Le 20 janvier, Donald Trump a officiellement pris ses fonctions présidentielles. Cette victoire représente un échec retentissant pour les factions les plus responsables de la bourgeoisie américaine qui avaient tenté d’empêcher le retour au pouvoir de ce triste sire durant tout le mandat de Joe Biden.
Si lors de la première élection de 2016, la bourgeoisie avait été surprise par la victoire de Trump, elle avait cherché après coup à encadrer les humeurs et les incohérences du locataire du bureau ovale.
Mais ses discours revanchards et le discrédit de ses rivaux Démocrates se sont avérés plus puissants que les condamnations et les procès intentés contre lui pour agression, chantage ou comportement séditieux pendant l’assaut de janvier 2021 contre le Capitole. Cette fois, la bourgeoisie américaine est clairement dépassée par la situation créée par ce trublion qui n’a jamais caché sa volonté d’affaiblir les institutions de l’État fédéral et de se placer au-dessus d’elles. La mainmise de Trump sur l’ensemble des institutions est plus solide et étendue qu’elle ne l’était en 2017, ce qui traduit une perte de contrôle plus importante sur l’appareil politique de la part des fractions les plus lucides de la bourgeoisie américaine et l’exacerbation des tensions en son sein pour défendre au mieux les intérêts du capital national. Le programme de Trump, plus brutal et outrancier qu’entre 2017 et 2021, traduit bien l’enkystement et l’expansion du populisme qui sévit sur le monde. 1
Les manifestations de l’irresponsabilité de Trump résident tant dans ses outrances et son programme que dans la promotion des nouveaux cadres de son gouvernement, dont l’ineffable Elon Musk est le symbole. Pete Hegseth, ancien présentateur de Fox News, accusé d’agressions sexuelles, sans aucune expérience du haut commandement, se retrouve secrétaire à la défense. Robert Kennedy Jr., un antivax qui fait le bonheur des complotistes devient secrétaire à la santé. Le climato-sceptique Chris Wright est nommé secrétaire à l’énergie… Bref, une équipe de pieds nickelés révélatrice d’une phase historique dans laquelle la bourgeoisie américaine, à l’avant-garde de toutes les bourgeoisies des grandes puissances occidentales, tend à perdre la boussole avec, en perspective, des crises politiques toujours plus profondes et chaotiques.
En somme, ce que préfigure ce nouveau mandat ne représente rien de moins qu’une nouvelle accentuation du désordre mondial. La politique menée par la nouvelle équipe ne pourra qu’alimenter le tourbillon destructeur des crises qui s’auto-alimentent et interagissent à l’échelle du monde : chocs économiques, guerres, dégradation accélérée du climat et effondrement des écosystèmes, crises sociales, vagues migratoires incontrôlées…
Utilisant sournoisement les miasmes de la décomposition de son système moribond, la bourgeoisie sait parfaitement les retourner contre la conscience de la classe ouvrière, tant pour pousser les prolétaires au désespoir que pour semer l’illusion d’un futur plus « juste » et plus « démocratique ». Si le gouvernement Trump est un acteur et un agent saillant du désordre planétaire, il n’en est cependant pas à l’origine, contrairement à ce que cherchent à faire avaler une bonne partie de la bourgeoisie et ses médias, pour mieux dissimuler l’impasse historique du système, derrière la « folie » d’un seul homme.
Cette campagne idéologique mondiale prolonge une vaste offensive politique, initiée au moment de la campagne électorale, visant bien sûr à déboussoler les ouvriers derrière le drapeau de l’antifascisme et promouvoir « la défense de la façade démocratique des gouvernements au service de la domination capitaliste. Une façade conçue pour cacher la réalité de la guerre impérialiste, de la paupérisation de la classe ouvrière, de la destruction de l’environnement, de la persécution des réfugiés. C’est la feuille de vigne démocratique qui masque la dictature du capital, quel que soit le parti (de droite, de gauche ou du centre) qui accède au pouvoir politique dans l’État bourgeois ». 2 C’est cette campagne idéologique démocratique qui se poursuit, chacun apportant sa pierre à l’édifice mystificateur, tel Macron en France dénonçant une « internationale réactionnaire » ou les bourgeoisies allemande et britannique dénonçant les « ingérences » de Musk. Mais ce sont surtout les fractions les plus à gauche de la bourgeoisie qui parviennent, en réalité, à mystifier avec le plus d’efficacité la classe ouvrière, au nom de la défense de la « démocratie » contre le « fascisme ». Les partis de gauche apportent ainsi leur caution « radicale » et du crédit à l’idée d’une « internationale réactionnaire ».
Le prolétariat doit rester sourd à cette intense propagande qui se poursuit et qui va s’intensifier, au risque de se trouver plus affaibli face aux forces du capital. Il doit comprendre que l’État démocratique est l’outil du capital, son pire ennemi. Aujourd’hui, le seul moyen de lutte pour la classe ouvrière reste le combat sur le terrain de ses intérêts de classe et la défense de ses conditions de vie face aux attaques de tous les États, même les plus « démocratiques », et de tous les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Ce combat devra aussi se mener contre les faux amis de la classe ouvrière que sont les syndicats. En Belgique, malgré le front commun syndical qui cherche à encadrer et stériliser la lutte en organisant chaque mois une journée d’action, accompagnée d’autres grèves, comme dans l’enseignement francophone et dans les chemins de fer, la classe tend à dépasser le carcan syndical et de plus en plus de travailleurs se joignent aux journées d’action. Les prolétaires en Belgique ne sont pas seuls. Depuis 2022, partout dans le monde, au Royaume-Uni, en France, au Canada, aux États-Unis, la classe ouvrière relève la tête, refuse de courber l’échine face à la crise, aux licenciements, à l’inflation, aux « réformes ». Partout, elle commence peu à peu à se reconnaître comme une force sociale. Partout, de petites minorités émergent en se questionnant sur les origines de la crise, de la guerre et du chaos dans lequel nous plonge le capitalisme. Un tel combat contient en germe la perspective d’une politisation, il contient la perspective, pour le futur, du renversement du capitalisme et de l’édification d’une autre société, sans exploitation, sans barbarie guerrière.
WH, 22 janvier 2025
1) Cf. « Ni populisme, ni démocratie bourgeoise… La seule véritable alternative, c’est le développement mondial de la lutte de classe contre toutes les fractions de la bourgeoisie », publié sur le site web du CCI (janvier 2025).
2) Extrait de notre proposition d’« Appel de la Gauche communiste contre la campagne internationale de mobilisation en faveur de la démocratie bourgeoise », publiée sur le site web du CCI.
Une fois de plus, « trop c’est trop » a été le mot d’ordre des journées d’action de Bruxelles des 13 décembre et 13 janvier contre les plans d’austérité sur la table des négociations du nouveau gouvernement fédéral en devenir en Belgique. Ces plans avaient été révélés par des « fuites » dans les médias ; aujourd’hui, ils ne sont plus un secret. Les syndicats parlent des « mesures les plus drastiques des 80 dernières années ». Alors que les travailleurs des entreprises privées seront licenciés en masse (27 000 d’ici 2024) et que l’indexation automatique des salaires sera remise en cause, le nouveau gouvernement national veut tailler dans les dépenses de sécurité sociale, les allocations de chômage et les pensions. Pour couronner le tout, il souhaite réduire drastiquement le nombre de fonctionnaires et rendre le travail encore plus précaire pour l’ensemble des travailleurs.
Si lors de la première journée d’action, avec quelque 10 000 manifestants, ce sont surtout les délégués syndicaux qui ont été mobilisés (et principalement ceux de la région wallonne), la situation a pris une toute autre dynamique le 13 janvier. Au lieu des 5 000 à 10 000 manifestants initialement prévus par les syndicats, ce sont finalement plus de 30 000 travailleurs des différentes régions du pays et d’un nombre croissant de secteurs qui ont participé à la manifestation. 47 000 enseignants de la région flamande se sont également mis en grève, un chiffre historiquement élevé. Des arrêts de travail ont également eu lieu dans les chemins de fer, les transports publics, chez les éboueurs, à la poste et dans de nombreux autres services publics. Une nouvelle journée d’action est annoncée pour le 13 février, désormais derrière le mot d’ordre : « pour la défense des services publics et du pouvoir d’achat ».
Avant même ces deux journées d’action, une autre manifestation avait déjà mobilisé beaucoup plus de travailleurs que prévu en novembre. Lors de cette manifestation des travailleurs de la santé et du secteur social, la participation a également été trois fois plus importante que prévu : plus de 30 000 travailleurs. Le 26 novembre, le personnel francophone de l’enseignement a mené une grève largement soutenue sous le slogan « enseigner oui, saigner non ». Les 27 et 28 janvier, deux autres journées de grèves et de manifestations sont prévues. Et le syndicat de l’enseignement, sous pression, envisage d’annoncer une grève illimitée.
Ces manifestations, grèves et protestations confirment un développement de la combativité dans le monde entier, dont nous avons parlé à maintes reprises dans notre presse, ces dernières années. L’escalade des tensions impérialistes et le chaos croissant, la fragmentation du commerce mondial, la hausse de l’inflation et des coûts de l’énergie sont autant de signes d’une aggravation sans précédent de la crise. Dans tous les pays, la bourgeoisie tente donc de répercuter les conséquences de la crise économique sur les travailleurs. La Belgique ne fait pas exception.
La bourgeoisie est bien consciente que ces plans allaient provoquer des réactions dans de larges secteurs de la classe. Elle sait qu’à l’échelle internationale, la classe ouvrière a déjà montré, dans de nombreux pays, qu’elle avait surmonté des décennies de reflux des luttes. C’est pourquoi la bourgeoisie attache de l’importance à être bien préparée et à mettre en place les forces nécessaires pour absorber et détourner la résistance attendue.
Les syndicats ont vu l’inquiétude et le mécontentement des travailleurs grandir de semaine en semaine et ne sont pas restés passifs pour éviter que le mécontentement ne se manifeste par des actions « incontrôlées ». Le 8 décembre, Ann Vermorgen (présidente du syndicat ACV) a déclaré à la télévision que les syndicats communs avaient décidé d’organiser une journée d’action le 13 de chaque mois au cours de la période à venir. Cette déclaration a été suivie de journées d’action en décembre et en janvier, au cours desquelles les syndicats ont tenté de limiter les mobilisations à certains secteurs (en particulier l’éducation) et à certaines revendications (la réforme des pensions dans l’éducation). Les syndicats utilisent là des tactiques bien rodées : l’isolement et la division des différents secteurs et des régions dans une série de journées d’action destinées à épuiser la combativité.
Cependant, la forte mobilisation du 13 janvier a exprimé un mécontentement plus large et s’est développée dans d’autres secteurs et régions au point de surprendre les syndicats eux-mêmes. La colère va au-delà d’une mesure particulière ou d’une « réforme » annoncée. C’est l’expression d’un mécontentement et d’une indignation plus générale et la réalité du retour de la combativité face à l’augmentation du coût de la vie, à la dégradation des conditions de travail, à l’insécurité de l’emploi et au spectre grandissant de la pauvreté.
