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Révolution internationale n° 476 - mai juin 2019

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Face à la destruction de l’environnement: l’idéologie “verte” au service du capitalisme!

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Multiplication des catastrophes climatiques, zones contaminées, destruction des forêts, coulées de boue rouge, pollution de l’atmosphère, disparition massive des espèces… Chaque jour, les catastrophes environnementales font les gros titres de l’actualité. Chacun de ces articles se conclut invariablement par un appel à la “détermination” des gouvernements pour sauver la planète ou à la responsabilité individuelle des “citoyens du monde” qui devraient correctement utiliser leur bulletin de vote. En bref : sauvez la planète avec l’État bourgeois ! Les récentes Marches pour le climat et les nombreuses mobilisations des jeunes n’ont pas dérogé à cette règle : si l’indignation des jeunes est palpable, l’absence totale de solution réelle aux problèmes environnementaux l’est également.

Le capitalisme détruit la planète

Il y a 170 ans, Friedrich Engels constatait déjà que l’industrie anglaise rendait l’environnement insalubre pour les ouvriers : “La mortalité élevée qui sévit parmi les enfants des ouvriers, et particulièrement des ouvriers d’usine, est une preuve suffisante de l’insalubrité à laquelle ils sont exposés durant leurs premières années. Ces causes agissent également sur les enfants qui survivent mais évidemment leurs effets sont alors un peu plus atténués que sur ceux qui en sont les victimes. Dans le cas le plus bénin, ils entraînent une prédisposition à la maladie ou un retard dans le développement et, par conséquent, une vigueur physique inférieure à la normale”. (1)

En même temps qu’elle permettait un développement des forces productives, l’industrie a généralisé, partout où elle est apparue, une pollution toujours plus toxique et dangereuse pour la santé : “Dans ces bassins industriels, les fumées charbonneuses deviennent une source majeure de pollution. (…) De nombreux voyageurs, enquêteurs sociaux et romanciers décrivent l’ampleur des pollutions occasionnées par les cheminées des usines. Parmi eux, dans son célèbre roman “Hard Times”, Charles Dickens évoque en 1854 le ciel de suie de Coketown, ville fictive miroir de Manchester, où l’on ne voit que “les monstrueux serpents de fumée” qui se traînent au-dessus de la ville”. (2)

Le principal responsable d’une pollution qui ne date pas d’hier est un système social qui produit pour accumuler du capital sans se préoccuper des conséquences sur l’environnement et les hommes : le capitalisme.

L’épisode du smog de Londres en 1952 (3) a montré jusqu’où pouvait aller la pollution atmosphérique causée par l’industrie et le chauffage domestique, mais aujourd’hui, ce sont toutes les grandes métropoles du monde qui sont menacées par ces phénomènes de plus en plus permanents, au premier rang desquelles se trouvent New Delhi et Pékin. (4) L’un des secteurs les plus pollueurs est le transport maritime, dont l’activité et les coûts dérisoires sont deux conditions vitales du fonctionnement de toute l’économie mondiale. La destruction de l’environnement, des forêts aux fonds marins, tout comme les catastrophes industrielles répondent à cette même logique de rentabilité et de surexploitation à bas coût.

Ce n’est pas un secteur particulier de l’activité humaine, mais la société capitaliste comme un tout qui pollue sans se soucier des conséquences pour le futur.

Une réalité très inquiétante

Aux ravages causés, depuis deux siècles, par l’exploitation irresponsable des ressources naturelles engendrant la souillure des milieux naturels et la disparition croissante d’espèces et d’écosystèmes, les diktats de l’économie capitaliste et la loi du marché rendent la planète exsangue et l’air, saturé de particules nocives, irrespirable.

La pollution atmosphérique, par ses effets cumulatifs, de l’aveu des scientifiques, est aujourd’hui apocalyptique. N’en déplaise aux milieux “climato-sceptiques”, soutenus par toute l’industrie chimique et pétrolière de la planète, les mesures scientifiques du recul des glaciers et banquises, de la hausse du niveau des océans vont toutes dans le même sens et ne laissent aucun doute sur la réalité du phénomène : du fait de l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère, la température moyenne de la Terre monte inexorablement, entraînant une série de phénomènes climatiques imprévisibles dont les conséquences sur les populations humaines sont d’ores et déjà dramatiques dans certaines régions.

Autrement dit : l’ère industrielle du système capitaliste est aujourd’hui en train de menacer la civilisation d’une lente mais inéluctable chute dans la destruction et le chaos. D’ores et déjà, certaines régions du monde sont invivables pour des communautés humaines du fait des effets du réchauffement climatique et de la destruction de l’environnement. D’après une étude de la Banque mondiale, l’aggravation des effets du changement climatique pourrait pousser plus de 140 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur propre pays d’ici 2050.

Cette sinistre réalité, masquée en grande partie par le fait que le problème serait lié à un simple “manque de volonté politique” et à “l’égoïsme des consommateurs” insuffisamment “éclairés”, engendre une inquiétude diffuse parfaitement compréhensible. À la question : “quel monde laisserons-nous à nos enfants ?”, il n’y a pas de réponse bien optimiste. Il est donc tout à fait logique que les principaux intéressés (les enfants et les jeunes) soient les premiers à s’inquiéter d’avoir à passer toute leur vie dans un environnement de plus en plus dégradé, avec des conséquences climatiques qui s’annoncent terrifiantes.

Dans ce cadre, les “marches pour le climat”, organisées avec force publicité et une grande couverture médiatique, ont cherché à répondre à cette inquiétude. Lorsqu’une jeune lycéenne suédoise a quitté son école pour manifester devant le parlement de Stockholm, elle a montré toute l’absence de futur qu’elle ressentait. Invitée à la COP 24, à l’ONU, pour défendre son action, Greta Thunberg fait désormais figure de porte-étendard d’une génération qui prendrait conscience que son avenir est singulièrement mis à mal par la pollution et les dérèglements climatiques qui en résultent.

Une tentative de division entre “jeunes” et “aînés”

En apparence, on aurait pu se réjouir d’une mobilisation internationale qui poserait des questions sur le futur que la société nous réserve. En réalité, c’est tout l’opposé. On constate en effet que cette mobilisation est encadrée et fortement encouragée par une large partie de la classe dominante : des ex-ministres écologistes français Cécile Duflot et Nicolas Hulot à L’Humanité et Lutte Ouvrière, de Greenpeace au Secours catholique, etc. En définitive, partout en Europe, toute la bourgeoisie de la droite à l’extrême-gauche a soit soutenu, soit appelé à participer à la “Marche du siècle”, comme ce fut le cas le 16 mars à Paris et un peu partout dans d’autres capitales ou grandes métropoles. En France, le syndicat SUD avait déjà appelé à la Marche du 8 décembre 2018, faisant en sus le lien entre climat et emploi : “agir pour le climat, c’est agir pour l’emploi !”, mettant en relation deux inquiétudes bien réelles de la jeunesse et appelant à la “grève scolaire” (à l’instar de Greta Thunberg) pour “l’urgence climatique”.

Là où ce syndicat dévoile son jeu habituel de division, c’est quand, dans son communiqué (“Pour un printemps climatique et social”), il nous explique que “face à l’inaction de leurs aîné(e)s, les collégien/(ne)s, lycéen/(ne)s et étudiant(e)s ont lancé un appel à la grève internationale pour le climat vendredi 15 mars”. Autrement dit, il entérine, comme le font la plupart des organisations bourgeoises, l’idée que si la Terre se réchauffe, c’est parce que les “aînés” n’ont “rien fait” pour l’empêcher. La jeune génération serait, elle, bien plus “responsable”, parce qu’elle “agit” : elle fait grève pour le climat !

En réalité, ce n’est ni une responsabilité particulière des “générations précédentes”, ni les comportements individuels “irresponsables” en matière d’environnement ni la “mauvaise volonté” des élus ou le “poids des lobbies” qui génèrent la catastrophe environnementale que nous voyons poindre. Elle est le produit du capitalisme miné par ses propres contradictions internes. Le fait que ce système soit basé sur la concurrence brutale, le chacun pour soi et le profit, obsédé par le moindre coût, sans que cette logique soit ouvertement remise en cause, pousse autant la vieille génération que la nouvelle à subir les lois implacables de ce même système barbare. Autrement dit, la classe dominante, toutes générations confondues, dédouane le système capitaliste en putréfaction en créant un rideau de fumée pour masquer sa responsabilité directe.

L’objectif est donc de pousser la population dans les bras du gardien de l’ordre dominant, l’État capitaliste, qui devrait être à l’écoute des citoyens et s’orienter vers une politique écologique, “responsable”, voire “anti-capitaliste”.

En fin de compte, cette attaque idéologique, bien que globale, se porte particulièrement sur la jeune génération elle-même, puisque le but est d’empêcher toute solidarité entre générations, et plus encore, de cacher à ses yeux le vrai responsable des désastres. En opposant ainsi les “aînés” à la “jeunesse”, derrière le slogan “on nous vole notre futur”, la propagande capitaliste officie en arrière-plan afin de “diviser pour mieux régner”.

Mais le syndicat SUD ne s’arrête pas là. Le but de cette mobilisation est selon lui très clair : “À l’appel de plus de 140 organisations, le 16 mars, nous marcherons ensemble pour exiger un changement de système de production et de consommation afin de limiter le réchauffement global à 1,5 °C. Pour cela, d’autres politiques publiques sont nécessaires qui associent les travailleurs et les travailleuses à la construction d’une société juste, solidaire et écologique qui réponde aux besoins sociaux et préserve les limites de la planète”. SUD nous demande donc d’exiger “d’autres politiques publiques”, et naturellement il s’adresse ici à l’État en lui demandant d’entendre la complainte de la jeunesse pour “une société juste, solidaire et écologique”.

Pour ce syndicat, comme pour tous les organisateurs de la “Marche du siècle”, la solution ne peut se trouver que dans l’État ; il faut juste qu’il écoute les citoyens. L’appel de Générations futures est encore plus clair : “Nous devons renouveler la démocratie et contraindre les décideurs et décideuses à protéger les intérêts de toutes et tous plutôt que ceux de quelques un(e)s. Nous devons répartir les richesses pour obtenir la justice sociale, afin de garantir une existence digne pour chacun(e)”. (5)

Quand Greta Thunberg se plante devant le parlement de Stockholm pour manifester, elle demande en fait aux élus de l’État capitaliste suédois de faire “leur travail” en pensant à la jeunesse et à son futur ! C’est donc globalement un appel à voter : quand on demande à “renouveler la démocratie” et à mettre en place “d’autres politiques publiques”, il n’y a pas d’autre choix que d’aller voter pour les “bons” candidats, ceux qui prendront au sérieux les aspirations “de la jeunesse”. C’est oublier que les États sont les protecteurs de leurs capitaux nationaux dont la recherche frénétique de l’accumulation les laisse totalement indifférents aux conséquences catastrophiques que celle-ci engendre sur le milieu naturel. Nous avons donc affaire, derrière la légitime inquiétude que génère le changement climatique, à son instrumentalisation par toute la bourgeoisie internationale dans le but de mobiliser les jeunes dans l’impasse électorale ! Comme l’abstention ne cesse de progresser parmi les jeunes générations, fruit d’un discrédit croissant des institutions démocratiques bourgeoises, on comprend très bien que la classe dominante cherche un moyen d’inverser cette tendance, et que l’utilisation de la peur du changement climatique lui donne cette opportunité.

