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Revue Internationale n° 121 - 2e trimestre 2005

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60e anniversaire de la libération des camps : Barbarie capitaliste et manipulations idéologiques

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L'année 2005 est riche en anniversaires macabres. La bourgeoisie vient de célébrer l'un d'entre eux, la libération en janvier 1945 des camps de concentration nazis, avec un faste qui a surpassé les cérémonies de son cinquantenaire. On ne s'en étonnera pas dans la mesure où l'exhibition des crimes monstrueux du camp qui est sorti vaincu de la Seconde Guerre mondiale a, depuis soixante ans, constitué le plus sûr moyen d'absoudre les Alliés des crimes contre l'humanité qu'ils ont commis eux aussi, pendant et depuis la Seconde Guerre mondiale, et de présenter les valeurs démocratiques comme garantes de la civilisation face à la barbarie. Pour des raisons similaires, on peut s'attendre à ce que l'anniversaire de la capitulation de l'Allemagne en mai 1945 revête également une ampleur particulière. La Seconde Guerre mondiale, tout comme la première, a été une guerre impérialiste, mettant aux prises des brigands impérialistes, et l'hécatombe dont elle est responsable (50 millions de morts) est venu dramatiquement confirmer la faillite du capitalisme. Et si aujourd'hui la bourgeoisie est contrainte de donner une telle ampleur aux commémorations de la Seconde Guerre mondiale, c'est justement parce que les mystifications qui ont entouré celle-ci tendent à s'éroder. Des évidences longtemps niées et dissimulées au plus grand nombre, comme le fait que les Alliés connaissaient l'existence des camps d'extermination et n'ont rien fait pour les mettre hors d'usage, commencent à être évoquées, ce qui pose la question de la coresponsabilité des Alliés dans l'Holocauste. Il appartient aux révolutionnaires, qui les premiers se sont élevés pour dénoncer la barbarie des deux camps, de poursuivre un combat contre les mystifications de la bourgeoisie visant à maintenir dans l'ombre les crimes des Alliés ou à en minimiser la réalité. Il leur revient également de mettre à nu l'inconsistance des tentatives de la bourgeoisie pour "excuser" les actes de barbarie du camp "démocratique"
Pourquoi un tel battage sur la libération des camps de concentration ?

La commémoration du 60e anniversaire du débarquement allié du mois de juin 1944 avait déjà revêtu une ampleur dépassant celle de son cinquantenaire (1 [1]. Consciente du fait que le souvenir d'un tel événement doit être en permanence entretenu pour rester vivace dans le cerveau des vivants, la bourgeoisie n'avait alors pas lésiné sur les moyens pour raviver l'image de toutes ces jeunes recrues qui, s'imaginant combattre "pour la liberté de leurs semblables", se sont fait massacrer par dizaines de milliers sur les plages du débarquement. Pour la bourgeoisie, il est de la plus haute importance que persiste dans la conscience des générations nouvelles la mystification ayant permis l'embrigadement de leurs aînés qui pensaient que combattre le fascisme dans le camp démocratique (2 [2]) c'était défendre la dignité humaine et la civilisation contre la barbarie. C'est pourquoi, il ne suffit pas à la classe dominante d'avoir utilisé comme chair à canon la classe ouvrière américaine, anglaise, allemande (3 [3]), russe ou française, ce sont encore les générations actuelles de prolétaires à qui elle destine de façon privilégiée sa propagande infecte. En effet, bien qu'aujourd'hui elle ne soit pas prête à se sacrifier pour les intérêts économiques et impérialistes de la bourgeoisie, la classe ouvrière continue néanmoins à être perméable à la mystification selon laquelle ce n'est pas le capitalisme qui est la cause de la barbarie dans le monde, mais bien certains pouvoirs totalitaires, ennemis jurés de la démocratie. La thèse du caractère "unique" du génocide juif (et donc en rien comparable à un autre génocide) joue un rôle central dans la persistance actuelle de la mystification démocratique. En effet, c'est grâce à sa victoire sur le régime totalitaire tortionnaire du peuple juif que le camp allié, et son idéologie démocratique, ont pu imposer le mensonge qu'ils constituaient des garants contre la barbarie suprême.


Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et même dans les deux décennies qui ont suivi, renvoyer dos à dos la barbarie des Alliés et celle du camp nazi demeurait le fait de toutes petites minorités, principalement restreintes au milieu révolutionnaire internationaliste (4 [4]). Cela allait changer progressivement avec la remise en cause, consécutive au resurgissement du prolétariat sur la scène internationale en 1968, de tout un ensemble de mystifications et de mensonges produits et entretenus durant presque un demi-siècle de contre-révolution (au premier rang desquels le mensonge de la nature socialiste des pays de l'Est). D'autant plus que la série ininterrompue des conflits guerriers depuis la Seconde Guerre mondiale, où de grands pays démocratiques sont apparus comme des champions de la barbarie (Etats-Unis au Viêt-Nam, France en Algérie, …) (5 [5]) fournissait matière à la réflexion critique. L'envolée de la barbarie et du chaos depuis les années 1990 apparaît, malgré le regain de la mystification démocratique engendrée par les campagnes sur l'effondrement du stalinisme, comme le couronnement du siècle le plus barbare de l'histoire (6 [6]). Depuis 15 ans, de grandes puissance, souvent "démocratiques", portent une responsabilité évidente dans le déclenchement des conflits : les Etats-Unis avec derrière eux la coalition anti-Saddam dans la première guerre en Irak qui a fait 500 000 morts ; les grandes puissances occidentales en Yougoslavie (par deux fois) avec des "nettoyages ethniques" dont celui de l'enclave de Srebrenica en 1993, commis par la Serbie couverte par la France et la Grande-Bretagne ; le génocide du Rwanda orchestré par la France et qui a fait près d'un million de victimes (7 [7]) ; la guerre en Tchétchénie donnant lieu elle aussi à son épuration ethnique par la Russie ; la dernière, toujours actuelle et ô combien barbare, intervention américano-britannique en Irak. Dans certains de ces conflits, on assistera même à la réplique du scénario de la Seconde Guerre mondiale où l'on désigne un dictateur pour lui faire porter la responsabilité des hostilités et des tueries : Saddam Hussein en Irak, Milosevic en Yougoslavie. Peu importe si, auparavant, le dictateur avait été un personnage respectable aux yeux de ces démocraties qui entretenaient avec lui de cordiales relations avant de le trouver plus utile comme bouc émissaire.


Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas que la pilule du caractère "unique" du génocide juif soit de plus en plus difficile à avaler pour ceux qui n'ont pas subi le matraquage idéologique décervelant d'une vie entière. Concevoir l'Holocauste comme une ignominie particulièrement abjecte dans un océan de barbarie, et non pas comme quelque chose de particulier, suppose un sens critique n'ayant pas succombé face aux campagnes de culpabilisation et d'intimidation les plus répugnantes de la bourgeoisie faisant passer pour des indifférentistes, des négationnistes (qui contestent la réalité de l'Holocauste), des antisémites, des néo-nazis ceux qui rejettent et condamnent autant le camp des Alliés que celui des fascistes. C'est la raison pour laquelle les nouvelles générations sont plus à même de se dégager des mensonges qui ont empoisonné la conscience de leurs aînés, comme en témoignent certains commentaires de professeurs de lycée chargés de dispenser un cours sur la Shoah : "Il est difficile de leur faire admettre [aux élèves] que c'est un génocide différent des autres" (Le Monde du 26 janvier, "L'attitude réfractaire de certains élèves oblige les enseignants à repenser leurs cours sur la Shoah").

C'est pourquoi, afin d'entraver le cheminement d'une prise de conscience sur la nature réelle de la Seconde boucherie mondiale et la démocratie, il fallait à la bourgeoisie faire jouer à plein l'émotion que ne peuvent manquer de provoquer l'évocation et la description du calvaire des millions de disparus dans les camps de concentration, en détournant la responsabilité réelle de ces horreurs et de toutes celles de la guerre, sur un dictateur, un régime, un pays afin d'épargner un système, le capitalisme. Et pour donner toute son efficacité à la mise en scène, il fallait continuer à occulter, déformer la réalité des crimes des grandes démocratie durant la Seconde Guerre mondiale.

Derrière la terreur et la barbarie des Alliés et du nazisme, la même raison d'Etat

L'expérience de deux guerres mondiales montre qu'elles ont des caractéristiques communes expliquant les sommets alors atteints par la barbarie et dont sont responsables tous les camps en présence :

- L'armement incorpore le plus haut niveau de la technologie et, comme l'ensemble de l'effort de guerre, il draine toutes les ressources et forces de la société. Les progrès de la technologie intervenus entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, notamment dans le domaine de l'aviation, ont fait que les confrontations militaires ne se cantonnent plus essentiellement sur des champs de bataille mettant face à face les armées ennemies mais que c'est toute la société qui devient le théâtre des opérations ;

- Un corset de fer enserre toute la société en vue de la plier aux exigences extrêmes du militarisme et de la production de guerre. La manière dont cela s'est effectué en Allemagne est caricaturale. En effet, au fur et à mesure que s'accroissent les difficultés militaires, les besoins en main-d'œuvre vont se faire sentir plus intensément. Pour les satisfaire, au cours de l'année 1942, les camps de concentration deviennent un immense réservoir de matériel humain à bon marché, indéfiniment renouvelable et exploitable à merci. Ainsi, le tiers au moins des ouvriers employés par les grandes sociétés, tels Krupp, Heinkel, Messerschmitt ou IG Farben étaient des déportés (8 [8]).

- tous les moyens sont utilisés, jusqu'aux plus extrêmes en vue de s'imposer militairement : les gaz asphyxiants durant la Première Guerre mondiale qui étaient pourtant considérés, jusqu'à leur première utilisation, comme l'arme absolue dont on disait qu'il n'en serait jamais fait usage ; la bombe atomique, l'arme suprême, contre le Japon en 1945. Moins connus, mais encore plus meurtriers, ont été les bombardements de la Seconde Guerre mondiale des villes et des populations civiles en vue de les terroriser et les décimer. Inaugurés par l'Allemagne sur les villes de Londres, Coventry et Rotterdam, ils ont été perfectionnés et systématisés par la Grande-Bretagne dont les bombardiers déchaîneront de véritables ouragans de feu au cœur des villes, portant la température à plus de mille degrés dans ces brasiers géants.

"Les crimes allemands ou soviétiques ne peuvent faire oublier que les Alliés eux-mêmes ont été saisis par l'esprit du mal et ont devancé l'Allemagne dans certains domaines, en particulier les bombardements de terreur. En décidant le 25 août 1940 de lancer les premiers raids sur Berlin, en réplique à une attaque accidentelle sur Londres, Churchill prend l'écrasante responsabilité d'une terrible régression morale. Pendant près de cinq ans, le Premier britannique, les commandants du Bomber Command, Harris, en particulier, s'acharnent sur les villes allemandes. (…)

Le comble de l'horreur est atteint le 11 septembre 1944 à Darmstadt. Au cours d'une attaque remarquablement groupée, tout le centre historique disparaît dans un océan de flammes. En 51 minutes, la ville reçoit un tonnage de bombes supérieur à celui de toute l'agglomération londonienne pendant la durée de la guerre. 14 000 personnes trouvent la mort. Quant aux industries situées à la périphérie et qui ne représentent que 0,5% du potentiel économique du Reich, elles sont à peine touchées." (Une guerre totale 1939-1945, stratégies, moyens, controverse de Ph. Masson) (9 [9]). Les bombardements anglais sur les villes allemandes allaient causer la mort de près de 1 million de personnes.


Loin de conduire à une certaine modération de l'offensive sur l'ennemi, permettant d'en réduire le coût financier, la déroute dans l'année 1945 de l'Allemagne et du Japon a au contraire eu pour effet de faire redoubler d'intensité et de cruauté les attaques aériennes. La raison en est que l'enjeu véritable n'était désormais plus la victoire sur ces pays, déjà acquise. Il s'agissait en fait d'éviter que, face aux souffrances de la guerre, des fractions de la classe ouvrière en Allemagne ne se soulèvent contre le capitalisme, comme cela avait été le cas lors de la Première Guerre mondiale (10 [10]). Les attaques aériennes anglaises visent donc à poursuivre l'anéantissement des ouvriers qui n'ont pas déjà péri sur les fronts militaires et à plonger le prolétariat dans l'impuissance de l'effroi.

A cette considération, il s'en ajoute une autre. Il était devenu clair pour les Anglo-américains que la future partition du monde allait mettre face-à-face les principaux pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, d'une part les Etats-Unis (avec à leurs côtés une Angleterre sortant exsangue de la guerre) et d'autre part l'Union soviétique qui était alors en mesure de se renforcer considérablement à travers les conquêtes et l'occupation militaire que vont lui permettre sa victoire sur l'Allemagne. C'est la conscience de cette nouvelle menace qu'expriment sans équivoque ces paroles de Churchill : "la Russie soviétique était devenue un danger mortel pour le monde libre, [tel] qu'il fallait créer sans retard un nouveau front pour arrêter sa marche en avant et qu'en Europe ce front devrait se trouver le plus à l'Est possible" (11 [11]). Il s'agit alors pour les Alliés occidentaux de marquer des limites à l'appétit impérialiste de Staline en Europe et en Asie à travers des démonstrations de force dissuasives. Ce sera l'autre fonction des bombardements anglais de 1945 sur l'Allemagne et l'objectif unique de l'emploi de l'arme atomique contre le Japon (12 [12]).


Le caractère de plus en plus limité des objectifs militaires et économiques qui deviennent nettement secondaires illustre, comme à Dresde, ce nouvel enjeu des bombardements :

"Jusqu'en 1943, en dépit des souffrances infligées à la population, les raids peuvent encore offrir une justification militaire ou économique en visant les grands ports du nord de l'Allemagne, le complexe de la Ruhr, les centres industriels majeurs ou même la capitale du Reich. Mais, à partir de l'automne 1944, il n'en est plus de même. Avec une technique parfaitement rodée, le Bomber Command qui dispose de 1 600 avions et qui se heurte à une défense allemande de plus en plus faible, entreprend l'attaque et la destruction systématique de villes moyennes ou même de petites agglomérations sans le moindre intérêt militaire ou économique.

L'histoire a retenu l'atroce destruction de Dresde en février 1945, avec l'excuse stratégique de neutraliser un centre ferroviaire important sur les arrières de la Wehrmacht engagée contre l'Armée rouge. En fait, les perturbations apportées à la circulation ne dépasseront pas 48 heures. Mais aucune justification ne concerne la destruction d'Ulm, de Bonn, de Wurtzbourg, d'Hidelsheim, de ces cités médiévales, de ces joyaux artistiques appartenant au patrimoine de l'Europe. Toutes ces vieilles villes disparaissent dans des typhons de feu où la température atteint 1 000 à 2 000 degrés et qui provoque la mort de dizaines de milliers de personnes dans des souffrances atroces." (Ph. Masson)

Quand la barbarie elle-même devient le principal mobile à la barbarie

Il est une autre caractéristique commune aux deux conflits mondiaux : tout comme les forces productives que la bourgeoisie est incapable de contrôler sous le capitalisme, les forces de destruction qu'elle met en mouvement dans une guerre totale tendent à échapper à son contrôle. De la même manière, les pires pulsions que la guerre a déchaînées s'autonomisent et s'autostimulent, donnant lieu à des actes de barbarie gratuite, sans plus aucun rapport avec les buts de guerre poursuivis, aussi abjects soient ces derniers.


Les camps de concentration nazis étaient devenus, au cours de la guerre, une gigantesque machine à tuer tous ceux qui sont soupçonnés de résistance en Allemagne ou dans les pays occupés ou vassalisés, le transfert des détenus en Allemagne constituant en effet un moyen d'imposer l'ordre par la terreur sur les zones d'occupation allemande (13 [13]). Mais le caractère de plus en plus expéditif et radical des moyens employés pour se débarrasser de la population concentrationnaire, en particulier des Juifs, relève de moins en moins de considérations résultant de la nécessité d'imposer la terreur ou le travail forcé. C'est la fuite en avant dans la barbarie avec pour seul mobile la barbarie elle-même (14 [14]). Parallèlement au meurtre de masse, les tortionnaires et médecins nazis procédaient à des "expérimentations" sur des prisonniers où le sadisme le disputait à l'intérêt scientifique. Ces derniers se verront d'ailleurs offrir l'immunité et une nouvelle identité en échange de leur collaboration à des projets classés "secret défense militaire" aux Etats-Unis.


La marche de l'impérialisme russe, à travers l'Europe de l'Est en direction de Berlin, s'accompagne d'exactions qui relèvent de la même logique :

"Des colonnes de réfugiés sont écrasées sous les chenilles des chars ou systématiquement mitraillées par l'aviation. La population d'agglomérations entières est massacrée avec des raffinements de cruauté. Des femmes nues sont crucifiées sur les portes des granges. Des enfants sont décapités ou ont la tête écrasée à coups de crosse, ou bien encore jetés vivants dans des auges à cochons. Tous ceux qui n'ont pas pu s'enfuir ou qui n'ont pu être évacués par la Kriegsmarine dans les ports de la Baltique sont purement et simplement exterminés. Le nombre des victimes peut être évalué à 3 ou 3,5 millions (…)

Sans atteindre un tel degré, cette folie meurtrière s'étend à toutes les minorités allemandes du Sud-Est européen, en Yougoslavie, en Roumanie et en Tchécoslovaquie, à des milliers de Sudètes. La population allemande de Prague, installée dans la ville depuis le Moyen Âge est massacrée avec un rare sadisme. Après avoir été violées, des femmes ont les tendons d'Achille coupés et sont condamnées à mourir d'hémorragie sur le sol dans d'atroces souffrances. Des enfants sont mitraillés à la sortie des écoles, jetés sur la chaussée depuis les étages les plus élevés des immeubles ou noyés dans des bassins ou des fontaines. Des malheureux sont emmurés vivants dans des caves. Au total, plus de 30 000 victimes.

La violence n'épargne pas les jeunes auxiliaires des transmissions de la Luftwaffe jetées vivantes dans des meules de foin enflammées. Pendant des semaines, la Vltava (Moldau) charrie des milliers de corps, certains par familles entières, sont cloués sur des radeaux. A la stupeur des témoins, toute une partie de la population tchèque affiche une sauvagerie d'un autre âge.

Ces massacres procèdent, en réalité, d'une volonté politique, d'une intention d'élimination, à la faveur du réveil des pulsions les plus bestiales. A Yalta, devant l'inquiétude de Churchill de voir surgir de nouvelles minorités dans le cadre des futures frontières de l'URSS ou de la Pologne, Staline ne pourra s'empêcher de déclarer d'un air goguenard qu'il ne doit plus y avoir beaucoup d'Allemands dans ces régions..." (Ph. Masson)


Le "nettoyage ethnique" des provinces allemandes de l’Est n'est pas de la responsabilité de la seule armée de Staline mais s'effectue avec le concours des forces armées britanniques et américaines. Bien qu'à cette époque se dessinent déjà les lignes du futur antagonisme entre l'URSS et les Etats-Unis, ces pays et l'Angleterre coopèrent cependant sans réserve dans la tâche d'élimination du danger prolétarien, à travers l'élimination en masse de la population (15 [15]). De plus, tous ont intérêt à ce que le joug de la future occupation de l'Allemagne puisse s'exercer sur une population inerte pour avoir trop souffert, et comportant le moins de réfugiés possible. Cet objetif, qui déjà en lui-même incarne la barbarie, sera le point de départ d'une escalade d'une bestialité incontrôlée au service du meurtre en masse.

Ceux des réfugiés qui échappent aux chenilles des chars de Staline, sont massacrés par les bombardements anglais et américains qui déchaînent des moyens considérables pour leur extermination pure et simple. La cruauté des bombardements en Allemagne qu'ils soient anglais, ordonnés par Churchill en personne, ou américains, visent à tuer le plus grand nombre et le plus sauvagement possible: "Cette volonté de destruction systématique qui prend presque des allures de génocide se poursuit jusqu'en avril 1945, en dépit des objections croissantes de l'Air Marshall Portal, le commandant en chef de la RAF qui souhaiterait orienter les bombardements sur l'industrie du pétrole ou les transports. En bon politicien, Churchill lui-même finit par s'inquiéter, à la suite des réactions indignées de la presse des pays neutres et même d'une partie de l'opinion britannique." (Ph. Masson)


Sur le front allemand, le raid américain du 12 mars 1945 sur la ville portuaire de Swinemünde en Poméranie qui totalisera selon les estimations probablement plus de 20 000 victimes prend pour cible les réfugiés qui fuient l'avancée des troupes de Staline, massés en ville ou déjà à bord de navires :

"La plage était bordée d’une large ceinture de parcs où s’était concentrée la masse des réfugiés. La 8ème armée américaine le savait parfaitement, c’est pourquoi elle avait chargé ses avions de quantité de " briseurs d’arbres", des bombes munies de détonateurs qui explosaient dés qu’elles entraient en contact avec des branches.

Un témoin raconte avoir vu les réfugiés dans le parc "se jeter au sol exposant tout leur corps à l’action des "briseurs d’arbres"". Les marqueurs avaient exactement dessiné les limites du parc avec des lumières traçantes, le tapis de bombes tombait donc dans une zone particulièrement étroite, de sorte qu’il n’y avait aucun moyen de s’échapper (…)

Parmi les grands navires marchands qui coulèrent - les Jasmund, Hilde, Ravensburg, Heiligenhafen, Tolina, Cordillera - ce fut l’Andros qui subit les pertes les plus lourdes. Il avait appareillé le 5 mars à Pillau, sur la côte du Samland, avec deux mille passagers en direction du Danemark" (L’incendie, l’Allemagne sous les bombes, 1940-45 de Jörg Friedrich ).

"A ces attaques massives, s'ajoutent, au cours de la même période, les raids répétés de l'aviation tactique, bimoteurs et chasseurs-bombardiers. Ces raids [des Américains comme des Anglais] visent les trains, les routes, des villages, des fermes isolées, voire des paysans dans leurs champs. Les Allemands ne pratiquent plus les travaux agricoles que le matin à l'aube, ou le soir au crépuscule. Des mitraillages interviennent à la sortie des écoles et il faut apprendre aux enfants à se protéger contre les attaques aériennes. Lors du bombardement de Dresde, les chasseurs alliés s'en prennent aux ambulances et aux voitures de pompiers qui convergent vers la ville depuis les cités environnantes." (Ph. Masson)


Sur le front de guerre extrême-oriental, l'impérialisme américain agit avec la même bestialité : "Revenons à l’été 1945. Soixante-six des plus grandes villes du Japon ont déjà été détruites par le feu à la suite de bombardements au napalm. A Tokyo, un million de civils sont sans abri et 100 000 personnes ont trouvé la mort. Elles ont été, pour reprendre l’expression du général de division Curtis Lemay, responsable de ces opérations de bombardement par le feu, "grillées, bouillies et cuites à mort". Le fils du président Franklin Roosevelt, qui était aussi son confident, avait déclaré que les bombardements devaient se poursuivre "jusqu’à ce que nous ayons détruit à peu près la moitié de la population civile japonaise". Le 18 juillet, l’empereur du Japon télégraphie au président Harry S. Truman, qui avait succédé à Roosevelt, pour demander une fois de plus la paix. On ignore son message. (…) Quelques jours avant le bombardement de Hiroshima, le vice-amiral Arthur Radford fanfaronne : "Le Japon va finir par n’être qu’une nation sans villes - un peuple de nomades." " ("De Hiroshima aux Twin Towers", Le Monde diplomatique de septembre 2002)

Brouillard idéologique et mensonges pour couvrir les crimes cyniques de la bourgeoisie

Il existe encore une autre caractéristique du comportement de la bourgeoisie, particulièrement présente dans les guerres, de surcroît quand elles sont totales : ceux de ses crimes qu'elle ne décide pas d’effacer de l'histoire (à la manière dont avaient déjà commencé à procéder les historiens staliniens dans les 1930), elle les travestit en leur contraire, en des actes courageux, vertueux, ayant permis de sauver plus de vie humaines qu'ils n'en ont supprimées.

Les bombardements britanniques en Allemagne

Avec la victoire des Alliés, c'est tout un pan de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale qui a disparu de la réalité (16 [16]) : "les bombardements de terreur ont sombré dans un oubli presque complet, au même titre que les massacres perpétrés par l'Armée rouge ou les affreux règlements de comptes de l'Europe de l'Est." (Ph. Masson). Ces évènements-là ne sont évidemment pas invités aux cérémonies de commémoration des anniversaires "macabres", ils en sont bannis. Seuls subsistent quelques témoignages de l'histoire qui, trop enracinés pour être ouvertement éradiqués, sont "médiatiquement traités" en vue de les rendre inoffensifs. C'est le cas en particulier du bombardement de Dresde : "… le plus beau raid de terreur de toute la guerre [qui] avait été l'œuvre des Alliés victorieux. Un record absolu avait été acquis les 13 et 14 février 1945 : 253 000 tués, des réfugiés, des civils, des prisonniers de guerre, des déportés du travail. Aucun objectif militaire" (Jacques de Launay, Introduction à l'édition française de 1987 du livre La destruction de Dresde (17 [17])

Il est de bon ton aujourd'hui, dans les médias commentant les cérémonies du 60e anniversaire du bombardement de Dresde, de retenir le chiffre de 35 000 victimes et, lorsque celui de 250 000 est évoqué, c'est immédiatement pour attribuer une telle estimation, pour les uns à la propagande nazie, pour les autres à la propagande stalinienne. Cette dernière "interprétation" est d'ailleurs peu cohérente avec une préoccupation majeure des autorités est-allemande pour qui, à l'époque, "il n'était pas question de laisser répandre l'information vraie que la ville était envahie par des centaines de milliers de réfugiés fuyant devant l'Armée rouge." (Jacques de Launay). En effet, au moment des bombardements, elle comptait environ 1 million d'habitants dont 400 000 réfugiés. Vu la manière dont la ville a été ravagée (18 [18]), il est difficile de s'imaginer comment 3,5% de la population seulement ait péri !


A la campagne de banalisation par la bourgeoisie de l'horreur de Dresde, au moyen de la minimisation du nombre des victimes, s'en superpose une autre visant à faire apparaître l'indignation légitime que suscite cet acte de barbarie comme étant le propre des néo-nazis. Toute la publicité faite autour des manifestations regroupant en Allemagne les dégénérés nostalgiques du 3e Reich commémorant l'évènement ne peut en effet qu'inciter à se détourner d'une critique mettant en cause les Alliés, par crainte d'être amalgamé avec les nazis.

Le bombardement atomique sur le Japon

Au contraire des bombardements anglais en Allemagne dont tout est fait pour en dissimuler l'ampleur, l'emploi de l'arme atomique, pour la première et seule fois dans l'histoire, par la première démocratie du monde est un évènement qui n'a jamais été dissimulé ou minimisé. Tout au contraire, tout a été fait pour que cela se sache et que la puissance de destruction de cette nouvelle arme soit au mieux mise en évidence. Toutes les dispositions avaient été prises en ce sens avant même le bombardement de Hiroshima du 6 août 1945 : "Quatre villes furent désignées [pour être bombardées]: Hiroshima (grand port et ville industrielle et bases militaire), Kokura (principal arsenal), Nigata (port, aciéries et raffineries), et Kyoto (industries) (…) À partir de ce moment, aucune des villes mentionnées ci-dessus ne reçurent de bombes : il fallait qu’elles soient le moins touchées possible, afin que la puissance de destruction de la Bombe atomique ne pût être discutée." (Article "Bombe lancée sur Hiroshima" sur https://www.momes.net/dictionnaire/h/hiroshima.html [19]). Quant au largage de la seconde bombe sur Nagasaki (19 [20]), il correspond à la volonté de démonstration, de la part des Etats-Unis, qu'ils pouvaient, autant de fois que nécessaire, faire usage du feu nucléaire (ce qui en réalité n'était pas le cas puisque les bombes suivantes en construction n'étaient pas prêtes.)

Selon la justification idéologique à ce massacre des populations japonaises, il s'agissait du seul moyen permettant d'obtenir la capitulation du Japon en sauvant la vie d'un million de soldats américains. C'est un mensonge énorme qui est encore propagé aujourd'hui : le Japon était exsangue et les Etats-Unis (ayant intercepté et déchiffré des communications de la diplomatie et de l'état-major nippons) savaient qu'il était prêt à capituler. Mais ils savaient également qu'il existait, du côté japonais, une restriction à la capitulation, le refus de la destitution de l'empereur Hiro-Hito. Disposant ainsi d'un moyen pour éviter que le Japon n'accepte la capitulation totale, les Etats-Unis l'utilisèrent en rédigeant les ultimatums de manière telle qu'ils induisaient l'idée qu'ils exigeaient la destitution de l'empereur. De plus il faut souligner que l'administration américaine n'a jamais explicitement menacé le Japon de lui faire subir le feu nucléaire, dès le premier essai de tir nucléaire réussi à Alamogordo, afin bien sûr ne pas lui laisser une occasion d'accepter les conditions américaines. Après avoir largué deux bombes atomiques démontrant la supériorité de cette nouvelle arme sur toutes les armes conventionnelles, les Etats-Unis étaient parvenus à leurs fins, le Japon capitula et … l'empereur resta en place. L'inutilité absolue de l'usage de la bombe atomique contre le Japon afin de le forcer à capituler s'est depuis lors trouvé confirmée par les déclarations de militaires, dont certains de haut rang, eux-mêmes atterrés par un tel cynisme et une telle barbarie (20 [21]).

La coresponsabilité des Alliés dans l'Holocauste

"Au silence européen, s'ajoute celui des Alliés. Parfaitement au courant à partir de 1942, ni les Anglais ni les Américains ne s'émeuvent outre mesure du sort des Juifs et se refusent à intégrer la lutte contre le génocide dans les buts de guerre. La presse signale bien transferts et massacres, mais ces informations sont rejetées en douzième ou quinzième page. Le phénomène est particulièrement net aux Etats-Unis ou règne un antisémitisme virulent depuis 1919." (Une guerre totale…)

Lors de la libération des camps, les Alliés font mine d'être surpris par l'existence de ceux-ci et des exterminations massives qu'ils ont servi à commettre. Jusque là dénoncée uniquement par quelques historiens honnêtes et des minorités révolutionnaires, cette supercherie commence à connaître, depuis une dizaine d'années, une remise en cause de la part de personnalités officielles ou dans des médias reconnus. Ainsi, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, déclare le 23 avril 1998, à Auschwitz, à l'occasion de "la Marche des Vivants" : "Ce n'était pas difficile de tout arrêter, il suffisait de bombarder ces rails. Ils [les Alliés] savaient. Ils n'ont pas bombardé parce que, à cette époque, les Juifs n'avaient pas d'État, de force militaire et politique pour se protéger" ; de même le magazine français Science et vie Junior écrit : "Au printemps 1944, les Alliés photographient en détail Auschwitz-Birkenau et bombardent à quatre reprises les usines proches. Jamais une bombe ne fut lancée contre les chambres à gaz, les voies ferrées ou les fours crématoires du camp d’extermination. Winston Churchill et Franklin Roosevelt avaient été informés dès 1942 par le représentant du Congrès juif mondial à Genève puis par des résistants polonais de ce qui se passait dans les camps. Des résistants juifs leur ont demandé de bombarder les chambres à gaz et les fours crématoires d’Auschwitz. Ils ne l’ont pas fait ou, dans le cas de Churchill leurs ordres n’ont pas été exécutés." (N°38, octobre 1999 ; Dossier hors série : la Seconde Guerre mondiale). Le procédé est vieux comme le monde : on met en cause des subalternes pour épargner la tête ! Les réponses données à cette situation, même les plus honnêtes d'entre elles, font la part belle à la respectabilité du camp allié : "Pourquoi, alors que l’aviation alliée a bombardé une usine de caoutchouc à 4 kilomètres de là ? La réponse est terrible : les militaires avaient d’autres priorités. Pour eux, l’essentiel était de gagner la guerre au plus vite et rien ne devait retarder cet objectif prioritaire." (Ibid.) Tout est fait pour éviter que ne soit posée la véritable question de la coresponsabilité des Alliés dans l'Holocauste (21 [22]) alors qu'ils avaient refusé toutes les propositions allemandes d'échanger des Juifs contre des camions, et même contre rien et que, même pour lui sauver la vie, ils ne voulaient en rien s'encombrer d'une population dont ils n'avaient que faire.

La bourgeoisie : une classe de gangsters

Comment expliquer que des secrets qui avaient été aussi bien gardés pendant des années finissent par être déballés sur la place publique ? Dans l'article d'où est cité l'extrait (cité ci-dessus) du discours de Netanyahou le 23 avril 1998 à Auschwitz, un début de réponse est esquissé : "Évidemment, la pression exercée sur Benjamin Netanyahou à la veille de son départ en Pologne, par les pays européens et surtout par les États-Unis, en ce qui concerne les négociations avec Yasser Arafat, explique qu'il ait eu recours à la thématique des victimes de la Shoah" ("Le débat historiographique en Israël autour de la Shoah : le cas du leadership juif" de Raya Cohen, Université de Tel-Aviv). C'est effectivement pour faire relâcher la pression exercée sur Israël par les Etats-Unis dans les négociations avec les Palestiniens que Netannyahou envoie un pavé dans la mare destiné à éclabousser la réputation de l'Oncle Sam. En montrant explicitement sa volonté d'une plus grande indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, afin de jouer sa propre carte, Israël ne fait que s'inscrire dans la dynamique de tous les anciens vassaux des Etats-Unis au sein du bloc de l'Ouest depuis qu'il a disparu, au début des années 1990. D'autres pays comme la France ou l'Allemagne ont poussé plus loin cette dynamique en contestant plus ouvertement le leadership américain. C'est la raison pour laquelle, en vue d'alimenter un antiaméricanisme qu'ils n'ont cessé de renforcer à mesure que s'accroissaient les antagonismes avec la première puissance mondiale, les nouveaux rivaux, et anciens alliés des Etats-Unis, pourraient être de plus en plus favorables à ce que soit posée, sur la place publique, la question de savoir "pourquoi, les Alliés qui avaient connaissance de l'Holocauste en cours n'ont-ils pas bombardé les camps ?" Les Etats-Unis, mais aussi la Grande-Bretagne, doivent donc s'attendre dans le futur à devoir affronter des critiques plus explicites quant à leur coresponsabilité dans l'Holocauste (22 [23]).

Il existe en particulier, de la part de l'Allemagne, des tentatives pour briser le consensus idéologique favorable au vainqueur qui avait prévalu depuis 1945, parallèlement à sa volonté de quitter le statut de nain militaire résultant de la défaite. Depuis sa réunification au début des années 1990, l'Allemagne s’est donnée les moyens d’assumer, sur un plan international, des responsabilités militaires dans des opérations dites de "maintien de la paix", en ex-Yougoslavie en particulier et plus récemment en Afghanistan. Une telle politique de l'Allemagne, tendant à s’affirmer comme principal challenger au leadership américain (même si elle est encore loin de pouvoir rivaliser avec lui), correspond à la volonté de ce pays de pouvoir jouer à nouveau un rôle de premier plan sur l'échiquier impérialiste mondial. Parmi les conditions requises pour tenir un tel rôle, il lui faut en finir avec la honte de son passé nazi qui lui colle à la peau, se "réhabiliter" en faisant la démonstration que, lors de la Seconde Guerre mondiale, la barbarie était dans les deux camps. Ce qui n'est pas très difficile vu les preuves qui attestent de cette réalité. De façon tout à fait appropriée, l'offensive idéologique de l'Allemagne est menée par des personnalités qui affirment subordonner leur combat à la défense de la démocratie et ne ménagent pas leur dénonciation des crimes nazis. Comme le relate un article intitulé "Le livre de Jörg Friedrich "Der Brand" a rouvert la polémique concernant les bombardements stratégiques" au sein d'un numéro spécial du Spiegel paru en 2003, cette offensive idéologique a donné lieu à un vif échange médiatique entre l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Le Spiegel écrit : "A peine des extraits de cette étude exhaustive de la guerre des bombes menée par les Alliés contre l’Allemagne dans les années 1940-45 avaient-ils été publiés dans Bild-Zeitung que des journalistes britanniques se sont jetés sur l’historien berlinois, finissant par poser constamment la même question : "Comment en êtes-vous arrivé à dépeindre Winston Churchill comme criminel de guerre ? " Friedrich a expliqué sans relâche que dans son livre il s’était abstenu de porter un jugement sur Churchill. " Il ne peut en outre pas être un criminel de guerre au sens juridique du terme, dit Friedrich, du fait que les vainqueurs, même lorsqu’ils ont commis des crimes de guerre, n’en sont pas inculpés." "

Le Spiegel reprend : "Il n’est pas étonnant que le Daily Telegraph conservateur ait aussitôt sonné l’alarme et stigmatisé le livre de Friedrich "comme une attaque jamais vue contre la conduite de la guerre par les Alliés". Dans le Daily Mail l’historien Corelli Barnett écume que le confrère allemand aurait rejoint le "tas de dangereux révisionnistes" et chercherait à établir "une équivalence morale entre le soutien apporté par Churchill aux bombardements en tapis et le crime indicible" des Nazis, "un non sens infâme et dangereux." (…)

Churchill – véritable homme de guerre – était aussi un homme politique ambivalent. C’est le charismatique Premier ministre qui a réclamé les attaques "d’anéantissement" contre les villes allemandes. Mais lorsque, par la suite, il vit des films de villes en flammes, il demanda : "Sommes-nous des bêtes ? Allons-nous trop loin ?"

En même temps, ce n’est personne d’autre que lui, qui – tout comme Hitler et Staline – a pris sur lui toutes les décisions militaires importantes et a pour le moins approuvé la constante escalade dans la guerre des bombardements."


