Revue "Bilan" : leçons d’Espagne 1936 (1ere partie).

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Extraits de Bilan  nos 2 – 12 – 13 – 14 – 33 (1933 à 1936)
 

Présentation 

Depuis longtemps nous caressions le projet de faire connaître ce, que fut "Bilan", organe de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste, publié durant la période peut être la plus noire de l'histoire du mouvement ouvrier,  cette période qui va du triomphe d'Hitler en Allemagne à la deuxième guerre impérialiste mondiale. Mais toute la force de notre désir et de notre volonté ne suffisait cependant pas pour venir à bout des difficultés rencontrées, difficultés qui pour nos faibles forces numériques et nos moyens très limités  se présentaient comme insurmontables.

"Bilan", petite revue des années 30 totalement inconnue du public et à peine moins des militants d'extrême gauche, n'ayant pas derrière elle des noms prestigieux comme Pannekoek Trotsky, Rosa Luxembourg, n'était pas commercial et n'intéressait pas les grandes maisons d'édition ni davantage les Editions dites de Gauche. Elle ne pouvait guère plus intéresser le mouvement étudiant des années 60 plongé dans la contestation et l'anti autoritarisme,  se nourrissant de Marcuse,  découvrant la révolution sexuelle avec Reich, prenant comme idoles Castro et Che Guevara,  se vautrant dans un racisme anti-racisme noir pourri de mystifications, de "Libération nationale", de tiers-mondisme et de soutien de la guerre "libératrice" du Viêt-Nam. Et en effet, que pouvaient ces SDS d'Allemagne, des Etats-Unis et d'ailleurs, eux qui n'avaient qu'un léger mépris pour la classé ouvrière, totalement intégrée dans le capitalisme à les entendre,  que pouvaient-ils chercher et trouver dans "Bilan" sinon des "vieilleries marxistes" comme la notion de lutte de classes et du Prolétariat sujet his­torique de la Révolution Communiste. La barbe du "Che" et le sexe de Reich sont choses autrement plus attrayantes pour ces enfants révoltés de la petite-bourgeoisie en décomposition, que la prosaïque lutte de classe des ouvriers et les écrits de "Bilan" qui étaient entièrement consacrés à cela.

Plus étonnant et moins compréhensible à première vue pourrait être le silence complet du P.C.I.  (bordiguiste)  au sujet de "Bilan".  Si  "Bilan" et la fraction italienne d'avant la guerre de 1940 se réclamaient de la Gauche Communiste Italienne dont ils étaient la continuation,  il ne semble pas que le Parti Communiste Internationaliste (Bordiguiste) fondé en Italie après la guerre, veuille se souvenir de ce que fut la gauche italienne en exil après son exclusion du Parti et de l'IC.  Il est aussi fier de cette fraction de gau­che dans l'émigration, que l'on peut l'être d'un bâtard dans une bonne famille bourgeoise. On préfère en parler le moins possible. Pendant les 30 années d'existence de ce parti et malgré les nombreuses publications régulières,  le nombre d'articles republiés de "Bilan" peut se compter sur les doigts d'un manchot.  Pourquoi cela et pourquoi ce silence gêné ? Il suffit de feuilleter un tant soit peu "Bilan" pour en saisir immédiatement la raison, qui réside dans la différence d'esprit qui sépare l'un de l'autre.

Autant les "balbutiements"  (comme disait "Bilan" de lui-même)  de l'un se veulent et sont un examen critique des positions erronées et des analyses incomplètes ou incorrectes de la IIIème Internationale,  critique vivante faite à la dure lumière de l'expérience et des défaites de Prolétariat et constituent ainsi une contribution importante à la compré­hension au dépassement et à l'enrichissement de la pensée communiste,  autant l'oeuvre "achevée et invariable" du P.C.I. se veut être la "conservation". En vérité,  elle se trou­ve engagée dans la voie d'un retour pur et simple aux pires erreurs de la IIIème Interna­tionale   (telles les questions syndicale-parlementaire-libération nationale-dictature du prolétariat identifiée à la dictature du Parti-etc..)  que le P.C.I. revendique intégralement en poussant l'exagération jusqu'à l'absurde.

où l'un s’efforçait d'aller de l'avant,  l'autre marche résolument en arrière. Loin de diminuer l’écart ne fait que s'accentuer avec les années. C'est uniquement là que réside la raison de la mauvaise volonté du P.C.I. pour ce qui concerne la réédition des écris de "Bilan". Mais rien ne sert de se désespérer. Nous sommes convaincus qu'avec le développement de la lutte de classe et l'activité révolution­naire "Bilan" retrouvera sa place méritée dans le mouvement  et auprès des militants désireux de mieux connaître l'histoire et le cheminement    de l'élaboration de la   pen­sée révolutionnaire. Le peu que nous avons publié de "Bilan" nous à valu un nombre important de lettres de nos lecteurs insistant sur l'intérêt certain d'en publier da­vantage»

Pour répondre à cette demande, en attendant qu'une édition complète de "Bilan" puisse voir le jour, la Revue Internationale entreprend dès maintenant la publication d’un plus grand nombre d'articles et extraits de cette revue. Dans la mesure du possible, nous tacherons de grouper les articles par sujet afin de donner aux lecteurs l’idée la plus complète de l'orientation;  la recherche et les positions politiques pour lesquelles combattaient la Gauche Communiste et la revue "Bilan".

La revue "Bilan",  ce sont 46 numéros: parus (1478 pages). Le premier numéro est de novembre1933, le dernier de janvier 1938. Commencée comme "Bulletin théorique de la Fraction de gauche du Parti communiste d'Italie", elle arrête sa publication pour être remplacée par la revue « Octobre », organe du Bureau International des Fractions de gauche. Exclue du PC et de l’IC au Congrès de Lyon en 1926 la Fraction de gauche s e reconstituera au début de 1929 et publiera le journal "Prometeo" en langue italienne et un bulletin d’information en français qui bien plus que d'information se­ra une publication théorique.,   .

Etroitement mêlée au mouvement Communiste International, la Fraction dans l'émigration prendra une part active dans ce mouvement surtout en France et en Belgique, participera de toutes ses forces à la lutte contre 1a dégénérescence et les trahisons de la III° Internationale et de ses partis définitivement dominés par le stalinisme. A ce titre, elle sera en liaison étroite avec tous les courants et groupes de gauche éjectés tour à tour dé ce que fut 1!Internationale Communiste, se débattant dans un terrible désarroi et dans une immense confusion produite par 1’ampleur de la défaite de la première grande vague révolutionnaire et la démoralisation qui en suivie.

Une tentative de rapprochement avec l’opposition de gauche; de Trotski devait tourner court, montrant la nature    d'orientations fondamentalement divergences qui  séparaient ces deux courant. Là ou le trotskisme se concevait; comme une simple opposition luttant pour le "redressement" et donc toujours prêt à réintégrer le PC en renonçant à l'existence organique autonome, la gauche Italienne voyait une différence de principe programmatique "qui ne pouvait se résoudre que par la constitution, d'organismes communistes indépendants : les Fractions luttant pour la destruction totale du courant con­tre révolutionnaire stalinien.

 

La discussion sur l'analyse de la situation en Allemagne,  sa perspective et la po­sition à prendre par les révolutionnaires devaient définitivement rendre incompatible tout travail en commun. Face à la menace de la montée du fascisme hitlérien,  Trotski préconisait un large "Front unique" ouvrier entre le P.C. stalinien et la social-démocratie, C’est dans ce front unique entre les contre révolutionnaire d'hier et les contre-révolutionnaire d'aujourd'hui que Trotski voyait la force capable de bar­rer la route au fascisme,   effaçant ainsi le problème fondamental de la nature de classe des forces en présence et le fait que la lutte contre le fascisme n'a aucun sens pour le prolétariat,  séparée de la lutte générale de classe contre la bourgeoisie , et le système capitaliste.

Jonglant  avec des images "brillantes", Trotski disait que le Front Unique pouvait se faire même "avec le diable et sa grand-mère", démontrant non moins brillement qu'il per­dait jusqu'à la notion même de terrain de classe de la lutte du prolétariat. Lancé dans sa virtuosité verbale,  Trotski, "sous le nom de Grouroy, allait jusqu'à soutenir que la "Révolution Communiste peut bien triompher même sous la direction de Thaelman"   (sic). Désormais, il devenait évident que le chemin emprunté par Trotski devait le mener d'a­bandon en abandon des positions communistes directement vers la participation à la 2éme guerre impérialiste,  au nom bien entendu de "la défense de l'URSS".

Diamétralement opposé devait être le chemin de la Fraction de gauche italienne. Le désastre qu'était pour le prolétariat le triomphe du fascisme rendu possible et inévi­table par les catastrophiques défaites successives du prolétariat que lui ont infligé et fait subir la Social-démocratie d'abord et le stalinisme ensuite ouvrait largement la voie à la solution capitaliste à la crise historique de son système : une nouvelle guer­re-impérialiste mondiale. Cette perspective, les révolutionnaires ne pouvaient la contrarier qu'en s'efforçant de regrouper le prolétariat sur son terrain de classe,  en se main­tenant eux-mêmes fermement sur les principes programmatiques du Communisme. Pour cela,  il était de première urgence de réaliser la principale tâche consistant à soumettre à un exa­men critique minutieux toute l'expérience de la récente période écoulée débutant avec la grande vague révolutionnaire qui  avait interrompu la première guerre mondiale et ouvert d’immenses espoirs à la classe ouvrière pour son émancipation définitive. Comprendre les raisons de la défaite, étudier les causes, faire le bilan des acquis et des erreurs, tirer les leçons et sur ces bases élaborer les nouvelles positions programmatiques politiques, était indispensable pour permettre à la classe de repartir mieux armée demain et donc plus capable d’affronter sa tâche historique de la Révolution Communiste.  C'est cette formida­ble tâche que se proposait d'entreprendre "Bilan" — comme son nom l'indique — et c'est pour se joindre à lui pour l'accomplissement de cette tâche que Bilan invitait toutes les forces communistes qui avaient  survécu à la débâcle de la contre-révolution.

Peu de groupes ont répondu à cet appel, mais aussi peu de groupes ont réussi à résis­ter à ce terrible rouleau compresseur qu'était cette période de réaction et de préparation à la IIéme guerre mondiale. Ces groupes allaient s'amenuisant d'année en année.  Toutefois, "Bilan", maintenu par le dévouement de quelques dizaines de membres et de sympathisants, avait toujours,  dans le cadre strict des frontières de classe, ses colonnes ouvertes à des pensées divergentes dès siennes.  Rien ne lui était plus étranger que l'esprit de secte ou la recherche d'un succès immédiat de chapelle et c'est pour cela qu'on trouve souvent dans "Bilan" des articles de discussion et de recherche émanant de camarades de la Gauche Alle­mande, Hollandaise,   et de la Ligue des Communistes de Belgique. "Bilan" n'avait pas la prétention stupide d'avoir apporté une réponse définitive à tous les problèmes de la révolu­tion.  Il avait conscience de balbutier souvent,  il savait que les réponses "définitives" ne peuvent  être que le résultat de l'expérience vivante de la lutte de classe de la confron­tation et la discussion au sein même du mouvement. Sur bien des questions,  la réponse don­née par "Bilan" restait insatisfaisante, mais personne ne, saurait mettre en doute le sé­rieux, la sincérité. la profondeur de son effort et par dessus tout la validité de sa dé­marche,  la justesse, de son orientation et la fermeté de ses, principes, révolutionnaires. Il ne s’agit pas seulement de rendre hommage à ce petit groupe qui a su maintenir ferme le drapeau de la révolution dans la bourrasque contre-révolutionnaire, mais encore d'assimi­ler ce qu'il nous a légué, en faisant notre son enseignement et son exemple,   et de poursui­vre cet effort  avec une continuité qui n'est pas une stagnation mais un dépassement.

 

Ce n'est pas par hasard que nous avons choisi pour cette première publication une sé­rie d'articles se rapportant aux événements l’Espagne. Plus qu'une analyse de la situation proprement espagnole, l'examen de ces événements avait une portée générale et constituait la clé pour la compréhension de l'évolution de la situation mondiale des forces de classe en présence, des différentes formations politiques en leur sein et leurs forces effectives, leurs orientations et options politiques et par dessus tout offrait une vision crue de 1'immensité de   la tragédie dans laquelle était projeté le prolétariat international et le prolétariat   espagnol  en premier lieu.

