Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 23 mars 2024 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [1]) ou dans la rubrique « nous contacter [2] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Face aux nouvelles calomnies du GIGC[1] en réaction à l'article de défense de notre plateforme[2], nous avons jugé que nous ne pouvions pas les laisser sans réponse, même si cela implique de retarder la sortie d'autres articles planifiés et également dédiés à la défense de notre organisation.
Le GIGC présente nos articles dénonçant ses critiques mensongères, ses déformations, ses omissions par rapport à notre plate-forme comme un moyen de faire diversion face aux questionnements des militants du CCI et même de contacts au sein du milieu politique prolétarien, par rapport à la supposée dérive politique de notre organisation.
Il commence par disqualifier notre dernier congrès international, mais « dans le vague », en évitant d'être concret et précis, marquant un mépris vis-à-vis de ses travaux sans bien sûr se risquer à en faire une critique politique. Ainsi, il conclut que ce congrès était "Empêtré dans des contradictions théorico-politiques d’ordre idéaliste", que ses travaux "ne représentaient pas d’enjeu particulier pour le camp prolétarien" et ne font qu'exprimer "la marginalisation croissante de notre organisation". À propos de quel document en particulier ? C’est un mystère sur lequel le GIGC reste muet, mais on imagine sans peine qu'il s'agit du rapport sur la "décomposition de la société" dont une partie, "La méthode marxiste, outil indispensable pour comprendre le monde actuel", inclut une réponse argumentée aux critiques de notre "prétendu idéalisme". Évidemment, l’objectif du GIGC n’a jamais été de combattre politiquement nos prétendues "contradictions théorico-politiques d’ordre idéaliste"[3], dans la mesure où la confrontation politique ne l’intéresse pas. La prétendue « critique théorique » du GIGC consiste en une succession de phrases ronflantes sans aucun argument ou preuve qui vise uniquement à nous dénigrer. Dans cette sale besogne, il n’innove pas, il ne fait que suivre la méthode de « débat » des gauchistes ou celle d’un maitre du parasitisme politique, Bakounine, qui adressait au conseil général de l’AIT, les admonitions et accusations les plus bruyantes en vue de cacher ses propres agissements sournois.
Il répand des insinuations sur la vie interne du CCI. Sans aucun élément à l'appui, le GIGC décrète que nos 6 articles de dénonciation de ses méthodes seraient destinés à obliger nos "militants à taire leurs doutes sur les positions, analyses et la dynamique politiques de l'organisation". Au-delà du fait que c'est très méprisant pour tous les militants du CCI, il s'agit d'une tentative supplémentaire d’instiller le venin de la méfiance au sein du milieu politique prolétarien vis-à-vis de "l'organisation stalinienne" que nous serions. À ce propos, nous invitons nos lecteurs à parcourir notre presse afin d'évaluer la manière dont le CCI a toujours rendu compte dans ses colonnes de ses discussions et débats internes, y compris sur les questions organisationnelles. L’attaque « théorique » se double ici d'une attaque « organisationnelle ». Dans sa furie dénigrante - la seule raison d’être du GIGC - il lui faut à tout prix faire apparaitre le CCI de la façon la plus repoussante possible.
Il tente également d’instiller le doute parmi nos contacts en prétendant que le CCI se sert du prétexte des attaques du GIGC pour ne pas répondre "aux questions que les contacts et jeunes militants se rapprochant de la Gauche communiste lui présentent sur les positions des autres groupes, dont la TCI et le GIGC tout particulièrement". Pour information, nous n'avons pas été confrontés à une masse de questions sur les positions du GIGC, même pas une seule en réalité. Mais surtout, nous n’escamotons aucune question ou critique émanant des groupes du milieu politique prolétarien et leurs sympathisants. Néanmoins, si des contacts nous avaient sollicités à propos du GIGC, nous n'aurions pas manqué de leur faire une description circonstanciée des violations de nos statuts et des actes de mouchardage de la FICCI (Fraction Interne du CCI), laquelle trouve aujourd'hui sa continuité dans le GIGC au moyen de changements « programmatiques » qui ne modifient rien à la réalité et l'essence de ce groupe. Rappelons à ce propos qu'à nos yeux, le GIGC, pour être un groupe policier[4], ne fait pas partie du milieu politique prolétarien et encore moins de la Gauche communiste[5].
Le GIGC prétend enfin que le CCI introduirait la division et le sectarisme au sein du camp prolétarien. Toute notre pratique illustre tout le contraire : nous sommes pour une confrontation politique fraternelle mais sans concessions des divergences en sein du milieu politique prolétarien et pour un travail en commun chaque fois que possible, …. Mais tout cela ne peut ni ne doit éluder la nécessaire défense de ce même milieu, notamment à travers le combat contre les mouchards, les aventuriers et les agents de l’État. Nous incitons les lecteurs qui auraient des doutes sur cette question à se référer à l'histoire même du mouvement ouvrier, notamment les combats passés engagés par les révolutionnaires pour exposer les corps parasites en leur sein, comme l'Alliance de Bakounine au sein de l'Association Internationale des Travailleurs, les agents de l'État comme Vogt (auquel Marx a dédié un an de travail sur un livre le démasquant)[6], les aventuriers comme Lassalle et Schweitzer dans la social-démocratie Allemande[7]. Nous nous situons dans cette tradition en dénonçant la FICCI et son avorton, le GIGC [8].
Si le GIGC essaie ici de faire passer la défense intransigeante du milieu prolétarien pour une politique sectaire de division, c'est fondamentalement pour tenter de se blanchir en tant que mouchards, qui n’ont pas hésité à apporter leur soutien à l'indéfendable aventurier Gaizka[9]. Nous appelons à ce propos à la lecture d'un article récent rendant compte de discussions avec la TCI à propos de la question suivante : "un aventurier doit-il être exposé publiquement ?" [10].
- Selon le GIGC, le CCI esquiverait les critiques à sa plateforme : "Face à notre critique sur tel ou tel point de la plateforme, le CCI nous renvoie aussi à d’autres articles pour établir nos "mensonges et calomnies" (…) Il ne défend pas le point de la plateforme en question, ni ne l’explicite, mais se réfère à un autre texte". Mensonge aisément vérifiable : dans notre article ainsi critiqué[11] par le GIGC,[12] à propos du parlement et du parlementarisme, nous avons effectivement indiqué avoir publié les Thèses de Lénine sur la démocratie. En quoi ceci constitue-t-il la preuve d'une esquive de la critique, vu que, dans le même article, contrairement aux affirmations du GIGC, nous rappelions, citation à l'appui, ce que dit effectivement notre plateforme et qui invalide le reproche de conseillisme qui lui est faite[13]. Nous ajoutions à cette citation du point concerné de notre plate-forme le commentaire suivant : « Ainsi l'idée que ce point de notre plateforme ne prend pas en compte la fonction du Parlement dans la nouvelle période relève de cette démarche, "calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose" (F. Bacon), quelle que soit l'inconsistance de la calomnie ». Pourtant, dans son article suivant, le GIGC[14] reprend exactement la même critique à l'encontre du même point de notre plateforme avec les mêmes "arguments". Un simple copier-coller ! A l’évidence, la calomnie n'exclut pas le gâtisme !
- Une "preuve" du conseillisme du CCI fabriquée de toute pièce. Pour le GIGC, notre plateforme comprendrait « la thèse centrale de l’économisme et du conseillisme » qui "réduit le rôle du parti à un simple conseiller ou éclaireur de la classe" que "Lénine combattit à raison dans Que faire et que le CCI dut à son tour combattre en son sein dans les années 1980". Le GIGC exhibe, telle un trophée, la preuve accablante de notre conseillisme qui se cacherait derrière la citation suivante : "La conscience de la classe se forge à travers ses luttes, elle se fraye un chemin difficile à travers ses succès et ses défaites". On peut prouver ce que l’on veut avec une phrase sortie de tout contexte. Or bien évidemment, cette phrase n’est pas isolée mais doit être replacée dans le contexte du point concerné de la plateforme :
Bref, il s’agit donc ici d’un collage maladroit, d'un montage malhonnête et d’une nouvelle arnaque du GIGC. Le CCI un menteur ? un examen concret de la réalité l'infirme et elle confirme que le GIGC est un faussaire.
- Selon une autre accusation du GIGC nous mentirions lorsque que nous disons ne nous être jamais considérés comme étant un parti (ou un parti en miniature). Le GIGC pointe vers deux citations du CCI où figure l'expression "squelette du futur parti" et qui sont censées illustrer un tel mensonge de notre part. D’abord, le rapport avec les accusations de conseillisme avancées jusqu’alors dans l’article du GIGC, est curieux, puisqu’en quelque sorte, on accuse à présent le CCI exactement du contraire, c’est-à-dire de se considérer dès à présent comme le parti. En fait, il ne faut pas chercher de cohérence politique, puisque, comme nous le soulignons depuis le début, le but recherché n'est autre que de calomnier et de mettre en doute notre honnêteté politique.
Ici , le GIGC identifie, pour les besoins d'une nouvelle entourloupe, rien de moins que "le squelette de l'organisation" avec "l'organisation dans son ensemble". En politique, comme en anatomie, rien n'est plus absurde. Se considérer comme le "squelette du futur parti" ne peut en rien signifier se considérer comme le "parti", ni même comme le "parti en miniature".
Par ailleurs, un examen sur notre site web de tous les passages de nos textes où figure la formulation « le squelette du futur parti » nous montre que l’expression fut avancée pendant une brève période, mais clairement remise en cause par la suite :
En résumé, Les textes cités établissent clairement que le CCI ne s'est jamais considéré comme un parti, mais qu’il se considère comme un groupe politique ayant une "fonction similaire à celle d'une fraction", chargé d'œuvrer à la fondation du futur parti, tout en constituant un pont vers celui-ci[15]. En conclusion, nous avons, là encore, une nouvelle confirmation que le GIGC agit comme un faussaire, mais les ficelles qu'il utilise sont de plus en plus grosses.
- Le GIGC à la rescousse du syndicalisme : nous dénonçons avant tout le GIGC en tant que corps parasite politique et groupe de voyous qui tente de se faire passer pour une organisation de la Gauche communiste tout en centrant sur son action destructrice et calomniatrice contre cette Gauche communiste. Cela ne nous dispense pas de mettre en évidence certaines de ses positions qui appuient sournoisement celles de l'extrême gauche du capital, notamment sur la question syndicale.
Que signifie réellement cette idée, défendue par le GIGC et critiquée dans notre article précédent, selon laquelle le passage des syndicats dans le camp bourgeoisie a été "le produit d’un rapport de forces entre classes" se jouant au sein de ces organes ?
Notre dernier article rejette cette vision en montrant qu'elle revient à défendre qu’ "il existe la possibilité pour la classe ouvrière de maintenir les syndicats en tant qu'arme de sa lutte au moyen d'un combat engagé en leur sein" ! Face au ferme rejet d'une telle méthode d'analyse propre au gauchisme, le GIGC évacue le problème[16] en accordant à chacun le droit de penser ce qu'il veut : "Pour notre part, aucune indignation, ni scandale au mensonge ou à la calomnie ici. Le CCI et d’autres ont tout à fait le droit de penser cela et nous sommes prêts à en débattre." En fait, sa nouvelle théorie sur la question syndicale se marie comme cul et chemise avec sa dépréciation de la contribution de la révolution allemande, qui a précisément mis en évidence le caractère bourgeois des syndicats dans la période de décadence du capitalisme. Cette position du GIGC est une contribution supplémentaire à la confusion politique.
Le GIGC range son article « L’impasse politique du Courant Communiste International [7] (septembre 23) » dans la rubrique de son site intitulée "Lutte contre l'opportunisme", considérant par là-même que, tant notre plateforme que notre organisation, sont opportunistes. Pourtant à l'époque où il s'appelait FICCI, ses membres se prétendaient être les meilleurs défenseurs de la plateforme du CCI, dont le CCI « opportuniste » n’était plus capable d’assumer la défense. Mais voilà que notre plateforme est devenue opportuniste aux yeux du GIGC ! Une incohérence de plus du GIGC, qui ne doit pas masquer que, malgré toutes ses contradictions, il existe une cohérence à sa politique : peu lui importe la plateforme qu'il fait mine de défendre ou qu'il attaque ouvertement, l'essentiel est d’arriver à calomnier et décrédibiliser le CCI.
En conclusion de son texte il déclare que « la confrontation des différentes positions et leur clarification méritent mieux que les insultes et autres dénégations stupides du CCI ». Mais l’ensemble des points traités précédemment réfutent les « contributions à la clarification » dont il s’enorgueillit dans son dernier texte (comme tous les précédents). D’ailleurs, le problème fondamental avec le GIGC ne réside pas dans ses « contributions » politiques ou dans sa critique de celles du CCI, mais se situe fondamentalement dans le fait qu’il constitue un parasite politique au sein du milieu politique prolétarien. Ses prétendus arguments sont des subterfuges ou des mensonges visant à semer le trouble dans ce milieu et à calomnier ses organisations. Mais à force de fourberies il se prend les pieds dans le tapis et alors, pour se tirer d’affaire, il en appelle au débat !