Dans le même sens, l'Allemagne développe une offensive diplomatique visant à obtenir réparation morale, dans un premier temps, pour le préjudice qu'elle a subi avec la perte de son influence historique dans un certain nombre de pays de l'Europe de l'Est, avec sa défaite de la Seconde Guerre mondiale. En effet, "environ 15 millions d'Allemands ont dû fuir l'Est de l'Europe après la débâcle. Nazis ou pas, collaborateurs ou résistants, ils furent chassés des régions où ils étaient parfois établis depuis des siècles : les Sudètes en Bohème et Moravie, la Silésie, la Prusse-Orientale et la Poméranie" ("La "nouvelle Allemagne" brise ses anciens tabous" ; Le Temps – périodique suisse - du 14 juin 2002 ). En effet, sous couvert d'œuvrer en faveur de buts humanitaires, l'Allemagne est à l'initiative de la création d'un "réseau européen contre les déplacements de populations" motivée par "l'idée que le déplacement des populations allemandes fut une "injustice" à motivation ethnique couverte par les Accords de Potsdam" (Informationen zur Deutschen Außenpolitik du 2 février 2005 ; https://www.germanforeignpolicy.com [24]) (23 [25]). Dans un discours de soutien à ce "réseau", prononcé en novembre 2004 devant une commission du Conseil de l'Europe, Markus Meckel, député SPD spécialisé dans les questions internationales, déclarait : "Certes, ce sont des dictateurs comme Hitler, Staline et, récemment, Milosevic qui ont ordonné de tels déplacements de populations mais, des démocrates comme Churchill et Roosevelt, ont accepté l'homogénéisation ethnique comme un moyen de stabilisation politique". La publication citée (Informationen zur …) résume la suite du discours : "Meckel en rajoute dans la provocation en ajoutant que tout le monde serait aujourd'hui d'accord pour qualifier d'atteinte au droit la transplantation des populations allemandes. "La communauté internationale condamne aujourd'hui", explique-t-il, le comportement des vainqueurs de la guerre dont il ne semble pas penser qu'ils aient agi différemment de la dictature raciste du national-socialisme."


Il ne fallait évidemment pas s'attendre, de la part d'aucune fraction de la bourgeoisie, à ce que la mise en évidence des crimes commis par d'autres fractions de la bourgeoisie, ait une motivation autre que la défense de ses intérêts impérialistes propres. Ainsi, aujourd'hui, la propagande bourgeoise qui utilise la révélation des crimes des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale est à combattre avec la même détermination que la propagande alliée et démocratique qui avait utilisé les crimes du nazisme pour se faire une virginité. Toutes les larmes versées sur les victimes de la Seconde Guerre mondiale, par quelque fraction de la bourgeoisie que ce soit, ne sont qu'hypocrisie écoeurante.

La leçon la plus importante à tirer de ces six années de carnage de la Seconde boucherie mondiale est que les deux camps en présence et les pays qu'ils regroupaient, quelle que soit l'idéologie dont ces derniers se drapaient, stalinienne, démocrate ou nazie, tous étaient la légitime création de la bête immonde qu'est le capitalisme décadent.

La seule dénonciation de la barbarie qui puisse servir les intérêts de l'humanité est celle qui, allant à la racine de cette barbarie, s'en sert de levier pour une dénonciation du capitalisme comme un tout en vue de son renversement avant qu'il n'ensevelisse l'humanité tout entière sous des monceaux de ruines.


LC-S (16 avril 05)

1 [26]Lire notre article "Débarquement de juin 1944 : Massacres et manipulations capitalistes" dans la Revue Internationale n° 118.

2 [27] Lire notre article sur les commémorations de 1944 : "50 ans de mensonges impérialistes" dans la Revue Internationale n° 78.

3 [28] En ce qui concerne la classe ouvrière du camp fasciste, c'est au moyen de la terreur la plus bestiale qu'elle a été enrégimentée, et décimée par millions, dans l'armée allemande.

4 [29] tiellement de la Gauche communiste qui dénonçait cette guerre comme étant une guerre impérialiste comme l'avait été la Première et défendait que, face à celle-ci, la seule attitude conséquente des révolutionnaires était l'internationalisme le plus intransigeant avec le refus du soutien à l'un ou l’autre des deux camps. Telle ne fut pas l'attitude du trotskisme qui, en soutenant l'impérialisme russe et le camp démocratique, signait son passage dans le camp de la bourgeoisie. Ceci explique pourquoi certaines succursales du trotskisme (Ras l'front en France) spécialisées dans l'antifascisme radical, vouent une haine farouche à toute activité et position dénonçant l'exploitation idéologique par les Alliés des camps de la mort, comme c'est le cas en particulier de la brochure publiée par le Parti communiste international, Auschwitz ou le grand alibi.

5 [30] Lire note article "Les massacres et les crimes des grandes démocraties" dan la Revue Internationale n° 66.

6 [31] Lire notre article "An 2000, le siècle le plus barbare de l'histoire" dans la Revue Internationale n° 101.

7 [32] Lire le livre La France au Rwanda, l'inavouable de Patrick de Saint-Exupéry où sont détaillés tous les éléments montrant comment la France (de Mitterrand) a armé, entraîné, soutenu, protégé les tortionnaires des Tutsi, pour la défense de ses intérêts impérialistes en Afrique.

8 [33]Cette manière expéditive d'organiser la production forcée avait en partie été inaugurée lors du Premier conflit mondial, dans un autre domaine, celui de la discipline des armées, lorsque, en France, les troupes étaient conduites au combat avec une rangée de mitrailleuses derrière elles, servies par des gendarmes ayant ordre de faire feu sur ceux qui refusaient d'avancer vers les lignes ennemies.

9 [34]Philippe Masson ne peut à priori pas être soupçonné de sympathies révolutionnaires puisqu'il est chef de la section historique du Service historique de la Marine et enseigne à l'Ecole supérieure de guerre navale.

10 [35] Depuis fin 1943, des grèves ouvrières éclataient en Allemagne et les désertions au sein de l'armée allemande tendaient à s'amplifier. En Italie, fin 1942 et surtout en 1943, des grèves avaient éclaté un peu partout dans les principaux centres industriels du Nord.

11 [36]Mémoires, Tome 12, mai 1945.

12 [37] Lire notre article "50 ans après : Hiroshima, Nagasaki ou les mensonges de la bourgeoisie" dans la Revue Internationale n° 83.

13 [38] Une instruction du général Keitel, du 12 décembre 1941, connue sous le nom de "Nuit et Brouillard", explique : "un effet d'intimidation durable ne peut être obtenu que par des condamnations à mort ou par des mesures telles qu'elles laissent la famille (du coupable) et la population dans l'incertitude quant au sort du détenu".

14 [39] Bien que n'ayant pas donné lieu à une politique aussi systématique d'élimination, les mauvais traitements infligés à la population allemande déportée (depuis les pays de l'Est), et aux prisonniers de guerre (parqués aux Etats-Unis et au Canada), de même que la famine faisant rage dans l'Allemagne occupée se traduisirent pas la mort de 9 à 13 millions de personnes entre 1945 et 1949. Pour davantage d'informations, lire notre article "En 1948, le pont aérien de Berlin cache les crimes de l'impérialisme allié" dans la Revue Internationale n° 95.

15 [40] Une telle coopération implique également, en certaines circonstances, l'armée allemande à laquelle il est revenu d'anéantir la population de Varsovie qui, suite à une promesse d'aide de la part des alliés, s'était insurgée contre l'occupation allemande. Pendant que les SS massacraient la population, les troupes de Staline stationnaient de l'autre côté de la Vistule en attendant que le travail soit achevé, alors que l'aide promise par les anglais n'arrivait évidemment pas.

16 [41] "En 1948, une enquête alliée révèlera que, dès 1944, le commandement avait décidé de commettre "une atrocité à une échelle telle qu'elle terrorisera les Allemands et les poussera à cesser les combats". Le même argument servira six mois plus tard à Hiroshima et Nagasaki. L'enquête conclut que l'action était "politique et non militaire" et n'hésitera pas à qualifier les bombardements de Dresde et Hambourg "d'actes terroristes à grande échelle". Aucun responsable politique ou militaire ne fut jamais inquiété." (Extrait de la page Web du 13 février 2004 du Réseau Voltaire : Le "terrorisme aérien" sur Dresde fait 135 000 morts civils.

17 [42] L'auteur de ce livre est David Irving qui est accusé d'avoir, dans un passé récent, embrassé les thèses négationnistes. Bien qu'une telle évolution de sa part, si elle est réelle, ne soit pas de nature à donner un éclairage favorable sur l'objectivité de son livre La destruction de Dresde (Edition française de 1987), il convient de signaler que sa méthode, qui à notre connaissance n’a jamais été sérieusement remise en cause, ne porte pas la moindre marque de négationnisme. La préface à cette édition par le général de corps d'armée aérienne, Sir Robert Saundby, qui ne fait pas figure de furieux pronazi ni de négationniste dit entre autres ceci : "Ce livre raconte honnêtement et sans passion l'histoire d'un cas particulièrement tragique de la dernière guerre, l'histoire de la cruauté de l'homme pour l'homme. Souhaitons que les horreurs de Dresde et de Tokyo, d'Hiroshima et de Hambourg, puissent convaincre la race humaine tout entière de la futilité, de la sauvagerie et de l'inutilité profonde de la guerre moderne". De plus, on trouve dans l'édition anglaise de 1995 de ce livre (intitulée Apocalypse 1945) qui en constitue une actualisation, le passage suivant : "existe-t-il un parallèle entre Dresde et Auschwitz ? A mon avis l'un et l'autre nous enseignent que le vrai crime de la guerre comme de la paix n'est pas le génocide – qui suppose implicitement que la postérité accordera ses sympathies et condoléances à une race particulière – mais bien l'innocenticide. Ce n'est pas parce que ses victimes étaient des Juifs que Auschwitz a été un crime mais parce qu'elles étaient innocentes" (Souligné par nous). Signalons enfin, pour dissiper des doutes éventuels sur le caractère excessif de l'auteur que l'édition française de 1963, qui estime le nombre des victimes à 135 000, cite les estimations faites par les autorités américaines, qui donnent 200 000 victimes et plus.

18 [43]"Une première vague de bombardiers passe au-dessus de la ville le 13 février au soir, vers 21h30. Elle lâche 460 000 bombes à fragmentation, qui descendent en vrille et explosent en perçant les murs, les planchers et les plafonds des habitations. (…) Une deuxième vague de bombardiers, à 3 heures du matin, déverse pendant 20 minutes 280 000 bombes incendiaires au phosphore et 11 000 bombes et mines. (…) Les incendies se propagent avec d'autant plus de facilité que les immeubles ont été préalablement éventrés. La troisième vague survient le 14 février à 11h 30. Pendant 30 minutes, elle lâche à son tour bombes incendiaires et bombes explosives. Au total, en quinze heures, c'est 7000 tonnes de bombes incendiaires qui tombent sur Dresde, détruisant plus de la moitié des habitations et le quart des zones industrielles. Une grande partie de la ville est réduite en cendres (…) Beaucoup de victimes disparaissent en fumée sous l'effet d'une température souvent supérieure à 1000°C" (extraits de l'article "14 février 1945 : Dresde réduite en cendres" consultable à l'adresse suivante sur Internet https://www.herodote.net/histoire02141.htm [44]).

A ces éléments, il faut ajouter le "détail" suivant dont rend compte l'article "Les 13 et 14 février, 7 000 tonnes de bombes" du journal Le Monde du 13 février 2005 qui donne une explication au nombre élevé de victimes "La première vague de bombardements a eu lieu peu après 22 heures. Les sirènes avaient retenti quelque vingt minutes plus tôt et les habitants de Dresde avaient eu le temps de se terrer dans les caves des immeubles, les abris étant en nombre insuffisant. La deuxième vague est venue à 1 h 16 du matin. Détruites par les premiers bombardements, les sirènes d'alarme ne fonctionnaient plus. Pour échapper à la chaleur torride provoquée par les incendies - jusqu'à 1 000°C -, la population s'était répandue dans les jardins et sur les rives de l'Elbe. C'est là qu'elle fut atteinte par les bombes."

19 [45]Si c'est Nagasaki, qui n'était pas prévu au programme, qui reçut la seconde bombe atomique c'est à cause des conditions météo défavorables sur les villes sélectionnées et qu'il n'était plus possible au bombardier ayant embarqué la bombe atomique à son bord de revenir à sa base, la charge nucléaire ayant été armée.

20 [46] Amiral Leahy, chef d'état-major particulier des présidents Roosevelt puis Truman : "Les Japonais étaient déjà vaincus et prêts à se rendre. (...) L'utilisation à Hiroshima et à Nagasaki de cette arme barbare ne nous a pas aidés à remporter la guerre. (...) En étant le premier pays à utiliser la bombe atomique, nous avons adopté (...) la règle éthique des barbares." (Mémoires écrites en 1995).

Général Eisenhower : "À ce moment précis [août 1945], le Japon cherchait le moyen de capituler en sauvant un peu la face. (...) Il n'était pas nécessaire de frapper avec cette chose horrible." (Mémoires).

21 [47]Lire l'article "La co-responsabilité des Alliés dans l'Holocauste" de notre brochure Fascisme et démocratie : deux expressions de la dictature du capital.

22 [48] Ils s'y préparent d'ailleurs de la seule manière cohérente possible en publiant des archives montrant que l'existence des camps était connue. Ainsi, "en janvier 2004, le département des archives de reconnaissance aérienne de l'université de Keele (Grande-Bretagne) publiait pour la première fois des photos aériennes montrant le camp d'Auschwitz-Birkenau en activité. Pris par les avions de la Royal Air Force à l'été 1944, ces clichés stupéfiants sur lesquels on aperçoit la fumée des fours à ciel ouvert et l'organisation du camp d'extermination, auront attendu soixante ans avant d'être rendus publics" (Le Monde du 9 janvier 05 ; "Auschwitz : la preuve oubliée"). Un débat est engagé avec de fausses réponses toutes prêtes du genre "ce n'est pas le camp d'Auschwitz que les avions photographiaient à l'époque, mais un énorme complexe pétro-chimique allemand. Dans l'urgence, les agents chargés d'analyser les clichés n'auraient pas réalisé que les camps d'Auschwitz et de Birkenau, proches de cette usine de pétrole synthétique, appartenaient au même ensemble" (Ibid.)

23 [49] La France, inquiétée par cette volonté d'expansion impérialiste de son compère allemand, n'a pas manqué de s'opposer à ce projet.

Evènements historiques: 

  • Deuxième guerre mondiale [50]

Article de Battaglia Comunista : "Décadence, Décomposition, produits de la confusion"

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Nous publions ci-dessous un article de Battaglia Comunista. Il s'agit d'un article paru en Italien et intitulé "Décadence, décomposition, produits de la confusion" du numéro 10 de Prometeo.

Notre réponse se trouve dans l'article : "De calomnies en mensonges, le BIPR s'éloigne de la cause du prolétariat [51]".


 

Décadence, Décomposition, produits de la confusion

La guerre en Irak, comme les autres qui existent disséminées dans le monde, trouverait, pour certains qui insistent pour se proclamer marxistes, ses raisons dans des motifs « stratégiques » qui n’auraient que peu, ou rien à faire, avec les intérêts économiques des puissances en jeu.

Il faut donc avant tout clarifier ce qu’on entend par « stratégiques ».

Dans n’importe quel dictionnaire, on dit que stratégique veut dire « concernant la stratégie », laquelle est « branche de l’art militaire qui traite de la conduite de la guerre » (Zingarelli) ou, au sens figuré, « capacité d’atteindre le but recherché dans des situations qui ne sont pas faciles ». Il s’en suit que pour ceux dont on a parlé plus haut, la guerre en Irak et les guerres analogues, seraient des moments d’une guerre différente, plus ample, dont les causes cependant continuent à se dissimuler. Les plus raffinés parmi ces grands « marxistes » font semblant d’individualiser les causes de ces guerres dans l’impérialisme, dans l’affrontement entre intérêts impérialistes. On peut lire des phrases de ce genre : « Aujourd’hui cependant l’Allemagne perçoit l’aventure américaine actuelle en Irak comme une menace réelle pour ses intérêts dans une zone qui a été centrale pour ses ambitions impérialistes depuis la première guerre mondiale. Elle a donc lancé un défi plus explicite que jamais auparavant vis-à-vis des Etats-Unis ».

On en déduit que bien ou mal, les intérêts en jeu, bien entendu impérialistes, sont les mêmes que lors de la première guerre mondiale. Même dans ce cas, ou à plus forte raison, on s’attendrait à une explication de quels sont ces intérêts impérialistes qui ne changent pas à plus de 80 ans de distance. Mais non !

Le moment est arrivé d’expliciter à qui et à quoi nous faisons référence. Et bien, bien que nous ayons déclaré que nous ne sommes plus intéressés à un quelconque débat/confrontation avec le CCI, c’est la résolution de son XV Congrès que nous analysons, pour démontrer encore une fois, s’il en est encore besoin, que cette dernière est étrangère à la méthode et à la doctrine marxiste.

Risiko ou critique de l’économie politique ?

 

Les thèses depuis le point 6 jusqu’au point 9 sont plus semblables à la description d’une partie de Risiko qu’à la description de la dynamique du capitalisme à partir des années 70, outre le fait qu’elles contiennent des perles avec des phrases complètement vides comme la suivante (thèse n° 8) : « L’abandon de ces institutions du 'droit international' représente une avancée significative du développement du chaos dans les rapports internationaux ».

Si on veut être plus bienveillant, beaucoup des thèses exprimées ressemblent fortement aux traités « géopolitiques » de revues comme Limes, avec une référence constante à la légitimité des justifications de la guerre, à l’autorité politique des USA en déclin, etc., et sans jamais de référence au contenu réel et concret des intérêts impérialistes. Ces revues ont certainement leur intérêt, mais elles ne prétendent pas utiliser l’arme de la critique qui prépare la critique des armes.

La première et la seconde guerre mondiale ont été définies par les communistes toutes les deux comme impérialistes parce que menées par des fronts impérialistes opposés, poussés par des intérêts spécifique vraiment antagoniques. Mais de là à dire que les intérêts étaient les mêmes, il y a loin.

Il est clair pour tous que si nous disons qu’en régime capitaliste, une révolution industrielle, des processus de production donc, a toujours comme effet l’augmentation de la productivité du travail, nous énonçons une vérité générale qui ne dit rien des spécificités des révolutions industrielles elles mêmes. Pourtant, ces spécificités comptent tout autant, vu que la dernière, que nous définissons comme celle du microprocesseur, non seulement n’a pas créé, à la différence de celles qui ont précédé, de nouveaux secteurs de production qui soient en mesure de compenser la perte d’autres secteurs dépassés, mais elle a aussi réduit le coût des innovations, en vérité le coût du capital constant diminuant ainsi l’augmentation de la composition organique du capital.

Les intérêts en jeu dans les guerres de l’impérialisme changent aussi d’une guerre à l’autre.

Si on veut schématiser un peu, la première guerre mondiale a vu comme dominante l’affrontement pour les intérêts coloniaux des puissances : une guerre pour les matières premières ; la seconde guerre mondiale a vu au contraire l’affrontement pour les marchés où les marchandises peuvent trouver un débouché ; la troisième, en préparation, voit au contraire, comme plus importante, et de loin, la lutte pour les marchés financiers et en dernière instance, pour la répartition de la rente, précisément financière.

Deux clarifications s’imposent :

1. ce n’est pas par hasard que nous utilisons le terme dominante, ou plus importante : cela veut dire qu’à côté de la raison principale , il y a un ensemble d’autres raisons à l’œuvre, qui n’excluent pas celles qui étaient dominantes dans la guerre précédente. Ainsi, la deuxième guerre mondiale, si elle a vu comme dominante l’affrontement pour les marchés où les marchandises peuvent trouver un débouché, a été menée aussi, bien que de façon secondaire, pour les sources de matières premières et pour les marchés financiers. Et même dans la troisième guerre mondiale, si la dominante est la lutte pour des marchés financiers, cela n’exclut pas que les marchés où les marchandises peuvent trouver des débouchés et surtout les sources de matières premières soient en jeu et soient intriquées avec les raisons principales (on pense justement au pétrole).

2. Quand certains, et en particulier, le CCI, nous accusent de voir toutes les guerres récentes uniquement en termes de pétrole, ils ressemblent un peu aux idiots dans l’histoire du doigt et de la lune.

Le pétrole est le doigt. Celui-ci, nous l’avons dit, redit et répété, est extrêmement important en tant que source énergétique et que matière première d’une industrie énorme comme le complexe pétrochimique, mais surtout, c’est la matière première de référence qui, échangée partout en dollars, permet à la Réserve Fédérale d’imprimer des dollars à loisir, bien au delà des soi-disant « fondamentaux » économiques du pays Etats-Unis, et comme cela, de financer les déficits effrayants de la balance commerciale, et les tout autant effrayantes dettes fédérales et privées. C’est cette possibilité, la lune, que les USA ne peuvent se payer le luxe de perdre, et que pour la défendre, le contrôle du pétrole mondial leur est essentiel. Les USA ne peuvent consentir, par exemple, à ce que l’Euro commence à remplacer le dollar en tant que moyen de paiement du pétrole : cela ouvrirait une brèche dans le front de la défense de la rente américaine qui risquerait de le faire s’écrouler, ce qui mettrait les USA dans une situation d’effondrement pire, en valeur absolue, que celle qu’a vue l’URSS juste avant sa chute.

Décadence ? Confusion !

Après n’avoir rien dit sur les causes spécifiques qui mènent aux guerres, le CCI prétend donner la clef générale pour l’interprétation de l’ensemble du cadre international, des guerres, des tensions, des alliances ballerine, etc. Et là apparaît la décadence :

« la plongée dans le militarisme est par excellence l’expression de l’impasse à laquelle est confrontée le système capitaliste, sa décadence en tant que mode de production. Comme les deux guerres mondiales et la guerre froide entre 1945 et 1989, les guerres de la période inaugurée à partir depuis 1989 sont la manifestation la plus flagrante du fait que les rapports de production capitalistes sont devenus un obstacle au progrès de l’humanité » (Thèse N° 12).

Une telle confusion des concepts (au niveaux d’abstraction) mériterait une colle dans une hypothétique école élémentaire de marxisme : ici, il manque vraiment ce qu’on appelle le minimum instrumental.

La société – attention aux sujets – est précipitée dans le militarisme chaque fois qu’une guerre est en vue et cela depuis l’époque des guerres napoléoniennes, époques dont il est difficile d’en trouver de plus militaristes. C’est surtout sur la base de ces guerres que Carl von Clausewitz a écrit son fameux traité sur la guerre qui contient la phrase encore plus fameuse « la guerre est la continuation de la politique ». Est-ce depuis lors que le mode de production capitaliste est en décadence ? Allons, soyons sérieux. Dans des documents présentés comme des résolutions de congrès, on attend quelque chose de mieux.

Mettre ensemble les deux guerres mondiales qui ont eu lieu, la guerre froide et les guerres qui ont suivi comme des démonstrations que le capitalisme est devenu un obstacle « au progrès de l’humanité » est une idiotie.

Entre une guerre et l’autre (21 ans), il y a eu une forte expansion des moyens de production et on a pu voir des progrès humains généraux d’une certaine importance : de la révolution des transports individuels à l’introduction de la théorie quantique et de la relativité dans les sciences… Quelle est alors la signification de cet obstacle au progrès de l’humanité, qui se serait manifesté vraiment à partir de 1914 ? Certes, une société libérée de l’esclavage du travail salarié aurait fait mieux et de façon différente : nous ne pouvons nous contenter du développement qu’a eu l’industrie automobile et du fait que la théorie quantique à été conduite à se heurter à la relativité du fait du confinement capitaliste de la recherche scientifique dans les limites de la recherche de profit. Et encore de quel progrès humain peut on parler si après 21 ans de paix relative, on est de nouveau précipité dans une boucherie mondiale, si dans les guerres locales qui se sont produites au cours de la guerre froide, il y a eu plus de morts civils que dans les deux guerres mondiales réunies, si les deux tiers de l’humanité meurent de faim et que la situation va en empirant ? Nous sommes donc certainement confrontés à une forme d’augmentation de la barbarie de la formation sociale, de ses rapports sociaux, politiques et civils, et vraiment – à partir des années 90 – à une marche en arrière dans le rapport entre capital et travail (avec le retour de la recherche de plus value absolue, en plus de celle relative, dans le plus pur style manchesterien) mais cette « décadence » ne concerne pas le mode de production capitaliste, mais bien sa formation sociale dans le cycle actuel d’accumulation capitaliste, en crise depuis désormais plus de 30 ans ! 1 [52] faire des calculs sur des poires et des carottes comme si c’était la même chose conduit toujours à dire des bêtises. Et celles ci en entraînent toujours d’autres plus graves, plus … grosses comme celle de « l’approfondissement qualitatif de la tendance du capitalisme à l’autodestruction », à la fin de la même thèse 12.

De la Décadence à la décomposition

Et venons à la fameuse décomposition. Celle ci, sur la base de la thèse n°13, semblerait avoir été déclenchée/ signée par l’implosion du bloc soviétique. On affirme que « l’effondrement du bloc stalinien n’était que l’effondrement d’une partie du capitalisme déjà globalisé ».

Disons tout de suite que ce qui peut paraître une approximation « au niveau du lexique » se révèle être une aberration conceptuelle. Parler de fait de « partie du capitalisme » au lieu de front de l’impérialisme permet d’effectuer le passage « logique » : si une partie du tout s’effondre, le tout est en décomposition. Et effectivement la thèse 13 poursuit : « la période inaugurée par ce seïsme n’a représenté aucune fleuraison, aucun rajeunissement du capitalisme ; au contraire, il ne peut être compris que comme la phase terminale de la décadence capitaliste, la phase que nous appelons la décomposition, la « floraison » de toutes les contradictions accumulées par un ordre social déjà sénile ».

Ici, on retrouve l’extrême désinvolture dans le raisonnement et la référence aux concepts. La période qui s’est ouverte avec l’effondrement de l’URSS, donc, n’a pas représenté un rajeunissement du capitaliste (tout à fait juste) mais alors – pourrait se demander quelqu’un – qu’est ce qu’elle a représenté ? Nous répondons que çà a représenté une nouvelle période de redistribution des cartes, ou de désagrégation des vieux fronts impérialistes et de reconstitution de nouveaux, période par ailleurs toujours en cours. Le CCI au contraire, ne répond pas à la question, mais dit « elle ne peut être comprise que… ». Ce qui est une façon d’introduire subrepticement ce concept extravagant de décomposition qui caractérise désormais la … « théorie » CCIiste.

Dans la thèse N°14, nous découvrons le contenu de la nouveauté de cette nouvelle théorie, là où nous lisons :

« le retour de la crise économique qui s’est ouverte à la fin des années 1960 avait en effet déjà ouvert un chapitre final dans le cycle classique du capitalisme, crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise. Dorénavant, il devient virtuellement impossible au capitalisme de reconstruire après une troisième guerre mondiale, qui signifierait probablement l’anéantissement de l’humanité ou au mieux, une régression aux proportions incalculables. Le choix historique auquel est aujourd’hui confronté l’humanité n’est plus seulement révolution ou guerre, mais révolution ou destruction de l’humanité ».

D’abord, nous notons et nous soulignons que la raison pour laquelle il n’y a pas eu (du moins jusqu’à maintenant) de troisième guerre mondiale a changé. Ils ont polémiqué pendant des années avec nous en disant que la guerre n’avait pas éclaté parce que c’était le prolétariat mondial qui l’avait empêchée, en n’étant pas battu et donc vigilant et attentif dans le développement de sa conscience. Nous disions, et continuons à dire, que la guerre n’a pas éclaté parce que le front impérialiste occidental réussissait encore à gérer sa crise et que le bloc de l’est était trop faible même militairement pour tenter de s’en sortir en attaquant et en frappant l’adversaire. Nous avons étudié l’administration de la crise par l’occident dans tous ses aspects financiers, tout autant que sur le terrain de la restructuration engendrée par la vague de la révolution du microprocesseur. Bien entendu, le danger nucléaire restait un des facteurs de refroidissement des tensions, ou bien un fort stimulus pour les centres de commande de l’impérialisme à chercher des solutions alternatives. Maintenant, tout à trac, le CCI nous informe que la seule raison du non déclenchement de la guerre, en substance, était le fait qu’une guerre nucléaire aurait anéanti l’humanité. Puissance de la … décomposition !

Cependant, alors que la mise à l’index des armes nucléaires avance, on voit se redessiner lentement les fronts impérialistes. Quelques lignes de fracture se sont déjà bien délimitées, même si les rapports de force sont encore énormément à l’avantage des USA et que le processus de réarmement des adversaires soit lent.

L’agressivité croissante des USA, induite par sa situation économique dramatique (l’affaiblissement continuel du dollar fait empirer les choses et la perspective) ne fera rien d’autre qu’accélérer les phénomènes de restructuration et de consolidation des alliances et en dernière instance des front pour la guerre. C’est toute autre chose que la décomposition.

Est ce que la guerre sera le moteur d’une régression humaine de proportions gigantesques ? Nous ne pouvons certes pas l’exclure, mais les auteurs de la guerre ne sont pas les capitaux, ce n’est pas le rapport capitaliste de production. Cela peut paraître une banalité mais il faut le dire. Les auteurs et les acteurs de la guerre sont les hommes, dans une formation sociale donnée, qui maintenant est bourgeoise, poussée par les intérêts capitalistes.

Les hommes (la bourgeoisie) décident de faire la guerre, non pas pour « détruire des moyens et des forces de production, et ouvrir un nouveau cycle d’accumulation ». C’est ce qui arrive en réalité et qui alimente le cycle infernal crise-guerre-reconstruction-crise –guerre- reconstruction… Mais cela arrive sans que la bourgeoisie même ne doive en être consciente. Une bourgeoisie fait la guerre à une autre parce qu’elle espère sortir de la crise sur les dépouilles de l’autre, et cela toujours, quelles que soient les spécificités matérielles du combat (voir plus haut).

Aujourd’hui, les instruments guerriers, les armes, ont une puissance de très loin supérieure à celle qu'ils avaient auparavant et les armes atomiques menacent la survie de l’humanité. Mais c’est cela qui rend la guerre elle même plus destructive, pas la phase historique du capital en soi.

Faire des confusions là dessus, c’est faire des confusions entre structure et super-structure et, en bonne partie, c’est une preuve d’inadéquation absolue.

Par ailleurs, le CCI ne peut néanmoins jeter par dessus bord son passé récent. Voilà alors que dans la thèse N°15 rentre en jeu la classe ouvrière et sa capacité à empêcher la guerre du seul fait qu’elle n’a pas été directement défaite. Avec cette perle :

« Néanmoins, la classe ouvrière, dont les luttes de la période de 1968 à 1989 avaient empêché la bourgeoisie d’imposer sa « solution » à la crise économique, était de plus en plus confrontée aux conséquences de son propre échec à élever ses luttes à un niveau politique plus haut et à offrir une alternative à l’humanité. La période de décomposition, résultat de cette « impasse » (les guillemets sont d’eux) entre les deux classes, n’apporte rien de positif à la classe exploitée ».

la « décomposition » (du mode de production ? de la formation sociale ? Bof) serait donc le résultat de l’équilibre stable qui aurait été atteint entre les classes, prolétariat et bourgeoisie. En particulier, la classe prolétarienne en serait responsable … parce qu’elle se serait montrée incapable d’élever ses luttes à un niveau politique supérieur. Faire passer sa propre inadéquation théorique pour une faiblesse de la classe est une fourberie de bas niveau et qui ne paye pas. ***

Encore :

« la classe ouvrière dans cette période a été confrontée non seulement à ses faiblesses politiques, mais aussi au danger de perdre son identité de classe sous le poids d’un système social en pleine désintégration »

Là de nouveau, pas un mot sur la dynamique matérielle de décomposition (dans le sens décompo-recompo) de la classe dans la révolution technologique, pas un mot sur les phénomènes de délocalisation de la production et de déplacements massifs de main-d’œuvre entre pays de la métropole et pays périphériques. C’est ainsi que la thèse suivante , la thèse 16 est consacrée à nier de l’importance aux … seules choses importantes. Nous lisons :

« Ce danger n’est pas fondamentalement le résultat des réorganisations de la production et du partage du travail exigés par la crise économique (par exemple le déplacement des industries secondaires vers le secteur tertiaire dans la plupart des pays avancés, l’informatisation, etc.) »

Etcetera justement. Il n’est pas dans notre intention de commenter une par une les 30 thèses de la résolution. Dans toutes se retrouve essentiellement la méthode (ou l’absence de méthode) cciiste que nous avons mise en évidence jusqu’ici. Tout le texte est parcouru par le « concept » de base selon lequel les campagnes idéologiques de la bourgeoisie comptent beaucoup plus dans le fait que la classe soit poussée à la passivité que les modifications objectives des conditions de la classe elle même. La capacité de la bourgeoisie d’avoir un impact grâce à ses campagnes idéologiques sur la façon d’être de la classe et sur sa combativité va de pair, dans la mentalité cciiste, avec la capacité de la bourgeoisie, cette entité unitaire dans son corps et dans son esprit, à manœuvrer de façon à embrigader la classe ouvrière et de l’emmener dans des pièges horrifiants. Chacun a eu le moyen de vérifier cette vision, celle du CCI, d’une bourgeoisie comploteuse en différentes occasions, parmi lesquelles rappelons les grandes grèves en France,, où la bourgeoisie manœuvrait le syndicat de façon à faire tomber le prolétariat dans un piège, ou les thèses sur le « parasitisme » qui attribuaient à la bourgeoisie tout court la responsabilité de créer des groupuscules parasites, exprès, exprès pour faire des dégâts dans le CCI.

Une absurdité ? Oui, mais les perles de l’absurdité abondent dans des thèses que nous avons brièvement analysées ici. Nous nous limitons, pour finir, à relever une de ces perles, justement dans la thèse dédiée au BIPR (19). En s’en prenant à notre interprétation du concept de décadence et en faisant tous ses efforts pour soutenir le développement de la « décadence » en « décomposition », elle en arrive à faire des sauts périlleux. En voilà un :

« Voici la tendance qui découle de ‘l’infrastructure capitaliste’ quand elle ne peut plus croître en harmonie avec ses propres lois ».
Précisons le détail insignifiant qui traite justement de la décomposition, qui découlerait … Insignifiant, parce que la perle, on la trouve dans le « quand ». Il doit nous avoir échappé, mais aussi à Marx, qu’il y a eu une période heureuse dans laquelle le capitalisme se développait en harmonie avec ses propres lois. Marx a écrit trois volumes du Capital sans tenir compte de cela, disant même que le mode de production capitaliste est intrinsèquement contradictoire et vit une série d’antagonismes, entre prolétariat et bourgeoisie, entre croissance technologique et chute du taux de profit, etc.

Si ce sont là – et elles le sont – les bases théoriques du CCI, les raisons pour lesquelles nous avons décidé de ne plus perdre de temps, de papier et d’encre pour discuter ou même polémiquer avec lui, devraient être claires.

Mauro Junior Stefanini.

 

 

1 [53] Voir à ce propos « modes de production et formation sociale », Prometeo 12 IV, Novembre 1988) sur le site Internazionalisti.it

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [54]
  • Battaglia Comunista [55]

Crise économique : La descente aux enfers

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La dernière récession de 2000-2001 a fortement mis à mal toutes les élucubrations théoriques à propos de la prétendue "troisième révolution industrielle" basée sur le microprocesseur et les nouvelles technologies de l’information, de même que le krach boursier a réduit à néant toutes les divagations sur l’avènement d’un "capitalisme patrimonial" supplantant le salariat par l’actionnariat participatif (!)... nième version du mythe éculé d’un "capitalisme populaire" où chaque ouvrier serait devenu "petit propriétaire" par la possession de quelques actions de "son" entreprise.

Depuis, les Etats-Unis ont réussi à contenir l’ampleur de la récession tandis que l’Europe s’est enlisée dans une conjoncture morose. On nous explique donc à l'envie que les ressorts de la reprise américaine résideraient dans l'engagement plus important de ce pays au sein de cette fameuse "nouvelle économie" et dans une plus grande dérégulation et flexibilité du marché du travail. Inversement, la léthargie de la reprise européenne s'expliquerait, elle, par le retard pris dans ces deux domaines sur le vieux continent. Pour y remédier, la politique de l'Union Européenne s’est fixée comme objectif la dite "stratégie de Lisbonne" visant à instaurer, d’ici à 2010, "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde". Ainsi pouvons-nous lire dans les "lignes directrices de l'emploi", définies par la Commission Européenne, et auxquelles fait référence la nouvelle Constitution, que les Etats doivent réformer "les conditions trop restrictives de la législation en matière d'emploi qui affectent la dynamique du marché du travail" et promouvoir la "diversité des modalités en termes de contrats de travail, notamment en matière de temps de travail". En bref, la bourgeoisie tente de tourner la page en nous présentant la dernière récession et le krach boursier comme une péripétie sur le chemin de la croissance et de la compétitivité. Elle nous refait le coup d’un avenir meilleur... moyennant quelques sacrifices supplémentaires que les travailleurs devraient consentir pour enfin atteindre le paradis sur terre. En dehors des injonctions visant à accroître l’austérité, la réalité est très éloignée de ces discours comme le démontre cet article en s'appuyant sur des statistiques officielles de la bourgeoisie analysées au sein d'un cadre marxiste. Une dernière partie de cet article est consacré à la réfutation de la méthode d'analyse de la crise développée par une autre organisation révolutionnaire, Battaglia Comunista.

La crise d'un système

Loin d’être un accident de parcours, la dernière récession est la sixième ayant frappé l’économie capitaliste depuis la fin des années 1960 (graphique n°1).

Les récessions de 1967, 1970-71, 1974-75, 1980-82, 1991-93 et 2001-02 furent à chaque fois tendanciellement plus longues et profondes et cela dans un contexte de déclin constant du taux de croissance moyen de l’économie mondiale, décennie après décennie. Elles ne sont donc pas de simples contretemps sur le chemin de l’avènement de "l’économie la plus compétitive et dynamique du monde" mais représentent autant d’étapes de la lente mais inexorable descente aux enfers qui mène le mode de production capitaliste à la faillite. En effet, malgré tous les discours triomphants sur la "nouvelle économie", la libéralisation des marchés, l’élargissement de l’Europe, la révolution technologique, la mondialisation ainsi que les bluffs médiatiques récurrents à propos des performances de prétendus pays émergents, de l’ouverture des marchés des pays de l’Est, du développement du Sud-est asiatique et de la Chine,... le taux de croissance du Produit Intérieur Brut mondial par habitant ne fait que décroître décennie après décennie (1 [56]).

