Après avoir rétabli la réalité de notre plateforme calomniée par le GIGC (Défense de la plateforme du CCI : les nouveaux mensonges du GIGC [1]), c'est à présent le contenu de notre intervention face à la guerre que nous devons défendre face aux élucubrations diffamatoires du GIGC attribuant au CCI les démarches ou analyses politiques suivantes : "dissimulation du danger de guerre", "Un internationalisme abstrait et intemporel, basé simplement sur les sentiments et la morale", "l'introduction de l’idéalisme bourgeois dans la doctrine révolutionnaire du prolétariat", …
Selon le GIGC, le CCI adopterait face à la guerre une approche qui "ne peut qu’ouvrir la voie à une sorte de pacifisme moral puisqu’elle n’enracine pas l’internationalisme sur le terrain très matériel de la relation dialectique entre le processus même de la guerre impérialiste et celui de la lutte des classes, qui se synthétise dans l’alternative "révolution prolétarienne internationale ou de la guerre impérialiste généralisée", révolution ou guerre."[1]
En quoi cela s'applique-t-il à notre intervention ? Pas un mot ! Du bluff, une contre-vérité enrobée dans une phrase ronflante pour éblouir les suiveurs du GIGC, s'il en est.
À l'inverse de ce que veut faire passer le GIGC, la politique du CCI face à la guerre est parfaitement ancrée dans le contexte de la situation mondiale actuelle et orientée par la perspective de la nécessité de renversement du capitalisme par le prolétariat :
Quant aux "alertes" du GIGC du type "Au nom de la Décomposition, le CCI n’a-t-il pas écarté définitivement toute perspective de troisième guerre mondiale"[3], elles sont destinées à semer le doute sur la détermination de notre organisation à assumer ses responsabilités face au danger de guerre.
Pour le CCI, cette déclaration témoigne du fait que, "face à l’accélération du conflit impérialiste en Europe, les organisations politiques basées sur l’héritage de la Gauche communiste continuent à brandir la bannière d’un internationalisme prolétarien cohérent et de fournir un point de référence à ceux qui défendent les principes de la classe ouvrière".[4]
Cette initiative, qui visiblement dérange le GIGC, l'amène à balancer tout ce qui lui passe par la tête, sans même le moindre souci de vraisemblance, pour la dénigrer. Aveuglé par sa haine du CCI, il "tire dans le tas" en direction des différents groupes signataires, sans même se soucier des positions réelles des uns et des autres ni du contenu réel de la déclaration, tous étant coupables à ses yeux d'avoir signé une prise de position commune avec le CCI. Ainsi, pour le GIGC, "L’initiative des groupes révolutionnaires que nous qualifierions d’opportunistes, à savoir le CCI et Internationalist Voice, que l’Institut Onorato Damen a rejoint, met en avant la permanence de la guerre impérialiste sous le capitalisme et nie la réalité en cours d’une consolidation des blocs impérialistes …. " [5]
Gros mensonge du GIGC : la Déclaration commune de groupes de la Gauche communistes [2] n'évoque ni les blocs impérialistes, ni l'idée d'une quelconque "permanence de la guerre impérialiste sous le capitalisme". Nous invitons nos lecteurs à s'en rendre compte par eux-mêmes.
Le GIGC rebondit sur son propre mensonge pour, cette fois, agiter l'épouvantail de "la théorie de la décomposition du capitalisme", défendue seulement par le CCI et qui constituerait, selon les termes du GIGC, "le cheval de Troie du CCI par lequel il introduit l’idéalisme bourgeois dans la doctrine révolutionnaire du prolétariat"[6]. Il en rajoute une couche avec cette idée que les conceptions du CCI aboutissent à "une situation dans laquelle l’histoire est au point mort", dans la mesure où "ce n'est plus la lutte entre les classes en conflit dans la société mais plutôt l’effet de la Décomposition sur la société dans son ensemble qui est le facteur déterminant du développement historique."
Notre intention n'est pas ici de convaincre un interlocuteur du camp prolétarien, puisque le GIGC n'en est pas un, mais nous nous devons de rétablir la vérité face aux distorsions que ces parasites font subir à notre analyse de la décomposition, tout comme ils l'ont fait avec le contenu de notre plateforme politique[7]. Que dit réellement le CCI et de quels dangers alerte-t-il ? : "Dans une telle situation où les deux classes fondamentales et antagoniques de la société s'affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive [La guerre pour la bourgeoisie, la révolution pour le prolétariat], l'histoire ne saurait pourtant s'arrêter. Encore moins que pour les autres modes de production qui l'ont précédé, il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale. Alors que les contradictions du capitalisme en crise ne font que s'aggraver, l'incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l'ensemble de la société et l'incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l'immédiat ne peuvent que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société."[8] Quand le CCI écrit "l'histoire ne saurait s'arrêter", "il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale", le GIGC nous prête l'idée que "l’histoire est au point mort "! On connait l'expression, "qui veut tuer son chien l'accuse de la rage". Elle collerait tout à fait à cette situation si n'est que l'enragé ici n'est pas le CCI, mais bien le GIGC !
Contrairement aux hallucinations de "l'enragé GIGC", "l’histoire ne peut pas être au point mort". En effet, tant que la classe ouvrière constitue une force dans la société, la révolution communiste demeure une possibilité à l'ordre du jour ; l'autre terme de l'alternative étant destruction de l'humanité, comme conséquence soit de la guerre mondiale, soit de l'enfoncement irréversible dans la décomposition. Pour qu'une guerre mondiale puisse avoir lieu il faudrait que deux blocs impérialistes se constituent, ce qui n'est pas actuellement à l'ordre du jour et possiblement ne le sera jamais. Par contre l'enlisement irréversible dans la décomposition est une menace beaucoup plus tangible, en cours de réalisation, et tout aussi catastrophique mais probablement plus terrible encore que la guerre mondiale.
En déconsidérant le CCI et en agitant l'épouvantail de sa "douteuse théorie de la décomposition", le but du GIGC était d'enfoncer un coin entre notre organisation et les autres groupes participant à l'appel, et ainsi d'entraver la possibilité qu'une telle démarche commune puisse être réitérée à un niveau supérieur.
Ainsi, pour le GIGC : "il est curieux, voire ironique, de voir le CCI qui rejette tout danger de guerre impérialiste généralisée, appeler à un nouveau Zimmerwald."[9]
Le CCI n'a jamais appelé à un nouveau Zimmerwald en tant que tel. Pour nous "l'importance réelle et durable de Zimmerwald réside dans le développement d'une ligne internationaliste intransigeante au sein d'une petite minorité appelée la Gauche de Zimmerwald. Cette dernière reconnaissait que la Première Guerre mondiale n'était que le début d'une période historique entière dominée par la guerre impérialiste qui nécessiterait un programme maximal pour la classe ouvrière : guerre civile, renversement des régimes bourgeois, dictature du prolétariat avec une nouvelle Internationale communiste pour remplacer la 2e Internationale chauvine en faillite."[10] Dans et à travers ce débat, Lénine et ceux qui l’entouraient ont forgé un noyau qui allait devenir l’embryon de l’Internationale communiste.
La situation actuelle et ses perspectives -même si elles ne s'énoncent pas en termes de Troisième guerre mondiale entre deux blocs impérialistes constitués- sont suffisamment dramatiques pour justifier une mobilisation de l'avant-garde politique du prolétariat pour préparer les conditions de surgissement du futur parti de la révolution communiste.
Ce n'est pas ainsi que le conçoit le GIGC. Sa logique de groupe parasitaire et policier[11] le conduit à apporter sa petite contribution au sabotage d'un tel projet en balançant les mesquineries qui lui vont si bien et les affabulations qui font partie de sa panoplie politique. Ainsi, il dévoile la prétendue "face cachée" de notre démarche pour une prise de position commune de la Gauche communiste face à la guerre en Ukraine :
a) "Outre le fait que cela lui [le CCI] servirait pour tenter d’exclure les soi-disant parasites d’une telle initiative, en premier lieu notre groupe, accepter son terrain lui permettrait d’imposer son rejet de la perspective et du danger de guerre impérialiste au nom d’une unité artificielle de la conférence. (…) N’est-ce pas précisément ce que l’Istituto O. Damen a dû accepter de fait".
Notre commentaire : Le contenu de la déclaration commune, pas plus d'ailleurs que nos propres positions, ne contient aucune formulation évoquant un quelconque rejet par le CCI de la réalité et de l'aggravation des tensions impérialistes. C'est l'inverse qui est vrai.
b) "Ainsi, dans une telle conférence aujourd’hui, le CCI jouerait le rôle que les centristes kautskistes ont joué au sein des conférences Zimmerwald-Kienthal et bloquerait les internationalistes conséquents d’aujourd’hui, ceux qui placent leur action face à la dynamique et aux étapes vers la guerre impérialiste généralisée."
Notre commentaire : Il va de soi que le GIGC se place dans la catégorie des "internationalistes conséquents d’aujourd’hui". Compte tenu de ce qui précède et si la question n'était pas aussi grave, nous aurions plutôt placé le GIGC dans la catégorie des "comiques indécrottables".
Néanmoins, concernant ce groupe, nous retenons cette caractérisation au sein de notre article "La lutte contre la guerre impérialiste ne peut être menée qu'avec les positions de la gauche communiste [3]", dans la partie "Un rappel des états de service du groupe FICCI / GIGC".
"La coterie parasitaire, un mélange chaotique de groupes et de personnalités, utilise un rabâchage indigeste des positions de la Gauche communiste pour attaquer la Gauche communiste réelle, la falsifier et la dénigrer."[12]
CCI, juin 2024
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[Retour à la série : Le parasitisme politique n'est pas un mythe, le GIGC en est une dangereuse expression [4]]
[1] Sur les différentes prises de position des groupes révolutionnaires depuis l’invasion de l’Ukraine : la question du danger de la guerre impérialiste généralisée [5] (révolution ou guerre 21, juin 2022)
[3] 24e congrès du CCI : la barque de la Décomposition prend l’eau [7]. Révolution ou Guerre n° 20
[4] Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukrain [2]e
[5] Sur les différentes prises de position des groupes révolutionnaires depuis l’invasion de l’Ukraine : la question du danger de la guerre impérialiste généralisée [5] - La prise de position conjointe de groupes de la Gauche communiste.
[6] Sur les différentes prises de position des groupes révolutionnaires depuis l’invasion de l’Ukraine : la question du danger de la guerre impérialiste généralisée [5] - La prise de position conjointe de groupes de la Gauche communiste (CCI).
[7] Lire à ce propos THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [8]
[9] Sur les différentes prises de position des groupes révolutionnaires depuis l’invasion de l’Ukraine : la question du danger de la guerre impérialiste généralisée [5] (révolution ou guerre 21, juin 2022)
[11] Dans l'article Les fondements marxistes de la notion de parasitisme politique et le combat contre ce fléau [10], lire "La FICCI (ancêtre du GIGC), une forme extrême de regroupement parasitaire".