La jeunesse, un enjeu vital pour la bourgeoisie

Si le mouvement contre le réchauffement climatique vise principalement les jeunes lycéens et étudiants, c’est que, pour la bourgeoisie, la jeunesse représente une cible particulière. Dans tous les régimes totalitaires, les jeunes sont un enjeu fondamental, parce qu’ils sont prompts à se mobiliser, parce qu’ils ressentent très vivement toute menace sur le futur, parce qu’ils manquent d’expérience et sont donc plus facilement manipulables que les générations plus âgées.

La jeunesse est donc un enjeu, et dans les pays développés, la bourgeoisie veut en faire la “gardienne des principes démocratiques”. Que ce soit aux États-Unis avec le mouvement “anti-armes”, en Grande-Bretagne avec le mouvement “Extinction rebellion” ou en France à travers la “Marche du Siècle”, la bourgeoisie cherche d’abord à mobiliser les jeunes autour des thèmes démocratiques, et à les isoler des aînés. Cette jeunesse qui s’alarme à juste titre pour son futur se retrouve ici dans le piège démocratique qui vise à en faire des “citoyens responsables” et à empêcher les jeunes prolétaires de se mobiliser sur un terrain de classe : pourquoi en effet défendre ses conditions de vie et de travail quand c’est l’avenir de toute l’humanité qui est menacé ?

L’appel à soutenir la démocratie bourgeoise est bien entendu une complète mystification. Ce n’est pas en appelant “les jeunes” à se mobiliser sur le terrain électoral (en particulier au profit des partis écolos ou les partis de gauche), ce n’est pas non plus en replâtrant l’édifice étatique ou en obligeant les élus à faire “leur travail” que l’on risque de changer le futur qui prend forme aujourd’hui.

L’écologie est une machine de guerre idéologique

Lorsque la bourgeoisie elle-même se préoccupe de la question du réchauffement climatique, il faut bien constater que son souci essentiel est de sauvegarder les conditions de la poursuite de l’exploitation et non de sauvegarder l’environnement. La préoccupation de la bourgeoisie est d’abord et avant tout de produire des marchandises en extrayant de la plus-value par l’exploitation de la main-d’œuvre salariée. On sait déjà tout le profit qu’elle a pu tirer de l’engouement autour de l’alimentation “bio” ou du “veganisme”, qui polluerait moins et préserverait mieux l’environnement : les tarifs augmentant significativement dès que l’on achète de l’alimentation “bio”, la fracture entre riches qui se nourrissent plus sainement et pauvres condamnés à la “malbouffe” ne fait que s’élargir, avec toute la culpabilisation de ceux qui continuent à acheter de la nourriture industrielle, la moins chère évidemment !

Pire, la bourgeoisie verdit cyniquement sa stratégie industrielle pour justifier les attaques contre la classe ouvrière et renforcer la guerre économique. La pollution atmosphérique et le réchauffement climatique qui s’ensuivent étant en grande partie le produit de l’utilisation des moteurs thermiques, la bourgeoisie européenne a ainsi posé la question du remplacement des voitures utilisant ce mode de propulsion par des véhicules “non polluants”, électriques. C’est là une nouvelle escroquerie, car l’arrière-pensée qui se tapit derrière tout le scandale du “dieselgate” n’est pas et n’a jamais été le sort de l’humanité. Le gain pour les constructeurs pourrait au contraire être fort intéressant : selon certains scénarios, on pourrait ainsi, en Allemagne, réduire jusqu’à 16 % la main-d’œuvre de ce secteur industriel. Derrière le capitalisme prétendument “vert”, il y a surtout beaucoup à gagner, même si la course au lithium pour fabriquer les batteries aura des conséquences lourdes pour l’environnement. Les risques de pollution causés par les batteries, si elles brûlent ou sont en fin de vie, ne sont pas à prendre à la légère.

De la même façon, au nom de la “fiscalité écologique”, les taxes se multiplient partout dans le monde dans le cadre de la guerre commerciale entre les États, ou carrément sous la forme d’attaques directes contre la classe ouvrière. Là, comme ailleurs, l’écologie sert de masque à la course au profit et à faire accepter aux ouvriers les attaques au nom de la lutte contre la pollution. Ainsi, lorsque la nouvelle jeune égérie mondiale, Greta Thunberg, se fait écho de ce que la propagande lui martèle, à savoir qu’il faut abandonner notre “zone de confort” et donc faire des “sacrifices”, la pollution étant censée provenir du résultat de notre surconsommation, du gaspillage, bref, provenir du “comportement irresponsable de tous”, elle ne fait que justifier et donner des moyens supplémentaires aux discours idéologiques des États chargés de préparer les mesures anti-ouvrières à venir en créant non seulement un sentiment de culpabilité, mais en enfermant chacun dans la prison des “solutions” individuelles totalement stériles. Le système capitaliste produit comme s’il n’y avait aucune limite aux besoins, il produit parce qu’il a besoin de plus-value pour accumuler toujours plus de capital. C’est ainsi qu’il fonctionne, et vouloir le faire fonctionner autrement est une pure illusion. La seule possibilité d’agir efficacement, qui se présente aussi comme une nécessité vitale, c’est de le détruire afin de poser les bases d’une nouvelle société où le travail au sein de la société serait tourné vers les besoins de l’humanité sans entrer en contradiction avec la nature et notre environnement. Cela, seule la classe ouvrière peut le permettre par une révolution mondiale.

HD, 20 avril 2019

 

(1) Friedrich Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1844).

(2) François Jarrige et Thomas Le Roux, La contamination du monde (2017).

(3) Le 5 décembre 1952 et pendant cinq jours, un brouillard causé par un anticyclone se mêle aux fumées de charbon causant 12 000 décès.

(4) “De Londres à Delhi, comment le smog a migré vers l’Est”, Le  Monde (17 novembre 2017).

(5) On peut encore signaler l’appel du Réseau Action Climat France : “Dans leur appel commun, les signataires demandent aux responsables du dérèglement climatique de prendre les mesures nécessaires pour limiter le réchauffement global à 1,5 °C, tout en garantissant une justice sociale”.

 

Récent et en cours: 

  • Ecologie [2]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Les soi-disant partis "ouvriers" [3]

Rubrique: 

Destruction de l’environnement

L’impasse du "second Printemps arabe"

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“Les manifestants, venus des quatre coins du pays, ont ainsi réussi à atteindre l’un de leurs objectifs, celui de faire entrer cette marche pour la “dignité” dans l’histoire. Cette foule monumentale semble aimer se trouver et danser au son youyou et des darboukas pour dénoncer, dans une euphorie collective, les dérives d’un “pouvoir assassin”, comme elle le crie sans relâche depuis le 22 février, date de la première grande mobilisation. (…) Dans le cortège, au milieu des centaines de milliers d’hommes qui ont submergé les rues d’Alger, les femmes de tous âges, de toutes classes et générations ont répondu présent, et sont venues bien plus nombreuses que les deux semaines précédentes. (…) De 11 h à 18 h, c’est un concentré de l’Algérie qui a défilé dans les boulevards qui serpentent à travers Alger : jeunes hommes, jeunes filles coiffées à la dernière mode, hadjas (anciens), cadres, employés, moudjahidines (anciens combattants), femmes enroulées dans un haïk, le vêtement traditionnel”. (Le Monde du 11 mars 2019).

Depuis le 22 février, des manifestations massives se déroulent, chaque vendredi en Algérie, réunissant des centaines de milliers de participants dans toutes les grandes villes du pays. Celles du 8 mars ont été particulièrement suivies avec une participation record de plus d’un million de personnes à Alger. Ce sont désormais des millions de personnes dans la rue chaque semaine, particulièrement les étudiants et les lycéens en grève.

Les raisons de cette immense colère sont nombreuses : la misère sous toutes ses formes, un taux de chômage de 11 % (officiellement) de la population active, de plus de 26 % chez les jeunes de 16-24 ans, le manque de logements, la répression, et peut-être surtout la généralisation de la corruption, à commencer par celle du clan familial de Bouteflika et de ses fidèles alliés le chef d’état-major de l’armée (Ahmed Gaîd Salah), le patron des patrons algériens (Ali Haddad), le secrétaire général du syndicat UGTA (Abdelmadjid Sidi-Saïd) et tout l’appareil historique du FLN. Ce sont tous ces gangsters qui se partagent l’essentiel des rentes pétro-gazières. Le clientélisme a été érigé en mode de gouvernance par Bouteflika, qui a organisé une gigantesque politique de redistribution de la manne financière (issue des hydrocarbures) pour arroser (inégalement) toutes les catégories sociales : anciens combattants, ménages, automobilistes, usagers de transports en commun, agriculteurs, débiteurs, locataires d’HLM, retraités, banquiers, entrepreneurs, etc. Il va sans dire que tous ces citoyens “arrosés” sont sollicités pour réélire le président ou ses partisans à chaque occasion.

Le piège de l’interclassisme et du nationalisme

Le mouvement semble être né sur les réseaux sociaux, sans lien apparent avec un parti, syndicat, groupe ou individus connus, en s’auto-organisant et en dirigeant ses propres manifestations, en y attirant progressivement des masses croissantes de la population. Le mouvement a également fait preuve de courage en bravant systématiquement l’interdiction de manifester, notamment dans la capitale, tout en se montrant calme et tranquille (ou “pacifique” selon les médias), refusant la confrontation physique avec les forces de l’ordre et toutes provocations pouvant faciliter la répression policière.

Pour autant, ce mouvement n’est pas de nature prolétarienne. Il est avant tout interclassiste : en son sein se rassemblent pêle-mêle aussi bien des ouvriers (actifs ou réduits au chômage) que nombre d’éléments de la petite-bourgeoisie (cadres, notables, avocats, commerçants, petits chefs d’entreprise…). Le résultat est que dominent les revendications sur le terrain de la bourgeoisie : démocratie, légalisme… La classe ouvrière est diluée, elle n’est pas à la tête de ce mouvement.

L’autre caractéristique majeure de ce mouvement est son contenu fortement nationaliste, illustré par la présence massive et permanente du “drapeau national algérien” dans toutes les manifestations. En clair, il est loin de penser à s’unir ou à manifester sa solidarité avec les prolétaires des autres pays. Pourtant, par exemple, depuis décembre, des mouvements au Soudan s’expriment aussi massivement contre le terrible plan d’austérité du gouvernement soudanais, dirigé par un autre vieux dictateur Omar Al-Bachir, qui vient d’ailleurs d’être “déposé” par l’armée dans l’espoir de “calmer” la colère de la rue.