CCI, 30 décembre 2023
[Retour à la série : Le parasitisme politique n'est pas un mythe, le GIGC en est une dangereuse expression [8]]
[1] À travers l'article L’impasse politique du Courant Communiste International [7] (septembre 23)
[2] La pseudo-"critique" de la plateforme du CCI par le GIGC - Un simulacre d’analyse pour discréditer le CCI et sa filiation politique (la Gauche communiste) [9] (août 23)
[3] La citation suivante de notre rapport ne pouvait pourtant pas manquer de susciter la réflexion et le sens du combat politique de tout marxiste conséquent : "Pour ceux qui nous traitent "d'idéalistes", c'est un véritable scandale que d'affirmer qu'un facteur d'ordre idéologique, l'absence d'un projet dans la société, puisse impacter de façon majeure la vie de celle-ci. En réalité, ils font la preuve que le matérialisme dont ils se revendiquent n'est autre qu'un matérialisme vulgaire déjà critiqué en son temps par Marx, notamment dans les Thèses sur Feuerbach. Dans leur vision, les forces productives se développent de manière autonome. Et le développement des forces productives est seul à dicter les changements dans les rapports de production et les rapports entre les classes."
[4] Lire à ce propos Questions d'organisation I : la première internationale et la lutte contre le sectarisme [10] ; II : la lutte de la première internationale contre l' « alliance » de Bakounine [11] ; III : le congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique [12] ; IV : la lutte du marxisme contre l'aventurisme politique [13].
[5] Il importe à ce sujet de relever comment le GIGC tente d'invalider la qualification que nous en faisons, un groupe policier, en invoquant le fait que certains de ses membres n'ont jamais appartenu à la FICCI (voir note de bas de page 5 de l'article du GIGC). Que certaines positions politiques aient changé, que des nouveaux membres soient arrivés, la raison d'être de la FICCI n'a pas changé pour autant, car elle est toujours portée par les éléments exclus de notre organisation notamment pour avoir publié un document interne de 114 pages, reproduisant de nombreux extraits des réunions de notre organe central international, avec la mention des noms des militants, soi-disant pour étayer leurs accusations contre le CCI. Ce document qui livrait consciemment à la police des informations sensibles permettant de favoriser le travail de celle-ci, démontrait en réalité, leur haine contre notre organisation.
Qu'est-ce qui change avec le GIGC ? : "À peine né, ce petit avorton dénommé “Groupe international de la Gauche communiste” lance son cri primal en déchaînant une propagande hystérique contre le CCI, comme en témoigne le placard publicitaire affiché sur son site Web : “Une nouvelle (ultime ?) crise interne dans le CCI !” accompagné bien sûr d’un “Appel au camp prolétarien et aux militants du CCI”. Ce prétendu “Groupe international de la Gauche communiste” sonne le tocsin et crie à tue-tête qu’il est en possession des Bulletins internes du CCI. En exhibant leur trophée de guerre et en faisant un tel tintamarre, le message que ces mouchards patentés cherchent à faire passer est très clair : il y a une “taupe” dans le CCI qui travaille main dans la main avec l’ex-FICCI ! C’est clairement un travail policier n’ayant pas d’autre objectif que de semer la suspicion généralisée, le trouble et la zizanie au sein de notre organisation. Ce sont les mêmes méthodes qu’avait utilisées le Guépéou, la police politique de Staline, pour détruire de l’intérieur le mouvement trotskiste des années 1930" (Communiqué à nos lecteurs: le CCI attaqué par une nouvelle officine de l’État bourgeois [14].)
[6] Voir El caso Vogt: el combate de los revolucionários contra la calumnia I [15] et El caso Vogt: el combate de los revolucionários contra la calumnia II [16]
[7] Lassalle et Schweitzer: la lutte contre les aventuriers politiques dans le mouvement ouvrier [17].
[8] Voir note 5.
[9] Lire notre articles L'aventurier Gaizka a les défenseurs qu'il mérite : les voyous du GIGC [18]. (février 2021)
[11] La pseudo "critique" de la plateforme du CCI par le GIGC - Un simulacre d’analyse pour discréditer le CCI et sa filiation politique (la Gauche communiste)
[12] Dans "Prise de position sur la plateforme du Courant Communiste International [20]". Révolution ou guerre n° 18. Mai 2021.
[13] La plateforme du CCI ne se limite pas à invoquer "la seule impossibilité de réforme dans la décadence" pour fonder le fait que le parlement ne pouvait plus être utilisé par le prolétariat. En effet, elle dit : "La seule fonction qu'il [le parlement] puisse assumer, et qui explique son maintien en vie, est une fonction de mystification. Dès lors, prend fin toute possibilité, pour le prolétariat, de l'utiliser de quelque façon que ce soit. En effet, il ne peut conquérir des réformes devenues impossibles à travers un organe qui a perdu toute fonction politique effective. À l'heure où sa tâche fondamentale réside dans la destruction de l'ensemble des institutions étatiques bourgeoises et donc du Parlement, où il se doit d'établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société bourgeoise, sa participation aux institutions parlementaires et électorales aboutit, quelles que soient les intentions affirmées par ceux qui la préconisent, à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes" (point 8 de la plateforme du CCI. La mystification parlementaire et électorale)."
[14] L’impasse politique du Courant Communiste International [7] (septembre 23) Révolution ou guerre n° 25, rubrique "Lutte contre l'opportunisme".
[15] Rapport sur le rôle du CCI en tant que "Fraction" [21], Revue internationale 156
[16] À travers l'article L’impasse politique du Courant Communiste International [7] (septembre 23)
Le 27 janvier, le CCI a tenu une réunion publique à Madrid, en présentiel et en ligne, sur la contribution de Bilan à la lutte pour le parti mondial du prolétariat. Ce n’était pas un appel à discussion dans le vide, car nous avons pu constater qu’il existe un intérêt pour Bilan dans le milieu politique qui s’était déjà exprimé auparavant à deux reprises à Madrid.
Les organisations communistes d’aujourd’hui ne sont rien sans leur pleine inscription dans la continuité historique critique des organisations communistes du passé. Nous revendiquons deux maillons de cette continuité : Bilan et Internationalisme.(1) Comme nous le disions dans l’annonce de la réunion publique : « le prolétariat a besoin de son parti mondial et pour le former, lorsque ses luttes atteindront une force internationale massive, sa base sera la Gauche communiste dont nous nous réclamons […] La réunion publique que nous proposons vise à susciter un débat afin de dresser un bilan critique de la contribution de Bilan, pour apprécier là où Bilan est pleinement valable, là où il faut le critiquer, là où il faut aller plus loin. Ses forces, ses erreurs, son expérience organisationnelle et théorique sont des matériaux indispensables à la lutte des révolutionnaires d’aujourd’hui ».
Nous invitons les lecteurs à poursuivre le débat par des contributions ou en participant aux réunions publiques et permanences du CCI.
Un participant a engagé le débat en déclarant que le marxisme est quelque chose de dogmatique, d’immuable. Pour lui, le marxisme ne doit pas prendre en compte l’évolution de la situation historique mais doit rester figé et bloqué sur des positions affirmées dès les origines du marxisme. Il s’est lui-même qualifié à cet égard de « sclérosé » et même de « trapézoïde » et est allé jusqu’à dire que seuls les morts changent. Les participants sur place et ceux qui ont participé par Internet ont avancés les arguments suivants contre ce point de vue :
– Dans le marxisme il y a des positions de base et des principes qui ne changent pas et ne changeront pas : que la lutte des classes est le moteur de l’histoire, que la lutte de classe du prolétariat est la seule qui puisse mener au communisme, que chaque mode de production, et donc aussi le capitalisme, connaît une époque ascendante et une époque de décadence, que la destruction du capitalisme est nécessaire pour construire le communisme, que la constitution d’un parti mondial est indispensable pour le prolétariat, que le marxisme joue un rôle moteur dans le développement de la conscience de classe, etc.
– Cependant, à partir de ces fondations qui constituent son socle, le marxisme se développe en répondant aux nouveaux problèmes posés par l’évolution du capitalisme et de la lutte de classe, mais aussi en corrigeant les éventuelles erreurs, insuffisances ou limitations liées à chaque époque historique. Cette approche est fondamentale en science, mais elle est plus vitale encore pour le prolétariat qui doit, en tant que classe à la fois exploitée et révolutionnaire, développer son combat pour le communisme en se frayant un chemin à travers d’innombrables erreurs et faiblesses, en tirant les leçons de ses luttes et de ses défaites, en critiquant impitoyablement ses erreurs. Il doit d’autant plus développer son combat en s’appuyant sur une démarche pleinement consciente qu’il ne possède rien d’autre que sa force de travail et qu’il ne peut, contrairement aux classes historiques du passé, développer son projet sans détruire de fond en comble le capitalisme comme extirper les racines de toutes les sociétés d’exploitation.
– Cela s’applique également à ses organisations révolutionnaires, qui doivent être capables d’analyser de manière critique les positions antérieures et leurs propres positions. Ainsi, Marx et Engels ont corrigé en 1872, à la lumière de l’expérience de la Commune de Paris, l’idée que l’État devait être repris tel qu’il était à la classe dominante pour mettre en avant la nouvelle leçon historique qui venait d’être si chèrement acquise par le prolétariat : la nécessité absolue de détruire l’État bourgeois antérieur. Lénine, dans les Thèses d’avril, a mis en avant la nécessité de modifier le programme du parti en y intégrant la position de la nature mondiale et socialiste de la révolution et de la prise du pouvoir par les soviets.
C’est une grave irresponsabilité que de rester dogmatiquement accroché à des positions qui ne sont plus valables. Les partis sociaux-démocrates n’ont voulu appréhender ni la décadence du capitalisme, ni les conséquences qui en découlaient : la fin de la possibilité d'arracher par la lutte à ce système d’exploitation des améliorations et des réformes durables, ni la nature de la guerre impérialiste, ni la grève de masse, etc. Cela les a menés à la trahison. L’Opposition de Gauche de Trotsky s’est dogmatiquement cramponnée à la défense inconditionnelle du programme des 4 premiers congrès de l'IC, ce qui l'ont plongée dans l'opportunisme, et ne s’est jamais rattachée à une démarche critique de la vague révolutionnaire de 1917-1924. Finalement, après la mort de Trotsky, le trotskisme a trahi l’internationalisme prolétarien en soutenant un des camps impérialistes en présence au moment de la Seconde Guerre mondiale et est passé ainsi dans le camp bourgeois.
Une organisation prolétarienne qui n’est pas capable d’une évaluation critique impitoyable de sa propre trajectoire et de celle des organisations précédentes du mouvement ouvrier est condamnée à périr ou à trahir. Bilan nous donne la méthode d’une telle évaluation critique dans l’article « Vers une Internationale deux et trois quarts ? » (Bilan n° 1, novembre 1933) en réponse à l’Opposition de Gauche de Trotsky : « À chaque période historique de la formation du prolétariat en tant que classe, la croissance des objectifs du Parti devient évidente. La Ligue des communistes marchait avec une fraction de la bourgeoisie. La première internationale ébauchera les premières organisations de classe du prolétariat. La Deuxième Internationale fondera les partis politiques et les syndicats de masse des travailleurs. La Troisième Internationale réalisera la victoire du prolétariat en Russie.
À chaque période, nous verrons que la possibilité de former un parti est déterminée sur la base des expériences précédentes et des nouveaux problèmes qui se sont posés au prolétariat. La Première Internationale n’aurait jamais pu être fondée en collaboration avec la bourgeoisie radicale. La Deuxième Internationale n’aurait pas pu être fondée sans la notion de la nécessité de regrouper les forces prolétariennes dans des organisations de classe. La Troisième Internationale n’aurait pas pu être fondée en collaboration avec les forces agissant au sein du prolétariat pour le conduire non pas à l’insurrection et à la prise du pouvoir, mais à la réforme graduelle de l’État capitaliste. À chaque époque, le prolétariat peut s’organiser en classe, et le parti peut se fonder sur les deux éléments suivants :
1. la conscience de la position la plus avancée que le prolétariat doit occuper, l’intelligence des nouvelles voies à emprunter.