Pendant des années, on nous a dit que le capitalisme était le seul système possible et que la « démocratie » bourgeoise était la meilleure et la plus parfaite des institutions politiques imaginables. Ces mystifications n’ont pas d’autres buts que de démobiliser la classe ouvrière, de réduire les prolétaires isolés à l’impuissance, de les couper de la force et de la solidarité de leur classe. Pourtant, malgré les appels incessants à se mobiliser dans les urnes pour prétendument « peser contre l’austérité », comme les appels à défendre la « démocratie » contre les discours ignobles des populistes, les travailleurs reprennent le chemin de la lutte, redécouvrent le besoin de lutter tous ensemble sur leur terrain de classe. Il est aussi significatif que cette rupture, cette nouvelle dynamique dans le développement de la lutte des classes s’inscrit dans un contexte croissant de guerre et d’augmentation drastique des dépenses militaires qui doivent être payées par la classe ouvrière.
Pour parer réellement aux attaques contre nos conditions de vie, il faut donner à la lutte la base la plus large possible en unissant tous les travailleurs, indépendamment de l’entreprise, de l’institution, du secteur ou de la région dans lesquels ils travaillent. Tous les travailleurs sont « dans le même bateau ». Toutes ces luttes ne sont pas des mouvements séparés, mais un cri collectif : « nous sommes une ville de travailleurs, cols bleus et cols blancs, syndiqués et non syndiqués, immigrés et nés dans le pays », comme l’a déclaré un enseignant en grève à Los Angeles en mars 2023. Les grèves en Belgique s’inscrivent pleinement dans les mouvements qui ont eu lieu ces trois dernières années dans d’autres pays, tels que la Grande-Bretagne, les États-Unis et la France.
Mais il est indispensable que la classe ouvrière, en Belgique comme ailleurs, surmonte certaines faiblesses de ces luttes antérieures :
– En 2022-23, en Grande-Bretagne, des travailleurs d’entreprises de secteurs différents, parfois distantes de moins de 100 mètres, n’ont pas tenté de briser le système rigoureux des piquets de grève, de rechercher la solidarité et d’unir leur lutte.
– En 2023 en France, les travailleurs ont participé en masse à 14 « journées d’action » contre le plan de réforme des retraites du gouvernement, sans réussir à élargir la lutte à des grèves massives dans les entreprises.
En Belgique, la bourgeoisie et ses syndicats ne cessent de répandre le poison de la division : entre le secteur public et le secteur privé, comme entre les travailleurs des deux côtés de la frontière linguistique. Il s’agit d’un obstacle traditionnellement difficile à surmonter, 1 mais pas impossible, comme nous l’avons vu le 23 avril 2023 lorsque les enseignants francophones et néerlandophones ont manifesté à l’unisson à Bruxelles. Les grèves de 1983 et de 1986 avaient également rassemblé des centaines de milliers de travailleurs des secteurs public et privé et de régions wallonne, bruxelloise et flamande. 2 Tirer les leçons des luttes passées est indispensable pour s’armer face aux pièges tendus par la bourgeoisie.
Notre force, c’est l’unité, la solidarité dans la lutte ! Ne pas lutter côte à côte mais unir la lutte dans un même mouvement : faire grève et envoyer des délégations massives pour rejoindre les autres travailleurs dans la lutte, lutter ensemble, gagner de plus en plus de travailleurs à la lutte ; organiser des assemblées générales pour délibérer ensemble sur les besoins de la lutte ; s’unir autour de revendications communes. C’est cette dynamique de solidarité, d’expansion et d’unité qui a toujours ébranlé la bourgeoisie au cours de l’histoire.
Lac, 21 janvier 2025
1) Cf. « La coalition “Arizona” prépare une attaque frontale contre les conditions de travail et de vie », Internationalisme n° 381
2) Cf. « Vers l’unification de la lutte », Internationalisme n° 111 (1986).
Les institutions économiques les plus respectées de la bourgeoisie se targuent d’un bilan plutôt positif de l’état actuel de l’économie mondiale, qui « a fait preuve d’une remarquable résilience face à la pandémie, à la guerre en Ukraine et à une poussée d’inflation ». 1 Le FMI, la Banque mondiale et d’autres institutions prévoient pour 2025 un peu plus de croissance qu’en 2024, malgré leurs inquiétudes quant aux grandes incertitudes et aux risques considérables, dus notamment à l’augmentation des tensions géopolitiques. Mais la réalité est tout autre : le système capitaliste poursuit bel et bien sa trajectoire dans les abîmes d’une crise économique chronique, plongeant davantage le monde dans la misère et le marasme.
En 2024, l’économie mondiale ne s’est pas remise de la pandémie de Covid-19 et de ses rigoureux confinements, ce qui se traduit par une économie mondiale plus affaiblie que jamais. Comment pourrait-il en être autrement ? Avant l’apparition de Covid-19, le capitalisme était déjà confronté à une grande fragilité du système monétaire et financier ainsi qu’à un endettement massif des États nationaux, ce qui laissait présager l’ouverture d’une période de graves convulsions. 2 La pandémie qui s’est développée en 2020 n’a fait qu’accentuer ces tendances, notamment en désorganisant davantage les chaînes de production et du commerce mondial.
Au cours des 25 dernières années, l’économie mondiale a été principalement maintenue à flot grâce à l’administration d’une dose massive de crédit entraînant une envolée de la dette publique. « La dette publique mondiale a plus que quintuplé depuis l’an 2000, dépassant nettement le PIB mondial, qui a triplé au cours de la même période ». 3 L’ONU parle d’une augmentation alarmante de la dette publique mondiale qui atteindra le chiffre record de 97 000 milliards de dollars en 2023, tandis que la dette mondiale totale (une dette totale qui comprend également celle des entreprises et des ménages) atteindra le chiffre délirant de 300 000 milliards de dollars, pour un PIB mondial de seulement 105 000 milliards de dollars.
Ces dernières années, l’économie mondiale a été touchée par l’éruption de guerres extrêmement violentes au Moyen-Orient et en Ukraine. Cette dernière a provoqué une flambée de l’inflation dans les deux pays belligérants, avec un phénomène de contagion dans plusieurs pays voisins, tels les pays baltes où l’inflation a dépassé les 20 % en 2022. Les sanctions contre la Russie ont eu un impact négatif à la fois sur l’économie russe et sur celles des pays situés à proximité de la zone de guerre. L’impact le plus notable est celui sur l’économie allemande, qui a rompu ses relations commerciales avec la Russie et perdu l’approvisionnement en gaz bon marché.
Les années 2020-2024 ont été la plus faible demi-décennie de croissance du PIB depuis trente ans. Cette situation déplorable laisse entrevoir la possibilité réelle que des économies importantes comme les États-Unis, l’Europe et la Chine soient touchées par la stagflation.
L’économie européenne, déjà fragile, est mise à rude épreuve par des prix de l’énergie relativement élevés et des dettes nationales colossales. L’économie allemande est au bord de la récession. Son secteur manufacturier (automobile et chimie), autrefois réputé, est affecté par les coûts élevés de l’énergie et une concurrence internationale féroce. Elle subit une baisse importante de la demande extérieure. En 2024, la production industrielle était inférieure de 15 % au pic de 2016 et des dizaines de milliers de travailleurs sont sur le point d’être licenciés. La France a perdu le contrôle de ses finances publiques avec des niveaux d’endettement dépassant largement les 100 % du PIB, un problème auquel sont également confrontés la Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et la Belgique. L’une des principales économies européennes est donc sur une trajectoire économique insoutenable. Le secteur manufacturier français est également en crise, et aucun signe de reprise ne se profile à l’horizon. L’escalade des tensions impérialistes et le développement du chaos, la fragmentation du commerce mondial, la hausse de l’inflation et des coûts de l’énergie convergent donc vers un approfondissement sans précédent de la crise de l’économie européenne.
En Chine, l’impact des sanctions américaines et les mesures de confinement lors du Covid-19 avaient déjà fortement affaibli l’économie. Mais l’éclatement de la bulle immobilière a encore aggravé la crise, la valeur totale des logements inachevés et invendus s’élevant à environ 4,1 billions de dollars. Aujourd’hui, la bulle a également entraîné la faillite de quarante petites banques. Enfin, elle a anéanti environ 18 000 milliards de dollars d’épargne des ménages, ce qui affecte gravement la confiance des consommateurs et freine leurs dépenses. Conjuguée à une baisse continue des recettes d’exportation, cette situation entraîne un ralentissement sans précédent depuis des décennies. Aujourd’hui, l’économie chinoise ne sera certainement pas en mesure de fonctionner comme le moteur de l’économie mondiale, comme elle l’a fait après la crise financière de 2008.
Trump a annoncé une politique protectionniste agressive, avec l’intention d’imposer des barrages douaniers à tous ses concurrents, y compris ses « partenaires ». Cette politique provoquera une guerre commerciale acharnée, les autres pays fixant leurs propres tarifs. Elle risque fort d’alimenter l’inflation et de ralentir encore plus la croissance mondiale, en particulier celle en Chine, et probablement aussi en Europe. Les droits de douane annoncés constituent une nouvelle étape d’une politique qui jette l’économie mondiale dans la tourmente, exacerbe sa fragmentation et laisse présager un nouveau démantèlement de la mondialisation. Leur mise en œuvre donnera une impulsion considérable à la crise mondiale qui n’épargnera aucune puissance, pas même les États-Unis.
La guerre est le mode de vie du capitalisme dans sa phase de décadence, l’économie suit donc naturellement la voie du militarisme qui domine la plupart des économies nationales. Avec la prolifération des conflits armés dans le monde, cette tendance s’accentue considérablement. Par exemple, les dépenses militaires mondiales ont augmenté pour la neuvième année consécutive en 2023, atteignant un total de 2 443 milliards de dollars, le niveau le plus élevé jamais enregistré. L’Allemagne a doublé son budget militaire, tandis que le budget des États-Unis atteint près de 1 000 milliards de dollars. Les dépenses improductives constituent une perte nette pour l’économie nationale et pourraient même conduire à sa faillite.
L’état de décomposition de la société capitaliste est tel qu’au-delà de sa superstructure idéologique, ses propres fondements économiques sont eux-mêmes affectés par ses effets destructeurs. L’accumulation de l’effet combiné de ces facteurs (crise, guerre, réchauffement climatique, chacun pour soi) produit « une spirale dévastatrice aux conséquences incalculables pour le capitalisme, frappant et déstabilisant toujours plus gravement l’économie capitaliste et son infrastructure de production. Si chacun des facteurs qui alimentent cet effet “tourbillon” de décomposition risque d’entraîner l’effondrement des États, leurs effets combinés dépassent de loin la simple somme de chacun d’entre eux pris isolément ». 4
Ainsi, les deux guerres, en Ukraine et au Moyen-Orient, n’entraînent pas seulement une destruction catastrophique de l’infrastructure des pays concernés, mais aussi une fragmentation et une déstabilisation de pans entiers de l’économie mondiale. Par exemple, l’une des « nouvelles routes de la soie », liaisons terrestres et maritimes entre la Chine et l’Europe, qui passait par le territoire de la Russie et du Belarus, est complètement paralysée depuis le début de la guerre. Les vols en provenance d’Amérique du Nord et d’Europe ne peuvent plus survoler la Sibérie et ce détour entraîne une augmentation spectaculaire du coût des vols concernés. Différentes routes commerciales maritimes, comme le passage par la mer Rouge et la mer Noire, sont risquées pour le trafic maritime à cause des menaces liées aux guerres en cours. Ces sérieuses entraves au commerce mondial conduisent à l’augmentation des coûts du fret maritime, avec la menace d’une crise alimentaire dans certaines parties du monde.
