Place Puerta del Sol, Madrid
Le mouvement des Indignés, parti d’Espagne à la mi-mai 2011, et qui a pris aux Etats-Unis et en Angleterre le nom Occupy, a une importance historique. Les populations déshéritées et la classe ouvrière, en particulier la jeunesse, sont en train de réagir massivement aux coups de boutoirs de la crise économique. Mais plus encore que l'immense colère qui s'y manifeste, l'organisation de la lutte en assemblées générales et la réflexion qui anime ces débats font la preuve d'une véritable avancée pour le combat de notre classe.
Tous les articles, témoignages et vidéos sur ce thème sont publiés ici au fur et à mesure.
Nous avons reçu récemment ce texte des camarades du TPTG (Les Enfants de la Galère) en Grèce et nous sommes très heureux de le publier parce qu’il représente une des premières prises de position claire sur le « mouvement des assemblées » en Grèce, écrite par des camarades qui ont pris part au mouvement. Leur analyse des événements récents en Grèce correspond de très près à ce que nous avons dit du mouvement des « Indignés » en Espagne qui a fourni un catalyseur immédiat pour la mobilisation à Athènes et dans d’autres villes grecques. Exactement comme nous avions identifié une lutte à l'intérieur du mouvement en Espagne entre une « aile démocratique » qui vise à récupérer les assemblées au profit d’un projet de réforme capitaliste, et une aile prolétarienne qui est pour le développement de l’auto-organisation et un questionnement de fond sur les rapports sociaux capitaliste, le texte du TPTG conclut en disant :
« Une chose est sûre : ce mouvement insaisissable, contradictoire, attire l’attention de tout le monde politique et constitue une expression de la crise des rapports de classe et de la politique en général. Aucune autre lutte ne s’est exprimée de façon aussi ambivalente et explosive au cours des dernières décennies. Ce qui inquiète les politiciens de tous bords dans ce mouvement des assemblées, c' est que la colère et l’indignation prolétariennes (et de couches petites-bourgeoises) ne s’expriment plus par le circuit médiatique des partis politiques et des syndicats. Il n’est donc pas aussi contrôlable et il est potentiellement dangereux pour le système représentatif du monde politique et syndical en général (…) le caractère multiforme et ouvert de ce mouvement met à l’ordre du jour la question de l’auto-organisation de la lutte, même si le contenu de cette lutte reste vague. »
En résumé : malgré ses nombreuses faiblesses (et le mouvement en Grèce semble souffrir plus que son modèle en Espagne du poids mort du nationalisme), toute cette expérience représente un moment très important de l’émergence d’une forme plus profonde de conscience de classe et d’organisation prolétariennes, un moment dans lequel les révolutionnaires ont besoin d’être activement impliqués.
Quels que soient les désaccords qui puissent exister entre nos organisations, il est clair, d’après ce texte, que les principes que nous avons en commun sont encore plus significatifs : opposition aux manœuvres des gauchistes et des syndicats, rejet total du nationalisme et effort déterminé pour contribuer à l’émergence de ce que les camarades de TPTG appellent « une sphère prolétarienne publique » qui rendra possible à un nombre grandissant d’éléments de notre classe non seulement d’œuvrer pour la résistance aux attaques capitalistes contre nos conditions de vie mais aussi de développer les théories et les actions qui conduisent ensemble à une nouvelle façon de vivre.
CCI, juillet 2011.
Le mouvement des assemblées populaires a débuté d’une façon complètement inattendue le 25 mai à Athènes. On ne sait pas exactement quel était le groupe de personnes qui a pris l’initiative de mettre un post sur Facebook appelant à un rassemblement sur la place Syntagma pour exprimer leur « indignation » et leur colère face aux mesures d’austérité du gouvernement. Il semble malgré tout que quelques personnes autour d’un groupe politique influencé par l’idéologie démocratique développée les derniers temps par Castoriadis aient été impliquées entre autres dans cette initiative. L’appel a reçu une publicité favorable dans les médias et, pendant les premiers jours, il était fait référence dans ces mêmes médias à une banderole supposée être apparue lors de la mobilisation en Espagne : « Chut, ne criez pas, sinon, nous réveillerions les Grecs ! » ou quelque chose de ce genre. Naturellement, personne ne pouvait s’attendre à ce qui a suivi.
L’appel initial était une déclaration d’indépendance et de sécession vis-à-vis des partis politiques, de leurs représentants et de leur idéologie. Il déclarait aussi la volonté de protester pacifiquement contre la gestion étatique de la crise de la dette et « tous ceux qui nous ont amenés là où nous en sommes ». De plus, un des principaux mots d’ordre était l’appel à une « démocratie réelle ». Ce mot d’ordre, « démocratie réelle ! » fut rapidement remplacé après quelques jours par celui de « démocratie directe ! ». Les efforts faits au début par les organisateurs pour mettre en place un ensemble de règles démocratiques pour les assemblées furent rejetés par les participants. Cependant, certaines règles furent établies au bout de quelques jours en ce qui concernait la durée des prises de parole (90 secondes), la façon dont quelqu’un pouvait proposer un sujet de discussion (en étant choisi par tirage au sort)… Nous devons aussi mentionner qu’autour de la colonne vertébrale de l’assemblée générale, il y avait toujours plein de discussions, d’événements et même des confrontations entre les participants.
Au début, il y avait un esprit communautaire dans l’effort d’auto-organiser l’occupation de la place et officiellement les partis politiques n’étaient pas tolérés. Cependant, les gauchistes et, en particulier, ceux qui venaient de SYRIZA (coalition de la Gauche Radicale) furent rapidement impliqués dans l’assemblée de Syntagma et conquirent des postes importants dans le groupe qui avait été formé pour gérer l’occupation de la place Syntagma et, plus spécifiquement, dans le groupe pour le « secrétariat de soutien » et celui responsable de la « communication ». Ces deux groupes sont les plus importants parce qu’ils organisent les ordres du jour des assemblées aussi bien que la tenue des discussions. On doit remarquer que ces gens ne faisaient pas état de leur affiliation politique et qu’ils apparaissaient comme des « individus ». Cependant, ces politiciens sont incapables de manipuler complètement une assemblée aussi insaisissable et hétérogène quand le déni de légitimité aux partis politiques est prédominant. Il est très difficile de participer en tant qu’individu dans ces groupes spécifiques d’ailleurs, puisqu’il vous faut vous confronter avec les mécanismes de fonctionnement occulte des partis gauchistes.
Les regroupements organisés sur une base quotidienne devenaient graduellement de plus en plus massifs et exprimaient le refus complet de toute légitimité au gouvernement et au système politique en général. Dans le rassemblement le plus massif participaient environ 500 000 personnes (le dimanche 5 juin).
La composition sociale mélangée de la foule qui venait chaque jour, allait d’ouvriers sans emploi, de retraités et d’étudiants jusqu’aux petits entrepreneurs ou ex-petits patrons durement touchés par la crise. Dans ces rassemblements sur la place Syntagma, une division s’était faite dès les premiers jours entre ceux qui étaient « en haut » (proches du parlement) et ceux qui étaient « en bas » (carrément sur la place). Dans la première catégorie, quelques groupes nationalistes et d’extrême-droite ont été très actifs depuis le début pour influencer les gens les plus conservateurs et/ou moins politisés qui participaient aux manifestations (soit des prolétaires, soit des ex-petits entrepreneurs prolétarisés). Il est relativement courant pour la plupart d’entre eux réunis autour du parlement de brandir des drapeaux grecs, de faire le bras d’honneur contre les députés, de crier des slogans populistes et nationalistes comme « traîtres» ou « voleurs », ou même de chanter l’hymne national. Cependant, le fait que ces gens soient politiquement plus conservateurs ne signifie pas nécessairement qu’ils soient plus contrôlables quand les conflits s’enveniment avec la police ou qu’ils puissent compter dans leurs rangs des groupes d’extrême droite organisés. De l’autre coté, le deuxième groupe qui formait l’essentiel de l’assemblée etait beaucoup plus orienté vers la gauche démocratique (patriotique, antifasciste, anti-impérialiste) comme on peut le voir dans les communiqués votés[1] et est aussi prolétarien dans sa composition (ouvriers au chômage, fonctionnaires, étudiants, travailleurs du secteur privé, etc.).
Les gauchistes se sont débrouillés pour organiser une série de discussions sur la « crise de la dette » et la sur la « démocratie directe » avec des conférenciers invités venant de la gauche universitaire (par exemple, des économistes politiques de gauche comme Lapavitsas) qui sont en lien avec différents partis politiques de gauche (principalement SYRIZA et ANTARSYA). L’organisation de ces moments de discussions reproduit et renforce la division entre « experts » et « non-experts » et le contenu des présentations des conférenciers invités a été centré sur une alternative politique et une gestion économique des rapports capitalistes et de la crise. Par exemple, les principales visions concernant la question de la dette allaient de propositions de « restructuration de la dette » et d’annulation de la « partie inacceptable de la dette » à des appels à suspendre immédiatement les paiements de la part de l’Etat grec ou préconisant la sortie de la zone Euro et de l’Union Européenne. Dans tous les cas, le contenu politique développé pendant ces débats est celui d’une voie alternative et plus patriotique pour le « développement du pays » et de la création d’un Etat social-démocrate réel. En d’autres termes, ces débats essaient d’orienter les discussions vers une voie alternative pour la reproduction des rapports capitalistes en Grèce, qui serait mise en place par un gouvernement différent dans lequel les gauchistes assumeraient le rôle qu’ils méritent…il y a eu, à l’occasion, des critiques de la part de participants à l’assemblée sur le rôle prédominant des experts en statistiques tout autant que sur leur conception de la dette comme une question nationale, de logistique. Cependant elles étaient trop faibles pour changer l’orientation. La proposition la plus répandue d’une gestion de gauche de la « dette nationale » vient de la Commission d’Audit Grecque, composée de différents politiciens de gauche, de bureaucrates universitaires et syndicalistes, qui sont en faveur de l’idée de l’annulation de la « partie inacceptable de la dette » selon le modèle équatorien. Cette présence de la Commission s’est instituée sur la place dès les premiers jours, en dépit de résolutions votées pour l’exclusion des partis politiques et des organisations, sous prétexte qu’elle était une « association de citoyens » !
Quelques uns d’entre nous ont participé à une assemblée à thème qui avait été formée par l’assemblée générale sur les questions du travail et du chômage et appelée Groupe des ouvriers et des chômeurs. En lien avec d’autres camarades, cette assemblée a essayé de mettre en avant la pratique d’auto-organisation de la « suspension des paiements » à la base pour la satisfaction directe de nos besoins. Bien sur, cela était en complète contradiction avec les propositions politiques de gauche de « suspension des paiements de la dette souveraine ». Dans ce but, quelques interventions avaient été organisées sur les bureaux de chômage, appelant les chômeurs à rejoindre le groupe sur la place Syntagma et essayant d’entamer des discussions visant à organiser des assemblées locales de chômeurs (cet objectif n’a malheureusement pas connu de succès). Trois actions dans la station de métro de Syntagma ont aussi été organisées, en coopération avec un collectif qui agissait déjà dans ce domaine, la coalition de comités appelée « je ne paye pas », dans lesquelles les composteurs avaient été bloqués. Les gauchistes qui participaient à cette assemblée ont essayé de limiter ses activités à des revendications politiques de gauche sur le « droit au travail », pour réclamer « du travail à temps plein, décent et stable pour tous », etc. sans trouver un réel intérêt à communiquer leur expérience de lutte (s’ils en ont une) et à s’engager dans une action collective directe. Les résultats de cette confrontation sont détaillés dans le communiqué disponible sur le lien indiqué. [2] Toutefois, le problème principal est, qu’à part nous, quelques anarchistes anti-autoritaires et les gauchistes, la participation d’autres gens autant dans la discussion que dans les actions a été presque inexistante, bien que les actions qui ont été organisées aient eu l’accord de l’assemblée générale.
Cela nous amène à faire une autre observation importante sur l’assemblée de la place Syntagma. Bien que l’assemblée ait pris pendant tous ces jours des décisions qui impliquaient l’organisation d’actions, en définitive, très peu de gens y participaient. Il semble que le processus démocratique direct de seulement voter pour ou contre une proposition spécifique dans une assemblée de masse telle que celles-ci, tend à faire que se reproduisent la passivité et le rôle de spectateur/votant individuel.
Cette passivité et cet individualisme d’une partie significative des gens ont été dépassés le jour de la grève générale (le 15 juin) quand le besoin de lutter contre les tentatives de l’Etat de disperser la manifestation et de réoccuper la Place Syntagma a conduit non seulement concrètement à la participation de milliers de gens dans les conflits avec la police mais a aussi provoqué l’expression d’une réelle solidarité entre les manifestants : des gens étaient libérés des mains des flics par d’autres manifestants, l’équipe médicale aidait toute personne en danger, des milliers de gens dansaient joyeusement au milieu des gaz lacrymogènes, etc.
Il y avait toutefois certaines forces, à savoir les médias, les partis de gauche et les fascistes qui essayaient de favoriser la séparation entre les manifestants à propos de la question de la violence et au travers d’accusations contre quelques manifestants violents d’être poussés par des agents provocateurs de la police. Quand le bloc anarchiste/antiautoritaire et les blocs syndicalistes de base arrivèrent sur la place Syntagma et que quelques camarades rejoignirent la zone devant le parlement, un groupe de fascistes exploita le jet de deux ou trois cocktails Molotov par quelques individus et se mit à crier dans des porte-voix en direction des manifestants que les « kukuluforoi » ( personnes cagoulées) étaient des provocateurs de la police déguisés et qu’ils devaient être isolés. Ce groupe commença à attaquer les anarchistes/antiautoritaires et se débrouilla pour impliquer dans cette attaque d’autres manifestants. Les anarchistes/antiautoritaires réussirent à faire face à cette attaque avec succès. Cependant, les media ont exploité cet incident en le dépeignant comme une attaque des anarchistes contre les « indignés » ( comme s’appelle la foule qui manifeste sur la place) afin de favoriser la séparation entre manifestant « violents » et « pacifiques » au sein du mouvement. La vidéo de cet incident est passée en boucle le reste de la journée. Toutefois, au niveau de la politique de la rue, cette tentative ne connut pas un grand succès puisque quand la police attaqua plus tard la manifestation, elle se heurta à une foule complètement mélangée.
En dehors des médias, ce sont aussi les partis de gauche qui ont essayé de favoriser la séparation entre manifestants « violents » et « pacifiques » à travers leur « provocateurologie » et leurs accusations et leur propagande continuelles contre le milieu anarchiste/antiautoritariste. Leurs buts étaient évidemment différents : ils voulaient que le mouvement reste dans les limites de la légalité et du pacifisme pour pouvoir capitaliser celui-ci selon leur souhait de participer à un futur gouvernement qui suivrait une voie de gauche pour le développement du capitalisme grec. Nous devons ajouter ici que le Groupe de travailleurs et de chômeurs de la place Syntagma auquel participaient certains d’entre nous a proposé une résolution condamnant la « provocateurologie » et les fausses divisions au sein du mouvement mais le texte n’a jamais été voté en tant que sujet de discussion. Ce fut le résultat de l’intervention des organisateurs gauchistes et de manipulation combinée avec un faible soutien des participants.
Beaucoup de visions différentes se sont cependant exprimées en ce qui concerne la question de la « provocateurologie » et aussi du « caractère violent ou pacifique de notre mouvement ». Le caractère dynamique et contradictoire de l’assemblée peut être perçu au travers de quelques décisions de l’assemblée deux jours avant la grève générale des 28-29 juin. Les organisateurs de gauche se débrouillèrent pour remporter un vote appelant les forces de police à « montrer du respect pour la volonté du peuple et le droit constitutionnel de la souveraineté du peuple (…) et ne pas empêcher le peuple de protéger sa propre constitution » ! En même temps, il y avait une autre résolution qui condamnait « les professionnels de la violence qui servent le système et pas le mouvement », expression de la « provocateurologie » gauchiste contre ceux qui n’agissaient pas en accord avec l’idéologie d’obéissance à « la loi et l’ordre ». Au contraire, le lendemain, dans une autre décision, l’assemblée a voté en faveur de « ceux qui vont à l’affrontement avec les forces de répression » en décidant que « personne ne devait les prendre à partie dans les prises de parole par haut-parleur. » Le même jour, la proposition de « condamner toute forme de violence pendant les 48 heures de grève » fut rejetée.
On doit remarquer que jusqu’à maintenant, le « mouvement des places » a été réellement efficace dans le sens où il a réussi à élargir le champ de l’opposition à la politique du gouvernement, quelque chose que les grèves générales conventionnelles et les grèves de secteur isolées n’avaient pas réussi à faire. Cela a obligé le syndicat GSEE discrédité à appeler à une grève de 24 heures le 15 juin et à une grève de 48 heures quand le second plan d’austérité allait être voté et beaucoup de travailleurs ont saisi cette occasion pour participer aux manifestations du matin jusqu’au au soir. Bien que cela n’ait pas réussi à faire annuler le vote du plan d’austérité, cela n’en a pas moins réussi à créer une profonde crise ministérielle et une crise politique. Jamais avant, même pas pendant les émeutes de décembre 2008, le système politique de représentation n’avait aussi profondément perdu sa légitimité. Cependant, les organisateurs gauchistes réussirent à préserver le rôle de médiation des syndicats – au moins au niveau idéologique – en appelant avec eux à la grève générale de 48 heures.
Une première observation concernant cette grève est qu’il est impossible d’évaluer précisément le nombre de gens qui ont pris part à cet événement pendant les deux jours. Il y avait un afflux et un départ continu de gens sur la zone d’occupation des lieux au centre d’Athènes (c’est-à-dire sur la place Syntagma et dans les rues aux alentours) et le nombre de manifestants fluctuait entre quelques milliers et 100 000. La participation à la grève, au rassemblement et aux affrontements a néanmoins été beaucoup plus faible le premier jour que le second : le nombre de manifestants sur la place Syntagma le mardi 28 juin ne dépassait pas 20 000 personnes[3]. Au cours de ces deux jours, de rudes affrontements eurent lieu entre les manifestants et la police anti-émeute dans une grande partie de la ville autour de la place Syntagma. Des milliers de substances chimiques furent utilisées par la police anti-émeute, créant une atmosphère toxique et suffocante. Le deuxième jour, la mobilisation a été indiscutablement plus intense et plus massive.
Selon la police, 131 flics ont été blessés, 75 personnes ont été atteintes et 38 personnes ont été interpellées. Selon l’équipe médicale de la place Syntagma, plus de 700 personnes ont reçu les premiers soins dans les centres médicaux improvisés sur la place et dans la station de métro de Syntagma et une centaine de gens ont été transférés dans des hôpitaux. Il y a eu des dégâts dans des banques, des hôtels de luxe, à la poste de la place Syntagma ainsi que dans quelques établissements commerciaux et dans des restaurants.
Il ne fait aucun doute que, dès le début, le but de l’Etat était d’évacuer la place, de terroriser et de disperser les manifestants[4]. Cependant, l’état d’esprit persistant des manifestants se résumer parfaitement à travers ce mot d’ordre : « nous ne quitterons pas la place ». Résultat : la confrontation avec la police, physique comme verbale, était presque continuelle. Le premier jour, la plupart des gens étaient repoussés dans des rues autour de la place, menant des batailles plus ou moins longues, jusqu’ à ce que la police réussisse à créer « un cordon sanitaire » de flics autour de la place, empêchant toute personne de s’en approcher. Malgré cela, quelques centaines de personnes sont restées sur la place tard dans la nuit.
Le deuxième jour, à coté du rassemblement sur la place Syntagma, il y eut des tentatives de faire des blocages tôt le matin de façon à empêcher l’entrée des députés au parlement. Cette action avait été votée par l’assemblée de Syntagma comme par les assemblées qui s’étaient formées dans d’autres quartiers en dehors du centre d’Athènes. Malheureusement, une centaine seulement de manifestants participèrent à ces blocages qui furent immédiatement attaqués brutalement, repoussés et dispersés par la police. Ainsi, le plan d’empêcher les politiciens de rentrer dans le parlement ne fonctionna pas. Dans le cas du blocage de l’avenue Vasileos Konstantinou, les manifestants furent repoussés dans les rues avoisinantes où ils érigèrent des barricades et, après quelques heures et quelques confrontations sans gravité avec la police, ils commencèrent une longue manifestation qui passa dans les parties touristiques du centre pour rejoindre finalement le grand rassemblement sur la place Syntagma. Il faut remarquer que l’organisation des blocages a été totalement inefficace parce que les organisations gauchistes qui jouaient un rôle important du fait de leur contrôle sur les principaux groupes de l’assemblée de Syntagma n’avaient rien fait pour assurer une plus grande participation et une réelle confrontation avec la police. Bien sûr, l’attitude des gauchistes n’excuse pas l’incapacité de l’assemblée à simplement respecter ses décisions et la passivité d’un grand nombre de participants.
En ce qui concerne les conflits autour du parlement, des scènes semblables à celles du premier jour eurent aussi lieu le second jour, mais ce fut beaucoup plus difficile pour la police d’arriver à ses fins. Des milliers de manifestants participaient aux affrontements le deuxième jour. La plupart des manifestants s’étaient préparés aux assauts en portant des masques à gaz ou d’autres protections improvisées ; beaucoup transportaient des solutions anti-acide et quelques uns étaient complètement équipés pour se battre contre les flics. Dans nombre de cas, il y avait une « zone de front » où se passaient les batailles et une « zone de l’arrière » où les gens criaient des slogans, aidaient ceux qui en avaient besoin et même « alimentait » la « zone du front » en nouveaux renforts.
Les gens « pacifiques » épaulaient ceux qui se battaient avec la police : la présence physique d’une foule énorme était en elle-même un obstacle aux manœuvres de la police. Les protestataires bloquèrent un groupe de motos des forces de police des sinistres escadrons DIAS et DELTA en se mettant devant lui alors que les policiers étaient prêts à se lancer à l’attaque. Les manifestants « pacifiques » n’étaient pas effrayés par les affrontements et ce ne sont que les violentes attaques continuelles et massives de la police anti-émeute qui les obligèrent à abandonner les rues autour de Syntagma. Contrairement à ce que beaucoup prédisaient les jours précédents et en particulier pendant les affrontements du 28 juin, les affrontements n’ont pas « terrorisé » le « peuple » mais, dans un sens, ils exprimaient la colère accumulée contre un gouvernement largement décrédibilisé, contre la brutalité de la police et la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière.
Ce jour-là en particulier, reparurent les insurgés de décembre 2008 (anarchistes, anti-autoritaires, étudiants, ultras, jeunes prolétaires précaires) aux cotés d’une partie considérable de la classe ouvrière plus « respectable » et plus stable qui protestait contre les mesures d’austérité en s’affrontant à la police. C’était la première fois depuis le 5 mai 2010 qu’il arrivait quelque chose de semblable.
La grève générale de 48 heures avait une autre ressemblance avec la rébellion de décembre 2008 : la gaieté. Beaucoup de mots d’ordre ou de chansons des manifestants contre le gouvernement et le FMI étaient dérivés de slogans ou de chansons de la culture de rue tandis que pendant les affrontements avec la police, des batteurs encourageaient les manifestants et les incitaient à maintenir leurs positions.
Les deux jours, la police finit par « nettoyer » les environs et les rues du centre tard dans la nuit et il ne resta plus qu’une poignée de personnes déterminés à rester sur la place toute la nuit.
Les milliers de gens qui avaient participé aux affrontements comme leur diversité contredisaient dans la pratique les théories des organisations/partis de gauche et des médias sur une prétendue « conspiration de provocateurs » ou de « gangs para-étatiques » et démontraient combien était ridicule toute propagande similaire bien répandue sur ces groupes « particuliers » qui « créent le chaos ». Beaucoup de gens ont réalisé qu’il était nécessaire de jeter des pierres, des pétards et de dresser des barricades dans la rue contre des flics armés, enragés et sans pitié qui exécutaient les ordres du capital et de l’Etat.
Ce changement était aussi le résultat du dépassement des confrontations (habituellement verbales) entre les protestataires « non violents » et « violents » au cours des mobilisation du dernier mois. Beaucoup de « non violents », en particulier les plus vieux, réalisaient enfin que derrière les « masques » des « provocateurs », il y avait surtout des gens normaux, remplis de rage. Ici, c’était une dame sexagénaire parlant amicalement avec un jeune de 16 ans, « masqué », du « droit de riposter aux attaques des flics» et là, c’étaient des protestataires « indignés » bien habillés qui discutaient avec des « émeutiers » de thèmes semblables.
Une autre caractéristique dominante de ces jours de rage, c’était la l’atmosphère mêlée à la fois de bagarre et de fête. Pendant les affrontements, il y avait de la musique en live, les gens chantaient et, comme nous l’avons dit avant, en quelques occasions des joueurs de batterie accompagnaient les contre-attaques face aux escadrons anti-émeutes ! Dans l’après-midi du 28, un concert fut donné malgré les bagarres et les gaz et les manifestants dansaient pendant que la police arrosait la place de gaz lacrymogènes.
Les « expropriations » de pâtisseries, de gâteaux et de glaces d’un grand café sur la place donnait à la lutte un goût très doux le 29, bien que le groupe en charge de la nourriture ait condamné le pillage par haut-parleurs, ayant été probablement engueulé par quelques « organisateurs » de gauche. Plus tard, dans l’après-midi, un groupe important composé principalement de membres de SYRIZA essayèrent d’empêcher les gens d’empiler des pierres pour s’en servir contre une attaque éventuelle des escadrons anti-émeutes, mais n’ayant aucun plan alternatif pour contrer l’attaque, ils laissèrent rapidement tomber. Juste après, l’équipement en micros et mégaphones fut retiré de la place sous prétexte qu’il pouvait être endommagé. Le choix d’éloigner la « voix » de la mobilisation à ce moment précis, quand les affrontements avec la police aux alentours de la place étaient encore en cours, affaiblissait de façon évidente la défense de la place. Quelques minutes plus tard, de nombreuses forces de police anti-émeute envahissait la place et, dans une opération particulièrement violente d’encerclement, réussissait à disperser la foule, la refoulant jusque dans la station de métro. Il n’y eut qu’une centaine de personnes qui revinrent sur la place et encore moins qui y restèrent tard dans la nuit.
Nous devons mentionner aussi que le sentiment de rage contre les politiciens et la police est réellement en train de grandir. A part des affrontements généralisés, cette rage se reflétait aussi dans les condamnations verbales qu’on pouvait entendre ici et là : « nous devrions brûler le parlement », « nous devrions les pendre », « nous devrions prendre les armes », « nous devrions visiter les maisons des députés », etc. Il est à remarquer que la plupart de ces déclarations provenaient de gens plus âgés. Plusieurs cas « d’arrestation » de flics camouflés dans la foule sont aussi révélateurs du degré croissant de colère : dans la soirée du 29, des manifestants se saisirent d’un flic camouflé en civil dans la station de métro de Syntagma et essayèrent de le retenir quand les secouristes de Croix-Rouge sont intervenus et l’ont aidé à s’échapper (selon la rumeur, il n’avait pas plus son arme quand il est parti…)
En ce qui concerne le rôle des syndicats (GSEE-ADEDY), à part leur appel à la grève de 48 heures, qui était plus ou moins un résultat de la pression du « mouvement de la rue », ils n’ont réellement joué aucun rôle important. Il est significatif que les rassemblements sous leurs sigle n’aient attiré que quelques centaines de personnes et que, le second jour, quand le nouveau plan d’austérité allait être voté, le GSEE ait organisé son rassemblement tard dans l’après-midi, sur une autre place dans le centre-ville (à deux pas de la place Omonia et dans la direction opposée à Syntagma !) De plus, le 30 juin, le GSEE fidèle à sa théorie d’un complot fomenté, publiait un communiqué de presse qui condamnait « des destructions et des émeutes préparées à l’avance entre les encagoulés et la police qui coopérent contre les travailleurs et les manifestants (..) Le GSEE condamne toute violence d’où elle vienne et appelle le gouvernement à assumer ses responsabilités… ». De l’autre coté, ADEDY a gardé une attitude plus prudente : dans ses communiqués de presse du 29 et du 30 juin, il condamnait « la barbarie du gouvernement » et « la brutalité de la police » contre les manifestants et appelait même à un rassemblement le 30 juin à la place Syntagma… qu’il n’a jamais organisé !
Quelques points généraux concernant le mouvement contre l’application des plus dures mesures d’austérité depuis la Seconde Guerre mondiale :
1 Le nationalisme (principalement sous sa forme populiste) est dominant, favorisé à la fois par les diverses cliques d’extrême droite et par les partis de gauche et les gauchistes. Même pour beaucoup de prolétaires et de petit-bourgeois frappés par la crise qui ne sont pas affiliés à des partis politiques, l’identité nationale apparaît comme un dernier refuge imaginaire quand tout le reste s’écroule rapidement. Derrière les mots d’ordre contre « le gouvernement vendu à l’étranger » ou pour « le salut du pays », « la souveraineté nationale » la revendication d’une « nouvelle constitution » apparaît comme une solution magique et unificatrice. Les intérêts de classe sont souvent exprimés en des termes nationalistes et racistes, ce qui donne un cocktail politique confus et explosif.
2 La manipulation de la principale assemblée sur la place Syntagma (il y en a plusieurs autres dans différents quartiers d’Athènes et dans d’autres villes) par des membres « non déclarés » des partis et des organisations de gauche est évidente et c’est un obstacle réel à une direction de classe du mouvement. Cependant, à cause de la profonde crise de légitimité du système politique de représentation en général, eux aussi devaient cacher leur identité politique et garder un équilibre –pas toujours réussi - entre d’un coté un discours général et abstrait sur « l’autodétermination », la « démocratie directe », « l’action collective », « l’anti-racisme », le « changement social », etc., et de l’autre coté contenir le nationalisme extrême, le comportement de voyou de quelques individus d’extrême-droite qui participaient aux regroupements sur la place.
3 Une partie significative du milieu anti-autoritaire aussi bien qu’une partie de la gauche (en particulier les marxistes-léninistes et beaucoup de syndiqués) gardent leurs distances envers les assemblées ou leur sont ouvertement hostile : les premiers les accusent surtout d’avoir montré de la tolérance vis-à-vis des fascistes devant le parlement ou d’avoir pris la défense des députés devant l’assemblée, d’être un ensemble politique petit-bourgeois, réformiste, manipulé par certains partis de gauche. Les seconds accusent les assemblées d’apolitisme, d’hostilité envers la gauche et le « mouvement syndiqué, organisé ».
Une chose est certaine : ce mouvement insaisissable, contradictoire attire l’attention de tout le monde politique et constitue une expression de la crise des rapports de classe et de la politique en général. Aucune autre lutte ne s’est exprimée de façon aussi ambivalente et explosive au cours des dernières décennies. Ce qui inquiète les politiciens de tous bords dans ce mouvement des assemblées, c’est que la colère et l’indignation prolétariennes (et de couches petite-bourgeoises) grandissantes ne s’exprime plus par le circuit médiatique des partis politiques et des syndicats. Il n’est donc pas aussi contrôlable et il est potentiellement dangereux pour le système représentatif du monde politique et syndical en général. Le rôle de la « provocateurologie » est donc crucial : celle-ci est utilisée comme un exorcisme, une calomnie à l'encontre d'une partie croissante de la population qui, exilée dans le no man’s land de « l’activité para-étatique » doit être réduite à l’inertie. A un autre niveau, le caractère multiforme et ouvert de ce mouvement met à l’ordre du jour la question de l’auto-organisation de la lutte, même si le contenu de cette lutte reste vague. Le débat public sur la nature de la dette est une question épineuse car il pourrait conduire à un mouvement de « refus de payer » pour l’Etat grec ( une question bien au-delà de l’horizon politique des partis, des syndicats et de la grande majorité de la gauche extra-parlementaire, restée profondément pro-étatiste). Après le vote sanglant du Programme à Moyen Terme ( NDT : autre nom donné au 2e plan d’austérité ), on ne sait pas quelle direction prendra le mouvement des assemblées à une époque où toutes les certitudes semblent s’évanouir dans les airs.
TPTG (11/7/2011)
Sources URL : https://en.internationalism.org/icconline/2011/07/notes-on-popular-assem... [2]
[1]Voir https://real-democracy.gr [3]
[2] https://real-democracy.gr/en/node/159 [4].
[3] Le fait que la plupart des gens aient choisi de faire grève le deuxième jour des 48 heures de grève générale, quand le « programme cadre de consolidation fiscale à moyen terme » était voté, révélait fortement le caractère idéologique et mensonger des appels des gauchistes à une grève générale illimitée. La grosse réduction des revenus et des ressources des ouvriers combinée à la crise complète des syndicats rendait un tel projet impossible, au moins à court terme, à la fois au niveau subjectif et objectif. Les appels des gauchistes à la grève générale illimitée sont dépourvus de tout contenu réel et sont utilisés comme propagande pseudo-combative de façon à cacher leur incapacité totale ou leur refus de s’engager dans des actions directes et concrètes appropriées mettant en avant la « suspension des paiements » pour les prolétaires de la base. Les cadres de tous les partis gauchistes et des groupuscules sont bien plus enclins à garder leurs positions institutionnelles dans les différentes associations syndicales et dans les organisations non gouvernementales qu’à favoriser tout activité réelle de classe antagonique
[4] Comme il a été révélé plus tard dans les media, cet objectif avait déjà été planifié et décidé au cours d’une conférence de l’état-major de la police grecque le mardi et cela montre à la fois l’importance accordée par le gouvernement au vote des nouvelles mesures d’austérité et l’absurdité de la théorie de la « provocation » des flics par la violence. Par ailleurs, d’après les conversations très vives entre les policiers anti-émeutes et les manifestants, nous pouvons conclure que ces escadrons doivent subir une sorte d’entraînement idéologique de la part des officiels gouvernementaux de façon à ce qu’ils ne ressentent aucun doute moral pour exécuter les ordres : l’argument dominant était que la majorité des manifestants sont « des fonctionnaires qui ont perdu leurs privilèges »…
Le mouvement du 15-M (15 mai) tend à refluer, en partie à cause de la fatigue de tant de jours de mobilisation, et aussi à travers le travail de sape de l’intérieur réalisé par la DRY[1] [6] et « de l’extérieur » par l’action des médias et l’intervention des politiciens, du gouvernement central et des gouvernements régionaux.
C’est dans ce contexte que les incidents de Barcelone ont eu lieu. Une minorité agresse et humilie quelques parlementaires, ce qui a donné lieu à une campagne assourdissante et passablement hystérique « contre la violence », « pour la défense des institutions démocratiques », etc. On fait la « différence » entre une majorité pacifique et une minorité radicale anti-système, laquelle « abîmerait » le mouvement, en exigeant des « leaders » de celui-ci de combattre et d’en écarter les « violents »[2] [7]. Et pour compléter le délire total des uns et des autres, on parle même de « kale borroka » [nom basque donné aux émeutes de rue des nationalistes, N. du T.]...
Il est nécessaire de mettre les points sur les i : Qu’est-ce que la violence ?, Quelles en sont les causes ? Tous les genres de violence sont-ils identiques ?, Qui est à l’origine des incidents de Barcelone ? Contre qui est dirigé la campagne actuelle « antiviolence » ? Quelles sont les perspectives mises en avant ?
Lorsque des malades meurent à cause des réductions de dépenses dans le secteur de la santé ; lorsque les personnes âgées connaissent une vieillesse amère à cause des misérables pensions ; lorsque des travailleurs meurent dans des accidents de travail parfaitement évitables ; lorsque des années de travail laissent leur trace sous la forme des maladies psychiques ou physiques ; lorsque des millions de personnes souffrent dans le désespoir d’un chômage sans fin ; lorsque des immigrés se retrouvent enfermés dans les Centres d’Internement des Étrangers (CIE) sans la moindre charge contre eux ; lorsque ta vie dépend chaque jour d’un contrat précaire de travail-poubelle ; lorsqu’on te jette hors de chez toi par ordonnance d’expulsion ; lorsqu’on te coupe l’électricité, etc., c’est quoi si ce n’est pas de la violence ?
Dans cette société basée sur l’exploitation et la concurrence à mort, la violence règne en maître, une violence organisée, institutionnalisée, considérée comme « normale », présentée comme « la vie elle-même », légitimée par les lois et avalisée par l’appareil répressif des polices, des tribunaux et des prisons.
Que peut-on faire face à cette violence ? Nous taire ? L'accepter avec résignation ? Non ! Nous devons suivre le chemin du mouvement du 15-M, suivre ce qui a été fait avant en France contre la réforme des retraites, ou en Egypte, en Grèce, ou par les étudiants en Grande-Bretagne : nous unir, nous organiser nous-mêmes en assemblées, organiser des manifestations, des rassemblements, des grèves.
Cette action collective signifie rompre avec la normalité quotidienne de cette société, basée sur une course à la survie où il y en très peu qui gagnent et beaucoup qui perdent, où le voisin n’est pas considéré comme un camarade avec lequel il faut coopérer, mais un rival qu’il faut utiliser et écarter sans scrupule dans une « lutte pour la vie ». Rompre avec cette situation de violence permanente et imposer notre action collective contre ceux qui en sont responsables et en bénéficient -le Capital et son Etat- porte un nom : la violence. Essayer d’éviter le mot en nommant la chose « désobéissance civile », « non-violence », « pacifisme » et d’autres euphémismes avec lesquels la DRY prétend camoufler et obscurcir les questions, c’est de la tromperie, c’est une manière de nous éloigner de ces moyens collectifs de combat pour nous enfermer dans les « moyens démocratiques » -les multiples modalités d’élections, les quêtes de signatures, la confiance aveugle dans des leaders charismatiques qui se bagarrent pour conquérir nos voix, etc. Ce sont là des moyens qui nous renvoient à notre atomisation, enfermés dans notre « chacun pour soi », passifs et concurrents ; autrement dit, on attaque la racine de notre force collective : la solidarité, l’unité, le débat, l’action commune.
La société capitaliste exsude la violence par tous ses pores, elle ne se maintient que par la violence, elle engendre de la violence entre les classes et aussi entre les individus. Ceci dit, la violence en général n’existe pas, il existe différents types de violence. Le type de violence de la bourgeoisie n’a rien à voir avec celle pratiquée par le prolétariat. La violence de celui-ci a des caractéristiques propres et spécifiques qui la différencient radicalement de celle qui est exercée quotidiennement par le système capitaliste et son Etat. Voilà, à notre avis, la question essentielle : comprendre en quoi consiste la violence prolétarienne et quels sont ses moyens.