L'Espagne est de nouveau,  aujourd'hui le centre de la situation internationale immé­diate. S’il est absolument juste et nécessaire de mettre bien en évidence la différence qui sépare les événements d'Espagne des années 30 (lesquels s'inscrivaient dans la suite d'une longue série de défaites du prolétariat tendant inexorablement à l'intégration du prolétariat dans la guerre impérialiste) de la période actuelle de reprise de la lutte et de montée de la combativité ouvrière,  il n'est pas moins important de souligner ce qu'il y a de commun entre les deux situations. Ce "commun" consiste dans le rôle décisif que l'Espagne est appelée à jouer dans l'évolution de la lutte de classe du prolétariat mon­dial. Par un concours historique particulier,  l'Espagne se trouve, pour la seconde fois, être à là charnière de deux périodes. En 1936 — dernier soubresaut d'un prolétariat dont le massacre marquera le point culminant de la longue chaîne de défaites du prolétariat international et ouvrira toute grande la voie à la guerre mondiale. Aujourd'hui — ouvrant la perspective de grandes convulsions sociales dans les autres pays de l'Europe. L'Espagne se trouve donc à nouveau être une plaque tournante de la situation, un point de départ,  et se­ra probablement aussi décisive aujourd'hui pour là période à venir qu'elle le fut dans les années 30. Banc dressai, l'Espagne va servir de test de la plus haute signification. Le ca­pitalisme mondial,  et en premier lieu les neuf de l'Europe, fera peser de tout son poids son intervention dans la situation en appuyant à fond les forces de l'ordre "démocratique", seules forces aptes à faire barrage à l'irruption de la classe ouvrière. Dans cette straté­gie de classe, le capitalisme fera avancer son aile gauche à la tête de laquelle se place­ront les différentes forces politiques agissant dans la classe ouvrière PC - PS et autres gauchistes. Déjà les batteries de la gauche sont mises en placé et les préparatifs fiévreusement organisés.

Le prolétariat trouvera de nouveau face à lui, dans les semaines à venir en Espagne,  les mêmes forces qui en 36 ont magistralement réussi à le dévoyer d'abord, et à le saigner à blanc ensuite. Ces forces utiliseront à fond leur expérience acquise des événements de 36 comme ar­me contre le prolétariat,  arme qu'ils n'ont fait que perfectionner depuis. Leur plus grande tromperie consiste à prêcher hypocritement aux ouvriers,  au nom de la "réconciliation natio­nale", d'"oublier le passé".  C'est à dire oublier les leçons de la sanglante expérience faite par les ouvriers.

L'histoire de la lutte de classe ouvrière est jalonnée de défaites. Parce qu'inévitables, ces défaites sont la douloureuse école par laquelle le prolétariat passe obligatoirement. Dans un certain sens et jusqu'à un certain point,   elles sont la condition de la victoire fi­nale. À travers elles,  la classe prend conscience d'elle-même,  de son but, de la voie qui y mène. Le prolétariat apprend ainsi à corriger ses erreurs, à reconnaître les faux prophètes, à éviter les impasses, à mieux s'organiser et mesurer plus exactement les rapports de forces à un moment donné. Classe dépourvue d'autres pouvoirs dans la société,  son expérience est 1' atout majeur de son pouvoir et cette expérience est constituée en grande partie des leçons assimilées de ses défaites.

"Bilan" constatait amèrement l'état d'isolement auquel il était réduit chaque jour davan­tage, et qu'il considérait à juste titre comme une des manifestations de la tragique défaite du prolétariat,  alors que l'hystérie guerrière gangrenait de plus en plus le corps et le cer­veau des ouvriers. Comme tous les grands événements décisifs, la guerre d'Espagne ne laissait pas de place à des attitudes floues. Le choix était tranché et franc : avec le capitalisme dans la guerre ou avec le prolétariat contre la guerre. L'isolement auquel était condamné "Bilan" était alors le prix inévitable de sa fidélité aux principes du communisme et c'était aussi son mérite et son honneur,  alors que tant de groupes communistes de gauche se sont laissé happer dans l'engrenage de l'ennemi de classe.

A l'encontre de "Bilan", nous avons aujourd'hui la ferme conviction qu'en reprenant les mêmes positions de classe, nous n'aurons pas à aller à "contre-courant", mais à nous trouver dans le flot de la nouvelle vague de la Révolution Communiste et de pouvoir contribuer à sa montée.

M. C.

 

I- Massacre des travailleurs en Espagne

Présentation

Dès les premiers mois de son existence la République en Espagne montrera qu'en fait de massacre des ouvriers elle n'avait rien à envier aux régimes fascistes. La seule différence est probablement que là où le fascisme massacre les ouvriers clairement en tant qu'ouvriers et révolutionnaires, la "démocratie" les massacre en ajoutant en plus l'infamie de les accuser d'être des "provocateurs", agents de la "réaction", de la monarchie ou du fascisme. Dès le début "Bilan" mettra ce fait en évidence contrairement à tous "ceux qui s'emploieront à entraîner les ouvriers dans la "défense de la République".

Extraits (Bilan n°2 Décembre 1933).

Combien seront-ils ? Impossible de connaître un chiffre : même approximatif du nombre des victimes tombées dans l’orgie de sang, digne cérémonie pour l’ouverture des Cortès de la "République des travailleurs d'Espagne" : Droite agraire et monarchiste,, droite républicaine, gauche radicale, parti socialiste, gauche catalane dans un front unique admirable, manifestent leur satisfaction de cette victoire de "l'ordre". La clas­se ouvrière espagnole ayant abandonné les mauvais pasteurs - que seraient "en l'occurrence, les anarchistes de la fédé­ration Anarchiste Ibérique- de Macia, "le libérateur de la Catalogne" à Maura, de Lerroux à Prieto rendent l'hommage
voulu et opportun à la "sagesse des tra­vailleurs espagnols". Bien sûr, il ne s'agit pas d'un mouvement ouvrier étouf­fé par les mitrailleuses et les canons, mais tout simplement, ah! Combien sim­plement, d'une sorte d'épuration faite par la bourgeoisie dans l'intérêt des travailleurs. Une fois l'ulcère extirpé, la sagesse, la sagesse innée, revien­drait et les travailleurs s'empresserai­ent de remercier les bourreaux qui les auraient délivrés des mesures anarchistes..

Ah! qu'on l'établisse, mais qu'on1'établisse sans tarder le bilan des vic­times qu'a à son actif la République des Azana-Caballero, aussi bien que celle des nouvelles Cortès, et bien mieux que mille controverses théoriques, on parviendra à établir la signification , de la "République" et de la soi-disant révolu­tion démocratique de 1931.Ce bilan pâli­ra devant 1'oeuvre de la monarchie et fi­nira par montrer au prolétariat qu'il n' y a, pour lui, aucune forme d'organisation bourgeoise qu'il puisse défendre. Qu’il n'y a pas de "moindre mal" pour lui, et tant que l'heure n'est pas venue pour livrer sa bataille insurrectionnelle, il comprendrait qu'il ne peut défendre que les positions de classe qu'il a conquises et qu'on ne peut confondre avec les for­mes d'organisation et de gouvernement de l'ennemi, fussent-elles les plus démocra­tiques. Les travailleurs espagnols vien­nent encore une fois d'en faire l'expé­rience, comme le prolétariat des pays du "paradis démocratique" ou du fascisme.

"Mouvement anarchiste! " C'est ainsi qu'est caractérisé ce soulèvement étouffé dans le sang. Et évidemment, les for­mation de la gauche bourgeoise, les so­cialistes aussi bien que le libéral Macia, diront que parmi ces "meneurs" anarchis­tes, se trouvaient les "provocateurs" de la monarchie : ainsi 1eur "conscience"  républicaine trouvera une nouvelle sérénité et leur âme restera sans tâche. Mais le prolétariat reconnaît les siens et il sait que ce ne sont pas des provocateurs que la gendarmerie a étendu sur le sol, mais ses fils les plus valeureux qui s'étaient ré­voltés contre l'oppression du capitalisme républicain.

II- L’écrasement du prolétariat espagnol.         

Présentation

Devant les massacres  toujours plus massifs que perpétue la République au nom de la "défense de la Démocratie", Bilan pose en termes extrêmement clairs la question de la signification des régimes dits démocratiques. La Démocratie est-elle une étape sur la voie vers le développement de 1a révolution, comme le prétendent la gauche et les gauchistes  qui  appelait les ouvriers à la soutenir et la défendre, ou bien n'est-elle que l'arme momentanément la plus appropriée du capitalisme pour dévoyer le prolétariat afin de mieux l’écraser ? Les 2 millions de morts  et les 40 années du Franquisme ont apporté une réponse tragique mais définitive à cette question  confirmant pleinement le cri d'alarme et la mise en garde de Bilan dès avant les événements de 1936.

Extraits (Bilan n° 12 Novembre 1-934)

Deux critères existent pour la compréhension des événements : deux plates-formes opposées sur lesquelles s1effectue la concentration de la classe ouvrière.  C'est ainsi seulement que nous pourrons  analyser les dernières hécatombes où ont péri des milliers de prolétaires de la péninsule ibérique, fusillés, mitraillés, bombardés par la "République des  travailleurs espagnols". Ou bien la République, les libertés démocratiques, ne sont qu'un puissant diversif que l'ennemi soulève quand il lui est impossible d'employer la violence et la terreur pour écraser le prolétariat.  Ou bien, la République et les libertés démocratiques représentent un moindre mal et même une condition favorable à la marche victorieuse du prolétariat qui aurait pour devoir de les appuyer en vue de favoriser son attaque ultérieure pour sa délivrance des chaînes du capitalisme.

Le terrible carnage de ces derniers jours en Espagne devrait exclure la petite combine du "dosage"  suivant laquelle la République est bien une "conquête ouvrière" à défendre,  mais sous "certaines conditions"  et surtout dans la "mesure" où "elle n'est pas ce qu'elle est", ou la condition qu'elle  "devienne" ce qu'elle ne peut pas devenir,   ou en­fin, "si" loin d'avoir la signification et les objectifs qu'elle a,  elle se dispose à devenir l'organe de domination de la classe des travailleurs. Ce petit jeu devient également très diffi­cile pour ce qui concerne les situations ayant précédé 1a guerre civile en Espa­gne où le capitalisme a donné la mesure de sa force contre  le prolétariat. En effet, depuis sa fondation, en Avril 31 et jusqu'en décembre 1931, la "marche à gauche" de la République Espagnole, la formation du gouvernement Azana-Caballero-Lerroux, son amputation en dé­cembre 1931  de l'aile droite représen­tée par Lerroux,   ne détermine nullement des conditions favorables à l'avance­ment des positions de classe du proléta­riat ou à la formation des organismes capables, d'en diriger la lutte révolutionnaire. Et il ne s'agit nullement de voir ici ce que le gouvernement républicain et radical-socialiste    aurait dû faire pour le salut de la révo­lution communiste,  mais il s’agit de rechercher si oui ou non,  cette conversion à gauche ou à l'extrême gauche du capitalisme, ce concert unanime qui  allait des socialistes jusqu'aux syndica­listes pour la défense de la République, a crée les conditions du développement des conquêtes ouvrières et de la marche révolutionnaire du prolétariat ? Ou bien encore, si cette conversion à gauche n’était pas dictée par la nécessité, pour le capitalisme, d'enivrer les ouvriers bouleversés par un profond élan révolutionnaire, afin qu’ils ne s'orientent pas vers la lutte révolutionnaire, car le chemin que la bourgeoisie devait em­prunter en octobre 1934 était trop ris­qué en 1931 et les ouvriers à cette époque, auraient pu vaincre à un moment où le capitalisme ne se trouvait pas dans la possibilité de recruter les ar­mées de la répression féroce ?