2. La délimitation croissante des forces qui peuvent agir en faveur de la révolution prolétarienne ».
Ce travail ne se fait pas en partant de zéro, en prenant pour référence les nouveaux développements isolés, ou en examinant les erreurs possibles sans les confronter aux positions antérieures. Il se fait sur la base d’un examen critique rigoureux des positions antérieures, en voyant ce qui est valable, ce qui est insuffisant ou dépassé, et ce qui est erroné, nécessitant l’élaboration d’une nouvelle position. Un participant, attiré par le miroir aux alouettes des théorisations sur « l’invariance du programme communiste », a proposé d’adapter le marxisme aux théories modernes du comportement humain et de la psychologie, en le combinant avec les nouvelles découvertes scientifiques. Cependant, la méthode marxiste n’opère pas un « changement de position », ni ne s’adapte à des idées apparemment nouvelles, mais procède à un développement et à une confrontation rigoureuse de la réalité avec son propre cadre de départ, ce qui l’enrichit et l’emmène beaucoup plus loin.
Le participant qui se disait « invariant » a qualifié l’écrasement de Kronstadt de « victoire du prolétariat » et justifiait la répression de Kronstadt en disant que le parti doit imposer sa dictature à la classe. Cette position nous a paru être une monstruosité et nous l’avons mise en avant de la façon suivante, avec le soutien et la participation active de plusieurs autres intervenants. La classe ouvrière n’est pas une masse informe à laquelle il faudrait donner des coups de pied ou de trique pour la faire avancer et la « libérer ». Il est évident que derrière cette défense aveugle de la répression de Kronstadt se cache une vision totalement erronée du parti du prolétariat et de sa relation avec la classe. Le parti prolétarien n’est pas, comme les partis bourgeois, un candidat au pouvoir d’État, un parti d’État. Sa fonction ne peut être d’administrer l’État, ce qui altérera inévitablement son rapport à la classe en un rapport de force, alors que son apport consiste à l’orienter politiquement. En devenant un administrateur de l’État, le parti changera imperceptiblement de rôle pour devenir un parti de fonctionnaires, avec tout ce que cela implique comme tendance à la bureaucratisation. Le cas des bolcheviks est tout à fait exemplaire à cet égard.
Selon un point de vue de « bon sens » logique qui survit dans certaines parties du milieu prolétarien : « le parti étant la partie la plus consciente de la classe, la classe doit lui faire confiance, de sorte que c’est le parti qui naturellement et automatiquement prend le pouvoir et l’exerce ». Cependant, « le parti communiste est une partie de la classe, un organisme que, dans son mouvement, la classe engendre et se donne pour le développement de sa lutte historique jusqu’à la victoire, c’est-à-dire jusqu’à la transformation radicale de l’organisation et des rapports sociaux pour fonder une société qui réalise l’unité de la communauté humaine mondiale ». (2) Si le parti s’identifie à l’État, non seulement il nie le rôle historique du prolétariat dans son ensemble au profit d’une conception bourgeoise de la direction de la société, mais il nie aussi son rôle spécifique indispensable au sein du prolétariat pour pousser avec méthode, bec et ongles, le développement de la conscience du prolétariat, non pas dans un sens conservateur, mais dans la perspective de la révolution et du passage au communisme.
De plus, Bilan, tout en agissant avec plus de prudence et de circonspection sur d’autres questions, avait une position très claire dans sa défense des principes prolétariens pour s’opposer fermement au recours à la violence dans le règlement des problèmes et des différends pouvant surgir au sein même de notre classe : « Il peut y avoir une circonstance dans laquelle une partie du prolétariat – et nous accordons qu’elle peut même avoir été prisonnière involontaire des manœuvres de l’ennemi – peut en venir à combattre l’État prolétarien. Comment faire face à cette situation, en partant de la question de principe que le socialisme ne peut pas être imposé par la force ou la violence au prolétariat ? Il valait mieux perdre Kronstadt que de la conserver du point de vue géographique, car, sur le fond, une telle victoire pouvait avoir plus d’un résultat : altérer les bases mêmes, la substance de l’action menée par le prolétariat ». (3)
La révolution mondiale connaîtra de nombreux épisodes compliqués mais pour défendre son orientation et son développement, elle devra défendre fermement les principes fondamentaux dans les actions du prolétariat. L’un d’entre eux est immuable et invariable : il ne peut et ne doit jamais y avoir de rapports de violence au sein de la classe ouvrière, à plus forte raison en agissant en son nom pour exercer et justifier une répression contre une partie d’entre elle, à plus forte raison lorsque celle-ci représente une tentative de défendre la révolution. L’écrasement de Kronstadt a accéléré l’engagement dans la voie menant vers la dégénérescence et la défaite de la révolution en Russie et vers la destruction de la substance prolétarienne détériorée du parti bolchevik.
D’autres discussions très intéressantes et polémiques ont eu lieu, et pas seulement à propos des positions supposées « invariantes ». Nous avons insisté sur la différence substantielle entre la méthode organisationnelle, théorique et historique de Bilan par rapport à celle de l’Opposition de Gauche de Trotsky : (4)
- Bilan est resté fidèle au principe de la lutte contre la déformation des principes par l'idéologie bourgeoise. Alors que l'Opposition de gauche se réclamait des Congrès de l'IC qui théorisaient l'opportunisme et faisaient le lit du stalinisme, les fractions de Gauche firent la critique de toutes ces théorisations opportunistes qui se sont manifestées et développées à partir du Deuxième Congrès. Elles ont mené une patiente lutte polémique pour tenter de convaincre le maximum de forces militantes enfermées dans le cadre opportuniste des “tactiques” de l'Opposition de Gauche.
- Bilan a été capable de faire une critique profonde et rigoureuse, qui lui a permis de tirer des leçons sur des positions erronées de l’IC qui ont ensuite conduit cette dernière à la trahison, comme la tactique de Front unique, la défense des luttes de libération nationale, la lutte démocratique, les milices partisanes... lui permettant de préserver la défense de positions révolutionnaires dans la classe pour l'avenir, dans la lignée des positions défendues par la Gauche communiste.
– Son analyse du rapport de forces entre les classes a été vitale pour déterminer la fonction des organisations révolutionnaires lors de cette période, par opposition à « l’influence permanente sur les masses » que l’Opposition cherchait à gagner à tout prix.
Il existe également des différences substantielles entre la conception de Bilan et celle du KAPD allemand, bien que toutes deux s'inscrivent dans le cadre des positions défendues par la Gauche communiste. Le KAPD, et c’était sa très grande faiblesse, ne s’appuyait pas sur une analyse historique, il rejetait même la continuité du lien révolutionnaire de ses positions avec la révolution d'octobre et négligeait totalement la question organisationnelle. En d’autres termes, c’est Bilan qui nous a légué sa vision du travail politique et organisationnel EN TANT QUE FRACTION : « La fraction est l’organe qui permet la continuité de l’intervention communiste dans la classe, même dans les périodes les plus sombres où cette intervention n’a pas d’écho immédiat. Toute l’histoire des fractions de la Gauche communiste le démontre amplement. À côté de la revue théorique “Bilan”, la fraction italienne publiait un périodique en italien, “Prometeo”, dont le tirage en France était supérieur à celui des trotskistes français, pourtant si adeptes du militantisme ». (5) De même, la Fraction a pour rôle essentiel de poser les bases de la construction du futur parti mondial prolétarien et d’être en mesure d’analyser les mesures concrètes à prendre et le moment où il est nécessaire de commencer à lutter pour la formation directe de celui-ci.
Dans le cadre du travail conçu comme celui d’une fraction, tel que le défendait Bilan, la discussion des réunions publiques doit avoir une orientation MILITANTE et ne pas rester un rassemblement où chacun émet sa propre « opinion », sans parvenir à aucun résultat. Cela a été interprété de la part du participant autodéclaré "sclérosé" comme une manifestation de sectarisme du CCI, un mode de discussion et de recrutement sur une base sectaire et, sous ce prétexte, il s'est opposé aux conclusions tirées et a quitté la réunion en trombe avant de les avoir entendues, entraînant après lui le compagnon avec lequel il était arrivé. (6)
Une réunion prolétarienne doit pouvoir tirer des conclusions qui comprennent le rappel des points d’accord et des points de désaccord dans la discussion, délimitant ainsi consciemment où elle est arrivée ou encore les questions abordées sur lesquelles il y a eu des avancées dans la clarification, et établissant un pont vers d’autres discussions à venir. Dans ce sens, nous avons insisté auprès des deux fuyards pour qu'ils restent afin de présenter leurs éventuels désaccords avec les conclusions. Nous n'avons malheureusement pas réussi à les convaincre car, apparemment, leur goût pour l’éclectisme informel est aussi un principe inamovible !
CCI, février 2024
1Nous nous sommes félicités en particulier de la publication en espagnol de onze numéros de Bilan : « La continuidad histórica, una lucha indispensable y permanente para las organizaciones revolucionarias [34] », publié sur le site du CCI em espagnol (2023).
2 « El partido desfigurado: la concepción bordiguista [35] » Revista internacional nº 23 (1980) et « El Partido y sus lazos con la clase [36] », Revista internacional nº 35 (1983).
3 « La question de l’État », Octobre n°2 (1938).
4 « ¿Cuáles son las diferencias entre la Izquierda Comunista y la IVª Internacional? [37] », publié sur le site du CCI (2007).
5 « La relación entre Fracción y Partido en la tradición marxista II – La Izquierda comunista internacional, 1937-1952 » [38]Revista internacional n.º 61 [38].
6 Il est clair qu’ils ont également oublié le principe de la Gauche communiste de lutter jusqu’au bout au sein du milieu prolétarien afin d’en tirer le plus de clarté et d’enseignements possibles. Nous trouvons très étrange qu’ils revendiquent une continuité avec Bilan, alors qu’il aurait été beaucoup plus cohérent et productif pour la lutte de notre classe qu’ils expriment ouvertement leurs désaccords évidents avec Bilan. Au lieu de cela, ils ont préféré éviter la confrontation des arguments.
Sans un parti révolutionnaire, il ne peut y avoir de révolution réussie. Le combat pour le parti révolutionnaire se pose toujours à un niveau international et historique, découlant de la position du prolétariat en tant que classe exploitée à l’échelle internationale et classe révolutionnaire. Mais il est également important d’examiner les conditions spécifiques (à la fois historiques et géographiques) dans lesquelles cette lutte a lieu. Depuis longtemps, les révolutionnaires en Grande-Bretagne sont ainsi confrontés à la faiblesse de la tradition marxiste et à la force des illusions réformistes. Ces particularités ont rendu la lutte pour le parti de classe dans ce pays particulièrement ardue.
La formation du parti de demain repose, en partie, sur la capacité des révolutionnaires d’aujourd’hui à tirer un maximum de leçons de l’expérience du mouvement ouvrier. C’est pourquoi, la série d’articles (initialement publiée dans World Revolution d’octobre 1996 à septembre 2000) que nous rassemblons ci-dessous vise à fournir un cadre pour comprendre les difficultés qui se sont exprimées dans le combat pour le parti de classe au sein du prolétariat en Grande-Bretagne. D’autant que ce dernier possède une longue histoire, et fait partie des plus expérimentés et combatifs, comme le confirment les nombreux mouvements de grève de ces dernières années et qui ont marqué le premier pas d’une véritable reprise internationale de la lutte de classe. Après 40 ans d’atonie, le prolétariat britannique, comme ses frères de classe ailleurs dans le monde, devra poursuivre son combat et se réapproprier les leçons des expériences du passé pour construire le futur parti mondial indispensable à la lutte révolutionnaire.
CCI, 4 mars 2024
Dans le Manifeste inaugural de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) de 1864, Marx écrivait à propos du parti et de la classe ouvrière : « Il est un élément de succès que ce parti possède : il a le nombre. Mais le nombre ne pèse dans la balance que s’il est uni par l’association et guidé par la connaissance ». Il résumait ainsi les conditions fondamentales du succès de la lutte du prolétariat. La tâche principale de la classe ouvrière était énoncée tout aussi succinctement : « La conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe ouvrière ».
Dès son origine, le prolétariat a, en effet, lutté pour défendre ses intérêts, d’abord par des actions dispersées, puis en prenant de plus en plus conscience de sa force par la combinaison de l’action des syndicats et des organisations politiques. Telle fut sa première tâche et l’objectif fondamental de l’AIT, au sein de laquelle prirent place de nombreuses organisations variées et opposées. (1)
À la fin du XIXe siècle, une situation très différente se présenta : l’économie se développait avec une vigueur jamais vue auparavant et la bourgeoisie s’enrichissait. Cette situation tendait à favoriser la lutte du prolétariat et celui-ci vit de réelles améliorations de ses conditions de vie et de ses droits politiques : « Le prolétariat s’affirme comme force sociale dans la société, même en dehors des moments de lutte ouverte. Il y a toute une vie ouvrière au sein de la société : il y a les syndicats (qui sont des “écoles de communisme”), mais il y a aussi des clubs ouvriers où on parle de politique, il y des “universités ouvrières” où l’on apprend aussi bien le marxisme qu’à lire et écrire, (Rosa Luxembourg et Pannekoek furent enseignants dans la social-démocratie allemande), il y a des chansons ouvrières, des fêtes ouvrières où l’on chante, danse et parle du communisme ». (2)
Les partis sociaux-démocrates et les syndicats étaient « les produits et les instruments des combats de cette période ». La social-démocratie « n’a fait que développer et organiser un mouvement réel qui existait bien avant elle, et s’est développé indépendamment d’elle ». (3) Ainsi, l’activité des partis sociaux-démocrates ne constituait nullement une concession à la bourgeoisie (même si des tendances réformistes apparaissaient) mais plutôt l’activité politique nécessaire au prolétariat dans cette étape de sa lutte et du développement du capitalisme alors ascendant. En pratique, la stratégie de la classe ouvrière s’exprimait dans le concept des programmes « minimum » et « maximum », dont Rosa Luxemburg expliquait ainsi le lien : « Selon la conception courante du parti, le prolétariat parvient, par l’expérience de la lutte syndicale et politique, à la conviction de l’impossibilité de transformer de fond en comble sa situation au moyen de cette lutte et de l’inéluctabilité d’une conquête du pouvoir ». (4)
Dans quelle mesure la situation qui existait en Grande-Bretagne s’inscrivait-elle dans le cadre que nous venons d’esquisser ?