Les chocs climatiques récurrents, aléatoires et potentiellement importants entraînent la destruction des infrastructures, la dégradation des sols, l’effondrement des écosystèmes et des populations humaines, tandis que la nature est de moins en moins capable de se remettre de ces événements catastrophiques, ce qui conduit à une perte permanente de la capacité de production. Entre 2014 et 2023, environ 4 000 événements liés au climat semblent avoir entraîné des pertes économiques estimées à 2 000 milliards de dollars. Et comme le capitalisme, en raison de la concurrence mondiale féroce, n’est pas en mesure de freiner le réchauffement climatique, ces pertes augmenteront à un rythme accéléré.
Sous l’influence croissante du populisme, les mesures de la bourgeoisie deviennent de plus en plus irrationnelles et parfois même au détriment des intérêts économiques nationaux. Prenons par exemple le sabotage lors de la première présidence de Trump des travaux de l’OMC, une institution destinée à maintenir un minimum de stabilité dans l’économie mondiale, laissant libre cours au développement international du chacun pour soi. De même, la décision de la bourgeoisie britannique de se retirer de l’UE a créé des obstacles majeurs au commerce avec le continent, avec un impact négatif important sur son économie. Enfin, la gestion totalement irrationnelle de la crise du Covid-19 par Bolsonaro et Modi a entraîné beaucoup plus de pertes humaines que la moyenne générale, accroissant la crise économique.
Ces dernières années, la crise a déjà entraîné une paupérisation significative dans les régions économiques les plus importantes du monde capitaliste. Selon Eurostat, en 2023, 16,2 % des citoyens européens étaient menacés de pauvreté, ce qui signifie qu’environ 71,7 millions de personnes souffrent de privations matérielles et sociales et n’ont pas de revenus suffisants pour mener une vie décente. Les États-Unis ont l’un des taux de pauvreté les plus élevés du monde occidental. Selon le Brookings Institute, 43 % des familles américaines ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins fondamentaux.
En Chine, il n’y a officiellement pas de pauvreté. Mais en 2020, 600 millions de Chinois subsistaient encore avec l’équivalent de 137 dollars par mois, peinant à subvenir à leurs besoins.
Avec la détérioration de la situation économique, cette tendance se poursuivra dans les années à venir, comme en témoignent déjà la série de licenciements annoncée. 384 entreprises technologiques américaines, par exemple, ont déjà licencié plus de 150 000 travailleurs en 2024, s’ajoutant aux 428 449 travailleurs de ce même secteur qui ont perdu leur emploi au cours des deux années précédentes. En Europe, des licenciements massifs sont annoncés chez Bosch (5 000 emplois), Volkswagen (35 000 emplois), Schaeffler AG (4 700 emplois), Ford (4 000 emplois), Airbus (2 043 emplois) et Air France KLM (1 500 emplois)… Les plus grandes entreprises privées chinoises ont supprimé 300 000 emplois. Le taux de chômage des jeunes en Chine a atteint 20 %. Ces chiffres illustrent la façon dont le ralentissement de l’économie chinoise se répercute sur la main-d’œuvre. Les intentions stupéfiantes de Trump II porteront certainement un nouveau coup aux conditions de vie des travailleurs.
En réaction à l’aggravation de l’économie mondiale et à la détérioration de ses conditions d’existence, la classe ouvrière doit se préparer à la lutte, comme l’ont fait les ouvriers de différents pays depuis 2022, 5 lorsque ceux-ci ont fermement affirmé qu’ils n’accepteraient pas les attaques économiques sans se battre et se sont engagés dans la lutte avec plus d’assurance. Cela doit encourager tous les travailleurs à surmonter leurs hésitations, à suivre l’exemple de leurs frères de classe et à se joindre à leur lutte.
Dennis, 15 janvier 2025
1) « Exploiter le pouvoir de l’intégration : A Path to Prosperity in Central Asia », Rapport du FMI (2024).
2) Cf. « Résolution sur la situation internationale (2019) : [7] Conflits impérialistes ; vie de la bourgeoisie, crise économique [7] », Revue internationale n° 164 (2020).
3) « Un monde de dettes – Un fardeau croissant pour la prospérité mondiale [8] », Rapport de l’ONU (2024).
4) « Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste [9] », Revue internationale n° 165 (2021).
5) « Pourquoi le CCI parle-t-il de “rupture” dans la dynamique de la lutte de classe ? », Révolution internationale n° 498.
Les ravages de trois années de guerre en Ukraine, tout comme la barbarie sans nom des quinze mois du conflit israélo-palestinien, qui a contribué à embraser l’ensemble du Moyen-Orient, constituent une terrible illustration des guerres engendrées par la période de décomposition du capitalisme
Quelles que soient les trêves éventuelles et les cessez-le-feu conclus dans le cadre des manœuvres impérialistes à venir, ils ne pourront être que temporaires et ne représenteront que des accalmies momentanées dans le renforcement du militarisme le plus barbare qui caractérise le mode de production capitaliste.
En février 2022, Poutine avait certifié que l’armée russe progresserait rapidement en Ukraine par le biais d’une « opération militaire spéciale » de courte durée. Trois ans se sont écoulés et, bien que les missiles et l’artillerie continuent de détruire des villes entières et de faire des milliers de victimes, la guerre a atteint un point où aucune des deux parties ne progresse significativement, ce qui rend les opérations militaires encore plus désespérées et destructrices. Il est difficile de connaître avec certitude le nombre de victimes de la guerre, alors que les médias parlent désormais de plus d’un million de morts ou de blessés et que les protagonistes éprouvent de plus en plus de peine à recruter de la « chair à canon » pour « boucher les trous » sur la ligne de front.
Au Moyen-Orient, après l’attaque barbare du Hamas, les représailles de l’État d’Israël causent des destructions et des massacres qui atteignent un niveau de sauvagerie inimaginable. Comme Poutine, Netanyahou, après l’attaque sanglante du 7 octobre 2023, assurait qu’en trois mois, il en finirait avec le Hamas : cela dure déjà depuis plus d’un an et la barbarie qu’il a déclenchée n’a cessé de prendre de l’ampleur. Israël a largué sans discrimination 85 000 tonnes d’explosifs, soit l’équivalent de trois fois la quantité de matière explosive contenue dans les bombes larguées sur Londres, Hambourg et Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale ! Ces attaques féroces ont fait près de 45 000 morts, plus de 10 000 disparus et près de 90 000 blessés, dont de nombreux mutilés, y compris des milliers d’enfants. Selon Save the Children, chaque jour depuis le début de la guerre à Gaza, une dizaine d’enfants ont été victimes de graves mutilations. Et au scénario d’horreur des bombardements s’ajoutent la faim et les maladies telles que la polio et l’hépatite, qui se propagent en raison des conditions sanitaires inhumaines.
Toute cette folie guerrière qui dure depuis si longtemps en Ukraine et dans la bande de Gaza s’étend aujourd’hui à d’autres pays, élargissant la spirale du chaos et de la barbarie. Après les combats au Sud-Liban et les bombardements sur Beyrouth, la reprise des affrontements en Syrie, qui a conduit au renversement rapide de Bachar Al Assad, illustre bien la façon dont l’instabilité se propage. Le soutien militaire conséquent de la Russie et de l’Iran avait permis à Al Assad de s’imposer à l’issue de la guerre civile syrienne de 2011 à 2020, même si la situation était précaire. Avec l’affaiblissement militaire des alliés d’Assad, en particulier la Russie prise au piège en Ukraine et le Hezbollah occupé au Liban, leur soutien militaire s’est fortement réduit, ce qui a entraîné une perte de contrôle de la situation par le régime, exploitée par le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) pour attaquer et renverser le gouvernement. Cependant, la fuite d’Al Assad ne signifie nullement que le nouveau régime qui a pris le pouvoir à Damas présente un projet cohérent et unifié. Au contraire, une multitude de groupes, « démocratiques » ou « islamistes » plus ou moins radicaux, chrétiens, chiites ou sunnites, kurdes, arabes ou druzes sont plus que jamais impliqués dans les confrontations pour le contrôle du territoire ou de certaines de ses portions, avec derrière eux la camarilla des parrains impérialistes : la Turquie, Israël, le Qatar, l’Arabie Saoudite, les États-Unis, l’Iran, les pays européens et peut-être encore la Russie, chacun avec son propre agenda et ses propres intérêts impérialistes. Plus que jamais, la Syrie et le Moyen-Orient en général représentent un foyer de multiples tensions qui poussent à la guerre et au militarisme.
De nombreuses armes nouvelles et sophistiquées ont été déployées en Ukraine comme au Moyen-Orient : boucliers de défense antimissiles, drones d’attaque, manipulation de systèmes de communication pour les transformer en engins explosifs… Les budgets que les différents États allouent à l’achat d’armes conventionnelles et à la modernisation ou à l’expansion de l’arsenal atomique explosent également : selon les données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les dépenses militaires dans le monde en 2023 s’élevaient à 2 443 milliards de dollars, soit une augmentation de 7 % par rapport à 2022 (le taux de croissance le plus élevé depuis 2009). Et tant les commandes que les déclarations des chefs d’États sur tous les continents ne permettent pas d’entrevoir autre chose qu’une expansion générale impressionnante de la militarisation, ce qui amène par la même occasion une remarquable augmentation des bénéfices des entreprises d’armement.
Mais cela signifie-t-il que la guerre a pour autant un effet positif sur l’économie capitaliste ? Le capitalisme est né dans la boue et le sang de la guerre et du pillage, mais leur rôle et leur fonction ont changé au fil du temps. Dans la phase ascendante du capitalisme, les dépenses militaires et la guerre elle-même étaient un moyen d’étendre le marché et de stimuler le développement des forces productives, car les nouvelles régions conquises nécessitaient de nouveaux moyens de production et de subsistance. Au contraire, l’entrée dans la phase de décadence (qui s’est ouverte avec la Première Guerre mondiale) indiquait que les marchés solvables avaient été globalement répartis et que les rapports de production capitalistes étaient devenus une entrave au développement des forces productives. Dans ce contexte, le système capitaliste trouve dans la guerre (et sa préparation) certes une impulsion pour la production d’armements, mais, en tant que moyens de destruction, ils ne bénéficient pas à l’accumulation du capital. La guerre représente, en réalité, une stérilisation de capital. Pour autant, cela ne signifie pas, comme l’expliquait déjà la Gauche communiste de France, « que la guerre s’est transformée en objectif de la production capitaliste. Cet objectif reste pour le capitalisme la production de la plus-value. Ce que cela signifie, c’est que la guerre, en prenant ce caractère permanent, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent ». 1
Dans la période de décomposition du capitalisme, qui constitue la dernière phase du déclin irréversible dans la barbarie de ce mode de production, les caractéristiques de la décadence sont non seulement maintenues, mais accentuées, de sorte que la guerre non seulement continue à n’avoir aucune fonction économique positive, mais se présente maintenant comme un élément déclencheur d’un chaos économique et politique toujours croissant et perd par là même sa finalité stratégique : l’objectif de la guerre se réduit de plus en plus à la destruction massive irrationnelle, ce qui en fait un des principaux facteurs menaçant l’humanité de destruction totale. La menace d’une confrontation nucléaire en témoigne tragiquement.