De fait, au lieu de s’emparer du mot d’ordre “prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”, le mouvement social actuel préfère s’unir avec toutes les forces “démocratiques algériennes” (prétendument “non corrompues”). Sont en fait pratiquement dissoutes ou noyées, toutes les revendications véritablement prolétariennes contre le chômage massif, la dégradation des conditions de travail et de vie, etc. Au contraire, dominent les revendications “citoyennes” portées par la petite-bourgeoisie notamment dans le milieu étudiant où nombre de professeurs profitent des AG pour donner des cours sur la Constitution, les institutions et leur fonctionnement, ceci en vue de construire un “nouveau système plus démocratique”. De plus en plus des voix proposent même une issue à la “tunisienne”, c’est-à-dire l’instauration d’élections “libres et démocratiques”. Cette piste semble avoir les faveurs de la sphère de la bourgeoisie algérienne “éclairée”, des “gouvernements amis” de l’Algérie (notamment la France et l’UE) et de tous les autres pays qui redoutent d’être confrontés à de nouvelles vagues de migrants ou des incursions armées sur leur territoire (particulièrement les pays du Sahel).

Si certains médias parlent tantôt d’un “nouveau printemps arabe”, tantôt de “révolution”, en réalité, le mouvement d’Algérie s’inscrit surtout dans le sillage des plus grandes fragilités de la contestation de 2011/2012. L’actuel mouvement algérien prend quasi-exclusivement la forme de grandes manifestations, sans ou peu de grèves alors qu’en Tunisie et en Égypte, les manifestations s’accompagnaient d’importants mouvements de grèves touchant directement la production, les services publics et les transports. Pourtant, en 2011, le “printemps arabe” avait aussi débuté en Algérie, et même avec une extrême vigueur : “On oublie, mais le printemps arabe a commencé en janvier 2011 dans les grandes villes de l’Algérie presque en même temps qu’en Tunisie. Pour une fois, le mouvement a été national, n’épargnant aucune région, d’Alger à Annaba. Du 5 au 10 janvier la jeunesse a défilé, souvent derrière un drapeau tunisien, pour le pain et la dignité. (…) Un habitant de ces quartiers présent avoue sa surprise : “Je suis né ici, j’ai presque 50 ans et je n’ai jamais vu cela”. (…) Les autorités sont parvenues in extremis à contenir tant bien que mal les manifestations (…) en multipliant les promesses : les légumes secs ont été ajoutés aux douze produits alimentaires dont les prix sont réglementés et/subventionnés, les salaires relevés souvent jusqu’à 80 % avec dix-huit mois ou plus de rappel”. (Manière de voir, supplément du Monde diplomatique, mars 2012). À l’époque donc, le régime de Bouteflika était parvenu à étouffer le mécontentement.

Quelles perspectives pour le pouvoir en place ?

Pendant longtemps, le pouvoir algérien a fait face aux mouvements sociaux avec les armes dites “de la carotte et du bâton”. La carotte, en puisant quelques miettes dans les caisses de l’État (grâce aux prix élevés de l’or noir). Le bâton, en réprimant violemment les mouvements sociaux. Il faut se rappeler que la “décennie noire” (une guerre civile qui s’est soldée par 200 000 morts) des années 1990-2000 après l’écrasement sanglant du mouvement de grèves et de manifestations de 1988 se traduisant par 500 morts dans les rangs des grévistes. Aujourd’hui, il n’y a plus de “carotte”. La situation économique est désastreuse, avec un prix du baril en chute libre et des caisses d’État dévalisées par le clan mafieux gouvernemental. Reste le “bâton”...

Dans toutes les couches de la société, l’heure est à la dislocation du grand clan de Bouteflika et aux règlements de comptes. Pour ce dernier, l’enjeu est énorme car c’est une question de vie ou de mort, pour lui-même et sa famille. En effet après sa démission, le président ne veut pas subir le même sort que ses congénères tunisien et égyptien, Ben Ali et Moubarak, “dégagés” par le “printemps arabe” de 2011, qui ont connu la prison (ou l’exil) et la confiscation de leurs biens (des dizaines de milliards de dollars pour chacun). On comprend mieux pourquoi Bouteflika s’accrochait coûte que coûte au pouvoir en misant sur le “pourrissement” du mouvement et le soutien du chef de l’armée qui a fini par le renverser en cherchant, lui aussi, à sauver sa tête. Dès lors, la question est de savoir si les militaires vont préférer taire leurs divergences claniques pour préserver leurs “intérêts communs” en réprimant le mouvement actuel avec cependant le risque de reproduire une “nouvelle décennie noire” ou soutenir la carte de la démocratie et du renouvellement avec toutes les incertitudes que cela comporte. Dans les deux cas, la classe ouvrière sera perdante : écrasée dans un bain de sang ou assommée par la propagande bourgeoise martelant les “vertus” de la “démocratie”, pour mieux maintenir son système d’exploitation.

La responsabilité du prolétariat des pays centraux

Lors du premier “Printemps arabe” en 2011, nous écrivions : “C’est le prolétariat occidental, par son expérience et sa concentration, qui porte la responsabilité de donner une véritable perspective révolutionnaire. Les mouvements des Indignés en Espagne et des Occupy aux États-Unis et en Grande-Bretagne se sont explicitement référés à la continuité des soulèvements en Tunisie et en Égypte, à leur immense courage et leur incroyable détermination. Le cri poussé lors du “printemps arabe”, “Nous n’avons plus peur”, doit effectivement être source d’inspiration pour tout le prolétariat mondial. Mais c’est seulement le phare de l’affirmation des assemblées ouvrières, au cœur du capitalisme, dressées contre les attaques du capitalisme en crise qui peut offrir une alternative permettant réellement le renversement de ce monde d’exploitation qui nous plonge toujours plus profondément dans la misère et la barbarie. Il ne faut pas que la classe ouvrière minimise le poids réel dont elle dispose dans la société, de par sa place dans la production mais aussi et surtout dans ce qu’elle représente comme perspective pour toute la société et pour l’avenir du monde. En ce sens, si les ouvriers d’Égypte et de Tunisie ne doivent pas se laisser berner par les mirages de l’idéologie bourgeoise démocratique, il est de la responsabilité de ceux des pays centraux de leur montrer le chemin. C’est en Europe particulièrement que les prolétaires ont la plus longue expérience de confrontation à la démocratie bourgeoise et aux pièges les plus sophistiqués dont elle est capable. Ils se doivent donc de cueillir les fruits de cette expérience historique et d’élever bien plus haut qu’aujourd’hui leur conscience. En développant leurs propres luttes, en tant que classe révolutionnaire, ils briseront l’isolement actuel des luttes désespérées qui secouent nombre de régions à travers la planète et réaffirmeront la possibilité d’un nouveau monde pour toute l’humanité”.

Il en est de même aujourd’hui : un mouvement social dans lequel domine l’idéologie petite-bourgeoise et démocratique est une plaie pour l’ensemble du prolétariat mondial ; il indique l’exact opposé du chemin à prendre, celui de la lutte de la classe ouvrière, sur son terrain, ses grèves, ses assemblées générales, ses mots d’ordre. C’est au prolétariat d’Europe tout particulièrement que revient cette lourde tâche d’être le phare des exploités du monde.

Amina, avril 2019

 

Géographique: 

  • Algérie [4]

Rubrique: 

Mouvement social en Algérie

Black blocs: des méthodes et une idéologie étrangères au prolétariat

  • 247 lectures

Lorsque l’on parle de black blocs, nous avons immédiatement à l’esprit des images de casseurs encagoulés, entièrement vêtus de noir, qui n’hésitent pas à détruire tout ce qui peut symboliser le capitalisme. Ces groupes font désormais partie du paysage de nombreuses manifestations. Comme nous l’écrivions en 2018 : “L’origine des black blocs est à chercher à la fin des années 1980 où la police de Berlin-Ouest invente l’expression schwarze block (bloc noir) pour désigner certains manifestants d’extrême-gauche cagoulés et armés de bâtons, eux-mêmes s’inspirant du mouvement Autonomia, né en Italie dans les années 1960. Leurs actions spectaculaires se répètent en 1999, à Seattle contre la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; à Gênes, en juillet 2001, en se fondant dans des marches pacifiques d’opposants au G8 ; à Strasbourg, en 2009, en marge du 60e anniversaire de l’OTAN ; en octobre 2011, à Rome, lors de la journée mondiale des Indignés contre la crise et la finance mondiale ; en février 2014, aux côtés des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ; en juillet 2017, à Hambourg, dans les manifs anti-G20 ; à l’occasion des manifestations contre la “loi travail” en France, cette même année…” 1)

Avec le mouvement des “gilets jaunes” et ses scènes de violences hebdomadaires, les images spectaculaires des affrontements entre les black blocs et la police ont largement fait le tour des médias. D’autant plus que la partie la plus radicale des “gilets jaunes” s’est mise à les soutenir et à les applaudir, quand ils ne leur ont pas prêté main forte.

L’escroquerie idéologique des black blocs

L’idéologie activiste est largement répandue dans les milieux anarchistes et gauchistes en général. Dans un texte sur les black blocs publié par deux anarchistes berlinois sur le site anarkhia.org, on peut lire ceci : “Aujourd’hui, sans avoir fait le recensement de toutes les nouvelles publications, il n’est pas anodin de voir un intérêt subit pour des personnages comme Blanqui, agitateur du XIXe siècle et apologue de l’émeute qui semblait depuis longtemps oublié, réédité récemment avec une nouvelle préface qui parvient à lui redonner son actualité. Cela sans mentionner le succès en librairie d’un texte évocateur au titre aussi suggestif que “L’insurrection qui vient”” et un peu plus bas, dans les lectures suggérées : “Maintenant, il faut des armes” d’Auguste Blanqui, republié par La Fabrique, une maison d’édition gauchiste. Comme on peut le voir, les black blocs se réfèrent aux premières heures du mouvement ouvrier en récupérant des figures comme celle d’Auguste Blanqui ; certes, un des promoteurs de l’action violente d’une minorité comme moteur de la lutte, mais dont la nature du combat est toute autre que celle de l’idéologie véhiculées par les black blocs.

Le courant blanquiste, malgré ses propres faiblesses, est en effet l’expression d’un réel effort de combat du prolétariat dans la première moitié du XIXe siècle pour se constituer en classe et affirmer la perspective communiste. Or, les black blocs n’ont strictement rien à voir avec cette tradition politique.

Pourquoi récupèrent-ils, aujourd’hui, l’héritage d’une des figures majeures des premières heures de la lutte du prolétariat contre le capital ? Alors que la bourgeoise cherche sans arrêt à discréditer l’arme théorique du prolétariat (notamment depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc de l’Est stalinien), la profonde hostilité des black blocs à l’égard du marxisme “autoritaire” explique leur attrait pour des figures comme Blanqui. Ce dernier n’a jamais véritablement adhéré à l’Association Internationale des Travailleurs qu’il percevait comme un lieu de “parlotte” et non comme un moyen d’action révolutionnaire. Blanqui voyait, en effet, l’action violente minoritaire comme le seul mode d’action capable de mobiliser le prolétariat pour renverser la société et construire le socialisme. Cela, à une époque où la classe ouvrière ne pouvait pas prendre le pouvoir du fait de son immaturité.