Ce n’est pas ici le lieu de développer en détail cette question [3] [8], mais, en bref résumé, on peut dire que la violence du prolétariat ne se fonde pas seulement sur la révolte contre la violence systématique de l’ordre établi, mais aussi sur la perspective historique de la construction d’une nouvelle société sans classes, sans Etats, sans frontières, une communauté humaine mondiale qui vivra et agira par et pour elle-même. Les moyens de la violence du prolétariat doivent être cohérents avec cette fin, on ne peut pas en faire usage en suivant le précepte jésuitique de « la fin justifie les moyens » ; il existe une éthique prolétarienne [4] [9].
Si ce que l’on recherche, c’est la libération de l’humanité, la violence prolétarienne ne peut pas être irrationnelle, sadique, aveugle ; si nous aspirons à une société où la solidarité soit le principe même de l’existence, on doit rejeter l’insulte, la calomnie, le dénigrement, la violence entre les ouvriers eux-mêmes, la recherche de bouc émissaires sur lesquels se défouler, la vengeance et la revanche. La violence prolétarienne rejette la torture, l’humiliation et le sadisme, la guerre impérialiste et le terrorisme. Elle se fonde sur l’action directe de masse : les assemblées, les manifestations, les grèves, les rassemblements, la culture du débat.
Les événements de Barcelone semblent avoir été une provocation policière, mais ils sont en lien avec une orientation que le mouvement du 15-M s’est donnée ces derniers temps et qui consiste dans le fait d’organiser des rassemblements devant les parlements régionaux et les mairies et une fois là, insulter les politiciens, les traitant d’escrocs, les huer, en déchargeant sur eux toutes les rages et les frustrations accumulées.
Ce genre d’action est incompatible avec l’éthique et les moyens de violence du prolétariat et la seule chose qu’on réussit à faire avec ces actions, c’est de renforcer les mécanismes démocratiques de domination capitaliste.
La focalisation sur tel ou tel politicien corrompu signifie que l’on désigne les effets en évitant les causes, qu’on décharge les tensions sur un quidam livré à la vindicte publique tel un bouc émissaire, qu’on personnalise les choses, qu’on ne s’inscrit ni plus ni moins que dans les rapports générateurs de violence de cette société. Et en même temps, et contrairement au scandale hystérique monté par les médias et les politiciens, ce genre d’action ne va pas contre la démocratie mais il la renforce plutôt. Quand on s'en prend à tel ou tel politicien, on tombe dans l’illusion selon laquelle avec un autre « plus honnête » ou « plus représentatif », les choses iraient mieux. Ainsi, l’institution démocratique ne serait pas le problème mais la solution. Le problème resterait cantonné aux « corrompus », aux « truands », à « ceux qui n’écoutent pas le peuple » et si on les change par des gens honnêtes, représentatifs, les choses pourraient s’arranger.
Sur Internet circulent des textes et des vidéos qui montrent avec des preuves convaincantes que les incidents devant le Parlement catalan ont été largement provoqués par des policiers infiltrés [5] [10]. Qui plus est, dans la zone où ces événements se sont produits, il y avait très peu de policiers pour la surveiller, ce qui a donné lieu à une passe d’armes entre le Président de la Généralité catalane et son « ministre » de l’Intérieur.
Cette politique qui consiste à provoquer des incidents « impopulaires » pour, immédiatement, justifier la répression sur une classe sociale, un parti ou un secteur d’un mouvement, n’est pas nouvelle. À la fin du 19e siècle, le gouvernement espagnol organisa une bande qui perpétrait des attentats pour justifier ainsi une répression brutale contre le mouvement ouvrier et les anarchistes. En 1978, à Barcelone, des agissements violents perpétrés par des provocateurs de la police au théâtre L'Escala furent utilisés par la démocratie à peine naissante pour justifier des rafles massives envers des ouvriers radicaux. On pourrait écrire des tomes entiers pour raconter les centaines et les centaines de ces manipulations au niveau national et international. Nous nous trouvons face à une classe dominante -la bourgeoisie- qui est particulièrement cynique et tordue, dont l’un des premiers idéologues – Machiavel - a mis en avant une pratique – nommée par la suite « machiavélisme »- consistant à organiser les actions le plus troubles pour justifier les politiques les plus brutales.
Vociférant à l’unisson, les politiciens de tous bords et les médias de toute idéologie ont déchaîné une furieuse campagne contre « les violents anti-système ». On a encouragé les leaders du 15-M à écarter de leur sein cette « scorie », on a construit une sale association de mots qu’un éditorialiste d’El País, journal réputé « progressiste », a bien verbalisé : « Le mouvement doit approfondir son âme réformiste et pacifique en écartant son âme révolutionnaire et agressive ». Voilà qui est dit : révolutionnaire serait synonyme d’agressivité, de violence, de sauvagerie, tandis que réformisme serait équivalent de paix, harmonie, respect.
Quels sont les objectifs de cette campagne qui n’a rien de pacifique déjà par la violence des propos, mais surtout par les menaces lancées par des politiciens et les éditoriaux de la presse, etc. ?
Le premier objectif est de faire croire que la ligne de démarcation dans le mouvement partagerait la violence et la non-violence, le radicalisme « révolutionnaire » et le pacifisme démocratique. La véritable frontière n’est pas celle-là, mais celle qui sépare, d’un coté, la « réforme de la démocratie »[6] [11] et, de l’autre, la lutte de classe contre les coupes sociales en tous genres et contre le capitalisme.
Mais il y encore un deuxième objectif en lien avec le précédent. Dans notre article « De la place Tahrir du Caire à la Puerta del Sol de Madrid »[7] [12], nous disions que « Dans les assemblées, deux ‘âmes’ cohabitent : l’âme démocratique qui constitue un frein conservateur et l’âme prolétarienne qui cherche à se définir sur une vision de classe. ». Les forces du régime démocratique cherchent à tout prix à faire taire « l’âme prolétarienne » incarnée dans une large minorité de camarades de toutes sortes, de collectifs, etc., qui mettent en avant la défense des Assemblées –il y a même un secteur qui défend : « Tout le pouvoir aux Assemblées »-, qui est favorable à une lutte massive de la classe ouvrière contre les coupes sociales et à une orientation internationaliste de destruction du capitalisme. Ce secteur est l’expression de la plateforme que la classe ouvrière se donne pour essayer d’avancer dans le développement de sa conscience, de son auto-organisation et de sa force collective, pour franchir de nouvelles étapes qui reprennent le meilleur du mouvement du 15-M et, en même temps, dépassent ses faiblesses et ses limitations. C’est cette « large minorité » qu’on veut stigmatiser en l’associant à la violence irrationnelle, qu’on veut que la DRY marginalise –en utilisant d’ailleurs des méthodes violentes- pour imposer son message démocratique et citoyen.
Cette minorité -comme l’ensemble des travailleurs- doit comprendre qu’il est impossible que la classe dominante abandonne volontairement ses privilèges et le pouvoir qu’elle exerce sur la société. L’histoire nous démontre qu’elle recourt aux pires crimes quand il s’agit de les conserver. Il y a 140 ans, un gouvernement républicain, soutenu par un parlement élu au suffrage universel, assassina en une semaine 30 000 ouvriers qui avaient osé défier la bourgeoisie avec le grand mouvement de la Commune de Paris [8] [13]. Depuis lors, les choses n’ont pas du tout changé : les massacres orchestrés par les gouvernements les plus « démocratiques » en Irak et ailleurs, ne sont pas réservés qu’aux populations lointaines soumises à un état de guerre. C’est avec la même cruauté et le même cynisme que ces gouvernements massacreront leurs exploités s’ils se sentent menacés ! Et contre la violence organisée et systématique de la classe dominante, la classe ouvrière devra prendre les armes pour la renverser. Mais, comme nous l’avons affirmé plus haut et comme l’expérience de la Commune de Paris en 1871, celle de Révolution Russe de 1917 ou d’Allemagne en 1918-19, le démontrent, les moyens que cette violence utilise sont radicalement différents que ceux de la bourgeoisie.
Cette minorité qui est le canal par lequel s’exprime « l’âme » prolétarienne du mouvement [9] [14] doit impulser le débat le plus large pour ouvrir la voie aux éclaircissements sur la question de la violence et sur plein d’autres questions qui ont commencé à se poser autour du mouvement du 15-M (reforme ou révolution ?, démocratie ou assemblées ?, revendications démocratiques ou revendications sociales ?, mouvement citoyen ou mouvement de classe ?). Elle doit encourager les efforts d’auto-organisation dans les lieux de travail, chez les chômeurs et les précaires, dans les centres d’enseignements, dans les quartiers, pour ainsi développer une nouvelle phase de mobilisation dont la classe ouvrière soit le centre.
Tout cela, nous devons le faire en sachant que nous faisons partie d’un large mouvement historique et international au sein duquel l’immédiatisme, l’empressement désespéré pour obtenir des résultats rapides, n’est qu’un piège. À ce propos, nous voudrions finir cet article en citant un texte de quelques camarades de Madrid [10] [15] qui est très clair là-dessus :
« Les politiciens, les syndicats et les médias font pression sur nous pour qu’on donne des buts concrets au mouvement le plus tôt possible, pour qu’on mette au clair ce que nous voulons. Et, de fait, depuis quelques jours, dans toutes les Assemblées, on essaye de consolider un catalogue de revendications (...), on y parle de la reforme électorale, de la démocratie participative, de l’intolérance vis-à-vis de la corruption, on parle aussi de coopératives, de nationaliser la banque (...) Nous sommes convaincus que ce ne sera pas en faisant les choses à toute vitesse, tel que le veulent, d’une façon bien intéressée, tous les politiciens et tous ceux qui veulent que rien ne change, ou, plutôt, qui veulent changer quelques petits détails pour que tout continue comme avant (...) que nous arriverons à synthétiser ce que voulons tous ceux qui sommes en lutte (...) la meilleure manière de donner une forme aux protestations c’est de concrétiser non pas ce que nous voulons, mais ce que nous ne voulons pas. (...) Nous ne voulons pas être des marchandises, ni mal vivre dans un monde qui transforme tous les rapports humains en rapports marchands. Nous ne voulons plus être soumis à la tyrannie de l’économie qui détruit nos vies et toute la planète. Nous ne voulons pas d'une société divisée en classes où la majorité de l’humanité vit dans un esclavage caché pour que quelques uns puissent vivre comme des rois. Nous pensons fermement que ce sont là des axes sur lesquels nous pouvons articuler et étendre les protestations, que ce sont des axes sur lesquels nous pouvons nous développer et commencer à entrevoir dans l’avenir, peu à peu, sans se presser, ce que nous voulons ».
CCI (19 juin 2011)
[1] [16] « Le mouvement citoyen ‘Democracia Real Ya !’ : une dictature sur les assemblées massives [17] ».
[2] [18] Ces « leaders » ont demandé aux manifestants de photographier avec leurs caméras ceux qui provoquent des incidents pour porter plainte contre eux.
[3] [19] Nous renvoyons à deux documents publiés dans notre Revue internationale : « Terreur, terrorisme et violence de classe [20] », et « Résolution sur : TERRORISME, TERREUR et VIOLENCE de CLASSE [21] ». [4] [22] Voir Revue internationale nº 127 et 128 : « Marxisme et éthique (débat interne au CCI) [23] » et « Débat interne au sein du CCI - Texte d'orientation : sur le marxisme et l'éthique (juin 2004) [24] ».
[5] [25] Voir https://es.search.yahoo.com/?fr2=p:newsrd,mkt:es [26]. Sur Youtube est apparu un document où apparaissent d’étranges manifestants isolés, avec des oreillettes et du genre robuste qui par la suite se sont mélangés aux gens rassemblés. Au bout de quelque temps, l’accès à cette vidéo a été bloqué.
[6] [27] Une démocratie au nom de laquelle on justifie et on maintien des lois répressives très dures, ou l’on participe à des guerres comme celle en Libye ou en Afghanistan, ou l’on garde enfermés des milliers d’immigrés, des tas de choses qui n’ont rien de pacifique.
[7] [28] fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/de_la_place_tahrir_a_la_puerta_del_sol_de_madrid.html [29]
[8] [30] On peut lire La guerre civile en France [31], prise de position de la Première Internationale sur la Commune de Paris, rédigée par Marx.
[9] [32] Sur notre site en espagnol [33] (il y a aussi un « dossier spécial » en français et en anglais ainsi que beaucoup de textes traduits en italien, allemand, néerlandais et portugais), nous avons ouvert des dossiers et des débats sur le mouvement du 15-M dont on a publié des textes de groupes, de collectifs et de camarades, avec lesquels nous ne sommes pas forcement d’accord sur tout, qui expriment la richesse et l’effort politique de cette minorité prolétarienne.
[10] [34] « Carta abierta a las Asambleas [35] » (Lettre ouverte aux Assemblées).
Le texte que nous publions ci-dessous a été rédigé par un groupe d'anarchistes madrilènes autour du 27 mai. Il nous a été envoyé sur notre site en espagnol1 par un de nos lecteurs. Nous l’avons publié et nous le traduisons ici parce qu'au-delà des divergences que nous pouvons avoir parfois, il donne une description vivante et juste de ce qui s'est passé dernièrement sur la Puerta del Sol de Madrid. Par ailleurs, il pose le problème de l’intervention des révolutionnaires dans ce genre de mouvement.
CCI (15 juin)
Ce texte a été écrit à Madrid, il se peut donc que pas mal de descriptions et de réflexions ne soient pas celles d’autres endroits, à cause ne serait-ce que de l’hétérogénéité du mouvement du 15-M2. Cependant, nous pensons qu’il peut être utile en tant que point de départ pour la réflexion de tous les compagnons3 qui sont impliqués dans les assemblées, quel que soit le lieu. Ce texte a été rédigé et corrigé un peu dans la précipitation pour qu’il soit disponible avant l’appel aux assemblées de quartier ou de villes de banlieue du 28 mai. Tenez-en compte au moment de lire ce qui suit et excusez-nous pour toutes sortes d’erreurs que ce texte pourrait contenir.
Quelques anarchistes madrilènes.
Mettons les choses au clair. Nous, qui signons ce texte, sommes des anarchistes, des communistes antiautoritaires, anticapitalistes ou bien une autre étiquette à votre goût. Autrement dit, nous sommes pour l’abolition du travail salarié et du capital, pour la destruction de l’Etat et son remplacement par de nouvelles formes horizontales et fraternelles de vie collective. Nous pensons que les moyens pour y arriver doivent être le plus en cohérence possible avec les objectifs recherchés et, par conséquent, nous sommes contre la participation aux institutions, contre les partis politiques (parlementaires ou pas) et les organisations hiérarchiques, nous misons sur une politique basée sur l’assembléisme4, la solidarité, l’entraide, l’action directe, etc., parce que nous sommes convaincus que ces moyens sont les plus efficaces pour atteindre la révolution. Si nous déclarons tout cela d'emblée, c’est pour éliminer toute défiance et bien marquer le cadre dans lequel cette contribution a été faite. Cependant, le fait que nous soyons favorables à une révolution sociale qui détruise le capitalisme, l’Etat et qui implique l’abolition des classes sociales (et de tant d’autres choses), ne signifie pas du tout que nous croyons que cela puisse se réaliser à court terme, du jour au lendemain. Ce que nous mettons ici en avant ce sont des objectifs, c'est-à-dire des situations que nous pourrons atteindre, avec de la chance, après un long parcours et un développement considérable du mouvement révolutionnaire. Croire le contraire ce n’est pas de l’utopie, c’est tout simplement un exercice de délire et de rêverie immédiatiste. Quand on met en avant un projet révolutionnaire, il faut qu’il se concrétise dans une stratégie à court terme, dans une série de propositions pour intervenir dans la réalité, des propositions qui nous rapprochent de situations dans lesquelles des questions comme l’abolition du travail salarié, l’instauration du communisme libertaire, la révolution sociale... peuvent être à l’ordre du jour, des questions qui aujourd’hui ne le sont pas du tout, évidemment. Cette intervention ne peut pas se limiter à répéter en rabâchant jusqu’à plus soif l’impérieuse nécessité d’une révolution, de l’abolition de l’État et du capital. Être anarchiste ne veut pas dire être un casse-pied qui poursuit les autres en répétant encore et encore que l’État est très méchant et que l’anarchie est très bonne. Et pourtant, à la suite du mouvement du 15-M, dans ces derniers jours, nous avons pu lire sur Internet des textes et des commentaires proches du délire et, pire encore, nous avons entendu des compagnons et des amis qui glissent vers « l’anarcho-casse-pieds », qui, avec les meilleures intentions du monde, s’accrochent au maximalisme des mots d’ordre grandioses, des propositions à long terme, etc. Nous savons tous très bien de quoi il s’agit, nous nous sommes tous trouvés dans des situations semblables et, ce qui est pire encore, nous avons contribué souvent à les répandre. Il faut dire clairement que ce texte est autant une critique qu’une autocritique et qu’il doit avant tout nous servir à ne pas tomber nous mêmes dans ces pièges-là. Enfin, il faut tenir compte du fait que ce texte a été écrit à la va-vite, au rythme que les événements nous imposent, avec le but qu’il sorte avant le 28 [mai], jour où des assemblées populaires ont été convoquées dans différents quartiers et dans la banlieue de Madrid : ne vous étonnez donc pas si sur certains points, on peut remarquer un peu de précipitation et d’urgence. Nous sommes limités : c’est ainsi.
Ce texte prétend être une réflexion et une proposition pour sortir de l’impasse dans lequel nous nous trouvons depuis longtemps, pour nous défaire des lourdeurs que beaucoup d’entre nous traînons et qui nous immobilisent. C’est, au fond, une réflexion pour essayer de nous clarifier, pour savoir qu’est-ce que nous pouvons apporter et comment nous pouvons participer dans tout ce qui arrive autour de nous.
Et ce qui arrive autour de nous, c’est bien évidemment le mouvement appelé 15-M qui, la dernière semaine, a fait irruption dans la vie politique nationale comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Que cela nous plaise ou non, qu’on le veuille ou non, le mouvement du 15-M a brisé toutes les perspectives et a surpris tout le monde : la police, les politiciens, les journalistes, ceux qui ont fait l’appel [aux manifs], les gens en général, les citoyennistes5, les gauchistes et, bien entendu, les anarchistes. Dans un premier temps, tout le monde était hors jeu, et à partir de là, il y a eu toute une série de tentatives plus ou moins heureuses de prendre position face ou à l’intérieur du 15-M. On ne va pas se mettre à en analyser les causes ou passer en revue les différentes théories « conspiranoïaques » ou les intoxications idéologiques diverses surgies de cet événement ; ce n’est pas important pour ce que nous voulons dire. Nous voudrions mettre en avant comment nous comprenons les coordonnées de base de ce qu’on appelle le mouvement du 15-M ou, du moins les plus importantes, pour pouvoir ainsi voir si une participation anarchiste ou anticapitaliste est possible en son sein et, si oui, quel type de participation. Ce sera, logiquement, une description fragmentaire, partielle et incomplète. Ce n’est pas le plus important, les choses vont trop vite.
La première chose à affirmer c’est que le mouvement du 15-M est un mouvement social authentique et, comme tel, il est énormément hétérogène et contradictoire. Il y a de tout et ce tout est déversé à des doses très diverses. Il ne s’agit pas de donner des caractéristiques définitives et absolues, mais plutôt de distinguer des tendances, des nuances, etc. Des expressions d’un mouvement en construction au sein duquel il y a des luttes, des tensions, un changement continu.
Cela dit, par sa composition sociale et par les mots d’ordre qu’on entend le plus souvent dans les assemblées et les groupes de travail, ainsi que par les idées des gens qui en font continuellement la propagande sur Internet (Twitter) on pourrait dire qu’il s’agit, surtout, d’un mouvement d’idéologie « citoyenne» et ouvertement démocrate. Dit autrement, c’est bien ce genre d’idées de réformisme politique et social (reforme électorale, démocratie réelle, plus de participation, critique des partis politiques majoritaires, mais pas du système représentatif et des partis en général...) qui, en général, agglutinent autour d’elles le plus de monde et des mains levées.
Cependant, ce contenu s’exprime avec des formes assembléistes, qui rejettent toute représentation classique (comme, par exemple, le rejet de devenir un autre parti politique de plus) et qui rejettent toute idéologie, tout symbole ou forme politique déjà cuisinée (des partis aux drapeaux républicains, en passant par les A encerclés). Il y a un mot d’ordre qui circule sur Twitter : « Ce n’est pas une question de gauche ou de droite, mais de haut et de bas ». Et, pour le moment, ce mouvement mise majoritairement sur l’auto-organisation, sur l’action directe (non violente) et sur la désobéissance civile, même si on n’y utilise pas ces mots magiques. La non-violence est, de fait, une autre des coordonnées fondamentales du 15-M, quelque chose qui est, sans doute, assumé collectivement sans discussion. Nous y reviendrons plus loin.
Tout cela n’empêche pas qu’en son sein il y ait clairement une « lutte pour le pouvoir » entre différentes « fractions », organisées ou non. Il y a des membres et des militants des partis politiques de gauche, des membres des mouvements sociaux, des libertaires, des gens « normaux » et des « indignés » qui se pointent avec leur propre vision du monde, etc. Tous s’y battent à tous les niveaux, depuis l’orientation idéologique ou pratique du mouvement, jusqu’au contrôle (et, très souvent, la manipulation) des assemblées, des commissions, etc.
Au sein de beaucoup des commissions ou des regroupements, on voit de tout : des disparitions fortuites de comptes rendus, des personnalismes, des gens qui s’accrochent au rôle de porte-parole, des délégués qui taisent des choses lors des assemblées générales, des commissions qui ignorent les accords adoptés, des petits groupes qui font leurs petites affaires dans leur coin, etc. Beaucoup de ces choses sont sans doute le fruit de l’inexpérience et des égos, d’autres paraissent sorties directement des vieux manuels de manipulation des assemblées. Autour de cette lutte, il y a aussi tous les gens qui passent par là. Des personnes qui s’approchent pour y participer, écouter, être écoutées, apporter de la nourriture ou du matériel divers ou même, tout simplement, se faire quelques photos comme des touristes dans leur propre ville. Sous les tentes de la Puerta del Sol, on a la sensation d’être dans un grand bazar où rien ne se vend ni ne s’achète.
Par ailleurs, l’un des grands problèmes des campements, c’est la difficulté pour y participer pleinement : il n’y a pas beaucoup de monde qui puisse aller au centre ville tous les jours, qui puisse y rester pour dormir, qui puisse participer fréquemment aux commissions, etc. Ceci peut favoriser l’apparition de leaderships informels, des chapelles, des trucs bizarres, d’étranges tournures que les gens, qui ne sont pas bêtes, vont remarquer, vont commenter en agissant en conséquence. En fait, une conséquence possible due aux gens qui commencent à prendre un rôle prépondérant dans le campement (et aussi qui sont les plus habitués à y aller et à proposer des activités) est la ghettoïsation progressive que le campement a subi ce week-end-end. Ce week-end-end, comparé avec l’ambiance de retrouvailles et de contestation des jours les plus intenses (surtout vendredi dernier, à cause de la situation d’attente liée à l’interdiction des rassemblements de la part de la Commission électorale centrale), il y avait beaucoup moins d’élan et on a commencé à remarquer une ambiance plus ludique et moins protestataire, malgré les commissions, les sous-commissions et les groupes de travail qui continuaient à fonctionner. À certains moments, on dirait que « l’acampada de Sol » reproduit le pire et le plus banal des gens ghettoïsés : des ateliers, des concerts, des batucadas6, des repas, des spectacles de clowns, etc. au détriment des ce qui était marquant au début : la protestation, la politique, « l’indignation » (aussi pro-démocrate et limitée qu’elle fût). Sur Twitter, dont il ne faut pas oublier le rôle dans la montée du mouvement du 15-M et du campement de la Puerta del Sol, est en train de se faire jour ce mécontentement des gens qui critiquent cette dérive. Un exemple clair de ce mécontentement a eu lieu ce week-end : ça a été la discussion autour de « botellón sí-botellón no »7 : samedi une des assemblées a dû partir de Sol à cause de la quantité des gens à coté complètement pétés et, dimanche on a dû remettre quelque assemblée parce qu’on n'entendait rien à cause du bruit des batucadas. Il faut dire que, aussi bien les batucadas que le botellón ont eu pas mal de succès.
Il est évident que le mouvement du 15-M n’est pas une révolution, même le plus naïf des militants s’en rend compte, et ce n’est pas la peine de le critiquer en se basant sur le hashtag #spanishrevolution avec lequel il s’est étendu au début : c’était un mélange de marketing, de trucs marrants et de rêve. Pas plus.
La dernière chose que nous voudrions faire remarquer, c’est que, pour nous, le plus important peut-être de tout ce qu’on a vu, en plus du caractère assembléiste et horizontal (avec tous ses défauts, et ils sont nombreux), a été le changement brutal d’attitude qu’on a pu observer dans les parages de Sol pendant toute cette semaine. Récapitulons. À la suite de la manifestation massive initiale du 15 mai et, surtout, après l’expulsion des premiers campeurs, le gens ont pris possession soir après soir de la Puerta del Sol, d’une manière qu’aucun d’entre nous n’avait jamais vu. Les mobilisations contre la guerre, même si certaines furent plus massives, n’eurent ni de près ni de loin la continuité, la participation, l’attitude et l’ambiance que nous avons pu voir cette semaine à Sol. C’est comme si, soudainement, la passivité et le chacun pour soi s’étaient brisés autour de la Puerta del Sol de Madrid. Distribuer des tracts à Sol et dans les rues adjacentes est une joie, les gens s’approchent pour t’en demander, les prennent avec le sourire, te questionnent, te remercient... Les premiers jours, il suffisait d’un petit cercle pour parler de quelque chose et les gens tendaient l’oreille pour ensuite écouter et intervenir. C’était quelque chose qui est devenu normal de voir des gens les plus divers discutant en petits groupes. Les groupes de travail et les assemblées générales sont des événements massifs, rassemblant 500, 600 ou 2000 personnes (assises, debout, se resserrant pour mieux entendre), etc. Au-delà de ça, il y avait l’impression permanente de vivre une bonne chose, dans la meilleure ambiance, « quelque chose d'exceptionnel ». Tout cela a atteint son point culminant lors de la journée dite de réflexion. Entendre quelque 20 000 personnes crier ‘Nous sommes des hors-la-loi’8 en jouissant du fait de passer par-dessus la loi, franchement, ça impressionne. Il est bien vrai que cette ambiance intense, de participation et de politique véritable a commencé à décroître à partir de cette nuit-là. En partie à cause de la montée de tension elle-même de vendredi soir, en partie à travers la décision de « ne pas faire de politique » pendant tout le samedi et dimanche, ayant ainsi ce week-end un ton plus festif, plus « cirque » que les jours précédents. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas de souvenir de quelque chose de semblable auparavant, voilà la vérité.
Cela dit, qu’est-ce que nous, anarchistes, avions-nous à faire là-dedans ? Pour n’importe quel libertaire avec deux sous de jugeote, la grande majorité heureusement, il est évident qu’il fallait être là, il n’y a pas matière à discuter là-dessus. Ce qui n’est pas clair pour nous, c’est ce qu’on peut y faire, ce qu’on peut y apporter et espérer du mouvement du 15-M. Il est logique de se poser ces questions, étant donné l’hétérogénéité et les contradictions qui le traversent. Nous allons essayer dans cette partie d’exprimer comment et dans quel sens nous voyons l’intérêt d’y participer et ce qu’on peut apporter à ce mouvement. Nous parlons d’une vision stratégique parce qu’il s’agit d’une vision générale, que nous essayerons de définir plus loin avec des propositions concrètes et quelques considérations tactiques.
La plus grande partie du processus qui se développe ces jours-ci au sein du mouvement du 15-M consiste à essayer de trouver les mots d’ordre et les revendications politiques qui vont le définir. Ce processus se produit aussi bien au sein des groupes de travail qu’au sein des commissions elles-mêmes. Au sein de ces groupes, dominent le débat et le combat idéologiques, et dans quelques commissions, où se concrétisent ces débats, c’est là que l’on voit les ruses, les manigances, etc. Pas besoin d’être très futé pour savoir où se trouve le problème : c’est dans des commissions telles que celles nommées « communication », « interne », « assemblée et politique » où l’on peut trouver le plus grand nombre de politiciens au mètre carré, alors qu’au sein des commissions comme « infrastructure », « alimentation » ou « respect », les coups bas sont bien moins nombreux. Attention ! On n’est pas en train de dire qu’au sein des commissions on ne fait que ça, mais il y a certaines choses qu’on a vues ou qu’on nous a racontées qui ne sont pas piquées des vers...
Comme nous l’avons dit plus haut, les revendications qui ont le plus d’écho dans #acampadasol sont celles qui concernent la reforme politique et, dans une moindre mesure, la reforme sociale, toutes avec un contenu pleinement citoyenniste : reforme de la loi électorale, une loi de responsabilité politique, une plus grande participation, une loi de révision des hypothèques immobilières, etc. Les membres et les militants des partis de gauche (IU, IA, etc.) et d’autres mouvements sociaux sont en train d’essayer de faire tourner le bateau du mouvement vers la gauche, pour que celui-ci prenne en charge les revendications classiques de la gauche (depuis le revenu de base ou le moratoire sur la dette extérieure jusqu’à la nationalisation des banques) mais, en face, il y a ceux qui préfèrent que le mouvement soit le plus neutre possible (voir, par exemple, https://twitpic.com/51lyqa [36]) et qu’il soit centré sur un #consensodeminimos9 [consensus a minima, NdT]. À notre avis, le plus probable, c’est que l’objectif final des uns et des autres (par le biais d’une Initiative Législative Populaire10, ou conduit par quelque parti politique, sans doute Izquierda Unida (IU) soit de présenter une proposition au Congrès qui soit ratifié par référendum. En ce sens, les uns et les autres débattent sur les contenus de cette proposition et sans doute sur les moyens pour la réaliser, mais à un moment donné, ils finiront par se mettre d’accord sur quelques points fondamentaux.
Il est évident que nous, anarchistes, sommes convaincus que si on réussissait à mettre en place certaines de ces reformes, même en changeant quelques uns des « défauts » du système qui mettent le plus en colère les gens, cela ne va rien changer pour l’essentiel. Le problème n’est pas la corruption politique, mais la politique en tant que sphère séparée de la vie ; le problème n’est pas le manque de transparence des gouvernements mais les gouvernements eux-mêmes ; et le problème n’est pas la banque et les banquiers, mais l’exploitation capitaliste : la grande et la petite.
Ceci dit, nous pensons que nous, les anarchistes, ne sommes pas ni ne devons être dans cette bagarre, celle des revendications grandiloquentes et de la politique de haut vol. Nous ne devrions pas rentrer dans ce jeu, et étant donné que nous voulons être présents dans les assemblées, il faudra assumer le fait que nous devrons endurer ce genre de choses et les affronter. Nous n’avons rien à faire dans cette histoire. Le mouvement du 15-M n’est pas un mouvement anarchiste ou anticapitaliste, ce qui veut dire que les revendications anarchistes maximalistes sont hors de propos. Cela n’a pas de sens de se battre pour que les assemblées générales assument des choses comme l’autogestion généralisée, l’abolition des prisons et même, tout simplement, la grève générale indéfinie, parce qu’il est évident que les gens qui sont là, qui suivent les débats avec attention et sympathie, ne sont pas là pour ces revendications. En supposant (ce qui est trop beau pour être vrai) que pour une quelconque et étrange raison ou manigance, on arrive à ce que l’assemblée générale ou les assemblées de quartiers acceptent ou assument comme le leur l’un de ces mots d’ordre, on peut être sûr que le mouvement du 15-M se dégonflerait aussi sec, perdrait une grande partie de ses soutiens et ses sympathies et resterait dans un étrange cocktail front-populiste de militants gauchistes, citoyennistes, communistes et anarchistes. Autrement dit, juste tout ce que nous avons toujours critiqué et le lieu où nous n'avons jamais voulu être. En politique, il y a une expression « voter avec les pieds » qui veut dire que si la gestion d’un endroit quelconque te déplait, tu pars simplement ailleurs. Quelque chose de semblable arrive dans toutes les assemblées, il y a pas mal de personnes qui, quand quelque chose ne leur plaît pas ou qu'elles ne se sentent pas à l’aise, se taisent, baissent la tête et ne manifestent pas leur mécontentement. Pourquoi arrive-t-il tout cela ? Parce que les mouvements réels sont souvent assez complexes. Ils ont leur propre composition, leur nature et leur propre dynamique et, surtout parce qu’on ne peut pas prétendre que les gens deviennent des anarchistes du jour au lendemain. Aucun de nous n’est arrivé à le devenir par la voie rapide et sans casse, mais à coups d’erreurs, d’illusions, de désillusions, d’incohérences, de débats, de frustrations, de flips et de chutes par terre au sens figuré comme au sens propre, parfois avec un flic sur le dos. La question n’est pas de déplorer avec mille regrets que dans des occasions comme celle d’aujourd’hui, les personnes et les choses n'évoluent à toute vitesse, mais de reconnaître que cela ne marche pas ainsi.
Nous devons être conscients de la représentativité des commissions face aux personnes mobilisées. On l’a vu clairement dans la commission Politique, qui au moment le plus haut a pu rassembler quelque 350 personnes entre les deux sous-commissions (à court et à long terme). Il est clair que les assemblées sont ouvertes et que tout le monde peut y participer mais en vérité, à la fin, cette commission « Politique » s’est donc scindée en deux sous-commissions qui apparemment se sont créés sur des bases temporelles mais qui, en définitive, recouvrent des points de vue très différents, le « réformiste » et le « révolutionnaire », entre ceux qui exigent de petites ou de grandes reformes législatives, légitimant ainsi les structures de pouvoir et ceux qui veulent mettre en avant un programme de rupture avec le modèle imposé par le capitalisme.
Ceci est une erreur grave, parce qu’il peut exister des mesures « révolutionnaires » ou radicales à court et à long terme. C’est le contexte actuel qu’il faut avoir clairement en tête et les pas qu’on veut faire dans ce contexte. Pour ne citer qu’un exemple : dans la Commission Court Terme, on met en avant des changements dans la Constitution espagnole, et dans la Commission Long Terme, on discute sur le consensus pour la grève générale. Nous ne pensons pas qu’un changement dans la Constitution (qui requiert le vote favorable des 3/5 des députés et des sénateurs) soit plus faisable à court terme que l’appel à une grève générale (qui est d’ailleurs plus un outil de lutte qu’une fin en soi), même si, à l’heure actuelle, ce serait très compliqué à faire avancer.
Nous pensons qu’il faut faire une réflexion sur notre implication au sein des commissions, en essayant de les rendre plus efficaces, en évitant l’usure de tant d’énergie. Il ne sert à rien que 200 personnes avec des idées « similaires » se rassemblent et donnent une orientation qui ne peut pas être assumée par ce mouvement (au jour d’aujourd’hui), il ne sert à rien non plus de laisser le champ libre aux exigences à court terme qui ne sont rien d'autre qu'un plaidoyer pour renforcer l’Etat-providence... Lors de cette réflexion à faire, il nous faudra faire une autocritique et mettre en avant dans l’immédiat des propositions à court et long terme qui puissent être assumées et qui nous fassent avancer petit pas à petit pas vers une vraie révolution sociale, autrement nous déboucherons sur l'inaction typique d’un groupe de personnes qui planent au-dessus du mouvement actuel.
Nous devrions montrer une certaine intelligence et nous joindre réellement à cette envie de changement qu’on respire ces jours-ci du coté de la Puerta del Sol, pour voir si entre tous, nous réussissons à faire que ce changement aille un peu au-delà de quelques raccommodages sur la façade de la démocratie.
Quel choix nous reste-t-il à faire alors ?
Il est sûr que beaucoup se seront posés la question de ce qu’on pourrait appeler un affaiblissement de notre discours, et sans doute ils se seront trouvés en train de le faire sans même s’en rendre compte. C'est-à-dire d’édulcorer nos propositions pour voir si avec un peu de sucre ça passe mieux. Par exemple, en jouant sur une confusion sémantique intéressée qui parle de « démocratie directe » au lieu « d’anarchie », d’avaler tout ce qu’il faudra avaler pour être dans l'air du temps, etc.
Une autre alternative c’est d’abandonner la partie à cause du réformisme de ces assemblées. Tel que nous le voyons, ceci serait tout simplement absurde. Fondamentalement, parce que les mouvements révolutionnaires, aujourd’hui comme dans le passé, ne surgissent pas du néant ou tous seuls. Ce sont les révolutionnaires eux-mêmes, et les événements, qui avec leur effort et leur persévérance, réussissent parfois à ce que les mouvements sociaux cessent d’être la chasse gardée des partis, des profiteurs, etc.
Nous parlerons de tout cela plus loin, mais nous voulons déjà faire comprendre que notre idée n’est pas de transformer le mouvement du 15-M en « mouvement révolutionnaire » de masse, ce serait se raconter des histoires, quelque chose comme rêver que l’anarchie arrivera demain si nous le désirons avec force. Nous ne disons pas non plus qu’il faut y rester jusqu’à la fin parce qu’il faut y rester. Il est clair pour nous que si nous ne faisons pas bien les choses, il faudra bien partir un jour ou, ce qui plus probable, qu’on finisse par nous mettre dehors. Mais il nous semble évident qu’on n’en est pas encore là, qu’il reste encore des moments où l’on peut participer à cet événement en y apportant des choses, surtout en vue de la convocation d’assemblées populaires dans les quartiers.
Nous ne sommes donc pas des naïfs auxquels le 15-M aurait troublé la vue ou qui auraient fermé leurs petites boutiques « pour cause de révolution », mais nous sommes tout simplement des anarchistes qui se sont trouvés face à une occasion claire, la première depuis longtemps, d’être partie prenante d’un mouvement réel d’une ampleur considérable.
À notre avis, ce qui est en jeu dans le mouvement du 15-M, c’est d’arriver à faire qu’il soit un point de départ capable d’activer la lutte quotidienne pour des choses concrètes et de base, une lutte menée de façon horizontale, basée sur l’assembléisme, l’action directe, la participation directe, la solidarité, etc., tout ce qui fait partie des axes de base du mouvement du 15-M. Pour que les assemblées ne soient que des lieux d’où l’on exige (de qui ?, comment ?) des lois, des reformes et des référendums (lesquels ?), mais des espaces ouverts où les gens débattent sur les propres problèmes, cherchent des solutions et décident sur comment les mener à bien par eux-mêmes. Pour qu’elles deviennent des points de rencontre, de communication et de participation véritables ; des petits (ou grands) noyaux solidaires de résistance.
Il est clair qu’une partie importante de ce processus consiste à savoir quels problèmes et quelles solutions on va y traiter, quel contenu, pour ainsi dire, va s’exprimer au sein des ces assemblées. Voilà une autre tache que nous pourrions nous donner : essayer de faire que les sujets à traiter dans les assemblées soient des questions de classe, de lutte contre le sexisme, etc. qu’on y approfondisse, à partir de la pratique, sur la critique de l’Etat, du capital et du travail salarié.