Cette dynamique est clairement illustrée dans les guerres actuelles comme en Ukraine ou à Gaza. La Russie ou Israël ont rasé ou anéanti des villes entières et contaminé durablement les terres agricoles avec leurs bombes, de sorte que l’avantage qu’ils retireront d’une hypothétique fin de la guerre se limitera à des champs de ruines. Les massacres répugnants de civils et d’enfants, tout comme le bombardement de centrales nucléaires en Ukraine soulignent le changement qualitatif que prend la guerre dans la décomposition, dans la mesure où l’irresponsabilité et l’irrationalité rythment la guerre, puisque le seul objectif est de déstabiliser ou de détruire l’adversaire en pratiquant systématiquement une politique de « terre brûlée ». Dans ce sens, si « la fabrication de systèmes sophistiqués de destruction est devenue le symbole d’une économie moderne et efficace […] elle n’est, du point de vue de la production, de l’économie, qu’un gigantesque gaspillage de ressources ». 2
Le développement croissant de la militarisation a récemment conduit certains pays qui avaient abandonné le service militaire obligatoire à le réintroduire, comme en Lettonie, en Suède et la CDU l’a même proposé en Allemagne. Il se reflète surtout à travers la pression généralisée pour augmenter les dépenses militaires, au moyen d’une campagne de différents porte-parole de la bourgeoisie plaidant, par exemple, pour la nécessité que les pays de l’OTAN dépassent largement le montant convenu de 2 % du PNB consacré à la défense. Dans un scénario où les États-Unis de Trump joueront plus que jamais la carte de l’« America first », même envers les pays « amis » qui se croyaient en sécurité sous l’ombrelle nucléaire américaine, les pays européens cherchent à renforcer d’urgence leurs infrastructures militaires et augmentent fortement leurs dépenses militaires pour mieux défendre leurs propres ambitions impérialistes. Lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, déclare : « Nous devons dépenser plus, nous devons dépenser mieux, nous devons dépenser européen », elle résume bien la stratégie d’expansion des infrastructures militaires de l’Europe et d’une industrie d’armement européenne autonome.
En réalité, la tendance à l’explosion des dépenses d’armements est mondiale, stimulée par une avancée tous azimuts du militarisme. Chaque État est ainsi poussé à renforcer sa puissance militaire. Cela exprime fondamentalement la pression de l’instabilité croissante des rapports impérialistes dans le monde.
Tatlin, 14 janvier 2025
1) « Rapport de la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France », reproduit dans la Revue internationale n° 59 (1989).
2) « Où en est la crise ? Crise économique et militarisme », Revue internationale n° 65 (1991).
Dans un article précédent, 1 nous avons dénoncé les récentes inondations catastrophiques de Valence (en Espagne) et avons souligné l’incompétence crasse de la bourgeoisie à la fois pour prévenir et pour réagir efficacement face à une catastrophe qu’elle nous présente comme le résultat de « l’imprévisibilité de la nature » et de « l’impact d’une mauvaise gestion ». Les chiffres sont absolument effrayants : plus de 200 morts, plus de 850 000 personnes directement affectées, des dizaines de milliers de maisons et de véhicules endommagés, l’effondrement des transports, des pôles d’entreprise et d’enseignement, des conséquences psychologiques traumatisantes pour les habitants…
En 2021, nous avions assisté à un phénomène similaire en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe centrale, avec plus de 240 morts, des milliers de blessés et des milliards d’euros de dégâts matériels. L’ampleur de ces deux catastrophes a suscité le désespoir et la colère de personnes indignées.
Déjà en Allemagne, les médias soulignaient le manque de préparation des autorités face au changement climatique : « Les inondations mortelles révèlent les lacunes de la préparation aux catastrophes en Allemagne » ; « Alors que de fortes pluies étaient attendues, de nombreux habitants n’ont pas été prévenus » ; « Les inondations mortelles en Allemagne étaient jusqu’à neuf fois plus probables en raison du changement climatique, et le risque continuera d’augmenter » (CNN). Mais, au-delà des constats résignés de la bourgeoisie, de la recherche de coupables, de l’illusion d’une reconstruction « solidaire » et des promesses solennelles des gouvernements de s’impliquer dans la lutte contre le changement climatique, il faut identifier les causes et les conséquences profondes de ces catastrophes, celles qui se cachent derrière l’horreur des images et l’incurie des autorités.
Ces terribles inondations ne sont pas qu’une simple anecdote dans la succession des catastrophes au cours de l’histoire de l’humanité. Dès les années 1980, une tendance se dessine à l’accumulation de toute une série de catastrophes naturelles et des désastres de différents types dans la vie quotidienne des pays centraux du capitalisme : les accidents d’usines Seveso, les catastrophes nucléaires de Three Mile Island et de Tchernobyl, les effets meurtriers des canicules, la résurgence des épidémies, etc. Le système capitaliste avait réussi jusqu’alors à limiter la prolifération de ces phénomènes aux pays périphériques, mais, tout en continuant à s’y multiplier, elles tendaient aussi à s’étendre à l’ensemble de la planète, affectant directement, comme un boomerang, les grandes métropoles au cœur du système.
À la fin des années 1980, après des années de pourrissement du capitalisme en déclin, la situation historique a débouché sur une impasse : face au resurgissement de la crise économique, la bourgeoisie n’a pu concrétiser sa « solution », celle de la mobilisation en vue d’une nouvelle guerre mondiale apocalyptique, du fait même du développement de luttes ouvrières. Le prolétariat, de son côté, s’est mobilisé dans une série de luttes ouvertes importantes à partir de la fin des années 1960, mais n’est pas parvenu à avancer vers une politisation de son combat et des confrontations décisives avec la bourgeoisie. La conséquence de cette impasse dans le rapport de force entre les deux classes antagoniques a été une intensification du processus de putréfaction de la société, notamment illustrée par l’effondrement du bloc capitaliste de l’Est et l’entrée dans un Nouveau Désordre Mondial, 2 une terrible dynamique, apparemment moins directe, mais finalement tout aussi destructrice que la guerre mondiale elle-même !
L’ampleur de la décomposition est parfaitement illustrée, sur un plan strictement écologique, 3 par des manifestations allant de l’expansion de mégalopoles asphyxiantes ou de pollutions de tout genre jusqu’à des phénomènes planétaires comme le changement climatique et l’effet de serre, eux-mêmes exacerbés par la multiplication des effets interconnectés des ravages des guerres et de la crise économique. La bourgeoisie est de plus en plus incapable de dissimuler son impuissance face à la perspective des catastrophes en chaîne à venir.
Alors que le système capitaliste exploite la technologie et les ressources les plus avancées pour s’armer jusqu’aux dents, pour mettre en place des communications transatlantiques instantanées et pour mener les recherches scientifiques et techniques les plus complexes, dans le même temps, il subit l’approfondissement de ses contradictions internes et se trouve dès lors de moins en moins capable de reporter les pires conséquences de celles-ci vers le futur et ne peut empêcher que les effets de décennies de déclin se retournent contre lui.
L’Oxford Environmental Change Institute souligne, à propos des inondations de 2021, que « cela montre à quel point même les pays développés ne sont pas à l’abri de l’impact de conditions météorologiques extrêmes qui, nous le savons, vont s’aggraver avec le changement climatique ». Les phénomènes extrêmes vont devenir de plus en plus fréquents, comme en témoigne la récente succession de sécheresses et d’inondations extrêmes en Méditerranée. À la suite de l’année 2021, une série d’enquêtes scientifiques avaient été commanditées pour tenter soi-disant de prévenir ce type de catastrophes inattendues et l’Agence européenne pour l’environnement avait posé la question : « inondations en 2021, l’Europe tiendra-t-elle compte des avertissements ? » La réponse est clairement non, comme nous l’avons vu à Valence. En réalité, le capitalisme se révèle de plus en plus incapable de répondre aux recommandations scientifiques concernant l’avenir de l’humanité et de la planète.
Tout au contraire, on observe même une tendance à l’abandon de la population par l’État, pas seulement due au manque de préparation, au chaos ou à la détérioration des systèmes d’alerte, mais fondamentalement au manque de moyens et à la manière dont la bourgeoisie esquive le problème, en se refilant la patate chaude des responsabilités entre ses différentes factions régionales ou centrales. Déjà en Allemagne en 2021, la critique était que « les communautés devraient décider comment réagir. Dans le système politique allemand, les États régionaux sont responsables des efforts d’urgence » (BBC News). En Espagne, nous avons assisté à un spectacle similaire, voire pire. Face à cette tendance croissante à l’abandon « ce qui a redonné espoir, c’est l’arrivée de volontaires de toute l’Allemagne sur les lieux de la tragédie, déblayant la boue, parlant aux personnes touchées… et les dons ont atteint des niveaux records » (DW News). De même, la catastrophe en Espagne a généré un élan de solidarité populaire similaire, reflet de la nature sociale de l’être humain. Mais, ce type d’impulsion sociale représente-t-il un espoir pour l’avenir, constitue-t-il la base de la lutte pour une société qui vaincra le capitalisme ?
Avant d’approfondir cette question, il faut constater que, au-delà de la banalisation de ces catastrophes, de leur normalisation, l’idée de « la nécessité de s’adapter aux changements inéluctables » est de plus en plus propagée, de façon à inculquer qu’il est impossible d’anticiper et donc qu’il faudra « faire avec » en espérant circonscrire les effets les plus destructeurs, stimulant ainsi fatalisme et désespoir, le chacun pour soi et la débrouille individuelle face à un système qui se déclare inapte à inverser la tendance. De fait, les sommets mondiaux sur le climat passent du stade d’engagements totalement creux à l’imposture ouverte !
La dernière COP 29, marquée par l’absence d’une grande partie des dirigeants mondiaux, a donné des résultats qualifiés de décevants dans la presse bourgeoise elle-même : « accord honteux » (Greenpeace) ; « une perte de temps totale » (EuroNews). Pour le magazine Nature, les fonds alloués ne convaincront personne et l’accord n’anticipe même pas l’impact du prochain « scénario Trump » ; 4 des chercheurs de Cambridge présents à la COP confiaient : « Je n’ai parlé à aucun scientifique qui pensait que la limite de 1,5 °C était encore réalisable avec les moyens actuels ».
En Espagne, la réaction spontanée de la population face à la catastrophe a donné naissance à une vague de volontaires et à un élan de générosité pour aider les sinistrés et, face à l’inaction et à l’incompétence de l’État, cela a même généré des slogans tels que « seul le peuple peut sauver le peuple ».
Cette réaction a été exploitée de manière éhontée par différentes factions de la bourgeoisie, de son extrême droite à son extrême gauche, dans une lutte de charognards. Les groupes d’extrême gauche se sont partagés le travail avec les partis de gauche en réorientant de façon subtile la réflexion des travailleurs vers un terrain bourgeois.