D'autre part, le séparatisme catalan ou basque que l'on avait considéré comme une brèche ouverte dans l'appareil de domination de l'ennemi, brèche qu'il fallait élargir jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes pour faire progresser ensuite le cours de la révolution prolé­tarienne, n'avait-il pas donné la mesu­re de sa force en érigeant une Républi­que Catalane pour quelques heures (qui s'effaça lamentablement sous les coups du même général Batlet que Companys con­viait à la défense de la Catalogne pro­clamant son indépendance). Et aux Asturies, les forces de l'armée, de la poli­ce, de l'aviation ne se sont-elles pas jetées pendant des semaines contre les mineurs et les ouvriers, privés de tout guide dans leur lutte héroïque ? Le sé­paratisme basque, qui n'avait fait qu’annoncer la tourmente qui approchait par ses protestations des derniers mois, laissera écraser les luttes des Asturies et au surplus les bataillons de la ter­reur gouvernemental seront dirigés par un séparatiste qui fera sans doute de­main un nouveau serment de fidélité à la République et aux autonomies régiona­les.

De 1930 à 1934 une cohérence d'acier établit la logique des événements.  En 1930, Berenguerest appelé par le roi ALphonse XIII qui espère pouvoir répéter la manoeuvre de 1923, lorsqu'il parvint à contenir dans le cadre de la légalité monarchique les conséquences des désas­tres marocains. En 1923 Primo de Rivera est substitué à Bérenguer considéré com­me responsable du désastre marocain, et cette modification gouvernementale per­mit d'éloigner l'attaque des masses qui devaient évidemment faire tous les frais de l'opération gouvernementale se concluant par 7 années de dictature agrarienne-cléricale. Mais en 1930, la si­tuation économique était profondément bouleversée par l'apparition de la crise et il ne suffisait plus d'avoir recours à des simples manoeuvres gouvernementa­les. En février 1931, les conditions étaient déjà mûres pour des mouvements prolétariens et la menace existait d'une grève des cheminots : alors il faut avoir recours aux grands coups de théâtre et on offre aux masses les têtes de Béren­guer et du roi. Sur l'intervention du monarchiste Guerra, et en accord avec le républicain Zamora, le départ du roi est organisé avant la sortie des ouvriers des usines. Le mouvement de dilatation vers la gauche continue jusque, fin 1931 et c'est uniquement ainsi que l'on met­tra les masses devant une difficulté extrême pour se forger l'organisme de la victoire : son parti de classe.  Il n'était pas possible de supprimer les conflits de classe, le capitalisme ne pouvait que mettre ces conflits dans de telles conditions qu'ils ne puissent aboutir qu'à la confusion sans issue. Et la République sert ce but. Au début de 1932, le gouvernement de gauche fait son premier essai et passe à l'attaque vio­lente contre la grève générale proclamée par les syndicalistes. A ce moment la concentration du capitalisme se fait au­tour de son aile gauche et le réactionnaire Maurra pourra faire plébisciter le gouvernement Azana-Caballero par les Cortes républicains.

L'élan des masses, produit des cir­constances économiques, après s'être égaré dans les chemins de la République et de la démocratie, fut brisé par la violence réactionnaire du gouvernement radical-socialiste et il en résulta une conversion opposée de la bourgeoisie vers son aile droite ; nous aurons en Août 1932 la 1° escarmouche de Sanrurjio pour la concentration des forces de la droite. Quelques mois après, en décembre 1933, c'est le carnage des ouvriers lors de la nouvelle grève décidée par les syndicats au moment où les élections fournissent l'occasion pour déplacer à droite l'ori­entation de la République Espagnole. Par conséquent octobre 1934 marque la bataille frontale pour anéantir toutes les forces et les organisations  du prolétariat espagnol.  Et,   triste et cru­el épilogue des errements syndicalistes, en présence d'un tel carnage,  nous ver­rons l'abstention de la Confédération du Travail Anarchiste qui considère ne pouvoir se mêler à des mouvements poli­tiques.

Gauche-droite,  république-monarchie, appui à la gauche et à la république con­tre la droite et la monarchie en vue de la révolution prolétarienne? Voilà les dilemmes et les positions qu'ont défendus les différents courants agissant au sein de la classe ouvrière. Mais le dilemme était autre et consistait dans 1'opposition : capitalisme-prolétariat, dictature de la bourgeoisie pour l'écra­sement du prolétariat ou dictature du Prolétariat pour l'érection d'un bastion de "la révolution mondiale en vue de la suppression des Etats et des classes.

Bien que l'économie espagnole ait pu bénéficier des avantages conquis pen­dant la guerre par sa position de neu­tralité détenue, la structure de ce ca­pitalisme offrait une résistance très faible aux contrecoups de la crise économique. Un secteur industriel trop li­mité en face d'une économie agraire très étendue et encore dominée par des forces et des formes de production non indus­trialisées. De tels fondements expliquent pourquoi les régions  industrielles sont le théâtre de mouvements séparatistes dépourvus d'issue et qui doivent  acqué­rir me signification réactionnaire du fait que la classe au pouvoir est quand même le capitalisme étendant sur tout le territoire l'emprise des organismes bancaires où se concentrent — autour des grands magnats — les produits de la plus value des prolétaires et du sur-travail des paysans.  Une telle base économique laisse entrevoir la perspective qui s'ouvre devant la classe ouvrière espagno­le qui se trouve dans des conditions  analogues à celles connues par les ouvri­ers russes : en face d'une classe qui ne peut établir sa domination que par une dictature de fer et de sang,   et il ne pourra battre cette domination féroce que par le triomphe de son insurrection.

Et la tragédie espagnole,   tout comme celle d'Autriche se déroulera dans l'i­nattention du prolétariat mondial immo­bilisé par l’action contre-révolutionnai­re des centristes et des socialistes. Une simple offre de la part de l'IC qui sera même refusée par l'Internationale social-démocrate prétextant que le moment favorable était déjà passé. Comme si après la victoire de Hitler, quand le mo­ment favorable était aussi passé, l'In­ternationale social-démocrate n'adressait pas des propositions d'action commune à l'IC! Mais la pourriture et la corrup­tion des organismes  qui osent encore se proclamer ouvriers sont telles  que sur les cimetières des prolétaires, les  trai­tes d'hier et de demain ne feront qu'es­quisser une manoeuvre leur permettant de continuer leurs entreprises de trahison, jusqu'au jour où les ouvriers parvien­dront à balayer,   avec la classe qui les opprime, toutes les forces  qui les  tra­hissent. Les milliers d'ouvriers espagnols ne sont pas morts en vain, car du sang dont s'est mouillée la République espa­gnole germera la lutte pour la révolution communiste, abattant toutes les diver­sions que l'ennemi ne cessera d'opposer à là marche, libératrice de la classe ouvrière.

 

III - Appel à la solidarité ouvrière internationale.

Présentation

Dans sa férocité sanguinaire, la République ne se contentait pas de massacres en bloc, il lui fallait encore des assassinats exemplaires individuels pour 1"exem­ple". Le vibrant appel à la solidarité internationale de classé lancé par la faible voix de Bilan fut facilement étouffée par les vacarmes de ceux qui allaient décou­vrir les "vertus" de la République et de la Démocratie pour la défense desquelles on allait faire massacrer par millions les ouvriers dans la guerre "anti-fasciste".

Faut-il signaler que pour sauver les ouvriers qui allaient être fusillés un à un par la République, il ne se trouvait ni gouvernements démocratiques, ni partis de gauche, ni "Droit de l’Homme", ni Pape, pour protester. Il est vrai que Bilan n'a­vait pas songé à faire appel à eux et à leurs sentiments humanitaires,

 

Extraits (Bilan n°13 Décembre 1934)

Le canon s!est tu en Espagne. Des milliers de prolétaires ont été massacrés impitoyablement : voilà le bilan que la bourgeoisie peut étaler à côté des mas­sacres de février en Autriche, des déca­pitations en Allemagne.

Le prolétariat mondial gît écartelés sur le sol et son sang généreux est sou­illé par les bottes des satrapes de la bourgeoisie qui viennent d'imposer l'or­dre à coups d'obus. De l'est à ouest rè­gne la terreur bestiale des classes dominantes qui font rouler des têtes, fu­siller pour étrangler la lutte révolu­tionnaire des ouvriers.

C'est d'abord aux lutteurs des Asturies que nous voulons rendre hommage. Ils ont combattu jusqu'à la mort, sacri­fié femmes, enfants pour leur classe, pour la révolution, mais sans guide, ils ont succombé. Comme ils comprendront les mineurs d'Oviedo, ce que signifie cons­truire pacifiquement le socialisme en Russie, eux qui se sont vus déchirés par les bombes, déchiquetés par les baïon­nettes des légions marocaines. Le 17ème anniversaire de l’U.R.S.S. est pour ces ouvriers, un "de profondis" ; car en pleu­rant ses  morts, le prolétariat espagnol sentira aussi qu'il ne peut compter que sur sa lutte, celle du prolétariat mon­dial, dont la Russie s'est détachée.

Après son orgie de sang dans les Asturies, la bourgeoisie a voulu faire as­sassiner par ses Cours militaires des ouvriers révoltés afin de symboliser le des­tin de ceux qui oseraient à nouveau pren­dre les armes pour leur émancipation,,

Le 7 novembre ; José Laredo Corrales et Guerra Pardo ont donc été fusillés pour l'exemple ; l'un à Gijen l'autre à Leon. D'autres suivront si la solidarité internationale des prolétaires ne se ma­nifeste vigoureusement»

 

IV – Quand manque un Parti de classe… A propos des événements d’Espagne.

Présentation

Petite histoire de l'Espagne et du "noble" rôle joué par les socialistes de droite et de gauche, de Prieto à Largo Caballero. Une leçon parmi tant d'autres que les ouvriers ne devraient jamais oublier,

Extraits (Bilan n°  14 Janvier  1935)

Après la guerre,  favorisée par 1’essor économique qui se manifesta dans tous les pays,  y compris l'Espagne res­tée neutre,  la social-démocratie n’en soutint pas moins directement - pour collaborer par après - la dictature de Primo de Rivera.  A la chute de ce der­nier, comme elle était l'unique orga­nisation organisée nationalement  (les formes républicaines de l'ancienne ou de la dernière couvée existaient loca­lement), elle gagna une influence su­périeure à sa puissance réelle : 114 députés aux élections à la Constituan­te. Ce fait lui permit d'ailleurs de se poser en agent central nécessaire pour sauver l'ordre capitaliste dans les moments dangereux et de consolider, par après, l'ordre d'où la contre-of­fensive put se jeter sur le prolétariat.

Pendant la dictature de Primo de Rivera établie en 1923, et sous le gou­vernement de transition Bérenguer qui lui succéda en janvier 1930, s'opéra un morcellement des deux partis 'histo­riques" de la bourgeoisie,  ouvrant 1'ère des partis se réclamant des classes moyennes : différents groupements ré­publicains ne se distinguant pas  très clairement les uns des autres et se situant aux côtés du parti radical de Lerroux et du parti radical-socialiste créé par la gauche du parti radical.

Ce qui caractérise cette période, c’est entre autres le pacte de San Sé­bastian d'août  1930,  conclu entre les différents partis catalans  et les par­tis anti-monarchistes  (socialistes,  ra­dicaux-socialistes,  radicaux,  droite républicaine) et qui devaient régler l'épineuse question de l'autonomie de la Catalogne et des provinces basques   ; c'est la tentative prématurée de décem­bre 1930 avec le soulèvement de la garnison de Jaca et la proclamation de la République à Madrid.

Le capitalisme possède une souplesse remarquable qui lui permet de s'adapter aux situations les plus difficiles ;  les bourgeois espagnols,  d'abord monarchistes, comprirent bientôt qu'il était plus utile momentanément d'abandonner pacifiquement le pouvoir aux  "mains  amies" des socia­listes et des républicains plutôt que de risquer une résistance pouvant mettre un danger leurs intérêts de classe.  D'ailleurs toutes  les divergences politiques  qui se firent jour dans les formations républi­caines se rattachèrent à la consolidation de son pouvoir.

Par là même,  du jour au lendemain, de monarchiste elle devint républicaine et lorsque les élections municipales du 12 avril 1931donnèrent aux partis d'opposi­tion anti-monarchistes une majorité — ils gagnèrent 46 sur 50 chefs-lieux de provin­ce — il se vérifia un changement pacifique du décor politique et l'abdication d'Alfonso XIII  eut lieu. A sa place succéda un gouvernement provisoire comprenant les signataires républicains et socialistes du manifeste de décembre  1930.

