sérieuse de la constitution d'un centre de liaisons avec ces groupes se revendiquant du deuxième Congrès de l'IC ,ayant rompu avec Trotsky et proclamant la nécessité de passer au crible de la critique tout le bagage de la révolution russe.
Notre proposition n'eut pas de suite et nos rapports restèrent ce qu'ils étaient avec tous les autres groupes. En Belgique les rapports avec la Ligue des Communistes Internationalistes restèrent empreints d'un désir mutuel de discussion et de confrontation et c'est bien là le seul endroit où notre fraction ait rencontré un désir d'oeuvrer dans une direction progressive. Aujourd'hui encore, c'est au sein de la Ligue que s'élèvent les seules voix internationalistes qui osent se faire entendre dans la débâcle espagnole et c'est pour nous une joie réelle de pouvoir saluer publiquement ces camarades qui restent fidèles aux bases mêmes du marxisme.
La majorité des camarades de la Ligue ([1]) ont des divergences profondes avec notre fraction, mais l'entente, y compris pour un centre de liaison, reste toujours du fait que la Ligue comme notre fraction évolue sur le terrain de classes du prolétariat et que dans cette direction aucune rupture ne s'est encore vérifiée dans les documents programmatiques de la Ligue.
En France, il est temps de faire un bilan sommaire de nos tentatives d'arriver à réaliser un accord avec des groupes de militants révolutionnaires.
Si aujourd'hui, se vérifie la faillite de l'Union Communiste ce n'est pas un hasard mais le fait que ce groupement a refusé, malgré nos multiples invitations et nos avertissements, à s'engager dans la voie réelle et historique où se forgent les cadres que le prolétariat aura besoin pour fonder, dans les situations de demain son parti de classe. Conglomérat de tendances opposées, l'Union n'a jamais voulu emprunter la voie de la délimitation idéologique et ses positions politiques n'ont été qu'un éternel compromis entre le trotskysme orthodoxe et des tentatives confuses de se dégager des formules de ce dernier. Au moment des événements de juin, l'Union s'est effondrée et une partie de sas membres a rejoint le parti des trotskystes. A cette époque nous sommes intervenus en France afin de déterminer les camarades de l'Union à faire de cette nouvelle scission le signal d'une délimitation programmatique. A ce moment nous avons proposé l'organisation de réunions de confrontation entre différents tronçons communistes (y compris l'Union) en insistant pour que chacun d'eux envisage d'y apporter sa contribution politique spécifique, justifiant son existence comme groupe indépendant afin de permettre aux ouvriers de s'orienter dans le maquis qu'est aujourd'hui le mouvement ouvrier en France. Ici aussi, nos tentatives se sont heurtées à l'impossibilité pour tous ces groupes de faire le moindre pas et à leur volonté d'exprimer fidèlement le cours de dégénérescence du prolétariat français mais non la réaction de ce dernier. Les événements espagnols ont nettoyés ici également. Ils ont montrés les débris de l'Union Communiste emboîter le pas au POUM et défendre plus ou moins les positions des groupes trotskystes. Nous ne doutons pas un seul instant qu'au sein de ce qui subsiste de l'Union pourraient se trouver des militants qui veulent rester fidèles au marxisme internationaliste. Mais si à la faveur des massacres de la Péninsule Ibérique ils n'arrivent point à se dégager de l'ornière et a préparer leur rupture avec le passé et les bases de leur Union, ils seront perdus pour la cause prolétarienne.
Nous déclarons ouvertement que nous nous sommes trompés sur l'éventualité d’un travail de clarification qui aurait pu être effectué avec l'UNION Communiste. Ses positions plus ou moins déclarées sur l'Espagne nous obligeront à maintenir à son sujet la même attitude qu'en vers d' autres groupements que nous rencontrons.
Il ne serait pas inutile de passer en revue ce qui existe en Espagne comme force de classe du prolétariat. A ce sujet nous refusons d'admettre le POUM autrement que comme un obstacle contre-révolutionnaire de l'évolution de la conscience des travailleurs.
On sait tout d'abord que les trotskystes espagnols refusèrent d'entrer dans le parti socialiste, comme le demandait Trotsky, mais ce fut pour sauter dans le parti opportuniste de Maurin, le Bloc Ouvrier et Paysan. Il convient aussi de reprocher au POUM (résultat de ce mariage politique) son régionalisme catalan qu'il baptise de marxiste au nom du droit d'auto-détermination des peuples. Cela lui a permis d'entrer dans un gouvernement d'Union Sacrée en Catalogne sans même se préoccuper de Madrid (tout comme la CNT d'ailleurs). Enfin, il ne faut pas oublier que le POUM est membre du Bureau de Londres où se trouve l'Indépendant Labour Party; qu'il travaille avec la gauche du parti socialiste français (Pivert, Collinet et cie) : qu'il est en étroite liaison avec les maximalistes italiens de Balabanova et le groupe de Brandier qui, tout en restant pour le redressement de la troisième internationale et la défense de l'URSS, a décidé de donner toute son aide au POUM.
Le POUM ne sait jamais bien dégagé des partis de l'Esquerra Catalane avec lesquels, au nom du front unique avec la petite bourgeoisie, il a fait toutes les compromissions. Dès le 19 juillet le POUM s'est lié à la Généralité comme les autres organisations de la Catalogne et c'est sans heurts qu'il est passé de sa revendication confuse : Assemblée Constituante appuyée sur des Comités d'Ouvriers et de Soldats et pour un gouvernement ouvrier, à la participation du gouvernement de la Généralité qui n'est pas précisément "ouvrier".
Toutes les tendances du POUM, celle de Gorkin (qui n’est que le continuateur de la politique de Maurin), de Nin, d'Andrade, gravitent autour du même axe politique sans s'opposer fondamentalement dans leurs divergences. Nous ont participé à 1étranglement de la bataille de classe des prolétaires espagnols par l'organisation des colonnes militaires et si Andrade s'est différencié dans l'organe du POUM de Madrid par sa phraséologie pseudo-marxiste, en réalité il a soutenu dans ses grandes lignes toute la politique de collaboration de classe de la direction centrale du POUM. Les trotskystes espagnols ont voulu concrétiser la notion "Léniniste" (?) consistant à entrer dans un parti opportuniste afin de le conquérir, à des positions révolutionnaires. Le résultat a été la transformation des dirigeants de l'ancienne gauche communiste en des traîtres avérés à la cause du prolétariat. Ce n'est pas un hasard si M.Nin est aujourd’hui Ministre de la Justice en Catalogne où il appliquera la justice "de classe" sous l'égide de M. Companys. Nin a oublié sa parenthèse "Trotskyste" de la Russie et il est redevenu le bonze de L'I.SR. qu'il était auparavant. Quant à la gauche d'Andrade, ce n'est pas non plus un hasard si elle s'est associée à la campagne militaire du POUM et si elle nous désigne autant que les Nin et Gorkin, comme des contre-révolutionnaires qui osent dénoncer la duperie monstrueuse et criminelle dont les ouvriers espagnols sont les victimes. Le POUM est un terrain où agissent les forces de l'ennemi et aucune tendance révolutionnaire ne peut se développer en son sein. Le même que les prolétaires qui veulent retrouver leur chemin de classe doivent s'orienter vers un bouleversement radical de la situation en Espagne et opposer aux fronts territoriaux leurs fronts de classe, de même, les ouvriers espagnols qui veulent oeuvrer pour jeter les bases d'un parti révolutionnaire, doivent tout d'abord briser avec le POUM et opposer au terrain capitaliste où il agit, le terrain de la lutte spécifique du prolétariat. Les Andrade et Cie représentent ceux qui lient les ouvriers plus avancés à la politique contre-révolutionnaire du POUM et par là même il s'agit non de les accréditer par des appuis politiques, mais il faut les dénoncer avec vigueur.
Il n’entre donc nullement dans les intentions de notre fraction de réaliser le moindre accord politique avec qui que ce soit du POUM (à ce sujet nous rappelons que la minorité de notre organisation se réclame de positions différentes) ou de considérer la nécessité d'appuyer la soi-disant gauche du POUM. Le fait est que le prolétariat de la péninsule ibérique a encore à jeter les fondements pour créer les bases d'un noyau marxiste et ce dernier ne se constituera pas par des manoeuvres "révolutionnaires" avec les opportunistes, mais en appelant les ouvriers à agir sur des bases de classe, indépendamment de toute influence capitaliste, en dehors et contre les partis agissant pour le compte de la bourgeoisie, tels le POUM ou la FAI qui ont réalisé 1!Union Sacrée la plus étroite avec la gauche républicaine et le Front Populaire.
Ainsi, l’on constatera que tant en Espagne, que dans les autres pays ne s'effectue pas un effort politique dans une direction historique analogue à celle que les prolétaires italiens ont tracé au cours de plusieurs années de guerre civile contre le fascisme et que notre fraction, avec ses forces restreintes, voudrait exprimer. Nous sommes profondément conscients de l'impossibilité de bouleverser cette situation internationale, qui n'est que le reflet d'un rapport de force entre les classes défavorables au prolétariat, par des propositions de création d'Internationales ou par des alliances avec des opportunistes du type trotskystes ou poumistes. Si la défense du marxisme révolutionnaire signifie aujourd'hui l'isolement complet, nous devons l'accepter en considérant que nous ne ferons, dans ce cas, qu'exprimer l'isolement terrible du prolétariat, trahi par tous et jeté dans l'anéantissement par tous les partis se réclamant de son émancipation. Nous ne dissimulons pas les dangers qui peuvent découler de cette situation pour notre organisation qui sait parfaitement qu'elle ne possède pas le summum de la connaissance marxiste et que les mouvements sociaux de demain en remettant les prolétaires sur leur terrain de classe, redonneront seulement sa véritable puissance au marxisme révolutionnaire et aux organismes qui s'en réclament, notre fraction y comprise.
Brèves leçons "espagnoles"
Il y a quarante ans, .le 19 juillet .36, les prolétaires espagnols, avec leurs poings nus, se jettent en travers le Pronunciamiento des batailles franquistes. Qu'ils furent capables de cet élan, sans mot d'ordre ni directives des organisations de masse révéla de quel farouche instinct de classe ils étaient capables. Ils constituent alors, une force autonome tendant à se défaire des liens idéologiques avec l'Etat. Au soir de ce jour mémorable, la classe ouvrière créa spontanément ses organes de lutte : la milice Ouvrière englobant en son sein l'ensemble des exploités indépendamment des divisions corporatives et syndicales et de la différence de maturité politique de chaque milicien,, En ce sens elle constitue la seule conquête et l'arme matérielle du prolétariat lors de ces journées qui virent la centrale CNTiste engager les travailleurs à reprendre le travail sous les hospices de la République "sociale", celle la même qui précédemment les avait massacrés et équipés de pieds en cap ces mêmes bataillons de "factieux".
Le prolétariat espagnol s'est montré capable de stopper le soulèvement franquiste mais aussi trop faible pour s'emparer du pouvoir, pour conserver et développer ses propres organes de lutte. Et entre cette impuissance et la situation mondiale existe un intime rapport de cause à effet. En 36, les procès de Moscou jettent les dernières pelletées sur le cercueil, de la révolution mondiale. Les salves des pelotons qui exterminent le dernier carré de bolchevik sont assourdies par les tintamarres antifascistes.
De quelle Révolution sociale s'agit-il quand le critère international fait complètement défaut, quand l'Etat reste debout ? Dans ces conditions c’est répandre le mensonge que d'expliquer l’échec par des références à la "trahison" des dirigeants anarchistes ; à la "non-intervention" de Daladier et de Chamberlain (sic) ou d'accuser le POUM de ne pas avoir été à la hauteur ; seul la lutte ou s’allier avec les fractions de la bourgeoisie. Ici., il prit la seconde voie entraîné par les chefs anarchistes guéris, comme par enchantement, de leur phobie de toute "politique". De guerre de classe contre l'ennemi capitaliste, sa propre lutte se transforma .en conflit mettant aux prises deux fractions de la bourgeoisie : la démocratique et la fasciste. Au lieu de marcher résolu sur le chemin du défaitisme révolutionnaire, à l'exemple de l'Octobre victorieux, il servait de chair à canon aux appétits de Franco ou aux instincts de survie du gouvernement Négrin-Gaballero.
Le militant qui avait avec une petite poignée d'internationalistes, levé le drapeau du défaitisme révolutionnaire dans la première boucherie mondiale, Trotsky, trouvait le chemin du parjure. A ses partisans espagnols, il inculqua les idées de la défense de la démocratie, fut-elle pourrissante, sous couvert que cette dernière conserve sur le fascisme l'avantage de permettre au prolétariat sa liberté de mouvements. Sous la plume des uns et des autres, ce qui revient comme un lancinant leitmotiv c'est le maintien des forces antifascistes pour assurer la victoire militaire du gouvernement légal. Reprenant un par un les numéros de "la Batalla", de "Solidaritad Obrera", de""Mundo Obrero" : il est impossible de les lire sans une nausée de dégoût. Tous en sont venus à conclure une alliance complète avec la bourgeoisie tous se sont mis à plat ventre devant l'Etat militariste. Le "marxisme" d'Union Sacrée, le POUM, ne rougit pas de caractériser le gouvernement républicain comme expression de la volonté de lutte des masses laborieuses ; les anti-étatistes de la CNT-FAI ne rechignent pas à endosser la livrée de domestiques qui fera d-eux l'alter ego du stalinisme : "D' abord la guerre (impérialiste s'entend) ensuite le pain! ". C'est grâce à eux, si l'Etat put rassembler entre ses mains criminelles les fils, un moment rompus, de son contrôle sur la classe et ses organes de lutte.
Mais parce qu’à l’époque de la décadence aucune étape intermédiaire ne peut s'intercaler entre la dictature de la bourgeoisie et celle du prolétariat, durant ce dernier se présente un dilemme insoluble sur le terrain national : ou poursuivre seul la lutte ou s'allier avec les fractions de. la bourgeoisie. Ici., il prit la seconde voie entraîné par les chefs anarchistes guéris, comme par enchantement, de leur phobie de toute "politique". De guerre de classe contre l'ennemi capitaliste, sa propre lutte se transforma en conflit mettant aux prises deux fractions de la bourgeoisie : la démocratique et la fasciste. Au lieu de marcher résolu sur le chemin du défaitisme révolutionnaire, à l'exemple de l'Octobre victorieux, il servait de chair à canon aux appétits de Franco ou aux instincts de survie du gouvernement Négrin-Caballero.
Le militant qui avait, avec une petite poignée d'internationalistes, levé le drapeau du défaitisme révolutionnaire dans la première boucherie mondiale, Trotsky, trouvait le chemin du parjure. A ses partisans espagnols, il inculqua les idées de la défense de la démocratie, fut-elle pourrissante, sous couvert que cette dernière conserve sur le fascisme l'avantage de permettre au prolétariat sa liberté de mouvement. Sous la plume des uns et des autres, ce qui revient comme un lancinant leitmotiv c'est le maintien des forces antifascistes pour assurer la victoire militaire du gouvernement légale Reprenant un par un les numéros, de "la Batalla", de "Solidaritad Obrera" de""Mundo Obrero" : il est impossible de les lire sans une nausée de dégoût. Tous en sont venus à conclure une alliance complète avec la bourgeoisie, tous se sont mis à plat ventre devant l'Etat militariste. Le "marxisme" d'Union Sacrée, le POUM, ne rougit pas de caractériser le gouvernement républicain comme expression de la volonté de lutte des masses laborieuses, les anti-étatistes de la CNT-FAI ne rechignent pas à endosser la livrée de domestiques qui fera d'eux l'alter ego du stalinisme : "D’abord la guerre (impérialiste s'entend) ensuite le pain"? C'est grâce à eux, si l'Etat put rassembler entre ses mains criminelles les fils, un moment rompus, de son contrôle sur la classe et ses organes de lutte.
A partir de l'instant où le prolétariat se laissa tirer hors de son terrain de classe, le capitalisme trouvait la voie libre menant au massacre. Défendait-il des positions fondamentales pour sa montée révolutionnaire ou des conquêtes de carton pâte qu'étaient les réformes agraires et le contrôle ouvrier sur la production ? Tout nous oblige à affirmer qu'en croyant écraser l’hydre fasciste sous la direction d'un gouvernement républicain, les prolétaires espagnols furent rapidement et plus complètement conduits à la défaite. Pendant que, de toutes parts, on courrait sus à la bête fasciste (avait-elle surgie des flans putrides de la bourgeoisie sénile ou du cerveau enfiévré de l'état-major militaire félon?) le capitalisme pouvait célébrer ses noces de sang en dansant la sarabande sur le corps de centaines de milliers de "rouges" et de "hoirs". Franco monta au pouvoir et se tint à l'écart de la deuxième guerre impérialiste dont l'Espagne, comme le conflit sino-japonais et les opérations militaires italiennes d'Abyssinie ne fut qu'un épisode scellé du sang de la multitude. Faites encore une fois au nom des principes humanistes et démocratiques celles-ci devait transformer toute la production du temps de paix en production de cadavres humains comme cela ne s'était encore jamais vu.
La guerre permit, dès que les brigands impérialistes eurent signé l'acte diplomatique mettant fin aux hostilités, à la bourgeoisie d'entreprendre de relever le monde de ses ruines fumantes. Ce fut au prix de la pire exploitation et d'indicibles privations que l'ordre capitaliste put se remettre de sa terrible blessure, toutes choses que la bourgeoisie présenta comme oeuvre humanitaire. Au nom de l'humanité je fais des ruines, au nom de l'humanité je les reconstruis, ainsi vogue la galère capitaliste jusqu'à ce qu'elle se brise sur l'écueil du prolétariat.
En ce moment même, un nouvel acte de la lutte mondiale du prolétariat contre la société capitaliste se joue sur la scène espagnole, et précipite la marche des événements. Loin de pouvoir signifier cette stabilisation du système, la mort de Franco, qui avait pris appui sur l'église comme point le plus stable pour asseoir sa dictature, a ouvert pour l'Espagne une nouvelle ère d'instabilité.
Ces dernières dizaines d'années de reconstruction avaient apporté de profonds changements dans la structure économique espagnole. Profitant des possibilités offertes par une haute conjoncture, la bourgeoisie espagnole développa et concentra son appareil productif. De nouveaux centres, des secteurs flambant neuf ont surgi d'un sol fertilisé par la pluie de monnaies fortes que déversaient généreusement les nations occidentales. Mais à cette haute conjoncture d'après-guerre a succédé la dépression mondiale des activités industrielles et du courant d'échange commercial. Si l'on désire soutenir l'activité industrielle, alors il faut obtenir les marchés indispensables. Or, l'économie mondiale ne vit plus aujourd'hui qu'à l' air vicié du protectionnisme. Pour l'Espagne le retournement de situation se concrétise par une chute des commandes.
Malgré le soutien actif qu'apportent, en premier lieu, la puissance américaine et l'Europe des neuf à l'économie espagnole dans l'attente de l'intégrer complètement dans la communauté atlantique, la bourgeoisie s'avère avec Juan Carlos, incapable d'assumer une transition en douceur vers l'après-franquisme. Par suite, ce même capitalisme assez infatué de sa personne pour croire que certaines de ses usines allaient éclipser les plus proches rivales, françaises et italiennes, se présente au prolétariat sous la réalité hideuse de la faim, de la baisse des salaires, de l'insécurité matérielle et de la violence d'Etat. La fausse perspective de l'amélioration continuelle du niveau de vie des travailleurs en régime capitaliste, la théorie de l'aplanissement des contrastes de classes présentés triomphalement par les "dépasseurs" du marxisme, a vécu.
La classe ouvrière dut payer d'un lourd tribut les progrès d'une industrialisation qui fit enregistrer à l'Espagne des taux de croissance, dans la décennie précédente, supérieurs à 10%, et en outre, se satisfaire de recevoir une part insignifiante de son labeur. Maintenant, elle doit non seulement retrousser ses manches, mais aussi faire sienne la politique de réconciliation nationale.
La vie politique est un marais duquel montent les relents pestilentiels de la décadence. Qui pouvait penser que staliniens et monarchistes s'allieraient un jour ? Qui pouvait prévoir que les fiers rebelles anarchistes rentreraient sans vergogne dans les syndicats verticaux pour pouvoir "faire jouer, le corporatisme en faveur des ouvriers" ? Mais l'étonnement n’est pas de mise chez ceux qui ouvrent les yeux et font parler l'histoire. Toutes les fractions de la bourgeoisie peuvent se rassembler dans une union sacrée pour sauver leur économie, elles ne réussiront pas pour autant à contrôler les antagonismes de classe. Ce dont il est question aujourd'hui, c'est l'épuisement historique de la bourgeoisie, son impuissance à résoudre un problème la dépassant de plusieurs têtes : la contradiction toujours plus explosive entre le développement des forces productives et la forme d'organisation sociale.
La classe ouvrière en Espagne n'a pas voulu se laisser mettre à genou et du coup renoncer à sa lutte. Dès avant même la fin "du prodige espagnol", emporté comme un fétu de paille par le souffle de la crise mondiale, de nombreux foyers d’incendie social se sont allumés dans la plupart des centres économiques du pays. Il était courant de voir cette détermination se matérialiser non seulement par l'arrêt de travail, mais aussi par des émeutes de rues, intrépide comme toujours, bravant les balles de la Guardia Civil, le prolétariat espagnol s'est lancé, vers les années 60, résolument dans la lutte. Ces dernières semaines, des centaines de milliers de grévistes ont marqué d’une empreinte indélébile la vie sociale espagnole. Pour la bourgeoisie, les sacrifices sont difficiles à faire accepter au prolétariat. La grève devait éclater avec un maximum de puissance quand le gouvernement d'Arias Navarro se mit fâcheusement en tête de bloquer les salaires tout en augmentant la durée du travail. A partir de la grève du métro de Madrid, d'anneau en anneau, la chaîne de solidarité de classe s'est forgée au feu de la lutte contre les réquisitions de grévistes et l'intervention de la troupe. Le mouvement, de lui-même, prenait son caractère politique. Les dockers de Barcelone, les électroniciens de la Standard à Madrid, les employés de banque à Valence et Séville n'avaient qu'à se montrer sur leur propre terrain pour causer l'insomnie du gouvernement et de l'opposition qui aspire à s'y installer avec un minimum de remous sociaux.
Sur cette scène politique qui réfracte l'impossible essor du capitalisme dans de violents soubresauts, l'héroïque prolétariat espagnol tient le premier plan. De nouveau lui que les "novateurs" et autres "dépasseurs" du marxisme tenaient pour une classe non révolutionnaire? Lui que le système croyait avoir domestiqué avec les miettes de la fameuse prospérité, se bat.
Cette combativité le place à l'avant-garde du mouvement mondial de la classe. Alors que, du fait de son tragique isolement au point de vue international dans les années 30, chaque bataille du prolétariat en Espagne devenait une hécatombe, cette fois-ci, il constitue le détachement avancé de l'immense armée prolétarienne qui, aussi bien à l'est qu'à l'ouest, a relevé la tête. Représentant l'un des enjeux les plus décisifs pour la lutte de classe dans le monde, la situation en Espagne nous permet de comprendre l'ampleur des efforts faits par la bourgeoisie internationale pour dresser les derniers remparts à son ordre.
Le prolétariat a ressurgi sur un terrain devant lui permettre d'orienter les événements vers leur issue révolutionnaire. Ce terrain, c'est son indépendance de classe, cette issue, c'est la prise du pouvoir politique. De cette capacité à tenir en mains son drapeau arboré depuis ses premiers assauts au ciel dépend la possibilité pour l'humanité toute entière de sortir de l'ornière dans laquelle elle croupit depuis 3/4 de siècle.
Les ennemis et leurs armes
Face aux grèves qui se sont développées comme une traînée de poudre, malgré la ferme vigilance des commissions ouvrières à assurer une paisible transition, les formations de gauche usent toute leur science. Elles essaient de dévier la riposte ouvrière et de faire que celle-ci soit rabaissée à devenir une "force tranquille", tentant de transformer la conscience ouvrière en vulgaire "opinion publique".
Les staliniens, les sociaux-démocrates, avant la victoire militaire de Franco terrorisaient les travailleurs. Donnez-vous corps et âme aux nécessités de la lutte contre le fascisme et nous vous abattrons comme des chiens! Et, ils ne se privèrent pas d'utiliser l'appareil d'Etat contre le prolétariat. En Mai 37 la canaille stalino-réformiste brisa, par les armes, l'ultime bataille livrée par le prolétariat de Barcelone et des banlieues ouvrières, pour lui ôter jusqu'à l'envie de déclencher la grève dans les secteurs présentés comme conquêtes révolutionnaires. A nouveau, ils viennent demander aux travailleurs de se montrer "responsables" dans le respect des lois. Toute volonté de lutte autonome, toute action indépendante de la classe est comme l'intrusion d'un éléphant dans un magasin de porcelaines. La sainte alliance nouée par les vieux chevaux de retour, staliniens, poumistes, socialistes, anarchistes, a pour fonction d'étouffer dans l'oeuf ce qui fait la force du prolétariat.
Chaque mot d'ordre démocratique, chaque revendication transitoire pousse le prolétariat à la soudure avec l'aile gauche de la bourgeoisie espagnole. Les Gauchistes jouent le rôle de la mouche et du coche. Les staliniens respecteront-ils le verdict des urnes quel qu'en soit le résultat, les trotskystes le respecteront aussi pour ne pas se couper des masses. Les staliniens feront-ils rentrer les ouvriers dans les usines qu'ils auront désertées pour descendre dans la rue, les trotskystes appèleront à ne pas donner prise à la "réaction" qui n'attend qu'un prétexte pour réprimer. Dans tous les cas, on marque son intention à garantir à la bourgeoisie la paix sociale par l'encadrement de masses toujours plus grandes de prolétaires en éveil.
Que le capitalisme ne puisse plus gouverner dans le cadre de l’autoritarisme franquiste, c'est ce que nous démontrent l'assouplissement de la procédure "sumarisimo" et les amendements apportés à la loi anti-terroriste de l'été 75. La bourgeoisie espagnole doit aller vers le nécessaire changement politique. L'enveloppe démocratique dans un pays où 3 décennies et un lustre a régné un autocrate à poigne est toute indiquée pour servir de paratonnerre capable de capter l'électricité sociale. Dans ce pays, les sentiments anti-franquistes sont à vif et, les mots d'ordre de "conquête des droits démocratiques" revêtent une importance exceptionnelle pour dupés la masse ouvrière. On légalisera les partis démocratiques, on convertira la CSN en véritables syndicats représentatifs", pour reculer le plus possible l'affrontement direct avec la classe ouvrière.
Que celle-ci ne s'y trompe pas et : prenne garde de tous ceux qui se servent du miroir aux: alouettes démocratique. L'Etat, quel que soit sa constitution restera la machine d'oppression de la classe ouvrière. Lorsque celle-ci franchira une nouvelle étape la conduisant à la prise du pouvoir, cet Etat "épuré" fera couler le sang des ouvriers qui auront su retrouver le chemin de l'insurrection armée.
Les sirènes démocratiques font beaucoup de bruit comme s'il s'agissait d'un véritable embarquement pour cette île où pousse en abondance l'arbre à pain. Cette démocratie formelle n'est rien d'autre que la dictature bourgeoise déguisée. Plus la coquette est décrépite, plus elle use de fards et de maquillage. Ainsi, des mêmes armes séductrices usent la bourgeoisie en pleine décadence. C'est vrai : comme les Thugs indous, Franco pratique largement le meurtre d'Etat par garrottage. Mais la République espagnole que fit-elle pendant son interrègne ?
A chaque dictature, tombât d'elle-même telle un fruit pourri, a correspondu une concentration supérieure des forces de la bourgeoisie pour préparer l'écrasement physique de la classe ouvrière. De 1931 à 36, le gouvernement de la République sociale mitrailla, bombarda, déporta dans ses pénitenciers africains des fournées entières d'ouvriers rebelles. Il conserva quasi intégralement l'héritage policier et l'appareil judiciaire de la dictature de Primo de Rivera. Très vite, la coalition des républicains et socialistes dans le gouvernement d'Azana donna sa pleine mesure. Les 114 députés socialistes aux Cortès Constituantes couvrirent tous les crimes du cannibalisme libéral. De cette interminable série d'assassinats légaux perpétrés au nom de la"démocratie" il y a Arnido et il y a Casas Viejas. Plus horrible encore fut, la répression dans les Asturies. Requêtes, regulores et légionnaires du "Tercio" plongèrent les mineurs d’Ovièdo et les travailleurs de Giron dans un bain de sang avec la bénédiction de l'église. C'est cette république qui donna toute licence à sa soldatesque pour porter la terreur sur les cités ouvrières et c'est elle qu'appellent aujourd'hui tout le ramassis de "gauche" et de "gauchistes".
Quinze ans plus tôt, à son premier Congrès, l'I.C. honorant les victimes de la Terreur Blanche avivée par les campagnes de calomnie des sociaux démocrates contre le pouvoir des Soviets devait déclarer :
"Dans sa lutte pour le maintien de l'ordre capitaliste, la bourgeoisie emploie les méthodes les plus inouïes, devant lesquelles pâlissent toutes les " cruautés du moyen âge, de l'inquisition et de la colonisation."
Héritier au travers des Fractions issues de la Troisième Internationale d'un programme communiste cohérent, le CCI. estime devoir réaffirmer que l'avènement d'une république espagnole élue au suffrage universel ne créera nullement les conditions constitutionnelles favorables au prolétariat. Au contraire, l'érection de celle-ci résultera du besoin d'opérer la répression à l'abri de règles juridiques et de lois"légales" puisque voulues par la majorité du "Peuple". En tant que planche de salut du capitalisme -mais planche pourrie- il est dans la logique que les partis "démocratiques" se présentent avec des paroles endormeuses sur le "compromis nécessaire" et sur "l'unité antifasciste". S’opposer à eux les dénoncer pour ce qu'ils sont des étrangleurs de grèves, des massacreurs de soulèvements ouvriers, voilà une des premières attitudes politiques à adopter.
Le prolétariat en Espagne s'est donné avec fougue à la Révolution, mais la bourgeoisie, elle, a donné le ban et l'arrière ban de ses avocaillons, de ses journaleux, de ses parlementaires et de ses agents autonomistes pour le réduire à l'impuissance.
C'est avec un relief tout particulier que les expériences en Espagne contiennent leurs enseignements politiques. La tragédie espagnole doit guider le combat d'aujourd'hui et servir d'avertissement au prolétariat mondial. La classe doit s’emparer d'abord du pouvoir politique parce que, à l'inverse des autres classes révolutionnaires du passé, elle ne dispose d'aucune assise économique au sein de la société. Telle est la condition "sine qua non" du procès de socialisation des forces productives. Nécessité vitale de la lutte, les grèves ne sont que le point de départ pour affranchir complètement la classe ouvrière la destruction de l'Etat.
R.C
[1] Le courant représenté par le camarade Hénnaut, combat énergiquement nos positions mais sans verser dans un interventionnisme du type trotskyste.
I - "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux." Marx Engels, Le Manifeste du Parti Communiste, 1847.
II - Depuis plus de 50 ans, sévit la contre-révolution masquant et falsifiant systématiquement toute expression théorique défendant les intérêts historiques du prolétariat. Ce voile de distorsion a évidemment recouvert toutes les questions centrales du marxisme : théorie du devenir historique de la classe ouvrière. La question aussi primordiale, pour les révolutionnaires, du mouvement animant la classe ouvrière et le Parti - organisation des révolutionnaires défendant les positions de classe - s'est vu caricaturé – dénaturé -, soit par la version Léniniste, soit par celle anti-léniniste, méconnaissant toutes deux le fondement même de ce mouvement –classe – parti - : « Le processus de prise de conscience ».
III - La compréhension du « comment la classe ouvrière prend conscience de sa tâche historique », c’est-à-dire, comment le prolétariat se constitue en classe unie, est bien au centre de la compréhension du rôle des révolutionnaires.
IV - Pour nous, marxistes, la conscience du prolétariat est la conscience de « ce qu'il est » dans le mode de production et donc ce qu'il sera contraint d’effectuer : la révolution communiste.
Cette conscience "de ce qu'il est", il ne peut l'obtenir que lui même, au travers de sa lutte de classe quotidienne, au travers de sa praxis.
V – C’est par la place de créateur d'une valeur nouvelle que le prolétariat occupe dans le processus de production capitaliste, qui il est le seul à pouvoir prendre conscience collectivement (en tant que classe) de ses intérêts et de son devenir.
"Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience." Marx, Avant-propos à la Critique de l'économie politique, 1859.
VI - Le processus de prise de conscience de la classe ouvrière - le passage de celle-ci de classe en soi, en classe pour soi – est un processus nécessairement -collectif parce que cette classe effectue dans la production capitaliste un travail associé nécessitant la participation d’une collectivité de travailleurs. Les ouvriers ne peuvent défendre que collectivement leurs intérêts parce que ceux-ci ne sont que des intérêts collectifs.
VII _ La révolution communiste, contrairement à toutes les révolutions antérieures ne peut être accomplie que par une classe hautement consciente de sa tâche historique car la classe ouvrière ne dispose pour cette révolution d'aucune assise économique dans la société capitaliste. Ses seules armes sont sa conscience de classe et l'organisation qu'elle se donne pour réaliser ses buts.