Politisé très tôt dans un contexte de lutte contre la monarchie (Charles X et Louis-Philippe), Blanqui militait au sein d’organisations secrètes, dans un tout autre contexte que celui d’aujourd’hui, et était souvent en première ligne lors de divers coups de force et complots. Évidemment, la répression lui fera passer de très nombreux séjours en prison au cours de sa vie, à tel point qu’il sera surnommé “l’enfermé”. Peut-être est-ce la force de ce qui en a fait un mythe qui fascine aujourd’hui tant nos radicaux encagoulés ? Malgré les échecs, malgré la répression, Blanqui garda une détermination et une combativité sans faille (jusque devant les juges qui l’accusent de tous les maux) et ce sont là des qualités essentielles qui ont sans doute contribué à sa popularité. À ce propos, Engels écrira même : “l’instinct révolutionnaire de Blanqui, sa résolution ne sont pas donnés à tout le monde”.

Blanqui fut donc un élément moteur et un leader reconnu dans de nombreux mouvements de lutte. C’est certainement cette qualité qui n’échappait pas à la bourgeoisie qui a poussé Thiers à remettre expressément Blanqui en prison à la veille de la Commune de Paris, le 17 mars 1871. En effet, tirant le bilan de la Commune dans La Guerre civile en France, Marx écrit “Le véritable meurtrier de l’archevêque Darboy, 2) c’est Thiers. La Commune, à maintes reprises, avait offert d’échanger l’archevêque et tout un tas de prêtres par-dessus le marché, contre le seul Blanqui, alors aux mains de Thiers. Thiers refusa obstinément. Il savait qu’avec Blanqui, il donnerait une tête à la Commune ; alors que c’est sous forme de cadavre que l’archevêque servirait au mieux ses desseins”. Bien entendu, le succès ou l’échec de la Commune de Paris n’était pas conditionnés par la seule présence de Blanqui. Mais il est probable que toute une série d’hésitations et d’erreurs aurait pu être évitée du fait de son expérience et de son crédit au sein du mouvement (par exemple, l’erreur de laisser partir librement le gouvernement de Thiers à Versailles…)

Ainsi, Blanqui était un véritable combattant de la classe ouvrière qui a apporté une contribution à la lutte révolutionnaire du prolétariat. Sa conception de l’insurrection, toujours orientée vers la prise du pouvoir de la classe ouvrière, n’a strictement rien à voir avec les bris de vitrines des magasins, les incendies de poubelles et la confrontation stérile avec les forces de répression pratiqués par les black blocs.

Face à la société capitaliste, Blanqui fut un des premiers à défendre la nécessité d’une dictature du prolétariat comme perspective de lutte révolutionnaire. Ce n’est pas le cas des black blocs, dont l’idéal petit-bourgeois fait au contraire la promotion de l’individu et du démocratisme libertaire sous autant de variantes qu’il existe de militants engagés dans ce mouvement hétéroclite “anti-autoritaire”. Un mouvement dont l’unité est seulement cimentée par une volonté de violence, d’affrontements avec la police et de destruction.

La violence des black blocs n’est pas celle de la classe ouvrière

Dans un article de 1874, “Le programme des émigrés blanquistes de la Commune”, Engels écrit : “Blanqui est essentiellement un révolutionnaire politique ; il n’est socialiste que de sentiment, par sympathie pour les souffrances du peuple, mais il n’a pas de théorie socialiste ni de projets pratiques de transformation sociale. Dans son activité politique, il fut avant tout un “homme d’action” qui croyait qu’une petite minorité bien organisée pourrait, en essayant au bon moment d’effectuer un coup de main révolutionnaire, entraîner à sa suite, par quelques premiers succès la masse du peuple et réaliser ainsi une révolution victorieuse”.

Cette conception fondée sur des actions d’éclat d’une minorité déterminée perd de vue qu’il ne peut y avoir de réel renversement du capitalisme sans un mouvement massif et conscient du prolétariat. Cette adhésion à un projet politique ne peut se faire en quelques jours à la suite d’une action héroïque et à l’initiative de quelques-uns. Il s’agit, au contraire, d’un processus historique basé sur un combat qui est nécessairement long et parsemé d’embûches. Rien à voir, donc, avec l’activisme sans perspective des black blocs ou l’agitation stérile de quelques milliers de manifestants radicaux prêts à en découdre.

De plus, l’action révolutionnaire n’a surtout de sens que si elle se situe dès le départ dans une perspective de renversement du pouvoir à l’échelle mondiale. Cela suppose donc une compréhension précise du rapport de force entre les classes au niveau international, comme condition de la réussite du mouvement, une condition totalement étrangère à la façon de penser et à la pratique des black blocs qui agissent ponctuellement, avec des œillières localistes, au gré des événements internationaux.

Dans l’article cité plus haut, Engels poursuit : “Ces idées sur la marche des événements révolutionnaires sont nettement périmées, en tout cas pour le parti ouvrier allemand, et en France même elles ne peuvent séduire que les ouvriers les moins mûrs ou les plus impatients. Nous verrons également que, dans le programme en question, ces idées ont subi certaines restrictions. Mais nos blanquistes londoniens s’inspirent, eux aussi, du principe que les révolutions ne se font pas d’elles-mêmes ; qu’elles sont l’œuvre d’une minorité assez restreinte qui agit suivant un plan préétabli ; enfin, que cela va “commencer bientôt”, d’un moment à l’autre”. En effet, la conception blanquiste se caractérise par un fort poids de l’immédiatisme, c’est-à-dire une volonté de faire “bouger les masses” tout de suite, quel que soit le contexte.

Cette caractéristique qui constituait en réalité une grave faiblesse pour le mouvement ouvrier se retrouve aujourd’hui, sous des formes encore totalement étrangères à la classe ouvrière chez des groupes activistes petits-bourgeois comme les black blocs. Sans perspective claire et solide, le désespoir est fatalement au bout du chemin. Du fait de la perte de son identité de classe et de son incapacité momentanée à développer ses luttes, la classe ouvrière peut être influencée par ces moyens d’action certes spectaculaires mais totalement stériles et dangereux.

En effet, loin de faire effectivement “bouger les masses” ou même de provoquer un début de mobilisation, l’activisme “radical” des black blocs conduit à la négation même de la lutte du prolétariat. La véritable boussole des révolutionnaires n’est pas la recherche de la confrontation en soi, mais l’expérience pratique du mouvement ouvrier et les leçons historiques que l’on peut tirer de cette expérience pour développer un réel combat de classe.

L’histoire nous enseigne que ce qui fait la force du prolétariat, c’est sa massivité et sa capacité à s’unir au-delà des frontières nationales et du cadre étriqué du corporatisme syndical. Cela, par une démarche consciente qui se nourrit de la théorie révolutionnaire, théorie que méprisent souverainement les activistes de tout poil, en premier lieu les black blocs.

Il y a tout juste cent ans, la vague révolutionnaire mondiale débutée en Russie montra le chemin aux générations futures. Elle nous enseigne comment l’unité de la classe se construit dans la lutte au moyen des armes que sont les assemblées générales ouvertes, puis les conseils ouvriers, l’élection de délégués responsables et révocables, la recherche de la solidarité de classe et de l’extension des luttes par la grève de masse. Cela, les black blocs l’ignorent ou le voient comme quelque chose d’anecdotique, de limité, voire de “réformiste” ! Ils préfèrent foncer tête baissée dans “l’action” qu’ils cherchent à transformer en une sorte de “guérilla urbaine” censée “affaiblir l’État”. À la limite, seul compte le coup d’éclat lui-même, celui d’un pavé lancé contre les flics ou d’une grille arrachée.

La recherche de la confrontation systématique avec l’appareil de répression bourgeois est pourtant un piège stérile que la bourgeoisie n’a aucun mal à retourner contre notre classe. Cette violence aveugle et stérile fait pleinement le jeu de l’État bourgeois en lui donnant une justification au renforcement et au déchaînement de la répression, contribuant ainsi à la paralysie du prolétariat dans la peur. Elle permet également à la classe dominante d’instiller la confusion au sein de la classe ouvrière en assimilant ces agissements nihilistes à l’action “révolutionnaire” et aux méthodes de lutte de la classe ouvrière.

La violence et l’insurrection armée s’inscrivent pleinement dans la perspective révolutionnaire quand la question de la prise du pouvoir se pose. Mais la nature de cette violence insurrectionnelle du prolétariat est totalement différente des expressions de révolte désespérée et sans lendemain véhiculées par les black blocs. Car elle ne pourra être mise en œuvre que par une classe dont la force réelle réside dans le développement de sa conscience et du caractère associé, solidaire et organisé de son action. La violence de la classe ouvrière s’inscrit dans une perspective politique et historique émancipatrice, celle du renversement d’un système basé sur l’exploitation et la violence des rapports sociaux, pour l’édification d’un autre type de société, sans classes ni exploitation : le communisme.

Marius, 18 avril 2019

 

1 “Black blocs : la lutte prolétarienne n’a pas besoin de masque”, Révolution Internationale n° 471 (juillet-août 2018).

2 Darboy était l’archevêque de Paris au moment de la Commune. Il fut gardé comme otage (avec une soixantaine d’autres prisonniers) pour faire pression sur les Versaillais. Soumis à de multiples provocations et à une répression impitoyable, les fédérés exécutèrent les otages, ce qui servit de prétexte à Thiers pour finir d’écraser la Commune dans la barbarie la plus impitoyable et sanglante.

 

Personnages: 

  • Auguste Blanqui [5]

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Mouvement des "Gilets Jaunes"

Suicides chez les policiers: le prolétariat ne tire pas sa force de la mort de ses ennemis de classe

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La police connaît depuis le début de l’année 2018 un taux de suicide record dans ses rangs. Selon l’information Service d’information et de communication de la police, 35 policiers se seraient donné la mort depuis le début de l’année 2018, un record à ce jour en France. Ce taux de suicide est supérieur de 35 % à celui qui sévit dans la population française en général.

Le prolétariat n’a pas pour habitude de se réjouir de la mort d’un être humain, même si celui-ci appartient aux forces de répression de l’État bourgeois. La classe ouvrière, seule classe révolutionnaire de la société, ne développe ni haine ni esprit de revanche. Elle est guidée par sa seule conscience qui contient à ce jour le plus haut point atteint par la morale humaine, c’est-à-dire par la morale prolétarienne. Par conséquent, la classe ouvrière exclut l’assassinat comme moyens de lutte. Certes, le prolétariat ne pourra pas faire l’économie de la violence de classe pour abattre la classe capitaliste, ses États et ses forces de répression. Mais l’histoire a montré que la classe des massacreurs, c’est justement la classe bourgeoise. Le sang des dizaines de milliers de fusillés, pendant les révolutions de 1848 et 1871 en France sont là pour le prouver. Comme l’ont été les massacres de masse en Allemagne et en Russie révolutionnaire par les armées capitalistes et les forces de la réaction des armées blanches russes. Sans oublier les pogroms de masse tout au long de l’histoire du capitalisme perpétrés par des fractions entières des couches petites-bourgeoises toujours aussi haineuses et souvent instrumentalisées par la classe bourgeoise elle-même.

