Soumis par Révolution Inte... le
Les médias font largement écho à ce sentiment selon lequel, face à l'attaque actuelle sur les retraites, il faudrait un nouveau décembre 1995. A différentes reprises, les syndicats ont brandi cette "menace". Pour la classe ouvrière, la référence en positif à décembre 1995 ne peut représenter, à la différence de mai 1968, qu'une faiblesse importante de leur capacité de riposte aux attaques. En effet, contrairement aux proclamations de toutes les officines gou-vernementales et syndicales, non seulement cet événement n'a pas constitué une victoire de la classe ouvrière mais bien une défaite de celle-ci où, à aucun moment, elle n'a eu l'initiative et le contrôle de sa mobilisation qui sont toujours restés entre les mains des syndicats.
Il y a un bientôt huit ans, la méga-mobilisation syndicale
contre le plan Juppé battait son plein en France et donnait lieu
à un battage médiatique sans précédent à
l'adresse des prolétaires. Les trois semaines de grèves
dans la fonction publique, la paralysie complète des transports,
les "records" de mobilisation des manifestations, les commentaires
appuyés des médias sur la "popularité"
de la grève, enfin la "victoire" finale des cheminots,
tout cela avait laissé la classe ouvrière dans une espèce
d'euphorie grisante.
Le mouvement n'avait-il pas été victorieux ? Juppé
n'avait-il pas tremblé devant la masse des manifestants ? La
classe ouvrière n'avait-elle pas retrouvé "sa dignité"
et renoué avec la "solidarité" et "l'unité
dans la lutte" ? A cette époque, celui qui émettait
le moindre doute là-dessus passait au mieux pour un rabat-joie,
au pire pour un "jaune". Et pour mieux envelopper la classe
ouvrière dans cette euphorie de la victoire et dans ce sentiment
trompeur de puissance retrouvée, la bourgeoisie mettait les bouchées
doubles. Des syndicats aux médias, des gauchistes aux instances
patronales et gouvernementales, tous s'accordaient à voir dans
l'événement un "nouveau mai 68", le prototype
de futures "explosions sociales" du même acabit qu'il
fallait s'attendre à voir surgir un peu partout. Loin de la conspiration
du silence des médias qu'on a connue dans les années 1980
vis-à-vis des luttes ouvrières qui se développaient
partout en Europe, ce mouvement-là a eu droit à une publicité
médiatique phénoménale. La classe ouvrière
dans tous les pays était ainsi invitée à faire
du "décembre 95 français", l'exemple à
suivre, la référence incontournable de tous ses combats
à venir et, surtout, à voir dans les syndicats, qui avaient
été si "combatifs", si "unitaires"
et si déterminés tout au long des événements,
leurs meilleurs alliés pour se défendre contre les attaques
du capital.
Une manœuvre de la bourgeoisie ...
Loin d'avoir constitué une "gaffe", l'annonce, simultanément
au plan Juppé sur la sécurité sociale, d'attaques
ciblant spécifiquement les cheminots était une provocation
parfaitement calculée qui allait permettre de lancer le mouvement.
Les syndicats allaient se servir de la combativité existant chez
les cheminots pour pousser par tous les moyens le maximum d'ouvriers
à se mobiliser dans un mouvement parfaitement encadré,
que ces derniers n'étaient pas prêts à mener et
qu'ils ne contrôlaient pas.
A cette fin, les syndicats ont systématiquement agi à
l'inverse de leurs pratiques habituelles de sabotage. Ils ont arboré
un langage hyper-radical et contestataire vis-à-vis du gouvernement,
contrairement à la période où la gauche était
au pouvoir.
Tous les principaux syndicats se sont immédiatement portés
à la tête du mouvement, poussant systématiquement
les ouvriers à s'engager dans la lutte, à la SNCF, puis
à la RATP et dans l'ensemble du secteur public. Unis, ils ont
lancé des appels aux manifestations, poussant ainsi de plus en
plus de travailleurs à entrer en grève. Ils se sont imposés
en mettant d'emblée en avant les besoins vitaux de la lutte,
ressentis comme tels par les ouvriers depuis des années et ceci
afin de les dénaturer, et notamment le besoin primordial de l'extension
du mouvement.
Ainsi, les intersyndicales se sont démenées pour l'extension
de la grève au-delà du secteur, en particulier en organisant
des délégations massives de cheminots dans les centres
de tri et les Télécoms, en éludant l'essentiel
: pour être réellement au service de la lutte, le besoin
vital de prise en charge de l'extension ne pouvait que venir des assemblées
ouvrieres et être assumé par elles-mêmes. C'est derrière
les intersyndicales et les "unions syndicales" qu'ils ont
appelé à "lutter tous ensemble". Ils ont mis
en avant la "souveraineté des AG" et laissé
les ouvriers "décider" au sein de celles-ci, mais dans
un cadre et selon des modalités d'actions déjà
décidés et contrôlés par leurs appareils.
Un tel simulacre était destiné dans le fond à éluder
l'antagonisme irréconciliable entre d'un côté le
souveraineté des AG, la lutte autonome du prolétariat
et, de l'autre, la présence des syndicats dans la lutte.
Dans de nombreux secteurs, comme dans la plupart des centres de tri
postaux, dans les Télécoms, à l'EDF-GDF, les syndicats
ont manipulé un minimum de grévistes pour entraîner
un maximum d'ouvriers dans la grève et dans les manifestations.
Il a suffi que, 3 semaines plus tard, Juppé retire les attaques
concernant la SNCF pour que toute cette mobilisation, sous-contrôle,
retombe aussitôt comme un soufflé.