VIII - La constitution du prolétariat en classe consciente et unie est déclenchée par la conjonction d'un certain nombre de facteurs objectifs agissant comme catalyseurs. Parmi eux figure certainement la contrainte économique qui est indispensable mais insuffisante au processus de prise de conscience.
Toute l'histoire du mouvement ouvrier nous montre que si cette contrainte économique est nécessaire, elle doit s'exercer dans le cadre de la période de décadence du système, c'est-à-dire en période où celui-ci peut matériellement être détruit.
IX - L'intervention des révolutionnaires, organisée d'abord en fraction internationale et ensuite en parti mondial a pour rôle de diffuser les expériences passées de la classe ouvrière et de prévoir (à partir de ces expériences et de l’analyse socio-économique) les perspectives futures. Et, par ce rôle, l'intervention des révolutionnaires est, elle aussi, un facteur actif dans le déclenchement du processus de prise de conscience par et pour la classe, ainsi que dans la généralisation de cette conscience (Tâche nécessaire car la conscience de classe n'est jamais un phénomène homogène).
X - Les fractions communistes se situant en accord pratique et théorique avec les positions de classe ("programme communiste") ont la responsabilité devant le prolétariat de tendre à s'organiser à l'image de celui-ci de manière unifiée et centralisée au niveau international en vue de constituer un pôle révolutionnaire cohérent (fraction, courant communiste international).
XI - Une fois ce pôle révolutionnaire constitué, celui-ci doit se transformer en parti communiste mondial. Cette transformation ne peut bien entendu avoir lieu qu'en période de lutte de classe et lorsque la fraction internationale a une influence effective au sein de la classe ouvrière.
XII - Le parti est une expression politique, secrétée par l'expérience même de la classe (la théorie révolutionnaire défendue par ce parti) et qui agit sur celle-ci en favorisant le déclenchement et la généralisation de la prise de conscience de classe produite par et pour le prolétariat lui-même. Il existe donc un lien dialectique entre la classe et le parti qui réside dans le fait que le parti, produit par la classe, devient en même temps facteur actif dans la classe.
XIII - La conception défendue par Lénine dans "Que Faire",1902, qui consiste à prétendre que la constitution du prolétariat en classe n'est pas le produit des luttes quotidiennes mais est produit par l'importation depuis l'extérieur de la "conscience socialiste" correspond à effectuer une scission idéaliste entre l'être et la conscience, l'être brutal, sale, et "ouvrier", et la conscience "tornade blanche" détenue par des intellectuels bourgeois déniant l'apporter à la masse.
Cette dichotomie entre la matière et l'idée qui plane (dans des mains extérieures à la matière) est bien l'expression de l'idéalisme dominant qui prétend qu’une idée supérieure préexiste à la matière et que donc seule une médiation (la religion, la philosophie, le " parti" léniniste...) peut réaliser la rencontre entre l'idée et la matière.
Alors que le mouvement du prolétariat, est avant tout un enchaînement naturel de phénomènes historiques, enchaînement soumis à des lois qui, non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience et des desseins des prolétaires, mais qui au contraire, détermine leur volonté, leur conscience et leur dessein : "Pour moi (...) le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel transporté et transposé dans le cerveau de l'homme", Marx, Le Capital.
XIV - De la même manière, la conception dite "conseilliste", qui consiste à prendre le contre pied de celle du "Que Faire", en revient à faire la même déformation idéaliste mais à l'envers. Pour le "conseillisme", la conscience ne pouvant venir que de la classe elle-même, toute expression théorique des intérêts de la classe par un groupe révolutionnaire devient immanquablement une substitution au mouvement réel. Et ces individus, culpabilisés par les erreurs de Lénine, se refusent à toute intervention, niant de ce fait le processus de la prise de conscience où la théorie révolutionnaire diffusée au sein de la classe ouvrière est, comme nous l'avons vu, un facteur actif.
Refusant leur responsabilité face à la classe, ils acceptent la dichotomie léniniste entre l'être et la conscience mais en plus ils en sont honteux.
XV - "L'effort de prise de conscience de la classe existe constamment depuis ses origines et existera jusqu'à sa disparition dans la société communiste. C'est en ce sens qu'il existe en toute période des minorités révolutionnaires comme expression de cet effort constant."
R.I., N° 17
Marc M.
Les textes que nous publions ci-après sont des contributions à la discussion sur la Période de Transition, question toujours ouverte dans le mouvement ouvrier et sur laquelle les révolutionnaires doivent se pencher sans pour autant faire des "recettes pour les marmites de l 'avenir", simplifier une question aussi complexe ou encore définir des frontières de classe là où l'expérience de la classe elle-même n'a pas tranché par sa pratique.
Le débat au sein du C.C.I. sur cette question a commencé depuis que le C.C.I. existe, et les textes qui suivent s'inscrivent en continuité avec la discussion déjà amorcée dans le n° 1 de la Revue Internationale. Le débat se poursuit au sein du Courant et nous ne sommes pas encore arrivés à une homogénéité, en particulier sur la question de l'Etat de la Période de Transition dont traitent ces textes.
LA PERIODE DE TRANSITION
I – NATURE DES PERIODES DE TRANSITION
L'histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de couches sociales fixes, et s'appuient sur des superstructures appropriées (communisme primitif, mode de production asiatique, antique, féodal, capitaliste).
Tout mode de production possède une phase "ascendante", au cours de laquelle il développe des forces productives, et une phase de "décadence", où il devient un frein à ce développement, où s'accomplissent son épuisement et sa décomposition.
Après une période plus ou moins longue de décadence, peut s'instaurer une période de transition pendant laquelle se développent, au détriment de l'ancien, les germes du nouveau mode de production, permettant de résoudre et dépasser les contradictions anciennes, jusqu'au point de constituer le nouveau mode de production dominant. La période de transition n'a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l'ancien et le nouveau. Elle est une nécessité absolue, car le dépérissement de l'ancienne société n'est pas automatiquement maturation de la nouvelle, mais seulement condition de cette maturation. Ainsi, la tendance du capitalisme était la socialisation mondiale de la production (création d’une communauté matérielle), qui aurait directement fait perdre à l'échange sa raison d'être et directement posé la réalisation du communisme. Mais, avec la création du marché mondial qui met en place les limites définitives de l'accumulation, le capital a sapé les bases de la socialisation complète de l’humanité : il a démantelé les secteurs extra-capitalistes mais ne peut plus les intégrer dans la production.
II - LA SOCIETE COMMUNISTE
Toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut donc d’abord mettre en relief ce que sera la société communiste, ou plutôt ce qui la distingue de toutes les autres sociétés :
- contrairement aux sociétés antérieures – à l’exception du communisme primitif - divisées en classes, basées sur la propriété et l'exploitation de l'homme par l'homme, le communisme est une société sans classes, sans aucun type de propriété, c'est la communauté humaine unifiée et harmonieuse.
- les autres sociétés de l'histoire ont pour fondement l'insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes : ce sont des sociétés de pénurie, dominées par les forces naturelles et économico-sociales aveugles. Le communisme est le plein développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes, l’abondance de la production capable de satisfaire les besoins humains : c'est le monde de la liberté, la libération de l'humanité de la domination de la nature et de l'économie.
- Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées, parce qu'elles sont toutes fondées sur la propriété privée et l'exploitation du travail d'autrui. Par contre, rompant avec toutes ces caractéristiques, la société communiste ne peut supporter en son sein aucune survivance de la société antérieure.
- le faible développement des forces productives dans les sociétés antérieures, entraînait un développement inégal de l'évolution de la société enc es différents secteurs : en même temps que fondées sur la division en classes, ces sociétés étaient divisées en régions ou nations. Seules les forces productives développées par le capitalisme depuis son apogée permettent, pour la première fois dans l’histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde. Le communisme, lui, est universel d'emblée ou il ne peut pas être ; il exige une même évolution, dans le temps, dans toutes les parties du monde à la fois.
- le communisme ne connaît ni l'échange, ni la loi de la valeur. Sa production est socialisée dans le plein sens du terme : elle est universellement planifiée selon les besoins des membres de la société et pour leur satisfaction. Une telle production que des valeurs d'usage dont la distribution directe et socialisée exclut l'échange, marché et argent.
- pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagonistes toutes les sociétés antérieures (à l'exception du communisme primitif) ne peuvent exister et survivre que par la constitution d'un organe spécial, en apparence au dessus des classes, en fait imposant la domination de la classe dominante : l'Etat.
Le communisme, ne connaissant pas de divisions, n'a pas besoin d'Etat. Plus, en tant que communauté humaine, il ne pourrait supporter en son sein un organisme de gouvernement des hommes.
II - CARACTERISTIQUES DE LA PERIODE DE TRANSITION
Les périodes de transition ont eu, jusqu'à présent dans l'histoire, en commun leur déroulement au sein de l'ancienne société. La révolution politique de la nouvelle classe dominante n'était que le couronnement de sa domination économique qui se déroulait progressivement au sein de l'ancienne société. Cette situation provient de ce que la nouvelle, comme l'ancienne société, subit aveuglément les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives, et donc de ce que la nouvelle classe dominante ne porte simplement une autre forme d'exploitation et de division en classes.
Le communisme, lui, constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute division en classes, ainsi qu'une organisation consciente de la production que permet l'abondance des forces productives. C'est pourquoi la période de transition au communisme ne peut s’ouvrir qu'en dehors du capitalisme, après la défaite politique du capitalisme et le triomphe de la domination politique du prolétariat à l'échelle mondiale. La première préoccupation du prolétariat est donc la prise de pouvoir mondiale et la destruction totale des institutions capitalistes : l'Etat, la police, l'armée, la diplomatie...
La période de transition qui s’ouvre alors est un mouvement sans trêve de renversement révolutionnaire de rapports capitalistes en rapports communistes. La période de transition doit abolir tous les rapports capitalistes, car le capital est un procès dont chaque moment est inséparable des autres (vente de la force de travail, extraction et réalisation de la plus-value, capitalisation...) Disparaissent donc échange, marché et argent (donc salariat).
Il est important de voir que toute stagnation dans la transformation révolutionnaire de la société signifie danger de retour au capitalisme. En effet la totalité des rapports marchands ne disparaîtra définitivement que sous le communisme achevé, quand les classes auront cessé d'exister, quand la perpétuation des classes veut dire perpétuation de l’échange. Nous insistons également sur le fait qu'il n'y a pas de mode de production transitoire entre le capitalisme et le communisme. Au cours de la période de transition, "ce à quoi nous avons à faire, c’est une société communiste non pas telle qu’elle s'est développée sur des bases propres mais au contraire telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste. Ce qui veut dire qu'elle est encore à tous égards, économiquement, moralement et intellectuellement, marquée des empreintes de la société dont elle naît. " (Marx, Critique du Programme de Gotha)
IV - REALISATIONS ECONOMIQUES
Quoiqu'il soit difficile de dire précisément quelles seront les mesures économiques prises au cours de la période de transition, nous pouvons nous prononcer en faveur de mesures qui tendent directement à régir la production et la distribution en termes sociaux, collectifs, plutôt que de mesures qui nécessitent le calcul de la distribution de chacun au travail social.
Il faut critiquer le système des "bons de travail" qui perpétue la division de la classe ouvrière en une somme d'individus qui reçoivent de quoi vivre en fonction de leur travail individuel. Avec ce système, chaque travailleur reçoit, en échange d'une heure de travail, un bon représentant une heure de travail, avec lequel il peut puiser dans la masse des produits,' l'équivalent du temps qu'il a fourni. On a une "forme salariale" sans contenu salarial. Peu importe alors le travail concret créé, le temps réel, l'effort cristallisé dans un produit, seul compte le temps de travail abstrait, le temps nécessaire déterminé par la productivité globale de la société ; ce qui divise les ouvriers d'après leur productivité. Mais ce système est surtout irréalisable : en effet, il faut, pour calculer l'heure moyenne, que la productivité soit uniforme dans chaque branche de la production ; et si ceci pouvait être réalisé, il faudrait un calcul planifié mondialement qui suivrait de façon permanente les transformations de la productivité, qui seront continuelles au cours de la période de transition. Il faudrait encore une monstrueuse bureaucratie, inconnue jusqu'à présent dans l'histoire de l'humanité, pour empêcher chaque producteur ou unité de production de "tricher", de déclarer des heures inutiles, etc. Ce système risque aussi de dégénérer facilement en salaires-monnaie à un moment de reflux de la révolution.
L'orientation qui doit guider toutes les mesures prises doit être de tendre vers la production contrôlée collectivement en fonction de la satisfaction des besoins sociaux, en valeurs d'usage et en travail concret ; vers la réduction des heures de travail en assimilant d'autres couches dans le travail associé. Il faut, au plus vite, assurer la gratuité et la collectivisation de tous les biens de consommation nécessaires à la vie d’un homme, surtout dans les secteurs industrialisés où la socialisation peut aller plus vite.
V - LA GUERRE CIVILE REVOLUTIONNAIRE
La nature g1obale du prolétariat et de la bourgeoisie fait que la prise du pouvoir par les ouvriers d'un pays entraîne une guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. Jusqu'à ce qu' elle soit victorieuse, jusqu'à ce que le prolétariat ait conquis le pouvoir mondialement, nous ne pouvons parler réellement d'une période de transition, ni d'une transformation communiste.
Pendant la guerre civile mondiale, tout est subordonné à celle-ci : la production n'est pas encore principalement axée sur les besoins humains, ce qui sera le saut de la production communiste, mais sur la nécessité impérieuse d'étendre et d'enraciner la révolution internationale. Même si le prolétariat peut faire disparaître bien des caractéristiques formelles du capitalisme, tout en s'armant et en produisant pour la guerre civile, on ne pourrait appeler communisme une économie orientée vers la guerre. Tant que le capitalisme existera quelque part dans le monde, ses lois continuent à déterminer le contenu réel des rapports de production partout ailleurs. Néanmoins, dès qu'il aura pris le pouvoir en un endroit le prolétariat devra entreprendre l'assaut des rapports capitalistes de production :
1 - parce que toute atteinte au capitalisme, dans un centre important, produira des effets profondément désintégrateurs, sur l'ensemble du capital mondial, ce qui approfondira la lutte de classes mondiale,
2 - pour faciliter la direction politique de la zone qu’il contrôle, car le pouvoir politique des ouvriers dépendra de leur capacité à simplifier et à rationaliser le processus de production et distribution, tâche impossible dans une économie totalement dominée par les rapports marchands.
3 - pour jeter les bases de la transformation sociale qui succèdera à la guerre civile.
De plus, il est important de noter que, si la transformation communiste de la société ne peut être entreprise pleinement qu’une fois assis le pouvoir politique mondial du prolétariat, qu'une fois achevée la guerre civile mondiale, néanmoins les organes de pouvoir du prolétariat sont déjà mis en place, dès la prise de pouvoir à un endroit du globe, avec, en cet endroit, les mêmes caractéristiques que pendant toute la période de transition : il en est ainsi des conseils ouvriers, mais aussi de l'Etat, qui est déjà l'Etat de la période de transition.
VI - ASPECTS PRINCIPAUX DE LA PERIODE DE TRANSITION
Nous ne pouvons nous étendre ici sur les tâches qu'aura à accomplir le prolétariat pendant la période de transition : elles sont gigantesques et multiples. C'est une société dans son intégralité qu'il faudra construire.
1 - La dictature du prolétariat :
Dans la période de transition existe encore plusieurs classes. Mais une seule est intéressée au communisme : le prolétariat. D'autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que livre le prolétariat au capitalisme, mais elles ne peuvent jamais, en tant que classe, devenir porteuses du communisme. C'est pourquoi le prolétariat doit constamment se garder de se confondre ou de se dissoudre avec les autres classes. Il ne peut assurer la marche en avant vers la société sans classes uniquement en s'affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société, car économiquement il reste exploité par le fait que le monde est encore dominé par la loi de la valeur. Il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute sa force armée : c'est la classe ouvrière dans son ensemble qui a le monopole des armes.
Si la classe ouvrière doit tenir compte des autres classes dans la vie économique et administrative, parce que ces classes constitueront au début la majorité de la société, elle ne devra pas leur laisser la possibilité d'une organisation autonome. Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d'administration soviétique territoriale, en tant que citoyens et non en tant que classes. Ces classes seront progressivement dissoutes et intégrées dans la classe ouvrière.
Il s'agit bien sur des classes non exploiteuses; l’ensemble de la classe capitaliste et les anciens dirigeants de la société capitaliste seront directement exclus de la vie politique.
Le prolétariat, pour assurer sa dictature, se donne des structures organisées : les conseils ouvriers et le parti révolutionnaire.
Si, dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce ouvertement ou hypocritement sa dictature sur les autres, la dictature du prolétariat est différente des précédentes :
- à l'opposé des précédentes, elle est uniquement tournée contre les anciennes classes de la société. Elle ne porte pas de nouveaux privilèges, pas de nouvelles exploitations, mais supprime tous les privilèges et toute exploitation. Loin d'être gardienne du statu quo, elle vise une transformation ininterrompue de la société.
- pour cette raison, elle n’a nullement besoin, comme les autres classes, de cacher ses buts, de mystifier les classes opprimées en présentant sa dictature comme le règne de la Liberté, Egalité, Fraternité.
- elle s’applique à faire disparaître toutes les spécialisations et divisions hiérarchiques de la société. Il faudra garantir que la classe dans son ensemble ait le droit de grève, le droit de porter les armes, d’avoir une pleine liberté de réunion et d'expression, etc. Tout rapport de force, toute violence à l'intérieur du camp prolétarien doivent être rejetés.
2 - Les Conseils ouvriers :
Le Conseil Ouvrier est la forme historique de l’auto organisation du prolétariat dans la lutte révolutionnaire ; il est l'organisation autonome regroupant l'ensemble de la classe, le moyen approprié à la dictature du prolétariat. Les conseils sont des assemblées de délégués nommés et révocables à tout instant par les assemblées générales des travailleurs, exécutant les décisions prises par celle-ci.
Les conseils se centralisent mondialement, car ils doivent assurer la dictature mondiale du prolétariat, c'est à dire le pouvoir politique mondial et l'ensemble des transformations révolutionnaires de la société.
- Le pouvoir politique est donc exercé à travers les conseils ouvriers eux-mêmes et non au moyen d'un parti.
- les conseils sont l'organisation autonome de la classe ouvrière. Des deux dangers pouvant surgir dans la constitution des conseils, à savoir l'infiltration d'éléments bourgeois et l'enfermement des ouvriers dans le cadre strict de l'usine, le deuxième s'est révélé le plus grave :
- c'est au nom du danger d'infiltration d'éléments bourgeois que les sociaux démocrates allemands ont interdit à Rosa Luxemburg l'accès aux conseils. Le parti est une fraction de la classe et intervient donc librement dans les conseils.
- les conseils ne sont pas des organes d'autogestion. L'isolement des ouvriers dans des "conseils" composés de simples unités productives ne fait que maintenir les divisions imposées par le capitalisme et amène la défaite certaine de la classe. Les conseils sont avant tout des organes de pouvoir politique centralisé.
- les conseils ne sont pas une fin en soi : ils sont les moyens qu'emploie le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste de la société. Si les conseils deviennent une fin en soi, cela veut simplement dire que le processus de révolution sociale s'arrête et qu'on assiste à un début de retour au capitalisme.
3 - Le Parti Révolutionnaire
Le parti révolutionnaire, formé par les fractions révolutionnaires au cours de la période révolutionnaire, est une fraction de la classe qui a la claire vision des buts communistes portés par le prolétariat. Sa seule tâche est la généralisation de la conscience révolutionnaire au sein de la classe. En aucun cas il ne prend le pouvoir "au nom de la classe", ni n’organise la classe.
Le parti aura un rôle actif à jouer au sein de la classe jusqu'au communisme, quand le "programme communiste" sera réalisé pratiquement. Tant que nous serons dans la période de transition, il se maintiendra l'hétérogénéité de la conscience au sein de la classe et continuera à se poser le problème de l'autonomie de la classe, donc se maintiendra la fonction du parti.
4 - L'Etat :
Pour empêcher que les antagonismes de classes qui travaillent la société n'explosent en luttes menaçant l'équilibre, et mettant en péril jusqu'à l'existence même de la société, la bourgeoisie, comme les classes qui l'ont précédée, a été amenée à créer des institutions et une superstructure, dont l'Etat est le couronnement et dont la fonction consiste essentiellement à maintenir ces luttes dans un cadre approprié, et de veiller à conserver et renforcer le cadre de l'organe social donné. C'est pourquoi l'Etat reste en règle générale l'organe par excellence de la classe dominante et s'identifie avec elle.
La Période de Transition est encore une société où subsiste la division en classes. Il surgira donc nécessairement cet organisme super structurel, ce fléau inévitable qu'est l'Etat, pour empêcher que les antagonismes de classes ne fassent voler cette société hybride en éclats. Le prolétariat, en tant que classe politiquement dominante, utilisera l'Etat pour maintenir son pouvoir et défendre les acquis de la transformation communiste. Cet Etat sera différent de tous les Etats du passé. Ce qui en fait un "demi-Etat". Pour la première fois, la classe « n’hérite » pas de l'ancienne machine d'Etat pour s'en servir à ses fins propres, mais renverse, détruit l'Etat bourgeois et construit ses propres organes de pouvoir. Car le prolétariat n'utilise pas l'Etat pour exploiter d'autres classes, mais pour défendre une transformation sociale qui anéantira à jamais l'exploitation, qui abolira tous les antagonismes sociaux, et conduit ainsi à l'extinction de l'Etat.
Mais, puisque le prolétariat continue à être la classe exploitée de la société, que la domination est uniquement politique et non économique, il ne peut pas s'identifier à l’Etat, organisme de conservation sociale qui exprime le frein que constituent les autres classes, vestiges du passé, et qui exprime la division de classes, c'est-à-dire l'exploitation se poursuivant. C'est parce que la fonction et les intérêts de l’Etat bourgeois se confondent avec ceux de la classe économiquement dominante, c’est-à-dire la conservation de l'Etat social existant, que l'Etat bourgeois peut et doit s’identifier avec celle-ci. Rien de tel donc pour le prolétariat, qui ne tend pas à conserver l'état de chose existant, mais à le bouleverser et à le transformer continuellement. C'est pourquoi sa dictature historique ne peut trouver dans une institution conservatrice par excellence, comme l'est l'Etat, son expression authentique. Il n’y a pas et ne peut y avoir d’Etat socialiste ou communiste. Etat et communisme s'excluent par définition, le communisme étant l'intérêt historique du prolétariat, sa substance en développement ; il n'y a pas identification entre l'un et l'autre. En conséquence, dans la mesure où on parle du prolétariat communiste, on ne parle pas "d'Etat ouvrier", d’Etat du prolétariat.
- Identifier le prolétariat à l'Etat, comme l’ont fait les Bolcheviks, amène à un moment de reflux, à la situation désastreuse où 1'Etat, en tant « qu’incarnation » de la classe ouvrière, peut tout se permettre pour maintenir son pouvoir, alors que la classe ouvrière toute entière reste sans défense.
- Le prolétariat n’est qu’une minorité de la population à l’échelle mondiale. La majorité de la population mondiale (paysannerie, artisans, principalement dans le Tiers-Monde), le prolétariat ne peut ni les intégrer dans les conseils ouvriers, ce qui ferait perdre au prolétariat son autonomie, ni les supprimer, ni les ignorer : il devra lui permettre (à l’exclusion de la bourgeoisie) de s'organiser et de former des conseils ouvriers. La violence envers les autres classes que la bourgeoisie, ne devra être employée qu’en dernière instance (exemple négatif de la révolution russe). Bien sûr tout comme ces autres couches ne seront intégrées au travail associé qu'en tant qu'individus, le prolétariat ne leur permet de s'exprimer qu’en tant qu'individus (et non en tant que classe) au sein de la société civile. Ceci implique que les organes représentatifs aux moyens desquels ils s'expriment, à la différence des conseils ouvriers, se fondent sur des unités et des formes d’organisations territoriale.
Tout ceci nous permet de dire que, tout en se servant de l'Etat, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l’Etat mais sur l'Etat.
Afin de s’assurer la soumission de cet Etat, un certain nombre de mesures doivent être prises :
- les ouvriers organisés en conseils ont le pouvoir de décision sur toutes les mesures que prend l’Etat ; aucune mesure n'est prise sans leur consentement et leur participation active.
- les ouvriers ont le monopole des armes et sont prêts à s’en servir contre cet Etat si nécessaire.
- les ouvriers sont représentés dans l'Etat dans des proportions maximales (celles que les rapports de force permettent).
- tous les membres de l'Etat sont nommés et révocables à tout instant ; les représentants ouvriers rendent compte aux conseils de toutes les mesures et démarches qu’ils effectuent.
- les conseils décident des changements qui doivent être effectués au sein de l'Etat et de la société même, compte-tenu de l'évolution des rapports de force.
M. LAZARE. (TREIGNES 1975)
ETAT ET DICTATURE
Le texte qui suit a pour but d'énoncer une conception générale de l'Etat et de la dictature sans intention démonstrative. Ceci pour contribuer à la discussion en cours sur la période de transition qui pose la question fondamentale des formes et du contenu de la dictature prolétarienne. De plus amples explications, notamment sur les points d'achoppement feront l'objet d'une contribution ultérieure.
1 - Engels dans les pages désormais classiques de "Origines de la Famille, de la propriété privée et de l'Etat" dégage la signification et le rôle de l'Etat. Celui-ci est un produit de la société à un stade déterminé de son développement. Il est le résultat et la manifestation de contradictions de classes inconciliables. L'Etat surgit afin que les classes aux intérêts économiques opposés ne s'épuisent pas, et avec elles la société, dans une lutte stérile.
2 - Si l'Etat naît pour estomper les conflits de classes, les maintenir dans des limites déterminées, est-il une structure de dialogue entre classes, par l'intermédiaire de laquelle elles arrivent à des compromis ? Est-il un organisme neutre, extérieur à la société, qui arbitre des antagonismes ? Bien évidemment, non ! Encore une fois, l'Etat ne pourrait surgir, ni se maintenir, si la conciliation de classes était possible. On ne peut se demander dès lors quelle fonction, remplit exactement l'Etat ? Les classes opprimées de toutes les époques ont la réponse à cette question imprimée dans leur longue histoire de misère, d'exploitation et de déportation : l'Etat est donc, en règle générale ([1] [27]), l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui s'est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique. L'Etat est l'instrument que la classe dominante utilise en vue d'instaurer et garantir sa dictature.
3 - Un principe essentiel du marxisme est que le heurt des classes se décide non sur le terrain de droit, mais sur celui de la force. L'Etat est un organe spécial de répression : c'est l'exercice centralisé de la violence par une classe contre une autre. L'Etat politique, même et surtout démocratique et parlementaire, est un outil de domination violente. L'appareil d'Etat utilise en permanence des moyens coercitifs pour mater la classe dominée, même si apparemment ils consistent non dans l'usage implacable d'une force matérielle, policière ou autre, mais dans la simple menace de sanctions violentes, dans un simple article de loi (même non codifié), sans le fracas des armes et sans effusion de sang.
4 - Organe de violence, l'Etat se caractérise par l'institution d'une force publique. Cette force publique particulière est indispensable parce qu'une organisation armée de la population dans son ensemble est devenue impossible depuis la scission en classes. Chaque Etat, dès sa formation, crée une force de coercition, des "détachements spéciaux d'hommes armés" disposant de prisons, etc. Les diverses révolutions nous montrent comment la classe renversée s'efforce de reconstituer ses anciens organismes de domination (ou de les reconquérir) et la force armée lui était arrachée, et comment la classe nouvellement dominante se dote d'une nouvelle organisation de ce genre ou perfectionne l'ancienne afin d'empêcher toute restauration de la classe renversée et toute remise en cause des nouveaux rapports dominants.
5 - Pour synthétiser ce que nous venons de dire : dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce une dictature ouverte ou camouflée sur les autres classes de la société, en vue de préserver ses intérêts de classe et de garantir ou développer les rapports de production qui lui sont liés. Il est nécessaire de bien mettre en évidence le fondement de la dictature ; une classe déterminée domine par son intermédiaire et s'en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts antagoniques des autres classes (déterminisme économique), pour assurer l’extension, le développement, la conservation du rapport de production spécifique contre les dangers de restauration ou de destruction. Il est donc faux de considérer que tout Etat doit être haïs et constitue un "fléau dévastateur" (nous ne sommes pas des petit-bourgeois anarchistes). En effet, même l'Etat bourgeois est, à un moment historique donné, un instrument progressif aux yeux des marxistes : lorsqu'il représente la force organisée contre la réaction féodale intérieure et ses alliés de l'extérieur et favorise la mise en place de structures modernes sur les débris des sociétés pré-capitalistes. Il était non seulement utile mais indispensable que la bourgeoisie, au moyen de décrets étatiques et de l'usage de la violence, abattit les obstacles institutionnels qui retardaient l'apparition de grandes fabriques et d'une méthode plus moderne d'exploitation du sol. Si le marxisme a cette vision DIALECTIQUE de l'Etat, révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, c'est qu'il en fait le PROLONGEMENT et l'INSTRUMENT des classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L'Etat est étroitement lié au cycle de la classe et s'avère donc PROGRESSIF ou CONTRE-REVOLUTIONNAIRE selon l'action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu'elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).
6 - Nous avons relié l'existence de l'Etat à la division en classes de la société. De la même façon que cette dernière n'est pas la caractéristique immanente des sociétés humaines, l'Etat n'existe pas de toute éternité. Il y eut des formes sociales sans classes et sans Etat, et le développement de la production, auquel l’existence des classes est devenue un obstacle, ôtera à l'Etat toute nécessité et le fera disparaître progressivement. Comme dit Engels: "La société qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs relèguera toute la machine de l'Etat là où sera dorénavant sa place au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze."
Cependant avant la société sans classes et sans Etat, entre capitalisme et communisme s'insère une période de transition, une phase de transformation économique de la société. La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir inévitablement un Etat et une dictature.
7 - L'Etat est l'organisation spéciale d'un pouvoir ; c'est l'organisation de la violence destinée à tenir en laisse une certaine classe. Le prolétariat a besoin de l'Etat pour réprimer la résistance de la bourgeoisie. Or, orienter cette répression, l'effectuer pratiquement, il n'y a que le prolétariat qui puisse le faire, en tant que seule classe révolutionnaire jusqu'au bout, seule classe capable d'unir sous le drapeau de la révolution tous les travailleurs et tous les exploités. L'intelligence de l'action révolutionnaire du prolétariat doit donc aller jusqu'à la reconnaissance de sa domination politique, de sa dictature, c'est-à-dire D'UN POUVOIR QU'IL NE PARTAGE AVEC PERSONNE et qui s'appuie directement sur la force armée de la classe elle-même. La bourgeoisie ne peut être balayée que si le prolétariat est transformé en classe dominante à même de noyer la résistance inévitable des classes possédantes, et d'organiser pour la transformation socialiste de l'économie toutes les masses travailleuses et exploitées. Le prolétariat A BESOIN d'un appareil d'Etat, d'une organisation centralisée de la violence, aussi bien pour REPRIMER la résistance désespérée de la bourgeoisie que pour DIRIGER la grande masse de la population - paysannerie, petite bourgeoisie, "nouvelles couches moyennes", semi-prolétaires - dans la mise en place du communisme.
8 - Si l'Etat est né parce que les contradictions de classes sont inconciliables, s'il est un pouvoir qui est devenu « de plus en plus étranger » à la société, il est clair que l'affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l'appareil du pouvoir d'Etat, qui a été créé par la classe dominante et dans lequel est matérialisé ce caractère "étranger". Il en résulte ceci : la lutte prolétarienne n'est pas une lutte à l'intérieur de l'Etat et de ses organismes, mais une lutte extérieure à l'Etat, contre l'Etat, contre toutes ses manifestations et toutes ses formes. La révolution prolétarienne passe par l'anéantissement de l'Etat bourgeois. Cependant, une forme d’Etat politique est nécessaire après cette destruction. C'est une des formes nouvelles de la domination prolétarienne, nécessaire à la classe ouvrière placée devant la nécessité de diriger l'emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées des entraves capitalistes. La révolution russe a démontré, contre les anarchistes qui, tout en ayant l'indéniable mérite de proposer la destruction de l'Etat bourgeois, s'imaginent pouvoir se passer après cette destruction de toute forme de pouvoir organisé, la nécessité d'un Etat politique, c'est-à-dire d’une structure de violence sociale. Comme la transformation communiste de la société est un processus de longue durée et non une réalisation immédiate, la suppression de la classe non travailleuse et l'intégration à la production socialisée de l'ensemble des classes et couches travailleuses non prolétariennes ne peuvent l'être non plus et on ne peut réaliser cette suppression et cette intégration par l'intermédiaire d'un massacre physique. Dès lors, pendant la période de transition, l'Etat révolutionnaire doit fonctionner, ce qui signifie, comme Lénine eut la franchise de dire aux pacifistes et autres petits bourgeois romantiques nostalgiques de la démocratie, avoir une armée, des forces de police et des prisons. Ce qui exclut bien évidement toute confusion quant à la caractérisation de l'Etat pendant la phase transitoire qui ne peut défendre les intérêts de plusieurs classes, mais d'UNE SEULE, et qui ne peut servir d'instrument à un agrégat indifférencié de classes et couches sociales, mais constitue un outil spécifique d'UNE SEULE CLASSE, de la classe dominante. C'est en ce sens qu'on peut et doit parler d’un Etat prolétarien, ce dernier étant l’UNE DES formes indispensable de la dictature du prolétariat. Avec la réduction progressive du domaine de l'économie privée et mercantile se réduit celui où il est nécessaire d'appliquer la contrainte politique et l'Etat prolétarien tend à disparaître progressivement.