Autrement dit, nous proposons qu’on participe pratiquement et concrètement dans une perspective et un fonctionnement antiautoritaires, sur des questions fondamentales de classe et sur d’autres oppressions aussi importantes tel que le patriarcat, le racisme, etc.
Pour compléter cette contribution pratique, nous devons apporter notre point de vue et notre discours, et, encore une fois, sans tomber dans des maximalismes du genre « Révolution maintenant ! ».
Tel que nous le voyons, le fait d’essayer que les gens fassent que notre discours soit le leur n’est pas, ça ne doit pas être, d'aller rabâcher nos mots d’ordre et nos principes anarchistes de toujours. Ces mots d’ordre seraient, à notre avis, hors de propos. Et non pas parce qu’ils n’auraient aucun sens ou qu’ils ne seraient pas vrais, mais parce qu’ils ne sont pas dans le coup de ce qui se passe, ils sont hors contexte. C’est comme si on était en train de parler avec un copain de football et un autre se pointe et commence à te raconter un film iranien. Est-ce que cela signifie que nous devrions abandonner l’anarchisme et passer du coté de la démocratie ? Évidemment pas. Devrions-nous nous cacher ? Non. Devrions-nous exhiber face au monde notre condition d’anarchistes ? Pour nous, cela n’a aucun sens si ça ne va pas plus loin que se « déclarer anarchiste ». Se dire soi-même anarchiste ne veut rien dire en soi, ni bon ni mauvais. Â notre avis, il ne s’agit pas de nous cacher ni de nous exhiber, mais de pratiquer l’anarchisme dans un contexte donné. Un exemple : entre tous les slogans que quelques-uns d’entre-nous et d’autres copains avons chanté les premiers jours à la Puerta del Sol il n’y a eu que deux qui se sont un peu rependus au-delà de notre cercle : « le peuple uni fonctionne sans partis » et « A…anti…anticapitalistes ». Pourquoi ? Non pas parce que ces slogans seraient particulièrement extraordinaires, ils ne le sont pas, non pas parce qu’ils seraient ingénieux non plus, mais nous pensons que c’est parce que, à ce moment-là et en ce lieu, c’étaient des slogans qui pouvaient être pris en charge par une partie au moins des gens présents. Que cela nous plaise ou non, les gens n’étaient pas là contre la police nationale, ou parce qu’ils voulaient démolir l’État.... Le travail est bien plus de fond... Si nous nous limitons à chanter ou à proposer dans les assemblées des mots d’ordre hors du contexte, ce que nous faisons c’est de la propagande pure et dure, dans le plus mauvais sens du terme, et non pas de la participation.
Parce qu’il arrive souvent que l’inertie nous gagne, comme aux autres sans doute, au lieu de réfléchir à ce qu’on peut et ce qu’on veut dire, on finit par aller au plus facile, du genre « la lutte est le seul chemin », ou « du nord au sud, d’est en ouest », « mort à l’État » et ainsi de suite. Voilà un discours, à notre avis, hors sujet et par conséquent, inefficace. La même chose à peu près est arrivée au sein du Bloc Libertaire lors de la manif du 15 mai. Après une première phase avec des slogans (meilleurs ou moins bons, plus ou moins utiles, ce n’est pas important) mais sur le sujet en question (démocratie, capitalisme, crise) on est passé à une mixture typique du ghetto11 (des prisonniers jusqu’à Patricia Heras en passant par les « police assassin ! »), en glissant vers « l’autoréférentiel », vers l’attitude de faire bloc... Malheureusement, personne ne savait dans les parages qui était Patricia Heras, excepté quelques uns d’entre-nous, quel sens ça avait de crier son nom sans un tract qui l’explique ?, la seule chose que nous avons réussie à faire, c’est de dérouter les gens, qui nous regardaient comme si on venait d’une autre planète... Toute chose a son moment et son lieu, et si nous ne savons pas adapter notre discours à ce moment et ce lieu, ça ira mal pour nous. Adapter le discours, ce n’est pas le rabaisser, c’est ajuster le message au contexte, adapter le code au récepteur, c’est donner notre avis sur ce dont les gens parlent, et non pas sur ce que nous pensons qu’ils devraient parler.... Et donner cet avis dans leur « idiome » et non pas dans notre « dialecte », plein de langue de bois et de formules, qui sont pratiques pour parler entre nous, mais qui créent des barrières et des confusions chez qui ne les utilise pas.
Cette proposition de participer à partir de la pratique et à partir du concret a plusieurs objectifs. Celui, évidemment, d’améliorer nos conditions de survie dans le capitalisme. Sans doute certains taxeront cela de réformisme, mais pour nous, c’est simplement une nécessité. Un autre objectif pendant tout le processus est celui d’être capables de montrer et de démonter toutes les contradictions et les misères du capitalisme, de la démocratie, des syndicats, etc. Non pas par le biais des discours préfabriqués, mais par le débat et la réflexion sur tout ce qu’on trouvera sur notre chemin, quelque chose de bien plus complexe et difficile que de simplement éditer des bouquins écrits à d’autres moments et dans d’autres lieux. Chercher aussi à créer et à rependre au sein de la population une culture de la lutte, un sentiment collectif du fait que les objectifs s’atteignent en luttant avec d’autres comme nous, en réglant les problèmes par les personnes mêmes qui les subissent, sur la base de la solidarité et du soutien mutuel, sans les laisser entre les mains des professionnels de la médiation ou de la représentation. Un sentiment de « aujourd’hui c'est pour toi, demain c'est pour moi » doit rentrer profondément dans la population et remplacer ceux du « chacun pour soi » ou du « encore heureux que j’ai pu l’éviter ! » qui sont en train de démolir notre société.
Enfin, s’il y a quelque chose qui a été clair pour nous pendant cette semaine c’est que, s’il est vrai que les anarchistes ont beaucoup de choses à apporter, nous avons aussi beaucoup, énormément de choses à apprendre, autant des gens que nous trouverons sur notre chemin que des situations que nous devrons affronter. Participer aux assemblées est l’occasion parfaite pour mous clarifier nous-mêmes, nos positions et la manière avec laquelle nous les ferons passer à nos égaux. Ceci est on ne peut plus normal. La meilleur façon de nous rendre compte de nos failles et de nos incohérences (et on en a sûrement à la pelle), c’est d’essayer d’expliquer et de partager nos positions avec ceux qui ne les connaissent pas.
Nous pensons sincèrement que c’est là une bonne façon de nous tirer du piège d’une intervention à partir de l’idéologie, qui cherche à faire adopter des principes ou des objectifs à long terme spécifiquement anarchistes, une chose qui, comme on l’a déjà répété maintes fois, ne peut pas être à l’ordre du jour, du jour au lendemain. Nous pensons aussi que ce serait là une manière d’esquiver les luttes de pouvoir qu’il va y avoir dans les assemblées, quand il s’agira des questions de « haut vol » (les lois… etc.) sans pour autant cesser de participer à un mouvement qui a encore de l’avenir devant lui. S'installer dans une guerre d’usure pour que de telles propositions ne se fassent pas jour ou nous affronter ouvertement et sans répit à tous les gauchistes, les citoyennistes et des gens en général qui ne veulent qu’un ou deux changements, ne nous servira à rien du tout. Nous devons être conscients, à tout instant, du moment où on en est et jusqu’où peut-on aller. Si nous ne faisons pas cet exercice d’analyse et de réflexion, on va sentir passer les coups multiples et variés et on va ressentir une frustration considérable.
Bien évidemment, en participant au mouvement du 15-M, il y a toujours le risque pour nous de finir par faire le boulot et le sale travail de la gauche et de l’idéologie citoyenne. Nous pensons qu’à l’heure actuelle, étant donné notre faible capacité d’appel et de soutien, ce risque sera toujours là, dans n’importe laquelle des mobilisations réelle qu’on rejoindra (grèves et autres conflits). C’est un risque qu’on ne peut pas prévoir et c’est sans doute quelque chose d’inévitable jusqu’un certain point, mais ce qu’on doit faire, c’est être toujours attentifs, ne pas se laisser emporter par les émotions et essayer d’évaluer à quel moment notre participation commence à ne devenir qu’une main d’œuvre pour d’autres, et, à ce moment-là, il faut plier bagage.
Pour en finir avec cette partie, nous considérons qu’il est nécessaire de concrétiser quelques lignes sur les actions, quelques exemples de ce que nous avons dans nos têtes. Ce ne sont pas les seules, ni les meilleures, elles sont même un peu vagues ; ce ne sont que quelques exemples d’idées qui nous trottent dans la tête ou que nous avons entendues ces jours-ci dans les assemblées. Nous devrions entre tous les compléter, les éclaircir, les critiquer, etc...
Ces sujets et ces propositions ne peuvent qu’être limitées, parce qu’il faut aller vite et à cause de notre manque d’expérience dans ce genre de mouvements. Il faut les améliorer, les clarifier et les partager. Et, surtout, il faut les construire en commun avec les gens qui viennent aux assemblées, dans un processus qui changera aussi bien ces propositions que ceux qui les assument et les mettent en pratique. Ceci dit, nous ne pensons pas que c'est parce qu’on se pointe avec quatre propositions concrètes au lieu du couplet anarchiste de toujours, que les gens vont les accepter comme par enchantement. Non, nous ne proposons pas des incantations. Il doit être clair pour nous que, tout en étant capables d’entamer ce processus, ce sera un chemin long et difficile. Nous pensons qu’avec le temps, on apprendra et on s’éclaircira de plus en plus. D’une certains manière, les anarchistes devront prendre ces assemblées du 15-M comme un laboratoire où l’on expérimente, où l’on propose, où l’on se trompe, où l’on réapprend et l’on recommence.
Une grande partie de ce texte a été rédigé avec l’idée de le réaliser avant l’installation des assemblées populaires dans les quartiers appelées pour le 28 mai. C’est la raison de son urgence, de sa précipitation et d’une bonne partie des erreurs qu’il peut contenir.
L’extension vers les quartiers est une extension logique parce que l’acampada à Sol devient insoutenable à long terme et parce que, de par ses caractéristiques, elle ne permet pas une large participation, comme nous l’avons déjà dit.
En parlant avec pas mal de compagnons, nous avons pu vérifier que certains ont mis leurs espoirs sur les assemblées de quartier. L’idée est : « il n’y a plus rien à faire à Sol, allons dans les quartiers ». Ne nous trompons pas : si le mouvement du 15-M continue à avoir son pouvoir d’attraction, les quartiers vont devenir des petites « Puertas de Sol », avec leurs bons et leur mauvais cotés, y compris avec les militants des partis qui vont à la pêche, les citoyennistes, etc. En fait, dans certains quartiers et banlieues du sud de Madrid, la proportion des militants des partis politiques peut même augmenter par rapport à ce qu’on a vu à Sol. Il se peut que le terrain soit plus petit et moins pesant, mais l’hétérogénéité, les problèmes, les contradictions et les conflits seront les mêmes, si ce n’est pas plus grands.
Nous pensons que les militants gauchistes, mais aussi tous les gens « normaux » [en espagnol « courants », ce qui n’est pas un terme péjoratif : « de la rue », « sans militantisme particulier ». NdT], qui sont favorables aux quatre reformes de base, vont essayer de transformer les assemblées populaires en plateforme pour faire la promotion des mots d’ordre et des revendications pour lesquelles ils se sont bagarrés à Sol. Ils vont se mettre à ramasser des signatures, à faire de la propagande lors des mobilisations et comptabiliser les soutiens dans les quartiers (associations d’habitants, de commerçants…) dans une stratégie à moyen terme pour pousser aux changements légaux. Et pas beaucoup plus. Les citoyennistes essayeront sans doute d’entraîner les gens vers les problèmes spécifiques des quartiers, en établissant des liens avec les associations d’habitants, en mettant en avant leurs locaux, leurs centres sociaux et leurs bureaux des droits sociaux là où ils en possèdent, etc.
Nous avons déjà dit précédemment qu’il peut être intéressant de participer à ces assemblées. Mais nous voudrions ajouter que certains sujets ou propositions peuvent avoir plus de profondeur dans un quartier ou dans une banlieue que dans d’autres, (par exemple, dans certaines zones, les coups de filet contre les immigrants sont plus fréquents que dans d’autres, à certains endroits la santé est dans une plus mauvaise situation encore que dans d’autres, etc.) Il faudra voir ce qui est plus urgent et plus important dans chaque cas, les formules magiques n’existent pas.
Ce texte commence à être long et nous voudrions le conclure avec quelques réflexions –on va essayer d’être brefs- sur quelques aspects tactiques sur tout ce qu’on a pu voir et qu’on continuera à voir ces jours-ci.
Comme nous l’avons dit plus haut, le rejet de la violence est un point fondamental sur lequel repose le mouvement du 15M. Les initiateurs (Democracia Real Ya) se sont chargés de le mettre en avant de la manière la plus répugnante qui soit : en se démarquant des incidents d’après manif et en montrant du doigt ceux qui s'en prenaient aux flics. Ce n’est vraiment pas étonnant, étant donné le bombardement médiatique qu’on a subi sur ce sujet dans les dernières années. La police, les journaux comme La Razón [droite] ou Público [gauche] n’ont pas hésité à donner l’alerte sur le « danger des 400 antisystème » qui essayaient de contrôler et/ou de faire exploser le mouvement. Une semaine après, rien de tout cela. Il semble que la grande majorité des anarchistes a assumé (avec plus ou moins de difficultés) qu’il ne se passe rien de particulier quand quelqu’un se déclare non violent. La violence ou l’autodéfense sont des questions qui seront toujours là mais qui sont totalement secondaires. Si nous cessons de considérer ces questions comme des choses qui peuvent être utiles ou inutiles, qui peuvent être bénéfiques ou nuisibles selon les circonstances et si, au contraire, nous les déclarons comme quelque chose à laquelle on ne peut pas renoncer, ou si on se met à trépigner parce que le 15-M chante des louanges à la non-violence, nous serions dans le déboussolement le plus total. Aujourd’hui, c’est le tour de la non-violence, demain ce sera autre chose.
Assembléisme :
On entend souvent une critique selon laquelle les assemblées ne sont pas de véritables assemblées, qu’il n’y a pas de véritable horizontalité, que certains essayent de les manipuler, etc. Voilà qui est des plus normal, parce que justement ce sont des vraies assemblées, avec des gens de la rue, au milieu d’une bagarre entre différents secteurs pour le « contrôle » (consciemment ou pas) de la situation. L’horizontalité, l’égalité, l’efficacité des assemblées, la communication des assemblées… ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel tout rôti dans le bec parce que des gens se réunissent sur une place et parlent entre eux. Absolument pas. Pour construire une assemblée, il faut se bagarrer contre les manipulateurs, les politiciens et ceux qui l’intoxiquent ; et face à des années de démobilisation, de grégarisme et de mentalité quotidienne de délégation de pouvoir. Si ceci n’est pas clair pour nous, nous nous trouverons entre les mains de ceux qui viennent aux assemblées pour qu’elles deviennent des courroies de transmission qui se limitent à approuver leurs propositions cuisinées chez eux.
Participer dans des assemblées où des gens sont disposés à tout faire (manipuler, mentir et, la plupart du temps, ne pas se faire remarquer) pour que leurs idées s’imposent, c’est quelque chose de très compliqué et frustrant. N’importe qui, ayant été contraint d’avaler ces couleuvres, sait que c’est une sacrée merde. D’abord à cause de tout ce qu’il doit ravaler, ensuite parce que beaucoup de gens n’arrivent pas à le voir, de sorte que si on accuse quelqu’un, c’est soi-même qui finit par être suspecté, on finit par confondre les simples erreurs ou étourderies avec les tentatives de manipulation (autrement dit, on frise la paranoïa) et, enfin, parce que, sans s’en rendre compte, on finit par être obligé de faire de trucs qui ressemblent à ceux des autres. Ces jours-ci, nous avons entendu des trucs comme « prendre la tête des commissions », « prendre les postes de pouvoir dans les assemblées », « se disperser dans les assemblées », « faire semblant de ne pas se connaître » et quelques autres gracieusetés de ce genre, de la part des compagnons sur qui on n’a pas le moindre doute ou suspicion, et qu’on ne va pas juger ici, évidemment. Ces situations sont ainsi, la frustration, la rogne contre les manipulateurs, le fait de se retrouver le dos au mur, nous font dire et faire des choses de ce genre. Contre cela, il n’y a pas d’autre solution que d’être constamment sur ses gardes, de faire l’autocritique, savoir critiquer et encaisser les critiques, en évitant les accusations hystériques ou le victimisations stupides. Il faut assumer le fait qu’à un moment ou à un autre, on devra se salir les mains, qu’on le veuille ou non. Cela arrive dans les meilleures familles (comme on dit en espagnol).
En lien avec ce qui précède, il faut être conscients du fait que participer au mouvement du 15-M veut dire entrer en territoire inconnu pour la plupart d’entre nous. Il faut assumer les multiples gaffes qu’on va faire. Les anarchistes ne sont pas et ne veulent pas être des gens parfaits, on a tous le droit de se tromper. Se refuser à agir par la peur de devenir un réformiste ou, pire encore, par peur qu’un imbécile quelconque nous taxe de réformiste ou encore d’avant-gardiste, est aussi absurde que de renoncer à penser par peur de se tromper.
Ces deux mots ensembles pourraient paraître une contradiction, mais ce n’est pas du tout le cas. Certains courants marxistes ont la prétention de se considérer l’avant-garde, même si personne ne les suit. Nous, les anarchistes, refusons de devenir une avant-garde, ce qui n’empêche que si on n'y prend pas garde, on finira par tomber dans l’avant-gardisme. S’il s’agit d’aller plus vite que les événements, on court le risque de s’en détacher de plus en plus jusqu’à ce qu’on reste seuls, loin du réel et de tout ce qui se passe. Ça ne nous assure même pas d’être « devant » les autres, parce qu’on aurait pu emprunter un chemin erroné. Nous, les anarchistes, ne voulons pas dire à quiconque ce qu’il doit ou ne doit pas faire sur la base d’on ne sait quel livre sacré ou tiré d’un bréviaire des saints révolutionnaires, mais cela ne nous empêche pas de finir par nous croire parfois meilleurs que les autres, en pensant qu’ils « devraient suivre notre exemple », surtout quand on participe dans des conflits comme celui qui est pleinement actuel.
Pour que notre participation soit efficace, pour qu’on puisse construire collectivement quelque chose qui vaille la peine, il faut qu’on laisse de coté tous ces symboles, ces codes à nous, ces mots fétiches et d’autres trucs du merchandising typique de notre mouvement-ghetto. Pareil avec la question du discours dont nous parlions plus haut. Cela ne veut pas du tout dire édulcorer son discours ou tromper les gens, cela signifie abandonner les mots et les concepts parfois incantatoires qu’on utilise. Des concepts comme « abstention active », « action directe », « soutien mutuel », « révolution », etc. qui ne peuvent pas être compris d’emblée par des gens qui ne sont pas familiers de ces idées. Il ne sert à rien de rester bloqués là-dessus. Il est plus utile d’essayer de s'expliquer dans un langage simple, sans jouer à l’intellectuel en utilisant des termes abstraits anarchistes. Et c’est la même chose en ce qui concerne l’esthétique de la propagande, qui est souvent aussi uniforme que lointaine pour la majorité des gens. Un exemple clair nous a été donné avec le problème qu’on a eu avec les A encerclés au campement de Sol. Étant donné qu’aucun symbole ou drapeau politique n’est permis, beaucoup de gens étaient d’avis, avec raison ou pas, que les A encerclés ne devraient pas être là. Étant bien entendu que ces A encerclés ne sont pas des symboles politiques mais tout le contraire, certains l’ont très mal pris. D’autres, montrant qu’il arrive très souvent que l’horizontalité et le consensus ne sont respectés que quand ça les intéresse, ont continué à les utiliser sur des pancartes et des affiches. Quoi qu’il en soit, il faudra réfléchir si ce n’est pas de notre faute de ne pas avoir su pendant toutes ces années faire comprendre que nous n'avons pas la même camelote que les autres à refiler, même s'il faut dire à notre décharge que la décision d’interdire aussi les A encerclés parait avoir été discutée 12. Mais ce qui est important ce n’est pas l’histoire des A encerclés, mais les messages que nous voulons faire passer ; donc, s’il faut enlever ces A, on les enlève, ce n’est vraiment pas si grave. En fin de compte, comme le disait un compagnon l’autre jour, nous n’avons rien à vendre (ce qui est vrai quand, dans la pratique, nous avons ce comportement, ce qui n’est pas le cas parfois). Bien pire que l’affaire des A encerclés qui, même si elle nous a fait du tort, est jusqu’à un certain point compréhensible, est celle du féminisme, qui se heurte à une certaine opposition aussi bien dans les campements que sur Twitter, avec des gestes moches et des commentaires hors de propos.
On va enfin terminer en livrant une dernière réflexion. Le mouvement du 15-M a eu un début et il aura une fin. Pour être réalistes et en sachant qu’on n’est vraiment pas nombreux, nous les anarchistes, et qu’on n’a pas une grande expérience, il est peu probable que notre participation dans ce mouvement soit une composante qui puisse être déterminante dans son développement ou sa fin. Malgré tout, nous pensons qu’on a de la marge et la capacité pour y participer en faisant des apports pour qui ne se limite pas à un mouvement de reforme citoyenne ou au bricolage d'un minable cabanon d’un parti dérisoire. Cette proposition va dans ce sens, celle d’essayer d’aller plus loin. Nous n’avons pas de grands espoirs sur la possibilité que le mouvement du 15-M change radicalement la nature de la société actuelle ; il ne le pourrait pas même s’il le voulait et tout nous fait penser qu’il ne le veut pas. Même s’il arrivait à atteindre ses objectifs, tout se concrétiserait dans une reforme du système démocratique ou, peut-être même, d’un renforcement temporaire de l’Etat-providence. Mais tout cela ne peut constituer des excuses pour rester à la maison. Nous pensons qu’il faut être là et y participer, parce que si nous faisons les choses ne serait-ce qu’un peu plus correctement, cela peut être bénéfique pour l’anticapitalisme et l’anarchisme à moyen et à long terme.
En premier lieu, nous pensons que le système démocratique et le capital sont ce qu’ils sont et que tous les partis sont, dans le fond, à mettre dans le même sac. Si le mouvement du 15-M prospère et réussit à faire réformer le système démocratique, en en finissant avec le « bipartisme » et la « partitocratie », le temps passant, les partis minoritaires finiront aussi par apparaître pour ce qu’ils sont, parce que le système démocratique et le capital sont ainsi faits.
En deuxième lieu, il y a une chose positive dans tout cela, quoi qu’il arrive. Il y a un mois, le sentiment général était « ce monde, c’est de la merde, mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? ». Aujourd’hui, il y a une foule de gens qui pense qu’on peut changer la loi électorale, qu’il est légitime de sauter par-dessus de ce que dit la Commission Electorale, quand ce qu’elle dit est injuste, etc. Il faut bien commencer par quelque chose. Si le mouvement du 15-M continue et si on arrivait à obtenir des choses par le biais des mobilisations et des assemblées (et celles-ci fonctionnent plus ou moins bien, mais elles fonctionnent, indépendamment du résultat) voilà qui est un filon à exploiter. Dans ce pays, on n’a rien gagné du tout depuis des lustres : rien contre l’entrée dans l’OTAN, rien concernant la catastrophe du Prestige, rien sur la guerre en Irak, rien à partir des luttes à l’Université, ... En fait, le seul changement que beaucoup de gens avaient assumé comme le leur, fut au moment où le PSOE (gauche) gagna sur le PP (droite) à la suite des attentats du 11 mars [2004], et cela s’est fait en votant !, ce qui n’a fait, en plus, que renforcer les illusions démocratiques.
En troisième lieu, le mouvement du 15-M a réussi à faire sortir les gens dans la rue pour y parler collectivement et publiquement de politique, de quelques uns des problèmes sociaux et politiques qui les entourent. Il y a longtemps qu’on ne n'avait pas vu quelque chose de semblable. La plupart des conversations se sont faites autour des questions des réformes, de changements minimaux mais, comme on le disait tout à l’heure, il faut bien commencer par quelque chose. D’une certaine manière, on a ouvert une brèche au milieu du « ne te mêle pas de politique ! », du « désenchantement » ou du « on ne peut rien faire », autrement dit au milieu des trois petits « cadeaux » que le franquisme, la transition et la démocratie nous avaient légués. Ce qui n’est pas acceptable, c’est que lorsque les gens restent chez eux, on les critique parce qu’ils ne sortent pas dans la rue et, lorsqu’ils sortent dans la rue, on les critique parce que ce qu’ils demandent n’est pas la révolution sociale. Cela n’a aucun sens.
Si on arrive à obtenir certaines choses par la lutte dans la rue, à avoir gain de cause sur certaines revendications, nous pensons que, une fois tout cela terminé, ce sera sans doute plus facile de convaincre les gens du fait qu’une assemblée sur le lieu de travail peut fonctionner, que sortir dans la rue pour manifester peut servir à quelque chose, qu’on peut sortir gagnant d’une grève ou défaire un plan d’urbanisme : grâce à la solidarité, l’action directe, etc. Bien évidemment, si ce qu’on arrive à obtenir n’est le résultat que des manœuvrés politiques, des votes, des référendums, etc. (quelque chose de peu probable s’il n’y a pas une pression considérable dans la rue), la seule chose qui va sortir renforcée c’est le système démocratique. Voilà la question, voilà où les anarchistes devront être présents.
Nous verrons comment tout cela va se terminer, mais le mouvement anarchiste en sortira renforcé si ses pratiques, sa manière d’affronter la réalité et quelques uns de leurs points de vue s’étendent et s’enracinent dans les idées collectives. Le mouvement anarchiste sera aussi d’autant plus fort si notre participation dans le mouvement du 15-M se concrétise, après la critique, l’autocritique et l’analyse publique, à travers de nouvelles expériences collectives. Il est peu probable que, grâce au 15-M, on atteigne nos objectifs au niveau social à long terme et significativement, au-delà du fait que nous puissions convaincre certaines personnes. Cette lutte pour nos objectifs emprunte d’autres chemins, ceux du travail constant pour ouvrir des locaux, pour éditer du matériel, faire des analyses, organiser des journées, des réunions de discussions, etc. toutes choses qu’en aucun cas nous ne devrions abandonner pour être présents uniquement dans le mouvement du 15-M.
Quelques anarchistes madrilènes
1 En espagnol : https://es.internationalism.org/book/export/html/3110 [37] ou sur https://www.alasbarricadas.org/noticias/?q=node/17755 [38] (NdT) et d’autres sites.
2 Le mouvement des Indignés a pris toute son ampleur en Espagne après la brutale répression du 15 mai ce qui lui a donné son nom le 15-M (NdT).
3 Le mot « compañero » en espagnol est utilisé indistinctement par les anarchistes ou par nous, militants de la Gauche communiste, qui utilisons aussi le terme « camarada ». En espagnol, « compañero » a un sens plus large, étendu aux gens qui luttent à nos cotés, etc… C’est à la fois « camarade », « collègue » et « compagnon ». L’usage d’un terme ou l’autre pourrait paraître quelque chose de secondaire. Mais, malheureusement, pour la traduction en français, il faut choisir, parce qu’on dirait que, derrière les mots, il y a toute un contentieux historique. Ce texte a été rédigé par des anarchistes madrilènes ce qui nous incite à le traduire par « compagnon » qui est le mot utilisé en France par les anarchistes pour parler de leurs « camarades » de combat. Curieusement, ce mot français, camarade, a été emprunté à la langue espagnole. Que ce soit « celui qui partage la chambrée » ou « celui qui partage le pain », nous partageons tous le même combat : celui de combattre le capitalisme et de construire une autre société. [NdT]
4 Nous adoptons ce néologisme en français pour traduire l’idée des « partisans des assemblées souveraines »
5 En espagnol « ciudadanistas » est, nous le pensons, un néologisme pour nommer cette nébuleuse altermondialiste, pro-État dit protecteur et national contre un capitalisme apatride, un État au sein duquel on est citoyen et non pas exploité ou exploiteur, la « démocratie réelle » et autres idéologies citoyennes, ATTAC et autres « résistances » diverses et plutôt avariées. [NdT]
6 Groupes de percussionnistes brésiliens jouant dans la rue. [NdT]
7 Le « botellón » est l’habitude prise par des groupes de jeunes, parfois des centaines, de se saouler à mort avec des mélanges d’alcool, sur les places publiques, surtout le week-end-end. Lors de ce mouvement, une des préoccupations était d’éviter toute confusion à ce sujet. [NdT]
8 Dimanche 22 mai il y a eu des élections locales en Espagne. La loi stipule que le samedi précédant (le 21) c’est le jour de « réflexion » où tout rassemblement est interdit…[NdT]
9 Au moment où l’on corrigeait ce texte, l’acampada de Sol a approuvé les quatre points qui définissent le dénommé #consensodeminimos. Nous n’allons pas analyser ce vote, car nous pensons que cela ne change en rien ce qui est dit dans ce texte-ci : nous nous attendions à ce que quelque chose de ce genre arrive tôt ou tard.
10 https://es.wikipedia.org/wiki/Iniciativa_popular [39]
11 Les auteurs de ce texte font sans doute référence, dans une autocritique implicite, à leur « monde », un peu refermé sur lui-même.[NdT]
12 Il nous est difficile de comprendre ce paragraphe. La traduction peut s’en ressentir. (NdT)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, sur la situation sociale qui prévaut dans ce pays depuis les grandes manifestations du 19 juin.
Ce jour-là, ces manifestations ont été massives et leur contenu a été bien plus social et de classe que précédemment. Il est possible que le mouvement devienne moins visible, mais les leçons tirées et, autour de celles-ci, l’action des minorités plus conscientes et actives doivent servir à préparer des nouvelles luttes, tout simplement parce que le capitalisme en crise ne nous octroiera pas la moindre trêve, mais nous livrera toujours plus d’attaques et de plus en plus dures !
Le dimanche 19 juin a connu des manifestations massives dans plus de 60 villes d'Espagne. Quelques chiffres : 140 000 personnes à Madrid, 100 000 à Barcelone, 60 000 à Valence, 25 000 à Séville, 8 000 à Vigo, 20 000 à Bilbao, 20 000 à Saragosse, 10 000 à Alicante, 15 000 à Malaga...
Si la massivité impressionne, le contenu est encore plus significatif. Durant les deux dernières semaines, il y avait eu une pression des politiques et des médias pour demander au mouvement de faire « des propositions concrètes », et DRY[1], dans ce concert de pressions, de l'intérieur du mouvement, essayait d'entraîner le mouvement vers le piège des réformes démocratiques[2]. Mais ce dimanche, le poids qu'avaient pu avoir ces mystifications était moindre. Si les organisateurs eux-mêmes avaient ressenti le besoin de donner un caractère social à la manifestation, les manifestants, d'eux-mêmes, se sont chargés de montrer la tendance profonde : à Bilbao, le slogan le plus scandé était: « Voilà ce qu’est la violence : ne pas pouvoir arriver à la fin du mois ! ». À Valence, la banderole de début de manifestation disait : « Le futur nous appartient ! », à Valladolid « La violence c’est aussi le chômage et les expulsions » ... A Madrid, la manifestation a été impressionnante : elle était convoquée par une Assemblée de quartiers et de banlieues du sud de Madrid, c'est-à-dire par les concentrations ouvrières les plus touchées par le chômage. Le thème de ce rassemblement était : « Marchons ensemble contre la crise et contre le capital ». Les revendications étaient : « Non aux réductions de salaires et des pensions ; pour lutter contre le chômage : la lutte ouvrière, contre l’augmentation des prix, pour l’augmentation des salaires, pour l’augmentation des impôts de ceux qui gagnent le plus, en défense des services publics, contre les privatisations de la santé, de l’éducation ... VIVE L'UNITE DE LA CLASSE OUVRIERE ! »[3]
Un collectif d'Alicante a adopté le même manifeste. A Valence, un « Bloc Autonome et Anticapitaliste » formé de plusieurs collectifs très actifs dans les assemblées a diffusé un manifeste qui dit : « Nous voulons une réponse au chômage. Que les chômeurs, les précaires, ceux qui connaissent le travail au noir, se réunissent en Assemblées, qu'ils décident collectivement de leurs revendications et que celles-ci soient satisfaites. Nous demandons le retrait de la loi de réforme du Code du travail et de celle qui autorise des Plans sociaux sans contrôle et avec une indemnisation de 20 jours. Nous demandons le retrait de la loi sur la réforme des pensions de retraites car, après une vie de privation et de misère, nous ne voulons pas sombrer dans encore plus de misère et d'incertitude. Nous demandons que cessent les expulsions. Le besoin humain d'avoir un logement est supérieur aux lois aveugles du commerce et de la recherche du profit. Nous disons NON aux réductions qui touchent la santé et l'éducation, NON aux licenciements à venir que préparent les gouvernements régionaux et les mairies suite aux dernières élections ».[4]
La marche de Madrid s'était organisée en plusieurs colonnes qui étaient parties de 6 banlieues ou quartiers de la périphérie différents ; au fur et à mesure que ces colonnes avançaient, une foule toujours plus dense les rejoignait. Ces "couleuvres" reprenaient la tradition ouvrière des grèves de 1972-76 (mais aussi la tradition de 68 en France) où on avait vu qu'à partir d'une concentration ouvrière ou d'une usine "phare", comme à l'époque la Standard de Madrid, les manifestants voyaient des masses croissantes d'ouvriers, d’habitants, de chômeurs, de jeunes les rejoindre, et toute cette masse convergeant vers le centre de la ville. Cette tradition était réapparue dans les luttes de Vigo de 2006 et 2009[5].
A Madrid, le manifeste lu pendant le rassemblement, appelait à tenir des « Assemblées afin de préparer une grève générale », ce qui fut accueilli par des cris massifs de « Vive la classe ouvrière ! ».
Dans notre prise de position « De la place Tahrir du Caire à la Puerta del Sol de Madrid »[6], nous disions : « Même si, pour se donner un symbole, ce mouvement s’appelle « du 15-M » (pour « du 15 mai »), cet appel ne l’a pas créé, mais lui a prêté tout simplement une couverture. Mais cette couverture est devenue carrément une cuirasse qui l’emprisonne en lui donnant un objectif aussi utopique que mystificateur : la "régénération démocratique" de l’Etat espagnol ». Il y a des secteurs significatifs qui essayent de briser cette cuirasse, et ces manifestations du 19 juin vont dans cette direction. Nous entrons dans une étape nouvelle ; nous ne savons pas concrètement comment cela va se réaliser ni quand ; mais cette nouvelle étape, très probablement, s'orientera dans le sens de développer des Assemblées et des luttes ouvrières sur un terrain de classe, contre les diminutions de toutes les prestations sociales, l'unité de tous les exploités rompant avec les barrières corporatistes, d'usine, de race, d'origine, de situation sociale etc. Une telle orientation ne peut vraiment atteindre sa pleine signification que dans une perspective internationale de lutte contre le capitalisme.
Il est vrai que concrétiser cette orientation ne va pas être facile. D'abord à cause des illusions et des confusions sur la démocratie, les illusions sur les possibilités de réformes qui pèsent sur beaucoup de secteurs ; illusions sur lesquelles jouent la DRY, les politiciens, les médias, qui tous profitent des hésitations présentes, de cet immédiatisme qui pousse à vouloir obtenir des « résultats rapides et palpables », de la peur face à l’énormité de la tâche qu’on a devant nous, pour nous enfermer dans le terrain des « réformes », du « citoyennisme », de la « démocratie », en encourageant l’illusion que ce terrain nous permettrait d’obtenir quelques améliorations, une « trêve » face aux attaques sans répit et sans merci qui s'abattent sur la classe ouvrière.
Ensuite, se mobiliser sur les lieux de travail relève de l'acte héroïque aujourd'hui, à cause du risque élevé de perdre son poste de travail, de se retrouver sans ressources ce qui, dans beaucoup de familles, représente la frontière pas seulement entre une vie acceptable et la misère mais entre la misère et la faim. Dans de telles conditions, la lutte ne peut qu'être le fruit, non pas d'une décision individuelle, comme le présentent les syndicats et l'idéologie démocratique, mais le résultat du développement d'une force et d'une conscience collective, aspects qui sont fortement entravés par les syndicats (qui actuellement semblent avoir disparu de la scène des combats, mais qui sont très présents sur les lieux de travail, semant le virus du corporatisme, de la lutte enfermée dans le secteur ou l’entreprise et s’opposant à toute tentative de lutte ouverte).
Malgré ces difficultés, il apparaît probable que l'effort qui mènera à l'éclatement de grèves d’une ampleur plus ou moins grande est d'ores et déjà en cours. Pour aider ce processus à affronter tous les obstacles qui vont jalonner sa route, il nous faut tirer les leçons de ce qui vient de se passer, entre le 15 mai et le 19 juin et dégager quelques perspectives.
Souvenons-nous combien de fois, ces dernières années, nous avons entendu : « Mais comment est-ce possible qu’on ne bouge pas avec tout ce qui nous tombe dessus ? »
Au moment où la crise actuelle a éclaté, nous avons mis en avant le fait que : « dans un premier temps », les combats étaient « désespérés et relativement isolés, même s’ils bénéficient d’une sympathie réelle des autres secteurs de la classe ouvrière. C’est pour cela que si, dans la période qui vient, on n’assiste pas à une réponse d’envergure de la classe ouvrière face aux attaques, il ne faudra pas considérer que celle-ci a renoncé à lutter pour la défense de ses intérêts. C’est dans un second temps, lorsqu’elle sera en mesure de résister aux chantages de la bourgeoisie, lorsque s’imposera l’idée que seule la lutte unie et solidaire peut freiner la brutalité des attaques de la classe régnante, notamment lorsque celle-ci va tenter de faire payer à tous les travailleurs les énormes déficits budgétaires qui s’accumulent à l’heure actuelle avec les plans de sauvetage des banques et de « relance » de l’économie, que des combats ouvriers de grande ampleur pourront se développer beaucoup plus » [7]
Ce « second temps » est en train de mûrir –avec des difficultés bien évidemment- avec des mouvements comme celui qui a eu lieu en France contre la reforme des retraites (octobre 2010), celui des jeunes en Grande-Bretagne contre les brutales augmentations des coûts scolaires et universitaires (décembre 2010), les mobilisations en Tunisie et en Egypte, la mobilisation en Grèce…
Pendant plus d’un mois, des Assemblées et des manifestations massives nous montrent que OUI, « nous pouvons nous unir ! », qu’il ne s’agit pas là d’une utopie, mais, au contraire, à travers les témoignages de participants actifs à ces mouvements, il apparaît qu'il s'agit là d'une source de joie et d'un fort sentiment de dignité. Parlant de la manifestation du 19 juin, un manifestant dit : « L'ambiance était celle d'une fête authentique. On marchait ensemble, des gens très variés et de tous les âges : des jeunes autour de 20 ans, des retraités, des familles avec leurs enfants, d'autres personnes encore différentes... et cela, alors que des gens se mettaient à leur balcon pour nous applaudir. Je suis rentré épuisé à la maison, mais avec un sourire rayonnant. Non seulement j'avais la sensation d'avoir contribué à une cause juste, mais en plus, j’ai passé un moment vraiment extra ».