Certes, à regarder certains indicateurs comme le chômage, le taux de croissance, le taux de profit ou le commerce international, la crise actuelle est loin de l'effondrement connu par l'économie capitaliste mondiale dans les années 1930, et son rythme est beaucoup plus lent. Depuis lors, et particulièrement après la Seconde Guerre mondiale, les économies de tous les pays sont progressivement passées sous un contrôle direct et indirect plus important et plus omniprésent de leurs Etats. A cela s'est ajouté l'instauration d'un contrôle économique au niveau de chaque blocs impérialiste (à travers la mise en place d'organismes tels que le FMI pour le bloc occidental et le COMECON pour le bloc de l'Est) (2 [57]). Avec la disparition des blocs, les dites institutions internationales ont disparu ou perdu de leur influence sur le plan politique sans pour autant cesser, pour certaines d'entre elle, de jouer un certain rôle sur le plan économique. Cette "organisation" de la production capitaliste a ainsi permis pendant des décennies de maîtriser beaucoup mieux que lors des années 30 les contradictions du système, et elle explique aujourd'hui la lenteur de la crise. Mais pallier aux effets des contradictions ne veut pas dire les résoudre.

Des reprises de moins en moins vigoureuses

L’évolution économique actuelle n’est pas un yoyo dont les cycles de baisse et de hausse serait indispensables à son développement mais elle s’inscrit dans une tendance globale au déclin, certes lente et progressive en raison de l’intervention régulatrice de l’Etat et des institutions internationales, mais néanmoins irréversible.

Il en va ainsi de la reprise américaine tant vantée et montrée en exemple : si les Etats-Unis ont réussi à limiter l’ampleur de leur récession, ce n’est qu’au prix de nouveaux déséquilibres qui ne feront que rendre encore plus profonde la prochaine récession dont les effets seront encore plus dramatiques pour la classe ouvrière et tous les exploités de la Terre. En rester au constat de l’existence de reprises économiques après chaque récession serait d’un pur empirisme qui ne nous fait pas avancer d’un pouce pour comprendre pourquoi le taux de croissance de l’économie mondiale ne fait que baisser depuis la fin des années 1960. L'évolution de la situation économique depuis cette époque, qui renvoie aux contradictions fondamentales du capitalisme, consiste en une succession de récessions et de reprises, ces dernières étant à chaque fois plus fragiles dans leurs fondements. En effet, concernant la reprise qui s’est développée aux Etats-Unis après la récession des années 2000-2001, nous remarquons qu’elle est essentiellement basée sur trois facteurs on ne peut plus aléatoires : 1) le creusement rapide et important du déficit budgétaire ; 2) une reprise de la consommation s'appuyant sur un endettement croissant, l’annulation de l’épargne nationale et le financement extérieur ; 3) une spectaculaire baisse des taux d’intérêt annonçant une instabilité accrue des marchés financiers internationaux.

1) Un creusement record du déficit budgétaire

Depuis la fin des années 1960, on constate clairement (graphique n° 2) que les récessions de 1967, 1970, 1974-75 et 1980-82 sont à chaque fois plus profondes (le taux de croissance du PIB américain est en pointillé), alors que celles de 1991 et 2001 apparaissent de moindre ampleur et entrecoupées de phases plus longues de reprise (1983-1990 et 1992-1999). Aurions nous là les premiers effets de l’avènement de cette nouvelle économie que d’aucuns se plaisent à souligner ? Assisterions-nous à un renversement de tendance qui s’amorcerait dans l’économie la plus avancée du monde et qui ne demanderait qu'à se généraliser ailleurs dans le monde en copiant les recettes américaines ? C’est ce qu’il nous faut maintenant examiner.

Constater l’existence de reprises, même de moindre ampleur, ne nous avance guère si l’on n’en examine pas les ressorts sous-jacents. Pour ce faire, nous avons rapproché l’évolution du déficit public de l’Etat américain (en trait plein dans le graphique n° 2) à celui de la croissance et l’on constatera aisément que non seulement chaque phase de reprise est précédée par un déficit public important, mais que ce dernier est à chaque fois plus conséquent en profondeur et/ou en durée. Dès lors, aussi bien les phases plus longues de reprise au cours des années 1980 et 1990 que l’atténuation relative des récessions s’expliquent avant tout par l’ampleur du déficit public et son maintien à un haut niveau. La reprise après la récession de 2000-2001 ne déroge pas à la règle. Sans un déficit public dont l’ampleur et la rapidité de l'augmentation atteignent des records historiques, la "croissance" américaine friserait la déflation. La baisse des impôts (essentiellement pour les hauts revenus), combinée aux dépenses militaires, a fait passer le budget à un déficit qui atteint les 3,5% alors qu'il était excédentaire de 2,4% en 2000. De plus, les priorités définies pour 2005, contrairement aux promesses de la campagne présidentielle, devraient se traduire par une aggravation de ce déficit, compte tenu de l’augmentation des dépenses d’armement et de sécurité et de substantielles baisses d’impôts à destination des plus riches (3 [58]). Les quelques mesures prévues pour contenir ce déficit se traduiront par encore plus d’austérité pour les exploités puisqu’il est prévu de baisser les dépenses à destination des plus pauvres (4 [59]).

Par ailleurs, il nous faut aussi tordre le cou à ce mythe d’un retournement de tendance amorcé aux Etats-Unis car, à regarder les taux de croissance par décennie, après la chute amorcée à la fin des années 1960, ils sont restés stationnaires autour de 3%, c’est-à-dire à un niveau inférieur à ceux des décennies précédentes... et ce ne sont pas les deux centièmes de pourcent (!) en plus sur la période 1990-1999 par rapport à 1980-1989 qui peuvent valider en quoi que ce soit une inflexion de tendance

Nous voyons donc clairement que l’idée de l’ouverture d’une nouvelle phase de croissance inaugurée par les Etats-Unis n’est qu’un mythe entretenu par la propagande de la bourgeoisie que vient démentir la performance moindre de l’Europe alors que, jusqu’aux années 1980, cette dernière rattrapait la première économie du monde (5 [60]). La meilleure tenue de l’économie américaine ne provient pas tellement de sa plus grande efficacité comme conséquence d’un investissement dans la dite "nouvelle économie", mais résulte d’un très classique endettement colossal de tous les acteurs économiques qui, de surcroît, sont financés essentiellement par les avoirs en provenance du reste du monde. Il en va ainsi de l’accroissement du déficit public comme des autres paramètres à la base de la reprise de l’économie américaine comme nous allons l’examiner ci-dessous.

2) Une reprise de la consommation par l’endettement

Une des raisons du différentiel de croissance plus élevée aux Etats-Unis réside dans le soutien à la consommation des ménages ainsi favorisée grâce aux moyens suivants :

  • la spectaculaire baisse des impôts qui a permis de soutenir la consommation des riches, au prix d’une dégradation supplémentaire du budget fédéral ;
  • la baisse du taux d’intérêt qui est passé de 6,5% début 2001 à 1% à la mi-2004 et du taux d’épargne (graphique n°4), ce qui a eu pour effet de propulser l’endettement des ménages à des records sans précédent (graphique n°5) et conduit à un début de bulle spéculative sur le marché immobilier (graphique n°6).

 

Un tel dynamisme de la consommation des ménages pose trois problèmes : un endettement croissant de ces derniers avec la menace de krach immobilier ; un déficit commercial croissant vis-à-vis du reste du monde (5,7 % du PIB US en 2004 soit plus d’un pourcent du PIB mondial contre 4,8% en 2003) et une répartition des revenus de plus en plus inégalitaire (6 [61]).

Comme le montre le graphique n°4, les ménages épargnaient 8 ou 9% de leur revenu après impôts jusqu’au début des années 1980. Après, ce taux entame une chute régulière jusqu’à environ 2%. Cette consommation est à la base du déficit extérieur croissant des Etats-Unis. Ce pays importe en biens et services toujours davantage du reste du monde par rapport à ce qu’il vend lui-même à l’étranger. La poursuite de cette folle trajectoire, où le reste du monde fait de plus en plus crédit aux Etats-Unis, est rendue possible par le fait que les étrangers qui reçoivent les dollars que procure l’excès des importations américaines sur leurs exportations, sont disposés à les placer sur les marchés financiers américains au lieu d’en demander la conversion en d’autres devises. Ce mécanisme a fait gonfler la dette brute des Etats-Unis vis-à-vis du reste du monde de 20% de leur PIB en 1980 à 90% en 2003, battant ainsi un record vieux de cent dix ans (7 [62]). Une telle dette vis-à-vis du reste du monde n'est pas sans affaiblir les revenus du capital américain qui doivent en financer l'intérêt. Cela pose la question de savoir combien de temps l'économie américaine pourra le supporter.

De plus, cet endettement des ménages américains s’inscrit dans une tendance à l’accroissement de l’endettement total de l’économie américaine qui prend des proportions gigantesques puisqu’il s’élève à plus de 300% du PIB en 2002 (graphique n°7), en réalité 360% si l’on rajoute la dette fédérale brute. Cela signifie concrètement que pour rembourser le total de cette dette il faudrait travailler plus de trois ans gratuitement. Ceci matérialise bien ce que nous disions précédemment, à savoir que mettre en avant l’existence de récessions moins profondes et de phases de reprises plus longues depuis le début des années 1980, pour prouver la réalité d’une nouvelle tendance à la croissance fondée sur une "troisième révolution industrielle", n’a aucun sens car de tels constats se fondent non pas sur une croissance "saine" mais bien de plus en plus artificielle.

3) Une diminution des taux d’intérêt permettant une dévaluation compétitive du dollar

Enfin, le troisième facteur de la reprise américaine réside dans la baisse progressive des taux d’intérêt de 6,5 % début 2001 à 1 % à la mi-2004, permettant ainsi de soutenir le marché intérieur et de mener une politique de déflation compétitive du dollar sur le marché international.

Ces faibles taux d’intérêt ont dopé l’endettement (notamment le crédit hypothécaire qui est devenu bon marché) et permis à la consommation et au marché du logement de soutenir l’activité économique et les dépenses malgré le recul de l’emploi pendant la récession. Ainsi, la part de la consommation des ménages américains dans le Produit Intérieur Brut qui oscillait autour de 62 % entre les années 1950 et les années 1980, augmente régulièrement depuis lors pour dépasser les 70 % au début du 21e siècle.

D’autre part, la réponse au déficit commercial américain est la baisse considérable du dollar (de l’ordre de 40%) par rapport aux devises non alignées sur la monnaie dominante, principalement l’Euro (et en partie le Yen). Ainsi la croissance de l’économie US se fait sur le dos du reste du monde et à crédit car financée par les entrées de capitaux en provenance de l’étranger, ce qui est permis par la place hégémonique des Etats-Unis. En effet, n’importe quel autre pays, placé dans la même situation, serait obligé d’avoir un taux d’intérêt suffisamment élevé pour attirer les capitaux.

La dynamique économique depuis la fin des années 1960

Nous venons de voir que la reprise depuis la récession de 2001 est encore plus fragile que toutes les précédentes. Elle s’insère en effet dans une succession de récessions qui elles-mêmes matérialisent la tendance au déclin constant du taux de croissance, décennie après décennie, depuis la fin des années 1960. Pour bien comprendre cette tendance au déclin du taux de croissance, et en particulier son caractère irréversible, il nous faut revenir sur les facteurs qui la sous-tendent.

Avec l’épuisement de la dynamique impulsée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les économies européennes et japonaises reconstruites viennent inonder le monde avec des produits en surnombre (par rapport aux débouchés solvables), il se produit un ralentissement de la croissance de la productivité du travail, dès le milieu des années 1960 pour les Etats-Unis et au début des années 1970 pour l’Europe (graphique n°8).

Comme les gains de productivité constituent le principal facteur endogène permettant de contrecarrer la tendance à la baisse du taux de profit, le ralentissement de la croissance de ces gains fait pression à la baisse sur le taux de profit et donc aussi sur d'autres variables fondamentales de l’économie capitaliste que sont notamment le taux d’accumulation (8 [63]) et la croissance économique (9 [64]). Le graphique n°9 nous montre clairement cette chute du taux de profit dès le milieux des années 1960 pour les Etats-Unis et au début des années 1970 en Europe et ce jusqu’en 1981-82.

Comme l’illustre clairement ce graphique, la baisse du taux de profit s’est inversée au début des années 1980 pour résolument s’orienter à la hausse par la suite. La question fondamentale est donc de déterminer la cause de cette inversion de tendance, car le taux de profit est une variable synthétique qui est déterminée par de nombreux paramètres que l’on peut résumer aux trois suivants : le taux de plus-value, la composition organique du capital et la productivité du travail (10 [65]). Pour faire image et aller à l’essentiel, le capitalisme peut échapper à la baisse tendancielle de son taux de profit soit "par le haut", via un accroissement de la productivité du travail, soit "par le bas", via une austérité exercée à l’encontre des salariés. Or, nous constatons clairement, grâce aux données présentées dans cet article, que cette remontée du taux de profit n’est pas la conséquence de nouveaux gains de productivité engendrant une diminution ou un ralentissement de l’accroissement de la composition organique du capital suite à une "troisième révolution industrielle basée sur le micro-processeur" (la fameuse nouvelle économie) mais est due à l’austérité salariale (directe et indirecte) et au développement du chômage (graphiques n°10 et 11 et 12).


Dès lors, ce qui est fondamental à percevoir dans la situation présente c’est que, malgré une profitabilité retrouvée depuis un quart de siècle au niveau des entreprises (graphique n°9), ni l’accumulation (graphique n°12), ni la productivité (graphique n°8), ni la croissance (graphique n°1) n’ont suivi : toutes ces variables fondamentales sont restées dépressives. Or, normalement, dans les périodes historiques où le taux de profit augmente, le taux d’accumulation et donc la productivité et la croissance sont également tirés vers le haut. Il faut donc poser la question fondamentale suivante : pourquoi, malgré un taux de profit résolument restauré et orienté à la hausse, l’accumulation du capital et la croissance économique n’ont pas suivi ?

Cette réponse est donnée par Marx dans tous ses travaux de critique de l’économie politique et plus particulièrement dans Le Capital lorsqu’il énonce sa thèse centrale postulant l’indépendance entre la production et le marché : "En effet, le marché et la production étant des facteurs indépendants, l’extension de l’un ne correspond pas forcément à l’accroissement de l’autre" (Marx, La Pléiade, Economie II, p. 489) ; "Les conditions de l'exploitation immédiate et celles de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles ne diffèrent pas seulement par le temps et le lieu, théoriquement non plus elles ne sont pas liées" (Marx, Le Capital, Editions Sociales, 1974, Livre III°, tome 1). Ce qui signifie que la production ne crée pas son propre marché (inversement, par contre, une saturation du marché aura nécessairement un impact sur la production alors volontairement limitée par les capitalistes en vue de tenter d'éviter la ruine totale). En d’autres mots, la raison fondamentale pour laquelle le capitalisme se retrouve dans une situation où la profitabilité de ses entreprises a été rétablie mais sans que la productivité, l’investissement, le taux d’accumulation et donc la croissance ne suivent est à rechercher dans l’insuffisance de débouchés solvables.

C’est aussi cette insuffisance de débouchés solvables qui est à la base de la dite tendance à la "financiarisation de l’économie". En effet, si les profits désormais abondants ne sont pas réinvestis, ce n'est pas à cause d’un manque de rentabilité du capital investi (selon la logique des tenants de l’explication de la crise par le seul mécanisme de la baisse tendancielle du taux de profit) mais bien à cause d’un manque de débouchés en suffisance. Ceci est bien illustré par le graphique n°12 qui montre que, malgré le regain de profits (le taux de marge mesure le rapport du profit à la valeur ajoutée) consécutif à l’approfondissement de l’austérité, le taux d’investissement a continué à décliner (et donc corrélativement la croissance économique) expliquant ainsi l’augmentation du taux de chômage et du profit non réinvesti qui est alors distribué sous forme de revenus financiers (11 [66]). Aux Etats-Unis, les revenus financiers (intérêts et dividendes, compte non tenu des gains en capitaux) représentèrent, en moyenne, 10 % du revenu total des ménages entre 1952 et 1979 mais augmentèrent progressivement entre 1980 et 2003 pour atteindre 17 %.

Le capitalisme n'a pu contrôler les effets de ses contradictions qu'en repoussant le jour de leur dénouement. Il ne les a pas résolues, il les a rendues plus explosives. La crise actuelle, en mettant en évidence, jour après jour, l'impuissance de l'organisation et des politiques économiques mises en place depuis les années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale, s'annonce plus grave et significative du niveau atteint par les contradictions de ce système que toutes les crises précédentes.


Une autre analyse de la crise par Battaglia Comunista

Nous avons vu ci-dessus que les discours et explications de la bourgeoisie ne valent pas un sous et ne sont que de pures mystifications pour masquer la faillite historique de son système. Malheureusement, certains groupes politiques révolutionnaires en reprennent volontairement ou non les conceptions, que ce soit dans leurs versions officielles ou gauchistes et alter-mondialistes. Nous nous pencherons ici plus particulièrement sur les analyses produites par Battaglia Comunista (BC) (12 [67]).

D’emblée, nous devons constater que tout ce que nous venons d’examiner ci-dessus vient formellement démentir le fond de "l’analyse" de la crise présenté par cette organisation en ce qui concerne aussi bien une "troisième révolution industrielle", idée qui ressemble à s'y méprendre à celle des manuels de propagande de la bourgeoisie, que ses analyses sur la "financiarisation parasitaire" du capitalisme et la "recomposition de la classe ouvrière" qui sortent des opuscules gauchistes et alter-mondialistes (13 [68]). En effet, Battaglia Comunista croit dur comme fer que le capitalisme est en pleine "troisième révolution industrielle marquée par le microprocesseur" et connaît une "restructuration de son appareil productif" et une "démolition conséquente de la composition de classe précédente" lui permettant dès lors "une longue résistance à la crise du cycle d’accumulation" (14 [69]). Ceci appelle un certain nombre de remarques :

1) Tout d’abord, si le capitalisme était réellement en pleine "révolution industrielle" comme le prétend Battaglia Comunista, nous devrions au moins par définition connaître un regain de productivité du travail. C’est d’ailleurs ce que BC s’imagine puisqu’elle affirme sans ambages et sans vérification empirique que "la restructuration en profondeur de l’appareil productif a comporté une augmentation vertigineuse de la productivité", analyse qu’elle réaffirme dans le dernier numéro de sa revue théorique : "...une révolution industrielle, des processus de production donc, a toujours comme effet l’augmentation de la productivité du travail..." (15 [70]). Or, nous avons vu ci-dessus que la réalité en matière de productivité est inverse au bluff entretenu par la propagande bourgeoise et repris par Battaglia Comunista. Cette organisation ne semble pas se rendre compte que cela fait maintenant plus de 35 ans que la croissance de la productivité du travail a amorcé un déclin et qu’elle stagne tout en fluctuant à un faible niveau depuis les années 1980 (graphique n°8) (16 [71]) !

2) Nous avons vu que, pour cette organisation, "la troisième révolution industrielle basée sur le micro-processeur" serait tellement puissante qu’elle a "généré des gains vertigineux de productivité" permettant de "diminuer l’augmentation de la croissance de la composition organique". Or, quiconque examine un tant soit peu la réalité de la dynamique du taux de profit, constatera que la récession des années 2000-2001 aux Etats-Unis a été précédée d’un retournement conjoncturel à la baisse dès 1997 (17 [72]) (graphique n°9), notamment parce que cette fameuse "nouvelle économie" s’est traduite par un alourdissement en capital, c’est-à-dire une hausse de la composition organique et non une baisse comme l’affirme Battaglia (18 [73]). Les nouvelles technologies ont sans doute permis certains gains de productivité (19 [74]) mais ceux-ci n’ont pas été suffisants pour compenser le coût des investissements en dépit d’une baisse de leur prix relatif, ce qui a finalement pesé sur la composition organique du capital et infléchi le taux de profit aux Etats-Unis à la baisse dès 1997. Ce point est important car il met fin aux illusions sur la capacité du capitalisme à se libérer de ses lois fondamentales. Les nouvelles technologies ne sont pas l’instrument magique qui permettrait d’accumuler le capital gratuitement.

3) De plus, si la productivité du travail connaissait réellement une "augmentation vertigineuse" alors (pour qui sait lire Marx) le taux de profit s'orienterait à la hausse. C’est d’ailleurs aussi ce que nous suggère Battaglia Comunista, tout en évitant de le dire explicitement, lorsqu’elle affirme que "...à la différence des révolutions industrielles qui l’ont précédée (...) celle basée sur le microprocesseur (...)...a aussi réduit le coût des innovations, en vérité le coût du capital constant diminuant ainsi l’augmentation de la composition organique du capital" (20 [75]). Comme on peut le constater, BC n'en déduit pas qu'il en a résulté une augmentation du taux de profit. A-t-elle oublié que "si la productivité s’accroît plus vite que la composition du capital, alors le taux de profit ne baisse pas, au contraire, il va augmenter", comme l'écrivait son organisation sœur, la CWO, il y a de cela un certain temps (dans Revolutionary Perspectives n°16 ancienne série, Guerres et accumulation, p. 15-17). Battaglia Comunista préfère pudiquement parler de "diminution de l’augmentation de la croissance de la composition organique" consécutive à "l’accroissement vertigineux de la productivité suite à la révolution industrielle basée sur le microprocesseur" plutôt que de remontée du taux de profit. Pourquoi de telles contorsions de langage, pourquoi masquer certaines réalités économiques aux yeux de ses lecteurs ? Tout simplement parce que reconnaître une telle implication de son observation (qu'elle soit juste ou fausse) de l'évolution de la productivité du travail viendrait mettre à mal son dogme de toujours concernant l'origine unique de la crise, la baisse tendancielle du taux de profit. En effet, cette organisation ne manque jamais une occasion pour réaffirmer son inoxydable credo prétendant que le taux de profit est toujours orienté à la baisse ! Tellement préoccupée à "comprendre le monde" en dehors des schémas prétendument abstraits du CCI, Battaglia Comunista ne semble pas s’être rendu compte que c’est depuis plus d’un quart de siècle que le taux de profit est résolument orienté à la hausse (graphique n°9) et non à la baisse comme elle continue à l’affirmer ! Cette cécité vieille de 28 ans n’a qu’une explication : comment continuer à parler de crise du capitalisme au prolétariat, sans remettre en question le dogme de l’explication des crises par la seule baisse tendancielle du taux de profit, alors que celui-ci s'est à nouveau orienté à la hausse depuis le début des années 1980.

4) Le capitalisme se survit non pas en s’orientant vers le haut au moyen d’une "révolution industrielle" et de "nouveaux gains vertigineux de productivité" comme le prétend Battaglia Comunista, mais vers le bas, par une réduction drastique de la masse salariale entraînant le monde dans la misère et réduisant par la même occasion une partie de ses propres débouchés. Quiconque analyse attentivement les ressorts de cette hausse du taux de profit depuis plus d’un quart de siècle constatera qu’elle ne réside pas tant dans "l’accroissement vertigineux des gains de productivité" et "la diminution de la hausse de la composition organique" que dans une austérité sans précédent au dépens de la classe ouvrière, comme nous l'avons vu ci-dessus (graphiques n°10 à 12).

La configuration actuelle du capitalisme est donc un démenti formel pour tous ceux qui font du mécanisme de la "baisse tendancielle du taux de profit" l’explication unique de la crise économique car comment comprendre cette dernière alors que cela fait plus d’un quart de siècle que le taux de profit est orienté à la hausse ? Si la crise perdure aujourd’hui malgré une profitabilité retrouvée des entreprises, c’est parce que celles-ci n’élargissent plus leur production comme avant étant donné la restriction et donc l’insuffisance des débouchés solvables. Ceci se marque par un investissement anémique et donc une faible croissance. Cela, Battaglia Comunista est incapable de le comprendre car ce groupe n’a pas assimilé la thèse fondamentale de Marx postulant l’indépendance entre la production et le marché (cf. ci-dessus) et l’a troquée contre une idée absurde faisant strictement découler le développement ou la restriction des marchés de la seule dynamique à la hausse ou à la baisse du taux de profit (21 [76]).

A l’issue de ces multiples bévues, renvoyant à une incompréhension de notions plus qu’élémentaires, nous ne pouvons que réitérer notre meilleur conseil à Battaglia Comunista, réviser le b a ba des concepts économiques marxistes avant de jouer aux professeurs et excommunicateurs envers le CCI. Telle une vierge effarouchée, la récente décision de cette organisation de ne plus nous répondre vient à point nommé pour tenter de masquer son incapacité politique de plus en plus évidente à confronter politiquement notre argumentation (22 [77]).

Battaglia nous affirme, contrairement aux "schémas abstraits" du CCI qui seraient "hors du matérialisme historique", qu’elle a, elle, bien "...étudié l’administration de la crise par l’occident dans tous ses aspects financiers, tout autant que sur le terrain de la restructuration engendrée par la vague de la révolution du microprocesseur" (23 [78]). Cependant, nous avons vu que "l’étude" de Battaglia n’est qu’un pâle recopiage des théories gauchistes et altermondialistes sur le "parasitisme de la rente financière" (24 [79]). Recopiage qui est de surcroît totalement incohérent et contradictoire tellement sont mal maîtrisés les concepts économiques marxistes qu’elle prétend manipuler. Concepts que, soit elle ne comprend pas, soit elle transforme à sa guise comme cette thèse de Marx de l’indépendance entre la production et le marché qui, dans le secret de la dialectique battagliesque, se transforme en une loi de la dépendance stricte entre "...le cycle économique et le processus de valorisation qui rendent "solvables" ou "insolvable" le marché" (op. cité). De la part de contributions critiques qui prétendent rétablir la vision marxiste contre les prétendues visions idéalistes du CCI, on attend quelque chose de mieux qu’une collection de bêtises.

Conclusion

Sur les principales questions de l’analyse économique, Battaglia Comunista tombe systématiquement dans le piège de l’apparence des faits en eux-mêmes au lieu de chercher à en comprendre leur essence à partir du cadre marxiste d’analyse. Ainsi, nous avons pu constater que Battaglia Comunista prenait pour argent comptant tout le discours de la bourgeoisie sur l’existence d’une troisième révolution industrielle sur la simple base de l’apparence empirique de quelques nouveautés technologiques dans le secteur de la micro-électronique et de l’information, aussi spectaculaires soient-elles (25 [80]), et en déduisait de façon purement spéculative des "gains vertigineux de productivité" et une "réduction du coût du capital constant diminuant ainsi l’augmentation de la composition organique". Par contre, une rigoureuse analyse marxiste des fondamentaux qui régissent la dynamique de l'économie capitaliste (le marché, le taux de profit, le taux de plus-value, la composition organique du capital, la productivité du travail, etc.) nous a permis de comprendre non seulement qu'il n'en est rien et que cela relève pour l’essentiel du bluff médiatique mais également que la réalité était même à l’inverse du discours tenu par la bourgeoisie et repris en écho par Battaglia Comunista.

Comprendre la crise n’est pas un exercice académique mais essentiellement militant. Comme nous l’enseigne Engels "la tâche de la science économique (...) est bien plutôt de montrer que les anomalies sociales qui viennent de se faire jour sont des conséquences nécessaires du mode de production existant, mais aussi, en même temps, des signes de sa désagrégation commençante, et de découvrir à l'intérieur de la forme de mouvement économique qui se désagrège les éléments de la nouvelle organisation future de la production et de l'échange qui éliminera ces anomalies" et cela peut se faire avec d’autant plus de clarté que "c’est seulement lorsque le mode de production en question a parcouru une bonne partie de sa branche descendante, qu'il s'est à demi survécu à lui-même, que les conditions de son existence ont en grande partie disparu et que son successeur frappe déjà à la porte …" (Engels, L’Anti-Dühring, Editions Sociales, partie II, Objet et méthode). Tel est le sens et la portée du travail des révolutionnaires sur le plan de l’analyse économique. Il permet de dégager le contexte de l’évolution du rapport de forces entre les classes ainsi que certaines de ses grandes déterminations puisque, lorsque le capitalisme entre dans sa phase de décadence, nous avons là les bases matérielles et (potentiellement) subjectives pour que le prolétariat trouve les conditions et les raisons de passer à l’insurrection. C’est ce que le CCI s’efforce de montrer au travers de toutes ses analyses alors que Battaglia Comunista, en abandonnant le concept de décadence (26 [81]) et en s’accrochant à une vision académiste et monocausale de la crise, commence à oublier de le faire. Sa "science économique" à elle ne sert plus à montrer "les anomalies sociales", les "signes de la désagrégation commençante" du capitalisme comme nous exhortaient à le faire les fondateurs du marxisme mais sert à nous refourguer la prose gauchiste et altermondialiste sur les "capacités de survie du capitalisme" au travers de "la financiarisation du système", de la "recomposition du prolétariat", de la tarte à la crème des "transformations fondamentales du capitalisme" suite à la prétendue "troisième révolution industrielle basée sur le micro-processeur" et les nouvelles technologies, etc.

Aujourd’hui Battaglia Comunista est complètement déboussolée et ne sait plus très bien quoi défendre face à la classe ouvrière : Le mode de production capitaliste est-il oui ou non en décadence (27 [82]) ? Est-ce le mode de production capitaliste ou la formation sociale capitaliste qui est en décadence (28 [83]) ? Le capitalisme est-il "en crise depuis désormais plus de 30 ans" (29 [84]) ou connaît-il une "troisième révolution industrielle caractérisée par le microprocesseur" engendrant "une augmentation vertigineuse de la productivité" (30 [85]) ? Le taux de profit est-il orienté à la hausse comme l’attestent toutes les données statistiques ou est-il toujours en baisse comme le répète invariablement Battaglia, baisse qui est arrivée à un point tel que le capitalisme devrait multiplier les guerres de par le monde pour éviter de tomber en faillite (31 [86]) ? Le capitalisme se retrouve-t-il aujourd’hui dans l’impasse ou dispose-t-il d’une "longue capacité de résistance" via la "troisième révolution industrielle" (32 [87]) ou dispose-t-il même d’une "solution" à sa crise via la guerre : "la solution guerrière apparaît comme le principal moyen pour résoudre les problèmes de valorisation du capital" (Plate-forme du BIPR) ? Voilà autant de questions fondamentales pour s’orienter dans la situation présente et sur lesquelles Battaglia Comunista tourne autour du pot et auxquelles elle est bien incapable d’apporter une réponse claire au prolétariat.

C.C.I.


Sur le bluff de la nouvelle révolution industrielle


Afin de permettre au lecteur de mieux juger s’il existe réellement une "troisième révolution technologique basée sur le microprocesseur" comme le prétend Battaglia Communista, nous reproduisons ici quelques passages significatifs du livre de P. Arthus (op. cité en note) sur la nouvelle économie qui emprunte largement aux outils d’analyse marxiste : "La nouvelle économie a accéléré la croissance de 1992 à 2000 en raison du supplément d’utilisation de capital qu’elle a entraîné, mais sans en augmenter la productivité globale des facteurs (le progrès technique global). En ce sens, la nouvelle économie diffère nettement des autres découvertes technologiques du passé, comme l’électricité. (...) De façon paradoxale, on peut même se demander si la nouvelle économie existe vraiment. On assiste effectivement à un "bouillonnement"... (...) Il ne s’agit pas de nier cela, mais de se demander si on est en présence d’un véritable cycle technologique. C’est-à-dire d’une accélération durable du progrès technique et de la croissance même après que l’effort d’investissement ait cessé. (...) Le secteur de la nouvelle économie (télécommunication, Internet, fabrication d’ordinateurs et de logiciels...) représente 8 % du total de l’économie américaine ; et même si sa croissance est rapide, elle n’accroît la croissance d’ensemble des Etats-Unis que de 0,3 % par an. Dans le reste de l’économie (les 92 % restant), la croissance de la productivité globale des facteurs (c’est-à-dire la croissance de la productivité qui est possible pour un capital et un travail donnés, le progrès technique pur) n’a pas accéléré beaucoup dans les années 1990. On observe un énorme effort d’investissement des entreprises, pour incorporer les nouvelles technologies à leur capital productif, et c’est essentiellement cet effort d’investissement qui provoque le supplément de croissance, aussi bien du côté de la demande (l’investissement augmente rapidement), que de l’offre (le stock de capital productif augmente de plus de 6 % par an en volume). A nouveau, cette situation n’est pas tenable à long terme. (...) Pour qu’il y ait vraiment cycle technologique, il faudrait qu’à un certain moment l’accumulation de capital produise une accélération de la croissance de la productivité globale des facteurs, donc qu’il puisse y avoir croissance économique plus rapide spontanément, sans que le capital productif continue à s’accroître plus rapidement que le PIB (*). Certains avancent alors que la nouvelle économie n’existe pas, qu’Internet n’est pas une innovation technologique à la hauteur des grandes inventions du passé (l’électricité, l’automobile, le téléphone, le moteur à vapeur,...). l’une des raisons pourrait être que les nouvelles technologies de l’information se substituent à d’anciennes technologies, les remplacent mais ne sont pas vraiment un produit radicalement nouveau qui provoque un supplément net de demande et d’offre ; une autre raison que les coût d’installation, de fonctionnement, de gestion de ces nouvelles technologies sont importants, et l’emportent sur leurs apports. (...) Les incertitudes au sujet de la nouvelle économie, qui sont évoquées ci-dessus, ont été évidemment renforcées par la récession et la crise financière de la période 2001-2002. Il est apparu clairement qu’il y a eu excès d’investissement à la fin des années 1990, que la rentabilité des entreprises n’a pas été fondamentalement améliorée par l’investissement en nouvelles technologies..." (p.4-8).



(*) Ndlr : c’est bien là que réside la différence entre une véritable révolution industrielle et l’épiphénomène actuel de la nouvelle économie. Si Battaglia Communista était capable de lire Marx elle l’aurait compris depuis longtemps.


1 [88] - Nous n’avons malheureusement pas la place ici de traiter le cas de la Chine et de l’Inde dont on nous rebat les oreilles en permanence. Nous y reviendrons dans un prochain numéro de cette Revue.

2 [89] - En tant qu'institutions existant au niveau des blocs, ces organismes sont avant tout l'expression d'un rapport de forces basé sur la puissance économique mais surtout militaire en faveur des pays à la tête de ces blocs, respectivement les Etats-Unis et l'URSS.

3 [90] - 70% des baisses fiscales profitent aux foyers dont les revenus sont parmi les 20% les plus élevés.

4 [91] - Les bons alimentaires distribués aux familles aux revenus faibles vont être réduits, privant 300 000 personnes de cette aide ; le budget de l’aide sociale à destination des enfants pauvres est gelé pour cinq ans et le budget de la couverture médicale des plus démunis est réduit.

5 [92] - Partant de 45% du niveau américain en 1950, l’ensemble des économies de l’Allemagne, de la France et du Japon en représentait jusqu’à 80% dans les années 1970 et plus seulement que 70% en l’an 2000.

6 [93] - A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le 1% le plus riche des ménages des Etats-Unis recevait environ 16% du revenu total du pays. En quelques années, à la fin des hostilités, ce pourcentage chuta à 8% où il se maintint jusqu’au début des années 1980 où il est remonté pour retrouver le niveau d’antant (Piketty T., Saez E., 2003, "income Inequality in the United States, 1913-1998", The Quarterly Journal of Economics, Vol. CXVIII, num. 1, pp. 1-39).

7 [94] - La dette nette, qui elle tient compte des revenus tirés des avoirs des Etats-Unis sur le reste du monde, est tout aussi illustrative car de négative qu’elle était jusqu’en 1985 (c’est-à-dire que les revenus des avoirs des Etats-Unis dans le reste du monde étaient supérieures aux revenus tirés par le reste du monde de leurs avoirs placés aux Etats-Unis) est devenue positive et s’élève à 40 % du PIB en 2003 (c’est-à-dire que les revenus tirés par les avoirs étrangers aux Etats-Unis sont devenus nettement supérieurs aux revenus tirés des avoirs américains placés à l’étranger).

8 [95] - Le taux d’accumulation du capital est l’investissement de capital fixe rapporté au stock de celui-ci.

9 [96] - Voir également notre article "La crise économique signe la faillite des rapports de production capitaliste" dans la Revue Internationale n°115.

10 [97] - Ces trois paramètres sont eux-mêmes décomposables et déterminés par l’évolution de la durée du temps de travail, du salaire réel, du degré de mécanisation de la production, de la valeur des moyens de production et de consommation et de la productivité du capital.

11 [98] - La réalité s’est donc chargé de démentir au centuple le théorème pourtant encore réitéré aujourd’hui jusqu’à l’écoeurement du chancelier social-démocrate allemand Helmut Schmidt : "Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après- demain". Les profits sont là mais ni les investissements ni les emplois !

12 [99] - Nous reviendrons sur d'autres analyses qui ont cours dans le petit milieu académiste et parasite dans le cadre de nos articles de suivi de la crise ainsi que dans notre série sur "La théorie de la décadence au cœur du matérialisme historique’.

13 [100] - "Les gains issus de la spéculation sont si importants qu’ils ne sont pas seulement attractifs pour les entreprises "classiques" mais aussi pour bien d’autres, citons entre autres, les compagnies d’assurance ou les fonds de pension dont Enron est un excellent exemple (...) La spéculation représente le moyen complémentaire, pour ne pas dire principal, pour la bourgeoisie, de s’approprier la plus-value (...) Une règle s’est imposée, fixant à 15% l’objectif minimum de rendement pour les capitaux investis dans les entreprises (...) L’accumulation des profits financiers et spéculatifs alimente un processus de désindustrialisation entraînant chômage et misère sur l’ensemble de la planète" (BIPR in Bilan et Perspectives n°4, p.6-7).

14 [101] - "La longue résistance du capital occidental à la crise du cycle d’accumulation (ou à l’actualisation de la tendance à la chute tendancielle du taux de profit) a évité jusqu’à maintenant l’effondrement vertical qui a frappé au contraire le capitalisme d’Etat de l’empire soviétique. Une telle résistance a été rendue possible par quatre facteurs fondamentaux : (1) la sophistication des contrôles financiers au niveau international ; (2) une restructuration en profondeur de l’appareil productif qui a comporté une augmentation vertigineuse de la productivité (...) ; (3) la démolition conséquente de la composition de classe précédente, avec la disparition de tâches et de rôles désormais dépassés et l’apparition de nouvelles tâches , de nouveaux rôles et de nouvelles figures prolétariennes (...) La restructuration de l’appareil productif est arrivée en même temps que ce que nous pouvons définir comme la troisième révolution industrielle vécue par le capitalisme. (...) La troisième révolution industrielle est marquée par le microprocesseur..." (Prometeo n°8, décembre 2003, Projet de thèses du BIPR sur la classe ouvrière dans la période actuelle et ses perspectives).

15 [102] - Prometeo n°10, décembre 2004, "Décadence, décomposition, produits de la confusion".