Ils ne présentent jamais une analyse sérieuse de l’évolution et de la nature du capitalisme, mais proposent aux travailleurs toutes sortes de fausses alternatives axées sur une « gestion populaire » du système capitaliste. Des groupes comme Izquierda revolucionaria en Espagne, la branche allemande du CIO, ou le WSWS, 5 crachent apparemment du feu contre « l’irresponsabilité et l’inaction criminelle des politiques et autorités » et nous disent d’abord que « le capitalisme est responsable » pour cracher ensuite leur venin mystificateur en affirmant que « ce n’est pas l’establishment, mais le peuple lui-même qui a organisé la solidarité et l’hospitalité et même une partie de l’hospitalité. Les dons, les gens, les services et les secouristes… une solidarité pleine d’espoir “d’en bas” qui doit être démocratisée et coordonnée efficacement ». Une caricature de l’idéologie selon laquelle la solidarité spontanée face à la catastrophe serait une alternative prolétarienne à l’incurie du capitalisme est défendue, par exemple, par les trotskistes de Voix de gauche (Révolution permanente en France) qui disent qu’elle peut provoquer une sorte de « communisme de catastrophe », où « les gens se libèrent des capitalistes et commencent à reconstruire la société de manière collaborative […] quand je ressens le désespoir climatique, je pense à cette perspective de me joindre à d’autres personnes du monde entier pour lutter contre la catastrophe ».
À Valence, nous avons vu comment toute la solidarité, la colère, l’indignation et le désespoir suscités par la catastrophe ont été canalisés dans des campagnes d’unité nationale comme les rassemblements de deuil commun avec des hommes d’affaires aux portes des entreprises en « soutien à Valence » ou « pour le peuple valencien, fier de sa solidarité ». Les anarchistes qui font normalement appel aux « alternatives de quartier » et à l’autogestion se sont lancés dans l’aventure des « réseaux locaux de solidarité, pour l’auto-organisation et l’autonomisation du peuple ». Et la provocation de l’arrivée des autorités a été accueillie par une pluie de boue et d’insultes.
Cependant, il n’y a eu aucun embryon d’approche de classe, aucune protestation contre la pression exercée sur les travailleurs pour qu’ils continuent à travailler, ou contre la perte de salaires, d’allocations de chômage ou d’aides au logement. Les assemblées ou les discussions pour réfléchir sur les causes profondes de la catastrophe étant inexistantes, les gauchistes et les syndicats n’ont eu aucune peine à canaliser une partie de la colère, tandis qu’une partie des habitants s’est égarée dans la pure désorientation, dans les conflits entre partis bourgeois, voire sur le terrain du populisme contre les élites politiques ineptes, « insensibles aux souffrances du peuple ».
Il ne faut avoir aucune illusion sur l’impact de ces réactions immédiates ! Comme les réflexes de survie sociale consistant à aider les autres ne trouve pas à s’exprimer sur un terrain de classe, ils sont immédiatement mis à profit par la bourgeoisie pour désarmer le prolétariat et l’empêcher de développer sa propre réponse de classe ! Ce type d’indignation, de désespoir et de rage spontanés face à la destruction, expriment fondamentalement l’impuissance, la frustration, le manque de perspective face au pourrissement de la société. Les effets de la décomposition du capitalisme, en eux-mêmes, ne constituent pas une base favorable pour une réaction du prolétariat en tant que classe contre le capitalisme, comme les gauchistes veulent nous le faire croire. À la lutte de classe du prolétariat, ils opposent et substituent le magma informe qu’est le « peuple », condamnant ainsi les travailleurs à se diluer dans la masse dominée et impuissante de « ceux d’en bas ».
L’accélération de la décomposition du capitalisme conduira inévitablement à une multiplication de catastrophes de plus en plus terribles face auxquelles les États se montreront de plus en plus incompétents et indifférents. Mais la bourgeoisie exploitera idéologiquement à la fois les effets de la décomposition de son système et les « réactions de solidarité spontanées » pour encadrer la population derrière la défense de l’État, avec de prétendues purges des corrompus ou des promesses d’amélioration de l’efficacité de sa gestion. Mais l’exploitation de la solidarité humaine par la classe dirigeante (des sacrifices volontaires au travail aux campagnes humanitaires pour crédibiliser le système) n’active nulle flamme d’espoir pour l’avenir. Seule la classe ouvrière, par sa lutte contre les attaques envers ses conditions de vie, et la recherche de leur extension et leur unité, de leur politisation, représente l’espoir de renverser cette société pourrie.
Opero, 12 janvier 2025
1) « Inondations à Valence. Le capitalisme est une catastrophe assurée », publié sur le site web du CCI (2024). Au moment où nous écrivons ces lignes, de gigantesques incendies frappent la région de Los Angeles aux États-Unis : l’incurie et l’incapacité croissante de la bourgeoisie à affronter les catastrophes dont son système est l’origine, se sont une nouvelle fois confirmées.
2) Le « Nouvel Ordre Mondial » est une expression inventée par Bush père lors de l’invasion du Koweït, faisant référence à une nouvelle ère dans laquelle les États-Unis étaient censés assurer l’ordre en tant que gendarme du monde.
3) Voir « Sécheresse en Espagne : Le capitalisme ne peut pas atténuer, il ne peut pas s’adapter, il ne peut que détruire », publié sur le site web du CCI (mars 2024).
4) Le « scénario Trump » : la nouvelle administration Trump compte écarter tout discours sur le changement climatique, en implémentant la politique de « drill baby drill » tout en se retirant de tous les traités internationaux combattant le réchauffement climatique. La réponse de Trump aux incendies catastrophiques de Los Angeles donne le ton : Trump n’a pas imputé la responsabilité de l’assèchement des forêts au changement climatique, mais au refus présumé du gouverneur de Californie de libérer des réserves d’eau dans la région, juste pour protéger ce que le nouveau Président appelle un « poisson sans valeur », l’éperlan.
5) Le soi-disant « Comité pour une Internationale ouvrière » ou le « World Socialist Web Site (Comité international de la Quatrième Internationale) ».
Une nouvelle polémique a vu le jour, il y a quelques mois, entre les deux groupes trotskistes, Révolution permanente (RP), issue du NPA, et Lutte ouvrière (LO), concernant la question palestinienne. Cette dispute centrée avant tout sur ce que chacune de ces organisations considère être la position internationaliste la plus claire face à la barbarie du conflit moyen-oriental, RP reprochant à LO de renvoyer dos à dos l’État d’Israël et le Hamas et de se refuser à « choisir un camp militaire ». Même si ces deux groupes trotskistes prétendent défendre l’internationalisme prolétarien et la perspective révolutionnaire, la réalité est tout autre : en éminents membres de l’extrême gauche du capital, ils se font encore et toujours les défenseurs les plus acharnés du nationalisme palestinien de manière plus ou moins insidieuse, appuyant toujours derrière un verbiage retors un camp impérialiste contre un autre.
Dans les conflits guerriers où la classe ouvrière est embrigadée comme chair à canon et massacrée par milliers, leur démarche est toujours la même : tout cet échange mené dans un prétendu débat de clarification n’est qu’un discours bourgeois où chacun se veut être le « champion » le plus radical de la défense du « peuple » et de la cause nationale palestinienne. Et cela au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », au nom du « droit des oppressés à répondre à l’oppresseur impérialiste », principes considérés comme émancipateurs et tremplins d’une prétendue perspective révolutionnaire : « le fait de renvoyer dos-à-dos le nationalisme des oppresseurs et celui des opprimés est une faute politique. Cela revient à ne pas comprendre que le sentiment national, anti-impérialiste et/ou anticolonial d’un peuple opprimé a un contenu progressiste et libérateur (quand bien même il serait limité) » (RP, septembre 2023).
En dépit de leurs beaux discours et de leurs références falsifiées à Marx ou Lénine et même Trotski, le terrain nationaliste n’a strictement rien de prolétarien et, dans la phase de déclin du système capitaliste, le « contenu progressiste » des aventures guerrières « d’un peuple opprimé » s’est toujours avéré en pratique réactionnaire et barbare. L’entretien d’un discours confus et louvoyant n’est autre que la contribution de ces organisations, sous toutes leurs formes plus ou moins radicales, à la barbarie guerrière elle-même, l’appel à choisir un camp impérialiste contre un autre !
Cette dispute est introduite par RP critiquant LO pour sa « position bordiguiste » considérée comme le fait d’avoir une position politique invariante, incapable d’analyser l’évolution réelle de rapports de force impérialistes : les positions seraient « justes » de manière générale mais « ne tiendraient pas compte de la situation du moment ». RP défend l’idée qu’il y a des principes internationalistes, certes, mais à géométrie variable, ceux-ci devant être défendus dans le cadre d’un « principe de réalité », d’une politique de moindre mal, adaptée aux circonstances !
Cette référence au bordiguisme 1 n’est toutefois pas anodine. Elle cherche à dénigrer la tradition historique internationaliste du mouvement ouvrier qui n’a pas trahi le prolétariat durant la Guerre civile en Espagne ni durant la Guerre mondiale. Cela, contrairement aux trotskistes qui se sont vautrés dans l’antifascisme et ont sombré dans le soutien du camp impérialiste Allié derrière l’État stalinien. L’objectif de cette dispute est clairement empoisonné ! Elle n’est qu’une tromperie destinée à travestir la véritable défense des principes internationalistes par les groupes existants de la Gauche communiste, comme le courant bordiguiste ou le CCI.
Quelles que soient les critiques, même importantes, que le CCI peut adresser au courant bordiguiste et aux groupes qui le composent, ce courant est demeuré dans le camp du prolétariat et celui de Gauche communiste depuis qu’il a dénoncé le caractère impérialiste de la Seconde Guerre mondiale, refusant de choisir entre la barbarie du camp antifasciste et celle de l’Axe.
RP et LO mettent en vitrine de grandes déclarations internationalistes : « les organisations révolutionnaires cherchent à analyser dans les conflits quels sont les camps en présence et où se situent, en dernière instance, les intérêts du prolétariat international dans tel ou tel affrontement armé. Quel dénouement peut-être le plus favorable ou, à l’inverse, opposé, à l’horizon révolutionnaire ? » (RP, novembre 2024). Mais leur fonds de commerce nationaliste n’est jamais loin. Pour Révolution permanente : « Prendre parti pour un camp politique sans se positionner en faveur d’un camp militaire revient à se cacher derrière son petit doigt ». « Dans le cas d’un conflit mettant aux prises un belligérant impérialiste […] et des peuples colonisés ou des pays semi-coloniaux, […] sous le joug de l’impérialisme, les révolutionnaires se situent dans le “camp militaire” de ces derniers ». « Qu’on le veuille ou non, le Hamas n’est pas Daesh et il s’agit, sur le plan militaire, de la principale organisation de la résistance nationale palestinienne à l’État d’Israël »…
C’est au nom de la perspective révolutionnaire que ces sergent-recruteurs ont le culot de défendre une politique de massacreurs la plus éhontée : « Cette fuite en avant guerrière, toujours plus destructrice, pourrait ouvrir une brèche pour l’entrée en scène des masses populaires de la région, sur un terrain social, politique et militaire, en fonction des différents théâtres et pourrait changer la dynamique du conflit […]. Une victoire ou une avancée du camp palestinien pourrait ouvrir la voie à un processus révolutionnaire dans la région ».
Une telle outrance guerrière et nationaliste amène LO à prendre un peu plus de distance quant à leur propre défense de la cause palestinienne, en critiquant l’ « abandon de l’internationalisme » par RP. Mais rien n’y fait : la logique nationaliste sue par tous ses pores. Ce que ne manque d’ailleurs pas de lui rappeler RP qui estime, avec regrets, que lors de la guerre de 1973, LO avait choisi clairement un camp. Il est vrai que le radicalisme apparent et contrefait de LO à propos du conflit israélo-palestinien n’est que de la poudre aux yeux tant, à d’autres occasions, LO n’a jamais hésité à défendre des positions ouvertement nationalistes (Cambodge, Vietnam, Cuba, Irak…).