9 - Il reste à examiner les formes déterminées de l'Etat prolétarien. Il se marque certains traits de similitudes entre l'Etat prolétarien et les Etats qui le précèdent dans la suite des époques historiques - traits qui permettent dans divers cas de parler d'Etat - et d'autre part, des traits qui le distinguent où se marque la transition vers la suppression de l'Etat. Nous avons vu que l'Etat prolétarien est l'instrument dont se dote le prolétariat en vue de réprimer la classe antagonique. L'Etat du prolétariat donne également à la société le cadre administratif adéquat dont elle ne peut se doter spontanément du fait de la division en classes. L'Etat révolutionnaire permet encore, d'une manière ou d'une autre qui n'en fasse pas une structure interclassiste, aux classes et couches prolétariennes de la société d'exprimer leurs intérêts immédiats, à l'exclusion de la bourgeoisie privée de tout droit et de tout moyen d'expression. Ces tâches qui supposent l'existence de détachements armés et de fonctionnaires identifient formellement les tâches de l'Etat prolétarien aux tâches des Etats précédents. Cependant, des différences SUBSTANTIELLES distinguent l'Etat du prolétariat des Etats des anciennes sociétés divisées en classes, différences qui résultent de l'action spécifique du prolétariat sur les rapports sociaux. Le prolétariat n’exerce pas sa dictature en vue de bâtir une nouvelle société d'oppression et d'exploitation, dans le but de préserver des privilèges économiques. Le prolétariat n'a pas de privilèges économiques et son seul intérêt de classe est la socialisation réelle de la production et l'avènement du communisme. Ces caractéristiques influent sur la forme et le contenu de l'Etat :
- l'absence d'appui économique dans la société fait du prolétariat "la classe de la conscience". Il est impossible que le prolétariat délègue la responsabilité de la dictature politique à un corps de spécialistes. La classe ouvrière dans son ensemble détient le pouvoir politique (et la puissance militaire: armement du prolétariat) au sein de ses propres organismes de classe, organes centralisés de domination politique : les conseils ouvriers. Le prolétariat exerce donc lui-même en tant que classe une partie des fonctions étatiques. En outre, il modèle son Etat à son image : il supprime tous les privilèges inhérents au fonctionnement des anciens Etats (nivellement des traitements, contrôle rigoureux des fonctionnaires : électivité complète et révocabilité à tout moment) ainsi que la séparation réalisée par le parlementarisme entre organismes représentatifs et exécutifs. Pour toutes les raisons que nous venons de mentionner, action étatique des conseils et contrôle absolu de l'Etat par la classe dans son ensemble, qui suppriment le caractère « étranger » de l'appareil d'Etat, nous pouvons parler de DEMI-ETAT prolétarien.
- dès le début de la période de transition, le prolétariat entame la transformation économique de la société. Il y a corrélation entre le développement du communisme et l'extinction de l'Etat. Engels dit de l'Etat : "Quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société, il se rend lui-même superflu. Dès qu'il n'y a plus de classe sociale à tenir dans l'oppression, dès que, avec la domination de classe et la lutte pour l’existence individuelle motivée par l'anarchie antérieure de la production, sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent, il n'y a plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un Etat (…/…) L'intervention d'un pouvoir d'Etat dans les rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l'autre, et entre alors naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l'administration des choses et à la direction des opérations de production. "L'ETAT N'EST PAS ABOLI, IL S'ETEINT" ». C'est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée, que les capitalistes. ont disparu et qu'il n'y a plus de classe (c'est-à-dire de distinctions entre les membres de la société quant à leurs rapports avec les moyens sociaux de production), c'est alors seulement que l'Etat cesse d'exister et qu'il devient possible de parler de liberté. Cependant, le processus d'extinction de l'Etat commence dès que le prolétariat entame l'intégration des autres couches sociales à la production socialisée et la "communisation des rapports sociaux". C'est pourquoi nous pouvons caractériser l'Etat prolétarien de demi-Etat qui s'éteint.
10 - Les cris d'alarme que poussent anarchistes et conseillistes dès qu'ils entendent le mot "Etat", en invoquant une prétendue impossibilité à freiner "l’appétit de pouvoir" et de nouveaux privilèges des fonctionnaires, présentés comme "nouvelle classe dominante", relèvent d'une incompréhension des mécanismes historiques et des phénomènes économiques et sociaux. La société et l'Etat ne sont pas autant d'entités abstraites. Le marxisme démonte magistralement la mystique bourgeoise de l"'essence éternelle" de 1'Etat en analysant cette forme sociale dans le cadre matériel des déterminations économiques et des transformations résultant des confrontations de classes. Ainsi, se dégage une conception dialectique de l'Etat révolutionnaire lorsque la classe qui l'utilise l'est également ; contre-révolutionnaire s'il est l'instrument de préservation d'une classe décadente. L'Etat prolétarien, par sa forme et son contenu, directement déterminés par les tâches et le programme du prolétariat, est essentiellement un organe de la classe dominante qui s'en sert en vue d'abolir les contradictions de classes, et par là l'Etat prolétarien lui-même. Il n'est pas un organisme de statu quo, pas plus qu'une structure visant à concilier des intérêts de classes antagoniques. Il est un instrument de violence sociale utilisé par le prolétariat contre la bourgeoisie et les rapports de production qu'elle personnifie. L'Etat prolétarien est également un organe dont le prolétariat se sert pour diriger l'ensemble des classes et couches exploitées de la société.
11 - Il reste à envisager l'éventuelle dégénérescence de l'Etat. Il est bien évident qu'en dernière instance, aucune mesure formelle ne peut contrer la dégénérescence de l'Etat, ni d'ailleurs de tout autre organe prolétarien. Mais la dégénérescence ne provient jamais de soi disant tares formelles intrinsèques à l'appareil étatique. Une telle conception métaphysique et subjectiviste de l'histoire est étrangère au marxisme. En ce qui concerne la révolution russe, avec les diverses substitutions qui se sont produites au cours d'un processus où s'entrecroisaient étroitement révolution et contre-révolution, les identifications parti-Etat, Etat prolétariat, ne sont pas à l'origine d'une dégénérescence de la révolution, MAIS EN CONSTITUENT LA CONSEQUENCE.
S'il est nécessaire de lutter avec énergie contre toutes les tendances substitutionnistes qui identifient diverses formes de la dictature du prolétariat (qui toutes remplissent des fonctions spécifiques), il serait illusoire de croire éviter par ce biais tout risque de dégénérescence. Le mécanisme des conseils lui-même peut tomber sous des influences contre-révolutionnaires. Il n'existe aucune immunisation formelle ou constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve UNIQUEMENT déprendre du développement intérieur et MONDIAL du rapport des forces sociales. La décomposition interne de l'Etat prolétarien suppose qu'au préalable l'organisation centralisée du prolétariat ait commencé à se disloquer et à se vider du contenu révolutionnaire. Ainsi que le CCI le répète inlassablement, la SEULE garantie réelle contre les risques de recul réside dans la conscience de classe prolétarienne, liée aux progrès de la Révolution.
SAM.
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA QUESTION DE L'ETAT.
Seule l'expérience historique du prolétariat constitue la base réelle sur laquelle les révolutionnaires entendent élaborer le programme communiste. Contre les philistins, les invariants en chambre et les alchimistes de la révolution, ils affirment l'unité fondamentale entre la pratique et la théorie de la classe ouvrière et c'est en se référant aux exemples concrets de la lutte de classe qu'ils peuvent tracer les perspectives plus lointaines du mouvement révolutionnaire, mettre le prolétariat en garde des nombreux pièges qui lui sont tendus, déblayer théoriquement les obstacles qui surgiront sans nul doute sur le chemin de la révolution.
Car si les révolutionnaires n’ont pas à trancher des questions dont le prolétariat n’a pas encore fait l'expérience concrète, ils peuvent néanmoins sur base de 1'acquis historique de la classe ouvrière tenter de jeter les premières bases théoriques dans la compréhension de certains problèmes fondamentaux. La question du programme communiste et des perspectives révolutionnaires, loin de se situer sur un plan mental et purement spéculatif, constitue un problème réel, lié à la prise de conscience du prolétariat - prise de conscience qui n'est que la destruction pratique et théorique des rapports sociaux capitalistes. – C’est pourquoi le travail de théorisation entrepris par les révolutionnaires s'enrichit sans cesse par l'action historique et présente du prolétariat ainsi que par son passé dont ils tirent de précieux enseignements en vue de tracer les perspectives générales, les prévisions du mouvement ouvrier.
« Prévoir n'est donc pas inventer mais dévoiler en allant au-delà des apparences phénoménales le contenu nouveau qui gît dans les entrailles de la vieille société. C'est seulement ainsi que la théorie peut devenir un facteur actif, un guide pour l'action et le socialisme une transformation révolutionnaire consciente de la société. » [Parti de Classe.]
C'est en tirant les leçons de l'expérience de l'insurrection de 1848 et plus encore de la Commune de Paris de 1871 que Marx et Engels ont été amenés à abandonner les perspectives élaborées dans le Manifeste Communiste, perspectives selon lesquelles le prolétariat devait s'emparer de l'Etat bourgeois. De la même manière les révolutionnaires aujourd'hui doivent se pencher sur la grande vague révolutionnaire de 1917-1923 - première tentative réelle du prolétariat de s'affirmer en classe révolutionnaire consciente de son rôle historique : la prise du pouvoir - afin d'en retenir tous les apports en ce qui concerne l'organisation et la prise du pouvoir du prolétariat.
La révolution Russe nous a enseigné la nécessité pour la classe ouvrière d'affirmer son autonomie et de s'organiser en conseils ouvriers. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité les bases concrètes, objectives de la transformation consciente des rapports sociaux capitalistes par une classe révolutionnaire et exploitée étaient posées. Mais encore une fois, il ne suffit pas de se dire que les conditions économiques, matérielles liées à l'entrée du capitalisme dans sa période de déclin "permettent", "déterminent" la révolution prolétarienne.
"Pour accéder au communisme les prémisses économiques objectives sont insuffisantes car le communisme ne peut surgir indépendamment de la prise de conscience du prolétariat et apparaître comme le résultat d'un processus mécanique fatal s'opérant derrière son dos". [Parti de Classe]
La révolution communiste se présente d'emblée comme un processus dialectique conscient balayant les obstacles concrets empêchant le développement des forces productives. C'est pour cette raison que théorie et pratique sont indissociables. Affirmant depuis son apparition même son opposition brutale en tant que classe exploitée à l'existence du capitalisme le prolétariat éprouve depuis toujours la nécessité de se doter des instruments indispensables à sa prise de conscience. La révolution russe confirme d'une manière éclatante cette nécessité pour la classe ouvrière d'accéder à la conscience globale de la société et de sa situation ; Le rôle du Parti Bolchevik, son impossibilité à résoudre une série de problèmes non tranchés par la pratique du prolétariat, sa dégénérescence, sont autant d'éléments fondamentaux pour la compréhension et la clarté de l'engagement des révolutionnaires dans le processus de cette conscience.
Prétendre renouer avec les acquis de la révolution russe et nier le rôle déterminant du Parti Bolchevik dans celle-ci sous prétexte des tendances substitutionnistes et les nombreuses erreurs qu'il sera amené à commettre par la suite, c'est faire preuve d'un purisme inutile, cela revient à tomber dans la sociologie bourgeoise la plus plate. Les révolutionnaires n’ont pas à porter des jugements étiques sur les événements du passé, ni même à les refléter mécaniquement, l'objectivité sociologique n'est pas non plus de leur ressort. Ils théorisent les expériences passées en vue d'un but final ; c'est pour cette raison qu'ils constituent une organisation révolutionnaire intervenant dans le mouvement ouvrier et non pas un groupe de discussion.
« La tâche de la théorie n'est pas de refléter la réalité immédiate (ce qui suppose qu'elle arrive après coup et que donc, elle ne joue aucun rôle actif) mais de prévoir à partir de cette réalité les grandes tendances historiques qui s'en dégagent. » [Parti de Classe]
Seule la vision globale de la révolution russe et de sa dégénérescence vers le capitalisme d'Etat, dans toutes ses implications nous permet de tracer pour la période de transition quelques perspectives générales concernant la dictature du prolétariat et plus spécifiquement le problème de l'Etat. .
LA DICTATURE DU PROLETARIAT ET LE PROBLEME DE L'ETAT DANS LA PERIODE DE TRANSITION
LA DICTATURE DU PROLETARIAT
C'est un acquis fondamental aujourd'hui pour le mouvement révolutionnaire que la dictature du prolétariat doit se faire au travers des conseils ouvriers centralisés au niveau mondial. Déjà le mot d'ordre révolutionnaire "tout le pouvoir aux soviets" exprimait la compréhension des révolutionnaires face à la prise du pouvoir politique par le prolétariat et le refus de toute conciliation interclassiste ou toute forme de compromis avec la bourgeoisie. Mais la dictature du prolétariat ne représente pas une fin en soi, la réponse à tous les problèmes posés par le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste. La dictature prolétarienne représente en fait une condition indispensable à ce passage mais elle ne constitue pas une panacée ; l'action consciente de toute une classe en vue de la transformation des rapports sociaux périmés ne se résume pas à imposer un pouvoir politique face aux autres classes. La dictature du prolétariat ne constitue en fin de compte que la transition vers l'abolition de toutes les classes, l'instauration d'un mode de production sans classe. La mission historique du prolétariat ne saurait s’attacher à la simple domination politique de la société ; classe sociale à la fois révolutionnaire et exploitée sa mission consiste à faire faire à l’humanité le saut "du règne de la nécessité dans le règne de la liberté" et à libérer celle-ci de toute forme d'exploitation quelle qu'elle soit. La dictature du prolétariat ne saurait en elle-même constituer un garant de cette mission, elle ne constitue qu'un simple outil au service d'un processus complexe qui requiert l’intervention consciente de la classe ouvrière. C'est pourquoi la transition du capitalisme vers le socialisme après la prise du pouvoir par le prolétariat ne se fera pas par des décrets mais nécessitera une longue période transitoire pendant laquelle le prolétariat s'attaquera aux vestiges de l'ancienne société, intégrera les autres classes au procès de production, s'attachera à la construction d'une nouvelle société.
Cette période de transition s'échelonnant entre le capitalisme et le communisme lourde de la "tradition de toutes les générations de morts (qui) pèsent comme un cauchemar sur le cerveau des vivants" Marx, porte encore les traces de la société capitaliste. ; "Nous avons affaire, nous dit Marx, à une société non pas telle qu’elle s’est développée sur les bases qui lui sont propres, mais telle qu’elle vient au contraire de sortir de la société capitaliste ; par conséquent une société qui sous tous les rapports : économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l'ancienne société des flans de laquelle elle sort".
Ce qui signifie concrètement : subsistance des classes sociales et de leur antagonisme, subsistance de la loi de la valeur (bien qu’elle doive subir de profondes modifications de nature à la faire progressivement disparaître), existence de formes sociales intermédiaires destinées à disparaître mais rendues indispensables au maintien d'une certaine cohérence sociale… C'est ainsi que le prolétariat devra recourir à l'Etat, organisme de contrainte, "fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe, mais dont il devra, comme l'a fait la Commune et dans la mesure du possible atténuer les plus fâcheux effets jusqu'au jour où une génération élevée dans une société d'hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental" (Engels), mal nécessaire rendu inévitable par la subsistance des classes sociales.
L'existence de cet Etat ne doit pourtant en aucune manière représenter un frein à la dictature du prolétariat et plus encore à la transformation consciente de la société ; c'est pourquoi la dictature du prolétariat devra affirmer son autonomie par rapport aux autres classes et s’opposer à toute forme de dictature du Parti ou toute forme de substitution Parti-Etat, Classe-Etat, Parti-Classe. En refusant à une minorité de révolutionnaires « professionnels » d'exercer le pouvoir politique la classe ouvrière et les conseils où elle s'organise, confirment la nécessité à sa place pour la dictature prolétarienne d'être 1’action consciente de l'ensemble de la classe. Quant au Parti révolutionnaire, s’il continue à jouer un rô1e déterminant pendant la période de transition, il n'en reste pas moins distinct des conseils ([2] [28]) et ne s'apprête nullement à exercer un pouvoir quelconque au sein de celle-ci.
« Le futur parti communiste n’aura pas d’autres armes que sa propre clarté théorique et son engagement politique envers le programme communiste. Il ne peut pas rechercher le pouvoir pour lui-même, mais doit lutter au sein de la classe pour l’application de programme communiste. En aucun cas, il ne peut forcer la classe dans son ensemble à mettre ce programme en pratique, pas plus que le mettre en pratique lui-même. Car le communisme n’est créé que par l’activité consciente de la classe dans son ensemble. » (WR, RINT n°1)
LE PROBLEME DE L'ETAT
Le prolétariat une fois victorieux et la révolution étendue à l'ensemble du monde la période de transition entre le capitalisme et le socialisme voit surgir un Etat foncièrement différent de l'Etat bourgeois (dont le prolétariat s'est débarrassé durant la guerre civile) mais qui n’en conserve pas moins le caractère coercitif de tout Etat. Mais comment expliquer dans ce cas la contradiction apparente entre l'existence d'un organe conservateur et la nécessité pour le prolétariat de procéder à la transformation radicale de la société ? La réponse est toute entière contenue dans la nature même de la période de transition et dans le caractère essentiellement ambigu de celle-ci (c'est pourquoi contre cette ambiguïté même le prolétariat n'aura que deux armes à opposer: le pouvoir des conseils ouvriers et sa conscience de classe).
1 - destruction de l’Etat bourgeois"
« Le prolétariat apparaît comme la première classe révolutionnaire dans l'histoire à qui incombe la nécessité d'anéantir la machine bureaucratique et policière, de plus en plus centralisée, dont toutes les classes exploiteuses s'étaient servies jusqu'ici pour écraser les masses exploitées. Dans son « 18 Brumaire », Marx souligna que "toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine au lieu de la briser". Le pouvoir centralisé de l'Etat remontait à la monarchie absolue, la Bourgeoisie naissante s'en servi pour lutter contre la féodalité, la Révolution française ne fit que le débarrasser des dernières entraves féodales et le Premier Empire paracheva l'Etat moderne. La société bourgeoise développée transforma le pouvoir central en une machine d’oppression du prolétariat » (Mitchell, Problèmes de 1a période de transition, in Bilan).
Le prolétariat, première classe révolutionnaire exploitée dans l'histoire, loin de s’attacher à conquérir l'Etat bourgeois devra s'efforcer au contraire de s'attaquer directement à lui, de le détruire entièrement et d'imposer son pouvoir au travers des conseils qui constitueront le prolétariat en armes (c'est la classe dans son ensemble qui sera armée et non une "armée rouge", un corps armé détaché d'elle). Mais cette destruction ne s’attachera pas uniquement à la disparition de l'Etat bourgeois, le prolétariat aura une seconde tâche : celle de détruire progressivement l'Etat rendu nécessaire pendant la période de transition et qui constitue un organe de statu quo par excellence ; la dictature du prolétariat ne consiste donc nullement à prendre en main l'Etat bourgeois ou à détruire celui-ci en vue de la mise en place d'un Etat prolétarien identifié à la classe. Fondamentalement, la révolution prolétarienne est d'ordre politique et affirme le pouvoir d'une classe révolutionnaire consciente dans son ensemble. Mais si la prise du pouvoir politique par le prolétariat ouvre la voie aux bouleversements des rapports sociaux capitalistes et à l'instauration de la société communiste, celle-ci ne surgira pas spontanément et automatiquement des entrailles de l'ancienne société.
"Oui, la classe ouvrière n'est pas séparée de la vieille société bourgeoise par un mur chinois. Lorsque la révolution éclate, les choses ne se passent pas comme à la mort d'un homme où l'on emporte et enterre son cadavre. Au moment où la vieille société périt, on ne peut pas clouer ses restes dans une bière et les mettre dans la tombe. Elle se décompose au milieu de nous, elle pourrit et sa pourriture nous gagne nous-mêmes. Aucune grande révolution au monde ne s'est accomplie autrement et il ne saurait en être autrement. C'est justement ce que nous devons combattre pour sauvegarder et développer les germes du nouveau au milieu de cette atmosphère empestée des miasmes du cadavre en décomposition". (La lutte pour le pain. Discours prononcé par Lénine au C.C.E.)
2 - nécessite d'un Etat pendant la période de transition
Ainsi que nous venons de le voir, les classes ne seront pas entièrement abolies après la prise du pouvoir par le prolétariat. Or, tant que les classes existent, existe, pour contenir les antagonismes de classes et empêcher que la société "ne vole en éclats", un Etat. Le prolétariat, loin d'utiliser cet Etat pour exploiter les autres classes, s'en servira dans le but d'amener petit à petit les autres parties de la société à intégrer le procès de production, il en possède donc le contrôle absolu et s'en sert pour "régulariser ses relations avec les autres classes" ; de là à dire que le prolétariat et l'Etat sont identiques ou que la dictature du prolétariat exercera aussi des fonctions étatiques, il y a un pas vite franchi, mais qu'il faut se garder de faire. Identifier l'Etat au prolétariat revient à mal poser le problème et ne fait qu'embrouiller les choses. Cette confusion classe-Etat révèle, en fait, une incompréhension du caractère profondément politique de la révolution prolétarienne et du moteur objectif essentiel qui l'anime.
La période de transition, nous l'avons vu, est toute entière contenue dans cette contradiction :
a - d'une part, le prolétariat possède le pouvoir politique par l'intermédiaire de ses conseils ouvriers en armes ;
b - d'autre part, les classes subsistent ainsi que la loi de la valeur et le prolétariat reste une classe exploitée, celle qui ne possède aucun pouvoir économique particulier au sein de la société.
C'est cette contradiction apparente qui encourage la dynamique révolutionnaire vers l'abolition des rapports marchands, la socialisation de la production, la mise en place progressive de nouveaux rapports sociaux. Or, cette transformation consciente ne se réalise que si le prolétariat intègre à lui l'ensemble de la société et ce processus se fait non seulement à l'extérieur de l'Etat mais encore lui est profondément "contraire" dans la mesure où il tend à détruire celui-ci, à le rendre de plus en plus inutile. Le prolétariat reste donc une classe exploitée pendant la période de transition et cette exploitation est inversement proportionnelle à la destruction de l'Etat et des classes sociales.
A 1’inverse des révolutions passées qui couronnaient politiquement un pouvoir économique déjà en place, la révolution prolétarienne et le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste implique une conscience globale de ce passage. Alors que l’Etat bourgeois était progressif dans l’histoire en brisant les rapports féodaux et en affirmant les rapports capitalistes, l'Etat dans la période de transition constitue de par sa nature même un mal conservateur mais nécessaire, qui ne met pas la dictature du prolétariat en question mais qui traduit la situation même de la période de transition : période charnière pendant laquelle le prolétariat détruit peu à peu le cadavre capitaliste, les derniers vestiges pourrissant des rapports de production marchands.
c – Le prolétariat doit donc rester autonome par rapport aux autres classes et transformer consciemment la société ; or l'Etat incarne précisément l'existence de classe, il est l'expression concrète d'une nécessité de régulation, d'échange entre le prolétariat et les autres classes subsistantes, il concrétise une nécessité coercitive face aux antagonismes de classe qui restent après la prise du pouvoir par le prolétariat ; dans une certaine mesure, il est la matérialisation super structurelle de l'existence de l'exploitation (liée à l'échange et à la division sociale du travail du prolétariat pendant la période de transition). C'est pourquoi, même si les négociations entre prolétariat et autres classes se feront toujours dans l'intérêt de la classe ouvrière et sous contrôle des conseils, les tâches étatiques pendant la période de transition et la transformation consciente des rapports sociaux bien que relevant d'un-même processus : la dictature du prolétariat représentent deux choses bien distinctes.
« Seul le prolétariat contient en lui-même les bases des rapports sociaux communistes, seul le prolétariat est capable d’entreprendre la transformation communiste. L'Etat peut au mieux aider à conserver les acquis de cette transformation (et au pire y faire obstacle) mais il ne peut en tant qu'Etat se charger de cette transformation. C'est le mouvement social du prolétariat tout entier, par son activité créatrice propre qui anéantira la domination du fétichisme de la marchandise et construira de nouveaux rapports entre les êtres humains. » (W.R, RINT n°1)
Nous nous devons de ne pas confondre l'outil avec celui qui s'en sert.
d - Il est indispensable, dans le processus même de la prise de conscience du prolétariat, que l’Etat soit distinct de la classe, dans la mesure où le prolétariat doit agir en vue de ses intérêts finaux, intérêts qui ne sont pas le maintien de l'exploitation et des classes sociales ni la dictature du prolétariat en elle-même mais qui résident dans l’abolition des classes par le changement conscient des rapports de production. Ces intérêts sont donc en contradiction avec la fonction même de l'Etat et sa nature conservatrice. Un vieux dicton populaire affirme qu’un ennemi connu vaut mieux que trop d’amis inconnus. Le prolétariat, en se distinguant nettement de l'Etat, prend conscience de l'existence de cet « ennemi » utile et sur lequel il peut exercer, un véritable contrôle (on ne contrôle effectivement que ce qui est séparé de soi, sans cela il ne s'agit plus d'un contrôle).
La seule garantie qu'il possède de bouleverser les rapports sociaux d'une manière consciente réside dans la vision globale qu'il doit avoir de ce qui est à détruire et de ce qui est à construire. Ainsi l'Etat constitue bien un organe nécessaire mais à détruire progressivement.
"Ce qui doit retenir notre attention, c’est que le postulat du dépérissement de l'Etat prolétarien est appelé à devenir en quelque sorte la pierre de touche du contenu des révolutions prolétariennes. Nous avons déjà indiqué que celles-ci surgissaient dans un milieu historique obligeant le prolétariat à supporter un Etat, bien que ce ne put être « qu'un Etat, en dépérissement, c'est-à-dire constitué de telle sorte qu'il commence sans délai à dépérir et qu’il ne puisse pas ne point dépérir » (Lénine). (Mitchell, Problèmes de la période de transition in Bilan),
Apparente contradiction entre le caractère essentiellement dynamique de la période de transition, c'est-à-dire de la dictature du prolétariat, et la nécessité de l'Etat maintien d'un statu quo, apparente contradiction entre l'existence de cet Etat et le but du prolétariat qui réside précisément dans la destruction de cet organe conservateur et l'abolition des classes… toutes ces ambiguïtés touchent la nature même de la période de transition et nous révèle le caractère foncièrement difficile et douloureux de cette période et les tâches immenses que la classe ouvrière aura à assumer, la condition sine qua non de sa conscience radicale de ses intérêts ainsi que le danger toujours présent d'un retour au capitalisme parce que les germes du communisme auront à se développer dans l'atmosphère empestée des miasmes du cadavre capitaliste en décomposition.
J.L.
[1] [29] "Exceptionnellement, il se présente pourtant des périodes où les classes en lutte sont si près de s'équilibrer que le pouvoir de l'Etat, comme pseudo-médiateur, garde pour un temps une certaine indépendance vis-à-vis de l'une et de l'autre. (...) Telle la monarchie absolue des XVIIème et XVIIIème siècles, tel le bonapartisme du Premier et du Second Empire en France, tel Bismarck en Allemagne." ENGELS
[2] [30] Et cela même si l’influence des révolutionnaires se fait de plus en plus efficacement ; même si pendant cette période l’unité entre la théorie et la pratique devient telle que le prolétariat reconnaît en l'organisation des révolutionnaires le porteur de ses intérêts finaux.
La section du Courant Communiste International en Grande Bretagne, World Revolution, a tenu son Premier Congrès en Avril de cette année. Le Congrès a été consacré au bilan du travail de la section et, dans le cadre du rapport sur la situation internationale issu du Premier Congrès du CCI (voir Revue Internationale n° 5), a discuté sur les perspectives de la crise et de la lutte de classe en Grande-Bretagne ainsi que sur le rô1e des révolutionnaires et le travail global du CCI.
Le Premier Congrès de World Revolution était, avant tout, un Congrès "de travail" dans la mesure où il a permis à WR de se rendre compte consciemment au sein du CCI de son développement, de sa maturation et de sa capacité à intervenir dans la lutte de classe. C'était également l'occasion de tirer le bilan des origines de WR et de ses activités depuis que la section a contribué à la fondation du CCI.
Le Congrès s'est prononcé pour une publication plus fréquente de WR dans la mesure où nos publications sont à l'heure actuelle notre principal moyen d'intervention, l'instrument essentiel à travers lequel la voix des révolutionnaires se fait entendre. Le Congrès a également accepté des résolutions et documents qui expriment la prise de position du CCI face aux questions vitales posées à la classe ouvrière aujourd'hui. Parmi ces documents, il faut signaler la "Perspective sur la crise et la lutte de classe en Grande Bretagne" et les "Thèses sur la lutte de classe en Grande Bretagne" qui se trouveront dans le n°7 de la revue WR. Dans la décadence du système capitaliste, les conditions de la lutte du prolétariat se sont généralisées partout dans le monde ; les travaux cités ci-dessus représentent un effort pour concrétiser l'analyse de la période actuelle pour l'intervention militante dans le contexte de la Grande Bretagne, pays d'Europe particulièrement frappé par la crise du système.
Dans ce numéro de la Revue Internationale, nous présentons un autre document discuté et approuvé par le Congrès : « l'Adresse aux révolutionnaires en Grande Bretagne ». Cette adresse est une contribution des camarades de WR sur la préoccupation fondamentale de tous les révolutionnaires de notre période : la nécessité d'unifier et de regrouper toutes les forces révolutionnaires autour des positions de classe, des acquis de la lutte historique du prolétariat. Après 50 ans de contre-révolution, cette nécessité est d'autant plus urgente et cruciale que les forces du prolétariat, encore faibles et dispersées, doivent faire face aux tâches immenses de notre époque de crise et de montée de la lutte prolétarienne
L'acquis fondamental de ce congrès de WR, c'est la réaffirmation de l'unité du CCI et le renforcement politique et organisationnel de ses sections afin de pouvoir assumer effectivement les tâches pour lesquelles une organisation des révolutionnaires surgit au sein de la classe ouvrière comme instrument de sa lutte.
ADRESSE AUX REVOLUTIONNAIRES EN GRANDE BRETAGNE
Dans la période actuelle de montée de la lutte de classes, les révolutionnaires du monde entier doivent regrouper leurs forces afin d'être capables d'intervenir efficacement dans le mouvement de la classe qui mène à la révolution. Après cinquante ans de contre révolution triomphante pendant lesquels la continuité organique avec le mouvement ouvrier du passé a été rompue, la constitution du Courant Communiste International comme pôle révolutionnaire clair et cohérent est un moment vital du processus de regroupement international qui aboutira à terme au surgissement du parti communiste mondial.
Cette rupture de la continuité organique est particulièrement évidente en Grande Bretagne où il n'y a pas eu de tradition de communisme de gauche depuis la disparition de Workers ' Dreadnought en 1924. Aujourd’hui le mouvement révolutionnaire en Grande Bretagne est extrêmement restreint et les éléments qui tendent à venir aux idées révolutionnaires doivent encore comprendre la nécessité de rompre radicalement avec l'influence du trotskisme, celle des libertaires, du marginalisme et d'autres idéologies bourgeoises. Tout ceci ne peut que renforcer l'importance de la présence du CCI en Grande Bretagne à travers World Révolution. Au fur et à mesure que la lutte de classe se développera, WR aura une lourde responsabilité en agissant comme pôle de regroupement communiste en Grande Bretagne. Dans ce contexte, ce Congrès
- regrette que d'autres expressions du ressurgissent du mouvement communiste en Grande Bretagne - en particulier les éléments qui constituent aujourd'hui la Communist Workers’ Organisation - n'aient pas réussi à comprendre la nécessité du regroupement et soient tombés dans une attitude sectaire qui ne peut que servir à fragmenter le mouvement révolutionnaire aujourd'hui.
- affirme que la plate forme du CCI exprime les acquis fondamentaux de l'expérience historique du prolétariat.
- appelle tous les révolutionnaires en Grande Bretagne à reconnaître la nécessité de la centralisation et de l'unification de l'activité révolutionnaire, à se regrouper avec le CCI et à participer à en faire un facteur actif et fondamental dans la reconstitution du parti mondial de la révolution communiste.
REVOLUTIONNAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ – VOUS !