16 [103] - La progression un peu plus rapide de la productivité aux Etats-Unis dans la seconde moitié des années 1990 (qui a permis une accélération du taux d’accumulation venant soutenir la croissance américaine) ne vient en rien démentir son déclin massif depuis la fin des années 1960 (graphique n°8). Nous reviendrons plus amplement sur ce point dans nos prochains articles. Signalons cependant que ce phénomène est à la base de la quasi absence de création d’emploi contrairement aux précédentes reprises ; que cette reprise est légère ; que le doute persiste quant à la pérennité de ces gains de productivité et que l’espoir de leur diffusion aux autres économies dominantes est quasi-exclu. De plus, aux Etats-Unis, un ordinateur est compté comme du capital alors qu’en Europe il l’est comme une consommation intermédiaire. Dès lors, les statistiques US ont tendance à sur-estimer le PIB (et donc la productivité) par rapport aux statistiques européennes puisqu’elles y incluent la dépréciation du capital. Lorsque l’on corrige ce biais, ainsi que l’effet de la durée du travail, on constate que l’écart dans les gains de productivité se réduit fortement entre l’Europe (1,4%) et les Etats-Unis (1,8%) pour la période 1996-2001, gains qui sont toujours très loin des 5 à 6% durant les années 1950 et 1960.

17 [104] - Ce retournement est conjoncturel car le taux de profit a repris son orientation à la hausse dès la mi-2001 et a retrouvé son niveau de 1997 à la fin de l’année 2003. Cette reprise a été obtenue au moyen d’une gestion très serrée de l’emploi, puisque l’on a pu parler de "reprise sans emplois’, mais également par les moyens classiques de rétablissement du taux de plus-value tels que l’allongement de la durée du travail ou le blocage des salaires rendu encore plus facile par le faible dynamisme du marché du travail. Le freinage du taux d’accumulation consécutif à la récession a également permis de freiner l’alourdissement de la composition organique du capital qui pesait sur sa rentabilité.

18 [105] - Pour une analyse un tant soit peu sérieuse de ce processus, lire l’article de P. Artus "Karl Marx is back" publié dans Flash n° 2002-04 (aisément disponible sur le Web) ainsi que son livre "La nouvelle économie" dans la collection Repères-La Découverte n°303 dont nous extrayons un passage reproduit dans l’encadré ci-après.

19 [106] - Précisons "qu’il a été montré par de nombreuses études que, sans les pratiques de flexibilité, l’introduction de la "nouvelle économie" n’amélioraient pas l’efficacité des entreprises" (P. Artus, op. cité).

20 [107] - Prometeo n°10, décembre 2004, "Décadence, décomposition, produits de la confusion".

21 [108] - "[pour le CCI] cette contradiction, production de la plus-value et sa réalisation, apparaît comme une surproduction de marchandises et donc comme cause de la saturation du marché, qui à son tour s’oppose au processus d’accumulation, ce qui met le système dans son ensemble dans l’impossibilité de contre-balancer la chute du taux de profit. En réalité [pour Battaglia], le processus est inverse. (...) C’est le cycle économique et le processus de valorisation qui rendent "solvable" ou "insolvable" le marché. C’est partant des lois contradictoires qui règlent le processus d’accumulation que l’on peut arriver à expliquer la "crise" du marché" (Texte de présentation de Battaglia Comunista à la première conférence des groupes de la Gauche Communiste).

22 [109] - "...nous avons déclaré que nous ne sommes plus intéressés à un quelconque débat/confrontation avec le CCI (...) Si ce sont là – et elles le sont – les bases théoriques du CCI, les raisons pour lesquelles nous avons décidé de ne plus perdre de temps, de papier et d’encre pour discuter ou même polémiquer avec lui, devraient être claires" (Prometeo n°10, décembre 2004, "Décadence, décomposition, produits de la confusion") et "Nous sommes fatigués de discuter de rien quand nous avons à travailler pour chercher à comprendre ce qui arrive dans le monde"” (publié sur le site Web du BIPR [https://www.ibrp.org/] [110], "Réponse aux accusations stupides d’une organisation en voie de dégénérescence’)

23 [111] - Prometeo n°10, décembre 2004, "Décadence, décomposition, produits de la confusion."

24 [112] - Lire également notre article "La crise économique signe la faillite …" dans la Revue Internationale n°115.

25 [113] - Pour plus de détails sur ce bluff de la dite troisième révolution industrielle, lire notre article sur la crise dans le n°115 de cette Revue dont nous extrayons quelques passages ici : "La "révolution technologique" n’existe que dans les discours des campagnes bourgeoises et dans l’imagination de ceux qui les gobent. Plus sérieusement, ce constat empirique du ralentissement de la productivité (du progrès techni-que et de l’organisation du travail), ininterrompu depuis les années 60, contredit l'image médiatique, bien ancrée dans les esprits d'un changement technologique croissant, d'une nouvelle révolution industrielle qui serait aujourd'hui portée par l'informatique, les télécommunications, internet et le multimédia. Com-ment expliquer la force de cette mystification qui inverse la réalité dans la tête de chacun d'entre nous ?"

Tout d’abord, il faut rappeler que les progrès de productivité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale étaient -bien plus spectaculaires que ce qui nous est présenté à l'heure actuelle comme "nouvelle économie" (...) Depuis lors, les progrès de productivité du travail n’ont fait que décroître (...).

Ensuite, parce qu'une confusion est entretenue en permanence entre l'apparition de nouveaux biens de consommation et les progrès de productivité. Le flux d'innovations, la multiplication de nouveautés aussi extraordinaires soient-ils (DVD, GSM, internet, etc.) au niveau des biens de consommation ne recouvre pas le phénomène du progrès de la productivité. Ce dernier signifie la capacité à économiser sur les ressources requises par la production d'un bien ou d'un service. L'expression progrès techniques doit toujours être entendue dans le sens de progrès des techniques de production et/ou d'organisation, du strict point de vue de la capacité à économiser sur les ressources utilisées dans la fabrication d'un bien ou la prestation d'un service. Aussi formidables soient-ils, les progrès du numérique ne se traduisent pas dans des progrès significatifs de productivité au sein du processus de production. Là est tout le bluff de la "nouvelle économie".

26 [114] - Lire notre série d’articles La théorie de la décadence au coeur du matérialisme historique commencée dans la Revue Internationale n°118.

27 [115] - Telle est la raison pour laquelle Battaglia Comunista a annoncé dans le n°8 de sa revue théorique une grande étude sur la question de la décadence : "...le but de notre recherche sera de vérifier si le capitalisme a épuisé sa poussée de développement des forces productives et si cela est vrai, quand, dans quelle mesure et surtout pourquoi" (Prometeo n°8, série VI, décembre 2003 : Pour une définition du concept de décadence).

28 [116] - "Nous sommes donc certainement confrontés à une forme d’augmentation de la barbarie de la formation sociale, de ses rapports sociaux, politiques et civils, et vraiment – à partir des années 90 – à une marche en arrière dans le rapport entre capital et travail (avec le retour de la recherche de plus value absolue, en plus de celle relative, dans le plus pur style manchesterien) mais cette "décadence" ne concerne pas le mode de production capitaliste, mais bien sa formation sociale dans le cycle actuel d’accumulation capitaliste, en crise depuis désormais plus de 30 ans !" (Prometeo n°10, "Décadence, décomposition, produits de la confusion"). Nous reviendrons dans un prochain numéro de cette revue sur cette élucubration théorique de Battaglia Comunista consistant à prétendre que seule la "formation sociale capitaliste" est en décadence et non le mode de production capitaliste ! Signalons cependant que dans la citation de Engels reproduite ci-dessus, ainsi que dans tous les écrits de Marx et Engels (cf. notre article dans le n°118 de cette revue), ceux-ci parlent bien et toujours de décadence du mode de production capitaliste et non de décadence de la formation sociale capitaliste.

29 [117] - "...le cycle actuel d’accumulation capitaliste en crise depuis désormais plus de 30 ans !" (Prometeo n°10, décembre 2004, "Décadence, décomposition, produits de la confusion").

30 [118] - Prometeo n°8, décembre 2003, "Projet de thèses du BIPR sur la classe ouvrière dans la période actuelle et ses perspectives."

31 [119] - "Selon la critique marxiste de l’économie politique il existe une relation très étroite entre la crise du cycle d’accumulation du capital et la guerre dû au fait qu’à un certain point de tout cycle d’accumulation, à cause de la baisse tendancielle du taux moyen de profit, se détermine une véritable suraccumulation de capital auquel la destruction au moyen de la guerre est rendu nécessaire pour qu’un nouveau cycle d’accumulation puisse reprendre" (notre traduction, Prometeo n°8, décembre 2003, "La guerra mancata").

32 [120] - "La longue résistance du capital occidental à la crise du cycle d’accumulation (ou à l’actualisation de la tendance à la chute tendancielle du taux de profit) a évité jusqu’à maintenant l’effondrement vertical..." (Prometeo n°8, décembre 2003, "Projet de thèses du BIPR sur la classe ouvrière dans la période actuelle et ses perspectives").

 

Récent et en cours: 

  • Crise économique [121]

Questions théoriques: 

  • L'économie [122]

De calomnies en mensonges, le BIPR s'éloigne de la cause du prolétariat

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Le BIPR (1) [123] a publié sur son site Internet en quatre langues (italien, français, anglais, espagnol) le communiqué suivant intitulé "Dernière réponse aux accusations du CCI" :

"Nous informons les camarades qui suivent les vicissitudes internationales des groupes de la Gauche Communiste que depuis quelque temps nous sommes l’objet d’attaques violentes et vulgaires de la part du CCI qui enrage car il est lui-même traversé par une profonde et irréversible crise interne qui incite ses ex-militants à étudier avec une attention critique les positions du BIPR.

Nous avons un temps espéré que les (ex ?) camarades du CCI retrouveraient un minimum d’équilibre psychologique et nous avons quelques fois répondu à leurs folles accusation, mais il n’en a rien été. Leur manie de la persécution et les délires de complots qui animent leurs rêves sont évidemment le fruit empoisonné d’un parcours politique basé sur des présupposés complètement étrangers au matérialisme historique.

C'est ce qui les pousse à toujours accuser tout le monde de complot bourgeois contre eux, pratique qui excède tous ceux qui font sérieusement de la politique révolutionnaire. On découvre tout à coup que des militants, ayant un passé militant de plus de 25 ans et ayant été membres des organes dirigeants du CCI ne sont que des voleurs, des voyous ou des parasites.

De ce fait, suivre le CCI serait pour nous une grosse perte de temps que nous ne pouvons pas nous permettre. Pour cette raison, à partir d’aujourd’hui, nous ne répondrons pas ni ne donnerons suite à aucune de leurs vulgaires attaques. Ceux qui voudraient, au contraire, approfondir la connaissance de notre critique des positions du CCI trouveront dans le numéro 10 (à paraître) de Prometeo (2) [124] notre critique de leur dernière résolution de congrès.

PS : ce communiqué restera 15/20 jours sur notre site."


Qu'en est-il des "attaques violentes et vulgaires de la part du CCI" dont fait état ce communiqué ?

Le comportement récent du BIPR constitue un passif qui ne peut être escamoté

Nous avons effectivement porté des critiques très sévères au BIPR, du fait d'un ensemble de comportements de sa part indignes de la tradition de la Gauche communiste et qui peuvent être résumés de la sorte (3) [125] :

  • Avoir reproduit sur son site Internet, en différentes langues, des tombereaux de calomnies contre le CCI émanant d'un mystérieux Cercle de Communistes Internationalistes, sans vérification de l'authenticité des faits invoqués par ce Cercle ;

  • Avoir retardé le plus possible la publication sur son site d'un démenti écrit par nos soins et renvoyant à une réfutation argumentée de ces calomnies, publiée sur notre site Internet ;

  • N'avoir finalement accédé à notre demande de "droit de réponse" (que n'importe quel journal bourgeois aurait acceptée en de pareilles circonstances) que suite à trois lettres de notre part et, surtout, suite à un certain nombre de faits étant venu démontrer le caractère mensonger des propos de l'aventurier (monsieur B.) qui se dissimulait derrière le mystérieux Cercle de Communistes Internationalistes ;

  • N'avoir jamais publié la prise de position condamnant cet élément et faite par le NCI (Noyau Communiste International), groupe en Argentine qui sympathise avec les positions du CCI et qui, le premier, a été victime des manœuvres de monsieur B. ;

  • Avoir choisi la méthode la plus hypocrite pour tenter d'éviter d'être éclaboussé par la vérité qui finissait par s'imposer à propos des agissements de monsieur B. et de la nature de son document : retirer ce dernier de son site, avec le même silence qui avait accompagné sa mise en circulation, alors que pendant près de deux mois il a servi à couvrir notre organisation de tombereaux de boue ;

  • En d'autres termes, avoir tourné le dos à la seule méthode digne de révolutionnaires en pareille circonstance : condamner énergiquement le comportement de l'imposteur de façon à réparer la faute politique grave commise en cautionnant ses calomnies contre notre organisation.

En fait la réponse du BIPR à notre critique est très claire : c'est une fin de non recevoir justifiée en invoquant le prétexte que nous répondre constituerait une "perte de temps qu'il ne peut pas se permettre". Et par dessus le marché, le BIPR prétend que c'est lui qui est attaqué ! Une telle attitude montre clairement que cette organisation n'a strictement aucun élément concret ni aucun argument politique à nous opposer. En persistant dans cette attitude, nous le répétons, le BIPR fait la preuve qu'il devient un obstacle à la prise de conscience du prolétariat, "pas tant pour le discrédit qu'il pourra apporter à notre organisation mais par le discrédit et le déshonneur que ce type de comportement inflige à la mémoire de la Gauche communiste d'Italie, et donc à sa contribution irremplaçable" ("Lettre ouverte aux militants du BIPR" du 7 décembre 2004).

Examinons à présent cet "approfondissement de la connaissance de la critique des positions du CCI" par BC, promis par le communiqué du BIPR. Il s'agit de l'article en Italien intitulé "Décadence, décomposition, produits de la confusion" du numéro 10 de Prometeo.

Le combat politique, oui, mais pas avec les méthodes de la bourgeoisie

Le CCI est totalement en faveur de la confrontation ouverte, sans concession, des points de vue divergents défendus par différents courants au sein du mouvement ouvrier. En effet, "Il n'existe sans doute pas d'autre parti pour lequel la critique libre et inlassable de ses propres défauts soit, autant que pour la social-démocratie, une condition d'existence. Comme nous devons progresser au fur et à mesure de l'évolution sociale, la modification continuelle de nos méthodes de lutte et, par conséquent, la critique incessante de notre patrimoine théorique, sont les conditions de notre propre croissance" (Rosa Luxemburg, Liberté de la critique et de la science). (4) [126] Ce n'est donc pas un hasard si, contrairement aux tendances opportunistes au sein du mouvement ouvrier, les courants incarnant la gauche marxiste au sein de celui-ci ont toujours, à l'image de Lénine, Rosa Luxemburg et Pannekoek, accueilli avec enthousiasme la polémique qu'ils considéraient comme vivifiante. Le CCI estime qu'il s'inscrit totalement dans cette tradition, comme en témoigne l'existence de nombreuses polémiques sérieuses parues dans sa presse et dont l'honnêteté n'a, à ce jour, été contestée par personne.

Concernant l'article de Prometeo, nous devons reconnaître n'avoir pas été saisis par la "profondeur" qui avait été promise mais cela ne constitue pas le problème le plus important. En effet, BC semble ignorer, ou avoir oublié, que la polémique au sein du milieu révolutionnaire n'a rien à voir avec la "joute politique" telle qu'elle est pratiquée par la bourgeoisie et dont la finalité est de "marquer des points" contre l'adversaire en le déconsidérant au moyen de toutes sortes de procédés propres aux méthodes de cette classe : effets de manches, mauvaise foi, supercheries, mensonges, etc. Ainsi, c'est à de tels procédés que BC a recours pour tenter de faire prévaloir "à tout prix" son point de vue. C'est la raison pour laquelle, sans sous-estimer l'importance qu'il y a de continuer à prendre position sur des questions essentielles où des divergences sérieuses séparent nos deux organisations – ce que ferons prochainement à nouveau (5) [127] -, c'est à cette démarche politique de BC que nous voulons donner la priorité, en la critiquant fortement car elle est tout à fait inacceptable de la part d'une organisation se réclamant du marxisme et de la tradition de la Gauche communiste.

Ce n'est pas la première fois que nous sommes amenés à relever des problèmes de ce type dans la discussion avec cette organisation. Par exemple, en mars 2001, dans un article en deux parties consacré à la critique de la démarche opportuniste dans la construction du Parti adoptée par le BIPR (6) [128], nous écrivions, à propos d'une réponse de cette organisation à la première partie de cet article, "[le CCI] n'est cité que quand c'est extrêmement nécessaire. L'ensemble de l'article est superficiel et dépourvu de citations de nos positions, lesquelles sont, au contraire, synthétisées par BC qui en reproduit certaines de façon clairement déformée." Mais, alors qu'à l'époque nous voulions bien croire que "cela relève d'une incompréhension de celles-ci [nos positions] et non d'une manifestation de mauvaise fois" aujourd'hui, compte tenu du caractère systématique de la déformation et de l'énormité de certains mensonges, nous sommes partagés sur les causes d'une telle attitude : faut-il la mettre sur le compte de la sénescence intellectuelle et politique ou bien l'attribuer à un cynisme extrême traduisant la perte totale de toute moralité et de tout repère prolétarien de la part de cette organisation. Pourquoi pas les deux ? En tout cas, le lecteur pourra juger sur pièce.

La déformation éhontée des positions du CCI

L'article de Prometeo s'en prend pêle-mêle à notre position relative à la capacité de la bourgeoisie et de ses syndicats de manœuvrer contre la classe ouvrière (comme ce fut le cas lors des grèves de décembre 95 en France) et à notre analyse du parasitisme politique. C'est sans retenue qu'après avoir effleuré la première question, la plume ravageuse de BC défigure délibérément, pour les besoins mesquins de sa basse polémique, notre analyse du parasitisme. Voici ce qui est dit : "Chacun a eu le moyen de vérifier cette vision, celle du CCI, d’une bourgeoisie comploteuse en différentes occasions, parmi lesquelles (…) les thèses sur le "parasitisme" qui attribuent à la bourgeoisie tout court la responsabilité de créer des groupuscules parasites, exprès pour faire des dégâts dans le CCI". L'auteur de l'article a le culot de présenter ce qu'il dit comme des évidences, "Chacun a eu le moyen de vérifier cette vision", et d'invoquer nos "thèses sur le parasitisme" comme étant la preuve de cette évidence. En présence d'un tel mensonge, il est nécessaire de citer longuement ces thèses :

  • "le phénomène du parasitisme politique résulte (…) essentiellement de la pénétration d'idéologies étrangères au sein de la classe ouvrière (…) (Point 8 des "Thèses sur le parasitisme" publiées dans la Revue Internationale n° 94)

  • Il constitue une menace "dans une période d'immaturité relative du mouvement où les organisations du prolétariat ont encore un faible impact et peu de traditions" Point 8)

  • "… la notion de parasitisme politique n'est nullement une invention du CCI. (…) C'est l'AIT, à commencer par Marx et Engels, qui caractérisait déjà de parasites ces éléments politisés qui, tout en prétendant adhérer au programme et aux organisations du prolétariat, concentrent leurs efforts sur le combat, non pas contre la classe dominante, mais contre les organisations de la classe révolutionnaire" (point 9) ;

  • la vulnérabilité au parasitisme est due aujourd'hui plus spécifiquement à la "rupture de la continuité organique avec les traditions des générations passées de révolutionnaires qui explique avant tout le poids des réflexes et des comportements anti-organisationnels petits-bourgeois parmi beaucoup d'éléments qui se réclament du marxisme et de la Gauche communiste" (point 12) ;

  • "le parasitisme ne constitue pas comme tel une fraction de la bourgeoisie, n'ayant ni programme ni orientation spécifiques pour le capital national, ni une place particulière dans les organes étatiques pour contrôler la lutte de la classe ouvrière" (point 18) ;

  • cependant, "La pénétration d'agents de l'Etat dans la mouvance parasitaire est évidemment facilitée par la nature même de celle-ci dont la vocation fondamentale est de combattre les véritables organisations prolétariennes" (point 20).

De plus, si la question du parasitisme est effectivement présente en conclusion de la résolution de notre 15e congrès critiquée par BC, c'est pour dire ceci : "De même que pour la classe toute démission face à la logique de la décomposition ne peut que la priver de sa capacité à répondre à la crise à laquelle l'humanité est confrontée, de la même manière, la minorité révolutionnaire elle-même risque d'être terrassée et détruite par l'ambiance putride qui l'entoure, et qui pénètre dans ses rangs sous la forme du parasitisme, de l'opportunisme, du sectarisme et de la confusion théorique". Nous mettons au défit quiconque de trouver un lien entre ce qu'écrit BC et ce qu'écrit le CCI sur le parasitisme, y inclus au sein de ce qui n'a pas été cité ici. En effet, à la lecture de nos textes, qui sont publics y inclus pour le BIPR, il ressort que, contrairement à la vision policière que nous prête frauduleusement BC, le parasitisme politique n'est pas une création délibérée de la bourgeoisie mais le produit de la pression de l'idéologie bourgeoise dans certaines circonstances historiques.

Et de la lecture de l'ensemble de l'article de Prometeo, il ressort que BC est un piètre faussaire mais aussi un inlassable calomniateur.

Un état d'esprit déplorable

En fait l'exemple ci-dessus constitue une expression caricaturale de la malhonnêteté qui traverse tout l'article de Prometeo.

Le tripatouillage des écrits de « l'adversaire »

L'article de BC reproche à notre résolution de contenir, dans ses points 6 à 9, "des phrases vides de sens", dont la suivante qui constituerait "une perle" en la matière : "L’abandon de ces institutions [l'ONU et l'OTAN] du "droit international" représente une avancée significative du développement du chaos dans les rapports internationaux". Le problème ne réside pas dans la qualification par BC de cette phrase mais plutôt dans le fait que, isolée de son contexte, celle-ci peut laisser penser que nous estimons que l'ONU aurait un rôle d'arbitre international, au dessus des intérêts particuliers des uns et des autres, à même de garantir un certain ordre mondial et dont la perte d'influence, serait alors un facteur de chaos. Or ce n'est pas cela notre position (et BC le sait pertinemment comme elle sait très bien également que le CCI a toujours considéré l'ONU comme "un repère de brigands" (7) [129]), comme on peut s'en apercevoir en lisant les deux phrases précédentes de notre résolution, non citées par BC : "Cette crise met en évidence la fin non seulement de l’OTAN (dont l’inadéquation s’est vue à travers son incapacité à s’accorder sur la "défense" de la Turquie juste avant la guerre) mais aussi des Nations Unies. La bourgeoisie américaine considère de plus en plus cette institution comme un instrument de ses principaux rivaux et dit ouvertement qu’elle ne jouera aucun rôle dans la "reconstruction" de l’Irak".

L'art de jouer sur les mots pour salir les propos et la pensée de « l'adversaire »

La résolution du CCI critiquée par BC revient sur la période de décomposition : "… la classe ouvrière, dont les luttes dans la période de 1968 à 1989 avaient empêché la bourgeoisie d'imposer sa "solution" à la crise économique, était de plus en plus confrontée aux conséquences de son propre échec à élever ses luttes à un niveau politique plus haut et à offrir une alternative à l'humanité. La période de décomposition, résultat de cette "impasse" entre les deux classes principales, n'apporte rien de positif à la classe exploitée. Bien que la combativité de la classe n'ait pas été anéantie dans cette période, et qu'un processus de maturation souterraine de la conscience y était encore sensible, en particulier sous la forme "d'éléments en recherche" et de petites minorités politisées, la lutte de classe partout dans le monde a subi un recul qui n'est toujours pas terminé. La classe ouvrière dans cette période a été confrontée non seulement à ses faiblesses politiques, mais aussi au danger de perdre son identité de classe sous le poids d'un système social en pleine désintégration." Cette analyse du CCI est résumée de la sorte sous la plume de BC : "la décomposition (du mode de production ? de la formation sociale ? Bof) serait donc le résultat de l’équilibre stable qui aurait été atteint entre les classes, prolétariat et bourgeoisie." Ce n'est pas comme cela que nous aurions, pour notre part, synthétisé notre pensée mais, compte tenu du fait que BC ne comprend pas cette question, nous ne pouvons le lui reprocher. Par contre, la façon dont BC poursuit est significative de sa méthode qui joue sur l'emploi du terme "responsabilité" pour donner à notre analyse un sens tout à fait différent de ce que nous exprimons réellement, de manière à dénaturer notre propos : "En particulier, la classe prolétarienne en serait responsable [de la décomposition]… parce qu’elle se serait montré incapable d’élever ses luttes à un niveau politique supérieur." Il existe effectivement une responsabilité historique de la classe ouvrière à renverser le capitalisme avant qu'il ne plonge la société dans une barbarie sans retour. Il appartient au prolétariat de se hisser à la hauteur de cette responsabilité. Ceci est une chose que les révolutionnaires affirment depuis la première vague révolutionnaire mondiale de 1917-23. Une autre chose est de nous attribuer l'idée de rendre la classe ouvrière "responsable" de la décomposition du capitalisme. C'est une calomnie bon marché qui permet à BC de conclure (sans aucune explication d'ailleurs) : "Faire passer sa propre inadéquation théorique pour une faiblesse de la classe est une fourberie de bas niveau et qui ne paye pas."

Un mensonge énorme

Nous avons vu ci-dessus en quoi c'était une constante chez BC de déformer les propos du CCI, parfois très grossièrement, en vue de les ridiculiser, les dévaloriser, les disqualifier. Pour chacune des falsifications évoquées précédemment, il est néanmoins toujours possible d'invoquer, à côté d'une mauvaise fois évidente de BC, sa méconnaissance profonde des positions critiquées et son désintérêt manifeste pour celles-ci, en lien avec le caractère superficiel de sa démarche politique. Ce n'est désormais plus possible dans l'exemple qui suit, digne des méthodes de propagande mises en œuvre par Goebbels pour qui "un mensonge énorme porte avec lui une force qui écarte le doute".

L'article de Prometeo revient sur l'analyse des enjeux historiques tels que les exprimait le CCI avant la disparition des blocs. Alors que pendant toute la période de la guerre froide, l'existence de deux blocs impérialistes rivaux se partageant le monde et se faisant face était une condition pour l'éclatement d'une troisième guerre mondiale, le seul obstacle à une telle issue fatale pour l'humanité était constitué par l'existence d'une classe ouvrière non embrigadée par la bourgeoisie, contrairement à la situation qui avait prévalu à la veille des deux premiers conflits mondiaux. Pendant toute cette période, le CCI n'a pas cessé de combattre les illusions, dont certaines émanaient de groupes révolutionnaires comme BC, alimentant une sous-estimation de la gravité des enjeux en participant à propager des sornettes du type, "la bourgeoisie n'étant pas suicidaire, elle ne déclenchera jamais une guerre nucléaire", ce qui dans le fond venait donner du crédit à la thèse de la bourgeoisie de "l'équilibre de la terreur". Aujourd'hui BC ne renie pas ce qu'elle disait à ce propos : "Bien entendu, le danger nucléaire restait un des facteurs de refroidissement des tensions, ou bien un fort stimulus pour les centres de commande de l’impérialisme à chercher des solutions alternatives." ("Décadence, décomposition, produits de la confusion"). De plus, elle constate justement qu'avec la disparition des blocs, le CCI a changé sa formulation de l'alternative historique, "guerre ou révolution" étant devenu "destruction de l'humanité ou révolution", la destruction de l'humanité pouvant résulter soit d'une guerre mondiale (8) [130], en cas de reconstitution de deux nouveaux blocs impérialistes et de défaite de la classe ouvrière, soit de la multiplication de guerres locales de plus en plus dévastatrices et de l'enfoncement du capitalisme dans le chaos et la décomposition jusqu'à un point de non retour. Alors que, sur cette question, l'article de BC avait jusque là reproduit à peu près fidèlement nos positions, subitement BC sort sa "botte secrète", l'invention, non pas du siècle mais celle qui surpasse toutes les déformations à l'actif de son triste palmarès : "Maintenant, tout à trac, le CCI nous informe que la seule raison du non déclenchement de la guerre, en substance, était le fait qu’une guerre nucléaire aurait anéanti l’humanité." N'en croyant pas nos yeux, nous avons lu et relu ce passage. Non seulement rien de tel n'est écrit dans la résolution du CCI, mais rien non plus qui pourrait-être interprété de la sorte dans tous nos textes antérieurs et postérieurs à cette résolution. Mais, surtout, aucun quiproquo n'était possible dans la mesure où, lors de la réunion publique du BIPR du 2 octobre 2004 à Paris, le CCI l'a interpellé publiquement, en ces termes : "Le BIPR défend-il aujourd'hui encore son analyse suivant laquelle si une troisième guerre mondiale n'a pas éclaté avant l'effondrement du bloc de l'Est c'est à cause de la bombe atomique et de 'l'équilibre de la terreur' ?". Dans le compte-rendu pour la presse que nous avons réalisé de cette réunion ("Le vide politique et l'absence de méthode du BIPR" dans Révolution Internationale n° 351), nous rapportons les faits suivants : "aucun militant du BIPR n'a voulu, dans un premier temps, répondre à notre question. Et c'est seulement lorsque nous avons posé cette question pour la troisième fois que l'un d'entre eux a daigné enfin nous répondre, de façon très succincte (et sans aucune argumentation) : "l'équilibre de la terreur est UN des facteurs qui explique que la bourgeoisie n'a pas pu déchaîner une troisième guerre mondiale". Il était donc impossible à BC d'ignorer qu'au moment de cette réunion publique, c'est-à-dire environ deux mois avant la publication dans Prometeo de l'article dont il est question, nous demeurions en profond désaccord avec elle sur cette question.

Moralité : en plus d'adopter vis-à-vis du CCI des pratiques de la bourgeoisie, BC se paie ouvertement la tête du lecteur.

La fuite face à des exigences de clarification qui s'imposent

Confondu par le caractère mensonger des calomnies contre le CCI qu'il avait complaisamment relayées sur son site, le BIPR a commencé par tenter d'effacer subrepticement les traces de son mauvais coup (9) [131] en vue d'étouffer l'affaire. Lorsque le CCI lui demande des comptes, il s'écrie qu'il est attaqué : "à partir d’aujourd’hui, nous ne répondrons pas ni ne donnerons suite à aucune de leurs vulgaires attaques" (dans "Dernière réponse aux accusations du CCI ")10) [132]! Pour faire diversion au problème énorme que pose son comportement politique, le BIPR "porte le fer" sur les désaccords entre nos deux organisations relatifs à des questions programmatiques et d'analyse générale en publiant son article dans Prometeo "Décadence, décomposition, produits de la confusion". Mais, là aussi, incapable d'affronter honnêtement les vraies divergences, il est contraint d'exécuter de mauvais tours de prestidigitateur afin de ne pas répondre aux vrais arguments politiques du CCI. Et enfin, pour se prémunir de devoir rendre des comptes sur ses nouvelles forfaitures, il affiche une fin définitive de non recevoir qu'il justifie avec une morgue qui n'a d'égale que son inanité politique : "Si ce sont là – et elles le sont – les bases théoriques du CCI, les raisons pour lesquelles nous avons décidé de ne plus perdre de temps, de papier et d’encre pour discuter ou même polémiquer avec lui, devraient être claires."(11) [133]

Le BIPR parvient-il encore à se tromper lui-même et à tromper ses inconditionnels ? A ceux-là, il faudra quand même qu'il explique en quoi il est inutile de discuter avec le CCI, du fait de ses bases théoriques, alors qu'il est tout à fait possible de le faire avec la FICCI et même d'avoir avec elle des contacts qui "existent et résistent"(12) [134], alors que cette dernière prétend justement représenter le vrai CCI avec les mêmes "bases théoriques!" La différence la plus importante entre le CCI et la FICCI, et c'est certainement cela qui doit rendre cette dernière plus attrayante aux yeux du BIPR(13) [135], c'est qu'elle s'est livrée à des dénigrements de notre organisation, a suscité la suspicion quant à l'existence d'agents de l'Etat en son sein (typique du travail de la provocation policière), a commis des vols à son encontre, s'est livrée au mouchardage en rendant publics des éléments sensibles de sa vie interne(14) [136] et récemment a menacé rien de moins que de "trancher la gorge" à l'un de nos militants(15) [137].

La peur congénitale de la confrontation politique

Voilà le triste état dans lequel se trouve aujourd'hui une composante issue de la Gauche communiste d'Italie, courant qui dans les années trente, en pleine période de contre-révolution, avait su maintenir l'honneur du prolétariat révolutionnaire contre la trahison des PC et face à la dégénérescence du trotskisme. Il est vrai que cette composante politique qui est à l'origine de la fondation du PCInt en 1943 en Italie s'était déjà illustrée très tôt, à cette occasion justement, par une ouverture opportuniste vis-à-vis de groupes en provenance du PSI (Parti socialiste italien) et du PCI (Parti communiste italien) ou d'éléments qui avaient rompu précédemment avec le cadre programmatique de la Gauche italienne pour se lancer dans des aventures contre-révolutionnaires(16) [138]. La Fraction française de la gauche communiste (FFGC qui publiait Internationalisme), dont se revendique le CCI, avait alors critiqué cette démarche qui tournait le dos à l'intransigeance programmatique et organisationnelle de la Gauche communiste d'Italie dans les années 1930(17) [139]. Ainsi, la FFGC écrivait en novembre 1946 une lettre (publiée dans Internationalisme n° 16 de décembre 1946) où elle faisait la liste de toutes les questions à discuter concernant des divergences au sein de la GCI(18) [140]. Ce qui arriva c'est que, de la même manière que la GCI avait été exclue de façon bureaucratique de l'IC après 1926, exclue de nouveau de l'Opposition de gauche en 1933, ce fut ensuite au tour de la GCI d'écarter la Fraction française de la discussion politique en son sein afin d'éviter la confrontation politique. La "justification" alors invoquée pour une telle mesure n'est pas sans rappeler la mauvaise fois congénitale du BIPR : "Puisque (…) votre lettre démontre une fois de plus la constante déformation des faits et des positions politiques prises soit par le PCI d'Italie, soit par les fractions françaises et belges (…) votre activité se borne à jeter la confusion et la boue sur nos camarades, nous avons exclu à l'unanimité la possibilité d'accepter votre demande de participation à la réunion internationale des organisations de la GCI". Cet extrait de lettre du PCInt est cité dans l'article "La discipline … force principale" paru dans Internationalisme n° 25, août 1947(19) [141]. Le même article d'Internationalisme n° 25 fait le commentaire suivant : "On pensera ce que l'on voudra de l'esprit dans lequel a été faite cette réponse mais on doit constater qu'à défaut d'arguments politiques elle ne manque pas d'énergie et de décision … bureaucratique."

La méthode utilisée actuellement par BC à notre encontre n'est donc pas nouvelle de la part de cette organisation même si, du fait des circonstances différentes, elle s'exprime également sous une forme différente. En effet, la question de notre exclusion ne se pose pas puisque nous ne n'appartenons pas à une organisation commune. Quant à notre "disqualification" actuelle auprès de tout un milieu sympathisant avec les positions de la Gauche communiste, il apparaît clairement que cela constitue un objectif pour BC, étant donnée sa vision concurrentielle et sectaire des relations entre groupes communistes. Mais pour arriver à ses fins, répugnant à la confrontation franche et loyale, elle recourt à la déloyauté, à la calomnie et à l'esquive à travers de dédaigneuses fins de non recevoir face aux arguments du contradicteur.

Le BIPR malade de ses conceptions et pratiques organisationnelles

Le dédain et le mépris avec lesquels la GCI avait à l'époque traité cette petite minorité constituée par la FFGC ayant critiqué la constitution opportuniste du PCInt, trouvait une fausse légitimation dans la disproportion existant alors entre, d'une part, la GCI avec des composantes en Italie (un parti ayant compté à sa formation plusieurs milliers de membres) en Belgique et en France et, d'autre part, la petite FFGC très réduite numériquement et n'existant qu'en France. C'est encore avec la même arrogance que le BIPR traite aujourd'hui le CCI, mais le ridicule en plus. En effet, s'il a bien conscience que, malgré son existence dans 13 pays, le CCI est encore une petite organisation révolutionnaire, le BIPR n'a visiblement pas pris la mesure du fait qu'il est lui-même une minuscule organisation. BC peut très bien chercher à se consoler en prenant ses rêves et les racontars de la FICCI pour des réalités et se rassurer en répétant à satiété que le CCI est "traversé par une profonde et irréversible crise interne", cela ne change rien à la réalité actuelle du CCI. Celui-ci fait face à ses responsabilités d'analyse de la situation, d'intervention dans la classe ouvrière, sort régulièrement sa presse, est capable d'aller à la rencontre de l'éveil à la politique révolutionnaire qui se fait jour au sein des jeunes générations et … trouve même le temps de se défendre face aux attaques dont il a été l'objet de la part de l'alliance du BIPR avec le parasitisme. Il est vrai qu'on parle davantage des crises du CCI que de celles du BIPR. Et pour cause ! Non seulement le CCI ne les cache pas mais encore en expose publiquement les racines et les leçons face à la classe ouvrière. Par ailleurs, comme nous l'avons déjà mis en évidence en réponse au BIPR (voir notre article "Le vol et la calomnie ne sont pas des méthodes de la classe ouvrière" publié sur notre site Internet), toutes les organisations vivantes du mouvement ouvrier (en particulier l'AIT et le POSDR) ont eu à mener en leur sein des combats en vue de leur défense contre des conceptions et comportements politiques étrangers au prolétariat (20) [142]. Il est vrai que le BIPR n'est pas bavard sur des problèmes de ce type pouvant affecter sa vie politique. Nous découvrons néanmoins, au détours d'une phrase, les conceptions aberrantes en vigueur dans cette organisation. En effet, pour justifier le vol du fichier de nos abonnés par une militante qui allait participer à la fondation de la FICCI, le BIPR s'exprime en ces termes : "si des camarades dirigeants du CCI -qui, comme tels disposaient du fichier d'adresses de leur organisation- rompent avec l'organisation, déclarant de plus vouloir regagner des camarades à la 'juste voie', gardent le fichier des adresses, il ne s'agit pas d'un vol. Le faux moralisme du CCI pue l'hypocrisie quand il lance des accusations de tout genre à qui l'abandonne." ("Réponse aux accusations stupides d'une organisation en voie de désintégration", publié sur le site Internet du BIPR). Nous avons déjà montré ("Le vol et la calomnie ne sont pas des méthodes de la classe ouvrière") en quoi est nulle et non avenue cette justification du vol d'un outil de l'organisation qui appartient à celle-ci comme un tout, et non aux individus qui la composent. A cette occasion, nous avions signalé que parler d'une "organisation avec à sa tête des dirigeants" renvoyait à une conception de l'organisation que nous ne partagions pas. Il a existé et il existe encore dans le mouvement ouvrier des visions de l'organisation, théorisées notamment par le courant bordiguiste (le cousin germain du BIPR) qui opèrent explicitement une distinction, au sein de l'organisation, entre les dirigeants et la base des militants.(21) [143] De telles visions constituent des concessions à une vision hiérarchique et bourgeoise de l'organisation. A l'inverse de cette vision, le parti, comme toute organisation révolutionnaire, ne peut remplir sa fonction que s'il est un lieu d'élaboration collective, par tous ses membres, des orientations politiques. Ceci implique nécessairement la discussion la plus ouverte et la plus large possible, à l'image de la classe ouvrière dont l'émancipation a pour condition l'action consciente collective.

