Lutte dans les chantiers navals de Sestao (Pays Basque espagnol) : L’accusation de racisme, une calomnie contre les ouvriers

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Le journal El País1 du 25 avril présente la lutte de travailleurs des chantiers navals de Sestao2 avec le titre suivant en première page “Les licenciements font naître à Sestao la première manifestation à caractère raciste”. Simultanément, à la SER (radio qui appartient au même groupe médiatique qu’El País), dans les infos du matin, les journalistes spéculaient sur le danger fasciste qui pourrait naître de la crise.

Est-ce que les travailleurs ont réagi d’une façon raciste comme les accusent El País et la SER ?

La Navale” de Sestao embauche directement 400 ouvriers et un millier par le biais d’entreprises sous-traitantes. Ces derniers temps, une vingtaine de travailleurs y sont licenciés chaque semaine. L’inquiétude a commencé à se rependre. Mais cette inquiétude est devenue indignation quand les licenciés ont été remplacés par des camarades polonais, roumains ou portugais qui étaient payés avec des salaires beaucoup plus bas que ceux établis lors de la convention collective.

Ce fut l’origine de la protestation qui éclata jeudi 23 avril avec une manifestation qui a parcouru Sestao et Baracaldo et à laquelle ont participé des travailleurs du personnel fixe qui n’étaient en rien touchés par les licenciements. Vendredi 24, les ouvriers ont coupé les accès au chantier lors d’une manifestation massive.

Que revendiquaient-ils ? Demandaient-ils l’expulsion des travailleurs étrangers et l’exclusivité des embauches aux espagnols, comme le prétendent des groupes xénophobes de l’engeance d’España 2000 ?3

Non, absolument pas ! « Les travailleurs en sous-traitance embauchés par ‘La Navale’ au Pays Basque touchent en moyenne 14 € de l’heure, alors que les Portugais ou les Roumains en perçoivent entre 3,5 et 6 euros. La main-d’œuvre « moins chère » et la « concurrence déloyale » ont fait bondir les personnes affectées, qui ont décidé de se mobiliser pour exiger qu’on applique aux étrangers les mêmes conditions qu’aux employés locaux».4

La revendication des ouvriers de Sestao est donc solidaire avec leurs camarades du Portugal, de la Roumanie ou de Pologne ; ils demandent que ceux-ci aient les mêmes conditions, ils s’opposent au fait que les entreprises tirent profit de la diminution du prix de la main d’œuvre, qu’elles imposent une nouvelle détérioration des conditions de travail, ce qui est finalement préjudiciable pour tous. Les ouvriers de Sestao luttent pour l’intérêt commun, pour le leur et pour celui de leurs frères roumains, polonais ou portugais. Où est le racisme avec lequel El País et la SER les ont stigmatisés ?

Miguel Fonda Stefanescu, président de la Fédération des Associations Roumaines d’Espagne, déclare à l’agence d’information, Servimedia (26 avril) : « Le problème ici réside dans le fait que nous avons une classe patronale qui est disposée à utiliser la main d’œuvre immigrée pour détruire des heures et des heures de concertation sociale. Les ouvriers ont bien raison de protester. Cela n’a rien à voir avec la xénophobie».

Lundi 27, tous les accès à l’usine étaient coupés par les travailleurs réunis en assemblée. Pour éviter que la protestation continue, « La direction de ‘La Navale’, des représentants syndicaux et des gestionnaires de plusieurs entreprises sous-traitantes qui travaillent pour ce chantier naval biscaïen sont arrivés ce matin à un accord de principe sur les conditions d’embauche des travailleurs étrangers. Dans cet accord, d’après des sources syndicales, est inscrit l’engagement selon lequeli les travailleurs étrangers seront embauchés non pas sous les conditions du pays ‘d’origine’, mais sous les conditions du pays ‘d’arrivée’, autrement dit, selon la convention du secteur de la métallurgie de Biscaye, c'est-à-dire qu’ils auront les mêmes conditions que les autres employés» (Agence EFE 27 avril)

Les raisons de la calomnie et comment la combattre

Les ouvriers de Sestao ont été bassement calomniés par El País et la SER qui se présentent comme très différents des radios et journaux de droite, considérés comme les champions de la démagogie et de la déformation5.

Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que les médias bourgeois mènent une telle campagne médiatique nauséabonde de dénigrement. En janvier, des ouvriers de l’énergie en Grande-Bretagne ont été eux aussi présentés comme des racistes parce qu’ils auraient adopté ironiquement au début de leur lutte, le slogan électoral de Brown, premier ministre travailliste, « des emplois britanniques pour des travailleurs britanniques » 6. Il y a eu un grand trouble et un grand battage autour de cette déformation alors que ouvriers étaient soumis au même chantage qu’à Sestao de l’embauche d’ouvriers étrangers dans de plus mauvaises conditions. Cependant, la presse britannique, qui avait fait tout un barouf à ce sujet, avec la participation active de la presse espagnole, El País et la SER7 en première ligne, a gardé un silence assourdissant quand les travailleurs ont reconnu leur erreur et ont lutté avec ces camarades polonais dans un mouvement solidaire où les pancartes des manifestations du 5 février proclamaient « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous »8.

Un autre exemple édifiant de la calomnie et de la déformation s’est produit avec les mobilisations ouvrières et estudiantines en Grèce à la fin de 2008. Cette lutte fut systématiquement présentée comme étant l’action minoritaire de quelque « 400 vandales » dont l’activité principale serait de casser des vitrines, quand, en fait, il y a eu des manifestations massives de parents, d’étudiants, de retraités, etc., avec des assemblées générales ouvertes à toute la population, avec des appels à la solidarité internationale…9

Pourquoi les moyens de « communication » se livrent à de telles calomnies ? El País, la SER, la COPE et consorts, au delà des différences de style et des intérêts qui les séparent, coïncident tous dans la défense inconditionnelle du soi-disant « ordre » social actuel, le capitalisme, un système basé sur l’exploitation de la grande majorité au bénéfice d’une minorité. Pour maintenir ce système, l’Etat et les sbires à sa solde dans les médias n’hésitent pas à employer les moyens les plus ignobles.

Le rabâchage de l’accusation de racisme contre les travailleurs, l’insinuation selon laquelle leurs protestations pourraient être le bouillon de culture du fascisme, est un moyen de décrédibiliser leur lutte, de créer un coupe-feu fait de suspicion et de les isoler socialement de leur environnement. C’est aussi une manière de semer dans les rangs ouvriers un sentiment de méfiance envers leurs propres forces, de leur inoculer le virus destructeur de la culpabilisation.

La lutte ouvrière n’est pas que le simple reflet des conditions objectives. Les ouvriers ne sont pas comme les chiens de Pavlov qui réagiraient à l’aiguillon de la crise dardant leurs chairs. Nous sommes des êtres humains, avec nos sentiments, nos doutes, nos peurs, nos rêves et nos désirs… Le développement de la lutte naît d’une fusion complexe entre les facteurs objectifs (la crise) et les facteurs subjectifs (la solidarité, la volonté de conquérir un futur différent, la combativité).

Des calomnies comme celle utilisée contre les ouvriers de Sestao – ou celles concernant des ouvriers de Grande-Bretagne ou de Grèce - cherchent à empêcher la maturation des conditions subjectives. Nous vivons dans une société où l’humanité en général souffre d’un manque de confiance en elle-même. Aujourd’hui, beaucoup de personnes pensent que le problème n’est pas le capitalisme, mais qu’il se trouve dans les hommes eux-mêmes, l’homme serait « un loup pour l’homme » comme le pensait Hobbes au 17e siècle. Les travailleurs subissent cette ambiance et cela a des répercussions dans le développement de leurs luttes qui, pour s’étendre et se radicaliser, ont besoin des sentiments libérateurs de la solidarité, de l’unité, de la conscience et la confiance dans le futur.