La position de la Grande-Bretagne en tant que premier pays industriel lui a donné un avantage économique qui a duré plusieurs décennies. Cette situation en a également fait le berceau du mouvement ouvrier à travers, notamment, ce que Marx et Engels ont décrit comme le premier parti politique de la classe ouvrière : le chartisme. Les chartistes représentaient la première tentative consciente de la classe ouvrière de s’affirmer sur le terrain politique. Ils considéraient la lutte pour le suffrage universel comme un moyen pour la classe ouvrière d’accéder au pouvoir, ce qui était une expression de l’immaturité de la lutte à ce stade. Le mouvement chartiste s’est éteint après 1848 et, si les syndicats sont restés forts en Grande-Bretagne, ils ont de plus en plus eu tendance à se tourner vers le réformisme et leur influence ne s’est pas répandue au-delà des ouvriers qualifiés. Aucune organisation politique indépendante n’est apparue pour prendre la place des chartistes. Le mouvement ouvrier est devenu, selon la célèbre phrase d’Engels, « la queue du “Grand parti libéral” », (5) ses dirigeants étant des « coquins » « à la solde de la bourgeoisie ». (6)
« Après les crises cycliques de croissance qui, presque tous les 10 ans, avaient frappé le système de 1825 à 1873, le capitalisme connaît jusqu’en 1900, près de 30 ans de prospérité quasi ininterrompue ». (7) Cependant, au cours de cette prospérité, des signes de changements majeurs dans l’économie apparaissent, notamment en Grande-Bretagne où un ralentissement de la croissance a entraîné des difficultés pour les capitalistes et des privations pour une partie de la classe ouvrière. Engels a retracé cette évolution en détail et a conclu que le monopole industriel de la Grande-Bretagne était en train de prendre fin, avec de graves conséquences pour la classe ouvrière.
Dans ce contexte, il percevait également le développement de conditions qui exigeaient que la classe ouvrière reprenne le travail de ses prédécesseurs chartistes : « La vérité est la suivante : pendant la période du monopole industriel de l’Angleterre, la classe ouvrière anglaise a, dans une certaine mesure, partagé les bénéfices du monopole. Ces bénéfices ont été très inégalement répartis. La minorité privilégiée a, certes, empoché le plus, mais même la grande masse a bénéficié au moins temporairement d’une part de temps à autre. Et c’est la raison pour laquelle, depuis l’extinction de l’owenisme, il n’y a pas eu de socialisme en Angleterre. Avec l’effondrement de ce monopole, la classe ouvrière anglaise perdra cette position privilégiée ; elle se retrouvera généralement (à l’exception de la minorité privilégiée et dirigeante) au même niveau que ses collègues étrangers. Et c’est la raison pour laquelle il y aura à nouveau des socialistes en Angleterre ». (8) Engels cherchait à éclairer ce renouveau par une série d’articles dans le Labour Standard, dans lesquels il défend l’importance des syndicats, mais montre aussi leurs limites et plaide pour la création d’un parti ouvrier indépendant. Dix ans plus tard, après avoir assisté à la célébration du 1er mai à Londres, il déclare que « le 4 mai 1890, le prolétariat anglais, se réveillant de quarante ans d’hibernation, a rejoint le mouvement de sa classe ». (9)
La raison fondamentale de ce changement réside dans la résurgence de la lutte des classes, marquée notamment par une série de grèves victorieuses parmi les travailleurs non qualifiés. Ces grèves ont permis non seulement d’augmenter les salaires, mais aussi de réduire considérablement la durée de la journée de travail. Engels attache une importance particulière à la participation des ouvriers de l’East End de Londres à ces grèves : « Si ces hommes opprimés, la lie du prolétariat, ces hommes à tout faire, se battant tous les matins aux portes des docks pour être engagés, s’ils peuvent combiner et terrifier par leur résolution les puissantes compagnies de dockers, alors vraiment nous ne devons désespérer d’aucune partie de la classe ouvrière ». (10)
Les nouveaux syndicats créés par ces ouvriers pour mener leurs batailles étaient fortement influencés par des socialistes comme Eleanor Marx et Edward Aveling et par des membres de la Fédération sociale-démocrate comme Will Thorne et, en tant que tels, ils différaient nettement des anciens syndicats d’ouvriers qualifiés dont les dirigeants étaient encore liés au parti libéral.
Au début des années 1880, il n’existe aucune organisation révolutionnaire significative en Grande-Bretagne. Quelques survivants du chartisme et de l’owenisme continuent à se réunir, de petits groupes locaux de socialistes vont et viennent, tandis qu’à Londres, des révolutionnaires exilés d’Allemagne et d’Autriche se regroupent et parviennent même à publier un journal hebdomadaire : Freiheit.
En 1881, une réunion de divers groupes radicaux aboutit à la fondation de la Fédération démocratique sous la direction de Henry Meyers Hyndman, qui se considérait comme un socialiste. La Fédération s’élargit progressivement et attire de nouveaux membres, tels que William Morris, Edward Aveling, Eleanor Marx et Ernest Belfort Box, qui cherchent à la faire évoluer vers le socialisme. En 1884, ces efforts aboutissent à ce que la Fédération soit rebaptisée « Social Democratic Federation » (SDF).
Le programme de la fédération appelle à « la socialisation des moyens de production, de distribution et d’échange, qui seront contrôlés par un État démocratique dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté, et l’émancipation complète du travail de la domination du capitalisme et de la propriété foncière, avec l’établissement de l’égalité sociale et économique entre les sexes ». (11) Des points particuliers exigeaient des réformes sur le temps de travail, dans l’emploi des enfants, en faveur d’une éducation gratuite et pour une armée citoyenne. Un journal hebdomadaire, Justice, est lancé et des réunions publiques hebdomadaires sont organisées. Engels considérait cette formation comme opportuniste, lancé sans préparation financière ou littéraire suffisante et écrit par des gens « qui prennent en main la tâche d’instruire le monde sur des sujets dont ils sont eux-mêmes ignorants ». (12) Engels reprochait surtout à la SDF de ne pas comprendre la classe ouvrière ou de ne pas avoir de relations avec elle. Ceci est illustré par l’attitude d’Hyndman à l’égard des syndicats et des grèves que ce dernier décrit comme « différentes formes d’agitation liées à l’ignorance de la classe ouvrière, ou des révoltes désespérées contre une oppression supportable [qui] ne servent qu’à resserrer plus fermement sur leurs membres, les chaînes peut-être un peu dorées de l’esclavage économique ». (13) Le fait qu’il n’y ait aucune reconnaissance du rôle des syndicats dans le développement de la conscience et de l’auto-organisation de la classe ouvrière, qu’Engels avait exposé dans les articles du Labour Standard, reflète de la part d’Hyndman une conception de la classe ouvrière comme une masse inerte qui pouvait réagir aux événements mais qui avait besoin de la direction de leaders (comme lui) pour réaliser quelque chose de constructif. Cela devait être accompli par la propagande et, surtout, par la participation aux élections.
Si d’autres socialistes de l’époque partagent son schématisme, les efforts d’Hyndman pour manipuler le mouvement ouvrier afin de favoriser sa propre carrière et, surtout, de se faire une place dans l’histoire en tant que « père du socialisme britannique », ont fait de lui un aventurier.
Hyndman avait auparavant été un entrepreneur, se lançant dans le journalisme en Australie, le tourisme en Polynésie et la spéculation financière en Amérique. Au début de l’année 1880, il se trouve en Grande-Bretagne, à la recherche d’un point d’ancrage dans la politique. Il fait la promotion d’un renouveau radical du Parti conservateur auprès du Premier ministre Disraeli et se présente en tant que Tory indépendant aux élections de mars de la même année, au cours desquelles il déclare son opposition à l’autonomie irlandaise, son soutien aux colonies et à une augmentation des effectifs de la marine. (14) Il s’est finalement « converti » au marxisme après avoir lu Le Capital de Marx lors d’un voyage en Amérique suite à l’échec de ces efforts. À son retour, il cherche à rencontrer Marx et, selon les mots de ce dernier, « s’est introduit chez moi ». (15) Lors de la fondation de la SDF, la plateforme programmatique de l’organisation (intitulée « L’Angleterre pour tous » et rédigée par Hyndman) fut distribuée à tous les participants. De grandes parties de ce texte ont été extraites du Capital à l’insu de Marx et sans son consentement, et contiennent des erreurs et des imprécisions. Face aux critiques de Marx, Hyndman s’excusa au motif que « les Anglais n’aiment pas à apprendre chez les étrangers » et que « beaucoup ont horreur du socialisme », ou encore que « le nom de Marx est exécré ». (16) Repoussé par Marx, Hyndman tente d’amadouer Engels, mais ce dernier refuse tout contact tant que la situation avec Marx n’est pas réglée et reste par la suite très critique envers Hyndman.
Cette attitude est souvent présentée comme une animosité personnelle, découlant de la défense de son ami par Engels. En réalité, elle découle d’une analyse politique que Marx et Engels partageaient. Marx résume son point de vue dans la lettre à Sorge que nous avons déjà citée : « Tous ces aimables écrivains de la classe moyenne […] ne pensent qu’à s’enrichir, se faire un nom ou acquérir une influence politique le plus rapidement en se faisant les chantres d’une pensée nouvelle qu’ils ont pu acquérir par une quelconque aubaine favorable. Ce type m’a fait perdre beaucoup de temps par des virées nocturnes où il apprenait de la façon la plus simple qui soit ». Dans les années qui suivirent, Engels, avec l’avantage d’une connaissance plus approfondie, a pu identifier Hyndman assez précisément comme un carriériste et un aventurier. (17)
Dès le début, des tensions apparurent au sein de la SDF causées en grande partie par l’attitude dictatoriale d’Hyndman, mais aussi du fait de différents politiques dont, en particulier, l’accent exclusif attribué au travail dans le Parlement et au nationalisme persistant d’Hyndman.
Les tensions se transformèrent par la suite en lutte ouverte lorsque les manœuvres d’Hyndman en Écosse furent découvertes. Celles-ci comprenaient des tentatives de diffamation à l’encontre d’Andreas Scheu, l’un des adversaires les plus implacables d’Hyndman, et l’envoi de lettres au nom de l’exécutif du parti, non approuvées par ce dernier et qui allaient même à l’encontre de ses décisions. Hyndman fit également circuler des rumeurs selon lesquelles Eleanor Marx et Laura Lafargue (deux des filles de Karl Marx) avaient comploté contre lui. Lors d’une réunion de l’exécutif, les preuves contre Hyndman furent présentées et une motion de censure fut adoptée de peu. La courte majorité, qui comprenait Morris, Aveling, Eleanor Marx et Bax, démissionna alors de l’exécutif pour former la Ligue socialiste : « puisqu’il nous semble impossible de guérir cette discorde, nous […] pensons qu’il est préférable dans l’intérêt du socialisme de cesser d’appartenir au conseil ». (18) Pour Engels, deux autres raisons ont poussé la majorité à cette décision : la possibilité que Hyndman revienne sur ce vote lors d’une conférence ultérieure en la remplissant de délégués fictifs et le fait « que toute la Fédération n’était, après tout, pas mieux qu’un racket ».
Cependant, la conséquence fut que Hyndman resta en sécurité au sein de l’exécutif et continua à contrôler le journal et toutes les branches de la SDF.