Nous n'avions pas encore commenté cette conception du BIPR qui attribue des prérogatives aux "membres dirigeants", ici celle de voler sans que cela soit condamnable, et qui relève elle aussi d'une telle vision hiérarchique de l'organisation. Mais on serait tenté de la faire résulter, non pas de l'influence de l'idéologie bourgeoise mais bien plutôt de l'idéologie… féodale. En effet, cette illumination du BIPR nous transpose tout droit au Moyen Age, avec les nobles qui ont le privilège, pour les besoins de la chasse ou de la guerre, de pouvoir saccager les récoltes des paysans et qui, pour leur propre plaisir, disposent également du droit de cuissage.

Si on assiste aujourd'hui, dans le fond, à une répétition de l'histoire de la part de BC, ce serait néanmoins erroné d'en déduire que cette organisation demeure invariablement égale à elle-même. En effet, la répétition de pratiques opportunistes n'est pas sans conséquence sur la dynamique d'une organisation, en particulier lorsque celle-ci est imperméable à la critique et fermée à toute remise en cause. Les flirts répétés du BIPR avec des groupes étrangers aux positions ou aux méthodes du prolétariat, et en particulier le dernier en date avec la canaille de la FICCI, l'ont amené à s'inspirer de leurs méthodes bourgeoises.

Dans ce texte, et dans les précédents auxquels il se réfère, nous avons démontré que nos critiques au BIPR sont parfaitement fondées et que les accusations de cette organisation à notre encontre reposent sur du sable. Nous continuons d'attendre de lui (et nous ne nous lasserons pas) qu'il démontre ce qu'il affirme, le maintien de sa part d'une attitude silencieuse ne pouvant signifier autre chose qu'il n'a en fait rien à dire.

Le CCI

[144]

1 [144] Le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR - www.ibrp.org [145]), fondé par le Partito Comunista Internazionalista - Battaglia Comunista (BC) et par la Communist Workers' Organisation (CWO) en Angleterre, se revendique de la tradition de la Gauche communiste d'Italie.

2 [146] Prometeo est la revue théorique de Battaglia Comunista.

3 [147] Nous invitons nos lecteurs à consulter sur notre site les documents se rapportant à cette affaire, en particulier le dernier d'entre eux : la "lettre ouverte aux militants du BIPR" du 7 décembre 2004.

4 [148] Ce qui était vrai pour la Social démocratie alors qu'elle était encore une organisation de la classe ouvrière vaut tout autant pour toutes les organisations du mouvement ouvrier, quelle que soit leur influence au sein de la classe ouvrière, et s'applique donc encore aujourd'hui pleinement aux petites organisations qui sont restées fidèles, sur le plan des positions programmatique, à la lutte du prolétariat pour son émancipation.

5 [149] En fait, l'article de BC est relatif à un document du CCI qui date de bientôt deux ans maintenant. Nous ne renions en rien son contenu mais il convient de signaler que, plus récemment mais toutefois avant la parution de cet article de BC, nous avons publié des textes directement en polémique avec le BIPR, justement sur les questions centrales dont il est question. Il s'agit des deux parties de l'article "L'abandon par BC du concept marxiste de décadence d'un mode de production" parues dans les numéros 119 et 120 de la Revue Internationale et de l'article "Le vide politique et l'absence de méthode du BIPR", publié dans Révolution Internationale n° 351, qui constitue le compte-rendu de la réunion publique du BIPR du 2 Octobre 2004 à Paris. Ces textes sont, à ce jour, restés sans réponse. Peut-être dans deux ans recevront-ils une réponse de la part du BIPR, si celui-ci arrive à dégager un peu de son précieux temps.

6 [150] "La vision marxiste et la vision opportuniste de la construction du parti" dans les numéros 103 et 105 de la Revue Internationale.

7 [151] Comme d'ailleurs Lénine qualifiait la SDN (Société Des Nations, ancêtre de l'ONU.)

8 [152] Le CCI n'a néanmoins pas attendu l'effondrement du bloc de l'est pour mettre en évidence qu'une troisième guerre mondiale signifierait la disparition de l'humanité ou, pour le moins, une régression de la civilisation des millénaires en arrière.

9 [153] Au cas où le BIPR deviendrait totalement amnésique concernant certains moments du passé, nous avons gardé des copies d'écran des textes qu'il a fait disparaître de son site.

10 [154] Le BIPR se plaint de notre vulgarité à son encontre. Il est vrai que nous critiquons avec dureté, parfois avec ironie, certains de ses comportements. Ils le méritent bien et il est parfois difficile d'appeler un chat autrement qu'un chat. Mais le BIPR est assez mal venu de s'en plaindre, surtout qu'il est beaucoup moins regardant et sensible lorsque, galvanisée par les charges de l'aventurier monsieur B., à notre encontre, la FICCI nous traite de "salopards" dans un texte publié en octobre 2004 sur son site. Par la suite, après que nous ayons démontré de façon irréfutable que les accusations du citoyen B. sur lesquelles elle s'appuyait pour justifier ses insultes étaient de pures inventions, elle a retiré ce texte de son "bulletin jaune" publié sur Internet.

11 [155] Notons quand même que le BIPR était beaucoup moins regardant pour dépenser son temps lorsque, s'agissant de donner la meilleure diffusion aux calomnies de monsieur B. contre le CCI, il trouvait les moyens de traduire ses textes en plusieurs langues, pour les placer sur son site.

12 [156] "Réponse aux accusations stupides d'une organisation en voie de désintégration", texte du BIPR publié sur son site Internet.

13 [157] La FECCI constitue aussi un appât pour le BIPR parce qu'il espère, en récupérant ses membres (ce dont il ne se cache pas), se renforcer numériquement en France et, qui sait, de s'implanter au Mexique. En d'autres termes, interviennent fortement dans son jugement des considérations de "pêche à la ligne" vis-à-vis de ceux qui, en même temps qu'ils prétendent représenter le vrai CCI, "étudient avec une attention critique les positions du BIPR" ("Dernière réponse aux accusations du CCI"). Si le BIPR a décidé de ne pas être regardant quant à la nature du "poisson" péché, il ne nous appartient plus de le mettre en garde une nouvelle fois.

14 [158] A ce sujet, lire notre article "Les méthode policières de la FICCI" dans Révolution Internationale n° 330.

15 [159] Lire l'article "Des menaces de mort contre des militants du CCI" dans Révolution Internationale n° 354.

16 [160] Lire nos articles "Battaglia Comunista : à propos des origines du Parti Communiste Internationaliste" dans la Revue Internationale n° 34 et "Le Parti Communiste International (Programme Communiste) à ses origines, tel qu'il prétend être, tel qu'il est", dans la Revue Internationale n° 32.

17 [161] Lire notre livre, La Gauche communiste d'Italie.

18 [162] Afin qu'ils se rendent compte du sérieux avec lequel furent explicitées ces divergences et critiques, nous conseillons à nos lecteur de consulter la liste en question publiée dans notre brochure La Gauche communiste de France.

19 [163] Article republié sous le même titre dans la Revue Internationale n° 34.

20 [164] Et toutes ces organisations également, à l'occasion de combats en leur sein, ont perdu des éléments au long et parfois prestigieux passé militant, ayant, sous une forme ou une autre, trahi la cause du prolétariat. Le trahison et la transformation en voyous d'une poignée de "vieux militants" du CCI n'est certainement pas une "première" dans l'histoire du mouvement ouvrier comme semble le penser le BIPR quand il écrit : "On découvre tout à coup que des militants, ayant un passé militant de plus de 25 ans (...) ne sont que des voleurs, des voyous ou des parasites."

21 [165] De telles visions ont déjà été combattues par la FFGC notamment dans sa critique de "la conception du chef génial" (pour laquelle seules des individualités particulières – les chefs géniaux – ont la capacité d'approfondir la théorie révolutionnaire pour la distiller et la transmettre en quelque sorte "toute mâchée" aux membres de l'organisation) et celle de "la discipline … force principale" (qui conçoit les militants de l'organisation comme des simples exécutants qui n'ont pas à discuter des orientations politiques de l'organisation) dans Internationalisme n° 25. Ces visions avaient aussi été combattues par Lénine lorsqu'il écrivait "il est du devoir des militants communistes de vérifier par eux-mêmes les résolutions des instances supérieures du parti. Celui qui, en politique, croit sur parole est un indécrottable idiot" (cité par Internationalisme n° 25).

Vie du CCI: 

  • Défense de l'organisation [166]

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [54]

La théorie de la décadence au coeur du matérialisme historique (IV)

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De Marx à la Gauche communiste (1e partie)

 

Dans le premier article de cette série publié dans le n°118 de la Revue internationale nous avons vu en quoi la théorie de la décadence constitue le coeur même du matérialisme historique dans l’analyse de l’évolution des modes de production chez Marx et Engels. C’est à ce titre que nous la retrouverons au centre des textes programmatiques des organisations de la classe ouvrière. De plus, non contentes de reprendre ce fondement du marxisme, certaines d’entre-elles en développeront l’analyse et/ou les implications politiques. C’est selon ce double point de vue que nous nous proposons ici de brièvement passer en revue les principales expressions politiques du mouvement ouvrier en commençant, dans cette première partie, par le mouvement ouvrier à l’époque de Marx, la Deuxième Internationale, les gauches marxistes qui s’en dégageront ainsi que l’Internationale Communiste à sa constitution. Dans une seconde partie de cet article qui paraîtra ultérieurement, nous examinerons plus particulièrement le cadre d’analyse des positions politiques élaborées par la 3e Internationale puis par les fractions de gauche qui s’en dégageront au cours de sa dégénérescence et constitueront le courant des groupes de la Gauche communiste qui sont à la base de notre propre filiation politique et organisationnelle.

Le mouvement ouvrier au temps de Marx

Marx et Engels ont toujours très clairement exprimé que la perspective de la révolution communiste dépendait de l'évolution matérielle, historique et globale du capitalisme. Dès lors, la conception selon laquelle un mode de production ne peut expirer avant que les rapports de production sur lesquels il s’appuie soient devenus des entraves au développement des forces productives, fut à la base de toute l’activité politique de Marx et Engels et de l'élaboration de tout programme politique prolétarien.

 

Si, à deux reprises, Marx et Engels ont cru déceler l’avènement de la décadence du capitalisme (1 [167]), ils ont néanmoins rapidement corrigé leurs appréciations et reconnu que le capitalisme était encore un système progressif. Leur vision, déjà ébauchée dans Le Manifeste Communiste et approfondie dans tous leurs écrits de cette époque, selon laquelle le prolétariat venant au pouvoir dans cette période aurait comme principale tâche de développer le capitalisme de la façon la plus progressive possible, et non simplement de le détruire, était une expression de cette analyse. C’est pourquoi la pratique des marxistes de la 1ere Internationale était avec raison basée sur l'analyse selon laquelle, tant que le capitalisme avait encore un rôle progressif à jouer, il était nécessaire pour le mouvement ouvrier de soutenir les mouvements bourgeois qui préparaient le terrain historique du socialisme : "Il a déjà été dit plus haut que le premier pas dans la révolution ouvrière est la montée du prolétariat au rang de classe dominante, la conquête de la démocratie. Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher peu à peu toute espèce de capital à la bourgeoisie... (...) Les communistes combattent pour les intérêts et les buts immédiats de la classe ouvrière ; mais dans ce mouvement du présent, ils représentent en même temps l’avenir. En France, ils se rallient au parti démocrate-socialiste contre la bourgeoisie conservatrice et radicale, sans renoncer au droit d’exercer leur critique contre les phrases et les illusions léguées par la tradition révolutionnaire. En Suisse, ils appuient les radicaux, sans méconnaître que ce parti se compose d’éléments disparates, démocrates socialistes, au sens français du mot, et bourgeois radicaux. Chez les Polonais, les communistes soutiennent le parti qui voit dans une révolution agraire la condition de l’émancipation nationale, c’est-à-dire le parti qui déclencha, en 1846, l’insurrection de Cracovie. En Allemagne, le parti communiste fait front commun avec la bourgeoisie, lorsqu’elle adopte une conduite révolutionnaire contre la monarchie absolue, la propriété féodale et les ambitions de la petite-bourgeoisie. (...) Partout, les communistes travaillent pour l’union et l’entente des partis démocratiques de tous les pays." (Le Manifeste Communiste, La Pléiade, Economie I) (2 [168]).Parallèlement à cela, il était nécessaire que les ouvriers continuent à se battre pour des réformes tant que le développement du capitalisme les rendait possibles et, dans cette lutte, "les communistes combattent pour les intérêts et les buts immédiats de la classe ouvrière..." comme le dit Le Manifeste. Ces positions matérialistes étaient défendues contre les appels a-historiques des anarchistes à une abolition immédiate du capitalisme et leur opposition complète à des réformes (3 [169]).

La Deuxième Internationale : héritière de Marx et Engels

La 2e Internationale a rendu encore plus explicite cette adaptation de la politique du mouvement ouvrier à la période, en adoptant un programme minimum de réformes immédiates (reconnaissance des syndicats, diminution de la journée de travail, etc.), en même temps qu'un programme maximum, le socialisme, à mettre en pratique le jour où l'inévitable crise historique du capitalisme surviendrait. Ceci apparaît très clairement dans le programme d’Erfurt qui concrétisait la victoire du marxisme au sein de la Social-Démocratie : "La propriété privée des moyens de production a changé... par la force motrice du progrès elle est devenue la cause de la dégradation sociale et de la ruine. (...) Sa chute est certaine, la seule question à laquelle il faut répondre est : laissera-t-on le système de la propriété privée des moyens de production entraîner la société dans sa chute aux abysses ou la société secouera-t-elle ce fardeau et s'en débarrassera-t-elle ? (...) Les forces productives qui ont été produites dans la société capitaliste sont devenus irréconciliables avec le système même sur lequel elles ont été bâties. La tentative de soutenir ce système de propriété rend impossible tout nouveau développement social et condamne la société à la stagnation et à la décadence. (...) Le système social capitaliste a fini sa course, sa dissolution est maintenant une question de temps. Tel un destin implacable, les forces économiques mènent la production capitaliste au naufrage, la construction d'un nouvel ordre social à la place de celui qui existe n'est plus quelque chose de simplement désirable, il est devenu quelque chose d'inévitable. (...) Telles que sont les choses aujourd'hui la civilisation ne peut durer nous devons avancer vers le socialisme ou retomber dans la barbarie. (...) L'histoire de l'humanité est déterminée non par les idées mais par le développement économique qui progresse irrésistiblement obéissant à des lois sous-jacentes précises et non aux souhaits ou aux fantaisies de quiconque" (Notre traduction, extrait du programme d’Erfurt relu, corrigé et soutenu par Engels (4 [170]) : Kautsky 1965, Das Erfurter Programm Le programme d’Erfurt , Berlin, Dietz-Verlag ).

Mais pour la majorité des principaux leaders officiels de la Deuxième Internationale, le programme minimum deviendra de plus en plus le seul programme véritable de la Social-Démocratie : "Le but final, quel qu'il soit, n'est rien. Le mouvement est tout", selon les mots de Bernstein. Le Socialisme et la révolution prolétarienne se réduisirent à des platitudes rabâchées comme des sermons lors des parades du premier mai, tandis que l'énergie du mouvement officiel était de plus en plus concentrée sur l'obtention pour la Social-Démocratie d'une place à l'intérieur du système capitaliste, quel qu'en fût le prix. Inévitablement, l'aile opportuniste de la Social-Démocratie commença à rejeter l'idée même de la nécessité de destruction du capitalisme et de révolution sociale, pour défendre l'idée de la possibilité d'une transformation lente, graduelle, du capitalisme au socialisme.

La Gauche marxiste au sein de la Deuxième Internationale

En réponse au développement de l’opportunisme au sein de la 2e Internationale se développèrent des fractions de gauche dans de nombreux pays. Ces dernières seront à la base de la constitution des Partis communistes qui vont naître suite à la trahison de l’internationalisme prolétarien par la Social-Démocratie lors de l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Ces fractions défendront haut et fort le flambeau du marxisme en reprenant l’héritage de la 2e Internationale, tout en le développant face aux nouveaux enjeux posés par l’ouverture de la nouvelle période du capitalisme ouverte avec l’éclatement de la guerre, celle de sa décadence.

Ces courants sont apparus au moment où le système capitaliste vivait la dernière phase de son ascension, où l'expansion impérialiste commençait à laisser percevoir la perspective d'affrontements entre les grandes puissances dans le jeu du capitalisme mondial et où la lutte de classe se faisait de plus en plus dure (développement de grèves générales politiques et surtout de grèves de masse dans plusieurs pays). Contre l'opportunisme de Bernstein et Cie, la Gauche de la Social-Démocratie les Bolcheviks, le groupe des Tribunistes hollandais, Rosa Luxemburg et d'autres révolutionnaires allaient défendre l’analyse marxiste dans toutes ses implications : comprendre la dynamique de la fin de la phase ascendante du capitalisme et l’inéluctabilité de la faillite du capitalisme (5 [171]), les raisons des dérives opportunistes (6 [172]) et la réaffirmation de la nécessité d'une destruction violente et définitive du capitalisme (7 [173]). Malheureusement, tout ce travail théorique de la part des fractions de gauche ne se réalisera pas à l’échelle internationale ; dès lors, ces dernières se présenteront en ordre dispersé et avec des degrés d’analyse et de compréhension différents face aux formidables bouleversements sociaux du début du 20e siècle, représentés par l’éclatement de la Première Guerre mondiale et le développement de mouvements insurrectionnels à l’échelle internationale. Nous n’avons pas ici la prétention de faire ni une présentation, ni une analyse détaillée de toutes les contributions des fractions de gauche sur ces questions ; nous nous limiterons à quelques prises de position clés de ce qui va constituer les deux colonnes vertébrales de la nouvelle Internationale le Parti bolchévique et le Parti communiste allemand au travers de ses deux représentants les plus éminents : Lénine et Rosa Luxemburg.

Si Lénine n’utilise pas le vocable d’ascendance et de "décadence" mais des termes et des expressions comme "l’époque du capitalisme progressiste", "ancien facteur de progrès", "l’époque de la bourgeoisie progressive" pour caractériser la période ascendante du capitalisme et "l’époque de la bourgeoisie réactionnaire", "le capitalisme est devenu réactionnaire", "un capitalisme agonisant", "l’époque du capitalisme qui a atteint sa maturité" pour caractériser la période décadente du capitalisme, il utilise néanmoins pleinement le concept et ses implications essentielles, notamment pour analyser correctement la nature de la Première Guerre mondiale. Ainsi, à l’opposé des sociaux-traîtres qui, s’appuyant sur les analyses faites par Marx pendant la phase ascendante du capitalisme, continuaient à prôner un soutien conditionnel à certaines fractions bourgeoises et à leurs luttes de libération nationale, Lénine sera capable d’identifier dans la Première Guerre mondiale l’expression d’un système ayant épuisé sa mission historique, nécessitant par là son dépassement par une révolution à l’échelle mondiale. De là, sa caractérisation de guerre impérialiste totalement réactionnaire à laquelle il fallait opposer l’Internationalisme prolétarien et la révolution : "De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu réactionnaire ; il a développé les forces productives au point que l'humanité n'a plus qu'à passer au socialisme, ou bien à subir durant des années, et même des dizaines d'années, la lutte armée des "grandes" puissances pour le maintien artificiel du capitalisme à l'aide de colonies, de monopoles, de privilèges et d'oppressions nationales de toute nature." (Les principes du socialisme et la guerre de 1914-1918 – "La guerre actuelle est une guerre impérialiste") ; "L’époque de l’impérialisme capitaliste est l’époque du capitalisme qui a atteint sa maturité et qui a dépassé sa période de maturité, qui est à l’orée de sa ruine, mûr pour laisser la place au socialisme. La période de 1789 à 1871 a été l’époque du capitalisme progressiste : à l’ordre du jour figuraient la renversement du féodalisme, de l’absolutisme, la libération du joug étranger..." (L’opportunisme et la banqueroute de la 2e Internationale, janvier 1916) ; "De tout ce qui a été dit plus haut de l'impérialisme, il ressort qu'on doit le caractériser comme un capitalisme de transition ou, plus exactement, comme un capitalisme agonisant. (...) le parasitisme et la putréfaction caractérisent le stade historique suprême du capitalisme c'est-à-dire l'impérialisme. (...) L'impérialisme est le prélude de la révolution sociale du prolétariat. Cela s'est confirmé, depuis 1917, à l'échelle mondiale." (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme).

Les positions prises face à la guerre et à la révolution ont toujours constitué des lignes de démarcation claires au sein du mouvement ouvrier. La capacité de Lénine à cerner la dynamique historique du capitalisme, à reconnaître la fin de "l’époque du capitalisme progressiste" et que "le capitalisme est devenu réactionnaire", lui a, non seulement, permis de clairement caractériser la première guerre mondiale mais également la nature et la portée de la révolution en Russie. En effet, lorsque la situation révolutionnaire mûrit dans ce pays, la compréhension qu'avaient les Bolcheviks des tâches qu'imposait la nouvelle période leur permit de lutter contre les conceptions mécanistes et nationalistes des Mencheviks. Lorsque ces derniers tentèrent de minimiser l'importance de la vague révolutionnaire sous prétexte du trop grand "sous-développement de la Russie pour le socialisme", les Bolcheviks affirmèrent que le caractère mondial de la guerre impérialiste révélait que le capitalisme mondial était arrivé au stade de maturation nécessaire à la révolution socialiste. En conséquence, ils luttaient pour la prise du pouvoir de la classe ouvrière, considérant cette tâche comme un prélude à la révolution prolétarienne mondiale.

Parmi les premières et plus claires expressions de cette défense du marxisme, il y eut la brochure Réforme ou Révolution écrite par Rosa Luxemburg en 1899 qui, tout en reconnaissant que le capitalisme était encore en expansion grâce à de "brusques sursauts expansionnistes" (c'est-à-dire à l'impérialisme), insistait sur le fait que le capitalisme allait de façon inévitable vers sa "crise de sénilité" et amènerait la nécessité immédiate de la prise de pouvoir révolutionnaire du prolétariat. De plus, avec beaucoup de perspicacité politique, Rosa Luxemburg a été capable de percevoir les nouvelles exigences posées par ce changement de période historique au niveau de la lutte et des positions politiques du prolétariat notamment concernant la question syndicale, la tactique parlementaire, la question nationale et les nouvelles méthodes de lutte au travers de la grève de masse (8 [174]) : Sur les syndicats : "Quand le développement de l’industrie aura atteint son apogée et que sur le marché mondial commencera pour le capital la phase descendante, la lutte syndicale deviendra difficile (...) A ce stade la lutte se réduit nécessairement de plus en plus à la simple défense des droits acquis, et même celle-ci devient de plus en plus difficile. Telle est la tendance générale de l’évolution dont la contre-partie doit être le développement de la lutte de classe politique et sociale." (Rosa Luxemburg, Réformes ou Révolution, Maspéro 1971 [1898] : 35). Sur le parlementarisme : "Assemblée nationale ou tout le pouvoir aux Conseils des ouvriers et soldats, abandon du socialisme ou lutte de classe la plus résolue du prolétariat armé contre la bourgeoisie : voilà le dilemme. Réaliser le socialisme par la voie parlementaire, par simple décision majoritaire, que voilà un projet idyllique ! (...) Le parlementarisme, il est vrai, fut une arène de la lutte de classe du prolétariat, et cela tant que dura la vie tranquille de la société bourgeoise. Il fut alors une tribune du haut de laquelle nous pouvions rassembler les masses autour du drapeau du socialisme et l’éduquer pour la lutte. Mais aujourd’hui, nous sommes au coeur même de la révolution prolétarienne, et il s’agit à présent d’abattre l’arbre même de l’exploitation capitaliste. Le parlementarisme bourgeois, tout comme la domination de classe bourgeoise qui fut sa raison d’être la plus éminente, a perdu sa légitimité. A présent, la lutte de classe fait irruption à visage découvert, le Capital et le Travail n’ont plus rien à se dire, il ne leur reste plus qu’à s’empoigner d’une étreinte de fer et à trancher l’issue de cette lutte à mort." (Rosa Luxemburg, Assemblée nationale ou gouvernement des conseils ?, Ed. La Brèche 1978 [17 décembre 1918] : 45, 48). Sur la question nationale : "La guerre mondiale ne sert ni la défense nationale, ni les intérêts économiques ou politiques des masses populaires quelles qu’elles soient, c’est uniquement un produit de rivalités impérialistes entre les classes capitalistes de différents pays pour la suprématie mondiale et pour le monopole de l’exploitation et de l’oppression des régions qui ne sont pas encore soumises au Capital. A l’époque de cet impérialisme déchaîné, il ne peut plus y avoir de guerre nationale. Les intérêts nationaux ne sont qu’une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l’impérialisme." (La crise de la Social-Démocratie, 1915).

La décadence au centre de l’analyse de l’Internationale communiste

Portée par les mouvements révolutionnaires qui mirent fin à la Première Guerre mondiale, la constitution de la 3e Internationale (Internationale communiste ou IC) s’est appuyée sur ce constat de la fin du rôle historiquement progressif de la bourgeoisie dégagé par les gauches marxistes au sein de la 2e Internationale. L’IC et les groupes qui la constituent, confrontés à la tâche de comprendre le tournant marqué par l’éclatement de la Première Guerre mondiale et l’émergence de mouvements insurrectionnels à l’échelle internationale, feront de la "décadence" à un degré ou à un autre la clé de leur compréhension de la nouvelle période qui venait de s’ouvrir. Ainsi, dans la plate-forme de la nouvelle Internationale est-il précisé que : "Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat" (1er Congrès, reprint Maspéro, p.19) et ce cadre d’analyse se retrouvera, peu ou prou, dans toutes ses prises de position (9 [175]) comme dans les "Thèses sur le parlementarisme" adoptées au 2e Congrès : "Le communisme doit prendre pour point de départ l’étude théorique de notre époque (apogée du capitalisme, tendances de l’impérialisme à sa propre négation et à sa propre destruction...)" (op. cité, p.66).

Ce cadre d’analyse apparaîtra avec encore plus de netteté dans le "Rapport sur la situation internationale" écrit par Trotsky et adopté au 3e Congrès : "Les oscillations cycliques disions-nous dans notre rapport au 3e Congrès de l’IC accompagnent le développement du capitalisme dans sa jeunesse, sa maturité et sa décadence comme le tic-tac du coeur dure chez un homme dans son agonie même" (Trotsky, "Le flot monte", 1922) et attesté par les discussions qui se sont développées autour de ce rapport : "Nous avons vu certes hier en détail comment le camarade Trotsky et tous ceux qui sont ici seront, je pense, d’accord avec lui se représente les rapports entre d’un côté les petites crises et les petites périodes d’essor cycliques et momentanées et, de l’autre côté, le problème de l’essor et du déclin du capitalisme, envisagé sur de grandes périodes historiques. Nous serons tous d’accord que la grande courbe qui allait vers le haut va maintenant irrésistiblement vers le bas, et qu’à l’intérieur de cette grande courbe, aussi bien lorsqu’elle monte que maintenant qu’elle descend, se produisent des oscillations" (Authier D., Dauvé G., Ni parlement ni syndicats : les Conseils ouvriers !, Edition "Les nuits rouges", 2003) (10 [176]). Enfin, plus explicitement encore, ce cadre d’analyse de la décadence du capitalisme sera réaffirmé dans la "Résolution sur la tactique de l’IC" à son 4e Congrès : "II. La période de décadence du capitalisme. Après avoir analysé la situation économique mondiale, le Troisième Congrès put constater avec la plus complète précision que le capitalisme, après avoir accompli sa mission de développer les forces productrices, est tombé dans la contradiction la plus irréductible avec les besoins non seulement de l’évolution historique actuelle, mais aussi avec les conditions d’existence humaine les plus élémentaires. Cette contradiction fondamentale se refléta particulièrement dans la dernière guerre impérialiste et fut encore aggravée par cette guerre qui ébranla, de la manière la plus profonde, le régime de la production et de la circulation. Le capitalisme qui se survit ainsi à lui-même, est entré dans la phase où l’action destructrice de ses forces déchaînées ruine et paralyse les conquêtes économiques créatrices déjà réalisées par le prolétariat dans les liens de l’esclavage capitaliste. (...) Ce que le capitalisme traverse aujourd’hui n’est autre que son agonie." (op. cité).

L’analyse de la signification politique de la Première Guerre mondiale

L'explosion de la guerre impérialiste en 1914 marque un tournant décisif aussi bien dans l'histoire du capitalisme que dans celle du mouvement ouvrier. Le problème de la "crise de sénilité" du système n'était plus un débat théorique entre différentes fractions du mouvement ouvrier. La compréhension du fait que la guerre ouvrait une nouvelle période pour le capitalisme, en tant que système historique, exigeait un changement dans la pratique politique dont les fondements devinrent une frontière de classe : d'un côté les opportunistes qui montrèrent clairement leur visage d'agents du capitalisme en "ajournant" la révolution par 1'appel à la "défense nationale" dans une guerre impérialiste et, de l'autre, la gauche révolutionnaire les Bolcheviks autour de Lénine, le groupe "Die Internationale", les radicaux de gauche de Brème, les Tribunistes hollandais, etc. qui se réunirent à Zimmerwald et Kienthal et affirmèrent que la guerre marquait l'ouverture de l'ère "de guerres et de révolutions" et que la seule alternative à la barbarie capitaliste était le soulèvement révolutionnaire du prolétariat contre la guerre impérialiste. De tous les révolutionnaires qui assistèrent à ces conférences, les plus clairs sur la question de la guerre furent les Bolcheviks et cette clarté découle directement de la conception que le capitalisme était rentré dans sa phase de décadence puisque "l’époque de la bourgeoisie progressive" avait fait place à "l’époque de la bourgeoisie réactionnaire" comme l’affirme sans ambiguïté la citation suivante de Lénine : "Les sociaux-démocrates russes (Plekhanov en tête) invoquent la tactique de Marx dans la guerre de 1870 ; les social-chauvins allemands (genre Lensch, David et Cie) invoquent les déclarations d’Engels en 1891 sur la nécessité pour les socialistes allemands de défendre la patrie en cas de guerre contre la Russie et la France réunies... Toutes ces références déforment d’une façon révoltante les conceptions de Marx et Engels par complaisance pour la bourgeoisie et les opportunistes... Invoquer aujourd’hui l’attitude de Marx à l’égard des guerres de l’époque de la bourgeoisie progressive et oublier les paroles de Marx : "Les ouvriers n’ont pas de patrie", paroles qui se rapportent justement à l’époque de la bourgeoisie réactionnaire qui a fait son temps, à l’époque de la révolution socialiste, c’est déformer cyniquement la pensée de Marx et substituer au point de vue socialiste le point de vue bourgeois." (Lénine 1915, tome 21)

Cette analyse politique de la signification historique de l’éclatement de la Première Guerre mondiale a déterminé le positionnement de l’ensemble du mouvement révolutionnaire, depuis les fractions marxistes au sein de la 2e Internationale (11 [177]) jusqu’aux groupes de la Gauche communiste en passant par la 3e Internationale. C’est ce qu’avait d’ailleurs prédit Engels dès la fin du 19e siècle : "Friedrich Engels a dit un jour "La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie". Mais que signifie donc une "rechute dans la barbarie" au degré de civilisation que nous connaissons en Europe aujourd’hui ? Jusqu’ici nous avons lu ces paroles sans y réfléchir et nous les avons répétées sans en pressentir la terrible gravité. Jetons un coup d’oeil autour de nous en ce moment même, et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoise dans la barbarie. Le triomphe de l'impérialisme aboutit à l'anéantissement de la civilisation, sporadiquement pendant la durée d'une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. C'est exactement ce que F. Engels avait prédit, une génération avant nous, voici quarante ans. Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien, victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. C'est là un dilemme de l'histoire du monde, un ou bien - ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Celui-ci doit résolument jeter dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l'avenir de la civilisation et de l'humanité en dépendent." (Luxemburg 1970 [1915]). C’est également ce qu’avaient bien compris et déterminé toutes les forces révolutionnaires qui vont participer à la création de l’Internationale communiste. Ainsi, dans ses statuts, il est très clairement rappelé que "La 3e Internationale communiste s’est constituée à la fin du carnage impérialiste de 1914-18, au cours duquel la bourgeoisie des différents pays a sacrifié 20 millions de vies. Souviens-toi de la guerre impérialiste ! Voilà la première parole que l’Internationale communiste adresse à chaque travailleur, quelles que soient son origine et la langue qu’il parle. Souviens-toi que, du fait de l’existence du régime capitaliste, une poignée d’impérialistes a eu, pendant quatre longues années, la possibilité de contraindre les travailleurs de partout à s’entr’égorger ! Souviens-toi que la guerre bourgeoise a plongé l’Europe et le monde entier dans la famine et le dénuement ! Souviens-toi que sans le renversement du capitalisme, la répétition de ces guerres criminelles est non seulement possible, mais inévitable ! (...) L’Internationale communiste considère la dictature du prolétariat comme l’unique moyen disponible pour arracher l’humanité aux horreurs du capitalisme." (Quatre Premiers Congrès de l’IC).

Oui, plus que jamais, nous devons nous "souvenir" de l’analyse de nos illustres prédécesseurs et nous devons la réaffirmer avec d’autant plus de force que les groupuscules parasitaires tentent de la faire passer pour de "l’humanisme et du moralisme bourgeois", en banalisant la guerre impérialiste et les génocides. Sous le prétexte d’une critique de la théorie de la décadence, c’est à une attaque en règle contre les acquis fondamentaux du mouvement ouvrier qu’ils procèdent : "Par exemple, pour nous démontrer que le mode de production capitaliste est en décadence, Sander nous affirme que sa caractéristique est le génocide et que plus des trois quarts des morts par guerre des 500 dernières années se sont produites dans le 20e siècle. Ce type d’arguments est également présent dans la pensée millénariste. Pour les témoins de Jéhovah, la Première Guerre mondiale constituerait un tournant de l’histoire du fait de sa grandeur et de son intensité. A les croire, le nombre de morts pendant la Première Guerre mondiale aurait été "... sept fois plus important que toutes les 901 principales guerres précédentes durant les 2 400 années avant 1914 (...)". Selon la polémologue Ruth Leger Sivard, dans un ouvrage publié en 1996, le siècle aurait fait environ 110 millions de morts en 250 guerres. Si nous extrapolons ce résultat pour terminer le siècle nous obtenons environ 120 millions de morts, 6 fois plus qu’au 19e siècle. Rapporté à la population moyenne du siècle le rapport relatif tombe à 2. (...) Même après cela, l’effet des guerres reste inférieur aux effets des mouches et des moustiques... (...) Ce n’est pas en se ralliant aux concepts propres au droit bourgeois moderne (comme celui du génocide), façonné par l’idéologie démocratique et des droits de l’homme sur les décombres de la Deuxième Guerre mondiale que l’on fera avancer le matérialisme et encore moins la compréhension de l’histoire du mode de production capitaliste." (Robin Goodfellow, "Camarade, encore un effort pour ne plus être révolutionnaire").

Comparer les ravages des guerres impérialistes à quelque chose qui reste "inférieur aux effets des mouches et des moustiques" est un véritable crachat à la figure des millions de prolétaires qui ont été massacrés sur les champs de bataille et des milliers de révolutionnaires qui ont sacrifié leurs vies pour arrêter le bras armé de la bourgeoisie et hâter les luttes révolutionnaires. C’est une insulte scandaleuse jetée à la figure des générations de communistes qui ont combattu de toutes leurs forces pour dénoncer les guerres impérialistes. Comparer les analyses léguées par Marx, Engels et tous nos illustres prédécesseurs de l’Internationale communiste et de la Gauche communiste à celles des Témoins de Jéhovah et du moralisme bourgeois est une véritable insanité. Face à de tels propos nous rejoignons pleinement Rosa Luxemburg lorsqu’elle affirmait que l’indignation du prolétariat est une force révolutionnaire !