C’est alors un réflexe au quart de tour pour LO de nous resservir son discours visqueux après avoir cultivé à merveille les ambiguïtés : « En tant que communistes révolutionnaires, nous sommes solidaires des Palestiniens, des Libanais et de tous les peuples victimes de la violence de l’impérialisme et de l’État israélien qui lui sert de bras armé au Moyen-Orient. Dans la guerre qu’il mène, nous souhaitons la défaite militaire de l’État israélien » (LO, septembre 2024). Voilà donc les choses remises à leur place ! Quelle que soit la plus ou moins grande radicalité des discours de Lutte ouvrière ou de Révolution permanente, leur internationalisme est un bluff, une tromperie authentiquement bourgeoise !
Mais loin de nous amener à nous moquer de cette esbroufe, de ces discours parfois tortueux pour justifier l’injustifiable, nous persistons à penser qu’ils représentent surtout un piège important pour la politisation de ceux qui cherchent à comprendre ce que représentent vraiment les guerres dans le chaos impérialiste d’aujourd’hui et comment s’y opposer. Pour les trotskistes, c’est clair : d’une manière ou d’une autre, il faut y prendre part et choisir un camp : « Nous avons donc bien choisi un camp, mais qui est d’abord un camp politique : nous sommes inconditionnellement solidaires du peuple palestinien face à l’oppression qu’il subit » (LO, septembre 2024).
C’est tout le sens de leur intervention pour répondre et pourrir la réflexion dans la classe ouvrière autour des massacres du Hamas et de Tsahal. RP et LO se sont finalement partagé la sale besogne : alors que RP patauge dans un soutien « critique » aux barbares du Hamas, LO assume un soutien plus sournois en disant « arborer le drapeau rouge, celui de la classe ouvrière internationale et non le drapeau national palestinien, à l’inverse de RP ». Unanimement, ces deux organisations regrettaient que les manifestations pro-palestiniennes « n’ont entraîné qu’une fraction très minoritaire de la jeunesse, en particulier en France où elles n’ont jamais atteint un niveau de mobilisation comparable à celui des États-Unis ». (LO, septembre 2024)
Ces mobilisations sont un piège visant à exploiter la difficulté de la classe ouvrière et de sa jeune génération à comprendre, derrière les conflits guerriers, la gravité de la situation de décomposition et de chaos du capitalisme. Mais le peu de mobilisation derrière les drapeaux nationalistes palestiniens est aussi le signe que la jeune génération ouvrière des pays centraux, malgré toutes ses confusions, n’est pas prête à s’enrôler sur un terrain va-t-en-guerre, refuse l’embrigadement dans des boucheries toujours plus sanglantes et irrationnelles contraires à ses intérêts de classe. Au grand dam du trotskisme…
Stopio, 5 janvier 2025
1) Comble du mensonge, cette référence au bordiguisme passe par la référence à Lotta comunista, un groupe italien également gauchiste, issu de l'anarchisme et produit d'une dissidence stalinienne, mais qui cherche à se faire passer pour un groupe de la Gauche communiste. Il est d’ailleurs étonnant que la critique de « déviation » bordiguiste que RP adresse à LO soit peu ou prou la même que celle que LO adressait, il y a quelques années… à Lotta comunista ! RP et LO font ici la publicité d’un groupe qui n’est rattaché à la Gauche communiste ni par sa filiation, ni, et surtout, par ses positions politiques. Les positions de Lotta comunista sont en tous points aux antipodes de celles de la Gauche communiste authentique.
Le 16 novembre, le CCI a tenu une réunion publique en ligne sur le thème : « Les implications mondiales des élections américaines ». En plus des militants du CCI, plusieurs dizaines de personnes réparties sur quatre continents et une quinzaine de pays ont participé à cette discussion. Des traductions simultanées en anglais, en espagnol et en français ont permis à tous de suivre ces échanges qui ont duré un peu plus de trois heures.
Évidemment, au regard de la nécessaire révolution à accomplir par toute la classe ouvrière au niveau mondial, ce petit nombre peut paraître insignifiant. Le chemin devant nous est encore long pour que se développent au sein du prolétariat une profonde conscience et une vaste organisation. Ce type de réunion internationale est justement un moyen d’avancer sur ce chemin. Pour l’instant, les minorités révolutionnaires sont encore très réduites : une poignée dans telle ville, un individu dans telle autre.
Se rassembler depuis plusieurs pays pour discuter, élaborer, confronter les arguments et ainsi comprendre au mieux la situation mondiale est un moment précieux pour rompre l’isolement de chacun, nouer des liens, ressentir la nature mondiale du combat révolutionnaire prolétarien. Il s’agit de participer à l’effort de notre classe pour secréter une avant-garde. Ce type de réunion est ainsi un jalon qui présage de la nécessaire organisation des révolutionnaires à l’échelle mondiale. Ce regroupement des forces révolutionnaires est un long processus, qui nécessite un effort conscient et constant. C’est là une des conditions vitales pour préparer l’avenir, pour s’organiser en vue des affrontements révolutionnaires décisifs qui viendront.
Cette forte mobilisation pour notre réunion révèle aussi la préoccupation, voire l’inquiétude, que suscite l’élection de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale.
Tous les intervenants ont souligné, avec le CCI, que la victoire de ce président ouvertement raciste, machiste, haineux, revanchard, prônant une politique économique et guerrière irrationnelle, va accélérer toutes les crises, va aggraver les incertitudes et le chaos. À partir de cette position commune, de nombreuses questions et nuances, des désaccords aussi, ont émergé au fil de la discussion :
Le triomphe de Trump est-il le fruit d’une politique voulue et consciente de la bourgeoisie américaine ? Trump est-il la meilleure carte pour la défense des intérêts de la bourgeoisie américaine ? Ses choix impérialistes vis-à-vis de l’Iran, de l’Ukraine ou de la Chine sont-ils un pas en avant vers la Troisième Guerre mondiale ? Sa politique protectionniste, à coups de hausses des taxes douanières, est-elle une pièce de ce puzzle vers la guerre ? Ses velléités d’attaquer férocement la classe ouvrière, en particulier les fonctionnaires, sont-elles liées aux sacrifices nécessaires pour préparer l’économie nationale à cette guerre ?
Ou, au contraire, comme l’ont affirmé le CCI et d’autres participants, l’arrivée de Trump à la tête de la première puissance mondiale témoigne-t-elle d’une difficulté croissante des bourgeoisies nationales à empêcher ses fractions les plus obscurantistes et irrationnelles à prendre le pouvoir ? La guerre des cliques au sein même de la bourgeoisie, comme la fragmentation de la société entre américains / immigrés, hommes / femmes, noirs / blancs, tout ce que le clan Trump aggrave, ne sont-elles pas un signe de la tendance vers le désordre et le chaos de la société ? La guerre commerciale voulue par Trump, en revenant aux mesures protectionnistes des années 1920 et 1930 qui avaient à l’époque ruiné tous les pays, ne montre-t-elle pas l’irrationalité de sa politique du point de vue même de l’intérêt du capital américain ? Dans le même sens, les incertitudes grandissantes quant à la politique impérialiste de la nouvelle administration américaine ne renforcent-elles pas les tensions guerrières entre tous les pays, poussant encore plus vers les alliances instables et changeantes, vers le chacun pour soi, la politique à courte vue, l’éclatement de guerres n’engendrant rien d’autre que la terre brûlée ?
Pour le CCI, répondre à toutes ces questions implique de se pencher, avec une plus grande profondeur, sur la période historique que nous traversons : la décomposition. Parce qu’au fond, la victoire de Trump n’est pas un élément à prendre en soi, à analyser en soi et dans l’immédiat, elle est le fruit de toute une situation mondiale, d’une dynamique historique, celle qui voit le capitalisme pourrir sur pied. La victoire de Donald Trump aux États-Unis ou de Javier Milei en Argentine, la politique sans avenir d’Israël au Moyen-Orient ou de la Russie en Ukraine, la mainmise des cartels de la drogue sur des pans de plus en plus larges de l’Amérique latine ou des groupes terroristes en Afrique ou des seigneurs de la guerre en Asie centrale, la montée de l’obscurantisme, du complotisme, les explosions de violence de certaines couches de la société… tous ces phénomènes apparemment sans rapport les uns avec les autres sont en réalité l’expression de la même dynamique de fond du capitalisme : la décomposition.
La deuxième partie de la discussion, qui s’est attachée à comprendre au mieux où en est la lutte de classe, s’est inscrite dans la même dynamique. Là aussi, le débat a été ouvert, franc et fraternel, là aussi de très nombreuses questions ont été posées, des nuances et désaccords ont émergé.
La victoire de Trump signifie-t-elle que le prolétariat est vaincu, ou à minima gangréné lui-aussi par le racisme et le populisme ? Au contraire, le rejet du parti démocrate par les ouvriers induit-il une prise de conscience de la réelle nature de ce parti bourgeois ? L’apparence de dictateur de Trump peut-elle favoriser la colère et la réaction de la classe ouvrière ? Au contraire, la campagne poussant à défendre la démocratie va-t-elle être un piège mortel pour le prolétariat ? L’aggravation des conditions de vie et de travail, menée de façon extrêmement brutale par Trump, Musk et leur bande, va-t-elle pousser à la lutte ? Au contraire, ces sacrifices vont-ils renforcer la recherche de boucs émissaires, comme l’étranger, l’illégal ?
Toutes ces interrogations, contradictoires, ne sont pas étonnantes. La situation est extrêmement complexe, difficile à appréhender dans sa globalité et sa cohérence. L’actualité est jalonnée d’événements opposés : ici une grève ouvrière, ici une émeute, là-bas un rassemblement populiste…
Et tout comme pour la première partie de la discussion, ce qui manque c’est une boussole, celle de considérer chaque question non pas en soi, séparément les unes des autres, mais dans un ensemble et dans un contexte international et historique.
Il est impossible de penser le monde sans se référer consciemment, volontairement, systématiquement à la dynamique générale et profonde du capitalisme mondial : le système plonge dans la pourriture (avec tous les relents nauséabonds qui s’en dégagent), mais le prolétariat n’est pas vaincu et même, depuis 2022 et l’été de la colère au Royaume-Uni, il relève la tête, retrouve le chemin de la lutte et de son combat historique.
Nous ne pouvons ici développer plus notre réponse, nous y reviendrons, dans notre presse et dans nos prochaines réunions.
Ce débat n’est donc qu’un début. Nous encourageons tous nos lecteurs à venir participer à cet effort, aux débats entre révolutionnaires, au processus collectif de clarification. Ne restez pas isolés ! Le prolétariat a besoin que ses minorités tissent des liens, à l’échelle internationale, qu’elles s’organisent, qu’elles débattent, confrontent les positions, échangent les arguments, comprennent le plus profondément possible l’évolution du monde.
Le CCI vous invite ainsi chaleureusement à venir participer à ses différentes réunions : les réunions publiques en ligne et internationales, les réunions publiques physiques dans plusieurs villes, les permanences. Tous ces moments pour se rencontrer et débattre sont annoncés régulièrement sur notre site web.
Au-delà de ces réunions, nous vous encourageons aussi à nous écrire, pour réagir à un article, poser des questions ou affirmer un désaccord. Les colonnes de notre presse sont ouvertes, elles appartiennent à la classe. Vos propositions de textes sont les bienvenues.