Dès le départ, cette situation plaça la Ligue socialiste dans une position de faiblesse, mais permis néanmoins une avancée significative par rapport à la SDF dans un certain nombre de domaines :
– elle rejetait tout nationalisme et chauvinisme, déclarant fermement la nécessité de l’internationalisme : « La Ligue socialiste […] vise à la réalisation d’un socialisme révolutionnaire complet, et sait bien que cela ne pourra jamais se produire dans un pays sans l’aide des travailleurs de toutes les civilisations » ; (19)
– elle défendait la participation active, consciente, de la classe ouvrière à la révolution : « Le mécontentement ne suffit pas […]. Les mécontents doivent savoir ce qu’ils visent. [Cela] doit être, non pas une révolution ignorante, mais une révolution intelligente » ; (20)
– elle adopte une vision plus réaliste du travail à accomplir, en publiant son journal, The Commonweal, de façon mensuelle plutôt qu’hebdomadaire : « Ils vont enfin opérer modestement et conformément à leurs capacités, et ne pas continuer à prétendre que le prolétariat anglais doit instantanément sauter dès que la trompette est sonnée par quelques littérateurs convertis au socialisme ». (21)
Cependant, la Ligue était également marquée par des faiblesses importantes, qui provenaient essentiellement de son incapacité à lier la lutte pour la révolution aux intérêts immédiats de la classe ouvrière. C’était déjà le cas avec la SDF, mais la Ligue socialiste alla encore plus loin, rejetant finalement toutes les réformes, en particulier la participation aux élections, au nom d’une révolution pure et simple. Si on peut attribuer en partie cela au dégoût des fondateurs face aux manœuvres de Hyndman, cela reflète plus fondamentalement leur isolement et leur manque de compréhension de la classe ouvrière. Engels le souligne lorsqu’il décrit Aveling, Bax et Morris comme « trois hommes aussi peu pratiques, deux poètes et un philosophe, qu’il est possible de trouver ». (22)
La deuxième partie de cette série examinera le développement de la SDF et de la Ligue socialiste à la fin des années 1880 et leur relation avec le mouvement ouvrier au sens large.
Publié pour la première fois dans World Revolution n° 198 (octobre 1996).
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1Cf. « La Première Internationale et la lutte contre le sectarisme [10] », Revue internationale n° 84 (1996).
2« Comprendre la décadence du capitalisme (partie 3) : la nature de la social-démocratie [51] », Revue internationale n° 50, (1987).
3Ibid.
4Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou Révolution (1898-1899).
5Marx et Engels « Un parti des travailleurs », Collected works vol. 24 (traduit par nous).
6Marx et Engels « Engels à Sorge » et « Engels à Wilhelm Liebknecht », Collected works vol. 45 (traduit par nous).
7« Comprendre la décadence du capitalisme (partie 3) : la nature de la social-démocratie [51] », Revue internationale n° 50, (1987).
8Marx et Engels « L’Angleterre en 1845 et en 1885 », Collected works vol. 26 (traduit par nous).
9Marx et Engels « Le 4 mai à Londres », Collected works vol. 27 (traduit par nous).
10Marx et Engels « À propos de la grève des dockers de Londres », Collected works vol. 26 (traduit par nous).
11Traduit par nous.
12Marx et Engels « Engels à Laura Lafargue, février 1884 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
13Cité dans F.J. Gould, Hyndman : Prophet of Socialism (traduit par nous).
14« The special heritage of our working class », cité par E.P. Thompson, in William Morris : Romantic to Revolutionary (traduit par nous).
15Marx et Engels « Marx à Sorge, décembre 1881 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
16Marx et Engels « Marx à Hyndman, juillet 1881 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
17Marx et Engels « Engels à Bernstein, décembre 1884 », Collected works vol. 47.
18Cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
19« Manifesto of the Socialist League », cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
20William Morris, cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
21Marx et Engels « Engels à Bernstein, décembre 1884 », Collected works vol. 47 (traduit par nous).
22Ibid. (traduit par nous).
Dans la première partie de cette série d’articles [53], nous avons examiné le renouveau progressif du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne au début des années 1880. Nous avons cherché à le situer à la fois dans le contexte général du développement du mouvement prolétarien international et dans les conditions spécifiques prévalant en Grande-Bretagne. Les conditions objectives d’un tel renouveau, comme l’a montré Engels, se sont développées au cours des années 1880 et se sont manifestées par une recrudescence de la lutte de classe, en particulier vers la fin de la décennie.
Cependant, le développement des conditions subjectives (la création d’une organisation prolétarienne capable de rallier et de diriger la classe ouvrière) s’avéra beaucoup plus difficile. Notre article a retracé l’émergence de la Fédération sociale-démocrate (Social Democratic Federation – SDF) en 1884 sous la direction de l’aventurier Hyndman et a montré comment il a manœuvré pour asseoir sa position et défaire ceux qui s’opposaient à son règne dictatorial et à ses positions chauvines. Nous avons conclu cette première partie par la scission de William Morris, Belfort Bax, Eleanor Marx et Edward Aveling qui fondèrent la Ligue socialiste fin 1884.
Nous reviendrons sur l’évolution de la Ligue socialiste dans une prochaine partie, mais dans le présent article, nous examinerons de plus près la méthode de la SDF dans la seconde moitié des années 1880 et montrerons comment, sous la direction de Hyndman, elle a œuvré à maintes reprises contre le développement du mouvement ouvrier, en renforçant les tendances au sectarisme et à l’isolement en discréditant le socialisme aux yeux de la classe ouvrière.
Pour comprendre le rôle joué par la SDF et la faction de Hyndman en particulier, il faut commencer par examiner le type d’organisation dont le prolétariat avait besoin pour se défendre et faire avancer ses intérêts à la fin du XIXe siècle. C’est sur la base de ces critères que le rôle de la SDF doit être évalué.
Le développement rapide du capitalisme à cette époque a confronté le prolétariat à une bourgeoisie qui tend à devenir plus forte et plus unifiée. Pour lutter efficacement, la classe ouvrière devait répondre de la même manière, en forgeant un instrument avec une base programmatique et organisationnelle claire, qui reconnaissait le lien entre les luttes immédiates de la classe et son objectif à long terme et qui, de manière cruciale, se voyait comme faisant partie d’un mouvement international.
Les partis sociaux-démocrates et, surtout, la Deuxième Internationale, ont été la réponse du prolétariat. Ces organisations n’ont pas été imposées depuis l’extérieur de la classe, comme la bourgeoisie aime à le prétendre, mais « n’ont fait que développer et organiser un mouvement réel qui existait bien avant elle et s’était développé indépendamment d’elle. Pour le prolétariat la question était (comme aujourd’hui) toujours la même : comment combattre la situation d’exploitation dans laquelle il se trouve ». (1) La social-démocratie était une arme créée par le prolétariat pour mener à bien ses luttes. Elle a marqué un progrès crucial par rapport au passé de par son adhésion au marxisme et son rejet de l’anarchisme, par sa défense du cadre unitaire et politique de l’organisation de la classe et par l’établissement des programmes minimum et maximum.
Ces acquis ne sont pas nés spontanément mais ont été le fruit de luttes déterminées et prolongées au sein du mouvement ouvrier, dans lesquelles la responsabilité principale a incombé à plusieurs reprises à l’aile gauche du mouvement, d’abord pour obtenir des avancées et ensuite pour les défendre contre la tendance au compromis et au réformisme stimulée par le développement apparemment illimité du capitalisme et les réformes que ce développement rendait possibles.
Les élections britanniques de 1885 sont les premières à avoir lieu depuis la réforme de 1884 qui, bien que n’allant pas jusqu’au suffrage universel, a considérablement étendu le corps électoral et, selon Engels, a rendu probable l’élection d’un certain nombre de dirigeants ouvriers officiels avec le soutien des libéraux. Engels pensait que cela favoriserait le développement du mouvement ouvrier indépendant puisque ces dirigeants « se montreraient rapidement pour ce qu’ils sont ». (2)
La SDF présente trois candidats, deux à Londres et un à Nottingham. Les dépenses de ceux de Londres sont payées par les Tories (Parti conservateur), suite à un accord conclu par la clique de Hyndman dans le dos de l’organe du SDF. Les candidats ont été délibérément placés dans des circonscriptions libérales fortes où ils étaient voués à l’échec et, le jour du scrutin, ils n’ont obtenu que 59 voix à eux deux. Lorsque la nouvelle de l’accord s’est répandue, la presse libérale a monté une campagne virulente, dénonçant la SDF pour avoir accepté « l’or des Tories » et pour avoir fait leur sale boulot. Hyndman et ses partisans ont prétendu qu’il importait peu de savoir à qui ils prenaient de l’argent, mais dans une lettre à Bernstein, Engels expose clairement les conséquences de l’action de Hyndman : « Hyndman, cependant, savait que prendre l’argent des Tories n’entraînerait rien de moins qu’une ruine morale irréparable pour les socialistes aux yeux de la seule et unique classe dont ils pouvaient tirer des recrues, à savoir les grandes masses ouvrières radicales ». (3) Par conséquent, l’emprise des libéraux sur la classe ouvrière fut renforcée et la création d’une organisation indépendante fut repoussée.
La critique d’Engels, mais pas son analyse, est partagée par la Ligue socialiste, dont l’exécutif adopte une résolution déclarant « que cette réunion considère avec indignation l’action de certains membres de la Fédération sociale-démocrate qui trafiquent l’honneur du Parti socialiste, et qu’elle désire exprimer sa sympathie avec la section de la Fédération qui rejette les tactiques de la bande peu recommandable concernée par les récentes procédures ». (4) Un membre éminent de la Ligue, Adreas Scheu, a condamné Hyndman comme étant « un agent payé par les Tories (ou les libéraux-réactionnaires) dans le but de discréditer le socialisme auprès des masses ». (5)
Au sein même de la SDF, comme le note la résolution de la Ligue, les critiques sont également vives. L’un des candidats a affirmé ignorer cette information et écrit à la presse pour dénoncer l’accord ainsi que « les hommes de la classe moyenne de notre mouvement ». (6) L’opposition est particulièrement forte, parmi les sections provinciales et, suite à l’échec d’une tentative de censure de Hyndman lors d’une réunion à Londres, un grand nombre de militants démissionnent, dont la totalité des sections de Bristol et Nottingham.
Sous l’influence de Hyndman, et malgré la présence de nombreux syndicalistes, la SDF adopte une attitude très critique, voire hostile, à l’égard des syndicats, affirmant aux travailleurs que les grèves sont futiles : « Il n’y a rien dans les grèves elles-mêmes, qu’il s’agisse d’une augmentation des salaires pour tous, ou de l’adoption d’un salaire minimum pour les catégories de travailleurs les plus modestes dans n’importe quel secteur d’activité, qui puisse émanciper les ouvriers sans propriétés ou les rendre moins dépendants de la classe des possédants et des patrons… ». (7) En revanche, la SDF encourage les rassemblements et les manifestations de chômeurs qui ont assisté à des discours révolutionnaires et ont été incités à adopter des résolutions irréalistes.
Peu après le scandale de l’or des Tories, la SDF a appelé à une manifestation de chômeurs à Trafalgar Square, officiellement en opposition à un rassemblement des Tories sur le « commerce équitable » au même endroit. En réalité, selon Karl Kautsky qui a observé l’affaire, la manifestation de la SDF était principalement composée d’éléments du lumpenprolétariat, tandis que la plupart des véritables travailleurs se trouvaient à l’autre réunion. Après un certain nombre de discours « révolutionnaires », la SDF conduit sa manifestation vers Hyde Park et alors qu’ils traversent les rues cossues de Pall Mall et Picadilly, des émeutes éclatent, des vitrines sont brisées et des magasins saccagés. La SDF et, dans une moindre mesure la Ligue socialiste, considèrent l’émeute comme positive. Pour la SDF, elle permet de sauver ses accréditations « révolutionnaires » après le discrédit du scandale de l’or des Tories, tandis que Morris observe que « toute opposition à la loi et à l’ordre nous est utile ». Une fois de plus, c’est Engels qui en saisit les véritables implications : « L’absence de la police montre que le tapage était voulu, mais que Hyndman et Cie soient tombés dans le piège est impardonnable et les marque finalement non seulement comme des imbéciles impuissants, mais aussi comme des scélérats. Ils voulaient laver le déshonneur de leurs manœuvres électorales et maintenant ils ont fait un tort irréparable au mouvement actuel ». (8) Dans une lettre à Bebel, il condamne la SDF qui cherche à devancer le développement réel du mouvement ouvrier et la compare aux anarchistes. Les procès pour sédition qui s’ensuivirent contre Hyndman et d’autres ne furent pas sérieusement poursuivis et n’aboutirent finalement à rien, mais ils contribuèrent grandement à améliorer la réputation de Hyndman parmi les socialistes et les radicaux.
Tout au long de l’année 1886 et de l’hiver 1887, la SDF continue d’orchestrer des marches et des manifestations de chômeurs. Celles-ci ont souvent lieu en dehors de Londres et sont bien organisées. En l’absence de toute alternative, la SDF commence à jouer un rôle de premier plan au sein de certains pans de la classe ouvrière.
