Battage autour des 35 heures : la droite continue le sale boulot de la gauche

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Empêtré dans ses déficits publics, le ministre français délégué au budget, Alain Lambert, a relancé récemment la polémique au sujet des 35 heures. Selon lui, certains de ses collègues de la majorité et même quelques socialistes hésitants, la réduction du temps de travail mise en œuvre par le gouvernement Jospin en 1998 et 1999 a déstabilisé l'économie, désorganisé les entreprises, poussé les ouvriers à l'oisiveté pour finalement creuser les déficits publics.
Immédiatement, la gauche a fait entendre sa voix en défendant l'efficacité de sa politique sur l'emploi et la satisfaction d'une majorité d'ouvriers, et en dénonçant une droite libérale prête à détruire ce prétendu grand acquis social.
De leur côté, certains membres du gouvernement de droite, Chirac en tête, ont eux-aussi rapidement réagi pour clairement affirmer que les lois Aubry ne seraient pas remises en cause.
Cette dernière réaction n'est pas plus étonnante que la première : en effet, bien loin de pousser les ouvriers à l'oisiveté et les entreprises à la faillite, les lois Aubry ont au contraire pleinement répondu aux nécessités d'adaptation des entreprises à la crise économique.
Le nom du concept est en lui-même parlant : les lois Aubry ne parlent pas de réduction du temps de travail en tant que telle, mais également, et même en premier lieu, d'aménagement du temps de travail. Et pour cause : le fameux "challenge" des 35 heures tenait dans la possibilité offerte aux entreprises de profiter de ces lois pour réorganiser leurs cycles de production et accroître la flexibilité du travail tout en en réduisant le coût.
Une des façons d'y parvenir est l'annualisation du temps de travail. Cette technique permet en effet d'adapter le temps de travail des ouvriers à la fluctuation de la production : ainsi, les ouvriers peuvent cumuler jusqu'à 48 heures par semaine en période pleine, et ne travailler que de 20 à 28 heures par semaine en période creuse. De cette façon, il n'est plus nécessaire de recourir aux heures supplémentaires pendant le "coup de feu", ni d'utiliser du personnel en deçà de sa productivité maximale lors des périodes plus creuses. Le travail s'adapte alors pleinement au rythme des commandes : c'est ce qu'on appelle la "flexibilité".
Par conséquent, lorsque les lois Aubry contingentaient les heures supplémentaires, ce n'était pas pour contenir les excès du patronat, mais bien pour rester en cohérence avec l'objectif général du dispositif et inciter les entreprises à l'adopter rapidement, en transformant les heures supplémentaires en temps de travail normal, compensé par un repos forcé quand le carnet de commande se vide.
Par ailleurs, les lois Aubry ont aménagé le SMIC, c'est-à-dire le salaire minimum : d'un minimum horaire universel, on est arrivé à cinq modulations selon la date du passage aux 35 heures et les modalités de leur mise en œuvre. A cette mesure s'est ajouté le blocage des salaires sur plusieurs années, censé compenser l'effort fait pour réduire le temps de travail. Le travail s'adapte et, d'un point de vue global, il coûte moins cher.
Dès lors, on comprend que la droite ne soit pas encline à revenir sur ce "progrès", un progrès pour la bourgeoisie qui dispose grâce à ces lois d'une force de travail souple et disponible à la demande sans surcoût. Le résultat à ce jour est d'ailleurs plutôt satisfaisant : pour un coût "modique" d'environ 5 milliards d'euros, la gauche a réussi à inverser une tendance de l'économie en relançant la productivité à la hausse dès 1999 et à maintenir cette hausse jusqu'à aujourd'hui (source : INSEE, comptes nationaux).
Certes, il y a les fameuses "journées ARTT" offertes en contrepartie à certains ouvriers touchés par le dispositif. Mais ces journées ne sont d'ailleurs "données" en contrepartie que dans les secteurs où l'annualisation n'a pas été mise en place. La plupart du temps, il s'agit de secteurs où le niveau de production fluctue assez peu (comme dans l'administration), et où les gains de productivité peuvent plus facilement être atteints par une intensification du rythme sur un temps de travail plus court, compensé par un blocage des salaires. C'est également dans ces secteurs que l'hypothèse est développée de "capitaliser" ces journées ARTT sur des "compte épargne temps", ce qui repousse la réduction effective du temps de travail sine die, quand cette "épargne" pourra être liquidée, c'est-à-dire en général au moment de la retraite.
Finalement, comment donner tort à Martine Aubry, lorsqu'elle affirme que "les 35 heures n'ont donc pas déstabilisé notre économie, ni désorganisé nos entreprises" ? (Le Monde du 9 octobre 2003). En créant les 35 heures, la gauche a mis en œuvre une des plus importantes attaques sur les conditions de travail des ouvriers depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et cette attaque a payé, puisqu'elle a permis aux entreprises d'augmenter de façon significative leur taux d'exploitation.
En dehors de critiques quasiment isolées, la droite n'a aucunement l'intention, comme elle l'a très clairement dit, de remettre en cause ces dispositions. Au contraire, sur cette base, elle entend bien prolonger l'attaque : après la "journée de solidarité" qui va forcer les ouvriers à travailler un jour de plus pour financer l'aide aux personnes âgées dépendantes, la bourgeoisie se prépare à intensifier les mesures liées aux 35 heures et destinées à accroître l'exploitation : après avoir instauré la flexibilité et le blocage des salaires, la classe dominante va maintenant revenir sur les "jours ARTT" et les limitations du recours aux heures supplémentaires non payées : le beurre avec l'argent du beurre.
Pourquoi aller encore plus loin, alors que les 35 heures ont montré leur efficacité en l'état ? Parce que pendant ce temps, la crise du capitalisme ne cesse de s'aggraver. Dès lors, toutes les solutions, aussi efficaces qu'elles puissent paraître, n'ont qu'une efficacité limitée, tant en ampleur que dans le temps. Il faut donc chaque fois que la bourgeoisie trouve le moyen de frapper un peu plus fort sur la classe ouvrière pour tenir sous la pression croissante de la crise.
Face à cette attaque, il ne faut pas tomber dans le piège de la défense des 35 heures. Il s'agit bien de la même attaque, venant du même ennemi : la bourgeoisie qui, de gauche comme de droite, fait payer au prolétariat le désastre que son système en crise répand sur la planète.

G. (21 octobre)

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