Le débat est une absolue nécessité. Nous sommes loin les uns des autres, isolés, souvent à contre-courant des idées qui se développent autour de nous. Se regrouper, à l’échelle internationale, est un enjeu vital pour préparer l’avenir.
Toutes les minorités révolutionnaires ont cette responsabilité.
CCI, novembre 2024
Le 23 novembre, la Tendance communiste internationale (TCI) a tenu une réunion publique à Paris sur le thème : « Face à la montée des guerres et confrontations nationalistes, la seule perspective est la lutte de classe internationaliste ». Ont participé à cette réunion, en plus évidemment de la TCI, des militants du Parti communiste international-Le Prolétaire (PCI), du Courant communiste international (CCI), un représentant du Groupe international de la Gauche communiste (GIGC), et plusieurs sympathisants de ces différentes organisations. La TCI publiera certainement sur son site un bilan de cette réunion. 1
Nous n’avons pas ici la prétention d’être exhaustifs, nous voulons simplement souligner les points cruciaux qui, pour nous, sont ressortis de cette discussion.
La présence d’une assistance relativement large lors de cette réunion publique, caractérisée en partie par sa jeunesse, est un fait très significatif de la dynamique actuelle de notre classe. « L’été de la colère » en 2022 au Royaume-Uni, cette série de grèves qui a touché presque tous les secteurs durant plusieurs mois, a été le signe que le prolétariat reprenait le chemin de la lutte après plus de vingt ans d’atonie. Face aux coups de boutoir de la crise économique, face aux attaques incessantes du capital et de ses gouvernements, les ouvriers sont à nouveau prêts à entrer en grève, à manifester, à lutter.
Cette dynamique est aussi marquée par un processus global invisible : l’effort considérable de réflexion qu’est en train de produire notre classe. Face à l’impasse du système, tout un questionnement germe dans les têtes ouvrières. C’est ainsi qu’apparaissent aux quatre coins du globe des minorités qui recherchent les positions révolutionnaires, qui viennent à la rencontre des groupes du camp prolétarien, ceux qui défendent l’autonomie de la classe et l’internationalisme. Au-delà de la participation plus forte aux réunions des organisations de la Gauche communiste, il y a d’autres nombreux signes comme l’émergence de conférences autour de l’internationalisme (à Arezzo, Prague, Bruxelles…).
Mais le plus significatif est sûrement l’attitude de la bourgeoisie elle-même. Soucieuse d’encadrer cette réflexion et de la diriger dans des impasses, son extrême gauche radicalise de plus en plus son langage, n’hésitant plus à mettre en avant la nécessité de la révolution, ses syndicats affichent de plus en plus combativité et unité en prônant un « syndicalisme de classe ». Il s’agit pour la gauche du capital de jouer son rôle, celui d’attirer à elle les jeunes qui sont de plus en plus nombreux à vouloir lutter.
Il pèse donc sur les épaules de la Gauche communiste une responsabilité historique, celle de transmettre à la nouvelle génération qui émerge lentement, les positions, la méthode, les principes dont elle a elle-même hérité du mouvement ouvrier. Ces leçons acquises de longues luttes depuis deux siècles sont absolument vitales pour l’avenir ; il ne pourra y avoir de révolution prolétarienne internationale victorieuse si elles sont oubliées. La réunion de la TCI qui s’est tenue à Paris doit être évaluée à la lumière de cette exigence qui s’impose à tous les groupes de la Gauche communiste :
1. Débattre pour clarifier. La présentation réalisée par la TCI pour lancer les débats a clairement exposé les points suivants :
– Au XIXe siècle, certaines luttes de libérations nationales pouvaient être soutenues par les révolutionnaires, quand elles permettaient de balayer les dernières entraves féodales et ainsi accélérer le développement du capitalisme. Mais depuis le début du XXe siècle, dans ce système en déclin, ce n’est plus la formation des nations capitalistes qui est à l’ordre du jour, c’est la révolution internationale prolétarienne.
– Le développement actuel du chaos guerrier, en Ukraine, à Gaza, ou ailleurs, est le produit du système capitaliste.
– Face à cette situation, seule la classe ouvrière est en mesure de s’opposer au système qui engendre cette situation toujours plus barbare : le capitalisme.
– Contre les campagnes nationalistes dans lesquelles la bourgeoisie tente de mobiliser la classe ouvrière pour la défense d’un camp contre un autre, les révolutionnaires doivent défendre au sein de la classe, l’internationalisme prolétarien.
Le CCI est intervenu d’emblée pour soutenir les grandes lignes de l’exposé. Nous avons notamment souligné l’effort produit pour adopter une démarche historique afin de comprendre ces différentes questions si cruciales pour le développement de la conscience de classe et l’avenir de la lutte prolétarienne. C’est pour cela, que nous avons jugé nécessaire d’insister sur les profonds changements engendrés par l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence. Comme l’Internationale communiste le proclama dès sa fondation en mars 1919 : l’expérience du carnage de la guerre de 1914 et la vague révolutionnaire internationale qui a suivi prouvaient que le monde était rentré dans « l’ère des guerres et des révolutions » : le capitalisme devenu décadent n’a plus rien à offrir à l’humanité, la seule alternative réside dans sa destruction par la révolution prolétarienne mondiale. La guerre devient dès lors le mode de vie du capitalisme, chaque nation, chaque bourgeoisie, petite ou grande, est impérialiste et contribue à la fièvre guerrière et nationaliste. Dans cette nouvelle configuration, les luttes de libération nationale, l’appel des peuples à disposer d’eux-mêmes, soutenus par les révolutionnaires dans certaines circonstances au cours de la période d’ascendance, deviennent des orientations et mots d’ordre caducs et réactionnaires.
Le PCI a, quant à lui, défendu une tout autre démarche : fidèle à sa théorie de l’invariance, cette idée que le programme a été établi une fois pour toute en 1848 et qu’il n’y a plus rien à ajouter ou à modifier depuis lors, il a soutenu qu’aujourd’hui encore les luttes de libérations nationales étaient possibles. Cohérents avec cette approche, le PCI et son sympathisant ont donc défendu la légitimité de la lutte du « peuple palestinien » contre « l’oppression israélienne » (sans évidemment à aucun moment soutenir le Hamas ou une quelconque fraction bourgeoise locale). Le sympathisant du PCI a même affirmé que, pour lui, ne pas soutenir le peuple palestinien alors que celui-ci est massacré, torturé, qu’il subit la barbarie la plus effroyable, est une forme d’indifférentisme vis-à-vis de toutes ses souffrances.
En réponse, plusieurs interventions ont essayé de démontrer que les luttes de libération nationale sont un piège consistant à enchaîner une partie de la classe ouvrière à la domination de sa propre bourgeoisie. Face à cela, nous devons brandir le mot d’ordre déjà contenu dans le Manifeste du Parti communiste : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! »
Si, durant cette première partie du débat, la TCI et le CCI ont défendu ensemble la même position politique générale, deux nuances sont aussi apparues :
– Contrairement au CCI, jamais les militants de la TCI n’ont prononcé les mots « ascendance » et « décadence » pour définir les deux grandes phases de vie du capitalisme. Or, selon nous, ces termes reflètent la vision la plus juste et la plus précise de l’évolution profonde et historique du système.
– La TCI a dit reconnaître l’existence de nations opprimées et de nations qui oppriment, ce qui, pour le CCI, est une erreur car elle entretient l’ambiguïté quand il s’agit de défendre fermement que toutes les nations, petites ou grandes, bien ou mal armées, sont impérialistes.
La seconde partie de la discussion était consacrée aux enjeux historiques qui se présentent aujourd’hui : la guerre et la lutte de classe.
Dans de nombreuses interventions, notamment celles de la TCI et du PCI, la vision défendue a été celle d’un cours vers la Troisième Guerre mondiale (ou vers la « généralisation de la guerre ». Nous avouons n’avoir pas forcément bien saisi s’il y avait pour eux une différence entre ces deux termes). Il y a dans cette position une évaluation pessimiste de l’état de la classe ouvrière et de ses luttes.
Le CCI a alors développé une autre évaluation de la situation : le capitalisme ne se dirige pas, dans un avenir prévisible, vers une Troisième Guerre mondiale mais est en train de s’enfoncer dans la décomposition. Concrètement, cela signifie une multiplication des conflits guerriers (comme en Ukraine, Palestine, Syrie, etc.), une désagrégation du tissu social (atomisation, montée des violences, du racisme et du repli identitaire, gangrène de la drogue et du trafic, etc.), une érosion de la pensée cohérente et rationnelle… Il ne s’agit pas là d’un danger moins grand que l’éventualité d’une guerre mondiale, ces deux chemins mènent à la disparition de la civilisation humaine. Par contre, cette dernière approche permet de comprendre la réalité qui se développe sous nos yeux dans toute sa complexité et son chaos, de relier entre eux des phénomènes qui peuvent apparaitre indépendants les uns des autres, ou même contradictoires.
Quant à la lutte de classe, pour le CCI, le prolétariat n’est aujourd’hui pas vaincu. C’est cette force du prolétariat, en particulier en Europe et en Amérique du Nord, qui a empêché durant quarante ans que la guerre froide ne se transforme en Troisième Guerre mondiale. Le prolétariat a même commencé à reprendre aujourd’hui le chemin des luttes et tente de développer plus loin sa réflexion et sa conscience. Nous le disions dès l’introduction : depuis 2022 et la série de grèves nommées « L’été de la colère » au Royaume-Uni, le CCI a mis en avant le retour de la combativité ouvrière. 2
Tous ces désaccords au sein de l’assemblée se sont exprimés dans un climat très chaleureux et ouvert, où tout le monde était soucieux de comprendre et de répondre de façon argumentée aux positions des uns et des autres. Ce moment positif doit servir de repère : les groupes de la Gauche communiste doivent développer beaucoup plus le débat entre eux, la confrontation de leurs positions politiques, la participation aux réunions publiques des uns et des autres. Nos journaux et nos revues aussi doivent participer à ce processus de clarification ; les polémiques publiques entre nos groupes sont très largement insuffisamment nombreuses. S’il y a des articles du PCI et du CCI qui se répondent, effort que nous devons poursuivre et amplifier ensemble, la TCI refuse presque systématiquement ce débat public, nos courriers et nos articles demeurant lettres mortes.
2. S’unir autour des positions fondamentales du camp prolétarien. Un moment de la réunion de la TCI doit attirer tout particulièrement notre attention : alors que les interventions soulignaient toutes sans détour les points de désaccords, quelques jeunes participants sont intervenus pour dire qu’ils ne comprenaient pas vraiment ce qui distinguait les positions des différentes organisations présentes. Ces remarques révèlent un point essentiel : les organisations de la Gauche communiste, aussi importantes que peuvent être leurs divergences, ont en commun une histoire, un héritage, des positions fondamentales.
Le titre de la réunion résumait en lui-même cette unité : « Face à la montée des guerres et confrontations nationalistes, la seule perspective est la lutte de classe internationaliste ». Tous les intervenants lors de ce débat ont ainsi eu à cœur de se dresser contre les guerres impérialistes, de défendre l’internationalisme prolétarien, de réfléchir au développement de la lutte et de la conscience ouvrières.
La dynamique de cette réunion est une nouvelle preuve concrète que les différents groupes de la Gauche communiste ont une double responsabilité : confronter leurs divergences dans un processus collectif vers la clarification et se rassembler pour défendre ensemble, d’une voix plus forte, ce qu’ils ont d’essentiel en commun.
