L'éclatement de la guerre mondiale en 1939 porta un coup terrible aux petites minorités qui avaient survécu aux premières tempêtes de la contre-révolution dans les années 1920 et 1930. La Gauche communiste italienne en exil qui, pendant la plus grande partie de son existence, avait été si lucide sur les préparatifs et les perspectives de guerre, avait succombé aux consolations de la "théorie de l'économie de guerre" dont les tenants défendaient que si la guerre était déclenchée, ce serait pour contenir le début de la révolution mondiale ; puis à celle de "la non existence sociale du prolétariat" pendant la guerre, une formule qui aboutissait à liquider la Fraction. Comme les communistes de conseil, les éléments qui, en Belgique et en France, rejetaient ces théories et voulaient maintenir une activité révolutionnaire se virent rapidement confrontés à la terreur de l'occupation nazie ou à la répression des régimes de collaboration. Quelques groupes anarchistes internationalistes et quelques individus, éparpillés, maintinrent fermement leurs principes mais beaucoup d'autres, plus nombreux, avaient déjà capitulé à l'idéologie de l'antifascisme. Et la trahison la plus retentissante de toutes fut incarnée par le courant trotskyste dont l'écrasante majorité s'engagea dans la guerre impérialiste sous la bannière de l'antifascisme, de la défense de la démocratie et de l'URSS. Les débats sur la forme et sur le contenu de la future révolution qui avaient permis de vraies avancées théoriques au cours des années 1930, furent inévitablement relégués au second plan.
Mais après une courte période de désarroi, le mouvement révolutionnaire commença à se remettre, malgré l'énorme défi imposé par le travail clandestin et l'isolement de la minorité communiste vis-à-vis de la classe ouvrière qui avait, en grande partie, été convaincue du fait que cette guerre était différente, que c'était une guerre de défense de la civilisation contre la barbarie. En France, un petit groupe, surtout actif dans le Sud contrôlé par Vichy, s'étant fermement opposé à la tendance liquidationniste dans la Fraction italienne, se constitua en tant que Fraction française de la Gauche communiste en 1942 1. En Hollande, les survivants du courant communiste de conseils et en particulier le "Marx-Lénine-Luxemburg Front" autour de Sneevliet réussirent à maintenir une activité organisée, et même à intervenir en 1941 dans la grève héroïque des chantiers navals et d'autres ouvriers contre la déportation en Allemagne de collègues de travail et contre la persécution des Juifs 2. Dans le milieu trotskyste, un certain nombre de groupes se dressa contre la trahison des organisations "officielles" : le groupe de Stinas en Grèce, le groupe autour du révolutionnaire espagnol Munis, les RKD (Communistes révolutionnaires d'Allemagne) composés de révolutionnaires autrichiens exilés en France 3. En Italie en 1943, les grandes usines du Nord connurent une puissante vague de luttes, ce qui ranima l'espoir qu'avaient beaucoup de révolutionnaires que la Deuxième Guerre mondiale finirait comme la Première : par une vague de révolutions prolétariennes. Cette poussée d'optimisme amena rapidement à constituer en Italie le Partito Comunista Internazionalista (PCInt), composé d'éléments de la gauche italienne rentrant d'exil et de ceux restés en Italie qui soit s'étaient trouvés (périodiquement) en prison comme Damen, soit assignés à résidence comme Bordiga 4
Peu de temps après, la réflexion théorique et les débats sur les buts de la révolution reprirent aussi dans ce mouvement ré-émergent. Dans la Hollande occupée, Anton Pannekoek commença secrètement à écrire son livre Les Conseils ouvriers qui réaffirmait la perspective révolutionnaire et investiguait les formes et les méthodes de lutte nécessaires au renversement du capitalisme et à la création d'une société communiste. Dans la Fraction française eurent lieu d'intenses discussions sur la nature de classe de la Russie soviétique et sur les caractéristiques d'un régime prolétarien authentique. Et lorsque la fin de la guerre libéra les organisations des restrictions de l'activité clandestine, il y eut pendant quelque temps une floraison des débats dans les organisations et parfois entre elles comme dans les conférences d'internationalistes qui se tinrent en Hollande en 1947 5. C'est dans l'après-guerre que se constitua en Hollande le Spartacusbond qui rejetait les conclusions anti-organisationnelles qu'avait tirées la plupart des groupes hollandais au cours des années 1930 ; que Bordiga produisit des textes clés sur la dictature et la violence ; et que la Gauche communiste de France, groupe qui succéda à la Fraction française en 1946, entreprit un examen théorique inestimable de la nature de l'Etat de la période de transition.
C'est cet examen que nous publions ici, parce qu'il représente à la fois une continuité des travaux effectués par Bilan sur les problèmes de la période de transition (republiés précédemment dans cette série) et une avancée par rapport à ceux-ci. C'est à notre avis la contribution sur les problèmes de la transition au communisme la plus pérenne qui a été faite dans la période d'après-guerre.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait rien à retenir de ce que d'autres courants développaient à cette époque, au contraire.
Le livre de Pannekoek, Les Conseils ouvriers, par exemple, constitue une excellente présentation de sa compréhension de la dynamique de la lutte de classe et de la façon dont les caractéristiques fondamentales de celle-ci– le développement de la solidarité, de l'organisation et de la conscience et, surtout, la tendance à la grève de masse – furent portées sur un nouveau plan avec l'apparition des conseils ouvriers, la forme enfin trouvée qui permettait au prolétariat de renverser le capitalisme et de reconstruire une société sur des fondements communistes. Toute discussion sur le formes d'organisation de la classe à l'époque de la révolution prolétarienne nécessite d'assimiler ce travail.
Et, cependant, comme le souligne notre livre sur la gauche hollandaise, ce travail souffre de certaines faiblesses cléfondamentales 6.
En ce qui concerne la période de transition, le livre est en continuité avec le livre du GIC Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes et se centre sur la question des bons du travail et de la comptabilité "sociale" comme moyen pour la classe ouvrière de garder le contrôle du processus productif dans la construction de la nouvelle société. En d'autres termes, la question centrale, pour Pannekoek comme pour le GIC, se situe dans la sphère de l'économie, même s'il reconnaît que pour la classe ouvrière les domaines de l'économique et du politique ne peuvent être séparés de façon rigide et que les conseils ouvriers assumeraient certainement des tâches politiques dans le cours vers le renversement révolutionnaire du capitalisme. Cependant, ces tâches politiques restent extrêmement vagues. Le pouvoir collectif de la classe ouvrière dans ses conseils, élus par des assemblées sur les lieux de travail, est vu comme une expression de la "dictature du prolétariat" de Marx, mais le problème de l'Etat de transition – de son surgissement inévitable et des dangers qu'il entraîne – est tout bonnement absent de ses considérations ; cette sous-estimation de la dimension politique de la révolution s'exprime également par l'abandon par Pannekoek de la notion de parti communiste, parti qu'il avait défendu dans la phase ascendante de la vague révolutionnaire au début des années 1920.
Le texte de Bordiga "Force, violence et dictature dans la lutte de classe" (1946) 7 semble sous bien des aspects tomber dans des erreurs symétriques à celles de Pannekoek. La force de ce travail est de réaffirmer contre l'hypocrisie pacifiste du consensus "démocratique" qui incluait le parti communiste stalinien – et avait émergé sur la base du plus grand massacre de l'histoire de l'humanité – les bases de classe de la révolution qui était à l'ordre du jour de l'histoire, et la nécessité pour le prolétariat d'avoir recours à la violence organisée dans le renversement du régime capitaliste et l'établissement de sa propre dictature politique Bordiga mettait l'accent sur l'inévitabilité d'une guerre civile, d'un État transitoire pour écraser la résistance de la classe dominante, et d'un parti communiste pour exprimer et défendre les buts du communisme contre les confusions et les hésitations inévitables existant dans la classe.
Bordiga comprenait aussi l'importance historique des organes du type soviets ou conseils :
"Les conseils sont effectivement à la base des organes de classe et non pas, comme on l’a cru, des combinaisons de représentations corporatives ou professionnelles ; donc ils ne présentent pas les limitations qui affectent les organisations purement économiques. L’importance de ces conseils réside pour nous avant tout dans le fait qu’ils sont des organes de lutte et c’est en nous reportant à l’histoire de leur développement réel, et non à des modèles fixes de structure, que nous cherchons à les interpréter.
Ce fut donc un stade essentiel de la révolution que celui où les Conseils se dressèrent contre la Constituante à type démocratique qui venait d’être élue et où le pouvoir bolchévique dispersa par la force l’assemblée parlementaire réalisant le mot d’ordre historique génial de “Tout le pouvoir aux soviets”. " 8
En même temps, Bordiga mettait en garde contre le danger de transformer en fétiche les majorités démocratiques issues de ce type d'organes :
"Mais tout ceci ne suffit pas à nous faire accepter l’opinion qu’une telle représentation de classe une fois constituée, et mise à part la fluctuation en tous sens de sa composition représentative, il soit permis d’affirmer qu’à n’importe quel moment de la lutte difficile conduite par la révolution à l’intérieur et à l’étranger, la consultation ou l’élection des Conseils soit un moyen commode de résoudre à coup sûr toutes les questions et même d’éviter la dégénérescence contre-révolutionnaire.
Cet organisme décrit un cycle très complexe qui, dans l’hypothèse la plus optimiste, doit se conclure par sa disparition en même temps que l’État dépérira. Mais pour cette raison même, il faut admettre que le mécanisme du Soviet tout comme il est susceptible d’être un puissant instrument révolutionnaire, peut aussi tomber sous des influences contre-révolutionnaires. En conclusion, nous ne croyons à aucune immunisation constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve uniquement dépendre du développement intérieur et mondial du rapport des forces sociales." (Idem)
Il est certain que ni un vote majoritaire ni une "forme constitutionnelle" ne constitue une garantie de la conscience de classe ni, automatiquement, une barrière contre l'opportunisme ou la dégénérescence. Cette critique de ce qu'on pourrait appeler le "démocratisme" avait déjà été élaborée dans de précédents travaux sur la période de transition par la Fraction italienne, comme dans les articles de Vercesi "Parti-Etat-Internationale" 9. Mais Bordiga semblait ignorer totalement l'existence du travail critique effectué par la Fraction sur le problème de l'Etat post-révolutionnaire – ces écrits qui, tirant des leçons de l'expérience de dégénérescence du pouvoir prolétarien en Russie, argumentaient contre la méconnaissance des aspects négatifs existant même dans le "demi-Etat". Bordiga, lui, ne faisait pas de distinction entre l' "Etat prolétarien" et le véritable exercice du pouvoir par le prolétariat et considérait même l'Etat comme le levier de la transformation révolutionnaire de la société ; et là où la Fraction avait analysé un véritable problème avec l'identification du parti à l'Etat, ce qui avait contribué de façon significative à la dégénérescence interne de la révolution en Russie, Bordiga niait totalement que cela ait été un facteur important dans la liquidation du pouvoir politique prolétarien. Pour lui, le parti était le principal instrument à la fois de l'insurrection prolétarienne et de la domination post-insurrectionnelle. Comme il l'écrit dans un texte de 1951, "Dictature du prolétariat et parti de classe" :
"Le parti communiste déclenche la guerre civile et la gagne, occupe les positions-clef au sens militaire et social, multiplie par mille ses moyens de propagande et d’agitation en conquérant les bâtiments et édifices publics, forme sans perdre de temps en procédures les “corps d’ouvriers armés” dont parle Lénine, la garde rouge, la police révolutionnaire. Aux assemblées des Soviets, il devient majorité sur le mot d’ordre : “Tout le pouvoir aux soviets !”. Cette majorité est-elle un fait juridique, froidement et banalement numérique ? Nullement. Quiconque – espion ou travailleur sincère mais trompé – vote pour que le Soviet renonce au pouvoir conquis grâce au sang versé par les combattants prolétariens ou pour qu’il en trafique avec l’ennemi, sera expulsé à coups de crosse par ses camarades de lutte. Et on ne perdra pas de temps à le compter dans une minorité légale, hypocrisie coupable dont la révolution n’a pas besoin, alors que la contre-révolution s’en nourrit. …
En conclusion, le parti communiste gouvernera seul et n’abandonnera jamais le pouvoir sans une lutte matérielle. Cette affirmation courageuse de la volonté de ne pas céder à la tromperie des chiffres et de ne pas en faire usage aidera à lutter contre la dégénérescence de la révolution." 10
L'idée de déléguer le pouvoir au parti allait être mise en question par Damen et par d'autres dans le PCInt et constitua l'un des éléments de la scission du parti en 1952 mais, de notre point de vue, c'est la GCF qui est allée le plus loin dans l'assimilation des véritables enrichissements théoriques réalisés par la Fraction italienne au cours de la précédente décennie. La GCF avait succédé à la Fraction française à la suite d'une scission sur la question de la constitution du parti en Italie. Un noyau de camarades en France s'était opposé à la dissolution hâtive de la Fraction italienne et avait vu que les espoirs d'une reprise révolutionnaire qui étaient nés en 1943, s'étaient avérés sans fondement : l'issue de la guerre avait renforcé la défaite du prolétariat et, par conséquent, la tâche de l'heure n'était pas la formation d'un nouveau parti mais essentiellement la poursuite du travail de la Fraction. Un élément de cette orientation fut l'engagement de la GCF à poursuivre et à développer l'ensemble du patrimoine théorique de la Fraction et elle appliqua cette méthode à la question de la période de transition.
Comme l'avait fait la Fraction, le texte de la GCF renouait avec les critiques les plus approfondies de l'Etat, élaborées dans les écrits de Marx et Engels, montrant que le rapport entre le prolétariat et l'Etat – y compris l'Etat post-révolutionnaire – était très différent de celui qu'avaient avec lui les classes révolutionnaires précédentes dont la mission était d'introduire une nouvelle forme d'exploitation de classe. Mais alors que la Fraction avait repris, à la lumière de la dégénérescence de la révolution russe, les avertissements pleins d'intuition de Engels selon lesquels même l'Etat de transition devait être traité comme un "fléau" et où il insistait sur le fait que le prolétariat ne pouvait s'y identifier, la GCF accomplit un pas supplémentaire et conclut logiquement de cela que si le prolétariat ne pouvait s'identifier à l'Etat de transition, cela n'avait pas de sens de l'appeler prolétarien.
"L’obligation historique pour le prolétariat de se servir [de l'Etat] ne doit nullement entraîner l’erreur théorique et politique fatale, d’identifier cet instrument avec le socialisme. L’État, comme les prisons, n’est pas le symbole du socialisme, ni de la classe appelée à l’instaurer : le prolétariat.
La dictature du prolétariat exprimant la volonté de la classe révolutionnaire de briser les forces et les classes hostiles, et d’assurer la marche vers la société socialiste, exprime également son opposition fondamentale à la notion et à l’institution de 1’État. L’expérience russe a mis particulièrement en évidence l’erreur théorique de la notion de 'l’État ouvrier', de la nature de classe prolétarienne de l’État et de l’identification de la Dictature du prolétariat avec l’utilisation, par le prolétariat, de l’instrument de coercition qu’est l’État…
…L’histoire et l’expérience russe ont démontré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit, mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant." ("Thèses" de la GCF, reproduites ci-dessous)
Egalement, alors que la Fraction avait commencé à développer une compréhension de la tendance générale au capitalisme d'Etat dans la période de décadence de la société bourgeoise, le texte de la GCF l'exprime de façon bien plus explicite tout en rejetant en même temps les ambiguïtés de Bilan sur la survie d'une 'économie prolétarienne' dans l'URSS d'avant-guerre, qui aurait été incarnée par la collectivisation des moyens de production. Le texte de la GCF est très clair sur le fait que le capitalisme ne dépend en aucune façon de la propriété "privée" individuelle et est en fait tout à fait compatible avec la propriété d'Etat même sous une forme extrême et totalitaire : donc le système en URSS, basé sur l'extraction de la plus-value du prolétariat par une minorité de bureaucrates d'Etat, était totalement capitaliste. Le texte de la GCF rejette l'idée même d'une "économie prolétarienne" et considère en revanche la période de transition non comme un mode de production stable mais comme un champ de bataille entre le capitalisme et le mouvement vers le socialisme.
Néanmoins, dans certains domaines, la GCF en 1946 n'avait pas encore dépassé certains des points plus faibles de la position de Bilan.
- La notion selon laquelle les tâches économiques de la période de transition se centrent autour du développement des forces productives jusqu'au point où l'abondance peut être réalisée, des tâches conçues comme un processus d' "accumulation de valeurs", quoique ce processus soit marqué par un accroissement proportionnel du capital variable en opposition au capital constant, par un changement fondamental de la production de biens de production vers la production de biens de consommation. Cette démarche sous-estime la nécessité de lutter dès le début contre le travail salarié, même si la Fraction tout comme la GCF avaient raison de considérer que la loi de la valeur n'allait pas disparaître en une nuit. De plus, aujourd'hui, plus d'un demi-siècle après que le texte de la GCF a été écrit, il est plus évident que jamais que la tâche principale du prolétariat ne sera pas de "développer" la technologie jusqu'à rendre l'abondance possible, mais de réorganiser et de transformer les rapports sociaux de production afin de libérer le potentiel déjà existant pour l'abondance. 11
- Le texte parle toujours, comme la Fraction, de l'exercice de la dictature du prolétariat par le parti, même si la GCF et la Fraction mettaient en garde contre le danger d'identifier le parti et l'Etat. Chez la GCF, c'est peut-être encore plus contradictoire, puisque le texte de 1946 montre une plus grande compréhension du rôle central joué par les conseils ouvriers dans le processus de transformation économique et sociale et qu'il dit explicitement que le parti "dirigera" les conseils uniquement à travers son rôle politique et sa capacité à convaincre la masse des ouvriers.
"C’est au travers de ces Conseils que les prolétaires, pour la première fois, apprennent, en tant que membres de la société, l’art d’administrer et de diriger eux-mêmes la vie de la société. Le Parti n’impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l’économie par décrets ou en se réclamant du droit divin. II fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à l’approbation des masses travailleuses s’exprimant dans les Conseils (Soviets), et en s’appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils supérieurs pour faire triompher sa politique de classe." (Ibid.)
Tout aussi explicite est le rejet de tout rapport de violence au sein de la classe et même entre la classe ouvrière et les autres classes non exploiteuses qui seront intégrées dans le nouvel Etat à travers des organisations de type soviétique. La violence, tout en étant nécessaire et inévitable dans la lutte contre la classe exploiteuse, est rejetée comme méthode de transformation sociale parce qu'elle est en contradiction avec les buts du communisme, et cette position est d'autant plus renforcée par l'observation que l'Etat capitaliste, par-dessus tout dans son époque de décadence, a évolué d'instrument de violence au nom de la classe dominante en un instrument qui tend à perpétuer la violence dans son propre intérêt.
Etant donné ces contradictions, il n'est pas surprenant que l'idée selon laquelle c'est le parti qui exerce la dictature, ait été définitivement et plutôt rapidement rejetée, en partie grâce à la capacité de la GCF à assimiler la contributions d'autres fractions de gauche, de la gauche germano-hollandaise en particulier. Aussi en juin 1948 (dans Internationalisme n°38), la GCF publia un texte programmatique "Sur la nature et la fonction du parti politique du prolétariat" qui établit que :
"Au cours de la période insurrectionnelle de la révolution, le rôle du parti n'est pas de revendiquer le pouvoir, ni de demander aux masses de lui "faire confiance". Il intervient et développe son activité en vue de l'auto-mobilisation de la classe, à l'intérieur de laquelle il tend à faire triompher les principes et les moyens d'action révolutionnaire.
La mobilisation de la classe autour du parti, à qui elle "confie" ou plutôt abandonne la direction, est une conception reflétant un état d'immaturité de la classe. L'expérience a montré que, dans de telles conditions, la révolution se trouve finalement dans l'impossibilité de triompher et doit rapidement dégénérer en entrainant un divorce entre la classe et le parti. Ce dernier se trouve rapidement dans l'obligation de recourir de plus en plus à des moyens de coercition pour s'imposer à la classe et devient ainsi un obstacle redoutable pour la marche en avant de la révolution.
Le parti n'est pas un organisme de direction et d'exécution. Ces fonctions appartiennent en propre à l'organisation unitaire de la classe. Si les militants du parti participent à ces fonctions, c'est en tant que membres de la grande communauté du prolétariat." 12
L'insistance sur les conseils – que la Gauche italienne des années 1930 avait hésité à généraliser à partir de l'expérience russe – est également en contradiction avec une autre faiblesse du texte : son attente que les syndicats (ou plutôt une forme renouvelée de syndicats) joue un rôle-clé dans la défense de l'autonomie de classe au cours de la période de transition. Cela se basait sur l'idée que les syndicats, malgré leur tendance à la bureaucratisation et à l'engagement dans l'Etat bourgeois, restaient des organes de la classe. Cette idée allait rapidement être abandonnée, partiellement à la lumière de l'expérience directe de la lutte de classe (comme lors de la grève de Renault en 1947) et en partie de nouveau à travers les débats avec des courants comme la gauche germano-hollandaise qui avaient plus rapidement vu que les syndicats s'étaient irrémédiablement intégrés au capitalisme. Ceci dit, le point essentiel dans la partie sur les syndicats reste valable : même après la prise du pouvoir, le communisme n'est pas encore instauré et les ouvriers devront continuer à se défendre contre toute tendance au rétablissement des rapports sociaux capitalistes.
La GCF n'a jamais considéré son texte comme étant le dernier mot sur les problèmes de la période de transition. Mais ces Thèses sont un exemple brillant de la méthode théorique nécessaire pour traiter cette question et toutes les autres questions authentiques : se baser solidement sur les acquis du passé mais être prêt à critiquer et à dépasser les aspects du travail de nos prédécesseurs qui se sont avérés non valables ou que l'histoire a laissés derrière elle.
CDW
(Adoptées par la Gauche communiste de France, mars 1946)
1- L’État apparaît dans l’histoire sur la base de l’existence d' intérêts antagoniques divisant la société humaine. II est le produit, le résultat des rapports économiques antagoniques. Tout en jouant un rôle en tant que facteur réagissant au cours de l’histoire, il est avant tout un objet directement déterminé par le processus économique et au cours de celui-ci.
En apparence placé au-dessus des classes, il est en réalité l’expression juridique de la domination économique, la superstructure, le revêtement politique du règne économique d’une classe donnée dans la société.
Les rapports économiques entre les hommes, la formation des classes et la place qu’elles occupent dans la société sont déterminés par l’évolution, le développement des forces productives à un moment donné. La raison d'être de l’État est exclusivement dans la fonction de codifier, de légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi dont l’acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. Ainsi, l’État veille au maintien de l’équilibre, à la stabilisation des rapports entre les membres et les classes, rapports issus du processus économique même, en empêchant toute manifestation des classes opprimées, contre toute remise en question qui se traduirait par la perturbation et l’ébranlement de la société. Ainsi, l’État remplit une fonction importante dans la société assurant la sécurité, l’ordre indispensable à la continuation de la production, mais il ne peut le faire que par son caractère essentiellement conservateur. Au cours de l’histoire, l’État apparaît comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, il est une entrave à laquelle se heurtent constamment l’évolution et le développement des forces productives.
2- Pour remplir son rôle double d’agent de sécurité et d’agent de réaction, l’État s’appuie sur une force matérielle, sur la violence. Son autorité réside dans la force de coercition. Il possède en monopole exclusif toutes les forces de violence existantes : la police, l’armée, les prisons.
De par le jeu de la lutte entre les classes, tout en étant le représentant de la classe dominante, l’État tend à acquérir une certaine indépendance. Avec le développement, la bourgeoisie déterminant des formations nationales, de vastes concentrations d’unités économiques, politiques, par le développement des antagonismes et des luttes des classes sur des échelles toujours plus grandes, par l’opposition aggravée contre les grands États capitalistes, l’État sera amené à pousser au paroxysme le développement de sa force coercitive afin de maintenir l’ordre à l’intérieur, en forçant le prolétariat et les autres classes travailleuses à subir et à accepter l’exploitation capitaliste tout en reconnaissant juridiquement et formellement la liberté de l’individu ; à l’extérieur, en garantissant les frontières des champs d’exploitation économique, contre la convoitise des autres groupes capitalistes et en tendant à les élargir aux dépens des autres États.
Ainsi, à l’époque capitaliste où la division horizontale et verticale de la société, et la lutte engendrée par cette division atteignent le point culminant de l’histoire humaine, l’État atteindra également le point le plus haut de son développement et de son achèvement en tant qu’organisme de coercition et de violence.
Ayant son origine dans la nécessité historique de la violence, trouvant dans l’exercice de la coercition, la condition de son épanouissement, l’État deviendra un facteur indépendant et supplémentaire de la violence dans l’intérêt de son autoconservation, de sa propre existence. La violence en tant que moyen deviendra un but en soi, entretenu et cultivé par l’État, répugnant de par sa nature même à toute forme de société tendant à se passer de violence en tant que régulateur des rapports entre hommes.
3- Dans la complexité des contradictions enchevêtrées et inextricables s’épanouissant avec le développement de l’économie capitaliste, l’État est appelé à s’immiscer à chaque instant dans tous les domaines de la vie : économique, social, culturel, politique, aussi bien dans la vie privée de chaque individu que dans ses rapports avec la société sur le terrain local, national et mondial.
Pour faire face à toutes ses obligations sociales immenses, l’État fera appel à une masse toujours plus grande de personnes, les enlevant à toute activité, à toute participation à la production, en créant ainsi un corps social à part, aux intérêts propres, ayant pour spécialité et pour charge d’assurer le fonctionnement de la machine étatique et gouvernementale.
Une fraction importante (10% et peut-être plus) de la société constitue ainsi une couche sociale indépendante, les politiciens, les hauts fonctionnaires, la bureaucratie, le corps juridique, la police et le militarisme ayant des intérêts économiques propres vivant en parasites de la société, ayant pour patrimoine et champ d’exploitation, réservé à eux, l’appareil étatique.
De serviteur de la société, au service de la classe dominante, ce corps social, de par sa masse et surtout de par sa place dans la société, à la direction du gouvernail étatique, tend à s’affranchir de plus en plus pour se poser en maître de la société, et en associé de la classe dominante. II possède en commun et en monopole exclusif les finances publiques, le droit de dicter les lois et de les interpréter, et la force matérielle de la violence pour les appliquer dans son intérêt.
Ainsi naît et surgit une couche sociale privilégiée nouvelle qui tire son existence matérielle de l’existence de l’État, couche parasitaire et essentiellement réactionnaire, intéressée à la perpétuation de l’État, relativement indépendante, mais toujours associée à la classe dont le système économique est basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme, et dont le principe est le maintien et la perpétuation de l’exploitation humaine ainsi que la sauvegarde des privilèges économiques et sociaux.
4- Le développement de la technique et des forces productives ne peut plus être enfermé dans le principe bourgeois de la possession privée des moyens de production. Même la production capitaliste est obligée de porter atteinte à son principe sacro-saint de la possession privée des moyens de production, et de recourir à une nationalisation capitaliste de certaines branches de son économie, comme les Chemins de Fer, les PTT et, partiellement, l’aviation, la marine marchande, la métallurgie et les mines. L’immixtion de l’État se fera de plus en plus sentir dans toute la vie économique, évidemment et dans l’intérêt et pour la sauvegarde du régime capitaliste dans son ensemble. D’autre part, dans la lutte de classe entre les forces antagoniques de la société, classes et groupes économiques, l’État ne pourrait assumer son rôle de représentant et de “médiateur” qu’en s’appuyant lui-même sur une base matérielle, économique, indépendante et solide.
Dans cette évolution historique de la société capitaliste, l’État acquerra une figure de plus en plus nouvelle, un caractère nouveau, économique, d’État Patron. Tout en gardant sa fonction politique d’État capitaliste et en l’accentuant, il évoluera sur le terrain économique vers un capitalisme d’État. L’État prélèvera une masse de plus-value en tant que part d’associé dans les branches et secteurs où subsiste la possession privée des moyens de production, au même titre que tout autre capital (bancaire ou foncier), ou il exploitera directement les branches ou secteurs étatisés en unique patron collectif, en vue de la création de la plus-value. La répartition de cette plus-value se fait entre les fonctionnaires de l'Etat (sauf la partie qui est capitalisée en étant réinvestie dans la production) selon leur rang et les privilèges qu'ils ont obtenus.
La tendance économique vers le capitalisme d’État tout en ne pouvant pas s’achever dans une socialisation et une collectivisation complètes dans la société capitaliste, reste néanmoins une tendance très réelle affranchissant en quelque sorte l’État d’un rôle strictement instrumental, le fait apparaître dans son caractère économique nouveau de patron collectif anonyme exploitant et extirpant collectivement la plus-value.
La possession privée des moyens de production, tout en ayant été la base fondamentale du système économique du capitalisme et en subsistant encore aujourd’hui, peut parfaitement subir des modifications profondes dans la phase finale du capitalisme sans pour cela mettre en danger les principes mêmes de l’économie capitaliste. L’étatisation plus ou moins grande des moyens de production, loin de signifier la fin du système, s’accorde parfaitement avec ce système et peut être même la condition de son maintien, à condition que le principe fondamental du capitalisme persiste, à savoir l’extirpation toujours plus grande de plus-value des ouvriers se poursuivant au bénéfice d’une minorité privilégiée et puissante. L’opposition fondamentale entre l’économie capitaliste et l’économie socialiste ne réside donc pas dans la possession privée des moyens de production. Si le socialisme est incompatible avec la possession privée des moyens de production, l’absence de cette dernière (tout en étant une condition indispensable pour l’instauration de l’économie socialiste) n’est pas forcément du socialisme, puisque la réalité nous démontre l’accommodation du capitalisme avec l’étatisation des moyens de production en s’acheminant vers le capitalisme d’État.
L’opposition fondamentale entre l’économie capitaliste et socialiste réside :
dans le moteur et le but de la production : le principe capitaliste a pour moteur et but la recherche de plus en plus grande de la plus-value, le principe socialiste, au contraire, a pour but la recherche de la satisfaction des besoins de la société et de ses membres ;
dans la répartition immédiate des produits et des valeurs créées, le principe capitaliste est caractérisé par une part de plus en plus réduite de la masse des valeurs créées laissées pour la consommation, la plus grande part servant au réinvestissement en vue de l’élargissement de la production, le principe socialiste réside dans l’accroissement proportionnel plus grand de la part des producteurs à la valeur produite pour la jouissance immédiate. La partie des valeurs produites directement consommables doit tendre à s’accroître par rapport à la partie destinée à être investie dans la production en vue d’une reproduction.
Ainsi la tendance grandissante de l’État à l’indépendance au sein du capitalisme, tendance non seulement politique mais aussi économique, loin de présenter un affaiblissement de la société capitaliste ne fait que transférer la puissance économique du capitalisme à l’État en érigeant ce dernier en la puissance, l’essence même du capitalisme. Face au prolétariat et à sa mission historique d’instauration de la société socialiste, l’État se présente comme le Goliath historique. De par sa nature, il présente toute l’histoire passée de l’humanité, toutes les classes exploiteuses, toutes les forces réactionnaires. Sa nature étant, comme nous l’avons démontré, conservatisme, violence, bureaucratisme, maintien des privilèges et exploitation économique, il incarne le principe d’oppression irréductiblement opposé au principe de libération, incarné par le prolétariat et le socialisme.
5- Toutes les classes jusqu’à ce jour n’ont fait que substituer leur domination, dans l’intérêt de leurs privilèges, à la domination des autres classes. Le développement économique des classes nouvelles se faisait lentement et longtemps avant d’instaurer leur domination politique au sein de l’ancienne société. Parce que leurs intérêts économiques coïncidant avec le développement des forces productives n’étaient que les intérêts d’une minorité, d’une classe, leur force s’accroissait au sein de l’ancienne société, économiquement d’abord. Ce n’est qu’à un certain degré de ce développement économique, après avoir économiquement supplanté, en partie résorbé l’ancienne classe dominante, que le pouvoir politique, l’État, la domination juridique, viennent consacrer le nouvel état de fait. La bourgeoisie s’est développée longuement économiquement, le capital marchand s’est affermi, et ce n’est que lorsque la bourgeoisie a dominé économiquement l’ancienne société féodale qu’elle a accompli sa révolution politique. La révolution bourgeoise doit briser la résistance des féodaux, la superstructure idéologique, le droit féodal devenus des entraves au développement des forces productives, mais elle ne brisa pas l’État. Le principe de l’État étant la sauvegarde de l’exploitation de l’homme par l’homme, la bourgeoisie n’a fait que s’emparer et continuer à faire fonctionner la machine de l’État pour son propre intérêt de classe. Le processus des révolutions des autres classes dans l’histoire se présente donc de façon suivante :
Édification et affermissement économique de la nouvelle classe au sein de l’ancienne société.
Domination économique, révolution économique pacifique.
Révolution politique violente consacrant le fait économique.
Maintien de l’appareil d’État en le faisant fonctionner dans l’intérêt de la nouvelle classe.
Résorption graduelle des anciennes classes dirigeantes qui survivent dans la nouvelle classe dominante.
6- Le prolétariat à l’encontre des autres classes dans l’histoire, ne possède aucune richesse, aucune propriété matérielle. Il ne peut édifier aucune économie, aucune assise économique dans l’enceinte de la société capitaliste. Sa position de classe révolutionnaire réside dans le déroulement objectif de l’évolution, rendant l’existence de la propriété privée incompatible avec le développement des forces productives, d’une part, et de l’impossibilité de la production de la plus-value, d’autre part [de poursuivre la reproduction élargie en une économie dont la base est la production de la plus–value d'autre part.]. [La société capitaliste] se heurte ainsi à l’absence du marché susceptible de réaliser cette plus-value. La nécessité objective de la société socialiste en tant que solution dialectique aux contradictions internes du système capitaliste trouve en le prolétariat la seule classe dont les intérêts s’identifient avec l’évolution historique. La dernière classe de la société ne possédant rien, n’ayant aucun privilège à défendre se rencontre avec la nécessité historique de supprimer tout privilège. Le prolétariat est la seule classe qui peut remplir cette tâche révolutionnaire de suppression de tout privilège, de toute propriété privée, pouvant développer les forces productives libérées des entraves du système capitaliste, au bénéfice et dans l’intérêt de toute l’humanité. Le prolétariat n’a et ne peut avoir, une politique économique au sein du régime capitaliste.***
Il n’a aucune économie de classe à édifier avant ou après la révolution. A l’encontre des autres classes, et pour la première fois dans l’histoire, c’est une révolution politique qui précède et crée les conditions d’une transformation sociale et économique. La libération économique du prolétariat est la libération économique de toute entrave d’intérêt de classe, la disparition des classes. II se libère en libérant toute l’humanité, et en se dissolvant dans son sein.
L’État, principe de domination et d’oppression économique de classe, ne peut être conquis dans le sens classique par le prolétariat. Au contraire, les premiers pas vers son émancipation consistent dans la destruction révolutionnaire de cet État. N’ayant aucune assise économique, aucune propriété, le prolétariat puise sa force dans la conscience qu’il acquiert des lois historiques, objectives du processus économique. Sa force est exclusivement sa conscience et son organisation. Le parti de classe cristallisant la conscience de la classe, présente la condition indispensable pour l’accomplissement de la mission historique au même titre que ses organisations unitaires de lutte représentent sa capacité matérielle et pratique de l’action.
Les autres classes dans l’histoire, parce qu’ayant une assise économique au sein de la société, pouvaient plus ou moins se passer d’un parti ; elles étaient elles-mêmes à peine conscientes de l’aboutissement de leur action, et elles s’identifiaient avec l’État, principe de privilèges et d’oppression. Le prolétariat se heurte, à chaque moment de son action en tant que classe, à l’État ; il est l’antithèse historique de l’État.
La conquête de l’État par une classe exploiteuse dans un pays donné marquait le terme historique, le dernier acte révolutionnaire de cette classe. La destruction de l’Etat par le prolétariat n’est que le premier acte révolutionnaire de classe ouvrant pour lui et son parti tout un processus révolutionnaire en vue de la révolution mondiale d’abord et ensuite sur le terrain économique en vue de l’instauration de la société socialiste.
7- Entre le degré atteint par les forces productives entrant en opposition avec le système capitaliste, et qui font sauter les cadres de ce système, et le degré de développement nécessaire pour l’instauration de la société socialiste, de la pleine satisfaction des besoins de tous les membres de la société, existe un décalage historique très grand. Ce décalage ne peut être effacé par une simple affirmation programmatique comme le croyaient les anarchistes, mais doit être comblé sur le terrain économique, par une politique économique du prolétariat. C’est en cela que réside la justification théorique de l’inévitabilité d’une phase historique transitoire entre le capitalisme et le socialisme. Phase transitoire ou la domination politique, et non économique, appartient à la classe révolutionnaire qui est la dictature du prolétariat.
La maturation des conditions économiques en vue du socialisme est l’œuvre politique du prolétariat, de son parti et ne peut être solutionnée sur le terrain national, mais exige des assises mondiales. Le capitalisme, s’il est un système mondial, ne l’est que dans la mesure de la domination mondiale du capital et le développement économique des différents secteurs de l’économie mondiale, de même que celui des différentes branches industrielles ne se fait que dans la limite compatible avec l’intérêt du Capital.
Autrement dit, le développement de différents secteurs et branches de l’économie mondiale a été profondément entravé. Le socialisme, par contre, trouve ses assises dans un très haut degré de développement économique de tous les secteurs de l’économie mondiale. La libération des forces productives des entraves capitalistes dans tous les pays par la révolution prolétarienne sur l’échelle mondiale est donc la première condition d’une évolution économique de la société vers le socialisme.
La politique économique du prolétariat se développe sur la base de la généralisation de la révolution à l’échelle mondiale et est contenue, non dans l’affirmation unilatérale de développement de la production, mais essentiellement dans le rythme harmonieux de développement de la production avec la progression proportionnelle du niveau de vie des producteurs.
La phase transitoire exprime sa filiation économique avec l’ère historique présocialiste, en ce sens qu’elle ne peut satisfaire tous les besoins de la société et contient la nécessité de la poursuite de l’accumulation. Toute politique qui misera sur la plus haute accumulation en vue de l’élargissement de la production n’exprimera pas une tendance prolétarienne, mais ne serait que la suite d’une économie capitaliste. Tandis que la politique économique du prolétariat s’exprimera par l’accumulation nécessaire, compatible et conditionnée avec l’amélioration des conditions de vie des ouvriers, avec l’augmentation relative et progressive du capital variable.
Après sa victoire sur la bourgeoisie, le prolétariat, d’une part, devient la classe dominante politiquement qui, à travers son parti de classe, assure pendant toute la phase transitoire la dictature de sa classe en vue d’acheminer la société vers le socialisme et, d’autre part, conserve sa position de classe dans la production ayant des intérêts économiques particuliers immédiats à défendre et à faire prévaloir au travers de ses organisations économiques propres, les syndicats et ses moyens de lutte : la grève durant toute la phase transitoire.
8- La destruction révolutionnaire de l’État capitaliste, instrument de la domination de classe, est loin de signifier la destruction des positions économiques de l’ennemi, et sa disparition. L’expropriation et la socialisation des principales branches clés de la production sont des mesures premières et indispensables de la politique économique du prolétariat. L’existence de secteurs économiques arriérés dans l’espace comme dans diverses branches de la production, et particulièrement l’agriculture, ne permet pas de passer immédiatement à une économie socialiste et à la disparition totale de la propriété privée. L’édification socialiste ne pouvant surgir d’une affirmation programmatique, est le fruit d’un long processus économique sous la direction politique du prolétariat durant lequel la gestion socialiste doit battre et vaincre la gestion capitaliste sur le terrain économique.
L’existence de ces secteurs économiques arriérés, la subsistance inévitable de la propriété privée présentent un danger redoutable, un terrain économique de conservation, de consolidation et de renaissance des forces sociales s’opposant à la marche vers le socialisme
La phase transitoire est la phase d’une lutte acharnée entre le capitalisme et le socialisme avec l’avantage pour le prolétariat d’avoir conquis une position politique dominante mais non définitive pouvant automatiquement assurer la victoire finale.
L’issue de la lutte, la garantie de la victoire finale réside pour le prolétariat exclusivement dans la force de sa conscience idéologique et dans l’aptitude à la traduire dans la politique pratique.
Toute faute politique, toute erreur tactique devient une position de renforcement de l’ennemi de classe. L’anéantissement des formations politiques de l’ennemi de classe, de ses organes, de sa presse, est une mesure indispensable pour briser sa force. Mais cela ne suffit pas. Le prolétariat doit avant tout veiller à l’indépendance de ses organismes de classe qui lui sont propres et empêcher leur altération en les exposant à des tâches et à des fonctions étrangères à leur nature. Le parti représentant la conscience de la mission historique de la classe et du but final à atteindre exercera la dictature au nom du prolétariat ; le syndicat, organisation unitaire de la classe exprimant sa position économique et ses intérêts immédiats qu’il est appelé à défendre ne peut s’identifier à l’État, ni s’intégrer à ce dernier.
9- L’État, dans la mesure où il est reconstitué après la révolution, exprime l’immaturité des conditions de la société socialiste. Il est la superstructure politique d’une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme. De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective par laquelle passe le prolétariat, de même l’État est un instrument de violence inévitable -pour le prolétariat- dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s’identifier et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il (l’Etat) est un fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe. (Engels, Préface à La Guerre civile en France)
Dans sa nature en tant qu’institution sociale, l’État instauré après la victoire de l’insurrection prolétarienne, reste une institution étrangère et hostile au socialisme.
L’expropriation et la nationalisation, l’exclusivité de la gestion de l’économie, l’impréparation historique des classes travailleuses et du prolétariat à la direction de l’économie, la nécessité de recourir à des spécialistes techniciens, à des hommes venant des couches et des classes exploiteuses et de leurs serviteurs séculaires, l’état désastreux de l’économie à la sortie de la guerre civile, sont autant de faits historiques concourant à renforcer la machine d’État et ses caractères fondamentaux de conservatisme, de coercition. L’obligation historique pour le prolétariat de s’en servir ne doit nullement entraîner l’erreur théorique et politique fatale, d’identifier cet instrument avec le socialisme. L’État, comme les prisons, n’est pas le symbole du socialisme, ni de la classe appelée à l’instaurer : le prolétariat.
La dictature du prolétariat exprimant la volonté de la classe révolutionnaire de briser les forces et les classes hostiles, et d’assurer la marche vers la société socialiste, exprime également son opposition fondamentale à la notion et à l’institution de 1’État. L’expérience russe a mis particulièrement en évidence l’erreur théorique de la notion de "l’État ouvrier", de la nature de classe prolétarienne de l’État et de l’identification de la Dictature du prolétariat avec l’utilisation, par le prolétariat, de l’instrument de coercition qu’est l’État.
10- En se rendant maître de la société par la révolution victorieuse contre la bourgeoisie, le prolétariat hérite d’un état social nullement mûr pour le socialisme et qui ne peut atteindre cette maturité que sous sa direction. Il hérite dans tous les domaines, économique, politique, culturel, social, des États et des nations, des structures et des superstructures, des institutions et des idéologies extrêmement variées, arrièrées qu’il ne peut effacer de par sa simple volonté, avec lesquels il doit compter, dont il doit combattre et atténuer les effets les plus nuisibles. La violence n’est pas le moyen essentiel et ne doit être employée que strictement dans la limite de la violence employée par l’ennemi de classe, et pour la briser. La violence doit être absolument et catégoriquement exclue des rapports du prolétariat avec les classes laborieuses, et dans son sein. D’une manière générale, les moyens employés pour aller vers le socialisme relèvent et découlent du but à atteindre, c’est-à-dire du socialisme même.
Dans les premiers temps de la phase transitoire, le prolétariat sera obligé d’utiliser les instruments qui lui ont été légués par toute l’histoire passée, histoire de violence et de domination de classe. L’État est un des instruments de la force et le plus haut symbole de violence, de spoliation et d’oppression dont le prolétariat hérite, et dont il ne peut se servir qu’à la double condition :
de considérer et de proclamer la nature anti-socialiste de l’État avec lequel il ne peut jamais et à aucun moment s’identifier; en s’organisant et lui opposant constamment ses organismes de classe : parti et syndicats, en l’entourant du contrôle vigilant et de chaque instant de toute la classe.
"d’atténuer les plus fâcheux effets dans la mesure du possible, comme l’a fait la Commune." (Engels, Préface à La Guerre civile en France).
L’expérience russe nous prouve que la conscience qu’ils avaient du danger que continue à représenter l’État dans les mains du prolétariat, et les mesures nécessaires à prendre à son égard, préconisées par nos maîtres, n’étaient pas vaines.
Ces mesures - élection de représentants par les masses laborieuses, révocables à tout moment ; destruction de la force armée détachée du peuple et son remplacement par l’armement général du prolétariat et des classes laborieuses ; démocratie la plus large pour la classe et ses organisations ; contrôle vigilant et permanent de toute la classe sur le fonctionnement de l’État ; un salaire limité et ne dépassant pas celui de l’ouvrier qualifié pour les fonctionnaires de l’État - doivent cesser d’être des formules, mais être appliquées à la lettre et renforcées autant que possible par des mesures politiques et sociales complémentaires.
L’histoire et l’expérience russe ont démontré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit, mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant.
11- Les syndicats, organismes unitaires et de défense des intérêts économiques du prolétariat, ont leur racine dans le mécanisme de la production. Ils surgissent de la nécessité où se trouve le prolétariat d’opposer une résistance à son exploitation économique, à l’extirpation d’une masse toujours plus grande de plus-value, c’est-à-dire à l’augmentation du temps de travail non payé.
Le développement de la technique, en augmentant la productivité, diminue le temps de travail nécessaire à l’entretien des producteurs. En régime capitaliste la plus grande productivité n’entraîne pas la diminution du temps de travail ni l’amélioration proportionnelle du niveau de vie des ouvriers, Au contraire le développement de la productivité poursuivi par les capitalistes est fait dans le but unique d’accroître la production de la plus-value.
L’opposition entre Capital et Travail, entre le capital constant et le capital variable, entre le capitalisme et le prolétariat, autour du problème économique : la part de chacun dans la production, est une opposition fondamentale engendrant une lutte de classe constante. C’est dans cette lutte contre le capital que le prolétariat donne le sens à son organisation de classe de défense de ses intérêts économiques immédiats, par l’association de tous les exploités : le syndicat.
Quelle que soit l’influence des agents de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la bureaucratie réformiste dans le syndicat et la politique qu’elle fait prévaloir, sabotant et dévoyant la fonction des syndicats, elle ne peut changer sa nature de classe qui reste telle tant que cet organisme reste indépendant, non rattaché à l’État capitaliste.
12- La révolution prolétarienne ne détruit pas d’emblée l’existence des classes dans la société et les rapports de production entre les différentes classes. La révolution victorieuse n’est que "l’organisation du prolétariat en classe dominante" qui au travers de son Parti ouvre un cours historique, imprime une tendance économique partant de l’existence de classes et de leur exploitation vers une société sans classe.
Cette phase transitoire du capitalisme au socialisme sous la dictature politique du prolétariat se traduit sur le terrain des rapports post-économiques par une politique énergique tendant à diminuer l’exploitation des classes, à augmenter constamment la part du prolétariat dans le revenu national, du capital variable par rapport au capital constant. Cette politique ne peut être donnée par une affirmation programmatique du Parti et encore moins être dévolue à l’État, organe de gestion et de coercition. Cette politique trouve sa condition, sa garantie et son expression dans la classe elle-même et exclusivement en elle, dans la pression qu’exerce la classe dans la vie sociale, dans son opposition et sa lutte contre les autres classes.
L’organisation syndicale en régime capitaliste est une tendance au groupement d’ouvriers contre leur exploitation, tendance qui est constamment empêchée, entravée par la pression et la répression de la bourgeoisie dominante. C’est seulement après la révolution que l’organisation syndicale devient réellement l’organisation unitaire groupant tous les ouvriers sans exception, et peut réellement prendre et imposer pleinement la défense des intérêts immédiats du prolétariat.