1 - C'est par un mouvement d'oscillation de plus en plus chaotique entre l'inflation aiguë et la récession brutale que le capitalisme s'enfonce progressivement dans la crise. Si, à chacun de ces balancements les pays les plus puissants peuvent s'accorder un court répit baptisé pompeusement « reprise », c'est au détriment des économies les plus faibles qui, les unes après les autres, dans un mouvement qui va de la périphérie vers le centre, du tiers monde vers les métropoles industrielles, sont plongées dans un chaos sans espoir. En Europe, le faible capital portugais a été le premier à être frappé de cette façon. Aujourd'hui, au milieu d'un capitalisme qui se laisse bercer par les douces clameurs de la « reprise », l’Italie a pris à son tour le rôle de « l'homme malade". Des dizaines de milliards de dollars de dettes, une inflation aux allures « sud américaines », une monnaie qui n’en finit pas de s'effondrer, une productivité dont aucune mesure n'arrive à enrayer la chute : la « miracle italien » s'est transformé en cauchemar pour la bourgeoisie.
2 – A présent les conditions de ce fameux « miracle », non seulement sont complètement épuisées, mais se sont partiellement converties en handicaps supplémentaires pour le capital italien. Les relatifs succès de celui-ci dans la deuxième après-guerre et qui ont masqué le fait qu'il restait structurellement faible et très dépendant du capital étranger, s’appuyaient en bonne partie sur l'existence dans le pays même d’un important secteur agricole arriéré qui a constitué une réserve massive de forces de travail bon marché. C'est par l'exploitation de cette main-d’œuvre que le capital italien a pu mettre à profit la période de reconstruction pour se constituer d’importants marchés en Europe particulièrement dans le domaine des biens de consommation (automobile, habillement, électroménager). A cette condition favorable il faut ajouter l’inexistence pour l’Italie de problème colonial qui a pu entraver le développement et la compétitivité d’autres pays européens concurrents (France, Portugal, Espagne, Belgique).
Ce faisceau de conditions favorables s'est disloqué avec la fin de la reconstruction : la solution des problèmes coloniaux des autres pays avaient signifié la fin de l'avantage de l’Italie sur ce plan alors qu'en même temps, venaient s'accumuler sur son économie des difficultés croissantes. En particulier, au moment où un marché international de plus en plus rétrécit n'arrivait plus à absorber la production de cette économie, le secteur agricole arriéré devenait un réservoir de chômeurs à la charge de la collectivité tout en demeurant incapable de fournir les besoins alimentaires de la population et se convertissaient de ce fait en un lourd boulet au pied du capital italien. Par ailleurs le rapide développement de la production industrielle de l’après-guerre dans un pays où le sous-développement maintenait une forte empreinte avait créé une série de déséquilibres internes et de facteurs d'instabilité tant sur les plans économiques que sociaux et politiques. C'est pour cela que contrairement au capital anglais, par exemple, dont les effets d'une crise sévère sont amortis par tous les rouages que la bourgeoisie la plus épanouie du monde a, depuis plus d'un siècle, mis en place, le capital italien se trouve être à l 'heure actuelle en Europe un des plus démuni face au déferlement de la crise.
3 - Ces faiblesses du capital italien se sont traduites sur le plan social par le développement d’un mouvement de luttes de classe qui, depuis le « Mai rampant » de 1969, a placé le prolétariat d'Italie aux premières lignes du prolétariat mondial pour la profondeur et l'extension de ses luttes et qui, dès lors, a constitué un handicap supplémentaire pour ce capital. Sur le plan politique, ces faiblesses se sont manifestées dans une succession de crises gouvernementales qui, si elles ne réussissaient pas à perturber sérieusement le « Boom » de la période de reconstruction, sont devenues une entrave supplémentaire à toute tentative de remise en ordre économique quand la crise aiguë est arrivée. A la base de cette vulnérabilité de l’appareil politique du capital italien il faut situer le vieillissement, l'usure et la corruption croissante du parti dominant, la Démocratie Chrétienne, qui, s'appuyant sur les secteurs les plus anachroniques de la société italienne et engoncée dans un exercice presque solitaire du pouvoir depuis 30 ans, est de moins en moins apte à gérer le capital national. Cette carence de l'appareil politique est à la base d'un "laisser-aller" généralisé au sein de l'institution étatique qui, à l'heure où la situation requiert son intervention résolue dans l'économie nationale, se trouve en fait de plus en plus impuissante.
4 - Malgré cette accumulation de faiblesse, le capital italien dispose d'un atout de tout premier ordre qui, s'il ne peut aujourd'hui accomplir de nouveau « miracle », constitue un de ses derniers recours : Le Parti "communiste" (P.C.I.).
Avec des effectifs qui dépassent le million, un électorat de 12 millions, doté d'une organisation hautement structurée, le P.C.I. constitue la plus grande force politique d'Italie, le parti stalinien le plus puissant des pays occidentaux et un des tous premiers partis politiques de l'ensemble de l'Europe. Exerçant un contrôle très efficace sur les travailleurs, particulièrement à travers la première centrale syndicale d'Italie, la C.G.I.L., le P.C.I. s'est par ailleurs acquis une forte expérience dans la direction des « affaires publiques » à la tête des villes les plus importantes d'Italie et d'un nombre appréciable de régions.
Poursuivant le travail inauguré par la mobilisation, à travers la "résistance" du prolétariat italien dans la Seconde Guerre mondiale, ainsi que par son encadrement et sa répression (le camarade-ministre Togliatti n'a pas hésité à faire tirer sur les ouvriers quand il était au gouvernement) au service de la « reconstruction nationale », le P.C.I. s'est illustré, surtout depuis 1969, par un appui efficace à son capital national. Que ce soit par une gestion "saine" des municipalités et des régions qu'il contrôle, par un soutien discret de la politique gouvernementale (depuis plusieurs années la majorité des lois, y compris certaines des plus répressives, adoptées par le Parlement ont été votées par le P.C.I.) ou par son activité de maintien de l'ordre dans les entreprises, ce "parti de la classe ouvrière" a fait preuve d'un "sens élevé de ses responsabilités"… capitalistes. Dans ce dernier domaine, il a manifesté, après 1969, une grande habileté récupérant et intégrant dans, le syndicalisme officiel les organes extra- et même antisyndicaux surgis du "Mai rampant". A travers l'organisation de "journées d'action" démobilisatrices, la prise en charge par sa courroie de transmission syndicale de différents mouvements "d'auto réduction" des loyers et des tarifs publics, l'agitation du "danger fasciste" et la mise en avant d'une perspective de participation gouvernementale présentée comme devant tirer le pays du mauvais pas où il se trouve, le P.C.I. a réussi jusqu'à présent à dévoyer le mécontentement croissant des ouvriers et à le canaliser vers des impasses.
5 - Si la politique "d'opposition constructive" du P.C.I. a permis pendant plusieurs années d'éviter au capital italien une catastrophe encore plus grande, la situation présente met à l'ordre du jour, et de façon urgente, une participation beaucoup plus directe de ce parti à la gestion de celui-ci. En effet, la perspective d'une entrée du P.C.I. au gouvernement ne saurait constituer indéfiniment un facteur de temporisation de la lutte de classe si son échéance en est continuellement repoussée. Le plan draconien d'austérité indispensable pour ralentir la marche de l'économie italienne vers la banqueroute n'a de chance d'être toléré par la classe ouvrière que s'il est mis en œuvre par un gouvernement dans lequel elle a l’impression que ses intérêts sont directement représentés. Et cette coloration "ouvrière", seul le P.C.I. est en mesure de l'apporter par une présence effective au sein de cette institution : une prolongation trop grande d'un soutien extra-gouvernemental du P.C.I. à une politique de "rigueur" risquerait de faire rejaillir sur lui l'impopularité d'une telle politique sans qu'il puisse pour autant agiter en contrepartie le mythe de la "victoire ouvrière" que constitue la présence des camarades à la tête de l'Etat.
Plus généralement, l'accession du P.C.I. à un rôle gouvernemental permettrait de renforcer notablement l'Etat italien non seulement dans sa fonction de mystification des travailleurs mais aussi dans sa capacité à assumer l'ensemble de ses tâches. Se présentant comme le champion de « l'ordre », de la "morale", et de la "justice sociale"', le P.C.I. est, sur l'éventail politique, le parti le moins lié à la défense des petits intérêts particuliers, plus ou moins parasitaires d'une « clientèle » et donc celui qui est aujourd'hui le mieux armé pour faire réellement passer les intérêts généraux du capital national devant ces intérêts et privilèges particuliers. Il est en particulier le seul qui puisse contribuer efficacement à la mise sur pied de mesures de capitalisme d'Etat imposées par la profondeur de la crise et qui, dans un pays où le secteur étatisé est déjà dominant dans l’économie, passent en premier lieu par une restauration de l'autorité de l'Etat lui-même. Il est le seul qui peut présenter ces mesures nécessaires de défense du capital comme de "grandes victoires" pour la classe ouvrière et donc d'en faire des instruments efficaces de mystification mais, de plus, cet "Etat fort" que le PCI réclame et qu'il se propose explicitement de contribuer à établir est la condition première du rétablissement de "l'ordre" dans la rue et dans les usines et donc d'une exploitation accrue de la classe ouvrière.
6 – L’extrême vulnérabilité du capital italien, s'il met à l'ordre du jour l'adoption de mesures d'urgence sur le plan intérieur, le place en même temps sous une très grande dépendance par rapport aux autres pays d'Europe et par rapport au bloc impérialiste de tutelle : celui des U.S.A. Ceci explique que, depuis de nombreuses années déjà et de plus en plus à l'heure actuelle, le P.C.I. ait officiellement distendu ses liens avec l'URSS et se soit fait le défenseur de la C.E.E. comme du maintien de l'Italie dans l’OTAN. De plus, parfaitement conscient du fait que le bloc occidental ne pouvait absolument pas accepter une position dominante à la tête du gouvernement d'un PCI même défenseur affiché de la C.E.E et de l’OTAN, ce parti a axé toute sa perspective dans le "compromis historique" (alliance PC-PS-DC) dans lequel il serait minoritaire et non dans une alliance de la seule gauche qu'il dominerait massivement. En cela, il se distingue des PC français et portugais qui, eux, peuvent miser sur une alliance avec le PS dans la mesure où, dans leurs pays respectifs, ils sont moins forts que les PS et qu’ils ne joueraient que les seconds rôles dans « l'union de la gauche ». Même si la participation des PC au gouvernement devient absolument indispensable dans certains pays d'Europe occidentale, la seule chose que le bloc américain puisse permettre, c'est une participation minoritaire : l'éviction, à la suite d'une pression massive des pays occidentaux, du PC portugais d'un pouvoir qu'il exerçait presque seul en constitue une autre illustration probante.
Les partis communistes sont avant tout des partis du capital national et c'est comme tels que, dans la division du monde en blocs impérialistes par rapports auxquels chaque capital national doit se déterminer, ils représentent la fraction de celui-ci la plus favorable à une alliance avec l'URSS ou à une plus grande indépendance à l'égard des USA. De ce fait également, si les options d'origine des PC en politique internationale entrent en conflit avec une défense cohérente et efficace des intérêts capitalistes nationaux, c’est nécessairement au détriment de ces options que les PC orientent leur politique et ceci d'autant plus que le pays est faible et donc dépendant du bloc impérialiste de tutelle. C'est en particulier le cas du P.C.I. qui, du fait de l'extrême dépendance du capital italien à l'égard des USA depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale a toujours été à l' avant garde du "polycentrisme", de l'indépendance à l'égard de l'URSS et de "l'eurocommunisme". Toutefois une telle orientation de la politique des partis staliniens ne saurait être considérée comme définitive et dans des conditions différentes du rapport de forces entre blocs impérialistes ces partis seraient sur l'arène politique nationale les plus susceptibles de « réviser » leurs positions afin de faire pencher la balance dans leur pays en faveur du bloc russe. C'est pour cela que le bloc occidental ne peut tolérer que se mettent en place des gouvernements dominés par les PC, même momentanément fidèles, mais qui dans des circonstances différentes pourraient faire basculer leur pays dans l'autre bloc.
7 - Malgré l'urgence de la participation du P.C.I. au pouvoir, malgré le "réalisme" et la souplesse de celui-ci tant en politique extérieure qu'intérieure, le capital italien éprouve aujourd’hui les plus grandes hésitations et difficultés à jouer cette carte fondamentale. A ce fait on peut trouver comme cause essentielle l'énorme pression qu'exerce le gouvernement des USA et par suite celui des grands pays d'Europe occidentale - y compris le gouvernement français qui abandonne de plus en plus "l'indépendance" du gaullisme - contre toute solution de ce type. Des secteurs importants, dits "libéraux", de la bourgeoisie américaine ont compris dès maintenant l'inévitabilité de l'accession du P.C.I. à des responsabilités gouvernementales. Ils ont compris en particulier qu'un allié chez qui règne le chaos le plus total n'est pas le plus approprié pour assurer avec efficacité ses fonctions au sein du bloc, tant du point de vue économique que militaire. Cela, l'actuelle équipe dirigeante l'a également compris quand il s’est agit de faire pression sur la bourgeoisie espagnole pour qu'elle abandonne des structures politiques héritées du franquisme de plus en plus inaptes à affronter la dégradation de sa situation économique et sociale intérieure dans la mesure où la "démocratisation" préconisée en Espagne n'implique pas nécessairement une entrée du P.C.E. au gouvernement. Mais, en ce qui concerne l'Italie, cette équipe reste attachée à une politique de résistance décidée à toute formule gouvernementale incluant le P.C.I. : que ce soit au nom de la "défense de la démocratie" ou de celle de l'Alliance atlantique, elle agite ostensiblement et avec fracas la menace de représailles économiques pour dissuader la bourgeoisie italienne de faire appel à une telle formule. Ainsi, se trouve illustrée avec éclat une des composantes de la crise politique de la bourgeoisie face à la crise de son économie : la contradiction entre le caractère fondamentalement national des intérêts du capital et la nécessité du renforcement des blocs au milieu de tensions inter impérialistes croissantes. Pour le moment, et tant que la survie même du capitalisme n'est pas en cause, les blocs tendent à faire passer au premier plan leurs intérêts généraux immédiats, c'est-à-dire avant tout ceux de la puissance dominante, avant les difficultés particulières des capitaux nationaux qui les composent y compris quelque fois au détriment de leurs intérêts futurs.
8 - En Italie même, cette opposition résolue à tout rôle gouvernemental du P.C.I. orchestrée par les USA trouve des alliés décidés dans les couches les plus anachroniques du capital italien, celles qui risquent d'être les plus touchées par la remise en ordre politique et économique préconisée par le P.C.I. et qui, derrière le M.S.I., se regroupent derrière la droite de la Démocratie Chrétienne avec à sa tête Fanfani. Mais cette opposition n'a pu, jusqu'à présent, se révéler décisive que parce que des couches très importantes de la bourgeoisie italienne restent extrêmement méfiantes à l'égard d'un P.C.I. dont les tournants démocratiques et atlantistes n’ont pas fait oublier qu'il appartient à une catégorie particulière des partis du capital : ceux qui sont les porteurs les plus résolus de la tendance générale vers le capitalisme d'Etat et qui restent toujours aptes, si la situation s'y prête, à éliminer toutes les autres fractions de la bourgeoisie liées à la propriété individuelle tant sur le plan économique (étatisation du capital) que politique (parti unique). Même si ces secteurs décisifs du capital italien, et dont l'ancien "patron des patrons" Giovanni Agneli, est un représentant significatif, se sont convaincus de la nécessité de l'entrée du P.C.I. au gouvernement, ils essaient d'obtenir le maximum de garanties préalables de la part de celui-ci contre toute évolution "totalitaire" à leurs dépens.
9 - Les récentes élections italiennes n'ont pas fondamentalement modifié cette situation. Par le maintien des positions électorales d'une Démocratie Chrétienne pourtant usée et discréditée, elles ont mis en relief l'importance des résistances à la venue du P.C.I. au gouvernement, dans la mesure où, justement, la DC avait, sous la conduite de Fanfani, axé sa campagne contre une telle éventualité.
Cependant, tout en alarmant encore plus les secteurs les plus rétrogrades de la bourgeoisie, la très forte poussée du P.C.I. a en même temps démontré de façon éclatante à cette classe le caractère inéluctable d’un "compromis historique" ou autre formule de participation de ce parti au gouvernement. La bipolarisation engendrée par l'affrontement électoral n’a pas, contrairement aux espérances de la droite de la DC, provoqué une rupture irrémédiable entre les deux grands partis de l'appareil politique du capital italien. En écartant toute possibilité à un recours aux formules de «centre gauche» utilisées jusqu'à ces derniers temps, cette évolution électorale a tracé à l'ensemble de la bourgeoisie italienne le chemin dans lequel elle doit s'engager : celui d'une alliance entre ses deux grands partis. C'est là la signification des accords entre partis de "l'arc constitutionnel" en vue de l'attribution d'un certain nombre de postes parlementaires qui, dans le cadre des institutions italiennes, constituent de fait des branches de l'exécutif.
Ces accords, nouveau pas dans la voie du « compromis historique », sont la traduction du fait que les besoins objectifs de l’ensemble du capital national doivent, en fin de compte, prendre le pas sur les résistances opposées par telle ou telle fraction de celui-ci. Cependant, la lenteur avec laquelle se met en place cette solution est une manifestation du poids encore très important de ces résistances dont les récentes élections n'ont pas permis le dépassement. De fait, si d'un côté celles-ci ont clarifié le jeu politique italien et montré nettement à la classe dominante la direction à suivre, elles lui ont également en partie lié les mains : brillamment reconduite dans sa suprématie sur le programme le, mieux en mesure d'assurer son succès électoral de refus du "compromis" avec le P.C.I., la DC ne peut pour le moment renier toutes ses promesses électorales et s'engager pleinement dans un tel compromis.
La situation créée par les élections italiennes met en relief le fait que les mécanismes électoraux et parlementaires, s'ils constituent encore des instruments efficaces de mystification de la classe ouvrière dans les pays les plus développés, peuvent également agir comme entrave à l'adoption par le capital national des mesures les plus appropriées à la défense de ses intérêts. Expression de la décadence du mode de production capitaliste inaugurée par la première guerre mondiale, la tendance générale au capitalisme d'Etat qui avait déjà vidé de tout pouvoir réel le Parlement au bénéfice de l'Exécutif, tend, de plus en plus à entrer en conflit avec les vestiges de la Démocratie bourgeoise parlementaire hérités de la phase ascendante de ce système, particulièrement dans les pays les plus faibles là où cette tendance générale s'exerce avec le plus de force.
10 - La venue du P.C.I. au pouvoir est inexorable, mais le retard avec lequel cette venue risque d'intervenir est une autre manifestation des contradictions insolubles dans lesquelles se débat le capitalisme dont la seule défense cohérente ne peut s'exercer qu'au niveau national mais qui, à l’intérieur de chaque nation, particulièrement dans sa sphère occidentale, reste divisée en une multitude d'intérêts contradictoires. En particulier le fait que la bourgeoisie italienne ne fasse pas appel dès maintenant à ce parti pour des tâches gouvernementales ne saurait être interprété comme le résultat de la mise sur pied d'un plan machiavélique par celle-ci afin de jouer la carte P.C.I. le plus tard possible ; quand la situation économique et sociale se sera dégradée encore plus. Outre le fait que la bourgeoisie, prisonnière de ses propres préjugés de classe, est en général incapable de se donner une vision à long terme de la défense de ses intérêts, elle ne peut trouver aujourd'hui en Italie aucun avantage à retarder encore plus l'adoption des mesures économiques et politiques de « salut national » exigées par la situation et qui impliquent la mise en place du "compromis historique". Plus ces mesures économiques tarderont à intervenir et plus il sera difficile au capital italien de remonter un tant soit peu la pente, y compris avec un P.C.I. au pouvoir. De même la bourgeoisie n'a aucun intérêt à attendre que la lutte de classe se soit développée pleinement pour se doter des moyens de mystification et d'encadrement les plus aptes à l'affronter avec succès. Les mesures « à chaud » sont toujours moins efficaces que les mesures préventives, en ce sens qu'elles sont moins élaborées que les secondes et que l'instabilité qui les a provoquées ne peut jamais être totalement résorbée. Présentée dans toutes les circonstances comme une « victoire ouvrière », la venue de la gauche au pouvoir comme réponse à une mobilisation massive de la classe tend à ancrer dans celle-ci l'idée que "la lutte paie" alors que tous les efforts de la bourgeoisie sont destinés à lui démontrer le contraire.
Ces contradictions structurelles du capital, l'obligeant à mener une politique pragmatique et à court terme face à la classe ouvrière, constituent un facteur très favorable pour celle-ci du point de vue de son affrontement décisif avec l'ordre social existant. Cependant, tous ces antagonismes au sein même de la classe dominante, tant sur le plan national qu'international, ne doivent pas faire oublier à la classe révolutionnaire que, face à elle, la bourgeoisie manifeste une unité fondamentale qu'elle peut renforcer dans les moments les plus décisifs afin de sauvegarder, y compris par le sacrifice de fractions importantes d'elle-même, ce qui reste essentiel : le maintien des rapports de production capitalistes. Les travailleurs doivent en particulier rejeter aujourd'hui toute idée d'utilisation des affrontements au sein même de la classe dominante par le soutien de telle ou telle fraction de celle-ci contre une autre : démocratie contre fascisme, capital d'Etat contre capital privé, telle nation contre telle autre, etc. Depuis plus d'un demi-siècle, de telles "tactiques" n’ont jamais conduit à un affaiblissement du capitalisme mais elles ont toujours abouti à l’anéantissement de l'autonomie et de l'unité de la classe ouvrière et en fin de compte à son écrasement.
11 - En Europe, l'Italie occupe une position d'une extrême importance tant du point de vue de sa localisation géographique, du poids de son économie, que du degré élevé de la combativité de sa classe ouvrière face à laquelle la bourgeoisie dispose d'un arsenal hautement élaboré. De plus, le prolétariat de ce pays est un de ceux qui disposent depuis la 1a guerre mondiale de l'expérience la plus riche tant du point de vue pratique que politique et théorique (Labriola, Bordiga, Gauche Italienne).
Pendant une période, le Portugal a occupé une place importante en tant que terrain d'expérimentation des diverses "solutions" bourgeoises face à la crise. Avec l'aggravation de sa situation économique, politique et sociale, l'Espagne s'est ensuite confirmée comme un des maillons faibles du capitalisme, tant du point de vue de la puissance des affrontements sociaux que du retard accusé par la bourgeoisie dans la mise en place des dispositifs appropriés pour limiter ces affrontements et les dévoyer. Avec le déferlement brutal de la crise en Italie, l'axe de la situation sociopolitique en Europe passe aujourd’hui par ce pays.
Pendant toute une période, cet axe passera à la fois par l’Espagne et l’Italie. Des événements de ce premier pays que la bourgeoisie européenne utilisera au maximum pour promouvoir ses mystifications antifascistes, les révolutionnaires et l'ensemble de la classe devront tirer à leur tour un maximum d’enseignements. Cependant, au fur et à mesure du développement de la crise et de la lutte de classe, la situation en Italie tendra à passer au premier plan dans la mesure où c'est à la fois le pays où, d’ores et déjà depuis 1969, la lutte de classe a atteint un des niveaux les plus élevés et dont les caractéristiques générales s'apparentent de façon étroite à celles des grandes métropoles capitalistes d'Europe. En ce sens, l’expérience qui se dégagera des affrontements sociaux à venir dans ce pays sera d'une extrême importance tant pour la bourgeoisie que pour le prolétariat de ces métropoles et son avant-garde.
12 - Dès à présent, une des caractéristiques que l'on peut dégager de l'ensemble de la situation présente et dont l'Italie constitue un des exemples les plus significatifs, par le fait même que c’est un des pays où la lutte de classe a atteint son niveau le plus élevé, c'est l'existence d'un énorme décalage entre la profondeur de la crise politique de la bourgeoisie, reflet de sa crise économique, et le degré encore plus limité de la mobilisation et de la prise de conscience de la classe ouvrière. Ce contraste est particulièrement net en Italie où les toutes premières manifestations de la crise avaient provoqué en 1969 une réponse générale du prolétariat qui avait, à grande échelle, fait éclater le cadre syndical et où la gravité présente de la crise n’entraîne de la part des travailleurs que des réactions beaucoup plus limitées et entièrement canalisées par les syndicats.
La cause de ce décalage réside dans le poids des mystifications que la gauche et les gauchistes ont systématiquement développées au sein de la classe ouvrière en présentant la venue de cette gauche au pouvoir comme une solution à la crise supposée apporter aux travailleurs les "victoires" qu'ils n’avaient pu obtenir sur le plan des luttes économiques ; mystifications rendues possibles par la difficulté éprouvée par la classe à se dégager de la plus profonde contre-révolution de son histoire. En Italie, le rôle des gauchistes, en premier lieu de ceux regroupés dans le cartel électoral de la « démocratie prolétarienne », a été particulièrement important. A travers leur "antifascisme de gauche" plus "radical" que celui du PCI, leur prise en charge "responsable" des éléments de la classe (en particulier les chômeurs) tendant à échapper au contrôle de ce parti et des syndicats ainsi que leur mise en avant d'une "alternative ouvrière" (gouvernement PS-PC-Gauchistes), ils ont accompli avec brio leur tâche de rabatteurs de la gauche du capital. Ce qu'a démontré l'évolution de la situation en Italie ces 7 dernières années, c'est que, loin de constituer une expression de la prise de conscience de la classe, le développement des courants gauchistes, telle l’apparition des boutons dans certaines maladies éruptive, est la manifestation de la sécrétion par l'organisme capitaliste d'anticorps contre le virus de la lutte de classe. Au fur et à mesure que celle-ci se développera dans tous les pays, on verra ces anticorps se développer parallèlement, en particulier pour ramener à la gauche officielle, par toutes les politiques de « soutien critique », les éléments de la classe qui s'en détournent.
Ce décalage existant entre le niveau de la crise et celui de la lutte de classe ne saurait se prolonger indéfiniment : aujourd'hui, à l'heure où de plus en plus la gauche ne peut plus se contenter d'assumer sa fonction capitaliste dans l'opposition mais en prenant directement en charge des responsabilités gouvernementales, mûrissent les conditions pour qu'il disparaisse. Si, dans un premier temps, les gouvernements « de gauche » permettront un meilleur encadrement de la classe au service du capital, leur inévitable faillite économique et les mesures de plus en plus violemment anti ouvrières qu'une crise sans issue et de plus en plus profonde les obligera de prendre viendront balayer les mystifications qui obscurcissent encore la conscience des prolétaires.
LE BUREAU INTERNATIONAL (23/07/76)
« Quand le prolétariat, nous dit Marx, annonce la dissolution de l'ordre actuel du monde, il ne fait qu'énoncer le secret de sa propre existence car il constitue la dissolution effective de cet ordre du monde ».
Cette destruction, loin de s'affirmer pourtant comme une action aveugle et strictement déterminée - une sorte de produit direct, mécaniquement engendré par un certain nombre de causes économiques -, exige du sujet qui l'accomplit une pleine conscience du but à atteindre.
Mais si l'on s'en tient à une vision bourgeoise de l'histoire, cette conscience, définie comme un sentiment que l'on possède de son existence, ne dépasse pas la catégorie intellectuelle et subjective d'une somme d'idées appliquée à cerner ce qui est.
Car pour toute science bourgeoise, la pensée, la conscience détachée du mouvement général de la matière est avant tout affaire d’individus isolés ou de groupes d'individus ayant vaguement certains intérêts en commun. Ainsi en raisonnant toujours avec les mêmes déformations grossières de l'idéologie dominante, elle ne conçoit le processus de la prise de conscience que selon un mécanisme purement mental qui amènerait l'individu ou même un groupe social, après une suite de causes - réaction - réflexion - action, à prendre conscience de ce qu'il est. Transposant ce mouvement de l'être isolé à celui d’une classe sociale, cette façon de concevoir en arrive à symboliser et à figer les classes sociales sous une forme individuelle et mythique. Le prolétariat se présente alors sous une apparence solidifiée, objectivée en simple catégorie économique. On le compresse sous la forme d'un bloc compact qui aurait à « prendre conscience », comme une individualité de ce qu'il est et de ce qu'il a à accomplir. Et de cette coupe savante et verticale dans l’être social on en conclut que le prolétariat n'est plus que classe pour le capital ou qu'il suffit en tant que "masse" agissante d'attendre qu'une prise de conscience se fasse de manière homogène et simultanée dans le cerveau de chaque ouvrier ou encore qu'il n'est rien d'autre qu'une sorte de corps humain dont la tête serait le parti, les pieds les conseils, etc.
Cette façon tout à fait erronée de concevoir un processus historique d'une classe sociale et déjà critiquée par Marx dans les Thèses sur Feuerbach, s'explique par le fait que la bourgeoisie, incapable de se remettre elle-même en question ne pense jamais autrement qu'en stratifications, en catégories, en séparations arbitraires. Il n'existe pour elle qu'une réalité accomplie et achevée du monde en dehors de la pratique, une matière inchangée et morte, une pensée appliquée comme un voile extérieur à la réalité sans transformer celle-ci.
La forme et le contenu, l'objet perçu et le sujet pensant, l'idée et la matière, la théorie et la pratique se retrouvent associés, collés dos à dos en couple inséparable certes mais différenciés, envisagés chacun selon un mode d'existence propre.
Le monde des concepts s'élabore, se déploie et, opposé à lui, placé en arrière plan de la conscience, le monde des objets se contente "d’être là". Quant à leur unité ne dépassant pas pour l'esprit celle des droites parallèles se rejoignant à l'infini, elle relève d'un simple tour de passe-passe intellectuel.
C'est qu'en effet, et c’est le défaut de tout matérialisme vulgaire même s'il reconnaît les déterminations de la matière, de ne considérer l'objet que sous la forme extérieure et indépendante du sujet et non comme pratique humaine. La conscience de classe n'a plus qu'à se laisser condenser en programme théorique et à être porté par une minorité pendant que le prolétariat s'agite dans le monde de la matière, incapable d'arriver à la conscience autrement que par l'intermédiaire d'une liaison, d'une charnière nécessaire : le parti, médiation entre expérience et conscience de la classe. Ou bien elle ne constitue plus pour le prolétariat qu'une sorte de réponse instinctive et immédiate aux stimuli extérieurs et les révolutionnaires, de peur de troubler et de violer ce métabolisme naturel, n'ont qu'à s'enfouir comme les autruches la tête sous le sable à attendre que les choses se fassent spontanément.
Les révolutionnaires quant à eux ne se contentent pas de cette vue simpliste. Parce qu'ils sont conscients que la vision qu'ils ont de la réalité n'est pas produite du hasard ou fille de la volonté individuelle, parce que le rôle essentiel qu'ils jouent dans la réalité sociale ne se borne pas à une constatation intellectuelle ou empirique des conditions objectives et subjectives de la révolution communiste. Et ce qui pourrait apparaître comme trop abstrait ou trop théorique dans leur réflexion ne constitue pas autre chose qu'un pas nécessaire dans la mise en pratique de leur intervention organisée.
Car imaginer théoriquement un mouvement, essayé de photographier mentalement un processus, cela revient un peu à vouloir voyager sur une rivière tout en restant sur la berge. C'est pourquoi les révolutionnaires, parce qu'ils n'ont pas d'intérêts distincts de ceux du prolétariat, ne se contentent pas de représentations ou de schémas abstraits, de descriptions journalistiques et immédiates de la réalité sociale. Partie prenante d’un tout, produits et facteurs d'un procès historique, leurs réflexions théoriques constituent en dernière instance une prise de position politique sur la réalité, un désir de transformation radicale de la société. ([1] [34])
Dans cette mesure là, ces réflexions sur la conscience de classe et le rôle des révolutionnaires et du parti ne doivent absolument pas être abordées par leur côté purement théorique. Si les premiers éléments d'analyse avancés ici se bornent encore à tracer de grandes lignes générales, d'autres facteurs puisés dans l'expérience même de la lutte de classe viendront renforcer, modifier ou préciser de nombreux points. Seule l'activité de la classe peut en dernière instance confirmer ou infirmer la théorie révolutionnaire.
« Et tous les systèmes qui entraînent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique ». Marx, Thèses sur Feuerbach - VIII.
LES CONDITIONS DE LA REVOLUTION COMMUNISTE
I - Le mode de production capitaliste, en achevant le cycle de la valeur, ne peut être dépassé que par l'action d'une classe consciente dans son ensemble et unie mondialement : le prolétariat.
Et cette condition est d'une importance tellement capitale qu'elle est la seule à pouvoir nous éclairer sur le caractère spécifique de la révolution communiste et le passage d'un mode de production basé sur la loi de la valeur à un mode d'existence supérieur.
Il existe en effet un gouffre entre ce que l'humanité a connu jusqu'à présent au niveau de son développement historique et le saut qualitatif qu'elle se prépare à accomplir pour clôturer ce cycle et libérer l'homme de toute exploitation quelle qu'elle soit. Et cette différence immense est d'autant plus difficile à concevoir que la succession des divers modes de production dans l'histoire s'est déroulée comme un processus nécessaire déterminé et plus ou moins inconscient parce que réalisé jusqu' à aujourd'hui par une classe révolutionnaire déjà porteuse du pouvoir économique dans l'ancien mode de production périmé. Cette différence qualitative se mesure au niveau de la conscience historique qu’exigera la destruction du mode de production capitaliste et sa transformation vers le communisme. Cette conscience loin de pouvoir se réduire à un simple phénomène mental, idéologique ou individuel doit être replacée dans le contexte d’une classe sociale.
