Argentine, les confusions au sein du courant de la Gauche communiste

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Quand les gauchistes présentent une image fausse de ce qui se passe en Argentine, ils restent fidèles à une pratique établie depuis des décennies. C'est le contraire qui est vrai concernant l'intervention du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR), un groupe qui fait partie du camp de la classe ouvrière. Dans une prise de position récente ("La crise et le libéralisme économique ont mis l'Argentine à genoux. Le prolétariat relève la tête"), le BIPR démontre la gravité de la crise économique, sa nature internationale, les attaques dévastatrices contre les conditions de vie de la masse de la population, et le besoin d'éviter les pièges des syndicats.

Quand il décrit la nature de la réponse à ces attaques, le BIPR affirme que "la colère et la violence ont grandi en même temps que la faim, la misère sociale et économique, le désespoir face à la réalité quotidienne, et le manque de perspectives pour l'avenir". Evidemment, le mouvement est très hétérogène, puisque "les jeunes et les étudiants, les ouvriers, les chômeurs, et la petite bourgeoisie prolétarisée d'abord et paupérisée ensuite, sont descendus spontanément dans la rue".

C'est une description juste des évènements, mais quand le BIPR parle des attaques contre les banques, les bureaux, et les supermarchés pour dire que "la faim et la colère (…) restent à la base de ce dernier surgissement insurrectionnel", il abuse d'un terme clé du mouvement marxiste. Lénine suivait Marx, en décrivant l'insurrection comme un art, qui exige l'analyse attentive et l'intervention des révolutionnaires au sein des luttes montantes de la classe ouvrière. Pour les marxistes, "insurrection" ne veut pas dire le pillage et les incendies.

En parlant de la classe ouvrière, le BIPR nous dit que "la réponse a été typiquement prolétariennne", puisque "dans toute l'Argentine des grèves et des occupations ont surgi". C'est comme si la classe ouvrière avait pu entrer en lutte en ignorant l'action des autres couches sociales. En réalité, la classe n'a pas été engagée dans des luttes "typiquement prolétariennes", et les révolutionnaires ne doivent pas essayer de cacher le danger pour les ouvriers d'être emportés dans un mouvement stérile du point de vue social.

Il est vrai, comme dit le BIPR, que "des masses énormes de prolétaires et de déshérités ont été poussés à l'action", mais "l'action" de la classe ouvrière n'est pas la même que celle des autres couches sociales, et dans le contexte argentin il faut distinguer les caractéristiques du mouvement.

Le BIPR affirme que "le contenu de classe d'un mouvement ne dépend pas seulement de son aspect sociologique, c'est-à-dire de la présence de prolétaires, mais surtout des buts politiques qu'il contient et qui s'y développent". Mais il ne dit rien sur ce fait que le poids des autres couches peut avoir une forte influence, qui peut entraver la capacité de la classe ouvrière de développer sa propre identité de classe, sans parler de ses propres "buts politiques". La situation dans laquelle se trouvent les ouvriers est un facteur matériel que les marxistes ont le devoir d'examiner.

Pour le BIPR, "deux éléments sont clairement absents" de la situation, dont "un véritable resurgissement de la lutte de classe". C'est vrai, mais en tant que marxistes nous devons expliquer pourquoi, face à des attaques massives de l'Etat, il n'existe pas de réponse claire de classe. Et une des raisons principales en est que la classe ouvrière a été submergée par un mouvement interclassiste.

Le BIPR évite cette réalité en disant qu'un parti révolutionnaire "peut transformer la colère, la détermination de lutter, et la révolte spontanée, en révolution sociale". Une telle idée met le marxisme sur la tête. Cette idée suggère que, quelle que soit la nature du mouvement -qu'il soit sur un terrain de classe, ou qu'il ait dévoyé les énergies de la classe ouvrière- le parti peut transformer la situation sans tenir compte de la réalité sociale. Et une telle idée relève d'une démarche idéaliste.

Par contre, quand le BIPR dit "qu'il doit y avoir une conscience des antagonismes de classe", c'est tout à fait juste. La question de savoir comment les ouvriers reconnaissent leurs intérêts de classe, les moyens de leur lutte, et la nature de leurs ennemis de classe, est fondamentale. C'est un processus qui ne saurait être réduit à l'influence des organisations révolutionnaires, puisqu'il dépend également de la nature du mouvement dans lequel ils interviennent, et l'existence ou non déjà de tentatives vers la clarification au sein de la classe ouvrière elle-même. Les très grandes difficultés auxquelles s'affronte le prolétariat ne peuvent être abolies de façon volontariste par des proclamations idéalistes sur la capacité du parti à transformer la situation.

(D'après World Revolution n°252)

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