Dans le premier gouvernement de coali­tion,  les  socialistes  occupèrent le minis­tère du Travail,  de la Justice et des Fi­nances — ces deux derniers  après échange avec ceux de l'Instruction et des Travaux Publics.

En trente mois de coalition gouverne­mentale,   les socialistes  avalisèrent et couvrirent tous  les crimes  et forfaitures de la bourgeoisie  "libérale",   la répres­sion des mouvements d'ouvriers  et de pay­sans dont les massacres d'Arnedo et Casas Viejas,   la loi de Défense de la République la loi sur l'Ordre Public,   la loi  réactionnaire sur les associations, la mysti­fication de la loi agraire.

La Social-Démocratie eut surtout pour fonction historique de maintenir les illusions démocratiques parmi les ouvriers, empêcher ainsi leur  radicalisation et éventuellement étouffer leur élan révoluti­onnaire.

A ce propos, il convient de remarquer que pour l'Espagne on a trop parlé de "révolution", particulièrement lorsqu'il s'agissait d'une simple manoeuvre de la bourgeoisie et exagéré les possibilités d'une "révolution prolétarienne" surtout que le manque d'un parti de classe et 1' influence négative de 1'anarco-syndica-lisme avait miné les chances de succès.

Quand la social-démocratie reçut le coup de pied de l'âne, c'est à dire quand le capitalisme se sentit assez puissant que, pour se passer de ses bons services, les socialistes qui avaient renforcés leur démagogie verbale proportionnellement à leur perte d'influence au sein du gou­vernement, enfantèrent une "gauche" qui se força de maintenir le drapeau de la trahison parmi les prolétaires. Et Largo Caballero, le ministre de Casas Vieja menaça la bourgeoisie de la dictature prolétarienne et d'un régime sovietiste.

C'est vraiment une loi d'airain que celle qui détermine la social-démocratie à concentrer le prolétariat autour des mots d'ordres démocratiques, a passer en­suite à l'opposition "gauchiste" pour préparer enfin la trahison de demain pendant que les partis de la classe moyen­ne s'intègrent dans la réaction qui passe à l'attaque. Et les événements se dérou­lent alors avec une vitesse et une logi­que implacable.

Ainsi en Espagne, au gouvernement, carteliste succède, pour procéder à de nouvelles élections, un gouvernement radical de transition, qui après les élec­tions de novembre 1933 où se vérifia la débâcle des socialistes, fit place à un gouvernement radical orienté vers la droite et dirigé par Lerroux lui-même. Mais la bourgeoisie ne se sentait pas encore en état de passer à l'offensive vio­lente et Samper remplaça Leroux. Mais dé­jà les leviers de commandes étaient en­tre les mains des partisans ouverts de la réaction.

Les faits sont connus : en réponse à la reconstitution d’un gouvernement Ler­roux où les ministères les plus importants, celui de la Justice, de l'Agricul­ture, du Travail étaient aux mains de po­pulistes catholiques (donc du parti le plus réactionnaire de la péninsule ibé­rique), les socialistes proclamèrent la grève générale pour le 5 Octobre. Il s'agissait d'une grève "légale" devant pro­voquer la chute de Lerroux et lui substi­tuer l'ancienne coalition républicaine-socialiste.

Comme en 1922 en Italie, où la grève décidée par l'Alliance du Travail devait écarter le "danger fasciste" de M.Musso­lini pour lui substituer un "gouvernement meilleur" celui de Turati-Modigliani, en Espagne la social-démocratie lutta con­tre le "danger fasciste" et pour reconsti­tuer un gouvernement de coalition répu­blicain-socialiste. Mais cette dernière phase - à laquelle il faut rattacher la comédie de la proclamation de l'Etat ca­talan- fut de courte durée et la 2° phase se détermina de la lutte du prolétariat non atteint par des déviations séparatis­tes qui auraient pu se manifester surtout en Catalogne et dans les provinces bas­ques, lutte qui se développa surtout dans le bassin houiller des Asturies où se vé­rifia la véritable unité ouvrière autour de la lutte armée pour le pouvoir.

Le gouvernement finit par concentrer contre les "Asturies rouges" toute une ar­mée, de 30 000 hommes avec des moyens de destruction ultras-modernes : aviation de bombardement, chars d'assauts, etc.; les troupes les plus sûres furent employées pour maîtriser la rébellion : la légion étrangère, cette lie de la société et les tirailleurs marocains furent employés pour mater l'insurrection. On sait aujour­d'hui que cette précaution ne fut pas vaine : à Allicante les marins eux-mê­mes donnèrent l'assaut à l'arsenal, à Oviedo, 900 soldats quoique assiégés, re­fusèrent de tirer sur les ouvriers mar­chant à l'assaut de la caserne.

D'ailleurs certaines garnisons dans la province de Léon où il y eut des combats acharnés, durent être transportées d'urgen­ce dans des régions plus tranquilles.

Mais à la fin, isolés pendant que le reste de l'Espagne ne bougeait, les héros des Asturies finirent par être écrasés non vaincus parce qu'encore aujourd'hui subsis­tent dans les montagnes,des groupes de rebelles qui continuent la lutte.

 

En Espagne : bourgeoisie contre prolétariat

Présentation

C’est avec beaucoup d'intérêt qu'on lira ce long article dans lequel Bilan ten­te une analyse serrée de l'évolution du capitalisme espagnol. Si le retard du déve­loppement du capitalisme espagnol explique bien des particularités, ce n'est cepen­dant pas à partir de ces particularités qu'il faut analyser les événements en Espa­gne, mais avant tout à partir de la période historique du Capitalisme de la crise générale du système qui sévit dans le monde entier et que ce n'est qu'ainsi qu'on peut comprendre la situation présente et les convulsions sociales qui se déroulent.

Le fond de ces événements n'est pas une révolution bourgeoise démocratique con­tre un prétendu féodalisme mais la lutte entre le Capitalisme en pleine crise et le Prolétariat. Bilan rejette catégoriquement les références que certains font abusive­ment aux écrits de Marx et Engels et devant servir à justifier un nécessaire soutien de la République démocratique par les ouvriers en Espagne.

A comparer les écrits de Bilan sur ce point avec les positions défendues par le "Prolétaire", organe du PCI, concernant les soi-disant  "révolutions démocratico-bourgeoises" dans les pays sous-développés on est frappé par l'énorme régression que représente ce dernier. Le  "Prolétaire" feint d'ignorer l'aire historique pour ne voir que des aires géographiques. C'est  ainsi  qu'il continue à parler de révolu­tion démocratico-bourgeoise dans les pays sous-développés où il distingue des classes "progressives" en lutte contre les classes réactionnaires. C'est ainsi  que le "Prolétaire" voyait la guerre entre le Sud et le Nord Viêt-Nam, de même que la lutte entre Pinochet et Allende. A ce dernier il n'avait d'autres reproches à adresser que son indécision lui donnant dans sa grande sagesse, comme exemple à sui­vre, la fermeté des Jacobins.  -

- Les arguments des  Bordiguistes concernant le Chili et autres pays sous-dévelop­pés auraient été parfaitement valables pour l'Espagne en 1936,   qui était alors autant un pays sous-développé. Voilà ce que répond par avance Bilan, à ce genre d' arguments  : "MAIS  OCTOBRE  1917 EST LA POUR NOUS  INDIQUER   QUE LA CONTINUATION DE L’OEUVRE DE MARX: NE CONSISTE PAS A REPETER, EN UNE SITUATION PROFONDEMENT DIFFERENTE LES POSITIONS  QUE NOS MAITRES DEFENDIRENT A LEUR EPOQUE EN ESPAGNE,   COMME D'AIL­LEURS DANS TOUS LES AUTRES PAYS, LES FORCES DEMOCRATIQUES  DE LA GAUCHE  BOURGEOISE ONT DEMONTRE ETRE NON UN ECHELON POUVANT CONDUIRE A L'ETAPE DE LA VICTOIRE PROLE­ TARIENNE,  MAIS LE DERNIER REMPART DE LA CONTRE-REVOLUTION".                  

L'article qui suit est écrit fin Juillet 1936 les jours mêmes du soulèvement franquiste et de la riposte ouvrière. Il manque alors encore à Bilan des informa­tions sur la tournure que prenaient  les événements. Mais il perçoit d'emblée le danger d'embrigadement des ouvriers derrière la défense de la République contre le­quel il met en garde de toutes ses forces le Prolétariat d'Espagne et des  autres pays.

Il est à souligner dans cet  article le souci manifesté par Bilan,  face aux évé­nements d'Espagne prélude de la guerre impérialiste mondiale, pour le regroupement des noyaux révolutionnaires dispersés. Si le regroupement des révolutionnaires  est ressenti comme un besoin pour résister dans une période de recul, il est une néces­sité impérieuse dans une période de montée de la lutte. Il est absolument nécessai­re d'insister sur ce point à 1'encontre de bien des groupes qui faute de l'avoir compris préfèrent le maintien de leur isolement au nom de "leur" autonomie de "leur" liberté de mouvement.

 

Extraits (Bilan N°33, Juillet-Août 1936)

La structure du capitalisme espagnol

La structure économique de la soci­été espagnole surtout avant l'avènement de la République en avril 1931, par ses caractères extrêmement retardataires pourrait donner l'impression que la bour­geoisie n'y a pas encore conquis le pou­voir et que, dès lors, nous pourrions assister à la répétition du schéma des révolutions bourgeoises du siècle passé. Toutefois, avec cette variante d'une im­portance fondamentale pour les perspec­tives ultérieures que -à la suite de la nouvelle situation historique où le capitalisme n'a plus un rôle progressif mais est entré dans la phase de son dé­clin- le prolétariat pourrait écarter le capitalisme, substituer au triomphe de ce dernier l'avènement de la dictatu­re de la classe ouvrière. Pourtant, il n’en est nullement ainsi, car l'Espagne appartient aux pays bourgeois les plus vieux et si nous n'avons pas assisté à un schéma analogue à celui qui conduisit le capitalisme au pouvoir dans les au­tres pays, cela dépendit uniquement des conditions exceptionnelles favorables dans lesquelles put s'affirmer et éclore la bourgeoisie espagnole. Possédant un immense empire colonial, ce capita­lisme put évoluer sans grandes secousses intérieures, put même les esquiver jus­tement parce que la base de sa domina­tion ne consistait pas -ainsi qu'il en était pour les autres capitalismes- en une modification radicale des fondements de l'économie féodale pour l'installa­tion de la grande industrie dans les villes et la libération des paysans du ser­vage, mais l'adaptation de tout ce sys­tème aux exigences d'un capitalisme possédant des positions territoriales im­menses pour investir ses capitaux et pouvant, dès lors, freiner la course à l'industrialisation de l'économie. Il est suggestif de remarquer que les anciennes colonies espagnoles ont été perdues par cette bourgeoisie au moment même où elles entraient dans le cyclone des transforma­tions industrielles, La noblesse et le clergé détenaient en même temps  les grandes propriétés terriennes, les actions bancaires et industrielles e"f la Compagnie des Trams de Madrid, ainsi, d’ailleurs que la partie des mines des Asturies soustrai­te au capital étranger étaient contrôlées, avant 1931, par les Jésuites,

Cette structure sociale archaïque fut profondément éclaboussée lors de la guer­re, qui provoqua également une intensification accentuée de l'industrialisation de l'Espagne, surtout en Catalogne, où se développa fortement une puissante in­dustrie de transformation. Mais ce déve­loppement se fit par îlots, au Nord,  à Barcelone et à Madrid, le restant de 1'Espagne restant à peu près dans les condi­tions précédentes. Toutefois, la nécessi­té se fit immédiatement sentir de soluti­onner dictatorialement le problème social et, en 1923, Primo de Rivera prit le pou­voir, où il fut porté particulièrement par les cercles industriels de Barcelone dirigés par Cambo, alors qu'Alphonse XIII était plutôt enclin à conduire à terme 1'entreprise marocaine, malgré la cuisante défaite qu'y avaient essuyé ses troupes. L'expérience Primo de Rivera, bien que nullement comparable au fascisme italien ou allemand, s'explique déjà par la né­cessité d'empêcher l'intervention auto­nome du prolétariat dans les luttes so­ciales et il est connu que c'est sous son gouvernement que se développèrent les institutions d'arbitrage des conflits du travail : Largo Caballero, celui qui est aujourd'hui qualifié de Lénine espagnol (l'insulte au grand mort est fort facile et il ne suffisait pas de consacrer Sta­line continuateur de Lénine) fut alors conseiller d’Etat, les organisations so­cialiste purent subsister et même la CNT anarchiste vivota.