En Europe, aux États-Unis et un peu partout dans le monde, les formations populistes ou plus traditionnelles d’extrême droite rencontrent des succès électoraux qui semblaient encore inconcevables une décennie auparavant. Cela s’est clairement exprimé lors les élections européennes de juin 2024 : le Rassemblement national (RN) en France, Alternative für Deutschland (AfD – Alternative pour l’Allemagne) ou Fratelli d’Italia (Fdl – Frères d’Italie) ont obtenu des scores impressionnants. En Grande-Bretagne, le Reform UK de Nigel Farage (principal promoteur du Brexit) pourrait absorber de larges pans d'électeurs du Parti conservateur, le plus ancien et expérimenté parti politique de la bourgeoisie. En France, le RN de Marine Le Pen devrait arriver en tête des prochaines élections législatives décrétées en catastrophe par le président Macron et pourrait potentiellement accéder pour la première fois au pouvoir. Et ceci dans un contexte où Trump a survolé les primaires du Parti républicain, surclassé un Biden de plus en plus gâteux lors de leur dernier débat et menace sérieusement de reprendre la Maison-Blanche en novembre prochain…
Les élections européennes ont confirmé la réalité d’un processus de fragilisation qui frappe l’ensemble des appareils politiques de la bourgeoisie dans le monde, non seulement dans les pays de la périphérie du capitalisme, les plus fragiles, des États les plus en vue d’Amérique latine comme le Mexique, le Brésil ou l’Argentine, mais également dans le cœur du capitalisme, celui des grandes puissances démocratiques de l’ouest de l’Europe et des États-Unis.
Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à l’aube des années 1990, malgré un contexte d’approfondissement continuel de la crise économique, la bourgeoisie avait maintenu une certaine stabilité dans le paysage politique, dominé la plupart du temps par le bipartisme, des alternances ou des coalitions solides, comme c’était le cas, par exemple, en Allemagne (SPD et CDU), en Grande-Bretagne avec les Tories et le Labour, aux États-Unis avec les Démocrates et les Républicains, ou en France et en Espagne avec l’opposition de partis de gauche et de droite. En Italie, la principale force politique garantissant la stabilité de l’État durant toute cette période était la Démocratie chrétienne. Cela permettait de dégager des majorités parlementaires relativement stables dans un cadre institutionnel apparemment bien huilé.
Cependant, dès la fin des années 1980, le capitalisme décadent entrait progressivement dans une nouvelle phase historique, celle de sa décomposition. L’implosion du bloc « soviétique » et le pourrissement sur pied croissant du système allaient accroître les tensions au sein des diverses bourgeoisies nationales et affecter de plus en plus leur appareil politique. L’approfondissement de la crise et l’absence de plus en plus évidente de perspectives, y compris pour certains secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, a rogné de plus en plus la « crédibilité démocratique » des partis traditionnels et a fait surgir un peu partout, dès le début du XXIe siècle, des mouvements populistes dénonçant les « magouilles des élites au pouvoir », conjuguée à une montée en puissance de l’abstention et d’une volatilité électorale croissante.
Progressivement, le contrôle de la bourgeoisie sur son système politique a commencé à montrer des failles. En France, après les « cohabitations forcées », la mise en avant de Macron pour contrer la montée du Front national a mené à l’effondrement du Parti socialiste discrédité, et à la fragmentation du parti de droite. Au Royaume-Uni, la bourgeoisie a tenté de récupérer le mouvement populiste en faveur du Brexit à travers le Parti conservateur, ce qui a conduit à sa fragmentation actuelle. En Italie, la Démocratie chrétienne s’est effondrée elle aussi, laissant la place à de nouvelles formations comme Forza Italia (avec à sa tête déjà un leader populiste, Berlusconi), puis à une kyrielle de mouvements populistes et d’extrême-droite à la tête de l’État (le Mouvement 5 Étoiles, la Lega de Salvini, Fratelli d’Italia). Aux Pays-Bas, trois des quatre partis de la majorité parlementaire sont d’inspiration populiste. Aux États-Unis, depuis Bush junior et son administration, des tendances populistes minent de plus en plus fortement le Parti républicain (comme celle du Tea Party, par exemple) et ont mené à la mainmise du populiste Trump sur ce parti.
Avec l’accélération de la décomposition ces dernières années, notamment depuis la pandémie de Covid-19, la vague populiste contraint de plus en plus d’États, à composer avec des fractions bourgeoises marqués par l’irrationalité, la versatilité et l’imprévisibilité. Le populisme est ainsi l’expression la plus caricaturale d’une société de plus en plus marquée par la décomposition du mode de production capitaliste.
La montée du populisme n’est pas, à ce titre, le résultat d’une manœuvre délibérée de la classe dominante. (1) L’effervescence au sein des fractions les plus « rationnelles » de la bourgeoisie face à la percée de ces organisations exprime leur réelle inquiétude. Bien que le populisme soit fondamentalement « l’un des leurs » et que ses discours xénophobes et rétrogrades sont, en vérité, un concentré puant de l’idéologie de la classe bourgeoise (individualisme, nationalisme, domination par la violence…), l’accès des partis populistes et de leurs dirigeants totalement irrationnels et incompétents aux commandes des États ne peut que compliquer davantage la gestion des intérêts de chaque capital national et aggraver le chaos qui se répand déjà partout sur la planète.
La montée du populisme dans plusieurs pays confirme ce que le CCI avait déjà analysé dans les Thèses consacrées à l’analyse de la période historique de la décomposition et dans lesquelles nous soulignions « la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. À la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l’infrastructure de la société. […] L’absence d’une perspective (exceptée celle de “sauver les meubles” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut ». (2)
Cette avancée inévitable de la décomposition capitaliste explique aussi l’échec des mesures prises par les partis traditionnels de la bourgeoisie pour stopper la montée du populisme. (3) Ainsi, la bourgeoisie britannique a tenté de réorienter le désastre du « Brexit » en remplaçant Boris Johnson et Liz Truss par un premier ministre plus responsable, Rishi Sunak en 2022. Mais le « fiable » Sunak a réagi à la défaite aux élections municipales en avançant les élections législatives, ce que de nombreux analystes ont qualifié de « suicide politique » pour les « tories », autrefois l’emblème de la bourgeoisie la plus intelligente et la plus expérimentée du monde. On peut en dire autant d’un Macron, soutenu depuis des années par toutes les forces politiques de la bourgeoisie française (y compris la gauche qui a voté pour lui, rappelons-le, avec une « pince à linge sur le nez » pour empêcher l’arrivée au pouvoir de Le Pen) et qui, en dissolvant précipitamment l’Assemblée nationale, ouvre potentiellement la voie au RN et, quoi qu’il arrive, à l’imprévisible et au chaos. Cette politique de terre brûlée s’oppose complètement aux intérêts des factions qui se veulent les plus responsables au sein de l’appareil politique, comme en témoignent les divisions au sein des partis de droite et la constitution hâtive d’un Nouveau Front Populaire de gauche au parcours incertain. Enfin, aux États-Unis, l’éviction de Trump en 2020 n’a pas aidé le Parti républicain à trouver un autre candidat plus « prévisible ». Le Parti démocrate n’a pas non plus su comment réagir et doit miser aujourd’hui sur un Biden de plus de 81 ans pour stopper Trump.
Que les dirigeants des principaux États capitalistes s’abandonnent aux coups de poker, dans des aventures irresponsables aux résultats imprévisibles, dans lesquels les intérêts particuliers de chaque clique, voire de chaque individu, priment sur ceux de la bourgeoisie dans son ensemble et des intérêts globaux de chaque capital national, est révélateur du manque de perspective, de la prédominance du « chacun pour soi ».
Les conséquences de cette dynamique de perte de contrôle seront nécessairement une accélération importante du chaos et de l’instabilité mondiale. Si la première élection de Trump avait déjà marqué un accroissement de l’instabilité dans les rapports impérialistes, sa réélection signifierait une accélération considérable du chaos impérialiste mondial en reconsidérant, par exemple, le soutien américain envers l’Ukraine ou en soutenant sans réserve la politique de terre brûlée de Netanyahou à Gaza. Le retour de Trump aux affaires aggraverait encore la déstabilisation des Institutions et, plus généralement, la fragmentation du tissu social à l’image de ce qu’a représenté l’assaut du Capitole en janvier 2021. L’aggravation de la crise économique est aussi à prévoir avec l’accentuation du protectionnisme non seulement envers la Chine mais aussi envers l’Europe.
L’impact serait important aussi sur l’Union européenne (UE), déchirée elle aussi par des tensions croissantes autour de la guerre en Ukraine ou du conflit à Gaza, comme on peut le voir en particulier entre la France et l’Allemagne au sujet de l’envoi de troupes sur le sol ukrainien. Ces tensions risquent de croître avec la montée en puissance des forces populistes, qui tendent à être moins hostiles envers le régime de Poutine et moins enclines au soutien financier et militaire à l’Ukraine. Par ailleurs, la politique d’austérité économique de l’UE (limitation des déficits budgétaires, de l’endettement…) s’oppose également au protectionnisme économique et social, prôné par les populistes au nom de la « souveraineté nationale ».
Quelles que soient les difficultés que rencontrent les différentes bourgeoisies pour garder le contrôle sur leur appareil politique, elles tentent par tous les moyens de les exploiter pour contrer le développement des luttes ouvrières, pour contrer la réflexion au sein du prolétariat et empêcher ainsi le développement de la conscience en son sein. Pour ce faire, elle peut compter sur la gauche qui déploie tout son arsenal idéologique et avance de fausses alternatives. En Angleterre, le Parti travailliste se présente comme l’alternative « responsable » pour enrayer le désordre provoqué par la gestion irresponsable du Brexit par les gouvernements conservateurs successifs. En France, face à la décision imprévisible de Macron d’organiser des élections, la grande majorité des forces bourgeoises de la gauche traditionnelle et plus radicale s’est unie au sein d’un « nouveau front populaire » pour s’opposer à l’avènement de l’extrême-droite. En exploitant les oppositions entre secteurs de la bourgeoisie face à la montée du populisme et de l’extrême droite, elle tente de détourner le prolétariat du seul combat qui puisse mener à la libération de l’humanité à travers le renversement du système capitaliste, et à promouvoir de fausses perspectives : la défense de la démocratie. (4) Alors que le vote mobilise les ouvriers comme des « citoyens » atomisés, la gauche présente les résultats électoraux comme un reflet de l’état de conscience de la classe. La bourgeoisie exhibe souvent des cartes montrant la croissance du vote populiste dans les quartiers ouvriers afin de marteler que la classe ouvrière serait la cause de la montée du populisme, qu’elle serait une foule d’ignares sans avenir. Elle sème aussi la division entre les travailleurs « racisés » qui seraient les victimes des travailleurs « blancs privilégiés ».
Il est donc clair que les difficultés politiques accrues pour la bourgeoise ne signifient nullement une opportunité pour le prolétariat de les mettre à profit pour développer son propre combat. Cette situation n’occasionnera nullement un renforcement automatique de la classe ouvrière. C’est au contraire une opportunité utilisée et exploitée idéologiquement par la classe dominante.
Le prolétariat a besoin de politiser ses luttes, mais pas dans le sens prôné par la gauche du capital, en s’engageant dans la défense de la « démocratie » bourgeoise. Il doit au contraire refuser les élections et se battre sur son propre terrain de classe, contre toutes les fractions et expressions du monde capitaliste qui menacent de nous condamner à la destruction et à la barbarie.
Valerio, 1er juillet 2024
1 Cf. « Comment la bourgeoisie s’organise [15] », Revue internationale n° 172 (2024).
2 « La décomposition, phase ultime de la décadence (1991) [8] », Revue internationale n°107 (2001).