Avant ce séisme social que nous venons de vivre, on entendait tout le temps le commentaire « les ouvriers ne bougent pas », un sentiment d'impuissance prédominait. Aujourd’hui commence à émerger l'idée que la solidarité, l’union, la construction d’une force collective, peuvent se faire jour. Ce qui ne veut pas dire qu’on sous-estime les graves obstacles que la nature même du capitalisme, basé sur la concurrence à mort et la méfiance des uns vis-à-vis des autres, met en travers de la route dans ce processus d’unification. Ce processus ne pourra se développer que sur la base d’une lutte unitaire et massive de la classe ouvrière, une classe qui, parce qu’elle est la productrice collective et associée des principales richesses, porte en elle la reconstruction de l’être social de l’humanité.
En contraste avec le sentiment amer d’impuissance qui dominait, les expériences vécues ce dernier temps, commencent à faire germer l’idée que « Nous pouvons être forts face au Capital et à son État ». « Après l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes soi-disant « socialistes », les campagnes assourdissantes sur la « fin du communisme », voire sur la « fin de la lutte de classe », ont porté un coup sévère à la conscience au sein de la classe ouvrière de même qu’à sa combativité. Le prolétariat a subi alors un profond recul sur ces deux plans, un recul qui s’est prolongé pendant plus de dix ans (...) [la bourgeoisie] a réussi à créer au sein de la classe ouvrière un fort sentiment d’impuissance du fait de l’incapacité de celle-ci à mener des luttes »[8].
Comme le disait un manifestant à Madrid « C’est vraiment important de voir tous ces gens rassemblés sur une place, parlant politique ou luttant pour leurs droits. N’avez-vous pas la sensation que nous sommes en train de récupérer la rue ? ». Cette récupération de la rue montre comment commence à mûrir un sentiment de force collective. Le chemin est long et difficile, mais on est en train de construire les bases pour que des luttes massives de la classe ouvrière éclatent, des luttes qui lui permettront de développer la confiance en elle-même et de se comprendre comme force sociale capable de faire face à ce système et de construire une nouvelle société.
Le mouvement du 15 mai ne se réduit pas à une explosion d'indignation. Il a surtout essayé de se donner les moyens pour comprendre les causes de la misère et de se donner les moyens de s'organiser pour la lutte. Et ces moyens ce sont les assemblées massives. Une manifestante du 19 juin disait: « le mieux, ce sont les Assemblées, la parole se libère, les gens se comprennent, on pense à haute voix, on peut parvenir à des accords en commun alors que nous sommes des milliers de personnes qui ne se connaissent pas. Ce n'est pas merveilleux çà ? »
La classe ouvrière n’est pas une armée disciplinée avec des membres, peut-être très convaincus mais dont le rôle se réduirait à suivre les ordres d’un état-major, voilà une idée du monde qui doit être jetée dans les poubelles de l’histoire comme une vieillerie ! La classe ouvrière se conçoit comme une masse qui pense, discute, décide, agit et s’organise de manière collective et solidaire, en additionnant le meilleur de chacun dans une formidable synthèse d’action commune. Le moyen et le facteur concrets de cette vision sont les Assemblées, « Tout le pouvoir aux Assemblées ! » voilà ce qui a été repris à Madrid et à Valence. Ce slogan surgi, certes encore minoritairement, lors de ce mouvement, est l’écho lointain du vieux cri de ralliement de la Révolution russe : « Tout le pouvoir aux Conseils ouvriers (Soviets) ! »[9].
D’une façon certes embryonnaire, le mouvement a mis en avant la nécessité d’une lutte internationale. Lors d’une manifestation à Valence on entendait le cri : « Ce mouvement n’a pas de frontières ». Il y a eu des volontés encore timides et confuses qui vont dans ce sens. Dans plusieurs campements, on a organisé des manifestations « pour la Révolution européenne » ; le 15 juin, il y a eu des manifestations de soutien aux luttes en Grèce. Le 19 juin sont apparus, minoritaires, des slogans internationalistes : sur une pancarte on lisait « Joyeuse union mondiale », sur une autre en anglais « World Revolution » (révolution mondiale).
Pendant des années, ce qu’on a appelé la « mondialisation de l’économie » servait à la bourgeoisie de gauche à susciter des réflexes nationalistes, leur discours consistant à revendiquer face aux « marchés apatrides » la « souveraineté nationale », autrement dit, on proposait aux ouvriers d’être encore plus nationalistes que la bourgeoisie elle-même ! Avec le développement de la crise, mais aussi grâce à la popularisation d’Internet, les réseaux sociaux, etc., la jeunesse ouvrière commence à renverser les choses. Il émerge un sentiment selon lequel « face à la globalisation de l’économie, il faut répondre avec la globalisation internationale des luttes », face à une misère mondiale, la seule riposte possible est une lutte mondiale.
Le mouvement a eu une répercussion très étendue. Les mobilisations qui se déroulent depuis 2 semaines en Grèce suivant le même « modèle » de concentrations et d’assemblées massives sur les places principales, se sont inspirées directement et consciemment des événements en Espagne. Selon le site Kaosenlared le 19 juin « des milliers de personnes de tout âge ont manifesté ce dimanche place Syntagma, devant le Parlement grec, quatrième dimanche de suite, en riposte à un appel du mouvement paneuropéen des 'indignés' pour protester contre les mesures d’austérité ».
En France, en Belgique, au Mexique, au Portugal, il y a des assemblées régulières, plus minoritaires, où s’affirment la solidarité avec les indignados et la volonté d’encourager le débat et de construire des ripostes. Au Portugal « Quelques 300 personnes, des jeunes pour la plupart, ont marché dimanche après-midi dans le centre de Lisbonne, appelés par le mouvement ‘Democracia Real Ya’, en se référant aux ‘indignados’ espagnols. Les manifestants portugais ont marché dans le calme derrière une banderole où l’on pouvait lire : « Europe, réveille-toi ! », « Espagne, Grèce, Irlande, Portugal : notre lutte est internationale » ; en France « La police française a arrêté une centaine d’'indignés' au moment où ils voulaient manifester devant la cathédrale Notre-Dame, à Paris. L’après-midi, les manifestants se sont assis devant ce monument pour ainsi continuer une protestation qui avait commencé à midi sur le même chemin que celles d’Espagne » [10]
La crise de la dette souveraine s’accentue jour après jour. Les experts eux-mêmes reconnaissent le fait qu’au lieu de la « reprise économique » qu’on n’arrête pas d’annoncer, l’économie mondiale peut subir une rechute encore plus violente que celle d’octobre 2008. La Grèce montre un abîme insondable : les plans de sauvetage requièrent d’autres plans de sauvetage et, à la fois, l’État se trouve au bord de la cessation de paiements, un phénomène qui n’est en rien « grec », mais qui touche de plein fouet les Etats-Unis, première puissance mondiale.
La crise de la dette montre la crise sans issue du capitalisme : il faut instaurer des plans d’austérité d’une brutalité inouïe, des plans qui signifient des licenciements, des coupes sociales, des réduction des salaires, des augmentations de l’exploitation, des impôts..., des mesures qui ne font qu’entraîner une contraction du marché solvable ; ce qui oblige à établir …de nouveaux plans d’austérité !
Face à une telle spirale, il n’y a pas d’autre chemin possible que la lutte massive. Cette lutte peut et doit mûrir grâce à l’intervention de la large minorité qui, au sein des Assemblées, penchait vers des positions de classe, favorables aux assemblées et contre le capitalisme. Les acampadas sont en train de disparaître, les assemblées centrales n’ont plus lieu, il y a un tissu assez contradictoire d’assemblées de quartier. Mais ces minorités ne doivent pas se disperser, elles doivent se maintenir unies, en se coordonnant au niveau national et, si cela est possible, en développant des contacts internationaux. Les formes sont très variées : des collectifs, des assemblées pour la lutte, des comités d’action, des groupes de débat... Ce qui est important, c’est qu’au sein de ce milieu, le débat et le combat se développent. Un débat sur les nombreuses questions qui se sont posées au cours de ce dernier mois : reforme ou révolution ?, démocratie ou assemblées ?, mouvement citoyen ou mouvement de classe ?, revendications démocratiques ou revendications contre les coupes sociales ?, pacifisme citoyen ou violence de classe ?, apolitisme ou politique de classe ?, etc. Un combat pour impulser les Assemblées, l’auto-organisation, la lutte intransigeante et indépendante. Il faut concrétiser le sentiment de force et la capacité d’union qui ont germé pour riposter aux coupes brutales que les gouvernements régionaux sont en train de concocter dans l'éducation et la santé et les « surprises » que sans aucun doute nous prépare le gouvernement.
« La situation d’aujourd’hui est très différente de celle qui prévalait lors du surgissement historique de la classe à la fin des années 1960. A cette époque, le caractère massif des combats ouvriers, notamment avec l’immense grève de mai 1968 en France et l’automne chaud italien de 1969, avait mis en évidence que la classe ouvrière peut constituer une force de premier plan dans la vie de la société et que l’idée qu’elle pourrait un jour renverser le capitalisme n’appartenait pas au domaine des rêves irréalisables. Cependant, dans la mesure où la crise du capitalisme n’en était qu’à ses tous débuts, la conscience de la nécessité impérieuse de renverser ce système ne disposait pas encore des bases matérielles pour pouvoir s’étendre parmi les ouvriers. On peut résumer cette situation de la façon suivante : à la fin des années 1960, l’idée que la révolution était possible pouvait être relativement répandue mais celle qu’elle était indispensable ne pouvait pas s’imposer. Aujourd’hui, au contraire, l’idée que la révolution soit nécessaire peut trouver un écho non négligeable mais celle qu’elle soit possible est extrêmement peu répandue. »[11]
Dans les assemblées, on a beaucoup parlé de révolution, de comment détruire ce système inhumain. Le mot « révolution » ne fait pas peur. Le chemin est bien long, mais le mouvement qui va du 15 mai au 19 juin a permis de comprendre que lutter c’est possible, que s’organiser pour lutter c’est possible et que tout cela non seulement nous renforce contre le Capital et son État, mais nous donne aussi de la joie, de la vitalité, nous permet de sortir de la sinistre prison qu’est devenue la vie quotidienne sous le capitalisme.
« Une transformation massive des hommes s’avère nécessaire pour la création en masse de cette conscience communiste, comme aussi pour mener à bien la chose elle-même ; or, une telle transformation ne peut s’opérer que par un mouvement pratique, par une révolution ; cette révolution n’est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de renverser porque la classe dominante, elle l’est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l’autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles »[12]
Dans ce sens, le mouvement qu’on vient de vivre a déjà apporté un petit quelque chose à ce changement d’état d’esprit et d’attitude. Ce grand changement de la société et de nous-mêmes, ne pourra se réaliser qu’à l’échelle mondiale. En cherchant la solidarité et l’unité avec l’ensemble du prolétariat international, le prolétariat en Espagne pourra développer de nouvelles luttes et avancer dans cette perspective. Le futur est entre nos mains !
CCI (24 juin)
1. DRY sigles de Democracia Real Ya (Démocratie Réelle Maintenant), association de plus d’une centaine d’organisations où ATTAC a le plus grand poids. Voir https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/... [40]
2. En analysant attentivement les récents événements, nous pouvons nous rendre compte comment une telle réforme est illusoire et mystificatrice. Les listes ouvertes ont été acceptées par l’ultra-droitière Madame Aguirre, baronne de la communauté autonome de Madrid ; le corrompu Camps –roitelet de la communauté de valencienne- a promis de les « étudier ». Une autre revendication, les ILP (Initiatives Législatives Populaires), a été reprise par les syndicats -durement critiqués dans les Assemblées- qui ont présenté un million de signatures pour que le Parlement retire la Loi de Reforme du Code du Travail, avec des possibilités nulles d’obtenir quoi que ce soit, comme les leaders syndicaux le reconnaissaient eux-mêmes. Enfin, la « reforme » de la Loi Electorale prétend favoriser les « petits partis » qui soi-disant représenteraient mieux les électeurs et seraient plus critiques vis-à-vis des pouvoirs économiques et politiques. Ceci a été totalement démenti par le comportement d’Izquierda Unida (IU - coalition de gauche, minoritaire, centrée autour du PC) qui se présentait comme une alternative radicale « plus à gauche » et qui, lors de dernières élections, a fini par aplanir le chemin de la Droite vers le pouvoir dans plus de 30 municipalités et dans la région d’Estrémadure. Et ce n’est pas la première fois : en 1995, Anguita, grand chef d’IU à l'époque, s’est allié avec le PP (droite) pour déloger le PSOE du pouvoir.
3. Voir https://asambleaautonomazonasur.blogspot.com/ [41]
4. Voir https://infopunt-vlc.blogspot.com/2011/06/19-j-bloc-autonom-i-anticapitalista.html [42]
5. Voir « Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : Une avancée dans la lutte prolétarienne », https://fr.internationalism.org/isme/326/vigo [43] et aussi « A Vigo, en Espagne : les méthodes syndicales mènent tout droit à la défaite », https://fr.internationalism.org/icconline/2009/a_vigo_en_espagne_les_methodes_syndicales_menent_tout_droit_a_la_defaite.html [44]
6. https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/de_la_place_tahrir_a_la_puerta_del_sol_de_madrid.html [29]
7. Résolution sur la Situation Internationale, adoptée par le 18ème Congres du CCI, Revue Internationale nº 138, https://fr.internationalism.org/rint138/resolution_sur_la_situation_internationale_18e_congres_du_cci_mai_2009.html [45]
8. Idem.
9. Lire « Solidarité avec les "indignés" en Espagne : l'avenir appartient à la classe ouvrière ! [46]».
10. Eléments repris du site espagnol https://kaosenlared.net/ [47]
11. Idem.
12. Marx et Engels, L’idéologie allemande (1845-46), p. 101, éditions sociales, 1982
Dans le mouvement des "indignés" en Espagne comme en France et dans tous les pays, le collectif Democracia Real Ya (DRY) ! ("Démocratie Réelle Maintenant !"), a exploité le dégoût légitime des jeunes envers les partis politiques bourgeois (et la corruption des politiciens), pour promouvoir une idéologie extrêmement pernicieuse : celle de "l'a-politisme". Ainsi, partout, on a pu entendre les mentors de DRY faire croire aux "indignés" que leur mouvement de protestation contre les effets de la crise du capitalisme (notamment le chômage des jeunes) devait rester un mouvement "apolitique", en dehors et contre tous les partis, associations et syndicats. Partout, les éléments politisés devaient donc respecter la consigne : ne pas prendre la parole au nom de leur groupe politique mais uniquement en tant que simples "citoyens"1. Tous ceux qui font de la politique étaient ainsi suspectés de vouloir diviser ou récupérer le mouvement pour le compte de leur propre "chapelle".
L'hypocrisie sans borne de DRY atteint son comble lorsqu'on sait que derrière cette vitrine prétendue "apolitique" se cachent en réalité non seulement toute la brochette des partis de la gauche du capital (PS, PC, NPA, Front de Gauche, etc…), mais également des partis de droite et d'extrême-droite (puisque leurs militants ont droit de cité dans les assemblées en tant que "citoyens au-dessus de tout soupçon").
C'est en réalité à une union sacrée de toutes les bonnes âmes respectueuses de la "citoyenneté" capitaliste que nous convie la politique démagogique et populiste de DRY. En réalité, ce que visent les leaders de DRY, c'est à attacher les jeunes prolétaires au char de l'ordre capitaliste.
Lorsque DRY appelle à revendiquer une réforme de la loi électorale en Espagne, lorsqu'elle nous demande d'aller voter et de rester ainsi de bons "citoyens", lorsque ses slogans mensongers nous appellent à lutter contre la "dictature des banques" et nous fait croire qu'un capitalisme "propre", "éthique", à "visage humain" est possible, DRY ne fait rien d'autre que de la… "politique" ! Et cette politique réformiste, de gestion de la crise économique, c'est celle des partis de la gauche du capital, avec ses politiciens plus ou moins "propres" et corrompus (comme Strauss-Kahn, Zapatero, Papandréou et consorts).
L'"apolitisme" est une pure mystification et un piège dangereux pour les exploités ! Cette idéologie hypocrite ne vise qu'à les déposséder de leurs propres moyens de lutte afin de les rabattre sur le terrain pourri de la "légalité" de la "démocratie" bourgeoise. Les partis de gauche et les syndicats, après avoir porté tant de coups à notre classe, ont de plus en plus de mal à déverser leurs poisons : les divisions corporatistes ou sectorielles, le noyautage des luttes et des assemblées générales et, surtout, les illusions réformistes et électorales… Les exploités sont animés d'une méfiance grandissante à leurs égards, voire d'un réflexe de rejet ; ils ont appris à détecter la puanteur de leurs poisons. "L'apolitisme" de l'alter-mondialisme a donc pour mission de nous refourguer ce même poison mais en le rendant préalablement inodore ! Il s'agit d'un tour de passe-passe, ni plus ni moins, qui vise au bout du compte à ramener les prolétaires dans le giron des ennemis officiellement rejetés : les partis de gauche et les syndicats !
La classe exploitée ne doit pas oublier que c'est au nom de "l'apolitisme" que le fascisme est arrivé au pouvoir dans les années 1930. C'est sous couvert "d'apolitisme" que les mouvements sociaux ont toujours été récupérés par ceux qui se font les promoteurs patentés de cette idéologie, tels les "altermondialistes" de DRY ou d'ATTAC.
C'est ce que nous avions vu, par exemple en France, dans le mouvement des étudiants contre le CPE au printemps 2006 où de nombreux enfants de la classe ouvrière ont été récupérés, entre autres par le NPA, dans la perspective des élections présidentielles de 2007. Ils ont été dévoyés sur le terrain des isoloirs électoraux derrière un front uni "anti-Sarko".
Pour ne pas se faire "récupérer" et dévorer par des loups déguisés en agneaux, les jeunes générations d'aujourd'hui doivent se souvenir du slogan des étudiants de Mai 68 : "Si tu ne t'intéresses pas à la politique, la politique s'intéressera à toi".
Oui, il faut s'intéresser à la "politique" ! Confronter les idées politiques dans les assemblées générales est le seul moyen de démasquer nos faux amis, de déjouer leurs pièges et de ne pas se laisser confisquer nos luttes par des politicards "spécialistes" de la négociation et de la magouille. C'est dans la confrontation et le débat politique, notamment au sein des assemblées souveraines, que les exploités en lutte peuvent faire la distinction entre les groupes politiques qui défendent vraiment leurs intérêts et ceux qui jouent le rôle de chiens de garde du Capital.
La lutte de la classe exploitée contre la classe exploiteuse est toujours un combat politique. C'est uniquement dans ce combat, à travers le débat le plus large possible que les exploités peuvent construire un rapport de force en leur faveur face à l'ignominie du Capital et de ses politiciens de tous bords. C'est dans ce combat politique, dans la rue et au sein des assemblées massives, qu'ils peuvent retrouver leur identité de classe, développer leur solidarité, leur unité, et retrouver confiance en leur propre force.
La classe exploitée, qu'elle soit salariée ou au chômage, est la seule force politique qui puisse changer le monde, renverser le capitalisme et construire une société véritablement humaine, sans crise, sans guerre, sans exploitation.
Sofiane (29 juin)
1 Voir notre article "Altercation entre Democracia Real et le CCI : Notre indignation face aux méthodes 'démocratiques' de DRY" sur notre site web.
Le mouvement du 15 Mai (15M) initié par Democracia Real Ya (DRY), chapeauté par l'association altermondialiste ATTAC, a fait des petits également en France, et notamment à Paris, avec pour objectif la "prise de la Place de la Bastille". Dans les assemblées à Paris, des militants du CCI sont intervenus pour défendre une position de classe et non pas en tant que simples "citoyens" revendiquant une "démocratie réelle maintenant" dans le cadre de la préservation du système capitaliste.
Nos camarades ont également apporté une table de presse pour diffuser nos publications sur la place publique où se tenaient les assemblées.
Le 29 mai, les organisateurs de DRY sont venus nous trouver pour protester avec les arguments suivants :
ce mouvement est "a-politique" et n'accepte aucun parti, aucun groupe politique et aucun syndicat;
la diffusion de notre presse ne peut que "diviser" le mouvement.
Une petite altercation a alors eu lieu entre les militants du CCI et certains militants de DRY qui nous ont demandé, de façon très virulente, de plier bagage. Voici les arguments que nous avons opposés à cette tentative de nous bâillonner :
Aucun mouvement de protestation sociale n'est "apolitique". L'a-apolitisme de DRY n'est que pure hypocrisie. Nous savons pertinemment que derrière la bannière de DRY, c'est ATTAC et ses épigones qui se cache avec son idéologie altermondialiste.
Nous ne sommes pas un parti politique, et encore moins un parti électoral.
DRY fait exactement la même chose que les staliniens qui nous ont toujours "virés" des lieux publics considérés comme leur chasse gardée, leur "territoire";
A la différence de DRY et de tous les autres groupes, des syndicats et partis politiques bourgeois, présents dans ce mouvement, le CCI ne cache pas son drapeau (même si, dans nos interventions au sein des Assemblées nous ne parlons pas au nom de notre organisation politique).
Même les flics, qui assistaient à cette scène derrière leurs boucliers, semblaient plus "démocratiques" que DRY, puisqu'ils ne nous ont pas demandé, eux, de plier bagage. Quand nous avons souligné l'ironie de cette situation d'une Democracia Real Ya plus coercitive que les forces de répression de l'Etat français, les membres de la DRY ont été particulièrement mal à l'aise.
Nous avons donc refusé de nous laisser prendre en otage par la loi imposée par DRY et sommes restés sur la Place de la Bastille en nous écartant un peu pour laisser la place à l'assemblée.
Le dimanche 12 juin, l'assemblée organisée par DRY s'est tenue boulevard Richard-Lenoir à Paris. Nos militants étaient également présents et ont apporté de nouveau leur table de presse.
Même scénario : des militants de DRY sont venus faire un esclandre pour nous faire dégager avec les mêmes arguments.
Nous leur avons dit que nous revenions de Barcelone et que sur la place de Catalogne, les "indignés" étaient ravis que nous exposions notre presse. La "commission logistique" nous avait prêté deux tréteaux et une planche pour présenter nos publications. Un "indigné" de la "commission art" nous a même prêté un mégaphone pour que nous organisions un débat autour de notre table de presse.
Une militante de DRY, complètement déchaînée, ne nous a pas crus et nous a demandé des "preuves". Nous avons alors sorti notre caméra vidéo pour lui montrer que nous ne bluffions pas. Nous avions filmé la Place de Catalogne à Barcelone (où on y voit très clairement la table de presse du CCI). Mais cette militante de DRY a fait la politique de l'autruche et a refusé de voir notre vidéo. Elle nous a alors demandé si les "indignés" de Barcelone nous ont remis un … "papier" autorisant notre table de presse ! Peut-être que DRY voulait un papier tamponné par la préfecture nous autorisant à diffuser notre presse ?
En réalité, ce que les militants de DRY à Paris ne voulaient surtout pas voir, c'est l'indignation des "indignés" de Barcelone contre les manœuvres de DRY qui, sous couvert d'apolitisme ou d'apartidisme, sabote les débats en cherchant à museler toutes les voix qui n'entonnent pas son credo à la gloire de la citoyenneté de la république bourgeoise. Voilà le vrai visage de la "démocratie réelle" de DRY !
En réalité, " l'extension internationale" du 15M n'est qu'une mascarade derrière laquelle DRY cherche à embrigader les exploités, et les jeunes générations de la classe ouvrière, dans un "front populiste", au coude à coude avec des "citoyens" appartenant aux partis de la gauche et de la droite du Capital (et même de l'extrême-droite, comme nous l'a d'ailleurs dit cette militante très "citoyenne" de DRY).
Contre la dictature de DRY, contre son "front populiste" réactionnaire, les exploités doivent opposer un front de classe !
CCI (14 juin)
Nous publions ci-dessous, comme contribution au débat, un texte rédigé par un jeune étudiant de Barcelone qui nous l'a adressé. Ce texte souligne à juste titre l'hétérogénéité du mouvement des "indignés". Il a surtout le mérite d'être très clair sur les manœuvres de Démocracia Real Ya, une véritable "auberge espagnole" soi disant "apolitique" (dans laquelle se retrouvent rassemblés dans un "front populiste", aussi bien des "citoyens" de droite, d'extrême-droite que de gauche et d'extrême gauche) .
Le Mouvement du 15M, dit Mouvement des Indignés, est né à Madrid le 15 mai 2011et trouve son origine dans la répression et les passages à tabac de la Puerta del Sol, après les affrontements entre la police et le Bloc autonome et libertaire qui suivirent la manifestation de Democracia Real Ya (DRY), dont ce Bloc se distinguait clairement en critiquant son discours insuffisant, réformiste et vide de conscience de classe (1). Le détonateur de ce mouvement qui s’enflamma comme une traînée de poudre dans tout l’Etat a cependant été en réalité son explosion médiatique. DRY ne put que constater la spontanéité des rassemblements et se refusa à en prendre la tête, non sans parvenir à faire reprendre son discours ambigu et citoyen par les porte-paroles présumés du mouvement.
Le manifeste de DRY ne demande pas la disparition du capitalisme, mais seulement l’amélioration des conditions de vie des exploités et plus de « transparence démocratique » (2). Parmi ses idéologues se distingue Enrique Dans, de NoLesVotes (2 3). Enrique Dans a suivi une formation d’entreprise à l’UCLA et à Harvard, il travaille pour de grands groupes financiers qui font partie du réseau oligarque responsable et défenseur de la situation actuelle d’injustice sociale (4).
Parmi les manifestations de soutien reçues parle 15M se distinguent pêle-mêle celles de Ynestrillas, de la Phalange espagnole des JONS, des Communautés chrétiennes populaires ou d’Eduard Punset, solide défenseur du Nouvel ordre mondial qui prit la parole avec les Indignés d’Oviedo et coïncida avec eux sur plusieurs points : listes électorales ouvertes, limitation du mandat présidentiel, réforme de la Loi électorale… (5) (6) (7), qui semblent être le fruit d’une indignation ultralibérale proche des idées anti-étatistes de Ron Paul (qui incarne le néofascisme déguisé en mouvement social). Ces faits permettent deux interprétations.
1) La première est que les rassemblements de Madrid, Barcelone et autres villes se font en marge de DRY et fonctionnent de façon assembléiste et autonome. L’infiltration de groupes d’extrême-droite serait donc une lamentable conséquence de l’hétérogénéité du mouvement qui a écarté tout sectarisme pour avancer dans la voie de la révolution « des gens ordinaires » (8).
2) La future convocation à une manifestation mondiale pour le 15 octobre (9), les rapports entre DRY et l’oligarchie financière, la symbolique anarcho-capitaliste présente dans plusieurs plateformes citoyennes étroitement liées (10), en accord avec le discours globaliste et interclassiste du « Nouvel ordre mondial » expliqueraient l’impact médiatique du mouvement. La dictature médiatique de l’État espagnol est bien connue ; seul un groupe puissant, avec une forte influence, riche, et ayant un intérêt à la chose est capable de faire changer le regard des medias sur la lutte sociale, tout comme d’empêcher la répression et la violence policière qui se sont déchainées en d’autres occasions lors d’actions populaires contre le système (lutte contre le TAV à Euskal Herria, manifestations étudiantes contre le Plan Bologne, grève générale du 29 Septembre, etc.).
La complicité de la dictature médiatique, tout comme les mots d’ordre « nous sommes apolitiques », « nous ne sommes ni de droite ni de gauche » et autres « nous n’avons pas d’idéologie » nous font suspecter que le 15M n’est qu’un projet de dissidence contrôlée fabriqué par le système capitaliste lui-même, afin de servir de soupape au mal-être social et le canaliser vers des positions acceptables pour le Pouvoir. L’élément le plus important dans ce sens est le pacifisme irrépressible qui s’impose, ajouté au rejet de toute collaboration avec les partis et syndicats minoritaires de la gauche radicale qui ont toujours eu un poids plus ou moins important dans la lutte de classe.
Il n’est cependant pas évident de contrôler un mouvement de masses. Dans certaines assemblées, l’existence d’un groupe de personnes qui monopolise les tours de parole est évidente, elle influe sur les commissions populaires et manipule les votes en cachant les résolutions derrière des termes abstraits et interprétables ou en limitant les options. A la Plaça de Catalunya (Barcelone), par exemple, nombreux sont les accords obtenus à partir de discussions privées et la centralisation de l’assemblée, ce qui la rend plus facilement manipulable (11). A Valence, par contre, les assistants ont détecté une sorte de secte qui limite la liberté d’expression (12), comme ce fut le cas lors de la macabre manœuvre pour faire approuver la « restructuration » du campement de Sol : le peuple vota pour choisir s’il devait partir le lendemain ou discuter, en commissions, sur comment et quand s’en aller sur la base d’un plan de réduction du campement, sans que soit évoquée l’option de résister indéfiniment comme c’était la volonté populaire. Les votes, cependant, durent être remis face aux protestations de personnes et de commissions rebelles (13) (Lire attentivement cette note).
Un effort démesuré semble être fait pour contenir la masse populaire dans le pacifisme, l’inaction, et la forcer à revenir à la routine de la production et de la consommation. La conclusion que peut tirer un authentique révolutionnaire de tout ce mouvement, après une analyse attentive, est claire. Ce mouvement nouveau est en gestation, il n’est pas orienté idéologiquement et contient une multitude de contradictions internes, mais à la longue ils ne pourront plus le contrôler ; c’est alors que commenceront réellement les évacuations en même temps que les informations sur de prétendues infiltrations « anti-système » qui justifieront la répression policière. Le peuple doit prendre en main ce mouvement pour le conduire jusqu’à la révolution sociale, chose impossible sans certains fondements historiques inexistants encore lors du 15-M. La lutte révolutionnaire se centre donc à présent vers la réalisation de deux objectifs :
1) l’évolution vers un discours de classe dans le mouvement (« nous ne sommes pas des citoyens indignés, mais des exploités qui se révoltent pour l’abolition des classes sociales ») ;
2) la création d’un contre-pouvoir populaire qui fasse perdre toute légitimité aux institutions dictatoriales de l’État espagnol : un réseau d’assemblées locales, librement organisées, dont l’objectif soit la destruction du système capitaliste et de son régime de contrôle social et de propriété privée pour construire une société horizontale, sans leaders ni hiérarchies, dans laquelle se respecte l’autonomie et l’autogestion des peuples et des territoires. Ce qui est impossible sans une grève générale illimitée.
Augusto Pelusita
1 https://www.alasbarricadas.org/noticias/?q=node/17536 [48]
2 NoLesVotes est un “mouvement citoyen” qui propose de ne pas voter pour les partis politiques majoritaires PSOE, PP et CiU lors des élections municipales et autonomiques en Espagne le 22 mai 2011 (ndt).
3 democraciarealya.es [49]
4 boltxe.info.
5 www.kaosenlared.net/noticia/indignado-punset-discursos-coincidentes-glob... [50]
6 www.eduardpunset.es/11280/general/no-tiene-sentido-que-cada-pais-vaya-a-... [51]
7 cadenaser.com/ser/2011/05/25/espana/1306281031_850215.html [52]
8 www.kaosenlared.net/noticia/las-revoluciones-gente-comun [53]
9 https://www.lavanguardia.com/noticias/20110530/54162716915/democracia-real-ya-prepara-una-manifestacion-mundial-para-el-15-de-octubre.html [54]
10 antimperialista.blogia.com/2011/052901-la-refundacion-del-capitalismo.-similitudes-entre-el-movimiento-15-m-el-anarcoca.php
11 barcelona.indymedia.org/newswire/display/421156/index.php [55]
12 barcelona.indymedia.org/newswire/display/422833/index.php [56]
13 www.kaosenlared.net/noticia/sol-nos-quedamos-victoria-popular-ante-amena... [57]
Une protestation pacifique avait été organisée devant le nouveau parlement régional de Valence. Elle demandait que les politiciens ne soient plus corrompus et qu'ils écoutent les citoyens, c'est-à-dire que cela apportait de l'eau au moulin aux illusions sur un État "expression de la volonté populaire".
Ce dernier a répondu de façon extrêmement pédagogique : plusieurs manifestants ont été frappés avec violence, traînés à terre, soumis à un traitement arrogant et brutal. 18 manifestants ont été blessés et cinq arrêtés. Ils n'ont pas été traités comme des "citoyens" mais comme des délinquants.
La nouvelle a provoqué une forte indignation.
Une manifestation a été appelée à 20h.15 à la station de métro Colon, devant la sous-délégation du gouvernement. Peu à peu se sont rassemblés des manifestants, un cortège venu de la place de la Vierge – où il y avait eu un rassemblement sur la langue valencienne – s'est joint au cortège, ce qui a provoqué de grands applaudissements. De façon improvisée, il a été décidé d'aller au commissariat de Zapodores où l'on supposait que se trouvaient les détenus. Le nombre de manifestants augmentait de minute en minute, les habitants du quartier de Ruzafa s'unissaient au cortège ou applaudissaient de leur balcon. On criait aux policiers : "Libérez les prisonniers, "Ne nous observe pas ! Toi aussi, on te vole !".
A l'arrivée au centre de Zapadores, la foule s'est regroupée dans un grand sit-in. On criait : "Nous ne partirons pas sans eux !", "S'ils ne sortent pas, nous, nous entrons !". Des nouvelles sont arrivées annonçant la solidarité de l'Assemblée de Barcelone1 ou la décision du campement madrilène d'apporter son soutien avec une nouvelle manifestation devant Les Cortes (Chambre des Députés)2. Au même moment à Barcelone, on criait les slogans : "Non à la violence à Saint- Jacques de Compostelle et à Valence !" (à Saint-Jacques de Compostelle, également, il y avait eu une charge policière).
Une heure plus tard, devant la nouvelle que les détenus – qui avaient été transférés à la cité de la Justice – allaient être libérés, la manifestation s'est dispersée, mais quelques centaines de manifestants se sont rendus à la cité pour attendre leur libération, laquelle a eu lieu peu après minuit.
De ce récit des événements, nous pouvons tirer quelques conclusions.
La première conclusion est la force de la solidarité. Ne pas laisser tomber les emprisonnés. Ne pas faire confiance au "bon sens de la Justice", les prendre en charge, les considérer comme les nôtres, concevoir leur vie comme notre propre vie. Tout au long de l'histoire, la solidarité a été une force vitale des classes exploitées et avec la lutte historique du prolétariat, elle a été placée au cœur de son combat et comme pilier d'une future société, la communauté humaine mondiale, le communisme.3 La solidarité est détruite par la société capitaliste qui est fondée sur tout le contraire : la compétition, le tous contre tous, le chacun pour soi.
Mais en même temps que la solidarité, se développe une indignation croissante contre l'État "démocratique". Les charges policières de Madrid et Grenade ainsi que le traitement inhumain infligé aux détenus de Madrid ont impulsé le mouvement du 15-M (15 mai). La cynique et brutale charge policière de Barcelone a montré le véritable visage de l'État démocratique, occulté quotidiennement au moyen des "élections libres" et de la "participation citoyenne". La répression de vendredi à Valence et Saint-Jacques de Compostelle et celle d'aujourd'hui samedi à Salamanque viennent de le mettre en évidence.
Il est nécessaire d'ouvrir la réflexion et le débat : les événements de Madrid, Grenade, Barcelone, Valence, Salamanque et Saint-Jacques seraient-ils des "exceptions" résultant d'excès ou d'erreurs ?
La réforme de la loi de la loi électorale, les "ILP" (Initiatives législatives populaires) et autres propositions du "consensus démocratique" pourraient-elles en finir avec ces exactions ou mettre l'État au service du peuple ?
Pour répondre à ces questions, nous devons comprendre ce qu'est l'État et qui il sert.
L'État est dans tous les pays l'organe de la minorité privilégiée et exploiteuse, l'organe du Capital. Cette règle générale s'applique aussi bien aux États qui utilisent les effluves déodorantes de la démocratie comme à ceux qui exhalent l'odeur fétide de la dictature.
L'État n'a pas comme ciment la "participation citoyenne", mais l'armée, la police, les tribunaux, les prisons, l'Eglise, les partis, les syndicats, les organisations patronales, etc., c'est-à-dire une immense toile d'araignée bureaucratique au service du capital qui opprime et suce le sang de la majorité et se légitime périodiquement avec le maquillage des élections, des consultations populaires, des référendums, etc.
Cette face obscure de l'État, occultée au quotidien par les lumières multicolores de la démocratie, apparaît clairement avec des lois comme la réforme des pensions de retraite, la réforme du travail, les nouvelles mesures adoptées récemment par le gouvernement qui permetent aux entreprises de recourir à l'ERE (Expediente Regulacion de Empleo)4 sans la moindre limitation ou encore les coupes dans les indemnisations des salariés licenciés, ramenées à 20 jours par année travaillée (au lieu de 45 auparavant). Ou quand la police distribue les coups de matraques "pour éviter des problèmes", selon l'euphémisme utilisé par Rubalcaba5. La répression n'est pas l'apanage de tel ou tel parti ou de telle ou telle idéologie, c'est la réponse nécessaire et consciente de l'État chaque fois que les intérêts de la classe capitaliste sont menacés ou simplement chaque fois qu'il s'agit de les renforcer et de les appuyer.
L'immédiatisme, l'empressement à "faire des propositions concrètes", a conduit à ce qu'un secteur important des assemblées – influencé par des groupes comme Democracia Real Ya ! – fasse confiance au miroir aux alouettes de la "réforme démocratique" : loi électorale, listes ouvertes, initiative législative populaire… Cela apparaît comme un chemin facile, concret, mais en réalité, cela ne conduit qu'a à renforcer l'illusion que l'État pourrait être amélioré, qu'on pourrait "le mettre au service de tous", ce qui conduit à se fracasser la tête contre les murs blindées de l'État capitaliste et… tendre la tête pour lui faciliter son travail !
