Partout, la bourgeoisie fait pleuvoir les licenciements, multiplie les coupes budgétaires drastiques, comprime les salaires sous les coups de l’inflation, précarise et exploite toujours plus. Et les attaques ne sont pas près de s’arrêter ! La crise du capitalisme est insoluble et considérablement aggravée par les guerres et le chaos qui se répandent partout, à l’image des conflits très meurtriers en Ukraine ou au Proche-Orient. Pour financer les massacres, la bourgeoisie ne cesse d’accroître ses folles dépenses militaires et d’exiger toujours plus de sacrifices aux exploités. La classe ouvrière est encore incapable de se dresser directement contre ces conflits, mais elle n’est pas prête à accepter les attaques sans réagir.
À la fin du mois d’août, alors que la hausse des prix continue de peser lourdement, les travailleurs du fret ferroviaire au Canada ont tenté d’entrer en lutte. Qualifié d’« inédit » par son ampleur, ce mouvement avorté a rassemblé près de 10 000 ouvriers dans un pays où le droit de grève est encadré par un dispositif réglementaire extrêmement draconien. Le gouvernement a aussitôt interdit toute grève au nom de la sauvegarde de l’économie nationale, ordonnant de nouvelles négociations entre les compagnies ferroviaires et le principal syndicat du secteur, les Teamsters Canada. Il n’en fallait pas plus à ce dernier pour étouffer le mouvement dans l’œuf en promettant que la décision gouvernementale serait contestée… devant les tribunaux ! En clair, le syndicat a habilement réduit les ouvriers à l’impuissance en renvoyant la lutte aux calendes grecques. Comme l’a si bien expliqué le directeur des relations publiques du syndicat : « Nous, on veut négocier. Nos membres veulent travailler, ils aiment ça, opérer des trains au Canada ». La bourgeoisie ne pouvait trouver meilleur chien de garde…
Un mois plus tard, près de 50 000 dockers de 36 ports des États-Unis, ainsi que ceux du port de Montréal, se lançaient à leur tour dans une grève de plusieurs jours. Un mouvement d’une telle ampleur est lui aussi inédit depuis 1977. En pleine campagne électorale, l’administration Biden s’est empressée de jouer les médiateurs en affichant un « soutien » hypocrite aux dockers. Avec la complicité du gouvernement, les syndicats ont pu stopper le mouvement en faisant prévaloir un « accord de principe sur les salaires » qui sera négocié… au mois de janvier 2025.
Après des arrêts de travail partiels depuis avril, 15 000 travailleurs de 25 grands hôtels américains se sont mis en grève le 1er septembre (fête du travail aux États-Unis), réclamant de meilleurs salaires, une réduction de la charge de travail et l’annulation des suppressions de postes. Les 700 travailleurs du Hilton San Diego ont même mené une grève de 38 jours, la plus longue grève hôtelière de l’histoire de San Diego.
Les travailleurs de l’automobile continuent aussi de se battre, particulièrement dans les usines du groupe Stellantis. En 2023, les ouvriers de Ford, de General Motors et de Stellantis avaient tenté d’unir leurs luttes au niveau national et même au-delà, avec des ouvriers au Canada. Bien sûr, les syndicats avaient circonscrit la lutte au seul secteur de l’automobile. Mais ce phénomène exprimait la volonté des travailleurs de ne pas rester seul dans leur coin, de ne pas s’enfermer dans l’usine, et s’était traduit par un immense élan de sympathie de la classe ouvrière. Depuis, les syndicats ont réussi un minutieux travail de division des luttes à l’échelle de l’usine, enfermant les ouvriers dans la défense de telle ou telle ligne de production menacée de fermeture.
En Italie aussi, fin octobre, 20 000 salariés du groupe automobile Stellantis ont manifesté à Rome contre la fermeture de plusieurs usines Fiat. Le mouvement a également été qualifié de « grève historique comme il n’y en a pas eu depuis plus de quarante ans ». Mais, là encore, les syndicats ont fait leur possible pour réduire les ouvriers à l’impuissance. Alors que Stellantis licenciait au même moment 2 400 employés dans ses usines de Detroit (États-Unis), les syndicats italiens appelaient à une unique journée de grève avec des mots d’ordre nationalistes autour de la marque Fiat, cet « emblème de l’Italie ».
Mais c’est surtout le mouvement dans les usines de Boeing qui a le plus marqué les esprits. Depuis plus d’un mois, 33 000 ouvriers réclament des augmentations de salaire et le rétablissement de leur régime de retraite. Comme au Canada, les ouvriers en lutte sont accusés d’hypothéquer, par égoïsme, l’avenir de ce « fleuron » de l’industrie américaine et de menacer les emplois des sous-traitants. L’avionneur a même cyniquement menacé de licencier 17 000 employés pour effacer « l’ardoise à plusieurs milliards de dollars » imputable aux grévistes. Là encore, les syndicats cherchent à cloisonner la lutte à la seule entreprise Boeing, enfermant les ouvriers dans une grève dure mais très isolée.
Alors que le prolétariat aux États-Unis et au Canada se montre particulièrement combatif depuis deux ans face à la dégradation considérable de ses conditions de vie, les syndicats ont dû « radicaliser » leur discours et se présentent comme les plus déterminés dans la lutte. Mais derrière leur prétendue volonté d’arracher des augmentations de salaire, ils cherchent surtout à renforcer leur rôle d’encadrement pour mieux saboter toute mobilisation. Partout où des luttes éclatent, les syndicats s’emploient à isoler et diviser la classe, à priver les ouvriers de leur principale force : leur unité. Ils enferment les travailleurs dans leur secteur d’activité, dans leur entreprise, dans leur service. Partout, ils cherchent à couper les grévistes de la solidarité active de leurs frères de classe dans la lutte. Cette division corporatiste est un véritable poison, car lorsque nous nous battons chacun dans notre coin, nous perdons tous dans notre coin !
Ces luttes se déroulent dans un contexte extrêmement difficile pour la classe ouvrière. Le capitalisme se décompose sur pied, toutes les structures sociales pourrissent, la violence et l’irrationalité explosent à des niveaux inégalés, fracturant toujours plus la société. Tous les pays, à commencer par les plus fragiles, sont touchés par ce processus. Mais les États-Unis sont aujourd’hui, parmi les pays développés, celui qui est le plus impacté par la putréfaction de la société capitaliste. ([1) Le pays est ravagé, des ghettos les plus miséreux au plus haut sommet de l’État, par le populisme, par la violence, par le trafic de drogue, par les théories du complot les plus délirantes… Le succès des théories de l’extrême droite libertarienne, prônant la débrouille individuelle, la haine de toute démarche collective, le malthusianisme le plus bête, est un symptôme affligeant de ce processus.
Dans ce contexte, le développement de la lutte de classe ne peut en aucun cas prendre la forme d’une montée en puissance homogène et linéaire de la conscience de classe et de la nécessité du communisme. Au contraire, avec l’accélération des phénomènes de la décomposition, la classe ouvrière va sans arrêt se trouver confrontée à des obstacles, à des événements catastrophiques, à la pourriture idéologique de la bourgeoisie. La forme que va prendre la lutte et le développement de la conscience de classe sera nécessairement heurtée, difficile, fluctuante. L’irruption du Covid en 2020, la guerre en Ukraine deux ans plus tard ou les massacres à Gaza ont suffisamment illustré cette réalité. La bourgeoisie tirera profit, comme elle l’a toujours fait, de chaque manifestation de la décomposition pour les retourner aussitôt contre le prolétariat.
