Le capitalisme en déclin: l’Extrême-Orient devient un champ de bataille

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En réexaminant le développement du Japon, de la Chine et de la Corée au 19ème siècle, nous pouvons voir que tous ces pays ont été ouverts au capitalisme par la force. Le capitalisme n’est pas venu de l’intérieur, mais il a été "importé" de l’extérieur. À la différence de beaucoup de pays européens, dans lesquels une classe révolutionnaire bourgeoise avait été capable de briser les chaînes du féodalisme, il n’y pas eu de telles révolutions bourgeoises réalisées par la bourgeoisie locale.

Bien que ces trois pays aient été ouverts par des capitalistes étrangers pendant la même période du 19ème siècle, ils ont suivi des chemins différents.

Le Japon est le seul pays à devenir rapidement une puissance capitaliste indépendante. Aussitôt après avoir été ouvert par le capitalisme étranger, le Japon commence à son tour à agir comme une force capitaliste en quête de nouveaux marchés et de zones de contrôle dans les régions voisines. En quelques décennies, le Japon devient la grande puissance régionale. À la différence de la Chine et de la Corée, le Japon entreprend d’accumuler rapidement du capital. Tout en n’étant pas handicapé dans son développement capitaliste comme ses voisins le sont par les pays étrangers, le rôle dominant du militarisme et de l’État est une caractéristique typique du développement de ce pays. Même si le Japon, très semblable à l’Allemagne en ce sens, est arrivé "tard" sur le marché mondial, à la différence de cette dernière qui a eu à se mesurer aux puissances impérialistes déjà "établies", il n’est pas pour autant un "démuni". C’est le premier pays dans la région à établir sa zone d’influence dans la "ruée vers les colonies" (en établissant son contrôle sur la Corée, des parties de la Mandchourie et le Taiwan). Le Japon a été impliqué et triomphant dans toutes les grandes guerres au moyen Orient – avec la Chine en 1894, avec la Russie en 1905 – et il a aussi été le grand gagnant régional de la Première Guerre mondiale bien que n’étant pas directement impliqué. Le Japon a donc pu grimper au "sommet" de l’échelle de l’impérialisme régional avant la Première Guerre mondiale, occupant cette position aux dépens des autres rivaux.

La Chine était gouvernée par une dynastie déclinante jusqu’à l’arrivée du capitalisme, qui là aussi a été "implanté" de l’extérieur. Alors que la classe dominante chinoise était incapable de déclencher un puissant développement capitaliste, les capitalistes étrangers – tout en ouvrant le pays au capitalisme – ont imposé de sérieuses limites au développement du capital national. Ainsi, au 19ème siècle déjà, le pays, qui présentait toutes les caractéristiques d’un développement "handicapé", a été mis en pièces par les puissances impérialistes étrangères. Comme nous le verrons plus tard, la Chine devait garder ces caractéristiques tout au long du 20ème siècle. Alors que le Japon était une force impérialiste dominante en expansion, la Chine était devenue la zone la plus disputée par les puissances impérialistes européennes et japonais.

La Corée, pour sa part, ouverte aussi par les capitalistes étrangers, est devenue la cible principale de l’impérialisme japonais. Étant un couloir d’invasion pour les appétits de tous ses voisins, elle fut condamnée à souffrir du fait de cette constellation géostratégique spécifique. Depuis que le capitalisme s’est implanté en Extrême-Orient, la Corée est devenue un champ de bataille permanent du combat entre rivaux régionaux et internationaux. Depuis 1905, la Corée a été disputée principalement par la Chine, le Japon et la Russie ; depuis le début de la décadence capitaliste, comme nous le verrons quand nous aborderons l’histoire du 20ème siècle, la Corée est restée une cible militaire et stratégique importante pour tous les pays impérialistes en Extrême-Orient.

Le quatrième rival dans la région, la Russie, dans son expansion vers l’ Extrême-Orient, tout en défendant ses propres intérêts impérialistes dans la région, a entraîné avec elle tout un troupeau de rivaux européens.

Pendant une période initiale de 2 ou 3 décennies, l’ouverture de l’ Extrême-Orient au capitalisme se déroule sous des conditions dans lesquelles les grandes puissances européennes et les États-Unis ne s’affrontent pas encore les uns aux autres, parce qu’il y a encore assez de "place pour l’expansion". La situation change, car la course aux colonies touche à sa fin et ce qui reste ne peut qu’être partagé avec un rival ou en gagnant quelque chose aux dépens d’autres. Les guerres entre la Chine et le Japon en 1894 et entre la Russie et le Japon en 1905 ont démontré qu’il était devenu impossible que tous les pays puissent avoir "une part du gâteau", mais que le partage était achevé et qu’une nouvelle distribution ne serait possible qu’au prix d’une guerre.

Trois ans avant l’éclatement de la Première Guerre mondiale, Rosa Luxembourg notait déjà : "au cours des dernières quinze années, il y a eu la guerre entre le Japon et la Chine en 1895, qui était le prélude à une période de politique mondiale en Extrême-Orient. En 1898, la guerre entre l’Espagne et les États-Unis, en 1899-1902, la guerre des Boers avec l’engagement de la Grande-Bretagne en Afrique du Sud, en 1900 l’expédition vers la Chine des grandes puissances européennes, en 1904, la guerre russo-japonaise, en 1904-1907 la guerre allemande contre les Hereros en Afrique, en 1908 l’intervention militaire russe en Perse, en ce moment (1911), l’intervention militaire française au Maroc, sans parler des escarmouches coloniales incessantes en Asie et en Afrique. Ces simples faits montrent que pendant les quinze dernières années, il n’y a eu presque aucune année sans guerre.1".

Les rivalités impérialistes ont pu être maintenues dans certaines limites jusqu’au début du 20ème siècle. Mais quand les antagonismes se sont aiguisés à l’échelle planétaire, les rivalités mondiales se sont aussi manifestées en Extrême-Orient. La guerre de 1905 entre la Russie et le Japon annonce la Première Guerre mondiale et toutes les guerres qui suivront au 20ème siècle.

Au tournant du 20ème siècle, l’ Extrême-Orient fait l’expérience du remaniement de la hiérarchie impérialiste. Après 1905, le Japon se hisse au sommet de l’ordre hiérarchique impérialiste dans la région mais il est déjà contesté par les deux géants impérialistes : les États-Unis et la Grande Bretagne. Les États-Unis commencent juste après à "contenir" le Japon – au début grâce à la politique de "des arrangements" (tel que celui sur les Philippines pour reconnaître les intérêts japonais en Corée) – plus tard, comme dans la Première Guerre mondiale, en rentrant en guerre l’un contre l’autre.

Le développement du capitalisme au 19ème siècle en Extrême-Orient illustre donc combien le changement qualitatif qui se produit au tournant du 19-20ème siècle représente une nouvelle époque dans le développement global du capitalisme.

Il n’y a plus de révolution bourgeoise à l’ordre du jour, la bourgeoisie au moyen orient est devenue aussi réactionnaire qu’ailleurs. Le système capitaliste va montrer toutes ses contradictions en Extrême-Orient, précipitant cette partie du globe très peuplée dans une série de guerres et de destruction.


1‘L’Utopie de la Paix’, Gesammelte Werke Volume 2, p.496, Leipziger Volkszeitung (traduit par nous).

 

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