Dans les assemblées, on a beaucoup parlé de "changer cette société", d'en finir avec ce système social et économique injuste, il s'est exprimée l'aspiration à un monde où n'existerait pas l'exploitation, où nous ne "serions pas des marchandises", où la production serait au service de la vie et non la vie au service de la production, où il existerait une communauté humaine mondiale sans États ni frontières.
Mais comment atteindre cet objectif ? Est-ce que la formule des jésuites suivant laquelle "la fin justifie les moyens" serait valable ? Est-ce qu'on pourrait changer ce système en utilisant les moyens de participation que, de façon trompeuse, il nous offre ?
Les moyens à employer doivent être cohérents avec la fin poursuivie. Tous les moyens ne sont pas valables. N'est pas valable l'atomisation et l'individualisme des isoloirs électoraux, n'est pas valable la délégation de la prise en charge des affaires entre les mains des politiciens, ne sont pas valables les manœuvres troubles de la politicaillerie habituelle, c'est-à-dire ne sont pas valables les moyens habituels du jeu démocratique.
Ces "moyens" éloignent radicalement du but poursuivi. Les moyens qui permettent de s'approcher de cet objectif – bien que celui-ci soit encore lointain -, ce sont les assemblées, l'action collective directe dans la rue, la solidarité, la lutte internationale de la classe ouvrière.
CCI (11/6/11)
1A Barcelone, plusieurs centaines de manifestants ont occupé la "Diagonale" (grande avenue qui traverse toute la ville) et les automobilistes les ont soutenus en klaxonnant.
2 Le jeudi, une manifestation avait déjà eu lieu contre la réforme du travail.
3 Voir notre texte d'orientation sur "La confiance et la solidarité dans la lutte prolétarienne [58]"
4 La nouvelle loi ERE autorise désormais les entreprises à faire passer des plans sociaux sans aucune justification préalable, alors que, auparavant, celles-ci devaient afficher des pertes dans leur bilan pour pouvoir licencier leurs salariés.
5 Ministre de l'Intérieur et successeur désigné de Zapatero.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne.
Il y a juste quelques semaines, dans les principales villes d’Espagne se rassemblaient des milliers de personnes dans des assemblées où chacun pouvait prendre la parole et pouvait parler en toute confiance sur le manque d’avenir qu’on nous offre et sur comment faire pour y faire face. Et on écoutait avec respect. On discutait partout, en petits groupes, dans les bars, dans les « acampadas » (campements)..., des générations différentes (jeunes, retraités). Un sentiment grandissait : celui de l’émotion partagée, de l’unité, de la créativité, de la réflexion et du débat, dans un effort de prendre en charge la tâche gigantesque de mettre en avant une perspective face à ce « no future» que le capitalisme nous offre.
Aujourd’hui, il y a de moins en moins de gens à des réunions qu’on ne peut plus appeler assemblées, où la discussion n’est plus permise. Plusieurs commissions « filtrent » la prise de parole et on ne permet pratiquement pas de parler en quoi que ce soit d’une perspective de lutte sociale. On présente au vote ou au « consensus » des mots d’ordre démocratiques comme s’ils étaient l’expression du mouvement, alors que la majorité ne les connaît pas et ne les a pas discutés, même si beaucoup de gens sont ouvertement contre. Avec l’excuse de « l’apolitisme » on fini par faire la « même merde » politique que le PSOE et le PP1.
Qu’est-ce qui est arrivé ? Ont-ils raison ceux qui disent que depuis le début, ce mouvement était un mouvement citoyen de reforme démocratique, un montage ? Ou n’est-ce pas plutôt qu’il est en train de se réaliser une attaque contre les assemblées, un sabotage pour en finir avec les rassemblements massifs, la discussion et la réflexion, parce que cela fait peur à l’État et le met sous tension ?
Deux jours après la répression brutale des manifestations du 15 mai (le mouvement des « indignés » porte d’ailleurs pour nom en Espagne « le mouvement du 15-M »), des campements sont dressés à la Puerta del Sol, qui ont servi d’exemple à d’autres villes. De plus en plus de monde s’est rassemblé sur les places de ces villes en organisant des discussions et des assemblées. Toute cette mobilisation a été totalement spontanée. Ceux qui, comme ¡ Democracia Real Ya ! (DRY), veulent maintenant s’attribuer l’initiative du mouvement, mentent. Et pourtant, ces mêmes « ci-devant citoyens » ont voulu, à ce moment-là, laisser bien clair que le mouvement des « acampadas » n’était pas de leur fait. Comme c’est raconté dans un texte signé par « quelques anarchistes madrilènes » : « ils ont tout fait pour l’exprimer de la façon la plus dégueulasse qui soit : en se démarquant des incidents après la manif et en montrant du doigt ceux qu’il fallait montrer ».
L’aggravation des attaques à nos conditions de vie, le chômage, les expulsions, les coupes sociales, d’un coté, et, de l’autre, l’exemple de la place Tahrir, celui des luttes contre la « reforme » des retraites en France, des étudiants en Grande-Bretagne, des luttes en Grèce, des discussions sur les lieux de travail ou au sein des minorités révolutionnaires, les commentaires sur Facebook et Twitter et, bien sûr, le ras-le-bol du cirque parlementaire et de la corruption... tout cela et le reste a fait que, soudainement, le mécontentement et l’indignation ont éclaté, en déchaînant un torrent de vitalité, de combativité, en brisant la normalité démocratique de la passivité et du vote.
Des milliers, parfois des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur les places centrales des villes les plus importantes de l’Espagne, devenues des véritables « agoras ». Elles y venaient après le travail, ou restaient pour y camper, ou y allaient en famille… les gens se cherchaient… pour parler et parler encore. La parole « s’est libérée » dans les assemblées2. Même les plus anti-Etat se rendaient compte du fait que ce n’était point du tout un mouvement qui empruntait les voies démocratiques de l’État, comme le dit le même texte anarchiste cité précédemment : « C’est comme si, soudainement, la passivité et le chacun pour soi s’étaient brisés autour de la Puerta del Sol de Madrid... Les premiers jours, il suffisait d’un petit cercle pour parler de quelque chose et les gens tendaient l’oreille pour ensuite écouter et intervenir. C’était quelque chose qui est devenu normal de voir des gens les plus divers discutant en petits groupes. Les groupes de travail et les assemblées générales sont des événements massifs, rassemblant 500, 600 ou 2000 personnes (assises, debout, se resserrant pour mieux entendre), etc. Au-delà de ça, il y avait l’impression permanente de vivre une bonne chose, dans la meilleure ambiance, « quelque chose d’exceptionnel ». Tout cela a atteint son point culminant lors de la journée dite de réflexion. Entendre les quelques 20 000 personnes crier ‘Nous sommes des hors-la-loi’3 en jouissant du fait de passer par-dessus la loi, franchement, ça impressionne ».
Il est vrai que le mouvement n’a jamais mis en avant un affrontement ouvert contre l’État démocratique. En réalité, à chaque tentative d’arriver à des revendications concrètes, on les détournait vers la « reforme démocratique », en y incrustant les mots d’ordre de Democracia Real Ya !. Et ceci est normal, parce qu’il manque la confiance pour se lancer dans la lutte, il manque la clarté sur la perspective, et surtout, parce que la classe ouvrière n’a pas encore pu récupérer son identité en tant que sujet révolutionnaire qu’elle est pour qu’elle puisse prendre la tête d’un assaut révolutionnaire. Mais la discussion, la réflexion et la tentative de prendre en charge sa propre lutte, voilà justement le chemin pour raffermir cette confiance, cette clarté dans le processus de récupération de l’identité de la classe ouvrière, comme l’ont montré, surtout à Barcelone, les tentatives de certains secteurs en grève de rejoindre les assemblées, et la convocation à des manifestations unitaires pour des revendications du travail à Tarrasa4. La véritable confrontation avec l’État démocratique s’est faite dans les assemblées auto-organisées et massives qui se sont étendues à tout le pays et au delà.
Et c’est justement cela que l’Etat ne pouvait pas tolérer.
Après une première tentative pour freiner les événements à la fin de la semaine électorale, en interdisant les rassemblements, une interdiction légale qui fut transgressée allègrement par la présence massive sur toutes les places à l’heure où ladite loi devait être respectée, c'est-à-dire au petit matin du samedi 21 mai, la stratégie a été de combiner l’attente d’un affaiblissement naturel du mouvement à cause de la fatigue et de la difficulté à mettre en avant une perspective de lutte, avec le sabotage du mouvement de l’intérieur.
Au moment où, une semaine après les élections municipales, le mouvement commençait à s’affaiblir, l’Etat a déclenché à Madrid et à Barcelone, une stratégie avec une grande répercussion médiatique.
À Madrid, on a encouragé les plaintes des commerçants et des « petits entrepreneurs » de la Puerta del Sol, de manière à culpabiliser les « campeurs » comme s’ils en rajoutaient à la crise, et on a mis en avant une stratégie visant à démanteler les concentrations massives pour n’y laisser « qu’un point d’information ».
À Barcelone, l’intervention calculée de la police catalane5, même si momentanément elle a eu comme effet d’augmenter la présence aux rassemblements6, elle a réussi néanmoins à dévoyer complètement les discussions vers la revendication démocratique d’exiger la démission du « ministre » de l’Intérieur de la Catalogne, Felip Puig, en y introduisant le discours de l’opposition contre le nouveau gouvernement catalan de la droite nationaliste.
Mais tout cela n’aurait pas eu le même impact s’il n’y avait pas eu le travail de sabotage de l’intérieur de la part de ¡ Democracia Real Ya !.
Si les premiers jours, face à l’avalanche d’assemblées, ¡ Democracia Real ya ! (DRY) n’a pas eu d’autre solution que de ne pas se faire voir sur le devant de la scène, ceci ne veut pas dire qu’elle n’a pas essayé de prendre des positions dans les commissions clé des campements et de diffuser des positions « citoyennes » pour reformer le système, tellles que le fameux « décalogue » ou d’autres trucs du même acabit. Par contre, tout cela, la DRY le faisait sans se montrer ouvertement, sous couvert du refus des partis et en défendant l’apolitisme, ce qui empêchait les autres alternatives politiques de diffuser leurs positions, alors que la DRY les diffusait sans retenue et sans signature.
Des anarchistes de Madrid avaient déjà détecté cette ambiance au début du mouvement : « Au sein de beaucoup de commissions ou des groupements on voit de tout : des disparitions fortuites de comptes rendus, des personnalismes, des gens qui s’accrochent au rôle de porte-paroles, des délégués qui taisent des choses lors des assemblées générales, des commissions qui ignorent les accords adoptés, des petits groupes qui font leurs petites affaires dans leur coin, etc. Beaucoup de ces choses sont sans doute le fruit de l’inexpérience et des égos, d’autres paraissent sorties directement des vieux manuels de manipulation des assemblées ».
Mais il a fallu attendre les premiers symptômes de reflux du mouvement pour voir une véritable offensive des gens du « mouvement citoyen », la DRY en tête, contre les assemblées.
À la Puerta del Sol, c’est eux qui ont pris en charge les plaintes des commerçants et ont poussé au démantèlement du campement et de n’y laisser qu’un « point d’information ». C’est eux qui filtrent les interventions dans les assemblées, où d’ailleurs on ne discute plus que les propositions des commissions, qu’ils contrôlent. Ils présentent ouvertement leurs positions comme si elles étaient l’expression du mouvement, sans qu’elles aient été discutées dans les assemblées. Ils convoquent des réunions de coordination des assemblées de quartier sans que celles-ci aient élu leurs délégués pour les représenter, et ils ont même convoqué une assemblée de coordination nationale pour le 4 juin dont on n’a pratiquement pas entendu parler dans les assemblées générales... Et on voit la même dynamique dans toutes les grandes villes.
À Barcelone, la liberté de parole a été prise en otage. Il ne reste aux assemblées qu’à se prononcer sur les propositions élaborées à leur insu. La discussion a été remplacée par des conférences de « professeurs intellectuels ». Ici, l’un des symptômes les plus sensibles de l’offensive contre les assemblées est le poids pris par le nationalisme. La première semaine après le 15 mai, des milliers de personnes remplissaient la place de Catalogne où l’on discutait en plusieurs langues, où l’on traduisait également en des langues différentes les communiqués qu’on recevait et qu’on émettait. Pas un seul drapeau catalan. Récemment, par contre, il a été voté de parler exclusivement en catalan.
À Valence, c’est la même chose si ce n’est pire. Nous laissons la parole à un texte intitulé Contrôle des assemblées à Valence, qui circule sans signature : « Depuis le 27 mai, la dynamique interne du campement et des assemblées quotidiennes a changé radicalement... on ne peut presque pas parler en son sein de politique ni de problèmes sociaux... On peut résumer la situation ainsi : une commission appelée « de participation citoyenne » et une autre appelée « juridique », au total quelque 15/20 personnes, ont pris le contrôle total de la modération des assemblées, ce sont des « modérateurs professionnels » qui s’imposent aussi dans les petits groupes et les commissions... On a retiré de la place toutes les affiches qui avaient un contenu politique, économique ou tout simplement social. C’est devenu maintenant une espèce de foire alternative... Il n’y a pas de liberté d’expression ni sur la place ni dans l’assemblée. Ils ont instauré, dans les commissions où ils ont pu le faire, le système du « consensus a minima » de telle sorte qu’on ne puisse jamais arriver à des accords avec un contenu... Ils ont présenté un document qu’ils prétendent approuvé aujourd’hui, appelé « Citoyen, participe ! » où, tout en l’ornant de bien jolies choses, on établit que seules les commissions ont le droit de présenter des propositions aux assemblées... Il est établi dans ce document que les commissions fonctionneront dorénavant et obligatoirement, par consensus a minima... c’est un bouclage total du contrôle pour commencer à vider le mouvement de son contenu ». Et, si ce n’était pas suffisant, aujourd’hui même, ces « citoyens » ont transformé une manifestation de retraités contre les mesures prises sur les retraites, en protestation contre l’article 87-3 de la Constitution ; tandis que les retraités revendiquaient « une pension minimale de 800 € » et « pour la retraite à 60 ans », le mouvement citoyen proclamait « nous sommes prisonniers depuis 1978 »7 pour réclamer une constitution plus représentative.
Mais c’est à Séville où la DRY s’est montrée le plus à visage découvert en demandant sans scrupules un chèque en blanc à l’assemblée, pour faire et défaire à sa guise. Elle a même osé demander aux participants aux assemblées de s’inscrire massivement derrière ses sigles.
Il est évident que la stratégie de la DRY, au service de l’Etat démocratique de la bourgeoisie, consiste dans le fait de mettre en avant un mouvement citoyen de reformes démocratiques, pour essayer d’éviter que ne surgisse un mouvement social de lutte contre l’État démocratique, contre le capitalisme. Les faits ont montré, cependant, que lorsque l’énorme malaise social accumulé trouve un terrain aussi étroit soit-il pour s’exprimer, les pleurnichards de la démocratie « plus-que-parfaite » sont écartés sans le moindre égard. Ni la DRY ni l’Etat démocratique ne peuvent stopper le développement du mécontentement social et de la combativité ; ils vont essayer, par contre, de mettre devant lui toutes sortes d’entraves.
Et la charge contre les assemblées en est une. Pour une « large minorité » (qu’on nous permette d’utiliser cette expression paradoxale), ces assemblées sont une référence pour la recherche de la solidarité, pour raffermir la confiance, pour l’apprentissage et la pratique de la discussion en assemblées, pour prendre en charge les luttes contre les attaques sans merci contre nos conditions de vie. Continuer à discuter comme dans les assemblées, même dans des rassemblements plus petits, c’est le chemin pour préparer les luttes futures. Organiser des assemblées massives et ouvertes chaque fois qu’une lutte surgit, voilà l’exemple à suivre. Le sabotage de la DRY en imposant ce mouvement « citoyen » peut faire qu’une partie de cette « minorité croissante » perde espoir et pense que « tout cela n’a été qu’un rêve ». Ces « citoyens » ne pourront pas effacer l’histoire comme on efface un concurrent d’un programme de télé-réalité, mais ils peuvent créer la confusion dans les mémoires.
C’est pour tout cela que l’alternative est celle de défendre les assemblées là où il reste un tant soit peu de vitalité, de combattre et de dénoncer le sabotage de la DRY, et d’appeler à continuer la lutte quand l’occasion se présente, avec le regroupement de minorités ou dans des assemblées lors des luttes, avec cette dynamique de prendre en charge le débat et le combat.
Lutter contre le capitalisme est possible ! L’avenir appartient à la classe ouvrière !
CCI (3 juin)
1 « PSOE y PP la misma mierda es » est un slogan contre le « bipartisme » qui est devenu emblématique de ce mouvement. [NdT]
2 « Libérer la parole » a été l’un des mots d’ordre des récentes assemblées lors du mouvement contre la « reforme » des retraites en France.
3 Dimanche 22 mai, il y a eu des élections locales en Espagne. La loi stipule que le samedi précédant (le 21), c’est le jour de « réflexion » où tout rassemblement est interdit…[NdT]
4 Ville industrielle de la banlieue barcelonaise [NdT]
5 La bourgeoisie en Espagne n’est pas aussi stupide en ce qui concerne l’affrontement avec la classe ouvrière, et encore moins en Catalogne, et il est difficile de croire que, peu de jours après la répression des manifestations du 15 mai, qui a entraîné les mobilisations, elle refasse la même gaffe. De plus, ce qui démontre qu’il y a toujours une exception à la règle, les déclarations pathétiques à la télévision du porte-parole du Parti socialiste, dans l’opposition en Catalogne, qui a parlé avec mépris des gens du campement, en disant que le PS était d’accord avec leur expulsion « mais avec d’autres manières », démontre que ce plan d’évacuation avait été discuté entre le gouvernement et l’opposition.
6 La répression a été brutale (il y a encore eu quelques blessés graves), ce qui a poussé à la solidarité entre les différentes assemblées.
7 Date de la mise en vigueur de la dernière Constitution espagnole rédigée après la mort du dictateur Franco. [NdT]
Vous trouverez ci-dessous la traduction d'un article d'Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis, qui s'appuie très largement sur différents textes produits par l'assemblée générale des Occupy Oakland.
Nous publions ici les appels de "l'Assemblée Générale pour Occuper Oakland" pour lancer une grève générale le 2 novembre. C'est un développement significatif que ce mouvement d'occupation aux Etats-Unis, qui tout en étant généralement critique par rapport au 'capitalisme' a également été entravé par une vision très confuse de ce qu'est réellement ce système d'exploitation, et en particulier de la seule façon de s'y opposer : à travers la lutte des classes. Mais cet appel, venant après un certain nombre d'expériences particulièrement amères de la répression policière, marque une véritable avancée en ce sens ; il est un appel direct à la classe ouvrière locale pour soutenir le mouvement à travers la grève. La réponse à l'appel de l'AG a été très impressionnante, non pas tant par le nombre de lieux de travail fermés, qui semble avoir été inégal, mais par la volonté de milliers de travailleurs de rejoindre les manifestations, même souvent après le travail. La manif du soir sur le port a été planifiée afin de permettre à ceux qui travaillent d'y participer et a attiré plusieurs milliers de personnes (selon certaines estimations, jusqu'à 20 000). Bien que le port soit plus ou moins resté ouvert pendant la journée, les manifestants ont réussi à persuader les dockers et les camionneurs de se joindre à eux et le port a été fermé pour la nuit. C'est ainsi que le Los Angeles Times a décrit les événements ainsi : « Comme des milliers de manifestants convergeaient vers le port, les camionneurs se sont battus pour venir avec leur véhicule. D'autres, comme Mann Singh, se sont plantés autour, un large sourire sur leur visage. Un résident de 42 ans, de Pittsburgh, a dit qu'il était arrivé à 16h30 avec son camion vide, dans l'espoir de le garer et de rentrer à la maison, mais comme les manifestants se rassemblaient, il s'est arrêté pour les soutenir. »
Quelles que soient les critiques d'ordre secondaires que nous puissions faire des textes qui suivent, nous ne pouvons qu'appuyer leur esprit et leur approche globale :
Nous, en tant qu'occupants de 'Oscar Grant Plaza', proposons que le mercredi 2 novembre 2011, nous libérions la population d'Oakland et arrêtions le 1%1.
Nous proposons une grève générale de la ville et nous proposons d'inviter tous les étudiants à sortir des universités. Les travailleurs, au lieu d'aller au travail et les étudiants, au lieu d'aller à l'université, convergeront vers le centre-ville d'Oakland pour fermer la ville.
Toutes les banques et les entreprises devront fermer pour la journée, sinon nous marcherons sur elles.
Nous appelons à une grève générale, mais nous demandons aussi beaucoup plus. Les gens qui s'occupent de leur quartier, les écoles, les organismes communautaires, les groupes associatifs, les lieux de travail et les familles sont encouragées à s'organiser eux-mêmes d'une manière qui leur permette de participer au bouclage de la ville de telle sorte qu'ils puissent le faire facilement.
Le monde entier a les yeux tournés vers Oakland. Montrons-leur ce qui est possible.
Le Conseil de Coordination de la Grève commencera à se réunir tous les jours à 17 heures sur Oscar Grant Plaza avant l'Assemblée Générale de 19 heures. Tous les participants à la grève sont invités. Restez à l'écoute pour plus d'informations et rendez-vous pour mercredi prochain.
1er novembre 2011
LES MOYENS DE PARTICIPER A LA GREVE GENERALE DU 2 NOVEMBRE ET A LA JOURNEE D'ACTION appelée par 'Occuper Oakland'
'Occuper Oakland' appelle à ce qu'il n'y ait ni travail, ni école le 2 novembre, dans le cadre de la grève générale. Nous demandons que tous les travailleurs en grève prennent un congé de maladie, un jour de congé ou qu'ils aillent tout simplement se promener en dehors de leur travail avec leurs collègues. Nous demandons également que tous les étudiants sortent des écoles et rejoignent les travailleurs et les membres de la communauté du centre-ville d'Oakland. Toutes les banques et les grandes entreprises doivent fermer pour la journée ou les manifestants marcheront sur elles.
L'Assemblée de Grève de 'Occuper Oakland' a fait vœu de rester sur les lignes de piquet et d'occuper toutes les entreprises ou écoles où les employés ou étudiants seraient sanctionnés pour avoir participé à la grève générale du 2 novembre. Si vous êtes l'objet d'une quelconque mesure disciplinaire, s'il vous plaît, faites-le savoir sur le mail [email protected] [59].
'Occuper Oakland' reconnaît que tous les travailleurs, étudiants et membres de la communauté ne peuvent pas faire grève toute la journée du 2 novembre, et nous saluons toute forme de participation qui leur semblera appropriée. Nous les encourageons à nous rejoindre avant ou après le travail ou pendant leurs heures de repas.
Voici quelques idées d'actions pour participer à la grève :
Se rassembler dans le centre-ville d'Oakland pour aider au bouclage de la ville :
Rejoindre les rassemblements massifs sur la 14ème rue et à Broadway à 09h, 12h, 17h. Des rallyes rassemblements de grève auront lieu à ces heures avec des orateurs politiques et les micros seront ouverts afin que chacun puisse faire entendre sa voix. Il y aura également des annonces d'actions faites sur des estrades pour ceux qui sont intéressés à participer à des piquets de grève et à la fermeture des banques et des grandes entreprises.
Conduire une marche à partir de votre quartier, lieu de travail, école, centre communautaire, lieu de culte, etc., vers le centre-ville d’Oakland pour rejoindre l'un des trois rassemblements massifs. Amusez-vous et donnez de la voix le long de la route pour faire savoir aux gens pourquoi vous marchez sur le centre-ville !
Former un blocus mobile ou piquet volant qui peut prendre le contrôle des carrefours importants du centre-ville avec des fêtes de rues et autres moyens créatifs pour faire entendre nos voix et boucler la ville.
Il y aura de nombreux piquets et de nombreuses actions devant les banques et les sociétés à travers le centre-ville, mais nous avons besoin d'être plus nombreux ! Faites venir un groupe d'amis, des membres de la famille, des collègues ou camarades de classe pour former un groupe d'affinité et faire entendre nos voix et ressentir notre présence à l'un de ces endroits au centre-ville. Faites connaître votre action aux estrades de la 14e rue et de Broadway, afin qu'ils puissent l'annoncer à la foule.
Il y a beaucoup d'autres actions autonomes prévues pour la journée qui auront lieu au centre-ville. L'une d'elles est la marche anti-capitaliste à 14h, dont le rassemblement se fera à l'intersection de Broadway et de Telegraph et une autre est celle du bloc féministe et homosexuel contre le capitalisme qui se réunira à 14h30 entre la 14ème rue et Broadway.
Rejoindre les marches du centre-ville pour boucler le port d'Oakland. Ces marches se finiront à 16h et une autre de 2 miles partira à 17h vers le port pour manifester sa solidarité avec les débardeurs et arrêter les activités du soir sur le port.
Rejoindre le trajet à vélo de 'Critical Mass' à partir de 16h qui va de la 14e rue et de Broadway pour aller vers le port pour participer à son bouclage.
Mieux vaut ne pas conduire dans le centre-ville : il est probable que de nombreuses rues seront bloquées à la circulation de sorte qu'il est préférable de prendre le vélo ou les transports en commun. Il sera également utile d'avoir un vélo pour vous déplacer entre les actions ou marcher sur le port.
Passez à l'action dans vos quartiers et leurs collectivités :
Rassembler les voisins, collègues, camarades de classe et organiser des groupes de marche dans son quartier pour un moment festif, sensibiliser et encourager les autres à vous rejoindre dans les rues ! Apporter de quoi faire du bruit, des écriteaux, des banderoles et faire savoir à votre communauté pourquoi vous participez à la grève.
S'arrêter devant les banques, les chaînes de magasins, les stations-service, les grands médias commerciaux, etc. pour protester et installer des piquets de grève.
Se rassembler dans les centres de quartiers et aux angles des principaux carrefours pour organiser des débats, des barbecues et des fêtes de rue. Y faire entendre votre voix et sensibiliser les gens en réclamant des espaces où les membres de la communauté peuvent vous rejoindre et parler des questions qui les affectent le plus et sur comment on peut s'organiser ensemble pour construire un puissant mouvement.
Si vous devez faire des courses, ne dépenser de l'argent que dans les commerces de quartiers et autant que possible, n'y acheter que des produits locaux.
Les organisations sans but lucratif et communautaires :
Utilisez vos données personnelles et organisez vous à travers les réseaux sociaux des médias (sites Internet, Facebook, Linked-in, des bulletins électroniques, etc) pour soutenir les actions et permettre à vos circonscriptions d'être tenu au courant de ce qui se passe dans les rues d'Oakland.
En cas de violences policières, contacter votre réseau organisé pour dénoncer la répression policière et appeler à la libération de tous les grévistes arrêtés.
Fournir des ressources pour permettre aussi la participation de ceux qui vous entourent : donnez vous du temps pour pouvoir participer à des actions directes; encourager le travail qui concourt au succès de la grève générale et donnez vous un objectif d'occupation.
Soyez prêts :
A apporter des matériaux pour faire des écriteaux : du papier carton, des marqueurs, de la peinture, des bombes à peinture, des chevilles, etc.
A apporter de la nourriture et de l'eau à partager !
A apporter de quoi faire du bruit, systèmes de sonorisation et autres moyens que nous pouvons transformer au centre-ville en une célébration de notre pouvoir collectif.
Notez ce numéro vers le bas de votre corps en cas d'arrestation: 415.285.1011 Ce numéro pourra être composé toute la journée et permettra de coordonner le soutien juridique pour les personnes arrêtées pendant la grève.
Se souvenir de ces quatre points communs agréés par l'Assemblée Générale de la Grève :
Solidarité avec les mouvements d'occupation du monde entier !
En finir avec les attaques de la police sur nos communautés !
Défendre les écoles et les bibliothèques d'Oakland !
Contre un système économique basé sur le colonialisme, l'inégalité et le pouvoir des entreprises qui perpétue toutes les formes d'oppression et de destruction de l'environnement !
Quelques chants pour la grève
«Grève, Occupation, Verrouillage ! Oakland est une ville populaire »
«Chaque heure, chaque jour ! L'occupation est là pour rester ! »
«Tout occuper! Libérez Oakland. »
«Politiciens et banquiers, menteurs et voleurs, nous vous reprenons tout! Nous ne disons pas s'il vous plaît ! »
"Plus de flics, nous n'en avons pas besoin! Tout ce que nous voulons, c'est la liberté totale. »
« Fermez OPD! Non à la Bibliothèque publique ! »
«Allons à Oakland ! Allons-y ! [Clap] [clap] »
1 NDLR : Ceux qui manifestent et occupent les places aux Etats-Unis se font nommer les 99% (autrement dit, le "peuple"), et affirment se battre contre ceux qui représentent le 1% restant, qui dirigent le pays et s'enrichissent.
Ce qui se passe en Espagne[1] est parti d’une manifestation « contre les politiciens », organisée par Democracia Real Ya ! (« Démocratie réelle tout de suite ! »). Ces manifestations du 15 mai ont eu un succès spectaculaire : le mécontentement général, le malaise face à l’avenir ont trouvé dans ces manifestations une issue inattendue. Tout aurait dû apparemment s’arrêter là mais, à Madrid et à Grenade, à la fin de la manifestation, il y a eu de violentes charges de police avec plus de 20 détenus durement maltraités dans les commissariats. Ces détenus se sont regroupés dans un collectif qui a adopté un communiqué, dont la diffusion a causé une forte impression et une réaction foudroyante d’indignation et de solidarité. Un groupe de jeunes a décidé d’établir un campement sur la « Puerta del Sol » de Madrid (Place du centre historique). Ce même lundi, l’exemple madrilène s’étend à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression n'a fait que réchauffer les esprits et, depuis lors, les rassemblements n’ont fait que s’étendre à plus de 70 villes et leur affluence n’a fait que croître à un rythme vertigineux. Nous publions ci-dessous ce Communiqué.
Nous voulons écrire ces quelques lignes pour exprimer nos sentiments face à ce qui vient de se passer. Nous sommes toutes des personnes très différentes les unes des autres, les unes se définissant comme anarchistes, d’autres comme altermondialistes, ou encore comme féministes ou écologistes, des personnes favorables à une démocratie réelle, etc., mais nous tous avons subis dans nos chairs les mêmes abus policiers injustes et disproportionnés. Pour commencer, il y en a qui n’ont même pas participé à la manifestation, et ceux qui ont participé affirment avoir le droit de participer à des actions politiques ; mais on a tous le même sentiment : le mécontentement par rapport à nos conditions de vie (la difficulté pour trouver du travail, la précarité, le fait de ne même pas pouvoir rêver à réaliser nos moindres projets à cause des inégalités économiques et toute cette éducation basée sur la consommation à outrance, le fait d’être réprimés à cause des nos idées politiques ou tout simplement de vouloir être différents de ce qui nous entoure). Nous sommes face à une perspective sans le moindre espoir, sans un futur qui nous encourage à vivre tranquillement et à pouvoir nous consacrer à ce qui nous tient à cœur à chacun.
C’est pour tout cela que la plupart d’entre nous sont allés à la manifestation du 15 mai : pour essayer de remplacer ce système par quelque chose de plus juste et équitable, et quelle a été la riposte ? : la répression de la part des forces de l’ordre de l’État. Ce fut quelque chose de honteux que de voir des hommes surexcités, habillés et armés pour faire peur et frapper sur tout ce qui bougeait, sur toute personne un tant soit peu différente des modes imposées par les marchés, de voir une police, supposée être là pour maintenir l’ordre et la paix sociale, qui frappait impunément tous ceux qui se trouvaient à leur portée, des policiers avec des visages pleins de haine, avec des pupilles dilatées, peut-être à cause des stimulants qu’ils avaient consommés, toute une terreur qu’ils utilisent pour défendre leurs banquiers, leurs politiciens, leurs grands entrepreneurs.
Nous, les personnes arrêtées, affirmons à l’unanimité que la police a agi d’une façon disproportionnée et aléatoire :
1. Un copain est arrêté ; dans le fourgon, les mains liées, des policiers prennent sa tête et la cognent sur les sièges du fourgon, tout en l’insultant et lui disant que les « locks » qu’il porte, c’est « antihygiénique », et que c’était pareil s’il n’avait rien fait parce qu’il était un porc et que cela suffisait pour lui cogner dessus. Et au moment où les coups cessent de pleuvoir, il y a un autre policier anti-émeutes qui rapplique pour lui dire d’arrêter de se plaindre, « parce qu’il n’y en a qu’un seul qui t’a tapé dessus ».
2. Ils disent à un autre qui portait des pantalons bouffants : « Normal que tu ne trouves pas du travail avec ces pantalons de pédé que tu portes ! », avec d’autres commentaires du même tonneau, homophobe et machiste.
3. Un autre copain qui rentrait chez lui après la manif accompagné de sa fiancée, voit comment des policiers s’acharnent à matraquer un adolescent, il leur demande d’arrêter et c’est lui alors qui est frappé et arrêté pour « s’être mêlé de ce qui ne le regarde pas »
4. Deux autres, en voyant les policiers anti-émeutes frapper les gens assis au milieu de l’avenue Gran Vía, interviennent pour aider les jeunes assis par terre à s’en tirer. Ils sont arrêtés par des policiers en civil, habillés style skinhead, qui ne se sont identifiés comme des policiers qu’après les arrestations.
5. Un autre d’entre nous, rentrant de jouer au foot, a eu la malchance de vouloir prendre un train de banlieue à la station de Sol. On l’a arrêté « parce qu’il se trouvait là au mauvais moment et au mauvais endroit », comme on lui a dit plus tard, devant nous tous, en se foutant de lui, en l’humiliant au moment où ils ont vu le contenu de son sac à dos avec tout son équipement de foot, chaussures, protège-tibias, habits et ballon, pour finir en lui lançant la bonne blague : « Ne te plains pas, comme ça, tu auras une histoire à raconter à tes petits-enfants ! »
6. La plupart des détenus n’avait jamais été arrêtés ; ils demandaient quand est-ce qu’ils pourraient téléphoner à un proche. On leur répondait : « Vous regardez trop de films américains, ici, en Espagne, vous n’avez pas le droit de passer des appels extérieurs. »
7. Dans la Brigade de Renseignements de la Région de Madrid, située dans le quartier de Moratalaz, nous ne pouvions pas lever le regard du sol au risque de recevoir des coups. C’était comme dans les films de terrorisme, les flics étaient tous cagoulés, et même comme ça, ils nous interdisaient de les regarder en face quand ils nous demandaient de leur répondre. Malheureusement, la réalité a dépassé la fiction.
8. Jetés par terre, avec les menottes aux poignets, face contre terre, un autre copain a prévenu qu’il avait des problèmes cardiaques, qu’il avait été opéré et qu’il prenait des médicaments. Il a demandé à être transporté à l’hôpital ; les agents lui ont répondu en se moquant de lui et en lui refusant toute assistance médicale. Deux heures après, un chef s'est décidé à appeler le SAMU, qui est arrivé une heure plus tard. Les flics trouvaient la situation marrante et ont décidé d’appeler notre copain « Monsieur Syncope » avec des blagues et des commentaires. Finalement, il fut transporté à l’hôpital, où on l’a mis quelque temps sous perfusion et on lui a donné des médicaments. De retour en prison, on a lui a confisqué ses médicaments en lui disant que, quand il en aurait besoin, il n’avait qu’à les demander. Au bout de quelques heures, il y a eu un changement d’équipe. Personne n’avait informé la nouvelle équipe de ce cas, de sorte qu’au moment de la prise de la nouvelle dose par notre camarade, on la lui refusa. Il a eu une crise de panique et ils ont fini par accepter sa demande au bout de plus de deux heures pendant lesquelles nous, les autres détenus, n’avons pas arrêté de crier pour qu’on vienne à son aide.
9. Au début, beaucoup d’entre nous étions très paniqués et, dans un premier temps, on n’a pas voulu qu’on avertisse nos parents ou un médecin. Après le choc initial, nous avons sollicité ces droits, mais un des responsables du commissariat de Moratalaz a crié ces mots doux : « Bande de pédés, petits merdeux de mes deux, je vais vous mettre un coup de pied au cul qui finira par vous sortir par la bouche. D’abord nous ne voulez pas qu’on avertisse maman et, maintenant, au bout de 5 minutes, vous le voulez, mais où est-ce que vous croyez que vous êtes, bande de cons ? Allez vous faire foutre ! »
10. Pendant tous les déplacements en voiture, ils conduisaient exprès de façon dangereuse, à grande vitesse, à grands coups de volant et en faisant crisser les freins, de sorte que nous, qui étions à l’arrière du fourgon, nous nous cognions contre les portes et les cloisons.
11. Enfin, voici quelques autres échantillons des vexations et des intimidations psychologiques qu'ils nous ont fait subir :
- Ils disaient à l’un d’entre nous : « Tu as eu de la chance, j’aurais pu te mettre deux balles dans le buffet. » ;
- Pendant qu’ils nous traînaient vers le haut de l’escalier, ils disaient : « On pourrait les jeter par la fenêtre, ce n’est que des « rouges » de merde » ;
- Nous avons pu voir les mauvais traitements et le racisme vis-à-vis d’autres personnes arrêtée ;.
- Ils ont refusé de donner des protections hygiéniques à une camarade qui en avait besoin ;
- Ils ont altéré notre notion du temps en perturbant nos cycles de sommeil ;
- Ils n’ont pas arrêté de se moquer du choix végétarien de certaines d’entre nous, en proférant des railleries comme : “Regarde, c’est celle-là la végétarienne.” “Normal, avec cette gueule d’enterrement qu’elle traîne ». Il va sans dire qu’au moment de manger, ils n’ont pas tenu compte de ce choix. En plus, ils ont dit qu’on n’aurait pas beaucoup à manger, en ajoutant en s'adressant aux filles « avec ce régime, vous serez bonnes à sauter cet été ».
1. Voir: /icconline/2011/dossier_special_indignes/mouvement_des_indignes_en_espagne_l_avenir_appartient_a_la_classe_ouvriere.html [46]
Nous publions ci-dessous la traduction d’un l'article sur le mouvement des indignés, réalisé dès le 25 mai par Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne.
Les événements qui se déroulent actuellement en Espagne, quel que soit leur dénouement final, quelle que soient les confusions ou les illusions de leur protagonistes, sont en train de construire l’histoire, sont un fait historique de premier ordre dans l’évolution de la lutte de classe.
Les événements sont expliqués par des facteurs prétendument nationaux, ce qui se concrétise dans l’expression maintenant si connue de la « Spanish Revolution ».
Rien de plus faux et trompeur ! Le désenchantement vis-à-vis de ce qu’on nomme « classe politique » est un phénomène mondial ; il est très difficile de trouver un pays où les habitants fassent confiance à leur « représentants », qu’ils soient élus à travers la mascarade électorale ou qu’ils soient imposés par voie dictatoriale. La corruption, qui a été proposée comme un autre motif de révolte, est également un phénomène mondial auquel presque aucun pays n’échappe1. Il est vrai qu’autant dans la « qualité » des politiciens que dans la corruption, il y a des degrés différents selon les pays, mais ces différences sont l’arbre qui cache le phénomène historique et mondial de la dégénérescence et du pourrissement du capitalisme.
