"Moderne" ou "rénovée", la social-démocratie reste tâchée du sang de la classe ouvrière

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En 2005, la commémoration des cent ans de la SFIO a pu servir à rappeler l'attachement des socialistes français à la social-démocratie. Avec le grand cirque des primaires au PS en 2006, le terme "social-démocratie" a été là encore remis au goût du jour au gré des candidats à la candidature, lui collant tour à tour les épithètes de "moderne" ou de "social". Quoi qu'il en soit, le PS ne rate pas une occasion de rappeler "son" vieil héritage. Pour la bourgeoisie, l'opportunité est trop belle pour ne pas revendiquer "l’appartenance" de sa "gauche gouvernementale" à un mouvement né dans le 19e siècle au sein même de la classe ouvrière. Cette prétendue continuité historique qui irait de Bebel à Royal en passant par Jaurès, Blum et Mitterrand aurait de quoi séduire… encore aurait-il fallu que nous soyons frappés d'un Alzheimer foudroyant.

En effet, s'il y a un rapport évident et historique entre la social-démocratie et le mouvement ouvrier, ce rapport a volé en éclats il y a près d'un siècle, dans une rupture définitive en forme d’aller sans retour, au cours de la Première Guerre mondiale. Et depuis, le curriculum vitae de la social-démocratie n’a cessé de se remplir de nouveaux faits d'armes, aussi bien dans les périodes de responsabilité gouvernementale que lorsqu’elle était dans l'opposition, faisant ainsi la preuve de son attachement viscéral au camp anti-ouvrier.

 

1914 : la trahison comme premier pas sur le chemin bourgeois

La social-démocratie voit le jour en Allemagne avec la fondation en 1875 du SPD (Sozialistische Partei Deutschlands), issu de la fusion entre les partisans de Karl Marx et de Ferdinand Lassalle. Très rapidement, ce premier parti de masse de l'histoire va constituer le phare théorique et politique du mouvement ouvrier, même après la fondation de l'Internationale Socialiste, deuxième Internationale, en 1889. Cependant, la gangrène opportuniste fera très tôt son funeste travail et les dissensions entre révolutionnaires et réformistes trouveront une première réponse au congrès d'Erfurt en 1899, où le courant réformiste emmené par Bernstein sera battu par la majorité représentée par Bebel. Beaucoup de sociaux-démocrates de nos jours considèrent le congrès d'Erfurt comme le moment fondateur de la social-démocratie moderne. L'Histoire, quant à elle, ne tardera pas à trancher le différend de manière radicale, en plaçant le SPD devant le choix entre d'une part l'internationalisme prolétarien qu'il défendait encore un an avant le conflit, et le soutien à l’effort national en vue de la préparation à la guerre. Si le combat fut rude, il aboutira à la trahison de l'internationalisme par le vote de la majorité du SPD en faveur des crédits de guerre au parlement le 4 août 1914. En France, la SFIO se rallie aussi au même moment à la politique de défense nationale, alors qu'à la mi-juillet de la même année, elle votait une motion quasi-unanime en faveur d'une réponse de classe à la guerre qui se préparait.

Laissant peu de répit à ses nouvelles recrues, la bourgeoisie ne tarde pas à placer des sociaux-démocrates dans les gouvernements, histoire de parfaire la trahison et de renforcer le profond désarroi que provoquent ces brutales volte-faces des principaux partis européens. Plusieurs dirigeants social-démocrates accèdent à des maroquins ministériels, et pas n'importe lesquels : en Allemagne, Gustav Noske, futur boucher de la révolution allemande en 1919, est nommé... ministre de la guerre ; en France, Jules Guesde est nommé ministre d'Etat dès le 27 août, Marcel Sembat devient ministre des travaux publics et Albert Thomas, après avoir organisé la production de guerre pour le gouvernement, devient en 1916... ministre de l'armement !

Ainsi, la social-démocratie n'aura pas mis longtemps à mettre sur le terrain les principes ayant présidé à sa trahison en livrant le prolétariat à la première boucherie impérialiste.