Au cours de la première partie de l’année, Engels se félicite du manque d’impact de la SDF et de la Ligue socialiste sur la classe ouvrière, mais au fur et à mesure que l’année passe, il reconnaît un changement de la situation. En août, il écrit à Bebel : « La Fédération sociale-démocrate a au moins un programme et une certaine discipline, mais aucun soutien de la part des masses ». Un mois plus tard, il reconnaît que Hyndman a renforcé sa position et en novembre, il affirme que « grâce à la stupidité de tous ses rivaux et adversaires, la Fédération sociale-démocrate commence à devenir une puissance ». (9) Cela se traduit par de nouvelles manifestations de chômeurs à Trafalgar Square au cours de ce même mois, qui cette fois se déroulent dans le calme. Le gouvernement leur donne à nouveau un coup de pouce en menaçant d’abord d’empêcher les manifestations par la force, puis en faisant machine arrière. Engels voyait dans ces développements les débuts d’un mouvement en Grande-Bretagne, mais il prenait soin de préciser ce qu’il entendait par là : « La Fédération sociale-démocrate commence à avoir une certaine puissance, car les masses n’ont absolument aucune autre organisation à laquelle se rallier. Les faits doivent donc être rapportés de manière impartiale, en particulier le fait le plus important de tous, à savoir qu’un mouvement ouvrier véritablement socialiste a vu le jour ici. Mais il faut faire très attention à faire la distinction entre les masses et leurs dirigeants temporaires ». (10) En bref, Engels voyait le développement du mouvement se faire en dépit des manœuvres de Hyndman.
Malgré la rhétorique « révolutionnaire » brûlante des discours de Hyndman, la SDF s’est alliée au niveau international avec l’aile réformiste du mouvement ouvrier, puisque l’aile révolutionnaire était résolument marxiste. En particulier, la SDF travaille avec les Possibilistes en France, qui défendent le « socialisme municipal » contre le programme marxiste du Parti Ouvrier Français. En mars 1886, Justice publiait un article qui décrivait les Possibilistes comme la principale organisation socialiste en France, ignorant la création d’un groupe ouvrier à la Chambre des Députés quelques mois auparavant.
L’hostilité de Hyndman à la création d’un mouvement marxiste de la classe ouvrière et sa défense efficace des intérêts de la bourgeoisie, atteignent un point culminant lorsqu’il tente de saboter la fondation de la Deuxième Internationale. Il a été aidé en cela par les Possibilistes français qui, après avoir divisé le mouvement ouvrier en France, espéraient faire de même au niveau international.
En octobre 1887, le congrès du Parti social-démocrate allemand (SPD) a adopté une résolution appelant à un congrès international : « Mais comme à peu près à la même époque les syndicats avaient convoqué le congrès de Londres, le parti allemand était prêt à abandonner son congrès, à condition qu’il soit autorisé à y participer – simplement à y participer ! », cependant « Les conditions de participation formulées par le comité syndical ont abouti à l’exclusion de tous les délégués allemands ». (11) Paul Brousse, le leader des Possibilistes, assiste avec d’autres à la conférence et obtient leur soutien sur leur proposition d’organiser un congrès international en 1889, qui exclurait les autres partis ouvriers français.
Malgré cela, le SPD et Engels maintiennent dans un premier temps leurs efforts pour obtenir un congrès international unique. Une conférence à La Haye en février 1889 propose les conditions d’un congrès unique mais est boycottée par les Possibilistes (tandis qu’Engels critique le fait de ne pas avoir invité la SDF). Les Possibilistes lancent alors des invitations à leur congrès tandis que Hyndman attaque publiquement la Conférence de La Haye comme « une sorte de caucus privé » qui répéterait « les misérables intrigues qui ont brisé l’ancienne internationale ». (12) Ces calomnies ont rendu clairs les enjeux de la situation et la conduite à suivre pour Engels, comme il l’écrit dans une lettre à Sorge en juin : « C’est à nouveau la vieille scission de l’ Internationale qui apparaît ici au grand jour, la vieille bataille de La Haye. Les adversaires sont les mêmes, mais la bannière des anarchistes a été remplacée par la bannière des Possibilistes […] Et la tactique est exactement la même. Le manifeste de la Fédération sociale-démocrate, manifestement écrit par Brousse, est une nouvelle édition de la circulaire Sonvillier » (13) (Correspondance choisie).
Engels milite maintenant avec détermination pour un congrès séparé, s’efforçant de gagner les dirigeants du SPD et de transmettre les leçons acquises avec tant de difficultés dans la lutte contre Bakounine au sein de la Première Internationale. En juillet, les congrès marxiste et possibiliste se tiennent à Paris. Le premier réunit 400 délégués de 20 pays, tandis que le second regroupe un ensemble disparate de syndicalistes (dont un certain nombre ont été attirés par le congrès marxiste), de Possibilistes, de la clique de Hyndman et d’anarchistes unis uniquement par leur opposition au marxisme. Le congrès marxiste a réussi à résister aux tentatives des anarchistes de le perturber et a fait en sorte que la Deuxième Internationale soit fondée sur les avancées organisationnelles réalisées par la Première.
Défait au niveau international, Hyndman n’en poursuit pas moins son offensive contre l’unité du mouvement ouvrier en s’efforçant de le diviser en Grande-Bretagne. Cependant, alors que dans le passé il avait souvent pu dominer les mouvements isolés et fragiles des travailleurs, il va maintenant à l’encontre de la marée montante d’un mouvement qui prend de la force à l’intérieur du pays et s’inspire de l’étranger.
Parmi un certain nombre de résolutions adoptées par le congrès fondateur de la Deuxième Internationale, l’une d’entre elles appelait à des manifestations ouvrières internationales le 1er mai. Cette résolution a été soutenue avec enthousiasme par le syndicat Gas Workers and General Labourers qui, grâce à une lutte victorieuse pour obtenir la journée de huit heures pour les ouvriers du gaz, contenait quelque 100 000 membres. Eleanor Marx et Edward Aveling avaient travaillé activement avec le syndicat et leur réussite était telle qu’Hyndman a jugé nécessaire de les calomnier publiquement en les accusant de recevoir de l’argent du syndicat. Le syndicat appelle désormais à une manifestation de masse à Hyde Park, qui ne se tiendra pas le 1er mai mais le dimanche 4, car cela permettra à un plus grand nombre de travailleurs d’y assister. Le London Trade's Council, qui regroupe les vieux syndicalistes conservateurs qui excluent les ouvriers non qualifiés, s’y oppose. Il fait cause commune avec la SDF et cherche à devancer l’appel des ouvriers du gaz en réservant Hyde Park pour le 4 dans le but d’empêcher une manifestation dominée par la classe ouvrière radicale et les marxistes. Cependant, Aveling fait pression sur les autorités pour qu’elles autorisent la manifestation originale, de sorte que le 4 mai, deux manifestations rivales ont lieu. Le résultat est une nouvelle défaite pour Hyndman et ses alliés. Engels, qui a assisté aux manifestations, a rédigé un compte-rendu saisissant qui met clairement en évidence la signification de l’événement : « D’un côté, nous trouvons des ouvriers conservateurs, dont l’horizon ne s’étend pas au-delà du système du travail salarié, et à côté d’eux une secte socialiste faible mais avide de pouvoir ; de l’autre côté, la grande majorité des ouvriers qui avaient récemment rejoint le mouvement et qui ne veulent plus avoir affaire au manchesterisme (14) des vieux syndicats, préférant gagner eux-mêmes leur émancipation complète, avec des alliés de leur choix, et non avec ceux imposés par une minuscule clique socialiste […] Les petits-enfants des vieux Chartistes montent en première ligne. Depuis huit ans, les larges masses sont passées à l’action, tantôt ici, tantôt là. Des groupes socialistes sont apparus, mais aucun n’a pu dépasser les limites d’une secte ; agitateurs et chefs de parti en puissance, simples spéculateurs et carriéristes parmi eux, ils sont restés des officiers sans armée… Le formidable mouvement des masses mettra fin à toutes ces petites sectes et à tous ces petits groupements en absorbant les hommes et en montrant aux dirigeants la place qui leur revient ». (15) Comme pour confirmer ce dernier point, Engels note que trois sections entières de la SDF ont participé à la manifestation marxiste, plutôt qu’à celle organisée par leurs chefs.
L’analyse d’Engels sur les sectes socialistes se confirme dans le cas de la SDF. Depuis sa formation et jusqu’aux dernières années des années 1880, la SDF a maintenu sa position de plus grande organisation socialiste en Grande-Bretagne et a ainsi pu se placer à la tête du mouvement ouvrier lorsque celui-ci a commencé à se développer. C’est à cette époque que les manœuvres de Hyndman étaient largement couronnées de succès, à la fois pour maintenir sa propre domination et pour s’assurer que le mouvement restait suffisamment petit pour qu’il puisse le manipuler. C’est pourquoi il a permis au scandale de l’or des Tories de discréditer le socialisme aux yeux des masses ouvrières et c’est pourquoi il a préféré diriger les marches des chômeurs plutôt que de participer au syndicalisme et aux grèves.
La montée d’un mouvement ouvrier de masse a inévitablement commencé à affaiblir la position de Hyndman et l’établissement de la Seconde Internationale sur une base marxiste a été un sérieux revers, non seulement pour Hyndman mais pour tous ceux qui, comme lui, ont prospéré sur la faiblesse et la division du prolétariat. La manifestation du 1er mai n’a pas seulement exprimé la croissance du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne, elle a également témoigné de la nature internationale du prolétariat, puisque la victoire de 1889 au niveau international a ouvert la voie à la victoire de 1890 au niveau national.
Ces défaites ne signifient pas la fin pour Hyndman, au contraire, il continue à travailler contre l’unité du mouvement ouvrier, notamment en cherchant à introduire le poison du nationalisme dans le mouvement socialiste en menant une campagne contre le « militarisme Hohenzollen » et pour un renforcement de la marine britannique, sur laquel nous reviendrons plus tard. Par-dessus tout, l’héritage durable de la domination de Hyndman sur la SDF fut d’inculquer une attitude puriste, « révolutionnaire », parmi les générations successives de militants de la classe ouvrière, y compris parmi ceux qui s’opposaient à Hyndman. Le mouvement révolutionnaire britannique était en proie à la confusion et même à l’opposition au syndicalisme et à l’obtention de réformes immédiates, ce qui a contribué à une situation où les programmes minimum et maximum de la classe ouvrière étaient incarnés dans des organisations séparées et opposées, au grand détriment des deux, et entraînant l’affaiblissement à long terme du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne.
Comment alors comprendre Hyndman et la SDF ? Dans la première partie, nous avons identifié Hyndman comme un aventurier qui a fait passer son intérêt personnel avant le mouvement qu’il prétendait soutenir. En fait, ses actions allaient au-delà de cela puisqu’elles coïncidaient objectivement avec les objectifs de la bourgeoisie qui, à maintes reprises, a cherché à détruire le mouvement révolutionnaire de l’intérieur. De plus, ses contacts avec la bourgeoisie, depuis sa rencontre avec Disraeli en 1880 jusqu’à l’accord avec les Tories en 1885, posent des questions sur sa relation avec l’État. Si nous ne sommes pas en mesure de donner une réponse définitive aujourd’hui, nous pouvons noter qu’à plus d’une reprise, ses contemporains l’ont accusé d’être un agent de la bourgeoisie. Engels, pour sa part, a montré qu’Hyndman se situait dans la continuité de Bakounine et qu’au-delà de leurs différences, ils étaient unis dans la haine du marxisme et l’opposition au développement d’un mouvement révolutionnaire basé sur les principes de centralisation et d’internationalisme. Tous deux étaient des parasites du mouvement ouvrier, opposant leur autorité dictatoriale, fondée sur les affinités, le sectarisme et les intrigues, au fonctionnement collectif et formalisé du prolétariat. Tout comme Engels s’est inspiré de l’expérience de la Première Internationale (16) pour armer la Deuxième, les révolutionnaires d’aujourd’hui doivent à nouveau tirer les leçons du passé pour mener la bataille permanente contre le parasitisme politique et tous ceux qui veulent détruire l’organisation révolutionnaire.
Si nous avons identifié Hyndman comme étant opposé à l’avancement du prolétariat et hostile au marxisme, qu’en est-il de la Fédération dans son ensemble ? Peut-elle être considérée comme une organisation prolétarienne ? La réponse est oui et c’est Engels qui nous donne les raisons d’une telle réponse : notamment dans son insistance à distinguer entre la direction et le corps de l’organisation et, plus généralement, dans son analyse de la manière dont la dynamique de la classe ouvrière peut s’emparer des organisations et les transformer. C’est pourquoi il conseille à Bernstein, à la fin de l’année 1887, de traiter la SDF autrement qu’auparavant, et pourquoi, dans une lettre à Sorge, il critique ceux qui ne regardent que la surface et ne voient « que confusion et querelles personnelles » alors que « sous la surface, le mouvement continue [et] embrasse des sections de plus en plus larges ».