4 Cf. notre brochure : Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital [16].
Les élections parlementaires (Lok Sabha) en Inde se sont tenues d’avril à juin dernier. Le prolétariat, comme partout ailleurs, n’avait rien à attendre de ces échéances dont l’issue ne fait que déterminer quelle fraction de la bourgeoisie va assurer sa domination sur la société et sur les ouvriers qu’elle exploite. Ces élections se sont tenues dans un contexte où le capitalisme en déclin plonge toujours davantage l’humanité dans le chaos du fait d’une accélération de sa décomposition sociale, générant des crises multiples (guerre, crise économique, sociale, écologique, climatique…) qui se conjuguent et se renforcent mutuellement, alimentant un tourbillon toujours plus destructeur. En Inde comme ailleurs : « la classe dirigeante est de plus en plus divisée en cliques et en clans, chacun faisant passer ses propres intérêts avant les besoins du capital national. Cette situation fait que la bourgeoisie a de plus en plus de mal à se comporter comme une classe unifiée et à garder le contrôle global de son appareil politique. La montée du populisme au cours de la dernière décennie est le produit le plus clair de cette tendance : les partis populistes incarnent l’irrationalité et le « no future » du capitalisme, en promulguant les théories conspirationnistes les plus absurdes et une rhétorique de plus en plus violente à l’encontre de « l’establishment » politique. Les factions les plus « “responsables” de la classe dirigeante s’inquiètent de la montée du populisme parce que leurs comportements et leurs politiques sont en contradiction directe avec ce qu’il reste du consensus traditionnel de la politique bourgeoise ».1
Les élections en Inde traduisent et confirment ces difficultés croissantes pour la classe dominante. En effet, les différents mandats de la faction Modi traduisaient déjà depuis ses débuts la confusion entre les intérêts de l’État indien et ceux d’une poignée d’oligarques issus principalement d’une même région, l’État du Gujarat (à l’ouest du sous-continent). Héraut de l’idéologie nationaliste hindoue, au discours à la fois martial et messianique, Narendra Modi reste le porteur d’une vieille tradition qui combattait déjà la vision unitaire et territoriale de la « nation indienne » incarnée par Gandhi (assassiné d’ailleurs en 1948 par un membre issu de cette mouvance hindouiste politique et religieuse radicalisée). À l’instar de Trump, une partie de la campagne de Modi s’était appuyée sur le slogan « rendre à l’Inde sa grandeur »2, faisant référence à l’histoire prétendument glorieuse de la culture hindoue avant qu’elle ne soit colonisée et détruite par les envahisseurs musulmans et chrétiens. Selon ce récit, même après l’indépendance de l’Inde en 1947, la population hindoue avait été freinée par les « élites corrompues » du Congrès national indien (INC).
Modi prétend que la civilisation hindoue est supérieure à toute autre civilisation et qu’elle devrait revendiquer et défendre un statut plus conforme à ses ambitions dans le monde. Modi accompagne ses délires politiques d’un véritable clientélisme et bon nombre de ceux qui avaient intérêt à propulser son idéologie et son parti aux premières loges s’en sont mis plein les poches, à l’image des milliardaires, tels l’ineffable Akshmi Mittal, Mukesh Ambani ou encore Gautam Adani, qui se retrouve par exemple à la tête d’un véritable conglomérat évalué en bourse à près de 240 milliards de dollars, et dont la fortune personnelle a augmenté de 230 % depuis l’arrivée au pouvoir de Modi en 2014 ! Les élections n’ont fait, naturellement, que conforter ces états de faits au détriment des intérêts de l’ensemble de l’État indien.
Au niveau politique, le résultat de ces nouvelles élections parlementaires, loin de marquer une stabilisation de la stucture politique, confirment les difficultés croissantes et une fragilisation du gouvernement, soumis à un discrédit grandissant. Les sondages à la sortie des urnes, prévoyaient une grande victoire du Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi. Mais c’est le contraire qui s’est produit : le BJP a perdu 63 sièges. Cependant, la NDA, l’alliance dirigée par le BJP, a quand même obtenu la majorité absolue (293 des 543 sièges). En conséquence, pour la première fois, Narendra Modi devra gouverner avec une coalition qui s’avère très complexe à mettre en œuvre, car le BJP va désormais être dépendant de ses alliés, entre autres le Telugu Desam Party (TDP) et le Janata Dal (United) (JDU).3 Le poids croissant du chacun pour soi, de dirigeants ambitieux et de forces centrifuges feront que les négociations pour les futurs postes gouvernementaux de la coalition risquent d’être longues et très difficiles. Bon nombre de mesures très controversées que souhaitait prendre le BJP, comme la redistribution du nombre de sièges parlementaires par État, s’annonce désormais très difficile avec un risque de fortes tensions. Toute tentative de conciliation au sein de la coalition se fera nécessairement au détriment d’une autre composante. Ainsi, le risque est grand de voir l’affirmation d’une plus grande autonomie des composantes, notamment de la droite, avec l’organisation paranationaliste hindoue RSS jouant davantage sur son profil paramilitaire menaçant inspiré par les groupuscules violents et radicaux de l’extrême droite en Europe.4
Ainsi affaibli, âgé de 73 ans, le Premier ministre Modi risque donc d’être exposé à de nombreux problèmes, en dépit du mythe « d’invincibilité » qu’il avait voulu construire et de ses ambitions démesurées. L’Inde, comme pour les autres grands pays de la planète, devient de plus en plus instable et difficile à gouverner.
Si les faiblesses croissantes de la bourgeoisie indienne touchent son jeu politique et le rendent plus fragile, cela ne saurait signifier pour autant que le prolétariat pourrait en tirer un quelconque bénéfice. C’est même l’inverse, au vu des mystifications démocratiques renforcées. Les élections du printemps 2024 ont été présentées à la fois par le président du Parti du Congrès, Mallikarjun Kharge comme « une victoire du public et une victoire pour la démocratie », par le Premier ministre Modi comme « la victoire de la plus grande démocratie du monde », mais aussi par Rahul Gandhi comme un effort extraordinaire dans lequel « vous êtes tous venus voter pour la défense de la démocratie et de la constitution » de même que par le Deccan Chronicle5 comme « un témoignage de la résilience de la démocratie indienne ». Toute la bourgeoisie n’est que trop heureuse de jouer à l’unisson de cette mystification démocratique contre la classe ouvrière qui repose sur l’idée que la démocratie est progressiste, qu’elle est un remède à tous les malheurs en affirmant que les très mauvaises conditions de vie de la majorité de la population indienne peuvent être améliorées en élisant un autre gouvernement. De plus, cette idéologie s’accompagne d’une forte propagande nationaliste. Bien entendu, tous les partis bourgeois promettent que les choses iront mieux s’ils sont élus, mais cela est totalement impossible dans les conditions historiques actuelle du capitalisme. Toutes les promesses de prospérité et de libertés démocratiques sont des mensonges cherchant à masquer la dictature du capital et sa faillite. D’ailleurs, malgré un taux de croissance économique annuel moyen de 8 %, les travailleurs souffrent toujours davantage d’années d’exploitation et d’une pauvreté effroyable. Le gouvernement exige pourtant que les travailleurs serrent encore davantage les dents et acceptent encore de nouvelles attaques. Modi demande aux travailleurs du BJP de « faire également des sacrifices pour le pays ». Il mène aussi une croisade religieuse, divisant les travailleurs, favorisant un repli ethnique opposant hindous, chrétiens, sikhs et musulmans. Ces derniers sont présentés comme la cinquième colonne en Inde. Le Cachemire et le Jammu, où vivent presque exclusivement des musulmans, sont soumis à une sorte de loi martiale. Dans le reste du pays, les musulmans, qui représentent 15 % de la population, sont pourchassés par les suprémacistes hindous. Du point de vue des intérêts de la bourgeoisie dans son ensemble, une telle politique est complètement irrationnelle, car au lieu de renforcer la cohésion de la nation, l’une des fonctions principales de l’État, elle l’affaiblit en alimentant un désordre meurtrier.
Contrairement à une personnalité comme Indira Gandhi, qui n’à jamais avancé le projet de faire de l’Inde une « nation hindoue » Modi s’appuie sur de nombreuses milices de terrain en semant partout la terreur. Ainsi, non seulement son gouvernement ne parvient pas à apporter la prospérité et le développement promis, mais il apporte également davantage d’instabilité : sa politique élargit les fissures et accroît les tensions dans la société. En 2023, 428 incidents ont été enregistrés dans 23 États, notamment des intimidations communautaires, des violences envers les vaches sacrées et des lynchages.6 La Cour suprême indienne a signalé à juste titre que la violence des fondamentalistes hindous était en train de devenir « la nouvelle norme ». L’Inde est en train de devenir une poudrière sociale de plus en plus dangereuse, comme l’a affirmé l’évaluation statistique des risques 2023-24, révélant que l’Inde se classe au cinquième rang des pays les plus à risque de massacres parmi les 166 répertoriés.
Face à cette situation catastrophique et aux menaces liées à l’instabilité croissante, seule les travailleurs qui font partie de la classe ouvrière internationale sont capables d’avancer une alternative Au cours des cinq dernières années, les travailleurs de différents secteurs ont mené une lutte sur leur propre terrain : dans le secteur de la santé, des transports, dans l’automobile, dans les différents secteurs agricoles, parmi les employés des banques publiques, ainsi que les travailleurs du textile. Il y a même eu trois grèves à l’échelle de l’Inde où les travailleurs hindous et musulmans se sont battus côte à côte. Mais la classe ouvrière en Inde est isolée et n’a pas la conscience de classe et l’expérience de la classe ouvrière d’Europe occidentale ou des États-Unis. Le poison de la campagne idéologique bourgeoise en cours martelant le slogan « les hindous d’abord » (et tous les autres ensuite) et la propagande démocratique qui l’accompagne constituent un obstacle à la reconquête de son identité de classe. Néanmoins, les travailleurs indiens ont montré qu’ils sont capables malgré les campagnes bourgeoises nauséabondes de lutter contre la détérioration de leurs revenus, non pas en termes de religion, de caste ou d’appartenance ethnique, mais en tant que classe dont les intérêts sont partout les mêmes : l’opposé de ceux de la classe exploiteuse, et qui possède la capacité de développer ses luttes à l’échelle mondiale pour la destruction du système capitaliste
D/WH
1Lire sur notre site l’article : La gauche du capital ne peut pas sauver ce système à l’agonie.
2Modi n’a probablement pas formellement prononcé ce slogan, mais c’est le discours de son parti, le BJP.
3Respectivement : les partis du nouveau ministre en chef de l’État fédéral de l’Andhra Pradesh, N. Chandrababu Naidu et celui du ministre en chef chef de l’État fédéral du Bihar Nitish Kumar.
4Il s’agit du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) (“organisation patriotique nationale”, une organisation paramilitaire de nationalistes hindous au riche palmarès d’émeutes sanglantes et meurtrières.
5Quotidien indien de langue anglaise.
6Voir : Rising Tide of Hate [24] : India's Decade of Increasing Communal Violence and Discrimination [24], 6 juin 2024.