Parallèlement à la guerre qui tire à sa fin, la bourgeoisie internationale doit gérer la première vague révolutionnaire mondiale dont un poste avancé campe en Allemagne. Et là, face au soulèvement ouvrier, c'est un social-démocrate, Friedrich Ebert, qui est promu à la présidence de la République, afin d’organiser la répression sanglante de la révolution allemande et d'ordonner l'assassinat des révolutionnaires Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, tâche abjecte dont se chargeront les corps francs, avec une barbarie qui démontre toute leur haine pour le prolétariat révolutionnaire.

Sitôt la classe ouvrière vaincue, la bourgeoisie ne tardera pas à se confronter, dans les années 1930, à une crise économique telle que la perspective d'un second conflit impérialiste généralisé devient inévitable. En Allemagne, le délitement économique et social phénoménal et la situation d'écrasement physique et idéologique du prolétariat permet la mise en place d'une solution dictatoriale. Mais en France par exemple, c'est de nouveau la social-démocratie qui est mise à contribution pour préparer le terrain d’une prochaine guerre mondiale.

 

1936 : encore et toujours le nationalisme et la guerre

En mai 1936, le Front Populaire fondé moins d'un an plus tôt emporte les législatives et conduit Léon Blum à la Présidence du Conseil. Composé majoritairement des radicaux de gauche et de la SFIO, avec le plein soutien significatif des staliniens du PCF, il va construire sa politique autour de l'anti-fascisme et, partant de là, de la préparation à la guerre. C'est par un enfermement progressif de la classe ouvrière dans l'idéologie démocratique et nationaliste que le Front Populaire va s'illustrer en premier lieu, en agitant devant les ouvriers en grève le "danger fasciste" qui n'attend qu'un "affaiblissement de la nation française" pour "déferler sur le pays".

La classe dominante cherche à enrôler le prolétariat dans la guerre, et d'ores et déjà, à le soumettre aux conditions intensives de travail nécessitées par la préparation de cette guerre. Et finalement, ces mesures ne s'éloigneront que par leur vernis idéologique des mesures économiques mises en oeuvre dans les années 1930 par l'URSS stalinienne ou l'Allemagne nazie. Cette similitude n'est pas un hasard ni un accident : c'est la manifestation flagrante que toute la bourgeoisie, confrontée à une crise généralisée de son système, s'engage dans la seule voie possible pour elle, la guerre.

On pourrait toujours rétorquer que les augmentations de salaires, les congés payés et autres "avantages" acquis sous la pression des grèves de 1936 ont contribué dans la durée à améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière. A cela, nous ne pourrons pas mieux dire que Léon Blum lui-même pour apporter un démenti définitif. Lors du procès de Riom, fantaisie vichyste destinée à faire porter la responsabilité du gouvernement social-démocrate dans la défaite de 1940, "l'homme de 36" défend sa politique avec ferveur en rappelant comment les mesures sociales ont servi à masquer, accompagner et rendre possible l'intensification du travail nécessitée par le développement de l'économie de guerre : "Ne croyez-vous pas que cette condition morale et physique de l’ouvrier, toute notre législation sociale était de nature à l’améliorer : la journée plus courte, les loisirs, les congés payés, le sentiment d’une dignité, d’une égalité conquise, tout cela était, devait être, un des éléments qui peuvent porter au maximum le rendement horaire tiré de la machine par l'ouvrier".

Les deux premières expériences de la social-démocratie au pouvoir offrent un bilan sans appel : écrasement du prolétariat révolutionnaire dans le sang, et enrôlement dans la préparation de la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, d’autres terrains vont s’offrir à la social-démocratie "moderne" qui pourra, au pouvoir comme dans l'opposition, continuer son sale boulot contre la classe ouvrière.

 

La Social-Démocratie moderne digne de ses prédécesseurs

Il serait trop long de revenir sur tous les faits remarquables de la social-démocratie au service du capital. Mais il faut tout de même évoquer les années 1970, où la gauche française va commencer à jouer un rôle important, cette fois dans l'opposition.

Tout commence en 1971 avec le mythique congrès d'Epinay-sur-seine, qui marque la mue de la vieille social-démocratie dans ses nouveaux habits. François Mitterrand y fait forte impression à la tribune en ce dimanche 13 juin, au point qu'il termine le congrès à la tête de ce PS "d'union de la gauche" avec un mandat, conclure un accord de gouvernement avec le PCF. Le ton est donné par Mitterrand dans son discours : il y parle de "révolution", de "rupture anti-capitaliste" et de "front de classe".