C’est d’ailleurs précisément ce qu’elle fait avec la guerre au Proche-Orient, en tentant de détourner le prolétariat de son terrain de classe, en poussant les ouvriers à défendre un camp impérialiste contre un autre. Avec une multitude de manifestations pro-palestiniennes et la création de réseaux de « solidarité », elle a cyniquement instrumentalisé le dégoût que provoquent les massacres pour mobiliser des milliers d’ouvriers sur le terrain du nationalisme.(2) C’est la réponse de la bourgeoisie à la maturation qui commence à s’opérer dans les entrailles de la classe ouvrière. Durant les grèves de 2023 dans le secteur automobile, le sentiment d’être une classe internationale a commencé à poindre. On a pu observer la même dynamique lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, lorsque les travailleurs du Mobilier national se sont mobilisés en solidarité avec les grévistes en Grande-Bretagne. Bien que ces expressions de solidarité soient restées à l’état embryonnaire, la bourgeoisie a parfaitement conscience du danger que représente une telle dynamique. Toute la bourgeoisie s’est mobilisée pour enfoncer de la bouillie nationaliste dans le crâne des ouvriers car ces réflexes de solidarité contiennent en germe la défense de l’internationalisme prolétarien.
Avec l’instabilité croissante de son appareil politique dont le populisme est un des symptômes les plus spectaculaires, la bourgeoisie tente encore d’enfoncer un coin dans la maturation de la conscience de classe. Les grèves aux États-Unis se déroulent dans un contexte électoral assourdissant. Les Démocrates ne cessent d’appeler à barrer la route au populisme dans les urnes, à revitaliser les institutions de « la démocratie américaine » face au danger du « fascisme ». Les ouvriers en grève sont sans arrêt accusés d’affaiblir le camp Démocrate et de faire le jeu du trumpisme. En Italie, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir a également suscité toute une campagne en faveur de la démocratie bourgeoise.
Avec les promesses mensongères de la gauche américaine ou européenne sur la « taxation les riches » ou la « réforme en profondeur des droits des travailleurs », comme avec les discours « progressistes » sur les « droits » des minorités, la bourgeoisie s’emploie partout à semer des illusions sur la capacité de l’État bourgeois à organiser une société plus « juste ». Non, la bourgeoisie ne rétablira pas une économie florissante ! Non, la bourgeoisie ne protégera pas les Noirs ou les Arabes de ses flics et de ses patrons racistes ! À travers ces boniments, il ne s’agit ni plus ni moins que de pourrir la réflexion des ouvriers et de les détourner des luttes, la seule voie capable d’offrir une véritablement alternative à la crise historique du capitalisme et à toutes les horreurs qu’elle charrie.
Malgré tous ces obstacles, la classe lutte massivement. Du point de vue du matérialiste vulgaire, les grèves actuelles ne sont que des luttes corporatistes, dépolitisées, dirigées et conduites dans des impasses par les syndicats. Mais en prenant un recul historique et international, malgré le carcan corporatiste imposé par les syndicats, malgré toutes les faiblesses et illusions bien réelles qui pèsent sur les travailleurs, ces mouvements s’inscrivent dans la continuité de la rupture que nous observons depuis bientôt trois ans. Depuis « l’été de la colère » qui a secoué le Royaume-Uni en 2022 pendant plusieurs mois, la classe ouvrière n’a cessé inlassablement de résister aux attaques de la bourgeoisie. En France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Finlande, aux Pays-Bas, en Grèce, aux États-Unis, au Canada, en Corée… Le monde n’avait pas connu une telle vague de luttes massives et simultanées dans autant de pays ni sur une si longue période depuis trois décennies.
Alors que la classe a perdu, depuis trente ans, la conscience d’elle-même, de son identité, elle recommence petit à petit à se concevoir comme une force sociale, à retrouver quelques réflexes de solidarité. Mieux, comme le CCI a pu le documenter, les ouvriers recommencent à se réapproprier les leçons des luttes passées, tentent de renouer avec l’expérience de leur classe : comme avec la lutte contre le CPE ou Mai 68 en France, avec le Cordobazo en Argentine, ou la lutte des mineurs en Grande-Bretagne en 1984.
Depuis les années 1980, les luttes ouvrières avaient pratiquement disparu du paysage nord-américain. Avec l’effondrement de l’URSS, les prolétaires aux États-Unis ont subi un matraquage idéologique aussi intense que pendant la guerre froide sur la « victoire du capitalisme contre le (prétendu) communisme ». Les luttes ouvrières ont été jetées sans ménagement dans les poubelles de l’histoire. Dans un pays gangrené par la violence et le populisme, où même Kamala Harris est suspectée d’être « communiste » et de vouloir « faire comme Lénine », le seul fait d’oser à nouveau se mettre massivement en grève, de poser la question de la solidarité et de s’appeler « travailleurs », témoigne d’un changement en profondeur dans les entrailles de la classe ouvrière du monde entier.
La solidarité qui s’est exprimée dans tous les mouvements sociaux depuis 2022 montre que la classe ouvrière, quand elle lutte, parvient non seulement à résister à la putréfaction sociale, mais aussi qu’elle amorce l’ébauche d’un antidote, la promesse d’un autre monde : la fraternité prolétarienne. Sa lutte est l’antithèse de la guerre et du tous contre tous dans laquelle nous enfonce la décomposition.
EG, 28 octobre 2024
[1] Ils représentent aussi un foyer majeur d’instabilité dans le monde. Lire à ce propos : « Résolution sur la situation internationale (décembre 2023) [1] », Revue Internationale n° 171 (2023).
[2] Cf.« Manifestations pro-palestiniennes dans le monde : Choisir un camp contre un autre, c’est toujours choisir la barbarie capitaliste [2] », publié sur le site web du CCI (2024).
En revenant sur les expériences historiques des luttes du prolétariat en Argentine depuis le Cordobazo en 1969 jusqu’aux difficultés actuelles qu’elles traversent, l’objectif de l’article est de mettre en évidence la nécessité pour le mouvement ouvrier de tirer les leçons du passé pour pouvoir inscrire et développer son combat au niveau international dans l’avenir. Cela n’est possible qu’en se rattachant non seulement aux moments forts du développement de ces luttes mais en développant en même temps une réflexion critique consciente sur pourquoi depuis le milieu des années 1970, ces luttes ont systématiquement été conduites dans des impasses en les laissant aux mains des forces capitalistes chargées de les encadrer tout en suscitant toujours davantage un sentiment d’échec et d’impuissance au sein de la classe. Cela démontre au contraire que la classe ouvrière a pleinement la capacité de surmonter le découragement et de développer les luttes sur son propre terrain de lutte de classe qui est la seule voie possible pour pouvoir résister aux attaques de la bourgeoisie.
Les travailleurs argentins subissent aujourd'hui une dégradation aiguë de leurs conditions de vie. Les mesures mises en œuvre par Milei ne cessent d’accroître le chômage et de diminuer les salaires, conduisant de larges masses prolétariennes à un processus de paupérisation, le pourcentage de pauvres bondissant en quelques mois de 45 % à 57 % de la population. En effet, le plan de choc concerté avec la plupart des gouverneurs de province baptisé «Ley de bases» (lois de base) a imposé des mesures d’austérité drastiques : suppression des aides sociales, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation ; coupes drastiques dans les budgets sociaux - impliquant en particulier des licenciements massifs dans le secteur public (entre 50 et 60 000 effectués jusqu’alors avec en vue la suppression de 200 000 postes de travail en un an ; gel des salaires et des retraites … - tout cela au nom de la lutte contre l’inflation et accompagné d’un renforcement de l’arsenal répressif de l’État. Dans les premiers jours du gouvernement Milei, face à une nouvelle escalade d’attaques contre les travailleurs aggravant leurs conditions de vie déjà très dégradées, d'importantes manifestations spontanées ont eu lieu, mais la structure syndicale et l'appareil de gauche du capital ont réussi à piéger le mécontentement et la volonté de lutte des travailleurs, empêchant que ce mécontentement ne se transforme en une force consciente et organisée.
Chaque fois que la combativité des travailleurs cherche à s'exprimer, elle trouve face à elle un ensemble d’obstacles dressés par la bourgeoisie qui déploie toutes ses forces d’encadrement de la classe ouvrière : syndicats, partis de gauche, péronistes, gauchistes, piqueteros, … C'est pourquoi les prolétaires doivent se pencher sur leurs luttes passées, afin d'en tirer les leçons, en identifiant les expériences positives, mais aussi en réfléchissant sur les erreurs et les expériences négatives, car cela permettra de préparer leurs prochaines luttes en étant capables de reconnaître et déjouer les pièges tendus par la bourgeoisie.