Bien que les origines de la SDF se situent dans une pléthore de groupements essentiellement non-prolétariens et qu’elle n’ait jamais dépassé le stade de la secte, ce serait une grave erreur de ne voir que cela. En dépit de ses origines, la SDF était une organisation socialiste et, en de nombreux points, fermement marxiste, même si la direction était tout aussi fermement hostile au marxisme. La vie prolétarienne au sein de la SDF s’exprimait dans la collaboration des membres, surtout en dehors de Londres, avec d’autres socialistes et dans leur participation à la vie et aux luttes de la classe. La contradiction au sein de l’organisation se traduisait par une opposition récurrente à Hyndman, par la formation et le départ régulier de minorités de gauche. C’est à cette opposition et notamment à l’une de ses expressions les plus significatives, la Ligue socialiste, que nous nous intéresserons dans la prochaine partie de cette série.
North, WR n° 205, juin 1997
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1 « Continuité des organisations politiques du prolétariat : La nature de classe de la social-démocratie », Revue internationale n° 50.
2 Engels, lettre à Bebel (octobre 1885).
3 Ibid.
4 Lee et Archbold, Social-Democracy in Britain (1935).
5 Thompson, William Morris : Romantic to Revolutionary (1955).
6 Engels, lettre à Paul Lafargue (octobre 1885).
8 Engels à Laura Lafargue, Œuvres complètes Vol.47
9 Idem
10 Engels à Herman Schluter, Œuvres complètes, vol. 47
11 Engels/Bernstein L’Internationale ouvrière de 1889 /
12 The life of Eleanor Marx, 1855-1898 : a socialist tragedy, Tsuzuki (1967)
13 La circulaire Sonvillier était une attaque de l’Alliance de Bakounine contre la Première Internationale. Voir Revue internationale n°85 « La 1ère Internationale contre l’Alliance de Bakounine ».
14 Le « Manchesterisme des vieux syndicats » est une référence à leur adhésion aux politiques de « libre-échange » d’un groupe d’économistes bourgeois.
15 Œuvres complètes, Vol. 47
16 Pour en savoir plus sur le combat au sein de la Première Internationale, voir les articles dans les Revues Internationales n° 84, 85, 87 et 88.
Tout au long de l’histoire de la Fédération sociale-démocrate (Social Democratic Federation, SDF), une opposition s’est constamment formée contre les politiques et les pratiques de la clique dirigeante de Hyndman (voir la deuxième partie de cette série [54]). Parfois, cela s’est traduit par la démission de membres isolés : tout au long de son histoire, plusieurs milliers de membres sont passés par la SDF et il est clair que beaucoup d’entre eux ont tout simplement été perdus pour la cause ouvrière. Dans d’autres cas, des factions de gauche organisées ont émergé et ont été soit expulsées, soit sont parties fonder de nouvelles organisations. Dans les années 1880, la Ligue socialiste et la moins connue Union socialiste (Socialist Union, SU), ont été créées, tandis que dans les premières années du XXe siècle, le Parti socialiste de Grande-Bretagne (Socialist Party of Great Britain, SPGB) et le Parti socialiste travailliste (Socialist Labour Party, SLP) ont vu le jour. Ces scissions sont souvent présentées comme la conséquence de conflits de personnalité dûs à la conduite dictatoriale de Hyndman mais, en réalité, elles répondaient aux besoins du mouvement ouvrier de l’époque. Ainsi, si nous avons caractérisé ces organisations comme l’aile gauche du mouvement, cela n’implique pas qu’elles étaient simplement plus « radicales » que la SDF. Dans les années 1880, la tâche prioritaire était de dépasser le sectarisme étroit de la SDF et de construire un mouvement ouvrier de masse. L’Union socialiste, qui a scissionné après le scandale de l’or des Tories, (1) a mis l’accent sur les moyens constitutionnels, en particulier le Parlement, pour y parvenir. Dans les années 1900, la tâche principale était devenue la lutte contre la croissance de l’opportunisme au sein de la Deuxième Internationale, le Parti socialiste de Grande-Bretagne et le Parti socialiste travailliste défendant tous deux la nécessité du renversement du capitalisme par la révolution contre les illusions du réformisme. Si toutes ces organisations présentaient de sérieuses faiblesses et confusions, il est néanmoins essentiel de saisir la dynamique qui les sous-tendait. Une telle compréhension montre clairement que le mouvement ouvrier en Grande-Bretagne n’était pas quelque chose de particulier à ce pays, le produit de son histoire « spécifique » comme on nous le répéte si souvent, mais qu’il s’inscrivait irréfutablement dans le mouvement ouvrier international. En Allemagne, en France et en Russie, il est possible de retracer la même lutte fondamentale pour dépasser d’abord la phase des sectes et des cercles, pour ensuite défendre la nature marxiste et révolutionnaire du mouvement ouvrier contre l’opportunisme et le réformisme. Un examen de l’histoire de la Ligue socialiste, qui est au centre de cette troisième partie de notre série, des luttes qui ont eu lieu en son sein et de son effondrement final, confirme cette analyse.
En août 1885, quelques mois après la fondation de la Ligue socialiste, Engels écrit à Kautsky : « Après les élections […], les conditions en faveur de l’émergence d’un mouvement socialiste s’élargiront et se consolideront. C’est pourquoi je suis heureux de constater que le mouvement hyndmanien ne prendra sérieusement racine nulle part et que le mouvement simple, maladroit, merveilleusement gaffeur, mais sincère de la Ligue socialiste gagne lentement mais apparemment sûrement du terrain ». (2). Au début de l’année suivante, dans une lettre à Sorge, après avoir critiqué les manœuvres électorales de la SDF, il conclut « mais s’il s’avère possible d’éduquer au sein de la Ligue socialiste un noyau ayant une compréhension des questions théoriques, des progrès considérables auront été faits vers l’éruption, qui ne saurait tarder, d’un véritable mouvement de masse ». (3) Cette compréhension du potentiel découlant de l’évolution des conditions objectives est la raison fondamentale pour laquelle Engels a apporté son soutien à la création de la Ligue socialiste, en donnant des conseils à Morris, Bax et les Avelings, en aidant à rédiger leur projet de plateforme programmatique et en contribuant à un article dans Commonweal, le journal de la Ligue. Dans ce dernier, il soulignait que c’était la détérioration de la situation économique en Grande-Bretagne qui jetterait les bases de la renaissance du socialisme, le message implicite étant que les socialistes devaient accompagner ce processus, en marchant aux côtés des travailleurs et en cherchant à les pousser vers l’avant, plutôt que de chercher à imposer une doctrine pure de l’extérieur.
Cette stratégie était clairement exposée dans le projet de plateforme, rédigé par Eleanor Marx et Edward Aveling avec les conseils d’Engels, qui prévoiyait la participation aux élections et le soutien aux syndicats ainsi qu’aux autres organismes socialistes. L’objectif primordial était de « former un parti travailliste socialiste national et international ». (4) Cet objectif fut adopté par le conseil provisoire, formé immédiatement après la scission, mais ensuite renversé, avec le soutien de Morris, lors de la première conférence de la Ligue en juillet 1885 en faveur d’une position anti-électorale.
Dans un certain nombre de domaines, la Ligue a fait des progrès importants. Au niveau programmatique, le Manifeste de la Ligue socialiste mettait l’accent sur le renversement révolutionnaire de la société par un prolétariat conscient de constituer une classe, rejetant « certains plans incomplets de réforme sociale », et déclarant fermement son internationalisme : « pour nous, il n’y a pas de nations, uniquement des masses disparates de travailleurs et d’amis, dont les sympathies mutuelles sont contrôlées ou perverties par des groupes de patrons et d’escrocs dont l’intérêt est d’attiser les rivalités et les haines entre les habitants de différents pays ». Au niveau de l’organisation, et en contraste direct avec la SDF, le journal de la Ligue était considéré comme exprimant les opinions de l’organisation et demeurant sous le contrôle : « Le rédacteur en chef et le sous-rédacteur en chef [Morris et Edward Aveling respectivement] agissent en tant que délégués de la Ligue socialiste, et sous son contrôle direct : toute erreur de principe, par conséquent, et toute déclaration erronée sur les objectifs ou les tactiques de la Ligue, sont susceptibles d’être corrigées par cet organisme ». (5) De façon plus générale, la Ligue a adopté une approche marxiste de l’histoire. On le voit très clairement dans la série « Socialism from the Root up », écrite conjointement par Morris et Bax, et publiée dans le Commonweal entre mai 1886 et mai 1888. La majeure partie de la série est consacrée à une exposition du « socialisme scientifique », comprenant un résumé de l’analyse économique du Capital.
Cependant, les faiblesses qui ont joué un rôle important dans la dissolution finale de la Ligue étaient aussi présentes. Sur le plan programmatique, elle ne parvient pas à saisir le lien entre la lutte pour les réformes immédiates et l’objectif de la révolution, rejetant tous les palliatifs, et en particulier la participation aux élections, en faveur de « la réalisation d’un socialisme révolutionnaire complet ». Sur le plan organisationnel, malgré l’existence d’un conseil exécutif et la tenue de conférences annuelles, la structure était très informelle, les sections conservant un haut degré d’autonomie.
Le résultat est que la Ligue se tint à l’écart des luttes des travailleurs. Si elle prêchait l’importance d’une grève générale, elle ne parvenait pas à saisir le réel potentiel des grèves qui se déroulaient sous son nez, se contentant d’un tract passe-partout qui disait aux ouvriers qu’une grève portant uniquement sur les salaires « sera inutile comme moyen d’améliorer de façon permanente votre condition et constituera une perte de temps et d’énergie, et entraînera entre-temps une grande quantité de souffrances pour vous-mêmes, vos femmes et vos familles ». (6) Une approche similaire a été adoptée à l’égard de la lutte électorale, avec un autre tract passe-partout appelant simplement les ouvriers à ne pas y participer. En conséquence, la Ligue accordait la plus grande importance à l’éducation, Morris affirmant que « l’éducation vers la révolution me semble exprimer en trois mots ce que doit être notre politique ». (7) Les membres de la Ligue ont consacré leurs efforts à la propagation des idées, par voie orale et écrite, participant aux luttes pour la liberté d’expression qui ont marqué le milieu des années 1880, faisant souvent preuve d’un courage, d’un engagement et d’une abnégation extraordinaires pour la cause, mais ne répondant toutefois pas au mouvement ouvrier qui se développait autour d’eux, même lorsque les travailleurs montraient leur volonté d’évoluer vers le socialisme, comme lors des grèves des mineurs en Écosse en 1887, lorsque les ouvriers participaient à des réunions par dizaines de milliers.
L’isolement de la Ligue de la vie réelle de la classe ouvrière, malgré la sincérité et les efforts de ses membres, provenait de son incapacité à saisir les tâches de l’époque et à construire une organisation capable de les réaliser. Cet échec n’était pas inévitable mais était, fondamentalement, le résultat de la lutte entre les factions marxistes et anarchistes au sein de la Ligue.
Ces factions étaient présentes dès le début. Les anarchistes étaient dirigés par Joseph Lane et Frank Kitz, issus du milieu ultra-radical londonien à la fin des années 1870, qui fondèrent la Labour Emancipation League (LEL) en 1881. Son programme associe diverses revendications classiques des radicaux à celles des chartistes, ainsi que des appels à la collectivisation des moyens de production, tandis que son activité, qui se concentre sur sa base dans l’East End de Londres, prévoiyait de lancer un appel à la grève des loyers. La même année, à l’invitation de Hyndman, elle participa à la conférence qui allait fonder la Fédération démocratique, ancêtre de la SDF, cherchant à « les doter du programme le plus avancé que nous puissions leur imposer ». (8) La LEL s’affilia à la SDF, mais n’y adhèra pas afin de conserver son « autonomie ». Elle prit peu part aux activités de la SDF jusqu’à la scission de 1884, où elle se rangea du côté des sécessionnistes, bien qu’elle ait été invitée à participer à la réunion décisive par Hyndman qui, vraisemblablement, pensait pouvoir compter sur elle une seconde fois. Par la suite, la LEL s’est affiliée à la Ligue. Cette fois, ses membres allaient jouer un rôle beaucoup plus important, Lane et Kitz prenant d’abord place au conseil provisoire puis au conseil exécutif, où ils formèrent le noyau autour duquel la faction anarchiste se développa au sein de la Ligue.