D’autres raisons ont été mises sur la table, tels que le chômage massif, surtout chez les jeunes. On parle aussi de précarité, des coupes sociales généralisées qui ont été réalisées et d’autres prévues pour après les élections. Tout cela n’est pas une particularité espagnole. Nous le voyons en Grèce, en Irlande ou au Portugal, mais aussi aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. S’il est vrai que ces attaques contre la classe ouvrière et contre la grande majorité de la population ont des degrés différents selon les pays -le capitalisme est une source permanente d’inégalités- c’est une erreur de dire qu’un tel est moins pauvre que tel autre, alors que la tendance est à être tous de plus en plus pauvres !
Le visage sinistre du chômage, on le voit autant à Madrid qu’au Caire, autant à Londres qu’à Paris, autant à Athènes qu’à Buenos-Aires. Il est absurde et stérile de rechercher avec insistance tout ce qui différencie la colère, alors que nous devons rechercher ce qui nous unit. Dans la situation actuelle, on voit avec de plus en plus d’évidence que ce qui domine, c’est la dégradation générale des conditions de vie des exploités du monde entier. Nous nous trouvons tous réunis dans la même chute vers l’abîme, ce qui ne se concrétise pas seulement à travers le chômage, l’inflation, la précarité, la suppression d’allocations sociales, mais aussi dans la multiplication de désastres nucléaires, des guerres et à travers une forte dislocation des rapports sociaux accompagnée d’une désintégration de toute valeur morale.
Il est évident que la pression de l’idéologie dominante, étroitement nationaliste, essaie d’enfermer le mouvement que nous sommes en train de vivre dans les murs étroits d'une « Spanish Revolution ». Il est vrai que les difficultés de la prise de conscience font que beaucoup d’acteurs de ce mouvement le voient à travers ce prisme déformant, et c’est ainsi que dans les assemblées, les réflexions sur la situation mondiale, ou sur la situation même de l’immense majorité de travailleurs, sont encore rares2.
Mais, comment se fait-il que nous parlons d’un maillon dans le mouvement international de la classe ouvrière, alors que la plupart des présents, même si ce sont des ouvriers (chômeurs, jeunes travailleurs précaires, fonctionnaires, retraités, étudiants, immigrés...), se reconnaissent comme appartenant à la classe ouvrière, et lors des assemblées ces mots ne sont pratiquement jamais prononcés ?3
Il y a des facteurs différents qui expliquent cette difficulté : la classe ouvrière souffre d’un problème aigu d’identité et de confiance en elle-même. Par ailleurs, le mécontentement ne touche pas seulement la classe ouvrière, mais aussi de larges couches de la population opprimée et non exploiteuse, ce qui se concrétise par une prolétarisation de couches sociales petites-bourgeoises et des professions libérales4. Tout cela fait que le mouvement peut paraître, avec un regard plus que superficiel, comme interclassiste, partant d’une manière chaotique vers une foule de préoccupations, très sensible aux idéologies démocratiques mais, en le regardant avec plus de profondeur, ce mouvement appartient entièrement au combat international de la classe ouvrière. Nous sommes dans un processus vers des luttes massives, lesquelles vont aider à ce que le prolétariat commence à prendre confiance en ses propres forces, commence à se concevoir comme une classe autonome capable de mettre en avant une alternative à cette société qui, autrement, va tout droit vers sa ruine. La faille tectonique qui traverse la France en 20065, la Grèce en 20086, pour revenir encore en France en 2010, continuer en Grande-Bretagne toujours en 2010 et suivre encore avec l’Egypte et Tunisie en 20117, est en train de s’exprimer dans cet énorme et fantastique séisme espagnol. On est en train de construire les galeries pour d’autres tremblements de terre sociaux qui finiront par ouvrir le dur chemin vers l’émancipation de l’humanité.
Une analyse internationale et historique est plus claire si elle arrive à intégrer les facteurs particuliers, nationaux ou conjoncturels. Par contre, on ne pourra jamais comprendre les faits si on part de ces facteurs spécifiques. Le mouvement que nous sommes en train de vivre est parti d’une manifestation « contre les politiciens » organisée par Democracia Real Ya ! (« Démocratie réelle maintenant ! »). Les manifestations du 15 mai ont eu un succès spectaculaire : le mécontentement général, le malaise face à l’avenir ont trouvé dans ces manifestations une issue inattendue.
Tout aurait dû apparemment s’arrêter là mais, à Madrid et à Grenade, à la fin de la manifestation, il y a eu de violentes charges de police avec plus de 20 détenus durement maltraités dans les commissariats. Les détenus se sont groupés dans un collectif qui a adopté un communiqué8, dont la diffusion a causé une forte impression et une réaction foudroyante d’indignation et de solidarité. Un groupe de jeunes a décidé d’établir un campement à la « Puerta del Sol » de Madrid (Place du centre historique). Ce même lundi, l’exemple madrilène s’est étendu à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression n’a fait que réchauffer les esprits et, depuis lors, les rassemblements n’ont fait que s’étendre à plus de 70 villes et leur affluence n’a fait que croître à un rythme vertigineux.
Le moment décisif a été mardi après-midi. Les organisateurs avaient prévu des actions silencieuses de protestation ou, encore, des mises en scènes ludiques défouloir (qu’on appelle des « spectacles »), mais la foule des présents n’arrêtait pas d’augmenter en demandant à grands cris la tenue d’assemblées. Mardi à 20 heures se tiennent des assemblées à Madrid, à Barcelone, à Valence et dans d’autres villes, mais à partir de mercredi, c’est devenu une véritable et formidable avalanche et les rassemblements sont devenus des assemblées ouvertes.
Même si, pour se donner un symbole, ce mouvement s’appelle « du 15-M » (pour « 15 mai »), cet appel ne l’a pas créé, mais lui a prêté tout simplement une couverture. Mais cette couverture est devenue carrément une cuirasse qui l’emprisonne en lui donnant un objectif aussi utopique que mystificateur : la « régénération démocratique » de l’Etat espagnol9. On essaye de canaliser l’énorme mécontentement social vers ce que l’on appelle la « deuxième transition ». Après 34 ans de démocratie, la grande majorité de la population en est très déçue, mais ceci s’expliquerait parce « qu’on subirait une démocratie imparfaite et limitée » à cause du pacte qui a dû être établi avec les « secteurs intelligents » du franquisme, de sorte qu’une « deuxième transition » serait nécessaire pour nous conduir à une « démocratie pleine ».
Le prolétariat en Espagne est vulnérable à cette mystification étant donné que la droite espagnole est très autoritaire, arrogante et irresponsable, faisant ainsi que la « démocratie réellement existante » soit peu crédible. Mais en encourageant le « peuple » à se « révolter contre les politiciens » et à exiger une « démocratie réelle de suite », la bourgeoisie essaye de cacher que cette démocratie est la seule possible et qu’il n’en existe pas d’autre.
On ne peut pas dire que le gouvernement socialiste de Zapatero ait été très bien inspiré face à une situation explosive avec plus de 40% de jeunes au chômage. Zapatero a taxé de « scélérats » ceux qui osaient mettre en cause les… « grandes conquêtes sociales » (sic !) de son gouvernement, ce qui n’a fait que réchauffer les esprits de beaucoup de jeunes. Mais il y a encore quelque chose de plus profond : le jeu démocratique10 proposait comme alternative au PSOE [Parti Socialiste], un PP [Parti populaire, droite] craint par tout le monde parce tout le monde connaît bien son arrogance, sa brutalité et ses réflexes autoritaires. L’Espagne n’est pas la Grande-Bretagne, où Cameron –avec l'aval des « modernes » libéraux- avait une meilleure image préalable ; en Espagne, même si dans la pratique le PSOE est toujours le parti qui entreprend les pires attaques, la droite a une réputation bien méritée d’ennemie des classes travailleuses, pour ne pas parler du fait qu’elle est représentée par une cohorte de personnages passablement arriérés et corrompus11.
Une grande majorité de la population regarde avec appréhension une situation qui la ferait passer de la brutalité de ses « amis » socialistes à une brutalité, on ne sait pas si elle serait plus forte, de ses ennemis déclarés du PP. Voilà ce que veut dire avoir confiance dans le jeu démocratique et dans ses résultats électoraux ! Face à une situation insupportable et à un avenir plus que terrifiant, les gens se sont jetés dans la rue. Leurs confusions et leurs propres illusions, ainsi que la propagande démocratique, ont fait que la proposition d’en finir avec le bi-partisme a eu une forte audience au sein des assemblées. Mais il s’agit là de quelque chose d’irréaliste et purement mystificateur, car la carte politique espagnole est rigidement bi-partite –étant en cela la suite de la longue étape de bipartisme des temps de Cánovas12- et qui, comme d’ailleurs les résultats des municipales et régionales viennent de le démontrer, tend à se renforcer13.
Cependant, face à cette démocratie qui réduit la « participation » au fait de « choisir » tous les 4 ans le politicien de service qui ne tiendra jamais les promesses qu'il a faites et qui, par contre, réalisera le « programme occulte » dont il n’avait jamais parlé, le mouvement en Espagne a retrouvé une arme extraordinaire où la grande majorité peut, vraiment, s’unir, penser et décider : les assemblées massives de ville.
Dans la démocratie bourgeoise, le pouvoir de décision est laissé entre les mains d’un corps bureaucratique de politiciens professionnels qui, à leur tour, obéissent sans broncher aux ordres du Parti, lequel n’est autre chose qu’un défenseur et un interprète des ordres du Capital.
Par contre, dans les assemblées, le pouvoir de décision est exercé directement par ceux qui y participent et qui discutent et décident ensemble et qui eux-mêmes s’organisent pour mettre en pratique leurs décisions.
Dans la démocratie bourgeoise, c’est l’atomisation individuelle qui est consacrée et renforcée, c’est la concurrence et l’enfermement du « chacun pour soi », qui est caractéristique de cette société. Par contre, dans les assemblées se développe une pensée collective, chacun peut apporter le meilleur de soi-même, tous peuvent ressentir la force et la solidarité commune, un espace se crée qui est un antidote contre la division et le déchirement de la société capitaliste, contre l’opposition entre besoins individuels et collectifs, tout en forgeant les bases d’une nouvelle société basée sur l’abolition de l’exploitation et des classes, sur la construction d’une communauté humaine mondiale.
S’il est vrai que la démocratie bourgeoise fut un progrès indéniable face au pouvoir absolu des monarques, l’évolution de l’Etat dès le début du 20e siècle a consacré la toute-puissance d’une combinaison entre ce qu’on appelle la classe politique et les grands pouvoirs économiques et financiers, autrement dit, le Capital dans son ensemble. On a beau faire toutes les listes électorales ouvertes qu’on voudra, on pourra mettre toutes les entraves qu’on voudra au bipartisme, rien n’empêchera que le pouvoir soit entre les mains de cette minorité privilégiée, un pouvoir actuellement bien plus absolu et dictatorial que la plus absolue des monarchies. Mais à la différence de celles-ci, cette dictature du capital reçoit sa légitimité périodique avec la farce électorale.
Les Assemblées se greffent dans la tradition prolétarienne des Conseils ouvriers de 1905 et 1917 en Russie15 qui se sont étendus à l’Allemagne et à d’autres pays lors de la grande vague révolutionnaire mondiale de 1917-23.
Qu’est-ce que l’ambiance peut être lourde dans un bureau de vote où les « citoyens » arrivent en silence, comme s’ils remplissaient un devoir d’une utilité douteuse, en ressentant une forte culpabilité à cause d’un vote émis qui est toujours ressenti comme « erroné » !
Par contraste, comment est fortement émouvant tout ce que nous pouvons vivre ces jours-ci dans les assemblées ! On y perçoit un grand enthousiasme et d’énormes envies d’y participer. De nombreux orateurs prennent la parole pour poser des questions en tous genres. Une fois l’Assemblée finie, il y a des réunions de commissions qui se tiennent tout au long des 24 heures. On prend contact, on apprend à se connaître les uns les autres, on réfléchit en dialoguant, on passe en revue tous les aspects de la vie sociale, politique, culturelle, économique. On découvre qu’on peut vraiment parler, qu’on peut traiter collectivement de toutes les affaires. On monte des bibliothèques sur les places occupées, on organise une « banque du temps » pour délivrer des enseignements aussi bien scientifiques que culturels, artistiques, politiques ou économiques. On y exprime des sentiments de solidarité, on écoute attentivement sans que personne n'ait à redire ni à imposer quoi que ce soit, c’est une voie qui s’ouvre à l’empathie. D’une manière encore timide, on est en train de créer une culture du débat massive16, avec de multiples réflexions, des propositions souvent intéressantes, des idées variées, on dirait que ceux qui sont là voudraient rendre publiques leurs pensées, leurs sentiments, ruminés pendant longtemps dans la solitude de l’atomisation. Les places sont inondées par une gigantesque vague collective d’idées, les masses arrivent à exprimer le meilleur et le plus profond d’elles-mêmes et de tout un chacun. Tous ces gens anonymes présentés comme des perdants dans la vie, enferment en eux-mêmes des capacités intellectuelles, des sentiments actifs, des émotions sociales, insoupçonnées, immenses, profondes.
Les gens se sentent libérés et jouissent avec passion du grand plaisir de pouvoir discuter collectivement. En apparence, ce torrent de pensées ne débouche sur rien. Il n’y a pas de propositions concrètes. Mais ceci n’est pas forcement une faiblesse, après de longues années de normalité capitaliste oppressive où l’immense majorité subit la dictature du mépris, les routines les plus aliénantes, les sentiments négatifs de culpabilité, de frustration, d’atomisation, il est inévitablement une première étape d’explosion désordonnée. Il n’y a pas d’autre moyen, il n’existe pas des plans prétentieux pour que la pensée de l’immense majorité puisse s’exprimer. Elle sait parcourir ce chemin –qui en apparence ne mène nulle part- pour se transformer elle-même et transformer de haut en bas le panorama social.
Il est vrai que les organisateurs présentent de façon répétitive des manifestes démocratiques et nationalistes. Ils reflètent en partie les illusions et les confusions de la majorité, mais, en même temps, le cours que suit la pensée de beaucoup des participants va dans d’autres directions, qui essaient de se frayer un chemin. Ainsi, par exemple, à Madrid, un mot d’ordre qui a commencé à devenir populaire sans qu’il ait été repris par les porte-paroles est : « Tout le pouvoir aux Assemblées », ou encore « sans travail, sans maison, sans peur », « le problème n’est pas la démocratie, le problème c’est le capitalisme », « Ouvriers, réveillez-vous ! ». À Valence, il y avait des femmes qui disaient : « Ils ont trompé les grands-parents, ils ont encore trompé les fils, il faut que les petits-enfants ne se laissent pas avoir ! », ou « 600 euros par mois, voilà où est de la violence ! ».
Les Assemblées ont été témoins d’un débat qui a surgi dans une espèce de tension entre des insistances différentes centrées sur trois axes :
1º Faut-il se limiter à la régénération démocratique ?17 Ou bien, les problèmes n’ont-ils pas leur origine dans le capitalisme, lequel ne peut pas être réformé et doit être détruit de fond en comble ?
2º Doit-on considérer comme terminé ce mouvement le 22 mai, jour des élections, ou, au contraire, faut-il le poursuivre pour lutter massivement contre les réductions sociales, le chômage, la précarité, les expulsions ?
3º Ne devrait-on pas étendre les assemblées aux lieux de travail, aux quartiers, aux agences pour l’emploi, aux lycées et aux universités pour que le mouvement s’enracine chez les travailleurs, qui sont les seuls qui ont la force et les bases pour mener une lutte généralisée ?
Dans les assemblées, deux « âmes » cohabitent : l’âme démocratique qui constitue un frein conservateur et l’âme prolétarienne qui cherche à se définir sur une vision de classe.
Les assemblées de dimanche 22 ont résolu le deuxième point du débat en poursuivant le mouvement. Beaucoup d’interventions affirment : « nous ne sommes pas ici à cause des élections, même si elles ont été le détonateur ». Par rapport au troisième point, il y a une multiplication des interventions pour « aller vers la classe ouvrière » en proposant d’adopter des revendications contre le chômage, la précarité, les coupes sociales. De la même manière, il a été décidé d’étendre les assemblées aux quartiers, et on commence à entendre des demandes d’extension vers les lieux de travail, les hôpitaux, les universités, les agences pour l’emploi. À Malaga, Barcelone et Valence s’est posée la question d’organiser une manifestation contre les réductions du salaire social, en proposant une nouvelle grève générale qui « soit vraie », comme l’a dit l’un des orateurs.
La phase initiale de cette « agora » est déjà en elle-même une grande conquête du mouvement. Elle devrait se continuer, parce qu’elle signifie que des masses importantes d’exploités commencent à refuser de « continuer à vivre comme jusqu’à maintenant », l’indignation amenant à la nécessité d’une régénération morale, d’un changement culturel, les propositions faites –même si elles peuvent parfois paraître naïves ou farfelues- expriment un désir, même timide ou confus, de vouloir « vivre autrement ».
Mais en même temps, est-ce qu’un mouvement qui a atteint un tel degré peut y rester sans formuler des objectifs concrets ?
Il n’est pas aisé d’y répondre : il y a deux réponses qui sont l'enjeu en profondeur de la bataille engagée, deux expressions des deux « âmes » comme on disait tout à l’heure, la démocratique et la prolétarienne. La démocratique enfonce ses racines dans le terreau du manque de confiance de la classe ouvrière en ses propres forces, le poids des couches sociales non prolétariennes mais non exploiteuses, l’impact de la décomposition sociale18, qui fait que l’on s’accroche au clou brûlant de l’État « justicier » et « équitable ».
L’autre voie, celle d’étendre les assemblées aux lieux de travail, aux établissement d’enseignement, aux agences pour l’emploi, aux quartiers, en se focalisant sur la lutte contre les effets du chômage et la précarité, en riposte aux attaques sans fin que nous avons subi et celles à venir, s’incarne dans un secteur très combatif. À Barcelone, des ouvriers de Telefónica, des travailleurs des hôpitaux, des pompiers, des étudiants de l’université, mobilisés contre les coupes sociales, ont rejoint les assemblées et commencent à leur insuffler une tonalité différente, l’Assemblée centrale de Barcelone apparaissant comme la plus distante vis-à-vis des questions sur la régénération démocratique.
L’Assemblée centrale de Madrid a convoqué des assemblées dans les quartiers qui apportent un réel souffle ouvrier. À Valence, il y a eu une jonction entre les manifestations des chauffeurs de bus et une manifestation d’habitants contre les coupes budgétaires dans l’enseignement. À Saragosse, les travailleurs des bus se sont joints aux rassemblements avec enthousiasme.
Cette seconde voie a une difficulté supplémentaire. Il est clair qu’il existe le réel danger que « l’extension » du mouvement finisse par l’emporter en le dispersant et en l’enfermant dans des questionnements sectoriels et corporatistes. C’est une vraie contradiction. D’un coté, le mouvement ne peut se poursuivre que s’il réussit à susciter, ou du moins qu’il commence à réveiller la participation de la classe ouvrière en tant que telle. Cependant, une telle extension peut favoriser le fait que les syndicats prennent le train en marche et enferment le mouvement dans des compartiments sectoriels et, dans les quartiers, que tout finisse par se consumer dans des revendications localistes, etc. Sans nier ce danger, il faut se poser la question : est-ce que le fait d’essayer, même avec un éventuel échec, ne fournit pas les prémices pour une lutte collective qui pourrait avoir une grande force dans le futur ?
Quelle que soit la direction prise par ce mouvement, sa contribution à la lutte internationale de la classe ouvrière est indiscutable :
C’est un mouvement massif et général, avec l’implication de tous les secteurs sociaux.
Ce n’est pas une réaction à une attaque concrète comme en France ou Grande-Bretagne, mais c’est l’indignation face à la situation qu’on nous fait vivre. Ceci rend difficile le fait de se focaliser sur des revendications concrètes, ce qui rend aussi difficile l’expression de sa nature prolétarienne19. Mais, en même temps, ce mouvement signifie clairement que des masses importantes se réveillent face aux problèmes de notre société, ouvrant ainsi la voie à la politisation de ces mouvements.
Le fait que le cœur de ce mouvement s’est trouvé dans les assemblées.
La compréhension de ce qui est en train de se passer doit nous pousser à laisser de coté les vieux schémas. La Révolution en Russie de 1905 fit clairement surgir une nouvelle manière d’agir des masses. Ceci fit sombrer dans la perplexité, dans le rejet par la suite et, enfin, dans la trahison, à beaucoup de dirigeants syndicaux et sociaux-démocrates, à des théoriciens importants tels que Kautsky et Plekhanov, qui s’accrochaient désespérément aux vieux schémas de « l’accumulation méthodique des forces » par le biais d’un travail graduel syndical et parlementaire20.
Nous devons aujourd’hui éviter un piège similaire. Les faits n’arrivent pas tels qu’on pouvait s’y attendre selon un schéma adapté aux luttes des années 1970 et 1980. D’abord, un prolétariat avec des problèmes d’identité et de confiance en soi ne peut pas apparaître en s’affirmant à grands cris ; il est vrai aussi qu’à ses cotés se mobilisent aussi les couches sociales non exploiteuses. Avancer vers des luttes massives, vers un combat révolutionnaire, ne se passe pas sur des rails bien délimités qui laisseraient clairement apparaître le terrain de classe. Ceci entraîne des risques : un prolétariat encore faible peut se retrouver désorienté et confus au milieu d’un vaste mouvement social, il pourrait même apparaître comme totalement perdu, si l’on peut dire, comme c’est arrivé en Argentine en 2001.
Tout cela, néanmoins, n’enlève rien des possibilités de ce qui est en train de se passer :
Aujourd’hui, les grandes concentrations industrielles ont un moindre poids et elles apparaissent dispersées dans un immense réseau national et international, ce qui fait que la lutte traditionnelle à partir de grandes usines est aujourd’hui difficile. Pour dépasser cette difficulté, le prolétariat a trouvé un moyen : prendre massivement la rue en étant accompagné par d’autres couches sociales. Tout cela fait que la nature de classe n’apparaît pas aussi facilement et directement que par le passé, cela signifie un effort plus grand pour parvenir à un niveau supérieur de clarification et de prise de conscience.
Face à la décomposition sociale ambiante, qui détruit les liens sociaux et accentue la barbarie morale, l’orientation des assemblées vers une « agora » (place publique) où toute la vie humaine est matière à réflexion, même dans une certain confusion, va dans le sens d’une réponse pour que puissent se tisser les liens sociaux, que puisse s’affirmer la morale prolétarienne, la solidarité, l’alternative face à une société de concurrence mortelle.
Il est vrai qu’en tant qu’expression d’une situation matérielle dramatique et qui est en train de pourrir pour longtemps, le prolétariat se lance dans un combat massif accompagné des couches sociales non exploiteuses qui ne partagent pas nécessairement ses objectifs révolutionnaires et qui tendent à le diluer dans une masse confuse. Ceci comporte de sérieux dangers, mais, en même temps, représente l’avantage de commencer à créer une fraternité dans la lutte, de pouvoir aborder méthodiquement les problèmes, d’établir une compréhension mutuelle plus grande, tout ce qui sera vital face aux affrontements à venir contre l’Etat bourgeois.
CCI (25 mai 2011)
1 La corruption fait partie des gènes du capitalisme puisque sa « morale » consiste en ce que « tout sert » pourvu qu’on arrive à en obtenir le plus de profit. Sur la base de cette tare congénitale et dans le cadre de l’approfondissement de la crise (qui ne fait qu’entraîner les comportements irresponsables à se développer aussi bien au sein du patronat que chez les politiciens), la corruption devient inévitable dans n’importe quel État, quelles que soient ses lois particulières.
2 Ceci dit, lors des assemblées commencent à apparaître des expressions internationalistes. Un orateur, à Valence, dimanche, s’est proclamé « citoyen du monde », en disant qu’on ne pouvait pas se limiter à changer l’Espagne. On est en train de faire un effort de traduction des communiqués des assemblées dans toutes les langues « étrangères » possibles, ce qui tranche avec le coté « hispano-espagnol » du début. S’il est vrai que les mobilisations hors d’Espagne se comprenaient, dans de nombreux pays, comme une « affaire des Espagnols dans le monde », il semblerait que certains rassemblements commencent à prendre un autre sens.
3 Encore que cela commence à se dire à partir des assemblées de dimanche 22.
4 Pas seulement dans les pays du « Tiers monde » (terminologie bien anachronique !), mais aussi dans les pays centraux. Des informaticiens hautement qualifiés, des avocats, des journalistes etc., se voient relégués à la condition de précaires ou de free lance, dans des situations très instables. Et des petits entrepreneurs qui deviennent des auto-patrons qui travaillent plus d’heures qu’une montre ! ...
5 Voir « Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France » contre le CPE, https://fr.internationalism.org/rint125/france-etudiants [62] et bien d’autres articles sur ce sujet
6 « Les révoltes de la jeunesse en Grèce confirment le développement de la lutte de classe », https://fr.internationalism.org/rint136/les_revoltes_de_la_jeunesse_en_g... [63].
7 On peut sur notre site les différentes prises de positions en 2010 et 2011 sur les mouvements en France, Grande-Bretagne, Tunisie, Egypte (Revue international nº 144 et 145 et aussi Révolution internationale et Internationalisme)
8 Cf. madrid.indymedia.org/node/17370 : le communiqué des détenus a exprimé avec éloquence les traitements qu’ils ont subis.
9 L’État est l’organe de la classe dominante. Il peut apparaître sous sa forme démocratique, mais sa structure même sur la quelle il est construit est celle de la délégation de pouvoir, ce qui ne pose le moindre problème à la minorité exploiteuse, laquelle, en possédant les moyens de production, tient « la poêle par le manche », comme on dit en espagnol, autrement dit toutes les manettes, de sorte qu’elle peut soumettre les politiciens professionnels à ses intérêts. Par contre, pour la classe ouvrière et l’immense majorité de la population, c’est une autre affaire : leur « participation » est réduite à donner un chèque en blanc à ces messieurs, lesquels, même s’ils agissent avec honnêteté et renoncent à tout intérêt personnel, sont totalement emprisonnés dans la toile d’araignée bureaucratique de l’État. Par ailleurs, les reformes proposées, au cas où elles étaient prises vraiment au sérieux, prendraient un temps extrêmement long en formalités et chicanes parlementaires, de plus elles seraient facilement dénaturées, et leur application serait incertaine.
10 Le dernier dimanche 22 mai, il y a eu des élections locales en Espagne.
11 Il est significatif que la stratégie adoptée par le candidat du PP, Rajoy, consiste dans le fait de ne dire absolument rien, en tenant un discours vide mais rempli des plus pathétiques lieux communs ; garder un silence assourdissant est la seule manière qu’il a à sa disposition pour empêcher que les votants de gauche ne se mobilisent contre lui.
12 Après la Révolution de 1868 –nommée « La Glorieuse »- et les années tourmentées qui la suivirent, en 1876 s’est instauré un tour de rôle entre le parti conservateur de Cánovas et le parti libéral de Sagasta, ce qui a duré jusqu’à 1900.
13 Les petits partis dans lesquels beaucoup d’interventions au sein des assemblées placent tant d’espoir, au-delà du fait que leur programme est celui d’une défense du capitalisme aussi affirmée que celle des grands partis et d’avoir une structure interne aussi dictatoriale et bureaucratique que ceux-ci, n’ont aucun rôle propre à jouer : ils sont comme une espèce de baudruche qui se gonfle de façon conjoncturelle quand l’un des grands partis baisse et se dégonfle quand les deux grands ont besoin d’occuper tout l’espace, dans le gouvernement comme dans l’opposition.
14 Ce titre en espagnol « Las asambleas son un arma cargada de futuro » fait référence au titre d’un poème très émouvant et combatif de Gabriel Celaya qui dit « LA POESÍA ES UN ARMA CARGADA DE FUTURO » (années 50)
15 Dans notre Revue internationale, nous venons de publier une série sur ce sujet : « Qu'est ce que les conseils ouvriers ? » (nº 140, 141, 142, 143, 145). Voir : https://fr.internationalism.org [64], taper les mots clés « conseils ouvriers »
16 Voir « La culture du débat : une arme de la lutte de classe », /rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html [65].
17 Qui s’est concrétisé dans le « Décalogue démocratique » approuvé par l’Assemblée de Madrid : listes ouvertes, reforme électorale...
18 Lire « La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [66] », thèses que nous avons publiées en 1990.
19 En France et en Grande-Bretagne, les mobilisations avaient l’axe bien clair de construire une riposte face à des attaques très dures de la part des gouvernements.
20 Face à eux, Rosa Luxemburg avec Grève de masse, parti et syndicats, ou Trotsky avec Bilan et perspectives, surent appréhender les caractéristiques et la dynamique de la nouvelle époque de lutte de classe.
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article de World Revolution (WR), organe de presse du CCI en Grande-Bretagne et mis en ligne sur notre site en anglais le 4 septembre.
Dans l'article sur le mouvement 'pour plus de justice sociale' en Israël que nous avons publié en août1, nous avions écrit : « De nombreux manifestants ont exprimé leur frustration face à l'incessant couplet sur la ' sécurité' et sur la 'menace du terrorisme', utilisé pour que les gens oublient la réalité de la misère sociale et économique croissante. Certains ont ouvertement mis en garde contre le danger que le gouvernement pourrait provoquer des affrontements militaires ou même une nouvelle guerre pour restaurer 'l'unité nationale' et diviser le mouvement de protestation. »
Ces craintes se sont avérées bien fondées. Le 18 août, il y a eu un déluge d'attaques armées contre des civils israéliens et des patrouilles militaires. Deux autobus de transports publics dans le Sud d'Israël ont subi des tirs, faisant plusieurs morts et blessés. Il y a eu une certaine confusion quant à la responsabilité du Comités de Résistance Populaire (CRP) ou du Hamas par rapport à ces attaques, aucun des deux ne les ayant revendiquées. De toute façon, le gouvernement israélien a réagi, comme à l'accoutumée, de manière brutale, par des frappes aériennes sur Gaza, tuant des membres du CRP, mais aussi un groupe d'enfants et de gardes-frontières égyptiens. Cela a à son tour provoqué d'autres attaques de roquettes lancées depuis Gaza sur des villes du Sud d'Israël.
Peu importe qui a initié cette dernière spirale de la violence, provoquant un accroissement des tensions guerrières, cela ne peut que profiter aux nationalistes des deux camps. L'intention était de créer des difficultés majeures pour le développement du mouvement de contestation, de faire hésiter ceux incités à poursuivre l'expérience des villages de tentes et à continuer à manifester, à un moment où il y a une énorme pression pour maintenir 'l'unité nationale'. Itzik Shmul, le leader de l'Union Nationale des Etudiants a certes lancé un appel pour annuler les manifestations, mais un noyau important de manifestants a rejeté cet appel. Cette tentative d'intimidation a échoué. Dans la nuit du samedi 20, des manifestations se sont déroulées, bien qu'elles devaient être 'muettes', et qu'elles étaient à une plus petite échelle que dans les précédentes semaines. Il en a été de même pour les manifestations du samedi 28 août.
Ce qui est significatif est que ces manifestations ont vraiment eu lieu, attirant jusqu'à 10 000 personnes à Tel-Aviv et plusieurs milliers dans d'autres villes2. Et il n'y a pas eu de dérobade par rapport à la question de la guerre, au contraire, les slogans soulevés au dessus des manifs reflétaient une compréhension croissante de la nécessité de résister à la marche à la guerre et, pour les opprimés des deux camps, de lutter pour leurs intérêts communs: « Juifs et Arabes refusent d'être ennemis », « La justice sociale est exigée en Israël et dans les territoires », « Vivre dans la dignité à Gaza et à Ashdod dans la dignité », « Non à une autre guerre, qui va enterrer les revendications ! » La 'Tente 1948' judéo-palestinienne, sur le boulevard de Rothschild a publié une déclaration qui a été lue publiquement : «C'est le moment de montrer une véritable force... Restez dans la rue pour condamner la violence et refusez de retourner chez vous ou d'aller dans l'armée pour prendre part à l'attaque vengeresse sur Gaza. »
Un discours prononcé à Haïfa par le Raja Za'atari a également exprimé l'émergence de sentiments internationalistes, même si il a été libellée dans la langue de la démocratie et du pacifisme : «A la fin de la journée, une famille sans abri est une famille sans abri, et un enfant affamé est un enfant affamé, peu importe qu'il parle en arabe, en hébreu, en russe ou en amharique. A la fin de la journée, la faim et l'humiliation, tout comme la richesse, n'ont pas de patrie et aucune langue ... Nous disons: il est temps de parler de paix et de justice dans un seul souffle! Aujourd'hui plus que jamais, il est évident pour tous que, dans le but d'empêcher que l'on parle de justice, ce gouvernement pourrait entamer une autre guerre. » onedemocracy.co.uk/news/we-will-be-a-jewish-arab-people [67]
Le fait que ces slogans et sentiments puissent devenir tellement plus populaires qu'ils ne l'étaient, il y a seulement un an ou deux, indique que quelque chose de profond se passe en Israël, et surtout parmi la jeune génération. Nous avons vu poindre une protestation comparable de le jeunesse contre le statu quo dans le Gaza islamique3.
Comme en Israël, ceux qui se réclament des « jeunes de Gaza » ' constitue une petite minorité, sur laquelle pèsent tous sortes d'illusions, en particulier, sur le nationalisme palestinien. Mais dans un contexte global de révolte croissante contre l'ordre existant, les bases sont posées pour le développement d'un véritable internationalisme, fondé sur la lutte de classe et la perspective d'une authentique révolution des exploités.
D'après WR, organe du CCI en Grande-Bretagne (28 août)
1 en.internationalism.org/icconline/2011/08/social-protests-israel [68]
2 La meilleure preuve en est que le samedi 3 septembre, au moment où nous traduisions ce texte, de gigantesques manifestations, plus massives encore que le 6 août, rassemblant cette fois plus de 400 000 personnes (le plus grand rassemblement de l'histoire du pays) se sont à nouveau déroulées à Tel Aviv, Haïfa et Jérusalem, non seulement sur la question du logement mais dirigée aussi contre la hausse exorbitante des denrées alimentaires, de l'essence, le coût de l'éducation et toujours contre l'escalade militariste du gouvernement (NDT).
The Guardian du 28 août a également signalé qu'un certain nombre de bâtiments inoccupés à Jérusalem ont été pris par des manifestants qui exigent qu'ils soient utilisés pour loger des gens avec un loyer abordable. https://www.guardian.co.uk/world/2011/aug/28/israel-squatting-campaign-h... [69]
3 ‘A radical manifesto from Gaza’: https://en.internationalism.org/icconline/2011/gaza [70]
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article d’Internationalism USA, organe de presse du CCI aux Etats-Unis et également disponible dans sa version originale sur notre site en anglais à cette adresse https://en.internationalism.org/internationalismusa/201112/4629/occupy-movement-response-capitalism-s-attacks-hampered-illusions-dem [72] depuis le 19 décembre.
Le Mouvement 'Occupy', qui a frappé l'imagination des gens qui en ont assez de leurs conditions de vie sous le capitalisme en décomposition, est arrivé à un tournant. Les campements dans les parcs et autres 'espaces publics' dans des douzaines de villes à travers l'Amérique du Nord ont été attaqués par les forces de répression bourgeoises. Les services de police municipale, sous le prétexte que les villes de tentes étaient devenues des menaces pour la santé publique, ont expulsé des campements à Atlanta, Baltimore, Los Angeles, Toronto, Vancouver, Philadelphie et beaucoup d'autres villes. Cela s'est produit même dans les villes régies par des maires soi-disant amis, qui, nous racontent-ils, ont été contraints d'agir dans un souci de sécurité des manifestants eux-mêmes, leurs campements étant devenus des aimants pour la « criminalité ».
Sans aucun doute, l'expulsion la plus importante a eu lieu dans le Zuccotti Park de New York, là où tout a commencé, lorsque la police du maire Bloomberg a expulsé les manifestants de 'Occupy Wall Street' (OWS), dans les premières heures du matin du 15 novembre. Cela a déclenché un combat juridique curieux, dans le système judiciaire bourgeois, avec des avocats qui défendaient les occupants en faisant valoir que l'expulsion violait le droit de libre expression que leur donne le premier amendement. La décision du juge a été une victoire à la Pyrrhus pour les manifestants : celle-ci leur permettait de retourner dans le parc pour s'engager dans une protestation conforme à la loi, mais leur refusait les tentes et le matériel de camping. Ainsi, OWS se trouve privé de son modus vivendi. Avec un Etat bourgeois qui ne veut plus jouer les gentils, le mouvement Occupy n'a maintenant plus la possibilité d'occuper quoi que ce soit sans conséquence.
Est-ce que ceci pourrait contribuer à étendre le mouvement ? Privés du droit de camper légalement dans le parc, est-ce que les manifestants pourraient être amenés à créer un mode différent de lutte, en se concentrant moins sur l'occupation d'un espace géographique particulier et en développant plus les organes pour la clarification et l'approfondissement théorique, tels que des groupes de discussion ? En ce moment, il n'est pas possible de l'affirmer, mais c'est souvent dans la nature des mouvements sociaux que les actions de l'Etat ont ce genre de conséquences imprévues.
Bien que beaucoup dans le mouvement aient juré de poursuivre leur lutte contre l'avidité des entreprises, l'inégalité des revenus et la corruption supposée du 'processus démocratique' des Etats-Unis, il est clair, en ce moment, que la phase initiale du mouvement d'occupation tire à sa fin. Tout au long des premières semaines d'occupation, les manifestants ont pu généralement bénéficier de l'appui de l'opinion publique, ce qui obligeait les autorités à agir avec un certaine retenue à leur égard. Ce n'est plus le cas. Alors que les sondages continuent de montrer que la population voue une énorme sympathie pour les objectifs et les griefs des manifestants, le soutien aux occupations elles-mêmes a diminué. Le sentiment que les occupants ont surestimé leur force est répandu. La pression est désormais mise sur les occupants pour qu'ils fassent entendre leurs doléances en restant dans la légalité.
Alors que nous ne pouvons pas prédire quelle direction ce mouvement va prendre, ni même si il peut survivre en tant mouvement social indépendant, en dehors des institutions de la politique bourgeoise, il est approprié, à ce stade, pour les révolutionnaires, de tenter de faire un bilan de ce mouvement afin de tirer les leçons pour l'avenir de la lutte de classes. Qu'est-ce qui a été positif dans ce mouvement? Quelles ont été ses faiblesses? Que pouvons-nous en attendre ?