La tradition de lutte ouvrière en Argentine s'est affirmée entre les dernières décennies du 19e siècle et le premier quart du 20e siècle, avec l’industrialisation rapide du pays et la croissance du prolétariat au sein de la société. Cependant, l’impact de la défaite de la vague révolutionnaire mondiale de 1917-23 a plongé l’ensemble de la classe ouvrière au niveau mondial dans une longue période de contre-révolution. En Argentine, cette période de contre-révolution a pris la forme particulière d’un gouvernement comme celui de Péron « démocratiquement » élu mais en réalité dirigé par l’armée, fortement marqué comme ailleurs par le besoin de mesures de contrôle de l’État à la fois sur l’économie nationale et sur l’ensemble de la vie sociale, qui sont des caractéristiques propres à la période de la décadence du capitalisme[1]. Mais de telles mesures ont été badigeonnées d’une coloration « sociale », supposée reposer sur les syndicats et la mainmise du péronisme sur les « couches populaires » de la nation. Celui-ci s’est imposé à travers une succession de coups d’État fomentés tantôt par des militaires, tantôt par des civils permettant un encadrement renforcé de la classe ouvrière.
C’est suite à une période de 40 années de contre-révolution que, à la fin des années 1960, le retour sur la scène du prolétariat mondial se manifestait dans la reprise internationale de la lutte de classe à travers le formidable mouvement de luttes et de grèves de Mai 68 en France suivi par « l’automne chaud » en Italie en 1969. Une manifestation significative et majeure de cette dynamique en Argentine fut le Cordobazo[2] en mai 1969. Cette dynamique se propageait alors en opposition complète aux méthodes de lutte, mensongèrement présentées par les organisations gauchistes comme « socialistes », « communistes » ou « guerilleristes » relevant toutes de « luttes » au sein même du camp bourgeois[3]. Il est ainsi nécessaire et prioritaire que le prolétariat de ce pays se réapproprie cette expérience de lutte, en vue de pouvoir à nouveau se mobiliser solidairement et massivement face aux attaques de la bourgeoisie. Avec le Cordobazo, il s'agissait réellement de mobilisations ouvrières massives qui, bien qu'appelées par les grandes centrales syndicales pour éviter que les ouvriers n'en prennent eux-mêmes l'initiative et le contrôle, ont été capables d’exprimer une grande détermination, une forte combativité dans la lutte et des tendances à l’extension du mouvement, de faire surgir des assemblées dans les rues et sur les barricades, passant outre aux consignes syndicales pour faire cesser le mouvement. En dépit des pièges tendus par la bourgeoisie et son appareil d’encadrement syndical, mais aussi de ses illusions, ce mouvement a constitué un vigoureux et très clair encouragement à la lutte de classe internationale, permettant au prolétariat de prendre confiance en sa propre force, en sa lutte hors du cadre corporatiste dans lequel les syndicats voulaient l’enfermer, en sa solidarité de classe, notamment pour résister avec courage à la féroce répression étatique d’un gouvernement militaire. Ainsi, la mobilisation et les grèves se sont maintenues ou développées dans de nombreux secteurs en Argentine presque tout au long de l’année 1970.
Il est également nécessaire de revenir sur les manifestations de la dernière décennie du 20e siècle et des premières années du 21e siècle, en particulier pour dénoncer l’impasse du mouvement des « piqueteros »[4] (appelés à l'époque les « nouveaux sujets sociaux») et des « comedores populares » (soupes populaires) [5], en tant que fausses expressions de la lutte prolétarienne que la bourgeoisie continue de présenter, à travers ses structures syndicales et tout son appareil politique de gauche, comme les modèles que les travailleurs devraient suivre dans leurs luttes actuelles. Les idéologues bourgeois tentent de masquer que, depuis le Cordobazo, ce sont les forces syndicales et l’aile gauche du capital qui se sont constamment employées à saboter, dévoyer et étouffer la combativité ouvrière pour éviter l’émergence d’une formidable énergie prolétarienne telle qu’elle s’était manifestée lors du Cordobazo en effrayant l’ensemble de la bourgeoisie. En effet, parmi d'autres obstacles, figure le poison idéologique nationaliste contenu dans le credo anti-impérialiste exploité surtout par la gauche du capital, comme par les diverses fractions des défenseurs du péronisme qui est constamment utilisé pour détourner la colère des travailleurs en l’orientant contre la mainmise de capitaux d’entreprises d’« origine étrangère » sur le sol national. L’arme principale de l'État contre la conscience s’est appuyée sur la gauche et le renforcement de la structure syndicale.
Au niveau de l’encadrement syndical, il s’est surtout agi, face au discrédit de la CGT officielle profondément liée au péronisme, de s’appuyer sur la CGT-A[6], qui a joué un rôle important dans la récupération par la bourgeoisie des grèves massives du Cordobazo. La ruse du retour de Perón, avec la complicité de la gauche, a quant à elle été le produit d'une négociation entre différents secteurs bourgeois pour soumettre les travailleurs. Elle a été utilisée aussi bien par le Front Justicialiste de Libération d’obédience péroniste que par les autres partis politiques pour entraîner les travailleurs dans le cirque électoral démocratique de 1973[7]. C'est ainsi que s'est ancrée l’illusion que les travailleurs n'ont que l'option des urnes et de la démocratie pour sortir de la misère.
Au cours des années 1990, à la fin du 20e siècle, la masse des chômeurs a augmenté (générée par les politiques d’austérité de Menem, également d’origine péroniste), ainsi que le mécontentement, représentant ainsi un potentiel croissant de la lutte qui a été phagocyté par des secteurs prétendument plus radicaux du péronisme. Cette forme de mobilisation autour d’initiatives stériles telles que les barrages ou blocages de routes, a d'abord été promue et encouragée par des secteurs du parti justicialiste péroniste, notamment Hilda Duhalde[8]. Afin de gagner la sympathie des chômeurs et garantir leur affiliation ultérieure au parti justicialiste, celui-ci leur avait offert des subventions et de la nourriture pour leurs familles. Différentes organisations de gauche ou gauchistes ont réactivé ces « piqueteros » , notamment lors de la « crise du corralito » qui marquait l’effondrement économique et financier du pays fin 2001. Derrière des slogans totalement étrangers aux intérêts des exploités, comme la défense des entreprises nationalisées ou encore la promotion d’actions minoritaires, allant du pillage des magasins à la mise en autogestion d’usines devant fermer, les piqueteros ont ainsi réussi à circonscrire, encadrer, contrôler et dévoyer le mécontentement des travailleurs sans emploi ou précaires. Aujourd’hui encore, différentes organisations gauchistes se sont regroupées au sein du Mouvement des chômeurs (MTD) pour se disputer et se partager le contrôle du « mouvement piquetero » à travers, à nouveau, comme l’avaient fait les péronistes, la distribution gratuite de nourriture et la création de centres de soupe populaire pour attirer les chômeurs dans leurs filets.
Ces formes de regroupement, bien qu'elles puissent paraître exprimer la solidarité et la prise de décision au moyen d'assemblées, elles représentent en réalité la négation de l'unification consciente, de la discussion et de la réflexion collective, et sont finalement le moyen par lequel la bourgeoisie a contrôlé les mobilisations des chômeurs. Le piège était si efficace que tout l'appareil de gauche et d’extrême gauche du capital, dans toutes ses composantes, des fractions péronistes jusqu’aux groupes gauchistes en passant par les organisations syndicales « alternatives » ou radicales, comme la CTA[9], l'ont utilisé pour mener à bien leur travail d’encadrement et manipulation. De cette manière, ils exploitaient la misère grandissante des travailleurs, leurs difficultés matérielles, leurs réels besoins matériels d’aide pour dévoyer et encadrer la combativité en empêchant toute initiative des prolétaires pour mener la lutte sur leur terrain de classe.