13- Le rôle de l’organisation syndicale après la révolution ne réside pas seulement dans le fait qu’elle est la seule organisation pouvant assurer la défense des intérêts immédiats du prolétariat, ce qui à lui seul suffirait à justifier la pleine liberté et l’indépendance totale des syndicats, le rejet de toute tutelle et immixtion de L’État, mais encore l’organisation syndicale est un baromètre vivant extrêmement sensible, reflétant instantanément la tendance qui prédomine dans la gestion et émane dans le sens du socialisme (augmentation proportionnelle du capital variable) ou dans le sens capitaliste (accroissement proportionnel plus grand du capital constant).
Dans l’oscillation de la gestion économique vers une politique capitaliste (déterminée par la pression économique de l’immaturité relative et par les classes non prolétariennes subsistantes), le prolétariat, au travers de l’existence de son organisation syndicale indépendante et de sa lutte spécifique, intervient, réagit et représente le facteur social exerçant la contre-pression dans le mécanisme économique en vue d’une gestion socialiste.
Attribuer aux syndicats la fonction de la gestion économique ne fait nullement disparaître les difficultés essentielles issues de la situation économique ni son immaturité réelle, et ne résout aucunement ses difficultés. Par contre, on aliène la liberté du prolétariat et de son organisation, on annihile la capacité de son organisation d’exercer la pression nécessaire dans le processus économique en vue d’assurer simultanément la défense de ses intérêts immédiats et la garantie d’une politique socialiste dans l’économie.
14- En régime capitaliste, l’organisation syndicale reflète très imparfaitement le degré de la conscience de classe. Cette conscience, le prolétariat ne peut l’acquérir pleinement qu’après la révolution, une fois libéré de toute entrave de la bourgeoisie et de ses agents : les chefs réformistes.
Les syndicats après la révolution, reflètent au mieux le degré de conscience atteint par l’ensemble de la classe et présentent le milieu, le terrain de classe où se fait l’éducation politique de la masse. Les communistes s’inspirent de ce postulat : le maintien de la révolution et l’édification du socialisme ne sont pas le fait de la volonté d’une élite mais trouvent uniquement leur force dans le degré de maturité politique des masses prolétariennes. La violence exercée contre ou sur les masses prolétariennes, même si elle a pour but de garantir la marche vers le socialisme, n’offre nullement cette garantie. Le socialisme n’est pas le résultat du viol sur le prolétariat, il est exclusivement conditionné par sa conscience et sa volonté.
Les communistes rejetteront la méthode de violence au sein du prolétariat comme étant en opposition avec la marche vers le socialisme, qui obscurcit et empêche la classe d’atteindre la conscience de sa mission historique. Au sein des syndicats, les communistes s’efforceront de maintenir la plus grande liberté d’expression, de critique, de vie politique. C’est devant le prolétariat organisé dans les syndicats qu’ils tenteront de faire triompher leur politique face aux autres tendances existantes, et traduisant l’influence bourgeoise, petite bourgeoise subsistant encore dans le prolétariat et dans certaines couches arriérées. La liberté de fraction, de tendance au sein des syndicats, la liberté de parole et de presse pour tous les courants à l’intérieur des syndicats, sont les conditions permettant au Parti de la classe de connaître, de mesurer le degré d’évolution de la conscience de la masse, d’assurer la marche vers le socialisme Par l’élévation de cette conscience au travers de l’éducation politique des masses, de vérifier sa propre politique et de la corriger. Le rapport entre le Parti et la classe n’est que le rapport entre le Parti et les syndicats.
15- Toute tendance à diminuer le rôle des syndicats après la révolution, qui sous prétexte de l’existence de “l’État ouvrier” interdirait la liberté d’action syndicale et la grève, qui favoriserait l’immixtion de l’État dans les syndicats, qui, au travers de la théorie en apparence révolutionnaire de remettre la gestion aux syndicats, incorporerait en fait ces derniers dans la machine étatique, qui préconiserait l’existence de la violence au sein du prolétariat et de son organisation, sous le couvert et avec la meilleure intention révolutionnaire du but final, qui empêcherait l’existence de la plus large démocratie ouvrière par le libre jeu de la lutte politique et des fractions au sein des syndicats, exprimerait une politique anti-ouvrière faussant les rapports du Parti et de la classe, affaiblissant la position du prolétariat dans la phase transitoire. Le devoir communiste serait de dénoncer et de combattre avec la plus grande énergie toutes ces tendances et d’œuvrer au plein développement et à l’indépendance du mouvement syndical, indispensable pour la victoire de l’économie socialiste.
16 - La gestion économique après la guerre civile est le problème le plus difficile, le plus complexe, auquel doit faire face le prolétariat et son Parti. Il serait puéril de vouloir donner la solution a priori de tous les aspects pratiques que présentent ces problèmes. Ce serait transformer la doctrine marxiste en un système de préceptes définitifs, valables et applicables à tout moment et cela sans tenir compte des situations concrètes, circonstancielles, variées se présentant différemment dans divers pays et dans divers secteurs de la vie économique.
C’est exclusivement dans l’étude pratique que nous dégagerons des situations, au fur et à mesure qu’elles se présenteront, la solution nécessaire contenue et donnée par les situations elles-mêmes. A l’instar de nos maîtres, nous pouvons seulement indiquer aujourd’hui, dans les grandes lignes, les principes généraux devant présider à la gestion économique dans la phase transitoire, et cela à la lumière de la première expérience donnée par la révolution russe.
17- L’avènement du socialisme exige un très haut développement de la technique et des forces productives. Le prolétariat, au lendemain de la révolution victorieuse ne trouve pas achevé le développement de la technique. Il ne résulte nullement de cette affirmation que la révolution soit prématurée, mais au contraire, le degré atteint par le développement se heurte à l’existence du capital isolé, justifiant l’affirmation de la maturité des conditions objectives de la révolution, c’est-à-dire de la nécessite de la destruction du capitalisme devenu une entrave au développement des forces productives. Il appartient au prolétariat de présider à une politique de plein développement des forces productives permettant au socialisme de devenir une réalité économique.
Le développement de la technique et des forces productives est la base de la politique du prolétariat nécessitant l’accumulation d’une partie de la valeur produite en vue d’améliorer, d’intensifier et d’assurer une reproduction élargie. Mais le socialisme n’est pas donné par la vitesse du développement des forces productives; le rythme est subordonné et limité aux possibilités concrètes issues de l’état politique et économique existant.
18- La gestion économique ne peut à aucun instant être séparée du développement de la lutte politique de la classe, et cela sur la scène internationale. La révolution victorieuse dans un seul pays ne peut s’assigner comme tâche le développement de son économie, indépendamment de la lutte du prolétariat dans les autres pays. La révolution russe a donné la démonstration historique que la poursuite séparée d’un développement économique de la Russie en dehors de la marche ascendante de la révolution dans les autres pays, a amené la Russie à une politique de compromission avec le capitalisme mondial, politique de pactes et d’accords économiques à l’extérieur qui se sont avérés autant de moyens de renforcement économique du capitalisme en pleine situation de crise, le sauvant de l’écroulement et, d’autre part, apportant un trouble profond dans les rangs du prolétariat en pleine lutte révolutionnaire (Accord de Rapallo 13).
Les accords économiques qui devaient avoir pour seul résultat la recherche du renforcement économique partiel du pays de la révolution, ont en réalité abouti à un renforcement économique et politique du capitalisme, à un renversement du rapport de forces dans la lutte de classes en faveur du capitalisme contre le prolétariat. Ainsi, le pays de la révolution victorieuse a accentué son isolement et perdait sa seule alliée, garantie du développement ultérieur : la Révolution Internationale, et devient une force économique et politique dévoyée et résorbée sous la pression grandissante de son ennemi historique : le capitalisme.
La politique économique du prolétariat dans un pays ne peut donc s’assigner comme but de résoudre les difficultés et de résorber le retard du développement de la technique dans le cadre étroit d’un pays. Le sort de l’économie et son développement sont indissolublement liés et directement subordonnés à la marche de la révolution internationale et doivent consister dans une politique en vue de l’attente provisoire à l’intérieur, et d’aide à la révolution internationale.
19- La poursuite du rythme accéléré non en proportion du développement de la capacité de la consommation aboutit, comme l’a démontré l’expérience russe, au développement de la production d’articles destinés à la destruction, suivant sur ce plan la tendance générale du capitalisme mondial qui, dans sa phase décadente, ne peut assurer la poursuite de la production que par l’instauration de l’économie de guerre.
En opposition à cette politique ayant pour but le plus grand rythme de développement industriel, sacrifiant les intérêts immédiats du prolétariat culbutant dans l’économie de guerre, la politique prolétarienne consistera dans un rythme proportionnel au développement de la capacité d’absorption des producteurs, et déterminant la production des articles de consommation immédiatement nécessaires pour satisfaire les besoins des travailleurs.
L’accumulation ne suivra pas le critère d’un plus grand rythme de développement industriel, mais exclusivement celui compatible avec la satisfaction progressive des besoins immédiats. La gestion économique aura pour base et pour principe, avant tout, la production des articles de première nécessité, l’harmonisation graduelle des diverses branches de la production, ensuite et particulièrement entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture.
20- Tant que les forces productives et la technique n’ont pas atteint un développement suffisamment haut, supplantant, partout dans toutes les branches de la production, la petite production, il ne pourra être question de la disparition complète des classes moyennes, de l’artisanat et de la petite paysannerie.
Le prolétariat après la révolution ne pourra collectiviser que la grande industrie développée et concentrée, les industries-clés, les transports et les banques, la grande propriété foncière. II expropriera la grande bourgeoisie. Mais la petite propriété privée subsistera et ne sera résorbée que par un long processus économique. A côté du secteur socialiste (collectif) dans l’économie, subsistera un secteur privé de petits producteurs, et les relations économiques entre ces divers secteurs se présenteront d’une façon variée, multiple, allant du socialisme au coopérativisme et à l’échange des marchandises entre l’État et les particuliers, aussi bien qu’entre les producteurs individuels et isolés. Comme dans la production, le problème de l’échange, des prix, du marché et de la monnaie aura une grande diversité, la politique économique du prolétariat consistera à tenir compte de cette situation, à rejeter la violence bureaucratique comme moyen de régulariser la vie économique et se basant seulement sur le terrain des possibilités réelles de résorption et de supplantation par le développement de la technique et tendra à liquider progressivement la petite propriété et la production isolée en incorporant ces couches de travailleurs dans la grande famille du prolétariat.
21- La vie et la gestion économique de la société exigent un organisme centralisé. La théorie consistant à laisser à chaque groupe de producteurs le souci de sa propre gestion est le rêve utopique d’un idéal petit bourgeois, réactionnaire. Le développement de la technique exige la participation des grandes masses de travailleurs, leur coopé ration dans la production.
La production de chaque branche est étroitement liée à l’ensemble de la production nationale. Elle exige la mise en mouvement de grandes forces, de grandes puissances, de plans d’ensemble que seule une administration centralisée peut assurer.
D’autre part, c’est vouloir transformer chaque membre et chaque groupe de la société en autant de petits propriétaires aux intérêts propres et opposés, et revenir à l’époque marchande que la grande industrie a depuis longtemps rayée de l’histoire. La société socialiste engendrera l’organe de l’administration sociale et de la gestion économique. A l’époque transitoire, cette fonction de gestion économique ne peut être assumée que par le pouvoir issu de la révolution qui, sous le contrôle de toute la population travailleuse, dirige et gère l’économie de la société.
La participation la plus large, effective, directe de tous les travailleurs à tous les échelons du nouveau pouvoir parait être le seul mode assurant la gestion de l’économie par les travailleurs eux-mêmes. La Commune de Paris nous a donné une première indication de ce nouveau type d’État, et la révolution russe en reprenant et reproduisant cette première ébauche lui a donné sa forme définitive par les organisations de représentants de tous les travailleurs sur leur lieu de travail et de localité : l’organisation des Conseils (Soviets).
22- Dans les élections aux organes de direction et de gestion, dans les conseils, participe tout homme qui travaille, et ne sont exclus que ceux qui ne travaillent pas ou vivent du travail d’autrui. Dans les Conseils se trouve l’expression des intérêts de tous les travailleurs, c’est-à-dire aussi des couches non prolétariennes. Le prolétariat de par sa conscience, sa force politique, la place qu’il occupe au cœur de l’économie de la société, dans l’industrie moderne, par sa concentration dans les villes et les usines, ayant acquis un esprit d’organisation et de discipline, joue le rôle prépondérant dans toute la vie et l’activité de ces Conseils, entraînant, sous sa direction et son influence, les autres couches de travailleurs.
C’est au travers de ces Conseils que les prolétaires, pour la première fois, apprennent, en tant que membres de la société, l’art d’administrer et de diriger eux-mêmes la vie de la société. Le Parti n’impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l’économie par décrets ou en se réclamant du droit divin. II fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à l’approbation des masses travailleuses s’exprimant dans les Conseils (Soviets), et en s’appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils supérieurs pour faire triompher sa politique de classe.
23- De même que les rapports du Parti avec la classe s’expriment au travers de l’organisation syndicale, de même les rapports entre le prolétariat et son Parti avec les autres classes travailleuses s’expriment au travers des Conseils (Soviets). De même que la violence au sein de la classe ne fait que fausser les rapports de celle-ci avec le Parti, de même la violence doit être rejetée dans les rapports entre le prolétariat et les autres classes ou couches travailleuses. Ces rapports devraient être assurés par la pleine liberté d’expression et de critique au sein des Conseils des députés ouvriers et paysans. D’une façon générale, la violence en tant que moyen d’action entre les mains du prolétariat sera indispensable pour briser la domination du capitalisme et de son État, et pour garantir par la force la victoire du prolétariat contre la résistance et la violence des classes contre-révolutionnaires pendant la guerre civile.
Mais en dehors de cela, la violence n’est d’aucun secours dans l’œuvre constructive d’édification socialiste et de la gestion économique. Au contraire elle risque de dévoyer l’action du prolétariat, de fausser ses rapports avec les autres couches laborieuses, et de déformer sa vision des solutions de classe qui sont contenues et garanties exclusivement par la maturation politique des masses et de leur développement.
Gauche communiste de France (avril 1946)
1 Voir notre livre La Gauche communiste d'Italie, page 193 et suivantes
2 Voir notre livre La Gauche hollandaise pages 243-249
3 La Gauche communiste d'Italie, pages 197-198
4 Ibid., page 215
5 Voir l'article : "Il y a soixante ans, une conférence de révolutionnaires internationalistes", Revue internationale n°132,
https://fr.internationalism.org/rint132/il_y_a_60_ans_une_conference_de_... [1]
6 Voir le livre La Gauche hollandaise, page 198 et suivantes. Le livre note que la façon dont Pannekoek traite les problèmes auxquels le prolétariat sera confronté immédiatement après la révolution est plus réaliste que les descriptions quelque peu idylliques du GIC dans les Grundprinzipien. Ce n'est pas surprenant étant donné que Pannekoek voyait alors l'Europe ruinée à la suite de l'affrontement impérialiste. Voir les deux précédents articles de cette série : "Bilan, la Gauche hollandaise et la transition au communisme" -I et II, Revue internationale n°151 et 152,
https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201309/8652/bilan-g... [3]
7 Bordiga, dans un curieux parallèle avec Pannekoek (voir La Gauche hollandaise), s'abstint de rejoindre formellement l'organisation dont il avait inspiré la constitution, mais ses textes devinrent automatiquement des documents officiels du parti.
8 Brochure du PCI (Programme) : Les textes du Parti communiste international n° 6, page 52.
9 "Les années 1930 : le débat sur la période de transition" ("1934: la série Parti-État-Internationale"), Revue internationale n°127
https://fr.internationalism.org/rint127/communisme_periode_de_transition... [4]
10 Brochure du PCI (Programme) : Les textes du Parti communiste international n° 2, page 101 et 98
11 Nous projetons de revenir sur la question de l'accumulation dans une société communiste dans un article à venir dans la série sur l'écologie.
12 Le texte sur le Parti, les Thèses sur l'Etat et un certain nombre d'autres travaux fondateurs de la GCF ont été écrits par notre camarade Marc Chirik. Dans le prochain article de cette série, nous tenterons de donner plus d'explications sur la façon dont nous voyons le rôle qu'a joué Marc dans le mouvement politique prolétarien et, en particulier, dans le débat sur la nature de la révolution communiste qui est redevenu un sujet de débats passionnés au début des années 1970 quand les minorités révolutionnaires nées de la nouvelle génération de 1968 commencèrent à s'organiser de façon plus réfléchie et délibérée.
13 L'accord de Rapallo est un traité signé en 1922 entre l'Allemagne de Weimar et l'Etat soviétique comportant un volet militaire secret.
Depuis le 21 novembre, l'Ukraine vit une crise politique aux faux airs de la prétendue "révolution orange" de 2004. Comme en 2004, la fraction pro-russe est aux prises avec celle de l'opposition, partisane déclarée d'une "ouverture vers l'Ouest". Les mêmes tensions diplomatiques entre la Russie, les pays de l'Union Européenne (UE) et des Etats-Unis s'exacerbent.
Ce remake n'est cependant pas une simple copie. Si la contestation des élections archi-truquées de novembre 2004 avait alors mis le feu aux poudres, aujourd'hui, le rejet de l'accord d'association proposé par l'UE par le président Viktor Ianoukovitch est à l'origine de la crise. Ce pied de nez à l'UE, une semaine avant la date prévue de la signature, a aussitôt déclenché une violente offensive des différentes fractions pro-européennes de la bourgeoisie ukrainienne contre le gouvernement, criant à la "haute trahison" et demandant la destitution du président Ianoukovitch. Suite aux appels à "l'ensemble du peuple à réagir à cela comme il le ferait à un coup d’État, c'est-à-dire : descendre dans les rues," ([1]) les manifestants ont occupé le centre-ville de Kiev et la place de l'Indépendance, lieu symbolique de la révolution orange. La répression brutale, les affrontements et les nombreux blessés permirent au premier Ministre, Mykola Azarov, de déclarer : "Ce qui se passe présente tous les signes d'un coup d’État" et d'organiser des contre-manifestations. Comme en 2004, les médias des grands pays démocratiques ont monté au pinacle cette « volonté du peuple ukrainien » de se "libérer" de la clique inféodée à Moscou. En revanche, les photos et les reportages n'ont pas vraiment mis en avant la perspective démocratique mais plutôt la dictature et la violence des répressions de la fraction pro-russe, les mensonges de la Russie et les diktats de Poutine. Contrairement à 2004, l'espoir d'une vie meilleure et plus libre n'est plus étayé par la perspective d'une victoire électorale de l'opposition, aujourd'hui en minorité, contrairement à 2004, ou Victor Iouchtchenko était assuré de la victoire.
En 2005, nous écrivions à propos de la révolution orange : "Derrière tout ce battage, l'enjeu réel n'est nullement dans la lutte pour la démocratie. Il se trouve en réalité dans l'affrontement de plus en plus aigu entre les grandes puissances et particulièrement dans l'offensive actuelle menée par les États-Unis, dans le cadre de leur stratégie dite du 'refoulement', contre la Russie avec la perspective de faire sortir l'Ukraine de la zone d'influence russe. Il est significatif que la grande colère de Poutine est dirigée essentiellement contre l'Amérique car c'est elle qui est derrière le candidat Iouchtchenko et son mouvement 'orange'. Depuis la dislocation de l'URSS et la constitution en catastrophe de la Communauté des États Indépendants en 1991, destinée à sauver les débris de son ex-empire, la Russie n'a cessé d'être menacée sur ses frontières, du fait même de la tendance permanente à l'éclatement qui lui est inhérente et sous la pression de l'Allemagne et des États-Unis. Le déclenchement de la première guerre tchétchène en 1992, puis de la deuxième en 1996, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, a exprimé la brutalité d'une puissance sur le déclin tentant de sauvegarder coûte que coûte sa mainmise sur la région du Caucase, stratégiquement vitale pour l’Etat russe. Il s'agissait pour Moscou de s'opposer par cette guerre aux menées impérialistes de Washington visant à déstabiliser la Russie et à celles de Berlin qui développait une agressivité impérialiste indéniable, comme on l'avait vu au printemps 1991 avec son rôle de premier ordre dans l'éclatement du conflit yougoslave. En 2003 les États-Unis continuent résolument à avancer leurs pions au Caucase. C'est le sens qu'il faut donner à l'éviction de Chevarnadzé en 2003 avec la 'révolution des roses' en Géorgie qui a porté une clique pro-américaine au pouvoir et renforcé son influence déjà présente au Kirghizistan et en Ouzbékistan, au nord de l'Afghanistan, venant renforcer leur présence militaire au sud de la Russie et leur menace d'encerclement de celle-ci. Avec la question de l'Ukraine, qui a toujours été, que ce soit pour la Russie tsariste ou soviétique, une pièce maîtresse, le problème se pose de façon bien plus cruciale. En effet, Moscou n'a pas d'accès direct à la Méditerranée, l'Ukraine est la seule et dernière voie qui lui reste vers l'Asie et la Turquie via la mer Noire où se trouvent en outre la base nucléaire russe de Sébastopol et la flotte russe. La perte de l'Ukraine reculerait de façon dramatique la position russe face aux pays européens, en premier lieu l'Allemagne et affaiblirait tout autant sa capacité à jouer un rôle dans les destinées de l'Europe et des pays de l'Est, pour la plupart déjà largement pro-américains. Mais de plus, il est certain qu'une Ukraine tournée vers l'Ouest (donc contrôlée par celui-ci et en particulier par les Etats-Unis), mettant plus à nu que jamais l'inanité grandissante du pouvoir russe, provoquerait une accélération du phénomène d'éclatement de la CEI, avec son cortège d'horreurs. Sans compter qu'il est plus que probable qu'une telle situation ne pourrait que pousser des régions entières de la Russie elle-même (dont les petits potentats locaux ne demandent qu'à ruer dans les brancards) à déclarer leur indépendance, encouragées par les grandes puissances déjà à l'œuvre."
La grande différence avec cette situation en 2004 provient de l'affaiblissement de la puissance américaine ([2]) qui s'est accéléré avec ses aventures guerrières, notamment au Moyen-Orient. Le recul de la Russie sur la scène internationale va alors s'atténuer, notamment avec la guerre Russo-Géorgienne en 2008. Ce conflit renverse la tendance au rapprochement avec l'OTAN de la Géorgie auquel l'Ukraine aspirait également. Ainsi, tandis que la première "révolution" était une offensive américaine contre la Russie, la deuxième est de toute évidence une contre-offensive de la Russie. C'est en effet le président Viktor Ianoukovitch qui a lancé les hostilités en annulant l'accord d'association avec l'UE au profit d'une "commission tripartite" incluant l'UE et la Russie. L'accord initialement prévu aurait permis d'établir une zone de libre-échange permettant à l'Ukraine d'entrer par la petite porte dans l'UE et ainsi de se rapprocher de l'OTAN. Bien sûr, ces tentatives de rapprochement avec l'UE sont perçues par Moscou comme des provocations puisqu'il s'agit d'arracher l'Ukraine à son influence. La situation en Ukraine est donc essentiellement déterminée par les conflits impérialistes.
L'origine immédiate de cette nouvelle crise remonte aux pressions exercées par les russes et les occidentaux sur la bourgeoisie ukrainienne dès la prise de pouvoir de la fraction pro-russe lors des élections de 2010. Dès cette époque, Angela Merkel s'était proposée de jouer les intermédiaires à propos des contrats gaziers signés par l'ancienne premier Ministre, Ioulia Timochenko, avec Moscou en 2009. Mais Moscou a aussitôt décliné l'offre, empêchant ainsi les Européens de mettre leur nez dans les affaires russo-ukrainiennes.
Trois mois avant le sommet de Vilnius qui devait aboutir à la signature de l'accord entre l'UE et l'Ukraine, la Russie a lancé un premier avertissement en fermant ses frontières aux exportations ukrainiennes. De nombreux secteurs, dont ceux du métal et des turbines, ont souffert. L'Ukraine a perdu 5 milliards de dollars dans cette affaire ; 400 000 emplois sont en jeu, comme de nombreuses entreprises qui travaillent uniquement avec le marché russe. Moscou a également exercé le chantage suivant : si l'Ukraine n’adhère pas à l'Union Douanière autour de la Russie, le Kremlin demandera aux autres membres de cette Union ([3]) de fermer leurs frontières.
Les cliques bourgeoises ukrainiennes sont fortement divisées face aux pressions. Certains oligarques, comme Rinat Akhmetov, étaient opposés à la signature de l’accord d’association à Vilnius. A présent, tous sont dans l’attente. Les oligarques pro-UE et ceux proches de la Russie craignent un face-à-face exclusif avec Moscou. Ils voudraient maintenir le plus longtemps possible la position de "neutralité" de l’Ukraine. Les oligarques veulent maintenir la stabilité et le statu quo jusqu’aux prochaines élections pour repousser l'affrontement avec la Russie. L'alignement exclusif de l'Ukraine sur la politique impérialiste de la Russie n'est donc pas accepté, y compris par la fraction pro-russe.
A l'opposé, les pressions de l'UE ne sont pas sans contradictions. Les principaux débouchés de l'industrie et de l'agriculture ukrainienne sont les pays de l'ancienne Union Soviétique. En revanche, l'Ukraine n'exporte presque rien dans les pays de l'UE, qui s’apprêtait donc à signer un accord de libre-échange pour des marchandises qui n'existent pas ! Pour que les marchandises ukrainiennes puissent s'aligner sur les standards européens, les industries devraient investir environs 160 milliards de dollars dans l'appareil de production.
En revanche, les occidentaux pourront se servir de l'Ukraine comme d'une aire d’influence supplémentaire. Or, les barrières douanières entre l'Ukraine et la Russie sont presque inexistantes ; il y a très peu de droits de douane. Ainsi, du point de vue occidental comme du point de vue de Moscou, cet accord reviendrait à ouvrir aux marchandises occidentales les portes de la Russie. Évidemment, ceci est inacceptable pour la Russie.
La bourgeoisie Ukrainienne ne peut s'affranchir de ces contradictions ; elle ne peut que jouer l'équilibriste en misant sur sa "neutralité" dans le rapport de force entre l'UE et la Russie.
L'Ukraine est traversée par des contradictions entre ses intérêts économiques et les pressions impérialistes. Cette impasse tend à faire éclater la cohérence de ses fractions bourgeoises dans une fuite en avant irrationnelle, notamment de la politique de l'opposition. Si le parti au gouvernement envisage plutôt l'option de la "neutralité" de l'Ukraine, l'opposition essaye de vendre à la population ukrainienne l'illusion d'un niveau de vie comparable à celui des européens si l'Ukraine signe l'accord d'association avec l'UE. Mais sa composition hétéroclite (contrairement à 2004) traduit à quel point la décomposition marque de son empreinte toute perspective politique. Les analystes européens les plus lucides ([4]) en principe partisan de l'orientation européenne de la politique internationale de l'Ukraine, ne s'en cachent pas : "Il est évident que si cette opposition prenait le pouvoir, je ne vois pas très bien comment une opposition composée d'un boxeur apparemment sympathique certes mais qui n'a pas tout à fait le niveau pour gouverner semble-t-il ! Ensuite la deuxième personne c'est l'équipe de Tchimosenko, tout le monde sait que c'est une équipe de mafieux au départ, il y a vraiment des questions à se poser sur l'honnêteté financière de cette équipe : c'est pour ça qu'elle est en prison. Puis le troisième volet c'est un volet Nazi. ([5]) Alors des Nazis plus des mafieux plus des gens incompétents ce serait une catastrophe : on retrouverait un gouvernement qui serait digne de certains États de l'Afrique subsaharienne." Nous pouvons ici vérifier que "le terrain où se manifeste de façon la plus spectaculaire la décomposition de la société capitaliste est celui des affrontements guerriers et plus généralement des relations internationales." ([6])
L'encadrement idéologique des différentes fractions de l'appareil politique ukrainien est miné par les contradictions. Le partage ordinaire du travail dans les démocraties des pays développés est fortement mis à mal. Cependant, cela n'empêchera en rien la mystification démocratique de jouer à plein régime contre la classe ouvrière, autant en Ukraine qu'au niveau international, sur le thème de la lutte de la démocratie contre la dictature et ses diktats. Par ailleurs, la bourgeoisie garde intacte la possibilité de jouer sur la fibre nationaliste soigneusement entretenue en Ukraine. Les intérêts de la "nation ukrainienne" revendiquée par la fraction pro russe font échos aux nombreux drapeaux nationaux déployés dans les manifestations.
La "vague orange" de 2004 fut le résultat de la division de la classe dominante qui a miné la position de Viktor Ianoukovitch. ([7]) Le contrôle de l’appareil d’État commençait à lui échapper. Le succès de son rival, Viktor Iouchtchenko, était en grande partie dû à la paralysie de l’autorité de l’État central mais surtout à sa capacité à utiliser les valeurs officielles du régime de Léonid Kuchma, président de 1994 à 2005 : le nationalisme, la démocratie, le marché et la prétendue "option européenne". Viktor Iouchtchenko devint le "sauveur de la nation" et l'objet d'un culte de la personnalité. Le mouvement "orange" n'a en rien différé de l'idéologie avec laquelle la bourgeoisie a lavé le cerveau de la population ukrainienne depuis 14 ans. Les masses qui ont soutenu Viktor Iouchtchenko ou qui se sont rangés derrière Viktor Ianoukovitch n'étaient que des pions, manipulés et baladés derrière l'une ou l'autre des fractions bourgeoises rivales pour le compte de telle ou telle orientation impérialiste. Aujourd'hui, comme nous l'avons montré, la situation n'est pas différente à cet égard. Le "choix démocratique" n'est qu'un leurre et un piège.
On peut ajouter que Viktor Iouchtchenko qui a pris, avec son clan, le pouvoir à la suite de la "révolution" orange, n'a pas plus manqué d'imposer des sacrifices et la répression à la classe ouvrière lorsqu'il était premier ministre et banquier du gouvernement de son prédécesseur pro-russe, Léonid Kuchma. Le clan Iouchtchenko, non seulement s'est servi des illusions de la population ukrainienne pour arriver au pouvoir, mais s'est considérablement enrichi sur le dos de l’État, ce qui lui a valu sa réputation de clique mafieuse et la détention de sa complice, Ioulia Timochenko.
Mais la même Ioulia Timochenko, héroïne de la démocratie et de la révolution orange, est à l'origine d'un crédit de 15 milliards de dollars au FMI qu'elle a négocié âprement pendant trois ans. En annexe de l'accord voici les conditions qu'elle a obtenues pour la classe ouvrière en Ukraine : augmentation de l'âge de départ à la retraite, augmentation des charges communales, du prix de l'électricité, de l'eau, etc.
En dépit de leurs désaccords sur les orientations impérialistes, les différentes fractions politiques de la bourgeoisie, de gauche ou de droite, n'ont pas d'autres perspectives que d'imposer la misère au prolétariat. Prendre parti dans les élections pour telle ou telle clan politique ne ralentira pas les attaques. Surtout, en se rangeant derrière une fraction politique de la bourgeoisie et derrière ses slogans démocratiques, les ouvriers perdent toute capacité à lutter sur leur terrain de classe.
L’Ukraine et tous les requins qui gravitent autour d'elle expriment la réalité d'un système capitaliste à bout de souffle. La classe ouvrière est la seule classe radicalement opposée à ce système. Elle doit avant tout défendre sa propre perspective historique et combattre les campagnes de recrutement qui visent à l'embrigader dans les combats que se livrent les cliques bourgeoises concurrentes toutes plus dans l'impasse les unes que les autres. La révolution prolétarienne ne s'opposera non pas à une clique bourgeoise particulière au profit d'une autre, mais à leur système : le capitalisme.
Sam (22 décembre 2013)
[1] Appel de l'opposante Ioulia Timochenko depuis sa prison, chef du clan au pouvoir de 2005 à 2009.
[2] La tendance à l'affaiblissement US depuis l'effondrement du bloc de l'Est en 1990 n'a cessé de se confirmer. Voir nos : Thèses sur la décomposition.
(https://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ul... [5])
[3] Kazakhstan, Biélorussie et Arménie, principaux débouchés commerciaux de l'Ukraine avec la Russie.
[4] Voir l'interview d'Yvan Blot sur La Voix de la Russie à propos de l'opposition Ukrainienne.
(https://www.agoravox.tv/actualites/international/article/ukraine-intox-s... [6])
[5] Le parti Svoboda s'appelait : Parti national-socialiste d'Ukraine. Il se réclame historiquement de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), dont la branche armée (UPA) collabora activement avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et massacra les juifs de Galicie (ouest de l'Ukraine)
[6] Résolution sur la situation internationale, du XXe congrès du CCI.
(https://fr.internationalism.org/internationalisme/201310/8706/tensions-i... [7])
[7] Voir : A propos de la "révolution orange" en Ukraine : la prison de l'autoritarisme et le piège de la démocratie.
(https://fr.internationalism.org/rint126/orange.html#sdfootnote6sym [8])
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne sur l’histoire de la lutte des classes en Amérique.
« La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines et leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes Orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signaient l’ère capitaliste à son aurore. »1
Dans la mythologie bourgeoise, les pionniers de l’Amérique étaient des hommes et des femmes libres qui construisirent une société démocratique et égalitaire à partir du surgissement du Nouveau Monde.
La réalité est que le prolétariat Américain est né dans les entraves du travail et de l’esclavage, confronté à la barbarie des châtiments s’il résistait, obligé de lutter pour la défense de ses droits de base contre un règne capitaliste brutal qui ressemblait davantage à une prison sans murs.
Avides de récolter leur part du gâteau, à la fin du XVI° siècle, les capitalistes mercantiles du quartier des affaires de Londres commencèrent à piller les ressources naturelles du Nouveau Monde. Les premières colonies Anglaises en Amérique du Nord étaient des entreprises, capitalistes dès le départ, dans lesquelles, même les pèlerins Puritains qui embarquèrent sur le Mayflower espéraient tirer un profit de leurs investissements prometteurs. Mais, pour exploiter ce Nouveau Monde, le capital avait besoin de bras.
En Amérique Centrale et en Amérique du Sud, les Espagnols avaient réduit en esclavage des millions de personnes pour satisfaire leur soif d’or. Ne trouvant pas les richesses minières escomptées, le capital Anglais a été obligé de se tourner vers la culture des plants de tabac et pour cela, il avait besoin d’une main d’œuvre docile et très disciplinée. Les indigènes étaient trop difficiles à asservir en nombre suffisant et ils résistaient à l’invasion violente de leur terre natale, mais heureusement pour les marchands aventuriers, une réserve de travailleurs existait encore plus près de chez eux ; pendant les siècles précédents, la paysannerie anglaise avait été chassée de sa terre et comme Marx le décrit : « a été violemment expropriée et réduite au vagabondage, a été rompue à la discipline qu’exige le système du salariat par des lois d’un terrorisme grotesque ».2
Ces lois inhumaines ont été utilisées pour exiler les « crapules incorrigibles » et les envoyer « de l’autre côté des mers ». Cela signifiait que des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, dont on considérait qu’ils constituaient une menace contre l’ordre social et un surplus par rapport aux besoins du capital local ont été simplement évacués et embarqués pour aller travailler dans les champs de tabac de Virginie ; là, beaucoup sont morts au travail ou ont été torturés s’ils essayaient de s’échapper. Parmi les premiers à avoir été envoyés, il y avait des enfants, dont la moitié mourut au cours de la première année. Le groupe le plus important était celui des repris de justice ; et, comme la pendaison était la sanction habituelle pour les plus petites offenses, il n’y avait pas de pénurie de criminels qui auraient pu bénéficier d’une grâce royale en échange de l’émigration vers les colonies –même si le taux de décès était si important que certains aimaient mieux être pendus tout de suite. D’autres étaient en réalité des prisonniers politiques de la bourgeoisie Anglaise dans son combat impitoyable pour la suprématie des Iles Britanniques. Dans une opération qui offre des similitudes avec le goulag stalinien du XX° siècle, on se débarrassait des prisonniers de guerre de la royauté : les Quakers, les rebelles Anglais, les « Covenantaires » Ecossais, les catholiques Irlandais, les Jacobites et des dissidents de toute sorte étaient obligés de se laisser transporter en Amérique pour s’y épuiser jusqu’à la mort dans le travail d’esclave. L’Irlande a été longtemps distinguée par la classe dominante Anglaise pour ce genre de traitement et un nombre infini d’hommes, de femmes et d’enfants Irlandais ont été vendus comme esclaves avant et après la conquête sanglante de l’Irlande par Cromwell et le nettoyage ethnique.
Environ les deux-tiers de tous les immigrants blancs vers les colonies Américaines de l’Angleterre-quelque 350-375000 personnes- arrivèrent comme domestiques engagés sous contrat non résiliable, requis pour travailler pendant 3 à 11 ans ou plus afin de payer leur passage et subvenir à leurs besoins.
Le contrat « indenture » est souvent présenté comme un banal système contractuel équitable. En réalité, c’était une forme d’esclavage limité dans le temps, en même temps qu’une source de profits juteux pour les marchands concernés qui employaient des agents de recrutement pour débusquer, attirer ou enlever les personnes qui ne se doutaient de rien et les embarquer de force pour l’Amérique, où ils deviendraient le bien personnel de leur propriétaire et pourraient être achetés et vendus, punis pour toute désobéissance, fouettés et marqués au fer rouge s’ils s’enfuyaient. Beaucoup étaient des enfants. Même s’ils survivaient à la fin de leur contrat, ils étaient plus susceptibles de rejoindre les rangs du prolétariat que de devenir propriétaires d’un lopin de terre dans le Nouveau Monde.3
Dans son insatiable soif de profit, le capital a réduit en esclavage toute personne dont il pouvait s’emparer, sans discrimination : les Africains, les Indiens d’Amérique, les Anglais, les Écossais , les Irlandais, les Français, les Allemands, les Suisses… Les premiers esclaves Africains arrivèrent en 1619, mais jusqu’à la fin du XVIII° siècle, la majorité des esclaves en Amérique étaient Européens.
Tout d’abord, les esclaves Africains furent traités plutôt comme domestiques apprentis. Noirs et blancs travaillaient côte à côte dans les mêmes conditions. Il y avait une réelle tendance à la fraternisation entre les deux, confirmée par les premières lois passées pour l’interdire expressément. La classe dominante vivait dans la peur constante d’un soulèvement collectif de son armée d’esclaves, notamment dans les plantations de Virginie.
Malgré la dureté des punitions qu’ils ont dû affronter, les esclaves blancs et noirs ont montré leur refus de se soumettre en s’enfuyant ensemble, s’engageant dans des actes de sabotage, de grève, de diminution des cadences et autres formes de résistance, incluant des attaques contre leurs oppresseurs. Le mécontentement grandit. En 1663, les domestiques blancs et les esclaves noirs de Virginie fomentèrent une insurrection ayant pour objectif de renverser le gouverneur et d’instaurer une république indépendante.4 Cela se termina par un procès et l’exécution des dirigeants qui étaient d’anciens soldats de Cromwell tombés dans la servitude.
On a dit des vétérans de la « New Model Army » [armée instituée par Cromwell dans laquelle la priorité était donnée aux compétences et non à la naissance pour la nomination des officiers] qu’ils avaient été mêlés à tous les soulèvements de domestiques en Virginie5 et la persistance des idées radicales de la révolution Anglaise eut une influence importante sur les débuts de la lutte de classe en Amérique. « Le mot d’ordre d’Egalisation » (c’est-à-dire l’attaque contre la propriété des riches pour redistribuer aux pauvres) était derrière les actions spontanées des blancs pauvres contre les riches de toutes les colonies Anglaises, un siècle et demie avant la Révolution Américaine6. En 1644, par exemple, pendant une action commando dirigée par des Puritains dans le Maryland catholique, les maîtres et les esclaves, à la fois protestants et catholiques, saisirent l’opportunité d’exproprier les propriétaires fonciers et de se partager leurs propriétés pour leur propre usage7.
L’influence de la révolution Anglaise se voit clairement dans l’insurrection de Virginie en 1676, connue sous le nom de « Révolte de Nathaniel Bacon ». Environ un millier de blancs pauvres vivant à la frontière furent rejoints par des esclaves et des domestiques blancs et noirs. Ils marchèrent sur la capitale Jamestown ; ils y mirent le feu, renversèrent le gouvernement colonial, dénonçant ses dirigeants comme « traîtres au peuple » et s’emparèrent de leurs propriétés. Ce fut de loin le combat le plus important et le plus significatif dans l’Amérique coloniale avant la révolution de 1776, avec la menace importante de devenir une guerre civile totale et de s’étendre à toute la région du Chesapeake. De plus, l’Angleterre perdit le contrôle de sa colonie et dut envoyer des bateaux et dix mille hommes de troupe pour réimposer son joug impérieux. En une démonstration de force, 23 dirigeants furent pendus.
La cause immédiate de ce conflit était le refus par le gouvernement colonial d’user de représailles contre les attaques indiennes qui avaient lieu à la frontière, où étaient installés les colons. Les insurgés lancèrent de violentes attaques contre les tribus indiennes, même celles qui étaient pacifiques. Nathaniel Bacon lui-même était un propriétaire terrien et membre du Conseil du Gouvernement et la rébellion était dirigée par les planteurs qui trouvaient que leur prospérité économique était entravée par la clique de propriétaires fonciers corrompue et incompétente entourant le gouverneur royaliste. D’autres récriminations concernaient les taxes lourdes et inappropriées, le bas prix du tabac et les restrictions anglaises sur le commerce colonial (les « Navigation Acts »).
Mais la rébellion exprimait aussi le ressentiment des blancs pauvres de la frontière ; beaucoup d’entre eux étaient d’anciens serviteurs qui avaient été exclus de la distribution des terres riches par les gros propriétaires fermiers avides et avaient été obligés d’aller vers l’ouest, où ils entraient inévitablement en collision avec les Indiens. La peur profonde (et justifiée) de la faction dominante était que toute tentative de représailles risquait de provoquer un soulèvement armé des classes travailleuses qui, à cause d’une crise économique s’approfondissant, devaient faire face à la pauvreté et à la faim. Selon un membre de la classe dominante de cette époque : « la sympathie de la multitude » pour N. Bacon était due à « l’espoir de la répartition équitable des richesses ».
Les esclaves blancs et noirs, les domestiques, se joignirent à l’insurrection. Ils étaient parmi les derniers à tenir tête aux forces anglaises ; la reddition finale des rebelles eut lieu entre « quatre cents Anglais et Nègres armés » dans une garnison et trois cents « hommes libres et serviteurs sous contrat blancs et noirs » dans l’autre. Environ 80 esclaves noirs et 20 esclaves blancs refusèrent de rendre les armes.8 Mais il y eut aussi beaucoup de désertions dans les rangs des deux armées opposées, ce qui suggère que le prolétariat ne savait pas trop quel camp soutenir dans ce conflit.
Pour autant qu’elle ait eu une idéologie ou un programme cohérent, la direction de la « rébellion de N.Bacon » était très proche politiquement des Indépendants, l’aile gauche de la bourgeoisie dans la « Guerre Civile Anglaise »9 ; elle voyait l’insurrection comme une partie d’une attaque plus large contre la monarchie. N. Bacon lui-même semble avoir argumenté en faveur de l’expulsion des troupes anglaises, du renversement du gouvernement royal et de la fondation d’une république indépendante avec l’aide des Français et des Hollandais, rivaux de l’Angleterre.
Sans surprise, l’insurrection a été vue comme un élément précurseur de la Révolution Américaine et nous y reviendrons dans le prochain article. A l’époque, sa signification réelle était un signal d’alarme envers la classe dominante au sujet de la nécessité de tenir compte de la menace grandissante que constituait le prolétariat Américain. A cette fin, la faction dominante fut d’abord autorisée à porter sa vengeance sur les insurgés et à se permettre une orgie d’exécutions. Puis, une fois l’ordre rétabli et le prolétariat à nouveau réduit en esclavage, l’Etat Anglais l’exclut du pouvoir, réduisit l’autonomie politique de la colonie et imposa un gouvernement soutenu par l’armée directement contrôlé par Londres.
La classe dominante Américaine a été obligée de reconnaître que sa dépendance à l’égard du « travail forcé » [forme d’esclavage], combinée à l’avidité de la bourgeoisie foncière locale, assoiffée de bonnes terres, était en train de créer une classe toujours plus nombreuse et mécontente d’ouvriers agricoles sans terre, en Amérique. C’est pourquoi sa réponse à long-terme a consisté à instaurer une distance entre travailleurs blancs et noirs, en redéfinissant l’esclavage en des termes purement raciaux, établissant d’un point de vue juridique que les esclaves noirs étaient la propriété de leurs maîtres pour la vie, avec tout un attirail de châtiments barbares pour toute résistance ou tentative de fuite, incluant le fouet, les brûlures, la mutilation et le démembrement. Ayant institutionnalisé l’idée raciste que les blancs étaient supérieurs aux noirs, elle plaça les ouvriers dans une position de force vis-à-vis des noirs : des lois furent votées, donnant aux domestiques blancs sous contrat qui avaient fini leur engagement, le droit d’avoir une terre et des outils. Ces lois devaient encourager le développement d’une nouvelle classe moyenne de petits planteurs et de fermiers indépendants qui pourraient s’identifier sur un socle racial avec leurs exploiteurs. Cela constituerait un tampon contre les luttes des esclaves noirs, des Indiens de la frontière et des blancs très pauvres.
Ainsi, les divisions raciales entre noirs et blancs n’étaient pas basées sur de quelconques différences naturelles mais participèrent d’une stratégie délibérée mise en place par la classe dominante pour empêcher la menace réelle d’une lutte commune des ouvriers blancs et noirs contre leurs exploiteurs.
Le nombre d’esclaves africains grossit rapidement après 1680, stimulé par les énormes profits en perspective grâce au Commerce Triangulaire, le moindre coût pour les planteurs utilisant des esclaves noirs et la diminution du coût du travail sous contrat, dans un contexte où la révolution industrielle finissait d’absorber les travailleurs sans terre dans la production capitaliste locale. En 1750, les esclaves africains avaient quasiment remplacé les esclaves Européens. En fait, dans quelques colonies comme la Caroline du Sud, ils étaient plus nombreux que la population blanche et la classe dominante avait une conscience aigüe de sa situation précaire, qui requerrait non seulement la suppression impitoyable de tout signe de résistance mais aussi, un haut niveau de surveillance et de contrôle, avec l’aide de policiers désignés pour pérenniser la division de ses ennemis.
Les méthodes utilisées par la bourgeoisie pour contrôler son armée d’esclaves noirs ont été construites à partir des leçons tirées des précédentes vagues de luttes de serviteurs et d’esclaves. Ces leçons ont été affinées dans un système d’une barbarie toujours plus sophistiquée, élaboré pour aboutir à la destruction mentale et psychologique des esclaves, leur dégradation, leur humiliation de toutes les manières afin de les empêcher de reconnaître leurs propres intérêts contre leurs exploiteurs.
« On apprenait aux esclaves la discipline, on leur martelait l’idée de leur propre infériorité, d’ « où était leur place », à voir la négritude comme une marque de subordination, à être respectueux et craintifs vis-à-vis du pouvoir du maître, à confondre leur intérêt avec celui du maître, abolissant leurs propres besoins personnels. Pour accomplir ce dessein, il y avait la discipline du dur travail, la rupture des liens familiaux dans l’esclavage, les effets apaisants de la religion (qui parfois conduisaient à « une grande sottise » comme un propriétaire d’esclaves l’a rapporté), la création d’une désunion entre esclaves des champs et esclaves de maison privilégiés et finalement le pouvoir de la loi et le pouvoir direct du contremaître qui commandait le fouet, le feu, la mutilation et la mort. »10
Malgré tous ces obstacles à l’organisation de la résistance, il y a eu environ 250 soulèvements ou attentats incluant un minimum de dix mouvements d’esclaves africains avant la révolution Américaine. Ce n’étaient pas simplement des tentatives désespérées pour la liberté ; quelques-unes impliquaient également des travailleurs blancs et ont été rapportées comme ayant eu des buts politiques conscients comme la répartition équitable des richesses et le renversement de la classe des maîtres.11
Mais les efforts de la classe dirigeante pour diviser la classe ouvrière Américaine selon un axe racial a constitué un garde-fou : lorsqu’une vague de soulèvements d’esclaves noirs commença dans la première moitié du XVIII° siècle, elle a été effectivement isolée des luttes du reste du prolétariat et les petits colons blancs eux-mêmes étaient maintenant la cible de la colère noire.