Malgré ces questions sans réponse et l'ambiguïté générale exprimée par ce mouvement, nous pensons qu'il est une manifestation de la volonté de certains secteurs de la classe ouvrière, parmi les autres groupes sociaux, de se battre contre les attaques massives que le système capitaliste est en train de mener contre les conditions de vie. Même si ce mouvement rappelle beaucoup ce même activisme politique que nous voyons depuis la fin des années 1990, avec le mouvement alter-mondialiste, il semble néanmoins s'être effectué dans une dynamique fondamentalement différente de ces mouvements précédents, qui pourrait contenir les semences pour une nouvelle radicalisation.
Ainsi, alors que nous ne pouvons pas encore nous prononcer de façon définitive sur la nature de ce mouvement, nous pouvons néanmoins essayer de le situer dans une perspective de classe et d'en tirer certains enseignements majeurs pour la période à venir.
Le Mouvement 'Occupy' en Amérique du Nord a clairement constitué un maillon dans la chaîne de protestations et de mouvements sociaux qui ont balayé les quatre coins du monde au cours de l'année 2011. Ces mouvements ont massivement cherché à répondre aux effets de la crise du capitalisme sur les conditions de vie de la classe ouvrière et de la société en général. De la révolte dans le monde arabe, au printemps, à l'éclatement de luttes massives en Chine, au Bangladesh, en Espagne, en Israël et au Chili, le mouvement Occupy a été clairement inspiré par des événements qui ont eu lieu loin des côtes américaines. Jamais, depuis la période de la fin des années 1960 jusqu'au début des années 1970, nous n'avons assisté à un tel éventail de mouvements à travers le monde, cherchant tous à répondre aux mêmes provocations fondamentales : l'attaque sur les conditions de travail et de vie de la population résultant de la récession mondiale et les attaques massives d'austérité déferlant sur le salaire social dans le sillage de la crise de la dette souveraine et de la crise financière de 2008.
Tous ces mouvements ont été caractérisés par le désir d'un nombre toujours croissant de gens de faire quelque chose en réponse à la montée de ces attaques, même s'il y a eu peu de clarté quant à ce qui doit être fait. Le mouvement Occupy est une manifestation importante de cette tendance internationale dans le 'ventre de la bête' lui-même. Comme le mouvement massif dans le Wisconsin, plus tôt dans l'année, le mouvement Occupy a réfuté l'idée persistante que la classe ouvrière d'Amérique du Nord est totalement intégrée dans le capitalisme ou sans volonté et incapable de résister à ses attaques. Toutefois, alors que les événements dans le Wisconsin ont eu lieu dans un seul Etat, le mouvement Occupy s'est propagé à des centaines de villes à travers le continent et même dans le monde entier. Par ailleurs, alors que les manifestations du Wisconsin ont été très rapidement récupérées par les syndicats et le Parti Démocrate, les manifestants d'Occupy ont tenu à affirmer leur autonomie, estimant qu'un changement significatif ne peut découler que d'une 'nouvelle forme' de mouvement. Ils ont montré une méfiance très saine à l'égard des partis et des programmes officiels, ce qui démontre leur méfiance croissante envers les partis officiels pour les représenter dans leurs luttes.
Comme les mouvements dans d'autres parties du globe, ceux des Occupy ont été caractérisés par l'afflux de nouvelles générations de travailleurs, dont beaucoup ont peu d'expérience politique et ont quelques idées préconçues sur la façon d'organiser une lutte. Ce qui unit ces participants est un désir presque prémonitoire de se réunir avec les autres et de sentir l'expérience d'une solidarité active et communautaire pour poser une alternative à la société existante à travers l'expérience vécue de la lutte. Il n'y a pas de doute que ces désirs sont surtout alimentés par le sentiment croissant d'aliénation sociale face à la décomposition capitaliste, ainsi que par les énormes difficultés des jeunes générations ont à s'insérer sur le marché de l'emploi lui-même. Le manque d''expérience du travail collectif et le sentiment d'isolement qui l'accompagne, l'atomisation et le désespoir poussent aujourd'hui de plus en plus les travailleurs, en particulier les jeunes et ceux qui ont été chassés du processus de production, à rechercher la solidarité à travers la lutte. Sont également présents dans ces luttes des gens d'autres couches sociales : toutes sortes de gens profondément frustrés et inquiets devant la direction que prend la société. Cependant, en Amérique du Nord, ces manifestations ont été dominées par les jeunes générations de travailleurs et les personnes les plus profondément touchées par la crise et le chômage de longue durée.
Bien sûr, cela ne veut pas dire que le mouvement Occupy lui même, notamment à travers la tactique de l'occupation d'espaces géographiques spécifiques, représente la forme que la lutte de classes va prendre à l'avenir. Au contraire, ce mouvement, comme tous les mouvements frères à travers le globe, ont été marqués par des faiblesses fondamentales, qu'il sera nécessaire pour la classe ouvrière de dépasser si elle veut aller de l'avant. Nous pouvons conclure que le mouvement Occupy représente une tentative importante par des parties du prolétariat pour répondre aux attaques agressives du capitalisme, même si il ne représente pas un modèle parfait pour les luttes futures.
Une des caractéristiques les plus importantes du Mouvement Occupy a été l'émergence d'assemblées générales (AG) en tant qu'organe souverain de la lutte. La redécouverte de l'AG comme la forme la mieux capable d'assurer la plus large participation et le plus large échange d'idées a marqué une avancée considérable pour la lutte de classes dans la période actuelle. Par rapport au mouvement Occupy, les AG semblent avoir été adoptées par les luttes antérieures, en particulier celle des 'Indignés' en Espagne, ce qui démontre que, dans cette période, il y a une tendance à assimiler rapidement les méthodes de luttes dans d'autres régions du monde et à adopter les tactiques et les formes les plus efficaces. La rapidité avec laquelle les AG se sont propagées à travers le monde cette année écoulée a en effet été assez impressionnante.
Comme ailleurs, les AG du mouvement Occupy ont été ouvertes à tous, encourageant tous ceux qui se sentent concernés à participer à l'orientation du mouvements. Les AG ont pratiqué une politique ostensible d'ouverture. Des compte-rendus étaient distribués. Une volonté claire s'est exprimée pour que les AG restent distinctes de tout parti, groupe ou organisation qui peut chercher à confisquer leur autonomie. Les AG représentaient donc une prise de conscience naissante qu'on ne pouvait pas se fier aux partis et aux institutions existants, même les partis de gauche et les syndicats, pour diriger la lutte au nom des masses. Au contraire, les manifestants eux-mêmes devaient rester souverains, eux seuls pouvaient déterminer la façon d'aller de l'avant.
Néanmoins, malgré ces caractéristiques très positives, l'expérience des AG, dans le mouvement Occupy, a été marquée par une profonde faiblesse. Dès le début, le mouvement s'est constitué comme une occupation d'une parcelle de l'espace géographique. OWS avait initialement prévu d'occuper le quartier financier de New York lui-même, ou de mettre en place un lieu symbolique de manifestation à Wall Street, mais, une fois qu'il est devenu clair que l'Etat ne tolérerait pas cela, les manifestants ont occupé un parc voisin, presque par défaut1. Cela représente le pied de la montagne, mais n'est pas tout à fait sur la montagne elle-même : le modèle était ainsi fixé pour le mouvement dans d'autres villes, dont une écrasante majorité a pris la forme d'un campement dans un parc de ville. Bien qu'il y ait un précédent de ce genre d'occupation dans l'histoire des Etats-Unis (l'occupation de terre en friche par la Bonus Army, dans la ville de Wahington, pour protester contre les conditions de vie des vétérans de la Première Guerre mondiale, à l'époque de la Grande Dépression), la décision de se définir comme le mouvement d'occupation d'un emplacement géographique spécifique a constitué une faiblesse profonde qui a contribué à l'isolement du mouvement Occupy.
Assez rapidement, en particulier à New York, Occupy a été dominé par le sentiment qu'il avait à défendre le parc qui était devenu le lieu de regroupement du mouvement et en fait était devenu une sorte de communauté pour la plupart des manifestants individuels. Sans aucun doute, le sens positif de solidarité que beaucoup de manifestants ressentaient en tant que participants à un mouvement pour le changement a contribué à définir les limites du mouvement comme les limites du parc et à chercher à défendre ces frontières contre les attaques de l'Etat ou sa récupération par les grands courants politiques.
Cependant, cela a tendu aussi à produire une tension dans le mouvement Occupy entre, d'une part, un mouvement pour le changement social en général et, de l'autre, une nouvelle expérience de vie communautaire. De fait, alors qu'il était un campement provisoire, à la suite de nécessités tactiques, Zuccotti Parc, a eu tendance à être perçu par les occupants comme une nouvelle sorte 'd'abri ' au sein de la société capitaliste. Des rumeurs d'une répression policière imminente n'ont fait que renforcer le désir de 'défendre le parc.' Alors que les occupants ont fait des incursions occasionnelles en dehors du parc pour protester contre les banques, dans les quartiers bourgeois, plus le mouvement persistait, plus prédominait la tendance à essayer de constituer un noyau d'une façon alternative de vie dans le parc. Aucun effort réel n'a jamais été fait pour étendre la lutte à l'ensemble de la classe ouvrière, au-delà des limites du parc.
A contrario, ce fétichisme qui consistait à occuper un espace géographique spécifique n'a pas caractérisé les mouvements en Espagne, en Israël et au Moyen-Orient. Là-bas, les places publiques étaient considérées davantage comme un point de rencontre où des manifestants pouvaient se réunir pour un but spécifique, discuter, organiser des rassemblements et décider des tactiques. Le désir de s'accrocher à des espaces publics avec des campements permanents a été une caractéristique particulière pour l'Amérique du Nord, des récents mouvements, qui exige un examen plus approfondi.
Cependant, peut-être encore plus dommageable que le fétichisme de l'occupation, les AG dans le mouvement Occupy ont finalement été incapables de remplir leur fonction d'unifier les manifestants, étant donné qu'au cours de la lutte, d'organes de décision, elles ont été transformées en organes de plus en plus passifs aux mains d'activistes et de gauchistes professionnels, principalement à travers les activités des groupes et comités de travail. Au lieu de constituer l'organe de la discussion la plus large, en leur sein régnait la peur omniprésente de travailler en dehors des exigences concrètes, parce qu'elles étaient considérées comme semant les divisions et la polarisation plutôt qu'unificatrices, ce qui les rendait impuissantes face à la nécessité de prendre des décisions concrètes dans le feu de l'action.
Une caractéristique du mouvement Occupy qui a été commune à la plupart des mouvements de revendication que nous avons vus au cours de la dernière année a été la prépondérance d'énormes illusions par rapport à la 'démocratie' en tant qu'alternative au système actuel. Cela a pris la forme d'une hypothèse sous-jacente selon laquelle les problèmes auxquels le monde se trouve confronté pourraient remonter à la domination de la vie économique et politique par une clique de financiers parasitaires, de banquiers et de grands entrepreneurs qui placent leurs propres intérêts immédiats au-dessus de celui de l'ensemble de la société dans son ensemble. Pour les Etats-Unis, il est dit que ce phénomène a corrompu le processus démocratique américain, au point que les grandes entreprises sont effectivement en mesure de dicter leur politique au Congrès et au Président par le biais de leur contrôle des fonds de campagne.
Ainsi, le mouvement Occupy a eu tendance à penser que la solution à l'oppression et à la souffrance passait par la revitalisation de la démocratie contre la cupidité des entreprises et la spéculation financière. Alors que la définition précise du terme 'démocratie' peut différer d'un manifestant à l'autre (certains peuvent se contenter d'un amendement interdisant les contributions des entreprises aux campagnes électorales, tandis que d'autres ont une définition plus radicale de l'autonomie gouvernementale à l'esprit), le sens sous-jacent est néanmoins que la 'démocratie' est en quelque sorte opposée à l'oppression et à l'exploitation économique.
Par ailleurs, tandis que de nombreux manifestants sont maintenant prêts à dire que le 'capitalisme' est, soit une partie, soit à la racine des problèmes économiques mondiaux, il n'y a pas de consensus sur ce qu'est en réalité le 'capitalisme'. Pour beaucoup, le capitalisme équivaut tout simplement aux banques et aux grandes entreprises. La compréhension marxiste que le capitalisme est un mode de production associé à toute une époque de l'histoire humaine, qui se caractérise par l'exploitation du travail salarié est seulement abordée à la marge de ce mouvement. Ainsi, tandis que de nombreux manifestants reconnaissent que Marx avait quelque chose d'important à dire sur les problèmes du capitalisme, il y a peu de clarté quant à la pertinence du marxisme et du mouvement ouvrier par rapport à leur projet de construire, aujourd'hui, un nouveau monde. Ces hésitations, également observées dans d'autres mouvements dans le monde, constituent une limitation essentielle pour l'expression de la dynamique des futurs mouvements.
Si ces illusions sur la démocratie étaient restées au niveau idéologique, on pourrait à juste titre les attribuer à l'immaturité du mouvement, comme l'expression d'une phase d'ouverture dans la lutte de classe, que la classe ouvrière dépasserait à la lumière de l'expérience. Cela peut se révéler être le cas, mais pour l'instant, pour le mouvement Occupy, la démocratie est fétichisée au point qu'elle constitue un obstacle fondamental à sa capacité à aller de l'avant. En outre, cette vision a fourni la base pour précisément ce que le mouvement ne connaissait pas au début : sa récupération par l'idéologie pro-démocratique et réformiste, dans le contexte de l'approche de la campagne électorale présidentielle de 2012.
Dès le début, en prenant au sérieux le mandat de créer une nouvelle forme de démocratie dans le cadre de la lutte, l'AG a essayé de fonctionner sur la base du modèle démocratique du 'consensus'. A bien des égards, c'était une réaction saine, visant à assurer la participation la plus large possible et à s'assurer que personne ne se sentait exclu des décisions prises par l'AG. Ce modèle a, sans doute, été adopté comme une réponse à l'expérience négative des mouvements précédents dominés par des militants professionnels et des organisations politiques, dans lesquels le participant moyen ne pouvait que se sentir à peu près au niveau d'un soldat de troupe, dans un mouvement dirigé par des professionnels.
En ce sens, le désir de s'assurer que chacun se sente inclus est parfaitement compréhensible. En réalité, l'insistance sur le fonctionnement sur un modèle de consensus a empêché le mouvement d'aller au-delà de ses limites, en bloquant la nécessaire confrontation des idées et des perspectives qui aurait permis au mouvement de sortir de son isolement dans le parc. Faute de pouvoir prendre de véritables décisions, afin de répondre aux besoins immédiats du mouvement, en négligeant de développer un organe exécutif, l'AG est très rapidement tombée sous la coupe de divers groupes de travail et comités, beaucoup d'entre eux dominés par des militants très professionnels, ce qu'elle craignait à l'origine. D'une certaine façon, l'insistance sur le fait que chaque décision devait être prise sur la base d'un vote à l'unanimité assurait qu'aucune véritable décision ne pouvait être prise et que les différents 'groupes' (groupes de travail, comités, etc) commenceraient à se substituer à 'l''ensemble' (l'AG ). Ainsi, la crainte de l'exclusion de la part de l'AG autorisait le 'substitutionnisme' à se glisser par la porte de derrière, une situation qui a finalement conduit à de nombreuses distorsions de la souveraineté de l'AG.
L'a priori de l'insistance sur le fonctionnement basé sur l'adoption à l'unanimité était également évident dans la très difficile question de l'augmentation des revendications concrètes. Depuis le début, le mouvement Occupy semblait fier de son refus de définir des revendications précises ou de formuler un programme. C'est un souci compréhensible de la part de ceux qui souhaitent éviter d'être récupérés dans la même vieille politique réformiste, offerte par l'Etat, mais, comme le montre le sort du mouvement Occupy, le réformisme ne peut pas être bloqué par le refus de présenter des revendications. Le mouvement a été caractérisé par une extrême hétérogénéité des revendications. La vision la plus radicale pour un changement total de la société sur des bases égalitaires coexistait avec des exigences totalement réformistes qui restent de la compétence du légalisme bourgeois, comme le demande de faire passer un amendement constitutionnel pour mettre fin à 'la personnalité d'entreprise'.
Une des leçons les plus importantes du mouvement Occupy est donc que les mouvements à venir devront aborder la question de savoir comment développer un organe exécutif compétent qui reste responsable devant l'AG : un véritable organe de décision qui fonctionne avec un mandat de l'AG révocable à tout moment. Un tel organe est nécessaire si le mouvement veut prendre des décisions dans le feu de la lutte et tisser la solidarité, la confiance et l'unité entre tous les participants. Comme ce mouvement le montre, le développement d'un véritable organe exécutif ne peut pas être évité, si le mouvement veut aller au-delà d'un stade très élémentaire. Comment des décisions tactiques peuvent-elles être prises dans le feu de la lutte ? Comment les AG maintiendront-elles leur souveraineté sur tout ces comités et organes qui seront nécessaires ? Telles sont les questions essentielles qui doivent être abordées.
Bien sûr, il est également vrai qu'un organe exécutif ne peut pas être proclamé ex nihilo. Un organe exécutif qui ne repose que sur la base du plus large débat et du plus large échange d'idées entre tous les participants serait, au mieux une farce totale et au pire une autre voie pour que le 'substitutionnisme' se glisse par la porte de derrière. Un organe exécutif ne peut fonctionner que comme une concrétisation de la vitalité de l'AG et il ne peut pas se substituer à elle. Par conséquent, alors que l'échec à prendre en charge la question d'une fonction exécutive peut avoir été un facteur clé dans la disparition du mouvement Occupy, cela ne signifie pas qu'un organe exécutif déclaré de façon volontariste par les éléments les plus actifs dans la lutte l'aurait sauvegardé.
Plus que tout, ce qui a été absent dans ce mouvement a été un véritable désir de discuter des racines de la crise elle-même. Plutôt que d'essayer de s'engager dans ce qui est devenu une discussion inévitable sur la nature des troubles de la société, le mouvement Occupy est resté enfermé dans sa vision fétichiste du mode de décision. Enlisé dans une problématique démocratique bourgeoise, le mouvement n'a jamais abordé les questions fondamentales de fond : ce mouvement doit-il rester emprisonné dans une problématique d'unanimité interclassiste ou doit-il exprimer les réactions et le point de vue des exploités ? Est-ce que les banques sont à blâmer pour l'impasse dans laquelle se trouve la société ou est-ce que leurs manigances sont un simple symptôme d'un plus large échec du système économique lui-même ? Peut-on produire un changement significatif en aiguillonnant l'Etat pour qu'il agisse dans l'intérêt de la société ou devons-nous réfléchir aux moyens de dépasser l'Etat ? Alors qu'il était possible de trouver des participants des deux côtés de ces questions (et un peu plus pour démarrer !), le mouvement n'a jamais compris qu'il fallait décider quelles positions étaient 'justes'. Sous le prétexte de 'toutes les positions sont les bienvenues ici', le mouvement n'a jamais dépassé une foi simpliste dans sa propre capacité à montrer la voie par l'exemple d'une nouvelle forme de vie du consensus.
Un aspect du mouvement Occupy qui a figuré en bonne place dans son échec final a été son incapacité à étendre efficacement la lutte au-delà des différents sites de campement. De nombreux facteurs figurent dans l'isolement final du mouvement : la tendance pour les occupants de voir les sites de campement comme une communauté interclassiste, la tendance pour les divers parcs d'être vus comme des forteresses d'espace libéré qui doit être défendu, etc. Toutefois, le facteur le plus important a été l'incapacité du mouvement à se relier efficacement avec l'ensemble de la lutte de la classe ouvrière pour défendre ses conditions de vie et de travail, face aux attaques agressives du capitalisme.
En dehors de la grève générale controversée à Oakland qui a arrêté les opérations portuaires de la ville pour une journée, le mouvement a été incapable d'inspirer une réponse plus large de la part de la classe ouvrière aux attaques du capitalisme contre elle.
Dans l'ensemble, la classe ouvrière sur son lieu de travail reste désorientée face à la vaste offensive du capitalisme contre ses conditions de vie et est incapable de s'engager dans une lutte massive pour se défendre. En dehors de quelques grèves éparpillées, contrôlées par les syndicats, la classe ouvrière demeure en tant que telle pour le moment largement absente des luttes.
Dans un certain sens, cela ne devrait pas être surprenant. La crise actuelle et l'intensification actuelle de l'assaut sur la classe ouvrière sont arrivées après plus de 30 ans d'attaques ouvertes sur la vie de la classe ouvrière, sur ses conditions de travail et sur le fondement même de la solidarité de classe. Par ailleurs, les attaques actuelles sont remarquablement brutales par leur férocité, à la fois au niveau du point de production et du salaire social. En plus de cela, la crise politique actuelle de la bourgeoisie américaine doit être prise en compte dans toute analyse de l'apparente passivité de la classe ouvrière. Les attaques agressives des insurgés de l'aile droite du parti Républicain sur l'appareil syndical, ainsi que la rhétorique de plus en plus loufoque émergeant du Tea Party ont sans doute eu un effet désorientant sur la conscience de la classe ouvrière. Dans ces conditions, beaucoup de travailleurs restent au niveau de chercher à protéger ce qu'ils ont encore à travers les institutions existantes des syndicats et du Parti Démocrate. D'autres sont devenus tellement désorientés qu'ils sympathisent avec tel ou tel politicien qui semble le plus en colère, même s'il se trouve appartenir au Tea Party.
Néanmoins, malgré les difficultés et les obstacles auxquels elle est confrontée pour retrouver son identité de classe et son terrain de lutte, l'ensemble de la classe ouvrière n'a pas été totalement silencieuse. Les exemples de mobilisations dans le Wisconsin, plus tôt cette année, sont la preuve que nous sommes entrés dans une phase ouverte depuis la grève à New York City Transit en 2005/2006, avec une tendance vers l'accroissement de la confrontation de classe, vers la reprise de la solidarité et vers une volonté de résister à la paralysie instillée par les attaques du capitalisme. Si le traumatisme de l'escalade des attaques dans le sillage de la débâcle financière de 2008 et le chaos politique actuel de la classe dirigeante américaine, actuellement, pèsent lourdement sur la classe ouvrière et sa combativité, la mémoire de ces luttes agit encore au niveau souterrain.
Cependant, alors que les sondages d'opinion ont toujours montré un haut niveau de sympathie de la part de la population pour les manifestants d'Occupy, cela ne s'est pas traduit dans une action massive efficace. Il y a eu des cas, bien sûr, où cette perspective a été évoquée. Cela s'est surtout produit autour de la question de la répression policière. A New York, Oakland et ailleurs, chaque fois que l'Etat semblait aller trop loin dans sa répression des manifestants, une indignation massive de l'opinion publique a contraint l'Etat à plus de retenue. Cependant, alors que les syndicats de New York ont été obligés à plusieurs reprises d'appeler les travailleurs à montrer de la sympathie avec les manifestants devant l'imminence d'une répression, c'est seulement à Oakland que la répression policière a provoqué une réponse plus large de la part de la classe ouvrière.
Il n'est donc pas surprenant que les manifestants d'Occupy aient peu fait pour ralentir les attaques actuelles contre la classe ouvrière. La mise en faillite d'American Airlines, le lock-out permanent à l'American Crystal Sugar et Cooper Tire et l'austérité massive prévue dans l'administration des Postes sont quelques exemples qui montrent que la bourgeoisie n'a pas été intimidée par le mouvement Occupy au point d'infléchir ses attaques contre la classe ouvrière. De toute évidence, la tactique de l’occupation des parcs aux environs du quartier de la finance ne s'est pas avérée efficace dans la lutte contre les attaques du capitalisme. Plutôt que de camper aux abords de Wall Street, de Bay Street et d'autres centres financiers, les manifestants n'auraient-ils pas été plus efficaces s' ils avaient concentré leurs efforts dans les quartiers ouvriers, en montrant aux autres prolétaires, encore trop désorientés pour lutter, qu'ils ne sont pas seuls ?
Il est clair qu'un débat sérieux sur la tactique est devenu nécessaire pour tous ceux qui cherchent à lutter contre la dégradation actuelle de la vie humaine causée par les assauts continus du capitalisme sur la société. Malheureusement pour le mouvement Occupy, son parti-pris fétichiste pour le consensus démocratique, son désir presque de principe de s'abstenir de discussions tactiques et son pluralisme au détriment d'actions concrètes, l'ont empêché jusqu'à présent d'aborder ces questions de manière efficace. Surtout, face à la répression de l'Etat, il n'a pas été en mesure de réfléchir aux questions de manière efficace, « Vers qui devons-nous nous tourner pour trouver le soutien ? » Et « Où allons-nous si nous ne pouvons plus vivre dans le parc ? » Incapable d'examiner ces questions de façon plus profonde, le mouvement Occupy, pour l'instant, tourne en rond et fait face à un avenir incertain.
De notre point de vue, même si le mouvement Occupy représente un premier pas très important d'une partie de la classe ouvrière la plus touchée par la crise du capitalisme, il est clair que l'avenir exigera un réexamen fondamental des objectifs de la lutte et de la méthode pour les réaliser. Comment un mouvement social peut-il aller de l'avant, de manière à éviter les écueils du passé, mais qui lui permette de fonctionner d'une manière vraiment efficace dans le feu de la lutte ? Comment un mouvement social attaché à l'idée qu'un autre monde est possible, reste-t-il fidèle à cet objectif, mais a encore le courage d'affronter tactiquement l'Etat bourgeois ? C’est à toutes ces questions importantes que les révolutionnaires et tous ceux engagés dans une lutte pour un monde différent devront nécessairement prendre en compte dans la période à venir.
Internationalism (5 décembre 2011)
1 Une série d'événements similaires sont survenus à Toronto, où il avait été prévu que les manifestants se réunissent en plein cœur du quartier Bay Street de la ville, pour ensuite se déplacer dans un petit parc à la périphérie du centre ville. La police de Toronto, encore sous le choc de la condamnation par l'opinion publique de leur répression violente contre les manifestants du G20 l'année précédente, était plus que disposée à permettre aux occupants de rester dans le parc.
Occuper Londres : le poids des illusions
Nous publions ci-dessous un article de World Revolution (WR), organe du CCI en Grande-Bretagne.
«'Occuper Londres' est en accord avec les occupations du monde entier, nous sommes les 99%. Nous sommes un forum pacifique et non-hiérarchique. Nous sommes d'accord sur le fait que le système actuel est antidémocratique et injuste. Nous avons besoin d'alternatives; vous êtes invités à nous rejoindre dans le débat et à les développer; afin de créer un avenir meilleur pour tous. »
Ceci est la déclaration qui vous accueille sur le site Web de 'Occuper Londres' (occupylsx.org). Il est certainement vrai qu'il y a des mouvements d'occupation partout dans le monde, avec des actions qui surgissent dans plus d'une centaine de villes aux Etats-Unis, à commencer par le mouvement 'Occuper Wall Street', et dans divers lieux à travers l'Europe (Francfort et Glasgow, pour n'en citer que deux). La forme générale est l'occupation d'un espace public suivi par des discussions, des manifestations et des actions communes.
Que les personnes qui prennent part à des occupations aient des préoccupations par rapport au véritable état du monde, à l'économique, à l'action politique est incontestable. Un camarade de WR a récemment visité deux sites occupés : « J'ai visité Finsbury Square où j'ai parlé à deux jeunes femmes, à un chômeur et à quelqu'un qui avait un emploi. L'un d'eux explique leurs raisons d'être là comme étant dans une certaine mesure mécontents de l'état actuel des choses: 'Les occupations fournissent quelque chose qui n'est pas abondant en Grande-Bretagne: un espace public où les gens sont libres de venir et de discuter dans des assemblées générales, dans un effort pour essayer de comprendre la situation actuelle du monde. Les gens viennent de différentes régions du pays, ainsi que d'autres pays. Certains, bien qu'ils aient un emploi, participent à la protestation. Il y a des tentatives pour envoyer des délégués à, entre autres choses, l'actuelle protestation des électriciens'. Ceci se déroule à un moment où, à travers tout le pays, malgré la peur et la colère engendrées par la pluie de mesures d'austérité, commence à apparaître quelque chose qui va un peu dans le sens d'une authentique réponse des travailleurs. Comme les événements récents en Espagne et en Grèce l'ont démontré, les assemblées sont l'élément vital de l'auto-organisation des travailleurs. Elles sont le lieu où la confrontation politique, la clarification et la réflexion peuvent avoir lieu. Le meilleur exemple en est les discussions intenses, en Espagne, entre ceux qui plaident pour la 'démocratie réelle', qui est une démocratie gouvernementale améliorée et ceux qui mettent en avant une perspective prolétarienne: 'Il y a eu quelques moments très émouvants lorsque les intervenants étaient très excités et parlaient presque tous de révolution, de dénoncer le système, d'être radical (dans le sens de aller à la racine du problème') comme l'a dit l'un d'eux. »[1]
Les discussions autour des revendications d’Occuper Londres s'articulent autour de deux thèmes principaux: comment 'améliorer' la démocratie parlementaire, pour regagner du terrain 'en faveur du peuple', contre les riches, les banquiers, les élites et, deuxièmement comment amener la justice sociale, c'est–à-dire une répartition plus équitable dans le capitalisme. Comme notre camarade l'a dit : « J'ai finalement trouvé la réunion, assez tard, dans la Tente de l'Université où il y avait une discussion sur la démocratie, où j'ai entendu qu'ils n'ont pas vraiment la démocratie en Espagne, étant donné qu'il y a toute une liste de partis, proportionnellement représentés, sans droit de vote pour un député en tant qu'individu, et que les partis font partie de l'Etat, que certains d'entre eux étaient des héritiers directs de la dictature sous Franco ... Dans cette réunion, les politiciens blâmaient à peu près tout. Il y a eu quelques voix discordantes qui ont tenté de soulever la question de l'économie, de souligner que la démocratie au Royaume-Uni n'est pas meilleure. Et il y a eu quelques contributions bizarres à la discussion, incluant l'idée que nous devrions faire participer le public dans la Fonction publique, dans le même genre que ceux qui sont appelés à faire partie d'un jury : peut-être cela pourrait-il remplacer le favoritisme politique à la Chambre des Lords ... ou nous devrions obtenir de meilleurs dirigeants dans le gouvernement, comme en Chine ... L'un pensait que le fait de bricoler le système de vote pour les parlements était le moyen d'essayer d'élargir l'expérience parlementaire. J'ai pu faire trois brèves contributions à la discussion : sur le fait que la façon dont les politiciens se comportent n'est pas causée par le système de vote espagnol, britannique ou tout autre système représentatif, mais par le fait qu'ils défendent le capitalisme, que la crise n'est pas une simple question de banquiers, pour dire que j'avais espéré en apprendre davantage sur les assemblées, et j'ai mentionné une liste d'expériences historiques, y compris les conseils ouvriers. Même s'il y a eu quelques mains qui se sont agitées en signe d'approbation d'une partie de ce que je venais de dire, la discussion générale est retournée à la recherche de moyens pour rendre plus parfaite la démocratie bourgeoise. »
'Occuper Londres' n'est pas seulement plus réduit que les mouvements en Espagne et aux Etats-Unis qui l'ont inspiré, mais les voix qui s'élèvent en faveur d'une perspective de classe ouvrière sont relativement faibles, et celles qui défendent la démocratie parlementaire relativement fortes. Par exemple, les efforts de solidarité avec les revendications des électriciens pour envoyer des 'délégations' vers eux, seulement à une courte distance de marche, ont été considérés comme une décision totalement individuelle et l'initiative de ceux qui y avaient participé, alors que le mouvement 'Occuper Oakland' avait appelé à une grève générale ainsi qu'à des réunions en soirée afin que ceux qui devaient travailler puissent aussi y participer (voir https://occupyoakland.org/ [73]). Cela a laissé le mouvement 'Occuper Londres' très vulnérable par rapport aux manœuvres autour de la menace d'éviction ou de la proposition d'une réduction du nombre de tentes pour une période de deux mois et du cirque médiatique autour de ce qui se passe dans la hiérarchie religieuse de la cathédrale Saint-Paul avec la démission du Chanoine, puis du Doyen.
La réaction des médias a été assez prévisible, avec les « Choc ! Horreur! » des manchettes des articles à la Une dans la presse de l'aile gauche comme libérale, arguant que ces professions représentent un ‘stimulant ' ou une 'secousse' pour un système démocratique guindé. Dans l'ensemble, la plupart des journalistes, et l’institution religieuse, ont essayé de trouver un moyen de faire valoir que les politiciens devraient être 'réactifs' aux 'préoccupations' de protestations légitimes. Mais en l'absence de mise en avant d’une perspective pour prendre contact avec l'ensemble de la classe ouvrière, ces médias s’en sont emparés, comme on pouvait le prévoir de la façon dont ils présentent l'occupation, pour en faire un point de fixation.
La menace d'expulsion et comment se défendre contre la violence et la répression sont évidemment une préoccupation importante. Dans de nombreux endroits d'Amérique, cette 'réponse' des politiciens élus a pris la forme d'une lourde répression (peuvent en témoigner les 700 manifestants dupés et ensuite arrêtés en essayant de traverser le pont de Brooklyn, ou ceux arrêtés et passés à tabac dans d'autres occupations[2]). Toutefois, lorsque l'un de nos camarades est allé à une assemblée générale à Finsbury Square qui discutait sur la façon de réagir à la menace d'expulsion de Saint-Paul (avant la proposition d’y séjourner 2 mois pour en repartir à une date convenue) la façon dont les médias traiteraient leur réponse était la préoccupation majeure. Une proposition d'aller directement vers les travailleurs, faite par notre camarade, en écho à un autre intervenant qui mettait en avant que leurs objectifs vont au-delà du maintien indéfini de l'occupation n'a pas été reprise. En fait les deux interventions ont été ressenties comme sans importance.
Le plus grand danger est maintenant que 'Occuper Londres' se trouve piégé dans une dynamique désespérée, tournée vers l'intérieur en laissant l'Eglise et les médias faire ce qu’ils veulent du mouvement.
Graham (4 novembre)
1. https://en.internationalism.org/icconline/2011/september/indignados [74]
2. The Guardian a rapporté que même le fils du légendaire bluesman Bo Diddley a été arrêté alors qu'il tentait de manifester son soutien à l'Occupation dans une place en Floride... qui porte le nom de son père ! (14 octobre 2011)
En Israël, depuis la mi-juillet, des centaines de milliers de gens gagnent régulièrement les rues pour manifester contre la hausse vertigineuse du coût de la vie, contre l'impossibilité croissante pour la population de se loger et contre le démantèlement de l'Etat-providence. Les manifestants réclament la “justice” sociale, mais beaucoup parlent aussi de “révolution”. Ils ne font pas mystère du fait qu'ils ont été inspirés par la vague de révolte qui a secoué le monde arabe et qui s'étend maintenant à l'Espagne et à la Grèce. La Premier ministre d'Israël, Netanyahou, dont la politique effrontément droitière semblait avoir rallié un soutien populaire, est soudain comparé à des dictateurs comme en Egypte ( Moubarak, aujourd'hui en procès pour avoir fait tirer sur les manifestants) et en Syrie (Assad ordonnant actuellement encore d'atroces massacres contre une partie croissante de la population exaspérée par son régime).
Comme dans les mouvements dans le monde arabe et en Europe, des manifestations et des campements poussent aujourd'hui dans de nombreuses villes en Israël, mais à Tel Aviv en particulier semblent avoir surgi de nulle part : des messages sur Facebook, quelques personnes installent des tentes dans des parcs... et à partir de là il y a eu entre 50 000 et 150 000 personnes rassemblées (avec plus de 200 000 le samedi 6 août et plus de 300 000 le 13 août ! ) et peut être 3 ou 4 fois plus se sont mobilisés dans l'ensemble du pays, des jeunes pour la majorité d'entre eux.
Comme dans les autres pays, les manifestants se sont fréquemment affrontés à la police. Comme dans les autres pays, les partis politiques officiels et les syndicats n'ont pas joué un rôle de premier plan dans le mouvement, même s'ils étaient certainement présents. Les gens impliqués dans le mouvement sont souvent associés au courant de la démocratie réelle et même à l'anarchisme. Un animateur interrogé sur le réseau RT News a demandé si les manifestations avaient été inspirées par les événements dans les pays arabes. Il a répondu : “Ce qui s'est passé sur la place Tahrir a eu beaucoup d'influence. Cela garde beaucoup d'influence, bien sûr. C'est quand les gens comprennent qu'ils ont le pouvoir, qu'ils peuvent s'organiser eux-mêmes, ils n'ont plus besoin d'un gouvernement pour leur dire ce qu'ils doivent faire, ils peuvent commence à dire aux gouvernements ce qu'ils veulent.” Ces points de vue, même s'ils n'expriment que l'opinion d'une minorité consciente, reflètent certainement un sentiment beaucoup plus général à l'égard de l'ensemble du système politique bourgeois, que ce soit sous sa forme dictatoriale ou démocratique.
Comme ses homologues d'ailleurs, ce mouvement est historique dans sa signification, comme l'a mentionné un journaliste israélien, Noam Sheizaf : “Contrairement à la Syrie ou à la Libye, où les dictateurs massacrent leur propre peuples par centaines, ce n'a jamais été le talon de fer qui a maintenu l'ordre social en Israël, pour autant qu'il s'agissse de la communauté juive. C'est l'endoctrinement qui l'a fait- l'idéologie dominante, pour utiliser le terme préféré par les théoriciens critiques. Et c'est cet ordre culturel (ou idéologique) qui s'est retrouvé balayé dans ce tourbillon de protestations. Pour la première fois, une grande partie de la classe moyenne juive-il est trop tôt pour évaluer l'ampleur que cette masse représente- ont reconnu que le problème n'était pas vis-à-vis d'autres Israéliens, ni avec les Arabes, ou avec tel ou tel politicien qu'il était mais avec l'ordre social tout entier, avec le système dans son ensemble. En ce sens, c'est un événement inédit dans l'histoire d'Israël.
C'est pourquoi cette contestation a un potentiel tellement énorme. C'est aussi la raison pour laquelle nous ne devrions pas en attendre de retombées politiques immédiates, je ne pense pas que nous allons voir tomber le gouvernement prochainement mais dans ses conséquences à long terme, de façon sous-jacente, c'est ce qui est sûr de se produire.” (cf. l'article “La réelle importance du mouvement des tentes”[1])
Et pourtant, il y a ceux qui ne sont que trop heureux de minimiser le sens de ces événements. La presse officielle dans sa très grande majorité les a complètement ignorés. Il y a un fort contingent de correspondants de la presse étrangère à Jérusalem - entre 800 et 1000 personnes (la deuxième en taille après ceux basés à Washington qui n'a commencé à manifester un certain intérêt envers lui que plusieurs semaines après que le mouvement ait démarré. Vous deviez chercher longtemps et avec persévérance pour le voir mentionné dans des journaux dits “progressistes” comme The Guardian ou Socialist Worker au Royaume-Uni.