II - Le concept de classe sociale comprise non comme simple classification ou catégorie économique ou addition d'individus isolés, repose essentiellement sur un devenir historique que forgent des intérêts politiques communs.
Le prolétariat n'existe vraiment en tant que classe qu'au travers du mouvement historique qui l'oppose mortellement au capitalisme, et ce mouvement n'a lui-même de fondement réel que dans le processus de la prise de conscience qui l'accompagne.
La révolution communiste se démarque donc fondamentalement de toutes les révolutions antérieures dans la mesure où pour la première fois dans 1’histoire de l'humanité une classe révolutionnaire, porteuse de nouveaux rapports sociaux ne possède aucun pouvoir économique au sein de l'ancienne société. Le prolétariat est la première et la dernière classe révolutionnaire dans l’histoire qui soit aussi une classe exploitée. Ce qui signifie bien qu’elle soit contrainte, de par la place socio-économique qu'elle occupe dans le mode de production capitaliste, d'avoir une entière conscience de ses buts historiques ; c'est en effet la seule classe qui ait la possibilité objective et subjective de prendre conscience de l'ensemble de la société. Le prolétariat ne possède aucune racine économique dans le sol capitaliste ; il n’existe aucune possibilité pour lui de développer sur la base de ces racines les ramifications de l'idéologie parce qu'il ne possède plus en lui les graines d'une nouvelle exploitation de l'homme par l'homme.
Alors que l'idéologie présuppose une superstructure politico-juridique et une infrastructure économique déterminée par des forces productives qui continuent à dominer l' homme, le processus de prise de conscience ne peut se faire chez le prolétariat que comme condition préalable à la prise du pouvoir et au changement total de l'infrastructure capitaliste.
III – Le prolétariat est la seule classe dans l'histoire pour laquelle la nécessité historique de la destruction du système d'exploitation coïncide pleinement avec ses intérêts de classe révolutionnaire, intérêts eux-mêmes liés aux intérêts de l'humanité toute entière.
Aucune autre classe ou couche sociale dans la société ne peut véhiculer cet avenir historique. C'est pourquoi ces classes ne peuvent pas prendre conscience de la nécessité d'une transformation de l'ensemble de la société et cela même si elles possèdent le vague sentiment de la barbarie sociale qui les entoure (sentiment d'ailleurs toujours récupéré d'une manière ou d'une autre par la classe dominante et la cécité de l'idéologie bourgeoise).
Du point de vue capitaliste et donc de l'idéologie, la connaissance du caractère historique et transitoire de la société est évidemment impossible. Les rapports sociaux étant pour la bourgeoisie des rapports figés, éternels, et planant au-dessus de la volonté humaine. Même si la bourgeoisie dans ses mystifications contre la classe ouvrière opère avec plus ou moins de lucidité, elle mettra tout en œuvre pour faire disparaître de la conscience sociale le fait de la lutte de classe. Les limites objectives de la production capitaliste déterminent de cette manière les limites de sa "conscience" qui n'est, de part ces frontières, que simple idéologie.
C'est dans cette mesure là que les principales mystifications de la bourgeoisie actuellement consistent à essayer de faire croire au prolétariat qu'une nouvelle gestion plus adéquate du système peut reculer indéfiniment l'effondrement du capitalisme.
IV - La conscience de classe, loin de coïncider avec le concept de l'idéologie, en est avant tout la négation première, l'antithèse fondamentale. Il s'agit avant tout aujourd'hui de sortir l'homme de la léthargie dans laquelle il est plongé, de rendre le monde conscient de lui-même et de ses actions, ce qu’aucune idéologie n’est à même de réaliser. Parce que l'idéologie, produite par des facteurs économiques et une réalité sociale aliénée, attribue aux objets une existence autonome et à la connaissance un pouvoir d'abstraction en dehors de toute contingence matérielle, il lui est impossible d'opérer une transformation critique et pratique de la société. La conscience de classe révolutionnaire, loin de simplement précéder l'action, de la diriger vers un but précis, est avant tout processus de transformation de la société ; un procès vivant qui, produit par le développement et l'exacerbation de la contradiction du mode capitaliste décadent, contraint une classe sociale à réaliser l'essence de son existence au travers d'une négation pratique et théorique (et donc consciente) de ses conditions de vie. L'histoire de ce procès recouvre l'histoire de la lutte du prolétariat et celui des minorités révolutionnaires qui ont surgit comme partie prenante de ce combat.
LES CARACTERISTIQUES DE LA PRISE DE CONSCIENCE
I - Les différences essentielles entre idéologie et conscience de classe se fondent sur l'origine même de l'idéologie et ses racines matérielles. Racines qui plongent dans l'histoire de la division du travail, la séparation des producteurs d'avec leur produit, l'autonomie des rapports de production et la domination de l'homme par la forme matérielle de son propre travail. Les lois inhérentes au capitalisme, lois qui se caractérisent par la domination du travail mort sur le travail vivant, la prépondérance de la valeur d'échange sur la valeur d'usage et le fétichisme de la valeur, entraînent la transformation de rapports sociaux en rapports entre choses et conditionnent l'apparition de rapports juridiques où le point de départ de ces rapports est individu isolé.
C'est elles aussi qui par le biais de la spécialisation enlèvent à l'homme l'image de la totalité et le maintiennent prisonnier d’une série de catégories séparées, isolées et indépendantes les unes des autres (la nation, l'usine, le quartier…) La vision de la totalité n'est plus alors qu'une simple addition de domaines particuliers du "savoir", savoir lui-même détenu par des spécialistes.
La conscience de classe quant à elle s'affirme comme vision de la totalité et conscience de l'ensemble de la classe. Elle constitue un processus éminemment collectif. Son point de départ est celui d’une classe unifiée dans la lutte, déterminée à détruire les rapports sociaux capitaliste, elle implique la domination déterminante du tout sur les parties. Mais cette totalité ne peut être posée que si le sujet qui la pose est lui-même une totalité, et ce point de vue de la totalité comme sujet, seule une classe le représente. C'est pourquoi le prolétariat pour s'unifier en classe consciente devra briser tout cloisonnement, toute séparation, toute frontière quelle qu'elle soit et imposer la dictature de ses conseils ouvriers au de là des nations.
Une autre conséquence de la réunification dans la conscience sociale est la séparation entre les parties et le tout, le but partiel et le but final, la lutte économique et la lutte politique. Dans cette période de décadence du capitalisme, où toute réforme est devenue impossible et où la révolution est à l'ordre du jour, les luttes économiques tendent à se transformer en luttes politiques et à s'attaquer de front au système. Le prolétariat est amené à transformer consciemment la société, c'est pourquoi la vision de la totalité implique pour lui la compréhension de la contradiction dialectique entre intérêt immédiat et but final, entre le moment isolé et la totalité. Le moment isolé, c'est-à-dire sa situation de classe atomisée et mystifiée, étant lié au système capitaliste, le prolétariat doit s'unifier mondialement et passer d'une catégorie économique à une classe révolutionnaire. Cette unification en classe consciente, le prolétariat seul est capable de l'accomplir, parce que la nature du travail associé lui confère la possibilité de cette vision globale.
II - La nature de cette prise de conscience qui en fait avant tout une conscience de classe, nous permet de comprendre l'opposition fondamentale qui s'élève dès à présent entre idéologie et conscience. Et ce n'est pas par purisme linguistique que nous affirmerons qu'il n'existe pas d'idéologie prolétarienne ou de science révolutionnaire, pas plus qu'il n'existe pour une minorité révolutionnaire la possibilité de "porter" ou "d'incarner" cette conscience de classe.
Ramenant tout un phénomène historique à la fois pratique et théorique à la simple expression d'une réflexion cristallisée dans le programme, patrimoine du parti, les léninistes ou bordiguistes de toute tendance appréhendent la nature de la conscience de classe avec les mêmes vices de raisonnement qui permettent aux mystiques d'affirmer que l’Ostie incarne le corps du Christ.
C'est qu'en effet l'idéologie et le mysticisme doivent leur existence au fait que la séparation entre travail manuel et travail intellectuel a rendu possible l'apparition d’une pensée qui se caractérise par la distance qu'elle cherche à placer entre sa propre réalité et les conditions matérielles de son existence et par son souci d'apparaître comme pensée indépendante et autonome, agent causal unique du mouvement qui anime la matière. Concevant la réalité comme une série de médiations, étapes nécessaires entre l’homme et la matière, l’idéologie bourgeoise se refuse à reconnaître son origine véritable. Attribuant à la réalité une existence indépendante, elle oppose au matérialisme métaphysique un idéalisme véritablement cause de l'action, et en reléguant la pratique dans sa basse manifestation naturelle.
La conscience de classe, quant à elle, coïncide pleinement avec la réalité sociale dans la mesure où sa raison d'être est produite par le développement historique de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production et que cette nécessité d'un changement radical des rapports de production demande une vision globale et vraie de l'ensemble de la réalité sociale.
La conscience de classe reconnaît son origine et son objet : le prolétariat comme noyau vivant de la production, classe sociale en constant devenir. Le processus de la prise de conscience du prolétariat, fondé sur l’unité dialectique entre l'être et la pensée, rejette toute forme d'intermédiaire de médiation entre l'Existence et la Conscience ; elle devient conscience de soi et renoue par là l'unité entre l’Homme et la Réalité.
III - Le prolétariat est contraint de vendre sa force de travail comme simple objet par rapport à l'ensemble de sa personnalité et c'est cette objectivité et la scission opérée ente la force de travail, objet soumis à l'exploitation et le sujet qui la vend qui permet à la prise de conscience de se réaliser. C'est au travers de sa lutte contre l'exploitation capitaliste que le prolétariat peut se percevoir à la fois comme sujet et comme objet de la connaissance. Cette perception et la conscience de son extrême dénuement et de son inhumanité, est en même temps dévoilement de toute la société et destruction de celle-ci.
Ainsi, en détruisant l'ensemble de la société, le prolétariat ne fait qu'énoncer l'essence de sa propre existence étant lui-même négation de la société (le seul rapport social existant entre le capitalisme et le prolétariat étant la lutte de classe). La réalisation du prolétariat comme classe pour soi passe par la destruction du système ; la conscience est facteur et produit de ce processus. La connaissance de soi est pour le prolétariat connaissance de l'essence de la société, elle n'est pas prise de conscience sur un objet mais conscience de soi de l'objet, dans cette mesure là, elle est déjà pratique et opère une modification dans l'objet. En reconnaissant le caractère objectif du travail comme marchandise, ce processus permet de dévoiler le fétichisme de toute marchandise et de révéler le caractère humain de la relation capital-travail.
Les illusions, les mystifications, les cloisonnements imposés à la pensée par l'idéologie ne sont donc que les expressions mentales d’une réalité elle-même réifiée d’une structure économique basée sur l'exploitation de l'homme par l’homme et leur négation ne peut être accomplie par un simple mouvement de la pensée, mais bien par un dépassement pratique. C'est pourquoi, la conscience de classe n'est pas simplement une remise en question théorique du capitalisme, elle procède avant tout d’une critique et d’une destruction matérielle du système dans son ensemble.
La conscience de classe, en reconnaissant la nature historique des lois économiques, dévoile le caractère historique et transitoire du mode de production capitaliste, cerne les limites objectives de celui-ci et analyse les périodes historiques de la société. Ce dévoilement est un processus qui accouple théorie et pratique dans la mesure où chaque illusion qui tombe, chaque mystification dévoilée correspond à la volonté pratique de destruction de l'esclavage salarial.
IV - Pourtant si cette conscience historique émerge de la nécessité pour le prolétariat que la connaissance totale de la réalité s'ouvre à partir de son point de vue de classe, cela ne signifie pas pour autant que cette connaissance lui soit immédiatement donnée.
Bien au contraire, le caractère de classe de ce processus s'accorde précisément avec le développement hétérogène et douloureux d'une pratique et d'une théorie ouvrière confrontées dès leur naissance aux pressions coercitives de la bourgeoisie.
Le prolétariat, quelle que soit son unité dans la lutte, n'agit pas comme une individualité unique et mécaniquement dirigée vers un but. La contradiction dialectique qui existe entre sa situation de classe révolutionnaire et de classe exploitée, son dénuement total au sein de la société, le détermine à être la première victime de l’idéologie bourgeoise. Incapable de développer sa conscience selon le principe stable d'une idéologie ou d'une série de recettes pratiques, étant à la fois sujet et objet de la connaissance, le prolétariat ne prend conscience de sa situation que dans un processus réel lié aux conditions matérielles de son existence sociale.
Ce sont ces conditions objectives et la présence toujours oppressante de l'idéologie dominante qui contraignent le prolétariat à secréter, comme partie intégrante de sa tendance à se constituer en classe révolutionnaire, les minorités révolutionnaires en vue d’accélérer le processus de théorisation de ses acquis historiques et leur diffusion au sein des luttes. La conscience de classe n'est donc pas "miroir" de la réalité, reflet mécanique de la situation économique de la classe ouvrière (elle n'aurait dans ces conditions aucun rôle actif), et ne se produit pas spontanément sur le sol de l'exploitation capitaliste.
Elle surgit en réalité de la convergence de plusieurs facteurs parmi lesquels les prémices économiques, bien qu’indispensables, sont nettement insuffisants. La lutte économique du prolétariat ne suffit pas à engendrer tout un mouvement théorique et pratique, elle ne joue pas en effet le rôle magique du créateur, démiurge unique et tout puissant dont certains spontanéistes ont fait leur idole.
La lutte de classe n'est pas une entité en soi séparée du monde et donatrice du mouvement de la matière, elle est le monde, s’est forgée par lui et l'a forgé à son tour.
Dans cette mesure là, seule la réunion de plusieurs éléments enfantée au cours du développement de la lutte de classe peut, en dernière instance, amener la conscience socialiste à son niveau historique le plus élevé. Ces éléments sont, essentiellement :
a) la contrainte économique subie par le prolétariat et sa situation de classe exploitée ;
b) les données objectives de la période et le niveau atteint par les contradictions du système (décadence du capitalisme, exacerbation de la crise) ;
c) le niveau de la lutte de classe répondant à cette situation et la tendance plus ou moins développée du prolétariat à s'organiser en classe autonome ;
d) l'influence de plus en plus décisive des groupes révolutionnaires dans la lutte et la faculté du prolétariat à se réapproprier sa théorie révolutionnaire.
Aucun de ces éléments ne peut, envisagé pour lui-même être détaché des autres et s'ériger en principe causal unique du mouvement.
Il est bien évident que la contrainte économique ou la théorie révolutionnaire s'imposent comme facteurs actifs dans le développement de la conscience prolétarienne mais ils ne constituent pas en eux-mêmes la cause première du processus. Rechercher une cause prédominante et isolée à tout un mouvement revient à figer celui-ci en tombant dans un débat tout à fait stérile du type : de l'œuf ou de la poule, qui est la cause de l’autre?
LE ROLE DES REVOLUTIONNAIRES ET DU PARTI
Définir la conscience du prolétariat comme un processus historique propre à une classe sociale et se caractérisant par l'affirmation sur la scène de l'histoire de "l'être conscient", cela revient à ne pas dépasser le palier de la simple constatation passive.
En nous arrêtant à ce stade nous n'aurions fait que disserter théoriquement sur les caractéristiques de la prise de conscience sans saisir les raisons objectives qui nous poussent à formuler de telles définitions. Or, c'est en dépassant l'aspect purement théorique de leur activité que les révolutionnaires prennent conscience de leur rôle historique comme élément agissant d'un tout.
On ne fait pas tomber un mur en soufflant dessus, on ne détruit pas tout un système d'exploitation en faisant des vœux pieux et des réflexions philosophiques. C'est en assumant pleinement leur responsabilité face à la classe ouvrière que les révolutionnaires peuvent accélérer le processus de la prise de conscience du prolétariat et sa constitution en classe autonome. Cette responsabilité nécessite une vision claire de leur fonction, une mise au point des tâches historiques pour lesquelles ils ont été constitués.
I - La nature et la fonction des groupes révolutionnaires et du Parti ne peuvent réellement s'expliquer qu'au travers de la nature profondément contradictoire du processus de la prise de conscience du prolétariat, contradiction qui sous-tend, s'accouple au mouvement même de la lutte de classe et continuera à marquer la période de transition jusqu'à la disparition de toutes les classes.
Contradiction entre la situation de la classe ouvrière comme classe exploitée et ses tâches historiques qui vont dans le sens de l'abolition de toute exploitation quelle qu'elle soit. Contradiction entre l'impossibilité pour le prolétariat de se forger une "idéologie" prolétarienne sur base d'un pouvoir économique quelconque et la nécessité impérieuse de théoriser ses acquis et d'avoir pleinement conscience de ses buts historiques. C'est ainsi que s'impose au prolétariat l'obligation :
- d'une part d'assumer en pratique et par ses luttes quotidiennes la condition fondamentale à la révolution communiste : "l'émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes" ;
- d'autre part de se forger les armes théoriques indispensables à son émancipation consciente alors qu'il lui est impossible d'échapper entièrement à l'influence de l'idéologie dominante.
Les minorités révolutionnaires apparaissent donc comme les produits de cette nécessité contradictoire. Elles surgissent comme partie prenante du prolétariat et pourtant n’en sont pas pour autant des membres sociologiques. La classe économique dominante étant celle qui dispose des moyens de production matériels et idéologiques, le prolétariat est incapable de donner naissance à une culture ou une idéologie qui lui serait "sociologiquement immanente" car cela impliquerait un intérêt économique qui viserait à perpétuer sa situation de classe exploitée. Dans cette mesure là, c'est un critère politique qui définit les révolutionnaires comme membres effectifs du prolétariat et leur assigne la tâche de théoriser les acquis historiques de la classe et de faire en sorte que ceux-ci deviennent le fait du plus grand nombre possible.
II - Parce que s'impose pour le prolétariat la nécessité d'opérer un bouleversement conscient de l'ancienne société, cette transformation à la fois pratique et théorique exige une vision claire, «une intelligence nette des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien ». Tant que subsisteront l'antagonisme de classe et l'exploitation capitaliste, cette vision des buts finaux du mouvement restera confrontée à l'influence coercitive de l'idéologie bourgeoise et dans cette mesure là ne sera pas immédiatement donnée à la majorité du prolétariat. La diffusion et l'élargissement de la théorie révolutionnaire et de la conscience des buts ultimes de la révolution prolétarienne à l'ensemble de la classe ne constituent pas un phénomène "naturel" en progression mathématique linéaire, elle est avant tout le produit d'un effort organisé de la classe. Cette tentative consciente du prolétariat de se doter d'une théorie révolutionnaire et de tirer les leçons de ses luttes passées, se matérialise dans l'apparition des minorités révolutionnaires et la constitution de celles-ci, lors de périodes de montée révolutionnaire, en Parti.
Cette tension constante au sein du prolétariat dans la constitution d'un Parti révolutionnaire n'est absolument pas comparable à l'action volontariste d'individus ou de groupes d'individus qui entendraient construire un parti révolutionnaire en vue de suppléer à l'action de la classe dans son ensemble. Le surgissement de la théorie révolutionnaire, comme celui des groupes révolutionnaires, n'est pas le fruit d'une volonté individuelle, ou le fait de quelques principes nouveaux "découverts par tel ou tel réformateur du monde", il concrétise le développement d’une lutte de classe réelle et celui d'un besoin vital au sein du prolétariat.
III – Ce n'est donc pas au niveau abstrait que le prolétariat s’est pensé en classe, mais bien au niveau de son action concrète, par ses luttes incessantes en confrontations avec les conditions objectives de la période. De cette pratique historique a surgi non pas une série de principes dogmatiques appliqués comme recette théorique à la lutte de classe mais l'expression théorique de cette expérience. La théorie révolutionnaire ne constitue pas un somme définitive et invariante de principes, mais bien le reflet d'une activité concrète du prolétariat explicitée et globalisée au niveau théorique par les groupes révolutionnaires et réappropriée par la classe. Ainsi, à chaque problème vérifié par la lutte et l'organisation de la classe correspond un nouvel apport théorique, qui sera lui-même transformé en réalité pratique par l'intervention qu'il aura dans les luttes futures. Ainsi, produite par l'être social des luttes, la théorie puise son énergie dans la pratique et transforme à son tour la clarté politique des luttes à venir.
Se développant à partir des luttes concrètes de la classe, la théorie révolutionnaire, véhiculée par les groupes révolutionnaires, ne reste pas pour autant le trésor caché de ceux-ci. Bien au contraire le rôle même des révolutionnaires et du Parti concrétise le souci fondamental du prolétariat de se réapproprier ses acquis historiques pour en faire la réalité du plus grand nombre. Leur fonction consiste à diffuser cette théorie au sein de la classe, en sachant bien que cette diffusion est un phénomène qui se déroule au sein même du prolétariat et qu'il ne s'agit pas de "réinjecter" une théorie dans la pratique ou de figer la théorie en ferment chimique premier de tout un mouvement historique.
Théorie et pratique se complètent, s'interpénètrent ; favoriser l'un au détriment de l'autre, insister sur le facteur causal de la théorie ou au contraire ignorer le côté actif de la théorie, risque de nous entraîner dans les voies dangereuses du volontarisme ou de l'académisme.
IV - Ce n'est pas parce qu'il existe des groupes révolutionnaires que le prolétariat est une classe révolutionnaire, la bourgeoisie pourrait en effet supprimer dans le monde la présence de tous les révolutionnaires, elle ne ferait que retarder l'échéance de sa propre mort sans pouvoir arrêter la lutte de classe et empêcher le prolétariat de reconstituer des groupes révolutionnaires. Ce n'est pas en détruisant les premières fleurs écloses d'un arbre qu'on freine définitivement tout le processus de reproduction de celui-ci.
Les révolutionnaires, dans cette mesure là, tout en n'ayant pas d'intérêts distincts et sans être séparés du prolétariat, n'en sont pas pour autant synonymes de la classe. Ils n’en sont qu'une partie, la partie la plus déterminée, celle qui, sans être l'état-major d'une armée inconsciente et encadrée ou le grand timonier de la révolution, trace les grands axes généraux de la lutte, indique la direction finale du mouvement. Leur fonction ne consiste pas à préparer la direction "technique" des luttes, ce ne sont pas eux qui « par des mots d'ordre justes donnent organiquement naissance aux conditions et aux possibilités de l'organisation technique du prolétariat » (Lukacs). Leur rôle n'est pas d'organiser la classe, de diriger l'organisation autonome du prolétariat par voie de recettes pratiques sur telle ou telle forme d'organisation unitaire mais de toujours mettre en avant la direction politique générale du mouvement.
V - Que le parti n’ait pas à se substituer à la classe n’implique absolument pas que son existence représente un pis-aller, un mal nécessaire qu’il faudrait atténuer ou éviter le plus possible. Les révolutionnaires, et le Parti existent comme produits nécessaires, éléments indispensables au processus de la prise de conscience du prolétariat. Nier leur fonction sous prétexte des erreurs substitutionnistes du passé, c'est faire preuve de purisme stérile, c'est enlever au prolétariat une de ses armes vitales. Leur tâche historique, loin de concrétiser un palliatif quelconque, rejoint une tendance générale du prolétariat à se constituer en classe révolutionnaire consciente. Eléments les plus combatifs et les plus déterminés au sein de la classe ouvrière, ils développent au sein des luttes prolétariennes une intervention organisée dans la perspective de mettre en avant les buts ultimes du mouvement. Leur participation active au sein des luttes exerce sur l’organisation générale du mouvement de la classe une influence décisive. Influence qui peut effectivement se matérialiser par la direction politique générale de la lutte et l'accélération de la constitution du prolétariat en classe autonome en vue de la prise du pouvoir et de la destruction de l'esclavage salarial.
Les révolutionnaires et le Parti n'ont pas à se substituer à la classe, ce qui implique que leur fonction, tout en étant indispensable, ne constitue pas une fin en soi, une œuvre achevée et parfaite qui pourrait agir à la place du prolétariat ou faire pénétrer dans le mouvement de masse spontané de la classe la « vérité » qui lui serait immanente pour "élever" le prolétariat de la nécessité économique de son origine à l’action consciente et révolutionnaire. C’est pourquoi, étant un élément actif et constitutif du prolétariat, engagé à participer pleinement au développement de 1a prise de conscience de la classe, le Parti n’est en rien médiation entre théorie et pratique, expérience et conscience. L’un et l’autre, le Parti et la classe, matérialisent l’unité entre théorie et pratique ; cette unité identique aux deux ne demande pas à être assumée par un intermédiaire (on ne peut effectivement placer un intermédiaire qu’entre deux entités préalablement séparées), elle est un processus vivant qui détermine aussi bien le Parti que l'action de la classe dans son ensemble et son organisation unitaire en conseils. Faire du Parti la médiation entre théorie et pratique, cela revient à concevoir la théorie comme extérieure au prolétariat, comme patrimoine unique du Parti qui devient alors seule force capable de « renverser le sens de la praxis », cela revient à castrer le prolétariat de toute possibilité consciente et politique dans sa prise de pouvoir. Car, en suivant ce raisonnement, les conseils ouvriers se transformeraient en coquilles vides, en organes administratifs et étatiques dans lesquels le contenu révolutionnaire serait apporté par le Parti. Il devient très logique dans cette mesure là de remettre aux mains du Parti la direction réelle de la dictature de la société et de le mettre à la tête de l'Etat de la dictature du Prolétariat.
Le Parti ne représente pas un organisme de direction ou d'exécution, un organe créé par le prolétariat en vue de la prise du pouvoir. L’idée selon laquelle la direction de la dictature ouvrière est le fait d'un Parti révolutionnaire unique, constitué en Parti de masse pendant la période postrévolutionnaire manifeste une incompréhension grave quant au but politique réel du Parti. Le Parti ne vise pas en effet à gonfler démesurément en vue de s'incorporer le plus d'éléments possible. Sa fonction n’est pas celle d'un Parti unique totalitaire et étatique. Bien au contraire, il restera toujours l'expression d'une partie de la classe, et sa raison d’être tendra à disparaître au fur et à mesure que la conscience socialiste deviendra le fait de l’ensemble de la classe.
CONCLUSIONS
L'inadéquation entre les rapports de production et les forces productives a atteint un tel degré de développement dans la période qui suit la Première Guerre mondiale qu’elle révèle aujourd'hui le caractère mensonger des idéologies correspondant aux rapports sociaux rendus caducs et contraint la bourgeoisie d'employer toute une série de mystifications qui consistent à dévoyer les luttes ouvrières de leur but véritable.
Ces différences essentielles avec la période ascendante affectent fondamentalement l’unité entre la théorie et la pratique dans la mesure où le développement des conditions objectives permettant la révolution communiste renforce cette unité.
Or, il se fait qu'en période de décadence la révolution communiste devenue une possibilité objective et la pratique des luttes de classe se radicalisant dans ce sens, la théorie tend de plus en plus à saisir l'objet premier de son analyse, la conscience de classe, comme unité réelle des deux, s'affirme dans son processus qui n’est que le processus de l'être conscient. Ce renforcement de l'unité entre l'être social du prolétariat et sa théorie se traduit tout au long de l'histoire de la classe ouvrière en période de décadence par l'apparition des organisations révolutionnaires de la classe se donnant comme objectif, non plus l'amélioration des conditions d'existence du prolétariat dans le système capitaliste, mais bien la mise en avant pour la classe ouvrière de la destruction du mode de production capitaliste par la violence et la prise du pouvoir politique au travers de ses organisations autonomes.
Alors qu'en période ascendante du capitalisme, l'organisation permanente du prolétariat au sein de partis de classe ou de syndicats signifiait pour celui-ci les luttes pour des réformes réelles et durables, l'apparition de minorités révolutionnaires ne pouvait se faire que dans un cadre encore limité. Aujourd'hui toute forme permanente d'organisation de 1a classe est irrémédiablement voué à disparaître ou à être intégré à la contre révolution ; quant aux minorités révolutionnaires, elles ne se bornent pas simplement à théoriser les acquis de l’expérience prolétarienne, leur pratique au sein de la lutte de classe peut être un réel facteur de transformation et d'éclaircissement de la perspective historique de celle-ci. La théorie ne tend plus simplement à se réaliser dans la pratique, mais la réalité elle-même tend et va s'incorporer la pensée, c'est-à-dire que le prolétariat tend à se réapproprier la théorie en prenant conscience, à la suite de ses luttes, des frontières de classe comme acquis de son passé historique.
Le programme révolutionnaire n'est donc pas simplement une somme de positions plus ou moins souples suivant les variations de l'actualité. Il est issu de la liaison historique qui unit les différents moments d'apparition du prolétariat en tant que classe pensante et agissante pour sa mission historique qui est la destruction du capitalisme.
L'intervention des révolutionnaires ne représente rien d’autre que la tentative pour le prolétariat d'arriver à la conscience de ses intérêts véritables en vue de dépasser la simple constatation empirique des phénomènes particuliers, en cherchant la relation avec ses principes généraux tirés de son expérience historique. Parce que la mise en avant incessante des frontières de classe, la clarification théorique de plus en plus profonde des buts historiques du prolétariat ne concrétisent en fin de compte que la nécessité pour celui-ci d'avoir pleinement conscience de sa pratique, l'existence des organisations révolutionnaires est bien le produit de cette nécessité. Parce que cette prise de conscience précède et complète à la fois la prise du pouvoir du prolétariat par les conseils ouvriers, elle annonce un mode de production où les hommes, enfin maîtres des forces productives, développeront celles-ci en pleine conscience pour que s'achève le règne de la nécessité et que commence celui de la liberté.
J.L. Juillet 1976.
[1] [35] Aujourd'hui, à l'ère des révolutions sociales alors que le prolétariat ressurgit sur la scène de l'histoire, leur intervention est d'autant plus vitale que un demi siècle de contre révolution et de confusion a pesé sur la lutte de classe, falsifiant grossièrement la théorie révolutionnaire, entraînant certains groupes dans les marécages de la dégénérescence, et exigeant des minorités révolutionnaires actuelles une clarification théorique indispensable en vue d'une pratique organisée au sein des luttes.
INTRODUCTION
Nous publions ici un texte de la "Frazione Communista de Naples" qui est son document final. La "Frazione" a commencé comme un cercle de discussion en 1975 sur la base de la lecture des textes du CCI et d'autres courants politiques. La plupart de ses membres venaient du milieu contestataire, cherchant à rompre avec le "gauchisme" extraparlementaire pour retrouver les positions révolutionnaires. L'évolution de la discussion politique a abouti à ce que, d'une part, les membres du noyau fondateur adhèrent au CCI, et, d'autre part, le cercle de la "Frazione" se dissolve en tant que tel. Avec le présent document, les ex-camarades de la "Frazione" cherchent à rendre leur expérience consciente et explicite, à laisser une trace de leur évolution afin d'aider la compréhension d'autres éléments qui se trouvent et se trouveront dans la même situation.
Leur document montre tout le côté inévitable et positif du surgissement des "cercles de discussion politique" aujourd'hui ; le réveil de la lutte de classe à la fin des années 60 a trouvé le mouvement révolutionnaire dispersé, coupé du lien organique avec les organisations du passé. Le besoin de créer des "cercles" pour contribuer à la clarification politique trouve sa raison d'être dans la difficulté de s'orienter après tant d'années de contre-révolution. Cependant le document rend compte également des ambiguïtés et des difficultés rencontrées au cours de l'évolution politique. Nous cherchons donc, à travers, cette expérience particulière faite à Naples, à dégager les enseignements généraux de ce processus de prise de conscience.
L'un des dangers principaux de tout "cercle de discussion", c'est que ces membres le prennent pour ce qu'il n'est pas et ne peut pas être : un groupe politique achevé. En effet, un "cercle de discussion" est l'expression d'un moment dans un processus de clarification politique ; c'est un lieu relativement ouvert où la discussion et la recherche politique se poursuivent à travers la confrontation des idées. Tout autre chose est un groupe politique basé sur une plate-forme cohérente qui se concrétise dans une organisation au niveau international afin d'assumer la responsabilité de l'intervention dans la classe. Il ne faut pas confondre le processus et son aboutissement: soit en figeant un moment de l'évolution des cercles dans une "demi plate-forme" inachevée et incohérente, soit en s'érigeant en "organisation" locale et isolée, soit en voulant intervenir comme corps politique dans la lutte de classe sans définition politique claire. La "Frazione Communista" s'est heurtée à ces difficultés quand elle a voulu tenter d’établir une plate-forme partielle, et aussi à propos de la responsabilité politique qu'impliquaient ses publications (intervention). Les ex-camarades de la "Frazione" se rendent compte eux-mêmes dans leur texte que l'idée d'écrire une "mini plate-forme" pour la "Frazione" correspondait effectivement à l'impulsion de préserver "l'autonomie" à Naples pour "résister" à la pression politique d’autres groupes politiques, notamment le CCI, bien que cette raison n'ait pas été entièrement consciente à l'époque. Malgré ces difficultés, la "Frazione" a pu dépasser ses faiblesses grâce à une profonde conviction de la nature internationale de la lutte de classe, ce qui l'a amenée à garder toujours un contact ouvert avec le CCI.