Lors de la première révolte à grande échelle à New York en 1712, environ 25 à 30 esclaves armés firent feu sur un immeuble et tuèrent neuf blancs qui passaient par là. La plupart furent capturés par la troupe en moins de 24 heures et 21 furent brûlés vifs, pendus ou soumis au supplice de la roue ; un esclave fut suspendu vivant avec des chaînes pour servir de « châtiment exemplaire ».12
Des soulèvements organisés ou spontanés suivirent ultérieurement, particulièrement en Caroline du Sud et en Virginie, causés par la famine ou la dépression économique. Il y a aussi des récits de communautés issues d’esclaves Africains fugitifs et d'Indiens d’Amérique, établies dans des endroits reculés comme « Blue Ridge Mountain », qui ont été écrasées par la milice en 1729.
Le plus grand soulèvement d’esclaves noirs en Amérique avant la révolution de 1776 fut celui de Stono en 1739. Environ 20 esclaves armés, peut-être d’anciens soldats, rejoints par une centaine d’autres « appelèrent à la liberté, marchèrent avec les Couleurs affichées et deux tambours battants », se dirigeant vers la Floride Espagnole, jusqu’à ce qu’ils soient interceptés par la milice. Environ 25 blancs et 50 esclaves furent tués et les têtes des rebelles décapités furent piquées sur des poteaux le long des routes en guise d’avertissement.13
La classe dominante a délibérément provoqué une atmosphère de suspicion et de peur afin d’empêcher la fraternisation entre les prolétaires blancs et noirs, à tel point que, encore aujourd’hui, on ne sait pas quelles « conspirations » d’esclaves étaient réelles ou non. La répression, elle, était bien réelle :
« A New York en 1741, il y avait dix mille blancs dans la ville et deux mille esclaves noirs. L’hiver avait été rude et les pauvres – esclaves et hommes libres- avaient beaucoup souffert. Quand de mystérieux incendies éclatèrent, les blancs et les noirs furent accusés de conspirer. Une hystérie de masse se développa contre les accusés. Après un procès rempli d’accusations affreuses lancées par des indicateurs et de confessions forcées, deux hommes blancs et deux femmes blanches furent exécutés, 18 esclaves pendus et 13 esclaves furent brûlés vifs. »14
Il y eut ultérieurement d’autres rébellions d’esclaves organisées pendant les années 1740, mais un essoufflement se fit sentir, dû à la combinaison entre l’épuisement après l’échec des premières luttes et l’efficacité impitoyable de la classe dominante dans la répression et le contrôle de son armée toujours grossissante d’esclaves Africains.
Bien sûr, certains sont aussi allés en Amérique de leur propre volonté. A cause de la rareté de l’offre de travail, particulièrement le travail qualifié, les ouvriers pouvaient demander des salaires de 30 à 100% plus élevés qu’en Angleterre. Cela signifiait qu’il était souvent possible pour eux de demander et obtenir une paye plus élevée et de meilleures conditions. Et, s’ils ne les obtenaient pas, ils partaient chercher du travail ailleurs. Mais la peur de la révolte, les tentatives de la bourgeoisie de contrôler la classe ouvrière et d’imposer des bas salaires impliquaient que, surtout dans les villes, les travailleurs en lutte s’affrontaient rapidement à l’état :
« Dès 1636, un employeur de la côte du Maine rapporta que ses employés et ses pêcheurs avaient « déclenché une mutinerie » parce qu’il avait retenu leurs salaires. Ils avaient abandonné leur poste en masse. Cinq ans plus tard, des charpentiers du Maine, protestant contre une nourriture insuffisante, diminuèrent les cadences. Aux chantiers navals de Gloucester dans les années 1640, (…) les patrons empêchèrent les ouvriers d’entrer sur le chantier pour la première fois dans l’histoire du mouvement ouvrier Américain, quand les autorités dirent à un groupe de charpentiers de navires gêneurs qu’ils ne pouvaient pas « faire une grève de plus »
« Il y eut des grèves précoces de tonneliers, de bouchers, boulangers, protestant contre le contrôle du gouvernement sur les prix qu’ils pratiquaient. A New York dans les années 1650, les porteurs refusèrent de transporter le sel et les intermédiaires (les routiers, les équipiers, les transporteurs) qui se mirent en grève furent poursuivis pour n’avoir pas « respecté l’Ordre et fait leur Devoir comme il leur revenait de le faire pour rester à leur place ».
Les seules tentatives de mettre en place des organisations permanentes à cette époque furent les « sociétés amicales » fondées selon les métiers, comprenant souvent des employeurs aussi bien que des ouvriers. Cependant, la classe dominante les regardait avec beaucoup de suspicion et, dès 1680, une association de tonneliers de New York City fut poursuivie pénalement en tant qu’organisation criminelle.15
Avec l’émergence de la classe ouvrière urbaine dans les villes qui croissaient rapidement, la bourgeoisie déploya de manière toujours plus forte sa stratégie pour renforcer les divisions entre les ouvriers noirs et blancs, cultivant le soutien aux ouvriers blancs qualifiés en les protégeant de la compétition :
« Dès 1686, le Conseil de New York statua qu’ « aucun Nègre ou esclave n’est autorisé à travailler sur le pont en tant que porteur de marchandises importées ou exportées à l’extérieur ou dans cette ville. » Dans les villes du Sud, également, les artisans et les commerçants blancs étaient protégés de la concurrence nègre. En 1764, la législation de Caroline du Sud défendit aux maîtres de Charleston d’employer des nègres ou autres esclaves aux travaux de mécanique ou de commerce d’objets artisanaux. »16
En agissant ainsi, la bourgeoisie espérait développer une nouvelle classe moyenne blanche, à partir d’ouvriers qualifiés qui viendraient grossir la classe des petits planteurs et des fermiers indépendants, afin d’empêcher une lutte généralisée au-delà des barrières raciales.
Les premières colonies américaines de l’Angleterre ont été établies sur des bases capitalistes ; certainement, dans la vision de Marx, une société comme celle d’Amérique du Nord se développa dès le départ à un plus haut niveau et grandit plus vite qu’en Europe, où la montée du capitalisme était entravée par les liens sociaux de la féodalité sur le déclin17 (19). Que le prolétariat Américain fût né dans l’asservissement et soumis au travail forcé et aux traitements barbares n’avait rien d’exceptionnel au moment de l’aube rosée du mode de production capitaliste décrit d’une manière si vivante par Marx. Le capitalisme, à ses débuts en Amérique du Nord, était basé fermement sur le régime de contrôle du prolétariat naissant, déjà existant dans l’Angleterre des Tudor ; si Marx a passé tant de temps à rédiger le Volume I du Capital, faisant l’inventaire des « lois terrorisantes » qui accompagnaient l’expropriation de la paysannerie Anglaise et sa préparation au monde du travail salarié, c’est parce que l’Angleterre offrait le premier et le meilleur exemple de la genèse du capitalisme industriel. Pour le capital, l’usage systématique des méthodes les plus barbares était absolument nécessaire à sa survie en Amérique, compte-tenu de l’âpreté des conditions, de la pénurie chronique de travail et des menaces extérieures contre son existence.
Ce qui distingue la lutte de la classe ouvrière à ses débuts en Amérique, bien que ce ne soit pas la seule distinction, est l’institutionnalisation de l’esclavage noir Africain, qui a conduit à la division de la classe ouvrière naissante selon un axe racial et l’isolement de ses luttes qui en a été la conséquence. Cette division raciale est demeurée comme une barrière immensément efficace contre l’unification du prolétariat Américain et contre sa capacité à imposer ses intérêts communs de classe dans la société capitaliste.
Cependant, depuis sa naissance, le prolétariat Américain a montré sa volonté de se battre contre ce régime capitaliste de terreur. Il a affiché d’une part un courage parfois désespéré contre tous les abus ; d’autre part, il a montré une réelle solidarité, au-delà des barrières raciales, face à l’exploitation et à l’oppression partagées. Enfin, il a développé une conscience politique de soi et des buts ultimes pour son combat – ce qui est précisément la raison pour laquelle la classe dominante a été obligée d’adopter des stratégies et des tactiques sophistiquées pour diviser et régner.
Le prochain article examinera la lutte de classe en Amérique pendant la période conduisant à la Déclaration de l’Indépendance et la création des Etats-Unis d’Amérique.
MH (14 janvier 2013)
1 Le Capital Economie I, page 1212 la Pléiade
2 Chapitre XXVIII Economie I, page 1195 la Pléiade-
3 See D. Jordan & M. Walsh, White Cargo. The forgotten history of Britain’s white slaves in America, Mainstream, 2007.
4 Richard B. Morris, Government and Labor in Early America, Harper Torchbook edition, 1965, p.173.
5 Ibid., p.206.
6 Howard Zinn, A People’s History of the United States, Harper Perennial edition, 2005, p.42.
7 Edward Toby Terrar, “Gentry Royalists or Independent Diggers? The Nature of the English and Maryland Catholic Community in the Civil War Period of the 1640s,” Science and Society (New York), vol. 57, no. 3 (1993), pp. 313-348, www.angelfire.com/un/tob-art/art-html/18c-ar10.html [10].
8 Quoted in Zinn, Op. Cit., p.55
9 See the articles on the “Lessons of the English revolution” in World Revolution nos. 325 and 329.
10 Zinn, Op. Cit., p.35.
11 Herbert Aptheker, American Negro Slave Revolts, International Publishers edition, 1993, pp.162-163.
12 Ibid., pp.172-173.
13 Ibid., pp.187-189.
14 Zinn, Op. Cit., p.37.
15 Morris, Op. Cit., p.159.
16 Zinn, Op. Cit., p.57.
17 The German Ideology, Part I: Feuerbach. Opposition of the Materialist and Idealist Outlook. D. Proletarians and Communism, https://www.marxists.org/archive/marx/works/1845/german-ideology/ch01d.htm [11]).
Avec quelques camarades qui travaillent dans le "secteur social" et aux côtés de qui nous avons participé depuis des années aux luttes dans et hors de ce "secteur", avec des propositions pro-assemblées et de classe, en marge des syndicats officiels qui prétendent nous représenter et des partis qui soi-disant nous soutiendraient, nous voulons nous exprimer sur la situation en général et élever notre voix pour appeler au débat et à l’auto-organisation.
Nous ne nions pas les efforts de quiconque. Nous saluons, au contraire, les efforts honnêtes et courageux de tant de camarades. Ces efforts sont les nôtres (particulièrement ceux de DeM1), ce que nous voulons c’est contribuer à la critique qui aidera à approfondir et à avancer dans la lutte.
Cette éternelle crise capitaliste frappe tous ceux qui se trouvent sous son emprise. Le "secteur social" n’a rien de particulier. Ceux qui travaillent dans les "services sociaux" ou les usagers de ces services (travailleurs, retraités, avec ou sans pension) subissent tous la situation actuelle avec des coupes budgétaires de toutes sortes et sans retour.
Pour les travailleurs de ce secteur : des salaires impayés, des négociations à la baisse dans les conventions collectives, des conditions de travail qui empirent, des licenciements et, pour les usagers de ce secteur et leurs familles, des coupes, des tickets modérateurs, des suppressions d’aides et de services.
Tous, autant les travailleurs de ce "secteur" que leurs usagers sont touchés : le handicap et la maladie mentale, les mineurs, les toxicos, le troisième âge…
Nous pensons qu’il existe des catégories qui sont plus importants que d’autres (ou qui ont plus besoin d’attention) dans ce qu’on appelle le secteur social, mais il est triste de voir comment chacun essaye de tirer la couverture à soi (les Centres pour mineurs, les handicapés, la santé mentale, les toxicomanes et ainsi sans fin)... avec des luttes parcellaires pour quelques miettes dans un budget. Ce qui fait que à l'époque où nous vivons, on arrive à maintenir certains moyens aux dépens d’autres secteurs qui doivent fermer. Tout cela nous amène à perdre de vue la globalité, le fait que, pour nous, la lutte doit aller vers une société où les "services sociaux" ne sont plus nécessaires.
Ces derniers temps les mobilisations sont devenues de plus en plus visibles dans ce qu’on appelle le "secteur du handicap et de la dépendance". C’est une sous-catégorie qui englobe des travailleurs de centres et d’autres faisant partie des programmes pour des personnes victimes d'un handicap ou d'une maladie mentale et qui ont la même convention collective ; à ces mobilisations se joignent parfois des personnes dépendantes et leurs familles (très touchées par les coupes et les tickets modérateurs à répétition). Nous comprenons qu’il faut bien commencer quelque part et cette branche souffre de conditions particulièrement cruelles.
Cependant, si nous levons les yeux et regardons au-delà, nous verrons que d’autres "branches" reçoivent également des coups depuis longtemps. Le "secteur" des mineurs est particulièrement écrasé et vendu par des syndicats : alors que la branche du "handicap" est un peu combative, tout est fait pour empêcher celles des "mineurs" de bouger le petit doigt. De tous côtés, on débat sur les nouvelles conventions collectives. De tous côtés, arrivent des informations selon lesquelles tout se dégrade dans tous les sens. La situation des travailleurs est de plus en plus précaire et on ne fait que réduire les forfaits pour s’occuper des mineurs qui risquent l’exclusion. La nouvelle proposition de l’administration pour le travail dans ces services n’encourage pas le travail de qualité : la seule chose qu’on encourage, c’est de faire des économies sans prendre en compte les besoins des personnes. Et quand nous réagissons à de telles agressions, les seules réponses sont celles que nous avons entendues à foison dans les médias : ou bien céder, ou le service est fermé et tout le monde se retrouve au chômage. Voilà qui met au clair notre situation d’opprimés et d’exploités. Et, bien évidemment, on nous prend paquet par paquet et chacun aura ainsi sa petite convention collective.
Pour éviter ce genre de situations de désunion, il faut avoir une vision globale du collectif des travailleurs et des usagers et une organisation générale que les syndicats et leurs satellites font tout pour éviter, en nous divisant par secteurs, sous-secteurs et mini-secteurs, en séparant les travailleurs des usagers et leurs familles (des travailleurs eux aussi) pour ainsi signer, faire et défaire à leur guise, soi-disant pour nous mais sans nous et au final contre nous.
Notre condition fait de nous une pièce maîtresse dans le système social, et dans notre "secteur", c’est exactement la même chose.
Deux éléments nous rendent essentiels, indispensables :
Nous sommes la seule source d’extraction de profit. Nos salaires impayés et réduits font tenir les Institutions en minimisant les coupes budgétaires et les retards ; notre travail maintient les activités ordinaires des Centres et les extraordinaires ; nos mobilisations servent à faire pression pour que les différentes entités reçoivent les subventions que l’administration leur doit.
À partir de la lutte nous pourrons acquérir une conscience globale et nous unir avec d’autres travailleurs et usagers. A la différence des entreprises pour lesquelles nous travaillons, qui ne peuvent avoir qu’une conscience corporatiste et qui vivent dans la concurrence, en essayant de trouver des alliances avec l’État pour être favorisées, nous, les travailleurs, apportons une vision globale qui défend à la fois les postes de travail et le maintien des services gratuits et de qualité. Nous pouvons ainsi nous unir, nous, et unir nos revendications avec celles des familles et des usagers (qui sont de la même condition sociale que nous-mêmes)
Il y a une différence claire entre les intérêts de l’Administration et des Centres et ceux des travailleurs et usagers. D’un côté, il y a les Administrations dont le seul souci est de rentabiliser ce secteur, en tirant le plus de profit des subventions (moins de dépenses publiques et plus de profit privé) ; il y a aussi les Centres, qui ne représentent vraiment pas les familles et les usagers et qui dans la plupart des cas (avec quelques honnêtes exceptions) ne sont que de simples intermédiaires de l'Administration et non pas de véritables associations revendicatives, qui cherchent à survivre en équilibre entre leurs pactes avec l’Administration et l’utilisation des travailleurs comme instruments de pression. Et, à l’opposé, il y a nous les travailleurs, les familles et les usagers, qui désirons des services de qualité, gratuits, avec des conditions de travail dignes, participatives et intégrales. Il peut sembler à l’occasion, pour des raisons tactiques, que les Centres et les travailleurs ont des intérêts communs. Mais ce n’est que nous, les travailleurs, qui, au moment où nous développerons notre autonomie et notre organisation, pourrons mettre en avant des solutions définitives et favorables pour tous : les travailleurs, les familles et les usagers.
Les deux sont complémentaires et partent de la même nécessité, l’une sans l’autre perd son sens et sa profondeur.
La lutte immédiate se développe par la revendication des nécessités concrètes et contre les attaques les plus évidentes : contre les salaires impayés, pour le payement des salaires, contre les coupures de subventions et la fermeture des services, contre les licenciements et la dégradation des conditions de travail, contre les baisses de salaire dans les négociations des conventions collectives, contre les tickets modérateurs en tout genre. Une des pires difficultés dans cette lutte est le manque d’unité et le fait d’assumer la division imposée par l’Administration et les syndicats : des conventions différentes, des grilles de salaires différentes à l’intérieur d’une même convention, des critères différents de payement de la part de l’Administration… tout cela fait qu’on ne se reconnaît plus dans les mêmes problèmes et qu’ils n’apparaissent pas en même temps.
La lutte politique est la moins développée, c’est elle qui met en avant la nécessité de l’unité et de la confluence dans et "en-dehors" du secteur, c’est elle qui évalue et fait la critique de la globalité et nous fait prendre conscience. Pour réaliser un changement en profondeur qui nous permette des solutions réelles et à long terme, il est nécessaire de développer une lutte au-delà de l’immédiat. On sait par expérience que ce qu’on peut obtenir grâce à la pression de mobilisations (par exemple qu’on paye nos salaires) est une victoire temporaire et qu’on retombera sous peu dans une situation similaire ou même pire. Ce qui reste vraiment permanent des luttes, ce ne sont pas les acquis immédiats mais le fait que les travailleurs (avec les usagers et leurs familles) approfondissent leur unité, leur solidarité, leur empathie et leur soutien mutuel. Pour développer la lutte politique, la création des lieux de rencontre, de débat, de réflexion et de clarification est indispensable. Ne pas seulement nous rencontrer pour "lancer quelques cris" et rentrer à la maison, mais nous retrouver pour nous connaître, nous comprendre et créer un vrai mouvement.
Tout cela ne nous est pas exclusif. Les assauts que nous subissons s’étendent à toute la population. C’est pour cela que, en plus de briser le carcan de la sectorisation dans le "secteur social", nous devons lever encore plus la tête et nous regarder comme quelque chose de plus vaste : comme une classe, un collectif social majoritaire qui subit les mêmes conditions d’exploitation. Tant que nous n’aurons pas cette perspective nous serons facilement séparés les uns des autres et ignorés avec mépris par tous les "matraqueurs" de tel ou tel patron ou du gouvernement du jour.
Est-ce que quelqu’un peut vraiment voir une quelconque différence entre ce qui se passe dans notre "coin" et ce qui se passe dans l’éducation, dans la santé, les transports, les mines, les chantiers navals, les ouvriers du nettoyage…? Est-ce que nous ne sommes pas tous "punis" avec des conditions de vie et de travail de plus en plus mauvaises, avec des services de plus en plus chers et mauvais (que nous payons depuis des années), avec le chômage ou sa menace, avec la privation de besoins de base…?
Essentiellement, les différences entre nous viennent du fait que nous avons fini par accepter la séparation et la parcellisation de nos problèmes, comme si c’était quelque chose d’essentiel, alors que c’est justement quelque chose qui nous met tous sur le même plan commun, qui nous unit et qui peut se résumer dans le besoin de vivre malgré ce système.
Nous disions plus haut que dans ce que nous appellons "secteur" du handicap il y a depuis quelque temps des mobilisations (ce ne sont pas les premières, rappelons-nous, par exemple, il y a eu, à Alicante, des assemblées ouvertes de travailleurs et d’usagers du "social", avec une très large perspective) visibles surtout depuis les "marches du handicap". Nous, qui avons participé a ces mobilisations et ces marches, et qui nous sommes séparés du regroupement Discapacidad en Marcha [Handicap en Marche], avons des raisons pour ne pas être d’accord et critiquer avec la volonté d’avancer.
Les mobilisations, d’après nous, ne sont pas des fins en soi, mais des outils pour développer la conscience et le mouvement. Ces marches ne sont pas allées plus loin que leur aspect spectaculaire, devenant une fin en soi, une apparente accumulation de forces stérile, dont seulement ont tiré profit les interlocuteurs appointés (syndicats, associations…) et d’autres (partis de gauche qui rejoignent tout rassemblement pourvu qu’il y ait des votes à glaner pour se mettre à la place de la droite et faire la même chose).
Le contenu de ces mobilisations est toujours parcellaire et confus, mettant en avant des revendications justes (retrait du ticket modérateur et des coupes…) mais sans même mentionner la situation des travailleurs licenciés, impayés, ou avec de pires conditions de travail, ni les conventions qui se négocient à la baisse ou qui disparaissent. Lorsque les syndicats daignent "nous mobiliser", on dirait que les travailleurs (qui sont à la base de tout service) n’existent pas autrement que liés à leur Centre où nous existons séparément de toute la réalité vécue par les usagers et leurs familles. De même les messages "politiques" sont d’une pauvreté consternante : accuser le gouvernement autonome et central de la situation c’est cacher le fait que ces deux gouvernements ne sont que "le bras armé" de la politique économique capitaliste, laquelle ne comprend que le profit et méprise les besoins humains. Ni celui-ci ni aucun autre gouvernement ne fera qu’obéir à la voix de leur maître. Enfin, on continue à s’enfermer dans le "mini-secteur", en s’adressant "aux nôtres", en ne voyant pas la globalité du problème, en évitant la confluence et l’unité.
Pour nous la mobilisation est un outil pour développer la conscience et le mouvement, l’organisation réelle et unifiée des travailleurs depuis la base ; un outil qui puisse établir un changement dans les rapports de forces en faveur de l’immense majorité.
Un mouvement ouvert, d’assemblées et indépendant, mot d’ordre sur lequel s’est reconnue Discapacidad en Lucha, et non pas comme quelque chose de symbolique, mais parce qu’il exprime le besoin d’auto-organisation des travailleurs, le nécessité de diriger nos propres luttes et de les faire confluer dans une lutte de tous et pour tous.
Nous savons que ce n’est pas facile et face aux difficultés apparaîtra l’immédiatisme, le "faisons de suite quelque chose, quoi que ce soit". Mais sans un "pourquoi" et un "pour quoi faire", le "quoi que ce soit" ne sert à rien ou à ce que tout continue comme avant. Nous ne restons pas figés : débattre et encourager le débat c’est aussi faire, c’est participer dans le quotidien, et aussi dans les petites luttes ; et c’est cette perspective qui montre plus qu’un simple chemin, un chemin vers un mouvement organisé par tous et pour tous.
Colectivo Crítico de Trabajadores de programas, centros y servicios sociales [Groupe critique de travailleurs de programmes, centres et services sociaux]2.
Nous vous appelons à une assemblée ouverte pour débattre et réfléchir sur ces questions, le 9 janvier à 18H30 dans l’Ateneu la Escletxa à Alicante (Avd. de Alcoi 155, entresuelo). L’intention est d’avancer vers des positions propres en tant que travailleurs dans une perspective d’assemblées ouvertes et indépendantes. Cette réunion est ouverte à tous ceux qui veulent participer : travailleurs du secteur social, travailleurs en général, usagers et familles des services sociaux…
En mai 2011, nous avons vécu le mouvement des Indignés en Espagne et dans d’autres pays, ainsi que, par la suite, la grève des enseignants à Madrid et la lutte des étudiants à Valence3. Il y a cependant aujourd’hui une certaine apathie dans la lutte de classes mondiale, encore qu’il ne faille pas oublier les grèves massives à répétition qui se sont déroulées au Bangladesh depuis septembre 2013.
La lutte ouvrière, en général, ne suit pas une ligne continue, elle se déroule avec des hauts et des bas, et plus concrètement, elle traverse des moments d’agitation, d’auto-activité et d’auto-organisation suivis de longues phases de confusion et d’apparente résignation.
Il ne faut pas regarder la lutte du prolétariat avec des yeux de l'immédiatisme qui ne voit que ce qui se passe au moment même sans l’insérer dans la chaîne du passé et la perspective du futur. L’immédiatisme tombe dans l’euphorie lorsque les ouvriers prennent la rue et pense qu’ils sont prêts à prendre le Palais d’Hiver. Mais c’est avec la même absence de réflexion qu’il se noie dans le pessimisme le plus sombre quand les gens ne bougent plus, ce qui l’emmène à conclure que "le prolétariat n’existe pas", qu’"il n’y a pas d’issue", etc.
Le prolétariat est à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire. C’est pour cela que le résultat de la plupart de ses luttes est la défaite, une défaite qui s’ouvre sur des lendemains douloureux. Sa grande force est l’autocritique implacable de ses propres erreurs, "Les révolutions bourgeoises, comme celles du XVIIIe siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamants, l'enthousiasme extatique est l'état permanent de la société, mais elles sont de courte durée. Rapidement, elles atteignent leur point culminant, et un long malaise s'empare de la société avant qu'elle ait appris à s'approprier d'une façon calme et posée les résultats de sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du XIXe siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta !"4.
Beaucoup de personnes engagées dans les mobilisations de 2011 et 2012 sont tombées dans l’illusion selon laquelle le mouvement pourrait se prolonger indéfiniment à base de volontarisme, en organisant des appels en tout genre, en proposant un éventail de mobilisations sans fin, en agitant sans répit des masses de plus en plus fatiguées et désorientées. Les forces d’encadrement de la bourgeoisie (syndicats, partis de gauche et d’extrême gauche) ont fomenté avec astuce cette orgie d’activisme, d'immédiatisme et de localisme qui a ont finalement réussi à décourager pas mal de monde.
Par contre, les auteurs de cet appel appartiennent à une minorité réfléchie et consciente qui met justement en avant de "Ne pas seulement nous rencontrer pour "lancer quelques cris" et rentrer à la maison, mais nous retrouver pour nous connaître, nous comprendre et créer un vrai mouvement", et, surtout, que, "face aux difficultés apparaîtra l’immédiatisme, le "faisons de suite quelque chose, quoi que ce soit". Mais sans un "pourquoi" et un "pour quoi faire", le "quoi que ce soit" ne sert à rien ou à ce que tout continue comme avant. Nous ne restons pas figés : débattre et encourager le débat c’est aussi faire".
Les camarades appellent à "lever la tête", à ne pas voir qu’un problème de secteur mais une crise du système capitaliste que dure depuis plus de quarante ans et dont le seul horizon est le chômage, la misère, la destruction de l’environnement, la barbarie morale, les souffrances sans fin. Lever les yeux et voir, non pas des "collectifs" et des "mini-collectifs" mais la classe prolétarienne, une classe qui éprouve beaucoup de difficultés pour se reconnaître comme telle et pour avoir confiance en ses propres forces, mais qui a entre ses mains l’avenir parce que c’est de son travail associé que jaillissent le fonctionnement même de cette société et les énormes richesses qui s’y produisent. Lever les yeux et ne pas se limiter à l’espace étroit et aliénant de la "nation espagnole", encore moins se perdre dans les royaumes de taïfas de Catalogne, de Valence ou d’Euskadi, mais comprendre que nous sommes face à une crise mondiale qui n’a qu’une solution mondiale, entre les mains de l’union des prolétaires du monde entier. Lever les yeux et ne pas rester dans le cercle asphyxiant de la lutte économique et assumer la lutte politique qui, pour le prolétariat et toutes les masses exploitées, ne consiste pas en ce labyrinthe de mensonges, intrigues et corruption qui caractérise la politique officielle, mais qui est basée sur la participation active de l’immense majorité au profit de l’immense majorité. Lever les yeux et débattre avec l’esprit ouvert aux énormes problèmes qui se posent à nous de sorte que, par la conscience, la solidarité et la lutte, ouvrir le processus long et difficile qui conduira l’humanité à se défaire du joug du capitalisme.
CCI
1Les camarades font référence au collectif Discapacidad en Movimiento (Handicap en Mouvement), qui s’est constitué dans la région de Valence. [NdR]
2 Si tu souhaites te mettre en rapport avec nous : [email protected] [13].
Pour un mouvement uni, conscient et d’assemblées des travailleurs
3 Lire notre tract international : "2011 : de l'indignation à l'espoir [14]".
Et aussi : (en esp.) "Solidaridad con la lucha de los trabajadores de la enseñanza [15]".
Face à l’escalade répressive à Valence (Espagne)" https://fr.internationalism.org/icconline/2012/face_a_l_escalade_repress... [16]
et "Pourquoi nous considèrent-ils comme leurs ennemis ?", https://fr.internationalism.org/ri430/pourquoi_nous_considerent_ils_comm... [17]
4 Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.htm [18]
Quand les troupes russes s’emparèrent des bâtiments stratégiques en Crimée, le secrétaire d'’État américain John Kerry prononça cette condamnation sans concession : "Au XXIe siècle, il est inconcevable de se comporter comme au XIX° siècle, en envahissant un autre pays, sous un prétexte totalement fallacieux."
Poutine, cependant, empruntant une expression à Tony Blair, insista sur le fait que la demi-invasion de l’Ukraine était une "intervention humanitaire" et que, de toutes façons, les forces qui ont pris possession du Parlement de Crimée étaient de simples "unités d’auto-défense" qui ont acheté leurs uniformes russes dans un magasin d’occasions.
Il n’est pas difficile de voir la vacuité et l’hypocrisie de ces représentants du capital. La déclaration de Kerry a été accueillie par un torrent de protestations à gauche : celle-ci a fait remarquer que le fait d’inventer des prétextes pour justifier l’invasion d’autres pays correspond exactement au comportement des États-Unis depuis les vingt dernières années et plus : il suffit de rappeler l’invasion en 2003 de l’Irak, justifiée par la suspicion de présence d’armes de destruction massive, ou le comportement des États-Unis au XIXe siècle. De même, l’appel de Poutine pour des motifs humanitaires porte le monde entier à se moquer de lui lorsqu'on pense à Grozny réduite à des décombres dans les années 1990 quand l’armée russe a réprimé sans ménagement les tentatives des Tchétchènes voulant rompre avec la Fédération de Russie.
Le comportement des États du XIXe siècle est une référence pour l’impérialisme. A cette époque de l’histoire du capitalisme, les grandes puissances ont construit des empires énormes en envahissant des pans entiers de l’espace pré-capitaliste, à la recherche de marchés. Les efforts désespérés pour s’emparer des espaces restants, s’y accrocher ou se les partager, furent un facteur décisif dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
De tous les marxistes et aussi de notre point de vue, Rosa Luxembourg avait la vision la plus clairvoyante des origines et de la nature de l’impérialisme. Elle a ainsi analysé la signification de cette transition de l’impérialisme du XIX° au XX° siècle : "Avec le degré d’évolution élevé atteint par les pays capitalistes et l’exaspération de la concurrence des pays capitalistes pour la conquête des territoires non capitalistes, la poussée impérialiste, aussi bien dans son agression contre le monde non capitaliste que dans les conflits plus aigus entre les pays capitalistes concurrents, augmente d’énergie et de violence. Mais plus s’accroissent la violence et l’énergie avec lesquelles le capital procède à la destruction des civilisations non capitalistes, plus il rétrécit sa base d’accumulation. L’impérialisme est à la fois une méthode historique pour prolonger les jours du capital et le moyen le plus sûr et le plus rapide d’y mettre objectivement un terme. Cela ne signifie pas que le point final ait besoin à la lettre d’être atteint. La seule tendance vers ce but de l’évolution capitaliste se manifeste déjà par des phénomènes qui font de la phase finale du capitalisme une période de catastrophes." (R. Luxembourg, L’Accumulation du Capital, (1913) III- Les conditions historiques de l’accumulation, 31 : Le protectionnisme et l’accumulation)
Ces mots ont été écrits un an avant l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Et nous sommes toujours en train de vivre cette "période de catastrophes", marquée par une crise économique globale, deux Guerres mondiales, des guerres par procuration meurtrières (souvent menées au nom de la décolonisation) au cours de la guerre froide, puis les conflits exprimant le chaos qui a envahi le globe après la chute du vieux système des blocs Est/Ouest.
Dans ce conflit, l’impérialisme peut avoir changé de forme – le fait de garder des colonies, par exemple, comme dans le cas de la Grande-Bretagne et de la France, devenait le signe d’un déclin impérialiste plutôt que d’une force, et la nation capitaliste la plus puissante, les États-Unis, a supplanté les vieux empires en utilisant son immense force économique pour asseoir sa domination sur de larges pans de la planète. Mais, même les États-Unis ont été obligés encore et encore d’utiliser leur force militaire pour soutenir leur influence économique, y compris par l’invasion d’autres pays, de la Corée à Grenade et du Vietnam à l’Irak. De même leur principal rival durant la guerre froide, l’URSS, qui, du fait de sa faiblesse économique, utilisait un contrôle militaire brutal, seule façon de tenir la cohésion de son bloc : comme nous avons pu le voir avec les invasions de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie. Et bien que l’URSS n’existe plus, la Russie de Poutine ne lâche rien sur l’option militaire pour défendre ses intérêts nationaux.
En bref : l’impérialisme, loin d’être un phénomène du XIXe siècle, dirige toujours le monde. Et comme Rosa Luxembourg l’écrivait de la prison où elle était détenue pour s’être opposée au bain de sang de 1914 : "La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire." (Brochure de Junius, éd. Spartacus- 1994, p. 127)
En d’autres termes, toutes les nations sont impérialistes aujourd’hui, de la plus grande à la plus petite, toutes sont poussées par les exigences impérieuses de l’accumulation capitaliste à s’étendre aux dépens de leurs rivaux, à utiliser la guerre, le massacre et le terrorisme pour défendre leurs intérêts économiques et diplomatiques. De même, la phrase nationaliste "ne sert plus qu’à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu’elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l’adhésion des masses populaires et de leur faire jouer leur rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes." (Ibid., page 128)
R. Luxembourg, comme Lénine, Trotsky, Pannekoek, Rosmer et les autres, était une internationaliste. Elle ne considérait pas la société du point de vue de "son pays" mais de "sa classe", la classe ouvrière, qui est la seule classe réellement internationale parce qu’elle est exploitée et attaquée par le capitalisme dans tous les pays. Elle savait que le nationalisme avait toujours été une façon de cacher la réalité fondamentale selon laquelle la société capitaliste est divisée en classes –une qui possède l’économie nationale et qui contrôle l’État national, et l’autre qui ne possède rien d’autre que sa force de travail. Dans le passé, alors que le capitalisme venait d’émerger de la vieille société féodale, l’idéal de la libération nationale pouvait servir les intérêts de la révolution bourgeoise progressiste, mais, dans la période du déclin du capitalisme, rien de positif ne reste du nationalisme, si ce n’est d’entraîner les exploités dans la guerre, pour la survie de leurs exploiteurs.
C’est pourquoi les internationalistes, en 1914, ont défendu la poursuite et l’approfondissement de la lutte de classe contre leur propre classe dominante ; pour la solidarité avec les ouvriers des autres pays luttant contre leur classe dominante ; pour l’unification éventuelle des ouvriers du monde entier en une révolution contre la loi capitaliste en tout lieu. C’est pourquoi ils ont adopté la même position au moment de la Seconde Guerre mondiale, guerre de procuration entre les États-Unis et l’URSS, et c’est pourquoi nous adoptons la même position contre les guerres d’aujourd’hui. Nous ne cautionnons pas la politique "du moindre mal" contre "l’ennemi numéro un", nous ne défendons pas les "petites nations" contre les nations plus fortes. Nous ne soutenons pas non plus qu’il existe un "nationalisme des opprimés" qui serait moralement supérieur au "nationalisme de l’oppresseur". Toutes les formes de nationalisme aujourd’hui sont également réactionnaires et meurtrières.
Dans le conflit actuel en Ukraine, nous ne défendons pas la "souveraineté" de l’Ukraine, soutenue par l’impérialisme américain, pas plus que nous ne défendons le militarisme russe mobilisé contre les États-Unis ou l’influence européenne sur leur flanc sud. Nous ne sommes pas non plus "neutres" ou pacifistes. Nous sommes partisans de la lutte de classes dans tous les pays, même si, comme en Ukraine ou en Russie aujourd’hui, la lutte de classes est noyée dans les combats de fractions concurrentes de la classe dominante.
Contre les barricades des drapeaux nationaux, divisant les ouvriers d’Ukraine et de Russie, contre la menace que constitue l’intoxication patriotique, qui risque de les entraîner dans un massacre terrible, les internationalistes ne doivent pas perdre de vue le mot d’ordre du mouvement ouvrier :
"La classe ouvrière n’a pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"
CCI, mars 2014
Nous diffusons ci-dessous un article publié pour la première fois en juillet 1970 dans le journal Révolution internationale n°4 et réalisé par le groupe éponyme, groupe qui deviendra en 1975 la section en France du Courant Communiste International.
Le sommaire du journal présentait cet article ainsi : "La théorie est une des armes principales du prolétariat, car elle est la condition d’une révolution consciente".
"Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme ; la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants, ou avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors, et qui n'en sont que l'expression juridique. Hier encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves.
Alors commence une ère de révolution sociale. Le changement dans les fondations économiques s'accompagne d'un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice. Quand on considère ce bouleversement il faut toujours distinguer deux ordres de choses. Il y a le bouleversement matériel des conditions de production économique. On doit le constater dans l'esprit de rigueur des sciences naturelles. Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques, philosophiques, bref les formes idéologiques, dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout." (Karl Marx, Critique de l'Économie politique, Avant-propos, trad. Rubel et Evrard, La Pléiade, Œuvres, t. 1, p. 272.)1
Si en dernière instance, c’est la forme d’organisation qui détermine l’ensemble de la société, les formes idéologiques jouent un rôle fondamental dans le maintient de cette première. En effet, dans la mesure où toutes les formes économiques ayant existé jusqu’à ce jour ont été et sont encore basées sur la division de la société en classes sociales aux intérêts antagonistes, la classe qui bénéficie de ces rapports de production, c’est-à-dire la classe exploiteuse, a besoin, pour imposer et maintenir son existence face aux classes exploitées, d’étendre sa domination à l’ensemble de la vie sociale. Cette domination s’exerce principalement dans le domaine politique pas sa main-mise sur le pouvoir d’État, c’est-à-dire la violence organisée. Elle s’exerce également dans les domaines juridiques, religieux, philosophiques et artistiques par l’élaboration de lois, mythes et systèmes de pensée, qui ont tous pour objet de justifier l’ordre social existant et de le faire accepter par les classes opprimées.
Chaque fois qu’une classe s’est attaquée à une forme d’organisation sociale, c’est-à-dire en premier lieu à une forme donnée des rapports de production, elle a dû étendre son offensive aux domaines politique et idéologique à travers lesquels la classe exploiteuse maintenait sa domination. Son affirmation comme classe dominante s’est accompagnée de l’élaboration de sa propre conception du monde opposée à la conception de la classe à renverser.
Ceci fut déjà valable pour la bourgeoisie : à l’époque où le mode de production capitaliste commençait à se développer aux dépends du mode de production féodal, elle a éprouvé le besoin d’étendre sa maîtrise du monde au domaine politique (révolution bourgeoise) mais simultanément ou même avant, aux différentes branches de la pensée : artistique (Renaissance), philosophique (Voltaire, Rousseau, Kant, Hegel….) et scientifique. Son incursion dans cette dernière branche a établi une distinction entre deux domaines :
Les sciences de la nature dans lesquelles la plus grande rigueur est nécessaire à la bourgeoisie car elles sont la condition même du développement de la technique et des forces productives.
Les "sciences sociales" et en particulier l’économie politique dont le développement se heurte à la mystification qu’elles sont chargées de perpétuer pour masquer la réalité de l’exploitation capitaliste. Les économistes bourgeois (Smith, Ricardo…) font œuvre révolutionnaire quand ils démontrent la supériorité du mode de production capitaliste sur le mode de production féodal mais leurs travaux perdent leur rigueur scientifique dès qu’ils se proposent de démontrer qu’il ne peut exister de meilleur mode de production que le capitaliste, ou plutôt que celui-ci est le mode "naturel" de production.
A l’instar des autres classes révolutionnaires, le prolétariat tend à travers sa lutte contre le capital, à définir sa propre conception du monde. Mais dans la mesure où le projet révolutionnaire prolétarien ne se propose pas d’instaurer une nouvelle exploitation de l’homme par l’homme mais au contraire l’abolition de toute exploitation, il peut et doit se passer de toute mystification. Il étend par conséquent la rigueur scientifique, que la bourgeoisie utilisait seulement dans la connaissance de la nature, au domaine de la critique de la société et principalement de l’économie politique.
C’est justement parce qu’ils se plaçaient du point de vue du prolétariat dans leur critique du capitalisme que les socialistes scientifiques (Marx, Engels…) ont pu en démasquer la nature profonde et les contradictions fondamentales. Puisqu’il n'a pas besoin de mentir aux autres classes et par conséquent de se mentir à lui-même, le prolétariat est la première classe révolutionnaire de l’histoire qui puisse s’élever à une compréhension claire et non mystifiée des moyens et des buts de sa lutte, qui puisse faire de sa théorie un instrument fondamental de son émancipation.
A la différence de la bourgeoisie qui a pu développer, à l’intérieur même du cadre de la société féodale, les bases matérielles économiques de sa domination, le prolétariat ne dispose dans la société bourgeoise d’aucune base matérielle de son futur pouvoir. Il n’existe à l’heure actuelle, dans le monde capitaliste, aucune organisation, aucun pays2 successible de servir de point d’appui au prolétariat pour un assaut contre l’édifice capitaliste.
La seule force matérielle du prolétariat est, outre son nombre, sa capacité à s’organiser de façon autonome au cœur même des lieux de production dans les moments de lutte révolutionnaire. Mais jusqu’à présent l’échec des différentes tentatives révolutionnaires a conduit à l’écrasement de ces organes de lutte : les conseils ouvriers, et chaque défaite prolétarienne a permis au capital de renforcer sa sur-exploitation et sa domination idéologique. Le seul acquis de ces luttes est donc d’ordre théorique : l’expérience des défaites du prolétariat d’hier permettra à celui d’aujourd’hui de ne pas commettre les mêmes erreurs, à condition seulement qu’il prenne connaissance de cette expérience.
Cet acquis ne peut à aucun prix être perdu : le rôle des révolutionnaires est donc de se l’approprier et de le traduire en activité révolutionnaire consciente dans l’actuelle lutte de classe.
La révolution prolétarienne est la première révolution de l’histoire qui réalise l’émancipation totale de l’homme de ses contraintes économiques, qui permet à l’humanité de "sortir du règne de la nécessité pour entrer dans celui de la liberté" (Engels, Anti-During). Dans la société sans classes, la satisfaction des besoins des hommes ne sera plus soumise aux lois aveugles de l’économie marchande : la production de valeurs d’échange dont le capitalisme a fait une loi universelle, aura disparu au bénéfice de la production de valeurs d’usage, ce qui signifie que l’activité productive et, par suite, l’ensemble des activités sociales des hommes deviendront des actes conscients.
L’édification de cette société et l’affrontement révolutionnaire qui l’aura permise ne pourront donc être que des activités conscientes.
En définitive, aussi bien l’absence de base matérielle actuelle pour le futur pouvoir prolétarien que le contenu même du projet révolutionnaire montrent que, non seulement le prolétariat pourra faire de sa théorie un instrument fondamental de son émancipation, mais que la condition sine qua non de cette dernière est justement qu’il formule et s’assimile au maximum sa théorie révolutionnaire.
Le rôle des révolutionnaires est donc, non seulement de s’approprier l’acquis théorique des luttes passées, mais encore de contribuer de façon décisive à l’élaboration du projet révolutionnaire prolétarien et, dans la mesure où toute la classe doit participer à la révolution et par conséquent faire sienne la théorie révolutionnaire, ils doivent la diffuser au maximum de leurs possibilités.
Contrairement à ce que pensaient Kautsky et Lénine, la conscience révolutionnaire n’apparaît pas en dehors et indépendamment des luttes prolétariennes, dans le cerveau d’un certain nombre d’intellectuels d’origine bourgeoise, dont la tâche serait d’introduire cette conscience à l’intérieur de la classe ouvrière, capable seulement par elle-même d’atteindre une "conscience trade-unioniste".
Ce qui rend le prolétariat révolutionnaire ce n’est pas l’intervention avisée du parti porteur de la "conscience de classe", c’est la place qu’il occupe dans les rapports capitalistes de production, place qui en fait l’ennemi irréconciliable de la classe des détenteurs des moyens de production, des exploiteurs. Le socialisme n’est pas une construction théorique élaborée en dehors de la lutte de classes par quelques spécialistes détenteurs de la Science, il est le but vers lequel tend de façon inéluctable toute lutte prolétarienne conséquente3. Ce qui a permis de donner pendant une longue période une apparence de rigueur aux idées de Kautsky et de Lénine ; c’est le fait que le but socialiste impliqué par la lutte prolétarienne, n’est pas immédiatement reconnu par ceux qui mènent cette lutte. Ce n’est que devant l’incapacité croissante du capital de satisfaire les exigences des travailleurs que ceux-ci prennent progressivement conscience de la nécessité du renversement de l’ordre existant, de la suppression du capitalisme et donc de l’édification de la société sur de nouvelles bases.
Le fait que des hommes comme Babeuf, Marx, Engels, etc., aient pu effectivement, grâce à leur situation culturelle privilégiée, appréhender et formuler explicitement les buts et les implications de la lutte qui se déroulait sous leurs yeux, et ceci avant que ce but n’apparaisse clairement aux protagonistes de celle-ci, ne signifie nullement qu’ils aient "inventé" le socialisme.
Cette conception est le vestige d’une époque de creux révolutionnaire (1871-1905) et de l’immaturité du mouvement ouvrier russe au début du siècle, vestige canonisé par la réussite momentanée de la Révolution d’Octobre 1917 et entretenus par la contre-révolution qui l’a suivie.
La dénonciation de cette conception n’implique cependant pas l’adoption de la conception symétrique dans laquelle on fait surgir de la conception révolutionnarisme de l’expérience parcellaire et individuelle de tel ou tel ouvrier dans telle ou telle usine. La conscience révolutionnaire s’élabore dans la classe et non dans une entreprise. En ce sens, le révolutionnaire qui milite pour la propagation de ses idées dans une usine (par exemple sur les Conseils ouvriers) n’apporte pas une conscience extérieure puisque celle-ci n’est que le résultat de l’expérience de la classe (qui est une) en d’autres lieux ou à d’autres époques.
Dans une telle conception, la conscience de classe est comprise comme somme des consciences des individus la composant ; alors qu’elle est en fait conscience collective, conséquence et facteur d’une lutte pour la défense d’intérêts communs à l’ensemble des membres de la classe.
La théorie révolutionnaire n’est pas produite de façon immédiate et empirique par les luttes sociales au fur et à mesure qu’elles se développent à une époque et en un lieu donnés. L’échelle qui lui convient est obligatoirement celle de l’histoire du mouvement ouvrier international. En d’autres termes, les révolutionnaires ne peuvent élaborer leurs positions politiques uniquement à partir de la simple participation aux luttes de leur époque ; la compréhension du sens de celles-ci implique la connaissance du cadre historique dans lequel elles s’inscrivent, donc de l’expérience des luttes passées de la classe.
Le décalage qui peut exister entre les conceptions d’un groupe révolutionnaire et la pratique de la classe à un moment donné de sa lutte, ne signifie pas forcément que ces conceptions soient fausses, il peut aussi indiquer que l’activité révolutionnaire de la classe n’a pas encore atteint le niveau de ses expériences antérieures.
Le fait que dans le prochain mouvement révolutionnaire la classe ouvrière devra, pour vaincre, dépasser le niveau de conscience atteint lors du mouvement précédent, implique donc la disparition à terme de ce décalage.