Avec la publication du dernier texte du camarade Steinklopfer, et la réponse qui suit ici, nous poursuivons, avec un peu de retard, le débat interne sur la situation mondiale et ses perspectives auquel on peut accéder dans un dossier de contributions remontant au 23e congrès du CCI en 2019[1] . Le premier échange de ce débat, sous le titre "Débat interne au sein du CCI sur la situation internationale", publié en août 2020, exposait les principales divergences, entre l'organisation et les camarades en désaccord, autour de l'évolution des antagonismes impérialistes et du rapport de force entre les classes, le camarade Steinklopfer discernant une tendance marquée à la formation de nouveaux blocs impérialistes et à une Guerre mondiale, sur la base d'une évaluation différente de celle du CCI concernant les défaites subies par la classe ouvrière dans les années 1980 et la capacité de cette dernière à entraver la marche vers la guerre mondiale. Mais il abordait également les causes sous-jacentes et les conséquences ultimes de la phase de décomposition.
À travers les deux textes suivants, "Explication des amendements du camarade Steinklopfer rejetés par le Congrès" et "Réponse au camarade Steinklopfer -août 2022", le débat a approfondi notre compréhension de la décomposition ; pour l'organisation, les positions développées par Steinklopfer tendaient à remettre en cause ce concept théorique, même si le camarade prétendait le défendre encore. En mai 2022, nous avons publié une contribution du camarade Ferdinand, qui avait voté pour les amendements proposés par le camarade Steinklopfer. Cet article portait sur l'approche du CCI concernant l'émergence de la Chine en tant que puissance mondiale, et la réponse de l'organisation, "Réponse à Ferdinand", était pour une grande partie destinée à répondre à ce que Ferdinand considérait comme notre sous-estimation de ce développement historique indubitablement important, un développement qui est à nouveau au cœur de la dernière contribution de Steinklopfer et de notre réponse. Dans les deux réponses du CCI, nous avons soutenu que, malgré certaines erreurs initiales, notre reconnaissance de l'importance historique de l'essor de la Chine est claire, la différence portant sur la façon dont nous l'interprétons dans le contexte de la phase terminale du capitalisme.
Nous invitons nos lecteurs à revenir sur ces articles afin de suivre les principaux fils du débat, qui a des implications très concrètes sur notre capacité à analyser les dangers réels auxquels sont confrontés la classe ouvrière et l'ensemble de l'humanité, et à comprendre pleinement à la fois le rôle de la classe ouvrière en tant que pôle alternatif à la barbarie capitaliste et la fonction de l'organisation révolutionnaire dans les conditions actuelles de la lutte prolétarienne.
Il est toujours plus évident que la civilisation capitaliste est à bout de souffle et qu’elle menace de plus en plus la survie de l’humanité. Les fractions les plus intelligentes de la classe dominante le reconnaissent déjà à travers leur notion de «polycrise» mettant en lien les pandémies, l’effondrement économique et écologique ainsi que la prolifération de guerres et de tensions militaires[2] . Pour les différentes composantes du milieu révolutionnaire marxiste, qui ont depuis plus d’un siècle maintenant mis en lumière l’alternative "socialisme ou barbarie", le glissement vers la barbarie devient de plus en plus concret. Mais il existe des divergences importantes entre les organisations de la gauche communiste concernant la forme et la trajectoire précises de ce glissement aujourd'hui, et donc sur les dangers les plus urgents auxquels sont confrontés la classe ouvrière et l'humanité dans son ensemble. La majorité de ces groupes affirment que nous assistons à la formation d'alliances ou de blocs impérialistes stables dominés par un leader incontesté, et donc à une trajectoire définie vers une nouvelle guerre mondiale. Cela implique également que la classe dirigeante a désormais la capacité de mobiliser la classe ouvrière -à l'échelle mondiale- pour l'enrôler dans l'effort de guerre de ces hypothétiques blocs concurrents. En particulier, tant l'organisation que les camarades en désaccord acceptent l'idée que le conflit impérialiste primordial sur la planète oppose les États-Unis à son nouveau challenger, la Chine, et que, surtout depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, il existe un danger croissant d'affrontements militaires non seulement entre des États impérialistes secondaires ou tertiaires, mais aussi entre les grandes puissances elles-mêmes. Nous pouvons également noter que le débat a clarifié certaines interprétations erronées de notre application du concept de décomposition. Par exemple, comme le note le camarade Steinklopfer dans son texte le plus récent : "Une autre clarification est la réponse qu'il apporte à ma critique selon laquelle le CCI considère désormais le "chacun contre tous" impérialiste comme une sorte de deuxième explication principale à l'entrée du capitalisme en décomposition. L'article explique que le CCI considère ce chacun contre tous comme un facteur contributif et non comme une cause de la décomposition. Je l'ai compris maintenant camarades, vous n'entendrez plus cette critique de ma part".
Néanmoins, il reste des désaccords fondamentaux entre les deux points de vue, concernant les implications de la tendance au "chacun pour soi" dans les relations impérialistes, et la capacité de la bourgeoisie à mobiliser la classe ouvrière pour la guerre. Et comme nous essaierons de le montrer à nouveau dans cet article, les positions adoptées par Steinklopfer dans sa contribution la plus récente tendent encore à remettre en cause les fondements de la notion de décomposition du CCI.
Pour Steinklopfer, le changement le plus important survenu depuis 1990 est l'émergence de la Chine en tant que véritable challenger des États-Unis. Comme il le dit dans sa dernière contribution :
Comme nous le disons dans notre actualisation de "Militarisme et décomposition (mai 2022) [28] –Revue internationale 168), lorsque nous avons analysé les possibilités de formation de nouveaux blocs impérialistes en 1990, nous n'avons pas pris en compte la montée en puissance de la Chine sur le plan économique et impérialiste. Il s'agit certainement d'une évolution d'une importance énorme et il ne fait aucun doute que, contrairement aux candidats que nous avions envisagés à l'époque (l'Allemagne et le Japon), la Chine s'est révélée être un challenger plus crédible à la domination mondiale des États-Unis. Malgré leurs profondes divisions, toutes les principales factions de la bourgeoisie américaine reconnaissent la nécessité de bloquer l'ascension de la Chine et, au moins depuis l'administration Obama, ont élaboré une stratégie d'encerclement de la Chine par le biais d'alliances militaires telles qu'AUKUS et la Quad, d'une pression économique croissante et de la tentative d'affaiblir l'"ami" militaire le plus puissant de la Chine, la Russie, en l'entourant de pays membres de l'OTAN et en la poussant à riposter en Ukraine. La Chine a elle aussi sa stratégie pour atteindre l'hégémonie mondiale, en renforçant sa puissance économique sur une longue période, en élargissant sa présence commerciale (et militaire) grâce à la construction des "nouvelles routes de la soie", et en se préparant ainsi aux confrontations impérialistes plus directes du futur.
Cependant, la réalité de cette "bipolarisation" entre les États-Unis et la Chine, et l'existence réelle de ces stratégies impérialistes à plus long terme, ne signifient pas que nous serions maintenant beaucoup plus avancés vers la constitution de nouveaux blocs impérialistes que nous ne l'étions en 1990. Certes, la Chine constitue maintenant un concurrent sérieux pour le rôle de leader du bloc, mais en même temps, s'est également renforcée la contre-tendance du chacun pour soi au niveau des relations internationales, et au sein des bourgeoisies nationales. L'imprévisibilité de la vie politique de la classe dirigeante américaine en est un signe clair. Une victoire de Trump lors des prochaines élections mettrait à mal la stratégie de l'administration actuelle vis-à-vis de la Chine en adoptant une attitude beaucoup plus conciliante à l'égard de la Russie, contrairement aux efforts actuels des États-Unis pour faire pression sur la Russie et affaiblir sa capacité à agir en tant qu'allié militaire sérieux de la Chine.
Trump donnerait également les coudées franches à Israël pour poursuivre sa politique de la terre brûlée au Moyen-Orient, ce qui ne peut avoir pour résultat que d'intensifier l'instabilité et la barbarie dans toute la région ; et l'attitude du "payez ou sinon", de Trump à l'égard des pays de l'OTAN, réduirait à néant les efforts de Biden pour ramener l'OTAN dans le giron militaire américain. Mais même si Biden gagne, cela n'améliorera pas substantiellement la capacité des États-Unis à imposer leur volonté à Israël ou à discipliner leurs "alliés" en Europe, où de puissantes forces centrifuges sont en gestation. Si la guerre en Ukraine, à première vue, semblait se conformer au modèle de deux camps clairement définis, typique de la période 1945-89, la guerre au Moyen-Orient et l'attaque terroriste IS-K à Moscou, exprimant une nouvelle menace aux frontières asiatiques de la Russie, ont notamment mis en lumière la nature véritablement chaotique des conflits inter-impérialistes d'aujourd'hui.
De leur côté, les rêves de la Chine de forger une alliance solide contre les États-Unis se heurtent également à des obstacles importants. La période de son "miracle économique" touche à sa fin sous le poids d'une vaste accumulation de dettes ; ces faiblesses économiques, associées à l'instabilité croissante au Moyen-Orient et ailleurs, menacent l'avenir de l'ensemble de son projet de "route de la soie" ; alors que dans le même temps, la puissance économique incontestable de la Chine rend tous ses voisins et alliés potentiels, y compris la Russie, extrêmement méfiants à l'idée de se soumettre à une nouvelle forme de domination chinoise.[3]
Bien entendu, plus les États-Unis intensifieront leur encerclement de la Chine, plus cette dernière sera poussée à se venger, notamment en envahissant Taïwan, ce qui provoquerait nécessairement une réponse militaire de la part des États-Unis, avec des risques d'escalade nucléaire non moins importants et peut-être même plus importants que ceux qui sont actuellement inscrits dans la guerre en Ukraine. Le camarade Steinklopfer se félicite que la réponse précédente qui lui a été adressée reconnaisse "que le danger de conflits atomiques incontrôlés est plus grand que pendant la guerre froide - et que ce danger continue de croître". Mais pour nous, de telles catastrophes incontrôlées sont profondément ancrées dans le processus même du chacun pour soi, du chaos impérialiste croissant, et sont donc tout à fait compatibles avec l'analyse théorique de la décomposition. Pour Steinklopfer, en revanche, la formation de blocs et une marche "contrôlée" vers la guerre mondiale ne contredisent pas la théorie de la décomposition :
Mais notre position sur la possibilité de nouveaux blocs (développée non pas tant dans les Thèses sur la décomposition que dans le texte d'orientation Militarisme et décomposition (octobre 1990) [28], publié en octobre 1990 ) ne se limitait pas au truisme selon lequel les blocs sont, en dernière analyse, le produit de la concurrence capitaliste, mais soutenait qu'en plus de l'absence d'un véritable candidat pour un nouveau leader, le désordre croissant de la nouvelle phase constituait lui-même une contre-tendance à la formation de nouveaux blocs. Dans la nouvelle période, citant le fait que "les tendances centrifuges entre tous les États, suite à l'exacerbation des antagonismes nationaux, ne peuvent qu'être accentuées", il poursuit :
En quelques années, comme indiqué précédemment, nous avions conclu que, loin de maintenir un minimum d'ordre, le recours croissant des États-Unis à la force militaire, surtout en Afghanistan et en Irak, était devenu un facteur principal d'extension et d'intensification du désordre, et ce bien avant l'accélération marquée de la décomposition et du chaos dans les années 2020.
Nous pouvons ajouter qu'il est sûrement significatif que le camarade Steinklopfer ne mentionne pas le fait que l'événement fondateur qui a permis de parler de la décomposition comme d'une phase qualitativement nouvelle dans la vie du capitalisme était précisément l'effondrement d'un bloc impérialiste entier sans guerre mondiale - une expression profonde du processus de "désintégration intérieure" (pour reprendre le terme utilisé pour définir la nouvelle époque de décadence lors du congrès fondateur du Comintern en 1919) qui s'est imposée dans la phase finale de cette époque.