Pour ces éléments parasitaires, toute la 3e Internationale, les Lénine, Trotsky, Bordiga, etc. se seraient fourvoyés dans un lamentable malentendu en confondant stupidement la Première Guerre mondiale qu’ils voyaient comme "le plus grand des crimes" ("Plate-forme" de l’IC, ibid.) avec ce qui n’aurait été quelque chose qui "reste inférieur aux effets des mouches et des moustiques". Tous ces révolutionnaires qui ont pensé que la guerre impérialiste est la plus gigantesque des catastrophes pour le prolétariat et le mouvement ouvrier dans son ensemble, "La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé de fond en comble toutes les conquêtes des batailles syndicalistes et parlementaires." (Manifeste de l’IC, ibid.), auraient commis la plus grave des méprises : avoir théorisé la Première Guerre mondiale comme ouvrant la période de décadence du capitalisme : "La période de décadence du capitalisme. (...) le capitalisme, après avoir accompli sa mission de développer les forces productrices, est tombé dans la contradiction la plus irréductible avec les besoins non seulement de l’évolution historique actuelle, mais aussi avec les conditions d’existence humaine les plus élémentaires. Cette contradiction fondamentale se refléta particulièrement dans la dernière guerre impérialiste et fut encore aggravée par cette guerre..." (op. cit.). Le mépris souverain de ces parasites pour les acquis du mouvement ouvrier qui ont été inscrits en lettres de sang par nos frères de classe, n’a d’égaux que le dédain de la bourgeoisie pour la misère ouvrière et le cynisme désincarné des chiffres bruts utilisés par cette même bourgeoisie pour vanter les mérites du capitalisme. Pour paraphraser la formule célèbre de Marx à propos de Proudhon et de la misère, 'ces parasites ne voient dans les chiffres que les chiffres et non leur signification sociale et politique révolutionnaire' (12 [178]). Tous les révolutionnaires de l’époque avaient, eux, bien saisi tout le caractère qualitativement différent, toute la signification sociale et politique de ce "massacre massif des troupes d’élite du prolétariat international" : "Mais le déchaînement actuel du fauve impérialiste dans les campagnes européennes produit encore un autre résultat qui laisse le "monde civilisé" tout à fait indifférents (et nos parasites d’aujourd’hui, ndlr) : c’est la disparition massive du prolétariat européen. Jamais une guerre n’avait exterminé dans ces proportions des couches entières de population (...) c’est la population ouvrière des villes et des campagnes qui constitue les neuf dixièmes de ces millions de victimes (...) ce sont les forces les meilleures, les plus intelligentes, les mieux éduquées du socialisme international (...) Le fruit de dizaines d’années de sacrifices et d’efforts de plusieurs générations est anéanti en quelques semaines, les troupes d’élite du prolétariat international sont décimées (...) Ici, le capitalisme découvre sa tête de mort, ici il trahit que son droit d’existence historique a fait son temps, que le maintien de sa domination n’est plus compatible avec le progrès de l’humanité." (Rosa Luxemburg, La crise de la Social-Démocratie, 1915, édition La Taupe 1970) (13 [179]).

 

C. Mcl

1 [180] Pour plus de détails, lire notre premier article dans le n°118 de cette Revue.

2 [181] Malheureusement, ce que la vision de Marx exprimait à cette époque avec justesse, a été utilisé comme une confusion réactionnaire dans la période de décadence par ceux qui invoquent les mesures prônées dans Le Manifeste Communiste comme si elles étaient adaptées à l'époque actuelle.

3 [182] Ces dernières positions, apparemment ultra-révolutionnaires, étaient en fait l'expression du désir petit-bourgeois "d’abolir" le capitalisme et le travail salarié, non pas en avançant vers leur dépassement historique, mais en régressant vers un monde de petits producteurs indépendants.

4 [183] Le premier article de cette série avait déjà clairement montré, à l’aide de nombreuses citations puisées dans l’ensemble de leur oeuvre, que le concept de décadence ainsi que le terme lui-même trouvaient leur origine chez Marx et Engels et constituaient le coeur du matérialisme historique dans la compréhension de la succession des modes de production. Ceci venait clairement infirmer les assertions totalement farfelues de la revue académiste Aufheben prétendant que "La théorie du déclin capitaliste est apparue pour la première fois dans la Deuxième Internationale" (dans la série d’articles intitulée : "Sur la décadence. Théorie du déclin ou déclin de la théorie", parue dans les n°2, 3 et 4 de Aufheben). Cependant, en reconnaissant que la théorie de la décadence est bel et bien au centre même du programme marxiste de la 2e Internationale, elle vient clairement démentir l’éventail des différents certificats de naissance tout aussi farfelus les uns que les autres, inventés par la kyrielle de groupes parasitaires : ainsi, pour la FICCI (Bulletin communiste n°24, avril 2004), elle naîtrait à la fin du 19è siècle : "nous avons présenté l'origine de la notion de décadence autour des débats sur l'impérialisme et l'alternative historique de guerre ou révolution qui ont eu lieu à la fin du 19e siècle face aux profondes transformations vécues alors par le capitalisme", alors que, pour la RIMC (Revue internationale du Mouvement communiste, "Dialectique des forces productives et des rapports de production dans la théorie communiste"), elle serait née après la Première Guerre mondiale "Le but de ce travail est d'effectuer une critique globale et définitive du concept de "décadence" qui empoisonne la théorie communiste comme une de ses déviations majeures nées dans le premier après guerre, et qui empêche tout travail scientifique de restauration de la théorie communiste par son caractère foncièrement idéologique". Enfin, pour Perspective internationaliste ("Vers une nouvelle théorie de la décadence du capitalisme"), ce serait Trotsky qui serait l’inventeur de ce concept : "Le concept de décadence du capitalisme a surgi dans la 3e Internationale, où il a été développé en particulier par Trotsky". La seule chose que tous ces groupuscules ont en commun est la critique de notre organisation et, en particulier, de notre théorie de la décadence ; mais en réalité aucun ne sait vraiment de quoi il parle.

5 [184] Ce que feront, par exemple, Lénine dans L’impérialisme stade suprême du capitalisme ou Rosa Luxemburg dans L’accumulation du capital.

6 [185] Ce que feront également, par exemple, Rosa Luxemburg dans Réforme ou Révolution et Lénine plus tard dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky.

7 [186] Ce que feront encore Lénine et Rosa Luxemburg dans respectivement L’Etat et la Révolution et Que veut la Ligue Spartakiste ?.

8 [187] Lire son ouvrage Grève de masse, parti et syndicats.

9 [188] Nous illustrerons plus amplement cette idée dans la seconde partie de cet article.

10 [189] Cette citation est extraite de l’intervention d’Alexander Schwab, délégué du KAPD, au 3e Congrès de l’Internationale communiste, dans la discussion à propos du rapport de Trotsky sur la situation économique mondiale : "Thèses sur la situation mondiale et la tâche de l’Internationale communiste". Elle restitue bien le sens et la teneur, mais surtout le cadre conceptuel de ce rapport et de la discussion dans l’IC autour de la notion d’essor et de déclin du capitalisme à l’échelle des "grandes périodes historiques".

11 [190] "Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde. C’est une folie insensée de s’imaginer que nous n’avons qu’à laisser passer la guerre, comme le lièvre attend la fin de l’orage sous un buisson, pour reprendre ensuite gaiement son petit train. La guerre mondiale a changé les conditions de notre lutte et nous a changé nous-mêmes radicalement." (Luxemburg, La crise de la Social-Démocratie, 1915, édition "La Taupe" : 59-60).

12 [191] Même au niveau des chiffres, nos censeurs sont bien obligés de reconnaître, après de "savants" calculs, que le "rapport relatif" du nombre de morts en décadence est le double de la période ascendante... ce qui les laisse toujours de marbre.

13 [192] Si nous avons cru bon de prendre la place nécessaire pour dénoncer de telles insultes, c’est non seulement pour les stigmatiser et défendre les acquis théoriques de générations entières de prolétaires et de révolutionnaires, mais aussi pour fermement dénoncer le petit milieu parasitaire qui colporte, cultive et laisse se développer ce genre de prose. Nous avons là un des multiples exemples, une des multiples preuves de sa nature totalement parasitaire : son rôle est de détruire les acquis politiques de la Gauche communiste, de parasiter le milieu politique prolétarien et de jeter le discrédit sur le CCI en particulier.

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [54]

Questions théoriques: 

  • Décadence [193]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [194]

Polémique avec le BIPR : Une politique opportuniste de regroupement qui ne conduit qu'à des "avortements"

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Dans le précédent article de cette série ("Le Nucleo Comunista Internacionalista, un effort de prise de consience du prolétariat en Argentine", Revue Internationale n° 120), nous avons retracé la trajectoire d’un petit noyau d’éléments révolutionnaires en Argentine regroupés dans le "Nucleo Comunista Internacional" (NCI).

Nous avons mis en évidence les problèmes rencontrés par ce petit groupe, notamment le fait qu’un de ses éléments, le citoyen B., avait mis à profit sa maîtrise des moyens informatiques (et particulièrement d’Internet) pour isoler les autres camarades, monopoliser la correspondance avec les groupes du milieu politique prolétarien, leur imposer ses décisions, quand ce n’est pas pour développer dans leur dos, en leur cachant délibérément ses agissements, une politique qu’ils n’approuvaient pas puisqu’elle remettait en cause du jour au lendemain toute l’orientation suivie auparavant. Plus précisément, après qu’il ait manifesté jusqu’à l’été 2004 la volonté de s’intégrer rapidement dans le CCI (1 [195]), dont il affirmait partager complètement les positions programmatiques et les analyses, en même temps qu’il rejetait les positions du BIPR et qu’il avait dénoncé les comportements de voyous et de mouchards de la soi-disant "Fraction Interne du CCI" (FICCI), le citoyen B. a brusquement retourné sa veste.

Alors qu’était encore présente sur place une délégation du CCI qui avait mené tout une série de discussions avec le NCI, il a repris contact avec la FICCI et le BIPR pour leur annoncer son intention de développer un travail avec ces deux groupes en prenant un aute nom, "Circulo de Comunistas Internacionalistas" (tout cela sans en dire un mot à notre délégation ni aux autres membres du NCI). En fait, "c'est lorsqu'il a compris qu'avec le CCI il ne pourrait pas développer ses manœuvres de petit aventurier que Monsieur B. s'est soudainement découvert une passion pour la FICCI et le BIPR, ainsi que pour les positions de ce dernier. Une telle conversion, encore plus soudaine que celle de Saint Paul sur le chemin de Damas, n'a pas mis la puce à l'oreille du BIPR qui s'est empressé de se faire le porte-voix de ce Monsieur. Il faudra un jour que le BIPR se demande pourquoi, à plusieurs reprises, des éléments qui ont fait la preuve de leur incapacité à s'intégrer dans la Gauche communiste, se sont tournés vers le BIPR après l'échec de leur "approche" vers le CCI." (Ibid.)

A notre connaissance, le BIPR ne s’est pas encore posé une telle question (tout au moins cela n’est jamais apparu publiquement dans sa presse).


Un des buts du présent article est, entre autres, de tenter d’apporter des éléments de réponse à cette question, ce qui peut être d’une certaine utilité pour cette organisation, mais également pour les éléments qui s’approchent des positions de la Gauche communiste et qui peuvent être impressionnés par l’affirmation du BIPR se présentant comme la "seule organisation héritière de la Gauche communiste d’Italie". Plus généralement, il se propose de comprendre pourquoi cette organisation a connu une série permanente d’échecs dans sa politique de regroupement des forces révolutionnaires à l’échelle internationale.

L’irrésistible attirance des éléments confus vers les sirènes du BIPR

L’attitude du citoyen B., se découvrant d’un seul coup une convergence profonde tant avec les positions du BIPR qu’avec les accusations (totalement calomnieuses) proférées par la FICCI à l’encontre du CCI n’est en réalité que la caricature d’une attitude qu’on a rencontrée à de nombreuses reprises de la part d’éléments qui, après avoir engagé une discussion avec notre organisation, se sont rendu compte qu’ils s’étaient trompés de porte, soit parce qu’ils n’étaient pas réellement d’accord avec nos positions, soit parce que les exigences liées au militantisme dans le CCI leur paraissaient trop contraignantes, soit encore parce qu’ils avaient constaté qu’ils ne pourraient pas mener leur politique personnelle au sein de notre organisation. Très souvent, ces éléments se sont alors tournés vers le BIPR en qui ils voyaient une organisation plus aptes à satisfaire leurs attentes. Nous avons déjà, à plusieurs reprises, évoqué dans nos publications ce type d’évolution. Cela dit, il vaut la peine d’y revenir pour mettre en évidence qu’il ne s’agit pas d’un événement fortuit et exceptionnel, mais que c’est un phénomène répétitif qui devrait faire se poser des questions aux militants du BIPR.

Avant même la naissance du BIPR…

C’est dans la préhistoire du BIPR (et même dans celle du CCI) qu’on trouve une première manifestation de ce qui allait se répéter ensuite de nombreuses fois. Nous sommes dans les années 1973-74. Suite à un appel lancé en novembre 1972 par le groupe américain Internationalism (qui allait devenir par la suite la section du CCI aux États-Unis) en faveur d’un réseau de correspondance internationale, une série de rencontres a été organisée entre plusieurs groupes se réclamant de la Gauche communiste. Les participants les plus réguliers de ces rencontres sont Révolution Internationale en France et trois groupes basés en Grande-Bretagne, World Revolution, Revolutionary Perspective et Workers' Voice (du nom de leurs publications respectives). WR et RP proviennent de scissions au sein du groupe Solidarity lequel se situe sur des positions anarcho-conseillistes. Quant à WV, c’était un petit groupe d’ouvriers de Liverpool qui avaient rompu peu avant avec le trotskisme. Suite à ces discussions, les trois groupes britanniques parviennent à des positions proches de celles de Révolution Internationale et Internationalism (autour desquelles va se constituer le CCI l’année suivante). Cependant, le processus d’unification de ces trois groupes a abouti à un échec. D’une part, les éléments de Workers' Voice décident de rompre avec World Revolution pour la raison qu’ils ont le sentiment d’avoir été floués par WR. En effet, ce dernier groupe avait conservé des positions semi-conseillistes sur la révolution de 1917 en Russie : il considérait que c’était une révolution prolétarienne mais que le parti bolchevique était un parti bourgeois, position dont il avait fini par convaincre les camarades de WV. Et lorsque WR, lors de la rencontre de janvier 1974, a rejeté ses derniers restes de conseillisme en ralliant la position de Révolution Internationale, ces camarades ont eu le sentiment d’avoir été "trahis" et ont développé une forte hostilité envers ceux de WR (qu’ils accusaient d’avoir "capitulé devant RI") ce qui les a conduit à publier une "mise au point" en novembre 74 définissant les groupes qui allaient constituer le CCI peu après comme "contre-révolutionnaires" (2 [196]). Pour sa part, RP avait demandé son intégration dans le CCI en tant que "tendance" avec sa propre plate-forme (dans la mesure où il subsistait encore des désaccords entre ce groupe et le CCI). Nous avions répondu à cette demande que notre approche n’était pas d’intégrer des "tendances" comme telles, chacune avec sa propre plate-forme, même si nous considérons qu’il peut exister au sein de l’organisation des désaccords sur des aspects secondaires de ses documents programmatiques. Nous n’avions pas fermé la porte à la discussion avec RP mais ce groupe a commencé alors à s’éloigner du CCI. Il a tenté de constituer un regroupement international "alternatif" au CCI avec WV, le groupe français "Pour une Intervention Communiste" (PIC) et le "Revolutionary Workers' Group" (RWG) de Chicago. Ce "bloc sans principes" (suivant le terme employé par Lénine) a fait long feu. Il ne pouvait en être autrement dans la mesure où la seule question qui rapprochait ces quatre groupes était leur hostilité croissante envers le CCI. Finalement le "regroupement" s’est quand même réalisé en Grande-Bretagne (septembre 1975) entre RP et WV qui ont constitué la "Communist Workers' Organisation" (CWO). Cette unification avait un prix pour RP : ses militants avaient dû accepter la position de WV considérant que le CCI était "contre-révolutionnaire". C’est une position qu’ils ont conservée pendant un certain temps, même après le départ de la CWO, un an plus tard, des anciens membres de WV qui reprochaient notamment à ceux de RP leur … intolérance envers d’autres groupes ! (3 [197]) Cette "analyse" de la CWO considérant que le CCI était "contre-révolutionnaire" était basée sur des "argument décisifs" :

"- le CCI défend la Russie capitaliste d’État après 1921 ainsi que les bolcheviks ;

- il soutient qu’un gang capitaliste d’État comme l’opposition de Gauche trotskiste était un groupe prolétarien." (Revolutionary Perspective n° 4)

Ce n’est que bien plus tard, quand la CWO a commencé à discuter avec le Partito Comunista Internazionalista d’Italie (Battaglia Comunista) qu’il a renoncé à qualifier le CCI de "contre-révolutionnaire" (s’il avait maintenu ses critères antérieurs, il aurait dû considérer également BC comme une organisation bourgeoise !).

Ainsi, le point de départ de la trajectoire de la CWO est marqué par le fait que le CCI n’avait pas accepté la demande de RP de s’intégrer dans notre organisation avec sa propre plate-forme. Cette trajectoire a finalement abouti à la formation du BIPR en 1984 : la CWO pouvait enfin participer à un regroupement international après ses échecs précédents.

Les déboires avec le SUCM

Le processus qui a conduit à la formation du BIPR est lui même marqué par ce type de démarche où les "déçus du CCI" se tournent vers le BIPR. Nous ne reviendrons pas ici sur les trois conférences des groupes de la Gauche communiste qui se sont tenues entre 1977 et 1980 suite à un appel lancé par BC en avril 1976 (4 [198]). En particulier, notre presse a souvent insisté sur le fait que c’est de façon totalement irresponsable et déterminées uniquement par leurs petits intérêts de chapelle que BC et la CWO ont délibérément sabordé cet effort en faisant voter à la sauvette, à la fin de la 3e conférence, un critère supplémentaire sur la question du rôle et de la fonction du parti visant explicitement à exclure le CCI des futures conférences. (5 [199]) En revanche, cela vaut la peine d’évoquer la "conférence" de 1984 qui se présentait comme la suite des trois conférences tenues entre 77 et 80. Cette "conférence" regroupait, outre BC et la CWO, le "Supporters of the Unity of Communist Militants" (SUCM) un groupe d’étudiants iraniens basés principalement en Grande-Bretagne que le CCI connaissait bien pour avoir commencé à discuter avec lui avant de se rendre compte que, malgré ses déclarations se disant en accord avec la Gauche communiste, il s’agissait d’un groupuscule gauchiste (de la mouvance maoïste). Le SUCM s’était alors tourné vers la CWO qui n’avait pas tenu compte des mises en garde de nos camarades de la section en Grande-Bretagne contre ce groupe. Et c’est grâce à cette "recrue" de premier ordre que la CWO et BC avaient pu s’éviter un simple tête à tête lors de cette glorieuse 4e conférence des groupes de la Gauche communiste qui, maintenant que le CCI n’était plus là pour la polluer avec son "conseillisme" pouvait enfin se poser les vrais problèmes de la construction du futur parti mondial de la révolution (6 [200]). En effet, toutes les autres "forces" que le tandem CWO-BC avait "sélectionnées" (suivant le terme employé fréquemment par BC) avec "sérieux" et "dans la clarté" pour leur liste d’invités avaient fait défection : soit qu’elles n’aient pu venir, comme c’était le cas du groupe "Kommunistische Politik" d’Autriche ou de L’Éveil Internationaliste soit qu’ils aient déjà disparu au moment de la "Conférence" comme c’était le cas de deux groupes américains, "Marxist Worker" et "Wildcat" ; bizarrement, ce dernier, malgré son conseillisme, était considéré comme entrant dans les "critères" décrétés par BC et la CWO (7 [201]).

Autant dire que le flirt avec le SUCM n’a pu se poursuivre bien longtemps, non pas tant grâce à la lucidité des camarades de BC et de la CWO mais tout simplement parce que ce groupe gauchiste, qui ne pouvait éternellement masquer sa véritable nature, a fini par intégrer le Parti communiste d’Iran, une organisation stalinienne bon teint.

Quant aux conférences des groupes de la Gauche communiste, BC et la CWO n’en ont pas convoqué d’autres : ces organisations ont préféré s’éviter le ridicule d’un nouveau fiasco (8 [202]).

Deux trajectoires individuelles

Ce type d'attrait pour le BIPR de la part des "déçu du CCI" s’est manifesté à la même période chez l’élément que nous appellerons L et qui, pendant tout un temps a été le seul représentant de cette organisation en France. Cet élément, qui avait fait ses classes dans une organisation trotskiste, s’était rapproché du CCI au début des années 80 au point de poser sa candidature. Évidemment, nous avions mené des discussions très sérieuses avec lui mais nous lui avions demandé de la patience avant qu’il n’entre dans notre organisation car nous constations que, malgré l’affirmation de son plein accord avec nos positions, il conservait encore dans sa démarche politique des traces importantes de son séjour dans le gauchisme, en particulier un fort immédiatisme. De ce fait, de la patience il en avait très peu : lorsqu’il a trouvé que ces discussions duraient trop longtemps à son goût, il les a interrompues unilatéralement pour se tourner vers les groupes qui allaient former le BIPR. Du jour au lendemain, ses positions à géométrie variable ont évolué afin de rejoindre celles du BIPR qui, pour sa part, ne lui a pas demandé la même patience avant de l’intégrer. Preuve que ses convictions n’étaient pas très solides, cet élément a ensuite quitté le BIPR pour naviguer dans différents groupes de la mouvance de la Gauche communiste, dont celles du courant "bordiguiste" avant de revenir… au BIPR au milieu des années 90. A ce moment là, nous avions mis en garde les camarades du BIPR contre le manque de fiabilité politique de cet élément. Cette organisation n’avait pas tenu compte de notre mise en garde et l’avait réintégré. Cependant, comme on pouvait s’y attendre, cet élément n’est pas resté très longtemps au BIPR : au début des années 2000, il a "découvert" que les positions qu’il avait adoptées une deuxième fois ne lui convenaient décidément pas et il est venu à plusieurs de nos réunions publiques pour déverser de la boue sur cette organisation : c’est alors le CCI qui a estimé nécessaire de rejeter ses calomnies et de défendre le BIPR.

Cette série de flirts des déçus du CCI avec le BIPR ne se limite pas aux exemples que nous avons cités.

Un autre élément, qui venait également du gauchisme, que nous appellerons E, a suivi une trajectoire similaire. Avec lui, le processus d’intégration au CCI était allé plus loin qu’avec L puisqu’il était devenu membre de notre organisation après de longues discussions. Cependant, une chose est d’affirmer un accord avec des positions politiques, autre chose est de s’intégrer dans une organisation communiste. Même si le CCI avait expliqué longuement à cet élément ce que signifiait être militant d’une organisation communiste et même s’il avait approuvé notre démarche, l’expérience pratique du militantisme, qui suppose, notamment, de faire un effort constant pour surmonter l’individualisme, l’avait assez rapidement conduit à constater qu’il n’avait pas sa place dans notre organisation contre laquelle il a commencé à développer une attitude hostile. Finalement il a quitté le CCI sans avancer le moindre désaccord avec notre plate-forme (malgré notre demande pour que nous menions une discussion sérieuse sur ses "reproches"). Cela ne l’a pas empêché, peu après, de se découvrir un profond accord avec les positions du BIPR au point que la presse de cette organisation a publié un article de lui de polémique contre le CCI.

Pour en revenir aux groupes qui ont suivi ce type de démarche, la liste ne s'arrête pas aux exemples que nous avons donnés plus haut. Il nous faut évoquer encore ceux du "Communist Bulletin Group" (CBG) en Grande-Bretagne, de Kamunist Kranti en Inde, de Comunismo au Mexique, de "Los Angeles Workers' Voice" et de Notes Internationalistes au Canada.

Les amours sans lendemain du CBG et de la CWO

Notre presse a publié plusieurs articles à propos du CBG (9 [203]). Nous ne reviendrons pas sur l'analyse que nous faisions de ce groupuscule parasitaire constitué d'anciens membres du CCI qui avaient quitté notre organisation en 1981 en lui volant du matériel et de l'argent et dont la seule raison d'exister était de couvrir de boue notre organisation. Fin 1983, ce groupe avait répondu favorablement à une "Adresse aux groupes politiques prolétariens" adoptée par le 5e congrès du CCI "en vue d'établir une coopération consciente entre toutes les organisations" (10 [204]) : "Nous voulons exprimer notre solidarité avec la démarche et les préoccupations exprimées dans l'adresse…". Cependant, il ne faisait pas la moindre critique de ses comportements de voyous. Aussi écrivions-nous : "Jusqu'à ce que la question fondamentale de la défense des organisations politiques du prolétariat ne soit comprise, nous répondons par une fin de non-recevoir à la lettre du CBG. Ils se sont trompés d'Adresse."

Probablement déçu que le CCI ait repoussé ses avances, et souffrant visiblement de son isolement, le CBG s'est finalement tourné vers la CWO, composante britannique du BIPR. Une rencontre a eu lieu en décembre 1992 à Edimbourg suite à une "colaboration pratique entre membres de la CWO et du CBG". "Un grand nombre d’incompréhensions ont été éclaircies des deux côtés. Il a donc été décidé de rendre la coopération pratique plus formelle. Un accord a été rédigé, que la CWO comme un tout aura à ratifier en janvier (après quoi un rapport complet sera publié) et qui comprend les points suivants…" Suit une liste des différents accords de collaboration et notamment : "Les deux groupes doivent discuter d’un projet de "plate-forme populaire" préparé par un camarade de la CWO en tant qu’outil d’intervention." (Workers' Voice n° 64, janvier-février 1996)

Apparemment, il n’y a pas eu de suite à ce flirt car nous n’avons jamais plus entendu parler de collaboration entre le CBG et la CWO. Nous n’avons non plus jamais lu quoi que ce soit expliquant les raisons pour lesquelles cette collaboration avait tourné en eau de boudin.

Les déboires du BIPR en Inde

Une autre aventure malheureuse du BIPR avec des "déçus du CCI" est celle qui avait pour protagoniste le groupe publiant Kamunist Kranti en Inde. Ce petit noyau était issu d’un groupe d’éléments avec qui le CCI avait mené des discussions au cours des années 1980 et dont certains s’étaient rapprochés de notre organisation, devenant des sympathisants très proches de celle-ci ou même l’intégrant, pour l’un d’entre eux. Cependant, un de ces éléments, que nous appellerons S, et qui avait joué un rôle moteur dans les premières discussions avec le CCI, n’avait pas suivi cette démarche. Craignant probablement de perdre son individualité en cas d’intégration plus grande dans le CCI, il avait constitué son propre groupe, avec comme publication Kamunist Kranti.

Pour sa part, le BIPR avait connu bien des déboires en Inde. Alors que, pour cette organisation, les conditions existant dans les pays de la périphérie "rend possible l’existence d’organisations communistes de masse" (Communist Review n° 3), ce qui suppose évidemment qu’il est plus facile d’y fonder dès à présent de petits groupes communistes que dans les pays centraux du capitalisme, le BIPR souffrait que ses thèses ne se soient pas concrétisées sous la forme de groupes ralliant sa plate-forme. Cette souffrance était d’autant plus grande que, déjà à cette époque, le CCI, malgré ses analyses présentées comme "eurocentristes", avait une section dans un de ces pays de la périphérie, le Venezuela. Évidemment, le flirt avorté avec le SUCM n’avait pu qu’aggraver cette amertume. Aussi, lorsque le BIPR a pu engager des discussions avec le groupe Lal Pataka en Inde, il a cru voir le terme de son calvaire. Le malheur c’est qu’il s’agissait d’un groupe d’extraction maoïste qui, à l’image du SUCM, n’avait pas réellement rompu avec ses origines malgré ses sympathies affichées pour les positions de la Gauche communiste. Face aux mises en garde du CCI contre ce groupe (qui s’est finalement réduit à un élément), le BIPR pouvait répondre : "Quelques esprits cyniques [il s’agit des esprits du CCI] peuvent penser que nous avons accepté ce camarade trop rapidement dans le BIPR." Pendant un certain temps, Lal Pataka était présenté comme la composante du BIPR en Inde mais, en 1991, ce nom disparaît des pages de la presse du BIPR pour être remplacé par celui de Kamunist Kranti. Le BIPR semble miser beaucoup sur ce "déçu du CCI" : "Nous espérons que, dans l’avenir, de fécondes relations pourront être établies entre le Bureau international et Kamunist Kranti." mais ses espoirs sont une nouvelle fois déçus car, deux ans plus tard, on peut lire dans Communist Review n° 11 : "C’est une tragédie que, malgré l’existence d’éléments prometteurs, il n’existe pas encore un noyau solide de communistes indiens". Effectivement, Kamunist Kranti a disparu de la circulation. Il existe bien un petit noyau communiste en Inde, qui publie Communist Internationalist, mais il fait partie du CCI et le BIPR "oublie" d’y faire référence.

Déceptions mexicaines

Au cours de la même période où un certain nombre d’éléments en Inde s’approchaient des positions de la Gauche communiste, le CCI avait engagé des discussions avec un petit groupe au Mexique, le "Colectivo Comunista Alptraum" (CCA) qui a commencé à publier Comunismo en 1986 (11 [205]). Peu après, s’est constitué le "Grupo Proletario Internacionalista" (GPI) qui a commencé à publier Revolucion Mundial début 1987 et avec qui les discussions se sont également développées. (12 [206]) A partir de ce moment là, le CCA a commencé à s’éloigner du CCI : d’une part, il a adopté une démarche de plus en plus académiste dans son positionnement politique et, d’autre part, il s’est rapproché du BIPR. De toute évidence, ce petit noyau a mal perçu l’établissement de relations entre le CCI et le GPI.

Connaissant la démarche du CCI qui insiste sur la nécessité que les groupes de la Gauche communiste dans un même pays développent des liens étroits, le CCA, qui comptait dix fois moins de membres que le GPI, a probablement jugé que son "individualité" risquait d’être noyée dans un rapprochement avec cette organisation. Les rapports entre le BIPR et le CCA se sont maintenus pendant un certain temps, mais lorsque le GPI est devenu la section du CCI au Mexique, le CCA avait, lui aussi, disparu de la circulation.

Un "rêve américain" tourmenté

Avec l’aventure du "Los Angeles Workers' Voice" nous arrivons presque au bout de cette longue liste. Ce groupe était composé d’éléments qui avaient fait leurs classes dans le maoïsme (de tendance pro-albanaise). Nous avons établi des discussions avec ces éléments pendant une longue période mais nous avons pu constater leur incapacité à surmonter les confusions qu’ils avaient hérités de leur appartenance à une organisation bourgeoise. Aussi, lorsque au milieu des années 90, ce petit groupe s’est approché du BIPR, nous avons mis en garde celui-ci contre les confusions du LAWV. Le BIPR a très mal pris cette mise en garde, estimant que nous ne voulions pas qu’il puisse développer une présence politique sur le continent nord-américain. Pendant plusieurs années, le LAWV a été un groupe sympathisant du BIPR aux États-Unis et, en avril 2000, il a participé à Montréal, au Canada, à une conférence destinée à renforcer la présence politique du BIPR sur le continent nord-américain. Cependant, peu de temps après, les éléments de Los Angeles ont commencé a manifester des désaccords sur tout une série de questions, adoptant de plus en plus une vision anarchiste (rejet de la centralisation, présentation des bolcheviks comme un parti bourgeois, etc.) mais surtout proférant de sordides calomnies contre le BIPR et notamment contre un autre sympathisant américain de cette organisation, AS, qui vivait dans un autre État. Notre presse aux États-Unis a dénoncé les comportements des éléments du LAWV et a apporté sa solidarité aux militants calomniés (13 [207]). C’est pour cela que nous n’avons pas jugé utile à ce moment-là de rappeler les mises en garde que nous avions faites au BIPR au début de son idylle avec le LAWV.

L'autre composante nord-américaine de la conférence d'avril 2000, Notes Internationalistes, qui est aujourd'hui "groupe sympathisant" du BIPR, fait également partie des "déçus du CCI". La discussion entre le CCI et les camarades de Montréal avait débuté vers la fin des années 90. Il s'agissait d'un petit noyau dont l'élément le plus formé, que nous appellerons W, avait eu une longue expérience dans le syndicalisme et le gauchisme. Les discussions ont toujours été très fraternelles, notamment lors des différentes visites de militants du CCI à Montréal, et nous espérions qu'elles seraient aussi franches du côté de ces camarades qu'elles l'étaient du nôtre. En particulier, nous avions toujours été clairs sur le fait que nous considérions que la longue période de militantisme de W dans une organisation gauchiste constituait un handicap pour une pleine compréhension des positions et de la démarche de la Gauche communiste. C'est pour cela que nous avions demandé à plusieurs reprises au camarade W de rédiger un bilan de sa trajectoire politique mais, visiblement, ce camarade avait des difficultés à faire ce bilan puisque nous n'avons jamais reçu ce document que pourtant il nous avait promis.

Alors que les discussions avec Notes Internationalistes se poursuivaient et que les camarades ne nous avaient nullement informés d'un éventuel rapprochement avec les positions du BIPR, nous avons pris connaissance d'une déclaration annonçant que NI devenait groupe sympathisant du BIPR au Canada. C'est le CCI qui avait encouragés les camarades de Montréal à prendre connaissance des positions du BIPR et à contacter cette organisation. En effet, notre démarche n'a jamais été celle de "se garder pour soi ses propres contacts". Au contraire, nous estimons que les militants qui s'approchent des positions du CCI doivent bien connaître les positions des autres groupes de la Gauche communiste afin que, s'ils adhèrent à notre organisation, ce soit en pleine connaissance de cause. (14 [208]) Que des éléments qui s'approchent de la Gauche communiste tombent d'accord avec les positions du BIPR ne nous pose pas de problème en soi. Ce qui était plus surprenant c'est que ce rapprochement se soit fait "dans le secret" en quelque sorte. De toute évidence, le BIPR n'avait pas les mêmes exigences que le CCI concernant la rupture de W avec son passé gauchiste. Et nous sommes convaincu que c'est là une des raisons qui l'ont conduit à se tourner vers cette organisation sans nous informer de l'évolution de ses positions.

La spécialité du BIPR : l'avortement politique

On ne peut qu'être fasciné par la répétition du phénomène où des éléments qui ont été "déçus par le CCI" se sont tournés ensuite vers le BIPR. Évidemment, on pourrait considérer que c'est là une démarche normale : après avoir compris que les positions du CCI étaient erronées, ces éléments se seraient tournés vers la justesse et la clarté de celles du BIPR. C'est peut être ce que les militants de cette organisation se sont dit à chaque fois. Le problème c'est que de tous les groupes qui ont adopté une telle démarche, le seul qui soit encore présent aujourd'hui dans les rangs de la Gauche communiste est justement celui que nous avons évoqué en dernier, Notes Internationalistes. TOUS les autres groupes, soit ont disparu, soit se sont retrouvés dans les rangs d'organisations bourgeoises bon teint, comme le SUCM. Le BIPR devrait se demander pourquoi et il serait intéressant qu'il livre à la classe ouvrière un bilan de ces expériences. Les quelques réflexions qui suivent pourront peut être aider ses militants à faire un tel bilan.

De toute évidence, ce qui animait la démarche de ces groupes n'était pas la recherche d'une clarté qu'ils n'avaient pas trouvée dans le CCI puisqu'ils ont fini par abandonner le militantisme communiste. Les faits ont amplement démontré que leur éloignement du CCI, comme nous l'avions constaté à chaque fois, correspondait fondamentalement à un éloignement de la clarté programmatique et de la démarche de la Gauche communiste ainsi qu'à un refus des exigences du militantisme au sein de ce courant. En réalité, leur flirt éphémère avec le BIPR n'était qu'une étape avant leur abandon du combat dans les rangs prolétariens. La question se pose alors : pourquoi le BIPR attire-t-il ainsi ceux qui sont engagés dans une telle trajectoire ?

A cette question, il existe une réponse fondamentale : parce que le BIPR défend une démarche opportuniste en matière de regroupement des révolutionnaires.

C'est l'opportunisme du BIPR qui permet aux éléments qui se refusent à opérer une rupture complète avec leur passé gauchiste de trouver un "refuge" momentané dans le sillage de cette organisation tout en continuant à faire croire, ou à se raconter, qu'ils conservent leur engagement dans la Gauche communiste. Le BIPR, notamment à partir de la 3e conférence des groupes de la Gauche communiste, n'a cessé d'insister sur la nécessité d'une "sélection rigoureuse" au sein du milieu prolétarien. Mais, en réalité, cette sélection est à sens unique : elle concerne pour l'essentiel le CCI qui n'est plus "une force valable dans la perspective du futur parti mondial du prolétariat" et qui "ne peut être considéré par nous [le BIPR] comme un interlocuteur valable pour définir une forme d’unité d’action" (réponse à notre appel du 11 février 2003 adressé aux groupes de la gauche communiste pour une intervention commune face à la guerre et publié dans la Revue internationale 113). Par conséquent, il est hors de question pour le BIPR d'établir la moindre coopération avec le CCI, même pour faire une déclaration commune du camp internationaliste face à la guerre impérialiste (15 [209]). Cependant, cette grande rigueur ne s'exerce pas dans d'autres directions, et notamment vis-à-vis de groupes qui n'ont rien à voir avec la Gauche communiste, quand ce ne sont pas des groupes gauchistes. Comme nous l'écrivions dans la Revue Internationale n° 103 :

"Pour prendre toute la mesure de l'opportunisme du BIPR à propos de son refus à l'appel sur la guerre que nous avons fait, il est instructif de relire un article paru dans Battaglia Comunista de novembre 1995 et intitulé "Equivoques sur la guerre dans les Balkans". BC y rapporte qu'elle a reçu de l'OCI (Organizazione Comunista Intemazionalista) une lettre/invitation à une assemblée nationale contre la guerre qui devait se tenir à Milan. BC a considéré que "le contenu de la lettre est intéressant et fortement amélioré par rapport aux positions qu'avait prises l'OCI vis à vis de la guerre du Golfe, de "soutien au peuple irakien attaqué par l'impérialisme" et fortement polémique dans la discussion de notre prétendu indifférentisme. "L'article poursuivait ainsi : "Il manque la référence à la crise du cycle d'accumulation (...) et l'analyse essentielle de ses conséquences sur la Fédération Yougoslave. (...) Mais cela ne semblait pas interdire une possibilité d'initiative en commun de ceux qui s'opposent à la guerre sur le terrain de classe". Il y a seulement quatre ans, comme on peut le voir, dans une situation moins grave que celle que nous avons vue avec la guerre du Kosovo, BC aurait été prête à prendre une initiative commune avec un groupe désormais clairement contre-révolutionnaire afin de satisfaire ses menées activistes alors qu'elle a eu le courage de dire non au CCI... sous prétexte que nos positions sont trop éloignées. C'est cela l'opportunisme."

Cette sélectivité à sens unique du BIPR a eu l'occasion de se manifester une nouvelle fois au cours de l'année 2003 lorsqu'il a refusé la proposition du CCI d'une prise de position commune face à la guerre en Irak. Comme nous l'écrivions dans la Revue internationale 116 :

"Nous pourrions nous attendre de la part d'une organisation faisant preuve d'une attitude aussi pointilleuse dans l'examen de ses divergences avec le CCI à une attitude semblable vis-à-vis de tous les autres groupes. Il n'en est rien. Nous faisons référence ici à l'attitude du BIPR via son groupe sympathisant et représentant politique dans la région nord-américaine, le Internationalist Workers' Group (IWG) qui publie Internationalist Notes. En effet, ce groupe est intervenu avec des anarchistes et a tenu une réunion publique commune avec Red and Black Notes, des conseillistes et la Ontario Coalition Against Poverty (OCP) qui paraît être un groupe typiquement gauchiste et activiste." ("Le Milieu politique prolétarien face à la guerre : Le fléau du sectarisme au sein du camp internationaliste")

Comme on peut le voir, l'opportunisme du BIPR se manifeste dans son refus de se positionner clairement à l'égard de groupes qui sont bien éloignés de la Gauche communiste, qui ont fait une rupture incomplète avec le gauchisme (donc avec le camp bourgeois) ou qui sont carrément gauchistes. C'est l'attitude qu'il avait déjà manifestée à l'égard du SUCM ou de Lal Pataka. Avec une telle attitude, il n'est pas étonnant que les éléments qui n'arrivent pas à faire un clair bilan de leur expérience dans le Gauchisme se sentent en meilleure compagnie avec le BIPR qu'avec le CCI.