Des policiers en proie à des cas de conscience

Les policiers sont les citoyens de France les plus mal-aimés. Ils sont de ce point de vue l’exact opposé du corps des sapeurs-pompiers. Cela n’est pas dû au hasard. Bien avant le mouvement des “gilets jaunes”, tel était déjà le cas. La répression permanente de tous les mouvements sociaux et de grèves ne date pas d’aujourd’hui ! Mais depuis maintenant près de six mois que dure le mouvement des “gilets jaunes”, les bavures, les provocations et la répression ont pris des proportions rarement vues en France. Il n’y a qu’à lire à ce sujet le témoignage d’un CRS publié sur notre site en date du 19 mars dernier. La pression sur les forces de l’ordre par le gouvernement et la hiérarchie policière est totale. On ne compte plus les estropiés, les blessés, et les tabassages y compris sur des personnes qui ne manifestaient même pas ! Tout cela est perpétré par des policiers touchant des salaires misérables, malgré les primes récemment octroyées par le gouvernement ! Ce niveau de répression ordonné par l’État dans une situation d’épuisement des forces de l’ordre ne pouvait que pousser une petite minorité d’entre eux à s’interroger sur le sens du sale boulot qu’on leur demande d’effectuer. Les ordres donnés, semaine après semaine, de gazer, matraquer ou tirer sur les manifestants, y compris les plus vulnérables comme les personnes âgées ou des adolescents, ne peuvent que provoquer un profond désarroi, voire de la honte qui, conjugués à un lourd épuisement, provoquent de véritables “crises de conscience” et poussent même certains policiers à se donner la mort.

La violence aveugle et les propos haineux ne profitent qu’à l’État

Les tags des casseurs en tout genre et autres black blocs, les “flics, suicidez-vous !” adressés aux policiers par des “gilets jaunes” décervelés sont tout simplement inacceptables. Ces slogans haineux, animés par le désir de se venger des bavures et de la répression violente ne sont d’ailleurs pas tombés dans les oreilles d’un sourd et ont même été largement exploités par les médias. Immédiatement et pendant des jours et des jours, ces slogans pourris ont tourné en boucle sur toutes les télévisions et ont fait la Une de tous les journaux. Bon nombre d’hommes politiques bourgeois se sont insurgés et se sont drapés d’une indignation hypocrite. Car c’est leur police qui ne fait là que son travail, celui qui consisterait à protéger les valeurs républicaines et la sacro-sainte propriété privée que l’on traiterait ainsi ! Macron, son gouvernement et son célébre ministre de l’Intérieur Castaner y sont tous allés de leurs petites larmes avec un seul mot à la bouche : il faut renforcer les moyens de notre police ainsi dénigrée et harcelée. Il faut davantage de policiers, davantage de gendarmes, de CRS, de flashballs et de blindés. La classe bourgeoise utilise donc cyniquement les comportements nihilistes d’une petite-bourgeoisie et d’un lumpen-prolétariat en voie de putréfaction pour tenter d’enchaîner la population et la classe ouvrière derrière son État et la défense de ses intérêts de classe. Voilà à quoi sert le désespoir des couches de la société en voie de décomposition, gagnées par la colère, l’impuissante et l’absence d’avenir. Face à la violence de la classe dominante, la petite-bourgeoisie réagit, elle aussi, de manière suicidaire. Tous les ouvriers qui seraient tentés de suivre ce chemin doivent savoir qu’il mène tout droit à l’impasse et à la répression étatique des luttes ouvrières.

La violence de masse, consciente et organisée du prolétariat

Plus le capitalisme est en crise, plus il attaque les conditions de vie du prolétariat et plus il renforcera son appareil répressif. C’est à une violence concentrée, organisée, spécialisée, entretenue, en constant développement et perfectionnement auquel le prolétariat aura affaire. C’est pour cela que les révolutionnaires ont toujours affirmé que la prise du pouvoir par la classe ouvrière signifiera la suppression de tous les moyens de répression de masse propre aux États bourgeois. Comme la révolution en Russie en 1917 l’a montré, ce n’est que dans les moments où le prolétariat est en mesure de monter à l’assaut du pouvoir de la bourgeoisie que des parties entières des forces de répression peuvent rejoindre la révolution en marche. Tel était le sens de l’appel de Trotsky à cette époque aux forces de répression tsariste qu’étaient les cosaques. “La lutte du prolétariat, comme toute lutte sociale, est nécessairement violence mais la pratique de sa violence est aussi distincte de la violence des autres classes et couches comme sont distincts leur projet et leur but. Sa pratique, y compris la violence est l’action d’immense masses et non de petites minorités ; elle est libératrice. l’acte d’accouchement d’une société nouvelle harmonieuse et non la perpétuation d’un état de guerre permanent, chacun contre tous et tous contre chacun”.1 Elle est la négation vivante de tous ces appels au meurtre et au suicide collectif, porteur d’une idéologie totalement déshumanisée et barbare.

Kern, 15 mai 2019

 

1 “Résolution : Terrorisme, terreur et violence de classe”, Revue Internationale n° 15, 4e trimestre 1978.

 

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [6]

Récent et en cours: 

  • Gilets jaunes [7]

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Barbarie du capitalisme

Incendie de Notre-Dame de Paris: le capitalisme est incapable de préserver le patrimoine de l’humanité !

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Le 15 avril dernier, les images spectaculaires de Notre-Dame en flammes faisaient le tour du monde. Une vive émotion s’emparait de la planète : cette cathédrale est l’un des plus beaux et impressionnants chefs-d’œuvre de Paris, un joyau de l’architecture gothique dont la construction s’est étendue sur pas moins de deux siècles et qui inspira de nombreux artistes : Victor Hugo, bien sûr, mais aussi le cinéaste Jean Delannoy ou le chanteur libertaire Léo Ferré. Les flammes ont notamment emporté la flèche de la cathédrale, œuvre de Viollet-le-Duc, et l’impressionnante charpente en bois de chêne datant du XIIe et du début du XIIIe siècle. L’architecture sublime de Notre-Dame n’a rien à voir avec celle de la Basilique du Sacré-Cœur, ce pompeux chou à la crème bâti à la va vite au sommet de la butte Montmartre pour célébrer la répression de la Commune de Paris et exorciser “les malheurs qui désolent la France et les malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore” (1) (ceux d’une “odieuse” révolution prolétarienne !)

Le patrimoine de l’humanité menacé par la décomposition du capitalisme

L’incendie n’était pas encore éteint que les politiciens, gouvernement en tête, se précipitaient sur le parvis de Notre-Dame (ou sur les plateaux de télévision), larme de crocodile à l’œil, pour réaliser, telle Esméralda, leur numéro de saltimbanques devant les caméras. “Demain, nous reconstruirons tout, pierre par pierre, poutre par poutre, ardoise par ardoise”, déclarait ainsi l’ancien porte-parole du gouvernement (et postulant à la mairie de Paris), Benjamin Griveaux. “Meurtrissure pour nous tous. Nous reconstruirons Notre-Dame”, s’élevait le flamboyant mathématicien (et postulant à la mairie de Paris), Cédric Villani. “Tous solidaires face à ce drame”, s’écriait l’eurodéputée (et, elle aussi, postulante à la mairie de Paris), Rachida Dati. Au même moment, la maire de Paris (et candidate à sa propre réélection), Anne Hidalgo, serrait dans ses bras le chef de l’État, Emmanuel Macron, venu, le visage sombre, jouer son petit numéro de père de la nation : “C’est la cathédrale de tous les Français, même de ceux qui n’y sont jamais venus”.

Sans surprise, la bourgeoisie et ses médias sont partis à la chasse aux boucs-émissaires : qui est LE responsable ? Qui a oublié d’éteindre son fer à souder ? Qui n’a pas vérifié telle ou telle installation électrique ? D’autres ont plus clairement dénoncé le flagrant manque de moyens en affirmant sournoisement que la préservation du patrimoine ne représente “que” 3 % des 10 milliards d’euros du budget du ministère de la Culture, sous-entendu : les artistes, les théâtres, les salles de concert (le “spectacle vivant” en langage technocratique) coûtent trop cher !

Mais derrière les fougueuses déclarations d’amour à Notre-Dame et la recherche de boucs-émissaires, la froide réalité du capitalisme s’impose encore et toujours. Pour maintenir compétitif le capital national, l’État opère des coupes budgétaires partout où cela est possible : éducation, hôpitaux, prestations sociales, culture… tout y passe ! Ainsi, à l’exception des monuments les plus visités (c’est-à-dire rentables et, d’ailleurs, victimes d’une sur-fréquentation causant des dommages évidents), Macron et consorts se soucient comme d’une guigne des “vieilles pierres” trop coûteuses en entretien. Depuis 2010, le déjà ridicule budget alloué à la préservation du patrimoine a ainsi diminué de 15 %. (2) Cette année, le gouvernement prévoyait de consacrer seulement 326 millions d’euros à la préservation et à la restauration de pas moins de 44 000 “monuments historiques”. Heureusement, le président jupitérien a confié au chroniqueur mondain reconverti en historien de pacotille, Stéphane Bern, la mission de sauver le “patrimoine des Français”. Une loterie et quelques polémiques plus tard, l’animateur de télévision levait 19 millions d’euros… une paille comparée aux besoins.

Le cas de l’Italie est encore plus révoltant. L’exceptionnel patrimoine de la péninsule est littéralement en train de tomber en ruines suite à des coupes budgétaires massives rendues nécessaires par la crise et l’accroissement de la compétition mondiale : le site archéologique de Pompéi est dans un état désolant, le Colisée de Rome commence à montrer de graves signes de fragilité, tout comme le musée des Offices à Florence. Les monuments qui ne se trouvent pas sur les autoroutes touristiques sont, eux, carrément laissés à l’abandon. L’incendie du musée national de Rio de Janeiro, le 2 septembre 2018, relève de la même incurie de l’État brésilien qui est directement responsable de la perte de la quasi-totalité des 20 millions d’objets que renfermait le bâtiment, dont un fossile humain de 12 000 ans.

L’ensemble des spécialistes qui se sont exprimés depuis l’incendie de Notre-Dame, historiens de l’art, conservateurs ou architectes du patrimoine ont tous fait état d’un manque cruel de moyens et d’une très inquiétante dégradation des monuments. Didier Rykner, rédacteur en chef de La Tribune de l’art, a ainsi dénoncé le laxisme des normes de sécurité sur les chantiers de monuments historiques : “Il y a déjà eu une série d’incendies de ce type. Les prescriptions pour les travaux sur monuments historiques étaient insuffisantes. (…) Un architecte du patrimoine m’a dit qu’on aurait pu éviter ça avec certaines mesures”. (3) En effet, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame est loin d’être un cas isolé : “J’ai visité, il y a quelque temps, l’église de la Madeleine. J’ai pris des photos de prises électriques dans tous les sens… ce n’est absolument pas aux normes. Demain, la Madeleine peut flamber”. En 2013, l’hôtel Lambert et ses décors peints du XVIIe siècle, situés non loin de la cathédrale, sur l’île Saint-Louis, étaient également partis en fumée pendant des travaux de rénovation. Plus récemment, le 17 mars dernier, un incendie frappait l’église Saint-Sulpice dans le VIe arrondissement de Paris. Maintenant, un nouveau “grand débat” est ouvert : Macron est-il réaliste quand il promet aux Français que “leur” cathédrale sera reconstruite “plus belle encore” d’ici cinq ans ? Faut-il reconstruire la charpente à l’identique en bois de chêne ou en béton ?, etc.