Ce que les Thèses sur la décomposition montrent clairement, et nous le répétons, c'est que la société se putréfie, se désagrège, parce qu'aucune des deux classes n'est capable d'offrir une perspective pour le futur ; et pour la classe dirigeante, il s'agit de la capacité d'unir la société derrière cette perspective, comme ce fut le cas pendant les années de la contre-révolution, lorsque la classe ouvrière avait subi une défaite frontale et historique. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous examinerons la situation du prolétariat mondial aujourd'hui, mais nous devons d'abord examiner une question qui contribue davantage à la surestimation par le camarade de la capacité de la bourgeoisie à maintenir son contrôle sur la société : la question de l'écologie, de la destruction capitaliste de la nature.
Dans l'Idéologie allemande de 1845 -alors que le capitalisme avançait vers son zénith- Marx et Engels prévoyaient déjà que "Dans le développement des forces productives, il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation qui ne peuvent être que néfastes dans le cadre des rapports existants et ne sont plus des forces productives, mais des forces destructrices (le machinisme et l'argent)". Dans leur impatience de voir la révolution prolétarienne, ils considéraient ce changement de qualité comme plus ou moins imminent. Ils ont rapidement tiré les leçons des révolutions de 1848 et conclu que le capitalisme avait encore du temps devant lui avant que sa crise historique n'ouvre la porte à la révolution communiste ; mais Marx en particulier est revenu sur cette question vers la fin de sa vie, dans ses recherches sur les anciennes formes communautaires et les problèmes croissants du "métabolisme" de l'homme avec la nature, se demandant -face à la nécessité de répondre aux questions posées par les révolutionnaires en Russie- s'il serait nécessaire que chaque pays passe par les feux du développement capitaliste, avec toutes ses conséquences destructrices, avant qu'une révolution mondiale ne devienne une possibilité réelle. Là encore, la conquête effective du globe par l'impérialisme dans la dernière partie du XIXe siècle a montré que le processus de destruction brutale des formes précapitalistes et de pillage des ressources naturelles était inéluctable. Mais cette course effrénée n'a fait qu'accélérer le moment où le capitalisme a plongé dans son époque de "désintégration intérieure", signalée par le déclenchement de la Première Guerre mondiale, lorsque la révolution s'est présentée non seulement comme possible mais comme une nécessité si l'humanité voulait éviter une régression catastrophique.
Contre de nombreuses interprétations erronées, le CCI a toujours insisté sur le fait que la décadence du capitalisme ne signifie pas un arrêt du développement des forces productives, et peut même inclure un développement prodigieux dans certaines branches de la production. Cependant, précisément parce que la survie continue du capitalisme a été un fardeau sur le dos de l'humanité qui devient de plus en plus lourd au fil des décennies, nous voyons de plus en plus les forces productives du capital se transformer en forces destructrices. L'expression la plus évidente de ce changement est le développement du cancer du militarisme -une économie de guerre permanente pour répondre aux besoins d'une guerre impérialiste quasi-permanente. Ceci est classiquement illustré par l'avènement des armes nucléaires, dans lesquelles les progrès les plus profonds de la science ont été rassemblés pour produire des armes qui pourraient facilement détruire toute vie sur Terre, une sinistre réalisation des mots de Marx dans son discours à l'anniversaire du Journal du Peuple, en avril 1856 : "L'humanité acquiert la maîtrise de la nature, mais, en même temps, l'homme devient l'esclave des hommes et de sa propre infamie. La pure lumière de la science elle-même semble avoir besoin, pour resplendir, du contraste de l'ignorance. Toutes nos découvertes et tout notre progrès ont pour résultat, semble-t-il, de doter les forces matérielles d'une vie intelligente et de ravaler l'homme au niveau d'une simple force matérielle."[4]
Autre exemple frappant : le développement spectaculaire de l'informatique, d'internet et de l'intelligence artificielle. Potentiellement un moyen de raccourcir la journée de travail et de supprimer les travaux répétitifs et épuisants, le capital décadent s'est emparé de l'ordinateur et d'Internet pour brouiller la distinction entre vie professionnelle et vie privée, pour licencier massivement, pour diffuser les intoxications idéologiques les plus pernicieuses, tandis que la généralisation de l'intelligence artificielle -même si ses dangers potentiels peuvent être délibérément exagérés pour cacher des dangers plus imminents résultant de la production capitaliste- apparaît désormais non seulement comme une menace pour l'emploi, mais comme un moyen potentiel de remplacement et de destruction de l'espèce humaine.
Dans la réponse du camarade Steinklopfer, en revanche, le côté destructeur du "développement des forces productives" du capitalisme semble être gravement sous-estimé. Ainsi, pour lui, la transformation de millions de paysans en ouvriers par le miracle économique chinois, accompagnée de l'urbanisation frénétique de tout le pays, ne semble être qu'un gain pour la future révolution prolétarienne : "Au cours des 30 dernières années, c'est jusqu'à un demi-milliard de paysans en Chine qui ont été prolétarisés, ce qui constitue de loin le développement numérique le plus massif du prolétariat dans l'histoire du capitalisme. De plus, ce nouveau prolétariat gigantesque est, dans une large mesure, très habile, éduqué et inventif. Quel gain pour les capacités productives de l'humanité ! Quel potentiel surtout pour l'avenir !"
La classe ouvrière mondiale, en avançant vers la révolution, exploitera certainement le potentiel de ces nouvelles masses prolétariennes. Mais Steinklopfer ne mentionne pas le fait que l'industrialisation et l'urbanisation rapides de la Chine au cours des dernières décennies ont également été un facteur d'accélération de la crise écologique mondiale, y compris la gestation de pandémies comme l'explosion du Covid 19. Comme l'expliquent les "Thèses sur la décomposition", la prolongation de la vie du capital dans la phase de décomposition ne doit absolument pas être considérée comme une condition préalable nécessaire à la révolution prolétarienne mondiale. Au contraire, elles insistent sur le fait que la décomposition est essentiellement un facteur négatif dans le développement de la conscience de classe prolétarienne, tandis que la "mondialisation" du capital alimentée par la dette au cours des dernières décennies menace avant tout de saper les bases naturelles d'une future société communiste. Une fois de plus, nous pensons qu'il s'agit là d'une preuve supplémentaire que Steinklopfer, bien qu'il prétende être d'accord avec les thèses sur la décomposition, s'y oppose en réalité au niveau le plus essentiel.
Une autre preuve de la sous-estimation de la question écologique par Steinklopfer se trouve dans ce passage : "Bien que nous ne devions certainement pas sous-estimer les dangers gigantesques découlant de la relation destructrice du capitalisme avec la nature (dont la guerre impérialiste est une partie essentielle), il est tout à fait possible que la société bourgeoise -par ses manipulations technologiques et autres- puisse repousser l'extinction de notre espèce par des crises environnementales pour les 50 ou cent prochaines années (au prix d'une barbarie innommable, par exemple d'éventuels génocides contre les mouvements de réfugiés climatiques".
Dans cette optique, la destruction de la nature semble agir en quelque sorte "en parallèle" à la poussée guerrière, même si le camarade reconnaît que la guerre impérialiste en fait partie. Mais ce qui a été souligné par le CCI, en particulier depuis le début de la présente décennie, c'est l'interaction croissante entre la crise écologique et la guerre impérialiste : une démonstration lucide en est fournie par le coût écologique des guerres actuelles en Ukraine et au Moyen-Orient (augmentation rapide des émissions toxiques, menace de destruction de l'agriculture et de famine, danger de pollution nucléaire et d'autres formes de pollution, réduction des mesures "vertes" prévues par les gouvernements occidentaux afin de dédier plus de ressources à la guerre, etc.). Simultanément, l'épuisement des ressources naturelles et la course à l'exploitation des sources d'énergie restantes ne peuvent qu'exacerber la concurrence nationale et donc militaire. Nous pouvons également ajouter qu'un certain nombre d'études scientifiques ont montré que les "solutions technologiques" proposées par le capitalisme pour lutter contre le changement climatique (telles que l'injection massive de dioxyde de soufre dans la haute atmosphère terrestre afin d'épaissir artificiellement la couche de particules d'aérosols réfléchissant la lumière, ou l'idée de la bioénergie avec capture et stockage du carbone - BECCS) sont plus que susceptibles d'exacerber le problème à plus ou moins long terme.[5]
Nous avons déjà évoqué l'incapacité de la bourgeoisie à mobiliser la classe ouvrière des pays capitalistes centraux en vue d'une guerre mondiale. À un premier niveau, cela s'exprime par la résistance continue de la classe ouvrière aux tentatives de la bourgeoisie de réduire le niveau de vie dans "l'intérêt national", c'est-à-dire les intérêts impérialistes de l'État-nation. Mais le problème auquel est confrontée la bourgeoisie est également d'ordre idéologique. Pour rassembler différents pays autour d'un bloc impérialiste, il faut un ciment idéologique unificateur, comme l'antifascisme et la défense de la démocratie dans les années 30 et 40. À cette "idéologie de bloc" globale ont rapidement succédé, à la fin des années 40 et au cours des décennies suivantes, les fables de l'"antitotalitarisme" à l'Ouest et de la "défense de la patrie socialiste" à l'Est, bien qu'il faille dire que la capacité de la classe dirigeante de l'Ouest à changer d'ennemi, de l'Allemagne nazie à la Russie stalinienne, et à s'en tirer, n'aurait pas été possible si la contre-révolution n'avait pas encore battu son plein. En tant que force unificatrice, elle n'avait pas le pouvoir de l'antifascisme, car l'influence de l'idéologie stalinienne sur la classe ouvrière en Occident était encore forte à cette époque. Quoi qu'il en soit, l'un des signes que la période contre-révolutionnaire touchait à sa fin dans les années 1960 était la tendance de la classe ouvrière à se détacher de certains des principaux thèmes de l'idéologie bourgeoise. L'une des expressions de ce phénomène a été le développement de ce que l'on appelle le "syndrome du Vietnam" aux États-Unis, un aveu ouvert de l'incapacité de la classe dirigeante à poursuivre la mobilisation directe de la jeunesse prolétarienne au nom de l'"endiguement du communisme".
En cette période de décomposition, il est évident que la classe dirigeante des pays centraux manque sérieusement d'une idéologie qui pourrait servir à convaincre la classe ouvrière qu'il vaut la peine et qu'il est nécessaire de se sacrifier sur les autels de la guerre impérialiste. La "guerre contre la terreur", conçue expressément aux États-Unis pour remplacer l'anticommunisme comme justification de la guerre, s'est soldée par les fiascos de l'Afghanistan et de l'Irak et a donné naissance à encore plus de formes de terrorisme, comme l'État islamique. Il est vrai que l'appel à défendre la démocratie contre les "autocraties" en Russie, en Chine, en Iran et en Corée du Nord a été ressorti de la naphtaline, mais étant donné l'extrême scepticisme à l'égard du "processus démocratique" dans les pays avancés, il y a encore du chemin à parcourir avant qu'une nouvelle croisade pour la démocratie puisse être utilisée par la bourgeoisie pour huiler les rouages de la machine de guerre ; et bien que ce scepticisme soit en grande partie pris en main par les forces du populisme plutôt que par une critique prolétarienne de la démocratie, le populisme lui-même n'est pas plus efficace en tant qu'idéologie de guerre, car il est un produit direct de la décomposition et des fractures de la classe dirigeante qui en résultent ; et il ne peut s'alimenter qu'en attisant davantage ces divisions, réelles ou imaginaires (guerres culturelles, dénonciation des élites, transformation des immigrés en bouc-émissaires, etc.) Il n'est pas chargé de guider les grands États-nations dans un effort de guerre (ce qui n'exclut pas, bien sûr, le recours à des actes de guerre hautement "irresponsables" lorsqu'il s'empare des rênes du gouvernement).