En 1930, lorsque Primo de Rivera tomba comme un fruit pourri, la bourgeoisie espagnole crut pouvoir continuer avec le même système et c'est encore un général qui en prit la place,  mais  cet­te fois,  dans une autre direction politique : il ne s'agissait plus de solutionner les questions sociales à 1’aide d'interventions étatiques  mais d'essayer de canaliser les masses ouvrières vers un régime à tendance libérale et démocratique, la crise économique mondiale avait éclaté et il n'était plus possible de contenir l'effervescence sociale dans les cadres d'un autoritarisme de type militaire.

Les considérations qui précèdent nous permettent de définir en quelques phrases la nature même de 1a structure sociale en Espagne.  Il s’agit bien d'un régime capitaliste où toute perspective est exclue d'une répétition des événe­ments qui accompagnèrent la victoire bourgeoise dans  les autres pays : loin de répéter les jacobins de 1793, ou les bourgeois de février 1848,  évoluèrent  vers les Cavaignac de Juin, les Azana Caballero s’acheminèrent plutôt vers le rôle des Noske avec toutefois une différence profonde, résultant de la particularité de la situation espagnole. Ce capitalisme entre dans la crise économique mondiale non seulement dépourvu de bases de manoeuvres sur l'échelle internationale où les marchés  absorbent des quantités toujours inférieures des produits agricoles exportes, mais aussi avec une charpente économique qui est la moins apte à résister aux contrecoups de la crise économique. Il en ré­sulte que de formidables mouvements so­ciaux  ne pouvaient absolument pas être évités et, comme il en avait été le cas pour Primo de Rivera,   dont la chute semblait avoir été provoquée par la faillite de l'Exposition de Barcelone, c'est encore un élément d'ordre secondaire dans le domaine historique qui est le présage des grands événements qui mûrissent :  en octobre 1930,  le pacte de St Sébastien est scellé pour fonder 1a Ré­publique sous le guide du .monarchiste Zamora et le 4 avril 1931, par l'in­termédiaire de Romanones,  Alphonse XIII abdique à la suite des élections commu­nales qui conduisirent à la proclamation de la République. Ainsi, les événements qui suivirent en 1931, 1932, 1933 permettent de bien expliquer la réalité sociale et la signification de l’avènement de la République. Cette dernière représentait, au point de vue du mouvement social  et de sa progression,  un élément absolument accessoire,  elle ne pouvait nullement être comparée à l'avènement des Républi­ques bourgeois du siècle passé ; par contre elle représentait uniquement une nouvelle forme de la domination bourgeoi­se,  une tentative nouvelle du capitalis­me espagnol de faire face à ses nécessités.

Jamais une répression plus féroce ne s'exerça contre le mouvement ouvrier, que celle qui se déchaîna en 1931 et 1932 sous les gouvernements de gauche avec par­ticipation socialiste.  Il est évident que la cause fondamentale de cette répression réside dans l'éclosion puissante des luttes ouvrières, mais ceux qui  accouplent 1'ascension du mouvement ouvrier avec la prise du pouvoir par des gouvernement gauche feraient bien de réfléchir aux événements qui suivirent la proclamation de la République et qui prouvent à l’évidence que l'avènement de cette dernière ne représente en définitive que la forme la plus appropriée pour employer la formule dont se servit Salengro au Sénat français quand il disait que le gouvernement s'engageait avec tous  les moyens  appropriés à faire cesser l'occu­pation des usines pour la défense des intérêts de la bourgeoisie. Il n'y a donc pas de relation directe entre République et mouvement ouvrier, mais opposition sanglante ainsi que les événements devaient le prouver.

En présence, d'une structure sociale si  arriérée, qui peut être comparée à celle de la Russie tsariste, se pose cette interrogation : comment d'une toile sociale si bigarrée, en face d'une bourgeoisie impuissante à trouver des solutions aux problèmes angoissants  que la crise économique pose devant elle, comment s'est il fait qu'à l'instar de la Russie,   de ce milieu social, particulièrement favorable, des noyaux marxistes ne se soient pas formés de la puissance de l'envergure des bolcheviks russes ? La: réponse a cette question nous partit consister dans, le  fait que la bourgeoisie russe se trouvait sur une ligne d'ascension alors que la bourgeoisie espagnole, qui s'était affer­mie depuis des siècles traversait une pha­se de décadence putréfiée. Cette diffé­rence de position entre les deux bourgeoi­sies reflétait d'ailleurs une différence de position des deux prolétariats et le fait que le prolétariat espagnol se trou­ve dans l'impossibilité de faire surgir de ses mouvements gigantesques le parti de classe indispensable à sa victoire, nous semble dépendre de la condition d’infériorité absolue où se trouve, ce pays que le capitalisme a condamné à rester au rancart de l'évolution politique et socia­le, actuelle.

L'anachronisme que représente le ca­pitalisme espagnol, sa structure extrême­ment retardataire, l'impossibilité où se trouve la bourgeoisie d'apporter une so­lution aux problèmes complexes et embrou­illés de la structure économique du pays, cela nous semble expliquer les puissants mouvements qu'a connus l'Espagne depuis cinq ans, le fait que le prolétariat s'­est trouvé dans l'impossibilité de fon­der son parti et que ses mouvements pa­raissent être des convulsions sans issues plutôt que des événements pouvant aboutir à la seule expression digne des preuves d'héroïsme qu'ont données les ouvriers espagnols : la révolution communiste. C’est dans ce sens que nous croyons devoir interpréter la phrase de Marx de 1854 quand il disait qu'une révolution qui de­manderait trois jours en un autre pays d' Europe, demanderait neuf ans en Espagne.

L'avènement  de la république espagnole

Marx, après les événements de 1808 -1814, Engels à propos de ceux de 1873,  préconisaient pour l'Espagne, le même sys­tème de règles de tactique qu'ils appli­quèrent d'ailleurs en Allemagne. Ils con­seillèrent aux socialistes des autres Pays, la position consistant à inoculer, au cours des révolutions bourgeoises, le virus de la lutte prolétarienne pour fai­re évoluer les situations à leur point terminal : la victoire de la classe ou­vrière. Mais Octobre 1917 est là pour nous indiquer que la continuation de l'oeuvre de Marx ne consiste point à répéter, en une situation profondément différente, les positions que nos maîtres défendirent à leur époque. En Espagne, comme d'ailleurs dans tous les autres pays, les forces démocratiques de la gauche bourgeoise se sont démontrées être non un échelon pouvant conduire à l'étape de la victoire prolétarienne, mais le dernier rempart de la contre-révolution, Marx, en 1854, écrivait que la Junte Centrale aurait dû apporter des modifications sociales a la société espagnole.

Si elles ne se vérifiaient pas à l'é­poque, cela est peut-être imputable à des erreurs de tactique, mais la Républi­que de 1931 avait une tout autre fonction que la Junte de 1808 : cette dernière avait un caractère progressif, alors que la République a représenté l'arme de la plus féroce réaction contre le mouvement ouvrier. Il en est de même pour les positions de Engels à l'égard de la Républi­que de 1873, où il entrevoyait la possi­bilité, pour un groupe parlementaire ou­vrier, d'agir habilement pour déterminer à la fois la victoire de Pi y Margall contre la droite et de déterminer aussi l'évolution de la gauche vers l'adoption des revendications ouvrières. Au sein des Cortes Constituante de 1931 et des autres qui suivirent, le groupe "ouvrier" n'a nullement fait défaut, mais puisque sa base prenait ses racines sur un tout autre terrain social, sur celui ou ce­la, la signification réelle de la Répu­blique en tant qu'expression sanglante de la répression ouvrière, le groupe ouvrier ne pouvait être qu'un outil entre les mains de l'ennemi.

Dans les situations nouvelles, le re­groupement des prolétaires ne pouvait se faire que sur la base du double appela pour les revendications partielles quant à l'agitation et finales quant à la pro­pagande de la classe ouvrière. Aucune possibilité n'existant pour cramponner les conquêtes partielles de la classe ou­vrière à l'expression de la République qui aurait évolué vers une transformation progressive de la société espagnole, et serait devenu favorable aux masses. Les années, 1931-1932-1933 ont connu, en même temps qu'une réaction sanglante contre les mouvements grévistes des ouvriers et des paysans, une évolution toujours plus à gauche du gouvernement passant du bloc Azann-Caballero-Leroux, à l'exclusion des radicaux. L'accentuation à gauche du gouvernement était le signal d'une forte répression anti-ouvrière.

Engels critique avec raison Bakounine et les Alleanzistes de l'époque, les­quels préconisaient la lutte immédiate pour l'affranchissement des travailleurs sur la base de l'extension des mouvements revendicatifs.  La position marxiste interdit à la fois de lancer le mot d'or­dre : de l'insurrection lorsque les conditions n’ en existent pas,   tout au­tant qu'elle interdit de soulever le mot d'ordre de la lutte pour la République ou pour sa réforme au moment où l'analy­se historique prouve que la République est devenue la forme essentielle de do­mination d'un prolétariat qui se trouve, de part l'évolution des situations his­toriques, dans les conditions de pouvoir soulever, comme revendication étatique, uniquement la dictature du prolétariat, au travers de l'insurrection et de la destruction de' l'état ennemi.

Ces considération se trouveront con­firmées par une analyse rapide des évé­nements de 1931-1932-1933-1934, qui nous parait indispensable pour pouvoir passer à l'examen des situations  actuelles et à une indication des positions autour desquelles le prolétariat international et espagnol peuvent faire germer des ges­tes de gloire des ouvriers  ibériques une poussée vers la victoire de la révolution communiste.

Nous avons déjà indiqué que la procla­mation de la République n'était,  en dé­finitive,  qu'une signalisation d'événe­ments bien plus importants et qui devai­ent jeter dans l'arène de la lutte de classes l'ensemble des ouvriers et des paysans espagnols. Commençons par remar­quer que le capitalisme se hâta de four­nir à Alphonse XIII le coupon du voyage pour prévenir la grève des cheminots, mouvement qui, parce qu'il aurait para­lysé la vie économique, était de nature à avoir des répercussions profondes sur la situation du pays. Il est bien évi­dent que la bourgeoisie espagnole n'avait nullement conscience des situations qui se seraient ouvertes  au cours des  an­nées 1931-32 et1933  alors  qu'en prévision de cela elle aurait eu recours au chan­gement de forme de son régime : de mo­narchique en républicain. Le capitalisme est condamné à ne jamais pouvoir prévoir les situations qui se produiront : ex­pression même des bases contradictoires de son régime, il ne peut faire qu'une chose : battre son ennemi de classe et donner aux différentes situations la so­lution qui puisse le mieux convenir à la défense de son privilège. Lorsqu'en Avril 1931, la proclamation de la République a parut une nécessité, la bourgeoisie espa­gnole n'hésita point a y recourir et ce fut d’ailleurs là une manifestation claire de prévoyance, car, en face de tous les mouvements qui suivirent, il aurait été bien risqué de s'y opposer par les métho­des brutales de la réaction : un appoint était nécessaire et celui-ci a été fourni par les gouvernements de la gauche avec l'appui des socialistes, le groupe le plus nombreux parmi les républicains "fidèles et sincères".