Face à la violente crise économique et financière de décembre 2001, les ouvriers avaient réagi vigoureusement et fait preuve d’une forte combativité face aux attaques et à la détérioration brutale de leurs conditions de vie. Mais la classe ouvrière s’est alors fait totalement piéger par le mouvement des piqueteros isolant les chômeurs du reste de leur classe et par les manifestations interclassistes, du style des « cacerolazos », voir sur un terrain purement nationaliste et bourgeois.
L’an dernier encore, d’importants mouvements de grève ont eu lieu, notamment sur les docks et dans les services portuaires, dans le secteur de l’enseignement, des employés des transports publics et même chez les médecins. Mais cette fois-ci, tout le travail de sape et les pièges tendus sur le terrain par les syndicats conjugués au durcissement de l’appareil répressif du gouvernement (comme au temps de la dictature militaire, son évoqués avec insistance des cas de « disparitions » après des arrestations lors des manifestations), ont abouti à un large sentiment de démoralisation au sein de la classe ouvrière du pays.
Ici encore, partie intégrante de l'appareil politique de contrôle du prolétariat, les syndicats, se partageant le travail, manœuvrent en vue de diviser les prolétaires de manière à ce qu’ils ne parviennent pas à unifier leur mécontentement, ni exprimer leur solidarité dans la lutte. Bref, il s’agit de décourager, d’empêcher ou de saboter toute tentative et initiative des ouvriers de prendre en mains leur lutte, de s'organiser contre la division imposée par la bourgeoisie et que les syndicats reproduisent en se divisant eux-mêmes en corporations, entreprises ou secteurs... et cette division du travail, la gauche du capital se charge de lui donner une légitimité en se présentant, au même titre que les syndicats, comme les véritables représentants des travailleurs.
Dans le contexte d’une économie nationale au bord de la faillite depuis des années, de taux d’inflation vertigineux et où la crise frappe très brutalement les travailleurs, les syndicats de la CGT ou de la CTA et les partis « d’opposition » liés à la gauche du capital ont un rôle fondamental de rempart du capital contre la lutte de classe. Dans cette entreprise, leur action est renforcée par la politique des organisations gauchistes qui, tout en feignant de se méfier des syndicats comme des partis de gauche, allant jusqu’à faire semblant de vouloir les combattre tout en semant des illusions quant à la possibilité de les regagner à la cause du prolétariat en leur «mettant la pression ». Ce n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle manœuvre pour tenter de les recrédibiliser.
Ces derniers temps, face à l'escalade des attaques du gouvernement Milei, cette chorégraphie grotesque s’est mise en place pas à pas. Ainsi, la CGT feint hypocritement l’indignation et lance des appels à la mobilisation de tel ou tel secteur face aux mesures décrétées par le gouvernement, voire même à des manifestations massives, comme le 9 mai 2024 pour « défendre l’économie nationale ». Les trotskistes d'Izquierda Socialista (IS) et du Partido Obrero (PO) demandent « que la CGT garantisse le succès de la grève du 9 mai... ». La manœuvre atteint ainsi son objectif : redonner du crédit à la CGT et lui permettre ainsi de détourner le mécontentement des travailleurs vers la défense pure et simple de l'économie nationale, en imposant le slogan chauvin « la patrie n'est pas à vendre ». Cela démontre clairement, une fois de plus, que la CGT et tout l'appareil de gauche qui la soutient sont des instruments de défense du capital national dont la fonction essentielle est de saboter une lutte qui se déroulait sur un terrain de classe, d’affaiblir la classe ouvrière face aux attaques qu’elle subit et finalement de faire passer de nouvelles attaques.
Une autre officine gauchiste, le Mouvement des Travailleurs Socialistes (MTS) complète la manœuvre, tout en prétendant permettre aux travailleurs de s’affranchir du contrôle de la CGT sur leurs luttes, il les appelle à créer et rejoindre une autre structure syndicale, présentée différente de l’autre uniquement par le fait de revendiquer « un syndicalisme de combat ».
Il est aujourd’hui fondamental, pour le développement de la lutte en Argentine sur un terrain de classe, que, dans les discussions, dans les assemblées, soit dénoncé le lien existant entre, d'une part, les coups brutaux portés à leurs conditions de vie par la bourgeoisie au sein d’une énième crise économique et, d'autre part, tout l’arsenal de l’État qui a été mis en place pour pousser à la polarisation entre le soutien à Milei et l’opposition à son gouvernement, en vue d'affaiblir toute riposte de la classe ouvrière prenant pour cible le clown Milei à la place de l'État capitaliste avec ses syndicats, ses politiciens, ses forces de répression, etc. L’arrogance de Milei est en réalité celle de la bourgeoisie dans son ensemble qui s’attaque impitoyablement et férocement aux conditions de vie des travailleurs
Cette stratégie a fonctionné jusqu’à aujourd’hui, les travailleurs attendant le moment où le péronisme et l’énorme structure syndicale, qu’ils considèrent toujours comme étant de leur côté, répondront aux attaques.
La classe ouvrière en Argentine doit absolument tirer les leçons de ses défaites, et cet article se veut une contribution militante pour permettre aux ouvriers de dépasser la démoralisation actuelle, en comprenant que le sentiment d’impuissance et d’échec qui la sous-tend ne vient pas du fait que toute lutte est vouée à la défaite mais que les défaites de ces dernières décennies, en particulier les plus récentes d’entre elles, sont imputables à une soumission aux directives dictées par tous ceux qui se font passer pour des défenseurs de la classe mais n’ont pas cessé de saboter, faire capoter, dévoyer toute tentative de lutte ouvrière pour résister à des attaques de plus en plus insoutenables. Cette situation n’est pas inéluctable, au contraire, la classe ouvrière ne doit pas se décourager mais au contraire prendre confiance en ses propres forces car le développement de ses luttes sur son terrain de classe est la seule voie possible pour combattre et à terme renverser le capitalisme. Même si cela peut paraître aujourd’hui comme quelque chose de presque irréalisable, bien que déjà réalisé dans le passé, les prolétaires doivent se donner tous les moyens pour garder le contrôle de leur lutte et décider eux-mêmes des actions à mener.
Un besoin fondamental est l’autonomie de la classe ouvrière, la confiance dans sa capacité à prendre sa lutte en main. Et pour cela, comme dans les autres pays, ils doivent se méfier du partage des tâches entre la droite et la gauche où la première assume ouvertement les attaques et la seconde fait semblant de défendre les travailleurs pour les empêcher de suivre leur propre voie. En particulier, il faut comprendre que la gauche, les structures syndicales sous toutes ses formes et le gauchisme dans toutes ses variantes, ne sont pas des organes de la lutte des travailleurs mais au contraire des ennemis de classe et des serviteurs de l’État capitaliste. Il ne faut pas s’illusionner sur le fait qu’ils vont appeler à la lutte contre la bourgeoisie et, surtout, il faut se méfier quand ils appellent à la mobilisation parce qu’ils le font quand ils savent que le mécontentement et la combativité grandissent pour les faire dérailler dans des impasses. Le péronisme, en particulier, reste un rempart de l’État bourgeois parce qu’il jouit encore d’une grande sympathie auprès des travailleurs qui, par exemple se plaignent de ne pas suffisamment appeler à la mobilisation. Lorsqu’ils le feront, c’est qu’ils chercheront à dévoyer les luttes prolétariennes vers des impasses.
Elle doit prendre conscience que sa lutte n’est pas une spécificité argentine mais qu’au contraire elle est une expression d’une dynamique mondiale du développement de la résistance de la classe ouvrière aux attaques du capitalisme dans tous les pays dont l’expression significative récente d'un renouveau de la lutte de classe avait été la lutte des ouvriers au Royaume-Uni au cours de l’été 2022. À ce propos, le CCI écrivait dans un tract international produit il y a un an :
« Nous devons dire que trop, c’est trop ! Pas seulement nous, mais l’ensemble de la classe ouvrière de ce pays doit dire, à un moment donné, que trop, c’est trop ! » (Littlejohn, chef de maintenance dans les métiers spécialisés à l’usine d’emboutissage Ford de Buffalo aux États-Unis).