Pendant toutes les années 1970, cette social-démocratie moderne incarnée par le PS de Mitterrand va fourbir ses armes dans l'opposition. Mais loin d'être passive, cette opposition va permettre au PS d'apporter une contribution fondamentale à la bourgeoisie, en encadrant la colère ouvrière provoquée par les attaques de la droite, en se présentant comme une alternative crédible pour accéder au pouvoir, ce qui permet d'entretenir au passage l'illusion démocratique et parlementaire dans les rangs ouvriers.

En 1981, Mitterrand est élu président, le moment est logiquement venu de mettre en oeuvre concrètement cette "rupture anti-capitaliste" tant scandée au congrès d’Epinay, de faire cette "révolution".

L’illusion ne durera pas longtemps. Après une petite année "de grâce", les masques ne tiennent déjà plus. Le programme d'austérité établi dès 1982 par Pierre Mauroy est brutal : fin de l'indexation des salaires sur les prix alors même que depuis 1981 l'inflation ne pouvait être contenue, restructurations dans les grandes entreprises entraînant la suppression de centaines de milliers d'emplois dans tous les grands secteurs d'activité, développement du travail précaire avec l'invention des premiers contrats précaires publics (les TUC en 1984). Au final, le chômage se développera sans cesse pendant ces années, alors même que son indemnisation sera toujours plus réduite.

Le deuxième septennat de Mitterrand est du même tonneau : renforcement du flicage de la société, développement de la chasse aux immigrés clandestins, premières réflexions sur la réforme des retraites dont la philosophie générale sera reprise dans la réforme de 2003.

Sur le front de l'emploi, pour réduire encore et toujours l'indemnisation du chômage, la gauche a créé le RMI. Présenté comme une mesure sociale, il est au contraire tout à la fois une façon plus économique d'assurer la survie de ceux que le système ne peut plus intégrer, et un formidable aveu d'impuissance de la bourgeoisie face à l'avancée de sa crise.

A l'étranger, les sociaux-démocrates se sont toujours illustrés, au gouvernement, par la défense de l'intérêt national, en particulier en Afrique. Pour défendre son pré-carré, la gauche n'a jamais reculé devant aucun massacre, aucun amoncellement de cadavres : du Tchad au Zaïre, les raids militaires s'enchaînent et le génocide du Rwanda, ce déchaînement de barbarie planifié par Mitterrand 1, se met en place. Sans oublier que la France a tenu son rang dans la première guerre du Golfe contre l'Irak.

Enfin, le tableau de l’œuvre social-démocrate ne serait pas complet si nous n’évoquions l'une des plus grandes attaques portées contre la classe ouvrière depuis la fin de la deuxième guerre mondiale : les 35 heures. Cette loi portée par Martine Aubry, ministre de l'emploi de Jospin, a touché et continue de toucher l'ensemble de la classe ouvrière en introduisant un maximum de flexibilité dans l'exploitation, tout en contribuant à bloquer les salaires.

La voilà donc cette social-démocratie qu'on nous dit "pleine d'avenir" ! La voilà donc cette "nouvelle façon de faire de la politique". A la rigueur, nous pourrions concéder au PS d'aujourd'hui un certain talent pour faire du neuf avec du vieux. Mais cette entourloupe de brocanteur véreux ne trompera personne, le vernis ne tient pas ! La social-démocratie, depuis sa trahison de l'internationalisme en 1914, n'a plus aucun lien avec le mouvement ouvrier. Au contraire, elle a eu d'innombrables occasions de faire la joie de sa mère adoptive, la bourgeoisie. Au pouvoir comme dans l'opposition, elle n'aura fait que servir les intérêts de sa classe et de l'Etat, sans hésiter, quand il le faudra, à y mettre elle-même les mains, quitte à les enduire du sang de la classe ouvrière. Hier encore, elle était au pouvoir et montrait la même détermination à attaquer le prolétariat dans ses conditions de travail et ses conditions de vie. Aujourd'hui, elle s'apprête à reprendre du service avec exactement les mêmes objectifs 2.

Mais demain, elle devra s'attendre à trouver sur sa route une classe ouvrière déterminée à lui arracher son masque et à l'envoyer avec le reste de la bourgeoisie dans les oubliettes de l'histoire.

GD (15 décembre)

 

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