Le mouvement révolutionnaire se développe à l’intérieur de la société d’exploitation. Les individus ou groupes qui participent ne peuvent échapper à cette réalité. Ainsi, le fait qu’à l’heure actuelle, la plupart des groupes révolutionnaires soient composés en majorité "d’intellectuels" n’est pas en soi aberrant ou tragique, c’est le simple reflet de la situation qui prévaut dans la société de classe : à savoir l’opposition entre travail manuel et travail intellectuel et l’existence de privilèges qui sont attachés à ce dernier. Les révolutionnaires devront surtout veiller à ce que ne s’établissent pas dans leur organisation des rapports hiérarchiques de soumission des "manuels" aux "intellectuels", ou à ce que ces derniers ne se livrent à l’attitude opposée qui consiste à abdiquer toute opposition critique à l’égard des membres ouvriers de cette organisation.
Cela dit, on ne peut considérer comme définitif ce rôle particulier joué par certains intellectuels à une époque comme la nôtre. L’extension et l’approfondissement du mouvement révolutionnaire, l’entrée sur la scène de l’histoire des masses prolétariennes, de même qu’ils permettront la jonction entre la théorie et la pratique, aboliront, avec les autres vestiges du vieux monde, cette tare.
La théorie ne sera plus le privilège d’une minorité composée essentiellement d’intellectuels, elle sera vécue et élaborée par les masses.
C’est entre autre par la connaissance d’un tel fait que pêche la théorie léniniste de la conscience et de l’organisation.
Traiter de "léninistes" ou "d’aspirants bureaucrates" ceux qui insistent sur le besoin de théorie est une aberration. De telles accusations nourrissent leur mauvaise foi dans la méconnaissance des idées suivantes :
1. Les conceptions de Lénine ne se distinguent pas de celles des révolutionnaires de son époque par le rattachement exceptionnel à la théorie : les écrits de Rosa Luxemburg, Mehring, Pannekoek, sont là pour le confirmer.
2. L’essentiel du pouvoir qu’exercent les dirigeants des bureaucraties pseudo-révolutionnaires sur leurs militants de base provient de l’imposition à ces derniers de toutes sortes "d’activités pratiques" (collages d’affiches, distributions de tracts, ventes militantes, etc.) et de la non-extension à l’ensemble des membres de l’organisation de la réflexion théorique.
3. Une des armes essentielles pour lutter contre les conceptions bureaucratiques est la mise à nu de leur incohérence théorique. Refuser de "faire de la théorie", c’est objectivement laisser le champ libre à ces conceptions.
Souvent les détracteurs de la théorie prônent comme moyen de lutte l’accomplissement "d’actes exemplaires" ; leur opposition aux conceptions léninistes les conduit alors à se replacer – la cohérence en moins – dans le cadre de ces mêmes conceptions pour lesquelles une minorité d’individus "entraîne" la grande masse amorphe.
Les partisans de la "pratique pure", vierge de toute théorie, se mentent à eux-mêmes comme ils mentent aux autres puisque leur conception même de la lutte est déjà une théorie, primaire il est vrai, de la révolution.
Alors qu’ils présentent la théorie comme un danger qui menace le mouvement ouvrier, ils ne se rendent pas compte du fait que ce sont leurs actes irréfléchis – puisque en principe exempts de toute théorie – qui risquent d’être dangereux ; tout acte illégal n’est pas forcément bon pour la révolution. Leur mépris de la théorie masque donc un mépris de la pratique.
La négation de la nécessité de la théorie est généralement le fait d’intellectuels : leur révolte contre l’oppression du savoir bourgeois déborde sur une négation du savoir lui-même.
Au contraire quand il se révolte contre l’exploitation et les institutions qui assurent le maintient de celle-ci, l’ouvrier éprouve le besoin de comprendre la situation qu’il se propose de changer : pour lui la connaissance et la réflexion théorique sont une nécessité immédiate de sa lutte, comme ils sont un premier pas vers une émancipation de sa soumission que lui impose le Capital.
L’actuel mépris pour la théorie qui se manifeste dans un certain nombre de milieux "gauchistes" provient essentiellement de la nature petite-bourgeoise de la plupart des luttes violentes qui ont jusqu’à présent secoué la société4 (étudiants, paysans, commerçants) ; luttes qui malgré les difficultés qu’elles peuvent créer à la bourgeoisie ne portent en elles aucunes perspectives historiques et ne peuvent par conséquent reconnaître de projet révolutionnaire propre. Suscité par l’absence de perspective, le désespoir et l’impatience de ces couches sociales se manifestent par des actes plus ou moins violents, quelques fois de caractère terroriste mais toujours minoritaires qui en fin de compte ne font pas avancer la condition fondamentale de la révolution communiste, la prise de conscience de la seule classe aujourd’hui révolutionnaire : le prolétariat.
Le fait que la théorie ne soit pas encore ressentie comme un besoin urgent de l’actuel lutte de classe est la marque des limites et des faiblesses que celle-ci (malgré un renouveau indiscutable) connaît encore après cinquante années de contre-révolution.
Ce fait traduit ainsi la domination que continue d’exercer l’idéologie bourgeoise – malgré sa décomposition actuelle – sur le prolétariat et dont les détracteurs de la théorie sont les agents objectifs, bien qu’inconscients.
Cinquante ans de défaite et d’apathie du mouvement ouvrier ont pratiquement anéanti tout développement de la théorie révolutionnaire : toutes les tentatives qui ont été faites pendant cette période se sont épuisées pour n’avoir pu être confrontées à une pratique.
Sortant de cette sombre période, le nouveau mouvement révolutionnaire qui aujourd’hui se dessine se voit donc confronté dès ses premiers pas, à un besoin immense de mise à jour de la théorie.
Parmi les tâches essentielles qui se présentent actuellement, on peut citer, de façon non limitative, les suivantes :
Compréhension du sens des luttes actuelles, indissociable d’une étude du capitalisme mondial.
Critique sans concessions des expériences révolutionnaires passées, ainsi que des conceptions idéologiques erronées qui y sont attachées (léninisme, anarcho-syndicalisme).
Critique des organisations présentes se réclamant de la révolution socialiste, de leurs programmes, de leurs formes d’organisation et d’action et étude de pourquoi de leur existence.
Réflexion sur le problème de l’organisation des révolutionnaires, tel qu’il s’est posé et tel qu’il se pose aujourd’hui et sur celui des nouvelles formes de lutte.
Ébauche du programme socialiste (c’est-à-dire de l’ensemble des mesures que devra prendre le pouvoir révolutionnaire) dont les expériences passées et les nouvelles caractéristiques de la société peuvent déjà donner quelques traits ; ce dernier travail, la formulation du projet révolutionnaire prolétarien, étant en fait celui qui rend possible tous les autres.
J.Fé (juillet 1970)
1 Nous ne reproduisons pas cette citation de Marx afin de nous retrancher derrière une quelconque "vérité révélée" et couper ainsi court à toute discussion. Mais puisque nous partageons ces mêmes idées, que nous en aurons besoin pour la suite du texte et que Marx leur a donné dans ce passage une formulation particulièrement claire et succincte, nous avons pensé qu’il valait mieux citer directement cet extrait en en indiquant l’origine, plutôt que de dire la même chose en d’autres termes qui eussent sans doute été plus lourds et plus confus.
2 Il y a longtemps que les révolutionnaires ont reconnu dans les syndicats des instruments de l’État bourgeois, et dans les pays "socialistes", des pays où le capitalisme loin d’être aboli, exerce une exploitation qui n’a rien à envier à celle des capitalismes libéraux.
3 "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux." Marx et Engels, le Manifeste Communiste, 1848.
4 Voir l’article sur le mouvement étudiant dans RI ancienne série n°3.
L'évolution de la situation au Venezuela après un mois d'affrontements et de manifestations de rues sporadiques n'a malheureusement pas confirmé les potentialités contenues à l'origine de ce soulèvement des jeunes, excédés et révoltés par la misère, la hausse du coût de la vie (avec un taux d'inflation atteignant officiellement 56%), la précarité, l'insécurité, la terreur permanente et l'avenir bouché en contradiction totale avec la propagande du régime post-chaviste. Si le bilan de la répression s'est depuis considérablement alourdi (18 morts et 260 blessés à la date du 5 mars) depuis les textes traduits ci-après, la bourgeoisie a opéré une véritable mise sous contrôle du mouvement, notamment au moyen de ses fractions d'opposition au régime, de gauche comme de droite. La classe dominante s'est employé a dénaturer ce mouvement sur le terrain du démocratisme et du nationalisme, ce dont témoignent les immenses drapeaux nationaux déployés dans les cortèges des manifestants. Les manipulations et les grandes manœuvres des intérêts impérialistes concurrents ont pris le pas sur la colère de la rue et le mouvement étudiant vénézuélien a démontré qu'il n'avait pas surmonté ses faiblesses de 2007 et s'est fait prendre une fois encore aux pièges qui lui étaient tendus et aux discours mensongers de l'opposition démocratique pour désamorcer son caractère explosif en le coupant de ses racines prolétariennes et en se livrant aux politiciens et à d'autres exploiteurs.
Nous publions ci-dessous la traduction de deux prises de position déjà publiées sur notre site en espagnol1 : il s'agit d'une part de la contribution d'un sympathisant proche du CCI qui a rédigé et distribué un tract "à chaud" dans les jours qui ont suivi la répression des jeunes le 12 janvier par le gouvernement Madero et ses sbires, l'autre un texte de présentation de ce tract écrit par notre section au Venezuela. Tous deux posent l'enjeu essentiel de la situation : le lien nécessaire et vital entre le mouvement de révolte des jeunes et le combat plus général de résistance du prolétariat sur son terrain de classe, même si ce lien a été saboté par l'union de toutes les forces de la bourgeoisie pour détourner la colère de la jeunesse de cet objectif et si le mouvement a été rapidement récupéré par la bourgeoisie.
Ces prises de position ont également le mérite de briser le relatif black-out qui a pesé en Europe pendant des semaines sur ce mouvement alors. La bourgeoisie cherchait à masquer une fois de plus le point de départ de cette rébellion massive des jeunes générations contre des conditions d'existence de plus en plus intolérables, préférant mettre l'accent sur la lutte entre "chavistes" et "ani-chavistes", entre le pouvoir et "l'opposition démocratique".
Le tract ci-dessous, écrit et diffusé par un sympathisant du CCI, prend position face à la brutale répression déchaînée par le régime chaviste (actuellement dirigé par le successeur de Chavez, Nicolas Maduro), contre une mobilisation massive appelée par les étudiants le 12 février dernier au centre de Caracas pour exiger la libération de quatre de leurs camarades emprisonnés et pour protester contre la pénurie, le coût élevé de la vie et l'insécurité dans les villes. L'action répressive du régime "social-bolivarien" s'est traduit à l'heure actuelle par un bilan de trois morts, des dizaines de blessés et d'arrestations.
La mobilisation des étudiants a été le détonateur d'une immense indignation qui fermentait depuis longtemps au sein des masses laborieuses et de la population durement frappées par la grave crise économique qui secoue le pays. De larges secteurs de la population au niveau national ont soutenu l'action décidée par les jeunes, s'unissant dans un mouvement de protestation généralisée contre le régime et pour manifester leur rage et leur indignation face au niveau élevé de l'inflation sans aucune compensation sur les traitements et les salaires des travailleurs ; la pénurie accrue des produits de première nécessité (alimentation, médicaments, produits d'hygiène, notamment) ; le haut niveau d'insécurité publique qui s'est sinistrement traduit par près de 200 000 assassinats pendant les quinze ans du régime chaviste ; la détérioration des services publics de santé, la précarité du travail et la grotesque propagande chaviste au niveau national et international pour essayer de vendre "les bienfaits" du "socialisme-boivarien". En réalité, cela illustre de façon tragique la barbarie et la misère que le capitalisme en décomposition offre à l'humanité2.
Comme cela s'est produit lors d'autres mouvements sociaux dans le monde, la bourgeoisie chaviste au pouvoir a eu recours à son moyen d'action préféré : la répression ouverte et impitoyable contre les manifestants ; utilisant non seulement les forces de répression de l'État mais aussi des milices civiles armées et rétribuées par l'État appartenant aux dénommés Comités bolivariens, chargés d'intimider, de créer un climat de terreur, y compris en tirant sur des manifestants désarmés. Ce sont eux les responsables de plusieurs morts et de plusieurs dizaines de blessés. En permettant à ces forces para-policières d'agir librement, l'État tente de masquer sa propre responsabilité dans la répression des manifestants. Ces actes de "révolutionnaires bolivariens" ne doivent pas nous surprendre. La bourgeoisie tout au long de son histoire a utilisé des éléments déclassés et lumpenisés pour renforcer ses troupes de choc contre le prolétariat : on l'a vu aussi bien avec les réseaux fascistes (les "chemises noires" de Mussolini, les "chemises brunes" du nazisme) que sous les régimes staliniens comme à Cuba avec les Comités de Défense de la Révolution (CDR) ou sous les régimes dictatoriaux des pays arabes (Libye, Syrie, Égypte,…) ou encore plus récemment dans les pays alliés au "Socialisme du XXIe siècle" comme au Nicaragua, en Équateur, en Bolivie, etc.
La bourgeoisie est consciente de la gravité de la crise économique du pays, manifestation de la crise économique que vit le capitalisme à l'échelle mondiale. Les moyens économiques du régime n'ont fait que précipiter une crise imminente. Malgré les importantes recettes pétrolières, le régime chaviste ne peut plus supporter le niveau abyssal des dépenses publiques qu'exige le maintien de sa politique populiste depuis quasiment trente ans, ni continuer à fournir du pétrole bon marché pour soutenir une géopolitique qui s'affaiblit chaque jour un peu plus. Dans ce contexte, les conditions sont remplies pour que chavistes et opposants convergent dans la protestation contre le régime. Pour essayer d'éviter cela, un black-out a été imposé aux médias et sur internet pour que ne soient pas divulguées les informations sur les mobilisations de protestation, pendant que les médias contrôlés par l'État cherchaient à monter la population pro-chaviste contre les étudiants et les mobilisations, criminalisant les protestataires et se présentant comme le garant de la "paix sociale".
Malgré les obstacles dressés par l'État, vu le contexte économique, politique et social, ce nouveau mouvement étudiant contient des potentialités qui lui permettraient de dépasser sa composante initiale en se propageant au niveau national.
Pour y parvenir, il doit éviter de tomber dans les mêmes pièges que le mouvement de 20073 qui a été dévoyé et affaibli par tous les faux amis que sont les partis et les forces d'opposition au régime, qui ne sont que l'autre face de la même pièce représentant l'appareil politique du capital national, mais qui ne représentent aucune sortie possible d'une crise qui nous enfonce dans la barbarie et la précarité. C'est pour cela que nous donnons notre plein accord avec le camarade qui a écrit ce texte quand il dit que la seule issue pour ce mouvement est l'union avec les secteurs ouvriers qui, malgré la répression et le harcèlement des syndicats, sont restés debout et en lutte au cours des dernières années : les travailleurs du secteur du fer, du secteur pétrolier, du secteur de la santé, les fonctionnaires, etc.
Comme nous le disions en 2007, nous saluons le surgissement spontané de ce nouveau mouvement de la jeunesse étudiante dont la confrontation avec l'État contient des éléments qui l'inscrivent parmi les luttes prolétariennes contre le système capitaliste. Ces éléments sont ceux qui étaient aussi présents dans les mouvements sociaux qui ont secoué le monde depuis le "printemps arabe" de 2011 jusqu'aux récents mouvements au Brésil et en Turquie, en passant par le mouvement des Indignados en Espagne et des Occupy aux États-Unis.4
Internacionalismo, organe de presse CCI au Venezuela, le 23 février 2014
Depuis peu, l'expérience la plus achevée du "Socialisme du XXIe siècle", selon le jugement des nostalgiques du stalinisme, est secouée par une vague d'émeutes qui s'est étendue dans toute la république et qui a comme acteur principal une masse de jeunes, issus de toutes les couches sociales, qui condense la nature opprimée d'une population attaquée par la décomposition d'un modèle social qui se nourrit de la forme la plus cruelle du capitalisme (le capitalisme d'État sous sa forme caricaturale) et qui a affecté la vie nationale au cours de ces 15 dernières années. La rage contenue à l'intérieur d'un cercle infernal délimité par l'insécurité, par la pénurie de quasiment tout ce qui est strictement nécessaire pour mener une vie plus ou moins décente, par l'absence d'un quelconque motif de rêver ou d'entretenir le moindre espoir d'amélioration des conditions de vie, par un sentiment de frustration que procure le confinement dans une réalité sociale où ont disparu les valeurs qui ont animé l'humanité pour poursuivre un cours qui lui permette de partir à l'assaut du ciel.
Le 12 février, plus que le hochet patriotique de la Journée de la Jeunesse, les jeunes ont appelé, en marge de toute action politicarde puante, à une manifestation pour réclamer la libération d'un groupe d'étudiants détenus dans la province de Tachira, enfermés dans des centres de détention de haute sécurité avec un motif d'inculpation les qualifiant de terroristes, démonstration de l'escalade répressive que le "socialisme bolivarien du XXIe siècle" est venu déchaîner contre les protestations qui ont pris corps tout au long de l'année 2013 sur tout le territoire national, incluant, de manière informelle, divers secteurs de la classe ouvrière et en particulier des travailleurs des industries de base (Sidor, Venalum, Alcasa, Ferrominera, Bauxilum, etc.) et plus récemment des ouvriers de l'industrie pétrolière de la raffinerie de Jóse qui ont été emprisonnés sous prétexte d'être des traîtres à la patrie. Les qualificatifs de traîtres, terroristes, apatrides, lèche-bottes des Yankees, agents de l'impérialisme, le chavisme et ses tueurs à gages des Comités les utilisent indistinctement contre n'importe quelle manifestation de mécontentement ou contre toute lutte revendicative que mènent les travailleurs, pas seulement contre les étudiants.
Le 12 février 2014, les jeunes qui protestaient se sont retrouvés pris dans la ligne de tir et le champ miné que le chavisme et son opposition capitaliste (le MUD5, Léopoldo Lopez et les fractions de gauche défroquées du stalinisme main dans la main aujourd'hui avec la droite) dans un partage des tâches non concerté, ont créés pour stériliser la contestation, les détournant des chemins qui pouvaient les conduire à se rassembler avec les secteurs prolétariens qui se trouvaient du même côté de la barricade que les étudiants et qui pouvaient apporter l'organisation politique et la direction capable de contenir la vague de répression et d'exploitation de l'État capitaliste bolivarien. Le régime craint le caractère explosif que prennent les luttes animées par de jeunes prolétaires et des mouvements étudiants, qui ont connu à travers des expériences récentes et particulièrement celles de 2007, la capacité et le renforcement croissant qu'offrent de telles mobilisations qui représentent un danger potentiel d'entraîner derrière elle le ras-le-bol et les frustrations d'une population bombardée par un déluge de mystifications que la propagande officielle a déversé à pleins seaux sur elle.
En 2007, le mouvement de protestation avait été poussé sur le terrain stérile de la défense d'une chaîne de télévision (RCTV), scénario dans lequel étaient en concurrence deux visions du capitalisme, et finalement le mouvement de protestation avait été réduit à une caricature dans laquelle le rôle principal a été tenu par la futilité propre aux vedettes médiatisées. Et finalement, la journée du 12 février 2014, le discours officiel, après avoir criminalisé avec son jargon habituel le mouvement de protestation des jeunes, a proposé le scénario suivant, en se partageant le travail avec l'opposition, pour essayer d'entraîner le mouvement dans la stérilité : le ministère de la Justice a lancé un mandat d'arrêt contre Leonardo Lopez en menaçant aussi de lever l'immunité parlementaire de l'opposante Corina Machado avec les charges d'association avec des délinquants en bande organisée et désigné une commission d'enquête criminelle pour avoir appelé les jeunes à la manifestation.
Ni Lopez, ni Machado n'ont appelé à la moindre mobilisation et leur présence fugace à la manifestation s'est réduite à chauffer leur voix d'orateur capitaliste pour essayer de surfer sur la combativité des jeunes, mais à l'instant même où la canaille chaviste, dans sa charge sanglante contre les manifestants, se déchaînait avec l'intervention concerté des Comités de la mort, de la Garde nationale bolivarienne (GNB) et de la police nationale bolivarienne (PNB), ils se sont volatilisés, on ne les a plus vus, ni eux ni les autres caïds de la MUD. La tâche pénible d'affronter la répression de l'État capitaliste bolivarien sur les barricades et de ramasser les cadavres, ce sont les jeunes qui les ont assumées. Les défenseurs du capitalisme de la MUD de même que les dirigeants chavistes se sont réservés, eux, le pompeux rôle principal à jouer auprès de médias.
À l'heure actuelle, le mouvement de protestation ne doit pas répéter les erreurs de 2007, développer sa lutte sur un terrain qui n'est pas le sien sous peine de se laisser entraîner dans le précipice de la frustration et de la défaite cuisante. Le seul milieu naturel dans lequel la protestation actuelle des jeunes pourrait prendre des forces serait en se reliant aux secteurs prolétariens de la société qui, tout au long de l'année 2013 se sont maintenus debout et ont lutté contre les attaques de l'État capitaliste bolivarien qui ne peut pas se généraliser sans poser le potentiel d'extension contenu dans le mouvement de protestation des jeunes. Ces secteurs renferment les germes d'un contenu révolutionnaire capable de féconder le mouvement actuel de protestation permettant la construction d'une solide plateforme politique et organisationnelle qui la transformerait en bastion de classe avec la force pour abattre ce système capitaliste pourri que le chavisme et ses acolytes s'efforcent de maintenir debout. Ces secteurs, ce sont les ouvriers des industries de base travaillant dans la région de Guayana, les travailleurs du pétrole disséminés sur tout le territoire national et les travailleurs du secteur public qui ont coupé les ponts avec le syndicalisme qui les reliait au chavisme. Voilà quel est le terrain sur lequel peut se livrer la meilleure bataille.
HS, 18 février 2014
1 es.internationalism.org
2 Voir l'article : Venezuela: avec ou sans Chavez, de plus en plus d’attaques contre les travailleurs,
[https://fr.internationalism.org/icconline/201304/6971/venezuela-ou-sans-... [23] (avril 2013) ou en espagnol : El Legado de Chávez: Un proyecto de defensa del capital. Un gran engaño para las masas empobrecidas. [https://es.internationalism.org/en/node/3694] [24]
Pour une vision plus générale, lire nos Thèses sur la décomposition
[fr.internationalism.org/book/export/html/805]
3 Voir notre article en espagnol : Movimiento estudiantes en Venezuela: los jóvenes intentan salir de la trampa de la polarización chavismo – oposición".
[https://es.internationalism.org/ccionline/2007/estudiantes_venezuela.htm] [25]
4 Pour un bilan de ces mouvements, voir notre "Dossier spécial sur le mouvement des Indignés et des Occupy", publié sur notre site le 6 juin 2011.
5 Mesa de la Unidad Democrática (Table de l'Unité Démocratique) : Coalition plus ou moins radicale de partis d'opposition à Chavez créée en janvier 2008 mais dominée par une tendance de centre gauche et social-démocrate, faisant aussi cause commune avec les partis de droite, traditionnellement opposés au populisme chaviste.
Malgré les difficultés rencontrées par la lutte de classe au niveau international, en particulier avec le confinement des grands mouvements sociaux de ces dernières années (le printemps arabe, les Indignados espagnols, etc.), et le poids du nationalisme qui a écrasé de nombreuses expressions de protestation et de mécontentement, comme récemment en Ukraine, ici ou là, le prolétariat oppose une certaine résistance, encore fragile, à l'encadrement de la bourgeoisie et de ses syndicats. Afin de rompre le black-out médiatique qui caractérise souvent ces luttes courageuses, dès lors qu'elles cherchent à mener un combat impliquant la classe ouvrière, nous publions la traduction d'un article rédigé par un sympathisant du CCI au Royaume-Uni sur le récent mouvement en Bosnie.
Le 24 août 2011, une grève éclatait à l'usine de production de détergents DITA à Tuzla, en Bosnie. Cette grève était spontanée et a surgit contre le non-paiement des salaires depuis plusieurs mois et des indemnités de déplacement au travail, ainsi que la diminution des pensions de retraite et de la prise en charge des soins des travailleurs. Elle dura sept mois, jusqu'en mars 2012. Contre le lock-out imposé par les patrons, les ouvriers en grève ont organisé un blocage permanent de l'usine, afin d'empêcher le démantèlement des équipements de l'usine, ce qui était déjà arrivé aux usines voisines. Le comité de grève organisa des piquets en direction des autres ouvriers et se déplaça sur d'autres sites et usines. D'autres ouvriers, dont certains déjà en grève ou dans une dynamique de protestation, vinrent aussi à l'usine DITA pour exprimer leur soutien et leur solidarité. Des agriculteurs du coin apportèrent de la nourriture aux piquets, ainsi que les mineurs et les ouvriers des boulangeries. Des travailleurs de la Santé et de la Poste vinrent aussi sur le site en solidarité. Un membre du comité de grève a souligné que "pas un seul syndicat local ne nous a soutenus" parce que la grève était considérée comme "illégale".1
Au début du mois de février 2014, victimes d'affronts et d'attaques semblables de la part de la bourgeoisie, la colère des ouvriers de Tuzla explosait. Des bâtiments du gouvernement, symboles de la misère des ouvriers, étaient attaqués et incendiés. Les protecteurs des patrons, la police, ayant été également attaqués, ont multiplié les provocations et se sont livrés ici et là à encore plus de bastonnades et de répression. 10% des cent mille habitants de Tuzla étaient dans la rue, incluant des étudiants qui ont rejoint les ouvriers, et des expressions de solidarité se sont produites dans les villes de Zenica, Mostar, Bihac, Sarajevo et dans la même région, là où le taux de chômage frise les 75% et où les salaires et les conditions de vie ont subi des coupes dramatiques. Malgré toutes ses faiblesses, le manque de direction et la confusion, le mouvement de Tuzla et ses alentours était, dans un premier temps, une expression de la classe ouvrière et, face aux dangers du nationalisme et du démocratisme, une manière pour les exploités de dire : "ça suffit !"
Le dépeçage impérialiste de la Bosnie, après la guerre, au début des années 1990, qui était lui-même une expression de la décomposition du capitalisme, a été initié par "l'envoyé de la paix," Richard Holbrooke, le digne successeur d'Henry Kissinger, lors des accords de Dayton en 1995, qui se sont tenus sous les auspices de l'impérialisme américain. Dans ce processus, la Bosnie a été divisée en deux entités et un district autonome, Brcko (où des protestations ont récemment eu lieu). La Fédération croato-bosniaque est divisée en dix cantons qui travaillent avec le gouvernement local. "Le résultat, dit The Economist du 15 février 2014, est un système qui paye de gros salaires aux politiciens dans un pays qui compte tout juste 3,5 millions de personnes." En d'autres termes, le système tout entier imposé par les principales puissances favorise la corruption, le népotisme et le vol organisé. Naturellement, beaucoup, parmi ces politiciens et hauts-fonctionnaires des Balkans qui composent la bourgeoisie locale sont de fieffés voleurs et trafiquants. La réalité a démontré à quel point tous ceux, de droite comme de gauche, qui soutenaient que cette guerre conduirait à une renaissance majeure de la région et qu'il y avait une "rationalité économique" derrière elle, se trompaient. Non seulement la guerre et l'accord de paix ultérieure ont préparé le terrain à l'irrationalité et au vol organisé qui ont suivi, ont laissé de vastes zones dévastées et parsemées de champs de mines, mais de plus, le chômage et les attaques sauvages contre les ouvriers sont présents partout. Au porte de l'Europe, on ne voit nullement la reconstruction, mais bien les ravages de l'impérialisme et la destruction par le capitalisme qui persistent et s'approfondissent.
Les différentes factions nationalistes ont mis en avant que les protestations étaient l'œuvre de "conspirations" ou les ont attribuées au travail de "hooligans" avec le Haut Représentant international en Bosnie, Valentin Inzko, menaçant les protestataires d'une intervention des troupes américaines (Malatesta's Blog, 12/02/14). Partant de l'idée juste que ces protestations n'ont pas mis en avant des demandes basées sur les divisions ethniques et qu'une certaine solidarité s'exprimait à travers les lignes inter-ethniques imposées par les accords de Dayton, un certain nombre d'intellectuels et d'académiciens, y compris Noam Chomsky, Tarik Ali, Naomi Klein, Slavoj Zizek et d'autres, ont écrit un certain nombre de lettres au Guardian (voir Balkans Insight, 13/02/14) "encourageant" les "citoyens" de la région. Mais ce soutien ressemble à celui de la corde qui tient le pendu. Ils en appelaient à "la communauté internationale" pour arranger les choses, cette même communauté internationale qui a d'abord provoqué la guerre et a imposé ensuite ces divisions et ces conditions. Par essence, ces gauchistes, suppôts du capitalisme, représentent simplement la queue des forces de la bourgeoisie en général et les machinations de l'Union Européenne contre les protestataires en particulier. Par exemple, l'appel de l'UE en faveur des dirigeants bosniaques "pour montrer plus de responsabilité et de transparence" (Agence Reuters du 17 février 2014) et l'appel du gouvernement bosniaque aux "ouvriers mécontents à chercher à faire respecter leurs droits à travers les institutions syndicales avec lesquelles le gouvernement a eu continuellement de bonnes relations" (WSWS, 06 février 2014). On a pu voir par-dessus-tout comment les syndicats, eux-mêmes divisés selon un axe nationaliste, ne sont pas seulement main dans la main avec l'Etat mais aussi ouvertement contre les luttes des ouvriers.
L'explosion de colère des ouvriers de Tuzla ne s'est pas produite à partir de rien. Il y a d'abord eu une grève des mineurs pour une augmentation de salaires en septembre dernier. En Bosnie, des manifestations ont défié les divisions ethniques et exprimé une inquiétude envers le chômage et l'avenir, mise en évidence par des mots d'ordre comme "A bas le nationalisme !", "Nous soutenons les combats partout dans le monde !", "L'école ne nous a jamais enseigné le chômage !", " Entubez-vous en trois langues !" Ces slogans étaient peints sur les murs des immeubles du gouvernement ou sur des affiches faites à la main portées par des manifestants de tous âges, y compris les chômeurs et les retraités. Des grèves et des barricades organisées par les ouvriers ont fleuri à Kraljevo en Serbie, et il y a eu des protestations à Belgrade et à Drvar, en République serbe de Bosnie. Plus tard et ailleurs, on a vu des manifestations contre le chômage à Skopje, en Macédoine (Bosnia-Herzogovia Protest Files, 18 février 2014) et de violentes manifestations d'étudiants contre le chômage ont été signalées à Pristina, au Kosovo (BBC News, 08 février 14).2
Il est clair que ce mouvement de petite échelle est vulnérable aux dangers de divisions, au nationalisme et à l'idéologie démocratique. Cette dernière peut être observée avec les "Assemblées plénières" qui ont appelé à la création d'un "gouvernement d'expert" et autres "gouvernement technique". Nous n'avons pas suffisamment d'informations sur ces organisations mais elles comportent le danger d'être transformées en appendices d'une démocratie bourgeoise soi-disant rénovée. Il existe par exemple des rapports selon lesquels le plenum de Tuzla a complètement ignoré les revendications des ouvriers !
Le danger pour ces luttes est d'être noyées dans la population en général, par des protestations anti-gouvernementales qui ne vont nulle part hormis vers la revendication de voir de nouvelles têtes au pouvoir. L'autre face des dangers du nationalisme est l'idée du "gouvernement technique" qui aspire à "aller de l'avant" et à prôner "la tolérance culturelle", afin de lâcher de la vapeur en vue de prévenir d'autres conflits ultérieurs. Contre tout cela, la classe ouvrière doit s'efforcer de développer son combat sur son propre terrain, même si, pour le moment, elle semble très confuse et fait face à de nombreux obstacles.
Mais, "Il y a quelque chose pour vous, grand-mère" : la Bosnie n'est pas l'Ukraine qui dès le départ a été le théâtre de confrontations bourgeoises et impérialistes.
Il n'y a pas de politiciens occidentaux, d'espions, d'ambassadeurs de délégations et de factures en dollars pour soutenir les luttes des ouvriers. Ces luttes s'inscrivent dans la lignée du combat et de la colère des Indignés en Espagne, des protestations en Egypte, en Turquie et au Brésil et elles sont vulnérables aux mêmes dangers ou à des dangers similaires. Mais le fait qu'elles aient lieu dans cette région décimée par l'impérialisme est important en soi. Et, si les ouvriers de DITA n'ont rien gagné de leur lutte, pas un centime (En fait, certains ouvriers ont terriblement souffert du froid sur les piquets de grève pendant des mois), leur combat est cependant une victoire pour la classe ouvrière, pour eux-mêmes qui se sont tenus debout dignement et pour la solidarité que ce mouvement a initiée et à laquelle il a contribué.
Baboon (19 février 2014)
1 Pour un compte-rendu complet de ce mouvement, voir la vidéo publié sur le fil de discussion du forum du site Libcom : " Protestation en Bosnie " par Ed, le 17 février 2014. La vidéo a un titre accrocheur proposé par un dirigeant de la grève : " Il y a quelque chose pour vous, grand-mère, merci, merci ! C'est grandiose ! " Cette vidéo est très intéressante et cela exprime un mouvement profond de la classe ouvrière.
2 Ce n'est sans doute pas une coïncidence : les troupes de la KFOR de l'OTAN ont été mobilisées pour un entraînement contre les manifestations dans leur QG de commandement multinational associé de Hehenful, en Allemagne.
Nous publions ci-dessous une déclaration rédigée par le KRAS, un groupe anarchiste internationaliste en Russie, et signée par divers autres groupes et individus. Nous pensons qu'elle répond au devoir élémentaire des internationalistes qui s'opposent à la guerre impérialiste, non en soutenant un camp contre l'autre mais en défendant les intérêts de la classe ouvrière internationale contre tous ses exploiteurs, et en dénonçant l'hystérie nationaliste que la classe dominante essaie toujours de provoquer quand la guerre menace ou éclate.
Nous ne pensons pas, contrairement à cette déclaration, que le conflit entre l'Ukraine et la Russie pourrait déclencher une troisième guerre mondiale. Les conditions d'un tel conflit ne sont nullement réunies aujourd'hui : aucun bloc impérialiste n'est constitué et la classe ouvrière n'a pas été défaite dans les pays centraux du capitalisme. Néanmoins, le conflit exprime bel et bien un grave approfondissement des tensions impérialistes mondiales et une nouvelle descente du capitalisme dans le chaos et le militarisme.
En plus de l'idée selon laquelle ce conflit pourrait être le point de départ d'une conflagration mondiale, la déclaration donne également l'impression que la motivation centrale de la Russie est de détourner ou prévenir une réponse prolétarienne à la crise. Le nationalisme est effectivement utilisé de cette manière dans les situations de guerre, mais ce n'est pas le danger de la lutte de classe qui pousse la bourgeoisie vers la guerre ; c'est même plutôt l'inverse qui est vrai.
En dépit de ces critiques, nous voulons affirmer notre solidarité avec les camarades du KRAS et ceux qui, en Ukraine, ont signé cette déclaration dans la mesure où ils sont confrontés à une situation particulièrement difficile, une atmosphère de nationalisme effréné, une répression étatique omniprésente contre les dissidents et la violence non officielle des gangs de la "nouvelle droite" qui n'est rien d'autre qu'une version réchauffée du vieux fascisme.
CCI.
La lutte de pouvoir entre les clans oligarchiques d'Ukraine menace de dégénérer en un conflit armé international. Le capitalisme russe a l'intention d'utiliser la recomposition du pouvoir d'État ukrainien pour mettre en œuvre ses aspirations impériales et expansionnistes à long terme en Crimée et en Ukraine orientale où il a des intérêts économiques, financiers et politiques importants.
Face au danger d'une crise économique imminente en Russie, le régime cherche à attiser le nationalisme russe pour détourner l'attention des problèmes socio-économiques croissants des ouvriers : salaires et pensions misérables, démantèlement de l'accès aux soins, à l'éducation et à d'autres services sociaux. Dans le tonnerre de la rhétorique nationaliste et militante, il est plus facile d'achever la formation d'un État-patron autoritaire basé sur des valeurs conservatrices réactionnaires et des politiques répressives.
En Ukraine, la crise économique et politique aiguë a conduit à une confrontation accrue entre les "nouveaux" et les "vieux" clans oligarchiques, et ces derniers vont jusqu'à utiliser des groupes d'ultra-droite et ultra-nationalistes pour faire un coup d’État à Kiev. L'élite politique de Crimée et d'Ukraine orientale n'a pas l'intention de partager son pouvoir et sa propriété avec la nouvelle classe dirigeante de Kiev et compte sur l'aide du gouvernement russe. Les deux camps ont eu recours à l'hystérie nationaliste effrénée, respectivement ukrainienne et russe. Il y a des affrontements armés et des effusions de sang. Les puissances occidentales ont leurs propres intérêts et aspirations, et leur intervention dans le conflit pourrait conduire à une troisième guerre mondiale.
Les cliques belligérantes des forces patronales, comme d'habitude, nous obligent à nous battre pour leurs intérêts, nous, les gens ordinaires : travailleurs salariés, chômeurs... En nous enivrant de la drogue nationaliste, ils nous montent les uns contre les autres, nous faisant oublier nos véritables besoins et intérêts : nous ne devons pas nous soucier de leur "nation" alors que nous sommes préoccupés par des problèmes plus essentiels et plus urgents, comme joindre les deux bouts dans un système qui nous opprime et nous réduit en esclavage.
Nous ne céderons pas à l'intoxication nationaliste. Au diable l'État et leur "nation", leurs drapeaux et leur administration! Ce n'est pas notre guerre et nous ne devons pas y prendre part, en payant de notre sang leurs palais, leurs comptes bancaires et le plaisir de s'asseoir sur les sièges confortables des autorités. Et si les patrons de Moscou, de Kiev, de Lvov, de Kharkov, de Donetsk et de Simferopol commencent cette guerre, notre devoir est d'y résister par tous les moyens à notre disposition !
Pas de guerre entre les "nations", pas de paix entre les classes !
KRAS, section russe de l'AIT,
Des internationalistes d'Ukraine, de Russie, de Moldavie, d’Israël et de Lituanie,
Fédération Anarchiste de Moldavie,
Fraction des Socialistes Révolutionnaires (Ukraine).
Nous publions cet article paru dans Acción Proletaria, organe du CCI en Espagne qui a une portée internationale, à la fois :
parce qu'il marque une étape importante dans le développement des luttes ouvrières actuelles, tout en démontrant qu'en Espagne même, subsiste une riche expérience "assembléiste" reprise et héritée du mouvement des Indignados, le plus important de ces dernières années pour le mouvement ouvrier mondial ;
aussi pour les enseignements indispensables que cet article tire des insuffisances et des faiblesses des luttes autour de Gamonal pour les luttes futures.
Jusqu'à il y a tout juste une semaine, les habitants du quartier ouvrier de Gamonal [dans la ville de Burgos, en Castille] sortaient dans la rue tous les jours pour exiger l'arrêt des travaux de réfection dans un boulevard. Le maire s'était toujours refusé à le faire, mais face aux manifestations continuelles et face à une solidarité qui s'est manifestée un peu partout en Espagne (dans une trentaine de villes au moins), il annonça d'abord l'arrêt temporaire des travaux pour, finalement, vendredi 17 [janvier], accepter leur arrêt définitif. Cependant, les habitants, réunis en assemblée samedi 18 décidaient de continuer la lutte, en exigeant la mise en liberté sans conditions de tous les détenus et le retrait de la police anti-émeutes.
Pourquoi et comment un tel mouvement est né ? Quelles leçons nous apporte-il ? Peut-on l'envisager comme faisant partie de la lutte internationale du prolétariat ?
Nous allons essayer de répondre à ces questions avec la volonté d'en débattre et de contribuer ainsi à la progression de la lutte du prolétariat.
Ceci dit, avant tout, nous voulons exprimer notre solidarité avec la lutte et avec ceux qui ont été emprisonnés.
En apparence, la lutte est née d'un fait mineur : la reconstruction d'un boulevard qui fait partie de ces travaux pharaoniques de nombreuses villes pour favoriser des intérêts urbanistiques inavouables, entachés de corruption et sans le moindre souci du mieux-vivre pour les habitants.
Mais il arrive que les apparences soient trompeuses et qu'une analyse sérieuse puisse faire apparaître un arrière-plan plus profond qui permet de comprendre les luttes et d'y contribuer. De la même manière, un mouvement social important avait surgi en Turquie à partir d'un petit détonateur : l'abattage des quelques arbres dans un parc d'Istanbul1
Gamonal est un quartier ouvrier de Burgos bâti à côté d'une zone industrielle du même nom pendant les années 1960. D'énormes bâtiments avec des malfaçons en pagaille, des cages à lapins entassés dans des bidonvilles verticaux. Mais si déjà de telles conditions de vie, subies pendant des années laisse un arrière-goût amer, les dernières années ont connu la montée spectaculaire du chômage, la disparition des services sociaux, l'augmentation exponentielle des impôts municipaux, les expulsions…, un cumul oppressant de souffrances qui modèle sur les visages des gens les marques de l'angoisse, des soucis, de la crainte d'un futur encore pire.
Dans ce contexte, la reconstruction du boulevard avec un gaspillage ostentatoire et un plan de parkings souterrains qui menaçait les fragiles fondations de nombreux bâtiments, tout cela a été vécu comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, un "vase" plein à ras bord de chômage, de no future, d'atomisation, d'angoisse vitale, ce qui n'est pas une "spécificité de Burgos", mais le calice amer que doivent avaler tous les jours des millions d'ouvriers et des exploités de par le monde.
La lutte de Gamonal n'avait rien de comparable avec ce genre de manifestations où les gens viennent pousser quelques cris et rentrent ensuite sagement au bercail, chacun calfeutré dans son univers d'atomisation et de solitude. Tous les jours sans exception, des assemblées se sont déroulées à midi et à 19 heures, celles-ci suivies de manifestations.
Les assemblées ont été le cœur et le cerveau du mouvement. Le cerveau, parce c'est en leur sein qu'on a réfléchi collectivement sur comment lutter, quelles actions il fallait mener ensuite, quelles décisions prendre. Le cœur, parce que l'assemblée a vraiment représenté le moyen pour communiquer, se comprendre, pour établir des liens, rompre la solitude et l'atomisation, qui sont les stigmates terribles de cette société où chacun est enfermé dans "son foyer" que la marchandise domine.
Comme il a été écrit sur un blog tenu par des gens qui ont participé activement à la lutte2 : "La déchéance des vieilles structures de pseudo-participation tels que les partis politiques et aussi l'ouverture de l'assemblée auto-organisée, sans leaders, d'égal à égal, ouvrent la voie vers un monde nouveau", mais encore plus importante a été l'insistance sur le fait que "nous sommes tous nécessaires, les aînés, les jeunes, les mères et les pères, les enfants" et c'est au sein de l'assemblée (méthode propre à la classe ouvrière) que tous trouvent leur place et peuvent rendre concrets les apports de chacun.
L'assemblée a encouragé la prise de conscience. Les luttes qui se succèdent depuis 2003 partout dans le monde surgissent dans un contexte de perte d'identité de la classe ouvrière, celle-ci ayant perdu confiance en elle-même et ne se reconnaissant pas comme telle3 . Nous y lisons cependant ceci : "aujourd'hui jeudi [16 janvier], on a libéré nos camarades emprisonnés. Des habitants, des parents, toutes sortes de gens solidaires sont venus les saluer à leur sortie de la prison de Burgos aux cris de 'vous n'êtes pas seuls !' et de 'vive la lutte de la classe ouvrière !'" Soyons réalistes, nous savons que cela n'est qu'un indice, mais de telles proclamations mettent en relief que, du moins, certaines minorités commencent à faire confiance à la force du prolétariat.
Un graffiti disait : "La barricade ferme la rue, mais ouvre le chemin! (Paris, Mai 68- Gamonal, janvier 14)". Répétons-le, il ne s'agit pas de pavoiser mais il faut souligner le rapport établi entre ce mouvement dans un quartier de Burgos et la lutte de Mai 68. Marx parlait de la maturation souterraine de la conscience dans la grande masse ouvrière comme une vieille taupe qui creuse son trou et avance dans les profondeurs de la terre. Aujourd'hui, la classe ouvrière parait être enterrée dans un puits sombre, mais la lutte de Gamonal montre les efforts de prise de conscience qui la traversent. "Nous portons dans nos cœurs un monde nouveau" rappelle-t-on dans le Diario de Vurgos.
Il est très significatif que le mouvement ne se soit pas arrêté à la suite de l'abandon définitif du projet, en ajoutant qu'il faut "aller bien plus loin vers l'extension de la lutte pour le logement, contre le travail-chômage-précarité,… et la création d'une communauté de lutte qui affronte les différentes agressions de l'État". "Il est toujours nécessaire d'entretenir la flamme d'un phénomène qui n'est pas du tout nouveau et qui fait partie du patrimoine collectif de tous les exploités et humiliés du monde".
L'État a répondu rapidement. Le quartier fut encerclé de tous côtés par la police anti-émeutes. C'était un état de siège masqué, avec des policiers contrôlant les identités, établissant des barrages partout, dissolvant tout groupe "suspect". Il y a eu 46 arrestations.
L'État démocratique, dont on nous raconte qu'il est le champion des droits et du respect humains, a traité à sa manière brutale et humiliante les détenus : "Lors de l'assemblée de ce midi [jeudi 16], un des jeunes qui a séjourné en prison a pris la parole pour raconter son séjour au commissariat et en prison. Au commissariat, ils ont été molestés (…) Lors de l'arrestation ce jeune portait un sac à dos que les policiers, par la suite, ont rempli de cailloux. Devant les protestations du jeune arrêté disant que ce n'était pas lui qui avait mis ces cailloux dans le sac, les policiers l'ont menacé de le mettre dans une cellule avec plus de policiers et de le passer à tabac comme ils avaient fait avec d'autres."
Les syndicats et les partis de gauche nous donnent une image fausse de l'État, ils reconnaissent qu'il y a en lui une face sombre (les politiciens, le gouvernement du moment, la police et ses excès), pour nous embobiner avec "l'autre face", celle des juges "stars" qui n'hésitent pas à mettre en examen même la fille du Roi ! Mais ces contes de fées s'évanouissent quand on regarde l'expérience concrète de Gamonal : "Ce matin, la juge du tribunal nº3 de Burgos a envoyé en prison quatre camarades, libérables sous versement d'une caution de 3000 euros, accusés de troubles contre l'ordre public dans la soirée du lundi. (…) Lors de son passage au tribunal, [ce jeune] raconte que la juge leur parlait en les insultant, les méprisant, n'écoutant même pas les déclarations sur ce qu'ils avaient subi dans le commissariat". Dans l'Etat, il n'y a pas de "face sombre" et de "face aimable", c'est une machine à réprimer au service de la classe exploiteuse et toutes ses institutions y participent depuis la police et l'église jusqu'aux juges et aux syndicats.
Contre la répression, la meilleure arme fut la massivité de la lutte et la recherche de la solidarité. L'assemblée demandait à chaque fois qu'après la manifestation les participants ne se dispersent pas chacun de leur côté individuellement, mais en groupes les plus compacts possible afin que les forces anti-émeutes ne profitent de la fin de la manif pour s'adonner à la chasse aux manifestants isolés. L'assemblée a essayé d'éviter les provocations de la police qui cherchait le corps à corps pour disperser les manifestants en groupes isolés face à la puissance policière. Diario de Vurgos le dit très justement : "la bataille d'aujourd´hui n'a pas été rangée ; elle a été psychologique : les forces de répression ont fait de l'intimidation pendant des heures, progressivement dans tout le quartier, avec leurs fusils, leurs matraques et leurs uniformes suintant la haine, en essayant d'envoyer le message : 'ici, c'est nous qui commandons'. Mais on n'est pas tombés dans le piège. Ils ne commandent pas, mais ils voudraient le faire. Aujourd'hui plus que jamais, la rue appartient toujours au quartier de Gamonal et c'est le quartier lui seul qui se donne le ton et le rythme de sa lutte. Et c'est seulement le quartier qui décide quand on rugit et quand on mord."