Cet ouvrier américain résume en une phrase ce qui est en train de mûrir dans la conscience de toute la classe ouvrière dans tous les pays. Il y a un an, éclatait « L’été de la colère » au Royaume-Uni. En scandant « Enough is enough !» (« trop, c’est trop ! »), les travailleurs britanniques sonnaient la reprise de combat après plus de trente ans d’atonie et de résignation.
Cet appel a été entendu au-delà des frontières. De la Grèce au Mexique, contre la même dégradation insupportable de nos conditions de vie et de travail, les grèves et les manifestations se sont développées durant toute la fin de l’année 2022 et le début de l’année 2023.
Au milieu de l’hiver, en France, un pas supplémentaire a été franchi : les prolétaires ont repris cette idée qu’ « à un moment donné, ça suffit ! ». Mais au lieu de multiplier les luttes locales et corporatistes, isolées les unes des autres, ils ont su se rassembler par millions dans la rue. À la nécessaire combativité s’ajoutait donc la force de la massivité. Et maintenant, c’est aux États-Unis que les travailleurs tentent de porter un peu plus loin le flambeau de la lutte. »
Alors que la reprise des luttes en Grande-Bretagne en 2022 a marqué une rupture avec le climat de passivité et de résignation qui avait suivi les campagnes mensongères de la bourgeoisie à la fin des années 1980 sur la faillite de la perspective communiste et la fin de la lutte de classe, le regain de combativité du prolétariat à l’échelle internationale a été confirmé à travers des mobilisations importantes en France et d’autres pays d’Europe occidentale comme aux États-Unis ou au Canada. Le mot d’ordre « ça suffit ! » a été repris partout, montrant la détermination à s’opposer aux mêmes attaques de plus en plus brutales et intolérables aux conditions de vie et de travail, comme aux baisses de salaire ou aux projets de licenciements que toutes les bourgeoisies nationales tentent d’imposer.
C’est en se réappropriant les expériences passées, en Argentine et dans le monde, que la classe ouvrière de ce pays comme ailleurs, pourra retrouver peu à peu sa confiance en elle et son identité de classe. C'est à travers ses luttes futures qu'elle pourra développer la conscience de la nécessité de renverser le capitalisme et abolir l’exploitation au niveau mondial
RR/T-W, Mai 2024
[1]. Lire notre article : Argentin [8]a El peroni [8]s [8]mo, un arma de la [8]burguesía contra la [8] clase obrera- parte 1 , ICC Online février 2022. Con Perón en el exilio o encumbrado en el gobierno, el peronismo golpea al proletariado en Argentina (Parte II) [9]
[2]. Lire notre article : Le Cordobazo argentin (mai 1969): maillon d’une chaîne de mobilisations ouvrières à travers le monde [10],
ICC Online, novembre 2019.
[3]. Lire par exemple notre article : Che Guevara : mythe et réalité (à propos de courriers d'un lecteur) [11] (Révolution Internationale n° 384, novembre 2007).
[4] Lire : Desde Argentina: Contribución sobre la naturaleza de clase del movimiento piquetero (I), Acción Proletaria n°177, 2006 [12].Par rapport au rôle de “l’union des piqueteros” dans le sabotage des mobilisations actuelles, voir également l’article : Argentina: la crisis golpea a los trabajadores con inflación, precariedad y miseria [13], ICC On line, mars 2023
[6] CGT- A: CGT de los Argentinos, scission animée par Raimundo Ongaro en rupture avec la ligne pro-péroniste du syndicat CGT, rapidement dissoute dès le retour au pouvoir de Péron en 1974.
[7] Voir l’article Con Perón en el exilio o encumbrado en el gobierno, el peronismo golpea al proletariado en Argentina (Parte II) [9], ICC On line juin 2023
[8] Femme de l’ex-président du pays lui-aussi péroniste Eduardo Duhalde entre 2002 et 2003, également responsable de la répression sanglante du mouvement piquetero en juin 2002, qui était auparavant vice-président sous le gouvernement Menem. Son épouse est aujourd’hui encore sénatrice.
[9] CTA : Central de los Trabajadores Argentinos.
Les journaux du monde entier ont diffusé les images et informations relatives aux morts emportés par les eaux et ensevelis sous la boue et les glissements de terrain, ainsi qu'aux nombreux autres disparus. Les cadavres s'échouent sur les plages ; de nombreux villages n'ont ni nourriture ni eau potable ; l'eau stagnant depuis une semaine avec des cadavres d'animaux et de personnes, commence à produire des infections avec des risques d'épidémies. Livrée à elle-même, à la limite de la survie, la situation de la population bloquée rappelle parfois celle de Gaza, les bombardements et la guerre en moins. Et tout cela se passe dans la troisième ville d'Espagne, dans un pays de l'Union européenne au cœur du capitalisme. Qu'il s'agisse de guerres ou de catastrophes écologiques, le capitalisme condamne l'humanité à l'extermination.
La DANA[1] qui s'est déchaînée le 30 octobre dans la région de Valence a provoqué des inondations qui ont causé plus de 200 morts, chiffre qui montera en flèche lorsque les corps des quelques 2000 disparus auront été retrouvés. À cela s'ajoute la dévastation de milliers de logements, de routes, de voies ferrées, de moyens de télécommunications, etc., affectant des centaines de milliers de personnes et dont la remise en état prendra des mois. Il s'agit sans aucun doute de l'une des plus grandes catastrophes humanitaires de l'histoire de l'Espagne, du même type que celles qui se sont produites dans les pays du centre de l'Europe, comme les inondations de 2021 en Allemagne, à Bonn, où, malgré la tradition de discipline et d'organisation de l'État, la population a été abandonnée de la même manière ; ou bien comme l'ouragan Katrina[Jl2] aux États-Unis, à la Nouvelle-Orléans. Mais contrairement à ce que disent les porte-parole de la droite, il ne s'agit pas d'une catastrophe « naturelle » imprévisible. Ce n'est pas non plus, comme le proclame la gauche du capital, la conséquence d'une «gestion néolibérale» incompétente. Cette catastrophe est en définitive le résultat d'un système social qui sacrifie la vie des travailleurs et la planète entière aux exigences de la production et de l'accumulation capitalistes.
Accumulant les catastrophes depuis des décennies (changement climatique, urbanisation sauvage, exploitation irrationnelle des ressources en eau, négligences dans l'entretien des infrastructures, etc.[2]), ce système est également entré dans sa phase terminale de décomposition, où toutes ces dévastations sont accélérées et amplifiées par d'autres manifestations de la décadence capitaliste telles que les guerres, les crises économiques, etc. dans un tourbillon[3] infernal qui débouche inévitablement dans la catastrophe. Face à cela, l'attitude de la classe dirigeante relève d'une irresponsabilité croissante dans la gestion de son propre système, privilégiant la défense des intérêts de chaque faction, ce qui accentue encore le désastre.
Une grande partie des victimes étaient des travailleurs, contraints par les patrons et les cadres à rester dans les lieux de travail. Chez FORD, les équipes du soir et de la nuit n'ont pas été libérées au moment des inondations et 700 personnes ont dû dormir dans l'usine sans pouvoir communiquer avec leur famille. Dans la zone industrielle de Ribarroja, plus de 1 000 travailleurs ont été secourus le lendemain. Autre « souricière », les centres commerciaux (IKEA, Bonaire de Torrent) où les horaires d'ouverture ont été maintenus et où les employés eux-mêmes ont dû secourir les clients et les usagers. Dans les usines d'Inditex, les travailleurs n'ont pas entendu les alertes parce qu'ils n'ont pas le droit d'avoir avec eux leur téléphone portable et que les managers ne leur ont rien dit... On sait aussi que cette alerte a été lancée par les autorités locales, plusieurs heures après les alertes rouges de la météo et les premières inondations en amont. La discipline du salariat et la santé des entreprises priment sur toute considération pour la vie et la santé des travailleurs. C'est la véritable loi du capitalisme.