Une autre tactique pour les minimiser est de les cataloguer comme représentatifs du mouvement des classes moyennes. Il est vrai que, comme pour tous les autres mouvements, nous considérons une révolte sociale très large qui peut exprimer le mécontentement de beaucoup de couches différentes de la société, allant des petits entrepreneurs jusqu'aux ouvriers à la chaîne, qui sont toutes touchées par la crise économique mondiale, par l'écart grandissant entre les riches et les pauvres, et, dans un pays comme Israël par l'aggravation des conditions de vie à cause des exigences insatiables de l'économie de guerre. Mais le terme de “classe moyenne” est devenu un synonyme de paresseux, un terme “fourre-tout” pour parler de quelqu'un qui a reçu une certaine éducation ou bénéficie d'un travail et, en Israël comme en Afrique du Nord, en Espagne ou en Grèce, un nombre croissant de jeunes gens instruits sont poussé dans les rangs du prolétariat, travaillant dans des emplois précaires mal rémunérés et peu qualifiés où l'on peut embaucher n'importe qui ; en tous cas, des secteurs plus “classiques” de la classe ouvrière ont été également impliqués dans les manifestations : le secteur public, les ouvriers dans l'industrie, les fractions les plus pauvres des chômeurs, certains d'entre eux étant des immigrés non-Juifs venus d'Afrique et d'autres pays du tiers-monde.
Il y a eu aussi une grève générale de 24 heures que la fédération syndicale Histradut a lancée pour tenter de faire face au mécontentement de ses propres adhérents.
Mais les plus grands détracteurs du mouvement sont ceux d'extrême-gauche. Comme l'a rapporté l'un des posts sur libcom [2] :“J'ai eu une grosse dispute avec une animatrice du SWP dans ma section syndicale dont l'argument était qu'il n'y avait pas de classe ouvrière en Israël. Je lui ai alors demandé qui conduisait les bus, qui construisait des routes, qui s'occupait des enfants dans les crèches et les écoles, etc. et elle juste esquivé la question et embrayé sur le sionisme et l'occupation des territoires palestiniens.”
Le même fil sur le web contenait également un lien vers un blog de gauche[3] qui a présenté une version plus sophistiquée de cet argument : “Certes, toutes les couches de la société israélienne, des syndicats aux systèmes d'éducation, les forces armées et les partis politiques dominants, sont impliqués dans un système d'apartheid. Cela était vrai dès la création, dans les formes très embryonnaires de l'Etat israélien construit dans la période du protectorat britannique. Israël est une société de colons et cela a des conséquences énormes pour le développement de la conscience de classe. Tant qu'il se développe sous le renforcement des avant-postes coloniaux, aussi longtemps que les gens sont amenés à identifier leurs intérêts avec l'expansion d'un peuplement par la colonisation, il y peu de chances de pouvoir développer une classe ouvrière révolutionnaire, une force sociale indépendante. Non seulement, il s'agit d'une société de colons et de colonisés mais ce régime est aussi soutenu par les ressources matérielles de l'impérialisme américain.”
L'idée que la classe ouvrière israélienne serait un cas particulier conduit de nombreux gauchistes à soutenir que le mouvement de protestation ne devrait pas être pris en charge ou ne devrait être soutenu que s'il prenait d'abord position sur la question palestinienne : “ Les manifestations sociales sont deux fois plus importantes depuis les années 1970 et devraient se traduire dans des politiques de réformes ou même de remaniement gouvernemental. Mais jusqu'à ce que les réformes portent sur toutes les questions au coeur de la situation d'oppression et de discrimination envers les logements, jusqu'à ce que les changements politiques mettent les Palestiniens sur un pied d'égalité avec les Israéliens, jusqu'a ce que les avis d'expulsion des terres ne soient plus traitées arbitrairement, les programmes de réforme sont vains et les manifestations sont inutiles”, le mouvement de protestation unilatérale “libérale” d'Israël n'est pas un mouvement digne de le rejoindre, ni même de le soutenir”, Sami Kishawi[4] sur le blog “Seize minutes pour la Palestine”.
En Espagne, parmi les participants au mouvement du 15-mai, des débats similaires se sont déroulés, par exemple autour d'une proposition selon laquelle “les manifestants israéliens ne devraient être soutenus que “s'ils prennent position, en tant que mouvement, sur la question palestinienne, en dénonçant clairement et l'ouvertement l'occupation des territoires, le blocus autour de Gaza et [en appelant à] la fin des colonisations” (sur le même fil, dans libcom.)
Une réponse est en train d'être donnée dans la pratique par le mouvement en Israël à ces arguments gauchistes. D’abord, le problème se déroule dans les rues israéliennes et il est dèjà difficile de faire une division entre les Juifs, les Arabes et les autres. Quelques exemples : à Jaffa, des dizaines de manifestants arabes comme juifs portaient des pancartes écrites à la fois en Hébreu et en Arabe où on pouvait lire “Les Arabes et les Juifs veulent un logement au prix abordable” et “Jaffa ne veut pas d'offres de logements réservées aux riches.”
Des militants arabes unt installé un campement dans le centre de Taibeh et des centaines de personnes le visitent chaque nuit. “ Ceci est une protestation sociale consécutive à la détresse profonde dans la communauté arabe. Tous les Arabes souffrent du coût de la vie et de la pénurie de logements” comme l'a dit l'un des organisateurs, le docteur Zoheir. Un certain nombre de jeunes Druzes ont dressé des tentes à l'extérieur des villages de Yarka et de Julis, en Galilée Occidentale. “Nous essayons d'attirer tout le monde dans les tentes pour nous joindre la manifestation” a déclaré Wadji Khatar, l'un des initiateurs de la protestation. Un campement rassemblant Juifs et Palestiniens a été mis en place dans la ville d'Akko, ainsi que dans Jérusalem-Est où il y a eu des manifestations de Juifs et d'Arabes pour protester contre l'expulsion de ces derniers, partant du quartier de Cheikh Jarrah. A Tel-Aviv, des contacts ont été établis avec les résidents de camps de réfugiés dans les territoires occupés, qui ont visité à leur tour les villages de tentes et ont engagé des discussions avec les manifestants.[5]
Dans le Parc Levinsky, au Sud de Tel-Aviv le lundi 1er août, où le deuxième plus grand village de tentes a résisté pendant près d'une semaine, plus d'une centaine d'immigrés et de réfugiés africains se sont réunis[6] pour débattre des protestations contre les conditions de vie actuelles à travers le pays.
De nombreux manifestants ont exprimé leur frustration face à la manière dont la rengaine incessante sur la “sécurité” et sur la menace du terrorisme est utilisée pour faire accepter la misère économique et sociale croissante. Certains ont ouvertement mis en garde contre le danger que le gouvernement pourrait provoquer des affrontements militaires ou même une nouvelle guerre pour restaurer “l'union nationale” et diviser le mouvement de protestation.[7] Comme cela se produit, le gouvernement Netanyahou semble se tenir en retrait pour le moment, pris de cours et essayant de recourir à toutes sortes d'expédients pour prendre la température du mouvement. Il n'en demeure pas moins qu'il y a effectivement une prise de conscience croissante que la situation militaire et la situation sociale sont très étroitement liées.
Comme toujours, la situation matérielle de la classe ouvrière est la clé du développement de la conscience et le mouvement social actuel accélère grandement la possibilité d'appréhender le situation militaire d'un point de vue de classe. Le prolétariat israélien, souvent décrit par l'aile gauche du capital comme “une caste de privilégiés vivant en dehors de la misère des Palestiniens”, paie effectivement très cher la note de “l'effort du guerre” dans sa chair, en termes de dommages psychiques comme à travers une paupérisation matérielle. Un exemple très précis lié à l'un des principaux enjeux du mouvement social en cours, c'est la question du logement : le gouvernement verse des sommes exorbitantes pour aider à établir des colonies dans les territoires occupés plutôt que d'augmenter le parc des logements dans le reste d'Israël.
L'importance du mouvement actuel en Israël, avec toutes ses confusions et hésitations, c'est qu'il a très clairement confirmé l'existence de l'exploitation de classe et de la lutte de classe au sein de l'apparent monolithisme national de l'Etat d'Israël. La défense des conditions de vie de la classe ouvrière se heurtera inévitablement aux sacrifices exigés par la guerre et par conséquent toutes les questions politiques concrètes posées par la guerre devront être soulevées, débattues et clarifiées : les lois discriminatoires en Israël et dans les territoires occupés, la brutalité de l'occupation, la conscription et jusqu'à l'idéologie du sionisme et du faux idéal de l'Etat juif. Certes, ces questions sont difficiles et les réponses peuvent diviser comme il y a eu une forte tentation d'éviter de les poser directement. Mais la politique a un chemin pour s'immiscer dans tous les conflits sociaux. Un exemple en a été donné par le conflit croissant entre les manifestants et des représentants de l'extrême droite “kahaniste” qui veulent expulser les Arabes d'Israël comme avec des colons “fondamentalistes” qui voient les manifestants comme des traîtres à la nation.
Mais ce ne serait pas une avancée si le mouvement qui a rejeté ces idéologies de droite adoptait les positions de l'aile gauche du capital : le soutien au nationalisme palestinien, une solution pour créer deux Etats ou un “Etat laïque et démocratique”. L'actuelle vague de révoltes contre l'austérité capitaliste ouvre la porte à une toute autre solution : la solidarité de tous les exploités face à toutes les divisions religieuses ou nationales ; la lutte de classes dans tous les pays dans le but de faire la révolution dans le monde entier qui sera la négation des frontières nationales et l'abolition des Etats. Il y a un an ou deux, une telle perspective aurait semblé totalement utopique à la plupart des gens . Aujourd'hui, un nombre croissant de personnes voit la révolution mondiale comme une alternative réaliste à l'ordre du monde capitaliste en train de s'effondrer.
Amos-WR (8 juillet 2011)
[1] https://972mag.com/the-essence-of-the-tent-protest-2128-7201/ [77]
[2] https://libcom.org/forums/news/israelis-take-streets-protesting-rising-p... [78]
[3] https://leninology.blogspot.com/2011/08/few-observations-on-israel-prote... [79]
[4] https://smpalestine.com/author/samikishawi/ [80]
[5] Une des Israéliennes qui a pris part à ces discussions décrit ainsi les effets positifs (voir par exemple l'interview de Stav Shafir sur RT News) que celles-ci ont eu sur le développement de la conscience et de la solidarité : “Nos hôtesses, certaines religieusement voilées, écoutent attentivement l'histoire des jeunes juifs de la classe moyenne qui n'ont pas d'endroit pour vivre, pour étudier et pour travailler. Les tentes sont si nombreuses et si petites. Elles hochaient la tête de surprise, exprimant leur sympathie et peut être même un certain plaisir à mesure que s'exprimaient de nouvelles possibilités de solidarité. Une femme à la langue bien pendue a lancé un slogan auquel aucun d'entre nous n'avait jamais pensé : “Hada Muchayem Lajiyin Israelliyn !”- “Un camp de réfugiés pour les Israéliens !”, s'est-elle exclamée.
Nous avons ri de cette petite blague. C'est sûr, nous n'avons pas du tout les mêmes conditions de vie- ou peut-être juste un petit quelque chose, après tout. Les jeunes de Rotschild (puisse Allah les aider et qu'ils récoltent les fruits de leur contestation !) sont censés pouvoir se lever à l'heure qu'ils veulent et peuvent réintégrer à tout moment la grisaille de la vie à laquelle ils étaient habitués avant de s'installer dans la chaleur caniculaire du boulevard central. Cependant, ils sont condamnés à se trouver tout au bout de la chaîne israélienne d'obtention de logements- sans propriété, sans terre et sans toit qui soit à eux. Certaines des femmes qui étaient avec nous ce soir-là, pleines de curiosité et de passion pour se divertir-ont vécu dans la “réalité” des camps de réfugiés la plus grande partie de leur existence. Certaines sont nées dedans, d'autres se sont mariées et ont déménagé de leurs maisons en ruines en partageant pendant de nombreuses années le sort des nombreuses familles entassées dans des tentes de fortune à la périphérie des villes et des villages de Cisjordanie.
Les “camps de réfugiés” des habitants en colère d'Israël s'éveillent ces jours-ci dans tout le pays et sortent d'une fausse conscience qui les a amenés jusqu’à cette rencontre délicate de l'été 2011. Il ne s'agit pas d'une étape facile, mais cela vaut la peine de faire l'effort d'aller jusqu'au bout du chemin, jusqu'à la racine de nos problèmes. Ceux d'entre nous qui ont eu le privilège le week-end dernier de danser, de chanter, de se tenir bras dessus bras dessous sur un toit de Tel-Aviv avec nos amies des villages et des camps de réfugiés des territoires occupés, ne consentiront jamais à abandonner avec des gens que nous considérions autrefois comme des ennemis. Il suffit de penser combien de bons appartements pourraient être construits avec les sommes gaspillées au cours de décennies entières pour renforcer l'idée stupide selon laquelle tous les non-Juifs constitueraient “un danger pour notre démographie.”
[6] https://mondoweiss.net/2011/08/will-israels-tent-protesters-awaken-to-th... [81]
[7] https://www.youtube.com/watch?v=6i6JKSGEs8Y&feature=player_embedded#... [82]
Manifestation à Berlin en solidarité avec les Indignés d'EspagneAu moment où, dans beaucoup de pays, les médias font, jour après jour, leurs gros titres sur le "séisme" du "scandale DSK", un autre "séisme", réel, frappe l'Europe : celui d'un vaste mouvement social en Espagne qui se cristallise, depuis le 15 mai, par l'occupation jour et nuit de la Place Puerta Del Sol à Madrid par une marée humaine composée essentiellement de jeunes, révoltés par le chômage, les mesures d'austérité du gouvernement Zapatero, la corruption des politiciens. Ce mouvement social s'est répandu comme une trainée de poudre à toutes les villes du pays grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) : Barcelone, Valence, Grenade, Séville, Malaga, León… Mais les informations n'ont pas franchi la barrière des Pyrénées. En France, seuls les réseaux sociaux Internet et certains médias alternatifs ont largement diffusé les images et les vidéos de ce qui se passait en Espagne depuis la mi-mai. Si les médias bourgeois ont fait un tel black-out sur ces événements, en préférant nous intoxiquer avec la "série américaine" de l'affaire DSK, c'est justement parce que ce mouvement constitue une étape très importante dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière mondiale face à l'impasse du capitalisme.
Le mouvement des "indignés" en Espagne a mûri depuis la grève générale du 29 septembre 2010 contre le projet de réforme des retraites. Cette grève générale s'est soldée par une défaite tout simplement parce que les syndicats ont négocié avec le gouvernement et accepté le projet de réforme (les travailleurs actifs de 40-45 ans toucheront, à leur départ à la retraite, une pension inférieure de 20% à leur pension actuelle). Cette défaite a provoqué un profond sentiment d'amertume au sein de la classe ouvrière. Mais elle a suscité un profond sentiment de colère parmi les jeunes qui s'étaient mobilisés et avaient participé activement au mouvement, notamment en apportant leur solidarité dans les piquets de grève.
Début 2011, la colère commence à gronder dans les universités. En mars, au Portugal, un appel à une manifestation du groupe Jeunes Précaires est lancé sur Internet et débouche sur une manifestation regroupant 250 000 personnes à Lisbonne. Cet exemple a eu un effet immédiat dans les universités espagnoles, notamment à Madrid. La grande majorité des étudiants et des jeunes de moins de 30 ans survit avec 600 euros par mois grâce à des petits boulots. C'est dans ce contexte qu'une centaine d'étudiants ont constitué le groupe "Jeunes sans futur" ("Jovenes sin futuro"). Ces étudiants pauvres, issus de la classe ouvrière, se sont regroupés autour du slogan "sans soins, sans toit, sans revenus, sans peur". Ils ont appelé à une manifestation le 7 avril. Le succès de cette première mobilisation qui a rassemblé environ 5000 personnes, a incité le groupe "Jeunes sans futur" à programmer une nouvelle manifestation pour le 15 mai. Entre temps est apparu à Madrid, le collectif "Democracia Real Ya" (Démocratie Réelle Maintenant !) dont la plateforme se prononçait aussi contre le chômage et la "dictature des marchés", mais qui affirmait être "apolitique", ni de droite ni de gauche. Democracia Real Ya a lancé également des appels à manifester le 15 mai dans d'autres villes. Mais c'est à Madrid que le cortège a connu le plus grand succès avec environ 25 000 manifestants. Un cortège bon enfant qui devait se terminer tranquillement sur la Puerta del Sol (la "Porte du Soleil").
Les manifestations du 15 mai appelées par Democracia Real Ya ont connu un succès spectaculaire : elles exprimaient un mécontentement général, notamment parmi les jeunes confrontés au problème du chômage à la fin de leurs études. Tout aurait dû apparemment s'arrêter là, mais à la fin des manifestations à Madrid et à Grenade des incidents provoqués par un petit groupe de "black blocks" sont réprimés par les charges de la police et se sont soldées par plus d'une vingtaine d'arrestations. Les détenus, brutalisés dans les commissariats, se sont regroupés dans un collectif et ont adopté un communiqué dénonçant les violences policières. La diffusion de ce communiqué a suscité immédiatement une réaction d'indignation et de solidarité générale face à la brutalité des forces de l'ordre. Une trentaine de personnes totalement inconnues et inorganisées décident d'occuper la Puerta del Sol à Madrid et d'y établir un campement. Cette initiative a fait immédiatement tâche d'huile et a gagné la sympathie de la population. Le même jour, l'exemple madrilène s'étend à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression policière met le feu aux poudres et depuis lors, les rassemblements de plus en plus massifs sur les places centrales se sont étendus à plus de 70 villes du pays et n'ont fait que croître à toute allure.
Dans l'après-midi du mardi 17 mai, les organisateurs du "mouvement du 15 Mai" avaient prévu des actions silencieuses de protestation ou des mises en scène ludique "défouloir", mais la foule rassemblée sur les places publiques ne cessait de croître en réclamant à grands cris la tenue d'assemblées. A 20 heures, commencent à se tenir des assemblées à Madrid, Barcelone, Valence et dans d'autres villes. A partir du mercredi 18, ces assemblées prennent la forme d'une véritable avalanche. Les rassemblements se transforment en Assemblées générales ouvertes sur les places publiques.
Face à la répression et dans la perspective des élections municipales et régionales, le collectif Democracia Real Ya lance le débat autour d'un objectif : la "régénération démocratique" de l'État espagnol. Il revendique une réforme de la loi électorale afin d'en finir avec le bipartisme PSOE/Parti Populaire en réclamant une "vraie démocratie" après 34 ans de "démocratie imparfaite" suite au régime franquiste.
Mais le mouvement des "indignés" a largement débordé la seule plateforme revendicative, démocratique et réformiste, du collectif Democracia Real Ya. Il ne s'est pas cantonné à la seule révolte de la jeune "génération perdue des 600 euros". Dans les manifestations et sur les places occupées à Madrid, comme à Barcelone, Valence, Malaga, Séville etc., sur les pancartes et banderoles, on pouvait y lire des slogans tels que : "Démocratie sans capital!", "PSOE et PP, la même merde", "Construisons un futur sans capitalisme !", "Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir", "Tout le pouvoir aux Assemblées !", "Le problème n'est pas la démocratie, le problème, c'est le capitalisme !", "Sans travail, sans maison, sans peur", "ouvriers, réveillez-vous !" "600 euros par mois, voilà où est la violence !".
A Valence, des femmes criaient : "ils ont trompés les grands-parents, ils sont encore trompés les fils, il faut que les petits enfants ne se laissent pas avoir !".
Face à la démocratie bourgeoise qui réduit la "participation" au fait de "choisir" tous les quatre ans le politicien qui ne tiendra jamais ses promesses électorales et mettra en œuvre les plans d'austérité exigés par la l'aggravation inexorable de la crise économique, le mouvement des "indignés" en Espagne s'est réapproprié spontanément une arme du combat de la classe ouvrière : les Assemblées générales ouvertes. Partout ont surgi des assemblées massives de villes, regroupant des dizaines de milliers de personnes de toutes les générations et de toutes les couches non exploiteuses de la société. Dans ces assemblées, chacun peut prendre la parole, exprimer sa colère, lancer des débats sur différentes questions, faire des propositions. Dans cette atmosphère d'ébullition générale, la parole se libère, tous les aspects de la vie sociale sont passés en revue (politique, culturel, économique…). Les places sont inondées par une gigantesque vague collective d'idées discutées dans un climat de solidarité et de respect mutuel. Dans certaines villes, on installe des "boîtes à idées", des urnes où chacun peut déposer des idées rédigées sur un bout de papier. Le mouvement s'organise avec une très grande intelligence. Des commissions se mettent en place, notamment pour éviter les débordements et les affrontements avec les forces de l'ordre : la violence y est interdite, l'alcoolisation proscrite avec le mot d'ordre "La revolución no es botellón" (La révolution n'est pas une beuverie). Chaque jour, des équipes de nettoyage sont organisées. Des cantines publiques servent des repas, des garderies pour enfants et des infirmeries sont montées avec des volontaires. Des bibliothèques sont mises en place ainsi qu'une "banque du temps" (où son organisés des enseignements aussi bien scientifiques que culturels, artistiques, politiques, économiques). Des "journées de réflexion" sont planifiées. Chacun apporte ses connaissances et ses compétences.
En apparence, ce torrent de pensées ne semble déboucher sur rien. Il n'y a pas de propositions concrètes, pas de revendications réalistes ou immédiatement réalisables. Mais ce qui apparaît clairement, c'est d'abord et avant tout un énorme ras-le-bol de la misère, des plans d'austérité, de l'ordre social actuel, une volonté collective de briser l'atomisation sociale, de se regrouper pour discuter, réfléchir tous ensemble. Malgré les nombreuses confusions et illusions, dans les bouches comme sur les banderoles et pancartes, le mot "révolution" est réapparu et ne fait plus peur.
Dans les Assemblées, les débats ont fait apparaître des questions fondamentales :
- faut-il se limiter à la "régénération démocratique" ? Les problèmes n'ont-ils pas leur origine dans le capitalisme, un système qui ne peut être réformé et doit être détruit de fond en comble ?
- Le mouvement doit-il s'arrêter le 22 mai, après les élections, ou faut-il le poursuivre pour lutter massivement contre les attaques des conditions de vie, le chômage, la précarité, les expulsions ?
- Ne devrait-on pas étendre les assemblées aux lieux de travail, aux quartiers, aux agences pour l'emploi, aux lycées, aux universités ? Doit-on enraciner le mouvement chez les travailleurs qui sont les seuls à avoir la force de mener une lutte généralisée ?
Dans ces débats au sein des Assemblées, deux tendances sont apparues très clairement :
- l'une, conservatrice, animée par les couches sociales non prolétariennes semant l'illusion qu'il est possible de réformer le système capitaliste à travers une "révolution démocratique et citoyenne";
- l'autre, prolétarienne, mettant en évidence la nécessité d'en finir avec le capitalisme.
Les assemblées qui se sont tenues le dimanche 22 mai, jour des élections, ont décidé de poursuivre le mouvement. De nombreuses interventions ont déclaré : "nous ne sommes pas ici à cause des élections, même si elles ont été le détonateur". La tendance prolétarienne s'est plus clairement affirmée à travers les propositions d'"aller vers la classe ouvrière" en mettant en avant des revendications contre le chômage, la précarité, les attaques sociales. A la Puerta del Sol, la décision est prise d'organiser des "assemblées populaires" dans les quartiers. On commence à entendre des propositions d'extension vers les lieux de travail, les universités, les agences pour l'emploi. A Malaga, Barcelone et Valence, les assemblées ont posé la question d'organiser une manifestation contre les réductions du salaire social, en proposant une nouvelle grève générale, qui soit "véritable" comme l'a affirmé l'un des orateurs.
C'est surtout à Barcelone, capitale industrielle du pays, que l'Assemblée centrale de la place de Catalogne, apparaît comme la plus radicale, la plus animée par la tendance prolétarienne et la plus distante par rapport à l'illusion de la "régénération démocratique". Ainsi, des ouvriers de la Telefónica, des travailleurs des hôpitaux, des pompiers, des étudiants mobilisés contre les coupes sociales, ont rejoint les assemblées de Barcelone et ont commencé à leur insuffler une tonalité différente. Le 25 mai, l'Assemblée de la place de Catalogne décide de soutenir activement la grève des travailleurs des hôpitaux, tandis que l'Assemblée de la Puerta del Sol à Madrid décide de décentraliser le mouvement en convoquant des "assemblées populaires" dans les quartiers afin de mettre en pratique une "démocratie participative horizontale". A Valence, les manifestations des chauffeurs de bus ont rejoint une manifestation d'habitants contre les coupes budgétaires dans l'enseignement. A Saragosse, les conducteurs de bus se sont joints aux rassemblements avec le même enthousiasme.
A Barcelone, les "indignés" décident de maintenir leur campement et de continuer à occuper la place de Catalogne jusqu'au 15 juin.
Quelle que soit la direction dans lequel va se poursuivre le mouvement, quelle que soit son issue, il est clair que cette révolte initiée par les jeunes générations confrontée au chômage (en Espagne, 45 % de la population des 20-25 ans n'a pas de travail), se rattache pleinement au combat de la classe ouvrière. Sa contribution à la lutte internationale de la classe ouvrière est indiscutable.
C'est un mouvement généralisé qui a impliqué toutes les couches sociales non exploiteuses, notamment toutes les générations de la classe ouvrière. Même si celle-ci a été noyée dans la vague de colère "populaire" et ne s'est pas affirmée de façon autonome à travers des grèves et manifestations massives, en mettant en avant ses propres revendications économiques immédiates. Ce mouvement exprime en réalité une maturation en profondeur de la conscience au sein de la seule classe qui puisse changer le monde en renversant le capitalisme : la classe ouvrière.
Ce mouvement révèle clairement que, face à la faillite de plus en plus évidente du capitalisme, des masses importantes commencent à se lever dans les pays "démocratiques" d'Europe occidentale, ouvrant la voie à la politisation des luttes du prolétariat.
Mais surtout, ce mouvement a révélé que les jeunes, en grande majorité des travailleurs précaires et chômeurs, ont été capables de s'approprier les armes de combat de la classe ouvrière : les assemblées générales massives et ouvertes, qui leur ont permis de développer la solidarité et de prendre eux-mêmes en main leur propre mouvement en dehors des partis politiques et des syndicats.
Le mot d'ordre "Tout le pouvoir aux assemblées !" qui a surgi dans le mouvement, même si de façon encore minoritaire, n'est qu'un remake du vieux mot d'ordre de la Révolution russe "Tout le pouvoirs aux conseils ouvriers !" (soviets).
Même si, aujourd'hui, le mot "communisme" fait encore peur (du fait du poids des campagnes déchainées par la bourgeoisie au lendemain de l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens), le mot "révolution" n'a effrayé personne, bien au contraire.
Ce mouvement n'est nullement une "Spanish Revolution" comme le présente le collectif Democracia Real Ya. Le chômage, la précarité, la vie chère et la dégradation constante des conditions d'existence des masses exploitées ne sont pas une spécificité espagnole ! Le visage sinistre du chômage, notamment le chômage des jeunes, on le voit autant à Madrid qu'au Caire, autant à Londres qu'à Paris, autant à Athènes qu'à Buenos Aires. Nous sommes tous unis dans la même chute dans l'abîme de la décomposition de la société capitaliste. Cet abîme, ce n'est pas seulement celui de la misère et du chômage, mais aussi celui de la multiplication des catastrophes nucléaires, des guerres et d'une dislocation des rapports sociaux accompagnée d'une barbarie morale (comme en témoigne, entre autres, l'augmentation des agressions sexuelles et des violences faites aux femmes dans les pays "civilisés").
Le mouvement des "indignés" n'est pas une "révolution". Il n'est qu'une nouvelle étape dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière à l'échelle mondiale, qui seuls, peuvent ouvrir une perspective d'avenir pour cette jeunesse "sans futur" comme pour l'ensemble de l'humanité.
Ce mouvement (malgré toutes ses confusions et ses illusions sur la "république indépendante de la Puerta del Sol"), révèle que, dans les entrailles de la société bourgeoise, la perspective d'une autre société est en gestation. Le "séisme espagnol" révèle que les nouvelles générations de la classe ouvrière, qui n'ont rien à perdre, sont d'ores et déjà les acteurs de l'histoire. Elles sont en train de creuser les galeries pour d'autres tremblements de terre sociaux qui finiront par ouvrir la voie vers l'émancipation de l'humanité. Grâce à l'utilisation de réseaux sociaux Internet, de la téléphonie mobile et des moyens modernes de communication, ces jeunes générations ont montré leur capacité à briser le black-out de la bourgeoise et de ses médias pour commencer à développer la solidarité au-delà des frontières.
Cette nouvelle génération de la classe ouvrière a émergé sur la scène sociale internationale à partir de 2003, d'abord face à l'intervention militaire en Irak de l'administration Bush (dans de nombreux pays, les jeunes manifestants protestaient contre la "busherie"), puis avec les premières manifestations en France contre la réforme des retraites en 2003. Elle s'est affirmée au printemps 2006 dans ce même pays avec le mouvement massif des étudiants et lycéens contre le CPE. En Grèce, en Italie, au Portugal, en Grande-Bretagne, la jeunesse scolarisée a fait également entendre sa voix face à la seule perspective que le capitalisme est capable de lui offrir : la misère absolue et le chômage.
Le raz de marée de cette nouvelle génération "sans futur" a frappé récemment la Tunisie et l'Égypte, conduisant à une gigantesque révolte sociale qui a provoqué la chute de Ben Ali et de Moubarak. Mais il ne faut pas oublier que l'élément déterminant qui a obligé la bourgeoisie des principaux pays "démocratiques" (et notamment Barak Obama) à lâcher Ben Ali et Moubarak, ce sont les grèves ouvrières et la menace d'une grève générale face à la répression sanglante des manifestants.
Depuis, la place Tarhir est devenue un emblème, un encouragement à la lutte pour les jeunes générations de la classe ouvrière dans de nombreux pays. C'est sur ce modèle que les "indignés" en Espagne ont établi leur campement à la Puerta del Sol, ont occupé les places de plus de 70 villes et ont agrégé dans les assemblées toutes les générations et toutes les couches sociales non exploiteuses (à Barcelone, les "indignés" ont même renommé la place de Catalogne, "Plaza Tahrir").
Le mouvement des "indignés" est, en réalité, beaucoup plus profond que la révolte spectaculaire qui s'est cristallisée au Caire sur la place Tahrir.
Ce mouvement a explosé dans le principal pays de la péninsule ibérique, et qui constitue le pont entre deux continents. Le fait qu'il se déroule dans un Etat "démocratique" d'Europe occidentale (et, de surcroit, dirigé par un gouvernement "socialiste" !), ne peut que contribuer, à terme, à balayer les mystifications démocratiques déployées par les médias depuis la "révolution de jasmin " en Tunisie.
De plus, bien que Democracia Real Ya qualifie ce mouvement de "spanish revolution", aucun drapeau espagnol n'a été exhibé, alors que la place Tahrir était inondée de drapeaux nationaux1.
Malgré les illusions et confusions qui jalonnent inévitablement ce mouvement initié par les jeunes "indignés", ce dernier constitue un maillon très important dans la chaîne des luttes sociales qui explosent aujourd'hui. Avec l'aggravation de la crise mondiale du capitalisme, ces luttes sociales ne peuvent que continuer à converger avec la lutte de classe du prolétariat et contribuer à son développement.
Le courage, la détermination et le sens profond de la solidarité de la jeune génération "sans futur" révèle qu'un autre monde est possible : le communisme, c'est-à-dire l'unification de la communauté humaine mondiale. Mais pour que ce "vieux rêve" de l'humanité puisse devenir réalité, il faut d'abord que la classe ouvrière, celle qui produit l'essentiel des richesses de la société, retrouve son identité de classe en développant massivement ses combats dans tous les pays contre l'exploitation et contre toutes les attaques du capitalisme.
Le mouvement des "indignés" a commencé à poser de nouveau la question de la "révolution". Il appartient au prolétariat mondial de la résoudre et de lui donner une direction de classe dans ses combats futurs vers le renversement du capitalisme. C'est uniquement sur les ruines de ce système d'exploitation basé sur la production de marchandises et le profit que les nouvelles générations pourront édifier une autre société, rendre à l'espèce humaine sa dignité et réaliser une véritable "démocratie" universelle.
Sofiane (27 mai 2011)
1 On a même vu, au contraire, apparaître des slogans appelant à une "révolution globale" et à l'"extension" du mouvement au-delà des frontières nationales. Dans toutes les Assemblées une "commission internationale" a été créée. Le mouvement des "indignés" a essaimé dans toutes les grandes villes d'Europe et du continent américain (même à Tokyo, Pnom-Penh et Hanoï, des regroupements de jeunes espagnols expatriés déploient la bannière de Democracia Real Ya !).
Le vendredi 27 mai, entre 6 et 7 heures du matin, 300 agents de la police catalane et de la police municipale ont fait évacuer brutalement la Place de Catalogne à Barcelone, occupée par 3000 "Indignés". Ceux-ci y campaient jour et nuit depuis le 16 mai pour protester, comme à Madrid et dans environ 70 autres villes en Espagne, contre le chômage, la misère, la précarité et l'absence de futur.
Cette intervention musclée se justifiait, selon les dires du porte-parole de la Generalitat catalane (le gouvernement provincial), par la nécessité de faire place nette pour la retransmission le lendemain soir sur écran géant de… la finale de la Champions League de football "Barça,-Manchester United" ! La manifestation de la colère face à la pauvreté grandissante devait donc laisser sa place à quelque chose de bien plus important pour l'humanité (sic !) : la fête prévue au centre ville en cas de victoire du club de Barcelone ! Ce prétexte, évidemment crapuleux, permettait surtout d'évacuer de force un des lieux où la contestation avait pris une des tournures les plus “radicales” en mettant en cause l'exploitation du monde capitaliste.
Les occupants de la place ont essayé, avec détermination mais de manière totalement non violente, de résister à cette expulsion honteuse. Un groupe important de jeunes ont ainsi voulu bloquer l'accès à la place tandis que d'autres ont distribué des fleurs aux flics. Environ 200 "indignés" sont aussi restés assis au centre de la place. Les forces de police ont alors effectué plusieurs charges contre eux, à grands coups de matraque, tabassant une foule pacifique, les deux mains levées. Certains brandissaient des pancartes « Resistencia pacifica » (résistance pacifique). Un hélicoptère menaçant était en vol stationnaire au-dessus de la place tandis qu'une vingtaine de véhicules municipaux démontaient systématiquement les tentes de campement. Quelques bouteilles d'eau en plastique ont été lancées mais les manifestants sont restés calmes en majorité et ont répondu en scandant : « Me da verguenza » (ça me fait honte [le comportement des policiers]) ou « Donde esta la placa ? » (Où est la plaque [d'identification des policiers] ?). Un manifestant resté au centre de la place montrait une pancarte à l'intention de ceux qui étaient à l'extérieur : « Assemblea dice policia fuera, nosotras limpiamos la plaça. » (L'assemblée a dit : les policiers dehors, nous nettoyons la place). Un manifestant portait une pancarte avec les mots "ils ne pourront déloger nos rêves".
121 personnes ont été blessées lors de cette opération, dont une douzaine ont dû être hospitalisées. Un jeune a été gravement blessé avec un poumon perforé !
Un autre campement à Lérida (Lleida en Catalan), a également été évacué par la police le vendredi matin. Après le repli des forces de répression, en fin de matinée, les manifestants, de plus en plus nombreux ont réinvesti la place. En une seule après-midi, la cuisine assurant des repas gratuits, l'antenne médicale, la bibliothèque, le potager, etc., détruits le matin, ont été remis en service. Le point info a répondu aux questions tandis que le réseau social Twitter relayait une foule de commentaires indignés sur l'intervention de la police. Un tract a raconté l'évacuation et donné rendez-vous à 17h pour une manifestation partant de la statue de Christophe Colomb vers la place de Catalogne. Elle a rassemblé quelques milliers de personnes pour dénoncer les coupes budgétaires dans la santé et l'éducation. À 19h, la place était de nouveau noire de monde (entre 4 et 5000 personnes) pour une « cassolada » (concert de casseroles). A 21h, une pétition demandant la démission du ministre régional de l'intérieur était lancée. Les commissions (action, extension et diffusion, théâtre, art, etc.) se sont réunies à nouveau tandis qu'à la Puerta del Sol de Madrid, les manifestants, agitant des fleurs, criaient "Barcelone n'est pas seule". Des appels à des manifestations de soutien aux "indignés" de Barcelone ont été lancés, via Twitter, pour vendredi soir dans toutes les villes espagnoles.
Samedi soir, des milliers de manifestants se sont rassemblés pour continuer à montrer leur indignation et dénoncer les violences policières.
Alors oui, solidarité totale avec les matraqués de Barcelone et hommage à leur courage ! Non, nos camarades de Barcelone ne sont pas seuls, ce n'est pas une “révolution espagnole” : en Grèce, au Portugal, comme en Tunisie, en Egypte, au Maroc, le combat à mener est le même, comme partout dans le monde. Cette expérience de répression doit contribuer à dissiper certaines illusions démocratiques encore largement présentes chez les “indignés” et sur lesquelles s'appuie la classe dominante : elle doit faire prendre conscience que les violences policières ne sont que le bras armé de l'Etat capitaliste et qu'elles sont la seule réponse que peut nous offrir cet Etat qui nous fait subir quotidiennement la violence de son exploitation. Nous n'avons pas d'autre choix que de nous unir à l'échelle mondiale pour le renverser.
CCI (04 juin)
Nous publions ici une vidéo présentant une assemblée qui se tient dans la ville ouvrière de Tarrasa de la banlieue de Barcelone. On y voit notamment le personnel de l'hôpital de Tarrasa participer au mouvement et protester contre les attaques du gouvernement socialiste contre le système de santé publique.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/indignes.jpg
[2] https://en.internationalism.org/icconline/2011/07/notes-on-popular-assemblies-greece
[3] https://real-democracy.gr
[4] https://real-democracy.gr/en/node/159
[5] https://fr.internationalism.org/tag/5/295/grece
[6] https://es.internationalism.org/#_ftn1%23_ftn1
[7] https://es.internationalism.org/#_ftn2%23_ftn2
[8] https://es.internationalism.org/#_ftn3%23_ftn3
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