Un autre danger dans l'évolution des "cercles", c'est de ne pas prendre conscience de l’hétérogénéité inévitable d'une telle formation. Les membres d'un cercle peuvent évoluer non seulement dans des sens différents mais, même en allant vers le même but, évoluer à des rythmes différents. Il est de la plus grande importance que les membres qui arrivent à une vision relativement cohérente sachent impulser le travail d'ensemble sans renoncer à aller de l'avant sous prétexte de vouloir artificiellement préserver le "cercle" comme corps uni. Une plus grande responsabilité incombe toujours à ceux qui prennent conscience plus vite et ceci à tous les niveaux de la vie politique de la classe. Nous constatons donc que, bien qu'il n'y ait pas de recettes, ni de solutions toutes faites, un cercle doit rester ouvert à l'extérieur et dynamique dans son évolution à l'intérieur.
Après une période de décantation politique de plusieurs mois, les camarades du noyau fondateur de la Frazione ont pris conscience qu’un cercle de discussion n'a pas de sens en soi, sinon pour aboutir à un engagement militant dans la classe. Puisqu'ils étaient d'accord avec la plate-forme du CCI, ils se sont intégrés au travail du Courant à travers la section en Italie. Mais dès qu'ils sont arrivés à reconnaître la nécessité d’un pôle de regroupement organisationnel, ces camarades ont voulu éviter que leur "cercle" ne se transforme en obstacle à la compréhension en se maintenant comme une espèce d'"anti-chambre" de la politique. Pour cette raison, en affirmant l’aboutissement de leur travail, ils ont dissous la Frazione.
De façon générale, les cercles de discussion et d'études ne peuvent pas être conçus comme des "fins en soi" ; on ne cherche pas les "idées" pour elles-mêmes mais pour qu'elles s'expriment dans une activité sociale. Les cercles font partie de tout un processus dans la classe ouvrière qui tend à sécréter un organisme politique de classe. En ce sens, le surgissement de ces "cercles" un peu partout dans le monde actuellement est la vérification de l'ouverture d'une nouvelle période de lutte de classe ; après la rupture dans le mouvement ouvrier, on assiste à la renaissance des petits noyaux qui cherchent les positions révolutionnaires. Pour que cet énorme effort, malheureusement dispersé, puisse aboutir, il faut tout d'abord reconnaître que l'évolution de ces cercles ne peut pas rester stationnaire : soit ils s'intègrent dans un courant politique cohérent au niveau international, soit ils se transforment, à la longue, en entraves à la prise de conscience. Si les cercles se préservent en tant que formation locale et limitée politiquement, nous aboutissons à une poussière de petits groupes mi-achevés, chacun isolé, contribuant ainsi à semer la confusion aussi bien sur la nécessité d'une cohérence politique globale, que sur le besoin du regroupement organisationnel des révolutionnaires au niveau international. Le plus souvent de tels efforts avortés finissent par se disloquer et disparaître dans la démoralisation la plus totale de ses éléments fondateurs. En somme, les "cercles", qui constituent un pas positif doivent être dépassés.
Si nous insistons tant sur l’expérience de la "Frazione de Naples", c'est justement parce que son expérience n'est pas "napolitaine". Elle contient les mêmes richesses et les mêmes problèmes que l'expérience des cercles en Espagne (qui ont rejoint Accion Prolétaria), à Seattle, à Toronto, en Suède, au Danemark, en France et à Bombay. Certaines de ces expériences ont abouti à une clarification politique dans un sens ou dans un autre, mais pour bien d'autres la dislocation et la démoralisation sont tout ce que la classe ouvrière peut tirer comme bilan. Et si nous citons certaines expériences, c'est en sachant parfaitement bien qu'il y en a des dizaines d'autres qu'on ignore à cause de l'isolement local des éléments. Si le CCI insiste tant sur la nécessité du regroupement des forces révolutionnaires, ce n’est pas, comme nous reprochent certains, par une "volonté hégémonique (exercée) ouvertement ou de façon détournée sur les autres" (Jeune Taupe, n°10).
C'est là vraiment la preuve que quand on ne comprend pas un problème à fond, on le réduit à des questions psychologiques de "volonté de puissance" servant à escamoter le vrai problème, celui de la résistance des petits groupes pour sauvegarder leur autonomie particulière. Le CCI intervient le plus activement possible dans l'évolution de toute la vie politique et plus particulièrement dans l'évolution des noyaux politiques. Dans le cas de la "Frazione", l'intervention du CCI a été déterminante dans le processus de clarification, justement parce que nous avons cherché à généraliser les expériences en mettant toujours en avant le but de la discussion.
Fondamentalement, le CCI espère par son intervention aider à rompre le mur de l’isolement et de la confusion politique. Quand des éléments se perdent, à cause de la confusion et de la pression politique constante de la classe ennemie, c’est tout le mouvement qui en ressent la perte. Si nos camarades, ex-membres de la Frazione Communista, écrivent ce texte, c’est dans l’esprit qui anime l’ensemble du CCI : remplir la tâche de clarification politique au sein de la classe en travaillant vers la constitution d'un pôle de regroupement révolutionnaire cohérent.
J. A.
BILAN D'UNE TRAJECTOIRE POLITIQUE
"Dans tous les cas, il ne peut s'agir que d'une organisation provisoire. Et la conscience de ce caractère provisoire est ici une condition du bon résultat final. En effet, un cercle de discussion qui se prétendrait être une organisation politique achevée ne serait, NI une bonne organisation politique, NI un bon cercle de discussion."
(Lettre du CCI aux camarades de Naples, 3 décembre 1975.)
Si nous refaisons un peu l'histoire de son évolution politique nous constatons que le groupe à l’origine de la "Frazione" a commencé un travail de discussion au cours du printemps/été 1975 sur la base de la lecture de textes du CCI. Pendant toute un période il a constitué effectivement et de plus en plus un centre de débat politique, surtout à l'automne de cette même année. La publication du document sur le Portugal ([1] [38]) a marqué un tournant radical : pour signer le texte, le groupe s’est donné un nom, "Frazione Communista di Napoli", et l'introduction dont il l'a doté était celle d'un groupe politique. La première conséquence de cette publication, c'est que le nombre de camarades a doublé avec l'arrivée de nouveaux éléments qui, de fait, adhéraient à un groupe politique en formation de la même manière qu'ils auraient adhéré à un groupe extra-parlementaire.
Par la suite, nous avons souvent dit que cette introduction constituait un trop grand pas politique pour le groupe ; mais c'est réellement la publication en elle-même d'un tel document qui constituait un trop grand pas. Un cercle de discussion est, par nature, transitoire et informel ; il ne peut donc avoir une intervention à l'extérieur (publications, etc.) avec tout ce que cela comporte : cristallisation organisationnelle et politique (prise de positions - sans les avoir pleinement comprises - parce que "le document ne pouvait sortir tel quel"). Le résultat en est que la nécessité de se situer immédiatement vis-à-vis de l'extérieur compromet la capacité de débat interne, et donc la base d'une future autodéfinition consciente.
L'accord de la "Frazione" sur la lettre du CCI n'a été dans les faits qu'un accord formel, puisque tout en se définissant comme un groupe de discussion, déjà le groupe d'origine n'était plus un groupe de discussion mais se situait à mi-chemin vers un groupe politique. Cela s'est manifesté dans la rédaction de la Plate-forme de la "Frazione Communista" qui cristallisait le niveau atteint par les camarades et fixait une base programmatique d'adhésion ; ce qui, certes, est une anomalie pour un groupe de discussion. Ce n'est pas par hasard si on a par la suite reconnu que la Plate-forme n'était pleinement comprise que par les membres du groupe d’origine. Il est tout aussi significatif que la Plate-forme ait été proposée et écrite par quelques camarades (aujourd'hui membres du CCI) qui redoutaient l'utilisation de la "FC" par le CCI. Par l'adoption d'un programme propre, ils tendaient instinctivement à défendre leur propre petit groupe contre "l'invasion extérieure", selon la déformation typique de ces cercles qui en amène invariablement la dégénérescence ou la fin.
Toute l'existence de la "FC" a été imprégnée de cette ambiguïté de fond qui a risqué de compromettre l'énorme masse de travail accompli. L'abandon successif de toutes les activités vers l'extérieur, y compris celle de publication (après "I sindicati contro la classe operaia", publiée en Janvier, la "FC" n'a plus rien publié) est un indice de la compréhension progressive du danger que constitue la fixation dans une forme bâtarde semi-politique. Ce processus a contribué à lever l'ambiguïté de la situation des camarades qui avaient formé le premier noyau et qui avaient inspiré les positions politiques de la Plate-forme ; ces camarades ont reconnu leur extériorité vis-à-vis de cette situation intermédiaire et trouvé dans le CCI l'organisation politique avec laquelle discuter. La rapidité avec laquelle cette discussion a mené à l'intégration dans le courant est la preuve que ce pas était depuis longtemps nécessaire.
Il faut être clair : le groupe de discussion de Naples est mort dès le moment où a été adoptée une Plate-forme qui a signifié sa transformation en groupe semi-politique. Si aujourd'hui nous avons compris la nécessité de dénoncer la "FC" comme un organe bâtard voué à la dégénérescence politique, ce n'était pas moins vrai et inévitable cinq mois plus tôt.
Toute organisation qui se définit organisationnellement sans assumer sur la base d'un programme politique cohérent ses propres responsabilités militantes face à la classe ne peut que se transformer en un obstacle au regroupement des révolutionnaires, en une espèce de Purgatoire, de marais où pataugent des éléments figés dans un perpétuel état de semi-confusion.
C'est particulièrement vrai aujourd'hui que le prolétariat revient sur la scène de l'histoire après une période de contre-révolution forte au point d'engloutir toute trace laissée par la vague révolutionnaire des années 20 dans la conscience ouvrière. Les anciennes petites fractions de communistes survivant à la défaite pour conserver les enseignements de la lutte, n'ont pu que succomber l'une après l'autre à la contre-révolution triomphante. C'est donc sans leur soutien direct que le géant prolétarien doit se dégager de la prostration et retrouver son chemin historique de classe. D'autre part, avec la fin de la période des réformes et l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, tous les anciens instruments de la classe se sont transformés en autant d'obstacles à sa prise de conscience. Les syndicats, les lois ouvrières, les Maisons du Peuple, tout cet appareil réformiste où pourtant chaque soir convergeaient de leurs usines des centaines d'ouvriers socialistes pour s'informer, discuter les événements du jour, se préparer à la lutte, ces centres où battait la vie de la classe ouvrière sont devenus aujourd'hui autant de centrales actives de la bourgeoisie.
Les ouvriers qui retrouvent aujourd'hui le chemin de la lutte privés de leurs traditionnels points d'appui ressentent d'autant plus l'exigence de se retrouver pour discuter et réfléchir que plus grandes sont les difficultés pour le réaliser. Voici pourquoi après chaque vague de luttes se créaient des dizaines de petits noyaux d'ouvriers, généralement regroupés par un minimum de positions antisyndicales. Ce n'est certes pas par hasard ni par esprit académique que beaucoup de collectifs ouvriers formés pendant l'"Automne chaud" dans les usines italiennes se sont appelés "Groupes d'études". Ce fait traduisait l'impérieux besoin de réflexion, la nécessité pour la classe de retrouver sa propre histoire et son propre avenir.
Mais ce même vide de cinquante années qui est à l'origine de leur prolifération est aussi la cause de leur faiblesse intrinsèque. Avec la disparition des fractions communistes sorties de l'Internationale en dégénérescence, a disparu aussi pour ces ouvriers leur cadre naturel de recherche. Ils sont pratiquement seuls face à la démoralisation, au reflux, au poids des tendances localistes et de la gauche syndicale.
C’est pourquoi il faut souligner qu'aucun de ces noyaux ne peut résister à la longue au poids de l'idéologie dominante s'il est dans l'incapacité de rompre complètement avec l'horizon limité d'une seule usine et d'orienter aussitôt sa propre activité vers la clarification des questions politiques de fond et de sa propre position militante. La seule façon pour que les camarades issus de ces expériences puissent par la suite contribuer à la lutte de classe, c'est de s'intégrer activement et consciemment dans le processus de regroupement international des révolutionnaires : emprunter un chemin de traverse est une impasse.
Quelles leçons peuvent être dégagées de notre expérience ? Un cercle de discussion, de par sa nature, est un agrégat transitoire, né de la nécessité de clarifier les problèmes de la lutte de classe. Au fur et à mesure que par la discussion cette clarification se fait, le cercle de discussion, loin de se renforcer (Plate-forme, organisation) dépérit (il épuise sa fonction). Quelque soit le sort de ses militants pris individuellement (évolution ou disparition), le cercle de discussion quant à lui ne peut que dégénérer ou mourir.
Aux révolutionnaires d’en indiquer la fonction et les limites et d'en dénoncer les survivances.
D'anciens membres de l'ex-"Frazione Communista"
[1] [39] Lotte operaie in Portogallo : Una lotta esemplare : Il lavoratori della T.A.P. di fronte al PCP ed al "esercito democratico".
Dans le n°4 de la Revue Internationale, nous avons publié une première série d'articles de "Bilan", allant de la chute du régime de Primo de Rivera et de la monarchie aux événements de 1936. Dans ces articles-analyses, Bilan s'efforçait de démontrer que la chute de l'ancien régime monarchique était le fait de son anachronisme absolument inadéquat pour affronter les difficultés dans lesquelles se trouvait le capitalisme espagnol, subissant pleinement la crise générale du capitalisme mondial. Ce n'est qu'en partant de ce contexte historique mondial, qu'on devait analyser la situation en Espagne, pour comprendre son évolution. La démarche de la Gauche Communiste, avec la Fraction Italienne en tête, s'opposait radicalement à celle de Trotski et autres groupes issus de la dégénérescence de l'IC, qui, eux, partaient avant tout des spécificités de l’Espagne, ce qui les amenait à toutes sortes d'aberrations et notamment à voir dans l'avènement de la République le triomphe d'on ne sait quelle Révolution démocratico-bourgeoise "progressive" venant à bout d’un ancien "ordre féodal". Bilan n’ignorait certes pas l’état arriéré du capitalisme espagnol, il insistait au contraire sur ce point, mais il rejetait énergiquement cette aberrante définition de cet état arriéré, comme une société féodale grosse d'une révolution démocratico-bourgeoise, et tout ce que cela implique. D'une façon générale Bilan a été amené à rejeter catégoriquement toute idée de révolution démocratico-bourgeoise dans la période présente de déclin du capitalisme, cette ère historique où la seule alternative qui se présente à la société est celle de Révolution prolétarienne ou de guerre impérialiste, de socialisme ou de barbarie (décadence)([1] [40]).
Dans leur grande majorité, ces groupes de gauche, même quand ils ne se référaient pas à une "révolution antiféodale", persistaient toutefois à voir dans les événements un mouvement de renforcement continu de la classe ouvrière, obligeant la bourgeoisie au recul. C'est ainsi que fut interprété, par eux, le renforcement de la République et des partis de "gauche" en son sein. Le développement de la "démocratie" était compris comme la manifestation de l'avance du prolétariat, comme 1e renforcement de ses positions de classe. Le renforcement de l'Etat "démocratique" et de son appareil, pour aussi violemment répressif qu'il se présentait, était vu comme une manifestation de la faiblesse de la bourgeoisie et était synonyme de renforcement du prolétariat et condition de son avance ultérieure.
Diamétralement opposée était l'interprétation de Bilan qui voyait dans cette République démocratique la mise en place d'une structure étatique plus apte à dévoyer la classe ouvrière, à lui faire abandonner son terrain de classe, à la démobiliser politiquement, tout en la matant physiquement. En effet, le capitalisme - dont celui de l'Espagne n’est qu'une partie intégrante - se voyait avancer à pas accélérés vers son unique issue à sa crise mondiale : la guerre impérialiste. Par ailleurs, le capitalisme était parvenu à dominer et enrayer complètement la seule alternative à la guerre qui entrave son déchaînement : la lutte de classe du prolétariat. Par les multiples défaites subies, par le triomphe, selon les pays, du stalinisme, du fascisme, de l'hitlérisme, des fronts populaires, la classe ouvrière, dans les principaux pays, se trouvait profondément démoralisée et impuissante. Seule dans la zone ibérique se trouvait encore un prolétariat qui a gardé un énorme potentiel de combativité - et cette combativité devenue en la circonstance absolument intolérable pour le capitalisme, il lui fallait non seulement la briser, mais s'en servir pour, dans un immense bain de sang des ouvriers d'Espagne, créer l'ambiance nécessaire pour "l’adhésion" au massacre impérialiste des prolétaires de tous les pays du monde. Telles étaient la signification et l’œuvre de la République démocratique et du triomphe du Front populaire en Espagne. Une telle différence d'analyse et de perspectives isolait chaque jour davantage la Fraction italienne des autres groupes qui ont survécu à la dégénérescence de l'IC. Les efforts de Bilan, ses mises en garde passionnées contre les dangers et la catastrophe imminente qui se préparait pour le prolétariat en Espagne, ne trouvaient aucun écho et il ne restait à Bilan que d'enregistrer avec tristesse l'aveuglement qui frappait ces groupes, leur graduel fourvoiement qui fera d'eux les victimes et les complices du massacre dit "antifasciste" qui allait se déchaîner en Espagne.
Le déroulement des événements ne tardera pas à confirmer l'achèvement de l'involution de ces groupes. Aucun d'eux n'aura la force nécessaire pour échapper d'être happé dans l'engrenage de la guerre impérialiste, mise en mouvement par le soulèvement de l'armée sous la direction de Franco. La magnifique riposte spontanée du prolétariat, qui, restant sur son terrain de classe, a rapidement raison de l'armée dans les principaux centres ouvriers, est vite mise en brèche par une manœuvre contournant de l'Etat Républicain. Toutes les forces politiques organisées qui agissent au sein de la classe et contre elle, PC-PS-anarchistes-syndicats de l'UGT et de la CNT, vont s'employer à qui mieux mieux à arracher la victoire des ouvriers contre l'armée en transformant cette victoire de classe en une défense de la démocratie, de l'Etat républicain, de l'ordre capitaliste. Les démarcations de classe seront estompées, les frontières de classe effacées. A la lutte de classe - prolétariat contre capitalisme - sera substituée la lutte contre le fascisme dont l'alternative est la démocratie, l'Union de toutes les forces démocratiques, plate forme classique de la domination capitaliste. C'est la répétition générale de ce qui servira exactement de plate forme et de mystification à la mobilisation pour la Seconde Guerre mondiale impérialiste, démocratie contre fascisme.
La boucle était ainsi fermée, confirmant tragiquement la thèse de Bilan sur la nature et la fonction de la démocratie en général, et en Espagne en particulier : la démocratie, loin d'être le signe d'un renforcement du prolétariat, et loin de constituer un tremplin pour de nouvelles conquêtes de la classe comme le prétendaient les divers groupes de gauche, n'était au contraire que le signe de leur déroute, condition de nouvelles défaites pour la classe, qui menait finalement à la guerre impérialiste. Non seulement la thèse de "Bilan" se trouvait pleinement confirmée par les événements, mais cette thèse marxiste révolutionnaire lui a permis de rester lui-même, c'est-à-dire fidèle aux principes révolutionnaires de la classe, et de ne pas se laisser entraîner dans le bourbier nauséabond de la guerre impérialiste, "antifasciste". Et c'est là un très rare mérite et un grand honneur pour tout groupe qui se veut révolutionnaire.
Tout autre était le sort de la grande majorité d'autres groupes de gauche et même communistes. Sans parler de la racaille des socialistes de gauche à la Pivert et Cie, l'ensemble des groupes de l'opposition trotskiste, le POUM, les syndicalistes-révolutionnaires de la RP jusqu'à - et y compris - des groupes tels que l'Union Communiste en France et le groupe internationaliste de Belgique pataugeaient misérablement dans ce bourbier antifasciste de la guerre en Espagne. Les uns avec enthousiasme, les autres à contre cœur, ulcérés, mais tous étaient pris dans ce filet antifasciste qu'ils ont eux-mêmes tissé, et dans les mailles duquel ils se débattaient lamentablement. Les groupes les plus radicaux qui volontiers dénonçaient le Front Populaire et la participation au gouvernement républicain, estimaient quand même indispensable la participation à la guerre contre Franco, considérant la victoire militaire contre le fascisme comme condition de la marche en avant de la Révolution. Ou bien cherchaient à conjuguer la guerre "extérieure" des Fronts contre Franco avec une lutte de classe contre le gouvernement républicain bourgeois à l'intérieur.
Dans le n°6 de la Revue Internationale, nous avons reproduit une série d'articles
dans lesquels Bilan met en lambeaux tout ce tissu fait d'ergotages et de sophismes qui n'avaient comme conséquence que de justifier quand même la participation à la guerre impérialiste camouflée en antifascisme prolétarien pour les besoins de la cause. La guerre d'Espagne débouchait directement dans la Deuxième Guerre mondiale. Les groupes radicaux pris dans leur propre piège ne pouvaient que se disloquer et disparaître ; quant aux autres, comme les trotskistes, ils ne pouvaient que passer sans retour, avec armes et bagages, .dans le camp de l'ennemi de classe, en participant pleinement dans la guerre impérialiste généralisée.
Les événements d'Espagne renouvellent aux révolutionnaires une leçon capitale : un groupe prolétarien ne met pas impunément le doigt dans l'engrenage capitaliste. A un moment donné, dans un de ces tournants brusques que connaît l'histoire, il est irrémédiablement happé par l'engrenage et impitoyablement broyé. Si la classe trompée et écrasée ne peut pas ne pas resurgir, car elle est et reste le sujet de l'histoire, il n'en est pas de même de ses organisations révolutionnaires qui ne sont que des organismes et instruments de la classe. Prises dans l'engrenage de l'ennemi elles sont définitivement perdues et détruites et la classe n'aura d'autres ressources que d'en sécréter de nouvelles. Les organisations révolutionnaires demeurent donc toujours exposées au danger de la corruption par l'ennemi de classe. Il n'y a aucune garantie absolue contre ces dangers. Seules, la fidélité aux principes et la vigilance politique constante offrent à l'organisation révolutionnaire quelque assurance d'être prémunie contre la pénétration corruptrice de l'idéologie de l'ennemi de classe. Et cela même n'est pas toujours une sécurité totale.
Dans le n°6 de notre revue, nous terminions la série d'articles de Bilan par celui de "L’isolement de notre Fraction devant les événements d'Espagne". Bilan écrit: "Notre isolement n'est pas fortuit : il est la conséquence d'une profonde victoire du capitalisme mondial qui est parvenu à gangrener jusqu'aux groupes de la Gauche Communiste". Non seulement la Fraction italienne se retrouvera isolée par le fait que les autres groupes se trouvaient gangrenés par le capitalisme mondial, mais la Fraction elle-même, malgré toute sa vigilance, n'échappera pas complètement à cette pression, et se trouvera à son tour atteinte par cette même gangrène qui pénétrera dans ses rangs et se manifestera par l'apparition d'une minorité se réclamant d'une position de soutien de la guerre "antifasciste" en Espagne. On sait qu’à la déclaration de la Première Guerre mondiale, une grande partie de la section parisienne du Parti Bolchevik s'était prononcée pour le soutien de la guerre "décisive" des alliés "démocratiques" contre le militarisme impérialiste prussien. Avec la minorité de la Fraction italienne se vérifie une fois de plus l'absence d'une immunité absolue contre la pénétration de la gangrène capitaliste dans le corps des révolutionnaires et une fois de plus, comme ce fut le cas pour le Parti Bolchevik, la santé robuste de l’organisation a eu raison et a pu venir à bout, sans trop de dommages, de cette gangrène.
Nous avons jugé indispensable la publication de tous les textes et déclarations, tant de la minorité que de la majorité, concernant les débats et la crise qu’ils ont provoqués dans la Fraction italienne de la Gauche Communiste. Ceci pour plusieurs raisons, et tout d'abord parce que le contraire aurait été manquer au plus élémentaire devoir d'information révolutionnaire. La lecture de ces textes est hautement édifiante et donne une idée de l'ampleur, du contenu, et de la portée de ces débats, et une vue plus exacte de la vie politique dans la Fraction. Les arguments de la minorité, qui sont souvent plus une réaction sentimentale de volonté révolutionnaire, ne diffèrent guère de 1a façon de raisonner d'autres groupes radicaux tombés dans les mêmes mystifications et mêmes erreurs. Leur principal argument se réduit à celui que de ne pas intervenir serait faire preuve d’un attentisme et d’une indifférence insupportables. Le non attentisme sert souvent de couverture a des précipitations inconsidérées et irréfléchies ([2] [41]). Et la minorité en a fait la triste expérience. Pour ce qui est du reproche de l'indifférence, il est frappant de le retrouver dans la bouche des bordiguistes nous le jetant à la face pour justifier aujourd'hui leur soutien aux luttes (massacres) de libération nationale. Cela ne surprendrait certainement personne en apprenant qu'après leur mésaventure dans la milice antifasciste du POUM et à la suite de la dissolution de la milice et de son incorporation dans l'armée, la minorité, de retour d'Espagne, allait s'incorporer dans le marais de l'Union Communiste. C’était sa place naturelle. Cela ne surprendrait pas davantage en sachant qu'à la fin de la guerre, c'est encore la minorité qui est la plus enthousiaste partisane de la constitution du Parti bordiguiste et c'est avec elle que se constitue la section en France de ce Parti. Là aussi, elle a trouvé sa place naturelle. Quelle revanche éclatante ! Car C2 sont précisément les positions de la minorité qui ont réellement, sinon formellement triomphé dans le PCI. Si le PCI ne reconnaît pas ses origines dans la Fraction italienne et dans Bilan, il devrait au moins reconnaître certaines de ses racines dans les positions politiques de la minorité de la Fraction italienne de la Gauche Communiste et lui rendre cette justice. Enfin, il est extrêmement intéressant et significatif de voir comment la Fraction s'est efforcée de mener les discussions, avec quelle patience elle supportait toutes les infractions de la minorité, faisant toutes sortes de concessions organisationnelles, non pour garder la minorité dont elle considérait les positions politiques absolument incompatibles avec celles de la Fraction, et la scission absolument inévitable, mais pour pousser la clarification des divergences à leur point extrême afin que la scission soit encore un renforcement de la conscience et de la cohésion de l'organisation révolutionnaire. C’est là une très rare leçon d’une grande valeur que nous a encore légué la Fraction italienne de la Gauche Communiste. Aujourd’hui, avec la tendance à la reconstitution du mouvement révo1utionnaire, les jeunes groupes qui surgissent devraient méditer sur cette leçon afin de l’assimiler pleinement et en faire une arme supplémentaire pour le regroupement des révolutionnaires.
Pour finir, nous publions l'Appel de la Gauche Communiste, en réponse aux massacres de Mai 1937, qui sanctionne définitivement le débat avec la minorité sur la signification du Gouvernement Républicain de coalition antifasciste et le sens des événements en Espagne. Ceux qui prétendent pouvoir tirer de ces événements d’autres enseignements positifs - de collectivisation dans les campagnes ou de syndicalisation de l'industrie - de formes nouvelles ou supérieures de l'autonomie ouvrière se laissent mystifier par l'apparence des choses qu'ils prennent pour la réalité.
La seule et tragique réalité était la transformation de l'Espagne en un immense champ de massacre où ont été exécutés par centaines de mille les ouvriers espagnols au nom de la défense de la démocratie et comme préparation à la Deuxième Guerre impérialiste. Il n’y a jamais eu rien d’autre, et c’est la seule leçon qu'ont à tirer les ouvriers du monde entier et ne jamais plus l'oublier.
COMMUNIQUE DE LA COMMISSION EXECUTIVE
EXTRAITS (Bilan n° 34, Août 1936)
Les événements d’Espagne ont ouvert une grave crise au sein de notre organisation. Les conditions actuelles n'ont pas permis une discussion approfondie des divergences, d’autant plus qu'une partie des camarades ne se trouve pas actuellement dans la possibilité d'apporter le concours de leurs opinions.
Dans cette situation, la C.E. n'a pu qu’enregistrer la première délimitation des positions politiques, tout en constatant qu'elles posent inéluctablement le problème de la scission de notre organisation. Scission bien évidemment au point de vue idéologique et non organisationnel, à la condition toutefois que la clarté la plus complète se fasse sur les problèmes fondamentaux où le contraste s'est manifesté.
A part la conception qui est défendue publiquement par la fraction et au sujet de laquelle aucune explication n’est nécessaire, d’autres opinions se sont affirmées et qui se trouvent actuellement - ainsi que nous l'avons dit - dans l'impossibilité de se concentrer autour d’une position générale, ou se départager en précisant les contours respectifs. L’idée centrale dominant parmi les camarades qui ne partagent pas l’avis de la majorité actuelle de l'organisation, est celle qui considère possible l’affirmation d'une indépendance de la classe ouvrière, en Catalogne surtout, sans passer au bouleversement radical de toute la situation, sans opposer aux fronts actuels que nous considérons impérialistes, les fronts de la lutte de classe dans les villes et les campagnes.
La C.E. a décidé de ne pas brusquer la discussion pour permettre à l'organisation de bénéficier de la contribution des camarades qui ne se trouvent pas dans la possibilité d'intervenir activement dans le débat, et aussi parce que l'évolution ultérieure de la situation permettra une plus complète clarification des divergences fondamentales apparues.
En vertu de ces considérations, il est évident que les camarades de la minorité actuelle ont tout aussi bien que les autres la possibilité de séparer publiquement leurs responsabilités et, tout en se revendiquant de leur appartenance à la fraction, poursuivre la lutte en Espagne sur la base de leurs positions tendant à déterminer une position autonome de la classe ouvrière même dans le cadre de la situation actuelle.
Nous escomptons publier dans le numéro prochain de Bilan tous les documents relatifs aux divergences surgies au sein de notre organisation.
LA CRISE DANS LA FRACTION
COMMUNIQUE DE LA C.E.
EXTRAITS (Bilan n°35, sept-oct. 1936)
La crise surgie dans la fraction, à la suite des événements d'Espagne, a marqué un premier point de son évolution. Les divergences fondamentales que nous avions énoncées dans notre précédent communiqué se sont à nouveau manifestées au cours des discussions qui ont eu lieu au sein de l'organisation. Ces discussions ne se sont pas encore acheminées vers la clarification des questions fondamentales controversées et cela surtout parce que la minorité ne s’est pas encore trouvée dans la possibilité de procéder à une analyse des derniers événements d'Espagne pouvant servir de confirmation aux positions centrales qu'elle défend.
La C.E., se basant sur les notions programmatiques qu'elle défend au sujet de la construction du parti, en face de divergences d’ordre capital qui, non seulement rendent impossible une discipline commune, mais font que cette discipline devient un obstacle rendant impossible l'expression et le développement des deux positions politiques, a considéré qu'il était nécessaire d’arriver sur le terrain de l'organisation, à une séparation aussi nette que celle existant dans le domaine politique, où les deux conceptions sont en réalité un écho de l’opposition existant entre le capitalisme et le prolétariat.
La C.E. a pris acte que c'est dans la même direction que s'est orientée la minorité, laquelle vient de constituer le "Comité de Coordination".
Ce Comité a pris une série de décisions que la C.E. s'est bornée à enregistrer, sans lui opposer la moindre des critiques et en prenant les mesures nécessaires pour faciliter la plus complète activité de 1a minorité. Toutefois, la C.E. a cru ne pas devoir accepter la demande de reconnaissance de la Fédération de Barcelone, car celle-ci s'est fondée sur la base de l’enrôlement de milices qui sont devenues progressivement des organes à la dépendance de l'Etat capitaliste. La divergence avec des membres de la fraction sur cette question des milices peut encore être soumise à l'appréciation du prochain Congrès de notre fraction, car ce contraste a surgi sur le fond d'une solidarité qui s'affirme sur les documents fondamentaux de l'organisation. Il en est tout autrement pour ceux qui voudraient adhérer à l'organisation sur la base politique de l'enrôlement dans les milices, problème dont la compatibilité avec les documents programmatiques de la fraction ne pourra être tranché que par le Congrès. Pour ces raisons, la C.E. a décidé de ne pas reconnaître la Fédération de Barcelone et de faire valoir les votes des camarades qui en font partie, au sein des groupes dont ils faisaient partie avant leur départ…
La C.E. réaffirme que l'unité de la fraction, qui a été brisée par les événements d'Espagne, ne pourra se reconstruire que sur la base de l'exclusion des idées politiques, lesquelles, loin de pouvoir engendrer une aide solidaire au prolétariat espagnol, ont accrédité parmi les masses des forces qui lui sont profondément hostiles et dont le capitalisme se sert pour l'extermination de la classe ouvrière en Espagne et dans tous les pays.
LA REVOLUTION ESPAGNOLE
Cet article d'un camarade de la minorité de la fraction a été écrit le 8 août, à un moment donc où l'extrême pénurie des nouvelles ne permettait guère une analyse des événements en cours. Il n'a pas été possible de permettre à l'auteur de revoir son texte afin d'y apporter les rectifications nécessaires quant à certains faits qui y sont évoqués. Le lecteur voudra bien en tenir compte.
La chute de la monarchie, bien qu'elle se soit accomplie paisiblement et de façon chevaleresque, dans une ambiance de réjouissances et non de luttes, ouvre la crise révolutionnaire en Espagne. La dictature de Primo de Rivera en est aussi un symptôme.