Ceci dit, Diario de Vurgos tombe dans une contradiction : "À Madrid, on sort dans la rue trois jours durant et on continue à charger [contre la police], à Saragosse, on construit des barricades, ainsi qu'à Valence et Alicante, à Barcelone, les vitres des banques tombent au milieu des barricades et le commissariat des Ramblas est attaqué. Il y a une vingtaine d'arrestations dans tout le pays. C'est maintenant à nous de montrer la solidarité avec tous ceux qui l'ont montré avec nous !" Auparavant, Diario de Virgos avait montré très clairement comment l'Assemblée de Gamonal avait évité le piège des affrontements isolés avec la police, et maintenant, il met en valeur de tels affrontements.
Nous apportons notre soutien aux 20 détenus. Nous ne condamnons pas leurs actes, bien au contraire, nous comprenons très bien leur rage et leur frustration. Ce que nous condamnons, c'est le piège que nous tend la bourgeoisie en nous faisant croire que la lutte se joue sur le terrain de la violence de rue minoritaire.
Quel est le "danger Gamonal" d'après le journal télévisé ? Il paraîtrait que ce qui fait trembler le ministre de l'Intérieur, ce seraient les encagoulés qui jettent des cailloux, les conteneurs brulés et les vitrines en miettes. Il y a sans doute quelques bourgeois stupides qui éprouvent des frissons face à des tels ''désordres''. Mais le Capital est une machine froide et impersonnelle et ses gestionnaires les plus intelligents (qui sont aussi les plus cyniques) savent parfaitement ce qui doit les préoccuper en vérité : c'est ce dont les médias dits de ''communication'' ne parlent pas vraiment lorsqu'ils font référence à Gamonal : le caractère massif et "assembléiste" de ce mouvement.
Jetons un coup d'œil à un blog qui s'appelle El Confidencial et qui s'est donné pour mission d'alerter les politiciens et le patronat. Sur Gamonal4, ce blog dit ceci: "Les emplois, le logement ou la participation des habitants, comme c'est le cas à Gamonal, ne se défendent plus sur la base de la même logique qu'il y a cinq ou six ans, alors qu'il n'y avait pas d'alternative au leadership des syndicats ou d'organisations en lien direct avec les partis politiques. Il y a eu depuis un processus de discrédit et de décomposition de ces agents sociaux en parallèle au succès des nouvelles formes d'organisation et de protestation, qui possèdent une moindre structure mais, par contre, une capacité évidente de mobilisation". Plus loin, ces messieurs donnent l'alerte: "Les nouvelles logiques de protestation ont pris tout le monde de court. Elles n'entrent pas dans la définition classique des organisations ou des mouvements sociaux, elles ne correspondent pas non plus à la manière d'être des associations de quartier, encore moins à celle des syndicats". Pas un seul mot sur le "terrible danger" contre lequel alertent, hystériques, le ministre de l'Intérieur ou la Déléguée du gouvernement de la région de Madrid (celle-ci considérée maintenant "progressiste" à cause de ses ''critiques'' à la loi Gallardón5).
La force de Gamonal repose sur deux piliers : les Assemblées et la solidarité. Solidarité avec les 46 emprisonnés au point qu'aujourd'hui lundi la lutte continue tant qu'ils ne seront pas libérés avec abandon des charges retenues contre eux. Mais il y a eu une solidarité bien plus importante grâce à l'extension que ce mouvement a entraînée partout en Espagne.
L'Assemblée de Gamonal avait décidé d'envoyer des délégués pour informer d'autres villes sur sa lutte, pour en expliquer les objectifs profonds et surtout mettre en avant le fait que les objectifs sont communs et qu'ils justifient une lutte commune. Ce germe a porté ses fruits et mercredi 14, à la Puerta del Sol de Madrid, 3000 personnes, pour la plupart des jeunes, se sont rassemblés en soutien à Gamonal. Jeudi et vendredi, les manifestations se sont multipliées tout en continuant dans la capitale du pays. On a dénombré des manifestations dans plus de 30 villes où ce sont surtout des jeunes qui se sont rassemblés en criant des mots d'ordre de soutien à Gamonal. Cette solidarité dans la rue a permis aux habitants de Gamonal de continuer à élargir la brèche. Les grandes expériences de 2011 ne sont pas tombées dans le panier percé de l'oubli6, leurs traces peuvent être perçues ici ou là. Il y a à peine deux mois, ce fut la grève du nettoyage à Madrid, une grève qui a pu amortir les coups qui lui étaient portés grâce aux expressions de solidarité d'autres secteurs ouvriers7. En novembre 2013, une grande vague de grèves a secoué le Bangladesh en solidarité avec les ouvriers du textile. Actuellement, les travailleurs des Lavanderías (blanchisseries) des hôpitaux de Madrid sont en lutte en marge et contre les syndicats. De même, les travailleurs de Tragsa (entreprise publique pour l'environnement composée de 4600 personnes en Espagne) ont rejeté l'accord signé par les syndicats qui impliquait 600 licenciements.
Mais surestimer ce mouvement serait cependant une erreur grave.
L'Assemblée de Gamonal a eu une dynamique propre que les partis d'opposition n'ont pas réussi à freiner (PSOE et IU8). Mais, si le PSOE a été rejeté, IU s'est mieux adaptée en utilisant le canal de l'association de quartier et même si par ce moyen elle n'a pas pu bloquer la lutte, elle a pu, par contre, freiner beaucoup la réflexion en son sein : en invoquant que la cause des problèmes serait le gouvernement actuel du PP, et que tout cela serait de la faute des privatisations au détriment du secteur public, elle a prétendu qu'il existerait "une alternative" avec des administrations municipales véritablement liées "au peuple". Pour ceux qui ne pensent qu'à "l'action" et pour lesquels ce qui serait important, c'est que "les gens bougent" sans savoir trop pourquoi, avec qui et pour quoi faire, se poser d'autres genres de questions, ce serait se compliquer la vie avec des sornettes.
En fait, cela sert à masquer que le besoin que nous avons tous, nous, les prolétaires, c'est de faire l'effort de la réflexion, de nous réapproprier notre expérience historique pour ne pas tomber dans les erreurs du passé, nous avons besoin d'une théorie révolutionnaire qui soit une véritable force pour l'action.
Cette difficulté pour se donner une orientation s'est concrétisée dans le fait que les manifestations en solidarité avec Gamonal ne sont pas parties d'assemblées, elles ne sont pas non plus terminées sur la base des assemblées générales. Ceci veut dire que, tout en étant très précieuse et prometteuse, la solidarité est restée au niveau du souhait sans se concrétiser et les manifestations ne sont pas allées plus loin que la simple protestation.
Malgré ce que le slogan "Vive la lutte de la classe ouvrière !" a signifié, le mouvement se voit encore comme une lutte "citoyenne et populaire" (on a souvent entendu dans les manifs : "Le peuple uni ne sera jamais vaincu"). C'est un terrain qu'imposent la bourgeoisie et ses partis (même les syndicats parlent de "protestation citoyenne").
Si nous nous considérons comme "des citoyens" ou "le peuple", nous devenons les frères de classe du politicien qui nous trompe, du policier qui nous frappe, de la juge qui nous emprisonne, d'Amancio Ortega, l'homme le plus riche d'Espagne, nous faisons tous partie de la "grande famille espagnole". Et si nous acceptons cette "Sainte Famille", nous ne pouvons qu'accepter la précarité, les coupes dans les budgets sociaux, les expulsions, exigés par la compétitivité du label "Espagne".9 C'est cela que le gouvernement, le patronat et la droite proclament avec toute leur cynique franchise et ce à quoi la gauche et les syndicats opposent une idyllique "marque de fabrique Espagne" sans coupes ni licenciements à laquelle ils ne croient pas eux-mêmes comme on peut bien le vérifier lorsque la gauche est au gouvernement ou lorsque les syndicats signent les accords sur les licenciements et les baisses de salaire.
Comme nous le disions dans notre tract international de bilan des mouvements de 2011 : ''Et pourtant la société est divisée en classes, une classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien et une classe exploitée (le prolétariat) qui produit tout et possède de moins en moins. Le moteur de l'évolution sociale n'est pas le jeu démocratique de "la décision d'une majorité de citoyens" (ce jeu est plutôt le masque qui couvre et légitime la dictature de la classe dominante) mais la lutte de classe. Le mouvement social a besoin de s'articuler autour de la lutte de la principale classe exploitée (le prolétariat) qui produit collectivement l'essentiel des richesses et assure le fonctionnement de la vie sociale : les usines, les hôpitaux, les écoles, les universités, les ports, les travaux, la poste (...) Il n'existe pas d'opposition entre la lutte du prolétariat moderne et les besoins profonds des couches sociales spoliées par l'oppression capitaliste. La lutte du prolétariat n'est pas un mouvement particulier ou égoïste mais la base du 'mouvement indépendant de l'immense majorité au bénéfice de l'immense majorité' (Le Manifeste Communiste).''
Il est évident que tant que les luttes sont considérées comme faisant partie d'un "mouvement citoyen", elles ne seront pas dirigées contre l'État mais elles chercheront désespérément, en se heurtant encore et toujours au même mur de leur prétendue "reforme", qui revient au "il faut que tout change pour que tout puisse rester pareil", comme le disait le prince de Lampedusa. Au-delà des illuminations comme celle de voir le lien entre Gamonal, 2014 et Mai 68, si les luttes sont vues comme une "action populaire", elles n'arriveront pas à briser le carcan national et elle ne mettront pas en avant ce dont elles ont besoin : d'être des maillons actifs d'un grand mouvement international du prolétariat. Il est évident que tant que les luttes ne s'assument pas en tant que lutte de classes, elles ne combattront pas le système capitaliste mondial, mais elles finiront par se perdre en désignant tour à tour comme responsables, dans un dédale d'emboîtements du genre poupées russes, les spéculateurs, les banquiers, les politiciens corrompus et ainsi de suite.
Les assemblées, les débats, les discussions dans les rues, sur les lieux de travail, dans les écoles, doivent aborder ces dilemmes. Nous ne devons avoir peur ni des problèmes ni des critiques. "Reprenant de façon critique les expériences de deux siècles de lutte prolétarienne, les mouvements actuels pourront tirer profit des tentatives du passé de lutte et de libération sociale. Le chemin est long et hérissé d'obstacles, ce dont rendait bien compte un slogan répété maintes fois l'an dernier en Espagne : 'l'essentiel n'est pas qu'on aille vite ou pas, c'est qu'on aille loin.' En menant un débat le plus large possible, sans aucune restriction et sans ambiguïté pour ainsi préparer consciemment les futurs mouvements, nous pourront agir pour que devienne réalité cet espoir : une autre société est possible!" (Extrait de notre tract international déjà mentionné). Gamonal, avec ses assemblées et sa solidarité est un pas de plus sur ce chemin long et difficile.
Acción Proletaria (22 janvier 2014)
1 Voir : Mouvements sociaux en Turquie et au Brésil : l’indignation au cœur de la dynamique prolétarienne, sur : https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201309/8650/mouvements-sociaux-turquie-et-au-bresil-l-indignation-au-coeur-dyna [27]
2 Il s’agit du Diario de Vurgos (écrit volontairement avec un "v" ; car en espagnol le "b" et le "v" se prononcent de la même façon), collectif qui se présente comme "des habitants du Burgos souterrain", en opposition au Burgos officiel des partis, des syndicats, de l’église et autres "huiles", y inclus le journal de la ville Diario de Burgos. Leurs analyses sont très intéressantes et il semble qu’ils ont eu une influence positive sur la lutte. Leur e-mail est https://diariodevurgos.com/dvwps/ [28]
Sans autre référence, toutes les citations sont tirées de ce site Web.
3 Pour situer la lutte de Burgos dans la dynamique internationale de la lutte de classes, nous encourageons nos lecteurs à analyser la Résolution sur la situation internationale de notre dernier Congrès à partir du point 15 : https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201401/8855/resolution-situation-internationale-20e-congres-du-cci [29]
4 https://www.elconfidencial.com/alma-corazon-vida/2014-01-19/de-los-ere-al-gamonal-los-nuevos-conflictos-y-el-cabreo-de-la-gente-comun_68995/ [30]
5 Ministre de la justice qui va proposer une loi très restrictive sur l’avortement [NdT].
7 Voir, en espagnol : es.internationalism.org/cci-online/201312/3961/la-fuerza-de-la-lucha-es-la-solidaridad-de-clase [32]
8 Le PSOE est le Parti socialiste espagnol. Depuis 2012 il est dans l’opposition. IU, Gauche Unie, est une coalition autour du PC (un peu comme le Front de Gauche en France), jouant le même rôle d’opposition démocratique "radicale". Le PP est le Parti populaire, droite, actuellement au pouvoir.
9 L’État espagnol a lancé une campagne avec ce label "Marca España" pour faire la promotion de ses produits.
Le général Jaruzelski est mort en mai dernier. Ce serviteur zélé de l’État s'était illustré en décembre 1981 par la répression sanglante de la classe ouvrière, suite aux grandes grèves d'août 1980 en Pologne. Ces grèves avaient mobilisé des millions d'ouvriers dans un mouvement massif, opposés aux terribles conditions d'exploitation de l’État stalinien. Des grèves qui avaient fortement inquiété la bourgeoisie internationale ! Afin de tenter de contrer la dynamique de cette lutte du prolétariat, la bourgeoisie faisait surgir le syndicat "indépendant" Solidarnosc. Cette organisation fut rapidement présentée comme une véritable "victoire" de cette grève massive, le nec plus ultra de la perspective ouvrière face au stalinisme.
Le général Jaruzelski ne portait peut-être pas dans son cœur l’URSS, mais il sut, sans état d’âme, lui faire allégeance. Il n’avait d’ailleurs pas le choix s’il voulait gravir les échelons pour asseoir sa stature nationale et étatique. C’est ce qu’il fit avec brio jusqu’à devenir ministre de la défense dès la fin des années 1960. En septembre 1980, il était promu chef du gouvernement, puis président de la République jusqu’en 1989 où il cédera sa place à Lech Walesa, le leader historique du syndicat Solidarnosc.
C’est comme ministre de la défense que ce général s'était illustré, bien avant décembre 1981 dans la répression sanglante des grèves de 1970 où des dizaines d’ouvriers tomberont sous les balles de l’armée polonaise. Dès septembre 1980 et la légalisation du syndicat Solidarnosc, c’est au titre de chef du gouvernement qu’il assumera la répression générale, ponctuée par le coup de force de décembre 1981.
Dans des interviews, jusque dans ses dernières années, Jaruzelski avait "déploré sincèrement" ce coup de force, l’état de siège, la répression sauvage, les internements par milliers, au nom de la "nécessité nationale" et sous peine de voir surgir les chars russes en Pologne pour le rétablissement de l’ordre stalinien. Jaruzelski ira jusqu’à affirmer que l’incertitude pour assumer la répression le taraudait, les jours précédant le coup de force, au point de "penser même au suicide" ! (sic).
Mais aux yeux de la bourgeoisie, il a "fait son devoir", et bien évidemment, son "honneur" est sauf ! C’est d’ailleurs à ce titre que sa mémoire est saluée par tous les bourgeois du monde qui lui savent gré d’avoir préservé l’ordre capitaliste, en jouant dans un premier temps le pompier social avec force négociations et hypocrisie, en assumant ensuite le rôle du bourreau, le "méchant" qui aurait réprimé à lui seul la lutte.
Car ce serait une grave erreur de croire que cette répression fut une décision de l’instant, sous sa seule responsabilité ou même celle de l’État polonais. Ce coup de force ne fut une surprise ni pour les bourgeoisies du monde entier, en particulier occidentales, ni même pour le syndicat Solidarnosc et son leader Lech Walesa. Au contraire, pendant un an et demi, tous ces acteurs démocratiques se sont employés à casser la combativité, briser la confiance de la classe ouvrière en Pologne, à crédibiliser l’orientation démocratique par un bourrage de crâne présentant le "syndicat libre" comme une arme de lutte et de résistance. Ce sont eux en réalité les vrais saboteurs, les véritables bourreaux politiques de la lutte !
En effet, pendant la lutte ouverte d’août 1980 qui a embrasé tout le pays en moins de 48 heures, il n'était pas question de réprimer directement : les ouvriers donnant au départ l’exemple de la grève de masse, de l’auto-organisation de la lutte, de la véritable solidarité ouvrière. Cette lutte risquait de faire tâche d’huile alors qu'elle avait un large écho de sympathie un peu partout en Europe. La détermination, le courage, la combativité exceptionnelle n'étaient d’ailleurs en rien une spécificité polonaise mais bien la marque propre de la classe ouvrière internationale quand elle se lève et s’impose face aux exploiteurs et aux forces de répression. Tous les regards ouvriers étaient tournés vers la Pologne et la bourgeoisie internationale le savait parfaitement. Il n’était donc pas question d’attiser la situation, de mettre le feu aux poudres. Il fallait plutôt agir autrement pour circonscrire l’incendie prolétarien, le désamorcer, l’abattre, si possible de manière spectaculaire et en faire un exemple d’impuissance, au bout du compte, aux yeux de la classe ouvrière.
Pour briser les luttes de masse, la bourgeoisie est capable d’une unité magistrale, taisant ses divergences idéologiques, laissant temporairement de côté ses confrontations impérialistes, soutenant financièrement et politiquement la bourgeoisie nationale "aux premières loges" de la confrontation avec la classe ouvrière. La Pologne n’a pas fait exception : partout, fut mise en avant la nécessité de "l’alternative démocratique", de la "liberté syndicale" pour "en finir avec l’oppression". De l’Europe entière, affluaient crédits, soutiens politiques, conseils et matériel syndicaux en tous genres pour mettre sur pied la structure Solidarnosc. La bourgeoisie française avait par exemple envoyé des conseillers de la CFDT, du matériel d’imprimerie pour faire "vivre la lutte".
Mais l’arme syndicale, libre ou non, comme Solidarnosc n’a jamais été une arme au service du prolétariat. Au contraire, Solidarnosc fut l’outil essentiel de la bourgeoisie pour pourrir la conscience ouvrière et préparer directement la répression en Pologne. Cela en sabotant toute possibilité réelle de solidarité internationale.
Quand Jaruzelski a dit vouloir apaiser le climat social afin de ne pas donner de justification à l’URSS pour intervenir, Walesa jouait en même temps le pompier social se déplaçant en hélicoptère dans tous les centres industriels où la lutte se maintenait, prétextant vouloir éviter le bain de sang, imposant le besoin de la structuration et la "légalisation" de la lutte pour asseoir sur le long terme les accords de Gdansk. Ceux-ci, contenant 21 points, étaient dans un premier temps clairement orientés vers la satisfaction de besoins économiques et alimentaires. Ces accords se vidèrent rapidement de leur substance et la propagande bourgeoisie inversa habilement les priorités en propulsant en avant la reconnaissance de Solidarnosc, sa légalisation, le besoin de démocratie parlementaire ; cela, au détriment des revendications économiques et politiques originelles du mouvement.
Concrètement, Walesa et Jaruzelski ont travaillé main dans la main pour écarter le prolétariat de son terrain de classe, le démobiliser, lui subtiliser sa prise en main de la lutte en la déléguant à Solidarnosc, préparant ainsi la répression de décembre 1981, étouffant toute possibilité de résistance majeure de la classe ouvrière au coup de force, toute possibilité de réelle solidarité active à l’échelle internationale.
De fait, ces deux artisans de la répression, Walesa et Jaruzelski, présentés comme "ennemis irréductibles", furent en réalité les têtes de pont de la défense de l’État capitaliste en Pologne, les défenseurs de l’ordre bourgeois sous le masque de l'idéologie démocratique. Ces deux sinistres complices incarnaient les deux faces de la même médaille pour piéger les ouvriers : Jaruzelski la dictature militaire et Walesa l'opposition démocratique.
Aujourd'hui, de l'eau a coulé sous les ponts : Walesa, leader historique du syndicat Solidarnosc s'est illustré lui-même comme président de la République polonaise entre 1990 et 1995, succédant ainsi à Jaruzelski. La boucle était ainsi bouclée.
A la mort de Jaruzelski, la bourgeoisie a su fêter un des siens, un épouvantail autrefois décrié qui devint finalement un de ceux qui auront "contribué à la mort du communisme" et au "renouveau démocratique national". La bourgeoisie révèle une nouvelle fois tout son cynisme.
Stopio (21 juin 2014)
Le 20 mai dernier, l'hystérie médiatique éclatait autour du "scandale" des "trains trop larges" suite aux pseudos-révélations du Canard enchaîné, prétendu défenseur des "sans-voix" et hypocrite pourfendeur des puissants. La SNCF avait, apprenait-on, commandé près de 2000 nouveaux TER trop larges pour entrer en gare. 1300 quais devaient être rabotés dans l’urgence pour un coût minimum de 80 millions d’euros. C’est du moins l’information qui a tourné en boucle pendant plusieurs jours sur les écrans de télévision, les Unes de journaux, à la radio, faisant des salariés de la SNCF la risée de "l'opinion", une bande d’incapables, d’incompétents, de pieds-nickelés.
Mais tout ceci n'est rien d'autre qu'une grossière mise en scène ! En réalité, la commande de ces "trains trop larges" est le résultat d'une harmonisation ferroviaire au niveau européen. Or, à l'image des travaux sur le réseau ferroviaire pour faire circuler le TGV, les évolutions du "matériel roulant" impliquent très régulièrement des modifications sur les voies et sur les quais. Dans le cas présent, le fameux "rabotage" était tout à fait anticipé par les autorités, comme en témoigne l'homologation des trains par l'Etablissement public de sécurité ferroviaire.
C’est donc délibérément que tous les médias de l’hexagone ont menti en chœur et sans vergogne, avec un but bien précis : humilier les travailleurs de la SCNF, ajouter du grain à moudre au moulin des préjugés presque quotidiennement véhiculés par la bourgeoisie.
Cette campagne a constitué le premier acte d'une manœuvre plus vaste. Le scandale a en effet opportunément éclaté afin de préparer le terrain à l'isolement des salariés de la SNCF et à la justification des "nécessaires changements structurels de modernisation de l’entreprise" que nous traduirons en termes plus clairs : une énième attaque des conditions de travail et de réduction des effectifs.
Au deuxième acte, les syndicats tinrent le premier rôle de cette triste mascarade. Comme le dénonçait déjà notre article intitulé Grèves à la SNCF, un travail de sape et de division des syndicats : "La grève que viennent d’organiser les syndicats de cheminots est un exemple parfait du sabotage de la combativité ouvrière dont sont capables ces officines du pouvoir bourgeois. (…) La grève a été déclenchée sur la base de revendications les plus spécifiques possibles : les attaques contre le statut des cheminots ne sont pas vraiment différentes des attaques que subissent les statuts des fonctionnaires de l’État, des collectivités, de la santé ou des entreprises publiques. Pourtant, c’est le statut des cheminots qu’il fallait défendre, et celui-là seul. Les craintes pour l’emploi que soulèvent le rapprochement entre la SNCF et RFF (l’entreprise qui gère le réseau ferré) n’ont rien qui les différencie fondamentalement des craintes pour l’emploi que soulèvent d’autres rachats et fusions, délocalisations, fermetures, dans le public comme dans le privé. Mais, selon les syndicats, il ne fallait se battre que pour la SNCF et RFF. (…) Comme si cet isolement ne suffisait pas, les syndicats poussèrent à une grève dure et longue, de celles qui pourrissent la vie des millions d’ouvriers qui dépendent du train pour travailler, étudier, récupérer leurs enfants à l’école… de celles qui épuisent les ouvriers grévistes eux-mêmes, sacrifiant des journées de salaire pour rien, rendus individuellement coupables des conséquences de leur mouvement."1
Le gouvernement a pu alors imposer l'implacable dénouement au troisième et dernier acte, en se donnant des airs de fermeté pour maintenir la réforme et condamner les grévistes.
Les médias aux ordres, les syndicats, véritables chiens de garde du capital, et le gouvernement ont donc une nouvelle fois marché main dans la main et de manière coordonnée contre la classe ouvrière. Car c’est bien toute la classe ouvrière qui, par cette manœuvre, a été attaquée. En isolant une partie des travailleurs, en les ridiculisant, en les faisant passer pour des égoïstes accrochés à des privilèges archaïques doublés d’incompétents notoires, en les épuisant dans une grève longue et impopulaire, en dressant contre eux les autres travailleurs, la bourgeoisie a tout fait pour inoculer dans les veines des salariés le poison du découragement et de la division. C’est une atteinte à toute la classe, un véritable travail de sape en profondeur de la confiance qu’elle doit avoir en elle-même, confiance indispensable pour avoir le courage de rentrer en lutte, unie et solidaire !
Mais si aujourd’hui le prolétariat doute effectivement de lui-même, la classe dominante, elle, sait parfaitement que la classe ouvrière n’est pas une somme d’individus isolés, abattus et incapables. Les luttes de 1848 et 1871 en France, la vague de grèves de masse de la Belgique à la Russie de 1892 à 1905, la révolution russe de 1917, les insurrections en Allemagne en 1919, 21 et 23, Mai 68, la Pologne en 1980…, tous ces grands évènements historiques ont marqué la mémoire de la bourgeoisie. Elle est parfaitement consciente qu’elle a en face d’elle le potentiel fossoyeur de son système d’exploitation. La classe ouvrière est capable de renverser le capitalisme et d’offrir à l’humanité un autre monde, sans exploitation ni frontières.
"Peu importe ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier imagine momentanément comme but. Seul importe ce qu'il est et ce qu'il sera historiquement contraint de faire en conformité de cet être."2
Laurette, le 17 juillet 2014
1 L'article est disponible sur le site internet du CCI [34] et dans le numéro 447 de Révolution Internationale.
2 Karl Marx, La Sainte Famille, 1844.
Dans les sociétés de classe, l'éducation est un outil de domination. La société capitaliste n'échappe guère à cette logique et amplifie même le phénomène en le rationalisant. Le système scolaire a pour fonction de former de futurs travailleurs dociles et utiles aux intérêts de la bourgeoisie. Pour ce faire, les établissements scolaires cherchent à formater idéologiquement les esprits des jeunes écoliers mais aussi à dresser les jeunes corps pour qu'ils soient adaptés aux exigences du travail salarié. L'école est donc un établissement disciplinaire à tous points de vue. En aucun cas, elle ne permet l'épanouissement personnel et le développement de l'esprit critique.1 L'enseignement de l'histoire-géographie-éducation civique dans le cycle secondaire montre par exemple à quel point le système éducatif bourgeois fait partie intégrante de l'idéologie dominante. Les programmes d'histoire ont toujours été construits pour et par la propagande d'État.2 Leur structure vise à ancrer la "réalité" de l'ordre social bourgeois. De fait, l'enseignement de cette discipline participe à la falsification du véritable passé des sociétés humaines. Ainsi, les jeunes générations d'ouvriers sont maintenues dans un climat d'ignorance favorable à la perte de l'esprit critique. Il s'agit donc de dénoncer la propagande appliquée par l'État bourgeois dans la formation des futurs ouvriers.
En tant que savoir académique, l'histoire débute avec l'apparition de l'écriture vers le milieu du IVe millénaire avant notre ère. En concordance avec cela, les savoirs sur les sociétés passées dans les programmes commencent approximativement à la même période puisque le premier chapitre d'histoire en classe de 6e porte sur les civilisations égyptienne et mésopotamienne. Ces sociétés ont déjà atteint un niveau de développement particulier :
- Elles sont inégalitaires et divisées en classes sociales.
- L’État a atteint un niveau de sophistication important.
- La prépondérance du roi et des prêtres en tant que symboles politiques et idéologiques est fortement ancrée.
Si l'on suit la logique des programmes, les sociétés humaines sont originellement organisées de cette façon. Sans raison apparente, ils offrent à penser à un jeune collégien que l'Égypte des pyramides ou les cités d'Ur ou de Babylone sont les premières traces de la vie des Hommes en société. Or, notre espèce est vieille de plusieurs centaines de millier d'années et le choix d'en rogner la quasi-totalité n'est en rien arbitraire. En prenant comme point de départ l'Égypte des pharaons et les cités de Mésopotamie, la bourgeoisie souhaite marteler le caractère déterministe des inégalités sociales. Il s'agit d'ancrer l'idée que les sociétés sont depuis "la nuit des temps" divisées entre dominants et dominés. Cette vision profondément conservatrice a pour fonction de légitimer l'ordre social capitaliste et de l'ancrer dans les esprits des jeunes collégiens. En simplifiant, voici le message que l’État demande au professeur de transmettre aux élèves : "les inégalités, la domination, l'État, les chefs ont toujours existé et il ne peut en être autrement dans le futur. Autrement dit, les hommes sont naturellement portés à se dominer les uns les autres."
Pourtant, les acquis de la science et du marxisme offrent une vision tout à fait différente des premiers temps de l'humanité. En effet, "durant la plus grande part de son histoire, pendant des centaines de milliers, peut-être des millions d'années, l'humanité a vécu dans une société sans classe, formée de communautés où l'essentiel des richesses était partagé, sans que n'interviennent ni échange, ni argent ; une société organisée non par les rois ou les prêtres, les nobles ou la machine étatique mais par l'assemblée tribale. C'est à un tel type de société que se réfèrent les marxistes, lorsqu'ils parlent de "communisme primitif."3 Cette vision est profondément déconcertante pour l'idéologie bourgeoise. Ainsi, à l'école comme ailleurs, le communisme primitif est nié ou minimisé dans le but d'affirmer que le communisme reste un idéal inatteignable dans la réalité. Sans les magnifier,4 ces sociétés nous donnent des indications inverses. A savoir que les hommes sont capables de mettre la solidarité, l'entraide et le partage au centre de l'organisation sociale.
Dans sa quête de vérité, le marxisme a permis de comprendre que l'émergence de l'exploitation est le résultat d'un processus historique. En niant le mouvement de l'histoire, la bourgeoisie falsifie l'évolution de l'humanité. Elle n'incite pas les jeunes générations à se questionner sur les origines de notre espèce. La classe dominante a bien conscience que sans comprendre notre passé il est très difficile d'entrevoir les possibilités d'une société future. Ainsi, elle fait tout pour brimer la curiosité et l'esprit critique des élèves sur ces questions.
Pour les marxistes, "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte des classes."5 En effet, depuis plusieurs millénaires, les antagonismes de classes forment le "moteur de l'histoire", sa dynamique, son mouvement. Opprimeurs et opprimés mènent "une lutte ininterrompue, qui finit toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société toute entière, soit par la ruine commune des classes en lutte."6 Bien évidemment, le système scolaire bourgeois rejette totalement ce point de vue. Pour preuve, la place faite aux révoltes ou aux mouvements de renversement de l'ordre social au cours du temps est quasiment inexistante dans les programmes et les manuels scolaires. Les révoltes d'esclaves dans la société antique, les mouvements hérétiques ou les révoltes paysannes au sein de la société féodale, les luttes du mouvement ouvrier depuis le XIXe siècle sont loin de former le cœur des chapitres abordés au cours de l'année. Ou alors, ces événements sont traités par le biais d'une problématique qui en dévoie totalement la signification. Prenons l'exemple de la Commune de Paris de 1871. Cette question est abordée en classe de 4e dans le cadre du chapitre "L'évolution politique de la France (1815-1914)". L'objectif est de montrer la façon dont la République s'impose en France à partir de 1870. Premièrement, la place accordée à la Commune de Paris est infime. Deuxièmement, les causes de l'événement sont présentées comme une réaction à l'ordre ancien bonapartiste. Voici la façon dont un manuel (coll. Belin) présente les faits : "La République proclamée à Paris le 4 septembre 1870 apparaît bien incertaine car l'Assemblée nationale élue en 1871 est majoritairement royaliste. Le peuple de Paris, qui craint une restauration de la monarchie et veut continuer à se battre contre la Prusse, se révolte lors de la Commune de Paris : elle est réprimée dans le sang." Traduisez, les ouvriers parisiens se sont seulement révoltés contre la monarchie et l'envahisseur prussien (pour défendre la République et la Patrie) mais devant l'ampleur et les perspectives révolutionnaires qu'elle portait "elle est réprimée dans le sang". Si la bourgeoisie ne peut pas cacher cet épisode du mouvement révolutionnaire ainsi que sa terrible répression, elle peut en outre en détourner sa signification. Dans les programmes, la Commune est détachée du mouvement révolutionnaire international. Les documents mettent en avant les avancées sociales et démocratiques sécrétées par ce mouvement. Elle est présentée comme un laboratoire utile à la construction de la République. Mais la Commune de Paris ne se réduit ni à un mouvement patriotique, ni une lutte pour les libertés républicaines. C'est surtout la manifestation du rôle du prolétariat comme seule force capable de renverser le capitalisme.7 La bourgeoisie a bien conscience de cela et s'efforce de le cacher aux futurs ouvriers.
Même chose pour la vague révolutionnaire des années 1920 abordée en classe de 3ème. La révolution d'Octobre 1917 apparaît dans le programme et figure même dans la liste de repères historiques que le collégien doit retenir au cours de son cursus. Mais que retient-il en réalité ? Que cet événement est "un coup d'État organisé par Lénine, le chef du parti bolchévique"8 ou une "révolution bolchevik conduite par Lénine."9 Là encore, la bourgeoisie nie la force révolutionnaire des masses ouvrières et présente la révolution d'Octobre comme l’œuvre d'un Parti et d'un homme alors qu'elle fut la réalisation des masses ouvrières.
De plus, les programmes entretiennent le grand mensonge qui assimile le stalinisme au communisme. Jusqu'en 2013, cette falsification était clairement explicitée dans les directives officielles. L'URSS était présentée comme "un régime communiste, fondé par Lénine, qui veut créer une société sans classe et exporter la révolution (IIIe Internationale)." 10 Avec l'aménagement du programme de 3e à la rentrée 2013, cette directive n'est plus écrite "noir sur blanc" mais l'assimilation reste très présente en particulier dans les manuels scolaires : "Après la mort de Lénine en 1924, Joseph Staline se présente comme son unique héritier. Seul au pouvoir à partir de 1929, il décide d'accélérer la mise en œuvre du communisme en URSS et la transformation de l'économie."11 Or, les caractéristiques de la société stalinienne n'ont rien à voir avec la perspective (encore à l'ordre du jour) énoncée par le Manifeste communiste en 1848. Le vrai visage de l'URSS fut le capitalisme d'État dans lequel une nouvelle bourgeoisie poursuivit l'exploitation du prolétariat russe. Les moyens de production ne furent en aucun cas mis en commun et l'État ne fut en rien abolit mais au contraire utilisé jusqu'à son summum.
Présenter le communisme comme une société déjà advenue au cours du XXe siècle en URSS, à Cuba ou en Chine est une mystification encore très efficace même si la bourgeoisie juge utile de ne pas en faire son cheval de bataille. Ce mensonge insupportable, provoquant une grande confusion au sein de la classe ouvrière, doit être condamné et dénoncé, au nom même du but ultime du prolétariat : la réunification de la société humaine.
Mais l'arme la plus efficace contre la lutte de classe reste la propagande démocratique et citoyenne. Les programmes d'éducation civique du collège et du lycée sont destinés à marteler les "vertus" de la démocratie : "l'égalité républicaine est déterminante pour compenser et corriger les inégalités. Les lois protègent les biens et les personnes et fixent les cadres de la vie en société."12 Ou encore la nécessité d'être un citoyen responsable respectant ses droits et ses devoirs pour assurer l'harmonie sociale. Le rôle de l'État est dévoyé puisque on le présente comme une entité qui "organise la protection contre les risques majeurs et assure la sécurité sur le territoire."13 Ce que l'on cache aux élèves, c'est que l'État est un outil de conservation sociale qui permet à la classe dominante d'assurer ses intérêts. En classe de 4e, un chapitre est consacré à "l'exercice des libertés en France". Là encore, la bourgeoisie montre tout son cynisme et son hypocrisie puisque le programme se focalise sur la liberté d'opinion et de conscience (religion, laïcité...) mais l'exploitation de la classe ouvrière et son aliénation sont évidemment passées sous silence. Autant de mystifications qui formatent les élèves et broient leur esprit critique. Pour Jules Ferry, l'enseignement de l'éducation civique se devait d'assurer l'encadrement idéologique des fils d'ouvriers : "Non, certes, l’État n’est point docteur en mathématiques, docteur en lettres ni en chimie. […] S’il lui convient de rétribuer des professeurs, ce n’est pas pour créer ni répandre des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe de l’éducation : il s’en occupe pour y maintenir une certaine morale d’État, une certaine doctrine d’État, indispensable à sa conservation. […] Alors ne craignez pas d’exercer cet apostolat de la science, de la droiture et de la vérité, qu’il faut opposer résolument, de toutes parts, à cet autre apostolat, à cette rhétorique violente et mensongère, […] cette utopie criminelle et rétrograde qu’ils appellent la guerre de classe !" La bourgeoisie actuelle est beaucoup moins explicite lorsque qu'elle énonce officiellement ses projets en matière d'éducation. Pour autant, les mystifications démocratiques et citoyennes sont beaucoup plus complètes et beaucoup plus perfectionnées qu'au temps de Jules Ferry. Les programmes d'éducation civique sont élaborés afin que l'élève puisse ingurgiter tous les artifices qui masquent la lutte de classe. La complémentarité des programmes d'éducation civique et d'histoire vise à nier la nature de la bourgeoisie comme classe exploiteuse. Pour elle, le capitalisme s'est imposé et la démocratie représentative forme le plus parfait mode d'organisation sociale. En définitive, l'histoire est finie et c'est bien cela qu'il faut inculquer aux élèves. Pas besoin d'entrevoir d'autres perspectives, la société capitaliste et démocratique est la plus parfaite que l'homme soit capable de construire. Face à ces mensonges, l'expérience et les acquis théoriques du mouvement ouvrier permettent de dire la vérité. Non ! La société ne s'organise pas en une somme d'individus "libres et égaux" mais bien en classes antagonistes aux intérêts divergents. Partout dans le monde, y compris dans les pays démocratiques, les ouvriers sont exploités et brimés. Un profond sentiment de dégoût les assaille à la vue des passes droits et des malversations des patrons ou des hommes politiques. Et d'ailleurs, comme j'ai pu en faire l'expérience, les élèves ne sont pas dupes. Certains d'entre eux n'hésitent pas à dénoncer les corruptions et les inégalités quand on leur expose la société idéale dans laquelle nous sommes censés vivre. A croire que la réalité ne trompe pas ces jeunes esprits.
Dès les premiers temps de l'école républicaine, le patriotisme et le "roman national" prirent une place centrale dans les programmes. La Commune de Paris avait ébranlé la bourgeoisie qui réagit en amplifiant la chape de plomb idéologique sur la classe ouvrière. Elle souhaite briser l'internationalisme que le prolétariat français avait déployé en 1871. Pour le ministre de l'instruction Jules Simon, une des leçons de l' "épreuve" que la France vient de subir est qu'il faut que "la France connaisse la France aussi bien que peuvent la connaître les étrangers."14 Peut-être plus que les autres disciplines, l'histoire et géographie possède un rôle idéologique essentiel dans le système scolaire. A l'aube du XXe siècle, l'enseignement de l'histoire est dispensé à tous les niveaux de scolarité. Le chauvinisme, le nationalisme et le militarisme empoisonnent les esprits des futurs ouvriers. Entre 1871 et 1914, l'enseignement de l'histoire est conditionné par un esprit revanchard envers la Prusse après la défaite de Sedan en septembre 1870. Sur les cartes de France affichées dans les classes, les territoires de l'Alsace et la Lorraine (perdus en 1870 au profit de la Prusse) sont délimités par des pointillés afin de les exclure mais coloriés en violet de telle sorte que l'on retrouve l'hexagone. Progressivement, la bourgeoisie utilise l'école pour embrigader la classe ouvrière dans un conflit mondial inévitable et la diviser sur le plan international. Elle imprègne donc les esprits d'un idéal national mélangeant l'ardeur guerrière et la religion comme le dénonce Emile Zola dans son roman Vérité en 1903 lorsqu'il met en scène un instituteur et sa classe : "Quatre tableaux, violemment enluminés, accrochés au mur, l'irritaient : sainte Geneviève délivrant Paris, Jeanne d'Arc écoutant ses voix, Saint Louis guérissant des malades, Napoléon passant à cheval sur un champ de bataille. Toujours le miracle et la force, toujours le mensonge religieux et la violence militaire donnés en exemple, jetés en semence dans le cerveau des enfants."
Pour les pays de l'Entente, la victoire de 1918 permettra de contenir l'élan révolutionnaire de leur classe ouvrière. Et pour cela, la bourgeoisie va déployer tout son cynisme pour "souder la nation" en mêlant la compassion envers les morts, la fierté d'avoir défendu la patrie et la promotion de la coexistence pacifique. Très tôt, l'État instaure la commémoration obligatoire des élèves aux monuments aux morts. Dans le manuel Lavisse de 1934, la guerre est présentée comme une fatalité qui s'est imposée à la bourgeoisie : "de 1914 à 1918, les Français ont encore été forcés de faire la guerre à l'Allemagne comme en 1870." Le patriotisme n'a pas disparu des programmes jusqu'à aujourd'hui mais il a pris une dimension plus insidieuse puisque le sentiment patriotique n'apparaît pas en tant que tel. Désormais, les programmes du collège et du lycée présentent l'histoire de France au XIXe et XXe siècle comme l'avènement et la consécration de la démocratie et des "libertés" depuis 1789. C'est omettre que dans la société capitaliste, la seule liberté de la classe ouvrière est de vendre sa force de travail. D'autre part, pour légitimer le "bienfait" des nouvelles institutions mondiales (Union Européenne, ONU), l'État a inventé la notion de citoyenneté européenne voire de citoyenneté mondiale. Là encore, il s'agit de dévoyer le véritable rôle de ses institutions qui n'existent que pour apporter un semblant d'ordre dans un chaos généralisé. Par exemple, les élèves sont censés adhérer à l'idée selon laquelle la "création de l'ONU répond à une aspiration au maintien de la paix."15 Si la bourgeoisie adapte son idéologie, il n'en demeure pas moins que le patriotisme reste un puissant vaccin face à la progression de l'internationalisme dans les rangs de la classe ouvrière.
La mise en place des programmes ouvre la porte à l'idéalisme et à la disparition de l'esprit critique. Leur architecture se caractérise par un empilement d'événements ou de périodes abordés de façon thématique sans en expliquer les relations de cause à effet. On raconte l'histoire mais on n’analyse jamais la signification des faits ce qui occasionne une perte d'esprit critique. Les programmes encouragent à faire le récit du passé et non pas à le comprendre et à en tirer les leçons. La bourgeoisie a perdu toute vision cohérente et objective de l'histoire et cela se traduit par l'idéalisme des enseignements. Par exemple, prenons la façon d'enseigner l'histoire des religions. Seules les trois grandes religions monothéistes sont étudiées en détails et les directives imposent de s'appuyer sur les "récits sacrés" détachés de tout contexte. Au nom de la laïcité, il est impossible d'expliquer dans un cadre matérialiste l'apparition et la véritable nature des croyances divines.
L'école est un outil essentiel de la diffusion de l'idéologie dominante dans les rangs de la classe ouvrière. Au fond, son rôle est de voiler la réalité de la société capitaliste. Quelle peut être la réponse de la classe ouvrière face à cela ? Le développement de la solidarité et de l'unité dans les luttes. C'est par la pratique que les ouvriers découvrent qu'ils sont exploités par le capital. C'est par les humiliations subies au quotidien qu'ils découvrent que la vision du monde que la bourgeoisie leur présente ne correspond aucunement à la réalité. Comme l'a écrit Lénine, "seule l'action éduque la classe exploitée, seule elle lui donne la mesure de ses forces, élargit son horizon, accroît ses capacités, éclaire son intelligence et trempe sa volonté." (Lénine. Rapport sur 1905. 22 janvier 1917). La lutte "la contraint à comprendre la structure du système économique, à connaître ce qu'est la société, où se trouvent ses ennemis et ses alliés."16 C'est donc le développement de la conscience de classe qui immunise contre l'idéologie bourgeoisie et permet de prendre conscience de son identité et du rôle que l'on doit jouer pour dépasser la société actuelle. "C'est une conscience de soi. Et cette prise de conscience est toujours synonyme d'une lutte de classe. La conscience de classe c'est donc tout simplement l'affirmation du prolétariat comme classe révolutionnaire, l'être conscient."17
Dans sa prise de conscience, le prolétariat n'a pas besoin des falsifications historiques de l'école bourgeoise. Son éducation passe par la transmission de génération en génération d'une histoire, d'une expérience, d'une théorie, d'une morale, d'une identité qui appartiennent uniquement à la classe ouvrière. Car ne l'oublions pas, "l'émancipation des travailleurs est l'œuvre des travailleurs eux-mêmes".
Venceslas
1 "La suppression de l'histoire-géographie en Terminale S est une attaque économique et idéologique", Révolution Internationale, n° 408.
2 Ibid.
3 "Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle", Revue Internationale, n°68.
4 Ibid.
5 F. Engels, K. Marx, Manifeste du parti communiste, chap. 1. A l'époque où fut écrit ce texte en 1847, les connaissances sur les sociétés préhistoriques étaient infimes. L'organisation sociale antérieure, basée sur la propriété commune de la terre, était inconnue.
6 Ibid.
7 Pour une analyse plus approfondie de la signification de la Commune de Paris voir : "La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat" in Internationalisme, n° 351.
8 Manuel Nathan du programme de 3e.
9 Manuel Magnard du programme de 3e.
10 Programme de 3e, Bulletin officiel spécial n° 6 du 28 août 2008.
11 Manuel d'histoire, géographie, éducation-civique, Nathan 2014.
12 Présentation du programme d'éducation civique de 5e. Bulletin Officiel Spécial n°6 du 28 aout 2008.
13 Bulletin Officiel Spécial n°6 du 28 août 2008.
14 Patrick Garcia, Jean Leduc, L'enseignement de l'histoire en France de l'Ancien Régime à nos jours, Armand Colin, 2003.
15Aménagement au programme d'histoire-géographique-éducation civique, septembre 2013.
16 "Idéologie et conscience de classe", brochure Organisation communiste et conscience de classe.
17Idem.
Tout au long du mois d’août, tandis que les roquettes du Hamas tombaient au gré des vents et des trêves de façades sur les populations terrifiées des villes israéliennes, le gouvernement meurtrier de Netanyahou a déversé sans aucun scrupule un tapis de bombes sur la bande de Gaza, suscitant une indignation légitime dans le monde entier. Les victimes innocentes de cet épouvantable massacre perpétré par un État démocratique sont innombrables : au plus fort de la crise, les morts s'entassaient officiellement par centaines chaque jour. Les blessés et les réfugiés ne se comptent plus, le chaos est indescriptible !