La faction marxiste, qui comprenait Bax, Aveling, Morris et Eleanor Marx, subit son premier revers avec le rejet du projet de plateforme, bien qu’une proposition de Lane visant à transformer la Ligue en une fédération de sections indépendantes ait été rejetée. La plupart d’entre eux, en particulier Morris, ont complètement sous-estimé le danger que représentaient les anarchistes et ont ouvert la porte à leur influence destructrice. Seule Eleanor Marx saisit le danger, écrivant à sa sœur Laura peu après la création de la Ligue : « les anarchistes seront ici notre principale difficulté. Nous en avons beaucoup dans notre Conseil, et peu à peu, ce sera l’enfer. Ni Morris, ni Bax, ni aucun des nôtres ne sait vraiment ce que sont ces anarchistes : jusqu’à ce qu’on le sache, il sera difficile de les combattre ; d’autant plus que beaucoup de nos membres anglais recrutés par les anarchistes étrangers (dont je soupçonne la moitié d’être des agents de police) sont incontestablement les meilleurs hommes que nous ayons ».(9) Ses prédictions se sont rapidement vérifiées. En avril 1886, Engels écrivait à Laura Lafargue : « Ici, tout est embrouillé. Bax et Morris s’enfoncent de plus en plus dans les mains de quelques phraseurs anarchistes, et écrivent des sottises avec une intensité croissante ». (10) En mai, Aveling démissionna de son poste de sous-rédacteur du Commonweal (Bax le remplaça) et peu après, Eleanor Marx cessa d’écrire sa colonne « Notes internationales ». En août, Engels note que « la Ligue traverse une crise ».(11)
La lutte atteignit son paroxysme lors de la troisième conférence en 1887 lorsque les marxistes cherchèrent à renverser la politique anti-électorale et sectaire de la Ligue. La résolution principale, proposée par Mahon, réitèra essentiellement la stratégie du projet de plateforme. Il est possible qu’Engels ait aidé à rédiger cette résolution car, malgré ses réserves sur la capacité de la Ligue, il voyait que le développement d’un large mouvement ouvrier en Grande-Bretagne était imminent. Pendant la préparation de la conférence, les anarchistes mobilisèrent activement leurs forces, tandis que les marxistes restèrent silencieux et inactifs. Lors de la conférence, Morris joua un rôle décisif, cherchant d’abord à repousser la prise de décision, puis se rangeant derrière les anarchistes pour rejeter la résolution marxiste et réaffirmer la politique d’abstention. Par la suite, les marxistes ont tenté de travailler comme une fraction au sein de la Ligue, s’établissant dans la section de Bloomsbury et, paradoxalement, dans la section de Hoxton de la Labour Emancipation League, dans laquelle ils étaient désormais majoritaires. Ce travail semble avoir été mal fait (les anarchistes le présentant comme un complot visant à organiser un « coup d’État » au sein de la Ligue) et, lors de la quatrième conférence, la tentative de changer la politique de la Ligue se solda non seulement par une défaite, mais par l’expulsion de la section de Bloomsbury et la désaffiliation de la LEL de Hoxton. Désormais, la Ligue était aux mains des anarchistes.
Morris, bien que se déclarant fermement marxiste et opposé à l’anarchisme, continuait de sous-estimer la menace que représentaient les anarchistes. Lors de la conférence fondatrice de la Seconde Internationale, il se joignit aux autres membres de la délégation de la Ligue pour protester contre la façon dont on avait traité la tentative des anarchistes de perturber la réunion. Il révèla également sa mauvaise compréhension de la question de l’organisation dans son rapport sur le congrès, lorsqu’il conclut que « de tels rassemblements ne sont pas propices à la bonne gestion des affaires et leur véritable utilité est leur caractère démonstratif, et […] il est préférable de les encadrer en tant que tels ». (12) Ce n’est qu’en 1890 qu’il rompit définitivement avec la Ligue et ce n’est que dans les quelques années qui lui restaient à vivre qu’il commença à saisir la dynamique du mouvement.
Les anarchistes ont progressivement réduit la Ligue à néant, cherchant à se surpasser dans des postures radicales, utilisant Commonweal pour prôner le terrorisme et l’assassinat tout en brisant les sections. Si à ce stade, la présence d’espions de la police et d’agents provocateurs devint évidente (même pour les anarchistes), la période décisive était celle de l’affrontement entre marxistes et anarchistes. Le potentiel de la Ligue à ses débuts a fait en sorte que l’État lui accorde une attention particulière. Nous avons déjà vu qu’Eleanor Marx soupçonnait la présence d’agents de police parmi les anarchistes étrangers mais, étant donné l’expérience de l’État britannique, il est impossible d’exclure la probabilité que parmi les anarchistes autochtones se trouvaient également quelques agents d’État.
La dégénérescence de la Ligue socialiste, comme les manœuvres de la SDF avant elle, a incité d’importantes minorités à tenter de dépasser leurs propres limites. Cela prit diverses formes. Les sections de la Ligue, en particulier celles situées en province, développèrent des liens avec d’autres organismes socialistes locales, dont la SDF, ainsi qu’avec les syndicats. Par exemple, en 1888, les sections d’Écosse ont soutenu la formation du Scottish Labour Party. Mahon, à un moment donné secrétaire de la Ligue et pilier des antiparlementaires, changea de position et quitta la Ligue pour fonder la Northern Socialist Federation et travailler avec la Scottish Land et la Labour League, deux organisations soutenant la participation aux élections et aux syndicats. Cependant, comme nous le verrons plus loin dans cette série, de nombreux militants, dans leur empressement à rompre avec le sectarisme, ont fait le chemin inverse et ont eu tendance à considérer le parlement comme la seule voie vers le socialisme, succombant ainsi aux arguments du réformisme et de l’opportunisme. Encore une fois, cette tendance découlait de la situation objective, où l’expansion continue du capitalisme permettait au mouvement ouvrier d’arracher des concessions à la bourgeoisie.
La promesse de la Ligue socialiste n’a pas été tenue. Elle n’a pas réussi à remplir les tâches qui lui étaient dévolues. Cependant, en cours de route, à travers la lutte pour transmettre le message à la classe et à travers la confrontation avec les anarchistes, un nombre significatif de militants a commencé à comprendre pourquoi et comment faire partie du mouvement de masse. La grande faiblesse était qu’en cours de route, beaucoup de temps et d’énergie avaient été gaspillés. Pendant que les socialistes s’étaient enfermés dans leurs sectes, le mouvement de la classe ouvrière en Grande-Bretagne commençait à se développer et à les laisser sur le carreau. Cela signifiait que les éléments non socialistes et antisocialistes, avec l’aide de l’État, avaient un poids disproportionné au sein du nouveau mouvement. Dans la prochaine partie de notre série, nous examinerons de plus près les débuts de ce mouvement, en prélude à l’examen de la place et du rôle du Parti travailliste indépendant.
North, World Revolution n° 208, octobre 1997
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1La SDF avait présenté aux élections des candidats à Londres et à Nottingham dont les dépenses avaient été payées par le parti Tory suite à un accord conclu par la clique de Hyndman dans le dos de l’organisation. Ces candidatures étaient délibérément situées dans des circonscriptions libérales pour affaiblir ces derniers. Lorsque la nouvelle de l’accord fut divulguée, la presse libérale a lancé une campagne virulente dénonçant la SDF pour avoir accepté « l’or des Tories » et pour avoir fait le sale boulot du parti conservateur. Dans une lettre à Bernstein, Engels expliqua les conséquences de l’action de Hyndman : « Hyndman, cependant, savait que prendre de l’argent aux conservateurs n’entraînerait rien de moins qu’une ruine morale irréparable pour les socialistes aux yeux de la seule et unique classe dans laquelle ils pourraient recruter, à savoir les grandes masses ouvrières radicales ». Finalement, l’emprise des libéraux sur la classe ouvrière s’est renforcée et la création d’une organisation révolutionnaire indépendante a été retardée.
2Engels, Œuvres complètes Vol.47, p.320-1.
3Ibid, p.394
4Thompson, William Morris : Romantic to Revolutionary (1955).
5Introduction au Commonweal n° 1.
6Thompson, William Morris : Romantic to Revolutionary (1955).
7« Our Policy », Commonweal n° 14.
8Quail, The Slow Burning Fuse : The Lost History of the British Anarchists (2019).
9Tsuzuki, The life of Eleanor Marx, 1855-1898 : a socialist tragedy (1967).
10Engels, Œuvres complètes, Vol.47, p.438
11Engels à Bebel, Collected Works Vol 47.
12« Bilan du Congrès de Paris II », Commonweal n° 186.
Nous publions ci-dessous le second bulletin de discussion suite à la Déclaration commune contre la guerre de plusieurs groupes de la Gauche communiste. Ce positionnement et le débat international sont d'une grande importance face à une question aussi cruciale que celle de la défense de l'internationalisme prolétarien défendu traditionnellement par la Gauche communiste. Du fait de cette importance, ce document sera également traduit ultérieurement et publié dans une version française sur notre site.
- Communist Left discussion bulletin n°2 [56]
Enfin, des résistants « communistes » (entendez par là : « stalinien ») font leur entrée au Panthéon ! Durant tout le mois de février, dans tous les médias, on a parlé que de cela en boucle et célébré « l’Union sacrée » autour de la tombe du « héros ». Pour les députés de gauche qui défendaient ce dossier depuis 2010, c’est la consécration : « un grand moment de consensus » selon le porte-parole de l’Élysée, une « juste réparation mémorielle » d’après le député PCF, Pierre Dharréville. Le gouvernement Macron se gargarise : c’est par lui que sera faite la reconnaissance officielle des hauts faits d’armes et du « soutien à la France » par des combattants du Parti communiste français. La droite et la gauche du capital se sont retrouvés main dans la main pour célébrer le « héros ».
Comme à chaque panthéonisation, le choix du panthéonisé n’est pas dû au hasard des convictions du Président en place. Non, ces campagnes idéologiques savamment orchestrées servent toujours les intérêts idéologiques de l’État bourgeois : la bourgeoisie renforce le bourrage de crâne nationaliste en martelant une propagande valorisant la défense de la « démocratie » et l’esprit de sacrifice « pour la Patrie »… Porter aux nues ce résistant mort pour la défense de la liberté capitaliste alors qu’il luttait contre le fascisme permet de jouer sur la corde sensible de l’héroïsme et de l’abnégation.
Macron peut aussi compter sur les célébrations autour du cercueil de Manouchian pour l’aider à discréditer le RN tout en tentant de rassembler un peu l’électorat autour de lui. Effectivement, le parti populiste de Marine Le Pen ne cesse de monter dans les sondages, tout comme bon nombres de partis populiste en Europe et dans le monde. Et c’est pourquoi Macron l’attaque sur un de ses points faibles : son histoire. La question centrale de cet événement est d’ailleurs très vite devenue : est-ce que, oui ou non, le RN, compte-tenu de son passé, doit participer à la cérémonie ? La panthéonisation s’inscrit dans toute une série de manœuvres visant à renforcer la propagande contre les partis populistes, comme on a pu le voir récemment en Allemagne avec les immenses manifestations contre le « fascisme ». (1)
Toute cette campagne puante n’a fondamentalement qu’un seul but mensonger : celui de faire rentrer dans la tête des ouvriers que l’on peut être « communiste et patriote », que l’on peut être « communiste et participer de son plein gré à la guerre ».
Le PCF, auquel a pleinement adhéré Manouchian, avait trahi depuis bien longtemps le camp prolétarien en passant à la contre-révolution stalinienne. En août 1936, il proclamait à propos de la guerre en Espagne : « Notre parti frère a prouvé à maintes reprises que la lutte actuelle en Espagne ne se déroule pas entre capitalisme et socialisme, mais entre fascisme et démocratie » (sic !) « Dans un pays comme l’Espagne […], la classe ouvrière et tout le peuple ont […] comme seule tâche possible […] non pas de réaliser la révolution socialiste, mais de défendre, de consolider et de développer la révolution bourgeoise démocratique ». (2)
Le PCF s’est prostitué au capital en amenant les ouvriers à s’enrôler dans la guerre, au service d’un bloc militaire capitaliste, au travers une campagne idéologique anti-fasciste assourdissante. En 1939, après la signature du Pacte Germano-Soviétique, le même PCF, obéissant à la même logique d’intérêts impérialistes, a changé de camps appelant « à la fraternisation avec les prolétaires d’Allemagne ». Tout cela, pour retourner sa veste une nouvelle fois après la déclaration de guerre de l’Allemagne à l’URSS qui elle-même s’est retrouvée du « bon côté », celui des Alliés…
C’est toute cette vilenie que symbolise Manouchian, ce « héros » du capital, instrumentalisé aujourd’hui par l’État : un digne représentant de la trahison du PCF en même temps qu’un pur produit du lavage de cerveau engendré par sa propagande de masse.
Refusons cette sinistre propagande patriotarde et cette nouvelle communion théâtralisée derrière le drapeau tricolore. Rappelons-nous que « les prolétaires n’ont pas de patrie » !
B.E., 25 mars 2024
1 Voir à ce propos : « Comment la classe dominante exploite la décomposition de la société contre la classe ouvrière ? [59] » publié sur le site web du CCI.
2 Voir notre brochure : Comment le PCF est passé au service du capital [60].
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