La situation rappelle, à une autre échelle, la pandémie de COVID il y a quatre ans. Là aussi, on a dit que l'origine était « naturelle » et on s'est retranché derrière le sempiternel «qui aurait pu prédire une chose pareille?» Mais même à cette époque, nous avons souligné qu'il s'agissait d'une catastrophe annoncée en raison de l'aggravation du désastre environnemental mondial. Et que la société disposait de la technologie et des connaissances nécessaires pour anticiper et prévenir ses ravages, mais que ces ressources sont détournées au profit de l'accumulation capitaliste et de la guerre. Il est navrant et scandaleux qu'à l'heure où les armées disposent de moyens cybernétiques pour faire exploser à distance un téléphone portable, ou des drones sont capables d'espionner au centimètre près, que lors des inondations de Valence les lignes téléphoniques se soient immédiatement effondrées, y compris pour les appels d'urgence et que ceux qui devaient se déplacer cette nuit-là ont dû le faire pratiquement à l'aveugle, sans aucune information, sur des routes et des voies ferrées littéralement saturées, ou s'engager sur des routes secondaires sans savoir si elles étaient inondées ou non.
Le cauchemar ne s'est pas arrêté avec la fin des pluies. Le lendemain matin, les gens se sont retrouvés à chercher des survivants, à récupérer ce qu'ils pouvaient dans les maisons dévastées etc., pratiquement sans aucune aide, ni nourriture, ni eau potable, ni électricité, ni téléphone, avec des infrastructures routières emportées, sans moyens de secours adaptés (hélicoptères, bulldozers, etc.). C'est pourquoi le cynisme et les larmes de crocodile des gouvernants -régionaux et nationaux- qui sont apparus à plusieurs reprises devant les caméras de télévision sont encore plus répugnants avec les messages rituels de « solidarité » et les promesses qu'« ils ne laisseront pas les victimes seules » (!), alors qu'ils savaient parfaitement qu'ils abandonnaient la population à son sort.
Le fait qu'ils se soient également consacrés à se blâmer et à se tirer dans les pattes montre qu'en cette époque de décomposition capitaliste, les politiques étatiques dites traditionnelles cèdent la place à l'irresponsabilité et au «chacun pour soi». Le gouvernement régional (du PP) a en effet fait preuve de négligence, mais aussi d'arrogance et de provocation (par exemple, en essayant d'expulser les volontaires ou en les chargeant de nettoyer les centres commerciaux, en renvoyant chez eux les parents qui recherchaient les disparus). Mais le gouvernement «ultra-progressiste» de Sánchez et Sumar n'est pas en reste. Il a mis des jours à déployer des moyens d'intervention en personnel, sous prétexte qu'ils n'avaient pas été «officiellement» demandés par le gouvernement régional. De deux choses l'une. Soit il a laissé le PP «mijoter dans son jus» malgré le coût humain que cela représente, soit il se cache derrière des subtilités administratives pour masquer sa propre négligence. Des gouvernements comme en France et dans l'UE ont annoncé leur volonté d'aider, mais ne l'ont pas fait parce que le gouvernement Sánchez n'en a pas fait la «demande» nécessaire.
L'État démocratique se présente comme le garant du bien-être social, comme le moyen pour la population de «se défendre» contre les abus de l'exploitation capitaliste, alors qu'il est en réalité son défenseur le plus énergique[4]. Lorsque les protestations contre le maintien forcé au travail ont commencé à émerger la nuit de l'inondation, la «pseudo-communiste» Yolanda Díaz (également vice-présidente du gouvernement et ministre du travail) est sortie pour déclarer que la loi permettait soi-disant aux travailleurs de quitter leur emploi lorsque leur vie était en danger, mais qu'elle en «appelait» à la responsabilité des employeurs (?). Imputer le choix d'une telle décision aux travailleurs[5] dans une période caractérisée par la précarité de l'emploi relève d'un sarcasme insultant ; de même lorsque le gouvernement appelle les propriétaires à être «compréhensifs» à l'égard des locataires et à freiner la crise du logement.
L'inondation a également suscité un élan de solidarité spontané et généreux, qui a été retransmis par les télévisions du monde entier. Cette solidarité initiale a été interrompue par les autorités craignant une perte de contrôle de la situation du fait de l'indignation de la population des voisins qui se rassemblaient ; elle a ensuite été manipulée, prenant la forme d'un « soutien régionaliste des Valenciens », au son de l'hymne régional. En dehors de la confrontation et de la solidarité de classe, elle était condamnée à devenir un soutien populaire et interclassiste, du type «seul le peuple peut sauver le peuple». Mais croire que le «salut» est possible sans éradiquer le capitalisme, ses désastres, ses guerres et sa misère de la surface de la terre est une illusion fatale. La seule façon de sortir de ce sinistre avenir est de canaliser l'indignation et la rage produites par tous ces désastres dans la lutte des classes, la lutte des exploités de tous les pays contre les exploiteurs. Au fur et à mesure que le prolétariat retrouvera son identité de classe, les travailleurs seront en mesure de soutenir, en la maintenant sur un terrain de classe, la défense de l'ensemble de la population non exploiteuse, créant ainsi un rapport de force contre l'État bourgeois.
Valerio (2 novembre 2024)
[1] Acronyme de "depresion aislada en niveles alto", ou dépression isolée à niveau élevé
[2] Voir une analyse de cette succession de catastrophes climatiques par exemple dans notre récent article en espagnol sur la sécheresse, Sequía en España: el capitalismo no puede mitigar, ni adaptarse, solo destruir [25]
[3] Nous expliquons ce que nous entendons par cet «effet tourbillon» dans notre résolution sur la situation internationale [26] de décembre 2023.
[4] Le roi Felipe VI a déclaré, après la visite mouvementée à la zone zéro, que l'État devait être présent à tous les niveaux, et nous avons effectivement vu comment il a pris en charge la défense de la propriété privée, réprimant les assauts des supermarchés à la recherche de nourriture, interdisant les actes spontanés de solidarité, protégeant les autorités... Et abandonnant la population à son sort.
[5] Légalement, les syndicats peuvent aussi évacuer les lieux de travail en cas de risques professionnels. Il s'est pas avéré qu'ils ne l'ont pas fait dans tous les cas, ce qui illustre qu'ils sont eux aussi alignés sur l'État capitaliste.
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 14 décembre 2024 à 14h30.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [31]) ou dans la rubrique « nous contacter [32] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
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Trump retrouve donc la Maison-Blanche, auréolé d’une victoire écrasante à l’élection présidentielle. Aux yeux de ses supporters, il est un invincible héros américain, celui qui a survécu à tous les obstacles : aux « élections truquées », à « l’inquisition judiciaire », à l’hostilité de « l’establishment » et même… aux balles ! L’image d’un Trump miraculé, l’oreille en sang, le poing levé, après qu’un tir l’a frôlé, restera dans les annales. Mais derrière l’admiration qu’a suscitée sa réaction, cet attentat est surtout l’expression la plus spectaculaire d’une campagne électorale qui a atteint des sommets de violence, de haine et d’irrationalité. Cette campagne hors norme, vomissant le fric et saturée d’obscénités, tout comme sa conclusion, la victoire d’un milliardaire mégalomane et stupide, est à l’image de l’abyme dans lequel s’enfonce la société bourgeoise.
Trump a tout d’un sale type : il est d’une vulgarité sans borne, menteur et cynique, aussi raciste et misogyne qu’homophobe. La presse internationale a glosé durant toute la campagne sur les dangers que son retour aux affaires fait peser tant sur les institutions « démocratiques » que sur les minorités, le climat ou les relations internationales : « Le monde retient son souffle » (Die Zeit), « Cauchemar américain » (L’Humanité), « Comment le monde survivra-t-il à Trump ? » (Público), « Une débâcle morale » (El País)…
Alors fallait-il préférer Harris, choisir le camp d’un prétendu « moindre mal » pour barrer la route au populisme ? C’est ce que s’est employée à faire croire la bourgeoisie. Le nouveau Président des États-Unis s’est trouvé, pendant plusieurs mois, au cœur d’une propagande mondiale contre le populisme. (1) La « souriante » Kamala Harris n’a cessé d’en appeler à la défense de la « démocratie américaine », qualifiant son adversaire de « fasciste ». Même son ancien chef d’état-major n’a pas hésité à le décrire comme un « dictateur en puissance ». La victoire du milliardaire n’a fait qu’alimenter cette campagne mystificatrice en faveur de la « démocratie » bourgeoise.