La barbarie du capitalisme détruit délibérément le patrimoine de l’humanité

Quand il s’agit de faire la guerre, la bourgeoisie se moque bien du patrimoine. Bombardements, incendies, destructions volontaires… la classe dominante ne manque pas d’imagination pour pulvériser les “grands trésors du monde” (Trump).

Lorsque Macron affirme : “nous avons bâti des villes, des ports, des églises”, il oublie de préciser que ce fut aussi sur les cendres de ce qu’avaient érigé d’autres “peuples de bâtisseurs”. Ainsi par exemple, la capitale du Vietnam, Hanoï, qui regorgeait de pagodes millénaires d’une grande beauté, fut sauvagement saccagée par l’impérialisme colonial français à la fin du XIXe siècle avec la bénédiction de l’Église catholique : le monastère Bao Thien (qui datait du XIe siècle) et la pagode Bao An furent ainsi volontairement incendiés au nom de l’évangélisation de la population autochtone bouddhiste. Entre 1882 et 1886, sur les cendres du monastère Bao Thien, les colons édifièrent, sur le modèle de Notre-Dame, la très laide et imposante cathédrale Saint-Joseph, symbole de la France coloniale, le tout financé, ironie de l’histoire… par une loterie nationale ! Le monastère Bao Thien, c’était aussi huit siècles d’histoire ravagés par les flammes d’un incendie criminel de la République française qui occupait le Tonkin !

Il en fut de même de la destruction du vieux temple et de la cité aztèque de Tenochtitlan, rasés par les colonisateurs espagnols aux ordres d’Hernan Cortés [8], qui fit édifier une église, devenue cathédrale sous Charles Quint et n’ayant rien de comparable avec les chefs-d’œuvre de l’art gothique, roman ou baroque.

En 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés du camp démocratique bombardèrent la ville de Dresde, déversant sur une des plus belles cités d’Allemagne, la “Florence sur l’Elbe”, un torrent de fer et de feu. Dresde n’avait aucun intérêt stratégique sur le plan militaire et était même surnommée : la “ville-hôpital” avec ses 22 hôpitaux : près de 1 300 avions balancèrent des bombes incendiaires qui firent environ 35 000 victimes et anéantirent entièrement la vieille ville. La démocratie à l’œuvre contre le fascisme ! Il s’agissait surtout pour la bourgeoisie victorieuse de raser les grandes métropoles ouvrières de Hambourg comme de Dresde pour s’assurer qu’aucune tentative d’insurrection prolétarienne ne puisse surgir contre la barbarie guerrière (comme ce fut le cas en 1918 avec la révolution allemande).

D’après l’UNESCO, institution à qui le panier de crabes impérialistes onusien a confié la protection du “patrimoine mondial” : “la dégradation ou la disparition d’un bien du patrimoine culturel et naturel constitue un appauvrissement néfaste du patrimoine de tous les peuples du monde”. Quand, jour après jour, les “États membres” transforment le Moyen-Orient, de la Syrie au Yémen, en véritable champ de ruines, quand les grandes puissances démocratiques, États-Unis, France ou Royaume-Uni en tête, déversent chaque jour des tapis de bombes sur la planète, il y a de quoi vomir devant tant d’hypocrisie ! Personne ne s’étonnera donc que Trump, président de la première puissance impérialiste mondiale, préconise d’envoyer stupidement des “bombardiers d’eau” pour arroser Notre Dame ! (4)

Une nouvelle campagne d’union nationale sur les cendres de Notre-Dame

“C’est à nous, les Françaises et les Français d’aujourd’hui, qu’il revient d’assurer cette grande continuité qui fait la nation française”, déclarait Macron le lendemain de l’incendie de la cathédrale. Pour assurer la “grande continuité qui fait la nation française”, le gouvernement appelait, le soir même de la catastrophe, à la “générosité des Français” et mettait en place une “collecte nationale”.

La bourgeoisie s’en est mis plein les poches pendant des années sans rien sécuriser, sans rien entretenir et n’a aucun scrupule à désormais racketter le “citoyen” et le petit contribuable, en lui demandant de mettre la main à la poche au nom de la sauvegarde du symbole de la nation française. Tout le “peuple” de France, bourgeois et prolétaires devrait désormais se rassembler autour de la reconstruction de la cathédrale, parce que c’est “notre destin” (Macron) ! Les grandes et richissimes familles bourgeoises ont d’ailleurs montré l’exemple en débordant de “générosité”, chacune se bousculant au portillon pour être parmi les premières à vouloir remplir la cagnotte et étaler son hypocrite “philanthropie”.

La bourgeoisie a su instrumentaliser l’émotion pour lancer une nauséabonde campagne d’union nationale où tout le peuple de France est appelé à partager les larmes des grenouilles de bénitier de l’Église catholique, des grands patrons de la bourgeoisie, de Sarkozy à Mélenchon et de tous les “élus” de droite comme de gauche. Lorsque Macron promet de rebâtir Notre-Dame, “et je veux que cela soit achevé d’ici cinq années”, il n’a qu’un seul objectif, pathétiquement chauvin : finir les travaux avant les Jeux olympiques de Paris pour soigner et astiquer “l’image de la France”.

La classe ouvrière ne peut fonder sa perspective révolutionnaire que sur la véritable préservation du patrimoine culturel, artistique et scientifique de l’humanité, un patrimoine que le capitalisme ne peut que continuer à détruire ou à laisser s’effondrer morceau par morceau. Pour le prolétariat, l’art n’est pas un marché juteux ou une pompe à touristes ; il aspire plutôt à bâtir la première culture universelle et vraiment humaine de l’Histoire, une culture où aucun monument, aucun chef-d’œuvre ne sera le symbole du prestige de telle ou telle nation. Car le but ultime de la lutte révolutionnaire du prolétariat contre le capitalisme est l’abolition des frontières et des États nationaux. Dans la société communiste du futur, les œuvres d’art seront toutes considérées comme des “merveilles du monde” et des symboles de la créativité et de la puissance de l’imagination propre à l’espèce humaine.

En hommage à ce grand artiste que fut Léon Tolstoï, Trotski écrivait d’ailleurs : “S’il ne sympathise pas avec nos buts révolutionnaires, nous savons que c’est parce que l’histoire lui a refusé toute compréhension de ses voies. Nous ne le condamnerons pas pour cela. Et nous admirerons toujours en lui non seulement le génie, qui vivra aussi longtemps que l’art lui-même, mais aussi le courage moral indomptable qui ne lui permit pas de rester au sein de son Église hypocrite, de sa Société et de son État, et qui le condamna à rester isolé parmi ses innombrables admirateurs”.

EG, 22 avril 2018

 

1Alexandre Legentil, l’un des initiateurs de l’édification du Sacré-Cœur, cité par Paul Lesourd, Montmartre (1973).

2“Quelle politique patrimoniale la France va-t-elle mener pour éviter que ne se répètent ces tragédies ? [9]”, Le Monde (19 avril 2019).

3“Pourquoi les historiens de l’art et spécialistes du patrimoine sont en colère [10]”, France Info (16 avril 2019).

4Trump est tellement idiot qu’il ne se doutait pas qu’un largage aérien de trombes d’eau sur Notre Dame aurait provoqué un choc thermique et entraîné l’effondrement de la structure de la cathédrale !

Géographique: 

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Grèves dans les maquiladoras (Mexique): le mirage syndicaliste a stérilisé la combativité ouvrière

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Matamoros est une ville de l’État de Tamaulipas, qui est considérée comme l’une des régions les plus dangereuses du Mexique. Elle est le théâtre d’affrontements incessants entre les gangs mafieux qui se querellent pour leurs zones de contrôle, semant la mort et la terreur. Les enlèvements, l’extorsion et les meurtres sont des phénomènes auxquels sont fréquemment confrontés les habitants de cette région, mais il en va de même pour les migrants, mexicains ou centraméricains, qui doivent traverser la zone pour atteindre les États-Unis. 1 Matamoros, bien qu’étant marquée par cet environnement effroyable, fait partie de la zone frontalière industrielle formée à la fin des années 1960, qui a pu être renforcée et étendue au milieu des années 1990 grâce à l’ALENA. 2 Rien que sur cette partie de la frontière, près de 200 maquiladoras, 3 qui ne sont plus de petites et moyennes usines comme dans les années 1970, ont été installées. Certaines d’entre elles sont de grandes entreprises implantées sur différents sites et ont un effectif pouvant atteindre deux mille ouvriers.

Dans ces usines, les ouvriers travaillent à des rythmes effrénés. Depuis 2002, leur temps de travail est passé de 40 heures à 48 heures par semaine, tout en maintenant des salaires quasi-bloqués depuis 15 ans, avec parfois des variations annuelles minimes. Cependant, afin de pouvoir maintenir les seuils de productivité et d’importants bénéfices, il faut impérativement entretenir une surveillance ainsi qu’un contrôle technique et politique au sein de l’usine par le biais de superviseurs et de contremaîtres, mais plus encore au travers de l’organisation syndicale. Une productivité élevée et de bas salaires (qui rivalisent avec ou égalent les maigres salaires des ouvriers chinois) sont la combinaison qui a permis à ces projets d’investissement de faire de gros profits, mais la présence vigilante des syndicats est essentielle pour assurer la soumission des ouvriers et la pérennité de cette situation.

Compte tenu du climat général à la frontière, du contrôle politique féroce imposé aux usines de Matamoros par les syndicats et la direction, il semblait peu probable qu’une réaction ouvrière voit le jour dans cette zone, et plus encore, qu’elle puisse exprimer une grande combativité et une forte capacité à créer des liens de solidarité. Tout cela montre que la classe ouvrière a un potentiel et des capacités de lutte toujours vivants, mais qu’elle ne parvient pas à prendre le contrôle de son combat. Le poids de la confusion et le manque de confiance en ses forces est néanmoins un problème qui a caractérisé les mobilisations.

L’appareil gauchiste du capital assure que ce qui s’est passé récemment à Matamoros était une “révolte ouvrière”, d’autres affirment qu’il s’agissait d’une attaque contre le Président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et de sa “quatrième transformation”, tandis que d’autres parlent d’une “grève sauvage de masse”  Ces affirmations, en plus d’être fausses, sont trompeuses et attaquent directement les ouvriers : elles tendent un voile sur la réalité afin d’éviter que ces derniers puissent tirer les leçons de leurs luttes.

Les forces prolétariennes se noient dans le Code du travail de la bourgeoisie

Le slogan qui a unifié et mobilisé les ouvriers pendant un peu plus d’un mois, et leur permettait de simplifier leur revendication, était “20-32” : augmentation de salaire de 20 %, et versement d’une prime de trente-deux mille pesos (1 660 dollars). Le principal élément déclencheur ayant alimenté le mécontentement et animé la lutte a donc été la dégradation des conditions de vie des ouvriers, mais le contrôle exercé par les syndicats a canalisé cette combativité. Dès le début des mobilisations, une méfiance à l’égard des syndicats s’est exprimée, mais à aucun moment les ouvriers ne sont parvenus à comprendre que les syndicats n’étaient plus des instruments dont ils pouvaient se servir afin de défendre leurs intérêts. C’est pourquoi ils se sont soumis à leurs pratiques, faisant toujours preuve d’indécision et d’une certaine naïveté. Au début, lorsque le mécontentement ouvrier commençait à s’étendre, ils ont cru possible de “faire pression” sur le “leader syndical” et de l’obliger à “prendre leur défense”. Puis, cette indécision s’est transformée en confusion généralisée lorsque les ouvriers ont considéré qu’il suffisait de recevoir des “conseils juridiques honnêtes” pour faire valoir leurs “droits”.