Nous pourrions ajouter que le leader potentiel d'un nouveau bloc -la Chine- est beaucoup trop dépendant de sa méthode de gouvernement soit par la répression flagrante, soit par la pression économique, tout en manquant de la force idéologique nécessaire pour attirer d'autres forces mondiales dans son orbite. Ce que les commentateurs bourgeois aiment appeler le "capitalisme léniniste" est beaucoup moins efficace à ce niveau que les proclamations "socialistes" et "anti-impérialistes" de l'ex-URSS ou de la Chine elle-même sous Mao.
Ce sont des problèmes réels pour la bourgeoisie d'aujourd'hui, mais ils brillent par leur absence dans les arguments de Steinklopfer.
La réponse du camarade Steinklopfer aborde bien sûr la question des défaites subies par la classe ouvrière en évaluant la capacité de la classe dirigeante à entrer en guerre. Il expose sa position dans la deuxième partie de sa réponse (point 4) :
En réalité, l'organisation n'a pas découvert l'idée de défaites il y a quelques années lorsque la réponse précédente à Steinklopfer a été écrite, et elle pensait que le simple fait de parler de défaites était "défaitiste", elle devrait se critiquer pour cela. Comme nous l'avons dit dans la réponse précédente, le CCI a toujours adhéré à cette citation de Rosa Luxemburg : "la révolution est la seule forme de "guerre" -et c'est une autre loi particulière de l'histoire- dans laquelle la victoire finale ne peut être préparée que par une série de "défaites"" ("L'ordre règne à Berlin", 1919). Dans les années 1980, par exemple, nous avons écrit sur la grave défaite de la grève de masse en Pologne et de la grève des mineurs en Grande-Bretagne. La résolution sur le rapport de forces entre les classes du 23e congrès explique clairement que cette dernière s'inscrivait dans une contre-offensive globale de la classe dominante qui, avec les effets croissants de la décomposition sur la classe ouvrière, explique son incapacité à faire avancer la troisième vague de luttes depuis 1968, ce qui a certainement exacerbé l'énorme impact des campagnes idéologiques autour de l'effondrement du bloc de l'Est en 1989.
La question qui nous oppose ici n'est pas de savoir si l'on parle ou non de défaites, mais de la nature, de la qualité de ces défaites. Pour nous, la notion même de décomposition est fondée sur l'argument selon lequel la classe des pays avancés, à aucun moment depuis les années 80, n'avait subi une défaite frontale, historique, comparable à ce qu'elle avait vécu dans les années 20, 30 et 40. C'est pourquoi nous avons parlé d'une impasse et non d'une victoire de la bourgeoisie. C'est pourquoi nous soutenons toujours que les conditions préalables à la mobilisation de la classe pour une guerre mondiale restent les mêmes. Selon nous, la preuve de cette absence de défaite historique et de la capacité continue du prolétariat à répondre à la crise capitaliste est fournie par la rupture de la lutte des classes qui se poursuit depuis les mobilisations du prolétariat en Grande-Bretagne à l'été 2022 et qui n'a pas faibli. Le camarade Steinklopfer ne mentionne pas ces événements historiquement importants dans son texte. Il est vrai que celui-ci a été écrit en septembre 2022, avant que la reprise des luttes ne soit confirmée par l'éclosion de mouvements dans d'autres pays (notamment en France) mais, même à l'automne 2022, il aurait été possible de faire une évaluation préliminaire du mouvement en Grande-Bretagne et de l'analyse qu'en fait l'organisation - plus particulièrement de notre insistance sur le fait que ces luttes marquent le début de la récupération de la perte de l'identité de classe mentionnée dans la réponse de Steinklopfer.
Dans les deux parties de la réponse du camarade Steinklopfer, figurent deux points sur la question spécifique de la conscience de classe. Dans la première partie, il reprend nos critiques à son idée selon laquelle, au lieu d'assister à une "maturation souterraine" de la conscience de classe, nous vivons en réalité un processus de "régression souterraine".
Pour commencer, la réponse du camarade fait fausse route lorsqu'il demande "la maturation souterraine est-elle toujours un processus linéaire et accumulatif" ? Nous n'avons jamais parlé de la maturation de la conscience dans la classe, qu'elle soit ouverte ou cachée, au grand jour ou souterraine, comme d'un processus linéaire qui doit toujours aller de l'avant. Ce que nous avons dit depuis que nous avons commencé à utiliser cette idée dans les années 1980, c'est que, même dans les périodes où stagne la conscience dans la classe, la conscience de classe, la conscience communiste, peut s'approfondir et progresser grâce aux activités théoriques des révolutionnaires, comme elle l'a fait dans les années 1930 par exemple grâce au travail des fractions de gauche. En même temps, nous avons soutenu qu'un tel processus de maturation ne se limite pas à la réflexion et à l'élaboration des organisations politiques, mais peut aussi se développer à une échelle beaucoup plus large, surtout dans les périodes où la classe ouvrière n'a pas été écrasée par la contre-révolution. À notre avis, les mouvements de grève actuels témoignent précisément d'un tel processus, qui n'est pas seulement une réponse aux attaques immédiates auxquelles la classe est confrontée, mais la manifestation d'un mécontentement qui s'est accumulé pendant des années ("trop c'est trop"), et qui a également donné des signes d'une réapparition de la mémoire ouvrière, comme dans les références aux luttes de 1968 et de 2006 dans le mouvement en France. Parallèlement à cela, on voit apparaître des éléments plus directement politisés à la recherche de positions claires, notamment autour du problème de l'internationalisme. Tels sont les fruits d'une véritable croissance souterraine et les révolutionnaires commettraient une grave erreur en ne les remarquant pas. Enfin, s'il est vrai qu'une partie de la gauche communiste "régresse" dans l'opportunisme ou reste paralysée par des formules dépassées, nous ne pensons pas que le CCI lui-même soit victime d'une telle stagnation ou d'un tel retour en arrière, même si le combat contre l'influence de l'idéologie dominante est nécessairement permanent pour toutes les organisations révolutionnaires.
Le deuxième point concerne le lien entre les différentes dimensions de la lutte des classes : économique, politique et théorique.
Bien qu'affirmant l'unité de ces trois dimensions, nous pensons que le camarade persiste en fait à isoler l'économique des aspects politiques et théoriques. Les luttes du prolétariat ne sont pas restées sur le plan purement économique après les jours grisants de mai-juin 68 à Paris. Le côté inévitablement politique de tout mouvement de grève digne de ce nom était déjà affirmé par Marx et Engels dans la période ascendante, mais c'est encore plus vrai à l'époque de la décadence où la tendance de la lutte est de se heurter au pouvoir de l'État. Les travailleurs polonais de 1976 et 1980 le savaient parfaitement, tout comme les mineurs britanniques en 1972,74 et 84. Le problème, bien sûr, est que la possibilité de pousser plus loin cette politisation implicite a été et continue d'être entravée par la domination idéologique de la bourgeoisie, activement imposée par les forces chargées de maintenir la lutte des classes sous contrôle, en particulier les syndicats et les partis de gauche. Mais il n'en reste pas moins que la nécessité de développer une vision plus large et plus profonde de l'orientation de la lutte des classes, en la reliant à l'ensemble de l'avenir de l'humanité, nécessite le stimulus de la crise économique et la volonté des travailleurs de se battre sur leur propre terrain. Cette approche a déjà été mise en avant dans les parties finales des Thèses sur la décomposition, et est confirmée une fois de plus par le renouveau actuel des luttes de classe qui font les premiers pas vers la récupération de l'identité de classe, en trouvant une voie à travers le brouillard de confusion créé par le populisme, la politique identitaire et les mobilisations interclassistes. Et le combat pour faire avancer la dimension politique et théorique de ces mouvements revient plus spécifiquement à l'organisation révolutionnaire. D'autre part, la tendance à séparer la dimension économique de la dimension politique de la lutte des classes, que nous pouvons encore discerner dans le texte de Steinklopfer, a toujours été le premier pas vers la vision moderniste qui voit la classe ouvrière piégée dans sa résistance purement économique, voire pleinement intégrée à la société bourgeoise. En même temps, à part souligner la nécessité pour l'organisation révolutionnaire de développer ses armes théoriques (ce que personne ne désapprouve en soi), l'ensemble des implications pour notre activité militante - défense et construction de l'organisation, intervention dans la lutte des classes -reste inexploré dans les contributions de Steinklopfer et Ferdinand, et devrait être approfondi dans la discussion si on veut qu'elle avance.
Amos, avril 2024
[1] Dossier: Internal debate on the world situation [29], ICC Online.
[2] See Update of the Theses on Decomposition (2023) [30], International Review 170
[3] Steinklopfer n'est pas d'accord pour dire que les États-Unis ont poussé la Russie à envahir l'Ukraine parce qu'une telle tactique contient le risque d'une escalade nucléaire. Mais de tels risques n'ont jamais empêché le bloc occidental de s'engager dans la même stratégie d'encerclement et de provocation contre l'URSS pendant la guerre froide -une stratégie que les États-Unis considèrent comme un grand succès, puisqu'elle a conduit à l'effondrement de l'"Empire du Mal" sans conflit militaire mondial. Comme Steinklopfer le dit lui-même, "le monde est entre les mains d'imbéciles" , tout à fait prêts à risquer l'avenir de l'humanité pour défendre leurs intérêts impérialistes.
[4] Les révolutions de 1848 et le prolétariat [31]. K. Marx.
[5] Voir par exemple la critique des solutions technologiques proposées par Jason Hickel, dans "Less is More, How Degrowth will save the world", 2020. Hickel critique également de façon convaincante les idées du "Green New Deal" de la gauche. Mais les théoriciens de la "décroissance" - y compris le "communisme de la décroissance" de Kohei Saito - restent encore dans l'horizon du capitalisme, comme nous visons à le montrer dans un prochain article.
La montée du populisme est un produit direct de la décomposition du capitalisme et a créé de profondes divisions au sein de la classe dirigeante. Aux États-Unis, le Parti démocrate semble paralysé dans ses efforts pour empêcher Trump de revenir à la présidence, une issue qui accélérerait le glissement vers le chaos tant aux États-Unis qu’à l’échelle internationale. En France et en Grande-Bretagne, l’histoire est un peu différente, avec Macron et le « Nouveau Front populaire » qui s’allient pour bloquer l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national, et le Labour qui écrase un parti Tory profondément gangrené par le populisme. Malgré cela, les forces du populisme et de l’extrême droite continuent de croître sur le terreau d’une société en décomposition.
La CCI organisera une réunion publique internationale en ligne pour discuter de cette situation parce que nous pensons qu’il est vital :
– d’analyser et comprendre les conflits entre les différentes factions de l’ennemi de classe
– Dénoncer les principales attaques idéologiques qui accompagnent ces événements, notamment la « défense de la démocratie contre le fascisme "
– Dégager les véritables intérêts de la classe ouvrière face à ces mystifications : ne pas se fier aux urnes ou à l’élection au parlement de partis qui prétendent parler en son nom, mais se défendre par une lutte collective et indépendante, en jetant les bases d’une confrontation politique avec l’ensemble du système capitaliste.