Immédiatement après la fondation du nouveau régime, la vague des grèves défer­le dans tous le pays, notamment celles des Téléphones, de l'Andalousie, auxquelles firent suite les autres de Bilbao, de Barcelone (Bâtiment), de Valence, de Manresa, etc. Au cours de tous ces évé­nements, les positions suivantes s'affir­ment : le gouvernement, présidé par Zamora, s'oriente de plus en plus vers la répression féroce; le ministre de l'Intérieur Maura, qui étendra au sol trente pay­sans à Séville, répondra aux interpella­tions que "rien n'arrive" et le vingt octobre de la même année, la "loi de défense de la République" sera votée pour interdire les grèves, pour imposer l'arbitrage obligatoire des conflits du travail au travers des Commissions Paritaires et mettre hors la loi les organisations syndicales qui ne donneraient pas un pré­avis de dix jours avant la déclaration d'une grève. En même temps, l'Union Géné­rale des Travailleurs Socialistes orga­nisera ouvertement le sarrazinage des mouvements décidés par la Confédération Nationale du Travail (anarcho-syndicaliste), si ce n'est qu'elle arrivera a pré­coniser la lutte armée contre les ouvriers organisés dans la C.N.T. Et il faut dire que cette politique des socialistes eut un certain succès puisqu'à part de rares occasions où les ouvriers des deux centrales firent cause commune, l'U.G.T. parvient à maintenir au travail ses af­filiés. Lorsque cela n’aboutissait pas à l'échec des mouvements ouvriers, ils en étaient rendus extrêmement plus dif­ficiles si ce n'est plus sanglants à cause de l'intervention de la Garde Ci­vile.

De l'autre côté de la barricade se trouvent les syndicats de la C.N.T. au­tour desquels se polarise la lutte de la classe ouvrière. Mais les positions politiques des anarchistes ne pouvaient nullement correspondre aux nécessités de la situation et bien que ses mili­tants aient souvent fait preuve de grand courage, les dirigeants, au point de vue politique, n'arrivèrent jamais à coordonner un plan d'ensemble sus­ceptible de reconstituer l'unité du bloc ouvrier pour le mener à la victoire contre le patronat. La suite ininter­rompue des grèves auxquelles aucune is­sue n'était préétablie finissait par fatiguer les masses se trouvant toujours dans l'impossibilité d'obtenir une sé­rieuse amélioration de leur sort, alors que des épisodes désespérés se produi­saient en Catalogne et en Andalousie, où des Communes Libres étaient fondées pour l'organisation de la société li­bertaire. Il est à noter que ces mou­vements extrêmes ne rencontraient même pas l'appui solidaire de la direction de la C.N.T., ainsi qu'il en fut le cas pour le délégué de la Commune libre de Figols "qui se rend à Barcelone afin de s'assurer l'appui du prolétariat de cette ville; et il en revient sombre et attristé; il n'avait pu obtenir aucune promesse de soutien pour le mouvement de Figols" ("Révolution Prolétarienne" de Février 1932, reportage de Lazarevitch). Loin de nous l'idée de critiquer la CNT parce qu'elle ne proclame pas encore une fois la grève générale. Si nous avons voulu revenir sur cet épisode, c’est uniquement pour montrer que la politique des dirigeants anarcho-syndicalistes ne pouvait aboutir qu'à embou­teiller le mouvement général des ouvriers espagnols dont certains détachements étaient emportés vers des gestes désespérés réprimés avec cruauté avec l'appui inconditionné des socialistes.

La gamme des événements de 1931-32-33 nous présente donc un gouvernement de gauche s'appuyant solidement sur l'UGT alors que la classe ouvrière n'a d'au­tre position de défense que celle de confier son sort à la C.N.T. Ce point essentiel concernant le rôle de la C. N.T. et qui n'est nullement particulier aux seules années dont nous parlons, doit porter les communistes à examiner si, à l'envers des autres pays où le mou­vement communiste a trouvé sa source dans les organisations syndicales et politi­ques socialistes, issues de la lutte et de la scission avec les anarchistes, en Espagne, par contre, il ne vérifiera pas que le mouvement syndical évoluant vers le communisme trouvera sa source dans les syndicats de la C.N.T. aussi bien que dans ceux de là U.G.T.

Les anarchistes qui n'avaient pas un plan d'ensemble pour les grandes batail­les de classe qui se déroulaient, étai­ent dans le domaine politique en un état de confusion totale : bien qu'hos­tile à la République, à "tous" les partis, ils ne luttaient pas contre les mouve­ments séparatistes de l'extrême gauche bourgeoise ce qui déterminait évidemment les masses à reporter leur confiance sur ces mouvements d'où ont surgi des épiso­des de courage indiscutables, mais qui ne peuvent avoir aucun rapport avec les intérêts de la classe ouvrière.

Sur le plan gouvernemental, ainsi, que nous l'avons dit, le glissement à gauche se faisait, au rythme correspondant à 1'extension des mouvements grévistes, mais la répression sévissait férocement et l'on en a arriva jusqu'à déporter des militants anarchistes. Dé­jà en août 1932, une manoeuvre en sens inverse se dessinait de la part de, la bour­geoisie; Sanjurjo tente, un coup de main à Madrid et à Séville et précédemment les élections supplétives de juin à Ma­drid marquent un succès pour le fils de Primo de Ridera. La conjuration de Sanjurjo échoue, la République est sauvée et les ouvriers en janvier 1933 à Bar­celone, Valence, Cadix et en mai à Malaga, Bilbao, Saragosse, sentiront par les balles de la Garde Civile ce que leur en coûte de ne pas parvenir à diriger leurs coups contre la gauche bourgeoise au même titre que contre la droite.

Le 8 septembre 1933 AZMA donne sa démission et après un interrègne de 23 jours du gouvernement Leroux,  Martinez Barrios procède à la dissolution des Cortès et cela, semble-t-il, en viola­tion de l'article 75 de la constitution. Ce même Barrios, qui fut chargé de réa­liser le passage de la gauche vers la droite en 1933, eut la même charge au début des événements  actuels,  mais cet­te fois-ci sans pouvoir y parvenir. Et c'est ainsi que se clôtura la première phase de la République Espagnole.  Il s’agit de préciser un point qui  aura une valeur pour ce qui concerne les derniers événements également.  L’on est porté à considérer la République, aussi bien que les gouvernements de gauche, comme un fruit de la classe ouvrière,  un fruit imparfait il est vrai,  mais  toujours une expression de la classe ouvrière en éveil. En même temps  la bourgeoisie, en face des masses qui reprennent leurs luttes, qui n'aurait rien d'autre à faire que de confier son sort à un gou­vernement de gauche. Enfin le person­nel de cette gauche se tromperait deux fois : d'abord quand il se confie à la bourgeoisie qui se débarrassera de lui au moment opportun, ensuite de croire que les ouvriers, se contenteront de ses phrases et renonceront à la lutte pour les revendications qui leur sont propres. A notre, avis il ne peut nullement s'agir pour expliquer les événements politi­ques de la volonté de telle ou telle autre formation bourgeoise,   mais il faut expliquer le rôle que jouent dans la lutte des classes, des institutions données en l'occurrence la République.

Or la République apparaît comme la forme spécifique de la répression anti­ouvrière,  la forme qui correspond le mieux aux intérêts du capitalisme puis­qu'elle peut ajouter à la répression sanglante l'appoint qui est représenté par l'U.G.T. et le parti socialiste. On pourrait objecter que le capitalisme aurait pu recourir à une autre forme de gouvernement et que s'il ne l'a pas fait, c'est uniquement parce que la pres­sion des ouvriers l'obligeait à une con­version vers la gauche.  Ce genre de dis­cussion hypothétique n'a pas grand in­térêt pour nous et nous semble même in­concluant,  mais ce qui nous paraît être l'essentiel c'est que le capitalisme doit être combattu dans la forme gou­vernementale qu'il se donne, la droite comme la gauche. Et les bases de classe, la lutte autonome et indépendante du prolétariat permettent de sortir du dilemme droite-gauche bourgeoise et de ne pas favoriser la droite quand on lutte contre la gauche, comme inversement de ne pas  appuyer la gauche quand la lutte est menée contre la droite. La Républi­que Espagnole est ce qu'elle est et non pas ce que l'on aurait voulu qu'elle soit. Sa fonction de brutale opposition aux intérêts ouvriers prouve à l'évidence que sa source se trouve uniquement dans le camp bourgeois et que les ouvriers qui sont tombés sous  les  balles de la République ne doivent point souffrir l'affront d'en avoir été les porteurs, d'en avoir conçu la victoire.

Avant d'entamer l'examen de la situ­ation actuelle au sujet de laquelle nous traiterons d'abord de la question agrai­re,   il nous faudra dire quelques mots sur les événements de 1934, sur l'in­surrection aux Asturies. La place nous manque pour traiter de cet événement d'une importance colossale et force nous est de nous borner en indiquer seule­ment la signification.  Après les élec­tions de droite et la répression vio­lente de la grève de novembre 1933, les situations évoluent graduellement et progressivement avec la prédominance de la C.E.D.A., et le retour des forces qui  avaient été écartées lors de l'avè­nement de la République. Les socialis­tes font une brusque conversion à gau­che et reprennent contact avec des ou­vriers dont ils dirigent même les grèves. En octobre 1934, en réponse à la consti­tution du gouvernement Lerroux avec qua­tre représentants de la CEDA, la grève générale est proclamée. Ses dirigeants évidemment ne se doutaient point de 1'extension qu'elle aurait prise dans les milieux les plus éprouvés de la classe ouvrière espagnole, des mineurs d'Asturie condamnés à des salaires de famine et qui voyant leurs dirigeants donner l'ordre du mouvement croient que l'heu­re enfin a sonné où, au contraire de ce qui était  arrivé en 1932, lorsque 1'U.G.T.   sabotait les agitations, il sera enfin possible de conquérir de moins mi­sérables conditions de vie. L'insurrec­tion reste malheureusement isolée et après l'écrasement violent, c'est tout au cours de l'année 1935 une action con­tinuelle de répression contre la classe ouvrière, répression qui s'exerce par la voie légale, et par le recours aux formes extrêmes de la persécution.

Fin 1935, comme fin 1933, les problèmes insolubles de la situation espagnole arrivent à un nouveau noeud : la manifestation de Madrid de glorification de Azana marque qu'un nouveau tournant va s'ou­vrir et en février 1936, c'est la victoire, électorale du Front Populaire.

Le problème agraire.

Nous nous sommes appliqués à démontrer que la proclamation de la République,  en 1931, ne pouvait être placée sur un des deux plans classiques sur lesquels nous, sommes habitués à expliquer ces événements dans les autres pays : il ne s'agissait point d'une phase de la lutte de la bour­geoisie passant à l'attaque de la vertèbre féodale de l'économie agraire, puisque le capitalisme s'étant formé depuis des siè­cles en Espagne, justement sur l'adaptation de cette structure économique à une vie parasitaire rendue possible par l'extension des territoires contrôlés. Il ne s’agissait pas non plus d'une forme de ré­sistance de la bourgeoisie à une attaque révolutionnaire du prolétariat, celui-ci se trouvant — à cause de la position de décadence putréfiée de ce capitalisme — dans l'impossibilité de faire jaillir d'un milieu social extrêmement bigarré son parti de classe, le seul personnage histo­rique pouvant agir pour la victoire commu­niste, La République de 1931 représente donc une expression anticipée des formida­bles convulsions sociales qui éclateront immédiatement après et qui, du fait de 1'isolement du prolétariat espagnol au point de vue international, seront condamnées à choir en une tragique impasse. Il en sera de même pour la victoire du Front Populai­re de février 1936. Mais, avant de considérer les événements actuels, il nous faudra parler rapidement de la question agraire et des questions économiques, ce qui nous permettra de constater que la gau­che, l'extrême gauche, tout aussi bien que la droite et l'extrême droite bourgeoise, se sont trouvées dans l'impossibilité d’apporter une solution à ces problèmes dont le vacarme des réformes politiques proje­tées ne fait que cacher l'impossibilité où se trouve le capitalisme de modifier les bases économiques de la société espagnole. Le prolétariat, et lui seul, représente la classe capable de modifier la base mê­me de l'économie espagnole et en dehors de cette modification aucune solution ne reste possible.