Comment ne pas être écœuré devant ces mères pleurant leurs enfants ensevelis sous les décombres, devant ces générations n'ayant connu, comme tant d'autres, que la guerre, la misère et la peur, devant toutes ces personnes piégées sur une petite bande de terre entre la fureur des armes de Tsahal et la terreur quotidienne imposée par une clique de terroristes fanatiques aussi anachronique que mafieuse ? Mais l'hypocrisie sans limite des brigands locaux, massacrant au nom de la "sécurité des civils" ou de la "libération du peuple opprimé", n'a d'égale que la comédie des grandes puissances impérialistes s'offusquant, côté pile, des "débordements scandaleux" et distribuant, côté face, les armes mêmes du carnage qu'elles n'hésitent bien entendu jamais à utiliser pour la défense de leurs propres et sordides intérêts impérialistes. Alors que la "communauté internationale" pleure toutes les larmes de crocodile de son corps, elle encourage dans le même temps les hécatombes ou organise directement les massacres en Ukraine, en Libye, en Syrie, en Centre Afrique, en Irak...1
En mobilisant très tôt ses réseaux gauchistes, la bourgeoisie a su canaliser l'indignation mondiale vers l'impasse du nationalisme. En France2, notamment, les manifestations ouvertement "pro-Gaza," c'est-à-dire pro-Hamas, se sont multipliées autour de la défense d'un camp impérialiste armé dans l'ombre par de grandes puissances, en particulier l'Iran, la Chine, la Russie et peut-être même la dernière "patrie du socialisme", la Corée du Nord. C'est cela la réalité d'une guerre que Besancenot nous vend sur tous les journaux télévisés comme un conflit entre un État riche et une population pauvre, soi-disant défendue par la Hamas transformé en héroïque "organisation de la résistance palestinienne."3
C'est d'ailleurs au nom de la défense des nations "opprimées" que la gauche de l'appareil politique bourgeois s'est toujours efforcée de désarmer le prolétariat face à la guerre : Algérie, Vietnam, Kosovo, Tchétchénie… et bien d'autres pays connus pour la tempérance bienveillante de leur bourgeoisie "opprimée". Cette théorie mensongère de la lutte entre nations impérialistes et nations opprimées, c'est-à-dire la défense d'un camp impérialiste contre un autre, n'a pas d'autres conséquences que de légitimer le chauvinisme belliqueux et la barbarie militaire. Lutte Ouvrière pousse même la logique jusqu'à l'absurde en défendant le droit des nations "résistantes" à disposer… de l'arme atomique ! "Notre refus de condamner par principe tout usage de l'arme nucléaire, ose Lutte Ouvrière, ne concerne d'ailleurs pas seulement le cas, pour le moment purement théorique, d'une révolution prolétarienne ayant à se défendre contre une intervention impérialiste. Cette question se pose aussi dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, où quelques grandes puissances impérialistes dictent leur loi à tous les peuples des pays sous-développés. Ces peuples ont bien évidemment le droit, s'ils veulent s'émanciper de cette dépendance, d'utiliser tous les moyens militaires qui sont à leur disposition."4 Si le capitalisme ne parvient pas à détruire la planète, il ne faut désespérer de rien car le "communisme" à la sauce trotskiste s'en chargera volontiers !
Derrière les mensonges et les pitreries théoriques du gauchisme, c'est bien la pesante idéologie nationaliste qui est à l'œuvre, celle qui ligote la classe ouvrière aux intérêts du capital national, celle qui la fait marcher au pas sous les drapeaux des régiments et, en d'autres termes, celle qui étouffe le combat des prolétaires de tous les pays pour le communisme.
Le gouvernement socialiste de Hollande n'a d'ailleurs pas hésité a faire monter la pression en interdisant certaines manifestations organisées par les partis va-t'en-guerre de "gauche" afin de renforcer la désorientation nationaliste des esprits, déplaçant la colère légitime contre la barbarie sur le terrain du soutien à la clique des brigands du Hamas. LO, le NPA et le Front de Gauche, tous auréolés de leur prétendue "résistance" aux mesures administratives du gouvernement et des échauffourées avec la police, ont ainsi pu matraquer leurs slogans nationalistes, poser le problème sur un terrain pourri d'avance : Pour la Palestine ou Pour Israël.
En fait, avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, tous les États, petits ou grands et toutes les fractions politiques de la bourgeoisie sont devenus impérialistes et réactionnaires. A l'heure où l'alternative est soit la barbarie capitaliste, soit le développement de la lutte pour le socialisme, toute tentative de conciliation et de collaboration avec la classe dominante n'est rien d'autre qu'un piège, un abandon des buts historiques du prolétariat.
La bourgeoisie est parfaitement consciente que le développement de la conscience de classe est un danger mortel pour sa domination. C'est pourquoi elle met un zèle tout particulier à désorienter idéologiquement le prolétariat, en particulier au moyen du nationalisme, qui lui permet aujourd'hui de déchaîner toute sa violence militaire sans rencontrer de résistance sérieuse au nom de la défense des intérêts du "peuple" en général et de la "communauté nationale" rassemblée autour d'un État démocratique prétendument "au-dessus des classes".
Mais, objectera-t-on, il y a parmi les politiciens et les intellectuels des pacifistes qui ne désirent que la paix ! En fait, le pacifisme, cette doctrine aussi vieille que la guerre, a toujours fait le lit des pires boucheries. A chaque conflit impérialiste, les pacifistes en appellent au bon vouloir de la bourgeoisie en réclamant le désarmement, des traités de paix et la création de tribunaux d'arbitrage internationaux. Mais ce qu'ignore l'utopie pacifiste, c'est que l'impérialisme n'a rien de contingent, il est au contraire une tare congénitale du capitalisme décadent, un impératif pour l'ordre social existant. Que signifie le désarmement sinon exiger des nations qu'elles renoncent librement à l'essence même de leur politique extérieure, au moyen de subsistance de tout État, petit ou grand, dans l'arène de la concurrence mondiale ? En d'autres termes, le pacifisme consiste à solliciter poliment l’État pour qu'il consente à bien vouloir ne plus exister en tant qu’État sur le plan international.
A ce contexte historique de décadence du capitalisme se superpose celle de sa phase ultime de décomposition.5 Avec l'effondrement du bloc de l'Est et l'évaporation de facto de la discipline des blocs militaires, les appétits et les tensions impérialistes se sont fortement aiguisés, tout comme se sont multipliés les conflits locaux. Aucune superpuissance n'est désormais en mesure de modérer les ambitions de vassaux redevables d'une protection militaire face au péril "rouge" ou "impérialiste". Dans un contexte où les contradictions croissantes du capitalisme contraignent chaque nation à toujours plus d'agressivité impérialiste, la fin de la discipline de bloc n'a fait que renforcer la politique du "chacun pour soi" et le chaos généralisé. Les tensions au Proche-Orient, avec leurs enchevêtrements inextricables d'alliances de circonstance et de trahisons, ne font que confirmer cette analyse.
Comme la guerre est désormais une nécessité vitale pour chaque État et pour le capitalisme en général, la combattre sur le terrain de l'ordre social capitaliste est non seulement utopique mais également réactionnaire : la paix mais sans remettre en cause l'ordre social qui produit nécessairement les guerres ! Manifester contre la guerre mais sans opposer de véritable résistance à l’État qui l'organise ! Exiger la paix à la classe dominante mais lui laisser les mains libres pour préparer de nouveaux conflits !
Chercher une solution partielle ou provisoire à la guerre, comme le proposent les pacifistes, revient en définitive, et l'histoire l'a prouvé à d'innombrables reprises, à diluer le prolétariat dans la "communauté des citoyens", à assommer la conscience de la seule force sociale en mesure de mettre un terme, par son combat de classe, aux conflits guerriers, et, finalement, à pactiser avec telle ou telle fraction de la bourgeoisie au nom du "moindre mal", de la démocratie et de... la paix ! C'est pourquoi la lutte contre l'impérialisme doit nécessairement prendre la forme d'une lutte contre l'ordre capitaliste.
En Palestine, comme partout dans le monde, il n'y a strictement rien à espérer des "trêves humanitaires", des "accords" et des "traités de paix". Mais que faire, ici et maintenant, pour empêcher le massacre ? Nous sommes parfaitement conscients des faiblesses du prolétariat dans le monde entier, de son incapacité actuelle à s'élever à la hauteur des enjeux historiques. Il est évident que la classe ouvrière en Israël et en Palestine n'est pas en mesure de brandir l’étendard de la solidarité internationale des travailleurs par la grève de masse contre la barbarie militaire, pas plus que le prolétariat des pays centraux, en Europe ou aux États-Unis, n'est aujourd'hui capable d'apporter une solidarité autre que platonique aux populations victimes de la guerre.
Faut-il alors attendre patiemment, en spectateur, la prochaine vague de lutte ouvrière ? Pas du tout ! Partout où les ouvriers sont prêts à débattre pour comprendre les ressorts véritables des conflits impérialistes, la nature du capitalisme, de sa crise historique ou de la perspective du communisme, il faut débattre ! Une discussion n’arrêtera évidement ni les conflits au Proche-Orient, ni les massacres au quatre coins du monde. Mais elle participe à renforcer notre confiance et notre conscience de classe, condition absolument indispensable pour que se développe la seule alternative réaliste à la barbarie : la solidarité internationale des travailleurs et le combat résolu sur le seul terrain qui vaille, celui d'une société où jeter au profit d'une poignée de maîtres des masses d'êtres humains dans une abjecte danse de la mort ne serait pas seulement un crime mais une absurdité.
Truth Martini, 19 août 2014
1 D'ailleurs, loin d'être un conflit local, cette nouvelle vague de violence s'inscrit dans un contexte géostratégique en Orient relevant de la foire d'empoigne où s’enchevêtrent les intérêts impérialistes et les retournements de veste des puissances tant régionales que mondiales. Pour de plus amples explications, voir l'éditorial de Révolution internationale n°417
2 Si des manifestations ont été organisées partout dans le monde, c'est en France qu'elles ont visiblement rencontré le plus grand succès.
3 Gaza : Plutôt mourir que revenir à la situation antérieure, sur le site internet du NPA.
4 Contre les essais nucléaires français... et contre le pacifisme !, dans Lutte de Classe n°15 (Septembre-octobre 1995)
5 Cf. La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme, dans la Revue Internationale n°62 (3e trimestre 1990), également disponible sur le site Internet du CCI.
Il y a 150 ans, le 28 septembre 1864, naissait l'Association Internationale des Travailleurs au Saint-Martin's Hall à Londres. Après le long reflux de la lutte de classe suite à la défaite des grands soulèvements sociaux de 1848, le prolétariat d'Europe commençait à montrer des signes de réveil de sa conscience et de sa combativité. Le développement de mouvements de grève sur des revendications à la fois économiques et politiques, la formation des syndicats et des coopératives ouvrières, la mobilisation des ouvriers sur des questions de politique "étrangère" telles que le soutien à l'indépendance de la Pologne ou aux forces anti-esclavagistes dans la guerre civile américaine, tout cela a convaincu Marx que la période de défaite touchait à sa fin. C'est pourquoi il apporta son soutien actif à l'initiative des syndicalistes anglais et français de former l'Association Internationale des Travailleurs en septembre 1864. Comme le dit Marx dans le Rapport du Conseil Général de l'Internationale au Congrès de Bruxelles en 1868 : cette Association "n'est fille ni d'une secte, ni d'une théorie. Elle est le produit spontané du mouvement prolétaire, engendré lui-même par les tendances naturelles et irrépressibles de la société moderne". Ainsi, le fait que les raisons de beaucoup d'éléments qui formèrent l'Internationale n'aient pas eu grand-chose à voir avec les vues de Marx (par exemple, la principale préoccupation des syndicalistes anglais était d'utiliser l'Internationale pour empêcher l'importation de briseurs de grève étrangers), n'a pas empêché ce dernier d'y jouer un rôle prépondérant ; il a siégé au Conseil Général la plus grande partie de l'existence de celui-ci et a rédigé beaucoup de ses documents les plus importants. Comme l'Internationale était le produit d'un mouvement du prolétariat à une certaine étape de son développement historique, une étape où il était encore en train de se former en tant que force au sein de la société bourgeoise, il était à la fois possible et nécessaire pour la fraction marxiste de travailler dans l'Internationale à côté d'autres tendances de la classe ouvrière, de participer à leurs activités immédiates dans le combat quotidien des ouvriers, tout en essayant en même temps de libérer l'organisation des préjugés bourgeois et petit-bourgeois, et de l'imprégner autant que possible de la clarté théorique et politique requise pour agir comme avant-garde révolutionnaire d'une classe révolutionnaire.
C'est tout le sens de ce combat qu'illustre l'Adresse inaugurale rédigée par Marx à l'occasion du Congrès de création de l'Association, et dont les leçons restent parfaitement valables un siècle et demi après sa publication. Ce texte est empreint d'une remarquable combativité qui ne s'enferme ni dans la rage aveugle caractéristique de l'activisme sans lendemain, ni dans l'académisme pédant de ces Messieurs les docteurs dont il moque les "découvertes" avec beaucoup d'ironie. Mais derrière le mordant de l'ironie, apparaît aussi clairement l'indignation de l'auteur face à la misère -et particulièrement à la faim- infligée aux prolétaires et au cynisme inouï de la bourgeoisie. Les raisons de ce sursaut moral n'ont pourtant guère disparu de nos jours où la faim touche près d'un milliard de personnes, bien qu'une journée ne puisse passer sans que la classe dominante ne s'extasie encore devant "l'augmentation étourdissante de richesses et de puissance".
Face au cynisme de la bourgeoisie, Marx place également sans aucune ambiguïté la réponse du prolétariat au niveau international. Il n'y a rien de hasardeux dans le choix de reprendre la formule qui conclut seize ans plus tôt le Manifeste communiste : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !", car la solidarité internationale des travailleurs dont le socle se trouve dans le caractère associé de leur travail et de leur production est bien la condition sine qua non du triomphe de la révolution mondiale. La solidarité internationale n'est pas un vain mot ; elle ne se réduit nullement à une caisse de grève. Elle doit au contraire être mue par une dimension morale et politique déterminée. C'est pourquoi elle demeure actuellement l'atout majeur et essentiel, le moteur indispensable et déterminant du développement de la lutte de la classe exploitée contre la misère et la barbarie de ce système capitaliste aujourd'hui en pleine putréfaction.
En s'appuyant sur la dynamique de la lutte des classes depuis 1848, Marx inscrit également son analyse de la situation d'alors dans un contexte historique. Avec l'éclatement de la Commune de Paris en 1871, l'histoire prouva bientôt la validité de la méthode marxiste. L'approfondissement politique n'est à ce titre pas un "luxe" de révolutionnaires de salon mais une arme indispensable du prolétariat pour le développement de sa confiance en lui-même et dans la perspective du communisme. A l'heure où la décomposition du capitalisme pèse de tout son poids sur la société, où l'irrationalité et la pensée magique triomphent, ce combat pour la clarté théorique est plus que jamais valable.
RI
Ouvriers !
C'est un fait capital que la misère des masses travailleuses n'a point diminué de 1848 à 1864, dans cette période qui, pourtant, se distingue entre toutes par un accroissement inouï du commerce. En Grande-Bretagne, un organe modéré de la bourgeoisie, généralement bien informé, prédisait en 1850 que si les exportations et les importations s'élevaient de 50 %, le paupérisme tomberait à zéro. Hélas ! le 7 avril 1864, le chancelier de l'Echiquier affirmait, devant le Parlement ravi, que "le total des exportations et des importations se montait, en 1863, à la somme étonnante de 443 995 000 £, soit trois fois les chiffres de 1843, c'est-à-dire d'une époque assez récente". Il parlait pourtant avec la même éloquence de la "misère". "Pensez donc, s'exclama-t-il, à ceux qui sont au bord de la misère… aux salaires… qui ne se sont pas élevés, à la vie humaine qui, dans neuf cas sur dix, n'est qu'une lutte pour l'existence." Il ne parlait pas des Irlandais, qui sont peu à peu remplacés par des machines, au nord, par des troupeaux de moutons, au sud ; et pourtant le nombre de moutons diminuait dans ce malheureux pays – moins rapidement que les hommes, c'est vrai.1 Il n'a point répété ce que venaient de dévoiler, dans un violent accès de terreur, les représentants éminents de la haute société. Les étrangleurs semaient la panique. Un moment vint où la Chambre des Lords dut ordonner une enquêtes sur la déportation et les travaux forcés. C'est le gros Livre bleu2 de 1863 qui a vendu la mèche : il a prouvé, par des faits et des chiffres officiels, que les pires criminels des bagnes de l'Angleterre et de l'Ecosse travaillent bien moins durement et sont beaucoup mieux nourris que les travailleurs agricoles. Il y avait plus. La guerre civile en Amérique a eu pour conséquence de jeter sur le pavé les ouvriers du Lancashire et du Cheshire.3 Alors, la même Chambre des Lords a délégué un médecin dans les zones industrielles pour établir quelles quantités minimales de carbone et d'azote il faut administrer (sous la forme la plus simple et la moins coûteuse) à l'individu moyen "pour empêcher au moins les maladies entraînées par l'inanition". Le Dr Smith, médecin délégué, a calculé qu'en moyenne 28 000 grains de carbone et 1330 grains d'azote par semaine sont nécessaires pour maintenir un adulte ordinaire au-dessus du niveau d'inanition… Il a découvert en outre que cette dose, après tout, correspondait à la nourriture des ouvriers du coton ; et l'on sait en réalité à quelle portion misérable la détresse les a réduits.4 Mais attendez, il y a mieux. Ce même médecin, ce savant, a été chargé ensuite par le responsable médical du Conseil Privé, d'enquêter sur les conditions alimentaires des classes travailleuses les plus pauvres. Le Sixième rapport sur l'état de la santé publique, publié par ordre du Parlement dans le courant de l'année 1863, contient le résultat de ses recherches. Qu'est-ce qu'il a découvert, le docteur ? Que les tisserands en soie, les couturières, les gantiers, les tisseurs de bas, etc., ne reçoivent pas même, en moyenne, la misérable pitance des ouvriers du coton ; pas même la quantité de carbone et d'azote "strictement nécessaire pour prévenir les maladies d'inanition".
"En outre, (nous citons textuellement le rapport) l'examen de l'état des familles d'agriculteurs a démontré que plus du cinquième d'entre elles reçoit moins que le minimum d'aliments carbonés considéré comme suffisant ; plus du tiers reçoit moins que le minimum d'aliments azotés ; dans les districts de Berks, d'Oxford et de Somerset, l'insuffisance des aliments azotés est une constante du régime alimentaire local." "Il ne faut pas oublier, ajoute le rapport officiel, que la privation de nourriture est supportée de mauvais gré et qu'en règle générale ces grandes privations alimentaires ne font jamais que suivre bien d'autres restrictions… La propreté même est regardée comme une chose très chère et difficile et, quand le respect de soi-même s'efforce à l'entretenir, chacun de ces efforts représente une aggravation des affres de la faim." "Ce sont là des réflexions douloureuses, d'autant plus qu'il ne s'agit pas ici, notons-le, d'une pauvreté méritée par la paresse ; dans tous les cas, nous parlons de la pauvreté des populations travailleuses. En vérité, le travail qui n'assure qu'une si maigre pitance est, en général, prolongé à l'excès." Le rapport révèle un fait étrange, et même inattendu : "De toutes les parties du Royaume-Uni", c'est-à-dire l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Ecosse et l'Irlande, "c'est la population agricole de l'Angleterre (c'est-à-dire de la partie la plus riche) qui est de loin la plus mal nourrie" ; quoique les journaliers eux-mêmes, dans les comtés de Berks, d'Oxford et de Somerset, soient mieux nourris que le grand nombre d'ouvriers qualifiés qui travaillent à domicile dans l'Est de Londres.
Telles sont les données officielles publiées par ordre du Parlement, en 1864, en plein millénium du libre-échange, au moment même où le chancelier de l'Echiquier raconte à la Chambre des Communes "que la condition des ouvriers anglais s'est améliorée, en moyenne, d'une manière si extraordinaire, que nous n'en connaissons point d'exemple dans l'histoire d'aucun pays, ni d'aucun âge". Mais un grincement vient de se faire entendre parmi ces congratulations officielles. C'est une remarque toute sèche du non moins officiel Rapport de la santé publique : "La santé publique d'un pays signifie la santé des masses, et il est presque impossible que les masses soient bien portantes si elles ne jouissent pas à tout le moins, jusqu'au plus bas de l'échelle sociale, d'une modeste prospérité."
Les statistiques dansent devant les yeux du chancelier. Ebloui par le "progrès de la nation", il s'écrie dans un délire extatique : "De 1842 à 1852, l'augmentation dans les revenus imposables de ce pays avait été de 6 % ; de 1853 à 1861, c'est-à-dire dans huit années, si l'on prend pour base le chiffre de 1853, elle a été de 20 % ! Le fait est si étonnant qu'il est presque incroyable !... Cette augmentation étourdissante de richesse et de puissance, ajoute M. Gladstone, est entièrement restreinte aux classes qui possèdent."
Si vous voulez savoir ce qu'il entre de santés brisées, de morale flétrie et de ruine intellectuelle dans cette "enivrante augmentation de richesse et de puissance, exclusivement restreinte aux classes possédantes" quand ce sont les classes laborieuses qui l'ont produite et qui la produisent, voyez la description des ateliers de tailleurs, d'imprimeurs et de modistes dans le dernier Rapport sur l'état de la santé publique ! Voyez le Rapport de la Commission d'enquête sur le travail des enfants où il est constaté, par exemple, que "comme classe, les potiers, hommes et femmes, représentent une population dégénérée au moral et au physique" ; que "les enfants mal portants seront un jour des parents mal portants" ; que "la dégénérescence de la race en est une conséquence absolue" ; que "la dégénération de la population du comté de Stafford serait beaucoup plus avancée, n'était le recrutement continuel dans les campagnes avoisinantes, et le croisement par mariage avec des races plus saines." Jetez les yeux sur le Livre bleu de M. Tremenheere sur les plaintes et doléances des journaliers de la boulangerie. Et qui n'a pas frémi d'indignation à la lecture des paradoxes des inspecteurs des fabriques, illustrés par le Registrar general : la santé des ouvriers du comté de Lancaster, alors même qu'ils en sont réduits à des rations de famine, s'est réellement améliorée, parce que le manque de coton les a chassés des filatures ; et la mortalité des enfants d'ouvriers a diminué, parce qu'enfin il est permis aux mères de leur donner le sein, au lieu de calmants opiacés.
Retournez la médaille encore une fois. Le relevé des impôts sur le revenu et sur la propriété, présenté à la Chambre des Communes le 20 juillet 1864, nous apprend que le 5 avril 1863, treize personnes ont grossi les rangs de ces heureux de la terre dont les revenus annuels sont évalués par le collecteur des impôts à 50.000 £ et plus : oui, leur nombre est monté, dans une seule année, de 67 à 80. Le même relevé laisse apparaître que 3000 personnes environ partagent entre elles un revenu annuel d'environ 25 millions de £, plus que le revenu total distribué annuellement entre tous les travailleurs agricoles de l'Angleterre et du Pays de Galles. Ouvrez le registre du cens de 1861, et vous trouverez que le nombre des propriétaires terriens du sexe masculin, en Angleterre et dans le Pays de Galles, s'est réduit de 16 934 en 1851 à 15 066 en 1861 ; qu'ainsi, la concentration des terres s'est accrue en dix années de 11 %. Si les terres de ce pays se concentrent dans quelques mains suivant le même rythme, la question agraire deviendra d'une simplicité singulière. Ce fut le cas dans l'Empire romain : ainsi Néron grinça des dents en apprenant que la moitié de la province d'Afrique était possédée par six chevaliers.
Nous nous sommes appesantis sur ces "faits si étonnants, qu'ils sont presque incroyables", parce que l'Angleterre est à la tête de l'Europe commerciale et industrielle. Il y a quelques mois, souvenez-vous en, un des fils réfugiés de Louis-Philippe félicitait publiquement les travailleurs agricoles anglais de la supériorité de leur sort sur celui, moins prospère, de leurs camarades d'outre-Manche. En vérité, avec un changement de couleur locale, et sur une échelle plus restreinte, la situation anglaise se reproduit dans tous les pays industriels qui progressent sur le continent. On assiste dans tous ces pays, depuis 1848, à un développement inouï de l'industrie ; leurs exportations et leurs importations prennent une ampleur dont on n'avait jamais rêvé. Partout "l'augmentation des richesses et de la puissance, exclusivement restreinte aux classes possédantes" a été véritablement "grisante". Là, comme en Angleterre, au sein des classes travailleuses, une minorité a obtenu un certain progrès du salaire réel ; alors que dans la plupart des cas la hausse des salaires en monnaie ne signifie pas un bien-être accru, pas plus que les pensionnaires de l'hôpital des pauvres ou de l'orphelinat ne se trouvent mieux de l'augmentation du coût de leur entretien (par personne, 9 £ 15 shillings 8 pence en 1862 contre 7 £ 7 sh. 4 p. en 1852). Partout on a vu le gros des classes travailleuses s’enfoncer plus profond, dans la même proportion, à tout le moins, ou les classes supérieures se sont élevées dans l'échelle sociale. Il y a une vérité que tout esprit non prévenu tient aujourd'hui pour démontrée, et que seuls dénient ceux-là qui ont intérêt à barricader les autres dans le paradis des imbéciles : cette vérité, c'est que dans tous les pays d'Europe, il n'y a pas de perfectionnement des machines, pas d'applications scientifiques dans la production, pas d'inventions pour communiquer, pas de colonies nouvelles, pas d'émigration, pas d'ouverture de marchés, pas de libre-échange, il n'y a là rien, et même si l'on met toutes ces choses ensemble, qui puissent mettre fin à la misère des classes laborieuses ; et qu'au contraire, sur cette base faussée, tout nouveau développement des forces productives doit aboutir à des contrastes sociaux plus vifs, à des antagonismes sociaux plus tranchés. Mourir de faim, mais c'est devenu une manière d'institution dans la métropole de l'Empire britannique, au cours de cette grisante époque de progrès économique. Cette époque est marquée dans les annales du marché mondial par la récurrence toujours plus rapide, par l'action toujours plus étendue, par les effets toujours plus mortels de cette peste sociale qu'on appelle la crise commerciale et industrielle.
Après l'échec des révolutions de 1848, une main de fer a broyé toutes les organisations et toute la presse de parti des classes travailleuses ; les plus éclairés des fils du travail perdirent tout espoir et se réfugièrent dans la république d'outre-Océan ; les rêves d'émancipation avaient été de courte durée : ils s'évanouirent devant la fièvre industrielle, le délabrement moral, la réaction politique. La défaite des classes travailleuses du continent, due pour une part à la diplomatie du gouvernement anglais qui, alors comme aujourd'hui, opérait dans une fraternelle solidarité avec le Cabinet de Saint-Pétersbourg, allait bientôt faire sentir ses effets de ce côté-ci de la Manche. Si la déroute de leurs frères du continent décourageait les travailleurs anglais, brisait la foi qu'ils plaçaient en leur propre cause, en revanche elle raffermissait chez les seigneurs de la terre et de la finance une confiance qui s'était trouvée quelque peu ébranlée. Ils retirèrent avec insolence des concessions qu'ils avaient déjà publiquement annoncées. On découvrait alors de nouveaux gisements d'or : l'exode fût immense, et laissa d'irréparables vides dans les rangs du prolétariat britannique. Certains de ses membres, autrefois actifs, se laissèrent prendre à une séduction pourtant bien passagère : travailler plus, gagner plus, et devenir politiquement des "jaunes". Tous les efforts pour maintenir le mouvement chartiste5, ou pour le refondre, connurent un échec retentissant ; les organes de presse de la classe ouvrière moururent l'un après l'autre de l'apathie des masses ; il faut dire que jamais la classe ouvrière d'Angleterre ne sembla si parfaitement résignée à l'état de nullité politique. Si donc, il n'avait point existé de solidarité d'action entre les classes travailleuses de l'Angleterre et du continent, il y avait, en tout cas, une solidarité de défaite.
Cependant la période qui a suivi la révolution de 1848 n'a pas été sans offrir quelques compensations. Contentons-nous d'y relever deux grands faits.
Après une lutte de trente ans, soutenue avec la plus admirable persévérance, les classes ouvrières de l'Angleterre, profitant d'un désaccord momentané entre les maîtres de la terre et les maîtres de la finance, réussirent à faire passer le bill6 de dix heures de travail. Les ouvriers des fabriques en retirèrent d'immenses avantages, physiques, moraux et intellectuels, qui depuis ont été enregistrés chaque semestre dans les rapports des inspecteurs des manufactures : on les reconnaît à présent de tous côtés. La plupart des gouvernements continentaux durent adopter la loi anglaise sur les fabriques, sous des formes plus ou moins modifiées, et le Parlement anglais lui-même se voit contraint d'étendre chaque année le champ d'action de cette loi.
Outre son importance pratique, autre chose encore relevait le merveilleux succès de cette mesure obtenue par les travailleurs. Par ses porte-parole scientifiques les plus fameux, tels le docteur Ure, le professeur Senior et autres sages de ce calibre, la classe moyenne avait prédit, et prouvé à qui mieux mieux, qu'à la moindre restriction légale des heures de travail, on allait entendre le glas funèbre de l'industrie anglaise. Car ce vampire ne pouvait vivre sans pomper le sang, et qui plus est, le sang des enfants. Au temps jadis, le meurtre des enfants était un rite mystérieux de la religion de Moloch ; mais il n'était pratiqué que dans certaines occasions tout à fait solennelles, peut-être une fois l'an ; et puis Moloch n'était pas exclusivement porté sur les enfants des pauvres.
Cette lutte pour la restriction légale des heures de travail se déchaîna d'autant plus furieusement, que tout en terrifiant l'avarice, elle intervenait dans la grande querelle entre l'aveugle loi de l'offre et de la demande, qui constitue l'économie politique de la bourgeoisie, et la production sociale dirigée par la prévision sociale, qui constitue l'économie politique de la classe ouvrière. C'est pourquoi le bill des dix heures n'a pas été seulement un succès politique ; il a été la victoire d'un principe. Pour la première fois, l'économie politique de la bourgeoisie succombait au grand jour devant l'économie politique de la classe ouvrière.
Mais il y avait en réserve une victoire plus grande encore de l'économie politique du travail sur l'économie politique du capital. Nous voulons parler du mouvement coopératif et surtout des manufactures coopératives montées, avec bien des efforts et sans aide aucune, par quelques "bras" audacieux. La valeur de ces grandes expériences sociales ne saurait être surfaite. Par des actions et non par des raisonnements, elles ont prouvé que la production sur une grande échelle, et en accord avec les exigences de la science moderne, peut marcher sans qu'une classe de maîtres emploie une classe de "bras" ; que les moyens de travail, pour porter fruit, n'ont pas besoin d'être monopolisés pour la domination et l'exploitation du travailleur ; et que le travail salarié, comme l'esclavage, comme le servage, n'est qu'une forme transitoire et inférieure, destinée à disparaître devant les travailleurs associés qui, eux, apporteront à leur tâche des bras bien disposés, un esprit alerte, un cœur réjoui. En Angleterre, la graine du système coopératif a été semée par Robert Owen. Les travailleurs du continent ont tenté des expériences qui donnaient une conclusion pratique à des théories qu'on n'a pas inventées en 1848, mais qu'on a alors préconisées bien haut.
Il y a une autre chose, que ces expériences faites entre 1848 et 1864 ont établie sans aucun doute possible : pour excellente qu'elle soit dans ses principes, et si utile qu'elle apparaisse dans la pratique, la coopération des travailleurs, si elle reste circonscrite dans un cercle étroit, si quelques ouvriers seulement font des efforts au petit bonheur et en leur particulier, alors cette coopération ne sera jamais capable d'arrêter les monopoles qui croissent en progression géométrique ; elle ne sera pas capable de libérer les masses, ni même d'alléger de façon perceptible le fardeau de leur misère. C'est sans doute pour cette raison-là que des lords à la langue dorée, des bourgeois philanthropes et sermonneurs, et même des économistes subtils nous ont servi des compliments nauséabonds sur ce même système coopératif qu'ils avaient cherché, vainement, à tuer dans l'œuf, qu'ils avaient tourné en dérision, pure utopie à leurs yeux, simple rêve ; ou qu'ils avaient stigmatisé chez les socialistes comme un sacrilège. Pour que les masses laborieuses soient affranchies, la coopération devrait prendre une ampleur nationale, et, par conséquent, il faudrait la favoriser avec des moyens nationaux. Mais ceux qui règnent sur la terre et sur le capital useront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leur monopole économique. Loin de faire avancer l'émancipation du travail, ils continueront à semer sur sa voie tous les obstacles possibles. Il faut se rappeler le persiflage de lord Palmerston, quand il repoussa les tenants du bill sur les droits des fermiers irlandais, à la dernière session du Parlement : "La Chambre des Communes, s'écria-t-il, est une chambre de propriétaires fonciers." Donc, la grande tâche des classes travailleuses, c'est de conquérir le pouvoir politique. Il semble qu'elles l'aient compris, car en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, on a assisté à des réveils simultanés ; et l'on est en train de faire des efforts simultanés pour réorganiser le parti des ouvriers.
Ils ont entre leurs mains un élément de succès : le nombre. Mais le nombre ne pèse dans la balance que s'il est uni par l'entente et guidé par la connaissance. L'expérience du passé a montré qu'un lien de fraternité doit exister entre les travailleurs des différents pays et les inciter à tenir bon, coude à coude, dans toutes leurs luttes pour l'émancipation, et que si l'on dédaigne ce lien, le châtiment sera l'échec commun de ces efforts sans cohésion.
C'est cette pensée qui a déterminé les travailleurs de différents pays, dans une assemblée publique, le 28 septembre 1864, à St-Martin's Hall, à fonder l'association internationale.
Une autre conviction animait cette assemblée.
Si l'émancipation des classes travailleuses ne peut se faire sans leur concours fraternel, comment vont-elles remplir cette grande mission quand la politique étrangère ne nourrit que des desseins criminels, quand elle joue des préjugés nationaux, quand elle gaspille dans des guerres de flibustiers le sang du peuple et ses trésors ? Ce n'est pas la sagesse des classes dirigeantes, mais bien l'héroïque résistance opposée par les classes travailleuses d'Angleterre à leur folie criminelle, qui a retenu l'Europe occidentale de se jeter tête baissée dans une croisade pour la perpétuation et la propagation de l'esclavage d'outre-Atlantique. L'approbation sans vergogne, les singeries de compassion, ou l'indifférence stupide, avec lesquelles les classes supérieures d'Europe ont contemplé la conquête de la forteresse montagnarde du Caucase7, et l'assassinat de l'héroïque Pologne par les Russes8 ; les vastes empiètements, jamais contrecarrés, de cette puissance barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg et dont les mains agissent dans tous les Cabinets d'Europe, tout cela appris aux travailleurs qu'ils ont un devoir : percer les mystères de la politique internationale, surveiller les agissements diplomatiques de leurs gouvernements respectifs, les contrecarrer au besoin, par tous les moyens qui sont en leur pouvoir ; et s'ils ne peuvent les empêcher, s'entendre pour les dénoncer en même temps, et pour revendiquer les lois élémentaires de la morale et de la justice qui doivent régir les relations entre particuliers, comme règle souveraine des rapports entre les nations.
La lutte pour une telle politique étrangère fait partie de la lutte générale pour l'émancipation des classes travailleuses.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
1 Marx fait ici référence à la Grande famine (ou famine des pommes de terre) qui frappa très durement l'Irlande entre 1845 et 1851. Cette catastrophe, loin d'être "naturelle", fit près d'un million de victimes. La bourgeoisie britannique fit preuve d'un cynisme inouï et put même tirer de l'hécatombe de juteux bénéfices fonciers. (NDLR)
2 Désigne les rapports présentés par le gouvernement britannique au Parlement. (NdR)
Désigne les rapports présentés par le gouvernement britannique au Parlement. (NdRNdlr)
3 Pendant la guerre de sécession, l'Union mis en place un blocus des ports Confédérés, privant de coton l'industrie britannique du tissu. (NdRNDLR)
4 Il serait superflu de rappeler au lecteur qu'à part l'eau et quelques substances inorganiques, ce sont le carbone et l'azote qui constituent la matière brute de la nourriture humaine. Mais pour nourrir l'organisme humain, ces simples éléments chimiques doivent lui être fournis sous la forme des substances végétales et animales. La pomme de terre, par exemple, contient des substances carbonées et azotées dans des proportions convenables.
5 Mouvement politique et syndical né au Royaume Uni au cours du XIXe siècle. (NdRNdlr)
6 Désigne une réforme accordée par l'Etat britannique. (NdRNDLR)
7 Marx fait ici référence à la conquête russe du Caucase dans la première moitié du XIXe siècle. (NdRNDLR)
8 Il s'agit de l'écrasement de l'Insurrectionl'insurrection polonaise de 1861-1864 par l'armée russe. (NdRNDLR)
"Quiconque a vécu en tant qu'acteur politique la période qui s'est ouverte le 4 août 1914 pourra facilement se tromper sur le temps écoulé depuis cette date. (...) Dix ans ! Cela veut dire qu'une nouvelle génération est arrivée à maturité et est appelée à faire l'histoire. Cette génération doit connaître son passé pour connaître la totalité du présent. (...) Du point de vue prolétarien, il n'existe aucune synthèse sur cette période. Ce livre se veut donc un premier essai en vue de mener à bien cette tâche." Tel était le postulat de Paul Frölich quand il décida, en 1924, d'écrire l'une des premières synthèses sur la Première Guerre mondiale. Ce travail n'était pas destiné à "s'adonner à l'histoire au nom même de l'histoire" mais de "transmettre au travailleur tout ce qu'il devait savoir sur la guerre." Ainsi, Paul Frölich voulait établir une synthèse du conflit permettant au prolétariat de comprendre le processus historique qui a conduit à une telle boucherie. Il s'agissait de dénoncer la barbarie et le cynisme de la bourgeoisie internationale mais aussi la trahison de la social-démocratie qui, dans de nombreux pays, s'était rangée du côté des partis bourgeois au moment de signer les crédits de guerre.
Issu d'une famille ouvrière, Paul Frölich adhère au marxisme et rejoint très tôt le parti social-démocrate allemand (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD). Il suit les cours de Rosa Luxembourg à l'école du parti. En 1914, il critique la position du SPD en faveur des crédits de guerre et participe à la Conférence de Zimmerwald. Appartenant à la gauche radicale de Brême, il participe à la formation des Communistes Internationaux d'Allemagne. En 1918, il est membre du parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD). Ainsi, Paul Frölich est avant tout un militant révolutionnaire ayant participé aux combats majeurs de la classe ouvrière allemande au début XXe siècle.
Les réflexions qu'il mène dans ce livre réaffirment et complètent celles énoncées par Rosa Luxembourg dans sa Brochure de Junius en 1916. En s'appuyant sur des documents officiels de la bourgeoisie ainsi que sur la presse bourgeoise et socialiste, Frölich explique les causes de la guerre et décrit ses conséquences aux plans politique et économique. L'auteur décrit les conditions de vie du prolétariat allemand durant cette période et n'hésite pas à dénoncer l'exploitation accrue que ce dernier a dû subir au cours du conflit.
A l'heure de la "commémoration" de la guerre 14-18 au cours de laquelle la bourgeoisie entreprend résolument d’"héroïser" les millions d'ouvriers ayant servi de chair à canon pour les intérêts du capital, ce livre permettra au prolétariat du XXIe siècle de pouvoir critiquer les falsifications historiques distillées par la bourgeoisie au sujet de cette guerre. Le compte rendu qui suit vise à souligner les idées forces du livre et à montrer en quoi l'analyse de Frölich peut servir à aiguiser le niveau théorique du prolétariat actuel.
Dans le sillage de Rosa Luxembourg, Paul Frölich voit dans l'impérialisme la cause principale de la guerre 14-18. En effet, à la fin du XIXe siècle, le monde est trop étroit pour engloutir le flot béant de marchandises émises par la machine capitaliste. Les puissances impérialistes se font une concurrence acharnée pour contrôler les dernières zones de la planète pas encore sous la domination capitaliste. En effet, jusqu'aux années 1880, l'Angleterre "était le pays capitaliste par excellence" et pouvait écouler abondamment ses marchandises en Europe et dans les colonies. Mais cette situation se modifie avec l'émergence de nouvelles puissances capitalistes : l'Allemagne et les Etats-Unis. Le développement rapide de l'industrie dans ces deux pays offre à leur bourgeoisie respective des perspectives de profit important. Ainsi, les concurrences commerciales s'accroissent et chaque pays capitaliste souhaite maintenir ses territoires coloniaux, voire s'implanter dans de nouvelles zones afin d'écouler la production de marchandises. Ces tensions commerciales deviennent plus courantes dans les premières années du XXe siècle et tendent à se transformer en conflits armés. En effet, Paul Frölich montre que la course aux armements est consubstantielle au développement de l'impérialisme. Dans les dix années qui précèdent la Première Guerre mondiale, les politiques commerciales agressives menées par les puissances capitalistes dans les colonies manquent d'engendrer des guerres ouvertes. L'aventure chinoise à la fin du XIXe siècle, la concurrence entre l'Autriche-Hongrie et la Russie dans les Balkans, le conflit entre la France et l'Allemagne à propos du Maroc en 1911, … sont autant de signes annonciateurs d'un drame mondial sans cesse retardé par l'impréparation des différents acteurs sur le plan militaire. Mais en 1913-1914, la situation devient intenable, les manœuvres de l'impérialisme austro-hongrois dans les Balkans (soutenues par l'Allemagne) afin de maintenir ses intérêts commerciaux et briser l'élan d'indépendance de la Serbie déplaisent fortement à la Russie, l'Angleterre et la France regroupées dans une Triple Entente depuis 1907.
La bourgeoisie présente l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand comme l'événement déclencheur de la guerre afin de mieux cacher les vraies raisons qui ont plongé l'humanité dans quatre années de folie sanguinaire. Paul Frölich relativise cet épisode qui n'est qu'une étincelle ayant fait s'embraser un feu qui couvait depuis plusieurs années. Voici ce qu'il nous dit sur la portée de cet événement : "En Europe, on ne prêta guère plus d'attention à la nouvelle de l'attentat que celle qu'on accordait, en règle générale, aux sensationnelles nouvelles de cet importance." L'assassinat permit à l'Autriche-Hongrie de légitimer l'ultimatum puis la déclaration de guerre imposés à la Serbie. Le jeu des alliances impérialistes fit le reste comme l'indique Frölich : "Une guerre contre la Serbie signifiait donc une guerre contre la Russie. Et une guerre contre la Russie, c'était une guerre de toute l'Europe."
Pour les marxistes, la Première Guerre mondiale marque l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence. Les contradictions entre le développement des forces productives et les rapports sociaux de production sont telles qu'il n'est désormais plus possible à ce système de
permettre une évolution positive de l'humanité. L'impérialisme (identifié par Engels puis par Rosa Luxembourg) forme pour les marxistes la cause principale de la guerre. L'incapacité de la bourgeoisie à régler les contradictions du capitalisme (devant l'impuissance momentané du prolétariat à détruire ce système) laissait comme seule réponse une guerre généralisée : "Il y avait deux voies pour sortir de ce dilemme. La voie capitaliste, qui promettait d'apporter provisoirement un peu d'air à ceux qui se trouvaient désormais au bord de l'asphyxie : par la guerre, l'écrasement de l'adversaire et la destruction de ses forces productives, la redistribution du monde entre les vainqueurs. De là, nouvelle course effrénée et folle, nouvelle pression des forces productives, accroissement de la concurrence – jusqu'à ce que le monde soit redevenu trop étroit. Puis nouvelle guerre ; mais point de solution. L'autre voie, radicale et prolétarienne : abolition du mode de production dont le profit est le moteur et le régulateur ; destruction de l'exploitation et de la domination de classe." La guerre 14-18 marque donc l'entrée du capitalisme dans une impasse historique ne pouvant être surmontée que par l'abolition de ce dernier par le prolétariat.
Paul Frölich s'appuie sur les acquis théoriques du marxisme forgés par les grandes figures du mouvement révolutionnaire afin d'expliquer le processus historique qui a mené à cette guerre. Cette vision permet à la classe ouvrière actuelle de pouvoir réagir aux mystifications que la bourgeoisie distille à ce sujet. Cette dernière fait de ce premier conflit mondial une guerre justifiée par le désir de revanche de la France sur l'Allemagne. Parfois, elle n'hésite pas à en appeler au hasard, à faire de cet événement une parenthèse de l'histoire, un moment particulier dans lequel, l'humanité, l'espace de quatre années, a sombré dans la folie guerrière. Autant d'explications lamentables visant à rejeter la responsabilité du capitalisme dans le déroulement de cette boucherie insupportable.
Dans la période de décadence, la guerre est la seule alternative proposée par la bourgeoisie pour limiter les contradictions du capitalisme. Seul le prolétariat est porteur d'une autre perspective : le communisme. Ainsi, en 1914, l'une des tâches historiques du prolétariat était de s'opposer à la guerre et d'impulser un mouvement révolutionnaire : "Lutte contre la guerre voulait dire lutte de pouvoir contre la bourgeoisie dans tous les pays, autrement dit lutte révolutionnaire." Or, le prolétariat n'a pas été en mesure de briser l'ardeur barbare de la bourgeoisie. La défaillance des organisations révolutionnaires explique en grande partie cet échec.
Depuis 1889, la classe ouvrière s'était réorganisée au niveau mondial. La Deuxième Internationale se composait de partis nationaux indépendants de tendance marxiste. Pour autant, la vie de l'organisation fut sans cesse perturbée par des luttes internes entre le courant opportuniste et l'aile internationaliste. L'histoire de la Deuxième Internationale montre à quel point cette organisation fut gangrénée par l'esprit routinier du rouage parlementariste et par la contradiction constante entre les positions de principe et la pratique. Le simplisme et le manque de rigueur avec lesquels la question de la guerre est traitée lors des Congrès Internationaux illustre cette attitude. Avec le développement de l'opportunisme en son sein, la Deuxième Internationale s'éloignait de l'internationalisme et de fait, transigeait avec le refus catégorique de la guerre et surtout avec la transformation de la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire. Paul Frölich a identifié cette tendance à la dégénérescence de l'organisation : "Compte tenu de sa nature et de la façon dont elle était organisée, l'Internationale était condamnée à échouer lamentablement quand elle fut confrontée aux tâches immenses que la guerre exigeait d'elle." En définitive, la Deuxième Internationale "faisait grand cas de sa nature révolutionnaire, mais en réalité elle n'était pas révolutionnaire."
La fébrilité de la Deuxième Internationale fut renforcée par le développement progressif de l'opportunisme au sein de la social-démocratie des grandes puissances impérialistes (la SFIO en France, le SPD en Allemagne notamment). En effet, Paul Frölich démontre que, dans les pays traditionnels du capitalisme, le parlementarisme et le démocratisme ont facilité le basculement de la social-démocratie dans le camp de la classe dominante. "Les partis qui se sont effondrés, ce sont les partis où s'était manifestée la véritable nature de l'Internationale et qui avaient eu le temps, au cours d'une longue période de répit des luttes de classe, de constituer une politique nettement opportuniste ; ce sont aussi les partis des pays dans lesquels la bourgeoisie était assez riche pour entretenir et corrompre une aristocratie ouvrière.
Les partis qui se sont maintenus, ce sont les partis qui étaient soumis à une oppression constante, qui devaient être et rester révolutionnaires par la force des choses, qui ne laissèrent pas le temps à l'opportunisme de les avaler, qui s'appuyaient sur un prolétariat qui, effectivement, 'n'avait rien à perdre que ses chaînes'. Ces partis formèrent, avec les fractions révolutionnaires des grands partis, la base de la Troisième Internationale. Ici, dans l'effondrement de tout un monde, les forces se rassemblaient pour en construire un nouveau." Comme l'indique Paul Frölich, seuls les partis ouvriers des nations secondaires du capitalisme restèrent fidèles à l'internationalisme et luttèrent contre la guerre. Parmi eux, le parti bolchevik, le parti social-démocrate de Lituanie et de Pologne, le parti social-démocrate serbe, une fraction du parti socialiste italien, formaient le noyau dur de la gauche révolutionnaire dans l'Internationale. Mais la forte influence des partis traîtres sur les masses était un boulet trop lourd pour infléchir la conscience du prolétariat. Lorsque le 4 août 1914, le SPD en Allemagne et la SFIO en France votèrent les crédits de guerre, une partie non-négligeable de l'avant-garde du mouvement révolutionnaire "passa drapeau au vent dans le camp de l'ennemi". La classe ouvrière "perdait le fruit d'un demi-siècle de travail d'éducation socialiste, et seul un petit groupe, dispersé dans tout le pays, restait attaché au socialisme et à l'Internationalisme." La trahison des partis ouvriers n'est pas un événement anecdotique et doit
trouver un écho auprès de la classe ouvrière du XXIe siècle. Alors que la gauche de la bourgeoisie ne rate jamais une occasion de se réclamer de l'héritage politique du mouvement ouvrier, il est important de souligner que 1914 marque la chute irréversible de la social-démocratie dans le camp de la bourgeoisie. Autrement dit, en reniant l'internationalisme, ces organisations ont arrêté de servir les intérêts de la classe ouvrière. Cette trahison est largement passée sous silence par la bourgeoisie.