C’est pourquoi, lors de chacune de ses interventions, le CCI a rappelé systématiquement que nous devrions ensemble être capables de défendre d’une seule et même voix la position internationaliste de la Gauche communiste face aux conflits guerriers qui se développent à travers la planète. Nous avons aussi rappelé que cet appel commun pourrait permettre aux nouvelles générations de s’appuyer sur cette expérience comme nous-mêmes nous pouvons nous appuyer sur l’expérience de Zimmerwald. Ce serait un jalon pour l’avenir.
Mais une nouvelle fois, la TCI comme le PCI ont rejeté cet appel commun.
La nouvelle génération aura donc ici un rôle important à jouer, pour pousser les groupes de la Gauche communiste à la fois à polémiquer entre eux et à s’unir sur les points cardinaux qu’ils ont en commun, pour pousser les groupes de la Gauche communiste à être à la hauteur de leur responsabilité historique.
3. Défendre les principes du mouvement ouvrier et la solidarité prolétarienne. Les lecteurs attentifs auront remarqué que nous avons signalé en introduction la participation à cette réunion d’un représentant du GIGC, l’individu Juan, sans jamais rien dire de son rôle dans les débats.
Certainement qu’en apparence, aux yeux des participants, Juan a eu une attitude fraternelle vis-à-vis de l’assemblée, qu’il a participé au débat de manière claire et dynamique, qu’il a fait de très bonnes interventions permettant à la réflexion collective d’avancer.
Il est tout à fait vrai que Juan a été éloquent, que ses interventions étaient même brillantes, qu’il a toujours affiché sourire et bonne humeur. Il a ainsi défendu dans la première partie du débat les mêmes positions que le CCI sur le piège des luttes de libérations nationales en période de décadence et donc contre l’invariance du PCI. Dans la deuxième partie, il a repris les positions de la TCI pour dire que la Troisième Guerre mondiale approche. Surtout, il a souligné avec insistance son accord avec le combat que mène le CCI afin que les groupes de la Gauche communiste produisent un appel commun pour défendre l’internationalisme, affirmant qu’il était prêt à le signer.
Mais les apparences sont souvent trompeuses. Nous devons donc ici rappeler quelques faits pour démasquer le niveau d’hypocrisie et de manœuvre de cet individu : Juan a frappé dans la rue un de nos camarades, obligeant celui-ci à aller à l’hôpital à cause de ses tuméfactions au visage. Un de ses acolytes, en la présence de Juan, a menacé un autre militant du CCI de lui trancher la gorge (sachant que ce Monsieur a effectivement toujours un couteau dans la poche). Lors d’une fête de Lutte ouvrière où nous intervenions, Juan s’est mis à rire d’un camarade parce qu’il savait que celui-ci venait de frôler la mort à cause d’une crise cardiaque, se réjouissant de son malheur. Voilà pour la réalité de la fraternité quand les témoins manquent !
Évidemment, le soutien affiché lors de cette réunion aux positions du CCI souffre de la même duplicité. Il suffit de lire les articles du GIGC pour constater que la colonne vertébrale de ce groupe est sa haine pour notre organisation. Dès son texte de fondation, le GIGC lance « le Courant communiste international se délite sous nos yeux tant au plan théorique, politique qu’organisationnel, liquidant sa presse régulière, abandonnant ses réunions publiques, après avoir abandonné la plus grande partie de ses principes ». Ses bulletins sont parsemés de ragots contre le CCI. Par exemple, sous son ancien nom de FICCI, il disait déjà en 2014 dans un article titré « Une nouvelle (ultime ?) crise interne dans le CCI ! » : « Le CCI vit à nouveau – selon des documents internes récents – une nouvelle crise interne […]. Les énergies militantes gaspillées en introspections psychologiques et autocritiques couvrent des dizaines de pages de bulletins alors même que les sections de cette organisation diminuent la fréquence de leurs publications – lorsqu’elles ne l’arrêtent pas tout simplement – ou encore décident de ne plus tenir de réunions publiques et d’assurer l’intervention dans la rue et les luttes. S’il ne s’agissait pas d’une entreprise délibérée de destruction d’une organisation devenue une véritable secte et qui s’attaque sur tous les plans à la Gauche communiste, […] nous ne serions pas intervenus publiquement sur cette affaire non encore révélée par l’organisation en crise. Mais là, il y a urgence ! […] Pour nous, il est clair qu’il y a une volonté et une entreprise consciente de destruction des militants du CCI, de leur conviction communiste et de leur engagement communiste, qui a été initiée, c’est vrai, depuis une bonne vingtaine d’années maintenant. Certainement passe-t-elle, à l’occasion de cette crise, une dernière étape ». Nous sommes aujourd’hui fin 2024, dix ans après cette oraison funèbre quelque peu prématurée. 3
Mais attardons-nous quelques instants sur certains mots : « selon des documents internes récents » ; « nous ne serions pas intervenus publiquement sur cette affaire non encore révélée par l’organisation en crise »… Nous touchons là l’essence profonde du GIGC, la réelle nature de Juan, quand le masque est retiré : le mouchardage ! Depuis sa naissance, ce groupe (qu’il se nomme GIGC ou FICCI), n’a de cesse de publier sur internet des informations qui touchent à la vie interne et à la sécurité du CCI et de ses militants : citations de bulletins internes, délation des vraies initiales des militants, révélation de qui écrit tel ou tel article, 4 dates de nos réunions internes… 5 Tout y passe ! 6
Quant à la déclaration de Juan concernant son accord avec un ensemble de positions politiques du CCI, il s’agit d’un leurre destiné à duper les participants à la réunion publique de la TCI et dont témoignent les nombreux textes qu’il a écrits déformant nos positions pour pouvoir les calomnier. 7
Lors de la réunion de la TCI, nous avons rappelé très brièvement qui est réellement Juan en disant : « Nous ne débattons pas avec les mouchards ». La réaction de Juan a alors été de tourner en dérision notre accusation, en en rajoutant : « Oui, c’est moi le mouchard, le flic ! », ce qui a fait rire l’assistance. L’arme de la dérision est efficace et maligne, elle détourne et distrait, mais elle est aussi l’aveu que Juan ne peut contredire notre accusation, car il sait que toutes les preuves sont accessibles, tous ses actes de mouchardages sont sur Internet.
À tous ceux qui considèrent que le comportement prolétarien est une question cruciale, que les révolutionnaires ne peuvent pas accepter le vol, le chantage, le mensonge et la manipulation, les menaces de mort et le mouchardage, nous leur conseillons de ne pas se laisser berner par le sens de la dérision de Juan, ni par ses flagorneries adressées au CCI lors de cette réunion. La réalité de sa politique, de ses agissements, de sa haine anti-CCI, de son mouchardage, vous la trouverez étalée à longueur de colonnes sur son propre site. Les révolutionnaires ont toujours traité de façon extrêmement sérieuse et intransigeante ces combats pour les principes, pour la défense des organisations révolutionnaires, à commencer par Marx 8 contre Bakounine ou contre Vogt.
C’est pourquoi nous regrettons que les autres organisations soient restées silencieuses sur cette question quand Juan l’a tournée en ridicule, comme nous regrettons que la TCI continue à accepter dans ses réunions un individu porteur de tels comportements destructeurs. Cette tolérance tourne le dos à toute la tradition du mouvement ouvrier et salit la Gauche communiste. Elle est aussi un manquement à la plus élémentaire solidarité que se doivent les révolutionnaires.
Cette acceptation du mouchardage est une faiblesse terrible, mais elle ne doit pas effacer l’aspect positif de cette réunion tenue par la TCI : la confirmation de l’apparition d’une nouvelle génération en recherche des positions révolutionnaires et une confrontation nécessaire des positions de trois organisations de la Gauche communiste !
Il reste justement à nos organisations d’être à la hauteur de leurs responsabilités, de ce que nous devons transmettre à la nouvelle génération, pour l’avenir de la révolution, y compris sur le plan des principes prolétariens.
Nous finirons ce bilan comme nous avons fini la réunion de la TCI : en saluant la TCI et tous les participants pour la tenue de ce débat, et en invitant la TCI, le PCI ainsi que tous les présents à venir participer à nos prochaines réunions publiques.
Pawel, 9 décembre 2024
1) Au moment de la mise en ligne de cet article, la TCI a publié sur son site web son bilan de la réunion : « Bilan de la réunion publique du 23/11/24 ». Nous invitons nos lecteurs à en prendre connaissance.
2) Cf. « Après la rupture dans la lutte de classe, la nécessité de la politisation des luttes », Revue internationale n° 171 (2023).
3) Nous avions à l’époque répondu avec humour à cette attaque dans notre article : « Conférence internationale extraordinaire du CCI : la “nouvelle” de notre disparition est grandement exagérée ! », Revue internationale n° 153 (2014).
4) « Ce texte est de la main de CG, alias Peter, ce que prouve le style et surtout la référence », Bulletin de la FICCI n° 14.
5) Y compris des dates de nos réunions au Mexique, pays où nos camarades sont menacés de mort !
6) Pour connaître la liste (non exhaustive des méfaits dont se rend régulièrement coupables le GIGC, lire notre article : « Attaquer le CCI : la raison d’être du GIGC », publié sur notre site web (2023).
7) Cf. les articles suivants : « Le parasitisme politique n’est pas un mythe, le GIGC en est une dangereuse expression » et « Le GIGC tente de discréditer la plateforme du CCI ».
8) En voyant Juan sourire et être fraternel, certains peuvent douter qu’une telle duplicité existe. Alors rappelons simplement ces mots de Marx et d’Engels quand, dans La Sainte Famille, ils décrivent justement sous quels traits se présente en général un mouchard : « De son métier, le Chourineur était boucher. […] Rodolphe le prend sous sa protection. Suivons la nouvelle éducation du Chourineur, guidée par Rodolphe. […] Pour commencer, le Chourineur reçoit des leçons d’hypocrisie, de perfidie, de trahison et de dissimulation, […] c’est-à-dire qu’il en fait un mouchard […]. Il lui conseille d’avoir l’air […]. Le Chourineur, en jouant de la camaraderie et en inspirant confiance, mène son ancien compagnon à sa perte ».
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-503_bat_0.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/30/475/donald-trump
[3] https://fr.internationalism.org/tag/7/536/populisme
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/anti-populisme
[5] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-belgique
[6] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reprise-internationale-lutte-classe
[7] https://en.internationalism.org/content/16704/resolution-international-situation-2019-imperialist-conflicts-life-bourgeoisie
[8] https://news.un.org/pages/wp-content/uploads/2023/07/2023_07-A-WORLD-OF-DEBT-JULY_FINAL.pdf
[9] https://en.internationalism.org/content/16924/report-covid-19-pandemic-and-period-capitalist-decomposition
[10] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[11] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient
[12] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/benyamin-netanyahou
[13] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/bachar-al-assad
[14] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-ukraine
[15] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/conflit-israelo-palestinien
[16] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/gaza
[17] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne
[18] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-environementale
[19] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/catastrophes
[20] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/ecologie
[21] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lutte-ouvriere
[22] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/revolution-permanente
[23] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[24] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[25] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[26] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/polemique
[27] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/interventions
[28] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/tci-bipr
[29] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/pci-proletaire
[30] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/ficci-gigcigcl