Tant au point de vue agraire qu'indus­triel, l'Espagne peut se partager en gros en deux parties, dont l'une, la moins étendue, est composée de formes de cultu­res et d'industries du type de celles for­mant l'assiette de la domination du capitalisme dans les autres pays. L'autre par­tie, par contre, est constituée par les immenses étendues de terre non cultivables en partie et où les paysans et ouvriers agricoles sont condamnés à une vie extrê­mement misérable. Les paysans du littoral de l'Est sont soumis aux exactions fisca­les d'un pouvoir central qui ne peut sub­sister qu'à la condition de mettre ces propriétaires dans l'impossibilité de réaliser des prix rémunérateurs pour leurs produits qui doivent être exportés à des conditions avantageuses pour battre la concurrence internationale. Les petits propriétaires seront obligés de vendre leurs produits n'importe comment, car il leur faut immédiatement des capitaux pour continuer à cultiver les terres. Les grands propriétaires prendront, eux aussi, une position d'hostilité envers l'Etat centralisateur qui ne Leur rapportera, en échange des fortes contributions fiscales à payer, aucun avantage sérieux. C'est là le terrain où germent les mouvements sé­paratistes qui s'étendent d'ailleurs aux autres parties de l'Espagne, au plateau central, où les grands propriétaires ter­riens soutirent aux paysans condamnés à l'esclavage, des rentes qui sont immédia­tement dirigées vers les grandes banques et ne seront jamais utilisées pour défri­cher les terres ou acheter des machines agricoles, sans quoi aucune possibilité n’existerait de mettre en valeur ces ter­res. Dépecer ces immenses propriétés, c’est compliquer davantage le problème, car la culture mécanique ne peut se faire sur la base parcellaire, mais exige une gran­de étendue de terrain soumise à une di­rection unique. Nous avons déjà dit que les grands propriétaires n'ont d'autre rapport avec leurs terres que ceux tenant à l'encaissement de leurs rentes et ce en s'appuyant sur une hiérarchie de fermiers et sous-fermiers qui rendent encore plus angoissantes l'exploitation des paysans et des ouvriers agricoles. Ces grands propriétaires ne songent même pas à inves­tir leurs capitaux dans les terres et ils ne voient évidemment pas d'un mauvais oeil une intervention étatique, qui accroisse leur puissance en les  "expro­priant" de terres dont le rendement est minime.  La transformation de l'économie agraire est uniquement possible par son industrialisation et celle-ci ne peut être réalisée que par le prolétariat victorieux.

Pour l'industrie, nous  assistons à des phénomènes analogues. Les mines de charbon des Asturies sont d'un rendement pauvre et les ouvriers sont forcés d'y travailler à des conditions de famine analogues à celles des ouvriers d'Anda­lousie et de l'Estremadure, tandis que les riches mines de minerai qui sont par­tiellement sous le contrôle de capita­listes étrangers,  ne produisent que pour l'exportation.  L'industrie de transformation de Catalogne, pour ce qui  la con­cerne, ne sera pas  acheminée vers le mar­ché intérieur qui, par la capacité d'a­chat extrêmement réduite des masses, est incapable d'absorber ses produits mais travaillera presque exclusivement pour 1’étranger. Bien sûr, les données  existent pour trouver, au sein même de l'Espagne, les éléments pour résoudre le problème économique. A cet effet, l'on peut même dire que les engrais nécessaires à la culture et à la mise en valeur des ter­res existent dans le pays. Mais cette transformation n'est possible qu'à la condition de bouleverser de fond en com­ble toute la structure sociale,  d'extir­per ce capitalisme parasitaire et d'y substituer la direction consciente du prolétariat agissant pour la construc­tion, de la société communiste.

Lors de 1'avènement de la République, aussi bien,  d'ailleurs,   qu'après  la vic­toire du Front Populaire, beaucoup de bruit a été fait autour de la réforme agraire,  mais il s'agissait  toujours de mesures destinées à agir sur le plan po­litique (expropriation et redistribution des terres). Cependant,  puisque la solu­tion ne peut pas être trouvée qu'au tra­vers de l'industrialisation des  terres, les projets étaient destinés à s'évanouir alors que les masses déchaînait des mou­vements au terme desquels  aucune amélio­ration réelle ne pouvait être conquise.

Certes,  il y a une différence, entre les programmes économiques de la droite et de la gauche.  La première agissant pour le maintien rigoureux de la structure socia­le spécifique de 1'Espagne, la seconde voulant agir sur les manifestations exté­rieures juridiques et politiques de cette structure. Mais, puisque ni l'une ni l'au­tre ne peuvent aborder le fond du problème il est inévitable que les masses,  voyant qu'aucune solution n'est donnée à leurs problèmes, traversent, après des périodes de luttes désespérées, d'autres périodes de découragement qui seront habilement ex­ploitées par la droite qui au moins, as­sure sans discontinuité l'exploitation ca­pitaliste que la gauche compliquera en fai­sant croire, que,  sous sa direction, des possibilités de lutte existent, qu'une réforme vaêtre appliquée à la condition, toutefois, de combattre les grands proprié­taires qui resteront toujours debout par­ce que la base même de l'économie espagno­le ne sera nullement transformée.  La Répu­blique de  1931, aussi bien que le Front Populaire de 1936, ont agi dans la même direction et il n'est pas étonnant qu'en 1934 les conditions sociales se soient pré­sentées pour permettre une victoire de la droite agraire, qu'en juillet  1936,  Franco ait pu trouver dans les campagnes un écho favorable.

La genèse des événements actuels.

En avril 1936, une première escarmou­che se vérifiera, à l'occasion des manifes­tations pour l'anniversaire de la République une "révolte" (pour nous servir de la terminologie du Front Populaire) éclate, à la suite de quoi des mesures de rigueur se­ront édictées par le gouvernement : Azana déclara à l'époque que "le gouvernement a pris une série de mesures, on a éloigné ou déplacé les fascistes qui se trouvaient au sein du commandement. Les droites sont pri­ses de paniques, mais elles n'oseront pas relever la tête", (voir "Humanité" de 26 avril 1936). Au débat qui eut lieu aux Cortes, le porte-parole des centristes, en accord parfait avec ses  compères socialis­tes, votera la confiance au gouvernement qui s'est engagé à dissoudre les "factions". Et 1'"Humanité" félicitera ce dernier pour sa lutte courageuse, Les promesses d'une réforme agraire se font alors plus précises, l'on parle de l'article 44 de la Constitution qui prévoit la nationali­sation sans indemnités, Azana déclare que l'on ne devra pas s'arrêter à la distribution des domaines communaux, qu'il faudra envisager le partage de"baldios", les terrains, en friche que les grands propriétaires destinent unique­ment à la chasse. Enfin il ne faut pas exclure la distribution des grands do­maines en état de culture aux paysans. Entre temps le mouvement de gauche au sein du parti socialiste s'accuse : l’assemblée madrilaine du 23 avril se prononce pour la dictature du proléta­riat et à la veille des derniers événe­ments, une scission paraissait inévita­ble. Deux mois et demi sont passés après les événements d'avril, les masses qui avaient attendu une modification de leur sol, sont démoralisées à nouveau, c'est le moment que les droites croient propice, ces droites qui "n'oseraient pas relever la tête", déchaînent leur attaque prenant prétexte du meurtre du chef monarchiste Sotelo, qui avait été tué en représailles à 1'assassinat du lieutenant Castillo, Il s'agit mainte­nant non point d'analyser des événements sur lesquels les informations sont les plus contradictoires, mais de les ex­pliquer, d'en indiquer la signification afin de préciser les positions de classe autour desquelles le prolétariat es­pagnol et international peuvent se re­grouper pour empêcher qu'encore une fois l'impasse cruelle où se trouvent : les masses ne les jette à nouveau dans la démoralisation et que le capitalis­me n’en  profite pour une saignée qui représenterait un nouveau pas vers la mobilisation des travailleurs de tous les pays pour la préparation du con­flit mondial. Nous nous bornerons sur­tout à préciser des positions politi­ques, nous réservant de passer à une analyse détaillée des événements lors­que les conditions le permettront.

La signification de la bataille en Espagne

La conception, partant de cette con­sidération qui estime que puisque le ca­pitalisme est à la tête de la société actuelle, il serait possible d'établir une discipline sociale lui permettant de diriger les événements à sa guise, cette conception n'a aucune correspon­dance avec la réalité politique et his­torique qui fait de la société capitalis­te un milieu contradictoire par excellence où fermentent non seulement les contras­tes fondamentaux de classe, mais aussi les oppositions entre les différentes couches intermédiaires, entre ces derniè­res et la bourgeoisie et enfin les riva­lités entre groupes et individualités capitalistes. Bien sur la bourgeoisie voudrait régner dans la paix sociale, mais cette tranquillité lui est interdite par les bases même de son régime. Aussi force lui est de s'accommoder de toutes les situations et de se borner à y intervenir non pour éviter la manifestation des con­trastes sociaux, mais pour faire refluer ces derniers vers le maintien de sa domi­nation, vers la rupture de l'attaque prolétarienne, tendant à la destruction de son régime. Toutefois il ne faudrait pas en conclure que ces oppositions peuvent ébranler et menacer la vie et les bases du système. En dépit des apparences nous ne retrouvons pas la lutte que se font les militaires et le front populaire dans l'opposition de leurs programmes politi­ques où des couches sociales capitalistes quelle représente. Il serait d'ailleurs bien difficile de reconnaître d'un côté le bloc des industriels derrière Azana, dont le front comprend même des anarcho-syndicalistes et de l'autre côté, derriè­re Franco, les grands propriétaires ter­riens qui peuvent exploiter la désaffection des masses paysannes à l'égard du front populaire et affermir leur domination en Andalousie, en Estrémadure, des régions qui furent le théâtre de soulève­ments puissants également sous la Répu­blique,

Les événements sociaux sont détermi­nés par des antagonismes se reliant au contraste surgi entre l'évolution des forces de production et la forme de 1' organisation sociale existante. Ce qui plane aujourd'hui sur l'Espagne c'est 1'antithèse historique entre un régime bour­geois condamné à ne pas pouvoir donner de solution aux problèmes économiques et politiques qui se posent devant lui et un régime prolétarien qui ne peut pas poindre faute d'un parti de classe. Droite et gauche bourgeoise expriment les convul­sions d'une société capitaliste clouée dans une impasse, mais la lutte de ces deux courants de la bourgeoisie n'est pas limitée à leur zone respective,  elle englo­be le prolétariat lui-même parce qu'en dé­finitive,  c'est uniquement ce dernier qui détient la clé de l'évolution historique. L'alternative ne réside point entre Azana et Franco,  mais entre bourgeoisie et pro­létariat; que l'un et l'autre des deux partenaires soit battu, cela n'empêche que celui qui sera réellement vaincu sera le prolétariat qui fera les frais de la vic­toire d'Azana ou de celle de Franco.  Loin de pouvoir rester indifférent aux événe­ments actuels, parce que la lutte se dé­roulerait entre deux fractions de la bour­geoisie,  le prolétariat a pour devoir d'intervenir directement dans les situations parce que lui seul est l'enjeu des batail­les et lui seul sera la victime des luttes actuelles.

Trotsky,  dans son étude sur la "révo­lution espagnole, mit en évidence le carac­tère particulier de l'armée espagnole: où la spécialisation des corps correspondait à une diversification de positions politiques, l'artillerie par exemple prenant toujours une position d'avant-garde sur l'échiquier social...Cette remarque profondément juste de Trotsky nous permet de comprendre que si l'armée en Espagne détient une position par­ticulière et n'est pas  au dessus de la mêlée ou à l'écart de la lutte, que se livrent les partis politiques de la bourgeoi­sie : cela dépend de la structure sociale espagnole; où le capitalisme a pu ne pas briser par la violence,  mais, s'identifier avec la persistance de la toile sociale, du féodalisme Rien, d'étonnant si les vedettes des batailles sociales d'envergure que nous vivons soient des généraux et que ces derniers trouvent la possibilité de jouer un rôle politique considérable. Cette remarque nous la faisons pour mettre en évidence que la sédition militaire ne relève point de phénomènes intérieurs à l'armée et pouvant se conclure par un rapide pronuncamiento qui, s'il ne réussit pas  les tous premiers jours, est voué à un échec certain, mais qu'il s'agit d'une lutte sociale dont d'ail­leurs nous avons indiqué les éléments quand nous avons parlé de l'activité sociale du gouvernement de Front Populaire et de la déception qu'il avait  apporté parmi  les mas­ses des travailleurs et paysannes surtout.

Tout comme lors de la proclamation de la République qui fut le signal  annoncia­teur des formidables événements de classe qui suivirent,  il est à prévoir que l'éclosion de la lutte actuelle entre le Front Populaire et les généraux,  n'est en définitive que le camouflage d'une lutte so­ciale bien plus importante et qui mûris­sait dans le sous-sol de là société espagnole démantibulée par le double anachronisme d'un capitalisme impuissant a appor­ter la moindre solution, aux problèmes que la situation pose, d'un prolétariat qui ne parvient pas à fonder son parti de classe et qui est tout  aussi impuissant à jeter l'épée de sa révolution dans un milieu so­cial hérissé de contrastes sans  issues.