Pour autant, des membres de la social-démocratie sont restés dans le camp du prolétariat. En France, c'est le cas de Jean Jaurès qui paya de sa vie la défense de la cause ouvrière et son refus de la guerre. Même si la position de ce dernier restait ambiguë, il garda en lui la force morale pour ne pas trahir sa classe et dénonça âprement le malheur que laissait présager le conflit approchant. Seulement, à la guerre, Jaurès n'opposa que la paix. Des positions plus claires et plus lucides se faisaient entendre en Allemagne et en Russie au même moment : Rosa Luxembourg, Lénine et Martov opposaient à la guerre, non pas la paix, mais la révolution prolétarienne. Ces militants révolutionnaires ont été capables d'analyser avec clarté la situation historique et ainsi ont pu démontrer que l'humanité n'avait rien à gagner dans ce conflit généralisé. Mais si une personne illustre l'opposition à la guerre, c'est bel et bien Karl Liebknecht. Paul Frölich s'arrête sur l'action courageuse de ce dernier qui n'eut de cesse de dénoncer les horreurs de la guerre au parlement et dans la rue. Mobilisé en 1915, il mena le cortège lors de la manifestation des travailleurs berlinois le 1er mai 1916 et cria "A bas le gouvernement ! A bas la guerre !" avant d'être arrêté sur la Potsdamer Platz. Outre cet acte symbolique, Liebknecht porte en lui l'ardeur révolutionnaire, l'intransigeance face à l'opportunisme et au réformisme et la confiance dans le rôle historique de la classe ouvrière. Fusionnent en la personne de Liebknecht l'opposition à la guerre et la lutte révolutionnaire. Résonne dans l'attitude de ce révolutionnaire l'impératif moral qui l'appelait à s'indigner haut et fort face à la barbarie guerrière.
De fait, pour la bourgeoisie, le cas Liebknecht est irrécupérable. Contrairement à ce qu'elle veut nous faire croire, ce ne sont pas les réformistes qui se sont réellement opposés à la guerre mais bel et bien les militants révolutionnaires qui, comme l'ensemble de la classe ouvrière, portaient en eux l'espoir de l'avènement d'une société sans classe, sans exploitation, sans guerre.
Paul Frölich ne se contente pas d'analyser, de tirer les leçons d'un événement historique de grande ampleur dans la pure tradition marxiste. Ce dernier dénonce la barbarie de la guerre impérialiste, s'indigne face aux souffrances endurées par le prolétariat et accuse le cynisme de la bourgeoisie.
Durant les quatre années de guerre, la bourgeoisie a dû s'adapter aux nécessités d'un conflit impérialiste généralisé. Ainsi, la production d'armement et d'autres marchandises destinées aux secteurs militaires est devenue le cœur de l'activité économique. En Allemagne et chez les autres grandes puissances impérialistes, l'économie fut réorganisée en une "énorme usine de munitions", c'est-à-dire en une économie de guerre.
Frölich montre que les profits réalisés par la bourgeoisie allemande au sein de cette économie de guerre étaient basés "sur du vent". Ce mécanisme alliant État et grand capital montre toute l’irrationalité du militarisme dans la décadence du capitalisme : "Maintenant, il nous est possible de comprendre comment l'argent, le sang du grand corps capitaliste, circulait. Le Reich payait des prix élevés au moyen de papier-monnaie. Les prix élevés rapportaient des bénéfices élevés. Ils permettaient au capitaliste d'acheter des titres d'emprunt grâce aux bénéfices réalisés en papier-monnaie, et ainsi le Reich récupérait le papier-monnaie en retour, il pouvait de nouveau payer le capitaliste, faire des bénéfices, acheter des emprunts de guerre, etc. Le schéma est ici quelque peu simplifié, le procès général était bien plus complexe en réalité. En tout cas, il en tenait essentiellement ainsi, à une chose près ! A en juger par ce qu'on peut voir maintenant, les capitalistes se sont donc financés eux-mêmes et, ce faisant, ont financé la guerre. Avec quoi ? Avec du vent ! Et à cette occasion, ils ont ajouté à leur fortune les emprunts de guerre qui leur ont rapporté de jolis intérêts."
Le financement de la guerre reposait donc sur un cercle vicieux ne créant aucune richesse mais cela ne modifiait en rien la source du profit capitaliste : l'exploitation du prolétariat. Et dans une économie où la majeure partie de la production est destinée à être détruite, l'exploitation du prolétariat est accrue : "Les capitalistes ont en effet accru leur capital. Comment s'accomplit, en temps normal, cette accumulation de capital ? Le travailleur produit des marchandises, de la valeur ; plus de valeur que ce qu'il reçoit pour son travail. Il est exploité. L'employeur transforme, du moins en partie, la plus-value en capital. Pendant la guerre aussi, il ne tire des profits que du travail. Il fallait donc extorquer encore davantage des masses qui restaient employées, étant donné qu'une grande partie des produits étaient conçus pour être détruits tout en détruisant, qu'il fallait nourrir une gigantesque armée qui détruisait mais qui ne produisait rien, et que la promesse de très gros bénéfices pour les capitalistes était nécessaire afin que le Reich puisse sans cesse récupérer l'argent qu'il devait dépenser. Et ce fut bien évidemment le cas."
Ainsi, les conditions de vie du prolétariat allemand se dégradèrent considérablement. Les ouvriers mobilisés au front subissaient de plein fouet les horreurs de la guerre et ceux restés à l'arrière devaient résister aux réquisitions, à la cherté de la vie et à l'écart entre les prix et les salaires. Voilà comment Frölich décrit l'état déplorable du prolétariat allemand : "Les femmes se ruinaient la santé. Elles mangeaient moins. Elles mangeaient du pain fait de son, de pommes de terre et de navets (la falsification du pain était devenue un acte patriotique !) ; elles mangeaient de la graisse synthétique, du miel artificiel, des betteraves, de l'herbe, de la saleté. Leurs corps se desséchaient. Les enfants mouraient avant même d'avoir atteint la fleur de l'âge. Toute la classe ouvrière tombait malade. La grippe emportait des centaines de milliers de personnes (...) On assistait à une dégénérescence du peuple tout entier. De terribles épidémies faisaient des ravages. Au cours de la guerre, parmi la population allemande civile, on a compté 900 000 morts de plus qu'en temps normal : c'était dû à la famine." Dans tous les pays en guerre, la classe ouvrière a dû subir les mêmes conditions d'existence.
Un siècle après cette guerre, le climat de chaos s'est amplifié et généralisé à la planète toute entière. Ayant perdu tout rôle historique, la bourgeoisie est incapable de constater et d'expliquer cette descente dans la barbarie. Le marxisme a offert à la classe ouvrière les moyens de s'émanciper de l'idéologie bourgeoise en forgeant la vision dialectique de l'histoire. Cette méthode d'analyse a permis à Friedrich Engels en 1887 d'anticiper la Première Guerre mondiale : "Et enfin, il n'y a plus pour la Prusse-Allemagne, d'autre guerre possible qu'une guerre mondiale, et, à la vérité, une guerre mondiale d'une ampleur et d'une violence encore jamais vues. Huit millions de soldats s'entr'égorgeront ; ce faisant, ils dévoreront toute l'Europe comme jamais ne le fit encore une nuée de sauterelles. Les dévastations de la guerre de Trente ans, condensées en trois ou quatre années et répandues sur tout le continent ; la famine, les épidémies, la férocité générale, tant des armées que des masses populaires, provoquée par l'âpreté du besoin, la confusion désespérée dans le mécanisme artificiel qui régit notre commerce, notre industrie et notre crédit, finissant dans la banqueroute générale. L'effondrement des vieux États et de leur sagesse politique routinière est tel que les couronnes rouleront par douzaines sur le pavé et qu'il ne se trouvera personne pour les ramasser ; l'impossibilité absolue de prévoir comment tout cela finira et qui sortira vainqueur de la lutte ; un seul résultat est absolument certain : l'épuisement général et la création des conditions nécessaires à la victoire finale de la classe ouvrière... La guerre va peut-être nous rejeter momentanément à l'arrière-plan, elle pourra nous enlever maintes positions déjà conquises. Mais si vous déchainez des forces que vous ne pourrez plus maitriser ensuite, quelque tour que prennent les choses, à la fin de la tragédie, vous ne serez plus qu'une ruine et la victoire du prolétariat sera déjà acquise, ou, quand même, inévitable."
Ce passage prophétique n'est pas dû au génie d'un homme mais bel et bien à la mise en pratique de la méthode marxiste afin d'éclairer la classe ouvrière, pour lui faire comprendre le monde chaotique qu'allait générer l'entrée du capitalisme| dans sa période de décadence. Aujourd'hui comme hier, la réflexion et l’effort d’approfondissement théorique, la dénonciation des mystifications et de l'idéologie bourgeoise font partie ´des tâches des révolutionnaires afin d'éviter au prolétariat de tomber dans les pièges tendus par la classe dominante. Quand la bourgeoisie nie sa totale responsabilité dans le déchaînement de violence qu'a subi l'Europe entre 1914 et 1918, il est de notre devoir de rétablir la vérité, de dénoncer la barbarie engendrée et de donner des cadres d'analyse permettant au prolétariat de se forger une vision claire de la
période qui s'ouvre à partir de 1914. C'est en partie en élaborant une juste analyse du passé que le prolétariat pourra rehausser son niveau de conscience et identifier son véritable bourreau : le capitalisme. Alors, la bourgeoisie pourra trembler devant la détermination du prolétariat à briser ses propres chaînes.
Jodorowsky
Nous publions ci-dessous une contribution signée par « Des camarades algériens (Lecteurs de RI) ». En partant d'un sujet tel que les problèmes de santé, les camarades posent un regard historique et critique qui amène de façon militante à la remise en cause du système capitaliste : « Les maladies ne sont pas des calamités de la nature mais des catastrophes sociales liées au mode de production capitaliste ». Nous partageons l'indignation des camarades, saluons leur volonté de faire appel à la réflexion, à la conscience révolutionnaire des ouvriers et encourageons à poursuivre ce travail précieux. Cependant, en dehors de critiques plus secondaires[1], notre principale critique porte sur la forme anaphorique de leur appel adressé dans cette contribution aux « prolétaires algériens ». Ce que décrivent les camarades dépasse en réalité le cadre de la situation en Algérie. Mais surtout, au-delà même, l'interpellation du prolétariat d'une nation, l'Algérie, ne nous semble pas la meilleure façon de procéder pour défendre au mieux l'unité internationale du combat et partir du mouvement comme un tout. Ceci tend à atténuer le réel souffle internationaliste de la contribution. Nous préférons donc conclure en soulignant davantage la formule sans ambiguïté de la fin du texte : « cette transformation communiste de la société ne peut se faire sans une révolution qui va permettre le renversement du capitalisme au niveau mondial ».
Selon l’OMS[2] « La santé est un état de complet bien-être physique [40], mental [41] et social [42], et ne consiste pas seulement en une absence de maladie [43] ou d'infirmité. »
Qu’en est-il de la santé des prolétaires algériens ?
Pour Hérodote[3], les Berbères[4] étaient une « race d’Hommes au corps saint, agile, résistant à la fatigue ; la plupart succombent à la vieillesse, sauf ceux qui périssent par le fer ou par les bêtes, car il est rare que la maladie les emporte »[5].
On voit bien, d’après Hérodote, que les berbères vivaient longtemps et mouraient de vieillesse et rarement de maladie. Quel est l’état de santé des prolétaires algériens aujourd’hui ?
Il ne s’agit pas de voir comment le système actuel de santé répond aux attentes des citoyens car nous savons, et nous allons le voir plus bas, qu’aujourd’hui, et cela est valable dans tous les pays capitalistes de ce monde, que la médecine ne peut rien face à ces maladies dites dégénératives.
Engagée dans un processus de développement dont l’ouverture à l’investissement étranger est le processus le plus visible, l’Algérie a pris certaines options sur les plans économique et social, ce qui a impliqué des mutations dans la structure sociale du pays et le chamboulement des habitudes et des comportements alimentaires. Bien entendu aux aspects que nous venons de citer, nous pouvons rallonger la liste de toutes les modifications et les chambardements vécus par la société algérienne.
Si ces mutations ont augmenté le niveau de vie des algériens, il en résulte des conséquences pour la santé de la population. La situation sanitaire mérite un examen attentif car si l’espérance de vie à la naissance s’améliore, l’état de santé se dégrade jour après jour.
La population algérienne est estimée, en 2012, à un peu plus de 38 millions d’habitants. Environ 60% de la population vit en milieu urbain. Mais aujourd’hui, il n’y a aucune différence entre la vie à la campagne et celle dans les villes ; les habitudes et les comportements alimentaires sont identiques ; on trouve dans pratiquement chaque maison au minimum un véhicule ce qui implique que les gens marchent peu et se déplacent en voiture.
Depuis le début des années 2000, les taux de prévalences des maladies chroniques sont en pleine hausse en Algérie. L’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires, le diabète sucré, les affections respiratoires chroniques (asthme, bronchite chronique…), les maladies digestives (ulcères digestifs, lithiase biliaire, colopathies), l’insuffisance rénale chronique, les cancers, les maladies mentales, la maladie de Crohn (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin), demeurent les plus grandes menaces pour l'état de santé des algériens, s'ensuivent la morbidité liée à l’environnement social comme : les suicides, les accidents de la route et du travail.
On recense en Algérie près de 20 millions de malades chroniques dont 9 millions d’hypertendus soit un quart de la population et que 44,5 % des décès sont dus aux maladies cardiaques.
Le nombre des diabétiques est passé de un million de personnes en 1993, à plus de 2,5 millions personnes en 2007. En 2011, Le diabète touche 5,1 millions de personnes selon le ministère de la Santé et 7,1 millions selon la fédération des associations des diabétiques, dont 80 000 enfants. Le taux d’atteinte est de 1% chez les familles démunies et 3,5% chez les familles aisées.
Le président du réseau des associations des maladies chroniques a également estimé que plus de 5 millions de la population serait atteinte d’une hépatite.
Concernant le cancer, selon une conclusion du cabinet de consulting et de recherche l’OBG[6], les résultats sont alarmants. OBG a révélé que le taux de prévalence[7] du cancer est passé de 80 cas pour 100 000 personnes dans les années 1990 à 120 cas en 2008. Il devrait atteindre 300 cas pour 100 000 personnes au cours des dix prochaines années et enregistrer un taux comparable à ceux que l’on retrouve aux Etats-Unis (400 cas par 100 000), au Canada et en France (300 cas pour 100 000). En moyenne 40.000 nouveaux cas de cancer sont recensés annuellement. Il faut rappeler que les essais nucléaires effectués par la France[8] à Reggane[9] sont en partie responsable de certains cancers notamment le cancer du sein chez les jeunes femmes.
Le pays compte en parallèle 2,5 millions d’asthmatiques et 5 millions de personnes souffrant de rhinite allergique. L’asthme est la première maladie chronique de l’enfant. La prévalence de cette pathologie serait de 10 à 15% dans les pays développés et de 5 à 10% au Maghreb.
En 2007, l’Algérie compte près de 100 000 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, selon la société algérienne de neurologie, et près de 300 000 Algériens sont épileptiques.
Prolétaires algériens,
Ces chiffres démontrent à eux seuls, l’absence de prévention et de solutions efficaces afin d’inverser la tendance. Les victimes de ces maladies sont toujours les mêmes ; c’est les salariés : « Ces pensionnaires de l'asile, victimes des harengs infects ou du tord-boyaux frelaté, qui sont-ils ? Un employé de commerce, un ouvrier du bâtiment, un tourneur, un mécanicien : des ouvriers, des ouvriers, rien que des ouvriers. Et qui sont ces êtres sans nom que la police n'a pu identifier ? Des ouvriers, rien que des ouvriers ou des hommes qui l'étaient, hier encore. »[10]
Les maladies ne sont pas des calamités de la nature mais des catastrophes sociales liées au mode de production capitaliste qui induit des comportements et des habitudes alimentaires et autres. Pour se rendre compte de cette évidence, il suffit de regarder les statistiques : plus un pays est développé et plus le nombre de malades chroniques est élevé. Ou encore, il suffit de regarder les statistiques algériennes et vous verrez que le pourcentage de cancéreux algériens vivant en France ou au canada est plus élevé que ceux vivant en Algérie.
Le mode de vie (alimentation…), les facteurs environnementaux constituent des facteurs de risques importants des maladies non transmissibles. Selon l’OMS, il existe des facteurs déterminants qui influencent l’état de santé d'une population [44], on trouve :
- Le mode de vie comme l'activité physique, l'alimentation, le travail, les problèmes de toxicomanies. Les rythmes, les cadences de travail ; les gestes inadaptés sont des facteurs très importants sur la santé. Ils entraînent des troubles psychosomatiques et parfois des handicaps pour la vie.
- L’environnement qui est un déterminant majeur de la santé. La pollution [45] qu'elle soit biologique, chimique, due aux radiations ionisantes[11], aux nuisances sonores ou lumineuses, est une source importante de maladies.
Cette hausse des maladies chroniques ou, comme on les surnomme, les maladies dégénératives, est due à ces facteurs de risque, cités plus haut, qui engendrent la détérioration des mécanismes d’autoréparation de l’organisme. Les grandes villes (Alger, Constantine, Oran, Annaba…) et les villes disposant d’industries polluantes constituent des zones à risque pour le développement de ces maladies. Il est à noter que l’on retrouve ces maladies dans les milieux ruraux avec les mêmes proportions que les villes.
Les maladies sont donc, et même l’OMS qui est une organisation bourgeoise l’admet, déterminées par le mode et les conditions de vie (la cadence de travail, l’alimentation, le stress, l’air que l’on respire,..) qui sont eux même déterminés par les exigences de la production. Ce qui nous pousse à dire que chaque mode de production, et donc chaque forme sociale qu’il engendre, a ses propres maladies.
Les maladies comme (le diabète, le stress, l’hypertension, etc.) sont des facteurs de risque de la maladie d’Alzheimer. En effet, l’Alzheimer apparaitrait suite à l’effet combiné de ces maladies, qui en franchissant un certain seuil, empêchent les mécanismes de réparation et d’auto-guérison du cerveau de fonctionner normalement.
Le capitalisme est responsable de toute ces maladies, c’est lui qui pollue, qui nous nourrit, qui augmente la cadence du travail et qui nous stresse : « Messieurs les Conseillers médicaux peuvent toujours rechercher au microscope le germe mortel dans les intestins des intoxiqués et isoler leurs " cultures pures " : le véritable bacille, celui qui a causé la mort des pensionnaires de l'asile berlinois, c'est l'ordre social capitaliste à l'état pur. »[12]
Nous vivons dans une société (mondiale) où tous les comportements et les marchandises tel que : la malbouffe, les logements pleins de produits toxiques (il suffit de penser à l’amiante), la pollution (l’air devient de plus en plus toxique), le dérèglement climatique…, sont déterminés par les nécessités de la production capitaliste. Une société stressée, un stress qui est généré par le travail salarié et une exploitation de plus en plus féroce des travailleurs.
Même la bourgeoisie est consciente de ce danger mais elle reste impuissante et elle essaye juste de limiter les dégâts. Elle ne peut pas faire de la prévention car faire de la prévention c’est se projeter dans le futur, or la société capitaliste est une société immédiatiste c'est-à-dire qu’elle n’a pas de programme et ne peut donc dominer son futur : « Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent »[13]. Si le présent est dominé par le passé alors le futur est dominé par le présent.
La société bourgeoise agit en fonction des événements, elle n’est plus maîtresse de sa destinée, ce sont les lois du capitalisme qui dictent la voie à prendre. Vous allez nous dire que le capitalisme n’est pas une personne, certes, mais « Le capital n'est donc pas une puissance personnelle; c'est une puissance sociale »[14].
Alors qu’un disciple disait à Jésus : « Maître je te suivrai partout où tu iras, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père » et Jésus de lui répondre : « Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts ». Cela veut dire beaucoup de choses. Ça veut dire qu’une société qui n’a pas de perspectives, qui ne peut se projeter dans le futur est une société morte. A l’époque, Jésus représentait la préfiguration de la société future et la société d’alors, qui représentait le présent, était déjà mourante.
De plus, pour la bourgeoisie l’homme n’est qu’une machine, elle a un mépris envers les prolétaires et la nature, cette idée est exprimée par Hobbes : « qu’est ce que le cœur, sinon un ressort, les nerfs, sinon autant de cordons, les articulations, sinon autant de roues ? »[15]. On voit bien le mépris qu’a Hobbes de l’homme. Ce Hobbes qui nous disait que l’homme est un loup pour l’homme.
Partant de cette idée, que l’homme est une machine, et en absence de toute perspective et de toute prévention, la médecine se contente de réparer les malades pour les exploiter par la suite. Tout comme le mécanicien qui répare les voitures en changeant des pièces pour qu’elle soit réutilisable par son propriétaire ; la médecine est réduite à la seule tâche de la maintenance pour que les travailleurs puissent être exploités à nouveau par leur propriétaire (patron).
Cela ne veut pas dire que la médecine n’est pas capable de faire de la prévention mais qu’elle ne peut pas car ce sont les exigences du capital qui déterminent le cheminement à suivre. Le développement de l'industrialisation est le seul facteur qui explique le développement de la santé publique : d'une part pour de simples critères de productivité des ouvriers, d'autre part par la pression des travailleurs.
Ceci prouve autre chose, que la science dans une société divisée en classes sociales est une science de la classe dominante (dans le sens qu’elle est orientée au service des intérêts de la classe qui domine). C’est ce que rappelle, à juste titre, Rosa Luxembourg en réponse au révisionnisme de Bernstein [46] : « Cette doctrine composée des fragments de tous les systèmes possibles sans distinction semble au premier abord complètement libre de préjugés. En effet, Bernstein ne veut pas entendre parler d’une " science de parti " ou, plus précisément, d’une science de classe, pas plus que d’un libéralisme de classe ou d’une morale de classe. Il croit représenter une science abstraite universelle, humaine, un libéralisme abstrait, une morale abstraite. Mais la société véritable se compose de classes ayant des intérêts, des aspirations, des conceptions diamétralement opposées, et une science humaine universelle dans le domaine social, un libéralisme abstrait, une morale abstraite sont pour le moment du ressort de la fantaisie et de la pure utopie. Ce que Bernstein prend pour sa science, sa démocratie, sa morale universelle tellement humaine, c’est tout simplement celles de la classe dominante, c’est-à-dire la science, la démocratie, la morale bourgeoises. »[16]
Prolétaires algériens,
Devant ce malheur qui nous tombe dessus, on va entendre deux voix qui vont essayer de nous consoler, elles vont nous apparaître différentes et opposées mais elles sont, en réalité, les deux faces d’une même médaille.
La première, c’est la voix des amis(es) du peuples, des opportunistes expérimentés, celle des bobos-gauchistes, les champions de l’individualisme tels que : Les trotskistes, maoïstes, staliniens, anarchistes, libertaires, écolos, ou autre Front de gauche. Cette voix nous dira : mangez bio est consommez moins et si on ne fait pas ça, elle nous taxerait de cons. Leur raisonnement absurde les a poussés à lancer un mot d’ordre réactionnaire et petit bourgeois : « Solution locale pour un désordre global», en gros : on s’occupe de notre petite vie et notre propre gueule et au diable le reste de l’humanité.
La deuxième, c’est celle du grand capital qui nous dira : ne vous inquiétez pas, faites confiance à la science, elle trouvera les solutions. Mais nous avons vu avec Rosa Luxembourg, qu’il n’y a pas de science universelle, que la science est une science au service des intérêts de classe dominante, et qu’elle répond aux impératifs de la production et à la logique du profit, en gros elle est au service du capital.
Cette deuxième voix va encore essayer de nous tromper en nous faisant miroiter que, grâce au progrès de la science et du capitalisme, la durée de vie des Algériens est passée de 50 ans en 1962 à presque 73 ans en 2010.
Pour répondre à ce mensonge longtemps véhiculé par la bourgeoisie, on aimerait laisser parler un chrétien qui a su déchiffrer les textes bibliques, au lieu de les prendre à la lettre comme le fait le religieux ordinaire ou les rejeter comme le fait le libre-penseur bourgeois ordinaire, voici ce qu’il dit :
« Il est encore une chose communément admise dans cette fin des siècles, c’est cet immense mensonge de plus de la part des scientifiques qui affirment avoir augmenté la durée de vie de l’homme de plus de trente ans ! De quarante ans, disent-ils, qui était sa durée de vie autrefois, nous l’avons portée à soixante-quinze ans aujourd’hui ! A la suite de quoi, vous dites : les scientifiques sont des dieux ayant le pouvoir de rallonger la vie des créatures ! Soutenons-les dans leurs recherches qui aboutiront à la vie éternelle.
Leur affirmation est une vanité et une confusion de plus car, dans les temps antiques, la durée de vie des hommes était égale à celle d’aujourd’hui. Moïse en témoigne dans le quatre-vingt-dixième psaume, lorsqu’il prie le Père de tourner ses regards sur eux. Il dit :
Tous nos jours disparaissent par ton courroux ;
Nous voyons nos années s’évanouir comme un son.
Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans,
Et, pour les plus robustes, à quatre-vingts ans ;
Et l’orgueil qu’ils en tirent n’est que peine et misère,
Car il passe vite, et nous nous envolons.
Puisque Moïse mentionne clairement que la durée de vie des hommes était autrefois de soixante-quinze ans en moyenne, et non de quarante ans, comment alors les scientifiques de ce jour osent-ils prétendre l’avoir portée à soixante-quinze ans ? Encore un peu, et ils affirmeraient sur les toits que les êtres sont les ouvrages de leurs mains !
Sachez également qu’avant Moïse les hommes déterminaient leur âge en années lunaires. A chaque nouvelle lune, ils ajoutaient une année au nombre de leurs années. Il suffit alors de diviser, disons, par treize (les treize mois lunaires) pour comprendre qu’Adam qui vécut neuf cent trente ans selon l’Écriture, vécut un peu plus de soixante et onze de nos années actuelles. Seth vécut neuf cent douze ans, soit : soixante-dix ans. Enosch vécut neuf cent cinq ans, soit : soixante-neuf ans et six mois. Et ainsi de suite pour tous les âges donnés en années lunaires. »[17]
On voit bien que non seulement le capitalisme n’a rien apporté à l’humanité en terme d’espérance de vie mais au-delà de ce mensonge que nous voyons s’effriter devant nos yeux, nous sommes en droit d’affirmer que ce système prive même ceux qui pourraient être en bonne santé de la possibilité de l’être, et les fins de vies arrivées comme l’aboutissement de la vitalité humaine et du passage de la vie vers la mort devient un exercice d’horreur et de souffrance et pour les mourants et pour leurs familles.
La citation qui va suivre est peut-être longue pour le lecteur, mais on n’a pas pu résister au désir de la citer en entier car elle nous parait résumer et projeter une lumière fulgurante sur l’état du monde dont lequel le capitalisme l’a mis « Oui, il se peut que vous y parveniez si les mensonges et les calamités du monde qui en sont les conséquences ne vous échappent pas :
Les intelligents règnent certes, mais les nations brûlent !
Les hommes s’entassent comme des sauterelles dans les villes et se corrompent ;
La violence progresse ;
Les pays se couvrent d’armes diaboliques et de militaires avides de sang ;
Les menaces s’accroissent, les guerres se multiplient ;
Les villes rongent les parties voisines en se développant comme des tumeurs ;
Des sites sont défigurés, d’autres contaminés ou interdits ;
Et la campagne effraie désormais.
La servitude s’intensifie ;
Les faibles sont méprisés, opprimés ou rejetés ;
Les pauvres sont délaissés, et les enfants manipulés ;
Les vieillards sont abandonnés ;
Des peuples entiers souffrent de famine.
Les espèces sont dénaturées par ceux qui ne font aucun cas de la création ;
Tout ce qui est naturel disparaît ou devient abominable aux yeux de tous.
La mer est pillée ;
La surface de la Terre est souillée et meurtrie, ses entrailles sont bouleversées ;
Les forêts disparaissent ;
Les cours d’eau se putréfient ;
L’eau potable diminue ;
Les machines de fer jettent les hommes et le bétail par-dessus bord, quand elles ne Les écrasent et les tuent ;
Les maladies prolifèrent, s’aggravent et augmentent leur étendue ;
Les espèces animales se raréfient, beaucoup ne sont plus que des souvenirs ;
L’ordre de la nature est gravement ébranlé.
Les valeurs de l’existence sont foulées au pied ;
La foi et l’espérance se sont envolées ;
La sagesse et le bon sens n’existent plus ;
Les jeunes gens se désespèrent, un grand nombre se donne la mort.
Et vous ne seriez pas en mesure de remettre en cause vos propres convictions ?
Ô ! Homme, où est ta gloire ? »[18].
Malgré son appartenance à la religion chrétienne, il n’en demeure pas moins que les faits et la description qu’il donne de notre monde colle comme un masque sur la réalité. C’est pour cette raison que nous sommes passés outre sa doctrine. La conclusion de cette citation envoie l’homme à un retour vers la gloire à travers la foi, mais vous le savez comme nous, chers prolétaires, que c’est ici bas, sur terre, que réside le combat de l’homme.
Prolétaires algériens,
Face à ce mensonge exprimé par les voix précédentes, il existe une autre voix, c’est la voix de la Gauche communiste, la voix du marxisme authentique, celle du marxisme révolutionnaire. La gauche communiste est anti-réformiste, antirévisionniste, antistalinienne et anti-trotskiste. Cette voix nous dit ceci : « Solution globale (qui est le communisme) contre le désordre global (qui est le capitalisme) ».
Dans la société communiste, « c'est le présent qui domine le passé. »[19] Et donc le futur va dominer le présent. La production sera orientée en fonction des besoins de l’humanité et non en fonction des besoins du capital et elle sera respectueuse de la nature et donc de l’homme : « Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d'elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s'attendre à jeter par là les bases de l'actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d'accumulation et de conservation de l'humidité. Les Italiens qui, sur le versant sud des Alpes, saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de soins sur le versant nord, n'avaient pas idée qu'ils sapaient par là l'élevage de haute montagne sur leur territoire; ils soupçonnaient moins encore que, ce faisant, ils privaient d'eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l'année et que celles ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d'autant plus furieux. Ceux qui répandirent la pomme de terre en Europe ne savaient pas qu'avec les tubercules farineux ils répandaient aussi la scrofule. Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement.»[20]
Les vêtements et les produits cosmétiques, par exemple, seront fabriqués en respectant les fonctions biologiques du corps comme la transpiration, de même pour la nourriture, les pesticides seront bannis. Le stress au travail sera éliminé car le travail ne sera plus une exigence du capital mais comme disait Marx « il sera le premier loisir de l’homme ». La diminution drastique du temps de travail permettra à chacun de consacrer du temps à la lecture et à d’autres loisirs tels que la pêche, la musique, le sport, les études, l’art,… Cela permettra la fin de la division sociale du travail qui était, à un moment de l’histoire, un moteur de développement mais qui, aujourd’hui, représente un frein pour l’humanité. Cela permettra aussi la fin de la spécialisation : il n y aura plus de maçon, de médecin, d’artiste, de prof… mais chacun d’entre nous pourra être tout ça à la fois. Dans la société communiste « la production sociale, dans laquelle production et répartition sont planifiées peut élever les hommes au dessus du reste du monde anima; au point de vue social de la même façon que la production en général les a élevés en tant qu'espèce. »[21]
Mais cette transformation communiste de la société ne peut se faire sans une révolution qui va permettre le renversement du capitalisme au niveau mondial.
La classe ouvrière, avec son parti politique de classe, est la seule classe capable de mener à bien la révolution communiste. La lutte révolutionnaire conduit nécessairement la classe ouvrière à une confrontation avec l’État capitaliste. Pour détruire le capitalisme, la classe ouvrière devra renverser tous les États et établir la dictature du prolétariat à l’échelle mondiale : le pouvoir international des conseils ouvriers, regroupant l’ensemble du prolétariat.
La transformation communiste de la société par les conseils ouvriers ne signifie ni «autogestion», ni «nationalisation» de l’économie. Le communisme nécessite l’abolition consciente par la classe ouvrière des rapports sociaux capitalistes : le travail salarié, la production de marchandises, les frontières nationales. Il exige la création d’une communauté mondiale dont toute l’activité est orientée vers la pleine satisfaction des besoins humains.
Le cancer est pour le corps ce que le capitalisme est pour la société.
Parce qu’en étant sortis de la nature, nous nous sommes dénaturés forcément.
Des camarades algériens (Lecteurs de RI[22])
[1] Notamment l’idée sous-jacente qui traverse la contribution selon laquelle l’espérance de vie n’aurait en rien progressé depuis l’époque de Moise. Cette vision schématique nous parait totalement erronée, réductrice et meme caricaturale, paraissant rejeter en bloc les progres de la médecine, y compris dans le capitalisme qui sont précisément, surtout aux 19e et 20e siécles réels et vérifiables.
[2] Organisation Mondiale de la Santé
[3] Hérodote né vers 484 avant notre ère [47] à Halicarnasse [48] en Carie [49] (actuellement Bodrum [50] en Turquie [51]), mort vers 420 av. J.-C. [52] à Thourioi [53], est un historien [54] grec [55]. Dans son quatrième livre, Hérodote énumère tous les peuples qui, selon lui, vivaient en Afrique du Nord et dans le Sahara.
[4] Les Berbères (Imazighen et au singulier Amazigh), sont un ensemble d'ethnies [56] autochtones d'Afrique du Nord [57]. Ils occupaient, à une certaine époque, un large territoire qui allait de l'ouest de la vallée du Nil [58] jusqu'à l'océan Atlantique [59], Les îles Canaries et l'ensemble du Sahara et y fondèrent de puissants royaumes, formés de tribus confédérées. Connus dans l'Antiquité [60] sous les noms de Libyens [61], Maures [62], Gétules [63], Garamantes [64] ou encore Numides [65]. . « Tout le pays qui s'étend depuis l'Egypte jusqu'au lac Tritonis est habité par des Libyens nomades […] Les peuples à l'occident du lac Tritonis ne sont point nomades. » Hérodote, IV, 186-187.
[5] Kaddache (Mahfoud), L’Algérie des Algériens, de la préhistoire à 1954, page 20.
[6] Oxford Business Group
[7] En épidémiologie [66], la prévalence est une mesure de l'état de santé d'une population à un instant donné.
[8] Dans les années 1960, l'armée française [67] réalisa les premiers essais nucléaires [68] au Centre Saharien d'Expérimentations Militaires (CSEM), situé dans la région de Reggane en Algérie
[9] Reggane est une commune [69] de la wilaya d'Adrar [70], située au nord du désert [71] du Tanezrouft [72].
[10] Rosa Luxemburg, Dans l'asile de nuit, 1er janvier 1912
[11] Un rayonnement ionisant est un rayonnement [73] capable de déposer assez d'énergie dans la matière [74] qu'il traverse pour créer une ionisation [75]. Ces rayonnements ionisants, lorsqu'ils sont maîtrisés, ont beaucoup d'usages pratiques bénéfiques (domaines de la santé [76], industrie [77]…) Mais pour les organismes vivants, ils sont potentiellement nocifs à la longue et mortels en cas de dose élevée.
[13] Marx/Engels Le Manifeste du parti communiste, 1848
[14] Marx/Engels , Ibid.
[15] Hobbes, Le Léviathan
[16] Rosa Luxembourg, Réforme sociale ou révolution, 2e partie, chapitre « L’effondrement [78] », 1898
[17] Le Livre de Vie de l'Agneau, Depuis le 15 décembre 2000, la version originale de cet ouvrage se trouve sur le site : www.lelivredevie.com [79]
[18] Ibid.
[19] Marx/Engels, Manifeste du parti communiste.
[20] Engels, « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme », in La dialectique de la nature 1876.
[21] Engels, Ibid .
[22] Révolution internationale (organe de presse du Courant Communiste International en France)
La grève des pilotes d'Air France du mois de septembre a fait les gros titres de la presse et chacun y est allé de sa traditionnelle tirade fustigeant la "grève des privilégiés", la "prise en otage des usagers", le "sabotage d'une compagnie qui sortait du rouge". Bref, rien de moins que le traditionnel bruit de fond des médias totalement aux ordres du Capital. Mais au-delà, quelles leçons peut-on retenir de ce conflit ? Pourquoi tant de publicité ?
Cette grève des pilotes, très suivie, a cloué au sol plus de la moitié de la flotte pendant 14 jours. Elle a impliqué une majorité de pilotes qui refusaient l'orientation donnée à Transavia, filiale d'Air France depuis 2007, fournissant surtout des vols charters ponctuels ou saisonniers, désormais appelée à se transformer en véritable compagnie low cost, capable de concurrencer les géants EasyJet et Ryanair.
De fait, Transavia Europe et France sont amenées à récupérer une partie croissante de l'activité d'Air France, avec délocalisation de l'emploi vers ces filiales aux conditions de travail et de rémunération nettement plus dégradées. Les personnels navigants (pilotes et hôtesses) de Transavia France sont déjà payés environ 20% de moins que ceux de la maison mère pour voler un nombre d'heures supérieur. La direction mise donc sur le développement du low cost pour employer des pilotes sous droit portugais, polonais ou autre, afin de réduire encore davantage les coûts du personnel.
Face à cette nouvelle attaque, les grévistes réclamaient la création d'un " contrat de pilote unique" pour que tous les pilotes du groupe travaillent aux conditions d'Air France, quelle que soit l'enseigne. La direction, évidemment, ne l'a pas entendu de cette oreille. Il n'y a pas trente-six solutions pour faire du low cost : pour une compagnie comme Ryanair, la masse salariale représente 13% des coûts contre 30% à Air France !
Pendant 14 jours, tout a été entendu de part et d'autres, donnant rapidement l'impression d'une confrontation très dure et sans issue. La réalité, c'est qu'un véritable partage du travail entre tous les acteurs officiels de la grève (direction et gouvernement) a fait pourrir la situation afin de torpiller la riposte légitime des pilotes. Chacun des protagonistes institutionnels s'est ainsi dressé pour contrer la colère des grévistes en multipliant les déclarations assassines. Celles bien sûr des médias classiquement défavorables à la grève, s'opposant au SNPL (Syndicat National des Pilotes de Ligne) majoritaire chez les pilotes, syndicat qui a joué la carte du faux radicalisme, du repli sur soi en affichant une détermination de façade. Beaucoup plus directement et frontalement face à ce SNPL, présenté comme "intransigeant", "jusqu'au-boutiste", la direction de la compagnie y est allée de son couplet sur le "désastre" d'une grève qui allait coûter les yeux de la tête et plomber à nouveau Air France ! Tout cela, appuyé encore par le gouvernement socialiste qui, semblant jouer le rôle d'un arbitre ferme, sommait les grévistes d'arrêter une grève "injustifiée". A leur tour, les autres syndicats de l'entreprise, généralement anti-grève (comme la CFDT) sont venus prêter main forte pour démoraliser et enterrer ainsi la combativité des pilotes. Tous ont été "solidaires" pour stigmatiser et isoler définitivement les pilotes, les dénoncer, cristalliser contre eux le mécontentement soigneusement attisé et entretenu, dénaturer complètement le sens de leur lutte. Un formidable isolement où les pilotes ont été présentés comme des "enfants gâtés" (sic) qui ne pensent qu'à leurs "privilèges", leurs "salaires de nababs" et avec lesquels aucune solidarité ne serait possible, ni même acceptable, aux dires de ces mêmes syndicats ! Pourtant, d'autres salariés d'Air France se sont posés la question de rejoindre le mouvement comme le personnel d'escale, par exemple. Mais pas question ! Les syndicats n'ont même pas joué l'illusion de l' "unité" ou exprimé une solidarité concrète aux grévistes comme ils savent si bien le faire pour mieux encadrer et isoler les luttes afin de les défaire : au contraire, c'était la CFDT ou la CGC qui jugeaient la grève "indécente" et accusaient les pilotes de "mettre en danger l'ensemble du personnel d'Air France". La CGT, premier syndicat d'Air France, elle, "ne condamne pas ce mouvement de grève sans pour autant soutenir le contenu ultracorporatiste de ses revendications". Plus hypocrite, tu meurs !
Les syndicats, champions toutes catégories du corporatisme et de la "spécificité catégorielle" dans les luttes, devenaient pour l'occasion les pourfendeurs de cet "ultra corporatisme" ! Pour renforcer la lutte ? L'étendre ? Pour crier "tous ensemble, tous ensemble" dans un vrai mouvement solidaire ? Pas du tout ! Pour mieux la diviser et l'enfermer…
Rien à voir donc avec une quelconque extension de la lutte ou la défense des intérêts ouvriers ! Unité, certes, mais contre la grève ! Les pilotes étant purement et simplement dénoncés comme de purs "égoïstes", aux conditions de travail et de salaires presque "honteuses" alors que des milliers d'ouvriers subissent la crise, eux ! Les pilotes ont été carrément dénoncés comme des "saboteurs de l'économie nationale" qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et ne sont en rien "solidaires" pour défendre l'économie de la nation. Et derrière toutes les déclarations gouvernementales et syndicales, on avait l'impression que les slogans staliniens des années 1930 étaient pratiquement remis à l'honneur : "La grève est l'arme des trusts", "il faut savoir arrêter une grève" !
Ce poison du nationalisme a été distillé du début jusqu'à la fin pour en faire la question centrale de la lutte : lutter oui… mais pour défendre l'économie nationale avant tout ! En clair, les pilotes devraient participer à "l'effort de la nation" comme tout le monde, eux encore plus que les autres vu leur niveau de salaires et leurs avantages… La seule solidarité possible serait celle qui s'applique à cet effort, celui du sacrifice ! Sans ce souci patriote, la lutte serait à rejeter ! Voilà, le vrai message.
Face à cette immonde propagande, le SNPL en a rajouté une couche, répliquant qu'au contraire, la revendication du "contrat unique" était la véritable défense de l'emploi "en France", la défense d'un low cost "made in France". Et le SNPL d'appeler ainsi les pilotes à revêtir la "marinière" nationale chère à l'ex-ministre Montebourg en gage de leur souci patriote. Bref, défense de l'intérêt national, maintenant et partout ! Le message s'adressait bien évidemment aux pilotes qui "plombaient" les comptes d'Air France de 20 millions d'euros par jour et "plombaient l'image de la France" face aux usagers étrangers, mais il s'adressait de manière encore plus sournoise à tous les ouvriers, employés, cadres, agents de l'Etat qui sont et seront amenés à réagir face aux attaques qui vont pleuvoir : la défense de vos conditions de vie, de travail, la défense de vos salaires… est "indécente" quand des millions de personnes sont dans une situation encore plus précaire et misérable que la votre ! Voilà encore le second message fort : la véritable solidarité avec les "autres couches sociales" c'est dans la contribution à l'effort national, dans la limitation des revendications catégorielles, qui ne doivent surtout pas entraver une exploitation accrue et jugée absolument nécessaire.
Et les pilotes dans tout cela ? Au-delà de tout ce qu'on a pu leur faire dire et essayé de leur faire croire, ils n'ont fait que réagir à une attaque qui concerne l'ENSEMBLE du personnel d'Air France, l'ENSEMBLE de la classe ouvrière, attaque qui n'est qu'une concrétisation supplémentaire des attaques plus générales sur les salaires et les conditions de travail en France comme partout dans le monde capitaliste. Sur son blog, un pilote témoigne : "Nous ne nous battons pas pour nous, surtout les vieux qui comme moi sont sur long courrier… Ce qui est sur la table n'est que la première étape d'un processus bien orchestré : la création d'une compagnie pan-européenne de droit portugais (très proche de l'irlandais) afin de délocaliser pour commencer les emplois les plus facilement délocalisables : les pilotes (…). Ensuite, ce sera le personnel de cabine (…). Ensuite, qu'est ce qui se passe ? Restent les non-délocalisables : le personnel au sol (…). Ils n'ont plus de boulot, puisque les escales de base sont maintenant nombreuses à l'étranger, bien installées en Tchéquie, Portugal, Grèce et, si ceux-ci deviennent trop chers, en Bulgarie, Roumanie (…) C'est cela que nous combattons, cet avenir, pour les jeunes pilotes, les enfants, les vôtres peut-être, qui souhaiteraient exercer ces métiers (…) Ceux qui ne comprennent pas cela aujourd'hui, ou ne veulent croire qu'à la propagande de nos élites dirigeantes devront s'en souvenir quand leur tour et celui de leurs enfants sera venu."
Tout le battage contre la grève s'est bien sûr cristallisé sur les salaires des pilotes ou commandants de bord grévistes. Il est évident que ces salaires ne sont pas du même ordre que le salaire minimum ou les salaires standards d'une majorité de salariés. Et les pilotes ne l'ont jamais nié. L'État, les syndicats, la presse ont eu beau jeu de s'appuyer sur les montants de ces salaires pour dénoncer les "nantis" face aux "vrais ouvriers" qui, eux, pourraient seuls avoir de véritables revendications. Tous ont bien fait passer le message que les pilotes ne sont pas des ouvriers ou employés, qu'ils n'appartiennent pas à la classe ouvrière.
A ce petit jeu du diviser pour mieux régner, la bourgeoisie sait faire depuis toujours. Pourtant, les pilotes n'ont que leur force de travail, comme la majorité des salariés et des chômeurs. Certes, cette force de travail est bien rémunérée jusque-là, avec des responsabilités et des contraintes que l'État sait leur faire payer, en cas de catastrophe aérienne, par exemple. Il en est de même d'une majorité d'ingénieurs et de "cols blancs" qui pendant longtemps ont été considérés comme privilégiés et qui maintenant commencent généralement leur carrière avec un emploi précaire et un salaire minimum.
Cette affirmation que les pilotes ne font pas partie de la classe ouvrière (comme c'est aussi le cas pour d'autres "cols blancs") est peut-être l'attaque la plus grave, la plus profonde, car elle sabote la notion d'identité ouvrière qui est essentielle pour la lutte, pour le combat prolétarien. La faiblesse de cette identité de classe aujourd'hui ne permet pas aux luttes prolétariennes, partout dans le monde, de se porter au niveau nécessaire pour déboucher sur la remise en cause du capitalisme et de sa barbarie. Cette faiblesse, malgré le développement des expériences, la réflexion bien réelle qui se mène dans les rangs ouvriers, ne permet pas encore d'envisager la transformation radicale de la société pour la satisfaction des besoins humains. Aujourd'hui, la bourgeoisie en ajoute une couche dans la division, dans la confusion ; poussant tous les ouvriers à s'opposer entre eux, à se méfier les uns des autres, à se considérer comme de simples "catégories socio-professionnelles" aux intérêts divergents, non comme des frères de classe dont l'intérêt est commun.
Le prolétariat a besoin de prendre conscience de lui-même, d'avoir conscience d'être une force sociale qui permet la lutte révolutionnaire et qui sait faire preuve de solidarité, d'unité face aux exploiteurs. Ceci est rendu très difficile depuis plus de deux décennies, la confiance ayant été attaquée en permanence, la bourgeoisie nous rabâchant que le communisme, que la classe ouvrière, étaient morts et enterrés sous les gravats du mur de Berlin ! La chanson dure encore et toute occasion est bonne pour affirmer une prétendue "disparition des ouvriers", pour profiter du manque de perspective autre que celui de la défense de l'État face à la crise.
Officiellement, Transavia Europe n'existe plus, la direction aurait reculé. Mais tout ceci est faux : Transavia France continue et officieusement, Transavia Company est une nouvelle entité économique low cost qu'Air France a enregistré au Portugal en plein milieu de la grève elle-même !
Le message, là-encore, est clair : la lutte ne paie pas, tout ça pour ça ? Sur un plan immédiat, la bourgeoisie a gagné.
Ce conflit va laisser des traces durables sur les relations entre les pilotes et les autres catégories de personnel alors que les nouvelles attaques vont tomber. Mais il n'y aura pas d'autre choix que de réagir, de tirer les véritables leçons de cette lutte pour repartir au combat et dépasser les divisions.