La réunion se tiendra le samedi 20 juillet entre 15h et 18h (heure française).
Si vous souhaitez participer, veuillez nous envoyer un courriel à l’adresse suivante : [email protected] [42]
Les prochaines olympiades qui se dérouleront à Paris du 26 juillet au 11 août, suivies des jeux paralympiques du 28 août au 8 septembre ne semblent pas s’engager sous les meilleurs auspices. Dans un contexte de guerre en Europe et de fortes tensions géopolitiques, de crise économique et d’incertitudes politiques, ces Jeux ont du mal à enthousiasmer les foules. Aux tracasseries ordinaires des Parisiens exposés aux désagréments des préparatifs depuis des mois, il faut ajouter l’énorme hausse des tarifs des transports urbains et, surtout, la véritable « chasse aux pauvres » qui s’est emparée de la capitale.
Afin de pas ternir « l’image de la France » et le grand spectacle programmé aux abords de la Seine, la bourgeoisie a expulsé sans ménagement les « indésirables ». On assiste ainsi à un « déplacement massif et forcé des populations fortement précarisées. Depuis 2021-2022, on a constaté une hausse de 40 % des expulsions des lieux informels (squats, bidonvilles, campements de tentes…) situés à proximité des sites olympiques à Paris et Saint-Denis ainsi que des 25 espaces d’animations en marge des compétitions, dispersés dans la capitale. Sont concernés des personnes migrantes, des mineurs non accompagnés, les sans-abri ou encore les travailleuses du sexe ». (1) Pour l’État, seul compte son image sur la scène internationale !
Le nombre des expulsés s’est même accéléré brutalement à l’approche des échéances olympiques. La « chasse aux pauvres » a conduit à l’ouverture des hypocritement nommés « sas d’accueil temporaires » en régions (Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Besançon, Rouen, Orléans, etc.). En catimini, des cars se succèdent pour déplacer les indésirables vers ces lieux volontairement excentrés. Finalement, bon nombre d’entre eux se retrouvent de nouveau à la rue… mais loin de la « fête du sport » !
Cette entreprise barbare et inhumaine est étroitement liée à une obsession sécuritaire qui conduit aussi l’État à accroître, de manière inouïe, son dispositif de surveillance et de répression. À mesure que s’exacerbe la crise du système capitaliste et les tensions sociales qui l’accompagnent, ce type de manifestations, JO ou autres grandes compétitions internationales, conduisent les forces de répression à quadriller l’espace, déployer des moyens aux proportions inédites, ouvertement totalitaires.
Déjà lors des précédents JO en Europe, ceux de Londres en 2012, le dispositif de sécurité s’apparentait à une véritable opération militaire : « on a compté 12 000 policiers en service et 13 500 militaires disponibles, c’est-à-dire plus que les troupes anglaises déployées en Afghanistan (9500 soldats) ! Plus que les 20 000 soldats de la Wehrmacht à Munich en 1936 ! A cela, on doit ajouter encore 13 300 agents de sécurité privés ! Un dispositif ultra-rapide de missile sol-air avait carrément été installé sur un immeuble, dans une zone densément peuplée, près du principal site olympique pour parachever le bouclier antiaérien ». (2)
Les moyens déployés pour ces nouvelles olympiades seront cependant largement supérieurs. Les besoins journaliers en agents de sécurité ont été estimés de 22 000 à 32 000 et il est même question de mobiliser l’armée ! Mais le caractère inédit est l’usage de la vidéo-surveillance algorithmique, autrement dit, l’exploitation de l’intelligence artificielle pour une surveillance policière hors normes. Cela, avec près de 15 000 vidéo-caméras. (3) Ces caméras sont capables d’analyser les comportements des individus et même potentiellement de collecter des données biométriques. Nul doute que ces dispositifs vont être pérennisés après les JO, comme après à chaque mise en œuvre « exceptionnelle », préparant ainsi à terme l’officialisation de la reconnaissance faciale (pour l’instant pratiquée mais non autorisée). Ce que la Chine a réalisé pour fliquer sa population fait pâlir d’envie tous les États « démocratiques ». D’ailleurs, cette technologie très intrusive a déjà été testée en France dans bon nombre de villes : l’exemple le plus connu étant celui de la ville de Nice.
Nulle illusion à se faire, ces dispositifs « testés » ont clairement pour but de s’installer et anticipent déjà tout mouvement de contestation sociale. Les JO sont une aubaine pour préparer la répression des futures luttes ouvrières !
Bien entendu, face aux inquiétudes et critiques, la bourgeoisie a prétendu que ces JO étaient bénéfiques pour l’emploi et pour l’économie. La réalité est beaucoup moins reluisante. Si certaines bonnes affaires permettent à des entreprises de s’en mettre plein les poches, une grande partie de l’activité correspond à la mobilisation de secteurs improductifs, sans compter les scandales de corruptions qui ont déjà commencé à éclater. Une grande partie de l’activité sera d’ailleurs générée par du travail gratuit, celui des 45 000 bénévoles employés durant toute la durée des JO. Comme à l’habitude, on verra bien fleurir tout un tas de slogans publicitaires et les spectateurs seront soumis au traditionnel matraquage publicitaire. Mais l’emploi réel ne sera ni pérennisé ni à la hauteur des espérances.
Contrairement à l’idée d’un possible « coup de fouet » pour l’économie, il ne faudra compter que sur « des bénéfices économiques très limités, voire nuls à moyen terme […] aucun impact macroéconomique significatif n’est attendu ». (4) En général, les JO ont plutôt plombé les économies à défaut de les booster. L’exemple des Jeux de Rio est à cet égard assez significatif : outre les scandaleux déplacements forcés de populations et une empreinte carbone négative, avec en plus quelques scandales financiers, le bilan de ces Jeux de Rio s’est soldé par un déficit abyssal (équivalant à 130 millions d’euros).
Alors quel est l’intérêt des JO ? La vision partagée par toute la bourgeoisie peut se résumer à cette intervention de Christophe Lepetit, responsable des études économiques au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) : « On n’accueille pas un événement sportif pour générer de la croissance économique, mais pour des raisons géopolitiques et sociales, pour le positionnement de la France à l’international ». Que doit-on entendre par « raisons géopolitiques et sociales » ? Rien d’autre qu’une propagande nationaliste visant à renforcer le sentiment d’appartenance à une « patrie ». Mais à travers l’exaltation et les effusions nationalistes apparemment « inoffensives » et « joyeuses », à travers la célébration de « l’unité » et de la « grandeur » nationales, la bourgeoisie tente surtout de valoriser l’adhésion à ses propres intérêts économiques et impérialistes, comme aux sacrifices qu’ils exigent. D’où cette énième cérémonie grandiose. « La mise en scène sportive à des fins de propagande, contrairement à ce que laisse entendre l’histoire officielle, n’est pas une particularité du nazisme ou du stalinisme, mais une pratique généralisée à tous les pays. Il suffit de se rappeler les protocoles et les fastes d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin en 2008 ou de Londres en 2012, ou encore de l’entrée des équipes nationales de football au moment des grandes rencontres, pour s’en convaincre. Les grands shows sportifs permettent de provoquer de fortes émotions collectives guidant facilement les esprits vers un univers de codes et de symboles nationaux […]. Souvent accompagnées de musiques militaires, les compétitions internationales sont systématiquement précédées ou clôturées par les hymnes : “Ces rapports sont ceux de confrontations de toutes sortes où le prestige national est en jeu ; le rituel sportif est donc à ce niveau un rituel de la confrontation entre nations”. Dans ces brefs moments d’unions sacrées, les classes sociales sont “fondues”, niées, les spectateurs ouvertement appelés à se lever et à chanter les yeux fixés sur le drapeau national ou sur l’équipe qui l’incarne par ses couleurs ». (5)
C’est, en réalité, pour ces raisons surtout idéologiques que les JO sont organisés, avec pour objectif de favoriser le poison nationaliste et pour le pays organisateur, de « tenir son rang international ». En l’occurrence pour l’État français, l’occasion de soigner son image de leader européen au sein du couple franco-allemand flageolant et faire oublier momentanément son recul militaire et politique sur la scène impérialiste, suite aux déboires en Afrique et aux nombreuses pressions subies dans le Pacifique. Ces Jeux ont également pour objectif de marginaliser et isoler davantage la Russie en exerçant une pression politique à son encontre.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le grand battage médiatique, hormis le ridicule suivi du parcours de la flamme olympique, n’a pas encore réellement commencé (J-15). Mais nul doute qu’un énorme battage patriotique sera au rendez-vous. Face à cette nouvelle campagne idéologique, dans un contexte ou le militarisme est omniprésent, nous ne pouvons que rappeler les mots de Rosa Luxemburg au moment de la Grande Guerre, lors des premières hécatombes sanglantes : « Les intérêts nationaux ne sont qu’une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l’impérialisme ». (6) Il s’agit bien d’un des objectifs majeurs de ces Jeux !
WH, 11 juillet 2024
1 « Pour les JO, on expulse en masse migrants, travailleuses du sexe, sans-abri… », Reporterre (26 juin 2024).
2 « Le sport dans le capitalisme décadent (de 1914 à nos jours) (Histoire du sport dans le ca [44]pitalisme, [44] partie II) [44] », dans Révolution internationale n° 438 (2012).
3 Selon Katia Roux, d’Amnesty International-France, cette surveillance automatisée « n’a jamais démontré son efficacité contre la criminalité et le terrorisme, alors que ses conséquences sur les libertés fondamentales, elles, sont avérées ».
4 « Les Jeux olympiques, un gouffre financier pour la France ? », Euractiv (10 mai 2024).
5 « Le sport dans le capitalisme décadent (de 1914 à nos jours) (Histoire du sport dans le capitalisme, partie II) [44] », dans Révolution internationale n° 438 (2012).
6 Brochure de Junius (1915).
Quelques jours après la tentative d’assassinat contre Donald Trump qui a coûté la vie à l’un de ses supporters, il est encore trop tôt pour déterminer le mobile exact du tireur et les raisons de la défaillance du service chargé de la protection de l’ex-Président. L’attaque a cependant bouleversé la campagne électorale en permettant au camp Républicain de faire un pas supplémentaire vers la victoire. Touché à l’oreille, le visage en sang et le poing levé, presque miraculé, la réaction bravache de Trump, déjà favori des sondages, contraste clairement avec les signes perceptibles de gâtisme de son adversaire Démocrate. Quoi qu’il en soit, cet événement est une nouvelle manifestation de l’instabilité croissante au sein de la bourgeoisie américaine.
Les États-Unis ont une longue tradition d’assassinats politiques qui ont atteint par quatre fois le plus haut sommet de l’État. Mais, après le meurtre de la députée britannique Jo Cox en pleine campagne du Brexit en 2016, après la tentative d’assassinat qui a ciblé Bolsonaro au Brésil en 2018, après le meurtre de l’ancien Premier ministre japonais Shinzō Abe en 2022, après la tentative d’assassinat du premier ministre slovaque Robert Fico en mai 2024 ou l’agression dont a été victime en pleine rue la première ministre danoise Mette Frederiksen en juin dernier, cette nouvelle attaque s’inscrit dans un contexte de violences et de tensions politiques exacerbées de par le monde. Partout, la terreur et le terrorisme se banalisent et marquent peu à peu de leur empreinte les rapports politiques de la bourgeoisie : menaces, insultes, xénophobie décomplexée, violence des groupuscules d’extrême droite, implication des gangs dans les processus électoraux, règlement de compte entre cliques bourgeoises, coups de force… ce chaos rampant, qui était jusque-là contenu dans les pays les plus fragilisés d’Amérique latine ou d’Afrique, commence, toute proportion gardée, à devenir la norme dans les principales puissances du capitalisme.