Beaucoup d’électeurs se sont rendus au bureau de vote en pensant : « Les Démocrates nous en ont fait baver pendant quatre ans, mais ce ne sera malgré tout pas aussi catastrophique que Trump à la Maison-Blanche ». Cette idée, c’est celle que la bourgeoisie a toujours cherché à mettre dans la tête des ouvriers pour les pousser vers les urnes. Mais dans le capitalisme décadent, les élections sont une mascarade, un faux choix qui n’a plus d’autre fonction que d’entraver la réflexion de la classe ouvrière sur ses buts historiques et les moyens d’y parvenir.
Les élections aux États-Unis n’échappent pas à cette réalité. Si Trump a gagné aussi largement, c’est d’abord parce que les Démocrates sont détestés. Contrairement à l’image véhiculée d’une « vague Républicaine », Trump n’a pas suscité d’adhésion massive. Le nombre de ses électeurs est resté relativement stable par rapport à la précédente élection de 2020. C’est surtout la vice-Présidente Harris qui, signe du discrédit des Démocrates, a essuyé une débâcle en perdant pas moins de 10 millions d’électeurs en quatre ans. Et pour cause ! L’administration Biden a mené des attaques féroces contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, d’abord par l’inflation qui a fait exploser le prix de l’alimentation, de l’essence et des logements. Par une énorme vague de licenciements et de précarisation, ensuite, qui ont fini par pousser les travailleurs à lutter massivement. (2) Sur l’immigration, Biden et Harris, qui avaient été élus en promettant une politique « plus humaine », n’ont cessé de durcir les conditions d’entrée sur le territoire américain, allant jusqu’à fermer la frontière avec le Mexique et interdire sans ménagement aux migrants ne serait-ce que seulement demander l'asile. Sur le plan international, le militarisme forcené de Biden, le financement dispendieux des massacres en Ukraine et le soutien à peine critique aux exactions de l’armée israélienne ont aussi ulcéré les électeurs.
La candidature d’Harris ne pouvait susciter d’illusion, comme on a pu l’observer par le passé avec Obama et, dans une moindre mesure, avec Biden. Le prolétariat n’a rien à attendre des élections ou du pouvoir bourgeois en place : ce n’est pas telle ou telle clique au pouvoir qui « gère mal les affaires », c’est le système capitaliste qui s’enfonce dans la crise et sa faillite historique. Démocrates ou Républicains, tous continueront d’exploiter sans ménagement la classe ouvrière et à répandre la misère à mesure que la crise s’approfondit, tous continueront d’imposer la féroce dictature de l’État bourgeois et à écraser partout dans le monde des innocents sous les bombes !
Les fractions les plus responsables de l’appareil d’État américain (la plupart des médias et des hauts-fonctionnaires, le commandement militaire, la faction la plus modérée du parti Républicain…) ont cependant fait leur possible pour empêcher le retour de Trump et son clan à la Maison-Blanche. La cascade de procès, les avertissements de la quasi-totalité des experts dans tous les domaines et même l’acharnement des médias à ridiculiser le candidat n’ont pas suffi à stopper sa course vers le pouvoir. L’élection de Trump est un véritable camouflet, le signe que la bourgeoisie perd de plus en plus le contrôle sur son jeu électoral et ne parvient plus à empêcher un trublion irresponsable d’accéder aux plus hautes fonctions de l’État.
La réalité de la montée en puissance du populisme n’est pas nouvelle : l’adoption du Brexit en 2016, suivie la même année de la victoire surprise de Trump en ont été les premiers signes les plus spectaculaires. Mais l’approfondissement de la crise du capitalisme et l’impuissance croissante des États à maîtriser la situation, que ce soit sur les plans géostratégique, économique, environnemental ou social, n’ont fait que renforcer l’instabilité politique à travers le monde : parlements écartelés, populisme, tensions entre les cliques bourgeoises, instabilité gouvernementale… Ces phénomènes témoignent d’un processus de délitement qui opère désormais au cœur des États les plus puissants de la planète. Cette tendance a permis à un fou furieux comme Milei de se hisser à la tête de l’État argentin ou de voir les populistes arriver au pouvoir dans plusieurs pays européens, là où la bourgeoisie est la plus expérimentée au monde.
La victoire de Trump s’inscrit dans ce processus mais marque aussi un pas supplémentaire significatif. Si Trump est rejeté par une large partie de l’appareil d’État, c’est avant tout parce que son programme et ses méthodes risquent non seulement de nuire aux intérêts de l’impérialisme américain dans le monde, mais aussi d’accroître davantage les difficultés de l’État à assurer le semblant de cohésion sociale nécessaire au fonctionnement du capital national. Pendant la campagne, Trump a multiplié les discours incendiaires, ravivant comme jamais l’esprit revanchard de ses partisans, menaçant même les institutions « démocratiques » dont la bourgeoisie a tant besoin pour encadrer idéologiquement la classe ouvrière. Il n’a cessé d’alimenter les discours les plus rétrogrades et haineux, faisant planer le risque d’émeutes s’il n’était pas élu. Cela, sans jamais se soucier des conséquences que ses propos pouvaient avoir sur le tissu social. L’extrême violence de cette campagne, dont les Démocrates sont aussi responsables à bien des égards, approfondira sans aucun doute les divisions dans la population américaine et ne pourra qu’accroître encore et encore la violence d’une société déjà très fragmentée. Mais Trump, dans une logique de terre brûlée qui caractérise de plus en plus le système capitaliste, était prêt à tout pour l’emporter.
En 2016, comme la victoire de Trump était relativement inattendue, y compris de lui-même, la bourgeoisie américaine avait pu baliser le terrain en plaçant au gouvernement et dans l’administration des personnalités capables de freiner les décisions les plus délirantes du milliardaire. Ceux que Trump a, par la suite, qualifié de « traîtres », avaient, par exemple, pu empêcher l’abrogation du système de protection sociale (Obamacare) ou le bombardement de l’Iran. Lorsque la pandémie de Covid avait éclaté, son vice-Président, Mike Pence, avait aussi pu assurer la gestion de la crise en dépit d’un Trump qui pensait qu’il suffisait « d’injecter du désinfectant dans les poumons » pour soigner la maladie… C’est ce même Pence qui a fini par désavouer publiquement Trump en assurant la transition de pouvoir avec Biden alors que des émeutiers marchaient sur le Capitole. Désormais, même si l’état-major de l’armée demeure très hostile à Trump et fera encore son possible pour temporiser ses pires décisions, le clan du nouveau Président s’est préparé en écartant les « traîtres » et s’apprête à gouverner seul contre tous, laissant entrevoir un mandat encore plus chaotique que le précédent.
Durant la campagne, Trump s’est présenté en homme de « paix », affirmant qu’il mettrait fin au conflit ukrainien « en 24 heures ». Son goût pour la paix s’arrête visiblement aux frontières de l’Ukraine puisque, dans le même temps, il a apporté un soutien inconditionnel aux massacres perpétrés par l’État hébreu et s’est montré très virulent à l’égard de l’Iran. En réalité, nul ne sait vraiment ce que fera (ou pourra faire) Trump en Ukraine, au Proche-Orient, en Asie, en Europe ou avec l’OTAN tant il s’est toujours montré versatile et capricieux.
En revanche, son retour va marquer une accélération sans précédent de l’instabilité et du chaos dans le monde. Au Proche-Orient, Netanyahou s’imagine déjà, avec la victoire Trump, les mains plus libres que jamais depuis le début du conflit à Gaza. Israël pourrait chercher à atteindre ses objectifs stratégiques (destruction du Hezbollah, du Hamas, guerre avec l’Iran, etc.) de façon beaucoup plus frontale, répandant davantage la barbarie dans toute la région.