En plaçant leurs espoirs dans les lois et dans une avocate pour “défendre leur intérêts”, la mobilisation ouvrière s’est affaiblie et la confusion a gagné du terrain. En se sentant “protégés” par l’avocate, ils n’ont plus cherché à prendre le contrôle de leur lutte, ce qui souligne un grave problème auquel est actuellement confrontée la classe ouvrière : le manque de confiance en ses propres forces et son absence d’identité de classe.

Cette difficulté a conduit à ce que, malgré leur méfiance à l’égard des organisations syndicales, ils sont restés sous leur contrôle et sur leur terrain, celui qu’encadrent les lois du travail. Ce sont ces mêmes lois qui donnent du pouvoir aux syndicats, en tant que signataires de conventions collectives. En s’accrochant fermement aux directives syndicales, les ouvriers ont cédé le contrôle de la lutte au syndicat lui-même, en lui permettant de contenir le mécontentement, de museler la combativité, et d’imposer le respect des lois bourgeoises, empêchant ainsi la réalisation d’une véritable unification des forces ouvrières, qui s’organiserait hors du syndicat.

En réduisant la lutte au simple respect des lois, les ouvriers, même s’ils s’affichent dans la rue de manière unie et qu’ils tiennent des assemblées générales, au moment de faire face au patron, à l’État et au syndicat, agissent séparément, usine par usine et contrat par contrat. C’est ce que prévoit la législation bourgeoise, qui de cette manière, divise et isole les travailleurs. Au bout du compte, les lois sont faites pour soumettre les exploités.

Alors, est-il possible de lutter hors du syndicat, et au-dessus des lois ? La classe ouvrière, de par son histoire, a connu diverses expériences qui confirment cette possibilité. Par exemple, en août 1980, les ouvriers polonais ont organisé une grève de masse qu’ils contrôlaient véritablement. Ni le déclenchement de la grève, ni la construction de leurs organes unitaires de combat n’étaient conformes aux directives légales, mais ils ont réussi à étendre la mobilisation à tout le pays et à imposer une négociation publique avec le gouvernement. Le caractère massif des mobilisations et leur capacité d’organisation leur ont permis de créer une grande force capable de prévenir la répression. 4

Le mécanisme que l’État polonais a utilisé pour diviser et affaiblir les travailleurs a précisément été le même qu’emploient toutes les bourgeoisies du monde entier : les syndicats. Avec la création du syndicat Solidarność (dirigé par Lech Walesa), l’État a brisé l’organisation et l’unité des travailleurs, ce qui lui a permis d’enfin étendre la répression. Quelque temps plus tard, le leader syndicaliste, Lech Walesa, est nommé chef de l’État polonais.

Les ouvriers et particulièrement ceux de Matamoros doivent recouvrer leur capacité d’analyse ; l’expérience de la grève de masse en Pologne et de sa répression en est le meilleur exemple. Elle montre clairement que le syndicat est une organisation qui agit à l’encontre des ouvriers et qu’il ne suffit pas de s’en méfier : il est impératif de s’organiser en dehors de lui, et en dehors de son terrain de mobilisation.

Les syndicats contre la classe ouvrière

La première grande leçon à tirer de la lutte des ouvriers des maquiladoras est que le syndicat est une arme de la bourgeoisie. 5 L’attitude éhontée des syndicats, en poussant les ouvriers à accepter une augmentation plus faible et à rejeter la prime, révèle de façon claire qu’ils ne sont désormais plus un instrument du prolétariat (comme c’était alors le cas au XIXe siècle). Les menaces et les agressions directes perpétrées par les Syndicats des travailleurs Journaliers et des Ouvriers Industriels et de l’Industrie Maquiladora (SJOIIM) et par le Syndicat industriel des travailleurs des usines de Maquiladoras et d’assemblage (SITPME) ont seulement confirmé ouvertement que les intérêts qu’ils défendent ne sont plus ceux des ouvriers. En opérant sous couverture dans les rangs prolétariens, ils se révèlent être des armes de la bourgeoisie, tels des loups déguisés en moutons.

Au cours des grèves, les syndicats ont agi en défendant les intérêts du patronat, c’est pourquoi la majorité des ouvriers, lors des mobilisations, ont fait part de leur rejet des dirigeants syndicaux, Juan Villafuerte et Jesús Mendoza, et que les cris “dehors les syndicats !” ont retenti sans cesse dans chaque usine et chaque manifestation. Ceci met en évidence le courage des ouvriers et la défiance envers les syndicats. Cependant, les ouvriers sont restés enfermés dans cette forme de bravoure et de combativité, sans réussir à la dépasser. Parce qu’ils n’ont pas confiance en leur propre force, au lieu de prendre le contrôle de la lutte, en s’organisant de façon unifiée en une structure qui les amènerait à rompre complètement avec la domination du syndicat et la division sur laquelle il joue, ils ont reproduit le même schéma : officiellement, ils ont cessé de suivre passivement la direction “traîtresse” du syndicat, pour suivre tout aussi passivement la “nouvelle direction” informelle, représentée par leur conseillère juridique, l’avocate Susana Prieto, qui a utilisé ses compétences de juriste 6 pour replacer la lutte de classe dans le cadre de la législation bourgeoise, et qui a suscité un espoir dans la création d’un syndicat “indépendant”, qui disputerait la convention collective aux anciennes organisations syndicales.

Le travail de confusion, de soumission et de contrôle que réalisent les syndicats n’est pas l’apanage de certains pays ou de certains syndicats, ils sont tous des armes de la bourgeoisie. Peut-on considérer qu’il existe une différence entre le SNTE et la CNTE ? 7 L’un utilise un langage traditionnel, tandis que l’autre a recours à des discours et des actions d’une apparente radicalité, alors que leur objectif est le même : la soumission et le contrôle des ouvriers.

Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement de AMLO encourage très discrètement la création d’organisations syndicales qui lui permettront d’utiliser et d’orienter le mécontentement des ouvriers vers un affrontement avec des anciennes organisations syndicales, principalement associées au Parti de la Révolution Institutionnelle (PRI, comme c’est le cas de la CTM, la CROM et la CROC). 8 López Obrador n’a pas seulement “sauvé” le chef mafieux du Syndicat mexicain des mineurs et des métallurgistes, Napoleón Gómez Urrutia (“Napito”) de son prétendu exil au Canada, où il vivait luxueusement depuis les deux derniers sexennats, pour faire de lui un sénateur, mais surtout pour que celui-ci façonne une “nouvelle fédération syndicale”. Quelques mois après son retour à Mexico, “Napito” a créé la Confédération Internationale des Travailleurs (CIT), englobant des syndicats qui se sont détachés de la CTM et de la CROC, et a également conclu des alliances avec des syndicats américains et canadiens, en particulier l’AFL-CIO et les Métallos. 9

Le président Lopez Obrador, lors de son discours du 14 février dernier, a affirmé que le gouvernement n’interviendrait pas dans la vie des syndicats. Il a néanmoins ajouté : “Nous ne pouvons pas empêcher les travailleurs ou les cadres de pouvoir, conformément à la loi, de demander la création d’un nouveau syndicat” (d’après le quotidien La Jornada). 10 C’est dans cette optique qu’apparaissent de “nouveaux” syndicats, avec ceux qui cherchent à affaiblir les anciens syndicats répondant aux intérêts de fractions bourgeoises différentes de celles qui gravitent désormais autour du nouveau gouvernement. C’est ainsi que des projets syndicaux “alternatifs” ont vu le jour au sein de l’IMSS, de la PEMEX et de l’UNAM. 11

Au XIXe siècle, les syndicats ont été un instrument important du combat et de l’unité des ouvriers. Le capitalisme lui-même, en développant les forces productives, a permis la mise en œuvre de réformes économiques et sociales améliorant les conditions de vie des travailleurs. Aujourd’hui, il est impossible pour le système capitaliste d’apporter des améliorations durables au sort des ouvriers. Cette situation a conduit les syndicats à perdre leur caractère prolétarien et à leur intégration dans l’État. C’est pourquoi à chaque lutte que mènent les travailleurs, ces derniers trouvent le syndicat en train d’essayer de contenir et de saboter la lutte, en assujettissant le mécontentement aux directives des lois bourgeoises, en créant des confusions et des craintes pour affaiblir la confiance et ainsi empêcher l’unité et l’extension de la lutte.

Quelles sont les leçons à tirer du “Mouvement 20-32” ?

La mobilisation menée par les ouvriers des maquiladoras a sans aucun doute été un événement très combatif, mais elle n’a pas pu éviter que la majeure partie des ouvriers s’illusionnent sur les lois et le syndicat lui-même, car s’est étendu l’espoir confus selon lequel les lois, ainsi que les syndicats, s’ils sont dirigés “de manière honnête”, pourraient perdre leur nature anti-prolétarienne. Même la référence au décret de Lopez Obrador (“Décret sur les mesures d’incitation fiscale dans la région frontalière du Nord”) 12 pour montrer la “légalité” de l’augmentation salariale dans les maquiladoras, a permis de voir que la confusion est encore plus profonde, car elle nourrit l’espoir que le nouveau gouvernement puisse améliorer les conditions de vie des travailleurs. De plus, le gouvernement d’AMLO a profité de la mobilisation des travailleurs pour montrer à son partenaire nord-américain sa volonté de se conformer aux augmentations salariales dans les usines des secteurs automobiles et électroniques installées au Mexique, comme l’exige le gouvernement de Trump dans les accords ALENA 2.0 (ou rebaptisés USMCA, États-Unis-Mexique-Canada Agreement).

Il ne suffit pas de quantifier le nombre d’usines dans lesquelles le cahier des charges a été accepté pour faire le point sur les mobilisations. Cet aspect est important, mais il n’est pas suffisant. Pour avoir une vision plus large, il est nécessaire d’évaluer la force massive que les mobilisations ont pu unifier, mais il est surtout primordial de prendre en considération le niveau de conscience qui a été atteint et qui s’est exprimé au travers de formes organisationnelles que le mouvement a pu prendre. Par exemple, le manque de contrôle de la mobilisation par les travailleurs eux-mêmes et la dispersion à la fin de la plupart des grèves brisent les liens de solidarité et permettent que des représailles aient lieu. Selon les chiffres officiels, 5 000 ouvriers ont été licenciés pour avoir participé à la grève.

Pour résumer, les grèves ont permis à une combativité ouvrière, motivée par la dégradation de ses conditions de vie, de voir le jour, mais la bourgeoisie a rapidement soumis ces élans de courage, en entretenant le voile illusoire “du respect démocratique” des lois et en empêchant le développement de la conscience.