Cela dit, il semble qu'avec l'attitude du groupe du Canada nous soyons en face d'une manifestation d'une autre variante de l'opportunisme du BIPR : le fait que chacune de ses composantes est "libre de mener sa propre politique". Ce qui est absolument inenvisageable pour les groupes européens est tout à fait normal pour un groupe américain (puisque nous n'avons lu aucune critique dans les colonnes de Battaglia Comunista ou de Revolutionary Perspective de l'attitude des camarades du Canada). Cela s'appelle du fédéralisme, un fédéralisme que le BIPR rejette dans son programme, mais qu'il adopte dans la pratique. C'est ce fédéralisme honteux mais réel qui a incité certains éléments qui trouvaient trop contraignant le centralisme du CCI à se tourner vers le BIPR.

Cela dit, le fait pour le BIPR de recruter des éléments marqués par les restes de leur passage dans le gauchisme ou qui ne supportent pas la centralisation et qui souhaitent pouvoir mener leur propre politique dans leur coin est le meilleur moyen de saper les bases d'une organisation viable à l'échelle internationale.

Un autre aspect de l'opportunisme du BIPR est l'indulgence toute particulière qu'il manifeste envers les éléments hostiles à notre organisation. Comme nous l'avons vu au début de cet article, une des bases de la constitution de la CWO en Grande-Bretagne est non seulement la volonté de maintenir sa propre "individualité" (demande de RP d'être intégrée dans le CCI comme "tendance" avec sa propre plate-forme) mais l'opposition au CCI (considéré pendant un temps comme "contre-révolutionnaire"). Plus précisément, l'attitude qui était celle des éléments de Workers' Voice au sein de la CWO, consistant, comme on l'a vu plus haut, à "utiliser RP comme bouclier contre le CCI" s'est retrouvée chez beaucoup d'autres éléments et groupes dont la principale motivation était l'hostilité envers le CCI. Ce fut notamment le cas de l'élément L qui, quel que fut le groupe auquel il appartenait (et ils furent nombreux), s'y distinguait toujours comme le plus hystérique contre notre organisation. De même, l'élément E que nous avons évoqué plus haut avait commencé à témoigner une violente hostilité au CCI avant que de rejoindre les positions du BIPR. C'est si vrai que, à notre connaissance, le seul texte que le BIPR ait publié de lui était une charge violente contre le CCI.

Que dire aussi du CBG, avec qui la CWO avait engagé un flirt sans lendemain, dont le niveau des dénigrements (y compris avec les racontars les plus sordides) contre le CCI n'avait, jusqu'à récemment, trouvé d'équivalent ?

Mais justement, c'est dans la dernière période que cette démarche d'ouverture vers le BIPR sur la base de la haine du CCI a atteint ses formes les plus extrêmes avec deux illustrations : les avances faites au BIPR par la prétendue "Fraction interne du CCI" (FICCI) et par le citoyen B, fondateur, caudillo et seul membre du "Circulo de Comunistas Internacionalistas" d'Argentine.

Nous n'allons pas revenir en détail ici sur l'ensemble des comportements de la FICCI révélant sa haine obsessionnelle contre notre organisation (16 [210]). Nous ne citerons, et de façon très résumée, que quelques uns de ses états de service :

- calomnies répugnantes contre le CCI et certains de ses militants (dont on suggère, après qu'on ait fait circuler cette accusation dans les couloirs du CCI, qu'un d'entre eux travaille pour la police et qu'un autre applique la politique de Staline consistant à "éliminer" les membres fondateurs de l'organisation") ;

- vol de l'argent et du matériel politique du CCI (notamment du fichier d'adresses des abonnés de sa publication en France) ;

- mouchardages donnant aux organes de répression de l'État bourgeois l'occasion de surveiller la conférence de notre section au Mexique qui s'est tenue en décembre 2002 et de découvrir la véritable identité d'un de nos militants (celui qui est présenté par la FICCI comme le "chef du CCI").

Dans le cas du citoyen B, il s'est illustré notamment par la rédaction de plusieurs communiqués ignobles mettant en cause "la méthodologie nauséabonde du CCI" qui est comparée aux méthodes du stalinisme et basés sur un tissu de mensonges grossiers.

Si ce sinistre personnage a pu faire preuve d'une telle arrogance c'est parce que, pendant tout une période, le BIPR qu'il avait flatté en rédigeant des textes reprenant des positions proches de cette organisation (notamment sur le rôle du prolétariat dans les pays de la périphérie), lui a donné un semblant de crédibilité. Non seulement le BIPR a traduit et publié sur son site Internet les prises de position et "analyses" de cet élément, non seulement il a salué la constitution du "Circulo" comme "un important et sûr pas en avant réalisé aujourd'hui en Argentine vers l'agrégation des forces vers le parti international du prolétariat" ("Même en Argentine quelque chose bouge", Battaglia Comunista d'octobre 2004) mais il également publié en trois langues sur son site son communiqué du 12 octobre 2004 qui est un ramassis immonde de calomnies contre notre organisation.

Les amours du BIPR avec cet aventurier exotique ont commencé à prendre l'eau lorsque nous avons mis en évidence de façon irréfutable que ses accusations contre le CCI étaient de purs mensonges et que son "Circulo" n'était qu'une sinistre imposture (17 [211]). C'est alors de façon très discrète que le BIPR a commencé à retirer de son site les textes les plus compromettants de ce personnage mais sans jamais, toutefois, condamner ses méthodes même après que nous ayons envoyé une lettre ouverte à ses militants (lettre du 7 décembre 2004 publiée sur notre site Internet) demandant une telle prise de position. La seule réaction que nous ayons eue de cette organisation est un communiqué sur son site "Dernière réponse aux accusations du CCI" qui affirme que le BIPR est "l'objet d’attaques violentes et vulgaires de la part du CCI qui enrage car il est lui-même traversé par une profonde et irréversible crise interne" et que "à partir d’aujourd’hui, nous ne répondrons pas ni ne donnerons suite à aucune de leurs vulgaires attaques".

Quant aux amours avec le "Circulo", elles sont aujourd'hui mortes par la force des choses. Depuis que le CCI a démasqué l'imposture du citoyen B., le site Internet de celui-ci, qui avait connu une agitation fébrile pendant un mois, affiche désormais un encéphalogramme désespérément plat.

En ce qui concerne la FICCI, c'est le même type de complaisance que le BIPR a manifestée à son égard. Au lieu d'accueillir avec prudence les accusations infâmes portées par ce groupuscule contre le CCI, le BIPR a préféré les cautionner en rencontrant la FICCI à plusieurs reprises. Le CCI, après la première rencontre entre FICCI et BIPR, au printemps 2002, a demandé à rencontrer aussi cette organisation pour lui donner sa propre version des faits. Mais elle a décliné cette demande en prétendant qu'elle ne voulait pas prendre partie entre les deux protagonistes. C'était un pur mensonge car le compte rendu fait par la FICCI des discussions avec le BIPR (et jamais démenti par celui-ci) fait état de l'assentiment de ce dernier aux accusations portées contre le CCI. Mais ce n'était là qu'un hors d'œuvre des comportements inqualifiables du BIPR. Par la suite, il est allé bien plus loin. D'une part en fermant les yeux pudiquement sur les comportements de mouchard adoptés par la FICCI, un comportement qu'on pouvait facilement vérifier en consultant simplement son site Internet : le BIPR n'avait même plus l'excuse de dire qu'il n'avait pas les preuves que le CCI disait vrai à propos des agissements de la FICCI. Ensuite, le BIPR est allé encore plus loin en justifiant, purement et simplement, le vol par les membres de la FICCI du matériel politique du CCI après que la convocation à la réunion publique du BIPR à Paris du 2 octobre ait été envoyée aux abonnés de Révolution Internationale dont le fichier d'adresses avait été volé par un membre de la FICCI (18 [212]). En somme, de la même façon qu'il a essayé d'attirer dans son giron le "Circulo" d'Argentine en publiant sur son site les insanités du citoyen B., il n'hésite pas à se rendre complice d'une bande de mouchards bénévoles et de voleurs dans l'espoir d'élargir sa présence politique en France et établir une antenne au Mexique (il ne cache pas qu'il espère récupérer dans ses rangs les éléments qui constituent la FICCI).

Contrairement au "Circulo", la FICCI vit toujours et continue de publier régulièrement des bulletins en bonne partie consacrés à la calomnie contre le CCI. Le BIPR, pour sa part affirme que : "les liens avec le FICCI existent et persistent". Peut être réussira-t-il à intégrer les membres de la FICCI quand ces derniers seront fatigués d'affirmer, contre toute évidence, qu'ils sont les "véritables continuateurs du vrai CCI". Mais alors, le BIPR sera allé au bout de sa démarche opportuniste, une démarche opportuniste qui, dès à présent jette un fort discrédit sur la mémoire de la Gauche communiste dont il continue de se réclamer. Et même si le BIPR parvient à intégrer les éléments de la FICCI, il ne devrait pas se réjouir trop vite : sa propre histoire aurait dû lui apprendre qu'avec les résidus qu'on trouve dans les poubelles du CCI, on ne peut pas faire grand chose.

Mensonges, complicité avec le mouchardage, la calomnie et le vol, trahison des principes d'honnêteté et de rigueur organisationnelle qui avaient fait l'honneur de la Gauche communiste d'Italie : voilà où conduit l'opportunisme. Et le plus triste pour le BIPR, c'est que cela ne lui rapporte pas grand chose dans la pratique. C'est justement parce qu'il n'a pas encore compris qu'avec une méthode opportuniste (c'est-à-dire une méthode qui privilégie les "succès immédiats" à la perspective à long terme, au besoin en s'asseyant sur les principes) on construit sur du sable, que le seul domaine où le BIPR a fait preuve d'une certaine efficacité, c'est celui des avortements. C'est pour cela que, après plus d'un demi-siècle d'existence, le courant qu'il représente en est toujours réduit à l'état d'une petite secte, avec bien moins de forces politiques qu'il n'avait à ses origines.

Dans un prochain article, nous reviendrons sur ce qui constitue justement le fondement de la méthode opportuniste du BIPR qui l'ont conduit aux tristes contorsions dont nous avons été témoins au cours de la dernière période.

Fabienne

1 [213] Une précipitation que n’approuvaient pas les autres camarades qui ne s’estimaient pas encore en mesure de faire un tel pas.

2 [214] Voir le n° 13 de Workers' Voice auquel nous apportons une réponse dans la Revue internationale n° 2 ainsi que notre article de World Revolution n° 3 "Sectarism illimited".

3 [215] Lorsque la CWO s’était constituée, nous l’avions qualifiée de "regroupement incomplet" (voir World Revolution n° 5). C’est très rapidement que les faits avaient confirmé cette analyse : dans un procès verbal d’une réunion de la CWO se penchant sur le départ des éléments de Liverpool, il est écrit "Il a été montré que l’ancien WV n’a jamais accepté le politique de fusion sauf pour utiliser RP comme bouclier contre le CCI" (cité dans "La CWO, passé, présent, futur", texte rédigé par les éléments qui ont scissionné de la CWO en novembre 1977 pour rejoindre le CCI, publié dans la Revue internationale n° 12).

4 [216] Il faut ici faire une précision : bien souvent, à la lecture de la presse du BIPR ou d’autres, on a l’impression que le mérite de ces conférences revient uniquement à BC puisque c’est suite à son appel de 1976 que s’était tenue la conférence de Milan en mai 1977, première des trois qui ont eu lieu. A une telle idée nous répondions déjà dans une lettre adressée à BC le 9 juin 1980 : "Si on s’en tient aux aspects formels, alors oui, c’est l’appel publié en avril 1976 par BC qui en constitue le point de départ. Mais faut-il vous rappeler, camarades, que déjà en août 1968 la proposition de convoquer une conférence vous fut faite par trois de nos camarades qui étaient venus vous voir à Milan ? A l’époque, notre organisation était moins qu’embryonnaire (…) Dans ces conditions, il nous était difficile d’appeler à une conférence des différents groupes qui étaient apparus ou s’étaient développés à la suite de mai 68. Nous pensions qu’une telle initiative devait venir d’un groupe plus important, organisé et connu, doté d’une presse plus régulière et fréquente comme c’était justement le cas du vôtre. C’est pour cela que nous vous avons fait cette suggestion en insistant sur l’importance de telles conférences au moment où la classe ouvrière commençait à secouer le terrible carcan de la contre-révolution. Mais, à ce moment-là, estimant qu’il n’y avait rien de nouveau sous le soleil, que mai 68 n’était rien d’autre qu’une révolte estudiantine, vous avez rejeté une telle proposition. L’été suivant, alors que le mouvement de grèves commençait à toucher l’Italie (…) nous vous avons fait la même proposition et vous nous avez donné la même réponse. (…) Alors que le mouvement de grèves se développait dans toute l’Europe, nous vous avons refait la même proposition lors de votre congrès de 1971. Et votre réponse fut la même qu’auparavant. Finalement, ne "voyant rien venir", nous avons lancé en novembre 1972, par l’intermédiaire de nos camarades d’Internationalism (qui allaient constituer la section américaine du CCI) l’initiative d’une "correspondance internationale" basée sur le besoin, provoqué par la reprise prolétarienne, de discussions entre révolutionnaires. Cette proposition était adressée à une vingtaine de groupes, dont le vôtre, sélectionnés sur la base d’un certain nombre de critères très semblables à ceux des récentes conférences et qui se fixait comme perspective la tenue d’une conférence internationale. En ce qui vous concerne, vous avez répondu négativement à cette initiative en répétant les arguments que vous aviez déjà opposés à nos propositions précédentes (…) Faut-il penser que, pour cette organisation [le PCInt], il n’y a de bonne initiative que si elle en est elle-même l’auteur ? (…) Ainsi notre organisation a toujours poussé dans le sens de la tenue de conférences internationales de groupes communistes. Et on peut dire que l’initiative de 1976 du "Partito Comunista Internazionalista" ne constituait nullement une sorte de "première" mais était plutôt un réveil tardif et une réponse avec huit ans de retard à notre première proposition de 1968 ou avec quatre ans de retard à notre proposition de 1972. (…) tout cela ne nous a pas empêché de répondre immédiatement de façon positive à cette initiative. Et on peut même dire, pour en terminer avec cette question, que c’est grâce à notre adhésion que l’initiative de Battaglia n’est pas tombée à l’eau puisque, à part vous, nous étions les seuls participants effectifs à la conférence de Milan de 1977." (lettre publiée dans le procès verbal en langue française de la 3e conférence des groupes de la Gauche communiste édité sous la responsabilité du CCI)

5 [217]C’est au moyen de manœuvres dignes des pratiques parlementaires de la bourgeoise que BC a réalisé son petit coup d’éclat :

- à aucun moment avant la conférence elle n’avait demandé que la question de l’adoption d’un critère supplémentaire sur la question du parti soit mise à l’ordre du jour ;

- c’est à l’issue de longues tractations de couloir avec la CWO qu’elle a convaincu cette organisation de soutenir sa proposition (au lieu de présenter publiquement les arguments qu’elles a réservés à la CWO) ;

- lorsque quelques mois auparavant, lors d’une réunion du comité technique chargé de préparer la conférence, nous avions demandé à BC si elle comptait écarter le CCI des futures conférences, ce groupe avait répondu très clairement qu’il était favorable à leur poursuite avec tous les participants y compris le CCI.

Par ailleurs, le vote - deux voix en faveur d’un nouveau critère, une voix contre (le CCI) et deux refus de vote - a eu lieu après le départ de l’autre groupe qui, avec le CCI, était contre l’adoption d’un tel critère.

6 [218] "Maintenant, il existe le fondement du début du processus de clarification sur les véritables tâches du parti… Bien qu’aujourd’hui nous ayons moins de participants qu’aux 2e et 3e conférences, nous commençons sur une base plus claire et plus sérieuse" (Procès verbal de la conférence)

7 [219] Ce qui montre bien que ce n’est pas la position du CCI sur le rôle du parti qui posait problème à BC et à la CWO mais bien le fait que le CCI était pour une discussion sérieuse et rigoureuse, ce dont ces deux organisations ne voulaient pas.

8 [220] Le compte rendu de la 4e conférence est assez surréaliste : d’une part, il est publié deux ans après cet événement historique ; d’autre part on y constate que la plupart des forces sérieuses "sélectionnées" par BC et la CWO ont disparu avant qu’elle ne se tienne ou peu après. Mais on y apprend aussi :

- que le "Comité technique" (BC-CWO) est incapable de publier le moindre bulletin préparatoire, ce qui est d’autant plus gênant que la conférence est tenue en Anglais et que les textes de référence de BC sont tous publiés en Italien ;

- que le groupe qui organise la conférence est incapable de traduire la moitié des interventions.

9 [221] Voir notamment "Réponse aux réponses", Revue internationale 36

10 [222] Voir Revue Internationale n° 35.

11 [223] Voir Revue internationale 44 : "Salut à Comunismo n° 1"

12 [224] Voir "Développement de la vie politique et des luttes ouvrières au Mexique" dans la Revue internationale 50.

13 [225] Voir notre article "Defense of the revolutionary milieu" dans Internationalism 122 (été 2002).

14 [226] C'est pour cela que nous les encourageons à aller aux réunions publiques de ces groupes, et notamment du BIPR, comme nous l'avons fait lors de la réunion publique de cette organisation qui s'est tenue à Paris le 2 octobre 2004. Il faut noter que le BIPR avait alors peu apprécié la présence "massive" de nos sympathisants comme il apparaît dans la prise de position qu'il avait faite sur cette RP.

15 [227] Voir notamment à ce sujet notre article "Le Milieu politique prolétarien face à la guerre : Le fléau du sectarisme au sein du camp internationaliste" dans la Revue internationale n° 116.

16 [228] Voir à ce sujet nos articles "le combat pour la défense des principes organisationnels" et "15e congrès du CCI : renforcer l'organsiation face aux enjeux de la péiode" dans les numéros 110 et 114 de la Revue Internationale

17 [229] Voir sur notre site Internet les différentes prises de position du CCI à propos du "Circulo" : "Une étrange apparition" ; "Une nouvelle étrange apparition" ; "Imposture ou réalité ?" et également dans notre presse territoriale : "'Circulo de Comunistas Internacionalistas' (Argentine) Un imposteur démasqué"

18 [230] Voir à ce propos l'article Réponse au BIPR: "Le vol et la calomnie ne sont pas des méthodes de la classe ouvrière !" sur notre site Internet.

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [54]

Questions théoriques: 

  • Parti et Fraction [231]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [232]

Rapport sur la lutte de classe : L'évolution de la lutte de classe dans le contexte des attaques généralisées

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Nous publions ci-après le rapport sur la lutte de classe présenté et ratifié lors de la réunion, à l'automne 2003, de l'Organe central du CCI (1). Confirmant les analyses de l'organisation sur la persistance du cours aux affrontements de classe (ouvert par la reprise internationale de la lutte de classe en 1968) malgré la gravité du recul subi par le prolétariat au niveau de sa conscience depuis l'effondrement du bloc de l'est, ce rapport avait comme tâche particulière d'évaluer l'impact actuel et à long terme de l'aggravation de la crise économique et des attaques capitalistes sur la classe ouvrière. Ainsi, il analyse que "Les mobilisations à grande échelle du printemps 2003 en France et en Autriche représentent un tournant dans la lutte de classe depuis 1989. Elles sont un premier pas significatif dans la récupération de la combativité ouvrière après la plus longue période de reflux depuis 1968." Nous sommes encore loin d'être confrontés à une vague internationale de luttes massives puisque, à l'échelle internationale, la combativité est encore à l'état embryonnaire et très hétérogène. Néanmoins, il importe de souligner que l'aggravation considérable de la situation contenue de manière évidente dans les perspectives d'évolution du capitalisme, tant en ce qui concerne le démantèlement de l'Etat providence que l'accentuation de l'exploitation sous toutes ses formes ou le développement du chômage, constitue un levier certain de la prise de conscience au sein de la classe ouvrière. Le rapport insiste en particulier sur la profondeur mais aussi la lenteur de ce processus de reprise de la lutte de classe. Depuis la rédaction de ce rapport, les caractéristiques qu'il donne de ce changement de dynamique intervenu au sein de la classe ouvrière, n'ont pas été démenties par l'évolution de la situation. Celle-ci a même illustré une tendance, signalée par le rapport, à ce que des manifestations encore isolées de la lutte de classe débordent le cadre fixé par les syndicats. La presse territoriale du CCI a rendu compte de telles luttes qui ont eu lieu à la fin de l'année 2003, en Italie dans les transports et en Grande-Bretagne à la Poste, contraignant le syndicalisme de base à entrer en action pour saboter les mobilisations ouvrières. De même, s'est maintenue une tendance, déjà mise en évidence par le CCI antérieurement à ce rapport, à ce que se dégagent des minorités en recherche de cohérence révolutionnaire. C'est un chemin très long que la classe ouvrière devra parcourir. Néanmoins, les combats qu'elle va devoir mener seront le creuset d'une réflexion qui, aiguillonnée par l'aggravation de la crise et fécondée par l'intervention des révolutionnaires, est à même de lui permettre de se réapproprier son identité de classe et sa confiance en elle-même, de renouer avec son expérience historique et de développer sa solidarité de classe.


Le rapport sur la lutte de classe pour le 15e Congrès du CCI (2) soulignait le caractère quasi-inévitable d'une réponse de la classe ouvrière au développement qualitatif de la crise et aux attaques frappant une nouvelle génération non défaite de prolétaires, avec en toile de fond une lente mais significative récupération de la combativité. Il identifiait un élargissement et un approfondissement, encore embryonnaire mais perceptible, de la maturation souterraine de sa conscience. Il insistait sur l'importance, pour permettre la récupération par la classe ouvrière de son identité de classe et de sa confiance en elle-même, de la tendance à des combats plus massifs. Il mettait en exergue le fait qu'avec l'évolution objective des contradictions du système, la cristallisation d'une conscience de classe suffisante - en particulier, en ce qui concerne la reconquête de la perspective communiste - devient la question de plus en plus décisive pour l'avenir de l'humanité. Il mettait l'accent sur l'importance historique de l'émergence d'une nouvelle génération de révolutionnaires, réaffirmant qu'un tel processus est déjà en marche depuis 1989, en dépit du reflux de la combativité et dans la conscience de la classe dans son ensemble. Le rapport montrait donc les limites de ce reflux, affirmant que le cours historique à des affrontements de classe massifs s'était maintenu et que la classe ouvrière était capable de dépasser le recul qu'elle avait subi. En même temps, le rapport abordait la capacité de la classe dominante à saisir toutes les implications de cette évolution de la situation et à y faire face ; il replaçait également cette évolution dans le contexte des effets négatifs de l'aggravation de la décomposition du capitalisme. Il concluait sur l'énorme responsabilité des organisations révolutionnaires face aux efforts de la classe ouvrière pour aller de l'avant, face à une nouvelle génération de travailleurs en lutte et de révolutionnaires se dégageant dans cette situation. Presque immédiatement après le 15e Congrès et dans la période qui a suivi la guerre en Irak, la mobilisation des ouvriers en France (parmi les plus importantes dans ce pays depuis la Deuxième Guerre mondiale) a rapidement confirmé ces perspectives. Tirant un premier bilan de ce mouvement, la Revue internationale n°114 note que ces luttes démentaient catégoriquement la thèse de la prétendue disparition de la classe ouvrière. L'article affirme que les attaques actuelles "constituent le ferment d'un lent mûrissement des conditions pour l'émergence de luttes massives qui sont nécessaires à la reconquête de l'identité de classe prolétarienne et pour faire tomber peu à peu les illusions, notamment sur la possibilité de réformer le système. Ce sont les actions de masse elles-mêmes qui permettront la réémergence de la conscience d'être une classe exploitée porteuse d'une autre perspective historique pour la société. Pour cela, la crise est l'alliée du prolétariat. Pour autant, le chemin que doit se frayer la classe ouvrière pour affirmer sa propre perspective révolutionnaire n'a rien d'une autoroute, il va être terriblement long, tortueux, difficile, semé d'embûches, de chausse-trappes que son ennemi ne peut manquer de dresser contre elle". Les perspectives tracées par le rapport sur la lutte de classe du 15e Congrès du CCI se sont ainsi trouvé confirmées, non seulement par le développement à l'échelle internationale d'une nouvelle génération d'éléments en recherche, mais également par les luttes ouvrières. En conséquence, le présent rapport sur la lutte de classe se limite à une actualisation et à un examen plus précis de la signification à long terme de certains aspects des derniers combats prolétariens.

2003 : un tournant

Les mobilisations à grande échelle du printemps 2003 en France et en Autriche représentent un tournant dans les luttes de classe depuis 1989. Elles sont un premier pas significatif dans la récupération de la combativité ouvrière après la plus longue période de reflux depuis 1968. Bien sûr, les années 1990 avaient déjà vu des manifestations sporadiques mais importantes de cette combativité. Cependant, la simultanéité des mouvements en France et en Autriche, et le fait que, juste après, les syndicats allemands aient organisé la défaite des ouvriers métallurgistes à l'Est (3) pour contrer de façon préventive la résistance prolétarienne, montrent l'évolution de la situation depuis le début du nouveau millénaire. En réalité, ces événements mettent en lumière le fait que la classe ouvrière est de plus en plus contrainte à lutter face à l'aggravation dramatique de la crise et au caractère de plus en plus massif et généralisé des attaques, et cela en dépit de son manque persistant de confiance en elle. Ce changement affecte non seulement la combativité de la classe ouvrière mais aussi l'état d'esprit en son sein, la perspective dans laquelle s'inscrit son activité. Il existe actuellement des signes d'une perte d'illusions concernant non seulement les mystifications typiques des années 90 (la "révolution des nouvelles technologies", "l'enrichissement individuel via la Bourse", etc.), mais aussi de celles qu'avait suscité la reconstruction d'après la Deuxième Guerre mondiale, à savoir l'espoir d'une vie meilleure pour la génération suivante et d'une retraite décente pour ceux qui survivront au bagne du travail salarié. Comme le rappelle l'article de la Revue internationale n°114, le retour massif du prolétariat sur la scène de l'histoire en 1968 et le resurgissement d'une perspective révolutionnaire constituaient non seulement une réponse aux attaques sur un plan immédiat mais surtout une réponse à l'effondrement des illusions dans un avenir meilleur que le capitalisme d'après guerre avait semblé offrir. Au contraire de ce qu'une déformation vulgaire et mécaniciste du matérialisme historique aurait pu nous faire croire, de tels tournants dans la lutte de classe, même s'ils sont déclenchés par une aggravation immédiate des conditions matérielles, sont toujours le résultat de changements sous-jacents dans la vision de l'avenir. La révolution bourgeoise en France n'a pas explosé avec l'apparition de la crise du féodalisme (qui était déjà bien installée) mais quand il est devenu clair que le système du pouvoir absolu ne pouvait plus faire face à cette crise. De la même façon, le mouvement qui allait aboutir dans la première vague révolutionnaire mondiale n'a pas commencé en août 1914, mais lorsque les illusions sur une solution militaire rapide à la guerre mondiale se sont dissipées. C'est pourquoi, la compréhension de leur signification historique, à long terme, est la tâche principale que nous imposent les luttes récentes.

Une situation sociale qui évolue lentement

Tout tournant dans la lutte de classe n'a pas la même signification et la même portée que 1917 ou 1968. Ces dates représentent des changements du cours historique ; 2003 marque simplement le début de la fin d'une phase de reflux au sein d'un cours général à des affrontements de classe massifs. Depuis 1968, et avant 1989, le cours de la lutte de classe avait déjà été marqué par un certain nombre de reculs et de reprises. En particulier, la dynamique initiée à la fin des années 1970 avait rapidement culminé dans les grèves de masse de l'été 1980 en Pologne. L'importance de la modification de la situation avait alors contraint la bourgeoisie à changer rapidement son orientation politique et à mettre la gauche dans l'opposition afin de mieux pouvoir saboter les luttes de l'intérieur (4). Il est également nécessaire de faire une distinction entre le changement actuel de la récupération de sa combativité par la classe ouvrière et les reprises dans les années 1970 et 80. Plus généralement, il faut être capable de distinguer entre des situations où, pour ainsi dire, le monde se réveille un matin et ce n'est plus le même monde, et des changements qui ont lieu de façon presque imperceptible à première vue par le monde en général, comme la modification presque invisible qui se produit entre la marée montante et la marée descendante. L'évolution actuelle est incontestablement de la deuxième sorte. En ce sens, les mobilisations récentes contre les attaques sur le régime des retraites ne signifient en aucune manière une modification immédiate et spectaculaire de la situation, qui demanderait un déploiement rapide et fondamental des forces politiques de la bourgeoisie pour y faire face. Nous sommes encore loin d'être confrontés à une vague internationale de luttes massives. En France, le caractère massif de la mobilisation au printemps 2003 était essentiellement circonscrit dans un secteur, celui de l'éducation. En Autriche, la mobilisation était plus large, mais fondamentalement limitée dans le temps, à quelques journées d'action principalement dans le secteur public. La grève des ouvriers de la métallurgie en Allemagne de l'Est n'était pas du tout une expression d'une combativité ouvrière immédiate, mais un piège tendu à une des parties les moins combatives de la classe (encore traumatisée par le chômage massif apparu presque du jour au lendemain après la "réunification" de l'Allemagne) pour faire passer le message général que la lutte ne paie pas. En plus, les informations sur les mouvements en France et en Autriche ont partiellement subi un black-out en Allemagne, sauf à la fin du mouvement où elles ont été utilisées pour véhiculer un message décourageant pour la lutte. Dans d'autres pays centraux pour la lutte de classe comme l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Espagne ou les pays du Benelux, il n'y a pas eu récemment de mobilisations massives. Des expressions de combativité, pouvant échapper au contrôle des grandes centrales syndicales, telles que la grève sauvage du personnel de British Airways à Heathrow, à Alcatel à Toulouse ou à Puertollano en Espagne l'été dernier (cf. Révolution internationale n°339), restent ponctuelles et isolées. En France même, le développement insuffisant et surtout l'absence d'une combativité plus répandue ont fait que l'extension du mouvement au-delà du secteur de l'éducation n'était pas immédiatement à l'ordre du jour. Tant à l'échelle internationale que dans chaque pays, la combativité est donc encore à l'état embryonnaire et très hétérogène. Sa manifestation la plus importante à ce jour, la lutte des enseignants en France au printemps dernier, est en première instance le résultat d'une provocation de la bourgeoisie consistant à attaquer plus lourdement ce secteur de manière à faire en sorte que la riposte contre la réforme des retraites, qui concernait toute la classe ouvrière, se polarise sur ce seul secteur (5). Face aux man�uvres à grande échelle de la bourgeoisie, il faut noter la grande naïveté, voire la cécité de la classe ouvrière dans son ensemble, y inclus des groupes en recherche, et de parties du milieu politique prolétarien (fondamentalement les groupes de la Gauche communiste) et même de beaucoup de nos sympathisants. Pour le moment, la classe dominante est non seulement capable de contenir et d'isoler les premières manifestations de l'agitation ouvrière, mais elle peut, avec plus ou moins de succès (plus en Allemagne qu'en France), retourner cette volonté de combattre encore relativement faible contre le développement de la combativité générale à long terme. Encore plus significatif que tout ce qui précède est le fait que la bourgeoisie ne soit pas encore obligée de retourner à la stratégie de la gauche dans l'opposition. En Allemagne, le pays dans lequel la bourgeoisie a la plus grande liberté de choix entre une administration de gauche et une administration de droite, à l'occasion de l'offensive "agenda 2010" contre les ouvriers, 95 % des délégués, tant du SPD que des verts, se sont prononcés en faveur d'un maintien de la gauche au gouvernement. La Grande-Bretagne qui, avec l'Allemagne, s'était trouvée dans les années 1970 et 80 à "l'avant garde" de la bourgeoisie mondiale dans la mise en place des politiques de gauche dans l'opposition les plus adaptées pour faire face à la lutte de classe, est également capable de gérer le front social avec un gouvernement de gauche. A la différence de la situation qui prévalait à la fin des années 1990, nous ne pouvons plus aujourd'hui parler de la mise en place de gouvernements de gauche comme d'une orientation dominante de la bourgeoisie européenne. Alors qu'il y a cinq ans, la vague de victoires électorales de la gauche était aussi liée aux illusions sur la situation économique, la bourgeoisie, face à la gravité actuelle de la crise, doit avoir le souci de maintenir une certaine alternance gouvernementale et jouer ainsi la carte de la démocratie électorale (6) . Nous devons nous rappeler, dans ce contexte, que déjà l'année dernière, la bourgeoisie allemande, tout en saluant la réélection de Schroeder, a montré qu'elle se serait aussi satisfaite d'un gouvernement conservateur avec Stoiber.

La banqueroute du système

Le fait que les premières escarmouches de la lutte de classe dans un processus long et difficile vers des luttes plus massives aient eu lieu en France et en Autriche n'est peut-être pas aussi fortuit qu'il pourrait y paraître. Si le prolétariat français est connu pour son caractère explosif, ce qui peut expliquer partiellement qu'en 1968 il se soit trouvé à la tête de la reprise internationale des combats de classe, on peut difficilement en dire autant de la classe ouvrière dans l'Autriche d'après-guerre. Ce que ces deux pays ont en commun, néanmoins, c'est le fait que les attaques massives concernaient de façon centrale la question des retraites. Il est aussi à remarquer que le gouvernement allemand qui est actuellement en train de déclencher l'attaque la plus générale en Europe de l'Ouest, procède encore de façon extrêmement prudente sur la question des retraites. A l'opposé, la France et l'Autriche sont parmi les pays où, en grande partie du fait de la faiblesse politique de la bourgeoisie, de la droite en particulier, les retraites avaient été moins attaquées qu'ailleurs. De ce fait l'augmentation du nombre d'annuités travaillées nécessaires pour partir à la retraite et la diminution des pensions y sont encore plus amèrement ressenties. L'aggravation de la crise contraint ainsi la bourgeoisie, en retardant l'âge du départ à la retraite, à sacrifier un amortisseur social. Celui-ci lui permettait de faire accepter à la classe ouvrière les niveaux insupportables d'exploitation imposés dans les dernières décennies et de masquer l'ampleur réelle du chômage. Face au retour massif de ce fléau à partir des années 1970, la bourgeoisie avait répondu avec des mesures capitalistes de l'Etat providence, mesures qui sont un non sens du point de vue économique et qui constituent aujourd'hui une des principales causes de l'incommensurable dette publique. Le démantèlement du Welfare State actuellement à l'�uvre ouvre la porte à un questionnement en profondeur sur les perspectives d'avenir réelles pour la société offertes par le capitalisme. Toutes les attaques capitalistes ne suscitent pas de la même manière les réactions de défense de la classe ouvrière. Ainsi, il est plus facile d'entrer en lutte contre des diminutions de salaire ou l'allongement de la journée de travail que contre la diminution du salaire relatif qui est le résultat de l'accroissement de la productivité du travail (du fait du développement de la technologie) et donc du processus même d'accumulation du capital. C'est cette réalité que Rosa Luxemburg décrivait en ces termes : "Une réduction de salaire, qui entraîne un abaissement du niveau de vie réel des ouvriers est un attentat visible des capitalistes contre les travailleurs, une réduction des conditions de vie réelles des ouvriers et ceux-ci y répondent aussitôt par la lutte [�] et, dans les cas favorables, ils l'empêchent. La baisse du salaire relatif s'opère sans la moindre intervention personnelle du capitaliste, et contre elle, les travailleurs n'ont pas de possibilité de lutte et de défense à l'intérieur du système salarial, c'est-à-dire sur le terrain de la production marchande." (7) La montée du chômage pose le même type de difficultés à la classe ouvrière que l'intensification de l'exploitation (attaque sur le salaire relatif). En effet, l'attaque capitaliste que constitue le chômage, lorsqu'elle affecte les jeunes qui n'ont pas encore travaillé, ne comporte pas la dimension explosive des licenciements, du fait qu'elle est portée sans qu'il soit nécessaire de licencier qui que ce soit. L'existence d'un chômage massif constitue même un facteur d'inhibition des luttes immédiates de la classe ouvrière, parce qu'il représente une menace permanente pour un nombre croissant d'ouvriers encore au travail, mais aussi parce que ce phénomène social pose des questions dont la réponse ne peut éviter d'aborder la nécessité du changement de société. Toujours concernant la lutte contre la baisse du salaire relatif, Rosa Luxemburg ajoute : "La lutte contre la baisse du salaire [relatif] est la lutte contre le caractère de marchandise de la force de travail, contre la production capitaliste toute entière. La lutte contre la chute du salaire relatif n'est plus une lutte sur le terrain de l'économie marchande, mais un assaut révolutionnaire contre cette économie, c'est le mouvement socialiste du prolétariat". Les années 1930 révèlent comment, avec le chômage de masse, explose la paupérisation absolue. Sans la défaite qui fut préalablement infligée au prolétariat, la loi "générale, absolue de l'accumulation du capital" risquait de se transformer en son contraire, la loi de la révolution. La classe ouvrière a une mémoire historique et, avec l'approfondissement de la crise, cette mémoire commence lentement à être activée. Le chômage massif et les coupes dans les salaires aujourd'hui font resurgir le souvenir des années 30, des visions d'insécurité et de paupérisation généralisées. Le démantèlement du Welfare State viendra confirmer les prévisions marxistes. Quand Rosa Luxemburg écrit que les ouvriers, sur le terrain de la production de biens de consommation, n'ont pas la moindre possibilité de résister à la baisse du salaire relatif, cela n'est ni du fatalisme résigné, ni le pseudo radicalisme de la dernière tendance d'Essen du KAPD, "la révolution ou rien", mais la reconnaissance que leur lutte ne peut rester dans les limites des combats de défense immédiate et doit être entreprise avec la vision politique la plus large possible. Dans les années 1980, les questions du chômage et de l'intensification de l'exploitation étaient déjà posées, mais souvent de façon restreinte et locale, restreintes par exemple à la sauvegarde de leurs emplois par les mineurs anglais. Aujourd'hui, l'avancée qualitative de la crise peut permettre que des questions comme le chômage, la pauvreté, l'exploitation soient posées de façon plus globale et politique, de même que celles des retraites, de la santé, de l'entretien des chômeurs, des conditions de vie, de la longueur d'une vie de travail, de l'avenir des générations futures. Sous une forme très embryonnaire, c'est le potentiel qui a été révélé dans les derniers mouvements en réponse aux attaques contre les retraites. Cette leçon à long terme est de loin la plus importante. Elle est d'une portée plus grande que celle du rythme avec lequel la combativité immédiate de la classe va être restaurée. En fait, comme Rosa Luxemburg l'explique, être directement confrontés aux effets dévastateurs des mécanismes objectifs du capitalisme (chômage massif, intensification de l'exploitation relative) rend de plus en plus difficile d'entrer en lutte. C'est pourquoi, même s'il en résulte un rythme ralenti et un cheminement plus tortueux des luttes, celles-ci deviennent aussi plus significatives sur le plan de la politisation.

