L'incapacité de l'anarchisme à offrir une perspective de classe contre la guerre impérialiste

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Parce que dans le meilleur des cas il exprime une influence de l'idéologie petite-bourgeoise dans les rangs du prolétariat (quand il n'est pas directement une composante de la bourgeoisie au travers de ses organisations les plus établies comme la FA - Fédération Anarchiste), l'anarchisme, même s'il peut condamner fermement la guerre impérialiste, ne peut offrir de réelle perspective révolutionnaire au prolétariat.

 
Notons d'abord la grande variété de la nébuleuse anarchiste. Au nom de la sacro-sainte autonomie individuelle, chacun n'engage que lui-même. Au sein d'un même groupement politique, chaque "compagnon", "cercle" ou "unité régionale" y va de son interprétation du monde, sans qu'il soit possible de savoir précisément quelle est la position officielle de l'organisation et quelles sont les tendances politiques alternatives qui s'y opposent. C'est déjà un aspect fondamental qui s'oppose aux intérêts profonds du prolétariat qui tend toujours à faire émerger une réponse unie et internationale face à la guerre, comme expression de l'unité de la classe ouvrière et de la nature globale de son combat. Et quand cela n'est pas possible du fait de divergences politiques momentanément insurmontables, c'est une responsabilité des organisations révolutionnaires de présenter clairement face à la classe leurs positions respectives comme facteur actif de clarification et de décantation du milieu politique et de développement de la conscience de classe.

Des positions qui tournent le dos à l'internationalisme prolétarien

Certains groupes anarchistes, quant à eux, se sont essayés à une "déclaration libertaire internationale contre la guerre" en Afghanistan (signée en France par Alternative Libertaire, la FA, No Pasaran). Cette initiative dérisoire par la platitude de son contenu a le mérite de donner la quintessence du fond commun du courant anarchiste, comme en témoignent les prises de position des principaux représentants de la mouvance libertaire en France.
  • "contre la guerre sous toutes ses formes" : belle indignation morale en vérité ! On en trouve de la même eau dans le Combat Syndicaliste Midi-Pyrénées (CMSP) de la CNT-AIT dans un article qui prétend aller "au-delà des commentaires café du commerce" : " Un être humain est un être humain. La douleur est la douleur. […] je sais intimement que chaque être humain est mon égal." (CSMP n°70 p.9). Ces grands cris contre la guerre en général et son cortège de misère humaine (mais qui n'arrivent même pas à dire que c'est le prolétariat qui est toujours la principale victime de la guerre impérialiste de la bourgeoisie), ne distinguent pas les anarchistes des curés et autres bonnes âmes "humanitaires" qui viennent grossir les rangs des mouvements "pacifistes". Ce pacifisme bêlant est toujours l'allié en dernier ressort de l'Etat démocratique bourgeois, en même temps qu'il n'est d'aucune aide pour comprendre la nature de la guerre dans le capitalisme décadent.
  • "contre tout type d'impérialisme et contre les diktats nord américains. Pour le droit du peuple afghan à s'auto-gouverner" : il serait extrêmement intéressant que les anarchistes nous fassent part de leur classification des "types" d'impérialisme. Cette différenciation permet essentiellement de s'en prendre à la politique impérialiste américaine, en laissant le plus souvent dans l'ombre celle des autres puissances. L'impérialisme est "un phénomène international par nature, un tout inséparable qu'on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun Etat ne saurait se soustraire" (Rosa Luxemburg, Brochure de Junius). Aussi, l'appel au "droit du peuple afghan à s'auto-gouverner" est purement et simplement l'affirmation du droit d'un Etat bourgeois à mener une politique tout aussi impérialiste que les autres. Le fait qu'il soit "auto-gouverné" par le "peuple" n'est qu'un énième artifice verbal de défense de la démocratie bourgeoise. Quand il ne s'agit plus d'Afghanistan, mais de Palestine par exemple, les anarchistes laissent alors libre cours à leurs vision inter-classiste d'Etat du "peuple". Ainsi Alternative Libertaire (AL) a-t-elle appelé à manifester le 19/12 sous les mots d'ordre suivants : "Israël hors des territoires occupés. Un Etat Palestinien maintenant". Mieux encore, en affirmant que "les autorités françaises doivent agir en faveur de la formation d'une force internationale de protection des Palestiniens", AL ne fait qu'appuyer le programme impérialiste de l'Etat français qui ne rêve pas d'autre chose que d'un retour musclé au Moyen-Orient depuis qu'il a été chassé du Liban !
  • "contre l'intégrisme religieux" : quand l'analyse de la situation réelle devient trop complexe, l'anarchisme a toujours la possibilité de remettre sur la table son plat de prédilection, la critique de la religion. Tout est alors plus simple, comme dans le tract de la FA affirmant que "pour nous, le fond sur lequel s'est appuyée cette guerre du ' Bien contre le Mal' est religieux". Même chose pour AL qui voudrait nous faire croire que le combat à mener serait contre les "obscurantistes", les "mouvements islamistes radicaux", pour finir dans cet aveu d'impuissance : "aujourd'hui nous sommes relativement désarmé(e)s quant à savoir comment il est possible de combattre de tels courants politiquement" (AL n°11/2001) ! Et si nous sommes si désarmés dans ce combat "civilisationnel" (Le Monde Libertaire n°1251), c'est essentiellement la faute du… marxisme : "l'option marxiste a discrédité l'idée même de révolution, repoussant l'idéal social dans les illusions du consumérisme ou du fondamentalisme", nous sommes victimes de "la désillusion procurée par l'imposture marxiste" (idem). Cette rage impuissante de la petite-bourgeoisie face au chaos de la barbarie capitaliste conduit finalement le courant "libertaire" à maudire la seule issue réelle à cette barbarie, trahissant ainsi sa nature anti-prolétarienne.
  • "pour un développement massif dans le monde des mobilisations contre la guerre annoncée" : à aucun moment cette déclaration commune ne s'est placée sur le terrain des intérêts du prolétariat, de la seule classe exploitée et révolutionnaire. Il était donc logique que dans sa conclusion, elle s'en tienne à cette sempiternelle déclamation pacifiste, qui ne donne aucune perspective en terme de lutte de classe, de combat contre sa propre bourgeoisie, et de nécessité de détruire l'ordre capitaliste pour en finir avec la guerre et l'oppression. Tout au plus s'agit-il de "travailler sans sectarisme avec toutes les bonnes volontés" (Le Monde Libertaire n°1251 p3). L'armée du salut ne dit pas autre chose ! Ces composantes anarchistes sont incapables de donner la nature réelle des enjeux posés par la volonté de réaffirmation de son leadership par les Etats-Unis, en Afghanistan comme partout ailleurs, dans un contexte de décomposition du capitalisme qui exacerbe les tensions impérialistes et le chacun pour soi. Elles sont tout aussi incapables, comme par le passé, de donner une direction politique à la classe ouvrière dans le sens du développement de sa conscience. Elles ne sont finalement que le déguisement radical du plus plat réformisme et de la plus lénifiante défense de la démocratie bourgeoise.