Stopio (13 octobre 2014)
Nous publions, suite à un premier courrier disponible sur le site du CCI,[1] la réponse des "camarades algériens" à notre principale critique qui portait sur la question du nationalisme. Nous saluons cette nouvelle contribution qui prend en compte les arguments avancés pour faire vivre et progresser le débat. Nous pensons que la confrontation des idées au sein du milieu révolutionnaire doit s'établir ainsi, sur des bases franches et directes, sans défense, ni attaque des personnes, afin de permettre une réelle clarification. Cette manière de débattre est vitale et constitue une des dimensions essentielles du combat pour la lutte de classe et le futur révolutionnaire.[2] La démarche des camarades dans cette nouvelle contribution est fructueuse parce qu'elle s'inscrit dans cette tradition en faisant référence à l'expérience du mouvement ouvrier et à l'histoire. Le regard critique qu'ils portent en revenant sans concession sur ce qu'ils reconnaissent comme une erreur de leur part nous conduit à la racine du problème. Comme le reconnaissent les camarades : "Nous sommes en Algérie, et le nationalisme algérien est l'un des plus puissants. On le retrouve partout, dans toutes les organisations politiques : chez les trotskistes, chez les staliniens, chez les islamistes, chez les démocrates, chez les maoïstes et surtout au sein de l'Etat, à la radio, à la télé, etc. Le nationalisme est notre ennemi car il constitue une arme de division très puissante et un poison pour le prolétariat". Ni les organisations communistes, ni les révolutionnaires ne sont, selon les termes des camarades, "étanches aux influences de notre société". L'organisation révolutionnaire est un corps étranger au sein du capitalisme, en guerre contre celui-ci. Elle subit de manière constante les pressions et les agressions de l'idéologie dominante.
En tentant d'approfondir la question, les camarades soulignent justement ceci : "nous avons réfléchi profondément à cette question et nous considérons que le même problème a infecté les plus grands des révolutionnaires". Le nationalisme a, en effet, toujours été une idéologie étrangère très puissante et aucune organisation, ni aucun militant ne sont immunisés. Mais nous pensons que les camarades, entraînés par la dynamique de leur pertinente réactivité, adoptent une démarche un peu schématique lorsqu'ils affirment ceci : "Nous avons cherché le fonctionnement des trois Internationales, et nous considérons qu'elles n'étaient pas aussi internationalistes que ça. Nous avons remarqué que les trois Internationales ne formaient pas un tout, mais un rassemblement de partis qui étaient indépendants les uns des autres et chaque parti représentait le prolétariat de son pays". Les camarades paraissent un peu prisonniers d'une vision statique et trop catégorique. Si bien des faiblesses ont présidé à l'émergence des trois Internationales ouvrières qui se sont succédées, ces dernières étaient avant tout et dès le départ le produit d'un effort et d'un combat internationaliste du prolétariat. Le fait qu'on puisse considérer que les Internationales n'étaient "pas aussi internationalistes que ça" risque, si on n'y prend pas garde, d'occulter la réalité historique de tout un combat en faveur de l'internationalisme. Le danger serait de rejeter certains apports du passé en projetant sur celui-ci le fruit de ce qui est davantage l'aboutissement d'un processus fait d'expériences organisationnelles que la Gauche communiste, en particulier la Gauche italienne, synthétisa plus tard. Ceci étant, les camarades ont tout à fait raison de souligner la réalité des faiblesses importantes qui pesaient sur les organisations du passé et leurs "partis nationaux" qui "n'étaient pas des sections des Internationales mais indépendants les uns des autres". Mais cela ne doit pas occulter la réalité d'un combat constant en faveur de l'internationalisme, même s'il a surtout été incarné par les minorités les plus claires et les plus déterminées qui se sont élevées contre le poison idéologique du nationalisme.[3] Tout ceci reste naturellement à approfondir. Mais le souci des camarades soulignant que "les communistes doivent s'organiser directement en parti communiste mondial" est aujourd'hui profondément valable.
La seconde partie de cette contribution revient de façon critique sur la question de la médecine qui avait été abordée pour insister sur le fait que le capitalisme traite les ouvriers comme des objets, comme de simples machines à produire et qu'il faut "réparer". Les camarades ont raison de dire : "Nous sommes convaincus que chaque mode de production engendre des maladies qui lui sont propres et qui sont liées à l'organisation même de la société qu'il engendre". Pour autant, il nous semble réducteur, et même erroné, de considérer que le capitalisme décadent cesse complètement de poursuivre ses avancées scientifiques, y compris sur le plan médical. Les camarades se sont expliqués en soulignant qu'ils avaient "trop exagéré". Nous comprenons ainsi mieux ce qu'ils veulent dire quand ils affirment que "les médecins sont réduits à de simples Techniciens Supérieurs en Gestion et Maintenance Humaine", bien loin de l'approche du célèbre Hippocrate. Les progrès réalisés aujourd'hui témoignent de tout un potentiel et il nous semble peut être plus juste de le considérer comme stérilisé par les limites du mode de production capitaliste. Soumises à la loi du profit, toutes les découvertes les plus impressionnantes sont nécessairement insuffisantes pour guérir les maux toujours croissants et insoutenables générés par la société bourgeoise. Sur ce plan, les camarades ont parfaitement raison. Seul le communisme pourra faire fructifier les connaissances en permettant à la société de réaliser un bond fantastique. C'est ce que suggèrent aussi les camarades avec leurs propres mots de conclusion que nous soutenons aussi. Nous encourageons bien entendu à poursuivre la réflexion et le débat sur ces questions qui touchent à la vie du prolétariat.
RI (décembre 2014)
Chers(es) camarades,
Tout d'abord, nous tenons à remercier les camarades du CCI d'avoir publié notre texte. Nous sommes aussi ravis des remarques et critiques qui nous ont été faites et que nous considérons comme importantes.
La première, la plus importante, celle concernant notre appel aux prolétaires algériens seulement. Ici la critique du CCI est capitale, mais notre geste s'explique facilement.
Paradoxalement, nous sommes profondément internationalistes et internationaux mais comme disait Marx/Engels, nous sommes les produits de notre temps et de notre espace. Malgré notre internationalisme intransigeant, on n'est pas étanche aux influences de notre société, comme disait Hegel : "tu ne peux pas être mieux que ton temps, mais au mieux, tu seras ton temps".
Individuellement, nous ne pouvons échapper à cette loi, le seul moyen d'y échapper c'est une organisation ou un parti. La preuve, nous avons commis une bêtise et on a été vite corrigé par une organisation. Chose qu'un individu peut ne pas remarquer. Nous profitons pour souligner que notre soucis, c'est le prolétariat mondial, et qu'il y a un prolétariat et il est mondial.
Nous sommes en Algérie, et le nationalisme algérien est l'un des plus puissants. On le retrouve partout, dans toutes les organisations politiques : chez les trotskistes, chez les staliniens, chez les islamistes, chez les démocrates, chez les maoïstes et surtout au sein de l'Etat, à la radio, à la télé, …etc. Le nationalisme est notre ennemi car il constitue une arme de division très puissante et un poison pour le prolétariat. Les trotskistes algériens (PT et PST) sont des fervents défenseurs du patriotisme économique, on vous laisse imaginer la conception des staliniens algériens. Comme nous sommes un petit groupe, même pas organisé, on tombe facilement dans les limites fixées par le capitalisme. Mais grâce à votre critique, nous avons réfléchi profondément à cette question, et nous considérons que le même problème a infecté les plus grands des révolutionnaires.
Nous avons cherché le fonctionnement des trois Internationales, et nous considérons qu'elles n'étaient pas aussi internationalistes que ça. Nous avons remarqué que les trois Internationales ne formaient pas un tout, mais un rassemblement de partis qui étaient indépendants les uns des autres et chaque parti représentait le prolétariat de son pays.
Inconsciemment, les communistes d'alors, même s'ils étaient profondément internationalistes, se sont organisés de manière nationale dans une Internationale. Les partis communistes ou socialistes de cette époque-là étaient des partis nationaux, des partis de telle ou telle nation et ils avaient une liberté vis-à-vis de l'Internationale et surtout, ils n'étaient pas des sections des Internationales mais des partis indépendants les uns des autres.
Seule la Gauche communiste d'Italie avait essayé de corriger ça en se donnant le nom du "Parti Communiste d'Italie" pour signifier que c'est une section locale de la 3ème Internationale, que les staliniens "Gramsci en tête" ont vite changé le nom en "parti communiste italien".
Nous pensons qu'à l'avenir, les communistes doivent s'organiser directement en parti communiste mondial et non en une Internationale, et que dans chaque pays, il y aura, non pas des partis indépendants les uns des autres mais, des sections locales du parti communiste mondial.
Donc, nous renouvelons cette phrase ; "prolétaires de tous les pays, unissez-vous".
Il est vrai que nous avons trop exagéré, peut-être parce que nous sommes algériens ou méditerranéens, en disant que la médecine n'a rien apporté à l'humanité avec l'avènement du capitalisme. Mais ce que nous voulons démontrer à travers les citations, et même la démographie le dit, c'est que, lorsqu'on dit que l'espérance de vie au Moyen-Age était de 40 ans, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des personnes qui vivaient jusqu'à 80 ans et plus, car l'espérance de vie est une moyenne qui va de la naissance, âge 0, jusqu'à la mort.
Nous voulons aussi montrer comment la bourgeoisie se ridiculise en se comparant au Moyen-Age, à l'Antiquité et aux hommes primitifs, alors qu'elle prétend que, grâce à elle, l'humanité a atteint le summum du progrès. Franchement elle ne se ridiculise pas ?
Pourquoi nous avons dit que la médecine n'a rien apporté pour l'humanité ?
Nous sommes convaincus que chaque mode de production engendre des maladies qui lui sont propres et qui sont liées à l'organisation même de la société qu'il engendre.
La médecine d'aujourd'hui a éliminé les maladies des anciens modes de production (les maladies infectieuses, même si certaines maladies reviennent et sévissent encore).
Par contre, concernant les maladies dites de la civilisation que le capitalisme a engendrées, la médecine reste impuissante et les médecins sont réduits à de simples Techniciens Supérieurs en Gestion et Maintenance Humaine.
Il y a 2500 ans, Hippocrate disait dans son article, Des airs, des Eaux et des Lieux : "Le médecin qui fait honneur à sa profession est celui qui tient compte, comme il convient, des saisons de l'année et des maladies qu'elles provoquent ; des états du vent propres à chaque région et de la qualité des eaux ; qui observe soigneusement la ville et ses environs pour voir si l'altitude est faible ou importante, si le climat est chaud ou froid, sec ou humide ; qui, en outre, note le genre de vie et, en particulier, les habitudes alimentaires des habitants, bref toutes les causes qui peuvent entraîner un déséquilibre dans l'économie animale.". Voilà ce que nous appelons médecine. Hippocrate savait que la santé et l'environnement sont liés. Ils forment un tout indissociable. Il y a une interaction entre biologie, écologie, le socio-culturel, les valeurs culturelles, le socio-économique, et le psychologique. Ils forment une chaîne associative complexe.
Mais l'idéologie du progrès dans la société capitaliste a limité la médecine au biologique, aux vaccins pour protéger les populations. On tombe malade puis on nous soigne (s'ils peuvent), le contraire d'Hippocrate. Pour la médecine d'aujourd'hui : "un facteur pathogène, une maladie".
La pensée des médecins d'aujourd'hui est biologique, celle d'Hippocrate est écologique, culturelle, environnementale, socio-culturelle, biologique, psychologique et socio-économique.
La pensée d'Hippocrate a toute son importance aujourd'hui avec l'apparition des maladies dites de civilisation pour ne pas dire les maladies du capitalisme. Mais comme capitalisme et environnement sont incompatibles, alors on est dans le caca.
Aujourd'hui, il y a de plus en plus de maladies qui surgissent et qui touchent une infime partie de la population et qu'on surnomme soit "maladies rares" soit "maladies auto-immunes".
Ces maladies seront les maladies de tout le monde demain. Ce sont des maladies modernes, générées par le capitalisme. Elles vont se généraliser, elles ne seront plus des maladies rares et ce jour-là, le cancer paraîtrait comme un rhume face à ces maladies ou comme un pipi de chat.
C'est en 1992 et face à l'apparition de ces maladies (rares et auto-immunes) et à la progression des maladies dites dégénératives comme le cancer, les dépressions, l'Alzheimer…etc. que l'OMS a recommandé le retour à la conception d'Hippocrate.
Engels avait émis une critique formidable de la ville industrielle, il a su anticiper les dangers de l'urbanisme moderne.
Le désordre et les maladies ont été expliqués par Engels par l'ordre capitaliste. Il a montré les effets néfastes : sur la santé physique (habitat insalubre, distance travail/résidence, fatigue), sur la santé morale (ségrégation, stress, monotonie…), sur la santé sociale (délinquance, violence, vandalisme, alcoolisme…).
Le cadre impersonnel et aride, la laideur, la grande mobilité résidentielle des personnes dans l'habitat insalubre, expliquent la vulnérabilité à la maladie, à la détresse morale et aux troubles psychologiques.
L'aliénation sociale explique la montée des suicides et de la violence contre les personnes.
Les conditions urbaines (manque d'espace, trop de travail, de bruit…) expliquent le stress qui surmène l'organisme et suscite des effets psychologiques qui peuvent engendrer : des ulcères d'estomac, des dépressions, des cancers, des maladies rares et des maladies auto-immunes, etc.
Enfin, dans la ville, il n'y pas de vie socio-affective, les gens sont atomisés, le cadre de vie est impersonnel et aride. L'enfant est à l'école ou à la crèche, l'adulte produit et le vieillard attend la mort dans une maison de retraite.
Seul une société communiste, débarrassée de la logique du profit, peut appliquer les principes d'Hippocrate en les combinant aux avancées de la médecine d'aujourd'hui grâce à la biologie.
Car Capitalisme = Pollution "Des Airs, des Eaux et des Lieux" = Maladies.
Salutations révolutionnaires. Amicalement,
Les camarades algériens, lecteurs de Révolution Internationale (RI)
[2] Lire notre article : ‘La culture du débat : une arme de la lutte de classe [83]’, Revue internationale n° 131.
[3] Lire l'article : ‘La nature de classe de la social-démocratie [84]’, Revue internationale n° 50.
Le 26 septembre dernier, dans l'État de Guerrero au Mexique, situé à environ 400 km au sud de Mexico, des étudiants de l'École Normale d'Ayotzinapa se sont rendus à Iguala, ville distante de 250 km, pour préparer avec d'autres une manifestation devant avoir lieu la semaine suivante, le 2 octobre, en mémoire du massacre des étudiants en 1968 sur la place des Trois-Cultures de la capitale (Tlatelolco). Cette commémoration se déroulait en parallèle à la mobilisation massive et spontanée des étudiants de l'École Polytechnique qui protestent actuellement contre une réforme du système éducatif qui, entre autres attaques, va les léser particulièrement en rabaissant leur future qualification professionnelle, et donc aussi leur futur salaire, en les faisant passer du statut d'ingénieur à celui de technicien.
Au retour, pour ne pas payer leur déplacement, les jeunes d'Ayotzinapa ont "emprunté" un autobus. Ils ont alors été pris en chasse et mitraillés par la police municipale d'Iguala. Cette fusillade a fait 6 morts parmi les jeunes. Quelques-uns ont pu s'enfuir mais les 43 autres ont été capturés et immédiatement livrés au gang mafieux "Guerreros Unidos"[1], sur ordre téléphonique du maire d'Iguala, membre du PRD[2] et sous le couvert du gouverneur de l'État, lui aussi membre du PRD. Les narcotrafiquants se sont alors chargés de "faire disparaître" les étudiants.
Quelques jours plus tard, à proximité du lieu de la fusillade, un charnier visiblement récent a été découvert, dans une fosse commune contenant une vingtaine de cadavres dont certains étaient calcinés — on avait brûlait vifs les corps — et d'autres étaient affreusement mutilés — la peau de leur visage était arrachée — indiquant que les victimes avaient subi les actes de torture et de barbarie les plus abominables qu'on puisse imaginer. Sous couvert de la longue procédure d'identification des corps, la bourgeoisie parle encore hypocritement de "recherche de disparus" alors que le sort de ces malheureux jeunes prolétaires — ils avaient tous entre 17 et 21 ans — ne fait aucun doute.
Depuis lors, c'est un battage quotidien écœurant et assourdissant : d'un côté le gouvernement Peña Nieto et sa clique au pouvoir (le PRI), comme son allié, le PAN, aux côtés du procureur de la République qui diligente l'enquête ont déclaré vouloir "faire toute la lumière" sur les événements et "châtier les coupables" en se posant comme les vrais et seuls défenseurs de la justice (le supposé chef des "Guerreros Unidos" a d'ailleurs été arrêté une quinzaine de jours plus tard avec un zèle triomphal !) tandis que le maire et le chef de la police locale sont en fuite et qu'une vaste campagne populaire et médiatique a été lancée pour réclamer la démission du gouverneur. D'un autre côté, les partis de gauche[3] y compris le PRD lui-même, les syndicats, les organisations gauchistes et une pléiade d'organisations humanitaires (des Droits de l'Homme aux ONG de tout poil) qui se sont lancés dans une vaste campagne de ravalement de façade, du style de l'opération "mains propres" en Italie pour réclamer la destitution de tel ou tel politicien convaincu de liens étroits avec les cartels, de tel ou tel policier corrompu, en profitant de l'indignation et de l'émotion suscitées par cet odieux massacre pour essayer d'entraîner derrière eux les parents des victimes, l'ensemble des étudiants, un maximum de prolétaires et la population en général dans un vaste mouvement pour redorer le blason de l'État et relancer les illusions sur un État propre, impartial, défenseur d'une justice au-dessus des classes et garant d'un "droit du peuple" et des exploités tandis que les dirigeants bourgeois et les médias aux ordres du monde entier font mine de s'indigner en pointant du doigt les "dérives" de leurs congénères mexicains et la collusion maintes fois avérée entre les politiques et les trafiquants de drogues pour mieux masquer le degré de pourriture de leur propre corruption et de leurs propres crimes.
En réalité, cet épisode tragique n'est nullement une manifestation aberrante d'une quelconque "dérive" de la bourgeoisie locale ou nationale mais bien une illustration du franchissement d'un pas supplémentaire dans la décomposition du système capitaliste au niveau mondial qui enfonce toute la société dans une barbarie et un chaos croissants, dans la même spirale que l'exacerbation actuelle des conflits impérialistes entre États qui utilisent et manipulent des milices tortionnaires armées, des bandes terroristes de "fous de Dieu" fanatisés, des hordes de nationalistes ou séparatistes rebelles, etc. Cela traduit une gangstérisation généralisée de l'appareil d'État, de la bourgeoisie et de tous ses représentants. La pègre, les bandes armées mafieuses, les narcotrafiquants sont devenus un bras armé régulier de l'État comme instrument de la violence de sa domination et surtout comme organe de répression sanguinaire des mouvements sociaux, comme la police et l'armée, s'exerçant en particulier contre la classe ouvrière et ses luttes, pour le maintien de l'ordre capitaliste. Il est tout à fait significatif que le narcotrafic ou le trafic d'armes qui ont pris une place prépondérante dans le commerce international et dans les économies nationales, installent des bandes armées de narcotrafiquants comme auxiliaires indispensables de toutes les fractions de la bourgeoisie pour assurer leur pouvoir contre leurs rivaux ou pour exercer une répression impitoyable envers toute tentative jugée susceptible de menacer l'ordre établi.
Mais cette évolution implique aussi le rejet absolu de toute valeur morale. Même dans la pègre et la sphère du grand banditisme, étaient conservées naguère, même sous une forme clanique et totalement réifiée un espèce de "code d'honneur", des tabous moraux. Aujourd'hui, ces éléments ont disparu, ils se sont dissous dans ce processus de décomposition sociale, de putréfaction du capitalisme, dominé par l'intérêt immédiat, le "chacun pour soi", la "guerre de tous contre tous", dans un déchaînement de violence, de terreur et de barbarie sans limites. Cette militarisation sociale, cette "banalisation du mal", selon l'expression de la philosophe Hannah Arendt, tend de plus en plus à échapper au contrôle de la bourgeoisie elle-même et prend un caractère irrationnel de plus en plus prononcé. Sous l'oppression et le conditionnement exercés en permanence par le système, elle tend à s'exprimer par l'explosion brutale de pulsions, de "folies" meurtrières, individuelles ou collectives, dans une barbarie aveugle et poussée à l'extrême, dont le Mexique avec ses milliers de "disparitions", ses centaines de fosses clandestines emplies de cadavres n'est qu'une illustration tragique.
Nous publions ci-dessous la traduction d'un tract réalisé au Mexique, rédigé, diffusé et signé par "des prolétaires communistes internationalistes". Nous partageons leur indignation et saluons leur saine réaction authentiquement prolétarienne et internationaliste ainsi que l'essentiel de leur prise de position politique.
CCI
La façon avec laquelle l'État a assassiné des dizaines de personnes à Igualada est déjà bien connue : la police du "mouvement progressiste" a encerclé et ouvert le feu contre les étudiants de l'École normale d'Ayotzinapa. Le reste de la besogne, qui a consisté à assassiner plus de 40 étudiants, à brûler et dissimuler les cadavres, a été mené à bien par un groupe armé lui aussi lié à l'État : le groupe narco, appuyé par la police de la commune d'Iguala. L'indignation et la rage devant cette atrocité est indescriptible, mais immense est aussi l'hypocrisie de tous les partis, ONG et instances officielles et non officielles de l'État.
L'étroite collaboration entre la police du "Mouvement progressiste" et les groupes armés du trafic de drogues ne signifie pas la "pénétration" du "crime organisé" dans l'État, mais révèle plutôt que la bourgeoisie, engluée dans la décomposition du capitalisme et toujours plus aux prises à des luttes internes, doit toujours plus recourir à une extrême violence et à des pratiques criminelles. Le trafic de drogues n'est pas un secteur séparé de la bourgeoisie et les intérêts du narcotrafic n'ont jamais cessé d'être présents dans l'appareil d'État, cette forme supérieure d'organisation de la classe des capitalistes contre la classe ouvrière.
La presse, une des armes de la bourgeoisie, essaie de renforcer l'idée que les policiers d'Iguala étaient le bras armé des "Guerriers Unis", mais qu'à présent, grâce à l'armée et à la gendarmerie, l'ordre était revenu dans les rues. Prolétaires, souvenons-nous ! L'État est une machine de répression d'une classe, une machine pour soumettre et exploiter une autre classe.
La gauche du capital poursuit une stratégie déterminée à travers les médias : laver l'image du PRD, du PT, de Morena, du "Movimiento ciudadano", en vue des prochaines élections. Alors même que les familles des disparus expriment leur souffrance, ces partis, véritables rouages de l'arsenal assassin de la bourgeoisie, montrent du doigt tel ou tel fonctionnaire, tel ou tel policier, mais se gardent bien de dire que l'État, dont ils font partie, est à l'origine de la barbarie que vivent les exploités jour après jour. Tous les partis qui font partie de l'État (et pas seulement le PRI et le PAN) ainsi que ceux qui aspirent à les rejoindre, tentent d'utiliser à leur profit le mécontentement social tout en le combattant par le sang, la mitraille et la prison quand l'occasion se présente.
Les porte-parole de l'État et leurs officines à visage "démocratique", à la solde du gouvernement ou "indépendants", nous rebattent les oreilles sur les "exécutions illégales" pour inculper tel ou tel fonctionnaire corrompu mais, surtout, pour disculper la bourgeoisie comme classe sociale ayant en charge les tribunaux, l'armée, la police et autres bandes criminelles. Pour ces défenseurs de la loi et de l'ordre bourgeois, il suffirait que les exécutions soient prononcées "dans le cadre de la loi". Ils dissimulent ainsi que la violence et la terreur sont en eux-mêmes la manière brutale dans laquelle l'État garantit le bon fonctionnement des affaires de la bourgeoisie.
Les soi-disant "droits de l'homme" se situent donc sur un terrain que la bourgeoisie contrôle de bout en bout. Peu importe qu'ils soient revendiqués par le corps enseignant, les appareils syndicaux, les prétendus "médias libres" ou les irréprochables normaliens. Il faut rompre avec cette vision bourgeoise des choses ! Pour cela, après les simulacres d' "enquêtes", il est important de prévoir les étapes du scénario gouvernemental afin de maintenir la fausse idée que la justice peut venir de la bourgeoisie.
L'essentiel pour la classe des capitalistes est de maintenir le "prestige" de l'État. La comédie des commissions d'enquête et des "droits de l'homme" suivra le même chemin que celui qu'a suivi la bourgeoisie tout au long de l'historique de ses entreprises criminelles : enquête — procès — appel — sentences – renforcement de l'État. Rappelons le massacre du village de Dos Erres au Guatemala en décembre 1982[4], où l'armée a assassiné plus de 500 hommes, femmes et enfants, où la conclusion de tout ce cirque bourgeois a été une sentence macabre, une vaste arnaque : un "monument" a été érigé par les assassins pour "maintenir la mémoire", des morceaux de papier au sceau de l'État pour acheter, faire taire et rendre complices les parents, et une loi dite de Réconciliation nationale, avec la participation de toute la faune d'organismes défenseurs des "droits de l'homme" et du gouvernement, autrement dit, une loi pour s'assurer de la soumission des parents des victimes à la collaboration de classes, à l'acceptation des termes imposés par les assassins. Une fumisterie pour permettre de laver les mains rougies de sang de l'État et de la classe qu'il sert : la bourgeoisie.
L'enlisement dans la misère et l'existence de la société bourgeoise sont la cause d'une décomposition plus grande du capitalisme, qui menace aussi de détruire avec elle les exploités. Pris dans cette situation, le prolétariat a rencontré d'énormes difficultés pour développer des luttes de ses propres mains, pour les étendre et pour rompre avec tout l'appareil politique du capital, qui ne se limite pas seulement à la "droite", mais qui intègre tous les partis, syndicats officiels ou "indépendants", groupes gauchistes qui maintiennent toute expression de lutte dans le cadre de la vision bourgeoise, enchaînant le prolétariat avec encore plus de puissance : le nationalisme, instrument idéologique sur lequel se fonde toute collaboration avec la bourgeoisie.
C'est cette gauche du capital que la classe ouvrière doit démasquer. Les méthodes menant aux impasses du gauchisme maintiennent isolées les luttes et, pour cela même, toute lutte des travailleurs est facilement soumise à la répression. L'impuissance des étudiants prolétaires à être reconnus comme une partie de la classe ouvrière et pour développer des formes propres de lutte, qui ne les isole pas en les séparant du reste de la classe travailleuse, est un autre obstacle à dépasser.
Le pacifisme social-démocrate et la violence minoritaire ont une même origine : la pensée petite-bourgeoise. La seule façon de faire face à la bourgeoisie est la lutte massive, consciente et organisée du prolétariat
La solidarité prolétarienne n'est pas le suivisme aveugle des manifestations et des mots d'ordre, mais la critique sans concession de tout ce qui empêche le développement de la lutte du prolétariat — comme une seule classe à l'échelle mondiale — contre la bourgeoisie, contre l'État, contre le capital. Il lui est indispensable de retrouver les méthodes de lutte qui lui sont propres, étrangères à la violence minoritaire et à l'organisation autoritaire et militariste. Il ne s'agit pas de savoir si les manifestations sont ou non "pacifiques". Il s'agit de leur contenu : savoir si elles contribuent ou non au développement d'une perspective autonome du prolétariat et à sa généralisation ; et par autonomie nous entendons non l'autonomie régionale du petit-bourgeois, mais l'autonomie du prolétariat face aux autres classes. Il s'agit de récupérer, dans l'histoire et l'expérience mondiale de la classe ouvrière, les formes de lutte et les méthodes qui développent vraiment la solidarité avec le reste de la classe ouvrière, sa réflexion et sa lutte sur un terrain de classe. Il est nécessaire, par conséquent, de rompre avec l'idéologie de la martyrologie et la discipline aveugle que prône la FECSM[5], avec le pacifisme social-démocrate des partis et ONG, avec l'isolement qu'imposent tant les syndicats officiels que les "indépendants" ou ceux "de base", avec la violence minoritaire des groupes qui prétendent donner "l'exemple" avec leurs actions individuelles ou minoritaires à ce qu'ils supposent être "de passifs et obéissants ouvriers", parce que l'origine de toutes ces pratiques est, finalement, dans la pensée petite-bourgeoise et dans le cadre de la gauche du capital.
Si la classe ouvrière ne s'organise pas elle-même, si, dès le départ, ne sont pas critiquées toutes les causes de la barbarie, alors toute l'indignation, toute la rage, toute la douleur, toute la force seront dévoyées vers le renforcement de l'État, vers le renforcement de la bourgeoisie.
La "justice" ne viendra pas de nos bourreaux que sont l'État et les multiples fractions de la bourgeoisie.
Il ne s'agit pas de demander justice à l'État, il faut le détruire !
Nous ne réclamons pas les "droits de l'homme", nous appelons à nous organiser nous-mêmes pour satisfaire nos besoins, contre le capitalisme et tout son appareil de gauche comme de droite !
En tant qu'exploités, la meilleure solidarité commence par nous reconnaître comme faisant partie d'une seule et même classe : le prolétariat.
Prolétarios Comunistas Internacionalistas
Avec très peu de ressources, nous faisons un effort pour développer et faire connaître une perspective prolétarienne. Lis, discute et reproduit ce tract.
Sur la perspective que nous défendons, voir sur Facebook :
Izquierda Comunista no es estalinismo ni trotskismo sino Revolución Mundial[6]
[1] Un des cartels de la drogue semant la terreur dans toute la région et déjà responsable de milliers de morts dans les règlements de compte entre gangs qui sévit avec encore plus d'intensité depuis 2006 et l'ère du gouvernement Calderon.
[2] Partido Revolucionario Democratico, parmi les trois grands partis politiques mexicains, c'est celui qui est réputé le plus a gauche, d'inspiration social-démocrate.
[3] Outre le PRD, on trouve Morena (Movimiento Regeneracion Nacional) de Andres Manuel Lopez Obrador, ancien candidat à la présidentielle remplissant comme le Front de gauche de Mélanchon en France ou Die Linke de Lafontaine en Allemagne une fonction de gauche plus radicale dans l'opposition par rapport au PRD, le Movimiento Ciutadino (Mouvement des Citoyens), d'étiquette plus libérale ou le gaucho-stalinisant PT qui se distingue seulement par sa phraséologie "anti-impérialiste" c'est-à-dire antiaméricaine plus virulente.
[4] Ce n'est qu'un exemple parmi les 626 massacres recensés de populations civiles perpétrés par les actions des forces spéciales "anti-insurrectionnelles" (déguisés en geurilleros) qui ont fait plus de 200 000 morts au Guatemala entre 1978 et 1983 (NDLR).
[5] Federacion de Estudiantes Campesinos de México (Fédération des Étudiants en milieu rural du Mexique), syndicat pour les étudiants de l'École Normale mexicaine qui existe depuis 1935
[6] La Gauche communiste ne se réclame pas du stalinisme ni du trotskisme mais de la révolution mondiale
La librairie Gondolkodó Autonom Antikvárium a invité le CCI à tenir une discussion publique en septembre 2014 à Budapest, comme nous l'avions déjà fait les années précédentes.1 Le CCI a suggéré, pour cette année, de passer le film disponible sur notre site web : "Comment la classe ouvrière a mis fin à la Première Guerre mondiale".
Il y a 100 ans, la classe ouvrière – trahie par ses organisations, les syndicats et les partis socialistes – fut incapable d'empêcher l'éclatement d'une des guerres les plus terribles de l'histoire. Aujourd'hui, la commémoration de la Première Guerre mondiale est une occasion supplémentaire de propagande nationaliste dans ses versions libérales-démocratiques et très patriotiques, voire populistes. Ce qu'on laisse de côté dans la plupart des expositions, documentaires et articles sur la Première Guerre mondiale, c'est la réalité sur la fin de la guerre et sur les causes de l'armistice. Comme l'illustre le film, la première vague révolutionnaire du prolétariat mondial est un exemple de "secret à la vue de tous". Le matériel pour le film provient de sources largement disponibles sur Internet ; beaucoup de photos viennent de Wikipedia et la vidéo originale de Youtube. Le fait qu'il y ait eu des grèves, des mutineries et des soulèvements à la fin de la Première Guerre mondiale n'est pas vraiment un secret. Le tourbillon révolutionnaire qui a conduit à l'effondrement de l'empire des Habsbourg et à ce que l'Allemagne se retire de la guerre a entièrement été traité par les historiens bourgeois. Le lien entre ces événements et la Révolution russe est aussi bien connu. Malgré cela, le simple fait qu'il y ait eu une vague mondiale de luttes ouvrières, comme le dit le film, "du Canada à l'Argentine, de la Finlande à l'Australie, de l'Espagne au Japon", et que ces luttes aient été d'une manière ou d'une autre, consciemment ou inconsciemment, inspirées par la prise du pouvoir politique par les ouvriers russes en octobre 1917 ; ce simple fait est encore un secret, un fait que la bourgeoisie mondiale fait toujours très attention de dissimuler. Pourquoi ? Parce que, comme le dit également le film, pendant quelques brèves années, ces luttes ont ébranlé le monde capitaliste jusque dans ses fondations. La bourgeoisie d'aujourd'hui, malgré toutes les difficultés du prolétariat, le manque apparent de luttes, l'avancée de la crise et de la décomposition, a toujours peur de ce que peut inspirer l'exemple de la première vague révolutionnaire.
Après avoir montré le film, nous avons proposé que la discussion ne porte pas que sur les événements historiques mais aussi sur les guerres dans la phase actuelle de l'ordre mondial capitaliste et sur le rôle de la classe ouvrière aujourd'hui. Les thèmes proposés pour le débat qui suivait étaient : nationalisme/internationalisme ; Est-ce qu'une nouvelle guerre mondiale est à l'ordre du jour ? Sommes-nous face à un futur avec moins de guerres ? Quelles sortes de guerres sont menées aujourd'hui ? Quelles ont été les faiblesses de la première vague révolutionnaire de 1917-23 ? Quelles sont les difficultés pour la classe ouvrière et ses militants révolutionnaires aujourd'hui ?
La débat a été, comme toujours à Budapest, très vivant et très imprégné du sérieux de l'audience. Ce n'est pas évident d'assister à une discussion publique sur les perspectives de société sans classe dans un pays dont les habitants ont subi pendant 40 ans un soi-disant socialisme (1949-1989) et dont le gouvernement actuel s'est, et cela depuis longtemps, ouvertement fondé sur le chauvinisme hongrois. S'intéresser à une telle réunion dans ces circonstances politiques générales demande d'avoir une attitude "à contre-courant". La situation économique en Hongrie est pire que dans la plupart des pays antérieurement "socialistes" en Europe de l'Est (Pologne, Pays baltes membres de l'UE, République tchèque, Slovaquie) et la combativité de la classe ouvrière n'est pas plus visible que dans les autres pays. L'assistance était donc plutôt politisée, "éduquée" politiquement et culturellement, au courant de l'histoire du mouvement ouvrier et en recherche de clarification dans un débat ouvert – d'un point de vue prolétarien.
Les questions sur la vague révolutionnaire
Les questions posées dans la discussion ont d'abord porté sur les faits historiques et l'évaluation politique des événements : sur le soulèvement de Shanghai en 1927, le conseil ouvrier de Limerick en Irlande en 1920, la République slovaque des Conseils en mai/juin 1919.
Le film dit : "en 1927, plus d'un million d'ouvriers à Shanghai ont déclenché une insurrection armée et ont pris le contrôle de la ville. L'insurrection est de nouveau brutalement écrasée par les nationalistes dans un bain de sang". Un participant voulait en savoir plus sur ces événements. La réponse donnée par le CCI a souligné le caractère de classe authentique de l'insurrection, isolée, mais héroïque, à Shanghai en mars 1927. Ces luttes, qui étaient encore une expression de la vague montante, un "dernier souffle de la révolution mondiale" comme nous le disons dans un article2, se sont déroulées au sein de la vaste étendue de la Chine dont la classe ouvrière passait par une phase de fermentation révolutionnaire. La politique de la faction dominante de Staline en Russie vis-à-vis du Parti Communiste chinois consistait en l'établissement d'un front "anti-impérialiste" avec le Kuomintang3 bourgeois luttant pour la "libération nationale" de la Chine. Sous la pression des staliniens, le PCC a ordonné aux ouvriers de donner leurs armes au Kuomintang qui, par la suite, a assassiné les ouvriers avec ces armes. Le Kuomintang a donc brutalement mis fin à l'émeute ouvrière de Shanghai, après que le PCC a dit aux ouvriers de faire confiance à l'armée nationale du leader du Kuomintang, Chang-Kai-Chek. Ce qui suivit, et que les maoïstes appellent la préparation de la "révolution" de 1949, n'a en fait été qu'une longue guerre entre différentes armées bourgeoises, qui ont conduit à la prise du pouvoir par Mao et le PCC en uniformes militaires.
Un camarade dans l'assistance a posé la question de pourquoi il n'y a rien dans le film sur le soviet de Limerick de l'été 1920. En fait, un film de 23 minutes sur toute la dimension internationale de la vague révolutionnaire ne pouvait être complet, il y a nécessairement beaucoup de luttes qui n'ont pu être citées et beaucoup de questions vitales qui n'ont pu être abordées – un film n'est ni un article ni un livre. Mais il vaudrait certainement le coup de tirer les leçons de l'exemple irlandais d'une lutte ouvrière auto-organisée – et du rôle du nationalisme (IRA, Sinn Fein) dans l'écrasement de ce mouvement.4
On peut dire la même chose à propos du soutien apporté à la république slovaque des conseils en juin 1919 par l'armée rouge hongroise. Ces événements sont bien enregistrés dans les mémoires des gens politisés en Europe centrale de l'Est, mais pas traités en profondeur dans le film. La délégation du CCI ne pouvait faire référence aux événements concrets en Slovaquie en 1919 du fait d'un manque profond de connaissance des faits historiques mais sur l'aspect militaire de la question, elle a insisté sur ce principe : les moyens militaires ne peuvent remplacer la conscience et l'activité propre de la classe ouvrière, comme l'a montré l'échec en 1920 de l'offensive de l'Armée Rouge (russe) en Pologne.
La social-démocratie avant 1914.
Une discussion plus longue a tourné autour de la nature de la social-démocratie avant 1914 et pendant la Première Guerre mondiale. Un camarade a résumé une critique faite par plusieurs participants à la position du CCI (présente aussi dans le film) sur la "trahison de la social-démocratie". Le CCI défend la position selon laquelle la plupart des partis membres de la deuxième Internationale ont trahi la classe parce que ces partis ouvriers du XIXe siècle ont déclaré à plusieurs reprises avant 1914 leur attachement au principe de l'internationalisme (défendre la classe et pas l'Etat national). Cependant, la plupart des leaders de la majorité de ces partis ont trahi ce principe en soutenant ouvertement leur bourgeoisie nationale les premiers jours d'août 1914 quand les crédits de guerre ont été votés au parlement et que le désastre a commencé. Contre cette vision des choses, le camarade qui défendait une position divergente, disait que la notion de trahison n'avait pas de sens, parce que la "social-démocratie n'a jamais été pour la révolution". Selon ce raisonnement, les partis de la IIème Internationale étaient des partis ouvriers, mais pas des partis révolutionnaires parce que la classe ouvrière dans cette période d'avant-guerre n'était pas révolutionnaire ; les partis sociaux-démocrates étaient une expression de la faiblesse de la classe à cette époque, et celle-ci n'était pas qu'une victime de la trahison mais y avait pris part. Un autre camarade s'est référé, dans la même discussion, à l'enthousiasme pour la guerre au début de la Première Guerre mondiale et au fait que le SPD (en Allemagne) était déjà lié à l'Etat capitaliste par sa fraction parlementaire importante.
Il y a des aspects différents dans cette discussion. Le CCI défend le cadre général de l'ascendance et de la décadence du capitalisme et de tâches différentes pour les révolutionnaires dans les différentes périodes. Les partis sociaux-démocrates de la période ascendante, qui finit avec la Première Guerre mondiale, luttaient pour des réformes au sein du capitalisme ET pour la révolution, comme Rosa Luxembourg l'a souligné en 1989 dans sa polémique "Réforme sociale ou Révolution ?" contre un camarade du parti, Edouard Bernstein. Les partis ouvriers de cette période comprenaient donc différents courants, depuis les ouvertement réformistes et étatistes jusqu'au courants révolutionnaires comme ceux autour de Luxembourg, Lénine, Pannekoek, Bordiga, etc. En 1914, les dirigeants de la plupart des partis sociaux-démocrates étaient effectivement du côté de la bourgeoisie nationale – et ont ensuite trahi en théorie et en pratique les principes internationalistes des congrès de Bâle et de Stuttgart de la IIe Internationale. Pendant la guerre, les fractions révolutionnaires ont préparé la formation de la IIIe Internationale puisque la seconde s'était effondrée dès le début de la guerre mondiale à cause de la trahison de la plupart de ses partis membres.
Un autre aspect de cette discussion est la question : dans quelle mesure nous considérons-nous nous-mêmes comme faisant partie de la tradition révolutionnaire de la période précédente ? Dans quelle mesure partageons nous un héritage commun de principes et de méthode, de concepts communs ?
Les camarades dans l'assistance qui ne partageaient pas le cadre historique de l'ascendance et de la décadence du capitalisme ont insisté sur le manque de "programme communiste" dans la social-démocratie, disant que même sans la trahison de ses dirigeants, elle aurait été liée au réformisme et à l’Etat capitaliste bourgeois. Mais malgré ce cadre historique différent, il y avait une préoccupation générale dans la discussion de voir la classe ouvrière et son avant-garde révolutionnaire dans leurs rapports mutuels : les faiblesses de la classe en ce qui concerne son auto-organisation, mais aussi les faiblesses théoriques des communistes et des anarchistes internationalistes de cette période.
Un jeune participant, qui se référait à la situation en Hongrie en 1919, a dit que la prise du pouvoir au nom de la classe ouvrière avait été accomplie par les dirigeants sociaux-démocrates et du Parti communiste et pas du fait de l'activité spontanée du prolétariat auro-organisé. Un autre participant à la réunion a souligné le fait que le parti communiste créé en Hongrie à l'automne 1918, était composé de courants très différents (marxistes, syndicalistes, prisonniers de guerre revenant de la Russie révolutionnaire et d'autres) et que son programme était éclectique.
Les guerres d'aujourd'hui
et les mouvements de classe
Dans la dernière partie de la discussion, des questions ont été soulevées sur les événements actuels. La plupart des participants au débat semblaient être d'accord pour estimer que le danger de guerre allait croissant aujourd'hui. La spirale de bains de sang qui enfle en Syrie, Irak, et Ukraine est trop évidente. Un participant a dit que la violence et la guerre renforcent leur emprise de la périphérie vers le centre du pouvoir capitaliste. S'il y avait une divergence dans cette partie de la discussion, c'était probablement sur la question de l'irrationalité croissante des guerres de la décomposition d'aujourd'hui, par exemple dans les zones revendiquées par l'État Islamique (EI), d'autres participants ont répondu que même ces guerres profitent à certains capitalistes et même au capitalisme dans son ensemble. Mais là, nous parlons de deux différentes sortes de rationalités : d'un côté, la rationalité du profit pour certains capitalistes particuliers, de l'autre, la rationalité d'une espèce qui a besoin de devenir pleinement humaine.
La dernière question soulevée dans la discussion était : pourquoi les ouvriers n'ont-ils pas rejoint le mouvement Occupy ? Notre réponse a été que même si beaucoup de gens qui se rassemblaient sous cette bannière, en 2011/2013, appartenaient à la classe ouvrière, le mouvement dans son ensemble ne pensait pas à étendre sa lutte à la classe ouvrière, sauf dans quelques cas limités en Espagne et en Californie. La plupart des manifestants Occupy ne se concevaient pas eux-mêmes comme des prolétaires, bien qu'ils l'aient souvent été. La difficulté de la classe à développer une identité de classe avait déjà été un thème de la discussion à Budapest en 2010. C'est une partie de la conscience au sein de la classe qui doit mûrir. Sans cette conscience de lui-même du sujet révolutionnaire, le saut vers une société nouvelle et réellement humaine ne sera pas possible.
Il est intéressant – de toute façon - que dans les discussions à Budapest, une question que nous entendons souvent en Europe de l'Ouest, c'est-à-dire la question de l'existence d'une classe ouvrière, ne soit jamais posée. Là, la nécessité d'une réponse de classe n'est jamais mise en question. Il semble qu'il y ait un concept commun de ce qu'est la classe ouvrière, de ses caractéristiques et de ses responsabilités.
Nous voulons encore remercier la librairie Gondolkodó Autonom Antikvárium pour l'invitation à mener une discussion publique et l'assistance pour le débat qui ne peuvent que renforcer mutuellement nos forces et nos capacités.
CCI, septembre 2014
1 Voir, par exemple, notre article de novembre 2010 : Réunion publique à Budapest : crise économique mondiale et perspective de la lutte de classe. [https://fr.internationalism.org/icconline/2010/12/reunion-publique-hongrie] [86]
2 Chine 1927 : Dernier souffle de la révolution mondiale. [https://en.internationalism.org/icconline/2007/china-march-1927] [87]
3(3) Parti nationaliste chinois
4(4) Le républicanisme irlandais : une arme du capital contre la classe ouvrière. [https://en.internationalism.org/wr/231_ira.htm] [88]
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/rint132/il_y_a_60_ans_une_conference_de_revolutionnaires_internationalistes_gauche_communiste_de_france.html
[2] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201304/6968/bilan-gauche-hollandaise-et-transition-au-communisme-communisme-len
[3] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201309/8652/bilan-gauche-hollandaise-et-transition-au-communisme-ii
[4] https://fr.internationalism.org/rint127/communisme_periode_de_transition.html
[5] https://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ultime_de_la_decadence_du_capitalisme.html
[6] https://www.agoravox.tv/actualites/international/article/ukraine-intox-sur-la-vraie-nature-42159
[7] https://fr.internationalism.org/internationalisme/201310/8706/tensions-imperialistes-phase-decomposition-extraits-resolution-situati
[8] https://fr.internationalism.org/rint126/orange.html#sdfootnote6sym
[9] https://fr.internationalism.org/tag/5/60/russie-caucase-asie-centrale
[10] http://www.angelfire.com/un/tob-art/art-html/18c-ar10.html
[11] https://www.marxists.org/archive/marx/works/1845/german-ideology/ch01d.htm
[12] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[13] mailto:[email protected]
[14] https://fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html
[15] https://es.internationalism.org/content/3219/solidaridad-con-la-lucha-de-los-trabajadores-de-la-ensenanza
[16] https://fr.internationalism.org/icconline/2012/face_a_l_escalade_repressive_a_valence_espagne.html
[17] https://fr.internationalism.org/ri430/pourquoi_nous_considerent_ils_comme_leurs_ennemis.html
[18] https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.htm
[19] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne
[20] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[21] https://fr.internationalism.org/files/fr/venezuela.jpg
[22] https://fr.internationalism.org/files/fr/venezuela_2.jpg
[23] https://fr.internationalism.org/icconline/201304/6971/venezuela-ou-sans-chavez-plus-plus-d-attaques-contre-travailleurs]
[24] https://es.internationalism.org/en/node/3694]
[25] https://es.internationalism.org/ccionline/2007/estudiantes_venezuela.htm]
[26] https://fr.internationalism.org/files/fr/gamonal.jpg
[27] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201309/8650/mouvements-sociaux-turquie-et-au-bresil-l-indignation-au-coeur-dyna
[28] https://diariodevurgos.com/dvwps/
[29] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201401/8855/resolution-situation-internationale-20e-congres-du-cci
[30] https://www.elconfidencial.com/alma-corazon-vida/2014-01-19/de-los-ere-al-gamonal-los-nuevos-conflictos-y-el-cabreo-de-la-gente-comun_68995/
[31] https://fr.internationalism.org/isme354/2011_de_l_indignation_a_l_espoir_tract_international.html
[32] https://es.internationalism.org/cci-online/201312/3961/la-fuerza-de-la-lucha-es-la-solidaridad-de-clase
[33] https://fr.internationalism.org/tag/30/398/jaruzelski
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