La structure politique et économique de l'Espagne est entièrement construite sur l'échafaudage féodal d'un Etat qui, pendant quatre siècles, a vécu en parasite en exploitant un empire colonial immense, rempli de richesses inépuisables. A la fin du XIXe siècle, par la perte des dernières possessions coloniales, le rôle de l’Espagne est réduit à celui d'un pays de troisième ordre, vivotant au travers de l'exportation de sa production agraire. La crise mondiale survenue après la guerre rétrécit considérablement les marchés, amoindrit les réserves de l'accumulation qui s'était faite pendant la guerre par suite de la neutralité du pays, et pose le problème de sa transformation économique. Le stimulant des forces de production tendant à créer un appareil industriel moderne, et à susciter un marché intérieur pour la production industrielle au travers de la transformation des systèmes productifs à la campagne, se heurte à l'esprit conservateur des vieilles castes féodales privilégiées.
Cinq années de gouvernements successifs de gauche et de droite ne résolvent même pas le problème politique de la forme constitutionnelle ; la République elle-même est menacée par un parti monarchique décidé. Aucune solution n'est davantage apportée au problème économique qui ne peut trouver de solution définitive qu'au travers de la rupture violente des rapports sociaux dans les campagnes. La question agraire est d’importance primordiale ; elle ne peut être résolue dans le cadre des institutions bourgeoises, mais par la voie révolutionnaire au travers de l’expropriation sans indemnisation des latifundia et des domaines seigneuriaux.
Sur un demi-million de kilomètres carrés que représente la surface de l'Espagne, deux tiers des terres appartiennent à 20 000 propriétaires. Les bribes restantes sont laissées à vingt millions d’êtres qui consomment leur misère dans l’abrutissement et l'ignorance séculaires. La tentative de réforme agraire de Azana ne put donner que des résultats négatifs. La confiscation, avec indemnisation aux propriétaires, est suivie d'une répartition de la terre, onéreuse pour le paysan qui doit commencer à cultiver une terre souvent aride et négligée, avec une dette initiale et sans aucun capital de circulation. Là où la répartition des terres s’est faite, une irritation se produit parmi les paysans qui n'ont pu tirer aucun avantage de la possession de la terre. Cette situation de mécontentement peut expliquer pourquoi les "rebelles" ont trouvé, dans certaines provinces agraires, un appui de la part des populations locales.
La menace d’une attaque réactionnaire à fond, après deux années de gouvernement de droite, détermine la formation d’une coalition des partis républicains et ouvriers, et provoque la victoire électorale du 16 février. La pression des masses qui ouvrent les prisons au 30 000 emprisonnés politiques avant même que soit promulgué le décret d’amnistie, déplace le rapport des forces, mais l'espoir des masses est déçu. Au cours des cinq mois d'activité du gouvernement de Front Populaire, aucun changement radical ne se vérifie dans la situation. La situation économique, d'autre part, ne perd pas son caractère de gravité. Rien n'est fait pour tenter une solution définitive, et cela s'explique par le caractère bourgeois du nouveau gouvernement qui se borne à une défensive envers le parti monarchique en déplaçant vers le Maroc un grand nombre d'officiers infidèles au régime républicain. Ce qui explique que le Maroc était le berceau de la rébellion militaire, qui en quelques jours put compter sur une armée de 40000 hommes complètement équipés, à l'abri de toute menace répressive. La Légion Etrangère, "LA BANDERA" qui a formé la base de cette armée, ne compte que très peu d'éléments étrangers (10-15%), tandis que dans sa majorité elle groupe des espagnols enrôlés : chômeurs, déclassés, criminels, c'est-à-dire de véritables mercenaires qu'il est facile d'attirer par le mirage d'une solde.
Le meurtre du lieutenant de Castil1o, socialiste, suivi le lendemain, par représailles, du meurtre de Carlos Sotelo, chef monarchiste (9 et 10 juillet), décida la droite à agir. Le 17 juillet l'insurrection commence. Elle n'a pas le caractère du PRONUNCIAMENTO militaire typique qui compte sur la surprise, la rapidité et a toujours des buts et objectifs limités : généralement le changement du personnel gouvernemental.
La durée et l’intensité de la lutte prouvent que nous nous trouvons devant un vaste mouvement social qui bouleverse jusqu'à ses racines la société espagnole. La preuve en est que le gouvernement démocratique, modifié deux fois en quelques heures, au lieu de se replier ou de se hâter de faire un compromis avec les chefs militaires insurgés, préfère s'allier avec les organisations ouvrières et consigner les armes au prolétariat.
Cet événement a une importance énorme. La lutte, bien qu'elle reste formellement insérée dans les cadres d’une compétition entre groupes bourgeois et bien qu'elle trouve son prétexte dans la défense de la république démocratique contre la menace de la dictature fasciste, atteint aujourd’hui une signification plus ample, une valeur profonde de classe ; elle devient le levain, le ferment propulseur d 'une véritable guerre sociale.
L'autorité du gouvernement est en pièces : en quelques jours le contrôle des opérations militaires passe aux mains de la milice ouvrière ; les services de la logistique, la direction en général des affaires inhérentes à la conduite de la guerre, la circulation, la production, la distribution, tout est remis aux organisations ouvrières.
Le gouvernement de fait est aux organisations ouvrières, l'autre, le gouvernement légal est une coque vide, un simulacre, un prisonnier de la situation.
Incendie de toutes les églises, confiscation de biens, occupation de maisons et de propriétés, réquisition de journaux, condamnations et exécutions sommaires, d'étrangers aussi, voilà les expressions formidables, ardentes, plébéiennes de ce profond bouleversement des rapports de classe que le gouvernement bourgeois ne peut plus empêcher. Entre temps le gouvernement intervient, non pas pour anéantir, mais pour légaliser "l'arbitraire". On met la main sur les banques et sur la propriété des usines abandonnées par les patrons, les usines qui produisent pour la guerre, sont nationalisées. Des mesures sociales sont prises : semaine de 40 heures, 15% d'augmentation des salaires, réduction de 50% dès loyers.
Le 6 août un remaniement ministériel a lieu en Catalogne sous la pression de la CNT. Companys, président de la Généralité, est obligé, paraît-il, par les organisations ouvrières de rester à sa place pour éviter des complications internationales, qui, au reste ne manqueront pas de se produire au cours des événements.
Le gouvernement bourgeois est encore debout. Sans doute, une fois le danger écarté, il essaiera de reprendre désespérément l'autorité perdue. Une nouvelle phase de la lutte commencera pour la classe ouvrière.
Il est indéniable que la lutte a été déchaînée par les compétitions entre deux fractions bourgeoises. La classe ouvrière s'est rangée à l'avantage de celle dominée par l'idéologie du Front Populaire. Le gouvernement démocratique arme le prolétariat, moyen extrême de sa défense. Mais l'état de dissolution de l'économie bourgeoise exclut toute possibilité de réajustement, soit avec la victoire du fascisme, soit avec la victoire de la démocratie. Seule une intervention successive, autonome du prolétariat pourra résoudre la crise de régime de la société espagnole. Mais le résultat de cette intervention est conditionnée par la situation internationale. La révolution espagnole est strictement reliée au problème de la révolution mondiale.
La victoire d'un groupe ou de l'autre ne peut résoudre le problème général, qui consiste dans la modification des rapports fondamentaux des classes sur l’échelle internationale et de la désintoxication des masses hypnotisées par le serpent du Front Populaire. Toutefois, la victoire d'un groupe plutôt que d’un autre détermine des répercussions politiques et psychologiques dont il faut tenir compte dans l'analyse de la situation. La victoire des militaires ne signifierait pas seulement une victoire sur la méthode démocratique de la bourgeoisie, mais signifierait aussi la victoire brutale et sans merci sur la classe ouvrière qui s'est engagée à fond et comme telle dans la mêlée. La classe ouvrière serait clouée à la croix de sa défaite de façon irrémédiable et totale, comme il est arrivé en Italie et en Allemagne. En outre toute la situation internationale serait modelée sur la victoire du fascisme espagnol. Une rafale de répression violente s'abattrait sur la classe travailleuse dans le monde entier.
Ne discutons même pas la conception qui soutient que, après la victoire des réactionnaires, le prolétariat retrouverait plus hardiment sa conscience de classe. La victoire gouvernementale créerait des déplacements de grande importance dans la situation internationale, en redonnant conscience et hardiesse au prolétariat dans les différents pays. Sans doute ces avantages seraient en partie neutralisés par l’influence délétère d'une intense propagande nationaliste, antifasciste, fourrière de guerre des partis du Front Populaire, et en toute première ligne du parti communiste.
Il est douteux que la défaite des militaires ait comme conséquence inéluctable un renforcement du gouvernement démocratique. Par contre, il est certain que les masses, encore armées, dans l'orgueil de la victoire douloureuse et contestée mais fortes d'une expérience acquise dans l'âpreté de la bataille, demanderaient des comptes à ce gouvernement. Les poudrières idéologiques données par le Front Populaire pour confondre les masses, pourraient éclater dans les mains de la bourgeoisie elle-même.
Seule une méfiance extrême dans l'intelligence de classe des masses peut amener à admettre que la démobilisation de millions d'ouvriers qui ont soutenu un combat dur et long puisse se vérifier sans heurts et sans tempêtes.
Mais, même dans l'hypothèse qu’à la victoire du gouvernement succède, sans frictions, le désarmement matériel et spirituel du prolétariat, on ne peut pas exclure que tous les rapports de classe seraient déplacés. Des énergies nouvelles et puissantes pourraient émerger de cette vaste conflagration sociale et l'évolution vers la formation du parti de classe en sera accélérée.
La lutte de classe n'est pas de la cire molle qui se modèle suivant nos schémas et nos préférences. Elle se détermine de façon dialectique. En politique la prévision représente toujours une approximation de la réalité. Fermer les yeux en face de la réalité uniquement parce qu'elle ne correspond pas au schéma mental que nous nous sommes forgé, signifie s'extraire du mouvement et s'expulser de façon définitive du dynamisme de la situation.
La corruption idéologique du Front Populaire et le défaut du parti de classe sont deux éléments négatifs et d'une importance écrasante. Mais c'est justement pour cela qu'aujourd'hui notre effort doit se porter du côté des ouvriers espagnols.
Leur dire : ce danger vous menace et ne pas intervenir nous-mêmes pour combattre ce danger, est manifestation d'insensibilité et de dilettantisme. Notre abstentionnisme dans la question espagnole signifie la liquidation de notre fraction, une sorte de suicide dû à une indigestion de formules doctrinaires.
Imbus de nous-mêmes, comme Narcisse, nous nous voyons dans les eaux des abstractions où nous nous complaisons tandis que la belle nymphe Echo se meurt de langueur par amour pour nous.
TITO
LA CRISE DANS LA FRACTION
("BILAN" n°35)
COMMUNIQUE DU "COMITE DE COORDINATION"
La minorité de la fraction italienne de la gauche communiste, après avoir examiné les événements espagnols et acté les informations reçues de vive voix par un délégué qui s'est rendu sur place :
NIE toute solidarité et responsabilité avec les positions prises par la majorité de la fraction au travers de la presse ("Prometeo", "Bilan", Manifestes...) ;
APPROUVE l'attitude prise par le groupe des camarades qui, contre le veto opposé par la C.E., se sont rendus en Espagne pour défendre, les armes à la main, la révolution espagnole, même sur le front militaire ;
CONSIDERE que les conditions pour la scission sont déjà posées, mais que l'absence des camarades combattants enlèverait aujourd'hui à la discussion un élément indispensable, politique et moral, de clarification ;
ACCEPTE le critère de renvoyer à un prochain Congrès la solution définitive à donner aux divergences ;
RESTE donc, au point de vue de l'organisation - sinon plus idéologiquement - dans les rangs de la fraction à condition que lui soit garantie la libre expression de la pensée de minorité tout autant dans la presse que dans les réunions publiques.
DECIDE :
D'ENVOYER immédiatement en Espagne un de ses délégués et successivement, si cela devient nécessaire, un groupe de camarades pour développer un travail conséquent au sein et accord avec l'esprit de l'avant garde du prolétariat espagnol, partout où il se trouve, afin d'accélérer le cours de l'évolution politique du prolétariat en lutte, jusqu'à la complète émancipation de toute influence capitaliste et de toute illusion de collaboration de classe en associant à ce travail politique les camarades qui se trouvent, actuellement au front - quand cela sera possible ;
DE NOMMER un Comité de Coordination qui réglera les rapports entre les camarades, la Fédération de Barcelone (dont on demande la reconnaissance immédiate) et les camarades des autres pays, afin de définir, à l’égard de la C.E., les rapports que la minorité aura avec elle ;
EXIGE que le présent ordre du jour soit publié dans le prochain numéro de "Prometeo" et de "Bilan" ;
CONCLUT par l'envoi d'un salut fraternel au prolétariat espagnol qui défend la révolution mondiale dans les milices ouvrières.
LA MINORITE DE LA FRACTION ITALIENNE DE LA GAUCHE COMMUNISTE
LA CRISE DE LA FRACTION
("BILAN" n°36, Oct-Nov. 1936)
COMMUNIQUE DE LA C.E.
La Commission Exécutive entend resté fermement attachée au principe que la scission au sein de l'organisme fondamental du prolétariat, trouble et arrête le processus délicat de la vie et de l'évolution de ce dernier, quand elle ne vérifie pas sur le terrain des divergences programmatiques ne font qu'exprimer ou tendent à exprimer les revendications historiques non d’une tendance mais de la classe dans son ensemble.
La CE constate que la minorité s'inspire d'autres critères et menace de passer à la scission non seulement avant le Congrès mais avant même que les discussions se soient initiées, et cela sur le point controversé de la reconnaissance ou non du groupe de Barcelone. Malgré cette injonction de la minorité, la CE retient de devoir sauvegarder l'application du principe de la nécessité du Congrès pour la solution de la crise de la fraction.
La CE avait ratifié les positions prises par un de ses représentants, qui consistaient à prendre acte de toutes les décisions du Comité de Coordination. Mais ce Comité s'était limité à demander la reconnaissance du groupe de Barcelone, ce qui ne représentait donc pas une décision mais simplement une requête à la CE qui restait libre de prendre une décision. Il est donc inexact de parler d'engagements qui ne furent pas maintenus.
La CE s'est basée sur un critère élémentaire et de principe de la vie de l'organisation lorsqu'elle a décidé de ne pas reconnaître le groupe de Barcelone. Cela pour des considérations qui n'ont même pas été discutées par le Comité de Coordination et qui furent publiées dans notre communiqué précédent. Aucune exclusion n'était décidée contre des membres de la fraction et pour cela la décision du Comité de Coordination devient incompréhensible lorsqu’il considère l'ensemble de la minorité exc1u si le groupe de Barcelone n'est pas reconnu.
La CE devant l'état actuel d'imperfection de l'élaboration des normes réglementant la vie de l'organisation traversant une phase de crise (bien que convaincue de la justesse de sa précédente décision) pour diriger l'ensemble de la fraction dans la phase ultérieure de la discussion programmatique et devant l'ultimatum du C. de C., rectifie sa décision antérieure et passe à la reconnaissance du groupe de Barcelone.
La CE avait aussi soulevé quelques considérations politiques, quant à l’impossibilité d'un recrutement en une période de crise devant aboutir (par la conviction commune des deux tendances) à la scission, puisque les nouveaux éléments venus à l'organisation sur la base des problèmes controversés, se seraient trouvés absolument dans l'impossibilité de résoudre le problème fondamental qui se réfère à des questions de programme et qui ne peut être résolu que par ceux qui faisaient partie de l'organisation avant le déclenchement de la crise et qui avaient donné leur adhésion aux documents de base de la fraction.
Le C. de C. poursuit son chemin dans une voie qui ne peut conduire à aucun résultat positif pour la cause du prolétariat et prétend que c'est la peur de devenir minorité qui a guidé la CE. Le C. de C. sait autant que la CE que, même dans l'hypothèse absurde d'une comptabilisation des votes des prolétaires qui ont donné leur adhésion à la fraction de Barcelone, le présumé renversement des rapports actuels ne se serait pas vérifié.
La CE exhorte tous les camarades à se pénétrer de la gravité de la situation et à comprimer toutes les réactions afin de pouvoir passer à une discussion dont le but ne sera pas le triomphe de l'une ou de l'autre tendance, mais l'habilitation de
la fraction à se rendre digne de la cause du prolétariat révolutionnaire au travers du bannissement de toute idéologie qui se sera avérée (au cours des événements espagnols) comme un élément nocif pour la lutte de la classe ouvrière.
COMMUNIQUE DE LA MINORITE
Le Comité de Coordination, au nom de la minorité de la Fraction italienne de la Gauche Communiste :
Constate que la CE ne maintient pas la parole donnée par son représentant au C. de C., d’accepter l'ordre du jour présenté par la minorité où il était demandé, entre autres choses, la reconnaissance du groupe de Barcelone ;
Vu le communiqué de la CE, paru dans "Prometeo" où il est déclaré de ne pas vouloir reconnaître le groupe de Barcelone en prenant prétexte que les bases de sa constitution consistent dans la participation à la lutte militaire ;
Considérant que la base de la constitution du groupe de Barcelone est la même que celle sur laquelle se trouve toute la minorité ;
Décide que si la CE veut persister dans sa position, la minorité ne pourra considérer cette position que comme l'exclusion de toute la minorité de la fraction.
Pour la minorité: Le Comité de Coordination
P.S. : De la réponse de la CE, datée du 23 Octobre, résulte que la non reconnaissance du groupe de Barcelone dépend du fait que la minorité pourrait devenir majorité. Le C. de C. déclare qu'il est disposé à ne pas faire valoir le vote des nouveaux inscrits à Barcelone et que la CE peut considérer valides les seuls votes des camarades déjà inscrits avant de partir pour l'Espagne.
La minorité considère pour sa part les nouveaux inscrits comme membres de la fraction.
Le C. de C. 24/10/36.
Motion (adresse) votée à la réunion du groupe de Barcelone de la F.I.G.C. (Avant de partir pour le front).
Barcelone, le 23 août 1936.
Les camarades de la fraction Italienne de la Gauche Communiste sont entrés dans les rangs de la milice ouvrière pour soutenir le prolétariat espagnol dans la lutte grandiose contre la bourgeoisie. Nous sommes à ses côtés prêts à tous les sacrifices pour le triomphe de la révolution. Durant de longues années de militantisme, de luttes et d'exil, nous avons fait une double expérience : celle de la réaction fasciste qui a jeté le prolétariat italien dans une situation désespérée, et celle de la dégénérescence du parti communiste qui a crucifié idéologiquement la masse. Pourtant le problème de la révolution ne peut trouver une solution si la masse ne se soustrait pas à l'influence de la Deuxième et Troisième Internationale, pour reconstruire son véritable parti de classe capable de la conduire à la victoire.
Nous espérons dans le développement des événements actuels qui avec leur dynamisme pourront créer en Espagne et ailleurs le parti de la révolution. L'avant-garde existant au sein du POUM a devant elle une grande tâche et une extrême responsabilité.
Nous partons pour le front de bataille dans la colonne Internationale des milices du POUM, poussés par un idéal politique qui est commun à ces héroïques et magnifiques ouvriers espagnols : l'idéal de combattre jusqu'au dernier non pour sauver la bourgeoisie en débris, mais pour abattre dans ses racines toutes les formes du pouvoir bourgeois et faire triompher la révolution prolétarienne. Pour que les efforts de nous tous ne soient pas vains, il faut que l'avant-garde révolutionnaire du POUM réussisse à vaincre les ultimes hésitations et se place résolument sur le chemin de l'Octobre espagnol. Aujourd'hui, elle devra choisir entre l'appui soit direct ou involontaire à la bourgeoisie ou l'alliance avec les ouvriers révolutionnaires du monde entier.
Le destin de la masse ouvrière du monde entier dépendra du caractère qui sera donné à l'action politique dans l'actuelle conflagration sociale en Espagne.
Vive la milice ouvrière !
Vive la révolution !
(La motion de Blondo et la dernière résolution de la minorité paraîtront dans le prochain numéro - La Rédaction)
ORDRE DU JOUR VOTE PAR LA CE LE 29/11/36 SUR LES RAPPORTS ENTRE LA FRACTION ET LES MEMBRES DE L’ORGANISATION QUI ACCEPTENT LES POSITIONS CONTENUES DANS LA LETTRE DU COMITE DE COORDINATION DU 25/12/36.
Tout au long de l'évolution de la crise de la fraction, la CE s'est laissés guider par ce double critère : éviter des mesures disciplinaires et déterminer les camarades de la minorité à se coordonner en vue de la formation d'un courant de l’organisation s'orientant vers la démonstration que l'autre courant aurait rompu avec les bases fondamentales de l'organisation alors que lui en serait resté le réel et fidèle défenseur. Cette confrontation polémique n'aurait pu trouver d'autre place qu'au Congrès. Successivement à la réunion de la Fédération parisienne du 27/09/36 qui donna naissance au Comité de Coordination, la CE exhorta la fraction a subir une situation dans laquelle la minorité avait un régime de faveur, qui consistait dans sa non participation à l'effort financier nécessaire à la vie de la presse, alors qu'elle écrivait sur cette même presse. La CE fit cela dans l'unique but d'éviter que la rupture ne se fasse sur des questions de procédure.
Immédiatement après, surgit la menace d'une rupture au cas où la CE n'aurait pas reconnu le groupe de Barcelone. La CE se basant toujours sur le même critère, à savoir que la scission devait trouver sa place sur des questions de principe et nullement sur des questions particulières de tendance, encore moins sur des questions organisationnelles, passa à la reconnaissance du groupe de Barcelone.
Enfin, quand la CE fut contrainte de constater que le refus de la minorité à échanger avec l'autre tendance la documentation concernant sa vie politique, signifiait la rupture de l'organisation (mais malgré cela la CE maintenait toujours la nécessité du Congrès) par une communication "verbale" du camarade Candiani, la minorité nous informa qu'elle serait passée immédiatement à la rupture.
Le dernier appel de la CE, du 25 Nov., reçut une réponse qui empêche toute tentative ultérieure en vue de la présence de la minorité au Congrès.
Dans ces conditions, la CE constate que l'évolution de la minorité est la preuve manifeste qu'elle ne peut plus être considérée comme une tendance de l'organisation, mais comme un réflexe de la manœuvre du Front Populaire au sein de la fraction. En conséquence, il ne peut pas se poser un problème de scission politique de l'organisation.
Considérant d’autre part que la minorité s'acoquine avec des forces ennemies de la fraction et nettement contre-révolutionnaire (Giuestizia e Libertà, débris du trotskisme, maximaliste) en même temps qu’elle proclame inutile de discuter avec la fraction..
La C.E. décide l'expulsion pour indignité politique de tous les camarades qui se solidariseront avec la lettre du Comité de Coordination du 25-11-36 et elle laisse 15 jours de temps aux camarades de la minorité pour se prononcer définitivement. Ces camarades sont invités à faire parvenir leur réponse individuellement pour le 13 décembre. Exception est faite pour les camarades résidant à Barcelone pour lesquels il sera attendu le retour afin qu’ils soient dans la possibilité de se documenter complètement. Ces réserves ne concernent pas le camarade Candiani qui avant son retour a eu la possibilité de prendre complètement connaissance de la situation.
DOCUMENTS DE LA MINORITE (suite)
RESOLUTION DES CAMARADES BIONDO ET ROMOLO
(Après leur retour du front et avoir pris contact avec la délégation officielle la fraction)
L'Espagne, en ces moments, est la clé de voûte de toute la situation internationale. De la victoire d'une des différentes forces en lutte sortira une situation différente pour l'Europe. La victoire de Franco signifierait le renforcement du bloc militaire de l'Italie et de l’Allemagne. La victoire du Front Populaire signifierait le renforcement du bloc militaire antifasciste (tous les deux conduisent à la guerre impérialiste) ; et la victoire du prolétariat qui serait le point de départ d'une reprise mondiale de la révolution prolétarienne.
En Espagne nous nous trouvons devant une situation objectivement révolutionnaire. Les élections de février se concluant par la victoire du Front Populaire ont été un étouffoir, Une soupape de sûreté qui a empêché l'explosion violente des graves contrastes entre les classes. Les grandes grèves et l'agitation qui les ont suivies en sont la démonstration.
La menace révolutionnaire du prolétariat a décidé la bourgeoisie à prendre les devants pour avoir l'avantage de l'initiative. De ces prémisses l'on arrive à la conclusion que la lutte n' est pas entre deux fractions de la bourgeoisie, mais entre bourgeoisie et prolétariat. Et que le prolétariat prend les armes pour défendre ses conditions de vie et ses organisations de l’assaut de la réaction. Pour les même raisons pour lesquelles les prolétaires ont pris les armes contre Kornilov, les ouvriers espagnols ont pris les armes contre Franco.
Il ne s'agit pas du dilemme démocratie-fascisme, mais du dilemme capitalisme-prolétariat. Et si la bourgeoisie reste virtuellement au pouvoir, si les rapports de propriété n'ont pas subi une transformation profonde, la cause doit être recherchée dans le fait que le prolétariat n'est pas armé idéologiquement, ne possède pas son parti de classe.
L’existence du parti de classe aurait résolu la question en faveur du prolétariat dès les premiers jours de la lutte. La révolution espagnole n'est pas encore entrée dans son cours descendant et les possibilités de victoire du prolétariat ne peuvent être exclues d'une façon catégorique.
Devant le capitalisme qui lutte sur deux fronts, le prolétariat doit lutter sur les deux fronts : le front social et militaire. Sur le front militaire le prolétariat lutte pour défendre ce qu'il a conquis avec des décades de lutte ; sur le front social, le prolétariat doit accélérer le processus de décomposition de l'Etat Capitaliste, forger son parti de classe et les organes du gouvernement prolétarien, ce qui permettra de donner l'assaut au pouvoir capitaliste. Sur le front militaire, dès aujourd'hui, le prolétariat tend à jeter les bases de l'armée rouge de demain. Dans les zones que, successivement, les milices occupent, l'on passe immédiatement à la formation de comités de paysans et à la collectivisation des terres, et cela au nez des gouvernements de Madrid et Barcelone.
Le groupe constitué en Espagne considère qu'il n'a pas rompu avec les principes de la fraction et pour cela il ne peut pas ne pas être reconnu. On nous demande de rompre tous les contacts avec le POUM : ces contacts n’ont jamais existé. Dissoudre la colonne n'est pas en notre pouvoir parce que ce n’est pas nous qui l'avons constituée. Quant à se disperser entre les prolétaires dans les lieux de travail, cela sera fait à mesure que les possibilités le permettront.
(Ce document doit être considéré comme une réponse à la résolution de la CE du 27-8-36 et dut être écrit à la fin du mois de septembre).
DECLARATION
Un groupe de camarades de la minorité de la Fraction italienne de la gauche italienne, désapprouvant l'attitude officielle prise par la Fraction envers la Révolution espagnole, a brisé brusquement tous liens disciplinaires et formalistes envers l'organisation et s'est mis au service de la Révolution, allant jusqu'à faire partie des milices ouvrières et à partir combattre au front.
Aujourd'hui, une nouvelle situation se présente pleine d’inconnus et de périls pour la classe ouvrière: la dissolution du Comité Central des Milices Antifascistes, organisme surgi de la Révolution et garantie du caractère de classe des Milices, et la réorganisation de cette dernière en une armée régulière dépendante du Conseil de Défense, déformant le principe de la milice volontaire ouvrière.
Les nécessités du moment historique que nous vivons imposent une vigilance extrême aux éléments d'avant-garde du prolétariat, afin d'empêcher que la masse encadrée dans le nouvel organisme militaire puisse devenir un instrument de la bourgeoisie, qui sera un jour employé contre les intérêts mêmes de la classe laborieuse. Ce travail de vigilance peut être d'autant plus efficace que les organisations de classe acquerront conscience de leurs intérêts et dirigeront leur action politique dans un sens exclusif de classe. Le travail politique dans ces organisations assume une importance primordiale qui n'est pas moins intéressante que les tâches militaires au front.
Ces mêmes camarades, tout en restant fermes sur le principe de la nécessité de la lutte armée au front, n'ont pas accepté d'être encadrés dans une armée régulière qui n’est pas l'expression du pouvoir du prolétariat, et au sein de laquelle il serait impossible de déployer une fonction politique directe. Ils peuvent, par contre, donner aujourd'hui une contribution de plus grande efficacité à la cause du prolétariat espagnol, dans le travail politique et social indispensable pour préserver et renforcer l'efficience idéologique révolutionnaire des organisations ouvrières qui doivent reprendre sur le terrain politique et social l'influence que les nouvelles conditions ont atténuées au sujet de la direction militaire.
Ces mêmes camarades, en abandonnant leur poste de miliciens de la colonne internationale Lénine, restent toujours mobilisés à la disposition du prolétariat révolutionnaire espagnol, et décident de continuer à dédier sur un autre terrain leur activité et leur expérience jusqu'au triomphe définitif du prolétariat sur le capitalisme dans toutes ses formes de domination.
Barcelone, le 22 octobre 1936.
Le Groupe Portugais "COMBATE" s’est formé en 1974 au cours du resurgissement des luttes ouvrières au Portugal, après le renversement de la dictature Caetano. Comme des groupes analogues dans d'autres pays, 1'apparition de "Combate" était un signe du réveil général du mouvement ouvrier après 50 ans de contre-révolution, une reprise qui n’a cessé de s’affirmer depuis 1968. Pendant et après Mai en France, beaucoup de groupes sont apparus qui semblaient promettre de pouvoir contribuer à la généralisation des leçons que le prolétariat a acquis si péniblement depuis que la vague révolutionnaire de 1917-23 a été engloutie par la contre-révolution montante.
Le réveil actuel de la lutte de classe internationale est le produit de l’approfondissement de la crise mondiale du capitalisme, provoquée par la fin de la reconstruction qui a suivi la guerre. Par suite, la crise a posé aussi les conditions sociales et politiques préalables au surgissement de groupes qui tentent de situer leur activité dans le camp de la classe ouvrière, contre les mystifications de l'aile gauche du capital et de ses souteneurs idéologiques (Trotskistes, Maoïstes, populistes, anarchistes, etc.) Quand il est apparu, "Combate" n'était pas seulement un souffle d’air frais émanant des luttes des ouvriers portugais, il promettait beaucoup plus. En effet, "Combate" était le seul groupe au Portugal - à part les sectes anarchistes et conseillistes paralysées de façon chronique - qui s'était regroupé autour de certaines positions révolutionnaires. "Combate" attaquait carrément les mystifications du M.F.A. (Mouvement des Forces Armées portugais), l'appareil des syndicats et de la gauche de la bourgeoisie. Le groupe défendait les luttes autonomes des ouvriers portugais et se voulait fermement Internationaliste. Dans le climat répugnant de triomphalisme créé par le carnaval gauchiste au Portugal d’Avril 74 à Novembre 75, la position de "Combate" offrait une lueur d'espoir. C’était comme si, au cœur même de la "Révolution portugaise", de la "révolution aux œillets ", qui s’affrontait sans merci aux luttes ouvrières à la TAP, à TIMEX, dans les Postes, etc., une voix prolétarienne s'était enfin élevée.
LES LIMITES DE "COMBATE"
Dans le N°5 de World Révolution, la publication du CCI en Angleterre, nous avions écrit : "il apparaît que la principale faiblesse de "Combate" est son manque de clarté sur l'organisation, combiné avec un certain localisme. (Ses) articles semblent plaider pour une opposition abstraite aux "partis", plutôt que de considérer la politique réactionnaire des partis gauchistes comme manifestation de leur nature capitaliste. Cette attitude est liée, de la part de "Combate", au fait qu'il ne voit pas la nécessité de s'organiser de façon cohérente et centralisée, autour d'une plate-forme définie. Les articles révèlent, aussi, une tendance à voir la crise actuelle au Portugal comme un phénomène portugais plutôt que comme une manifestation de la crise mondiale du capitalisme et plus encore, il semble qu'il y ait une conscience limitée du fait que les problèmes que rencontre la classe ouvrière au Portugal peuvent seulement être résolus au niveau international. " (World Révolution, introduction à l'article de "Combate" : "quels conseils ouvriers ? ")
Ce que nous disions a été confirmé par l'évolution ultérieure de "Combate". Les camarades du CCI ont rencontré et ont discuté à plusieurs reprises avec "Combate" depuis l'été 75. Mais, malheureusement, ces discussions fraternelles n'ont fait que mettre en évidence une propension, de la part de "Combate", au localisme, à la stagnation théorique, et à l'éclectisme. Dans la situation portugaise, qui requiert de la part des révolutionnaires des idées particulièrement claires, ces traits négatifs ont conduit rapidement à l'apparition et à l'élargissement d'un décalage entre les activités de "Combate" et les besoins de la classe ouvrière.