Derrière un discours radical, une démarche anti-prolétarienne

Le courant anarchiste, quand il s'essaie à une déclaration commune (contre la guerre en Afghanistan), ne peut guère produire que des déclarations pacifistes et contre-révolutionnaires. Pour autant, au sein de certaines tendances de l'anarcho-syndicalisme, se font jour des positions plus "radicales" et nettement influencées par des positions de classe.
C'est le cas en particulier de l'article "Socialisme ou Barbarie" paru dans l'édition nationale de Combat Syndicaliste, septembre-octobre 2001, (CS). Cet article se place du point de vue de la classe ouvrière, principale victime de l'attentat du 11 septembre comme de la croisade guerrière qui l'accompagne depuis, et fait une critique argumentée du capitalisme et de sa frénésie d'accumulation, rappelle les innombrables guerres qui ont ponctué le 20e siècle, dénonce l'Union Sacrée et l'hypocrisie de la bourgeoisie. Il pose clairement que les Etats-Unis sont des "terroristes comme les autres", et que "l'attentat sert déjà de justification à de futures atrocités" (CS, p.3). Il perçoit que "malgré l'unité de façade, chaque Etat dans ces guerres cherche à défendre ses propres intérêts" (CS, p.6). Ce numéro de CS campe donc sur une position internationaliste : "Nous sommes tous les victimes d'un même système, le capitalisme, qui exploite, licencie et cherche à nous enrôler dans des conflits qui ne sont pas les nôtres" (CS, éditorial) et plus loin : "Internationalistes, nous n'avons jamais versé dans 'l'anti-américanisme', et nous avons toujours été solidaires des américains qui luttent contre l'exploitation capitaliste, comme nous le sommes avec tous les travailleurs, tous les opprimés du monde, en lutte contre un même système économique, celui qui exploite et licencie de New York à Pékin, en passant par Moscou. Et dans cette ambiance d'union sacrée, nous restons ce que nous avons toujours été, non pas américains, français ou arabe mais des travailleurs, des membres de la classe mondiale des exploités et qui ont un même intérêt contre les capitalistes de toute nationalité" (CS, p.4).