Alors qu'en trente ans d'expérience de luttes, les syndicats
s'étaient toujours partagé le travail entre "modérés"
appelant à la reprise du travail et "radicaux" jusqu'au-boutistes
pour parachever la défaite en suscitant un maximum de divisions
dans les rangs ouvriers, permettant le retour au travail dans la démoralisation,
paquets par paquets, cette fois, les syndicats ont veillé à
assurer un repli général en bon ordre (sauf cas isolés
et ponctuels comme le centre de tri de Caen ou les traminots de Marseille).
La bourgeoisie a pu ainsi mener les opérations à sa guise
: elle a fait partir le mouvement comme elle le voulait et elle a pu
le faire cesser, quasiment du jour au lendemain, quand elle l'a voulu,
juste à la veille de la trêve des confiseurs. Tout était
donc bien réglé comme du papier à musique !
Comment s'y est-elle prise ?
- à travers une focalisation médiatique sur la lassitude
manifestée par une partie des ouvriers qui voulaient reprendre
le travail et surtout sur les AG où était votée
la reprise;
- alors que les syndicats n'avaient cessé de pousser systématiquement
un maximum de nouveaux secteurs à rentrer dans la grève,
il a suffi qu'ils cessent cette pression pour faciliter la reprise.
Cela démontre d'ailleurs que la "combativité syndicale"
n'était pas liée à une quelconque "pression
de la base", contrairement à la propagande alimentée
par les médias et entretenue par les groupes gauchistes. Le travail
s'est alors partagé entre la CFDT et les syndicats modérés
qui ont appelé directement à la reprise du travail tandis
que la CGT et FO ont dit qu'ils suivraient les décisions des
AG ;
- les syndicats ont joué sur l'absence de centralisation du mouvement
qu'ils avaient provoquée et entretenue : le fait que chaque AG
décide dans son coin de la poursuite ou non de la grève
a permis une propagation "spontanée" de la vague de
reprise.
De fait, la CGT et FO ne sont jamais apparus comme divisés, ni
surtout comme des diviseurs. Les deux principaux syndicats "combatifs"
n'ont, au contraire, pas cessé de proclamer la nécessité
pour les ouvriers de rester unis et ont même largement mis en
garde contre le développement d'une division entre "jusqu'au
boutistes" et ouvriers voulant reprendre le travail.
Contrairement à ce qui avait pu se passer dans certains conflits
des années 70 ou 80, la fin de la grève n'a pas permis
que soit mis en évidence le rôle de saboteurs de la lutte
que sont les syndicats. Le maintien du plan Juppé a été
attribué à la seule et unique intransigeance du gouvernement
et non pas à un quelconque manque de détermination des
syndicats. Par contre, les médias ont largement relayé
l'idée du manque de solidarité des secteurs qui ne se
sont pas ou que peu mis en grève, le secteur privé notamment,
et toute une entreprise de division et culpabilisation basée
sur celle-ci.
... pour affaiblir la classe ouvrière face aux attaques
Après trois semaines de grève, un grand nombre d'ouvriers
ont repris le travail avec un sentiment de fierté "de ne
pas s'être laissés faire", d'avoir été
capables de relever la tête. L'idée suivant laquelle ce
mouvement a contribué à renforcer la classe ouvrière
est totalement fausse. Elle représente un poison pour la conscience
du prolétariat.
Les syndicats n'ont nullement changé de nature. S'ils ont adopté
un profil si radical, c'est pour faire oublier leur sale travail passé
et pour renforcer leur capacité à saboter les luttes ouvrières
dans l'avenir, comme dans le but présent et permanent de permettre
au gouvernement de faire passer ses attaques.
Face à l'usure accélérée des syndicats et
à la défiance envers eux qu'avaient suscitée dans
les rangs ouvriers 35 ans de sabotage syndical de leurs luttes, il était
urgent pour la bourgeoisie d'imprimer une nouvelle image positive de
ses officines d'encadrement de la classe ouvrière et de pousser
les ouvriers à leur faire confiance. Pour ce faire, les syndicats
ont pris l'initiative de lancer un mouvement qui, du début à
la fin, est resté sous leur parfait contrôle, et dans lequel
ils se sont offert une image inhabituellement "radicale",
"combative" et "unitaire".
Aux cris de triomphe des syndicalistes d'hier clamant que, grâce
à eux, le mouvement avait fait reculer Juppé et la classe
ouvrière s'était renforcée, s'oppose le constat
d'évidence : le plan Juppé sur la sécurité
sociale est passé. Quant à l'illusion que cette "expérience"
aurait permis à la classe ouvrière de se renforcer en
réapprenant à se défendre, qu'elle y aurait retrouvé
ses réflexes de lutte, de solidarité de classe et d'unité,
elle aussi s'est révélée une chimère. Depuis
lors, les attaques gouvernementales et patronales n'ont fait que redoubler
de violence : outre la mise en place, mois après mois, des mesures
du plan Juppé, les hausses de prélèvements et baisses
des allocations sociales, la bourgeoisie a déchaîné
sur la classe ouvrière une avalanche de coups sans précédents,
sous forme de plans sociaux à répétition et leurs
charrettes de licenciements et de suppressions de postes dans la fonction
publique, de développement de la précarité et de
la flexibilité du travail.
A tout cela les ouvriers ont été incapables d'opposer
la moindre résistance sérieuse, et pour cause. Pris dans
la nasse de syndicats renforcés par leur nouvelle image, les
ouvriers en butte aux attaques se sont retrouvé baladés,
atomisés, dispersés dans des actions syndicales impuissantes
et isolées, sans trouver la force de contester et encore moins
de déborder cet encadrement syndical omniprésent. Bref,
les syndicats ont eu les mains plus libres que jamais, dans les années
suivantes, pour faire leur sale boulot habituel de saucissonnage, de
division et de sabotage ouvert.