Plus grave encore, les problèmes qui se sont développés au cours de la mobilisation pourraient s’étendre et s’aggraver. Le manque de réflexion, et l’enthousiasme avec lequel les grèves ont été levées ont créé un environnement très propice au renouvellement des illusions dans les lois et dans les nouvelles organisations syndicales. La “conseillère juridique” des ouvriers a elle-même déclaré que durant la “seconde phase” du mouvement 20-32, ils s’orienteront vers la formation d’un syndicat “indépendant” qui concurrencera les anciennes organisations syndicales, et qui, en plus de cela, établira à Matamoros un cabinet d’avocats “honnêtes” pour “défendre” les ouvriers. Encore plus d’illusions et plus de confusion, c’est tout ce qui risque de se propager. La seule issue pour les ouvriers face à cette offensive est la lutte, en s’assurant d’en prendre le contrôle, et de réfléchir de manière approfondie sur la nature des syndicats et leur intégration à l’appareil d’Etat partout dans le monde.

Tatlin, avril 2019

Révolution Mundial, organe du CCI au Mexique

 

1 En 2010, a été faite une découverte macabre de 79 corps de migrants centraméricains. L’année suivante, en 2011, une fosse contenant environ 200 corps a été trouvée, bien que certaines sources ont déclaré qu’il y avait en réalité près de 500 cadavres.

2 ALENA : Accord de Libre-échange Nord-Américain signé par les États-Unis, le Canada, le Mexique, entré en vigueur en 1994 et renégocié par Trump dans l’ALENA 2.0.

3 Les maquiladoras, sont des usines de montage en zone franche qui assemblent des biens importés exemptés de droits de douane et destinés à être intégralement réexportés. Ce sont pour la plupart des usines de l’industrie textile ou des usines d’assemblages du secteur automobile. Elles servent aussi à retenir et à surexploiter une main-d’œuvre migrante latino-américaine à l’intérieur et tout le long de la zone frontalière mexicaine (NdT).

4 Sur l’expérience de la Pologne en 1980, voir “Grève de masse en Pologne 1980 : une nouvelle brèche s’est ouverte”, Revue Internationale n° 23 (4e trimestre 1980) et “Un an de luttes ouvrières en Pologne”, Revue Internationale n° 27 (4e trimestre 1981).

5 Voir notre brochure “Les syndicats contre la classe ouvrière”.

6 Nous n’avons pas l’intention de nous perdre en conjectures concernant “l’honnêteté” de l’avocate Susana Prieto. Le principe de sa profession l’amène à évoluer dans le cadre des lois bourgeoises. Le fait qu’elle maintienne une sympathie et un soutien (comme elle l’a elle-même déclaré) au gouvernement de López Obrador, la place sur un terrain clairement bourgeois.

7 SNTE : Syndicat National des Travailleurs de l’Éducation (syndicat officiel). CNTE : Centrale Nationale des Travailleurs de l’Éducation (syndicat “dissident”)

8 CTM : la Confédération de Travailleurs du Mexique, a été créée en 1936. CROM : la Confédération Régionale Ouvrière Mexicaine, fondée en 1918. CROC : la Confédération Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans, formée en 1952.

9 L’American Federation of Labor – Congress of Industrial Organizations, dite AFL-CIO, est la plus grande organisation et fédération syndicale des États-Unis, regroupant également des syndicats tel que les Métallos (United Steelworkers) du Canada dont “Napito” a une grande expérience de toutes les arcanes après y avoir exercé de hautes fonctions pendant 12 ans (entre 2006 et 2018) avant de rentrer au Mexique pour se faire élire sénateur sous l’étiquette du parti d’AMLO, Morena.

10 Il y a derrière cette illusion, une véritable lutte entre fractions bourgeoises pour le contrôle de l’appareil d’encadrement syndical, les syndicats traditionnels, largement discrédités, étant une courroie de transmission des anciens gouvernements (en particulier du PRI) alors que les “nouveaux” syndicats, dits “indépendants”, qui fleurissent aujourd’hui, sont plus ou moins ouvertement instrumentalisés par le nouveau gouvernement : pour gagner ce contrôle face à ses concurrents au sein de la bourgeoisie et parce qu’il est conscient de la nécessité et de l’urgence de recrédibiliser l’appareil syndical dont l’image est fortement ternie par l’implication de la plupart de ses dirigeants dans la corruption généralisée qui règne dans le pays, face aux attaques en préparation contre la classe ouvrière et ses luttes à venir (NdT).

11 IMSS : Institut Mexicain de la Sécurité Sociale. PEMEX : La première compagnie pétrolière mexicaine avec un rayonnement international. UNAM : Université nationale autonome du Mexique, considérée comme l’une des meilleures au monde.

12 Le 10 décembre 2018, le gouvernement de AMLO, a présenté un programme afin d’encourager l’emploi et l’investissement dans la zone frontalière. Leur objectif est de coopter une partie des migrants mexicains et centraméricains, dans le but de ralentir les flux migratoires vers les États-Unis.

 

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Les syndicats contre la classe ouvrière

Salaire de Philippe Martinez (CGT): la bourgeoisie nourrit grassement ses chiens de garde

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Dernièrement, un fait-divers a discrètement fait les titres de quelques “petits” journaux et passant quasiment inaperçu dans les grands médias : le salaire de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, est gracieusement alimenté par une maternité déficitaire. Ce ponte syndical est, en effet, payé par la CGT-métallurgie, elle-même propriétaire de centres de réadaptation professionnelle et… d’une maternité dans le 12e arrondissement parisien à laquelle ce syndicat fait payer un loyer exorbitant (plus d’un million d’euros par an !), contribuant à mettre les comptes de la maternité dans le rouge et nécessitant, au bout du compte, la mise en œuvre d’un plan social.

À première vue, la CGT, propriétaire d’une maternité, ça peut surprendre, mais la réalité du fonctionnement de l’État bourgeois est implacable : derrière ce petit fait divers, toute la logique du fonctionnement des syndicats, en France comme ailleurs, est mis en lumière. En tant que force d’encadrement de la classe ouvrière, les syndicats sont pleinement intégrés à l’État bourgeois qui les finance en très grande partie. (1)

Mais ces larges subsides ne semblent pas suffire, il leur faut en plus mettre en œuvre tout un tas de magouilles pour, notamment, financer le train de vie dispendieux de leurs dirigeants. Pour ce faire, les moyens ne manquent pas : capital immobilier, placements, organismes et établissements à faire fructifier. En clair : des entreprises capitalistes à faire tourner, des salariés à exploiter… Ainsi, les syndicats eux-mêmes participent à l’extraction de la plus-value dans certaines entreprises qu’ils sont amenés à gérer directement, se nourrissant du surtravail et participant à l’exploitation pour garantir un train de vie et des locaux de choix. Cela, sur le dos des salariés qui payent l’addition.

Si certains ont pu imaginer que le syndicat, en tant que “bon” patron immobilier, fasse un geste social, “solidaire” envers les employés de sa maternité. Que nenni ! Impossible de baisser le loyer, explique-t-on à la CGT, car celui-ci “contribue au financement de plusieurs postes de permanents de la fédération pour l’activité syndicale” (sic !). La CGT est donc au service de l’emploi… mais de l’emploi de ses sbires et de sa nomenklatura ! Non contents d’avoir des boîtes à faire tourner, les syndicats (car la CGT n’est pas la seule) ont des permanents et toute une bureaucratie syndicale à entretenir afin de pouvoir assurer leur rôle de saboteurs des luttes, d’encadrement et de flicage de la classe ouvrière.

Ces diverses magouilles ou opérations capitalistes ne diffèrent en rien de celles des grandes entreprises ou de la bureaucratie étatique, avec leurs placements financiers, détournements de fonds, corruption, opacité des comptes… Les magouilles institutionnalisées ne sont en fait qu’un rouage du fonctionnement quotidien de ces organes de l’État.

Entre autres exemples, nous pouvons citer les frais de fonctionnement injustifiés du Comité d’entreprise d’Air France, d’EDF, de la SNCF, les 130 000 euros octroyés pour la rénovation de l’appartement de fonction de Thierry Lepaon, l’ancien secrétaire général de la CGT (un scandale qui obligea le syndicat à l’écarter et nommer… Martinez à sa place). (2)

Autres exemples encore plus outranciers de ces mœurs bourgeoises : selon un rapport de la Cour des Comptes, comme tous les bourgeois ou les Comités d’Entreprise des grands groupes, les syndicats et les “œuvres sociales” qu’ils contrôlent apprécient aussi la vie de château : château de Courcelle-sur-Yvette, dans l’Essonne, pour la CGT, devenu “Centre Benoit-Frachon”, château de Bierville, à Boissy-la-Rivière, non loin d’Étampes, pour la CFDT, où l’on discute retraites, temps de travail et épargne salariale à l’ombre d’un colombier du XIVe siècle. FO, quant à elle, forme ses stagiaires au cœur de la forêt de Compiègne, au château de la Brévière… On croit rêver !

Tout ça au service de quoi ? Officiellement, bien sûr, au service de la classe ouvrière, au service de sa lutte et de son émancipation, et contre les patrons. Les salariés licenciés de la maternité du 12e, comme tous ceux que le CGT exploite sans vergogne, apprécieront la bonne blague !

Mais l’indignation ne suffit pas. Dénoncer ces dérives et en appeler comme le font bon nombre de syndicalistes militants sincères, au retour d’un syndicalisme “propre”, “moral”, “éthique” et “solidaire”, vraiment au service de la lutte ouvrière, est une chimère qui cache l’essentiel. Ces magouilles et ces fastes, dignes des pires patrons, ne sont pas des dérapages ponctuels d’une poignée de dirigeants véreux, non ils sont la conséquence de ce que sont vraiment devenus les syndicats : des rouages de l’État, des structures aux mains de la bourgeoisie pour défendre son système d’exploitation en détruisant de l’intérieur des entreprises les tentatives de luttes ouvrières.

Depuis plus d’un siècle, les syndicats et le syndicalisme n’appartiennent plus à la classe ouvrière. (3) Ni dans leurs structures, ni dans leurs objectifs, ni dans leur fonctionnement.

Stopio, 26 avril 2019

 

(1) En 2016, les syndicats ont reçu 83 millions d’euros de la part de l’État via le fonds de financement du dialogue social, dont près de 19 millions d’euros pour la CGT. Les anciens dirigeants syndicaux sont également souvent intégrés, en marge des commissions parlementaires ou “groupes de travail”, en tant que “personnalités qualifiées”. C’est le cas de Bernard Thibault, ex-leader de la CGT, qui a participé en 2015, par exemple, à un “groupe de travail sur l’avenir des institutions” (tout un programme !) présidé par Claude Bartolone et Michel Winock.

(2) Dans la liste des “scandales” récents qui éclaboussent régulièrement les syndicats, on peut évoquer celui du fichage et de la surveillance étroite par FO de ses membres. Lire notre article : “Listing à FO,derrière le scandale, la logique du Capital !”, Révolution internationale n° 473 (nov.-déc. 2018).

(3) Voir notre brochure : “Les syndicats contre la classe ouvrière”.

Personnages: 

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  • La question syndicale [17]

Rubrique: 

Les syndicats contre la classe ouvrière

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