Aux États-Unis, alors que les institutions « démocratiques » ont notamment pour rôle de garantir l’unité de l’État, leurs difficultés croissantes à contenir et à confiner la violence des rapports entre fractions bourgeoises rivales témoignent d’une véritable gradation des tensions. L’atmosphère de violence est à son comble. Trump lui-même n’a cessé, depuis son départ de la Maison-Blanche et sa tentative avortée de sédition contre le Capitole, de jeter de l’huile sur le feu, remettant en cause les résultats des élections, refusant de reconnaître sa défaite, promettant d’abattre son bras vengeur sur les « traîtres », les « menteurs », les « corrompus ». Il n’a cessé d’hystériser le « débat public », de raconter bobard sur bobard, de chauffer à blanc ses partisans… L’ex-Président s’est révélé être un maillon essentiel d’une véritable chaîne de violence qui déborde de tous les pores de la société et qui a fini par se retourner contre lui.
Qu’un personnage à ce point irresponsable et grotesque ait pu balayer tout ce qu’il y avait d’un tant soit peu capable d’assurer efficacement la gestion de l’État bourgeois au sein du parti Républicain, qu’il ait seulement pu se présenter à la présidentielle sans rencontrer de sérieuses difficultés, ni politiques, ni même juridiques (malgré les nombreuses tentatives de ses adversaires), est en soi le signe éclatant de l’impuissance et de l’instabilité profonde dans laquelle s’enfonce l’appareil politique américain.
Mais si Trump est bel et bien le porte-voix de toute une atmosphère de violences sociales et politiques, un facteur actif de déstabilisation, il n’est que l’expression caricaturale de la dynamique dans laquelle s’enfonce toute la bourgeoisie. Car le camp Démocrate, bien qu’un peu plus soucieux de freiner ce processus, contribue tout autant à l’instabilité mondiale.
Certes, après la politique incohérente et imprédictible de l’administration Trump, Biden s’est montré plus efficace pour défendre les intérêts de la bourgeoisie américaine, mais à quel prix ? Alors que les guerres en Afghanistan et en Irak, qui avaient pour objectif de freiner le déclin du leadership américain en s’imposant comme « gendarme du monde », avaient mené à un fiasco évident et exacerbé le chaos au Moyen-Orient et dans le monde, Biden a poussé la Russie à intervenir en Ukraine. (1)
Ce massacre à grande échelle s’enlise semaine après semaine et semble ne pas avoir de fin. Avec l’explosion de l’inflation et le renforcement de la crise mondiale, avec l’accroissement des tensions impérialistes et l’approfondissement considérable de l’économie de guerre sur tous les continents, le conflit en Ukraine n’a fait qu’engendrer toujours plus de déstabilisation à une échelle plus vaste encore, y compris aux États-Unis.
Biden a parallèlement renforcé les tensions avec la Chine dans tout le Pacifique, faisant planer le risque d’une confrontation directe. La guerre à Gaza, que le Président américain n’est pas parvenu à contrôler et à contenir, a également considérablement accentué le déclin de la puissance américaine, ce qui engendrera tôt ou tard une réaction des États-Unis d’une barbarie encore plus démesurée.
Et voilà désormais le locataire de la Maison-Blanche réduit à tenter de s’accrocher pitoyablement au pouvoir, alors qu’une grande partie de son camp le pousse ouvertement à se retirer ! Mais par qui remplacer Biden ? Les Démocrates sont divisés et discrédités, à peine capables de s’entendre sur un remplaçant. Tous sont déjà prêts à s’écharper. Même la vice-Présidente Harris, la seule à pouvoir s’imposer, est très impopulaire au sein même de son propre camp. Entre Trump, Biden, Harris… il ne reste à la bourgeoisie américaine que de mauvaises options, signe de sa grande fragilité.
Autre signe des tensions extrêmes entre les camps Républicain et Démocrate, Trump n’était pas sorti de l’hôpital, qu’ils s’accusaient mutuellement, avec beaucoup de véhémence, d’être responsables de l’attaque. Trump et Biden, tout de même conscients de la situation explosive, ont momentanément tenté d’apaiser ce climat incendiaire au nom de l’unité nationale… avant que ne se déverse à nouveau un torrent de fake-news et d’accusations sans fondement.
Mais la division entre les partis bourgeois, les luttes intestines acharnées en leur sein, les coups de poker permanents, les rivalités d’égos, les coups de poignards, les stratégies de terre brûlée, tout cela est loin d’être l’apanage de la seule bourgeoisie américaine. La campagne électorale en Amérique fait bien sûr écho à la situation de nombreux États en Europe ou ailleurs, dont la France est le dernier exemple éclatant. Le capitalisme pourrit sur pied et cela a des conséquences sur tous les plans (impérialistes, sociaux, économiques, environnementaux…), entraînant les appareils politiques de la bourgeoisie dans une logique de sauve-qui-peut et une spirale inéluctable d’instabilité où chaque clique bourgeoise tente tant bien que mal de tirer la couverture à soi… même au détriment des intérêts généraux de la bourgeoisie.
Malgré les difficultés croissantes de la bourgeoisie à contrôler son propre appareil politique, elle sait encore parfaitement utiliser la mystification démocratique pour réduire la classe ouvrière à l’impuissance. Alors que le prolétariat doit développer son combat contre l’État bourgeois la bourgeoisie nous enferme, à travers les élections, dans de faux dilemmes : quel parti serait le plus apte à assurer la gestion de l’État bourgeois ? Alors que le prolétariat doit chercher à s’organiser en classe autonome, les élections réduisent les ouvriers à l’état d’électeurs-citoyens, tout juste bons à choisir, sous la pression du rouleau compresseur de la propagande, quelle clique bourgeoise sera chargée d’organiser leur exploitation.
Il n’y a donc rien à attendre des prochaines élections. Si Biden (ou son remplaçant) devait finalement l’emporter, la politique belliciste de l’Administration Biden et tout le chaos mondial qu’elle a engendré s’intensifieront davantage pour maintenir coût que coût le rang des États-Unis dans l’arène mondiale. Si Trump confirmait en novembre les prédictions de victoire, la politique déstabilisatrice et erratique de son premier mandat reviendrait avec plus de force et d’irrationalité. Son colistier, J.D. Vance, s’adresse plus directement à la classe ouvrière et l’exploitation démagogique de sa propre histoire personnelle de victime oubliée de l’Amérique rurale et désindustrialisée lui permet de renforcer son camp et son influence en misant sur les « indécis » pour les convaincre d’une prétendue « nouvelle voie » possible derrière son mentor miraculé.
Que Trump ou Biden l’emporte, la crise historique dans laquelle s’enfonce le capitalisme ne disparaîtra pas, les attaques continueront à pleuvoir et la violence aveugle ne cessera pas de se déchaîner.
Face à la décomposition du monde capitaliste, la classe ouvrière et son projet révolutionnaire représentent la seule véritable alternative. Alors que les guerres, les catastrophes ou la propagande viennent sans cesse heurter ses luttes et sa réflexion, depuis deux ans, le prolétariat renoue partout avec sa combativité et commence peu à peu à retrouver la conscience d’être une seule et même classe. Partout, de petites minorités émergent et réfléchissent sur la nature du capitalisme, sur les causes de la guerre et sur la perspective révolutionnaire. Avec toutes ses élections, la bourgeoisie cherche à briser cette combativité et cette maturation, elle cherche à empêcher toute politisation des luttes. Malgré les promesses (évidemment, jamais tenues) d’un capitalisme plus « juste », plus « écologique », plus « pacifique », malgré la culpabilisation féroce de « ceux qui ne barrent pas la route au fascisme » dans les urnes, ne nous y trompons pas : les élections sont bel et bien un piège pour la classe ouvrière !
EG, 19 juillet 2024.
1 Washington avait pour objectif d’affaiblir la Russie de sorte qu’elle ne puisse constituer une alliée de poids de la Chine dans l’éventualité d’un conflit dirigé contre cette dernière. Il s’agit donc d’isoler un peu plus la Chine tout en portant un coup à son économie et sa stratégie impérialiste en coupant ses « nouvelles routes de la soie » à travers l’Europe de l’Est.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/content/11323/defense-plateforme-du-cci-nouveaux-mensonges-du-gigc#_ftnref1
[2] https://fr.internationalism.org/content/10735/declaration-commune-groupes-gauche-communiste-internationale-guerre-ukraine
[3] https://fr.internationalism.org/content/11348/lutte-contre-guerre-imperialiste-ne-peut-etre-menee-quavec-positions-gauche-communiste
[4] https://fr.internationalism.org/content/11085/parasitisme_politique_nest_pas_mythe_gigc_dangereuse_expression
[5] http://www.igcl.org/Sur-les-differentes-prises-de
[6] https://fr.internationalism.org/content/11314/classe-ouvriere-toujours-lutte
[7] http://www.igcl.org/24e-congres-du-CCI-la-barque-de-la
[8] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[9] https://fr.internationalism.org/content/11350/deux-ans-apres-declaration-commune-gauche-communiste-guerre-ukraine
[10] https://fr.internationalism.org/content/11084/fondements-marxistes-notion-parasitisme-politique-et-combat-contre-ce-fleau
[11] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/ficci-gigcigcl
[12] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre
[13] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/internationalisme
[14] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[15] https://fr.internationalism.org/content/11369/comment-bourgeoisie-sorganise
[16] https://fr.internationalism.org/content/fascisme-democratie-deux-expressions-dictature-du-capital
[17] https://fr.internationalism.org/tag/30/475/donald-trump
[18] https://fr.internationalism.org/tag/30/476/marine-pen
[19] https://fr.internationalism.org/tag/30/526/emmanuel-macron
[20] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/elections-legislatives
[21] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/elections-2024
[22] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/nouveau-front-populaire
[23] https://fr.internationalism.org/tag/7/536/populisme
[24] https://www.linkedin.com/pulse/rising-tide-hate-indias-decade-increasing-communal-violence-sajad-745ic
[25] https://fr.internationalism.org/tag/5/61/inde
[26] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/modi
[27] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/elections-inde
[28] https://fr.internationalism.org/content/10785/militarisme-et-decomposition-mai-2022
[29] https://en.internationalism.org/content/17468/dossier-internal-debate-world-situation
[30] https://en.internationalism.org/content/17377/update-theses-decomposition-2023
[31] https://www.marxists.org/francais/marx/works/1856/04/km18560414.htm
[32] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/debat
[33] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/steinklopfer
[34] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/ferdinand
[35] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/obama
[36] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/jason-hickel
[37] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/kohei-saito
[38] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/mao
[39] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/rosa-luxemburg
[40] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/engels
[41] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decomposition
[42] mailto:[email protected]
[43] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[44] https://fr.internationalism.org/content/5626/sport-capitalisme-decadent-1914-a-nos-jours-histoire-du-sport-capitalisme-ii
[45] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[46] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/jo-paris
[47] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[48] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/joe-biden
[49] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/elections-aux-etats-unis