Dépasser les schémas du passé

Du fait de l'approfondissement de la crise, le capital ne peut plus se reposer sur sa capacité à faire des concessions matérielles importantes de façon à redorer l'image des syndicats comme il l'a fait en 1995 en France (8). En dépit des illusions actuelles des ouvriers, il existe des limites à la capacité de la bourgeoisie à utiliser la combativité naissante à travers des man�uvres à grande échelle. Ces limites sont révélées par le fait que les syndicats sont obligés de revenir graduellement à leur rôle de saboteurs des luttes : "On revient aujourd'hui à un schéma beaucoup plus classique dans l'histoire de la lutte de classes : le gouvernement cogne, les syndicats s'y opposent et prônent l'union syndicale dans un premier temps pour embarquer massivement des ouvriers derrière eux et sous leur contrôle. Puis le gouvernement ouvre des négociations et les syndicats se désunissent pour mieux porter la division et la désorientation dans les rangs ouvriers. Cette méthode, qui joue sur la division syndicale face à la montée de la lutte de classe, est la plus éprouvée par la bourgeoisie pour préserver globalement l'encadrement syndical en concentrant autant que possible le discrédit et la perte de quelques plumes sur l'un ou l'autre appareil désigné d'avance. Cela signifie aussi que les syndicats sont à nouveau soumis à l'épreuve du feu et que le développement inévitable des luttes à venir va poser à nouveau le problème pour la classe ouvrière de la confrontation avec ses ennemis pour pouvoir affirmer ses intérêts de classe et les besoins de son combat." (9) Ainsi, si encore aujourd'hui la bourgeoisie n'est quasiment pas inquiétée lors de l'exécution de ses man�uvres à grande échelle contre la classe ouvrière, la détérioration de la situation économique va tendre à engendrer de façon plus fréquente des confrontations spontanées, ponctuelles, isolées entre les ouvriers et les syndicats. La répétition d'un schéma classique de confrontation au sabotage syndical, désormais à l'ordre du jour, favorise ainsi la possibilité pour les ouvriers de se référer aux leçons du passé. Cela ne doit pas cependant conduire à une attitude schématique basée sur le cadre et les critères des années 80 pour appréhender les luttes futures et intervenir en leur sein. Les combats actuels sont ceux d'une classe qui doit encore reconquérir, même de façon élémentaire, son identité de classe. La difficulté à reconnaître qu'on appartient à une classe sociale et le fait de ne pas réaliser qu'on a face à soi un ennemi de classe sont les deux faces de la même pièce. Bien que les ouvriers aient encore un sens élémentaire du besoin de solidarité (parce que c'est inscrit dans les fondements de la condition prolétarienne), ils ont encore à reconquérir une vision de ce qu'est vraiment la solidarité de classe. Pour faire passer sa réforme des retraites, la bourgeoisie n'a pas eu besoin de recourir au sabotage de l'extension du mouvement par les syndicats. Le coeur de sa stratégie avait consisté à faire en sorte que les enseignants adoptent des revendications spécifiques comme objectif principal. A cette fin, ce secteur déjà lourdement affecté par les attaques antérieures, non seulement devait subir l'attaque générale sur les retraites mais il lui en a été infligé une autre supplémentaire, spécifique, le projet de décentralisation des personnels non enseignants contre laquelle il a effectivement polarisé sa mobilisation. Faire siennes des revendications centrales qui condamnent de fait une lutte à la défaite est toujours le signe d'une faiblesse essentielle de la classe ouvrière qu'elle doit dépasser pour pouvoir avancer significativement. Une exemple illustrant a contrario une telle nécessité est donné par les luttes en Pologne en 1980, où ce sont les illusions sur la démocratie occidentale qui ont permis à la revendication de "syndicats libres" d'arriver en tête de la liste de revendications présentée au gouvernement ouvrant ainsi la porte à la défaite et à la répression du mouvement. Dans les luttes du printemps 2003 en France, c'est la perte de l'identité de classe et la perte de vue de la notion de solidarité ouvrière qui ont conduit les enseignants à accepter que leurs revendications spécifiques passent devant la question générale des attaques contre les retraites. Les révolutionnaires ne doivent pas craindre de reconnaître cette faiblesse de la classe et d'adapter leur intervention en conséquence. Le rapport sur la lutte de classe du 15e Congrès insiste fortement sur l'importance du resurgissement de la combativité pour permettre au prolétariat d'avancer. Mais cela n'a rien de commun avec un culte ouvriériste de la combativité pour elle-même. Dans les années 30, la bourgeoisie a été capable de dévoyer la combativité ouvrière dans la voie de la guerre impérialiste. L'importance des luttes aujourd'hui, c'est qu'elles peuvent constituer le creuset du développement de la conscience de la classe ouvrière. Si l'enjeu actuel de la lutte de classe, la reconquête de l'identité de classe par le prolétariat, est très modeste en lui-même, il constitue néanmoins la clé pour la réactivation de la mémoire collective et historique du prolétariat et pour le développement de sa solidarité de classe. Celle-ci est la seule alternative à la folle logique bourgeoise de compétition, de chacun pour soi. La bourgeoisie, pour sa part, ne se permet pas de se faire des illusions sur le caractère secondaire de cette question. Jusqu'à maintenant, elle a fait ce qu'elle a pu pour éviter qu'éclate un mouvement qui rappellerait aux ouvriers leur appartenance à une même classe. La leçon de 2003 est que, avec l'accélération de la crise, le combat ouvrier ne peut que se développer. Ce n'est pas tant cette combativité en tant que telle qui inquiète la classe dominante, mais bien le risque que les conflits alimentent la conscience de la classe ouvrière. La bourgeoisie n'est pas moins, mais plus préoccupée par cette question que dans le passé, précisément parce que la crise est plus grave et plus globale. Sa principale préoccupation est que, chaque fois que les luttes ne peuvent être évitées, d'en limiter les effets positifs sur la confiance en soi, sur la solidarité et la réflexion dans la classe ouvrière, voire de faire en sorte que la lutte soit la source de fausses leçons. Pendant les années 1980, face aux combats ouvriers, le CCI a appris à identifier, dans chaque cas concret, quel était l'obstacle à l'avancée du mouvement et autour duquel l'affrontement avec les syndicats et la gauche devait être polarisé. C'était souvent la question de l'extension. Des motions concrètes, présentées en assemblée générale, appelant à aller vers les autres ouvriers constituaient la dynamite avec laquelle nous essayions de balayer le terrain pour favoriser l'avancement général du mouvement. Les questions centrales posées aujourd'hui - qu'est ce que la lutte de classe, ses buts, ses méthodes, qui sont ses adversaires, quels sont les obstacles que nous devons surmonter ? - semblent constituer l'antithèse de celles des années 80. Elles apparaissent plus "abstraites" car moins immédiatement réalisables, voire constituer un retour à la case départ des origines du mouvement ouvrier. Les mettre en avant exige plus de patience, une vision à plus long terme, des capacités politiques et théoriques plus profondes pour l'intervention. En réalité, les questions centrales actuelles ne sont pas plus abstraites, elles sont plus globales. Il n'y a rien d'abstrait ou de rétrograde dans le fait d'intervenir, dans une assemblée ouvrière, sur la question des revendications du mouvement ou pour dénoncer la façon dont les syndicats empêchent toute perspective réelle d'extension. Le caractère global de ces questions montre la voie à suivre. Avant 1989, le prolétariat a échoué précisément parce qu'il posait les questions de la lutte de classe de façon trop étroite. Et c'est parce que, dans la deuxième moitié des années 1990, le prolétariat a commencé à ressentir, à travers des minorités en son sein, le besoin d'une vision plus globale que la bourgeoisie, consciente du danger que cela pouvait représenter, a développé le mouvement alter-mondialiste de façon à fournir une fausse réponse à un tel questionnement. De plus, la gauche du capital, spécialement les gauchistes, est passée maître dans l'art d'utiliser les effets de la décomposition de la société contre les luttes ouvrières. Si la crise économique favorise un questionnement qui tend à être global, la décomposition a l'effet contraire. Pendant le mouvement du printemps 2003 en France et la grève des métallos en Allemagne, nous avons vu comment les activistes des syndicats, au nom de "l'extension" ou de la "solidarité" ont cultivé la mentalité qui habite des minorités de travailleurs lorsqu'elles essaient d'imposer la lutte à d'autres travailleurs, jetant sur ces derniers la responsabilité d'une défaite du mouvement quand ils refusent d'être entraînés dans l'action. En 1921, pendant l'Action de mars en Allemagne, les scènes tragiques des chômeurs essayant d'empêcher les ouvriers de rentrer dans les usines étaient une expression de désespoir face au reflux de la vague révolutionnaire. Les récents appels des gauchistes français à empêcher les élèves de passer leurs examens, le spectacle des syndicalistes ouest-allemands voulant empêcher les métallos est-allemands - qui ne voulaient plus faire une grève longue pour les 35 heures - de reprendre le travail, sont des attaques dangereuses contre l'idée même de classe ouvrière et de solidarité. Elles sont d'autant plus dangereuses qu'elles alimentent l'impatience, l'immédiatisme et l'activisme décervelé que produit la décomposition. Nous sommes avertis : si les luttes à venir sont potentiellement un creuset pour la conscience, la bourgeoisie fait tout pour les transformer en tombeau de la réflexion prolétarienne. Ici, nous voyons des tâches qui sont dignes de l'intervention communiste : "expliquer patiemment" (Lénine) pourquoi la solidarité ne peut être imposée mais demande une confiance mutuelle entre les différentes parties de la classe ; expliquer pourquoi la gauche, au nom de l'unité ouvrière, fait tout pour détruire l'unité ouvrière.

Les bases de notre confiance dans le prolétariat.

Toutes les composantes du milieu politique prolétarien reconnaissent l'importance de la crise dans le développement de la combativité ouvrière. Mais le CCI est le seul courant existant actuellement qui considère que la crise stimule la conscience de classe des grandes masses. Les autres groupes restreignent le rôle de la crise au fait qu'elle pousse simplement physiquement à la lutte. Pour les conseillistes, la crise contraint de façon plus ou moins mécanique la classe ouvrière à faire la révolution. Pour les bordiguistes, le réveil de "l'instinct" de classe porte au pouvoir le détenteur de la conscience de classe qu'est le parti. Pour le BIPR, la conscience révolutionnaire vient de l'extérieur, du parti. Au sein des groupes en recherche, les autonomistes (qui se revendiquent du marxisme concernant la nécessité de l'autonomie du prolétariat par rapport aux autres classes) et les ouvriéristes croient que la révolution est le produit de la révolte ouvrière et d'un désir individuel d'une vie meilleure. Ces démarches incorrectes ont été renforcées par l'incapacité de ces courants à comprendre que l'échec du prolétariat à répondre à la crise de 29 avait résulté de la défaite antérieure de la vague révolutionnaire mondiale. Une des conséquences de cette lacune est la théorisation toujours en cours selon laquelle la guerre impérialiste produit des conditions plus favorables à la révolution que la crise (Cf. notre article "Pourquoi l'alternative guerre ou révolution" de la Revue internationale n°30). A l'opposé de ces visions, le marxisme pose la question comme suit : "Le fondement scientifique du socialisme s'appuie, comme on sait, sur trois principaux résultats du développement du capitaliste : avant tout sur l'anarchie croissante de l'économie capitaliste, qui mène inévitablement à sa ruine ; deuxièmement, sur la socialisation croissante du processus de production qui crée les amorces de l'ordre social futur, et troisièmement, sur le renforcement croissant de l'organisation et de la conscience de classe, du prolétariat qui constitue le facteur actif de la prochaine révolution". (10) En soulignant le lien entre ces trois aspects et le rôle de la crise, Rosa Luxemburg écrit : "La social démocratie fait aussi peu résulter son but final de la violence victorieuse de la minorité que de la supériorité numérique de la majorité ; mais de la nécessité économique et de la compréhension de cette nécessité, qui mène à la suppression du capitalisme par les masses populaires, nécessité qui se manifeste avant tout dans l'anarchie capitaliste". (11) Alors que le réformisme (et de nos jours la gauche du capital) promet des améliorations grâce à l'intervention de l'Etat, à des lois qui protègeraient les travailleurs, la crise vient révéler que "le système salarial n'est pas un rapport légal, mais un rapport purement économique". C'est à travers les attaques qu'elle subit que la classe comme un tout commence à comprendre la nature réelle du capitalisme. Ce point de vue marxiste ne dénie en rien l'importance du rôle des révolutionnaires et de la théorie dans ce processus. Dans la théorie marxiste, les ouvriers trouveront la confirmation et l'explication de ce dont ils font eux-mêmes l'expérience.

Octobre 2003.

 

(1) Ce texte ayant été rédigé en vue de la discussion interne au sein de l'organisation, il est susceptible de contenir certaines formulations insuffisamment explicites pour le lecteur. Nous pensons cependant que ces défauts n'empêcheront pas les lecteurs de saisir l'essentiel de l'analyse contenue dans ce rapport.

(2) Faute de place, nous n'avons pas publié ce rapport dans notre presse. En revanche, nous avons publié, dans la Revue internationale n°113, la résolution adoptée à ce congrès qui reprend la plupart des insistances du rapport.

(3) Le syndicat IG Metal avait poussé les ouvriers métallurgistes des Lander de l'Est à se mettre en grève pour l'application immédiate des 35 heures alors que leur mise en place était planifiée pour 2009. La man�uvre de la bourgeoisie réside en ceci que non seulement les trente cinq heures constituent une attaque contre la classe ouvrière du fait de la flexibilité qu'elles introduisent, mais la mobilisation par les syndicats pour leur obtention était destinée, à ce moment-là, à faire diversion vis-à-vis de la riposte nécessaire contre les mesures d'autérité de "l'agenda 2010".

(4) Cette carte de la gauche dans l'opposition a été déployée par la bourgeoisie à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Elle consiste en un partage systématique des tâches entre les différents secteurs de la bourgeoisie. Il revient à la droite, au gouvernement, de "parler franc" et d'appliquer sans fard les attaques requises contre la classe ouvrière. Il revient à la gauche, c'est-à-dire les fractions bourgeoises qui, par leur langage et leur histoire, ont pour tâche spécifique de mystifier et encadrer les ouvriers, de dévoyer, stériliser et étouffer, grâce à leur position dans l'opposition, les luttes et la prise de conscience provoquées par ces attaques au sein du prolétariat. Pour davantage d'éléments concernant la mise en place d'une telle politique par la bourgeoisie lire la résolution publiée dans la Revue internationale n°26.

(5) Pour une analyse plus détaillée de ce mouvement, voir notre article "Face aux attaques massives du capital, le besoin d'une riposte massive de la classe ouvrière" dans la Revue internationale n°114.

(6) Il a existé une autre raison à la présence de la droite au pouvoir, c'est que cette disposition était la mieux adaptée pour contrecarrer la montée du populisme politique (lié au développement de la décomposition) dont les partis qui l'incarnent sont en général inaptes à la gestion du capital national.

(7) Rosa Luxembourg, Introduction à l'économie politique (le travail salarié).

(8) En décembre 1995, les syndicats avaient constitué le fer de lance d'une man�uvre de l'ensemble de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Face à une attaque massive contre la sécurité sociale, le plan Juppé, et une autre attaque visant plus spécifiquement les retraites des cheminots qui, par sa violence, constituait une véritable provocation, les syndicats n'avaient pas eu de difficulté à faire partir massivement les ouvriers en lutte sous leur contrôle. La situation économique n'était pas alors suffisamment grave pour imposer à la bourgeoisie qu'elle maintienne de façon immédiate son attaque contre les retraites des cheminots, si bien que le retrait de cette mesure put apparaître comme une victoire de la classe ouvrière mobilisée derrière les syndicats. Dans la réalité, le plan Juppé passa intégralement mais la plus grande défaite vint du fait qu'à cette occasion la bourgeoisie était parvenue à recrédibiliser les syndicats et que la défaite est passée pour une victoire. Pour davantage de détails, lire les articles dédiés à la dénonciation de cette man�uvre de la bourgeoisie dans les n°84 et 85 de la Revue internationale.

(9) Voir notre article consacré aux mouvements sociaux en France, "Face aux attaques massives du capital, le besoin d'une riposte massive de la clase ouvrière" dans la Revue internationale n°114.

(10) Rosa Luxemburg, Réforme ou révolution ?

(11) Rosa Luxemburg, idem

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [233]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [234]

Tsunami, Rivalités impérialistes en Irak, au Liban, ... L'hypocrisie humanitaire et démocratique

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Si on devait identifier un vice caractéristique de chaque époque de l'histoire humaine, celui du capitalisme serait assurément l'hypocrisie de sa classe dominante. Le grand conquérant Mongol, Jinghiz Khan, amoncelait des pyramides de crânes lors de la conquête des villes insoumises, mais il n'a jamais prétendu le faire pour le plus grand bien de leurs habitants. Il a fallu attendre la démocratie bourgeoise et capitaliste pour entendre déclarer que la guerre était "humanitaire" et qu'il fallait bombarder les populations civiles pour apporter... la paix et la liberté à ces mêmes populations.

Tsunami : Le bluff de l'aide humanitaire

Le tsunami de décembre 2004 frappait les côtes de l'Océan indien au moment où nous mettions sous presse le dernier numéro de cette Revue. N'ayant de ce fait pu inclure de prise de position sur cet évènement significatif du monde actuel (1 [235]), il revient à ce numéro de le faire. Déjà en 1902, il y a un peu plus de 100 ans, la grande révolutionnaire Rosa Luxemburg a dénoncé l'hypocrisie des grandes puissances venues apporter leur "aide humanitaire" aux populations sinistrées par le volcan de la Martinique, alors qu'elles n'ont jamais hésité un seul instant à massacrer les mêmes populations pour étendre leur domination sur le monde. (2 [236] Quand on voit aujourd'hui la réaction des grandes puissances face à la catastrophe survenue en Asie du Sud fin 2004, on ne peut que constater que les choses ont bien peu changé depuis lors, sinon en pire.

Aujourd'hui, on sait que le nombre de morts directement causés par le Tsunami est supérieur à 300 000 personnes, en général parmi des populations les plus démunies, sans parler des centaines de milliers de sans-abri. Une telle hécatombe n'était nullement une "fatalité". Évidemment, on ne peut accuser le capitalisme d’être à l’origine du séisme qui a provoqué ce gigantesque raz-de-marée. En revanche, on peut mettre à son passif la totale incurie et l'irresponsabilité des gouvernements de cette région du monde et de leurs homologues occidentaux qui ont conduit à cette immense catastrophe humaine. (3 [237])

Tous savaient en effet que cette région du globe est particulièrement exposée aux secousses sismiques : "Les experts locaux, pourtant, savaient qu’un drame se préparait. Courant décembre, en marge d’une réunion de physiciens à Djakarta, des sismologues indonésiens avaient évoqué le sujet avec un expert français. Ils étaient parfaitement conscients du danger de tsunamis car il y a en permanence des séismes dans la région" (Libération du 31/12/04).

Non seulement les experts étaient au courant mais, en plus, l’ex-directeur du Centre international d’information sur les tsunamis à Hawaï, George Pararas-Carayannis avait même indiqué qu’un séisme majeur s'était produit 2 jours avant la catastrophe du 26 décembre. "L’Océan indien dispose d’infrastructures de base pour les mesures sismiques et les communications. Et personne n’aurait dû être surpris, puisqu’un séisme de magnitude 8,1 s’était produit le 24 décembre. Il aurait dû alerter les autorités. Mais il manque d’abord la volonté politique des pays concernés, et une coordination internationale à l’échelle de ce qui s’est construit dans le Pacifique" (Libération du 28/12/04).

Personne n’aurait dû être surpris et pourtant le pire est arrivé, alors qu'il y avait suffisamment d’informations disponibles sur la catastrophe en préparation pour agir et éviter ce carnage.

Ce n’est pas de la négligence, c’est une attitude criminelle et qui révèle le profond mépris de la classe dominante pour les populations et le prolétariat qui sont les principales victimes de la politique bourgeoise des gouvernements locaux !

En fait, il est clairement reconnu aujourd’hui, de façon officielle, que l’alerte n’a pas été lancée de crainte de… porter atteinte au secteur du tourisme ! Autrement dit, c’est pour défendre de sordides intérêts économiques et financiers que des dizaines de milliers d'êtres humains ont été sacrifiés.

Cette irresponsabilité des gouvernements est une nouvelle illustration du mode de vie de cette classe de requins qui gère la vie et l'activité productive de la société. Les États bourgeois sont prêts à sacrifier autant de vies humaines que nécessaire pour préserver l’exploitation et les profits capitalistes.

Le cynisme profond de la classe capitaliste, le désastre que représente pour l'humanité la survie de ce système d'exploitation et de mort, est encore plus évident si nous comparons le coût d'un système de détection de tsunamis et les sommes fabuleuses dépensées en armements, rien que par les pays limitrophes de l'Océan indien et "en voie de développement" : le montant de 20-30 millions de dollars estimés nécessaires pour la mise en place d'un système de balises et d'avertissement dans la région ne vaut qu'un seul des 16 avions Hawk-309 commandés par le gouvernement indonésien à la Grande-Bretagne dans les années 1990. Si on regarde les budgets destinés aux militaires indiens (19 milliards de dollars), indonésiens (1,3 milliards de dollars), et sri lankais (540 millions de dollars – c'est le plus petit et le plus pauvre des trois pays), alors saute aux yeux la réalité d'un système économique qui dépense sans compter pour semer la mort, mais se révèle pingre à l'extrême quand il s'agit de protéger la vie des populations.

De nouvelles victimes sont aujourd'hui annoncées à la suite du nouveau séisme dans la région qui a frappé l'île indonésienne de Nias. Le nombre élevé de morts et de blessés est dû au matériel de construction des maisons, des blocs de béton beaucoup moins résistants aux secousses que le bois qui est la matière traditionnelle de construction dans la région. Seulement voilà, le béton est bon marché et le bois coûte cher, d'autant plus que son exportation vers les pays développés est source de revenus importants pour les capitalistes, les mafieux et les militaires indonésiens. Avec ce nouveau désastre, le retour des médias occidentaux sur la région, pour nous montrer toutes les bonnes œuvres des ONG toujours sur place, nous révèle aussi quel a été le résultat des grandes déclarations de solidarité gouvernementale qui ont suivi le séisme de décembre 2004.

Premièrement, sur le plan des dons financiers promis par les gouvernements occidentaux, la comparaison entre les dépenses en armement et l'argent alloué aux opérations de secours est encore plus criante que pour les pays limitrophes de l'Océan indien : les Etats-Unis, qui au début ont proposé 35 millions de dollars d'aide ("ce que nous dépensons en Irak chaque matin avant le petit déjeuner" comme le disait le sénateur américain Patrick Leahy), prévoient un budget militaire pour 2005-2006 de 500 milliards de dollars, sans tenir compte du coût des guerres en Afghanistan et en Irak. Et même concernant ce niveau d'aide pitoyable, nous avions déjà prévenu que la bourgeoisie occidentale risquait d'être forte en promesses, mais chiche en pratique: "on peut rappeler que cette "communauté internationale" de brigands capitalistes avait promis 115 millions de dollars suite au séisme qui avait secoué l’Iran en décembre 2003 et Téhéran n’a reçu à ce jour que 17 millions de dollars. C’est la même chose qui s'est produite pour le Libéria : 1 milliard de dollars promis et 70 millions récoltés". (4 [238]) La Asian Development Bank annonce aujourd'hui que 4 milliards de dollars de l'argent promis manquent aujourd'hui à l'appel et, selon la BBC, "Le ministre des affaires étrangères sri-lankais, Lakshman Kadirgamar, a dit que son pays n'avait encore reçu aucune somme de celles promises par les gouvernements". Sur Banda Aceh, il n'y a toujours pas d'eau propre pour la population (paradoxalement, les réfugiés dans leurs camps de fortune sont les seuls à bénéficier des efforts largement insuffisants des ONG). Au Sri Lanka, les réfugiés de la région autour de Trincomalee (pour ne prendre qu'un exemple) vivent toujours dans des tentes, et souffrent de diarrhées et de varicelle ; 65% de la flotte de pêche (dont dépend une grande partie de la population de l'île) a été détruit par le tsunami et n'a toujours pas été remplacé.

Les médias aux ordres, évidemment, nous expliquent en long et en large les difficultés inévitables d'une opération de secours de grande envergure. Il est fort instructif de comparer ces "difficultés" pour secourir les populations démunies (ce qui ne rapporte aucun bénéfice au capital), avec la capacité logistique impressionnante de l'armée américaine lors de l'opération Desert Storm : rappelons-nous que la préparation pour l'assaut sur l'Irak a duré six mois. Pendant ce temps, selon un article publié par le Army Magazine (5 [239]),"Le 22e Support Command a reçu plus de 12 447 véhicules à chenille, 102 697 véhicules à roues, 3,7 milliards de litres de carburant et 24 tonnes de courrier pendant cette courte période. Parmi les innovations par rapport aux guerre précédentes, on a vu l'utilisation de navires à chargement rapide, de transport par containers ultra-modernes, un système efficace de carburant standardisé et une gestion automatisée de l'information". Alors, à chaque fois qu'on nous parle des "difficultés logistiques" des opérations humanitaires, rappelons-nous ce dont le capitalisme est capable quand il s'agit de défendre des intérêts impérialistes.

Mais de surcroît, même les sommes et les misérables ressources envoyées sur place ne l'ont pas été gratuitement : la bourgeoisie ne dépense pas d'argent sans contrepartie. Si les Etats occidentaux ont dépêché leurs hélicoptères, leurs porte-avions et leurs véhicules amphibies sur place, c'est qu'ils comptaient bien en tirer profit sur le plan de leur influence impérialiste dans la région. Comme le soulignait Condoleezza Rice devant le sénat américain lors de sa confirmation en tant que Secrétaire d'Etat (6 [240]) : "Je suis d'accord pour dire que le tsunami a constitué une occasion magnifique pour montrer la compassion non seulement du gouvernement américain mais du peuple américain, et je pense que cela nous a beaucoup rapporté." (7 [241]) De même, la décision du gouvernement indien de refuser toute aide occidentale a été entièrement motivée par son désir de "jouer dans la cour des grands" et de s'affirmer comme puissance impérialiste régionale.

La démocratie pour cacher la barbarie

Si on ne faisait que constater ces écarts obscènes entre ce que la bourgeoisie dépense pour semer la mort et les conditions de vie de plus en plus misérables de l'immense majorité de la population mondiale, nous n'irions pas plus loin que toutes les bonnes âmes qui défendent la démocratie, les ONG de toutes sortes.

Mais les grandes puissances elles aussi sont toutes d'ardents défenseurs de la démocratie, et leurs informations télévisées ne se privent pas de nous donner toutes les raisons d'espérer un monde meilleur, grâce à l'extension irrésistible de la démocratie. Après les élections en Afghanistan, la population a voté pour la première fois en Irak, et Bush Junior a pu saluer l'admirable courage de ces gens qui ont bravé une réelle menace de mort pour passer aux urnes et dire "non" au terrorisme. En Ukraine, la "révolution orange" a suivi l'exemple de la Géorgie et a remplacé un gouvernement corrompu acquis aux russes par l'héroïque Yushchenko. Au Liban, la jeunesse mobilisée exige que la vérité soit faite sur l'assassinat de l'oppositionnel Rafik Hariri, et que les troupes syriennes quittent le pays. En Palestine, les élections ont donné un clair mandat à Mahmoud Abbas pour mettre fin au terrorisme et conclure une juste paix avec Israël. Enfin, au Kirghizstan une "révolution des tulipes" a balayé l'ancien président Akayev. Nous serions donc face à un véritable déferlement démocratique de "people power", porteur enfin du "nouvel ordre mondial" qu'on nous a promis avec la chute du mur de Berlin en 1989.

Mais dès que nous grattons un peu, les perspectives deviennent subitement moins roses.

En Irak d'abord, les élections n'ont fait que ponctuer une lutte pour le pouvoir entre différentes fractions de la bourgeoisie irakienne qui continue de plus belle, avec d'âpres négociations entre chiites et kurdes à propos du partage du pouvoir et du degré d'autonomie accordée à la partie kurde du pays. S'ils sont parvenus pour le moment à un accord concernant certains postes gouvernementaux, ce n'est qu'en remettant à plus tard l'épineuse question de Kirkouk, riche ville pétrolière du nord de l'Irak, objet des convoitises des sunnites et des kurdes, et qui continue d'être la scène de violents affrontements. On peut se demander à quel point les élections irakiennes sont prises au sérieux par les dirigeants kurdes, étant donné que ceux-ci ont organisé, le même jour, un "sondage" selon lequel 95% des kurdes désirent un Kurdistan indépendant. "L'auto-détermination est le droit naturel de notre peuple et il a le droit d'exprimer ses désirs", a dit le dirigeant kurde Barzani et "quand le moment viendra, elle deviendra une réalité" (8 [242]). La situation des kurdes est lourde de menaces pour la stabilité de la région, puisque toute tentative de leur part d'affirmer leur indépendance serait vue comme un danger immédiat par deux puissances limitrophes où vivent d'importantes minorités kurdes : la Turquie et l'Iran.

Les élections irakiennes ont constitué un coup médiatique en faveur des Etats-Unis qui a considérablement affaibli sur le plan politique les résistances des puissances rivales, notamment la France, dans la région. Par contre, le gouvernement Bush n'est guère enchanté par la perspective d'un Etat irakien dominé par les chiites, alliés de l'Iran, et donc indirectement de la Syrie et de ses sbires au Liban, le Hezbollah. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'assassinat de Rafik Hariri, puissant dirigeant et homme d'affaires du Liban.

Toute la presse occidentale – américaine et française en premier – pointe du doigt la Syrie. Pourtant tous les commentateurs sont d'accord pour dire d'abord que Hariri n'avait rien d'un oppositionnel (il avait été premier ministre sous tutelle syrienne pendant 10 ans), ensuite que le dernier à profiter du crime est bien la Syrie qui a été obligée d'annoncer le retrait total de ses troupes pour le 30 avril. (9 [243]) En revanche, ceux qui profitent de la situation, ce sont, d'une part, Israël qui voit s'affaiblir l'influence du Hezbollah et, d'autre part, les Etats-Unis qui ont sauté sur l'occasion pour mettre au pas le régime syrien. Est-ce que cela veut dire pour autant que la "révolution démocratique" qui a provoqué ce retrait, aurait conquis une nouvelle zone de paix et de prospérité ? On est en droit d'en douter quand on considère que les "oppositionnels" d'aujourd'hui (comme le dirigeant druze Walid Joumblatt) ne sont rien d'autre que des seigneurs de la guerre, acteurs du conflit qui a ensanglanté le pays de 1975 à 1990 ; déjà, plusieurs attaques à la bombe ont pris pour cible des régions chrétiennes du Liban, alors que le Hezbollah (avec ses 20.000 hommes armés) s'engage dans des manifestations massives.

De même, la démission forcée du président du Kirghizstan, Akayev, ne présage que plus de misère et d'instabilité. Ce pays, parmi les plus pauvres de l'Asie centrale, qui abrite déjà des bases militaires russe et américaine, se voit de plus en plus l'objet des convoitises de la Chine. Il est, de plus, un des lieux de passages privilégiés pour la drogue. Dans de telles conditions, cette récente issue "démocratique" n'est rien d'autre qu'un moment dans les règlements de compte par procuration entre les grandes puissances.

Par deux fois pendant le 20e siècle, les rivalités impérialistes ont ensanglanté la planète dans les effroyables boucheries de deux guerres mondiales, pour ne pas parler des guerres incessantes depuis 1945 qui ont mis aux prises les deux grands blocs impérialistes sortis victorieux de la Deuxième Guerre, jusqu'à la chute du bloc russe en 1989. A la fin de chaque tuerie, la classe dominante nous jure que cette fois-ci, c'est la dernière : la guerre de 14-18 était "la der des ders", la guerre de 39-45 devait ouvrir une nouvelle période de reconstruction et de liberté garanties par les Nations Unies, la fin de la Guerre froide en 89 allait initier un "nouvel ordre mondial" de paix et de prospérité. Au cas où la classe ouvrière se poserait des questions aujourd'hui sur les bienfaits de ce "nouvel ordre" (de guerre et de misère), les années 2004 et 2005 ont vu, et vont voir, les célébrations fastueuses des triomphes de la démocratie (débarquement en Normandie de juin 1944), ainsi que les commémorations des horreurs du nazisme (cérémonies sur la libération des camps de concentration). On peut se douter que la bourgeoisie démocratique et hypocrite fera moins de barouf sur les 20 millions de morts des goulags russes lorsque l'URSS était son allié contre Hitler, et sur les 340.000 morts de Hiroshima et Nagasaki lorsque la plus grande démocratie du monde a utilisé, pour la seule fois dans l'histoire, l'arme de l'Armageddon, la bombe atomique contre un pays déjà défait. (10 [244])

C'est dire le peu de confiance que nous pouvons accorder à cette classe bourgeoise pour nous apporter la paix et la prospérité qu'elle nous promet, la main sur le cœur. Au contraire: "Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment". (11 [245]) Contre ce sabbat macabre, seul le prolétariat peut dresser une véritable opposition capable de mettre fin à la guerre parce qu'il mettra fin au capitalisme fauteur de guerre.

Seule la classe ouvrière peut offrir une solution

A la fin de la guerre du Vietnam, l'armée américaine n'était plus apte au combat. Les soldats – des appelés pour la plupart – refusaient régulièrement de partir au front et assassinaient les officiers qui "faisaient du zèle". Cette démoralisation n'était pas le résultat d'une défaite militaire, mais du fait que, contrairement à la guerre de 39-45, la bourgeoisie américaine n'avait pas réussi à faire adhérer la classe ouvrière à ses projets impérialistes.

Avant de se lancer dans l'invasion de l'Irak, les va-t-en guerres du Pentagone s'étaient convaincus que le "syndrome du Vietnam" était dépassé. Et pourtant, il existe un refus grandissant des ouvriers en uniforme américains de donner leur vie pour les aventures militaires de leur bourgeoisie : depuis le début de la guerre en Irak, quelques 5 500 soldats ont déserté, alors qu'il manque 5 000 hommes au plan de recrutement de l'armée de réserve (qui fournit la moitié des troupes) : ce total de 10.500 hommes représente presque 8% de la force présente en Irak de 135 000 hommes.

En tant que telle, cette résistance passive ne représente pas une perspective pour l'avenir. Mais la vieille taupe de la conscience ouvrière continue de creuser, et le lent réveil de la résistance du prolétariat à la dégradation de ses conditions de vie est porteuse non seulement de résistance mais de démolition de ce vieux monde pourrissant, qui mettra fin à jamais à ses guerres, sa misère et à son hypocrisie.


Jens, 9 avril 2005




1 [246]Voir la déclaration du CCI publiée sur notre site web (https://fr.internationalism.org/ri/353_Tsunami [247])

2 [248] Disponible en anglais sur le site https://www.marxists.org/archive/luxemburg/1902/05/15.htm [249]

3 [250] Juste avant l'éruption de la montagne Pelée en Martinique, des "experts" gouvernementaux ont assuré la population qu'elle n'avait rien à craindre du volcan.

4 [251] https://fr.internationalism.org/ri/353_Tsunami [247]

5 [252] Revue officielle de l'association de l'armée américaine. Voir https://www.ausa.org/www/armymag.nsf/ [253]

6 [254] C'est-à-dire Ministre des Affaires étrangères

7 [255] Agence France Presse, 18/01/2005, voir https://www.commondreams.org/headlines05/0118-08.htm [256]

8 [257] Cité sur Al Jazira: https://english.aljazeera.net/NR/exeres/350DA932-63C9-4666-9014-2209F872... [258]

9 [259] Jusqu'ici, la seule conclusion nette de l'investigation menée par les Nations Unies, c'est de dire que l'assassinat exigeait forcément la participation d'un des services secrets à l'œuvre dans la région, c'est-à-dire les israéliens, les français, les syriens et les américains. Evidemment on ne peut pas non plus écarter la thèse de la simple incompétence des services secrets syriens.

10 [260] Ce n'est pas une ironie de l'histoire, mais dans la nature même du capitalisme, que le nouvel Etat, qui se sert sans cesse de l'horreur suscitée par l'Holocauste contre les juifs, soit, à son tour, lui-même ouvertement raciste (Israël est basé sur le peuple et la religion juifs) et prépare, avec son "mur de sécurité", la création d'un nouveau et gigantesque camp de concentration à Gaza. Comme dit Arnon Soffer, un des idéologues de la politique de Sharon : "Quand 2,5 millions de personnes vivent enfermés à Gaza, cela devient une catastrophe humanitaire. Ces gens deviendront encore plus des animaux qu'ils ne le sont aujourd'hui, avec l'aide d'un fondamentalisme islamiste fou. La pression à la frontière va devenir épouvantable. Il va y avoir une guerre terrible. Aussi, si nous voulons rester en vie, nous devons tuer et tuer et tuer encore. Tous les jours, chaque jour." (cité dans Counterpunch : https://www.counterpunch.org/makdisi01262005.html [261]).

11 [262] Rosa Luxembourg, Brochure de Junius

Géographique: 

  • Tsunami [263]
  • Moyen Orient [264]

Récent et en cours: 

  • Guerre en Irak [265]

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Liens
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