Pour combattre ces mensonges, la presse prolétarienne est encore très minoritaire et d’une diffusion très restreinte. Il est bien évident que l’effort doit être fait pour l’étendre, pour que sa volonté d’offrir une vision véritable et critique atteigne les plus grand nombre possible de camarades. Mais c’est en premier leiu aux travailleurs eux-mêmes, dans leurs luttes, de se préoccuper de créer les canaux de discussion et d’information autonomes et indépendants. La première préoccupation doit être de faire connaître ces luttes à d’autres ouvriers du même pays et d’ailleurs, en les étendant pour que, d’une façon ou d’une autre, ils la rejoignent.

Est-ce que pour cela, nous pouvons compter sur la presse bourgeoise ? Est-ce qu’il s’agit de monter des processions spectacles pour que la protestation sociale soit vue dans les journaux et les JT ? Nous ne le pensons pas, ce serait comme laisser le renard surveiller un poulailler. Au-delà de la bonne volonté ou non des journalistes envoyés sur le terrain (qu’il faut par ailleurs essayer de convaincre), les moyens dits de « communication » ne sont pas là pour livrer une information impartiale, mais pour contribuer aux campagnes de la classe dominante et aux nécessités du pouvoir en place.

L’alternative, c’est, au cours d’une lutte, de communiquer directement avec les autres travailleurs à travers des assemblées générales ouvertes à tous les ouvriers, comme aux chômeurs, aux précaires, aux jeunes générations étudiantes, à travers l’envoi de délégations massives vers les autres entreprises, de proche en proche, en créant des moyens d’information et de débat indépendants, en développant des réseaux de contacts, par Internet et par des rencontres directes, en faisant circuler les nouvelles, les analyses et les discussions…

Nous pouvons pour cela nous inspirer des expériences historiques du prolétariat. En 1905, lors de la première révolution russe, les ouvriers organisèrent des assemblées générales qui unissaient tous les lieux de travail de la ville ; c’étaient les Soviets. Une décision du Soviet de Saint Petersburg – à ce moment là, capitale politique de la Russie - fut de créer son propre organe de presse, les Izvestia (Les Nouvelles). En Grèce, en décembre 2008, les ouvriers et les étudiants, dégoûtés par les manipulations du pouvoir, occupèrent des stations de radio d’où ils émettaient des communiqués en expliquant les véritables raisons de leur lutte. Et dans le même sens, soucieux de dépasser l’isolement international, ils firent un appel aux jeunes de toute l’Europe. La créativité et l’initiative ouvrière doivent nous donner des moyens pour résoudre ce problème de la calomnie et pour mettre en avant la vérité de notre lutte.

 

Acción Proletaria (29 avril), organe du Courant Communiste International en Espagne
 

 

1 El País, journal de « centre-gauche », est sans doute le journal le plus influent d’Espagne. Et la chaîne de radio SER la plus écoutée.

2 Sestao est une ville de la banlieue industrielle de Bilbao (dans la province de Biscaye), au nord de l’Espagne. Cette banlieue a été historiquement marquée comme un centre de l’industrie sidérurgique et des chantiers navals qui ont été largement démantelés pendant les années 1980, ce qui a fait de Sestao la ville où le taux de chômage est un des plus élevés en Espagne, ce qui n’est pas peu dire. « La Navale » est un des seuls chantiers navals qui restent dans la région de Bilbao.

3 Il s’agit d’un groupuscule d’extrême-droite, similaire au FN en France.

5 En particulier, la COPE, radio appartenant à l’Église catholique et son speaker-vedette qui manie insulte à tout va.

6 Le cynisme et la déformation de la presse ont ici été significatifs. Elle a mis la faute sur ceux qui sont victimes de ce slogan, c'est-à-dire les ouvriers, alors qu’aucune voix s’est élevée contre son instigateur, le si « démocrate » Mister Brown.

7 Carlos Fancino, chef des programmes matinaux de la SER, répétait jour après jour sa condamnation des « comportements xénophobes » des ouvriers britanniques.

8 Voir “Grèves en Grande Bretagne : les ouvriers commencent à remettre en cause le nationalisme » https://fr.internationalism.org/node/3690

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