En Ukraine, après la politique de soutien plus ou moins mesuré de Biden, le conflit risque de prendre un tour plus dramatique encore. À la différence du Moyen-Orient, la politique des États-Unis en Ukraine relève d’une stratégie savamment mise en place pour affaiblir la Russie et son alliance avec la Chine, et resserrer les liens des États européens autour de l’Otan. Trump pourrait remettre en cause cette stratégie et affaiblir d’autant plus le leadership américain. Que Trump décide de lâcher Kiev ou de « punir » Poutine, les massacres vont inéluctablement s’aggraver et peut-être s’étendre au-delà de l’Ukraine.
Mais c’est surtout vers la Chine que se tournent les regards. Le conflit entre les États-Unis et la Chine est au centre de la situation mondiale et le nouveau Président pourrait multiplier les provocations, poussant la Chine à réagir avec fermeté ou, tout au contraire, mettre la pression sur ses alliés japonais ou coréens qui ont d’ores et déjà exprimé leurs inquiétudes. Et tout cela sur fond de guerres commerciales aggravées et de protectionnisme dont les principales institutions financières dénoncent les conséquences désastreuses sur l’économie mondiale.
L’imprévisibilité de Trump ne peut donc que considérablement renforcer la tendance au chacun pour soi, poussant toutes les puissances, petites ou grandes, à profiter du « repli » du gendarme américain pour jouer leur propre carte dans une immense confusion et un chaos accrus. Même les « alliés » de l’Amérique cherchent déjà plus ouvertement à s’éloigner de Washington en privilégiant des solutions nationales, tant sur le plan économique que militaire. Le Président français, à peine Trump assuré de l’emporter, a aussitôt appelé les États de l’Union européenne à « défendre » leurs « intérêts » face aux États-Unis et à la Chine…
Dans un contexte de crise économique, alors que le prolétariat retrouve sa combativité à l’échelle internationale et redécouvre peu à peu son identité de classe, la clique de Trump n’est, aux yeux de la bourgeoisie américaine, clairement pas la plus adaptée pour gérer la lutte de classe et faire passer les attaques dont le capital à besoin. Entre ses menaces ouvertes de répression contre les grévistes et son partenariat cauchemardesque avec un type aussi ouvertement anti-ouvrier qu’Elon Musk, les déclarations à l’emporte-pièce du milliardaire lors des récentes grèves aux États-Unis (Boeing, dockers, hôtellerie, automobile…) font présager du pire et ne peuvent qu’inquiéter la bourgeoisie. La promesse de Trump de se venger des fonctionnaires d’État qu’il considère comme ses ennemis, en licenciant 400 000 d’entre eux, augure également de troubles après les élections.
Mais il serait erroné de penser que le retour de Trump à la Maison-Blanche pourra favoriser la lutte de classe. Au contraire, cela va constituer un véritable choc. La politique assumée de division entre les ethnies, entre les urbains et les campagnards, entre les diplômés et les non-diplômés, toute la violence et la haine que la campagne électorale a charriée et sur lesquelles Trump continuera de surfer, contre les Noirs, contre les immigrés, contre les homosexuels ou les transgenres, tous les délires irrationnels des évangéliques et autres théoriciens du complot, tout le fatras de la décomposition, en somme, va peser encore plus fortement sur les ouvriers, créer des divisions profondes, voire des affrontements politiques violents en faveur des cliques populistes ou anti-populistes.
L’administration Trump pourra, sans conteste, compter sur les factions de gauche de la bourgeoisie, à commencer par les « socialistes » pour instiller le poison de la division et assurer l’encadrement des luttes. Après avoir fait campagne pour les deux Clinton, Obama, Biden et Harris, Bernie Sanders accuse sans sourciller les Démocrates d’avoir « abandonné la classe ouvrière », comme si ce parti, à la tête de l’État américain depuis le XIXe siècle, militariste et assassin en masse de prolétaires, avait un quelconque rapport avec la classe ouvrière ! Sa comparse en boniments, Ocasio-Cortez, a, dès sa réélection à la Chambre des représentants, promis de faire son possible pour diviser la classe ouvrière en « communautés » : « Notre campagne ne se résume pas à gagner des voix, elle vise à nous donner les moyens de construire des communautés plus fortes ».
Mais la classe ouvrière a la force de retrouver le chemin de la lutte malgré ces nouveaux obstacles. Alors que la campagne battait son plein et malgré les accusations infâmes de faire le jeu du populisme, les ouvriers continuaient de se battre contre l’austérité et les licenciements. Malgré l’isolement imposé par les syndicats, malgré la gigantesque propagande démocratiste, malgré le poids des divisions, ils ont montré que la lutte est la seule réponse à la crise du capitalisme.
Surtout, les travailleurs aux États-Unis ne sont pas seuls ! Ces grèves s’inscrivent dans un contexte de combativité internationale et de réflexion accrue qui durent depuis l’été 2022, lorsque les ouvriers en Grande-Bretagne, après des décennies de résignation, ont poussé un cri de colère, « Enough is enough ! », qui résonne et résonnera encore dans les entrailles de la classe ouvrière !
EG, 9 novembre 2024
1« Élections aux États-Unis, vague populiste dans le monde… L’avenir de l’humanité ne passe pas par les urnes, mais par la lutte de classe ! [34] », Révolution internationale n° 502 (2024).
2« Grèves aux États-Unis, au Canada, en Italie… Depuis trois ans, la classe ouvrière se bat contre l’austérité ! [35] », publié sur le site du CCI (2024).
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/content/11245/resolution-situation-internationale-decembre-2023
[2] https://fr.internationalism.org/content/11363/manifestations-pro-palestiniennes-monde-choisir-camp-contre-autre-cest-toujours
[3] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/biden
[4] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/kamala-harris
[5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/greves-aux-etats-unis
[6] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/au-canada
[7] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/italie
[8] https://es.internationalism.org/content/4790/argentina-el-peronismo-un-arma-de-la-burguesia-contra-la-clase-obrera-parte-i
[9] https://es.internationalism.org/content/4959/con-peron-en-el-exilio-o-encumbrado-en-el-gobierno-el-peronismo-golpea-al-proletariado
[10] https://fr.internationalism.org/content/9991/cordobazo-argentin-mai-1969-maillon-dune-chaine-mobilisations-ouvrieres-a-travers-monde
[11] https://fr.internationalism.org/ri384/che_guevara_mythe_et_realite.html
[12] https://es.internationalism.org/accion-proletaria/200601/422/desde-argentina-contribucion-sobre-la-naturaleza-de-clase-del-movimient
[13] https://es.internationalism.org/content/4934/argentina-la-crisis-golpea-los-trabajadores-con-inflacion-precariedad-y-miseria
[14] https://es.internationalism.org/RM/2006/90_comedores
[15] https://fr.internationalism.org/tag/5/55/argentine
[16] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/javier-milei
[17] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/menem
[18] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/hilda-duhalde
[19] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/littlejohn
[20] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/cordobazo-1969
[21] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/mai-68
[22] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/lautomne-chaud
[23] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/piqueteros
[24] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[25] https://es.internationalism.org/content/5068/sequia-en-espana-el-capitalismo-no-puede-mitigar-ni-adaptarse-solo-destruir
[26] https://fr.internationalism.org/content/11019/resolution-situation-internationale
[27] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne
[28] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/sanchez
[29] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/sumar
[30] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/yolanda-diaz
[31] mailto:[email protected]
[32] https://fr.internationalism.org/contact
[33] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/permanences
[34] https://fr.internationalism.org/content/11436/elections-aux-etats-unis-vague-populiste-monde-lavenir-lhumanite-ne-passe-pas-urnes
[35] https://fr.internationalism.org/content/11457/greves-aux-etats-unis-au-canada-italie-depuis-trois-ans-classe-ouvriere-se-bat-contre
[36] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[37] https://fr.internationalism.org/tag/30/475/donald-trump
[38] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/joe-biden
[39] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/elections-2024