Mais ce radicalisme "prolétarien" de façade ne fait plus illusion lorsqu'on découvre la position de ce même groupe dans l'édition Midi-Pyrénées de CS : "qui peut penser sérieusement qu'à l'intérieur même des Etats-Unis, un hispanique, un noir, un pauvre, sont traités à égalité avec un riche ? Où est la démocratie là-dedans, où est la justice ?" (CSMP, p.9). Ainsi, il n'est plus question ici de dénoncer le capitalisme et de poser le problème en termes d'antagonisme entre les classes, celle des exploités et celle des exploiteurs. dans son édition Midi Pyrénées, CS révèle en fait le vrai fond de commerce du courant anarchiste : l'interclassisme dont l'une des variantes est l'antiracisme. Les "opprimés", ce ne sont pas les prolétaires quelle que soit leur race, mais les "noirs" et les "hispaniques". Mais, pire encore, nos libertaires radicaux se fendent, dans cet article, d'une dénonciation pleurnicharde des inégalités sociales entre les "riches" et les "pauvres" tout en se lamentant sur l'absence de "démocratie" et de "justice" !
Au-delà de l'idéologie réformiste que véhicule la composante anarcho-syndicaliste du courant libertaire, ce qui caractérise essentiellement ce dernier c'est sa démarche non pas scientifique, mais idéaliste et morale. Une telle approche ne peut que le situer, à l'instar des trotskistes, dans le camp de la bourgeoisie.
C'est bien ce dont témoigne encore la façon pour le moins ambiguë dont cet article dénonce le terrorisme, en disant une chose et son contraire : "Il est nécessaire de préciser que le terrorisme n'a jamais été un moyen de lutte prolétarienne, cela n'a jamais été une arme au service des exploités et des opprimés. Si certaines situations historiques ont imposés ou imposent la lutte armée, elle s'est toujours, lorsqu'elle a été menée par des militants ouvriers, opposée au terrorisme. Les luttes de partisans contre le fascisme, les attentats contre le tsar ou contre Franco n'ont jamais visé le peuple ni même un peuple, mais les têtes couronnées, les bouchers, les oppresseurs" (CS, p.3). En effet il est nécessaire de préciser ! Car le terrorisme sorti en grande pompe par la porte, contre " un peuple", revient par la fenêtre au nom de la lutte contre " les bouchers, les oppresseurs". Il ne s'agit pas ici d'une question de morale. Les révolutionnaires n'ont jamais eu d'états d'âme quand des généraux, des "bouchers", etc., se sont fait exécuter. La question n'est pas de savoir si la victime du terrorisme est un "oppresseur", mais bien plutôt de savoir ce qui renforce ou pas la conscience et le combat de la classe ouvrière. C'est pour cela par exemple que la construction d'un courant marxiste et authentiquement révolutionnaire en Russie s'est effectué, y compris contre les terroristes qui pourtant n'hésitaient pas à s'en prendre au tsar ou à son ministre Stolypine. A contrario, face à l'immensité des difficultés de la révolution, on a vu les SR (Socialistes-Révolutionnaires) de gauche revenir à leurs premières amours et attenter à la vie de Lénine, caractérisé comme "l'oppresseur" du jour (à l'été 1918). Ainsi, pour les anarcho-syndicalistes, si "l'oppresseur" du jour est le fascisme, alors, adieu l'internationalisme .et vive la lutte des partisans ! N'en déplaise à la CNT-AIT, la lutte des partisans contre le fascisme était une lutte nationale, rouage essentiel de la boucherie impérialiste, et elle n'était pas " menée par des militants ouvriers" mais par les traîtres et les bourreaux du prolétariat, les staliniens !

C'est à juste raison que ce numéro de Combat Syndicaliste affirme : "Le capitalisme est en décomposition, une décomposition qui entraîne l'humanité dans la spirale sanglante de la barbarie. Pour mettre fin à cette barbarie, il est plus que jamais nécessaire de lutter pour une autre organisation de la société, d'abolir ce despotisme de l'atelier lié au chaos du marché qu'est l'économie capitaliste (...) Pour en finir avec les ignominies du capitalisme, la perspective de la révolution sociale est plus que jamais d'une brûlante actualité." (CS, p.6)

C'est pour cela que le prolétariat doit se détourner résolument de ces marchands d'illusion que sont les anarchistes. Le courant "libertaire" n'a jamais de mots assez durs pour dénigrer et discréditer le marxisme, qui est le seul courant capable de défendre un point de vue de classe. Contrairement aux anarchistes de tout poil, le marxisme, de par sa méthode scientifique et non idéaliste ou morale, a toujours mis en évidence que le prolétariat est la seule classe exploitée qui soit également une classe révolutionnaire. C'est pour cela que contrairement aux anarchistes, il a toujours défendu que le prolétariat doit mener son combat en vue du renversement du capitalisme en affirmant son autonomie de classe, en refusant de se dissoudre dans le "peuple" en général et dans les mouvements interclassistes (pacifistes, antiracistes, etc.).

BTD (17 janvier)

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