La classe prolétarienne, qui fut jetée, par les situations, dans des luttes épiques au cours des années  1931-33, se trouvait sans doute à l'aube du nouveau soulèvement dont l'ampleur aurait été d'autant plus puissante que la crise économique avait aggravé les problèmes fondamentaux qui n'ont reçu d’évolution ni de là part des gouver­nements de gauche,  ni de ceux de droite qui  se suivirent en  1934-35,  ni, enfin, de la part du gouvernement de Front Po­pulaire. Il y eut bien la réaction léga­le qui dura toute l'année 1935 après là défaite de l'insurrection des Asturies, mais cette répression ne prouvait pas suf­fire à écarter le prolétariat de la scène sociale  :   la classe ouvrière était à nouveau jetée dans l'arène par la vigueur accentuée que prenaient les questions éco­nomiques auxquelles  aucune solution n'a­vait pas pu être apportée. C'est ici,  qu'à notre, avis,  se trouvé l’explication des événements actuels. Il faudra tout d'abord remarquer que la première réaction du gou­vernement de Front Populaire à la sédi­tion du Maroc consista en une manoeuvre tendant a établir un compromis  avec Franco. Lorsque Quiroga démissionna, ce fut pour donner un premier gage à la droite, car on attribuait à ce Président du Conseil une phrase que l'on interprétait comme un encouragement de l'expédition punitive contre le monarchiste Sotelo.

Immédiatement  après,  ce fut Barrios ; le même qui,  fin 1933,  réalisa 1a con­version du régime de la gauche vers la droite et présida aux élections d'où sur­git la victoire de la droite, qui essaya de constituer un ministère, ce même Barrios qui, après  l'assassinat de Sorelo, décla­rait  que la situation était devenue impossible parce que les corps réguliers de la Garde Civile, pouvaient organiser des attentats. La tentative du compromis échoua, mais  cela ne signifie point qule gouvernement emprunta directement, le chemin de l'armement des ouvriers, Giral es­saya, dès la constitution de son cabinet de canaliser les masses derrière de vagues proclamations antifascistes et les bureaux d'enrôlement furent constitués quand il était déjà évident que les ouvriers des vil­les industrielles auraient opposé une ré­action vigoureuse et seraient passés à la lutte armée. Une fois que cette dernière était devenue inévitable, la bourgeoisie sentit que la seule voie de son salut con­sistait dans la légalisation de cet ar­mement. Cette légalisation juridique de l’armement ouvrier représentait la seule condition pour le désarmement politique des masses. Celles-ci incorporées dans l'Etat, le danger était écarté que les ouvriers profitent de l'emploi de l'instrument il­légal par excellence, l'assaut de la for­teresse sociale du capitalisme.

L'on pourrait supposer que l'armement des ouvriers contient des vertus congé­nitales au point de vue politique et qu' une fois matériellement armés, les ouvriers pourront se débarrasser des chefs traîtres pour passer aux formes supérieures de leur lutte. Il n’en est rien. Les ouvriers que le Front Populaire est parvenu à incorporer à la bourgeoisie puisqu'ils combattent sous la direction et pour la victoire d’une fraction bourgeoise, s'interdisent par cela même, la possibilité d'évoluer autour des positions de classe. Et ici il ne s'agit point de batailles débutant sous la direction de formations bourgeoises et qui peuvent évoluer sur les bases prolétarien­nes parce qu'à leur origine se trouvaient des revendications de classe. Ici il s'a­git bien de ceci : les ouvriers prennent parti pour une cause qui n'est pas seule­ment la leur, mais qui s'oppose foncière­ment à leurs intérêts. Et point n'est be­soin de réfuter l'argument vulgaire des responsabilités éventuelles des ouvriers ou des capacités démoniaques des traîtres. Pour nous les ouvriers se trouvent dans 1'impossibilité de déterminer, autrement que par une minorité de leur classe forgeant le parti, les bases sur lesquelles la vic­toire sera possible et cela à cause dé 1'oppression que fait régner le capitalisme qui les exploite, les abrutit, leur enlève toute possibilité de se former une con­science de la réalité sociale et des voies à emprunter pour arriver à la victoire. Les masses, dans leur ensemble, peuvent arri­ver à une conscience parfaite de leur rôle mais cela dans des circonstances particulières nées  d'événements historiques, lors des révolutions et c'est à ce moment que la maturation de leur conscience permettra la victoire sous la direction du parti de clas­se. Les ouvriers ne luttent jamais, de leur propre volonté, pour les traîtres, en l'es­pèce pour le Front Populaire; ils croient toujours se battre pour la défense de leurs intérêts et c'est uniquement le degré inter­médiaire de la tension des situations qui permettra aux traîtres de coller aux luttes des masses un drapeau qui ne leur appartient, pas le drapeau de l'ennemi.

Tel qu'ils se sont embranchés, les évé­nements semblent devoir exclure l'éventua­lité que les prolétaires espagnols arrivent à définir une frontière de classe dans les situations qu'ils vivent. Fort probablement nous assisterons à des exploits héroïques du type de ceux de 1932 ou du type encore plus avancé, mais, malheureusement, il ne s'agira là que d'un tumulte social, sanglant, incapable d'atteindre la hauteur d'un mou­vement insurrectionnel. La documentation sur les événements est - au moment où nous écri­vons cet article - absolument inexistante, mais ce qui nous permet de préciser les po­sitions politiques que nous indiquons, c'est la disproportion énorme qui existe entre 1'armement de larges masses ouvrières et les bien rares épisodes d'une lutte de classe. Tout dernièrement, nous avons pu lire des appels, qui semblent d'ailleurs avoir été écoutés, des socialistes et des anarcho-syndicalistes engageant les ouvriers à repren­dre le travail pour assurer la victoire gou­vernementale.

Les considérations qui précèdent nous permettent d'affirmer que, même dans la se­conde phase des événements, lorsqu'il s'agi­ra de procéder au désarmement matériel des ouvriers, les perspectives révolutionnaires ne s’ouvriront malheureusement pas. Au cas d' une victoire gouvernementale, il sera facile de réduire les îlots de résistance des ouvriers qui ne voudraient pas rendre les ar­mes et de les massacrer, comme le firent les gouvernements ZAMORA et AZANA-CABALLERO, en 1931-32, alors que les masses, dans leur en­semble, seront plongées dans l’ivresse de la victoire anti-fasciste, dans l'hypothèse op­posée d'une victoire delà droite, les nouve­lles qui nous, parviennent des zones occupées par les généraux prouvent bien comment on si prendra pour massacrer les ouvriers révolu­tionnaires.

Les considérations que nous avons exposées pourraient nous faire taxer de pessi­mistes. Les questions de l'optimisme ou du pessimisme n'ont d'intérêt pour les marxistes que si elles sont basées sur des posi­tions de classe. Ainsi, le plus grand pessimiste prolétarien est certainement celui qui ergote le plus sur les perspectives révolutionnaires qui s'ouvrent sur la direction du Front Populaire,  parce qu'il manifeste le pessimisme le plus noir quand au programme, prolétarien et le rôle historique des ouvriers. Par contre, le plus grand op­timisme est celui qui se base uniquement sur la politique du prolétariat et exprime non seulement de la méfiance mais un oppo­sition sans quartier contre les traîtres même lorsqu'ils se dissimulent sous le mas­que écarlate de l'armement des ouvriers. Il est connu que Marx qui, après une analyse historique de l'époque, était hostile aux insurrections en 1870 (voir lettre à Kugelman), leva l'étendard de la défense de la Commune contre tous ses détracteurs démocrates ou ses assassins républicains et réactionnaires. C’est que la lutte du prolé­tariat ne peut pas suivre le schéma prééta­bli par l'académicien,  mais résulte du cours contradictoire de l'évolution historique. Les événements actuels en Espagne tout anti­économiques qu'ils puissent apparaître au révolutionnaire de chaire, n'en sont pas moins, une marche dans le chemin de 1'éman­cipation du prolétariat mondial. Non en vain lés héros ouvriers seront tombés, non en vain, les femmes et les jeunes filles espa­gnoles auront écrit des pages de gloire où, bien au delà de toutes les proclamations du féminisme,  se trouvent consacrées les reven­dications des exploitées qui donnent l'acco­lade aux ouvriers pour "monter à l'assaut du ciel" (Marx).

Mais à part cette considération ayant trait aux répercussions ultérieures des évé­nements actuels, il s'agit d'indiquer sur quelle base ils pourraient évoluer pour déboucher sur la victoire prolétarienne, et sur quel terrain le groupement prolétarien pouvant prétendre au rôle de forgeron du parti de classe, doit se battre dès maintenant.  Le di­lemme pour ou contre le Front Populaire, tout séduisant qu'il puisse apparaître dans les circonstances actuelles, la hantise d' une victoire de la droite qui passerait à l'extermination des ouvriers, toute justi­fiée qu'elle puisse être pour des militants qui ont connu la répression féroce du fas­cisme, ne peuvent nous faire oublier que le prolétariat ne peut se poser le problème dans ces termes,  car c'est le capitalis­me qui reste le seul arbitre de choix de son personnel gouvernemental.. La seule voie de salut pour les ouvriers consiste dans leur regroupement sur des bases de classé : pour des revendications partiel1es pour défendre leurs conquêtes en même temps qu'ils se .baseront sur la force de persuasion,des événements eux-mêmes pour soulever comme seule solution gouverne­mentale possible celle de la dictature du prolétariat, pour lancer ce mot d'ordre de 1'insurrection lorsque les conditions favorables auront mûri .Une telle défini­tion du problème peut, certes, affaiblir la cohésion et les possibilités de succès du gouvernement de Front Populaire, mais l'éventuelle victoire de la droite, qui pourrait en résulter serait sans lende­main, car la force du prolétariat se se­rait enfin constituée et la barrière se­rait dressée pour briser une fois pour toutes les forces de la réaction capita­liste, en évitant que, comme en Italie et plus particulièrement en Allemagne, les socialo-centristes fassent le lit de la répression sanglante de la droite. Cette position n'a évidemment rien à voir avec celle que défendirent en 1924 les centristes en Bulgarie et qui consistait à rester indifférents devant une lutte où s'affrontaient deux forces bourgeoises. Nous avons expliqué que le fond du conflit ne réside pas entre France et Azana, mais entre la bourgeoisie et le proléta­riat, et nous en concluons par la nécessité pour le prolétariat d'intervenir avec impétuosité dans les situations ac­tuelles,  mais sur des bases de classe et uniquement sur elles.

Au point de vue international, les manifestations de solidarité des ouvriers des autres pays ne peuvent se relier avec le développement de la lutte du proléta­riat espagnol qu'à la condition de rompre avec le Front Populaire qui prêche 1'intervention des  armées en vue de faire échec aux manoeuvres des fascistes,  ce qui représente un excellent terrain de mobi­lisation des masses pour la guerre. Ces manifestations de solidarité ne peuvent aboutir que "si" elles sont des mouvements se dirigeant simultanément contre les bourgeoisies respectives.  C'est dans ce sens que notre fraction essaie de travail­ler parmi l'émigration italienne.

Enfin l'alerte sanglante d'Espagne où les ouvriers tombent pour les intérêts du communisme, même s'ils se trouvent sous la chape du Front Populaire, est un nouvel avertissement aux communistes de gauche de différents pays en vue de passer à la constitution d'un centre inter­national où par une discussion approfon­die des expériences des dernières années, les conditions seraient réalisées pour construire les prémisses de la nouvelle internationale de la révolution. Cette tragique signalisation que représentent les cadavres des ouvriers espagnols, sera-t-elle la dernière et auront-nous ensuite la guerre ? Mais même si le ca­pitalisme pouvait encore retarder la cruelle échéance, rien n'expliquerait l'inertie qu'offrent différents groupe­ments de la gauche communiste aux ini­tiatives de notre fraction pour aborder l'oeuvre d'éclaircissement politique et pour asseoir sur des bases de fer l'or­ganisme qui pourra diriger les luttes de la classe ouvrière pour la victoire de la révolution mondiale.

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