Les limites de "Combate" existaient en son sein depuis le début, mais elles sont devenues un frein réel au développement du groupe quand elles ont commencé à être "théorisées". Quand la lutte de classe au Portugal est entrée dans une phase d'accalmie temporaire (pendant et après l'été 75) "Combate" est allé clairement en régressant. Probablement désemparé par la retraite temporaire du prolétariat après les événements de Novembre, "Combate" a commencé à montrer une tendance marquée à la défense de l'idéologie "autogestionnaire", y compris la défense des luttes populistes et marginales. Cela a été accompagné, parallèlement, de la part de "Combate", par une indifférence et une abstention presque complètes vis-à-vis des problèmes politiques plus généraux qui se posaient au prolétariat portugais et mondial pendant ces derniers mois. En réponse aux récentes élections au Portugal, "Combate" publiait un titre en première page qui proclamait "Non à Otelo, Non à Eanes, pour la Démocratie directe"! Avec ces banalités, agrémentées d'un éditorial dans lequel la "Démocratie directe" était transformée en "Démocratie ouvrière", "Combate" entreprenait ensuite de submerger ses lecteurs sous un flot d'articles qui faisaient l'éloge du "contrôle ouvrier et paysan dans les entreprises portugaises" ("Combate", n°43 Juin-Juillet 1976, cf. articles : "Ciment Armé : une coopérative de travailleurs et d'habitants", "Semprocil: une expérience de contrôle ouvrier"). L'évolution de "Combate" n'est ni accidentelle, ni exceptionnelle. Elle montre le poids immense que la contre-révolution fait toujours peser sur les forces révolutionnaires qui surgissent, un poids si grand qu'il peut facilement abréger le développement positif d'un groupe, surtout dans une situation où le groupe est coupé de la continuité théorique et organique avec le mouvement ouvrier du passé. C'est pourquoi l'évolution de "Combate" est importante, parce qu'elle aide les révolutionnaires à évaluer les difficultés que rencontre aujourd'hui la classe ouvrière dans sa recherche permanente de clarté et de compréhension plus profonde.
LES ORIGINES DE "COMBATE"
Les tâches que "Combate" a essayé de remplir dans la lutte de la classe portugaise n'ont jamais été définies très clairement. "Combate" a commencé en 74, comme une espèce de "Collectif" autogéré, centré sur une librairie à Lisbonne. Cette librairie, à tour de rôle, était ouverte aux ouvriers en lutte et aux "groupes révolutionnaires autonomes" comme endroit pour tenir des réunions. Les locaux étaient aussi prêtés aux entreprises autogérées - qui sont une caractéristique courante dans l'industrie légère portugaise depuis 1974 - comme débouché pour leurs marchandises. En réponse à la lettre d’un lecteur "Combate" affirmait dans un de ses numéros que la raison d'être du journal était de contribuer à "l'auto organisation et l'auto direction de la classe, en aidant à créer les conditions qui favorisent et accélèrent cette auto-organisation" ("Combate", n°29). Bien que cette formulation fût juste en soi, la tâche "d'aider" les travailleurs était conçue bien souvent de façon académique, dans le sens d'une "démystification" de l’idéologie capitaliste d'Etat détenue par une prétendue classe "technocratique" supposée prendre en main la société (une notion probablement empruntée aux écrits de James Burnham, ou de Paul Cardan). Par ailleurs, "Combate" voyait ses tâches comme une intervention dans les "commissions ouvrières" qui sont apparues pendant les luttes ouvrières au Portugal, pour les "unifier". Ces commissions sont devenues maintenant, avec le reflux de la lutte de classe, des véhicules de l'idéologie autogestionnaire dans le prolétariat.
A ces tâches de "démystification" idéologique et d"'unification pratique" de la classe au Portugal, il était joint un appel faible et incohérent à l'internationalisme. Mais cet appel n'était compris par "Combate", qu'en termes de "solidarité internationale" des travailleurs dans tous les autres pays - de préférence ceux qui étaient engagés de la même manière dans des activités "autogestionnaires" - avec les ouvriers au Portugal. "Combate" se désintéressait complètement du combat pour la création d'une organisation internationale, définie politiquement par sa défense des positions de classe au sein de la lutte de classe internationale. Apparemment, la création d'un corps de communistes regroupés autour d’une plate-forme, avec un cadre international clair, basée sur les leçons passées et actuelles tirées des luttes de classe, était un peu trop "théorique" pour "Combate"."Combate" insistait sans cesse sur le fait qu'il n'était "ni léniniste, ni anarchiste", comme si la question de l'organisation révolutionnaire pouvait se ramener à un niveau aussi simpliste. "Combate", cependant, était toujours prêt à entreprendre un travail "commun" avec n'importe qui, y compris les staliniens, pourvu qu'un vague dénominateur commun de confusion soit respecté par les participants. Un tel frontisme était candidement admis dans un manifeste publié par "Combate" :
"Tout notre travail a comme seul point de référence, les positions pratiques défendues dans les luttes ouvrières. Et il n'a comme seul objectif que de contribuer à l'unification des différentes luttes en lutte générale des masses prolétariennes et autres travailleurs. Nous ne sommes pas un parti et nous ne nous proposons pas de constituer un parti basé sur le travail lié à notre journal. Des éléments ou des groupes, de n'importe quel parti ou sans parti, collaborent à ce travail à la condition qu'ils développent des positions révolutionnaires pratiques dans les luttes ouvrières." (Manifeste de "Combate")
Ce que signifie exactement "développer des positions révolutionnaires pratiques" n'était pas explicité, mais on est conduit à soupçonner que c'est le cheval de Troie de l'autogestion. C'est ainsi que, pour "Combate, toute la question de l’organisation révolutionnaire n’était qu’un vague "projet" enraciné dans le localisme, et étayé par des conceptions autogestionnaires. Un effort qui combinait nettement les caractéristiques à la fois de l’anarchisme et de l'avant-gardisme gauchiste. La tâche d’organiser et de "fomenter" la lutte de classe ainsi que la lutte dans l’armée et la marine était carrément établie par "Combate" comme le passage suivant le met en évidence :
"Ce journal a pour but d’être un agent actif dans la liaison des différentes luttes particulières, en popularisant ces luttes et les expériences organisationnelles qui ont pu en résulter, et en accélérant de cette manière le développement des luttes ouvrières généralisées. C'est à partir de ces luttes et du développement de la lutte généralisée que toute l'élaboration de ce journal sera fondée, et aura pour résultat l'approfondissement des positions que nous prenons. Ce journal est le premier axe de notre travail."
Notons déjà que "Combate" base son existence comme journal sur des contingences, à savoir l'existence de "différentes luttes particulières" sur laquelle "toute son élaboration sera fondée". En écrivant cela, "Combate" annonce donc sa propre disparition dès le premier recul des luttes, ce qui suppose, soit qu'il ignore totalement la façon dont se développe la lutte prolétarienne avec ses pauses, ses reculs et ses brusques surgissements, soit qu'il se refuse à toute activité dès que la classe connaît un tel recul momentané. Dans un cas comme dans l'autre nous avons affaire à une attitude irresponsable : il faut effectivement manquer sérieusement du sens des responsabilités pour se proposer d'influer sur un mouvement aussi fondamental pour le destin de l'humanité comme celui du prolétariat sans en connaître les rudiments ou en prévoyant de le déserter dès qu'il connaîtra le moindre revers.
Mais voyons la suite de la citation :
"Intimement lié au journal, réside la tâche de susciter l'organisation d'assemblées de masse parmi les travailleurs, les soldats et les marins, ou de travailleurs avec des soldats et des marins impliqués dans des luttes spécifiques. Nous savons que c’est une tâche difficile, qui requiert plus que la simple préparation des nombreuses conditions matérielles comme la défense contre la répression de la bourgeoisie. Mais il ne peut y avoir de développement et de généralisation de notre lutte sans la réalisation d’assemblées de masse des ouvriers ayant des expériences de luttes particulières et différentes. C’est le deuxième axe de notre travail" (Ibid.)
Bien qu'il soit vrai qu’un groupe révolutionnaire intervienne et participe aux luttes de la classe ouvrière, surtout quand le Prolétariat entier entre dans une nouvelle période de combativité comme aujourd’hui, l'organisation révolutionnaire ne prépare pas (et dans ce domaine, elle ne peut pas) "les conditions matérielles" pour la lutte révolutionnaire de la classe (la création de liens à grande échelle entre les travailleurs en lutte, le déclenchement d'actions de classe contre la répression de la Bourgeoisie et son Etat, etc.) Abandonnant son premier rôle d’organisation d’assistance sociale offrant ses services à la classe ouvrière, "Combate" s'est attribué en idée le rôle vedette de majordome de la révolution. Une transformation équivalente à celle de l'obscur Clark Kent en Superman !
Les minorités révolutionnaires du prolétariat défendent le but final général du mouvement prolétarien : le Communisme. Leur tâche n'est pas "d'organiser", "d'unifier" ou de "fomenter" les luttes du Prolétariat. Ce n'est que la classe comme un tout qui peut armer ses propres bataillons, les préparer dans la lutte pour l'assaut final contre le bastion du pouvoir Bourgeois, l'Etat, puisque c'est seulement le prolétariat révolutionnaire dans son ensemble qui peut devenir la classe dominante de la société, et non une minorité de leaders et de "tacticiens auto désignés". Les conceptions de "Combate" sur sa propre fonction ne sont pas seulement disproportionnées, du fait qu'elles ne se basent pas sur une définition claire des principes politiques de l'organisation révolutionnaire et des responsabilités des militants de celle-ci, elles aboutissent également et en fin de compte à laisser l'ennemi de classe participer aux "projets révolutionnaires pratiques." Les staliniens, les populistes du COPCON, de la variété PRP, les trotskistes isolés, etc., tous ont leur contribution à faire, pour autant qu'ils s'inclinent devant les mystères du "contrôle ouvrier" et de "l'autogestion". Leur contribution aurait sûrement l’approbation de "Combate" s'ils choisissent d’ajouter des phrases résolues contre la création de "partis politiques" puisque, pour "Combate" une telle création signifie automatiquement "léninisme". Bien sûr, partant d'une telle conception, il n'y a d'ailleurs pas de raison pour que Otelo lui-même ne puisse avoir quelque contribution à apporter à titre individuel aux efforts de "Combate".
L'expérience portugaise après bien d’autres nous a démontré que derrière l'étiquette "apartidaire" se regroupent bien souvent les bataillons légers et les francs-tireurs du capital. Ceux qui, au lieu d'affronter ouvertement le mouvement de la classe tentent au contraire d'en flatter les tâtonnements afin de le dévoyer. Quand les ouvriers commencent à se révolter contre les partis bourgeois, les "apartidaires" essaient de les dresser contre tous les partis, y compris les organisations que la classe a fait surgir historiquement dans son effort de prise de conscience. Incapable de faire disparaître la méfiance que ses partis et mystifications classiques inspirent à la classe ouvrière, le capital essaie d'étendre, cette méfiance jusqu'aux organisations révolutionnaires qui défendent le programme historique du prolétariat afin que celui-ci se prive d'un des instruments fondamentaux de sa lutte et de son autonomie de classe
Au Portugal comme ailleurs, où la bourgeoisie est à bout de souffle, cette phrase séculaire "pas de partis politiques" exprime en fait les intérêts de l'appareil d'Etat dans ses tentatives de submerger l'autonomie de la lutte de classe sous l'hégémonie "apolitique" du capitalisme d'Etat portugais.
L’INTERNATIONALISME DANS LE STYLE DE "COMBATE"
Pour expliquer les événements portugais, "Combate" a écrit "la situation intenable de la bourgeoisie portugaise dans les colonies, l'incapacité de vaincre militairement le peuple des colonies, a été un des facteurs qui ont rendu extrêmement urgent pour la bourgeoisie le "changement" de sa politique, et l'ont conduit à rechercher à travers la paix militaire, des solutions politiques et économiques néocolonialistes.
La multiplicité des grèves et des luttes que les ouvriers portugais ont entreprise ont montré à la bourgeoisie que l'appareil répressif du régime Caetano était déjà complètement inadapté pour essayer de contenir et de réprimer ces grèves. La bourgeoisie voulait alors permettre le "droit de grève" en même temps qu'elle mettait à la tête de l'appareil syndical des éléments réactionnaires opposés à la pratique des grèves.
Les classes et les couches exploiteuses avaient aussi besoin d'adapter l'appareil d'Etat à la résolution des graves problèmes économiques qui s'accumulaient sans que le gouvernement de Caetano ne soit capable de trouver une quelconque solution. L'inflation, la nécessité d'intensifier le développement industriel, les relations avec le Marché Commun, l’émigration, tout demandait une réorganisation urgente et à grande échelle de l'appareil d'Etat." (Manifeste de "Combate", p.1)
Comme on peut le voir ci-dessus, les explications de "Combate" pour le coup d'Etat d’avril 74, ne dépassai pas le cadre étroit du localisme. Une vision du coup d'Etat strictement circonscrite au contexte portugais, l'inflation galopante, la nécessité d'intégrer l'économie portugaise plus complètement dans la CEE, la vague montante de luttes de classe au Portugal sont toutes des aspects de la réalité du Capital portugais comme partie du système capitaliste international. La crise portugaise a été, en d’autres termes, une expression, un moment, de la crise mondiale du capitalisme qui a marqué la fin du "boom" d'après guerre. "Combate", toutefois, a considéré la lutte de classe au Portugal comme un phénomène essentiellement "portugais". C'était comme si le monde entier tournait autour du Portugal, et autour du prolétariat portugais. L'afflux pesant de gauchistes au Portugal a donné corps à cette illusion et contribué à l'atmosphère d'euphorie engendrée par "la révolution des œillets". De même que le Chili d'Allende était devenu un grand laboratoire pour les diverses expériences gauchistes, de "socialisme", le Portugal a été transformé en un centre vital de mystifications gauchistes. Mais du fait qu'il appartient, contrairement au Chili, à l'Europe occidentale, le Portugal constitue un terrain d'autant plus propice pour le gauchisme. En tant que chaînon important dans le dispositif de l'OTAN et nation solidement intégrée à l'économie européenne, le Portugal est devenu un véritable Eldorado pour les entrepreneurs gauchistes.
Dans un pays, relativement arriéré, où le mouvement ouvrier a subi une atomisation immense au cours des cinquante dernières années, où une tradition politique révolutionnaire forte et cohérente n’a jamais existé, le surgissement de luttes de classe sérieuses était voué à donner aux révolutionnaires dans ce pays la fausse impression de triomphe, surtout quand leur enthousiasme n'était pas tempéré par une compréhension sobre et rigoureuse de la lutte de classe internationale et de ses perspectives. Cet optimisme institutionnalisé, ce triomphalisme naïf, devait aller de pair au niveau pratique avec une activité immédiatise et des préjugés localistes face aux implications du développement de la crise internationale du capitalisme et de la lutte du prolétariat.
En janvier 1976, un membre de "Combate" pouvait écrire: "je dirais que la lutte de classe au Portugal est idéale et pure : les producteurs se trouvent en lutte contre les expropriateur, une lutte presque sans médiation institutionnelle intégrée à l'appareil d'exploitation". L'auteur poursuit en parlant du nouveau régime portugais comme d’un "Etat capitaliste dégénéré" ; dégénéré sans doute à cause d’une classe ouvrière avec "une grande conscience et une grande capacité politique" (Joao Bernado, Portugal, économie et politique de la classe dominante, Londres, 1976, p.2)
Pour le localise, le monde entier tourne autour de lui et de ses petits "projets ". Le localisme n'a de la lutte prolétarienne qu'une vision au jour le jour. Il est perdu quand il essaie de généraliser de telles expériences à un niveau plus global. C'est pourquoi le nationalisme est toujours dans ses perspectives, car ce dernier est incapable d'apprécier le poids et la signification de la situation immédiate en relation avec les questions et les événements plus généraux. Les localistes ne trouvent de nouveaux "aliments" que dans leur environnement immédiat et d'origine dans une discussion individuelle d’un travailleur, une lettre d’une entreprise autogéré voisine, ou dans les "on-dit" de la vie quotidienne. Une certaine "présence physique dans les "luttes quotidiennes" des ouvriers donne aux localistes une opinion exagérée d’eux-mêmes qui les incite à assumer leur rôle d’interprète des aspirations et de la conscience locales du prolétariat. Si la lutte s’approfondie, les localistes (qui ont tendance à devenir super activistes dans de telles conditions) connaissent leur jour de gloire. L’ampleur de la lutte est gonflée au-delà de toute proportion, et l'enthousiasme irréfléchi et les prédictions messianiques étreignent le cœur et tombent de la bouche du localiste. Mais quand la lutte reflue, le localiste reste échoué, se sent "trahi" par la lutte de classe.
Le pessimisme, la "théorisation" académique de l'isolement individuel, ou alors l'adhésion cynique aux vues du gauchisme s'ensuivent. En bref, la stabilité politique des localistes est toujours minime, et n'est d'aucune valeur positive pour la lutte prolétarienne.
Pour "Combate" aussi, l’optimisme, fondé sur une analyse superficielle des événements locaux, s'est évanoui pour être remplacé par le pessimisme, quand la lutte de classe au Portugal s’est engagée dans une phase de recul. Au début de 76, "Combate" a commencé à dresser un bilan de son travail international :
"Nous remarquons que pour les groupes qui affirment défendre la lutte autonome des ouvriers et qui quelquefois écrivent à "Combate", il n'y a presque toujours qu’un seul souci, la discussion des concepts théoriques en général, de façon idéaliste et indépendante des expériences réelles des luttes prolétariennes, avec le but, par-dessus tout, non pas de faire de la propagande pour les nouvelles formes d'organisation que le prolétariat en lutte a créées, mais de faire de la publicité pour leur propre doit y avoir de la place quelque part pour leur propre groupe politique considéré comme étant le dépositaire de recettes théoriques, sans la connaissance et l’étude desquelles le prolétariat ne peut être sauvé. Quand ces groupes publient des textes de "Combate", ce sont à quelques exceptions près les éditoriaux. Les groupes qui publient à l’étranger les textes des travailleurs ou les interviews, existent en nombre infime et c'est pour nous la partie du journal qui est la plus importante pour l'état d'organisation, les formes de lutte et la conscience des ouvriers portugais, afin de développer ces formes lutte internationalement. Presque deux ans de correspondance nous ont convaincu du fait que ces organisations confondent le monde gigantesque de la lutte de classe avec le monde microscopique des luttes d’organisation" (in "Internationalisme, la lutte communiste et l’organisation politique". Supplément à "Combate" n°36)
Préférant les télescopes aux microscopes, "Combate" nous explique ce qu’il veut dire par "monde gigantesque de la lutte de classe" : "Depuis. le début de ce journal, nous avons cherché à ce que les groupes et les camarades des autres pays qui ont une pratique analogue unissent leurs forces pour établir des relations entre les travailleurs (Un exemple : très récemment, les ouvriers de TIMEX ont dit qu'il était difficile d'entrer en contact avec les ouvriers de cette multinationale dans les autres pays, parce qu'ils ne peuvent avoir les travailleurs au téléphone, mais seulement les patrons qui boycottent de tels contacts). Ne serait-il pas plus facile pour les groupes qui essaient de dynamiser les luttes des travailleurs, de travailler dans la voie qui rendrait ces contacts possibles ? "(Ibid.).
Pauvre prolétariat ! Son monde gigantesque est si vaste qu'il a besoin du dynamisme de groupes comme "COMBATE" pour enjamber les vastes espaces. Comment la classe ouvrière pourrait-elle unifier ses luttes si elle n’a pas de réseau de communication correct, établi pour elle par les fées débrouillardes des « organisations révolutionnaires », travaillant en heures supplémentaires à la composition de bons numéros ? Mais "Combate" ne veut pas être simplement considéré comme un central téléphonique commode, son rôle de majordome révolutionnaire ne peut pas se limiter à cela, il doit y avoir de la place quelque part pour la théorie :
"Nous ne voulons pas dire que nous considérons pas la discussion de problèmes théoriques comme importante, ou que ceux-ci ne pourraient être élargis par les différentes pratiques de luttes dans les différents pays. Mais dans notre compréhension de ceci, la plate-forme pour l’unité du prolétariat révolutionnaire est inscrite dans les formes d’organisation qui sont développées par les luttes autonomes et la conscience qui en est le produit, et non dans un quelconque système idéologique particulier, lié à des querelles théoriques. Pour nous, il est plus important de contribuer aux formes concrètes de lutte qui font éclater les frontières et qui permettent aux travailleurs d’établir des relations directes dans la lutte commune contre le capitalisme" (ibid.).
Malheureusement, pour "Combate", la "théorie" est tributaire d'une relation mécanique purement immédiate, et subordonnée aux "formes concrètes de lutte" fragmentaires de l’époque actuelle, sans qu'aucune considération ne soit accordée à l'aspect historique de la conscience de classe liée, comme elle l'est, à toute l'expérience du prolétariat international, acquise après plus de 130 années de luttes.
Cette confusion, chez "Combate", est le résultat d'une incohérence totale en ce qui concerne les buts communistes de la classe ouvrière, le rôle du parti et des organes de masse prolétariens : les conseils ouvriers. "Combate" n’arrive pas à comprendre la période actuelle de décadence du Capitalisme, l’impossibilité de conquérir des améliorations durables, la nature réactionnaire des partis gauchistes (réactionnaires non parce qu’ils "limitent" l'autogestion, mais à cause de leur défense du capitalisme pendant les 50 dernières années de contre-révolution), et ce qu'implique véritablement pour la classe ouvrière l'internationalisme. En somme, "Combate", sous prétexte de rejeter ce qu'il considère comme de simples "querelles théoriques" manifeste une indifférence à peu près complète pour la clarté au sein de la lutte révolutionnaire de la classe, et la nécessité d'une plate--forme cohérente dans la lutte de classe. La conscience de classe est un élément historique dans la lutte du prolétariat - elle ne surgit pas du néant chaque jour, engendrée par chaque action fragmentaire d’individus de la classe ouvrière. De même, l'internationalisme n'est pas un échange ad hoc, fait au hasard, d'"expériences concrètes" de tels ou tels individus ou sectes, qui agissent avec une conception implicitement fédéraliste du style "je vous aiderai si vous m'aidez". De telles "expériences concrètes" ne font éclater aucune frontière, si ce n'est dans la tête des éléments qui s’en font les adorateurs béats.
En fait derrière cette attitude de prosternation devant chacune des luttes "concrètes" et de mépris devant les expériences passées, derrière cette vision édulcorée de l'internationalisme, réside une vision étriquée et mesquine du prolétariat. Celui-ci n’est plus un être social ayant une unité historique et géographique: il devient la simple somme et juxtaposition d'ouvriers ou entreprises dont le mouvement historique vers le communisme se réduit à l'accumulation quotidienne "d'expériences pratiques" de "nouvelles formes d'organisation" sensées préfigurer les rapports sociaux de cette société. On en arrive alors, d’une façon insensible et inavouée, à la vision gradualiste qui croit que le communisme peut se construire par étapes, au sein du capitalisme, quand l'Etat bourgeois est toujours là, exerçant sa tutelle sur l'ensemble de la vie sociale.
Une telle aberration est semblable à la théorie de Bernstein, mais assortie par les ajouts plaisants de l'autogestion et autres colifichets idéologique des 50 dernières années de contre-révolution, comme la défense des luttes marginales, la défense des "peuples opprimés", etc. L'idée du "Socialisme dans un seul pays" mise en circulation par le stalinisme n'est pas étrangère à cette théorisation confuse. Aussi s'entend-on dire par "Combate" que "les formes sociales communistes peuvent être créées pendant un moment dans certains cas particuliers, sans que la société toute entière n'y soit arrivée et n'ait transformé les simples formes sociales en organisation économique communiste réelle" (ibid.) !! "Combate" ne parait pas avoir remarqué le rôle joué par l'idéologie autogestionnaire dans la lutte de classe au Portugal, dans l’aide au sauvetage de la production capitaliste. Au contraire, l'"autogestion", les "formes communistes" de gestion de firmes capitalistes, sont présentées par "Combate" comme "la solidarité des ouvriers" dans la lutte. Les recettes titistes, Ben Belistes cuisinées à la façon non doctrinaire coutumière de "Combate ", veulent éviter de semer la confusion dans les luttes ouvrières avec le monde "microscopique" de la lutte entre les organisations, et noient tout simplement la lutte de classe dans le marais macroscopique de la contre-révolution. Quand "Combate" réclame "1'autonomie" pour les masses, en fait, son appel n'a rien à voir avec les masses - c'est simplement la requête de "Combate" pour qu'on lui permette de continuer à déformer la signification du communisme, à sa façon si pratique, si concrète, si apolitique et "autonome". C'est un plaidoyer pour l'autonomie organisationnelle qui demande qu'on lui épargne la recherche et la critique principielle des organisations communistes qui reconnaissent l’importance absolument vitale de la clarification et de l'absence de confusion dans la lutte de classe.
L'EVOLUTION ULTERIEURE DE COMBATE
Le destin de "Combate" est celui d'un groupe qui essaie de se placer sur le terrain de la lutte de la classe ouvrière, mais qui n'a pas réussi à voir que cela impliquait la rupture avec toute la boue idéologique du capitalisme décadent. Aucun groupe ne peut aujourd'hui rester dans le no man’s land entre les positions gauchistes, conseillistes floues, et les positions communistes du prolétariat. En dernière analyse, une frontière de classe sépare les unes des autres. Pour "Combate", évoluer positivement aurait consisté à comprendre la nécessité du regroupement international des révolutionnaires au sein d'une organisation défendant des positions de classe clarifiées par la lutte historique du prolétariat international. Cela ne s'est pas produit (et peut-être, étant donné la confusion engendrée par la "révolution des œillets", cela ne pouvait-il pas se faire).
Après un certain point, l'évolution de "Combate" est devenue négative et le groupe est devenu le porte-parole de nombreuses mystifications gauchistes, tout en prétendant être "le reporter" des activités des ouvriers. Les préoccupations favorites habituelles de la politique libertaire sont devenues de plus en plus à la mode dans les pages de "Combate", avec des articles sur l'avortement, des reproductions de publications étrangères, telles que "International Socialists" en Angleterre, sur les problèmes des femmes, ou des articles sur les problèmes raciaux, reproduits sans critique, de "Race Today", etc. Les questions essentielles auxquelles est confrontée la lutte prolétarienne ont moins de place dans "Combate". La nécessité de l'internationalisme dans la lutte de classe, par exemple, était envisagée de façon ambiguë par "Combate", dont les demi-vérités et les truismes sur ce sujet tendent à esquiver toute responsabilité organisationnelle vis-à-vis de cet aspect fondamental de la lutte de la classe ouvrière. "Combate", comme beaucoup de courants confus, peut être d'accord sur presque tous les points avec un groupe communiste pourvu que l’accord puisse être donné sans conviction et n'implique ainsi aucune conséquence politique. Comment ne pas reconnaître que c’est la porte ouverte à l'opportunisme invertébré?
LES DIFFICULTES RENCONTREES PAR LES REVOLUTIONNAIRES AU PORTUGAL ET EN ESPAGNE
Les limitations objectives d’aujourd'hui trouvent leur origine dans le désarroi, la démoralisation et la confusion régnant sur deux générations du prolétariat mondial qui ont subi les pires coups de la contre-révolution. Alors que le niveau de la lutte de classe qui s'élève actuellement pose les conditions nécessaires à la formation de groupes révolutionnaires, cette période est toujours infectée par les aberrations idéologiques et les débris de la précédente. Aujourd'hui, si les groupes qui surgissent n'enracinent pas solidement leur activité dans un cadre international cohérent, tôt ou tard, ils s'engageront dans la voie de la décomposition théorique et pratique. Marx disait que les idées des générations mortes pèsent comme un cauchemar sur les cerveaux des vivants. L’évolution négative de "Combate" illustre cette vérité de façon poignante.
Le Portugal et l'Espagne aujourd'hui représentent des exemples spécifiques de la situation difficile que rencontrent les révolutionnaires. L'arriération économique et politique de ces deux maillons faibles du capitalisme européen a entraîné le fait que le Prolétariat de ces pays ait tendu à être propulsé dans l’arène politique dès le début de la crise économique. Dans le but de dévoyer les luttes du prolétariat, les forces gauchistes sont aussi apparues en Espagne et au Portugal, annonçant au monde entier que le prolétariat devait être noyé dans tout le "peuple révolutionnaire". Les essais du gauchisme pour diluer la classe ouvrière dans le front commun du "peuple" ouvrant la voie à tout un barrage de mystification que la gauche utilise pour entraîner le prolétariat aux besoins du capital national.
Toute une mythologie à propos de la "Révolution Portugaise" en 1974 a pris corps grâce aux gauchistes au Portugal. La même chose arrivera demain en Espagne. Sur tous les toits de Lisbonne et de Porto, les gauchistes ont crié la nécessité de "défendre" la soi-disant "révolution", en même temps qu'ils s'employaient systématiquement à dévoyer les luttes autonomes des travailleurs vers les impasses de "l'indépendance nationale", de "l'autogestion ouvrière". Toute la campagne révoltante pour les "comités populaires", "la démocratie populaire", "la démocratie à la base", les "conseils ouvriers" (SIC), les "inter-impresas", tous ces lamentables mensonges ont été utilisés à fond par les gauchistes au Portugal.
Au Portugal, il était presque impossible de nager contre ce courant de mensonges, de confusion et de faux espoirs engendrés de façon si hystérique par le gauchisme. Initialement, "Combate" semblait capable de le faire. Mais l'erreur de "Combate" était de considérer que la montée des luttes de classe au Portugal était le signe avant coureur immédiat d'une transformation sociale totale au Portugal" Il n’a pas réalisé que la lutte des ouvriers portugais était un maillon qui constituait dans la chaîne de la lutte de classe internationale, et que ce que promettait le prolétariat portugais devait être considéré en termes de leçons acquises dans les luttes d'aujourd'hui qui trouveront leur achèvement dans la lutte révolutionnaire du prolétariat international dans les années à venir.
"Combate", cependant, a surestimé les événements au Portugal, et, plus tard, a prouvé qu'il était incapable de fournir une analyse communiste sérieuse de ce qui se passait. Il mettait l'accent sur l'autogestion et les luttes "quotidiennes" de la classe ouvrière au Portugal. Il y avait, bien sûr, une montée énorme de la combativité au Portugal qui réclamait l'intervention de tout un groupe révolutionnaire au mieux de ses possibilités. Mais une telle intervention ne pouvait être systématique et porter ses fruits que si elle était fondée sur une conception internationale claire de la lutte de classe globale. "Combate" a naïvement méconnu la nécessité d'une telle clarification. Il croyait que la clarté politique jaillirait spontanément des luttes "quotidiennes" de la classe ouvrière portugaise. C'est pourquoi, pour lui, il n'y avait aucune nécessité fondamentale de faire le lien avec quoi que ce soit en dehors du Portugal, en dehors d’une vague notion "d'internationalisme", qui, au mieux, équivalait à un vague sentiment de solidarité morale avec les secteurs dispersés de la classe. Son plaidoyer pour des "liens" permanents entre les travailleurs se réduisait à une crainte que les travailleurs eux-mêmes ne soient incapables de faire jouer une solidarité de classe dans une poussée révolutionnaire, et n'était en fait rien moins qu'une défense des idées d'autogestion portées à un niveau "international". Différents secteurs de la classe unis par "des liens" permanents pourraient en apparence mieux lutter dans le combat pour des réformes. Mais un tel combat est impossible aujourd'hui dans un monde assiégé par la crise historique du capitalisme. Pour les Révolutionnaires, prêcher pour des "liens" ou des "rapports" basés sur les illusions réformistes du prolétariat, c'est semer la confusion et abaisser le niveau de conscience de classe née dans les dures batailles de la classe telles qu’elles se sont déroulées au Portugal même en 1974 et 1975.
La décomposition politique de "Combate" est une perte pour le mouvement révolutionnaire aujourd'hui. C'est une perte quand on pense à ce que "Combate" et des groupes semblables auraient pu devenir s'ils avaient évolué positivement. Mais, dans leur état actuel, de tels groupes fonctionnent comme une entrave au développement de la conscience du prolétariat : ils deviennent des obstacles à la cohésion organisationnelle et au regroupement fondés sur des principes révolutionnaires.
Dès lors, et en l'absence d'un redressement dont la possibilité s'éloigne de plus en plus au fur et à mesure qu'ils s'enfoncent dans leurs erreurs et surtout la théorisation de celles-ci, ces groupes ne sauraient résister bien longtemps à la terrible contradiction à laquelle ils sont soumis entre leurs propres principes révolutionnaires de départ et la terrible pression de l'idéologie bourgeoise qu'ils ont laissé pénétrer en leur sein en se refusant à donner à ces principes une assise claire et cohérente basée sur les besoins de l'expérience historique de la classe. L’alternative qui s'ouvre à eux est alors simple :
- soient ils résolvent la contradiction en franchissant le Rubicon et rejoignent le camp capitaliste par l'abandon de principes qui les embarrassent de plus en plus ;
- soit, plus simplement, ils disparaissent, disloqués par cette contradiction.
C'est probablement ce qui va arriver à "Combate" dont la disparition est déjà, comme nous l'avons vu inscrite en filigrane dans la plate-forme sur laquelle il base son existence. Si un tel groupe ne réussit pas, comme il est très probable, à remonter le courant de la confusion, c'est en fin de compte la seule évolution qui réponde à la nécessité vitale de positions communistes claires dans le mouvement ouvrier.
NODENS
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